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MOBILIER André Sornay ingénieux constructeur André Sornay à 29 ans. © Photo Blanc et Demilly Parmi la vague de créateurs qui dessinèrent le paysage du mobilier du XXe siècle, le Lyonnais André Sornay, surnommé le roi de l’Art déco dans sa ville natale, s’est illustré en tant qu’ensemblier par son sens aigu de la mise en espace du mobilier et sa faculté à constamment remettre en question ses acquis techniques, ce dont témoignent les divers brevets qu’il déposa tout au long de sa carrière. Par Alain Marcelpoil, auteur d’une récente monographie sur l’artiste. L e parcours d’André Sornay (1902-2000) se démarque par sa longévité et sa vision sans concession d’un art qui se voulait à la pointe de la modernité sans pourtant rien céder aux caprices du temps et de la mode. Si son attachement à sa ville natale, Lyon, le maintint longtemps à l’écart des feux de la capitale, exceptée sa participation à l’Exposition internationale des Arts décoratifs et industriels modernes de 1925 et à l’Exposition internationale des arts et techniques dans la vie moderne de 1937, son œuvre se redécouvre aujourd’hui comme un ensemble cohérent et novateur qui le place parmi les grands sur la scène internationale du marché de l’art. Un talent précoce Fils de tapissier-décorateur, étudiant à l’école des Beaux-Arts de Lyon, excellent dessinateur, André Sornay a dix-sept ans lorsque la mort prématurée de son père le propulse à la tête de l’entreprise familiale. Ce tout jeune homme ne met pas trois ans à créer sa propre ligne de mobilier, révolutionner le petit magasin paternel de la rue Paul Chenavard et imposer dans les salons lyonnais son style résolument moderne aux lignes droites et épurées, à l’antipode de l’esprit d’ornementation, encore attaché à la courbe et au décor, qui régit la production mobilière locale. Il en résulte une première période de pièces uniques ou de petites séries, caractérisées par une forte charpente et des lignes simples, où domine sa conception architectonique du mobilier par l’équilibre des volumes, l’ordonnance des tracés et l’esthétisme dépouillé. Il partage, avant la lettre, avec le mouvement avantgardiste de l’Union des Artistes Modernes cette 2 SEPTEMBRE 2011 C. 1934, pièce unique. Fauteuil de bureau pivotant sur un axe à 360° comportant un système de translation sur rail avantarrière, socle en laiton et cuir. © Photo Michel Goiffond Vers 1930, pièce unique. Bureau en laque rouge avec dalle de verre St Gobain, poignées de tirage et socle en aluminium poli. © Photo Michel Goiffond SEPTEMBRE 2011 3 André Sornay 1929, pièce unique. Console formant bureau grâce à ses deux plateaux inférieurs pivotants. Eclairages intégrés au niveau des deux tiroirs supérieurs. © Photo Michel Goiffond conception de l’ameublement comme un art utilitaire et fonctionnel où l’objet doit être adapté à sa fin et répondre aux besoins de son époque. Cette position le porte tout naturellement à élaborer dès 1925 des meubles intégrés ou multifonctionnels pour les architectes lyonnais les plus progressistes tels Louis Thomas, collaborateur de Tony Garnier, ou son ancien camarade des Beaux-Arts Louis Weckerlin. Particulièrement apte à agencer un lieu qu’il n’a pas conçu lui-même, il crée son mobilier en fonction des réalisations architecturales, jouant sur l’espace, la lumière et les lignes d’un art moderne en constante évolution. Réfractaire à toute influence sur son propre mode de création, André Sornay affiche un esprit d’indépendance qui le tient éloigné des groupes modernistes parisiens et européens, mais qui ne l’empêche pas d’adjoindre à sa production les compétences des meilleurs artistes lyonnais de leur profession : le verrier Paul Beyer, le ferronnier d’art Charles Piguet ou le dinandier Claudius Linossier et d’entretenir une longue amitié avec le directeur de galerie d’avant-garde Marcel Michaud, le premier à diffuser en France les œuvres de nouveaux “designers” européens, tels Marcel Breuer ou Alvar Aalto. 4 SEPTEMBRE 2011 Esthétique et rationalité Convaincu dès ses débuts que “la possibilité d’un renouveau des formes passe par les solutions apportées aux exigences techniques ”, André Sornay affirme la primauté du pratique sur l’esthétique, là où la ligne pure découle de l’étude de la fonction. Par la mise en évidence de la structure du meuble et de ses modes d’assemblage, le décrochement des volumes, l’empilement de feuilles de contreplaqué qui donne à voir les plis constitutifs du matériau, il manie avec brio ce double jeu entre esthétique, décor et technique. Tout en laissant la primauté au bois avec l’usage d’un large spectre d’essences variées dont le veinage constitue la décoration, sa curiosité le conduit à parfois même précéder ses contemporains dans l’emploi de matériaux étrangers à la tradition de l’ébénisterie tels que les contreplaqués minces, les métaux tubulaires, les textiles enduits (Permatex), le caoutchouc industriel pour le piètement de ses meubles ou l’emploi de la laque Duco. Personne, hors des sphères parisiennes, ne sut mieux que lui allier création et rationalité, pureté des lignes et élégance des volumes, jouer du contraste entre deux effets de couleur et de matière et élaborer à partir de formes géométriques simples les combinaisons les plus ingénieuses sous couvert d’une grande simplicité de réalisation. 