Mémoire
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Présentation de Common Frontiers Canada sur le PTP à l’intention du Comité permanent du commerce international, août 2016 Common Frontiers est un groupe de travail multisectoriel qui mène des recherches, des campagnes de sensibilisation et des interventions politiques axées sur l’Amérique. En collaboration avec des réseaux menant des activités semblables dans tout l’hémisphère, nous effectuons des analyses des répercussions économiques, sociales et politiques de la mondialisation néolibérale, à l’issue desquelles nous proposons des solutions de rechange afin d’apporter de véritables changements. Parmi les membres de Common Frontiers se trouvent des groupes confessionnels, des syndicats, des groupes environnementalistes et des organismes de développement international. Auteur : Janet M. Eaton, Ph. D. Collaborateurs : Rick Arnold, Raul Burbano Résumé Le présent mémoire met en doute les motifs sous-tendant le Partenariat transpacifique (PTP) et son accord connexe sur les droits des investisseurs. En outre, il décrit les conséquences négatives que le PTP entraînera sur différents secteurs qu’il risque d’affaiblir, dont ceux qui procurent encore de bons emplois aux Canadiens, comme l’agriculture, l’industrie automobile, la propriété intellectuelle et le secteur public. Il comprend également des préoccupations quant à la façon dont les négociateurs du PTP rédigent les règles du système de gouvernance mondial, qui privilégie les intérêts des sociétés au détriment de la responsabilité des gouvernements nationaux de légiférer au nom de leurs peuples ainsi qu’au détriment du droit international et des droits de la personne sur lesquels s’appuie un monde démocratique et stable. Nous craignons, d’une part, que le PTP nuise à la souveraineté, à la démocratie et à notre système judiciaire, et d’autre part, qu’il affaiblisse les lois et les règlements visant à protéger les Canadiens ainsi que les services publics, la santé, l’éducation et l’environnement au Canada. Selon Common Frontiers, les problèmes découlant du PTP et d’autres accords commerciaux de très grande envergure – comme le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement, l’Accord économique et commercial global et l’Accord sur le commerce des services – s’inscrivent dans le contexte élargi du néolibéralisme, qui comporte plusieurs outils, dont les accords de libre-échange, qui visent à diminuer le pouvoir des gouvernements tout en augmentant celui des entreprises, ainsi qu’à déréglementer, à privatiser et à éliminer les services publics en diminuant la taille du gouvernement. Nous faisons valoir que le néolibéralisme est largement considéré comme une doctrine déficiente qui ne fonctionne pas. Nous recommandons de ne pas signer le PTP et nous formulons des suggestions afin de concevoir un système commercial permettant de bâtir un XXIe siècle durable. Nous croyons qu’il est essentiel de modifier le paradigme du modèle économique mondial actuel afin d’atténuer les menaces d’effondrement économique et écologique. Common Frontiers se préoccupe depuis de nombreuses années des causes fondamentales de l’échec économique mondial, et dans ce contexte, il s’est penché sur la notion de « décroissance » planifiée et d’autres modèles économiques et culturels, comme « buen vivir », qui créent une empreinte écologique moindre 1. 1 Toutes les recommandations sont regroupées dans une section distincte à la fin du présent mémoire. Introduction Des preuves continuent de s’accumuler quant au fait que le PTP et les accords connexes sur le commerce et l’investissement dirigés par des sociétés et inspirés du modèle de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) ne procurent aucun avantage aux gens et aux systèmes de gouvernance démocratique, mais contribuent à la dégradation de l’environnement, à l’intensification du changement climatique, à l’inégalité mondiale et aux échecs économiques. Comme les gens sont au courant de cette situation, tous les secteurs de la société – y compris, entre autres, le mouvement ouvrier, les environnementalistes, les universitaires, les médecins, les chefs d’entreprise, les organisations non gouvernementales, les professeurs de droit international et les citoyens – ont de plus en plus une réaction brutale contre le PTP. Des économistes de la Banque mondiale qui ont déjà été des adeptes du néolibéralisme se sont également prononcés contre les politiques de libre-échange du PTP. Parmi les nombreux spécialistes qui s’opposent au PTP, le célèbre professeur et économiste Joseph Stiglitz, lauréat du prix Nobel, est l’un des plus connus et des plus tenaces. Il a qualifié le PTP du « pire accord commercial de tous les temps » [TRADUCTION] au cours d’une allocution sur le PTP à l’Université d’Ottawa, où il a également averti le gouvernement du Canada que le PTP « n’est pas bon pour les États-Unis et est encore pire pour le Canada » [TRADUCTION]. Doutes quant au contexte économique et politique du PTP La justification du PTP repose sur des mantras souvent répétés, selon lesquels le libre-échange entraîne une amélioration de la croissance, des emplois et des revenus, malgré les nombreuses études portant sur l’ALENA, qui prouvent que les accords de libre-échange ne sont pas à la hauteur de leurs promesses. Une étude récente, Trading Down: Inequality and Other Risks of the TPP Agreement, préparée par le Global Development and Environmental Institute de la Tufts University, a prouvé que si le PTP est mis en œuvre, la croissance du produit intérieur brut sera inférieure aux prévisions, voire nulle ou négative dans la plupart des pays participant au PTP; la croissance de l’emploi ne se concrétisera pas, car on prévoit 770 000 pertes d’emploi dans la zone du PTP et 58 000 au Canada, tandis que les revenus sont peu susceptibles d’augmenter 2. De même, selon le plus grand syndicat du secteur privé du Canada, soit Unifor, cet accord menace plus de 26 000 emplois dans le secteur de l’automobile au Canada, plus précisément dans le domaine de l’assemblage et de la fabrication de pièces. Cette conclusion n’est pas surprenante, car des études antérieures menées au Canada et aux États-Unis ont révélé que l’ALENA avait procuré peu d’avantages. Par exemple, l’économiste canadien Jim Stanford, après avoir examiné des indicateurs concrets des résultats commerciaux de l’Amérique du Nord entre la signature de l’ALENA et 2012, a conclu que le revenu familial médian de l’année précédente, corrigé en fonction de l’inflation, était exactement le même qu’en 1980; le revenu n’avait pas augmenté d’un seul dollar pendant toute cette période 3. De même, dans l’étude NAFTA’s Broken Promises 1994-2013: Outcomes of the North American Free Trade Agreement, Public Citizen a souligné que les États-Unis ont perdu des millions d’emplois dans le secteur manufacturier dans l’ère de l’ALENA et que le salaire médian aux États-Unis est demeuré au même niveau qu’en 1979 4. 