Whitehead et James : conditions de possibilité et sources
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Whitehead et James : conditions de possibilité et sources
Noesis 13 | 2008 Quine, Whitehead, et leurs contemporains Whitehead et James : conditions de possibilité et sources historiques d’un dialogue systématique Michel Weber Éditeur Centre de recherche d'histoire des idées Édition électronique URL : http://noesis.revues.org/1635 ISSN : 1773-0228 Édition imprimée Date de publication : 15 mars 2008 Pagination : 251-268 ISBN : 2-914561-46-6 ISSN : 1275-7691 Référence électronique Michel Weber, « Whitehead et James : conditions de possibilité et sources historiques d’un dialogue systématique », Noesis [En ligne], 13 | 2008, mis en ligne le 15 décembre 2009, consulté le 01 octobre 2016. URL : http://noesis.revues.org/1635 Ce document a été généré automatiquement le 1 octobre 2016. © Tous droits réservés Whitehead et James : conditions de possibilité et sources historiques d’un di... Whitehead et James : conditions de possibilité et sources historiques d’un dialogue systématique Michel Weber 1 Lorsqu’on compare les œuvres remarquables d’A. N. Whitehead et de W. James, on est nécessairement frappé par la mysterium conjunctionis qui s’opère entre un empirisme radical imaginatif et un empirisme radical expérimental. Mais peut-on pour autant les mettre en dialogue non seulement historiquement mais aussi spéculativement ? Et, dans l’affirmative, à quel prix ? 2 Notre étude se propose d’examiner cette question à la fois a priori et a posteriori. Il s’agira, d’une part, de dégager les conditions de possibilité de tout dialogue systématique à l’aide des cinq critères articulés dans la première partie de Procès et réalité (nécessité, adéquation, applicabilité, cohérence et consistance). D’autre part, on mettra en perspective l’enracinement historique de la spéculation philosophique whiteheadienne dans la pensée du dernier James. 1. Contextes global et local : mysterium conjunctionis 3 William James (1842–1910) est l’aîné d’Alfred North Whitehead (1861–1947) ; son parcours académique, aussi atypique que celui du Britannique, rend la convergence de leurs trajectoires spéculatives non moins remarquable. Avant de procéder à l’enquête proprement dite, il est bon de se rafraîchir la mémoire en présentant son contexte global 1 . Noesis, 13 | 2009 1 Whitehead et James : conditions de possibilité et sources historiques d’un di... 1.1. Contexte global : l’avancée créatrice et ses modes 1.1.1. L’avancée créatrice 4 On pourrait montrer qu’il existe une intuition fondatrice commune aux penseurs que l’on rassemble parfois sous la bannière du « process pragmatism », tels James Ward, C. S. Peirce, William James, Henri Bergson, John Dewey et A. N. Whitehead. La difficulté herméneutique reviendrait à définir précisément ce que ce dernier entend par « avancée créatrice ». Cette notion primitive (ou proto-idée) recouvre trois idées complémentaires — créativité, efficacité et vision — qui nous renvoient aux parties III, IV et V de Process and Reality et à leur problématiques conceptuelles et axiomatiques respectives. L’enjeu théorique est simple : il s’agit d’activer l’interanimation des parties en question pour resituer et finalement restituer l’avancée créatrice : le don de la créativité (différence et devenir), la puissance de l’efficacité (répétition et être) et la vision pacifiante (hiérarchie et Dieu). 5 Qui dit créativité, dit différence, rupture, auto-émergence. Sans créativité, on reste confiné dans la sphère du même, qui est celle de l’immanence et du passé. Dans la mesure où il y a information abrupte, non transformation structurante, la catégorie métaphysique correspondante est celle du devenir, non celle du changement. Le devenir renvoie à un procès privé, unique. Enfin, le devenir est acte ; il incarne le procès d’actualisation et ce procès définit un présent entier qui n’est pas de l’ordre de la temporalité physique. On le voit, la créativité est don absolu, ou plutôt l’absolu du don : tout événement est concerné, seules s’attestent des différences de degré. 6 Si un ancrage historique devait être proposé, la figure emblématique d’Héraclite s’imposerait pour des raisons obvies : on le sait, le présocratique a insisté sur l’impermanence du royaume naturel, conférant à la seule catégorie du changement le pouvoir de rendre compte du réel. Cela ne veut cependant pas dire, loin de là, que le changement héraclitéen est commensurable au devenir whiteheadien. Le premier est un flux transformateur opérant dans un monde clos (un cosmos) ; le second un événement percolant qui confie le monde au devenir (on peut parler de chaosmos). L’ouverture et la géométrisation du cosmos par Bruno et l’historicisation de la nature par Darwin ne sauraient être sans conséquences ontologiques majeures. 7 Techniquement parlant, Whitehead traite l’idée de créativité de manière assez complexe — raison pour laquelle il est possible, voire souhaitable, de parler d’un pancréativisme afin de signifier que tous les principes et instances du schème catégorial de Procès et réalité peuvent s’exprimer en terme de créativité. En pratique, il est toutefois possible de résumer sa nébuleuse catégorielle à l’aide des concepts de concrescence, qui nomme la venue à l’existence d’un événement à partir d’une structure potentielle qui s’en trouve modifiée, et d’analyse génétique. 8 Qui dit efficacité, dit répétition, structuration, récapitulation, imputation. Sans efficacité, la créativité interdirait toute croissance et toute pensée, on resterait dans la transcendance et le pur présent. C’est le contraste entre le même et l’autre qui permet de penser flux et permanence. La catégorie est ici celle d’être : l’être est ce qui perdure, ce qui est sédimentaire. Pereunt et imputantur, comme dit Whitehead. En conclusion, l’efficacité — l’être — est puissance : puissance du passé de susciter de nouveaux événements ; et puissance de l’événement en devenir de susciter des événements futurs. Noesis, 13 | 2009 2 Whitehead et James : conditions de possibilité et sources historiques d’un di... En tant que potentiel pour de nouveaux devenirs, il participe du multiple et de la sphère publique. 