Le management des connaissances intergénérationnel

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Le management des connaissances intergénérationnel
UNIVERSITE PARIS DAUPHINE
Le management des connaissances
intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Quelles sont les logiques organisationnelles sous-tendantes aux
managements des connaissances intergénérationnels des firmes françaises et
japonaises ?
Sakura SHIMADA
Master 101 Politique générale et Stratégie des Organisations
2008/2009
Mémoire majeur réalisé dans le cadre du séminaire Coopération, Alliances et Partenariat, sous la
direction du Professeur Stéphanie Dameron
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
R EMERCIEMENTS
Je voudrais d’abord adresser mes remerciements aux personnes interviewées qui,
malgré des emplois du temps chargés, ont tous accepté de répondre à mon entretien.
Mon mémoire est bâti sur leur coopération, et le travail n’aurait pas été possible sans
l’apport de ces personnes qui m’ont permis l’approche de leur entreprise en matière de
management de connaissances intergénérationnel : Monsieur Lamouche, Monsieur M. 1 et
Madame Mesnil pour les entreprises françaises ; Monsieur Tatsuyama, Monsieur Itô,
Mademoiselle Atsumi, Monsieur Terada, Madame Ibuka, et Monsieur Sogo pour les
entreprises japonaises.
Par leurs expériences en ce domaine et le recul qu’ils en ont, les consultants en
transmission de savoir et en gestion des âges ont contribué à éclaircir le sujet d’étude :
Monsieur Bernardon, Madame Chbani, Monsieur Matsuo et Monsieur Nomura.
Tous mes remerciements aussi, au Professeur Abo et au Professeur Nishiura, ainsi
qu’au Président de la Knowledge Management Society of Japan qui m’ont introduite auprès
des entreprises et consultants japonais.
Enfin, je tiens particulièrement à remercier le professeur Dameron, qui m’a guidée
dans mes recherches et grâce à qui je participe au groupe de travail sur le « Déploiement de
politiques de gestion des âges » à l’Association Française des Managers de la Diversité.
1
Nom non indiqué pour raison de confidentialité.
2
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S OMMAIRE
1. LE MANAGEMENT DES CONNAISSANCES INTERGENERATIONNEL
DANS LE CONTEXTE FRANÇAIS ET JAPONAIS .......................................................... 9
1.1. LA PROBLEMATIQUE REPLACEE DANS SON CONTEXTE : LES ENJEUX DE LA TRANSMISSION DES CONNAISSANCES EN
FRANCE ET AU JAPON ................................................................................................................................................ 9
1.2. LE MANAGEMENT DES CONNAISSANCES EN FRANCE ET AU JAPON............................................................. 26
2. LES MECANISMES DU MANAGEMENT DES CONNAISSANCES
INTERGENERATIONNEL EN FRANCE ET AU JAPON .............................................. 43
2.1.
2.2.
LA DEMARCHE METHODOLOGIQUE .................................................................................................... 43
LES RESULTATS : LES MECANISMES DE TRANSMISSION INTERGENERATIONNELLE DES CONNAISSANCES .............. 47
3. L’APPROCHE PAR LE BA : UNE LOGIQUE PROPICE AU
MANAGEMENT DES CONNAISSANCES INTERGENERATIONNEL ? ................... 77
3.1.
3.2.
UN MODELE ORGANISATIONNEL DU MANAGEMENT JAPONAIS COMME ENSEMBLE DE BA............................... 78
L’INTERET DE CE MODELE ................................................................................................................. 91
ANNEXES.................................................................................................................. 113
TABLE DES MATIERES ........................................................................................ 139
3
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Sakura SHIMADA
R ESUME
La transmission des connaissances des seniors aux autres générations est devenue
l’objet d’une attention particulière dans les entreprises. En effet, elle est considérée comme
une façon de valoriser l’allongement de la vie active, tout en s’assurant de la continuité des
ressources stratégiques de l’entreprise : les connaissances.
En vue de la réalisation d’une thèse sur le même sujet du management de
connaissances intergénérationnel (MCI), ce mémoire propose de traiter la question d’un
point de vue organisationnel et interculturel. Nous nous interrogeons, par la comparaison des
pratiques et dispositifs des entreprises françaises et japonaises, sur l’existence d’une ou des
logiques organisationnelles qui seraient propres au MCI.
L’analyse est fondée sur des entretiens menés au total dans six entreprises françaises et
japonaises, et auprès de quatre consultants spécialisés dans le domaine. La comparaison des
deux pays permet de mettre en avant les enjeux contextuels qui pèsent sur le MCI, mais aussi
l’existence d’un socle commun relatif aux caractéristiques du MCI : ce dernier étant
fondamentalement participatif et ancré dans les interactions sociales, le management et
l’organisation prennent une forme encadrante, décentralisée et incitative.
Au fil de la réflexion, nous en arrivons à avancer que cette logique, que nous
identifions comme étant celle du management par le ba, peut être érigée en une vision de
l’organisation dans son ensemble. Il s’agit de regarder l’entreprise en focalisant sur les foyers
de partage et de création de connaissances : les interactions sociales émergeantes.
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I NTRODUCTION
La « société du savoir » et le « vieillissement de la population » sont deux aspects
majeurs de nos sociétés développées. Pour les entreprises, la maîtrise de la création et
l’utilisation des connaissances sont des questions plus que jamais stratégiques. En effet, dans
un contexte mondialisé, dématérialisé et en évolution permanente, ce sont les connaissances
qui font la vraie différence de leur compétitivité. La tentative de maîtriser ces ressources
stratégiques s’est alors fortement développée dans les années quatre-vingt-dix, formant ainsi
le courant disciplinaire du management des connaissances.
Par ailleurs, le vieillissement de la population est un défi commun aux pays
développés qui ont achevé leur transition démographique. Afin de maintenir un certain
dynamisme de la population active, les gouvernements optent successivement pour un
allongement de la vie active des travailleurs âgés. Les entreprises se retrouvent donc avec une
proportion plus importante de seniors parmi leurs collaborateurs. Des seniors qui ont toute
une carrière d’expérience, et donc, un riche réservoir de connaissances.
Comment valoriser les connaissances de ces seniors, cette première source de richesse
dans notre société de savoir ? Comment manager les connaissances, dans un cadre de
diversité intergénérationnelle ?
Le Management des Connaissances Intergénérationnel (MCI), comme son nom
l’indique, revêt donc deux thèmes dans une même problématique.
- Celui du management des connaissances, d’abord, c'est-à-dire les enjeux managériaux et
organisationnels dans la maîtrise des connaissances.
- Celui de l’intergénérationnel, ensuite, ce qui renvoie au rapport entre les connaissances et
l’âge. Ces deux notions sont-elles positivement corrélées ? C’est la question de
l’employabilité des seniors. Les générations auraient-elles des rôles différents face au
management des connaissances ? C’est la question de coopération intergénérationnelle
pour une meilleure valorisation des connaissances des individus, et donc de celles de
l’entreprise.
Le MCI est donc un vaste sujet faisant intervenir différentes problématiques, et dont
les enjeux dépendent de la conception organisationnelle de l’entreprise tout entière : comment
organiser l’évolution de chaque individu et la coopération entre les générations pour un
management des connaissances effectif et efficace. Avant de proposer une quelconque
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recommandation pour le MCI, il est donc nécessaire de cerner la logique organisationnelle
propre au MCI, s’il y en existe, ce qui est précisément l’objectif de ce mémoire. Cette étude
constitue aussi la préparation d’un projet de thèse qui porterait sur le même sujet : une
comparaison franco-japonaise du MCI. La clarification de l’approche française et japonaise,
dans ce mémoire, permettra ainsi d’établir une première base de recherche.
Notre sujet est donc le MCI dans les firmes françaises et japonaises. Or la
problématique porte, non pas sur les mécanismes du MCI en soi, mais sur les logiques
organisationnelles qui les structurent. Ainsi, quelles sont les logiques organisationnelles
sous-tendantes aux managements des connaissances intergénérationnels des firmes
françaises et japonaises ?
L’intérêt de réaliser une étude comparative avec le Japon est de trois ordres.
Premièrement, le Japon est un des premiers pays vieillissant au monde, et dont le taux
d’activité des seniors est des plus élevés. Contrairement à la France qui sort à peine de sa
« culture de préretraite », le Japon s’est déjà engagé dans le travail des seniors depuis
maintenant une trentaine d’années. Au-delà des réformes liées à la retraite, ceci implique une
organisation de l’entreprise qui permette la continuité de la vie active des seniors par le
maintien de leur employabilité.
Deuxièmement, le management des connaissances japonais semble avoir sa propre
philosophie. Le fameux modèle SECI des deux auteurs japonais Nonaka et Takeuchi (1991 ;
1995) ont suscité un grand intérêt en Occident, par l’importance accordée aux connaissances
tacites et aux dimensions sociales du management des connaissances. Les chercheurs
japonais continuent aujourd’hui de développer leur propre approche du management des
connaissances, dans une façon japonaise de concevoir les connaissances, l’organisation et le
management. Le benchmarking de l’approche japonaise pourrait alors constituer une source
de nouvelles idées.
Enfin, l’observation de l’autre nous renvoie à notre propre image : l’analyse du MCI
japonais peut donc servir à mieux nous comprendre nous-mêmes, à identifier nos
incohérences et des pistes d’amélioration. Au contraire, s’il s’avère que les approches des
deux pays ont quelque chose de commun, il ce pourrait que ce soit là une logique propre aux
MCI, et qui mériterai alors toute notre attention.
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Pour la méthodologie de l’étude empirique, c’est l’entretien qualitatif qui a été choisi
pour la collecte des données. En effet, rechercher la logique organisationnelle du MCI revient
à s’interroger sur le comment et le pourquoi, ce qui nécessite une approche qualitative de la
question. Par ailleurs, l’imbrication complexe de MCI dans son contexte demande la prise en
compte des éléments propres à chaque entreprise : le métier, le secteur, la structure
démographique et la culture managériale, etc. La méthode analytique porte ainsi d’abord sur
l’étude monographique de chaque cas d’entreprise pour ensuite être élargie à l’ensemble des
firmes du même pays. Enfin, c’est un examen transversal des caractéristiques françaises et
japonaises du MCI qui nous permet de mettre en relief une logique organisationnelle
commune aux MCI des deux pays.
L’exposé de cette étude se présente alors comme suit.
Dans un premier temps, seront analysés les contextes généraux dans lesquels
s’insèrent les MCI français et japonais. Il s’agit d’une part, des traits démographiques,
politiques et managériaux des deux pays qui influencent les problématiques liées au MCI. Il
est aussi question, d’autre part, de la conception que se font les deux cultures du management
des connaissances, de l’objectif qu’elles leur attribuent et des modalités organisationnelles
qu’elles adoptent.
C’est ainsi, une fois les bases contextuelles établies que pourront être comparées dans
le second chapitre, les pratiques à proprement parler du MCI français et japonais. Après
présentation de la méthodologie employée pour l’étude, les résultats seront exposés sous une
forme comparative et interprétative. Une tendance commune aux MCI français et japonais
sera identifiée : le management par le ba.
Sous l’hypothèse que cette tendance commune relève d’une logique propre aux MCI,
le troisième chapitre est consacré à son analyse dans le cadre de la firme japonaise. La
logique du ba sera alors développée comme une lecture possible de l’organisation dans son
ensemble. Il s’agit d’une vision de l’organisation qui met en relief les interactions sociales
autour du partage et de la création de connaissances.
Ce travail de recherche présente alors plusieurs intérêts. Il permet d’abord, de rappeler
l’encastrement profond des MCI dans leur contexte : il n’y a pas une bonne approche dans
l’absolu, mais toujours en rapport avec un contexte et des problématiques précises. La
validité d’un mécanisme de MCI se juge par son adéquation à son contexte qui lui permet de
dégager des synergies.
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Il a l’avantage, toutefois, de mettre en avant une tendance de fonds commune aux
deux pays, celle que nous considérons par conséquent, comme étant liée à l’approche
organisationnelle du management des connaissances. Les connaissances sont détenues par
chaque individu et localisées dans leur contexte. Le MCI demande alors une certaine logique
organisationnelle, participative, sociale et décentralisée.
Enfin, la modélisation de cette logique, issue de l’approche japonaise, permet non
seulement de comprendre les différences du MCI entre les deux pays, mais aussi de suggérer
une nouvelle façon d’aborder le sujet, de regarder l’organisation et le management dans notre
société de connaissances.
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1. L E MANAGEMENT DES CONNAISSANCES
INTERGENERATIONNEL DANS LE CONTEXTE FRANÇAIS ET
JAPONAIS
La transmission intergénérationnelle des connaissances implique de nombreuses
problématiques, en commençant par celles qui sont relatives à l’intergénérationnel et celles
liées à la transmission des connaissances. L’analyse ou la préconisation d’une méthode ou
d’une autre ne peut se faire en l’abstraction de divers facteurs comme la démographie de
l’entreprise, la nature du métier, le rapport intergénérationnel et les connaissances qui
s’acquièrent dans le parcours professionnel.
Nous pouvons donc déjà affirmer dès ce début de mémoire, qu’il n’y a pas une bonne
organisation de la transmission de connaissances généralisable à toutes les situations. Il est
insensé de vouloir analyser les pratiques françaises et japonaises en faisant abstraction de leur
contexte : une comparaison des pratiques toutes choses égales par ailleurs est sans intérêt, car
toutes les choses ne sont jamais égales par ailleurs. L’analyse devrait, au contraire, chercher
à comprendre la cohérence des pratiques par rapport à son contexte. L’objet de cette première
partie est de se familiariser avec les principaux traits contextuels pour préparer la comparaison
des pratiques et, ensuite, pouvoir les interpréter.
Pour resituer les contextes français et japonais, de nombreux aspects politiques, sociaux,
démographiques ou techniques pourraient être abordés en tant que facteurs de contingence.
Nous faisons ici le choix de les regrouper en deux parties : 1) les facteurs qui déterminent la
problématique de la transmission intergénérationnelle de connaissance dans les deux pays, et
2) le cadre d’action dans lequel les acteurs tentent de répondre à cette problématique.
1.1.
LA
PROBLEMATIQUE REPLACEE DANS SON CONTEXTE : LES
ENJEUX DE LA TRANSMISSION DES CONNAISSANCES EN F RANCE ET AU
J APON
La transmission intergénérationnelle des connaissances n’est pas un sujet récent ; les
hommes acquièrent des connaissances, les transmettent, les renouvellent, en inventent de
nouvelles sur cette base, et c’est ainsi que l’humanité a toujours progressé. L’apprentissage en
famille, le compagnonnage et le tutorat sont certainement les plus anciennes formes de
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transmission intergénérationnelles des connaissances. Toutefois, le sujet fait l’objet d’un
regain d’intérêt récent, alimenté par différents facteurs. Il fait ainsi l’objet intentionnel du
management.
Notre sujet portant sur le management des connaissances intergénérationnel, il convient
de commencer par présenter 1) les caractéristiques démographiques de la France et le Japon.,
ainsi que 2) les solutions gouvernementales apportées face aux enjeux démographiques.
Conditionnées par les premières et en interaction avec les secondes, 3) les pratiques
managériales et organisationnelles des entreprises façonnent enfin le cadre du management
des connaissances intergénérationnel (MCI).
Les scénarii qui conduisent à ce sujet de MCI sont à peu près les mêmes dans les
« vieux » pays industrialisés qui achèvent leur transition démographique. Face au
vieillissement démographique, les gouvernements allongent la durée de cotisation, ce qui
renforce la présence de seniors au sein de l’entreprise. Le MCI apparaît alors comme une
manière de valoriser la présence des seniors en entreprise, en reconnaissant les savoirs et
compétences qu’ils ont développés au cours de leur parcours professionnel. Par ailleurs, la
transmission de connaissances intéresse en tant que moyen pour préserver l’avantage
compétitif de l’entreprise. Le départ massif à la retraite de la génération baby-boom fait
craindre aux entreprises la perte de leurs compétences. Dans ces grands traits communs, se
dégagent cependant des variations entre la France et le Japon.
1.1.1. L E S
E N J E UX D E M O G R A PH I Q UE S
Le vieillissement démographique est un phénomène commun en France et au Japon,
comme dans de nombreux autres pays industrialisés. La baisse du taux de natalité conjuguée à
l’augmentation de l’espérance de vie résulte en une part importante des personnes âgées dans
la population totale. A ceci s’ajoute l’effet baby-boom, c'est-à-dire le vieillissement de cette
génération d’après guerre qui pèse sur les statistiques par leur nombre.
La désignation de cette population vieillissante se fait en France par le terme
« senior », une expression qui est entrée dans le langage courant avant même d’être
conceptualisée. Sans définition établie, le terme « senior » désigne ainsi une réalité très
diverse et sert des objectifs variés (Conseil Economique, Social et Environnemental, 2009).
Ainsi, selon les études, le terme senior peut tantôt désigner une tranche d’âge déterminée (les
50-64 ans, ou les 65-79 ans, par exemple), tantôt faire référence à tous les âges au-delà d’un
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certain seuil ( plus généralement les plus 50 ans ou de 60 ans). Les études internationales se
focalisent souvent sur les personnes de plus de 50 ans, mais en France et au Japon, c’est le
seuil de soixante ans qui marque une coupure nette dans la situation de l’emploi, par un taux
d’activité très faible en France, et par un taux toujours élevé d’emploi, mais sous un contrat
renouvelé au Japon. Cette coupure est directement liée à l’âge de départ à la retraite, long
temps fixée à 60 ans dans les deux pays. Mais en France, c’est la faiblesse du taux d’emploi à
partir de 55 ans qui est particulièrement marquée, ce qui justifie la focalisation de d’Autume
et al. (2005) sur les 55-64 ans pour l’étude des « seniors et l’emploi en France ». Quant à
Labruffe (2007, p53), il propose une classification des seniors en trois groupes sur des critères
de l’âge, de l’activité et de l’indépendance sociale : les jeniors, les seniors, et les zéniors2.
En revanche, dans l’objectif d’étudier les conséquences du vieillissement des babyboomers sur les différents aspects sociaux et dans les relations intergénérationnelles, c’est en
synonyme de « retraité » que le Conseil Economique Social et Environnemental (2009) utilise
le terme senior3. Ce dernier fait donc aussi bien référence à un âge qu’à un statut ou à un état
d’(in)activité, et c’est sans doute pour cela que la réalité qu’il recouvre est hétérogène.
En effet, que l’on se base sur les générations ou sur une tranche d’âges, les seniors ne
forment que très rarement une catégorie homogène. Le vieillissement dépend autant du
secteur que de l’individu, ainsi que de l’usure professionnelle du métier (Levet, 2005). S’il y a
bien une chose qui pourrait caractériser ces « seniors », c’est leur hétérogénéité, le résultat
d’un parcours de vie qui a mené chacun à un endroit différent. Selon l’équipe d’investigation
du quotidien japonais Yomiuri (読売新聞取材班, 2007)4 , la génération baby-boom serait
particulièrement hétérogène en son sein en comparaison avec les autres générations.
Dans ce mémoire, nous parlons de seniors dans le cadre du management des
connaissances intergénérationnel. Le terme senior fait donc référence à des personnes au-delà
d’un certain âge, dans une optique comparative de générations. Mais, si la question de l’âge
importe, c’est parce qu’elle semble fortement corréler avec la notion de connaissances. Nous
utiliserons donc le terme de senior au sens défini par Marbot et Peretti (2006, p158) avec
quelques modifications:
2
Les jeniors (plutôt que quinqua ou senior): 50-65 ans. Population encore active, souvent salariée et en pleine
possession de ses moyens. Les seniors : 65-85 ans. Ils ont cessé leur activité professionnelle mais conservent
leur talent. Les zéniors : plus de 85ans.
3
« les personnes qui vont quitter ou qui ont quitté la vie professionnelle et qui disposent, sauf problème de
santé, des capacités permettant de mener, si elles le désirent, une vie socialement active en valorisant cette
denrée rare : le temps » (Conseil Economique, Social et Environnemental, 2009, p11).
4
,
2007 . Ouvrage réalisé par l’équipe
d’investigation du quotidien Yomiuri, sur « la nouvelle ère de la puissance baby-boom : condition de la
prospérité » (traduction réalisée par l’auteur du mémoire).
読売新聞取材班 団塊力新時代-豊かさの条件 中央公論新社
年
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1. Salarié au-delà d’un certain âge (généralement 50 ans en France et plutôt 60 ans
ou 65 ans au Japon, il varie beaucoup selon le métier)
2. Salariés ayant une certaine ancienneté et expérience (dans le poste, le métier ou
l’entreprise) et de ce fait une qualification plus élevée
En France
D’après le scénario central de l’INSEE, la population française de 64,3 millions en
2009 va continuer à augmenter jusqu’en 2050 pour atteindre les 70 millions. L’effectif de
moins de 60 ans restant constant, l’augmentation de la population correspond à celle de la
population de plus de 60 ans.
Ce vieillissement de la population, souvent perçu comme un déséquilibre
démographique à moyen terme, ne l’est pas à long terme car la France bénéficie d’un indice
de fécondité relativement élevé (2,02 enfants par femmes en 2008, soit le plus élevé dans
l’Europe). A partir de 2030, la structure démographique va se stabiliser, mais avec une part
plus importante des personnes âgées : il s’agit d’une « convergence vers un nouvel équilibre »
(Coudin, 2007). La population active ne va probablement pas diminuer et la pénurie de la
main d’œuvre n’est pas à craindre, mais la croissance de la population active va rapidement
diminuer à compter de 2010, à cause des départs à la retraite de la génération baby-boom
(DARES, 2007). La population active va ensuite stagner à partir de 2015, à 28,3 millions
d’actifs. Ce scénario de l’INSEE est basé sur des hypothèses de maintien du taux de natalité
actuel et de la progression de la participation des femmes et des seniors dans la vie active.
Le vieillissement de la population active ne représente pas un risque en soi, mais
menace l’équilibre des régimes de protection sociale, la croissance économique et la cohésion
sociale lorsqu’elle s’accompagne d’un faible taux d’activité des plus de 55ans (Marbot, 2005).
En effet selon l’OCDE (2005), le ratio de dépendance des personnes âgées5 qui était de 27%
en 2000 va augmenter pour atteindre les 42% en 2025, puis les 58% en 2050. Cette tendance
est commune à la majorité des pays de l’OCDE, mais la spécificité française réside dans la
très faible activité des travailleurs de plus de 55 ans. Ainsi selon le Conseil Economique,
Social et Environnemental (2009), le taux d’activité des 55-64 ans est de 38,3 % en 2007
contre une moyenne européenne de 44,7 %.
Selon d’Autume et al. (2005), la faiblesse du taux d’emploi des 55-59 ans s’explique
par des « effets de bord » : le faible taux d’activité de cette tranche d’âge est dû à l’âge de
² Ratio de la population de 65 ans et plus sur la population de 20-64 ans
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Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
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départ à la retraite de 60 ans ; c’est sa proximité à l’âge de la retraite qui explique ce
phénomène.
En effet, la première explication avancée pour le faible taux d’emploi des seniors
français est celle de la culture de préretraite (Brun-Schammé et Janod, 2008 ; OCDE, 2005 ;
d’Autume et al. 2005 ; Marbot, 2007). C’est un consensus social qui consiste à ajuster le
niveau d’emploi avec l’effectif des travailleurs âgés. Cette culture de préretraite s’est installée
et généralisée dans la plupart des pays européens, mais la « France apparaît comme le pays
ayant été le plus loin dans la culture de la cessation d’activité précoce et celui qui ne réussit
toujours pas à enclencher une dynamique vertueuse10 ans après le changement de cap opéré
par les pays du nord de l’Europe. » (D’Autume et al. 2005).
Ce dispositif de départ anticipé en retraite, conçu à l’origine pour des hommes ouvriers
qui avaient commencé à travaillé à 14ans, touche aujourd’hui un quart des hommes de 55-59
ans en France, contre 14% de moyenne dans les pays de l’OCDE. Le taux d’emploi des 5564 ans aurait ainsi chuté de près de la moitié entre 1975 et 1995 (Guillemard, 2004).
Les nombreux dispositifs publics de préretraite, auxquels s’ajoutent les préretraites
« maison » des entreprises, les régimes d’indemnisation du non-emploi, des dispenses de
recherche d’emploi, sont accusés d’avoir installé cette habitude dans la société française (voir
tableau 1).
Tableau 1 : plus de 30 ans de dispositifs publics encadrant la cessation anticipée d’activité des
seniors
Au total depuis 1977, plus de dix dispositifs publics encourageant la cessation anticipée d’activité (partielle ou
totale) peuvent être dénombrés, le dernier datant de 2003:
– la garantie de ressource licenciement (GRL) 1972-1983 ;
– la garantie de ressource démission (GRD) 1977-1983 ;
– l’allocation spéciale du fonds national pour l’emploi (ASFNE) depuis 1979 ;
– le contrat de solidarité de préretraite démission (CSPRD) 1982-1985 ;
– la cessation progressive d’activité (CPA) depuis 1982 ;
– la dispense de recherche d’emploi (DRE) depuis 1984 ;
– la préretraite progressive (PRP) depuis 1993 ;
– l’allocation de remplacement pour l’emploi (ARPE) 1995-2003 ;
– le congé de fin d’activité (CFA) pour les agents des trois fonctions publiques depuis 1997 ;
– la cessation d’activité de certains travailleurs salariés (CATS) depuis 2000 ;
– la cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante (CAATA) depuis 2000 ;
13
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
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– le départ anticipé à la retraite (DAR) depuis 2003.
(Source : Brun-Schammé et Janod, 2008)
Cette culture de préretraite est d’autant plus dure à changer que toutes les parties
prenantes y trouvent leur compte.
C’est un véritable « accord implicite », entre les
partenaires sociaux d’une part, et entre les générations de travailleurs, d’autre part (d’Autume
et al. 2005). Les seniors bénéficient d’une préretraite en échange de la sortie du marché du
travail, ce qui permet à l’entreprise d’ajuster ses effectif à la marge, et/ou embaucher des
jeunes collaborateurs. Le « départ des seniors » est considéré comme une solidarité
intergénérationnelle qui permet de laisser « la place aux jeunes », même si au contraire, les
statistiques montrent que les emplois des seniors et des jeunes sont corrélés et ne se
substituent pas (DARES, 2007 ; OCDE, 2005).
La préretraite profite également à l’Etat en baissant les chiffres du chômage. En
revanche, ce sont les jeunes qui doivent assumer les conséquences de cette rigidité de
l’emploi à la sortie. Ces derniers acceptent ce contrat implicite dans l’idée d’en bénéficier eux
aussi un jour, mais la conséquence est que la population active française est constituée
d’ « une seule génération » (Brun-Schammé et Janod, 2008, DARES, 2007, OCDE, 2004).
C’est une « culture de mise à l’écart des plus âgés » (Bellini et al. 2006).
Au Japon
La population japonaise totale, de 127 millions en 2008, a affiché en 2005 sa première
baisse depuis l’après guerre (読売新聞取材班 6 , 2007). La population active japonaise,
actuellement de 66,15 millions est déjà en diminution depuis 1995 après avoir atteint son
maximum de 87 millions d’actifs. Les estimations projettent que cette diminution va
continuer jusqu’ à 42,28 millions d’actifs en 2050. Tandis qu’une personne sur dix avait plus
de 65 ans en 2000, ce rapport sera d’une personne sur trois en 2050 (OCDE, 2004)
Cette baisse de la population est le résultat conjugué d’une très forte baisse du taux de
natalité et de l’allongement de l’espérance de vie. La génération baby-boom qui représente
5% de la population japonaise est formée de 6,8 millions de personnes nées entre 1947 et
1949. Au Japon, les personnes désignées comme « âgée » étant celles de plus de 65 ans, voir,
6
Equipe d’investigation du quotidien japonais Yomiuri.
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de 70 ans, les baby-boomers sont rarement considérés comme étant des « seniors ».7 La part
des personnes âgées de plus de 65 ans a dépassé les 21% en 2007, celle de plus de 75 ans
atteint les 10%. Alors que le Japon était un des plus jeunes pays au début des années quatrevingt, il se retrouve parmi le plus vieux pays au monde en 2008. Le ratio de dépendance de
personnes âgées (65 ans et plus) atteindra les 50% en 2025, plus de 70% en 2050, contre 42%
en 2025 et 58% en 2050 pour la France.
Pour faire face à ce redoutable défi démographique, le gouvernement japonais a fait,
depuis les années quatre-vingt, le choix de la prolongation de la vie active. Ainsi en 2007, la
moyenne d’âge effectif de départ à la retraite est de 59.3 en France, tandis qu’il est de 69.6
ans au Japon, avec le même âge légal de départ à la retraite de 60 ans8.
Ce fort taux d’activité des personnes âgées est avant tout attribuable au fait qu’il n’y a
pas eu de pratiques de préretraite au Japon : « Le Japon est le seul pays qui n’a pas utilisé les
seniors comme outil de gestion face à la crise ». Au contraire, le gouvernement japonais a
entrepris une régulation publique du maintien en activité des seniors dès les années 1980
(Marbot, 2005).
Mais l’âge de 60 ans marque malgré tout une rupture dans l’emploi, car plus de la
moitié des travailleurs de 60-69 ans sont des « travailleurs pensionnaires » qui cumulent
retraite et emploi à temps partiel. Ces personnes sont souvent réemployées sous un contrat de
travail « renouvelé » ou « en extension », mais avec une baisse de salaire de plus de 25%.
Les problématiques de vieillissement de la population sont donc sensiblement
différentes en France et au Japon, la situation de ce dernier étant plus alarmante pour le
maintien de l’équilibre social et de la population active. Le Japon a donc entrepris des
mesures pour faire face à son défi démographique, ce qui explique son fort taux d’activité des
seniors. Le tableau 2 suivant résume les caractéristiques démographiques des deux pays.
7
Il n’y a d’ailleurs pas de mot équivalent à cette expression française de « senior ».
« ces estimations font référence à toutes les personnes qui quittent le travail à partir de 40ans quelle qu’en
soit la raison. Le calcul se base sur une comparaison des taux d’activité par groupe quinquennal avec les taux
correspondants cinq années plus tard pour les individus qui ont vieilli de cinq ans » (OCDE, 2005).
8
15
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
Tableau 2 : Comparaison du contexte démographique français et japonais
Population totale
La génération
baby-boom
Evolution de la
population totale
Evolution des
plus de 60ans
Le taux des plus
de 65 ans
Population
active
Evolution de la
population
active
Taux d’emploi
des 55-64 ans
Cause du
vieillissement de
la population
Age de la mise à
la retraite
d’office ou par
l’employeur
France
64.3 millions d’habitants (en France
métropolitaine le 1er janvier 2009)
Japon
127 millions d’habitants
Génération née entre 1942et 1973
Génération née entre 1947-1949
Population de la France métropolitaine
continuera à augmenter jusqu’en 2050
pour atteindre les 70 millions
Première baisse de la population en 2005
Avec la baisse continue du taux de
natalité et la très faible immigration, la
population risque de continuer à baisser
En 2006 : 25.6% de la population a plus
de 60ans
Le nombre des plus de 60ans continuera à
augmenter jusqu’à 2040 (baby-boom).
En 2006 : 20.9% de la population a plus
de 60 ans
En 2040 : 1 personne sur 3 aura plus de 60
ans
16% (2008)
Faible taux d’activité des deux extrémités
de la pyramide des âges : les jeunes et les
seniors
Le taux de croissante va baisser à partir de
2010 pour arriver à zéro vers 2015. La
population active va alors durablement
stagner si le taux de natalité est maintenu.
38% (avec 41% pour les hommes, 2005)
-
Allongement de l’espérance de vie
Vieillissement de la génération babyboom
65 ans, depuis 2003
22% (2008) dont plus de 10% de plus
de 75 ans
66,01 millions en 2009 (-0,4%)
Fort taux d’activité des personnes âgées
et faible taux d’activité des jeunes.
Premier contraction de la population
active dès 2007 (-1,1 % par rapport à
1995)
elle baissera à 42,28 millions en 2050
63% (avec 78% pour les hommes, 2005)
Allongement de l’espérance de vie
Vieillissement de la génération
baby-boom
- Baisse de l’indice de fécondité
- Très peu d’immigration
65 ans, depuis 2006, il a long temps été
fixé à 60 ans par les entreprises
-
16
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
1.1.2. L E S
P O L I TI Q UE S G O U V E RN E M E N T AL E S
Le vieillissement de la population se répercute sur la population active, et le départ à la
retraite de la génération baby-boom – une transition de leur statut d’actif en retraité- augmente
dans la plupart des pays le ratio de dépendance des personnes âgées vis-à-vis d’une
population active moins nombreuse.
La France qui connaît un des plus fort taux de natalité en Europe, a moins de risque de
voir sa population active diminuer. Avec un effort supplémentaire de la participation des
femmes et de « seniors » ajouté au solde migratoire, la population active française ne va pas
baisser, mais durablement stagner. Mais pour certains, « seule une remontée des taux
d’activité des seniors pourrait contrecarrer cette diminution de la population active » car la
marge de manœuvre laissée au travail des femmes est assez faible, et les longues études ne
permettent pas une augmentation du taux d’activité des jeunes (d’Autume et al. 2005, p52).
Au Japon, le premier pays vieillissant, la résolution du défi démographique repose
d’autant plus sur le travail des seniors que l’indice de fécondité est en baisse continue. Reste
une grande marge de manœuvre sur le travail des femmes relativement faible sur le plan
international, mais les projections démographiques montrent un avenir assez pessimiste.
Le gouvernement japonais s’est alors engagé, dès les années 1980, dans la voie de
l’allongement de la vie active pour augmenter la participation des travailleurs âgés. Le
gouvernement français, après une série de mesures en faveur de la préretraite, revient aussi
sur ces pratiques pour encourager l’emploi des seniors.
Selon Guillemard (2004), les pratiques et politiques de l’Europe continentale et
japonaise vis-à-vis du vieillissement de la population se situe à l’extrémité d’un continuum,
au milieu duquel se situent les pays anglo-saxons.
Après une comparaison internationale des politiques d’emploi mises en œuvre face au
vieillissement de la population, l’auteur souligne que le principal défi du vieillissement de la
population ne relève pas tant des régimes de retraite que de l’emploi des travailleurs âgés. La
participation des personnes âgées à la vie active doit être comprise, selon l’auteur, comme
« un construit social » (Guillemard, 2004, p34).
Deux « cultures de l’âge » sont ainsi identifiées dans les différentes pratiques
internationales. Une culture de l’âge est défini comme étant « un ensemble de valeurs et de
normes partagées sur les manières de problématiser la question de l’avance en âge et sur les
17
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
droits et obligations attachés à l’âge » (p34). Ces « cultures d’âge » forgent une sorte de
système de références qui va guider les comportements des acteurs du marché du travail.
La France appartient à la « culture de la sortie précoce » qui s’est longtemps engagée
dans « une indemnisation généreuse de la sortie anticipée des salariés seniors » au nom de la
sauvegarde de l’emploi. Cette culture de l’Europe continentale s’oppose à la « culture du
droit au travail à tout âge », représentée par les pays scandinaves et le Japon. Ce dernier se
différencie cependant des pays scandinaves par le peu d’indemnisation à la sortie anticipée du
marché du travail. En fait, les seniors n’ont le choix que de travailler. Toutefois, la société
offre de nombreuses possibilités pour permettre le maintien et la réinsertion des travailleurs
âgés sur le marché de travail.
La France et le Japon ne se trouvent donc pas aujourd’hui face aux mêmes
problématiques. Les objectifs du Japon relèvent « des aménagements à la marge » pour
renforcer davantage la vie active des personnes âgées, tandis qu’en France, il s’agit de
changer l’organisation du marché du travail et la perception de l’âge; une véritable
«révolution culturelle » qui se réalise sur le long terme.
En France, l’accès aux préretraites commence à se limiter par de nombreux
dispositifs9 à partir du milieu des années 90, pour arrêter en début 2000, les dispositifs de
préretraite mis en place en 1995. Pour inciter les travailleurs à poursuivre leur activité, des
réformes de retraites se succèdent : le Plan de Cohésion Sociale, le Plan Santé au travail et le
Contrat France en 2005. Le Plan d’action concerté pour l’emploi des seniors en 2006, les
négociations sur l’emploi des seniors et sur la pénibilité au travail visent l’amélioration des
conditions de travail. Les indemnités de licenciement dissuadent quant à elles les
licenciements de travailleurs âgés en entreprise en alourdissant leur coût de licenciement. Par
ailleurs, la réinsertion des personnes âgées est encouragée par des subventions aux
entreprises, par des dispositifs tels que le contrat de retour à l’emploi (1989-1995), le contrat
initiative emploi (depuis 1995) ou le plan national d’action concerté pour l’emploi des seniors
(depuis 2006) (Brun-Schammé et Janod, 2008).
Suivant les recommandations du Conseil européen de Stockholm fixé en 2001 pour
atteindre un taux d’emploi de 50% pour les 55-64 ans pour 2010, la politique française
s’oriente et se renforce donc dans cette direction de prolongement de la vie active. Le plan
9
Par exemple, les réformes des retraites « Balladur » en 1993 et « Fillon » en 2003.
18
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
national d’action pour l’emploi des seniors de 2006 affiche ainsi l’objectif d’atteindre le taux
d’emploi de 50% pour les 55-64 ans à l’horizon 2010, sachant qu’il était de 38% en 2007.
Obligation toute récente, les entreprises françaises d’au moins 50 salariés doivent
désormais être couvertes par un accord de branche d’entreprise, ou un plan d’action sur
l’emploi des seniors, faute de quoi, elles seront redevables d’une pénalité financière à partir
du 1er janvier 2010. Au-delà des réformes de retraites et des pratiques de recrutement, le
gouvernement pousse donc les entreprises à mettre en place des dispositifs managériaux pour
l’emploi des seniors. Le contenu de ce plan d’action est résumé dans le tableau 3.
Tableau 3 : les mesures en faveur de l’emploi des seniors
-
Un objectif chiffré de recrutement ou de maintien en emploi des seniors
Au moins trois actions en faveur de l’emploi des seniors :
1. Recrutement des salariés âgés dans l’entreprise
2. Anticipation de l’évolution des conditions de travail et prévention des situations de pénibilité
3. Amélioration des conditions de travail et prévention des situations de pénibilité
4. Développement des compétences et des qualifications et accès à la formation
5. Aménagement des fins de carrière et de la transition entre activité et retraite
6. Transmission des savoirs et des compétences et développement du tutorat
-
Les modalités de suivi de cet objectif et des actions
Source : Décret relatif au contenu et à la validation des accords et des plans d’action en faveur de l’emploi
des salariés âgés, décret en Conseil d’Etat.