2 Dans une étude encore plus récente de l’Institut de recherche en politiques publiques, publiée en avril 2016 et intitulée What if trade agreements are doing us more harm than good?, Jim Stanford soutient que la libéralisation des échanges mutuels et de l’investissement a probablement fait plus de mal que de bien pour le Canada au XXIe siècle, car notre économie n’est pas compétitive, que ce soit sur le plan du coût (essentiellement en raison d’une monnaie surévaluée) ou de la qualité et de l’innovation. Par conséquent, il propose de modifier l’orientation des politiques du Canada afin qu’elles ne soient plus axées sur la mise en œuvre d’autres accords commerciaux de grande envergure 5. Enfin, M. Joseph Stiglitz apporte des précisions sur les dangers liés à la ratification du PTP s’appuyant sur les principes économiques classiques : Selon l’un des principes économiques classiques, les échanges sont bons, et plus il y en a, mieux c’est. Cependant, certains économistes doutent désormais de la pertinence de ce principe. La mondialisation a un coût supérieur et est plus éprouvante que ce qui était prévu, et les démarches gouvernementales visant à atténuer les répercussions sur les travailleurs américains se sont souvent avérées insuffisantes 6. Ces études et ces analyses laissent entendre que tout gain modeste à l’échelle macroéconomique ne compense pas les « compromis » [TRADUCTION] qui poussent les gens à se demander si le PTP est un accord dont le Canada a besoin, particulièrement en cette période de l’histoire économique. Contexte politique élargi Les initiatives des États-Unis en matière de politiques étrangères en Asie comprennent le soi-disant pivot vers l’Asie, qui tente d’exclure la Chine du PTP dans l’objectif de l’isoler sur le plan économique. En fait, le PTP est devenu un instrument essentiel du pivot géopolitique des États-Unis vers la région de l’Asie-Pacifique 7. En raison du PTP, le Canada serait encore plus captif de l’orbite géopolitique et du programme de politique étrangère des États-Unis. En outre, le Canada serait pris dans un accord élaboré en grande partie selon les directives des États-Unis, dans le cadre duquel les États-Unis décideraient des futurs membres conformément au soi-disant système d’entrée, sans oublier qu’ils décideraient de la mise en œuvre de ce système, comme l’a souligné récemment le professeur Howard Mann de l’Institut international du développement durable dans un webinaire de cet institut 8. En outre, nous devrions savoir que lorsque l’Organisation mondiale du commerce (OMC) est devenue plus dysfonctionnelle, car elle tentait d’établir un régime multilatéral de libre-échange d’une portée mondiale, elle a laissé place à ce que M. Stiglitz a qualifié de régime commercial géré dans la discordance qui s’appuie sur une stratégie selon laquelle il faut diviser pour mieux régner et qui est assortie d’accords et de blocs commerciaux se chevauchant 9. Cet ensemble d’accords disparate et dysfonctionnel semble contraire à la préférence qu’accordait le Canada aux accords multilatéraux. Enfin, il est utile de se pencher sur l’analyse qu’a effectuée la professeure Susan George, une intellectuelle européenne, dans son dernier livre, intitulé Shadow Sovereigns: How Global Corporations are Seizing Power 10, dans lequel elle traite le PTP comme l’un des trois mécanismes permettant d’améliorer la gouvernance des entreprises à l’échelle mondiale : i) l’élargissement des accords de libre-échange afin qu’ils soient loin de se limiter aux tarifs et portent également sur la gouvernance économique; ii) la Global Redesign Initiative du Forum économique mondial de Davos, où quelque 84 comités réécriront les règles en matière de gouvernance mondiale; iii) l’influence accrue du secteur des entreprises au sein de l’Organisation des Nations Unies (ONU). 3 La participation à une telle approche d’entreprise mondialiste semble contraire aux promesses que le gouvernement du Canada a faites pendant sa campagne, soit de rétablir une orientation internationaliste axée sur l’ONU dans la gestion des affaires mondiales. Préoccupations concernant différents secteurs touchés par le PTP Droits de propriété intellectuelle Le chapitre du PTP portant sur les droits de propriété intellectuelle entraînerait une augmentation du coût des médicaments au Canada (663 millions de dollars par année selon les estimations), car il prolongerait la durée des droits de brevet des grandes sociétés pharmaceutiques, ce qui retarderait l’arrivée des médicaments génériques sur le marché. Cette situation affaiblirait le système public de soins de santé, minerait la réglementation en matière de santé et nuirait aux efforts visant à développer les soins de santé publics 11. En outre, selon Jim Balsillie, fondateur de Research in Motion, les dispositions du PTP sur la propriété intellectuelle pourraient coûter des centaines de milliards de dollars et finir par faire de la signature de cet accord la pire décision de l’histoire du pays en matière de politique publique 12. Le professeur Michael Geist, spécialiste de la propriété intellectuelle, a souligné dans son article intitulé Price of Entry Should Have Been Too High qu’en raison des conditions de participation aux négociations, le Canada n’avait d’autre choix que de fléchir au sujet de certaines questions relatives à la propriété intellectuelle, ce qui donne un autre exemple des répercussions troublantes que les règles établies avant la participation officielle aux négociations du PTP ont sur l’accord et le droit canadien 13. Agriculture En ce qui concerne l’agriculture au Canada, le PTP occasionnera des pertes dans les marchés de produits laitiers, ébranlera notre système de gestion de l’offre très efficace et équitable, et menacera la souveraineté alimentaire. Il entraînera également des conséquences négatives pour les pays en développement, comme l’a fait l’ALENA pour le Mexique; en effet, deux millions de petits agriculteurs mexicains ont dû quitter leurs terres et les entreprises du domaine de l’agriculture se sont concentrées non seulement au Mexique, mais aussi au Canada et aux États-Unis 14. Selon l’Institute for Agriculture and Trade Policy, le PTP répète de nombreuses erreurs de l’ALENA et ajoute de nouvelles dispositions, comme celle exigeant aux pays de ratifier la Convention internationale de 1991 pour la protection des obtentions végétales (UPOV-91), ce qui limiterait la capacité des petits agriculteurs à garder et à échanger leurs semences. En outre, le Règlement des différends entre investisseurs et États (RDIE) du PTP permettrait aux sociétés du secteur des ressources naturelles et du secteur de l’extraction de poursuivre les gouvernements pour les mesures de protection de l’environnement, ce qui porterait atteinte aux droits des petits agriculteurs d’avoir accès à de l’eau et à des sols sains 15. Construction automobile Selon Unifor, le syndicat représentant les travailleurs des usines canadiennes des trois constructeurs d’automobiles de Détroit, l’accord met en péril plus de 20 000 emplois dans le secteur de l’automobile au Canada et éliminera 6,1 % du tarif canadien applicable aux importations de véhicules de l’Asie en seulement 5 ans. Ce taux d’élimination des tarifs applicables aux automobiles est beaucoup plus élevé que celui qui sera appliqué dans les autres pays du PTP et affaiblira de façon spectaculaire les règles sur le contenu régional tant pour les automobiles que pour les pièces 16. 