L`Islande face à la crise financière
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L`Islande face à la crise financière
L’Islande face à la crise financière Kevin Billières Directeur de mémoire : Olivier Brossard 2010 2 L’Islande face à la crise financière Kevin Billières Directeur de mémoire : Olivier Brossard 2010 3 Remerciements Je remercie M. Olivier Brossard, professeur d’Economie et Directeur du LEREPS (Laboratoire d'études et de recherches sur l'économie, les politiques et les systèmes sociaux) d’avoir bien voulu m’aider à réaliser ce travail. Je remercie également tout le personnel de l’Ambassade de France en Islande, et tout particulièrement Mme Caroline Dumas, Ambassadeur, ainsi que MM. Alain Fortin, Raymond Vidal et Ludovic David-Herredia, de m’avoir accueilli durant mon stage de six mois et d’avoir partagé avec moi leurs idées et leur connaissance de la situation du pays. Je suis également très reconnaissant à toutes les personnes en Islande qui m’ont, volontairement ou involontairement, aidé à y voir plus clair dans la situation complexe qui est celle du pays depuis 2008. Toute ma gratitude en particulier à Þórólfúr Matthíasson, professeur d’économie à l’Université d’Islande, pour m’avoir reçu et exposé son point de vue à plusieurs reprises. Enfin, je n’oublie mes parents, sans la contribution de qui je n’aurais pas pu profiter pleinement de ces six mois au pays des volcans. Et merci à Lison pour son soutien au cours de cette année mouvementée. 4 Avertissement L’IEP de Toulouse n’entend donner aucune approbation, ni improbation dans les mémoires de recherche. Ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur. 5 Index des abréviations, acronymes et termes islandais AELE Association Européenne de Libre Echange. Alþingi Nom du Parlement Islandais. BC Banque Centrale. BCE Banque Centrale Européenne. BCI Banque Centrale d'Islande (Seðlabanki Íslands). DIGF Depositors' & Investors & Guarantee Fund, le fond de garantie des déposants et investisseurs (Tryggingarsjóður – TIF). EEE Espace Economique Européen. FME Autorité de Supervision Financière (Fjármálaeftirlitið). FMI Fond Monétaire International. HFF Housing Financing Fund, fond de financement (public) de l’immobilier (Íbúðalánasjóður). NASDAQ National Association of Securities Dealers Automated Quotations (Cotations automatisées de l’Association nationale des agents de change), constitue le deuxième marché boursier américain en volume, elle comprend aussi bien des entreprises pas assez importantes pour être cotées à la Bourse principale de New York que des entreprises qui cherchent à se financer via du capital-risque. PIB Produit Intérieur Brut. SIC Special Investigation Committee : Comité Spécial d’Investigation, composé de trois experts indépendants et mandaté par le gouvernement de Mme Sigurðardóttir pour réaliser une enquête détaillée sur les circonstances qui ont présidé à la crise islandaise. SWAP Contrat d’échange de flux financier entre deux parties. UE Union Européenne. 6 Sommaire Remerciements 4 Avertissement 5 Index des abréviations, acronymes et termes islandais 6 Sommaire 7 Introduction 9 Premiere Partie. Histoire d’une métamorphose économique 13 Chapitre I. Le modèle de développement islandais au tournant des années 90 14 Section 1. Avant : Ruralité et matières premières 14 Section 2. Après : émergence d’un secteur financier ultra performant 22 Chapitre II. Contradictions et faiblesses 34 Section 1. Les failles de la nouvelle stratégie économique 34 Section 2. Aspects sociologiques 41 Deuxième Partie. La crise en Islande 45 Chapitre III. Chronologie des événements 45 Section 1. Prémices 45 Section 2. Point de non-retour 48 Section 3. La crise d’Octobre 2008 51 Chapitre IV. Pourquoi la crise était inévitable 53 Section 1. Une crise inéluctable 53 Section 2. La salvatrice crise des subprimes 59 Troisième Partie. Les défis, la sortie de crise Chapitre V. Où en est-on ? Les mécanismes réparateurs de court terme. 63 63 Section 1. Réparation des dégâts 63 Section 2. Interférences internationales 70 Chapitre VI. Quelles réformes de long terme ? 74 Section 1. Régulation et coordination : les valeurs d’avenir 74 Section 2. Enseignements pour le développement d’une petite économie ouverte 81 Annexes 86 Bibliographie 92 7 Table des Matières 94 Résumé 97 Mots Clés 97 8 Une crise mondiale Introduction La crise des subprimes de 2008, qui a débuté en 2007, est de l’avis partagé, une des plus importantes qu'ait connue l’économie sous sa forme capitaliste. Ayant pour point de départ la défaillance de certains établissements bancaires sur-détenteurs de titres immobiliers risqués, elle s’est propagée à l’ensemble du système financier mondial et a finit par toucher l’économie réelle, affectant durement et durablement la croissance d'un très grand nombre de pays, parmi lesquels beaucoup ont connu ou connaissent encore un épisode de déflation. Les pays en développement, dont les experts pensaient qu’ils ne seraient pas touchés, étant moins impliqués dans les circuits financiers, l’ont tout de même été par le biais de la dépression de l’économie réelle. Cette crise a entre autres causé une remise en cause sans précédent du statut de la finance au sein de l’économie mondiale, et un regain de volonté autour d'une régulation plus forte vis-à-vis de ce composant essentiel du système capitaliste. La finance, longtemps considérée comme un simple outil au service de l’économie réelle, avait conquis depuis les années 80 son autonomie et était devenu une activité productrice de richesses en soi. Au-delà d’une simple instrumentalisation, elle a acquis une finalité et une logique propre, qui sont devenus incompréhensibles pour nombres d’individus, y compris nombre d’agents économiques ou d’hommes politiques pourtant chargés d’édicter des règles de fonctionnement. Cette autonomisation de la finance est très importante, les flux annuels, très difficiles à évaluer au regard du nombre étourdissant de transactions, étant évalués à 70 fois le PIB mondial, soit 3 millions de milliards d’euros environ. Une grande partie de ces flux 1 n’accompagne pas les flux commerciaux ou économiques réels, mais sont constitués de dérivés, aux logiques propres, qui bien que créateurs de richesse, n’en perturbe pas moins régulièrement l’économie mondiale. Pour lutter contre les effets pervers de cette économie financiarisée débridée ayant abouti à la crise de 2008, de nombreux sommets multilatéraux ont été organisés, laissant penser qu'un mouvement de balancier allait, vingt ans après, reréguler certaines pratiques désor- 1 88% des flux financiers mondiaux selon des estimations récentes. 9 mais jugées trop risquées du « laissez-faire ». Pourtant, peu de réformes d'envergure ont émergé dans un premier temps de ces réunions, organisées il est vrai presqu'à contrecœur entre des Etats qui, incapables de faire face seuls aux conséquences gigantesques de la crise, s'étaient finalement résolus à agir de concert. Il a fallu attendre le second round de la crise, avec notamment l'épisode de la crise de la zone euro (les difficultés financières de la Grèce, et les craintes qui entourent la situation du Portugal, de l'Espagne, de l'Italie et de l'Irlande, mais aussi de la zone dans son ensemble), pour que des mesures plus sérieuses soient envisagées, aussi bien en ce qui concerne les finances publiques, mises à mal par les plans de sauvetage et de relance consécutifs à la crise des subprimes, qu'en terme de coordination des politiques économiques, au sein de l'Union Européenne (UE) notamment. Des conséquences locales Dans le même temps, un petit pays qui au premier semestre 2008 était encore porté aux nues de la réussite économique grâce à son développement économique fulgurant emmené et dopé par le secteur financier, s'effondrait comme un château de carte, victime de la chute de ce même secteur bancaire qui lui avait permis de devenir un des pays au PIB par habitants le plus élevé au monde. L'Islande, puisqu'il s'agit bien d'elle, voyait son secteur financier intégralement dévasté, le gouvernement obligé de nationaliser en urgence les trois principales banques du pays : Landsbanki, Glitnir et Kaupþing. Cette crise, à la fois nationale et internationale du fait de l'implantation importante de ces institutions sur le marché européen principalement, prenait de court une population ayant vécu pendant une quinzaine d'années sur un nuage. Ce qui frappe dans ce cas particulier est la vitesse avec laquelle tout le château de carte économique s'est effondré. L’Islande est un pays qui s’est développé rapidement mais qui a aussi très rapidement connu une crise majeure. C’est un pays dont les structures, la culture, l'économie rappelle par certains aspects des Pays En Développement (par la structure de son commerce extérieur hors finance par exemple) mais aussi les Pays Développé à Economie de Marché par son système financier très développé ou sa consommation de masse. Comment un pays d’Europe se retrouve à devoir faire appel au FMI ? Pourquoi ce pays a-t-il été si violemment touché alors que d'autres pays à l'économie pourtant plus ouverte que celle de l'Islande ont pu mieux résister à la crise ? Quels sont les éléments qui peuvent 10 expliquer une telle débâcle ? Ce cas peut-il apporter une expérience significative sur la place que doit-être celle de la finance dans le processus de développement d'un pays ? L'Islande, avec son secteur financier hypertrophié, constitue dans cette optique un cas-limite dont on peut tirer beaucoup d'enseignements. A première vue, l’impact de la crise mondiale sur ce petit pays très faiblement peuplé (un peu plus de 300 000 habitants) à l’économie extrêmement financiarisée semblerait suffire à expliquer que l’Islande ait pu pâtir proportionnellement plus que bon nombre d’autres pays de la crise des subprimes. Pourtant, l’examen des nombreuses données disponibles autour de ce cas nous laisse apercevoir que des causes purement économiques n’expliquent pas seules la débâcle qui a eu lieu en octobre 2008 dans ce pays. En effet, de nombreuses malversations et erreurs de la part des dirigeants politiques comme des dirigeants et actionnaires des principales institutions financières ou de régulation du pays ayant eu lieu durant la période dorée de l’économie islandaise, entre 2000 et 2003 ont depuis lors été rapportées. De même, l’examen du nouveau modèle de développement choisi à partir de la fin des années 80 pour amener l’Islande au niveau de développement qu’elle connaît actuellement laisse apercevoir les failles stratégiques et les incompatibilités qui se sont développées tout au long des vingt années qui ont suivi et ont contribué à exacerber l’ampleur de la crise à partir de 2008. Ce sont ces interactions complexes entre l’économie mondiale d’un côté, la situation politique, les facteurs sociologiques, les facteurs économiques et la culture propre à l’Islande que nous allons examiner dans cette étude qui constitue ainsi une étude de cas. Pour ce faire, nous allons examiner dans un premier chapitre la transition économique islandaise. Ce pays, très rural, l’un des plus pauvres d’Europe Occidentale il y a encore trente ans, a fait le choix à la fin des années 80 de se développer en laissant une place de choix à la finance dans le processus. Nous allons alors examiner la situation avant la transition, présenter les éléments qui expliquent cette transition, et présenter le système économique islandais tel qu’il était avant la crise d’octobre 2008. Dans un deuxième chapitre, nous présenterons d’abord les étapes qui ont mené à l’éclatement de la bulle financière islandaise. De même que celle-ci ne s’est pas constituée en un jour, son explosion n’a pas été aussi soudaine que ce que l’on a pu dire. Nous verrons alors que cette crise était inévitable, et que la crise des subprimes n’a fait qu’accélérer un processus qui serait sans doute survenu tôt ou tard, avec la désarticulation croissante entre sphère finan11 cière et sphère réelle. Nous verrons à cette occasion que la crise des subprimes a même été béénfique à l’Islande, dans le sens où elle a empêché la bulle spéculative de grandir jusqu’à un point critique qui aurait pu causer la ruine complète du pays. Enfin, dans un troisième chapitre, nous examinerons les réactions du gouvernement, des instances de régulation et des institutions internationales pour contenir et contrôler la crise. Nous verrons quelles solutions de court terme ont été mises en place dans l’urgence, et quelles réformes de long terme ont été engagées pour restaurer l’économie de ce petit pays dans l’Atlantique Nord. Nous en profiterons pour élargir le débat et tenter de voir quels enseignements ce cas peut apporter aussi bien dans le champ de la régulation financière que dans celui du développement économique, pour des petits pays à économie ouverte qui seraient tentés de suivre la voie qu’à empruntée l’Islande. 12 Premier Partie. Histoire d’une métamorphose économique L’Islande, petite île perdue dans l’Atlantique Nord et longtemps sous domination européenne (norvégienne puis danoise) n’a jamais été un nœud commercial majeur. La rudesse du climat, la pauvreté des sols et l’incertitude volcanique ont pendant de longs siècles rendus très difficile la vie de ses habitants et contraint tout développement économique. Les progrès techniques au XIXe siècle permettent une amélioration progressive des conditions de vie mais les productions nationales ne sont que de peu d’intérêt pour le commerce international. L’indépendance acquise en 1944 marque un premier tournant. L’île a été replacée au centre des cartes géostratégiques par la Seconde Guerre Mondiale, qui a vu l’établissement d’une base militaire anglaise, puis américaine. Cette situation va perdurer durant la Guerre Froide. En effet, l’Islande est au centre des routes stratégiques : la marine russe doit obligatoirement passer au large de ses côtes pour accéder à l’Atlantique Nord. Le pays nouvellement indépendant va profiter de cet intérêt pour entamer son processus de développement. Il est ainsi le seul pays d’Europe à bénéficier du plan Marshall alors même qu’il n’a pas été touché par la guerre. De même, l’aéroport international de Keflavik est construit grâce à l’aide américaine, une partie de ces installations accueillant pendant une cinquantaine d’années une des plus grandes bases opérationnelles de l’OTAN. Pourtant, au milieu des années 80, l’Islande est encore un des pays les plus pauvres d’Europe. C’est durant cette décennie, marquée par un changement de paradigme économique international, que le moteur du développement islandais va être mis en place. Si la pêche occupe toujours une place essentielle, la géothermie et l’hydroélectricité se développent. L’Islande va alors connaître une séquence de développement fulgurante qui, en moins d’une vingtaine d’années, lui a permis de se hisser dans les dix premières places du classement mondial du PIB par habitant, et à la première place du classement de l’Indicateur de Développement Humain en 2006. Nous allons voir dans ce chapitre quelle a été la stratégie de développement suivie par ce pays, puis nous tenterons d’identifier les faiblesses structurelles qui vont naître de cette métamorphose, et qui ont conduit à surexposer le pays à la crise des subprimes à partir de 2007, l’entraînant dans une crise dramatique. 13 Chapitre I. Le modèle de développement islandais au tournant des années 90 Section 1. Avant : Ruralité et matières premières L’économie islandaise avant les réformes des années 80 et 90 est une économie fortement rurale caractérisée par une inflation galopante, une dévaluation croissante de la monnaie et une attitude protectionniste en matière de commerce extérieur. L’Etat ne semble pas poursuivre de stratégie de développement particulière. Des tentatives sont cependant menées dans le secteur énergétique, avec un début d’industrialisation industrialisante. Le secteur de l’aluminium, développé grâce aux Investissements Directs Etrangers (IDE), permet des investissements dans les infrastructures hydroélectriques et géothermiques qui à leur tour, doivent permettre la création d’autres industries, par le biais d’un accès facilité à une source d’énergie bon marché et quasi-inépuisable. Pourtant, peu d’autres secteurs se développent et l’Islande s’apparente alors à une économie en voie de développement, dont les exportations sont constituées essentiellement de matières premières brutes ou faiblement raffinées et dont les importations importantes et variées traduisent non seulement l’isolement qui est celui de l’île, mais aussi la faiblesse de son tissu industriel. a) Poissons, agriculture et aluminium : une économie de matières premières La transition de l’Islande vers un système économique moderne s’est faite très tardivement par rapport à la plupart des pays européens. On peut voir sur le graphique ci-dessous 2 que la part du secteur primaire a continué à croître jusqu’au début des années 70. La part du secteur secondaire a elle aussi progressé jusqu’à la fin des années 80, avant de diminuer un peu, puis croître à nouveau à partir de la fin des années 90 avec l’ouverture de nouvelles fonderies d’aluminium. La part du tertiaire a elle augmenté régulièrement au cours de la période, mais ce n’est qu’à partir des années 2000 que la proportion que l’on trouve habituellement dans les pays développés à été atteinte : en 2005, 5,1% de la population active travaillait dans 2 Le saut que l’on remarque pour l’année 1998 est dû à un changement de méthodes statistiques. 14 le secteur primaire, 23,1% dans le secondaire et 71,8% dans le tertiaire 3 (Voir Figure 1 en Annexe). Une agriculture « vivrière » Les premiers colons arrivés de Norvège étaient majoritairement des fermiers à la recherche de nouvelles terres où ils pourraient vivre en toute indépendance. Cet attachement à la terre est resté intact jusqu’à nos jours, d’autant plus que l’exode rural islandais est un phénomène encore récent. Cet attachement est doublé d’une vision plus stratégique : l’Islande, perdue dans l’Atlantique Nord, a fait de l’indépendance alimentaire une valeur suprême. Son histoire est en effet jalonnée d’épisodes de famines tragiques, aussi bien à cause des conditions climatiques et environnementales que du dédain avec laquelle elle était parfois traitée par le Danemark, qui n’hésitait pas à lui couper les vivres ou à vendre fort cher son approvisionnement pour la maintenir sous sa coupe. La faible productivité des terres et le manque de diversité dans les cultures et les élevages possibles ont conduit à la mise en place d’une politique d’aide directe aux paysans et d’administration des prix. Le lait, les produits laitiers et l’élevage ovin font partie des secteurs phares. Le développement des techniques modernes et de la géothermie permettent aussi à l’Islande de pratiquer la culture sous serre. Elle est ainsi devenue autosuffisante pour certains fruits et légumes comme les tomates, les poivrons, les concombres, les pêches ou les… bananes ! Ces secteurs contemporains, beaucoup plus modernes, ont pu émerger grâce à la création de plusieurs départements spécialisés au sein de l’Université d’Islande qui étudient la culture hors-sol ou développent des techniques permettant de combiner géothermie et culture sous serre. Cela ne suffit toutefois pas à ralentir l’inexorable exode rural que connaît l’Islande depuis la 2e Guerre Mondiale. L’agriculture islandaise, dont la production est peu importante et souffre de coûts élevés, est essentiellement tournée vers le marché local. Seule la viande d’agneau et le secteur de l’élevage d’animaux à fourrure (vison notamment) parviennent à s’exporter, dans des proportions relativement modestes. La Pêche : le secteur exportateur traditionnel 3 On remarque toutefois que la part du secteur primaire est encore supérieure à la moyenne UE qui était de 4,4% en 2007 et de 4,1% pour la France. 15 La pêche bénéficie d’un statut privilégié dans la société islandaise. Pourtant, malgré le fait que les Vikings maitrisaient parfaitement les techniques de navigation, les premiers islandais n’étaient pas volontiers pécheurs. Les côtes particulièrement dangereuses de l’île n’encourageaient pas les colons, dont beaucoup étaient avant tout des fermiers. Surtout, le bois de construction est très vite venu à manquer sous l’action d’un défrichage intense 4. Les premiers islandais ont ainsi d’abord tiré avantage des ressources du littoral, et notamment des mammifères marins, dont ils ont exterminé certaines espèces. Parmi les prises les plus convoitées figuraient les baleines échouées, qui fournissaient quantités de viande et surtout d’huile pour s’éclairer durant les longs mois d’hiver. Mais le pillage inconsidéré des ressources terrestres 5 a très rapidement obligé les Islandais à s’aventurer plus loin et plus longtemps en mer. Depuis l’invention des bateaux à moteur et le perfectionnement des techniques de pêche, cette ressource s’est imposée comme la plus précieuse de l’île. Les Guerres de la Morue, seules véritables tensions internationales ayant impliqué l’Islande depuis son indépendance, sont révélatrices de cette situation. Elles ont opposé l’Islande aux pêcheurs européens et tout particulièrement britanniques qui venaient jeter leurs filets au large de l’île. L’Islande a revendiqué avec force la propriété des produits de ses eaux. A cette occasion les gardes-côtes, seule force militaire du pays, n’hésitaient pas à couper les chaluts des pêcheurs étrangers. Ces conflits ont d’ailleurs contribué à l’élaboration d’un droit maritime, débouchant en 1982 sur la Convention de Montego Bay, qui a introduit la notion de Zone Economique Exclusive. Première ressource à l’exportation pendant longtemps, les produits maritimes ont peu à peu été concurrencés par d’autres biens comme l’aluminium, mais aussi par l’explosion du secteur tertiaire largement tourné vers l’extérieur : tourisme et transport, mais aussi finance. Il n’y a pourtant pas eu abandon de cette activité, dont les volumes de production continuent tendanciellement à progresser (les variations saisonnières sont toutefois très fortes, à cause des fluctuations du total des prises et des cours mondiaux). Après la crise de 2008, la pêche est d’ailleurs redevenue le premier secteur d’exportation en valeur et a constitué une base solide qui a, entre autres, permis d’éviter le naufrage corps et biens de l’économie (Voir Figure 2 en Annexe). L’aluminium : un semblant de stratégie de développement 4 Les spécialistes estiment qu’il a fallu moins de cent années pour complètement déboiser l’île… Les troupeaux surdimensionnés pour les faibles capacités de l’île ont été réduits, certaines espèces, comme les chèvres ou les porcs, qui détruisaient trop les sols ont été parquées voire abandonnées. 