universit é montpellieri thèse

Transcription

universit é montpellieri thèse
UNIVERSITÉ MONTPELLIER I
FACULTÉ DE DROIT
N° attribué par la bibliothèque
Année 2010
THÈSE
Pour obtenir le grade de
DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ MONTPELLIER I
Discipline : Droit privé et sciences criminelles
Présentée et soutenue publiquement par
Nicolas PÉPIN
Le jeudi 08 juillet 2010
LE LIEN DE SUBORDINATION JURIDIQUE
DANS LES RELATIONS DE TRAVAIL
Thèse dirigée par M. Bruno SIAU
Membres du jury :
M. Arnaud MARTINON
Professeur à l’Université d’Avignon (Rapporteur)
M. Franck PETIT
Professeur à l’Université d’Avignon (Rapporteur)
Mme Christine NEAU-LEDUC
Professeur à l’Université Montpellier I (Examinateur)
M. Bruno SIAU
Maître de conférences à l’Université Montpellier I (Directeur de thèse)
M. Stéphane DARMAISIN
Maître de conférences à l’Université de Nîmes (Invité)
UNIVERSITÉ MONTPELLIER I
FACULTÉ DE DROIT
N° attribué par la bibliothèque
Année 2010
THÈSE
Pour obtenir le grade de
DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ MONTPELLIER I
Discipline : Droit privé et sciences criminelles
Présentée et soutenue publiquement par
Nicolas PÉPIN
Le jeudi 08 juillet 2010
LE LIEN DE SUBORDINATION JURIDIQUE
DANS LES RELATIONS DE TRAVAIL
Thèse dirigée par M. Bruno SIAU
Membres du jury :
M. Arnaud MARTINON
Professeur à l’Université d’Avignon (Rapporteur)
M. Franck PETIT
Professeur à l’Université d’Avignon (Rapporteur)
Mme Christine NEAU-LEDUC
Professeur à l’Université Montpellier I (Examinateur)
M. Bruno SIAU
Maître de conférences à l’Université Montpellier I (Directeur de thèse)
M. Stéphane DARMAISIN
Maître de conférences à l’Université de Nîmes (Invité)
! "# $#%&'() *+,*(,*- -.**,/ #&%&*, #00/.1#(2.* *2 230/.1#(2.* #&4 .02*2.*5 )325,5 -#*5
%,((, (675, 8 %,5 .02*2.*5 -.29,*( :(/, %.*52-)/),5 %.33, 0/.0/,5 ; ',&/ #&(,&/ <
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
Remerciements
Je voudrais exprimer ici ma reconnaissance aux personnes qui m’ont aidé à mener à bien cette
thèse. Mes remerciements s’adressent à mon directeur de thèse Bruno Siau, sans qui ce travail
n’aurait jamais vu le jour et qui s’est laissé convaincre du sujet de cette thèse.
De même, mes remerciements vont à Paul-Henri Antonmattei qui a m’a donné une confiance
éclairée dans l’apport de cette thèse et en a favorisé le bon déroulement.
À Florence Guillaume, qui a consacré son savoir-faire reconnu à la relecture de mes travaux,
je lui exprime ma gratitude.
À mes parents, Christine Pépin et Eric Pépin, je leur adresse ici ma profonde reconnaissance
pour le soutien précieux qu’ils m’ont apporté.
À Emeline Cantamaglia, pour ses encouragements quotidiens, son dynamisme communicatif
et l’apport de ses compétences littéraires, je lui adresse ici tous mes remerciements.
Je dédicace l’accomplissement de ce travail…
À Paul Mille et Edmonde Mille, en hommage à
mes grands-parents
À ma fille, Marylou,
Pour ses rires et ses sourires…
5
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
SOMMAIRE
INTRODUCTION …………………………………………………………………………………………………………P.12
PARTIE 1:
LA RECHERCHE D’UN CRITERE DU CONTRAT DE TRAVAIL………………………P.33
TITRE 1. LE RECOURS AU LIEN DE SUBORDINATION………………………………………...P.36
CHAPITRE 1 :
LES DETERMINANTS DU CONTEXTE JURIDIQUE ACTUEL……………………………………………….…….P.38
CHAPITRE 2 :
LA CONCEPTUALISATION DU LIEN DE SUBORDINATION…………………………………………………...….P.66
TITRE 2 :
LA RELATIVISATION DU LIEN DE SUBORDINATION………………………………………….P.93
CHAPITRE 1 :
LE RECOURS À LA MAIN D’OEUVRE NON SUBORDONNEE…………………………………………………….P.94
CHAPITRE 2 :
L’EXTENSION DU SALARIAT HORS LIEN DE SUBORDINATION…………………………………………….…P.125
PARTIE 2:
LA REMISE EN CAUSE DU LIEN DE SUBORDINATION..............................................…….P.156
TITRE 1 :
LA SUBORDINATION FACE AUX TRANSFORMATIONS DU TRAVAIL…………….P.159
CHAPITRE 1 :
LES LIMITES DE LA CONCEPTION TAYLORISTE DU LIEN DE SUBORDINATIO………….……….….P.161
CHAPITRE 2 :
L’IMPACT DES NOUVELLES ORGANISATIONS DU TRAVAIL SUR LE LIEN DE
SUBORDINATION…………………………………………………………………………………………………….…………..P.191
TITRE 2 :
LA REGENERATION DES RAPPORTS DE SUBORDINATION……………………………….P.218
CHAPITRE 1 :
L’EXPANSION DES LIENS HORS SUBORDINATION……………………………………………………….………..P.219
CHAPITRE 2 :
LES ALTERNATIVES POUR L’AVENIR…………………………………………………………………...……………….P.246
6
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
ABRÉVIATIONS
[s.d.] : sans date
[s.l.] : sans lieu
[s.n.] : sans nom
A. : Arrêté
ACOSS : Agence centrale des organismes de sécurité sociale
Act. : Actualité
AFP : Agence France-Presse
AGS : Association pour la Gestion du régime de garantie des créances des Salariés
AJDA : Actualité juridique de droit administratif
AN : Assemblée nationale
ANI : Accord National Interprofessionnel
ARE : Aide au Retour à l’emploi
Art. : Article
Ass. plén. : Assemblée plénière
ASSEDIC : Association pour l'Emploi dans l'Industrie et le Commerce
Assoc. : Association
Avr. : Avril
BICC : Bulletin d’Information de la Cour de Cassation
Bull. civ. : Bulletin des arrêts de la Cour de cassation
Bull. Crim. : Bulletin des arrêts de la Cour de cassation
Bull. Joly : Bulletin Joly d’information des sociétés
C. civ. : Code civil
C. trav. art. : Article du Code du travail
C./ : Contre
C.A.T. : Centre d’Aide par le Travail
CA : Arrêt de la Cour d’Appel
Cass. Ch. Réun. : Arrêt des chambres réunies de la Cour de cassation
Cass. Civ. : Arrêt de la chambre civile
Cass. crim. : Arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation
Cass. soc. : Arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation
7
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
CDD : Contrat à durée déterminée
CDI : Contrat à durée indéterminée
CE : Conseil d’Etat
CEDH : Cour Européenne des Droits de l’Homme
Cf. : Confer, reportez-vous à, voyez
CGEA : Centres de Gestion et d'Etude AGS
Ch. Mixte : Chambre mixte
Ch. Soc : Chambre sociale
Chron. : Chronique
CHSCT : Comité d’Hygiène de Sécurité et des Conditions de Travail
Circ. DGT : Circulaire de la Direction Générale du Travail
Circ. min. : Circulaire Ministérielle
Circ. : Circulaire
CJCE : Cour de Justice des Communautés Européennes
CNAM : Caisse Nationale d’Assurance Maladie
CNRS : Centre National de la Recherche Scientifique
Coll. : Collection
CRFPA : Centre Régional de Formation Professionnelle des Avocats
CSB : Cahiers Sociaux du Barreau de Paris
CSS. art. : Article du code de la sécurité sociale
D. : Décret
Déc. : Décembre
DG : Direction générale
DH : Dalloz hebdomadaire
DL : Recueil Dalloz
DP : Recueil périodique et critique mensuel Dalloz (antérieur à 1941)
Dr. soc. : Revue de Droit Social
E.S.A.T. : Établissement et service d’aide par le travail
éd. : Édition
Éd. : Éditeur
EPIC : Établissement Public à caractère Industriel et Commercial
Fasc. : Fascicule
Févr. : Février
8
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
Gaz. Pal. : Revue Gazette du Palais
Ibid. : Ibidem, au même endroit
Infra : ci-dessous, plus bas
IR : Informations rapides du Recueil Dalloz
IRES : Institut de Recherches Économiques et Sociales
IRP : Institutions Représentatives du Personnel
Janv. : Janvier
J.-Cl. : Juris-Classeur (Encyclopédies)
JCP : Juris-classeur périodique (= Semaine juridique)
JCP E : Juris-Classeur périodique - Édition Entreprises et affaires
JCP G : Juris-Classeur périodique - Édition générale
JCP N : Juris-Classeur périodique - Édition notariale et immobilière
JCP S : Juris-Classeur périodique - Édition sociale
JOAN Q : Journal officiel (Questions réponses) Assemblée Nationale
JOAN : Journal officiel de l’Assemblée Nationale
JORF : Journal officiel (Lois et décrets)
JSL : Jurisprudence sociale Lamy
Juill. : Juillet
jurispr. : Jurisprudence
L. : Loi
Libr. : Librairie
Loc. cit. : Loco citato, à l'endroit déjà cité
LPA : Les Petites Affiches
N.R.E. : loi sur les nouvelles régulations économiques
N° : Numéro
NCPC : Nouveau Code de Procédure Civile
NDLR : Note de la rédaction
Nouv. édit. rev. et augm. : Nouvelle édition revue et augmentée
Nov. : Novembre
NTIC : Nouvelles Technologies de l’Information de la Communication
Obs. : Observations
Oct. : Octobre
Ompr. : Impression, imprimeur
9
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
Op. cit. : opere citato, ouvrage déjà cité
PACS : Pacte civil de solidarité
Pan. : Panorama
PEE : Plan d’Epargne Entreprise
PEI : Plan d'Epargne Interentreprises
PERC : Plan d'Epargne Retraite Collectif
pp. : Plusieurs pages
Préc. : Précité
Préf. : Préface
PUAM : Presses universitaires d’Aix-Marseille
QE : Question écrite
R. : Réglement
Rapp. : Rapport
RD rur. : Revue de droit rural
Rec. Dalloz : Recueil dalloz
rec. Leb. : Recueil Lebon (arrêts du Conseil d’Etat)
Rép. Min. : Réponse ministérielle
Rép. trav. Dalloz : Répertoire travail Dalloz
Rép. : Répertoire
Rev. dr. et patr. : Revue droit et patrimoine
Rev. Dr. ouvr. : Revue de droit ouvrier
Rev. Dr. Sanit. Soc. : Revue droit sanitaire et social
Rev. dr. trav : Revue de droit du travail
Rev. int. trav : Revue internationale du Travail
Rev. jur. Auvergne : Revue Jura-Auvergne
Rev. Proj. : Revue projet
RF aff. Soc. : Revue française des affaires sociales
RJS : Revue de Jurisprudence Sociale
RPDS : Revue Pratique de Droit Social
RSA : Revenu de Solidarité Active
RTD civ. : Revue Trimestrielle de Droit Civil
RTD com. : Revue Trimestrielle de Droit Commercial
S. : et suivant
10
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
Sect. : Section
Sept. : Septembre
SMIC : Salaire Minimum Interprofessionnel de Croissance
Somm. : Sommaire
Spéc. : Spécialement
SSL : Semaine sociale Lamy
Sté : Société
Supra : ci-dessus, plus haut
T. : Tome
TC : Tribunal des Conflits
TGI : Tribunal de Grande Instance
TI : Tribunal d’Instance
URSSAF : Union pour le Recouvrement des cotisations de la Sécurité Sociale et des
Allocations Familiales
V. : Voir
Vol. : Volume
11
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
INTRODUCTION
« Il est faux que l'égalité soit une loi de la nature. La nature n'a rien fait d'égal. Sa loi
souveraine est la subordination et la dépendance »1.
1.
Partant de cette réflexion dont la portée se veut universelle, il peut-être envisagé de
rejoindre progressivement le sujet de cette thèse dont l’intitulé fait directement référence à la
notion de subordination : « le lien de subordination juridique dans les relations de travail ».
Certes il s’agit là d’une subordination dite juridique, ce qui apporte une couleur particulière à
la notion mais n’en change pas l’essence.
2.
Luc de Clapiers, marquis de Vauvenargues2, pose ici une double affirmation qui peut
être synthétisée ainsi : l’égalité n’est pas une loi de la nature et sa loi souveraine est la
subordination et la dépendance. Tout d’abord cette affirmation résonne avec talent dans une
société de type capitaliste, notamment dans le cadre d’une économie libérale. Le principe du
« laisser faire, laisser passer » renvoie effectivement les hommes aux lois de la nature. La loi
du marché est alors dans cette perspective synonyme de « loi de la jungle »3 et de loi du plus
fort : sous son empire « l’homme est un loup pour l’homme »4 - dans le cadre, bien sûr, des
lois de police - .
1
Vauvenargues, Maximes et pensées, Éd. du Rocher, Coll. André Silvaire, 2003
Luc de Clapiers, marquis de Vauvenargues (1715-1747), moraliste français qui passe pour avoir
réhabilité le sentiment au siècle des Lumières
3
V. United Nations. General Assembly (23 ; 1968 ; Genève), Kongress (Genève ; 1968), Non à la loi
de la jungle, Éd [s.n.], Coll. Centre d'information arabe, 1968 ; V. aussi : J.-M. Pelt, F. Steffan, La loi
de la jungle : l'agressivité chez les plantes, les animaux, les humains, Librairie générale française,
Paris, 2006
4
V. Plaute, Asinaria ; V.aussi T. Hobbes, Léviathan, Traité de la matière, de la forme et du pouvoir
ecclésiastique et civil, 1651 ; A. Schopenhauer, Le monde comme volonté et comme représentation,
Coll. Quadrige Grands textes, Presses Universitaires de France, 2ème éd., 2004 ; S. Freud, Malaise dans
la civilisation, traduit de l'allemand par Ch. et J. Odier, Presses Universitaires de France, 1971
2
12
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
3.
Ensuite, si la nature n’a rien fait d’égal, l’Homme aspire parfois à corriger cet état en
créant sa propre loi, au service de ses propres valeurs. Depuis le décalogue jusqu’aux
civilisations modernes et notamment aux lois de la République française. La République mais
aussi la démocratie s’opposent ainsi, dans l’Histoire française, au despotisme et au
totalitarisme qui sont des illustrations parfaites de la loi du plus fort.
4.
C’est ainsi qu’au siècle des lumières, naît progressivement le concept de justice sociale
magnifié par J.-J. Rousseau dans le contrat social. Il estime que dans tout système social, le
droit doit garantir l’égalité entre les hommes pour compenser l’inégalité naturelle en force ou
en génie : « Je terminerai ce chapitre et ce livre par une remarque qui doit servir de base à
tout sistême social ; c’est qu’au lieu de détruire l’égalité naturelle, le pacte fondamental
substitue au contraire une égalité morale et légitime à ce que la nature avoit pu mettre
d’inégalité physique entre les hommes, et que, pouvant être inégaux en force ou en génie, ils
deviennent tous égaux par convention et de droit »5.
5.
Cette idée de justice sociale est une valeur qui irrigue tout le droit français, au-delà du
droit social, puisqu’elle introduit le texte de la Constitution de 1958. Ce dernier proclame la
France comme étant une République démocratique mais aussi comme une République
sociale : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle
assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de
religion ».
6.
La Constitution est donc directement inspirée de cette pensée philosophique en ce
qu’elle proclame l’égalité de tous devant la loi. Qu’il soit alors permis de fonder la suite du
raisonnement sur l’article 1134 alinéa premier du Code civil, inchangé depuis sa promulgation
le 17 février 1804 : « Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les
ont faites ». Les conventions et contrats forment ainsi la loi des parties. Il est donc possible de
considérer que l’égalité des citoyens devant la loi a vocation à imprégner le droit jusque dans
les relations entre cocontractants.
5
J.-J. Rousseau, Du contrat social ou Principes du droit politique, Éd. Marc-Michel Rey, 1762, partie
livre I, chap. IX (« Du domaine réel»), p. 90 ; V. aussi : J.-P. Siméon, J.-J. Rousseau : La Démocratie
selon Rousseau - Du Contrat social, Éd. du Seuil, Paris, 1977
13
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
7.
Le rapprochement entre la maxime liminaire et le sujet de cette thèse est ainsi presque
achevé. Car il suffit de souligner que tout contrat de travail est avant tout un contrat au sens
du droit commun des obligations. À ce titre il est soumis à l’article 6 du Code civil codifiant
une loi promulguée le 15 mars 1803, en vertu de laquelle « on ne peut déroger, par des
conventions particulières, aux lois qui intéressent l'ordre public et les bonnes mœurs ». Le
contrat de travail, même s’il s’agit d’une convention particulière, ne devrait donc pas pouvoir
déroger aux lois de la République qui proclament l’égalité de tous les citoyens devant la loi.
8.
Le principe de la liberté contractuelle ne devrait donc pas justifier qu’il puisse être
porté atteinte au principe de l’égalité. Pourtant le contrat de travail institue, mais aussi se
distingue des autres contrats, par le lien de subordination juridique entre le salarié et
l’employeur. Or, l’utilisation du terme « subordination » porte sur ce point à réflexion face au
principe de l’égalité entre citoyens. Car ce n’est point un vain mot : c’est à la fois un concept,
une notion et un critère.
9.
Le terme subordination vient du latin médiéval subordinare, qui peut se traduire par
l’idée sous-ordonner. Le Larousse l’illustre ainsi : « mettre quelqu'un dans une situation de
dépendance hiérarchique par rapport à quelqu'un d'autre : l'organisation militaire subordonne
le lieutenant au capitaine. Considérer quelque chose comme moins important que quelque
chose d'autre : subordonner le dessin et la forme à la couleur. Faire dépendre quelque chose
de la réalisation de quelque chose d'autre : subordonner un achat à l'obtention d'un crédit »6.
On perçoit dès lors qu’un déséquilibre caractérise la subordination, qui est celui de l’exercice
unilatéral du pouvoir hiérarchique d’une partie sur l’autre. Cette inégalité peut autant
recouvrir une dimension factuelle que juridique ou encore psychologique7.
10.
C’est pour cette raison qu’il est possible d’admettre que l’adjonction du qualificatif
« juridique » a pour but de faire de la subordination une notion strictement juridique. Son sens
se détache ainsi, presque complètement, du vocabulaire commun pour rejoindre les concepts
jurisprudentiels. D’un point de vue secondaire l’adjectif signifie également que cette
subordination puise son fondement dans le contrat et seulement dans le contrat. Ces aspects
terminologiques ne sont point anodins. Il ne s’agit pas de subtilités purement terminologiques
6
Larousse, dictionnaire français en ligne : http://www.larousse.fr/dictionnaires
V. G. Hernot, Le point de subordination, introduction à la psychologie de la relation hiérarchique,
Coll. Dynamiques d’entreprises, Éd. L’Harmattan, Paris, 2007
7
14
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
puisqu’ils peuvent témoigner de l’embarras à laisser penser que le contrat de travail
autoriserait une sorte d’illégalité contractuelle.
11.
De plus, l’emploi de cette terminologie permet d’évacuer toute idée de dépendance, ce
qu’il convient d’éclaircir ; les définitions du langage commun rattachent systématiquement la
subordination à la notion de dépendance. C’est un point qui sera largement développé plus
loin, mais il faut d’ores et déjà porter à la connaissance du lecteur que depuis presque cent
ans,
la jurisprudence a toujours refusé de consacrer - officiellement -
la notion de
dépendance économique. Elle la juge trop large pour fonder le critère du contrat de travail.
Elle a donc fait le choix de ne recourir qu’au seul critère de la subordination.
12.
Ce débat entre subordination juridique et dépendance économique s’est notamment
tenu à l’époque du vote des lois sur les assurances sociales obligatoires. Certains auteurs ont
émis l’idée que l’éviction de la notion de dépendance avait pour but d’ « alléger le fardeau »8
de la protection sociale. Donc, en recourant à une subordination dite juridique, le juge peut se
défendre d’avoir consacré tout critère de dépendance.
13.
Ce n’est pourtant qu’une virtualité irrationnelle. Car toute subordination s’inscrit dans
un cercle plus grand : celui de la dépendance économique. La jurisprudence ne peut donc
ignorer la dépendance et ne consacrer que la subordination, sauf au prix d’une incohérence.
Comme l’explique G. Hernot, pour se subordonner, il faut « un état de manque qui soit à la
hauteur du coût psychologique de l’obéissance à autrui. […] Ici se confirme s’il est besoin
que l’entrée en subordination ne peut être l’effet que d’une dépendance. Dépendance
économique bien sûr : on échange sa subordination contre un salaire»9.
14.
En effet, sans cette dépendance économique, qu’est-ce qui pousserait « les hommes à
se subordonner alors qu’ils n’y sont pas contraints ? »10. Cette question permet de souligner
que même si le salarié jouit d’une part visible de liberté contractuelle, dans le choix de
8
P. Cuche, La définition du salarié et le critérium de la dépendance économique, D. H. 1932,
chronique, pp. 101-104 ; V. aussi : P. Cuche, Du rapport de dépendance, élément constitutif du contrat
de travail, Revue critique de législation et de jurisprudence, 1913, pp. 413-427
9
G. Hernot, Le point de subordination, introduction à la psychologie de la relation hiérarchique, Coll.
Dynamiques d’entreprises, Éd. L’Harmattan, Paris, 2007, p.18
10
G. Hernot, Op. cit, p. 16
15
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
l’employeur par exemple, le choix de se subordonner, quant à lui, n’est pas libre et résulte
d’un mécanisme invisible qui s’impose - institutionnellement - de manière héréditaire. Dans
un contexte où une majorité s’accorde sur l’idée que « l’ascenseur social est en panne »11 le
débat entre classe et caste demeure latent, même en 201012.
15.
Car malgré toute la liberté contractuelle dont il dispose, il n’en demeure pas moins
qu’en s’engageant dans les liens d’un contrat de travail, le salarié accepte, sans avoir
beaucoup d’autres alternatives, d’aliéner une partie de sa liberté. En se subordonnant, le
salarié s’oblige à obéir aux directives de l’employeur et à se soumettre aux conditions de
travail définies par l’employeur. Ce qui implique, par exemple, qu’il accepte des restrictions
de son droit d’aller et venir puisqu’il doit être à telle heure à telle place pour accomplir la
tâche que l’employeur lui aura confié. Cet aspect du contrat de travail pourrait être d’autant
plus critiqué que ces restrictions sont consenties en contrepartie d’une rémunération, ce qui
pourrait attiser de vives polémiques. Par exemple : les libertés fondamentales du salarié sont
elles à vendre ?
16.
L’enjeu sous-jacent est de taille car « renoncer à sa liberté, c'est renoncer à sa qualité
d'homme »13. Or, ce renoncement est symptomatique de la subordination, même si elle est
plus ou moins librement consentie. Mais alors pourquoi ne pas supprimer la subordination
dans le contrat de travail ? La conséquence la moins problématique serait de devoir trouver un
autre critère du contrat de travail, ou un autre système de qualification.
17.
Mais la subordination n’est pas qu’un critère du contrat de travail. C’est l’essence
même du contrat de travail. Dans ces conditions, comment imaginer un contrat de travail dans
lequel le salarié aurait la possibilité de ne pas obéir, et de manière discrétionnaire, sans qu’il
ne puisse jamais lui être reproché quelque inexécution fautive du contrat de travail ? Cela
reviendrait, ni plus ni moins, à supprimer l’objet de l’obligation du salarié et la cause de
11
F. Dedieu, L’ascenseur social est en panne, L’Expansion, 01/03/2007 ; V. aussi : A. Senni, J.-Marc
Pitte, L’ascenseur social est en panne… : j’ai pris l’escalier, Coll. Archipel.archip, Éd. L’Archipel,
Paris, 2005 ; V. aussi : recherche Google, résultats 1 à 10 sur un total d'environ 61 600 pour
« ascenseur social en panne »
12
Y. Stefanovitch, La caste des 500, enquête sur les princes de la République, Éd. J.-C. Lattès, Paris,
2010
13
J.-J. Rousseau, Du contrat social ou Principes du droit politique, Éd. Marc-Michel Rey, 1762,
partie livre I, chap. IV (« De l'esclavage »), p. 17
16
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
l’obligation de l’employeur dans le contrat de travail. C’est donc tout le contrat de travail qui
s’effondrerait.
18.
Le système français actuel a fait le choix d’un compromis : celui de l’octroi de droits
et libertés au salarié pour compenser l’inégalité dans le contrat de travail. Mais c’est
considérer que l’on peut artificiellement faire varier la subordination en intensité. Hors la
liberté ne connaît pas de demi-mesure : soit ont est libre, soit on ne l’est pas. Le système du
droit contemporain aboutit donc à des incohérences, des inégalités et des injustices.
19.
Car certains salariés dits subordonnés jouissent d’une autonomie quasi-totale. Cette
nouvelle forme de management, qui fait des salariés des « collaborateurs », donne au
travailleur toute latitude pour parvenir à des objectifs fixés par l’employeur. C’est
particulièrement le cas des cadres qui, en plus de l’autonomie qu’ils peuvent tirer de la
technicité de leur emploi, peuvent parfois déterminer librement leurs conditions de travail.
20.
La mise en place du forfait jours14 est sur ce point révélatrice de cette réalité « compte
tenu de la nature de ses fonctions, [le cadre autonome] n’est pas conduit à suivre l’horaire
collectif applicable au sein de l’atelier, du service ou de l’équipe auquel il est intégré et qui
dispose d’une réelle autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps mais également
celui dont la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée et qui dispose d’une réelle
autonomie dans l’organisation de son emploi du temps pour l’exercice des responsabilités qui
lui sont confiées. Cette définition a été reprise par la loi du 20 août 2008 portant réforme du
temps de travail »15.
21.
Ce phénomène s’est enclenché suite à la crise économique causée par le premier choc
pétrolier en 1973. Depuis lors, le monde du travail se restructure ou selon les points de vue, se
déstructure16. Il émerge de plus en plus de salariés très peu subordonnés17 qui incarnent « les
14
V. P.-H. Antonmattéi, Les conséquences du forfait cadre en jours, Semaine sociale Lamy n°975,
p.5-9, 03/04/2000 ; P.-H. Antonmattéi, Accords de réduction du temps de travail : l'arrêt Michelin, dr.
soc. n° 9/10 , p. 839- 844, 01/08/2004
15
C. Artus-Jégou, Mon employeur instaure un forfait « jours », L'Expansion.com, 16/09/2008 ; V.
aussi : A.-C. Alibert, Les cadres quasi-indépendants, du contrat de travail au contrat d’activité
dépendante, Thèse pour le doctorat de l’Université d’Auvergne, 2005
16
D. Sauze, N. Thevenot, J. Valentin, L'éclatement de la relation de travail : Cdd et sous-traitance en
France, in CEE, le contrat de travail, la découverte, Coll. Repères, pp. 57-68, 2008
17
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
nouveaux visages de la subordination »18. Ces derniers continuent toutefois de bénéficier de
tout l’arsenal protecteur des salariés, tant sur les aspects du droit du travail, que du droit de la
protection sociale. Concomitamment, des travailleurs indépendants, parfois moins autonomes
mais considérés comme non subordonnés juridiquement, sont totalement abandonnés à leur
vulnérabilité. Ils sont pourtant économiquement dépendants, ce qui donne à leur donneur
d’ordre un pouvoir de direction implicite. Il s’agit donc de la même vulnérabilité qui fonde la
protection accordée aux travailleurs salariés. Ils sont tous deux dans une situation où
l’équilibre contractuel est rompu et où l’inégalité des rapports de force fait du travailleur la
partie faible.
22.
C’est donc, en amont, la notion même de salariat qui est affectée par cette remise en
cause du lien de subordination. Comme le souligne Th. Aubert-Monpeyssen, cette notion
« particulièrement restrictive au siècle dernier, elle s’est progressivement élargie avec l’essor
du droit social pour englober dans la sphère de salarié protection, des catégories de plus en
plus nombreuses de travailleurs »19. Mais le développement toujours croissant du travail
atypique ne peut mener à une extension absolue, voire abusive, du salariat. Le salariat n’aurait
alors plus aucun sens.
23.
C’est pourtant ce que l’ancien Livre VII – devenu Partie VII – du Code du travail et la
souplesse jurisprudentielle a parfois autorisé, si bien qu’aujourd’hui, la subordination apparaît
comme une source d’insécurité juridique. Elle est devenue une notion à géométrie variable, en
fonction des époques ou en fonction des spécificités techniques du travail. Au point qu’il est
devenu impossible d’appréhender avec certitude le contenu de la notion ou d’en délimiter un
contour unique : « L’ironie à peine voilée des commentaires suscités par l’expression
« subordination juridique », les flottements terminologiques de la jurisprudence, voire la
suggestion de recourir à une terminologie mieux adaptée, constituent autant de signes de la
difficulté qu’il y a à retrouver dans l’actuel critère, la simplicité de ce concept juridique. On
peut effectivement s’interroger sur l’utilité du maintien d’un terme aussi atténué
17
V. A. Taillandier, L'intensité du lien de subordination, Thèse de doctorat, Nantes, 1994
A. Supiot, Les nouveaux visages de la subordination, rev. dr. soc. 2000, p. 131 ; sur ce thème, V.
aussi : V. H. Groutel, Le critère du contrat de travail in Mélanges Camerlynck, Dalloz, 1978, p. 49
19
Th. Aubert-Monpeyssen, Subordination juridique et relation de travail, Centre Régional de
Publication de Toulouse, Éditions du Centre National de la Recherche Scientifique, 1988, p.7
18
18
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
sémantiquement et se demander pourquoi et comment, alors que le cadre traditionnel des
rapports de travail a volé en éclats, la formulation initiale a résisté à l’épreuve du temps »20.
24.
Proposer un sujet sur le lien de subordination juridique dans les relations de travail
mène donc à réfléchir préalablement au besoin de distinguer le contrat de travail des autres
contrats (I). Cette distinction repose actuellement sur le lien de subordination juridique, il
faudra donc avoir un aperçu général des causes profondes de sa fragilisation (II) pour
comprendre sa perte de légitimé comme critère distinctif et universel du contrat de travail.
25.
C’est ce qui engendre aujourd’hui la crise du salariat (III), à laquelle il devient urgent
de remédier, car les enjeux (IV) se rattachent directement aux exigences d’une justice sociale,
dans une République qui se veut « indivisible, laïque, démocratique et sociale »21 et qui
entend assurer « l'égalité devant la loi de tous les citoyens »22.
I.
Le besoin de distinguer le contrat de travail
26.
Au fond, il est possible de se demander pourquoi il est à ce point nécessaire de
recourir à un critère du contrat de travail. Dans l’absolu, il pourrait être considéré qu’il n’est
pas déterminant de pouvoir différencier le contrat de travail des autres contrats, ou bien
qu’une définition légale suffirait amplement à résoudre toutes ces incertitudes. C’est alors sur
le plan de la théorie juridique qu’il faut se placer. Il faut tout d’abord expliquer pourquoi le
droit contemporain s’emploie avec autant d’efforts à vouloir distinguer le contrat de travail
des autres contrats. Ne serait-il pas possible de recourir à un travailleur simplement en
concluant un contrat librement négocié ?
27.
L’article 1107 du Code civil dispose a cet effet que « les contrats, soit qu'ils aient une
dénomination propre, soit qu'ils n'en aient pas, sont soumis à des règles générales […]». Le
20
Ibid, p. 8
Constitution de 1958, alinéa premier
22
Ibid. ; V. aussi : Compte rendu provisoire de la Conférence Internationale du travail n°13A/B à
propos du projet de déclaration de l’OIT sur la justice sociale pour une mondialisation équitable,
Organisation internationale du travail, 97ème session, Genève, 2008
21
19
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
travailleur serait donc protégé, notamment au regard de son consentement qui devra être libre
et éclairé. De plus selon la formule : « qui dit contractuel dit juste »23. Cette maxime
incontournable en droit des obligations signifie qu’un contrat, quel qu’il soit, ne peut pas
générer d’injustice puisque chaque partie y a donné son consentement. Cette affirmation est
donc fondée sur le postulat d’un consentement libre et éclairé. Mais pour le cas du contrat de
travail, c’est nier l’importance de l’ordre public social, c’est aussi nier l’état de dépendance
dans laquelle se trouve le salarié pour subvenir aux besoins de la vie quotidienne et qui le
pousse à se subordonner, parfois à tout prix.
28.
La technique actuelle qui consiste à classer le contrat de travail dans la typologie des
contrats spéciaux, avec une dénomination propre, est ainsi utilisée pour permettre
l’application d’un droit spécial à la relation de travail. C’est donc grâce à sa distinction qu’il
est possible d’identifier le contrat de travail et de lui appliquer les lois sociales, notamment
celles qui relèvent de l’ordre public social auxquelles il n’est en principe pas possible de
déroger.
29.
C’est l’application de ce droit spécial qui empêche notamment de rémunérer un salarié
en dessous du salaire minimum interprofessionnel de croissance, même si le salarié à donné
son accord. Cette interdiction ne serait pas possible si le contrat de travail était entièrement
régi par le droit commun, au nom de la liberté contractuelle. En période de crise de l’emploi,
il serait ainsi très probable de voir se généraliser les enchères inversées sur salaires qui sont
aujourd’hui interdites. C’est donc une solution qu’il faut oublier.
30.
La seconde proposition de simplification à l’extrême consisterait à saisir le législateur
pour qu’il donne enfin une définition légale digne de ce nom au contrat de travail. Ce n’est
pas non plus une technique envisageable car si le législateur n’a pas donné de définition du
contrat de travail, ce n’est point par paresse. En donnant une définition sur le fond plutôt
qu’une définition descriptive au contrat de travail, il donne au juge le pouvoir souverain de
s’emparer des montages frauduleux qui exploiterait les failles d’une formulation légale en vue
d’éluder l’application du droit du travail.
23
A. Fouillée ; V. L. Rolland, « Qui dit contractuel, dit juste. » (Fouillée) … en trois petits bonds, à
reculons, Fac. Droit Montréal, Coll. facultaire, 2005 : disponible sur l’adresse suivante :
http://hdl.handle.net/1866/2162 ; V. aussi : IXe Congrès de l’Association internationale de
méthodologie juridique, Les principes généraux de droit, Tunis, nov. 2005
20
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
31.
La technique actuelle permet donc une requalification a posteriori fondée sur l’article
12 du Nouveau Code de procédure civile, même si c’est au prix d’une insécurité
juridique parfois critiquée : « Le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui
lui sont applicables. Il doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes
litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée […] »24.
II.
La fragilisation du lien de subordination
32.
Plusieurs phénomènes conduisent aujourd’hui à fragiliser le lien de subordination
juridique dans les relations de travail salarié. Soit ils sont incompatibles avec la notion, et leur
émergence dans les rapports subordonnés crée un conflit, soit ils causent l’évitement du
contrat de travail, et traduisent alors un danger pour l’avenir du salariat. Il s’agira donc de
présenter respectivement l’introduction de l’égalité dans la subordination (A), l’introduction
de la liberté dans la subordination (B) et l’évolution du tissu productif (C).
A. L’introduction de l’égalité dans la subordination
33.
Dans un contexte de loi du marché, la liberté contractuelle est la règle, même si elle est
de plus en plus remise en cause dans le contrat de travail. Ce qui participe d’ailleurs à
l’émergence d’une conception du droit du travail tournée vers l’adhésion à un statut plutôt
que la négociation d’un contrat. À l’inverse, il se développe un phénomène de
contractualisation de la fonction publique alors que celle-ci est historiquement fondée sur le
statut25.
24
Art. 12 NCPC
25
Le recours au statut permet d’assurer la continuité des services publics mais aussi celle de l’État,
notamment lorsqu’il s’agit de fonctions se rattachant à l’exercice de prérogatives dites régalienne. ; V.
Livre blanc sur l’avenir de la fonction publique p.113 ; D. Jean-Pierre, La privatisation du droit de la
fonction publique, La Semaine Juridique Administrations et Collectivités territoriales n° 29, 15 Juillet
2003, 1672 p. 973
21
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
34.
Si le contrat de travail demeure un contrat de gré à gré, la liberté contractuelle y est
largement remise en cause par le développement de l’ordre public social26. Le législateur est
intervenu pour protéger le salarié qui est considéré de tout temps comme la partie faible dans
le contrat de travail. C’est même le fondement premier du droit du travail qui se veut être un
droit à la fois protecteur et coercitif, selon que l’on soit salarié ou employeur27. Le législateur,
particulièrement avec les lois Auroux28, a peu à peu développé un domaine réservé du salarié
dans l’exécution du contrat de travail : « de même qu’il existe une sorte de domaine réservé
de l’employeur, il existe un domaine réservé du salarié dans lequel le chef d’entreprise ne
peut normalement s’immiscer »29. L’octroi de libertés devient ainsi l’instrument du
rééquilibrage du contrat de travail, dans l’espoir de créer une égalité entre les parties qui n’a
pourtant jamais existé dans ce contrat.
B. L’introduction de la liberté dans la subordination
35.
En faisant du salarié un citoyen dans l’entreprise, en octroyant plus de libertés et de
droits aux salariés, le législateur à transformé sa condition initiale dans l'entreprise jusqu’à le
rendre acteur de la détermination de ses propres conditions de travail via, en outre, le
développement de la négociation collective et l’instauration d’Institutions Représentatives du
Personnel.
36.
Ces diverses réformes s’inscrivent donc dans une logique de justice commutative « qui
fait abstraction des mérites personnels pour déterminer selon une stricte égalité arithmétique
ce qui est dû à chacun »30. C’est Aristote qui est à l’origine de ce concept dont le but est de
rétablir l'égalité dans le contrat lorsque celle-ci est rompue, notamment par un déséquilibre.
26
V. P.-H. Antonmattéi, Plaidoyer pour une promotion de la technique contractuelle en droit du
travail, Cahiers de droit de l'entreprise n°3 , p. 37- 39, 07/07/2005
27
V. G. Xerxes, F. Hordern, O. Tholozan, et Institut régional du travail, Histoire du contrat de travail,
Institut régional du travail, 2005
28
V. J. Le Goff, Les lois Auroux, 20 ans après, rev. dr. soc., n° 7/8 , p. 703 -711, 01/07/2003
29
M. Despax, L’évolution du rapport de subordination, rev. dr. soc. 1982, p.15
30
V. M. Blay, Dictionnaire des concepts philosophiques, Coll. Intéressement extenso, Éd. Larousse,
2008, pp.459,464
22
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
37.
Mais ce déséquilibre n’est-il pas justement la caractéristique intrinsèque du contrat de
travail, puisqu’il naît de la subordination et meurt dès son extinction ? Pour revenir à
l’affirmation de Vauvenargues, ces lois pourraient donc être qualifiées de contre-nature car
elles forcent l’égalité là où la liberté contractuelle devrait laisser place à la loi du plus fort.
38.
À l’état naturel, le contrat de travail n’est en effet que dépendance et subordination31.
Mais ces réformes lui ont ôté son essence, de sorte qu’il contient de moins en moins de
subordination, ce qui pose désormais le problème de sa reconnaissance juridique puisque
celle-ci s’appuie sur l’existence d’un lien de subordination.
39.
Dans le même ordre d’idée, un autre conflit plus profond peut se concevoir. Étant donné
que le salarié est devenu un citoyen dans l’entreprise, il est possible d’y voir, en filigrane,
l’influence idéologique de la devise française : Liberté, Égalité, Fraternité32. Le contrat de
travail étant par nature bien étranger aux notions d’égalité et de liberté, peut-être se heurte-t-il
finalement aux valeurs fondamentales de la République. La « notion de subordination repose
en effet sur la soumission à l’autorité de l’employeur ; elle désigne la soumission d’un
individu à des ordres. La subordination suggère ainsi une verticalité des rapports de travail qui
s’accommodent mal avec les idées d’égalité et de liberté. On est loin des postulats de base que
sont la liberté contractuelle et l’égalité des contractants en droit commun des obligations »33.
40.
Cette idée plaide donc pour une alternative au recours à la seule notion de subordination
juridique, puisque celle-ci est de plus en plus remise en cause. De sorte que le contrat de
travail et le salariat connaissent aujourd’hui une crise sans précédent. Il n’est pas fait ici
référence à la crise de l’emploi, mais à la crise institutionnelle que traversent le salariat et le
contrat de travail ; certains auteurs annoncent la fin du salariat34. Tandis que d’autres se
31
V. Vauvenargues, Maximes et pensées, Éd.du Rocher, Coll. André Silvaire, 2003
V. A. Viottolo-Ludmann, Égalité, Liberté dans le contrat de travail, Évolutions du droit
contemporain, Thèse de doctorat, Aix, 2004 ; A. Supiot, Liberté, égalité, fraternité, Actualités en droit
social, Colloque Compirasec-Bordeaux, 8 et 9 sept. 1989, Éd. LCF, 1990 ; V. aussi M. Ozouf, Liberté,
égalité, fraternité, in Lieux de Mémoire , tome III : Les France. De l'archive à l'emblème, Éd. Quarto
Gallimard, 1997, pp.4353-4389
33
A. Viottolo-Ludmann, Égalité, Liberté dans le contrat de travail, Évolutions du droit contemporain,
Thèse de doctorat, Aix, 2004, p.9
34
P. Pasin, La fin du salariat : le guide, Éd. Carnot, 1999
32
23
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
demandent comment moderniser le contrat de travail, notamment en proposant de ne plus
recourir qu’à un seul contrat dit contrat de travail unique35, ce qui paraît bien utopique.
C. L’évolution du tissu productif et mutations sociales
41.
Un autre facteur de la fragilisation de la subordination provient de la restructuration des
relations de travail. Les entreprises se structurent en réseaux, elles favorisent de plus en plus
l’externalisation en recourant à des prestataires de service plutôt qu’en recrutant des salariés.
Le tissu productif s’adapte ainsi aux contraintes croissantes du marché en recherchant la
solution la moins onéreuse et la moins risquée pour tous les besoins qui ne concernent par leur
cœur de métier.
42.
Si le droit du travail a voulu protéger le salarié en instituant toujours plus de protection à
son profit et de contraintes pour l’employeur, il faut observer que finalement cette
bienveillance tend à le desservir. Il en résulte deux conséquences qui nuisent à l’attrait du
salariat et mettent ainsi en cause la notion de subordination.
43.
Tout d’abord le droit du travail est pris dans la logique de l’économie de marché
puisqu’il peut-être perçu comme étant moins compétitif que le droit civil ou le droit
commercial. Cette réalité se traduit par le recours croissant à la prestation de service et autres
solutions permettant d’éviter le champ d’application du droit du travail. Ensuite le salarié
devient lui aussi moins compétitif que les prestataires de service et encore moins compétitif
que les salariés de pays sans charges sociales obligatoires : c’est le phénomène dit de dumping
social36.
35
Contrat de travail unique : une « forme d'illusion » selon le COE in La Semaine Juridique Social n°
44, 31 Octobre 2006, act. 411 ; Nicolas Sarkozy pour un contrat de travail unique in La Semaine
Juridique Social n° 12, 13 Septembre 2005, act. 102
36
V. Conseil économique et social, Enjeux sociaux et concurrence internationale : du dumping social
au mieux-disant social, avis du Conseil économique et social sur le rapport présenté par M. Didier
Marteau au nom de la section du travail, Éd. Direction des Journaux officiels, Paris, 2006 ; V.
Delbecque, Concurrence fiscale, concurrence sociale et attractivité, une analyse des investissements
directs français à l'étranger, Thèse de Droit, Paris X, 2009 ; V. M.-A. Moreau, Normes sociales, droit
du travail et mondialisation : confrontations et mutations, Éd. Dalloz, Paris, 2006 ; Délégation de
l'Assemblée nationale pour l'Union européenne, Rapport d'information sur le dumping social en
24
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
44.
C’est pour cette raison que les grandes usines françaises délocalisent de plus en plus de
sites à l’étranger. Les grandes structures qui consomment beaucoup de main d’œuvre ont donc
vocation à disparaître en l’état actuel des choses, de même que la production de masse. Sauf
peut-être pour les produits de luxe nécessitant un savoir-faire rare37 ou bénéficiant, peut-être,
du futur label made in France38. Cette disparition semble se faire au profit d’un tissu composé
de petites structures, de travailleurs indépendants et globalement, d’une économie plutôt
tertiaire qui se tourne volontiers vers les services à la personne.
45.
Or, il s’avère que ce sont justement ces grandes usines bien hiérarchisés et structurée
selon un modèle pyramidal, qui ont donné naissance au concept de subordination. Leur
disparition s’accompagnant d’une restructuration horizontale de la production, elle rend
nécessaire de constater une remise en cause du lien de subordination voire sa disparition.
46.
Car dans leurs rapports horizontaux les entreprises ne connaissent que la dépendance ou
l’interdépendance. Or, cette situation n’implique pas de conséquences aussi lourdes que la
subordination puisque la dépendance économique ne fait l’objet d’aucun droit protecteur. Au
contraire, le lien de subordination déclenche généralement l’application du droit du travail et
de l’ordre public social. D’un point de vue économique il est donc possible de considérer - de
manière caricaturale - que la subordination juridique est moins concurrentielle que la
dépendance économique.
III. Les conséquences des atteintes à subordination juridique
47.
Les atteintes successives à la toute puissance de l’employeur, telle qu’elle pouvait se
manifester au XIX° siècle, ont pour résultat d’avoir progressivement alléger le poids de la
subordination. Si bien qu’aujourd’hui un choix semble s’imposer pour tenter d’endiguer la
Europe déposé par la délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union Européenne et présenté par M.
Gaëtan Gorce, Éd. Les documents d'information de l'Assemblée nationale, Paris, 2000
37
E. Chalmandrier, Les façonniers du luxe français en danger face aux délocalisations, La-Croix.com,
13 avr. 2010 ; B. Leblanc, Luxe : donneurs d’ordre et sous-traitants ont redéfini les règles du jeu,
Usinenouvelle.com, 14 avr. 2010
38
J. Alimi, Le « made in France », c'est parti ! , LeParisien.fr, 20 avr. 2010 (le ministre de l'Industrie
l'expérimentera d’ailleurs avec Renault et PSA, deux grandes usines françaises)
25
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
crise du salariat. Puisque le lien de subordination tend à se dématérialiser (A) sous l’effet de
forces convergentes, il faut soit renoncer à l’institution qu’est devenu le contrat de travail soit
repenser les relations de travail (B) pour que la notion de subordination n’entraîne pas dans
sa chute le contrat de travail et donc le salariat. Seule cette dernière solution paraît
raisonnablement exploitable.
A. La dématérialisation du lien de subordination
48.
Pour rejoindre l’idée de la remise en cause du lien de subordination, il faut ainsi retenir
deux sources distinctes. D’une part, l’évolution des nouvelles organisations du travail et
d’autre part, l’intervention du législateur pour forcer l’égalité dans la subordination. Leurs
actions ont pour conséquences respectives de favoriser un glissement du recours à la
subordination au profit du recours à une dépendance économique. Car elle permet d’exercer
un contrôle au moins aussi fort par l’intermédiaire de contrôles qualité ou d’exigences
commerciales. Mais les lois sociales ont progressivement amenuisé l’intensité du lien de
subordination39.
49.
Ce phénomène de désubstantialisation du contrat de travail cause l’effacement
progressif de la frontière entre les salariés et les non salariés. Il en résulte un lieu parsemé
d’incertitudes qu’A. Supiot a nommé la zone grise du droit du travail. C’est dans cette zone
intermédiaire que se trouvent les travailleurs indépendants qui ne peuvent, par définition, pas
justifier de l’existence d’un lien de subordination juridique. Ils ne bénéficient donc pas des
avantages protecteurs du droit du travail alors qu’en état de dépendance économique vis-à-vis
d’un seul donneur d’ordre, ils sont soumis voire implicitement subordonnés aux exigences de
ce dernier : c’est un pouvoir invisible mais bien réel qui s’accommode mal des indices
traditionnels du lien de subordination conçu au temps des usines tel qu’il apparaît dans le film
« Les Temps modernes »40 .
50.
Ces travailleurs ne sont donc pas réellement indépendants. Leur activité prend place
dans un contexte où règne la loi du marché, la loi du plus fort. Or, pour qu’il existe des forts,
c’est nécessairement qu’il existe des travailleurs plus faibles. Ces travailleurs indépendants
39
V. A. Taillandier, L'intensité du lien de subordination, Thèse de doctorat, Nantes, 1994
40
Les Temps modernes - Modern Times -, Ch. Chaplin, Prod. United artists, Éd. Williard Nico, 1936
26
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
économiquement dépendants « peuvent ne pas tomber sous le coup de la législation du travail,
parce qu'ils occupent une « zone grise » entre le droit du travail et le droit commercial.
Quoique formellement « indépendants », ils restent économiquement dépendants d'un seul
commettant ou client/employeur pour la provenance de leurs revenus »41
51.
Et puisque la loi a pour vocation d’être la même pour tous, qu’elle punisse ou quelle
protège, il semblerait logique qu’elle prévoit une protection spécifique pour les travailleurs
économiquement dépendants. L’égalité n’étant pas naturelle et la nature ne connaissant
comme loi que la subordination et la dépendance, alors la marge est mince pour qu’on en
déduise que la dépendance économique de ces travailleurs justifie une protection légale au
même titre que la subordination. C’est donc à juste titre qu’il faut souligner qu’« une
économie de marché ne peut permettre, au nom de la liberté contractuelle, de telles zones de
non-protection, pouvant affecter des centaines de milliers de personnes en France et bien plus
en Europe »42.
52.
La prise en compte de la vulnérabilité de ces travailleurs dépendants a pourtant déjà été
considérée par le livre VII du Code du travail et l’article L.311-3 du Code de la sécurité
sociale mais d’une manière ciblée et inégalitaire. Ce qui n’est pas un système satisfaisant car
il est catégoriel, et ne permet pas d’envisager le cas de tous les travailleurs économiquement
dépendants. D’autant plus dans un contexte où le salarié est de plus en plus autonome et où se
développe le travail à domicile ou le recours au statut d’auto-entrepreneur. C’est d’ailleurs
l’objet d’un rapport officiel remis par P.-H. Antonmattéi et J.-C.Sciberras et qui s’intitule « le
travailleur économiquement dépendant : quelle protection? »43.
B. Le besoin de dépasser la subordination
53.
Après avoir présenté le sujet, il convient d’en préciser l’objectif. Sur ce point il est
important de citer un passage de l’illustre thèse de Th. Aubert-Monpeyssen « subordination
41
Livre vert de la Commission des Communautés Européennes « Moderniser le droit du travail pour
relever les défis du XXIème siècle » du 22 novembre 2006 COM (2006) 708 final
42
P.-H. Antonmattéi, J.-C.Sciberras, Le travailleur économiquement dépendant : quelle protection ?,
Rapport à M. le Ministre du Travail, des Relations sociales, de la Famille et de la Solidarité, nov.2008
43
P.-H. Antonmattéi, J.-C.Sciberras, Le travailleur économiquement dépendant : quelle protection ?,
Rapport à M. le Ministre du Travail, des Relations sociales, de la Famille et de la Solidarité, nov. 2008
27
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
juridique et relation de travail »44 publiée en 1988. La préface est rédigée par M. Despax et
dès les premières lignes, il fait le constat suivant : « est-il en effet notion qui, plus que celle-ci,
notamment au début du siècle, ait fait l’objet d’études à juste titre tenues pour essentielles
[…] Dans ces conditions – dira-t-on – n’est-ce point vaine entreprise que de consacrer une
thèse à la subordination juridique dans ses rapports avec la relation de travail ?». Et de
conclure que cette thèse l’a convaincu du contraire.
54.
La conviction que ce sujet de thèse n’était pas une vaine entreprise ni en 1988 ni en
2008, a été confortée par ces mots mais s’inspire initialement d’une expérience
professionnelle ayant donné lieu à un étonnement certain. Il s’agissait de répondre à une lettre
d’observation de l’URSSAF dans le cadre d’un redressement pour travail dissimulé. Or,
plusieurs arguments appuyant la requalification de contrats conclus avec des prestataires de
service en contrat de travail étaient fondés sur la notion de dépendance économique.
55.
La Cour de cassation a pourtant consacré le lien de subordination depuis bien
longtemps. C’est donc dans ce contexte, pour comprendre le recours à ces arguments, que les
premières recherches bibliographiques ont été effectuées et que les premiers résultats ont
montré leurs limites. Il a semblé important et utile de proposer un travail de recherche à la fois
pratique et théorique, focalisé sur la problématique du recours à la notion de lien de
subordination juridique comme critère du contrat de travail.
56.
Car, depuis 1988, la notion de subordination juridique a continué de générer un
engouement doctrinal constant, et même médiatique avec une affaire récente concernant une
émission de télé réalité45. Pour autant, aucune thèse n’a réellement porté sur la question
centrale du lien de subordination juridique depuis 1988, si ce n’est celle de G. Bredon en
199846, soit dix ans plus tard. La notion de lien de subordination juridique ne constitue
souvent qu’un aspect secondaire des travaux existants, comme par exemple dans une thèse sur
44
Th. Aubert-Monpeyssen, Subordination juridique et relation de travail, Centre Régional de
Publication de Toulouse, Éditions du Centre National de la Recherche Scientifique, 1988
45
V. par exemple : R. Garrigos et I. Roberts, L’île de la cassation, Libération, 30 avril 2009 ; D. M.,
Un ancien participant à L'île de la Tentation assigne une filiale de TF1, Agence France Presse, 28 avr.
2008 ; A. Gavidia, La télé-réalité s'invite aux Prud'hommes, Le Progrès, 24 novembre 2008 ; E.
Berretta, Télé-réalité : 120 candidats aux prud'hommes, LePoint.fr, 19 décembre 2008
46
G. Bredon, l'évolution de la notion de subordination comme critère du contrat de travail, Thèse Paris
II, 1998
28
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
« la condition juridique des personnes en état de subordination au regard des libertés »47 ou
encore « le champ d'application et d'influence du droit du travail salarié »48.
57.
Il semblerait donc que cette notion soit tellement cruciale que beaucoup préjugent
qu’elle fait l’objet de trop de travaux. Qu’ainsi il s’agit d’une vaine entreprise faute de
pouvoir apporter une innovation. Mais c’est justement à ce stade que ce situe l’intérêt
fondateur de cette thèse, et qui consiste à ne pas préjuger hâtivement que la notion de lien de
subordination juridique est un sujet trop bien exploré.
58.
Car si cette notion donne lieu à de nombreux commentaires elle n’a que très rarement
donné lieu à des travaux de grande ampleur ou approfondis. La dernière œuvre exhaustive à
ce sujet est sans doute l’honorable travail collectif entrepris par J. P. Chauchard et A.C.
Hardy-Dubernet en 2003 et qui contient de nombreux articles éclairés sur la métamorphose du
lien de subordination49. Toutefois cette analyse porte globalement plus sur les facteurs du
changement que sur la notion en elle-même, de plus elle se présente sous forme d’une
compilation d’articles qui n’offre pas la même intelligibilité qu’une œuvre homogène.
59.
Le type de travail proposé ici était donc jusqu’alors inexistant ou pas assez récent. Il a
pour ambition première de synthétiser puis d’analyser au sein d’un ouvrage unique et nouveau
toutes les difficultés actuelles posées par l’utilisation de cette notion - un bilan - et toutes les
solutions envisagées ou envisageables à ce jour en tentant d’apporter de nouvelles idées
pratiques et théoriques – des perspectives -.
60.
L’objectif de ce travail est sous cet angle conforme à l’idée selon laquelle « le tout est
plus que la somme de ses parties ». Et qu’ainsi, en 2010, il ne doit pas être nécessaire de
compiler un nombre variable d’articles de doctrine, aussi brillants soient-ils, pour pouvoir
cerner les déterminants de la notion fondamentale du contrat de travail en France.
47
J. Birnbaum, La condition juridique des personnes en état de subordination au regard des libertés,
Thèse Strasbourg III, 2006
48
A. Simon, Le champ d'application et d'influence du droit du travail salarié, Thèse de Doctorat,
Université de Lille III, 2006
49
J. P. Chauchard et A.C. Hardy-Dubernet (dir.), Les métamorphoses de la subordination, Paris,
Ministère de l'Emploi, du Travail et des Affaires sociales, Éd. La Documentation française, 2003
29
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
IV. Les enjeux du dépassement de la subordination
61.
L’étude du sujet proposé est centrée sur la notion de lien de subordination juridique
dans les relations de travail. Elle ne rend donc pas nécessaire de définir de manière plus
approfondie les principales notions déjà présentées précédemment. D’autant plus que ces
dernières ont vocation à alimenter la réflexion dans l’exploration du sujet.
62.
Toutefois, la notion de relations de travail peut justifier une dernière remarque. Elle ne
doit pas être réduite car c’est une notion factuelle qui n’a aucune définition légale. C’est
d’ailleurs ce qui a motivé son utilisation car toute relation de travail est susceptible de révéler
l’existence d’un lien de subordination juridique comme cela sera démontré. Il est également
possible d’affirmer que seule une relation de travail peut révéler un lien de subordination. Il
pourra donc tout autant s’agir d’entraide familiale que de bénévolat et plus largement de
travail non lucratif que de travail rémunéré.
63.
La délimitation du sujet conduit plutôt à souligner qu’il ne s’agit pas d’un descriptif
historique de la notion de subordination juridique bien qu’il sera indispensable de procéder à
l’analyse de l’évolution juridique fondant le droit contemporain. L’intérêt principal du sujet
est en effet de déterminer si le recours au seul lien de subordination juridique, pour
caractériser universellement le contrat de travail, se justifie encore malgré les nouvelles
organisations du travail et plus largement malgré les disparités générées par les mutations du
tissu productif.
64.
Plusieurs interrogations jaillissent à la formulation de cette problématique : est-ce que la
notion de lien de subordination juridique a vocation à demeurer le critère d’identification du
contrat de travail ? D’un point de vue plus général, est-ce que le besoin de recourir à un critère
d’identification du contrat de travail est réel, le cas échéant quelle(s) alternative(s) peuvent
être proposée(s) au système actuel ? Un autre critère ? Un autre système ?
65.
Plusieurs enjeux dépendent directement des réponses qu’il sera possible d’apporter à ces
questions. Ces enjeux concernent en priorité le sort des travailleurs économiquement
dépendants puisque la subordination et la dépendance traduisent l’un comme l’autre
l’inégalité naturelle des rapports laissés à la liberté contractuelle. Pourquoi le législateur n'a
30
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
donc limité cette liberté qu’au regard de la subordination délaissant totalement la
dépendance ?
66.
Les travailleurs dépendants sont ainsi totalement livrés au jeu des rapports de force
même si la liberté contractuelle n’est jamais totale : la théorie de l’abus de droit et la notion de
bonne foi amènent quelque tempérament 50. Mais il serait inconcevable aujourd’hui de laisser
les salariés sous la seule protection de ces limites de droit commun alors que le système actuel
y laisse les travailleurs économiquement dépendants.
67.
Il faudra déterminer si le choix entre subordination et dépendance est réellement
nécessaire, notamment en comparant le droit français à d’autres systèmes juridiques dans le
monde. Il faudra déterminer dans quelle mesure il serait possible de prendre en compte la
vulnérabilité des travailleurs économiquement dépendants de manière durable et universelle.
C’est donc une modernisation du droit qu’il faudra envisager in fine.
68.
Un autre enjeu non moins important concerne la sécurité juridique des relations de
travail, commerciales ou non. Car le recours à la notion de lien de subordination juridique est
soupçonné par une partie de la doctrine d’abriter silencieusement des considérations parfois
liées à la dépendance économique51. Celles-ci fonderaient ainsi des requalifications en contrat
de travail et donc des redressements et des poursuites pénales pour travail dissimulé52. Du
moins, elles en sont soupçonnées comme en témoigne l’agitation doctrinale autour de l’arrêt
Labbane53. Il faudra donc s’interroger sur la fonction qu’il serait possible de donner à la
notion de dépendance économique, puisque sa négation absolue s’avère générer plus de
complexité et d’insécurité juridique que sa reconnaissance et son encadrement.
69.
Il sera donc procédé à une étude en deux temps. Tout d’abord il convient d’envisager la
recherche d’un critère du contrat de travail (PARTIE 1). Le terme recherche a été longuement
50
V. E. Letombe, L’abus de droit en droit du travail, Thèse pour le doctorat, Université Lille II, 2007
51
G. Bredon, l'évolution de la notion de subordination comme critère du contrat de travail, Thèse Paris
II, 1998, p.20
52
V. [s.n.], Prison avec sursis pour les fondateurs de Vêt'Affaires, NDLR, Ouest France, Éd. Presse
Océan, 19 décembre 2008
53
Cass. soc, 19 décembre 2000 Labbane ; V. notamment : Droit social 2001 n° 3, page 227, 11 pages,
note A. Jeammaud ; J.-P. Chauchard, Subordination et indépendance, La Lettre Prud’homale, 4ème
trimestre 2002, n° 3
31
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
réfléchi et a finalement été retenu car il permet de mettre en évidence les deux aspects traités
dans cette partie.
70.
D’une part le processus de recherche d’un critère du contrat de travail qui tend à
expliquer les fondements du droit positif. D’autre part la relativisation du lien de
subordination. Car c’est cette relativisation qui met en évidence l’imperfection du système
actuel. Elle oblige le législateur à procéder, notamment, par le jeu de présomptions et
d’assimilations. C’est donc que la recherche d’un critère du contrat de travail n’a pas
totalement abouti, du moins pas de manière satisfaisante.
71.
Ces imperfections, qui relativisent l’importance du recours au lien de subordination et
altèrent son caractère universel en tant que critère du contrat de travail, mènent directement à
la deuxième partie. Celle-ci est en effet consacrée à
la remise en cause du lien de
subordination (PARTIE 2).
72.
Elle confirme l’idée amorcée en fin de première partie en confrontant la notion de
subordination juridique aux transformations du travail et à la régénération des rapports de
subordination. Il sera notamment démontré que la pratique tend à substituer progressivement
un rapport de participation au traditionnel rapport de subordination. Il sera aussi démontré que
le recours à la seule notion de lien de subordination juridique mène à des impasses. Qu’ainsi il
est temps de moderniser la conception actuelle des relations de travail ainsi que l’ont souligné
l’Union européenne et l’Organisation internationale du travail, notamment dans un contexte
où les pays voisins comme l’Italie, l’Allemagne, le Royaume-Uni et récemment l’Espagne ont
déjà franchi le pas.
PARTIE 1: LA RECHERCHE D’UN CRITÈRE DU CONTRAT DE TRAVAIL
PARTIE 2: LA REMISE EN CAUSE DU LIEN DE SUBORDINATION
32
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
.
PREMIÈRE PARTIE
LA RECHERCHE D’UN CRITÈRE DU
CONTRAT DE TRAVAIL
33
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
PREMIÈRE PARTIE
LA RECHERCHE D’UN CRITÈRE DU CONTRAT DE TRAVAIL
71.
Pourquoi et comment la jurisprudence en est-elle arrivée à choisir le critère du lien de
subordination juridique alors que la loi ne donne aucune définition du contrat de travail ni
même ne fait allusion au recours à ce critère. Ce terme n’est d’ailleurs employé que deux fois
dans tout le Code du travail : à l’article L.7412-1 qui définit le travailleur à domicile, et à
l’article L.8221-6 alinéa 4 qui prévoit les cas dans lesquels la présomption de non salariat peut
être renversée. C’est là un article qui pourrait fonder une référence légale explicite au lien de
subordination juridique comme critère du contrat de travail. Mais son champ d’application est
limité aux cas où la loi instaure une présomption de non salariat, ce qui ne permet pas de lui
reconnaître une telle portée. Cet article ne concerne en effet que les prestations de travail de
certaines catégories de personnes telles que les commerçants, artisans, et agents
commerciaux54.
72.
Outre qu’elle ne donne aucune définition du contrat de travail, la loi ne dicte pas non
plus l’obligation de recourir à ce critère, quand bien même elle aurait laissé au juge le soin
d’en découvrir le sens. Elle prévoit tout au plus, en tête des nombreux titres qui composent les
livres du Code du travail, une formule qui rend l’ensemble applicable aux salariés et
employeurs. Celle-ci est généralement formulée ainsi : « Les dispositions du présent livre sont
applicables aux employeurs de droit privé ainsi qu'à leurs salariés »55. La loi définit donc le
champ d’application du droit du travail par référence au nom qui est donné aux parties dans
un contrat de travail. Deux critiques peuvent alors être formulées ; d’une part, aucune loi ne
prévoit explicitement que les parties d’un contrat de travail sont le salarié et l’employeur.
54
Article L.8221-6 alinéa 4 du Code du travail : « L'existence d'un contrat de travail peut toutefois être
établie lorsque les personnes mentionnées au I fournissent directement ou par une personne interposée
des prestations à un donneur d'ordre dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination
juridique permanente à l'égard de celui-ci » ; pour effectuer une recherche par expression, V.
Légifrance.gouv.fr, le service public de la diffusion du droit
55
V. Article L1111-1 du Code du travail qui se termine ainsi : « […] Elles sont également applicables
au personnel des personnes publiques employé dans les conditions du droit privé, sous réserve des
dispositions particulières ayant le même objet résultant du statut qui régit ce personnel »
34
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
Donc, même à reconnaître l’existence d’un lien de subordination et d’un contrat de travail, il
pourrait être soutenu que cela ne suffit pas à rendre applicable la plupart des livres du Code du
travail puisqu’ils visent les salariés et employeurs. La question demeure donc ouverte :
ͨqu'est-ce qu'un salarié ? »56 ou encore « qui est salarié ? »57. D’autre part, à considérer qu’il
serait « d’usage constant » de nommer ainsi les parties d’un contrat de travail, l’application du
droit du travail n’en serait pas moins subordonnée, en principe58, à l’existence d’un contrat de
travail59. C’est donc une impasse logique car la question se pose toujours de savoir ce qu’il
faut entendre là ; « qu'il est difficile de définir le contrat de travail! » 60.
73.
Cette interprétation stricte de la loi est certes rigide, mais elle s’appuie sur le respect
du principe de légalité transcrit à l’article L.111-4 du Code pénal : « La loi pénale est
d’interprétation stricte »61. Or, le Code du travail renvoit justement au Code pénal pour
sanctionner de nombreuses règles qu’il édicte : c’est le droit pénal du travail62. Pour prendre
l’exemple du travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié, cette infraction présuppose
que soit rapportée la preuve d’un contrat de travail, avant même qu’il soit démontré que ce
dernier a été dissimulé. L’application de la loi pénale est donc dans ce cas, comme dans
beaucoup d’autres, subordonnée à la preuve d’un contrat de travail ce qui justifie, ou devrait
justifier, une grande rigueur d’interprétation. Le recours au critère du lien de subordination
juridique (TITRE 1) s’explique donc, avant tout, par la recherche d’un critère du contrat de
travail. Ce sont les différents aspects de cette recherche, aux tumultes latents, qui expliquent
la relativisation croissante du lien de subordination (TITRE 2).
TITRE 1. LE RECOURS AU LIEN DE SUBORDINATION
TITRE 2. LA RELATIVISATION DU LIEN DE SUBORDINATION
56
L. De la Pradelle, Qu'est-ce qu'un salarié ?, Revue pratique de droit social 1997, p. 79
C. Puigelier, Qui est salarié ?, La Semaine Juridique Social n° 28, 11 Juillet 2006, 1563 (à propos de
Cass. soc., 17 mai 2006, n° 04-43.265)
58
Il existe des exceptions qui feront l’objet d’une étude dans la présente partie et qui concerne en outre
le personnel des personnes publiques employé dans les conditions du droit privé
59
Sur cette question précise voir : A. Simon,.Le champ d'application et d'influence du droit du travail
salarié, Thèse de Doctorat, Université de Lille III, 2006
60
F. Jault, Qu'il est difficile de définir le contrat de travail!, Petites affiches, 24 avril 2002, n° 82 p. 18
- à propos de l'arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation du 19 janvier 2000 61
Article L.111-4 du Code pénal
62
V. P.-H. Antonmattéi, L'entreprise et le droit pénal du travail, Gaz. Pal. n°69, p.22-25, 10/03/2002
57
35
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
TITRE 1
LE RECOURS AU LIEN DE SUBORDINATION
74.
Aujourd’hui, contrat de travail et lien de subordination juridique sont à l’évidence
deux notions interdépendantes presque indissociables. Cette situation est l’œuvre d’une lente
évolution qui remonte au moins jusqu’en 1804, lors de la naissance du Code civil. Celui-ci
instituait d’une part un régime de responsabilité original : celle des maîtres pour le fait de
leurs commettants et, d’autre part, il instituait le contrat dit de louage d’ouvrage au terme
duquel le travailleur consentait à se soumettre à l’autorité du locataire et à exécuter un travail
sous à ses directives.
75.
Ce contrat est donc l’ancêtre du contrat de travail moderne duquel il se distingue sur
deux points principaux : il était régi entièrement régi par le Code civil et il bénéficiait d’une
définition légale. À l’époque il avait donc une très grande similitude entre le louage de choses
– aujourd’hui un contrat de location – et le louage d’ouvrage – aujourd’hui le contrat de
travail - .
76.
Quant à la responsabilité des maîtres du fait de leurs commettants elle démontre que la
notion de lien de subordination était préexistante à la naissance du contrat de travail actuel. Ce
cas de responsabilité du fait d’autrui est d’ailleurs toujours en vigueur est n’a jamais été
réécrite depuis 1804 comme le prouve sa formulation actuelle : « Les maîtres et les
commettants, du dommage causé par leurs domestiques et préposés dans les fonctions
auxquelles ils les ont employées »63. Il faut toutefois nuancer le propos car ce régime de
responsabilité exige la démonstration d’un lien de préposition. Or, ce lien de préposition
recouvre, aujourd’hui encore, un domaine bien plus large que celui de la subordination qui
n’en est qu’une illustration parmi d’autres.
77.
Le lien de préposé à commettant peut en effet être caractérisé tant dans le cadre
juridique d’un contrat, qu’en dehors de celui-ci, dans un cadre extra contractuel ;
ͨL'existence du lien de préposition, qui conditionne l'application de l'article 1384, alinéa 5,
63
Article 1384 alinéa 5 du Code civil
36
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
du Code civil, est caractérisée toutes les fois qu'une personne a autorité sur une autre qui se
trouve ainsi placée en situation de subordination, et qu'elle exerce sur elle certains pouvoirs
permettant de diriger son activité. Les qualités de commettant et préposé ne sont pas
nécessairement liées à une relation contractuelle limitativement nommée, même si le contrat
de travail constitue aujourd'hui la principale source d'application de l'article 1384, alinéa 5, du
Code civil. L'application de ce texte est en effet plus large et couvre également des situations
de fait »64.
78.
L’approche proposée ici consiste donc à essayer de comprendre comment et pourquoi
la notion de contrat de travail, à l’origine définie par la loi, et de lien de subordination, à
l’origine pas nécessairement « juridique »65, se sont rencontrées et à ce point nouées l’une à
l’autre. Leur interaction est en effet devenue quasi-totale ; le contrat de travail ne se définit
presque plus que par le lien de subordination et ne bénéficie plus d’aucune définition légale.
Quant au lien subordination juridique, il est aujourd’hui soumis à des mutations causées par la
nécessité d’adapter la notion de contrat de travail aux « nouvelles frontières du travail
subordonné »66 et à l’évolution du tissu productif : ce sont les principaux facteurs des
« métamorphoses de la subordination »
67
. Dans cette perspective, il convient d’envisager
l’ensemble des déterminants qui ont abouti à l’élaboration du contexte juridique actuel
(CHAPITRE 1), notamment au regard du droit du travail et du droit de la sécurité sociale.
Cette réflexion permettra ainsi de mieux appréhender la conceptualisation actuelle du lien de
subordination juridique (CHAPITRE 2), notamment le choix des indices qui sont utilisés pour
donner une forme et un contenu à cette notion ambiguë.
CHAPITRE 1. LES DÉTERMINANTS DU CONTEXTE JURIDIQUE ACTUEL
CHAPITRE 2. LA CONCEPTUALISATION DU LIEN DE SUBORDINATION
64
C. Radé, Droit à réparation, Responsabilité du fait d'autrui, Domaine : responsabilité des
commettants, JurisClasseur Civil Code, Art. 1382 à 1386, Fasc. 143, n° 10
65
Car composante du lien de préposition pouvant par exemple naître de relations familiales, un enfant
peut ainsi être le préposé de son père ou de sa mère : Cass. req., 17 mars 1931, Gaz. Pal. 1931, 1, p.
800 ; Cass. civ., 4 déc. 1945, JCP G 1946, II, 3110, note J.R. ; Cass. 2e civ., 20 juill. 1970, Gaz. Pal.
1970, 2, somm. p. 57 ; Cass. 2e civ., 26 févr. 1986, Bull. civ. 1986, II, n° 26
66
H. Petit, N. Thévenot, Les nouvelles frontières du travail subordonné, Éd. La Découverte, 2006
67
J. P. Chauchard et A.C. Hardy-Dubernet (dir.), Les métamorphoses de la subordination, Paris,
Ministère de l'Emploi, du Travail et des Affaires sociales, Éd. La Documentation française, 2003
37
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
CHAPITRE 1
LES DÉTERMINANTS DU CONTEXTE JURIDIQUE ACTUEL
79.
L’objet de ce chapitre est de présenter les mécanismes qui ont contribué à la
construction juridique du contrat de travail. La mise en perspective de cette construction
permettra de comprendre le besoin du recours à la notion de lien de subordination. Cette
première étape contribue donc à caractériser la relation entre la création d’une entité juridique
autonome, le contrat de travail, et l’exigence d’un critère de distinction propre, le lien de
subordination juridique.
80.
Pour autant, le contrat de travail a conservé un lien avec ses origines civiles. Un
paradoxe conflictuel existe donc entre la volonté de créer un cadre juridique autonome et la
nécessaire persistance de certains principes le rattachant au droit commun ; le lien de
subordination a vocation à isoler le régime du contrat de travail mais il se heurte à son origine
contractuelle. La tension qui en résulte génère des retours de forces mutuelles, le droit
commun du contrat de travail recevant de nombreux aménagements et le lien de subordination
pouvant se trouver, tantôt tempéré, tantôt neutralisé.
81.
La seconde étape consiste à analyser l’importance du lien de subordination au regard
de l’application des lois sociales. Ces lois, soit qu’elles relèvent du droit de la sécurité sociale,
soit qu’elles relèvent du droit du travail, ont une finalité première différente. Il n’en résulte
donc pas nécessairement une conception jurisprudentielle unique, ce qui implique que la
notion de lien de subordination recouvre, ne serait-ce que potentiellement, des conceptions
distinctes sous une appellation identique. Le risque de confusion ainsi induit a motivé une
consolidation du droit qui est à la source du contexte juridique actuel. L’ensemble de ces
facteurs ont été déterminants dans l’élaboration du contexte juridique entourant la notion de
lien de subordination. Leur étude contribuera à la compréhension des problématiques
actuelles et à venir. Seront donc respectivement analysées l’articulation entre le contrat de
travail et le lien de subordination (SECTION I), puis la relation entre droit du travail, droit de
la sécurité sociale et lien de subordination juridique (SECTION II).
38
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
SECTION I - CONTRAT DE TRAVAIL ET LE LIEN DE SUBORDINATION
82.
Pour comprendre les raisons du recours à la notion de lien de subordination, il faut
mettre en lumière la consécration du contrat de travail. C’est en effet la volonté de créer un
contrat soumis à un régime spécial qui est à l’origine du besoin d’un critère de distinction.
83.
Il existe une articulation logique et historique entre la reconnaissance des spécificités
du contrat de louage, lorsqu’il institue une relation de travail, et la nécessité de définir un
critère juridique permettant la caractérisation du contrat de travail moderne. Cette
caractérisation est déterminante puisqu’elle conditionne l’application d’un régime spécial.
Une approche civiliste laisse pourtant apparaître que certains mécanismes issus du droit
commun subsistent dans le contrat de travail. Le droit commun des contrats est marqué par les
idées d’équité, d’égalité et d’équilibre. Or le propre du contrat de travail est d’instituer un lien
de subordination qui par nature crée un rapport de force déséquilibré.
84.
Il faut donc tenter de déterminer si l’existence d’un lien de subordination est
réellement compatible avec l’analyse contractuelle classique du contrat de travail, notamment
au regard de concepts inspirés de la classification des contrats. Seront donc abordés
successivement : la consécration du contrat de travail (paragraphe I) et l’approche civiliste du
contrat de travail (paragraphe II) face au lien de subordination.
Paragraphe 1 - La consécration du contrat de travail
85.
Lors de la promulgation du code civil en 1804, le contrat de travail n’existait pas dans
le sens où le travail salarié avait vocation à être encadré par les règles du droit commun et
plus particulièrement par celles du contrat de louage. Il a donc suscité un désintérêt doctrinal
relativement marqué par rapport à aujourd’hui, lequel s’explique par la conception libérale de
la relation de travail. Le contrat de louage était, en effet, un contrat comme les autres. Seul le
droit commun des obligations avait vocation à s’y appliquer.
39
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
86.
Mais la liberté contractuelle et les règles du consensualisme, ont peu à peu révélé leurs
limites. Ces principes masquaient une réalité différente de celle attendue, et dont on se
convainc plus aisément aujourd’hui. L’employeur était déjà en position de force et les contrats
tenaient déjà donc plus de l’adhésion obligatoire que de la libre négociation.
87.
Le travailleur était dépendant de son employeur pour nourrir sa famille, sans que cette
dépendance soit réciproque. Déjà à l’époque, l’employeur pouvait compter sur un vivier de
main d’œuvre. Celle-ci était alors particulièrement abordable, abondante et disponible grâce à
une liberté contractuelle quasi totale. Partant de ce constat, l’idée de rééquilibrer la relation de
travail par l’encadrement du contrat s’est peu à peu développée. Ce sont donc les lacunes
avérées du Code civil (A) face au besoin de régulation des relations de travail qui ont
engendré, dans son principe, la naissance d’un contrat sui generis (B) : le contrat de travail.
A - Les lacunes du code civil
88.
La conception classique de la relation de travail dans le code civil s’est traduite par des
lacunes. Au nom de valeurs d’équité et d’égalité, ce phénomène a engendré le besoin
croissant d’abandonner l’approche matérialiste de la relation de travail (1) pour rééquilibrer la
relation de travail (2).
1 – L’approche matérialiste de la relation de travail
89.
Les origines du contrat de travail proviennent d’une conception purement matérialiste
de la force de travail. Celle-ci constituait le cœur du contrat de louage avant même la
promulgation du Code civil qui n’a fait que codifier le droit existant sur ce point. En
s’engageant dans ce contrat, le travailleur exprimait ainsi la volonté de se soumettre à
l’autorité du locataire et s’engageait à exécuter le travail prévu conformément à ses
directives68.
68
V. G. Xerxes, F. Hordern, O. Tholozan, et Institut régional du travail, Histoire du contrat de travail,
Institut régional du travail, 2005 ; Y. Aubrée, Contrat de travail, Existence – Formation, Rép. trav.
Dalloz avril 2005 ; Boissard, Adéodat, Contrat de travail et salariat, introduction philosophique,
économique et juridique à l'étude des conventions relatives au travail dans le régime du salariat, 1910
40
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
90.
Les rédacteurs du Code civil de 1804 ont choisi de conserver cette conception
matérialiste de la relation de travail en l’encadrant seulement par quelques articles dans un
titre relatif au contrat de louage. Deux catégories de louage y étaient d’ailleurs distinguées : le
louage des choses et le louage d’ouvrage, c’est dire à quel point la valeur du travail humain
était associée à la valeur des choses dont on faisait commerce.
91.
L’article 1710 du Code définissait le louage d’ouvrage en ces termes : « un contrat par
lequel l’une des parties s’engage à faire quelque chose pour le compte de l’autre, moyennant
un prix convenu entre elles »69. Cependant il existait trois sous-catégories spécifiques de
louage d’ouvrage : « le louage des gens de travail, qui s’engagent au service de quelqu’un
[…] les voituriers [...] qui se chargent du transport des personnes ou des marchandises, [et
celui] des entrepreneurs d’ouvrages par suite de devis ou marchés »70. La force de travail et
les marchandises étaient donc assimilables en ce sens qu’elles pouvaient faire l’objet du
même type de contrat de bail.
2 – Le besoin de rééquilibrer la relation de travail
92.
Le contrat de louage de services était régi par le principe de la liberté contractuelle. Il
était donc initialement considéré que les parties étaient libres de négocier les termes de leurs
obligations d’un commun accord. Leur situation était donc considérée comme strictement
égalitaire. Chaque partie était libre d’user de la liberté de contracter et de rompre le contrat.
Cette vérité n’a pourtant de sens qu’au détriment des différences préexistantes entre les
parties.
93.
Le travailleur est en général dans une situation économique précaire, en dehors de
laquelle il n’aurait évidemment aucun intérêt à chercher du travail71. C’est donc qu’il espère
obtenir un gain lui permettant de subvenir aux besoins de son existence ainsi qu’à celle de sa
famille72. L’analyse économique de cette situation est indispensable pour rendre compte d’une
69
Ancien article 1710 du Code civil
Ibid.
71
V. G. Hernot, Le point de subordination, introduction à la psychologie de la relation hiérarchique,
Coll. Dynamiques d’entreprises, Éd. L’Harmattan, Paris, 2007, p.18
72
V. M. De Coster, F. Pichault, A. Touraine, Traité de sociologie du travail, 2°éd, ouvertures
sociologiques, De Boeck Université
70
41
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
donnée primordiale : le déséquilibre constant du marché du travail : la demande de travail y
est depuis toujours plus forte que l’offre, les employeurs jouissaient donc déjà de ce que l’on
peut qualifier de position dominante.
94.
Dans ce contexte le principe de liberté contractuelle leur permettait d’user voire
d’abuser de leur position de force. Sous l’apparence d’une négociation, ils pouvaient donc
fixer de manière unilatérale les conditions de travail et imposer toutes leurs exigences en
usant du contrat puisque, en apparence, « qui dit contractuel dit juste »73. Il était donc plus
équitable de faire application de principes inspirés par l’idée d’une justice distributive, et donc
de se préoccuper de la valeur respective des parties et de leurs mérites inégaux.
95.
Dans cette logique, continuer à considérer sur un pied d’égalité deux parties dans une
situation inégale revient à générer de l’injustice. C’est ce concept qui fonde l’esprit du contrat
de travail et du droit du travail, ce dernier ayant tendance à protéger le salarié et à sanctionner
l’employeur. Le fondement du droit des relations de travail salarié est ainsi passé d’une
logique de justice commutative à celle d’une justice distributive74.
B - La naissance d’un contrat sui generis
96.
La nécessaire prise en compte de la question sociale (1) devait, pour être efficace avoir
force de loi. C’est donc par la mise en place d’un cadre juridique spécial (2) que s’est exercé
le rééquilibrage de la relation de travail puisqu’en vertu de l’article 1134 du code civil « Les
conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites […] ».
73
A. Fouillée
La justice distributive est, selon Aristote, la « première espèce de la justice particulière qui s'exerce
dans la distribution des honneurs ou des richesses ou des autres avantages qui peuvent être répartis
entre les membres d'une communauté politique. » À l'inverse de la justice commutative qui établit une
égalité arithmétique, la justice distributive établit une égalité géométrique. Elle distribue selon le
mérite, faisant cas des inégalités entre les personnes. Aux personnes inégales, des parts inégales.
Aujourd'hui, la justice distributive désigne couramment la notion de justice sociale, qui a pour but de
réduire les inégalités matérielles ; .V. aussi A. Sériaux, Le droit naturel, Que sais-je ?, , puf, 1999 ; M.
Villey, La formation de la pensée juridique moderne, PUF, 2003 ; Aristote, Traité de la morale, Livre
V : De la justice, Traduction Thurot, Éd. Firmin Didot, Paris, 1823
74
42
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
1 – La nécessaire prise en compte de la question sociale
97.
Le législateur est intervenu pour rééquilibrer le rapport de force inégalitaire entre le
maître et son préposé. Il était devenu évident que le travailleur avait besoin de protection face
aux abus de l’employeur. Plusieurs mesures ont donc été adoptées pour réguler les relations
de travail, notamment l’abandon de la référence au louage de services d’origine civiliste, pour
consacrer la création d’un véritable contrat de travail. Un cadre juridique ad-hoc ayant été mis
en place il à donc été nécessaire d’établir des règles spéciales applicables à la conclusion, à
l’exécution et à la rupture de la relation de travail75. La jurisprudence a également œuvré à
l’élaboration des règles sociales applicables à la relation de travail. La conception purement
matérialiste de la relation de travail a ainsi été progressivement abandonnée au bénéfice d’une
conception plus idéaliste. Le droit du travail a depuis connu un essor considérable puisqu’il
est devenu quasi autonome par rapport au droit civil. Une partie de la doctrine souligne même
une possible influence de la jurisprudence de la Chambre sociale sur le droit civil76.
2 – La mise en place d’un cadre juridique spécial
98.
Le contrat de travail a conservé le critère de qualification juridique de l’ancien contrat
de louage de services : l’existence d’un lien de subordination. L’objet du contrat reste en effet
le même, à savoir, la réalisation d’un travail rémunéré pour le compte et sous l’autorité du
donneur d’ordre77. Toutefois il est désormais assorti de règles spéciales : le droit du travail.
99.
De plus la définition est aujourd’hui exclusivement jurisprudentielle. Outre
l’accomplissement d’une prestation de travail et la rémunération de cette dernière, la
jurisprudence a conservé la référence au troisième critère de l’ancienne définition légale :
l’autorité du donneur d’ordre. C’est cette notion d’autorité qui décline aujourd’hui les trois
principaux indices du lien de subordination : le pouvoir de donner des directives, d’en
contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements. Le rapport de subordination est ainsi
75
V. Y. Aubrée, Contrat de travail, Existence – Formation, Rép. trav. Dalloz avril 2005 ; Boissard,
Adéodat, Contrat de travail et salariat, introduction philosophique, économique et juridique à l'étude
des conventions relatives au travail dans le régime du salariat, 1910.
76
V. notamment : G. Xerxes, F. Hordern, O. Tholozan, et Institut régional du travail, Histoire du
contrat de travail, Institut régional du travail, 2005
77
Y. Aubrée, Contrat de travail, Op. cit.
43
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
l’essence du contrat de travail qui permet de le caractériser. Mais il génère des conflits
lorsqu’il est confronté aux mécanismes civilistes du droit commun des obligations : c’est
particulièrement le cas de l’exception d’inexécution qui autorise une forme d’insubordination
légale dans le contrat de travail.
Paragraphe 2 – Approche civiliste du contrat de travail et subordination
100.
Le droit du travail et le droit des obligations sont liés car il existe une permanence du
droit des obligations en droit du travail. Ce dernier, en quête d’autonomie, a progressivement
développé un principe de défiance sous la forme de mécanismes divers78. L’objet de ce
paragraphe est donc d’analyser ce phénomène de l’imbrication du lien de subordination,
propre au contrat de travail, avec d’autres caractéristiques communes à d’autres contrats.
101.
Une partie de la doctrine a été amenée à se demander si le contrat de travail était
encore régi par les règles du droit commun des contrats79. L’article L1221-1 alinéa 1 du Code
du travail rappelle pourtant en ces termes : « Le contrat de travail est soumis aux règles du
droit commun […] ». Le contrat de travail est donc soumis à un droit spécial tout en
conservant sa filiation avec le droit civil80 puisqu’il constitue un accord de volontés créant des
droits et des obligations81.
102.
Ainsi l’article 1107 du code civil prévoit expressément que : « les contrats, soit qu'ils
aient une dénomination propre, soit qu'ils n'en aient pas, sont soumis à des règles générales,
qui sont l'objet du présent titre. […]»82. Si cet aspect hybride du contrat de travail, entre droit
spécial et droit commun, est décliné à la relation de travail alors le salarié qui accepte de se
soumettre dans une relation hiérarchique est dans le même temps un cocontractant envers qui
78
V. C. Saint-Didier, Droit du travail et droit des obligations : étude d'une opposition, Thèse de
doctorat, Université Aix-Marseille III, 1996
79
V. G. Couturier, Droit des contrats et droit du travail, Revue droit du travail, Dalloz, 01/06/2007 ; V.
aussi E. Lemoine, les principes civilistes dans le contrat de travail, Petites affiches, 15 juin 2001
n° 119, p. 8
80
C. civ., art. 1101
81
V. J. Ghestin, La notion de contrat, D. 1990.147
82
C.civ., 1107
44
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
l’employeur est débiteur d’obligations diverses. Deux rapports de force différents doivent
donc coexister au sein d’une même relation de travail83.
103.
D’une part le rapport hiérarchique et d’autre part le rapport contractuel voire même
conventionnel84. Les principes civilistes dans le contrat de travail (A) permettent l’étude des
caractéristiques du contrat de travail fondée sur la classification du code civil (B). Cette
approche propose une étude originale en ce qu’elle tente d’établir un parallèle direct avec le
lien de subordination.
A – Les principes civilistes dans le contrat de travail
104.
La relation entre le contrat de travail et les principes civilistes est généralement
concentrée sur la question de l'autonomie du droit du travail. Cette autonomie trouve en partie
son fondement dans le besoin de prendre en compte le déséquilibre et l'inégalité entre les
parties. Pourtant, cette vision est quelque peu dépassée aujourd’hui car le droit civil a su,
comme le droit du travail, s'adapter aux exigences de protection que ne permet pas une
conception purement matérialiste de la relation contractuelle.
105.
Cette évolution démontre que les principes civilistes peuvent offrir une protection aux
cocontractants en situation d'infériorité, notamment dans les relations individuelles du travail.
C'est pourquoi, la nécessité de concilier le droit du travail et le droit civil, et non de les
opposer, fait désormais l'unanimité de la doctrine. Cette conciliation peut impliquer des
aménagements tant dans le droit civil que dans le droit du travail. C’est ce second aspect qui
intéresse plus spécialement la notion de lien de subordination.
106.
Il faut en effet constater que les mécanismes protecteurs issus du droit civil, des plus
classiques aux plus modernes, peuvent produire leurs effets au sein de la relation hiérarchique
induite par le lien de subordination.
83
C. Saint-Didier, Droit du travail et droit des obligations : étude d'une opposition, Thèse de doctorat,
Université Aix-Marseille III, 1996
84
L’adjectif contractuel réfère au contrat de travail tandis que l’adjectif conventionnel réfère à une
éventuelle convention collective qui est également source d’obligation pour l’employeur et vient donc
contrebalancer le rapport hiérarchique.
45
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
B - La classification du code civil
107.
Il s’agit là d’étudier une partie de la classification des contrats telle qu’elle résulte des
articles 1102 à 1107 du Code civil. C’est en fonction de cette classification que se précise le
champ d’application de certains principes civilistes. À ce titre le contrat de travail se présente
sous la forme d’un contrat synallagmatique (1), commutatif (2), nommé (4) et onéreux (3).
1 - Contrat synallagmatique
108.
En vertu de la classification civiliste, le contrat de travail constitue un contrat
synallagmatique tel que décrit à l’article 1102 du code civil : « Le contrat est synallagmatique
ou bilatéral lorsque les contractants s'obligent réciproquement les uns envers les autres »85. Il
crée en effet des obligations réciproques à la charge de chacune des parties. Le salarié
s’oblige envers l’employeur à exécuter le travail prévu tandis que l’employeur s’oblige envers
le salarié à fournir le travail prévu ainsi qu’à verser le salaire86. La nature synallagmatique du
contrat de travail justifie l’applicabilité de certains mécanismes issus du droit commun. Ceuxci peuvent venir s’appliquer à la relation de travail et donc perturber le rapport hiérarchique en
tempérant les exigences découlant du lien de subordination.
109.
Ces mécanismes, qui peuvent venir fragiliser le lien de subordination, ont vocation à
se déclencher en cas de manquement de l’employeur à ses obligations. Le droit commun des
contrats prévoit qu’en tel cas de figure le créancier de l’obligation peut soit invoquer
l’exception d’inexécution, soit demander l’exécution forcée soit, encore, demander la
résolution judiciaire du contrat87.