4 Cet accord remplace également l’ALENA, qui exigeait qu’au moins 62,5 % du contenu des véhicules vendus en Amérique du Nord provienne des trois pays de l’ALENA. Le PTP comporte une nouvelle exigence selon laquelle les voitures et les camions peuvent être vendus libres de droits de douane dans les 12 pays du PTP et comprendre seulement 45 % de contenu de ces pays. Parallèlement, aux termes du PTP, les pièces et les véhicules fabriqués en Chine et dans d’autres pays qui ne sont pas membres du PTP auraient librement accès aux marchés nord-américains 17. Approvisionnement infranational La professeure Jane Kelsey, une éminente critique du droit international de l’investissement, prouve, dans un document d’expert sur le PTP intitulé Treaty Making, Parliamentary Democracy, Regulatory Sovereignty & The Rule of Law, que les activités municipales les plus susceptibles d’être touchées sont les suivantes : i) élaboration de politiques et prise de décisions en matière de planification; ii) règlements régissant les activités autorisées; iii) normes techniques en ce qui concerne, par exemple, l’aménagement immobilier, la construction, la publicité, le zonage et la qualité de l’environnement; iv) activités liées aux finances; v) marchés publics, y compris les partenariats public-privé; services publics; vi) règles et décisions en matière de gestion des ressources. Son analyse établit également qu’en plus d’avoir une incidence sur ces importants champs de compétence des administrations municipales, le PTP freinerait le développement économique régional et limiterait la façon dont les administrations locales peuvent promouvoir le développement économique au sein de leurs collectivités. Par conséquent, elle a conclu qu’il ne s’agit pas d’une bonne base pour établir une économie progressive du XXIe siècle 18. Environnement et changement climatique Malgré des proclamations vantant l’« excellence » du PTP en matière d’environnement, un examen approfondi de l’accord révèle que celui-ci ne semble pas répondre aux attentes. Voici certains sujets de préoccupation : les droits des investisseurs l’emportant sur les accords environnementaux multilatéraux; la formulation trop faible des problèmes de conservation et le défaut d’inclure une interdiction juridiquement contraignante concernant le commerce du bois d’œuvre obtenu illégalement ainsi les ressources fauniques et marines; le chapitre sur la cohérence en matière de réglementation, qui accorde aux sociétés un rôle à jouer dans l’élaboration de nos lois et de nos règlements; l’augmentation de la fracturation hydraulique, des activités d’extraction d’autres sources de combustibles fossiles et des exportations; le fait que le chapitre sur l’environnement semble porter uniquement sur les actions nuisibles à l’environnement liées au commerce; la couverture étroite et les dispositions sur les plaintes des citoyens en grande partie inefficaces 19. En ce qui a trait au changement climatique, le PTP entravera les mesures de lutte contre ce problème, car il favorisera l’exportation et la production de gaz naturel et limitera l’appui envers les systèmes locaux d’énergie renouvelable. De plus, en raison des mesures prises des suites de la conférence de Paris sur le climat, les accords sur le climat seront vulnérables aux contestations sous le régime du Règlement des différends entre investisseurs et États (RDIE), comme le prouvent les poursuites suivantes : la poursuite que Trans Canada Pipeline a intentée contre les États-Unis en raison de la décision du président Obama d’empêcher Keystone XL d’aller de l’avant; la poursuite que Lone Pine Resources a intentée contre la province du Québec lorsque celle-ci a interdit temporairement la fracturation hydraulique; l’action de Vattenfall contre l’Allemagne lorsque ce pays a tenté de mettre fin aux activités relatives au charbon, puis d’éliminer progressivement l’énergie nucléaire. Certains militants environnementaux estiment que le RDIE est la plus grande menace à l’atteinte de nos objectifs en matière de changement climatique 20. 5 Règlement des différends entre investisseurs et États (RDIE) L’intégration des droits des investisseurs et du mécanisme de RDIE est peut-être l’aspect nuisible le plus flagrant du PTP. Voici un extrait d’une première analyse du chapitre sur l’investissement effectuée par Public Citizen : « Bien que le ton soit différent dans certaines dispositions, en pratique, les dispositions juridiquement contraignantes du PTP n’empêchent pas les tribunaux chargés du RDIE d’interpréter d’une façon toujours plus large les droits des investisseurs et par conséquent, les indemnisations qu’ils peuvent être tenus de payer 21. » De nombreux enjeux ont été soulevés au fil des ans au sujet des mesures disciplinaires ou des droits controversés des États investisseurs, comme le traitement national, la norme minimale de traitement, le traitement juste et équitable ainsi que l’expropriation, qui permettent aux investisseurs étrangers de formuler des contestations contre le pays hôte en cas d’ingérence réglementaire perçue, d’expropriation ou de favoritisme économique. Ces privilèges particuliers ont créé un important parti pris dans les procédures des tribunaux chargés du RDIE, qui favorisent les sociétés et les intérêts commerciaux au détriment de l’environnement et de l’intérêt public en général. En outre, les préoccupations ont pris de l’ampleur au sujet des lacunes inhérentes à la structure des tribunaux chargés du RDIE et de la façon dont ceux-ci traitent avec les avocats du secteur privé spécialisés en droit commercial, dont nombreux sont en situation de conflit d’intérêts. Ces arbitres n’ont pas de salaire public ni de mandat, ils ne travaillent pas dans un tribunal ou dans un endroit permanent, ils rendent des décisions qui s’appuient sur des décisions antérieures faisant fi des précédents obligatoires, ils peuvent imposer des tarifs aux perdants en guise de représailles et leurs décisions ne peuvent pas faire l’objet d’un examen juridique en vue d’un appel. Le RDIE protège les investisseurs, mais pas les États, car il permet aux investisseurs, et non