5 16 La première fonderie d’aluminium a été inaugurée en 1969, à proximité de Reykjavík. D’intenses débats avaient eu lieu depuis le début des années 60 pour savoir sous quelle forme l’Islande allait exploiter ses gisements. Le choix a finalement été de faire appel à des IDE. C’est une société suisse, Alusuisse (qui a fusionné depuis avec Alcan, devenu Rio Tinto Alcan, actuel numéro un mondial du secteur), qui a donc lancé ce premier projet. Celui-ci avait été précédé par la création de Landsvirkjun, la société nationale d’énergie islandaise, chargée d’approvisionner les grands complexes industriels. Deux autres fonderies ont été créées depuis. La production annuelle s’élève aujourd’hui à 760 000 tonnes soit 3,5% de la production mondiale. L’industrie de l’aluminium suscite de nombreuses controverses. Ainsi la plus grande des trois usines du pays, Fjarðaál (Aluminium des Fjörðs), ouverte en 2008, a suscité d’énormes résistances de la part des islandais à cause de son implantation dans une zone écologiquement sensible. Les constructions hydroélectriques accompagnant ce complexe ont complètement bouleversé le paysage d’une immense vallée attenante au glacier Vatnajökull, le plus grand du pays, en noyant une bonne partie des 1000 Km² qu’occupe l’installation. La protestation a été d’autant plus forte que cette usine est la propriété de l’américain Alcoa : les bénéfices ne profitent donc pas à l’Islande, qui tire néanmoins avantage des revenus fiscaux et des emplois créés. L’examen de la part de l’aluminium dans la valeur totale des exportations de biens (Voir Figure 3 en Annexe) montre de grandes fluctuations sur l’ensemble de la période, avec une explosion à partir de 2005. Celle-ci s’explique de deux façons : tout d’abord par l’envolée mondiale du cours, qui a quasiment doublé entre mi-2005 et mi-2008, pour s’effondrer ensuite avec la crise financière de 2008. L’autre facteur explicatif est la mise en production de la 3e usine à partir de 2008, qui a augmenté les capacités productives de près de 40%. De même, la hausse de 1998 est directement imputable à l’ouverture de la 2e usine. On remarque par contraste que l’augmentation progressive des capacités productives de la première usine, qui est passé de 33 000 tonnes/an en 1969 à 180 000 tonnes/an par agrandissements successifs est complètement masquée par les fluctuations des cours. L’énergie : un secteur de pointe pour l’Islande L’Islande est le pays du monde dont la part d’énergies renouvelables est la plus forte dans le bilan énergétique total. En effet, 80% des besoins sont couverts par l’hydroélectricité 17 et la géothermie, qui assurent l’ensemble de la production d’électricité. Les 20% restants sont constitués uniquement du pétrole et des carburants importés pour les transports. Les premières centrales hydrauliques ont été construites après la 2e Guerre Mondiale, le premier chantier d’envergure étant dédié à l’alimentation en énergie de la première usine d’aluminium du pays. D’une manière générale, se sont les investissements industriels énergivores qui ont nourri le développement de l’industrie énergétique islandaise. L’énergie géothermique, dont les premières expérimentations en Islande eurent lieu au début du XXe siècle, s’est développée très progressivement. Elle est utilisée aussi bien pour la production d’électricité (à hauteur de 20%, l’hydraulique assurant le reste) que pour la production d’eau chaude, utilisée à la fois pour les besoins des foyers (douche, chauffage, eau courante) comme pour déneiger la voirie (via un système de canalisations enterrées) ou remplir les nombreuses piscines que compte le pays… Cette électricité produite à peu de frais induit d’ailleurs une utilisation massive : l’Islande se situe au premier rang mondial en ce qui concerne la consommation énergétique par habitant. La filière de l’aluminium absorbe à elle seule près de la moitié de la production. L’augmentation de la part de l’industrie en 2008 (Voir Figure 4 en Annexe) est ainsi directement imputable à la mise en route de la 3e fonderie du pays. b) Un Pacte Social fort Le modèle social islandais est analogue à celui des pays scandinaves, qui présente quelques caractéristiques fortes 6 : ▪ Faible législation du travail mais salaire minimum ▪ Protection élevée contre le chômage couplée avec une politique d'activation stricte ▪ Haut niveau de services publics, fort investissement dans l'éducation et la recherche ▪ Économie de marché ouverte ▪ Haut niveau de taxation fiscale Le système islandais diffère peu de ce modèle, même si le niveau des dépenses pu- bliques est inférieur à celui de tous les autres pays nordiques. L’activation des politique 6 Cf. Gurría (Angel), Seminar on “Embracing globalisation in the 21st century: a dialogue on the Nordic approach”, OCDE, Paris, 2008 18 d’emploi n’y est pas développée car le pays a toujours connu le plein emploi, du moins jusqu’à la crise de 2008. Le taux de chômage moyen de la période 1980-2007 a été de 2,4%, même si l’on peut identifier deux périodes : avant 1992, ce taux a toujours été inférieur à cette moyenne et depuis, il lui a été presque toujours supérieur, sans jamais dépasser les 5%. Cette période étant caractérisée par une forte hausse de la proportion d’actifs dans la population totale, ainsi que par une immigration de travail très importante, on peut en déduire qu’il s’agit là avant tout de chômage frictionnel. Ainsi, le taux était retombé à 2,3% en 2007. Le taux de population active, égal cette année-là à 83% de la population totale, est l’un des plus élevés de l’OCDE. La santé et l’éducation sont les deux postes de dépense principaux, aussi bien pour le gouvernement central que pour les collectivités locales. Avec les aides sociales, la dépense sociale représente 3/5e du budget total. La particularité de l'Islande tient surtout à la puissance des syndicats qui ont toujours su défendre les intérêts des salariés dans un contexte d'inflation forte. Ainsi, les revalorisations sont fréquentes et souvent importantes pour des salaires qui sont le plus souvent indexés sur l'inflation. Cette double impulsion explique la forte progression du salaire moyen depuis 1989 (Voir Figure 5 en Annexe). Cette puissance des syndicats représente néanmoins une contrainte forte pour la politique économique, car elle induit des tensions inflationnistes. c) Des dysfonctionnements croissants Le système économique islandais d’avant la transition des années 90 était caractérisé par une extrême volatilité. Les causes ne manquaient pas. Tout d’abord, sa taille réduite, et donc sa faible inertie, étaient synonymes d’adaptations rapides et brusques à la conjoncture. Or, malgré un protectionnisme parfois très fort dans certains secteurs (l’agriculture notamment), l’Islande était de facto une économie ouverte. Là encore son faible marché intérieur ne lui permettait pas de développer une économie « complète », diversifiée, autonome. L’instabilité était encore accentuée par le type de biens dont elle tirait ses ressources : essentiellement des matières premières, soumises à l’extrême volatilité de ce genre de marché. Le tout était enchâssé dans une structure économique fortement procyclique, qui accompagnait la tendance au lieu de l’amortir. 19 Petit à petit, les dysfonctionnements économiques et sociaux ont appelé à la réforme. Le taux d’inflation, le commerce international et le déficit et la dette publics sont des révélateurs profonds de l’inadéquation croissante de l’économie islandaise au contexte international et leur aggravation dans les années 80 a poussé les gouvernements successifs à la réforme, pour tenter de développer un système économique plus robuste. L’inflation : la soupape de l’économie islandaise L'inflation est un problème endémique 7. Même au cours de la période d’immédiat après-guerre, durant laquelle elle était considérée comme basse, son taux était supérieur à celui de tous les autres pays d'Europe (Voir Figure 6 en Annexe). Et, à partir des années 70, le niveau comme la volatilité de l’inflation se sont amplifiés, ce qui a conduit J.H. Haralz à parler « d'inflation latine » 8, référence aux pays d'Amérique du Sud. Cet auteur identifie plusieurs causes qui font de l'inflation un problème intrinsèque à l'économie du pays. Tout d'abord des exportations qui, dominées par les matières premières peu transformées, dépendent fortement du volume de la production et de l’évolution des termes de l’échange. Ceci concerne aussi bien la pêche que l’aluminium. A cela s'ajoute la dépendance à l'égard des importations de produits finis et de pétrole, dont le cours est lui aussi devenu très irrégulier à partir du choc de 1973. De plus, le modèle d'État-Providence très développé induit un taux de dépenses sociales élevées qui, si on le rapporte au chiffre de la population totale somme toute faible du pays, représente proportionnellement une charge par habitant plus lourde. L’indexation sur l’inflation est, dans ce contexte, devenu la norme en Islande. Non seulement les salaires, mais aussi les produits financiers ou les prêts, lorsqu’ils commenceront à se développer à partir de la fin des années 80, sont liés à l’évolution de l’inflation. L’effet procyclique d’une telle mesure est bien évidemment très fort. De même, si elle permet de réduire l’incertitude pour les deux parties au contrat, l’indexation peut avoir un effet pervers car, en leur permettant de mieux vivre ce problème, elle dissuade les différents acteurs économiques de s’attaquer à sa source. De ce fait l'inflation, très irrégulière de surcroît, a longtemps était considérée comme un mal nécessaire, une soupape permettant de maintenir le modèle de société en place. Mais au début des années 70, l'explosion du prix du pétrole ainsi qu'une forte augmentation des 7 8 Cf. Haralz, « Inflation experience in Iceland », Journal of Post Keynesian Economics, Vol. III Nº 3, 1981 Idem. 20 investissements, privés comme publics 9, ont induit une hausse durable et non maitrisée de l'inflation. Les politiques économiques et monétaires, soumises au Parlement pour des raisons historiques, ne permettaient qu’une maîtrise temporaire du phénomène : une fois les indicateurs revenus à la normale après une période de modération salariale ou de politique monétaire restrictive, ou bien grâce à une amélioration des termes de l’échange ou une augmentation quantitative de la production, les syndicats demandaient et obtenaient de nouvelles augmentations de salaires, déclenchant un nouveau cycle d'inflation. Des éléments totalement exogènes, comme une hausse du prix des importations, pouvaient également relancer le processus. L'économie islandaise est donc caractérisée par une grande instabilité, dont l'inflation est à la fois le reflet et la cause. Haralz prédisait au début des années 80 que la politique économique et monétaire ne s'intéresserait pas à ce problème, véritable variable d’ajustement, tant que d'autres indicateurs économiques ne pâtiraient pas de cette situation, les Islandais n'étant pas prêts à accepter une dégradation temporaire de leur mode de vie et du marché du travail, conséquences d'une lutte contre l'inflation. Cette vision s'est avérée exacte, puisque ce n'est qu'après plusieurs années de basse croissance accompagnées d’une augmentation critiques des déficits et de la dette que le gouvernement s'est attelé, au début des années 90, à une politique économique ambitieuse dont l'un des objectifs était la lutte contre l'inflation. Le creusement des déficits publics dans les années 80 La dette publique islandaise a longtemps été exemplaire, se maintenant jusqu’au début des années 80 sous la barre des 20% (Voir Figure 7 en Annexe). Cette situation s’explique par plusieurs phénomènes. Tout d’abord, un marché du travail favorable : la quasi-absence de chômeurs enlève un poids considérable sur le budget public. Ensuite, l’absence de dépenses pour la Défense Nationale : l’Islande n’a historiquement jamais entretenu d’armée 10. D’abord sous domination norvégienne puis danoise, ensuite sous la protection des USA et de l’OTAN pendant la guerre froide, elle n’a pas été concernée par la course aux armements typique de cette période, qui a grevé le budget de nombreuses nations, y compris certains pays en déve9 Une anecdote illustre bien la sensibilité aux chocs de l’économie islandaise. Un de ses investissements considérable a été causé par l’éruption de 1973 sur les Iles Vestmann, archipel du Sud de l'ile, régulièrement soumis à des éruptions volcaniques. L'une d'elle créée entre 1963 et 1967, une nouvelle île, Surtsey. Les iles sont un des attrait touristiques de l'ile, ainsi qu'un centre de pèche privilégié : 15% de la production du pays en provient, pour une ville qui compte seulement 5000 habitants. Celle-ci a été touchée en 1973 par une nouvelle éruption. Au prix d'une lutte démiurgique, l'éruption a pu être maitrisée, mais aussi bien cette opération que la reconstruction de l'ile ont coûté très cher à l’Etat et ont attiré des investissements énormes. 10 Le seul corps se rapprochant d’un corps d’armée est celui des garde-côtes, mais leur effectif et leur équipement est vraiment minime et ne peut pas être véritablement qualifié de militaire. 21 loppement. Enfin, la mise en place dès 1969 d’un système de retraite privée par capitalisation, rendu obligatoire en 1974, a soulagé d’un poids considérable le budget de la nation. La dépense publique ainsi allégée d’une partie non négligeable de ses dépenses les plus lourdes est plus facile à maîtriser. Pourtant les années 80 voient un creusement subit du déficit et de la dette. Partant d’un niveau relativement bas (22,28 %) au tout début des années 80, elle a augmenté de 10 points en 5 ans, principalement à cause de l’augmentation du taux de chômage. Le Pacte Social, d’autant plus généreux avec les demandeurs d’emplois que ceux-ci étaient auparavant peu nombreux, a alors engendré une explosion des dépenses, qui n’ont pu être contrôlées qu’à partir du début des années 90, avec des coupes dans les budgets. La dette a atteint 52 % en 1995, son plus haut niveau. Cette forte dégradation des déficits publics combinée à la volonté de lutter contre l’inflation ont sans doute été les éléments déclencheurs de la transition de l’Islande vers un modèle économique plus moderne. La nécessité d’adopter des politiques économiques semblables à ses partenaires commerciaux pour mieux s’intégrer dans les flux économiques mondiaux y a sans doute également contribué. Section 2. Après : émergence d’un secteur financier ultra performant Pour faire face à la situation préoccupante de l’économie à partir du milieu des années 80, le gouvernement de l’époque décide de prendre à bras le corps la composante qui avait toujours été utilisée auparavant comme une variable d’ajustement : l’inflation. Et, dans le contexte de dérégulation des années 80, le modèle économique qui va être privilégié va être celui d’une économie ouverte et financiarisée. En effet, de nombreux économistes ont, depuis l’essai de Schumpeter en 1911 11, montré les apports positifs des instruments financiers à la croissance économique. Ainsi Robert G. King et Ross Levine 12 ont établi que le développement d’un secteur financier robuste est un bon prédicateur du taux de croissance à long terme d’une économie, et donc de son développement. Des services financiers performants et libéralisés permettent une meilleure collecte de l’épargne, une meilleure évaluation des projets en11 Cf “Théorie de l’évolution économique”, 1911 King (Robert G.), Levine (Ross), “Finance and Growth: Schumpeter Might be Right”, The Quarterly Journal of Economics, Vol. 108, No. 3. (Aug., 1993), pp. 717-737 12 22 trepreneuriaux, une facilitation des transactions et une gestion optimale des risques économiques, permettant ainsi une allocation plus efficace du capital disponible en direction des activités les plus performantes. La finance ne se contente donc pas d'accompagner l'économie, elle permet, via des arbitrages inter-temporels, de maximiser la croissance à long terme et de la rapprocher du niveau d'efficience en encourageant les marchés et les innovations porteuses. Des politiques économiques qui tendent à réduire les coûts et améliorer l’efficacité de l'intermédiation financière ont alors une grande influence sur la croissance économique. C’est à partir de 1991 que l’Islande opère cette transition. La fonction publique est réformée, un vaste programme de privatisation est lancé et la finance est libéralisée. L’adhésion à l’Espace Economique Européen a fortement contribué à ce développement fulgurant, ouvrant de nouveaux marchés aux entreprises islandaises et procurant de nouvelles ressources pour ses institutions financières. Le tout a été stimulé par une explosion de la demande intérieure alimentée par l’augmentation des revenus. a) Redressement macroéconomique Réduire les déficits publics L’explosion du déficit et de la dette publique à la fin des années 80 a conduit le pays à réformer ses institutions. La libéralisation de l’économie, si elle a recouru très largement à la privatisation, n’a toutefois pas sapé les bases de l’Etat-Providence. La réforme s’est faite non pas dans le sens d’une diminution du périmètre de l’intervention publique, mais vers la recherche d’une diminution du coût de cette intervention. Ainsi une nouvelle procédure budgétaire, de nature semblable à la Loi Organique relative aux Lois de Finances (LOLF) mise en place en France à partir de 2005, a été adoptée dès 1992. Son but est d’améliorer l’efficacité de l’action publique. La dépense annuelle est plafonnée pour chaque ministère, qui en échange sont dotés d’une plus grande latitude managériale et opérationnelle pour mener leurs missions à bien. Une planification pluriannuelle sur quatre ans prévoit les dépenses et investissements de moyen terme. Les agents et opérateurs dépendants de chaque ministère sont eux aussi associés à cette culture du résultat et doivent présenter des plans pluriannuels (de 3 à 5 ans) pour justifier leur financement. Le recours à la sous-traitance a été accru, et quelques partenariats public-privé (PPP) ont également été signés. 23 Cette modernisation dans la voie d’une amélioration de l’efficacité n’est pas exempte d’échecs. Ainsi, la dévolution qui a eu lieu en direction des ministères et opérateurs a concerné également la politique salariale. Or, les organisations syndicales très puissantes du pays ont le plus souvent obtenu des revalorisations importantes et régulières des salaires en compensation du changement de nature de l’activité. De même, un rapport de la Cour des Comptes d’Islande rendu au début des années 2000 fait état d’un manque de rigueur dans la passation des marchés publics. Contrairement à ce dont nous avons l’habitude en France, le problème ne réside pas tant dans des problèmes de corruption mais plutôt dans la faible concurrence qui entoure ces marchés publics 13, ce qui ne permet pas de faire baisser les prix. L’assimilation progressive de la législation de l’Espace Economique Européen à cette époque a néanmoins contribué à faire évoluer cette situation. Cette décentralisation administrative a été couplée avec une décentralisation territoriale. Les municipalités ont été dotées de compétences nouvelles, comme la gestion de l’éducation primaire et secondaire jusqu’à l’âge de scolarisation obligatoire (1/3 des budgets locaux), ainsi que la gestion des politiques sociales, hors politique de l’emploi, (1/5e des budgets locaux) ou la maitrise d’ouvrage pour certains travaux d’infrastructure. Ces nouvelles compétences expliquent d’ailleurs la reprise à la hausse du niveau de dépenses publiques vers la fin des années 90. Cette décentralisation s’est accompagnée d’une rationalisation de l’organisation territoriale, sous la forme d’un regroupement des municipalités. Le pays en comptait 229 en 1950, pour 76 seulement lors des municipales de 2010. Ces différentes réformes ont contribué à une amélioration des comptes publics. La dette a entamé sa diminution à partir de 1995 et le budget est revenu à l’excédent en 1997. La situation s’est globalement améliorée sur la période 1995-2007, date à laquelle la dette publique était revenue à son niveau du début des années 80, soit un peu plus de 20%. De nombreux facteurs ont contribué à cette amélioration fulgurante. En effet, non seulement les réformes publiques ont porté leurs fruits, mais surtout les rentrées fiscales provenant tout 13 La petite taille du pays encourage les individus à s’appuyer sur leur réseau très dense de connaissances. Ce n’est donc pas la corruption qui gangrène ces marchés publics, mais plutôt un élan naturel consistant à faire travailler les gens que l’on connaît, sans forcément aller chercher les meilleurs prix. C’est une pratique culturelle très courante, dont la nature est différente de la commission occulte que nous pouvons connaître en France, mais qui n’est évidemment pas la plus efficiente d’un point de vue purement économique. 24 d’abord des privatisations 14 et ensuite de l’impôt sur les sociétés, qui a atteint des niveaux inédits durant la période de forte croissance financière de 2004 à 2007, ont largement facilité le retour à l’excédent budgétaire. Juguler l‘inflation L’année 1992 marque le passage d'une période de forte inflation non maitrisée à une inflation plus basse, mais qui reste instable et élevée si on la compare aux standards des autres pays développés. Sur la période avant 1992, l'inflation moyenne était de 33,8 %. Après 1992, ce chiffre est passé à 3,9 %. En 2001, le Banque Centrale d'Islande s'est fixé un objectif clair à 2,5 %. Mais ce taux reste difficile à atteindre et à maintenir, en raison de la surchauffe de l’économie durant la période 1997-2007, par exemple dans le secteur de l'immobilier 15. Ce passage progressif à une politique monétaire tournée vers l'inflation s'inscrit dans le cadre de la montée de l'idéologie monétariste depuis les années 70. L’Islande n’échappe pas à ce changement de paradigme. En effet, avec l'ouverture vers l'extérieur et la progression du niveau de vie, ses étudiants partent de plus en plus fréquemment à l'étranger pour effectuer une ou plusieurs années d’études. Beaucoup d'entre eux reviennent donc occuper des positions importantes dans leur pays en ayant suivi ces enseignements, qui vont alors être implantés en Islande. Les gouvernements de droite, qui règnent sans discontinuer sur la vie politique du pays depuis l’indépendance, sont enclins à adopter ce type de programme. L'inflation devient l'objectif numéro de la BCI en 2001. La longue cohabitation de l’économie islandaise avec l’inflation a créé une situation particulière, puisque 88% des prêts des particuliers et 80% des actions échangées sur la place de Reykjavík (avant la crise et la fermeture de celle-ci) étaient indexés. Les seules exceptions sont les emprunts libellés en devise et ceux de court terme (c'est-à-dire ceux le plus utilisés par le gouvernement). Cette indexation remonte aux années 70, durant lesquelles l'inflation forte et surtout imprévisible a incité le développement de cette pratique. La diminution du taux moyen d'inflation et sa meilleure maîtrise depuis les années 90 ne l’a toutefois pas fait disparaître. A la fois les emprunteurs et les prêteurs acceptent les désagréments qui en résul- 14 Entre 1991 et 2003, vingt-huit entreprises ont été partiellement ou totalement privatisées, rapportant plus de 700 millions au Trésor Public14. A titre de comparaison, la dette publique s’élevait à $2,5 Milliards en 2005. 15 La crise de 2008 a fini par avoir raison de cette source d’inflation-là, mais en a créé de nouvelles, notamment à cause de la forte dévaluation de la monnaie qui s'en est suivie. 25 tent (complexification du libellé des contrats notamment) pour bénéficier de la sécurité qu'elle procure, surtout dans le cas de contrats à long terme. Le problème qui se pose alors est celui de l’accoutumance née de l’indexation : en permettant aux agents économiques de cohabiter plus facilement avec elle, elle ne les encourage pas à s’attaquer directement à la racine de ce mal 16. b) Intégration dans l’économie-monde Espace Economique Européen : la fin du protectionnisme ? Le commerce extérieur est une donnée importante, voire vitale, pour l'économie islandaise, qui a de tous temps importé de nombreux biens et marchandises qu'elle ne pouvait produire elle-même. Mais cette ouverture a longtemps été ambivalente, et le reste encore parfois aujourd'hui. En effet, un protectionnisme plus ou moins aigu a toujours existé pour préserver la production locale dans les secteurs où elle est possible. C'est le cas notamment de l'agriculture. Dans ce secteur la protection repose aussi bien sur des mesures douanières, que des aides à la production, voire des prix administrés. C'est le cas du lait, dont le prix devait, dans le cadre des accords avec l'OMC, être dérégulé à partir de 2004. Mais cette mesure a été repoussée à une date indéterminée, face à la grande puissance des syndicats d'agriculteurs. De nombreux autres produits agricoles dont les prix étaient auparavant administrés ont par contre vu l'abandon d'une telle mesure au cours des années 90. Des contingents tarifaires maintiennent de fait ces protections sur beaucoup de produits, seule une quantité limitée d'importations entrant véritablement en concurrence avec les productions nationales 17. Le montant total des exportations et des importations représentait en 2006 83,1 % du PIB (contre 55,1 % pour la France). L'ouverture commerciale à connu une progression fulgurante à partir du milieu des années 90, avec l'élévation non moins fulgurante du niveau de vie. Sur la période 1980 à 2007, l'augmentation des exportations de services a été de près de 900 % (près de 1000 % pour les importations). De même l'exportation de biens a été multiplié près 16 Le spectre de l’inflation n’est pas prêt de faire disparaître l’indexation, le Ministre de l’Economie islandais Gylfi Magnússon ayant déclaré devant le Parlement qu’il faudrait au moins une décade de stabilité de la Króna et d’inflation basse avant que les agents économiques aient suffisamment confiance pour ne plus la pratiquer. 17 Cf. OCDE, « Les politiques agricoles des pays de l'OCDE : Suivi et Évaluations 2007 », 2007). 26 de quatre fois, l’importation plus de sept fois. Le commerce international de service a ainsi augmenté plus vite que celui des biens, mais reste inférieur en valeur absolue, dans une proportion de 1 pour 2 environ. Cette ouverture séculaire avait été formalisée en 1968 avec l'adoption du GATT, et renforcée en 1994 avec l'intégration dans l’Espace Économique Européen, premier partenaire commercial de l'Islande (75% des exportations et 70% des importations en 2007). Cette adhésion a permis aux entreprises islandaises de réaliser des investissements directs à l'étranger. En effet, l'étroit marché intérieur islandais ne permet pas de réaliser des économies d'échelles importantes. La seule solution pour rester compétitif face à la concurrence étrangère dans un contexte de diminution du protectionnisme est donc la conquête de marchés extérieurs. De nombreux groupes ont donc profité de ce rattachement à l'EEE pour s'implanter à l'étranger, principalement en Europe du Nord. Les banques et institutions financières ont quant à elle pu profiter du « passeport européen », qui permet à une institution qui reçoit un agrément dans l'un des pays de l'Espace de pouvoir s'implanter dans n'importe quel pays de la zone 18. Elles ont ainsi accompagné l'implantation des entreprises islandaises à l'étranger, créant des synergies qui expliquent à la fois les résultats exceptionnels en termes de croissance des années 2000, mais aussi l'effondrement complet du système en 2008. L’Islande, qui a traditionnellement toujours été un pays ouvert vers l'extérieur du fait même de son insularité a donc fortement accru cette ouverture au cours des années 90 tout en maintenant des protections élevées dans certains secteurs jugés importants. Ce positionnement, parfois à la limite du « passager clandestin », ne lui a pour le moment pas été reproché formellement, le marché intérieur n'étant pas considéré comme un enjeu suffisant pour les entreprises étrangères. Il constituerait toutefois une pierre d'achoppement majeure dans l'éventualité de négociations d'adhésion à l'Union Européenne 19. Le Tourisme : conséquence de cette intégration L'industrie du tourisme a bien évidemment largement profité de l'ouverture vers l'extérieur à partir des années 80 et surtout 90, avec une augmentation du nombre de touristes de 7% en moyenne entre 1990 et 2001. Le secteur représentait en 2006 seulement 4,7% des em18 Instaurée initialement par la directive 89/646/CE. Cf. http://europa.eu/legislation_summaries/internal_market/single_market_services/financial_services_banking/l242 36_fr.htm 19 Cf. le rapport d'analyse de la candidature d'adhésion de l'Islande rendu par la Commission Européenne http://ec.europa.eu/enlargement/press_corner/key-documents/opinion-iceland_2010_en.htm. 27 plois totaux, mais était responsable de 5,1% du PIB (contre 3% des emplois et du PIB en 1980), devenant ainsi, après la pêche et l'aluminium, le troisième secteur pourvoyeur en devises étrangères. Le tourisme a profité non seulement de l'augmentation du niveau de vie des islandais, qui ont alors commencé à se rendre à l'étranger, que de l'effort de promotion du pays qui a été mis en place dans les années 90. Ainsi, de nombreux complexes touristiques ont été créés 20. L'Islande étant devenue à partir des années 90 un pays au niveau de vie très élevé, seule une clientèle relativement aisée choisissait cette destination pour ses vacances, engendrant ainsi un revenu proportionnellement élevé pour l'Islande (la dépense moyenne s’élevant environ à 1400€ par visiteur, transport compris, en 2004). Le tourisme est donc devenu une source de revenus importants pour le pays, mais qui souffre elle aussi du même défaut que les autres, à savoir une grande fluctuation. En effet, le tourisme en Islande est surtout concentré durant les trois mois d'été, de mi-mai à mi-aout, l'hiver islandais attirant beaucoup moins de monde. Cette période très courte peut en outre être troublée par la météo capricieuse du pays (il peut neiger même l'été dans le Nord du pays), mais aussi par les éruptions volcaniques. Le gouvernement a d'ailleurs lancé une vaste campagne de publicité d'environ 3 millions d'euros pour essayer de sauver la saison 2010, dont le début a été gâché par l'éruption d'Eyjafjallajökull. c) Le règne de l’économie financiarisée La principale nouveauté de la période post 1990 est donc la part croissante de l’activité financière dans l’économie. Comme nous l’avons vu précédemment, la finance permet de doper la performance économique en rendant plus efficace l'allocation du capital disponible. Sa libéralisation contribue à renforcer cette capacité et permet de soutenir la croissance de long terme en finançant l'innovation. Ce processus a été relativement rapide en Islande, d'autant plus que ce secteur était très peu développé avant les années 90. Il a fallu seulement treize années pour passer d'une économie semi-développée à dominante rurale à une économie hautement performante et financiarisée, l'Islande se classant parmi les cinq premiers pays du monde en termes de PIB par habitants et d'IDH. 20 Le plus connu étant sans doute le Bláa Lónið (complexe de balnéothérapie situé à côté de l'aéroport international de Keflavik) ainsi que de nombreuses guesthouses (formule entre la chambre d'hôte et l'auberge de jeunesse). 