Au Japon, la stratégie du « vieillissement actif » est déjà ancrée depuis un certain
temps dans le système d’emploi (Marbot, 2005 ; Guillemard, 2004 ; Špidla, 2008).
Parmi les réformes récentes, celle de la loi pour la stabilisation de l’emploi des
travailleurs âgés ( 改 正 高 年 齢 者 雇 用 安 定 法 ) 10 : l’âge légal minimum de la retraite
obligatoire a été repoussée de 55 ans à 60 ans, puis jusqu’à 65 ans par des directives. Ainsi
depuis avril 2006, les entreprises qui fixent un âge de départ à la retraite avant 65 ans doivent
mettre en place au moins un des trois dispositifs suivants :
1. Relèvement de l’âge de départ à la retraite
2. Mise en place d’un système d’extension de l’âge de la retraite
3. Abolition de la fixation de l’âge à la retraite
Loi pour la stabilisation de l’emploi des travailleurs âgés : Il s’agit d’une révision d’une loi déjà introduite
sous un autre nom en 1971.
10
19
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
Des aides financières publiques sont accordées sous certaines conditions, aux
entreprises qui auraient des difficultés à mettre en place ces dispositifs : entreprises dont les
travailleurs âgés concernés ne seraient pas assez motivés financièrement ; lorsque le
prolongement de la vie active jusqu’à 65 ans engendre des coûts importants ; ou encore
厚生労働省 など
lorsque l’entreprise manque de savoir-faire managérial pour la réforme (
11
).
De même, les entreprises peuvent obtenir une subvention de salaire si elles maintiennent
l’emploi de leurs travailleurs âgés (Dourille-feer, 2002/3 ; OCDE, 2004).
Par ailleurs, le recul de l’âge minimum pour l’ouverture des droits à la pension
vieillesse des travailleurs âgés incite aussi les travailleurs âgés à se maintenir dans la vie
active : cet âge est repoussé de 60 à 65 ans entre 2001 et 2013 pour les hommes et entre 2006
et 2018 pour les femmes. De même, l’âge minimum de versement de la portion de la pension
calculée sur les gains est reculé de 60 à 65 ans entre 2013 et 2025 pour hommes et entre 2018
et 2030 pour les femmes. Le choix entre l’activité et la retraite reste toutefois libre pour
l’individu qui pourra toucher entre 60 et 64 ans, une partie du montant de la pension
normalement accessible à partir de 65 ans (Dourille-feer, 2002/3).
Autre point important, la « formation tout au long de la vie » - une vision ancrée
depuis longtemps dans la culture japonaise – est officiellement entrée dans les programmes
politiques en 2003. Par exemple, la formation des travailleurs âgés est encouragée par
l’assistance directe aux individus à la formation et à l’éducation12. Mais « la formation tout au
long de la vie » est un programme global qui dépasse largement le cadre de l’entreprise pour
englober tout le système éducatif et de formation. C’est ce que nous allons voir dans le
paragraphe suivant.
En résumé, la France et le Japon ne se trouvent pas au même niveau sur la voie du
vieillissement actif. Le gouvernement japonais a déjà entrepris, surtout depuis les années 90,
une série de mesures pour favoriser l’emploi des seniors. Au Japon, le travail est un devoir
pour le senior, mais le gouvernement et les entreprises fournissent de nombreux dispositifs
pour maintenir leur activité. La France est encore loin derrière le Japon sur le prolongement
de la vie active, du fait de sa culture de préretraite ; les réformes récentes sont susceptibles
d’accélérer le mouvement.
11
12
Ministère de la santé et du travail et autres organismes.
« Education and Training Benefit » (OCDE, 2004).
20
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
1.1.3. L E
M AN AG E M E N T J A PO N AI S E T L E M AN AG E M E N T F RA N Ç AI S
Après présentation des enjeux démographiques français et japonais, nous avons
comparé les dispositifs politiques mis en place pour relever le défi du vieillissement de la
population active. Face au même choix de maintenir en activité des travailleurs âgés, la
France et le Japon n’ont cependant pas pris le même chemin : ils occupent les deux
extrémités du continuum des « cultures d’âge » (Guillemard, 2004). La situation
démographique et les politiques d’emploi conditionnent la présence plus ou moins forte de
certaines générations, ainsi que l’étendue de la gamme de générations présentes sur le marché
de travail. Le management, dans la façon d’organiser la coordination et la coopération entre
les générations, conditionne quant à elle fortement les modalités du MCI. En effet, la question
de l’âge est profondément ancrée dans les pratiques courantes de l’emploi et dans la culture
(Dourille-feer, 2002/3 ; Guillemard, 2004 ; OCDE, 2005 ; Špidla, 2008). Pour conclure la
comparaison contextuelle des deux pays, ce sont leur style de management qui vont être
maintenant comparés.
La comparaison du management français et japonais pourrait à elle-seul faire l’objet
d’une étude complète, ce qui n’est pas notre propos. Nous faisons donc ici le choix d’une
présentation synthétique et sélective des facteurs qui nous paraissent être en relation plus ou
moins directe avec le MCI : le système de l’emploi et ses conséquences sur la formation
continue.
Le système de l’emploi
Le « management japonais » a beaucoup attiré l’attention de l’Occident pendant les
années quatre-vingt. C’est un management formé dans les années d’après guerre et qui se
retrouve principalement dans les grandes entreprises du secteur de l’automobile et de
l’électroménager. Secret du « miracle japonais », de cette fulgurante ascension économique,
le management japonais trouve d’abord son originalité dans ses politiques d’« emploi à vie »
et de « promotion à l’ancienneté ».
Ces deux systèmes sont distincts mais se renforcent l’un et l’autre. Le système de
l’emploi à vie signifie que le salarié, embauché à la fin de ses études, se trouve assuré
d’emploi pour toute sa carrière. L’emploi à vie est un engagement de fait mais nullement
garanti par l’entreprise. Il s’agit aussi surtout d’une pratique des grandes entreprises et qui ne
concerne pas la majorité des sous-traitants et des nombreuses PME. Par ailleurs, l’emploi à
vie ne signifie pas que le collaborateur va réaliser la totalité de sa carrière dans la même
21
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
entreprise ; la flexibilité de l’emploi est ajustée par des mouvements internes au groupe, ou
entre les entreprises du réseau (Bourguignon, 1993 ; Dourille-feer, 2002/3). L’emploi est donc
« à vie », dans le sens où une garantie implicite de maintien en emploi quelconque est
accordée par l’entreprise.
Quant au système de promotion à l’ancienneté, il désigne le mode d’avancement et de
rémunération qui varient en grande partie en fonction de la séniorité du salarié. Le système de
rémunération ne se base donc pas uniquement sur ce critère de l’ancienneté, mais la
rémunération d’un salarié est le résultat d’un calcul complexe qui prend en compte une
multitude de critères tels que le poste de travail, la qualification initiale et l’ancienneté (partie
fixe), ainsi que le bonus mi-annuel (Coriat, 1994, p80). Mais l’on parle de promotion à
l’ancienneté car une très large partie de la rémunération dépend de « l’ancienneté et d’autres
éléments liés à l’individu et non à son travail » (Bourguignon, 1993, p69).
L’explication souvent donnée au salaire à l’ancienneté est celui de la théorie du capital
humain selon laquelle le salaire progresse avec les compétences acquises au fil des années,
grâce à l’accumulation de connaissances issues de l’expérience et de la formation continue.
Mais, la comparaison de la progression linéaire du salaire à celle concave de la productivité
des collaborateurs suggère aussi l’existence d’un contrat implicite à paiement différé entre les
deux parties : les jeunes collaborateurs acceptent d’être sous-payés au début de leur carrière
par rapport à leur productivité, pour récupérer cette « dette » en fin de carrière (BrunSchammé et Janod, 2008 ; d’Autume et al, 2005 ; OCDE, 2004 et 2005).
Ce système d’emploi japonais a émergé dans les années 1920 pour s’institutionnaliser
dans les années cinquante. Plusieurs conditions contextuelles de l’après guerre ont aidé
l’émergence d’un tel système, mais ce système est aussi et avant tout le fruit d’une volonté
managériale et étatique de fixer une garantie de la main d’œuvre ; ces systèmes ont été
choisis pour leur rentabilité économique. En effet, le Japon d’après guerre disposant d’une
importante main d’œuvre jeune et peu qualifiée, il était intéressant pour l’entreprise de
baisser le coût d’emploi de ces derniers. L’emploi à vie permet de planifier les formations sur
un long terme, et la promotion à l’ancienneté fidélise la main d’œuvre la plus qualifiée et la
plus mature : il s’agit d’un compromis entre l’entreprise et les collaborateurs, afin d’obtenir
une productivité élevé des ressources humaines en échange d’une garantie de l’emploi. La
promotion à l’ancienneté trouvait aussi, dans cette situation, sa logique économique dans la
théorie du capital humain. Pour le gouvernement, ce système permettait une croissance
22
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
économique avec un faible coût social, tout en assurant le maintien d’un état providence dans
l’industrie.
Tableau 4 : les conditions d’émergence et la logique économique et managériale du système
d’emploi à la japonaise
Les conditions contextuelles
Croissance économique stable :
la promotion à l’ancienneté est possible par la création régulière de l’emploi
- Abondance d’une main d’œuvre jeune :
c’est une solution économiquement rentable pour l’entreprise qui emploie une jeune et abondante
main d’œuvre à faible coût.
- Faible niveau de qualification des jeunes :
justifie la promotion à l’ancienneté qui correspond à l’acquisition des connaissances
La logique économique et managériale
- Accumulation des compétences techniques au sein de l’entreprise : de nombreuses formations OJT et
Off-JT pour former continuellement les collaborateurs
- Fidélisation des collaborateurs par la promotion à l’ancienneté
- Création d’un réseau de collaborateurs de la même « promotion » (même âge) qui progressent
ensemble, tout en étant en concurrence
- Rapport complémentaire entre les différentes « promotions » (générations) qui ne sont pas en
concurrence directe : les anciens peuvent transmettre leurs connaissances sans le souci d’être
concurrencé.
- Création d’un sentiment d’appartenance et partage d’une culture d’entreprise
-
Ces politiques d’emploi sont certes, caractéristiques du management japonais, mais il
se pourrait que sa spécificité ait été exagérée du fait que les études comparatives ont souvent
été réalisées avec le management américain. Tout en rappelant l’hétérogénéité du
management occidental, nombreux sont les auteurs qui analysent le management japonais en
opposition au management dit occidental et représenté par les Etats-Unis. Or dans bien des
cas, l’Europe continentale se situe à l’intermédiaire du management américain et japonais.
Ainsi, le tableau 5 suivant illustre l’évolution du salaire avec l’âge dans différents
pays. Le Japon se démarque nettement par sa forte progression du salaire entre 5 et 30 ans
d’ancienneté pour les hommes, mais les pays européens affichent également une progression
du salaire avec l’âge.
23
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison
comp
franco-japonaise
japonaise
Sakura SHIMADA
Tableau 5 : la différence de salaires par ancienneté
ancienneté dans l’industrie de fabrication en 2002
Hommes :
Femmes :
L’indice 100 correspond au salaire à l’embauche
En abscisse, les années d’ancienneté entre parenthèse correspondent à celles du Japon, du fait de la
différence de sources.
200613, avec modifications apportées pour traduction.
Source :
経済産業省・経済産業政策局
Ainsi, l’ « emploi à vie » n’est pas la règle en France, mais reste néanmoins un modèle
récurent des grandes entreprises (d’Autume et al. 2005). L’OCDE (2005)) montre aussi que les
« profils par âge » en France suivent les mêmes évolutions que la Belgique et l’Allemagne, en
opposition avec l’Angleterre et les Etats-Unis.
Etats Unis. Les hommes de 55 à 59 ans ont une ancienneté
moyenne dans l’entreprise de 22 années
années en France contre14 en Angleterre et 30 ans au Japon.
L’emploi à vie et la promotion à l’ancienneté sont donc des systèmes communs à la
France et au Japon, bien qu’ils soient plus prononcés pour ce dernier. Or, la
l « face cachée
mais essentielle» du système japonais des ressources humaines réside, selon Coriat (1994,
p83), dans « la mise en place quasi systématique (au moins par les grandes entreprises) de
marchés internes du travail ». Le marché interne est donc un facteur qui stabilise l’emploi de
l’entreprise
reprise tout en garantissant la qualité du travail, adapté à l’entreprise puisque « fait sur
mesure ». En effet, le corollaire de l’emploi à vie est, au Japon, l’existence d’un marché
interne très développé ; la mobilité interne permet ainsi une professionnalisation
professionnalisation au fil de la
carrière(
経済産業省・経済産業政策局、2006).
Ainsi, d’après le Centre d'analyse stratégique (2008),, le rôle et la conception de la
formation tout au long de la vie (FTLV) serait très différente en France et au Japon. En
France, comme dans la pluss part des pays, la FTLV est souvent réduite à la « formation
Le Ministère de l’économie s’est fondé sur des statistiques du Ministère de la santé et du travail (厚生労働
省「賃金構造基本統計調査」 « Etude statistiques sur le principe de la structure de la rémunération ») pour
13
le Japon, et de EC Structure of Earnings Statistics 2002, pour les pays de l’UE.
24
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
professionnelle des adultes », tandis que le Japon y a investi depuis une quarantaine d’années
dans une perspective plus large d’« outil de réforme et de lien social ». Le FTLV japonais se
distingue alors par une continuité entre l’éducation initiale et la formation des adultes, ce qui
fait que la formation, souvent informelle, est vraiment « continue tout au long de la vie ». En
effet, la formation professionnelle étant assurée par les entreprises au Japon, les jeunes
recrutés n’ont pas beaucoup d’expérience, tandis qu’en France, les exigences en termes
d’expériences antérieures sont beaucoup plus fortes lors du recrutement (DARES, 2007) : la
formation professionnelle des jeunes n’est pas un rôle de l’entreprise française, alors qu’elle
occupe une place stratégique dans les firmes japonaises.
En fait, la FTLV est en France assimilée à la formation professionnelle continue
comme moyen d’accès, de maintien ou de retour à l’emploi des adultes. En effet, la France
est ainsi un des premiers pays ayant recours à la « formation par stage et cours » : 71% des
entreprises y ont recours, contre 44% qui utilisent d’autres formations en situation de travail.
Les dépenses françaises dans ces formations atteignent ainsi 3% de la masse salariale, tandis
qu’elles ne sont que de 0,3% au Japon. Le contenu de la FTLV française est donc très centré
sur une formation formelle portant sur des connaissances spécifiques. Les deux pays
s’opposent donc nettement dans l’utilisation de la formation continue :
« Au Japon, la primauté donnée au concept de formation tout au long de la vie a englobé la formation
professionnelle continue dans un ensemble beaucoup plus vaste, beaucoup moins ciblé qu’en France sur le
noyau dur de la force de travail. » (Centre d'analyse stratégique, 2008, p7)
La conséquence, selon le centre d’analyse stratégique, est que les seniors sont moins
marginalisés au Japon. Et, puisque la formation professionnelle des jeunes incombe à
l’entreprise, nous pouvons imaginer que les firmes japonaises disposent d’un puissant MCI,
entre ces seniors expérimentés et les jeunes qui ne le sont pas.
*
*
*
*
Face au défit démographique, le choix de la France et du Japon s’est orienté vers un
allongement la vie active de leurs travailleurs âgés. Mais, les logiques d’interaction
successives entre les politiques gouvernementales et les pratiques des entreprises ont conduit
au développement de deux « cultures d’âge » radicalement différentes en termes d’emploi des
seniors. Ainsi, la France connaît un des plus faibles taux d’activité des seniors sur le plan
international et européen, tandis que le Japon est un des premiers pays dans le même
classement.
25
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
L’emploi à vie et la promotion à l’ancienneté se retrouvent dans les deux pays, mais à
moindre échelle en France. Et surtout, la différence est que ces systèmes d’emplois
aboutissent au Japon, à une formation continue tout au long de la vie. En effet, la formation
des jeunes est une mission majeure de l’entreprise japonaise, et il n’est pas rare d’entendre
que le métier de l’entreprise est la « production » (formation) des hommes avant d’être la
production de biens. L’avantage économique de ces dispositifs réside dans la
professionnalisation des collaborateurs et l’accumulation de leurs connaissances au sein de
l’entreprise. Au Japon, les jeunes ont donc peu d’expérience, tandis que les seniors ont tout
un bagage issu de la formation continue.
En revanche en France, les entreprises recrutent des jeunes diplômés sur le critère des
diplômes et de l’expérience. Ce dernier est considéré comme une des garanties les plus fiables
concernant les compétences du candidat. La formation des jeunes est donc importante, sans
être pour autant un enjeu principal de la compétitivité de l’entreprise : si une main d’œuvre
qualifiée existe sur le marché, l’entreprise préfère y recourir.
L’analyse contextuelle des deux pays montre ainsi qu’au Japon, la formation s’inscrit
traditionnellement dans le rapport intergénérationnel de l’entreprise et dans la formation tout
au long de la carrière, alors qu’elle prend en France, une forme plus formelle et précise de la
formation des adultes.
1.2.
LE
MANAGEMENT DES CONNAISSANCES EN
F RANCE
ET AU J APON
Le management des connaissances intergénérationnel, est avant tout du « management
des connaissances » : un ensemble d’actions managériales mises en œuvre pour favoriser la
création, le partage, la capitalisation ou encore, le transfert de connaissances. Or, étant donné
que notre sujet porte sur le cadre intergénérationnel, la transmission se fait souvent du senior
au jeune, et sous forme de formation. Mais s’agit-il d’un management de connaissances ?
Pour pouvoir y répondre, il convient de vérifier ce que signifie ce terme en France et au Japon
(sa sémantique).
Nous pourrions choisir et appliquer une définition de notre choix, mais la discipline du
management des connaissances est très vaste. La définition des concepts clés est toujours
l’objet de débats scientifiques, et les propriétés de la connaissance comme la façon de les
26
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
manager sont loin de faire l’unanimité. En fixant une définition étroite de ce courant, nous
risquons de négliger certaines modalités de management de connaissances qui nous seraient
inhabituelles. Pour pouvoir identifier et comparer les MCI français et japonais, il est donc
nécessaire d’éclaircir la conception que se font les firmes de ces deux pays.
Dans cette deuxième sous-partie, c’est le sens attribué au management de connaissances
dans la recherche académique japonaise, puis dans les pratiques des entreprises qui sera
analysé. Enfin, la particularité de l’approche japonaise sera illustrée par le concept de ba.
1.2.1. U N E
A P PR O CH E J A PO N AI S E D U M AN AG E M E N T D E S C O N N AI S S AN CE S
?
La recherche en management des connaissances a commencé relativement tardivement
au Japon, et c’est sous forme de l’importation d’une nouvelle technique managériale de
l’Occident qu’il a « atterri » sur l’archipel. Mais les plus grands auteurs japonais en
management des connaissances, dans leur pays comme sur la scène internationale, avaient
déjà considérablement contribué à ce courant dès le début des années quatre-vingt-dix : c’est
en 1991 que Nonaka et Takeuchi publient leur fameux article « The Knowledge Creating
Company » aux Etats-Unis. Dans cet article, Nonaka et Takeuchi ont présenté le management
des connaissances comme l’essence de l’entreprise. Puis c’est avec leur ouvrage du même
nom, qu’ils offrent une vision « opérationnelle » du management des connaissances comme
principale source d’avantage concurrentiel. Leur spirale de conversion des connaissances -le
modèle SECI- a suscité une vive réaction aux Etats Unis, notamment par l’importance
accordée aux connaissances tacites.
Mais c’est en tant que base théorique promouvant le partage des informations, déjà mis
sur le devant de la scène par le développement des Systèmes d’Information (SI), que le
modèle SECI a été interprété (Yamazaki,
山崎 2004). Or, quel quiproquo, Nonaka déteste les
SI !
Ainsi, aux Etats-Unis, c’est un management des connaissances fortement orienté SI qui
se développe au début des années quatre-vingt-dix. La phase d’ « externalisation » des
connaissances tacites du modèle SECI se réduit en une constitution d’une base de données par
les TIC. Mais de nombreux éléments comme les savoir-faire, l’interprétation ou les façons de
penser ne peuvent être capitalisés dans une base de données informatique ; des résultats assez
limités détournent l’attention de ce modèle. C’est ainsi que, selon Yamazaki (山崎, 2004) le
nouveau centre d’intérêt se déplace sur une vision plus centrée sur les personnes : les
27
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
communautés de pratiques (Cop). Mais aujourd’hui encore, le management des connaissances
est assimilé dans de nombreuses organisations au processus de collecte d’informations et de
partage de documents via les TIC (Krupa, 2002).
Wilson (2002) a recensé les articles du Web of Science de 1981 à 2002 comportant
l’expression de « knowledge management ». Le comptage illustre que le nombre d’articles
augmente fortement à partir de l’année 1997 de façon presque exponentielle. Cependant, il
convient de noter l’évolution dans le temps du contenu désigné par ce terme “knowledge
management”: ce terme indéfini faisait l’objet d’une confusion en mélangeant les applications
informatiques ou d’autres concepts relatifs aux Systèmes d’Information (SI). L’auteur
constate que cette tendance se poursuit, et que malgré la diffusion du terme « knowledge
management » dans différents champs de la science, le contenu reste toujours orienté SI.
« The review of journal papers, the review of consultancy Web sites and those of the business schools,
suggest that, in many cases, 'knowledge management' is being used simply as a synonym for 'information
management'. »(Wilson, 2002).
Or, le management des connaissances devrait se distinguer de la gestion de
l’information qui traite essentiellement de l’infrastructure, du stockage et de la diffusion de
l’information. Le management des connaissances se préoccupe des hommes, de leurs attentes
et du rôle qu’ils vont jouer dans le partage des connaissances (Balmisse G., 2006).
L’information est dite se situer sur un continuum entre les données (qui, quoi, quand, où) et
les connaissances (pourquoi, comment). Selon Krupa (2002), les outils du management des
connaissances traitent des informations susceptibles de nourrir les connaissances, mais pas les
connaissances elles-mêmes ni leur mise en forme, leur structuration d’analyse, etc.
Nonaka le premier, les chercheurs japonais ont rapidement rejeté cette perception du
management des connaissances orientée SI. Cette dernière ne fait que stocker et diffuser les
informations disponibles dans l’entreprise, alors que la dynamique du management des
connaissances réside dans la création de connaissance par l’interaction humaine.
Ainsi, la fondation de la société savante, la Knowledge Management Society of Japan
(KMSJ) en 1998 marque cette volonté de développer le management des connaissances dans
les firmes japonaises, mais pas nécessairement en empruntant l’approche américaine.
Constituée d’acteurs individuels et collectifs d’horizons professionnel et académique divers,
la KMSJ accueille la plupart des grands groupes d’entreprises ainsi que de plus en plus de
PME (Fayard, 2006). Ses ateliers de travail s’intéressent à des sujets originaux comme le
management de connaissances par « la dynamique du ba », le management des connaissances
dans « l’art » ou « la diversité du ba ».
28
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
1.2.2. L E
M AN A G E M E N T D E S CO N N AI S S AN CE S D AN S L A PR A TI Q U E D E S
E N T RE P RI S E S
Existe-t-il une approche japonaise du management des connaissances, et si oui, quelles
sont ses caractéristiques ? Cette question a été étudiée dans le cadre d’une autre recherche14,
et nous en présentons ici les résultats.
Le management des connaissances japonais se distingue d’abord par sa forte
intégration au sein du management. Le management des connaissances n’est pas un dispositif
particulier de partage ou de création de connaissances, mais une autre façon de faire le
management : un ensemble d’actions pour améliorer le partage et la création de
connaissances en favorisant la communication et la coopération. C’est un moyen comme un
autre, pour augmenter la performance du travail.
Cette intégration du management des connaissances dans le travail quotidien peut être
attribuée au caractère ambigu, flou et flexible de l’organisation japonaise du travail. En effet,
les managers japonais donnent des objectifs et laissent les acteurs s’organiser et « se
débrouiller » eux-mêmes ; leur rôle s’assimile plutôt à de l’encadrement que du leadership.
En fait, le management japonais, c’est du laisser-s’organiser, car il y a très peu de
standardisation de procédures et de spécialisation dans le travail. Dans un tel contexte, les
acteurs ont besoin de communiquer pour coordonner leur travail: puisque l’organisation
formelle du travail reste très floue, ce sont les interactions humaines qui structurent
l’organisation. Le « travailler » prend ainsi nécessairement la forme du partage de
connaissances par ajustement mutuel. Au Japon, faire du management consiste donc à gérer
les interactions sociales au travail, en stimulant la motivation de chacun et en créant un esprit
de groupe en faveur du travail coopératif.
C’est aussi pour cela que l’article et l’ouvrage de Nonaka et Takeuchi (1991, 1995)
n’ont pas eu beaucoup d’écho au Japon, lors de leur parution aux Etats-Unis. Ce n’est après
tout qu’une interprétation de la réalité, une conceptualisation de ce que font quotidiennement
les Japonais. Le knowledge management a par la suite été « importé » au Japon après son
fulgurant succès au Etats-Unis : pour les Japonais, c’était donc des méthodes modernes basées
sur les TIC.
14
Mémoire mineur réalisé dans le cadre du séminaire « gestion de l’immatériel et modèle d’activité des
entreprise », du master 101, sous la direction de M. de Montmorillon.
29
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
Mais en adoptant ce knowledge management venu de l’Occident, tout le monde
s’aperçoit tôt ou tard que finalement, cette méthode n’a rien de nouveau et qu’elle n’est que
l’acte même de «travailler », toutefois, avec des TIC.
Le « travailler » se réalise naturellement au Japon par le partage de connaissances pour
la réalisation d’un objectif : le management est le management de connaissances. C’est pour
cela que lorsque les Japonais parlent expressément de « management de connaissances », ils
sous-entendent le « management des connaissances tacites », c’est-à-dire, des mécanismes
organisationnels et managériaux pour favoriser la coopération entre les acteurs et mettre en
valeur les compétences cachées des acteurs en suscitant leur créativité. L’objectif est
d’enrichir le partage de connaissances, en qualité et en quantité.
En France, l’objectif du management des connaissances semble être plutôt dans l’
«économie » de la connaissance : éviter la redondance et exploiter efficacement les
connaissances pour qu’elles servent à un plus grand nombre d’acteurs.
« Le plus important [dans le management des connaissances], je dirais c’est de transmettre les
connaissances pour ne pas avoir à réinventer la roue. Le fondamental est là. Aujourd’hui les entreprises
dépensent de l’argent inutilement, pour se réapproprier ce qu’elles connaissent déjà » (entretien Bernardon,
cabinet de conseil BFD).
Le management de connaissances japonais cible essentiellement les connaissances
tacites et les savoir-faire qui ne peuvent s’exprimer et doivent donc être captés par des
«signaux faibles » de l’environnement (Fayard, 2006). Ce sont des connaissances incorporées
dans l’homme et qui mobilise les cinq sens : presque de l’art.
Selon la croyance profonde des Japonais, la connaissance ne peut donc se transmettre
dans sa véritable nature. Un expert qui est reconnu pour ses connaissances est, en fait, un
individu capable de capter et interpréter les « signaux faibles » de son environnement et de les
juger, en référence à son expérience.
Les connaissances découlent donc directement de la pratique, et de l’expérience d’une
émotion qui permet de les intérioriser. Les autres connaissances (savoirs théoriques) ne sont
pas les plus importantes. Ainsi selon Fayard (2006, p190-191), « Dans l’archipel nippon,
c’est en s’éprouvant que l’on apprend, le corps n’est pas séparé de l’esprit mais le meilleur
véhicule de l’acquisition des savoir-faire et de la connaissance. ».
Il convient de noter aussi qu’au Japon, la culture d’entreprise fait également partie du
management des connaissances. Elle en fait partie, d’une part, parce qu’elle encourage la
30
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
création et le partage de connaissances par le développement d’un sentiment d’appartenance,
et d’autre part, parce qu’elles font directement l’objet de diffusion et de partage.
En effet, il semblerait que la culture d’entreprise joue un rôle d’autant plus important
dans le management japonais que c’est elle qui contrôle les comportements. Le travail n’est
pas coordonné par la standardisation de procédés, il l’est par la culture, par un système de
valeurs et par le regard des autres (contrôle par le clan).
Ainsi, la majorité des entreprises ont ce que l’on pourrait traduire par l’expression
« mission managériale de l’entreprise » (keiei-rinen,
経営理念). Cette dernière désigne tantôt
la raison d’être de l’entreprise et sa mission dans la société, tantôt sa vision du monde
(philosophie, idéologie) et la manière dont elle projette d’atteindre ses objectifs. Cette mission
de l’entreprise est ensuite déclinée en « principes généraux du management » (keiei-kihonhôshin,
経営基本方針), puis en « charte comportementale » pour chaque collaborateur.
Ces « principes généraux », souvent affichés sur les murs des bureaux, prônent quasisystématiquement la « politique de primauté à l’opérationnel » ou l’ « opérationnel-isme »
(Gen-ba shugi,
現場主義)
15
. Selon ce principe, c’est l’opérationnel, les gens qui sont dans le
cambouis qui connaissent mieux le terrain et la réalité du métier. L’organisation du travail et
ses procédures doivent donc être laissées à l’initiative de l’opérationnel et non imposées par le
management. Dans la perception idéale des japonais, ce sont ainsi les gens du terrain qui
méritent le respect, et le management qui ne visite jamais l’usine a peu d’autorité auprès des
collaborateurs. L’ « opérationnel » désigne tous ceux qui ne sont pas dans le management
(ceux qui travaillent par l’intermédiaire des autres) : les ouvriers, les ingénieurs, les
commerciaux, les comptables, etc. Ainsi par exemple, il est très difficile pour le management
japonais de licencier du personnel. Au-delà le la pratique de l’emploi à vie, la décision de
licenciement de la part d’une personne qui ne connaît pas le terrain est culturellement
incompréhensible ; elle n’a pas la légitimité de prendre une telle décision.
Les principes managériaux des entreprises japonaises encouragent donc les initiatives
de l’opérationnel dans la création de nouvelles idées ainsi que dans l’organisation du travail.
L’intériorisation de ces principes en une culture d’entreprise fait donc partie du management
des connaissances dont le but est de favoriser la création de connaissances. Le développement
de la culture d’entreprise se fait à son tour par le partage (le management des connaissances)
de ces principes fondamentaux.
15
Ce principe est présent dans la majorité des entreprises, en tout cas de l’industrie manufacturière. Exemple :
Panasonic, Toyota, Nissan, Mitsubishi, Yamaha, YKK, NTN, Honda.
31
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
Les connaissances qui font l’objet du management sont donc fondamentalement
contextualisées ; elles ne peuvent être véhiculées par les TIC. Il y a ainsi dans les recherches
japonaises en management de connaissances, une volonté de se démarquer du knowledge
management américain qui, du moins en son début, s’appuyait essentiellement sur les TIC. Le
choix de l’expression désignant le management des connaissances illustre bien cette prise de
position : tandis que le terme anglais de « knowledge management » est utilisé pour désigner
la gestion de l’information et de documents à l’appui des TIC, l’expression de « management
des connaissances » - chishiki-keiei (知識経営) - ou de « management de la création de
connaissances » - chishiki-souzou-keiei – (知識創造経営) - en japonais désigne la création et
le partage de connaissances par l’interaction humaine. Le management de connaissances à la
japonaise est aussi proche du management de l’innovation, comme le brain storming ou le
prototyping.
Quant au management des connaissances français, il a fortement été influencé par le
style anglo-saxon « résolument orientée outils » (Balmisse, 2006).
En effet, l’approche
américaine exige des outils tangibles et une rentabilité immédiate. Elle a toutefois le mérite
d’être pragmatique et opérationnelle.
Pourtant en France, la différenciation des termes « connaissances » et « savoirs » de
celui de l’« information » laissait présager la transition de la gestion de l’information vers un
véritable management des connaissances, un partage de connaissances qui se baserait sur des
« processus humains d’interprétation et de construction des connaissances » (Henneron et al.
2003, p10). Cependant, la réalité est loin des espérances, et peu de choses sépare le
management des connaissances françaises de la communication de l’information:
le
management des connaissances a été rapidement approprié par de « simples stratégies
marketing » qui fait qu’il se résume à de « nouveaux habitus de la société de l’information ».
Le management des connaissances s’est donc traduit dans de nombreuses firmes françaises,
sous forme de projets centrés sur des aspects technologiques de l’informatique.
Toutefois, la réalité du terrain vient nuancer les critiques académiques : les interviews
réalisées 16 montrent que ce sont aussi les connaissances tacites contextualisées qui sont
considérées comme étant importantes en France. Pour partager les connaissances, il est
nécessaire de comprendre la signification contextuelle qui y est attribuée, sans laquelle la
16
D’après des entretiens réalisés dans le cadre d’un autre mémoire portant sur «l’approche japonaise du
management des connaissances » : M. Bernardon (cabinet de conseil BFD), Mme. Chbani (cabinet de conseil
MCC mobilité) et Mme. Mesnil (responsable Knowledge Management Center de Power France chez Alstom).
32
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
connaissance ne sera qu’une information. La vraie différence qui reste entre le management
de connaissances français et japonais semble alros résider dans la manière de partager une
interprétation commune d’une information.
Par exemple, le cabinet de conseil BFD, spécialisé dans le transfert de savoirs, utilise
une technique pour expliciter le langage métiers qui cristallise les connaissances implicites.
Ce langage contextualisé et encastré dans les personnes peuvent être ainsi interprété de
manière identique par tous, grâce à son explicitation. Au Japon, c’est à travers l’interaction
sociale que l’interprétation de chacun s’ajuste à celle des autres. Cette dernière méthode prend
du temps, celui qui est nécessaire pour que la boucle rétroactive harmonise les différentes
visions au niveau de la communauté. Il en résulte alors un consensus commun sur
l’interprétation des messages, et une nouvelle connaissance qui est autre que la somme des
connaissances individuelles.
Tandis que le consensus est permis en France par une formalisation claire pour tous,
du tacite en explicite, il se fait au Japon par l’ajustement mutuel dans l’interaction des acteurs.
Ces interactions émergeantes construisent l’organisation du travail qui les conditionne à son
tour. Les interprétations (qui transforment une information en une connaissance) de la
communauté et leur organisation ne sont donc pas figées ; elles évoluent constamment selon
les participants et la configuration de leurs relations interactives. Cette plate-forme
d’interaction et de création de connaissances, ce moule qui construit et est construit par les
relations humaines, c’est ce que désigne le concept de ba.
Le management des connaissances japonais prend alors la forme du management du
ba, un espace-temps dans lesquelles des relations émergeantes, produisent des connaissances
et construisent leur organisation. Le management des connaissances par le ba peut prendre
伊丹・加護、2003) :
deux formes selon Itami et Kagono (
-
par la création du ba : la mise en place d’une occasion pour l’interaction sociale, ou
une organisation pour faciliter l’émergence du ba (partage des idéaux de l’entreprise,
aménagement du lieu de travail…) ;
-
par l’animation du ba : faire vivre les ba créés par le management.
Ce concept de ba, à notre avis très important dans le management de connaissances japonais,
mérite d’être étudié de plus près. Nous verrons dans la partie suivante qu’il s’apparente
fortement aux communautés de pratiques de Lave et Wenger, mais que certaines nuances les
séparent. Leurs rôles dans le management et dans l’organisation sont également très
différents.
33
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
1.2.3. L E
CO N CE P T D E BA E T CE L UI D E CO M M UN A U T E D E PR A TI Q UE
Après un « égarement » vers la gestion de l’information,
le management des
connaissances occidental s’oriente aussi de plus en plus, du moins dans les recherches
académiques, vers le partage et la création de connaissances dans les relations
interindividuelles. Regroupée sous le concept de ba au Japon, l’équivalent occidental de cette
tendance est représenté par celui communautés de pratiques.
Le ba est un mot japonais du langage courant qui désigne à la fois un lieu et un
moment. Ce concept de ba dont il est ici question est une adaptation, par Nonaka et Konno
(1998 ; 1999) au management des connaissances, du concept développé par le philosophe
Nishida Kitarô puis par Shimizu. Un effort est nécessaire pour un non-japonais qui veut saisir
son vrai sens, car il n’existe pas de traduction équivalente dans les langues française ni
anglaise.
Dans l’article de Nonaka et Konno datant de 1998, ce concept de ba est apporté
comme réponse aux questions relatives 1) aux conditions de création de connaissances, 2) à la
localisation de la création de connaissances, et 3) à la « managériabilité » des connaissances
comme une ressource quelconque.
Le ba désigne alors, selon les auteurs, un lieu spatio-temporel, physique ou virtuel
d’interactions dynamiques entre individus: un espace partagé de relations émergentes, un lieu
de création de connaissances. Ce ba peut être physique, virtuel, mental ou toute autre
combinaison de ces trois. Il peut donc se retrouver à plusieurs niveaux de l’entreprise sous
différentes formes (bureaux, usines, cafétéria, intranet, souvenir…), le ba se distinguant de
toutes les autres interactions humaines par le concept de création de connaissances. Deux
caractéristiques du concept de ba sont ainsi mises en avant par Nonaka et Konno (1998) :
-
Le contexte : une situation, une logique, ou un sens que l’on ne peut comprendre
qu’en étant « sur place » ;
-
La relation : un « lieu » où les gens se rassemblent et échangent de l’information.
Le ba reflète donc avant tout le caractère contextualisé - stikiness - de la connaissance
qui ne prend son véritable sens que dans son espace-temps. Ce caractère fondamentalement
intangible et local de la connaissance rend son transfert difficile et sans intérêt en dehors de
son contexte, contrairement à l’information qui peut être librement diffusée par les TIC. C’est
donc une plate-forme d’apprentissage dont la logique nécessite la prise en compte d’un ou
34
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
plusieurs acteurs situés dans un environnement donné : le ba désigne les conditions humaines,
organisationnelles et relationnelles favorables à l’émergence de l’apprentissage (Créplet,
1999 ; Peillon et al. 2006).
伊丹・加護野、2003, p504) définissent le ba comme suit :
En effet, Itami et Kagono (
« Un cadre dans lequel les gens participent, interagissent de manière consciente ou inconsciente,
communiquent, se comprennent mutuellement et agissent les uns sur les autres et font une expérience
commune.
»17
C’est un cadre avec des barrières spatiotemporelles dans lequel la connaissance est
activée comme ressource ; c’est une concentration organique des connaissances dans un
même espace-temps. Les auteurs utilisent la métaphore de l’eau de la bouilloire pour illustrer
le fonctionnement dynamique interne au ba.
