ENQUETE SECTORIELLE DE L`ARACT AIDE A DOMICILE Travail

Transcription

ENQUETE SECTORIELLE DE L`ARACT AIDE A DOMICILE Travail
ENQUETE SECTORIELLE DE L’ARACT
AIDE A DOMICILE
Travail, emploi, compétences
Bruno CIARELLI
Michel FORESTIER
Roger TANNIOU
Farida YAHIAOUI
Novembre 2002
Direction régionale
du travail, de l'emploi
et de la formation
professionnelle
Fonds social européen
Ce qu'est une enquête sectorielle de l'ARACT
Une enquête sectorielle de l'ARACT vise à éclairer un secteur professionnel, à sa demande, sur des
problématiques et/ou projets collectifs, dans les domaines de l'organisation du travail, des
compétences ou des risques professionnels.
Le parti pris de l'ARACT est de conduire ces investigations au travers de la réalisation de diagnostics
dans quelques entreprises volontaires du secteur ; ce parti pris est sous-tendu par deux hypothèses :
♦
Quelle que soit l'homogénéité d'un secteur, le travail et son organisation diffèrent d'une entreprise
à l'autre. A contrario, on repèrera également des constantes et déterminants communs. C'est en
confrontant cette variabilité et les constantes et déterminants communs à la problématique ou au
projet collectif envisagés par le secteur professionnel que l'on sera en capacité de construire une
action collective pertinente. Ainsi les entreprises sont choisies non pas sur la base d'une
"représentativité" au sens statistique du terme mais plutôt d'une recherche de la diversité des
situations au regard de la problématique et/ou du projet collectif. Ce choix d'entreprises est pris
en charge par les professionnels du secteur.
♦
La valeur ajoutée d'une ARACT sur ces questions tient à son expérience de la conduite de
diagnostics et de projets dans les entreprises. Le format de diagnostic retenu, environ 5 jours par
entreprise, permet de conduire au sein des entreprises les investigations nécessaires et suffisantes
pour alimenter et orienter, sur le plan qualitatif, la réflexion collective. Le secteur professionnel est
à même de compléter ces travaux par des approches quantitatives et exhaustives s'il le juge
nécessaire.
L'apport essentiel du diagnostic dans ces démarches est ainsi, à notre sens, double :
♦
Le diagnostic s'intéresse à l'activité de travail et à son organisation. Il est centré sur les
préoccupations du moment des partenaires dans l'entreprise, indépendamment de la thématique
collective retenue. Au-delà des représentations du travail que ceux-ci peuvent avoir, il explore des
situations de travail singulières, leurs effets sur la performance et les conditions de travail, les
stratégies mises en œuvre par le personnel dans l'exécution des tâches attendues et propose des
hypothèses explicatives des situations rencontrées. Parce qu'il s'appuie sur l'activité de travail et
son organisation, le diagnostic porte son regard sur l'ensemble des dimensions qui le composent :
de la politique de gestion des ressources humaines à l'exposition aux risques en passant par les
compétences ou l'organisation des espaces de travail.
♦
Le diagnostic s'inscrit dans une logique de dialogue social et à ce titre, implique l'employeur, les
représentants du personnel et des salariés à chaque stade de son déroulement : de la définition
de ses objectifs et modalités de conduite à sa validation. S'il apporte ainsi à l'entreprise
participante les moyens d'engager en interne un plan d'action partagé, il permet aussi, dans le
cadre d'une enquête sectorielle, de renvoyer au secteur professionnel et à ses partenaires des
constats et une analyse, validés par les acteurs de "terrain".
La capitalisation, la synthèse et la mise en perspective des différents diagnostics, que l'on pourrait
assimiler à un ensemble d'études de cas, constituent ainsi une base solide sur laquelle les
professionnels du secteur et leurs partenaires peuvent appuyer la construction de leur plan d'actions
collectif.
2
SOMMAIRE
ENQUETE SECTORIELLE DE L'ARACT ....................................................................................................
CADRE DE L'INTERVENTION .................................................................................................................
1/ L'aide à domicile, un secteur atomisé et diversifié .....................................................................
2/ Des évolutions en cours ..............................................................................................................
3/ La demande faite à l'Aract ..........................................................................................................
4/ La conduite du chantier ...............................................................................................................
LES RESULTATS DE L'ENQUETE ............................................................................................................
1/ Une grande diversité à l'intérieur d'un très petit échantillon .....................................................
2/ Une activité "domiciliaire" qui préexiste à toute intervention ...................................................
3/ Deux familles de métiers .............................................................................................................
L'ACTIVITÉ DES INTERVENANTES À DOMICILE ...................................................................................
1/ Description de l'activité ..............................................................................................................
a) Un ensemble de situations singulières et évolutives ......................................................................
b) Une activité segmentée avec des déplacements ............................................................................
c) Une relation d'aide individuelle ....................................................................................................
d) Des configurations de prescription du travail complexes ................................................................
2/ Des effets sur les conditions de travail, et au-delà .....................................................................
a) Une gestion du temps particulière et des conséquences sur les rémunérations,
la sécurité de l'emploi et le recrutement .......................................................................................
b) Des risques professionnels, une charge physique et une charge psychique et
affective qui peuvent conduire à des accidents du travail, des inaptitudes et
des situations de stress pouvant aller jusqu'au retrait ....................................................................
c/ La reconnaissance : un statut dévalorisé, le poids de l'attitude des
bénéficiaires (et de leur famille) et de l'employeur ........................................................................
3/ Conclusion : une distanciation difficile à mettre en place, des situations de dilemmes et
d'arbitrage à gérer dans l'instant ...............................................................................................
L'ORGANISATION ET LA GESTION DE L'ACTIVITÉ D'AIDE À DOMICILE ..............................................
1/ Le rôle des structures d'aide à domicile ......................................................................................
2/ L'activité des coordinateurs ........................................................................................................
3/ Une diversité des configurations organisationnelles ..................................................................
4/ Mais l'organisation et la gestion de l'activité d'aide à domicile se
réalisent dans un cadre contraint ...............................................................................................
a) Des contraintes inhérentes à l'activité ..........................................................................................
b) Des contrainte relatives à l'insuffisance des budgets alloués ..........................................................
5/ Effets sur les conditions de travail et au-delà .............................................................................
6/ Conclusion : des fonctions "stratégiques", des moyens insuffisants ..........................................
PARCOURS PROFESSIONNEL ET FORMATION ......................................................................................
1/ Les métiers d'intervenantes ........................................................................................................
a) Intervenantes, un métier aux contours flous ................................................................................
2/ Les raisons d'exercer le métier d'aide à domicile .......................................................................
3/ La formation des salariées ..........................................................................................................
4/ Les freins à la formation .............................................................................................................
PISTE D'ACTION ...................................................................................................................................
1/ Valoriser et reconnaître effectivement l'activité d'aide à domicile .............................................
a) Agir sur les points les plus négatifs en matière de conditions de travail ...........................................
 Une contractualisation fréquente sous forme de temps partiel ...................................................
 La charge psycho-affective .....................................................................................................
b) Aller vers une gestion par les compétences de métiers aux contours flous .......................................
c) Valoriser la richesse réelle du métier ...........................................................................................
2/ Toujours simplifier, ou "arrêter d'en rajouter des couches" ......................................................
3/ Renforcer les dispositifs internes d'appui à l'activité d'aide à domicile .....................................
4/ Inscrire un Engagement de Développement De la Formation dans les réalités du secteur .......
a) Publics cibles .............................................................................................................................
b) Axes publics/objectifs professionnels ...........................................................................................
c) Des formes d'action à adapter .....................................................................................................
 Répondre à la question du remplacement ................................................................................
 Ouvrir l'EDDF à des formes variées d'actions de développement des compétences ......................
 Prendre en compte les caractéristiques du public ......................................................................
d) Reconnaissance et validation des acquis ......................................................................................
e) Suivi et évaluation .....................................................................................................................
f) Un besoin d'accompagnement et d'ingénierie ...............................................................................
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Cadre de l’intervention
Secteur de l'aide à domicile
1/
L’aide à domicile, un secteur atomisé et diversifié…
Le secteur de l'aide à domicile compte en Champagne-Ardenne 277 services et 6 100 intervenants
(enquête SAPAD1).
L’enquête précitée et les échanges qui ont eu lieu au cours du premier comité de pilotage ont mis en
évidence 5 caractéristiques qui structurent fortement le secteur et son fonctionnement :
♦ Un secteur essentiellement associatif, sous tutelle ou dépendance de financements publics ou
assimilés (caisses de retraite, CAF, Conseil Général…),
♦ Deux branches distinctes :
• La branche personnes âgées : des salariés peu ou pas qualifiés, souvent isolés,
• La branche famille : environ 10 % des effectifs, des salariés majoritairement qualifiés, des
collectifs de travail,
♦ Une diversité de situations, d'organisations et de modes de gestion, liée notamment à la taille
des structures (place du bénévolat…) et à l'implantation (rural/urbain), qui se retrouve
également dans les organisations professionnelles du secteur,
♦ Une pyramide des âges très déséquilibrée : 65 % des effectifs de plus de 40 ans,
♦ Des spécificités en matière de gestion des Ressources Humaines :
• Un public essentiellement féminin,
• Du travail souvent à temps très partiel,
• Des rémunérations faibles,
• Un turn-over important,
• Un recrutement orienté sur la "maturité" et les compétences "humaines" des personnes,
• Des publics faiblement qualifiés : 6 % seulement des intervenantes en Champagne-Ardenne
sont détentrices du CAFAD, contre 15 % en moyenne nationale.
1
Enquête "SAPAD - Structure" réalisée en 1999 par la DREES et les services statistiques de la DRASS. FLASH STAT n° 3
décembre 2000 - DRASS Champagne-Ardenne.
4
2/
Des évolutions en cours…
La mise en place de l'APA, depuis le 1er janvier 2002, doit entraîner une croissance importante des
bénéficiaires et des besoins nouveaux d'intervenants : deux mille à trois mille intervenants
supplémentaires seraient ainsi nécessaires en Champagne-Ardenne sur 3 ans.
Cette allocation s'accompagne d'un fonds de modernisation destiné à améliorer la qualité de service,
entre autres en relevant les niveaux de qualification : réforme du CAFAD et création du nouveau
diplôme d'auxiliaire de vie sociale accessible à la fois par la formation initiale, la formation continue et
des dispositifs d'équivalence et de validation des acquis de l'expérience.