110.
Étant issus du droit commun, ils font presque tous l’objet d’une transposition
spécifique pour pouvoir s’appliquer au contrat de travail. En cas d’exécution partielle ou
imparfaite et plus particulièrement en cas d’inexécution de ses obligations par l’employeur, le
salarié est donc fondé à se soustraire à ses propres obligations et peut refuser de continuer à
85
J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, G. Auzero. Droit du travail. 24 Éd. Dalloz-Sirey, 2008
V. Cass. soc. 26 oct. 1999, CSB 2000, A. 2, n° 116, p. 389, obs. C. Charbonneau
87
V. P. Malaurie, L. Aynès , P. Stoffel-Munck, Les obligations, 3e édition, Coll. Droit civil, Éd
Defrénois, 2007
86
46
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
les exécuter88. En dépit des exigences du lien de subordination ce mécanisme permet donc au
salarié de suspendre l’exécution de sa prestation de travail lorsque l’employeur ne lui a pas
versé de salaire dans les délais impartis par la loi.
111.
Dans ce contexte le comportement du salarié ne pourra pas être considéré comme
fautif alors qu’il le serait en temps normal89. En vertu des règles de droit commun, le salarié
qui subit la défaillance de son employeur dispose également du droit d’exercer contre lui un
recours en exécution forcée du contrat, lorsque cette exécution est possible. Cette seconde
hypothèse ne concerne généralement que la délivrance de documents obligatoires (certificat
de travail, attestation ASSEDIC, bulletin de paie). Il sera également fondé à demander la
résiliation judiciaire du contrat avec dommages et intérêts ou de manière plus risquée, prendre
acte de la rupture du contrat à la charge de l’employeur90.
112.
La transposition de ces mécanismes civilistes au contrat de travail, par la loi et la
jurisprudence, est accomplie dans la logique globale du droit du travail qui protège le salarié.
Le but recherché est donc que leur mise en œuvre n’ait pas de conséquences préjudiciables
pour ce dernier. Ces procédés tendent à créer une inégalité compensatrice. Certains auteurs se
demandent ainsi quelle part de droit commun demeure dans le contrat de travail91.
113.
L’application de l’exception d’inexécution dans le cadre d’un contrat de travail
connaît, par exemple, un grand nombre d’exceptions au regard du droit commun.
L’employeur et le salarié ont par principe droit de l’invoquer. Pourtant dans certaines
circonstances particulières, l’exercice de ce droit connaît des exceptions du côté employeur. Il
en est ainsi lorsque le salarié n’exécute pas sa prestation de travail pour cause de maladie,
d’accident, de congés payés et plus largement pour un motif légitime.
88
C. civ., art. 1184
J. Birnbaum, La condition juridique des personnes en état de subordination au regard des libertés,
Thèse Strasbourg III, 2006
90
C. civ., art. 1184
91
V. G. Couturier, Droit des contrats et droit du travail, Revue droit du travail, Dalloz, 01/06/2007, 6
pages ; V. aussi E. Lemoine, les principes civilistes dans le contrat de travail, Petites affiches,
15 juin 2001 n° 119, p. 8 ; p. Rémy-Corlay, Le droit civil hors le Code civil, Petites affiches,
07 septembre 2005 n° 178, p. 4
89
47
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
114.
L’application du mécanisme de la résiliation judiciaire du contrat de travail pour
inexécution connaît également un régime d’exception. En effet, la jurisprudence a estimé que
le recours à ce mécanisme doit être réservé au salarié92.
115.
L’existence d’un lien de subordination dans un contrat synallagmatique produit donc
des effets réciproques sur le droit du travail et le droit commun. Les règles du droit commun
sont affectées par le particularisme de la relation de travail tandis que les règles du droit du
travail sont affectées par la vocation générale du droit commun. L’applicabilité de certains
mécanismes civils au bénéfice du salarié lui permet, dans certains cas, de s’affranchir du lien
de subordination sans pour autant commettre de faute justifiant une sanction.
2 - Contrat commutatif
116.
Le contrat de travail fait également partie des contrats commutatifs93. Les obligations
réciproques qu’il met à la charge de chaque partie doivent pouvoir être considérées comme
équivalentes, au regard de leur situation respective au moment de sa conclusion. L’intérêt de
cette distinction tient généralement à la vérification de la validité des contrats aléatoires (non
commutatifs) ou encore l’application de certaines dispositions du droit de la consommation94.
117.
Mais l’intérêt de la distinction pour le contrat de travail est autre. Tout d’abord elle
amène une remarque très rapide sur la lésion en matière de contrat de travail. Ensuite, elle
amène une autre remarque sur la validité du contrat de travail conclu en période suspecte et la
prééminence du lien de subordination.
92
V. P. Mazière, La résolution judiciaire du contrat de travail à durée indéterminée entre droit civil et
droit du travail, Les Petites Affiches, n° 66, p. 7, 02/04/1999 ; V. également : Cass. soc. 9 mars 1999,
RJS 4/99, n° 505, ayant affirmé que « l’employeur n’est pas recevable, hors des cas où la loi en
dispose autrement, à demander la résiliation judiciaire du contrat de travail [aux torts du salarié, de
sorte] qu’« il appartient à l’employeur, s’il estime que le salarié ne respecte pas ses obligations, d’user
de son pouvoir disciplinaire et de prononcer le licenciement de l’intéressé » ; V. Dans le même sens :
Cass.soc. 13 mars 2001, RJS 5/01, n° 596 et 15 janv. 2002, n° 99-41.460
93
C. civ., art. 1104 : « Il est commutatif lorsque chacune des parties s'engage à donner ou à faire une
chose qui est regardée comme l'équivalent de ce qu'on lui donne, ou de ce qu'on fait pour elle. » ; V.
également V. P. Malaurie , L. Aynès , P. Stoffel-Munck, Op. Cit.
94
Par exemple pour les ventes viagères
48
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
118.
La lésion correspond à un important défaut d'équivalence entre les prestations des
parties au moment de la conclusion du contrat95. C'est un déséquilibre financier entre les
prestations. Son application au contrat de travail pose problème car l’autonomie de la volonté
se heurte aux dispositions de l’ordre public social, notamment au SMIC et aux grilles de
salaires. Ainsi en cas de « lésion » constatée dans un contrat de travail, il convient de faire
application du principe selon lequel le spécial déroge au général et donc de faire application
des sanctions du droit du travail.
119.
Ainsi apparaît un élément important : à la libre négociation du contrat de travail se
substitue, toujours plus, les règles d’un statut de base du travailleur salarié. Cette idée ouvre la
perspective d’une réflexion sur la pertinence du lien de subordination au regard d’une analyse
non plus contractuelle de la relation de travail, mais d’une analyse statutaire. À la formation
du contrat de travail se substituerait ainsi une forme d’adhésion au statut de salarié.
120.
Au sujet de la validité du contrat de travail conclu en période suspecte, il convient de
rappeler qu’aux termes de l'article L. 632-1, I, 2° du Code de commerce, sont nuls, lorsqu'ils
ont été faits par le débiteur entre la date de cessation des paiements et celle du jugement
d'ouverture du redressement ou de liquidation judiciaire, les contrats commutatifs dans
lesquels « les obligations du débiteur excèdent notablement celles de l'autre partie ». Il peut
donc s’agir d’un contrat de travail ainsi que le souligne la jurisprudence96. La Chambre
sociale a ainsi prononcé la nullité d’un contrat de travail aux motifs qu’à la date de sa
conclusion, l’employeur se trouvait manifestement, au regard de sa situation financière, dans
l’incapacité de verser au salarié le salaire convenu97.
121.
La question qui peut se poser est donc de savoir si la règles posée par l'article L. 632-
1, I, 2° du Code de commerce permet de déroger aux critères classiques du contrat de travail ;
il peut être considéré l’hypothèse classique d’un contrat de travail comportant une
rémunération et l’accomplissement d’un travail dans un lien de subordination juridique. Il
pourrait ensuite être envisagé que ce dernier soit conclu en période suspecte et qu’il mette à la
95
V. G. Cornu, Vocabulaire juridique, PUF, 8e éd., 18 avril 2007
Cass. soc., 21 nov. 2000 ; Cass. soc., 29 oct. 2002 ; Bull. civ. 2002, V, n° 325; JCP E 2003, II, 1399;
Cass. soc., 15 juin 2004
97
Cass. Soc. 29 nov. 2000, RJS 2/2001, n° 158
96
49
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
charge de l’employeur des obligations qui « excèdent notablement »98 celles du salarié
embauché. Malgré la réunion des trois critères classiques du contrat de travail celui-ci
pourrait-il encourir la nullité ? Ce serait pour le salarié concerné une inégalité de traitement
critiquable.
122.
Un arrêt de la cour d'appel de Versailles du 17 octobre 2006 a apporté des éléments de
réponse plus précis à cette question. Les juges ont considéré qu’en concluant des contrats à
durée indéterminée en période suspecte une société « ne grevait pas l'avenir comme si elle
avait consenti des contrats à durée déterminée et autres contrats de qualifications »99. Les
juges considèrent donc qu’un contrat à durée indéterminée peut être valablement conclu en
période suspecte s’il ne renferme pas de « stipulations contractuelles excédant les régimes
légaux ou conventionnels […] particulièrement avantageuses pour les salariés et
excessivement onéreuses pour la société ».
123.
En l’espèce le salarié fournissait un travail effectif et les salaires versés étaient « non
excessifs par rapport aux qualifications et tarifs habituellement pratiqués dans la profession ou
au regard de la convention collective ». Un élément qui peut conforter la validité du contrat de
travail conclu en période suspecte tient au fait que l’employeur ait été dans la capacité
financière de verser les salaires durant de nombreux mois. En l’espèce l’employeur avait
effectivement versé les salaires durant près d’une année.
124.
Le lien de subordination reste donc le critère dominant du contrat de travail puisque
les dispositions de l’article L. 632-1, I, 2° du Code de commerce n’ont nullement vocation à
s’y substituer. Il faut en effet entendre cette disposition comme un simple rempart
supplémentaire permettant d’annuler un contrat de travail fictif. Il en va, par exemple, ainsi de
celui conclu avec un dirigeant et qui a pour unique but de lui faire bénéficier du statut de
salarié avant la mise en redressement judiciaire100. Donc en aucun cas la notion d’équilibre
entre les prestations n’a vocation à créer une condition d’existence supplémentaire ou
alternative au lien de subordination juridique.
98
L. 632-1, I, 2° du Code de commerce
P. Morvan, Nullité de la période suspecte et contrat de travail à durée indéterminée, La Semaine
Juridique Social n° 6, 6 Février 2007, 1076
100
V. Cass. soc., 29 nov. 2000, n° 98-43.116 ; Cass. soc., 16 juill. 1998 ; Cass. soc., 9 nov. 2004,
n° 02-45.442 ; Cass. soc., 30 nov. ; Bull. civ. 2004, V, n° 308
99
50
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
3 - Contrat à titre onéreux
125.
Le contrat de travail est aussi un contrat à titre onéreux au sens de l’article 1106 du
code civil : « Le contrat à titre onéreux est celui qui assujettit chacune des parties à donner ou
à faire quelque chose ». En concluant un contrat de travail, l’employeur accepte d’être
assujetti au paiement des salaires. Réciproquement, le salarié accepte d’être assujetti à
l’accomplissement des tâches prévues au contrat, selon les directives de l’employeur. La
cause de l’obligation de faire du salarié réside donc dans l’obligation de donner de
l’employeur, et vice versa. Le caractère onéreux du contrat de travail rejoint donc deux des
trois critères retenus par la jurisprudence pour qualifier le contrat de travail : l’existence d’une
rémunération et l’accomplissement d’un travail effectif.
126.
Ces critères enferment donc nécessairement le contrat de travail dans la catégorie des
contrats à titre onéreux et excluent ainsi toute volonté d’échange gratuit de prestations. Ce
n’est donc que par l’analyse de la volonté intéressée ou désintéressée des parties qu’il est
possible de délimiter la frontière parfois mince qui peut exister entre le contrat de travail et
diverses formes de travail gratuit de type entraide ou bénévolat.
4 - Contrat nommé
127.
Selon la classification des contrats dite « suggérée » par le code civil, le contrat de
travail constitue un contrat nommé, en ce sens que son régime juridique fait l’objet d’une
réglementation légale particulière. En l’espèce celle-ci est contenue dans le Code du travail.
128.
Concernant le contrat de travail de droit commun101, celui-ci obéit au principe du
consensualisme. Sa formation ne dépend donc que de la volonté des parties ainsi que de leur
comportement. C’est en s’appuyant sur l’article 12 du Nouveau Code de procédure civile que
le juge pourra, au regard des critères jurisprudentiels du contrat de travail, qualifier,
requalifier ou disqualifier la relation entre les parties102.
101
Contrat de travail à durée indéterminée
V. Notamment, Cl. Roy-Loustaunau, Tempête sur la requalification du contrat emploi-solidarité,
Dr. soc., 1999, p. 553
102
51
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
129.
Le droit des contrats de travail spéciaux constitue en revanche un droit plus complexe
dont le contenu varie au gré des gouvernements successifs et de leurs politiques sociales pour
la formation, l’emploi et les aides aux entreprises. La caractéristique commune de ces contrats
et qu’ils prennent la forme de contrat à durée déterminée d’exception et qu’ils obéissent à un
formalisme important. La loi impose aux parties, plus particulièrement à l’employeur, de
nombreuses obligations que ce soit lors de la formation du contrat de travail que dans son
exécution ou sa rupture lorsqu’elle est autorisée.
130.
Ainsi aux conditions propres à tous les contrats de travail viennent donc s’ajouter les
conditions de fond et de forme des contrats à durée déterminée et enfin se superpose les textes
spéciaux régissant chacun de ces contrats particuliers (contrat de vendanges, contrat de travail
temporaire, contrat de professionnalisation, contrat de travail saisonnier …). Au regard de ces
contrats spéciaux, l’existence d’un lien de subordination ne suffit donc plus.
131.
Il faut cependant distinguer l’existence du contrat de travail de la validité de sa
qualification. En effet, celui-ci n’encourt généralement pas la nullité ce qui sanctionnerait le
salarié pour les fautes commises par l’employeur. Le défaut du formalisme est généralement
sanctionné par le mécanisme de la requalification en contrat de travail à durée indéterminée.
Le lien d’emploi est ainsi protégé, de même que le principe du consensualisme. Le lien de
subordination demeure donc le critère du contrat de travail103 et, par principe, il demeure
établi selon les formes que les parties contractantes décident d'adopter104.
103
J. Salmon-Morin, Le formalisme dans la conclusion et la rupture du contrat de travail, Mémoire de
DEA, Université Aix-Marseille III, 1998 ; A. Briant, Le formalisme dans la conclusion du contrat de
travail, Mémoire de DEA, Université Aix-Marseille III, 1999
104
Article L. 1221-1 du code du travail
52
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
SECTION II - DROIT DU TRAVAIL, SÉCURITÉ SOCIALE ET LIEN DE
SUBORDINATION JURIDIQUE
132.
Le développement qui suit a pour objet d’analyser la corrélation entre le lien de
subordination et l’application des lois sociales, qu’il s’agisse du droit du travail ou du droit de
la Sécurité sociale (paragraphe 1). L’appréciation d’un lien de subordination peut donc
relever, soit de la compétence du Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale, soit de celle du
Conseil des Prud’hommes. La compétence étant déterminée par la nature du litige, la nature
du lien de subordination pourra donc être distincte dans les deux matières. Il sera donc
nécessaire d’aborder la question de l’identité de la notion de subordination en droit du travail
et en droit de la sécurité sociale (paragraphe 2).
Paragraphe 1 - Du lien de subordination à l’application des lois sociales
133.
Il existe une double formulation de la problématique du paragraphe qui suit. Celle-ci
peut être formulée ainsi : l’application et l’effectivité des lois protectrices du droit du travail
sont elles conditionnées par l’existence d’un lien de subordination (B) ? L’accès à la
protection sociale, dont bénéficient les salariés, est-il conditionné par l’existence d’un lien de
subordination (C) ? L’application de la loi étant garantie par le juge, il convient également
d’évoquer la relation entre travail subordonné et compétence juridictionnelle (A).
A - Travail subordonné et compétence juridictionnelle
134.
L’application de la loi étant garantie par le juge, il convient d’évoquer la relation entre
le travail subordonné et la compétence juridictionnelle. Le statut de la fonction publique
relevant d’un régime spécial, il conviendra de présenter la compétence de principe du Conseil
des prud’hommes (1) laquelle peut être perturbée par la distinction entre les contrats relevant
du droit privé de ceux relevant du droit public (2).
53
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
1 – Lien de subordination et compétence du Conseil des Prud’hommes
135.
Par principe, le Conseil des Prud’hommes est compétent pour juger des litiges
individuels nés du contrat de travail et donc, pourrait-on penser, du lien de subordination. Il
s’agit d’une compétence exclusive et d’ordre public, donc il n’y a pas d’exception
conventionnelle possible105. Il existe toutefois des règles dérogatoires spécifiques dans les
professions réglementées qui prévoient notamment la compétence de l’ordre en première
instance (avocat, notaires…)106.
136.
La compétence du Conseil des Prud’hommes est toutefois conditionnée par la
démonstration faite qu’il existe un contrat de travail et donc un lien de subordination entre
l’employeur et le salarié.107 Le défendeur, pour ne pas dire l’employeur, qui conteste
l’existence d’un contrat de travail afin de se soustraire à ses obligations, peut aisément mettre
en difficulté le salarié en dressant un déclinatoire de compétence108. Le salarié étant
demandeur il lui incombera de rapporter la preuve des obligations dont il se prévaut109.
105
Article L 1411-1 : Le conseil de prud'hommes règle par voie de conciliation les différends qui
peuvent s'élever à l'occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du présent code entre
les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu'ils emploient. Il juge les litiges lorsque la
conciliation n'a pas abouti. Art L 1411-2 : Le conseil de prud'hommes règle les différends et litiges des
personnels des services publics, lorsqu'ils sont employés dans les conditions du droit privé. Art L
1411-3 : Le conseil de prud'hommes règle les différends et litiges nés entre salariés à l'occasion du
travail. Art L 1411-4 : Le conseil de prud'hommes est seul compétent, quel que soit le montant de la
demande, pour connaître des différends mentionnés au présent chapitre. Toute convention contraire est
réputée non écrite. Le conseil de prud'hommes n'est pas compétent pour connaître des litiges attribués
à une autre juridiction par la loi, notamment par le code de la sécurité sociale en matière d'accidents du
travail et maladies professionnelles. Art L 1411-5 : Le conseil de prud'hommes donne son avis sur les
questions que lui pose l'autorité administrative.
106
N. Pépin, L’avocat salarié, Mémoire de Master, Centre de Droit Social, Université Paul Cézanne
Aix-Marseille III, 2008 ; V. aussi : M.-F. Miallon, Le salariat dans les professions libérales, Droit
social 1978 Lib. Soc. Économ.
107
Cette compétence est donc exclue lorsque le litige concerne la rupture abusive de pourparlers :
Cass. Soc. 19 Juin 1959 :Bull. civ. IV n°770
108
Exception permettant de contester la compétence du tribunal saisi qui doit être soulevée avant toute
conclusion au fond et toute fin de non-recevoir, et contenir l'indication de la juridiction que le plaideur
estime devoir être compétente (V. article 75 NCPC).
109
Art.1315 du Code civil : « Celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver.
Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit
l'extinction de son obligation. »
54
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
137.
La possession de l’instrumentum du contrat de travail et même de bulletins de salaire
ne dispensent pas de rapporter la preuve de la réalité du lien de subordination. Méconnaître
l’importance de cette notion, en perpétuel mouvement, peut donc avoir de lourdes
conséquences sur le bon déroulement de l’action en justice. Il sera donc nécessaire d’étudier
en profondeur les critères jurisprudentiels du lien de subordination dans le chapitre suivant.
138.
Le Conseil des Prud’hommes a une compétence d’attribution, c’est une règle d’ordre
public. Les juges peuvent donc relever d’office leur incompétence sans pour autant y être
obligés. À condition que le fond de l’affaire n’ait pas été évoqué, la décision portant sur la
compétence du conseil des prud’hommes peut faire l’objet d’une voie de recours via la
procédure du contredit de compétence110.
139.
Ainsi, dans la célèbre affaire Labbane111, les utilisateurs de taxis souhaitaient la
reconnaissance de leur statut de salarié mais la société qui leur louait les véhicules ont soulevé
l’incompétence du Conseil des Prud’hommes en produisant le contrat de location. Le Conseil
des Prud’hommes ayant retenu son incompétence, les demandeurs ont engagé une procédure
de contredit devant la Cour d’appel qui a également retenu l’incompétence du Conseil des
Prud’hommes. Mais l’arrêt a été cassé par la Cour de cassation qui considérait qu’il y avait un
lien de subordination, donc un contrat de travail, et donc compétence du Conseil des
Prud’hommes.
2 - Le lien de subordination entre droit privé et droit public
140.
Il faut enfin distinguer les contrats relevant du droit privé de ceux relevant du droit
public112. Parfois la compétence peut même être double, selon le fond du litige. À titre
illustratif, la Direction Départementale du Travail exerce un contrôle sur la forme des contrats
110
Procédure par laquelle, lorsqu'une juridiction a statué sur sa compétence, le défendeur qui a excipé
de l'incompétence de la juridiction saisie par son adversaire, n'est pas satisfait de la décision rendue en
première instance, fait vérifier par la Cour d'Appel, la conformité de ce jugement avec les règles du
Code de l'organisation judiciaire et celles du nouveau Code de procédure civile sur la question.
111
Cass. soc, 19 décembre 2000 Labbane
112
Pour une étude centrée sur ce sujet, voir : N. Font., Le travail subordonné entre droit privé et droit
public, Thèse de Doctorat, Dalloz-Sirey, 2009 ;
V. également : A. Simon,.Le champ d'application et d'influence du droit du travail salarié, Thèse de
Doctorat, Université de Lille III, 2006, p. 262
55
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
d’adaptation alors que c’est le Conseil des Prud’hommes qui demeure compétent pour le
contentieux de fond113.
141.
Dans l’arrêt époux Barbier114, le Tribunal des conflits a prononcé l’incompétence du
Conseil des Prud’hommes dans le contentieux de la légalité du statut réglementaire des
personnes qui travaillent pour le compte d’une personne publique. Cette hypothèse diffère du
cas des personnes morales de droit privé investies d’une mission de service public où les
rapports entre employeur et salariés relève du droit privé. Sont donc concernées tous les
salariés des Établissements Publics à caractère Industriel et Commercial, à l’exception du
directeur et du chef comptable115.
142.
Au sein du service public administratif, l’arrêt Berkani a posé comme principe que les
personnes non statutaires sont des agents contractuels de droit public, quel que soit leur
emploi. Les litiges nés de la relation de travail relèvent donc de la compétence des juridictions
administratives116. Plusieurs exceptions tempèrent toutefois ce principe jurisprudentiel ; il en
est ainsi des agents recrutés par les anciens contrats emploi-solidarité, les contrats emploiconsolidé ou les emplois-jeunes117.Ce principe devrait donc être transposé au nouveau contrat
unique d'insertion (CUI) applicable depuis le 1er janvier 2010118 qui remplace tous les anciens
dispositifs de ce type. Il concerne enfin les agents de certains établissements publics
nationaux à caractère administratif119, et les agents recrutés par un service de l’Etat ou de l’un
de ses Établissements Publics Administratifs120.
113
Cass. Soc., 03 juillet 2001, société France Telecom S.A. c./ Fédération syndicaliste PTT FO Loire
et Syndicat CFDT Poste et Telecom
114
TC, 15 janvier 1968, n° 01908, Compagnie Air France c/ Époux Barbier
115
CE, Sect., 8 mars 1957, Jalenques de Labeau
116
TC, 25 mars 1996, M. Berkani c/ Centre régional des œuvres universitaires et scolaires de Lyon
117
À l’exception des adjoints de sécurité, des agents de justice, des apprentis, des agents qui ont
demandé à bénéficier d’un contrat de travail de droit privé. Sur ce dernier point, V. loi du 12 Avril
2000 relative aux droits des citoyens dans les relations avec les administrations
118
V. loi n° 2008-1249 du 1er décembre 2008 généralisant le revenu de solidarité active et réformant
les politiques d'insertion
119
A condition d’être autorisés par la loi à recruter des contractuels de droit privé, comme la CNAM
ou l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé
120
Il s’agit des établissements chargés d’une mission de service public industriel et commercial,
exception faite du directeur et du comptable public
56
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
B - L’effectivité du droit du travail
143.
L’effectivité du droit du travail est-elle exclusivement dépendante de l’existence d’un
lien de subordination juridique121? Ou dépend-elle d’autres considérations ? Pour répondre à
ces questions, il convient d’abord d’envisager le concept d’effectivité en droit du travail (1)
puis de déterminer si le lien de subordination est la condition de l’effectivité du droit du
travail (2). Plus largement, il faudra envisager l’hypothèse d’une effectivité du droit du travail
conditionnée par l’accès au statut salarié (3).
1 – Le concept d’effectivité en droit du travail
144.
La question de l'effectivité du droit du travail est un sujet d’actualité, car il devient de
plus en plus délicat de poser les limites du concept. Ainsi que l’a récemment souligné P.
Auvergnon dans une étude exhaustive sur ce sujet, « ne confond-on pas aujourd'hui bien
souvent effectivité et efficacité ? »122. Aux termes d’une approche comparée entre différents
systèmes juridiques et diverses formes d’activité, il souligne le besoin de repenser la notion
d’effectivité en droit du travail͘
145.
Bien que certains facteurs d'ineffectivité soient récurrents, il faut désormais y ajouter
la mutation des formes de travail ainsi que la dispersion de l’organisation productive. L’enjeu
du concept d’effectivité en droit du travail porte donc sur la modernisation nécessaire du droit
du travail. Ces notions déterminantes feront d’ailleurs l’objet d’analyses distinctes dans la
deuxième partie consacrée à la crise logique du salariat et la remise en cause du lien de
subordination. À ce stade il faut clarifier la relation entre l’applicabilité et l’effectivité du droit
du travail, ce qui appelle une analyse dans les deux prochains développements.
121
V. P. Auvergnon, A. Jeammaud, L'effectivité du droit du travail : à quelles conditions?, PU
Bordeaux, 2008
122
P. Auvergnon, Op.cit.
57
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
2 – Lien de subordination et effectivité du droit du travail
146.
L’article L.1111-1 dispose que : « Les dispositions du présent livre sont applicables
aux employeurs de droit privé ainsi qu'à leurs salariés. Elles sont également applicables au
personnel des personnes publiques employé dans les conditions du droit privé, sous réserve
des dispositions particulières ayant le même objet résultant du statut qui régit ce personnel ».
Le texte semble réserve l’application du droit du travail aux employeurs de droit privé, à leurs
salariés ainsi qu’au personnel des personnes publiques employé dans les conditions du droit
privé. Il faut donc pouvoir répondre à une question essentielle : qui est salarié ?
147.
Il est généralement admis que le droit du travail n’est applicable que si, et seulement
si, l’existence d’un contrat de travail peut être caractérisée puisqu’il conditionne l’accès au
statut de salarié et donc entre dans le champ de l’article L.1111-1. Le contrat de travail ne
pouvant se concevoir sans lien de subordination, il pourrait paraître logique de raisonner par
syllogisme. Ainsi l’effectivité du droit du travail dépendrait directement de la capacité à
démontrer l’existence d’un lien de subordination juridique. En corollaire, l’incapacité à réussir
cette démonstration empêcherait la qualification d’un contrat de travail, et donc l’applicabilité
et l’efficacité du droit du travail.
148.
C’est dans ce cas la subjectivisation et la dilution de la notion de lien de subordination
qui constituent les causes originelles de l’ineffectivité du droit du travail. Il est possible de
résumer ce processus dans cette chaîne logique : Lien de subordination = contrat de travail =
statut de salarié = applicabilité du droit du travail = effectivité du droit du travail (même
potentiellement).
3 – Accès au statut salarié et effectivité du droit du travail
149.
La question initiale est la suivante : l’effectivité du droit du travail est-elle
exclusivement dépendante de l’existence d’un lien de subordination juridique? Cette question
peut, et surtout doit, être abordée autrement. Il faut en effet se demander si le statut de salarié
est exclusivement dépendant de l’existence d’un lien de subordination juridique ? Puisque
c’est le rattachement à ce statut qui rend applicable, et donc potentiellement effectif, le droit
du travail. Le cas échéant,
l’effectivité du droit du travail ne serait pas entièrement
58
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
dépendante du lien de subordination puisque l’applicabilité des lois sociales dépendrait d’une
autre condition.
150.
À ce stade il convient d’observer que la réponse à cette nouvelle formulation implique
un développement majeur qui fera l’objet d’une étude dans le prochain titre : « la
relativisation du lien de subordination ». Cet intitulé préfigure clairement que le statut de
salarié n’est pas exclusivement dépendant de l’existence d’un lien de subordination juridique.
Seront en effet analysés divers mécanismes qui permettent d’accéder au statut de salarié par
détermination de la loi. Ces mécanismes légaux peuvent donc prendre le relais du mécanisme
jurisprudentiel du lien de subordination en l’évinçant. Dans ce schéma, la chaîne logique est
plus courte. Elle peut être résumée ainsi : statut salarié par détermination de la loi, hors preuve
d’un lien de subordination = preuve des critères ad-hoc prévus par la loi = applicabilité du
droit du travail = effectivité du droit du travail (même potentiellement).
151.
Ainsi, la détermination du champ d‘application et de l’effectivité du droit du travail
dépasse largement la question du lien de subordination. Il sera démontré qu’il existe un
double phénomène de diffusion de la sphère salariale et du champ d’application du droit du
travail, au-delà du lien de subordination et du statut de salarié.
152.
Il est donc d’ores et déjà possible de souligner qu’un lien de subordination n’implique
pas nécessairement un contrat de travail puisqu’il existe des cas d’exclusion123. Vice versa, un
contrat de travail n’implique pas nécessairement un lien de subordination puisqu’il existe des
cas de présomption et d’assimilation124. Il faut en conclure que le lien de subordination, dans
sa fonction de critère universel du contrat de travail, subit des atteintes qui remettent en
question sa position dominante. Dans cette perspective, la notion de lien de subordination
revêt un caractère subsidiaire puisque d’une part, sa caractérisation n’entraîne l’existence
d’un contrat de travail qu’à condition qu’il n’existe aucun cas d’exclusion125. D’autre part son
absence n’empêche la reconnaissance d’un contrat de travail que s’il n’existe pas de
mécanisme d’assimilation ou de présomption.
123
Cf. infra
Cf. infra
125
V. Décret n° 2009-863 du 14 juillet 2009 relatif à l'agrément des organismes d'accueil
communautaire et d'activités solidaires ; NDLR, Le statut d'Emmaüs reconnu par décret, dépêche
AFP, 16/07/2009 ; cf. infra, n°293
124
59
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
C - Le lien de subordination et l’accès à la protection sociale
153.
La seconde question qui se pose concerne l’accès à la protection sociale. Ne seront
traitées ici que les aspects relatifs au régime général de la sécurité sociale, l’étude des régimes
spéciaux ou des régimes non obligatoires relevant d’une casuistique secondaire.
1 – Présentation du régime général
154.
Le rôle du régime général de sécurité sociale est d’assurer ses bénéficiaires contres les
risques liés à la maladie, aux accidents du travail, à la vieillesse, à l’invalidité, à la maternité,
au décès et aux charges familiales. Il a vocation à s'appliquer aux travailleurs salariés et
assimilés des professions, qu’elles soient industrielles, commerciales, artisanales ou
libérales126.
155.
Le régime général concerne aussi les personnes exerçant leur activité pour le compte
d'organismes sans but lucratif ou de particuliers. Est donc visée toute activité salariée ou
assimilée qui n’est pas de nature agricole ou ne relevant pas de régimes spéciaux. Dans ces
conditions, l’accès au régime général de la sécurité sociale est-il exclusivement dépendant de
l’existence d’un lien de subordination juridique ?
2 – Accès au régime général et lien de subordination
156.
Selon l’article L.311-2 du Code la Sécurité Sociale : « sont affiliées obligatoirement
aux assurances sociales du régime général, quel que soit leur âge et même si elles sont
titulaires d'une pension, toutes les personnes quelle que soit leur nationalité, de l'un ou de
l'autre sexe, salariées ou travaillant à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou
plusieurs employeurs et quels que soient le montant et la nature de leur rémunération, la
forme, la nature ou la validité de leur contrat. »
126
J.-J. Dupeyroux, M. Borgetto, R. Lafore, R. Ruellan, Droit de la sécurité sociale, Dalloz-Sirey,
coll. Précis Dalloz, 2005
60
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
157.
Le texte vise donc toutes les personnes salariées ou travaillant pour un employeur. La
définition des personnes obligatoirement affiliées au régime général est très large. Cette
formulation appelle deux remarques.
158.
D’une part, elle est tellement large qu’elle pourrait viser des entrepreneurs ou des
indépendants. Non pas parce que ceux-ci pourraient se placer dans un lien de subordination
mais parce que le texte emploie la formule « un ou plusieurs employeurs » et non « leur ou
leurs employeurs ». Cela implique qu’à la lettre du texte, le simple fait de travailler, même
hors lien de subordination, pour une personne qui est un employeur doit suffire à rendre
obligatoire l’affiliation au régime général. C’est une interprétation rigide des dispositions de
l’article L.311-2 qui n’est pas répandue en pratique mais qui demeure source d’insécurité
juridique pour les vrais indépendants.
159.
D’autre part, la formulation est tellement floue que la question de la détermination du
salarié reste sans réponse. C’est donc ce que l’on appelle parfois une « disposition balai ».
Elle permet d’appréhender un maximum de situations mais empêche de déterminer
l’affiliation au régime général au cas par cas. Il est donc nécessaire d’opérer un tri. Ce rôle est
dévolu en grande partie à la jurisprudence127.
160.
Dès lors se profile l’esquisse de divergences jurisprudentielles concernant la définition
du salariat. L’article précité ne fait en effet ni référence au critère de la subordination, ni à
celui de la dépendance. La notion de salariat n’étant définie légalement ni en droit du travail,
ni en droit de la sécurité sociale, rien ne garantit l’unicité des critères jurisprudentiels du
salariat et notamment celle du lien de subordination juridique. La reconnaissance de ce
dernier peut en effet relever tantôt de la compétence du Tribunal des Affaires de Sécurité
Sociale128, tantôt de celle du Conseil des Prud’hommes. Le paragraphe suivant sera donc
consacré à cette dichotomie structurelle.
127
T. Tauran, L'assujettissement au régime général de la Sécurité sociale et le critère du lien de
subordination, évolution récente, droit social 2009 n° 2 p.195 (Retour sur la définition et l'application
du critère de subordination, étude de la jurisprudence récente : Cour de cassation chambre civile 27
février 2008 n° 06-21.321 et Cour de cassation chambre civile 2 20 mars 2008 n° 06-20.480 et 0710.011)
128
V. X. Prétot, la répartition des compétences entre la caisse primaire et l’URSSAF pour prononcer
l’assujettissement au régime général, droit social 1992, p.484
61
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
Paragraphe 2 – Le salariat en droit du travail et de la Sécurité sociale
161.
Une question qui rend encore plus complexe le débat sur le critère du contrat de travail
est la dichotomie entre droit du travail et droit de la Sécurité sociale. Mais cette dichotomie
s’atténue, et finit par disparaître au fil du temps, simplifiant ainsi le problème. Seront ainsi
présentées les étapes de l’unification (A) et l’intérêt de cette unification des critères (B) du
salariat.
A - L’unification des critères du contrat de travail
162.
Deux étapes successives peuvent être envisagées : celle des critères distincts (1) et
celle de l’uniformisation des critères (2).
1 – L’étape des critères distincts
163.
Après la première tentative de création d'un régime national de protection sociale en
1910129 un système d'assurances sociales fut organisé en France par la loi du 30 avril 1930130.
Ce système était limité car il ne couvrait pas les prestations familiales et l'indemnisation des
accidents du travail. Mais surtout il ne couvrait que les salariés dont la rémunération était
inférieure à un certain plafond131, ce qui témoigne d’une logique juridique qui peut laisser
perplexe.
164.
Au milieu du siècle, la conception du lien de subordination est statique : dès que les
conditions étaient remplies, il y avait rattachement à un statut précis. La question de
l’affiliation obligatoire à la Sécurité Sociale était à cette époque tranchée par l’article L.241
du Code la Sécurité Sociale « sont affiliées obligatoirement aux assurances sociales toutes les
129
Loi du 5 avril 1910 sur les retraites ouvrières et paysannes
Alors qu'en Allemagne, les assurances sociales furent mises en place de 1881 à 1889 (Cf.
notamment L. 15 juin 1883 sur l'assurance maladie, L. 6 juill. 1884 sur l'assurance accidents du travail,
L. 29 juin 1889 sur l'assurance invalidité-vieillesse, Code des assurances sociales de 1911) et qu'en
Grande-Bretagne, la loi d'assurance nationale remonte à 1911.
131
V. J.-P. Laborde, Droit de la sécurité sociale, Éd. PUF, éd. 2005 p. 54 et s.; V. également J.-J.
Dupeyroux, Droit de la sécurité sociale, , Dalloz-Sirey, 16° éd., 2005
130
62
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
personnes […] salariées ou travaillant à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un
ou plusieurs employeurs et quels que soient le montant et la nature de leur rémunération, la
forme, la nature ou la validité de leur contrat. ». La définition des personnes obligatoirement
affiliées au régime général était donc déjà très large, très floue et complexe132. Le statut social
étant d'ordre public, le choix d’une définition aussi large avait pour but premier de contribuer
à lutter contre la fraude à la loi.
165.
L’extension des assurances sociales aux travailleurs liés à un employeur autrement que
par un contrat de travail est née du décret-loi du 25 octobre 1935. Ce texte fixait le champ
d'application des assurances sociales, mais hésitait encore, pour définir le salarié, entre
dépendance économique et subordination juridique. C’est notamment à cause de cette
incertitude que le texte n’assurait que les travailleurs dont les revenus étaient inférieurs à un
certain seuil. La suppression, dans les dispositions actuelles de l’article L. 311-2, de toute
référence à des revenus plafonds démontre la volonté du législateur de privilégier la
subordination juridique. Mais en l'absence de toute référence à la notion de contrat de travail,
ces dispositions maintiennent les incertitudes sur la délimitation du champ du salariat.
166.
La jurisprudence a commencé par abandonner le recours à un critère uniquement
juridique pour recourir à des indices tenant à l’appréciation d’un rapport de dépendance
économique. L’idée de dépendance économique comme critère du contrat de travail a
véritablement connu un certain succès lors de la mise en place de l’ordonnance du 19 octobre
1945. Cette ordonnance a marqué la divergence, source de critiques, entre le droit du travail et
le droit de la Sécurité sociale. En droit de la Sécurité sociale, l’appréciation de l’exercice d’un
pouvoir de direction est alors abandonnée au profit de l’appréciation d’un rapport de
dépendance d’ordre économique.
167.
Mais cette voie fut vite rejetée car la notion de dépendance économique est trop
abstraite. La Cour de cassation finit donc par l’exclure au profit d’une nouvelle ligne
directrice : si les juges du fond relèvent une réelle indépendance il n’y a pas de contrat de
travail. Mais s’il existe une ingérence dans le contrôle des moyens mis en œuvre dans
l’accomplissement du travail, il y a contrat de travail.
132
Cf. supra : « Le lien de subordination et l’accès à la protection sociale »
63
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
168.
J.J. Dupeyroux a très tôt suggéré une solution intermédiaire entre la subordination
juridique et la dépendance économique : « Pour notre part nous nous demandons, si à l’idée,
trop restrictive, de dépendance juridique et à celle, trop imprécise, de dépendance
économique, ne pourrait être avantageusement substituée celle de dépendance professionnelle.
Nous parlerions de dépendance professionnelle, entraînant affiliation au régime général de la
Sécurité sociale, lorsque la situation professionnelle d’une personne naît d’une convention et,
liée à cet accord, disparaît avec lui. »133 Mais le rapprochement des critères a éclipsé le débat.
2 – L’uniformisation des critères
169.
Depuis l’arrêt Société Générale134 la définition juridique du salarié en droit du travail
et de la Sécurité sociale est unique. Cette solution est logique si l'on retient la subordination
juridique comme critère fondamental. La Cour de cassation a cherché à réunir les deux
disciplines afin de retrouver la filiation naturelle entre droit de la sécurité sociale et droit du
travail. Cet arrêt consacre un long courant jurisprudentiel initié par la Chambre sociale de la
Cour de cassation135.
170.
La volonté de donner une définition unique des salariés dans ces deux matières ressort
de références faites aux anciens articles L. 121-1 du Code du travail - relatif au contrat de
travail - et L. 242-1 du Code de la sécurité sociale - relatif à l'assiette des cotisations du
régime général -. Par ailleurs, la Chambre sociale précise que le seul critère d'identification du
salarié est la subordination juridique, la participation à un service organisé n'en étant plus
qu'un éventuel indice.
171.
Elle définit enfin le lien de subordination comme « l'exécution d'un travail sous
l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler
l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ». La Cour de cassation
133
J.J. Dupeyroux, Les conditions de l’affiliation obligatoire au régime général de la Sécurité sociale,
Dalloz 1962, p.184
134
Cass. soc., 13 novembre 1996 ; Société Générale c/ URSSAF de la Haute-Garonne
135
Cass.soc. 8 déc. 1976, D.1976, IR, 27 ; Cass.soc. 6 juill. 1981, Bull.civ. V, n°650, p. 488 ; V. sur ce
point P. Pigassou « L’évolution du lien de subordination en droit du travail et de Sécurité sociale »,
droit social 1982, p. 589 ; V. également : G. Bredon, L’évolution de la notion de subordination comme
critère du contrat de travail, Thèse, Université Paris II, 1998, p. 24
64
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
abandonne ainsi tout recours à une définition du salarié qui soit plus large en droit de la
sécurité sociale qu’en droit du travail, fondée sur le critère de participation à un service
organisé et conçu comme un critère autonome136.
B – L’intérêt de l’unification
172.
Un critère unitaire ne se justifie pas tant par la finalité des textes en cause que par un
besoin de cohérence et de simplification dans l’application du droit social. C’est du moins, au
quotidien, l’intérêt perçu par les usagers et par les juges.
173.
Les lois relevant du champ d’application du droit de la sécurité sociale et du droit du
travail ont une finalité différente. Le droit du travail est fondé sur l’idée que le salarié a besoin
d’être protégé d’éventuels abus de son employeur, du fait de sa position de force. Le droit de
la sécurité sociale est inspiré par le besoin d’une protection solidaire contre les aléas inhérents
à toute activité salariée. C’est notamment le cas du risque d’accidents du travail, de maladies
professionnelles ou de chômage.
174.
Cette différence justifiait jusqu’alors la spécificité de leurs champs d’application. Il ne
pouvait néanmoins en résulter qu’une relativisation de la notion de salariat qui pouvait
générer de l’insécurité juridique pour les usagers. Ceux-ci pouvaient parfois difficilement
comprendre que le statut de salarié leur était reconnu au regard de certaines dispositions mais
pas pour d’autres.
175.
Ce besoin de rationalité a induit un mouvement d’harmonisation entre le droit du
travail et le droit de la Sécurité sociale. Ce mouvement fût largement soutenu par J.J.
Dupeyroux qui s’est fondé sur le besoin de sécurité juridique pour promouvoir un principe
d’unité du statut social. Dans le même courant de pensée, P. Durand avait déjà défendu l’idée
que « l’édification d’un droit de l’activité professionnelle » devait être « l’œuvre de la
seconde moitié de ce siècle »137
136
J. Barthélémy, Salarié : une définition unique en droits du travail et de la sécurité sociale, La
Semaine Juridique Entreprise et Affaires n° 5, 30 Janvier 1997, 911
137
V. J.J. Dupeyroux, Les conditions de l’affiliation obligatoire au régime général de la Sécurité
sociale, Dalloz 1962, p.184 s. ; V. également : M. Leturcq, Contribution à l'élaboration d'un droit de
65
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
CHAPITRE 2
LA CONCEPTUALISATION DU LIEN DE SUBORDINATION
176.
Tous les auteurs qui sont amenés à traiter la question du lien de subordination font un
constat unanime : la notion de lien de subordination occupe à ce jour une place déterminante
dans la reconnaissance du contrat de travail. Ce rappel permet de faire évoluer le
développement car si la notion de subordination occupe la meilleure place cela implique qu’il
existe d’autres critères, qu’ils soient alternatifs ou complémentaires par rapport au lien de
subordination.
177.
Force est alors de constater qu’il existe un rapport de force entre ces critères et que
c’est dans ce contexte de concurrence jurisprudentielle que la notion de subordination s’est
imposé comme l’unique critère distinctif du contrat de travail. Il est en effet l’outil
indispensable de l’opération de qualification ou de requalification du contrat de travail. Pour
ces raisons, la conceptualisation du lien de subordination juridique sera abordée sous l’angle
de sa contextualisation. Il sera ainsi possible de répondre à deux questions essentielles :
pourquoi les juges ont-ils recours à cette notion ? Et qu’est ce qu’un lien de subordination
juridique ?
178.
Le présent chapitre propose de développer ces idées en deux temps. Il faudra tout
d’abord analyser la concurrence des critères du contrat de travail (SECTION I) puis la
concurrence de critères alternatifs (SECTION II).
l'activité professionnelle : pour une liberté professionnelle effective, Université du droit et de la santé,
Lille, 16/12/2004 ; G. Bredon, L’évolution de la notion de subordination comme critère du contrat de
travail, Thèse, Université Paris II, 1998, p.21 ; V. également Th. Aubert-Monpeyssen, Subordination
juridique et relation de travail, Centre Régional de Publication de Toulouse, Éditions du Centre
National de la Recherche Scientifique, 1988
66
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
SECTION I - LA CONCURRENCE DES CRITÈRES DU CONTRAT DE TRAVAIL
179.
En l’absence de définition légale et hors cas de présomption ou d’assimilation, le
principe demeure celui de la définition jurisprudentielle du contrat de travail. Cette définition
peut être résumée en une phrase : le contrat de travail est la convention par laquelle une
personne physique (salarié) effectue pour le compte d’une personne de droit privé, morale ou
physique (l’employeur), et sous son contrôle, une prestation de travail en échange d’une
rémunération138.
180.
Trois critères peuvent ainsi être dégagés de cette définition : l’accomplissement d’une
prestation de travail, le versement d’une rémunération et l’existence d’un lien de
subordination. Si ces trois critères sont complémentaires, dans le sens où leur réunion
consolide un faisceau d’indices, il n’en demeure pas moins que la primordialité du lien de
subordination tend à donner aux deux autres critères un caractère subalterne. Cette idée de
position inférieure ou secondaire, de hiérarchisation des critères du contrat de travail, conforte
l’existence d’une concurrence qui les oppose.
181.
Cette fragilisation ravive les antagonismes latents au sein de la doctrine concernant le
choix du lien de subordination comme critère déterminant du contrat de travail. L’étude des
critères complémentaires au lien de subordination (paragraphe 1) permettra toutefois de
mettre en exergue et de comprendre la dominance du lien de subordination juridique
(paragraphe 2).
Paragraphe 1 – Les critères complémentaires au lien de subordination
182.
La notion de subordination juridique est en concurrence directe avec les deux autres
critères du contrat de travail : la rémunération et l’accomplissement d’une prestation de
travail. Ces trois critères sont en principe complémentaires dans la qualification du contrat de
138
Pour une théorie sur l’extension du statut de salarié à une personne morale V. A. Lecea,
L’entreprise subordonnée, Thèse de doctorat, Université de Toulouse I, 2005
67
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
travail, bien que « le critère de la subordination reste déterminant ».139 Il s’agit donc de
comprendre pourquoi le lien de subordination bénéficie d’un statut clairement supérieur aux
deux autres critères dans la qualification du contrat de travail. Cela signifie que le lien de
subordination ne doit pas être présenté come l’unique critère du contrat de travail mais
comme son critère distinctif.
183.
Ce raccourci dans le discours est souvent emprunté et pourrait être défendu au regard
de la jurisprudence mais il paraît plus exact de présenter les deux autres critères car un
raccourci hâtif peut être source d’erreurs. L’objet de ce paragraphe est donc de présenter le
critère de la rémunération (A) et celui de la prestation de travail (B).
A – La rémunération
184.
Le professeur G. Vachet rappelle avec sagesse une précision importante souvent
négligée : « On peut s'interroger tout d'abord sur le mot même : rémunération ou salaire ? Il
est curieux de noter que, si le lexique des termes juridiques contient une définition du salaire prestation versée par l'employeur au salarié en contrepartie de son travail- il ne définit pas la
rémunération. Le Grand Larousse Universel indique que le mot salaire vient du latin
« salarium » - solde pour acheter le sel - et donne du salaire la même définition que les
juristes : toute somme versée en contrepartie ou à l'occasion d'un travail effectué par une
personne pour le compte d'une autre dans le cadre d'un contrat de travail. En revanche, il est
moins restrictif dans sa définition de la rémunération -prix d'un travail fourni, d'un service
rendu- puisqu'il ne fait aucune référence au contrat de travail. Le droit social n'est pas exempt
de telles hésitations quant au mot utilisé»140.
185.
Renvoyant à son étude pour une analyse critique de cette notion, il faut retenir pour les
besoins du développement subséquent que la rémunération désigne la contrepartie de la
139
F. Favennec-Hery, P.-Y; Verkindt, Droit du travail, Coll. LGDJ, 2° éd., 2009, p. 320 n° 280
G. Vachet, la notion de rémunération au regard de la sécurité sociale in Mélanges dédiés au
président M. Despax, Presses de l’Université des Sciences sociales de Toulouse, 2002, p. 401. ; V.
également P.-H. Antonmattéi, La qualification de salaire, dr. soc. n°6, p. 571-574, 01/06/1997 ; J.
Hauser, La notion de salaire et le droit privé in Mélanges dédiés au président M. Despax, Presses de
l’Université des Sciences sociales de Toulouse, p. 417 : « Il est des notions transversales du droit,
privé et public, qui paraissent évidentes et l’ont peut-être été, mais qui s’avèrent multiformes,
finalement difficiles à cerner et fort complexes. Il en est ainsi de la notion de salaire »
140
68
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
prestation de travail. Pour sa part, l’article L.242-1 du Code de la sécurité sociale considère
comme rémunérations « toutes les sommes versées aux travailleurs en contrepartie ou à
l'occasion du travail, notamment les salaires ou gains, les indemnités de congés payés, le
montant des retenues pour cotisations ouvrières, les indemnités, primes, gratifications et tous
autres avantages en argent, les avantages en nature, ainsi que les sommes perçues directement
ou par l'entremise d'un tiers à titre de pourboire. La compensation salariale d'une perte de
rémunération induite par une mesure de réduction du temps de travail est également
considérée comme une rémunération, qu'elle prenne la forme, notamment, d'un complément
différentiel de salaire ou d'une hausse du taux de salaire horaire »141.
186.
À ce titre, la dénomination donnée par les parties ne lie donc pas le juge. Il pourra
requalifier de rémunération des sommes contractuellement désignées comme vacation,
redevance, honoraires, rétribution, commission, salaire, traitement, prime, indemnité voire de
don ou de prêt. La rémunération en tant que critère du contrat de travail peut donc revêtir
plusieurs formes (1) mais doit en tout état de cause constituer la contrepartie financière d’une
prestation de travail (2).
1 - La forme de la rémunération
187.
La forme de la rémunération demeure librement déterminée par les parties142. Ces
dernières peuvent convenir qu’elle sera constituée, en partie ou intégralement, d’avantages en
nature. À titre non exhaustif il est possible de citer la fourniture gratuite d’un logement, d’eau,
d’électricité, de chauffage, de nourriture ou de la mise à disposition d’une machine, d’un
véhicule ou des nouvelles technologies de l’information et de la communication143. Toutefois
elle se compose dans la plupart des cas, au moins principalement, d’un salaire en espèces. Les
141
V. 2e Civ. 19 juin 2008, BICC n°678 du 15 novembre 2008
Sous réserve d’une rémunération mensuelle minimale : article L.3232-1 et s. du code du travail
143
V. en ce sens, Cass. soc. 7 avr. 1994, n° 89-45.796 ; 18 juill. 2000, RJS 11/2000, n° 1054. Comp.
Cass. soc. 7 janv. 1981, Bull. civ. V, n° 2 ; V. aussi Cass. soc. 17 avr. 1985, Bull. civ. V, n° 238 ;
Cass. crim. 27 sept. 1989, RJS 11/1989, n° 846
142
69
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
avantages, primes et indemnités qui procurent au salarié « un enrichissement »144 constituent
en principe de simples accessoires de ce salaire.
188.
Si la forme de la rémunération est libre, lorsqu’elle prend la forme d’un salaire, son
paiement est ipso facto soumis aux prescriptions de l’article L.3241-1 du code du travail. Le
salaire doit en effet être « payé en espèces ou par chèque barré ou par virement à un compte
bancaire ou postal […]. En dessous d'un montant mensuel déterminé par décret, le salaire est
payé en espèces au salarié qui le demande. Au-delà d'un montant mensuel déterminé par
décret, le salaire est payé par chèque barré ou par virement à un compte bancaire ou
postal»145.
189.
De plus le paiement du salaire obéit à des règles de périodicité, notamment au
principe de la mensualisation146 sans pour autant exclure les divers modes de calcul du salaire
« aux pièces, à la prime ou au rendement »147. Ces modes de calcul peuvent être fixés en
fonction du temps de travail mais aussi des résultats, des missions, du nombre de pièces
rendues (tâcheron148), du volume des ventes ou du chiffre d’affaire réalisé.
ϮͲla contrepartie d’une prestation de travail
190.
Enfin, pour être constitutive d’un critère du contrat de travail, la rémunération doit
constituer la contrepartie d’une prestation de travail pour le compte du cocontractant puisque
144
G. Vachet, la notion de rémunération au regard de la sécurité sociale in Mélanges dédiés au
président M. Despax, Presses de l’Université des Sciences sociales de Toulouse, 2002, p. 408
145
Sous réserve des dispositions législatives imposant le paiement des salaires sous une forme
déterminée : Article L.3241-1 du code du travail
146
Article L. 3242-1 du code du travail ; V. aussi Rép. Proveux, JOAN 26/08/85, p. 4035 : « […] Si le
paiement du salaire afférent à une période de travail doit être effectué dans le délai le plus rapproché
de la fin de cette période, il peut cependant être admis que l'établissement des comptes individuels
exige quelque délai pour permettre aux employeurs l'achèvement des opérations comptables. [..]
Aussi, dans le souci d'assurer aux entreprises une certaine souplesse de gestion, il n'apparaît pas
opportun de fixer une date-limite de paiement des salaires dès lors que l'intervalle de temps entre deux
paies successives n'excède pas la périodicité maximale prévue par l'art. L. 143-2 du Code du travail »
147
Article L. 3242-2 du code du travail
148
En l'absence de fixation par le contrat de travail du temps relatif à chaque tâche, le salarié payé à la
tâche peut prétendre au SMIC ou au salaire minimum conventionnel pour le nombre d'heures de
travail qu'il a effectué, V. Cass. soc., 25 mai 2005, Bull. 2005, V, n° 179 ; Cass. soc., 25 septembre
1990, Bull. 1990, V, n° 383 ; Cass. Soc., 13 octobre 2004, Bull. 2004, V, n° 254
70
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
le contrat de travail est un contrat onéreux149. La jurisprudence tolère toutefois la pratique
consistant à ce qu’un tiers puisse verser la rémunération au salarié sans pour autant être
substitué à l’employeur pour l’exécution des autres obligations découlant du contrat de travail.
Dans une affaire de ce type, la Cour de cassation a eu l’occasion de souligner qu’en l’espèce
« il importait peu que la rémunération des membres de cette association leur fût versée par les
personnes âgées qu’ils accueillaient et non directement par ladite société »150.
B - La prestation de travail
191.
L’existence d’un contrat de travail suppose en toute logique qu’une des parties ait
l’obligation d’exécuter une prestation de travail. Il s’agit là de l’objet même du contrat de
travail. La prestation de travail constituant l’obligation principale du salarié elle est aussi,
corrélativement, la cause de l’obligation de l’employeur151. Pour pouvoir constituer un critère
du contrat de travail, la jurisprudence à développé certaines exigences tenant notamment au
caractère direct et effectif de la prestation (1), à son caractère professionnel (3) et enfin à ce
qu’elle soit accomplie pour le compte d’autrui (2).
1 - Le caractère direct et effectif de la prestation
192.
Premièrement, la prestation de travail doit revêtir un caractère effectif, en ce sens que
le travailleur doit réellement avoir effectué les tâches prévues au contrat. Cette exigence a
pour effet d’exclure toute prestation apparente et/ou fictive152 ou encore ne faisant l’objet
d’aucun accord et exécutée à l’insu de l’employeur.
193.
En second lieu, la Cour de cassation refuse que le travail puisse être délégué ou sous-
traité. À défaut, la prestation ne pourra pas être constitutive d’un critère du contrat de travail.
La jurisprudence considère que seul celui qui a effectivement exécuté la prestation de travail
149
Cf. supra
Cass. soc. 16 juin 1994, RJS 7/1994, no 898 ; V. aussi Cass. soc. 25 mars 1998, RJS 5/1998, n°
560 ; V. dans le même sens, 27 sept. 1989, Bull. civ. V, n° 547, RJS 10/1989, no 802 ; 8 juin 1994,
Bull. civ. V, n° 189 ; 6 juin 1995, n° 93-45.720 ; CA Versailles, 7 oct. 1998, RJS 12/1999, n° 1553 ;
rappr. Cass. soc. 27 mars 1996, Bull. civ. V, n° 117
151
M.-A. Peano, L’intuitus personae dans le contrat de travail, dr. soc. 1995, p. 129
152
Cass. soc. 14 mai 1987, n° 85-40.181; CA Versailles, 2 déc. 1999, RJS 3/2000, n°244
150
71
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
est en mesure d’être considéré comme titulaire d’un contrat de travail153. Cette exigence tient
au fait que le contrat de travail constitue un contrat intuitu personae en ce sens que le
consentement de chacune des parties est donné en considération de la personne avec laquelle
il contracte. « Ainsi, en pratique, l’employeur n’accepte de le conclure qu’avec le candidat à
l’emploi qui justifie des compétences requises pour accomplir efficacement les tâches
afférentes au poste à pourvoir […] quant au candidat à l’emploi, sa décision d’accepter une
offre d’embauche est, elle-même, largement déterminée par la personne de l’employeur et,
plus précisément, par les avantages sociaux que celui-ci lui a promis »154.
2 – Une prestation pour le compte d’autrui
194.
La jurisprudence exige encore que la prestation de travail soit exécutée pour le compte
d’autrui. Pour la Cour de cassation, il s’agit d’une caractéristique essentielle de la prestation
de travail155 qui exclu, en principe, que le salarié possède une clientèle propre ainsi que les
moyens de l’exploiter. Sous réserve des mécanismes de participation et d’intéressement aux
résultats, le salarié ne doit pas non plus participer aux pertes et bénéfices de l’activité156 au
risque d’être qualifié d’associé 157.
195.
Toutefois la nuance peut être ténue entre l’associé et le salarié abusé. En effet la Cour
de cassation a eu l’occasion de souligner que la clause du contrat de travail subordonnant la
rémunération du travailleur à domicile à l’encaissement effectif de la commande est illicite.
Le travailleur à domicile est en effet un salarié sur lequel ne saurait peser partie du risque
d'entreprise158.
153
M.-A. Peano, L’intuitus personae dans le contrat de travail, dr. soc. 1995, p. 130
Y. Aubrée, Contrat de travail, Rép. trav. Dalloz avril 2005, p.5, n° 11 et p.10, n° 24
155
Cass. soc. 1er mars 1989, RJS 4/1989, n°384 ; Cass. soc. 14 juin 1989, RJS 8-9/1989, n°719 ; Cass.
soc. 10 mai 1990, RJS 6/1990, n°522 ; Cass. soc. 22 mars 1989, RJS 5/1989, n° 454 ; Cass. soc. 12
juill. 1989, RJS 10/1989, n° 801 ; Cass. soc. 27 sept. 1989, Bull. civ. V, n° 547, RJS 10/1989, n° 802
156
Cass. soc. 14 juin 1989, RJS 8-9/1989, n° 719; Cass. soc. 29 nov. 1989, RJS 1/1990, n° 2 ; 23 janv.
1997; Cass. soc. 9 avr. 1987, Bull. civ. V, n° 213 ; 5 oct. 1989, RJS 11/1989, n° 880 ; Cass.soc., 22
févr. 1990, RJS 4/1990, n° 337 ; 23 janv. 1997 ;
157
Cass. ch. mixte 12 févr. 1999, RJS 3/1999, n° 444, dr. soc. 1999, p. 404, obs. C. Radé ; Cass. soc.
19 juill. 2000, RJS 12/2000, n° 1299 ;
158
Cass.soc., 10 mai 2007, Bull. n° 71
154
72
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
3 – Le caractère professionnel de la prestation de travail
196.
Enfin, pour caractériser l’existence d’un contrat de travail, la prestation de travail doit
être accomplie à titre professionnel. Cet indice sera d’autant plus probant que la rémunération
permet au salarié de subvenir aux besoins liés à l’existence et est exercée de manière
habituelle. La qualification de contrat de travail sera généralement rejetée lorsque la prestation
de travail est exécutée à titre occasionnel, exceptionnel, selon ses convenances159 ou encore à
titre de service rendu160. Il faut remarquer que la plupart de ces décisions sont bien antérieures
à la loi Madelin du 11 février 1994 qui instaurait l’exigence d’un lien de subordination
juridique permanente. Ces décisions s’ajoutent donc à la question de l’utilité de l’ajout du
qualificatif « permanente »161.
Paragraphe 2 – La dominance du lien de subordination juridique
197.
Le lien de subordination demeure l’outil privilégié dans l’identification du contrat de
travail car il en est l’élément distinctif ; si les deux autres critères permettent d’attribuer à une
relation de fait le terme générique de contrat, le lien de subordination est le seul critère qui
permet d’ajouter à ce genre juridique qu’est le contrat, une différence spécifique permettant
de le classer dans la typologie du contrat de travail.
198.
En effet, la rémunération ne permet pas de distinguer entre tous les contrats à titre
onéreux. Ce seul critère ne permet pas de distinguer un contrat de travail d’une vente, d’une
location, d’un prêt ou encore d’un contrat d’entreprise. Quant à l’exécution d’une prestation
de travail, ce critère ne permet pas, à lui seul, de distinguer le contrat de travail des autres
159
V. Cass. soc. 11 janv. 1990, RJS 2/1990, n° 150. V. aussi Cass. soc. 25 oct. 1990, RJS 12/1990, n°
1017 ; Cass. soc. 21 nov. 1991, RJS 1/1992, n° 69 ; Cass. soc. 16 janv. 1992, RJS 3/1992, n° 341 ; V.
encore : Cass. soc. 25 mars 1998, n° 95-41.817 ; CA Paris, 17 déc. 1997 ; Cass. soc. 11 oct. 2000, RJS
12/2000, n° 1302
160
Cass. soc. 22 mars 1989, RJS 5/1989, n° 455 ; Cass.soc., 31 oct. 2000, RJS 1/2001, n° 124 ; Cass.
soc. 29 mars 1990, RJS 5/1990, n° 423 ; Cass. soc. 13 déc. 1990, RJS 2/1991, n° 240 ; CA
Montpellier, 31 mars 2004, RJS 12/2004, n° 1243 ; pour quelques interprétations contraires : V. Cass.
soc. 22 mars 2001, RJS 6/2001, n° 783 ; Cass. soc. 10 oct. 2002, RJS 1/2003, n° 73
161
Cf. infra, n° 206
73
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
contrats ou relations de fait impliquant la fourniture d’un service : le bénévolat, l’entraide, le
contrat d’entreprise, le stage, voire même le devoir d’assistance dans le cadre du mariage.
199.
Pour prendre l’exemple du contrat d’entreprise, celui-ci implique la réalisation d’une
prestation de travail qui doit être rémunérée. Dans ces conditions comment différencier le
contrat d’entreprise du contrat de travail ? La solution actuelle ne trouve de réponse qu’en
recourant au critère à la fois distinctif et qualificatif du contrat de travail : le lien de
subordination.
200.
L’explication de sa supériorité à l’égard des deux autres critères peut être tirée de ce
constat : le lien de subordination offre une double fonction ; premièrement il participe à la
caractérisation d’une relation contractuelle. Deuxièmement, il permet le classement dudit
contrat parmi la typologie des contrats nommés, soit dans la catégorie contrat de travail. De
plus les deux autres critères constituent des obligations des parties, ce qui n’est pas le cas du
lien de subordination. La subordination n’est pas une obligation du contrat de travail mais à la
fois une condition et un révélateur de son existence. Ce critère du lien de subordination
juridique se caractérise aujourd’hui par son instabilité (A), ce qui complexifie l’approche
jurisprudentielle qui peut en être faite (B).
A – L’instabilité du critère du lien de subordination juridique
201.
La Cour de cassation est constante, dans le verbe, dans l’exigence d’un lien de
subordination. Il apparaît cependant qu’elle a pu appliquer des variations qualitatives mais
aussi quantitatives au contenu de cette notion. Elle a progressivement été amenée à exiger une
subordination plus ou moins intense selon le degré d’autonomie inhérente à la profession
exercée162. Force est donc de constater qu’il n’existe pas un lien de subordination mais une
pluralité de subordinations. Cette déclinaison résulte de l’évolution de la notion dans le temps,
des nuances jurisprudentielles et surtout de son éclatement face à la déverticalisation du
travail163.
162
Expression empruntée à A. Taillandier : A. Taillandier, L'intensité du lien de subordination, Thèse
de doctorat de l’Université de Nantes, 1994 (dir. A. Supiot)
163
Cf. infra, n°586
74
Ͳ
202.
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
Les formulations successives utilisées dans la jurisprudence ont fortement contribué à
parasiter la compréhension du concept de subordination juridique; « les formules de
« subordination
164
juridique »
économique »,
de
« dépendance
économique »,
de
165
, voire de « sujétions dans le cadre d’un service organisé »
166
subordination d’employé à employeur »
« dépendance
ou de « lien de
se rencontrent dans les arrêts et voisinent avec le
« lien juridique de subordination »167 ou encore « l’état juridique de subordination »168. Le
vocabulaire est donc diversifié »169. La terminologie n’offre aucune aide à la délimitation du
contenu de la subordination, la reléguant ainsi au rang de fiction juridique sans ancrage dans
la réalité.
203.
La loi Madelin du 11 février 1994 a érigé la notion de subordination juridique au rang
de catégorie légale. Cependant la loi Madelin a employé l’expression de « lien de
subordination juridique permanente » aux fins d’exclure les travaux ponctuels de courte
durée. Outre la critique tenant au fait qu’un contrat de travail temporaire, même d’une heure,
doit demeurer un contrat de travail avec toutes ses conséquences juridiques, la loi a généré un
facteur supplémentaire d’incompréhension en ajoutant l’adjectif « permanente ». Mais comme
le remarquent plusieurs auteurs, notamment A. Simon, les juges sont restés « impassibles face
à la notion légale de subordination juridique permanente ». Ce point particulier ne mérite donc
pas d’étude supplémentaire170.
204.
P.-Y. Verkindt et F. Favennec-Hery expliquent en ces termes que « plus qu’un critère
du contrat de travail, la subordination en est l’âme même »171. Depuis un arrêt de principe de
164
Cass. Soc., 4 janvier 1974
Cass. Soc., 24 février 1975
166
Cass. Ch. Réun. 23 juin 1966, Prénatal, les grands arrêts du droit de la sécurité sociale, n°9
167
L’expression date de l’arrêt Bardou du 6 juillet 1931et figure dans l’arrêt Société générale de 1996
168
Expression employée dans l’arrêt Labbane : Cass. soc, 19 décembre 2000 Labbane ; Droit social
2001 n° 3, page 227, 11 pages, note A. Jeammaud
169
J.-P. Chauchard, A.-C. Hardy-Dubernet, Les métamorphoses de la subordination, analyse juridique
et sociologique de l’évolution des formes d’autonomie et de contrôle dans la relation de travail,
Maison des Sciences de l’Homme Ange Guépin, 2002, p.12 ; F. Favennec-Hery, P.-Y; Verkindt, Droit
du travail, Coll. LGDJ, 2° éd., 2009, p. 323, n°282
170
A. Simon, Le champ d’application et d’influence du droit du travail salarié, Thèse Bordeaux, 2006,
p. 152 à 157 ; J.-P. Chauchard, A.-C. Hardy-Dubernet, Les métamorphoses de la subordination,
analyse juridique et sociologique de l’évolution des formes d’autonomie et de contrôle dans la relation
de travail, Maison des Sciences de l’Homme Ange Guépin, 2002, p.12
171
F. Favennec-Hery, P.-Y. Verkindt, Droit du travail, Coll. LGDJ, 2° éd., 2009, p. 317 n°278
165
75
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
1931172 la Cour de cassation fait primer le recours à la notion de subordination juridique sur
celle de dépendance économique. Mais les auteurs précités soulignent, avec d’autres et à très
juste titre, que si la Cour de cassation a toujours été constante dans le recours à cette notion,
elle recouvre toutefois un contenu à géométrie variable173.
205.
En 1988, Th. Aubert-Monpeyssen écrivait déjà que « ce terme conservateur, chargé
d’histoire, riche de toute une évolution juridico-sociale, recouvre une notion-cadre qui n’a pu
devenir le précieux outil juridique qu’elle constitue aujourd’hui qu’en perdant partiellement sa
signification littérale. […] La signification de ce terme s’étant simplement simplifié au fil des
ans »174. Ce sont donc les indices de ce critère qui ont évolué plus que le choix du recours à ce
critère. C’est pourquoi le critère s’apparente aujourd’hui à une « pseudo-subordination » voire
à une « coquille vide de sens »175.
206.
C’est aujourd’hui dans l’arrêt dit « Société Générale »176 du 13 novembre 1996, que la
Cour de cassation a eu l’occasion de donner une définition de principe du lien de
subordination. Elle estime dans cette décision que « le lien de subordination est caractérisé
par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des
ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son
subordonné » 177.
207.
Une partie de la doctrine a estimé qu’en 2000, dans l’arrêt Labbane, la Cour de
cassation avait effectué un revirement de jurisprudence en ayant eu recours à la notion de
subordination économique voire de dépendance économique178. En l’espèce il s’agissait de
172
Cass.civ., 6 juillet 1931, DP 1931, 1, 121 note P. Pic ; V. également Cass. Civ.,22 juin 1932 et
Cass. Civ., 1 août 1932, DP 1933, 1, note P. Pic
173
F. Favennec-Hery, P.-Y; Verkindt, Op. cit.,p. 318
174
Th. Aubert-Monpeyssen, Subordination juridique et relation de travail, Sciences sociales, Éd. du
Centre national de la recherche scientifique, 1988, p.86 (voir également p.82) ; G. Bredon, L’évolution
de la notion de subordination comme critère du contrat de travail, Thèse de doctorat de l’Université
Panthéon-Assas Paris II, 1998, p. 137
175
F. Favennec-Hery, P.-Y; Verkindt, Droit du travail, Coll. LGDJ, 2° éd., 2009, p. 318, n°278
176
Cass. soc., 13 novembre 1996, Société Générale c/ URSSAF de la Haute-Garonne
177
Cass. soc., 13 novembre 1996 ; Société Générale c/ URSSAF de la Haute-Garonne ; Bulletin civil
novembre 1996 n° 9 n° 386 ; Bulletin civil 1996 v n° 386 page 275; semaine juridique JCPG - édition
générale 1997 1, IV, 54 9 ; semaine juridique JCPE - édition entreprise 1997 n° 1 n° 20 page 7 ;
recueil Dalloz 1996 n°44 Ir page 268 ; gazette du palais 5 janvier 1997 n° 5-7 panorama page 10-11
178
Cass. soc, 19 décembre 2000 Labbane ; Droit social 2001 N° 3, p. 227, 11, note A. Jeammaud
76
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
chauffeurs de taxi qui devaient louer un véhicule sans lequel ils ne pouvaient pas exercer leur
métier. En réalité il ne s’agissait pas d’un contrat de location mais d’un contrat de travail car
« les juges ont déduit des clauses et de l’économie du contrat ainsi que de la situation de
l’intéressé l’existence d’un état de subordination juridique - et non économique-179. [Donc] ce
critère bien qu’interprété plus souplement, subsiste »180.
208.
La Cour de cassation consacre ainsi le principe selon lequel les « conditions de fait
dans lesquelles est exercée l'activité des travailleurs » priment sur la qualification que les
parties ont donné à leur convention181. En ce sens, la qualification échappe à la volonté des
parties puisque c’est leur comportement qui sera déterminant du fait que le contrat de travail
relève de l’ordre public social182. Donc, conformément à l’article 12 du NCPC, « le juge
tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables » il lui incombe de
« donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la
dénomination que les parties en auraient proposée »183.
B – L’approche jurisprudentielle du lien de subordination juridique
209.
Les arrêts dits « Labbane »184 et « Société Générale »185 permettent de comprendre la
méthode constamment utilisée par la Cour de cassation pour caractériser la subordination.
Puisque c’est le comportement des parties qui caractérise le lien de subordination, et non les
179
Le Contrat prévoyait que sa durée et celle de chacun de ses renouvellements étaient limitée à un
mois, qu'il pouvait être résilié mensuellement avec un délai de préavis très court, que la redevance due
au loueur incluait les cotisations sociales du locataire et était révisable en fonction notamment du tarif
Taxi. Par ailleurs les conditions générales annexées au contrat prévoyaient la résiliation du contrat en
cas de non paiement des redevances et imposaient au locataire des obligations concernant l'utilisation
et l'entretien du véhicule notamment conduire personnellement et exclusivement ce dernier, procéder
aux vérification des niveaux d'huile et d'eau du moteur, le maintenir en état de propreté en utilisant les
installations adéquates du loueur, faire procéder dans l'atelier du loueur à une visite technique et
d'entretien une fois par semaine sous peine de supporter les frais de remise en état.
180
F. Favennec-Hery, P.-Y; Verkindt, Droit du travail, Coll. LGDJ, 2° éd., 2009, p. 322, n° 282
181
Cass. soc., 19 déc. 2000, no 98-40.572, Bull. civ. V, no 437, p. 337 ; Cass. 2e civ., 20 mars 2008,
no 06-20.533
182
Cf. infra, n° 253 s.
183
Toutefois, il ne peut changer la dénomination ou le fondement juridique lorsque les parties, en vertu
d'un accord exprès et pour les droits dont elles ont la libre disposition, l'ont lié par les qualifications et
points de droit auxquels elles entendent limiter le débat.
184
Cass. soc, 19 décembre 2000 Labbane ; Droit social 2001 n° 3, p. 22, note A. Jeammaud
185
Cass. soc., 13 novembre 1996 ; Société Générale c/ URSSAF de la Haute-Garonne
77
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
actes juridiques conclus par eux, la preuve se fait par tout moyen selon la méthode du faisceau
d'indices. Celui-ci peut être révélé en analysant quelles sont les conditions matérielles
d'exécution du travail (1) et en mesurant de degré d'autorité ou de contrôle de l'employeur (2).
1 - Les conditions matérielles d'exécution du travail
210.
Un lien de subordination peut se déceler au travers des contraintes imposées au salarié
par l'employeur. Ces contraintes portent souvent sur la détermination des horaires, du lieu de
travail, des machines, outils et matériels à utiliser ainsi que sur l’intégration dans une
hiérarchie. Les différentes contraintes révélatrices des conditions matérielles de l’exécution du
travail se conjuguent à d'autres indices et vient ainsi conforter l'état de subordination.
211.
C’est par exemple le cas lorsque l’employeur fournit au salarié le matériel et les outils
lui permettant de s’acquitter de sa tâche de travail. Il existe toutefois des situations où le
salarié doit certes obéir aux ordres de l’employeur mais en utilisant ses propres outils de
travail. Ce cas de figure s’illustre parfaitement avec l’exemple de certains chauffeurs livreurs
qui utilisent leur propre véhicule mais sont soumis au règlement d’une entreprise de transport.
C’est dans ce cas la soumission du salarié au règlement qui traduit la subordination. Le
pouvoir règlementaire de la société lui permet d’opérer un contrôle sur les modalités de
l’accomplissement du travail par le salarié186.
212.
La fixation du lieu de travail par l'employeur est un indice supplémentaire de la
subordination juridique du salarié. En effet, ce dernier doit généralement se rendre sur le lieu
où se trouvent les locaux de l'entreprise puisqu’en principe ils hébergent l’activité productive
ou économique. Cet exemple trouve de multiples illustrations jurisprudentielles, notamment
concernant un consultant au service d'une entreprise et exerçant dans ses locaux, un médecin
qui effectuaient des gardes dans les locaux d’un service de réanimation ou un professeur
donnant des cours dans une école187.
186
Cass. soc., 3 déc. 1986, no 84-12.546, D. 1987, som., p. 159
187
Cass. soc., 11 mai 1967, n° 65-13.607; Cass. ass. plén., 4 mars 1983, n° 81-15.290 et 81-41.647,
Bull. civ. ass. plén., p. 5 ; Cass. soc., 12 juin 1974, n° 73-40.652, Bull. civ. V, p. 344 ; Cass. 2e civ.,
21 sept. 2004, n° 03-30.144
78
Ͳ
213.
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
Lorsque la Cour de cassation est confrontée à un travailleur itinérant, elle tient
compte de la détermination d’un lieu ou d’un secteur de travail par l'employeur. À ce titre elle
a pu retenir l’existence d’un contrat de travail entre une société d'études de marché et des
enquêteurs de terrain188. Un contrat de travail peut aussi être reconnu à un itinérant lorsqu’il
doit procéder à un compte-rendu précis de son activité189.
214.
L’horaire de travail constitue un indice particulièrement privilégié du lien de
subordination lorsqu’il revêt un caractère obligatoire et qu’il est fixé unilatéralement par
l’employeur. La jurisprudence a ainsi pu retenir cet indice pour qualifier le contrat de travail
entre un professeur et l’association qui fixait les horaires de cours190, entre un
kinésithérapeute et le centre qui fixait les horaires de consultations191 ou encore entre des
salariés d’une entreprise étrangère et l’entreprise française qui avait recours à leurs services
« dans le cadre d'un service organisé dont les conditions de travail étaient déterminées
unilatéralement par l'employeur »192.
215.
Un exemple plus connu et récent concerne le cas d’avocats, magistrats et professeurs
d’Université donnant des cours dans les locaux d’un CRFPA193 en devant respecter l’emploi
du temps et le programme des cours. Ils devaient également contrôler l’absentéisme. La Cour
de cassation en a donc déduit que ces intervenants travaillaient dans un lien de subordination
avec le CRFPA puisqu’il pouvait leur donner des directives et en contrôler l'exécution194.
216.
Enfin il existe des professions qui, de par leur nature, ne peuvent pas s'exercer dans
l’astreinte d’un horaire rigide. En pareille situation c’est le degré de contrôle de l’employeur
qui caractérisera la subordination juridique. Un degré suffisant a été retenu concernant un
travailleur obligé de répondre « à toute convocation de l'employeur »195, de se rendre de
manière régulière au siège social pour rendre compte de son activité196 ou encore d'effectuer
188
Cass. soc., 11 févr. 1981, n° 79-14.202, Bull. civ. V, p. 90
Cass. soc., 19 déc. 1978, n° 77-10.933, Bull. civ. V, p. 670
190
Cass. soc., 10 oct. 1991, n° 87-14.878
191
Cass. soc., 7 mai 2002, n° 00-14.451
192
Cass. 2e civ., 8 mars 2005, n° 03-30.324
193
Centre Régional de Formation pour Avocat
194
Cass. 2e civ., 9 mars 2006, Bull. civ. II, n° 72, p. 71
195
Cass. soc., 14 juin 1979, n° 77-41.305, Bull. civ. V, p. 397
196
Cass. soc., 5 oct. 1983, n° 82-13.474
189
79
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
des gardes selon les horaires de service197. La caractérisation du lien de subordination
juridique ne pouvant être réduite à la seule fixation unilatérale de l'horaire ou de lieu de travail
par l’employeur il est nécessaire d’envisager les autres indices émanant de l'autorité et du
contrôle de l'employeur.
2 – L'autorité et le contrôle de l'employeur
217.
L'autorité de l'employeur constitue un indice du lien de subordination juridique qui se
traduit par le pouvoir à la disposition de l’employeur de donner des directives et d’en
contrôler l’exécution. Il suffit simplement que l’employeur ait ce pouvoir, ainsi le simple fait
qu’il n’use pas de ce pouvoir ne peut lui permettre d’en nier l’existence et a fortiori celle du
lien de subordination.
218.
Sous cet angle la subordination juridique peut consister en une soumission des salariés
au pouvoir disciplinaire de l'employeur pour l’accomplissement des tâches de travail. Ces
éléments correspondent aux cas les plus couramment rencontrés et caractérisent, la plupart du
temps, l'existence d'un contrat de travail. La Cour de cassation a par exemple cassé une
décision qui ne « faisait référence à aucun pouvoir disciplinaire de la société sur les
bénéficiaires des primes »198. Le pouvoir de direction et de contrôle de l'employeur sera
contrôlé par les juges avec plus ou moins d’ « intensité »199 en fonction de la nature de la
profession en cause. Ce pouvoir de direction s’affirmera différemment selon que l’employeur
s’adresse à un cadre ou à un ouvrier. Il existe une différence dans le degré d’autonomie dont
chacun doit disposer pour la réalisation de l’objectif et pour exploiter son savoirfaire (souvent dénommé knowledge)200.
219.
L’ouvrier doit généralement mettre en œuvre sa force de travail dans une chaîne de
production avec plus ou moins de technique. Le cadre doit pour sa part atteindre des objectifs
en mettant en œuvre une dimension sinon créative, du moins plus intellectuelle et qui, par
nature, présente moins d’emprise au contrôle de l’employeur dans sa mise en œuvre. Pour
197
Cass. 2e civ., 21 sept. 2004, n° 03-30.144
Cass. 2e civ., 4 déc. 2008, n° 08-12.680 ; voir aussi : Cass. 2e civ., 15 mai. 2008, no 07-12.684
199
V. A. Taillandier, L'intensité du lien de subordination, Thèse Nantes, 1994 (dir. A. Supiot)
200
V. A.-C. Alibert, Les cadres quasi-indépendants, du contrat de travail au contrat d’activité
dépendante, Thèse pour le doctorat de l’Université d’Auvergne, 2005
198
80
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
l’employeur il est ainsi plus aisé de surveiller la productivité ou le quota horaire d’un ouvrier
que de surveiller un cadre en charge d’élaborer un projet de grande ampleur et étalé sur
plusieurs mois201. L’application de ce critère du contrôle doit donc s’adapter à la nature du
travail commandé. La Cour de cassation a ainsi retenu l’existence d’un contrat de travail au
bénéfice d’un cadre conseil en publicité qui devait obligatoirement consulter l’employeur
pour les « décisions importantes »202. Au même titre elle a retenu l’existence d’un contrat de
travail à l'enseignant obligé de suivre les programmes officiels203 aux collaborateurs privés
du choix de leurs clients et placés sous l'autorité et le contrôle d’un responsable204 ou encore
aux agents commerciaux qui prospectaient en respectant des règles contraignantes205.
220.
Par contre, la Cour de cassation a rejeté l’existence d’un contrat de travail dans
plusieurs cas voisins. Notamment entre un médecin qui « exerçait dans les locaux et avec le
matériel et les équipements fournis et entretenus par celui-ci, selon un emploi du temps fixé
par le secrétariat commercial de l'institut » qui, outre les honoraires des patients, percevait
« un fixe mensuel ». Il faut toutefois s’étonner que ces indices n’aient pas convaincu la Cour
de cassation qui s’est borné à relever « l'exclusion de toute référence à un pouvoir
disciplinaire de la société à l'encontre de celui-ci »206.
221.
Sans affirmer que ces critères sont devenus obsolètes, la Cour de cassation exige que
la rémunération et l’encadrement des conditions de travail soient complétés par la
démonstration d’un pouvoir disciplinaire : « Qu'en statuant ainsi alors que les dispositions
contractuelles liant les parties ne concernaient que les conditions de travail et la rémunération
de M. X..., à l'exclusion de toute référence à un pouvoir disciplinaire de la société à l'encontre
de celui-ci, la cour d'appel a violé les textes susvisés »207.
222.
Les décisions les plus récentes semblent asseoir cette voie jurisprudentielle qui érige
l’existence d’un pouvoir disciplinaire à un rang supérieur dans les indices du lien de
201
V. A.-C. Alibert, Les cadres quasi-indépendants, du contrat de travail au contrat d’activité
dépendante, Thèse pour le doctorat de l’Université d’Auvergne, 2005
202
Cass. soc., 9 nov. 1965, n° 64-40.592, Bull. civ. V, p. 650
203
Cass. soc., 23 janv. 1980, n° 78-41.425, Bull. civ. V, p. 46
204
Cass. soc., 20 déc. 1983, n° 82-14.502, Bull. civ. V, p. 454
205
Cass. soc., 3 juill. 1985, n° 84-10.110
206
Cass. 2e civ., 21 juin 2005, no 04-12.105
207
V. également : Cass. 2e civ., 4 déc. 2008, no 08-12.680 ; Cass. 2e civ., 15 mai. 2008, no 07-12.684
81
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
subordination. La Cour a ainsi eu l’occasion de se prononcer dans un litige opposant
l’URSSAF d’une part, les joueurs de l'équipe de France de football et les arbitres d’autre part.
Mais là encore, elle relève que le pouvoir disciplinaire invoqué ne traduisait pas un pouvoir de
direction, de contrôle et de sanction de la fédération à leur égard208. Toutefois D. Jacotot209
souligne qu’il est possible de se demander si la loi du 23 octobre 2006 portant diverses
dispositions relatives aux arbitres, dite loi Lamour -entrée en vigueur le 1er janvier 2007- n’a
pas pu, officieusement, influencer la décision.
223.
Ce courant jurisprudentiel, dont l’origine peut être rattachée à l’arrêt Société Générale,
traduit un resserrage de la notion de subordination autour du pouvoir de direction de
l’employeur dont le pouvoir disciplinaire n’est qu’une composante. La notion d’intégration au
sein d’un service organisé demeure quant à elle cantonnée au rang de simple indice210. Ainsi,
en 2006, la Cour de cassation relevait déjà « que ces médecins, affiliés au régime d'assurance
sociale des travailleurs indépendants, participaient aux frais de gestion de la clinique, celle-ci
n'ayant pas recherché comment avait été fixée la rémunération de ces médecins ni si la société
avait le pouvoir de leur donner des ordres et des directives dans l'organisation de leur travail,
d'en contrôler l'exécution et de sanctionner leurs manquements »211.
208
Cass. 2e civ., 22 janv. 2009, n° 07-19.039, V. D. Jacotot, La Semaine Juridique Social n° 37, 8 Sept.
2009, 1395
209
D. Jacotot, La Semaine Juridique Social n° 37, 8 sept. 2009, 1395
210
Cf. infra, n°237
211
Cass. 2e civ., 16 nov. 2004, no 03-30.412; V. A. Simon, Le champ d’application et d’influence du
droit du travail salarié, Thèse Bordeaux, 2006, p.138 s.
82
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
SECTION II– LA CONCURRENCE DES CRITÈRES ALTERNATIFS
224.
Si sa fonction distinctive permet au lien de subordination d’occuper la première place
au regard des deux autres critères du contrat de travail, il faut se demander ce qui justifie sa
prééminence au regard d’autres critères offrant théoriquement la même fonction. Il est dans
ces conditions possible de considérer que la notion de subordination juridique est en
concurrence indirecte avec des critères d’inspiration doctrinale qui ont pu recevoir application
tacite ou expresse dans la jurisprudence. Concurrence indirecte car pour certains ils ont pu dans certaines décisions - envahir le contenu de ce concept creux de la subordination, jusqu’à
s’y substituer officieusement.
225.
Il est ici fait référence à la dépendance économique (paragraphe 1), concurrent
historique du lien de subordination et à l’intégration dans un service organisé (paragraphe 2),
un concurrent plus moderne qui mérite sa place de concurrent malgré sa rétrogradation
actuelle au rang de simple indice de la subordination.
226.
Ces notions doivent être distinguées d’alternatives plus larges et qui demeurent
purement théoriques, du moins en droit français. Par exemple la parasubordination212 inspirée
de la parasubordinazione du droit italien ou la création d’un droit de l’activité
professionnelle. Ces nouvelles perspectives sont encore ignorées par le droit positif français et
serviront à ouvrir une réflexion d’ensemble sur la modernisation du droit du travail en fin de
deuxième partie.
227.
Enfin la Cour de justice des communautés européennes a dégagé des critères qui lui
sont propres pour qualifier l’existence d’un contrat de travail. La question de la place et de
l’influence de ces critères peut se poser. Il s’agira donc de présenter ces critères, d’en mesurer
l’éventuel impact en droit interne et de déterminer s’ils peuvent alimenter le phénomène de
concurrence entre les critères d’identification du contrat de travail (paragraphe 3).
212
J. Barthélémy, Parasubordination, Les Cahiers du DRH n°143, mai 2008
83
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
Paragraphe 1 – La notion de dépendance économique
228.
La notion de dépendance économique présente la particularité de fonder la
reconnaissance du contrat de travail sur la force économique des parties. Elle est donc
intrinsèquement différente de la notion de subordination juridique puisque celle-ci fonde la
reconnaissance du contrat de travail sur des indices juridiques tenant au comportement des
parties, en dehors de toute considération économique (en outre le pouvoir de contrôler
l’exécution du travail, de donner des directives ou encore des sanctions).
229.
Le critère de dépendance économique se distinguant du lien de subordination, il
pourrait caractériser l’existence d’un contrat de travail. Il convient donc de présenter ce critère
(A) pour expliquer les raisons de son rejet partiel (B) puisqu’il est désormais relégué au rang
de simple indice du lien de subordination, son concurrent.
A - Dépendance économique et subordination juridique
230.
Les notions de subordination juridique et de subordination économique se sont
réellement affrontées dès le début du XX° siècle. La première de fonde sur l’identification
d’un pouvoir de direction et de contrôle par l’employeur, hors de toute considération tenant à
la condition sociale et économique du salarié. À contrario, la dépendance économique fonde
justement son analyse sur la situation économique et sociale du salarié plutôt qu’au pouvoir
de l’employeur.
231.
Ainsi le juge devrait reconnaître l’existence d’un contrat de travail dès lors que « [...]
celui qui fournit le travail en tire son unique ou du moins son principal moyen d'existence et
quand d'autre part celui qui paye le travail utilise entièrement et régulièrement l'activité de
celui qui le fournit. »213
213
P. Cuche, La définition du salarié et le critérium de la dépendance économique, D. H. 1932,
chronique, pp. 101-104
84
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
B - Rejet du critère de la dépendance économique
232.
Ce critère a toujours été rejeté par la Cour de cassation au profit du critère de
subordination juridique, notamment dans L’arrêt Bardou du 6 juillet 1931214: « La condition
juridique d'un travailleur à l'égard de la personne pour laquelle il travaille ne saurait être
déterminée par la faiblesse ou la dépendance économique dudit travailleur [...] la qualité de
salarié implique nécessairement l'existence d'un lien juridique de subordination du travailleur
à la personne qui l'emploie. »
233.
Il convient tout de même de souligner que ce critère de dépendance économique est
susceptible d’avoir influencé la Cour de cassation dans les années 1980, notamment en
accordant le statut de salarié aux travailleurs entretenant un lien d’exclusivité avec une seule
et même entreprise. C’est ainsi que des contrats de travail ont pu être reconnus au bénéfice
des gérants libres de stations-service215 et que des extensions légales du statut de salarié ont
pu être accordée aux vendeurs représentants placiers, aux travailleurs à distance ou encore aux
gérants de succursales.
234.