Lorsque chauffe l’eau de la bouilloire, les molécules d’eau s’activent avec l’énergie
qui leur est transmise. Un mouvement d’eau se forme en fonction de la forme de la bouilloire,
ce qui crée un courant. Les molécules représentent les acteurs, le courant d’eau le consensus
qui nait entre eux. C’est la présence de la paroi qui permet les interactions ; on peut toujours
chauffer l’eau de la mer, la chaleur sera perdue et diffusée sans aboutir en un courant.
Le ba est donc un récipient pour l’interaction humaine dans le partage de
connaissances. Il y naît naturellement une « compréhension mutuelle » et « une sympathie »
qui harmonise l’identité collective. Deux conditions sont cependant nécessaires pour
l’expression de l’identité du ba, à savoir la « condition de contrainte » et l’« expression
improvisée du ba ».
Selon la première, le partage d’une hypothèse d’actions est nécessaire, pour que le
travail collaboratif soit possible entre les unités (acteurs) qui sont dans un rapport de liberté et
d’indépendance. La seconde fait référence à la naissance spontanée d’un rapport cohérent et
réciproque, entre les unités. Pour que l’expression improvisée du ba soit possible, il faut un
certain scénario, et l’utilisation de ce dernier demande un point de vue global de la situation.
原田, 2001), le ba est un espace délimité que l’on peut
En d’autres termes, selon Harada (
cerner. L’acteur a conscience du ba et de la place qu’il occupe en son sein.
L’apprentissage par la participation et l’identification à une communauté, de telles
propriétés font penser à celle des communautés de pratiques développées par les américains
17
Traduit par l’auteur de ce mémoire. «
場とは 人々が参加し、意識・無意識脳位置に相互を観察し、コミュニ
ケーションを行い、相互に理解し、相互に働きかけ、共通の体験をする、その状況の枠組み。 »
35
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
Lave et Wenger (1991). En effet, la théorie de la cognition située (Situated learning theory)
souligne l’aspect relationnel de l’apprentissage.
Les communautés de pratiques (Cop) sont des communautés informelles qui
se forment autour du développement et de la mise en œuvre de compétences. C’est une
interaction régulière d’acteurs qui partagent un intérêt ou une passion commune.
Le développement des compétences des acteurs – leur apprentissage – se réalise
parallèlement à leur degré de participation à la communauté. Participer, c’est être participant
actif dans les pratiques des communautés sociales et dans la construction de son identité en
relation avec ces communautés.
Selon Lave et Wenger (1991), les nouveaux entrants participent d’abord à la périphérie
de la communauté pour finir par y participer intégralement avec l’adoption progressive des
pratiques. La position de l’acteur dans la communauté peut être donc plus ou moins
centrale selon son degré de participation: participation périphérique, entière ou marginale.
Mais, selon Handely et al (2006), la forme de participation peut aussi être constante, et rester
ainsi « marginale » pour toujours.
Tout est que la participation contribue au développement d’une identité, d’un
sentiment d’appartenance à une communauté. C’est par la participation à une Cop que les
individus développent et adaptent leurs pratiques, et donc les reconstruisent.
Par ailleurs, selon Créplet et al. (2002), une des caractéristiques essentielles des Cop
serait l’auto-organisation, c'est-à-dire, la capacité d'un système à acquérir de nouvelles
propriétés en s'organisant et en modifiant lui-même sa propre organisation. Pour que cette
auto-organisation soit possible, la communauté doit pouvoir disposer d’une certaine
autonomie.
Le concept de ba et de communauté ont donc de nombreux points communs : le
transfert de connaissances se fait par la socialisation et par la constitution d’une identité
commune ; les membres partage un langage commun qui leur sont propre.
En fait, ces deux concepts appartiennent à ce que Berthon et al. (2007) appellent le
réseau comme « construit », en opposition avec le réseau comme « conduit ». Ces deux
perspectives mettent en avant la vision de la relation entre « réseau social » et « transfert de
connaissances ». Ainsi, la première perspective, mécaniste, considère le réseau comme
« conduit », c'est-à-dire, comme moyen plus ou moins efficace pour transférer les
36
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
connaissances comme un stock. La deuxième perspective dite organique, voit au contraire le
réseau social comme « construit » : la connaissance est un flux qui s’acquiert
par la
participation à une communauté, dans laquelle elle est en permanence recréée et donc
dynamique. La connaissance est alors encastrée dans le réseau social.
Les concepts de Cop et de ba relèvent donc tout deux de la seconde perspective,
organique et dynamique du réseau social. Cependant, le concept de Cop, peut-être un peu plus
ciblé sur le partage et la création de connaissances que le ba, pourrait être inclus dans ce
dernier comme une de ses variantes particulières (Créplet et al.2002 ; KMSJ, 2008).
Toutefois, des différences de nuances apparaissent entre ces deux concepts lorsque
l’on s’intéresse particulièrement à la nature des relations sociales qui s’y jouent, une
dimension identitaire et culturelle qui dépend fortement de la culture.
Le tableau 6 est une comparaison des caractéristiques du ba et de communauté réalisée
par Peillon et al. (2006). Il ressort de cette comparaison que le concept de ba incorpore une
dimension relationnelle plus importante que celui de la communauté. Selon les termes des
auteurs,
le ba est une notion large faisant intervenir des mécanismes « psycho-socio-
cognitifs », tandis que celle de communauté renvoie à des mécanismes essentiellement
cognitifs. Et c’est, à notre avis, cette dimension sociale qui différencie le fondement du ba de
celui des communautés.
Tableau 6 : Comparaison du concept de Cop et de ba
Objectif
Membres
Recrutement
Activité cognitive
Production de
connaissances
Mode
d'apprentissage
Ba
Développement des compétences.
Virtuellement tous les membres de
l'organisation.
Adhésion volontaire et non
formelle.
Repérée par des mécanismes
psycho-sociaux.
Processus pouvant être radical,
caractérisé par des phénomènes
d'émergence non prédéfinis, sans
limite de temps ou de contenu.
Pas de mode dominant, tous les
modes sont utilisés.
Communauté
Accroissement des connaissances.
Sélectionnés.
Par les membres ou les pairs.
Organisée par des mécanismes
cognitifs et organisationnels.
Processus incrémental,orienté par un
but prédéfini.
Learnin in working
Searching
(Source : Peillon et al. 2006)
37
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
La dimension sociale est ce qui fait la différence entre les deux concepts, pour la
première raison qu’elle est tout simplement plus développé théoriquement dans celui du ba.
Handley et al. (2006) argumente d’ailleurs en faveur d’une plus grande prise en compte de la
dimension sociale dans le concept de Cop. Mais ensuite, admettons que cette dimension
sociale soit intégrée dans le concept de Cop, ce dernier ne sera toujours pas identique à celui
du ba parce que la nature de ces relations n’est pas la même ; la cause de cette divergence
réside dans les modalités du développement de l’identité individuelle et collective des acteurs.
Dans le cas des communautés, les acteurs, même s’ils s’identifient à une communauté,
conservent leur propre identité pour y participer. La participation à une communauté peut
aboutir en une reconnaissance mutuelle, mais pas nécessairement d’égalité, de respect ni de
collaboration. Il y a donc toujours la possibilité de conflit, une dimension négligée à tort par
les auteurs des Cop, selon Handley et al. (2006). Selon ces derniers, la dynamique entre le
développement identitaire et les formes de participation est cruciale dans la manière dont les
individus internalisent, testent ou changent les pratiques existantes des communautés. Ainsi,
un nouveau membre de la communauté peut représenter une menace pour les anciens dans la
mesure où il peut transformer les pratiques et les connaissances qui constituent l’identité de la
communauté. Handley et al. insistent sur cette dynamique interne de la communauté qui
relève d’une négociation entre l’organisation et les individus, et entre les anciens et les
nouveaux. Les individus adoptent ou rejettent l’opportunité de participer dans la Cop au
travers de ces processus. Cette tension interne à la communauté est d’autant plus forte que les
acteurs peuvent appartenir à plusieurs communautés à la fois. Les Cop ne représentent donc
pas un groupe d’individus homogènes dont la motivation et les comportements peuvent être
contrôlés par le management.
Quant à l’identité individuelle ou collective du ba, elles s’emboîtent les unes dans les
autres pour s’élargir (Nonaka et Konno, 2002). Le ba se manifeste comme un niveau de
conscience collective et en développement à travers des interactions internes à un groupe et
avec ses environnements (Fayard, 2003) : la fusion de l’identité individuelle avec le groupe se
traduit par l’apparition d’un « supra soi » (higher self). Pour faciliter la saisie de ce concept
encastré dans la culture japonaise, Fayard (2006) compare le ba à un groupe de musiciens de
jazz qui improvise librement, par rapport à un orchestre symphonique occidental :
« en fonction de ce que chacun est (nature) et de ce que chacun sait (compétences) tous entrent dans
un ambiance (ba) qui mobilise leur sensibilité et savoir-faire dans le drame de la création musicale. Les acteurs-
38
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
actés exécutent la partition non écrite où convergent leurs énergies, désirs, créativités et savoir-faire
respectifs » (Fayard, 2006, p190-191).
Shimizu (2006), grand auteur sur le concept de ba, emploie quant à lui une analogie de
la biologie cellulaire : le ba est un ensemble d’unités cellulaires (les acteurs individuels). Ces
dernières sont autonomes et agissent de manière indépendante pour leur survie et leur
production, tout en s’échangeant des informations entre elles. Ce travail collaboratif en réseau
a pour finalité la survie du corps, un objectif supérieur qui coordonne le travail de chacun.
Animé d’une interaction organique, toutes les frontières de l’identité individuelle ou
organisationnelle sont alors dépassées (Peillon et al. 2006). Il ne s’agit donc pas d’une
participation plus ou moins « marginale » d’un individu à la communauté, où les
confrontations identitaires des membres engendrent une tension conflictuelle.
« Fluide et sans frontières, le ba se modifie en fonction de ceux qui y participent, il ne s’attache pas
exclusivement à l’histoire et aux limites spatiales d’une organisation mais est gouverné par la notion de projet.
De ce fait, c’est l’organisation même de l’entreprise qui est appelée à se transformer. » (Fayard, 2003, p8).
Le ba est donc un lieu de coexistence. Coexister, c’est exister en harmonie avec des
êtres différents en partageant un ba. Le ba est donc un lieu où les acteurs s’ajustent pour
respecter une harmonie, contrairement aux Cop qui sont potentiellement conflictuelles et où la
négociation est une question de rapport de domination entre les différentes identités. Cette
harmonie du ba est due aux « mécanismes individuels et collectifs de construction de sens »
(Peillon et al. 2006, p81). Par exemple, chaque acteur a sa propre interprétation, différente de
celle des autres, face à une information externe. Dans le ba, l’interaction entre les différents
acteurs va progressivement harmoniser les différentes interprétations par rétroaction, pour en
former un consensus. Ainsi, la connaissance – l’interprétation donnée à l’information – est le
résultat d’une cocréation des acteurs du ba, un contexte qui se partage sans entrave ni
violation de l’intégrité de l’autre et où la distinction entre l’alter et l’ego disparait.
Or, les relations entre acteurs évoluent constamment. Le ba évolue donc en fonction
des interactions sociales. C’est cette boucle rétroactive qui fait la dynamique du ba. La
connaissance est alors une construction mouvante de l’interaction entre les acteurs du ba, et
qui, à son tour, va conditionner les pratiques des acteurs : le ba est « une forme d’état
intermédiaire, constamment en évolution » (Créplet, 2000).
Ainsi dans le ba, les acteurs portent leurs réflexions, non seulement sur leurs pratiques,
mais aussi sur les relations qu’ils ont avec la réalité de leur organisation. C’est ce qui pousse
39
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
Peillon et al. à utiliser le concept de ba plutôt que celui de communauté, pour analyser les
processus d’innovation organisationnelle.
« Si les communautés existent pour faire évoluer les connaissances de leurs membres, le ba permet
l’évolution non seulement des connaissances, mais aussi et surtout de la relation des individus à la réalité de
l’entreprise : le ba est essentiel en ce sens qu’il fournit un espace où les acteurs vont interroger, et dans certains
cas reconstruire, l’organisation du travail, notamment afin d’adapter l’organisation prescrite aux contraintes
effectives du terrain. » (Peilln et al. 2006, p81)
Ainsi, le concept de ba s’apparente à celui de communauté, mais, contrairement à cette
dernière qui est un concept statique, le ba est un concept dynamique incluant l’organisation
des activités et des hommes parmi l’objet de réflexion (Créplet, 1999 ; Fayard, 2003 ; Peillon
et al. 2006). A l’image de l’apprentissage à double boucle de Argyris et Schön (1974),
l’organisation et le cadre référentiel de réflexion peuvent eux-mêmes être remis en cause et
évoluer.
40
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
Conclusion intermédiaire du chapitre 1
Les MCI français et japonais ne se préparent pas du tout dans les mêmes conditions.
Premièrement, l’enjeu démographique de l’emploi des seniors. La France et le Japon
ayant achevé leur transition démographique, leur défi actuel porte sur le maintien de la
population active afin d’assurer les activités économiques et le financement des retraites. Le
Japon dont la situation est plus prononcée, a déjà pris des mesures d’avance : les seniors
participent activement à la vie des entreprises. Les enjeux concernent alors l’adaptation du
contrat de travail de ces seniors18, d’une part, et la continuité des compétences de l’entreprise,
d’autre part. En effet pour les entreprises japonaises, la transmission des connaissances est un
des premiers arguments du maintien d’emploi des seniors. Dans le système éducatif japonais
relativement généraliste, la formation professionnelle des jeunes inexpérimentés incombe aux
entreprises. Elle est d’ailleurs un des piliers stratégiques majeurs, puisque c’est d’elle que
dépend la compétence de ses collaborateurs : le métier de l’entreprise est la « production »
(formation) des hommes avant d’être la production des biens.
Quant à la France, la fameuse « culture de préretraite » fait que les seniors ne font pas
encore véritablement partie du paysage de l’emploi. Des séries de mesures se mettent en
place, mais le changement culturel est loin d’être accompli. Les enjeux portent donc d’abord
sur le maintien des seniors en activité, et l’attribution d’une nouvelle mission - celle de la
transmission des connaissances – est une manière d’attirer les seniors en leur proposant une
« nouvelle carrière ». Par ailleurs, l’expérience étant un de leurs atouts majeurs, c’est la
valorisation de leurs connaissances qui met en avant leur employabilité : une entreprise peut
maintenir en emploi un senior pour la transmission des connaissances. Enfin, la transmission
des connaissances des seniors constitue comme au Japon, l’enjeu stratégique de continuité des
compétences. Or, bien que la formation professionnelle fasse maintenant partie des
obligations des entreprises, celle-ci n’a pas le même rôle qu’au Japon. La formation
professionnelle vise avant tout l’employabilité des collaborateurs, et l’entreprise préfère
recruter sur le marché extérieur que développer elle-même ses compétences, si elle en a la
possibilité.
Ainsi, les enjeux du MCI sont façonnés par des cadres contextuels différents en France
et au Japon ; ces cadres résultant des actions interdépendantes de l’Etat et des entreprises face
aux conditions démographiques de chaque époque. La différence dans le partage implicite des
18
Par exemple, l ‘introduction du temps partiel et la remise en cause de la promotion à l’ancienneté pour que
la continuité de l’emploi des seniors soit économiquement viable pour les entreprises.
41
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
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rôles et des responsabilités entre l’Etat, l’entreprise et l’acteur individuel fait que les MCI
français et japonais ne se trouvent pas dans la même situation.
Deuxièmement, la conception du management des connaissances n’est pas la même en
France et au Japon.
Au Japon, le management de connaissances ne se distingue par vraiment du
management en général. Développée en se distinguant du knowledge management américain
fortement orienté TIC, l’approche japonaise du management de connaissances repose sur le
ba : un espace-temps de relations émergentes. Cette plate-forme de création de connaissances
est une organisation mouvante, conditionnée et conditionnant les interactions sociales qui s’y
déroulent. Les acteurs partagent des connaissances parallèlement à leur participation au ba, où
ils ajustent leurs connaissances dans l’interaction avec les autres. De nouvelles connaissances
se créent ainsi au niveau du ba. Le management des connaissances japonais consiste alors en
la création ou en l’aménagement de ces ba, dans le but d’enrichir l’interaction humaine pour
faciliter la création de connaissances.
En France, le management des connaissances a fortement été influencé par celui des
Etats-Unis, pragmatique et orienté outils. Il s’assimilerait alors à de la gestion de
l’information qui ne fait que diffuser et recycler les « connaissances » qui existent déjà.
Pourtant, les recherches s’intéressent de plus en plus aux communautés de pratiques, un
réseau plus ou moins formel qui se crée autour du partage et du développement de
compétences spécifiques. Dans cette vision du réseau social comme « construit » et non plus
comme « conduit », la connaissance est un flux et non plus un stock. Les concepts de Cop et
de ba se ressemblent fortement, à la différence cependant que le premier est plus ciblé sur le
partage et la création de connaissances, tandis que le second incorpore une dimension plus
sociale de la création de connaissances.
Nous allons maintenant découvrir en quoi ces enjeux et ces conceptions du
management des connaissances influencent l’approche du MCI.
42
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
2. L ES MECANISMES DU MANAGEMENT DES CONNAISSANCES
INTERGENERATIONNEL EN F RANCE ET AU J APON
Le premier chapitre a permis d’établir une base pour la comparaison franco-japonaise
du MCI. Nous savons que les enjeux liés à ce dernier ne sont pas les mêmes dans les deux
pays, et que la manière dont chacun va essayer de « manager » les connaissances va
certainement être différente. Cette deuxième partie est consacrée à la présentation et à
l’analyse des pratiques à proprement parler de MCI. Il s’agit des mécanismes de management
des connaissances formels ou informels, mis en place dans le rapport intergénérationnel.
L’étude empirique n’est pas simple du fait des différentes problématiques qui
interviennent dans le sujet du MCI. En effet, il s’agit :
-
du management de connaissances, vaste sujet en soi ;
-
dans un cadre intergénérationnel, avec tous les enjeux démographique, politique et
managérial que cela implique ;
-
le tout dans un cadre comparatif franco-japonais, ce qui pose des questions aussi bien
sémantiques, dans la terminologie des mots clés, que pratiques, dans la démarche de
l’étude empirique.
Nous présenterons donc dans un premier temps, la méthodologie utilisée pour cette recherche.
Les résultats seront ensuite exposés sous une forme comparative des pratiques françaises et
japonaises.
2.1.
LA
DEMARCHE MET HODOLOGIQUE
La démarche méthodologique adoptée dans cette étude mérite quelques remarques. En
effet, la nature de l’objet de l’étude –le MCI- qui n’est pas nécessairement visible de
l’extérieur complique quelque peu l’identification des entreprises qui pourraient constituer
l’échantillon d’étude.
Par ailleurs, des remarques peuvent être adressées sur la façon de mener une enquête
qualitative dans les entreprises japonaises ; il convient en effet de prendre en compte le
facteur culturel qui peut fausser l’interprétation. Cette partie permet ainsi de présenter
quelques recommandations sur la façon de mener des entretiens dans les firmes japonaises.
43
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
2.1.1. L A
CO L L E C TE D E L ’ I N F O RM A TI O N
La collecte de l’information a été réalisée par une série d’entretiens qualitatifs semi
directifs centrés. Les guides d’entretiens ont été préparés dans les deux langues, et sous une
forme qui permettent la description globale des mécanismes du MCI, tout en tenant compte
du contexte de l’entreprise.
En effet, le MCI est un mécanisme idiosyncratique et donc très contextualisé. Le
premier chapitre a souligné combien les facteurs contextuels des pays, démographiques et
managériaux influençaient les problématiques liées à l’intergénérationnel et au management
des connaissances. La même chose est valable pour chaque entreprise, à l’intérieur du même
pays. En effet, les problématiques et enjeux du MCI dépendent de la structure démographique
de chaque entreprise, des secteurs d’activités et des métiers ainsi que de la culture
d’entreprise. De plus, l’objet de l’étude consiste non seulement en l’identification des
pratiques du MCI, mais aussi en la compréhension du pourquoi du comment de la logique
organisationnelle. Il convient pour cela d’adopter une méthodologie qualitative ouverte qui
permet la libre expression de l’interviewé.
Par contre, notre étude se situant dans un cadre comparatif franco-japonais, il est aussi
nécessaire d’avoir un nombre suffisant d’étude de cas pour pouvoir parler d’une pratique
« française » ou « japonaise » de manière générale. Or, la nature de l’enquête qualitative et le
temps limité pour réaliser l’étude ne nous permettaient pas d’étendre l’échantillon sur un
grand nombre d’entreprises. Afin de répondre à cette exigence de généralisation, nous avons
eu recours à des personnes ayant une certaine objectivité ou un certains recul sur ce sujet du
MCI : des consultants chercheurs qui ont des activités relatives au MCI. Certes, ces entretiens
n’ont pas le même statut que les études de cas, mais ils permettent néanmoins de confirmer
une tendance commune qui se dégage des entreprises, ou suggèrent une explication à certains
phénomènes. Ainsi, les enquêtes-terrains des entreprises françaises et japonaises ont été
complétées par des entretiens réalisés avec des consultants.
Les interviewés sont, pour les entreprises, des managers qui ont une vue d’ensemble
sur le MSI de leur entreprise. En France, les entretiens avec les entreprises ont été réalisés
avec des responsables de Ressources Humaines, mais au Japon, ce sont des managers plus ou
moins concernés par le MCI de leur entreprise qui ont répondu à l’interview. Les interviewés
n’ont pas été vraiment choisis en fonction de leurs poste et responsabilités ; ce sont les
entreprises qui ont désigné la personne qui était la plus susceptible de parler du MCI.
44
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
Par ailleurs, il convient de signaler que dans le cadre de l’enquête au Japon, les
entretiens réalisés avec les entreprises ne sont pas individuels. En effet, malgré la mention
méthodologique insérée dans la demande d’accès au terrain, les interviewés des trois
entreprises se sont présenté à chaque fois à deux, voire à trois. Sans que les entretiens aient
été sous forme interactive et collective, l’interviewé répondait donc en présence de ses
collègues. Etant donné le contenu de l’entretien et le statut élevé des interviewés, nous ne
pensons pas que les entretiens aient été biaisés par une quelconque autocensure. Toutefois,
pour mener des entretiens au Japon, il convient de tenir compte de cette habitude à accueillir
les chercheurs, en groupe.
Autre point qui mérite d’être mentionné, la question du vocabulaire. L’expression
désignant notre sujet d’étude –le management de connaissances intergénérationnel- n’est pas
une expression familière aux entreprises. En effet, le terme de « management de
connaissances » en soi n’est pas encore véritablement intégré dans la vie des entreprises. En
parlant de MCI, nous aurions pu parler plus simplement de « transmission de connaissances »,
car dans les relations intergénérationnelles, il s’agit le plus souvent d’une transmission de
l’expert plutôt âgé, vers un plus jeune moins expérimenté. Mais nous avons préféré garder
l’expression « management des connaissances intergénérationnelle » pour les raisons
suivantes.
Tout d’abord, cette expression globale permet de ne pas restreindre l’étude à une étape
précise du management des connaissances. En effet, la littérature managériale sectionne
souvent le processus du management des connaissances en trois, quatre, voir plus de phases.
Le plus courant est la distinction entre 1) la création, 2) la rétention et 3) le transfert de
connaissances 19 . L’expression de « transfert » de connaissances pourrait donc porter à
confusion, faisant penser que l’on se réfère à une étape précise du management des
connaissances. Par ailleurs, dans une comparaison des approches française et japonaise, il
convient d’adopter une vision globale et ouverte du management des connaissances : en effet,
la comparaison serait faussée si pour les Japonais le MCI était essentiellement la création et la
transmission des connaissances, tandis qu’il serait principalement la rétention et le transfert
pour les Français. D’autre part, étant donnée l’approche japonaise par le ba, la distinction des
différentes étapes perd de son sens: la création, le partage et la transmission semble se
mélanger dans l’interaction organique du ba.
19
C’est le cas pour, par exemple, Argot et al. (2003). A titre d’exemple, Newman et al. (2000) ajoutent à ces
trois phases celle d’ « utilisation ». Quant aux auteurs de la capacité d’absorption comme Turner et al. (2006),
ils distinguent souvent les phases 1) de création et acquisition, 2) de transfert, 3) d’interprétation et 4)
d’application.
45
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
L’expression du MCI permet ainsi de garder les possibilités, non seulement d’une
transmission à sens unique, mais aussi d’une transmission réciproque, donc, d’une relation de
partage. Elle permet de ne pas se focaliser uniquement sur le management des
« connaissances existantes », mais de s’ouvrire aussi à la création de nouvelles connaissances.
Les connaissances ne sont pas que des stocks à transmettre, mais un flux qui évolue et qui se
reforme par l’intervention des acteurs, faisant à son tour évoluer le réseau dans lequel il
circule. Ainsi, c’est sous le vaste thème de MCI que le projet de recherche a été présenté et
introduit auprès des entreprises.
2.1.2. L’ AN AL Y S E
DES DONNEES
L’analyse des entretiens a été réalisée en trois étapes successives.
Le premier niveau d’analyse a porté sur la monographie de l’entreprise. Après
retranscription intégrale des entretiens, ces derniers ont été codifiés sous forme d’un résumé
en français. Cette étape a ainsi permis de classer les propos des interviewés en fonction du
guide d’entretiens et du contexte spécifique de leur entreprise. Le résultat de cette analyse a
été codifié pour chaque entreprise, en un tableau issu du guide d’entretiens. Ainsi, ces
tableaux permettent de visualiser rapidement les principaux mécanismes du MCI qui ont été
identifiés, avec le contexte dans lequel ils s’insèrent ainsi que leurs caractéristiques.
Les tableaux récapitulatifs de chaque entretien sont tous présentés en annexe. Quant
aux entretiens menés avec les consultants, ce sont leurs résumés qui sont présentés en annexe
car ils n’ont pas fait l’objet d’une classification dans un tableau.
La deuxième étape de la démarche analytique a consisté en un examen transversal des
entretiens réalisés par pays : comparaison des entretiens réalisés au Japon entre eux, d’un
côté, et ceux réalisés en France, de l’autre. Dans cette étape, la comparaison a porté sur
chaque point du tableau monographique, mais ce sont surtout des aspects transversaux et pas
forcément identifiés dans la première étape qui ont été mis en avant.
Les thématiques
dégagées dans cette analyse transversale ont été résumés dans des tableaux par pays.
Enfin, la troisième étape est la mise en relation des différentes thématiques entre elles.
C’est la partie de réflexion qui consiste à trouver une explication cohérente pour relier les
thématiques par pays entre eux, et d’expliquer les causes qui opposent les différences entre
des thématiques identifiées en France et au Japon.
46
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
Dans chacune de ces étapes, les thématiques dégagées ont été mises en relation avec
les concepts théoriques trouvés dans la littérature managériale. Dans les deux premières
étapes, ce sont surtout les facteurs de contingence structurelle qui ont permis d’expliquer les
grandes tendances. C’est ce qui va être présenté dans la sous partie suivante. Quant aux
résultats de la réflexion sur la logique de fond qui structure le MCI français et japonais, il
fera l’objet du troisième chapitre.
2.2.
L ES
RESULTATS : LES MECANISMES DE TRANSMISSION
INTERGENERATIONNELLE DES CONNAISS ANCES
Les résultats de l’enquête empirique vont être présentés en deux parties. Dans un
premier temps, les cas d’entreprises vont être exposés individuellement. Il s’agit d’une
présentation synthétique des entreprises et de leurs principaux mécanismes de MCI qui est
abordé dans ce mémoire. L’objectif de cette première sous-partie étant d’offrir une vue
d’ensemble. Ensuite, les résultats seront présentés sous forme interprétée et comparée entre la
France et le Japon.
2.2.1. P RE S E N T ATI O N
DES CAS
Le nombre d’entreprises interviewées est de trois par pays : CMC, NTN et YKK pour
le Japon, Alstom, IBM et l’entreprise X20 pour la France. Les interviews complémentaires
réalisées avec les consultants sont du nombre de deux par pays : NTN21 et KDI pour le Japon,
les cabinets BFD et MCC mobilité pour la France.
Nous allons présenter synthétiquement chaque cas d’étude, par pays et par ordre
alphabétique.
20
21
L’entreprise a souhaité garder son anonymat. Sa description sera écourter pour la même raison.
Il ne s’agit pas d’un consultant, mais d’un cadre qui a une expérience de travail en France. Voir plus loin.
47
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
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Les entreprises japonaises
CMC
シイエム・シイ株式会社
CMC est la seule PME parmi toutes les entreprises interrogées. Fondée en 1962 à
Nagoya et avec 439 collaborateurs en 2008 (559 en incluant les entreprises partenaires) c’est
une entreprise en forte croissance qui ne connaît pas la crise. A l’origine, son métier consistait
en la prestation de services en microfilms et en impression, mais l’entreprise évolue
progressivement vers la rédaction des manuels et des modes d’emploi techniques en suivant la
demande de ses clients. Aujourd’hui, le modèle d’activité de CMC est à cheval entre celui
d’une entreprise de production et de service relatifs à la rédaction, mais aussi d’un cabinet de
conseil 22 . Les clients de l’entreprise sont des grands comptes, principalement du secteur
industriel (automobile, électroménager) et de la distribution. Leur premier client est
l’automobiliste Toyota qui représente environs 45% des chiffres d’affaire en 2008.
Parmi les trois prochaines problématiques affichées de CMC, se trouve celui la
formation. L’entreprise se fixe come objectif la formation d’un personnel polyvalent de haut
niveau, ayant des compétences techniques et rédactionnelles, mais aussi dans la conduite de
projet auprès d’un client.
L’entreprise possède donc un programme de formation en trois étapes en fonction de
l’ancienneté, et différentes passerelles sont établies entre les métiers pour une mobilité
professionnelle. Mais, un autre moyen de formation, non des moindres, est celui de
l’apprentissage auprès des clients qui peut être formelle (insertion des collaborateurs dans le
programme de formation du client) ou informelle (par expérience, à chaque mission).
L’âge moyen de l’effectif étant de trente ans, les collaborateurs de l’entreprise sont
très jeunes. Mais, le mécanisme phare MCI pour lequel cette entreprise a été interrogée est
l’utilisation de la CRP-Map, une liste de compétences qui a été déterminée par les experts du
métier afin de faciliter l’apprentissage des jeunes recrutés.
NTN 株式会社 - For New Technology Network
NTN est l’un des premiers constructeurs mondiaux de « roulements traditionnels ».
L’entreprise développe, produit et vend quatre types de produits :
22
Voir annexes pour plus de détails sur l’activité de l’entreprise.
48
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
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-
roulements à billes et à rouleaux
-
produits automobiles
-
butées d’embrayage
-
paliers lisses
L’entreprise emploie 5485 collaborateurs au Japon et possède des unités de ventes
aux Etats-Unis, en Europe, en Asie-Océanie et en Chine (20679 collaborateurs dans le
monde).
Durant les trois premières années après le recrutement, les jeunes collaborateurs sont
insérés dans un programme de formations combinant séminaire, apprentissage en groupe,
apprentissage sur le tas (OJT), entretiens individuels, etc. L’objectif est de former du
personnel polyvalent et d’accompagner les jeunes dans la détermination de leur parcours
professionnel.
Le MCI phare de cette entreprise réside dans la mise place d’un établissement pour la
transmission de connaissances. Les experts techniques des domaines stratégiques ont pour
mission de former les jeunes dans un espace dédié à l’apprentissage.
YKK 吉田工業株式会社
Avec YKK Corporation comme société mère, les activités mondiales d’YKK sont organisées
autour de trois piliers, en employant près de 40 000 personnes dans plus de 70 pays.
-
-
Le groupe fastening products (Système d’attache) effectue des activités liées aux
« systèmes d’attache » avec ses deux divisions : la division des fermetures à glissière
et celle des pressions et boutons. Ce Groupe répond aux besoins mondiaux du textile
et du vêtement avec une organisation des activités mondiales en six blocs
géographiques.
Le groupe Architectural products (Produits Architecturaux) a pour activité la
fabrication de produits architecturaux de la marque YKK AP (filiale). Son activité est
basée au Japon et en Asie, ainsi qu’aux Etats Unis et au Brésil.
-
Le groupe Machinery & Engineering (Machine et Ingénierie) effectue la recherche
et le développement et fournit des machines spécialisées pour la production des deux
autres activités. Ce Groupe se concentre sur le développement et la production de
machines, d’équipements et de matrices, et fournit le groupe YKK par trois divisions :
la Division Machine exclusive, la Division Machine industrielle, et la Division
49
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
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Matrices. Il joue un rôle clé dans le développement technologique et contribue à
minimiser les coûts tout en maximisant l’efficacité des deux autres Groupes.
Le groupe YKK est organisé en structure matricielle, avec ces trois groupes d’activité et
les
recherches et développements. Le mécanisme MCI de YKK se démarque par son
contenu : la transmission de l’esprit YKK, sa mission managériale, ses principes
fondamentaux, et donc, la culture d’entreprise.
Entreprises françaises
Alstom
Alstom est leader mondial dans les infrastructures de production d’énergie et de
transports ferroviaires. Solution intégrée adaptée à différents types d’énergie (gaz, charbon,
hydroélectricité, nucléaire et éolien). Présent dans plus de 70 pays, l’entreprise emploie plus
de 80 000 salariés dans le monde (près de 15 000 collaborateurs en France). L’entreprise a
deux secteurs d’activité : l’énergie et le transport. L’interviewé est la responsable du
Knowledge Management Center d’Alstom Power dans la zone Europe du sud et Afrique de
l’ouest.
En effet, Alstom est la seule entreprise de notre échantillon qui semble avoir un
engagement stratégique, global et officiel dans le management des connaissances. C’est après
les difficultés économiques de 2003-2004 qu’Alstom est passé d’une « culture de formation »
à une culture de « knowledge management », à l’initiative de la Direction Générale qui a
voulu montrer qu’un avenir se préparait pour l’entreprise. Ce passage a été vécu comme une «
une évolution clé » dans l’anticipation et la maîtrise de l’évolution des compétences de
l’entreprise.
Ainsi, Alstom possède depuis 2003-2004, un Knowledge Management Center au
niveau corporate qui organise tout le processus de la transmission des connaissances. Les
besoins en formation sont déterminés par la confrontation des besoins stratégiques et
ascendants de la direction, avec les besoins ascendant du terrain, identifiés par les
collaborateurs et leur manager.
Du point de vue stratégique, les besoins en formation se déterminent par un processus
en entonnoir qui
examine la criticité des compétences en partant du général vers le
particulier. La capitalisation de ces connaissances est réalisée par différentes personnes et de
différentes manières, de même que les formations qui en découlent recouvrent diverses
50
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
formes. La démarche de la transmission des connaissances est donc extrêmement bien
organisée, et rationnalisée. Le MCI d’Alstom présente donc une forte cohérence stratégique
et opérationnelle, renforcé par un contrôle qui assure le pilotage. Le tableau 7 résume la
démarche globale de ce processus.
Tableau 7: la démarche globale de la transmission des connaissances chez Alstom
Détermination des connaissances à développer :
- identification des métiers (actuellement du nombre de 144)
- identification des compétences de ces métiers
- évaluation de la criticité des compétences selon quatre critères :
le nombre de personnes détenant cette compétence
le besoin, du point de vue de la stratégie business, de cette compétence
la disponibilité de cette compétence sur le marché du travail externe
la durée nécessaire à l’acquisition de cette compétence
Capitalisation des connaissances critiques par des experts :
par la rédaction d’un « cahier d’expérience »
- Par travail sous « vidéo procédure »… etc.
Mise en place des plans de formation annuelle chiffrés et budgétés
- avec Alstom University qui conçoit des modules de formation
- avec partenaires externes… etc.
Transmission des connaissances par :
- training en salle
- training sur les chantiers
- tutorat
- travail de l’expert dans un projet… etc.
Suivi des connaissances et de leur localisation :
- suivi de l’évolution des connaissances répertoriées
- surveillance des connaissances émergeantes
- contrôle du processus de capitalisation
IBM - International Business Machines Corporation
IBM est une multinationale américaine, leader dans le domaine des services et des
technologies de l'information. L’entreprise développe et commercialise des solutions
technologiques qui intègrent les services, les matériels, les logiciels et le financement.
Ses activités sont organisées autour de 9 domaines :
- IBM Global Services
- Global Financing
- Business Consulting Services
- Centres ibm.com
- Ventes et distribution
- Partenaires commerciaux
- Logiciels
- Opérations commerciales
- IBM Systems Group
51
Les dispositifs MCI d’IBM utilisent abondamment les savoir-faire de l’entreprise : les
nouvelles technologies. Ainsi, le mécanisme majeur du MCI qui a été abordé dans l’entretien
concerne un programme de mentoring via l’intranet. Il ne s’agit pas pour autant d’un
knowledge management essentiellement basé sur les TIC, mais d’un moyen de mettre en
relation les collaborateurs pour une transmission de connaissances libre et adaptée au cas par
cas. Aujourd’hui chez IBM, c’est ce mode de contrat souple et individuel qui est la première
source de transmission de connaissances, au détriment des formations traditionnelles qui
présentent des coûts d’organisation importants.
Enterprise X
L’entreprise X est un grand groupe français d’électronique qui intervient sur des
activités à haute technologie. L’entreprise emploie donc des collaborateurs de haut niveau de
qualification qui travaillent souvent en équipes multiculturelles.
Afin d’accompagner la progression professionnelle de ses collaborateurs et piloter les
besoins de compétences de l’entreprise en interne, l’entreprise déploie une politique de
Ressources Humaines globale et dynamique. L’Université Interne qui organise les modules de
formation joue un rôle central dans cette démarche. Avec la mise en place de nombreuses
passerelles établies entre les métiers, L’Université interne a pour mission de concrétiser les
projets professionnels de ses collaborateurs tout en permettant un pilotage en interne des
besoins en compétences de l’entreprise.
Cependant, en se basant sur l’entretien réalisé, nous sommes arrivé à conclure que
l’entreprise ne dispose pas de MCI. En effet, il n’est ni question de « management de
connaissances » ni question d’ « intergénérationnel ». Les collaborateurs suivent des
formations pour poursuivre leur projet professionnel : il ne s’agit pas d’une formation pour un
poste donné ou pour le remplacement d’un collaborateur qui part. Les notions d’âge ou de
senior n’ont pas de sens ; c’est une démarche d’accompagnement continu du collaborateur.
Le mécanisme organisationnel qui nous avait poussé à interroger cette entreprise était
leur cabinet de conseil interne : les seniors valorisent leur expérience en exerçant des activités
de conseil dans le groupe. Or, d’après l’entretien, il s’agit toujours d’une logique
d’accompagnement du collaborateur « dans la construction de son projet professionnel »,
mais « c’est pas un outil, c’est pas une boite où on met des seniors pour faire du conseil en
interne». Le cas de cette entreprise reste néanmoins intéressant ; il révèle une autre façon de
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
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concevoir et de soutenir le parcours professionnel d’un collaborateur, une autre manière
d’entretenir l’employabilité des personnes en fin de carrière.