28 Cette finance a non seulement permis l’essor à l'étranger des firmes islandaises, mais a converti les foyers en véritables consommateurs de masse, bien souvent à crédit, dans les domaines de l'immobilier mais aussi des biens de consommation courante. Les 3 D en Islande Le secteur financier a pris au fil des années une importance considérable dans l’économie islandaise. Directement responsable de 4% du PIB au milieu des années 70, son apport en 2005 était de 7,5%, largement devant la pêche (5%), l’électricité (4%) ou l’aluminium (1%) 21. Comme le dit Peter Tulip, « la finance islandaise est passée d’un modèle hautement régulé à un modèle dans lequel les autorités ont un rôle de supervision plutôt que de gestion ». De nombreuses lois ont contribué à cette transition, comme le montre le tableau ci-dessous. Les majeurs deux sont événements sans conteste l’adhésion à l’EEE en 1994 qui, en harmonisant le système islandais avec celui de l’Europe, a permis une plus grande transparence du système pour les investisseurs étrangers et donc a facilité l’investissement et le développement de relations commerciales et financières, et la privatisation progressive des banques entre 1998 et 2003, nourrissant l’essor du nouveau modèle. En effet les banquiers islandais, jeunes, bien formés et ayant pour nombre d'entre eux une expérience à l’international 22, ont rapidement contribué à moderniser le système et à le réorienter vers l’international, seul horizon de croissance possible étant donné la petite taille du pays. Cette privatisation était en ligne directe avec la culture économique mondiale qui prévalait à cette époque. Les années 80 ont vu la plupart des pays développés abandonner, suite à des échecs répétés, les préceptes interventionnistes qui dominaient depuis la 2e Guerre Mon- 21 Chiffres tirés de Tulip (Peter), « Financial markets in Iceland ». Il est très courant pour les étudiants islandais de passer une ou plusieurs années de leur cursus à l’étranger. Très peu d’étudiants choisissent néanmoins d’y rester et la plupart reviennent, contribuant à moderniser le pays. 22 29 diale. Ils ont adopté des systèmes économiques plus libéraux fondés entre autres sur la dérégulation des sphères bancaires et financiers, leur décloisonnement et leur désintermédiation. De nombreux économistes se sont attachés à montrer qu'il existe une corrélation entre la propriété privée des banques et le développement de ce secteur ainsi qu'avec une croissance économique plus forte. Dans le cas islandais, on peut véritablement penser qu'il y a eu une stratégie consciente de développement par la finance. L’impact de l’intervention de l’État dans la privatisation des banques semble fort, et la rapidité avec laquelle la privatisation a suivi la libéralisation et avec laquelle les banques islandaises se sont développées à l’étranger suggère une forte volonté politique. Le développement du secteur financier a joué un rôle important dans le financement de l’économie. Ainsi, en 1998, lors de la construction de la 2e fonderie d’aluminium, seule la banque islandaise FBA (incorporée plus tard dans Glitnir) avait participé, modestement, à l’opération. A contrario, le financement de la 3e fonderie au milieu des années 2000 a été quasi-exclusivement financé par des banques nationales. Leur rentabilité financière a rapidement explosé, passant de 23% en 2003 à 42% en 2005. L’Etat a largement profité de cette situation grâce à l’augmentation substantielle du volume de l’impôt sur les sociétés qui en a résulté. Les salaires dans le secteur ont eux aussi fortement augmenté, de 16% en moyenne annuelle sur la période 1999-2004, contre 7% pour l’ensemble de l’économie, contribuant également à nourrir l’inflation. La consommation à crédit : l’effet de levier pour tous Le crédit bancaire était très peu accessible pour les particuliers jusqu'aux années 90. Rationné pour les individus comme pour les entreprises, son attribution n’avait lieu que dans le cadre d’initiatives de politique économique du gouvernement. Son obtention relevait alors plus de la faveur accordée par le banquier d’état que d’une procédure normalisée. L’année 1979, date à laquelle le taux d'intérêt a été libéralisé, marque le début du relâchement du marché du crédit. A tel point qu'en 2004, le taux d’endettement des ménages islandais était un des plus forts des pays de l’OCDE, à 180% du revenu disponible 23. Ce taux 23 Seulement devancé par les Pays Bas ou le Danemark (avec 250% du revenu disponible. 30 a continué à croître dans les années qui ont suivi, notamment par le biais du refinancement des prêts qui a été autorisé à partir de 2004. La consommation à crédit a nourri principalement deux marchés : celui de l'immobilier et celui des biens de consommation, des véhicules individuels en particulier. Un marché immobilier surréaliste. Le marché de l'immobilier en Islande a non seulement profité de la libéralisation des prêts, mais également de la création en 1999 du Housing Financing Fund (HFF), le Fond de Financement de l'Immobilier, qui a regroupé l'activité de fonds préexistants. Cet organisme public indépendant a un mandat pour accorder des crédits immobiliers « aux particuliers, municipalités, entreprises et organisations, pour financer l'achat, la rénovation ou la construction de logements ». La création du HFF avait pour but principal de faciliter l'accès à la propriété des habitants de l'agglomération de Reykjavik en particulier, qui devaient faire face depuis quelques années à une explosion du prix de l'immobilier (+60% pour la seule période de 2004 à 2006). L'institution a été réformée dès 2004, pour l'adapter à un marché de l'immobilier chauffé à blanc. Les conditions d'accès aux prêts ont été relâchées : l'apport personnel requis est passé de 35% du prix total à 10%, des prêts sans apport étant même possibles sous certaines conditions strictes. Les taux d'intérêts très avantageux du HFF ont fait diminuer le taux moyen des prêts à l’immobilier de 5,5% dans les années 90 à 4,15% au début des années 2000. Le HFF, en proposant des prêts simplifiés à des taux bas 24, a stimulé la compétition sur le marché des prêts à l'immobilier, et certaines banques privées se sont mises à proposer des prêts à des taux inférieurs à ceux du HFF. Cela a permis à de nombreux ménages d'accéder au marché de l'immobilier. Cela a aussi créé une de fièvre du crédit, dans un pays qui ne connaissait pratiquement pas cette pratique quinze années auparavant. En effet, certains ménages ont contracté de nouveaux prêts pour rembourser leurs anciens prêts, dont les termes étaient beaucoup moins avantageux. La pratique du refinancement, légalisée en 2004, a également connu un succès immédiat. 24 Pour l'Islande en tout cas, ces taux restant toutefois le double de ceux pratiqués en Europe Continentale. 31 Le boom ainsi généré a engendré une forte inflation 25. Mais ce n’est pas le seul problème généré par l'existence du HFF. Ainsi, ses conditions d’exercice privilégiées (garantie de ses dettes par le gouvernement, exemption de la taxe sur les bénéfices ou absence d'exigence quant à la rentabilité de l'organisation) sont perçues par les banques privées comme des avantages déloyaux. D'autre part, l'existence même de cette facilité d'accès au crédit semble avoir, à moyen terme, un effet pervers sur l'accession au logement : les prêts bons marchés créent un choc de demande, poussant les prix à la hausse, annihilant ainsi les effets positifs escomptés, d’autant plus que la plupart d’entre eux sont indexés sur l’inflation. D'un point de vue macroéconomique, une réforme du HFF permettrait de calmer l'économie islandaise et de limiter sa surchauffe. Il serait en effet préférable d'agir via le marché de l'immobilier plutôt qu'à travers une action sur le taux de change. En effet, le bas niveau historique des taux d'intérêts et l'explosion des prix montrent que le secteur possède une marge de manœuvre relativement large. Au contraire, une politique monétaire restrictive ferait grimper le taux de change, plombant d'autant une balance commerciale en piteux état. Cette réforme du HFF, appelée de leurs vœux par nombre de rapports d'institutions internationales n'a cependant pas eu lieu avant la crise. La crainte du gouvernement était que les banques ne profitent du contexte de forte demande des prêts pour augmenter leurs marges, excluant ainsi une partie des ménages du marché. De même, l'effet de péréquation du HFF n'aurait pas pu être maintenu : celui-ci dispose de branches partout dans le pays, alors que la plupart des banques se concentrent sur le Grand Reykjavik, où la population est suffisamment dense pour que l'activité soit rentable. Les 4x4, symboles de la réussite à l’islandaise. La chute générale des taux d'intérêts a également facilité le développement du crédit à la consommation. Une partie significative des achats s'est alors portée sur les véhicules individuels, notamment les 4x4. Si certains éléments objectifs plaident pour l'achat de tels véhicules dans un pays où les transports en commun sont peu développés et dont seulement une moitié des voies est constituée de routes bitumées, les voitures sont également clairement devenues un marqueur social. 25 Inflation que la BCI n'a pas su contenir malgré sa prévisibilité, ce qui montre à nouveau son manque d’efficience. 32 L'Islande possède ainsi le taux de véhicules tout-terrain par habitant le plus élevé au monde. Ces achats quasi-compulsifs de véhicules neufs, tous importés puisque le pays ne dispose pas d'industrie automobile, va avoir des conséquences importantes sur l'endettement des ménages lors de l'éclatement de la bulle « Islande ». 33 Chapitre II. Contradictions et faiblesses Le changement radical qu’a connu l’économie islandaise en à peine plus de dix ans n’est pas exempt de fragilités, de faiblesses et d’effets pervers, dont on peut dégager deux tendances. Les faiblesses économiques d’une part, inadéquations entre l’ambition de la nouvelle stratégie mise en place et certains fondamentaux et faiblesses intrinsèques de l’économie du pays. Des faiblesses plus « sociologiques » d’autre part, qui s’expliquent autant par certaines caractéristiques culturelles (un faible attrait pour la chose publique par exemple) que par l’état d’esprit très particulier qui s’est emparé du pays à partir de la fin des années 90. Cette fièvre, comparable à celle des chercheurs d’or du XIXe siècle, a aveugle grands nombres d’individus, qui ont alors adopté des comportements imprudents. Une petite minorité d’entre eux a également eu un comportement délictueux, voire mafieux, symbole de l’exaltation générale qui s’était emparée du pays au cours des années 2000 et qui s’est soldée par un violent retour à la réalité au cours de l’année 2008. Section 1. Les failles de la nouvelle stratégie économique a) Faiblesses intrinsèques de l’économie islandaise Le boom économique des années 90 a engendré un choc de demande important pour l’économie islandaise qui, malgré un recours croissant aux importations, s’est traduit très rapidement par une reprise de l’inflation au début des années 2000. De même, le marché du travail très tendu malgré l’arrivée « massive » d’immigrés 26 en provenance des pays de l’Europe de l’Est et d’Asie du Sud Ouest a poussé les salaires à la hausse, confortant le cycle de l’inflation. La monnaie en question La Króna (Couronne islandaise) est une monnaie fondamentalement faible car assise sur un très petit nombre d’agents économiques. L’internationalisation croissante de l’économie islandaise pose alors problème et la question de la sécurité des taux de change devient primordiale (Voir Figure 8 en Annexe). Les agents économiques confrontés à ce pro- 26 La proportion d’immigrés dans la population totale est alors passée d’un peu plus de 2% à plus de 6% en quelques années. 34 blème comptaient ainsi, avant la crise, parmi les personnes favorables à l’adhésion à l’Union Européenne, vécue uniquement comme un moyen de pouvoir adopter l’euro 27. Cette incertitude est en soi une question fondamentale pour un pays de petite taille comme l’Islande qui, faiblement industrialisé et isolé dans l’Atlantique Nord, dépend énormément du commerce international pour se procurer aussi bien certains produits alimentaires que des biens d’équipement. L’acuité de la question monétaire s’est trouvée encore accentuée par un phénomène qui a pris une grande ampleur au cours de l’année 2007. En effet, les banques ont commencé à proposer massivement à leurs clients islandais des prêts libellés en devises étrangères (notamment en francs suisses ou en yen, mais aussi en euros, livres ou dollars). La volonté des banques était de profiter au maximum de l’effet de levier que leur procurait la Króna, qui connaissait à l’époque un taux de change très favorable. Elles ont ainsi non seulement poussé leurs clients à s’engager dans des prêts libellés en devise mais ont également proposé à nombre d’entre eux de transformer leurs prêts existants libellés en Króna en prêts en devises étrangères. L’Islande s’est alors très rapidement retrouvée avec une position en devises très ouverte. Une balance commerciale largement déficitaire De nombreuses études 28 montrent que l'ouverture économique, qui permet de diversifier les marchés et les sources d'approvisionnement, financières comme marchandes, contribue à limiter la volatilité de l’économie nationale. Les sources de diversification sont en outre suffisamment nombreuses pour que la volatilité internationale ne puisse théoriquement pas être importée. L'ouverture permet ainsi de contrer les cycles économiques et d'améliorer la stabilité et la croissance de l'économie intérieure. Ces conclusions ne sont toutefois valables que pour des pays déjà suffisamment développés et dont l’inertie des structures est suffisamment pesante pour absorber les chocs. Il semblerait, au regard de la situation présente, que l’Islande, dont l’inertie économique est faible, ne puisse pas bénéficier de cet effet bénéfique. Depuis 1975 et pendant une vingtaine d'années, l'Islande a connu une balance de son commerce extérieur plutôt favorable, grâce surtout à l’exportation de produits de la mer. Mais 27 S’il eut été possible d’adopter l’euro sans entrer formellement dans l’Union Européenne, les Islandais l’aurait sans doute fait depuis longtemps. 28 Cf. entre autres Calderón (César), Loyaza (Norman) et Schmidt-Hebbel (Klaus), “Does openness imply greater exposure”, World Bank Policy Research Working Paper 3733, October 2005. 35 la situation s'est largement dégradée à partir de 1997. La balance n'a depuis été positive qu'une seule fois, en 2002. Cette situation est autant due au différentiel entre les flux financiers qu’à l’importation massive de biens de consommation qui a suivi l’enrichissement rapide du pays. Le déficit a même atteint un record de quasiment -18% en 2006. Une analyse des données de l'OCDE nous montre qu'à la fois la balance du commerce de biens et celle des services sont corrélées positivement avec la balance globale du commerce extérieur. Toutefois la corrélation des biens est plus forte (0,99) que celle des services (0,92). L'examen des courbes révèle que si la balance des services est à peu près équilibrée sur l'ensemble de la période, celle des biens fluctue fortement. On voit aussi que la balance des services, qui contribuait auparavant au rééquilibrage du total, s'est fortement dégradée depuis 2004. Les deux secteurs se renforçant alors mutuellement (corrélation procyclique), cela a abouti à une forte dégradation de la balance du commerce extérieur de l'Islande. b) Les contradictions du passeport européen Le passeport européen, s'il constitue une simplification formidable pour les banques qui veulent exercer leur activité sur toute la zone de l'EEE, n’est toutefois pas exempt de failles. Du point de vue de la régulation tout d'abord, la supervision reste à la charge des institutions du pays d'origine de la banque. Cette supervision à distance peut alors être complexifiée par des problèmes de coordination entre pays, notamment dans les cas où les instances du pays d'accueil veulent, comme la législation le leur permet, pousser plus avant la supervision d'un établissement étranger installé sur leur sol. Un autre point faible de la législation est sa relative imprécision quant aux fonds de garantie. Bien qu’il y ait un minimum imposé pour toute la zone, à savoir 20 000€, il n’y a pas de véritable harmonisation des systèmes, puisque chaque pays peut déterminer lui-même la somme minimale applicable sur son territoire 29. Ce seuil dépend ensuite du statut de l'établissement : simple branche, la seule obligation qui s'impose à lieu est celle du pays d'origine. Filiale, le seuil du pays d'accueil s'applique à lui. Enfin, la formulation de la directive est peu claire quant à la responsabilité souveraine en cas de faillite : 29 En Islande, le seuil est fixé à 20 000, contre 100 000€ pour les Pays-Bas ou 50 000£ pour le Royaume-Uni avant la crise, 100 000£ aujourd'hui. 36 « La présente directive ne peut avoir pour effet d’engager la responsabilité des États membres ou de leurs autorités compétentes à l’égard des déposants, dès lors qu’ils ont veillé à l’instauration ou à la reconnaissance officielle d’un ou de plusieurs systèmes garantissant les déposants ou les établissements de crédit eux-mêmes et assurant l’indemnisation ou la protection des déposants ». L’État d'origine est donc dégagé des responsabilités à partir du moment où il a assuré la création d'un fond de garantie. Le Depositors' & Investors' Guarantee Fund (DIGF), créé en 1999, assume ce rôle pour l'Islande. Le libellé quelque peu imprécis de la directive va faire l'objet de grands débats à partir d'octobre 2008 avec le développement de l’affaire Icesave, lorsque les créanciers des banques islandaises voudront récupérer leur dû. c) Une régulation désarmée L’extrême concentration du secteur, les particularités de la société islandaise, dans laquelle les réseaux ont une importance primordiale, et l’absence de concurrents étrangers qui auraient pu vivifier la concurrence 30, la régulation du secteur financier islandais se devait d’être forte et irréprochable. Or, l’emprise du gouvernement 31 sur les instances de supervision et de régulation était telle (Cf. Annexe 1) que celles-ci ne pouvaient pas fonctionner de façon optimale. De même, la multiplicité des niveaux de compétences et l’absence de coordination entre les différentes agences multipartites, les différentes instances de régulation et les différents ministères impliqués ont sérieusement nuit à la mise en œuvre de toute action efficace et notamment à l’élaboration de procédures de secours anticipées, qui auraient pu s’avérer très utiles lors du Krach d’octobre 2008. La Banque Centrale d’Islande : une faible indépendance par rapport au pouvoir La Banque Centrale Islandaise (Seðlabanki Íslands) a été officiellement fondée en 1961 32. Elle émane de la Landsbanki, la Banque Nationale, qui possédait depuis 1927 le mo- 30 Cf. Bayraktar (Nihal) & Yan (Wang), “Banking Sector Openness and Economic Growth”, World Bank Policy Research Working Paper 4019, Octobre 2006 Ce n’était pas un problème de législation, l’arrivée d’une grande institution bancaire internationale ayant été à plusieurs reprises souhaitée par le gouvernement. La faible taille du marché intérieur a, encore une fois, découragé une telle implantation. 31 Pour les raisons qui poussèrent le gouvernement à alléger la régulation du secteur financier, voir : Les comportements complaisants, délictueux et mafieux des hommes politiques et des banquiers 32 Source : http://www.sedlabanki.is/?PageID=192 37 nopole de l'émission de monnaie, mais ne conduisait en revanche aucune politique monétaire. La BCI est propriété du gouvernement et était administrée jusqu’en 2008 par trois Gouverneurs désignés pour un mandat de sept ans par le Premier Ministre. Un comité comprenant sept membres élus par le Parlement jouait un rôle de supervision et de conseil 33. Elle a en charge les rôles traditionnels d'une Banque Centrale : émission de monnaie, gestion des réserves en devises étrangères, banquier du gouvernement, prêt à court terme auprès du Trésor Public, mais aussi gestion des taux d'intérêts directeurs et de la masse monétaire via le prêt de liquidité à court terme et l'obligation de dépôt de garantie. Elle supervise également les institutions financières du pays, en administrant les taux d'intérêt notamment. Bien que formellement indépendante à sa création, elle était de fait tenue par la loi de soutenir l’action du gouvernement. La politique monétaire du pays a alors longtemps été subordonnée aux politiques économiques. L’inflation, soupape de sécurité du système économique, n’était pas l’objectif premier de l’action de la BCI, qui avait pour mission principale de défendre la parité du taux de change fixe de la Króna. La politique de libéralisation des mouvements de capitaux, d'ouverture de l'économie et d'amélioration de la compétitivité ainsi que la relative stabilité du taux de change au cours des années 90 ont quelque peu modifié la donne, la BCI s’engageant timidement dans une politique de désinflation. La réforme de la Banque Centrale qui a eu lieu en 2001 a accru l'indépendance de celle-ci. La modification de ses objectifs, passant d'une politique de change fixe à une politique de lutte contre l'inflation, avec un objectif de 2,5% 34 a consacré cette évolution. Après une période de succès relatif, la surchauffe de l'économie a, à partir de 2005, fait bondir l'inflation en dehors du corridor assigné à la BCI. Il y a plusieurs causes à ce phénomène : la privatisation des banques en 2003, les énormes investissements dans le secteur de l'aluminium, le changement de législation concernant le marché de l'immobilier et l'appréciation de la couronne figurent parmi les plus importantes. Une grande partie d’entre elles sont imputables à la politique économique du gouvernement, qui a directement contribué à nourrir la surchauffe du secteur privé. Néanmoins, la BCI a elle aussi poursuivi une stratégie parfois 33 34 Ce système a été maintenu jusqu’à la crise de 2008. Avec une marge de manœuvre de plus ou moins 1,5% en raison de l'environnement économique islandais. 38 peu lisible, baissant à plusieurs reprises ses taux directeurs alors même que les objectifs de désinflation n'étaient que partiellement atteints. De nombreux commentateurs ont vu dans ces incohérences l'influence voire la pression du gouvernement pour qui une baisse des taux directeurs signifiait avant tout une amélioration du secteur bancaire et notamment une baisse des taux d'intérêts sur les crédits à l'immobilier. L'indépendance réelle de la BCI est en effet régulièrement questionnée 35. L'arrivée de Davið Oddsson à la tête du Conseil des Gouverneurs, après avoir occupé pendant 14 ans le siège de Premier Ministre, montre clairement la domination du politique sur l'économique au sein de l'institution. Suite à la mini-crise de 2006, la politique monétaire a été resserrée, mais à contrecœur, nombre de décisions étant alors prise à contretemps. Cela n'a toujours pas suffit à contenir une économie en pleine surchauffe. Une des pistes avancée 36 pour expliquer l'efficience quelque peu réduite de la politique monétaire semble être l'interférence causée par le HFF dans le marché du crédit à l'immobilier. En effet, le taux d'intérêt moyen des prêts du HFF en 2004 était de 5,1% pour un taux de refinancement de 5,2% à la BCI. En 2007, le taux du HFF était toujours de 5,1%, alors même que celui de la BCI était de 13,3%. Les banques privées s'alignant sur les taux du HFF, on peut considérer que le canal des prêts à l'immobilier, un des principaux canaux de transmission de moyen et long terme de la politique monétaire d'une Banque Centrale, était largement inopérant. Enfin, l'absence de coordination entre politiques fiscale, économiques et monétaire a entamé l'efficacité et la lisibilité de cette dernière. En effet, au moment-même où la BCI commençait à resserrer ses taux de change, le gouvernement relâchait la pression fiscale en diminuant le niveau des prélèvements obligatoires. De même, nombre de projets d'investissement de l’État, liés à l'industrie minière notamment, ont également participé à la relance de l'inflation. Le FME : une institution sous-dimensionnée L’Autorité de Surveillance Financière (Fjármálaeftirlitið ou FME), a été fondée en 1999. Elle supervise les banques et caisses d'épargnes, les compagnies et les courtiers en assurance, les fonds mutuels et les fonds de pension. 