9 L’ancrage historique serait Parménide, qui s’est attaché à promouvoir une interprétation purement statique du réel. Tout est donné. La proximité locale avec Whitehead est ici plus grande dans l’exacte mesure où les événements passés sont en effet intangibles et où ils sont tuilés d’une manière toute parménidienne (raison pour laquelle on peut parler de « contiguïsme »). 10 Techniquement parlant, Whitehead traite l’idée d’efficacité à l’aide des concepts de transition et d’ analyse morphologique ou extensive . Les événements passés occasionnent transitionnellement les événements présents. Il est par surcroît remarquable que Whitehead rende opérationnelle dans ce contexte la notion de vecteur propre à la physique mathématique : la transition, c’est avant tout la causalité physique, le flux énergétique qui vient du passé sédimentaire pour informer le présent en devenir… Du reste, la partie IV articule la relation binaire de connexion extensive (« relation of extensive connection ») et les régions (« regions »). Le but immédiat est de construire le continuum extensif, qui est la matrice de coordination des différents secteurs ontiques, à partir d’une relation « ultime » portant sur un domaine « ultime ». Ce faisant, Whitehead instaure un média entre potentialité réelle (le continuum extensif) et potentialité générale (les objets éternels) et engrène en conséquence les niveaux de virtualité qui permettent la naissance de l’événement. Le but médiat de cette reprise ab ovo des fondements de l’extension (indépendamment de la théorie des ensembles et bien avant le développement des outils méréologiques) est de formaliser une « pointless geometry » qui instaure les conditions de possibilité de la mesure et donc de l’activité scientifique. 11 Qui dit vision, dit eschaton, téléologie ouverte. Sans un tel point de fuite (qui constitue un lieu asymptotique de convergence), l’articulation de la différence et de la répétition ne susciterait pas de hiérarchie. La catégorie en lice est ici celle de Dieu. Le futur n’existe ni n’est : il appelle. La vision est pacifiante : ce contact avec l’Ultime fonde l’espoir mélioriste chevillé à l’évolution créatrice. 12 Précisément, la figure de James (après celles de Platon, Plotin, le Pseudo-Denys, mais aussi Bergson et Teilhard) offre un saisissant parallèle historique avec la reprise whiteheadienne de l’idée de scala naturæ c’est-à-dire d’ontologie ascendante. Il s’agit bien de mettre en scène une marche en avant qui s’appuie à la fois sur une progression de la complexité systémique (pôle public) et une progression spirituelle (pôle privé). La gradation des états de conscience ne va pas sans la modification corrélative de son tissu structurel. 13 Techniquement parlant, l’organicisme évolutif whiteheadien traite l’idée de vision à l’aide de la hiérarchie abstractive qui définit la nature primordiale de Dieu. Subsidiairement, le concept de but initial subjectif rend palpable la vision divine dans l’exister de l’actualité concrescente. Plus précisément, la théologie naturelle whiteheadienne exploite une distinction entre principe de limitation et principe de concrétion. Grâce à ce Janus biface, toutes les expériences conspirent pour le bien de l'ensemble. Le principe de limitation nomme un opérateur immanent d’autogenèse et d’invention, tandis que le principe de concrétion correspond à Dieu en tant qu’opérateur de (com)possibilisation des occurrences événementielles. La délivrance du « but initial subjectif » conditionne l’unisson du devenir en définissant la région propre et en maximisant valeur et intensité expérientielle des occasions-sujets. L’intrication de ce double opérateur limitatif permet de tuiler les Noesis, 13 | 2009 3 Whitehead et James : conditions de possibilité et sources historiques d’un di... différentes valences de la potentialité et de l’actualité et d’assurer la sempiternelle corégénération du Monde et de Dieu. 1.1.2. Les modes de l’avancée créatrice 14 Précisons notre focale. Il existe une corrélation évidente entre les œuvres de Whitehead, James et Bergson, au sens où tous trois partagent l’exigence de la pensée de la créativité et de l’efficacité, c’est-à-dire de l’irruption événementielle et de la structure plastique. La théorie épochale whiteheadienne, directement inspirée des travaux leibniziens de James Ward et de William James, apparaît comme la plus explicite et la plus aboutie : elle montre bien le prix à payer pour penser tangentiellement le devenir et l’être, tout particulièrement au niveau de la brisure causale (et donc rationnelle) qu’entraîne la créativité. À ce propos, on se gardera bien de confondre la nécessaire non-rationalité de l’essence de la manifestation (la concrescence) et l’inadéquate — i.e., irrationnelle — systématisation de l’essence du manifesté (la transition). Whitehead le souligne : il faut dédouaner Bergson, James et Dewey du reproche anti-intellectualiste2. On ajoutera que la pensée de l’événement exige, par delà des expressions telles que « spontanéité de l’élan vital », « poussée interne », « marche en avant » etc., la promotion d’une théorie épochale qui rend compte non seulement de la continuité avec laquelle les figures de l’être rémanent dans le devenir, mais également de la discontinuité (des « sauts brusques ») propre à l’irruption novatrice. 15 Selon les besoins de son argument et les attentes de son audience, Whitehead a mis en évidence la communauté de vue qui existe entre ces différents penseurs, sans omettre le vent solaire percéen. Il a par exemple écrit à Hartshorne, qui fut brièvement (de 1925 à 1928) son assistant à Harvard, que les fondateurs de la renaissance américaine sont Peirce, au tempérament aristotélicien, et James, partageant le génie platonicien3. Lors de conférences données à Wellesley College en 1937–1938, il souligne l’importance particulière de quatre penseurs occidentaux : Platon, Aristote, Leibniz et James4. Lors d’une réception à Harvard en 1935, il met en évidence l’âge d’or de Harvard : Josiah Royce, William James, Santayana, George Herbert Palmer et Münsterberg5. 