1936-1937, pièce unique. Bar roulant modulable en table à jeux comportant quatre sellettes d’appoint et quatre cendriers. Les deux portes latérales du compartiment bouteilles peuvent être utilisées comme plateaux de service. © Photo Michel Goiffond SEPTEMBRE 2011 5 La marque Sornay : le cloutage C’est en 1932 qu’André Sornay met au point un système de panneau de meuble et son mode d’assemblage, breveté la même année, qui caractérisera sa production postérieure et deviendra son signe de fabrique. Sa conviction d’une esthétique qui se subordonne à la technique, là où le détail fait le décor “comme ornement judicieusement placé, élément décoratif sensible et juste parce qu’utile”, trouve sa plus forte expression dans la technique du cloutage. En pleine crise des années 1930, l’emploi de panneaux minces de contreplaqués, revêtus d’essences de bois variées et assemblés sur un cadre massif par des Vers 1936. Bureau avec un éclairage intégré dans le caisson coulissant perpendiculairement au plateau, assemblé selon le système de cloutage breveté en 1932. © Photo Michel Goiffond pointes de métal (cuivre, laiton, fer ou aluminium) lui permet de rationnaliser sa production en diminuant les coûts de revient. Éléments d’adhérence en tant que moyen de fixation des panneaux, ses lignes de clous soulignant la structure du bâti offrent un exemple remarquable dans l’histoire du mobilier d’un procédé technique générant un effet esthétique. C. 1937. Bureau se transformant en table à jeux par l’intermédiaire d’un plateau pivotant sur un axe. Les tubes en fer laitonné assurent la stabilité de la pièce. Deux fauteuils bridge sont utilisables en position bureau. Quatre fauteuils bridge sont utilisables en position table à jeu. © Photo Michel Goiffond 6 SEPTEMBRE 2011 André Sornay Invention de la “tigette Sornay” Les années de guerre et les difficultés de l’après-guerre ne vont pas ralentir l’activité de ce chercheur toujours en quête de solutions inédites. Il fait preuve une nouvelle fois de ses qualités de précurseur en élaborant un système de montage rapide des meubles dont il dépose les différents brevets et additions entre 1953 et 1955. Révolutionnaire, la “tigette Sornay” fonde tout le système du mobilier dit “en kit”. Il abandonne peu à peu le cloutage au profit de ce nouveau système d’assemblage qu’il applique aux meubles de collectivité. L’interchangeabilité des éléments constitue alors un argument choc lors de la soumission d’appel d’offre et permet de remporter un grand nombre de marchés publics, là où il suffit de remplacer l’élément défaillant sans besoin de réparer le meuble en son entier, ce qui a l’avantage majeur de diminuer le coût comme le temps d’intervention. Cette dernière innovation technique marque l’ultime période de sa carrière, mais non la fin des meubles Sornay. Après cinquante ans de création ininterrompue, André Sornay passe progressivement les rênes à la Vers 1953. Bureau et son siège en bois laqué jaune. Ces meubles sont assemblés avec les fameuses tigettes inventées par Sornay. © Photo Michel Goiffond génération suivante. Sous l’égide de ses enfants, l’entreprise s’oriente vers une échelle de production véritablement industrielle en faisant fructifier la technique de la tigette au niveau national sur le nouveau marché du mobilier pour collectivité. Sornay Meubles se présente désormais comme “créateur-éditeur de mobilier contemporain d’architecture intérieure relative aux collectivités, bâtiments et particuliers” et poursuivra ses activités jusqu’en 1999. Ainsi, tout au long d’un siècle en continuelle évolution, André Sornay a su adapter sa production à l’évolution de la société, sans jamais perdre de vue sa motivation principale : concevoir un mobilier fonctionnel et esthétique qui réponde aux besoins de la vie moderne et de ses architectures, et dont l’élégance des lignes conserve encore de nos jours une pertinente actualité. À LIRE : Signé Sornay, éditions galerie Alain Marcelpoil, 2010, 381 p., bilingue français-anglais, 100 €. SEPTEMBRE 2011 7