Les profils des entreprises interrogées sont présentés dans le tableau 8. La dernière
colonne du tableau mentionne les « logiques du processus d’acquisition et de transmission
des compétences » qui ont été abordés lors de l’entretien. Il s’agit d’une typologie à quatre
logiques définie dans une étude de l’Anact (2006, p30) comme étant en phase avec les
problématiques et les défis auxquels sont confrontées les entreprises23 :
-
Une logique d’intégration : accompagner l’adaptation des nouveaux aux situations
professionnelles ;
-
Une logique d’adaptation : adaptation des compétences des salariés aux évolutions de la
technologie ou du métier ;
-
Une logique de mobilité ou de parcours : accompagnement des parcours professionnels
par différentes mobilités (interne/externe, verticale/horizontale) ;
-
Une logique de transfert : transmission des compétences peu formalisées des
« expérimentés ».
23
Se rapporter aux monographies des annexes pour obtenir plus de détails sur le contexte stratégique des
mécanismes du MCI.
53
Tableau 8: Présentation des entreprises française et japonaises interrogées
Entreprise
CMC
Effectif et
structure
d’âge
439
Chiffres
d’affaires
1,3
milliard de
yen (2008)
métier
A cheval entre la soustraitance et le conseil
Organisation des activités
-
Amélioration des compétences
internes du client
Renforcement de la force de
vente
Satisfaction clients
Recherche et développement
Production
Ventes
Statut des interviewés
Logique de la
problématique
- PDG
- general manager
(marketing& communication
planning division)
intégration des
nouveaux.
- General manager (corporate
planning departement)
- Intégration
des nouveaux.
- Transfert.
- vice president (human
resources planning center)
- general manager (corporate
communications group &
planning)
- Intégration
des nouveaux.
- Transfert
NTN
5400 (total de
18960)
527 milliards
de yen (2009)
Constructeur mondial de
tous types de roulements à
billes et à rouleaux
YKK
19000 au
Japon (total
de 36 000
dans 70 pays)
613milliards
de yen (257
milliards de
yen pour le
fastening)
(2008)
Développement, production,
et vente de « produits
d’attache », de « produits
architecturaux »
Alstom
14 700 en
France (plus
de 80,000
salariés dans
70 pays)
18, 739
milliards
d’euros
(2008)
Infrastructures de production
d’électricité et de transport
ferroviaire : transport et
énergie
- Alstom Power
- Alstom Transport
- Alstom Power Service
Responsable KM center du
secteur Power dans l’Europe
du sud et l’Afrique de l’ouest)
- Intégration des
nouveaux.
- Transfert
- Adaptation
398 455
employés
répartis dans
75 pays.
103,6
milliards de
dollars (2008,
dans le
monde)
Services et technologies de
l'information.
IBM Global Services; Business
Consulting Services; Ventes et
distribution ;
Logiciels ; IBM
Systems Group ; Global
Financing ; Centres ibm.com ;
Partenaires commerciaux ;
Opérations commerciales
BM HR - Center for Learning
& Development
Career Development Lead Major Markets
- Adaptation.
- Transfert
DRH France du Groupe
- Mobilité ou de
parcours
- Intégration des
nouveaux.
IBM
X
- Fastening
- Architectural products
- Machinery & Engineering
- recherche et développement
Présentation des consultants et de leur cabinet
Entreprise NTN : Monsieur Matsuo
Cadre supérieur chez NTN, Monsieur Matsuo a été interrogé de part son expérience au
ministère de l’économie au Japon et à l’OCDE en France. Il a donc une certaine objectivité de
l’approche japonaise, avec une certaine connaissance de l’approche française.
Ses propos ont porté principalement sur l’approche traditionnelle de l’apprentissage
sous forme de compagnonnage dans les entreprises manufacturière au Japon, ainsi que sur la
capacité d’absorption des Japonais, de leur approche qui englobe l’environnement et ses
différents éléments sans les opposer.
Knowledge Dynamic Initiative (KDI; cabinet de conseil interne du groupe Fuji-Xerox):
Monsieur Nomura
Né en 1962 par la fusion entre l’entreprise japonaise Fuji Photo Film et l’entreprise
britannique Rank Xerox Limited, le groupe Fuji-Xerox est connu dans le champ du
management des connaissances pour leurs approches innovantes. L’entreprise, à l’origine
centrée sur la fabrication d’appareils d'émulsions photographiques et de matériel de back
office,
a évolué d’un « fournisseur de support documentaire » vers « un fournisseur de
connaissances » : elle se propose de « rendre les document plus intelligents ».
KDI est une structure interne à Fuji-Xerox créée en 2000, avec pour mission d’être
l’acteur clé de la création des connaissances afin que l’entreprise soit toujours en avance sur
ses concurrents. Il réalise des interventions en conseil et conduit des opérations de
benchmarking au Japon et à l’international ; il fait partie de la KMSJ.
Monsieur Nomura est senior manager dans le cabinet de conseil interne du groupe Fuji
Xerox. L’entretien a porté sur l’approche commune des japonais par rapport aux MCI, ainsi
que sur les nuances entre le concept de ba et de Cop.
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
Cabinet de conseil BFD : Monsieur Bernardon
BFD se présente comme une « société experte en transmission des savoir ». Elle offre
des conseils en management des connaissances, dans la transmission de savoir, en audit, ou en
formation.
En considérant une personne comme « seniors » à partir de 45 ans, le cabinet se
propose d’« exploiter le management des connaissances pour mettre en valeur la richesse des
seniors ». La méthode du cabinet consiste à extraire les connaissances tacites du métier par
des entretiens structurés, avant de les faire valider par les gens du métier. Les connaissances
sont alors formalisées, explicités et capitalisées. L’entretien avec monsieur Bernardon a
permis de mettre en exergue l’approche française du MCI.
Cabinet MCC mobilité : Madame Chbani
Madame Chbani dirige le cabinet MCC mobilité qu’elle a fondé en 2000.
Très investie dans « la gestion de la diversité à tous les âges » et dans la
« dynamisation de la deuxième partie de carrière », elle a aussi participé à une étude sur la
transmission des connaissances avec des entreprises du Val d’Oise.
Son approche globale du sujet a mis en avant trois cadre dans lequel s’incère les
problématiques du MCI, à savoir : la perspective stratégique de GPEC ; la question de
coopération entre les collaborateurs ; les enjeux liés au management des connaissances.
Tableau 9 : Présentation des consultants-chercheurs interrogés
Consultants
M. Matsuo
M. Nomura
Motif d’interview
Expérience à l’OCDE France et au
ministère de l’économie et de
l’industrie au Japon
Senior manager de KDI
Associate Professor, SIMOT, Tokyo
Instituete of Technology
Directeur de Projets, ÆBIS Inc.
M. Bernardon
Mme. Chbani
Directrice de MCC mobilité, experte
sur la coopération intergénérationnelle
et sur la diversité à tous les âges.
appartenance
Deputy Corporate General Manager
(Corporate Planning H.Q)
Knowledge Dynamics Initiative (KDI),
un think tank interne du groupe Fuji
Xerox pour que l’entreprise soit toujours
à la pointe du management des
connaissances
Cabinet de conseil BFD (groupe AEBis
France) qui intervient dans la
transmission des savoirs.
Cabinet de conseil MCC mobilité
56
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
2.2.2. A N AL Y S E
C O M P A RA TI V E F RA N C O - J A PO N AI S E
La problématique ancienne de MCI est ravivée, en France comme au Japon, suite aux
enjeux liés au départ à la retraite de la génération baby-boom. Cette génération qui a
développé l’économie d’après guerre, maîtrise le fonctionnement des systèmes et des
technologies dans leur fondement, puisqu’elle a suivi leur développement et leur
automatisation. Toutefois, les jeunes générations méconnaissent souvent le fonctionnement de
ces systèmes qu’elles ont connus directement sous leur forme automatisée d’aujourd’hui. Le
départ à la retraite des baby-boomers fait donc courir un risque à l’entreprise. Par ailleurs, leur
départ pose aussi la question de la continuité du leadership, car les postes importants sont
souvent occupés par ces baby-boomers. Toutefois, les problématiques liées au MCI ne sont
pas tout à fait les mêmes en France et au Japon.
En France, la question semble avant tout relever de la continuité des compétences,
dans le sens où il est nécessaire de combler la perte de compétences liée aux départs des
collaborateurs, quelle qu’en soit la raison. En fait, la question n’est donc pas vraiment en
rapport avec l’intergénérationnel, mais relève de l’employabilité des collaborateurs tout au
long de leur carrière, et de la compatibilité de leurs compétences avec l’évolution des besoins
de l’entreprise. L’enjeu porte donc sur l’identification et la formalisation des connaissances
clés pour que la compétence manquante soit rapidement complétée. Cela permet la prévision
des compétences nécessaires pour demain, ainsi que la formation du personnel qui en découle.
Les mêmes questions stratégiques se posent au Japon, mais en comportant une
dimension plus directement liée au MCI. En effet, dans le système japonais, la formation des
jeunes se fait traditionnellement par les générations précédentes ; mais le parcours
international de ces derniers et la surcharge du travail font que cette mission n’a pas été
correctement assurée pour les générations qui vont prendre le relais. Il y a donc un non
accomplissement de la transmission des connaissances qui incombait à cette génération. Le
départ des baby-boomers pose donc directement la problématique du MCI, au sens où il est
nécessaire de rattraper, et en urgence, une
transmission de connaissances qui n’a pas
véritablement eu lieu. L’enjeu du MCI porte ainsi sur la mise en place d’occasions de
transmission de connaissances, des seniors experts vers les jeunes inexpérimentés.
Malgré ces différences de problématiques et d’enjeux liés au MCI, les entreprises
françaises et japonaises semblent avoir une vision proche de ce que doit être un MCI : un
mécanisme organisationnel intégré dans les pratiques quotidiennes de l’entreprise. Cette
conception pourrait paraître évidente, mais dans le contexte de départs massifs à la retraite, le
57
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
MCI pourrait se résumer à une action ponctuelle et d’urgence visant à « extraire » les
connaissances des seniors avant qu’ils quittent l’entreprise.
« C’est vrai qu’il y a des problèmes avec les retraites. Mais en fait, la transmission des connaissances, elle doit
se faire avant, en s’assurant que les experts, avant de partir en retraite, soient déjà dans une logique de
transmission des connaissances. » « Je crois que la transmission des connaissances est quelque chose qui doit
arriver très tôt dans l’entreprise, et pas uniquement dans la dernière étape. » (Entretien IBM)
Certes, la transmission de connaissances techniques et précises nécessite des
interventions spécifiques et ponctuelles comme un stage de formation, mais l’idée est que le
MCI ne doit pas être un dispositif uniquement mis en place en fin de carrière ou lors des
changements de postes. La plupart des interviewés, français et japonais, ont souligné que le
MCI devait être une pratique ancrée dans la vie quotidienne, et ceci tout au long de la carrière
des collaborateurs. Ainsi, la formation continue de l’entreprise X, le mentoring d’IBM, la
transmission et l’acquisition des connaissances chez Alstom doivent faire partie du paysage
culturel de l’entreprise.
Une petite parenthèse sur la place des « générations », avant d’entamer l’analyse du
MCI. Le rôle des seniors expérimentés est très important, aussi bien dans l’identification des
connaissances que dans leur formalisation et capitalisation. Ce sont également eux qui vont
les transmettre aux autres. Mais si les seniors jouent un rôle crucial dans la transmission des
connaissances, ce n’est pas leur âge mais leurs expériences qui comptent. L’âge et
l’expérience sont des notions fortement corrélées: l’expertise ou la variété de l’expérience
augmente souvent avec l’âge. Les connaissances sur l’organisation, sur les processus et sur
son fonctionnement s’enrichissent, et les réseaux informels se développent.
Au Japon, de par le système de promotion à l’ancienneté et de l’emploi à vie, les plus
âgés ont en général plus d’expériences spécifiques et plus de connaissances sur l’organisation.
La rotation du personnel dans les différents services et entreprises contribue également à ce
que les seniors aient une vision plus large de l’organisation. Dans le système traditionnel, la
transmission de connaissances se fait donc de l’aîné au jeune entrant.
De plus, nous avons vu qu’aujourd’hui, les experts affectés à la transmission des
connaissances sont, dans la plupart des cas, des seniors qui ont renouvelé leur contrat après
l’âge de départ à la retraite. Ils travaillent ainsi à temps partiel, et avec un moindre salaire, à
former les jeunes de l’entreprise.
Nous l’avons également vu en France, la règle générale était traditionnellement
l’emploi à vie et la promotion à l’ancienneté, d’où la richesse des connaissances des seniors
58
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
sur l’entreprise. Mais la différence avec le Japon vient de la définition du poste de travail et de
sa spécialisation. Il est plutôt rare qu’un collaborateur spécialisé change de métier 24 . Un
collaborateur plus âgé du service A peut alors ne pas posséder les connaissances d’un jeune
du service B. La mobilité croissante du personnel et les fusions-acquisitions augmentent aussi
ce phénomène. Ainsi chez Alstom, les transmetteurs sont souvent des experts avec une
certaine ancienneté, mais les apprenants peuvent être des personnes d’âge moyen en mobilité
professionnelle.
De même chez IBM, potentiellement tous les collaborateurs peuvent se proposer
comme mentor sous certains critères. Ainsi, dans le cas d’une acquisition d’entreprise, il
arrive qu’un jeune collaborateur d’IBM soit le mentor d’un nouvel entrant plus âgé que lui.
C’est également le cas pour les domaines spécifiques et en évolution technologique
permanente. Ce n’est donc pas tant l’âge que les expériences pour les connaissances
spécifiques, et l’ancienneté pour les connaissances organisationnelles, qui font que les seniors
sont importants dans le processus du MCI. Nous pouvons voir ici la répercussion des facteurs
contextuels dans les caractéristiques du MCI.
Pour les acteurs individuels, la participation à ce partage est, en France, un moyen de
progresser dans la carrière, en acquérant à la fois des compétences et des connaissances
relatives aux différentes possibilités de promotions.
En accédant à la base de données ou au programme de skill mentoring, les
collaborateurs d’IBM cherchent à acquérir une connaissance pour la réalisation d’une tâche,
d’un projet ou d’une activité en particulier. A travers le cross cultural mentoring, ils
cherchent à comprendre comment fonctionnent les gens d’une autre culture, comment il
faudrait se comporter pour que le contact se passe bien… bref, l’objectif est la performance
du travail ; un collaborateur IBM fait appel à un mentor cross cultural pour connaître la clé de
réussite de son projet international.
Mais, au-delà de la performance du travail, l’acquisition de connaissances semble être
motivée par la promotion professionnelle de l’acteur individuel. Ainsi, les collaborateurs de
l’entreprise X ont recours à leur université interne pour progresser dans leur carrière.
Effectivement, c’est en acquérant des compétences qu’ils pourront atteindre le service ou
métier qu’ils visent. De même, parmi les programmes mentoring d’IBM, le carrier mentoring
24
Les passerelles entre les métiers se font de plus en plus fréquentes, comme nous le verrons plus loin avec
l’exemple de l’entreprise X.
59
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
et le seed mentoring sont très demandés. Dans le premier, le mentee peu expérimenté cherche
à savoir comment progresser dans sa carrière, le parcours qu’il pourrait faire ou qu’il devrait
faire pour arriver à son objectif. Le second mentoring relève du même principe, mais se
déroule dans une cession de groupe en table ronde. Les huit à dix non-experts posent toutes
sortes de questions à l’expert de leur table : comment êtes-vous en arrivé là ? Quels conseils
pouvez-vous nous donner ? Quelles sont les choses à faire ou à ne pas faire ? Quels sont vos
bons souvenirs ? Au bout d’environ un quart d’heure, les experts changent de table ; les
participants peuvent obtenir ainsi une large gamme d’informations relatives au travail de
l’expert. L’acquisition des connaissances est donc, quel que soit le domaine concerné,
encouragée par une motivation de réussite personnelle.
Au Japon, le partage de connaissances est une nécessité pour la réalisation du travail.
Nous avons vu que la faible délimitation des postes et du partage des tâches faisaient que pour
faire un travail, les collaborateurs devaient travailler ensemble, en s’échangeant des
connaissances entre eux. Le principal objectif du MCI est donc la performance du travail ; le
jeune inexpérimenté doit consulter un collaborateur plus expérimenté pour pouvoir faire
correctement sa tâche. L’acquisition des compétences et des qualifications conduit aussi à la
promotion de l’individu, surtout dans des domaines de techniques spécifiques. Mais, dans un
travail collectif, il n’est ni aisé ni d’usage de mesurer la contribution de chacun. La promotion
dépendant en grande partie de l’ancienneté, l’acquisition des connaissances est avant tout une
question de performance d’un travail collectif et collaboratif.
Les différences d’objectifs du « management des connaissances » sont donc
vérifiées dans le MCI. En France, ce dernier vise l’exploitation d’une connaissance par sa
capitalisation et son partage, dans l’objectif d’en faire bénéficier à un grand nombre
d’individus. Le management des connaissances vise ainsi à économiser le coût, le temps et
l’énergie nécessaire pour qu’un individu acquière une connaissance qui existe déjà, ou en la
trouvant ou en la réinventant. Compte tenu de leur problématique qui consiste à « rattraper la
transmission qui n’a pas eu lieu dans un temps limité», le MCI japonais vise aussi l’efficacité
de la transmission. Mais, le management (de la création) de connaissances japonais s’est
développé en opposition au knowledge management américain fortement orienté, du moins en
son début, sur le partage par les TIC des connaissances déjà existantes. Le MCI japonais a
60
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
donc pour objectif de recréer des occasions d’interaction entre les seniors transmetteurs et les
apprenants inexpérimentés.
Le type et la nature des connaissances partagées sont très divers en France comme au
Japon, selon les métiers et les fonctions, et ceci à l’intérieur d’une même entreprise. Nous
avons déjà vu qu’elles pouvaient aussi bien toucher à des savoir-faire spécifiques qu’aux
processus organisationnels, à l’accès à des réseaux comme au mode de fonctionnement de
l’environnement qu’est l’entreprise.
Il est aussi à noter qu’en France, ces connaissances autres que techniques font
directement l’objet de transmission organisée. C’est le cas du carrier mentoring d’IBM, ou du
« cahier d’expérience » d’Alstom. Dans ce cahier, l’expert d’Alstom décrit le poste,
l’ensemble des missions et « tout les tenants et aboutissants » du poste. Parmi ces
connaissances formalisées, il y a celles relatives au réseau, et aux personnes détentrices
d’informations précises. L’interviewée d’Alstom souligne en effet que les connaissances
relatives à la gestion du réseau et le savoir-évoluer dans l’environnement sont aussi
importantes que les savoirs théoriques. La valeur des connaissances non techniques est donc
reconnue et mise en avant dans le MCI français, tandis qu’au Japon, il semblerait que ces
connaissances, disons, de localisation, ne soient pas vraiment distinguées. Au contraire,
l’interviewé de YKK juge qu’il serait anormal que l’on doive connaître des personnes clés
pour pouvoir obtenir des informations et faire son travail. Nous pensons qu’il s’agit là d’une
manifestation de la faible spécialisation et de l’organisation locale du travail en ba.
Dans le management des connaissances japonais, nous avons vu que ce sont
essentiellement les connaissances tacites, difficilement formalisables qui font l’objet de
partage. D’après Nomura (entretien), ce serait aussi le cas pour le MCI : « c’est à la
transmission de connaissances tacites que les Japonais s’attachent dans la transmission
intergénérationnelle des connaissances ; vous savez, ces connaissances qu’on ne peut pas
bien exprimer mais qui font la différence » (Nomura). En effet, la transmission des
connaissances explicites, peut-être trop évidente, a à peine été abordée dans les entretiens
menés dans les trois entreprises japonaises. Les Japonais ont aussi recours aux bases de
données informatisées, mais ce genre de « partage d’information » via les TIC n’a presque pas
été abordé par les entreprises dans les entretiens. Par contre, les interviewés faisaient tous
référence à un ensemble de connaissances tacites, ou plutôt, à la compétence de savoir
mobiliser cet ensemble de connaissances tacites dans une situation donnée, pour une prise de
61
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
décision ou la résolution d’un problème. L’apprentissage ne peut donc se faire que par
expérience.
« Les firmes japonaises ont un principe basé sur l’expérience, et elle ne font pas confiance au discours
sans expérience. La connaissance, c’est l’expérience. D’où l’idée qu’on ne peut recevoir l’expérience d’une autre
personne. C’est pour cela qu’il faut faire faire l’expérience. Il y a une forte croyance selon laquelle on enseigne
au moment de l’expérience. » (Entretien Nomura, KDI)
Ainsi, le manager de la section projet de CMC énumère les trois compétences
suivantes comme étant fondamentales : savoir juger, savoir apprendre, et savoir faire évoluer
les choses. Cette vision de connaissances et de MCI ne concerne pas (uniquement) le
management en situation d’incertitude. Au contraire, il a été le plus évoqué dans le cadre de
l’industrie manufacturière. Contrairement à l’image technique et taylorienne qui pourrait être
associée à cette industrie phare du Japon, les Japonais la considèrent presque comme de
l’artisanat, comme de la confection collective d’un objet avec soin25. Loin de formater des
ouvriers exécutants, le but du MCI est donc de former un personnel qui sache s’impliquer
avec rigueur et réagir dans des situations imprévues.
Les trois entretiens menés avec les entreprises japonaises (CMC, NTN, YKK) font
alors ressortir que le plus important dans l’acquisition d’une connaissance est l’adoption d’un
état d’esprit du métier. Dans le cas de l’industrie manufacturière, l’acteur doit être très
sérieux et rigoureux dans son travail, il doit toujours chercher la perfection et l’amélioration
continue. Et c’est lorsqu’il aura mobilisé et reconstitué l’ensemble de ses connaissances
techniques selon la norme du métier que l’acteur sera enfin considéré comme « compétent ».
« Dans les usines de fabrication japonaises on insiste vraiment sur le sérieux. Les lieux de fabrication
japonais ont besoin de ces gens sérieux, des gens démesurément sérieux qui se donnent entièrement pour
réaliser, non seulement ce qu’ils ont à faire, mais toujours encore plus. Il faut éduquer des gens comme ça, des
gens qui en font toujours plus. » (Entretien NTN)
Le MCI ne peut donc être une « transposition » de connaissances d’un senior à un
jeune, comme s’il s’agissait d’une information, car la véritable compétence relève de
l’individu apprenant, de sa motivation et de son état d’esprit (NTN, YKK). En revanche, le
MCI fournit un cadre d’apprentissage. Ce cadre d’apprentissage, c’est un état d’esprit du
métier, une culture de la communauté ou de l’entreprise.
25
ものづくり
Le terme « fabrication/confection d’objet » (mono-zukuri,
) est couramment utilisé pour désigner
l’ensemble de ces industries phare du Japon : électroménager, automobile. On oppose souvent ces biens dits
« intégral » des biens dits «modulaire » représentés par l’ordinateur.
62
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
« De toute façon, ce genre de truc comme les connaissances et les informations, elles ne se partagent
pas dans leur partie fondamentale [...] Ca, c’est une façon de penser, la manière individuelle de penser.
L’interprétation d’une information, c’est la force de l’individu, et là, il ne s’agit pas de partage. C’est de
l’éducation. C’est montrer la vie, c’est montrer la façon de vivre.» (Entretien NTN).
Les entreprises japonaises parlent ainsi d’ « éducation » en désignant la formation des
jeunes diplômés. Il s’agit d’éduquer le personnel, de leur inculquer une façon d’aborder le
travail, leur apprendre à adopter un certain état d’esprit. Le MCI est donc parallèle à
l’intégration des jeunes dans leur milieu de travail, et la transmission doit se faire sur le
« terrain ».
Par exemple chez CMC, l’utilisation de la base de données informatique
s’accompagne toujours d’une réunion de travail par service. Selon le PDG, une information
peut être interprétée d’autant de façons qu’il y a d’individus.
Cette réunion est donc
nécessaire pour s’assurer de l’uniformité du sens qui en est donné.
Le nouvel entrant doit se socialiser et s’accoutumer aux façons de procéder et
d’interpréter les choses dans ce milieu. C’est l’ajustement de la vision par interaction humaine
du ba. Les entretiens révèlent aussi que les firmes japonaises investissent plus dans
l’intégration des jeunes dans la communauté du lieu de travail, tandis que les firmes
françaises favorisent davantage la création d’un nouveau réseau entre les jeunes. Ainsi dans
l’entreprise X, les nouveaux entrants sont accueillis par un événement d’intégration, trois
journées durant lesquelles les nouveaux découvrent les métiers de leur entreprise, mais aussi
et surtout où ils vont développer un réseau de connaissances. De même chez IBM, un des
programmes de mentoring qu’est la socialization mentoring vise la « connexion » entre les
jeunes, pour le début de la création d’un réseau.
Au niveau corporate de l’entreprise, cette intégration implique donc l’intériorisation de
la culture d’entreprise. En effet, nous avons vu que la majorité des entreprises japonaises
communiquent sur ce qu’elle appelle la « mission managériale» de l’entreprise (keiei-rinen,
経営理念).
Ainsi, les entreprises CMC et YKK ont abordé le sujet de la transmission et du partage
de la « mission de l’entreprise » dans notre entretien sur le MCI. En effet, YKK a une série de
mesures pour discuter, diffuser et faire intégrer ce qu’ils appellent la « philosophie » et les
« pensées » du fondateur qui structurent « les valeurs fondamentales de l’entreprise ». De
même, le PDG actuel de CMC a résumé « les points importants de CMC », la « façon d’être »
de l’entreprise et son « ADN » dans un livret dit « CMC way » lorsqu’il a pris le relais de son
prédécesseur ; il voulait faire le point sur les valeurs d’origine de l’entreprise.
63
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
L’interdépendance entre 1) l’intégration des nouveaux entrants dans leur ba, 2) leur
apprentissage et 3) leur adhésion à la culture de la communauté est caractérisée par les
propriétés des communautés de pratiques et du ba. Le fait que la culture d’entreprise fasse
elle-même directement l’objet de transmission renforce l’idée d’un management de
connaissances (intergénérationnel) basée sur le ba.
En général, le partage de connaissances techniques et spécifiques se fait dans une
relation directe et de long terme sur le terrain. Il s’agit des formations ou des stages avec un
objectif d’acquisition de savoir-faire précis. En France comme au Japon, la transmission sur le
terrain peut se dérouler sur une période plus ou moins longue allant de quelques mois
(formation formelle) à plusieurs années (apprentissage sur le tas, plus ou moins informel).
Au Japon, c’est toujours le traditionnel apprentissage sur le tas qui est la forme
dominante de transmission de connaissances26 : une forme de compagnonnage traditionnel.
Dans la majorité des entreprises japonaises, les nouveaux entrants sont mis en relation avec
un autre collaborateur qui a quelques années d’expérience de plus. Chez CMC, la taille encore
moyenne de l’entreprise leur permet de coupler systématiquement un jeune avec un plus âgé.
Ce dernier n’est pas nécessairement un expert, mais le plus souvent un jeune qui commence à
maitriser son travail au bout de cinq à six ans d’expérience. Le fait de se voir confier un jeune
à « éduquer » l’oblige alors à objectiver et formaliser ses connaissances : c’est la méthode
d’apprendre en enseignant.
Le terme « éduquer » - kyôiku,
教育- qui est la traduction littéraire du mot « former »
peut paraitre étrange, mais il fait bien ressortir la relation paternelle du transmetteur avec
l’apprenant. Le transmetteur « éduque » le jeune apprenant au travers du travail quotidien, en
lui montrant non seulement les savoir-faire du métier, mais aussi l’état d’esprit qu’il faut
avoir.
Traditionnellement, le transmetteur ne formule pas explicitement les connaissances,
mais c’est à l’apprenant de les « sentir » par observation, de les acquérir par imitation à
travers essais et erreurs. Cette transmission de connaissances comme éducation ne se limite
pas à l’opérationnel, mais se retrouve aussi dans les activités fonctionnelles (administratives
et managériales). Ainsi, l’interviewé de NTN explique que lorsqu’il détecte un haut potentiel
qu’il veut former, il le fait suivre partout où il va :
26
La part de l’investissement en formation du Japon est d’ailleurs très faible sur le plan international.
64
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
« Je le prends à mes côtés et je lui montre entièrement la façon dont je travaille. S’il y a une réunion de
négociation, je l’assois dans la salle pour qu’il prenne des notes, sans qu’il dise quoique ce soit […] Si on veut
vraiment éduquer en profondeur, il faut faire ce genre de choses côte à côte, sinon on ne peut pas
comprendre. » (Entretien NTN)
L’apprentissage peut se faire ainsi sans action, par le fait-même d’être présent sur le
terrain, « dans le ba ». Les expressions « apprenez en volant la technique » « apprenez en
regardant nos dos » sont des expressions-types souvent entendues dans ces milieux
d’apprentissage. Par contre, selon les interviewés (YKK, NTN), les tuteurs savent donner des
conseils pour les guider, au moment « pertinent » où l’apprenant est dans une impasse : il sait
utiliser les mots qu’il faut, guider l’apprenant pour le faire progresser. Il s’agit donc d’une
quasi « auto-formation » (Apec, 2008), c'est-à-dire un apprentissage par ses propres moyens
qui se déroule sur le terrain.
Le succès du mode d’apprentissage repose en grande partie sur la personnalité de
l’apprenant : sa curiosité, sa motivation, son envie de progresser…etc. Les compétences du
tuteur à guider le jeune, sa capacité pédagogique et psychologique sont aussi déterminantes.
C’est d’ailleurs cette dépendance aux caractéristiques personnelles du MCI qui « coûte »
aujourd’hui au Japon : la diminution en nombre et en qualité de ces experts « bras de fer » qui
« éduquent » les jeunes et des jeunes qui sont prêts à les suivre, entrave directement ce mode
de fonctionnement. Cette modalité traditionnelle de transmission de connaissances peut
paraitre démodée, peu efficace, ou tout simplement peu organisée, comparativement à
certaines méthodes françaises qui seront présentées plus loin.
Mais tout ce temps et ces efforts fournis à l’apprentissage de connaissances dont
certaines auraient peut-être pu être formalisées ne sont pas complètement inutiles. Car s’il est
évident qu’un certain effort d’explicitation et de standardisation pourrait être fait dans le MCI
japonais, une forte croyance existe quant à la nécessité de ces essais et erreurs pour
l’intériorisation des connaissances. Nous avons déjà mentionné l’indissociabilité de
l’expérience de la connaissance, dans le management japonais (voir premier chapitre). Dans
l’entretien, l’interviewé d’YKK souligne à plusieurs reprises l’importance que cette
expérience comporte une dimension « émotive » :
« Mais comme je l’ai dit tout à l’heure, les techniques et les compétences techniques, ce sont des
choses qui sont difficilement transmissibles. J’ai utilisé tout à l’heure l’expression « faire une expérience qui
implique une émotion », même si on explique en disant ça c’est comme ça, ça se fait comme-ci et comme-ça,
en fait, on ne l’assimile presque pas. Je pense que c’est quelque chose qui s’acquiert comme quand on a une
petite étincelle qu’on obtient après avoir réfléchit soit même, en se tourmentant l’esprit, ou bien un résultat
qu’on a obtenu après beaucoup d’efforts et de souffrance. » (Entretien YKK)
65
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
Selon l’interviewé de NTN, c’est aussi dans le travail collaboratif avec les collègues,
dans l’accomplissement d’une œuvre collective que le vrai partage et intériorisation des
connaissances devient possible.
Ce MCI par le ba est aussi l’approche utilisée dans la transmission de la mission
d’entreprise abordée plus haut. Ainsi, pour marquer les 100 ans de l’anniversaire du
fondateur, l’entreprise YKK a réalisé un « forum 40 milles collaborateurs ». Ce forum
consistait à visualiser, le jour de l’anniversaire du fondateur, un DVD relatant les principes
managériaux et l’histoire de l’entreprise dans toutes les filiales du monde. L’objectif de cette
opération était de se rappeler les fondements de l’idéologie YKK, de s’unir tous autour du
message du fondateur. Cette expérience est bien le partage d’un ba virtuel et de mémoire, un
ba traversant différentes époques, différentes générations et différentes cultures. De nombreux
autres ba sont organisés pour ajuster la connaissance de chacun sur la « mission de
l’entreprise », pour l’intérioriser comme culture d’entreprise à travers une expérience émotive
commune, ou encore, pour en créer et faire évoluer la culture par interaction dans ce ba. Par
exemple, des réunions « en ronde autour du PDG » sont organisées dans l’objectif de débattre
sur l’ « esprit YKK » et sur sa « mission ». Ces réunions ont lieu à l’occasion du déplacement
du PDG, avec les collaborateurs du site que visite le PDG. Il s’agit de la mise en place d’un
ba physique et ponctuel dans lequel les acteurs ajustent et harmonisent leur compréhension de
la raison d’être et la façon d’être de l’entreprise, ainsi que leur rôle au sein de cette
communauté. Par ce débat interactif du ba, naissent alors de nouveaux consensus, de
nouvelles interprétations de la mission de l’entreprise qui donc, se trouve renouvelée. Un
dernier exemple, la soirée de rencontre avec l’association des anciens d’YKK. Avec une
fréquence d’environ quatre fois par an, les collaborateurs actifs de l’entreprise participent à
une soirée de cette association pour discuter et connaître l’histoire de leur entreprise. Les
participants au nombre d’une vingtaine, sont désignés par le management en fonction de leur
tranche d’âge. L’objectif est que tous les collaborateurs y participent au moins une fois. Dans
cette soirée, les collaborateurs actifs écoutent l’expérience et les anecdotes des anciens,
regardent des vidéos de l’époque et discutent avec eux.
Selon l’interviewé, le fait d’écouter directement l’expérience concrète des anciens
facilite la compréhension de la mission et de la culture de l’entreprise, par un sentiment de
connivence, d’une fraternité, bref, du développement d’une « sympathie » caractéristique du
ba et de l’identité du « supra-soi ».
« Là, il y a une émotion. Et c’est pour cela que la compréhension se renforce. » (Entretien YKK)
66
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
Toutefois, avec la déformation de la pyramide des âges et le manque de temps dans le
travail quotidien, cet apprentissage traditionnel devient de plus en plus difficile. Il ne permet
pas non plus de faire face au besoin urgent de la transmission de connaissances avant le départ
à la retraite des experts baby-boomers. Les mécanismes récents du MCI s’orientent alors dans
deux directions. Premièrement, vers la formation, toujours dans des conditions de travail,
mais non plus « sur le tas » car organisée dans un espace-temps délimité et conçu pour
l’apprentissage. Les trois entreprises japonaises interrogées disent ainsi préparer
volontairement des occasions d’apprentissage (« constituer des ba d’apprentissage dédiés à la
transmission de connaissances spécifiques», entretien YKK). La deuxième tendance est la
formalisation de connaissances clés à maîtriser pour le succès du travail. Il s’agit d’une
explicitation de certaines connaissances tacites par des experts, dans le but de faciliter leur
acquisition.
Le premier cas de la mise en place d’un espace dédié à l’apprentissage peut être
illustré par le cas de NTN. Dans cette entreprise, un système de meister est mis en place
depuis 2005. Après identification des métiers stratégiques qui utilisent les compétences
techniques spécifiques comme le « polissage » ou la « sécurité des machines », les détenteurs
de ces compétences sont identifiés comme meister. Reconnu officiellement comme possédant
un riche savoir-faire dans des techniques pointues de haute qualité par le « comité
d’accréditation des meister », ces experts jouent un rôle fondamental dans la transmission des
connaissances. En juin 2009, le nombre d’experts gratifiés en meisters est de onze, avec
également des junior meisters. Les usines présentant de nombreux meisters mettent en place
un « Dôjyô27 de compétences techniques », un espace spécialement dédié à l’entrainement et
l’apprentissage de ces techniques. La transmission de connaissances spécifiques se fait donc
dans un espace-temps créé sur le lieu de travail.
Parallèlement à ces lieux spécifiques, chaque usine de NTN possède un « espace
d’expérience de dangerosité» : grâce à une machine de simulation, le personnel peut faire
l’expérience d’une chute ou de frappes de projectiles, de la sensation de se faire coincer ou
entraîner par une machine. Le but est de sensibiliser le personnel aux multiples dangers de
leur environnement et de leur apprendre à les contourner. Ces notions fondamentales de
sécurité ne peuvent être exclusivement enseignées en salle ; le personnel doit les
27
Le mot Dôjyô, aujourd'hui répendu en France pour désigner les salles d'entrainement du Budô (arts martiaux
japonais), signifie littéralement le lieu d'étude, d'entrainement et de recherche de la « voie ».
67
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
« comprendre avec son corps ». Ces exemples d’espaces dédiés à l’apprentissage
correspondent à la création de ba : un espace-temps, en l’occurrence organisé
intentionnellement, dans lequel les apprenants participent temporairement pour acquérir des
connaissances spécifiques et techniques, toujours dans un contexte de lieu de travail, et en
interaction avec les transmetteurs experts.
Le deuxième cas d’explicitation des connaissances clés est exposé par la « CRP Map »
(Customer Relationship Process Map) de CMC. Cette CRP Map est une sorte de carte de
compétences qui explicite les phases et les activités d’une mission d’intervention auprès du
client. Elle a été conçue pour que les jeunes recrutés apprennent le métier de manière plus
efficace, par une meilleure compréhension de l’attente des clients. Formalisé par des
collaborateurs expérimentés, ces connaissances à maîtriser sont classées en six processus
composés d’un total de 157 sous-rubriques. Les jeunes diplômés cochent les cases lorsqu’ils
considèrent maitriser ces connaissances ou savoir répondre aux exigences indiquées. Selon
l’interviewé, dix années sont nécessaires pour parvenir à cocher toutes les cases, et c’est au
bout d’à peu près cinq ans que le collaborateur sera relativement autonome.
Ce CRP Map est donc l’aboutissement des connaissances acquises à travers la
participation à des ba co-construits avec les clients. Mais une fois formalisée, cette liste peut
s’apparenter à une simple standardisation des procédés de travail ou de résultats à atteindre.