aux États, d’intenter des poursuites. Ainsi, le RDIE menace la démocratie, la souveraineté, les droits constitutionnels, le droit international ainsi que nos lois et règlements nationaux. De plus, ces tribunaux d’arbitrage internationaux ne respectent pas les principes judiciaires fondamentaux des tribunaux publics, qui doivent être respectés lorsque des décisions sont rendues au sujet de lois et de règlements publics. Il est inacceptable, antidémocratique et inconcevable que les États puissent voir leurs décisions démocratiques et souveraines contestées par des tribunaux privés extraterritoriaux qui sont souvent en situation de conflit d’intérêts et dont les activités ne sont pas régies par des normes judiciaires 22. Il serait également dans l’intérêt du Canada de se méfier d’une des principales raisons que l’ancien gouvernement de l’Australie a invoquées dans sa décision de rejeter complètement le RDIE, soit la menace de voir augmenter le nombre d’accords entre investisseurs et États, et ainsi, le nombre d’affaires opposant les investisseurs et les États, ce qui accroîtrait le fardeau financier de l’arbitrage et des règlements imposé aux contribuables 23. Si le PTP et l’Accord économique et commercial global étaient ratifiés, le Canada serait exposé à des centaines d’autres contestations flagrantes. Deux rapports récents et pertinents préparés à l’intention de l’ONU accroissent le sentiment d’urgence. Dans ces rapports, Alfred de Zayas, expert indépendant des Nations Unies sur la question des droits de l’homme, relève une multitude de menaces à l’ordre international démocratique et équitable inhérentes au mécanisme de RDIE et recommande l’abandon du RDIE dans son ensemble. Dans ces rapports volumineux adressés à la fois à l’Assemblée générale des Nations Unies et au Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, M. de Zayas attire l’attention sur les différents traités, convention et lois d’application internationale qui sont négligés en raison des privilèges et des droits particuliers accordés aux sociétés. Il estime que ces sociétés devraient être régies par le droit international. Il formule des recommandations à l’intention des gouvernements, de l’ONU, des sociétés transnationales et de la société civile afin de prendre de nouvelles orientations et d’utiliser d’autres mécanismes de protection des investissements s’inscrivant dans le contexte du droit national et international axé sur les principes. 6 En particulier, M. de Zayas met l’accent sur des dispositions pertinentes de la Convention de Vienne sur le droit des traités, qui établissent la suprématie des traités de l’ONU sur le droit commercial. En conclusion, il laisse entendre qu’il est primordial de réviser les accords internationaux en matière d’investissement et d’abolir le RDIE, car il contrevient aux bonnes mœurs et est incompatible avec des dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels 24. En signant la Déclaration du mouvement social sur le PTP le 10 janvier 2016 à Mexico [voir l’annexe], qui mettait l’accent sur ces préoccupations soulevées dans le rapport de M. de Zayas, Common Frontiers indique qu’elle est tout à fait d’accord avec l’analyse du représentant spécial de l’ONU et affirme que le PTP tente d’établir un précédent contraire aux conclusions de ce rapport. Contexte du libre-échange et préoccupations Aujourd’hui, les accords de libre-échange sont très différents des premiers accords de cette nature fondés sur la théorie de l’avantage comparatif adoptée par David Ricardo, qui estimait, selon les calculs, que le libre-échange serait profitable à la fois pour l’acheteur et le vendeur seulement si certaines conditions étaient respectées : Chaque pays membre du partenariat commercial doit : i) être en grande partie autosuffisant; ii) échanger uniquement ses surplus avec ses voisins; iii) assurer l’équilibre entre les exportations et les importations; iv) veiller à ce que les capitaux [propriété] demeurent au pays. Selon David Korten, auteur du rapport intitulé Agenda for a New Economy; the Post-Corporate World et d’autres publications connexes, l’économie mondiale sans frontières privilégiée par des fondamentalistes du marché ne respecte aucune de ces conditions et est loin d’être profitable pour toutes les parties. En fait, elle est principalement profitable pour l’économie des acteurs les plus puissants, qui, grâce au retrait des restrictions associées aux règles et aux frontières, ont la liberté de consolider le contrôle qu’ils exercent sur la richesse réelle mondiale à la recherche d’avantages privés exclusifs 25. Dans son dernier livre, intitulé The Failure of Laissez Fair Capitalism and Economic dissolution of the West: Towards a New Economics for a Full World, Paul Craig Roberts, un économiste américain, journaliste, blogueur, auteur et ancien secrétaire adjoint au Trésor des États-Unis pour la politique économique, affirme que jusqu’à récemment, il était impossible de s’attaquer à la cause du libre-échange et la majorité des économistes croient encore que cette cause est incontestable. Il souligne également que la plupart de ces économistes, qu’il qualifie d’« irréfléchis » [TRADUCTION], ont appris pendant leurs études supérieures que ceux qui mettent en doute le libre-échange sont des protectionnistes, soit une désignation pouvant nuire à leur carrière. M. Roberts souligne qu’il n’est pas le seul économiste à remettre en cause le dogme du libre-échange et donne des exemples d’autres personnes, dont les célèbres économistes écologiques Herman Daly et John B. Cobb, qui relèvent les insuffisances de la théorie du libre-échange dans leur ouvrage marquant, soit For the Common Good; James K. Galbraith, qui règle la question de cette théorie dans The Predator State, publié en 2010; le professeur Robert E. Prasch, qui a démontré les problèmes fondamentaux de cette théorie dans un article publié en 1996 dans Review of Political Economy; le professeur Michael Hudson, qui a déconstruit le libre-échange dans son ouvrage de 2009 intitulé Trade, Development and Foreign Debt; et enfin MM. Gomory et Beaumol, un des plus éminents mathématiciens américains et un ancien président de l’American Economic Association, qui ont prouvé que la théorie du libre-échange comporte de nombreux problèmes, car le contexte moderne 7 du libre-échange est extrêmement différent du contexte historique dans lequel les modèles de libre-échange ont été établis initialement 26. Compte tenu de la multitude d’arguments contenus dans cette présentation qui démontrent les répercussions négatives ainsi que la justification et le contexte douteux du PTP et des accords de libre-échange en général, qui s’appuient sur les travaux de nombreux économistes respectés ayant des inquiétudes quant à l’insuffisance de la théorie du libre-échange, nous croyons que le moment est venu pour le Canada