1.2. Contexte local : le génie et son épigone ? 16 Whitehead a constamment célébré le génie de James et de Platon, tout en déplorant parfois leur manque de systématicité ou, dans le cas de James, ses exagérations langagière s6. Il n’est donc pas surprenant que Whitehead en appelle à l’autorité de James, comme lors de ce passage-clef qu’est le verrouillage de la théorie épochale dans Process and Reality (voir infra). Mais peut-on pour autant parler du génie et de son épigone ? 17 Il y aurait, d’une part, le génie cosmopolite, extraverti, expérimental et, d’autre part, le systématisateur britannique, introverti, purement imaginatif. Le cosmopolitisme jamesien n’a pas d’équivalent chez Whitehead, mais tous deux ont en partage une culture philosophique horizontale, c’est-à-dire dialoguale et vivante, pas livresque. 18 La dimension proprement expérimentale de l’œuvre de James est absente de celle de Whitehead : James spécule à partir des profondeurs de ses propres expériences (épisodes névrotiques, intoxications diverses, intérêt pour l’hypnose et la parapsychologie…) 7 ; Whitehead spécule à partir d’expériences de pensée qui donnent vie à une axiomatique toujours aimantée par son intérêt pour l’extensif. Noesis, 13 | 2009 4 Whitehead et James : conditions de possibilité et sources historiques d’un di... 19 Parler de mysterium conjunctionis permet de suggérer tout ce qui unit et sépare nos deux penseurs : Jung propose (dans le cadre de son travail sur l’alchimie) des études sur la séparation et la réunion des opposés psychiques ; c’est bien, mutatis mutandis, ce dont il s’agit ici. Du reste, Cornford utilisa la même clef pour contraster Platon et Aristote8. 2. Conditions de possibilité de tout dialogue systématique 2.1. Analytiques 20 La toute première question que Process and Reality entend éclaircir constitue très précisément celle qui nous occupe ici : comment estimer la valeur — nécessairement relative — d’un système spéculatif ? Whitehead répond à l’aide de trois vagues conceptuelles distinctes. Tout d’abord, on se doit d’estimer la valeur rationnelle du système en question ; ensuite, sa portée pratique doit être évaluée ; enfin, il convient d’assurer la convergence de ces deux critères. Il faut donc préciser ces critères afin de pouvoir spécifier le sens et la portée de la méta-critériologie whiteheadienne. Comme toujours, Whitehead introduit la question de manière circumambulante ; nous proposons ici l’ordre hiérarchique qui correspond à l’importance stratégique que l’auteur entend promouvoir (présupposition radicale-empiriste). 21 L’adéquation nomme l’exigence d’une puissance interprétative totale ; on peut la représenter à l’aide du quantificateur universel : « tous les éléments vérifient la proposition ». L’applicabilité incarne l’exigence d’une puissance interprétative minimale ; on peut la rapporter au quantificateur existentiel : « il existe au moins un élément tel que la propriété est satisfaite. » 22 Le critère de cohérence impose une double contrainte : d’une part, d’interdépendance des catégories, c’est-à-dire de coprésuppositionalité (chaque concept systématique présuppose nécessairement tous les autres) ; d’autre part, d’indépendance, c’est-à-dire de nondéductibilité réciproque des axiomes, de contributivité. En résumé, il s’agit d’un idéal de démocratie catégoriale : il ne peut y avoir de catégorie plus fondamentale. Enfin, Process and Reality parle expressément de consistance logique, i.e. exigence de non-contradiction. 2.2. Synthétique 23 Deux formes basiques de nécessité sont possibles : une forme rationnelle scellant cohérence et consistance au sein du schème lui-même (nécessité interne, liée à la dynamique de l’activité de penser) ; et une forme empirique à savoirla nécessité que la Nature incarne dans son entêtement. La forme complexe de nécessité qu’évoque Whitehead est celle qui scelle ces deux formes basiques et, par là, les versants rationnel et empirique de sa définition. Se faisant, elle renvoie à l’intuition fondatrice de son système et ainsi à l’opacité du concret, à son caractère non-rationnel (ni rationnel, ni irrationnel : voir supra). 24 Le but avoué de Process and Reality dans la section incriminée est de définir ce qu’est la « philosophie spéculative » ; ce faisant, il nous offre un jeu de critères permettant de penser les conditions de possibilité de discrimination (c’est-à-dire de disqualification ou Noesis, 13 | 2009 5 Whitehead et James : conditions de possibilité et sources historiques d’un di... de filiation) de systèmes spéculatifs concurrents. À la lumière du présupposé radicalempiriste whiteheadien, on peut proposer la hiérarchie critériale suivante : • 1. réfutation par le biais du manque d’applicabilité d’un concurrent ; • 2. passage de ce critère relatif à celui d’adéquation ; • 3. estimation du différentiel de cohérence catégoriale (par amour pour l’applicabilité, la logique est négligée) ; • 4. appel à la consistance : le système métaphysique doit suivre scrupuleusement les règles logiques (lesquelles ?) ; • 5. si la preuve ne convainc pas, invocation de la nécessité, apriorique et médiatrice, afin de discriminer subjectivement deux systèmes d’une puissance objective similaire (i.e., niveau similaire d’adéquation, de cohérence, etc.). 