Les Etrangleurs des Alpes, à Sisteron
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Les Etrangleurs des Alpes, à Sisteron
Les Etrangleurs des Alpes, Gap et Sisteron, 1905-1909 DU DANGER DE FREQUENTER LES MAISONS DE TOLERANCE Les Etrangleurs des Alpes, Gap et Sisteron, 1905-1909 Curieuse affaire que celle des « Etrangleurs des Alpes ». Tout d’abord, il ne s’agit pas d’une seule affaire, mais de deux, à presque quatre ans de distance. Et puis, contrairement à ce que son nom pourrait laisser entendre, elle n’est pas le fait d’une « bande » organisée, ni même d’une association de malfaiteurs. Cependant les deux affaires furent jugées ensemble, et devaient aboutir le 17 mars 1910 à quatre condamnations. L’un des inculpés, Antonin-François Olive dit Franzoni offrit aux badauds de toute la région l’aubaine d’un spectacle inédit : une exécution par la guillotine en place publique, à Sisteron ! Ce fut l’occasion d’une belle fête… Nous verrons que les maisons appelées à l’époque « de tolérance » y jouent un rôle non négligeable. Tout commence à Gap, préfecture des HautesAlpes, en juillet 1905. Page 1 sur 23 Les Etrangleurs des Alpes, Gap et Sisteron, 1905-1909 Le 28 juillet, le commissaire de police de cette jolie bourgade est informé qu’on a découvert dans le canal d’amener du Moulin Neuf le cadavre d’un individu étranger au pays, dont voici le signalement : « Taille 1m65. Paraissant âgé de 50 à 55 ans. Cheveux et sourcils châtains, grisonnants. Corpulence assez forte. Front bombé. Nez convexe un peu relevé. Bouche moyenne. Visage arrondi. Menton rond. Moustache châtain, grisonnante, coupée en brosse. Légèrement chauve. Vêtu d’une chemise à fond et à ramages rouges, d’un gilet et d’un pantalon usagés en velours marron verdâtre. Chaussé de bottines jaunes à élastiques dits à la Provençale. Ayant autour du cou un foulard noir et autour des reins une ceinture en étoffe noire. » Le cadavre fut rapidement identifié comme étant celui d’un moissonneur ambulant connu dans le pays où il venait chaque année sous le nom de Victor. Il avait été vu pour la dernière fois le 23 juillet vers 4 heures de l’après-midi au café Clément place Ladoucette avec deux autres individus, vers onze heures et demie du soir au café Gautier place Porte-Colombe avec trois autres individus, et enfin à la maison de tolérance vers minuit et demi. Le sieur Roche, restaurateur rue Carnot, le reconnut aussi comme étant venu seul le dimanche 23 juillet dans son établissement et y ayant laissé « un Page 2 sur 23 Les Etrangleurs des Alpes, Gap et Sisteron, 1905-1909 carnier contenant entre autres objets un livret d’ouvrier établi à la mairie de La Crau le 27 mars 1897 au nom de Seguin Eugène Victor demeurant audit lieu rue Solliès n°1 et divers certificats de travail audit nom de Seguin ». Croquis des lieux dressé par le juge d’instruction par délégation Suivent, dans le rapport du commissaire de police de Gap, les signalements des quatre individus avec lesquels Seguin a été vu aux cafés Clément, Gautier et à la maison de tolérance : le premier est borgne, le second, de forte corpulence, est qualifié de « raplot » (terme qui désigne une personne petite et Page 3 sur 23 Les Etrangleurs des Alpes, Gap et Sisteron, 1905-1909 grosse dans le parler haut-provençal), les troisième et quatrième, de taille et de corpulence ordinaires, ne présentent aucun signe particulier. Ces quatre hommes sont immédiatement suspectés, même s’ils ne seront identifiés que bien plus tard. Le commissaire gapençais note fidèlement : « D’après les renseignements recueillis, Seguin Eugène Victor est