Chirurgie stéréotaxique : système ABBI
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Chirurgie stéréotaxique : système ABBI
D O S S I E R Chirurgie stéréotaxique : système ABBI® ● V. Feillel*, G. Le Bouëdec*, N. Le Pioufle*, G. Fouilhoux*, J. Dauplat* L e système ABBI®, proche de la biopsie chirurgicale, est une procédure radiochirurgicale permettant l’exérèse monobloc complète des anomalies mammographiques de petite dimension. Dans la prise en charge des lésions infracliniques, son intérêt réel doit être comparé à celui de la chirurgie conventionnelle, méthode de référence, et à celui des macrobiopsies par aspiration (MBA) (Mammotome®, MIBB), tant au niveau des performances techniques qu’à ceux de la tolérance des patientes et de la qualité du diagnostic. Figure 2. Pièce biopsique ABBI®. TECHNIQUE RADIOCHIRURGICALE AMBULATOIRE Après contrôle de la normalité du bilan de coagulation et mise en place d’une voie veineuse, la patiente non à jeun et légèrement sédatée est installée sur une table radiologique numérisée dédiée à la stéréotaxie. L’instrument chirurgical, à usage unique, muni d’une aiguille de localisation et d’une canule de forage (5 à 20 mm de diamètre) est annexé à la table (figure 1). La lésion est rapidement repérée puis stabilisée par l’aiguille de localisation. Anesthésie locale et incision cutanée linéaire directe sont pratiquées avant l’introduction de la canule de biopsie dans le sein. À son extrémité, une lame de section circulaire, animée d’un mouvement d’oscillation, réalise un prélèvement tissulaire cylindrique emportant la lésion entière en une seule pièce. Adaptateur cautère Figure 3. Radiographie de pièce biopsique ABBI® : microcalcifications. Après contrôle de l’hémostase et fermeture de la plaie en deux plans, un pansement compressif est installé et la patiente libérée après un court temps de récupération. Le système ABBI® combine, dans le même temps de procédure, le repérage stéréotaxique en position opératoire puis, par la même voie d’abord, la biopsie exérèse de la lésion entière. TOLÉRANCE ET COMPLICATIONS (tableau) Levier Levier de retour d’activation de couteau Figure 1. Instrument biopsique ABBI®. Le contrôle radiologique extemporané du site biopsique dans le sein et de la pièce opératoire confirme l’exactitude de l’intervention (figures 2, 3). Des recoupes aux ciseaux orientées peuvent immédiatement compléter une exérèse partielle. ABBI ® : “Advanced Breast Biopsy Instrumentation”, Tyco ; MIBB ® : “Minimally Invasive Breast Biopsy”, Tyco ; MBA : macrobiopsie par aspiration (Mammotome® : Biopsys-Ethicon Endo-Surgery). * Centre Jean-Perrin, centre de lutte contre le cancer, Clermont-Ferrand Cedex 1. La Lettre du Sénologue - n° 16 - avril/mai/juin 2002 La tolérance est satisfaisante pour 90 % des patientes (1), malgré l’inconfort de la position, les douleurs neuromusculaires et la durée de l’immobilisation (60 mn environ). L’acceptabilité est fonction de la clarté de l’information reçue. Paroles et gestes rassurants doivent maintenir un climat de confiance. Tableau. ABBI® : résultats publiés. Auteur (réf.) Procédures Échecs Complications* Carcinomes Berges + pour Nombre Nombre (%) Nombre (%) Nombre (%) les carcinomes Nombre (%) Ferzli (9) 132 31 (23) 4 (3) 14 (11) 13 (93) Marti (13) 144 9 (6) 2 (1,5) 31 (13) 26 (84) Smathers (14) 101 2 (2) NP 27 (27) 23 (85) Bloomston (15) 100 1 (1) 1 (1) 18 (18) 11 (61) Matthews (10) 110 1 (0,9) 3 (2,7) 29 (26) 24 (83) Kelley (16) 654 2 (0,3) 4 (0,6) 124 (19) NP Sheth (5) 230 0 1 (0,4) 36 (16) 23 (64) LaRaja (17) 127 0 0 21 (17) 20 (99) Exp. française (2) 363 4 (1,1) exérèses 1 (0,3) 98 (27) 67 (68) Feillel (1) 250 7 (3) partielles 0 48 (19) 34 (71) { Lame de la canule Aiguille de localisation Assemblage d’aiguille Canule * Complications nécessitant un traitement : hématome important, infection. 