25 Contrairement à un certain scepticisme, le relativisme whiteheadien permet donc un choix non arbitraire entre théories rivales. Notons toutefois que la dernière possibilité représente une confrontation entre intuitions fondatrices. Il s’agit d’une discrimination plutôt subjective de deux systèmes qui peuvent objectivement être considérés comme étant d’une puissance similaire (c’est-à-dire possédant un niveau similaire d’adéquation, de cohérence, etc.). Whitehead remarque en effet : Lorsqu’on critique la philosophie d’une époque, il ne faut pas diriger principalement son attention sur les positions intellectuelles que ses représentants croient nécessaire de défendre explicitement. Il y aura certaines hypothèses fondamentales que les adhérents de tous les systèmes différents au sein d’une époque présupposent inconsciemment. Ces hypothèses paraissent si évidentes que les gens ne savent pas qu’ils les assument, l’occasion de voir autrement les choses ne s’étant jamais présentée à eux. Avec ces hypothèses, un certain nombre limité de types de systèmes philosophiques sont possibles, et ce groupe de systèmes constitue la philosophie de l’époque9. 26 C’est du reste dans cette dialectique intuitive que gît la raison pour laquelle les systèmes métaphysiques sont rarement réfutés10 : si cette intuition fondatrice — ou conviction intime — ne conduit pas à des conséquences absurdes (i.e., est exempte d’autocontradiction) ; et si elle rencontre, au moins dans une certaine mesure, les faits (i.e., possède un champ d’applicabilité non vide), une réfutation rationnelle ne pourra lui être opposée, si ce n’est par consensus. 3. Enracinement jamesien de la spéculation whiteheadienne 27 Deux approches complémentaires sont expédientes : historique et spéculative. 3.1. Historique 28 Historiquement parlant, trois œuvres jamesiennes sont importantes pour entendre le développement de la pensée de Whitehead : The Will to Believe and Other Essays in Popular Philosophy (1897 ; la bibliothèque du dernier Whitehead abritait l’édition de 1936) ; The Varieties of Religious Experience. A Study in Human Nature ( 1902 ; la bibliothèque de Whitehead abritait l’édition de 1929) ; et Pragmatism. A New Name for Some Old Ways of Thinking (1907). Noesis, 13 | 2009 6 Whitehead et James : conditions de possibilité et sources historiques d’un di... 29 La première référence explicite à James date de 1910 : faisant allusion, dans son article « Mathematics » de l’Encyclopaedia Britannica, à la dimension philosophique de la question de l’un et du multiple, Whitehead renvoie le lecteur au Pragmatism (1907)11. 30 Il n’est pas impossible que Whitehead ait lu The Will to Believe et les Varieties of Religious Experience (conférences Gifford de 1901–1902) dès leurs parutions — et ce bien que les Varieties aient été publiées durant sa période agnostique, qui court probablement de 1898 à 1918, soit de la naissance de son plus jeune fils, Eric Alfred, à son décès. Le travail biographique de Lowe est exemplaire, mais les données avec lesquelles il a dû travailler sont notoirement lacunaires. Il est par exemple douteux que Whitehead n’ait pas lu promptement les conférences Gifford de J. Ward, Naturalism and Agnosticism (de 1896– 1898, publiées en 1899). On notera en particulier que le témoignage de Russell n’est ni fiable ni argumenté. 31 La bibliothèque de Whitehead a été dispersée en plusieurs vagues et les données manquent donc cruellement. Whitehead semble avoir volontiers revendu les livres qu’il ne jugeait plus dignes d’intérêt ; ses déménagements ont également contribué à cette dispersion (tout spécialement sa traversée de l’Atlantique) ; ce qui n’a pas été brûlé à la suite de son décès a été revendu par ses héritiers. 3.2. Spéculatif 3.2.1. Global 32 Deux dimensions sont importantes pour cerner l’inscription de la créativité de nos penseurs dans un point de vue spéculatif propre : vision et efficacité. 33 La vision jamesienne est eschatologique ou théorétique ; toutes ses œuvres sont sous l’emprise d’un attracteur unique : le désir constant de rencontrer, pour le bien commun, le risque existentiel total (expression par laquelle nous désignons le risque encouru par tout philosophe désireux de vivre selon le concept, non seulement sa vie terrestre mais également son aventure post-mortem). Cette vision opère sous une double contrainte : d’une part sa conscience aiguë des limites du langage, d’autre part, son accès à une certaine frange de l’expérience. L’empirisme jamesien est certes radical, mais il s’ancre dans l’expérience de James lui-même. 34 La vision de Whitehead — envisagée toutes périodes confondues — est archéologique : il s’agit pour lui de questionner les propositions apparemment simples et obvies afin d’atteindre des niveaux abstractifs plus élevés12. Ici aussi une double contrainte définit un système inertiel : d’une part, une conscience réflexive des limites du langage ; de l’autre une tension entre empirisme radical et formalisme total. Reprenons ces trois points. 35 Tout d’abord, Whitehead nous offre une philosophie du langage articulée à sa réforme ontologique. Différentes étapes sont remarquables : Whitehead ne se contente pas de déplorer la faiblesse de l’intuition et les insuffisances du langage, il identifie les principaux sophismes à l’œuvre (dogmatisme, dictionnaire parfait et concret mal placé), incrimine la syntaxe prédicative indo-européenne (et surtout son interprétation substantialiste), étend le sens et la portée du lexique philosophique tant que faire se peut, et finalement se résout à frapper de nouvelles catégories. 36 L’ancrage empirique des spéculations whiteheadiennes est constant ; ce n’est toutefois que progressivement qu’il élargit son spectre expérientiel jusqu’à englober toutes les Noesis, 13 | 2009 7 Whitehead et James : conditions de possibilité et sources historiques d’un di... expériences, précisément au sens de James. Son empirisme radical est alors tissé de pluralisme et d’interconnexité événementiels (ce qu’Emmet appelle la « concrete manysidedness of experience »13). Citons le passage fameux qui exemplifie l’exigence radicalempiriciste : Toutes les expériences que l’on peut avoir, ivre ou sobre, dans le sommeil ou la veille, somnolent ou bien éveillé, l’expérience où l’on a conscience de soi et celle où l’on s’oublie, l’expérience intellectuelle et l’expérience physique […] 14. 