Les premières projections conduisent par exemple à un besoin en formation estimé de 400 à 450
personnes par an au nouveau diplôme d'auxiliaire de vie sociale, alors que l'on ne forme aujourd'hui
au CAFAD qu'une soixantaine de personnes par an en Champagne-Ardenne.
La DRTEFP (Direction Régionale de Travail, de l'Emploi et de la Formation Professionnelle) interpellée
par la DRASS (Direction Régionale des Affaires Sanitaires et Sociales) sur les difficultés prévisibles du
secteur, envisage la mise en place, au plan régional, d'un accord de politique contractuelle destiné à
soutenir les efforts de formation qui seraient engagés par les structures pour le personnel en place, y
compris sur des modules ou axes de formation sans visées diplômantes.
Un comité de pilotage régional a été constitué à l’initiative de la DRTEFP afin d’examiner et conduire
ce projet. Il rassemble la DRTEFP, la DRASS, le Conseil Régional, les 3 OPCA du secteur (AGEFOSPME, PROMOFAF, UNIFORMATION), l’ARACT et des structures fédérant des associations d’aide à
domicile. Il s’est réuni le 26 avril, puis le 16 mai 2002.
3/ La demande faîte à l'ARACT
Afin de mieux comprendre les besoins du secteur, le comité de pilotage a souhaité que l'ARACT
réalise, au préalable, des diagnostics courts auprès de structures volontaires du secteur.
Ces diagnostics ont été centrés, selon les préoccupations des dirigeants et des salariés, sur des
questions :
♦ De conditions de travail,
♦ D'organisation,
♦ De gestion des emplois et des compétences,
♦ Etc ….
5
Ils avaient un double but :
♦ Interne à l'entreprise, d'éclairage sur ses préoccupations propres,
♦ Collectif, par la capitalisation de ces diagnostics, d'apports de contenus et d'éléments
d'analyse et de réflexion au comité de pilotage, en vue de l'accord de politique contractuelle.
Le comité de pilotage a souhaité que 5 structures puissent faire l’objet d’un diagnostic. Les OPCA
associés à la démarche et les professionnels présents devaient proposer des entreprises, choisies
autour des critères suivants :
♦ 1 structure "famille", 4 structures "personnes âgées",
♦ Des tailles de structure différentes,
♦ Des structures plutôt urbaines, d'autres rurales,
♦ Si possible au moins une structure implantée dans chacun des quatre départements de la
région.
Les contacts préalables pris par les OPCA ont abouti rapidement pour trois structures. Pour la
structure “ famille ”, l’ARACT a essuyé deux refus avant d’obtenir un accord. En revanche, il n’a pas
été possible, dans les délais impartis à cette mission, d’obtenir l’accord d’une 5ème (petite structure en
milieu rural, si possible en Haute-Marne).
Description et objectifs du Diagnostic Court
Le Diagnostic Court est une démarche participative et une action de conseil pour le
changement concerté du travail. Il analyse le fonctionnement de l'entreprise à partir des
situations de travail vécues par les salariés sous le double point de vue :
♦
De l'efficacité de l'organisation,
♦
Des conditions de travail.
La démarche bénéficie d’un financement public intégral, par le Ministère du Travail, le
Conseil Régional ou le Fonds Social Européen.
6
4/ La conduite du chantier
Des diagnostics ont été réalisés entre fin juin et septembre 2002, dans les associations d’aide à
domicile suivantes :
Nom de
Nbre de
Personnes âgées
salariés
ou famille
Ardennes
600
Personnes âgées
Urbain et rural
11/10/02
ADMR
Aube
600
Personnes âgées
Rural
23/08 et 03/09/02
CEP AGEEN
Marne
42
Personnes âgées
Urbain
22/10/02
AFAD
Marne
21
Familles
Urbain
13/09/02
l’association
ADAPAH
Départ.
Urbain, rural
Date de la
restitution
L’équipe d’intervention était constituée de 4 personnes : Bruno Ciarelli (consultant indépendant),
Michel Forestier (ARACT Champagne-Ardenne), Roger Tanniou (ARACT Champagne-Ardenne) et
Farida Yahiaoui (ANACT). Chacune d'entre elles a pris en charge le diagnostic d'une des structures de
l'échantillon puis a participé aux travaux de synthèse qui se sont déroulés en trois étapes :
♦ Présentation des quatre diagnostics et premiers constats,
♦ Construction d'une synthèse,
♦ Conception de propositions d'actions.
La restitution de l’enquête auprès du Comité de pilotage a été réalisée le 17 septembre 2002 en
présence de représentants dirigeants et salariés de 3 des 4 structures.
2
4 salariés permanents mais 85 personnes intervenant dans le cadre d'une activité mandataire.
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RÉSULTATS DE L'ENQUETE
Trois caractéristiques importantes, d’entrée de jeu, doivent être soulignées, car elles ont été
constatées dès les premiers échanges de synthèse autour des diagnostics réalisés.
1/ Une grande diversité à l’intérieur d’un très petit échantillon
Alors même que le nombre de structures de l'échantillon était extrêmement limité, il a néanmoins
permis d'observer comment pouvait varier un grand nombre de paramètres :
Bénéficiaires. Dans l’échantillon et selon les structures, les bénéficiaires peuvent être des personnes
âgées ou des familles. Mais à l’intérieur de ces catégories de public des segmentations plus fines
doivent être faites par exemple entre des personnes handicapées, malades, etc.
Rural/urbain. Certaines structures n’intervenaient qu’en milieu urbain (AFAD, CEP AGEEN), d’autres
qu’en milieu rural (ADMR), d’autres enfin, à la ville comme à la campagne (ADAPAH).
Diversité des prestations. Les structures, au-delà de l’aide à domicile, peuvent proposer des services
diversifiés : portage de repas, soins à domicile, télé-assistance, hébergements permanents ou
temporaires en familles d’accueil etc…
Place du bénévolat. Toutes les structures de l’échantillon sont sous statut associatif. À ce titre, elles
réunissent toutes des bénévoles ("bénévoles de gouvernance") dans leur Conseil d’administration.
Mais au-delà de cette similitude, certaines structures (ADMR notamment) accordent une grande place
au "bénévolat d’activité", les bénévoles pouvant jouer alors un rôle actif dans la gestion
administrative, la coordination des intervenantes, voire dans l’intervention elle-même.
Mandataires/prestataires. Les interventions peuvent être conduites dans un cadre prestataire – c’est
la structure qui est l’employeur du personnel - ou dans un cadre mandataire - c’est le bénéficiaire qui
est l’employeur, la structure lui apportant une aide administrative (contrat de travail, bulletins de
salaires etc). Dans notre échantillon, 2 structures offrent les 2 modalités, 1 structure n’intervient
qu’en prestataire, 1 structure n’intervient qu’en mandataire.
8
Effectifs. L’échantillon rassemble des structures qui vont de 4 à 600 salariés3.
Organisation interne et relation aux fédérations. Aucune des structures de l’échantillon n’est
organisée de la même manière. Cette différence est marquante notamment autour de la question de
la coordination ou celle de l’analyse et du suivi des demandes d’intervention. En outre, trois des
structures étaient affiliées à trois fédérations différentes, l’une ne relevant d’aucune affiliation
particulière.
Conception du service. Par exemple, une des structures a développé une conception très affinée du
service autour de l’objectif d’autonomisation des personnes alors qu’une autre n’intègre pas cette
dimension mais sera plus attentive à la satisfaction de la clientèle.
Lors des réunions de synthèse, l'équipe d'intervention a été frappée par cette diversité atteinte avec
si peu d'exemples. Cette diversité doit être intégrée dans la réflexion sur le secteur, qui manifeste là
une hétérogénéité forte.
2/ Une activité "domiciliaire" qui préexiste à toute intervention
"Domiciliaire" est un néologisme forgé pour l'occasion. Le terme exact serait "domestique" (domus,
maison), mais il a pris avec le temps une connotation péjorative qui nous conduit à préférer
"domiciliaire". L'évolution péjorative de ce mot (domestique) pourrait d'ailleurs être symbolique d'une
activité socialement peu valorisée ainsi que la suite de cette enquête le montrera.
L'activité domiciliaire préexiste à toute intervention. Cette dernière vient en effet se substituer (en
partie du moins) à une réalisation personnelle ou familiale.
Elle se compose de tâches très variées, aux contours flous, dont chacun peut prendre une vue en
simplement réfléchissant à la multiplicité des tâches qu’il peut être amené à réaliser à son propre
domicile.
3
Au sens juridique du terme, c'est-à-dire dépendants de la structure (hors donc les personnes intervenant dans un cadre
mandataire).
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3/ Deux familles de métiers
Dans chacune des structures de l’échantillon, deux grandes familles de métiers sont apparues
"stratégiques" même si, dans certaines de ces structures, d’autres métiers peuvent également
exister :
♦ Les métiers de la gestion et de l'organisation,
♦ Les métiers de l'intervention.
C’est autour de ces deux familles de métier que les constats qui suivent sont établis.
10
L'activité des intervenantes à domicile
Les entretiens et les observations ont été conduits auprès de salariées d’activités différentes :
♦ Aides ménagères : intervenant auprès de personnes âgées sur des tâches essentiellement
ménagères,
♦ Auxiliaires de vie ou assistante de vie : intervenant auprès de personnes handicapées ou
personnes âgées fortement dépendantes (le volume d’intervention est ici limité par des quotas
départementaux exprimés en équivalent temps – plein),
♦ Auxiliaires familiales : pendant des aides ménagères mais intervenant auprès de familles
rencontrant temporairement des difficultés (arrivée d'un nouvel enfant, maladie…),
♦ Techniciennes d’intervention sociale et familiale (TISF) : interviennent également auprès
des familles mais avec une mission centrée sur la relation parentale (appui auprès des enfants
et auprès des adultes de la famille dans leur rôle de parent).
On peut caractériser ces populations, dans notre échantillon, au travers 3 grands critères :
♦ Le sexe : ces métiers sont quasi exclusivement exercés par des femmes,
♦ Le temps de travail : les aides ménagères et auxiliaires de vie de notre échantillon travaillent
à temps partiel. Ce temps partiel est rarement choisi comme l’atteste le fait que ces salariées
ont très fréquemment d’autres employeurs. La rémunération est, selon les cas, lissée ou
variable d’un mois sur l’autre en fonction du nombre d’heures travaillées. Les TISF comme les
auxiliaires familiales (une seule structure observée) travaillent à temps complet ou à temps
partiel choisi et sont systématiquement mensualisées,
♦ L’âge et l’ancienneté : les moyennes d’âges sont plutôt élevées et l’ancienneté faible dans les
structures qui interviennent auprès de personnes âgées ; on peut rattacher ces caractéristiques
très probablement à la croissance rapide et récente de la demande d’intervention mais aussi à
l’âge moyen au recrutement (40 ans dans une association) et, dans certaines associations mais
pas dans toutes, à un turn-over élevé. Ces caractéristiques n'ont pas été rencontrées dans la
11
structure qui intervient auprès des familles. Notamment, l'ancienneté y était beaucoup plus
importante.