35 36 Voir notamment Economic Survey 2008 de l’OCDE à la page 44. Cf. Central Bank of Iceland (Economics Department), Iceland – current policy issues, 11 Janvier 2010 39 On peut trouver trois failles dans cette institution d'une importance capitale pour un pays hautement financiarisé comme l’Islande. Tout d'abord, sa subordination à l'égard du gouvernement, qui ne lui permet pas de faire respecter strictement la législation et les bonnes pratiques de ce secteur. L'illustration la plus flagrante a été donnée lors de la privatisation des banques, au cours de laquelle le FME a essaye sans succès de s'opposer à la concentration du secteur (voir plus haut). La deuxième faille tient à son effectif, trop faible pour pouvoir suivre l'évolution de l'activité des banques avec suffisamment de rigueur. En effet, en 2008, 65 personnes travaillaient au FME, ce qui paraît largement insuffisant pour superviser, en plus des autres acteurs du secteur, les trois banques du pays, présentes dans plus d'une dizaine de pays, et dont la capitalisation représentait 11 fois le PIB islandais quelques semaines avant la crise. Enfin, une dernière faille correspond aux moyens d’actions-même du FME. La croissance des banques et la complexification de leur activité a contribué à augmenter de façon drastique le volume des données à traiter pour pouvoir maintenir une supervision satisfaisante. Or, le FME n’en avait pas les capacités humaines, comme nous venons de le voir, mais n’en avait pas non plus les capacités techniques en matière de traitement de l’information. Ses infrastructures informatiques étaient elles-aussi sous-dimensionnées et saturées, et son personnel technique insuffisant pour faire face au flot de chiffres. Le FME s’est donc bien souvent contenté d’utiliser les données fournies par les banques sans construire par lui-même ses propres indicateurs. Une garantie souveraine de facto De nombreux rapports 37 s'interrogent quant à la garantie souveraine accordée aux banques et à certaines institutions financières comme le HFF. Explicite et décriée dans le cas du HFF, elle reste implicite dans le cas des banques par exemple, malgré la mise en place du DIGF. Cette ambigüité est d’ailleurs une des pierres angulaires du système puisque les agences de notation y font explicitement référence pour justifier leurs bonnes notations. Toute déclaration du gouvernement visant à clarifier cette situation apparaît donc comme hasardeuse. En effet, si le gouvernement déclare publiquement ne pas garantir les banques, les notes de celles-ci risqueraient d’en pâtir immédiatement et la crise de confiance alors déclenchée pourrait se révéler périlleuse pour l’ensemble de l’économie. Au contraire, une confir- 37 Cf. par exemple les « Country Reports » de l’OCDE. 40 mation de cette garantie réduirait l’aléa moral et pourrait les pousser à prendre des risques que le pays, étant donné sa faible taille, ne peut se permettre de prendre. La sagesse, doublée de l’opinion de nombreux experts, aurait voulu que le gouvernement clarifie sa position dans le sens d’une absence de garantie souveraine. Une telle déclaration aurait sans doute mis à mal le système financier islandais et aurait fortement ralenti son expansion. Mais, au vu des événements de 2008, elle aurait sans doute permis d’éviter la situation très périlleuse dans laquelle se trouve le pays aujourd’hui. De nombreux facteurs, dont l’un des plus importants me semble être la dangereuse proximité sociale qui existait entre les décideurs politiques et les financiers, expliquent que ce choix n’ait pas été fait. Section 2. Aspects sociologiques Au-delà des faiblesses purement économiques, certains éléments d'ordre sociologique ont pu agir comme des anesthésiants ou des euphorisants, selon la perspective que l'on adopte, transformant l’Islande en un « Draumalandið », un Pays des Rêves où tout est possible. a) L’apathie politique La vie politique islandaise peut sembler atypique vue d'Europe 38. Il a ainsi fallu attendre 2009 et une crise économique majeure pour qu'un gouvernement de gauche à part entière accède au pouvoir. Les gouvernements successifs depuis 1944 avaient en effet été dominés par la droite, soit qu'ils étaient formés exclusivement de partis de droite ou que ceux-ci étaient majoritaires au sein d'un gouvernement d’alliance nationale. Il est à remarquer également qu'un parti a rarement eu l'occasion d'obtenir seul la majorité et de former un gouvernement 39. L'Islande est donc habituée à être dirigée par des coalitions plus ou moins hétérogènes. De même, le Premier Ministre, chef de l'exécutif, a un pouvoir relativement limité, surtout dans le cas de gouvernements de coalition. Ainsi, il n'est pas rare que les Ministres aient des avis divergents, et prennent des décisions indépendamment de leur gouvernement, dans le cadre des missions qui leurs sont propres. 38 39 Pour cette partie, se référer à Mer (Jacques), Portrait de l'Islande, chapitre 3. Cela est dû au vote à un tour à la proportionnelle, qui amplifie l’instabilité politique. 41 Un autre élément essentiel est le faible renouvellement de la classe politique et son aspect dynastique. L'élection du Président de la République, dont la fonction est essentiellement représentative 40, en est l’exemple type. En effet, seuls quatre Présidents se sont succédés depuis l'indépendance, ce qui représente une durée moyenne par mandat de plus de 16 ans (sachant qu'un mandat dure quatre ans). Il est en effet rare qu'un Président élu qui ne désire pas se représenter soit concurrencé, et il n’est jamais arrivé que le Président sortant soit battu. Il y a d'autre part un phénomène dynastique très fort, la plupart des hommes et femmes politiques actuels ayant eu des parents investis dans ce métier. Enfin, dans ce domaine encore, la force du réseau est très prégnante, et la constitution d'un gouvernement peut se faire aussi bien par affinité que par appartenance politique. Cette vie politique chaotique et quelque peu hermétique dissuade les électeurs qui, désabusés et sceptiques, ne s'intéressent généralement pas outre mesure aux élections. De même, l'absence d'idéologies fortes ne crée pas de véritable débat, les scrutins étant généralement peu disputés 41. La classe politique, ainsi livrée à elle-même, a pu se déconnecter progressivement des réalités, notamment économiques, et s’est laissée influencer par les banquiers et les hommes d’affaires 42, qui ont pu alors façonner le système économique à leurs souhaits. b) L’aveuglement face à la richesse La classe politique a pu d'autant pu se laisser charmer facilement par les discours des financiers qu'il n'existait aucun véritable contre-pouvoir, aucune voix discordante suffisamment forte pour s'y opposer. Non seulement l'apathie politique a anesthésié la population, mais le miracle économique (ou le mirage comme disent certains aujourd'hui) ne l’a pas poussé à s'interroger sur la soutenabilité d'une telle augmentation du niveau de vie. Certaines personnes, notamment des intellectuels ou des universitaires, ont tenté de mettre en garde contre les dérives du nouveau modèle économique mis en place. Mais ceux-ci n'étaient pas relayés par des médias islandais également séduits par l'ascension irrésistible de 40 Tout dépend de la personne qui détient la fonction, puisqu'il partage aussi le pouvoir législatif avec le Gouvernement, qu'il peut donc censurer. Les prédécesseurs du Président actuel ont toujours préféré la stabilité et l’union nationale, et n’ont donc jamais fait usage de leurs prérogatives législatives (droit de véto et renvoi à un référendum national pour des textes de loi qu’ils pourraient juger contestables). 41 Pour les municipales de 2010, la campagne électorale n’a véritablement duré que deux à trois semaines. 42 Voir là encore l'exemple frappant de la privatisation des banques. 42 leur pays 43. Seule la presse internationale a repris leurs inquiétudes au moment de la minicrise de 2006, mais la campagne de communication lancée par les banques pour redorer leur blason est rapidement parvenue à éteindre l'incendie. La société islandaise a véritablement connu un aveuglement de masse face à la soudaine prospérité de leur île. Les détracteurs, moqués, n'étaient pas écoutés, voire décriés comme des personnes ne sachant pas « profiter de la vie ». L'avènement d'une société de consommation de masse, avec ses codes, ses plaisirs et ses facilités, semblait presque être une récompense juste aux yeux des islandais après de longs siècles de domination, de labeur et de souffrances. Une attitude parfois très arrogante s'est alors propagée dans le pays, qui a suivi et admiré l'image des « Outvasion Vikings » 44, sponsors de la mode islandaise, chouchous des magazines et adeptes de la nouvelle cuisine, dégustant sans complexe des mets parsemés de feuilles d'or. c) La grande proximité entre milieux économiques et politiques Un dernier élément, qui s'est avéré par la suite être une circonstance aggravante de la crise, est la grande proximité qui existait au début des années 2000 entre les banquiers et les hommes politiques. Ainsi, les « Vikings » de la finance étaient-ils, au fil des années, devenus des familiers de Bessastaðir, la demeure officielle du Président de la République, Ólafúr Ragnar Grímsson. Ils accompagnaient régulièrement le Président lors de ses déplacements officiels, pour les présenter aux grands de ce monde, et favoriser ainsi le développement de liens profitables aux banques islandaises. Cette pratique a été fortement décriée par certains journaux et universitaires, qui ont été, sur ce point-ci, écoutés. La pratique, si elle s'est faite plus discrète, n'a toutefois pas été abandonnée. M. Grímsson a part ailleurs écrit plusieurs « lettres de recommandation » à des personnes hauts placées (parmi lesquelles Bill Clinton, Al Gore, Jiang Zhemin mais aussi des Ministres Indiens ou des Émirs du Golfe) destinées à promouvoir les « Vikings » islandais. 43 On peut également s'interroger sur l'indépendance des médias quant on voit que David Oddsson, Maire de Reykjavik, puis Premier Ministre pendant 14 ans et ensuite Gouverneur en Chef de la BCI, à peine mis à pied par le gouvernement de gauche en février 2009, a aussitôt été embauché comme éditorialiste au Morgunblaðið, un des deux quotidiens de référence du pays. 44 Les « Vikings de la Finance », parallèle avec les Vikings qui, après avoir conquis ce pays rude un millénaire plus tôt, partaient maintenant à la conquête du monde, armés de leurs taux d'intérêts et de leurs CDS. 43 Ce cas emblématique est loin d'être isolé, et a pu prendre à l’occasion des formes plus répréhensibles. Cette proximité qui existe dans de nombreux pays du monde a bien évidemment été accentuée par la petite taille du centre-ville de Reykjavik et par la densité des réseaux relationnels et leur grande concentration, ce qui favorise les relations interpersonnelles directes 45. Un dernier facteur d’explication peut être le manque de volonté des gouvernements successifs de resserrer les contraintes sur les banques tient à la véritable rente que constituait pour le budget public l’impôt sur le revenu. Son montant a été multiplié par 4 entre 2000 et 2007, l’impôt sur le revenu faisant plus que doubler sur la même période. Les banques constituaient donc une véritable « vache à lait » pour le gouvernement, qui a alors pu réduire drastiquement le niveau de sa dette. On peut alors comprendre que les hommes politiques n’aient pas voulu se priver d’une source de revenu aussi commode, quitte à devoir s’aveugler sur le caractère soutenable d’une telle situation. 45 Un calcul grossier permet de poser la comparaison : il y a un parlementaire pour 5000 habitants en Islande, contre un pour 60 000 en France, en incluant députés et sénateurs. 44 Deuxième Partie. La crise en Islande La crise islandaise ne s'est pas faite en un jour. Elle est au contraire le fruit de la combinaison de plusieurs failles du système, d'une conjoncture mondiale défavorable, mais également de nombreuses déviances ou dérives délictueuses. Nous allons dans cette première sous-partie présenter le déroulement des événements qui ont conduit au Krach d'octobre 2008. Chapitre III. Chronologie des événements Section 1. Prémices Le boom à partir de 2003 L’accession à l’EEE et la libéralisation des marchés financiers et des mouvements de capitaux dans les années 90 sont sans conteste des événements qui ont permis à l’Islande de se retrouver à affronter une grave crise financière quelques années plus tard, mais elles n'en constituent pas la cause première. La privatisation des banques au début des années 2000 est un autre moment fort, durant lequel une première erreur lourde de conséquences a été commise. Le gouvernement de l'époque a autorisé un groupe d’investisseurs privé nommé Samson à détenir 45% du capital de Landsbanki, lui donnant de facto un très grand pouvoir. Le projet originel, qui était défendu par le FME, envisageait au contraire de fragmenter ce capital entre plusieurs fonds institutionnels, ainsi que d’offrir la possibilité aux ménages d’acquérir des parts. Le FME a, malgré lui, donné son feu vert à cet accord au début de l'année 2003. Ce précédent a fait tâche d’huile sur toutes les opérations bancaires suivantes. Le FME, qui souhaitait également associer des banques étrangères à certaines de ces privatisations, n'a pas réussi à trouver ces partenaires étrangers, en partie à cause de la faible lisibilité de l’environnement financier islandais qui, avec ses indexations, le rôle du HFF, la faible taille du marché, sa volatilité et le faible poids de la Króna, n’engage pas à prendre des risques. Il semble malgré tout qu’une banque ait été intéressée, mais le rapprochement n’a pas pu se faire, pour des raisons relevant du protectionnisme 46. 46 Cf. Rapport Jännäri. 45 Ainsi, lorsque Kaupþing et Glitnir ont été à leur tour créées par des procédés de fusion/acquisition d’établissements publics préexistants, le FME n’a pas été en mesure de limiter la concentration de la propriété de ces entités entre les mains d’un faible nombre d’acquéreur à cause du précédent crée par la privatisation de Landsbanki. Il semble que la plupart des nouveaux propriétaires n’aient pas été des banquiers au sens traditionnel du terme mais plutôt des investisseurs rompus aux techniques financières les plus récentes et qui ont adopté une stratégie agressive aboutissant à un développement rapide. Cet état d’esprit a coïncidé avec un contexte financier mondial particulièrement favorable. Après l’effondrement de la bulle immobilière internet, beaucoup de liquidités étaient alors disponibles sur les marchés, et les investisseurs étaient prêts à prendre des risques en échange de très haut taux d’intérêt. D’un point de vue interne, des politiques fiscales, monétaires et budgétaires accommodantes contribuaient également au développement de l'activité et à la surchauffe de l’économie. De nombreux investissements de très grande envergure dans les domaines de l’extraction d’aluminium et des énergies (géothermique et hydroélectrique) ainsi que le système d’indexation des salaires contribuaient à faire exploser la demande interne, nourrissant au passage l’inflation, qui échappait de nouveau à l’emprises de la Banque Centrale. Au même moment, le HFF relâchait ses conditions d’accès au crédit immobilier et hypothécaire. Les prix de l’immobilier grimpant en flèche, l’effet de richesse qui en a découlé a explosé. Une proportion non-négligeable des nouveaux prêts contractés par les entreprises étaient libellés en devises, de même qu’une part, sans cesse croissante, de ceux des ménages. Même si la majorité des prêts sur le sol islandais restaient toutefois libellés en Krona, cela a pu contribuer à affaiblir l’impact de la politique monétaire de la Banque Centrale. La croissance de ces banques à l’étranger a été plus agressive encore. Les avoirs des banques, qui représentaient 100% du PIB en 2000, représentaient 8 fois celui-ci en 2006, 11 fois ce nombre en Septembre 2008. Cette expansion à l’étranger s’est faite aussi bien par création de filiales ou succursales que par acquisition d’établissements existants. Le Royaume- 46 Uni, les Pays-Bas, les Pays Nordiques, l‘Allemagne et le Luxembourg ont été les principaux pays dans lesquels les banques islandaises se sont implantées. Leurs activités comprenaient pour partie l’accompagnement des entreprises islandaises qui s’établissaient dans ces pays, soit par création d’activité soit par fusion/acquisition. Elles se sont également impliquées dans des montages financiers liés à la construction et à l’immobilier. Il semble d’ailleurs que, dans certains cas, les compagnies islandaises n’étaient que de simples prête-noms pour les banques. Fin 2007, plus de 70% du bilan des trois grands groupes bancaires étaient libellés en devises, aussi bien parce que plus de la moitié de leur activité avait lieu à l’étranger que parce qu’une proportion non-négligeable de leurs transactions en Islande étaient opérées en devises. Cette explosion a attiré une attention croissante sur les entités islandaises. Ainsi, la bienveillance avec laquelle les agences de notation tout d'abord examiné celles-ci a disparu petit à petit. La mini-crise de 2006 Le début de l'année 2006 a vu se produire simultanément une augmentation des primes sur les obligations islandaises (CDS notamment) et une chute du taux de change de la Króna, qui a perdu ¼ de sa valeur au cours du seul premier semestre. En effet, les spécialistes financiers internationaux commencèrent à s'inquiéter de la rapidité avec laquelle les institutions financières islandaises s’étaient développées. Les besoins de financement énormes du secteur bancaire, l’opacité de la structure de propriété et le soupçon de l’existence de nombreuses participations croisées secrètes entre les principaux groupes d’investissement ont présidé à cette défiance. De même, la Bourse de Reykjavík a connu une chute de sa capitalisation totale. De nombreuses agences de notation et institutions financières, parmi lesquelles Fitch, Merrill Lynch et Danske Bank, mais également des universitaires, notamment en Islande, ont à cette occasion et pour la première fois dans la courte histoire de la finance islandaise émis des réserves quant à la soutenabilité globale du secteur. Les autorités islandaises ont réagi à cette situation en activant le Groupe Consultatif47 et en empruntant un Milliard d’Euros sur les marchés mondiaux pour augmenter les réserves 47 Groupe regroupant plusieurs ministères et institutions de régulation (Voir Annexe II), créé en 2003 pour constituer une force de réaction rapide en cas de difficultés concernant l’activité financière. 47 de la BCI, qui ont ainsi doublé. Les travaux du Groupe Consultatif, qui préconisaient notamment une définition plus claire des rôles et responsabilités des différentes structures administratives entourant l’activité financière (fonds de garantie, instances de régulation…) et la nécessité de renforcer la législation pour permettre au FME d’intervenir plus fermement auprès des banques, n’ont cependant jamais été soumis au Parlement. Ce n’est qu’à l’été 2008 que ces travaux ont été remis à l’ordre du jour. Ils ont servi de base à la loi d’urgence d’octobre 2008. Les banques, en diversifiant leurs sources de liquidités (emprunt sur les marchés américains, australiens et japonais notamment) et en ouvrant des filiales de dépôt dans plusieurs pays, ont réussi à sécuriser leurs approvisionnements en liquidité. Elles ont de plus mis en place des campagnes de communication et de marketing rassurantes, qui ont rapidement calmé les inquiétudes des places financières. La crise était passée, presqu'aussi rapidement qu'elle était survenue, les autorités comme les acteurs économiques se félicitant de la rapidité et de la qualité de la réaction face à cette situation potentiellement dangereuse 48. Section 2. Point de non-retour 2007 : le système à son apogée Les banques ont ainsi repris leur expansion folle durant l’année 2007. Le gouvernement était toutefois en alerte suite à la séquence de 2006 et a commencé à plaider pour une réduction de la taille des banques, devenues beaucoup trop grosses pour l’économie islandaise. Elles ont ainsi demandé et obtenu l’annulation du projet de rachat par Kaupþing de la banque néerlandaise NIBC, opération qui aurait doublé la taille de Kaupþing ! La restructuration de la finance islandaise n’a jamais eu lieu : fin 2007, la situation du marché mondial, dont le retournement avait commencé, ne permettait plus de pouvoir revendre une partie des activités à un prix satisfaisant, d’autant plus que la communauté financière internationale avait de plus en plus de doutes quant à la solidité réelle de son appendice islandais. Cela aurait en outre supposé de rompre plusieurs engagements passés avec des partenaires, notamment anglais, ce qui aurait mis en péril l'approvisionnement en liquidités. 48 Certains estiment aujourd'hui qu'il aurait été moins dommageable pour l'économie islandaise que cette crise, plutôt que celle de 2008, aille jusqu'à son terme... 48 La volonté du gouvernement islandais était de toute façon plus que timide, qui se contentait à vouloir seulement limiter un peu les risques. Toute remise en question était impossible, et les rares universitaires et hommes politiques qui tentaient de donner l'alarme n'étaient pas entendus. Les banquiers, véritables héros nationaux, étaient encensés par les médias. Les banques islandaises ont trouvé de nouvelles sources de liquidité auprès des déposants en Europe, grâce notamment à la création de « banques en ligne ». La première filiale de Landsbanki, dénommée Icesave, a ainsi été inaugurée à Londres en octobre 2006. Sa petite sœur néerlandaise a ouvert en mai 2008. Kaupþing a pour sa part introduit ses comptes Edge en Finlande et en Suède fin 2007 et dans plusieurs autres pays dont le Royaume Uni en janvier 2008. Ces comptes en ligne ont connu un grand succès. En septembre 2008, les comptes Icesave UK totalisaient 4,8 Milliards de livres 49, ceux d’Icesave NL 1,7 Milliards d’euros. Les comptes Edge dans les différents pays représentaient en tout 1,2 Milliards d’euros. Grâce à un marketing agressif et des taux d’intérêt défiant toute concurrence, ces nouveaux-venus sont devenus très populaires auprès du grand public, mais également très critiqués par leurs concurrents, qui dénonçaient des pratiques, et notamment des taux d’intérêts, largement déconnectés des prix du marché. Ce qui a alors attiré l’attention des régulateurs nationaux. Icesave UK notamment a fait l’objet de discussions plus poussées entre Landsbanki et le Financial Services Authority (FSA), le régulateur britannique. Le début de la fin : Printemps et été 2008 De nombreuses discussions ont également eu lieu entre les autorités islandaises et les Pays Nordiques. Le FME et la BCI, en alerte, ont eux-aussi organisé des réunions en compagnie de membres du gouvernement, sans qu’aucune action concrète n'en émerge, que ce soit du côté des régulateurs comme de celui du gouvernement. De nombreuses autres institutions et administrations étrangères ont également commencé à formuler leur préoccupation à propos de la situation islandaise. LA BCE notamment s’est inquiétée du volume des prêts contractés par les banques islandaises auprès de la Banque Centrale du Luxembourg et de la médiocre qualité des collatéraux offerts en échange. En Islande même, les banques émettaient entre elles des certificats qui étaient ensuite utilisés comme collatéraux aux emprunts contractés auprès de la BCI. Plus généralement, les banques islandaises n’ayant plus que faiblement ac- 49 Alors même que durant la dernière année de leur existence les retraits ont dépassé les dépôts. 49 cès aux prêts à moyen et long terme, la pratique des prêts à court terme en contrepartie de collatéraux s’est développée, augmentant d’autant la fragilité du système, et ce d’autant plus que la qualité de ces collatéraux n’a cessé de se dégrader au fur et à mesure de la dépréciation de la Króna comme de celle de leur valeur boursière, dont elles étaient elles-mêmes les principales détentrices 50. Une réunion des Premiers Ministres anglais et islandais s'est tenue en avril 2008. Dans le même temps, des discussions avaient lieu régulièrement entre la CBI et de nombreuses autres Banques Centrales de la zone euro pour tenter de parvenir à des accords de SWAP de devises pour augmenter les réserves islandaises. Le FMI a également mandaté une mission en avril 2008, laquelle a jugé périlleuse la situation des banques islandaises en ce qui concernait les liquidités, mais pleinement satisfaisante à de nombreux autres égards… La situation était ainsi jugée grave par les principaux protagonistes, mais pas encore désespérée. Au final pourtant, peu de mesures ont été prises durant cette période. Soit parce que le risque était jugé trop grand, mais aussi parce qu’un sentiment général de désintérêt entourait la question des banques islandaises 51. Ainsi seules les Banques Centrales Danoises, Norvégiennes et Ssuédoises ont bien voulu conclure des accords de SWAP avec la BCI. Ces lignes de crédit ont rassuré le gouvernement, qui a décidé en Juin d’augmenter encore les réserves de la BCI. Mais les taux de long terme pratiqués pour l’Islande restaient prohibitifs et la BCI s’est alors tournée vers des financements de court terme, dont le montant était insuffisant en comparaison des besoins. On peut ainsi considérer qu’en septembre 2008, à l’aube du coup de grâce, seuls les alliés traditionnels de l’Islande, à savoir les Pays Nordiques, jugeaient le système financier encore solvable. Les seules perspectives de sortie de crise résidaient dans la continuité des lignes de crédits existantes par les banques étrangères avec lesquelles les banques islandaises étaient déjà en affaire et le maintien à leur niveau des dépôts dans les filiales et succursales étrangères. Mais la banqueroute de Lehmann Brothers le 15 septembre 2008 a mis fin à ces espoirs, non pas à cause de l’exposition directe des banques islandaises avec la banque améri- 50 A tel point que la BCI a assoupli à l’été 2008 les conditions pour les actifs admissibles comme collatéraux, dans une dernière tentative pour desserrer le cordeau autour des liquidités islandaises. 