de repenser le libre-échange et le système économique dominant qui négligent la planète et ses habitants à tous les égards. Nos recommandations soutiennent cette nécessité. Économie mondiale fondée sur la croissance des entreprises Les signes de l’échec et des lacunes de la mondialisation économique des sociétés et de sa fin prochaine sont si abondants et multidimensionnels qu’il faudrait des pages et des pages pour les décrire en détail. Toutefois, personne ne devrait être surpris d’apprendre que même au temps d’Adam Smith, de J. S. Mill et de Marx, des économistes ont écrit au sujet du concept des limites à la croissance et ont reconnu que dans un avenir lointain, la croissance serait restreinte par l’accumulation du capital, l’accroissement de la population et le manque de ressources sur une planète limitée 27. Au 20e siècle, des économistes économiques, comme Herman Daly, ont présenté des preuves contre la politique de l’intégration économique mondiale dans son ensemble favorisée par le libre-échange et la libre circulation des capitaux. En outre, Nicholas Georgescu-Roegen, dans son article de 1971 sur « l’entropie et le processus économique » [TRADUCTION] a attiré l’attention sur les limites écologiques de la croissance liées au modèle de croissance économique industrielle à partir duquel il a fait valoir une décroissance planifiée comme solution de rechange 28. À peu près au même moment, le Club de Rome a publié, en 1972, une étude controversée sur la modélisation de la dynamique des systèmes intitulée Limits to Growth, qui prévoyait l’écroulement possible de la civilisation en raison de l’épuisement des ressources et qui a suscité des appréhensions. Bien que l’étude ait été largement critiquée au moment de sa publication, il est désormais reconnu qu’elle était exacte, mais simplement avant-gardiste. Le groupe parlementaire multipartite britannique a présenté à la Chambre des communes britannique, en avril 2016, un nouveau rapport sur l’étude Limits to Growth, qui passe en revue la documentation scientifique et conclut que le modèle initial demeure étonnamment solide 29. Robert Heilbroner, historien économique et conférencier des conférences Massey de 1994 sur la fin possible du capitalisme du XXIe siècle; le professeur Richard Heinberg, auteur de End of Growth: Adapting to Our New Economic Reality; et le professeur Charles Hall, auteur de l’analyse biophysique marquante Energy and the Wealth of Nations, sont parmi les nombreux auteurs qui ont fait la lumière sur les conséquences et les répercussions de la croissance économique des 200 dernières années et de la croissance économique mondiale marquée des 25 dernières années, alimentée entre autres par les combustibles fossiles non renouvelables, le manque de réglementation et le libre-échange 30. Désormais, il semble que les limites à la croissance ont été atteintes, voire dépassées, sur le plan écologique et économique, comme le prouvent des analyses et des rapports préparés presque chaque jour par exemple par des groupes d’experts, des économistes, des écologistes, des scientifiques spécialistes du climat et même le groupe parlementaire multipartite britannique comme il l’a déjà été précisé. Il convient également de souligner que dans son livre de 1999 intitulé Pour une politique de la confiance 31, Pierre Pettigrew, qui a été ministre du Commerce international dans le gouvernement Chrétien, a tenu les propos suivants au sujet de la mondialisation : Au-delà des slogans de tout ordre que l’on entend sur la mondialisation, il est impérieux de mieux cerner ce phénomène qui émerge manifestement comme force révolutionnaire de notre époque. [...] 8 D’un côté, la mondialisation aura entraîné des améliorations remarquables sur le plan de la productivité, et elle s’accompagne d’une logique d’intégration mondiale digne de mention. [...] D’un autre côté, la mondialisation comporte aussi une logique d’exclusion tant à l’échelle internationale qu’à l’intérieur même de chacune de nos sociétés. Cette logique d’exclusion est inquiétante. Elle risque de conduire presque fatalement à une déchirure sociale, ce qui démontrerait que la mondialisation ne produit pas les résultats nécessaires au progrès de l’humanité. Recommandations Les recommandations suivantes concernent la redéfinition du rôle du Canada dans les relations commerciales internationales et sont essentielles au respect des objectifs en matière de durabilité, de paix et de droits de la personne. Le Canada devrait soutenir l’atteinte de ces objectifs dans le cadre de son nouveau rôle fondé sur des principes dans le monde et au sein de l’ONU, car il s’agit d’une force pour l’intérêt commun. 1. Le Canada ne devrait pas ratifier le PTP. 2. Le Canada devrait reconnaître la recommandation formulée le 19 avril 2016 par l’expert spécial de l’ONU, Alfred de Zayas, qui consistait à éliminer le RDIE dans tous les accords internationaux en matière d’investissement qui seront conclus ultérieurement partout dans le monde, appuyer les travaux de cet expert visant à éliminer progressivement 32 les RDIE déjà en vigueur et appuyer sa recommandation consistant à conclure un traité contraignant régissant les affaires et les droits de la personne 33. 3. Le Canada devrait respecter et accepter la recommandation de l’Institut international du développement durable, selon laquelle il faut actuellement restructurer le commerce mondial. Selon l’Institut international du développement durable, le PTP devrait servir de point de départ pour entamer de nouvelles discussions à échelle mondiale sur l’orientation appropriée des accords commerciaux. Le moment est venu pour le Canada de diriger la réévaluation du type d’accords commerciaux qui sont nécessaires pour le présent siècle et de faire entrer le droit commercial international dans une ère de développement durable 34. 