37 La philosophie doit donc procéder sur une base pragmatique15 : l’opacité fondamentale du monde16 est directement liée à la pluralité de ses expériences constitutives17. 38 Le formalisme est un outil (un organon) permettant de prendre le concret à bras le corps. Le formalisme total (« formal schemes of logical relations »18) que recherche Whitehead aura plusieurs guises, chacune dépendant de la problématique du moment, mais toutes posant la question du statut de l’uniformité extensive structurant le monde. Algébrique à Cambridge avec la question des fondations de la géométrie, il devint méréo-topologique à Londres avec celle de la géométrie comme science physique et enfin existentiel à Harvard 19 . Le premier concept d’extension devint celui d’abstraction extensive opérant sur l’ensemble des événements, lui-même annonçant celui de connexion extensive opérant sur l’ensemble des régions. 3.2.2. Conceptuel 39 L’impact de la vision de James sur Whitehead est profond et partiellement souterrain. L’héritage conceptuel jamesien sur la conceptualisation whiteheadienne peut cependant se résumer à quatre concepts-clef, directement empruntés aux œuvres cardinales suivantes : Varieties of Religious Experience (1902), Some Problems of Philosophy (1911), et Essays in Radical Empiricism (1912 [1904–1905]). 40 La théorie épochale du temps constitue la charpente de l’ontologie du dernier Whitehead, selon qui il existe un devenir de la continuité, pas de continuité du devenir (« a “becoming of continuity”— and no “continuity of becoming” »20). Ses racines historico-spéculatives sont aussi nombreuses que diffuses (mise à part la réappropriation de Leibniz et de Herbart par Ward), Whitehead fait cependant appel à la lecture de James des paradoxes de Zénon 21 pour l’introduire. 41 Lors de l’examen de la notion de « sentir » chez Bradley, Whitehead nous renvoie également à James22. 42 L’ontologie whiteheadienne repose ensuite sur la reconstruction fonctionnaliste du concept de conscience à partir de trajectoires d’occasions d’expérience23. Whitehead soutient que c’est à James qu’on doit la critique la plus historiquement marquante (ni la plus serrée ni la plus radicale) de la notion de conscience construite à l’aide des principes bicaméraux hérités de Descartes24. 43 Le concept de religion que Whitehead élabore dès Religion in the Making (1926) est l’héritier direct des spéculations des Varieties. Qu’il suffise de comparer : Religion, therefore, as I now ask you arbitrarily to take it, shall mean for us the feelings, acts, and experiences of individual man in their solitude, so far as they apprehend themselves to stand in relation to whatever they may consider the divin e25. 44 avec Noesis, 13 | 2009 8 Whitehead et James : conditions de possibilité et sources historiques d’un di... Religion is the art and theory of the internal life of man, so far as it depends on the man himself and on what is permanent in the nature of things. This doctrine is the direct negation of the theory that religion is primarily a social fact […]. All collective emotions leave untouched the awful ultimate fact, which is the human being, consciously alone with itself, for its own sake. Religion is what the individual does with his own solitariness […]. Religion is solitariness ; and if you are never solitary, you are never religious26. Conclusion : panpsychisme et panexpérientialisme 45 L’impact de James sur Whitehead est donc bien documenté, tant au niveau de la vision qu’à celui de sa conceptualisation. Les sources qui animent leurs enquêtes respectives — anatomo-psychologiques et existentielles pour James ; algébriques-physiques et imaginatives pour Whitehead — suggèrent d’emblée une complémentarité forte nourrie par une applicabilité plus ou moins équivalente. Au niveau de la construction systématique, force est cependant de constater que l’estimation du différentiel de cohérence catégoriale fait pencher la balance en faveur de Whitehead. 46 En conclusion, il semble important de préciser une question annexe : celle du panpsychisme de Whitehead. Comme le remarque Lowe, Whitehead lui-même rejetait l’application de ce concept à son système27 ; il demeure cependant possible de l’utiliser en philosophie organique whiteheadienne, pour peu bien sûr que le concept soit clairement défini, afin de la rattacher à une très riche histoire conceptuelle28. 47 Pour ce faire, deux jeux de questions doivent être examinés : tout d’abord, « pan » renvoie-t-il au Tout ou à toutes les parties ? ; ensuite, « psychisme » doit-il être compris au sens de psukhe (d’âme), de subjectivité (de conscience réflexive), d’activité mentale basique (de capacité abstractive, (é)valuative, de liberté) ou d’expérience pure ? La matrice 2 x 4 ainsi dégagée pourrait être mise à profit non seulement pour envisager les modalités de développement des œuvres jamesiennes et whiteheadiennes, mais aussi pour contraster le courant philosophique fondamental qu’est le panpsychisme (voir Skrbina). Dans le cas du dernier Whitehead, il est clair que son panpsychisme vise, par le biais de l’analyse génétique de la concrescence, toutes les parties (c’est un pluralisme) au niveau de leur expérientialité même (cf. l’empirisme radical). Il constitue l’aboutissement de la pensée du procès : Whitehead qualifie avant tout le flux mondain d’événement (dès A Treatise on Universal Algebra viii ; puis tout particulièrement à partir de la première édition de Principles of Natural Knowledge) ; puis vint le concept de procès (« Nature is a process », The Concept of Nature, p. 53) ; plus tard, il parlera d’occasion actuelle29 et d’entité (le concept d’entité actuelle n’étant pas encore présent dans Science and the Modern World) ; plus tard encore, on trouve le concept de créativité (Religion in the Making, p. 88), d’occasion épochale (Religion in the Making, p. 89) et d’entité actuelle (Religion in the Making, p. 86) ; enfin, de concrescence et de transition (Process and Reality, p. 7 et passim). 