Toutefois, si la notion de dépendance économique a pu s’immiscer dans la
jurisprudence, elle l’a toujours fait de manière officieuse et sous couvert de la terminologie
officielle de lien de subordination juridique. En ce sens la dépendance économique
apparaissait comme l’outil privilégié des jugements en opportunité lorsque la subordination
juridique était trop étriquée pour permettre de rendre une justice de qualité216. L’URSSAF
n’hésite pourtant pas à continuer d’invoquer cet argument même si cette manœuvre est
rarement, pour ne pas dire jamais, couronnée de succès car la jurisprudence récente semble
avoir définitivement abandonné tout recours à cette notion.
235.
Elle est en effet trop large et génèrerait encore plus d’insécurité juridique que ce qu’il
en existe déjà. En 2008, la Cour de cassation a rendu un arrêt remarquablement bien motivé.
Elle a ainsi longuement rappelé à l’URSSAF qu’un lien de dépendance économique est
214
Cass, civ., 6 juillet 1931. Préfet de la Haute-Garonne c./ Bardou, DP1931. I. l3l, note, P. Pic
Cass. soc., 18 nov. 1981, no 80-12.526, Bull. civ. V, p. 665 ; Cass. soc., 14 juin 1989, no 86-17.867 ;
Cass. soc., 23 nov. 1989, no 87-10.407
216
Cass. soc., 18 nov. 1981, no 80-12.526, Bull. civ. V, p. 665 ; V. également : Cass. soc., 14 juin
1989, no 86-17.867 ; Cass. soc., 23 nov. 1989, no 87-10.407
215
85
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
insuffisant à caractériser un contrat de travail
217
: « Que le contrat de travail se caractérisant
par l'existence d'un lien de subordination juridique et non par celle d'un lien de dépendance
économique, viole l'article L.242-1 du Code de la sécurité sociale, ensemble les articles
L.1221-1 et L.1221-3 L.121-1 ancien du Code du travail, l'arrêt attaqué qui retient l'existence
d'un contrat de travail entre la Société DUNLOP et les vendeurs et monteurs de pneus des
distributeurs de cette société au motif que la situation de fait aurait révélé l'existence d'un «
lien de dépendance économique » entre la Société DUNLOP et les bénéficiaires des primes
litigieuses »218.
236.
Si la dépendance n’est pas suffisante, la Cour de cassation sous-entend qu’elle peut
contribuer à l’élaboration du faisceau d’indices, ce qui expliquerait que l’URSSAF continue
d’y faire référence dans ses lettres d’observation. Entre lien de subordination juridique et lien
de dépendance économique c’est donc la sécurité juridique qui détermine le choix de la Cour
de cassation. Le lien de subordination est pourtant accusé d’être générateur d’insécurité
juridique mais s’il l’est, l’histoire jurisprudentielle permet de savoir que c’est dans une
mesure nécessairement moins prononcée que la notion de dépendance économique.
237.
Si une alternative juridiquement plus sécurisante que le lien de subordination devait
être recherchée, il faudrait donc éliminer le recours unique à la notion de dépendance
économique ou du moins l’utiliser comme complément à la notion de subordination juridique.
Il serait encore possible d’envisager la notion de dépendance professionnelle développé par la
doctrine219.
Paragraphe 2 – La notion d’intégration à un service organisé
238.
La notion de travail au sein d'un service organisé fut utilisée par la jurisprudence
comme un critère alternatif à la subordination juridique, notamment dans un arrêt de 1937220.
C’est ce qui justifie l’approche de cette notion comme critère concurrent au lien de
217
Cass. 2e civ., 4 déc. 2008, no 08-12.680
Ibid.
219
V. notamment : J.J. Dupeyroux, Les conditions de l’affiliation obligatoire au régime général de la
Sécurité sociale, Dalloz 1962, p.184
220
M. Del Sol, L’activité salariée aujourd’hui et demain, Le droit en questions, Ellipses, 1998,
« subordination juridique et notion de service organisé » p. 42 s.
218
86
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
subordination. Toutefois, depuis l’arrêt « Société Générale » rendu en 1996, l’intégration au
sein d’un service organisé ne constitue désormais qu’« un indice de subordination lorsque
l’employeur détermine unilatéralement les conditions d’exécution du travail »221.
239.
Donc la Cour de cassation ne considère plus cette notion comme un critère du contrat
de travail, elle la rejette donc en tant que critère (A) mais elle lui accorde une fonction
d’indice dans l’identification du lien de subordination (B). Elle n’est donc pas complètement
obsolète.
A - Le rejet de la notion comme alternative au lien de subordination
240.
La notion « d'intégration dans un service organisé » est généralement présentée
comme l’œuvre de l’arrêt « Hebdo Presse » du 18 juin 1976222. Depuis lors, la jurisprudence
emploie régulièrement cette expression mais sa portée s’est amenuisée. La Cour de cassation
considère que le travail au sein d'un service organisé ne peut à lui seul déterminer
l'assujettissement au régime général de la Sécurité sociale223 , et ne peut donc constituer qu’un
simple indice de la subordination224.
241.
Dans une décision de 2003, la Cour de cassation a ainsi eu l’occasion de rappeler que,
ne constituant qu’un simple indice, l’intégration au sein d’un service organisé ne suffit pas à
caractériser un lien de subordination s’il n’est pas conforté par la démonstration d’autres
indices de la subordination : « après avoir justement fait ressortir que le statut social des
collaborateurs de la société découlait des conditions d'exercice de leur activité, relève que ces
derniers travaillaient sur la base d'un fichier clients préétabli par les salariés téléprospecteurs
de l'entreprise qui prenaient également les rendez-vous avec les clients, mais que ce service
221
Cass. Soc., 13 novembre 1996, dr. soc. 1996, p.1067, note J.-J. Dupeyroux, Grands arrêts n° 2. ; V.
aussi Cass. Soc., 1er juillet 1997, Bull. civ. V, n° 242 le cas d’un médecin dans une clinique privée ;
Ch. Mixte, 12 février 1999, dr. soc. 1999, p. 404, note Ch. Radé le cas d’un faux contrat de
collaboration entre un avocat et un cabinet ; Cass. Soc., 29 janvier 2002, dr. soc. 2002, p. 494, note J.
Savatier le cas d’un bénévole à la Croix Rouge ; V. encore Cass.soc., 23 janvier 1997 et Cass. 2e civ.,
4 déc. 2008, no 08-12.680
222
Cass. ass. plén., 18 juin 1976, no 74-11.210, Bull. civ. ass. plén., p. 13; D. 1977, 173, note A.
Jeammaud ; J.J. Dupeyroux, M. Borgetto, R. Lafore, Rolande Ruellan, Droit de la sécurité sociale,
Dalloz-Sirey, coll. « Précis Dalloz », 16° éd., 2008 p. 424
223
Cass. 2e civ., 4 déc. 2008, no 08-12.680
224
V. notamment Cass.soc., 16 avril 1992, Bull. civ. V, n°283, 27 mai 1992, Bull. civ. V, n° 345
87
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
organisé ne faisait pas obstacle à ce qu'ils organisent librement leur temps de travail et
assument la charge de leurs frais professionnels et de leur protection sociale conformément
aux clauses de leurs contrats d'agents commerciaux, et, décide que les intéressés n'étaient pas
placés dans un lien de subordination à l'égard de la société, de sorte que leurs rémunérations
n'étaient pas soumises aux cotisations du régime général de la Sécurité sociale »225.
B – Le recours à la notion comme indice du lien de subordination
242.
Bien que diminuée, la notion de service organisé continue donc de jouer un rôle
jurisprudentiel et, ne serait-ce que théoriquement ou potentiellement, constitue une notion
susceptible de concurrencer à nouveau la notion de lien de subordination. Pour l’heure il
convient de s’en tenir à la place réelle qu’occupe la notion de service organisé dans la
jurisprudence. Ainsi, la Cour de cassation a estimé que des particuliers qui « participaient à un
service de transport organisé, dont le conseil général déterminait unilatéralement les règles de
fonctionnement, rémunérés sur des bases forfaitaires imposées et exposés à des sanctions en
cas de défaillance dans l'exécution du transport »226pouvaient se prévaloir d’un contrat de
travail. L’indice du service organisé était en effet conforté par l’exercice d’un pouvoir
disciplinaire et d’une rémunération. Le rang de simple indice occupé par la notion de service
organisé est ainsi conforté.
243.
Dans un autre arrêt, déjà évoqué au sujet de l’horaire de travail, la Cour de cassation a
estimé que des travailleurs détachés pour travailler en France dans le cadre d'un service
organisé pouvaient se prévaloir de l’existence d’un contrat de travail car là encore d’autres
indices avaient été constatés par les juges du fond. À savoir qu’en l’espèce, l’employeur
déterminait les horaires unilatéralement et leur versait une rémunération227.
244.
Dans une interprétation a contrario il faut évoquer une décision de la Cour de cassation
dans laquelle elle avait refusé l’existence d’un contrat de travail au motif que les juges du
fond s’étaient borné à énoncer qu'ils étaient intégrés dans un service organisé. Cette
motivation jugée insuffisante n’a pas convaincu la Cour de cassation qui s’en est tenu à sa
jurisprudence classique et a rappelé que l'intégration au sein d’un service organisé ne peut
225
Cass. 2e civ., 9 déc. 2003, no 02-30.671 ; voir aussi Cass. 2e civ., 14 sept. 2006, no 04-30.649
Cass. 2e civ., 31 mai 2005, Bull. civ. II, no 135, p. 121
227
Cass. 2e civ., 8 mars 2005, no 03-30.324
226
88
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
constituer qu’un simple indice de l'existence du lien de subordination228 -et non un critère
concurrent de ce dernier.
245.
Là encore force est de constater que le lien de subordination constitue pour l’heure,
aux yeux des juges, le moins pire - et non le meilleur - critère dans la recherche d’un équilibre
entre sécurité juridique et protection du travailleur. Le défi des perspectives d’avenir est donc
de permettre une meilleure adéquation entre ces deux impératifs : sécurité juridique et
protection sociale.
Paragraphe 3 – La place des critères du droit communautaire
246.
Le travailleur fait l’objet de plusieurs règles protectrices issues du droit
communautaire mais force est de constater qu’il ne le définit pas et qu’il incombe donc à la
Cour de Justice des Communautés Européennes de combler ce vide juridique. Il convient
donc de présenter la jurisprudence communautaire (A) sur ce point pour comprendre les
raison de l’inapplicabilité de ces critères (B).
A – La jurisprudence communautaire
247.
Dans l’arrêt de principe Unger en 1964, la Cour de Justice des Communautés
Européennes a précisé qu’ « attendu que le traité, ayant institué, par les articles 48 à 51 la
libre circulation des « travailleurs » a de ce fait, conféré à ce terme une portée communautaire
[...] et que la notion de travailleur contenue aux dits articles relève non du droit interne, mais
du droit communautaire »229. Si ce terme a une portée communautaire la CJCE resserre
toutefois sa définition de la notion « aux dits articles », soit à la libre circulation.
248.
Il faut donc aussitôt souligner que la notion de travailleur salarié, hors l’application
des articles 48 à 51 du traité, reste définie le droit interne des États membres. La définition
communautaire demeure cantonnée à la protection du principe de la libre circulation des
travailleurs. Son intérêt ne porte donc pas tant sur son application en droit interne que sur son
228
Cass. 2e civ., 25 mai 2004, no 02-31.203, Bull. civ. II, no 233
229
CJCE, 19 mars 1964, aff. 75/63, Rec. p. 347.
89
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
éventuel apport théorique. Il convient donc de la présenter, ne serait-ce que pour cette
précision importante, mais aussi pour déterminer ce qu’elle pourrait apporter de plus que la
subordination juridique.
249.
Il faut pour ce faire commencer par évoquer l'arrêt Lawrie Blum, rendu en 1986 par la
CJCE. Dans cet arrêt la Cour a reconnu l'existence d'une relation de travail du fait qu’un
stagiaire se trouvait placé pendant toute la durée du stage sous la direction et la surveillance
d’un établissement qui lui imposait les prestations à accomplir et les horaires de travail. Il
devait au surplus exécuter les instructions sous peine d’être sanctionné230.
250.
Comme en droit interne, la reconnaissance du statut de salarié suppose donc
l'existence d'un lien de subordination entre le travailleur et celui qui le rémunère en retour.
Ainsi, la subordination constitue le critère déterminant de la qualité de travailleur que ce soit
au sens de l'article 39 du traité ou au sens du droit interne.
251.
L’arrêt précité démontre qu’à l’instar des juges français, l’analyse du juge
communautaire est également fondée sur des critères objectifs qui caractérisent la relation de
travail : « la caractéristique essentielle de la relation de travail est la circonstance qu'une
personne accomplit, pendant un certain temps, en faveur d'une autre et sous la direction de
celle-ci, des prestations en contrepartie desquelles elle touche une rémunération ». Cette
définition permet de faire la transition vers une autre exigence de la CJCE déjà énoncée dans
l'arrêt Levin en 1982 : « l'exercice d'une activité économique réelle et effective »231.
252.
Il faut noter que le statut juridique de l'employeur est indifférent puisque l’analyse du
juge communautaire se focalise sur l'existence d'une relation de travail de fait232. Comme en
droit interne, c’est donc la méthode du faisceau d'indices qui prévaut. La jurisprudence relève
donc de la casuistique puisque dans chaque affaire des éléments différents devront être mis en
230
CJCE, 3 juillet 1986, précité, point 18
CJCE 23 mars 1982 Levin aff. 53/81
232
CJCE, 15 décembre 1995, Bosman, aff. C-415/93, Rec. p. I-4921, point 75; V. JCP E, 1996,
chron., n° 565, p. 249, note P.-H. Antonmattéi
231
90
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
perspective. Il peut s’agir, comme dans l'arrêt Agegate, de la participation aux risques de
l'entreprise, de la liberté de fixer ses horaires ou de recruter du personnel233.
B – L’inapplicabilité des critères communautaires
253.
Le droit communautaire ne définit donc pas le travailleur salarié par référence au
contrat de travail mais par référence à la relation de travail, voire par l’appartenance à une
profession234. G. Lyon-Caen observe que « le travailleur salarié est ainsi caractérisé par la
cour de justice non par le contrat mais par la profession »235 ce qui lui permet d'appréhender
toute forme de travail subordonné, actuelle ou future. En effet la cour de justice considère que
le traité tend à protéger aussi le travailleur qui « ayant quitté son emploi est susceptible d’en
occuper un autre »236.
254.
Cette approche n'est pas et ne peut pas être totalement partagée par le droit du travail
français, car il poursuit des finalités différentes. Le droit communautaire ne se préoccupe que
de la libre circulation tandis que le droit du travail français vise, dans son fondement, la
protection du salarié en tant que partie faible dans le contrat de travail. Il conserve donc, peutêtre nécessairement, une approche contractuelle du lien d’emploi237 et reste ainsi tributaire du
besoin de sécurité juridique.
255.
Les critères communautaires ne sont donc pas déterminants en droit interne et ne
concurrence pas le lien de subordination. En effet le travailleur à la recherche d’emploi n’a
pas besoin d’être protégé d’un harcèlement moral ou sexuel, d’heures supplémentaires
abusives, ou d’un licenciement abusif. Le droit du travail français peut néanmoins présenter
une exception pouvant le rapprocher du droit communautaire concernant la discrimination à
233
CJCE 14 déc. 1989 The Queen contre Ministry of Agriculture aff. C-3/87, Rec. p. 4459, point 36.
V. aussi : CJCE, 25 juillet 1991, Ayuntamiento de Sevilla, aff. C-202/90, Rec. p. I-4247, point 13
234
CJCE, 19 mars 1964, Unger, Rec. 349, dr.soc.1973, p. 658, obs. G. Lyon-Caen
235
G. Lyon-Caen, Le droit du travail non salarié, Sirey, 1990, p. 80
236
CJCE, 19 mars 1964, Unger, Op. cit.
237
A. Jeammaud ; M. le Friant, A. Lyon-Caen, « L'ordonnancement des relations de travail », D.
1998, p. 359 ; P. Durand et A. Vitu, Traité de droit du travail, Dalloz, 1950, n° 114 et s.
91
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
l’embauche puisqu’il protège le simple candidat à l’emploi des abus de l’employeur pressenti
en dehors de tout contrat de travail238.
256.
La
jurisprudence
communautaire
se
caractérise
donc
par
une
acception
particulièrement large de la notion de travailleur ce qui garantit les libertés au plus grand
nombre239. Mais cette conception reposant sur le seul besoin de garantir le respect de la libre
circulation des travailleurs, elle ne peut servir de modèle d’inspiration en droit interne. Sa
conception large ne génère, en pratique, pas d’insécurité juridique mais au contraire de la
liberté (liberté de circuler).
257.
En droit interne, la notion de travailleur salarié repose au contraire sur le compromis
déjà évoqué entre protection sociale et sécurité juridique. Une conception trop large
déstabiliserait donc cet équilibre en réduisant à néant la sécurité juridique (redressements,
travail dissimulé, requalifications, dommages-intérêts). Une conception trop rigide
déstabiliserait également cet équilibre en privant de protection sociale tout un pan de la
population active.
238
Articles L.1132-1 du code du travail ; V. P.-H. Antonmattéi, Les opérations de recrutement, rev.
droit du travail et de la sécurité sociale n°12, p.1-2, 01/12/1994 ; La protection du travailleur qui
« ayant quitté son emploi est susceptible d’en occuper un autre » peut également présenter des
similitudes de fond avec le droit de la Sécurité sociale, notamment l’assurance chômage particulièrement le nouveau dispositif d’aide au retour à l’emploi (ARE) – et le dispositif du revenu de
solidarité active (RSA). Ces deux dispositifs visent à protéger des travailleurs sans emploi mais actifs
et qui sont censé aspirer à une reprise d’activité.
239
V. sur ce thème : E. Soubayroux, La libre circulation des travailleurs dans l’Union Européenne
élargie, Mémoire de fin d’études, séminaire droit constitutionnel de l’Union européenne, Université
Lumière Lyon II, 21/06/2006 ; La notion de travailleur salarié en droit Communautaire : une notion en
devenir, B. Reynès in Mélanges dédiés au président M. Despax, Presses de l’Université des Sciences
sociales de Toulouse, p. 239
92
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
TITRE 2
LA RELATIVISATION DU LIEN DE SUBORDINATION
258.
La relativisation du lien de subordination juridique résulte de deux phénomènes
majeurs : le recours à la main d’œuvre non subordonnée (chapitre 1) et l’extension du salariat
hors lien de subordination (chapitre 2).
259.
Dans le premier cas, cette relativisation de l’importance du lien de subordination
juridique tient au fait que la production s’organise de plus en plus de manière à en empêcher
les manifestations. Le but étant souvent de bénéficier de plus de flexibilité ou de trouver une
solution alternative à l’applicabilité du droit du travail. S’il était poussé à l’extrême, ce
processus conduirait donc à la disparition totale du lien de subordination voire du contrat de
travail et du salariat. Ce n’est évidemment pas le cas, et il y a même peu de chance pour que
le processus atteigne ce degré d’intensité. Il est toutefois bien réel, qu’il s’agisse du rejet de la
subordination par utilisation de l’externalisation ou qu’il s’agisse d’exclusions du contrat de
travail par détermination de l’activité.
260.
Dans le second cas, la relativisation de l’intérêt du lien de subordination juridique est
marquée par une diffusion croissante du droit du travail en dehors de tout contrat de travail et
donc de tout lien de subordination. C’est particulièrement vrai en ce qui concerne la plupart
des règles relatives à l’hygiène, à la sécurité, ou encore à la protection de libertés et droits
fondamentaux. Ces règles s’étendent par exemple au contrat d’entreprise et pénètrent même
une partie du droit de la fonction publique. Cette extension du salariat hors lien de
subordination est également favorisée par le développement du système de présomption
légale. Les travailleurs qui exercent leur activité dans certains domaines sont donc soit
présumés soit assimilés à des salariés. Le lien de subordination juridique est ainsi relativisé
car ce sont alors d’autres critères, expressément prévus par la loi, qui le remplace.
CHAPITRE 1. LE RECOURS À LA MAIN D’ŒUVRE NON SUBORDONNÉE
CHAPITRE 2. L’EXTENSION DU SALARIAT HORS LIEN DE SUBORDINATION
93
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
CHAPITRE 1
LE RECOURS À LA MAIN D’ŒUVRE NON SUBORDONNÉE
261.
Ces dernières décennies, le marché de l’emploi a été marqué par un phénomène en
développement. Il s’agit de l’extériorisation, ou pour employer une terminologie plus
moderne de l’externalisation de l'emploi240. Cette pratique consiste à faire exécuter certaines
tâches secondaires par des prestataires de service. Il peut tout autant s’agir de travailleurs
indépendants, de sous-traitants ou d’entreprises de service. Cette externalisation évite donc de
recourir systématiquement au contrat de travail lorsque ce recours ne s’avère pas strictement
nécessaire.
262.
Cette pratique rencontre d’autant plus de succès que le droit du travail se complexifie
(malgré la recodification du code du travail) et comporte toujours un risque financier pour
l’employeur car la Chambre sociale de la Cour de cassation aurait parfois tendance à créer le
droit plus qu’à l’interpréter241. Parallèlement à cette pratique d’externalisation se développe
également le recours direct à des travailleurs accomplissant une prestation de travail mais théoriquement - sans être liés par un contrat de travail. Il est ici fait référence aux bénévoles
ou encore aux stagiaires.
263.
Il existe donc un double phénomène d’exclusion du salariat de la part des entreprises ;
celui de l’externalisation du travail et celui du recours direct à une main d’œuvre hors contrat
de travail. Pourtant, l’évitement du contrat de travail n’est pas la panacée car les entreprises
dérivent parfois vers un contournement frauduleux du contrat de travail dont la qualification
240
L'entreprise éclatée : Le Monde, 24 avr. 1991 ; P.-H. Antonmattéi, Externalisation d'activité et
application de l'article L. 1221-1 du Code du travail : revirement de jurisprudence dans le secteur des
établissements de santé, Revue Lamy Droit des affaires, n°41, p. 58- 59, 01/08/2009
241
L. Cruciani, Existe-t-il une politique sociale de la chambre sociale de la Cour de cassation ?,
mémoire de DEA, Paris, 1997 ; C. Fernandes, Les revirements de jurisprudence de la chambre sociale
de la Cour de cassation, mémoire de DEA, Paris, 1999 ; V.aussi : P.-H. Antonmattéi, Bref retour sur la
jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de Cassation in Mélanges en l’honneur de Christian
Mouly, Éd. Litec, 1998
94
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
est d’ordre public. Qu’il s’agisse d’exclusions du contrat de travail par détermination de
l’activité (Section 1) ou d’exclusions par l’externalisation du travail (Section 2) ces pratiques
génèrent dans la plupart des cas un risque de requalification en contrat de travail qu’il est
d’autant plus difficile de maîtriser que la notion de lien de subordination est une notion à
géométrie variable.
95
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
SECTION I – LES EXCLUSIONS PAR DÉTERMINATION DE L’ACTIVITÉ
264.
L’exclusion du contrat de travail fait référence ici à deux réalités ; celle de l’exclusion
du travail à finalité sociale (paragraphe 1), par exemple le travail en centre d’aide par le
travail, et celle de l’exclusion du travail non rémunéré (paragraphe 2). Ces pratiques
permettent de bénéficier d’une main d’œuvre hors contrat de travail.
Paragraphe 1 – Le travail à finalité sociale
265.
Le travail à finalité sociale est ici entendu comme une activité ayant pour but une
insertion ou une réinsertion de différentes catégories de personnes. Les exclusions qui en
découlent permettent pour certaines d’éviter la qualification du contrat de travail. Mais pour
d’autres il apparaîtra que malgré la réunion des critères classiques du contrat de travail,
notamment le lien de subordination, le juge ne peut pas requalifier la relation. Ces modes
d’exclusion du contrat de travail permettent ainsi de distinguer le travail en centre d’aide par
le travail (A), le travail pénitentiaire (B) et le travail d’intérêt général (C).
A - Travail en Centre d’Aide par le Travail
266.
Les Centres d'Aide par le Travail sont des établissements et services d'aide par le
travail242 qui ont pour mission la prise en charge de personnes handicapées dans le cadre d’un
apprentissage par le travail243. Les travailleurs étant des usagers d'une structure médicosociale ils ne peuvent pas - en principe - être considérés comme titulaire d’un contrat de
travail.
242
E.S.A.T.
Loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002 rénovant l'action sociale et médico-sociale ; Articles L 344-2 à
L.344-6 du Code de l'action sociale et des familles ; Décret n° 77-1546 du 31 décembre 1977 modifié
par le Décret n° 93-669 du 26 mars 1993 et le Décret n° 95-714 du 9 mai 1995 relatif aux centres
d'aide par le travail ; Circulaire 60AS du 8 décembre 1978 relative aux centres d'aide par le travail ; V.
http://www.cat-unapei.org
243
96
Ͳ
267.
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
Ainsi que le rappelle la circulaire 60 AS du 8 décembre 1978 « il n'y a pas de contrat
de travail ni d'embauche au sens où l'entend le code du travail »244. L'admission dans un de
ces établissements résulte en effet d’une décision de la C.O.T.O.R.E.P. Dans cette logique les
travailleurs ne sont pas susceptibles de recevoir les sanctions disciplinaires connues en droit
du travail. Mais si le travailleur n'est pas « à même de tirer profit de sa présence en C.A.T » le
directeur peut saisir la C.O.T.O.R.E.P, qui décidera ou non d’une réorientation. La
réorientation ne doit donc, en principe, surtout par être motivée par des considérations
lucratives mais par l'intérêt du travailleur.
268.
La Cour de cassation confirme cette exclusion du salariat en soulignant que « les
travailleurs handicapés ne sont pas liés aux Centres d’Aide par le Travail par un contrat de
travail »245. En dépit de l’inexistence d’un contrat de travail, un décret du 31 décembre 1977
prévoit toutefois que les règles relatives à l'hygiène, à la sécurité et à la médecine du travail
sont applicables à ces centres. C’est donc un exemple de dissociation entre l’application du
droit du travail et le salariat. Par contre le décret n° 2004-287 du 25 mars 2004 prive les
travailleurs des institutions représentatives du personnel classiques. Ils doivent donc s’orienter
vers le Conseil de la Vie Sociale qui remplace désormais les Conseils d'Etablissement.
269.
Un malaise semble pourtant exister. Il est martelé que les « C.A.T. sont surtout des
lieux d’éducation, de soins, d’adaptation au travail, à ce titre, ils n’ont pas à être
rentabilisés »246. Pourtant tous les éléments du contrat de travail sont bien présents, et les
exclusions faites par les circulaires, outre le fait qu’elles ne sont pas opposables aux
travailleurs handicapés, témoigne dans leurs répétitions d’un besoin de présenter comme
évident ce qui ne l’est point.
270.
Selon A. Simon, la cause de cette dérive tient peut-être au fait que « les enjeux
économiques sont tels qu’ils semblent être devenus la préoccupation majeure de ces
établissements, au détriment de leur vocation sociale, traduisant une dérive industrielle et
commerciale du secteur de travail protégé. […] Les établissements de travail protégé, dont les
C.A.T., sont donc de plus en plus souvent amenés à concurrencer dans certains domaines les
244
V. encore circulaire 21 février 1987, JO 3 mars
Cass. Soc., 18 mars 1997, Dr. Soc. 1997, p. 525, observations P.-Y. Verkindt
246
JO Avis et Rapports du Conseil économique et social, 29 mai 1979, p. 861
245
97
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
entreprises du milieu ordinaire qui critiquent cette concurrence déloyale »247. Ainsi, selon M.-
C. Villeval, il y a « des marchés à conclure, des prix à fixer, des cadences à tenir et une
qualité à respecter [ainsi] le développement du milieu de travail protégé correspond aussi à
une tendance capitaliste, même s’il est géré selon un mode particulier »248.
271.
Dès lors, les travailleurs handicapés accueillis dans les C.A.T. se rapprochent d’autant
plus de travailleurs handicapés salariés que les C.A.T. s’apparentent de plus en plus à des
entreprises puisqu’ils sont animés par la recherche d’un profit. Pour preuve, « la recherche
d’une meilleure productivité conduit d’ailleurs, depuis plusieurs années les établissements de
travail protégé à modifier leurs modes de recrutement au profit de handicaps moins lourds, de
type handicaps sociaux, avec des capacités de production supérieures, et à déterminer les
conditions d’évolution et d’organisation des travailleurs handicapés entre les différents postes
de travail en fonction de leur rendement et non en fonction d’une recherche d’évolution
sociale »249.
272.
La recherche du profit dépasse alors l’objectif social et donc la qualité de patient ne
devrait plus, économiquement, juridiquement et moralement être un obstacle à la qualification
d’un contrat de travail lorsque tous les critères sont identifiés.
B - Le travail pénitentiaire
273.
Selon l’article L.717-3 alinéa 3 du code de procédure pénale250 : « Les relations de
travail des personnes incarcérées ne font pas l'objet d'un contrat de travail. Il peut être dérogé
à cette règle pour les activités exercées à l'extérieur des établissements pénitentiaires. » Le
travail conçu en tant que sanction pénale puise ses origines dans les galères et le bagne des
forçats251.
247
A. Simon, Op.cit., p.204
MC Villeval, Politique sociale et emploi des personnes handicapées, RF aff. Soc. 1983, p.7
249
A. Simon, Op.cit., p.204
248
250
Loi n°2005-1549 du 12 décembre 2005 - art. 9, JORF 13 décembre 2005.
E. Shea, Le travail pénitentiaire, un défi européen: étude comparée : France, Allemagne et
Angleterre, Thèse de doctorat, Université Strasbourg III, 2005 ; E. Shea, Les paradoxes de la
normalisation du travail pénitentiaire en France et en Allemagne in Déviance et Société, Volume 29,
2005/3
251
98
Ͳ
274.
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
Pourtant, aujourd’hui, « le travail pénitentiaire s’entend du travail accompli dans le
cadre d’une peine privative de liberté […] distinct de la peine (à savoir l’enfermement) et
diffère ainsi du travail pénal c'est-à-dire du travail entendu comme peine. »252. En effet selon
la formule célèbre « La prison c'est la privation de la liberté d'aller et de venir et rien
d'autre »253.
275.
Depuis l'entrée en vigueur de la loi du 22 juin 1987 relative au service public
pénitentiaire, le travail des détenus n'est plus obligatoire en France, mais le code de procédure
pénale dispose que « toutes dispositions sont prises pour assurer une activité professionnelle
aux personnes incarcérées qui le souhaitent ». Mais les dispositions du droit du travail, dont
certaines ont une origine constitutionnelle254, ne franchissent pas les murs de la prison et ne
sont donc pas applicables puisque la loi exclue le contrat de travail dans ce cas de figure.
276.
C'est en particulier le cas de la rémunération puisqu’elle est généralement de l'ordre
d'un euro par heure, soit bien inférieure au SMIC. Si le droit du travail n’est pas applicable,
faute de contrat de travail, exception est pourtant faite pour les règles générales relatives à
l'hygiène et à la sécurité. Certains y voit donc un paradoxe et une forme d’hypocrisie ayant
pour effet de légaliser une forme d’esclavage moderne : « À défaut de droit reconnu, le
travail en prison n’est qu’une amère servitude quasi volontaire et une peine supplémentaire
illégitime»255.
277.
La Chambre sociale de la Cour de cassation s’est déclarée incompétente pour statuer
sur le sort d’une personne incarcérée qui avait travaillé trois semaines pour le compte d’une
entreprise et avait perçu 30,53 euros. Il pourrait cependant être remarqué que même en
l’absence de contrat de travail et donc de lien de subordination, l’article 225-13 et suivants du
Code pénal prévoit que « le fait d'obtenir d'une personne, dont la vulnérabilité ou l'état de
dépendance sont apparents ou connus de l'auteur, la fourniture de services non rétribués ou en
échange d'une rétribution manifestement sans rapport avec l'importance du travail accompli
est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 150 000 Euros d'amende ». Le texte n’exige pas
252
A. Bonduel, Le droit du travail pénitentiaire, Mémoire DEA, Lille, 2002
Valéry Giscard d'Estaing
254
Préambule de la Constitution de 1946
255
Ban Public, Accès au droit du travail pour la main d’œuvre illégale de l’Etat, association pour la
communication sur les prisons et l’incarcération en Europe
253
99
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
de contrat de travail, le rempart de l’article L.717-3 alinéa 3 du code de procédure pénale
excluant l’existence d’un contrat de travail devrait donc dans ce cas s’avérer inefficace256.
278.
Pour conclure, il faudra retenir que la loi exclût le contrat de travail dans une situation
où sont pourtant réunis les trois critères du contrat de travail : une rémunération, une
prestation de travail au profit d’autrui (dans le but théorique de subvenir au besoin du
travailleur puisque pas obligatoire) et surtout un lien de subordination juridique car le travail
des détenus est dirigé, peut être contrôlé et donner lieu à des sanctions.
C - Les travaux d’intérêt général
279.
Ils ont été institués par la loi n° 83-466 du 10 juin 1983. Il s’agit d’une alternative à
la privation de liberté lorsque celle-ci ne s’avère pas indispensable, eu égard à la nature de
l’infraction et à la personnalité du condamné. Cette sanction prend la forme d’un travail non
rémunéré pour le compte d’une collectivité, d'un établissement public ou d'une association.
280.
Cette sanction permet donc à la personne condamnée de conserver une vie sociale et
familiale, tout en effectuant une activité au profit de la société. Dans ce cas, l’exclusion du
contrat de travail paraît donc moins critiquable, dans le sens où le T.I.G. résulte d’un choix
librement consenti des modalités d’exécution d’une peine. Il est en cela totalement étranger à
l’attente d’une rémunération ou à toute relation contractuelle au sens civiliste du terme. Enfin,
de même que pour les travailleurs en C.A.T., les dispositions du code du travail relatives à
l’hygiène et à la sécurité sont applicables, ce qui illustre encore un cas de dissociation entre le
droit du travail et le contrat de travail.
281.
Pour conclure, il s’agit d’hypothèses où l’identification d’un contrat de travail au
moyen des critères classiques serait dans la plupart des cas aisée si la volonté du législateur ne
256
S’il est vrai qu’en vertu de l’article 4 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme « nul ne
peut être tenu en esclavage ni en servitude. Nul ne peut être astreint à accomplir un travail forcé ou
obligatoire ». La convention précise que « n'est pas considéré comme travail forcé ou obligatoire au
sens du présent article tout travail requis normalement d'une personne soumise à la détention dans les
conditions prévues par l’article 5 de la présente Convention, ou durant sa mise en liberté
conditionnelle […] ». Sur ce point, V. D. Szymczak, Europe, La Semaine Juridique Administrations et
Collectivités territoriales n° 49, 5 déc. 2005, 1375 (à propos de CEDH, 26 juill. 2005, n° 73316/01,
Siliadin c/ France )
100
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
s’y opposait pas. Cela dépasse donc le cadre de la problématique du lien de subordination
comme critère du contrat de travail mais permet de constater que l’application du droit du
travail n’est pas nécessairement tributaire de l’existence d’un contrat de travail, ni même
d’une relation contractuelle. À contrario la réunion des critères du contrat de travail ne permet
pas systématiquement de se prévaloir d’un contrat de travail puisqu’ une loi spéciale peut
faire écran.
Paragraphe 2 – Le travail non rémunéré
282.
Le travail non rémunéré peut être décliné sous quatre catégories distinctes. Il s’agira
dans cette partie de présenter, à titre non exhaustif, les cas du bénévolat et du volontariat (A),
de l’entraide ou assistance (B), et des stages (C).
A - Bénévolat et le volontariat
1 – Le bénévolat
283.
D’un point de vue étymologique ce mot provient du latin benevolus - bonne volonté -
mais la loi ne définit pas le bénévolat. Il pourrait éventuellement entrer dans le cadre du
contrat de bienfaisance257. Cette idée se retrouve dans la jurisprudence puisqu’elle considère
que le bénévolat se distingue par l’intention fondamentalement désintéressée du travailleur, ce
qui le rend incompatible avec un contrat à titre onéreux comme le contrat de travail. Le statut
des bénévoles se caractérise ainsi par l’accomplissement d’une prestation de travail non
rémunérée.
284.
La jurisprudence témoigne toutefois d’un contentieux important quant à la distinction
entre bénévolat et contrat de travail258. Un faux bénévolat peut en effet résulter à la fois d’une
257
C. civ., art. 1105
Th. Aubert-Monpeyssen, Les frontières du salariat à l'épreuve des stratégies d'utilisation de la force
de travail, dr. soc., 1997, n° 6, p. 616 ; V. BICC n° 459 du 15/10/1997 ; D. Asquinazi-Bailleux, La
difficile distinction du contrat de bénévolat et du contrat de travail, RJS 12/2002, p. 983 ; G. Gaudu,
Du statut de l’emploi au statut de l’actif, Dr. soc. 1995, p. 535 ; O. Giraud, L’exemple de la
Communauté Emmaüs, CSB spéc. juill.-août 2002, p. 33 ; J. Savatier, Entre bénévolat et salariat : le
258
101
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
intention frauduleuse de l’employeur, qui espère faire des économies de main d’œuvre tout en
contournant le droit du travail et le paiement de cotisations sociales. Mais il peut également
résulter de la turpitude du salarié, s’il perçoit une rémunération alors qu’il bénéficie des
prestations de l’assurance chômage.
285.
Les risques de requalification dans ce domaine sont donc réels et souvent le fruit de
redressement de l’URSSAF au titre des cotisations sociales non perçues. À titre d’illustration,
les médias ont récemment rapporté que l'URSSAF avait opéré un « redressement colossal du
festival de Clermont au prétexte que les 26 euros de frais de repas journaliers que perçoivent
les quelque 230 bénévoles constitueraient une forme de salaire, et que les réunions
d'information et les cadrages horaires indispensables à leur activité durant les neuf jours du
festival indiqueraient un lien de subordination qui définit les relations entre un salarié et son
employeur »259.
286.
Incontestablement, bénévolat et contrat de travail impliquent la fourniture d’une
prestation de travail. Mais pour qu’un bénévole puisse être qualifié de salarié il faut que cette
prestation de travail ait donné lieu à rémunération, et surtout il ne peut être fait l’économie de
la preuve d’un lien de subordination.
287.
La Cour de cassation a ainsi eu l’occasion de préciser qu’en intégrant la communauté
d'Emmaüs, le compagnon se soumettait aux règles d'accueil de la vie communautaire et que sa
simple participation à un travail destiné à son insertion sociale était - dans les circonstances exclusive de tout lien de subordination260. Mais le statut associatif ne saurait constituer une
statut des volontaires pour le développement, Dr.soc. 2000, p. 146 ; X. Delsol, Quel statut social pour
le travail communautaire ?, CSB spéc. juill.-août 2002, p. 39 ; B. Robilliard-Lastel, Bénévolat et
volontariat, CSB 2002, D. 9, no 141, p. 273 ; P. Pochet, Assistance et contrat de travail, TPS, déc.
2002, chron. n° 16, p. 4 ; A. Garay, Bénévolat et travail communautaire, CSB 2002, D. 6, n° 139, p.
157 ; Vie communautaire et contrat de travail, dr. soc. 2001, p. 798 ; Fortier, Le travail communautaire
au regard de la jurisprudence de la Cour de cassation, CSB spéc. juill.-août 2002, p. 41 ; M. Morand et
Ph. Coursier, Le contrat de travail solidaire, dr. soc. 2003, p.155 ; La distinction du contrat de travail
et des services bénévoles fournis dans le cadre d’une association, dr. soc. 2002, p. 494 ; C. Willmann,
L’activité bénévole du chômeur, dr. soc. 1999, p. 162 ; Le service gratuit à la recherche de son contrat,
RD sanit. soc.1999.350
259
D. Widemann, Liberté, égalité, fraternité, l’Humanité, 7 février 2009
260
Cass. soc., 9 mai 2001; JCP E 2001, p. 1777, note D. Boulmier ; V. aussi dr. soc. 2001, 798, note J.
Savatier ; D. 2002, jurispr. p.1705, note E. Alfandari ; dans le même sens, Cass. soc., 31 mai 2001,
Assoc.CASC : RJS 11/01, n° 1336 ; Rev. dr. san. soc. 2002, p. 68, obs. P.-Y. Verkindt; Cass. soc., 31
102
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
paroi étanche entre le bénévole et le bénéficiaire de la prestation de travail. Leur relation reste
susceptible d’être requalifiée en contrat de travail. Le bénévolat est donc susceptible de
requalification en contrat de travail et des sanctions pour travail dissimulé261 notamment s’il
ressort des « conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité de ce dernier » qu’il
existait un lien de subordination262. Pour reprendre l’expression de D. Boulmier, un « contrat
dit de bénévolat en faveur d'une association n'exclut pas l'existence d'un contrat de travail »263.
288.
Cette règle a été rappelée par la Cour de cassation à propos de bénévoles de
l’association Croix rouge française. Dans cette affaire la chambre sociale s’est fondée sur les
constatations souveraines des juges du fond qui avaient relevé que « les intéressés effectuaient
un travail d'accompagnement des voyageurs sous les ordres et selon les directives de
l'association, qui avait le pouvoir d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements
éventuels, mais encore que les intéressés percevaient une somme forfaitaire dépassant le
montant des frais réellement exposés »264 .
289.
Le statut des bénévoles demeure donc fragile comme en témoigne un arrêt plus récent
en défaveur de la communauté Emmaüs265. Aux termes de cet arrêt « semble désormais
mai 2001 : JCP E 2002, 414, chron. G. Vachet : « les intéressés étaient bénévoles, n'avaient aucun
horaire de travail, géraient eux-mêmes leurs activités, choisissaient les activités et orientations à mettre
en œuvre, ne recevaient aucune instruction pour le travail et participaient aux activités selon leur bon
vouloir et selon les modalités qu'ils déterminaient eux-mêmes, et que les conditions de cette
participation excluaient l'existence d'un lien de subordination »
261
Cass. soc. 17 avr.1991, RJS 5/1991, n° 640 ; 23 janv. 1997, RJS 3/1997, n° 245 ; CA Versailles, 9
juin 1998, RJS 10/1998, n° 1319 ; Cass. soc.19 déc. 2000, RJS 3/2001, n° 275
262
Cass. soc. 27 oct. 1959, Bull. civ. IV, n° 1068 ; Cass. soc. 9 mai 2001, RJS 7/2001, n° 825 ; 31 mai
2001, RJS 11/2001, n° 1336 ; Cass. soc. 23 janv. 1997, RJS 3/1997, n° 245 ; V. également Décret n°
2009-863 du 14 juillet 2009 relatif à l'agrément des organismes d'accueil communautaire et d'activités
solidaires, JORF n° 0162 du 16 juillet 2009 p.11849
263
D. Boulmier, un contrat dit de bénévolat en faveur d'une association n'exclut pas l'existence d'un
contrat de travail, la semaine juridique entreprise et affaires n° 12, 21 mars 2002, 497
264
Cass. soc., 29 janvier 2002 ; Association Croix rouge française c/ Huon et a., ; V. D. Boulmier, un
contrat dit de bénévolat en faveur d'une association n'exclut pas l'existence d'un contrat de travail, la
semaine juridique entreprise et affaires n° 12, 21 mars 2002, 497
265
. Cass. 2e civ., 20 sept. 2005, n° 1347 FS-D, Assoc. Compagnons bâtisseurs c/ Urssaf d'Ille-etVilaine et a. L. n° 2006-586,23 mai 2006 : Journal Officiel 25 Mai 2006
103
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
condamnée la jurisprudence Emmaüs qui admettait qu'il n'y avait pas de lien de subordination
entre le compagnon et sa communauté »266.
290.
Le gouvernement a toutefois entrepris des réformes visant à sécuriser le statut des
bénévoles. Il s’agit de la loi n° 2006-586 du 23 mai 2006 relative au volontariat associatif et à
l'engagement éducatif mais concernant plus particulièrement le bénévolat, du décret n° 2009863 du 14 juillet 2009 relatif à l'agrément des organismes d'accueil communautaire et
d'activités solidaires267. Cette nouvelle disposition offre plus de sécurité aux bénévoles et
associations bénéficiant de l’agrément. Toutefois ces dispositions n’éludent pas complètement
le risque de requalification ni la jurisprudence classique.
291.
En effet, ce décret fonctionne sur un mécanisme comparable au rescrit social. Ainsi
pour obtenir l’agrément protecteur du décret de 2009, l’association doit présenter « un dossier
précisant les règles de vie communautaire, les caractéristiques des personnes accueillies
auxquelles s'appliquent ces règles, les modalités de participation des personnes accueillies à
des activités solidaires, le soutien financier qu'elles reçoivent et, le cas échéant, leur
participation financière à la vie communautaire, les conditions dans lesquelles la santé et la
sécurité au travail de ces personnes sont garanties, et les autres activités de l'organisme ou du
groupement demandeur »268.
292.
Beaucoup d’autres informations sont demandées de sorte qu’en cas d’inspection, s’il
ressort des divergences entre les déclarations fournies et la réalité, l’association pourrait se
voir retirer l’agrément et donc la protection du décret. Lors d’un contrôle, il pourrait ainsi
ressortir « des modalités de participation des personnes accueillies à des activités
solidaires »269 qu’il existe un lien de subordination non entre l’association et le bénévole. Il
sera donc intéressant d’opérer une veille juridique sur l’interprétation à venir des dispositions
de ce décret.
266
G. Vachet Droit de la sécurité sociale, La Semaine Juridique Entreprise et Affaires n° 29, 20 Juillet
2006, 2129
267
JORF n°0162 du 16 juillet 2009 page 11849
268
Décret n° 2009-863 du 14 juillet 2009 relatif à l'agrément des organismes d'accueil communautaire
et d'activités solidaires
269
Ibid.
104
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
2 - Le volontariat associatif
293.
Le législateur s'est inspiré du contrat de volontariat de solidarité internationale institué
par la loi n° 2005-159 du 23 février 2005270 pour mettre en place le contrat de volontariat
associatif. Il s’agit d’un contrat passé entre une personne physique et une association ou une
fondation reconnue d'utilité publique. Il s’agit donc d’un contrat spécial qui fait l’objet d’une
réglementation et dont l’objet est d’encadrer une collaboration désintéressée entre le
volontaire et l’organisme agréé. Toutefois ce contrat ne constitue pas un contrat de travail et
n’est donc pas soumis au code du travail271. Il se rapproche en cela de la convention de stage.
Le volontaire doit satisfaire à des conditions définies par la loi n° 2006-586 du 23 mai 2006. Il
doit s’engager dans une mission d'intérêt général et l'association, ou la fondation, doit être
agréée par l'Etat. Dans ces conditions le volontaire peut recevoir une indemnité mensuelle qui
ne peut être supérieure à un plafond fixé par décret.
294.
L’intérêt de ce contrat réside donc dans la possibilité de prévoir une indemnisation en
contrepartie de l’accomplissement d’une prestation de travail, sans que cette relation soit
susceptible d’être requalifiée en contrat de travail. De plus, la rémunération perçue n’est pas
soumise à l'impôt sur le revenu ni aux cotisations de sécurité sociale. Le volontaire bénéficie
pourtant d'une protection sociale complète. La loi est encore récente, mais il est certain que le
risque de requalification est en substance comparable à celui pesant sur les conventions de
stage ou les contrats de bénévolat conclus par les associations agrémentées au titre du décret
n° 2009-863 du 14 juillet 2009.
B - Entraide et assistance
295.
Les relations impliquant la fourniture d’un travail non rémunéré peuvent encore
consister en une entraide, qu’elle soit d’origine familiale, amicale ou professionnelle. Elle
peut même relever du devoir d’assistance dans le cadre du contrat de mariage.
270
Journal Officiel 24 Février 2005 ; JCP G 2005, act. 120 et 168
Loi n° 2006-586 du 23 mai 2006 relative au volontariat associatif et à l'engagement éducatif ;
Décret n° 2006-1205 du 29 septembre 2006 pris pour l'application de la loi n° 2006-586 du 23 mai
2006 et relatif au volontariat associatif ; Décret n° 2006-1206 du 29 septembre 2006 relatif aux titresrepas du volontaire associatif et aux chèques-repas du bénévole prévus par les articles 11 et 12 de la
loi n° 2006-586 du 23 mai 2006 relative au volontariat associatif et à l'engagement éducatif.
271
105
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
1 - Le devoir d’assistance dans le cadre du contrat de mariage
296.
Lorsqu’un époux fournit une prestation de travail au profit de son conjoint cela exclut,
par présomption, tout contrat de travail en vertu du devoir mutuel d’assistance entre époux272.
Cette présomption est renforcée lorsque par exemple les époux ont expressément convenu de
l’absence de rémunération ou d’une rémunération inférieure au SMIC273. Mais il s’agit d’une
présomption simple pouvant être renversée s’il apparaît que les parties ont eu la volonté
d’établir une telle relation contractuelle, celle-ci pouvant alors se superposer sans se substituer
aux obligations du contrat de mariage.
297.
La loi n° 82-596 du 10 juillet 1982 relative aux conjoints d'artisans et de commerçants
travaillant dans l'entreprise familiale avait institué l’ancien article L.784-1 du Code du travail.
Cet article prévoyait une présomption de contrat de travail274 mais cet article ayant été abrogé
suite à la recodification [à droit constant?], le conjoint salarié du chef d'entreprise est
désormais visé dans le seul Code de commerce275. Malheureusement celui-ci ne donne pas les
critères d’identification du conjoint salarié, ce que faisait l’ancien article L.784-1, ni n’établit
de présomption de contrat de travail.
298.
Le statut de conjoint salarié était alors applicable même en l’absence de lien de
subordination, si les trois conditions cumulatives du texte étaient remplies276. Ces critères adhoc ont aujourd’hui disparu du Code du travail ce qui rend nécessaire d’apporte la preuve plus
difficile d’un lien de subordination. « Cela ne peut être le fruit que d’une grossière erreur qui,
souhaitons-le, sera rapidement réparée »277.
272
C. civ., art. 212
V. C. trav.art. L. 784-1 ; V. également : Cass. soc. 6 nov. 2001, RJS 1/2002, n° 1 (a contrario) ; D.
2002.987, note P. Rossi, Contrat de travail et lien de subordination entre époux ou entre partenaires
liés par un PACS, D. 2002.987 ; rappr. Cass. soc. 16 févr. 1999, RJS 3/1999, n° 370 ; V. encore Cass.
soc. 27 mars 2002, RJS 7/2002, n° 870
274
« Les dispositions du présent code sont applicables au conjoint du chef d'entreprise salarié par lui et
sous l'autorité duquel il est réputé exercer son activité dès lors qu'il participe effectivement à
l'entreprise ou à l'activité de son époux à titre professionnel et habituel et qu'il perçoit une
rémunération horaire minimale égale au salaire minimum de croissance »
275
C. com., art. L. 121-4
276
Cass. Soc., 24 janvier 2007, Bull. 2007, V, n° 12; Cass. soc.,13 déc. 2007, Bull. 2007, V, n° 210
277
D. Boulmier, Quand la volonté de codifier à droit constant est source d'inconstance, Le cas des
employés de maison, La Semaine Juridique Social n° 49, 2 Décembre 2008
273
106
Ͳ
299.
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
À défaut, il y a lieu de penser que le statut de conjoint de salarié se heurte aujourd’hui
à l’article 212 du Code civil et qu’au-delà de la preuve d’un lien de subordination juridique le
conjoint doive au surplus prouver que la prestation de travail dépasse les obligations du devoir
d’assistance entre époux.
300.
C’est de ce fait à juste titre que la recodification de 2007 a pu à être qualifiée de
« décodification »278, les conjoints salariés étant désormais privés de la protection qu’ils
tiraient de la loi de 1982. « Il apparaît que le nouveau texte, qui devait être rédigé « à droit
constant », est en réalité une réécriture complète qui modifie de façon très négative
l’articulation, le sens général et donc l’interprétation du Code »279.
301.
L’effet de l’article 212 du Code civil peut même être étendu aux partenaires d’un
Pacte Civil de Solidarité puisque la loi institue une obligation d’entraide et d’assistance
identique à celle découlant du mariage. En revanche, elle ne peut pas être étendue aux
concubins puisque aucune disposition légale ne leur impose de devoir mutuel d’assistance.
Ainsi, il a été admis, à propos d’une concubine qui participait à l’exploitation du fonds de
commerce de son conjoint, que « la seule existence d’une relation de concubinage avec
l’employeur, exploitant d’un fonds de commerce, ne saurait exclure l’existence d’un lien de
subordination à son égard»280.
2 - L’entraide de courtoisie
302.
Par principe, l’entraide dans le cadre de la famille, d’une profession voire entre voisins
ne relève pas du droit du travail puisque la prestation de travail est accomplie ponctuellement,
sans volonté d’enrichissement, et par solidarité. Le contentieux de l’entraide amicale demeure
donc très pauvre281 mais peut être lourd de conséquences car la relation peut constituer un
travail salarié et donc relever de l’infraction pour travail dissimulé282.
278
D. Boulmier, Op. cit.
Extrait de la pétition « La réécriture du Code du travail mérite un véritable débat », CGT – Syndicat
des Avocats de France – Syndicat de la Magistrature
280
CA Nancy, 6 sept. 1999, RJS 2/2000, n° 235
281
Cass. soc. 16 oct. 1959, Bull. civ. IV, n° 1018
282
Cass. crim. 14 déc. 1999, RJS 3/2000, n° 245
279
107
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
3 - Le cas particulier du contrat d'entraide agricole
303.
Selon l'article L. 325-1, alinéa 3, du Code rural, « [...] L'entraide est un contrat à titre
gratuit, même lorsque le bénéficiaire rembourse au prestataire tout ou partie des frais engagés
par ce dernier [..] ». Cette disposition résulte d’une volonté d’aider le secteur agricole en
conservant la tradition de l’entraide et en la soustrayant à tout régime social et fiscal283. La
distinction entre le contrat d’entraide agricole et le contrat de travail tient essentiellement à
l’existence ou non d’une rémunération, mais l’appréciation est rendue difficile par la
possibilité de rembourser au prestataire « tout ou partie des frais engagés par ce dernier »284.
304.
C’est donc le critère de la disparité des superficies exploitées par les agriculteurs qui a
été retenu par la jurisprudence. Celle-ci doit être raisonnable au risque de voir disqualifier le
contrat d'entraide en un contrat de travail285. L'entraide implique également une équivalence
entre les aides échangées. « Les relations entre agriculteurs s'inscrivent dans le cadre de
l'entraide tant que les versements en espèce ou en nature demeurent des accessoires des
prestations de services ou de moyens, tant que celles-ci l'emportent en valeur sur celleslà »286.
305.
Toutefois, la disproportion entre les aides prodiguées ne fait que disqualifier le contrat
d’entraide agricole. Pour pouvoir le requalifier en contrat de travail, il faudra donc prouver
l’existence d’un lien de subordination juridique : « ce qui compte, c'est l'analyse des pouvoirs
de chacun. L'agriculteur qui ne parvient pas à prouver qu'il était soumis aux ordres, à l'autorité
et à la direction du bénéficiaire restera confiné à l'entraide agricole »287. Le lien de
subordination conserve donc son statut de critère distinctif du contrat de travail, y compris
dans ce cas particulier.
283
V. C. Guyot-Chavanon, L’entraide en droit privé, Thèse de doctorat, Université Bordeaux IV,
2003, n°164; M. Orliac, L'entraide agricole, Journ. not. 1988, art. 59384, n° 9, p. 705
284
Article L. 325-1 alinéa 3 du Code rural ; V. notamment : RD rural 1976, p. 320, obs. J. Le Calonnec
; JCP G 1976, IV, 65 ; Cass. soc., 10 févr. 1977 ; Cass. soc., 8 janv. 1976, n° 75-10.036 : Bull. civ.
1976, V, n° 7 ;
285
V. notamment Rép. min. JOAN 10 août 1974, p. 4038 ; RD rur. 1974, p. 357
286
J. Le Calonnec : RD rur. 1978, p. 249
287
C. Guyot-Chavanon, Op. cit. n° 253 à 267 ; V. Cass. soc., 21 mars 1972, n° 71-12.560, Bull. civ.
1972, V. n° 232 ; Cass. soc., 14 nov. 1973, n° 72-12.306 : Bull. civ. 1973, V, n° 565 ; Gaz. Pal. 1974,
pan. 17
108
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
C - Les stages en entreprise
306.
Le stage exclut du champ du salariat des personnes qui pourraient parfois prouver
l’existence des critères du contrat de travail. Si la qualité de salarié est en principe exclue,
sous conditions, tout risque de requalification n’est toutefois pas à exclure. Le stage oblige en
effet aux mêmes contraintes que les salariés mais sans rémunération, ce qui est la cause
principale du contentieux en la matière288. Selon la Cour de cassation, l’accomplissement
d’une prestation de travail sous l’autorité d’un employeur ne peut être assimilé à un contrat de
travail tant que la convention de stage n’est pas détournée de son objet289. Ainsi, l’objet du
stage consiste à professionnaliser le stagiaire en le plaçant dans une situation réelle de
travail290. L’objet du stage est donc le critère déterminant au regard duquel doit être appréciée
la frontière entre le stage et le contrat de travail291.
307.
Le choix du recours à un stagiaire ne doit toutefois pas avoir pour effet de pourvoir des
emplois permanents grâce à une main d’œuvre gratuite292. De plus, le recours au stage sera
dépourvu d’objet si aucune convention de stage n’est signée ou si le stagiaire ne bénéficie
d’aucune formation. L’objet du stage serait alors détourné de même que lorsque le stagiaire
doit exécuter des tâches qui ne se rattachent pas directement à l’objet de son stage ou qui
excèdent ses limites. À titre d’exemple le stage pourra être requalifié en contrat de travail
« lorsque le stagiaire n’a pas bénéficié, au sein de l’entreprise d’accueil, de la formation
qu’elle lui avait promise dans la convention de stage »293.
288
V. Th. Aubert-Monpeyssen, Les frontières du salariat à l’épreuve des stratégies d’utilisation de la
force de travail, dr. soc. 1997, p. 616 ; M. Elbaum, Petits boulots, stages, emplois précaires : quelle
«flexibilité » pour quelle insertion ? dr.soc. 1988, p. 311 ; V. Godfrin, De l’absence de définition du
statut du stagiaire à l’opportunisme du régime de responsabilité, Dr. ouvrier 1998, p. 393 ; A. LyonCaen, Stage et travail, dr. soc. 1982, p. 164 ; G. Poulain, Stage et précarité d’emploi, dr. soc. 1982, p.
155 ; V. toutefois, pour un essai de définition de cette notion, P. Etiennot, Stage et essai en droit du
travail, RJS 8-9/1999, n° 623
289
V. Cass. soc. 17 oct. 2000, RJS 12/2000, n° 1214, dr. soc. 2001, p. 192, obs. J. Mouly, RPDS 2001,
n° 678, p. 313 ; Cass. soc. 3 oct. 1991, RJS 11/1991, n° 1189
290
V. Cass. soc., 18 juill. 2001, RJS 11/2001, n° 1242, dr. soc. 2001, p. 1115, obs. Y. Rousseau ; Cass.
soc. 3 oct. 1991, RJS 11/1991, n° 1189 ; Cass. Soc., 17 oct. 2000, RJS 12/2000, n° 1214, dr. soc.
2001.192, obs. J. Mouly
291
Cass. soc. 14 nov. 2000, RJS 2/2001, n° 157 ; Cass. soc. 15 nov. 1990, RJS 1/1991, n° 63
292
V. notamment, QE n° 79617, JOAN 29 novembre 2005
293
Cass. soc. 27 oct. 1993, dr. soc. 1993, p. 960 ; 6 juill. 1981, Bull. civ. V. n° 649, à propos d’un
stagiaire hospitalier
109
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
SECTION II -- LES EXCLUSIONS PAR L’EXTERNALISATION DU TRAVAIL
308.
À l’origine, seules les activités auxiliaires des entreprises étaient concernées par
l’externalisation du travail. Les entreprises ne souhaitaient pas augmenter leur masse salariale
pour des tâches n’entrant pas directement dans leur activité de production comme la
surveillance du site ou le nettoyage des locaux. Progressivement, cette pratique s’est étendue
aux opérations sans valeur ajoutée comme la comptabilité. Ainsi, certaines entreprises ne
recrutent par contrat de travail que pour les postes liés directement à la production du bien ou
du service qu’elles proposent294.
309.
Pour les tâches secondaires, les entreprises ont de plus en plus recours à des
prestataires de service qui fournissent une main d’œuvre extérieure chargée d’exécuter un
travail aux côtés des salariés de l’entreprise cliente. Il faut toutefois nuancer selon l’intensité
de la pratique ; «l'extériorisation est structurelle quand des travailleurs étrangers à l'entreprise
prennent place aux côtés des salariés directement embauchés par elle. L'extériorisation est
conjoncturelle quand le secours à une main-d’œuvre extérieure est liée à un surcroît d'activité
purement temporaire »295.
310.
Il sera distingué selon les cas où l’externalisation est directe (Paragraphe 1), c'est-à-
dire - en principe - sans intermédiaire ou intervention d’un tiers, puis les cas où elle est
indirecte (Paragraphe 2) et fait intervenir un tiers créant ainsi une relation de travail
triangulaire. L’externalisation est un phénomène qui juridiquement peut recevoir de
nombreuses applications. Ne seront donc présentées que les formes de recours les plus
classiques. Mais à partir du moment où il y a une prestation de travail à accomplir, tous les
cas de figures donnant lieu à la fourniture d’un travail peuvent être envisagés car ils
engendrent tous un risque de requalification en contrat de travail (paragraphe 3).
294
V. B. Boubli, Le recours à la main-d'oeuvre extérieure, dr. soc. 2009 n° 7/8 p. 806 ; S. Jubert,
Externalisation : la gestion contractuelle de la réversibilité et de la transférabilité, Expertises 2004 n°
279 p. 101 ; J. Brunel, externalisation et droit social: des principes juridiques encore plus stricts,
Banque magazine 2003, n° 646, p.65 ; F. Gaudu, les frontières de l'entreprise, entre concentration
économique et externalisation : les nouvelles frontières de l'entreprise, dr. soc. 2001, n° 5, p.461 ; S.
Rozenfeld, externalisation et transfert de personnel, une relative insécurité juridique, expertises 2000,
n° 241 p.284 ; P.-Y. Verkindt, le risque pénal de l'externalisation, petites affiches 9 décembre 1998 ;
295
H. Blaise, À la frontière du licite et de l'illicite : dr. soc. 1990, p. 418
110
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
Paragraphe 1 - L’externalisation directe
311.
L’externalisation directe signifie que le bénéficiaire de la prestation de travail
bénéficie d’une main d’œuvre sans recourir à un tiers. Il s’agit donc de toutes les hypothèses
qui ne se fondent pas dans une relation triangulaire de travail comme l’intérim. De nombreux
contrats pourraient être étudiés, comme le contrat de société, mais l’étude se concentrera sur
le recours au contrat de mandat (A), le recours au contrat d’entreprise (B) et le recours au
contrat de sous-traitance (C).
A - Le recours au contrat de mandat
312.
Si l'article 1984 du Code civil définit le mandat296, sa distinction avec le contrat de
travail demeure floue puisqu’un salarié peut être amené à exécuter précisément ces opérations
dans le cadre de son contrat de travail. Ainsi « la difficulté provient de la fréquence du
pouvoir reconnu à un salarié […] de parler au nom de l'entreprise et de l'engager es-qualité.
Non, certes comme un simple organe ou rouage de l'entreprise se situant étroitement dans son
contexte, tel le vendeur, le caissier, l'agent comptable, le directeur commercial, ou même à
l'extérieur des démarcheurs ou démonstrateurs, mais comme représentant doté de prérogatives
l'autorisant à négocier et conclure au nom de l'entreprise »297.
313.
Dans ce contexte le recours au critère du lien de subordination s’impose naturellement
comme seul critère différenciant un contrat de travail d’un contrat de mandat. Pour autant, le
besoin de distinction n’implique pas que les statuts soient systématiquement exclusifs l’un de
l’autre. Lorsqu’un salarié est amené à agir comme mandataire dans le cadre de sont contrat de
travail, cela ne le prive pas nécessairement de son statut de salarié s’il était placé dans un lien
de subordination juridique298.
296
« Le mandat ou procuration est un acte par lequel une personne donne à une autre le pouvoir de
faire quelque chose pour le mandant et en son nom »
297
G.-H. Camerlynck, Le contrat de travail : Dalloz, n° 68, p. 85
298
V. F. Duquesne, Droit du travail, Coll. Manuel, 2° éd., 2006, p.123 ; V. Cass. soc., 17 juin 1982,
Bull. civ. V. n° 403 ; V. aussi : Cass. soc., 31 mars 1982, Bull. civ., V. n° 239 ; Cass. com., 27 févr.
1973, Bull. civ. IV, n° 100 ; Cass. soc., 6 févr. 1974, Bull. civ. V, n° 98 ; V. aussi : Cass. soc., 31
mars 1982, Bull. civ. V, n° 239. Pour la reconnaissance du statut salarié, V. Cass. soc., 17 juin 1982,
Bull. civ. V, n° 40 ; Cass. soc., 24 févr. 1956 : dr. soc. 1956, p. 354 ; Cass. soc., 11 déc. 1981, Bull.
111
Ͳ
314.
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
Seule l'absence de ce lien permet donc d’exclure la qualité de salarié au mandataire se
prévalant d’un contrat de travail299. « Il est donc possible d'avancer que le critère de
distinction issu d'un lien de subordination à l'origine d'une exclusion ou d'une admission de la
qualité de salarié, dépend de la valeur de son intensité. Le lien de dépendance unissant le
salarié à l'employeur est, en effet, plus appuyé que celui rapprochant le mandataire au
mandant »300. Le recours à un mandataire peut donc permettre une alternative au contrat de
travail si le lien entre le mandant et le mandataire ne se transforme pas en un lien de
subordination.
315.
Il est enfin possible de cumuler un mandat social et un contrat de travail mais la Cour
de cassation encadre cette pratique afin de lutter contre la pratique des contrats de travail
fictifs301 et l’enrichissement sans cause302. Cela n’empêche pas, au même titre que tout salarié,
que le mandataire titulaire d’un contrat de travail jouisse d’une sphère d’autonomie,
notamment d’une « latitude laissée au salarié pour déterminer ses horaires et itinéraires »303.
316.
Lorsqu’un mandataire social se prévaut d’un contrat de travail, il doit pouvoir isoler
ses fonctions de mandataire et de salarié. Le mandataire devrait donc percevoir deux
rémunérations distinctes, de sorte que la même prestation de travail ne puisse en fait donner
lieu à un double statut et une double rémunération304. Afin de prévenir les cas de contrats de
travail fictifs, le mandataire social doit également être en mesure de prouver qu’il effectue sa
prestation de travail dans un état de subordination juridique.
civ. V, n° 967 ; Cass. soc., 19 févr. 1986, Rev. sociétés 1986, p. 600 ; Cass. soc., 17 juin 1982, Bull.
civ. V, n° 403
299
Cass. com., 27 févr. 1973, Bull. civ. IV, n° 100 ; Cass. soc., 6 févr. 1974, Bull. civ. V, n° 98, V.
aussi Cass. soc., 31 mars 1982, Bull. civ. V, n° 239. Pour d’autres illustrations : Cass. com., 5 juin
1973, Bull. civ. IV, n° 201; Cass. soc., 27 oct. 1978, Bull. civ. V, n° 726 ; Cass. soc., 12 déc. 1990,
Bull. civ. V, n° 658 ; Cass. com., 12 juill. 1983, Bull. civ. IV, n° 218 ; Cass. soc., 15 nov. 1972, Bull.
civ. V, n° 618 ; Cass. com., 5 juin 1973, Bull. civ. IV, n° 201 ; Cass. soc., 8 oct. 1980 : D. 1981, p.
257, note Y. Reinhard
300
Catherine Puigelier, JurisClasseur Travail Traité, Fasc. 17-1 : Salariat, n° 22
301
V. P.-H. Antonmattéi, Directeurs généraux, rev. dr. et patr. n°88, p.81, 01/12/2000 ; V. Cass. Soc.,
25 janvier 1957, n° 851, Bull. civ. IV, n° 83 ; Cass. Soc., 16 mai 1990, n° 86-42.681 ; Cass. Soc., 6
mars 1985, n° 83-42081 ; Cass. Soc., 27 avril 1984, n° 83-11330 ; Cass. Soc., 27 mai 1983, n° 8140059 ; Cass. Soc., 19 octobre 1978, n° 77-13338
302
B. Siau, Cumul d'un mandat social et d'un contrat de travail, Revue Lamy Droit des affaires n°44,
p.53-54, 01/12/2009
303
Cass. soc., 14 mai 1992, n° 90-10081
304
Cass. soc., 5 février 1981 n°79-14.798, Bull. civ. V, p. 80
112
Ͳ
317.
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
De cette exigence découle le principe évident selon lequel nul ne peut être salarié sous
sa propre autorité. Un dirigeant qui se trouve au plus haut niveau de la hiérarchie ne pourra
donc théoriquement pas se prévaloir d’un contrat de travail au sein de l’entreprise faute de
pouvoir se placer sous la subordination d’un supérieur pouvant le sanctionner voire le
licencier, ce pouvoir incombant en dernier lieu à lui-même305.
B - Le recours au contrat d’entreprise
318.
Le contrat d'entreprise est « une convention par laquelle une personne s'engage
moyennant rémunération, à exécuter un travail de façon indépendante »306. Il se distingue
donc du contrat de travail par l’indépendance qui le caractérise. Toutefois l’ingérence dans
l’accomplissement de la prestation peut faire naître un lien de subordination qui sera d’autant
plus favorisé par le fait que l’entrepreneur - ou l’auto-entrepreneur - n’ait qu’un seul client et
soit donc contraint d’accepter de rendre des comptes et d’accepter des directives. À l’avenir,
cette hypothèse risque donc de concerner plus particulièrement les auto-entrepreneurs307.
319.
Les juges distinguent en effet le contrat d’entreprise et le contrat de travail en vérifiant
l’existence d’un lien de subordination308. Le recours à un prestataire de service via un contrat
d’entreprise permet donc une alternative au contrat de travail sous réserve que l’entrepreneur
- ou l’auto-entrepreneur - ne soit pas pris dans un lien de subordination.
C - Le recours au contrat de sous-traitance
320.
La loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance définit celle-ci
comme étant « l'opération par laquelle un entrepreneur confie par un sous-traité, et sous sa
responsabilité, à une autre personne appelée sous-traitant l'exécution de tout ou partie du
contrat d'entreprise ou d'une partie du marché public conclu avec le maître de l'ouvrage ».
Dans une affaire récente309, un serrurier-menuisier au statut de travailleur indépendant
305
Cass. soc., 4 mars 1981, n° 79-16504 ; Cass.soc., 18 juin 1986, n° 84-13.853, Bull. civ. V, p 239 ;
Cass.soc., 16 mai 1990, n° 86-42.681, Bull. civ. V, p 137
306
P. Malaurie, Aynès et P.-Y. Gautier, Contrats spéciaux : Cujas, 12e éd. 1998, n° 73 et 704
307
V. notamment : C. Nouri, Auto-entrepreneur : une coquille vide ?, ecotidien.fr, 5 mai 2010
308
Cass. soc. 8 novembre 1995, Gaz. Pal. 1996, I, Panorama p.15
309
Cass. soc. 23 janvier 2008, n° 06-46137
113
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
intervenait régulièrement dans une société au titre de contrats de sous-traitance. La société
rompu les relations contractuelles mais le serrurier a obtenu la requalification de leurs
relations en contrat de travail, le paiement d'indemnités de licenciement et de dommagesintérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
321.
Les juges ont en effet constaté l'existence d'un lien de subordination car le sous-traitant
ne disposait « d'aucune clientèle propre ni d'aucun stock de matériel personnel, était
entièrement à la disposition de l'entreprise, soit sur les chantiers de la société […] soit au sein
de l'atelier de fabrication où il occupait un poste de menuisier voire des fonctions de chef
d'équipe »310. D'autre part, le sous-traitant travaillait aux horaires imposés par l'entreprise en
utilisant une carte de pointage comme les autres salariés et était rémunéré en fonction du
nombre d'heures travaillées et non pas en fonction « d'ordres de missions ou de contrats de
prestations de service »311. Le recours à un sous-traitant exclut donc l’existence d’un contrat
de travail de manière fragile car il n’est légal qu’à la condition que le sous-traitant ne soit pas
pris dans un lien de subordination312.
Paragraphe 2 - L’externalisation indirecte
L’externalisation indirecte désigne le recours à des modes d’organisation triangulaires ou
nécessitant l’intervention d’un tiers. Il s’agit du recours à l’intérim (A), du recours au portage
salarial (B) et du recours au prêt de main-d’œuvre (C).
A - Le recours à l’intérim
322.
L'intérim désigne une relation de travail triangulaire au terme de laquelle une
entreprise conclut un contrat de mise à disposition avec une entreprise de travail temporaire,
laquelle met à sa disposition un travailleur intérimaire recruté par un contrat de travail
temporaire. Le travailleur intérimaire exécute sa mission au sein de l’entreprise utilisatrice
mais n’est en principe pas lié par un contrat de travail avec cette dernière. Le travail
310
Cass. soc. 23 janvier 2008, n° 06-46137
Ibid.
312
V. S. W., Les dangers de la sous-traitance, La Tribune, 15 mai 2008
311
114
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
temporaire met donc en jeu trois partenaires : l'entreprise de travail temporaire, le travailleur
intérimaire et l'entreprise utilisatrice.
323.
Suite aux nombreux abus dans ce domaine, le législateur est intervenu pour mieux
encadrer cette pratique. « Désormais le travail temporaire n’apparaît plus comme un moyen
de contourner la législation sociale, permettant à un tiers utilisateur d’éviter d’embaucher les
salariés permanents qui lui feraient franchir certains seuils d’effectifs sources d’obligations
nouvelles […] »313.
324.
La Cour de cassation a régulièrement l’occasion de rappeler deux règles
importantes314 ; d’une part, « aux termes du premier alinéa de l’article L. 124-2 du Code du
travail, le contrat de travail temporaire ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir
durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise utilisatrice »315 et,
d'autre part, « selon le second alinéa de ce texte, un utilisateur ne peut faire appel à des
salariés intérimaires que pour l'exécution d'une tâche précise et temporaire dénommée
mission, et seulement dans les cas énumérés à l'article L. 124-2-1, et notamment en cas
d’accroissement temporaire d’activité »316.
325.
Elle en a déduit que le recours à des travailleurs intérimaires ne peut être autorisé que
pour les besoins d’une ou plusieurs tâches résultant du seul accroissement temporaire de
l’activité de l’entreprise, notamment en cas de variations cycliques de production. Le recours
à l’intérim permet donc de bénéficier d’une main d’œuvre sans recourir au contrat de travail à
condition de respecter le cadre posé par la loi et la jurisprudence.
326.
À défaut, le travailleur temporaire peut demander la requalification du contrat de
mission en contrat de travail à durée indéterminée, entre lui et l’agence d’intérim. Il poura
également demander la requalification de sa mission en contrat de travail à durée
313
B. Siau, Le travail temporaire en droit comparé européen et international, coll. Bibliothèque de
droit social, Paris, L.G.D.J., 1996, 581 p. ; V. aussi : N. Pépin, Les innovations en matière d'intérim
ces trois dernières années, Mémoire de Master, Centre de droit social, Université Aix-Marseille III,
2007, 34 p.
314
Cass. soc., 21 janvier 2004 ; V. aussi : Cass. soc., 25 janvier 1989 ; Cass. crim., 2 mars 1999, n° 9880.862
315
Ibid.
316
Ibid.
115
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
indéterminée entre lui et l’entreprise utilisatrice. Ces hypothèses ne sont pas exclusives l’une
de l’autre et dépendent du comportement de chacune des parties317.
B - Le recours au portage salarial
327.
Le portage salarial est apparu en dehors de tout cadre juridique dans les années 1980.
Toutefois ce n’est que depuis les années 2000 qu’il a connu un réel essor ce qui a amené la
jurisprudence à préciser les conditions de sa légalité, jusqu’à sa récente consécration par la
loi n° 2008-789 du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du
temps de travail318. Le portage salarial se caractérise par « l'existence d'une relation
contractuelle triangulaire exclusive de tout lien de subordination entre une société de portage,
un professionnel recruté au vu de ses compétences pour une mission particulière, et une
entreprise utilisatrice »319.
328.
Les relations instituées par le portage salarial peuvent pourtant dissimuler un contrat
de travail. C’est ainsi qu’un arrêt du Tribunal de Grande Instance de Paris320 a requalifié la
relation entre le porté et la société de portage en contrat de travail en relevant « de réels liens
de subordination juridique et économique tels que recherchés pour caractériser l'existence
d'un contrat de travail ».
329.
Par ailleurs l'article L. 8241-1 du Code du travail, tel qu’il est issu de la loi du 20 août
2008, interdit « toute opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de maind'oeuvre », à l'exception des « opérations réalisées dans le cadre : 1° Des dispositions du
317
V. B. Siau, Requalifications subtiles de la relation de travail intérimaire : note sous Cour de
cassation, Chambre sociale, 17 septembre 2008, pourvoi numéro 07-40.704, Revue Lamy Droit des
affaires n°32, p.58-59, 01/11/2008
318
P. Morvan, le portage salarial face à son destin, semaine juridique JCP S. 2008, n° 26, p. 18 ; O.
Rault, Z. Ketir, le portage salarial : vers la fin des incertitudes ?, jurisprudence sociale Lamy 2008 n°
234 p. 10 ; L. Casaux-Labrunee, le portage salarial : travail salarié ou travail indépendant, droit social
2007 n°1 page 58; J.-Y. Kerbourc'h, le portage salarial: prestation de services ou prêt de main d'œuvre
illicite ? Droit social 2007 n° 1 p. 72;N. Côte, Le portage salarial : entre innovations et dérives : JCP E
2002, p. 1758 ; F. Riquoir, Le portage salarial : Semaine sociale Lamy, 2000, n° 1004, p. 7
319
C. Colle, Le portage salarial, La Semaine Juridique Social n° 25, 19 Juin 2007, act. 296
320
TGI Paris, sect. soc., 18 mars 2008, RG n° 06/08817, Christian et a. c/ ASSEDIC de Paris ; V. Le
TGI de Paris reconnaît l'existence de contrats de travail, JCPS n° 15, 8 Avril 2008, act. 193 ; V. aussi
CA Chambéry, 23 sept. 2003
116
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
présent code relatives au travail temporaire, au portage salarial, aux entreprises de travail à
temps partagé [...] ». Mais comme le souligne P. Morvan, cette disposition ne peut être
assimilée à une dépénalisation du portage salarial puisque seule l’infraction de prêt illicite de
main d’œuvre est écartée, l’infraction de travail dissimulé menace donc toujours ces
conventions si elles créent un lien de subordination juridique : « Si la loi légalise le portage
salarial, c'est de façon bien minimaliste : en le définissant d'une manière descriptive et
inachevée puis en écartant la menace d'une infraction unique, procédé qui n'équivaut
certainement pas à une dépénalisation »321.
330.
Le portage salarial permet donc à une entreprise d’avoir recours à une main d’œuvre
généralement intellectuelle (consultants) sans recourir au contrat de travail à condition qu’il
ne s’instaure pas de « réels liens de subordination juridique et économique »322.
C - Le recours au prêt de main-d’œuvre licite
331.
Le prêt de main d’œuvre est « un contrat par lequel un employeur met temporairement
un de ses salarié à la disposition d’un autre employeur »323. Selon la nouvelle rédaction de
l’article L.8241-1 du code de travail324« toute opération à but lucratif ayant pour objet exclusif
le prêt de main d'œuvre est interdite ». La loi poursuit toutefois en précisant désormais que
ces dispositions ne s'appliquent dans le cadre du travail temporaire, du portage salarial, des
entreprises de travail à temps partagé, de l'exploitation d'une agence de mannequins, d’une
association ou société sportive et enfin à la mise à disposition des salariés auprès des
organisations syndicales ou des associations d'employeurs mentionnées à l'article L.2231-1325.
321
P. Morvan, le portage salarial face à son destin, semaine juridique JCPS. 2008, n° 26, p. 18
TGI Paris, sect. soc., 18 mars 2008, RG n° 06/08817, Christian et a. c/ ASSEDIC de Paris ; V. Le
TGI de Paris reconnaît l'existence de contrats de travail, JCPS n° 15, 8 Avril 2008, act. 193 ; V. aussi
CA Chambéry, 23 sept. 2003
323
G. Cornu, Association Henri Capitant, Vocabulaire juridique, 7ème éd revue et augmentée avec
locutions latines, Quadrige. Dicos poche, Paris : Presses universitaires de France, 2005
322
324
loi n° 2008-789 du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de
travail
325
L.8241-1 du code de travail : «[…] 1° Des dispositions du présent code relatives au travail
temporaire, au portage salarial aux entreprises de travail à temps partagé et à l'exploitation d'une
agence de mannequin lorsque celle-ci est exercée par une personne titulaire de la licence d'agence de
mannequin ; 2° Des dispositions de l'article L. 222-3 du code du sport relatives aux associations ou
sociétés sportives ; 3° Des dispositions des articles L. 2135-7 et L. 2135-8 du présent code relatives à
117
Ͳ
332.
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
De plus les opérations qui n'ont pas pour objet exclusif le prêt de main-d’œuvre
demeurent autorisées même si elles ont un but lucratif. Le cas d’une fourniture de maind’œuvre inhérente à une prestation de service échappe donc du champ des infractions de prêt
de main-d’œuvre illicite et de marchandage. À titre d’illustration, la Cour de cassation estime
que dans le cadre d’un contrat de sous-traitance les tâches à accomplir doivent être
suffisamment définies, le personnel doit demeurer sous l'autorité du sous-traitant et la
rémunération doit être forfaitaire326. Le lien de subordination juridique fait, là encore, courir
un risque de requalification dont il est important d’avoir conscience dans toute relation de
travail initialement non salariée.
Paragraphe 3 – Le risque de requalification en contrat de travail
333.
La construction de la notion de subordination trouve sa justification dans le besoin de
faire du contrat de travail une catégorie juridique d’ordre public (A). C’est la raison pour
laquelle sa qualification juridique échappe au principe de la liberté contractuelle, ce qui
signifie que les parties ne peuvent pas lier le juge sur ce point ainsi que le prévoit l’article 12
du Nouveau Code de procédure civile pour les règles supplétives. Cette volonté est
directement liée au besoin de protection du salarié, y compris contre lui-même.
334.
C’est également ce besoin de protection juridique qui a inspiré la création d’un droit
pénal du travail avec l’instauration d’infractions spécifiques comme l’interdiction du travail
dissimulé total et partiel. À titre d’illustration il faut encore évoquer l’instauration du système
français de protection sociale. C’est ce qui explique que d’autres personnes que les parties
elles-mêmes puissent avoir un droit de regard sur les relations susceptibles de caractériser un
contrat de travail.
la mise à disposition des salariés auprès des organisations syndicales ou des associations d'employeurs
mentionnées à l'article L. 2231-1. » ; V. Gauriau, La rénovation de la démocratie sociale, loi n° 2008789 du 20 août 2008 : JCP S 2008, 1448. - Pour une reproduction du texte, V. JCP S 2008, 1460 ; Y.
Pagnerre, G. Saincaize, L'intégration des salariés mis à disposition : nouvelles conditions, nouveaux
effets, La Semaine Juridique Social n° 36, 1er Septembre 2009, 1368
326
Cass. crim., 21 janv. 1986 : JCP E 1987, II, 14869, note O. Godard. V. également, Cass. soc., 9 juin
1993 ; CA Paris, 11e ch., 20 déc. 1996
118
Ͳ
335.
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
Dans leurs missions respectives, ces personnes ou ces organismes doivent maîtriser la
qualification du contrat de travail. Il faudra donc envisager cet angle particulier en présentant
l’utilité du lien de subordination pour les autres parties intéressées par le contrat de travail
(B). Il faudra enfin approfondir l’opération juridique de la qualification ou de la
requalification en elle-même puisqu’il s’agit de la raison d’être du lien de subordination en
tant que critère juridique (C).
A – Une catégorie juridique d’ordre public
336.
Pourquoi tant d’efforts sont-ils déployés pour saisir la notion de subordination
juridique ? Le cœur de cette motivation tient au fait que le juge doit qualifier et au besoin
requalifier les actes et faits juridiques qui lui sont soumis : « Le juge tranche le litige
conformément aux règles de droit qui lui sont applicables. Il doit donner ou restituer leur
exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties
en auraient proposée »327.
337.
Le fait d’accorder au contrat de travail un caractère obligatoire ou d’ordre public, tend
à protéger la partie faible du contrat de travail, à savoir le salarié. Ce mécanisme particulier
prive les parties d’une part de leur liberté contractuelle et donc du pouvoir de lier le juge sur
les points qu’ils ont entendus régler contractuellement. Il protège donc le salarié contre
l’employeur mais aussi contre lui-même. Par exemple, depuis la création du statut d’autoentrepreneur, certains employeurs diffusent une offre d’emploi puis invitent les candidats à
opter pour ce statut afin de se soustraire à leurs obligations d’employeur. Ne pas recourir
systématiquement au salariat n’est certes pas illégal en soi, sauf le cas de la fraude à la loi
caractérisé ici par l’existence d’un lien de subordination328. Cette pratique illustre le
phénomène grandissant des faux indépendants329 auquel l’auto-entrepreneur risque d’être
particulièrement exposé dans les prochaines années.
327
Article 12 NCPC
V. article presse récent à retrouver
329
N. Pépin, L’avocat salarié, Mémoire de Master, Centre de Droit Social, Université Paul Cézanne
Aix-Marseille III, 2008, p.92, n°194 ; A rapprocher de Cass.soc., 10 mai 2007, Bull. n° 71 : la clause
du contrat de travail subordonnant la rémunération du travailleur à domicile au règlement par le client
de la commande qu'il a enregistrée est illicite. Le travailleur à domicile est en effet un salarié sur
lequel ne saurait peser partie du risque d'entreprise.
328
119
Ͳ
338.
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
Les conséquences de ce mécanisme de protection se manifestent également au cours
de l’instance. Elles recouvrent alors deux hypothèses ; dans la première hypothèse, lorsque les
parties n’invoquent pas de règle de droit au soutien de leurs prétentions (ce qui est rare), il
appartient alors au juge de rechercher s’il existe une règle applicable, le cas échéant de
l’identifier et de l’appliquer au cas qui lui est soumis. Dans une seconde hypothèse,
lorsqu’une partie sollicite l’application d’une règle de droit pour motiver ses prétentions, alors
le juge doit encore s’assurer que celle-ci est effectivement applicable pour trancher le litige en
conséquence. Le lien de subordination étant le critère privilégié du contrat de travail, le juge
aura donc recours à cette notion pour appliquer les règles, invoquées ou non, qui ne sont
applicables qu’en vertu du contrat de travail.
339.
J.-P. Chauchard développe cette idée en se demandant « pourquoi qualifier ? Parce
qu’il est apparu, à un certain moment de l’histoire sociale française, un certain nombre de lois
dont il a fallu savoir à qui elles s’adressaient, quels pouvaient en être les bénéficiaires ou
encore qui allait en supporter les charges (cotisations) »330. Et de poursuivre en rappelant très
justement que « l’une des premières lois en faveur des salariés est la loi de 1898 sur les
accidents du travail, qui s’appliquait aux ouvriers et aux employés de certaines industries ou
de certaines entreprises. Très rapidement, la jurisprudence a décidé que les ouvriers et les
employés étaient ceux-là même qui étaient liés à un employeur par un contrat de travail. Et si
l’on veut aller plus loin, c’est dans le droit de la responsabilité des commettants331 qu’il faut
chercher l’origine première de la subordination, déjà utilisée à propos du lien de préposition
qui a pour effet de placer une personne (le préposé) sous l’autorité d’une autre (le
commettant), en vertu d’un contrat ou du fait des circonstances »332.
330
J.-P. Chauchard, A.-C. Hardy-Dubernet, Les métamorphoses de la subordination, analyse juridique
et sociologique de l’évolution des formes d’autonomie et de contrôle dans la relation de travail,
Maison des Sciences de l’Homme Ange Guépin, 2002, p.16
331
P. Jourdain, « Les principes de la responsabilité civile, Dalloz, connaissance du droit, 5ème éd.,
2000, p.113. Le préposé peut alors être, sous condition, libéré de sa responsabilité pour des actes ou
inaction de son fait. C’est en effet à l’employeur de supporter le risque de l’exploitation puisque c’est
lui qui en tire profit. C’est un rare cas de ce que certains auteurs nomment « la responsabilité pénale du
fait d’autrui », courante en droit civil elle fait face, en droit pénal, au principe selon lequel nul ne peut
être tenu pour responsable que pour les faits qu’il a commis.
332
J.-P. Chauchard, A.-C. Hardy-Dubernet, Les métamorphoses de la subordination, analyse juridique
et sociologique de l’évolution des formes d’autonomie et de contrôle dans la relation de travail,
Maison des Sciences de l’Homme Ange Guépin, 2002, p.16
120
Ͳ
340.
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
Il faut donc pouvoir identifier le contrat de travail avant tout débat sur le fond. En
pratique, dans les cas de figures les plus courants, cette étape est souvent inutile ; soit
qu’avant tout débat sur le fond, l’employeur omette de soulever l’inexistence d’un contrat de
travail et logiquement l’incompétence du Conseil de Prud'hommes333. Ce silence emporte
alors reconnaissance tacite du contrat de travail. Soit que le demandeur produit l’original du
contrat de travail et le défendeur (généralement l’employeur) ne parvient pas à en démontrer
le caractère fictif, en démontrant notamment l’absence de lien de subordination. Mais, dans
une affaire donnée, le débat sur l’existence ou l’inexistence d’un contrat de travail peut
intéresser d’autres personnes que le salarié et l’employeur.
B - Les parties intéressées par la requalification en contrat de travail
341.
Certes, il s’agit dans la plupart des cas deux principaux acteurs : celui qui tient le rôle
de salarié et celui qui tient le rôle d’employeur. Bien que généralement l’action en
qualification ou requalification soit le fait de celui qui aspire au statut de salarié et souhaite
faire valoir ses droits, d’autres personnes (B), notamment les organismes de recouvrement (A)
peuvent jouer un rôle dans la (re)qualification du contrat de travail, chacun pouvant
s’approprier d’une manière qui lui est propre la notion de subordination.
342.
Le concept présentant une nature particulièrement malléable voire molle, il peut servir
les considérations les plus arbitraires dans la quête de résultats voire de quotas, menant parfois
des justiciables de bonne foi jusqu’à l’infraction de travail dissimulé. Le juge, garant du
respect du droit mais surtout des libertés, occupe donc une place importante tant pour la
protection des justiciables que pour la défense d’un droit de qualité par son appréciation
pertinente du lien de subordination.
1 - Les organismes de garantie et de recouvrement
343.
D’une part l’URSSAF à généralement un intérêt pécuniaire important dans la
découverte d’un contrat de travail. L’organisme ne ménage donc pas ses efforts jusqu’à
333
Nier l’existence d’un contrat de travail de manière abusive peut constituer des manœuvres dilatoires
et relever de l’abus de droit
121
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
dénaturer parfois le sens de la jurisprudence, notamment dans ses lettres d’observation, en
invoquant par exemple le critère de la dépendance économique334. Il en va du recouvrement
de cotisations sociales, de majorations de retard et de pénalités qui peuvent s’étaler sur
plusieurs années jusqu’à mettre en péril l’activité et la sauvegarde des emplois. Si les cas de
fraudes avérées n’inspirent aucune empathie, il n’en va pas de même pour les cas où la
malléabilité du concept de lien de subordination devient l’outil de redressements tatillons
confirmant l’adage Summum jus, summa injuria335.
344.
Il devrait donc être plus aisé de pouvoir conceptualiser, a priori, la notion de lien de
subordination. C’est désormais la garantie offerte par l’instauration du rescrit social
permettant aux cotisants d’obtenir une décision explicite des organismes de recouvrement sur
l’application de certains points de législation à la situation du demandeur, cotisants ou futurs
cotisants en sa qualité d’employeur336. La position prise par l’URSSAF
l’engage pour
l’avenir ce qui garantie une meilleure sécurité juridique, sous réserve bien sur des éventuels
éléments non portés à leur connaissance. D’autre part l’Association pour la Gestion du régime
de Garantie des créances des Salariés (AGS), par l’intermédiaire des Centres de Gestion et
d'Etude (CGEA), trouve cette fois intérêt dans la négation de l’existence d’un contrat de
travail. En tant que débiteur des salaires et accessoires de salaires impayés, elle doit
obligatoirement être appelée dans la cause par le salarié en cas de procédure collective.