4. Le Canada, dans le cadre de son nouveau rôle consistant à modifier l’orientation des discussions mondiales sur le commerce international, devrait tenir compte des facteurs suivants : • • • • certains experts à la recherche de façons d’améliorer les accords internationaux en matière d’investissement ont également souligné que le droit international n’empêche aucunement les pays de signer des traités ou des traités bilatéraux d’investissement imposant aux sociétés des obligations en matière de droits de la personne. Un nouveau livre intitulé Rethinking Bilateral Investment Agreements: Critical Essays and Policy Choices fournit des renseignements à ce sujet 35; les membres de la communauté juridique ont proposé des solutions de rechange au RDIE, dont les suivantes : a) traités internationaux d’investissement régis entièrement par un système judiciaire de l’ONU; b) rétablissement du règlement des différends entre États et États sous la direction de tribunaux nationaux; c) garantie offerte par un organisme mondial, comme la Banque mondiale; différents organismes de toute l’Amérique ont préparé une solution de rechange complète au libre-échange intitulée Des alternatives pour les Amériques 36; réécriture des accords commerciaux afin, d’une part, de respecter tous les paramètres considérés 9 • comme essentiels à la transformation de l’économie, au respect de nos engagements pris des suites de la conférence de Paris sur le climat et à l’exercice du rôle qui nous revient au sein de l’ONU, et d’autre part, de veiller à ce que notre orientation respecte le droit international, comme l’a précisé Alfred de Zayas et comme l’indiquent d’autres recommandations formulées ci-dessus; à l’avenir, les accords commerciaux devraient être conçus pour travailler de pair avec les nouveaux modèles économiques reconnaissant qu’il est essentiel de modifier le paradigme économique afin que celui-ci s’inscrive dans le contexte du droit international, du changement systémique, des lois sur la protection de l’environnement, des écosystèmes durables, des cycles planétaires et des limites à la croissance. Coordonnées Raul Burbano, directeur de programme Common Frontiers [email protected] et [email protected] Cell. : 416-522-8615 10 RÉFÉRENCES 1 John Dillon, The Economics of Sustainability, juin 2010 [EN ANGLAIS SEULEMENT]; Janet M. Eaton, What is Degrowth?[EN ANGLAIS SEULEMENT]. 2 Trading Down: Unemployment, Inequality and Other Risks of the TPP, 26 janvier 2016 [EN ANGLAIS SEULEMENT]. 3 Jim Stanford, Did this historic trade deal help Canada? No, Opinion [EN ANGLAIS SEULEMENT]. 4 NAFTA’s Broken Promises 1994-2013: Outcomes of the North American Free Trade Agreement [EN ANGLAIS SEULEMENT]. 5 Jim Stanford, What if trade agreements are doing us more harm than good? [EN ANGLAIS SEULEMENT]. 6 CETA's Promise of 80,000 Jobs Doesn't Add Up [TRADUCTION]. 7 The Trans-Pacific Partnership: a threat to democracy and food sovereignty [EN ANGLAIS SEULEMENT]. 8 Institut international du développement durable, Re-thinking the Trans-Pacific Partnership, webinaire, mars 2016 [EN ANGLAIS SEULEMENT]. 9 Joseph Stiglitz, Why the world needs a new kind of trade agreement, Forum économique mondial, janvier 2016 [EN ANGLAIS SEULEMENT]; Joseph Stiglitz, In 2016, let's hope for better trade agreements - and the death of TPP, 10 janvier 2016 [EN ANGLAIS SEULEMENT]. 10 Transnational Institute, Shadow Sovereigns: Susan George, octobre 2015 [EN ANGLAIS SEULEMENT]. 11 Centre canadien de politiques alternatives, The Possible Effects of the Trans-Pacific Partnership on the Cost and Regulation of Medicine in Canada, 3 février 2016 [EN ANGLAIS SEULEMENT]. 12 La Presse canadienne, Balsillie fears TPP will cost Canada billions; may be worst-ever policy move, novembre 2016 [EN ANGLAIS SEULEMENT]. 13 Michael Geist, The price of entry to the TPP should have been too high for Canada, 12 janvier 2016 [EN ANGLAIS SEULEMENT]. 14 Conseil des affaires hémisphériques, The Failures of NAFTA, 19 juin 2012 [EN ANGLAIS SEULEMENT]. 15 Institute for Agriculture and Trade Policy, TPP would hurt small scale farmers in developing countries, groups say Faith, development and sustainable agriculture groups call on Congress to reject TPP, 18 avril 2016 [EN ANGLAIS SEULEMENT]. 16 « Fate of Canada’s auto industry unclear as TPP eases Japanese import costs », Globe and Mail, 5 octobre 2015 [EN ANGLAIS SEULEMENT]. 17 Time to fix TPP mistakes: Unifor, novembre 2015 [EN ANGLAIS SEULEMENT]. 18 Jane Kelsey, TPP Expert Paper Treaty Making, Parliamentary Democracy, Regulatory Sovereignty & The Rule of Law [EN ANGLAIS SEULEMENT]. 19 TPP Text Analysis: Environment Chapter Fails to Protect the Environment [EN ANGLAIS SEULEMENT]. 20 The Corporation Behind Keystone XL Just Laid Bare the TPP’s Threats to Our Climate [EN ANGLAIS SEULEMENT]; 3 Ways the TPP Will hurt the Climate—If We Let It Pass [EN ANGLAIS SEULEMENT]. 21 Initial analysis of Key TPP Chapters [TRADUCTION]. 22 Open Letter to Premier of Nova Scotia [EN ANGLAIS SEULEMENT]; Corporate Europe Observatory, Profiting from Injustice: How Law Firms and Financiers are fueling an investment arbitration boom [EN ANGLAIS SEULEMENT]. 23 Janet M. Eaton, Australia’s Rejection of Investor-State, from AUSFTA to the Gillard Government’s Trade Policy and the implications for Canada, 31 décembre 2013 [EN ANGLAIS SEULEMENT]. 24 Alfred de Zayas, Promotion d’un ordre international démocratique et équitable, rapport présenté à l’Assemblée générale des Nations Unies, août 2015; International trade: UN expert calls for abolition of Investor-State dispute settlement arbitrations [EN ANGLAIS SEULEMENT]; The Real News Network, TTIP: A Grave Threat to the Domestic & International Order, propos d’Alfred de Zayas, 5 juillet 2016 [EN ANGLAIS SEULEMENT]. 11 25 David Korten, How to Liberate America from Wall Street, rapport de New Economy Working Group [EN ANGLAIS SEULEMENT]. 26 Paul Craig Roberts, The Failure of Laissez Fair Capitalism and Economic dissolution of the West: Towards a New Economics for a Full World, Atlanta (Georgia), Clarity Inc. Press, 2013 [EN ANGLAIS SEULEMENT]. 27 Robert Heilbroner, 21st Century Capitalism, conférences Massey, 1994 [EN ANGLAIS SEULEMENT]. 28 Herman Daly, étude de Beyond Growth: The Economics of Sustainable Development de Herman Daly, Boston, Beacon Press, 1996 [EN ANGLAIS SEULEMENT]; références de Nicolas Georgescu-Roegen [EN ANGLAIS SEULEMENT]. 29 Club de Rome, Limits to Growth [EN ANGLAIS SEULEMENT]; Parliamentary group warns that global fossil fuels could peak in less than 10 years: British MPs launch landmark report on impending environmental ‘limits’ to economic growth [EN ANGLAIS SEULEMENT]. 30 Richard Heinberg, The End of Growth: Adapting to our New Economic Reality, 2011 [EN ANGLAIS SEULEMENT]; Charles Hall et Kent A. Klitgaard, Energy and the Wealth of Nations: Understanding the Biophysical Economy, New York, Springer Science + Business Media, 2012 [EN ANGLAIS SEULEMENT]. 31 Pierre Pettigrew, Pour une politique de la confiance, 1999. Extrait également cité à la page 6 d’un document de la Toronto Public Library [EN ANGLAIS SEULEMENT]. 32 Ibid., Alfred de Zayas. 33 Alfred de Zayas, A binding treaty on Business and Human Rights [EN ANGLAIS SEULEMENT]. 34 It is time for Canada to lead in re-evaluating what type of trade agreements are needed for this century [EN ANGLAIS SEULEMENT]. 35 Rethinking Bilateral Investment Treaties: critical issues and policy choices, mars 2016 [EN ANGLAIS SEULEMENT]. 36 Des alternatives pour les Amériques. 12 ANNEXE 1 : DÉCLARATION DU MOUVEMENT SOCIAL SUR LE PTP La négociation du Partenariat transpacifique (PTP) derrière des portes closes était une violation de notre droit d’être informé, soit un droit de la personne, et désormais, les gouvernements exercent des pressions sur leurs congrès respectifs afin de ratifier l’accord. Ainsi, les organisations sociales des pays d’Amérique touchés par le PTP manifestent leur désaccord avec cette loi supranationale conçue à l’insu des peuples pour exaucer les souhaits de ceux qui ont beaucoup de capitaux. Nous n’allons pas assister impuissants à la violation de nos droits de la personne. 