bellilois acadiens

Transcription

bellilois acadiens
préface
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L’histoire de Belle-Ile est particulièrement riche, depuis ses premiers occupants, au néolithique, jusqu’à nos
jours. sa situation insulaire créant un domaine bien circonscrit entre Brest et Nantes, avec ses criques abritées et
sa position avancée au large du port de Lorient, lui a fait
subir des invasions multiples des puissances maritimes à
travers les âges, jusqu’à nos jours où Belle-Ile attise simplement la convoitise d’un tourisme pacifique et rémunérateur.
Les différents apports de population dus aux conquêtes, aux occupations militaires, aux casernements nombreux qui ont longtemps résidé sur l’île, à l’implantation
de pêcheurs venus du Finistère, ou simplement au désir
de peuplement exprimé par la volonté des seigneurs, gouverneurs ou autres propriétaires de l’île, ont permis de
brasser largement les origines pour unifier les îliens en
une seule entité : le Bellilois.
Mais l’origine dont le Bellilois est le plus fier, reste
sans conteste, l’origine acadienne. Après les deux ans
d’occupation anglaise, Belle-Ile avait été choisie pour
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histoire des bellilois acadiens
accueillir plusieurs familles d’Acadiens chassés de leur
terre d’Outre-Atlantique.
Plus de deux siècles après, le souvenir de ces immigrés
qui s’assimilèrent rapidement à la vie locale, est entretenu
par une association trentenaire, Belle-Ile-Acadie, qui reçoit chaque année des délégations d’Acadiens désireux de
rencontrer leurs homonymes. En échange, les élèves des
collèges vont séjourner quelques temps à Moncton ou à
Grand-Pré…, ou alors les Bellilois descendants des Gautro,
Granger, Daigre, Trahan…, organisent des voyages afin de
rendre visite à leur « cousins » du Nouveau-Brunswick.
En 1985, lors du Congrès National des Amitiés Acadiennes qui se tint à Belle-Ile, j’eus l’honneur de procéder, en
présence de l’ambassadeur du Canada, au baptême du
quai du débarcadère au Palais qui, désormais, s’appelle
Quai de l’Acadie.
C’est dire si le mémoire rédigé par Claire Nédelec est
en parfaite cohérence avec les sentiments de la population
belliloise. C’est l’histoire toujours vivante qu’elle raconte
dans ces quelques pages, avec la rigueur de la documentaliste, adoucie par l’amour qu’elle porte à son pays.
Ce document s’ajoutera à la somme d’ouvrages écrits
sur notre île, et il permet de mieux comprendre un épisode douloureux de l’histoire des Acadiens qui purent trouver à Belle-Ile une terre d’accueil et l’espoir d’une nouvelle
vie. Et je félicite Claire Nédelec (que j’ai connue comme
élève sur les bancs de l’école que je dirigeais naguère),
préface
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d’avoir réussit à décrire en une si scrupuleuse analyse une
page importante de l’histoire de Belle-Ile.
Serge Albagnac
Retraité de l’Education Nationale
Ancien Maire du Palais
chronologie
belle-isle
……
Fin iiie s.
ve s.
vii-viiie s.
1006-1029.
1029-1572.
1572-1658.
1659-1719.
1689.
Invasions romaines.
Invasions saxonnes.
Evangélisation par les moines irlandais.
Invasions normandes.
Possession de l’abbaye de
Redon.
Possession de l’abbaye bénédictine de Quimperlé.
Possession de la maison de
Gondi.
Possession de Fouquet.
Début de la construction de
la citadelle et de ses fortifications par Vauban.
1719-1790. Marquisat royal.
1720-1721. Possession de la Compagnie
des Indes.
1761-1763. Occupation anglaise.
1765.
Installation des Acadiens.
acadie
1524.
1605.
1613-1713.
Découverte de l’Acadie par
Verrazano.
Fondation de Port-Royal.
L’Acadie est disputée par la
France et l’Angleterre.
1713.
Le traité d’Utrecht attribue
l’Acadie à l’Angleterre.
1755.
Exigence du serment sans
restriction ; début du
Grand Dérangement.
Guerre de Sept Ans.
Nouvelle déportation.
Traité de Paris ; les Acadiens s’installent sur les
pontons anglais.
1756-1763.
1758.
1763.
27 sept. 1765. Les Acadiens s’établissent
à Belle-Isle.
B
elle-Isle-en-Mer est située au large de la côte sud
de la Bretagne, à 15 kilomètres de la presqu’île de
Quiberon. Cette situation permet de comprendre l’histoire de l’île, qui n’est qu’une longue suite d’attaques et
d’occupations étrangères. Appartenant au domaine royal,
ses habitants sont doublement sujets de Sa Majesté, car
elle est aussi leur seigneur. Comment les colons bellilois
vivaient-ils en 1765 et comment était administré le domaine ?
Les Acadiens étaient des descendants de Français ayant
émigré vers la « terre promise » américaine. A priori,
Acadiens et Bellilois n’étaient pas destinés à se rencontrer, mais le sort des armes entre l’Angleterre et la France
en décida autrement. Quel chemin a mené les Acadiens à
Belle-Isle et à quel titre s’y sont-ils installés ?
