Intimité et sexualité

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Intimité et sexualité
Intimité et sexualité
Lettre pastorale des évêques de l’Ontario aux élèves des écoles
secondaires
Chers jeunes,
Une enseignante raconte qu’un visiteur devait venir parler de chasteté aux
élèves de sa classe de 10e année. Pour les préparer à cette visite, elle présente
le sujet et invite les élèves à formuler des questions. Un élève fait la suggestion
suivante : «Pourquoi ne pas écrire tout simplement au tableau : interdit? Ainsi
nous en serons quittes pour la leçon!»
Cette lettre se veut un message plutôt qu’une leçon; nous voulons vous exprimer
toute la confiance que nous avons en vous. Tout comme vos parents et vos
professeurs, nous voulons noter les grandes qualités qui, chez vous, suscitent
notre admiration, l’enthousiasme, la franchise, la loyauté, la capacité d’aimer, le
sens de l’humour et l’esprit d’aventure. Nous savons combien vous êtes désireux
et désireuses d’atteindre la pleine maturité, tant au plan chrétien qu’au plan
humain. Nous voulons surtout vous dire combien chacune et chacun est sacré(e)
à nos yeux, comme aux yeux de Dieu.
Plusieurs raisons nous ont amenés à vous parler ici d’intimité et de sexualité. En
premier lieu, nous éprouvons pour vous un profond respect et nous nous
soucions de votre bonheur. Nous savons combien les relations interpersonnelles
sont importantes dans la vie de chacun et de chacune de vous. Ce qui nous
inquiète vivement, ce sont les messages traitant d’intimité et de sexualité et dont
la teneur reflète une quantité d’opinions contradictoires : un grand nombre sont
faux, dommageables même. Vous avez droit à toute la vérité. Nous vous
parlerons donc en toute franchise, en espérant que vous accueillerez ces pages
avec un cœur et un esprit ouverts.
Voir les choses comme elles sont
Nous nous rendons bien compte qu’en ce début du vingt et unième siècle, les
jeunes sont appelés à relever des défis jusqu’à présent inconnus : l’éclatement
de la famille; les rapports sexuels en dehors du mariage que l’on décrit comme
«responsables» si l’on prend les précautions voulues; la pornographie, dont
l’industrie est en plein essor; le sida et les autres maladies transmises
sexuellement. Voilà autant de menaces réelles et omniprésentes.
Tous les jours, la télévision, le cinéma, la radio, les journaux et les revues, nous
inondent de théories et d’opinions de tout genre sur la sexualité. Les relations
sexuelles à tout hasard, selon les occasions, sont présentées comme normales
et même à encourager. Sur les ondes, on expose, de façon désinvolte, les
détails les plus intimes sur la vie sexuelle des gens. La publicité fait la promotion
des produits selon leur degré de «sex-appeal». Ce ne sont là que quelques
exemples des valeurs véhiculées dans la société dans le domaine de la
sexualité. S’il est vrai que les médias ne réussissent pas à détruire les valeurs
chrétiennes ni la capacité pour les personnes de faire des choix, il est difficile de
nier ou de méconnaître leur impact sur les courants de pensée.
La perception que vous avez de la sexualité est aussi influencée par vos parents,
vos professeurs et vos amis. Il vous arrive sûrement d’en discuter avec eux, en
abordant une foule de sujets tels que les fréquentations, les relations
interpersonnelles, la différence entre l’amour et l’engouement et les maladies
transmises sexuellement. Il faut traiter de ces questions en tenant compte des
valeurs chrétiennes.
Si nous prenons la peine de vous écouter, nous apprenons que les messages
qui vous sont transmis sur la sexualité sont souvent confus, contradictoires et
même troublants. Par exemple, on entendra :
- Tous les jeunes sont actifs sexuellement.
- Attendons d’être mariés.
- Soyez prudents : utilisez un condom.
- Si ça me plaît, pourquoi pas?
- La sexualité est un don merveilleux.
- Sans protection, le sexe peut être mortel.
S’agit-il de quelque chose de fondé ou d’une simple opinion? Est-ce un bon ou
un mauvais conseil? Est-ce la vérité ou un pur mensonge? Peut-on faire tel choix
sans trahir sa foi chrétienne? Comment réagir lorsqu’on nous invite à avoir une
relation sexuelle? Ce sont là autant de questions dont la réponse n’est pas facile.