1. 2. Notre lutte contre le PTP est juste et légitime, et l’Organisation des Nations Unies (ONU) mène la même lutte. Nous déclarons que le PTP est illégal selon le droit international et que les organes législatifs ne devraient donc pas le ratifier. Les nombreux droits de la personne ont été reconnus à l’échelle internationale à l’issue de longues luttes qui ont mené à une compréhension fondée sur le droit international du fait que ces droits doivent l’emporter sur tout autre type de « droit ». Par conséquent, les traités commerciaux ne peuvent pas avoir préséance sur des accords gouvernementaux visant à respecter et à mettre en œuvre la Déclaration universelle des droits de l’homme de l’ONU ainsi que tous les autres accords et protocoles connexes. 3. La Commission des droits de l’homme de l’ONU a le mandat de créer un instrument législatif contraignant régissant les obligations des sociétés transnationales et les intérêts commerciaux en ce qui a trait aux droits de la personne. Le PTP tente d’établir un précédent contraire à ce mandat. Les mécanismes et les engagements du PTP favorisant les sociétés transnationales sont obligatoires, tandis que les chapitres concernant le travail (chapitre 19), l’environnement (chapitre 20), la coopération et le renforcement des capacités (chapitre 21), le développement (chapitre 23), les petites et moyennes entreprises (chapitre 24) et la transparence et la lutte contre la corruption (chapitre 26) sont quant à eux volontaires, ne sont pas exécutoires et ne donnent pas lieu à des sanctions s’ils ne sont pas respectés. L’anomalie juridique qui se trouve dans la structure, le contenu et l’institutionnalisation des traités commerciaux comme le PTP, qui consacrent des droits, n’est pas compatible avec l’ordre public international, est contraire aux droits des sociétés et laisse les populations sans défense. Cette anomalie est reconnue dans le rapport de juillet 2015 de l’expert indépendant de l’ONU responsable de la promotion de l’ordre international démocratique et équitable, qui précise que le PTP s’élève au-dessus des droits de la personne, des dispositions de la Convention de Vienne sur le droit des traités et des coutumes (locales) respectables. 4. 5. Nous reconnaissons les droits des peuples autochtones et des paysans sur le matériel génétique et les connaissances traditionnelles. Le PTP constitue une violation flagrante de ces droits reconnus par le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de l’ONU. En revanche, le PTP tente de légaliser le pillage, le brevetage et le marchandisage de la diversité biologique et bioculturelle (les connaissances, la sagesse et les droits coutumiers des premiers peuples) en obligeant les gouvernements à signer des accords visant à « légaliser » le vol et la recherche du profit (comme en ce qui concerne les droits d’« obtenteur » dans la Convention internationale pour la protection des obtentions végétales de 1991) pour favoriser les sociétés transnationales, notamment par le renvoi à d’autres mécanismes de pillage, comme le Protocole de Nagoya (accès aux ressources génétiques). Le PTP viole la constitution de nombreux pays, car il prévoit que l’accord est obligatoire non seulement pour le pouvoir exécutif qui le signe, mais aussi pour tous les ordres de gouvernement (gouvernement provincial, administration municipale, administration ministérielle, etc.), ce qui a pour effet de compromettre des pouvoirs autonomes et souverains aux termes de la constitution sans que les détenteurs de ces pouvoirs aient donné leur consentement ou aient eu l’occasion de ratifier l’accord. 6. 13 Le mécanisme de règlement des différends prévoyant le recours à des tribunaux internationaux privés est au cœur même du PTP. Ce mécanisme est injuste, car il permet aux sociétés étrangères de poursuivre les États, mais ne permet pas aux États de poursuivre les sociétés étrangères. Ainsi, même les collectivités touchées par les répercussions de ces investissements ne sont pas en mesure de poursuivre les sociétés responsables. Ce mécanisme et les réclamations de plusieurs millions de dollars connexes ne sont rien de moins qu’une tentative de faire en sorte que la politique gouvernementale permette aux investisseurs étrangers de satisfaire leurs attentes en matière de bénéfices au lieu de servir l’intérêt public. En outre, le règlement des différends entre investisseurs et États érode le système de justice national et souverain et siphonne les fonds publics. 7. La propriété intellectuelle et les règles commerciales sont un écran de fumée derrière lequel se cachent un intérêt à exercer un contrôle politique et social sur l’utilisation d’Internet et des obstacles nuisant au respect des droits électroniques, ce qui est ouvertement contraire aux libertés démocratiques, au droit à l’information, soit un droit de la personne, et à la diffusion des connaissances. Cet accord vise à rejeter les principes et les espoirs d’ouverture, d’innovation, de mise en commun des biens et de collaboration que ces technologies numériques promettent et à favoriser un paradigme fondé sur le contrôle et des motifs commerciaux qui est aussi, bien entendu, politique. La lutte contre le PTP consiste à défendre la liberté, l’égalité et la justice. La mise en œuvre du PTP marquera le temps pour les utilisateurs d’Internet et des technologies de l’information et des communications dans nos pays au détriment de droits de la personne, à savoir le droit à la liberté d’expression, le droit de se réunir, le droit de créer et le droit à la vie privée. 8. L’une des principales menaces aux libertés mentionnées précédemment est la suppression de contenu sur Internet, soit une mesure défendue par les États-Unis qui sera imposée à d’autres pays. Ces activités de suppression seraient effectuées sous prétexte de protection du droit d’auteur et comporteraient des interdictions assorties de sanctions qui pourraient être imposées aux utilisateurs finaux en ce qui concerne leurs propres activités de modification du codage de l’information ou d’un produit technologique, même s’ils le font pour leurs propres besoins et exigences. En outre, le PTP donnerait aux sociétés de télécommunications la latitude leur permettant de fragmenter Internet, car elles pourraient offrir exclusivement du contenu à partir de leurs réseaux, choisir les utilisateurs et mettre un frein à l’innovation. La protection des renseignements personnels des utilisateurs finaux pourrait être compromise, car cet accord entrave les lois locales régissant l’exercice d’un contrôle sur les transferts internationaux de données vers des pays qui ne disposent pas de mesures de protection de cette nature. Le mauvais libellé de cet accord peut entraîner différentes répercussions sur la confidentialité des communications, particulièrement dans le cas de personnes exerçant des professions vulnérables, comme les journalistes, les défenseurs des droits de la personne et les militants politiques, qui seraient ainsi constamment sur le qui-vive. Les épreuves douloureuses occasionnées par les accords de libre-échange antérieurs nous ont prouvé que nous devons rejeter les faux espoirs que véhiculent nos gouvernements dans l’objectif d’amplifier les soi-disant avantages du PTP. 9. 