arrivé le dimanche 23 juillet 1905 vers minuit et demi à la maison de tolérance de Gap avec le borgne et le raplot. Ils sont entrés dans la salle de consommation. Presque aussitôt après sont arrivés les deux autres individus. Seguin et ses deux compagnons se sont aussitôt empressés de quitter la salle, se sont fait ouvrir et sont sortis de l’établissement. Ils étaient à peine sortis et la porte venait d’être refermée quand les deux derniers se sont fait ouvrir et sont aussi sortis. » Comportement pour le moins louche, quand on sait le sort qui va échoir à Seguin. D’autant que : « le 24 juillet dans la matinée, poursuit le fin limier, on pouvait remarquer sur le chemin devant la maison de tolérance et dans un champ qui longe le chemin des traces de nombreux piétinements, un peu plus bas dans un champ qui borde le canal du Moulin Neuf et à environ 80 ou 100 mètres de l’endroit où le cadavre a été retrouvé, on voyait des traces de pas assez Page 4 sur 23 Les Etrangleurs des Alpes, Gap et Sisteron, 1905-1909 nombreuses. Enfin le chapeau de Seguin a été retrouvé sur le bord du chemin presque en face de la maison de tolérance. » Toujours la maison de tolérance. Nous vous l’avons dit, elles jouent un grand rôle dans ces deux affaires. Et pas seulement en tant que lieu proche du crime… Le sieur Seguin a-t-il été étranglé ? Pas exactement. L’autopsie révèlera qu’il n’a pas succombé à l’asphyxie, que sa mort paraît remonter à quatre ou cinq jours (rappelons que le cadavre n’a été découvert que le vendredi 28 juillet), et qu’il a dû succomber des suites d’une syncope déterminée par un coup qui lui aurait été porté dans la région épigastrique. « Que s’est-il passé entre Seguin et ces quatre individus le 13 juillet à leur sortie de la maison de tolérance ? Y a-t-il eu une dispute suivie de rixe dans laquelle il a succombé et a été jeté dans le canal du Moulin ? L’a-ton attaqué pour le voler ou pour se débarrasser de lui ? C’est ce que nous cherchons à savoir. » Un certain Olivero, qui se trouvait à Gap le 23 juillet, est recherché. Non qu’il soit directement suspecté - encore qu’il soit « invité » à faire connaître Page 5 sur 23 Les Etrangleurs des Alpes, Gap et Sisteron, 1905-1909 ce qu’il a fait à Gap dans les journées et les nuits du 23 et du 24 juillet - , mais parce qu’on pense qu’il peut aider à identifier les quatre individus qu’on soupçonne d’être les auteurs de l’assassinat. « S’il n’a pas été mêlé au meurtre de Seguin, il dira pourquoi les autres lui en voulaient. » Olivero ? S’agit-il d’Olive ? On ne sait. Mais une note de l’épais dossier des « Etrangleurs », datée du 9 août 1905, indique que la piste devient brûlante. En effet, elle indique : « Dans un procès-verbal dressé par les témoins à entendre le 10 août courant (procès-verbal n°108 de la brigade de Seyne) à nous transmis par monsieur le Procureur de la République de Digne le 8 août 1905, je relève la phrase suivante : « D’après la rumeur publique parmi les moissonneurs, le principal auteur du meurtre du nommé Seguin serait le nommé Franzoni Olive ». (Ces lignes sont écrites en rouge) Les témoins feront connaître les noms des moissonneurs qui leur auraient fait cette déclaration, ainsi que leur adresse et diront en quels termes elle leur a été faite – les faits qui leur auraient été signalés par eux pour asseoir leur conviction etc etc. » Page 6 sur 23 Les Etrangleurs des Alpes, Gap et Sisteron, 1905-1909 Antonin-François Olive dit Franzoni va-t-il être jugé ? Eh bien non ! malgré la dénonciation de la « rumeur publique », il ne fera « que » trois mois de prévention. Les