Intimité et amitié
Les études et les sondages menés auprès des jeunes indiquent qu’ils aiment
discuter de sexualité avec les adultes en qui ils ont confiance. Ce n’est pas tant
les aspects biologiques de la sexualité qui les intéressent que la dimension
amitié, ou encore l’intimité et les relations amoureuses. Notons les questions qui
surgissent le plus souvent :
- Comment renouer une relation rompue à cause d’une mésentente?
- Pourquoi la solitude est-elle si pénible à supporter?
- Comment, tout en étant loyal envers ses amis, se faire respecter et
demeurer fidèle à soi-même?
- Comme savoir si je suis vraiment amoureux de telle personne?
- Comment dire non à quelqu’un, à quelqu’une que nous aimons?
Ce questionnement sur les relations interpersonnelles est tout à fait légitime.
Dieu a déposé dans l’être humain des besoins très profonds, en particulier le
besoin d’être aimé, celui d’être accepté par les autres et celui de pouvoir leur
faire confiance.
Vous savez d’expérience combien une amitié solide peut être précieuse. Entre
amis, on s’accepte tel qu’on est : peu importe l’apparence, la personnalité, les
intérêts, les talents et les faiblesses. Entre amis, on se fait confiance, on partage
les hauts et les bas de la journée, de même que les rêves et les espoirs pour
l’avenir. Quand on éprouve le besoin de parler, l’ami écoute volontiers. Parce
que la confiance existe entre amis, ils sont bien ensemble et savourent un
sentiment de sécurité. L’attitude fondamentale de l’amitié peut se décrire dans
l’expression : «Je suis là pour toi.» Cette définition de l’amitié avec tout ce qu’elle
suppose d’acceptation de l’autre, d’ouverture, de confiance et de fidélité
s’applique à toute relation intime, que ce soit entre amis ou amies, entre deux
jeunes amoureux ou entre les partenaires d’un couple marié depuis de
nombreuses années. Il y a, bien sûr, des différences importantes dans ces
relations, mais leur point commun est qu’en chacune il y a une intimité fondée
sur la révélation de soi, c’est-à-dire un vouloir de connaître et d’être connu tel
qu’on est vraiment.
Aujourd’hui le mot intimité est souvent employé dans le sens d’intimité sexuelle.
En réalité, la véritable intimité existe là où il y a acceptation et confiance
réciproques, avec ou sans relations sexuelles. Il arrive souvent que nous avons
des relations familiales ou amicales qui sont enracinées dans une intimité
spirituelle ou affective qui n’implique aucunement une signification sexuelle.
La capacité d’avoir des rapports intimes grandit avec la personne. Les amitiés
qu’on a au cours de la période de l’adolescence sont plus intimes que celles que
l’on a au cours de l’enfance parce que nous avons alors une meilleure
connaissance de nous-mêmes, une personnalité plus développée qui nous
permet de partager davantage. En même temps, nous sentons un désir plus
intense d’explorer toutes les dimensions des relations humaines. Nos amitiés
sont plus riches, au fond, parce que nous avons, à cet âge, plus à donner.
C’est aussi à l’adolescence que l’on découvre combien l’amitié et l’intimité
peuvent nous exposer à la souffrance. Y a-t-il une expérience humaine plus
pénible que celle d’être rejeté par une personne en qui on avait placé sa
confiance? La plupart d’entre nous le savons d’instinct; d’où notre prudence
quand on a affaire à des personnes que l’on ne connaît pas très bien. L’intimité
et la confiance ont besoin de temps pour se développer et grandir; elles ne
s’imposent pas. Elles sont un cadeau que deux personnes s’offrent l’une à
l’autre. On ne réclame pas un cadeau : il est librement offert et accepté.
Amour et sexualité
Parler d’amitié, d’intimité et d’amour est aussi parler de sexualité, parce que la
sexualité a beaucoup à voir avec l’amour et l’intimité. Certains décrivent la
sexualité comme le langage de l’amour, comme une force qui fait sortir de soi
pour aller vers l’autre. C’est aussi un aspect fondamental de notre personnalité et
de notre identité comme être humain. La sexualité, c’est-à-dire le fait d’être
homme ou femme, n’est pas quelque chose que nous possédons, c’est ce que
nous sommes. C’est une des merveilles de la création; elle englobe toute la
personne, corps et esprit.
Quand un enfant naît, on veut savoir tout de suite si c’est un garçon ou une fille.