10. Selon des analyses indépendantes des répercussions du PTP sur les droits, la vie et l’avenir de nos peuples, cet accord occasionnerait d’énormes dommages, comme l’augmentation de l’instabilité sociale et la diminution de la démocratie et de la souveraineté des peuples. 11. L’allégation selon laquelle la croissance des exportations et des investissements étrangers se traduira automatiquement par une augmentation du nombre d’emplois de qualité, une hausse des salaires et un meilleur respect des droits dans le domaine du travail est fausse. Si le PTP est mis en œuvre, il se peut 14 que le nombre d’emplois de qualité augmente, mais l’ensemble des citoyens subira d’abord d’importants dommages. 12. Premièrement, nous rejetons cet accord, car il ne définit pas les conditions requises pour veiller au respect de la dignité au travail et à l’inclusion de tous, selon les principes de base présentés par l’Organisation internationale du Travail : emploi stable, sécurité sociale, respect de tous les droits au travail, représentation des travailleurs véritable et démocratique permettant d’établir un dialogue social qui n’est pas soumis à l’influence ni au contrôle d’intérêts de sociétés ou de gouvernements. Deuxièmement, pourquoi le PTP ne comprend-il pas de disposition interdisant expressément l’abandon de droits déjà acquis dans le domaine du travail et intégrés dans les lois des pays concernés régissant ce domaine? Ainsi, un pays pourrait respecter dans une moins grande mesure les droits dans le domaine du travail, y compris en ce qui concerne les salaires, les heures de travail par jour, la santé et la sécurité, pour attirer les échanges et les investissements. Le Mexique illustre bien cette réalité, car le contrôle exercé par les sociétés a mené à la conclusion d’ententes de faveur procurant des avantages aux patrons. Ce mécanisme, la diminution des droits des travailleurs et les changements apportés aux heures de travail, à la sécurité sociale ainsi qu’aux salaires ont été imposés dans l’objectif d’attirer les investissements et de rendre les exportations plus concurrentielles. 13. Il est désormais notoire, comme le reconnaissent des organismes internationaux, que bien que le démantèlement du modèle agricole paysan (petit agriculteur) et familial donne l’illusion d’une « modernisation » de l’agriculture transnationale, il a en fait favorisé l’utilisation d’un ensemble toxique de contaminants nécessaires aux cultures génétiquement modifiées. Un tel « modèle » nuit à la biodiversité ainsi qu’aux relations sociales et communautaires, et présente un danger pour la santé et la souveraineté alimentaire. La décision stupide d’ouvrir les frontières à la contamination inévitable causée par des cultures génétiquement modifiées est un autre des crimes inacceptables du PTP. 14. Le PTP aggravera les problèmes de dépendance alimentaire, d’inégalité, de pauvreté, de malnutrition, de dégradation de l’environnement et de migration rurale déjà présents en raison de l’ALENA, des politiques gouvernementales favorisant les agroentreprises transnationales et de la soi-disant « révolution verte ». En outre, le PTP constitue une grave menace pour les droits des paysans d’échanger des semences pour cultiver leurs propres aliments. 15. Grâce au chapitre du PTP sur la propriété intellectuelle, quelques sociétés pharmaceutiques transnationales continueront de s’enrichir, car le prolongement de la protection que confèrent les brevets et la protection des résultats des essais consolideront grandement leur monopole. Cette situation menace la vie de millions de personnes privées des médicaments et de l’équipement médical dont elles ont besoin, qu’elles devront se procurer à un prix qui ne cesse d’augmenter, et nuit au développement autonome de l’offre de médicaments et d’instruments médicaux. Le directeur de l’Organisation mondiale de la Santé de l’ONU a déjà formulé une mise en garde semblable. 16. Le chapitre 17 du PTP dénature le sens d’une entreprise publique exerçant des fonctions socioéconomiques légitimes, car il les transforme en sociétés appartenant au gouvernement qui doivent se comporter comme des sociétés privées, se soumettre à la « discipline de marché » et faire des profits ou créer des conditions en vue de leur future privatisation. Ainsi, la plupart du temps, le PTP tente d’établir des conditions favorisant les monopoles et aidant les investisseurs transnationaux à s’approprier les biens publics. La menace même que représentent les poursuites des sociétés contre les gouvernements devant un tribunal international et les restrictions associées aux sanctions que peut imposer ce tribunal ont une grande incidence sur l’exercice de la souveraineté nationale. 17. Le PTP sert les intérêts politiques et militaires des États-Unis, et non ceux des habitants de ce pays 15 ou du nôtre. L’un des objectifs sous-tendant cet accord pour les États-Unis consiste à cerner la Chine afin de conserver sa propre hégémonie, désormais en déclin. Le fait d’ajouter une composante à la crise multidimensionnelle dans laquelle se trouve le monde actuellement est aussi irrationnel que de proclamer la nécessité de faire la paix tout en battant les tambours de guerre. Pire encore, cette situation se déroule pendant que nos droits politiques – le droit d’avoir accès aux nouvelles technologies, le droit d’utiliser Internet sans restriction, le droit à la santé, les droits dans le domaine du travail et, en général, tous les droits de la personne et des premiers peuples – sont tous violés. Cela entraîne des répercussions socioéconomiques négatives inévitables pour la majorité des populations touchées, l’augmentation des inégalités et de la pauvreté, la diminution de la souveraineté alimentaire, la destruction de la biodiversité et la criminalisation de l’utilisation des semences du patrimoine. Soyons clairs, la promotion du PTP vise à miner, voire à contrecarrer, les traités internationaux déjà conclus et les organismes multilatéraux, comme l’Organisation mondiale du commerce (OMC), l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) et l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI). Mexico, 28 janvier 2016 16