preuves étaient-elles insuffisantes ? Les témoins se sont-ils rétractés ? Olive, interrogé, a sûrement nié toute participation au crime. Toujours estil qu’au bout de trois mois, il est relâché, et qu’il va continuer ses forfaits. Car il était bien impliqué dans le meurtre d’Eugène Victor Seguin, comme il sera reconnu par la suite. Les enquêteurs cette fois sont passés tout près de la vérité, mais elle leur a échappé. Quatre années passent. Le 17 juin 1909, un rapport établi par les gendarmes Leccia, Julien et Esmiol, gendarmes de Volonne, atteste qu’a été découvert « sur la rive gauche de la rivière « La Durance » le cadavre d’un homme reposant sur le gravier à trente mètres environ de la berge. A cet endroit, les bords de la rivière sont escarpés et sans chemin, aussi, c’est avec peine que nous avons pu arriver à retirer le noyé. Pour établir ultérieurement son identité, nous avons relevé immédiatement son signalement qui est le suivant : Taille 1,60 environ. Cheveux blonds et longs. Front légèrement vertical. Hauteur petite, nez gros. Page 7 sur 23 Les Etrangleurs des Alpes, Gap et Sisteron, 1905-1909 Petite moustache blonde. Barbe naissante et clairsemée. Oreille bordure supérieure très petite, inférieure petite, menton et visage ronds, yeux bleus. » L’homme était vêtu d’un gilet et d’un pantalon en coutil noir rayé, d’une chemisette en satinette rayée bleue, et chaussé de bottines en bon état. Le pantalon de la jambe droite était serré au moyen d’une pince de cycliste. « Le cadavre de cet inconnu, âgé de 25 à 30 ans, paraît n’avoir séjourné dans l’eau que très peu de temps » estiment les gendarmes, qui poursuivent « (Ayant) fouillé très minutieusement, nous avons trouvé dans la poche gauche du gilet un boîtier montre dame en cuivre doré, dans la poche droite un remontoir en métal nickelé sans aiguille et sans numéro, un bouton de manchette, un clou en cuivre de tapissier, un anneau de chaîne de montre, une vis et une pièce de dix centimes. » En examinant le cadavre, ils constatent qu’il a la boîte crânienne enfoncée, ainsi qu’une blessure de dix centimètres de longueur environ au-dessus de l’œil gauche paraissant avoir été faite par un instrument tranchant. Le brigadier Leccia rentre à la résidence prévenir télégraphiquement le procureur de la République et le commandant d’arrondissement. Page 8 sur 23 Les Etrangleurs des Alpes, Gap et Sisteron, 1905-1909 Quand le juge d’instruction de Sisteron, saisi par réquisition du procureur, arrive sur place, il reconnaît immédiatement et sans la moindre hésitation que le cadavre est celui du sieur Dusserre, marchand forain et chiffonnier demeurant à Sisteron. Divers témoins confirment cette assertion. Le corps est transporté à la mairie de Volonne pour y être autopsié. L’enquête est aussitôt ouverte. Elle ne traîne pas. Dès 18 heures, ce même 17 juin, les gendarmes de Sisteron, à qui elle a été confiée, ont recueilli quatre dépositions. En tête de celles-ci figure la déposition d’un certain Blanc Marcel: «J’ai passé l’après-midi d’hier, 16 courant, en compagnie de Dusserre, et je ne l’ai quitté qu’à 7 heures moins le quart, moment où je me suis rendu chez ma mère pour prendre le repas du soir. Trois quarts d’heure plus tard, nous nous sommes retrouvés dans la rue Saunerie et il m’a offert un cigare que nous avons fini chez Mr Cholon. Pendant notre conversation, Dusserre m’a dit qu’il devait se rendre le lendemain 17 à la foire de La Motte-du-Caire en compagnie de Maurice si toutefois celui-ci y allait. Nous ne nous sommes séparés qu’au moment d’aller nous coucher, vers 9 heures et