L’enfant, en grandissant, découvre sa sexualité. Il acquiert certaines
connaissances d’ordre physiologique : la différence entre les sexes, la
conception et la croissance d’une nouvelle vie humaine, la maturation sexuelle à
l’âge de la puberté. Ces connaissances ne sont qu’une partie de tout ce que
comprend la sexualité. Elles n’expliquent pas à elles seules le sens profond
d’être un homme ou une femme, ni ce que signifie se comporter comme un
homme ou comme une femme. Comment les hommes et les femmes sont-ils
censés entrer en relation les uns avec les autres? Comment réagir aux pulsions
sexuelles? Quelle est la différence entre l’amour et le sexe ou entre l’intimité et le
sexe?
Dès le début, dans l’Ancien Testament, il est écrit que l’homme et la femme sont
faits l’un pour l’autre. Dans le plan de Dieu, l’homme et la femme entrent dans un
partenariat très intime. L’amour réciproque qu’ils éprouvent l’un envers l’autre est
si fort et si débordant qu’il rejaillit dans une nouvelle vie. Les rapports sexuels à
l’intérieur du mariage sont le signe de cet amour fait de réciprocité, de fidélité,
d’ouverture, de confiance et d’acceptation mutuelle qui unit les époux l’un à
l’autre. C’est grâce à cet amour que les enfants sont conçus et accueillis,
généreusement et inconditionnellement, et que la famille devient un milieu où
l’on peut s’épanouir en toute sécurité.
Peut-être trouverez-vous cette description du mariage et de la vie familiale
idéaliste et même dépassée. Votre expérience personnelle ou celle de votre
entourage peuvent vous amener à croire qu’il est impossible de vivre l’idéal
chrétien de la sexualité et du mariage. Il est certainement facile de trouver des
couples qui ont échoué dans leur projet de mariage ou qui ont rejeté
complètement la vision chrétienne du mariage. Puisque la société actuelle
transmet des messages, souvent confus et contradictoires, sur la sexualité et le
mariage, il arrive que l’on s’enfonce dans l’indifférence en ce qui concerne les
valeurs chrétiennes. On arrive même à les mépriser. Elles nous semblent
irréalistes, démodées. Certains vont jusqu’à prétendre que le plan de Dieu est
appelé à changer puisque si peu de gens semblent s’y conformer.
Mais il ne nous appartient pas de refaire le plan de Dieu pour l’humanité. Il faut
écarter l’idée de définir la personne humaine en recourant à des critères de
facilité ou en suivant la moindre mode passagère de la société contemporaine.
Nous sommes créés par Dieu; notre bonheur consiste à entrer dans le projet
d’amour qu’Il a prévu pour nous.
La chasteté
Qu’est-ce que la chasteté? Serait-ce ce grand INTERDIT dont nous parlait
l’élève au début de cette lettre? S’il s’agissait plutôt d’une force vive au cœur de
notre existence, une force qui nous oriente vers l’intimité et l’amour véritable?
La chasteté est une vertu – un pouvoir, une force – que nous développons, bien
sûr, avec la grâce de Dieu. Les vertus se comparent à des habitudes, à des
manières de se comporter. La personne chaste est celle qui est maîtresse de
ses attraits sexuels plutôt que d’en être l’esclave. Comme toute bonne habitude,
la chasteté ne s’acquiert pas d’un seul coup; elle grandit de jour en jour, selon
les décisions que nous prenons et selon les choix judicieux que nous faisons
pour être des personnes capables d’aimer vraiment.
Il n’y a pas de difficulté à définir la chasteté comme une forme de maîtrise de soi,
mais cette définition est trop limitée. Aussi, elle peut être mal comprise.
Certaines personnes croient que les émotions sexuelles doivent être maîtrisées
parce qu’elles sont mauvaises. Au contraire, le corps humain et le don de la
sexualité sont sacrés. Nous sommes créés homme et femme, à l’image de Dieu.
Notre sexualité fait partie de ce don de Dieu et elle est à l’origine de l’attrait entre
l’homme et la femme, attrait qui dans plusieurs cas conduit à l’amour, au mariage
et à la procréation des enfants.