51 A cette époque, la situation des banques américaines ou anglaises étaient jugées autrement plus sérieuse. Il est d’ailleurs vrai que les pertes occasionnées par les banques islandaises aux banques d’autres pays se sont avérées limitées : la crise a essentiellement concerné le pays lui-même. 50 caine, mais de par l’impact de la chute du géant américain sur la finance mondiale et le gel du marché interbancaire qui a suivi. Section 3. La crise d’Octobre 2008 52 Dès le 26 Septembre, Glitnir ne peut plus faire face à ses échéances et se tourne vers le gouvernement pour obtenir un prêt de $ 600 Millions de la BCI. Mais la situation n'est pas jugée soutenable par le gouvernement. Non seulement ces 600 Millions ne pourraient être que les premiers d'une longue série de prêts à accorder aux trois banques islandaises en prises à de sérieuses difficultés de liquidité, mais ils représentent en plus une très grande part des réserves en devises de la BCI. Le gouvernement décide donc, le 29 Septembre, de prendre le contrôle de Glitnir à hauteur de 75% en échange d'une recapitalisation de $600 Millions, ce qui représente une chute de plus de 75% de la valeur boursière de la banque. Landsbanki est durement touchée par cette nationalisation de facto car elle possède un grand nombre d'actions de Glitnir en collatéral de prêts qu’elle a consentit aux propriétairesmêmes de Glitnir. De plus, ses comptes Icesave sont soumis, depuis l’annonce des difficultés de Glitnir, à de sévères retraits de dépôts (près de 500 Mn£ en une semaine). Ces retraits ont conduit le FSA anglais à exiger à Landsbanki le dépôt de £200 Mn auprès de la Bank of England pour reconstituer les réserves de liquidité de sa filiale. Dans le même temps la BCE a demandé aux banques islandaises de réduire leurs expositions auprès des différentes banques du réseau européen de banques centrales. Kaupþing rencontre elle aussi des difficultés avec sa filiale anglaise dénommée Kaupþing, Singer & Friedlander (KSF). Sa demande de prêt reçoit par contre une réponse positive, le collatéral qu’elle fournit (des actions de sa filiale danoise FIH) étant jugé plus solide que celui présenté par Landsbanki. Durant le weekend du 4 et 5 octobre, différents plans sont présentés conjointement ou séparément par les dirigeants des trois banques au gouvernement, sans qu’aucun ne soit jugé réaliste. A contrario, le lundi 6, une loi d’urgence autorisant le FME à intervenir dans les opérations des banques et si besoin à prendre leur contrôle a été votée. Dès le mardi 7 et à la de- 52 Pour une chronologie détaillée, voir Annexe III. 51 mande des Conseils d’Administration des deux banques, le FME a pris le contrôle total de Glitnir et Landsbanki. Le mercredi 8, les autorités britanniques, inquiètes par la tournure que prend la situation de la filiale Icesave sur son territoire, décide de geler les avoirs de Landsbanki en utilisant l’Anti-Terrorism, Crime & Security Act de 2001, qui fait alors figurer l’Islande sur une liste où elle côtoie entre autres l’organisation Al Qaida 53. Le même jour, considérant que KSF ne respecte pas la loi de régulation sur les liquidités, le FSA lui interdit d’accepter de nouveaux dépôts et la place sous tutelle. Kaupþing est à son tour étranglée, et placée sous contrôle du FME islandais le 9 octobre. Devant cette dégradation sans précédent de la crédibilité financière internationale d’un pays, l’Islande se devait de regagner au plus vite une partie de la confiance des agents économiques. La seule échappatoire jugée crédible va être la mise en place d’un programme conjoint avec le FMI pour stabiliser l’économie. Des négociations sont alors ouvertes très rapidement. Un accord de principe est rapidement trouvé, mais sa finalisation est retardée par la question de la garantie Icesave. Il faudra finalement une médiation de la France qui, dans le cadre de la Présidence tournante de l'UE, permettra aux trois protagonistes de parvenir à un accord connu sous le nom de « Brussels Guidelines ». L'affaire Icesave n'en est pas résolue pour autant et continue encore à ce jour à empoisonner les relations entre ces pays, comme nous le verrons en détail plus bas. 53 Cette décision va laisser des traces dans la mémoire des Islandais, qui ne vont pas digérer facilement l’affront qui leur est fait, amenant un durcissement proche de la crispation dans l’affaire Icesave. Voir plus bas. 52 Chapitre IV. Pourquoi la crise était inévitable Section 1. Une crise inéluctable L'analyse a posteriori de toute la période couvrant l’année 2000 à l’année 2008 permet de dégager trois grands axes qui ont contribué à déclancher la crise sans précédents qu'a connue l'Islande à l'automne 2008 : la crise mondiale, la disproportion du système financier par rapport à l'économie islandaise et les délits et arrangements qui ont entaché son développement. Ces trois éléments ont été aussi déterminants l'un que les autres, mais les deux derniers permettent d'expliquer pourquoi l'Islande a connu une situation particulièrement grave alors même que d'autres pays d'Europe, eux-aussi sévèrement touchés, souvent moins développés, s'en sont sortis relativement mieux. a) Une crise mondiale Une des premières causes de la crise islandaise est bien évidemment la crise mondiale, qui a vu l'effondrement, la nationalisation ou la fragilisation de la plupart des institutions financières des pays développés. Cette crise a également touché quelques pays en développement, mais dans une moindre mesure et de façon plus indirecte 54. Le principal impact de la crise des subprimes sur le système financier islandais a bien évidemment été la raréfaction des liquidités disponibles. Cette raréfaction a été progressive, sur plusieurs années, ce qui a incité les banques islandaises à ouvrir des filiales ou succursales dans plusieurs pays d'Europe plutôt que de remettre en cause leur modèle de développement et de fonctionnement. Elle n'en a pas été moins implacable, car lorsque la paralysie du secteur interbancaire s’est aggravée, les banques islandaises ont été pris à un double-piège : absence de liquidités sur ce même marché interbancaire d'un côté (ou alors moyennant des taux d'intérêts non soutenables pour l'Islande) et retraits massifs des dépôts de l'autre, par des particuliers inquiets des mauvaises nouvelles émanant des institutions financières islandaises. Cette perte de confiance s'est également traduite par une chute libre du taux de change de la Króna à partir de la fin 2007. Elle perdait ainsi près d'un tiers de sa valeur sur le seul 54 Les pays en développement ont plus souffert des conséquences de la crise, notamment en termes de récession économique et de diminution des budgets dans les pays développés (et donc bien souvent du montant d'aide au développement, qu'elle provienne des Etats ou des ONG) que de la crise elle-même. C'est là une des originalités de la crise des subprimes par rapport aux crises de ces 20 dernières années, qui touchaient surtout des Pays en Développement. 53 premier trimestre 2008, et terminait sa course à la moitié de sa parité par rapport à l'euro en Octobre 2008, lorsque la BCI a suspendu la cotation sur la place de Reykjavik. Cette seule dévalorisation de la Króna a fait passer la capitalisation totale des trois banques islandaises de 9 fois à 11 fois l'équivalent du PIB, à cause du volume très important de transactions libellées en devises. La crise mondiale, si elle a bien contribué au déclenchement de la crise islandaise, n'en est toutefois pas la cause principale. Elle n'a en quelque sorte agit que comme un révélateur des dysfonctionnements profonds du système islandais tel qu'il s'était constitué au fil des ans. b) Des banques disproportionnées Comme nous l’avons évoqué à plusieurs reprises, la disproportion entre la taille des institutions financières et celle de l’économie islandaise a été un des facteurs majeurs du krach brutal et profond tel qu’il s’est déroulé en Islande. Cette disproportion peut s’appréhender sous trois angles : une disproportion par rapport à l’économie, une disproportion par rapport aux capitaux disponibles, ce qui a aboutit à l’élaboration de montages et de manipulations comptables, et une disproportion par rapport aux compétences disponibles, conduisant à un fonctionnement largement consanguin, dans lequel les principaux banquiers et actionnaires des banques étaient impliqués dans plusieurs, voire dans toutes les grandes banques et entreprises. Une capitalisation représentant 9 fois le PIB annuel Un des principaux éléments qui a rendu la crise financière incontrôlable est la taille démesurée du secteur. Avec un taux de croissance de près de 50% tous les neufs mois, la capitalisation totale est rapidement passée de 100% du PIB en 2003 à 1100% en Septembre 2008, dont près des 2/3 en devises étrangères. A titre de comparaison, les réserves en devises de la BCI s’élevaient en Septembre 2008 à 35% du PIB seulement, dont 12% via des accords de SWAP avec plusieurs pays Nordiques et 2% par le biais de diverses lignes de crédits 55. La CBI a fait tout ce qu’elle a pu pour augmenter ces réserves avant la crise, mais ses demandes ont toutes été refusées par les diverses Banques Centrales auxquelles elle s’est adressée. Cependant, elle a également refusé 55 Cf. Guðmundsson (Már), The financial crisis in Iceland and the fault lines in cross-border banking, Central Bank of Iceland, Speech at FIBE, Bergen, 7 January 2010. 54 toute aide ou expertise proposée par ces mêmes BC, comme le montre le rapport du SIC qui rapporte le témoignage de Melvyn King, gouverneur de la Bank of England. Ainsi, le rythme de croissance démesuré du secteur a-t’il été trop soutenu pour que les régulateurs puissent suivre. Ceux-ci ont même préféré laisser faire les banquiers, avec qui ils entretenaient par ailleurs de bonnes relations, plutôt que de jouer leur rôle et d’imposer des limites à cette folle course en avant, comme ils en avaient la possibilité. Une capitalisation factice (weak equity) Mais ce qui s’est avéré impossible pour les régulateurs, à savoir contrôler l’activité financière, ne l’était pas moins pour les banques elles-mêmes. C’est une des principales conclusions du rapport remis par le Special Investigation Committee, commission indépendante composée de trois experts, chargée par le Gouvernement d’étudier en détail les mécanismes qui ont présidé à la chute du pays 56. Ce rapport montre que, si les banques présentaient tous les ans des chiffres rassurants quand à leur solvabilité et au respect des règles prudentielles, ceux-ci étaient fondamentalement minés par le capital propre qu’elles détenaient elles-mêmes, ou qui était détenu par une des deux autres banques. Ainsi, ce capital factice (weak equity), qui représentait environ 25% du capital propre 57 pour les trois banques confondues, ne constituait pas réellement une ré- serve permettant d’absorber les chocs, ce qui est pourtant son rôle fondamental. De plus, le risque systémique découlant des participations croisées entre les institutions ne pouvait que conduire à l’effondrement généralisé tel qu’il a effectivement eu lieu en octobre 2008. En effet, le rapport du SIC évalue à 70% du montant des fonds propres des trois banques la proportion que représentait à la fois le capital factice et les participations croisées en 2008. Les achats croisés entre banques étant le plus souvent financés par des prêts de l’une ou l’autre des composantes du système, on s’aperçoit que tout ce secteur fonctionnait en vase clos au sein-même du pays, contribuant à rendre encore plus opaque un milieu qui l’était déjà suffisamment pour des investisseurs étrangers. 56 Le résultat de cette enquête qui a durée plus d’un an, et dont la publication a été repoussée à plusieurs reprises, tient dans un total de 9 volumes (en islandais), regroupant près de 2800 pages. Le choc qui a accompagné sa sortie a été tellement grand que de nombreuses entreprises ont accordé un ou deux jours de congés à leurs employés pour qu’ils puissent en prendre connaissance. Une troupe de théâtre s’est également relayée 24H sur 24 dans un théâtre public d’accès libre pour le lire dans son intégralité. Enfin, plusieurs nouveaux tirages ont dû être effectués, ce « livre » devenant un des plus vendus de l’histoire du pays. Quatre chapitres ont été traduits en anglais, ils sont disponibles à cette adresse : http://sic.althingi.is/. 57 Ce ratio monte à 50% si on n’examine que les fonds détenus par les actionnaires, hors dettes et emprunts. 55 Dès lors, ces derniers étaient rares, et ceux qui se sont aventurés en Islande ne l’ont fait qu’avec un maximum de précautions. En fait, ces transactions ont souvent été organisées par les banquiers islandais eux-mêmes qui, pour redorer leurs blasons, concluaient des accords avec des prête-noms. Ainsi, la très médiatique prise de participation dans Kaupþing d’un Emir du Qatar en septembre 2008 a-t’elle été organisée par la filiale luxembourgeoise de la banque, qui a accordé elle-même un prêt à l’Emir, qui a revendu quelques jours après ses parts acquises à un des actionnaires principaux de la banque. Cette opération, montée grâce à l’appui indirect du Président Grímsson 58, est révélatrice des manipulations pratiquées par les banquiers pour tenter de rassurer leurs partenaires internationaux comme les agences de notation. Ces diverses manipulations ont contribué à gonfler artificiellement le bilan des banques et ont donc favorisé leur développement ultra-rapide, le gonflement du capital permettant proportionnellement de gonfler le volume de prêts distribuable et de transactions réalisables. La finance islandaise est largement consanguine On s’aperçoit également que les banques, loin d’être des concurrentes acharnées, travaillaient main dans la main pour favoriser leur croissance commune. Cela était particulièrement vrai au niveau des actionnaires principaux qui, grâce aux dispositions favorables du gouvernement lors de la privatisation en 2003, ont pu prendre le contrôle de ces institutions, en possédant bien souvent la majorité absolue. Ceux-ci ont rapidement mis les banques au service de leur propre développement, principalement à l’étranger. Ainsi, Baugur, principal actionnaire de Glitnir, était aussi son principal emprunteur. Lors de la chute de Glitnir en septembre 2008, le montant total des prêts accordés à cette holding, propriété du magnat Jón Ásgeir Jóhannesson, et qui s’était développée principalement dans le commerce de détail alimentaire en Islande comme à l’étranger, s’élevait à un peu plus de 2 milliards d’euros, soit environ 70% du montant de la capitalisation de Glitnir. Des situations comparables existaient pour les autres banques, détenues par d’autres magnats : Robert Tchenguiz pour Kaupþing et Björgólfur þór Björgólfsson pour Landsbanki. Ce dernier était également le principal actionnaire et Président du Conseil d’Administration 58 CF. II,B,3 : « La grande proximité entre milieux économiques et politiques ». 56 de Straumur-Burðarás, une banque de moindre dimension, qui a elle aussi fait faillite dans les mois qui ont suivi le début de la crise. Cette situation a conduit les banques à poursuivre une stratégie de protection des intérêts de leurs principaux actionnaires lorsque le marché à commencé à se retourner, à partir de 2007. La fuite en avant caractéristique de cette époque (ouverture de banques de dépôts en Europe, augmentation faramineuse du nombre et du montant des prêts accordés…) démontre clairement que les banques privilégiaient la sauvegarde du patrimoine de leurs propriétaires au détriment d’une vision de long terme et surtout au détriment des petits propriétaires, déposants et créditeurs qui étaient partie prenante à ces institutions. La consanguinité de la finance était telle que les groupes majoritaires dans une banque détenaient également des participations dans les autres. Baugur en est encore le meilleur exemple, puisqu’il détenait en tout à lui seul 5,5 milliards de participation dans les trois banques. c) Le comportement délictueux des dirigeants Au-delà des prêts octroyés par les banques à leurs actionnaires majoritaires, faits qui sont déjà passablement alarmants, de véritables délits ont été commis par les dirigeants et les actionnaires de ces mêmes banques, qui n’étaient inquiétés ni par le FME, complètement débordé, ni par la BCI 59 ou le gouvernement, dont ils avaient fait leur allié, qui n’ont que très modérément rempli leur rôle de régulateur. Des liens suspects avec certains hommes politiques Ainsi, les politiques économique et monétaire univoques suivie par ces deux instances, axées essentiellement sur un développement le plus rapide possible du secteur financier, véritable poule aux œufs d’or pour le gouvernement, ne se préoccupaient pas véritablement de la soutenabilité d’un tel phénomène ou des turbulences nombreuses qu’il engendrait (inflation entre autres). Tout au long de la période 2003 – 2008, les conditions de création monétaire et d’octroi de crédit ont par exemple été assouplies, nourrissant l’emballement, tout comme la décision de faciliter les conditions de prêt du HFF dont nous avons déjà parlé plus haut. Ce mélange d’intérêt bien compris et d’aveuglement semble avoir été également récompensé par certaines faveurs dont plusieurs personnalités membres du gouvernement ou du 59 On peut souligner à ce sujet que durant toute cette période le Conseil d’Administration n’a que rarement suivi l’avis du Chef Economiste, qui prônait une politique plus restrictive et pus active. 57 Parlement auraient été les bénéficiaires. Suite à la publication du rapport du SIC, certains parlementaires encore en fonction ont démissionné, d’autres hommes ou femmes politiques n’ayant plus de mandat ont présenté des excuses publiques quant à leur comportement durant les années dorées. Ce rapport détaille comment des prêts de montants très élevés ont pu leur être accordé à des conditions très avantageuses. Pratiques illicites Ces pratiques à la limite de la légalité, et qui jettent un trouble sur la probité de certains hommes et femmes politiques n’ont pas été les plus délictueuses de celles pratiquées par les banquiers ou leurs propriétaires. Ainsi le Comité de Résolution 60 de la Landsbanki a estimé en mai 2010 que le montant total des sommes perdues à cause des négligences, des violations des règles prudentielles et des actes illégaux commis au sein de la banque s’élevait à près de 1,9 Milliards de dollars 61. Les actes illégaux en question, relevés par le rapport du SIC et qui vont sans doute donner lieu à des mises en examen dans les prochaines semaines et les prochains mois (certains anciens responsables ayant déjà été arrêtés pour interrogatoire), portent sur des prêts douteux donc, mais également des détournements d’argent, des investissements à l’étranger suspects ou de l’évasion fiscale, notamment vers l’Ile de Tortola, que tous les islandais savent désormais placer sur une carte 62. On peut distinguer deux types de délits. On reproche essentiellement aux dirigeants des banques des manipulations de marché, à l’image de l’opération mentionnée plus haut impliquant un Emir du Qatar, ainsi que des négligences, notamment en ce qui concerne les règles prudentielles. Les grands magnats islandais ont en revanche largement profité de leurs statuts d’actionnaires majoritaires pour commettre des actions plus graves encore. M. William Black, professeur de droit et d’économie à l’Université du Missouri, a développé il y a quelques années une thèse à la suite de son passage au sein de l’administration anti-fraude américaine, qu’il a présentée dans un ouvrage intitulé « The best way to rob a bank is to own one » : « La meilleure façon de braquer une banque est d’en être le propriétaire ». Cette thèse entend montrer comment un actionnaire majoritaire, dans un contexte de 60 « Comité de Résolution » (Winding-Up Committee) est le nom donné aux holdings temporaires composées des différents créanciers des anciennes banques, qui ont pour but de récupérer et de revendre la proportion la plus grande possible des actifs des anciennes banques pour récupérer leur dû. 61 iNB - Iceland News Briefs - Issue 1545 - 20 May 2010 62 Ce même paradis fiscal a hébergé pendant de nombreuses années les activités d’un certain Bernard Madoff. 58 régulation faible comme cela avait pu être le cas aux USA à la fin des années 80 ou en Islande au cours des années 2000, a tendance à utiliser ladite banque comme son propre portefeuille. Il oriente alors la stratégie de la banque en fonction de ses propres intérêts et, le temps passant, prend de plus en plus de liberté avec les règles prudentielles. Dans une configuration comme celle de l’Islande, où les magnats sont de plus proches des hommes politiques et arrivent à infléchir dans le sens de leur intérêt propre les règles de régulation et à museler les administrations qui en ont la charge, des dérives délictueuses ne tardent pas à apparaître. Section 2. La salvatrice crise des subprimes Paradoxalement, on peut penser que seule la crise des subprimes a permis de mettre un coup d’arrêt, certes brutal, au cycle infini de croissance effrénée qu’a connu l’Islande durant les années 2000. Ce brusque retour sur terre a permis de casser la tendance à l’endettement des ménages ainsi que l’expansion des banques, avant que ces deux indices n’atteignent un point de non-retour. En effet, en admettant que le modèle de développement financier poursuivi par l’Islande n’était pas soutenable et aurait de toute façon donné lieu à un effondrement du pays, le plus tôt celui-ci survient, le plus facile est la réparation des dégâts. a) Un brusque retour sur terre L’effondrement de leur économie a pris de nombreux islandais de court. Durant les quelques semaines de stupeur qui ont suivi la chute de Glitnir et précédé la conclusion de l’accord avec le FMI, durant lesquelles l’avenir du pays était plus qu’incertain, les Islandais abasourdis ne savaient plus quoi faire, et ne semblaient pas comprendre ce qu’il leur arrivait. Puis le moment de la colère est arrivé, colère contre les hommes politiques et les banquiers, mais aussi contre eux-mêmes. Explosion de la dette des ménages et des entreprises : la chute de la Króna En effet, l’Islande vivait depuis une dizaine d’années dans une sorte de « pays des rêves »63, où tout était possible. Le taux de diplômés du supérieur y était un des plus faibles d’Europe, malgré un enseignement de très grande qualité : avec un chômage quasi-inexistant et un revenu par habitant parmi les plus élevés du monde, n’importe qui pouvait, sans aucun diplôme ou avec un cursus ne dépassant que rarement le master, trouver un emploi très bien 63 Draumalandið en Islandais, pour reprendre le titre d’un documentaire montrant les impacts négatifs de la croissance spectaculaire sur l’environnement islandais. 59 rémunéré lui garantissant l’accession à la propriété et l’achat d’un gros véhicule dans les mois qui suivent. La folie du crédit qui s’est emparée du pays à la suite de la libéralisation financière a aboutit à une situation relativement inédite. En effet, suite à la dévaluation de la Króna et la montée du chômage après octobre 2008, 35% des ménages se sont retrouvés dans une situation de surendettement particulièrement aigue 64. Et sur ces 35%, 20% l’étaient à cause d’un crédit à l’immobilier, contre 42% à cause d’un crédit à l’achat d’un véhicule, le plus souvent de type 4x4. Le gouvernement a dû adopter à plusieurs reprises des mesures de restructuration et de rééchelonnement de la dette. Ainsi, les expulsions pour non-paiement des mensualités ont été interdites, contrairement à ce que l’on a pu voir aux Etats-Unis 65. De même, les ménages ont très rapidement été autorisés à puiser dans leurs épargne-retraite, très bien gérée par des fonds de pension très peu touchés par la crise mondiale. Le plan de restructuration de la dette des ménages, adopté en octobre 2009, permet un rééchelonnement des échéances (avec disparition pure et simple de la dette au bout de trois ans pour les ménages les plus touchés). Mais malgré ces mesures nombre d’entre eux rencontrent toujours des difficultés pour faire face à leurs échéances. Le secteur des PME est lui aussi ravagé Le secteur des petites entreprises a été l’un des plus touchés par la crise. Aussi bien l’arrêt brutal de la fourniture de crédits que l’augmentation en flèche des mensualités, notamment à cause de leur indexation sur le taux de change ou l’inflation, ont très rapidement étouffé la trésorerie de nombreuses d’entre elles. A ce problème comptable s’est ajouté la baisse brutale de la consommation intérieure, comme le reflète le taux de « croissance » du PIB en 2009, de -6,5%. Ainsi, en 2008, 748 entreprises ont fait faillite, 910 en 2009, contre 480 en moyenne entre 2000 et 2005. b) Une catastrophe évitée de justesse Les fondamentaux économiques de l’Islande (pêche, agriculture, tourisme et aluminium) lui ont permis de préserver un minimum d’activité après la chute du secteur financier. 64 Ces chiffres sont soumis à débat, les associations de consommateurs estimant que ces données officielles sont sous-évaluées. 65 Le pacte social, la nationalisation des banques, mais également le climat, peuvent expliquer ces différences : il n’y a pas de SDF en Islande, pour la bonne raison que les chances de survie durant l’hiver sont quasi-nulles. 