demie ou dix heures. A ce moment j’ignore la direction qu’il a prise. Toutefois, je dois Page 9 sur 23 Les Etrangleurs des Alpes, Gap et Sisteron, 1905-1909 vous dire qu’en me quittant, il m’a dit qu’il allait satisfaire un besoin personnel, il s’est engagé dans une ruelle en face l’épicerie Feraud, ruelle qui va aboutir à l’auberge Sourribes. Je me suis couché vers 10 heures et me suis levé ce matin à cinq heures… » Emile Donnet, voiturier à Sisteron, déclare que la veille, Dusserre lui a confié deux petites malles pour qu’il les emporte à La Motte-du-Caire. Julien Sauvaire, cordonnier, raconte que deux mois plus tôt, Dusserre a déposé dans son magasin, une corbeille contenant divers articles de mercerie en disant « qu’il ne les sentait pas en sûreté chez lui ». De plus, il lui a montré un papier, affirmant qu’il avait 700 francs à toucher et que cette somme provenait des arrérages d’une Compagnie contre les accidents. La déposition d’Antonin Olive, 32 ans, journalier à Malijai travaillant actuellement à Sisteron tiens, revoilà le dénommé Olive!- , est succincte : « Hier, je suis allé au café géré par la Vve Eyssérie où j’ai passé la soirée en compagnie de Meysson boucher. Je suis venu me coucher vers 10 heures du soir. » Une hôtelière, Adeline Lieutier épouse André, déclare : « Hier 16 du courant, Dussere accompagné de Blanc sont venus (sic) dans mon établissement vers 7 heures du soir, ils ont mangé chacun une portion, bu un litre de vin ; c’est Dussere qui a tout payé. A ce Page 10 sur 23 Les Etrangleurs des Alpes, Gap et Sisteron, 1905-1909 moment Dussere a sorti de sa poche en présence de Blanc 2 billets de 100 francs , un de 50 francs, une pièce de 20 francs que je lui ai échangé (sic) pour me payer. Lundi dernier, jour de foire à Sisteron, Dussere est venu dans mon établissement accompagné de deux individus étrangers à la localité pour souper ; mais comme ces étrangers marquaient mal je n’ai pas voulu les servir. » Madame André contredit donc la déposition de Marcel Blanc selon laquelle il aurait dîné chez sa mère. De plus, elle évoque des fréquentations douteuses de Dusserre. Qui était donc ce Dusserre, marchand forain qu’on voit en compagnie d’étrangers qui « marquent mal » et qui sort de sa poche de gros billets ? Le 18 juin, lendemain de la découverte du crime, le cordonnier Sauvaire appelé à témoigner à nouveau en fait un portrait peu flatteur : « Il y a huit à dix mois que je connais Dusserre qui était mon voisin et qui était devenu mon camarade. Il était très avare et se nourrissait très mal. Il m’est impossible de dire s’il était intelligent, parfois il me faisait l’effet d’un benêt et parfois l’effet d’un individu assez rusé. Je sais qu’il a été victime de quelques vols peu importants. Comme il Page 11 sur 23 Les Etrangleurs des Alpes, Gap et Sisteron, 1905-1909 avait confiance en moi il déposait quelquefois ses marchandises dans mon magasin. Le seize juin il m’a offert de casser la croûte avec lui derrière le fort vers huit heures du matin. Nous avons absorbé ensemble un litre de vin, du pain et de la charcuterie puis nous nous sommes quittés. Vers onze heures je le rencontrai de nouveau, nous échangeâmes quelques propos insignifiants et je ne l’ai plus revu depuis. » Dusserre était peut-être avare, mais il n’était pas dépourvu de ressources, et n’en faisait pas mystère. Car le cordonnier poursuit : « Il y a deux mois environ il m’a montré un titre de sept cent quatre-vingt francs représentant m’a-t-il dit l’indemnité qui lui était due pour accident du travail(…)J’ignore s’il a touché le montant de ce titre. Il