Malgré ces quelques divergences, l’ensemble de ces métiers partage de façon majoritaire des
préoccupations communes. Des spécificités importantes peuvent cependant apparaître qui sont liées :
♦ Au public : on ne mobilise pas les mêmes compétences dans une activité éducative auprès
d’enfants que dans l’accompagnement d’une personne âgée dépendante,
♦ Au séquencement du travail : dans notre échantillon, le fractionnement du travail est
nettement plus important pour les intervenantes auprès de personnes âgées qu’auprès de
familles.
♦ À l’accès au métier : un diplôme est exigé pour l’accès au métier de TISF ce qui n’est pas le
cas pour les autres métiers…
Compte tenu de la motivation de la demande – la création de l’Allocation Personnalisée d’Autonomie
(APA) qui concerne les personnes âgées de 60 ans et plus - les développements qui suivent porteront
sur les activités d’intervenantes auprès des personnes âgées. Toutefois seront relevés au fur et à
mesure du texte, les traits saillants qui distinguent les métiers d’intervention auprès des familles.
1/ Description de l’activité
Quel que soit le métier, l’activité de l’intervenante à domicile peut être décrite comme une activité
segmentée, faite d’une succession de situations singulières et évolutives, s’inscrivant dans une
relation d’aide individuelle et un système complexe de prescription du travail. C’est l’ensemble de ces
points que nous reprendrons ci-dessous.
a) Un ensemble de situations singulières et évolutives
Les salariées qui exercent leur activité auprès des personnes âgées ont en "portefeuille", selon les
cas, de 4 à 10 personnes, pour des volumes horaires de travail qui varient de manière générale de 50
à 120 heures par mois4.
4
Toutefois, dans la structure de notre échantillon qui intervient auprès des familles, les salariés sont en majorité à temps plein
et les temps partiels le plus souvent choisis (15 salariés à temps plein, 8 à temps partiel).
12
Leur mission, chez chaque bénéficiaire, est décrite au travers de tâches prescrites - ménage ou levertoilette, etc… - et d’un temps prescrit en durée et en rythme - 1 heure par jour ou 2 heures tous les
15 jours... C’est la salariée qui va adapter ses tâches aux durées et rythmes prescrits.
Chaque situation est singulière. Elle est le résultat de la combinaison précédente - tâches, temps –
mais aussi d’un environnement de travail à chaque fois différent qui peut être caractérisé par 3
paramètres essentiels : le bénéficiaire, sa famille, le logement. Ces paramètres présentent une
grande variabilité qui va faciliter ou au contraire rendre plus difficile le travail.
Par exemple, l’organisation spatiale du logement va ou non permettre une circulation aisée d’un
fauteuil. Certains logements (évalués à 5 % encore aujourd’hui par certaines associations) ne
possèdent pas d’eau chaude ni de sanitaires intérieurs. Dans certains cas des équipements spécifiques
(lits médicalisés par exemple) pourraient être utiles... De même, le bénéficiaire pourra être plus ou
moins valide, avoir ou non conservé toutes ses facultés mentales, affirmer plus ou moins ses
exigences quant au travail fourni et aux façons de faire (le repassage, la cuisine…). Enfin la famille5
peut être relativement présente ou absente, apporter un soutien à l’intervenante ou au contraire venir
superposer ses propres attentes à celles du bénéficiaire…
Ces situations ne sont, par ailleurs, pas figées : la personne aidée peut progressivement recouvrer de
la motricité après un retour d’hospitalisation ; son état de santé peut au contraire se dégrader
d’autant plus que l’intervention à domicile peut durer dans le temps (10 à 15 ans parfois).
Au-delà des évolutions qui interviennent chez le bénéficiaire, le "portefeuille" évolue également : les
entrées et les sorties sont fréquentes, parfois brutales, et nécessitent une adaptation permanente aux
nouvelles situations rencontrées.
b) Une activité segmentée avec des déplacements
La journée de travail s’organise autour de plusieurs interventions chez des bénéficiaires différents.
Celles-ci peuvent aller d’1/2 heure à 2 parfois 3 heures selon les types de tâches6. Pour les
intervenantes, cela se traduit par un fractionnement de l’activité et des déplacements d’un
bénéficiaire à l’autre qui peuvent représenter des temps non négligeables et sont ou non, selon les
conventions collectives, indemnisés et/ou partiellement considérés comme du temps de travail.
Certaines tâches (lever, coucher, aide au repas) contraignent l’emploi du temps par leur horaire
d’exécution. C ’est autour de ces tâches, avec cette fois une grande latitude, que la salariée peut
mettre en place les autres tâches, ménage notamment.
Compte tenu des rythmes variables d’intervention auprès des bénéficiaires deux journées sont
rarement identiques.
5
Dans l'aide à domicile "familles", la règle est que la famille est présente lors de l'intervention, alors que dans le cas des
personnes âgées, elles peuvent ne pas l'être.
6
Dans l'activité auprès des familles, le travail s'organise autour de tranches horaires de 4 heures, sur des horaires de travail
fixes.
13
La succession des différentes interventions conduit à une certaine densité du travail qui n’est rompue
que par les déplacements : auprès de chaque bénéficiaire, il est attendu une efficacité maximale de
l’intervenante sur des temps souvent très courts. Dans le cas présenté ci-dessous par exemple,
l’intervenante, entre 7 h 30 et 10 h 00, a aidé 3 personnes à se lever et à faire leur toilette, sur des
temps allant d’une 1/2 heure à 1 heure par bénéficiaire, activités qui s’exercent bien évidemment
auprès de personnes à mobilité très réduite et sont considérées, notamment, comme physiquement
sollicitantes.
Cette densité peut être sous estimée si on s’en tient à la prescription. Les intervenantes rencontrées
nous ont souvent expliqué que le lever s’accompagne aussi de l’habillage de la personne, voire de la
préparation du petit-déjeuner… et tout cela parfois en une demi-heure ! ! ! !
L’exemple d’une journée de travail
7h30
9h
10h
11h
Lever/toilettes
12h
r
e 14h
p
13h o
s
15h
r 16h
e
p
o
s
17h
18h
19h
20h
r
e
p
o
s
Ménage
Aide au repas
Coucher/change
Dans le cas illustré ci-dessus la salariée est intervenue en 9 séquences de travail auprès de 7
personnes différentes, sur des tâches variées : lever/toilette, aide au repas, ménage,
coucher/change.
Ce cas illustre une journée exceptionnelle par son volume horaire (en période estivale où les
remplacements de congés ne sont pas toujours faciles). Néanmoins il est représentatif du
fractionnement du travail et des amplitudes quotidiennes par ailleurs variables.
c) Une relation d’aide individuelle
La mission de l’intervenante auprès d’un bénéficiaire identifié est décrite au travers de tâches très
concrètes (repassage, cuisine, ménage…). Les descriptions de fonction destinées à la fois aux
salariées et aux bénéficiaires sont toutefois symptomatiques des difficultés rencontrées par les
structures à proposer un cadre à ces métiers qui fixe les missions à l’attention des intervenantes mais
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aussi à l’attention des bénéficiaires ; d’une manière générale se côtoient ainsi dans ces définitions,
des listes positives de tâches – ce que la salariée peut être amenée ou a le droit de faire - et des
listes négatives – ce qu’elle ne fait pas ou n’a pas le droit de faire. Ces éléments sont révélateurs :
♦ De l’étendue potentielle d’une activité "domiciliaire" sur laquelle nous ne reviendrons pas,
♦ Des spécificités de la prescription du travail que nous détaillerons plus loin,
♦ Mais aussi de la composante relationnelle forte du métier.
La relation d’aide est ainsi très clairement inscrite à la fois comme l’une des finalités de la mission
mais aussi comme une "tâche" à part entière. Dans l’extrait d’une définition de fonction rencontrée
dans une des structures de l'échantillon, repris ci-dessous, on voit ainsi apparaître, à côté des tâches
très concrètes derrière lesquelles on imagine aisément des gestes techniques, une "tâche" aux
contours plus flous : "apporter un soutien social, moral et psychologique".
Extrait d’une définition de fonction
"...
♦
Aider au lever, au coucher,
♦
Faire les courses,
♦
Préparer les repas,
♦
Aider à la marche,
♦
Apporter un soutien social, moral et psychologique ...".
Cette relation se joue par ailleurs à la fois dans la durée et dans l’instant : la situation, les attentes,
les besoins mêmes du bénéficiaire évoluent dans le temps, mais aussi peuvent varier dans l’instant
appelant ainsi des arbitrages de la part de l’intervenante.
Enfin la relation d’aide elle-même n’est pas monolithique. Avec l’évolution des politiques de maintien
à domicile, les modes relationnels ont eux-mêmes évolué ; schématiquement, on est ainsi passé
d’une logique de substitution – faire à la place de – à une logique de participation – aider à faire - et
ultime étape, à une logique d’incitation ou de stimulation – faire faire.
Faire
(substitution)
Aider à faire
(participation)
Faire faire
(incitation)
15
Il ne s’agit plus seulement d’exécuter des tâches que la personne âgée n’est plus en capacité
physique ou intellectuelle de réaliser mais bien de lui permettre de conserver un certain niveau
d’autonomie en l’incitant à continuer à exécuter des tâches qui lui sont encore accessibles voire, dans
d’autres cas, de lui permettre d’acquérir cette autonomie (cas, par exemple, de handicapés mentaux
sortis de structures collectives auxquels on va apprendre à "tenir" leur logement, à cuisiner…).
Sur le terrain bien évidemment ces différents modes d’aide continuent à coexister. Néanmoins "inciter
à faire" génère des relations d’autorité nouvelles entre les salariées et les bénéficiaires, que l’on
retrouve dans cette expression d’un responsable : "pour les salariées, tout un environnement
nouveau est à créer : il faut par exemple obliger la personne à se lever".
