réunion internationale des nations unies sur la question de palestine
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RÉUNION INTERNATIONALE DES NATIONS UNIES SUR LA QUESTION DE PALESTINE La question des prisonniers politiques palestiniens dans les prisons et les centres de détention israéliens : incidences juridiques et politiques Genève, 3 et 4 avril 2012 _________________________________________________________________________________ VÉRIFIER À L’AUDITION SÉANCE PLÉNIÈRE II Le statut juridique des prisonniers politiques palestiniens en droit international Document présenté par M. John Dugard Ancien Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés Commission des droits de l’homme Genève Professeur de droit international Université de Leiden Amsterdam CPR/IMQP/2012/5 GE. 2 LE STATUT JURIDIQUE DES PRISONNIERS POLITIQUES PALESTINIENS EN DROIT INTERNATIONAL EN PARTICULIER LE STATUT DE PRISONNIER DE GUERRE Professeur John Dugard, ancien Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés Mon exposé portera principalement sur le statut des Palestiniens qui prennent directement part aux hostilités contre la Puissance occupante, en l’occurrence Israël, et qui, partant, peuvent être qualifiés de combattants. Je prendrai comme point de référence les mesures que le régime sud-africain a prises face aux opposants politiques militants en Afrique du Sud mais aussi en Namibie. On pourra ainsi utilement souligner les similitudes entre les régimes et mieux comprendre comment les régimes répressifs, faisant fi des règles de droit international, traitent ceux qui s’engagent dans la résistance. Israël ne reconnaît pas ceux qui se livrent à des actes de résistance, ni comme combattants, ni comme protestataires, car leur conférer le statut de prisonniers « politiques » reviendrait à donner de la légitimité à la cause qui les motive. On dit donc que ce sont des criminels de droit commun, ou qu’ils sont détenus pour des raisons de sûreté ou, plus souvent, qu’ils sont des « terroristes ». L’Afrique du Sud, elle aussi, a cherché à dénigrer ainsi ses prisonniers politiques. Le régime de l’apartheid a condamné Nelson Mandela et les autres prisonniers politiques sud-africains en prétendant qu’ils étaient des criminels et des terroristes. C’est pour des raisons similaires qu’Israël n’est pas disposée à autoriser que les prisonniers politiques palestiniens qui répondent à la définition du combattant soient considérés comme des prisonniers de guerre. Leur conférer ce statut reviendrait à admettre qu’il existe un conflit entre l’État d’Israël et un peuple qui exerce son droit à disposer de lui-même et à la création d’un État. Il vaut bien mieux appeler criminels ou terroristes ceux qui prennent les armes pour défendre leurs droits! Mais au fait, que dit le droit du statut de prisonnier de guerre? Un prisonnier de guerre est un combattant participant à un conflit armé qui est capturé par l’ennemi. Étant un combattant légitime, il ne peut être poursuivi et condamné par la justice de droit commun. Il peut en revanche être détenu jusqu’à la fin des hostilités. Il doit alors être libéré et rapatrié. Au sens de la troisième Convention de Genève de 1949, n’ont le statut de prisonnier de guerre que les combattants qui sont membres des forces armées ou d’un mouvement de résistance organisé appartenant à une partie au conflit. Et, vu l’état du droit en 1949, on entendait 3 par là un État partie aux Conventions de Genève1. Sachant que les résistants palestiniens n’appartiennent à aucun État, ils ne peuvent revendiquer le statut de prisonnier de guerre au regard du droit en vigueur en 1949. Bien entendu, si la Palestine devenait partie aux Conventions de Genève de 1949 du fait qu’elle est aujourd’hui un État reconnu par plus de 100 États et qu’elle est membre de l’UNESCO, la situation changerait et les résistants palestiniens pourraient se voir accorder le statut de prisonnier de guerre au sens de la Convention de 1949. C’est sans doute là l’une des nombreuses raisons pour lesquelles Israël et les États-Unis s’opposent à ce que la Palestine obtienne le statut d’État. Mais le droit a évolué depuis 1949. Aux termes du paragraphe 4 de l’article 1 du Protocole I aux Conventions de Genève de 1949, peuvent désormais prétendre au statut de prisonnier de guerre les membres d’un groupe organisé qui luttent « contre la domination coloniale et l’occupation étrangère et contre les régimes racistes dans l’exercice du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ». On en déduit que les combats opposant les mouvements de libération nationale, comme l’Organisation de libération de la Palestine, et les États sont considérés comme des conflits armés internationaux auxquels les Conventions de Genève de 1949 s’appliquent. Pour se prévaloir de cette évolution, le mouvement de libération nationale doit déclarer qu’il