se faisait de bonnes journées dans les foires où il tenait un jeu de hasard autorisé. Au retour des foires il m’a souvent dit qu’il venait de gagner quarante ou cinquante francs. J’ai vu souvent en sa possession des sommes de 20 ou 25 francs. Il m’a dit qu’il avait un livret de caisse d’épargne, mais j’ignore de quelle caisse d’Epargne il s’agit et j’ignore également quelles sommes y étaient portées (…). Je sais qu’il a une maison à Marseille qui lui rapportait, disait-il, trois cents francs. » Page 12 sur 23 Les Etrangleurs des Alpes, Gap et Sisteron, 1905-1909 Et Julien Sauvaire de conclure : « A mon avis le vol a été le mobile du crime, si crime il y a eu. Il fréquentait toutes sortes de gens suspects, surtout des bohémiens (sic). » Très vite, les soupçons des enquêteurs vont s’orienter vers Blanc, qui a été vu en compagnie de Dusserre le jour du crime, et sur Olive - le propre cousin de Blanc ! Olive est interrogé en tant que « susceptible de fournir des renseignements sur l’assassinat de Dusserre » le 18 juin par le procureur de la République. Le procès-verbal précise que le sieur Antonin Olive Franzoni est sans domicile fixe et qu’il a été trois fois condamné pour vol. « En ce qui concerne Dusserre, dont vous me révélez le nom et que j’avais toujours entendu désigner sous le sobriquet de Tape-à-l’œil, je puis vous assurer que je le connaissais seulement de vue, nous échangions un bonjour ou un bonsoir quand un hasard me le faisait rencontrer chez mon cousin Blanc, déclare Olive. Mais avec lui, je n’avais aucune fréquentation ni conversation soit dans la rue soit au café. Je ne savais rien de son passé, de son existence, de ses ressources. Il m’était parfaitement inconnu. En dehors de mes rencontres avec lui chez Blanc, je ne lui ai jamais adressé la parole. » Page 13 sur 23 Les Etrangleurs des Alpes, Gap et Sisteron, 1905-1909 Olive est un « dur à cuire ». Dans un premier temps, il ne reconnaît rien, pas plus qu’il n’a avoué lors de sa détention préventive après le meurtre de Seguin. Mais son cousin n’est pas de la même trempe. Quelques jours plus tard, sur la foi des témoins qui l’ont vu en compagnie de Dusserre, il est inculpé d’assassinat. Le 28 juin, depuis sa cellule, il annonce qu’il va « se mettre à table » et faire une déclaration « spontanée » au procureur de la République. Mais c’est pour accuser son cousin d’être l’instigateur du crime ! « Après réflexion, je me suis résolu à faire connaître à la justice toute la vérité. Depuis son arrivée à Sisteron, Olive dit Franzoni me demandait si Dusserre n’avait pas d’argent. Je lui répondais que je n’en savais rien. Le 16 juin (…) après dîner, j’allai trouver Olive au restaurant Laugier ; il avait fini son repas. Mon intention était de lui faire payer le café parce que quelques jours auparavant, je lui avais réparé une faux. En sortant du restaurant, je dis à Olive, chemin faisant : « J’ai la commission. Je crois que Dusserre a des sous.» Les deux cousins rencontrent alors (par hasard ?) l’ami Dusserre qui faisait les cent pas dans la rue. Blanc s’éclipse. Les deux autres discutent. Puis Dusserre vient trouver Blanc dans son magasin de cycles, lui raconte qu’Olive est à la recherche d’un poulailler à cambrioler, qu’il lui a indiqué où il pouvait Page 14 sur 23 Les Etrangleurs des Alpes, Gap et Sisteron, 1905-1909 en trouver un au Vieux Moulin, mais qu’ils ont besoin maintenant de lui, Blanc, pour ouvrir la porte du poulailler avec de fausses clés. Car, Blanc le reconnaît, il est bon bricoleur et capable d’en fabriquer : il en fait d’ailleurs commerce. Rendez-vous est