11 D O S S I E Généralement, l’activité habituelle est rapidement reprise et l’arrêt de travail est court (1 à 3 jours). Hématomes modérés et ecchymoses sont fréquents mais les complications sont exceptionnelles : 0,3 % dans l’expérience française de 363 cas (2). Cependant, environnement chirurgical et précautions d’aseptie sont exigés. EFFICACITÉ DIAGNOSTIQUE Dans notre expérience (250 cas) (1), 97 % des anomalies radiologiques ont été prélevées en totalité, 3 % de façon partielle. Aucun échec total n’a été constaté. La biopsie s’est déroulée sans difficulté pour 88 % des cas, mais elle a nécessité des recoupes aux ciseaux peropératoires pour 12 % des cas en raison du déplacement de la lésion latéralement ou en profondeur. Nos résultats s’ajoutent à ceux publiés (tableau) pour démontrer la précision de cette technique. L’étude préalable de la faisabilité, la connaissance des limites techniques et le respect des différentes étapes de la procédure conditionnent sa performance. En moyenne, le taux d’échec est faible et superposable à celui de la chirurgie conventionnelle. Cette dernière, méthode radiochirurgicale en deux temps, imposant habituellement une anesthésie générale, apparaît plus opérateur-dépendante et n’a pas une sensibilité de 100 %. Malgré le repérage stéréotaxique, 30 % des exérèses chirurgicales (1) nécessitent une ou plusieurs recoupes. Le spécimen biopsique ABBI® offre les mêmes possibilités d’analyse qu’une pièce opératoire ordinaire avec l’avantage d’un prélèvement plus limité et bien centré (3). L’étude extemporanée n’est pas indiquée (90 % des anomalies 10 mm dans notre série) (1). La pièce biopsique orientée, encrée et incluse en totalité permet l’examen pathologique habituel avec détermination du type histologique, des dimensions lésionnelles et appréciation des berges d’exérèse. Le système ABBI® est une méthode diagnostique ambulatoire fiable aussi efficace que la zonectomie conventionnelle mais plus rapide (un seul temps), moins coûteuse et moins invasive avec un volume tissulaire prélevé 2 à 4 fois inférieur (4, 5). Les résultats de la chirurgie stéréotaxique doivent être confrontés à ceux des MBA. Cette technique se pratique également sur une table radiologique dédiée. D’invasivité minimale, n’exigeant pas de milieu chirurgical, sans complication et sans préjudice esthétique (incision cutanée de 5 mm), elle se révèle moins contraignante, de réalisation plus aisée et plus rapide. Elle aboutit à un échantillonnage lésionnel par excision fragmentaire partielle, voire totale (figure 4). Plus de 90 % des Figure 4. Radiographie de spécimens biopsiques : Mammotome®. 12 R anomalies infracentimétriques sont ainsi entièrement retirées. Sa fiabilité avoisine celle de la chirurgie (6) et paraît suffisante lorsque le prélèvement est représentatif et d’histologie bénigne. Dans le bilan préthérapeutique des lésions très suspectes (ACR5), la MBA confirme la malignité en un ou plusieurs sites espacés et autorise une chirurgie large d’emblée et une exploration axillaire, limitant ainsi le nombre d’interventions nécessaires. Son intérêt dans le diagnostic ambulatoire des lésions infracliniques est donc considérable. Toutefois, ce morcellement lésionnel conduit à un certain nombre d’imprécisions et d’ambiguïtés de l’analyse pathologique. Par crainte d’une sous-estimation, le diagnostic reste indéterminé en présence de radial scar, de lésion papillaire ou mucineuse et d’hyperplasie épithéliale