Par ailleurs, le temps attribué aux prestations est toujours calculé sur la même base. Or, il est clair,
et les intervenantes le confirment largement, qu'"inciter à faire" demande plus de temps.
d) Des configurations de prescription du travail complexes
L’ensemble de ces tâches s’inscrit dans des configurations de prescription du travail qui ne sont pas
simples :
♦ À la fois parce que la structure peut intervenir en tant que prestataire – c’est elle qui est alors
juridiquement employeur de la salariée - ou en tant que mandataire - c’est le bénéficiaire qui est
employeur, la structure lui apportant une aide dans la gestion administrative de l’emploi.
Certaines structures de notre échantillon cumulent les deux modalités et très couramment les
salariées vont intervenir également sur les deux modalités : prestataire chez un bénéficiaire,
mandataire chez un autre, parfois selon les 2 modalités chez un même bénéficiaire ;
♦ Mais aussi parce que les prescripteurs du travail sont multiples. Dans un cadre prestataire par
exemple c’est bien la structure qui est l’employeur et qui définit la mission de l’intervenante ; la
nature et la durée de l’intervention seront néanmoins également déterminées par le financeur
apporteur de l’aide. Au jour le jour, l’intervenante sera d’abord en contact avec le bénéficiaire
qui peut lui-même demander à la personne d’autres services ; la famille, si elle est présente,
peut également intervenir pour exprimer des attentes encore différentes. On retrouve les
mêmes acteurs en présence dans le cas d’une activité mandataire mais avec des rôles
différents.
16
Des configurations de prescription du travail complexes
Structure
employeur
Financeurs
Aide à
domicile
Famille
Bénéficiaire
Structure
d'appui
Financeurs
Aide à
domicile
Prestataire
Bénéficiaire
employeur
Famille
Mandataire
2/ Des effets sur les conditions de travail, et au-delà...
a) Une gestion du temps particulière et des conséquences sur les rémunérations, la sécurité
de l’emploi et le recrutement.
La plupart des salariées de notre échantillon exercent leur activité à temps partiel ; ce mode de
gestion, qui trouve probablement son origine à la fois dans les modalités de croissance de l’activité
(chaque mission nouvelle procurée par un bénéficiaire ne représente qu’un temps partiel) et dans la
faculté, par une gestion horaire du temps de travail, de prendre en compte la variabilité de l’activité
(entrée, sortie de bénéficiaires) et d’ajuster ainsi la rémunération au temps réellement productif,
entraîne plusieurs conséquences :
♦ Les salariées ont très fréquemment plusieurs employeurs dont des particuliers employeurs ce
qui gêne leur accès à la formation ou à toute action collective qui pourrait être engagée dans la
structure7,
♦ La rémunération, dans le cas où celle-ci n’est pas lissée, peut être très variable d’un mois sur
l’autre (de 1 à 5 couramment cité) et est présentée par certaines salariées comme la première
raison qui pourrait les conduire à quitter le métier,
7
L'analyse des conditions de travail réelles d'un salarié qui a plusieurs employeurs supposerait que soit pris en compte les
conditions chez chacun de ses employeurs. Nous nous sommes limités ici aux conditions liées à l'activité d'aide à domicile.
17
♦ Enfin dans certains cas de figure (salariées disposant d’un petit portefeuille et peu mobiles), la
sortie des bénéficiaires peut conduire au licenciement. Le multi-emploi répond d’ailleurs très
probablement à la nécessité pour ces personnes de sécuriser leurs revenus.
Les caractéristiques de l’activité conduisent par ailleurs au développement d’horaires atypiques
comme on l’a vu plus haut avec des amplitudes quotidiennes importantes. Mais l’augmentation des
cas de forte dépendance conduit aussi, dans les organisations qui prennent en charge ces cas, à
développer le travail du week-end et celui-ci va croissant : ces horaires atypiques constituent un
frein non négligeable au recrutement et sont bien présentés, par les salariées en place, comme
contribuant à dégrader les conditions de travail.
b) Des risques professionnels, une charge physique et une charge psychique et affective qui
peuvent conduire à des accidents du travail, des inaptitudes et des situations de stress
pouvant aller jusqu’au retrait.
L’environnement physique du travail est, par définition, changeant ; le lieu de travail – le domicile des
bénéficiaires – n’est pas forcément conçu pour limiter les risques professionnels. Des accidents du
travail (qui seraient sinon des accidents domestiques) sont ainsi relevés.
Des problèmes lombalgiques sont encore plus couramment rencontrés et conduisent avec une
fréquence relativement élevée à des inaptitudes partielles au port de charge : les activités
ménagères elles-mêmes sont porteuses de ce risque. Néanmoins, les plaintes exprimées par les
salariées concernent particulièrement la manipulation des personnes (aide au lever, au coucher, aide
aux personnes handicapées moteur…). Ce risque nécessite une vraie prise en compte qui aujourd’hui
est assurée, à des niveaux variables, dans toutes les associations rencontrées par des propositions de
formation à la manipulation des personnes mais doit conduire aussi, par exemple, à inciter les
bénéficiaires (ou leur famille) à investir dans des équipements d’aide (lits médicalisés par exemple).
Dans certaines associations, le mode de gestion de l’affectation des bénéficiaires aux salariées permet
de maintenir dans l’emploi les salariées reconnues partiellement inaptes. Dans d’autres cas de figure,
ces inaptitudes conduisent au licenciement des salariées concernées. Avec le vieillissement de la
population salariée et l’intervention de plus en plus fréquente auprès de personnes à mobilité très
réduite, on peut légitimement penser que ces difficultés iront croissant.
Cependant, le discours des salariées fait passer au premier plan la charge psychique et
affective. La relation qui s ‘établit avec le bénéficiaire peut être à la fois source de plaisir et de
gratification dans le travail, comme nous le détaillerons plus loin dans la question de la
reconnaissance, mais aussi cause d’une charge "psychique et affective" particulièrement forte. La
pénibilité vécue dans ce registre peut conduire des salariées à demander à ne plus intervenir chez tel
ou tel bénéficiaire ou à refuser d’exécuter certaines tâches.
18
De l’"amour" à la rupture
L’extrait ci-dessous d’un entretien réalisé avec une auxiliaire familiale est très illustratif de la nature
de la relation qui peut se nouer dans le temps avec les bénéficiaires d’aide à domicile :
"Une petite mamie, un amour. Un jour, je lui ai étendu son linge. Elle était ravie. Petit à petit, elle l’a
fait avec moi, elle s’en mêlait. Ses habitudes à elles devaient primer. Or nous, on a nos habitudes. On
ne va pas changer à chaque fois…"
Cette relation devait être assez tendue, puisque l’auxiliaire explique qu’elle a alors essayé de la
"passer" à une de ses collègues : "mais elle ne veut que moi". Puis elle conclut : "Il faut qu’ils se
rappellent que nous aussi on est des êtres humains".
Cette charge psychique et affective va trouver son origine :
♦ Dans des évènements imprévisibles et non souhaités qui, même s’ils ne sont pas
fréquents, vont marquer durablement la salariée : tensions relationnelles fortes avec le
bénéficiaire ou sa famille, agressions verbales ou physiques, exhibitionnisme, accusations de
vol… Chaque salariée intervenant depuis quelques années dans ce secteur a rencontré un jour
l’un de ces cas. Fréquemment, lors de nos entretiens, des "histoires", des "cas" nous ont été
spontanément racontés par nos interlocuteurs. C’était une des manières pour eux d’illustrer, de
nous faire comprendre leur métier et ses difficultés. Ces cas peuvent être également transmis
d’intervenant à intervenant lors de rencontres organisées (par exemple dans la structure famille
les réunions hebdomadaires de préparation du planning), ou à diverses occasions, comme par
exemple lors de sessions de formation. Ils servent de repères, même pour ceux qui ne les ont
pas vécus. On peut alors parler de véritables "cas-école" ;
♦ Dans le quotidien de l’activité : les salariées sont isolées sur le lieu de travail et doivent
être en capacité de faire face aux évènements même s’ils ne ressortent pas de leurs domaines
de compétence (malaise, chute de la personne âgée par exemple). Ces situations génèrent un
sentiment de responsabilité à la fois valorisant ("heureusement pour certaines personnes âgées
qu’on est là") mais aussi porteur de stress parce que vécues seules et que les conséquences
d’erreurs d’appréciation, de jugement ou d’attitude peuvent être particulièrement graves.
♦ Des arbitrages à réaliser et à assumer entre le "prescrit" et le "sollicité" par la personne
aidée : "Elle me demandait d’aller lui acheter une pommade bien précise pour que je lui soigne
un cor au pied. Je lui ai répété à plusieurs reprises que je n’avais pas le droit et qu’il fallait
qu’elle appelle le médecin. Elle me disait que ce n’était pas la peine et j’ai fini par céder. Je ne
savais pas que cette pommade était déconseillée pour les diabétiques et le trou provoqué ne
s’est jamais refermé. Je m’en veux encore".
19
♦ C’est aussi, dans un autre registre, le partage de la souffrance, exprimé par une salariée de
la manière suivante : "Parfois quand elle a des moments de lucidité (personne atteinte de la
maladie d ’Alzheimer) elle pleure, alors je pleure avec elle",
♦ Dans les tâches et missions inhérentes au métier : ainsi dans le discours des salariées sur
leur métier, notamment de celles qui ont une certaine ancienneté et qui l’ont vu évoluer au fil
du temps - de l’intervention auprès "d’un domicile" vers l’intervention auprès "d’une personne" les exigences et les pénibilités perçues s’ancrent sur des points de repère que nous avons notés
sur le schéma suivant en termes de "sauts".
Exigences,
Pénibilités
perçues
Sphère privée
sphère personnelle
Dépendance
croissante
Saut 3
Accompagnement
fin de vie
Toilette
Saut 2
Tâches
ménagères
Compagnie
écoute
Habillage
Saut 1
Le premier "saut" concerne l’entrée au domicile, dans la "sphère privée" : il renvoie à la
difficulté que peut vivre le bénéficiaire à accepter l’entrée d’un "intrus" chez lui et la difficulté
que peut avoir l’intervenante, surtout la première fois, à ajuster son comportement : elle n’est
pas "chez elle" et elle est porteuse d’une mission prédéfinie et d’une façon de faire qui n’est pas
forcément celle du bénéficiaire : "Avant d’arriver dans ce métier, je ne me rendais pas compte
que des gens pouvaient vivre aussi différemment de moi" (une auxiliaire familiale). Dans
certaines structures, cette première entrée sera accompagnée par l’employeur ou un
hiérarchique ou en cas de remplacement, par la titulaire. Ce saut paraît toutefois franchi sans
trop de difficultés.