s’engage à appliquer les Conventions de Genève et le Protocole I, ce qu’a fait l’OLP en 1949. Il est clair que le peuple palestinien a le droit à l’autodétermination. La Cour internationale de Justice l’a d’ailleurs confirmé2. Il est également clair que les Palestiniens sont soumis à l’occupation étrangère, voire à la domination coloniale, vu la présence oppressive de quelque 500 000 colons en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. Il semble que de nombreux combattants remplissent les conditions énoncées à l’article 43 du Protocole I, à savoir qu’ils sont membres d’une force organisée placée sous un commandement responsable qui respecte les règles du droit international humanitaire. Mais Israël n’est pas partie au Protocole I et il n’est pas tenu de respecter les garanties que les Conventions de Genève octroient aux mouvements de libération nationale comme l’OLP. Sur ce point, Israël ressemble à l’Afrique du Sud du temps de l’apartheid qui, elle aussi, avait refusé de signer le Protocole I3. Peut-on faire valoir que le paragraphe 4 de l’article 1 du Protocole I ressortit désormais au droit international coutumier et qu’Israël est lié par cette disposition bien qu’il ne soit pas partie au Protocole? Cet argument a été avancé à plusieurs occasions devant les juridictions sudafricaines et namibiennes pendant l’apartheid4. Quoique ces dernières ont rejeté l’argument selon lequel cette disposition était entrée dans le droit coutumier, elles étaient parfois disposées à admettre que le fait qu’un militant croie à l’existence d’une telle règle constituait une 1 Art. 2 de la Convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre (1949). 2 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004, p. 136, par. 118. 3 L’Afrique du Sud n’est devenue partie à ce protocole qu’en 1995, après l’élimination de l’apartheid. 4 Voir John Dugard, International Law: A South African Perspective, 4e éd. (Juta, 2011), p. 536 et 537. 4 circonstance atténuante et pouvait justifier de ne pas le condamner à mort. Deux observations s’imposent. D’une part, les décisions prononcées par des tribunaux sud-africains sous l’apartheid ne font pas nécessairement autorité. D’autre part, elles ont été rendues dans les années 80, époque à laquelle quelque 50 États seulement étaient parties au Protocole I, contre 170 environ aujourd’hui. L’argument selon lequel le paragraphe 4 de l’article 1 s’inscrit dans la coutume est pour le moins défendable. Les juridictions israéliennes ont toujours rejeté l’argument selon lequel les résistants palestiniens peuvent se voir accorder le statut de prisonnier de guerre. Ces dernières années toutefois, elles ont préféré fonder leurs décisions sur le fait que les résistants palestiniens n’avaient pas respecté le droit des conflits armés, sans se pencher sur la question de savoir s’ils pouvaient prétendre au statut de prisonnier de guerre du fait qu’ils participaient à une guerre pour l’autodétermination. Voici ce qu’en dit Smadar Ben-Natan : « Cette idée s’inscrit dans l’argumentation israélienne qui insiste sur le fait que les Palestiniens attaquent des civils, tout en évitant la question de la légitimité de l’occupation et en qualifiant le conflit de “guerre contre le terrorisme”5 ». Si les combattants palestiniens étaient détenus en tant que prisonniers de guerre, ils seraient détenus jusqu’à la fin de l’occupation, soit potentiellement de nombreuses années. Ils seraient ensuite libérés en même temps que ceux qui ont été condamnés par les tribunaux militaires israéliens et emprisonnés par Israël en tant que criminels6. On se rend compte que les répercussions pratiques de l’octroi du statut de prisonnier de guerre ne sont pas énormes. Ce sont les conséquences symboliques ou politiques qui importent ici. Les prisonniers de guerre ne sont pas traités comme des criminels, mais comme des opposants respectables dans un conflit militaire, des combattants de la liberté qui luttent pour l’autodétermination et dont les droits sont consacrés et inscrits dans le droit international. C’est le déni de ce droit, le fait que le régime israélien rejette la légitimité de la lutte du peuple palestinien en faveur de l’autodétermination, qui pousse à bout les combattants palestiniens. L’avantage d’être jugé au pénal par l’occupant étranger ou un régime raciste, comme le définit le paragraphe 4 de l’article 1 du Protocole I, au lieu d’être considéré comme un prisonnier de guerre, c’est qu’un combattant peut profiter de son procès pour s’en prendre ouvertement à son opposant et défendre sa cause dans un procès politique. Pendant l’apartheid en Afrique du Sud et en Namibie, les militants ont largement mis les procès politiques à profit. Habilement défendus devant des tribunaux non militaires par des avocats compétents et proches de la cause à l’occasion d’audiences publiques couvertes par la presse et les observateurs étrangers, ils ont exploité les règles de procédure et de preuve dans l’intérêt de leur cause politique. L’histoire de l’apartheid abonde en procès politiques qui ont renforcé la stature des accusés et mis en évidence la répression et la discrimination. 