L` open data, une mine d`or pour les juristes
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L` open data, une mine d`or pour les juristes
438 LA SEMAINE DU PRATICIEN TENDANCES 438 L’open data, une mine d’or pour les juristes L’open data consiste à mettre à disposition de tous, sur Internet, des données numériques librement accessibles et réutilisables par tous. L’open data juridique en est la déclinaison dans le secteur du droit. C’est une mine d’or pour les juristes. J’ai du bon data dans ma datatière .- Oui, j’ai du bon data et tu en auras, car l’open data est une démarche d’ouverture. Elle consiste à mettre à disposition de tous, sur Internet, des données numériques librement accessibles et réutilisables par tous. Ces « données ouvertes » sont extrêmement variées : publiques ou privées… économiques, statistiques, géographiques, scientifiques, culturelles, administratives ou juridiques… Ainsi, divers ministères ont ouvert des données ; des dizaines de villes ont ouvert leurs données (Paris et Rennes ont été les pionnières) ; des EPIC (établissement public à caractère industriel et commercial) ont ouvert leurs données (SNCF, RATP, IGN). Ces données peuvent ensuite être réutilisées dans des applications mobiles, dans des cartographies ou encore pour des recherches de toutes sortes. Le portail data.gouv.fr présente quelques-unes de ces réutilisations : carte des logements vacants en Île-de-France, carte des expatriés français dans le monde, cartographies des données financières des communes et villes françaises... Ici et là, des concours open data sont organisés pour récompenser les meilleures « applis », comme à Strasbourg ou à Toulouse. L’open data, très tendance. Aujourd’hui, l’open data est un mouvement ample et encouragé dans un grand nombre d’États. Aux États-Unis, le président Barack Obama lance le projet data. gouv en 2009. En Europe, la directive 2013/37/UE (PE et Cons. UE, dir. 2013/37/UE, 26 juin 2013 : JOUE 27 juin2013, L 175/1) révise le cadre juridique de la réutilisation des informations du secteur public pour mieux permettre le développement de l’open data (directive dite « PSI », à transposer au plus tard le 18 juillet 2015). Et le Parlement européen vient de voter un budget d’un milliard d’euros pour soutenir des projets Page 700 numériques, notamment des projets open data. En France, le service Etalab est constitué en 2011 auprès du Premier ministre. Etalab a alors créé la plateforme data.gouv.fr, riche de 330 000 jeux de données dès son lancement, et progressant de jour en jour. La nouvelle version de la plateforme propose depuis décembre dernier encore plus de données, avec une technologie qui facilite leur réutilisation. Pour autant, la France n’arrive qu’en 16e position dans le classement sur l’ouverture des données publiques réalisé par l’Open Knowledge Foundation (OKF). Le dique ! S’y l’on ajoute à cela la diffusion en open data des données administratives et des débats parlementaires sur data. gouv.fr, déjà opérationnelle, voilà une mine d’informations. C’est le big data du droit ! Une mine d’or magique. - Ce gisement d’informations présente deux caractéristiques remarquables : 1) C’est un gisement magique, car il ne s’épuise pas : la donnée ouverte est un bien non rival, comme le disent les économistes. S’il n’y a qu’un manteau « L’ouverture des données juridiques pourrait changer la manière de faire de la recherche en droit ou de travailler un dossier. » Royaume-Uni, les États-Unis et le Danemark occupent le podium. Or l’un des points faibles de la France est justement le secteur du droit. On pourrait s’en étonner, dès lors que Légifrance nous est enviée dans de nombreux pays ! Et que cette base, inaugurée en 2002, est 100 % gratuite. Mais en réalité, Légifrance n’est pas encore open data… Pour qu’elle le soit, il faudrait que ses données puissent être librement et gratuitement réutilisées, y compris à des fins commerciales. Tel n’est pas le cas actuellement. (R)évolution pour l’open data juridique.- Il semble toutefois que cela devrait changer, si l’on en croit la décision, datée du 18 décembre 2013, prise par le Comité interministériel pour la modernisation de l’action publique (CIMAP). Au cours de l’année 2014, la base Légifrance devrait alors basculer sous licence gratuite, même pour une « réutilisation professionnelle ». Une révolution pour l’open data juri- et que je le porte, tu en es privé, c’est un bien rival ; si je m’éclaire sous un réverbère, tu peux t’éclairer aussi sans me priver de lumière, c’est un bien non rival. Si j’utilise une information, tu peux l’utiliser aussi. 2) C’est un gisement librement exploitable. Il est non seulement librement utilisable, mais encore, et surtout librement réutilisable. La réutilisation est au cœur de la philosophie de l’open data. Les contrats doivent par conséquent permettre cette réutilisation, y compris pour des projets commerciaux. Et ils doivent le permettre gratuitement. Par principe, les données ouvertes ne sont pas (ou plus) protégées par le droit d’auteur, mais il existe un droit sui generis portant sur les bases de données. Une licence dite « libre » fixe donc les conditions de la réutilisation. En pratique, on rencontre surtout la licence ouverte d’Etalab (LO) et la licence ODbL créée par l’Open Knowledge Foundation. Par exemple, la licence LO permet de reproduire, redistribuer, modifier et exploiter à titre commercial, sous réserve de mentionner la paternité et la date de la dernière mise à jour. Des projets. - Il ne reste plus qu’à avoir des idées et à faire des projets. L’ouverture des données juridiques pourrait changer la manière de faire de la recherche en droit ou de travailler un dossier. Elle pourrait aussi créer de nouveaux produits et services à forte valeur ajoutée et de nouveaux métiers. Voici quelques pistes : 1) On étudierait les textes ou les décisions de justice de façon inédite, notamment en mesurant la fréquence des mots et leurs modes d’utilisation grâce au data mining ou au text mining (data mining et text mining sont difficiles à traduire : littéralement, « exploration » ou « fouille » de données et de texte). 2) On croiserait les informations et on les enrichirait, par exemple pour évaluer les chances de réussite d’une assignation, calculer les taux d’appel ou de pourvoi, comparer les législations du monde entier sur un thème donné. En bref, on ferait du droit dans une démarche proche des digital humanities ou « humanités numériques », ces projets passionnants qui s’appuient sur les technologies numériques pour faire de la recherche autrement. 3) On créerait des infographies, des images, des cartographies pour visualiser des résultats juridiques, par région, par secteur, etc. En septembre dernier, le Law Mining Hackathon 2013 a présenté en ce sens d’intéressants projets, menés en direct, à Genève. Professionnels du droit, éditeurs juridiques, start-ups… tous pourraient s’y mettre et innover. Libérez les données ! L’imagination fera le reste. Laure Marino, professeure à l’université de Strasbourg et au CEIPI LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - N° 14 - 7 AVRIL 2014