20
Le deuxième saut par contre apparaît plus difficile à franchir tant du côté salarié que
bénéficiaire. Il marque l’entrée dans la "sphère individuelle", la tâche caractéristique citée étant
"la toilette". La difficulté semble renvoyer à une "répugnance à faire" et "à subir" plus qu’à la
pénibilité physique ou à la définition du métier. Ce saut accompagne également un état de santé
physique ou psychique plus dégradé de la personne. Certaines salariées peuvent refuser de
franchir cet obstacle et demander à n’être affectées qu’à des tâches ménagères. Dans
certaines structures, la salariée hésitante sera accompagnée par une collègue expérimentée
dans la réalisation de ses premières "toilettes".
Enfin, le troisième saut concerne l’accompagnement de personnes en fin de vie : que dire, quel
discours tenir face à une personne qui voit sa santé se dégrader fortement ? Comment réagir
face à la douleur, à la souffrance ? Comment se retrouver soi-même après avoir assisté, parfois
seule, au décès ou après avoir découvert le décès ? Une situation à laquelle certaines salariées
ne souhaitent pas être confrontées. Les cas "lourds" (la maladie d’Alzheimer est fréquemment
citée) sont également présentés, dans la relation qui s’établit avec la personne, comme
particulièrement difficiles à vivre. Des salariées, après un temps d’intervention conséquent
chez un bénéficiaire qui entre dans ces cas, peuvent parfois demander à en être dessaisies
partiellement ou totalement parce qu’elles ne le supportent plus.
Certaines structures cherchent ainsi aujourd’hui à éviter que ces cas (par ailleurs très
consommateurs en temps) soient accompagnés par une seule personne. La division du travail
qui s’ensuit peut dès lors conduire également une salariée n’intervenant qu’en aide ménagère à
y être confrontée.
Des "réticences"
Extrait d’un entretien avec une jeune aide ménagère :
Ce travail avec les personnes âgées, "ça me fait un petit peu peur. Peut-être que ça marcherait,
mais je suis réticente : l’intimité des gens (…) Je ne me sens pas capable d’assumer. Peut-être
plus tard, mais pour l’instant, c’est pas mon truc (…) J’ai pas envie d ’essayer (…) Moi, je
n’aimerai pas qu ’on me lave".
Un peu plus tard dans l’entretien : "Ma sœur travaille dans une maison de retraite. Elle
s’occupait des personnes âgées. Elle aime bien, elle me raconte. C’est pas toujours agréable.
Parfois, elles sont à 2 ou 3 pour que la personne se laisse faire. Une fois, elle arrive, la personne
est décédée".
Si, comme nous l’avons souligné plus haut, les structures apparaissent vigilantes sur la question de la
charge physique et cherchent à limiter son impact sur la santé, la prise en compte de la charge
psychique et affective apparaît nettement moins avancée ou plus diffuse. Des différences existent
toutefois dans ce domaine entre les structures : les salariées qui dans leur parcours professionnel ou
21
au travers de leurs divers emplois ont été confrontées à des modes de prise en charge variables de
ces questions, valorisent très clairement les structures qui apportent des réponses à la charge
psychique et affective. C’est donc un élément fort d’attractivité.
Dans notre échantillon, cette prise en charge se traduit, mais pas dans toutes les structures :
♦ Par des solutions d’accompagnement par d’autres personnes mais limitées par le manque de
moyens,
♦ Par des actions de formation, parfois, autour des cas lourds, de la psychologie des personnes
âgées, des déviances que l’on peut rencontrer (alcool, drogue…),
♦ Par des réunions préparatoires au planning qui n’ont pas cette vocation mais permettent aux
salariées de s’exprimer sur les difficultés rencontrées.
Mais nous n’avons pas rencontré de réponse organisée, en particulier aux cas de "crise" qui peuvent
être vécus individuellement : violences, décès etc…
c) La reconnaissance : un statut dévalorisé, le poids de l’attitude des bénéficiaires (et de
leur famille) et de l’employeur
La reconnaissance sociale (externe) n’est très clairement pas au rendez-vous. Au-delà du discours sur
"l’utilité sociale" de ces métiers, le sentiment est bien celui d’une absence de reconnaissance qui se
traduit dans les niveaux de financements accordés et par suite dans les grilles de salaires. Tout au
plus voit-on émerger dans quelques cas une reconnaissance, en zone rurale, au travers du lien social
que l’aide à domicile contribue à maintenir – elle accède ainsi à un statut particulier au sein du
village- ou dans l’aide aux familles, à la place que peuvent accorder les autres acteurs sociaux aux
témoignages des intervenantes qui sont finalement celles qui ont le plus de contacts avec les
bénéficiaires.
Dans ce contexte, l’attitude des bénéficiaires et de leurs familles prend un poids particulier.
Si dans quelques cas de figure, les intervenantes peuvent se sentir méprisées ("Tiens voilà ma femme
de ménage"8), d’une manière générale la reconnaissance est très présente et est donnée par
les intervenantes comme l’élément qui fait que finalement on aime son métier
("Heureusement, il y a le sourire quand on arrive", "Elle m’attend derrière sa fenêtre et s’empresse de
m’ouvrir dès qu’elle me voit arriver" sont quelques-unes des expressions rencontrées). Le métier est
8
Dans la structure famille, les intervenantes trouvaient généralement que c'était les enfants qui pouvaient être les plus durs à
leur égard, avec un manque de respect que ne corrigeaient pas leurs parents. "Tiens voilà la boniche".
22
vécu comme responsabilisant : le sentiment d’utilité qui en découle, conforté par l’attitude des
bénéficiaires et de leurs familles, contribue très fortement à sa valorisation.
Les structures employeurs se sont constituées sous forme associative souvent autour d’un
"militantisme social". Ce caractère militant a pu se diluer dans le temps dans certaines associations ;
néanmoins on a rencontré dans les structures, d’une manière générale, une forte compréhension
mutuelle salariées/employeurs (ou hiérarchiques) qui contribue également au sentiment de
reconnaissance.
3/ Conclusion : une distanciation difficile à mettre en place, des situations
de dilemmes et d’arbitrage à gérer dans l’instant
Le métier d’intervenante à domicile est plus complexe qu’il n’apparaît de prime abord. Cette
complexité ne met pas en jeu les compétences techniques nécessaires mais s’ancre essentiellement
dans la combinaison de quatre facteurs :
♦ Une relation d’aide auprès de personnes fragilisées et qui "comptent" sur les intervenantes,
♦ Une prescription du travail qui implique de multiples acteurs et aux contours flous et larges
(apporter un "soutien moral, social et psychologique" au cœur d’une activité "domiciliaire"),
♦ La variabilité des situations de travail,
♦ L’isolement des intervenantes.
Cette combinaison suppose, en permanence, de la part des intervenantes, une capacité à ajuster
leurs comportements et à arbitrer entre les différentes commandes qui leur sont faîtes. Elle est
génératrice de dilemmes que l’intervenante doit souvent résoudre seule et dans l’instant.
23
PRESCRIT
DEMANDE
Dilemme et arbitrage
Bénéficiaire
Association
Financeurs
Politique
RÉEL
Intervenant à
domicile
L’hypothèse initiale de conditions de travail jouant à l’encontre de l’entrée dans ce métier est bien
confirmée. Le sentiment de dégradation de ces conditions s’appuie sur des éléments objectifs :
développement des inaptitudes partielles, accroissement des horaires atypiques, refus de salariées
d’exécuter certaines taches ou d’intervenir sur certains cas, variabilité des rémunérations pour les
salariés…
Au cours des recrutements, les responsables sont confrontés à des refus de candidates de faire des
toilettes ou de travailler le week-end par exemple.
24
L'organisation et la gestion
de l'activité d'aide à domicile
L’intervention proprement dite au domicile des personnes âgées, nécessite, pour sa mise en place et
son suivi, un important travail d’organisation et de gestion réalisé par des structures qui, dans
l’échantillon, étaient toutes des associations.
1/ Le rôle des structures d’aide à domicile.
Pour organiser et gérer l’activité d’aide à domicile, les structures jouent un rôle à plusieurs niveaux.
♦ En amont de l’intervention au domicile proprement dite, dans le cadre des relations avec les
financeurs. La direction des structures (et/ou le Conseil d'Administration) doit d’abord prendre
en compte les orientations politiques et réaliser un véritable lobbying auprès des financeurs. Ces
actions permettent de :
• Connaître les dispositifs de financements et leurs évolutions,
• "Occuper le terrain" et essayer d’influer sur l’évolution des dispositifs de financements
grâce aux remontées des problèmes concrets rencontrés,
• Et très concrètement, pour que l’intervention au domicile puisse se faire, de monter les
dossiers de financement des personnes âgées qui s’adressent à la structure.
♦ Pour organiser et gérer l’intervention au domicile, les structures d’aide à domicile
remplissent une double fonction opérationnelle et de tiers régulateur :
• La fonction opérationnelle consiste d’abord à évaluer la situation de la personne (analyse
de la demande) puis à mettre en place le service (ajustement de l’offre et de la demande),
et à monter le dossier de financement ;
• La fonction de tiers régulateur dans la relation salarié-bénéficiaire repose sur la gestion
des plannings (gestion des remplacements en cas d’absence, de maladie, de congés...),
25
sur le suivi de la prestation et sur les besoins de régulation (quand un problème se pose
du côté de la personne âgée ou de sa famille comme du côté de l’intervenante).
"C’est nous qu’on aura raison"
L’extrait ci-dessous permet d'illustrer le rôle qui peut être attendu de la structure par des
intervenantes à domicile :
"Je suis très heureuse d’être ici. C’est la vie de famille. On se sent bien, on se sent écouté. On est
solidaire. Même si on a un problème avec une famille, c’est nous qu’on aura raison. On ne nous
obligera pas à y retourner".
La structure assure également, pour rendre possible l’intervention proprement dite, la gestion des
ressources humaines (recrutement, formation…).
Prise en compte
Politiques
Financeurs
des orientations
• Lobbying,
• Dossiers administratifs.
.
Direction
+
Services centraux
+
Coordinateurs
Gestion des
Ressources Humaines
(recrutement, formation, etc.)
• Analyse de la demande,
• Dossiers administratifs.