345.
L’AGS est donc une véritable partie à l’instance et peut contester ses créances en niant
l’existence d’un contrat de travail337. La contestation est souvent de mise et la jurisprudence
illustre cette réalité338 ; « Il y a lieu de rappeler que dans pareil cas, en face d’une attitude
abusive ou dilatoire de l’AGS, un salarié peut réclamer la condamnation à titre personnel de
celle-ci à une indemnité sur le fondement de l’article 700 du nouveau Code de procédure
334
Cf. supra
Peut se traduire par : Le droit appliqué trop rigidement entraîne l'injustice : Justice excessive
devient injustice ; le maximum de la loi est le maximum de l'injustice ; trop de droit, trop d'injustice.
336
Ordonnance n° 2005 -651 du 6 juin 2005, complétée par la loi de modernisation de l’économie du 4
août 2008
337
V. F. Saramito « La garantie par l’AGS des créances établies judiciairement après l’ouverture de la
procédure d’exécution collective » Droit ouvrier 2002 p.383
338
CA, Grenoble, Ch. Soc., 21 janvier 2002, CGEA d’Annecy c/ Baroz
335
122
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
civile et à des dommages et intérêts en réparation du dommage causé par l’attitude fautive de
l’organisme de garantie »339.
2 - Les personnes habilitées à constater le travail dissimulé
346.
En vertu de l’article L.8271-7 du Code du travail, la constatation d’infractions aux
interdictions du travail dissimulé340 sont constatées par procès verbal, bien qu’elles demeurent
sous le contrôle du juge. À ce titre il est donc nécessaire de prouver l’existence d’un contrat
de travail pour que l’infraction puisse être constituée dans tous ces éléments car le procès
verbal fera foi jusqu’à preuve du contraire.
347.
L’existence d’un lien de subordination doit donc, théoriquement, être recherchée par
les personnes habilitées à dresser ces procès verbaux. La recherche d’un lien de subordination
par ces personnes est indispensable même si les poursuites sont ultérieurement engagées par
leur autorité hiérarchique, que ce soit le Procureur de la République ou l’autorité
administrative de tutelle. En effet c’est le procès verbal dressé par ces personnes qui, faisant
foi jusqu’à preuve du contraire, sera versé au dossier et fondera juridiquement les poursuites.
La liste des personnes habilitées à constater les infractions de travail dissimulé est strictement
délimitée :
« 1°
Les inspecteurs du travail et les contrôleurs du travail;
2°
Les inspecteurs et les contrôleurs du travail maritime ;
3°
Les officiers et agents de police judiciaire ;
4°
Les agents des impôts et des douanes ;
5°
Les agents des organismes de sécurité sociale et des caisses de mutualité
sociale agricole agréés à cet effet et assermentés ;
6°
Les officiers et les agents assermentés des affaires maritimes ;
7°
Les fonctionnaires des corps techniques de l'aviation civile
commissionnés à cet effet et assermentés ;
8°
Les fonctionnaires ou agents de l'Etat chargés du contrôle des transports
terrestres ».
339
340
Rev. Dr. ouvr. sept. 2002, p. 455, note Emmanuel Gayat
Article 8221-1 du Code du travail
123
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
C – L’opération de requalification
348.
En quoi consiste l’opération de requalification ? « Qualifier, c'est identifier une
situation de fait à une notion visée par la loi »341. Il s’agit d’une opération dévolue au juge et
dans laquelle il doit s’emparer des faits ou des actes juridiques qui lui sont soumis afin d’y
découvrir un critère de rattachement à une catégorie juridique préexistante. Il lui appartient
ensuite d’appliquer les règles qui découlent de l’appartenance à la dite catégorie.
349.
Cette opération spécifiquement juridique relève, par principe de l'office du juge. Celui-
ci doit, selon l'article 12, alinéa 2, du NCPC « donner ou restituer leur exacte qualification aux
faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée ».
Donner, lorsque les parties ne l'ont pas fait, restituer, lorsqu'elles ont formulé une
qualification, mais une qualification erronée342.
350.
Le juge n'est pas lié par la qualification juridique que les parties donnent à leurs
conventions343 et il lui appartenait d'examiner le litige sous tous ses aspects, au besoin en
restituant aux faits leur véritable qualification344. Ce pouvoir s'exerce d’ailleurs dans tous les
domaines du droit. En substituant une qualification à une autre, le juge remédie à l'erreur des
parties dans la dénomination de l'acte, du fait ou de la situation sur lequel ils se fondaient. Le
juge a le devoir de procéder à la requalification lorsque les conditions sont réunies, il ne s'agit
donc pas d'une simple faculté. Suite à la requalification, les nouvelles règles sont applicables
au litige de manière rétroactive.
341
D. 1986, p. 121 note J. Boré
H. Solus et R. Perrot, Droit judiciaire privé, t. III, n° 102
343
Cass. 3e civ., 5 avr. 1968, V. Bull. civ. III, n° 162
344
Cass. 1re civ., 11 janv. 1972, V. Bull. civ. I, n° 10
342
124
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
CHAPITRE 2
L’EXTENSION DU SALARIAT HORS LIEN DE SUBORDINATION
351.
Il vient d’être démontré que se développent des hypothèses dans lesquelles des
personnes sont exclues du statut salarié alors même qu’ils accomplissent leur travail dans un
lien de subordination. Mais la relativisation du lien de subordination se traduit également par
un mouvement inverse : l’extension du salariat hors lien de subordination. Cette expression
désigne ici le phénomène de décentrage entre le lien de subordination et l’extension de la
sphère salariale (SECTION I). Il existe ainsi de nombreux cas dans lesquels des personnes
bénéficient du statut salarié alors même qu’ils n’accomplissent pas une prestation de travail
dans un état de subordination vis-à-vis du donneur d’ordre.
352.
Ce décentrage se distingue aussi par la propagation du droit du travail hors
subordination (SECTION II). Cela signifie que le droit du travail développe progressivement
son champ de compétence en dehors de l’exigence du lien de subordination. Cette exclusion
du lien de subordination est soit positive, le droit du travail s’applique alors en dehors du
contexte traditionnel. Soit négative, puisque des travailleurs subordonnés sont parfois évincés
de l’application de certaines règles protectrices du Code du travail. De plus, tout salarié ne
peut pas bénéficier de toutes les dispositions du code du travail. Les droits de chacun sont
ainsi uniques car déterminés en fonction de multiples variables.
353.
La grille de lecture des droits de chaque salarié est ainsi déterminée par une mosaïque
de variables qui tend à pixéliser le droit du travail et à le rendre de moins en moins
intelligible. Il s’agit par exemple de la taille de l’entreprise, du secteur professionnel, des
conventions et accords applicables, voire encore de la zone géographique où se situe
l’entreprise. Enfin des travailleurs indépendants – par définition non salariés – peuvent
bénéficier de droits instaurés par le Code du travail puisqu’il prévoit des obligations à l’égard
des entrepreneurs qui recourent à leurs services.
125
Ͳ
354.
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
Le recours au lien de subordination juridique perd donc de l’intérêt car il ne permet
plus d’établir un dénominateur commun entre les travailleurs salariés, ni d’établir une
frontière nette entre les travailleurs indépendants et les subordonnés. Il en résulte un
émiettement du statut des travailleurs et un accroissement des inégalités de droit et de fait.
C’est cette dilution qui justifie le besoin d’une unification moderne du statut applicable aux
travailleurs. Non pas par la création d’un contrat de travail unique mais plutôt par l’édification
d’un véritable tronc commun pour toutes les activités professionnelles.
126
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
SECTION I - LES FLUX ET REFLUX DE LA SPHERE SALARIALE
355.
L’article 1315 du Code civil pose comme principe que c’est à celui qui se prévaut
d’une obligation qu’il appartient de prouver l’existence de cette obligation. Ce principe est
applicable au contrat de travail mais le Code du travail a institué des dispositions protectrices
qui dérogent à ce principe. Le but étant soit de sécuriser le recours aux prestataires de service
et sous-traitants, soit de protéger certains travailleurs pour lesquels il est difficile de prouver
un lien de subordination. Le code du travail instaure donc des présomptions et extensions du
salariat (paragraphe 1). À l’inverse il existe des présomptions de non-salariat et des pratiques
permettant de bénéficier d’une main d’œuvre sans recours au contrat de travail. Juridiquement
instables, ces pratiques concourent à une exclusion fragile345 du statut salarié (paragraphe 2).
Paragraphe 1 - L’extension du statut salarié
356.
L’extension du statut salarié résulte – directement - des mécanismes de la loi (A) et -
indirectement - du développement du salariat dans les professions libérales (B) puisque
historiquement, ces dernières n’étaient exercées que par des travailleurs indépendants afin de
garantir le respect de certains principes déontologiques.
A – L’extension par mécanisme de la loi
357.
La loi instaure deux types de mécanisme : la présomption et l’assimilation. Dans le
premier cas le travailleur est dispensé de rapporter la preuve du lien de subordination pour
prouver l’existence du contrat de travail. Dans le second cas le travailleur n’a pas à prouver le
lien de subordination puisqu’il est simplement bénéficiaire de droits par analogie au statut
salarié. Les assimilations et présomptions de salariat (1) sont prévues au cas par cas et sont
soumises à des conditions d’application strictes (2).
345
V. notamment : P.-H. Antonmattéi, Externalisation et article L. 122-12 alinéa 2 du Code du travail :
le clash !, Semaine sociale Lamy n°996, p.7-9, 25/09/2000 ; P.-H. Antonmattéi, Externalisation et
article L 122-12 alinéa 2 du code du travail, dr. soc. n° 1, p. 13-16, 01/01/2001
127
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
1 - Les assimilations et présomptions de salariat
358.
Le code du travail assimile à des salariés des catégories de travailleurs qui réalisent
leur prestation de travail sans être placées dans un lien de subordination juridique. Ils
bénéficient ainsi de certaines dispositions du code du travail. Ils doivent cependant satisfaire
aux conditions légales propres à la catégorie professionnelle à laquelle ils prétendent
appartenir346. À titre d’illustration, il est possible de citer le cas des travailleurs à domicile347,
des voyageurs représentants placiers348, des journalistes349, des artistes350, des mannequins351,
des assistantes maternelles352 et des gérants de succursales353.
359.
En fonction de la catégorie visée, l’assimilation est le résultat d’un mécanisme de
présomption simple de salariat soit d’une simple extension du champ d’application du code du
travail. Dans ce dernier cas, le travailleur ne bénéficie donc pas de la qualification de salarié
mais simplement de certains effets de ce statut. C’est notamment le cas des marins354, des
dockers355 et des gérants mandataires de succursales356 qui ne bénéficient que d’une extension
de certaines dispositions du code du travail. Toutefois, si les conditions d’exécution de leur
prestation de travail révèlent un lien de subordination ils pourront évidemment revendiquer
l’existence d’un contrat de travail.
346
V. notamment sur cet aspect, J. Barthélémy, Le professionnel parasubordonné, JCP E, 1996. I. 606;
C. Boudineau, Faut-il salarier le conjoint du chef d’entreprise ?, Petites affiches 30 juill. 1999, n° 151,
p. 11 ; R. Debonne-Penet, Le statut juridique des artistes du spectacle, D. 1980. p.17 ; C. Eutedjian, Le
commerçant partenaire d’un PACS, rev. dr. et patr., avril 2000, p. 75 ; F. Favennec-Héry, Les relations
professionnelles entre époux ou le travail sans subordination, Dr. soc. 2002, p. 403 ; R. Jambu-Merlin,
Les travailleurs intellectuels à domicile, dr. soc. 1981, p. 561 ; D. Randoux, Le conjoint du chef d’une
entreprise artisanale ou commerciale : collaborateur, salarié ou associé ?, JCP 1983. I. 3103 ; P. Rossi,
Contrat de travail et lien de subordination entre époux ou entre partenaires liés par un PACS, D.
2002.987 ; Y. Saint-jours, Le statut juridique des artistes du spectacle et des mannequins, D. 1970,
chron. 17 ; E. Wagner, La rémunération de la collaboration professionnelle du conjoint, D. 1985,
chron. 1
347
C. trav., art. L.7412-1
348
C. trav., art. L. 7313-1
349
C. trav., art. L. 7112-1
350
C. trav., art. L. 7121-3
351
C. trav., art. L. 7123-3
352
C. trav., ancien art. L. 773-1 (non repris dans la nouvelle codification)
353
C. trav., art. L. 7321-1
354
C. trav., ancien art. L. 742-1 et s. (non repris dans la nouvelle codification)
355
C. trav., ancien art. L. 743-1 et L. 743-2 (non repris dans la nouvelle codification)
356
C. trav., art. L.7322-2
128
Ͳ
360.
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
C’est dans cet esprit de protection que les articles L. 311-2 et L. 311-3 du code de la
sécurité sociale rattachent ces travailleurs au régime général de sécurité sociale « quels que
soient le montant et la nature de leur rémunération, la forme, la nature ou la validité de leur
contrat ». Sans cette intervention du législateur, ces catégories de travailleurs devraient être
assujetties au régime des indépendants et bénéficieraient donc de prestations moins
avantageuses que celles du régime général.
2 – Les conditions d’application
361.
Le bénéfice des extensions ou des présomptions demeure subordonné à la preuve de
l’exécution d’un travail dans les conditions posées par les textes propres à chaque catégorie
socioprofessionnelle. C’est une règle que la Cour de cassation se borne à rappeler quelle que
soit la profession concernée. À titre d’illustration il est possible de citer le cas d’un travailleur
à domicile357, d’un représentant de commerce358, d’un journaliste professionnel, d’un artiste359
ou d’un gérant de succursale360. Dans le cas particulier des présomptions de salariat, il faut
encore souligner que la loi établit une présomption simple, ce qui laisse au défendeur (le
donneur d’ordre) la possibilité de rapporter la preuve qu’il ne s’agit pas d’un contrat de
travail, notamment en démontrant l’absence de lien de subordination361.
B - L’extension du domaine du salariat dans les professions libérales
362.
Les personnes relevant d’une profession pouvant être exercée à titre libéral optent
généralement pour le salariat en raison des avantages de ce statut : un temps de travail souvent
moins important qu’en exercice libéral, une rémunération fixe et prévisible, l’absence de
357
Cass. soc. 14 octobre 1970 ; Cass.soc., 23 novembre 1978 ; Cass.soc., 22 janvier 1981
Cass. soc. 4 janvier 1979 ; Cass. soc. 2 mars 1989 ; Cass. soc. 22 octobre 1996 ; Cass. soc. 17
décembre 2002, RJS 3/2003, n°398 ; Cass.soc., 14 mai 2003, RJS 11/2003, n°1326
359
Cass.soc.5 mai 1994, RJS 6/1994, n°774; Cass.soc.10 février 1998, RJS 3/1998, n°381; Cass.soc.,
19 mai 1998, RJS 8-9/1998, n°1084; Cass.soc., 8 juill. 1999, RJS 10/1999, n°1310, pour un
éclairagiste; Cass.soc., 11 octobre 2000, RJS 12/2000, n° 1302 ; Cass.soc., 6 mars 2003, RJS 5/2003,
n° 678, concernant un boxeur professionnel ; Cass.civ.2°, 25 mai 2004, RJS 8-9/2004, n° 955
360
Cass. soc. 4 décembre 2001, [2 arrêts], rendus à propos de franchisés, dr. soc. 2002, p. 162 et 163,
note A. Jeammaud ; Cass.soc., 8 févr. 2005, RJS 4/2005, n° 453 ; V. aussi : L. Neuer, SFR en procès
avec ses franchisés, LePoint.fr, 20 novembre 2008
361
V. en ce sens, en ce qui concerne la qualification de journaliste professionnel, Cass. soc. 30 juin
1988 ; Cass.soc., 9 février 1989 ; V. pour ce qui est de la qualification de mannequin, Cass. soc. 16
janvier 1997, RJS 3/1997, n° 326 ; 10 février 1998, RJS 3/1998, n° 381
358
129
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
charges professionnelles, l’affiliation à tout ou partie du régime général de la Sécurité sociale,
le bénéfice de dispositions conventionnelles, la capitalisation de congés payés, la participation
à un plan d'épargne salariale, l’assurance d’être protégé financièrement en cas de perte
d’emploi… Sans bien sûr évoquer les méandres de la gestion administrative du cabinet, du
personnel et les aléas économiques. Cela permet globalement de bénéficier de plus de temps
libre et d’une qualité de vie qu’une majorité dirait meilleure.
363.
Au sein des professions libérales, il faut toutefois distinguer celles qui ne sont pas
réglementées de celles qui le sont. Par définition, le choix du salariat dans les professions
libérales non réglementées ne pose aucune difficulté. C’est parmi les professions libérales
réglementées que ce choix peut générer des incertitudes362. Ces dernières sont caractérisées
par l’éthique, l’indépendance et le désintéressement363, raisons pour lesquelles elles
n’autorisent pas nécessairement le salariat. Or, le lien de subordination peut constituer une
entrave à l’indépendance requise.
364.
Ces professions libérales réglementées sont soumises à un statut législatif ou
réglementaire. Le titre professionnel est ainsi protégé soit par le décret d’application de la loi
du 29 novembre 1966 sur les sociétés civiles professionnelles, soit par la loi du 31 décembre
1990 sur les sociétés d’exercice libéral364. L’exercice libéral peut également faire l’objet
d’une protection de chacune des deux lois365. Trois catégories de profession peuvent être
distinguées : les professions du droit, celles de la santé et les professions dites techniques.
Tous les exemples ne seront pas examinés, seulement les plus topiques qui sont ceux
généralement retenus par la doctrine366. Pour servir les besoins de l’illustration (1) quatre
362
Pour une liste complète : V. http://www.pme.gouv.fr/essentiel/environnement/proflibreg.htm
V. Renaux-Personnic, L’avocat salarié : entre indépendance et subordination, Éd. PUAM 1998,
p.40
364
V. Lamy Assurances 2008, Modalités d'exercice de la profession d'expert, n°4617
365
V. E. Terrier, La profession libérale, JurisClasseur Entreprise individuelle Traité, Fasc. 920 ; A.
Toulemon; L'organisation d'une profession libérale : Gaz. Pal. 1968, 2e sem., doctr. p. 96 ; V. aussi :
G. Lyon-Caen, L'exercice en société des professions libérales en droit français : Dalloz, 1975 ; J.
Savatier, Étude juridique de la profession libérale : LGDJ, 1947; Qu'est-ce qu'une profession libérale :
Rev. Proj., 1966, p. 451 ; Contribution à une étude de la profession, 10 ans de conférences
d'agrégation, Études de droit commercial offertes à J. Hamel, Dalloz 1961, p. 2
366
M.-F. Miallon, Le salariat dans les professions libérales, Droit social 1978 Lib. Soc. Économ., p.
288 ; B. Boccara, Le besoin et la nécessité de l’indépendance du barreau, Semaine juridique JCP G,
1990 n°3464 ; A. Coeuret, Le salariat dans l’entreprise libérale, dr. soc., 1992 p. 902 ; R. Martin,
363
130
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
exemples seront évoqués : celui de l’avocat salarié et du notaire, celui du géomètre expert, des
experts comptables et enfin des médecins. Ces exemples ont participé à faire évoluer la notion
de lien de subordination qui a du appréhender l’antilogie du statut des libéraux salariés (2).
1 - Illustrations
365.
Tout d’abord, s’agissant de la profession d’avocat. Suite aux fusions de la loi n° 71-
1130 du 31 décembre 1971, en dépit de toute autorisation du salariat dans la profession, le
risque des requalifications en contrat de travail est devenu réel. Après l’affaire « MandesiBel »l367 le législateur est intervenu pour empêcher ces requalifications. La loi de 1977 qui
ignorait encore le salariat de fait laisse désormais place à la loi n° 90-1259 du 31 décembre
1990 et son décret d’application - décret n°91-1197 du 27 novembre 1991 - qui introduisent
un salariat de droit dans la profession d’avocat. Ce n’est pourtant pas sans soulever de
problèmes puisque l’avocat salarié étant titulaire d’un contrat de travail, cela induit qu’il se
trouve dans un lien de subordination avec son employeur. Alors comment l’avocat, qui prête
serment d’exercer sa profession avec indépendance368, peut-il se lier à un employeur qui
pourrait lui donner des ordres, contrôler son travail et le sanctionner ? Le lien de
subordination n’est-il pas le critère essentiel de la distinction entre le salarié et
l’indépendant369 ? L’avocat salarié est supposé être avocat, donc indépendant mais dans le
même temps salarié donc subordonné. La profession d’avocat a donc évolué
significativement. L’apparition d’avocats salariés370 illustre typiquement le développement du
salariat dans les professions libérales mais aussi l’évolution du salariat dans son ensemble.
Déontologie et profession libérale, Annales des loyers 2000, n°1 p.24 ; V. Renaux-Personnic, Op.cit.,
n°180
367
Cass, civ 1°, 26 Janvier 1982, n° 78-40.211 et 78-11.212 ; Rec. Dalloz 1982, p.528, note P. Gode ;
Gaz. Pal.1982 p. 154
368
« Je jure, comme Avocat, d'exercer mes fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité
et humanité ».
369
J.-P., Chauchard, Subordination et indépendance : un sisyphe juridique ? Travail et protection
sociale 2001, n° 10, p.4 ; S. Brissy, L'application du droit du travail aux travailleurs indépendants : un
régime juridique cohérent ? La Semaine Juridique Social n° 5, 31 Janvier 2006, 1093
370
Pour une analyse du système français de conciliation entre l’indépendance et la subordination de
l’avocat salarié, V. N. Pépin, L’avocat salarié, Mémoire de DEA, Centre de Droit Social, Aix, 2008 ;
V. aussi : V. Renaux-Personnic, L’avocat salarié : entre indépendance et subordination, Thèse, Éd
PUAM 1998 ; B. Guizard, L'avocat salarié, Thèse, Université Montpellier I, 1997
131
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
« La subordination stricte du XIX° siècle cohabite désormais avec la subordination relative
des libéraux salariés »371.
366.
Concernant les notaires, l'ordonnance du 2 novembre 1945372 prévoit qu’ils peuvent
exercer leur activité comme salarié d'une personne morale ou physique titulaire d'un office
notarial373. Le décret n° 93-82 du 15 janvier 1993374 rappelle que le notaire doit cependant
exercer dans des conditions garantissant son indépendance et le respect de la déontologie :
«Les notaires salariés sont soumis aux dispositions législatives et réglementaires relatives à
l'exercice des fonctions de notaire par des personnes physiques, à la déontologie et à la
discipline notariale ainsi qu'aux dispositions du présent décret ».
367.
En ce qui concerne les géomètres experts, ils sont soumis à la loi n°46-942 du 7 mai
1946 instituant l'Ordre des géomètres experts375. À ce titre la qualité de membre de l'Ordre est
incompatible avec une charge d'officier public ou ministériel ou avec « toute occupation ou
tout acte de nature à porter atteinte à son indépendance »376. La qualité de membre de l'Ordre
est ainsi incompatible avec un mandat commercial, ou un emploi rémunéré, même chez un
autre géomètre-expert. Les seules exceptions admises sont les cas de « missions temporaires
de l'État ou d'une collectivité publique ». Il existe donc un cas de salariat externe
nécessairement temporaire377 et un cas de salariat interne si l'employeur est une personne
morale exerçant la profession. Hors de ces deux cas le géomètre-expert n'est pas autorisé à
exercer sa profession dans un rapport de subordination. S'il conclut un contrat de travail celuici produira ses effets mais le géomètre encourt des sanctions disciplinaires pouvant aller
jusqu'a la radiation.
371
J.-E. Ray, de germinal à internet, une nécessaire évolution du critère du contrat de travail, dr. soc.
1995 n° 7-8, p.1 ; V. aussi : P.-H. Antonmattéi, Les 35 heures dans les cabinets d'avocats, Act., JCP E
n°43, p.1697-1699, 28/10/1999
372
Prise en application de la loi du 31 décembre 1990
373
D. Gilles, Notaire salarié, un professionnel libéral ? : JCP N, I, 1993, p. 213 ; V. aussi : J.-F.
Pillebout, JCP N, formulaire, Fasc. 110 : Notariat
374
Décret portant application de l'article 1er ter de l'ordonnance n° 45-2590 du 2 novembre 1945 et
relatif aux notaires salariés
375
V. version consolidée au 09 juin 2005
376
Article 8 de la loi précitée
377
Contrat de travail temporaire, CDI de chantier, Contrat de mission à l'exportation
132
Ͳ
368.
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
Le cas des experts-comptables est pour sa part soumis à l’ordonnance n° 45-2138 du
19 septembre 1945. À ce titre ils ne peuvent pas exercer leur profession selon des modalités
portant atteinte à leur indépendance. Leur statut d’expert comptable est donc incompatible, en
outre, avec tout emploi salarié excepté auprès d’un expert-comptable ou d’une société
d’expertise comptable378. Ils peuvent donc être subordonnés à l’autorité d’un membre de leur
profession, personne physique et personne morale, sur le modèle du salariat interne de
l’avocat salarié.
369.
Enfin les médecins sont soumis au code de déontologie médicale institué par le décret
n° 95-1000 du 6 septembre 1995379. Les rapports de subordination sont réglementés par
l’article n° 87 : « Il est interdit à un médecin d'employer pour son compte, dans l'exercice de
sa profession, un autre médecin ou un étudiant en médecine ». La subordination entre
médecins est donc proscrite sauf en cas de stages de formation universitaire. La pratique de
ces stages dans un contexte de crise d’effectifs dans le milieu hospitalier aboutit souvent à un
exercice plus proche du contrat de travail que de la formation380.
370.
Le risque particulier qui en découle est lié au fait que les stagiaires ne sont pas encore
médecins. Il existe ainsi une nomenclature d’actes importants qui leur sont en principe
strictement interdits (un acte interruptif de grossesse par exemple) ; l’exercice illégal de la
médecine est un risque réel pouvant compromettre l’accès ultérieur à la profession. Le
médecin peut exercer dans des structures médicales comme les hôpitaux, les cliniques, les
mutuelles ou les centres médicaux381. Il faut aussi mentionner le cas du médecin du travail qui
378
Articles 7 et 8 de l’Ordonnance n° 45-2138 du 19 septembre 1945 ; V. V Renaux-Personnic,
Op.cit., n° 181
379
L’exercice salarié de la médecine est encadré par les articles n°95 à n°99
380
C. Roy-Loustaunau, Stage ou contrat de travail ? La Semaine Juridique Édition Générale n° 9, 28
févr. 2001, II 10482 ; A. Lyon-Caen, Stage et travail : dr. soc. 1982, p. 64 ; P. Étiennot, Stage et essai
en droit du travail : RJS 1999, 8-9, p. 623 ; J. Y. Frouin, Les éléments de précarité dans le contrat à
durée indéterminée, rev. dr. ouvr. 1997, p. 125 ; J.-M. Luttringer, L'entreprise formatrice sous le
regard du juge, dr. soc.1994, p. 283
381
V. Oosterlynck, Nicolas. L'ambigüité du statut du médecin du travail : entre indépendance et
subordination. [s.l.], 1995. ; R. et J. Savatier, J.-M. Aubry et R. Péquinot, Traité de droit médical, Libr.
Techniques, 1956, p.382 ; J. Savatier, L'application du droit du travail dans les établissements
hospitaliers privés, Rev. Dr. Sanit. Soc. 1990, p. 476 à 478 ; V. aussi J.-P. Viennois, Le médecin
collaborateur libéral, La Semaine Juridique Édition Générale n° 52, 28 Décembre 2005, I 198
133
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
peut être titulaire d’un contrat de travail avec une entreprise382. Seul le salariat externe du
médecin est donc autorisé.
2 – L’antilogie du statut des libéraux salariés
371.
L’introduction de la notion de lien de subordination au sein des professions
réglementées relève donc de l’antilogie puisqu’elles sont marquées par l’indépendance. La
réduction du domaine de la subordination de l’avocat salarié contribue à l'évolution générale
du salariat. Il s’agit plus que jamais d’un concept à géométrie variable. La subordination de
l'avocat salarié est aussi relative que celle du médecin, du notaire ou de l'huissier. L'avocat
salarié qui contribue à un service organisé conserve l'indépendance inhérente à son serment et
nécessaire à l'exécution de ses obligations professionnelles en matière d'aide juridictionnelle
et de commission d'office. Le droit français poursuit cependant la quête d’un meilleur système
de conciliation entre indépendance et subordination. Actuellement la solution du droit français
réside dans l’octroi de libertés au libéral salarié.
372.
Pour reprendre le cas de l’avocat salarié, ce dernier est certes soumis à un lien de
subordination mais il est réduit à la seule détermination des conditions de travail. L'article 137
du décret prévoit que : « l'avocat salarié est lié par un contrat de travail écrit qui ne peut porter
atteinte au principe déontologique d'égalité entre avocats, nonobstant les obligations liées au
respect des clauses relatives aux conditions de travail ». Les textes témoignent d'une volonté
embarrassée de concilier la déontologie propre à l'avocat et les conditions de travail du
salarié. L'avocat salarié est donc l'égal de son confrère employeur en liberté et indépendance
mais demeure subordonné dans ses conditions de travail383.
373.
L’indépendance technique réduit donc le champ du lien de subordination. Il en découle
un éclatement du lien de subordination. C’est l’idée déjà évoquée qu’il existe plusieurs liens
de subordination, qui varient selon la nature de la profession ou selon la technicité des tâches
à accomplir. Cette incapacité de la notion de subordination à atteindre l’universalité lui fait
perdre sa légitimité au rang de critère du contrat de travail. Pourtant aucun autre critère n’est à
ce jour parvenu à dépasser le lien de subordination.
382
383
Loi du 12 décembre 1973 sur la sécurité au travail
R. Martin, Déontologie de l'avocat : Litec, 8e éd., 2004, p. 105
134
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
Paragraphe 2 - L’exclusion du statut salarié
374.
Le code du travail prévoit des présomptions de non-salariat. L’objet de ces
dispositions est de sécuriser le recours à un travailleur indépendant en maîtrisant le risque de
requalification en contrat de travail. Mais les hésitations de la loi (A) ont plusieurs fois remis
en cause ce système car les conséquences des présomptions de salariat (B) sont déterminantes
dans la qualification du contrat de travail puisqu’elles présupposent l’existence d’un lien de
subordination.
A – Les hésitations de la loi
375.
À l’origine, la loi n° 94-126 du 11 février 1994, dite loi Madelin, prévoyait que les
personnes physiques immatriculées au registre du commerce, au répertoire des métiers, au
registre des agents commerciaux ou auprès de l’URSSAF pour le recouvrement des
cotisations d’allocations familiales étaient présumées ne pas être liées par un contrat de travail
dans l’exécution de leur activité professionnelle ayant donné lieu à cette immatriculation384.
376.
Cette loi a été accusée de servir les intérêts des donneurs d’ouvrage en constituant « un
moyen de se soustraire à bon compte des contraintes de la législation sociale inhérentes à
l’emploi de salariés, notamment en ce qui concerne la durée du travail, les conditions de
rémunération, l’hygiène et la sécurité, le paiement des cotisations sociales, ainsi qu’au
domaine du contrôle de l’inspection du travail »385. La loi du 19 janvier 2000 dite loi Aubry II
a donc abrogé cette disposition.
384
V. sur cette réforme, A. Arséguel et Ph. Isoux, loi « Initiative et entreprise individuelle », aspects
sociaux, Bull. Joly 1994, n° 5, p. 469 ; Th. Aubert-Monpeyssen, La définition du salariat par la loi
Madelin, Petites affiches 22 sept. 1995, no 114, p. 14 ; J. Barthélémy, Contrats de travail et
d’entreprise : nouvelles frontières, Réflexions sur la loi Madelin, JCP E, 1994. I. 361 ; F. Doroy, La
vérité sur le faux travail indépendant, dr. soc. 1995, p. 638 ; J. Djoudi, Sur la loi Madelin, dr. soc.
1995, p. 631 ; M. Laroque, Présentation introductive de la loi du 11 février 1994, relative à l’initiative
et à l’entreprise individuelle, dr. soc. 1995, p. 631 ; G. Lyon-Caen, « Où mènent les mauvais chemins»
(à propos de la loi Madelin) dr. soc. 1995, p. 647 ; B. Teyssié, Sur un fragment de la loi n° 94-126 du
11 février 1994, commentaire de l’article L. 120-3 du code du travail, dr. soc. 1994. p. 667
385
V. Association Villermé, La loi Madelin et le contrat de travail, dr. soc. 1994, p. 673 ; Syndicalisme
hebdo CFDT 3 et 10 janv. 1994
135
Ͳ
377.
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
Mais la loi du 1er août 2003 est venue rétablir la présomption de non-salariat à
l’ancien article L.120-3 du code du travail386. Désormais codifiée à l’article L. 8221-6, la loi
prévoit que « Sont présumés ne pas être liés avec le donneur d'ordre par un contrat de travail
dans l'exécution de l'activité donnant lieu à immatriculation ou inscription : les personnes
physiques immatriculées au registre du commerce et des sociétés, au répertoire des métiers, au
registre des agents commerciaux ou auprès des unions de recouvrement des cotisations de
sécurité sociale et d'allocations familiales pour le recouvrement des cotisations d'allocations
familiales ; les personnes physiques inscrites au registre des entreprises de transport routier de
personnes, qui exercent une activité de transport scolaire prévu par l'article L. 213-11 du code
de l'éducation ou de transport à la demande conformément à l'article 29 de la loi n° 82-1153
du 30 décembre 1982 d'orientation des transports intérieurs ; les dirigeants des personnes
morales immatriculées au registre du commerce et des sociétés et leurs salariés ; les personnes
physiques relevant de l'article L. 123-1-1 du code de commerce ou du V de l'article 19 de la
loi n° 96-603 du 5 juillet 1996 relative au développement et à la promotion du commerce et
de l'artisanat ».
B – Les conséquences de la présomption de salariat
378.
Au plan juridique, la présomption de non-salariat que contient le nouvel article L.
8221-6 du code du travail est critiquable car elle fait prévaloir la volonté du travailleur de
choisir ou d’accepter le statut de travailleur indépendant sur les conditions de fait dans
lesquelles il exécute effectivement sa prestation de travail pour le compte du donneur
d’ouvrage387. Ce texte laisse entendre qu’il serait possible à un travailleur de renoncer au
statut de salarié, et donc aux droits attachés à cette qualité, en se contentant de se déclarer
comme travailleur indépendant sur un registre ou un répertoire professionnel388.
386
V. L. Milet, Sortie par la porte... Rentrée par la fenêtre ! [à propos de la présomption de nonsalariat], RPDS 2003, n° 696, p. 91 ; M. Véricel, Le rétablissement de la présomption de non-salariat,
dr. soc. 2004, p. 297
387
V. M. Vericel, Le rétablissement de la présomption de non-salariat, préc., spéc. p. 298
388
Registre du commerce pour les professions commerciales, répertoire des métiers pour les
professions artisanales, registre des agents commerciaux, inscription auprès de l’URSSAF pour les
professions libérales
136
Ͳ
379.
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
Or, la jurisprudence rappelle constamment qu’il n’est point permis de renoncer, à
l’avance, au bénéfice d’un droit389. Qui plus est, les termes de ce texte tendent à contredire sur
un autre point la jurisprudence, lorsqu’elle affirme, également pour principe, que « l’existence
d’une relation de travail salariée ne dépend, ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la
dénomination donnée par celles-ci à leur convention, mais des conditions [de fait] dans
lesquelles s’exerce l’activité du travailleur »390, ce qui relègue incontestablement l’expression
de la volonté des parties à un simple indice de non-salariat et exclut donc qu’elle puisse être
considérée comme un critère décisif de la qualification du contrat que celles-ci ont conclu
entre elles391.
380.
Cela étant précisé, la question se posera, en pratique, et très certainement devant les
tribunaux, de déterminer la portée juridique concrète de cette présomption de non-salariat. À
cet égard, il convient de souligner qu’aux termes du nouvel article L. 8221-6 du code du
travail, cette présomption n’est pas irréfragable, mais simple. Le texte précise dans son alinéa
2, que la présomption peut être renversée lorsque «l’existence d’un contrat de travail est
établie [par la preuve que] les personnes [concernées] fournissent, directement ou par
personne interposée, des prestations à un donneur d’ouvrage dans des conditions qui les
placent dans un lien de subordination juridique permanente à l’égard de celui-ci ». Avant la
loi de 2003, l'existence d'un contrat de travail pouvait déjà être établie lorsque les
travailleurs fournissaient une prestation dans des conditions qui les plaçaient dans « un lien de
subordination juridique permanente »392 à l'égard du donneur d’ordre.
389
V. notamment en ce sens, Cass. soc. 28 juin 2000, n° 98-43.780, concernant le droit du salarié au
bénéfice de commissions prévues par son contrat de travail ; 4 juillet 2001, n° 99-43.520, à propos du
droit de l’employeur à l’application d’une clause contractuelle de dédit-formation ; 19 juin 2002, n°
99-45.837, concernant le droit du salarié au bénéfice d’une majoration de jours de congés payés pour
fractionnement ; 23 octobre 2002, n° 00-45.451, pour le droit du salarié au bénéfice de son préavis de
licenciement
390
V. en ce sens, Cass. ass. plén. 4 mars 1983, Bull. civ., n° 3 ; Cass. soc. 17 avril 1991, RJS 5/1991,
n° 640 ; 23 janvier 1997, RJS 3/1997, n° 245 ; 19 déc. 2000, RJS 3/2001, n° 275 ; 16 janvier 2002,
RJS 3/2002, n° 253 ; Cass. soc. 10 décembre 1998, RJS 3/1999, n° 457 ; 16 janv. 2002, RJS 3/2002,
n° 253
391
V. Cass. com. 10 décembre 2003, RJS 6/2004, n° 771, affirmant à propos d’un prétendu agent
commercial que « l’application du statut d’agent commercial - tel qu’il est défini par l’article L. 134-1
du code de commerce - ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties dans le contrat [qu’elles ont
conclu entre elles], ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention, mais des conditions
dans lesquelles l’activité [du travailleur en cause] est effectivement exercée »
392
L. 8221-6 alinéa 2 du Code du travail ; V. Cass. soc. 4 oct. 2001, RJS 12/2001, n° 1454 ; Cass. soc.
10 décembre 2002, RJS 2/2003, n° 144 ; Cass. soc. 8 juill. 2003, RJS 10/2003, n° 1111
137
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
SECTION II – LA PROPAGATION DU DROIT DU TRAVAIL HORS
SUBORDINATION
381.
Il a déjà été évoqué que si le droit du travail a une vocation naturelle à s'appliquer aux
travailleurs subordonnés, le champ d'application du Code du travail ne peut être réduit à ce
postulat qui n’est pas rigoureusement exact. En effet, de nombreuses dispositions concernent
les services publics (paragraphe 1), les travailleurs indépendants (paragraphe 2), voire même
les demandeurs d'emploi. Les frontières du droit du travail sont donc poreuses et ne peuvent
pas être cantonnées aux relations subordonnées. Il est possible aujourd’hui d’observer un
phénomène de décloisonnement des règles applicables aux travailleurs, qu’ils soient
subordonnés ou indépendants, du secteur privé ou du secteur public. C’est dans cette
hypothèse que l’on peut observer une relativisation de l’intérêt du lien de subordination par
la propagation du droit du travail au-delà du salariat classique. C’est aussi ce qui pourrait
fonder la mise en place d’un tronc commun qui serait indifférent à la notion de subordination
juridique.
Paragraphe 1- Secteur public et droit du travail
382.
Certains travailleurs exerçant dans le secteur public bénéficient du statut salarié et
relèvent donc du champ d’application du droit du travail. Il s’agit des agents publics
contractuels et des personnes employées par une personne morale de droit privé investie d’une
mission de service public. Mais plus globalement il est possible de constater une application
croissante du droit du travail dans le secteur public (A).
383.
Dans certaines hypothèses le droit du travail a pu recevoir une application au-delà de
sa vocation naturelle. Dans ce cas c’est la summa divisio du travail hiérarchisé qui est
fragilisée avec en perspective un rapprochement entre les travailleurs du secteur privé et ceux
du secteur public. Ce rapprochement se traduit d’ailleurs par le mouvement réciproque du pas
pris par le statut sur celui du contrat dans le secteur privé et celui de la contractualisation
croissante de la fonction publique (B). Ce phénomène constitue d’ailleurs la trame de fond du
discours de N. Sarkozy à l’Institut Régional d'Administration à Nantes, le 19 septembre 2007.
Ce discours étant consacré à l'avenir de la fonction publique, il n’en est que plus significatif.
138
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
A – L’application croissante du droit du travail dans le secteur public
384.
Les fonctionnaires et les agents publics sont par principe soumis aux règles du droit
public, et plus particulièrement du statut auquel ils sont soumis. Pourtant le droit du travail
peut également recevoir application. Cette extension du champ du droit du travail se fonde
tout d'abord sur le rôle des textes légaux (1) mais il faut aussi envisager celui des principes
généraux du droit (2) ainsi que celui de la jurisprudence (3). Il en ressort un alignement du
droit de la fonction publique sur le droit du travail.
1 – Le rôle des textes
385.
La loi n° 82-915 du 28 octobre 1982 relative au développement des institutions
représentatives du personnel a étendu la mise en place de comités d'entreprise et de délégués
du personnel au bénéfice du personnel statutaire de droit privé393. Il s’agit donc d’une
première extension du champ du droit du travail au-delà du lien de subordination juridique394.
386.
La loi n° 82-597 du 13 novembre 1982 relative à la négociation collective et au
règlement des conflits collectifs du travail dispose que « des conventions et accords
d'entreprise peuvent compléter les dispositions statutaires ou en déterminer les modalités
d'application dans les limites fixées par le statut »395. Selon l’article L2233-1 du Code du
travail, cette disposition concerne les entreprises publiques, les établissements publics à
393
« La catégorie juridique des personnels statutaires de droit privé est originale. D'une part en effet, il
s'agit bien de salariés, comme l'ont reconnu quasi simultanément en 1950 le Conseil d'État et la Cour
de cassation, l'existence d'un statut n'excluant pas celle de contrats individuels conclus dans son cadre,
et relevant donc pour les conflits du travail, du juge judiciaire. Mais d'autre part, il s'agit de salariés sui
generis, qui ne sont pas placés sous le régime des conventions et accords collectifs, mais régis, avec
l'autorisation du législateur, par un statut, acte administratif réglementaire, le plus souvent « négocié »,
pris soit sous forme de décret, soit sous la forme d'un acte innommé pris par l'entreprise elle-même
[…] À ce statut s'ajoutent en outre les excroissances de la réglementation interne, c'est-à-dire toute une
série d'actes unilatéraux complétant et développant le statut, et qui peuvent également avoir la nature
d'actes administratifs. » V. C. Albert-Garbar, Les EPIC face à leurs personnels. De la différenciation à
l'indifférenciation, La Semaine Juridique Administrations et Collectivités territoriales n° 31, 27 Juillet
2009, 2199
394
V. J. Chorin, L'adaptation de la législation de la représentation du personnel dans les entreprises à
statut, dr. soc. 1990, p. 886.
395
Article L.2233-2 du Code du travail
139
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
caractère industriel ou commercial ainsi que les établissements publics assurant à la fois une
mission de service public à caractère administratif et à caractère industriel et commercial. Des
conventions et accords collectifs relevant du code du travail peuvent donc bénéficier à des
travailleurs qui ne sont pas dans un lien de subordination juridique et qui relèvent par ailleurs
de dispositions statutaires.
387.
La loi n° 2003-775 du 21 août 2003 portant réforme des retraites a partiellement aligné
le régime des retraites de la fonction publique sur celui du secteur privé. Cette harmonisation
a d’ailleurs été complétée par plusieurs décrets de 2008396 qui ont étendu cet alignement aux
régimes spéciaux des entreprises publiques à statut. Il est donc possible d’y voir les prémices
d’un alignement total du régime des retraites de la fonction publique sur celui du droit privé.
En tout état de cause il s’agit d’un rapprochement incontestable des régimes applicables aux
travailleurs subordonnés et aux travailleurs statutaires qui vient relativiser l’importance du
lien de subordination puisque ce mouvement rend plausible le développement d’un véritable
tronc commun de l’activité professionnelle. Il s’agirait donc de l’abandon de la différenciation
des travailleurs subordonnés et statutaires – du privé et du public - au profit de leur
indifférenciation397.
388.
Par ailleurs, les anciens articles L.970-1 à L.970-6 du Code du travail prévoyaient un
dispositif de formation professionnelle des agents publics tout au long de la vie.
Malheureusement la recodification à droit constant n’a pas repris ces dispositions dans la
nouvelle codification. Elles demeurent toutefois en vigueur car elles ont été intégrées dans la
loi de modernisation de la fonction publique qui consacre le droit à la formation
professionnelle des agents publics tout au long de la vie. Bien qu’extérieure au Code du
travail, cette loi mérite toutefois d’être mentionnée car « le volet formation qu'elle contient
s'inspire en réalité du dispositif inventé de prime abord pour la fonction publique territoriale et
plongeant ses racines du côté du droit privé »398.
396
V. notamment D. n° 2008-47, 15 janv. 2008 relatif à la SNCF, JO du 16 janv. 2008 ; D. n° 2008-48,
15 janv. 2008 relatif à la RATP, JO du 16 janv. 2008 ; D. n° 2008-69, 22 janv. 2008 relatif au
personnel des industries électriques et gazières, JO du 23 Janv. 2008.
397
Sur ces notions V. C. Albert-Garbar, Les EPIC face à leurs personnels. De la différenciation à
l'indifférenciation, La Semaine Juridique Administrations et Collectivités territoriales n° 31, 27 Juillet
2009, 2199
398
D. Jean-Pierre, La loi de modernisation de la fonction publique, La Semaine Juridique
Administrations et Collectivités territoriales n° 6, 5 Février 2007, act. 107
140
Ͳ
389.
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
À ce titre il convient également de mentionner la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983
applicable aux trois fonctions publiques car elle est la première loi à avoir consacré un droit
individuel à la formation au bénéfice des agents, et qui complète les actions de formation
prévues par les statuts particuliers : « le droit à la formation professionnelle tout au long de la
vie est reconnu aux fonctionnaires »399. Là encore, l'alignement du droit de la fonction
publique sur le droit du travail est évident.
390.
De plus, l’article L.3221-1 du Code du travail relatif à l’égalité de rémunération entre
les femmes et les hommes prévoit expressément que les dispositions des articles L. 3221-2 à
L. 3221-7 du Code du travail sont applicables aux agents de droit public : « Les dispositions
des articles L. 3221-2 à L. 3221-7 sont applicables, outre aux employeurs et salariés
mentionnés à l'article L. 3211-1, à ceux non régis par le code du travail et, notamment, aux
agents de droit public »400.
391.
C’est aussi le cas de l’article L.3252-1 du Code du travail relatif aux saisies et cessions
des rémunérations qui bénéficie aux agents publics puisqu’il vise « les sommes dues à titre de
rémunération à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce
soit, pour un ou plusieurs employeurs, quels que soient le montant et la nature de sa
rémunération, la forme et la nature de son contrat ». L’article L.2512-1, lui aussi, vise
directement l’exercice du droit de grève par les personnels de l'État, des régions, des
départements et des communes comptant plus de dix mille habitants, des personnels des
entreprises, organismes et établissements publics ou privés lorsqu’ils sont chargés de la
gestion d'un service public.
392.
L’article L.5212-1 prévoit encore que l’obligation d'emploi des travailleurs
handicapés, mutilés de guerre et assimilés s'applique à tout employeur, occupant vingt salariés
et plus, y compris les établissements publics industriels et commerciaux. L’article L.8211-1
est aussi susceptible de s’appliquer à tout fonctionnaire puisqu’il vise les cumuls irréguliers
d'emplois. L’article L.1234-14 prévoit des dispositions particulières au secteur public
concernant les préavis et indemnités de licenciement. Les dispositions des articles L. 1234-1,
399
Article 22 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires
Art. préc. ; V. P.-H. Antonmattéi, Note sous Loi numéro 2007-1224 du 21 août 2007 sur le
dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs,
JO n° 193 du 22 août 2007, p. 13956, Revue Lamy Droit des affaires n°20, p. 57- 59
400
141
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
L. 1234-8, L. 1234-9 et L. 1234-11 sont ainsi applicables aux agents et salariés, autres que les
fonctionnaires et les militaires et aux salariés soumis au même statut légal que celui
d'entreprises publiques.
393.
Enfin les dispositions de l’article L. 4111-1 du Code du travail relatives à l'hygiène, à
la sécurité et aux conditions de travail disposent que l'ensemble de ses dispositions
s'appliquent « aux établissements publics à caractère industriel et commercial, aux
établissements publics administratifs lorsqu'ils emploient du personnel dans les conditions du
droit privé [et] aux établissements de santé […]. Ainsi le droit commun n'a pas vocation à
s'appliquer aux seuls travailleurs subordonnés, mais, de façon extensive, peut également
concerner les agents d'employeurs publics »401.
2 - Le rôle des principes généraux du droit
394.
Les principes généraux du droit sont découverts et non créés par le juge administratif.
Ils sont fondées sur l'équité, l'éthique402 voire sur la bonne administration de la justice. Les
principes généraux du droit s'appliquent même en l'absence de texte et ont, selon la formule
de R. Chapus, une valeur infra-législative et supra-décrétale. Le juge administratif tire ainsi
du Code du travail l'inspiration nécessaire à la découverte de ces principes ce qui contribue
au rayonnement grandissant du droit du travail des salariés subordonnés jusqu’aux travailleurs
du secteur public soumis à un statut réglementaire.
395.
Il en est ainsi de l’influence de l’interdiction de licencier une salariée en état de
grossesse403, de l’interdiction pour l’employeur d’infliger des sanctions pécuniaires à ses
employés404, de l’interdiction de résilier un contrat de travail en raison de la situation familiale
du salarié405, ou de l’obligation de fournir à tout agent public une rémunération au moins
égale au SMIC406. Il faut également souligner l’influence de l’exigence d’un accord des deux
401
D. Jean-Pierre, La privatisation du droit de la fonction publique, La Semaine Juridique
Administrations et Collectivités territoriales n° 29, 15 Juillet 2003, 1672 p. 973
402
CE, 10 mars 2006, Caccavelli ; JCP S 2006, 1365, note D. Asquinazi-Bailleux.
403
CE, Ass, 8 juin 1973, Dame Peynet, Leb. p. 406 concl. Suzanne Grevisse
404
CE, Ass., 1er juillet 1988, Billard et Volle, Leb. p. 268
405
CE, 27 mars 2000, Mme Brodbeck
406
CE, Sect., 23 avril 1982, Ville de Toulouse c. Mme Aragnou, rec. Leb. p. 152
142
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
parties pour toute modification d’un élément essentiel du contrat de travail407. Selon un autre
principe général du droit, un préavis de licenciement ne peut être tenu pour accompli lorsqu'il
débute lors d’une période de congé maladie408 et le certificat de travail délivré par l'employeur
public doit être conforme aux prescriptions du Code du travail409.
396.
Avant son intégration dans le décret du 16 juin 2000410, la jurisprudence
administrative avait déjà introduit le droit de retrait dans la fonction publique territoriale en
l’élevant au rang de principe général et en reconnaissant explicitement s'inspirer du Code du
travail
411
. Le Conseil d'État s’est encore inspiré du Code du travail en jugeant qu’un
employeur public est soumis à l'obligation de chercher à reclasser un agent non titulaire
déclaré inapte et, lorsque c'est impossible, de le licencier pour inaptitude412.
397.
Le Conseil d'État recourt donc aux principes généraux du droit du travail et contribue
ainsi à renforcer l'alignement du droit de la fonction publique sur le droit du travail. « Le
phénomène d'hybridation entre droit privé et droit public est univoque : les règles de droit du
travail pénètrent massivement le régime juridique applicable à l'emploi public local et cette
tendance constitue un élément essentiel de l'évolution du droit des collectivités territoriales.
Le champ du droit du travail est donc extensif et cette branche du droit a vocation à
s'appliquer au-delà de la seule situation du travailleur salarié »413.
3 – Le rôle casuistique de la jurisprudence
398.
Enfin il mérite d’être souligné que la jurisprudence administrative applique parfois
certaines règles du droit du travail, qui ne sont pas des principes généraux, à des travailleurs
407
CE, Ass., 29 juin 2001, Berton
CE, 12 juin 1987, Séguin : Rec. CE 1987, p. 789
409
TA Rennes, 23 juill. 1997, G. : AJFP mars 1998, p. 49
410
D. n° 2000-542, 16 juin 2000 modifiant le décret n° 85-603 du 10 juin 1985 relatif à l'hygiène et à
la sécurité du travail ainsi qu'à la médecine professionnelle et préventive dans la fonction publique
territoriale, art. 6 : Journal Officiel 20 Juin 2000.
411
TA Besançon, 10 oct. 1996 ; Dr. soc. 1996, p. 1034, concl. C. Moulin ; LPA 1997, n° 88, note
P. Portet
412
CE, 2 oct. 2002, n° 227868, CCI Meurthe-et-Moselle c/ Fardouet : AJDA 2002, p. 997 et p. 1294,
concl. D. Piveteau, note M.-Ch. de Montecler ; LPA 2003, n° 120, p. 18, note A. Toublanc
413
D. Jean-Pierre, La privatisation du droit de la fonction publique, La Semaine Juridique
Administrations et Collectivités territoriales n° 29, 15 Juillet 2003, 1672 p. 973
408
143
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
relevant d’un statut réglementaire. Il s’agit donc d’une troisième voie de propagation du droit
du travail. Elle n’a « pas un effet erga omnes à l'instar des principes généraux du droit, mais
est posée au cas par cas […]. En l'absence de disposition expresse, il peut donc être fait
application de règles issues du droit du travail, sur lequel s'aligne alors le droit de la fonction
publique territoriale »414.
B – Privatisation et contractualisation du droit de la fonction publique
399.
La contractualisation (1) ainsi que la privatisation de la fonction publique (2) sont
deux phénomènes récents qui favorisent la propagation du droit du travail hors lien de
subordination. La relativisation du lien de subordination juridique est donc encore aggravée
par ce nouveau facteur.
1 – La contractualisation de la fonction publique
400.
« Le phénomène de contractualisation ne consiste […] nullement en un reflux de la loi
face au contrat ni en un recul du dirigisme face au laissez-faire. Loin de signifier un retour
aux origines contractuelles du droit du travail, il s’exprime par l’apparition de l’hétéronomie
et de l’autonomie. Au lieu de soumettre les relations de travail à des règles imposées de
l’extérieur ou bien de s’en remettre au libre jeu du rapport de forces entre employeurs et
salariés, on s’efforce d’associer les uns et les autres à la définition et à la mise en œuvre des
règles nécessaires au bon fonctionnement du marché du travail »415.
401.
La contractualisation appliquée au droit de la fonction publique peut donc servir à
désigner le développement des accords entre l’administration et ses agents, qu’ils soient de
nature individuelle ou collective.
414
F.Héas, L'extension du droit du travail aux agents des collectivités territoriales, La Semaine
Juridique Social n° 17, 22 Avril 2008, 1246
415
A. Supiot, La contractualisation des relations de travail en droit français in P. Auvergnon, La
contractualisation du droit social, Actes du séminaire international de droit comparé du travail, des
relations professionnelles et de la sécurité sociale de 2002, Bordeaux 2003 p.27
144
Ͳ
402.
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
Tout d’abord la contractualisation individuelle ; lors de son discours à l’IRA de
Nantes, le 19 septembre 2007, le Président de la République N. Sarkozy a ainsi déclaré : « je
suis convaincu que pour certains emplois de la fonction publique il serait souhaitable qu'on
laisse le choix aux nouveaux entrants entre le statut de fonctionnaire ou un contrat de droit
privé négocié de gré à gré. Cela donnerait de la souplesse et du sang neuf. Au fond pour moi
c'est cela sans doute le plus important dans la transformation qu'il nous faut accomplir : sortir
d'une approche purement mécanique, juridique, égalitariste, anonyme et remettre de l'humain,
de l'individualité, de la différenciation dans la gestion de la fonction publique »416.
403.
Il apparaît également dans ce discours relatif à la grande réforme de la fonction
publique, que la voie empruntée est celle d’un rapprochement significatif du statut des
fonctionnaires vers celui des salariés du privé, ce qui aurait pour conséquence d’accroître le
caractère contractuel du lien entre le fonctionnaire et son administration et donc de favoriser
encore plus l’applicabilité du doit du travail : « Ce que je voudrais, ce que je crois nécessaire,
c'est que l'on cesse de gérer des statuts et que l'on se mette davantage à gérer des hommes et
des femmes, que l'on s'occupe davantage des personnes et moins des catégories, que le
fonctionnaire en tant que personne ne s'efface pas derrière des textes, des indices, des
procédures. On a un peu progressé, mais on est encore loin du compte. Ce pourrait être le fil
directeur des réformes à venir. C'est dans cet esprit que je veux ouvrir le chantier de
l'individualisation des rémunérations pour qu'il soit davantage tenu compte du mérite, de
l'implication, de l'expérience, des résultats. Pour que chacun soit incité à faire mieux. Pour
que les meilleurs soient incités à rester »417.
404.
Il s’en traduit une orientation managériale de la fonction publique en quête de
productivité, de résultats, de chiffres et de rentabilité et qui prend modèle sur le secteur privé.
Le livre blanc sur l'avenir de la fonction publique propose d’ailleurs de développer
l’externalisation comme méthode de gestion, s’alignant ainsi sur la pratique de grandes
entreprises : « Dans la fonction publique aussi on doit gagner plus quand on travaille plus.
Elles doivent, comme dans le secteur privé, être mieux payées que les heures normales […]
La réforme de la rémunération, c'est aussi le développement d'une protection sociale
416
N. Sarkozy, discours à l’IRA de Nantes le 19 sept 2008 ; V. aussi : M. Correia, L’individualisation
de la relation de travail dans la Fonction publique in J.-P. Chauchard, A.-C. Hardy-Dubernet, La
subordination dans le travail, Éd. La Documentation Française, 2003
417
Ibid.
145
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
complémentaire qui ne soit pas enfermée dans les statuts et qui puisse faire l'objet d'une
négociation collective. L'individualisation des carrières, la révolution que constituerait une
véritable gestion des ressources humaines, appelle bien sûr une autre révolution, celle de la
formation continue, celle de la validation des compétences et en corollaire une réflexion sur la
culture du concours et sur la notation. Car tout se tient : pas de mobilité, pas de perspective
d'évolution sans formation continue. Pas de gestion humaine si le dialogue avec sa hiérarchie
se limite à la notation. Ce sont de véritables procédures d'évaluation qui impliquent
l'engagement de l'encadrement et la définition d'objectifs de travail précis qui doivent se
substituer aux pratiques de notation que nous connaissons »418.
405.
N. Sarkozy encourage donc le mouvement d’alignement du statut du fonctionnaire sur
celui du salarié subordonné puisque il considère que « partout et depuis toujours ce pari du
développement se gagne non dans l'opposition du privé et du public mais au contraire dans
leur articulation réussie ». Le livre blanc préconise d’ailleurs de privilégier « une fonction
publique où coexistent des agents relevant soit du statut, soit du contrat, sans chercher à
établir une cloison étanche entre les espaces statutaire et contractuel, qui serait illusoire et
contre-productive en termes de gestion »419.
406.
Enfin concernant la contractualisation collective, la fin de ce discours sur l’avenir de la
fonction publique est significative puisque N. Sarkozy y déclare en ces termes : « Toutes les
propositions que je viens de formuler, je le souligne, sont autant de thèmes de négociation et
de concertation avec les organisations syndicales. Je propose de favoriser partout la logique
démocratique de l'élection. Je souhaite que l'on enrichisse les sujets ouverts à la négociation
collective. Je suggère que l'on abandonne la composition strictement paritaire des instances de
dialogue social, qui a mal vieilli ».
2 – La privatisation
407.
Le professeur D. Jean-Pierre est un des seuls auteurs à avoir traité du phénomène
global de la privatisation du droit de la fonction publique, « une privatisation entendue non
418
Livre blanc sur l'avenir de la fonction publique : faire des services publics et de la fonction publique
des atouts pour la France, Éd. La documentation française, avr. 2008
419
Livre blanc sur l’avenir de la fonction publique p.113
146
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
pas comme la privatisation des personnels due à des changements de statuts d'entreprises ou à
une réforme politique d'envergure telle que celle conduite en Italie à partir de 1993, mais
comme celle des sources et des règles du droit de la fonction publique, à l'œuvre depuis
plusieurs années »420. Ce phénomène large englobe donc le recours au droit du travail et peut
se décliner en trois branches : l'applicabilité directe du droit privé aux agents publics,
l'alignement progressif des situations des agents publics et des salariés et celui du droit de la
fonction publique sur le droit privé421.
408.
Or si la fonction publique se privatise dans ses fondements juridiques, ce mouvement
ne peut que permettre une meilleure pénétration du droit privé du travail. L’alignement entre
les travailleurs du secteur privé et ceux du secteur du public s’en retrouve accentué ce qui
tend également au rapprochement de ces travailleurs dans un droit commun de l’activité
professionnelle.
Paragraphe 2- Travail indépendant et droit du travail
409.
Le droit du travail tend à se répandre dans le régime applicable aux travailleurs
indépendants. Ce phénomène met en exergue l’hétérogénéité des règles du Code du travail
(A) ainsi que de l’extension des mécanismes classiques du droit du travail (B).
A – L’hétérogénéité du Code du travail
401.
Si le Code du travail n’est pas intitulé Code du travail salarié alors le droit du travail
ne peut être réduit au droit du travail salarié. Dans ces conditions l’extension du droit du
travail aux travailleurs indépendants paraît naturelle. Pourtant l’extension des règles
contraignantes du Code du travail (1) et l’extension du champ des règles protectrices du Code
du travail (2) démontrent que ces extensions aboutissent à un alignement du régime des
indépendants sur celui des salariés. Au-delà de la simple application de règles du Code du
travail à des indépendants ou à des entrepreneurs, cette hétérogénéité du Code du travail
420
D. Jean-Pierre, La privatisation du droit de la fonction publique, La Semaine Juridique
Administrations et Collectivités territoriales n° 29, 15 Juillet 2003, 1672 p. 973
421
Ibid.
147
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
traduit, dans une logique globale, un même besoin de protection des travailleurs hors toute
considération de lien de subordination.
1 – L’extension des règles contraignantes du Code du travail
402.
Tout d’abord l’article L. 3132-29 du Code du travail prévoit - sous certaines
conditions - que le préfet peut interdire à certains indépendants d’ouvrir leur établissement
pour éviter des distorsions de concurrence entre leur établissements et ceux embauchant des
salariés. Les premiers – par exemple les petits commerces alimentaires ouverts le dimanche peuvent fonctionner avec une main d’œuvre familiale alors que les seconds sont en principe
limités par l’exigence du repos dominical : « Lorsqu'un accord est intervenu entre les
organisations syndicales de salariés et les organisations d'employeurs d'une profession et
d'une zone géographique déterminées sur les conditions dans lesquelles le repos
hebdomadaire est donné aux salariés, le préfet peut […] ordonner la fermeture au public des
établissements de la profession ou de la zone géographique concernée pendant toute la durée
de ce repos […] ».
403.
Il faut confronter cette disposition à la loi n° 2009-974 du 10 août 2009 visant à
adapter des dérogations au principe du repos dominical dans les communes et zones
touristiques et thermales ainsi que dans certaines grandes agglomérations pour les salariés
volontaires. En élargissant la possibilité pour des salariés de travailler le dimanche, cette
disposition réduira le besoin de recourir à l’article 3132-29 du Code du travail.
404.
Il est également possible de citer l’article L. 4532-2 du Code du travail puisqu’il
impose à des entrepreneurs, au bénéfice, en outre, de travailleurs indépendants une
coordination en matière de sécurité et de santé des travailleurs. Celle-ci est organisée « pour
tout chantier de bâtiment ou de génie civil où sont appelés à intervenir plusieurs travailleurs
indépendants ou entreprises, entreprises sous-traitantes incluses, afin de prévenir les risques
résultant de leurs interventions simultanées ou successives et de prévoir, lorsqu'elle s'impose,
l'utilisation des moyens communs tels que les infrastructures, les moyens logistiques et les
protections collectives ».
148
Ͳ
405.
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
Troisièmement, l’article L. 8221-3 du Code du travail peut également trouver à
s’appliquer à des travailleurs indépendants puisqu’est « réputé travail dissimulé par
dissimulation d'activité, l'exercice à but lucratif d'une activité de production, de
transformation, de réparation ou de prestation de services ou l'accomplissement d'actes de
commerce par toute personne […] se soustrayant intentionnellement à ses obligations […] ».
Dans le même contexte juridique, l’article R. 8222-1 du Code du travail impose aux
travailleurs indépendants qui concluent un des contrats prévus à l'article L. 8222-1422 d’opérer
les vérifications obligatoires pour les opérations d'un montant au moins égal à trois mille
euros. Cette disposition du Code du travail s’impose donc au-delà et en dehors de toute
embauche de salarié, ce qui confirme le phénomène d’extension du droit du travail.
406.
Enfin, le Code du travail impose encore des obligations au chef d'entreprise qui
conclut avec un entrepreneur, un contrat pour l'exécution d'un travail ou la fourniture de
services, lorsque l’entrepreneur recrute lui-même la main-d'oeuvre nécessaire. L’article
L. 8232-1 dispose en effet que « lorsque l’entrepreneur n'est pas propriétaire d'un fonds de
commerce ou d'un fonds artisanal, le chef d'entreprise respecte, à l'égard des salariés de
l'entrepreneur employés dans son établissement ou les dépendances de celui-ci et sous les
mêmes sanctions que pour ses propres salariés, les prescriptions relatives aux repos
obligatoires prénatal423 et postnatal, aux dispositions particulières à l'allaitement424, à la durée
du travail, aux repos et aux congés425 et à la santé et la sécurité au travail426 ».
407.
Il s’agit donc d’obligations classiques du droit du travail qui s’imposent à un chef
d’entreprise, au bénéfice de personnes qui ne sont pas ses salariés et sans que soit exigé de
422
« Toute personne vérifie lors de la conclusion d'un contrat dont l'objet porte sur une obligation d'un
montant minimum en vue de l'exécution d'un travail, de la fourniture d'une prestation de services ou de
l'accomplissement d'un acte de commerce, et périodiquement jusqu'à la fin de l'exécution du contrat,
que son cocontractant s'acquitte : 1° Des formalités mentionnées aux articles L. 8221-3 et L. 8221-5 ;
2° De l'une seulement des formalités mentionnées au 1°, dans le cas d'un contrat conclu par un
particulier pour son usage personnel, celui de son conjoint, partenaire lié par un pacte civil de
solidarité, concubin, de ses ascendants ou descendants. Les modalités selon lesquelles sont opérées les
vérifications imposées par le présent article sont précisées par décret. »
423
Article L. 1225-29 du Code du travail
424
Articles L. 1225-30 à L. 1225-33 du Code du travail
425
Au livre 1 de la partie 3 du Code du travail
426
Partie 4 du Code du travail
149
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
lien de subordination entre eux ni même de lien contractuel. L’article L. 8232-2 prévoit même
des sanctions envers le chef d’entreprise en cas de défaillance de l’entrepreneur427.
2 - L’extension du champ des règles protectrices du Code du travail
408.
L’extension du champ des règles protectrices du Code du travail peut être révélée par
la lecture de l’article L. 6313-1. Il prévoit en effet une série d’actions de formation qui entrent
dans le champ d'application des dispositions relatives à la formation professionnelle continue.
Ces actions de formation ne sont pas propres aux salariés et s’adressent plus généralement aux
travailleurs et donc aux indépendants. À titre d’illustration il s’agit d’actions de préformation
et de préparation à la vie professionnelle, de promotion professionnelle, de prévention ou de
conversion, d'acquisition, d'entretien ou de perfectionnement des connaissances. Il existe
également des formations à l'économie et à la gestion de l'entreprise.
409.
Il peut encore s’agir d’actions permettant de réaliser un bilan de compétences, de faire
valider les acquis de leur expérience, d’actions d'accompagnement aux créateurs ou
repreneurs d'entreprises exerçant ou non une activité et enfin d’actions de lutte contre
l'illettrisme et l'apprentissage de la langue française. L’article L. 6312-2 précise même que ce
droit à la formation professionnelle concerne les travailleurs indépendants, les membres des
professions libérales et des professions non salariées ainsi que leur conjoint collaborateur et
les travailleurs privés d'emploi.
410.
En ce qui concerne la représentation collective, l’article L. 2131-2 permet aux
syndicats ou associations de personnes exerçant la même profession ou des métiers similaires
de se constituer librement en visant entre autres, les personnes exerçant la même profession
427
« En cas de défaillance de l'entreprise, à laquelle il est recouru dans les conditions prévues à l'article
L. 8232-1, le chef d'entreprise encourt, nonobstant toute stipulation contraire, les responsabilités
suivantes : 1°) Si les travaux sont exécutés ou les services fournis dans son établissement ou dans les
dépendances de celui-ci, le chef d'entreprise est substitué au sous-traitant en ce qui concerne les
salariés que celui-ci emploie pour le paiement des salaires et des congés payés ainsi que pour les
obligations résultant de la législation sur les assurances sociales, sur les accidents du travail et les
maladies professionnelles et sur les prestations familiales ; 2°) S'il s'agit de travaux exécutés dans des
établissements autres que ceux du chef d'entreprise ou de travaux exécutés par des salariés travaillant à
domicile, le chef d'entreprise est substitué au sous-traitant pour le paiement des salaires et congés
payés ainsi que pour le versement de la cotisation des prestations familiales et de la double cotisation
des assurances sociales ».
150
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
libérale. Les travailleurs indépendants – intermédiaires, gérant de succursale428 ou autre - font
ainsi parti du champ d’application du Code du travail qu’ils soient débiteurs d’obligations ou
créanciers de règles protectrices. « Il y a une tendance du droit du travail à ne pas se limiter
aux seuls rapports entre les employeurs et les salariés, mais à déborder sur l’activité
professionnelle en général »429.
411.
Le droit applicable aux travailleurs indépendants tend à s’aligner sur celui applicable
aux salariés. L’intérêt du recours au lien de subordination pour caractériser le contrat de
travail s’en trouve relativisé dans le sens où il est démontré ici qu’il ne constitue pas la
condition d’application sine qua non des règles de base du statut salarié. Cette harmonisation
est renforcée par la démonstration faite que le lien de subordination n’est - dans certaines
hypothèses - pas indispensable à la reconnaissance du contrat de travail.
412.
Le droit développe ainsi un tronc commun de règles applicables aux travailleurs ayant
une activité professionnelle voire même non professionnelle puisque de nombreuses règles et
principes fondamentaux du droit du travail qui sont contenus dans le Code du travail
s’appliquent aux non salariés. C’est ce tronc commun qui pourra fonder l’éventuelle création
d’un droit de l’activité professionnelle tel qu’envisagé dans le dernier chapitre.
B – L’extension des mécanismes classiques du droit du travail
413.
L’examen des règles applicables aux contrats civils et commerciaux, qui impliquent la
fourniture d’une prestation de travail, quelle qu’en soit la nature, laisse apparaître une
adaptation de mécanismes issus du droit su travail subordonné. Ces mécanismes fondent
l’intervention du juge dans la régulation des rémunérations des contrats à exécution
successive (1). Mais aussi dans le contrôle a postériori des ruptures unilatérales des relations
contractuelles (2). À cette occasion il peut être observé que si le droit du travail tient un lien
428
Pour un approfondissement des cas particuliers des intermédiaires et gérants de succursale, V. A.
Simon, Op. Cit, p.384
429
G. Lyon-Caen, Le droit du travail non salarié, Éd. Sirey, Paris, 1990,p. 94 ; A. Supiot, Travail
salarié et travail indépendant, Rapp. au 6° Congrès européen de droit du travail et de la sécurité
sociale, p.143 ; V. aussi pour d’autres illustrations : O. Soria, A la recherche du critère du contrat de
travail, Thèse de doctorat, Université Bordeaux IV, 2003, p.127 et s.
151
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
de filiation direct avec le droit civil - duquel il s’est grandement inspiré jusqu’à atteindre son
autonomie actuelle - de nombreux auteurs décrivent l’influence en retour, du droit du travail
sur le droit civil. Si le droit du travail donne l’impulsion d’une volonté de régulation calquée
sur le modèle salarial, il faut reconnaître que c’est le principe civiliste de la bonne foi qui en
est l’instrument juridique.
1 – L’influence du droit du travail sur l’exécution des contrats
civils et commerciaux
414.
L’influence des relations individuelles de travail sur l’exécution des contrats civils et
commerciaux peut s’illustrer au travers de nombreux arrêts. Toutefois ces illustrations
déclinant le même phénomène seul le cas de l’arrêt Huard sera évoqué. Depuis quelques
années, la jurisprudence rend des décisions qui peuvent laisser entrevoir une volonté plus ou
moins affirmée d’introduire un impératif de stabilité du revenu professionnel des travailleurs
indépendants. Ainsi dans l’arrêt Huard, un distributeur a obtenu la condamnation d’une
société pétrolière à lui payer des dommages-intérêts « pour ne pas lui avoir donné en
l’absence de tout cas de force majeure, les moyens de pratiquer des prix concurrentiels et
n’avoir pas ainsi exécuté le contrat de bonne foi» 430.
415.
Volontairement ou non, cette jurisprudence révèle un mécanisme d’alignement des
contrats spéciaux sur le contrat de travail. Du moins, elle rend plausible la consécration d’un
tronc commun applicable à la globalité de l’activité professionnelle.
2 – L’influence du droit du travail sur la rupture des contrats
civils et commerciaux
416.
L’influence des relations individuelles de travail est plus topique concernant la rupture
de certains contrats civils et commerciaux. En effet, cette rupture peut désormais être soumise
430
Cass. com. 3 novembre 1992, Sté française des pétroles BP c./ Huard, V. D. Mainguy, J.-L.
Respaud, Portée des pouvoirs reconnus au juge en matière de sanction de la mauvaise foi
contractuelle, La Semaine Juridique Entreprise et Affaires n° 46, 15 Novembre 2007, 2394 ; V. aussi
J. Raynard, technique contractuelle, La Semaine Juridique Entreprise et Affaires n° 14, 3 Avril 2003,
543 ; D. Mainguy, De l'influence d'une clause de prix de revente imposé dans un contrat-cadre, La
Semaine Juridique Entreprise et Affaires n° 42, 15 Octobre 1998, p. 1645
152
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
– en l’absence de toute clause contractuelle en ce sens - à une obligation de motivation, à une
obligation de respecter un préavis raisonnable voire à l’obligation de verser une indemnité
ayant pour objet de compenser les effets de la rupture du contrat. Si le principe demeure celui
du droit de ne pas renouveler et de ne pas motiver, la Cour de cassation apporte quelques
tempéraments à ce principe en se fondant sur la théorie de l’abus de droit. S’il existe de
nombreuses déclinaisons de l’abus dans les contrats, ce dernier constitue toujours un
manquement à l'exigence de bonne foi et constitue une faute de nature contractuelle431.
417.
En l’absence de toute clause contractuelle dans ce sens, les juges ont ainsi pu
découvrir une obligation générale de motivation de la rupture de contrats commerciaux,
particulièrement lorsqu’ils instaurent une relation déséquilibrée (comme dans le contrat de
travail). Dans ce sens, la Cour de cassation a estimé dans un arrêt de principe que « le refus
d'agrément [...] devait être justifié par des impératifs tenant à la sauvegarde de ses intérêts
commerciaux légitimes, et que, pour éviter tout arbitraire, il lui appartenait de le motiver, à
seule fin de permettre au concessionnaire de vérifier que sa décision était fondée sur un
examen équitable et soigneux conforme à ses engagements contractuels »432.
418.
Il en est de même de l’introduction de l’exigence d’un préavis dans l’article L.442-6
du Code de commerce, tel qu’il est issu de la loi modificatrice n° 2008-776 du 4 août 2008.
Ce dernier prévoit qu’ « engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le
préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée
au répertoire des métiers […] 5° - de rompre brutalement, même partiellement, une relation
commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale
et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce,
par des accords interprofessionnels ». Force est donc d’établir le parallèle avec la loi du 27
431
V. P. Stoffel-Munck, L'abus dans le contrat, essai d'une théorie, Paris, 2000 ; E. Letombe, L’abus
de droit en droit du travail, Thèse pour le doctorat, Université Lille II, 2007
432
Cass. com., 2 juill. 2002 ; V. R. Bertin, Sanction du détournement par le concédant de sa
prérogative d'agrément du nouveau concessionnaire et rupture fautive du contrat de concession
automobile, La Semaine Juridique Entreprise et Affaires n° 42, 17 Oct. 2002, 1508 ; V. aussi dans le
même sens : Cass. com., 5 avr. 1994, VAG c/ Gauthier ; Cass.civ.1°, 5 février 1985 ; Cass. Com., 8
avril 1986 ; CA. Paris, 17 février 1992 ; CA. Paris, 8 juin 1994 ; Cass. Com., 5 octobre 1993
153
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
décembre 1890 qui est « la première qui porte atteinte à la liberté totale de rompre le contrat
de travail, qui, jusque-là, était considérée comme inhérente à la liberté de contracter »433.
419.
Enfin concernant le cas des indemnités de rupture, classiques en droit du travail, il
peut être fait état du développement de divers mécanismes similaires dans les relations
commerciales. Ainsi l’article 12 alinéa 1 de la loi n° 91-593 du 25 juin 1991 - relative aux
rapports entre les agents commerciaux et leurs mandants – dispose en ces termes qu’ « en cas
de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité
compensatrice en réparation du préjudice subiª
420.
Il peut encore être fait référence à l’exigence de la bonne foi dans l’exécution de tout
contrat, exigence fondée sur l’article 1134 du Code civil. Ou encore au développement du
recours aux clauses contractuelles comme celles dite parachutes dorés. Cette clause fixe des
indemnités devant être versées lors d'une éviction ou même lors d'un départ d’un dirigeant de
société anonyme. Elle ne se confond pas avec l’éventuelle indemnité légale de licenciement.
Selon le cabinet Hewitt434, « 79 % des dirigeants des grandes sociétés françaises bénéficient
de telles indemnités de départ, soit au titre de leur mandat social (31 %), soit au titre d'un
contrat de travail, toujours valide, d'ancien salarié de l'entreprise (48 %). Ces indemnités se
superposent pour un tiers des dirigeants, aboutissant à des excès manifestes. Elles sont même
parfois majorées en cas de changement de contrôle de l'entreprise ou pour tenir compte d'une
clause de non-concurrence » 435.
421.
Enfin, la jurisprudence met également en place une obligation d’assistance ayant pour
objet de faciliter le reclassement ou la reconversion du cocontractant pendant le préavis. C’est
ce qui explique que « décidément, dans les relations de dépendance économique, le droit du
travail n’est pas loin de servir de modèle »436.
433
A.-S. Beau, Les salarié-e-s du grand commerce : des « employé-e-s » ?. Les parcours
professionnels des salarié-e-s du grand bazar de Lyon aux 19ème et 20ème siècles, Éd. La Découverte,
Coll. Travail, genre et sociétés 2002/2, N° 8, p. 55-72
434
Hewitt Associates est une société mondiale de conseil en management des ressources humaines et
des risques financiers associés
435
V. A. Michel, Parachutes dorés : les excès continuent, Le Monde, éd. 14 janvier 2009
436
J. Mestre, obs. sur CA. Paris, 26 mars 1999, RTD civ. 2000, p.114 ; V. aussi J.-P. Viennois,
JurisClasseur Commercial, Fasc. 303 : contrats de distribution, Règles communes aux différents
contrats de distribution, Cote : 03,2005
154
Ͳ
422.
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
C’est sur cette notion de dépendance économique qu’il sera conclu en observant que le
droit du travail est un modèle de protection contre la vulnérabilité qu’elle engendre. Pourtant,
cette notion est presque totalement niée au profit du lien de subordination juridique alors que
ce dernier crée de plus en plus d’impasses. Il va cependant être démontré que le droit, flexible
droit437, s’adapte progressivement à cette situation en développant des mécanismes qui
concourent à la même fin : la remise en cause de la notion de lien de subordination juridique.
437
V. J. Carbonnier, Flexible droit : pour une sociologie du droit sans rigueur, 10ème éd., LGDJ, Paris,
2001
155
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
DEUXIÈME PARTIE
LA REMISE EN CAUSE DU LIEN DE
SUBORDINATION JURIDIQUE
156
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
DEUXIÈME PARTIE
LA REMISE EN CAUSE DU LIEN DE SUBORDINATION JURIDIQUE
423.
L’accumulation de facteurs tendant à la relativisation du lien de subordination
juridique tend aujourd’hui à une remise en cause du recours à ce critère pour fonder le contrat
de travail et le salariat. Cette remise en cause est demeurée latente depuis la consécration du
critère par l’arrêt Bardou en 1931438, mais elle ne s’est jamais fait entendre de manière aussi
forte. Il faudra donc analyser les raisons de cette recrudescence à laquelle il est possible de
rattacher deux phénomènes en plein développement.
424.
D’une part le lien de subordination se trouve de plus en plus confronté aux
transformations du travail (TITRE I). L’organisation de type tayloriste s’épuise. Or, elle
fondait une structure fortement hiérarchisée dans laquelle il était aisé d’identifier les indices
du lien de subordination. Mais ce modèle vertical tend à être dépassé par d’autres modèles qui
privilégient l’autonomie et la responsabilisation.
425.
Il devient ainsi parfois difficile de détecter les indices de la subordination juridique
dans ce salariat moderne. Sa structure privilégie des rapports selon un alignement horizontal.
Les salariés sont par exemple invités à jouer un rôle de collaborateur, et l’employeur a
tendance à effacer les signes de la subordination pour les responsabiliser.
426.
Dans ce système les salariés ont le sentiment d’être investis d’une obligation de
résultat alors que dans le modèle précédent ils se sentaient plutôt investis d’une obligation de
moyen. Les objectifs de résultats étaient déjà présents, mais la définition précise des tâches à
accomplir pour y parvenir fixait le cadre objectif de la bonne exécution du contrat de
travail439. La disparition de la définition précise des tâches à accomplir, au profit de la simple
définition d’objectifs à atteindre, tend ainsi à responsabiliser moralement le salarié au-delà
438
Cass, civ., 6 juillet 1931. Préfet de la Haute-Garonne c./ Bardou, DP1931. I. l3l, note, P. Pic ; V.
également Cass. Civ.,22 juin 1932 et Cass. Civ., 1 août 1932, DP 1933, 1, note P. Pic
439
V. P.-H. Antonmattéi, Clause d'objectifs, rev. dr. et patr. n°91, p.118-119, 01/03/2001
157
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
d’une bonne exécution du contrat de travail. Dans ces conditions, la bonne exécution du
contrat de travail devient totalement subjective et psychologiquement infinie.
427.
Mais cette disparition des ordres entraîne surtout celle d’indices permettant de
caractériser le lien de subordination. Il devient parfois invisible ou baisse en intensité440. Ce
phénomène est également favorisé par le développement des rapports de participation et
d’intéressement des salariés. Au-delà du salaire, les salariés ont ainsi un intérêt économique
supplémentaire à la réussite de l’entreprise ce qui renforce leur motivation et fait disparaître le
besoin de contrôle.
428.
Ce sont donc finalement le pouvoir de donner des ordres et le pouvoir d’en contrôler
l’exécution qui s’effacent ou tombent en désuétude dans certaines entreprises. Il ne reste donc
parfois que les manifestations du pouvoir de sanction pour espérer caractériser le lien de
subordination juridique, ce qui peut s’avérer lacunaire. Il faudra donc approfondir plus en
détail le phénomène de régénération des rapports de subordination (TITRE II) et tenter de
définir des alternatives pour l’avenir.
TITRE 1. LA SUBORDINATION FACE AUX TRANSFORMATIONS DU TRAVAIL
TITRE 2. LA RÉGÉNÉRATION DES RAPPORTS DE SUBORDINATION
440
N. Aubert, Le management managinaire, dans Bouilloud J-P & Lecuyer B-P (dir.), L'invention
de la gestion, Éd. L'harmattan, Logiques de Gestion, 1994
158
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
TITRE 1
LE LIEN DE SUBORDINATION
FACE AUX TRANSFORMATIONS DU TRAVAIL
429.
Le recours au lien de subordination juridique comme critère du contrat de travail
correspond à un choix historique qui ne peut être détaché de son contexte sociologique. Ainsi,
du XIX° au XX° siècle, le modèle caricatural est celui d’une masse salariale homogène,
composée d’ouvriers qui travaillent toute leur vie dans la même usine.
430.
C’est l’occasion de souligner que c’est dans un arrêt de principe de 1931441 que la
Cour de cassation a consacré le recours à la notion de subordination juridique. Cette époque
peut paraître relativement proche dans le temps pourtant les relations de travail ont depuis
connu de réels bouleversements.
431.
C’est un constat qu’il est aisé de faire au regard du célèbre film sorti en 1936 « Les
Temps modernes », soit cinq ans après la consécration du lien de subordination juridique
comme critère du contrat de travail. Si ce film est une satire de la société industrielle, il
témoigne bien de la réalité de l’époque, dans laquelle le travailleur est assimilé à une machine.
L’employeur apparaît sous les traits d’un patron autoritaire qui surveille sans relâche le travail
des ouvriers et sanctionne la moindre faiblesse. Les conditions de vie et de travail sont
précaires, les ouvriers travaillent à la chaîne et effectuent des tâches mécaniques aliénantes
dans un rythme toujours plus rapide. Il s’agit là d’une image qui n’a pas totalement disparu
mais qui tend à disparaître en tant que norme.
432.
Or, dans ce modèle sur-mesure, la subordination juridique est éclatante et atteint son
paroxysme. Il est donc légitime de se demander si la chute du modèle fordiste et celle du
modèle tayloriste n’emportent pas avec elles le bien-fondé du recours au lien de subordination
comme critère du salariat.
441
Cass.civ., 6 juillet 1931, DP 1931, 1, 121 note P. Pic ; V. également Cass. Civ.,22 juin 1932 et
Cass. Civ., 1 août 1932, DP 1933, 1, note P. Pic
159
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
433.
Il y a ainsi une convergence d’événements très proches dans le temps - Mai 68, le choc
pétrolier de 1973, le développement technologique dès 1970 - concentrés autour des années
1970 qui marquent le début de profondes mutations structurelles. Les années 1970 ont ainsi
été le début houleux des agences d’intérim. Dans les années 1980 l’explosion du chômage et
l’inflation ont affaibli la croissance et essoufflé le système fordiste. La production de masse
des
années
1950
a
progressivement
laissé
place
à
l'ère
du
marketing
et
du knowledge management442. Schématiquement, dans les années 1990, les grandes usines ont
laissé place aux entreprises et aux startups. La richesse de l'entreprise réside désormais dans
sa capacité à innover, à s'adapter, à communiquer.
434.
À partir de cette période il est possible de déceler le début d’une crise, sinon du
capitalisme dans son ensemble, au moins de ses déterminants et de ses conséquences sociales.
Parallèlement au développement d’une politique sociale de protection des travailleurs, le tissu
économique s’est affaibli jusqu'à laisser place à l’apparition de nouvelles organisations du
travail443. Ces deux facteurs sont donc également susceptibles d’ébranler le bien-fondé du
recours au lien de subordination comme critère du salariat.
435.
Il convient donc d’envisager la dilution du lien de subordination dans les
transformations du travail en envisageant les limites de la conception tayloriste du lien de
subordination (CHAPITRE 1) et l’impact des nouvelles organisations du travail sur le lien de
subordination (CHAPITRE 2).
CHAPITRE 1. LES LIMITES DE LA CONCEPTION TAYLORISTE DU LIEN DE
SUBORDINATION
CHAPITRE 2. L’IMPACT DES NOUVELLES ORGANISATIONS DU TRAVAIL SUR
LE LIEN DE SUBORDINATION
442
« Ensemble des initiatives, des méthodes et des techniques permettant de percevoir, d'identifier,
d'analyser, d'organiser, de mémoriser, et de partager des connaissances entre les membres des
organisations, en particulier les savoirs créés par l'entreprise elle-même (ex : marketing, recherche et
développement) ou acquis de l'extérieur (ex : intelligence économique) en vue d'atteindre l'objectif
fixé » : V. http://fr.wikipedia.org/wiki/Gestion_des_connaissances
443
V. M. Stroobants. Sociologie du travail. Nathan, Coll. « 128 », 1993
160
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
CHAPITRE 1
LES LIMITES DE LA CONCEPTION
TAYLORISTE DU LIEN DE SUBORDINATION
436.
L’objet de ce chapitre est de présenter les mécanismes qui contribuent à limiter les
pleins pouvoirs de l’employeur. Ces atteintes interviennent dans un domaine qui lui est
pourtant réservé, à savoir, la détermination des conditions de travail via la mise en œuvre de
son pouvoir de direction. Il est ainsi possible de mettre en parallèle deux mécanismes
d’atteinte à la détermination discrétionnaire des conditions de travail par l’employeur.
437.
Le premier résulte des mutations des systèmes de production issus du fordisme et du
taylorisme. L’éclatement du modèle de production en masse et à la chaîne ont engendré des
modifications dans le tissu productif. Le nombre des PME a augmenté, celui des autoentrepreneurs également, alors que dans le même temps les grandes usines, dont certaines ont
fait le fleuron de la France d’après-guerre, disparaissent ou bien délocalisent en masse vers
l’Inde, la Chine ou encore le Maroc.
438.
L’année 2009, l’année de la crise pourrait-on dire, a d’ailleurs été marqué par ce
phénomène qui touche particulièrement le secteur automobile : Michelin, Continental,
Dunlop-Goodyear, Renault, Toyota, Ford, Nissan, Caterpillar, Faurecia, Arcelor Mittal,
Valéo, New Fabris, 3M, SKF. En 2009, on ne compte plus les usines qui ont défrayé la
chronique avec des piquets de grève agités, des séquestrations de patrons ou des menaces
d’explosion et de destruction. Mais le processus est enclenché de manière irréversible et les
usines de production en masse ont vocation à disparaître de la France par l’effet de la
mondialisation et du dumping social qui en résulte.
439.
Le second mécanisme d’atteinte aux pleins pouvoirs de l’employeur résulte du
développement des droits et libertés des salariés dans toutes les sources du droit du travail. Il
en est ainsi de la loi, de la jurisprudence, du contrat de travail lui-même lui même ou encore
de la négociation collective.
161
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
440.
L’ensemble de ces facteurs sont déterminants car la dilution du lien de subordination
dans le post-taylorisme (SECTION I) ainsi que le développement des droits et libertés des
salariés (SECTION II) témoignent du rôle déterminant des transformations du travail dans la
remise en cause du lien de subordination.
162
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
SECTION I - LA DILUTION DU LIEN DE SUBORDINATION DANS LE POSTTAYLORISME
441.
Le lien de subordination est une notion juridique qui a été mise en avant pour
permettre l’identification du contrat de travail. Or, en 1931, date de la consécration du critère
par la Cour de cassation, le système productif s’inscrit encore dans les schémas de révolution
industrielle. Ce système s’intensifie sous l’effet des organisations de travail, fordistes et
tayloristes.
442.
La disparition de ces organisations du travail comme norme dans le paysage social
français pose la question du maintien du lien de subordination juridique comme critère
pertinent du contrat de travail. Les nouvelles transformations du travail, que l’on peut
regrouper dans la notion de post-taylorisme, tendent ainsi à diluer le lien de subordination et
par là-même à brouiller de manière croissante et durable l’identification du contrat de travail.
443.
Pour ces raisons, il conviendra de présenter les implications du courant post-tayloriste
(paragraphe I) pour comprendre la disparition des frontières du salariat classique (paragraphe
II) à l’heure actuelle.
Paragraphe 1 – Le courant du post-taylorisme
444.