pris par les trois larrons à 10 heures et demie du soir, devant le Vieux Moulin. A partir de là, les versions des deux cousins divergent, chacun accusant l’autre de duplicité, bien évidemment. Voici ce que déclare Blanc : « J’allai commencer à ouvrir la porte où Dusserre prétendait que se trouvaient les poules, lorsque je vis Olive prendre Dusserre dans le creux de ses bras, lui enlacer la taille et de l’autre main l’étrangler. J’allai fuir, lorsque Olive me saisit un bras et me retint en disant : Aide-moi, autrement il y en a autant pour toi. » Les deux hommes s’emparent du porte-monnaie du malheureux Blanc. « Ensuite Olive me dit : Il faut que tu le portes à destination. C’est à dire qu’il me chargea le cadavre sur le dos. » Il est confronté à son cousin le 10 juillet et lui déclare : « J’ai tout dit, tu peux toi aussi parler ». Page 15 sur 23 Les Etrangleurs des Alpes, Gap et Sisteron, 1905-1909 Olive rétorque : « Eh bien oui, c’est moi qui ait (sic) tué Dusserre, mais je ne l’ai ait qu’à l’instigation de Blanc qui depuis mon arrivée à Sisteron m’avait dit à diverses reprises : Dusserre me doit de l’argent, soixante-dix francs, il ne veut pas me les payer, il faut qu je le tue. Le seize sur les 7 heures du soir, pendant que je soupais, Blanc est venu me trouver à l’hôtel chez Laugier et me dit qu’il avait vu que Dusserre avait de l’argent qu’il lui avait vu un billet de cent francs et un de cinquante ainsi que de l’argent dans son porte monnaie. Il m’engagea à le tuer le soir même. C’est Blanc qui demanda à Dusserre de venir au Vieux Moulin à dix heures et demie pour y voler des poules. » Qui a proposé à Dusserre d’aller « voler des poules » ? On ne sait. Toujours est-il que l’autre ne se méfie pas. Blanc fait mine d’ouvrir la porte du poulailler avec ses fausses clés. Alors Olive prend le forain par derrière et l’étouffe. « Blanc lui saisissait les mains et lui donnait des coups sur toutes les parties du corps » assure-t-il. Blanc, l’interrompant : « je ne lui ai pas tenu les mains, je n’ai pas donné de coups de pieds à Dusserre ». Mais Olive poursuit : « Lorsque je lâchai Dusserre, il ne criait pas, de même qu’il n’avait pas crié pendant que je l’étouffais, mais lorsque il fut par terre, Page 16 sur 23 Les Etrangleurs des Alpes, Gap et Sisteron, 1905-1909 il soupirait encore assez fortement et Blanc me dit : achève-le ! ». Ils fouillent Dusserre, et s’en vont jeter son cadavre dans la rivière. Ainsi naît la légende des « Etrangleurs des Alpes ». Blanc et Olive reconnaissent les faits, mais rejettent l’un sur l’autre l’instigation du meurtre. Comment, cependant, les enquêteurs vont-ils faire le rapport avec l’assassinat de Seguin quatre ans plus tôt ? Eh bien grâce tout d’abord à une dénonciation, celle d’un certain Arthur Moutin, qui met en cause indirectement madame Consolin qui n’est autre… que la patronne de la maison de tolérance locale. Nous vous avions bien dit que nous y reviendrons… Le 1er juillet, Arthur Moutin fait la déposition suivante : « Hier soir, étant à la Villa Louise (maison de tolérance), la patronne de l’établissement, madame Maurice Consolin, me dit : Olive est venu dans mon établissement lorsqu’il a été relâché de Gap où il était poursuivi pour assassinat.» Le 5 juillet, autre témoignage. Un inspecteur de Marseille fait parvenir le rapport suivant : « Au cours de mon enquête dans l’affaire d’assassinat de Sisteron j’ai appris qu’un Mr Gauthier ancien garçon dans une Page 17 sur 23 Les Etrangleurs des Alpes, Gap et Sisteron, 1905-1909 maison de tolérance de Sisteron avait tenu sur Franzoni qui passait