48 Cette progression abstractive illustre la différence fondamentale qui s ’atteste entre l’évolution des concepts scientifiques et celle des concepts philosophiques : la première opère par dépassement, la seconde par enrobement : « ce sont toujours les mêmes problèmes et les mêmes catégories qui sont en jeu, mais ici le progrès est dans le sens d'une maturation croissante30 ». Quoi qu’il en soit, elle dévoile une ultime convergence entre le développement des pensées jamesienne et whiteheadienne. Noesis, 13 | 2009 9 Whitehead et James : conditions de possibilité et sources historiques d’un di... BIBLIOGRAPHIE Bibliographie et abréviations James, William (1842–1910) ERE : Essays in Radical Empiricism [Posthumously published by Ralph Barton Perry]. New York, Longmans Green, 1912. PP : The Principles of Psychology. New York, Henry Holt /London, MacMillan, 1891. PU : A Pluralistic Universe. Hibbert Lectures at Manchester College on the Present Situation in Philosophy. New York, Longmans Green, 1909. SPP : Some Problems of Philosophy. A Beginning of An Introduction to Philosophy [Posthumous, ed. by Henry James, Jr.]. New York, Longmans Green, 1911. WB : The Will to Believe, And Other Essays in Popular Philosophy. New York, Longmans Green, 1897. Whitehead, A. N. (1861–1947) AE : The Aims of Education. Free Press, 1967 (1st ed. 1929). AI : Adventures of Ideas. Free Press, 1967 (1st ed.1933). CN : The Concept of Nature. Cambridge University Press, 1964 (1 st ed.1920). D : Lucien Price, Dialogues. Mentor Book, 1956 (1st ed. 1954). ESP : Essays in Science and Philosophy. 1947. FR : The Function of Reason. Beacon Press, 1958 (1st ed. 1929). IM : An Introduction to Mathematics. 1911. IS : The Interpretation of Science. 1961. MT : Modes of Thought. Free Press, 1968 (1st ed. 1938). OT : The Organisation of Thought. 1917. PM : Principia Mathematica. Cambridge University Press, 1925–1927 (1 st ed. 1910–1913). PNK : Principles of Natural Knowledge. Dover, 1982 (1st ed.1919–1925). PR : Process and Reality, corr. ed. 1978 (1st ed. 1929). R : The Principle of Relativity. 1922. RM : Religion in the Making. 1926. S : Symbolism, Its Meaning and Effect. 1927. SMW : Science and the Modern World. Free Press, 1967 (1 st ed. 1925). UA : A Treatise on Universal Algebra. 1898. Noesis, 13 | 2009 10 Whitehead et James : conditions de possibilité et sources historiques d’un di... NOTES 1. Cette étude exploite deux de nos précédents travaux : « Whitehead’s Reading of James and Its Context (parts I and II) », Streams of William James, 4, 1, Spring 2002, p. 18–22 et 5, 3, Fall 2003, p. 26–31 (dont les conclusions seront reprises dans A. N. Whitehead's Pancreativism. Jamesean Applications, Frankfurt /Paris, Ontos Verlag, 2007) et dans La Dialectique de l’intuition chez A. N. Whitehead : sensation pure, pancréativité et contiguïsme. Préf. de Jean Ladrière, Frankfurt/Paris, Ontos verlag, 2005. Voir également Victor Augustus Lowe, « The Influence of Bergson, James and Alexander on Whitehead », Journal of the History of Ideas, 10, 2, 1949, p. 267–296. Victor Augustus Lowe, « William James and Whitehead’s Doctrine of Prehensions », The Journal of Philosophy, 38, 5, 1941, p. 113–126 — repris in Understanding Whitehead, Baltimore (Maryland) /London, The Johns Hopkins University Press, 1962. 2. « I am also greatly indebted to Bergson, William James, and John Dewey. One of my preoccupations has been to rescue their type of thought from the charge of anti-intellectualism, which rightly or wrongly has been associated with it » (Process and Reality, xii). Ce thème a été repris par des penseurs d’inspiration whiteheadienne, tels Pete Addison Yancey Gunter ( « Bergson, Mathematics and Creativity », Process Studies, 28, 3–4, 1999, p. 268–288 et « Temporal Hierarchy in Bergson and Whitehead », Interchange, 36, 1–2, 2005, p. 139–157) et Randall E. Auxier (« Influence as Confluence : Bergson and Whitehead », Process Studies, 28, 3–4, Fall-Winter 1999, p. 301–338) qui contrastent avec la partialité des travaux de Lowe (« The Influence of Bergson, James and Alexander on Whitehead », op. cit.), Philippe Devaux (« Le Bergsonisme de Whitehead », Revue internationale de philosophie, XV, 56–57, fasc. 3–4, 1961, p. 217–236) et Newton Phelps Stallknecht (Studies in the Philosophy of Creation. With Especial Reference to Bergson and Whitehead, Princeton (N. J.), Princeton University Press, 1934 — reprinted as Volume III. The Collected Works of Newton P. Stallknecht, ed. by Donald L. Jennermann, David A. White and Marilyn C. Bisch, Lewiston, The Edwin Mellen Press, 2000). 3. « My belief is that the effective founders of the American Renaissance are Charles Peirce and William James. Of these men, W. J. is the analogue to Plato, and C. P. to Aristotle, though the time-order does not correspond and the analogy must not be pressed too far. Have you read Ralph Perry’s new book [two vols] on James! It is a wonderful disclosure of the living repercussions of late 19 th century thought on a sensitive genius. But I admit W. J. was weak on Rationalization. Also he expressed himself by the dangerous method of over-statement » (Whitehead, letter to Charles Hartshorne, Jan. 2 nd 1936, repris dans Lowe, A. N Whitehead. The Man and His Work. Vol. II : 1910–1947, ed. by J. B. Schneewind, Baltimore (Maryland)/London, The Johns Hopkins University Press, 1990, p. 345–347). Ailleurs, il dira : « William James and John Dewey will stand out as having infused philosophy with new life, and with a new relevance to the modern world » (1936 dans ESP, p. 123). Ou encore : « Plato moves about amid a fragmentary system like a man dazed by his own penetration » (AI, p. 147). 4. « In Western literature there are four great thinkers, whose services to civilized thought rest largely upon their achievements in philosophical assemblage; though each of them made important contributions to the structure of philosophic system. These men are Plato, Aristotle, Leibniz, and William James » (MT, p. 2). 