Or, en examinant chaque rubrique de près et en prenant compte de l’utilisation qui en est faite,
il se révèle qu’elle est avant tout un outil d’incitation à la participation au ba : chaque
rubrique est une sensibilisation des acteurs à partager le point de vue du client et leurs
connaissances, plus que des indications précises sur le comment faire. Cette liste encourage
donc les apprenants à un certain état d’esprit, afin que les interactions avec les clients
constituent un ba, une plate-forme de création de connaissances. L’apprenant aura acquis les
connaissances clés lorsqu’il sera capable de desceller les « signaux faibles » (Fayard, 2006)
émis par les clients, apporter, ajuster et combiner ses propres connaissances dans ce ba pour
en créer de nouvelles. Les connaissances explicitées et formalisées ne sont donc qu’un
support ; elles ne sont pas l’objet direct de la transmission, mais un guide pour savoir
participer et interagir dans le ba con-construit avec le client.
En France aussi, l’apprentissage informel dans le travail quotidien est très
important, voire le plus important dans l’acquisition des connaissances, mais il semble être
négligé dans la réflexion des entreprises ainsi que des collaborateurs eux-mêmes (Apec,
68
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
2008). En revanche, la formation formelle encouragée par la législation française y est
beaucoup plus importante qu’au Japon, comme nous l’avons signalé dans le premier chapitre.
L’interviewée d’Alstom souligne d’ailleurs l’influence qu’ont eu ces lois de la formation
professionnelle obligatoire sur leurs pratiques quotidiennes : la formation continue fait
désormais partie de la culture d’entreprise. Le cas de l’entreprise X est exemplaire sur ce
point : une large gamme de formation est offerte aux collaborateurs, avec de nombreuses
passerelles établies entre les métiers qui permettent une mobilité professionnelle. L’université
interne de l’entreprise X joue donc un rôle central dans le pilotage des compétences internes,
mais aussi dans le développement de l’employabilité des collaborateurs à tout âge ainsi que
dans l’accompagnement de leur parcours professionnel.
La formation formelle est donc toujours et de plus en plus présente dans les entreprises
françaises, mais le rôle du partage informel des connaissances semble prendre aussi de
l’ampleur. En effet, ce dernier présente l’avantage d’être plus flexible et adaptable aux
situations du métier et des personnes. Lorsqu’elle se réalise dans le déroulement du travail
quotidien (OJT), elle présente également un avantage de faible coût (entretien IBM).
Toutefois, si l’apprentissage « sur le tas » est une méthode vieille comme le monde, la
différence est qu’aujourd’hui, elle est de plus en plus intentionnelle et organisée.
Nous avons vu, par exemple, que la démarche de transmission de connaissances est
extrêmement bien organisée et rationnalisée chez Alstom. Leur approche est dotée d’une
cohérence stratégique et opérationnelle, renforcée par le pilotage qu’assure le contrôle. En ce
qui concerne précisément le mécanisme de transmission, la technique du « cahier
d’expérience », déjà abordée plus haut, correspond à la transmission informelle mais
organisée des connaissances. En effet, ce cahier a de nombreuses fonctions qui guident les
acteurs dans la transmission. Tout d’abord, la rédaction du cahier force l’expert à expliciter
ses connaissances. L’écrit facilite aussi la prise de relève en cas de changement de
transmetteur. Mais une fois le cahier rédigé, c’est ensuite à l’apprenant de noter tout ce qu’il
apprend au fur et à mesure de chaque mission, y compris sur le réseau et les personnes qu’il a
rencontrées. La présence du cahier permet donc de rendre l’apprenant réceptif à différentes
sources de connaissances qu’il aurait pu négliger. De plus, la relecture du cahier par l’expert
permet de rectifier les éventuelles erreurs ou omission de l’apprenant, et s’assurer ainsi de la
bonne réception du message. La technique du cahier est donc un véritable support à la
transmission des connaissances, un outil d’intermédiation qui guide l’interaction entre le
transmetteur et le récepteur. Tout en gardant la richesse de la formation informelle (et de
69
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
l’auto-formation) sur le terrain, ce cahier d’expérience structure la transmission des
connaissances.
Chez IBM, la transmission de connaissances passe aujourd’hui principalement par le
programme de mentoring plutôt que par la formation formelle. Le programme de mentoring
est accessible à tous les collaborateurs IBM du monde via l’intranet. Sur l’intranet, un
matching tool guide le collaborateur dans l’utilisation du programme et dans la recherche du
mentor idéal, en clarifiant également le droit et les devoirs du mentor et du mentee. Une fois
les parties mises en relation, un contrat de mentoring (mentoring agreement) est conclu pour
préciser les principaux éléments de cette transmission de connaissances : la durée, l’objet, le
mode de fonctionnement au quotidien, etc. Le programme de mentoring organise donc la
rencontre du mentor et du mentee, il leur fournit des aides pour la réussite de l’opération et
fixe les grandes règles du jeu : « L’intranet est vraiment le point d’accueil, le point d’entrée »
(entretien IBM). En revanche, ce programme ne dirige ni contrôle en aucun cas la
transmission des connaissances en soi ; la détermination des modalités de transfert est faite
par les parties. L’objet de la transmission, le support et la fréquence de l’interaction entre le
mentor et le mentee dépendent donc entièrement des parties. Certains ne cherchent que des
informations qui peuvent être communiquées par mail, d’autres, si leur localisation
géographique le leur permet, auront une relation plus approfondie autour d’un repas. Selon la
connaissance recherchée, selon la personnalité ou la disponibilité de l’un ou de l’autre, la
transmission s’organise au cas par cas.
« Après, voilà, c’est comme si on vous affectait un professeur, après c’est à vous de fonctionner avec
lui,… ce qui est important c’est que l’échange des connaissances soit basé sur un objectif ; quelles sont les
connaissances que l’on veut transmettre, quel est le mode de fonctionnement que l’on veut adopter….. Certains
vont demander beaucoup de rigueur, certains vont demander une communication téléphonique tous les quinze
jours, pour d’autres ce sera simplement des notes, des mails, cela dépend du domaine à couvrir, cela dépend de
l’objectif… »(Entretien IBM).
Le programme mentoring via l’intranet est donc un outil puissant qui facilite la
sélection du mentor et établit une base à la transmission des connaissances. Il organise et
occasionne la transmission de connaissances qui est, quant à elle, informelle et au cas par cas.
Ce programme permet ainsi la dynamisation et un certain suivi28 de la transmission, tout en
préservant la richesse et la flexibilité d’une relation individualisée.
En France comme au Japon, la transmission informelle des connaissances est donc
occasionnée et guidée. Elle n’est plus laissée complètement au hasard ni au dépend total de la
28
Une évaluation est établie par le menti sur l’efficacité du contrat, faute de laquelle le mentoring prendra fin.
70
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
personnalité. Les bases de fonctionnement sont établies, et la transmission est suivie, dans
certains cas mesurée. Il semblerait que le management des connaissances rende ainsi de plus
en plus flou la distinction entre le formel et l’informel, que l’interaction humaine prenne le
dessus des systèmes. Cela ne veut pas dire que la structure organisationnelle passe au second
plan, qu’il faille laisser libre cours à l’organisation émergente des interactions humaines. Au
contraire, le rôle du MCI est de plus en plus dans l’organisation de l’environnement, dans la
mise en place des conditions favorables à la transmission et à la création de connaissance.
Ceci nous rappelle le management des connaissances par le ba, l’approche japonaise dont
l’objectif est de créer des conditions favorables à l’interaction humaine. Il semble donc qu'il y
ait bien aussi une part de management par le ba dans le MCI français. Cependant en France,
l’objectif principal reste cependant l’efficacité et l’effectivité de la transmission : faire mieux
en moins de temps. Ce discours rejoint celui de M. Bernardon (cabinet de conseil BFD) cité
dans le premier chapitre sur l’approche japonaise du management des connaissances.
« la clé de notre métier c’est la rapidité ; ce qu’on cherche à faire en pédagogie, on sait que de toute
façon les gens apprendront, le problème est, est-ce qu’ils apprennent bien et le plus vite possible ? Et c’est bien
plus efficace que simplement en mettant la personne… je dirais qu’on doit raccourcir au maximum les délais
d’apprentissage, c’est ça le vrai défi » (Entretien Alstom)
Mais en même temps, si tout en parfaitement prévu, organisé et que l’apprenant n’a
plus de difficulté à acquérir des connaissances, il n’y a plus de défi car « la difficulté fait
aussi partie de ce qui motive l’esprit humain, donc il faut arriver à trouver le bon dosage
entre quelque chose qui facilite mais qui ne soit pas du terrain plat » (entretien Alstom).
L’erreur qui est une grande source d’apprentissage ne doit par donc être complètement écartée,
elle doit être acceptable. Cette remarque rappelle le besoin d'une « émotion » évoqué par les
interviewés japonais; une émotion qui est nécessaire pour intérioriser les nouvelles
connaissances. Les approches française et la japonaise se rejoignent donc dans ce MCI plus
ou moins formel, contextualisé et basé sur l’interaction humaine. La mise en œuvre d'un tel
MCI se traduit par l'organisation de l'environnement, c'est à dire le management du ba.
Qui dit interactions sociales dit communication et volonté d’interagir. Comme il l’a été
annoncé au début, le MCI est avant tout question de culture (Alstom, Bernardon, IBM, NTN,
YKK, CMC) : les acteurs doivent avoir un esprit de partage, avoir le réflexe de transmettre
ses connaissances et de recourir à l’expérience des autres, directement ou via une base de
données. L’interviewé d’Alstom parle ainsi de « philosophie de la maison »
autour du
partage, celui d’IBM de « culture ouverte » pour prendre contact avec les quatre coins du
71
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
monde, celui de YKK, en parlant de la transmission de connaissance, de « raison d’être du
collaborateur dans l’entreprise » ainsi que de la « raison d’être de l’entreprise » elle-même.
« Dans le knowledge management, c’est qu’il faut arriver vraiment à une culture de sharing […] et que chaque
nouvel entrant comprenne que ça fait partie de la philosophie de l’entreprise » (entretien Alstom)
« on a un certains nombre d’outils qui sont mis à notre disposition, informatique ou autre, mais le vrai nœud et
le vrai défi il est culturel […] l’écueil majeur c’est ce problème de mentalité, et en l’occurrence pour le soulever,
le meilleur moyen c’est que la direction soit elle-même impliquée» (entretien Alstom)
« Il faut un climat propice à la transmission de connaissances, et c’est là qu’intervient la culture d’entreprise »
(Entretien YKK)
Une des difficultés actuelles du MCI traditionnel japonais (OJT informel) relève
justement de cette culture de partage et de communication. Nous venons de voir que
l’apprentissage se faisait parallèlement à l’intégration du nouveau entrant dans le ba, par
l’adoption d’un état d’esprit ou d’une culture.
Le problème est alors de deux ordres. Premièrement, les modalités de participation des
jeunes au ba semblent avoir changé. Autrefois, les interactions des collaborateurs ne se
limitaient pas au lieu et eu temps de travail. Plus même, leurs activités sociales se réalisaient
souvent « after five ». L’expression « nomi-nication » un vocabulaire fabriqué de l’addition
du mot « nomu » (boire en japonais) et « communication » a ainsi été en vogue pour désigner
cette forme d’interaction sociale hors du travail. Or aujourd’hui, les jeunes ne veulent plus
participer à ce genre d’activités ; ils préfèrent voir leurs amis personnels et séparer le loisir du
travail (entretien NTN). Une sorte de « penchant communautaire », ou, d’envie d’adhésion
semble avoir évolué. Deuxièmement, entre générations différentes, la communication ne
passe plus aussi bien. Les interviewés de NTN et de YKK font ainsi part de leur embarras
pour adresser la parole à un jeune, surtout du genre opposé : Pire, même, l’état d’esprit
nécessaire au métier est en train de se perdre : les valeurs ont changé, la culture a changé
(entretien NTN, YKK).
Ce décalage culturel entre générations est grave dans le MCI par le ba où c’est
l’interaction et donc la communication qui structure le partage de connaissances. Si le courant
ne passe plus entre les acteurs, si l’interaction dynamique n’aboutit pas à un sentiment de
supra-soi collectif, le ba n’en est plus un.
Une différence observée au niveau global du MCI est son niveau de standardisation
dans le groupe ou l’entreprise. Volonté délibérée ou faiblesse du management corporate ? Les
mécanismes MCI semblent être beaucoup plus harmonisés au niveau du groupe, en France
72
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
qu’au Japon. Les mécanismes de transmission de connaissances d’Alstom et IBM ont une
base générique commune à plusieurs entités, voire dans tout le groupe. Chez l’entreprise X
aussi, les formations offertes par l’université interne sont uniformisées au niveau mondial.
C’est avant tout à l’initiative du top management que ces MCI se mettent en place. Le soutien
de la direction générale (DG) apparait comme un facteur clé de succès du MCI (Alstom,
Bernardon). En effet chez Alstom, c’est la volonté de la direction qui a marqué le passage
d’une culture de formation à celle du management des connaissances. Compte tenu de
l’importance de l’implication de la direction, Alstom s’est dotée en 2009, d’un comité
stratégique du management des connaissances (Steering committee of knowledge
management). Environ tous les trois mois et pendant une demi-journée complète, l’ensemble
des grands patrons des activités, le Directeur des Ressources Humaines ainsi que le
responsable Knowledge Management Center se réunissent pour faire le point sur les éléments
importants.
Or, au Japon, c’est moins le soutien de la DG que l’adhésion des collaborateurs
« terrain » (gen-ba) qui est la clé de réussite. Le MCI, et plus généralement le management
est donc beaucoup moins harmonisé au niveau global des firmes internationales. Est-ce une
question de retard du management japonais dans son adaptation à l’économie mondialisée ?
En effet, les interviewés (Matsuo, NTN, YKK) trouvent une faiblesse dans ce management
qui ne possède pas encore une politique globale cohérente. Dans le MCI comme sur sa
standardisation au niveau global, la question porte sur ce qui doit être transmis et ce qui doit
être adapté ; sur ce qui est universel et ce qui ne l’est pas.
A notre avis, cette non-harmonisation du management japonais ne s’explique pas
uniquement par son retard, mais cache aussi une culture fondamentale des entreprises
japonaises : la politique de primauté au terrain/opérationnel (Gen-ba shugui,
現場主義). Cette
interprétation sera développée dans le troisième chapitre.
Le tableau 10 suivant résume les dissemblances principales de l’approche française et
japonaise sur le MCI. Les facteurs contextuels démographiques et politico-managériaux ainsi
que la différence de la conception du management des connaissances abordés dans le premier
chapitre se font fortement ressentir à travers l’approche du MCI. Mais nous allons voir dans
le chapitre suivant, que ces différences peuvent se structurer dans une explication transversale
et cohérente de l’approche organisationnelle française et japonaise.
73
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
Tableau 10 : Comparaison de l’approche française et japonaise du MCI
Le MCI
En France
Au Japon
Assurer la continuité des
Rattraper la transmission des
compétences de l’entreprise
connaissances qui n’a pas eu lieu.
Problématiques
(prévision et contrôle)
Améliorer la transmission
- Valoriser les atouts des seniors
- question stratégique de continuité - question stratégique de continuité de
de compétences : GPEC
compétences : permettre la transmission
Enjeux du point de
- méthode pour formaliser et
- mise en place d’occasions de rencontre
vue de l’entreprise
capitaliser les connaissances
et de travail intergénérationnel
tacites
- culture managériale de partage
- culture managériale de partage
- pratique quotidienne (culture) de partage
- valorisation des expériences et des compétences
Ce qu’il doit être
- un dispositif de long terme est non ponctuel, au moment du départ à la retraite ou
de changement de poste.
Logique dominante
Economiser les efforts en temps et en Occasionner et enrichir les interactions
(du management des argent pour l’obtention efficace des
humaines pour favoriser le partage et la
connaissances)
connaissances
création de connaissances
- d’abord la progression dans son
- d’abord la réalisation du travail
Objectif individuel
propre parcours professionnel
- ensuite, la progression dans le parcours
professionnel
- ensuite, la réalisation du travail
- individuelle, par la formation
- interindividuelle, par compagnonnage
Forme
- par contrat interindividuel de
- collective, par intégration dans un
tutorat ou de mentoring
groupe
Aussi bien explicites que tacites, techniques que générale (le réseau et le mode de
Connaissances
fonctionnement de l’environnement)
- lien indirect lié à l’expérience :
- lien indirect lié à la promotion à
les seniors ont plus d’expérience,
l’ancienneté : le développement des
donc plus de connaissances
compétences de l’entreprise relève de la
Rapport avec
formation des jeunes
- c’est avant tout une question
l’intergénérationnel
d’expérience et d’expertise
- la transmission des connaissances se fait
en général des plus âgés vers les moins
âgés.
Niveau global de l’entreprise :
Local selon les pays et métiers : ligne
application de la même démarche
directive adaptée au cas par cas dans un
Niveau
générique dans toutes les entreprises, ajustement tacite.
d’harmonisation
complétée de programmes locaux
Volonté de décentralisation ou manque
d’harmonisation.
- outils central de capitalisation et - outils de support, mais non abordés
Rapport avec les TIC
le partage : base de données
directement sur le sujet de MCI
- outil de mise en relation
Importante car encourage le
- encourage le partage au quotidien par
partage au quotidien (une
son message résolument orienté partage
question d’habitude de pratiques)
et par son principe de primauté au
Culture d’entreprise
« terrain »
- fait l’objet d’une volonté explicite de
transmission
intergénérationnelle
-
74
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
Conclusion intermédiaire du chapitre 2
L’étude comparative franco-japonaise du MCI met en relief la complexité de ce
dernier par la problématique qu’il implique et les enjeux qu’il soulève : le MCI est
fondamentalement ancré dans son contexte. L’analyse contextuelle du premier chapitre nous a
fourni une carte de route pour l’examen des résultats empiriques. Ainsi, la comparaison
franco-japonaise met en avant l’imbrication des pratiques des deux pays par rapport à leur
contexte respectif, à leurs enjeux, leurs objectifs et leur conception du management des
connaissances.
Ainsi, le MCI japonais est fortement lié à la notion d’âge et de générations du fait de la
dominance du système d’emplois à vie et à l’ancienneté, de la formation professionnelle qui
incombe à l’entreprise, ainsi que de la faible spécialisation du travail. En revanche, dans les
firmes françaises qui recrutent des jeunes « opérationnels » et spécialisés dans un domaine
particulier, la corrélation entre l’âge et la connaissance est moins évidente. C’est alors la
variable intermédiaire intervenant entre l’âge et les connaissances qui prime : l’expérience.
De manière générale, les problématiques française et japonaise du MCI ainsi que leur
conception du management des connaissances se retrouvent dans leur démarche respective.
En France, le MCI est marquée par une vision stratégique de continuité des compétences de
l’entreprise, mais aussi par l’accompagnement de l’acteur individuel dans sa formation
continue et sa progression de carrière. Le MCI est ainsi la rencontre entre les besoins
stratégiques de l’entreprise et les aspirations individuelles de l’acteur. Au Japon aussi, la
perspective stratégique de continuité des compétences est primordiale, mais les enjeux du
MCI semblent porter davantage sur une question sociale, collective et coopérative de
communication entre les seniors-transmetteurs et les jeunes-récepteurs : il faut créer des ba de
rencontre, aménager des occasions d’interactions entre ces générations. L’apprentissage du
jeune se réalise par son intégration au sein du ba, un espace-temps dans lequel il va ajuster sa
perception à celle de la communauté par l’intériorisation d’un état d’esprit. Nous retrouvons
ainsi l’objectif japonais du management des connaissances, celui de l’intensification du
partage et la création de connaissances par l’enrichissement des interactions sociales.
Les approches française et japonaise s’accordent toutefois sur leurs grands principes :
le MCI doit être intégré dans le travail quotidien et ne doit par être un dispositif ponctuel et
hors du contexte. Pour cela, il est nécessaire qu’il y ait un climat de confiance et de
coopération dans l’entreprise, une culture propice au partage.
75
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
Critiqué comme n’étant « que » de la gestion d’information, le management des
connaissances de ces deux firmes françaises (Alstom et IBM)29 démontre le contraire. Leur
approche
semble
s’accorder
à
l’approche
japonaise
du
management
(des
connaissances)30 décrite dans le premier chapitre: une transmission (formation) plus ou moins
informelle et se déroulant dans un contexte de travail quotidien. Le rôle du MCI réside alors,
non pas dans la planification et la standardisation de A à Z du processus de transmission, mais
dans l’encadrement, dans l’aménagement de l’environnement pour réunir des conditions
favorables à une transmission efficace et effective : c’est l’aménagement du ba. Les firmes
françaises se dirigent-elle donc vers une organisation à la japonaise, du moins en ce qui
concerne
le
management
des
connaissances ?
Cela
signifie-t-il
que
l’approche
organisationnelle japonaise présente une logique pertinente pour le MCI ?
Des différences persistent cependant entre les deux pays, au niveau de l’harmonisation
globale de la démarche du MCI, ainsi que dans l’importance que représente la culture
d’entreprise dans ce dernier. Au Japon, le MCI semble moins être coordonné ni systématisé
au niveau corporate, entre les différentes unités nationales et internationales. En revanche, un
type de connaissances fait l’objet d’une transmission plus ou moins unifiée au niveau global:
la « mission de l’entreprise » et sa culture. Comment expliquer ces différences ?
Dans l’objectif de dénouer ses questions et d’évaluer la pertinence de l’approche par le
ba pour le MCI en général, le dernier chapitre commence par réstituer ce concept dans son
contexte japonais. En montrant que le ba peut être identifié à différents niveaux
organisationnels, nous avançons que l’entreprise peut être vue comme un ensemble de ba.
L’adoption de cette vision permet de mettre en cohérence les différents éléments relatifs au
MCI japonais, tout en laissant entrevoir les avantages qu’elle présente pour toutes entreprises,
japonaises ou françaises, vivant dans une société de connaissances. L’approche par le ba
serait alors effectivement une logique propice au MCI. Les questions de la pertinence et de la
possibilité de son application en France seront alors posées.
29
Comme il l’a déjà été signalé, il n’a pas été question de MCI dans l’entretien réalisé avec l’entreprise X.
Management en général, management des connaissances ou MCI, ces notions se mélangent dans
l’organisation japonaise, faisant ainsi disparaître l’intérêt de les distinguer. D’où (connaissances) entre
parenthèses.
30
76
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
3. L’ APPROCHE PAR LE BA : UNE LOGIQUE PROPICE AU
MANAGEMENT DES CONNAISSANCES
INTERGENERATIONNEL ?
Le chapitre 2 nous a permis d’analyser les approches françaises et japonaises du MCI,
en rapport avec leur contexte : les facteurs de contingence. Pourtant, un rapprochement du
MCI français avec le MCI japonais traditionnel a été aussi mis en avant ; il s’agit d’une
approche décentralisée, sociale et participative, et où le rôle du management et de
l’organisation consiste à encadrer
les interactions sociales dans différentes sphères
organisationnelles. C’est le management par le ba.
Il se pourrait que ce soit donc là que réside le socle commun du MCI, une logique
managériale propice au partage et à la création de connaissances. Or, certains éléments de
l’approche japonaise n’ont pas encore trouvé toutes leurs explications. Pour évaluer l’apport
de cette approche, il convient d’éclaircir ce que représente ce concept de ba dans
l’organisation japonaise. C’est ce qui constitue l’objet d’une partie de ce troisième chapitre.
Nous verrons que le ba est un concept élémentaire et générique qui permet
d’expliquer l’organisation japonaise à différents niveaux, contrairement aux Cop qui
désignent plutôt un mode d’organisation particulier et qui ne concernent qu’une partie de
l’entreprise. Il s’agit d’une logique organisationnelle qui permet de relier les différents
éléments en leur donnant une explication cohérente, un modèle.
Selon Bouquin (2007, p4), « Modéliser, c’est choisir de privilégier certains aspects du
réel que l’on décrit de manière formalisée pour faire apparaître des relations
d’interdépendance, permettant, à l’idéal, de prévoir l’évolution des variables retenues et/ou
de leurs relations ». En l’occurrence, l’organisation est regardée en fonction des enjeux du
management des connaissances qu’elle contient. Adopter un modèle de l’organisation par le
ba revient donc à regarder l’organisation par ses gisements de connaissances.
Cette vision de l’organisation pourrait donc être valable pour toutes entreprises,
qu’elles soient japonaises ou pas. Nous démontrerons donc l’intérêt que présente cette vision
dans une société de connaissances qui est la nôtre, avant d’évaluer la pertinence de son
application en France.
77
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
3.1.
UN MODELE ORGANISATIONNEL DU MANAGEMENT JAPONAIS
COMME ENSEMBLE DE BA
L’objet de cette partie consiste à illustrer la place du ba dans l’organisation de
l’entreprise japonaise, ce qui conduit à différencier le concept de ba de celui de Cop. En effet,
contrairement à ces dernières qui ont une existence parallèle à l'organisation formelle de la
firme, le ba se retrouve à tous les niveaux organisationnels, formels ou informels. De fait,
introduire la notion de ba ne consiste pas à créer une nouvelle entité dans l'organisation, mais
de regarder l'organisation par un autre angle: par celui de l'interaction sociale autour de la
création de connaissances.
Ce rôle structurel que le ba occupe dans l'organisation sera illustré par la logique
organisationnelle des firmes japonaises. En effet, le concept de ba peut être considéré comme
structurant la logique organisationnelle japonaise dans la mesure où il régit la coordination du
travail à tous les niveaux, aussi bien dans la dimension interindividuelle que collective, à
l’intérieur de l’entreprise comme dans ses relations avec ses environnements extérieurs
3.1.1. L ’ E N T RE PRI S E
Le
ba
est
un
CO M M E E N S E M BL E D E BA
concept
sous-tendant
au
management
des
connaissances
(intergénérationnel) du Japon. Intentionnellement ou inconsciemment, les firmes japonaises
ont recours à un management par le ba : la mise en place de conditions favorables à la
création et au partage de connaissances, soit en créant, soit en aménageant des espaces-temps
de relations émergeantes. Or, comme nous l’avons observé dès le premier chapitre, il n’y a
pas au Japon de véritable distinction entre le management en général et le management des
connaissances. La logique du ba est donc applicable au management de l’entreprise en
général. De plus, d’après la propriété identitaire du ba, ce dernier peut être de différentes
dimensions : un ba peut être incorporé dans un ba plus grand, lui-même englobé dans un ba
encore plus grand, et ainsi de suite, du moment que les acteurs s’y identifient tout en ayant
conscience de leur position en leur sein. L’entreprise peut donc être vue comme un ensemble
de ba.
En effet, de nombreuses caractéristiques de l’organisation japonaise31 pourraient ainsi
s’expliquer par des propriétés du ba présentés dans le premier chapitre.
31
Les caractéristiques de l’organisation de la firme japonaise présentées ici sont tirées du mémoire réalisé en
master1 sur le « modèle de management japonais ».
78
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
Premièrement, l’organisation de l’entreprise japonaise est décloisonnée : les frontières
entre fonctions et postes s’estompent et les responsabilités individuelles ne sont pas aussi
délimitées qu’en Occident. Cette logique de décloisonnement, de déspécialisation ou de
démarcation souple se retrouve ainsi à plusieurs niveaux de l’organisation, et même en
dehors, dans les relations inter-firmes en réseaux, et c’est en cela qu’il constitue la logique
organisationnelle du modèle japonais.
Beaucoup moins abordée que les pratiques de Ressources humaines, l’organisation des
entreprises présente pourtant de fortes originalités : celle relatives au ba. En effet, l’examen
des traits caractéristiques de l’organisation japonaise rejoint celle du ba présentée dans le
premier chapitre.
En un mot, cette logique d’organisation japonaise pourrait être qualifiée de
« décloisonnée » ou d’ « ambigüe » par rapport aux entreprises occidentales le plus souvent
organisées par fonctions et services. Cette logique de décloisonnement se retrouve à différents
niveaux de l’organisation et dans différentes pratiques managériales, en faveur d’une
organisation du travail autour de la finalité client. Bourguignon (1993, p12) parle ainsi de
philosophie et d’état d’esprit tournés vers l’aval.
Certaines de ces pratiques sont aujourd’hui intégrées dans le paysage managérial
français. Il s’agit, par exemple, des systèmes de production tels le juste-à-temps (JAT) et la
méthode Kanban, ainsi que des démarches transversales d’amélioration de la qualité (cercle
de qualité, le Total Quality Control, la méthode de six sigma, etc.). Cette conception de
l’organisation se traduit également dans les modes de calculs comme celui des coûts cibles (le
Target costing) et du kaizen costing.
Or, le décloisonnement, c’est précisément le principe du ba. Certes, ce dernier a
besoins de frontières pour encadrer les interactions humaines 32 , mais
ces frontières se
caractérisent avant tout par leur porosité : le ba peut être local, formé d’un ou deux acteurs, et
il peut être plus vaste, incluant tous les collaborateurs liés plus ou moins indirectement à
l’accomplissement d’une activité commune. La figure 1 représente une image de l’entreprise
comme ensemble du ba.
32
Voir l’analogie de l’eau de la bouilloire dans le premier chapitre.
79
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison
comp
franco-japonaise
japonaise
Sakura SHIMADA
Figure 1 : Image de l’entreprise comme ensemble de ba
Le ba est un espace-temps
espace
de relations
émergentes, une plate-forme
plate
contextualisée
de création de connaissances. Les ba
peuvent donc s’intercaler et se superposer
les uns aux autres : leurs frontières sont
perméables. L’ensemble des ba constitue
une structure mouvante car chaque ba
évolue en fonction des interactions qui le
constituent ainsi que des connaissances qui
y sont produites.
Prenons l’exemple de la fameuse production en Juste à temps (JAT) pour illustrer cette
organisation décloisonnée. Coriat (1994, p46) qualifie le JAT et sa méthode kanban
d’« Innovation organisationnelle majeure de la deuxième moitié du siècle ». Dans cette
technique d’ordonnancement et d’optimisation de la production, la commande de fabrication
est déclenchée par l’aval, contrairement aux pratiques traditionnelles de l’Occident.
l’O
Par
définition, il y a donc décloisonnement – réconciliation – au niveau global, entre l’aval vers
lequel sont acheminés les produits et la demande qui émerge de l’aval : le décalage entre le
besoin et l’offre se trouve diminué en nature, en temps et en quantité.
Cette organisation du travail « décloisonnée », se voit également dans la
l collaboration
entre les salariés qui travaillent souvent en équipe. La définition des postes et des
responsabilités est très floue et flexible, ce qui fait que la démarcation des tâches entre les
collaborateurs n’est pas clairement prédéterminée.
La première
ière conséquence directe de cette ambiguïté est la « déspécialisation » des
opérationnels : puisque l’organisation du travail n’est plus spécialisée, les salariés doivent
nécessairement être polyvalents pour pouvoir assurer plusieurs fonctions. Selon Coriat
Coria (1994,
p43), le système japonais préfère opérer à une « déspécialisation des professionnels » tandis
que le système taylorien « détruit » les compétences de l’ouvrier en procédant à une
décomposition des tâches en des séances élémentaires. En effet, nous
us avons vu que la
démarcation des tâche était floue, et que c’est cela qui pousse les Japonais
aponais à coopérer et à
partager des connaissances. C’est aussi pour cela que le MCI japonais prend la forme de
l’intégration de l’apprenant dans le ba, sur le lieu de travail et dans les relations sociales qui y
sont tissées : la formation ne vise pas la spécialisation, mais la polyvalence de l’apprenant.
80
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
Deuxièmement, cela conduit à un mélange des fonctions « diagnostic » au sein de
l’opérationnel. En effet, les ouvriers doivent prendre sous leur responsabilité à la fois
l’exécution et le dépannage ou la maintenance. De même, des tâches de contrôle-qualité ainsi
que les tâches de programmation (celle du kanban) sont également réintroduites au sein de
l’opérationnel. L’organisation de production de l’entreprise conditionne donc celle des
tâches. La démarcation entre les différentes tâches et fonctions n’est plus aussi nette que dans
le modèle occidental classique ; les salariés travaillent en équipes, dans le ba, rassemblées et
unies autour d’une finalité commune.
Le tableau 11 illustre le décloisonnement de l’organisation japonaise en comparaison
avec celle de l’occident, à travers le cas du système de production33.
Tableau 11: comparaison des traits caractéristiques du management occidental et japonais
Définition des tâches
Différenciation des fonctions
et du travail
Manière de travailler
Management
Formation, évaluation,
approvisionnement
Rapport
hommes-organisation
(Source :
Management occidental,
représenté par les USA
Démarcation étroite
Division poussée et fixe
Management à la japonaise
Démarcation large et floue
Division approximative, flexible
et continue
Vision fonctionnelle
Vision large
Divisionnelle
Coopérative
Des postes
Des personnes
Extérieure à l’entreprise
Interne à l’entreprise
Vision des court ou moyen termes.
Vision long terme
Orienté résultat
Orienté processus
Concurrence totale (sur base
Concurrence et coopération (sur
individuelle)
base de groupe)
34
avec traduction et modifications apportées)
安保『日本的経営システムとアメリカ』
L’organisation japonaise est donc décloisonnée. Et pourtant, les articles de journaux
économiques, les entreprises et les chercheurs crient tous la nécessiter d’abattre les barrières
organisationnelles qui entravent la coopération des acteurs et leurs échanges de
connaissances. D’où vient ce paradoxe ?
D’après Nomura (entretien), deux explications pourraient être avancées. Premièrement,
il y a eu effectivement une création de barrières organisationnelles, par l’adoption de la
logique organisationnelle et moderne de l’Occident : organisation par services, fonctions,
départements… Les modalités de contrôle et d’évaluation changent également la coopération
dans le travail. La promotion au mérite, par exemple, dite plus « rationnelle » et plus « juste »
33
Selon Bourguignon (1993, p4), chaque approche occidentale a ses particularités, mais certaines
caractéristiques qui leur sont communes permettent de les regrouper pour les opposer au modèle japonais.
34
Abo Testuo, « le système de gestion à la japonaise et celui à l’américaine ».
81
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison
comp
franco-japonaise
japonaise
Sakura SHIMADA
comparativement à la promotion à l’ancienneté, n’encourage pas nécessairement le partage de
connaissances avec les collègues qui deviennent des concurrents. La deuxième explication,
alternative ou complémentaire à la première, relève de la nature locale de l’organisation du
travail qui empêcherait une vision globale de la firme. Puisque la description des postes est
ambigüe, les acteurs ne savent pas ce que font les voisins de leur voisin. La prise d’une
décision transversale et globale nécessite
nécessite donc un ajustement avec de nombreux acteurs ; c’est
ce qui est sans doute à l’origine de ce sentiment de barrières organisationnelles (entretien
Nomura).
En fait, cette deuxième explication, à notre avis, fait référence aux propriétés du ba.
Dans le ba,, l’identité de l’acteur se superpose à celui de la communauté, mais l’acteur a
conscience de sa place en son sein. Puisque les ba peuvent s’encastrer les un dans les autres,
un acteur peut connaître son rôle par rapport au périmètre du ba restreint, du
d ba moyen, du ba
plus élargi, et ainsi de suite : la participation dans le ba s’accompagne d’une prise de
conscience du soi dans le tout. Or, cette visibilité organisationnelle ne concerne que les ba
auxquels appartient l’acteur, et pas les ba voisins, aussi proches soient-ils.
ils. Le ba X et le ba Y
appartenant tout deux au ba Z ne se connaissent pas si leur identité ou activité ne se recoupent
pas : ils sont séparés par des barrières organisationnelles. La figure 2 suivante schématise
l’origine des barrières organisationnelles dans une logique organisationnelle de ba.
Figue 2 : les barrières organisationnelles entre deux ba X et Y
Un acteur du ba X a une visibilité de
l’ensemble du ba X et Z auxquels il participe ; il a
conscience de la place qu’il occupe
occu dans ces deux
ba. Par contre, il ne sait pas ce qui se passe dans
le ba Y. La définition ambiguë de la répartition
du travail ne permet pas de le savoir, à moins
d’entrer en contact avec des acteurs du ba Y.
Y
Par ailleurs, dans
ans cette organisation dont
dont le rôle de chacun est ambigu, le contrôle (au
sens de maîtrise) et l’évaluation de l’acteur
l’
individuel deviennent difficiles. Ainsi selon
Ouchi35, la coordination du management japonais serait du type clan : le contrôle ne se fait
pas par des règles (contrôle
rôle par la bureaucratie) ni par un contrat (contrôle par le marché),
35
D’après Bouquin Henri (2005)
82
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
mais par un mode informel passant par des valeurs et croyances communes. Ces dernières
sont partagées entre les membres et intériorisées au fond de chacun ; elles deviennent des
normes morales. En effet, les conditions pour l’installation de ce type de contrôle sont
réunies : les membres du ba ont un fort niveau d’interaction et de communication, ils
partagent un intérêt commun et aspirent en un objectif supérieur.
La sensibilité des Japonais par rapport aux regards des autres ainsi que l’importance
qu’ils accordent à l’harmonie du groupe jouent aussi en faveur de ce type de contrôle. La
tendance relativement communautaire de la culture nationale japonaise par rapport à celles
des pays occidentaux est vérifiée par Hofstede36. Bien que la culture de chaque entreprise
diffère plus ou moins l’une de l’autre, le rôle prédominant qu’elle y joue en tant que dispositif
de maîtrise des comportements est un caractère communément attribué aux entreprises
japonaises. Pour influencer les comportements, le management japonais s’appuie donc sur les
valeurs et le regard des collègues. En effet, « nos comportements ne sont pas contrôlés par
les dispositifs administratifs et formels, mais aussi et surtout par le ‘‘contrôle invisible’’
auquel chacun est soumis, ce guide informel issu de notre personnalité, de notre éducation,
des groupes par rapport auxquels nous nous situons, de nos valeurs » (Bouquin, 2007, p78).
Selon Turner et Makhija (2006), les modalités de contrôle influencent les capacités
d’acquérir, de transférer, d’interpréter et d’utiliser les connaissances, et le mode de contrôle
approprié dépend, en partie, des attributs de la connaissance qui en fait l’objet. Selon ces
auteurs, le contrôle par le clan serait approprié pour l’étape « transfert » des connaissances
tacites. Or, nous avons vu que le MCI japonais focalisait justement sur les connaissances
tacites. Nous retrouvons donc ici tout à fait le comportement des acteurs dans le ba : des
unités cellulaires qui interagissent et échangent des connaissances pour un objectif supérieur.
Les comportements de ces cellules sont influencés de leur intérieur par le partage d’une
identité commune, un supra-soi.
Mais, en quoi cette entreprise ensemble de ba est-elle propre au Japon ? Ne pourraiton pas parler d’entreprise ensemble de Cop ? Et dans ce cas, quelle serait la différence entre
la logique organisationnelle française et japonaise ?
Tout d’abord, et en dehors des différences qui ont déjà été abordées sur ces deux
concepts, la Cop est le plus souvent un rassemblement d’acteurs appartenant au même métier,
pour le partage et le développement de leurs compétences. Or, nous venons de le voir, il n’y a
36
Les graphiques par pays des « dimensions de Hofstede » sont disponibles sur http://www.geerthofstede.com/hofstede_japan.shtml.