Le courant post-tayloriste est directement issu de la remise en cause du taylorisme et
du fordisme (A). Il résulte d’une transformation de ces anciens modèles (C). L’analyse de son
développement (B) mettra en avant des répercussions déterminantes au regard de
l’identification du lien de subordination.
A - La remise en cause du tayloro-fordisme
445.
G. Friedmann est à l’origine des premiers travaux en sociologie du travail. Ceux-ci
témoignent d’un certain pessimiste quant à l'impact de l'évolution technologique sur le travail
humain. Il observe en effet que l'introduction de machines automatiques et de chaînes fait
163
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
disparaître un savoir-faire traditionnel. Ce savoir-faire est peu à peu remplacé par un « travail
en miettes »444. Or ce travail en miettes constitue une situation idéale pour recourir à la notion
de subordination juridique puisque ce dernier avait pour caractéristique intrinsèque d’être
effectué selon les directives et sous le contrôle permanent de l’employeur.
446.
Dans le contexte de l’époque, la segmentation des processus de production et
l'éclatement des tâches de travail avait fait disparaitre la formation et l’apprentissage. La
qualification requise pour tout travailleur ne se résumait qu’à une dextérité élémentaire et un
minimum d’aptitude à respecter un rythme de travail. Ainsi, le modèle tayloro-fordiste
« élimine la valeur attachée à la connaissance du matériau travaillé, annule les perspectives de
promotion, tend à transformer les ouvriers en « bouche-trous » de la chaîne, déplacés en
fonction des besoins sans que l'on attende d'eux une vision globale du procédé […]»445.
447.
Friedmann proposa donc une évolution volontariste de la division du travail
permettant aux ouvriers de recouvrer une plus grande maîtrise dans le processus de
production446. Ce sont là les bases du post-taylorisme qui va donner voire redonner au
travailleur une part d’autonomie et de liberté plus grande.
448.
C’est ce dernier constat qui va remettre en cause l’idée que le recours au lien de
subordination est la meilleure solution pour caractériser le salariat car elle laisse un nombre
croissant de zones d’ombre sans solution juridique.
B – Le développement du post-taylorisme
449.
Pour comprendre les mécanismes du post-taylorisme il convient de présenter tout
d’abord les déterminants de l’organisation post-tayloriste du travail (1) puis les différentes
formes d’organisation du travail post-tayloriste (2).
444
V. G. Friedmann, Le travail en miettes, Coll. Idées, Éd. Gallimard, Paris, 1956 ; V. aussi nouv. édit.
rev. et augm., Gallimard, Paris, 1964
445
A. Beitone, C. Dollo, J. Gervasoni, E. Le Masson, C. Rodrigues. Sciences Sociales. Sirey, coll.
Aide Mémoire, 4ème édition 2004.
446
Ibid.
164
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
1 – Les déterminants de l’organisation post-tayloriste du travail
450.
Le post-taylorisme tend à développer la participation des travailleurs aux décisions qui
intéressent le processus de production. Comme son nom l’indique il est une réponse directe
aux incidences humaines du taylorisme. À titre non exhaustif il en est ainsi de l’usure des
travailleurs, de l’absentéisme, des accidents de travail, des malfaçons et de la démotivation
des travailleurs.
451.
Le post-taylorisme tend donc à atténuer la séparation radicale entre ceux qui
conçoivent et ceux qui produisent. L’ouvrier redevient un être susceptible de réfléchir et de
penser. Son travail peut donc à nouveau revêtir une dimension intellectuelle. « l’homme
travaillait à la sueur de son front, il devra travailler à la lumière de son intelligence. Bref, le
temps de la trique et du joug ferait désormais place à une sollicitation de l’intelligence »447.
452.
Or c’est justement ce glissement qui fragilise le recours au lien de subordination. Car
moins le travailleurs est privé de son intellect, plus il acquiert de l’autonomie en se voyant
reconnaître une part de liberté plus ou moins importante dans la détermination des processus
à mettre en œuvre pour parvenir au résultat448. Cette cellule de liberté, en quête de flexibilité,
est dans son fondement antinomique avec l’existence d’un pouvoir de direction449. Ainsi plus
ces cellules de liberté et d’autonomie se propageront dans la relation de travail, plus il y aura
de difficultés à apprécier l’existence et la consistance d’un lien de subordination juridique.
2 – Les différentes formes d’organisation du travail post-tayloriste
453.
Il est possible de recenser plusieurs types d’indices susceptibles de relever d’une
organisation post-tayloriste. Ce peut être l'élargissement des tâches déléguées au salarié ou la
rotation des postes pour éviter la routine et ainsi lui permettre d’acquérir une vision plus
447
B. Grassi, l’autonomie du salarié in La subordination dans le travail, J.-P. Chauchard, Éd. La
documentation française, Coll. Cahier travail et emploi, 2003, p. 200
448
V. A.-C. Alibert, Les cadres quasi-indépendants, du contrat de travail au contrat d’activité
dépendante, Thèse pour le doctorat de l’Université d’Auvergne, 2005 ; F. Varcin ép. Verdun, Le
pouvoir patronal de direction, Thèse pour le doctorat de l’Université Lyon II, 2000
449
V. P.-H. Antonmattéi, Les 35 heures dans les cabinets d'avocats, Act., JCP E n°43, p.1697-1699,
28/10/1999
165
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
globale du processus de production. Mais d’autres indices sont plus problématiques au regard
du recours au lien de subordination juridique comme critère du contrat de travail.
454.
Tout d’abord la mise en place de cercles de qualité dans l’entreprise. Cette méthode
consiste à organiser les travailleurs en groupes de volontaires ayant pour objectif d’améliorer
la qualité et/ou les processus de production. Le travailleur prend ainsi les traits d’un
collaborateur puisque ce système s’affranchit de la division verticale du travail qui est typique
du taylorisme. C’est donc un facteur de dilution du lien de subordination puisque la structure
pyramidale de l’entreprise est remise en question. Il est en effet mal aisé de concevoir la
subordination dans un système horizontal puisque la notion de hiérarchie est absente.
455.
Il est également possible de rencontrer des groupes d’ouvriers semi-autonomes. Ceux-
ci ont la possibilité de s’organiser librement à condition d’honorer des quotas de production
fixés par la direction. Là encore il s’agit d’un facteur de dilution du lien de subordination car
une fois le principe de la liberté accordée au groupe acquis, celle-ci peut atteindre de grandes
variations d’intensité.
456.
Comment, alors, concevoir la subordination dans un groupe autonome qui détermine
ses conditions de travail, peut-être ses horaires et jours et lieu de travail, hors de tout contrôle
si ce n’est la vérification de l’objectif atteint. Dans les cas de figure les plus développés, il
pourrait en effet devenir difficile de distinguer ces travailleurs des prestataires de services
indépendants qui n’ont qu’un seul client et duquel ils dépendent économiquement.
457.
Enfin, l'enrichissement des tâches de travail peut venir troubler la qualification d’un
lien de subordination car elle implique une responsabilisation du travailleur. Le thème de la
responsabilisation du travailleur est en effet crucial puisqu’il peut servir à créer l’illusion de
faux collaborateurs en effaçant littéralement les indices apparents d’un lien de subordination.
C – La transformation des anciens modèles
458.
L’analyse de l’évolution des anciens modèles permet de comprendre les modifications
structurelles des organisations productives. Du fordisme au post-taylorisme (1) et du
166
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
taylorisme au post-taylorisme (2), le lien de subordination ne trouve plus les conditions
favorables à sa matérialisation et donc à son identification.
1 –
459.
Du fordisme au post-taylorisme
Les besoins de la reconstruction d’après-guerre ont favorisé l’avènement généralisé
du fordisme. L’emploi se stabilise autour d'une figure normale unique. L’emploi se fait à plein
temps et à durée indéterminée. Le
lieu de travail est unique et le revenu des salariés
comprend « en plus du salaire direct des éléments de salaire indirect dont la part est croissante
dans le revenu total »450.
460.
Il est possible de recenser plusieurs types d’indices susceptibles de relever d’une
organisation fordiste telle qu’elle apparaissait durant la période des trente glorieuses. Ceux-ci
ont pour point commun de relever d’une organisation scientifique du travail comme le travail
à la chaîne. Le but recherché est ainsi d'accroître la productivité en appliquant des schémas
systématiques.
461.
Le fordisme se caractérise par une division du travail verticale qui isole la réalisation
de la conception mais également par une division horizontale qui segmente les tâches
successives sur une ligne de montage impliquant un travail à la chaîne. Le fordisme procède
ainsi de la « de la bipolarisation des qualifications entre « cols blancs » (encadrement) et «
cols bleus » (ouvriers spécialisés à la chaîne et ouvriers qualifiés dans l'atelier) »451.
462.
Le contraste essentiel entre fordisme et post-taylorisme tient donc dans le niveau de
responsabilité du travailleur ainsi que dans le niveau d’autonomie et de liberté dont il jouit.
Dans le post-taylorisme, le travailleur bénéficie d’une marge d’appréciation qu’il n’avait pas
dans le système fordiste.
450
D. Linhart, Les nouveaux visages du taylorisme, rev. Sciences humaines, 1994
451
V. M. Baslé, J. Mazier, J.-F. Vidal, Quand les crises durent, Éd. Economica, 1984
167
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
2 – Du taylorisme au post-taylorisme
463.
Au sein des industries qui produisent en série, l'organisation du travail n’a parfois
changé « qu'à la marge ; les principes fondamentaux du taylorisme, à savoir une séparation
nette entre les tâches de conception et d'organisation du travail, d'un côté, et celles
d'exécution, de l'autre, demeurent. Certes, des aménagements ont été introduits ; ils consistent
le plus souvent à attribuer aux ouvriers de fabrication des opérations de contrôle qualité ou
d'entretien de premier niveau »452.
464.
Ainsi, il est possible d’en déduire que si l’organisation de la production actuelle a
conservé une trame de fond tayloriste, les conditions de sa mise en œuvre, notamment dans la
gestion et le management de la main d’œuvre, ont subi les effets de la modernisation du
travail453. Les ouvriers continuent de remplir les mêmes fonctions mais plus dans les mêmes
conditions.
465.
Un parallèle avec le droit de la modification du contrat de travail peut ainsi aider à
illustrer cette idée. Il faut tout d’abord rappeler que si l’employeur souhaite modifier un
élément essentiel du contrat de travail alors cette modification est assimilée à une
modification du contrat de travail et nécessite l’accord du salarié concerné. Mais si les
modifications ne constituent qu’un changement des conditions de travail du salarié, dans ce
cas l’employeur peut imposer ces changements dans le cadre de son pouvoir de direction.
466.
Ce n’est donc pas tant le contenu essentiel du contrat de l’ouvrier d’usine qui a été
modifié puisque les changements portent essentiellement sur leurs conditions de travail. C’est
donc les conditions d’exercice du pouvoir de direction de l’employeur qui se sont assouplies.
Or l’existence du lien de subordination juridique est directement conditionnée par ce pouvoir
de direction. Donc ce lien sera d’autant plus diffus que l’exercice du pouvoir de direction sera
relâché.
452
D. Linhart, Les nouveaux visages du taylorisme, rev. Sciences humaines, 1994
V. P.-H. Antonmattéi, Modernisation du marché du travail : une victoire historique des partenaires
sociaux, Revue Lamy Droit des affaires n° 24, p. 61- 62, 01/02/2008 ; Entretien avec Paul-Henri
Antonmattei, Rev. Décideurs Juridiques et Financiers, n° hors-série, p. 140-141, 01/10/2007
453
168
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
Paragraphe 2 – La disparition des frontières du salariat classique
467.
Les transformations du travail depuis les années 1970 sont marquées par l’évolution
parallèle et paradoxale de l’autonomie et de la contrainte au sein de la relation subordonnée.
L’interprétation de ces mutations du travail donne lieu à une opposition entre deux tendances
opposées. La première tendrait à présenter ces mutations comme un facteur de croissance de
l’autonomie dans le travail subordonné tandis que la seconde souligne une accentuation de la
contrainte via le pouvoir de direction.
468.
Dans ce contexte il est difficile de déterminer laquelle de ces théorie doit être retenue.
Le choix est d’autant plus difficile que des études statistiques récentes454 démontrent que les
travailleurs subordonnés ressentent à la fois l’accroissement de l’autonomie et celui de la
contrainte au sein de leur relation de travail. Il faut donc s’interroger sur le sens de cette
évolution pour déterminer dans quelle mesure autonomie et contrainte peuvent se conjuguer
dans la subordination sans en dénaturer le fondement conceptuel.
469.
À force de mutations de son contenu, de la multiplicité de ses formes selon les temps
historiques et selon les professions visées, peut-être la subordination a-t-elle perdu son sens et
sa quintessence. Dans cette hypothèse le recours au critère de subordination pourra s’avérer
contestable car dépassé par les nouvelles formes d’organisation du travail et donc inapte à
remplir efficacement le rôle de critère distinctif du contrat de travail.
470.
Il faut également souligner qu’en plus de ce tiraillement intérieur, la crise du lien de
subordination est aggravée par des pressions extérieures. Ces dernières résultent de la
précarité et de la dépendance économique des travailleurs indépendants, du développement du
travail immatériel et du secteur dit quaternaire455.
471.
Il sera donc nécessaire d’aborder la subordination moderne entre fausse autonomie et
vraie contrainte (A). Car ce phénomène génère des vides juridiques favorisant la disparition
454
455
V. Gollac, Volkoff, 1996, Cézard, Vinck, 1996, Cézard, Dussert, Gollac, 1992
Secteur du conseil et de la propriété intellectuelle
169
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
des frontières du salariat et l’extension de la zone grise entre travailleurs salariés et
indépendants (B).
A – La subordination moderne entre autonomie et contrainte
472.
La nouvelle rationalisation de l’organisation du travail engendre des effets complexes
et contrastés sur la subordination. L’autonomie dans les nouveaux rapports de subordination
est ambigüe car si de prime abord elle évoque un souffle de liberté dans le travail, elle « peut
être source de malaise et de stress si elle est la contrepartie d’une tendance de la hiérarchie à
se défausser sur les exécutants quant aux indications minimales qui permettraient d’encadrer
son exercice ; il n’est pas non plus exclu que l’autonomie, sur certains points, s’accompagne
d’une surabondance d’obligations diverses (objectifs, procédures) »456.
473.
C’est le phénomène de responsabilisation croissante des salariés. L’employeur se
décharge de la responsabilité - psychologique - des résultats en se désengageant du lien de
subordination. Il abandonne ainsi le salarié à son autonomie, non pas pour améliorer ses
conditions de travail, mais pour faire peser sur lui une forme non dite d’obligation de résultats
en lieu et place d’une simple obligation de moyens.
474.
Dans ce cadre en plein essor, le salarié ne peut plus se contenter d’obéir aux ordres, il
doit les anticiper voire les deviner. Et si échec il y a, celui-ci lui sera psychologiquement
imputable puisqu’il avait toute latitude pour atteindre le résultat demandé. Le phénomène de
contractualisation des objectifs et résultats, malgré un encadrement jurisprudentiel strict,
participe au développement de ce phénomène en lui donnant force de loi.
475.
L’autonomie est dans ce sens source de contrainte car elle engendre une pression et un
stress supplémentaire induit par toute responsabilité. Elle peut même faire partie d’une
logique de harcèlement moral lorsqu’elle mène à un isolement soudain, à l’ignorance
physique et verbale ou à la non fourniture d’une tâche de travail et des moyens de l’accomplir
convenablement : « Enfin il nous semble particulièrement important de souligner les liens qui
456
P. Ughetto, La rationalisation vue de l’activité de travail, une diversification du traitement
sociologique de l’autonomie et de la contrainte, rev. IRES n° 44, 2004/1
170
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
existent entre la montée des cas de harcèlement moral ou de violences psychologiques au
travail et ce mode d’organisation »457.
476.
L’autonomie n’est alors plus source de liberté et de progrès mais l’instrument d’un
management par la mise à l’épreuve physique et psychique du salarié. « L’observateur attentif
peut noter l’ambiguïté de cette autonomie, et le préventeur constater les ravages qu’elle peut
produire sur la santé. […] Cette autonomie n’est certainement pas la liberté pour laquelle
certains de ses chantres voudraient la faire passer. Elle est en effet, souvent largement
contrainte, quand elle n’est pas complètement déterminée par le diktat des résultats.
L’autonomie devient alors un alibi. Il s’agit, alors, d’un bon moyen pour renvoyer à la
responsabilité du salarié, un mode opératoire […] l’autonomie du salarié a pour seul objet de
l’amener à se dépasser en permanence ou à ne pas le payer de la totalité de ses heures de
travail »458.
477.
C’est aussi une forme de transfert progressif des risques de l’entreprise de l’employeur
vers le salarié. Le salarié accomplit ainsi sa prestation de travail sous la menace plus ou moins
explicite d’un dépôt de bilan, d’un plan de licenciement économique, d’un licenciement pour
insuffisance professionnelle, d’une délocalisation ou encore d’une extériorisation du poste
qu’il occupe si jamais il n’est pas en mesure de fournir les résultats attendus.
478.
La course à la compétitivité à laquelle se livrent certains salariés aboutit ainsi à un
amalgame inconscient entre subordination et soumission. La crainte de la perte d’emploi est
exagérée par le contexte de chômage et de crise sociale et économique. Le marché du travail
étant saturé, le salarié s’oblige à être irréprochable, au-delà du contrat, car il sait que
l’employeur n’aura aucun mal à le remplacer alors que lui même aura beaucoup de mal à
retrouver rapidement un emploi équivalent.
479.
Comme le souligne très justement B. Grassi, « dès lors, le risque de se voir éliminer,
de ce qui est devenu une compétition permanente, devient une crainte omniprésente qui se
457
B. Grassi, la subordination et l’autonomie dans l’emploi privé, in La subordination dans le travail,
J.-P. Chauchard, Éd. La documentation française, coll. Cahier travail et emploi, 2003, p. 212
458
Ibid. p. 211
171
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
transformera en angoisse lorsque les problèmes commenceront à apparaître »459. Et de
souligner que « les risques psychosociaux sont donc plus que jamais le mal de la
subordination moderne : « Renault, PSA, Areva, la Société générale, EDF, HSBC, La Poste,
France Télécom, Veolia Propreté… La liste des sociétés touchées ne cesse de s’allonger »460.
480.
L’employeur exerce donc de moins en moins une autorité directe et a priori. Il se
limite à passer commande à son salarié et intervient a postériori soit pour féliciter, soit pour
sanctionner ce qui apparaîtra après coup comme un mauvais choix fait par le salarié, si ce
choix a engendré une perte ou un manque à gagner. En ce sens le salarié cumule les
inconvénients du salariat : la subordination, et ceux du prestataire de service : l’obligation de
résultat : « Le discours managérial […] présente à travers ses théories et à l’aide d’un jeu
sémantique, des relations de travail où l’intérêt des employeurs serait identique à celui des
salariés, ce qui réduirait à néant toute idée de domination des unes par les autres (et par voie
de conséquence de résistance à cette domination). Cette forme de discours peut conduire les
juristes à s’interroger sur l’opportunité de conserver à ce critère une place décisive. […] Il
semble en effet que le lien de subordination ne s’exerce plus toujours d’une manière aussi
directe et immédiate que dans une organisation industrielle de type fordiste »461.
481.
Ce phénomène de responsabilisation ultra-subordonnée462 se caractérise par sa nature
souvent indicible, non dite et sous-entendue. Il met en œuvre des mécanismes psychologiques
invisibles qui tendent à faire disparaître les indices visibles de la subordination en s’y
substituant : « L’observation des relations de travail entre salarié et employeur fait apparaître
des formes indirectes de contrôle de l’employé qui échappent au principe d’échange
d’obligations »463. Dans cette logique, le salarié doit devenir un rouage intelligent, productif et
autonome, qui ne consomme pas de ressource en gestion de personnel, et qui assume le risque
459
B. Grassi, La subordination et l’autonomie dans l’emploi privé, in La subordination dans le travail,
J.-P. Chauchard, Éd. La documentation française, Coll. Cahier travail et emploi, 2003, p. 212
460
S. Béchaux, Le stress fait le bonheur des consultants, Liaisons Sociales Magazine, sept. 2008
461
A.-C. Hardy-Dubernet, La subordination du point de vue de la sociologie in La subordination dans
le travail, J.-P. Chauchard, Éd. La documentation française, Coll. Cahier travail et emploi, 2003, p. 31
462
Au-delà de la subordination
463
Ibid. p. 34
172
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
de son activité. « On passe de l’exploitation de la seule force de travail à celle de la personne
du travailleur »464.
482.
Dans cette perspective le poste de travail tend à devenir la micro-entreprise du salarié
dans l’entreprise de l’employeur et le lien de subordination se dilue dans une domination
économique et psychologique diffuse. Il devient alors presque impossible de prouver
l’existence du contrat de travail en cas de contestation, même si ce contrat a été signé et remis
aux parties.
483.
Pour illustrer cette idée en pratique, il est possible d’imaginer une hypothèse inspirée
de faits réels. Ce sera le cas d’une esthéticienne salariée à temps partiel, en charge de l’institut
d’une salle de sport. Pour éviter une embauche à temps plein, plus onéreuse et au risque qu’il
n’y ait pas assez de client, le besoin de flexibilité mènera l’employeur à obtenir de sa salariée
qu’elle organise elle-même la répartition hebdomadaire de ses heures de travail. Il abandonne
- pour partie - son pouvoir de direction, le lien de subordination perd donc en visibilité.
Pourtant il en tire bénéfice car elle s’adaptera elle même à la demande de rendez-vous des
clients qui la contacteront directement. Il s’évite ainsi le problème des modifications des
horaires en lui donnant le sentiment qu’elle a l’avantage de pouvoir s’organiser librement,
mais elle abandonne en fait la protection du droit du travail pour se rendre disponible à la
demande. Au besoin en émiettant elle-même son temps de travail, au mépris de ses droits465.
484.
Elle est ainsi responsabilisée psychologiquement et au-delà des obligations normales
induites par le lien de subordination. Dans ce sens, elle se sentira obligée de se tenir
disponible pour les clients afin de sauvegarder l’utilité économique de son poste de travail, au
risque d’une suppression de celui-ci.
464
B. Grassi, la subordination et l’autonomie dans l’emploi privé, in La subordination dans le travail,
J.-P. Chauchard, Éd. La documentation française, Coll. Cahier travail et emploi, 2003, p. 210
465
« Après qu’on ait cherché à l’anéantir, celle-ci va désormais devenir la pièce maîtresse des
organisations de travail. […] Cette démarche n’est pas limitée aux secteurs traditionnels de l’industrie
et des services. Elle va toucher un peu tous les secteurs […] de même, elle concernera toutes les
catégories jusqu’aux cadres. Du coup, la valeur positive qu’elle représente a priori pour l’homme au
travail sera immédiatement utilisée pour vanter la qualité et la modernité de ces nouveaux systèmes »,
V. B. Grassi, la subordination et l’autonomie dans l’emploi privé, in La subordination dans le travail,
J.-P. Chauchard, Éd. La documentation française, Coll. Cahier travail et emploi, 2003, p. 211
173
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
485.
D’où l’apparition de l’idée d’une micro-entreprise du salarié dans l’entreprise de
l’employeur et celle du transfert psychologique du risque de l’exploitation. « Ceci met en
évidence le caractère illusoire de cette libération et même l’effet pervers induit par sa non
reconnaissance juridique »466. Ainsi que le souligne B. Grassi, « une des situations les plus
redoutables pour les salariés, est celle qui les met en responsabilité personnelle d’une
clientèle. Ils se retrouvent alors, dans cette position paradoxale, de devoir assumer
personnellement la responsabilité d’exigences qui devraient s’adresser à l’entreprise »467.
486.
La liberté subordonnée est donc une illusion qui relève d’un management invisible car
psychologique468. C’est un leurre imposé qui n’a pour but que de responsabiliser au-delà des
obligations normales de la subordination. Dans le contexte évoqué ci-dessus, l’employeur se
décharge de la gestion de la clientèle et du temps de travail. Il ne fixe plus les horaires de
travail, ni ne contrôle la prestation de travail en raison du caractère technique de celle-ci. Il ne
donne pas d’ordre puisque la salariée s’organise elle-même. Il ne reste tout au plus que le
pouvoir de sanction pour rendre visible le lien de subordination, mais celui-ci est substitué par
le mécanisme quasi imperceptible de la responsabilisation.
487.
Pour reprendre l’expression d’A.-C. Hardy-Dubernet, « quand le management veut
faire disparaître la subordination, elle devient indicible en droit »469. Ainsi, « les nouvelles
formes du management annoncent l’abolition pure et simple de toute manifestation coercitive
et immédiate de l’autorité hiérarchique, en prônant l’autonomie du salarié comme condition
de la réussite de l’organisation toute entière. Autrement dit, il ne s’agit pas d’une prise
d’autonomie par le salarié mais d’un devoir d’autonomie qui apparaît sous la forme d’une
injonction »470.
466
A.-C. Hardy-Dubernet, La subordination du point de vue de la sociologie in La subordination dans
le travail, J.-P. Chauchard, Éd. La documentation française, Coll. Cahier travail et emploi, 2003, p.37
467
B. Grassi, la subordination et l’autonomie dans l’emploi privé, in La subordination dans le travail,
J.-P. Chauchard, Éd. La documentation française, Coll. Cahier travail et emploi, 2003, p.212
468
V. N. Aubert, Le management managinaire, dans Bouilloud J-P & Lecuyer B-P (dir.),
L'invention de la gestion, Éd. L'harmattan, Logiques de Gestion, 1994 ; F. Pichault, Call-centers,
hiérarchie virtuelle et gestion des ressources humaines, rev. française de gestion, n° 130, 2000, p. 5-15
469
Ibid. p.30
470
B. Grassi, la subordination et l’autonomie dans l’emploi privé, in La subordination dans le travail,
J.-P. Chauchard, Éd. La documentation française, Coll. Cahier travail et emploi, 2003, p.233
174
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
488.
L’illustration proposée permet donc d’illustrer un courant global de dérive
managériale qui exploite les failles d’un lien de subordination conçu par une jurisprudence
séculaire comme étant nécessairement ostensible et autoritariste. Ainsi « l’autorité de
l’employeur cherche à s’exercer de la manière la plus unilatérale possible, ce qui est rendu
possible par la définition juridique de la subordination. Celle-ci, parce que circonscrite à
l’exécution du contrat de travail, n’est plus objet de droit dès lors qu’elle s’en écarte. Devenue
indicible, donc sans limite, elle se manifeste dans les failles du contrat de travail, là où, soit
rien n’est dit, soit ce qui est dit n’est pas réellement applicable »471.
489.
La distinction entre le salarié – qui jouit d’une liberté subordonnée - et le travailleur
indépendant - économiquement subordonné - se trouve ainsi perturbée par l’insuffisance d’un
critère dilué et anachronique. Ainsi que le souligne l’OIT dans ses rapports, il devient pressant
de pouvoir apporter une réponse juridique plus satisfaisante.
B – L’extension de la zone grise entre travailleurs salariés et indépendants
490.
Le monde du travail est marqué par le développement du travail atypique. Ce
phénomène doit être distingué de celui des nouvelles formes d’organisation bien qu’ils
entretiennent des liens étroits évidents. Apparaissent ainsi de nouvelles formes d’emploi :
pluriactivité, télétravail, travail indépendant ou encore le nouveau statut d’auto-entrepreneur.
Ce phénomène conforte les difficultés déjà existantes concernant la délimitation du travail
indépendant. La prolifération et la diversification des situations de travail mettent à l’épreuve
le recours à un critère unique (le lien de subordination juridique) élaboré à une époque où les
formes d’activités étaient moins complexes.
491.
Ainsi que le souligne la Commission des Communautés européennes dans un rapport
récent, « l'apparition de formes de travail atypique variées a estompé les frontières entre le
droit du travail et le droit commercial. La distinction binaire traditionnelle entre «salarié» et
«travailleur indépendant» n'est plus le reflet fidèle de la réalité économique et sociale du
travail. Des différends peuvent survenir à propos de la nature juridique d'une relation de
travail lorsque celle-ci est déguisée ou lorsque de véritables difficultés se posent pour faire
471
A.-C. Hardy-Dubernet, La subordination du point de vue de la sociologie in La subordination dans
le travail, J.-P. Chauchard, Éd. La documentation française, Coll. Cahier travail et emploi, 2003, p. 32
175
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
coïncider de nouvelles modalités de travail dynamiques avec la relation de travail
traditionnelle »472.
492.
La jurisprudence de la Cour de cassation peut elle-même révéler cette difficulté. En
effet, plusieurs auteurs ont déjà souligné l’incohérence entre l’arrêt Société Générale rendu en
1996 : « le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité
d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler
l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné » et l’arrêt Labbane rendu
en 2000 : « L’accomplissement effectif du travail dans les conditions […] prévues par le
contrat et les conditions générales annexées plaçait le locataire dans un état de subordination à
l’égard du loueur […] ».
493.
S’il est vrai que ces deux arrêts font référence à la subordination, ils se contredisent
dans la mesure où l’arrêt Société générale fait appel à la caractérisation d’une relation
hiérarchique en écartant l’argumentation économique de la subordination, alors que l’arrêt
Labbane fait justement appel à des arguments économiques pour établir le lien de
subordination473. La notion de travailleur économiquement dépendant n’a donc pas été
consacrée explicitement car la Cour de cassation refuse de franchir ce cap. Elle semble
toutefois interpeller le législateur sur la nécessité de donner une cadre adapté aux situations
qui ne relèvent ni des standards du travail salarié ni de ceux du travail indépendant. Cette zone
grise entre droit commercial et droit du travail laisse de nombreux travailleurs en situation
fragile sans protection légale ou sociale adaptée. Elle participe ainsi à la disparition des
frontières du salariat.
472
Commission des communautés européennes, Livre vert, Moderniser le droit du travail pour relever
les défis du XXIe siècle, COM(2006) 708, final Bruxelles, 22 novembre 2006
473
J.-P. Chauchard, Subordination et indépendance, La Lettre Prud’homale, 4ème trimestre 2002, n° 3
176
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
SECTION II - LES DROITS ET LIBERTÉS DU SALARIÉ COMME LIMITES AU
LIEN DE SUBORDINATION
494.
Les lois Auroux ont été une étape déterminante dans l’élaboration du droit actuel des
relations individuelles et collectives de travail. Elles sont composées de la loi n° 82-689
relative aux libertés des travailleurs dans l’entreprise, de la loi n° 82-915 relative au
développement des institutions représentatives du personnel, de la loi n° 82-957 relative à la
négociation collective et au règlement des conflits du travail et enfin de la loi n° 82-1097
relative aux comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail.
495.
Leur ambition est de consacrer les objectifs de progrès qui sont contenus dans le
rapport
474
de J. Auroux sur les droits des travailleurs. Ce rapport préfigure les idées directrices
de ces lois. Elles participent à la mise en œuvre effective des principes politiques,
économiques et sociaux particulièrement nécessaires à notre temps qui sont reconnus dans le
préambule de la Constitution de 1946.
496.
Le premier objectif consistait à étendre le concept de la citoyenneté à la sphère de
l'entreprise ainsi que le précise rapport : « citoyens dans la cité, les travailleurs doivent l’être
aussi dans leur entreprise »475. Le second objectif était de stimuler les initiatives individuelles
et collectives au motif que « les travailleurs doivent devenir les acteurs du changement dans
l’entreprise »476.
497.
Sans aller jusqu’à faire une étude consacrée aux lois Auroux il faudra, pour
comprendre ces deux mécanismes comme limites au lien de subordination, envisager la
proclamation du salarié citoyen dans l’entreprise (paragraphe 1) et le développement de la
négociation collective (paragraphe 2).
474
J. Auroux, Les droits des travailleurs, Rapport au Président de la République et au Premier ministre,
Paris, La Documentation françaises, 1981, 104 p.
475
Ibid., p. 4
476
Ibid., p. 4
177
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
Paragraphe 1 – La proclamation du salarié citoyen dans l’entreprise
498.
L'entreprise est de moins en moins un monde hermétique dans lequel l’employeur
règne sans considération pour ses employés. La loi donne aujourd’hui aux salariés de plus en
plus de droits et de prérogatives : « le bon salarié était celui qui exécutait son travail sans
réclamer ni s'exprimer. La seule réaction possible était collective. D'où l'apparition
progressive des grandes libertés : droit de grève, liberté syndicale, négociation collective.
Mais l'évolution de la société (de l'autorité au consensus), la transformation des rapports
sociaux (de Taylor au travailleur du savoir) et les propres de la démocratie ont amené
l'entreprise à s'ouvrir au monde extérieur, à reconnaître à chaque salarié des droits autres que
ceux qui résultaient directement du contrat de travail (salaire, durée du travail, garanties
contre la perte de l'emploi). L'effort de la jurisprudence a porté, en premier lieu, sur la
reconnaissance d'une autonomie réelle du salarié. En dehors de l'entreprise et même au sein de
celle-ci, il doit conserver une sphère d'intimité qui lui est propre »477.
499.
Cette sphère de protection du salarié constitue un espace réservé, une zone de liberté
hors de portée du lien de subordination dont l'article L.1121-1du Code du travail constitue la
principale protection. Tout salarié est ainsi en mesure de faire valoir ses droits et libertés de
citoyen dans l’entreprise. Le développement de ce concept constitue donc un contrepouvoir
juridique au pouvoir de subordination de l’employeur478.
500.
Mais l’employeur peut apporter des restrictions à l'exercice de ces droits et libertés
lorsque celles-ci sont nécessaires à la préservation des intérêts de l'entreprise, légitimes et
proportionnées. Les nouveaux rapports de travail sont donc de nature à fragiliser la pertinence
du recours au lien de subordination puisque la consistance de ce dernier s’amenuise sous
l’influence grandissante des droits et libertés.
501.
La jurisprudence est également un outil privilégié de protection des droits et libertés
de salariés. Son rôle est déterminant puisqu’elle forge les illustrations pratiques des principes
477
P. Waquet, L'Entreprise et les Libertés du salarié : Du salarié-citoyen au citoyen-salarié, Éd.
Liaisons, Coll. Droit vivant, 2003
478
Entendu comme étant plus classiquement désigné comme le pouvoir de direction
178
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
généraux édictés par la loi, comme dans l’affaire dite du « bermuda »479. Celle-ci témoigne
généralement d’un raisonnement en deux temps puisque la consécration des droits et libertés
du salarié s’accompagne d’une légitimation obligatoire du pouvoir de direction. « Il s'agit
d'une articulation entre pouvoir et liberté, qui provient du jeu d'intérêts contraires, celui du
respect de l'autonomie de la vie personnelle du salarié et celui du respect de la paix sociale
dans l'entreprise »480.
502.
L'article L. 1121-1 du Code du travail permet donc la reconnaissance du respect dû
aux droits et libertés du salarié (A). Il en résulte l’apparition et le développement d’un
domaine réservé du salarié dans la subordination (C) qui est protégé par le contrôle a
posteriori des pouvoirs patronaux mis en œuvre (B).
A – Le respect des droits et des libertés par l’employeur
503.
Différentes catégories de droits et libertés sont susceptibles d’être mis à mal par
l’existence d’un lien de subordination. Quelle que soit l’atteinte qui peut légalement y être
apportée, elle variera dans son principe et dans sa gravité en fonction de l’importance du droit
ou de la liberté en cause. Seront ainsi respectivement abordés le cas des libertés et droits
fondamentaux (1) des droits des personnes et de la personnalité (2) et des libertés
individuelles et collectives (3).
1 – Les libertés et droits fondamentaux
504.
Les libertés et droits fondamentaux désignent l'ensemble des droits subjectifs
primordiaux de l'individu qui doivent être garantis dans tout État de droit. Les libertés et
droits fondamentaux englobent donc les libertés publiques. Il leur est reconnu un effet vertical
et horizontal ce qui signifie que le juge ne doit pas se limiter à protéger les libertés et droits
fondamentaux de tout individu seulement contre l'État. Il devra donc également garantir leur
respect face aux atteintes d’autres individus.
479
Cass. Soc., 28 mai 2003
P. Waquet, L'Entreprise et les Libertés du salarié : Du salarié-citoyen au citoyen-salarié, Éd
Liaisons, Coll. Droit vivant, 2003 ; P.-H. Antonmattéi, Vie professionnelle, vie personnelle et vie
syndicale, dr. soc. n° 1 , Page(s) 21- 22, 01/01/2010 (Colloque de Droit social du 23 octobre 2009
intitulé "Vie professionnelle et vie personnelle")
480
179
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
505.
Tout employeur et toute mesure disciplinaire sont donc susceptibles d’être
respectivement sanctionné et annulée. Il suffit pour ce faire qu’il ait été porté atteinte de
manière abusive aux droits que le salarié citoyen – voire le citoyen salarié – tient de principes
ou de textes à valeur constitutionnelle481 comme la Convention Européenne de Sauvegarde
des droits de l'Homme et des libertés fondamentales.
506.
Ces droits se présentent de manière chronologique. Ainsi distingue-t-on classiquement
les droits dits de première génération - ensemble des droits individuels et organisationnels
issus de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 - les droits dits de
seconde génération issus du Préambule de la Constitution de 1946 - ensemble des droits
sociaux - et les droits de troisième génération – ensemble des droits inspirés par la Charte de
l'environnement -.
507.
La protection des libertés et droits fondamentaux est d'origine prétorienne. Ainsi le
juge pourra se fonder sur le Code du travail, notamment sur la base de l’article L.1121-1, pour
apprécier le respect de ceux-ci dans le lien de subordination. Si besoin est, il pourra
sanctionner toute atteinte abusive qui leur aura été portée par l’annulation des mesures ou
sanctions en cause. Lorsqu’elle résulte d’une inaction ou d’un manquement à une obligation
de faire, il pourra allouer au salarié des dommages-intérêts, au besoin, sur la base de la
responsabilité civile si aucun texte spécial du Code du travail ne le permet. Les libertés et
droits fondamentaux forment donc une première limite à l'état de subordination juridique du
salarié.
2 – Les droits des personnes et de la personnalité
508.
Les droits de la personnalité sont des droits fondamentaux qui sont, par leur nature,
indissociables de la personne du salarié. Il s’agit donc d’une catégorie de droits fondamentaux
particulièrement sensible aux dérives de la subordination puisque le salarié doit - dans la
grande majorité des cas - être physiquement présent au sein de l’entreprise. Lorsqu’il
s’engage dans les liens d’un contrat de travail, le salarié ne peut aliéner de manière générale et
absolue ses droits et libertés.
481
V. Définition du « Bloc de constitutionnalité » selon l’expression du doyen L. Favoreu
180
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
509.
Cette règle est confortée par les principes de l'inviolabilité et de l'indisponibilité du
corps humain. Ces principes élémentaires doivent cadrer les limites à la subordination,
laquelle ne doit pas dégénérer en soumission voire en servitude. Le respect de l’intégrité
morale du salarié, son droit à l'image, son droit au respect de sa dignité, son droit au respect
de son intégrité corporelle ou encore son droit au respect de sa vie privée482 sont autant de
remparts juridiques qui protège le fort personnel du salarié contre les éventuelles dérives
d’une subordination réifiante ou asservissante. Pour reprendre les mots du Professeur
Savatier, « Le salarié n'abandonne pas son corps à la volonté de l'employeur. Il se borne à
contracter des obligations de faire ou de ne pas faire. Ses droits sur son corps sont
inaliénables »483.
510.
Le respect de la vie privée proclamée dans la célèbre formule de l'article 9 du Code
civil « chacun a droit au respect de sa vie privée », est une protection des plus significatives à
l’heure de la vidéosurveillance, des systèmes de pointage biométriques, des dispositifs
d’alerte professionnelle484, dit whistleblowing, du téléphone portable, des SMS, d’internet, des
mails, des blogs et des réseaux sociaux485.
511.
Dans ce contexte la protection de la vie privée permet au salarié de prévenir deux
types d'atteintes par l’employeur : « la divulgation de la vie privée et l'investigation dans la
vie privée »486. Pour reprendre une des expressions prégnantes de J-E. Ray, peut-être que le
droit à la déconnexion constitue donc « le droit à la vie privée du XXIe siècle »487.
482
V. P. Malaurie, Droit civil, Les Personnes, Cujas, 1992, p. 99 s.
J. Savatier, La liberté dans le travail : dr. soc. 1990, p. 56
484
V. P.-H. Antonmattéi, Informatiques et libertés : conditions de validité des dispositifs d'alerte
professionnelle, JCP S n° 9 , pp. 38- 41, 02/03/2010 ; P.-H. Antonmattéi, Appréciation par le juge
judiciaire de la licéité d'un dispositif d'alerte professionnel, JCP G n°52, pp. 34- 35, 21/12/2009 ; P.-H.
Antonmattéi, Ph. Vivien , Chartes d’éthique, alerte professionnelle et droit du travail français: état des
lieux et perspectives, Éd. La Documentation française, Janvier 2007 ; Circ. DGT n° 2008-22,
19௖nov.௖2008, V. Liaisons sociales, rev. Social pratique n° 52, p. 19
485
A. Mole, Mails personnels et responsabilités : quelles frontières? dr. soc., n°84, 2002 ; P.-H.
Antonmattéi, NTIC et vie personnelle au travail, dr. soc. n° 1, p.37-41, 01/01/2002 ; J.-C. Sciberras,
L'irrigation de l'entreprise par les NTIC : le point de vue d'un praticien, dr. soc. n°93, 2002
486
V. P. Kayser, Aspects de la protection de la vie privée in J. Savatier, article préc., p. 330 ; B.
Teyssié, Personnes, entreprises et relations de travail, dr. soc. 1988, p. 374
487
J.-E. Ray, Naissance et avis de décès du droit à la déconnexion, le droit à la vie privée du XXIème
siècle, dr. soc. n°939, 2002 ; P.-H. Antonmattéi, Vie professionnelle, vie personnelle et vie syndicale,
dr. soc. n°1, p.21- 22, 01/01/2010 (Colloque de Droit social du 23 octobre 2009 intitulé "Vie
professionnelle et vie personnelle")
483
181
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
512.
Les droits de la personnalité réservent ainsi à l'individu « une sphère secrète de vie
d'où il aura le pouvoir d'écarter les tiers »488. Pour le salarié il s’agit donc d’une sphère d’où il
aura le pouvoir d’écarter l’employeur et donc de rompre le lien de subordination sans rompre
son contrat de travail.
3 – Les Libertés individuelles et collectives
513.
Les libertés individuelles permettent aux individus, et donc aux salariés, de disposer de
manière discrétionnaire de leur corps, de leur pensée ou de leur action. Elles se composent à
titre non exhaustif de la liberté de se déplacer, de s'exprimer, de travailler, d'adhérer à un
groupement ou encore de la liberté de conscience ou de culte. Les libertés collectives
recouvrent la liberté d'association, la liberté de réunion ou encore le droit de grève. Elles
trouvent « leur traduction normale dans le cadre d'institutions organisées par des textes
spécifiques »489.
514.
Dans l’exercice de son pouvoir disciplinaire, l’employeur doit sous certaines
conditions élaborer un règlement intérieur. De ce fait, il ne peut pas contenir de dispositions
restreignant le droit des personnes ou les libertés individuelles et collectives, sauf si ces
restrictions sont justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but
recherché490.
515.
La jurisprudence et les circulaires DRT n° 5-83 du 15 mars 1983 et n° 91-17 du 10
septembre 1991 fournissent des exemples significatifs de clauses illégales qui illustrent les
atteintes aux droits et libertés en donnant des exemples de clauses interdites : « interdiction
du mariage entre salariés, obligation d'adopter un type de coiffure, obligation de porter un
uniforme sans restriction, recours à l'alcootest ou à la fouille en toute circonstance,
interdiction absolue de chanter, siffler ou de parler à ses collègues »491.
488
J. Carbonnier, Droit civil : PUF, 1980, t. 1, n° 71
Circulaires DRT n° 5-83 du 15 mars 1983
490
C. trav., art. L. 1321-3 al.1
491
Circulaires DRT n° 5-83 du 15 mars 1983 ; V. CE, 25 janv. 1989 : RJS 1989, n° 423 : une clause de
règlement intérieur ne peut donc interdire toute conversation en dehors du service car cela dépasse
« l'étendue des sujétions que l'employeur pouvait édicter en vue d'assurer le bon ordre et la discipline
[...] ainsi que la bonne exécution de certains travaux exigeant une attention particulière »
489
182
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
516.
L’article L. 1321-3 du Code du travail témoigne donc du phénomène de limitation du
pouvoir de l’employeur face aux droits et libertés des salariés. Tout salarié dispose donc d’un
domaine réservé dans la subordination492. Cet espace d’insubordination légitime lui permet de
circonscrire l’emprise de l’employeur à l’accomplissement de sa prestation de travail, à l’abri
de l’imposition de considérations obscures493.
B - La nécessaire justification du pouvoir patronal
517.
« Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et
collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni
proportionnées au but recherché »494. Ainsi, chaque fois qu’une restriction est apportée aux
droits ou libertés d’un salarié, le juge pourra contrôler la légitimité de cette restriction. En
édictant un principe de portée générale le législateur permet au juge d’apprécier librement
chaque situation.
518.
Chaque droit, chaque liberté étant concerné par le champ d’application de L.1121-1 du
Code du travail il serait impossible de présenter de manière exhaustive tous les cas de figure
possibles. Toutes les fois où un employeur souhaitera prendre une mesure restrictive de liberté
il devra confronter sa légitimité face à la nature de la tâche à accomplir et vérifier dans un
second temps si elle est proportionnelle au but recherché.
519.
Les ordres ou consignes qui portent des restrictions trop générales aux droits des
personnes et aux libertés individuelles et collectives sont donc annulées si leur justification
n’est pas convaincante. « La nécessité de la restriction édictée par l'employeur doit être
impérieuse, évidente, la solution adoptée être mesurée ; si la liberté de la personne est limitée,
sa dignité est toujours inviolable ; si la contrainte est indispensable, elle doit rester
proportionnée au but recherché ».
492
N. Baudson, Le domaine réservé du salarié dans le rapport de subordination, Thèse de doctorat,
Université Toulouse I, 2000
493
V. B. Siau, Nullité du licenciement d'un salarié ayant exercé son droit de retrait ; note sous Cass.
soc., 28 janvier 2009, pourvoi numéro 07-44.556, Revue Lamy Droit des affaires n°36, p.57-59,
01/03/2009
494
Article L.1121-1 du Code du travail
183
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
C – Le domaine réservé du salarié dans la subordination
520.
Les empiètements patronaux à l’intérieur de ce domaine réservé ont pour conséquence
de légitimer l’insubordination du salarié. Le refus d’obéir est dans ce cas autorisé et ne
produit donc pas les effets d’une inexécution car l’employeur dépasse les limites de la
subordination495. L’existence de limitations au droit de l’employeur de donner des ordres,
d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les éventuels manquements participe à
l’effacement des indices de la subordination et complexifie l’identification du contrat de
travail. Il constitue un élément supplémentaire de remise en cause du recours au lien de
subordination comme critère du salariat.
521.
Dans une première hypothèse, il faut considérer que l’employeur peut porter atteinte à
la personnalité du salarié en donnant un ordre soit abusif, soit contraire à l’ordre public ou aux
bonnes mœurs soit encore illégal. Dans cette situation le salarié peut se défendre en usant
d’une insubordination légitime qui lui permet de lutter contre des atteintes illégitimes. C’est la
logique défensive de principe des droits de la personnalité. Elle protège a posteriori les droits
du salarié, « c’est précisément afin de constituer autour du sujet une zone de protection que
l’existence de ces droits a été affirmée »496. C’est ici le juge qui va conférer un certain degré
d’inaliénabilité aux droits de la personnalité du salarié à partir du moment où il aura reconnu
l’abus de droit de l’employeur.
522.
Dans une seconde hypothèse il faut considérer que les droits de la personnalité
peuvent avoir une fonction protectrice voire offensive dont les effets auront vocation à
produire leurs effets a priori. Le salarié ne se défend plus contre une atteinte mais réclame
d’office le respect de ses droits de manière subjective. En cas de conflit le salarié devra
prouver le bien-fondé de ses prétentions. L’initiative du salarié qui impose ses exigences en
refusant d’exécuter un ordre ou de respecter une règle prend donc un risque. Qu’il invoque la
lettre du contrat lui-même, par exemple une clause de conscience, ou bien un droit prévu par
la loi, comme le droit de retrait, le juge pourra toujours qualifier l’attitude du salarié comme
abusive ou erronée.
495
V. N. Baudson, Le domaine réservé du salarié dans le rapport de subordination, Thèse de doctorat,
Université Toulouse I, 2000
496
G. Goubeaux, Traité de droit civil, Les obligations, le contrat, 3° éd., Éd. LGDJ, 1993, p.251 n°179
184
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
523.
Il n’en demeure pas moins que, dans ce contexte, le salarié prévient en toute légitimité
une atteinte morale ou physique en usant d’un droit d’inexécution qui prive l’employeur d’un
pouvoir de subordination absolu et d’une autorité indiscutable. Dans ces conditions, le recours
au lien de subordination peut perturber la qualification du contrat de travail puisqu’il s’efface
sous l’effet de libertés et droits d’intérêts supérieurs. Il en résulte un droit à l’inexécution
légitime pour tout cocontractant (1) ainsi qu’un droit à l’insubordination légitime (2). Ces
droits sont renforcés par la mise en place d’un dispositif d’alerte en cas d'atteinte aux libertés
(3).
1 – Le droit à la désobéissance légitime de tout cocontractant
524.
De manière générale le refus d'exécuter une tâche non prévue au contrat de travail ne
constitue pas un motif légitime de licenciement497 ni même de sanction. Tout salarié peut
donc refuser d'exécuter un ordre sans encourir de sanction disciplinaire498. Il en sera de même
lorsque le refus d’exécution d’une tâche de travail aura pour fondement une stipulation
contractuelle. Le refus pourra par exemple se fonder sur une clause de conscience.
525.
Le respect de la loi peut également autoriser le salarié à refuser l'exécution d'ordres de
son employeur s’ils sont manifestement illégaux. Il peut s’agir du refus d'exécuter des heures
supplémentaires qui entraîneraient un dépassement de la durée maximale de travail autorisée
ou du refus d’espionner un autre salarié en le suivant ou installant un système de surveillance
illégal. Plus généralement, tout salarié peut refuser d’exécuter un ordre de son employeur si
celui-ci l'expose lui-même à des sanctions pénales.
526.
Enfin la théorie générale des obligations est un mécanisme supplémentaire de
rééquilibrage de la relation de travail puisque le contrat de travail est un contrat
synallagmatique. Ainsi l'employeur qui ne verse pas les salaires autorise implicitement ses
salariés à ne pas accomplir leur prestation de travail. C’est l’exception d’inexécution.
497
498
Cass. soc., 3 déc. 1992 : RJS 1993, n° 17
Cass. soc., 28 mars 1995 : Dr. soc. 1995, p. 505
185
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
2 – Le droit à l’insubordination légitime de tout salarié
527.
Le droit à l’insubordination légitime de tout salarié peut se fonder sur l’exercice d’un
droit comme, par exemple, le droit de retrait prévu à l’ article L. 4131-1 du Code du travail :
« Le travailleur alerte immédiatement l'employeur de toute situation de travail dont il a un
motif raisonnable de penser qu'elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa
santé ainsi que de toute défectuosité qu'il constate dans les systèmes de protection. Il peut se
retirer d'une telle situation. »499. Il s’agit là encore d’un héritage des lois de 1982, en vertu
duquel le salarié peut refuser d'exécuter sa prestation de travail sans qu'aucune sanction ne
puisse être prise à son encontre500.
528.
L’exercice d’autres droits peut autoriser le salarié à se soustraire à l’autorité de
l’employeur. Par exemple en usant du congé individuel de formation prévu à l’article L.63224 du Code du travail. Sous réserve de pouvoir bénéficier de ce droit, le salarié doit
simplement demander une autorisation d’absence à son employeur qui ne peut la refuser sauf
si un autre salarié est déjà absent dans le cadre d’un congé individuel de formation. Il pourra
tout au plus différer la date de début de formation d’une durée maximale de neuf mois à
condition de justifier d’un motif légitime tenant à l’organisation de l’entreprise501. C’est donc
une sphère supplémentaire de liberté laissée à la discrétion du salarié qui ne peut être
contrariée par le lien de subordination et donc par le pouvoir de direction de l’employeur.
3 – Le dispositif d’alerte en cas d'atteinte aux libertés
529.
La loi organise un mécanisme d'alerte dans le but de prévenir toute atteinte aux libertés
dans l’entreprise. Ce mécanisme est complémentaire au contrôle du règlement intérieur.
L'article L.2313-2 du Code du travail dispose ainsi que « si un délégué du personnel constate,
notamment par l'intermédiaire d'un salarié, qu'il existe une atteinte aux droits des personnes, à
leur santé physique et mentale ou aux libertés individuelles dans l'entreprise qui ne serait pas
499
Article L. 4131-1 du Code du travail
B. Siau, Nullité du licenciement d'un salarié ayant exercé son droit de retrait ; Note sous Cour de
cassation, Chambre sociale, 28 janvier 2009, pourvoi numéro 07-44.556, Revue Lamy Droit des
affaires n°36, p.57-59, 01/03/2009 ; V. aussi : Cass. soc., 9 déc. 2003 : Dr. soc. 2004, p. 313, obs. P.
Waquet, le droit de retrait est un « droit », le salarié n'est donc pas tenu d'en user
501
Articles L. 6322-1 à L. 6322-36, L. 6322-64 et R. 6322-1 à R. 6322-27 du Code du travail
500
186
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
justifiée par la nature de la tâche à accomplir, ni proportionnée au but recherché, il en saisit
immédiatement l'employeur […]. En cas de carence de l'employeur ou de divergence sur la
réalité de cette atteinte, et à défaut de solution trouvée avec l'employeur, le salarié, ou le
délégué si le salarié intéressé averti par écrit ne s'y oppose pas, saisit le bureau de jugement du
conseil de prud'hommes qui statue selon la forme des référés […]»502.
530.
Le juge peut donc décider de toute mesure utile pour faire cesser le trouble, au besoin
en ordonnant une astreinte503. Le domaine réservé issu des droits et libertés du salarié ne
pourra cependant se révéler que par l’action revendicative du salarié. En temps de crise de
l’emploi, un salarié sera d’autant plus réticent à user de ses droits qu’il sait qu’il risque de
compromettre la pérennité de son emploi à court ou moyen terme. Le remède peut alors
paraître pire que le mal ; il existe des salariés qui préfèrent accepter quelques abus par crainte
de voir leur vie déstabilisée par un licenciement et par hantise d’être confronté aux
conséquences sociales du chômage (dépression, isolement, difficultés financières etc.)504.
531.
Ce peut être également l’explication du faible taux de syndicalisation des salariés
français (de l’ordre de 7 à 8 pour cent des salariés). L’action syndicale permet pourtant aux
salariés de s’effacer en tant qu’individu derrière la personnalité du syndicat mais aussi
derrière l’action physique de représentants protégés. Ce mécanisme de représentation et
d’assistance favorise la protection des libertés et droits, c’est pourquoi le législateur est
attentif au développement de la négociation collective.
Paragraphe 2 – Le développement de la négociation collective
532.
La négociation collective d’aujourd’hui est l’œuvre de lois successives qui ont marqué
les années les plus importantes du droit du travail. Tout d’abord la loi du 25 mars 1919
instaure pour la première fois un cadre institutionnel aux conventions collectives. Puis, après
la victoire du Front populaire, le gouvernement obtient le vote de la loi du 24 juin 1936 qui
introduit la procédure d’extension et qui fonde l’origine du principe de faveur. La loi du 23
502
Article L.2313-2 du Code du travail
V. J.-E. Ray, Une loi macédonienne ? Étude critique du titre V de la loi du 31 décembre 1992, dr.
soc. 1993, p. 107 s.
504
V. F. Rey, A. Fairise, Salariés, vous n'avez plus le droit à l'erreur, rev. liaisons sociales n° 33, juin
2002
503
187
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
décembre 1946 soumet le contenu et le champ d’application de la négociation au contrôle de
l’État. Après l’instauration de la cinquième République, le développement de la négociation
collective a été principalement marqué par la loi du 13 juillet 1971 qui reconnaît l’existence
d’un droit des travailleurs à la négociation collective. Enfin les lois Auroux marquent
l’apogée de cette évolution. Ainsi faut-il citer la loi du 28 octobre 1982 relative au
développement des institutions représentatives du personnel, et celle du 13 novembre 1982
relative à la négociation collective et au règlement des conflits collectifs du travail.
533.
Le sens de cette évolution est de créer un contrepoids au pouvoir unilatéral de
l’employeur afin de pouvoir offrir une protection au salarié dans un état de subordination.
Les lois Auroux ont en cela été déterminantes, le législateur ayant placé la négociation au
niveau de l’entreprise en la rapprochant donc du salarié. Elles ont donc participé à renforcer
l’effectivité du « droit des salariés à la négociation collective de l’ensemble de leurs
conditions d’emploi et de travail et de leurs garanties sociales » prévu par le Préambule de la
Constitution de 1946.
534.
Ce développement et cet intérêt pour la négociation collective ont été confirmés par
les lois votées après l’an 2000. Il fait du dialogue social un véritable mode de régulation
démocratique des relations de travail au sein de l’entreprise. Le salarié n’est donc plus celui
qui écoute, il devient également celui qui parle et fait entendre ses aspirations. Le lien de
subordination est en cela de moins en moins absolu, unilatéral et indiscutable. Cette
progression est soutenue par l’extension du champ d’intervention de la négociation collective
(A) qui a été rendue possible par l’épuisement du compromis fordiste (B).
A – L’extension du champ d’intervention de la négociation collective
535.
L’extension du champ d’intervention de la négociation collective résulte de différents
facteurs. Les mutations économiques et juridiques ont progressivement introduit de nouveaux
thèmes dans la négociation collective. La négociation collective a longtemps été focalisée sur
la détermination des salaires. Les thèmes abordés visaient donc principalement les
augmentations, les primes et les grilles de salaire. « En 1990, salaires et primes représentent
188
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
400 des 500 accords de branches. À la même date, la négociation salariale représente plus de
50% des accords d’entreprise »505.
536.
Que ce soit au niveau des accords d’entreprise ou des accords de branche, ce n’est
qu’après la loi n° 2004-391 du 4 Mai 2004 qu’il est possible d’observer un réel
enrichissement de la négociation collective. De nouveaux thèmes apparaissent, comme celui
de la formation professionnelle, de la durée du travail ou de la protection sociale
complémentaire : « ainsi, salaires et primes prépondérants 15 ans plus tôt ne font plus qu’un
peu plus de la moitié des accords. Dans les entreprises, les avenants salariaux passent de 56%
en 1989 à 29,6% en 2004, alors que leur nombre est passé de 3 300 à 4 300 »506.
537.
Ainsi, la négociation collective devient « un outil de définition en commun non plus
des enjeux substantiels (salaires, primes, classifications, etc.), mais des procédures qui se
situent en amont de ces enjeux (objectifs de performance, critères de calcul et d’attribution
des compléments de rémunération, etc.). Cette tendance reflète le passage d’une « négociation
substantielle » à une « négociation procédurale ». Elle accrédite l’idée que la négociation
collective a moins pour objectif de définir le contenu des décisions (augmentation ferme
d’une prime) que leur mise en œuvre (modalités d’octroi des primes) »507.
538.
L’employeur n’est donc plus seul à déterminer les conditions de travail des salariés.
Ces derniers négocient avec l’employeur des accords juridiquement contraignants ce qui tend
à faire disparaître la figure patronale comme unique source du pouvoir de direction. Ce
pouvoir perd son caractère unilatéral puisque les salariés prennent part à l’encadrement de
leur propre subordination.
B - Une évolution révélatrice de l’épuisement du compromis fordiste
539.
Cette évolution de la négociation collective marque la fin de l’accord tacite qui sous-
tendait les relations de travail dans la croissance d’après-guerre. En effet, les « salariés
505
J.P. Jacquier, l’évolution de la négociation collective, sociologos.insa-lyon.fr, 14 mars 2003
Ibid
507
Les nouvelles tendances de la négociation collective, Séminaire de la promotion Romain Gary,
ENA, Direction des études, 2006
506
189
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
centraient leurs revendications sur la question salariale, laissant l’organisation du travail en
dehors du champ de négociation. L’intensification, la parcellisation du travail et l’allongement
de sa durée étaient en quelque sorte achetés par des hausses de salaires »508.
540.
La main-d’œuvre abondante n’avait pas à justifier d’une qualification élevée car la
production était alors massive, standardisée et « nécessitait peu d’efforts d’implication ou
d’innovation de la part des salariés. De fait, les accords collectifs portaient principalement sur
les salaires, ce qui révèle un lien, qualifié de compromis fordiste, entre un mode
d’organisation productive et un mode de régulation sociale »509.
541.
De ce point de vue, la crise économique qui a suivi, apparaît comme un facteur
déterminant du renouveau de la négociation collective. Les changements structurels induits
par un contexte de faible croissance a ainsi favorisé l’apparition du thème de l’organisation du
travail jusqu’alors ignoré dans le processus de négociation collective. Les salariés ont donc
aujourd’hui la possibilité d’influer sur la détermination de leurs conditions de travail de
manière conventionnelle. D’autant plus que cette voie s’emprunte plus aisément que la
re/négociation de leur contrat de travail. Dans l’absolu, l’entreprise n’est donc plus ce
« monde clos où l'employeur exerçait une autorité sans partage »510 ce qui témoigne d’un
effritement du pouvoir de direction et par conséquent du lien de subordination.
508
Ibid
509
Ibid
P. Waquet, L'Entreprise et les Libertés du salarié : Du salarié-citoyen au citoyen-salarié, éd.
Liaisons, Coll. Droit vivant, 2003
510
190
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
CHAPITRE 2
L’IMPACT DES NOUVELLES ORGANISATIONS DU TRAVAIL
SUR LE LIEN DE SUBORDINATION
542.
L’avènement de la troisième ère industrielle résulte de l’apparition et du
développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication. C’est une
révolution de l’informatique qui puise ses origines en 1970 avec notamment l’accès aux
premiers ordinateurs. Il s’agit d’ « inventions [qui] vont progressivement se diffuser à
l'ensemble de l'économie provoquant une rupture paradigmatique du processus de production.
Les grands conglomérats industriels sont démantelés. Les grandes usines disparaissent dans
les pays industrialisés consécutivement à la robotisation des chaînes de montage, à la
révolution des moyens de communication qui permettent la désintégration verticale du
processus de production et au recours à l'externalisation et à la sous-traitance. Les entreprises
se spécialisent alors que les employés deviennent polyvalents. Elle est aussi une révolution de
l'information et de l'intermédiation, avec un essor considérable des télécommunications et de
l'industrie financière. Dans le domaine social, elle s'accompagne parfois d'une hausse des
inégalités »511.
543.
Cette évolution industrielle a produit - et continue de produire - un impact important
sur l’organisation productive et les relations de travail qui en découlent. Une partie de la
doctrine s’interroge donc sur le maintien du recours au lien de subordination juridique pour
caractériser les nouvelles relations de travail salarié. Deux phénomènes croissants participent
de cette nouvelle pensée qui va même jusqu’à la remise en cause du salariat. Seront présentés
le développement du télétravail (SECTION I) et l’éclatement structurel des entreprises en
réseaux (SECTION II) pour mesurer l’importance de leurs répercussions sur le lien de
subordination juridique.
SECTION I - LE DÉVELOPPEMENT DU TÉLÉTRAVAIL
SECTION II - L’ÉCLATEMENT STRUCTUREL DES ENTREPRISES EN RÉSEAUX
511
http://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9volution_industrielle
191
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
SECTION I - LE DÉVELOPPEMENT DU TÉLÉTRAVAIL
544.
Le développement du télétravail pose plusieurs types d’interrogations qu’il sera
nécessaire de traiter de manière distincte. Peuvent en effet être distingués les thèmes du
télétravail et de la dématérialisation du lien de subordination (paragraphe 1), celui de l’avenir
du travail à domicile et du droit du travail (paragraphe 2). Enfin celui de la distinction entre
travail salarié et travail indépendant, car cette distinction primordiale se pose de manière
accrue dans le télétravail (paragraphe 3) en raison de la dématérialisation du lien de
subordination.
Paragraphe 1 - Le télétravail et la dématérialisation du lien de
subordination
545.
La dématérialisation du lien de subordination est le problème le plus évident posé par
le télétravail. Bien que la loi y ait apporté quelques solutions pratiques par le jeu de
présomptions simples, elle n’y a pas encore apporté de réponse sur le fond. Ainsi, même s’il
est présumé, le lien de subordination continue de générer des incertitudes dans le télétravail.
Afin d’envisager au mieux cette situation, il conviendra de cerner le concept du télétravail (A)
pour comprendre le phénomène de dématérialisation du lien de subordination juridique (B).
A – Le concept du télétravail
546.
Le télétravail est une forme d’organisation du travail qui a connu un essor notable
grâce au développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication.
C’est un choix organisationnel qui peut autant être le fait d’un entrepreneur que d’un salarié
ou encore d’une entreprise qui propose la fourniture de services à distance (téléopérateurs,
téléassistance, télésurveillance…). La matière est encadrée, aujourd’hui, par les articles L.
7412-1et suivants du Code du travail, et par l’accord national interprofessionnel du 19 juillet
2005 étendu par l’arrêté du 30 mai 2006 (modifié par arrêté du 16 juin 2006).
192
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
547.
Cet accord interprofessionnel donne la définition suivante : « le télétravail est une
forme d’organisation et/ou de réalisation du travail, utilisant les technologies de l’information
dans le cadre d’un contrat de travail et dans laquelle un travail, qui aurait également pu être
réalisé dans les locaux de l’employeur, est effectué hors de ces locaux de façon régulière »512.
Quant au code du travail, il dispose qu’« est travailleur à domicile toute personne qui exécute,
moyennant une rémunération forfaitaire, pour le compte d'un ou plusieurs établissements, un
travail qui lui est confié soit directement, soit par un intermédiaire ; travaille soit seule, soit
avec son conjoint, partenaire lié par un pacte civil de solidarité, concubin ou avec ses enfants
à charge au sens fixé par l'article L. 313-3 du code de la sécurité sociale, ou avec un auxiliaire
[...] »513.
548.
Lorsqu’une entreprise met en place un service à distance, la relation employeur/salarié
n’est pas différente des salariés classiques puisqu’ils occupent tous les deux leur poste de
travail au sein de l’entreprise. Dans ce cas de figure, le salarié se trouve donc dans un lien de
subordination classique puisque l’employeur peut exercer un contrôle physique direct et
instantanée de leur activité. Ce cas de figure doit être distingué du véritable télétravailleur,
dit à domicile, puisque c’est lui qui pose la véritable question du recours au lien de
subordination comme critère du contrat de travail. Si le salarié est à son domicile, dans quelle
mesure le donneur d’ordre peut-il contrôler l’exécution du travail pour éventuellement le
sanctionner ? Comment mesurer le temps de travail effectif ? Pour répondre à cette question il
convient, au préalable, de définir le télétravail et d’exposer ses particularités.
549.
Le télétravail se caractérise tout d’abord comme étant « une activité constituée
d’éléments invariables et d’éléments variables »514. Selon l’auteur de cette théorie, les
éléments invariables correspondent à l’exécution d’un travail à distance du lieu où celui-ci a
vocation à être réceptionné. Cet élément intrinsèque du télétravail ne peut donc techniquement
être réalisé qu’au moyen des technologies de l’information et de la communication,
notamment internet qui permet de transmettre facilement et instantanément un lot important
de données ou encore d’organiser des visioconférences. Quant aux éléments variables, ils
512
Accord national interprofessionnel du 19 juillet 2005 sur le télétravail salarié
513
C. trav. L. 7412-1
T. Breton, Le télétravail en France : situation actuelle, perspectives de développement et aspects
juridiques, Rapports Officiels, La Documentation Française, 1995
514
193
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
correspondent aux modes d’organisation encadrant la réalisation de la prestation de travail,
que ce soit au niveau des délais à respecter et parfois au niveau du lieu où le travailleur devra
se rendre. D’autres variables concernent le contrôle à distance du travailleur, notamment en ce
qui concerne le respect de directives d’exécution.
550.
Ces différentes variables participent à créer une mosaïque des formes de télétravail. Il
s’agit donc d’une notion protéiforme ce qui complexifie les tentatives de définition juridique.
Il peut toutefois être conçu comme « l’exécution, de manière régulière, d’un travail
commandé par l’employeur, hors des murs de l’entreprise qui l’emploie et de la présence
physique des personnes chargées de contrôler sa production et ce par la réception et l’envoi
régulier de données au moyen de l’outil informatique et des nouvelles technologies de la
communication »515.
551.
Mais le télétravail - distinct du travail à domicile - ne constitue pas un statut propre à
certains salariés ni même un régime juridique autonome ou distinct : « C’est une nouvelle
forme d’organisation du travail qui suscite nombre d’interrogations sur le plan juridique. En
effet, si elle remet en cause à l’unité de temps, de lieu et d’action de la journée de travail des
XIXème et XXème siècles, cette nouvelle forme d’organisation du travail ne libère pas pour
autant le salarié qui demeure, bien qu’éloigné physiquement de son employeur ou de ses
supérieurs hiérarchiques, à la disposition de l’employeur au sens du Code du travail et au
sens, notamment, des dispositions de ce Code sur le temps de travail »516. Éloignement
physique et lien de subordination ne semble donc pas être nécessairement incompatibles.
Toutefois il en peut en résulter un lien moins intense qui semble subir les effets d’une
dématérialisation de la relation de travail.
B – La dématérialisation du lien de subordination
552.
C’est en raison de cette nature protéiforme et dématérialisée du télétravail qu’il est
possible de considérer qu’il remet en cause le recours au lien de subordination comme critère
du contrat de travail, du moins dans son acception traditionnelle. L’existence d’un contrat de
515
T. Breton, Le télétravail en France : situation actuelle, perspectives de développement et aspects
juridiques, Rapports Officiels, La Documentation Française, 1995
516
P. Alix, Le télétravail salarié : Définition, régimes juridiques et conclusion d’un contrat de travail,
www.village-justice.com, 30 mars 2002
194
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
travail est source d’incertitudes car le lien de subordination entre le télétravailleur et son
employeur peut être particulièrement détendu et discontinu. La question qui se pose donc de
manière récurrente est de savoir sur quel critère subsidiaire il serait possible de qualifier un
contrat de travail entre un télétravailleur et un donneur d’ordre.
553.
Une réponse ministérielle du 12 juin 2000 a donné quelques pistes de réflexion en
distinguant quatre sous-catégories de télétravail: « le travail à domicile » qui est effectué
grâce aux nouvelles technologies de l’information et de la communication et caractérisé par la
fixité du poste de travail et, donc, par l’utilisation de moyens informatiques et télématiques
non transportables. Il est pratiqué de façon régulière ; « le télétravail mobile » : pratiqué par
des personnes dont l’activité nécessite de nombreux déplacements et qui, grâce aux moyens
de communications électroniques, peuvent rester en contact avec l’entreprise ; « le télétravail
pendulaire » : qui désigne le travail alterné entre le bureau et le domicile, où il est exercé au
moyen des nouvelles technologies de l’information et de la communication et enfin « le
télétravail off shore » qui désigne les activités délocalisées à l’étranger grâce aux techniques
modernes de communication517.
554.
Les deux catégories de télétravailleur qui effectuent tout ou partie de leur travail à
domicile ne posent guère de difficultés. Il s’agit des salariés fournissant un télétravail à
domicile ou un télétravail pendulaire. La qualification du contrat de travail est plus aisée, non
pas que le lien de subordination soit plus apparent, mais le code du travail institue une
présomption simple de salariat
ce qui permet de contourner le problème de la
dématérialisation du lien de subordination sans toutefois y apporter de solution sur le fond.
555.
Ces travailleurs pourront revendiquer l’existence d’un contrat de travail à condition de
satisfaire à la définition légale du travailleur à domicile. L’article L. 7412-1du Code du travail
prévoit ainsi qu’ « est travailleur à domicile toute personne qui exécute, moyennant une
rémunération forfaitaire, pour le compte d'un ou plusieurs établissements, un travail qui lui est
confié soit directement, soit par un intermédiaire ; travaille soit seule, soit avec son conjoint,
partenaire lié par un pacte civil de solidarité, concubin ou avec ses enfants à charge au sens
fixé par l'article L. 313-3 du code de la sécurité sociale, ou avec un auxiliaire [...] »518. Il faut
517
518
Rép. min. n° 28123 : JOAN Q, 12 juin 2000, p. 3570
C. trav. L. 7412-1
195
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
ainsi rappeler que la loi établissant une présomption simple, le défendeur la pourra démontrer
qu’il ne s’agit pas d’un contrat de travail en rapportant l’absence d’un lien de
subordination519. Ce qui sera d’autant plus difficile que, par nature, le télétravail se caractérise
par un lien de subordination très atténué.
556.
Concernant les deux autres catégories qui ne travaillent pas à domicile, le
télétravailleur mobile et le télétravailleur off shore, la qualification d’un contrat paraît plus
complexe. Ils n’ont, par définition, pas vocation à relever des dispositions protectrices des
travailleurs à domicile. Ne bénéficiant pas de la présomption simple de salariat, ils pourraient
être amenés à devoir rapporter la preuve du lien de subordination en fonction des
circonstances d’exécution de la prestation de travail ou des contraintes qui lui sont imposées.
Il sera, dans ces circonstances, possible de révéler l’existence d’un lien de subordination d’un
point de vue qualitatif et quantitatif.
Paragraphe 2 – L’avenir du travail à domicile et du droit du travail
557.
L’avenir du droit du travail ne semble plus pouvoir être dissocié de l’actuel
engouement pour le travail à distance et en particulier le travail à domicile. Cette forme
d’organisation
ne convient certes pas à toutes les prestations de travail mais son
développement rationnel pourrait s’avérer très positif en termes d’accès à l’emploi pour le
salarié, et, en termes de croissance pour les entreprises520.
558.
La situation en France est toutefois encore archaïque car malgré le développement des
nouvelles technologies de l’information et de la communication, les entreprises demeurent
méfiantes vis-à-vis de ce mode d’organisation qui reste trop souvent réduit à la
519
V. en ce sens, en ce qui concerne la qualification de journaliste professionnel, Cass. soc. 30 juin
1988 ; Cass.soc., 9 février 1989 ; V. pour ce qui est de la qualification de mannequin, Cass. soc. 16
janvier 1997, RJS 3/1997, n° 326 ; 10 février 1998, RJS 3/1998, n° 381
520
ANI du 19 juillet 2005 sur le télétravail salarié : « Considérant que le télétravail constitue à la fois
un moyen pour les entreprises de moderniser l'organisation du travail et un moyen pour les salariés de
concilier vie professionnelle et vie sociale et de leur donner une plus grande autonomie dans
l'accomplissement de leurs tâches ; […]Considérant que le télétravail peut constituer un facteur de
développement économique et une opportunité pour l'aménagement du territoire de nature à favoriser
l'emploi et à lutter contre la désertification de certains territoires ; »
196
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
téléprospection. L’expérience des pays étranger, et notamment des États-Unis, démontre
pourtant que cette forme d’organisation peut s’avérer être un excellent facteur de croissance.
L’avenir de cette forme d’organisation semble donc promis à un bel avenir. Il sera envisagé
sous l’angle du besoin de protection des travailleurs à domicile (A) et des perspectives
d’accès à l’emploi de personnes ne pouvant pas quitter leur domicile (B).
A – La protection des travailleurs à domicile
559.
A. Supiot, dans son rapport « Transformations du travail et devenir du droit du travail
en Europe »521, souligne l’importance de « penser descriptivement et normativement
l'articulation du droit avec les nouvelles pratiques sociales » en clarifiant - outre les frontières
entre travail salarié et travail indépendant - le rôle du travail à domicile. Car les nouvelles
techniques d'information et de communication ont engendré un accroissement notable du
recours du travail à domicile.
560.
Ce phénomène pose notamment la question de la protection des travailleurs à
domicile. Selon C. Rey, celle-ci pourrait reposer sur deux niveaux de protection distincte. Le
premier étant « de considérer que la domination de la logique financière subsistera et qu'il
convient de protéger les travailleurs et d'assurer des sécurités dans ce cadre, en adaptant la
législation en conséquence. [Le second] conduit à considérer que l'obtention de garanties
individuelles et collectives sont liées et doivent couvrir les champs tant social
qu'organisationnel et de gestion »522.
561.
Les conditions de travail de cette catégorie de travailleur devraient - idéalement -
également permettre d’appréhender l’isolement engendré. Il est en effet notable que « le
travail à domicile exercé à plein temps, sans rapports réguliers avec les autres salariés de
l'entreprise, crée une situation d'isolement qui ne peut se résoudre par la seule utilisation des
communications à distance. Il engendre également de nombreux problèmes au sein de la vie
familiale et privée et freine l'égalité entre les sexes. Intégrer la pratique du travail à domicile
521
A. Supiot, Au-delà de l'emploi, Divers Sciences, rapport pour la Commission européenne,
Flammarion,1999
522
C. Rey, Travail à domicile, salarié ou indépendant. Incidence des nouvelles technologies de
l’information et de la communication, Innovations 2001/1, n° 13, p. 173-193
197
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
de façon partielle et alternée peut par contre constituer une réponse à de nouveaux besoins
productifs et de modes de vie »523.
562.
Ce rôle d’encadrement pourrait être dévolu à l’enrichissement législatif ou
conventionnel des rapports de travail à distance. L’individualisation de ces rapports de travail
ayant un effet négatif sur « l'épanouissement des individualités au travail » 524 il conviendrait
d’établir un meilleur équilibre entre le statut individuel et le statut collectif des travailleurs à
domicile. En la matière, l’accord national interprofessionnel du 19 juillet 2005 constitue un
premier pas encourageant mais qui doit encore être soutenu par une dynamique politique
réelle.
B – L’accès à l’emploi des personnes ne pouvant pas quitter leur domicile
563.
Les nouvelles technologies de l’information et de la communication laissent par
ailleurs entrevoir de bonnes perspectives en termes de création d’emploi. Elles pourraient
potentiellement permettre l’accès à l’emploi de nombreuses personnes qui ne peuvent ou ne
veulent pas quitter leur domicile. Il en va ainsi de certaines personnes handicapées, de celles
qui souhaitent garder leurs enfant en bas âge, ou encore de celles qui, bien qu’en arrêt de
travail peuvent fournir une activité intellectuelle et productive compatible avec le travail à
distance525.
564.
C’est dans cette optique que le porte-parole de l’UMP F. Lefebvre avait annoncé en
juin 2009 le dépôt d’un amendement polémique qui aurait pu permettre au salariés malades
qui en exprimait le souhait, la possibilité de continuer à travailler à distance si un certificat
médical les y autorisaient ; il a ainsi déclaré « je veux que le salarié puisse avoir un nouveau
523
Ibid.
Ibid.
525
ANI du 19 juillet 2005 sur le télétravail salarié : « Considérant que pour tirer le meilleur parti du
développement des technologies de l'information et de la communication, cette forme d'organisation
du travail doit allier sa souplesse à la sécurité des salariés de sorte que la qualité des emplois soit
accrue et que, notamment, les possibilités offertes aux personnes handicapées sur le marché du travail
soient renforcées tant en matière d'insertion que de maintien dans l'emploi ; »
524
198
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
droit, à partir du moment où il y a un certificat médical, que c'est donc lui qui le déclenche, de
travailler s'il le souhaite »526.
565.
De manière optimiste, il est possible d’envisager que le télétravail à domicile permette
à toutes ces personnes de trouver un emploi alors qu’elles ne peuvent pas quitter leur
domicile. La double condition évidente étant que le poste permette le travail à distance et que
le salarié ait les compétences requises pour celui-ci. Ainsi « il paraît nécessaire, dans le cadre
d'une nouvelle vision de l'organisation du travail favorisant initiative et responsabilité et
permettant la réduction du temps de travail et la création d'emplois, d'intégrer les dimensions
spatiales du travail à distance et les nouvelles possibilités qu'elles ouvrent entre lieu de travail
et lieu de vie »527.
566.
Ces perspectives pourraient permettre de considérer, pour l’avenir, que l’organisation
du travail à domicile devienne un véritable droit créance pour les salariés. Qu’ainsi, dans une
procédure similaire à la revendication d’un congé individuel formation (CIF) assortie
éventuellement d’un avis de l’inspection du travail, ces derniers puissent revendiquer la mise
en place de poste de travail à distance. Cette pratique novatrice pourrait par exemple faire
l’objet d’un nouvel accord national interprofessionnel modifiant celui du 19 juillet 2005 sur le
télétravail salarié. La négociation pourrait dans ce cadre aboutir à un consensus qui
reprendrait notamment les thèmes de la protection des travailleurs à domicile ou les modalités
de leur contrôle et du droit de déconnexion528.
567.
À titre subsidiaire il pourrait être également relevé qu’une franche augmentation du
taux de télétravailleur dans la tranche de la population active induirait nécessairement une
diminution sensible des transports professionnels et réduirait donc l’émission de gaz à effet de
serre - outre la diminution des embouteillages, des problèmes de stationnement et des
accidents de la route-. Un bon point écologique qui accompagne le fait que la durée consacrée
aux transports professionnels quotidiens étant ainsi évitée, le travailleur disposerait de plus de
526
Dépêche AFP du 27/06/2009
C. Rey, Travail à domicile, salarié ou indépendant. Incidence des nouvelles technologies de
l’information et de la communication, Innovations 2001/1, n° 13, p. 173-193
528
C. Rey, Travail à domicile, un modèle de travail flexible en plein évolution, dans Les mutations du
travail en Europe, Coll. Économie et innovation, L'Harmattan, 2000.
527
199
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
temps libre et serait donc dans de meilleures conditions psychologiques529. Sous réserve de
causer ou d’aggraver un éventuel isolement social, le télétravail est donc également un facteur
positif pour la santé du travailleur, qu’elle soit mentale et même physique puisqu’elle évite les
transports routiers et donc les accidents de la route ainsi que les troubles musculosquelettiques liés à la conduite.
Paragraphe 3 – La distinction entre travail salarié et travail indépendant
dans le télétravail
568.
La distinction entre travail salarié et travail indépendant est un thème déjà complexe
qui soulève la question du bien-fondé des critères actuels du contrat de travail. Mais lorsqu’il
est situé dans un contexte de télétravail la tâche est encore plus difficile. Car à partir du
moment où le travailleur se trouve à son domicile – pour prendre la sous-catégorie de
télétravail la plus problématique – comment déterminer s’il s’agit d’un travailleur indépendant
qui n’a qu’un seul client ou bien d’un salarié subordonné aux directives d’un employeur.
569.
Le développement des travailleurs économiquement dépendants accentue la difficulté
d’appréciation car la position de force dont bénéficie le client unique d’un travailleur
indépendant lui permet d’obtenir une quasi-subordination via les contrôles qualité et les
exigences de délais. Dans l’autre sens, la frontière s’estompe aussi car de nombreux
télétravailleurs
particulièrement
qualifiés
jouissent
d’une
autonomie
totale
dans
l’accomplissement de leur travail. La technicité de certains emplois peut ainsi mener à une
quasi-indépendance des télétravailleurs salariés. Celle-ci soulève la question de l’adaptation
du droit du travail (A) et du droit de la sécurité sociale (B) aux différentes formes de
télétravail.
529
ANI du 19 juillet 2005 sur le télétravail salarié : « Constatant que le télétravail peut revêtir
différentes formes (télétravail à domicile, télétravail nomade,…) et répondre à des objectifs variés tant
pour les entreprises que pour les salariés (conciliation de la vie familiale et de la vie professionnelle,
modernisation de l'organisation du travail, organisation spécifique…) ; »
200
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
A – Télétravail et droit du travail
570.
Le télétravail est une forme d’activité connue depuis longtemps, bien qu’à ses débuts
internet n’existait pas encore. Déjà « en 1920, alors que les activités de service s'étendaient, le
débat fut ouvert pour savoir si le fait d'intervenir sur des informations et non sur la
transformation de la matière pouvait donner lieu à reconnaissance des droits liés au travail à
domicile. Des entreprises de dactylographie apparaissent dans les années 1930. Elles confient
la frappe à des travailleuses à domicile, activité particulièrement développée dans la presse et
l'édition»530.
571.
Le développement du télétravail soulève donc des interrogations sur l’avenir du
salariat bien que le droit du travail résiste pour sa part assez bien aux défis du télétravail.
Comme l'écrit J. E. Ray, « le paradoxe est que les articles L.721-1 et suivant du code du
travail, rédigés il y a cinquante ans pour des femmes produisant des robes ou des poupées de
chiffon, paraît s'appliquer parfaitement au télétravailleur »531.
572.
Ainsi, les progrès des nouvelles technologies de l’information et de la communication
ont fait apparaître de nouvelles formes d’organisation de travail mais ils n’ont pas engendré
de nouvelles délimitations entre le travail salarié et le travail indépendant. C’est là un point
important des problèmes posés par le télétravail, celui de l’adaptation du droit aux nouveaux
comportements. Car à partir du moment où une personne exécute une prestation de travail,
notamment à son domicile, comment vérifier si elle relève de la catégorie des indépendants ou
des salariés.
573.
Car même s’il s’agit d’un salarié, il se peut très bien que l’employeur lui accorde toute
confiance et n’opère pas de contrôle et ne donne pas de directives particulières. La relation
subordonnée peut donc être réduite - par exemple - à la réception de dossiers à traiter et au
renvoi de ces dossiers une fois traités. La prestation de travail peut donc être fournie sans que
l’employeur et le salarié ne soit entrés en contact direct, du moins très brièvement par
téléphone ou mail.
530
C. Rey, Le travail à domicile, La documentation française, 1999
J. E. Ray, Le droit du travail à l'épreuve du télétravail : le statut du télétravailleur, dr. soc., n°2,
févr. 1996.
531
201
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
574.
Lorsque le travailleur est déjà positionné comme salarié de l’entreprise, cela pose
moins de problèmes que lorsqu’il est pseudo-indépendant. Dans ce cas il sera difficile de
marquer l’existence du lien de subordination car celui-ci est dématérialisé, il peut ne laisser
aucune trace visible, pas même dans les horaires.
575.
Ce phénomène qui tend à responsabiliser et à développer l’autonomie des salariés se
rencontre également chez les salariés classiques. Mais dans ce cas, la caractérisation d’un lien
de subordination est facilité par les marques d’absence de distanciation entre employeur et
salarié : nécessité de prendre son poste de travail dans les locaux de l’entreprise, d’utiliser le
matériel de l‘entreprise ou encore d’utiliser un dispositif de pointage. Le télétravail participe
donc à l'évolution globale du droit du travail par la remise en cause des critères
d’identification du salariat et donc, du recours au lien de subordination juridique.
B – Télétravail et droit de la sécurité sociale
576.
Du point de vue du droit de la sécurité sociale le contentieux se complexifie car la
détermination du régime d'affiliation est source d’incertitude. Dès le début de son
développement, le télétravail s’est trouvé particulièrement adapté à la prestation de service.
L’argument qui s’est donc développé, et dont le but était de soustraire les prestataires de
service à distance du régime général de sécurité sociale, consistait à dire qu’il ne s’agissait pas
de « la production d'un objet qui pouvait être directement mis en vente. Ces travaux ne
s'inséraient pas dans un cycle professionnel susceptible d'une exploitation financière. [Mais]
dans un arrêt du 10 janvier 1968, la Cour de cassation rejeta cet argument au motif qu'il
ajoutait en réalité une exigence supplémentaire aux conditions limitativement prévues par le
code du travail »532. Et R. Jambu-Merlin de d’ajouter que « les dispositions légales ont, de
toute évidence, une portée générale et l'on ne saurait en limiter l'application aux métiers qui
ont historiquement provoqué leur apparition »533.
577.
Quel que soit le domaine d’activité dans lequel exerçaient les premiers travailleurs à
domicile, les juges ont eu besoin de recourir à des critères de distinction entre les prestataires
532
C. Rey, Travail à domicile, salarié ou indépendant. Incidence des nouvelles technologies de
l’information et de la communication, Innovations 2001/1, n° 13, p. 173-193
533
R. Jambu-Merlin, Les travailleurs intellectuels à domicile, dr. soc. n°1/8, juillet-août 1981
202
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
de service indépendants et les travailleurs à domicile salariés. Pour pouvoir revendiquer la
qualité de travailleur à domicile salarié il était ainsi nécessaire de rapporter la preuve « d'une
part, […] de l'existence d'un travail confié et contrôlé par le donneur d'ordre. D'autre part, [du]
versement d'une rémunération forfaitaire, [correspondant] à une rémunération dont les bases
[étaient] précisées dans une convention collective ou une décision réglementaire »534. Les
critères démontrant au contraire la qualité de prestataire indépendant de service tiennent
principalement à l’existence d'une clientèle personnelle, du choix des clients, ou de la
possibilité d’embaucher des salariés à son service.
578.
Or, le développement du télétravail salarié grâce aux nouvelles technologies n’a pas
remis en cause la pertinence de ces indices classiques. Ceux-ci permettent encore de
caractériser ou non l’existence d’un lien de subordination. De plus, aujourd’hui, la définition
du contrat de travail répond aux mêmes critères qu’il s’agisse du droit du travail ou du droit
de la sécurité sociale535. Mais la dynamique engagée par la symbiose télétravail/NTIC a
vocation à imprégner les relations de travail futures. Elle participe donc à la remise en cause
du recours au lien de subordination puisqu’elle est un des facteurs qui fondent la remise en
cause du salariat classique.
534
C. Rey, Travail à domicile, salarié ou indépendant. Incidence des nouvelles technologies de
l’information et de la communication, Innovations 2001/1, n° 13, p. 173-193
535
Cf. Titre 1, Chapitre 2 : La recherche d’un critère du contrat de travail
203
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
SECTION II - LA DÉSTRUCTURATION DES ENTREPRISES EN RÉSEAUX
579.
Les nouvelles formes d’organisation des entreprises sont de nature à brouiller
l’identification d’un lien de subordination car elles sont l’œuvre d’une déverticalisation
structurelle536. Le modèle hiérarchique pyramidal et traditionnel n’est plus la figure unique de
l’organisation productive. Celle-ci a tendance à se réorganiser de manière horizontale,
substituant dans cette perspective le rapport client/fournisseur à celui d’employeur/salarié. Ce
phénomène pose le problème de l’identification des frontières de la firme et, par conséquence,
celui de l’identification du véritable l’employeur au-delà de l’apparence contractuelle.
580.
Cette modification du tissu productif constitue un obstacle dans l’identification de
celui qui donne les ordres, en contrôle l’exécution et sanctionne les manquements. Elle
éprouve donc le recours au lien de subordination comme critère principal du contrat de travail
autant qu’elle remet en cause de la conception classique du salariat. Il faudra donc analyser
les implications des nouvelles organisations de la firme (paragraphe 1) afin d’en déterminer
l’impact sur les relations de travail (paragraphe 2).
Paragraphe 1 – Les nouvelles organisations de la firme
581.
La notion de firme permet de se concentrer sur l’entité productrice au sens large car
elle est dénuée de connotation juridique. Les firmes doivent faire des choix d’organisation
structurelle impliquant l’internalisation ou bien l’externalisation des compétences. Au-delà de
l’analyse stratégique de ces choix, il convient de constater que cette frontière entre l’interne et
l’externe a tendance à s’estomper voire à disparaître. Il devient de plus en plus complexe de
situer une relation de travail d’un côté ou de l’autre de cette frontière. L’identification de
l’employeur de fait est ainsi parfois difficile.
536
V. A. Cornet, L'Entreprise Réseau et les nouvelles formes d'organisation du travail, in L'Espace
virtuel. des échanges des idées aux transactions commerciales, Institut Universitaire International de
Luxembourg, 1999 ; V. F. Pichault, M. Zune, Organisations sociales et entreprises réseau, rapport de
recherche pour le Fonds Social Européen, 1999, 190 p.
204
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
582.
C’est pourtant dans cette nouvelle configuration que la notion de lien de subordination
juridique est censée pouvoir révéler l’existence d’un contrat de travail. Mais la notion ayant
été conçue dans un contexte productif plus traditionnel, elle se trouve parfois inapte à
envisager les différents niveaux d’organisation de la firme (A). Il en résulte une difficulté
accrue dans la détermination de l’employeur (B) car les liens entre les risques économiques et
les risques de l’emploi (C) sont indissociables et devraient à ce titre aboutir à l’adaptation des
mécanismes de responsabilité existants.