5. « Harvard is justly proud of the great period of its philosophic department about thirty years ago. Josiah Royce, William James, Santayana, George Herbert Palmer, Münsterberg, constitute a group to be proud of. Among them Palmer’s achievements centre chiefly in literature and in his brilliance as a lecturer. The group is a group of men individually great. But as a group they are greater still. It is a group of adventure, of speculation, of search for new ideas. To be a philosopher is to make some humble approach to the main characteristic of this group of men » (MT, p. 174). Noesis, 13 | 2009 11 Whitehead et James : conditions de possibilité et sources historiques d’un di... 6. E.g. : James « possessed the clear, incisive genius which could state in a flash the exact point at issue » (SMW, p. 2 et 147). « Finally, there is William James, essentially a modern man. His mind was adequately based upon the learning of the past. But the essence of his greatness was his marvellous sensitivity to the ideas of the present. He knew the world in which he lived, by travel, by personal relations with its leading men, by the variety of his own studies. He systematized; but above all he assembled. His intellectual life was one protest against the dismissal of experience in the interest of system. He had discovered intuitively the great truth with which modern logic is now wrestling » (MT, p. 3). 7. Pour l’historique de ces épisodes dépressifs et de ces intoxications, voir Ralph Barton Perry, The Thought and Character of William James. As Revealed in Unpublished Correspondance and Notes, Together with his Published Writings ; Vol. I, Inheritance and Vocation ; Vol. II, Philosophy and Psychology, Boston, Little Brown, 1935. 8. « At the root of this antagonism lies a fundamental incompatibility of temperament; and a philosopher's temperament has more to do with the shaping of his philosophy than he would care to acknowledge, even if he was aware of the fact. Plato was (in the language of modern psychology) an introvert; and his philosophy is, in the end, a philosophy of withdrawal from the world of common experience » (Francis MacDonald Cornford, Before and After Socrates [The four lectures contained in this book were delivered as part of a course on Greek Philosophy at the Summer Meeting arranged by the Board of Extra-Mural Studies at Cambridge in August, 1932], Cambridge, Cambridge University Press, 1974, p. 86. 9. Alfred North Whitehead, La Science et le monde moderne, trad. intégrale par Henri Vaillant, relue et introd. par Jean-Marie Breuvart, Frankfurt/Paris/Lancaster, Ontos Verlag, 2006, p. 52. « When you are criticising the philosophy of an epoch, do not chiefly direct your attention to those intellectual positions which its exponents feel it necessary explicitly to defend. There will be some fundamental assumptions which adherents of all the variant systems within the epoch unconsciously presuppose. Such assumptions appear so obvious that people do not know what they are assuming because no other way of putting things has ever occurred to them. With these assumptions a certain limited number of types of philosophic systems are possible, and this group of systems constitutes the philosophy of the epoch » (SMW, p. 48). 10. PR, p. 7. 11. Alfred North Whitehead, sub verso « Mathematics », p. 878–883 dans Encyclopaedia Britannica, 11th ed., vol. 17, Cambridge University Press, 1910–1911, p. 881 (reprint. under the title « Mathematics, Nature » of in the 14th ed. vol. 15, London/New York, 1929, p. 85–89); repris dans ESP, p. 278. 12. Par exemple : « What do we mean by space-time, by immediate sense-perception, by simultaneity [… ] ? »(PNK, p. 46, 53). 13. Dorothy M. Emmet, « A. N. Whitehead : The Last Phase », Mind, 57, 1948, p. 265–274. 14. Whitehead, Aventures d'idées, trad. de l’anglais par Jean-Marie Breuvart et Alix Parmentier, Paris, Le Cerf « Passages », 1993, p. 294. « In order to discover some of the major categories under which we can classify the infinitely various components of experience, we must appeal to evidence relating to every variety of occasion. Nothing can be omitted, experience drunk and experience sober, experience sleeping and experience waking, experience drowsy and experience wide-awake, experience self-conscious and experience self-forgetful, experience intellectual and experience physical, experience religious and experience sceptical, experience anxious and experience care-free, experience anticipatory and experience retrospective, experience happy and experience grieving, experience dominated by emotion and experience under self-restraint, experience in the light and experience in the dark, experience normal and experience abnormal » (AI, p. 226 ; voir les Principles of Psychology de James, I, p. 232). 15. « This doctrine places philosophy on a pragmatic basis. But the meaning of “pragmatism” must be given its widest extension. In much modern thought, it has been limited by arbitrary specialist assumptions. There should be no pragmatic exclusion of self-evidence by dogmatic denial. Pragmatism is simply an appeal to that self-evidence which sustains itself in civilized experience. Thus pragmatism Noesis, 13 | 2009 12 Whitehead et James : conditions de possibilité et sources historiques d’un di... ultimately appeals to the wide self-evidence of civilization, and to the self-evidence of what we mean by“civilization” » (MT, p. 106). 16. « Of course anybody who has any sense who writes on philosophy knows, or ought to know, that the world is unfathomable in its complexity and that anything you put together must be open to criticism — ought to be open to criticism if it is any good at all. It should be a platform from which it is worth while to make criticisms[…]. Criticism is the motive power for the advance of thought. I am fond of pointing out to my pupils that to be refuted in every century after you have written is the acme of triumph. I always make that remark in connection with Zeno. No one has ever touched Zeno with out refuting him, and every century thinks it worth while to refute him » (Symposium, 1932, p. 22, repris dans ESP, p. 114 ; voir PR, p. xiv). 