83
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
pas de véritable définition de métiers au Japon. Le ba n’est pas une communauté
professionnelle de métiers, mais une communauté d’acteurs qui participent à la réalisation
d’un objectif commun. En revanche, ce périmètre plus large du ba inclut des acteurs
d’horizons très différents : les ingénieurs et les commerciaux travaillent ensemble, pour le
développement d’un nouveau produit.
Ensuite, même s’il n’est pas faux de parler d’entreprise comme ensemble de Cop,
celle-ci n’a pas la même signification que l’entreprise ensemble de ba. En effet, le ba est une
logique générique à l’organisation japonaise qui se retrouve à tous les niveaux hiérarchiques,
fonctionnels, formels ou informels, si tant est que ces distinctions aient un sens dans les
délimitations organisationnelles floues du Japon. Les Cop sont, au contraire, des
organisations qui se développent pour une pratique précise, d’une part, et parallèlement à la
structure organisationnelle formelle, d’autre part.
Ainsi, malgré la sympathie qu’a suscitée le concept de Cop au Japon, les résultats de
son adoption sont assez décevants, ou plutôt surprenants. En fait, selon Nomura (entretien), la
notion d’ « informel » qui n’a pas vraiment de sens dans la firme japonaise a été assimilée à
celle de l’« exceptionnel », par comparaison au travail « normal » et quotidien. Le caractère
« informel » de la Cop est alors interprété, soit comme un projet, soit comme une autre
activité en dehors du travail « normal » (qui serait formel): les Cop sont souvent devenues des
clubs de loisir, des occasions de détente et de divertissement avec un but de développer le
capital social et la cohésion du groupe.
Cette interprétation japonaise des Cop est très significative de l’organisation japonaise
comme ensemble de ba. Tout comme le management de connaissances japonais fait partie
intégrante du management en général, les ba constituent le fondement, tout simplement, de
l’organisation du travail au Japon. S’intéresser au ba, c’est s’intéresser aux dimensions
sociales du management des connaissances dans l’organisation actuelle. Le paragraphe
suivant étend l’analyse aux interactions sociales entre l’entreprise et son environnement.
3.1.2. L’ E N T RE P RI S E
C O M M E E N S E M BL E D E BA R E PL A CE E D AN S S O N
CO N TE X T E
Que devient l’entreprise comme ensemble de ba, lorsqu’elle est intégrée dans son
contexte ? Le graphique 3 ci-dessous offre une perception de ce qu’elle peut être : un
ensemble un peu concentré dans le paysage de ba. En effet, si toutes les firmes sont des
ensembles de ba dont les frontières ne coïncident pas avec celles de la structure formelle, la
84
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison
comp
franco-japonaise
japonaise
Sakura SHIMADA
délimitationn organisationnelle entre l’une et l’autre n’est plus du tout évidente. A quelle
entreprise appartient ce ba qui se situe à l’intermédiaire des deux ensembles de ba ? La
remise en place de l’entreprise dans son contexte permet ainsi de comprendre
comprendre les relations que
l’entreprise japonaise entretient avec son environnement extérieur.
Il convient de rappeler à la lecture de ce schéma, que le ba n’est pas une communauté
professionnelle, et encore moins un ensemble de collaborateurs appartenant à une même
structure organisationnelle (service, fonction, département…).
département…). Ils peuvent certainement
souvent coïncider avec ces unités formelles, mais il s’agit avant tout un espace-temps
espace
de
relations émergeantes. Ces relations peuvent donc se nouer entre des
de collaborateurs
appartenant à des organisations juridiques différentes, du moment qu’ils interagissent dans un
ba, une espace-temps
temps où les distinctions entre le sujet et l’objet, la différenciation
différenciation entre l’alter
et l’ego disparaissent au profit d’un objectif
objec commun.
Figure 3 : l’entreprise ensemble de ba, replacée dans son contexte
Chaque entreprise étant un ensemble de
ba, l’identification des frontières interinter
organisationnelles n’est pas évidente ; la
délimitation d’une entreprise par ses activités
a
est difficile. Les principes de ces macro-ensemble
macro
de ba (organisation inter-firmes)
firmes) sont les mêmes
que celui des ba : les interactions qui s’y jouent
joue
harmonisent les perceptions tout en les faisant
constamment évoluer.
A l’image de ce schéma où
o les frontières organisationnelles s’estompent, les relations
inter-organisationnelles
organisationnelles des firmes japonaises sont traditionnellement très fortes. Les
organisations inter-firme
firme comme les keiretsu et la « participation croisée » dans le capital ont
d’ailleurs
rs fait souvent parler du Japon dans les années quatre-vingt.
quatre
Pour reprendre l’exemple du JAT, les fournisseurs sous-traitants
sous traitants s’engagent à livrer les
produits dans les conditions fixées (coût, qualité et délai), et l’entreprise leur garantit une
relation à long terme et leur procure des aides techniques et financières. Il est d’ailleurs
fréquent que l’entreprise-cliente
cliente participe à la recherche et développement de ses soussous
traitants, par des moyens financiers et humains (Coriat, 1994 ; Lincoln et al. 1998).
1998 De même,
85
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
les sous-traitants bénéficient souvent d’avantages financiers de façon indirecte, via la banque
qui leur accorde des crédits en vertu de la garantie de fait offerte par la grande entreprise
cliente. Ici encore, le décloisonnement des frontières caractérise donc l’organisation des
firmes japonaises.
Ainsi dans l’article “Organizational Learning and Purchase-Supply Relations in
Japan”, Lincoln et al. (1998) illustre par trois études de cas, le rôle du réseau Keiretsu dans
l’apprentissage organisationnel des firmes japonaises. Par exemple, dans le cas de l’entreprise
Hitachi, une équipe réussit à acquérir des attentes complexes (connaissances tacites) relatives
à un produit, à travers une « familiarité intime » tissée avec l’organisation des consommateurs.
L’équipe a ainsi créé de nouvelles connaissances par l’expérience terrain qui a consisté à se
mettre « à la place du client ». Selon les auteurs, ces réseaux keiretsu sont trop rigides pour
continuer à assurer l’apprentissage et la flexibilité des organisations inter-firmes ; les
entreprises japonaises sont actuellement à la recherche d’une nouvelle configuration réseau.
Bourguignon décrit aussi les fournisseurs partenaires du Japon comme faisant partie d’une
même « famille » (1993, p28) : le client et le fournisseur sont liés par des obligations
réciproques, toujours dans un objectif supérieur qui dépasse les intérêts de chacun.
Notre étude empirique fournit aussi un exemple très significatif d’un partage de
connaissances dans un ba inter-organisationnelle. Nous avons vu que les collaborateurs de
CMC acquièrent des connaissances au contact de leurs clients, et que la CRP Map – la liste
formalisée des connaissances que les jeunes doivent apprendre – avait pour fonction indirecte
d’encourager le partage et la création de connaissances dans les relations avec le client. Le
modèle d’activité (Business Model) de CMC est encore plus illustratif sur cet exemple.
A l’origine petite entreprise de microfilm et d’impression, CMC s’est progressivement
spécialisée dans la rédaction et la fourniture de manuels et de modes d’emploi personnalisés
pour les grands comptes. Ainsi elle envoie des équipes auprès de ses clients, non seulement
pour concevoir et rédiger des documents, mais aussi pour leur fournir des conseils
personnalisés sur la communication et la formation de leur personnel. L’entreprise apprend
tous les jours au contact de ses clients : l’entreprise qui n’avait aucune connaissance dans les
domaines techniques de l’automobile et de l’informatique, considère avoir aujourd’hui atteint
le même niveau que ses clients. Et selon le PDG, il n’y a pas meilleure affaire que
d’apprendre avec ses clients :
«Nous envoyons du personnel pour qu’ils apprennent auprès des clients. Notre Business Model est
vraiment pratique; il nous permet d’apprendre auprès des clients tout en recevant de l’argent. Sincèrement :
on fait notre travail, ça nous donne une opportunité pour apprendre, et en plus on est payé pour ça ! […] Nous
86
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
avons beaucoup de choses à apprendre de nos clients grand compte à travers le business. Et nous, nous
grandissons en absorbant ces connaissances. » (Entretien CMC)
Le rapport entre CMC et ses clients sont perçus comme une relation de confiance à
long terme et d’échanges réciproques. Selon le PDG, c’est ici un rapport client-fournisseur
(en l’occurrence un rapport prestataire-prestateur) typiquement japonais : au Japon, les
entreprises « grandissent » en se faisant « grondeés » par leurs clients.
« Le client nous gronde en disant qu’est-ce que c’est que ce boulot, toi, ça va pas du tout ! C’est un
travail de débutant, fais-moi quelque chose ! En occident, ça ne se passe pas comme ça, n’est-ce pas ? Si le
travail n’est pas fait, le client s’énerve et il ne renouvellera pas le contrat, c’est tout. Au Japon, on grandit avec
les clients qui veulent bien nous gronder. J’ai l’impression que c’est encore vrai dans la culture japonaise. Après,
nous on fait des efforts pour rendre la monnaie ; on rend notre reconnaissance en s’améliorant. » (Entretien
CMC)
Il s’agit ici d’un apprentissage par un ba physique et inter-organisationnel : au-delà
d’un rapport de négociation par le calcul du rapport gain-coût de chacun, les deux parties sont
unies sous l’objectif supérieur de réaliser un travail commun de qualité. CMC et son client
forment un ba d’interactions humaines et d’échange de connaissances.
Alors qu’elle n’était qu’une simple entreprise d’impression et de rédaction, les équipes
de CMC ont évolué en des équipes de consultants, via l’apprentissage des connaissances
techniques dans la relation au client. L’organisation en ba est fondée sur l’interaction sociale
qui produit des connaissances, mais elle est modifiée à son tour par ces connaissances.
Par ailleurs, nous avons vu que les frontières organisationnelles des ba étaient
poreuses, que les unités cellulaires (les acteurs individuels) échangeaient des connaissances
entre elles, dans le ba, mais aussi avec son environnement extérieur : le ba est un système
ouvert. L’identité collective peut alors se manifester à différents niveaux, selon l’échelle
d’analyse qui est adoptée.
Par exemple, en reprenant l’analogie à la biologie cellulaire, une cellule pancréatique
appartient à l’organe du pancréas (ba), dont un des objectifs est le maintien à un certain taux
du glucose dans le sang (objectif supérieur du ba-pancréas).
Pour cela, les cellules
pancréatiques produisent des hormones messagères, de l’insuline (des connaissances), qui
vont servir de message aux autres cellules tout en agissant sur la baisse du taux de glucose
dans le sang. Le foie appartient lui-même à des ensembles d’organes (macro-ba ou ensemble
de ba) dont l’objectif supérieur est la digestion, puis plus généralement le maintien de
l’équilibre du corps humain pour sa survie (objectif supérieur de l’ensemble des ba).
La transposition de cette logique biologique du ba dans les organisations économiques
pourrait correspondre à la prise de conscience de l’acteur individuel puis collectif dans les
87
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison
comp
franco-japonaise
japonaise
Sakura SHIMADA
différents environnements auxquels ils participent : le rôle et la place de l’individu dans son
service et dans son département, le rôle de ces derniers dans l’entreprise, cette dernière ayant
elle-même a un objectif
ctif supérieur dans son secteur puis dans la société civile où elle s’insère.
s’ins
La logique organisationnelle
nisationnelle du ba implique ainsi une considération et un ajustement entre les
différents stake holders de l’entreprise, ainsi qu’une sorte de responsabilité sociétale de cette
dernière.
En effet, le premier chapitre a montré que l’approche japonaise du management des
connaissances se rapprochait beaucoup de la responsabilité sociétale de l’entreprise, du rôle et
de laa raison d’être de l’entreprise au sein de la sociétéé et par rapport à l’épanouissement de ses
s
collaborateurs : que recherche alors le management ? Le président de la Knowledge
Management Society of Japan (KMSJ) tend à penser, personnellement, que cet objectif
supérieur
rieur du management résiderait dans la recherche d’un
d’u idéal élevée de la conscience
humaine tel que la vérité, le bien et la beauté
beaut (shin-zen-bi,
真善美)
37
. Vision utopique et
idyllique ? En tout cas, elle correspond parfaitement à la logique du ba qui veut que les unités
cellulaires coexistent en harmonie. La figure 4 illustre la porosité du ba dont l’identité
élastique s’adapte à différentes
férentes dimensions organisationnelles.
organisationnelle
Figure 4 : la porosité du ba,, ou les frontières organisationnelles perméables
La portée des interactions sociales a
nécessairement
ment des limites dans son
extension, mais le développement de l’identité
collective n’en a pas a priori : elle est
élastique. Le sentiment d’appartenance et le
supra-soi
soi peut donc s’étendre au-delà
au
des
entités économiques pour atteindre le secteur
d’activité,
té, la société civile tout entière, voir,
l’univers dans son ensemble.
Mais alors, 1) qu’est-ce
ce qui permet de distinguer une entreprise d’une autre,
autre d’une part,
et une unité organisationnelle qui s’insère
s’insère dans une autre organisation plus vaste, d’autre
part ? Car nous avons maintess fois répété que les frontières formelles
les des structures juridiques
n’étaient pas des plus significatives dans cette logique de ba. Et, 2) qu’est-ce
qu’est
qui
37
D’après un entretien mené dans le cadre du mémoire mineur sur l’approche japonaise
japonaise du management des
connaissances. Le mot shin-zen-bi (
) se constitue de trois idéogrammes signifiant respectivement 1) la
« vérité » de la conscience, 2) le « bien » moral et 3) la « beauté » estétique. Ainsi, il est considéré comme
désignantt les nobles valeurs de l’être humain, un idéal universel que ce dernier doit s’efforcer d’attaindre.
真善美
88
assure la maitrise et le pilotage du comportement des collaborateurs ? En effet, les activités au
niveau local des ba permettent une création de connaissances « démocratique » et
décentralisée, mais en l’absence d’une force globale et fédératrice, l’entreprise comme
ensemble de ba se transforme en anarchie.
La réponse à ces questions pourrait se trouver, encore une fois, dans les
caractéristiques du ba. Ce qui contrôle (maîtrise) le comportement des cellules d’un organe,
c’est ce que chacune d’elles possède en son intérieur… : son code génétique. Quel serait
l’équivalent de l’ADN de l’entreprise comme ensemble de ba ? Au Japon, c’est la « mission
d’entreprise », et sa manifestation, la culture d’entreprise. Dans le jargon managérial japonais,
le mot ADN est couramment utilisé pour faire référence aux principes, aux valeurs et aux
pratiques fondamentales de l’entreprise. Pure coïncidence ou indice révélateur ? Nous optons
plutôt pour la seconde : un ensemble de ba forme une entreprise lorsque ses composants
partagent la même vision et la même culture.
Cette explication nous permet aussi de comprendre pourquoi la transmission de la
culture d’entreprise fait l’objet du MCI japonais. La culture d’entreprise doit être partagée
entre les différentes générations successives, au Japon et dans le monde, parce que c’est elle
qui assure l’unité et le fonctionnement de l’entreprise comme ensemble de ba.
Ce contrôle par la culture est d’autant plus important que le management a tendance à
se décentraliser. En effet, le ba est par définition locale et contextualisé. Dans une
organisation ensemble de ba, ce sont les parties qui l’emportent sur le tout, le système ne
servant qu’à une coordination strictement minimal des ba. Ainsi, comme analogie à la loi de
la complexité relative38, l’interaction locale et sa culture étant plus complexes et intenses que
celui du système ensemble de ba, c’est le management local qui prime. C’est pour cela que la
culture d’entreprise a un rôle important dans la fédération de ces différents ba plus ou moins
autonomes. Elle ne les encadre pas par des règles extérieures ni par des contrats ; elle les
contrôle par des normes comportementales intériorisées.
Nous avons ainsi également une interprétation possible de la faiblesse du management
(de connaissances) japonais dans sa capacité fédératrice. Dans une entreprise ensemble de ba,
la localisation du centre n’est pas aisé, et encore faut-il qu’il en existe un. Une filiale française
d’une entreprise japonaise est un ba, géographiquement français, avec des acteurs français, et
auquel participent peut-être quelques Japonais. Le management qui en découle sera donc un
38
D’après la loi de la complexité relative (théorie des systèmes), un système complexe ne peut être contrôlé
que par un système encore plus complexe que lui-même. Entre un système et ses parties, ce sont les propriétés
de celui qui est le plus complexe qui l’emporte : si la structure du système est moins complexe que celle de ses
parties, alors le système sera dépendant des propriétés de ses parties.
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
ajustement entre l’approche française et japonaise, probablement avec une touche plutôt
française. Ce peut être pour cela que les mécanismes du MCI japonais, localisé dans chaque
contexte ont du mal à être standardisés au niveau global de la firme.
*
*
*
*
En éclairant l’entreprise japonaise comme ensemble de ba, nous avons restitué le MCI
dans un schéma cohérent et transversal. Les différences entre le MCI français et japonais qui
ne semblaient pas trouver leurs origines dans les facteurs contextuels ont ainsi pu être
expliquées : la faible centralisation du MCI au niveau corporate, et le fait que la culture
d’entreprise fasse l’objet du MCI sont dus aux caractéristiques de l’entreprise comme
ensemble de ba.
En empruntant le concept de ba, l’entreprise peut être alors assimilée à un ensemble
mouvant et dynamique de relations émergentes. Cette conception organisationnelle se
retrouve dans les différentes caractéristiques attribuées à l’entreprise japonaise, justifiant ainsi
le ba comme une logique générique de son organisation : la vision du ba régit non seulement
l’organisation des activités et des relations humaines internes à l’entreprise, mais aussi les
relations qu’elle entretient avec son environnement. Par ailleurs, la porosité du ba fait que
l’identité collective qui y est attachée peut s’étendre au-delà de l’entreprise pour atteindre les
différentes dimensions de l’environnement dans lesquelles s’insère l’entreprise. La logique
organisationnelle du ba permet ainsi la prise en considération de la responsabilité sociétale de
l’entreprise.
L’adoption de cette vision semble permettre ainsi d’attirer l’attention sur des aspects
importants d’une entreprise dans une société de connaissances. Si l’approche se révèle
effectivement pertinente pour le management des connaissances et donc, pour le MCI, alors la
France pourra s’en inspirer. La sous-partie suivante évalue précisément l’intérêt d’une telle
approche : peut-on recommander l’approche par le ba pour le MCI?
90
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
3.2.
L’ INTERET
DE CE MODELE
En arrivant à cette dernière sous-partie, la vision de l’entreprise comme ensemble de
ba est dessiné. Maintenant que nous avons cerné sa logique, que peut-on en faire ? Quel est
l’intérêt de disposer de ce modèle organisationnel ?
3.2.1. U N
M O D È L E D E RÉ F É R E N CE
:
UN M O D È L E À I M I TE R
?
D’après Bourguignon (1994, p3), « Un modèle peut être un objet d’imitation ou une
variété particulière ». Quels avantages présenterait l’adoption de la logique du ba comme un
modèle de référence ? Dans la littérature sur le management de connaissances et face à la
dominance des TIC, les auteurs préconisent souvent un style de management qui semble très
proche de la logique organisationnelle du ba.
Par exemple, Dupuich-Rabassef et al. (2002) soutiennent que les compétences
individuelles n’ont de valeur que si elles aboutissent en des compétences collectives. Or, cette
transformation requiert un langage commun, un apprentissage et des expériences collectives.
Il faut que les acteurs sachent « jouer ensemble ». Les conditions nécessaires à la valorisation
des connaissances individuelles se trouvent donc dans le ba, dans cette plate-forme formée
des interactions sociales à la recherche de la coexistence. En effet, les connaissances
individuelles donnent naissance à de nouvelles pratiques organisationnelles par la
participation des acteurs dans ce ba.
La voie à suivre du management des connaissances, préconisée par Prusak (2001),
semble également aller dans le sens de la logique du ba. Selon l’auteur, le management des
connaissances est dans son fondement – et il doit le rester- quelque chose de tellement naturel
que l’on n’en a à peine conscience : il fait partie intégrante de l’acte « s’organiser ». Or, le
danger qui guette le management des connaissances est son instrumentalisation qui le
réduirait à néant. Il faut donc repenser le management des connaissances, dans sa vraie nature
qu’est l’amélioration de la qualité au quotidien. L’opinion de l’auteur conforte donc
l’approche japonaise, dont l’objectif est le partage et la création de connaissances pour la
performance de l’activité.
Cette évolution du management des connaissances vers celui du ba est effectivement
en cours, d’après Balmisse (2006) et ceci grâce aux Systèmes d’Information (SI). Les TIC ont
fait l’objet de vives critiques en management des connaissances ; ils seraient responsables de
91
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
sa déviation vers une gestion de l’information. Or les TIC évoluent, et ils semblent
aujourd’hui rejoindre la logique du ba. Sans prétendre « manager » les connaissances, les
TIC se proposent comme moyen pour faciliter et supporter les « vraies » sources de
connaissances que sont l’homme et ses interactions sociales.
Ainsi selon Balmisse (2006), trois grandes tendances des SI s’observent actuellement
et sont en train de bouleverser complètement notre conception de l’organisation. Le premier a
trait à la « convergence technologique » : les solutions progicielles, les dispositifs de travail
collaboratif et de gestion de contenu pourront être contenus dans une interface de travail
unique. Le deuxième est relatif à la « socialisation des outils ». Les outils s’orientent en
faveur d’un travail en réseau, en facilitant la création et le développement de liens sociaux
entre individus. Enfin, le troisième concerne l’individualisation des outils, ce qui signifie que
les collaborateurs pourront être, plus que jamais, de véritables acteurs-décideurs au sein de
leur organisation. Selon l’auteur, il s’agirait d’une décentralisation qui devrait entraîner de
profonds changements, au niveau des modes de travail comme dans la perception même de
l’organisation. La vision globale de cette dernière s’affaiblira au profit d’une vision plus
atomisée, avec pour conséquence une augmentation des initiatives « locales » par rapport aux
projets « corporate ».
Les perspectives de ces tendances établies par Balmisse ne sont rien d’autre que le
management des connaissances par le ba. Nous proposons donc ici d’insérer directement ses
propos :
« Nous vivons aujourd’hui de profonds bouleversements qui vont certainement nécessiter de la part
des organisations d’adopter une vision radicalement opposée aux conceptions actuelles en matière de
knowledge management.
L’approche Top-down de la gestion des connaissances semble difficile à imposer dans un
environnement où les collaborateurs sont de plus en plus autonomes et surtout de plus en plus maîtres de leurs
savoirs. L’avenir du KM semble passer par la prise en compte de « l’entreprise d’en bas » qui, de toute façon,
prend petit à petit le pouvoir sur les différents modes d’échanges et de partage des connaissances.
Au final, il semble nécessaire d’entamer une réflexion profonde sur l’impact que ces bouleversements
auront sur les organisations afin de définir les actions à entreprendre pour leur permettre d’entamer dans les
meilleures conditions la nouvelle ère de la socialisation et de l’intelligence en réseau. » (Balmisse G., 2006, p38).
Des auteurs en management de connaissances préconisent ou projettent donc une
évolution organisationnelle vers la logique du ba. Or en observant les configurations
organisationnelles des firmes de nos jours, nous nous apercevons qu’elles peuvent déjà être
analysées comme des ensembles de ba.
En effet, l’image de l’entreprise comme ensemble de ba présente de forts traits de
ressemblance avec les organisations modernes, dites « en réseau », ou « virtuelles ». Celles-ci
92
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
doivent leur apparition à la « révolution technologique » 39et la généralisation de l’internet a
largement bouleversé nos repères de l’espace-temps. Nous n’avons plus besoins de partager
le même lieu physique pour travailler ensemble, car les TIC dépassent la notion traditionnelle
du temps, et modifient par là-même les distances géographiques. L’organisation du travail
n’est donc plus contraint, ni par la structure formelle de l’entreprise, ni par les barrières
spatio-temporelles.
Qu’est-ce qui pourrait, dans ces conditions, caractériser l’organisation de l’entreprise ?
Ne serait-ce pas l’unité générique du ba, les interactions humaines qui s’articulent autour
d’un objectif commun ? Cette logique du ba garde son sens dans l’organisation de ces firmes
modernes, car elle s’adapte aussi bien aux espaces physiques que virtuels, temporels ou de
plus long terme, ainsi que aux organisations formelles et informelles. Le ba est le réceptacle
de toutes les interactions sociales autour du partage et de la création de connaissances.
Par ailleurs, les entreprises sont aujourd’hui marquées par des phénomènes
d’externalisation : les entreprises se déchargent de leurs activités « annexes » pour se
concentrer sur le « cœur de métier ». Dans notre économie mondialisée, cette division et
spécialisation du travail peut s’organiser sur toute la planète, et en incluant des partenaires
internes ou externes, nationaux ou étrangers. Ainsi, tout ce qui est considéré comme n’étant
pas stratégique pour l’entreprise est confié
aux entités locales ou à des sous-traitants
spécialisés, pour des raisons de coûts, mais aussi de qualité. En effet, l’externalisation atteint
aujourd’hui de plus en plus les activités qui étaient auparavant considérées comme
stratégiques: de la comptabilité et de la gestion informatique mais aussi de la consultance en
organisation ou en gestion des compétences. L’externalisation peut concerner aussi bien un
maillon d’un processus que la gestion globale d’un processus dans son ensemble. Ces
activités sont confiées à des prestataires externes non seulement dans une logique d’économie
de coût, mais aussi de création de valeur : ils le font mieux que nous. La conséquence est que
les frontières organisationnelles deviennent de plus en plus floues et que le cœur de métier
des entreprises se perd dans le réseau. Ainsi, quel est le cœur d’activité de l’entreprise
Benetton qui sous-traite aussi sa production et qui confie sa distribution à des franchises ?
Pour une entreprise donnée, certaines de ses activités sont alors réalisées par des
acteurs extérieurs: c’est le cas des prestataires de service en Business Process Outsourcing
(BPO) ou des consultants qui interviennent ponctuellement. Au contraire, certains acteurs de
39
D’après Issac H., dans le séminaire dispensé aux masters 101 et 128 durant l’année 2008/2009.
93
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
l’entreprise effectuent des activités de l’entreprise cliente : c’est principalement l’exemple des
consultants.
Ces configurations organisationnelles des entreprises actuelles peuvent s’apparenter
alors à un ensemble de ba plus ou moins autonomes, à des unités génériques d’organisation
de travail centrées sur un objectif commun. L’entreprise ensemble de ba est donc mouvant.
Certains de ses ba peuvent la quitter pour rejoindre une autre entreprise (externalisation), de
même que des ba à l’origine extérieurs à l’entreprise peut progressivement s’intégrer en son
sein (internalisation) (Harada, 原田, 2001).
Ainsi, le modèle d’activité de CMC qui réalise des prestations de conseil chez ses
clients peut être vu comme un déplacement du ba : ce dernier, à l’origine créé à l’interface
des deux entreprises, s’est progressivement introduit dans le périmètre d’activité de
l’entreprise cliente, comme un « parasite ». Du point de vue de l’entreprise cliente, il s’agit
d’une externalisation d’une activité annexe. Du point de vue de l’entreprise ensemble de ba,
cela correspond à un déplacement d’un ba inter-organisationnel au sein des ba du client.
La création de ce genre de ba inter-organisationnel est fréquente au Japon où les
relations clients-fournisseurs sont traditionnellement fortes. Or c’est aussi le cas pour toute
entreprise, japonaise ou pas, à la recherche de relations durables, stables et de qualité, avec
ses partenaires externes.
Ainsi, Alstom Transport investit dans une « politique de gestion des relations avec les
fournisseurs » pour optimiser les interfaces extérieures de l’entreprise et ainsi augmenter la
création de valeur dans la chaîne d’activité globale. Selon les termes utilisés dans le site web
de l’entreprise, cette politique relèverait des volontés suivantes :
−
−
−
−
optimiser le partage des connaissances entre Alstom Transport et ses fournisseurs ;
collaborer dans le but d’atteindre ensemble l’excellence ;
créer un environnement fertile pour l’innovation ;
favoriser une croissance mutuellement profitable.
Cette politique d’Alstom Transport est donc la manifestation-même de la volonté de
créer un ba inter-organisationnel. L’organisation en ba, par ses interactions organiques,
favorise le partage de connaissances pour la réalisation d’un objectif commun.
Le ba est donc un concept propice pour penser les configurations actuelles des
entreprises dans un contexte mondialisé et dématérialisé. L’adoption du concept de ba permet
alors de focaliser sur ce qui constitue les vraies «organes » qui restent à l’entreprise, c'est-à-
94
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
dire, les interactions sociales autour d’une activité. Ainsi, adopter un modèle de ba, c’est gérer
les déplacements et la création de ba pour optimiser la création et la captation de
connaissances, soit en faisant appel à un prestataire externe qui le fait mieux, soit en formant
un nouveau ba à l’interface avec l’environnement. La logique de ba possède donc une
cohérence économique. Dans notre société de connaissances, la recherche de l’efficacité et de
la création de valeur passe par le management des ba.
En effet, notre enquête empirique a mis en relief la tendance relativement convergente
du MCI française vers un management du ba, par rapport aux critiques de la littérature qui
avaient tendance à la condamner en une simple gestion de l’information. La majorité des
interrogés s’accordait sur le fait que le management des connaissances devait être une
pratique quotidienne, intégrée dans la culture de l’entreprise (entretien Alstom, BFD, IBM,
MCC mobilité). Bien que la vision stratégique et globale de la gestion des connaissances soit
primordiale, le management des connaissances se rapproche nécessairement de la logique du
ba, dans la mesure où il est l’affaire de tous : le management de connaissances ne peut être
exercé par une minorité de cadres supérieurs. L’activité de chacun - en tout cas en ce qui
concerne le management des connaissances - prend alors une forme plus participative et
locale. La connaissance ne peut être obtenue par obligation (entretien Alstom, IBM, MCC
mobilité).
Si la logique du ba est effectivement un modèle organisationnel vers lequel convergent
nos entreprises, il convient de prendre en compte une autre dimension importante de ce
concept : l’objectif supérieur du ba, et la culture commune (l’identité collective) qui facilitent
le partage tout en contrôlant les comportements. La culture est, par le contrôle informel
qu’elle exerce, ce qui maintient une certaine unité de l’entreprise et la distingue des autres
organisations. Le ba, par définition, développe et se base sur une identité collective.
L’entreprise comme ensemble de ba possède donc différentes cultures à ses différents
niveaux.
Or, nous avons remarqué que le management des connaissances japonais traitait de
cette culture d’entreprise comme un ensemble de connaissances à partager, à transmettre, ou
encore, à renouveler. De même, nous avons constaté la tendance des recherches japonaises en
management des connaissances qui s’interrogeait sur l’objectif du management des
connaissances, sur l’objectif de l’homme et sur la RSE.
L’explication que nous avons
proposée fait le lien entre cette culture d’entreprise et l’objectif supérieur de l’entreprise
comme ensemble de ba : la clarification de l’objectif supérieur au niveau de l’entreprise est
95
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
particulièrement importante car cet objectif est la raison d’être de l’entreprise comme
ensemble de ba. C’est autours de cet objectif commun que se rassemblent les différents ba qui
la constituent.
Ainsi, l’entreprise invite à la réflexion sur la mission de l’entreprise, explicite ses
valeurs fondamentales et organise des ba pour les faire intérioriser au fond de chacun. Il est
important que chaque acteur ait conscience de la raison d’être de son entreprise, cet objectif
supérieur qui unit et justifie le rassemblement des différents ba.
Or, aujourd’hui, la responsabilité sociétale fait plus que jamais partie de la stratégie de
l’entreprise. Que ce soit pour une raison d’image de marketing, sous la pression des ONG ou
pour la bonne conscience des collaborateurs, les entreprises ne peuvent plus faire l’impasse
sur ce concept. Elles sont amenées ainsi à réfléchir sur la responsabilité qu’elles ont dans
l’économie, dans le respect de l’environnement, dans la société civile, etc. Cette réflexion les
oblige à prendre conscience du système global dans lequel elles sont présentes, ainsi que de la
place qu’elles occupent en son sein : quel est le rôle de mon ba restreint par rapport au
macro-ba ?
Les différentes caractéristiques de la logique de ba semblent correspondre à
l’entreprise de nos jours. Plusieurs éléments font penser que la logique de ba est compatible
avec celle des entreprises occidentales, et même, qu’elle est stratégiquement pertinente dans
une société de connaissances. Notre hypothèse semble donc se vérifier : le MCI français se
rapproche, d’une certaine manière, de l’approche japonaise 40 traditionnelle parce que c’est
une logique adaptée au management des connaissances. L’approche par le ba est donc une
logique organisationnelle du MCI.
Si c’est vers cette approche que se dirige le MCI français, alors il convient de
s’interroger sur la « transposition » en France ; or, est-ce possible ?
3.2.2. E V AL U A TI O N
D E L A PE R TI N E N CE P O UR UN E A P PL I CA TI O N PR A TI Q U E
La logique organisationnelle du ba est-elle transférable en France ?
La réponse n’est pas si évidente, malgré les nombreux points communs observés entre
la logique du ba et celle des organisations modernes. En effet, le concept de ba est un produit
40
L’approche japonaise à la fois du MCI, du management des connaissances ainsi que du management en
générale, puisque l’ambiguïté de l’organisation japonaise ne fait pas de réelle distinction, d’une part, et parce
que la logique organisationnelle est toujours celle du ba, d’autre part.
96
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
de la société japonaise, et ses propriétés sociales et identitaires prennent largement leurs
racines dans la société japonaise.
Ainsi, pour Glisby et Holden (2003), même le fameux modèle SECI, aujourd’hui
largement utilisé dans le monde entier, ne serait pas universel car encastré dans la société
japonaise. Les auteurs démontrent alors que chaque phase du modèle SECI repose sur des
pratiques, des institutions et des particularités psychologiques de la société japonaise.
Par exemple, la phase de socialisation repose sur le penchant naturel des acteurs à
échanger et à partager des connaissances, à l’intérieur et à l’extérieur de l’organisation. Or,
selon Glisby et Holden (2003), cette inclinaison individuelle au partage de connaissances et à
la forte identification à une communauté n’est pas si évidente pour toute culture. Il s’agirait au
contraire d’une interaction sociale bien spécifique à la culture japonaise, et par conséquent
inimitable. Ainsi, l’écart est tel entre la mentalité japonaise qui valorise l’intuition et
l’expérience, d’une part, et les habitudes occidentales qui valorisent la rationalité et les
analyses formelles, d’autre part, que la phase de socialisation ne peut être transférée.
« Nonaka’s concept of socialization should be seen for what it is: a quintessentially Japanese form of
exchange behaviour. It is, all in all, something of a mystery why Nonaka ever made such universal claims for the
concept. » (Glisby and Holden, 2003, p32)
De même, le souci de l’harmonie de l’action dans le groupe, au profit du bien-être
commun et d’un objectif supérieur ne serait pas non plus si évident en Occident. En effet,
nous avons mentionné que la culture nationale japonaise était déjà encline à une tendance
communautaire, et que c’est cette dimension collective et sociale qui séparait aussi
principalement le concept de ba de celui de Cop. La Cop est un ensemble d’acteurs qui
partagent un intérêt commun : chacun y participe pour son intérêt individuel de
développement de compétences.
Nous avons également vu que dans le MCI, la détermination des compétences à
transmettre se faisait par un compromis entre les besoins de l’entreprise et les aspirations des
acteurs individuels. Or dans le ba, c’est la dilution de l’individu dans le tout, une entropie ou
une symbiose entre l’identité individuelle qui se confond avec l’identité collective : « Dans ce
ba, la distinction entre sujet et objet disparaît dans un mouvement informationnel orienté vers
la recherche communautaire d’une solution » (Fayard, 2003, p11). Cette définition mouvante
de l’identité individuelle est effectivement une singularité japonaise : l’ego n’est pas constant
comme en Occident, mais change selon les circonstances et selon l’interlocuteur.
Ainsi, la majorité des caractéristiques attribuées au concept de ba, au management et à
l’organisation japonaise, sont nécessairement encastrées dans la culture japonaise, car si
97
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
l’objectif économique d’efficacité et de rentabilité peut être universel, les moyens de
l’atteindre, le comment s’organiser relève de la culture. Ainsi, pour les mêmes raisons que
Glisby et Holden (2003) renient l’universalité du modèle SECI, le transfert du modèle
organisationnel comme ensemble de ba semble difficile, pour ne pas dire impossible.
Mais, rappelons-le encore une fois, notre position considère qu’il n’y a pas de
« bon » modèle dans l’absolu, mais toujours par rapport à son contexte. La question de la
transposition pure et simple du modèle n’est donc pas pertinente. La contingence appliquant
un certain conformisme au modèle organisationnel, la tentative de transfert dans un contexte
trop différent entrainerait un coût élevé. En effet, l’efficacité d’un modèle dépend de son
林、1998), l’universalité d’un modèle ne
adéquation avec le contexte. Ainsi, selon Hayashi (
devrait pas être mesurée selon son application à part entière dans tous les espaces,
géographiques ou temporels. Un modèle de management doit être jugé universel lorsqu’il
entre en cohérence avec sa propre logique managériale et ses autres sous-systèmes (Hayashi,
1998). En fait, Hayashi fait ici référence à l’utilisation du modèle comme une heuristique, un
cadre de référence pour inscrire notre réflexion et guider la prise de décision.
Glisby et Holden (2003) vont aussi dans le même sens : après avoir démontré
l’encastrement du modèle SECI dans la culture japonaise, les auteurs concluent que ce n’est
pas parce que le modèle n’est pas transférable qu’il faut l’abandonner. Selon eux, le modèle
devrait servir comme une carte plutôt qu’un modèle, ou peut-être comme un miroir qui
permet de refléter nos propres pratiques et d’indiquer des directions de changement. Il ne
s’agit donc pas de copier (ce qui est impossible) le modèle japonais, mais de s’en servir pour
observer et prendre conscience de nos propres pratiques et cultures organisationnelles d’un
autre point de vue (Glisby and Holden, 2003, p29).
Ainsi, selon Bourguignon (1993, p93), « ce qui est transférable dans le modèle
japonais, c’est la méthodologie de l’intégration des valeurs de l’organisation, elles-mêmes
fortement intégrées aux valeurs sociétales, dans tous les sous-systèmes de l’organisation »,
mais ne « sont transférables, ni les conditions spécifiques dans lesquelles cette méthodologie
a été mise en œuvre au Japon, ni les ‘recettes de gestion’ issues de cette méthodologie ». Si la
réunion de certains facteurs de contingence explique la naissance du style de management
propre au Japon, la logique organisationnelle en soi a une existence indépendante de son
contexte, ce qui la rend « transposable ». Et, ce qui est imitable dans le modèle japonais est,
selon Bourguignon, l’adéquation entre les différents éléments qui le composent. Transposer
cette heuristique en France reviendrait donc à chercher une méthode d’intégration des
98
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
valeurs, non pas japonaises, mais françaises, dans les différents systèmes de l’organisation.