A – Les différents niveaux d’organisation de la firme
583.
D’un point de vue chronologique, le premier degré de structuration de la firme renvoie
globalement au concept de producteur. Il s’agit donc d’une notion qui peut facilement trouver
une traduction en droit. La notion de producteur renvoie dans cette perspective au « lieu de
combinaison du capital et du travail concret. Elle assure la fabrication de produits mis sur le
marché. Il s’agit de l’usine, de l’établissement là où il est nécessaire de protéger les salariés,
où plutôt les corps au travail »537. La caractérisation du lien de subordination dans ce niveau
d’organisation ne pose pas de difficulté particulière puisqu’il est en adéquation parfaite avec
les structures pyramidales issues du taylorisme. Cette structure demeure encore la plus
courante mais elle a progressivement laissé une large place à d’autres niveaux d’organisation
plus complexes.
584.
Il est ainsi possible de caractériser un second degré de structuration de la firme qui lui,
n’est pas centré sur la production mais sur l’activité économique. Dans cette conception de la
firme, il est possible de rencontrer au sein de la même unité plusieurs types de production. La
firme est souvent - dans cette perspective - polyvalente et composée d’un nombre indéfini
d’usines, de locaux ou d’établissements. À ce stade, la firme demeure toutefois encore
caractérisée par une structure hiérarchisée puisque l’on y rencontre généralement un pouvoir
décisionnel central et une direction des ressources humaines chargée de gérer et coordonner
les effectifs.
537
M.-L. Morin, Le droit du travail face aux nouvelles formes d’organisation des entreprises, Summer
University of Work, Nantes, 29-31 août 2004
205
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
585.
L’identification d’un lien de subordination dans ce type de structure peut déjà se
révéler plus complexe que dans la configuration précédente. Toutefois, ce degré
d’organisation de la firme - conçue comme acteur sur le marché - permet de tracer une ligne
jusqu’au pouvoir central de décision car il procède d’une conception pyramidale. L’exercice
d’un pouvoir vertical facilite donc l’identification d’un lien de subordination juridique grâce à
la flexibilité de la jurisprudence.
586.
C’est d’ailleurs aussi « dans le cadre de cette approche de l’entreprise comme
organisation que s’est développé le concept moderne d’emploi, en tant que créateur d’un lien
durable avec l’entreprise. La notion française d’unité économique et sociale est fortement
marquée par cette approche de la firme, ainsi qu’un certain nombre de règles sur l’information
et la consultation du comité d’entreprise sur les décisions économiques du chef d’entreprise,
ou sur les procédures de licenciement économique »538.
587.
Enfin, il est possible d’identifier un ultime degré de structuration de la firme qui lui,
n’est ni centré sur la production, ni sur l’activité économique mais sur les liens financiers. Le
droit du travail connaît aujourd’hui le groupe de sociétés, ainsi « lorsqu’une société ou une
personne exerce un contrôle majoritaire sur l’ensemble des sociétés, soit qu’il possède la
majorité des parts directement ou indirectement des sociétés du groupe, soit qu’il ait le
pouvoir de nomination des sociétés du groupe, alors on peut dire qu’il y a une unité de
gouvernance du groupe. Et cette unité permet de tracer les contours de la firme »539.
588.
C’est en considérant ce niveau d’organisation que la directive n° 94-45 a été amenée à
mettre en place le comité d'entreprise européen dans les entreprises et groupes d'entreprises de
dimension communautaire. Le législateur a d’ailleurs transposé cette directive dans la loi n°
96-985 du 12 novembre 1996 relative à l'information et à la consultation des salariés dans les
entreprises et les groupes d'entreprises de dimension communautaire, ainsi qu'au
développement de la négociation collective.
538
M.-L. Morin, Le droit du travail face aux nouvelles formes d’organisation des entreprises, Summer
University of Work, Nantes, 29-31 août 2004 ; P.-H. Antonmattéi, Unité économique et sociale: Un
nouvel arrêt... mais le débat continue, dr. soc. n° 7-8, p. 720- 723, 01/07/2002
539
Ibid.
206
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
589.
L’identification d’un lien de subordination dans ce type de structure s’avère être celle
qui déclenche le plus de difficultés – du moins potentiellement-. En effet, le degré
d’implication d’une société du groupe sur une autre peut avoir des conséquences directes et
indirectes sur la gestion du personnel d’une autre société du groupe. De telle sorte que dans
les faits, la première se substitue en réalité à la première dans l’exercice des prérogatives de
l’employeur. Elle pourra donc exercer, en vertu de sa position de force, ces prérogatives de
manière plus ou moins directe.
590.
De manière directe si elle donne des instructions visant directement la gestion du
personnel, et indirectement en posant des exigences de qualité à son fournisseur (société du
même groupe) qui a des répercussions sur les conditions de travail ou l’emploi des salariés
employés par le fournisseur. C’est dans ce contexte que le recours à la notion de lien de
subordination paraît le plus inadapté. Il ne peut en effet s’emparer de la réalité des jeux de
pouvoirs financiers qui permettent à un tiers à la relation de travail d’opérer une influence
réelle plus ou moins directe des salariés, ce qui explique que la recherche du véritable
employeur via le lien de subordination soit parfois bien difficile et aboutisse à des
incertitudes.
B – La détermination de l’employeur
591.
La détermination de la personne morale ou physique susceptible de pouvoir revêtir la
véritable qualité d’employeur, au sens juridique du terme, se heurte aujourd’hui aux limites
conceptuelles du lien de subordination. L’employeur peut ou doit de plus en plus être
recherché hors des murs de l’établissement et même de l’entreprise, dans le groupe ou dans
l’unité économique et sociale540.
592.
Dans ce dernier cas, la caractérisation même d’une unité économique et sociale peut
entraver celle du lien de subordination, puisqu’elle résulte d'une décision de justice ou d'un
accord conventionnel. La caractérisation d’un lien de subordination en l’absence de
reconnaissance d’une unité économique et sociale n’est toutefois pas un obstacle définitif
mais sa preuve sera d’autant plus difficile à rapporter que les liens de pouvoirs seront
540
V. [s.n.], Des juges s'appuient sur l'immixtion de fait d'un investisseur dans la gestion d’une
entreprise pour le déclarer coemployeur, NDLR, La Tribune, 4 mai 2009
207
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
dématérialisés et indirects. L’apparence selon laquelle les ordres proviennent de l’employeur
visible sera dans ces conditions difficilement renversée. C’est donc que la notion de lien de
subordination ne peut de suffire à elle-même pour appréhender les nouvelles relations de
travail dans un univers de réseaux mondialisés et globalisés.
593.
Ainsi que le souligne M.-L. Morin, « le niveau financier de la prise de décision peut
être très éloigné des établissements qui en subiront les conséquences et les moyens juridiques
d’impliquer le centre de décision ne sont pas toujours aisés »541. La jurisprudence tente donc
d’appréhender ces difficultés et n’hésite pas à rappeler fréquemment que la recherche d’un
poste de reclassement doit s’effectuer au sein du groupe, dans les entreprises dont les
activités, l’organisation ou le lieu de travail permettent la permutation de tout ou partie du
personnel.
594.
Mais les juges se trouvent confrontés à deux obstacles qui limitent leur intervention au
niveau d’un groupe ou d’un quelconque réseau financier. Tout d’abord les acteurs financiers
influents au niveau de la firme ne prennent pas nécessairement de décision, n’exercent pas
nécessairement un contrôle. Il est ici fait référence au cas de figure où les acteurs financiers
« par des prises de participations souvent d’un niveau relativement faible, […] cherchent pour
l’essentiel à réaliser des profits financiers, en exerçant un pouvoir d’influence, sanctionné par
le marché financier. En d’autre terme il y a groupe et groupe »542.
595.
Les groupes ou réseaux déjà envisagés, au sein desquels le juge pourra déceler un
pouvoir unique et influent pourront en effet laisser place à l’application du droit du travail,
notamment en ce qui concerne la détermination de la personne, physique ou morale, qui jouit
des prérogatives accordées à l’employeur vis-à-vis de subordonnés.
596.
Mais il existe également des réseaux d’entreprises qui entretiennent des liens virtuels,
mouvants et éphémères sur le marché des actions et des obligations. Ces actions, voire ces
obligations, qui établissent ces liens sur le marché boursier, n’ont ainsi pas nécessairement
vocation à perdurer, du moins pas assez longtemps pour que s’instaurent des rapports de
domination ouvrant la voie vers l’exercice d’un pouvoir décisionnel.
541
M.-L. Morin, Op. cit.
542
Ibid.
208
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
597.
Dans ce cas de figure il devient alors très complexe de se situer sur le terrain des
relations de travail pour tenter de trouver un éventuel lien de subordination. Il se peut pourtant
que les liens financiers, aussi éphémères fussent-ils, aient engendrés des répercussions sur
l’emploi des salariés. Dans ce cadre précis la notion de lien de subordination se révèle donc
être particulièrement inadaptée. Par ailleurs, les nouveaux comportements des entreprises, du
moins en France, se concentrent autour des stratégies de décentralisation. La production est
également de plus en plus l’objet d’externalisations systématiques : « l’unité classique de
l’entreprise comme organisation sociale et économique au niveau la firme comme producteur,
c'est-à-dire au niveau des établissements »543 est ainsi remise en cause.
598.
Or, si la notion de lien de subordination parvient à s’accommoder de ces changements,
elle n’a pas pour autant été conçue dans leur perspective. Il en résulte une insécurité juridique
constante car aucun donneur d’ordre ne peut aujourd’hui être certain d’échapper à la
reconnaissance d’un contrat de travail par le biais d’un lien de subordination avec celui ou
ceux qui accomplissent la prestation de travail.
599.
C’est d’autant plus le cas s’agissant des relations qui s’établissent entre entreprises,
qui relèvent de la « domination économique et qui donne aussi naissance à des relations
d’autonomie contrôlée, ou les sujétions passent moins par la dépendance économique
exclusive d’un sous traitant vis-à-vis de son donneur d’ordre que par des exigences de qualité,
de délai, de formation, etc… qui peuvent avoir des conséquences très directes sur les
conditions de travail, sans que le donneur d’ordre n’ait à assumer une quelconque
responsabilité »544.
600.
Le recours à la notion de lien de subordination est aujourd’hui fragilisé par les
difficultés de délimitation des frontières de la firme. Ce phénomène a pour conséquence
d’obstruer les voies classiques de la détermination des véritables employeurs. Il convient donc
543
Ibid.
544
M.-L. Morin, Le droit du travail face aux nouvelles formes d’organisation des entreprises, Summer
University of Work, Nantes, 29-31 août 2004 ; Sur ce point particulier V. aussi H. Petit, N. Thévenot,
Les nouvelles frontières du travail subordonné, Éd. La Découverte, 2006
209
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
de s’interroger sur la compatibilité entre le recours à la notion de lien de subordination et le
développement des relations d’autonomie contrôlées entre les groupes d’entreprises545.
C - La dualité des risques économiques et de l’emploi
601.
Ces phénomènes de ramification à l’extrême conduisent à bouleverser les rapports
traditionnels entre firmes. Ces dernières usent des nouvelles technologies pour constituer des
réseaux divers, en vue de se répartir les risques économiques de leur activité. « Les structures
financières des firmes répondent assurément à une rationalité financière de répartition du
risque financier ; l’organisation de firmes en réseau qu’ils s’agissent de groupes ou de réseaux
contractuels d’entreprise permet de répartir le risque économique (et la charge des
investissements) »546.
602.
Mais ce processus ne se limite pas au domaine des risques financiers. Il s’étend dans
une même logique aux risques liés à l’emploi de salariés (d’un autre point de vue il pourrait
aussi être considérer que le risque financier englobe celui de l’emploi puisque ce dernier se
traduit au final en un coût financier). En tout état de cause, le recours à l’externalisation et aux
sociétés filiales sont souvent un moyen encore efficace d’effectuer un transfert imperméable
des obligations incombant à tout employeur et des risques civils et pénaux qui en découlent.
C’est sans doute là encore, une des limites du concept de lien de subordination, notamment
lorsque ces risques sont confiés à une société à responsabilité limité.
603.
C’est qu’à l’origine du lien de subordination se trouve une conception traditionnelle de
la relation de travail, celle centrée sur le rapport employeur/salarié au sein d’un unique lieu
(l’usine, l’établissement ou l’entrepôt). « Aussi l’une des questions centrales posées
aujourd’hui par les nouvelles formes d’organisation de l’entreprise, n’est pas seulement celle
de savoir comment reconstituer l’entreprise pour tenter de retrouver des relations binaires et
un employeur ou un chef d’entreprise responsable, mais comment prendre en compte des
relations triangulaires contractuelles ou institutionnelles pour déterminer la responsabilité de
545
V. notamment : H. Petit, N. Thévenot, Les nouvelles frontières du travail subordonné, Éd. La
Découverte, 2006
546
M.-L. Morin, Le droit du travail face aux nouvelles formes d’organisation des entreprises, Summer
University of Work, Nantes, 29-31 août 2004
210
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
chacun sur les relations d’emploi et l’exécution du travail, et organiser les relations collectives
de façon plus pertinente »547.
Paragraphe 2 - Relations professionnelles et nouvelles organisations
604.
La notion de responsabilité est abordée ici sous l’angle des problématiques posées par
les nouvelles organisations productives. Il s’agit de déterminer comment le lien de
subordination juridique permet au droit, et aux juges de s’emparer de la réorganisation du
tissu productif pour répartir les obligations en matière d’emploi548. Seront donc abordés les
thèmes de l’adaptation du droit des relations collectives (A), des mécanismes de
responsabilité possibles (B) et plus largement de la responsabilité dans l’exécution du travail.
A – L’adaptation du droit des relations collectives
605.
Le thème de la négociation collective est aujourd’hui bouleversé sa modernisation549.
Le législateur a ainsi pris en considération les nouvelles organisations productives pour
étendre le dialogue social aux niveaux supérieurs, notamment au niveau du groupe (1). C’est
là une des voies possibles pour adapter les relations professionnelles aux nouvelles
organisations, à côté d’autres solutions plus discrètes comme la négociation territoriale (2) et
l’intégration volontaire des intérêts sociaux (3). Ce nouveau besoin est le témoin d’une
décentralisation de la négociation collective hors de l’entreprise - stricto sensu - bien que
celle-ci demeure obligatoire.
1 – La négociation au niveau du groupe
606.
Généralement, la négociation de groupe prend aujourd’hui la forme d’accords-cadres
qui donnent l’impulsion d’une politique de conduite générale toute en permettant aux
547
Ibid.
548
V. H. Petit, N. Thévenot, Les nouvelles frontières du travail subordonné, Éd. La Découverte, 2006
549
P.-H. Antonmattéi, Modernisation du marché du travail : une victoire historique des partenaires
sociaux, Revue Lamy Droit des affaires n° 24 , p. 61- 62, 01/02/2008 ; P.-H. Antonmattéi, À propos
du développement de la négociation collective, dr. soc. n°2, p.164-169, 01/02/1997 ; Entretien avec
Paul-Henri Antonmattei, Rev. Décideurs Juridiques et Financiers, n° hors-série, p. 140-141,
01/10/2007 ; P.-H. Antonmattéi, Négociation collective : une bonne nouvelle et une mauvaise, dr. soc.
n°4, p 459-462, 01/04/2007
211
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
entreprises concernées de déterminer librement l’application de cette politique dans la
négociation interne550. La jurisprudence rappelle d’ailleurs régulièrement que la négociation
de groupe n’a pas vocation à remplacer la négociation d’entreprise. C’est ici une des formes
de régulation de l’autonomie contrôlée qui régit les entreprises d’un groupe. Mais comme le
souligne M.-L. Morin, «cette décentralisation n’a-t-elle pas des limites évidentes, si les
frontières de l’entreprise ne sont plus certaines en amont et en aval ?»551.
607.
La mise en place de ces adaptations des relations collectives de travail au sein des
groupes soulèvent donc de nouvelles problématiques qui nécessitent des solutions innovantes
situant ainsi la consécration législative du groupe entre « satisfaction et interrogations » 552. Le
développement de la notion juridique de groupe est ainsi indispensable pour garantir les droits
et libertés des salariés face à la multiplication des réseaux d’entreprises. C’est donc à juste
titre que L. Guillebaud constate que « s’il est bien installé dans la pratique de la
négociation collective, l’accord de groupe est toujours dans l’attente d’un traitement juridique
plus efficace »553.
2 – La négociation territoriale
608.
M.-L. Morin a proposé, en 2004, d’emprunter la voie de la négociation territoriale
pour adapter les relations de travail au sein des réseaux d’entreprises soulignant que si « elle
n’est pas développée en France, [...] il en existe des exemples dans divers pays européens, et
d’assez nombreux travaux insistent sur la nécessité de ce type de négociation »554. Il s’agit
dans cette perspective de reprendre le mécanisme de la directive européenne sur la prestation
550
V. P.-H. Antonmattéi, Accord de méthode, génération 2005 : la « positive attitude », dr. soc. n° 4 ,
p. 399- 402, 01/04/2005
551
M.-L. Morin, Le droit du travail face aux nouvelles formes d’organisation des entreprises, Summer
University of Work, Nantes, 29-31 août 2004
552
V. P-H Antonmattéi, L'accord de groupe, dr. soc. 2008, no1, pp. 57-59 ; V. aussi : P-H Antonmattéi,
La consécration législative de la convention et de l’accord de groupe : satisfaction et interrogations, dr.
soc. 2004, p.601
553
L. Guillebaud, Quel droit pour la négociation collective de demain ? dr. soc. n°1, janvier 2008 ; V.
aussi : P.-H. Antonmattéi, Conventions et accords collectifs de groupe : nouvelles interrogations,
Semaine sociale Lamy n°1263, p. 35- 36, 29/05/2006 ; F. Saramito, Le nouveau visage de la
négociation collective, rev. dr. ouvr., oct. 2004 n°675 ; P.-H. Antonmattéi, L'accord de groupe, dr. soc.
n°1, p. 57-59, 01/01/2008
554
M.-L. Morin, Le droit du travail face aux nouvelles formes d’organisation des entreprises, Summer
University of Work, Nantes, 29-31 août 2004
212
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
de service pour en faire application au sein des réseaux d’entreprises. La directive 96/71/CE
du Parlement Européen et du Conseil du 16 décembre 1996 fait application du principe
d’égalité de traitement entre travailleurs dans le cadre d’un détachement effectué pour les
besoins d’une prestation de services555.
609.
Elle dispose ainsi que « les conventions collectives qui sont conclues par les
organisations des partenaires sociaux les plus représentatives au plan national et qui sont
appliquées sur l'ensemble du territoire national, pour autant que leur application aux
entreprises visées à l'article 1er paragraphe 1 garantisse, quant aux matières énumérées au
paragraphe 1 premier alinéa du présent article, une égalité de traitement entre ces entreprises
et les autres entreprises visées au présent alinéa se trouvant dans une situation similaire. Il y a
égalité de traitement, au sens du présent article, lorsque les entreprises nationales se trouvant
dans une situation similaire […] »556.
610.
Cette référence faite au concept de « situation similaire » pose pourtant problème.
L’externalisation et plus particulièrement le recours à la sous-traitance supposent
normalement que les salariés extérieurs occupent des postes ou accomplissent des tâches qui
n’existent pas dans l’entreprise d’accueil.
611.
Car dans le cas contraire il peut s’agir de prêt illicite de main d’œuvre ou de
marchandage. « La question posée est alors de savoir quel type de négociation peut être alors
pertinente : la négociation interentreprises ou négociation territoriale par exemple sur une
clause sociale des contrats de sous-traitance assurant que les entreprises qui soumissionnent à
un même marché respecte les mêmes normes minima […] pourraient être développées. […]
On notera qu’aux USA une décision remarquée du NLRB a décidé que les salariés de
l’entreprise dominante et les salariés « d’agence » travaillant en son sein formaient une unité
de négociation pluri-employeurs »557.
555
V. aussi : P.-H. Antonmattéi, Nullité de la clause prévoyant une mobilité à l'intérieur d'un groupe ;
Note sous Cass. soc., 23 sept. 2009, n° 07-44.200, Revue Lamy Droit des affaires, n°43 , p. 49- 50,
01/11/2009
556
Directive 96/71/CE du Parlement Européen et du Conseil du 16 décembre 1996 ; P.-H.
Antonmattéi, Avantage catégoriel d'origine conventionnelle et principe d'égalité de traitement : évitons
la tempête !, dr. soc. n°12, p. 1169- 1170, 01/12/2009
557
M.-L. Morin, Op.cit.
213
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
3 – L’intégration volontaire des intérêts sociaux
612.
Cette perspective a été ouverte par le Livre vert européen qui utilise la notion
d’«intégration volontaire dans les décisions commerciales ou autres des intérêts sociaux ou
environnementaux »558. Il s’agit d’un concept déjà appliqué sous forme de chartes auxquelles
les grands groupes adhèrent ou qu’elles mettent en place mais qui n’ont pas de portée
juridiquement contraignante559.
613.
La Commission des Communautés Européennes y explique en ces termes qu’« être
socialement responsable signifie non seulement satisfaire pleinement aux obligations
juridiques applicables, mais aussi aller au-delà et investir davantage dans le capital humain,
l'environnement et les relations avec les parties prenantes ». L’aspect volontariste de cette
solution l’empêche de pouvoir présenter des garanties d’effectivité suffisante. Elle ne peut
donc être qu’un complément à d’autres mesures.
614.
Toutefois la commission souligne à juste titre que « Les institutions financière ont de
plus en plus recours à des listes de critères sociaux et écologiques pour évaluer le risque de
prêt ou d'investissement vis-à-vis des entreprises. De même, le fait d'être reconnue comme
une entreprise socialement responsable, par exemple en étant représentée dans un indice
boursier de valeurs éthiques, peut jouer en faveur de la cotation d'une entreprise et apporte
donc un avantage financier concret. »560.
615.
Il est donc possible que l’action d’une main invisible aboutisse à un effet
d’autorégulation. Mais encore faut-il que l’irresponsabilité sociale puisse être sanctionnée
pour pouvoir engendrer un risque financier préjudiciable. Il reste donc nécessaire de définir en
amont un cadre juridiquement contraignant qui régule les effets sociaux des nouvelles
558
Commission des Communautés Européennes, Livre Vert Promouvoir un cadre européen pour la
responsabilité sociale des entreprises, COM(2001) 366 final, Bruxelles, 2001
559
V. P.-H. Antonmattéi, Ph. Vivien , Chartes d’éthique, alerte professionnelle et droit du travail
français: état des lieux et perspectives, Éd. La Documentation française, Janvier 2007 ; D. Berra, Les
chartes d’entreprise et le droit du travail in Mélanges dédiés au Président Michel Despax, Presses de
l’Université des sciences sociales de Toulouse, 2002, p. 123
560
Commission des Communautés Européennes, Livre Vert, Promouvoir un cadre européen pour la
responsabilité sociale des entreprises, COM(2001)3 66 final, Bruxelles, 2001
214
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
organisations en réseaux, que le seul lien de subordination juridique ne permet pas
d’appréhender, et qui ne laisse pas les groupes absents du marché boursier hors de portée561.
B – Les mécanismes de responsabilité proposés par l’O.I.T.
616.
Le Bureau International du Travail a établi un rapport sur le champ de la relation de
travail qui souligne la nécessité de garantir l’effectivité des droits et libertés des travailleurs
au sein des groupes ou réseaux d’entreprise562. Ce rapport envisage plusieurs voies
susceptibles d’être appliquées qui permettent d’engager la responsabilité des véritables
décisionnaires. Seront ainsi évoquées la technique du co-employeur (1) et la technique de la
responsabilité solidaire (2).
1 – La technique du co-employeur
617.
Il s’agit de faire peser les responsabilités découlant d’une relation de travail avec un
travailleur sur deux entités distinctes. C’est un mécanisme déjà applicable aux groupes
d’entreprises ainsi qu’aux situations de travail triangulaire lorsque l’utilisateur se comporte en
employeur et exerce de fait un pouvoir de direction sur le travailleur. Dans cette perspective le
recours au lien de subordination est suffisant pour peu que soit privilégié la primauté des faits
sur le montage contractuel apparent.
618.
La caractérisation du lien d’emploi avec l’utilisateur bénéficiaire de la prestation de
travail demeure somme toute classique. La perspective à approfondir tient donc à considérer
les deux employeurs successifs non pas comme deux employeurs distincts et responsables
individuellement de leur propre chef - ainsi que cela est le cas dans le cadre de la pluriactivité
- mais comme une communauté solidaire.
619.
Dans le cadre du travail intérimaire, le fondement juridique de cette solidarité pourrait
- par exemple - reposer sur la nécessaire sanction du fait que l’entreprise utilisatrice a exercé
un pouvoir de direction sur le travailleur, à condition que l’entreprise de travail temporaire
561
V. C. Perraudin, H. Petit, A. Reberioux, Marché boursier et gestion de l'emploi : analyse sur
données d'entreprises française, document de travail du CES, n°41, 2007
562
Bureau international du Travail, La relation de travail, Conférence internationale du Travail, 95e
session, Genève, 2006
215
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
« avait ou aurait dû avoir conscience de la situation [de son salarié] et qu’elle n’a pas pris les
mesures nécessaires pour l'en préserver »563. Ce mécanisme aboutit donc à mêler la technique
du co-employeur et celle de la responsabilité solidaire. Elle présente l’avantage de pouvoir
s’appliquer à toutes les relations de travail triangulaires, notamment la sous-traitance, la mise
à disposition ou encore le prêt de main d’œuvre licite. La technique de la responsabilité
solidaire doit toutefois être distinguée car son but est à l’origine de responsabiliser différents
donneurs d’ordres indépendamment de l’existence d’un lien de subordination.
2 – La technique de la responsabilité solidaire
620.
La notion de responsabilité solidaire consiste à identifier un ou plusieurs donneurs
d’ordre, outre l’employeur principal, pour mettre à leur charge l’obligation – sinon de
garantir – au moins de ne pas faire obstacle aux droits et libertés des salariés de leurs soustraitants. « Une loi finlandaise par exemple considère que le donneur d’ordre est responsable
du respect des droits fondamentaux des salariés de ces sous-traitants, ce qui est une façon
d’assurer la portée juridique des codes de conduite, vis-à-vis de l’entreprise dominante ellemême. Dans le même esprit un tribunal du district de New York a annulé un contrat de
fourniture de vêtements, les termes du contrat ne permettant pas d’assurer le respect des
salaires minimaux en vigueur »564.
621.
L’intérêt de cette technique est donc de responsabiliser les donneurs d’ordre en
l’absence de tout lien de subordination entre le travailleur et ces derniers. L’effet escompté est
563
V. B. Siau, L'employeur soumis à un principe de précaution? Note sous Cour de cassation,
Chambre sociale, 5 mars 2008, pourvoi numéro 06-45.888 et pourvoi numéro 06-42.435, Revue Lamy
Droit des affaires n°26, p.49-50, 01/04/2008 ; Cass. Soc., 28 février 2002, n° 99-17.221 : « En vertu
du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de
sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce
salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés par l'entreprise ; le manquement à cette obligation a le
caractère d'une faute inexcusable, au sens de l'article L. 452-1 du Code de la sécurité sociale, lorsque
l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu'il n'a pas
pris les mesures nécessaires pour l'en préserver » (arrêts n°1, 2, 3, 4, 5, 6 et 7). Publication : Bulletin
2002 V. n° 81 p. 74 ; dr. soc. n° 4, avril 2002, p. 445 447, note A. Lyon-Caen ; RTD Civ. avril-juin
2002, n° 2, p. 310-312, note P. Jourdain ; Dalloz, 10 oct. 2002, n° 35, Jurisprudence, p. 2696 2701,
note Xavier Pretot ; RJS n° 06/02, juin 2002, Chron. p. 495-504, note Patrick Morvan ; Décision
attaquée : CA Grenoble, 03 nov. 1999
564
M.-L. Morin, Le droit du travail face aux nouvelles formes d’organisation des entreprises, Summer
University of Work, Nantes, 29-31 août 2004
216
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
celui d’une prise de conscience par les donneurs d’ordre que leur pouvoir ou leurs exigences
envers un sous-traitant produisent des effets - bons ou mauvais - sur les libertés et droits
fondamentaux de ses salariés. Qu’à ce titre, ils ne devraient pas pouvoir se prévaloir de
l’absence de lien contractuel direct entre eux et les salariés du sous-traitant pour nier la
causalité liant leur pouvoir de donner des ordres aux conséquences sociales de ceux-ci.
622.
En pratique, la mise en œuvre de cette technique pourrait reposer justement sur la
contractualisation d’un code de bonne conduite. Faute de lier directement les salariés du soustraitant au donneur d’ordre, cette contractualisation d’objectifs sociaux pourrait permettre de
sanctionner le donneur d’ordre du fait de ses carences. Ainsi, « l’insertion de clauses sociales
dans les contrats de sous-traitance permettant de préciser l’étendue des droits que le soustraitant doit respecter vis-à-vis de ces salariés pourrait être dans le même esprit être un moyen
de fonder la responsabilité du donneur d’ordre. Celui-ci ne peut être exonéré, qu’autant que
les termes du contrat de sous-traitance permettent de respecter ces droits »565.
623.
Pour conclure sur cette technique, il doit être rappelé que le droit du travail connaît
déjà quelques esquisses hésitantes de ce type de mécanisme. Notamment en matière de travail
dissimulé où la jurisprudence procède déjà de manière très similaire. En effet, aux vues de
certains indices, elle considère qu’un donneur d’ordre – même s’il s’agit d’un particulier – ne
pouvait pas ignorer que le sous-traitant avait recours au travail dissimulé566, lui faisant ainsi
encourir un risque de sanctions pénales. Et ce, même s’il a respecté les dispositions du Code
du travail, lequel dispose que : « les vérifications à la charge de la personne qui conclut un
contrat, prévues à l'article L. 8222-1, sont obligatoires pour toute opération d'un montant au
moins égal à 3.000 € »567. Cette illustration permet de constater qu’il est nécessaire que
l’obligation sociale du donneur d’ordre ait une origine légale ou réglementaire car elle ne peut
se déduire de la simple économie du contrat de sous-traitance.
565
Ibid.
V. Cass. Crim. 05 nov. 2002, n°01-88.779, à propos de la différence notable entre le nombre de
salariés figurant sur les déclarations transmises au donneur d’ordre et le nombre de salariés travaillant
sur un chantier ; V. aussi : Cass. Crim. 30 octobre 2001, n°01-80.507, à propos des déclarations
irréalistes au regard de l’importance des travaux et des délais imposés ; Cass. Crim., 18 avril 2000,
n°99-86.048 et Cass. Crim., 19 nov. 2002, n°02-80.026 à propos du prix anormalement bas ne
permettant pas au sous-traitant de respecter la législation sociale en vigueur
567
C. trav. Art. R. 8222-1
566
217
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
TITRE II
LA RÉGÉNÉRATION DES RAPPORTS DE SUBORDINATION
627.
Le terme régénération est utilisé car il permet une métaphore. Celle-ci traduit l’idée
principale de chacun des deux chapitres qui seront envisagés. L’utilisation du terme
régénération est originale car elle est normalement réservée pour désigner la faculté d’une
entité vivante à se reconstituer après sa destruction partielle. Mais l’image de la régénération
des rapports de subordination permet de mettre en exergue le caractère vivant des rapports de
subordination, puisqu’ils ne cessent de se reconstruire.
628.
Plus particulièrement, cette idée permet de souligner que les rapports de subordination
se reconstruisent progressivement, ce qui suppose l’apparition de nouveaux éléments. Il
s’agira donc d’analyser ces nouveaux éléments qui résultent de la régénération actuelle des
rapports de subordination en envisageant l’expansion des liens hors subordination
(CHAPITRE I).
629.
Seront notamment envisagés le développement de l’intéressement des salariés aux
fruits de l’entreprise, ainsi que la participation des salariés à la vie et aux résultats de leur
entreprise. Ces nouveaux rapports tendent à se substituer progressivement aux rapports de
subordination et établissent de nouveaux rapports horizontaux, loin des schémas traditionnels.
Ce phénomène illustre donc l’idée d’une reconstruction progressive, car le lien de
subordination demeure bien présent dans les relations de travail, même s’il devient invisible.
630.
Parallèlement, cette métaphore permettra d’anticiper l’idée d’une régénération à venir
des rapports de subordination, et donc de tenter de prévoir, ou de proposer, les nouveaux
éléments qui pourraient en découler. Les limites du recours au lien de subordination juridique
invitent donc à réfléchir sur les alternatives pour l’avenir (CHAPITRE II), notamment en
repensant les relations de travail.
CHAPITRE I - L’EXPANSION DES LIENS HORS SUBORDINATION
CHAPITRE II - LES ALTERNATIVES POUR L’AVENIR
218
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
CHAPITRE 1
L’EXPANSION DES LIENS HORS SUBORDINATION
631.
Les discussions autour de la participation ont fait une première apparition hésitante
lors de la promulgation de la loi du 26 avril 1917 sur la société anonyme à participation
ouvrière. Mais cette initiative n’a pas rencontré un grand succès et il a fallu attendre
l’ordonnance du 22 février 1945 instituant les comités d’entreprise pour révéler que la
participation des salariés comme un enjeu social essentiel. C’est ce que confirme d’ailleurs la
Constitution de 1946 puisque le préambule dispose que « tout travailleur participe, par
l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi
qu’à la gestion des entreprises »568.
632.
Cette innovation dépasse la simple restructuration des relations de travail dans
l’entreprise. Elle témoigne d’une prise de conscience quant à la nécessité de faire participer
les salariés à la gestion et aux résultats de l’entreprise dans laquelle ils travaillent. Ainsi que le
souligne G. Bredon, « le vocabulaire adopté dans le monde du travail est symptomatique de
cette évolution. On emploie plus les termes de « travailleurs, employés, salariés… ». On
préfère employer les termes de collaborateurs ou encore de « managers ». Ce changement de
terminologie est significatif de l’évolution de la nature des relations qu’entretiennent
désormais les collaborateurs au sein des entreprises »569.
633.
Cette consécration est relativement récente à l’échelle de l’histoire du salariat. Mais
elle est bien réelle car ce principe constitutionnel a été mis en œuvre et a trouvé de
nombreuses applications. La participation est devenue un thème de négociation privilégié
dans le dialogue social. Les accords collectifs révèlent aussi un intérêt croissant pour la
participation ainsi qu’une diversification de son champ d’application. Ce phénomène de
diversification est particulièrement prononcé et quelques distinctions doivent être posées en
préalable. D’un point de vue global, la participation peut se décliner en deux formes
distinctes. La participation financière et la participation dite institutionnelle.
568
Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946
G. Bredon, l'évolution de la notion de subordination comme critère du contrat de travail, Thèse
Paris II, 1998, p. 154
569
219
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
634.
La première consiste à associer financièrement les salariés aux bénéfices de
l’entreprise : « s'agissant de la participation financière, il faut distinguer, d'une part, la
participation au sens le plus strict, participation aux bénéfices ou modulation d'une fraction
des salaires selon les performances collectives de l'entreprise, lesquelles peuvent être
financières ou non financières et, d'autre part, l'actionnariat salarié, ainsi que l'épargne
salariale, dont certains instruments donnent lieu à des investissements sur des placements
diversifiés » 570. L'actionnariat permet donc aux salariés, en outre, de détenir directement ou
indirectement des parts du capital de la société dans laquelle ils travaillent voire du groupe.
635.
La seconde forme de participation qu’il faut distinguer, à côté de la participation
financière, est la participation institutionnelle. Cette forme de participation se décline ellemême en deux genres selon qu’elle consiste à associer les salariés directement et/ou
indirectement à la gestion de l’entreprise dans laquelle ils travaillent. Il est dans ce cas
révélateur d’écrire qu’il s’agit de les associer à la gestion de - leur - entreprise alors qu’elle
ne leur appartient pas.
636.
Il est ainsi possible de détacher trois niveaux d’associations des salariés à la vie de
leur entreprise. Ils sont toujours plus prononcés et favorisent un rééquilibrage des rapports de
travail entre employeurs et salariés. Or, ces rapports s’entendent traditionnellement comme
étant verticaux et unilatéraux, même si le contrat de travail est synallagmatique. Ainsi, la
volonté d’introduire toujours plus d’équilibre dans le déséquilibre engendre nécessairement
une remise en cause de ces rapports de subordination. Le recours au lien de subordination
comme critère principal et distinctif du contrat de travail est donc remis en cause et menacé.
637.
Tout d’abord s’agissant de leur participation institutionnelle, il faudra envisager leur
participation directe aux prises de décisions importantes (SECTION I). Il s’agit là de la
participation institutionnelle directe qui doit être distinguée de la participation institutionnelle
indirecte à savoir l’association des salariés à la gestion de l’entreprise par l’intermédiaire de
leurs représentants (SECTION II). Ce procédé est plus répandu et mieux adapté à une gestion
courante de l’entreprise. Enfin, il faudra envisager leur participation financière : l’association
des salariés aux fruits de l’entreprise (SECTION III).
570
F. Guillaume, Rapport d'information sur « la participation des salariés dans l'Union européenne »,
présenté à l'AN le 13 sept. 2006
220
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
SECTION I - LA PARTICIPATION DIRECTE DES SALARIÉS AUX DÉCISIONS
638.
L’action des salariés sur la vie de leur entreprise est généralement pensée comme celle
qui s’effectue par l’intermédiaire d’instances représentatives du personnel, et que la doctrine
désigne par les termes de codécision ou de surveillance indirecte571. Mais c’est oublier que,
plus rarement, l’action des salariés au sein de leur entreprise s’exerce plus directement, sans
qu’il n’y ait d’intermédiaire. L’action des salariés est alors exercée sur le modèle de la
démocratie participative572 ou encore de la démocratie directe573. Elle emprunte dans ce cas la
forme du référendum (paragraphe 1). De manière encore plus absolue, l’action des salariés
sur la gestion de l’entreprise peut aujourd’hui s’opérer par leur accession au statut d’associé
ou d’actionnaire (paragraphe 2).
Paragraphe 1 - L’action des salariés par l’usage du référendum
639.
Le concept du salarié citoyen dans l’entreprise, défendu dans les lois Auroux, trouve
aujourd’hui une application concrète et aboutie dans le recours des entreprises aux accords
référendaires. L’employeur consulte ainsi directement les salariés pour avaliser un projet
important pour l’entreprise et dont les répercussions sont susceptibles d’avoir un impact sur
l’emploi ou les conditions de travail. Cette pratique permet à la fois une meilleure association
des salariés à la vie de l’entreprise, en les responsabilisant, mais il permet aussi d’évincer –
sous certaines conditions – les instances représentatives du personnel et les éventuels blocages
de négociation. Pour cette raison, le recours au référendum a été strictement encadré par le
législateur. Ce dernier en a délimité les contours et la valeur juridique.
571
V. G. Couturier, Droit du travail, Coll. Droit fondamental, PUF, 1991, p.18
V. V. de Briant, De la démocratie participative en France et en Europe, EspacesTemps.net, Il paraît,
2005 ; V. aussi P. Le Galès, Comment Gouverner Une Ville En Mutation ?, rev. pouvoirs locaux n°
65, Éd. Institut de Décentralisation, mai 2005
573
V. Y. Papadopoulos, Démocratie directe, Coll. Politique comparée, Éd. Économica, 1998 ; T.
Jeantet, Démocratie directe, démocratie moderne, Coll. Vivre demain, Éd. Entente, 1991
572
221
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
640.
Les accords dits atypiques qui résultent de ces référendums s’étendent de plus en plus,
qualitativement et quantitativement574. Ils deviennent donc une nouvelle source de pouvoir
pour les salariés qui peuvent ainsi agir directement sur le sort de leur entreprise. Dans cette
perspective, le développement des accords référendaires - ou atypiques – apparaissent comme
un nouveau facteur de fragilisation d’une subordination traditionnelle et absolue au profit
d’une subordination altérée et relative.
641.
Ce phénomène participe donc de la déstructuration du lien de subordination juridique
et de la remise en cause du recours à ce critère pour continuer à qualifier l’existence d’un
contrat de travail. Il sera donc opportun d’envisager le champ d’application de l’accord
référendaire (A) puis d’exposer les conséquences de l’expansion de ces accords dans
l’entreprise (B).
A – Le champ d’application de l’accord référendaire
642.
Il est important de délimiter le domaine de l’accord référendaire car il est souvent
confondu avec celui des accords dits atypiques. Dans le premier cas c’est la loi qui oblige
l’employeur à consulter directement les salariés alors que dans le second il s’agit d’une
pratique qui s’est développée en marge de toute obligation légale. La force juridique de
l’accord n’est ainsi pas la même selon le cas de figure.
643.
Le législateur a institué des cas dans lesquels le recours à un accord référendaire est
non pas une option mais une véritable obligation. Il s’agit d’une part de la détermination des
modalités de la participation des salariés aux résultats de l’entreprise et, d’autre part, de
l’adhésion et de la mise en place dans l’entreprise d’un régime de protection sociale
complémentaire, dont la cotisation sera prélevée à la source du salaire575.
574
V. M. Vericel, la contractualisation des avantages nés de normes d'entreprise atypiques, dr. soc.
2000 n° 9/10, page 833, 4 pages ; G. Vachet, les accords atypiques, rev. dr. soc. 1990 n 7-8 p. 620 ; C.
Freyria, les accords d’entreprises atypiques, droit 1988 p. 43 ; J. Savatier, accords d’entreprise
atypiques, rev. dr.soc. 1985 p.188, V. encore E. Loiseau, Accords atypiques et accords dérogatoires, la
semaine sociale Lamy, supplément au n° 537, Éd. Lamy, 1991
575
V. notamment J. Barthélémy, Le référendum en droit social, dr. soc. 1993, p.89 : « La loi prévoit le
recours au référendum dans deux domaines particuliers : la participation des salariés aux fruits de
l’entreprise et l’assurance des salariés contre les risques vieillesse ou les risques couverts par les
régimes de prévoyance »
222
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
644.
Le premier cas concerne à la fois la participation et l’intéressement des salariés dans
l’entreprise. L’article L. 3312-5 du Code du travail dispose en effet que « les accords
d'intéressement sont conclus pour une durée de trois ans, selon l'une des modalités suivantes
[…] 4° À la suite de la ratification, à la majorité des deux tiers du personnel, d'un projet
d'accord proposé par l'employeur. Lorsqu'il existe dans l'entreprise une ou plusieurs
organisations syndicales représentatives ou un comité d'entreprise, la ratification est
demandée conjointement par l'employeur et une ou plusieurs de ces organisations ou ce
comité ». En ce qui concerne la participation, c’est l’article L. 3322-6 qui prévoit les règles
de vote selon une formulation strictement identique à l’article L.3312-5.
645.
Pour le deuxième cas, c’est l’article L. 911-1 du Code de la Sécurité Sociale qui
prévoit que l’accord référendaire est une des modalités restrictives pour permettre l’adhésion
des salariés à un régime de protection sociale complémentaire576. Dans ces deux hypothèses
le recours à l’accord référendaire constitue la procédure légale obligatoire que l’employeur
doit observer pour pouvoir instituer l’une et l’autre de ces mesures.
646.
Il peut donc être considéré qu’il ne s’agit pas d’accords atypiques stricto-sensu. Ces
derniers désignant plutôt les accords conclus par la consultation directe des salariés en lieu et
place de leurs représentants, notamment des instances représentatives du personnel. Dans tous
les cas, il faut remarquer que le développement de la consultation directe des salariés
rééquilibre la relation de travail entre employeur et salarié et participe à l’amenuisement de la
subordination traditionnelle.
B – L’expansion des accords référendaires et atypiques
647.
Ainsi que le souligne G. Bredon, les entreprises, quelle que soit leur taille, ont de plus
en plus recours au référendum. Son importance, et par là même celle des salariés, ne doit pas
être négligée car « dans bien des cas, avant de solliciter une négociation avec le délégué
576
Art. L. 911-1 du Code de la Sécurité Sociale : « A moins qu'elles ne soient instituées par des
dispositions législatives ou réglementaires, les garanties collectives dont bénéficient les salariés,
anciens salariés et ayants droit entreprise complément de celles qui résultent de l'organisation de la
sécurité sociale sont déterminées soit par voie de conventions ou d'accords collectifs, soit à la suite de la
ratification à la majorité des intéressés d'un projet d'accord proposé par le chef d'entreprise, soit par une
décision unilatérale du chef d'entreprise constatée dans un écrit remis par celui-ci à chaque intéressé. »
223
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
syndical, l’employeur aura réuni le personnel pour lui demander un avis au sujet de la
décision qui fera l’objet de l’accord collectif d’entreprise. En cas d’acceptation par le
personnel, le délégué syndical ne pourra que suivre entreprise concluant un accord. Aussi,
malgré les incertitudes de la place de l’accord résultant du référendum plaide pour que lui soit
reconnu la qualité d’accord collectif »577. Mais pour asseoir véritablement l’idée selon
laquelle le recours au référendum dans l’entreprise renforce le rôle et la puissance des salariés
face à l’employeur il faut préciser la force juridique des accords référendaires.
648.
Il faut ainsi distinguer les deux hypothèses déjà évoquées, la participation aux fruits de
l’entreprise et la protection sociale complémentaire, de toutes les autres hypothèses. Dans les
premiers cas l’accord référendaire relève du champ d’application prévu par législateur578. Ces
accords auront donc force de loi et constitueront un accord d’entreprise. Ils auront donc
vocation à régir les relations de travail entre l’employeur et l’ensemble des salariés, y compris
ceux qui n’étaient pas favorables à la proposition de l’employeur. Pour reprendre le cas d’un
régime de protection sociale complémentaire, l’employeur sera autorisé à prélever
directement sur leur salaire la part correspondante à la cotisation prévue par l’accord.
649.
La Cour de cassation a par exemple admis qu'un accord collectif pouvait être remis en
cause par un référendum d'entreprise579. Mais dans les autres cas les accords conclus n’ont pas
la même valeur. La règle est en effet qu’en dehors du cadre dans lequel le référendum
constitue la procédure légale obligatoire, l’accord atypique a la valeur d’un simple
engagement unilatéral de l'employeur580. Ils peuvent donc être révoqués.
650.
Pour ces accords, le choix des salariés est donc moins contraignant pour l’employeur.
Mais le simple fait que le recours aux accords atypiques se développe est de nature à établir
un renouveau au sein des rapports de subordination. D’autant plus que, même s’ils sont
juridiquement révocables, le risque de conflit social et la crédibilité de l’employeur sont
577
G. Bredon, L'évolution de la notion de subordination comme critère du contrat de travail, Thèse
Paris II, 1998, p.213
578
V. en matière de protection sociale complémentaire, CSS, art. L. 911-1. et en matière
d'intéressement et de participation, C. trav., art. L. 3312-5 et L. 3322-6
579
Cass.soc.,10 févr. 1999 ; V. JSL 1999, 33-4, note M. Hautefort, V. aussi J. Grimaldi d'Estra, Nature
et régime juridique du référendum en droit social, dr. soc. 1994, p. 397
580
L. Drai, JCL Travail traité, Fasc. 1-10 : Sources, 15 juin 2009
224
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
autant d’enjeux qui permettent de donner un minimum de sécurité et de stabilité factuelle à
ces accords.
Paragraphe 2 - L’accès des salariés à la qualité d’associé
651.
Si l’action des salariés sur leur entreprise se manifeste parfois par l’intermédiaire
d’une participation classique de type actionnariat, elle peut également s’inscrire dans un
processus plus original lorsqu’elle résulte d’une véritable association au sens de l’article 1832
du Code civil581. Dans cette dernière hypothèse, l’association des salariés à leur entreprise
implique qu’ils en deviennent – au moins pour partie – les propriétaires. En tout état de cause
l’association des salariés à leur entreprise - dans une et l’autre des situations exposées substitue au rapport de subordination vertical, un rapport d’association horizontal. Seront
donc abordés successivement l’une et l’autre de ces situations voisines, à commencer par le
salarié actionnaire (A) puis le salarié associé (B).
A – Le salarié actionnaire
652.
2006
L’accession des salariés à la qualité d’actionnaire, modifiée par la loi du 30 décembre
582
, a été rendue possible par la mise en place de différents dispositifs similaires mais
qu’il fait distinguer en ne retenant que ceux qui ont un impact direct sur le lien de
subordination. Dans cette perspective l’actionnariat salarié583 recouvre alors trois figures
différentes : l’émission de titres boursiers réservés aux salariés, la mise en place par
581
Art. 1832 C. Civ. : « La société est instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par
un contrat d'affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le
bénéfice ou de profiter de l'économie qui pourra en résulter ».
582
Loi n°2006-1770 du 30 déc. 2006 pour le développement de la participation et de l'actionnariat
salarié et portant diverses dispositions d'ordre économique et social ; V. Le nouveau souffle de
l'actionnariat salarié dans la loi du 30 décembre 2006, Dalloz 2007, p. 524.
583
V. J.-B. Cottin, Actionnariat des salariés, Fasc. 27-25, 2009 ; D. Jourdan , M. Morand et B. Serizay,
Épargne salariale et actionnariat salarié, Éd. législatives, 2001 ; D. Jourdan, Épargne salariale,
intéressement, participation, actionnariat, Éd. Liaisons sociales, 2007 ; O. Bonijoly , G. Bordier et J.B. Cottin, À propos de la loi pour le pouvoir d'achat, JCP G 2008, n° 7, p. 3 ; Développement de la
participation et de l'actionnariat salarié : Bull. Joly, mars 2007 ; Développement de l'actionnariat
salarié : JCP S 2007, 1032
225
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
l’entreprise d’options de souscription ou d’achat d’actions584 et enfin l'attribution gratuite
d'actions.
653.
Dans le premier cas, c’est la loi du 27 décembre 1973 qui a instauré le système de
souscription ou d’achat d’actions réservées aux salariés. Il s’agit du système plus connu sous
le terme de stock-option585. Ainsi dans les entreprises qui relèvent de la loi n° 66-537 du 24
juillet 1966 sur les sociétés commerciales, il est possible de mettre à la disposition exclusive
des salariés l’achat d’actions ou la souscription à une augmentation de capital586. En pratique,
« le conseil d'administration (ou le directoire dans les sociétés dualistes) offre, après
autorisation de l'assemblée générale extraordinaire, à des salariés et/ou aux dirigeants sociaux
le droit – l'option - de souscrire ou d'acheter des actions à un prix déterminé préalablement et
qui reste fixe durant la période de l'option »587.
654.
Dans le second cas, le système d’option d’achat ou de souscription d’actions permet
aux salariés de souscrire ou d’acheter, à des conditions plus avantageuses que pour les tiers.
Le Code du travail permet ainsi aux sociétés de procéder à des augmentations de capital
réservées aux adhérents de plans d'épargne destinés recevoir les dites actions588.
655.
Enfin, l'attribution gratuite d'actions589 résulte d’un dispositif introduit par la loi de
finances de 2005590. Le législateur a ainsi souhaité enrichir le droit existant entreprise offrant
à tout salarié d’une entreprise de pouvoir bénéficier d’une distribution d'actions591 dans
584
V. sur ce point : J.-B. Cottin, JurisClasseur Travail Traité, Fasc. 27-25 : Actionnariat des salariés
R. Vatinet, Le clair-obscur des stock-options à la française : Rev. sociétés, janv.-mars 1997 ;
Quelques incertitudes du régime juridique des stock-options, V. Cass. soc., 15 janv. 2002, dr. soc.
2002, p. 690
586
Loi n°73-1196 du 27 décembre 1973 et décret n°74-319 du 23 avril 1974
587
J.-B. Cottin, Actionnariat des salariés, Fasc. 27-25, n°7, 2009
588
C. trav., art. L. 3332-18, « Les sociétés peuvent procéder à des augmentations de capital réservées
aux adhérents d'un plan d'épargne d'entreprise.»
589
J.-Ph. Dom, L'attribution gratuite d'actions : Bull. Joly, févr. 2005 ; V. aussi D. Labarthette, Les
plans de stock-options à l'épreuve des attributions gratuites d'actions : JCP E 2006, 1576 ; S. Plantin,
L'attribution d'actions gratuites, une alternative séduisante aux plans de stock-options : JCP E 2005,
524
590
L. n° 2004-1484, 30 déc. 2004, art. 83; C. com., art. L. 225-197-1 à L. 225-197-5 ; V. R. Vatinet
Développement de l'actionnariat salarié, L. n° 2006-1770, 30 déc. 2006, Titre II, La Semaine Juridique
Social n° 4, 23 Janvier 2007, 1032, n°4
591
JOAN, 2e séance, 19 nov. 2004, p. 9818
585
226
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
l’entreprise. Comme le souligne J.-B. Cottin, cette disposition592 a « fait du bénéficiaire un
véritable actionnaire qui partage les gains et les risques de pertes avec les autres
actionnaires »593. Le dispositif a été modifié par la loi n° 2006-1770 du 30 décembre 2006594
qui confirme le plafonnement de l'attribution gratuite d'actions à dix pour cent du capital
social.
656.
Dans les trois cas, ces dispositifs ont pour effet de susciter chez le salarié un sentiment
nouveau face à leur entreprise, autre que celui « consistant à ne voir en elle qu’un lieu
d’asservissement. Les salariés redécouvrent par ce biais les vertus du travail qui enrichit »595.
Mais le fait de donner la possibilité à un salarié de devenir actionnaire de l’entreprise dans
laquelle il travaille engendre plusieurs conséquences. Tout d’abord, le salarié est
responsabilisé puisqu’il a un intérêt financier personnel dans les réussites et les échecs de
l’entreprise. Mais les conséquences les plus problématiques se posent au regard du lien de
subordination juridique. Dans le cas du salarié actionnaire, il existe en effet une superposition
de liens : le lien de subordination auquel se superpose un lien financier.
657.
Cette superposition crée une cohabitation conflictuelle car le salarié occupe deux
positions diamétralement opposées vis-à-vis de l’entreprise : une position que l’on peut
qualifier de hiérarchiquement inférieure - car il est subordonné - et une position
économiquement supérieure - car il est actionnaire -. Or, « sur le plan théorique, cette
situation remet en cause les fondements même du droit du travail bâti sur la dichotomie
opposant actionnaires et salariés. Alors que l’actionnaire contrôle en sa qualité les décisions
prises par les dirigeants sociaux, ces derniers commandent directement ou indirectement les
salariés. De cette situation résulte, au regard de la notion de subordination, une
incompatibilité de principe entre ces différents statuts »596.
592
V. JCl. Sociétés Traité, Fasc. 1866
J.-B. Cottin, Actionnariat des salariés, Fasc. 27-25, n°71, 2009
594
V. R. Vatinet Développement de l'actionnariat salarié, L. n° 2006-1770, 30 déc. 2006, Titre II, La
Semaine Juridique Social n° 4, 23 Janvier 2007, 1032, n°4
595
G. Bredon, l'évolution de la notion de subordination comme critère du contrat de travail, Thèse
Paris II, 1998, p.216
593
596
G. Bredon, l'évolution de la notion de subordination comme critère du contrat de travail, Thèse
Paris II, 1998, p.216
227
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
658.
Le législateur a donc mis en place des limites afin de garantir une certaine
compatibilité entre les statuts de salarié et d’actionnaire. L'article L. 225-182 du Code de
commerce dispose en effet que les salariés possédant plus de dix pour cent du capital social ne
peuvent pas se voir accorder de nouvelles options597.
B – Le salarié associé
659.
L’action des salariés peut encore résulter du rachat de l’entreprise par les salariés.
Après quelques succès, ce dispositif a dû attendre la loi du 30 décembre 2006 sur la
participation et l'actionnariat salarié pour connaître une nouvelle mise en avant598.
660.
À l’heure actuelle la mise en œuvre du rachat d’une entreprise par ses salariés résulte
principalement de deux dispositifs encadrés. Il s’agit, d’une part, de la création d’une société
coopérative ouvrière de production 599 ou de la création, d’autre part, d’une société anonyme à
participation ouvrière600. Ces solutions offrent aux salariés la possibilité d’acquérir la majeure
partie du capital de leur entreprise601, « dès lors, leur action ne se résume plus à une simple
participation à la gestion. Leurs intérêts sont confondus avec ceux des actionnaires »602.
661.
Il est donc possible de se demander si, dans cette perspective, la notion de
subordination juridique est encore à même de fonder le critère commun de l’existence du
contrat de travail. Car dans cette configuration le salarié fournit bien une prestation de travail
au profit d’un employeur personne morale. Mais cette personne morale – la société – n’est
que le groupement des dits salariés. De sorte qu’à l’issu du raisonnement il peut être considéré
que ces salarié associés sont en fait subordonnés à eux-mêmes. Et qu’ainsi « le paradoxe
597
Article L. 225-182 du Code de commerce : « Le nombre total des options ouvertes et non encore
levées ne peut donner droit à souscrire un nombre d'actions excédant une fraction du capital social
déterminée par décret en Conseil d'État. Il ne peut être consenti d'options aux salariés et aux
mandataires sociaux possédant plus de 10 % du capital social ».
598
Loi n°2006-1770 du 30 décembre 2006
599
V. Loi n°78-763 du 19 juillet 1978 portant statut des sociétés coopératives ouvrières de production
600
V. Loi n°77-748 du 8 juillet 1977 relative aux sociétés anonymes à participation ouvrière ; C. com.,
art. L. 225-258 à L. 225-270
601
V. P. Le Vey, Juris-Classeur Sociétés, Fasc. 173-50
602
G. Bredon, L'évolution de la notion de subordination comme critère du contrat de travail, Thèse
Paris II, 1998, p.217
228
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
d’une telle situation démontre par l’absurde l’incohérence et l’anachronisme d’un critère
fondé sur la notion de subordination »603.
662.
Quelques incohérences juridiques apparaissent à l’examen de cette situation. Car les
salariés associés sont en même temps ceux qui accomplissent la prestation de travail et ceux
qui en tirent profit. Ainsi l’accomplissement d’une seule et unique prestation donne lieu à une
double rémunération : dans un premier temps, au titre du contrat de travail puis, dans un
second temps, au titre de la répartition d’éventuels bénéfices.
663.
D’autre part, il faut se demander dans quelle mesure il est possible que ces salariés se
trouvent dans un lien de subordination puisqu’ils détiennent le capital. Ainsi, même s’ils
nomment un gérant, ce dernier pourrait être révocable à tout moment. Il serait donc peu enclin
à diriger, contrôler et sanctionner ceux-là même qui ont le pouvoir de le révoquer.
664.
Enfin, le cas des salariés associés met en exergue un déséquilibre juridique au regard
de la situation des travailleurs économiquement dépendants et notamment de bon nombre
d’auto-entrepreneurs. Ces derniers apparaissent souvent beaucoup moins libres et
indépendants que des salariés-associés,
pourtant ils bénéficient d’une protection sociale
moins avantageuse que le régime général de la sécurité sociale. Le recours à la notion de lien
de subordination juridique, dans un contexte changeant et évolutif, n’est donc pas à même de
résoudre les impasses qu’il crée.
603
G. Bredon, L'évolution de la notion de subordination comme critère du contrat de travail, Thèse
Paris II, 1998, p.217
229
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
SECTION II – L’ASSOCIATION INDIRECTE DES SALARIÉS A LA GESTION DE
L’ENTREPRISE
665.
L’association des salariés à la gestion de l’entreprise désigne ici celle qu’ils exercent
par l’intermédiaire de leurs représentants. Cette action médiate peut être présentée en deux
temps. Tout d’abord, elle désigne la possibilité d’interagir sur les décisions déterminantes en
intégrant les organes sociaux (paragraphe 1). Dans un second temps, elle pourra désigner la
possibilité qu’ont les salariés d’interagir sur la gestion de leur entreprise via les institutions
représentatives du personnel (paragraphe 2).
Paragraphe 1 – La représentation des salariés au sein des organes sociaux
666.
Différentes étapes ont été cruciales dans la mise en place de dispositifs favorisant
l’action des salariés au sein des organes sociaux. Parmi celles-ci, il faut ainsi évoquer l’apport
de la loi n° 83-675 du 26 juillet 1983 relative à la démocratisation du secteur public. Bien que
cette loi n’ait concerné que les établissements publics, elle a tout de même contribué à étendre
le champ d’action des salariés dans ces entreprises. Le concept démocratique du salarié acteur
dans son entreprise, quelques années après les lois Auroux, trouvait donc dans cette loi une
application avancée. Cette loi a en effet instauré la présence de salariés élus dans les conseils
d’administration et de surveillance d’entreprises publiques.
667.
Le concept du salarié acteur dans les organes de la société étant ainsi démystifié, il
était plus aisé de l’étendre au secteur privé. Ce fût le rôle dévolu à la loi du 2 juillet 1986
autorisant le gouvernement à prendre diverses mesures d'ordre économique et social. Cette loi
a instauré les prémices de l’action des salariés au sein des organes de gestion dans
l’entreprise. Cette loi-cadre autorisa le gouvernement à prendre par ordonnance les « mesures
nécessaires au développement de la participation des salariés à l’entreprise [ainsi qu’à]
modifier la législation sur les sociétés commerciales afin d’offrir aux sociétés anonymes la
faculté d’introduire dans leurs statuts des dispositions prévoyant que des représentants du
230
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
personnel salarié siègeront avec voie délibérative au sein du conseil d’administration ou du
conseil de surveillance »604.
668.
C’est dans ce contexte que l’ordonnance du 21 octobre 1986 a ouvert la voie vers
l’action des salariés au sein des organes sociaux des entreprises du secteur privé605. Mais c’est
la loi du 25 juillet 1994 relative à la participation des salariés dans l’entreprise qui a institué le
premier dispositif réellement abouti en la matière. Le dispositif de base a ensuite été modifié
par la loi de modernisation sociale en 2002606 et la loi de 2006 pour le développement de la
participation et de l'actionnariat salarié607.
669.
Sur ce dernier point il convient de souligner que si la loi favorise toujours la
participation de représentants élus par l’ensemble des salariés au sein des conseils
d'administration ou de surveillance608, elle a diminué le champ de celle des représentants des
actionnaires salariés. Ni la loi de modernisation sociale, ni la loi de 2006 n’ont en effet repris
la possibilité de recourir à ce dispositif hors des cas pour lesquels la loi oblige609.
670.
Aujourd’hui, la participation des salariés actionnaires aux instances sociétaires des
entreprises obéit à certaines conditions de fond et de forme. Seront donc envisagés
respectivement les conditions de cette représentation (A) ainsi que les modalités de sa mise en
œuvre (B).
604
Loi n°86-793 du 2 juillet 1986, art. 3, J.O. du 3 juillet 1986
V. R. Vatinet Développement de l'actionnariat salarié, L. n° 2006-1770, 30 déc. 2006, Titre II, La
Semaine Juridique Social n° 4, 23 Janvier 2007, 1032 ; A. Couret, La participation des salariés à la
gestion des sociétés anonymes : Bull. Joly 1986, p. 987 ; J.-J. Daigre, Les représentants des salariés
élus au conseil d'administration ou de surveillance des sociétés anonymes, Ord. n° 86-1135, 21 oct.
1986, dr. soc. 1987, p. 450
606
Loi n°2002-73 du 17 janvier 2002 de modernisation sociale ; V. C. Malecki, La loi de
modernisation sociale et la nouvelle donne de la participation des salariés à la gestion de l'entreprise :
JCP E 2002, p. 986 ; J.-M. Moulin, La participation des salariés à la gestion de la société : le comité
d'entreprise actionnaire, Bull. Joly 2002, p. 571
607
Loi n°2006-1770 du 30 décembre 2006 pour le développement de la participation et de
l'actionnariat salarié et portant diverses dispositions d'ordre économique et social ; V.R. Vatinet, de la
loi sur les nouvelles régulations économiques à la loi de modernisation sociale : une montée en
puissance du comité d'entreprise ? dr. soc. 2002, p. 286 ; R. Vatinet La société anonyme et ses salariés.
Essai de problématique : rev. sociétés 2000, p. 161
608
C. com., art L. 225-27 et art. L. 225-79
609
V. R. Vatinet Développement de l'actionnariat salarié, L. n° 2006-1770, 30 déc. 2006, Titre II, La
Semaine Juridique Social n° 4, 23 Janvier 2007, 1032
605
231
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
A – Les conditions de la représentation des salariés
671.
La représentation des salariés actionnaires est aujourd’hui restreinte au regard du
dispositif qui était en vigueur avant la loi de modernisation sociale. Il n’est en effet plus
possible de procéder à l’élection de salariés actionnaires en dehors des cas limitativement et
strictement prévus par l’article L. 225-23 du Code de commerce. En vertu de cette disposition,
la représentation des salariés actionnaires n’est possible et obligatoire que « dans les sociétés
dont les titres sont admis aux négociations sur un marché réglementé » 610.
672.
Le seuil déclenchant cette obligation dans les sociétés concernées par l’article L.225-
23 du Code de commerce est franchi dès lors que le rapport présenté par le conseil
d'administration lors de l'assemblée générale prévue par l'article L. 225-102611, établit que les
actions détenues par le personnel de la société représentent plus de trois pour cent du capital
social de la société612.
673.
En ce qui concerne les sociétés dont les titres ne sont pas admis aux négociations sur
un marché réglementé, il y a lieu de préciser qu’elles ont été déchargées de l’obligation de
mettre en œuvre une représentation des salariés actionnaires afin de lutter contre l’effet
d’exclusion qu’il pourrait engendrer, « de crainte qu'une telle obligation ne les dissuade de
constituer un actionnariat salarié »613. Il s’agit là d’une première restriction à l’action médiate
des salariés.
674.
Il en existe une seconde. Celle-ci concerne la mise en œuvre volontaire d’une
représentation des salariés actionnaires hors des cas obligatoires. Celle-ci n’est désormais plus
610
Art. L. 225-23 du Code de commerce : « Dans les sociétés dont les titres sont admis aux
négociations sur un marché réglementé, lorsque le rapport présenté par le conseil d'administration lors
de l'assemblée générale en application de l'article L. 225-102 établit que les actions détenues par le
personnel de la société ainsi que par le personnel de sociétés qui lui sont liées au sens de l'article L.
225-180 représentent plus de 3 % du capital social de la société, un ou plusieurs administrateurs sont
élus par l'assemblée générale des actionnaires sur proposition des actionnaires visés à l'article L. 225102. Ceux-ci se prononcent par un vote dans des conditions fixées par les statuts. Ces administrateurs
sont élus parmi les salariés actionnaires ou, le cas échéant, parmi les salariés membres du conseil de
surveillance d'un fonds commun de placement d'entreprise détenant des actions de la société […] ».
611
Art. L.225-102 du Code de commerce
612
Art. L. 225-23 du Code de commerce
613
R. Vatinet, Développement de l'actionnariat salarié, Op. cit.
232
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
possible car les lois de 2002 et 2006 ne comporte aucune disposition dans ce sens. « Il paraît
curieux qu'elle ne soit pas offerte aux sociétés qui le souhaiteraient. Mais, faute d'autorisation
explicite, ce serait une dérogation au droit commun des sociétés anonymes qui pourrait être
contestée par d'autres actionnaires minoritaires »614. Il s’agit là d’un deuxième obstacle à
l’action médiate des salariés.
675.
Toutefois il est important de souligner, au regard de la problématique du lien de
subordination, que ces restrictions ont un effet pratique et théorique très limité. Car même
dans les sociétés absentes du marché boursier, la représentation de salariés demeure possible.
Car si le droit commun ne permet pas la représentation spéciale de cette catégorie particulière
de salariés, elle privilégie encore la représentation générale de l’ensemble des salariés. Ainsi,
l’article L. 225-27 permet que des dispositions statutaires puissent prévoir que le conseil
d’administration soit en partie composé d’ « administrateurs élus soit par le personnel de la
société, soit par le personnel de la société et celui de ses filiales directes ou indirectes dont le
siège social est fixé sur le territoire français » 615.
676.
Ainsi les conséquences de la représentation de salariés au sein du conseil
d’administration, qu’il s’agisse de la représentation spéciale de salariés actionnaires ou de la
représentation générale de l’ensemble des salariés, demeurent entières. Elles remettent en
cause la consistance du lien de subordination entre ces salariés et la société qui les emploie.
Cette remise en cause est encore plus prononcée concernant les salariés élus qui eux peuvent
intégrer personnellement le conseil d’administration. Ils jouissent ainsi d’un pouvoir certain
pouvant inspirer un sentiment de crainte ou de méfiance à ses supérieurs hiérarchiques. Dans
les faits, le lien de subordination pourrait dans ce cas se trouver neutralisé.
677.
Enfin, il serait possible d’objecter que ces cas de figure ne concernent que les sociétés
anonymes et qu’ainsi la remise en cause du lien de subordination qu’ils impliquent sont
614
R. Vatinet Développement de l'actionnariat salarié, Op. cit.
Art. L225-27 : « Il peut être stipulé dans les statuts que le conseil d'administration comprend, outre
les administrateurs dont le nombre et le mode de désignation sont prévus aux articles L. 225-17 et L.
225-18 , des administrateurs élus soit par le personnel de la société, soit par le personnel de la société
et celui de ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français. Le
nombre de ces administrateurs ne peut être supérieur à quatre ou, dans les sociétés dont les actions
sont admises aux négociations sur un marché réglementé, cinq, ni excéder le tiers du nombre des
autres administrateurs. Lorsque le nombre des administrateurs élus par les salariés est égal ou
supérieur à deux, les ingénieurs, cadres et assimilés ont un siège au moins […]».
615
233
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
limités à ces structures. Il peut alors être mis en avant que c’est aussi le modèle du recours au
lien de subordination juridique comme critère universel du contrat de travail qui est ici remis
en cause. Ce qui conforte l’idée-force de cette deuxième partie.
B - Les modalités de la représentation des salariés
678.
Les modalités de la représentation des salariés prévue par l’article L. 225-23 du Code
de commerce met en place l’obligation, pour l'assemblée générale des actionnaires, d’élire un
ou plusieurs administrateursparmi les salariés actionnaires ou les salariés membres du conseil
de surveillance d'un fonds commun de placement d'entreprise détenant des actions de la
société616.
679.
Les actionnaires disposent ainsi d’une marge d’appréciation concernant le nombre de
salariés contrairement à la représentation générale de l’article L. 225-27 du Code de
commerce qui dispose que « le nombre de ces administrateurs ne peut être supérieur à quatre
ou, dans les sociétés dont les actions sont admises aux négociations sur un marché
réglementé, cinq, ni excéder le tiers du nombre des autres administrateurs »617.
680.
Dans le cadre de la représentation prévue par l’article L.225-23, il est donc
juridiquement envisageable qu’une majorité de sièges soit occupée par des salariés
actionnaires. Ainsi « le risque ne peut pas être totalement écarté de voir une équipe dirigeante
favoriser la constitution d'un noyau sûr d'administrateurs ou de membres du conseil de
surveillance représentants les salariés actionnaires […] au détriment de l'intérêt des autres
catégories d'actionnaires618 ».
681.
Dans l’absolu, cette situation contribue donc à cristalliser la remise en cause du lien de
subordination juridique. Car si les salariés subordonnés sont - en fait - dirigés contrôlés et
sanctionnés par leurs supérieurs hiérarchiques, les salariés actionnaires qui parviendraient à
prendre le contrôle du conseil d’administration seraient alors en position de force par rapport
à eux.
616
V. Art. L. 225-23 du Code de commerce
Art. L. 225-27 du Code de commerce
618
R. Vatinet, Développement de l'actionnariat salarié, Op. cit.
617
234
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
682.
Cette hypothèse pose la question de l’intensité du lien de subordination juridique619
qui dans ce cas peut être réduite à néant car celui qui dirige devient celui qui est dirigé, le
contrôleur devient le contrôlé et celui qui sanctionne devient celui qui peut être sanctionné.
Dans un tel contexte la notion de lien de subordination juridique n’a plus aucune pertinence et
laisse place au vide juridique.
Paragraphe 2 – La gestion par les institutions représentatives du personnel
683.
Les institutions représentatives du personnel ont aujourd’hui acquis un véritable rôle
décisionnel quant aux choix importants de la vie de l’entreprise. Elles sont devenues les
interlocuteurs privilégiés des dirigeants mais aussi des pouvoirs publics. Elles sont alors plus
connues sous le terme générique de partenaires sociaux.
684.
Leur champ d’intervention s’est progressivement enrichi. De sorte qu’il est désormais
possible de distinguer, à côté d’un champ d’intervention traditionnel (A), le développement
d’une véritable cogestion entre l’employeur et les instances représentatives du personnel (B).
Ces différentes institutions constituent un véritable contrepouvoir dans l’entreprise car elles
disposent de prérogatives importantes dans le contrôle de gestion de l’entreprise.
A – La gestion traditionnelle par les institutions représentatives du personnel
685.
Les institutions représentatives du personnel désignent en pratique différents organes
élus ou désignés, qui sont composées de salariés et dont chacune a des compétences et des
missions qui leurs sont propres. Il est ainsi possible de citer les délégués du personnel, le
comité d'entreprise, les représentants du personnel, le comité d'hygiène de sécurité et des
conditions de travail et enfin les délégués et représentants syndicaux. La présence et les
moyens de chacune de ces institutions sont déterminés par le calcul de l'effectif des salariés
dans l'entreprise.
619
V. A. Taillandier, L'intensité du lien de subordination, Thèse Nantes, 1994
235
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
686.
De nombreuses évolutions ont marqué ces institutions depuis que le préambule de la
Constitution de 1946 a proclamé le droit pour tout travailleur de participer par l’intermédiaire
de ses délégués à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des
entreprises. Les différentes lois qui les régissent sont aujourd’hui le socle d’une jurisprudence
très dense. Leur action est devenue source de complexité et leur participation à la gestion et à
la politique de l’entreprise est souvent source de tensions et de conflits.
687.
L’analyse de l’évolution du droit des institutions représentatives du personnel fait
apparaître une intensification de leur rôle dans l’entreprise. Car au-delà de leurs prérogatives
normales ou traditionnelles, axées sur le dialogue social, les instances représentatives du
personnel jouissent aujourd’hui de véritables pouvoirs de gestion.
688.
Cette évolution a typiquement concerné le comité d’entreprise. Celui-ci disposait
initialement de pouvoirs de gestion et de contrôle des activités sociales et culturelles au sein
de l’entreprise. Cette compétence résulte de la loi du 16 mai 1946 modifiant l'ordonnance du
22 février 1945 sur les comités d'entreprise et du décret du 2 novembre 1945 pris pour
l'application de ladite ordonnance. Mais à l’origine la loi ne prévoyait qu’une mission de
coopération. Or, depuis la loi du 28 octobre 1982, le comité d’entreprise dispose d’une
compétence exclusive pour gérer de manière autonome les activités sociales et culturelles de
l’entreprise.
689.
Ainsi le comité d’entreprise détermine librement les activités sociales et culturelles qui
feront partie du budget alloué. La Cour de cassation considère d’ailleurs que l’employeur n’a
pas le droit de voter lors d’une délibération concernant les activités sociales et culturelles620.
L’autodétermination des salariés sur les questions relatives aux activités sociales et culturelles
est donc devenue la règle. En « influant directement sur les conditions de vie des salariés,
elles participent à l’affirmation du rapport de participation »621 au détriment du rapport de
subordination traditionnel.
620
Cass. soc., 25 janv. 1995, n° 92-16.778 ; V. M.-C. Tual, Savoir qui vote au CE et comment, Les
cahiers Lamy du CE, octobre 2007
621
G. Bredon, L'évolution de la notion de subordination comme critère du contrat de travail, Thèse
Paris II, 1998, p.157
236
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
690.
Une autre conséquence du développement de ce rapport de participation est que
l’entreprise n’est plus perçue systématiquement comme « un lieu de soumission mais un lieu
dans lequel et par lequel le salarié peut s’épanouir, améliorer ses conditions de vie et celles de
sa famille. Le changement d’image véhiculée par l’entreprise au cours des années 1980 est
révélateur de la prise de conscience par les salariés que l’entreprise n’est plus un lieu
d’asservissement mais un lieu où il est possible d’entreprendre »622.
B – Le développement de la cogestion au sein de l’entreprise
691.
L’apparition de la cogestion dans les entreprises permet aux salariés de bénéficier d’un
contrepouvoir original. Ses manifestations peuvent intervenir à titre préventif mais aussi à
titre curatif. La cogestion par l’intermédiaire des institutions représentatives du personnel est
aujourd’hui un fait de plus en plus fréquent qui est signe de bonne gestion mais cette
cogestion implique en principe une réorganisation horizontale de la relation de travail avec
les salariés ce qui laisse en suspens les conséquences quant à la caractérisation du lien de
subordination juridique qui reste ancré dans une logique de hiérarchie verticale : « l’entreprise
qui parvient à enregistrer des profits sans que ses gains de productivité ne soient gagnés au
détriment des salariés, toute entreprise les faisant participer activement et financièrement au
succès, possède les caractéristiques de l’entreprise bien gérée. Une telle gestion devrait
emporter l’unanimité. Un consensus de ce type se produit le plus fréquemment lorsque les
salariés sont eux-mêmes actionnaires de l’entreprise »623.
692.
Sans approfondir toutes les prérogatives dont disposent les institutions représentatives
du personnel pour contrôler la gestion de l’entreprise il faudra retenir que l’élargissement de
leur champ d’action participe à l’intensification du droit de regard des salariés sur la gestion
de l’entreprise par l’employeur. Il s’agit donc d’un rééquilibrage de la relation de travail ou
chacun des cocontractants peut contrôler l’activité de l’autre dans le cadre de l’entreprise. Le
pouvoir de contrôle dont dispose le salarié d’une part, et l’employeur d’autre part, ne sont
certes pas de même envergure mais dans le principe il s’agit d’une très nette évolution au
regard des relations de travail au XIXème et XXème siècle.
622
623
G. Bredon, Op. cit., p.158
G. Bredon, Op. cit.,, p.181
237
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
693.
Dans ces conditions, le recours au lien de subordination est remis en cause.
L’association du salarié aux résultats de l’entreprise tend en effet à faire disparaître le besoin
de le surveiller, de le contrôler puisque l’intérêt de l’entreprise se confond avec son propre
intérêt. D’autre part le pouvoir de négociation des salariés via les institutions représentatives
du personnel ainsi que leur pouvoir de contrôle de l’employeur sont autant de limites au
pouvoir de subordination de l’employeur. Ce dernier perd donc progressivement la toute
puissance qui le caractérisait jadis au profit d’une prérogative plus limitée, celle de donner des
ordres légitimes et proportionnés.
238
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
SECTION III – L’ASSOCIATION DES SALARIÉS AUX RÉSULTATS DE
L’ENTREPRISE
694.
Il est possible de distinguer deux principaux modes d’association des salariés aux
résultats de l’entreprise. Il s’agit de la participation (paragraphe 1) et de l’intéressement
(paragraphe 2). Ces deux formules sont souvent amalgamées pour ne faire qu’une alors
qu’elles désignent chacune un cadre juridique différent. Cette confusion tient à ce que chacun
de ces dispositifs ont une finalité substantiellement commune : associer les salariés aux fruits
de leur travail, au-delà et en marge du salaire prévu. Toutefois l’intéressement et la
participation se situent à deux degrés de contrainte différents.
695.
S’agissant de la participation, d’une part, il faut souligner qu’il s’agit d’un dispositif
d’ordre public puisque « le personnel doit obligatoirement bénéficier d'une participation
financière aux résultats dans toute entreprise ou unité économique et sociale employant au
minimum cinquante salariés »624. Le mode de calcul est donc imposé par la loi sauf
dispositions plus favorables pour le salarié. S’agissant de l’intéressement, d’autre part, il
s’agit de dispositions supplétives dans leur principe puisqu’ elles prévoient qu’ « un système
facultatif [est] susceptible d'être mis en œuvre par accord dans toute entreprise, quelle que soit
sa taille, sa forme juridique ou son activité »625 Ainsi les modalités de calcul de
l'intéressement sont librement déterminées par l'accord à la double condition de reposer sur
les résultats de l'entreprise et de présenter un caractère aléatoire et collectif 626.
696.
Cette association des salariés aux fruits de l’entreprise est à l’évidence génératrice
d’une plus grande motivation et d’un investissement personnel plus sincère du salarié. Mais
au regard du lien de subordination juridique, cette association est aussi une source
d’autonomie et de responsabilisation du salarié. Elle traduit « l’autonomie participative qui
caractérise actuellement la situation des salariés »627.
624
G. Bordier, Participation aux résultats, Jurisclasseur Travail Traité, Fasc. 27-20, n°16
G. Bordier, Intéressement, Jurisclasseur Travail Traité, Fasc. 27-15, n° 5
626
V. A. Derue et D. Jourdan, Épargne salariale, intéressement, participation, actionnariat, Liaisons
sociales, Spécial 2007-246, 25 oct. 2007
627
G. Bredon, L'évolution de la notion de subordination comme critère du contrat de travail, Thèse
Paris II, 1998, p.223
625
239
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
Paragraphe 1 - La participation des salariés aux bénéfices
697.
Plus de vingt années se sont écoulées entre la proclamation du principe dans le
préambule de la Constitution de 1946 et la mise en application effective de la participation en
France. C’est en effet l’ordonnance n° 67-693 du 17 août 1967 prise en application de la loi
n° 67-482 du 22 juin 1967 qui a instauré la participation des salariés aux fruits de l'expansion
des entreprises, alors obligatoire dans toutes les entreprises de plus de cent salariés. Il s’agit
d’une ordonnance prise par le Général de Gaulle, Président de la République au terme de
laquelle la participation est devenue « un véritable principe d’organisation sociale »628.
698.
Le système de participation a depuis beaucoup et constamment évolué même s’il reste
largement inspiré de l'ordonnance n° 86-1134 du 21 octobre 1986629. Récemment le
législateur est encore intervenu dans ce domaine par la loi n° 2006-1770 du 30 décembre
2006 pour le développement de la participation et de l'actionnariat salarié et la loi n° 20081258 du 3 décembre 2008 en faveur des revenus du travail630.
699.
Ces différentes réformes ont pour point commun de traduire « une volonté constante
de concevoir et de faire concevoir la participation comme un moyen privilégié, délibérément
choisi, d'associer les salariés aux résultats de leur entreprise et au-delà, peut-être, de faire - de
leur faire - prendre conscience qu'ils sont des acteurs à part entière du développement
économique et non de simples prestataires de main-d'œuvre »631.
700.
Afin de cerner au mieux les implications de ce système au regard du recours au lien de
subordination juridique il conviendra donc de préciser le concept juridique de la participation
des salariés (A) pour comprendre ses effets sur le rapport de subordination (B).
628
G. Bredon, L'évolution de la notion de subordination comme critère du contrat de travail, Thèse
Paris II, 1998, p.224
629
V. lois n° 90-1002 du 7 novembre 1990, n° 94-640 du 25 juillet 1994, n° 2001-152 du 19 février
2001, n° 2003-775 du 21 août 2003, n° 2004-391 du 4 mai 2004, n° 2004-804 du 9 août 2004, n°
2005-842 du 26 juillet 2005 et n° 2005-882 du 2 août 2005
630
Les salariés qui bénéficient d’un accord de participation peuvent aujourd’hui bénéficier des gains
acquis sans attendre la clôture de l’exercice.
631
G. Bordier, Participation aux résultats, Jurisclasseur Travail Traité, Fasc. 27-20, n°1
240
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
A – Le concept juridique de la participation
701.
Les systèmes de participation sont impliqués dans la remise en cause du lien de
subordination juridique comme critère du contrat de travail. Pour comprendre les mécanismes
de ce phénomène il convient de présenter cette pratique en plein essor et qui a vocation à se
développer encore. Seront ainsi envisagés successivement le champ d'application de la
participation des salariés (1) et le principe de la participation des salariés (2).
1 - Le champ d'application de la participation des salariés
702.
L’article L. 3322-2 alinéa 1 du Code du travail pose tout d’abord comme principe que
« les entreprises employant habituellement cinquante salariés et plus garantissent le droit de
leurs salariés à participer aux résultats de l'entreprise »632. Toutefois le volontariat est
privilégié puisque les employeurs non assujettis conservent la possibilité de conclure un
accord de participation tout en conservant les avantages fiscaux du dispositif initial.
703.
Une condition doit toutefois être observée car le-dit accord doit être conclu dans les
formes prescrites par le Code du travail. Soit par convention ou accord collectif de travail, soit
par accord entre l'employeur et les représentants d'organisations syndicales représentatives
dans l'entreprise, soit par accord au sein du comité d'entreprise soit enfin par ratification, à la
majorité des deux tiers du personnel, d'un projet de contrat proposé par l'employeur633.
704.
Le Code du travail prévoit même qu’ « en cas d'échec des négociations, l'employeur
peut mettre en application unilatéralement un régime de participation conforme aux
dispositions du présent titre. Le comité d'entreprise ou, à défaut, les délégués du personnel
sont consultés sur le projet d'assujettissement unilatéral à la participation au moins quinze
jours avant son dépôt auprès de l'autorité administrative »634. La mise en place d’un accord de
participation peut donc - potentiellement - concerner toutes les entreprises : « la nature
économique de l'activité de l'entreprise ou la forme juridique choisie pour son organisation
632
C. trav., art. L. 3322-2 alinéa 1 du Code du travail
C. trav., art. 3322-6 du Code du travail
634
C. trav., art. L. 3323-6 al. 3
633
241
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
sont sans incidence sur l'application du texte : tous les secteurs d'activité sont concernés, y
compris le secteur agricole »635.
2 - Le principe de la participation des salariés
705.
Le mode de calcul de la participation de chaque salarié est essentiellement fonction
des bénéfices réalisés par l’entreprise. Il en résulte pour chaque salarié une somme d’argent
versée sur un compte ad-hoc : la réserve spéciale de participation. Pour pouvoir être ensuite
distribuée à chaque salarié, la réserve spéciale de participation doit faire l’objet d’une
répartition. Cette opération est rendue possible par la mise en œuvre des critères contenus
dans l’accord de participation et qui varient généralement en fonction du salaire et de la
présence.
706.
La loi du 30 décembre 2006 n’étant pas rétroactive, les accords de participation
conclus avant son entrée en vigueur peuvent être conservés. Ils peuvent donc prévoir que les
sommes réparties entre les salariés seront consacrées à l'attribution d'actions, à la souscription
d'actions émises par les sociétés créées par des salariés en vue du rachat de leur entreprise, à
l'acquisition de titres de société d'investissement à capital variable, à l'acquisition de parts de
fonds communs de placement, ou enfin à un compte courant bloquéϲϯϲ.
707.
Par contre, la loi du 30 décembre 2006 dispose que les accords conclus après son
entrée en vigueur devront prévoir que les gains des salariés devront alimenter soit des
comptes personnels en application d'un plan d'épargne salariale637, soit un compte que
l'entreprise consacre à des investissements. Les accords de participation peuvent toujours
635
G. Bordier, Participation aux résultats, Jurisclasseur Travail Traité, Fasc. 27-20, n°7 ; V. aussi C.
trav., art. L3323-7 « Une convention ou un accord de branche étendu peut prévoir la mise en
application d'un régime de participation dans les entreprises agricoles employant des salariés
mentionnés aux 1° à 3°, 6° et 7° de l'article L. 722-20 du code rural selon des modalités dérogeant aux
dispositions de l'article L. 3324-1. Ces entreprises et leurs salariés bénéficient alors, dans les mêmes
conditions, du régime social et fiscal prévu au chapitre V ».
636
V. Circ. min. n° DSS/5B/DGT/RT3/2007/199, 15 mai 2007 ; V. aussi : Droit de la participation.
Les apports de la loi du 30 décembre 2006, Cahiers de droit de l'entreprise n° 1, Janvier 2007,
entretien 1
637
De type Plan d’Épargne Entreprise, Plan d'Épargne Interentreprises ou Plan d'Épargne Retraite
Collectif
242
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
prévoir que la réserve spéciale de participation sera répartie sur un compte courant bloqué à
condition de compléter la constitution d’un fonds d’investissement ou d’épargne salariale638.
B – Les effets de la participation sur le rapport de subordination
708.
L’association des salariés aux bénéfices de leur entreprise par l’intermédiaire de la
participation a pour effet de rattacher la motivation des salariés à celle de l’employeur. Elle
développe l’esprit d’entreprise chez les salariés et un sentiment d’appartenance à l’entreprise
plus prononcé ce qui favorise sa motivation. « Ce sentiment peut résulter de deux facteurs :
l’accroissement de la motivation des salariés née de la distribution d’une partie des bénéfices
réalisés par l’entreprise ; le facteur d’intégration est alors l’animus. La participation des
salariés à l’élaboration et à la gestion des systèmes de participation : il s’agit alors de
l’intégration à l’entreprise par la technique juridique »639.
709.
Ce phénomène induit par la participation a donc une conséquence certaine sur le
recours au lien de subordination juridique comme critère du contrat de travail puisqu’il
entraîne une restructuration des rapports de travail. Ces rapports passent d’une logique
traditionnelle verticale à une logique plus moderne et plutôt horizontale. « La conscience
d’appartenir à une collectivité qui travaille dans un but commun est un facteur supplémentaire
d’affermissement du rapport participation au détriment du rapport de subordination »640.
710.
Dans un tel contexte d’expansion croissante de la participation salariale, la notion de
subordination juridique paraît subir les effets du temps mais aussi ceux de l’évolution du droit
et de la pratique. D’autant plus que les systèmes de participation salariale ne sont pas les seuls
facteurs de cette désuétude. Non pas parce que la notion de lien de subordination juridique
n’est plus utilisée, bien au contraire – c’est d’ailleurs le nœud de la polémique - mais parce
qu’elle ne semble plus être en phase avec la société contemporaine et notamment avec les
nouvelles organisations du travail. Il faut donc également aborder l’intéressement des salariés
aux bénéfices de l’entreprise.
638
V. G. Bordier, Participation aux résultats, Jurisclasseur Travail Traité, Fasc. 27-20
G. Bredon, L'évolution de la notion de subordination comme critère du contrat de travail, Thèse
Paris II, 1998, p.237
640
Ibid.
639
243
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
Paragraphe 2 - L’intéressement des salariés aux bénéfices
711.
C’est l’ordonnance n° 59-126 du 7 janvier 1959 qui a instauré l'intéressement des
salariés en France641. Mais le dispositif actuel résulte principalement des articles L. 3311-1 à
L.3315-5 du Code du travail tels qu’ils ont été modifiés par la loi n° 2008-1258 du 3
décembre 2008 en faveur des revenus du travail642 ainsi que le décret n° 2009-351 du 30 mars
2009. Pour pouvoir comprendre les effets de ce système sur les rapports de travail et donc le
lien de subordination juridique, il sera nécessaire de présenter le principe de l’intéressement
(A) ainsi que les effets de l’intéressement sur le rapport de subordination (B).
A – Le principe de l’intéressement
712.
L'intéressement des salariés aux bénéfices de l’entreprise se distingue de la
participation en ce qu’il repose toujours sur les bases du volontariat. Il prend donc la forme
d’un accord d’intéressement et peut être négocié dans toutes les entreprises ou groupes
d’entreprises sans distinction. Les accords d’intéressement reposant sur le principe de la
liberté contractuelle, les modalités de calcul obéissent donc aux principes négociés avec
toutefois quelques principes directeurs à observer.
713.
En effet, pour pouvoir ouvrir droit aux exonérations prévues aux articles L. 3315-1 à
L. 3315-3, l'intéressement des salariés doit présenter un caractère aléatoire et résulter d'une
formule de calcul prédéfinie. Soit « aux résultats ou aux performances de l'entreprise […] soit
aux résultats de l'une ou plusieurs de ses filiales »643͘ Le mode de calcul de l'intéressement
doit donc nécessairement comporter un aléa pour bénéficier d’avantages sur les cotisations
sociales.
714.