pour la terreur de la région les propos suivants : Franzoni ne reviendra pas ici nous intimider car je connais des choses sur son compte. Je me suis mis à la recherche de Gauthier et le trouvant à Avignon où il est employé comme garçon à la maison de tolérance « Le Figuier », 4 rue Chiron. Interrogé il me déclara d’abord qu’il ne savait pas grand chose : Franzoni était un repris de justice mais il n’en savait pas davantage. Pressé de questions il me déclara ensuite : Il y a 3 ou 4 ans, le jour de l’assassinat d’un moissonneur à Gap, Franzoni est venu à Gap, dans la maison de tolérance où j’étais garçon. Il était accompagné du moissonneur la victime et de messieurs Trouin de Draguignan, un individu de Toulon qui est borgne, et un 3e que je ne connais pas de nom ; ils ont quitté la maison vers minuit et demie ou 1 heure du matin. Franzoni, inculpé de complicité dans le crime, fit 3 mois prévention (sic). A sa sortie de prison je le rencontrai et il me dit : J’ai eu de la veine, tu n’as pas parlé, tu es un bon ami, je te paie à dîner. J’ai refusé cette invitation. » Louise Consolin, tenancière de la maison de tolérance de Sisteron, restera plus évasive quand elle Page 18 sur 23 Les Etrangleurs des Alpes, Gap et Sisteron, 1905-1909 sera interrogée le 13 juillet. Elle ne dénonce pas franchement Olive, mais… «Je me nomme Louise Consolin, née Mercier, 45 ans, tenancière de la Maison de tolérance à Sisteron, ni parente, ni alliée, ni domestique de l’inculpé. Au commencement de l’hiver dernier, c’est-à-dire vers novembre ou décembre 1908, Olive se trouvait dans notre maison. En parlant avec lui, je lui demandai ce qu’il était devenu depuis que je ne l’avais vu. Il me semblait en effet que depuis assez longtemps nous n’avions pas reçu sa visite(…). Il me répondit : Je viens de jouer un tour, je ne mangerai plus de ce pain-là. Je vais maintenant travailler (…). Je ne sais pas exactement à quel mauvais tour Olive faisait allusion et je ne puis vous dire s’il sortait à ce moment-là de la prison de Gap (…). Ainsi que vous venez de me le dire j’ai entendu dire dans le peuple qu’un crime à peu près identique à celui de Dusserre avait été commis à gap en juillet 1905 et qu’Olive avait été inculpé dans cette affaire, mais je ne sais rien de précis à ce sujet. » Il n’empêche : cette fois, les enquêteurs ont bien fait le rapprochement avec le crime de Gap. Sur le rapport établi par le commissaire de police de Gap le 28 juillet 1905, et qui se trouve aux archives de Digne, une écriture étrangère a rajouté en rouge, dans la marge, Page 19 sur 23 Les Etrangleurs des Alpes, Gap et Sisteron, 1905-1909 avec quelques hésitations et ratures, l’identité des quatre « inconnus » de l’époque. Sans doute Olive a-t-il fini par parler. Et c’est ainsi que quatre hommes se retrouvent en cour d’assises des Basses-Alpes au printemps 1910, en même temps que Louis Delaye, le « fratricide de Beaudument » (qui sera condamné aux travaux forcés à perpétuité. Curieusement, les assassinats de Seguin et de Dusserre sont réunis dans ce qu’on appelle désormais l’affaire des Etrangleurs des Alpes. Elle fait les titres de la presse régionale et nationale. On se presse dans la salle d’audience. Le chroniqueur du Journal des Basses-Alpes rapporte le lendemain qu’ « il faudrait remonter bien loin dans le passé pour retrouver le souvenir d’une pareille affluence à la Cour d’assises : on peut dire que la salle d’audience était littéralement prise d’assaut ». mais, ajoute-t-il, « nous estimons que l’on a donné un trop grand retentissement à ces crimes vulgaires : les circonstances