17. « Fragmentary individual experiences are all that we know […] all speculation must start from these disjecta membra as its sole datum. It is not true that we are directly aware of a smooth running world, which in our speculations we are to conceive as given. In my view the creation of the world is the first unconscious act of speculative thought ; and the first task of a self-conscious philosophy is to explain how it has been done » (AE, 1929, 163–164 reprend OT, 1917 ; voir le Pluralistic Universe de James, 1909, p. 8 et passim). 18. Dorothy M. Emmet, « A. N. Whitehead : The Last Phase », op. cit., p. 265–274. 19. Voir notre article « PNK’s Creative Advance from Formal to Existential Ontology », dans Les Principes de la connaissance naturelle d’Alfred North Whitehead/Alfred North Whitehead’s Principles of Natural Knowledge, actes des journées d’étude internationales tenues à l’université de Nantes, les 3 et 4 octobre 2005, ed. par Guillaume Durand et Michel Weber (Proceedings of the Fourth International « Chromatiques whiteheadiennes » Conference, Frankfurt/Paris/ Lancaster, Ontos Verlag « Chromatiques whiteheadiennes IX », 2007, p. 259–273. 20. PR, p. 35. 21. « These conclusions are required by the consideration of Zeno’s arguments, in connection with the presumption that an actual entity is an act of experience. The authority of William James can be quoted in support of this conclusion. He writes : “Either your experience is of no content, of no change, or it is of a perceptible amount of content or change. Your acquaintance with reality grows literally by buds or drops of perception. Intellectually and on reflection you can divide these into components, but as immediately given, they come totally or not at all.” [SPP X] James also refers to Zeno. In substance I agree with his argument from Zeno; though I do not think that he allows sufficiently for those elements in Zeno's paradoxes which are the product of inadequate mathematical knowledge. But I agree that a valid argument remains after the removal of the invalid parts » (PR, p. 69). 22. « I may add that William James also employs the word in much the same sense in his Psychology. For example in the first chapter he writes, “Sensation is the feeling of first things.” And in the second chapter he writes, “In general, this higher consciousness about things is called Perception, the mere inarticulate feeling of their presence is Sensation, so far as we have it at all. To some degree we seem able to lapse into this inarticulate feeling at moments when our tension is entirely dispersed” » (AI, p. 231). 23. « No doubt Descartes only expressed definitely and in decisive form what was already in the air of his period. Analogously, in attributing to William James the inauguration of a new stage in philosophy we should be neglecting other influences of his time. But, admitting this, there still remains a certain fitness in contrasting his essay, Does Consciousness Exist published in 1904, with Descartes’ Discourse on Method, published in 1637. James clears the stage of the old paraphernalia ; or rather he entirely alters its lighting. Take for example these two sentences from his essay : “To deny plumply that “consciousness” exists seems so absurd on the face of it— for undeniably “thoughts” do exist — that I fear some readers will follow me no farther. Let me then immediately explain that I mean only to deny that the word stands for an entity, but to insist most emphatically that it does stand for a function” » (SMW, p. 143 ; voir. AI, p. 186– 187). 24. « I shall for my own purposes construe James as denying exactly what Descartes asserts in his Discourse and his Meditations. Descartes discriminates two species of entities, matter and soul. The essence Noesis, 13 | 2009 13 Whitehead et James : conditions de possibilité et sources historiques d’un di... of matter is spatial extension; the essence of soul is its cogitation, in the full sense which Descartes assigns to the word “cogitare” » (SMW, p. 144). 25. VRE, p. 31. 26. RM, p. 16. 27. « Whitehead did not call his pluralistic metaphysics a panpsychism, and was not happy when his student — myself for one — did so ». (Victor Augustus Lowe, « The Concept of Experience in Whiteheads Metaphysics » dans Alfred North Whitehead: Essays on his Philosophy, éd. par George L. Kline, Englewood Cliffs (New Jersey), Prentice-Hall, 1963, p. 124–133), p. 126. 28. C’est le pari que nous faisons dans Weber and Weekes (eds.), Primary Glimmerings. Whiteheadian Approaches to Consciousness in Psychology, Neuropsychiatry and the Philosophy of Mind. Whitehead Psychology Nexus Studies II, à paraître. On se reportera du reste à l’étude érudite de David Skrbina ( Panpsychism in the West, Cambridge (Mass.), The Massachusetts Institute of Technology Press, 2005), qui montre avec force que le panpsychisme constitue un courant profond de l’histoire de la pensée occidentale et que sa disgrâce ne date que du XXe siècle. 29. « Actual occasion of experience » (SMW, p ; 158 et passim ; puis RM, p. 99). 30. Jean Ladrière, « Concepts scientifiques et idées philosophiques », dans La Relativité de notre connaissance. Trois causeries par Louis De Raeymacker, Walter Mund et Jean Ladrière, Louvain, éditions de l’Institut supérieur de philosophie, « Essais philosophiques » 4, 1948, p. 103–156. AUTEUR MICHEL WEBER Michel Weber dirige le Centre de philosophie pratique « Chromatiques whiteheadiennes » à Bruxelles. Il est professeur invité à la New Bulgarian University (Sofia), Department of Cognitive Science and Psychology et Department of Philosophy and Sociology (2008–2009). Il a publié La Dialectique de l’intuition chez A. N. Whitehead (2005), Whitehead’s Pancreativism (2006), L’Épreuve de la philosophie (2008) et Éduquer (à) l’anarchie (2008). Noesis, 13 | 2009 14