Heurs et malheurs de l`unité syndicale

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Heurs et malheurs de l`unité syndicale
D’hier à aujourd'hui
CFTC-CFDT quarante ans d’histoire
Heurs et malheurs de l’unité syndicale
Malgré de nombreuses tentatives,
les rapprochements entre les syndicats
ont tous échoué
« Il n’y a pas de place en France pour deux centrales laïques », ainsi parlait Maurice Bouladoux,
président de la CFTC en 1960. Soit quatre ans avant le congrès de l’évolution qui donne naissance
à la CFDT. Le regard de certains responsables de la future CFDT est alors tourné vers Force
ouvrière. La CFDT devenant une organisation syndicale non confessionnelle, hors du giron du PCF
et de la CGT, le rapprochement semblait possible. Le but n’était-il pas de « poursuivre contre une
emprise totalitaire une reconquête syndicaliste de la classe ouvrière » (1).
Dans son livre Militer Eugène Descamps annonce clairement les intentions de la CFDT de cette
époque : « Au congrès de 1964, j’avais lancé un appel plus direct à FO et à la FEN. Très longtemps,
j’ai espéré que la CFDT, ayant subi une transformation assez profonde, puisse avec la FEN et FO
constituer une grande confédération non communiste, plus exactement non dominée par les
militants du PCF ». (2). Mais cette stratégie échoue. Bien que farouchement anticommuniste, FO
oppose une fin de non-recevoir. Même si certains militants sont tentés par l’aventure, la Centrale
de l’avenue du Maine bloque tout projet de rapprochement et a fortiori de fusion.
Au congrès de novembre 1965, la CFDT cherche pourtant à sortir de l’isolement et affirme « n’avoir
jamais méconnu l’aspiration des travailleurs à l’unité ». Dans son Manifeste voté au congrès, elle
appelle à un effort de clarification entre les centrales « dans la sincérité, condition essentielle pour
que s’engage un jour un dialogue fraternel et fécond ».
Janvier 1966, le changement de cap. Face à l’intransigeance patronale et à l’attitude trop
complaisante de FO, « l’effort de clarification » s’opère du côté de la CGT. En janvier 1966, les
deux confédérations signent une plate-forme commune sur des objectifs revendicatifs précis. Il
n’est pas question que règne la moindre ambiguïté: Pour la CFDT, la CGT reste un syndicat qui
représente ce qu’Edmond Maire appelait « la greffe communiste sur le mouvement ouvrier ». Mais
puisqu’il faut peser face au gouvernement et au patronat, il est possible de faire un bout de chemin
ensemble. Jusqu’en 1978 où cette plate-forme vole en éclat, le chemin sera semé d’embûches et
les événements de mai-juin 1968 n’y seront pas étrangers. En juin 1972, la signature du
programme commun de gouvernement provoquera encore une crise grave. La CGT se rallie
entièrement à la stratégie du PCF. Le programme de la gauche devient sa bible alors que la CFDT
ne se considère en aucune façon engagée, ni sur la forme ni sur le fond, dans cette démarche
politique. Les Assises du socialisme, où des responsables CFDT rejoignent le PS, ne fait
qu’envenimer les choses. Avec, en 1977-1978, la volonté du PCF de briser une alliance avec le PS
qui l’affaiblit, la CGT durcit son attitude. C’est le temps des insultes et des violences. En opérant
son «recentrage» suite au rapport de Jacques Moreau au Conseil national, puis au congrès de Brest
en mai 1979, la CFDT met un point final à cette relation bilatérale.
L’espoir de constituer un pôle réformiste. À la fin des années 80, la CFDT tente une nouvelle
fois un rapprochement intersyndical sans la CGT. Celle-ci refusant toute action commune si elle
n’en est pas l’initiatrice. Un pôle réformiste se met en place sur le terrain de la négociation. Avec la
CGC et la CFTC, la CFDT veut l’élargir naturellement à FO mais Marc Blondel refuse tout accord. Le
plan Juppé sur la Sécurité sociale consacre une brouille durable avec FO qui, le mur de Berlin étant
tombé, rêve de voir venir à elle les militants CGT.