qui les ont entourés ne justifiaient pas tout l’émoi causé dans notre région par l’assassinat du colporteur Dusserre et du chanteur ambulant Seguin (…). Les peu intéressants criminels que la population a vu passer enchaînés dans nos rues nous semblent s’être Page 20 sur 23 Les Etrangleurs des Alpes, Gap et Sisteron, 1905-1909 trouvés passagèrement réunis et ne pas avoir l’intelligence et l’esprit de décision nécessaires pour former une association véritablement organisée en vue de terroriser toute une région(…). Bien que la narration des deux assassinats déférés au jury bas-alpin ait été présentée par un grand journal parisien sous une forme bien faite pour émotionner les esprits, nous croyons que la légende des Etrangleurs des Alpes a vécu t que nous n’entendrons plus de longtemps parler de ces sinistres malfaiteurs. » Si ce chroniqueur se trompe en partie - car on entendra longtemps parler de ces quatre individus - , il a raison au moins sur un point : ils n’étaient réunis que « passagèrement ». Ils n’ont jamais formé de bande ni d’association. Quel rapport entre les deux crimes ? Un homme, un seul : Olive. Ni Ganzin, le « Borgne », ni Trouin n’ont participé à l’assassinat de Dusserre, en 1909. Quant à Blanc, si ce n’était sûrement pas un personnage très recommandable - le témoignage d’un nommé Roger Bonnot, à l’automne 1909 l’accuse de fabriquer de fausses clés et de la fausse monnaie -, rien ne prouve qu’il soit le quatrième homme ayant trempé dans l’assassinat de Seguin en 1905. Page 21 sur 23 Les Etrangleurs des Alpes, Gap et Sisteron, 1905-1909 Après le réquisitoire de monsieur Blanc du Collet, procureur de la République, qui présenta Olive comme le chef et le cerveau des Etrangleurs, le jury prononça son verdict : Olive fut condamné à mort, Blanc et Ganzin aux travaux forcés à perpétuité, Trouin à 20 ans de travaux forcés et 20 ans d’interdiction de séjour. Le 24 mai 1910, Olive dit Franzoni fut exécuté à Sisteron. Ce fut, nous l’avons dit, la seule fois que la guillotine fut montée dans cette ville, et l’on vint de très loin pour assister au spectacle. Le chroniqueur du Journal des Basses-Alpes retrouve un ton emphatique pour décrire l’événement. Jovial, tout d’abord : « Quelle foule ! …et, avouons-le aussi, quelle joie ! Chacun de nous est accueilli en visiteur par ces Sisteronnais souriant et affables qui ont l’air de nous convier à leur exécution. L’un d’eux ne nous a-t-il pas affirmé avec le plus grand sérieux que la ville avait dû payer pour cette attraction ? » Plus grave, ensuite, quand il décrit les « ouvriers de mort » qui dressent « la sinistre machine » et le condamné qui s’avance, enfin, dans le petit matin, « presque nu dans sa chemise rose chair qui tranche avec les costumes sombres (des assesseurs) et l’aube blafarde ». Page 22 sur 23 Les Etrangleurs des Alpes, Gap et Sisteron, 1905-1909 La foule s’est tue. Olive meurt avec courage. Ses derniers mots sont pour sa mère : « Ma mèro ! Ma paouro mèro ! ». Quel rapport, direz-vous, avec le danger que présente la fréquentation des maisons de tolérance ? Souvenez-vous : si Seguin ne s’était pas rendu avec quatre malandrins dans celle de Gap, il n’aurait pas été assassiné au sortir de celle-ci. Et si Gauthier, garçon de la maison de tolérance de Sisteron, Arthur Montini, client, et Louise Consolin, tenancière, n’avaient pas évoqué le crime de Gap, on n’aurait peut-être jamais fait le rapprochement avec celui de Sisteron. Les comparses d’Olive n’auraient pas été identifiés, et l’affaire des Etrangleurs des Alpes n’aurait pas existé ! 26968 signes Page 23 sur 23