• Planning,
• Suivi de la prestation,
• Régulations
Bénéficiaires
Intervenantes
Interventions
26
2/ L’activité des coordinateurs
L’activité des coordinateurs consiste à rechercher une adéquation optimale entre la salariée et le
bénéficiaire lors d’une première demande, mais également au cours de la gestion quotidienne des
plannings afin d’assurer les remplacements en cas d’absence des salariées (congés, maladies, refus
d’une situation…).
Le schéma ci-dessous présente un panorama des paramètres à intégrer pour assurer cette
coordination.
Nouveau bénéficiaire
Tâches attendues et contraintes
d'horaires d'exécution
Prestation des exigences
du bénéficiaire ou de sa
famille
Expérience/Formation du salarié
Distance domicile-travail
Etat de santé réel
physique et mental
du bénéfiaire
Disponibilité des salariés (charges de
travail dans la structure et
extérieure) et situation au regard du
contrat de travail
Tâches acceptées par les
salariés ou réalisables
(limites d'aptitude)
Moyens de locomotion des salariés
Recrutement
Modification
des plannings
Affectation à un
salarié présent
Un ajustement permanent
27
Cette recherche d’adéquation nécessite, de la part des coordinateurs, une très bonne connaissance
des personnes âgées et des salariées. Cette connaissance se forge à partir de la prise en compte
d’éléments divers et complexes, relatifs aux caractéristiques de la situation de la personne et de la
situation des salariées.
Certains éléments complexes relatifs à la situation de la personne âgée sont objectivables
partiellement ou totalement (état de santé réel physique et mental du bénéficiaire par exemple) et les
coordinateurs disposent d'outils pour les objectiver (la grille AGGIR). En revanche, d’autres le sont
moins. Par exemple la perception des exigences du bénéficiaire ou de sa famille qui sont parfois non
exprimées mais qu’il faut savoir détecter au cours de la conversation, en posant les "bonnes
questions". Dans certains cas, nous avons pu également constater que les exigences du bénéficiaire
étaient différentes de celles de la famille (voire contradictoires)….
Cette difficulté d’appréhension d’éléments complexes se retrouve au niveau de la situation des
salariées. En effet, les limites d’aptitudes sont facilement repérables (et encore, quand elles sont
déclarées). En revanche, la disponibilité des salariées est parfois moins aisée à appréhender puisque,
comme nous l’avons déjà mentionné, les personnes ont souvent d'autres employeurs et ne le
déclarent pas forcément au coordinateur chargé de la mise en place du service. Enfin, la recherche
d’adéquation maximale peut également s’appuyer sur la prise en compte d’éléments relatifs à la
personnalité des salariées : il ne s’agit pas par exemple de mettre une aide à domicile timide chez
une personne âgée ayant un caractère très (trop !) affirmé. Ces traits de personnalité ont pu être
appréhendés, par les coordinateurs que nous avons rencontrés, soit par le développement d’une
relation avec les intervenantes (à travers le suivi et l’encadrement), soit pour l’une des structures
rencontrées, très en amont du processus, au cours d’une formation préalable de six mois dispensée à
toutes les auxiliaires de vie recrutées.
Au-delà des difficultés liées à la multiplicité des éléments à prendre en compte et à la complexité de
leur appréhension, les coordinateurs doivent opérer des arbitrages entre ces différents éléments afin
de désigner la personne la plus "apte" à réaliser les prestations définies dans une situation
caractérisée.
En cas de nouvelle demande, les coordinateurs doivent également au quotidien réaliser des
ajustements dans la gestion des plannings afin de mettre en place les remplacements occasionnés par
les diverses absences (congés, maladie, refus de continuer chez une personne âgée ou refus de la
personne âgée de continuer avec la même auxiliaire de vie…).
28
Cette capacité d’appréhension d’éléments divers et complexes, la réalisation d’arbitrages et
d’ajustements permanents repose :
♦ Sur une mobilisation très importante de la mémoire des coordinateurs, ce qui milite pour un
taux d’encadrement minimum (au sein d’une des structures de l’échantillon, la "coordinatrice"
atteignait ses limites "cognitives" avec la gestion de 85 assistantes de vie),
♦ Sur la mise en œuvre de compétences dites "d’expertise", qui s’acquièrent progressivement
avec l’expérience (par exemple poser les bonnes questions ou encore réaliser les arbitrages
pertinents par rapport au service à rendre tout en assurant une situation "correcte" à la
salariée…).
3/ Une diversité des configurations organisationnelles
Les structures d’aide à domicile révèlent une grande diversité de configurations organisationnelles.
Cette diversité se rencontre dans notre échantillon au travers :
♦ D’un recours différencié au bénévolat.
Dans certaines structures, les bénévoles peuvent n’occuper que des postes d’administrateurs
alors que dans d’autres structures, les bénévoles occupent des postes "opérationnels" réservés
dans les autres structures aux salariés.
♦ De la diversité des acteurs réalisant l’analyse de la demande.
L’analyse de la demande peut être réalisée par différents acteurs. Depuis la mise en place de
l’APA par exemple, une équipe médico-sociale du Conseil général (donc un financeur) réalise
l’analyse de la demande. Pour les financements CRAM par exemple ou les financements des
caisses de vieillesse, c’est une personne de la structure d’aide à domicile qui réalise cette
première étape d’évaluation des besoins de la personne. Enfin, dans l’un des départements, il
existe un CLIC (Comité Local d’Information et de Coordination) ; c’est la coordinatrice de cette
structure qui établit et met en place le plan d’aide.
♦ Des modes de mises au point des plannings.
Dans notre échantillon, les plannings sont mis au point, dans les structures d’aide aux
personnes âgées, par les coordinateurs. En revanche, dans la structure "famille", les plannings
sont mis au point au cours de réunions auxquelles participent le coordinateur et les
intervenantes, la gestion des disponibilités et des difficultés se faisant alors, dans ce cas,
29
collectivement. Cette modalité particulière suppose la création de petites équipes. Elle est
plébiscitée par la structure et les salariées qui en bénéficient car elle permet des ajustements en
temps réel très efficaces du planning, mais aussi des échanges professionnels qui vont bien audelà.
Les choix d’organisation conduisent à des niveaux d’encadrement variables selon les structures ; ainsi
au sein de notre échantillon, ces taux d’encadrement vont de 1 coordinateur pour 85 salariées environ
et 200 bénéficiaires à 1 coordinateur pour 20 salariées et une centaine de bénéficiaires (cas d’une
structure où les coordinateurs sont bénévoles et de la structure "famille"). Ces caractéristiques ne
sont pas neutres dans la capacité que vont avoir les coordinateurs à assurer les missions
opérationnelles de montage de la prestation et leur mission de régulation de la relation salariébénéficiaire. En particulier la bonne connaissance, à la fois des bénéficiaires et des salariées,
nécessaire aux ajustements permanents de la prestation et des plannings comme au traitement des
conflits par exemple sera naturellement plus accessible avec un taux d’encadrement élevé.
4/ Mais l’organisation et la gestion de l’activité d’aide à domicile se
réalisent dans un cadre contraint
L’organisation et la gestion de l’activité d’aide à domicile se réalisent sous fortes contraintes, ces
contraintes étant de deux ordres : inhérentes à l’activité même, relatives à l’insuffisance des budgets
alloués.
a) Des contraintes inhérentes à l’activité
L’organisation de l’activité d’aide à domicile doit intégrer en permanence des variations aléatoires du
niveau d’activité, ces variations étant inhérentes à la nature de l’activité (aide donc dépendance) et
au public visé (les personnes âgées).
En effet, ces variations, souvent soudaines et imprévisibles, s’expliquent :
♦ À la hausse par des retours précoces d’hospitalisation des personnes âgées qu’il faut prendre en
charge au plus vite, des nouvelles demandes qu’il faut honorer rapidement…,
♦ A la baisse, par des hospitalisations, des accueils chez les enfants, des placements en
institution, des décès….
30
Néanmoins, on assiste depuis quelque temps, en tendance, à une augmentation régulière du volume
d’heures réalisées au sein des différentes structures (personnes âgées)9. Cet accroissement s’explique
à la fois :
♦ Par une augmentation du nombre de demandeurs compte tenu de l’évolution de la pyramide des
âges de la population, combinée avec un assouplissement des conditions d’accès aux prestations
d’aide à domicile,
♦ Par une augmentation du nombre d’heures liées à la politique de maintien des personnes au
domicile (cas de plus en plus lourds à prendre en charge au domicile).
b) Des contraintes relatives à l’insuffisance des budgets alloués
Les budgets alloués pour rémunérer les interventions au domicile sont globalement jugés insuffisants
par les acteurs de terrains pour couvrir les charges engendrées par les fonctions d’organisation et de
gestion de l’activité d’aide à domicile notamment.
Face à cette insuffisance, chacune des structures fait ses propres choix. Ainsi, l’insuffisance des
budgets conditionne la structuration de l’encadrement et des modes de management. Plusieurs
situations sont observées dans notre échantillon :
♦ Une structure est en déficit depuis plusieurs années et cela pose la question de sa survie à
terme,
♦ D’autres structures ont recours au bénévolat même pour des postes "opérationnels" réservés,
dans les autres structures, à du personnel salarié (ce qui soulève immanquablement la question
de la professionnalisation),
♦ Certaines structures développent des activités complémentaires (soins à domicile, dépannage…)
permettant de "combler" le déficit lié à l’activité d’aide à domicile,
♦ Il arrive également que les structures, pour équilibrer leurs comptes, s’orientent vers une
augmentation du niveau de facturation aux bénéficiaires (ce qui pose la question de l’accès aux
prestations selon le niveau de revenu des personnes aidées),
♦ Il n’est pas rare que les associations aient recours aux emplois aidés (emploi jeune par
exemple), ce qui pose à nouveau la question de la professionnalisation puisque l’on confie
9
Ce n'est pas le cas de la structure familiale, confrontée à brève échéance à une forte diminution du volume d'heures du fait
de la décision de la CAF de la Marne de ne plus avoir recours au système de renouvellement d'intervention.
31
souvent à ces personnes des responsabilités importantes (comme le planning avec des fonctions
de régulation par exemple).
Au niveau de l’encadrement, l’insuffisance de budget se traduit par une insuffisance des effectifs au
regard du nombre de salariées (ou mandataires) et de bénéficiaires à suivre. En situation de
débordement, l’encadrement lâche sur le suivi de la prestation mais aussi la phase d’évaluation (qui
se fait plus "légèrement"), ce qui fait peser des risques sur la qualité de service obtenue.