Avec la naissance de Sud et de l’Unsa, le syndicalisme français sort encore plus divisé et plus
émietté alors que les leaders syndicaux, comme les observateurs du social, continuent d’affirmer
que les salariés aspirent à des actions et des plates-formes communes.
(1) Texte de Reconstruction. 1952.
(1) Eugène Descamps Militer. Stock.
Pour plus d’information sur la CFDT lors des événements de 1968, on peut lire le livre d’Hervé Hamon et de Patrick Rotman La
Deuxième gauche, histoire intellectuelle de la CFDT paru au Seuil, le livre de Franck Georgi, L’Invention de la CFDT aux éditions
de l’Atelier, et aussi Militer d’Eugène Descamps aux éditions Stock.
Entretien avec Jean Kaspar*
« Dépasser les pesanteurs historiques »
Dès 1964, après le congrès de l’évolution, la CFDT cherche une alliance et même une fusion avec FO.
N’était-ce pas illusoire de croire cette démarche possible ?
C’est plus facile à dire avec le recul. Il est exact qu’en 1964, un certain nombre de responsables de la CFDT,
comme Eugène Descamps, pensaient que la transformation de la CFTC allait permettre un rapprochement avec
Force Ouvrière pour contrebalancer l’influence de la CGT au sein du salariat. C’était sous-estimer les pesanteurs
internes à FO, laquelle considérait la nouvelle CFDT comme un concurrent plus redoutable que l’ancienne CFTC.
Devant l’échec de cette tentative, la CFDT signe en janvier 1966 une plate-forme avec la CGT. Etaitce une réplique à FO ?
On ne peut pas dire cela. La signature de la plate-forme avec la CGT en 1966 avait essentiellement pour but de
créer une pression plus forte sur le patronat qui avait du mal, à l’époque, à accepter l’intervention syndicale
dans l’entreprise sur l’organisation et les conditions de travail. Le patronat avait fait de FO un interlocuteur
privilégié. Cette situation n’était pas sans conséquence sur le contenu des négociations. Je pense, par ailleurs,
que la CFDT cherchait avec cette plate-forme à faire évoluer la CGT. Il faut reconnaître que cette stratégie a
échoué.
Lorsque vous étiez secrétaire général, entre 1988 et 1992, vous avez cherché à renouer des liens
avec FO. Là aussi, la réussite n’a pas été au rendez-vous ?
Ce n’est pas comparable avec la tentative de 1964. J’avais essayé de lancer l’idée d’un pôle syndical réformiste
qui devait réunir régulièrement la CFDT, FO, la CFTC, la CGC et la FEN sur un travail en commun.
Nous voulions alors définir des stratégies communes au plan national et au niveau européen. L’objectif était
encore une fois de faire contrepoids avec le syndicalisme radical incarné par la CGT. Il s’agissait pour nous de
mieux lier contestation, proposition et négociation. Il est clair que FO, et en particulier Marc Blondel, porte une
responsabilité majeure dans l’échec de cette stratégie.
Quel est, selon vous, l’avenir du syndicalisme en France ?
Si de nombreux pays européens connaissent le pluralisme syndical, aucun n’est confronté à l’émiettement qui
est le nôtre. Ces raisons n’ont plus la même pertinence aujourd’hui. J’ai le sentiment que certaines
organisations sont plus préoccupées à défendre «leur boutique» ou leur territoire que d’œuvrer à une action
collective. Le syndicalisme doit être un outil aux mains des salariés pour aller vers une plus grande
émancipation. De ce point de vue, il faut dépasser les pesanteurs historiques et chercher une voie pour des
actions communes.
A terme, il est indispensable de s’engager dans une refondation du syndicalisme français. Pour cela, il faut que
la CGT aille au bout de sa tentative de repositionnement stratégique et ose aller vers les compromis
nécessaires. La CFDT aussi doit se donner les moyens de sortir de son isolement.
* Secrétaire général de la CFDT de 1988 à 1992.
Henri Israël © CFDT (mis en ligne le 2 juillet 2004)