60 De l’avis de certains économiques, qui évoquent un scénario « à l’irlandaise », si la crise avait eu lieu deux années plus tard, l’économie islandaise aurait pu ne pas s’en remettre. Les éléments stables de l’économie islandaise Dès 2009, les exportations de produits de la mer ont repris la première place, qui était la leur depuis toujours et jusqu’à la fin des années 90, dans le classement des secteurs exportateurs les plus rentables. Plus généralement, dès novembre 2008, le déficit de la balance extérieure de l’Islande a été immédiatement résorbé et transformé en excédent, après plus de 40 mois dans le rouge. Le maintien d’une source de devises étrangères a permis à l’Islande de continuer à entretenir ses relations commerciales courantes, d’autant plus qu’elles provenaient de secteur qui n’ont que très peu souffert de la crise, comparativement à d’autres. Cela a permis de maintenir une partie des emplois et a donc amorti la chute de la consommation intérieure, qui aurait pu être pire encore. De même, la soudaine perte de revenu de nombreux ménages a conduit à une réduction drastique des importations. Cette chute de revenus a poussé plusieurs enseignes internationales à quitter le pays. L’exemple emblématique est celui de McDonald’s, qui a fermé ses restaurants début 2009, à cause de l’élévation soudaine du prix des matières premières, importées dans leur totalité, suite à la chute de la Króna. Ces enseignes ont dans certains cas été remplacées par des enseignes islandaises, privilégiant des filières nationales pour comprimer leurs coûts. La fin de l’Islande ? De l’avis de certains, la crise des subprimes a même pu sauver l’Islande d’un scénario à l’irlandaise. Ce scénario fait référence à la famine du milieu du XIXE siècle, causée par une maladie ayant fait chuter de 40% les récoltes de pommes de terre, et qui causa la mort de 1 million de personnes et l’émigration de 2 autres millions, à destination des Etats-Unis notamment, soit une perte de population de plus d’un quart. La population de l’Irlande n’est toujours pas revenue à son niveau d’avant la famine, certaines régions ayant été désertées durablement. Ce scénario catastrophe a été adapté à l’Islande et évoqué par quelques intellectuels. Si la crise avait eu lieu quelques semestres ou années plus tard, les pertes auraient sans doute été encore plus importantes, compte tenu du rythme de croissance du secteur, ce que confirment plusieurs projets d’achats ou d’implantation qui n’ont pas abouti (cf. le rachat d’une banque hollandaise par Kaupþing, qui aurait causé le doublement du volume de la capitalisation de 61 cette dernière, projet abandonné quelques semaines seulement avant la chute de la banque islandaise). Le montant de la dette qui en aurait découlé aurait alors sans doute dépassé les possibilités de remboursement du pays 66 et les islandais se seraient retrouvés criblés de dette. De nombreuses personnes, notamment les plus jeunes, auraient alors sans doute préféré émigrer et construire leur vie ailleurs 67, plutôt que de supporter ce handicap toute leur vie. Ceci aurait aggravé d’autant Scénario pour l’Islande : accablés par la dette, les membres les plus prolifiques de l’économie, c’est-à-dire les jeunes, préfèrent quitter un pays criblé de dette pour tenter de refaire leur vie ailleurs, laissant le pays dans une situation inextricable. Ce scénario catastrophe, aux accents alarmistes 68, a néanmoins fait vivement réagir les islandais, farouchement attachés à leur culture et à leur pays, et a sans doute nourri leur frustration et leur colère, qui s’exprime comme jamais depuis la crise. Les hommes politiques font notamment les frais de ce sursaut citoyen, comme lors des élections municipales de 2010, qui ont vu les grands partis traditionnels perdre leurs majorités dans les quatre grandes villes du pays, au détriment d’une alternance ou bien souvent de nouveaux partis issus de la société civile. 66 Possibilités dont doutent déjà à l’heure actuelle de nombreuses personnes à l’étranger, notamment des membres du gouvernement ou des députés nouvellement élus aux Pays-Bas. 67 Déjà depuis 2008, l’Islande a vécu une phase d’émigration, constituée principalement d’immigrés arrivés pendant les années d’or et qui préfèrent rentrer chez eux ou aller chercher fortune ailleurs, mais aussi de jeunes islandais préférant assurer ailleurs leur avenir. 68 Mais qui est aussi évoqué, quoique de façon plus objective, dans le rapport accompagnant la 2e revue du programme FMI. 62 Troisième Partie. Les défis, la sortie de crise Chapitre V. Où en est-on ? Les mécanismes réparateurs de court terme. Section 1. Réparation des dégâts a) Le programme FMI : réduction des déficits pour contenir la dette Le programme du FMI adopté dès novembre 2008 prévoyait, après une période où les stabilisateurs automatiques en particulièrement bonne santé de l'Islande devaient jouer leur rôle pour encaisser le choc particulièrement violent de la crise, une mise sous ajustement structurel du pays. Cet ajustement est toutefois différent de ceux que l’organisation a l’habitude de concevoir, car l’Islande était jusqu’à octobre 2008 un modèle économique, avec une dette publique avoisinant les 20% et un budget régulièrement excédentaire. Ce programme met à la disposition de l'Islande 2,1 Milliards de dollars, dont un peu plus de 800 millions immédiatement déboursés. Ce prêt, d'un montant exceptionnel, puisqu'il correspond à 1190% de la quote-part de l’Islande, est additionné de prêts en provenance de différents pays, notamment les Pays Nordiques ou la Pologne, pour un montant de 3 Milliards de dollars environ. La Chine ou la Russie ont un temps émis le souhait de fournir des devises à l'Islande, mais aucun accord n'avait finalement été conclu alors 69. Ces fonds doivent être versés conjointement par tranches successives, chacun d'entre eux étant conditionné à la réalisation de plusieurs objectifs de politique économique et monétaire. Ceux-ci concernent principalement la restructuration du secteur bancaire d'un côté, et la maîtrise des dépenses publiques de l'autre dans un contexte de chute drastique des revenus et d'augmentation non moins importante des dépenses, liées à la montée du chômage, l'explosion de la dette des ménages et les faillites de nombreuses entreprises, petites ou grandes. Cette injection massive de fonds vise à court terme à stabiliser la monnaie et restructurer le secteur bancaire, et à restaurer la soutenabilité des finances publiques à moyen terme. 69 La Chine a par contre conclu un accord avec l'Islande en juin 2010 portant sur une échange de devises (SWAP) Króna / Yuan d'un montant de 420 millions d'euros. 63 Le besoin de financement de l’Islande était estimé fin 2008 à $23.5Mds, dont $10.3Mds correspondant aux arriérés des banques privées (qui seront couverts par les ventes d’actifs) et $15.8 Millards correspondant aux dépôts étrangers auprès de banques islandaises couverts soit par les Fonds de Garantis nationaux, soit par le DIGF islandais. Les $5Mds résiduels seront couverts par les prêts du FMI, les prêts nordiques et polonais. Dans la tradition du Pacte Social, très présente dans ce pays, un accord tripartite entre gouvernement, syndicats de travailleurs et syndicats du patronat, avait était conclu en Juin 2009. Il prévoit des négociations collectives sur la question des salaires dans le secteur public comme dans le secteur privé, destinées à interrompre pour une durée indéterminée la traditionnelle revalorisation salariale quasi-automatique dans ce pays en proie à une forte inflation. Il assure également une limitation de l’augmentation de la pression fiscale (et donc un financement par le déficit), il améliore la situation des débiteurs et des ménages endettés et met en place un calendrier pour la reconstruction du système bancaire. Il a pour objectif de stabiliser le taux de change de la Króna et de baisser les taux d’intérêts. Il crée enfin une commission chargée d’examiner la situation en matière de retraite (fonds de pension). De nombreux événements vont interférer avec la bonne tenue de ce programme. Ces difficultés ne sont pas, dans la plupart des cas, dues à l'échec des réformes du gouvernement islandais, mais bien aux pressions internationales qui vont s'exercer sur le pays dans le cadre de la saga « Icesave » (voir ci-dessous). Ainsi, la 2e revue du programme va être bloquée près de 6 mois suite au rejet de la loi Icesave par le référendum national du 6 mars, qui a vu les islandais dénoncer à 88% environ l’accord de remboursement des gouvernements britanniques et néerlandais. Cette revue a finalement pu se tenir fin avril 2010, après d’intenses efforts de lobbying du gouvernement islandais auprès des instances et de ses partenaires internationaux. Elle porte sur les trois piliers d'action principaux (à savoir : stabilisation de la couronne, mise en œuvre d’un programme de consolidation budgétaire à moyen terme et restructuration du système bancaire) une appréciation positive. La situation économique du pays est même meilleure que ce que les estimations prévoyaient. Ainsi, la baisse du PIB en 2009 n’a été que de 6,5% contre 9,5% prévus, la dette publique s’élevant fin 2009 à 105% du PIB au lieu des 120% escomptés. Seule l’inflation semble diminuer moins rapidement que prévu, en partie à cause de l’impact négatif de la hausse des impôts indirects suite au programme FMI. 64 Malgré ces bons résultats, qui démontrent la bonne volonté et l’application du gouvernement islandais à suivre le programme tel qu’il a été négocié, le déblocage des prêts n’a été rendu possible que par la publication d’une nouvelle lettre d’intention qui réaffirme entre autres sa volonté de résoudre la crise Icesave. Les sommes mises à disposition suite à cette revue représentent 117 Mn€ en droit de tirage du FMI, 53 Mn€ de prêt de la part de la Pologne et 440 Mn€ au titre des prêts nordiques. Outre le déblocage de cette troisième ligne de crédit, l’Islande a obtenu que le Stand-By Agreement soit prolongé de trois mois, jusqu’au 31 Aout 2011, pour compenser le retard qu’à connu la procédure. Au vu des bons résultats économiques et sous condition d'un accord favorable dans la crise Icesave, le gouvernement islandais a même pu déclarer, de façon sans doute quelque peu prématurée et inconsidérée, qu'il n'aurait peut-être pas besoin de l'intégralité des lignes de crédits qui lui sont ouvertes. Suite à ces bonnes nouvelles, l’agence de notation Moody’s a, dès le 23 avril, relevé d’un cran la note de la dette islandaise, note elle avait abaissé deux auparavant seulement, alors que les perspectives étaient plus maussades. De même l’appréciation de long terme sur la soutenabilité de la dette et les perspectives économiques a été modifiée, passant de « négatif » à « stable ». Cette appréciation positive, qui est la première depuis 2008, est directement liée au déblocage de la 2e revue, qui permet d’améliorer les réserves en devise de la Banque Centrale et donc d’envisager avec sérénité les échéances de remboursement des Eurobonds et des Glaciers Bonds, obligations d'Etats libellées en euro entre 2006 et 2008 et dont les échéances proches, couplées au blocage autour de Icesave, avaient fait craindre, une fois de plus, qu'ils obligeraient l'Islande à se déclarer en cessation de paiement. b) La restructuration du secteur bancaire Le cas des grandes banques Le Parlement Islandais, face à l’urgence de la situation, avait promulgué dès le 6 octobre 2008 une loi donnant au FME des pouvoirs élargis. Celui-ci a alors poursuivi une double stratégie de sécurisation des opérations domestiques d’une part et de diminution de la taille du secteur bancaire d’autre part. Il a pour cela décidé de séparer chacune des trois banques en deux entités, une ancienne et une nouvelle. L’ancienne inclue toutes les activités des filiales et branches opérant à l’étranger ainsi que les dérivées de crédit. Cette entité est dirigée par un conseil d’administration. La nouvelle structure s’est vue affecter la gestion des activités domestiques et est donc théoriquement « saine ». 65 Cette séparation a pour but de séparer les actifs domestiques des actifs étrangers et de permettre ainsi au système bancaire domestique de continuer à fonctionner normalement, évitant au pays de sombrer dans le désastre économique. En accord avec la lettre d’intention signée entre le Gouvernement Islandais et le FMI, ce Comités de Résolution sont composés de six représentants de différents ministères et dirigés par un expert indépendant. Il présente ses recommandations, à caractère non-obligatoire, aux différentes parties concernées. Le maintien d’une activité bancaire domestique saine a été la principale motivation de la division des banques. Ce maintien n'est dans un premier temps pas allé de soi, les nouvelles banques n’ayant pas une image précise de leurs actifs, actions, ratios de capitaux, taux d’intérêts marginaux et exposition au risque. Les nouvelles banques ont été recapitalisées avec des bonds du Trésor, une holding indépendante ayant été créée pour gérer cette phase. La volonté de restauration du système bancaire national et de traitement équitable des créditeurs des anciennes banques a conduit le gouvernement de Mme Sigurðardóttir à échanger, à partir de juillet 2009, la quasi-totalité de ses parts dans Islandsbanki 70 (ex-Glitnir) au Comité de Résolution de Glitnir et à céder 83% de ses parts de New Kaupþing (Arion Bank) à celui de Kaupþing. Cette solution a permis à l’Etat de récupérer une partie des capitaux injectés dans ces deux institutions depuis la crise, les créditeurs recouvrant eux-aussi une partie de leurs investissements sous la forme de parts dans des institutions financières viables. Le cas Landsbanki est particulier, le gouvernement ayant souhaité garder la main sur au moins une institution bancaire. Le choix s’est porté sur Landsbanki pour plusieurs raisons. Cette banque est l’ancienne banque publique, et on peut penser que l’Etat a voulu ainsi envoyer un geste fort. Mais surtout, la Landsbanki constitue le cas le plus difficile de restructuration, puisque c’est elle qui possédait les filiales Icesave, objets de toutes les critiques. Il conserve donc 81% de NBI (New Landsbanki), le comité de Résolution contrôlant les 19% au nom des créditeurs de Landsbanki. Les banques d'épargne 70 Le gouvernement n’a conservé que 5% des actions. 66 Si les trois grandes banques ont bien évidemment représenté la tâche principale et prioritaire du gouvernement et des instances de régulation, le système financier dans son ensemble, fonds de pension exceptés, a dû subir une restructuration profonde. En effet, la totalité des caisses d'épargnes a par exemple été entrainée à la faillite par la chute des « trois grandes », en raison des liens inextricables qui liaient toutes ces sociétés entre elles. Toutes ont ainsi été nationalisées et/ou recapitalisées par l’État, à la fois pour sauvegarder l'épargne des individus, mais également pour tenter de supporter au mieux les entreprises encore viables et qui avaient besoin de liquidités pour faire face à des difficultés temporaires ou éventuellement de fonds pour investir dans quelques secteurs encore porteurs (pêche par exemple). Une société à responsabilité limitée, l'Asset Management Company (AMC), contrôlée par l’État, a été créée en mars 2009. Sa mission consiste à acquérir les actifs toxiques des banques d'épargne, leur permettant de nettoyer leur bilan et donc de favoriser leur retour à une activité normale. Son mandat prévoit un démantèlement à l'horizon 2015, avec une perte sèche pour tous les actifs qui n'auront pas pu être revendus ou recouverts à ce moment-là La réforme des instances de supervision Les institutions de surveillance et de régulation ont été auditées par M. Jännäri en Mars 2009, à la demande du gouvernement d'alternance, nouvellement élu après la démission du précédent tombé sous la colère populaire. Ses recommandations ont donné lieu à de nombreuses réformes ou projets de réforme du modèle de régulation. Ainsi, la direction du FME a été renouvelée et son indépendance a été renforcée. Son nouveau président, Gunnar Haraldsson, directeur de l’Institut d’Etudes Economiques d’Islande, avait été l’un des experts les plus critiques vis-à-vis de la politique monétaire de l’Islande et des risques qui menaçaient le pays au cours de la période dorée. Son équipe a été renforcée également, le personnel de l'agence passant de 65 en octobre 2008 à 100 individus une année après. La BCI a elle-aussi connu de profondes réformes. Son directeur, David Oddsson, a d'ailleurs été personnellement visé par le gouvernement. Celui-ci, ne pouvant intervenir directement pour le mettre à pied, a adopté une loi réformant les conditions d'embauche du Gouverneur de la BCI, qui doit désormais être titulaire d'un diplôme supérieur en économie ou en finances, ce qui n'est pas le cas de M. Oddsson. Au-delà de la vengeance politico-politicienne, la structure de direction de la BCI a été entièrement renouvelée : le Conseil des Gouverneurs a 67 été remplacé par un gouverneur et un gouverneur-adjoint, nommés par une commission de trois experts mise en place par le gouvernement. Le mandat, d’une durée de cinq ans, n'est plus renouvelable qu'une seule fois. Un comité politique est par ailleurs chargé des décisions techniques de politique monétaire. Composé du gouverneur, de son adjoint, d’un directeur exécutif de la Banque et de deux experts nommés par le 1er Ministre, il dénote une claire reprise en main par le gouvernement, ce qui démontre que l’Islande n’est pas prête à abandonner la traditionnelle mainmise de celui-ci sur la BCI. Enfin, une réforme gouvernementale a établi la scission en deux entités indépendantes du Ministère des Finances, devenu Ministère des Finances d'un côté et Ministère de l'Economie de l'autre, afin d'éviter la confusion entre finances publiques et finances privée, cette dernière relevant désormais du Ministère de l’Économie. Bilan Un grand nombre de réformes et de caps importants ont été franchis depuis la crise : diminution de l’inflation, amélioration du taux de change sans intervention de la part de la BCI, adoption de la 2e revue du FMI… L’économie semble avoir atteint son point le plus bas et entrepris sa reprise, les nouvelles banques ayant été recapitalisées et le système de supervision et de régulation en voie de recomposition... Le travail est cependant loin d’être achevé. La 3e revue va conditionner une bonne partie de la suite, en permettant aux secteurs publics et privés d’avoir un accès sécurisé à des fonds et ainsi affronter avec sérénité la prochaine étape, à savoir la levée des contrôles à la fois sur le change et sur la circulation des capitaux. De même, la poursuite de la refonte des systèmes de régulation et de supervision est nécessaire non seulement au niveau national mais également au niveau international pour faire face aux risques structurels (poids des institutions et relations entre elles) et conjoncturels (cycles économiques, phénomènes de bulle). Enfin, la restructuration de la dette des ménages et des entreprises, qui n'avait pas pu être entamée en profondeur tant que le système financier n'avait pas été rebâti, ne se fera pas sans douleurs 71. 71 Voir par exemple la décision de la Cour Suprême d'Islande rendue fin juin 2010 qui déclare illégaux tous les prêts en Króna indexés sur des devises étrangères proposés avant la crise aux ménages islandais. 68 c) Enquêtes parlementaires et judiciaires : le système légal invité à la reconstruction de l’économie Les délits en col blanc étaient très peu nombreux en Islande jusqu'à la crise de 2008. Paradoxalement, ils étaient également faiblement réprimés par les Cours de Justice, situation dénoncée à l’époque par nombres de commentateurs. La population, très choquée par la crise et surtout par les causes de celle-ci, demande vivement des comptes à ses dirigeants et ses banquiers depuis l'automne 2008. Chose plutôt rare dans les cas de crises économiques, la machine judiciaire est donc placée en première ligne pour analyser la situation et identifier les responsables de la chute 72. Un Procureur Spécial, Ólafúr Hauksson, a ainsi été nommé par le gouvernement de Geir Haarde en janvier 2009, juste avant sa chute, pour enquêter sur les malversations ayant entouré la grandeur et la décadence du système financier islandais et si besoin mettre en examen les protagonistes qui auraient enfreint la loi. Il a vu ses moyens d’investigation renforcés dès le 6 mars et son équipe étoffée (avec notamment l'appui de Mme Eva Joly, nommée Conseillère Spéciale du Procureur 73). Le secret bancaire a été également levé, pour permettre de faire la lumière la plus grande possible dans cette affaire particulièrement complexe. Les premières arrestations ont eu lieu en mai 2010, les premières mises en examen ayant été prononcées dès juin 2010. Elles ont été rendues possibles grâce aux travaux du Comité Spécial d’Investigation 74, dont le rapport minutieux publié au début du mois d’avril a mis à jour certaines opérations frauduleuses que le bureau du Procureur Spécial n’avait pas encore pu examiner. Les réactions à ces arrestations ont été positives. Le gouvernement a salué cette avancée majeure du système judiciaire, qui a toujours été relativement impuissant face aux « délinquants en col blanc ». Les islandais, qui demandent avec force des comptes aux respon- 72 On peut y voir également l’effet de la judiciarisation croissante des sociétés occidentales. Voir par exemple Jean-Paul Jean, « La judiciarisation des questions de société », Après-demain, 398, 1997 73 Après avoir menacé de renoncer à sa mission, Eva Joly a obtenu du gouvernement islandais le renforcement significatif des moyens de l’enquête judiciaire portant sur le système financier islandais. Elle avait été officiellement investie le 30 Mars d’une mission auprès du procureur spécial (lui-même nommé le 13 janvier) pour apporter son expertise sur les modalités techniques et juridiques d’enquêtes financières extrêmement complexes. Son franc-parler et le soutien de la population font que le gouvernement n’a d’autre choix que de suivre les recommandations de l’ancienne magistrate, récemment élue députée européenne. 74 Mise en place par le Parlement, cette commission présidée par trois experts indépendants avait pour mandat de s'attacher uniquement au fait, les suites légales devant être menées par le Procureur Spécial. 69 sables et aux banquiers de la période d’avant-crise, ont accueilli avec enthousiasme ces nouveaux développements. Les procédures promettent d'être longues, une estimation récente évaluant à un millier le nombre de recours légaux concernant les trois banques islandaises qui ont fait faillite en octobre 2008. Deux cents cas ont déjà été enregistrés auprès du Tribunal du district de Reykjavik. Pour faire face à l’augmentation de la charge de travail, des propositions ont été faites pour créer de nouveaux tribunaux afin de soulager ce dernier, d’ores et déjà surchargé par les dossiers qui lui sont présentés. De même, le bureau du Procureur Spécial d’Investigation va être à nouveau renforcé. Celui-ci, qui ne comprenait que treize membres à l’automne 2009, en compte aujourd’hui 35. Ce nombre va être progressivement porté à 80 d’ici à l’automne prochain. L’influence de Mme Eva Joly, conseillère spéciale auprès de M. Hauksson, à la tête de cette cellule, a été déterminante pour convaincre les autorités islandaises d’accorder plus de moyen à cette équipe, sur qui repose une partie de la catharsis nationale qui a lieu depuis quelques mois dans le pays. Les dirigeants des instances de régulations, un instant inquiétés par de possibles mises en examen, ne seront finalement pas poursuivis. Björn L. Bergsson, procureur d’Etat par intérim chargé d’examiner les cas des trois anciens gouverneurs de la Banque Centrale d’Islande Davíd Oddsson, Eiríkur Gudnason et Ingimundur Fridriksson, ainsi que celui de Jónas Fr. Jónsson, ancien directeur du FME, estime qu’il n’y a pas lieu de poursuivre ces quatre personnes, accusées de « négligence » par le rapport du Comité Spécial d’investigation publié en avril 2010. En effet, si la « négligence » est bien une accusation prévue par la loi de l’Alþingi qui a institué ce Comité Spécial, et si les quatre individus peuvent, au regard des faits, être effectivement accusés d’avoir eu un tel comportement, le code pénal ne prévoit en revanche aucune peine pour ce genre de faute. Section 2. Interférences internationales Le caractère largement internationalisé de l'activité des banques islandaises constitue une difficulté supplémentaire pour l'Islande. En effet, aussi bien les déposants que les créanciers institutionnels étrangers ont pu se sentir floués par la loi d'urgence, qui établissait une distinction entre déposants nationaux et déposants étrangers, en contradiction avec le principe de non-discrimination entériné par la législation européenne. Cette situation, bien qu'avalisée 70 par la Cour de Justice de l'Association Européenne de Libre Echange (AELE) au motif qu'elle permettait à l'économie islandaise de pouvoir se reconstruire plus rapidement, n'en a pas moins créé de nombreux remous, qui ont pu hypothéquer et hypothèquent encore la reconstruction du système économique et financier islandais. a) Des créanciers internationaux Les banques islandaises, largement internationalisées, avaient noué de nombreux liens avec des institutions étrangères, notamment en Europe du Nord (du Royaume-Uni à l’Allemagne en passant par les Pays-Bas, le Danemark ou les pays scandinaves). Ainsi, les filiales et succursales des banques islandaises à l'étranger représentaient plus de 40% des actifs, tandis que 60% des prêts étaient accordés hors d'Islande. Les 2/3 des prêts étaient alors libellés en devises étrangères, de même que les ¾ des dépôts. Ainsi, la Cour du district de Reykjavik a, en janvier 2010, autorisé la Banque de Tokyo-Mitsubishi à accéder à 7 documents concernant un échange de devises (SWAP) conclu avec Kaupþing 39 minutes avant que celle-ci ne soit officiellement nationalisée. La banque japonaise a versé $50M sur un compte de JP Morgan à New York mais n’a pas reçu comme prévu la contrepartie en yen de la banque islandaise, qui devait la verser auprès du même établissement. De même, la récente décision de la Cour Suprême rendant illégaux les prêts indexés sur des devises étrangères a immédiatement suscité de vives réactions de la part des banques étrangères, qui sont aujourd'hui les principaux actionnaires des banques islandaises. En effet, cette décision peut potentiellement faire diminuer de façon sensible le montant des remboursements mensuels. Les intérêts des banques étrangères sont donc menacés, ce qui place à nouveau le pays dans la ligne de mire des banques et des gouvernements étrangers. Les créanciers internationaux n'ont jusqu'ici toutefois pas constitué le plus gros des problèmes pour les Islandais, soit qu'ils ont pu être remboursés par leurs propres gouvernements dans le cas des filiales (les filiales sont couvertes par les Fonds de Garantie locaux), soit parce qu'ils sont devenus actionnaires des nouvelles banques recapitalisées par l’État islandais. 