À défaut, la validité de l’accord d’intéressement n’est pas remise en cause mais les
sommes versées aux salariés seront soumises cotisations sociales en tant qu’éléments de
641
V. A. Derue et D. Jourdan, Épargne salariale, intéressement, participation, actionnariat, rev. liaisons
sociales, 2007
642
V. aussi : L. n° 2001-152, 19 févr. 2001 ; L. n° 2004-391, 4 mai 2004 ; L. n° 2005-842, 26 juill.
2005 ; L. n° 2006-1770, 30 déc. 2006
643
C. trav., art. L. 3314-2
244
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
salaire644. L’ensemble des salariés a normalement le droit d’être associé à la répartition de
l’intéressement bien que l’accord puisse prévoir une condition d’ancienneté minimale, sans
que celle-ci puisse être supérieure à trois mois645. Pour cette raison, en outre, les sommes
versées au titre d’un accord d'intéressement ne doivent pas se substituer à quelque élément de
salaire tel que défini par le Code de la Sécurité Sociale. À défaut, toutes les sommes versées
seront réintégrées dans l’assiette de calcul des cotisations sociales. Il s’agit d’un principe de
non-substitution qui n’est plus applicable lorsqu'il s'est écoulé douze mois entre le dernier
versement d’un élément de salaire supprimé et la prise d'effet de l'accord d'intéressement646.
B – Les effets de l’intéressement sur le rapport de subordination
715.
L’association des salariés aux bénéfices de l’entreprise par un accord d’intéressement
– ou de participation – aux bénéfices démontre que les enjeux économiques et sociaux ne
sont ni incompatibles ni opposés. Car l’investissement social et financier que constituent les
accords d’intéressement produisent un effet stimulant sur la productivité et sur la qualité des
prestations de travail. Ces éléments se répercutent normalement sur l’activité de l’entreprise
qui devient plus compétitive et obtient de meilleurs résultats.
716.
Un cercle vertueux se met ainsi en place, dont la clef est l’association des salariés aux
fruits de leur travail. Cette évolution des rapports de travail est « le témoin du passage du
modèle de l’entreprise reposant sur la subordination des salariés à un modèle fondé sur la
notion de participation. [elle] reflète la prise en compte du capital humain dans l’entreprise.
Plus qu’une organisation matérielle et conjoncturelle de l’entreprise, la participation est la
traduction d’une réflexion philosophique sur l’importance du facteur humain »647.
644
C. trav., art. L. 3315-5 : « Lorsqu'un accord, valide au sens de l'article L. 2232-2, a été conclu ou
déposé hors délai, il produit ses effets entre les parties mais n'ouvre droit aux exonérations que pour
les périodes de calcul ouvertes postérieurement au dépôt ».
645
C. trav., art. L. 3314-5 et s.
646
V. circ. 14 sept. 2005, Dossier intéressement, Fiche 2
647
G. Bredon, L'évolution de la notion de subordination comme critère du contrat de travail, Thèse
Paris II, 1998, p.238
245
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
CHAPITRE 2
LES ALTERNATIVES POUR L’AVENIR
717.
Le recours au lien de subordination juridique pour caractériser l’existence d’un contrat
de travail a démontré ses limites. Il y a de plus en plus de situations que le recours à cette
seule notion ne permet pas d’encadrer de manière satisfaisante. Ainsi que le souligne très
justement la Commission des Communautés Européennes : « l'apparition de formes de travail
atypiques variées a estompé les frontières entre le droit du travail et le droit commercial. La
distinction binaire traditionnelle entre « salarié » et « travailleur indépendant » n'est plus le
reflet fidèle de la réalité économique et sociale du travail. Des différends peuvent survenir à
propos de la nature juridique d'une relation de travail lorsque celle-ci est déguisée ou lorsque
de véritables difficultés se posent pour faire coïncider de nouvelles modalités de travail
dynamiques avec la relation de travail traditionnelle » 648.
718.
Il est donc important d’avoir conscience des limites actuelles du recours au lien de
subordination juridique et notamment des principales impasses auxquelles il mène sans
pouvoir apporter de solution réellement satisfaisante. Ces impasses de la subordination
(SECTION I) seront donc explorées car elles appellent à la modernisation du droit du travail
(SECTION II). Sur ce dernier point il faudra mettre en évidence le besoin de penser
autrement la régulation des relations professionnelles dans leur ensemble. Car la dichotomie
qu’il existe entre les travailleurs salariés et les autres travailleurs est aussi un facteur de
précarité et de déséquilibre.
719.
Enfin il faudra remettre en question le choix de ne recourir qu’à un seul critère
distinctif du contrat de travail - le lien de subordination - puisque son incompatibilité
apparente avec la notion de dépendance économique n’a rien de fondé. Les deux notions
pourraient donc être envisagées comme complémentaires ce qui ouvrirait plus de perspectives
que leur traditionnelle mise en concurrence.
648
Livre vert de la Commission des Communautés Européennes, « Moderniser le droit du travail pour
relever les défis du XXIème siècle » du 22 novembre 2006 COM (2006) 708 final
246
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
SECTION I – LES IMPASSES DE LA SUBORDINATION
720.
La Cour de cassation a toujours affirmé la prédominance du lien de subordination
juridique pour qualifier le contrat de travail. Mais cette notion à été consacrée il y a plus de
quatre-vingt ans dans un contexte de forte industrialisation. Avec le développement de la
crise, le démantèlement des grandes usines, l’essor des services à la personne, du travail à
domicile et plus globalement du secteur tertiaire, de plus en plus de travailleurs se sont
retrouvés dans une zone vide, une impasse, dans la distinction binaire salarié/indépendant.
721.
C’est la zone grise du droit du travail dans laquelle se trouve les travailleurs qui ne
peuvent pas rapporter la preuve d’un lien de subordination juridique, notamment à cause
d’une trop grande autonomie, et qui sont dépendants d’un donneur d’ordre faute d’avoir une
clientèle assez développée pour amortir économiquement une éventuelle rupture des relations
commerciales. Pour protéger certains de ces travailleurs vulnérables, qui ne pouvaient pas ou
difficilement rapporter la preuve d’un lien de subordination, le législateur a introduit un
système de présomptions légales et d’assimilations. Il s’agit de la partie VII du nouveau Code
du travail et de son pendant, l’article L.311-3 du Code de la Sécurité Sociale.
722.
Mais ce système de correction au coup par coup laisse sans protection les professions
ou les travailleurs qui ne reçoivent pas les faveurs du législateur ce qui aboutit finalement à la
double injustice déjà évoquée. Ainsi, « au vu de ce constat, on peut soutenir que la tendance
expansive du salariat – qu’elle soit d’essence légale ou d’origine jurisprudentielle […] a un
double effet pervers, celui de surprotéger ceux des travailleurs en état de subordination
juridique, mais pouvant négocier leur contrat individuel dans l’équilibre des pouvoirs, et celui
de laisser sans protection, au nom de l’absence de subordination juridique, les travailleurs en
état de seule dépendance économique »649. Il devient donc important pour cette catégorie de
travailleurs vulnérables, de pointer les incertitudes juridiques que génère le développement de
la zone grise (paragraphe 1) et de mettre en évidence les conséquences du vide juridique qui
entoure le travail économiquement dépendant (paragraphe 2). Ce sont là les deux grandes
impasses crées par la subordination juridique à laquelle il serait souhaitable de remédier
efficacement et surtout universellement.
649
J. Barthélémy, Parasubordination, Les Cahiers du DRH n° 143, mai 2008
247
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
Paragraphe 1 – Le développement de la zone grise en droit du travail
723.
Le développement de la zone grise en droit du travail (A) laisse un nombre croissant
de travailleurs économiquement dépendant en état de grande vulnérabilité. Ce phénomène
traduit les insuffisances de la distinction binaire actuelle entre le salariat et le travail
indépendant (B).
A – Le développement de la zone grise en droit du travail
724.
Le terme de zone grise en droit du travail est utilisé pour désigner les formes de
travail, généralement nouvelles, dans lesquelles se trouvent des travailleurs ni véritablement
subordonnés juridiquement ni indépendant économiquement. Pour reprendre la formule
consacrée, ils sont économiquement dépendants. Généralement ils sont liés à un seul donneur
d’ordre ce qui leur donne des caractéristiques très proches de celles d’un salarié. Mais ils ne
peuvent pas se prémunir de l’existence d’un contrat de travail et de la protection qui en
découle faute d’accomplir leur prestation de travail dans un lien de subordination juridique
traditionnel. Ils sont jugés trop autonomes. Ainsi « ils peuvent ne pas tomber sous le coup de
la législation du travail, parce qu'ils occupent une « zone grise » entre le droit du travail et le
droit commercial. Quoique formellement « indépendants », ils restent économiquement
dépendants d'un seul commettant ou client/employeur pour la provenance de leurs
revenus »650.
725.
Cette zone grise est donc celle qui se trouve au croisement de la distinction dualiste
entre le travail salarié et le travail indépendant : « le législateur reste dans la logique du droit
du travail inspirée de la civilisation de l'usine qui oppose de manière manichéenne deux
statuts, ne laissant pas de place à d'autres formules ». Il est en effet constant que « l'opposition
binaire entre salarié et indépendant structure fortement le droit du travail. À tel point que
l'indépendant n'est qu'une figure négative, construite par opposition à celle du salarié »651. Or
cette zone ne devrait théoriquement pas exister si le système n’était pas lacunaire. La logique
650
Livre vert de la Commission des Communautés Européennes, « Moderniser le droit du travail pour
relever les défis du XXIème siècle » du 22 novembre 2006 COM (2006) 708 final
651
G. Lyon-Caen, Le droit du travail non-salarié, Sirey, 1990, p.2 ; V. aussi : E. Peskine, Entre
subordination et indépendance : en quête d'une troisième voie, Rev. dr. trav. 2008, p. 371
248
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
binaire qu’il propose ne devrait pas laisser de place à l’existence de situations alternatives. De
sorte qu’en reprenant la l’idée que l’indépendant est la figure négative du salarié, tout
travailleur qui n’est pas salarié ne devrait être rien d’autre qu’un travailleur réellement
indépendant, ce qui n’est pas le cas.
726.
Par conséquent, la réalité du monde du travail génère de plus en plus de personnes qui
n’appartiennent ni véritablement à l’une ni véritablement à l’autre de ces deux seules
catégories envisagées pour un travailleur. Il s’agit des travailleurs économiquement
dépendants. Et effectivement « on se croirait revenu dans les premières années du siècle
dernier »652 car cette situation ravive les débats opposant la subordination juridique à la
dépendance économique. Le débat est d’autant plus difficile à résoudre que l’autonomie dans
le travail salarié peut aujourd’hui atteindre un niveau significatif.
727.
Il est toutefois difficile de démontrer scientifiquement l’explosion du phénomène car
les chiffres ne peuvent relater avec certitude que le recensement des statuts juridiques
reconnus par droit. Officiellement ils n’existent donc pas. Les travailleurs économiquement
dépendants qui sont dans la zone grise n’apparaissent pas dans les statistiques, ils rejoignent
officiellement le rang des travailleurs indépendants : « inutile pour se convaincre de
l’importance du débat de rechercher des statistiques, car faute d’être, pour l’heure, une
catégorie juridique, la dépendance économique n’est pas une catégorie statistique. Pourtant,
les clignotants sont allumés : le rapport de force du travailleur vis-à-vis du donneur d’ordre
s’est dégradé depuis les années 70 du vingtième siècle et de nombreux témoignages fournis
aux auteurs ne peuvent laisser indifférents : là un boulanger indépendant installé au sein d’une
grande surface qui perd brutalement le contrat de location et ne peut poursuivre son activité ;
là des professionnels de l’alimentaire qui, dans le cadre de réseau de distribution, travaillent
plus de 70 heures par semaine pour des revenus nettement inférieurs au SMIC »653.
728.
L e phénomène est pourtant connu et n’est pas contesté, ni par les autorités françaises,
ni par l’Union européenne, ni même par l’Organisation internationale du travail. C’est en tout
cas ce que démontrent les nombreux rapports officiels. Il est ici fait référence au rapport de
652
P.-H. Antonmattéi, J.-C.Sciberras, Le travailleur économiquement dépendant : quelle protection ?,
Rapport à M. le Ministre du Travail, des Relations sociales, de la Famille et de la Solidarité, nov.
2008, n°1
653
P.-H. Antonmattéi, J.-C.Sciberras, Op. cit., n°4
249
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
P.-H. Antonmattéi et J.-C.Sciberras remis en 2008 à Xavier Bertrand, alors ministre du
Travail654. Au Livre vert de la Commission des Communautés Européennes « Moderniser le
droit du travail pour relever les défis du XXIème siècle » du 22 novembre 2006655 et aux
importants travaux de l’Organisation Internationale du Travail656.
729.
De nombreux États membres ont même déjà adapté leur droit pour prendre en compte
la vulnérabilité des travailleurs indépendants économiquement dépendants. « Ainsi, l'Italie et
l'Allemagne ont identifié le concept de travailleurs « similaires aux travailleurs salariés »
correspondant à la notion de « parasubordination » en droit civil. En Allemagne, […] la
situation des travailleurs économiquement dépendants du point de vue de la sécurité sociale,
ont été largement revues en 2002 […]. L'Espagne envisage, quant à elle, l'adoption d'un texte
de loi relatif aux droits et aux prestations dont bénéficient les travailleurs indépendants, y
compris les travailleurs économiquement dépendants […]»657.
730.
La France, poussée par la doctrine et les réformes des pays voisins, est en train de
prendre conscience qu’il est temps d’innover ou au moins de rénover son système
traditionnel. Le développement de la zone grise en droit du travail étant en plein essor, le
654
P.-H. Antonmattéi, J.-C.Sciberras, Le travailleur économiquement dépendant : quelle protection ?,
Rapport à M. le Ministre du Travail, des Relations sociales, de la Famille et de la Solidarité, nov. 2008
655
Livre vert de la Commission des Communautés Européennes, « Moderniser le droit du travail pour
relever les défis du XXIème siècle » du 22 novembre 2006 COM (2006) 708 final
656
V. Notamment : F. Larré, V. Wauquier, La protection des travailleurs, Etude sur la situation en
France, Organisation Internationale du Travail, R198 Recommandation sur la relation de travail,
Genève, 2006 ; Rapport réalisé à la demande du Bureau International du Travail, Décembre 1999 ;
Bureau International du Travail, Commission de l'emploi et de la politique sociale, première question à
l’ordre du jour, Emploi et protection sociale dans le secteur informel, GB.277/ESP/1/2, 277e session,
Conseil d’administration Genève, mars 2000 ; Réunion d'experts sur les travailleurs se trouvant dans
des situations où ils ont besoin de protection, Le champ de la relation d'emploi, Document technique
de base, Genève, 15-19 mai 2000 ; Conférence internationale du Travail, Cinquième question à l’ordre
du jour: Le champ d’application de la relation de travail, Compte rendu provisoire 21, Quatre-vingtonzième session, Genève, 2003 ; Bureau international du Travail Genève, Conférence internationale
du Travail, Cinquième question à l’ordre du jour, Le champ de la relation de travail, 91e session 2003,
Rapport V ; Bureau International du Travail, Commission de la relation de travail, Rapport du
directeur général, changements dans le monde du travail, conférence internationale du travail 95e
session, 2006 Rapport I (C), Genève ; Bureau International du Travail, Service du dialogue social, de
la législation du travail et de l’administration du travail, La relation de travail: Guide annoté sur la
recommandation no 198, Genève, Mars 2008
657
Livre vert de la Commission des Communautés Européennes, « Moderniser le droit du travail pour
relever les défis du XXIème siècle » du 22 novembre 2006 COM (2006) 708 final, p. 13
250
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
besoin devient pressant de parvenir à trouver des pistes de réflexion adaptées aux spécificités
du modèle français, notamment en droit de la sécurité sociale.
731.
Le modèle actuel présente en effet des signes évidents d’insuffisance. L’obstacle le
plus sérieux tenant peut-être à ce qu’une protection plus grande des travailleurs
économiquement dépendants – jusque-là considérés comme des indépendants – engendrerait
un alourdissement des dépenses de la sécurité sociale alors que la réforme des régimes de
retraite est prioritaire et pose déjà son lot de complexité. Comme le soulignait déjà – non sans
une ironie certaine - Paul Cuche, au moment des premières décisions consacrant le lien de
subordination juridique en 1932, « j’hésite à y voir, comme certains, une jurisprudence
tendancieuse, inspirée par le parti pris de rétrécir le champ d’application des assurances
sociales et d’en alléger le fardeau pour les employeurs. Mais j’imagine que parmi les juristes
de l’entourage du ministre du Travail il en est qui n’éprouvent pas cette hésitation et qui ne
considèrent
pas
comme
la
moins
plausible
cette
explication
de
la
solution
jurisprudentielle »658.
B – Les signes d’une insuffisance des dispositifs actuels
732.
L’opposition qui subsiste entre subordination juridique et dépendance économique
constitue-t-elle réellement une « vaine querelle »659 ? Certes, la Cour de cassation a depuis
longtemps posé comme principe que « la condition juridique d’un travailleur à l’égard de la
personne pour laquelle il travaille ne saurait être déterminée par la faiblesse ou la dépendance
économique dudit travailleur et ne peut résulter que du contrat entre les parties ; que la qualité
de salarié implique nécessairement l’existence d’un lien juridique de subordination du
travailleur à la personne qui l’emploie »660. Pourtant si elle concurrence avec autant de force
et de persistance le lien de subordination juridique c’est bien qu’elle paraît pouvoir révéler
658
P. Cuche, La définition du salarié et le critérium de la dépendance économique, D. H. 1932,
chronique, p. 101-104 ; V. aussi : P. Cuche, Du rapport de dépendance, élément constitutif du contrat
de travail, Revue critique de législation et de jurisprudence, 1913, p. 413-427
659
J.-P. Le Crom, Retour sur une vaine querelle : le débat subordination juridique-dépendance
économique dans la première moitié du XXe siècle, in J. P. Chauchard et A.C. Hardy-Dubernet (dir.),
Les métamorphoses de la subordination, Paris, Ministère de l'Emploi, du Travail et des Affaires
sociales, Éd. La Documentation française, 2003, p. 71-84.
660
Cass. civ. 6 juill. 1931, DP 1931, 1, 131, note P. PIC ; V. aussi Cass.civ.22 juin 1932 (3arrêts), 30
juin 1932 et 1er août 1932 (5 arrêts), D.P. 1933.1.45, note PIC
251
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
l’essence du contrat de travail. La dépendance économique autant que la subordination
juridique génère une inégalité dans les rapports de force au sein du contrat de travail. L’un
comme l’autre légitiment donc la mise en place d’un système de protection pour rééquilibrer
la situation.
733.
Et c’est précisément là que le système actuel présente une incohérence car le choix du
recours au lien de subordination juridique n’est pas pleinement assumé. Plusieurs dispositifs
mis en place par le législateur sont le signe voire l’aveu de l’insuffisance du choix de la
subordination juridique comme critère du contrat de travail. Les dispositifs auxquels il est ici
fait allusion désignent toutes les mesures – souvent politiques - ayant pour but d’estomper la
vulnérabilité des travailleurs indépendants économiquement dépendants.
734.
Ce procédé fonctionne par retouches successives et présente comme inconvénient
majeur d’être subjectif, inégalitaire et injuste. Car chaque mesure qui favorise une catégorie
de travailleurs économiquement dépendants implique que dans l’ombre subsistent d’autres
travailleurs économiquement dépendants laissés pour compte.
735.
Au-delà de la double inégalité dont souffrent les oubliés de la dépendance économique
– au titre du recours au lien de subordination juridique et au titre de l’absence de mesure
rectificative les concernant – ce procédé souffre d’une plus grande critique. Car le fait de
légiférer ainsi par des correctifs disparates donne au livre sept du Code du travail, tout aussi
disparate, un aspect « fourre-tout », à ce point qu’il est souvent présenté comme tel aux jeunes
étudiants en droit.
736.
La récente recodification du Code du travail ayant eu pour but de simplifier le droit du
travail, cela aurait été une bonne occasion de soulever à quel point cette méthode du « livre
sept » nuit à l’intelligibilité de la loi et surtout à l’identification du contrat de travail. « Au
siècle dernier, il [le législateur] a offert un statut sur mesure aux travailleurs à domicile
calmant ainsi l’ardeur de ceux qui souhaitaient la victoire de la dépendance économique sur la
subordination juridique. La liste s’est allongée au fil des ans au sein du célèbre livre VII du
code du travail devenu septième partie du code nouveau (« Dispositions particulières à
certaines professions et activités »). Il faut en effet admettre que « sans intervention légale, le
travailleur à domicile aurait été un sous-traitant indépendant, le voyageur, représentant ou
252
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
placier (VRP) un mandataire, le journaliste un auteur, l’artiste du spectacle un prestataire
indépendant. Mais la loi a tenu compte de leur dépendance économique, à défaut de
subordination juridique véritable ou suffisamment caractérisée »661.
737.
Le débat opposant le choix de la subordination juridique et le choix de la dépendance
économique reste d’autant plus fort que les deux critères ne sont pas nécessairement exclusifs
l’un de l’autre sur le plan théorique. En effet, A. Rouast a très tôt mis en exergue que les deux
critères pouvaient se superposer. Ce dernier considérait en effet que « le salarié au point de
vue social n’est pas seulement celui qui a loué ses services, mais celui qui dépend
économiquement d’un maître pour lequel il travaille, même en dehors de toute
subordination »662.
738.
Cette idée est toujours présente en 2008 puisque le Bureau International du Travail
attire l’attention sur le fait qu’entre subordination et dépendance « Les situations varient d’un
pays à l’autre. Dans certains pays ces deux termes ont la même portée. Dans d’autres ils sont
différenciés: la subordination se caractérise alors par un élément de contrôle, tandis que la
dépendance renvoie au critère de dépendance économique, qu’il y ait ou non contrôle sur les
modalités dont s’effectue le travail. Il faut reconnaître que le critère de subordination s’est
révélé être insuffisant pour déterminer l’existence d’un véritable contrat de travail »663.
739.
Il existe donc un domaine dans lequel subordination juridique et dépendance
économique ne sont pas des critères concurrents mais complémentaires. Chacun d’eux peut
ainsi suppléer aux carences de l’autre et il serait intéressant de superposer la zone grise du
droit du travail et le domaine de complémentarité des deux critères. L’hypothèse selon
laquelle cette zone grise pourrait prendre les traits d’un « parti pris de rétrécir le champ
661
P.-H. Antonmattéi, J.-C.Sciberras, Le travailleur économiquement dépendant : quelle protection ?,
Rapport à M. le Ministre du Travail, des Relations sociales, de la Famille et de la Solidarité, nov.
2008, p.2 ; V. aussi : Pelissier, A. Supiot et A. Jeammaud, Droit du travail, 23ème éd., Dalloz, 2006, n°
260
662
A. Rouast, la notion de contrat de travail et la loi sur les Assurances sociales, La semaine juridique,
1929.1.329
663
International du Travail, Service du dialogue social, de la législation du travail et de
l’administration du travail, La relation de travail: Guide annoté sur la recommandation no 198,
Genève, Mars 2008,p.30 ; V. aussi Supiot, A.: Critique du droit du travail, Presses Universitaires de
France, 1994, p. 165
253
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
d’application des assurances sociales et d’en alléger le fardeau pour les employeurs »664 ne
peut alors pas être totalement exclue. C’est dans cette optique qu’il est possible de résoudre
l’interrogation liminaire en émettant l’idée que le débat opposant subordination juridique et
dépendance économique est en effet une « vaine querelle »665. Celle-ci résultant alors d’une
contrariété artificielle permettant « d’alléger le fardeau »666.
740.
En tout état de cause, « ces nombreuses interventions législatives alimentées par
quelques renforts jurisprudentiels restent ponctuelles et interviennent en définitive au gré des
revendications et des rapports de force. Il n’est donc pas étonnant que le débat sur
l’appréhension juridique de la dépendance économique ne soit pas éteint. Il est vrai que plus
les situations de dépendance économique se multiplient, et plus la technique de la législation
particulière perd en crédibilité et en efficacité : il faut sortir du corporatisme pour désormais
embrasser la situation dans son ensemble »667.
Paragraphe 2 – Le vide juridique du travail économiquement dépendant
741.
Ainsi qu’il a été indiqué, les travailleurs indépendants économiquement dépendants
sont « privés deux fois de protection n’étant pas salariés, ils ne peuvent prétendre à la
protection juridique qu’offre le code du travail ; n’étant pas réellement indépendants, ils ne
bénéficient pas de la protection économique que donne la multiplicité des donneurs d’ordre, la
rupture de commande d’un seul étant d’effet limité »668. Ce vide juridique laisse de plus en
plus de personnes en état de vulnérabilité et de dépendance vis-à-vis de leur unique donneur
d’ordre.
664
P. Cuche, La définition du salarié et le critérium de la dépendance économique, D. H. 1932,
chronique, pp. 101-104
665
J.-P. Le Crom, Retour sur une vaine querelle : le débat subordination juridique-dépendance
économique dans la première moitié du XXe siècle, in J. P. Chauchard et A.C. Hardy-Dubernet (dir.),
Les métamorphoses de la subordination, Paris, Ministère de l'Emploi, du Travail et des Affaires
sociales, Éd. La Documentation française, 2003, p. 71-84.
666
Ibid.
667
P.-H. Antonmattéi, J.-C.Sciberras, Le travailleur économiquement dépendant : quelle protection ?,
Rapport à M. le Ministre du Travail, des Relations sociales, de la Famille et de la Solidarité, nov.
2008, p.2
668
P.-H. Antonmattéi, J.-C.Sciberras, Op. cit., p.3
254
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
742.
C’est là la deuxième impasse laissée par le recours au lien de subordination juridique
et qu’il est inapte à résoudre. Du moins tant que cette notion sera seule à ouvrir droit à
protection pour les travailleurs de droit commun qui ne relève pas des dispositions spécifiques
de la partie VII du Code du travail ou de l’article L.311-3 du code de la sécurité sociale.
743.
Il est donc important d’avoir conscience des limites actuelles du recours au lien de
subordination. Certes « la construction d’un statut protecteur suscite naturellement des
discussions voire des crispations d’autant que l’octroi de certaines prérogatives dépend d’une
appréciation subjective du concept de protection ». Mais au regard des travaux doctrinaux
déjà réalisés dans ce domaine il sera possible de proposer, ainsi qu’il est d’usage en la
matière, une distinction pratique. Seront ainsi présentées les règles visant la protection sociale
des travailleurs indépendants (A) et celles visant leur activité professionnelle (B)669.
A – La protection sociale des travailleurs dépendants
744.
La question de la protection sociale des travailleurs économiquement dépendants est
un enjeu déterminant de la discussion sur le recours au lien de subordination juridique et les
frontières du salariat. Il faut rappeler que « dans le passé, l’attrait du régime des salariés a été
le moteur de l’extension du salariat via le critère de la dépendance économique »670. L’article
L.311-3 du Code de la Sécurité Sociale, tel que modifié par la loi n° 2009-1673 du 30
décembre 2009 de finances pour 2010, prévoit ainsi plusieurs cas d’extensions et
d’assimilations légales au régime général. Il énumère une « liste d’activités ou de professions
qui, bénéficiant de la protection sociale des travailleurs dépendants, sont donc obligatoirement
affiliés au régime général »671.
669
V. A. Perulli, Le travail économiquement dépendant ou parasubordonné, Audition publique coorganisée par la commission de l'emploi et des affaires sociales et la Commission européenne, DG
Emploi et Affaires sociales, Parlement européen, salle PHS 3C50, Bruxelles Jeudi 19 juin 2003
670
P.-H. Antonmattéi, J.-C.Sciberras, Le travailleur économiquement dépendant : quelle protection ?,
Rapport à M. le Ministre du Travail, des Relations sociales, de la Famille et de la Solidarité, nov.
2008, p.15 ; V. aussi : J.-J. Dupeyroux, M. Borgetto et R. Lafore, Droit de la sécurité sociale, 16ème
éd., Dalloz, 2008, n° 568 et s.
671
J.-J. Dupeyroux, M. Borgetto et R. Lafore, Droit de la sécurité sociale, 16ème éd., Dalloz, 2008, n°
589
255
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
745.
La liste de l’article L. 311-3 du code de la sécurité sociale a été utilisée par le
législateur pour prendre en compte la vulnérabilité de certaines catégories de travailleurs
dépendants. Elle a donc vocation à être modifiée au gré des tensions sociales et notamment, à
s’allonger672. Ce constat amène deux remarques.
746.
Tout d’abord, elle témoigne d’une prise en compte – même si elle n’est pas absolue –
de la dépendance économique. Cette disposition du droit de la sécurité sociale se rapproche en
cela du livre sept du Code du travail. Car même si « ce qui importe, c'est l'existence d'un lien
de subordination. […] l'affiliation au régime général au titre de l'article L. 311-3 du Code de
la sécurité sociale ne nécessite pas l'existence d'un lien de subordination juridique, c'est-à-dire
l'existence d'un contrat de travail »673. Pour tous les cas qu’elle vise, cette liste permet donc de
faire bénéficier du régime général - normalement réservé aux travailleurs juridiquement
subordonnés – à des travailleurs « dont la dépendance économique prime sur la subordination
juridique »674
747.
Enfin, l’existence d’une telle liste peut paraître illogique. L'article L. 311-2 du Code de
la sécurité sociale dispose en effet que « sont affiliées obligatoirement aux assurances sociales
du régime général, quel que soit leur âge et même si elles sont titulaires d'une pension, toutes
les personnes quelle que soit leur nationalité, de l'un ou de l'autre sexe, salariées ou travaillant
à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs et quels que
soient le montant et la nature de leur rémunération, la forme, la nature ou la validité de leur
contrat »675. La dénomination donnée par les parties à leurs rapports ne suffit donc pas à
déterminer l’affiliation au régime général676.
748.
Mais surtout il faut remarquer que l’exigence jurisprudentielle d’un lien de
subordination juridique n’est pas mentionnée et ne se justifie pas à la seule lecture de l’article
672
V. J.-J. Dupeyroux, M. Borgetto et R. Lafore, Op. cit., n° 590
G. Vachet, Régime d'affiliation d'un pharmacien exerçant les fonctions de directeur général d'une
société, La Semaine Juridique Social n° 40, 2 Oct. 2007, 1749
674
P.-H. Antonmattéi, J.-C.Sciberras, Le travailleur économiquement dépendant : quelle protection ?,
Rapport à M. le Ministre du Travail, des Relations sociales, de la Famille et de la Solidarité, nov.
2008, p.15
675
C.S.S., art. L. 311-2
676
Cass. soc., 2 avr. 1992, n° 90-11.691, RJS 1992, n° 677 ; Cass. soc., 16 juin 1994, RJS 1994,
n° 898 ; Cass. soc., 23 avr. 1997, RJS 1997, n° 645 ; dr. soc. 1997, p. 642, obs. J. Savatier ; Cass. Soc.,
25 avr. 2005, dr. soc. 2006, p. 94, note J. Savatier
673
256
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
L .311-2 du Code de la sécurité sociale. Celui-ci reprend en effet « pratiquement mot pour
mot les termes du décret-loi du 28 octobre 1935 qui s’était référé à une dépendance
économique »677. De plus il n’exige pas nécessairement un contrat de travail, il peut s’agir de
tout contrat puisque le texte énonce : « quels que soient le montant et la nature de leur
rémunération, la forme, la nature ou la validité de leur contrat ».
749.
Il ne devrait donc pas être utile d’ajouter une liste consacrée à la dépendance
économique puisque celle-ci pourrait tout à fait fonder l’affiliation au régime général au titre
de l’article précité. Comme ce fut le cas dans le passé et comme et même encore dans
quelques décisions. Ce n’est toutefois jamais explicite puisque le juge déduit alors l’existence
d’un lien de subordination juridique alors même que les indices sont ceux de la dépendance
économique. Le droit social a ainsi été réformé et modernisé au point qu’aujourd’hui le
régime des salariés et celui des indépendants – dont le Régime Social des Indépendants est
l’interlocuteur social unique depuis le 1er janvier 2008- se ressemblent de plus en plus.
750.
Ce phénomène est renforcé par les mécanismes de l'assurance volontaire et de la
couverture maladie universelle. Si bien que « le débat se concentre désormais sur les deux
risques qui ne sont pas couverts par le régime social des indépendants : le risque perte de
revenus et le risque accident du travail et maladie professionnelle »678. Cette technique du
maintien des travailleurs dans la catégorie des indépendants est donc préférable à celle d’une
extension mal contrôlée du salariat, laquelle se heurte à un problème majeur, celui de la
détermination des charges sociales dans les cas où il existerait plusieurs de donneurs d’ordres.
751.
L’activité des travailleurs indépendants, même économiquement dépendants, comporte
ainsi des problématiques qui leur sont propres679 et qui justifient le maintien d’un système de
protection sociale distinct de celui des salariés : « Si l’entrée des travailleurs économiquement
677
J.-J. Dupeyroux, M. Borgetto et R. Lafore, Droit de la sécurité sociale, 16ème éd., Dalloz, 2008,
n°570
678
P.-H. Antonmattéi, J.-C.Sciberras, Le travailleur économiquement dépendant : quelle protection ?,
Rapport à M. le Ministre du Travail, des Relations sociales, de la Famille et de la Solidarité, nov.
2008, p.15
679
V. A. Perulli, Le travail économiquement dépendant ou parasubordonné, Audition publique coorganisée par la commission de l'emploi et des affaires sociales et la Commission européenne, DG
Emploi et Affaires sociales, Parlement européen, salle PHS 3C50, Bruxelles Jeudi 19 juin 2003 ; V.
aussi : L. Nurit Pontier, Le statut social des dirigeants de sociétés, La Semaine Juridique Entreprise et
Affaires n° 5, 31 Janvier 2002, n°222
257
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
dépendants dans le régime général ne pose pas de problème de principe, en revanche, la
pluralité éventuelle de donneurs d’ordres complique le paiement des cotisations. Il est dès lors
plus pragmatique de les conserver dans le régime des indépendants tout en offrant des
garanties sur les risques perte de revenus et accidents du travail »680. En l’absence d’une
véritable modernisation du droit du travail, notamment de la « quête d’une troisième voie »681,
ce sont donc essentiellement ces thèmes qui doivent faire l’objet d’une réflexion.
B – La protection de l’activité professionnelle des travailleurs dépendants
752.
Le deuxième vide juridique auquel sont confrontés les travailleurs économiquement
dépendants concerne la protection du lien d’emploi. Ce lien d’emploi ne nécessite
normalement pas de protection particulière, hormis celles posée par le droit commercial et qui
sanctionne principalement les abus. La rupture d’une relation commerciale a en principe des
effets très limités lorsque le travailleur indépendant dispose d’une large clientèle.
753.
Mais dans le cas d’un travailleur économiquement dépendant, elle peut avoir des
conséquences économiques et sociales plus lourdes qu’un licenciement. Dans ce cas, la seule
protection du droit commercial paraît bien insuffisante, le principe restant celui de la liberté
du droit de rompre une relation commerciale afin de garantir le libre jeu de la concurrence.
Ainsi que le soulignent P.-H. Antonmattéi, J.-C.Sciberras, « le réflexe est naturel mais il est
fastidieux de dérouler l’ensemble de la réglementation sociale pour tantôt écarter, tantôt
retenir. Il ne s’agit pas d’ajouter une nouvelle catégorie à la septième partie du code du travail
en segmentant l’application des dispositions des autres livres mais de forger des règles
protectrices en adéquation avec la spécificité de la dépendance économique retenue. L’idéal
serait de pouvoir identifier la protection née de la subordination juridique pour ne retenir que
la protection seulement fondée sur la dépendance économique »682.
680
P.-H. Antonmattéi, J.-C.Sciberras, Le travailleur économiquement dépendant : quelle protection ?,
Rapport à M. le Ministre du Travail, des Relations sociales, de la Famille et de la Solidarité, nov.
2008, p.16
681
E. Peskine, Entre subordination et indépendance : en quête d'une troisième voie, Revue de droit du
travail 2008
682
P.-H. Antonmattéi, J.-C.Sciberras, Le travailleur économiquement dépendant : quelle protection ?,
Rapport à M. le Ministre du Travail, des Relations sociales, de la Famille et de la Solidarité, nov.
2008, p.16
258
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
754.
Il faut en tout état de cause réfléchir aux solutions possibles pour combler les vides
laissé par le recours au lien de subordination juridique. Il faut reconnaître, au sujet des droits
fondamentaux du travail «qu’un vent réducteur a jusqu’ici eu tendance à réserver au seul
travail salarié »683 qu’ils doivent aujourd’hui contribuer à l’élaboration d’un meilleur système
de protection qui puisse les garantir684. Certains droits peuvent être communs à tout travailleur
quelle que soit la forme juridique d’emploi : « la formation professionnelle, la rémunération,
la conclusion et la rupture du contrat, la santé et à la sécurité du travailleur, des périodes de
repos minimales »685. La mise en place de ce statut pourrait être opportunément assurée par
une négociation collective interprofessionnelle qui serait relayée par une intervention
législative laissant des marges de liberté à la négociation collective686. Ce qui amène
directement à aborder la modernisation du droit du travail et notamment la question de la
création d’un droit de l’activité professionnelle.
683
Ibid. ; V. aussi : V. notamment M.-A. Moreau, Normes sociales, droit du travail et mondialisation,
Confrontations et mutations, Dalloz, 2006, spéc. p. 231 et s.
684
V. Bureau international du travail, Droits fondamentaux au travail et normes internationales du
travail, Genève, 2004
685
P.-H. Antonmattéi, J.-C.Sciberras, Le travailleur économiquement dépendant : quelle protection ?,
Rapport à M. le Ministre du Travail, des Relations sociales, de la Famille et de la Solidarité,
Novembre 2008, p.22
686
Cf. Ibid.
259
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
SECTION II - LA MODERNISATION DU DROIT DU TRAVAIL
755.
Ce sont les impasses de la subordination qui appellent aujourd’hui à la modernisation
du droit du travail. Si le recours au lien de subordination juridique pose des problèmes qu’il
n’est - seul - pas apte à résoudre, cela n’implique pas nécessairement qu’il faille l’abandonner
totalement. Il sera en effet souligné que le recours au lien de subordination juridique n’est pas
incompatible avec d’autres notions, notamment celle de la dépendance économique. Et qu’en
lieu et place de débattre sur le choix de l’un ou de l’autre il serait peut être envisageable
d’analyser les avantages de leur combinaison. D’autant plus que dans certains pays ces deux
notions, tantôt se confondent, tantôt se complètent.
756.
Pour cette raison la recherche d’un critère alternatif à la subordination (paragraphe 1)
n’est peut-être pas la voie la plus prometteuse, ni la plus évidente puisque l’étude des
systèmes étrangers démontre qu’il n’existe pas de critère de distinction ou de qualification du
contrat de travail autre que la subordination et la dépendance.
757.
C’est pour cette raison qu’il faudra à l’avenir se concentrer avec intérêt sur
l’introduction d’une troisième voie (paragraphe 2). Cette troisième voie désigne la création
d’une catégorie intermédiaire entre le salarié et le travailleur indépendant. Elle permettrait
d’englober avec plus d’équité cette catégorie de travailleur d’un nouveau genre que sont les
indépendants économiquement dépendants. Toutefois cette solution n’est pas exempt de
critique car, comme le souligne J. Barthélémy, « reconnaître l’existence d’une catégorie
intermédiaire entre salarié et indépendant présente l’inconvénient de remplacer une frontière
floue... par deux qui le seront tout autant ! Cette remarque invite à rechercher ailleurs le
terrain d’expérimentation du concept de parasubordination »687.
758.
C’est pour cette raison qu’il faudra envisager une dernière alternative au recours au
lien de subordination juridique : la création d’un droit de l’activité professionnelle
(paragraphe 3). Cette perspective est peut-être la plus novatrice en ce qu’elle repense le droit
des relations de travail en le délivrant du carcan de la distinction traditionnelle entre salariés et
non salariés. Il serait ainsi envisageable de ne plus retenir qu’une seule catégorie : celle des
travailleurs.
687
J. Barthélémy, Parasubordination, Les Cahiers du DRH n°143, mai 2008
260
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
Paragraphe 1 – La recherche d’un critère alternatif à la subordination
759.
Le législateur tente aujourd’hui de faire preuve d’innovation pour flexibiliser le droit
du travail dans le sens où il cherche des issues légales pour offrir aux travailleurs un
compromis entre indépendance et subordination. Il est ainsi fait référence à la loi n° 2003721 du 1er août 2003 instituant le contrat d'appui au projet d'entreprise qui a introduit un
dispositif d'exonération de charges sociales pour les salariés désirant s’investir dans une
activité de travailleur indépendant. Il peut également être fait référence à la loi n° 2005-882
du 2 août 2005 instituant le statut de collaborateur libéral dans les professions libérales créant
ainsi « un statut intermédiaire se rapprochant par certains aspects de la parasubordination »688.
760.
Mais ces initiatives demeurent trop limitées et ciblées pour envisager la mutation
structurelle qui touche tous les secteurs. Il peut donc être enfin possible d’ouvrir la réflexion
sur la recherche non pas d’une véritable troisième voie en instituant un statut intermédiaire
entre le salarié et l’indépendant. Mais en recherchant un critère alternatif au lien de
subordination juridique qui permettrait également de prendre en compte la vulnérabilité des
travailleurs se situant dans la zone grise du droit du travail. Ce peut être en élargissant la
réflexion sur les notions de cause et d’objet dans le contrat de travail (A) ce qui permettra de
présenter l’initiative d’O. Soria689, ou en comparant le critère du lien de subordination
juridique aux éventuels autres critères retenus dans d’autres systèmes juridiques (B).
A - La notion d’objet et de cause dans le contrat de travail
761.
Dans une thèse de 2003, O. Soria part « à la recherche du critère du contrat de
travail »690. À cette occasion il envisage notamment la création d’un droit de l’activité
professionnelle mais de manière plus originale il invite à fonder un nouveau critère sur les
notions de cause et d’objet dans le contrat de travail. Cette dernière initiative, outre qu’elle
conforte l’idée que le lien de subordination juridique mène aujourd’hui à des impasses,
permet de souligner deux points importants.
688
Rép. min. Jacquat n° 110877, JOAN du 27 mars 2007 p. 3169 ; V. aussi : J. Barthélémy, Le
collaborateur libéral, La Semaine Juridique Social n° 7, 14 févr. 2006, 1131
689
O. Soria, A la recherche du critère du contrat de travail, Thèse de doctorat, Bordeaux IV, 2003
690
Ibid.
261
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
762.
Tout d’abord il faut sortir des automatismes du passé : il n’est en effet pas nécessaire
de conserver à tout prix un seul critère du contrat de travail, et donc d’en rechercher un autre
pour le remplacer. La rémunération et la prestation sont de plus les deux autres critères du
contrat de travail bien qu’ils ne soient pas distinctifs. Mais l’idée importante est
qu’actuellement le seul critère original admis par la loi et la jurisprudence est bel et bien le
lien de subordination juridique et qu’il pourrait très bien partager sa fonction avec un autre
critère.
763.
Par exemple la notion de dépendance économique ou de dépendance professionnelle.
Il peut encore être fait référence à la thèse de la « relation de travail » qui se fonde sur un
rapport juridique extra contractuel puisque ce dernier né du seul fait de l’appartenance à
l’entreprise691. La notion de « lien d’entreprise »692 peut aussi faire avancer une réflexion
nouvelle. La modernisation du droit du travail concernant la qualification du contrat de travail
ne passe donc pas nécessairement par la recherche d’un autre critère mais doit plutôt se situer
dans une nouvelle pensée juridique conçue pour de nouveaux travailleurs hors des usines.
764.
Le deuxième point important est que cette réflexion s’appuie sur l’analyse
contractuelle de l’objet et de la cause dans le contrat de travail. L’auteur en déduit la possible
détermination d’un critère fondé sur le profit : « L’étude de l’objet et de la cause va nous
permettre d’établir que le critère de l’existence et de la recherche d’un profit est la
conséquence logique d’une approche contractuelle du contrat de travail. Aussi ce nouveau
critère se trouve légitimé par la théorie générale des contrats »693.
765.
Pourtant la notion de profit est déjà utilisée par la jurisprudence puisqu’elle exige que
la prestation de travail soit accomplie au profit d’un tiers pour que l’existence d’un contrat de
travail puisse être retenue694. « la prestation de travail doit être accomplie par le travailleur
concerné pour le compte d’autrui, et non pas pour son propre compte. En effet, le salariat
691
P. Durand et A. Vitu, traité de droit du travail, TI, Dalloz, 1947, n°348
A. Brun, Le lien d’entreprise, JCP G, 1962, I, 1719
693
O. Soria, A la recherche du critère du contrat de travail, Thèse de doctorat, Bordeaux IV, 2003,
p.195
694
V. CJCE 3 juill. 1986, aff. C-66/85, Rec. CJCE, p. 2139 ; Cass. soc. 1er mars 1989, RJS 4/1989, n°
384 ; Cass. soc. 14 juin 1989 [3 arrêts], RJS 8-9/1989, no 719. V. dans le même sens, Cass.soc. 10 mai
1990, RJS 6/1990, n° 522 ; Cass. soc. 22 mars 1989, RJS 5/1989, n° 454; Cass. soc. 12 juill. 1989,
RJS 10/1989, n° 801 ; Cass. soc.27 sept. 1989, Bull. civ. V, n° 547, RJS 10/1989
692
262
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
implique, par définition, l’accomplissement de tâches qui profitent directement, non pas au
travailleur à qui incombe la charge de leur exécution (en tant que débiteur de cette obligation
de faire), mais à la personne qui les a commandées : le donneur d’ouvrage (créancier de cette
même obligation) »695. La Cour de cassation exclut donc la qualification de contrat de travail
lorsque la prestation de travail est accomplie pour le propre compte de celui qui
l’accomplit696. Cette solution, bien qu’originale, ne permettrait donc pas de faire face au
développement de la zone grise ni de protéger les travailleurs économiquement dépendants.
766.
Mais surtout, le fait de recourir au profit suite à la recherche du critère du contrat de
travail aboutirait à de réelles impasses car la notion de profit pour le compte d’autrui est
également caractéristique du contrat de mandat. Le lien de subordination juridique est en effet
le seul critère qui permet de distinguer les deux contrats, de sorte qu’en découvrant dans la
notion de profit le nouveau critère du contrat de travail on aboutirait à un pêle-mêle, et le
remède serait alors pire que le mal. « En effet, si la situation du salarié peut être comparée à
celle du mandataire dans la mesure où il exécute, comme ce dernier, un travail rémunéré pour
le compte d’autrui, elle ne saurait pour autant lui être assimilée, car le mandataire représente
les intérêts du mandant et agit pour le compte de celui-ci de manière indépendante, en
disposant d’une grande latitude quant au choix des moyens pour atteindre les objectifs qui lui
ont été fixés. Au contraire, le lien de subordination qui caractérise le contrat de travail exclut,
par hypothèse, toute indépendance dans l’exécution de la prestation de travail du salarié et,
notamment, en ce qui concerne le choix des moyens nécessaires à la réalisation de celleci »697.
695
Y. Aubrée, Contrat de travail, Existence – Formation, Rép. trav. Dalloz avril 2005, p.11
Y. Aubrée, Op. cit., p.11 : « Ce qui suppose que le travailleur en cause ne possède pas ses propres
moyens d’exploitation (matériel, marchandises, outillage, locaux, brevets, licence, etc.) et en
l’occurrence une clientèle personnelle, qu’il ne soit pas intéressé - à titre principal - à la réussite de
l’affaire, en disposant d’un droit aux bénéfices de l’entreprise, et enfin qu’il ne soit pas exposé au
risque d’exploitation (aléa économique), en se trouvant contraint de contribuer aux pertes éventuelles
de cette dernière » ; V. Cass. soc. 14 juin 1989, RJS 8-9/1989, n° 719 ; Cass. soc. 29 nov. 1989, RJS
1/1990, n° 2 ; Cass. soc. 9 avr. 1987, Bull. civ. V, n° 213 ; 5 oct. 1989, RJS 11/1989, n° 880 ; 22 févr.
1990, 1re esp., RJS 4/1990, n° 337
697
Y. Aubrée, Contrat de travail, Existence – Formation, Rép. trav. Dalloz avril 2005, p.19
696
263
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
B - Les critères des autres systèmes juridiques
767.
Il peut être intéressant de rechercher et de comparer comment d’autres pays
parviennent à qualifier l’existence d’un contrat de travail. Sur quels critères se fondent-ils
pour établir ce lien juridique entre la personne qui fournit la prestation de travail – le salarié –
et celle au profit de laquelle elle est effectuée - l’employeur - ? Cette recherche aura pour
principal intérêt, sinon de découvrir un critère miracle, de mettre en évidence que les
difficultés qui se manifestent en France sous les traits du lien de subordination juridique sont
universelles et concernent même les pays de Common-law et/ou qui sont en dehors de l’Union
européenne.
768.
Il est ainsi possible de distinguer deux grands mécanismes juridiques permettant de
qualifier l’existence d’un contrat de travail : celui de la définition descriptive et celui de la
définition sur le fond698 : « Certaines législations définissent le contrat de travail comme le
cadre de cette relation et précisent également ce que l’on entend par salarié et par
employeur »699. Il s’agit alors de pays qui ont adopté le système d’une définition descriptive
(2) dans lequel la loi définit ce qu’est un salarié a priori. Ce système présente cependant
comme inconvénient majeur de prédéfinir le contrat de travail de sorte que par certains
montages juridiques il sera envisageable de contourner les règles de sa qualification en usant
de subterfuges neutralisant l’effet de la loi.
769.
C’est principalement pour cette raison que la France a recours au système du faisceau
d’indices afin de qualifier ou requalifier la relation entre les parties au regard de la réalité des
faits. Car la qualification du contrat de travail étant d’ordre public, il ne peut pas y être
dérogé, même par la volonté des parties. Le juge a ainsi l’obligation, sur le fondement de
698
Cette distinction est empruntée aux travaux du Bureau international du Travail : Bureau
international du Travail, La relation de travail, Conférence internationale du Travail, 95e session,
Genève, 2006
699
V. Bureau international du Travail, La relation de travail, Conférence internationale du Travail, 95e
session, Genève, 2006 : concernant les études nationales suivantes: Afrique du Sud (p. 10-13);
Argentine (p. 2); Brésil (p. 16-17); Cameroun (p. 11); Chili (p. 9); République de Corée (p. 3-6); Costa
Rica (p. 2; 7-9; 45); El Salvador (p. 6-7); Inde (p. 6-8;10-14; 19); République islamique d’Iran (p. 7);
Italie (p. 2); Jamaïque (p. 8-9); Maroc (p. 2-5); Mexique (p. 9); Nigéria (p. 7); Panama (p. 6-8; 17-19);
Pérou (p. 6-12); Pologne (p. 2; 11); Royaume-Uni (p. 9); Fédération de Russie (p. 2; 12); République
tchèque (p. 4); Trinité-et-Tobago (p. 15-17, 27-30); Venezuela (p. 6-12)
264
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
l’article 12 du Nouveau Code de procédure civile, de trancher le litige conformément aux
règles de droit qui lui sont applicables et de donner ou restituer leur exacte qualification aux
faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée.
770.
Beaucoup de pays, dont la France, ont ainsi opté pour l’établissement d’une législation
qui définit les critères du contrat de travail sur le fond et non sur la forme (1). La loi est dans
cette perspective « formulée de manière à établir quels sont les facteurs constitutifs d’un tel
contrat et, partant, ce qui le distingue d’autres contrats similaires »700 ce qui permet
notamment au juge de s’emparer a posteriori des qualifications frauduleuse ou inexactes. Car
en l’absence ou en cas d’imprécision de la loi, le juge dispose d’un pouvoir souverain
d’appréciation des faits, ce qui est impossible lorsqu’il est lié par une définition descriptive
qui le lie.
1 – Les définitions portant sur le fond
771.
Les pays qui ont fait le choix de définir le contrat de travail en usant de critères de
fond considèrent globalement que le contrat de travail est une convention au terme de
laquelle une personne - le salarié - s’engage à effectuer une prestation de travail pour une
autre personne - l’employeur - en échange d’une rémunération et dans des conditions
déterminées (notamment en France dans un lien de subordination juridique). Il est donc dans
ce système indispensable d’établir des indices dont la réunion en faisceaux fera présumer
l’existence d’un contrat de travail. Comme le souligne le Bureau International du Travail :
« la description de ces facteurs varie d’un pays à l’autre par la formulation et le niveau de
détail »701. La situation en France a déjà été longuement détaillée et il ne sera pas utile d’y
revenir car l’intérêt ici est de pouvoir la comparer avec d’autres systèmes.
772.
Ainsi en Argentine et au Salvador la loi prévoit que « le travail est exécuté dans des
conditions de dépendance par rapport à l’employeur ; au Chili, l’expression utilisée est
dépendance et subordination ; au Panama, subordination ou dépendance ; en Colombie,
dépendance ou subordination permanentes ; au Costa Rica, dépendance permanente et
700
V. Bureau international du Travail, La relation de travail, Conférence internationale du Travail, 95e
session, Genève, 2006, p.20
701
Ibid.
265
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
direction directe ou déléguée ; au Nicaragua, subordination vis-à-vis d’un employeur ; au
Mexique et au Pérou, l’expression utilisée est travail subordonné ; au Venezuela, travail pour
un tiers et dans des conditions de dépendance par rapport à celui-ci. Les législations du Bénin,
du Burkina Faso, du Congo, du Gabon, du Niger et du Rwanda, notamment, ainsi que le Code
du travail du Portugal, énoncent que le travail effectué dans le cadre d’un contrat de travail est
exécuté sous la direction et/ou l’autorité de l’employeur. On trouve d’autres variantes de ces
facteurs en Finlande, où la législation fait état de travail effectué sous la direction et le
contrôle de l’employeur; à Bahreïn et au Qatar, de travail exécuté sous la direction ou la
surveillance de l’employeur; en Tunisie, sous la direction et le contrôle de l’employeur ; et, au
Maroc, sous la direction de l’employeur. En Angola et au Botswana, un contrat de travail est
réputé exister si le travailleur effectue le travail sous les ordres de l’employeur ; en Slovénie,
l’expression utilisée est conformément aux instructions et sous le contrôle de
l’employeur »702.
773.
Les indices retenus dans tous ces pays ayant opté pour une définition sur le fond sont
donc presque identiques, ce qui malheureusement ne permet pas d’apporter de nouveaux
éléments. La réflexion sur les critères possibles pour la qualification du contrat de travail
tourne en effet autour des deux notions déjà connues : la dépendance et la subordination. De
plus, dans bon nombre de ces pays, la notion de subordination juridique prend le même sens
que la notion française puisqu’elle désigne les conditions d’accomplissement d’une prestation,
notamment sous la direction, l’autorité, la surveillance ou le contrôle d’un donneur d’ordre. Il
est même fait référence à ses ordres ou instructions et au fait que la prestation de travail soit
accomplie pour son compte.
774.
Enfin, ces pays utilisent souvent les notions de subordination et de dépendance comme
alternatives ou comme synonymes. Aucune piste nouvelle ne peut donc être recherchée dans
le droit comparé. Toutefois cette recherche permet de mettre en évidence, une nouvelle fois,
que le débat qui oppose la dépendance économique à la subordination juridique est « une
vaine querelle »703 puisque ces critères sont complémentaires.
702
V. Bureau international du Travail, La relation de travail, Conférence internationale du Travail, 95e
session, Genève, 2006, p.21
703
J.-P. Le Crom, Retour sur une vaine querelle : le débat subordination juridique-dépendance
économique dans la première moitié du XXe siècle, in J. P. Chauchard et A.C. Hardy-Dubernet (dir.),
266
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
2 – Les définitions descriptives
775.
Le mécanisme de la définition descriptive n’apportera guère plus d’élément car il
procède d’une définition légale sans référence aux indices du contrat de travail. « Au Kenya,
il est défini comme un contrat en vertu duquel une personne convient de travailler comme
salarié ; au Nigéria, comme le fait d’être au service d’un employeur comme travailleur ou, au
Lesotho et en Indonésie, comme un contrat entre un employeur et un salarié »704. Ces
définitions renvoient donc soit à une définition du salarié et de l’employeur, soit à une
définition du contenu du contrat de travail.
776.
L’élément distinctif tient donc alors, essentiellement, à ce que ces indices sont
contenus directement dans la loi au lieu d’être relevés par la jurisprudence. Ainsi, la loi de
certains de ces pays définit le contrat de travail comme la convention au terme de laquelle le
travailleur accomplit une prestation sous l’autorité et le contrôle d’un employeur. Or tous ces
indices sont déjà bien connus et ont une substance identique aux indices français. La seule
différence tient à leur nature légale alors que les indices français - et ceux des pays qui ont
opté pour une définition sur le fond – sont de nature jurisprudentielle. Cette différence ne
permet donc pas de faire évoluer le débat sur la recherche d’un nouveau critère. Il faut donc y
préférer la recherche d’une nouvelle conception de la relation de travail comme la création
d’une troisième voie entre salariat et indépendance ou d’un droit de l’activité professionnelle.
Paragraphe 2 – L’introduction d’une troisième voie
777.
La parasubordination est une notion qui pour l’instant n’existe pas juridiquement et
qui est utilisée en doctrine pour désigner la possible émergence d’une catégorie intermédiaire
entre les salariés et les travailleurs indépendants. La terminologie et le concept français de la
Les métamorphoses de la subordination, Paris, Ministère de l'Emploi, du Travail et des Affaires
sociales, Éd La Documentation française, 2003, p. 71-84.
704
V. Bureau international du Travail, La relation de travail, Conférence internationale du Travail, 95e
session, Genève, 2006, p.21
267
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
parasubordination s’inspirent du droit italien de la « parasubordinazione » et notamment du
statut des « co-co-co »705. Mais il peut aussi s’apparenter au quasi-salariat allemand.
778.
Le concept de parasubordination consiste à instituer une catégorie ayant vocation à
englober les indépendants quasi-salariés ou économiquement dépendants et les salariés
disposant
d’une
grande
autonomie
et
donc
quasi-indépendants.
Ces
travailleurs
parasubordonnés ouvriraient donc une troisième voie dans la « summa divisio entre salariés et
indépendants »706. Dans cette perspective la notion de parasubordination « ne matérialisera
pas une catégorie intermédiaire, ce qui accroîtrait l'insécurité juridique en remplaçant une
frontière floue par deux qui le seraient tout autant. Elle sera le catalyseur de la naissance de ce
droit en favorisant la mise sur orbite du prisme de situations progressivement diversifiées,
plus en phase avec la réalité […] »707.
779.
Il faut donc distinguer le concept français de la parasubordination (A) des solutions
desquelles elle s’inspire, notamment de la parasubordinazione en Italie (B) et du quasisalariat en Allemagne (C). La présentation de ces différents modèles permet de se convaincre
que le système dualiste opposant les salariés aux autres travailleurs n’est pas une fatalité et
surtout qu’il a atteint ses limites.
A – Le concept français de la parasubordination
780.
Lorsqu’il est question de subordination aucun article ne manque de mentionner J.
Barthélémy qui fut le premier à proposer l’adaptation de ce concept en droit français708. Pour
705
« Il existe en Italie trois catégories de travailleurs : les salariés, les travailleurs indépendants et les «
parasubordonnés ». Apparus en 1973, les contrats de collaboration coordonnée et continue (« co-co-co
») voit un collaborateur autonome fournir une prestation pour le compte d’un employeur dont il n’est
pas le salarié, de manière coordonnée, exprimant l’idée d’un lien fonctionnel nécessaire avec l’activité
économique du commanditaire, en particulier s’agissant des modalités d’organisation, et continue. » :
V. P.-H. Antonmattéi, J.-C.Sciberras, Le travailleur économiquement dépendant : quelle protection ?,
Rapport à M. le Ministre du Travail, des Relations sociales, de la Famille et de la Solidarité,
Novembre 2008, Annexe
706
J. Barthélémy, Parasubordination, Les Cahiers du DRH n°143, mai 2008
707
Ibid.
708
V. J. Barthélémy, Essai sur la parasubordination : Semaine sociale Lamy, n° 1134, 8 sept. 2003 ; J.
Barthélémy, « Essai sur la parasubordination », Semaine sociale Lamy, n° 1194, septembre 2003 ; La
Semaine Juridique Entreprise et Affaires n° 47, 21 Novembre 1996, 606 ; J. Barthélémy, Le
268
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
lui la parasubordination consiste en une qualification intermédiaire fondée sur le constat d'une
dépendance économique mais aussi d'une autonomie technique du travailleur. Ce modèle vise
à réfuter l'assimilation travailleur indépendant / entreprise individuelle et l'opposition contrat
de travail / contrat d'entreprise709. Le modèle n’est donc pas une transposition pure et simple
du modèle italien mais plutôt son adaptation dans le but d’apporter le traitement étiologique
tant attendu et qui résoudrait la problématique française de la zone grise.
781.
Ce vocable est donc de plus en plus utilisé pour évoquer un renouveau en droit du
travail. La parasubordination fait d’ailleurs partie du socle commun de la nouvelle norme
sociale envisagée par l’Union européenne710. Car le travail indépendant ne cesse de croître et
le développement de l’externalisation du travail et de la sous-traitance concourent au même
phénomène : celui d’une fuite en avant face au poids du droit du travail.
782.
Le code du travail est fui quand il peut l’être, parfois même quand il ne peut pas
l’être : « la fuite du droit du travail est un phénomène explicable, soit par l’aspiration naturelle
à la liberté d’initiative et de choix économique, soit par le souci de réduction des coûts,
imposée par la compétition sur le marché. L’évasion travailliste est une réalité
universelle »711.
783.
Les requalifications en contrat de travail sont donc nombreuses et l’insécurité juridique
grandissante, surtout dans les secteurs qui s’organisent de plus en plus sur le modèle de
l’externalisation. Il est alors d’usage de recourir aux services d’un travailleur par la soustraitance ou le portage salarial712. Les prestations en free-lance, le self-employment et les
collaborateur libéral, La Semaine Juridique Social n° 7, 14 Février 2006, 1131 ; V. aussi A. Supiot,
Les nouveaux visages de la subordination, rev. dr. soc., févr. 2000.
709
V. aussi : J.-P. Chauchard, Éléments pour une définition d'un contrat de travail indépendant, La
Semaine Juridique Entreprise et Affaires n° 24, 14 Juin 2007, 176
710
P. Garabiol, La flexisécurité : une révolution européenne, Fondation Robert Schuman, Question
d'Europe n° 73, 1er octobre 2007 ; V.aussi : A. Perulli, Le travail économiquement dépendant ou
parasubordonné, Audition publique co-organisée par la commission de l'emploi et des affaires sociales
et la Commission européenne, DG Emploi et Affaires sociales, Parlement européen, salle PHS 3C50,
Bruxelles Jeudi 19 juin 2003
711
Antonio Monteiro Fernandes, Réflexions sur l’effectivité en droit du travail à partir du cas
portugais in P. Auvergnon, L’effectivité du droit du travail. A quelles conditions, Presses
universitaires de Bordeaux, 2009
712
V. TGI Paris, sect. soc. 18 mars 2008, RG n° 06/08817, Christian et a. c/ ASSEDIC de Paris:
Qualification du portage salarial, La Semaine Juridique Entreprise et Affaires n° 15, 10 Avril 2008,
269
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
collaborations par le travail à domicile sont en plein essor. Mais c’est souvent en marge du
droit et de manière mal encadrée. Ces statuts traduisent souvent une situation d’abus de
précarité permettant de maîtriser les coûts du donneur d’ordre.
784.
Il apparaît peu à peu des travailleurs libéraux d’un nouveau genre, fragiles les moins
bien protégés : les jeunes et les chômeurs de longue durée. Il n’est d’ailleurs plus rare en
répondant à une annonce d’emploi, de se voir en proposer un contrat free-lance voire un statut
d’auto-entrepreneur et non un emploi. Les déviances du faux travail libéral sont donc
absolument contraires à l’ordre public social et doivent être distinguées d’une pratique saine
qui demeure la norme. Dans un contexte de crise du pouvoir d’achat et de crise de l’emploi le
choix de cette liberté n’est, pour cette catégorie de personne, souvent qu’un moindre mal. À
ce titre la loi se doit d’encadrer ces pratiques.
785.
Il serait donc utile que le législateur ouvre une réflexion en profondeur sur un statut du
travailleur parasubordonné et ainsi trouver une alternative – pas nécessairement totale – au
lien de subordination juridique. Car, ainsi qu’il a été justement souligné, ce statut « n’est pas
en mesure de faire régresser la protection dont doivent bénéficier les travailleurs concernés et
il peut constituer un réel progrès sur le terrain des droits et libertés fondamentaux »713.
786.
Il existe certes des obstacles théoriques et pratiques mais il faudra parvenir à les
dominer. Il en va de la modernisation du droit dans un contexte européen dans lequel la
France prend chaque jour du retard car les pays transfrontaliers ont déjà mis en place de
nouveaux systèmes permettant de mieux prendre en compte le phénomène des travailleurs
indépendants économiquement dépendants. « Depuis des décennies l’Italie avec les « co-coco » et plus récemment avec les « co-co-pro », le Royaume Uni de Grande-Bretagne et
d’Irlande du Nord avec les « workers », l’Allemagne avec les « Arbeitnehmerähnliche
Personen », et depuis 2007, l’Espagne avec les « travailleurs autonomes économiquement
dépendants »714
act. 191 ; N. Côte, Le portage salarial : entre innovation et dérives, La Semaine Juridique Entreprise et
Affaires, n° 45, 7 nov.2002, 1599
713
J. Barthélémy, Parasubordination, Les Cahiers du DRH n°143, mai 2008 ; V. aussi : A. Supiot, Les
nouveaux visages de la subordination, rev. dr. soc., févr. 2000.
714
P.-H. Antonmattéi, J.-C.Sciberras, Le travailleur économiquement dépendant : quelle protection ?,
Rapport à M. le Ministre du Travail, des Relations sociales, de la Famille et de la Solidarité, nov.
2008, p.7
270
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
B - Les solutions de la parasubordination italienne
787.
La « zone grise », pour réemprunter l’expression à Alain Supiot715, ne cesse de croître.
La parasubordination y est souvent amalgamée dans un mélange de statuts autoproclamés et
non réglementés comme celui de free-lance qui n’est en principe autre qu’un travailleur
indépendant et non un travailleur parasubordonné.
788.
C’est qu’il faut en effet parfois rappeler que la parasubordination n’existe pas en
France. Le concept duquel il s’inspire existe en Italie. C’est la parasubordinazione. Il s’agit
d’un statut strictement encadré par la loi qui n’élude pas en bloc le droit du travail
contrairement aux idées reçues.
789.
La loi italienne n° 533 du 11 aout 1973 transposée à l’article 409 alinéa 3 du code de
procédure civile définit la parasubordination comme un rapport de collaboration qui se
concrétise en une prestation de travail continue et coordonnée sans considération de
l’existence d’un lien de subordination. Les travailleurs demeurent soumis à l’application du
droit du travail dans les cas prévus par la loi. Par exemple le litige du contrat de travail et les
conditions d’hygiène et de sécurité. La protection sociale en revanche n’est pas encadrée par
le système et relève donc du droit commun italien.
C - Les solutions du quasi-salariat allemand
790.
L’Allemagne aussi connaît un statut particulier organisant la liberté dans le salariat. Il
s’agit d’un quasi-salarié. Ce mode d’activité est de plus en plus évoqué, y compris par les
praticiens alors que cette notion n’a pas de définition légale en France. Certains praticiens ne
semblent d’ailleurs pas hésiter à employer l’expression jusque devant le Conseil d’État716. Ce
détail anodin peut donner le sentiment que le quasi-salariat est un statut bien connu alors
qu’il ne l’est pas.
715
A. Supiot, Transformations du travail et devenir du droit du travail: une prospective européenne,
Rev. int. trav., vol. 138 n°1, 1999
716
CE, 23 Juillet 2003, n° 243926, Société CLL Pharma : « [...] que la société requérante présente à
tort comme lié à la société Produits Roche par des liens de quasi-salariat [...] »
271
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
791.
En Allemagne le quasi-salarié porte le nom d’arbeitsnehmerähnliche Personen. Son
statut est organisé par la section 12 a de la loi du 29 octobre 1974. Ces quasi-salariés sont des
travailleurs « juridiquement indépendants mais économiquement dépendants […] qui ont
besoin d’une protection semblable à celle des salariés »717.
792.
Cette loi permet d’apporter une protection aux travailleurs économiquement
dépendants à condition qu’ils entrent dans son champ d’application. C’est notamment le cas
lorsqu’il s’agit de travailleurs qui « exécutent leur prestation de travail en faveur d’autres
sujets sur la base de contrats de service et d’ouvrage, personnellement et essentiellement sans
le concours de travailleurs salariés et qui exécutent le travail pour une seule personne ou bien
reçoivent d’une seule personne, en moyenne, plus de la moitié de la rétribution qui leur est
due pour le travail qu’ils ont exécuté »718.
793.
Le travailleur économiquement dépendant est de mieux en mieux protégé par le droit
allemand qui se modernise : « une loi de 1994 a étendu aux arbeitnehmeränliche Personen la
protection contre le harcèlement sexuel sur le lieu de travail […] des modifications
législatives […] ont introduit un système de présomptions destiné à élargir le concept de
travailleur salarié. De cette manière une totale égalisation entre les travailleurs salariés et les
arbeitnehmeränliche Personen, en ce qui concerne la sécurité sociale, a été réalisée »719.
794.
Pour toutes les raisons qui viennent d’être exposées, « le concept de parasubordination
peut être utile. Il peut conduire à la création d’une catégorie intermédiaire ou mieux sans
717
V. Renaux-Personnic, Op.cit., n° 154 ; V. aussi : A. Supiot, le travail, liberté partagée, Droit Social
1983, spéc. p. 720 ; O. Kaufman, P.A. Köhler, Le droit social en Allemagne, Collection Lamy Europe,
1991, spéc. n°98 p. 53
718
P.-H. Antonmattéi, J.-C.Sciberras, Le travailleur économiquement dépendant : quelle protection ?,
Rapport à M. le Ministre du Travail, des Relations sociales, de la Famille et de la Solidarité, nov.
2008, p.33 ; V. aussi : V. aussi A. Perulli, Le travail économiquement dépendant ou parasubordonné,
Audition publique co-organisée par la commission de l'emploi et des affaires sociales et la
Commission européenne, DG Emploi et Affaires sociales, Parlement européen, salle PHS 3C50,
Bruxelles Jeudi 19 juin 2003
719
A. Perulli, Le travail économiquement dépendant ou parasubordonné, Audition publique coorganisée par la commission de l'emploi et des affaires sociales et la Commission européenne, DG
Emploi et Affaires sociales, Parlement européen, salle PHS 3C50, Bruxelles Jeudi 19 juin 2003
272
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
doute être le catalyseur d’une réflexion sur l’émergence d’un droit de l’activité
professionnelle se substituant au droit du travail »720.
Paragraphe 3 – L’émergence d’un droit de l’activité professionnelle
795.
La création d’un droit de l’activité professionnelle est de plus en plus d’actualité. La
cause principale de ce regain d’intérêt étant sans conteste le dépassement du recours au lien de
subordination juridique par les nouvelles organisations du travail : « Le droit du travail a été
conçu par et pour la civilisation de l'usine. Il ne peut que sombrer dans une dérive
technocratique s'il demeure ce qu'il est malgré les progrès des mutations induites de la
civilisation du savoir. On peut donc se risquer à pronostiquer son remplacement par un droit
de l'activité professionnelle regroupant tous les travailleurs, du plus subordonné à celui
bénéficiant d'une indépendance totale »721.
796.
Dans cette perspective il est aujourd’hui possible d’identifier les prémices d’un
véritable droit de l’activité professionnelle dans un conglomérat de règles éparses qui laissent
présager sa prochaine consécration. Que ce soit à court ou moyen terme ainsi que le
pronostique J. Barthélémy722. « Ce droit n’existe donc pas encore. Cependant, il est
potentiellement présent au sein de notre législation ce qui justifie son caractère émergent »723.
Ses manifestations ne sont donc pour l’instant qu’officieuses ce qui invite à distinguer les
éléments régulant l’activité professionnelle dans la loi existante (A) de la création d’un
véritable droit de l’activité professionnelle dans la loi à venir. La probabilité d’une telle
évolution est d’autant plus forte que « l'harmonisation de la protection sociale est aujourd'hui
quasi-totale »724.
720
J. Barthélémy, Parasubordination, Les Cahiers du DRH n°143, mai 2008
721
P. Durand, Naissance d'un droit nouveau : du droit du travail au droit de l'activité professionnelle,
dr. soc. 1962, p. 437 ; V. aussi J. Barthélémy, Mutations du travail et évolution du droit social,
conférence, Clermont-Ferrand, 22 janv. 1998, rev. jur. Auvergne
722
J. Barthélémy, Le collaborateur libéral, La Semaine Juridique Social n° 7, 14 Février 2006, 1131
723
M. Leturcq, Contribution à l'élaboration d'un droit de l'activité professionnelle, Thèse de doctorat,
Université Lille II, 2004, p.239
724
J. Barthélémy, Le collaborateur libéral, La Semaine Juridique Social n° 7, 14 Février 2006, 1131 :
« les risques non couverts s'expliquent par la responsabilité de l'employeur à l'égard des salariés ou par
le recours au droit conventionnel comme source de garanties ; les principaux droits collectifs : la
négociation collective et la grève - sont d'essence constitutionnelle, ce qui interdit qu'ils soient réservés
273
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
A – Les éléments régulant l’activité professionnelle dans la loi existante
797.
Les principaux éléments qui constituent actuellement une ébauche du droit de
l’activité professionnelle ont déjà été présentés. Il s’agit notamment de l’ensemble des
dispositions étudiées dans le cadre de l’application du droit du travail au-delà du contrat de
travail. Il est en effet soutenu dans la première partie725 que l’application du droit du travail
n’est pas totalement subordonnée à l’existence ou la reconnaissance d’un contrat de travail.
Ces dispositions pouvant tant s’appliquer au salarié qu’au travailleur indépendant, qu’à
l’entrepreneur voire même aux personnes à la recherche d’une activité, il s’agit donc bien
d’un tronc commun professionnel726.
798.
Pour autant le recensement effectué n’ayant pas eu pour vocation d’être exhaustif, il
convient de développer ici la présentation de ce tronc commun de l’activité professionnelle.
Car ce dernier recoupe un champ bien plus large que celui de l’application du Code du travail
ou du droit du travail. Il peut en effet s’agir de règles émanant tant du droit commercial que
du droit civil. En matière de droit des contrats il peut ainsi s’agir de « la conception extensive
du professionnel »727, même – d’un certain point de vue - lorsqu’il s’agit de
l’administration728.
799.
F. Jault souligne d’autre part l’émergence d’un droit, plus précisément d’obligations,
qui ont vocation à s’appliquer de plus en plus uniformément à tous les professionnels : « en
aux seuls salariés ; au demeurant, la convention collective est beaucoup moins une institution du droit
du travail qu'un instrument au service de l'optimisation du fonctionnement de l'activité économique » ;
V. aussi : V. J. Barthélémy, Du droit du travail au droit de l’activité professionnelle, Les Cahiers du
DRH n°144, 06-2008 ; V. aussi P.-H. Antonmattéi, J.-C.Sciberras, Op. cit.
725
Cf. Partie I, Titre II, Chapitre II, Section II : « La propagation du droit du travail hors
subordination »
726
V. notamment : M. Leturcq, Contribution à l'élaboration d'un droit de l'activité professionnelle,
Thèse de doctorat, Lille, 2004, p.248 ; V. J. Barthélémy, Du droit du travail au droit de l’activité
professionnelle, Les Cahiers du DRH n°144, 06-2008
727
M.-L. Coquelet, R. Moulin, G. Amlon, F. Jault, C. Legros, M.-H. Malleville, Ch. Pigache,
Chronique de droit de l'activité professionnelle n° V, I, Petites affiches, 24 avril 2002 n° 82, p. 9 ; V.
Cass. civ. 1re, 10 juillet 2001, M. Leblanc c/ M. Soinne, Bull. civ. I, no 209, p. 132
728
R. Moulin, Clauses abusives : l'administration est-elle un professionnel comme les autres ? Conseil
d'État, section, 11 juillet 2001 : Société des eaux du Nord in Chronique de droit de l'activité
professionnelle n° V, I, Petites affiches, 24 avril 2002 n° 82, p. 9 ; V. aussi : M.-L. Coquelet, R.
Moulin, G. Amlon, F. Jault, C. Legros, M.-H. Malleville, Ch. Pigache, Chronique de droit de l'activité
professionnelle n° V suite et fin, Petites affiches, 25 avril 2002 n° 83, p. 8
274
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
modifiant l'article 2061 du Code civil, le législateur introduit […] l'expression « d'activité
professionnelle ». Cette innovation mérite d'être remarquée ; elle […] est révélatrice d'une
tendance relevée en droit positif et qui constitue l'un des fils directeurs de la présente
chronique. Dans différents domaines en effet, on constate l'émergence d'un régime juridique
spécifique aux professionnels, voire à l'activité professionnelle, ces deux notions n'étant pas
nécessairement interchangeables »729.
800.
Ce constat l’amène notamment à opérer une distinction nécessaire entre les notions
d'activité professionnelle, d'activité économique et d'activité commerciale. Il s’agit en effet de
notions élémentaires qui s’avèrent être déterminantes pour l’avenir. Car chacune d’elles
pourraient être le fondement des mutations importantes qui s’amorcent sur le long terme.
Comme le souligne J. Barthélémy, le « droit de l'activité professionnelle sera compatible avec
le droit de l'activité économique qui supplantera le droit de l'entreprise. Émergera un droit
commun du travailleur reposant sur trois piliers : celui des rapports individuels, celui des
rapports collectifs, celui de la protection sociale »730.
801.
En ce qui concerne les rapports individuels, dans le cadre d’un prochain droit de
l’activité professionnelle, ceux-ci pourront et/ou devront - selon les cas - s’inspirer des
libertés et droits fondamentaux. Tout particulièrement en ce qui concerne les droits déjà
reconnus comme applicables à tout travailleur, sans autre condition que l’exercice d’une
activité professionnelle.
802.
En ce qui concerne les rapports collectifs, soit le deuxième pilier du droit de l’activité
professionnelle, de nombreux droits et libertés sont également déjà inscrits dans la
Constitution. Ils fonderaient donc une base incontournable. Toutefois l’exercice de certains de
ces droits relatifs au travail connaît des aménagements qui aboutissent à des disparités. La
création d’un droit de l’activité professionnelle serait ainsi l’occasion d’ouvrir une grande
729
F. Jault, Notion d'activité professionnelle et arbitrage en droit interne Commentaire du nouvel
article 2061 du Code civil issu de la loi N.R.E. du 15 mai 2001 in Chronique de droit de l'activité
professionnelle n° V (suite et fin), Petites affiches, 25 avril 2002 n° 83, p. 8 ; V. aussi : V. J.
Barthélémy, Du droit du travail au droit de l’activité professionnelle, Les Cahiers du DRH n°144, 062008
730
J. Barthélémy, Le collaborateur libéral, La Semaine Juridique Social n° 7, 14 Février 2006, 1131
275
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
réflexion sur une possible harmonisation du droit de participer à la détermination collective
des conditions de travail ou encore du droit de grève - par exemple -.
803.
Les grèves de travailleurs indépendants sont en effet un phénomène réel. Qu’il s’agisse
des médecins, des chauffeurs de taxi ou de tout autre travailleur indépendant. Il ne s’agit
certes pas de grèves classiques au sens du Code du travail. Elles peuvent cependant être
considérées comme telles au sens des droits fondamentaux. Pourtant tous les travailleurs
indépendants ne sont pas égaux face aux conséquences financières de l’exercice de ce droit.
Certains travailleurs indépendants, notamment ceux qui sont vulnérables économiquement, ne
pourront donc souvent pas exercer ce droit au risque de compromettre définitivement leur
activité.
804.
Enfin, concernant la protection sociale – soit le troisième pilier du droit de l’activité
professionnelle –, elle fait déjà l’objet de règles relativement uniformes. Ainsi que le souligne
J. Barthélémy : « l'harmonisation de la protection sociale est aujourd'hui quasi totale ; les
risques non couverts s'expliquent par la responsabilité de l'employeur à l'égard des salariés ou
par le recours au droit conventionnel comme source de garanties »731.
805.
C’est dans cette optique qu’il est donc important de mettre en avant les impasses non
résolues qu’implique le maintien du recours à la notion de lien de subordination juridique. Ce
choix traduit aujourd’hui les difficultés qu’éprouve le législateur à concevoir le monde du
travail autrement qu’une « civilisation de l'usine »732.
806.
Mais un tempérament peut être apporté à l’instauration d’un droit de l’activité
professionnelle. Car « le contenu d’un droit de l’activité professionnelle est, par nature, limité
par les différences majeures existant entre les diverses formes juridiques d’exercice d’une
activité professionnelle. […] Un droit de l’activité professionnelle ne gommera [donc] pas les
particularités du travailleur salarié, du travailleur indépendant et du travailleur indépendant
731
J. Barthélémy, Le collaborateur libéral, La Semaine Juridique Social n° 7, 14 Février 2006, 1131 ;
V. aussi V. J. Barthélémy, Du droit du travail au droit de l’activité professionnelle, Les Cahiers du
DRH n°144, 06-2008
732
J. Barthélémy, Le collaborateur libéral, La Semaine Juridique Social n° 7, 14 Février 2006, 1131
276
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
économiquement dépendant »733. Il sera donc nécessaire d’envisager d’autres pistes de
réflexion dans les prochains paragraphes.
B – La création d’un droit de l’activité professionnelle dans la loi à venir
807.
L’idée d’un droit commun complété par la l’instauration d’un droit spécial de l’activité
professionnelle permettrait d’élaborer un socle juridique plus universel et donc plus
intelligible : « la finalité particulière du droit de l’activité professionnelle consiste en l’apport,
à l’ensemble des travailleurs, d’une protection unifiée. Tant les travailleurs salariés que leurs
homologues non salariés sont concernés par cet objectif, au-delà de toute limite
catégorielle »734. Les impasses de la subordination trouveraient ainsi de nouvelles issues
juridiquement cohérentes dans un droit ayant vocation à être autonome735 et à regrouper
l’ensemble des travailleurs736.
808.
Ce concept contribuerait à rapprocher la régulation des relations de travail de la
construction d’un statut même si l’exercice d’une activité professionnelle ne peut, en soi, être
réduit à une logique contractuelle, institutionnelle ou statutaire737. Cependant « la parenté du
critère de l’exercice d’une activité professionnelle et celui de la relation de travail, esquissé en
droit du travail, suggère une possible réception avec adaptation de règles légales et statutaires
propres au droit du travail par le droit de l’activité professionnelle »738.
733
P.-H. Antonmattéi, J.-C.Sciberras, Le travailleur économiquement dépendant : quelle protection ?,
Rapport à M. le Ministre du Travail, des Relations sociales, de la Famille et de la Solidarité, nov.
2008, p.5
734
M. Leturcq, Contribution à l'élaboration d'un droit de l'activité professionnelle, Thèse de doctorat,
Lille, 2004, p.300 ; J. Barthélémy, droit du travail au droit de l’activité professionnelle, Les Cahiers du
DRH, juin 2008, p. 35
735
V. P.-H. Antonmattéi, J.-C.Sciberras, Le travailleur économiquement dépendant : quelle protection
?, Rapport à M. le Ministre du Travail, des Relations sociales, de la Famille et de la Solidarité, nov.
2008 : « Aussi, la création d’une catégorie intermédiaire entre travail salarié et travail indépendant est
une troisième voie qui n’est pas contrariée par l’émergence d’un droit de l’activité professionnelle. Ce
dernier peut être utilement décliné et complété par un droit du travail, un droit du travail indépendant
ou non salarié et éventuellement un droit du travail indépendant économiquement dépendant. On
rentre alors dans une logique de droit commun et de droit spécial »
736
V. J. Barthélémy, Du droit du travail au droit de l’activité professionnelle, Les Cahiers du DRH
n°144, 06-2008
737
V. M. Leturcq, op.cit., p. 304
738
V. M. Leturcq, Contribution à l'élaboration d'un droit de l'activité professionnelle, Thèse de
doctorat, Lille, 2004, p. 305
277
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
809.
Mais pour mener à bien cette construction il reste à ce jour nécessaire de substituer au
critère du lien de subordination juridique un nouveau critère qui serait celui de l’activité
professionnelle qui pour l’instant ne fait pas l’objet d’un réel consensus doctrinal. Seuls les
critères d’identification du travailleur indépendant économiquement dépendant ont été
officiellement et surtout clairement proposés. Il a notamment été proposé de le définir comme
celui qui « appartient à la catégorie des travailleurs indépendants, exerce seul son activité,
perçoit au moins cinquante pour cent de ses revenus d’un seul donneur d’ordres dans le cadre
d’une relation contractuelle d’une durée minimale de deux mois et exécute sa prestation dans
le cadre d’une organisation productive dépendante de l’activité de son donneur d’ordres »739.
810.
Il pourrait donc être possible d’élaborer un ou plusieurs critères alternatifs à partir de
cette proposition, éventuellement en la combinant au lien de subordination juridique. On
rejoint alors l’idée déjà avancée selon laquelle lien de subordination juridique et dépendance
économique ne sont ni hermétiques ni incompatibles. Leur combinaison permettrait avec
certitude d’apporter une protection à un plus grand nombre de travailleurs sans distinctions
catégorielles.
811.
C’est en tout cas la principale motivation de la réflexion autour de l’élaboration de
l’activité professionnelle. Mais il est aussi envisageable que cette plus grande protection soit
aussi la principale cause de rejet d’une vraie réforme adaptée aux mutations sociales,
notamment à cause du surcoût nécessairement engendré pour les finances publiques. Ce n’est
donc peut-être pas tant la volonté qui fait défaut mais les moyens qui manquent pour pouvoir
financer une réelle innovation.
739
P.-H. Antonmattéi, J.-C.Sciberras, Le travailleur économiquement dépendant : quelle protection ?,
Rapport à M. le Ministre du Travail, des Relations sociales, de la Famille et de la Solidarité, nov.
2008, p. 22
278
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
279
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
CONCLUSION
812.
Il est finalement opportun de retenir que le lien de subordination juridique dans le
contrat de travail, et plus largement le salariat, sont aujourd’hui exposés à de profondes
mutations qui touchent l’ensemble du tissu productif. Ces mutations sont l’œuvre de forces
convergentes qui résultent autant du développement croissant des NTIC que de l’essor des
nouvelles organisations du travail.
813.
Les relations de travail dans l’entreprise moderne sont de moins en moins bilatérales et
verticales, et de plus en plus multilatérales et horizontales. Ce phénomène se traduit, en outre,
par l’amplification de la négociation collective et l’affermissement des rapports de
participation. Dans cette perspective, l’enrichissement continu des droits et libertés du salarié
contribue à élargir la sphère d’autonomie dont il dispose, créant ainsi un domaine réservé
toujours plus grand dans lequel l’employeur ne peut plus exercer pleinement son pouvoir de
subordination.
814.
Le salariat ne se réduit donc plus à la subordination traditionnelle des travailleurs
puisqu’ils jouissent de plus en plus d’avantages liés à leur statut et de plus en plus de liberté
dans le travail. Pour autant cette évolution économique et sociale n’est pas totale. Elle
cohabite avec des organisations productives plus traditionnelles dans lesquelles la
subordination juridique est manifeste et sans ambigüité. L’époque actuelle est donc une
période de transition entre la subordination traditionnelle et l’indépendance dans le travail.
815.
La caractérisation du contrat de travail doit faire face au développement de deux
schémas hétérogènes et contemporains, auxquels l’opération de qualification du contrat de
travail est censée pouvoir donner une réponse unique. Au surplus, cette transition entre la
subordination ancienne et l’indépendance moderne des travailleurs ne sera certainement
jamais totale, de sorte que les deux schémas ont vocation à cohabiter de manière pérenne, ce
qui rend nécessaire de repenser l’approche des relations de travail et du salariat.
280
Ͳ
816.
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
La notion de lien de subordination juridique a donc perdu sa légitimité comme critère
universel du contrat de travail. Elle varie en amplitude et en intensité, au gré des situations, si
bien qu’elle devient parfois difficile voire impossible à identifier dans l’analyse des faits.
Cette notion est plus que jamais mouvante, instable et sujette aux métamorphoses ou
remodelages jurisprudentiels. La terminologie qui à toujours été utilisée pour désigner ce
concept devenu creux est à ce point galvaudée que l’insécurité juridique est désormais latente
au sein de toutes les relations de travail. Il est de plus en plus difficile d’y éluder le spectre de
la requalification en contrat de travail.
817.
Ce sont donc les frontières même du salariat qui sont remises en question avec le
développement de la zone grise et des travailleurs indépendants qui sont économiquement
dépendants. Les extensions successives du salariat ont été difficiles à contrôler, si bien que les
distinctions classiques entre travailleurs salariés et indépendants, mais aussi entre travailleurs
du secteur privé et public, tendent à s’effacer.
818.
Cette disparition des frontières traditionnelles est loin d’être totale, mais elle met en
exergue les incohérences du système actuel. Le droit du travail surprotège certains salariés
très autonomes, voire
indépendants, tandis qu’il ignore la vulnérabilité de travailleurs
économiquement dépendants ne bénéficiant pas des faveurs de quelque présomption ou
assimilation légale. Les alternatives sont aujourd’hui du côté d’une nouvelle pensée des
relations de travail. Il ne peut suffire de rechercher en vain un nouveau critère ou de chercher
une issue dans la théorie des contrats.
819.
L’une des solutions possibles, et des moins bouleversantes, serait d’utiliser la
combinaison des deux seuls critères juridiques universellement utilisés pour caractériser le
contrat de travail salarié : la subordination juridique et la dépendance économique. Il a été
découvert que de nombreux pays utilisent ces critères de manière complémentaire au lieu de
les opposer vainement et artificiellement.
820.
Cette solution permettrait une protection plus grande puisque le critère de la
subordination se fondrait dans celui de la dépendance économique, beaucoup plus large et
subjectif. Toutefois, l’expérience du passé démontre que le risque est celui d’une extension
presque illimité du salariat, sauf à retenir des critères limitatifs comme ceux proposés par P.281
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
H. Antonmattéi et J.-C. Sciberras, notamment le chiffrage de la relation d’activité avec un
unique donneur d’ordre, la détermination de la durée de cette relation d’activité ou encore le
critère de la dépendance de l’organisation productive740.
821.
Sans ces limites, il faut se demander si ce système serait concevable puisque la
question est de savoir sur qui pèsera, finalement, le risque de l’entreprise. Jusqu’à présent, il
pèse sur le seul (auto-)entrepreneur. Un tel système aboutirait donc à faire peser le risque de
l’exploitation sur les cocontractants économiquement supérieurs ou sur le budget de l’Etat,
voire sur les deux. Un système de protection pour tous peut paraître séduisant mais il n’est pas
concevable dans le contexte actuel, ni viable. L’absence de risque inhérent au statut salarié ne
peut être étendue à tous les travailleurs et entrepreneurs.
822.
Ce système serait même illégal au regard des articles 87 et 88 du traité fondateur de
l’Union européenne qui interdisent tout financement d'État pouvant « fausser ou menacer de
fausser la concurrence ». Sans un encadrement strict, ce système mettant à la charge du plus
riche les déboires du plus pauvre risquerait donc de compromettre la France au sein de
l’Union européenne et de son économie de marché.
823.
Sous cet angle, la création d’un droit de l’activité professionnelle peut paraître plus
satisfaisante en ce qu’elle permet de dépasser une franche opposition entre travailleur
subordonné et travailleur indépendant, voire entre travailleur du public et travailleur du
secteur privé. C’est une approche nouvelle déjà entreprise dans plusieurs pays voisins et qui
permettrait, idéalement, de concilier tous les schémas impliquant une relation de travail au
sein d’un socle commun assorti d’un droit spécial.
824.
Cette solution aurait aussi comme principal avantage d’aller dans le sens de
« l'harmonisation des contrats en Europe », du moins des systèmes qui y sont appliqués741.
Avec des solutions comme la parasubordination ou la création d’un droit de l’activité
professionnelle, ce n’est finalement pas tant l’extension des règles du droit du travail ou du
740
V. P.-H. Antonmattéi, J.-C.Sciberras, Le travailleur économiquement dépendant : quelle protection
?, Rapport à M. le Ministre du Travail, des Relations sociales, de la Famille et de la Solidarité, nov.
2008
741
C.Jamin, D. Mazeaud, L'harmonisation des contrats en Europe, Coll. Études juridiques, Éd.