Dans ce cadre de réflexion qui souligne la cohérence systémique des différents éléments, une
tentative d’application directe d’une « recette » toute faite serait donc tout à fait contraire à
son message. Les propos de Bourguignon (1993) sont aussi valables pour la logique
organisationnelle du ba. Nous pouvons alors tenter de présenter un cadre de réflexion par le
ba selon ce qui est invariant et ce qui doit être adapté à chaque contexte.
La logique invariante du ba est relative à son organisation décentralisée dont les
initiatives et les connaissances émanent des interactions sociales locales. L’unité de base de
l’organisation est donc le ba, une plate-forme de relations émergentes où les acteurs partagent
et créent des connaissances par des interactions organiques. Les frontières de ces ba sont
perméables dans la mesure où elles dépassent les structures formelles pour échanger aussi des
connaissances avec leur environnement extérieur41. Les ba peuvent donc s’intercaler et se
superposer.
L’adoption de ce cadre de référence amène alors à réfléchir sur les éléments suivants :
-
Un espace-temps, physique, virtuel, temporaire ou permanent comme unité de base du
MCI
-
Une dimension sociale : des interactions sociales et générationnelles qui structurent le
ba. Ces interactions suivent leur propre logique de communication (leur culture) et
sont à l’origine de la création de connaissances.
-
Un objectif qui rassemble les acteurs dans le ba et les différents ba ensemble.
La logique du cadre conceptuel du ba veut que ces trois éléments soient en cohérence
entre eux, mais aussi par rapport au contexte social dans lequel il va être appliqué et aux
connaissances qui en font l’objet.
Ainsi, au Japon, c’est la création et le partage de connaissances tacites qui sont
privilégiés. Le ba prend alors le plus souvent une organisation de l’interaction directe entre
les acteurs pour faciliter le transfert de ce type de connaissances. Les interactions sociales qui
forment le ba se caractérisent par un ajustement mutuel à la recherche d’une harmonie
globale. Les ba et les ensembles de ba se rassemblent autour d’un objectif supérieur. Au
Japon, ce dernier porte souvent sur la performance d’une activité commune. Le rôle du
41
Mais dans ce cadre conceptuel, le ba n’est plus perméable dans le sens où son identité est élastique et que
les acteurs adhèrent ainsi à différents ba qui s’imbriquent les un dans les autres. Ceci est une variable
particulière au ba japonais.
99
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
management consiste alors à éclaircir la mission de l’entreprise ensemble de ba, ce qui
revient à communiquer sur la responsabilité sociétale de l’entreprise. Ce contrôle des
comportements par les valeurs est en adéquation avec la tendance communautaire de la
culture japonaise qui se traduit dans les modalités de l’interaction sociale.
La culture n’étant pas la même en France et au Japon, les modalités d’interaction
sociales vont être aussi différentes. Les modes de communication devront être choisis selon
les connaissances que l’on veut influencer ; mais il convient aussi de prendre en compte les
préférences culturelles des acteurs en un certain type de communication. Ces préférences ne
sont pas le seul produit de la culture française, mais certainement aussi de la culture
sectorielle, de l’entreprise, ou encore, des générations. Certaines cultures seront à l’aise avec
un type d’interaction sociale communautaire comme au Japon, d’autres le seront moins. En
tout cas, d’après les entretiens menés, il semblerait que les relations sociales dans le
management de connaissances sont moins communautaires qu’au Japon. Dans le cas du
programme mentoring d’IBM, il s’agit de relations contractuelles, interindividuelles et plus
ou moins temporaires qui fleurissent librement selon les objectifs individuels.
Qu’est-ce qui pourrait être l’objectif fédérateur des acteurs autour du ba, et des
différents ba pour la formation d’une entreprise ? En France, la délimitation du travail et de la
responsabilité de chacun est plus claire qu’au Japon, et la culture nationale semble moins
encline à une adhésion communautaire. Les entretiens (Alstom, IBM, X) font penser que ce
n’est pas tant la réalisation d’une activité commune que la poursuite d’un projet individuel, et
donc la valorisation et la liberté des initiatives individuelle qui seraient la valeur commune
actuelle.
La distinction ainsi faite entre ce qui constitue le cadre de réflexion (le principe
organisationnel invariable) et son contenu (la nature de l’interaction sociale, les modalités de
coordination et de motivation etc. qui changent selon le contexte) permet aussi d’analyser le
(dis-) fonctionnement du MCI japonais.
En effet, si c’est l’adéquation et la synergie entre ces différents éléments qui
caractérise la logique organisationnelle du ba, la faiblesse de cette organisation peut provenir
du décalage entre ces différents éléments.
L’étude empirique du MCI japonais a mis en avant la préoccupation des managers
japonais dans la création et l’aménagement du ba, mais aussi la perplexité ressentie face aux
nouvelles générations et aux collaborateurs des pays étrangers avec lesquelles ils n’arrivent
plus à communiquer comme ils le font entre eux. Les jeunes générations ne sont plus attiré
100
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
par les sorties « after five » avec leur supérieur hiérarchiques, ils préfèrent séparer vie
publique et vie privée.
En effet, le partage et la création de connaissances repose au Japon essentiellement sur
une interaction sociale informelle, une modalité de partage qui implique un langage commun
et des interactions sociales fortes. Or, ces conditions ne sont plus vraiment remplies entre les
générations éloignées et les collaborateurs d’origines différentes, puisque leur culture est
différente. Par exemple, les nouvelles générations et les collaborateurs étrangers préfèrent
Ainsi, le modèle organisationnel japonais est d’autant plus contextualisé (sticky) qu’il
repose sur la communication tacite, un produit direct de la culture locale. D’après le cadre
conceptuel du ba, l’enjeu du MCI japonais se trouverait donc dans l’adaptation des modalités
de communication. Le langage de communication et les modalités d’interaction sociale
devraient donc s’ajuster à ceux de la nouvelle génération et des autres cultures.
3.2.3. D I S C US S I O N
E T PI S TE S D E RE C H E R C H E S
A partir d’une comparaison franco-japonaise du MCI, nous avons cherché à
comprendre les approches organisationnelles qui sous-tendent les mécanismes du MCI des
deux pays, et qui pourraient ainsi expliquer leurs différences. La comparaison francojaponaise des mécanismes de MCI ont mis en avant leur encastrement contextuel, mais aussi
la présence d’un socle commun relatif aux exigences organisationnelles d’un MCI. Nous
avons constaté que cette tendance commune est en fait, une logique organisationnelle
générale à la firme japonaise, au sens où les délimitations structurelles de l’organisation sont
floues, et que le travail participatif et coopératif coordonne les activités des acteurs. Cette
logique a été identifiée comme relevant du concept de ba.
Or, l’extraction de cette logique ainsi que la détermination de la tendance du MCI par
le ba se basent sur l’enquête empirique réalisée. Il convient donc de mentionner les forces et
faiblesse des données recueillies sur lesquelles se base ce mémoire.
La première limite de cette étude est relative à son échantillon assez limité. Trois
entreprises par pays, dont une française qui ne contribue pas directement dans l’étude du MCI
(elle contribue toutefois à souligner la différence des approches des deux pays). De plus,
l’approche de recherche qui se voulait intentionnellement globale a sans doute omis des
détails révélateurs de certains mécanismes du MCI. Mais, compte tenu du choix
101
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
méthodologique de l’entretien qualitatif, du temps limité pour l’enquête et dépendant des
opportunités de prise de contact avec les entreprises, il n’a pas été possible de se constituer
un échantillon plus important.
Nous avons essayé de remédier à cette faiblesse en interrogeant des personnes ayant
connu différents cas d’entreprises (cabinet de conseil) pour obtenir une vision plus
généraliste. Ces entretiens ont été intéressants car ils nous ont permis de cerner dans l’étude
de cas des entreprises interrogées, ce qui est commun dans l’approche du pays et ce qui est
une originalité de chaque entreprise. L’expérience de ces personnes dans le domaine du MCI
nous ont aussi permis d’obtenir des pistes intéressantes pour l’interprétation des résultats. Or,
les propos de ces personnes font nécessairement intervenir leurs jugements et interprétations
personnelles. Ils ne remplacent en aucun cas des études de cas concrets.
Un autre point faible dans la collecte de données est relatif au profil des personnes
interrogées dans les entreprises. Les interviewés n’ont pas tous le même profil, mais ce choix
est intentionnel : nous voulions une personne qui ait une vue d’ensemble des mécanismes
MCI de leur organisation, et le statut de cette personne n’est pas nécessairement la même
selon les entreprises. Par contre, le point commun de ces interviewés qui découle directement
du critère de leur sélection, réside dans leur statut élevé dans l’entreprise. Or étant donné que
notre développement conceptuel a porté sur la logique du ba, une notion fondamentalement
sociale et locale, il aurait été préférable que des données complémentaires soient recueillies
des acteurs participant au ba, donc des gens du terrain, de l’opérationnel. Des études de type
participant-observateur ou longitudinal seraient plus appropriées pour détecter des données de
qualité pour une étude du ba.
Par ailleurs, déjà signalé dans la partie méthodologique (chapitre 2), les entretiens avec
les entreprises japonaises CMC, NTN et YKK n’ont pas été réalisés individuellement. Les
interviews se sont plus ou moins déroulées individuellement, mais une ou deux autres
personnes étaient présentes au moment de l’entretien. Etant donné que le contenu de
l’entretien ne portait pas directement sur des propos qui engageaient personnellement les
interviewés, nous estimons que les entretiens n’ont pas été trop biaisés.
En revanche, pour des enquêtes futures à réaliser au Japon, et portant sur des
dimensions plus personnelles ou délicates, il conviendrait de bien insister sur les modalités de
l’entretien que l’enquêteur souhaite mener. Nous ne pensons pas que la participation en
groupe à ces entretiens relevait d’une intention de contrôler les propos de chacun. Il s’agirait
plutôt d’une question d’habitude, ou d’une manifestation, encore une fois, de cet esprit
collectif du ba japonais : l’entreprise ne se considère pas comme un objet d’étude passif, mais
102
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
comme un acteur qui, avec le chercheur, réalise un travail, ensemble, en se concertant 42 .
Mais, si les Japonais ne se sentent vraiment pas à l’aise avec ce type d’entretien, ce sera à
l’enquêteur d’adapter ses entretiens sous une forme collective, ou plus informelle. Cette
faiblesse de notre enquête pourrait être ainsi transformée en un apport positif dans la
méthodologie de conduite d’entretien au Japon.
Malgré ces limites méthodologiques, ce travail a l’avantage d’avoir mis en lumière le
vaste contexte dans lequel s’insèrent les MCI : contexte démographique, institutionnel,
managérial, social, ou encore, culturel. La comparaison franco-japonaise rappelle ainsi à
chaque chapitre que le mécanisme MCI est fortement encastré dans son contexte : il est le
fruit de son contexte par les forces de contingence qui y sont exercées, et il dépend de son
contexte dans la mesure où il cherche à répondre à des problématiques spécifiques qui lui
sont dues. L’intérêt de la comparaison ne réside donc pas uniquement dans la découverte de
nouveaux mécanismes organisationnels « pratiques », mais aussi et surtout, dans
l’identification des approches organisationnelles qui les sous-tendent.
De plus, notre démarche ne s’est pas arrêtée à l’identification de ces approches
organisationnelles, essentiellement le fruit de la contingence contextuelle : nous avons poussé
la réflexion sur la possibilité d’une logique organisationnelle adaptée au MCI.
En
l’occurrence, cette logique organisationnelle est celle de l’approche traditionnelle des firmes
japonaises : le ba. Après définition de cette logique organisationnelle puis démonstration de
son intérêt dans le management des connaissances, nous nous sommes interrogé sur son
application possible en France.
Ce mémoire apporte ainsi deux contributions majeures à l’étude du MCI.
Premièrement, l’objectif de ce mémoire est atteint : les démarches et approches globales du
MCI français et japonais ont été mises en évidence. Les résultats de ce mémoire pourront
ainsi aider la compréhension des mécanismes MCI français et japonais pour une recherche en
thèse. Deuxièmement, ce travail a permis de suggérer une approche de l’organisation propice
au management des connaissances. Cette approche par le ba peut être porteuse, non
seulement pour le MCI, mais aussi pour le management des connaissances en général.
42
Dans les trois entreprises visitées, ce sont d’abord les interviewés qui ont commencé l’entretien, en
présentant leur entreprise et leur points de préoccupation.
103
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
Le résultat de ce mémoire reste cependant relativement vague pour être opérationnel.
Le cadre de réflexion qui en résulte indique quelques pistes, mais en tant qu’une heuristique,
il reste à définir ses propriétés précises et leurs dimensions.
En effet, cette étude a mis en lumière une logique organisationnelle du MCI, donc une
logique de fond qui structure l’approche du MCI. Or, comme le mot « logique » l’indique, si
cette vision a l’avantage d’être générale, elle n’apporte pas d’indication précise sur le MCI en
particulier. Par exemple, il conviendrait d’approfondir les implications concrètes du « besoin
d’une culture commune » dans le cadre d’une diversité intergénérationnelle. Des recherches
futures plus approfondies et portant sur un échantillon plus large pourraient aussi s’intéresser
aux comparaisons entre secteurs, selon le type de connaissances visées et la population
concernée, etc. l’affinement de l’étude pourrait ainsi aboutir à une certaine typologie.
Toutefois, il faudra toujours garder en esprit le caractère idiosyncratique du MCI. Les enjeux
qui interviennent sont si nombreux et interdépendants les uns des autres que la généralisation
sera toujours difficile, sinon impossible.
104
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
Conclusion intermédiaire 3
Dans ce troisième chapitre, nous avons utilisé le concept de ba pour intégrer le MCI
japonais dans un schéma cohérent, mais aussi pour évaluer sa portée en tant que logique
propice au MCI de manière générale.
En avançant que la logique du ba peut être une vision de l’entreprise à adopter pour
focaliser sur les mouvements de connaissances, nous avons montré les avantages de cette
vision pour les firmes japonaises ou occidentales, vivant dans une société de connaissances.
En effet, la révolution technologique du siècle dernier a complètement déréglé nos
repères spatio-temporels. L’unité organisationnelle « réelle » de nos firmes ne repose donc
plus sur des structures organisationnelles formelles, mais sur leurs contenus, sur les
connaissances qui s’échangent et s’organisent dans les interactions sociales. Cette vision par
le ba permet alors de mettre en valeur les éléments les plus pertinents à prendre en
considération dans notre société de connaissances : l’identification de la localisation des
connaissances ; ces ressources qui constituent la première richesse de notre société
dématérialisée. L’entreprise s’organise alors en créant ou en aménageant ses ba.
Or, cette logique de ba en tant que telle étant très japonaise, nous avons pris la position
selon laquelle son transfert tel quel serait difficile et impertinent. C’est ce qui nous amené à
considérer cette vision de l’organisation comme ensemble de ba, non pas comme un modèle
de référence à imiter, mais comme un cadre conceptuel qui nous permettrait de réfléchir sur
les éléments importants à prendre en considération dans notre société de connaissances.
105
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
C ONCLUSION
Le management des connaissances intergénérationnel implique de nombreux enjeux,
dont, principalement comme cette expression l’indique, ceux liés au management des
connaissances, et ceux qui ont traits aux rapports entre les connaissances et
l’intergénérationnel. Ces deux aspects ne peuvent être traités par des dispositifs superficiels et
en urgence, car ils dépendent de l’organisation quotidienne et continue de l’entreprise. Ainsi,
le management des connaissances n’est pas un dispositif technique pour extraire et manipuler
les connaissances, mais une façon d’organiser le travail et la coopération pour encadrer le
partage et la création des connaissances. Quant au rapport entre les connaissances et l’âge, il
relève du développement et du maintien des compétences individuelles. Il s’agit là d’un enjeu
déterminé par la formation continue, mais aussi par l’organisation globale du travail et des
activités dans l’entreprise (division et spécialisation du travail, mobilité fonctionnelle…).
Ainsi, l’objectif de ce mémoire n’était pas tant dans le simple recueil des mécanismes
MCI, mais dans l’identification d’une logique organisationnelle qui les structurent. Nous
avons réalisé pour cela, une étude comparative globale des pratiques des firmes françaises et
japonaises, en nous interrogeant sur leurs logiques organisationnelles qui sous-tendent leur
MCI. En effet, cette étude constitue aussi une recherche préalable pour la préparation d’une
thèse sur le même sujet. La caractérisation de l’approche française et japonaise du MCI
permettra ainsi une meilleure compréhension des données.
Dans un premier temps (chapitre 1 et 2), l’analyse contextuelle des deux pays a
souligné l’encastrement systémique du MCI. Ce dernier est fortement influencé par les enjeux
démographiques et politiques du pays, ainsi que par les pratiques managériales des
entreprises qui déterminent les modalités de formation de leurs collaborateurs. De même, les
différences de conceptions française et japonaise dans le management des connaissances se
manifestent dans la perception du MCI et les moyens organisationnels mis en place par ces
firmes.
La mission actuelle et principale du MCI semble être, dans les deux pays, d’assurer la
continuité des compétences dans l’entreprise, face au départ à la retraite de la génération
baby-boom. C’est aussi une manière de « maintenir » le senior compétent en entreprise, en
leur confiant une nouvelle mission de la transmission des connaissances
En France, l’objectif principal du MCI consiste à « économiser le temps et l’argent »
dépensés aux différentes occasions de départ du personnel : départ à la retraite, turn-over,
106
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
plan social… Il n’est donc pas nécessairement rapporté à l’intergénérationnel. Or au Japon, le
MCI est directement lié à l’intergénérationnel, car l’apprentissage et la professionnalisation
des employés incombent à l’entreprise ; le MCI fait partie du travail des entreprises. Le MCI
japonais se confond dans le management quotidien, sous une modalité qui se résume par le
concept de ba, la mise en place de plates-formes d’interaction sociale plus ou moins
informelle pour la transmission et la création de connaissances.
La comparaison des mécanismes MCI met en relief le fait que, malgré les différences
contextuelles qui séparent les MCI français et japonais, une certaine caractéristique du MCI
français tend à se rapprocher de la conception traditionnelle du MCI japonais par le ba: une
approche décentralisée, plutôt informelle et participative du travail et de l’apprentissage.
L’organisation japonaise serait-elle donc plus adaptée au MCI ? Les entreprises françaises
devraient-elles donc s’en inspirer ? Or, cette logique sous-tendant le MCI japonais n’a pas
encore été éclaircie.
C’est ce qui nous a amené, dans un second temps (chapitre 3), à pousser la réflexion
sur la logique organisationnelle japonaise par rapport au concept de ba. Ce concept de ba a
été abordée comme logique générique de la firme japonaise dans la mesure où il structure la
coordination du travail à tous les niveaux de l’organisation. En effet, la vision de
« l’entreprise comme ensemble de ba » semble offrir une explication cohérente et
transversale du MCI japonais restitué dans son fonctionnement général. De plus, il s’est
révélé que cette vision des organisations convenait également aux caractéristiques
configurationnelles des entreprises de notre « société de connaissances».
En effet, non seulement les entreprises se déploient aujourd’hui dans le monde entier,
mais elles sous-traitent aussi de plus en plus leurs services et productions, elles externalisent
des segments de leur activité et même des processus tout entiers. Les structures formelles des
entreprises n’ont donc plus vraiment de sens dans notre contexte mondialisé et dématérialisé.
La vision de l’entreprise comme ensemble de ba présente alors le mérite d’attirer l’attention
sur les interactions sociales sources de partage et d’échange de connaissances (le ba).
Notre hypothèse sur la pertinence de la logique organisationnelle par le ba du MCI
semble donc se confirmer : la logique du ba convient au MCI, et de manière plus générale, au
management des connaissances. Si cette logique est efficace dans notre société de
connaissances, la question suivante porte alors sur la « transférabilité » de ce modèle en
France.
Or, notre position par rapport à cette question est négative : le concept de ba ne peut
être appliqué tel quel en France. Le ba est un produit de la société japonaise, et ses
107
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
caractéristiques identitaires et sociales semblent être très spécifiques à sa culture. En effet, les
notions fondamentales du ba comme l’harmonie collective et l’identification communautaire
ne sont pas des données systématiques à la société française. Ainsi, notre proposition consiste
à considérer cette vision de l’entreprise comme ensemble de ba, non pas comme un modèle à
transposer directement en France, mais comme un cadre général de réflexion pour tenir
compte de certains aspects du MCI.
Le message principal de ce cadre conceptuel porte sur la considération des différents
espaces-temps d’interaction générationnelle comme des plates-formes de MCI. Il convient de
concevoir ces interactions, non seulement comme moyen de transmission de connaissances,
mais aussi comme source principale de création de connaissances. Un autre élément important
est la prise en compte des dimensions culturelles et sociales. En effet, ces interactions
humaines doivent être motivées par, et s’unir pour un objectif supérieur. Le management et
l’organisation doivent donc agir sur cet aspect psycho-social. Enfin, la cohérence globale
entre les différents éléments du MCI est un élément fondamental. Le mode d’interaction
social, les connaissances objets du MCI, la culture des acteurs et les objectifs incitatifs à la
participation doivent se renforcer mutuellement pour dégager des synergies.
Encore une fois, l’objectif de ce mémoire n’était pas l’exposé de bonnes pratiques, ni
la production d’une solution pour le MCI. La contribution de ce travail réside dans la
proposition d’un cadre général dont le rôle n’est pas de fournir une solution mais d’attirer
l’attention sur certains aspects du MCI. C’est la comparaison du MCI français qui a permis
de discerner l’originalité de l’approche japonaise, et c’est la conceptualisation de la logique
japonaise qui a permis de mettre en relief l’approche du MCI par le ba. Il paraît que la
diversité est source de création de connaissances…
108
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
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Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
A NNEXES
Grille d’entretien pour les entreprises
Analyse monographique des entretiens réalisés avec les entreprises
Analyse transversale des entretiens réalisés au Japon
Erreur ! Signet non
défini.
Analyse transversale des entretiens réalisés en France
Liste des figures et tableaux
113
GRILLE D’ENTRETIEN POUR LES ENTREPRISES
Guide d’entretien
Phrase de lancement
Thèmes
Cadre général ou
approche stratégique du
management des
connaissances
intergénérationnel
Participants
Caractéristiques des
connaissances objet du
management
Description du
mécanisme : dispositif
organisationnel et
managérial du
management de
connaissances
intergénérationnel (le
comment)
Approche conceptuelle
du mécanisme: les
facteurs considérés
comme étant importants
Conséquences directes
ou indirectes du
mécanisme
« Pourriez-vous me décrire le management des connaissances que vous avez
dans votre entreprise, dans le rapport intergénérationnel ? »
Questions
« Dans quels contexte et objectif ce mécanisme s’inscrit-il ? »
- Vision stratégique et les caractéristiques de l’entreprise dans
lesquelles s’inscrit le KM intergénérationnel
- Caractéristiques intergénérationnelles : climat social, rapport de
force, structure pyramidale de la population
- Mission/objectif du KM intergénérationnel : transfert de
connaissances, accumulation de connaissances,
introduction/réactualisation des connaissances, création de
nouvelles connaissances…
- Rôle de l’interrogé dans la gestion du ba : gestion des relations et
des interactions, définition des connaissances à traiter…
« Qui y participe ? »
- Modalité de recrutement ou de sélection : appartenance à une
catégorie d’âge, ancienneté, maîtrise ou non d’une connaissance
- Fonctions, qualifications des participants
- Rôles des participants : émetteurs, récepteurs de connaissances
« Quelles connaissances en font l’objet ? »
- Nature de la connaissance : explicite/implicite ;
individuelle/collective
- Appartenance de la connaissance : seniors/anciens,
jeuniors/nouveaux (selon le découpage des participants)
- Modalité de définition des connaissances objet du KM :
diagnostique du Top management, initiative des émetteurs ou des
récepteurs…
« Sous quelles formes ce mécanisme se déroule-t-il? »
Structure organisationnelle, spatio-temporelle du mécanisme
formel/informel, physique/virtuel/mental, en dehors du travail
quotidien/durant le travail quotidien, fréquence, durée…
- Activités et processus : modalité d’apprentissage, de transfert…
- Relations intergénérationnelles : à sens unique/réciproque,
complémentaires/concurrentielles…
« Pour quoi le management des connaissances prend-il cette forme? »
- Modalité de l’organisation: délibérée (top-down),
émergente/naturelle (bottom-up), concertée…
- Intérêts perçus d’un tel mécanisme (facteurs clés & facteurs de
risque d’un KM intergénérationnel): favoriser les relations
intergénérationnelles, transmettre les connaissances tacites, motiver
les acteurs…
Inconvénients perçu d’un tel mécanisme : contraintes de mise en
œuvre, résistances humaine
« Quels en sont les conséquences que vous avez constatées ? »
- En termes d’atteinte des objectifs : transfert effectif, découverte de
nouvelles connaissances clés…
- En termes de relations intergénérationnelles : amélioration des
relations intergénérationnelles, constat de difficulté de
communication…
- Leurs causes : interactions intergénérationnelles, motivation
personnelle…
Pour les guides d’entretiens en France, les thèmes suivants, dégagés des entretiens réalisés au Japon, ont été rajoutés :
- Le lien entre le MCI et la culture d’entreprise
- Le lien entre le MCI et la responsabilité sociétale des entreprises
ANALYSE MONOGRAPHIQUE DES ENTRETIENS REALISES AVEC LES ENTREPRISES
Grille d’analyse de l’entretien avec l’entreprise CMC
Contexte stratégique et
organisationnel
Mécanisme
organisationnel du
MCI
Former les jeunes recrutés
Formation interne
formelle :
- OJT (travail en groupe
pour apprendre le
métier)
- Off-JT (séminaire sur
le métier, cours de
langue)
Participants au MCI
Tous les jeunes recrutés
Caractéristiques de
connaissances
Connaissances tacites et
explicites
Transmettre l’ « idéologie » de l’entreprise
Formation interne
informelle OJT :
- Mise en relation systématique
d’un jeune avec un acteur plus
expérimenté pour que le
premier apprenne en observant
le travail du second
- La nature du travail en équipe
fait que chaque mission est une
occasion d’apprentissage par
l’interaction avec ceux qui
connaissent le métier
Tous les acteurs de l’équipe,
puisque par définition, l’OJT est
un apprentissage qui se fait
naturellement dans le cadre du
travail quotidien.
Connaissance tacites, voire
implicite, surtout sur les
procédures de conduite de projet,
de résolution de problème et de
l’opérationnalisation d’une idée.
CRP (customer relationship
Process) Map.
Liste formalisée des
connaissances/compétences à
acquérir (157 topics à maîtriser).
-
Former efficacement les jeunes.
Tous les acteurs de l’entreprise. Le livret
« CMC Way » est offert aux nouveaux
recrutés lors de leur intégration, chacun à
son tour doit écrire un commentaire sur la
presse interne.
Partage d’expériences, ou partage d’une
vision, d’une interprétation des valeurs de
l’entreprise
Tous les jeunes recrutés
-
Livret « CMC Way » : « les points
importants de CMC », la « façon
d’être » de l’entreprise, son « ADN ».
presse interne : des rubriques sont
régulièrement consacrées à l’idéologie
de l’entreprise et à des exemples de son
application
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
Facteurs considérés
comme importants
Apprendre les processus :
les jeunes peuvent avoir de
bonnes idées, mais ils ne
connaissent pas le
processus pour les mettre
en œuvre
La volonté de l’apprenant
Conséquence de ce
mécanisme MCI
Intégration des jeunes
Intégration des jeunes
Note
La mise en relation systématique
d’un jeune avec un expérimenté
peut se faire car PME.
Assimiler et savoir appliquer les
attentes du client et du management
(connaissances tacites) sur chaque
phase d’une mission d’intervention,
explicité par les acteurs
expérimenté. Toutefois, ce CRP
Map n’est pas complète, des
connaissances fondamentales ne
sont pas prises en compte.
Viser toujours l’excellence et se
mettre à la place de l’autre (client et
management)
Les jeunes apprennent rapidement à
réaliser correctement une mission
d’intervention
Intérioriser l’idéologie de l’entreprise et
l’appliquer dans le travail quotidien.
Le récit de l’expérience des autres ou le
fait de devoir écrire un commentaire sur
l’application concrète de l’idéologie de
l’entreprise fait réfléchir et donne des idées
sur son opérationnalisation
C’est une standardisation du
processus qui facilite
l’apprentissage et garantie un
certain niveau de résultat
Les connaissances explicitées sont
celles qui ont été tiré de
l’expérience du ba avec le client.
Le contenu de la prestation réalisé chez ces clients consiste principalement en l’organisation et la rédaction des manuels techniques (customer support marketing,
70%), suivi de la gestion de la formation et de la standardisation des procédés de travail (internal marketing, 15%), puis de l’impression des documents (total
printing) et de la gestion de la communication (external marketing)43. Ainsi, l’entreprise se proclame être une véritable « marketing company » qui soutient ses
clients par l’amélioration de leurs compétences et de leurs forces de vente ainsi que par la fourniture de documents personnalisés.
43
Organisation des campagnes de promotion et de l’événementiel
116
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
L’entreprise possède donc un programme de formation en trois étapes en fonction de l’ancienneté et de la progression des collaborateurs. Toujours en fonction de
l’ancienneté, de nombreuses passerelles sont organisées entre les différents « domaines de spécialité44 » pour permettre la mobilité du personnel, dont le passage au
rôle du formateur.
La transmission des connaissances dans le département de marketing, section projet : CRP-Map
(explicitation des connaissances nécessaire pour réaliser le travail)
CRP (customer relationship Process) Map est une « explicitation » des phases et des activités du service projet. Elle a été conçue pour une meilleure compréhension
de l’attente des clients et pour la réalisation d’une qualité de propositions et de services qui dépasse l’attente des clients.
Les collaborateurs expérimentés ont listé (explicité) les connaissances qu’ils considéraient nécessaire de maitriser pour réaliser le planning marketing. Ces
connaissances sont classées en six processus composés d’un total de 157 sous-rubriques. Les jeunes diplômés coche les cases lorsqu’ils considèrent maitriser ces
connaissances ou savoir répondre aux exigences indiquées. Il faut au moins dix ans pour pouvoir cocher toutes les cases, et c’est au bout d’à peu près cinq ans,
lorsque les collaborateurs parviennent à peine à maîtriser la moitié de ce qui est requis qu’ils sont considérés comme étant relativement autonomes, et se voient
attribuer un nouveau recruté pour le superviser.
Processus d’élaboration du CRP map :
Identification des différentes phases et recherche des « attentes du client » correspondant à chaque phase, discussion sur ce que doit être la section projet du
département marketing en plusieurs réunions de travail.
Exemple de la phase 2 : partage des besoins du client
Attentes du client:
- on voudrait que vous fassiez ressortir des besoins dont on n’est pas conscient
- on voudrait que vous développiez et que vous nous proposiez des cas de bonnes
pratiques des autres secteurs
- on voudrait que vous compreniez bien notre firme
- on voudrait des données convaincantes
- on voudrait que vous nous prouviez par des fiats antérieurs qu’on peut vous faire
confiance
- etc.
44
Les 6 phases :
1. Préparations préliminaires
2. Partage des besoins
3. Formulation des solutions
4. Proposition des solutions
5. Exécution des solutions
6. Analyse et rapport, recherche et partage de nouveaux
besoins
専門分野
« Domaine de spécialité » (Sen-mon bunnya,
) dans une traduction de mot à mot, ces familles reste toutefois très vagues : « management », « marketing »,
« knowledge sharing», «coaching», «assurer le profit», «éducation», etc.
117
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
Attentes du top management :
- on voudrait que vous convainquiez le client
- on voudrait que vous soyez dans un état où on peut vous faire confiance
- on voudrait que vous vérifier l’orientation avec des mots simples
- on voudrait que vous ayez une écoute qui fasse ressortir les besoins du client
- on voudrait que vous participiez activement aux réunions de rencontre avec le
client
- etc.
Grille d’analyse de l’entretien avec l’entreprise NTN
Contexte stratégique et
organisationnel
Mécanisme
organisationnel du MCI
Former les acteurs à l’ensemble des compétences
nécessaire pour savoir agir selon les circonstances.
Processus normal de professionnalisation des jeunes.
Apprentissage sur le tas par l’expérience, par observation
et interaction. La formation ne se fait pas séparément du
travail, elle se déroule dans le cadre du travail.
Participants au MCI
Tous les acteurs
Caractéristiques de
connaissances
Tacites et implicites, elles relèvent des cinq sens. C’est de
l’art.
Faire intégrer un état d’esprit du métier, savoir favoriser
l’apprentissage par incitation.
L’apprenant doit être très sérieux et viser toujours plus
haut.
Les différences culturelle entre les générations rend
aujourd’hui difficile le management incitatif et le partage
des connaissances tacites. Cette méthode marchait
autrefois, mais beaucoup plus difficile aujourd’hui. Il faut
donc expliciter et formaliser ce qui peut l’être pour rendre
le processus plus efficace.
L’acquisition des connaissances se fait par la participation
Facteurs considérés
comme importants
Conséquence de ce
mécanisme MCI
Note
Former les acteurs avant el départ à
la retraite des seniors expérimentés
Formation interne, formelle, continue et sur
le terrain
Mise en place d’un établissement
de formation auquel les
collaborateurs participent
occasionnellement.
Mise en place d’un espace dédié à la
formation technique dans les usines ;
établissement de formation auquel les
collaborateurs participent
occasionnellement.
Selon les besoins individuels et par la désignation hiérarchique. Les transmetteurs
sont souvent des seniors de plus de 60 ans dont le contrat de travail a été renouvelé
pour un emploi à temps partiels. Les « tuteurs » sont valorisés dans leur évaluation.
Tacite, elle ne peut que s’acquérir par expérience. Les acteurs expérimentés n’en
transmettent pas les connaissances, ils encadrent l’apprentissage.
Faire l’expérience par soi-même plutôt que de raisonner.
Apprentissage ciblée des connaissances dans le contexte.
Création de ba spécialement dédié à la transmission des connaissances car cette
118
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
à un ba : le jeune n’intervient pas forcément, mais il
observe et absorbe les connaissances tacites par sa
présence dans cet espace-temps
dernière ne peu plus se faire dans le cadre du travail quotidien (manque de temps,
diminution d’effectif, etc.).
Grille d’analyse de l’entretien avec l’entreprise YKK
Contexte stratégique et
organisationnel
Formation des jeunes recrutés dans un processus classique de
professionnalisation (emploi à vie et promotion à l’ancienneté)
Mécanisme
organisationnel du MCI
L’acquisition des connaissances
- mise en relation d’un
informelle sur le terrain, par
jeune avec un senior
observation, par imitation et par la
pour une mission
volonté individuelle.
- constitution d’équipe
multi âge
- valorisation des tuteurs
dans l’évaluation des
compétences
Créer un sentiment d’unité et d’appartenance
autours des valeurs fondamentales de
l’entreprise, de l’ «esprit YKK » et de
l’ « idéologie YKK », à l’occasion du 100e
anniversaire du fondateur, dans un contexte
de mondialisation
- Opération « forum quarante milles
collaborateurs » : visualisation, le jour de
l’anniversaire du fondateur, d’un DVD
résumant l’histoire de YKK, dans le
monde entier.
- Organisation de symposium sur le thème
de la culture et de la philosophie de
l’entreprise YKK.
- Soirées de rencontre régulières avec les
retraités d’YKK qui racontent des
anecdotes et leurs expériences (OB
). fréquence : à peu près 4 fois
par an.
友の会
Participants au MCI
Les jeunes et ceux qui les
encadrent (sen-paï), c'est-à-dire
les acteurs qui se situe sur le
même lieu de travail.
La combinaison des
membres est désignée
par le management. Les
seniors spécifiquement
affecter à la transmission
des connaissances sont
ceux dont le contrat de
の社
Tous les collaborateurs du monde d’YKK
Group pour le forum.
Rencontre entre une vingtaine de retraités et
une vingtaine de collaborateurs actuels.
C’est l’entreprise qui désigne tour à tour par
âge, les collaborateurs pour qu’ils y
participent. Pour l’instant, la moitié y est
Discuter et internaliser
l’ « esprit » et l’« idéologie »
d’YKK.
Détermination par votre des
collaborateurs, de trois
valeurs fondamentales à
transmettre.
- Réunion de discussion
(communauté épistémique)
autour des l’idéologie de
YKK
la
réunion « en ronde » autour
du PDG : rencontre du PDG
et des collaborateur pour
parler sans tabou de
différents sujet
Membres sélectionnée pour la
réflexion sur l’idéologie de
l’entreprise, mais la
détermination des trois valeurs
fondamentale s’est fait par votre
des collaborateurs japonais.
-
社長「車座集会」
119
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
Connaissances objet du
MCI
Facteurs considérés
comme importants
Conséquence de ce
mécanisme MCI
Note
travail a été prolongé.
Connaissances tacites : savoir-faire, savoir-être et surtout le
savoir-penser et savoir-agir. Connaissance incorporée dans
l’homme qui ne peut s’acquérir qu’en en faisant l’expérience.
La personnalité de l’apprenant :
curieux, tenace, rigoureux…
La capacité d’encadrement et de
communication du transmetteurenseignant.
La culture d’entreprise favorable
à la transmission de
connaissances et aux échanges
interpersonnels.
La progression de l’apprentissage dépend avant tout de la
motivation de l’apprenant. La diminution des occasions de
travailler ensemble, ou la diminution du nombre de
travailleurs expérimenté rend difficile cette modalité de
transmission.
Volontaire ou malgré elle ? Les transmetteurs ne dicte pas la
réponse mais laisse l’apprenant la trouver de lui-même, ce qui
prend du temps mais permet l’expérience d’une « émotion »
déjà allée.
Philosophie du fondateur, les valeurs, la pensée du fondateur qui structure les
valeurs fondamentales de l’entreprise.
Philosophie du fondateur, les valeurs, la pensée du fondateur qui structure les
valeurs de l’entreprise.
L’expérience commune et le développement d’une cohésion. Intériorisation des
connaissances explicites et abstraite par le partage de l’expérience des autres
(vicarious learning) et par une expérience émotive.
Clarification de l’esprit et l’idéologie de
l’entreprise.
Implication et
opérationnalisation de l’esprit et
de l’idéologie.