71 b) L’affaire Icesave Le cas d'Icesave, succursale de la Landsbanki aux Pays-Bas et au Royaume-Uni s'est en revanche avéré beaucoup plus épineux. La Landsbanki avait choisi d'attribuer à ces banques en ligne le statut de succursale, qui lui permettait de rapatrier plus facilement les dépôts ainsi récoltés dans le giron de la maison-mère, qui avait à l'époque grandement besoin de liquidités. La contrepartie étant que la législation européenne prévoit alors que le Fond de Garantie compétent en cas de problème soit celui du pays d'origine. Lors de l'effondrement financier, et au vu des faibles réserves du DIGF, l’État islandais s'est retrouvé de facto à devoir assumer le rôle de garant pour ces dépôts 75. Or, les taux particulièrement avantageux d'Icesave avaient rapidement attiré un grand nombre d'épargnants, pour un total de près de 4 Milliards d'euros, soit près de la moitié du PIB islandais. Cette affaire très sensible, car elle concerne non plus des institutions financières habituées à gérer ce genre de crise, mais des particuliers qui avaient pour certains placés toutes leurs économies dans ces comptes, constitue depuis 2008 un point de crispation majeur dans les relations de l'Islande avec ses partenaires économiques et certaines organisations internationales. En effet, le Royaume-Uni et les Pays-Bas, qui se sont vu contraints de rembourser eux-mêmes leurs épargnants, se sont immédiatement retournés vers l'Islande pour obtenir remboursement d'une partie des sommes engagées 76. Cette condition a suffit à elle-seule à retarder la signature de l'accord avec le FMI, jusqu'à ce qu'un accord, connu sous le nom de Brussels Guidelines, ne puisse finalement être trouvé, ouvrant la voie au déblocage de la première tranche du prêt FMI. L'histoire est loin de s'arrêter là (et ne l'est d'ailleurs pas à l'heure actuelle), puisqu'un premier texte de loi adopté à l'arrachée à l'été 2009 par l'Alþingi a été récusé par les anglais et les néerlandais 77. Une version remaniée, adoptée à une majorité encore plus courte que le pré- 75 Ce qui a fait dire à Mervin King, Gouverneur de la Banque d'Angleterre : “Banks are international in life, but national in death!” : « les banques sont internationales durant leurs vies, mais nationales dans la mort », adaptation à la sphère financière du célèbre adage « privatisation des profits, socialisation des pertes ». 76 Une partie seulement, car le DIGF islandais ne couvrait les dépôts qu'à hauteur du minimum légal, soit 20 000€. Les Pays-Bas et le Royaume-Uni ont fait le choix de rembourser l'intégralité de leur épargne à leurs ressortissants, mais ne peuvent demander remboursement à l'Islande qu'à hauteur de ces 20 000€. 77 C'est ce texte qui est en vigueur actuellement, suite au rejet de la nouvelle mouture par le référendum populaire. Il prévoit la transformation de la dette islandaise en prêt d'un même montant, qui fait l'objet d'une période 72 cédent par l'Alþingi en décembre 2009 n'a pu être promulguée suite au refus du Président de la République de ratifier ce texte, après qu'une pétition rassemblant les signatures de près d'1/3 de la population totale lui ait été présentée. De nouvelles négociations tripartites et un référendum national, rejetant à près de 88% le texte adopté en Décembre, ont tous deux échoué et le gouvernement islandais n'a pu obtenir la tenue de la 2e revue du programme FMI, avec plus de six mois de retard, qu'après un lobbying intense auprès de nombreux pays et la publication d'une nouvelle lettre d'intention énonçant à nouveau de manière claire l'intention des islandais de rembourser le Royaume-Uni et les Pays-Bas. Durant toute cette période, Icesave a été un élément majeur de déstabilisation de la vie politique, occupant les Unes des journaux et les ordres du jour du gouvernement, du Parlement et de nombreuses institutions jusqu'à plus-soif et jusqu’au rejet complet de la politique par les Islandais, aboutissant (entre autres causes) aux surprenantes élections législatives de mai 2010 qui ont consacré dans les grandes villes des mouvements alternatifs issus de la société civile au détriment des partis traditionnels. La saga Icesave, dont le dernier chapitre est loin d'avoir été écrit, est représentative de la crise islandaise, mêlant imbroglio international 78, responsabilités locales et mécontentement de la population, qui a assisté impuissante à l'explosion de la dette nationale. de grâce de 6 ans pendant laquelle l'Islande ne rembourse que les intérêts. A partir de 2015 l'Islande doit commencer à rembourser le principal en plus des intérêts, dans une proportion de maximum 4% du PIB en direction des anglais et 2% en direction des néerlandais, afin d'éviter d'étouffer le pays sous le poids de sa dette. Le litige principal entre les trois pays se situe sur la question du taux d'intérêt, jugé trop élevé par les islandais. 78 Cf. notamment l'amalgame qui a pu être fait entre Icesave, programme FMI et adhésion à l'UE aussi bien par les anglais et les néerlandais que par les hommes politiques islandais. 73 Chapitre VI. Quelles réformes de long terme ? Les dispositifs d'urgence mis en place par le gouvernement islandais dans le cadre du programme FMI semblent avoir pleinement rempli leur rôle. La situation économique du pays, contrairement à toutes les attentes, s'est rapidement redressée, au point que la sortie de crise semble maintenant envisagée. Encore une fois, la petite taille, la souplesse et la rapidité d'adaptation, qui sont à la fois l'atout et la faiblesse majeure du pays, ont permis ce résultat inattendu. Celui-ci reste toutefois suspendu à la résolution de plusieurs dossiers épineux, parmi lesquels Icesave, qui conditionne depuis maintenant près de deux ans le futur du pays. Au-delà de la réussite du plan d'action d'urgence, il importe à l'Islande de réformer structurellement son économie et certaines de ses institutions pour éviter qu'une nouvelle folie des grandeurs ne vienne, d'ici quelques années, répéter le cycle extrêmement dangereux qui s'était ouvert en 2003 pour se refermer brutalement en 2008. Ces réformes concernent principalement le domaine de la régulation de l'économie et de la finance. Elles peuvent être consolidées par la voie de l'intégration à l'Union Européenne, qui est un des objectifs premiers du gouvernement de gauche qui a été élu pour remplacer les élites des divers partis de droite qui se sont succédées à la tête du gouvernement depuis l'indépendance en 1944 et qui sont accusées d'avoir un peu trop “laissé-faire” les “Vikings de la finance”. D'un point de vue plus théorique, la situation qu'a connu l'Islande invite également à repenser les liens nécessaires que doivent entretenir économie (au sens large) et sociologie dans l'élaboration des règles prudentielles, les comportements des agents ayant une influence déterminante sur l'interprétation qui sera faite des règles édictées. Enfin, le cas islandais peut permettre de dégager quelques principes de développement pour les petites économies ouvertes, développement qui paraît nécessairement devoir être équilibré et donc multifactoriel, pour éviter la dépendance à l’égard d’un seul secteur d’activité. Section 1. Régulation et coordination : les valeurs d’avenir En réaction à la crise, un mouvement mondial de régulation et de coordination semble voir le jour pour contrer les effets pervers qui ont émergé de la doctrine du « laissez-faire » qui domine la sphère économique et financière depuis trente ans. Réguler, qui veut bien dire ordonner et non pas interdire, signifie que des dirigeants politiques du monde entier veulent poser des limites à l'activité financière tout en permettant à celle-ci de produire ses effets bénéfiques, en terme de collecte et d'allocation des capitaux notamment. Cette régulation doit 74 agir à deux niveaux : au niveau des règles macroprudentielles comme au niveau des règles microprudentielles, qui concernent plus directement les organisations prises au cas par cas ou les individus. Il semble ainsi indispensable de ne pas se contenter de données économiques purement techniques et de réintroduire la psychologie et la sociologie, de tenir compte des comportements humains, au cours de l'élaboration des règles de régulation de la finance. Cette « rerégulation » se double depuis une vingtaine d'années d'un mouvement croissant de regroupement des pays en entités régionales de tailles et de formes variées. Ce maillage institutionnel, s'il peut parfois constituer un labyrinthe inextricable de lois et de normes, se révèle également extrêmement protecteur pour des pays qui pris isolément sont dépassés par les montants des échanges financiers quotidiens. L'absence de cette protection dans le cas islandais et la volonté forte avec laquelle le nouveau gouvernement a impulsé le dépôt de la candidature islandaise pour l'adhésion à l'Union Européenne montrent bien quels sont les bénéfices que peut attendre un petit pays à économie ouverte d'une forme de protection collective. a) Le retour de la régulation Un besoin mondial La consolidation du système économique tel que nous le connaissons à l'heure actuelle, si elle ne permet pas de supprimer les causes d'instabilités profondes du capitalisme financiarisé, permet néanmoins de contenir celles-ci tout en évitant de bouleverser profondément et durablement les règles du jeu, ce qui serait une source de déstabilisation tout aussi puissante. Ce choix du « changement dans la continuité », qui montre bien au passage la puissante capacité du système capitaliste à endogénéiser les critiques, les assimiler pour survivre 79, s'est manifesté régulièrement au cours des deux dernières années durant les sommets économiques internationaux (G8, G20…) sans toutefois qu’il y ait eu de véritables avancées pour le moment, à un niveau mondial en tout cas. L'Union Européenne, confrontée aux difficultés de certains pays de la zone Euro, a elle pu avancer plus avant dans l'idée d'une intégration plus poussée de son architecture économique. 79 Voir par exemple l’ouvrage de Boltanski (Luc) et Chiapello (Eve), Le nouvel esprit du capitalisme. 75 La nécessité d'une « reréglementation » apparaît cependant forte, comme le souligne Dominique Plihon dans son ouvrage intitulé « Le Nouveau Capitalisme » 80. Selon lui, cette crise globale et systémique, qui a touché le capitalisme mondial en son cœur, a des racines multiples : sociales (questions de plus en plus saillantes des régimes sociaux et fiscaux, du surendettement au sein de nos sociétés), écologiques (surexploitation des ressources...) et géostratégiques (avec, pour reprendre la terminologie de Braudel, la montée en puissance de la « périphérie », qui profite de la défaillance du « centre »). La nécessité d'une « rerégulation » de l'économie et surtout de la finance apparaît alors urgente aux yeux des grandes puissances économiques, qui ont tout à perdre de cette spirale autodestructrice enclenchée depuis deux ans. Mais les pays en développement, et particulièrement les plus pauvres d’entre eux, sont malgré tout eux aussi touchés par cette crise de la finance et des pays développés, qui induit une réduction la part de l'aide au développement accordée par ces pays. Ainsi, si quelques pays parviennent à tirer leur épingle du jeu (Chine, Brésil, Turquie et quelques autres), la plupart des pays souffrent de cette situation. La réaction en chaîne qui a suivi la crise des subprimes de 2008 pousse ainsi à une plus grande régulation du système financier. Si plusieurs pistes semblent envisagées, aucune n'obtient pour l'instant l'assentiment de toutes les parties. La coordination se révèle être l'obstacle essentiel à la régulation de la finance. En effet, si la dérégulation pouvait se faire de manière unilatérale et pouvait apporter un avantage compétitif aux pays qui se lançaient dans cette démarche 81, la « rerégulation », synonyme dans un premier temps du moins de perte de compétitivité, ne peux se faire que de manière coordonnée. On retrouve ici une énième incarnation du célèbre dilemme du prisonnier 82. Ceci peut expliquer pourquoi, depuis une quinzaine d'années, les intégrations régionales ont le vent en poupe (voir ci-dessous). Régulation en Islande Le lendemain de crise a été brutal en Islande : nationalisation des banques, mises en place du contrôle des capitaux, fermeture de la Bourse... Bien évidemment, ces mesures d'urgences, uniquement destinées à sauvegarder l'économie réelle, ne peuvent être comparées à de la régulation. Des mesures relevant plus du domaine prudentiel ont été toutefois prise relati- 80 Plihon (Dominique), Le Nouveau Capitalisme, La Découverte, Coll. Repères, 127p, Paris, 2009 (3e édition) A tel point que les autres pays se voyaient même obligés de s'aligner sur les précurseurs s'ils ne voulaient pas être tenus à l'écart des flux financiers mondiaux. 82 Voir par exemple Eber (Nicolas), Le dilemme du prisonnier, La Découverte, collection Repères, juin 2006. 81 76 vement rapidement, notamment par le gouvernement intérimaire en place à partir de février 2009 et confirmé à son poste à partir du mois d’avril suivant. Ces mesures concernant tout d'abord l'architecture institutionnelle (redéfinition des rôles de la BCI, du FME et de plusieurs ministères) ont permis, parallèlement à la restructuration financière, de remettre sur pied le système bancaire national de façon très rapide. Des propositions ont été faites, notamment dans le rapport Jännäri, pour préparer la levée du contrôle des capitaux et le retour de l'Islande dans le marché mondial. Parmi ces suggestions on trouve entre autres la fusion du FME et de la CBI afin de créer une entité indépendante et d'un poids suffisant pour contrecarrer les tentatives d'influence qui pourraient provenir à la fois des mondes politiques et financiers. Ceci permettrait également une application plus stricte des règles édictées et, moyennant une augmentation des personnels disponibles, des inspections sur pièce et sur place, qui avaient été peu à peu abandonnées par un FME débordé au profit des simples déclarations et chiffres remis par les banques. Cette fusion permettrait enfin une intrication plus grande entre régulation macro et micro-prudentielle, augmentant d’autant leurs efficacités respectives. De la même manière, la participation dans les institutions internationales de coopérations en matière de régulation et de supervision financières doit être renforcée. b) La nécessaire prise en compte des facteurs sociologiques lors de l’élaboration des règles prudentielles Les règles prudentielles ne concernent le plus souvent que des aspects techniques, purement économiques, tels les ratios de capitaux (Ratio Cooke), ou des formes de régulations indirectes tel le droit de la concurrence, pour limiter les abus monopolistiques... Ces aspects sont évidemment primordiaux mais ne semblent pas suffisants lorsqu'on regarde de près les événements qui entourent les opérations financières. A ce titre, la crise islandaise est idéaltypique, car elle inclut de nombreux biais que l’on pourrait qualifier de biais « humains » et qui ont pu renforcer et amplifier les données économiques pour générer cette crise de dimension majeure à l'échelle d'un pays. L'aspect le plus évident et le plus souvent envisagé est celui des malversations, fraudes et autres pratiques délictueuses sanctionnées par la loi. Le cas islandais ne semble pas faire exception, même si les poursuites ne sont encore qu'à leurs balbutiements et n’ont pas encore donné lieu à des condamnations. 77 Un des biais principaux et qui a été déjà identifié en tant que tel dans le cas de la crise islandaise est celui de la « corporate governance » 83. Ce terme désigne entre autres l'incitation faite aux dirigeants et aux personnels des entreprises de satisfaire les intérêts et les désirs des actionnaires avant tout, parfois au détriment de l'activité économique première. Ce type de gouvernance induit tout une série de biais qui encouragent certaines dérives. Ainsi, l'intéressement des salariés aux résultats boursiers permet-il de faire converger les buts du personnel et des actionnaires, mais peut également pousser les individus à commettre certaines fautes. Ainsi, la rémunération à la participation des traders peut-elle pousser ceux-ci à prendre des risques inconsidérés pour faire augmenter le volume de leurs transactions et donc de leur fiche de paye, comme le démontre clairement l’affaire Kerviel 84. Cet aspect s'est doublé en Islande d'une relation inverse : les actionnaires majoritaires étant aussi les principaux clients des banques, les employés se sont retrouvés dans la position inconfortable de devoir donner leur avis sur des prêts concernant directement leurs « employeurs ». On peut donc douter que les dossiers ainsi présentés à leur examen aient subi les procédures de vérification habituelles ou qu’ils aient été refusés même lorsque des problèmes étaient détectés. Selon Karlo Jännäri, la « mentalité » des autorités de régulation qui appliquent les lois, des hommes politiques qui les votent, ainsi que celle des citoyens qui choisissent ces derniers, n'était pas orientée dans le sens d'une grande prudence, d'une suspicion à l'égard des banques. Cette attitude évangéliste, qui conduisait au dénigrement des « oiseaux de mauvaise fortune » qui prédisaient un retournement de la situation, ne permettait pas aux règles prudentielles, pas plus qu’au simple sens commun, de jouer à plein. Ainsi, il semble important, lors de l'élaboration des règles de régulation qui régissent ce secteur, de prêter une attention non seulement aux mécanismes économiques, techniques, mais également sociologiques et psychologiques qui entourent cette activité et qui peuvent influer sur certaines pratiques qui peuvent ne pas être illégales, mais dont les effets pervers (au sens sociologique du terme) peuvent contrecarrer l’effet-même les règles les plus claires. 83 cf. Plihon. Du nom du trader de la Société Générale qui a opéré des placements boursiers pour des montants astronomiques et né et à la barbe de ses propres superviseurs, placements qui se sont soldés par une perte sèche de plus de 5 milliards d’euros. 84 78 c) L’intégration régionale Les intégrations régionales ont le vent en poupe Pour tenter de reconstruire du lien entre les nations et de maintenir un poids conséquent face aux acteurs de l'économie financiarisée, les États ont, depuis une trentaine d'années, fait le choix de l'intégration régionale, ou plutôt des intégrations régionales. La première d'entre elle et la plus importante est bien évidemment l'Union Européenne. Les blocs régionaux créés plus récemment sont de portée moindre que celle de l'UE et entendent régir surtout et souvent uniquement les relations commerciales entre pays. Ce type de regroupement, que ce soit une zone de libre-échange, une union douanière ou un marché commun, autorise une coordination plus rapide et efficace entre les pays et permet de mettre en place des règles qui auraient autrement été sanctionnées par le marché si elles avaient été initiées par un pays isolé. De même, en cas de problème, la solidarité entre les pays permet à celui qui éprouve des difficultés de trouver des solutions à moindre mal, évitant ainsi les défauts de paiement dont on met plus longtemps à se relever. L'exemple de la Grèce au printemps 2010 éclaire bien cette situation : même si la solidarité européenne s'est révélée moins forte et unanime que prévue, elle a néanmoins fonctionné, évitant à ce pays de tomber totalement entre les griffes du marché, ce qui aurait sans doute abouti à son défaut souverain. Les intégrations régionales, qui sont donc le plus souvent à dominante économique 85, sont donc également fortement impliquées dans la régulation financière. C’est même un des avantages de ces regroupements multinationaux, à l’heure où la finance, totalement mondialisée, a tendance à échapper à l’emprise des Etats pris individuellement. Ainsi, comme le soulignent José de Luna Martínez et Thomas A. Rose 86, la nécessité de superviser en permanence et de façon efficace, ainsi que la volonté de le faire en réalisant autant que possible des économies d'échelle semble avoir été les deux principales raisons conduisant à l'adoption d'instances de supervision et de régulation intégrées surveillant l'ensemble du système financier. Cette supervision peut se faire de façon extrêmement variable, certaines unions créant de véritables agences aux pouvoirs étendus alors que d’autres se contenteront par défaut d’un service 85 Peut-on y voir encore l’influence de la thèse de l’effet pacificateur du marché, tel qu’il était décrit par les économistes classiques ? 86 Cf. de Luna Martínez (José ) et Rose (Thomas A.), International Survey of Integrated Financial Sector Supervision, , World Bank Policy Research Working Paper 3096, July 2003. 79 minimum. Surtout, de nombreux systèmes reposent encore sur des Banques Centrales et des Ministères des Finances extrêmement puissants conservant un très grand pouvoir décisionnel. L'intégration est un processus encore nouveau et qui n'a, la plupart du temps, pas encore complètement réussi à harmoniser son emprise sur l'ensemble du secteur financier. En particulier, les liens entre banques et compagnies d'assurances sont moins bien intégrés que ceux entre banques commerciales et banques d'affaires. Quel apport de l'Union Européenne pour l'Islande ? A cet égard, la situation islandaise est révélatrice du fait qu’un petit pays sans appuis extérieurs forts se retrouve très démuni en cas de crise. La fin de la Guerre Froide a renvoyé l’Islande à elle-même, seule dans l’Océan Atlantique Nord. Ni l’UE ni les USA n’ont plus de raisons supérieures autres que la solidarité pour lui venir en aide, et les complications de l’affaire Icesave montrent bien que jouer dans la cour des grands sans faire vraiment partie du club, en l'occurrence faire partie de l'Espace Economique Européen sans faire partie de l'UE, peut se révéler dangereux. C'est le raisonnement qu'a d'ailleurs adopté le gouvernement de Mme Sigurðardóttir, qui a déposé la candidature islandaise auprès de l'Union Européenne dans les semaines qui ont suivi son élection. Cette décision, si elle avait dans un premier temps reçu le soutien des 2/3 de la population 87, est cependant redevenue rapidement impopulaire. Aujourd'hui, 60% des personnes interrogées se prononcent même pour un arrêt des négociations avant même qu'elles aient pu commencer, entre autres raisons parce qu'elles vont coûter du temps et de l'argent à un pays qui n'en a pour le moment pas beaucoup. Cette vision de court terme est soutenue par nombre de partis politiques, puisque sur les quatre grands partis, un seul, le Parti Social-Démocrate, majoritaire au gouvernement, soutient pleinement cette adhésion. Le syndicat des patrons, longtemps pro-européen et en partie responsable du revirement de l’opinion publique qui s’était produit sur ce sujet au cours des années 2000, a lui aussi basculé du côté des anti-UE. 87 La population islandaise a pendant très longtemps rejeté toute idée d'adhésion à l'UE. Ce n'était que depuis quelques années, avec l'ouverture croissante du pays vers l'extérieur, que cette idée avait pu faire son chemin. 80 Cette désaffection est liée à la crainte d'une perte de souveraineté et d’une dilution de la petite nation islandaise au sein d'un ensemble de plus de 400 millions d'habitants. L'euro, qui était auparavant l’argument massue des pro-européens, a lui aussi perdu de sa superbe depuis le printemps 2010 et ne constitue pour le moment plus un pôle d'attraction suffisant. Pourtant, il reste selon plusieurs économistes un objectif inévitable, la Króna étant jugée trop faible et dangereuse dans une économie globalisée. Ainsi, selon Þórólfúr Matthíasson, professeur d’économie à l'Université d'Islande : « la Króna est comparable à un bolide qui sort de la route et tombe dans un lac. Effectivement, on est bien content de pouvoir monter sur le toit une fois dans le lac, mais on aurait peut-être préféré avoir une voiture qui ne nous fasse pas aller dans le lac ». Autrement dit, si la Króna a permis d'amortir le choc économique grâce à la dévaluation, qui n'aurait pas été possible si l'Islande avait adopté l'euro, elle est également en grande partie responsable de la surchauffe qui a mené à la crise. Une intégration dans la zone euro aurait certainement limité la croissance des banques, soumises à une régulation plus drastique, ce qui aurait de ce fait limité l'impact de la crise. Elle aurait également permis d'assouplir les négociations autour d'une éventuelle affaire Icesave : l'Islande, partie intégrante du club, aurait sans doute été traitée avec moins de rudesse par les Pays-Bas et le Royaume-Uni. Les autorités islandaises avaient en effet perdu toute crédibilité auprès de leurs vis-à-vis à l’étranger et s’étaient isolés en refusant de coopérer avec eux (notamment la Bank of England) pour redresser la situation des banques islandaises, en commençant notamment par réduire leur volume d’activité. Section 2. Enseignements pour le développement d’une petite économie ouverte Un des enseignements majeurs que l’on peut tirer du cas islandais est que le développement d’une petite économie ouverte se doit d’être équilibré et ne pas dépendre d’un seul secteur. L’équilibre est cependant difficile à trouver. En effet, la faible taille du marché intérieur ne permet pas aux entreprises d’atteindre facilement et dans de nombreux secteurs le seuil critique de rentabilité qui leur permettrait de faire face à la concurrence mondiale. Une des solutions qu’a adoptée l’Islande pendant de nombreuses années est de dresser des barrières à l’entrée pour protéger ses propres entreprises, solution qui est de moins en moins envisageable au fur et à mesure que l’Islande souhaite s’insérer plus avant dans l’économie mondiale. Mais le développement d’entreprises compétitives polarisées autour d’une seule et même activité, la finance dans le cas islandais, est tout aussi dommageable. L’économie en81 tière devient tributaire des résultats de cette filière, générant une forte instabilité et une forte volatilité. L’Islande a en quelque sorte vécu une forme de syndrome hollandais 88 autour de la finance, dont le développement a pu contribuer à asphyxier en partie les autres activités tournées vers l’extérieur (pêche, aluminium, tourisme). a) Quelle place de la finance ? L’exemple de l’Islande montre bien que la finance ne constitue pas le meilleur des secteurs sur lequel baser son développement économique. Cela tient à la dualité de ce secteur, à la fois moyen et fin, c’est-à-dire à la fois support des activités économiques et activité économique à part entière. En effet, même si la chute (ou la hausse) du cours de telle ou telle matière première peut avoir des conséquences particulièrement néfastes pour les pays concernés 89, un tel mouvement ne va pas immédiatement et irrémédiablement paralyser l’ensemble de l’économie. Or, un krach financier va non seulement balayer les entreprises de ce secteur, mais va fortement perturber, voire détruire, l’activité de nombreuses autres sociétés qui ont besoin des intermédiaires financiers pour fonctionner. Il apparaît donc avec le recul que le choix, plus ou moins inconscient, qui a été fait en Islande de favoriser le développement de la finance, était particulièrement risqué et porteur en lui-même des germes de la crise. La valeur d’exemple de la crise islandaise, au-delà des conséquences dramatiques qu’elle a eu sur les Islandais eux-mêmes, apparaît alors dans toute son ampleur et démontre bien la puissance qu’a acquis ce secteur depuis les années 80. L’Islande devrait ainsi saisir l’occasion qui lui a été donnée, bien malgré elle, pour mener le mouvement qui s’est enclenché depuis la crise de 2008 en faveur d’une rerégulation partielle du secteur. b) L’adoption de niches de développement Le développement d’une petite économie ouverte apparaît alors devoir se faire sur le modèle du marché de niches. Elle doit tirer profit de ses avantages comparatifs en matières 88 Le syndrome hollandais (dutch disease) a été décrit pour la première fois dans les années 80 par W. Max Corden and J. Peter Neary. Il désigne le phénomène qui a eu lieu dans les années 50 aux Pays-Bas après la découverte de plusieurs importants gisements de gaz. Petit à petit, les ressources issues de ce secteur, engendrant une hausse considérable du niveau de vie et une appréciation de la monnaie, ont contribué à diminuer la compétitivité-prix du pays dans d’autres secteurs. Ce phénomène s’applique principalement aux exportations de matières premières, mais on peut rapprocher le développement islandais des années 2000 avec une forme de syndrome hollandais financier. 