Pour ces réfugiés qui avaient tout perdu et qui vivaient
depuis plusieurs années dans des conditions médiocres,
l’afféagement 1 semblait apporter une bonne solution
et amenait sur l’île de nouveaux habitants. Fut-il bien
accepté par la population ? Cet arrangement eut-il des
conséquences durables pour les insulaires et les protégés
de l’abbé Le Loutre ?
1. Acte par lequel un seigneur donne à des particuliers la propriété
utile d’un terrain dont il avait jusque-là la pleine propriété.
HISTORIQUE
DE BELLE-ISLE-EN-MER
Au cours de son histoire, Belle-Isle porta différents
noms : Calonesus, Vindilis, puis Guédel et Guerveur et ses
premiers habitants furent vraisemblablement des Celtes.
Les armées romaines occupèrent la Bretagne durant trois
siècles et l’on retrouve à Belle-Isle des traces de leur présence. Déjà, l’on peut constater sa principale caractéristique. Charles de La Touche l’a décrite ainsi : « Belle-Isle est
trop éloignée des côtes de Bretagne pour contribuer activement à leur défense, mais elle servirait puissamment
à leur attaque si elle appartenait à un ennemi » 2, ce qui
explique que l’histoire de l’île soit surtout celle des invasions successives de la région.
Les invasions saxonnes de la fin du iiie siècle ont laissé
des traces dans la toponymie : le port de Sauzon (cf. carte
de Belle-Isle) leur doit son nom (« des Saxons »). Aux viie
et viiie siècles, les Normands séjournèrent aussi sur l’île.
Au ve siècle, des moines irlandais vinrent évangéliser la
population et s’installèrent vraisemblablement à Bangor.
Entre 1026 et 1172, la possession de Belle-Isle fut disputée entre l’abbaye de Redon et les Bénédictins de
2. Charles de la Touche : Histoire de Belle-Isle-en-Mer.
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histoire des bellilois acadiens
Quimperlé : le duc de Bretagne s’empara en 1006 des
biens du comte de Cornouailles et fit don de Belle-Isle à
l’abbaye de Redon. En 1026, il lui restitua ses biens et ce
dernier donna l’île à l’abbaye de Quimperlé. La contestation ne s’acheva qu’en 1172, lorsque l’objet du litige devint
possession des Bénédictins. La juridiction temporelle est
dévolue au Pape en 1166 qui l’exercera durant cinq siècles ;
ce privilège était antérieur à 1066 et remontait, semble-til, à l’avènement du christianisme.
Comme toujours, lors des guerres, Belle-Isle fut envahie par les Anglais, les Espagnols et les Allemands, et, en
1536, François Ier, ne pouvant la protéger, décréta son évacuation bien qu’une troupe y tint déjà garnison.
En 1516, à la suite du concordat, Belle-Isle devint la propriété des abbés commendataires. Charles IX érigea l’île
en marquisat en 1572, et en gratifia Albert de Gondi, maréchal de Retz, à charge pour lui d’en assurer la défense.
Le contrat de permutation avec l’abbaye en 1572 donna
lieu à un procès qui s’acheva en 1584. (La famille de Gondi
fit, paraît-il, beaucoup pour la population).
Mais des problèmes financiers les amenèrent à vendre
leur bien en 1658. Sur l’ordre de Louis XIII, Fouquet l’acquit, Mazarin devant ensuite le lui racheter, ce qu’il ne
fit pas. En 1661, à la suite de l’arrestation de Fouquet, sa
famille passa un contrat d’échange avec le roi : elle perdait
la suzeraineté, mais conservait le domaine et le titre. L’île
fut inféodée à la Compagnie des Indes en 1720 contre une
redevance annuelle de 50 000 livres, le roi conservant la
les bellilois
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souveraineté et la défense. En 1724, il la céda aux Fermiers
généraux contre 30 000 livres.
En 1689, sur l’ordre du roi et pour assurer la défense de
l’île, Vauban commença la construction de la citadelle à
partir du château construit par les Gondi, puis les fortifications de la côte en-dedans. Les derniers travaux furent
conduits par M. de la Sauvagère, architecte du roi en 17461748.
Une flotte anglaise s’empara de Belle-Isle en avril 1761,
malgré la résistance de ses habitants. Le premier gouverneur, Hogdson, traita durement les vaincus. Ses successeurs, particulièrement Lord Crawford, furent plus « corrects » et le roi conserva même à Crawford son château
bellilois. Durant cette occupation, des familles passèrent
sur le continent et certaines ne revinrent pas. En novembre 1762, la paix fut signée et, en décembre, les Anglais
quittèrent l’île ; en avril suivant, elle était totalement évacuée.
Par contrat du 18 janvier 1759, passé entre les Commissaires du roi et les Etats de Bretagne, la Province eut la
jouissance de Belle-Isle, comme faisant partie des domaines du roi, dont elle devenait engagiste. Après l’occupation anglaise, le roi la reprit.
3. Chiffre cité par A. Le Bescond de Kermarquer, dans « L’histoire
de Belle-Isle-en-Mer » de L. Le Gallen. Il fut procureur fiscal, receveur
du domaine du roi et sénéchal de Belle-Isle ; il s’intéressa aux colons et
intervint en leur faveur.