5 Are there Prisoners in this War? in A. Baker et A. Matar (éd.), Threat. Palestinian Political Prisoners in Israel (Pluto Press, 2011), p. 158. 6 Art. 77 de la quatrième Convention de Genève. Bien qu’Israël prétende que Gaza n’est plus occupée, il n’a pas libéré les prisonniers de Gaza. 5 Les prisonniers politiques en Palestine/Israël n’ont pas cette chance. Si Marwan Barghouti a été jugé au civil (parce qu’Israël savait qu’un tribunal militaire ne bénéficierait pas de la légitimité requise) et qu’il a pu politiser son procès7, la plupart des combattants sont jugés par des tribunaux militaires bien que le droit international humanitaire leur préfère les tribunaux civils impartiaux8. Les tribunaux militaires, où siègent des juges militaires n’offrant pas les garanties d’indépendance requises, sont installés en des lieux inaccessibles, tiennent parfois leurs audiences à huis clos, appliquent un droit militaire impénétrable et font peu de cas des garanties de procédure9. Les combattants palestiniens n’ont donc pas la possibilité de défier la Puissance occupante en audience publique devant des juges impartiaux assurant la régularité de la procédure. Le régime israélien enfreint aussi les règles de droit international humanitaire régissant les conditions de détention des prisonniers palestiniens pour ce qui est du lieu d’emprisonnement. Aux termes de l’article 76 de la quatrième Convention de Genève, ils doivent être détenus dans le pays occupé. Dans les faits, la plupart des prisonniers palestiniens sont détenus en Israël10. Une autre forme de détention des prisonniers politiques mérite d’être signalée : la détention administrative. À l’heure actuelle, plus de 300 Palestiniens sont maintenus en détention sans jugement et sans le statut de prisonnier de guerre, pour des périodes de six mois qui peuvent être prorogées indéfiniment11. Ces détentions arbitraires, qu’a récemment mis en lumière le cas d’Hana Shalabi, enfreignent et le droit humanitaire et le droit des droits de l’homme. Enfin se pose la question du meurtre des opposants politiques. Ceux qui refusent la comparaison entre la répression exercée par Israël dans le territoire palestinien occupé et l’apartheid vantent le fait que les prisonniers politiques palestiniens, eux, ne sont pas exécutés et qu’Israël est un État qui a aboli de facto la peine de mort. Il est vrai que, sous l’apartheid, le régime sud-africain a fait exécuter des prisonniers politiques après que des tribunaux civils les eurent jugés dans le respect de la légalité12. Mais les assassinats ciblés de combattants ont fait 7 Voir Ben-Natan, supra, note 5, p. 157 et 158. 8 Selon les articles 64 et 66 de la quatrième Convention de Genève, les tribunaux militaires doivent être l’exception et non la règle. Si la Puissance occupante défère les inculpés à ses tribunaux militaires, ceux-ci doivent êre régulièrement constitués, être non politiques et siéger dans le pays occupé. Voir aussi J.-M. Henckaerts et L. Doswald-Beck, Droit international humanitaire coutumier, vol. I : Règles (Cambridge University Press, 2005), p. 471 à 473. 9 Voir Sharon Weill, « Reframing the Legality of the Israeli Military Courts in the West Bank; Military Occupation or Apartheid?», in A. Baker et A. Matar (éd.), Threat. Palestinian Political Prisoners in Israel, supra, note 5, p. 136; Rapport de la Mission d’établissement des faits de l’Organisation des Nations Unies sur le conflit de Gaza, A/HRC/12/48 (le « Rapport Goldstone »), par. 1438 et 1439, 1521 et 1522. 10 Voir M. Sfard, Devil’s Island: the Transfer of Palestinian Detainees into Prisons within Israel, in A. Baker et A. Matar, supra, note 5, p. 188. 11 Voir T. Pelleg-Sryck, The Mysteries of Administrative Detention, in A. Baker et A. Matar, supra, note 5, p. 123. 6 plus de victimes chez les Palestiniens que les exécutions judiciaires en Afrique du Sud. Israël n’est pas un État abolitionniste. C’est un État qui pratique la peine capitale de façon arbitraire et sans procès. Aussi cruelles et inhumaines soient les conditions de détention des prisonniers palestiniens, aussi irréguliers soient les procès qui ont débouché sur leur incarcération et aussi avilissant soit le fait qu’on les qualifie de « criminels » ou de « terroristes », n’oublions pas que les prisonniers palestiniens ont de la chance. Parce qu’eux ne meurent pas aux mains d’un régime qui se débarrasse de ses opposants politiques en parlant d’« assassinats ciblés ». *** 12 Voir « Judicial Executions », in Report of the Truth and Reconciliation Commission of South Africa, vol. 2 (Juta, 1998), p. 170.