Il faut cependant reconnaître les limites humaines. Nous éprouvons un
tiraillement intérieur; nous ne vivons pas toujours en harmonie avec le plan de
Dieu et nous avons tendance parfois à exploiter les autres. Il nous arrive
d’abuser de bonnes choses ou de ne pas choisir ce qui va dans le sens de
l’amour véritable. Les pulsions sexuelles doivent être mises au service de
l’amour. S’en servir pour garder l’affection de l’autre, ou faire semblant d’aimer
l’autre pour obtenir une relation sexuelle, ce n’est pas de l’amour. Il s’agit
d’égoïsme et d’exploitation. Aimer vraiment, c’est désirer ce qu’il y a de mieux
pour l’autre.
La chasteté peut aussi se définir comme la vertu qui régit notre sexualité
conformément au plan de Dieu. Tous et toutes, nous sommes des êtres sexués
et nous cherchons à établir des relations avec les autres. Certaines relations
humaines sont superficielles, d’autres sont profondément intimes. On ne recourt
pas à la relation sexuelle pour manifester un attrait passager, pour soulager la
tension sexuelle ou pour céder à un engouement juvénile éphémère. La relation
sexuelle est le signe d’un amour pleinement engagé et le signe du don que se
font l’homme et la femme dans le mariage.
La tentation est grande au cours de l’adolescence de rechercher l’intimité au
moyen de rapports sexuels. Les nouvelles sensations que vous éprouvez et la
dimension nouvelle que prend votre capacité d’aimer et d’entrer en relation avec
les autres éveillent le besoin d’une intimité plus profonde encore. C’est
l’apparition d’un désir tout à fait naturel. Au stade d’une découverte toute neuve,
entrer dans une relation sexuelle est prématuré. L’amour et l’intimité personnelle
nécessitent un cheminement, un apprentissage qui prend du temps. Il faut
d’abord entretenir des amitiés saines, s’efforcer de se sensibiliser aux besoins
des autres pour arriver à percevoir graduellement, et dans l’émerveillement,
quelles sont les différences et quelles sont les ressemblances chez les
personnes, quels sont les intérêts communs et quels sont les intérêts particuliers.
L’intimité sexuelle crée des liens. S’il y a séparation et qu’il y a rupture des liens,
la souffrance qui s’ensuit est profonde et durable. Les personnes qui poursuivent
une série d’aventures sexuelles en arrivent à fermer leur cœur à l’amour, à se
durcir contre la souffrance de la séparation. Il est alors très difficile de s’ouvrir à
l’intimité authentique.
Regard vers l’avenir
Nous espérons que cette lettre vous encouragera à dialoguer entre vous, avec
vos professeurs et surtout avec vos parents sur les questions que nous avons
abordées. Déjà, du fait que vous pris des décisions vous concernant
personnellement, vous avez un bon pouvoir sur votre vie. La liberté de choisir,
qui vous appartient, a pour conséquence que vous assumez la responsabilité de
rechercher, en tout, ce qui est bon et vrai et que vous devez tenir compte de
l’éclairage de l’Évangile dans vos décisions.
Vous serez déçus si, en lisant cette lettre, vous pensiez que nous affirmerions
qu’il n’est pas réaliste, vu le changement des mentalités, de s’attendre à ce que
les gens s’abstiennent de relations sexuelles en dehors du mariage. Notre devoir
est de vous transmettre un message qui prend sa source dans l’enseignement
du Christ, même en ce qui a trait au domaine de la sexualité et de l’intimité. Le
respect que nous avons pour vous ne nous permet pas de tenir un discours
différent.
Nous savons que la décision de rester chaste présente pour tous, jeunes et
moins jeunes, un défi considérable dans notre société. Nous avons tous à lutter
contre l’isolement et l’égoïsme. Si nous ouvrons nos cœurs et nos vies pour
accueillir l’amour de Dieu, nous ne serons jamais totalement seuls. Ne craignons
pas d’aller puiser l’espérance dans le sacrement de réconciliation, l’amour dans
l’Eucharistie et la paix dans la prière quotidienne. Et nous découvrirons dans les
personnes qui nous entourent la joie qu’apportent l’amitié et l’intimité.
Chacun et chacune de vous est une personne unique, d’une valeur souveraine.
Vous êtes notre espoir à tous et l’avenir de l’Église. Avec tous les chrétiens et
avec toutes les chrétiennes, vous êtes appelés à être des signes vivants de la
présence de Dieu dans le monde et du salut apporté par Jésus Christ, grâce à
l’Esprit qui habite en vous depuis le baptême. Le monde a un grand besoin de
vous comme témoins du don inestimable qu’est la sexualité humaine.
Nous vous portons continuellement dans nos prières.
Les Évêques de l’Ontario
Pâques
avril, 1994