Economica, mars 2001
282
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
salariat via le lien de subordination qui importe, mais l’instauration d’une protection sociale
mieux adaptée à la vulnérabilité particulière de ces travailleurs742.
742
« Pendant longtemps, la requalification de travailleur indépendant a surtout été invoquée pour
permettre l’accès à la protection sociale, puis plus tard pour permettre l’accès à un niveau plus élevé
de protection sociale. A partir du moment où celle dont bénéficient les indépendants est harmonisée
avec celle des salariés, le problème ne se pose plus du tout dans les mêmes conditions » J. Barthélémy,
Parasubordination, Les Cahiers du DRH n°143, mai 2008
283
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
284
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
285
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
INDEX
Ǥ
Accord collectif
¾ 647, 649, 704
Accord référendaire
¾ 641, 642, 643, 645
Administrateur
¾ 676, 679, 680, 681
Artiste
¾ 361, 364, 738
Autorité
¾ 39, 74, 77, 89, 98, 99, 171, 207, 210, 218, 219, 221, 308, 309, 320, 335, 342, 350, 372,
480, 487, 488, 491, 497, 522, 528, 541, 705, 730, 774, 775, 778
Avocat
¾ 135, 216, 368, 369, 372, 375, 376
Ǥ
Bail
¾ 91
Bénévolat
¾ 62, 126, 199, 284, 285, 286, 288, 289, 292, 297
Boursier
¾ 597, 614, 615, 676
286
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
Ǥ
Charte
¾ 505, 612
Chômage
¾ 173, 286, 433, 478, 530
Collaborateur(s)
¾ 19, 221, 243, 409, 425, 454, 457, 632, 761
Cogestion
¾ 685, 692
Coercitif
¾ 34, 487
Critère du contrat de travail
¾ 11, 16, 17, 26, 55, 69, 70, 71, 73, 131, 161, 166, 182, 186, 190, 192, 194, 205, 241,
283, 380, 429, 431, 453, 548, 553, 702, 710, 735, 763, 764, 768
Critère distinctif
¾ 24, 177, 182, 308, 469, 720
Ǥ
Dépendance économique
¾ 11, 12, 13, 14, 46, 48, 49, 51, 54, 68, 165, 166, 167, 168, 203, 205, 208, 226, 229, 230,
231, 233, 234, 235, 236, 238, 239, 348, 421, 422, 470, 600, 720, 723, 728, 729, 734,
737, 738, 739, 740, 741, 742, 746, 748, 750, 751, 755, 757, 765, 776, 782, 809
Dumping social
¾ 43, 438
Déverticalisation
¾ 204, 580
287
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
Ǥ
Effectivité
¾ 133, 143, 144, 145, 147, 148, 149, 150, 151, 533, 613, 616
Entraide
¾ 62, 126, 199, 284, 298, 304, 305, 306, 307, 308
Epargne
¾ 365, 634, 654, 708
Externalisation
¾ 41, 261, 263, 264, 265, 311, 313, 314, 408, 542, 582, 603, 611, 783
Ǥ
Famille
¾ 87, 93, 305, 691
Frontière(s)
¾ 49, 78, 126, 309, 357, 385, 443, 471, 490, 492, 560, 570, 580, 582, 601, 607, 718, 746,
759, 780
Fusions
¾ 369
Ǥ
Gérant
¾ 364, 410
Ǥ
Héréditaire
¾ 14
288
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
Homme(s)
¾ 2, 3, 4, 14, 16, 132, 135, 136, 138, 139, 140, 141, 160, 343, 394, 407, 451, 504, 505,
529
Ǥ
Indépendance
¾ 167, 321, 366, 370, 371, 375, 376, 377, 570, 761, 768, 778, 797
Intéressement
¾ 195, 427, 629, 644, 695, 696, 711, 712, 713, 714, 715, 716
Ǥ
Justice sociale
¾ 4, 5, 25
Jadis
¾ 694
Ǥ
Kenya
¾ 777
Kinésithérapeute
¾ 215
Knowledge
¾ 220, 433
Ǥ
Liberté contractuelle
¾ 8, 14, 15, 29, 33, 34, 37, 39, 51, 65, 66, 86, 87, 92, 94, 336, 340, 713
289
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
Lieu de travail
¾ 211, 213, 218, 272, 456, 459, 566, 594, 795
Ǥ
Main invisible
¾ 615
Made in France
¾ 44
Mandat social
¾ 318, 420
Mannequin
¾ 334, 361
Marchandage
¾ 335, 611
Marché du travail
¾ 93, 407, 478
Marketing
¾ 433
Médecin
¾ 213, 222, 224, 270, 368, 373, 374, 375, 805
Ǥ
Négociation collective
¾ 35, 390, 408, 410, 439, 493, 496, 497, 531, 532, 533, 534, 535, 536, 537, 539, 541,
589, 606, 608, 756
Nouvelles organisations du travail
¾ 48, 63, 434, 435, 711, 797
290
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
Ǥ
Organisation
¾ 9, 20, 145, 224, 273, 324, 424, 449, 453, 460, 463, 464, 469, 475, 480, 487, 490, 528,
539, 540, 541, 543, 546, 547, 551, 558, 559, 566, 567, 573, 580, 581, 582, 583, 584,
586, 587, 589, 594, 599, 602, 604, 605, 606, 610, 615, 644, 692, 698, 705, 717, 811
Ǥ
Parasubordination
¾ 227, 731, 759, 761, 779, 780, 781, 782, 783, 789, 790, 791, 796
Participation
¾ 633, 635, 637, 661, 698, 705, 707, 709, 713, 717
Post-taylorisme
¾ 440, 442, 447, 449, 450, 451, 458, 462
Pouvoir de direction
¾ 21, 166, 220, 223, 224, 231, 436, 452, 465, 466, 467, 483, 500, 528, 538, 541, 617,
619
Pouvoir de subordination
¾ 498, 522, 694
Prêt illicite de main d’œuvre
¾ 332, 611
Pyramidal(e)
¾ 45, 454, 580, 584, 586
Ǥ
Qualification
¾ 16, 31, 54, 98, 122, 123, 131, 147, 177, 182, 197, 209, 265, 267, 274, 336, 338, 339,
344, 352, 353, 362, 378, 383, 446, 457, 461, 522, 540, 555, 557, 758, 765, 767, 770,
771, 772, 775, 782
291
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
Ǥ
Référendum
¾ 638, 639, 640, 647, 649
Rémunération
¾ 99, 121, 125, 163, 180, 182, 183, 184, 185, 186, 187, 188, 180, 191, 196, 197, 199,
222, 224, 253, 278, 282, 286, 297, 299, 335, 365, 394, 395, 399, 547, 556, 578, 663,
764, 773
Requalification
¾ 31, 54, 131, 177, 265, 287, 289, 292, 297, 309, 311, 323, 329, 335, 338, 344, 351, 353,
378, 785
Réseau(x) :
¾ 41, 509, 543, 593, 595, 596, 597, 602, 608, 609, 615, 616, 729
Ǥ
Salariat
¾ 22, 25, 40, 42, 71, 145, 160, 174, 260, 262, 265, 270, 309, 342, 354, 358, 359, 360,
362, 365, 366, 369, 371, 372, 374, 378, 381, 382, 383, 385, 425, 443, 448, 471, 480,
555, 572, 576, 579, 723, 725, 746, 767, 778, 779, 781, 789
Service organisé
¾ 170, 203, 215, 224, 226, 240, 242, 243, 244, 245, 246, 375
Stage
¾ 199, 251, 284, 295, 297, 309, 310, 373
Subordination juridique permanente
¾ 197, 204, 384
292
Ͳ
Ǥ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
Télétravail
¾ 490, 543, 544, 545, 546, 547, 548, 549, 550, 551, 553, 554, 555, 556, 566, 567, 568,
569, 570, 571, 572, 573, 576, 577, 579
Travail à domicile
¾ 52, 544, 551, 554, 555, 558, 560, 562, 566, 567, 571, 721, 785
Travailleur indépendant
¾ 323, 378, 382, 489, 490, 569, 570, 718, 754, 759, 761, 782, 789, 799, 805, 808, 811
Travail dissimulé
¾ 54, 68, 73, 259, 289, 305, 332, 337, 345, 349, 405, 624
Ǥ
Usine(s)
¾ 44, 45, 49, 429, 433, 437, 438, 466, 542, 584, 585, 604, 721, 727, 765, 797, 807,
Ǥ
Voyageur
¾ 290, 361, 738
VRP
¾ 738
Ǥ
Whistleblowing
¾ 509
Ǥ
XXI, XX, XIX
¾ 47, 231, 369, 429, 510, 551, 693, 730
293
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
Ǥ
York
¾ 621
Ǥ
Zone grise
¾ 49, 50, 471, 492, 722, 724, 725, 726, 727, 729, 732, 741, 762, 767, 789
294
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
BIBLIOGRAPHIE
I.
Ouvrages généraux
Borgetto (M.), Dupeyroux (J. -J), Lafore (R.),
Ͳ
Droit de la sécurité sociale, 16° éd., Coll. Précis Dalloz, Dalloz-Sirey, 2008
Carbonnier (J.),
Ͳ
Flexible droit : pour une sociologie du droit sans rigueur, 10° éd., Éd. LGDJ, 2001
Cornu (G.),
Ͳ
Vocabulaire juridique, 8° éd., Coll. Quadrige Dicos Poche, Éd. PUF, 2007
Couturier (G.),
Ͳ
Droit du travail, Coll. Droit fondamental, Éd. PUF, 1991
Del Sol (M.),
Ͳ
L’activité salariée aujourd’hui et demain, Coll. Le droit en questions, Éd. Ellipses,
1998
Dupeyroux (J-J), Prétot (X.),
Ͳ
Droit de la sécurité sociale, 12° éd., Coll. Mémentos, Dalloz-Sirey, 2008.
Duquesne (F.),
Ͳ
Droit du travail, 2° éd., Coll. Manuel, Éd. Gualino, 2006
Favennec-Hery (F.), Verkindt (P.-Y.),
Ͳ
Droit du travail, 2° éd., Coll. Manuel, Éd. LGDJ, 2009
Goubeaux (G.),
Ͳ
Traité de droit civil, Les obligations, le contrat, 3° éd., Éd. LGDJ, 1993
Malaurie (P.), Aynès (L.) et Gautier (P.-Y.),
Ͳ
Droit civil : Les contrats spéciaux, 4° éd. Coll. Droit civil, Éd. Defrénois, 2009
295
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
Malaurie (P.), Aynès (L.) et Stoffel-Munck (P.),
Ͳ
Droit civil : Les obligations, 3° éd., Coll. Droit civil, Éd. Defrénois, 4° éd., 2007
Morvan (P.),
Ͳ Droit de la protection sociale, 4° éd., Éd. Litec, 2009
Pélissier (J.), Supiot (A.), Jeammaud (A.), Auzero (G.)
Ͳ
Droit du travail, 24° éd., Éd. Dalloz-Sirey, 2008
II. Ouvrages spécialisés
Adam (P.),
Ͳ L’individualisation du droit du travail : Essai sur la réhabilitation juridique du
salarié-individu, Éd. LGDJ., 2005
Askenazy (P.),
Ͳ Les désordres du travail : Enquête sur le nouveau productivisme, Éd. Seuil et La
République des Idées, 2004
Aubert (N.),
Ͳ Le management managinaire, dans Bouilloud J-P & Lecuyer B-P (dir.), L'invention
de la gestion, Éd. L'harmattan, Logiques de Gestion, 1994
Auvergnon (P.),
Ͳ
L’effectivité du droit du travail. À quelles conditions, Presses universitaires de
Bordeaux, 2009
Beaujolin-Bellet (R.),
Ͳ Flexibilités et performances : stratégies d’entreprises, régulations, transformations
du travail, Éd. La Découverte, 2004
Beauvois (J.-L.),
Ͳ Traité de servitude libérale : Analyse de la soumission, Éd. Dunod, 1994
Bessy (C.),
Ͳ La contractualisation de la relation de travail, Coll. Droit et société, Série Economie,
Vol. 45, Éd. LGDJ, Paris, 2007
296
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
Bodiguel (J.-L), Garbar (C .-A)., Supiot (A.),
Ͳ Servir l’intérêt général : Droit du travail et fonction publique, Éd. PUF, 2000
Casaux-Labrunee (L.)
Ͳ Le portage salarial : travail salarie ou travail indépendant, droit social 2007 n°1 p. 58
Castel (R.),
Ͳ Les métamorphoses de la question sociale, une chronique du salariat, Éd. Fayard, 1995
Chauchard (J.-P.), Hardy-Dubernet (A.-C.),
Ͳ
Les métamorphoses de la subordination, Paris, Ministère de l'Emploi, du Travail et des
Affaires sociales, Éd. La Documentation française, 2003
Correia (M.),
Ͳ
L’individualisation de la relation de travail dans la Fonction publique in Chauchard
J.-P., Hardy-Dubernet A.-C. (dir.), La subordination dans le travail, Éd. La
Documentation Française, 2003
Durand (J.-P.),
Ͳ La chaîne invisible : Travailler aujourd’hui en flux tendus, Éd. Seuil, 2004
Freiche (J.), Boulaire (M.),
Ͳ L’entreprise flexible et l͛avenir du lien salarial, Éd. l’Harmattan, 2000
Friedmann (G.),
Ͳ
Le travail en miettes, Coll. Idées, Éd. Gallimard, Paris, 1956
Gabrié (H.), Jacquier (J.-L.),
Ͳ La Théorie Moderne de l'Entreprise : L'Approche Institutionnelle, Éd. Economica,
1994
Guillebaud (L.)
Ͳ Quel droit pour la négociation collective de demain ? dr. soc. n°1, janvier 2008
Hardy-Dubernet (A.-C.),
Ͳ La subordination : l’objet, la pratique et la règle du jeu in Chauchard J.-P.,
Hardy-Dubernet A.-C. (dir.), La subordination dans le travail, Éd. La
Documentation Française, 2003
297
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
Hernot (G.),
Ͳ
Le point de subordination, introduction à la psychologie de la relation hiérarchique,
Coll. Dynamiques d’entreprises, Éd. L’Harmattan, Paris, 2007
Jeammaud (A.),
Ͳ Le droit du travail confronté à l͛économie, Éd. Dalloz, 2006
Ͳ L'exercice en société des professions libérales en droit français, Dalloz, 1975
Kerbourc'h (J.-Y.),
Ͳ
Le portage salarial: prestation de services ou prêt de main d'œuvre illicite ? Droit
social 2007 n° 1 p. 72
Laborde (J.-P.),
Ͳ
Droit de la sécurité sociale, Éd. PUF, éd. 2005
Lyon-Caen (G.),
Ͳ
Le droit du travail non salarié, Éd. Sirey, Paris, 1990
Martin (R.),
Ͳ
Déontologie de l'avocat : Litec, 8° éd., 2004, p. 105
Monroy (M.),
Ͳ La violence de l’excellence : pressions et contraintes en entreprise, Éd. Hommes
& Perspectives, 2000
Pasin (P.),
Ͳ
La fin du salariat : le guide, Éd. Carnot, 1999
Petit (H.), Thévenot (N.),
Ͳ
Les nouvelles frontières du travail subordonné, Éd. La Découverte, 2006
Rey (C.),
Ͳ
Le travail à domicile, La documentation française, 1999
Ͳ
Travail à domicile, un modèle de travail flexible en plein évolution, dans Les
mutations du travail en Europe, Coll. Économie et innovation, L'Harmattan, 2000
Rousseau (J.-J.),
Ͳ
Du contrat social ou Principes du droit politique, Éd. Marc-Michel Rey, 1762
298
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
Supiot (A.),
Ͳ Au-delà de l’emploi : Transformations du travail et devenir du droit du travail en
Europe, Éd. Flammarion, 1999
Ͳ Critique du droit du travail, PUF, Quadridge, 2002
Waquet (P.),
Ͳ
L'Entreprise et les Libertés du salarié : Du salarié-citoyen au citoyen-salarié, Éd.
Liaisons, Coll. Droit vivant, 2003
III. Thèses
Alibert (A.-C.),
Ͳ
Les cadres quasi-indépendants, du contrat de travail au contrat d’activité dépendante,
Thèse pour le doctorat de l’Université d’Auvergne, 2005
Aubert-Monpeyssen (Th.),
Ͳ
Subordination juridique et relation de travail, Centre Régional de Publication de
Toulouse, Editions du Centre National de la Recherche Scientifique, 1988
Baudson (N.),
Ͳ Le domaine réservé du salarié dans le rapport de subordination, Thèse de doctorat,
Université Toulouse I, 2000
Birnbaum (J.),
Ͳ La condition juridique des personnes en état de subordination au regard des libertés,
Thèse Strasbourg III, 2006
Bredon (G.),
Ͳ
L'évolution de la notion de subordination comme critère du contrat de travail, Thèse
pour le doctorat de l’Université de Paris II, 1998
Bruguier (T.),
Ͳ L’indépendance en droit privé, contribution à l’étude du sujet de droit en activité,
Thèse pour le doctorat de l’Université de Nice, 1996
Coiquaud (U.),
Ͳ Le travail non salarié dépendant : étude de droit comparé France Canada, Thèse pour
le doctorat de l’Université de Montréal et d’Aix-Marseille III, 2004
299
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
Font (N.),
Ͳ Le travail subordonné entre droit privé et droit public, Thèse de Doctorat, DallozSirey, 2009
Guiomard (F.),
Ͳ La justification des mesures de gestion du personnel : essai sur le contrôle du pouvoir
de l’employeur, Thèse pour le doctorat de l’Université de Paris X, 2000
Guizard (B.),
Ͳ L'avocat salarié, Thèse de doctorat, Université Montpellier I, 1997
Gunia (N.),
Ͳ La fonction ressources humaines face aux transformations organisationnelles des
entreprises, impacts des nouvelles technologies d’information et de communication,
Thèse pour le doctorat de l’Université de Toulouse, 2002
Guyot-Chavanon (C.),
Ͳ L’entraide en droit privé, Thèse de doctorat, Université Bordeaux IV, 2003
Laffont (B),
Ͳ Etude comparée de la collaboration et du salariat dans les professions libérales, Thèse
pour le doctorat de l’Université de Toulouse, 2006
Laskar (C.),
Ͳ Le pouvoir de direction des personnes en droit du travail, Thèse pour le doctorat de
l’Université de Nice, 2007
Lecea (A.),
Ͳ
L’entreprise subordonnée, Thèse de doctorat, Université de Toulouse I, 2005
Lepine (N.-M.),
Ͳ Les enjeux communicationnels et socio-organisationnels du déploiement des
dispositifs du groupware en entreprise : la médiatisation du travail collaboratif, Thèse
de doctorat, Université de Grenoble III, 2000
Letombe (E.),
Ͳ L’abus de droit en droit du travail, Thèse pour le doctorat, Université Lille II, 2007
Leturcq, (M.),
Ͳ Contribution à l'élaboration d'un droit de l'activité professionnelle, Thèse de doctorat,
Université Lille II, 2004
300
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
Probst (A),
Ͳ le droit du travail à l’épreuve du télétravail au domicile, Thèse pour le doctorat de
l’université de Paris I, 2005
Renaux-Personnic (V.),
Ͳ L’avocat salarié : entre indépendance et subordination, Thèse de doctorat, Université
Aix-Marseille III, Ed PUAM 1998
Saint-Didier (C.),
Ͳ
Droit du travail et droit des obligations : étude d'une opposition, Thèse de doctorat,
Université Aix-Marseille III, 1996
Shea (E.),
Ͳ Le travail pénitentiaire, un défi européen: étude comparée : France, Allemagne et
Angleterre, Thèse de doctorat, Université Strasbourg III, 2005
Simon (A.),
Ͳ Le champ d'application et d'influence du droit du travail salarié, Thèse de Doctorat de
l’Université de Lille III, 2006
Soria (O.),
Ͳ À la recherche du critère du contrat de travail, Thèse de doctorat, Université Bordeaux
IV, 2003
Taillandier (A.),
Ͳ L'intensité du lien de subordination, Thèse de doctorat, Université Nantes, 1994
Tschaeglé (A.),
Ͳ Le droit du travail et les libertés fondamentales du salarié, Thèse pour le doctorat de
l’Université d’Aix-Marseille III, 1993
Varcin (F.) ép. Verdun,
Ͳ Le pouvoir patronal de direction, Thèse pour le doctorat, Université Lyon II, 2000
Viottolo-Ludmann (A.),
Ͳ
Egalité, Liberté dans le contrat de travail, Evolutions du droit contemporain, Thèse de
doctorat, Université Aix-Marseille III, 2004
Xerxès, (G.),
Ͳ Salariat et subordination : étude historique, Thèse de doctorat, Université Paris I,
2004
301
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
IV. Mémoires de DEA
Briant (A.),
Ͳ
Le formalisme dans la conclusion du contrat de travail, Mémoire de DEA, Université
Aix-Marseille III, 1999
Chin Kow (A.) et M. Medgée (M.),
Ͳ La relation de travail dans l’entreprise et son évolution, Mémoire pour le DEA de
l’Université Montpellier I, 1997
Cruciani (L.),
Ͳ
Existe-t-il une politique sociale de la chambre sociale de la Cour de cassation ?,
Mémoire de DEA, Paris, 1997
Fernandes (C.),
Ͳ
Les revirements de jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation,
Mémoire de DEA, Paris, 1999
Regulsky (C.),
Ͳ Le lien d’emploi et le tiers dans le cadre du prêt de main d’œuvre, Mémoire pour le
DEA de l’Université de Lille II, 2006
Salmon-Morin (J.),
Ͳ
V.
Le formalisme dans la conclusion et la rupture du contrat de travail, Mémoire de DEA,
Université Aix-Marseille III, 1998
Colloques, séminaires et forums
Actes du colloque « Bénévoles et salariés dans le sport associatif : positionnements et
identités sociales»,
Ͳ Colloque organisé par l’AFS de Bordeaux les 4-8 septembre 2006
Actes du colloque « Construction d’une histoire du droit du travail »,
Ͳ Cahiers de l’Institut régional du travail, Université Aix-Marseille III, n°9, avril 2001
302
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
Actes du colloque « Conventions et salariat : de la valeur-travail aux institutions de
valorisation du travail »
Ͳ Forum organisé par l’Université Paris X et le Centre d’Etudes de l’Emploi, janvier
2005
Actes du colloque « L’entreprise réseau : unicité de la formule, diversité des situations »,
Ͳ XIVème congrès de l’AGRH Grenoble, 20-22 novembre 2003
Actes du colloque « La mondialisation et la gestion du changement dans le monde du
travail, Dialogue de haut niveau : le modèle social européen dans le contexte de la
mondialisation »,
Ͳ Colloque organisé Turin, 1er-3 juillet 2008
Actes du colloque « Le travail indépendant comme combinaison de formes de travail, de
sources de revenus et de protections : Etude des conditions pour comprendre les
rapports entre le travail indépendant et protection sociale »
Ͳ Colloque organisé par le groupe de recherche sur les transformations du travail, des
âges et des politiques sociales et l’INRS, Montréal, avril 2004
Actes du colloque « Les droits fondamentaux des salariés face aux intérêts de
l’entreprise »,
Ͳ Colloque organisé le 20 mai 1994, PUAM, Aix-en-Provence, 1994, 120p
Actes du colloque « Les frontières du salariat »,
Ͳ Colloque organisé les 26-27 octobre 1996 à l’Université Cergy-Pontoise, sous l’égide
de la revue juridique d’île de France, n°39/40, Dalloz, 1996, 263p.
Actes du colloque « Ouvriers et employés à « statut » d’hier à aujourd’hui »,
Ͳ Colloque organisé par la Maison des Sciences de l'Homme Ange-Guépin et le Centre
Nantais de Sociologie, Nantes, 16-17 juin 2008
Actes du colloque « volontariat/bénévolat et emploi : concurrence ou
complémentarité ? »,
Ͳ Colloque organisé par l’Institut de recherche et d’information sur le volontariat, Paris,
février 1999, 93p.
303
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
Actes du séminaire international de droit comparé du travail, des relations
professionnelles et de la sécurité sociale,
Ͳ L’insécurité de l’emploi, Bordeaux, 10-22 juillet 2000
VI. Rapports et documents de travail
Compte rendu provisoire de la Conférence Internationale du travail n°13A/B,
Ͳ Projet de déclaration de l’OIT sur la justice sociale pour une mondialisation équitable,
Organisation internationale du travail, 97ème session, Genève, 2008
Document de travail de C. Perraudin, H. Petit, N. Thèvenot, J. Valentin,
Ͳ Dépendance interentreprises et inégalités d'emploi : hypothèses théoriques et tests
empiriques, document de travail n° 117, Centre d’études de l’emploi, mars 2009
Document de travail de C. Perraudin, H. Petit et A. Reberioux,
Ͳ Marché boursier et gestion de l'emploi : analyse sur données d'entreprises française,
document de travail du CES, n°41, 2007
Document de travail de P. Pailot,
Ͳ Les dimensions oubliées des théories critiques de la domination : l’exemple du droit,
document de travail du LEM, Éd. CNRS, déc. 2007
Dossier de synthèse de M. Devillers,
Ͳ Le télétravail, Dossier de synthèse documentaire, INIST/CNRS, Oct. 2003
Rapport de A. Perulli
Ͳ Travail économiquement dépendant / parasubordination : les aspects juridiques,
sociaux et économiques, Rapport pour la Commission européenne, 2003
Rapport de A. Supiot,
Ͳ Au-delà de l'emploi, Divers Sciences, rapport pour la Commission européenne,
Flammarion,1999
Ͳ Travail salarié et travail indépendant, rapport au 6° Congrès européen de droit du
travail et de la sécurité sociale,Société internationale de droit du travail et de la
sécurité sociale, Section Polonaise, Varsovie, 1999, pp. 141-176
304
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
Rapport de F. Guillaume,
Ͳ Rapport d'information sur « la participation des salariés dans l'Union européenne »,
présenté à l'AN le 13 sept. 2006
Rapport de F. Pichault, M. Zune,
Ͳ Organisations sociales et entreprises réseau, rapport de recherche pour le Fonds Social
Européen, 1999, 190 p.
Rapport de J. Auroux,
Ͳ
Les droits des travailleurs, Rapport au Président de la République et au Premier
ministre, Paris, La Documentation françaises, 1981, 104 p.
Rapport de P. Cahuc et F. Kramarz,
Ͳ De la précarité à la mobilité : vers une sécurité sociale professionnelle, rapport au
Ministre de l'Economie et au Ministre du Travail, décembre 2004
Rapport de R. Pedersini,
Ͳ Travailleurs économiquement dépendants, droit du travail et relations industrielles,
Fondation européenne pour l'amélioration des conditions de travail, 2002
Rapport de T. Breton,
Ͳ
Le télétravail en France : situation actuelle, perspectives de développement et aspects
juridiques, Rapports Officiels, La Documentation Française, 1995
Rapport de recherche de T. Aubert-Monpeyssen et C. Aubert,
Ͳ L’individualisation de la rémunération : approches économiques et juridiques,
Recherche effectuée dans le cadre d'une convention conclue entre l'Institut de
Recherches Économiques et Sociales (IRES) et la CFE-CGC, mars 2005
Rapport de la Commission des Communautés Européennes,
Ͳ Livre Vert Promouvoir un cadre européen pour la responsabilité sociale des
entreprises, COM(2001) 366 final, Bruxelles, 2001
Rapport de la Commission présidée par J. Boissonnat,
Ͳ Le travail dans vingt ans, Commissariat général au plan, éd. Odile Jacob, La
documentation française, 1995, 373 p.
305
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
Rapport de la Commission présidée par P. Gassman,
Ͳ Professionnels indépendants, donneurs d’ordre et dépendance économique : sécuriser
les relations contractuelles et favoriser la création d’entreprises individuelles,
Chambre du Commerce et de l’industrie de Paris, 13 juin 2002
VII. Articles contenus dans un ouvrage
Antonmattéi (P.-H.),
Ͳ
Bref retour sur la jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de Cassation in
Mélanges en l’honneur de Christian Mouly, Éd. Litec, 1998
Bidet (A.),
Ͳ La sociologie du travail face au salariat, les paradoxes d’une métrologie salariale in
Vatin F., Le salariat : Histoire, formes et perspectives, Éd. La Dispute, Paris, 2006
Chauchard (J.-P.)
Ͳ J.-P. Chauchard, J.-P. Le Crom, Les services, entre droit civil et droit du travail in
Les services : définitions, ruptures, enjeux, sous la direction de C. Chevandier, rev. Le
Mouvement Social, n°211, 2005
Cornet (A.),
Ͳ L'Entreprise Réseau et les nouvelles formes d'organisation du travail, in L'Espace
virtuel. des échanges des idées aux transactions commerciales, Institut Universitaire
International de Luxembourg, 1999
Grassi (B.),
Ͳ
L’autonomie du salarié in La subordination dans le travail, J.-P. Chauchard, Éd. La
documentation française, Coll. Cahier travail et emploi, 2003
Groutel (H.),
Ͳ
Le critère du contrat de travail in Mélanges Camerlynck, Dalloz, 1978, p. 49
Hardy-Dubernet (A.-C.),
Ͳ
La subordination du point de vue de la sociologie in La subordination dans le travail,
J.-P. Chauchard, Éd. La documentation française, Coll. Cahier travail et emploi, 2003
306
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
Hauser (J.)
Ͳ
La notion de salaire et le droit privé in Mélanges dédiés au président M. Despax,
Presses de l’Université des Sciences sociales de Toulouse, 2002
Le Crom (J.-P.),
Ͳ
Ͳ
Retour sur une vaine querelle : le débat subordination juridique-dépendance
économique dans la première moitié du XXe siècle in J. P. Chauchard et A.C. HardyDubernet (dir.), Les métamorphoses de la subordination, Paris, Ministère de l'Emploi,
du Travail et des Affaires sociales, Éd. La Documentation française, 2003, p. 71-84.
Les services, entre droit civil et droit du travail in Les services : définitions,
ruptures, enjeux, sous la direction de C. Chevandier, rev. Le Mouvement Social,
n°211, 2005
Monteiro Fernandes (A.),
Ͳ
Réflexions sur l’effectivité en droit du travail à partir du cas portugais in P.
Auvergnon, L’effectivité du droit du travail. À quelles conditions, Presses
universitaires de Bordeaux, 2009
Sauze (D.), Thevenot (N.), Valentin (J.),
Ͳ L'éclatement de la relation de travail : Cdd et sous-traitance en France, in le contrat de
travail, Coll. Centre d'Etudes de l'Emploi, Éd. La Découverte, Coll. Repères, pp. 5768, 2008
Shea (E.),
Ͳ
Les paradoxes de la normalisation du travail pénitentiaire en France et en Allemagne
in Déviance et Société, Volume 29, mars 2005
Vachet (G.),
Ͳ
La notion de rémunération au regard de la sécurité sociale in Mélanges dédiés au
président M. Despax, Presses de l’Université des Sciences sociales de Toulouse, 2002
VIII.
Articles contenus dans une revue
Antonmattéi, (P.-H.)
Ͳ
Accords de réduction du temps de travail : l'arrêt Michelin, dr. soc. n° 9/10, p. 839844, 01/08/2004
307
Ͳ
Ͳ
Ͳ
Ͳ
Ͳ
Ͳ
Ͳ
Ͳ
Ͳ
Ͳ
Ͳ
Ͳ
Ͳ
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
Informatiques et libertés : conditions de validité des dispositifs d'alerte
professionnelle, JCP S n° 9, pp. 38- 41, 02/03/2010
Appréciation par le juge judiciaire de la licéité d'un dispositif d'alerte professionnel,
JCP G n°52, pp. 34- 35, 21/12/2009
Vie professionnelle, vie personnelle et vie syndicale, rev. dr. soc. n° 1 , p.21-22,
01/01/2010 (Colloque de Droit social du 23 octobre 2009 intitulé "Vie professionnelle
et vie personnelle")
Avantage catégoriel d'origine conventionnelle et principe d'égalité de traitement :
évitons la tempête !, rev. dr. soc. n°12, p.1169- 1170, 01/12/2009
Externalisation d'activité et application de l'article L. 1221-1 du Code du travail :
revirement de jurisprudence dans le secteur des établissements de santé, rev. Lamy
Droit des affaires, n°41, p. 58- 59, 01/08/2009
L'accord de groupe, dr. soc. n°1, p. 57-59, 01/01/2008
Négociation collective : une bonne nouvelle et une mauvaise, rev. dr. soc. n°4, p 459462, 01/04/2007
Conventions et accords collectifs de groupe : nouvelles interrogations, Semaine
sociale Lamy n°1263, p. 35- 36, 29/05/2006
L'accord de groupe, dr. soc. n°1, p. 57-59, 01/01/2008
NTIC et vie personnelle au travail, dr. soc. n° 1, p.37-41, 01/01/2002
Les conséquences du forfait cadre en jours, Semaine sociale Lamy n°975, p.5-9,
03/04/2000
La qualification de salaire, dr. soc. n°6, p. 571-574, 01/06/1997
Externalisation et article L. 122-12 alinéa 2 du Code du travail : le clash !, Semaine
sociale Lamy n°996, p.7-9, 25/09/2000
Aubert-Monpeyssen (Th.)
Ͳ
Les frontières du salariat à l'épreuve des stratégies d'utilisation de la force de travail,
rev. dr. soc., 1997, n° 6, p. 616
Asquinazi-Bailleux (D.),
Ͳ
La difficile distinction du contrat de bénévolat et du contrat de travail, RJS 12/2002, p.
983
Barthélémy (J.),
Ͳ
Ͳ
Ͳ
Ͳ
Ͳ
Ͳ
Du droit du travail au droit de l’activité professionnelle, Les Cahiers du DRH N°144,
06-2008
Le collaborateur libéral, La Semaine Juridique Social n° 7, 14 Février 2006, 1131
Le professionnel parasubordonné, JCP E, 1996. I. 606
Le référendum en droit social, dr. soc. 1993, p.89
Mutations du travail et évolution du droit social, conférence, Clermont-Ferrand, 22
janv. 1998, Rev. jur. Auvergne
Parasubordination, Les Cahiers du DRH n°143, mai 2008
308
Ͳ
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
Salarié : une définition unique en droits du travail et de la sécurité sociale, La Semaine
Juridique Entreprise et Affaires n° 5, 30 Janvier 1997, 911
Blaise, (H.),
Ͳ
À la frontière du licite et de l'illicite, rev. dr. soc. 1990, p. 418
Boubli (B.),
Ͳ
Le recours à la main-d'oeuvre extérieure, rev. dr. soc. 2009 n° 7/8 p. 806
Boudineau (C.),
Ͳ
Faut-il salarier le conjoint du chef d’entreprise ?, Petites affiches 30 juill. 1999, n°151,
p. 11
Boulmier (D.),
Ͳ
Quand la volonté de codifier à droit constant est source d'inconstance, Le cas des
employés de maison, La Semaine Juridique Social n° 49, 2 décembre 2008
Bouquin (S.),
Ͳ Fin du travail ou crise du salariat ?, rev. banlieu-ville et lien social, 1997
Brissy (S.),
Ͳ
L'application du droit du travail aux travailleurs indépendants : un régime juridique
cohérent ? La Semaine Juridique Social n° 5, 31 Janvier 2006, 1093
Brunel (J.)
Ͳ
Externalisation et droit social: des principes juridiques encore plus stricts, Banque
magazine 2003, n° 646, p.65
Chorin (J.)
Ͳ L'adaptation de la législation de la représentation du personnel dans les entreprises à
statut, dr. soc. 1990, p. 886.
Chauchard (J.-P.),
Ͳ
Subordination et indépendance : un sisyphe juridique ? Travail et protection sociale
2001, n° 10
Ͳ
Subordination et indépendance, La Lettre Prud’homale, 4ème trimestre 2002, n° 3
Coeuret (A.),
Ͳ
Le salariat dans l’entreprise libérale, rev. dr. soc., 1992
309
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
Colle (C.),
Ͳ
Le portage salarial, La Semaine Juridique Social n° 25, 19 Juin 2007, act. 296
Côte (N.),
Ͳ
Le portage salarial : entre innovations et dérives, JCP E 2002, p. 1758
Cuche (P.),
Ͳ
Du rapport de dépendance, élément constitutif du contrat de travail, Revue critique de
législation et de jurisprudence, 1913, pp. 413-427
Ͳ
La définition du salarié et le critérium de la dépendance économique, D. H. 1932,
chronique, pp. 101-104
Darmaisin (S.)
Ͳ Télé-réalité et contrat de travail, Revue Lamy Droit des affaires n°40, p.55-56,
01/07/2009
Ͳ L'applicabilité de l'article L. 122-12 alinéa 2 du Code du travail aux opérations
d'externalisation, Cahiers de droit de l'entreprise n°33, p.21- 27, 01/05/2006
Ͳ Grève dans le secteur public, JCP S n°11, p.35-36, 14/03/2006
Ͳ L'épargne salariale après la loi du 26 juillet 2005 pour la confiance et la modernisation
dans l'économie, JCP S n°11, p.34-40, 06/09/2005
Ͳ Assujettissement au régime général de Sécurité Sociale "...Dieu reconnaîtra les
siens...", La Gazette du Palais n°10, p.4-7, 10/01/2001
Ͳ L'ordinateur, l'employeur et le salarié, rev. dr. soc. n°6, p.580-588, 01/06/2000
De la Pradelle (L.),
Ͳ Qu'est-ce qu'un salarié ?, rev. pratique de droit social, 1997
Derue (A.) et Jourdan (D.),
Ͳ
Épargne salariale, intéressement, participation, actionnariat, rev. Liaisons sociales,
Spécial 2007-246, 25 oct. 2007
Despax (M.),
Ͳ L’évolution du rapport de subordination, rev. dr. soc. 1982
Durand (P.),
Ͳ
Naissance d'un droit nouveau : du droit du travail au droit de l'activité professionnelle,
rev. dr. soc. 1962
310
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
Elbaum (M.),
Ͳ
Petits boulots, stages, emplois précaires : quelle «flexibilité » pour quelle insertion ?
rev. dr.soc. 1988, p. 311
Etiennot (P.),
Ͳ
Stage et essai en droit du travail, RJS 8-9/1999, n° 623
Eutedjian (C.),
Ͳ
Le commerçant partenaire d’un PACS, rev. dr. et patr., avril 2000
Garabiol (P.),
Ͳ
La flexisécurité : une révolution européenne, Fondation Robert Schuman, rev.
question d'Europe n° 73, 1er octobre 2007
Gaudu (F.),
Ͳ Les frontières de l'entreprise, entre concentration économique et externalisation : les
nouvelles frontières de l'entreprise, rev. dr. soc. n° 5 ; 2001
Ͳ Du statut de l’emploi au statut de l’actif, rev. dr. soc. 1995
Gautié (J.),
Ͳ Quelle troisième voie ? Repenser l'articulation entre marché du travail et protection
sociale, document de travail, rev. du Centre d'Etudes de l'Emploi n°30, septembre
2003
Ghestin, (J.),
Ͳ
La notion de contrat, D. 1990.147
Gilles (D.),
Ͳ
Notaire salarié, un professionnel libéral ? : JCP N, I, 1993, p. 213
Héas (F.),
Ͳ
L'extension du droit du travail aux agents des collectivités territoriales, La Semaine
Juridique Social n° 17, 22 Avril 2008, 1246
Jambu-Merlin (R.),
Ͳ
Les travailleurs intellectuels à domicile, rev. dr. soc. n°1/8, juillet-août 1981
311
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
Jault (F.),
Ͳ
Ͳ
Notion d'activité professionnelle et arbitrage en droit interne Commentaire du nouvel
article 2061 du Code civil issu de la loi N.R.E. du 15 mai 2001 in Chronique de droit
de l'activité professionnelle n° V (suite et fin), Petites affiches, 25 avr. 2002 n° 83, p. 8
Qu'il est difficile de définir le contrat de travail!, Petites affiches, 24 avril 2002, n°
82p.
Jeammaud (A.),
Ͳ L͛avenir sauvegardé de la qualification de contrat de travail : À propos de
l’arrêt Labbane , rev. droit social, n° 3, mars 2001, 227-238
Jean-Pierre (D.)
Ͳ
La privatisation du droit de la fonction publique, La Semaine Juridique
Administrations et Collectivités territoriales n° 29, 15 Juillet 2003, 1672 p. 973
Jubert (S.),
Ͳ
Externalisation : la gestion contractuelle de la réversibilité et de la transférabilité, rev.
Expertises n° 279, 2004, p. 101
Labarthette (D.),
Ͳ
Les plans de stock-options à l'épreuve des attributions gratuites d'actions, JCP E 2006,
1576
Le Goff (J),
Ͳ
Les lois Auroux, 20 ans après, rev. dr. soc., n° 7/8 , p. 703 -711, 1er juillet 2003
Linhart (D.),
Ͳ
Les nouveaux visages du taylorisme, rev. Sciences humaines, 1994
Lyon-Caen (A.),
Ͳ
Stage et travail, rev. dr. soc. 1982
Martinon (A.)
Ͳ Droit pénal du travail, solidarité financière du donneur d'ordre et de son cocontractant,
JCP S n°18, p.25-26, 04/05/2010
Ͳ Grève : modalités d'exercice du droit de grève par l'agent SNCF, JCP S n°18, p. 3940, 04/05/2010
Ͳ Contentieux du travail : travail dissimulé, JCP S n°4, p.44-45, 26/01/2010
Ͳ Droit pénal du travail : illustration du travail dissimulé par dissimulation d'activité,
JCP S n°4, p.30-31, 26/01/2010
312
Ͳ
Ͳ
Ͳ
Ͳ
Ͳ
Ͳ
Ͳ
Ͳ
Ͳ
Ͳ
Ͳ
Ͳ
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
L'intention : l'oubliée du travail illégal ? JCP S n°4, p.31-33, 26/01/2010
Durée du travail : les durées du travail de l'ambulancier, JCP S n° 51, p.22-23,
15/12/2009
Preuve du contrat de travail : le mandataire et l'apparence, JCP S n°46, p.26-27,
10/11/2009
Rémunération : établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées,
JCP S n°46, p.31-32, 10/11/2009
L'intention dans le travail dissimulé : l'obligation des juges, JCP S n°43, p.31,
21/10/2008
Travail dissimulé : constat, conséquences, JCP S n°16, p.31-32, 15/04/2008
Travail dissimulé : quelques indices révélateurs du délit de travail dissimulé, JCP S
n°13, p.27-28, 18/03/2008
L'actualité de la lutte contre le travail illégal : entre prévention et répression, JCP S
n°27, p.9-11, 04/07/2006
Travail à domicile : le travailleur à domicile, le temps partiel et la réduction des
charges sociales, JCP S n°17, p.30-31, 25/04/2006
Durée du travail : l'exigence de la référence horaire dans la convention de forfait, JCP
S n°25, p.29-30, 13/12/2005
Intéressement : exigence du caractère collectif, JCP S n°15, p.32-33, 04/10/2005
Le forfait-jours : du cadre au non-cadre, JCPS S n°14, p.11-18, 27/09/2005
Milet (L.),
Ͳ Sortie par la porte... Rentrée par la fenêtre ! [à propos de la présomption de nonsalariat], RPDS 2003, n° 696, p. 91
Mole (A.),
Ͳ
Mails personnels et responsabilités : quelles frontières? dr. soc., n°84, 2002
Morin (M.-L.),
Ͳ
Morin, Le droit du travail face aux nouvelles formes d’organisation des entreprises,
Summer University of Work, Nantes, 29-31 août 2004
Morvan (P.),
Ͳ
Ͳ
Le portage salarial face à son destin, La semaine juridique JCP S. 2008, n° 26, p. 18
Nullité de la période suspecte et contrat de travail à durée indéterminée, La Semaine
Juridique Social n° 6, 6 Février 2007, 1076
313
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
Neau-Leduc (C.)
Ͳ
La tentation était trop forte : la Cour de cassation reconnaît la qualité de salariés aux
participants de l'émission de téléréalité L'île de la tentation, Revue des contrats
n°2009/4, p.1507-1513
Ͳ
Le licenciement fondé sur l'exercice légitime du droit de retrait est nul ; Note sous
Cour de cassation, Chambre sociale, pourvoi numéro 07-44.556, Revue des contrats
n°2009/3, p.1129-1132
Ͳ
Prise d'acte de la rupture : cessation immédiate du contrat ; Note sous Cour de
cassation, Chambre sociale, 4 juin 2008, pourvoi numéro 06-45.757, Revue Lamy
Droit des affaires n°29, p.58-59, 01/07/2008
Ͳ
Confirmation : l'UES n'est pas une notion relative, Bulletin mensuel d'information des
sociétés Joly (BMIS) n°1, p.10-12, 01/01/2008
Ͳ
Application du droit du travail aux commerçants dépendants : peu importe qu'une
société ait conclu le contrat de location-gérance, Bulletin mensuel d'information des
sociétés Joly (BMIS) n°3, p. 363-368, 01/03/2006
Ͳ
Reconnaissance d'une unité économique et sociale : une jurisprudence toujours aussi
pragmatique, Bulletin mensuel d'information des sociétés Joly (BMIS) n°5, p. 594599, 01/05/2005
Ͳ
Les accords sur la " responsabilité sociale de l'entreprise ", rev. dr. soc. n°1, p.75-79,
01/01/2008
Ͳ
La responsabilité sociale de l'entreprise : quels enjeux juridiques ? rev. dr. soc. n°11,
p.952-958, 01/11/2006
Orliac (M.),
Ͳ
L'entraide agricole, Journ. not. 1988, art. 59384, n° 9, p. 705
Plantin (S.),
Ͳ
L'attribution d'actions gratuites, une alternative séduisante aux plans de stock-options,
JCP E 2005, 524
Poulain (G.),
Ͳ
Stage et précarité d’emploi, rev. dr. soc. 1982
Pichault (F.),
Ͳ Call-centers, hiérarchie virtuelle et gestion des ressources humaines, rev. française de
gestion, n° 130, 2000, p. 5-15
Pichault (F.), Zune (M.),
Ͳ Les centres d'appels téléphoniques : Une figure de la déréglementation du marché du
travail, rev. Management et Conjoncture sociale, 8 mai 2000, n°80, pp. 31-41
314
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
Randoux (D.),
Ͳ Le conjoint du chef d’une entreprise artisanale ou commerciale : collaborateur, salarié
ou associé ?, JCP 1983. I. 3103
Ray, (J.-E.)
Ͳ Le droit du travail à l'épreuve du télétravail : le statut du télétravailleur, rev. dr. soc.,
n°2, févr. 1996.
Ͳ
De germinal à internet, une nécessaire évolution du critère du contrat de travail, dr.
soc. 1995 n° 7-8
Ͳ
Naissance et avis de décès du droit à la déconnexion, le droit à la vie privée du
XXIème siècle, rev. dr. soc. n°939, 2002
Radé (C.),
Ͳ Nouvelles technologies de l’information et de la communication et nouvelles formes
de subordination », rev. droit social, n° 1, janvier 2002
Rault (O), Ketir (Z),
Ͳ
Le portage salarial : vers la fin des incertitudes ?, jurisprudence sociale Lamy 2008 n°
234 p. 10
Rigaudiat (J.),
Ͳ À propos d’un fait social majeur : la montée des précarités et des insécurités
sociales et économiques, rev. droit social n° 3, mars 2005
Rouast (A.),
Ͳ
la notion de contrat de travail et la loi sur les Assurances sociales, La semaine
juridique, 1929.1.329
Roy-Loustaunau (Cl.),
Ͳ
Stage ou contrat de travail ? La Semaine Juridique Edition Générale n° 9, 28 févr.
2001, II 10482
Rozenfeld (S.),
Ͳ
Externalisation et transfert de personnel, une relative insécurité juridique, expertises
2000, n° 241 p.284
Peano (M.-A),
Ͳ
L’intuitus personae dans le contrat de travail, rev. dr. soc. 1995
315
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
Perraudin (C.), Thevenot (N.), Tinel (B.), Valentin (J.),
Ͳ Sous-traitance dans l'industrie et ineffectivité du droit du travail : une analyse
économique, rev. Economie et institution, n°9, pp. 35-55, 2006
Peskine (E.),
Ͳ
Entre subordination et indépendance : en quête d'une troisième voie, rev. de droit du
travail 2008
Puigelier, (C.),
Ͳ Qui est salarié ?, La Semaine Juridique Social n° 28, 11 Juillet 2006, 1563
Rey (C.),
Ͳ
Travail à domicile, salarié ou indépendant. Incidence des nouvelles technologies de
l’information et de la communication, rev. Innovations 2001/1, n° 13
Riquoir, (F.),
Ͳ
Le portage salarial : Semaine sociale Lamy, n° 1004, 2000
Saramito, (F.),
Ͳ
Le nouveau visage de la négociation collective, rev. dr. ouvr., oct. 2004 n°675
Savatier (J.),
Ͳ
Ͳ
Accords d’entreprise atypiques, rev. dr.soc. 1985 p.188
La liberté dans le travail : dr. soc. 1990, p. 56
Sciberras, (J.-C.)
Ͳ
L'irrigation de l'entreprise par les NTIC : le point de vue d'un praticien, dr. soc. n°93,
2002
Siau (B.),
Ͳ
Cumul d'un mandat social et d'un contrat de travail, Revue Lamy Droit des affaires
n°44, p.53-54, 01/12/2009
Ͳ
Nullité du licenciement d'un salarié ayant exercé son droit de retrait ; Note sous Cour
de cassation, Chambre sociale, 28 janvier 2009, pourvoi numéro 07-44.556, Revue
Lamy Droit des affaires n°36, p.57-59, 01/03/2009
Ͳ
Requalifications subtiles de la relation de travail intérimaire : note sous Cour de
cassation, Chambre sociale, 17 septembre 2008, pourvoi numéro 07-40.704, Revue
Lamy Droit des affaires n°32, p.58-59, 01/11/2008
316
Ͳ
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
L'employeur soumis à un principe de précaution? Note sous Cour de cassation,
Chambre sociale, 5 mars 2008, pourvoi numéro 06-45.888 et pourvoi numéro 0642.435, Revue Lamy Droit des affaires n°26, p.49-50, 01/04/2008
Supiot (A.),
Ͳ
La contractualisation des relations de travail en droit français in P. Auvergnon, La
contractualisation du droit social, séminaire international de droit comparé du travail,
des relations professionnelles et de la sécurité sociale, Bordeaux, 2003
Ͳ
Les nouveaux visages de la subordination, rev. dr. soc. 2000
Ͳ
Transformations du travail et devenir du droit du travail: une prospective européenne,
rev. int. trav., vol. 138 n°1, 1999
Tauran, (T.)
Ͳ
L'assujettissement au régime général de la Sécurité sociale et le critère du lien de
subordination, évolution récente, rev. dr. soc. 2009 n° 2 p.195
Teyssié (B.),
Ͳ
Personnes, entreprises et relations de travail, rev. dr. soc. 1988, p. 374
Toulemon (A.),
Ͳ
L'organisation d'une profession libérale, Gaz. Pal. 1968, 2e sem., doctr. p. 96
Ughetto (P.),
Ͳ
La rationalisation vue de l’activité de travail, une diversification du traitement
sociologique de l’autonomie et de la contrainte, rev. IRES n° 44, 2004/1
Vachet (G.),
Ͳ
Droit de la sécurité sociale (chron.), La Semaine Juridique Entreprise et Affaires n°
29, 20 Juillet 2006, 2129
Ͳ
Les accords atypiques, rev. dr. soc. 1990, n°7-8, p. 620
Ͳ
Régime d'affiliation d'un pharmacien exerçant les fonctions de directeur général d'une
société, La Semaine Juridique Social n° 40, 2 Oct. 2007, 1749
Vatinet (R.)
Ͳ
Développement de l'actionnariat salarié, L. n° 2006-1770, 30 déc. 2006, Titre II, La
Semaine Juridique Social n° 4, 23 Janvier 2007, 1032, n°4
Ͳ
Le clair-obscur des stock-options à la française, rev. sociétés, janvier-mars 1997
317
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
Vericel (M.),
Ͳ
Ͳ
La contractualisation des avantages nés de normes d'entreprise atypiques, rev. dr. soc.
2000 n° 9/10, p. 833
Rétablissement de la présomption de non-salariat, rev. dr. soc. 2004, p. 297
Verkindt (P.-Y.),
Ͳ
Le risque pénal de l'externalisation, Les petites affiches, 9 décembre 1998
Villeval (M.-C.),
Ͳ
Politique sociale et emploi des personnes handicapées, RF aff. Soc. 1983
IX. Articles de Presse
Garrigos (R.), Roberts (I.),
Ͳ L'île de la cassation, Libération, 30 avril 2009
Silbert (N.), Poussiel (G.),
Ͳ La télé-réalité revient pour un nouvel épisode devant la justice, Les Echos, 18 nov.
2008
Laine (M.),
Ͳ Ilotier de la tentation: job saisonnier à la mode!, Le Figaro, 21 mars 2009
Planes (E.),
Ͳ Contrat de travail ou sous-traitance ?, Sud Ouest, 20 juin 2008
Gavidia (A.),
Ͳ La télé-réalité s'invite aux Prud'hommes, Le Progrès, 24 novembre 2008
Gavidia (A.),
Ͳ L'ex-candidat stéphanois de « L'Île de la tentation » se rebiffe, Le Progrès, 19 mars
2008
Berrettan (E.),
Ͳ Télé-réalité : 120 candidats aux prud'hommes, LePoint.fr, 19 décembre 2008
Neuer (L.),
Ͳ SFR en procès avec ses franchisés, LePoint.fr, 20 novembre 2008
318
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
Nouri (C.),
о Auto-entrepreneur : une coquille vide ?, Ecotidien.fr, 5 mai 2010
Vignaud (M.),
Ͳ L'auto-entrepreneur, stade ultime de la précarisation, LePoint.fr, 1 janvier 2009
Richard (D.),
Ͳ Les dessous de la sous-traitance, Sud Ouest, 8 nov. 2007
Widemann (D.),
Ͳ Liberté, égalité, fraternité, l'Humanité, 7 févr. 2009 : cinéma : La question des
bénévoles au cœur du débat. L'édition 2010 est gravement menacée. Une épée de
Damoclès sur nombre de manifestations
X.
Internet
http://www.cat-unapei.org
о Le portail des Cat de l' Unapei rassemble 650 établissements permettant l'insertion
professionnelle des personnes handicapées dans le travail, propose des
informations sur le droit du travail et explique comment embaucher.
http://www.cee-recherche.fr/
о Etablissement public de recherche sur l’emploi.
http://www.cess.paris4.sorbonne.fr/
о Centre d'Études Sociologiques de la Sorbonne.
http://www.larousse.fr/
о
dictionnaires Larousse en ligne.
http://www.legifrance.gouv.fr/
о Service public de diffusion du droit.
http://www.odisser.org/fr/
о Outils du DIalogue Social au Sein de l’Entreprise Réseau.
http://www.pme.gouv.fr/
о Le site de la Direction générale de la compétitivité, de l'industrie et des services
destiné aux pme, artisans et professions libérales.
319
Ͳ
>ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ
http://www.travail-solidarite.gouv.fr/
о Informations pratiques sur le droit du travail, l'accès à l'emploi, la formation
professionnelle.
320
!
0! 23!5637!83!9)*+,867-.6+7!/),6860)3!8-79!539!,35-.6+79!83!.,-1-65!!!!2!
34567!879!:4;<=>79!
!
!
!
?ECE?LMECEN3A!JJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJ!5!
AOMMAIRE!........JJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJ!O!
GP?@QMG3MRNA........................................................................................................................7!
!
MN3?RDBL3MRN!JJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJ!ST!
U?ECMI?E!UG?3ME!!
FG!?ELHE?LHE!DVBN!L?M3I?E!DB!LRN3?G3!DE!3?GQGMF!JJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJ!W3!
!
3M3?E!SJ!F7!>7XYZ>9!4Z!6<7[!87!9Z5Y>8<[4;<Y[!JJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJ!WO!
L\4]<;>7!SJ!F79!8^;7>:<[4[;9!8Z!XY[;7_;7!Z̀><8<aZ7!4X;Z76!JJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJ!Wb!!
A7X;<Y[!M!c!XY[;>4;!87!;>4d4<6!7;!67!6<7[!87!9Z5Y>8<[4;<Y[!JJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJ!We!
U4>4f>4]\7!S!c!F4!XY[9^X>4;<Y[!8Z!XY[;>4;!87!;>4d4<6!JJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJ!We!
G!c!F79!64XZ[79!8Z!XY87!X<d<6!JJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJ!Kg!
S!h!FV4]]>YX\7!:4;^><46<9;7!87!64!>764;<Y[!87!;>4d4<6!JJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJ!Kg!
T!h!F7!579Y<[!87!>^^aZ<6<5>7>!64!>764;<Y[!87!;>4d4<6!JJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJ!KS!
P!c!F4![4<994[X7!8VZ[!XY[;>4;!9Z<!f7[7><9!JJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJ!KT!
S!h!F4![^X7994<>7!]><97!7[!XY:];7!87!64!aZ79;<Y[!9YX<467!JJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJ!KW!
T!h!F4!:<97!7[!]64X7!8VZ[!X48>7!Z̀><8<aZ7!9]^X<46!JJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJ!KW!
U4>4f>4]\7!T!h!G]]>YX\7!X<d<6<9;7!8Z!XY[;>4;!87!;>4d4<6!7;!9Z5Y>8<[4;<Y[JJJJJJJJJJJJJJJJ!KK!
G!c!F79!]><[X<]79!X<d<6<9;79!84[9!67!XY[;>4;!87!;>4d4<6!JJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJ!Ki!
P!c!F4!X6499<j<X4;<Y[!8Z!XY87!X<d<6!JJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJ!KO!
S!c!LY[;>4;!9k[4664f:4;<aZ7!JJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJ!KO!
T!c!LY[;>4;!XY::Z;4;<j!JJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJ!Kb!
W!c!LY[;>4;!l!;<;>7!Y[^>7Z_!JJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJ!iS!
K!c!LY[;>4;![Y::^!JJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJ!iS!
A7X;<Y[!MM!c!!D>Y<;!8Z!;>4d4<6m!9^XZ><;^!9YX<467!7;!6<7[!87!9Z5Y>8<[4;<Y[!Z̀><8<aZ7!JJJJJJJJ!iW!
U4>4f>4]\7!S!c!DZ!6<7[!87!9Z5Y>8<[4;<Y[!l!6V4]]6<X4;<Y[!879!6Y<9!9YX<4679!JJJJJJJJJJJJJJJ!iW!
G!c!3>4d4<6!9Z5Y>8Y[[^!7;!XY:]^;7[X7!Z̀><8<X;<Y[[7667!JJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJJ!iW!
321!
!
!
0! 23!5637!83!9)*+,867-.6+7!/),6860)3!8-79!539!,35-.6+79!83!.,-1-65!!!!2!
4!5!6789!:8!;<=>?:79@A7>9!8A!B>CDEA89B8!:<!F>9;87G!:8;!H?<:IJ>CC8;!KKKKKKKKK!LM!
N!O!68!G789!:8!;<=>?:79@A7>9!89A?8!:?>7A!D?7PE!8A!:?>7A!D<=G7B!KKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKK!LL!
Q!O!6I8RR8BA7P7AE!:<!:?>7A!:<!A?@P@7G!KKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKK!LS!
4!5!68!B>9B8DA!:I8RR8BA7P7AE!89!:?>7A!:<!A?@P@7G!KKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKK!LT!
N!5!6789!:8!;<=>?:79@A7>9!8A!8RR8BA7P7AE!:<!:?>7A!:<!A?@P@7G!KKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKK!LT!
F!O!68!G789!:8!;<=>?:79@A7>9!8A!GI@BBU;!V!G@!D?>A8BA7>9!;>B7@G8!KKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKK!SW!
4!5!H?E;89A@A7>9!:<!?EX7C8!XE9E?@G!KKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKK!SW!
N!5!YBBU;!@<!?EX7C8!XE9E?@G!8A!G789!:8!;<=>?:79@A7>9!KKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKK!SW!
H@?@X?@DJ8!N!5!68!;@G@?7@A!89!:?>7A!:<!A?@P@7G!8A!:8!G@!ZEB<?7AE!;>B7@G8!KKKKKKKKKKKKKKKKKKKK!SN!
Y!O!6I<97R7B@A7>9!:8;!B?7AU?8;!:<!B>9A?@A!:8!A?@P@7G!KKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKK!SN!
4!5!6IEA@D8!:8;!B?7AU?8;!:7;A79BA;!KKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKK!SN!
N!5!6I<97R>?C7;@A7>9!:8;!B?7AU?8;!KKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKK!SM!
Q!5!6I79AE?[A!:8!GI<97R7B@A7>9!KKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKK!SL!
FJ@D7A?8!NK!6@!B>9B8DA<@G7;@A7>9!:<!G789!:8!;<=>?:79@A7>9\\\\\\\\\\\KKK\\SS!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
Z8BA7>9!!]!O!6@!B>9B<??89B8!:8;!B?7AU?8;!!:<!B>9A?@A!:8!A?@P@7G!KKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKK!ST!
H@?@X?@DJ8!4!5!68;!B?7AU?8;!B>CDGEC89A@7?8;!@<!G789!:8!;<=>?:79@A7>9KKKKKKKKKKKKKKKKKKK!ST!
!!!Y!O!6@!?EC<9E?@A7>9KKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKS^!
4!O!6@!R>?C8!:8!G@!?EC<9E?@A7>9!KKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKK!S_!
N!O!G@!B>9A?8D@?A78!:I<98!D?8;A@A7>9!:8!A?@P@7G!KKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKK!TW!
Q!O!6@!!D?8;A@A7>9!:8!A?@P@7G!KKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKK!T4!
4!O!68!B@?@BAU?8!:7?8BA!8A!8RR8BA7R!:8!G@!D?8;A@A7>9!KKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKK!T4!
N!5!`98!D?8;A@A7>9!D><?!G8!B>CDA8!:I@<A?<7!KKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKK!TN!
3!5!68!B@?@BAU?8!D?>R8;;7>998G!:8!G@!D?8;A@A7>9!:8!A?@P@7G!KKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKK!T3!
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!H@?@X?@DJ8!N!5!6@!:>C79@9B8!:<!G789!:8!;<=>?:79@A7>9!a<?7:7b<8!
KKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKK!T3!
Y!5!6I79;A@=7G7AE!:<!B?7AU?8!:<!G789!:8!;<=>?:79@A7>9!a<?7:7b<8!KKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKK!TM!
!!!!!!Q!5!6I@DD?>BJ8!a<?7;D?<:89A78GG8!:<!G789!:8!;<=>?:79@A7>9!a<?7:7b<8!
KKKKKKKKKKKKKKKKKK!TT!
4!O!68;!B>9:7A7>9;!C@AE?78GG8;!:c8dEB<A7>9!:<!A?@P@7G!KKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKK!T^!
N!5!6c@<A>?7AE!8A!G8!B>9A?eG8!:8!Gc8CDG>f8<?!KKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKK!^W!
Z8BA7>9!]]!O!6@!B>9B<??89B8!:8;!B?7AU?8;!@GA8?9@A7R;!KKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKK!^3!
H@?@X?@DJ8!4!!5!6@!9>A7>9!:8!:ED89:@9B8!EB>9>C7b<8!KKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKK!^M!
Y!O!!gED89:@9B8!EB>9>C7b<8!8A!;<=>?:79@A7>9!a<?7:7b<8!KKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKK!^M!
Q!O!!h8a8A!:<!B?7AU?8!:8!G@!:ED89:@9B8!EB>9>C7b<8!KKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKK!^L!
H@?@X?@DJ8!N!!5!6@!9>A7>9!:I79AEX?@A7>9!V!<9!;8?P7B8!>?X@97;E!KKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKK!^S!
!
322!
!
0! 23!5637!83!9)*+,867-.6+7!/),6860)3!8-79!539!,35-.6+79!83!.,-1-65!!!!2!
4!5!67!8797:!;7!<=!>?:@?>!A?BB7!=<:78>=:@C7!=D!<@7>!;7!EDF?8;@>=:@?>!GGGGGGGGGGGGGGGGG!HI!
J!K!67!87A?D8E!L!<=!>?:@?>!A?BB7!@>;@A7!;D!<@7>!;7!EDF?8;@>=:@?>!GGGGGGGGGGGGGGGGGGGGG!HH!
M=8=N8=OP7!3!K!6=!O<=A7!;7E!A8@:Q87E!;D!;8?@:!A?BBD>=D:=@87!GGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGG!HR!
4!K!6=!9D8@EO8D;7>A7!A?BBD>=D:=@87!GGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGG!HR!
J!K!6S@>=OO<@A=F@<@:T!;7E!A8@:Q87E!A?BBD>=D:=@87E!GGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGG!RU!
VWVXY!ZG!6=!87<=:@C@E=:@?>!;D!<@7>!;7!EDF?8;@>=:@?>!!GGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGG!R3!
[P=O@:87!UG!67!87A?D8E!L!<=!B=@>!;\]DC87!>?>!EDF?8;?>T7!GGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGG!R^!
_7A:@?>!W!5!67E!7`A<DE@?>E!O=8!;T:78B@>=:@?>!;7!<S=A:@C@:T!GGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGG!Ra!
M=8=N8=OP7!U!K!67!:8=C=@<!L!b@>=<@:T!E?A@=<7!GGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGG!Ra!
4!!5!V8=C=@<!7>![7>:87!;S4@;7!O=8!<7!V8=C=@<!GGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGG!Ra!
J!5!67!:8=C=@<!OT>@:7>:@=@87GGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGG!RH!
[!5!!67E!:8=C=D`!;S@>:T8c:!NT>T8=<!GGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGG!Udd!
M=8=N8=OP7!Z!K!67!:8=C=@<!>?>!8TBD>T8T!GGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGG!UdU!
!!!!!4!5!JT>TC?<=:!!7:!<7!C?<?>:=8@=:!
GGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGG!UdU!
U!K!67!FT>TC?<=:!GGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGG!UdU!
Z!5!67!C?<?>:=8@=:!=EE?A@=:@b!GGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGG!Ud^!
J!5!Y>:8=@;7!7:!=EE@E:=>A7!GGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGG!Ude!
U!5!67!;7C?@8!;S=EE@E:=>A7!;=>E!<7!A=;87!;D!A?>:8=:!;7!B=8@=N7!GGGGGGGGGGGGGGGGGGGGG!Ude!
Z!5!6S7>:8=@;7!;7!A?D8:?@E@7!GGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGG!UdI!
3!5!67!A=E!O=8:@AD<@78!;D!A?>:8=:!;\7>:8=@;7!=N8@A?<7!GGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGG!UdI!
[!5!67E!E:=N7E!7>!7>:87O8@E7!GGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGG!UdR!
_7A:@?>!WW!5!67E!7`A<DE@?>E!O=8!<S7`:78>=<@E=:@?>!;D!:8=C=@<!GGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGG!UUd!
M=8=N8=OP7!U!5!6S7`:78>=<@E=:@?>!;@87A:7!GGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGG!UUU!
4!5!67!87A?D8E!=D!A?>:8=:!;7!B=>;=:!GGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGG!UUU!
J!5!67!87A?D8E!=D!A?>:8=:!;S7>:87O8@E7!GGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGG!UU3!
[!5!67!87A?D8E!=D!A?>:8=:!;7!E?DE5:8=@:=>A7!GGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGG!UU3!
M=8=N8=OP7!Z!!5!6S7`:78>=<@E=:@?>!@>;@87A:7!GGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGG!UU^!
4!5!67!87A?D8E!L!<S@>:T8@B!GGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGG!UU^!
J!5!67!87A?D8E!=D!O?8:=N7!E=<=8@=<!GGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGG!UUa!
[!5!67!87A?D8E!=D!O8c:!;7!B=@>5;S]DC87!<@A@:7GGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGG!UUI!
M=8=N8=OP7!3!K!67!8@EfD7!;7!87fD=<@b@A=:@?>!7>!A?>:8=:!;7!:8=C=@<!GGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGG!UUH!
4!!K!g>7!A=:TN?8@7!9D8@;@fD7!;S?8;87!ODF<@A!GGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGGG!UUR!
J!5!67E!O=8:@7E!@>:T87EET7E!O=8!<=!87fD=<@b@A=:@?>!7>!!A?>:8=:!;7!:8=C=@<!GGGGGGGGGGGGGG!UZU!
!
323!
!
0! 23!5637!83!9)*+,867-.6+7!/),6860)3!8-79!539!,35-.6+79!83!.,-1-65!!!!2!
4!5!678!9:;<=>8?78!@7!;<:<=A>7!7A!@7!:7B9CD:7?7=A!EEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEE!4F4!
F!5!678!G7:89==78!H<I>J>AK78!L!B9=8A<A7:!J7!A:<D<>J!@>88>?CJK!EEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEE!4F3!
M!!N!6O9GK:<A>9=!@7!:7PC<J>Q>B<A>9=!EEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEE!4FR!
MH<G>A:7!FE!6O7SA7=8>9=!@C!8<J<:><A!H9:8!J>7=!@7!8CI9:@>=<A>9=EEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEE4FT!
U7BA>9=!V!5!678!QJCS!7A!:7QJCS!@7!J<!8GHW:7!8<J<:><J7!EEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEE!4FX!
Y<:<;:<GH7!4!5!6O7SA7=8>9=!@C!8A<ACA!8<J<:>K!EEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEE!4FX!
Z!N!6O7SA7=8>9=!G<:!?KB<=>8?7!@7!J<!J9>!EEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEE!4FX!
4!5!678!<88>?>J<A>9=8!7A!G:K89?GA>9=8!@7!8<J<:><A!EEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEE!4F[!
F!N!678!B9=@>A>9=8!@O<GGJ>B<A>9=!EEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEE!4F\!
]!5!6O7SA7=8>9=!@C!@9?<>=7!@C!8<J<:><A!@<=8!J78!G:9Q788>9=8!J>IK:<J78!EEEEEEEEEEEEEE!4F\!
4!5!VJJC8A:<A>9=8!EEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEE!434!
F!N!6O<=A>J9;>7!@C!8A<ACA!@78!J>IK:<CS!8<J<:>K8!EEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEE!43R!
Y<:<;:<GH7!F!5!6O7SBJC8>9=!@C!!8A<ACA!8<J<:>K!EEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEE!43T!
Z!N!678!HK8>A<A>9=8!@7!J<!J9>!EEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEE!43T!
]!N!678!B9=8KPC7=B78!@7!J<!G:K89?GA>9=!@7!8<J<:><AEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEE!43^!
U7BA>9=!VV!N!6<!G:9G<;<A>9=!@C!@:9>A!@C!A:<D<>J!H9:8!8CI9:@>=<A>9=!EEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEE!43[!
Y<:<;:<GH7!45!U7BA7C:!GCIJ>B!7A!@:9>A!@C!A:<D<>J!EEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEE!43[!
Z!N!6O<GGJ>B<A>9=!B:9>88<=A7!@C!@:9>A!@C!A:<D<>J!@<=8!J7!87BA7C:!GCIJ>B!EEEEEEEEEEEEE!43\!
4!N!67!:_J7!@78!A7SA78!EEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEE!43\!
F!5!67!:_J7!@78!G:>=B>G78!;K=K:<CS!@C!@:9>A!EEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEE!4RF!
3!N!67!:_J7!B<8C>8A>PC7!@7!J<!C̀:>8G:C@7=B7!EEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEE!4R3!
]!N!Y:>D<A>8<A>9=!7A!B9=A:<BAC<J>8<A>9=!@C!@:9>A!@7!J<!Q9=BA>9=!GCIJ>PC7!EEEEEEEEEEEE!4RR!
4!N!6<!B9=A:<BAC<J>8<A>9=!@7!J<!Q9=BA>9=!GCIJ>PC7!EEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEE!4RR!
F!N!6<!G:>D<A>8<A>9=!EEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEE!4R^!
Y<:<;:<GH7!F5!a:<D<>J!>=@KG7=@<=A!7A!@:9>A!@C!A:<D<>J!EEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEE!4RX!
Z!N!6OHKAK:9;K=K>AK!@C!M9@7!@C!A:<D<>J!EEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEE!4RX!
4!N!6O7SA7=8>9=!@78!:W;J78!B9=A:<>;=<=A78!@C!M9@7!@C!A:<D<>J!EEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEE!4R[!
F!5!6O7SA7=8>9=!@C!BH<?G!@78!:W;J78!G:9A7BA:>B78!@C!M9@7!@C!A:<D<>J!EEEEEEEEEEEE!4Tb!
]!N!6O7SA7=8>9=!@78!?KB<=>8?78!BJ<88>PC78!@C!@:9>A!@C!A:<D<>J!EEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEE!4T4!
4!N!6O>=QJC7=B7!@C!@:9>A!@C!A:<D<>J!8C:!JO7SKBCA>9=!@78!B9=A:<A8!B>D>J8!7A!
B9??7:B><CS!EEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEE!4TF!
F!N!6O>=QJC7=B7!@C!@:9>A!@C!A:<D<>J!8C:!J<!:CGAC:7!@78!B9=A:<A8!B>D>J8!7A!
B9??7:B><CS!EEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEE!4TF!
!
324!
!
0! 23!5637!83!9)*+,867-.6+7!/),6860)3!8-79!539!,35-.6+79!83!.,-1-65!!!!2!
45678595!:;<=85!!
>;!<598?5!5@!A;6?5!46!>85@!45!?6BC<48@;=8C@!D6<848E65!FFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFF!GH6!
!
=8=<5!GF!>I!JKLMNOPQIRPMQ!SITU!IKV!RNIQJSMNWIRPMQJ!OK!RNIXIPY!FFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFF!GH9!
AZI[PRNU!GF!>UJ!YPWPRUJ!OU!YI!TMQTU[RPMQ!RI\YMNPJRU!OK!YPUQ!OU!JKLMNOPQIRPMQFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFG]G
?UTRPMQ!8!^!>I!OPYKRPMQ!OK!YPUQ!OU!JKLMNOPQIRPMQ!OIQJ!YU![MJR^RI\YMNPJWU!FFFFFFFFFFFFFFFFFFF!G]3!
:INI_NI[ZU!G!`!>U!TMKNIQR!OK![MJR^RI\YMNPJWU!FFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFF!G]3!
;!^!>I!NUWPJU!UQ!TIKJU!OK!RI\YMNM^SMNOPJWU!FFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFF!G]3!
B!`!>U!OaXUYM[[UWUQR!OK![MJR^RI\YMNPJWU!FFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFF!G]b!
G!`!>UJ!OaRUNWPQIQRJ!OU!YcMN_IQPJIRPMQ![MJR^RI\YMNPJRU!OK!RNIXIPY!FFFFFFFFFFFFFFFFFF!G]H!
d!`!>UJ!OPSSaNUQRUJ!SMNWUJ!OcMN_IQPJIRPMQ!OK!RNIXIPY![MJR^RI\YMNPJRU!FFFFFFFFFFFFFF!G]H!
A!`!>I!RNIQJSMNWIRPMQ!OUJ!IQTPUQJ!WMOeYUJ!FFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFF!G]]!
G!`!4K!SMNOPJWU!IK![MJR^RI\YMNPJWU!FFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFF!G]f!
d!`!4K!RI\YMNPJWU!IK![MJR^RI\YMNPJWU!FFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFF!G]g!
:INI_NI[ZU!d!`!>I!OPJ[INPRPMQ!OUJ!SNMQRPeNUJ!OK!JIYINPIR!TYIJJPhKU!FFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFF!G]i!
;!`!>I!JKLMNOPQIRPMQ!WMOUNQU!UQRNU!IKRMQMWPU!UR!TMQRNIPQRU!FFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFF!Gfj!
B!`!>cUVRUQJPMQ!OU!YI!kMQU!_NPJU!UQRNU!RNIXIPYYUKNJ!JIYINPaJ!UR!PQOa[UQOIQRJ!FFFFF!GfH!
?UTRPMQ!88!^!>UJ!ONMPRJ!UR!YPLUNRaJ!OK!JIYINPa!TMWWU!YPWPRUJ!IK!YPUQ!OU!JKLMNOPQIRPMQ!Gff!
:INI_NI[ZU!G!`!>I![NMTYIWIRPMQ!OK!JIYINPa!TPRM\UQ!OIQJ!YcUQRNU[NPJU!FFFFFFFFFFFFFFFFFFFF!Gfg!
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!;!^!>U!NUJ[UTR!OUJ!ONMPRJ!UR!YPLUNRaJ![IN!YlUW[YM\UKN!mmmmmmmmmmFFGfi!
G!`!>UJ!YPLUNRaJ!UR!ONMPRJ!SMQOIWUQRIKV!FFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFF!Gfi!
d!`!>UJ!ONMPRJ!OUJ![UNJMQQUJ!UR!OU!YI![UNJMQQIYPRa!FFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFF!Ggj!
3!`!>UJ!>PLUNRaJ!PQOPXPOKUYYUJ!UR!TMYYUTRPXUJ!FFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFF!Ggd!
B!!^!>I!QaTUJJIPNU!nKJRPSPTIRPMQ!OK![MKXMPN![IRNMQIY!FFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFF!Gg3!
A!`!>U!OMWIPQU!NaJUNXa!OK!JIYINPa!OIQJ!YI!JKLMNOPQIRPMQ!FFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFF!Ggb!
G!`!>U!ONMPR!o!YI!OaJMLaPJJIQTU!Ya_PRPWU!OU!RMKR!TMTMQRNITRIQR!FFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFF!GgH!
d!`!>U!ONMPR!o!YcPQJKLMNOPQIRPMQ!Ya_PRPWU!OU!RMKR!JIYINPa!FFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFF!Gg]!
3!`!>U!OPJ[MJPRPS!OcIYUNRU!UQ!TIJ!OlIRRUPQRU!IKV!YPLUNRaJ!FFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFF!Gg]!
:INI_NI[ZU!d!`!>U!OaXUYM[[UWUQR!OU!YI!Qa_MTPIRPMQ!TMYYUTRPXU!FFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFF!Ggf!
;!`!>cUVRUQJPMQ!OK!TZIW[!OcPQRUNXUQRPMQ!OU!YI!Qa_MTPIRPMQ!TMYYUTRPXU!FFFFFFFFFFFFF!Ggg!
B!^!6QU!aXMYKRPMQ!NaXaYIRNPTU!OU!Yla[KPJUWUQR!OK!TMW[NMWPJ!SMNOPJRUFFFFFFFFFFFFFFFFGgi!
AZI[PRNU!dF!>cPW[ITR!OUJ!QMKXUYYUJ!MN_IQPJIRPMQJ!OK!RNIXIPY!JKN!YU!YPUQ!OU!JKLMNOPQIRPMQ!FFFFFGiG!
?UTRPMQ!!8!^!!>U!OaXUYM[[UWUQR!OK!RaYaRNIXIPYFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFGid!
:INI_NI[ZU!G!^!>U!RaYaRNIXIPY!UR!YI!OaWIRaNPIYPJIRPMQ!OK!YPUQ!OU!JKLMNOPQIRPMQ!FFFFFFFGid!
325!
!
!
0! 23!5637!83!9)*+,867-.6+7!/),6860)3!8-79!539!,35-.6+79!83!.,-1-65!!!!2!
4!5!67!89:87;<!=>!<?@?<ABCBD@!EEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEE!FGH!
I!5!6B!=?JB<?ADB@DKB<D9:!=>!@D7:!=7!K>L9A=D:B<D9:!EEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEE!FGM!
NBABOAB;P7!H!!5!6QBC7:DA!=>!<ABCBD@!R!=9JD8D@7!7<!=>!=A9D<!=>!<ABCBD@EEEEEEEEEEEEEEEEEEEEE!FGS!
4!5!6B!;A9<78<D9:!=7K!<ABCBD@@7>AK!R!!=9JD8D@7!EEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEE!FGT!
I!5!6QB88UK!R!@Q7J;@9D!=7K!;7AK9::7K!:7!;9>CB:<!;BK!V>D<<7A!@7>A!=9JD8D@7!EEEEE!FGW!
NBABOAB;P7!3!5!6B!=DK<D:8<D9:!7:<A7!<ABCBD@!KB@BAD?!7<!<ABCBD@!D:=?;7:=B:<!=B:K!@7!
<?@?<ABCBD@!EEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEE!HXX!
4!5!Y?@?<ABCBD@!7<!=A9D<!=>!<ABCBD@!EEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEE!HXX!
I!5!Y?@?<ABCBD@!7<!=A9D<!=7!@B!K?8>AD<?!K98DB@7!EEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEE!HXH!
Z78<D9:!![[!\!6B!=?K<A>8<>AB<D9:!=7K!7:<A7;ADK7K!7:!A?K7B>]!EEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEE!HXM!
NBABOAB;P7!F!5!67K!:9>C7@@7K!9AOB:DKB<D9:K!=7!@B!^DAJ7!EEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEE!HXM!
4!5!67K!=D^^?A7:<K!:DC7B>]!=Q9AOB:DKB<D9:!=7!@B!^DAJ7!EEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEE!HX_!
I!5!6B!=?<7AJD:B<D9:!=7!@Q7J;@9`7>A!EEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEE!HXT!
a!\!6B!=>B@D<?!=7K!ADKV>7K!?89:9JDV>7K!7<!=7!@Q7J;@9D!EEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEE!HFX!
NBABOAB;P7!H!\!b7@B<D9:K!;A9^7KKD9::7@@7K!7<!:9>C7@@7K!9AOB:DKB<D9:K!EEEEEEEEEEEEEEEEEEE!HFF!
4!5!6QB=B;<B<D9:!=>!=A9D<!=7K!A7@B<D9:K!89@@78<DC7K!EEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEE!HFF!
F!5!6B!:?O98DB<D9:!B>!:DC7B>!=>!OA9>;7EEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEE!HFF!
H!5!6B!:?O98DB<D9:!<7AAD<9ADB@7!EEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEE!HFH!
3!5!6QD:<?OAB<D9:!C9@9:<BDA7!=7K!D:<?Ac<K!K98DB>]!EEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEE!HFM!
I!5!67K!J?8B:DKJ7K!=7!A7K;9:KBLD@D<?!;A9;9K?K!;BA!@QdE[EYE!EEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEE!HF_!
F!5!6B!<78P:DV>7!=>!89\7J;@9`7>A!EEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEE!HF_!
H!5!6B!<78P:DV>7!=7!@B!A7K;9:KBLD@D<?!K9@D=BDA7!EEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEE!HF_!
Y[Ybe!HE!6B!A?O?:?AB<D9:!=7K!AB;;9A<K!=7!K>L9A=D:B<D9:fffffffffffffEEEHFW!
aPB;D<A7!FE!6Q7];B:KD9:!=7K!@D7:K!P9AK!K>L9A=D:B<D9:!EEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEE!HFG!
Z78<D9:!![!\!6B!;BA<D8D;B<D9:!=DA78<7!=7K!KB@BAD?K!B>]!=?8DKD9:K!EEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEE!HHF!
NBABOAB;P7!F!\!6QB8<D9:!=7K!KB@BAD?K!;BA!@Q>KBO7!=>!A?^?A7:=>J!EEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEE!HHF!
4!5!67!8PBJ;!=QB;;@D8B<D9:!=7!@QB889A=!A?^?A7:=BDA7!EEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEE!HHH!
I!5!6Q7];B:KD9:!=7K!B889A=K!A?^?A7:=BDA7K!7<!B<`;DV>7K!EEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEE!HH3!
NBABOAB;P7!H!\!6QB88UK!=7K!KB@BAD?K!R!@B!V>B@D<?!=QBKK98D?!EEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEE!HH_!
4!5!67!KB@BAD?!B8<D9::BDA7!EEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEE!HH_!
I!5!67!KB@BAD?!BKK98D?!EEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEEE!HHW!
Z78<D9:![[!5!6QBKK98DB<D9:!D:=DA78<7!=7K!KB@BAD?K!R!@B!O7K<D9:!=7!@Q7:<A7;ADK7!EEEEEEEEEEEEE!H3X!
NBABOAB;P7!F!5!6B!A7;A?K7:<B<D9:!=7K!KB@BAD?K!B>!K7D:!=7K!9AOB:7K!K98DB>]!EEEEEEEEEE!H3X!
!
326!
!
0! 23!5637!83!9)*+,867-.6+7!/),6860)3!8-79!539!,35-.6+79!83!.,-1-65!!!!2!
4!5!678!9:;<=>=:;8!<7!?@!A7BAC87;>@>=:;!<78!8@?@A=C8!DDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDD!E3E!
F!G!678!H:<@?=>C8!<7!?@!A7BAC87;>@>=:;!<78!8@?@A=C8!DDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDD!E3I!
J@A@KA@BL7!E!5!6@!K78>=:;!B@A!?78!=;8>=>M>=:;8!A7BAC87;>@>=N78!<M!B7A8:;;7?!DDDDDDDDD!E3O!
4!5!6@!K78>=:;!>A@<=>=:;;7??7!B@A!?78!=;8>=>M>=:;8!A7BAC87;>@>=N78!<M!B7A8:;;7?!D!E3O!
F!5!67!<CN7?:BB7H7;>!<7!?@!9:K78>=:;!@M!87=;!<7!?P7;>A7BA=87!DDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDD!E3Q!
R79>=:;!SSS!5!6P@88:9=@>=:;!<78!8@?@A=C8!@MT!AC8M?>@>8!<7!?P7;>A7BA=87!DDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDD!E3U!
J@A@KA@BL7!V!G!6@!B@A>=9=B@>=:;!<78!8@?@A=C8!@MT!WC;CX=978!DDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDD!EIY!
4!5!67!9:;97B>!ZMA=<=[M7!<7!?@!B@A>=9=B@>=:;!DDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDD!EIV!
V!G!67!9L@HB!<\@BB?=9@>=:;!<7!?@!B@A>=9=B@>=:;!<78!8@?@A=C8!DDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDD!EIV!
E!G!67!BA=;9=B7!<7!?@!B@A>=9=B@>=:;!<78!8@?@A=C8!DDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDD!EIE!
F!5!678!7XX7>8!<7!?@!B@A>=9=B@>=:;!8MA!?7!A@BB:A>!<7!8MW:A<=;@>=:;!DDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDD!EI3!
J@A@KA@BL7!E!G!6P=;>CA7887H7;>!<78!8@?@A=C8!@MT!WC;CX=978!DDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDD!EII!
4!5!67!BA=;9=B7!<7!?P=;>CA7887H7;>!DDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDD!EII!
F!5!678!7XX7>8!<7!?P=;>CA7887H7;>!8MA!?7!A@BB:A>!<7!8MW:A<=;@>=:;!DDDDDDDDDDDDDDDDDDDDD!EIO!
]L@B=>A7!!ED!678!@?>7A;@>=N78!B:MA!?P@N7;=ADDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDEI^!
R79>=:;!S!5!!?78!=HB@8878!<7!?@!8MW:A<=;@>=:;!DDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDD!EIQ!
J@A@KA@BL7!V!5!67!<CN7?:BB7H7;>!<7!?@!_:;7!KA=87!7;!<A:=>!<M!>A@N@=?!DDDDDDDDDDDDDDDDDD!EI`!
!4!G!67!<CN7?:BB7H7;>!<7!?@!_:;7!KA=87!7;!<A:=>!<M!>A@N@=?!DDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDD!EI`!
!F!G!678!8=K;78!<PM;7!=;8MXX=8@;97!<78!<=8B:8=>=X8!@9>M7?8!DDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDD!EOV!
!J@A@KA@BL7!E!G!67!N=<7!ZMA=<=[M7!<M!>A@N@=?!C9:;:H=[M7H7;>!<CB7;<@;>!DDDDDDDDDDDDD!EOI!
!4!G!6@!BA:>79>=:;!8:9=@?7!<78!>A@N@=??7MA8!<CB7;<@;>8!DDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDD!EOO!
!F!G!6@!BA:>79>=:;!<7!?P@9>=N=>C!BA:X788=:;;7??7!<78!>A@N@=??7MA8!<CB7;<@;>8!DDDDDD!EO`!
R79>=:;!!SS!G!6@!H:<7A;=8@>=:;!<M!<A:=>!<M!>A@N@=?!DDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDD!E^Y!
J@A@KA@BL7!V!G!!6@!A79L7A9L7!<PM;!9A=>aA7!@?>7A;@>=X!b!?@!8MW:A<=;@>=:;DDDDDDDDDDDDDDDDDD!E^V!
4!G!6@!;:>=:;!<P:WZ7>!7>!<7!9@M87!<@;8!?7!9:;>A@>!<7!>A@N@=?!DDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDD!E^V!
F!G!678!9A=>aA78!<78!@M>A78!8c8>aH78!ZMA=<=[M78!DDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDD!E^I!
V!G!678!<CX=;=>=:;8!B:A>@;>!8MA!?7!X:;<!DDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDD!E^O!
E!G!678!<CX=;=>=:;8!<789A=B>=N78!DDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDD!E^Q!
J@A@KA@BL7!E!5!6P=;>A:<M9>=:;!<PM;7!>A:=8=aH7!N:=7!DDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDD!E^Q!
4!G!67!9:;97B>!XA@;d@=8!<7!?@!B@A@8MW:A<=;@>=:;!DDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDD!E^`!
F!G!678!8:?M>=:;8!<7!?@!B@A@8MW:A<=;@>=:;!=>@?=7;;7!DDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDD!EQV!
]!G!678!8:?M>=:;8!<M![M@8=G8@?@A=@>!@??7H@;<!DDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDDD!EQV!
J@A@KA@BL7!3!5!6PCH7AK7;97!<PM;!<A:=>!<7!?P@9>=N=>C!BA:X788=:;;7??7!DDDDDDDDDDDDDDDDDDDD!EQ3!
!
327!
!
0! 23!5637!83!9)*+,867-.6+7!/),6860)3!8-79!539!,35-.6+79!83!.,-1-65!!!!2!
4!5!678!9:9;7<=8!>9?@:A<=!:BAC=DED=9!F>GH788DG<<7::7!IA<8!:A!:GD!7JD8=A<=7!KKKKKKKKK!LMN!
O!5!6A!C>9A=DG<!IB@<!I>GD=!I7!:BAC=DED=9!F>GH788DG<<7::7!IA<8!:A!:GD!P!E7<D>!KKKKKKK!LMM!
QRSQ6TU
KKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKK!LWX!
!VRS!KKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKK
VSYZ[!KKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKKK!LW6!
```````````````````````````````La5!
OV
!!O6VR\]4^_VZ
!
!
328!
Vu et permis d’imprimer
Montpellier, le ..........................................
Le Président de l’Université Montpellier I
Philippe AUGE
Résumé de la thèse
EN FRANÇAIS :
La notion de subordination juridique est en confrontation directe avec l’évolution du marché
du travail. Face aux contraintes du droit du travail, le salariat est fuit ce qui favorise les
montages juridiques mais aussi les réelles alternatives. Ces dernières alimentent aujourd’hui
le phénomène des travailleurs économiquement dépendants qui témoigne de l’extension d’une
zone grise aux frontières du salariat. Il devient donc parfois bien difficile de définir le contrat
de travail. Pourtant, les enjeux sont importants, notamment au regard de l’infraction de travail
dissimulé. La subordination juridique étant le critère distinctif du contrat de travail, il convient
de faire le point sur les approches successivement proposées par la doctrine et la
jurisprudence. Le but de cette thèse est d’essayer de faire le bilan de cette notion instable pour
prévoir et proposer les évolutions possibles.
EN ANGLAIS :
The concept of legal subordination is in direct confrontation with the changing labor market.
Given the constraints of employment law, the wage is leaking which promotes legal
arrangements but also the real alternatives. These now supply the phenomenon of
economically dependent workers, reflecting the extension of a gray area into borders of
employment. It becomes increasingly difficult to define the employment contract. Yet the
stakes are high, particularly with regard to the infringement of concealed work. The legal
subordination is the distinguishing criterion of the employment contract, it should take stock
of approaches successively proposed by doctrine and jurisprudence. The aim of this thesis is
to try to take stock of this unstable concept to predict and suggest possible changes.
DISCIPLINE :
Droit privé et sciences criminelles
MOTS CLEFS :
Subordination juridique ; contrat de travail ; critères ; zone grise ; travailleur économiquement
dépendant
INTITULÉ ET ADRESSE DE L’UFR OU DU LABORATOIRE :
Laboratoire du Droit Social (LDS)
Faculté de droit, Université Montpellier I,
39 rue de l’Université, 34060 Montpellier Cedex (France)