5/ Effets sur les conditions de travail et au-delà
Pour les organisateurs, le caractère "aléatoire" du niveau d’activité, combiné avec une insuffisance
des budgets (niveau de surcharge permanent) trouve une traduction concrète et immédiate dans le
travail dans l’urgence. Dans ce contexte contraint, la fréquence des remplacements, la gestion des
temps partiels… fait que la tenue et la mise à jour du planning sont des exercices qualifiés par tous de
"casse-tête chinois".
D’autre part, le recrutement devient permanent (pour faire face à l’augmentation de l’activité et aux
besoins de remplacement) et s’avère de plus en plus difficile puisque dans le même temps, les
exigences requises vont croissant tandis que le déficit des candidatures se fait général (même si les
degrés sont encore divers, allant de la diminution du nombre de candidatures à l’épuisement complet
du "vivier").
Pourtant la qualité de service comme les conditions de travail des intervenantes à domicile
sont étroitement liées à la capacité de la structure et en particulier de ceux qui assurent les
fonctions de coordination à gérer finement leur activité. Ce n’est par exemple que grâce à une
très bonne connaissance des salariées et des bénéficiaires que certaines structures sont en capacité
de maintenir dans l’emploi des salariées présentant des inaptitudes partielles.
6/ Conclusion : des fonctions "stratégiques", des moyens insuffisants
Le "back-office" revêt dans l’activité d’aide à domicile une importance particulière : parce que les
intervenantes sont isolées dans l’exécution de leur travail, parce qu’elles sont confrontées à de
nombreux prescripteurs, dans une activité aux contours flous et soumises à une charge psychoaffective forte, le rôle de la structure et en particulier, dans les modèles d’organisation que nous
avons rencontrés, des coordinateurs, apparaît particulièrement important pour garantir la qualité de
service et de bonnes conditions de travail.
32
Les structures qui emploient des salariés dans ces fonctions sont dans notre échantillon toutes, à des
degrés divers, confrontées à une insuffisance de moyens pour assurer un niveau d’encadrement
suffisant mais aussi s’engager dans des actions collectives, groupes de travail ou d’échanges par
exemple ou encore assurer un suivi suffisant des prestations.
33
Parcours professionnels et formation
1/ Les métiers d’intervenante
Sauf dans le cas des TISF10, aucun diplôme n’est requis pour exercer les métiers de cette profession.
Métier
Diplôme requis
Aides à domicile ou Auxiliaires familiales
Non
Auxiliaires ou Assistantes de vie
Non
Techniciennes d’intervention sociale et familiale (TISF)
Oui
Coordinateurs
Non
Lorsqu’un diplôme est requis, une part importante des tâches ne nécessite pas de qualification
reconnue.
Néanmoins, il est apparu dans les entretiens que nous avons menés, notamment avec les dirigeants
des structures, qu’il existait des formations initiales qui leur apparaissaient bien préparer aux
particularités du métier d’intervenante à domicile. C’est notamment le cas de diplômes de type
"BEP/CAP d’agent de collectivités locales" ou "BEP/CAP sanitaire et social". Toutefois, ils indiquaient
leur difficulté à en recruter, car ces personnes seraient plus attirées par le travail en institution que
par l’aide à domicile.
a) Intervenante, un métier aux contours flous
L’entrée dans la profession se faisant, comme déjà indiqué, assez tardivement les "nouvelles" ont
déjà très souvent un parcours professionnel. Dans certains cas, ce parcours (travail en usine, dans un
commerce) est très éloigné de la nouvelle profession, mais souvent les métiers exercés avaient des
similitudes. Le schéma ci-après recense les types de métiers que nous avons rencontrés dans notre
échantillon mais aussi ceux, plus qualifiés, avec lesquels le métier d’intervenante a quelques zones
d’intervention commune11.
10
Technicien en Intervention Sociale et Familiale, dont la dénomination plus ancienne était Travailleuse Familiale.
Ce schéma présente les métiers dont il nous a été fait état lors d'entretiens comme ayant fait partie du parcours
professionnel d'intervenante (avant ou après). Il n'a aucune prétention statistique
11
34
La densité de ce schéma témoigne de ces interconnexions qui concourent à l’intérêt du métier mais
aussi sont parfois à l’origine de certaines tensions dues à l’incompréhension : "Puisse qu’on fait
comme elles (ou à leur place) alors pourquoi sommes-nous moins considérées et rémunérées ?".
Agent hôtelier
Femme de ménage
A.M.
A.F.
Agent nettoyage industriel
Intervenante
à domicile
Mère de famille
T.I.S.F
.
A.V.
Infirmière
Assistante sociale
Aide Soignante
Légende :
AM = Aide ménagère
AF = Aide familiale
TISF = Technicienne en Intervention Sociale et Familiale
AV = Auxiliaire de vie
Parcours rencontré, même s'il est rarement réalisé.
Le métier "emprunte" aux autres métiers.
35
2/ Les raisons d’exercer le métier d’aide à domicile
Dans la quasi-totalité des cas, le "choix" était très limité. L’absence de qualification ou la situation du
bassin d’emploi ou l’absence de moyen de locomotion ont contraint la salariée à accepter ce nouveau
métier.
Lorsque la faculté de choisir existait, les motivations étaient souvent :
♦ D’espérer pouvoir mieux harmoniser sa vie professionnelle et sa vie familiale que dans une
autre profession,
♦ De répondre au désir d’aider,
♦ De transformer un bénévolat d’aide aux personnes devenu trop chronophage.
La nature de ces motivations pourrait laisser penser que les personnes quittent le métier dès que
possible. C’est loin d’être systématique.
Pour caractériser ce métier, une réflexion entendue peut être reprise : "On y vient et on y reste
souvent par nécessité mais même si ce métier difficile n’est pas valorisé, il nous valorise".
3/ La formation des salariées
Les pratiques de formations proprement dites sont très variables d’une structure à l’autre. Sauf dans
le cas d'une des 3 structures "Personnes âgées" ou pour les TISF, le personnel nouveau reçoit
rarement une formation préalable à ses premières interventions, d’autant plus que les recrutements
et les remplacements se font souvent dans une certaine urgence. De même l’actualisation des
compétences du personnel ancien n’est pas toujours une priorité.
Cela est également vrai pour les coordinateurs.
Par contre les actions de formations sont toujours appréciées par les participantes pour leur contenu
mais surtout pour les échanges avec les collègues qu’elles permettent.
36
L’attente des salariées en matière de formation est de manière générale d’être aidées pour affronter
les situations les plus difficiles. Les sujets spontanément abordés lors d’entretiens ont été les
suivants :
♦ Les particularités de l’intervention en fonction du type de personne à aider (jeune/âgée,
handicap physique/moral, vieillesse, maladie, fin de vie, etc.),
♦ Quelques pistes afin de pouvoir mieux soutenir psychologiquement la personne aidée selon les
mêmes caractéristiques,
♦ L’équilibrage des repas (exemple : les diabétiques),
♦ Le comportement pratique face aux médicaments,
♦ La manipulation de personnes,
♦ L’ergonomie du travail.
Quelques pratiques diffuses et variables contribuent au développement des compétences en dehors
des formations proprement dites :
♦ L’accompagnement sur les cas difficiles par une collègue expérimentée,
♦ Les réunions collectives,
♦ La transmission de consignes entre collègues lors de remplacements...
4/ Les freins à la formation
Ils sont essentiellement budgétaires. Au-delà du coût de la formation proprement dit et du nombre de
personnes à former s’ajoutent :
♦ Le coût proportionnellement élevé de celle-ci ramené à la rémunération et à la capacité de
production d’une personne à temps partiel,
♦ L’absence de financement des heures "improductives",
♦ Malgré cela, certaines structures engagent un budget supérieur à leur obligation légale,
37
Mais les freins peuvent être également organisationnels :
♦ Les salariées sont fréquemment "multi employeur" et selon la nature de ceux-ci, ils n’ont pas ou
ne voient pas l’utilité d’une formation,
♦ Les absences pour formation accroissent les difficultés de remplacement,
ou variant selon les composantes des structures :
♦ Statut des intervenantes ou des coordinateurs (difficulté de trouver un financement en dehors
du statut salarié),
♦ Présence de bénévoles (notamment si ceux-ci prennent en charge certains aspects du métier),
♦ Activité mandataire (qui non seulement pose le problème du "multi employeur" déjà évoqué
mais avec la particularité que, dans ce cas, l’employeur est la personne aidée et donc rarement
disposée à assumer des obligations de formation de son personnel).
Pour terminer il existe aussi des freins :
♦ D’accès : le CAFAD12 n’apparaît pas accessible à toutes,
♦ D’intérêt de la part des salariées :
•
Le CAFAD n’est pas du tout valorisé (le statut et la nature du métier ne changent pas
vraiment après son obtention et l’impact sur la rémunération est très tardif),
•
Des interrogations existent sur le diplôme d’auxiliaire de vie sociale (DAVS), notamment
du fait de sa durée (Le DAVS correspond à une formation de plus longue durée que le
CAFAD).
12
À l'époque de nos entretiens, la référence de tous nos interlocuteurs était le CAFAD et non pas encore le nouveau DAVS.
38
Pistes d'action
Sur la base de cette enquête, un certain nombre de propositions peut être formulé dans le sens d'une
amélioration de l'attractivité du secteur et de ses métiers. Une place importante a été également
faite, compte tenu de la commande initiale, aux conditions de réussite d'un EDDF.
1/ Valoriser et reconnaître effectivement l'activité d'aide à domicile
a) Agir sur les points les plus négatifs en matière de conditions de travail
Agir sur les points les plus négatifs en matière de conditions de travail, c'est à coup sûr redonner de
l'attractivité à ce secteur. Nous ne reviendrons pas sur chacune des conditions exposées
précédemment. Mais, à titre d'illustration, nous soulignerons deux d'entre elles que nous avons
rencontrées dans l'échantillon et qui semblent "peser" particulièrement lourd sur le métier :
 Une contractualisation fréquente sous forme de temps partiel
Le temps partiel observé n’est pas du temps choisi, puisqu’il est complété chez d’autres employeurs.
Le simple passage de temps partiel à temps plein développerait l’emploi dans le secteur (au détriment
d’autres, qui utilisent ces mêmes temps partiel). Mais au-delà de cet aspect "mécanique", cela
permettrait de développer une relation d’emploi structurée dans le secteur, et favoriserait la
professionnalisation13.