atypique à laquelle est rattaché un risque de carcinome associé de 10 à 19 % selon les auteurs (6, 7). Une discordance radio-histologique impose une exploration chirurgicale postbiopsique (8). En cas de carcinome, la reprise chirurgicale révèle un résidu tumoral fréquent, même lorsque le signal radiologique est supprimé (73 %) (6), et parfois difficile à identifier au milieu des remaniements postbiopsiques. Une composante invasive est retrouvée en moyenne pour 10 % des carcinomes intracanalaires (7). Les dimensions lésionnelles sont approximatives et le grade histopronostique peut être sous-évalué. Le plus souvent, la MBA permet une analyse pathologique satisfaisante mais l’information est parcellaire et insuffisante dans certaines situations. En prélevant la lésion entière et intacte avec une marge tissulaire périphérique de sécurité, le système ABBI ® favorise l’examen anatomopathologique et montre une valeur diagnostique supérieure. LIMITES ET INCONVÉNIENTS ● Seule l’exérèse complète des lésions de moins de 15 mm est possible. Malgré cette restriction, 20 à 30 % des lésions sont inaccessibles : localisation prépectorale, épaisseur insuffisante du sein comprimé (1, 2, 9, 10). ● La cicatrice, longue de 15 à 25 mm, n’est pas déformante mais reste visible et apparaît élargie pour 37 % de nos cas. Le traumatisme des tissus sous-cutanés dû à la lame de section en est probablement responsable. Cet inconvénient, majeur dans les localisations supéro-internes, doit être clairement expliqué à la patiente. ● Cette méthode contribue à limiter le coût du diagnostic en évitant hospitalisation, anesthésie générale, arrêt de travail prolongé ou surveillance répétée, mais elle ne bénéficie pas d’une cotation adaptée tenant compte du prix élevé des consommables et du temps/personnel. ● Le tableau des résultats présente 11 à 27 % de lésions malignes dont 64 à 99 % avec des berges d’exérèse positives. Un résidu tumoral est retrouvé dans plus de 50 % des reprises chirurgicales. Conformément aux travaux de corrélation historadiologique (11), la mammographie sous-évalue fréquemment l’extension réelle des carcinomes intracanalaires. Berges La Lettre du Sénologue - n° 16 - avril/mai/juin 2002 saines et marge périlésionnelle suffisantes sont rarement acquises par biopsie ABBI® (figure 5). Celle-ci ne constitue donc pas le geste thérapeutique recommandé pour des carcinomes (12). Cependant, un complément d’exérèse par recoupes aux ciseaux peropératoires permettrait d’obtenir une marge plus satisfaisante et dispenserait d’une réintervention quasi systématique au niveau du site biopsique. Dans cette perspective, une étude est en cours au Centre Jean-Perrin. diagnostic ambulatoire des lésions infracliniques. L’évaluation permanente des résultats, à court et à long termes, conduira à mieux cibler leurs indications respectives. La combinaison radio-chirurgicale offerte par le système ABBI ® devrait permettre une évolution de la procédure vers une véritable chirurgie stéréotaxique dépassant les limites du simple forage tissulaire et lui accordant, dans certains cas, un intérêt thérapeutique. Cette hypothèse est à vérifier. ■ R Figure 5. Radiographie de pièce biopsique ABBI® : carcinome. INDICATIONS RESTREINTES Les indications du système ABBI® se limitent aux anomalies de moins de 15 mm accessibles et se trouvent en compétition avec les MBA pour les lésions suspectes ACR4. Les performances des MBA et le traumatisme moindre qu’elles procurent justifient leur succès. Toutefois, en apportant un diagnostic formel en une seule étape, le système ABBI® semble mieux adapté dans certaines situations où l’analyse