Création d’un ba virtuel pour partager et
clarifier la raison d’être de l’entreprise et sa
vision du monde.
Création d’un ba physique pour
intérioriser ces connaissances
abstraite, en créer de nouvelle
par ajustement des
interprétations diverses
Grille d’analyse de l’entretien avec l’entreprise Alstom
Contexte stratégique et
organisationnel
La formation est déjà bien
ancrée dans la culture
d’Alstom :
- Cadre législatif français
qui encourage la
formation tout au long de
la vie
Difficultés économiques de 2002-2003 ; plans sociaux.
Volonté de la DG de montrer qu’il y a un avenir à l’entreprise : maintient des personnes qui partent à la retraite.
Réflexions stratégiques portant sur la prévision et l’action contre toutes sortes de perte de compétences : pertes de
compétences liées à la pyramide des âges, aux plans sociaux, aux turn-over élevés…
120
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
-
Mécanisme
organisationnel du
MCI
La nature de l’activité
Maintenance fait que les
RH sont les principales
sources d’amélioration de
la performance
Les formations :
- Alstom University met
en place des modules de
formation
- Certaines formations
chez les prestataires
externes
- Formation par contrat de
professionnalisation :
des formations
qualifiantes qui
aboutissent sur un
diplôme de branche,
puis souvent en contrat
de travail
- Contrat d’apprentissage
pour les jeunes
- Certaines formations
sont destinées aux
partenaires externes
Knowledge Management Center :
- Identification des métiers, de leurs compétences, puis analyse de leur criticité.
- Mis en place des plans de formation annuelle
- Suivi des connaissances stockées, des connaissances émergeantes et de leur détenteur.
Différentes méthodes de capitalisation :
Cahier d’expérience
tutorat
Steering committee
- Insertion de
knowledge
l’expert dans un
management
projet spécifique
- Travail sous
Réunion tous les 3
vidéo-procédure
moi pendant une
demi-journée
complète
Participants au MCI
Rédaction par un expert Experts volontaires
identifié, et rempli par
l’apprenant.
- les experts sont ceux dentifiés dans la procédure ci-dessus : ils ont de
l’expérience et ils sont volontaire
- les apprenants sont souvent des jeunes, mais aussi du personnel en
mobilité professionnel qui doit compléter ses connaissances dans
certains domaines
- la « capitalisation » des connaissances est réalisée par différentes
personnes : équipe permanente, et occasionnelle
l’ensemble des
grands patrons des
activités, du DRH,
du responsable KM
center
Connaissances objet
du MCI
Connaissances de toutes sortes : connaissances
techniques, du réseau, de qui détient
l’information, etc.
- Etat des lieux sur
les parcours de
formation, sur le
Les « tours de main »
Organisation
en cours
d’une base de
données
accessible par
tous
Tous les
collaborateurs
121
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
.
Facteurs considérés
comme importants
Conséquence de ce
mécanisme MCI
Note
contenu de la
capitalisation et
de la transmission
- Récapitulatif sur
le budget, les
équipes
Le soutien du top
management est
important pour que
le partage soit
intégré dans une
culture d’entreprise
Intégration du
La volonté de
partage de
l’expert :
connaissances
participation
dans le
volontaire
quotidien
- la valorisation de
l’expert (prime)
- Accord Alstom
France pour
accorder un mois
de salaire
supplémentaire au
tuteur
L’intégration de la « philosophie » d’entreprise, la diffusion d’une « culture » d’entreprise de partage de connaissances Plus que des outils
performants et une démarche intelligente, c’est une culture de partage et l’implication de chacun qui compte. Pour cela, il faut un climat de
confiance
Total de 6%
Prévision et maitrise de l’évolution des
Transmission &
d’investissement sur la
compétences
capitalisation directe
formation
de connaissances
tacites
C’est apprendre « bien et plus vite » : l’homme a toujours appris, et il n’y a pas de formation ni de technique spécifique pour apprendre. La clé du
KM est la rapidité. Les formations et le KM s’étend aux partenaires des entreprises
Traditionnellement, très peu de turn-over chez Alstom, pratique de l’emploi à vie.
Aujourd’hui la situation a un peu changé, mais ce sont toujours les seniors qui détiennent le plus les connaissances de l’entreprise. Il est donc très
important que ces personnes soient impliquées dans le dispositif de transmission.
-
Formalisation des
connaissances
Vérification&
correction de la
transmission du
message par
l’expert, par la
relecture du cahier
-
122
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
Grille d’analyse de l’entretien avec l’entreprise IBM
Contexte stratégique
et organisationnel
Encourager la réutilisation des connaissances
Mécanisme
organisationnel du
« MCI »
Base de données
informatiques
(connaissances
organisées
Participants au
« MCI »
Potentiellement tous les collaborateurs d’IBM du monde entier.
Connaissances objet
du « MCI »
Toutes les
connaissances
« partageables ».
Facteurs considérés
comme importants
Conséquence de ce
mécanisme MCI
Intégration des nouveaux
Participation volontaire mais fortement encouragée au programme mentoring accessible par
l’intranet dans toutes les entreprises IBM du monde entier. L’intranet ne fait que guider et mettre
en relation des personnes. Les connaissances ainsi que leur modalité de transfert sont décidée par
les personnes.
Carrier
Skill mentoring
Corss cultural
Socialization mentoring
mentoring
mentoring
Les personnes qui
veulent savoir
comment travailler
avec des cultures
différentes
- Tous les nouveaux
- les collaborateurs
relevant de la
« diversité » :
orientation sexuelle,
race, les
« minorités »…
Intégration des nouveaux
entre eux.
Conseil pour Dépend du contrat de
Savoir-être :
progresser
mentoring : informations
comment se
dans la
par mails, téléphones,
comporter avec
carrière,
connaissances tacites et
une autre culture
pour arriver
technologiques dans la
au poste
durée…
désiré, etc.
La volonté du mentor à transmettre ses connaissances, et sa
capacité pédagogique : disponibilité, envie de partage, etc.
- Transmission plus adaptée et plus économique que les formations internes traditionnelles
sous forme académique.
- Valorisation de l’expérience de l’expert
Speed mentoring
Une ou deux heures
d’atelier en table ronde au
sein d’une organisation
formelle
de
type
« journée métier ». 8 à 10
non experts posent toutes
sortes de questions aux
experts. Ces derniers
changent de tables toutes
les 10 mn.
Les personnes locales,
qui participaient à a
journée métier organisée
par l’entreprise, et qui
ont choisi volontairement
cet atelier
Connaissances explicites
de toutes sortes, sur les
métiers comme sur la
façon d’accéder à ce
métier.
123
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
Note
- Création/ accès à un réseau mondial
La transmission des connaissances n’est pas nécessairement liée à la question de l’âge. C’est une
relation contractuelle entre les personnes, non dictée par le top management.
Pas
d’intergénérationnel
Toujours la logique de
carrière
Grille d’analyse de l’entretien avec l’entreprise X (données simplifiées pour raison de confidentialité)
Contexte stratégique
et organisationnel
Nécessité stratégique de
maîtriser les besoins de
compétences par la
formation interne.
Mécanisme
organisationnel du
« MCI »
Université Interne
Participants au
« MCI »
Potentiellement tous les collaborateurs, selon leurs leur
propre besoin et selon ce qu’en juge la RH.
Connaissances objet
du « MCI »
Tout dépend du domaine de formation
Accompagnement et suivi de
la carrière des collaborateurs
d’un point de vue RH.
Intégrer les nouveaux et
les familiariser avec leur
environnement.
Départ à la retraite d’un
collaborateur : mesures
préventives et actions à mettre en
place.
Evénement d’intégration C’est essentiellement un travail du
des nouveaux
management.
trois jours d’intégration - Travail stratégique : analyse
pour les nouveaux, avec
l’enjeu du départ de la personne
intervention de plusieurs
sur le travail en équipe,
personnes.
évaluation des besoins de
formation et conception des
Les mêmes types de
programmes de formation.
séminaire d’intégration - Travail RH : sélection des
existe au niveau division
personnes qui vont bénéficier
voir au niveau pays.
de la formation dans le cadre du
suivi global de l’évolution de
carrière
Tous les nouveaux (les
La personne qui va remplacer
jeunes, en générale)
celle qui part, mais plus
généralement, toutes les collègues
qui sont affectés par le départ de
cette personne.
Connaissances générales
sur le groupe, ses
métiers, ses produits.
Les connaissances qui manquent
aux personnes qui vont compléter
le départ de la personne. En
général, les rôles assurés par la
Développement
professionnel du
collaborateur
expérimenté
Cabinet de conseil
interne
Structure de conseil
interne composée
d’une cinquantaine de
consultants. Mission
de conseils pour
différentes entêtées.
Des collaborateurs qui
ont une certaine
expérience et qui
veulent faire du
conseil. Durée de 18
mois
Il ne s’agit pas d’un
transfert de
connaissances, mais
d’une valorisation de
124
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
personne seront répartis dans le
service.
Facteurs considérés
comme importants
Permettre le pilotage en interne
des éléments clés de formation
par rapport aux besoins du
groupe.
Accompagner le
parcours professionnel
de chacun, selon ses
aspirations
Connaître son
environnement de travail
et construire un début de
réseaux entre les jeunes.
Assurer la continuité des
compétences.
Conséquence de ce
mécanisme « MCI »
Prévisibilité et solution interne
face aux besoins de
compétences
Mobilité interne et
formation tout au long
de la carrière
Socialisation des
nouveaux entre eux et
création d’un réseau
potentiel.
Ce n’est pas du MCI. Les
jeunes sont intégrés à
leur environnement,
socialisé avec ceux de la
même promotion.
Préparation du départ à la retraite
d’une personne et continuité des
compétences
Note
Pas de véritable MCI, car :
Il n’est pas question de management de connaissance
mais de formation
- Il n’est pas question d’intergénérationnel mais de
parcours professionnel individuel
-
La question de l’employabilité des seniors ainsi que de la
formation des jeunes trouvent toutes leur réponse dans :
- la richesse des formations offertes par
l’Université interne de l’entreprise X
- la mobilité du parcours professionnel rendue
possible par différentes passerelles entre les
familles de métiers
Pas vraiment de contact
avec les autres
générations.
Il n’est pas question de transférer
les connaissances des « seniors »
aux autres, ni de former des
collaborateurs pour un poste
vacant. C’est toujours la logique
d’accompagnement de l’évolution
de carrière de l’individu.
l’expertise de ces
personnes dans une
nouvelle activité.
Accompagner les
collaborateurs dans la
construction de leur
projet professionnel et
de les concrétiser.
Ce n’est pas un
dispositif pour
« recycler » les seniors
comme le dit l’Audit
Vigeo, c’est toujours
la question de projet
professionnel de
chaque collaborateur.
125
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
ANALYSE MONOGRAPHIQUE DES ENTRETIENS REALISES AVEC LES CONSULTANTS-CHERCHEURS
Analyse de l’entretien réalisé avec monsieur Matsuo (NTN, ancien membre de l’OCDE France et du ministère de l’économie et de
l’industrie au Japon)
L’interviewé parle implicitement des connaissances tacites en parlant de MCI
Le management des connaissances par le travail collaboratif en groupe : créer une ambiance conviviale et sympathique
Il faut un partage de connaissance qui soit convivial, une façon de travailler qui vaut la peine, qui donne une satisfaction et une joie de travailler ensemble. Cela se
traduit par le renforcement de la cohésion du groupe et la motivation du collaborateur.
Créer des ba de rencontre
La création et l’animation du ba est fondamentale pour faciliter la rencontre des gens leur communication et donc, la création de connaissances. Il faut que l’ambiance
soit conviviale et favorable au travail coopératif. L’important est que les gens soient contents à leur travail, qu’ils trouvent une joie à travailler ensemble, et c’est là
que l’efficacité du travail augmente.
La production manufacturière, c’est avant tout la formation/l’éducation des hommes
La force du Japon réside dans l’industrie manufacturière : l’automobile, l’électroménager, etc. Et dans l’industrie manufacturière, le plus important est la formation
des hommes. C’est l’homme qui est le fondement de tout ; la production de l’entreprise, c’est avant tout la formation de l’homme.
ものづくりというのは基本的には人づくりですらね。人が基本ですから。
ものづくりは完全に人
Différence management américain, français et japonais
La méthode américaine est du type top-down, c’est le haut qui commande et impose la façon de faire considérée comme « meilleure ». D’un autre côté, c’est une
manière très simple, logique et facile à comprendre. Au Japon, les gens se rassemblent et décident ensemble pour travailler. Il y a une vrai culture de respect de
l’opérationnel.
Incompréhension de l’application des méthodes américaines dans la culture française qui a son propre histoire.
126
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
La France et le Japon semblent pouvoir bien s’entendre sur la vision à long terme, l’importance portée à l’opérationnel.
Nécessité d’adapter le management et la façon de transmettre les messages selon les générations et les pays
La question sur la transmission intergénérationnelle des connaissances nous amène à nous interroger sur le contenu de la transmission.
Changer pour s’adapter au nouveau contexte de mondialisation tout en préservant les bons cotés.
Il faut garder le fondamental et changer le reste. La question est : qu’est-ce qui est fondamentale, et qu’est-ce qui est périphérique ? Qu’est-ce qui est universel dans le
management japonais, et qu’est-ce qui ne l’est pas ?
良いところは残しながら、新しいグローバルな形に変えていくっていう
一体何が日本的経営として通用して、何を相手の会社にあわせて変えていくべきなのか。だからいわゆる、世界に通用するものと変えていくべきも
の
La politique de primauté au Gen-ba (opérationnel) 現場主義
Les managers japonais ne peuvent pas licencier car ils n’ont pas la légitimité. Le licenciement n’est accepté que si c’est une contrainte extérieure comme l’arrivée de
Carlos Gon. Les japonais ne comprennent pas comment un manager qui ne connaît pas le « terrain » peut licencier des gens.
L’état d’esprit dans le gen-ba de la production manufacturière
Au Japon, on respecte énormément l’opérationnel, les gens qui travaillent dans le cambouis avec un sérieux incroyable.
日本はね、非常に真面目に、愚直に現場と人を大切にして
Vision du management des connaissances :
Il ne doit pas y avoir de différence selon les pays, le principe est le même :
- Formaliser, expliciter et standardiser ce qu’on peut avec les TIC
- Garder les occasions de partage de connaissance direct pour les connaissances techniques qui ne peuvent être formalisées.
Le Japon ne peut pas continuer avec sa méthode traditionnelle de transmission de connaissances ; on ne peut pas abandonner les à leur propre sort en leur disant
« apprenez de vous-même par observation ». Il faut formaliser ce qui est possible. Par contre, il y aura toujours des choses qui ne pourront être acquises que par
expérience, par apprentissage sur le lieu de travail (Gen-ba). Après, c’est au management qu’incombe ce rôle de mettre en place ce genre d’occasions (« préparer des
ba »).
L’harmonie et la capacité d’absorption des japonais
127
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
Peu de dichotomie dans les relations japonaises :
- Peu d’opposition entre le capital et le travail
- Les relations employeur-employés sont beaucoup moins conflictuelles qu’en Occident
- C’est le terrain, l’opérationnel qui prime ; d’où l’illégitimité du management à licencier.
Culture managériale qui n’impose pas :
- C’est la recherche d’un moyen de coexistence avec les autres
- La culture japonaise absorbe différentes choses, tout est adapté et assimilée à la culture japonaise. Même les religions extrêmes sont assouplies au Japon. Elle
embrasse les éléments qui les entourent ; l’environnement et les objets matériels se fondent en un.
- Les japonais pensent qu’ils ne sont pas internationalisés, mais en fait ils le sont très bien.
日本の中では日本はまだ国際化出来ていないと思っていますけれども。そうではないと。日本人は知らないところで国際化しているのではな
いかと。国際化できるものを持っているのではないかとね。ただそれを表現するのが下手なのではないかと。
Penser son existence en réfléchissant sur l’univers dans son ensemble
Identification relative
L’homme n’est qu’une partie de la nature
128
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
Analyse de l’entretien réalisé avec monsieur Nomura (KDI)
Le MCI n’est pas séparé du reste du travail, il est intégré dans le travail quotidien
- Pas de définition claire du poste de travail, pas de délimitation des périmètres du travail de chacun
- OJT : en réalité, ça veut tout simplement dire apprendre en faisant le métier, donner des conseils dans la vie quotidienne, ça n’a rien de spécial
De manière générale, le management japonais ne sépare pas les éléments en différentes unités, mais le tout est intégré dans une politique globale.
Cette ambigüité du management et de l’organisation se retrouve à tous les niveaux. Le management japonais donne des objectifs et laisse les acteurs s’organiser et
« se débrouiller » eux-mêmes.
Mécanismes MCI :
- Apprentissage de connaissances tacites. Le management et l’apprentissage de connaissances explicites sont évidents, c’est le fondement-même du
management. Le management de connaissances comme le MCI concerne directement les connaissances tacites qui ne peuvent s’exprimer mais qui font la
différence.
世代間の共有って言った時に彼らが一番重視するのは、暗黙知というような、なんか上手く伝えられないけど、まぁ、違うんだよって言うようなや
つね
-
-
Apprentissage/transmission à la manière traditionnelle est toujours d’actualité dans la majorité des entreprises : partage/transmission de connaissances sur le
terrain, ou dans un espace en contact direct. Formes dominantes : compagnonnage, tutorat, OJT (c’est la même chose). Lors de l’arrivée d’un jeune diplômé,
c’est un collaborateur âgé de quelques années de plus qui est chargé d’ « éduquer », de former ce jeune.
Ce qui est considéré comme étant le plus important dans le MCI : le partage du ba
世代間の共有をする時に、場を共有するって言うのを皆凄く重要視しているわけですよ。
Perception des connaissances à transmettre :
La connaissance ne peut être formalisée dans un document car ce que l’aîné apprend au jeune, ce sont les processus, par exemple, de résolution d’un problème. C’est
un processus au cas par cas qui ne peut être généralisé. Il faut être face au problème pour savoir comment s’y prendre.
Ce concept de ba est encore très vaste, tout comme le management japonais
La connaissance est fortement liée à l’expérience de laquelle elle découle directement.
129
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
« Les firmes japonaise ont un principe basé sur l’expérience, et elle ne font pas confiance au discours sans expérience. La connaissance, c’est l’expérience. D’où
l’idée qu’on ne peut recevoir l’expérience d’une autre personne. C’est pour cela qu’il faut faire faire l’expérience. Il y a une forte croyance selon laquelle on
enseigne au moment de l’expérience. »
Le ba
Très vague comme concept, tout comme le management japonais
Il faut être au bon moment, au bon endroit pour y participer
Les japonais sont doués pour constituer une atmosphère de groupe «
» (littéralement « fabrication d’un Ba », ce qui désigne la constitution d’une atmosphère
conviviale et joviale). Ils ont une tendance culturelle qui facilite l’adhésion à une identité de groupe, une identité communautaire.
場作り
Le succès mitigé des Communautés de pratiques :
Organisation informelle des acteurs, le concept de Cop a attiré de nombreuses entreprises japonaises qui souhaiteraient l’intégrer en leur sein. Or, les résultats sont
assez décevants, ou plutôt surprenant. En fait, la notion d’ « informel » n’est pas très bien comprise au Japon. L’organisation du travail étant relativement informelle
au Japon, le réseau informel de la Cop est interprété comme quelque chose comme un projet ou une activité en dehors du travail « normal » : au Japon, les Cop sont
souvent devenues des clubs de loisir, des occasions de détente et de divertissement avec un but de développer le réseau de connaissances et un esprit de groupe.
Primauté de l’opérationnel : Guen-ba
Le top-management ne donne pas d’indication sur la manière de procéder ou de s’organiser ; il se contente d’attribuer des objectifs. Le mieux, c’est que ce soit les
gens du terrain (guen-ba) qui s’arrangent entre eux. L’ « éducation » est laissé à la responsabilité des opérationnel, les gens du terrain qui connaissent le mieux ce
qu’ils font.
Le rôle très différent du leader/top management au Japon et en occident :
Les managers ne décident pas. Le top management japonais ne peut pas licencier, ou décider à la place de l’opérationnel
Cause du problème 2007 :
Baisse conjoncturelle d’une certaine génération, dont la majorité est partie à l’étranger. Du coup, le courant passe moins bien entre les experts seniors et les jeunes
générations.
Décalage entre la proportion des jeunes et des anciens
130
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
Analyse de l’entretien réalisé avec monsieur Bernardon (BFD ; Aebis Inc en France)
La gestion des connaissances, la continuité du Système d’information :
Le cabinet de conseil s’est spécialisé dans le management des connaissances après des activités de conseil en système d’information. Architecture SI.
« On a commencé par les conseils en systèmes d’informations, donc par l’architecture SI. […]Et je dirais que la gestion des connaissances, c’est un peu la suite de ce qu’on
faisait. »
Le MCI est actuellement au devant de la scène grâce aux législations et au crache démographique, mais il n’y a pas de mécanismes particulier pour le MCI, c’est une
problématique et un processus pour la transmission de connaissances en générale.
Développement de trois activités :
- Un management des connaissances basé sur l’oral
- Un management des connaissances basé sur l’écrit
- Développement des outils de gestion des sémantiques du domaine métier
Offre de deux formations :
- Formation pour sensibiliser les gens à la gestion des connaissances : faire comprendre que ce n’est pas une chose naturelle, mais qui requiert de l’organisation et un
contexte propice à sa mise en place
- Animation des communautés de pratique : les gens sont intéressés et mettent fondent des communautés de pratique, mais ne les font pas vivre.
Les conseils en management des connaissances que réalise le cabinet :
- cartographier et animer les communautés de pratique
- expliciter les connaissances tacites : clarifier la terminologie du langage métier
« C’est-à-dire nous, on n’est pas forcément attaché technologie, on n’est pas attaché à un outil. Nous, on amène une démarche, un savoir-faire, pour extraire les
connaissances essentielles, les mettre dans une base de connaissances, et faire vivre ces connaissances. »
Objectif du MCI :
« économiser du temps et de l’argent » en réduisant les périodes d’apprentissage.
131
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
« Le plus important, je dirais c’est de transmettre les connaissances pour ne pas avoir à réinventer la roue. Le fondamental est là. Aujourd’hui les entreprises dépensent de
l’argent inutilement, pour se réapproprier ce qu’elles connaissent déjà »
Ce qui est considéré comme important dans le management des connaissances :
- une démarche de haut niveau ;
- le soutien de la DG ;
- un climat de confiance
Les connaissances essentielles :
« Et les connaissances essentielles, c’est… je dirais, le sens qui est donné à une information dans le cadre d’une action qui est objectivée. »
« En fait ce sont ce que les gens ont dans leur tête et qui n’est pas marqué ailleurs »
« Connaissances tacites » reliées aux objectifs de la personne dans son travail, aux processus de son métier
Les communautés professionnelles = communautés des gens qui travaillent dans le même métier, le même département, service ou structure verticale. Ça peut être aussi une
communauté transversale
Les pratiques des entreprises :
Peu d’entreprise est familiarisée avec le management des connaissances, c’est au cabinet de faire la démarche et sensibiliser les entreprises. Aujourd’hui, le contexte
démographique et les législations poussent les entreprises à s’intéresser au sujet. Les entreprises s’intéressent au management des connaissances via le MCI.
Management des connaissances occidentales
Le management des connaissances a du s’adapté aux exigences pragmatiques des nord-américains : résultat et rentabilité immédiats, outils tangibles. C’est en développant des
projets aux Etats-Unis que le cabinet de conseil a mis en place ses « kits » de management des connaissances, « pour s’adapter aux situations professionnelles ». La situation
est aujourd’hui la même en France, c'est-à-dire que les entreprises n’ont pas véritablement conscience de l’enjeu du management des connaissances
En France, le cabinet approche les entreprise par les fonctions de Ressources Humaines, car se sont eux qui sont les plus susceptibles d’être sensible à la connaissance et à
l’expérience. Mais les RH manquent d’ « approche très structurante » sur les notions organisationnelles.
Contrairement au management des connaissances japonais de type bottom-up, celui de l’occident est plutôt top-down
Le rôle de la culture d’entreprise :
Selon la culture d’entreprise et selon la personnalité du transmetteur, il y a plus ou moins des freins à la transmission des connaissances. C’est le savoir-être.
132
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
Analyse de l’entretien réalisé avec madame Chbani (MCC mobilité)
Les problématiques des entreprises (dans le cadre de l’étude en Val d’Oise) :
Freins psychologiques au partage des connaissances de la part du transmetteur qui n’y voit pas son intérêt.
Différents facteurs font que le transmetteur ne se sent pas concerné, ne s’implique pas ou refuse la transmission.
- le manque de reconnaissance des compétences de l’individu durant son parcours professionnel qui ne lui donne pas envie de transmettre ses
compétences.
- Le manque d’intégration du transmetteur dans la procédure le contrarie : il n’a peut-être pas été consulté, par exemple, dans le recrutement du
récepteur. La procédure lui est imposée.
Formalisation des connaissances tacites et des mécanismes informels de transmission
La plupart des entreprises n’ont pas vraiment réfléchi à la question et n’ont donc pas de culture de transmission de connaissances.
La question s’incère dans un cadre plus général de valorisation des compétences individuelles et d’une culture de transmission de connaissances intégrée au
quotidien
Ce n’est pas une question que l’on peut traiter ponctuellement au moment du départ à la retraite du senior. C’est un travail de fond et permanent qui doit se dérouler
tout au long de la carrière des individus : l’apprentissage et la transmission tout au long de la vie.
Ce n’est pas non plus une question entre senior et junior ; il faudrait dépasser la problématique des âges en considérant que chacun peut être transmetteur et récepteur
dans une relation de partage.
La réflexion s’inscrit donc dans trois cadres :
1. Question de GPEC, point de vue stratégique de l’entreprise par rapport à l’évolution de son environnement.
Quelles compétences transmettre ? Certaines façons de travailler sont obsolètes du fait de l’évolution du marché, de la technologie, etc.
2. Question managériale de coopération
Le plus important est la coopération plus que la transmission: comment chacun apprend des autres. C’est une question de partage et non de transmission à
sens unique. Il est nécessaire d’inscrire une culture permanente de transmission, de partage et de coopération dans l’entreprise en général. Ensuite, se pose la
question de coopération dans l’intergénérationnel : est-ce que les représentations sont positives ; est-ce qu’elles ont l’habitude de travailler ensemble ?
Le travail doit alors porter sur différents axes : le profil du transmetteur, du récepteur, l’environnement…
3. Question d’identification et de maintien de compétence dans l’entreprise : le knowledge management
Les méthodes de capitalisation, de formalisation et de conservation des compétences. Il s’agit de connaissances tacites et informelles acquises par expériences
dans le cadre du métier, et non un savoir académique.
133
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
Exemple de mécanisme de transmission de connaissances :
- le jeune récepteur qui formalise les connaissances du transmetteur : le transmetteur est forcé à formaliser sa pratique pour la transmettre, et le jeune peut
exprimer ces connaissances dans son langage,
- le jeune récepteur fait le tour de plusieurs transmetteurs qui occupent le même poste pour identifier les connaissances. Ensuite, une réunion de groupe porte
sur la discussion de ce qui est pertinent ou pas de transmettre.
Pas de généralisation, c’est au cas par cas
La problématique dépend de la personne et de l’entreprise, il n’y a pas un modèle qui puisse s’appliquer partout. Les entreprises ne sont pas non plus toutes au même
niveau ; certaines, très bien organisées, ont une culture de transmission de connaissances.
Pourquoi se poser la question aujourd’hui ?
La question de transmission intergénérationnelle de connaissances n’est pas nouvelle, mais elle est d’autant plus fortement ressentie pour les entreprises :
- du milieu industriel qui ont des problèmes de recrutements
- à l’occasion des départs à la retraite du personnel
Ce sont deux cas précis qui suscitent des interrogations plus générales sur la transmission intergénérationnelle des connaissances.
134
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
ANALYSE TRANSVERSALE DES ENTRETIENS REALISES AU JAPON
Thématiques
Exemples concrets
-
Le MCI comme intégré dans le
management quotidien
-
Le métier de l’entreprise est la
formation des hommes avant
d’être la production de bien et
service.
-
La formation des hommes, c’est
son « éducation » ; il s’agit de lui
apprendre à apprendre, à avoir
un certains état d’esprit.
-
Le MCI, c’est :
L’organisation spatiotemporelle
du MCI :
-
Le système d’emploi à vie et de promotion à l’ancienneté fait que le management au Japon, c’est du MCI, la
professionnalisation des acteurs tout au long de leur carrière (YKK, NTN, Nomura)
Pas de distinction formelle entre le management en général, le management de connaissance et la formation
(Nomura), normalement, la transmission des connaissances se réalise naturellement dans le déroulement du travail
(YKK)
Dans l’industrie manufacturière, la production des biens se fait par la « production » de collaborateurs
professionnels.
Former les jeunes à un certain état d’esprit (NTN)
La force de l’entreprise découle directement de la force de ses collaborateurs (NTN, YKK, CMC)
Savoir interpréter les informations (NTN)
Savoir juger, apprendre et faire évoluer (MCM)
S’organiser librement dans le travail mais en suivant un principe invariant (YKK)
Les connaissances ne peuvent se transmettre dans leur fondement ; elles ne peuvent que s’acquérir par expérience.
La vraie connaissance (compétence) relève de l’individu, de son état d’esprit, de sa motivation… (CMC, YKK,
NTN)
La formation, la professionnalisation et l’« éducation » des hommes (CMC, YKK, NTN), qui se traduit donc par la
mise à disposition des occasions à apprendre
L’intégration des nouveau
Transmettre le message fondamental en changeant les modalités de communication (NTN, YKK)
L’adhésion et l’intériorisation d’une façon de penser et d’aborder les choses (CMC, YKK, NTN)
Avant tout dans un contexte de travail :
de manière informelle, dans le quotidien (OJT)
de manière formelle, dans un espace dédié à l’apprentissage sur le terrain (coins d’usine, centre de formation dédié)
Mais aussi sous forme académique :
dans une salle, sous forme de séminaire (formation interne)
par recours aux formations externe (surtout pour le management)
La formation générale dans le management est de plus en plus laissée à l’initiative individuelle qu’encourage
l’enteprise
135
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
Processus du MCI
La connaissance à transmettre
(ou plutôt l’objectif de la
formation) :
L’origine du problème 2007
La place de la « mission de
l’entreprise » et de la culture
d’entreprise dans le MCI
-
-
Aujourd’hui, difficulté de
communication
-
Le travail en équipe, en duo ou en groupe (CMC, YKK, NTN, Nomura)
Le mimétisme, l’observation, et la coopération (importance de la communication)
Par le partage d’un objectif commun (éducation/apprentissage, amélioration constante de l’output)
Les savoir-faire tacites (Nomura)
La capacité à rassembler différente information et agir selon les situations : savoir interpréter les informations et agir
selon les normes du métier et de l’entreprise (CMC, NTN, YKK)
Ces connaissances (compétences) ne peuvent donc se transmettre dans leur véritable nature (NTN, CMC)
Elle est incorporée dans les gens, dans la technologie et
dans la culture d’entreprise (elle est indissociable)
les compétences non transmises des seniors qui partent à la retraite (NTN)
le manque de personnes compétentes qui puissent transmettre leurs connaissances (NTN, YKK)
Diminution des jeunes qui ont la volonté et le profil pour le métier, surtout dans l’industrie manufacturière (NTN,
YKK)
D’où, de manière générale, un disfonctionnement du mécanisme classique de transmission de connaissances.
La mission d’entreprise, sa raison d’être et ses valeurs fondamentales font partie des connaissances à
transmettre de génération en génération, que ce soit au Japon ou à l’étranger (YKK)
La transmission de ces valeurs et leur « opérationnalisation » en culture d’entreprise passe par la création de
ba.
Ces valeurs sont véritablement intériorisées chez les collaborateurs lorsque les individus font une expérience
commune (CMC, NTN, YKK)
Cette expérience doit impliquer une certaine émotion (NTN, YKK)
Entre les générations : la manière de communiquer n’est plus la même (NTN, YKK)
Entre les pays : les étrangers n’ont pas la même attitude face au travail collectif (NTN, YKK, Nomura)
136
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
ANALYSE TRANSVERSALE DES ENTRETIENS REALISES EN FRANCE
Thématiques
Exemples concrets
-
une question plus large qui porte sur une culture de partage de connaissances, de manière générale, dans
l’entreprise (Alstom, Chbani, IBM)
une question stratégique de GPEC
une question de formalisation des connaissances tacites
souvent une question qui surgit à l’occasion du départ à la retraite des collaborateurs (Alstom, Bernardon,
Chbani)
analyse stratégique des compétences nécessaire par le top management ou par un cabinet de conseil
(Alstom, Bernardon, Chbani, l’entreprise X)
combinée aux besoins de l’opérationnel
Sauf pour IBM : transmission par contrats de mentoring sur une base volontaire et d’initiative individuelle
Identification des connaissances
les connaissances sont formalisées
les connaissances sont capitalisées
formation, ou les collaborateurs sont encouragés à utiliser et alimenter cette base de données (Alstom,
Bernardon, IBM)
les connaissances techniques, tacites et explicites
les connaissances liées au parcours professionnels (IBM)
les connaissances réseau, liées à la localisation de l’information, ou connaissances du réseau (Alstom, IBM)
chez Thalès, il n’est pas question de MCI, mais d’évolution de carrière individuelle à travers la formation
chez IBM, il n’est pas question d’intergénérationnel : la transmission peut aller du jeune vers un plus âgé,
selon l’expérience et l’expertise qu’il a.
acquérir des connaissances pour évoluer dans la carrière (l’entreprise X, IBM)
-
démarche de management de connaissances identique au niveau corporate (Alstom, IBM)
Des formations génériques pour toutes les entreprises (Alstom, entreprise X)
Les problématiques du MCI
-
La démarche du MCI :
Processus du MCI
Les connaissances à transmettre
Pas de MCI ?
De manière générale, une
démarche individuelle de la
transmission/acquisition des
connaissances
Approche globale unifiée
-
137
LISTE DES FIGURES ET TABLEAUX
Liste de tableau
Tableau 1 : plus de 30 ans de dispositifs publics encadrant la cessation anticipée d’activité des
seniors .............................................................................................................................…..p12
Tableau 2 : Comparaison du contexte démographique français et japonais………..… …... p15
Tableau 3 : les mesures en faveur de l’emploi des seniors ……………………………..…p18
Tableau 4 : les conditions d’émergence et la logique économique et managériale du système
d’emploi à la japonaise ……………………………………………………………………..p22
Tableau 5 : la différence de salaires par ancienneté dans l’industrie de fabrication en 2002
……………………………………………………………………………………………….p22
Tableau 6 : Comparaison du concept de Cop et de ba ……………………………………..p37
Tableau 7: la démarche globale de la transmission des connaissances chez Alstom ……...p51
Tableau 8: Présentation des entreprises française et japonaises interrogées ……………….p55
Tableau 9 : Présentation des consultants-chercheurs interrogés …………………..………p56
Tableau 10 : Comparaison de l’approche française et japonaise du MCI ………….………p73
Tableau 11: comparaison des traits caractéristiques du management occidental et japonais p80
Liste de figure
Figure 1 : Image de l’entreprise comme ensemble de ba……………………………….….p79
Figure 2 : les barrières organisationnelles entre deux ba X et Y ………………………….p82
Figure 3 : l’entreprise ensemble de ba, replacée dans son contexte …………………..….p84
Le management des connaissances intergénérationnel: comparaison franco-japonaise
Sakura SHIMADA
T ABLE DES MATIERES
Remerciements .............................................................................................................................................. 2
Sommaire ....................................................................................................................................................... 3
Résumé ........................................................................................................................................................... 4
Introduction ................................................................................................................................................... 5
1. LE MANAGEMENT DES CONNAISSANCES INTERGENERATIONNEL
DANS LE CONTEXTE FRANÇAIS ET JAPONAIS .......................................................... 9
1.1. LA PROBLEMATIQUE REPLACEE DANS SON CONTEXTE : LES ENJEUX DE LA TRANSMISSION DES CONNAISSANCES EN
FRANCE ET AU JAPON ................................................................................................................................................ 9
1.1.1. Les enjeux démographiques ............................................................................................... 10
1.1.2. Les politiques gouvernementales ....................................................................................... 17
1.1.3. Le management japonais et le management français ....................................................... 21
1.2. LE MANAGEMENT DES CONNAISSANCES EN FRANCE ET AU JAPON............................................................. 26
1.2.1. Une approche japonaise du management des connaissances ? ........................................ 27
1.2.2. Le management des connaissances dans la pratique des entreprises ............................... 29
1.2.3. Le concept de ba et celui de communauté de pratique ...................................................... 34
2. LES MECANISMES DU MANAGEMENT DES CONNAISSANCES
INTERGENERATIONNEL EN FRANCE ET AU JAPON .............................................. 43
2.1. LA DEMARCHE METHODOLOGIQUE .................................................................................................... 43
2.1.1. La collecte de l’information ................................................................................................ 44
2.1.2. L’analyse des données ........................................................................................................ 46
2.2. LES RESULTATS : LES MECANISMES DE TRANSMISSION INTERGENERATIONNELLE DES CONNAISSANCES .............. 47
2.2.1. Présentation des cas........................................................................................................... 47
2.2.2. Analyse comparative franco-japonaise .............................................................................. 57
3. L’APPROCHE PAR LE BA : UNE LOGIQUE PROPICE AU
MANAGEMENT DES CONNAISSANCES INTERGENERATIONNEL ? ................... 77
3.1. UN MODELE ORGANISATIONNEL DU MANAGEMENT JAPONAIS COMME ENSEMBLE DE BA............................... 78
3.1.1. l’entreprise comme ensemble de ba................................................................................... 78
3.1.2. L’entreprise comme ensemble de ba replacée dans son contexte ..................................... 84
3.2. L’INTERET DE CE MODELE ................................................................................................................. 91
3.2.1. Un modèle de référence : un modèle à imiter ? ................................................................. 91
3.2.2. Evaluation de la pertinence pour une application pratique ............................................... 96
3.2.3. Discussion et pistes de recherches.................................................................................... 101
Conclusion .................................................................................................................................................. 106
Bibliographie .............................................................................................................................................. 109
ANNEXES.................................................................................................................. 113
Grille d’entretien pour les entreprises ....................................................................................................................... 114
Analyse monographique des entretiens réalisés avec les entreprises....................................................................... 115
Analyse monographique des entretiens réalisés avec les consultants-chercheurs ................................................. 126
Analyse transversale des entretiens réalisés au Japon .............................................................................................. 135
Analyse transversale des entretiens réalisés en France............................................................................................. 137
Liste des figures et tableaux ...................................................................................................................................... 138
TABLE DES MATIERES ........................................................................................ 139
139