89 Voir par exemple les crises pétrolières des années 70. 82 premières notamment, mais également et surtout développer plusieurs autres secteurs, secondaires et tertiaires, sur lesquels elle pourra développer un avantage compétitif. De même, un petit pays à l’économie ouverte, qui ne possède pas l’inertie suffisante pour lisser les cycles économiques, doit alors profiter de sa flexibilité et de son adaptabilité pour s’engager dans quelques secteurs de pointe qui assurent des productions à forte valeur ajoutée. L’Islande souffre d’un déficit de formation supérieure : le chômage inexistant a longtemps dissuadé les jeunes de s’engager dans des études longues 90. Il y a donc très peu de secteurs de pointe mais c’est un pays riche qui a les moyens de s’engager dans quelques secteurs d’avenir : l’énergie fait partie de ceux-là, tout comme la génétique. L’électricité : une base de développement L’Islande est un pays leader en matière d’énergies renouvelables, puisque l’intégralité de la production de son électricité est réalisée par ce moyen. Le secteur de l’énergie a déjà permis de développer un grand secteur économique dans le pays, celui de l’aluminium et des fonderies. Cet exemple d’entraînement des filières peut être poursuivi et diversifié. Ainsi, des projets avaient mis à l’étude avant la crise pour tirer des câbles sous-marins destinés à acheminer l’excédent de production électrique en direction des Iles Féroé ou de l’Ecosse. En effet, l’Islande dispose d’importantes réserves de production, que ce soit dans les domaines hydraulique ou géothermique. Ces projets doivent cependant être menés avec la plus grande coordination possible entre acteurs publics, privés et avec la société islandaise, pour éviter que ne se renouvellent les protestations qui avaient accompagnées la création de la 3e fonderie d’aluminium et surtout des barrages destinés à son alimentation en énergie. Un autre exemple d’entraînement grâce au secteur énergétique est celui du développement des « data-center » dans plusieurs villes de l’île, comme Keflavík. L’Islande, dont le coût de production d’électricité est imbattable, possède un avantage absolu pour l’implantation de ces infrastructures, très gourmandes en énergie (aussi bien pour le fonctionnement des serveurs que pour la climatisation des salles dans lesquels ils fonctionnent). Le développement réel de cette activité vers de hauts volumes d’échange sera toutefois sans 90 La brusque augmentation du chômage consécutive à la crise montre d’ailleurs bien la corrélation qui existe entre marché du travail et études supérieures : suite à la montée du chômage, passant de 2% environ à 8% de la population active, les inscriptions dans l’enseignement supérieur ont augmenté de 20% à la rentrée 2009. 83 doute dépendant de l’installation de nouveaux câbles sous-marins en fibre optique, pour permettre d’acheminer suffisamment d’informations au meilleur débit possible 91. Dernier exemple d’effet d’entrainement, celui du moteur à hydrogène. L’Islande avait initié une activité de recherche dans ce domaine 92. La crise a coupé court à ce projet, pour lequel le faible coût de l’électricité, qui permet de réaliser l’électrolyse de l’hydrogène à partir d’eau, autre ressource que l’Islande possède en grande quantité, est un atout indéniable. Les énergies renouvelables : un secteur de pointe à part entière Mais le secteur de l’énergie n’est pas seulement un support de développement, il est également un secteur de pointe à part entière. L’expérience de l’Islande en matière de géothermie est reconnue dans le monde entier 93. Par exemple, IDDP (Iceland Deep Drilling Project) est un consortium énergétique islandais établi en 2000 dont l'objectif est d'optimiser la production d'énergie d'origine géothermale en développant la technologie des forages en grande profondeur 94. De même, de nouvelles formations ont été ouvertes dans les universités et les écoles techniques islandaises depuis 2008, pour faire face au regain d’intérêt des islandais pour ce secteur à l’abri de toute crise. De plus en plus d’étrangers viennent également suivre ces cours dans le cadre d’échanges technologiques, comme c’est le cas avec le Chili par exemple. Enfin, le partenariat initié en juin 2010 avec la Chine repose essentiellement côté islandais sur le savoir-faire acquis dans ce domaine, savoir-faire dont veulent profiter les Chinois pour l’exploiter dans leur pays. La génétique La génétique fait également partie des développements intéressants en Islande du fait de la situation particulière qui a été celle de ce pays pendant des siècles. En effet, l’Islande a vécu très renfermée sur elle-même, ne connaissant que peu d’apports extérieurs, aussi bien en ce qui concerne les êtres humains que les animaux. Le patrimoine génétique des Islandais comme celui des animaux présents sur l’île est donc unique et permet de faire de la recherche 91 Ainsi, il n’existe pas d’abonnements internet illimités en Islande. En effet, la plupart des requêtes étant dirigées vers des serveurs à l’extérieur de l’île, tous les flux passent par les goulets d’étranglements que sont les câbles sous-marins. Les prix sont alors fixés au volume, pour éviter de saturer ces derniers. 92 L’Islande a été le premier pays à se doter d’une station-service distribuant de l’hydrogène. 93 Le récent accord conclu avec les chinois prévoit une coopération renforcée entre ces deux pays dans ce domaine, la Chine voulant développer la géothermie dans certaines de ses provinces. 94 Ce principe consiste à utiliser certains fluides aux particularités chimiques spécifiques pour produire de l'énergie électrique dans un contexte géothermal à haute température. Cela nécessite le forage de plusieurs puits de plus de 4 kilomètres de profondeur pour atteindre des températures supérieures à 450 °C (235 °C dans les puits habituels), ce qui suppose donc le développement de technologies nouvelles. Une augmentation d'un facteur dix de la production électrique de chaque puits est attendue. 84 très poussée 95. Une entreprise créée en 1996 à Reykjavík tente de tirer profit de celui-ci pour développer des médicaments contre le cancer ou la schizophrénie notamment. Portant le nom de DeCODE, elle avait même été introduite au NASDAQ, avant d’être retirée de la cotation en novembre 2008. Après avoir été mise en faillite une année plus tard, elle a pu être recapitalisée et reprendre son activité. Cet intérêt pour le développement de la vie animale se manifeste également sur l’Ile de Surtsey, qui fait partie de l’archipel des Iles Vestmann. Créé de toutes pièces au cours d’une éruption volcanique dans les années 60, ce territoire nouveau a immédiatement fait l’objet d’un embargo scientifique : l’accès est restreint aux seules équipes de l’Université d’Islande, qui profitent de cette occasion unique qui est donnée à l’être humain pour assister en temps réel et à l’échelle d’une vie humaine à la création et la disparition d’un écosystème. En effet, l’érosion forte qui se produit laisse penser que l’île aura disparu d’ici une trentaine d’années. Les chercheurs profitent donc de cette fenêtre de temps pour recréer un modèle miniature de colonisation d’un habitat par les espèces animales et végétales. 95 DeCODE avait même obtenu des pouvoirs l’autorisation de procéder au fichage génétique de tous les islandais pour constituer une base de données opérationnelle, avant de devoir renoncer à cette entreprise face aux protestations de la population. 85 Annexes • Tableaux statistiques : Figures 1 à 8. • La faible indépendance des instances de régulation islandaises : schéma. • Chronologie détaillée du mois d’octobre 2008. 86 Annexe I. Tableaux Statistiques Figure 1 : Evolution de la population active 200000 150000 100000 50000 Primaire Secondaire 2004 2001 1998 1995 1992 1990 1987 1984 1981 1978 1975 1972 1969 1966 1963 0 Tertiaire Figure 2 : Poids de la pêche dans l'économie islandaise 100% 90% 80% 70% 60% 50% 40% 30% 20% 10% 0% 60 65 70 75 80 85 91 92 93 94 95 96 97 98 99 00 01 02 03 04 05 06 07 08 09 Part du secteur maritime dans l'emploi total Part du secteur maritime dans les exportations de biens 87 Année Figure 3 : Part de l'aluminium dans la valeur totale des exportations 45,00% 40,00% 35,00% 30,00% 25,00% 20,00% 15,00% 10,00% 5,00% 1969 1971 1973 1975 1977 1979 1981 1983 1985 1987 1989 1991 1993 1995 1997 1999 2001 2003 2005 2007 2009 0,00% Figure 4 : Consommation d'énergie par secteur 100% 80% Services Publics 60% Pêche Services 40% Agriculture 20% Ménages Industrie 0% Figure 5 : Indices du salaire moyen (base 100 au 01/01/89) 400 350 300 250 200 150 100 50 88 2009 2008 2007 2006 2005 2004 2003 2002 2001 2000 1999 1998 1997 1996 1995 1994 1993 1992 1991 1990 1989 0 140,0 Jan. 1981 Jan. 1982 Jan. 1983 Jan. 1984 Jan. 1985 Jan. 1986 Jan. 1987 Jan. 1988 Jan. 1989 Jan. 1990 Jan. 1991 Jan. 1992 Jan. 1993 Jan. 1994 Jan. 1995 Jan. 1996 Jan. 1997 Jan. 1998 Jan. 1999 Jan. 2000 Jan. 2001 Jan. 2002 Jan. 2003 Jan. 2004 Jan. 2005 Jan. 2006 Jan. 2007 Jan. 2008 Jan. 2009 Jan. 2010 89 08 06 04 02 00 98 96 Dette publique 94 92 90 88 86 84 82 80 40 20 2010 2008 2006 2004 2002 2000 1998 1996 1994 1992 1990 1988 1986 1984 1982 1980 80 Figure 6 : Inflation 70 60 50 40 30 20 10 0 Figure 7 : Finances publiques en % du PIB 60 Besoin/capacité de financement 8 50 6 4 30 2 0 -2 10 -4 0 -6 Figure 8 : Parité Krona/Dollar en moyenne annuelle 120,0 100,0 80,0 60,0 40,0 20,0 0,0 Annexe II. La faible indépendance des autorités de supervision et de régulation Relation indirecte D é p a r teme n t d ’ E c o n omie e t d e F in a n c e I n te r n a tion ale Relation directe Bureau du P r e mie r Min is tr e Min is tè r e d e s A f f a ires E tr a n gèr es B a n q u e C e n tr a le d ’ I s la n d e A u to r ité d e S u p e r v is ion F in a n c ièr es (F ME ) Min is tè r e d e s F in a n c es F o n d d e G a r a n tie d e s D é p ô ts e t I n v e s tis se men ts (D I G F ) Min is tè r e d e l’ E c o n o mie Fond de F in a n c eme n t d e l’ I mmo b ilie r (H F F ) Min is tè r e d e s A f f a ires S o c ia le s C o mité d e C o o r d in a tion C r is e E c o n o miq u e 90 Groupe C o n s u lta tif s u r la S ta b ilité F in a n c ièr e Annexe III. Chronologie détaillée du mois d’octobre 2008 - 29 septembre : La troisième banque du pays, Glitnir, est nationalisée par le gouvernement suite à la demande par l’établissement d’un prêt de liquidités de 600 millions d’euros trois jours auparavant. L’État islandais injecte les 600 millions d’euros pour renflouer l’établissement, et récupère en contrepartie 75% de son capital. Une situation que le gouvernement veut provisoire, en attendant que la situation se normalise. - 6 octobre : "L’Islande est au bord de la banqueroute", dixit Geir Haarde, le premier ministre islandais, qui justifie ainsi la promulgation des lois d’urgences, qui permettent à l’État, le cas échéant, de prendre le contrôle des banques si elles se trouvent en difficulté. - 7 octobre : Le gouvernement prend le contrôle de Landsbanki, 2ème banque du pays, dont la particularité est de posséder plus de déposants au Royaume-Uni qu’en Islande, via sa filiale Icesave. Gordon Brown réagit immédiatement et veut poursuivre l’Islande en justice, car les comptes de 300 000 clients sont gelés. - 8 octobre : La crise financière devient diplomatique. Face à la nationalisation de Landsbanki et au gel des comptes de Icesave, le Royaume-Uni saisit les actifs bancaires islandais dans le pays en appliquant une loi anti-terroriste. Une décision unilatérale afin de pouvoir indemniser les clients d’Icesave le cas échéant. La Russie annonce son intention de prêter 4 Mds$ à l’Islande. - 9 octobre : La plus grande banque du pays, Kaupþing, est mise sous tutelle à son tour, la direction démissionne. La bourse islandaise est suspendue. - 11 octobre : Les Islandais descendent dans la rue et manifestent devant l’Alþingi. Un fait excessivement rare dans un pays généralement peu contestataire. Les manifestants réclament la démission du gouvernement et des dirigeants de la banque centrale. Le premier ministre Geir Haarde est critiqué pour sa gestion de la crise, et notamment la nationalisation précipitée de Glitnir. - 14 octobre : Reprise des cours à la bourse de Reykjavík, sans les trois banques, qui représentaient 75% de la valeur de la bourse avant sa fermeture. La Norvège accorde un prêt à l’Islande d’une valeur de 400 millions d’euros. - 17 octobre : L’Islande n’obtient pas le siège non-permanent au conseil de sécurité de l’ONU. Alors que les votes lui semblaient favorables avant la crise, l’Islande est arrivée en 3ème et dernière position, loin derrière l’Autriche et la Turquie. Les problèmes économiques et la crise diplomatique avec le Royaume-Uni ont sans doute joué un rôle dans l’échec islandais à l’ONU. - 24 octobre : L’Islande demande l’aide du FMI. Un accord de principe est trouvé, le prêt devant servir à rassurer les pays qui pourraient prêter de l’argent. - 29 octobre : Les îles Féroé accordent un "petit" prêt de 40 millions d’euros pour participer au sauvetage d’un pays historiquement et culturellement très proche. - 3 novembre : La Norvège accorde un nouveau prêt à l’Islande, d’un montant de 500 millions d’euros. - 10 novembre : Le FMI diffère la ratification de son aide à l’Islande. Certains y voient la main du Royaume-Uni et des Pays-Bas qui veulent régler leurs différents sur les dépôts britanniques étrangers en Islande avant que le FMI ne vienne en aide au pays. - 16 novembre : Le différend opposant Londres, La Haye et Reykjavík est réglé grâce à l’intervention de la Présidence Française de l’UE qui sert d’intermédiaire. Des principes (Brussels Guidelines) vont servir à définir les modalités de remboursement de la dette liée à Icesave. - 19 novembre : Le FMI ratifie l’accord passé le 24 octobre dernier et débloque des fonds à destination de l’Islande : 2.1 milliards de dollars sur deux ans, dont 800 millions dès la ratification, prêt qui sera remboursé entre 2012 et 2015. Cet accord ouvre la voie aux prêts de nations européennes, telles la Suède et le Danemark mais aussi la Russie, le Japon. Au total, quelques 3 Mds$ sont évoqués. 91 Bibliographie Ouvrages et Articles Généralistes ▪ Aglietta (Michel), La Crise, Michalon, 2009, 128p. ▪ Aglietta (Michel), Macroéconomie financière, Repères, La Découverte, 255p. Boltanski (Luc), Chiappello (Eve), Le nouvel esprit du capitalisme, Gallimard, Coll. NRF Essais, 1999, 843 p. ▪ ▪ Bürgenmeier (Beat), Analyse et politiques économiques, Economica, 535p. Calderón (César), Loayza (Norman) & Schmidt-Hebbel (Klaus), Does openness imply greater exposure, World Bank Policy Research Working Paper 3733, October 2005 ▪ ▪ Eber (Nicolas), Le dilemme du prisonnier, La Découverte, coll. Repères, 2006. ▪ Généreux (Jacques), Économie politique 3 : Les politiques en économie ouverte, Gurría (Angel), Seminar on “Embracing globalisation in the 21st century: a dialogue on the Nordic approach”, OCDE, Paris, 2008 ▪ Hénin (Pierre-Yves), Marois (William) et Michel (Philippe), Déséquilibres en économie ouverte, Economica, Paris, 1985, 361p ▪ King (Robert G.), Levine (Ross), Finance and Growth: Schumpeter Might be Right, The Quarterly Journal of Economics, Vol. 108, No. 3. (Aug., 1993), pp. 717-737 ▪ ▪ Pour l’ouverture des marchés, les avantages de la libéralisation des échanges et de l’investissement, OCDE ▪ Mankiw (Gregory N.), Macroéconomie, De Boeck, Ouvertures Economiques, 655p. Nihal (Bayraktar), Yan (Wang), Banking Sector Openness and Economic Growth, World Bank Policy Research Working Paper 4019, Octobre 2006 ▪ ▪ OCDE, « Les politiques agricoles des pays de l'OCDE : Suivi et Évaluations 2007 » Plihon (Dominique), Le Nouveau Capitalisme, La Découverte, Coll. Repères, 127p, Paris, 2009 (3e édition) ▪ Ressources sur l'Islande Central Bank of Iceland (Economics Department), Iceland – Current policy issues, Janvier 2010 ▪ ▪ Forelle (Charles), The Isle that rattled the world, Wall Street Journal, 27/12/2008 Gumbel (Peter), Iceland : The country that became a hedge fund, Fortune, 12/8/2008, Vol. 158 Issue 11, p118-128, 7p ▪ ▪ Guðmundsson (Már), The financial crisis in Iceland and the fault lines in cross-border banking, Central Bank of Iceland, Speech at FIBE, Bergen, 7 January 2010. Haralz (J.H.), Inflation experience in Iceland, Journal of Post-Keynesian Economics, VOL III, N° 3, Printemps 1981 ▪ 92 Mer (Jacques), L'Islande : une ouverture obligée mais prudente, La Documentation Française, Paris, 1994, 168 p. ▪ ▪ Mer (Jacques), Portrait de l'Islande, La Documentation Française, 2004, 144p Suppanz (Hannes), Controlling public spending in Iceland, Economics Department Working Papers N°360, OCDE, 2003 ▪ Tulip (Peter), Financial markets in Iceland, Economics Department Working Paper No. 549, OCDE, 02/04/2007 ▪ ▪ The Economy, Economic Policies 2002, OCDE ▪ Iceland hunts the euro, The Economist, 24/01/2009 ▪ Economic Survey of Iceland, 2008, OCDE Ressources électroniques Chronologie tirée du site de la Documentation http://www.ladocumentationfrancaise.fr/dossiers/crise-financiere-20072008/chronologie.shtml ▪ ▪ United Nations Development Program : http://www.undp.org/ ▪ Fond Monétaire International : http://www.imf.org/external/index.htm ▪ Institut Statistique Islandais : http://www.statice.is/ Française Portail de statistiques de l'OCDE http://www.oecd.org/statsportal/0,3352,fr_2825_293564_1_1_1_1_1,00.html ▪ ▪ Sites d’informations anglophones sur l’Islande : ◦ http://www.kom.is/english/iceland-news-briefs/ ◦ http://www.icenews.is/ ◦ http://icelandreview.com/ 93 : : Remerciements Table des Matières 4 Avertissement 5 Index des abréviations, acronymes et termes islandais 6 Sommaire 7 Introduction 9 Une crise mondiale 9 Des conséquences locales Premier Partie. 10 Histoire d’une métamorphose économique 13 Chapitre I. Le modèle de développement islandais au tournant des années 90 14 Section 1. a) Avant : Ruralité et matières premières Poissons, agriculture et aluminium : une économie de matières premières 14 14 Une agriculture « vivrière » 15 La Pêche : le secteur exportateur traditionnel 15 L’aluminium : un semblant de stratégie de développement 16 L’énergie : un secteur de pointe pour l’Islande 17 b) Un Pacte Social fort 18 c) Des dysfonctionnements croissants 19 L’inflation : la soupape de l’économie islandaise 20 Le creusement des déficits publics dans les années 80 21 Section 2. a) b) c) Après : émergence d’un secteur financier ultra performant Redressement macroéconomique 23 Réduire les déficits publics 23 Juguler l‘inflation 25 Intégration dans l’économie-monde 26 Espace Economique Européen : la fin du protectionnisme ? 26 Le Tourisme : conséquence de cette intégration 27 Le règne de l’économie financiarisée 28 Les 3 D en Islande 29 La consommation à crédit : l’effet de levier pour tous 30 Chapitre II. Contradictions et faiblesses Section 1. a) 22 Les failles de la nouvelle stratégie économique Faiblesses intrinsèques de l’économie islandaise La monnaie en question 34 34 34 34 94 Une balance commerciale largement déficitaire 35 b) Les contradictions du passeport européen 36 c) Une régulation désarmée 37 La Banque Centrale d’Islande : une faible indépendance par rapport au pouvoir 37 Le FME : une institution sous-dimensionnée 39 Une garantie souveraine de facto 40 Section 2. Aspects sociologiques 41 a) L’apathie politique 41 b) L’aveuglement face à la richesse 42 c) La grande proximité entre milieux économiques et politiques 43 Deuxième Partie. La crise en Islande 45 Chapitre III. Chronologie des événements Section 1. Prémices 45 45 Le boom à partir de 2003 45 La mini-crise de 2006 47 Section 2. Point de non-retour 48 2007 : le système à son apogée 48 Le début de la fin : Printemps et été 2008 49 Section 3. La crise d’Octobre 2008 51 Chapitre IV. Pourquoi la crise était inévitable 53 Section 1. Une crise inéluctable 53 a) Une crise mondiale 53 b) Des banques disproportionnées 54 c) Une capitalisation représentant 9 fois le PIB annuel 54 Une capitalisation factice (weak equity) 55 La finance islandaise est largement consanguine 56 Le comportement délictueux des dirigeants 57 Des liens suspects avec certains hommes politiques 57 Pratiques illicites 58 Section 2. a) b) La salvatrice crise des subprimes Un brusque retour sur terre 59 59 Explosion de la dette des ménages et des entreprises : la chute de la Króna 59 Le secteur des PME est lui aussi ravagé 60 Une catastrophe évitée de justesse 60 Les éléments stables de l’économie islandaise 61 La fin de l’Islande ? 61 Troisième Partie. Les défis, la sortie de crise 95 63 Chapitre V. Où en est-on ? Les mécanismes réparateurs de court terme. Section 1. Réparation des dégâts 63 63 a) Le programme FMI : réduction des déficits pour contenir la dette 63 b) La restructuration du secteur bancaire 65 Le cas des grandes banques 65 Les banques d'épargne 66 La réforme des instances de supervision 67 Bilan 68 c) Enquêtes parlementaires et judiciaires : le système légal invité à la reconstruction de l’économie 69 Section 2. Interférences internationales 70 a) Des créanciers internationaux 71 b) L’affaire Icesave 72 Chapitre VI. Quelles réformes de long terme ? Section 1. a) Régulation et coordination : les valeurs d’avenir Le retour de la régulation 74 74 75 Un besoin mondial 75 Régulation en Islande 76 b) La nécessaire prise en compte des facteurs sociologiques lors de l’élaboration des règles prudentielles c) 77 L’intégration régionale 79 Les intégrations régionales ont le vent en poupe 79 Quel apport de l'Union Européenne pour l'Islande ? 80 Section 2. Enseignements pour le développement d’une petite économie ouverte 81 a) Quelle place de la finance ? 82 b) L’adoption de niches de développement 82 L’électricité : une base de développement 83 Les énergies renouvelables : un secteur de pointe à part entière 84 La génétique 84 Annexes 86 Bibliographie 92 Table des Matières Résumé 97 Mots Clés 97 94 96 Résumé L’incarnation de la crise financière en Islande, secouée par une secousse d’une magnitude sans précédents pour un pays développé à l’automne 2008 a pu surprendre à la fois par son apparente soudaineté et son ampleur, qui a conduit le pays à solliciter l’aide du Fonds Monétaire International. Ce mémoire s’attache à montrer les mécanismes à la fois économiques, financiers et sociologiques qui ont contribué à ce Krach qui apparaissait dès lors comme inévitable. Nous verrons qu’un développement économique rapide bâti essentiellement sur la finance, à la fois secteur économique mais aussi support de l’activité économique n’est pas souhaitable pour un petit pays à l’économie ouverte tel que l’est l’Islande. Il ne faut toutefois pas surestimer l’ampleur des dérives du monde de la finance et les replacer dans le contexte économique instable qui est celui de l’Islande, ainsi que dans le contexte culturel de désintérêt traditionnel pour la chose publique et de réseaux de connaissances denses qui a pu permettre à certaines dérives clientélistes de se développer au détriment d’une régulation stricte du secteur. Nous analyserons ensuite le travail qui a été effectué depuis pour renflouer l’économie islandaise, puis nous proposerons enfin quelques pistes qui pourraient permettre d’éviter qu’une telle spirale infernale ne se reproduise : refonte du mode de régulation de la finance, insertion plus poussées dans des intégrations régionales et développement multisectoriel basé sur une stratégie de niches. Mots Clés Islande, Crise financière, Régulation, Icesave, Union Européenne, Développement. 97