histologique doit être facilitée : antécédents d’hyperplasie canalaire atypique ou de néoplasie lobulaire, antécédents personnels ou familiaux de cancer du sein, image stellaire dont le prélèvement monobloc est préférable. La biopsie ABBI ® des lésions très suspectes (ACR5) n’a d’intérêt qu’associée à un complément d’exérèse immédiat lui conférant peut-être une valeur thérapeutique pour les carcinomes in situ et les carcinomes invasifs infracentimétriques de la patiente âgée quand un curage axillaire n’apparaît pas indispensable. CONCLUSION Méthode diagnostique très efficace, le système ABBI® remplace avantageusement la chirurgie conventionnelle quand l’anomalie est accessible. Cependant, son utilisation actuelle se restreint aux cas où les MBA apparaissent insuffisantes. Dans une équipe pluridisciplinaire bénéficiant d’une table de stéréotaxie, les deux techniques sont complémentaires pour établir le É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Feillel V, Le Bouëdec G, Penault-Llorca F et al. La chirurgie stéréotaxique. Gynecol Obstet 2002 (à paraître). 2. Feillel V, Bussières E, van den Akker M et al. Système ABBI® : expérience française. XXIIes Journées nationales de la société française de sénologie et de pathologie mammaire, Toulouse, 12-14 octobre 2000. Paris : Arnette, 2000 : 249-59. 3. Wong AY, Salisbury E, Bilous M. Recent developments in stereotactic breast biopsy methodologies : an update for the surgical pathologist. Adv Anat Pathol 2000 ; 7 : 26-35. 4. D’Angelo PC, Galliano DE, Rosemurgy AS. Stereotactic excisional breast biopsies utilizing the Advanced Breast Biopsy Instrumentation System. Am J Surg 1997 ; 174 : 297-302. 5. Sheth D, Wesen CA, Schroder D et al. The advanced breast biopsy instrumentation (ABBI) experience at a community hospital. Am Surg 1999 ; 65 : 7269 (discussion : 729-30). 6. Liberman L. Clinical management issues in percutaneous core breast biopsy. Radiol Clin North Am 2000 ; 38 : 791-807. 7. Darling C, Smith DN, Lester SC et al. Atypical ductal hyperplasia and ductal carcinoma in situ as revealed by large-core needle breast biopsy : results of surgical excision. Am J Roentgenol 2000 ; 175 : 1341-6. 8. Liberman L, Drotman M, Morris EA et al. Imaging-histologic discordance at percutaneous breast biopsy. Cancer 2000 ; 89 : 2538-46. 9. Ferzli GS, Puza T, Van Vorst-Bilotti S, Waters R. Breast biopsies with ABBI : experience with 183 attempted biopsies. Breast J 1999 ; 5 : 26-8. 10. Matthews BD, Williams GB. Initial experience with the advanced breast biopsy instrumentation system. Am J Surg 1999 ; 177 : 97-101. 11. Holland PA, Gandhi A, Knox WF et al. The importance of complete excision in the prevention of local recurrence of ductal carcinoma in situ. Br J Cancer 1998 ; 77 : 110-4. 12. Schwartz GF, Solin LJ, Ernster VL, Pressman PI and the consensus conference committee. The consensus conference on the treatment of in situ ductal carcinoma of the breast, April 22-25, 1999. Bull Cancer 2000 ; 87 : 499-506. 13. Marti WR, Zuber M, Oertli D et al. Advanced breast biopsy instrumentation for the evaluation of impalpable lesions : a reliable diagnostic tool with little therapeutic potential. Eur J Surg 2001 ; 167 : 15-8. 14. Smathers RL. Advanced breast biopsy instrumentation device : percentages of lesion and surrounding tissue removed. Am J Roentgenol 2000 ; 175 : 801-3. 15. Bloomston M, D’Angelo P, Galliano D et al. One hundred consecutive advanced breast biopsy instrumentation procedures : complications, costs, and outcome. Ann Surg Oncol 1999 ; 6 : 195-9. 16. Kelley WE Jr, Bailey R, Bertelsen C. 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