 La charge psycho-affective
Cette charge psycho-affective n’est pas permanente, mais quand elle apparaît, elle est
particulièrement lourde à vivre. Nous avons pu clairement constaté que chaque fois qu’une structure
trouve des réponses adaptées à cette question, elle est très valorisée par les intervenantes,
notamment dans les comparaisons qu’elles font avec d’autres structures qu’elles ont pu connaître (ou
connaissent lorsqu’elles sont à temps partiel) dans leur parcours professionnel.
13
D'ailleurs, il est très difficile d'envoyer en formation un salarié qui a plusieurs employeurs puisqu'il faut qu'il obtienne de
ceux-ci leur accord (sans parler des problèmes de financement que cela génère).
39
b) Aller vers une gestion par les compétences de métiers aux contours flous
Plusieurs constats plaident pour l’intérêt d’aller vers une gestion par les compétences de ces métiers :
♦ Les frontières entre les différents métiers de l’aide à domicile analysés ici mais aussi entre ces
métiers et d’autres métiers voisins – assistante sociale, aide-soignante… – apparaissent floues ;
on y retrouve semble-t-il à la fois des compétences spécifiques mais aussi des compétences
partiellement communes,
♦ Dans un même métier, les personnes se sentent ou sont reconnues "capables" d’intervenir ou
non sur tel ou tel type de cas,
♦ Dans l’intervention auprès des personnes âgées, les aides à domicile comparent couramment
leur travail à celui d’une aide soignante ; dans l’intervention auprès des familles, les TISF notent
que les auxiliaires familiales réalisent des tâches qui auparavant leur étaient dévolues.
Construire un référentiel de compétences de l’ensemble des métiers de l’aide à domicile permettrait à
la fois de mieux prendre en compte les glissements des métiers mais aussi, en permettant le
positionnement de chaque salarié pris individuellement, de reconnaître les compétences réellement
mises en œuvre et d’élaborer des parcours professionnels.
c) Valoriser la richesse réelle du métier
Le métier d’intervenant à domicile, ainsi que nous l’avons montré, a ceci de particulier qu’il mêle
inextricablement des tâches très concrètes, matérielles (repassage, toilette, …), et une dimension
sociale de soutien aux personnes. L’intervenant a, d’une certaine manière, "les pieds dans la glaise et
la tête dans les nuages". Il y aurait un contre-effet à valoriser une composante du métier au
détriment de l’autre. C’est un tout, un ensemble, qui doit être présenté comme tel. C’est ce que nous
appelons la "richesse réelle" du métier.
Cette communication réaliste serait évidemment à assumer par tous les acteurs, en formation initiale,
comme en formation continue.
40
2/ Toujours simplifier, ou "arrêter d'en rajouter des couches"
Ainsi que nous l'avons montré à l'échelle de notre échantillon, l'activité d'aide à domicile est déjà
complexe par nature. En outre, les structures qui y interviennent disposent de peu de moyens
(financiers, techniques, en encadrement…). Aussi toute intervention sur ce secteur qui se traduit par
un accroissement de ses contraintes ne lui rend pas service et ne favorise pas sa structuration.
Nous pouvons prendre deux exemples de complications qui illustrent bien les difficultés auxquelles est
confronté le secteur :
♦ Le développement de procédures : avec l’APA, l’idée est celle d’une prise en compte globale de
la personne. Il ne s’agit pas ici de porter un jugement sur l’intérêt de procéder ainsi ;
néanmoins cela peut conduire à une complexification de l’organisation. Certaines structures par
exemple considèrent, afin de limiter le cadre d’intervention, qu’en activité prestataire,
l’intervenante ne peut intervenir qu’à l’intérieur du domicile. Dès lors si un dossier prévoit "un
accompagnement à la promenade" par exemple, elles vont assurer les autres prestations dans
un cadre prestataire et "la promenade" dans un cadre mandataire ce qui entraîne une double
gestion sur un même dossier ;
♦ La rigidité de financements qui peuvent venir en contradiction avec la variabilité ou la variation
des besoins. C’est ainsi, par exemple, que dans le cas des prestations d’aide aux familles, la CAF
ne permet pas le basculement en cours d’intervention d’une prestation d’auxiliaire familiale à
celle de TISF (ou l’inverse), alors que la nature du besoin d’aide peut évoluer au fur et à mesure
du temps.
Aussi, il nous semble important que les acteurs qui ont à charge ce secteur aient dans ce champ,
deux types de "réflexes" :
♦ Alléger rétroactivement tout ce qui peut l'être, tout en veillant évidemment à se garantir du bon
usage des fonds publics,
♦ Intégrer dans leurs nouvelles demandes (administratives ou autres) ou leurs nouvelles
propositions adressées aux structures d'aide à domicile, une volonté claire de leur faciliter la
tâche, compte tenu de la faiblesse de leurs moyens,
41
3/ Renforcer les dispositifs internes d'appui à l'activité d'aide à domicile
Les préconisations faites à l'issue de chacun des 4 diagnostics ont essentiellement porté sur les
questions d'organisation parce que c'est là que le bât blesse. Il nous semble donc important de
renforcer ces structures sur ce champ. Cela pourrait passer notamment par le renforcement :
♦ Des fonctions encadrantes : coordination/régulation/organisation,
♦ En équipement et outils de gestion de l'activité.
La question du diagnostic/évaluation reste posée, et elle est essentielle. Dans notre échantillon, nous
avons pu observer une grande variété de cas, depuis la quasi-absence de diagnostic à la prise en
charge par un organisme tiers, de type CLIC par exemple. Même dans l'hypothèse du développement
de l'externalisation de cette fonction de diagnostic/évaluation, il sera nécessaire qu'une partie soit
assurée en interne, car il y va de l'adéquation entre les besoins concrets de la personne (ou la famille)
aidée et la réponse apportée par la structure. La coordination et la régulation supposent, en effet, que
soient bien connus par la structure les clients et les intervenants.
4/ Inscrire un Engagement de Développement De la Formation (EDDF) dans
les réalités du secteur
Il nous semble qu'un projet d'EDDF pourrait favoriser l'organisation du secteur dès lors qu'il prend en
compte ses réalités. En effet, cela peut être l'occasion d'une coopération entre acteurs dispersés et
d'aboutir à orienter vers ce secteur des financements nouveaux dont il nous est apparu, à l'échelle de
notre échantillon, souvent manquer.
Le cadre général de cet EDDF pourrait s'appuyer sur les composantes validées de la présente
enquête, notamment en matière de publics et d'axes.
a) Publics cibles
Deux types de public semblent prioritaires : les coordonnateurs (quel que soit le nom que chaque
structure leur donne : responsable de secteur, coordinateurs...) et les intervenants à domicile.
Toutefois, deux cas risquent de passer à côté de l'EDDF alors qu'ils jouent des rôles importants : les
bénévoles et les mandataires. Il serait donc utile d'adosser à l'EDDF des dispositifs (à concevoir) qui,
eux, intégreraient ces deux publics.
42
b) Axes publics/objectifs professionnels
À titre d’exemple (mais un travail approfondi reste à fournir pour finaliser ces axes), compte tenu des
constats de l'enquête, des axes pourraient s'articuler ainsi :
PUBLIC
OBJECTIFS PROFESSIONNELS
Maîtriser les postures d’intervention (dilemme, autonomie, négociation…)
Intervenant à domicile Maîtriser les gestes professionnels (manipulations…)
Assurer un soutien psychologique et relationnel (situations "lourdes"…)
Maîtriser les situations de régulation et de médiation
Coordonnateur
Animer les équipes
Assurer un soutien psychologique et relationneli
c) Des formes d'action à adapter
 Répondre à la question du remplacement
La gestion des plannings est un exercice délicat dans ce secteur. Introduire des initiatives nouvelles
de formation, c’est introduire des difficultés supplémentaires à ce qui ressemble déjà souvent à un
"casse-tête". Une condition importante (voire sine qua non) de réussite d’un EDDF réside dans la
construction d’une réponse adaptée à cette question du remplacement. Le projet d’EDDF devra donc
être clair (et imaginatif !) sur les mesures à prendre dans ce domaine.
 Ouvrir l’EDDF à des formes variées d’actions de développement des compétences
Le développement des compétences passe par des formes multiples que nous avons vues à l’œuvre
(parfois en germe), lors de l’enquête :
♦ Tutorat,
♦ Intervention en binôme,
♦ Échanges de pratiques,
♦ Formation-action autour des équipes coordonnateurs-intervenants,
♦ Modularisation de la formation d’auxiliaire de vie sociale (prévue d’ailleurs dans les textes).
 Prendre en compte les caractéristiques du public
De nombreuses intervenantes semblent ne pas disposer des pré-requis nécessaires pour accéder, en
particulier au DAVS. D'autres alternatives doivent leur être proposées pour ne pas les exclure du
processus voire à terme de l'emploi.
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d) Reconnaissance et validation des acquis
La validation des acquis de l’expérience (VAE) est un dispositif qui permet de qualifier des personnes
qui ont acquis une maturité pratique dans l’exercice de leur métier et de compléter cette expérience
avec des modules adaptés et ciblés de formation. Cette validation est une forme de reconnaissance
qui ne saurait rester symbolique (même si cela a aussi beaucoup d’importance). Cela pose derrière la
question de l’évolution de la rémunération et donc de l’équilibre financier pour les structures.
Des dispositifs ou des expériences existent dans ce domaine. Il sera utile de s’appuyer dessus.
Par ailleurs, à notre connaissance, le métier de coordonnateur ne bénéficierait pas de la même
avancée en matière de VAE. Or, l’enquête fait apparaître l’importance de cette fonction dans les
associations d’aide à domicile. Ce point devrait être abordé dans l’EDDF.
e) Suivi et évaluation
Compte tenu du nombre d’acteurs du secteur (associations, fédérations, organisations syndicales,
financeurs, OPCA, organismes de formation…) et d’une méconnaissance relative entre acteurs,
constatés dans l’enquête, il semble important que le suivi et l’évaluation de cet EDDF soient assurés
par un Comité de pilotage dont la combinaison reflète cette diversité. Il permettrait alors de favoriser
l’organisation et l’action.
f) Un besoin d’accompagnement et d’ingénierie
Le secteur est éclaté, et dispose de peu de ressources transversales. Aussi, pour éviter ça :
Restitution
Dépôt d'un EDDF
Un appui à la conception
pour ne pas se perdre dans
les sables….
44
il nous semble important qu’un appui au secteur soit accordé afin de construire l’EDDF, qui est une
démarche lourde et complexe.
En outre, à la fois pour la définition des axes, de formes adaptées d’action, sur le champ de la
pédagogie, de la VAE, un investissement en ingénierie nous apparaît nécessaire.
45