universit é montpellieri thèse
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UNIVERSITÉ MONTPELLIER I FACULTÉ DE DROIT N° attribué par la bibliothèque Année 2010 THÈSE Pour obtenir le grade de DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ MONTPELLIER I Discipline : Droit privé et sciences criminelles Présentée et soutenue publiquement par Nicolas PÉPIN Le jeudi 08 juillet 2010 LE LIEN DE SUBORDINATION JURIDIQUE DANS LES RELATIONS DE TRAVAIL Thèse dirigée par M. Bruno SIAU Membres du jury : M. Arnaud MARTINON Professeur à l’Université d’Avignon (Rapporteur) M. Franck PETIT Professeur à l’Université d’Avignon (Rapporteur) Mme Christine NEAU-LEDUC Professeur à l’Université Montpellier I (Examinateur) M. Bruno SIAU Maître de conférences à l’Université Montpellier I (Directeur de thèse) M. Stéphane DARMAISIN Maître de conférences à l’Université de Nîmes (Invité) UNIVERSITÉ MONTPELLIER I FACULTÉ DE DROIT N° attribué par la bibliothèque Année 2010 THÈSE Pour obtenir le grade de DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ MONTPELLIER I Discipline : Droit privé et sciences criminelles Présentée et soutenue publiquement par Nicolas PÉPIN Le jeudi 08 juillet 2010 LE LIEN DE SUBORDINATION JURIDIQUE DANS LES RELATIONS DE TRAVAIL Thèse dirigée par M. Bruno SIAU Membres du jury : M. Arnaud MARTINON Professeur à l’Université d’Avignon (Rapporteur) M. Franck PETIT Professeur à l’Université d’Avignon (Rapporteur) Mme Christine NEAU-LEDUC Professeur à l’Université Montpellier I (Examinateur) M. Bruno SIAU Maître de conférences à l’Université Montpellier I (Directeur de thèse) M. Stéphane DARMAISIN Maître de conférences à l’Université de Nîmes (Invité) ! "# $#%&'() *+,*(,*- -.**,/ #&%&*, #00/.1#(2.* *2 230/.1#(2.* #&4 .02*2.*5 )325,5 -#*5 %,((, (675, 8 %,5 .02*2.*5 -.29,*( :(/, %.*52-)/),5 %.33, 0/.0/,5 ; ',&/ #&(,&/ < Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ Remerciements Je voudrais exprimer ici ma reconnaissance aux personnes qui m’ont aidé à mener à bien cette thèse. Mes remerciements s’adressent à mon directeur de thèse Bruno Siau, sans qui ce travail n’aurait jamais vu le jour et qui s’est laissé convaincre du sujet de cette thèse. De même, mes remerciements vont à Paul-Henri Antonmattei qui a m’a donné une confiance éclairée dans l’apport de cette thèse et en a favorisé le bon déroulement. À Florence Guillaume, qui a consacré son savoir-faire reconnu à la relecture de mes travaux, je lui exprime ma gratitude. À mes parents, Christine Pépin et Eric Pépin, je leur adresse ici ma profonde reconnaissance pour le soutien précieux qu’ils m’ont apporté. À Emeline Cantamaglia, pour ses encouragements quotidiens, son dynamisme communicatif et l’apport de ses compétences littéraires, je lui adresse ici tous mes remerciements. Je dédicace l’accomplissement de ce travail… À Paul Mille et Edmonde Mille, en hommage à mes grands-parents À ma fille, Marylou, Pour ses rires et ses sourires… 5 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ SOMMAIRE INTRODUCTION …………………………………………………………………………………………………………P.12 PARTIE 1: LA RECHERCHE D’UN CRITERE DU CONTRAT DE TRAVAIL………………………P.33 TITRE 1. LE RECOURS AU LIEN DE SUBORDINATION………………………………………...P.36 CHAPITRE 1 : LES DETERMINANTS DU CONTEXTE JURIDIQUE ACTUEL……………………………………………….…….P.38 CHAPITRE 2 : LA CONCEPTUALISATION DU LIEN DE SUBORDINATION…………………………………………………...….P.66 TITRE 2 : LA RELATIVISATION DU LIEN DE SUBORDINATION………………………………………….P.93 CHAPITRE 1 : LE RECOURS À LA MAIN D’OEUVRE NON SUBORDONNEE…………………………………………………….P.94 CHAPITRE 2 : L’EXTENSION DU SALARIAT HORS LIEN DE SUBORDINATION…………………………………………….…P.125 PARTIE 2: LA REMISE EN CAUSE DU LIEN DE SUBORDINATION..............................................…….P.156 TITRE 1 : LA SUBORDINATION FACE AUX TRANSFORMATIONS DU TRAVAIL…………….P.159 CHAPITRE 1 : LES LIMITES DE LA CONCEPTION TAYLORISTE DU LIEN DE SUBORDINATIO………….……….….P.161 CHAPITRE 2 : L’IMPACT DES NOUVELLES ORGANISATIONS DU TRAVAIL SUR LE LIEN DE SUBORDINATION…………………………………………………………………………………………………….…………..P.191 TITRE 2 : LA REGENERATION DES RAPPORTS DE SUBORDINATION……………………………….P.218 CHAPITRE 1 : L’EXPANSION DES LIENS HORS SUBORDINATION……………………………………………………….………..P.219 CHAPITRE 2 : LES ALTERNATIVES POUR L’AVENIR…………………………………………………………………...……………….P.246 6 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ ABRÉVIATIONS [s.d.] : sans date [s.l.] : sans lieu [s.n.] : sans nom A. : Arrêté ACOSS : Agence centrale des organismes de sécurité sociale Act. : Actualité AFP : Agence France-Presse AGS : Association pour la Gestion du régime de garantie des créances des Salariés AJDA : Actualité juridique de droit administratif AN : Assemblée nationale ANI : Accord National Interprofessionnel ARE : Aide au Retour à l’emploi Art. : Article Ass. plén. : Assemblée plénière ASSEDIC : Association pour l'Emploi dans l'Industrie et le Commerce Assoc. : Association Avr. : Avril BICC : Bulletin d’Information de la Cour de Cassation Bull. civ. : Bulletin des arrêts de la Cour de cassation Bull. Crim. : Bulletin des arrêts de la Cour de cassation Bull. Joly : Bulletin Joly d’information des sociétés C. civ. : Code civil C. trav. art. : Article du Code du travail C./ : Contre C.A.T. : Centre d’Aide par le Travail CA : Arrêt de la Cour d’Appel Cass. Ch. Réun. : Arrêt des chambres réunies de la Cour de cassation Cass. Civ. : Arrêt de la chambre civile Cass. crim. : Arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation Cass. soc. : Arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation 7 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ CDD : Contrat à durée déterminée CDI : Contrat à durée indéterminée CE : Conseil d’Etat CEDH : Cour Européenne des Droits de l’Homme Cf. : Confer, reportez-vous à, voyez CGEA : Centres de Gestion et d'Etude AGS Ch. Mixte : Chambre mixte Ch. Soc : Chambre sociale Chron. : Chronique CHSCT : Comité d’Hygiène de Sécurité et des Conditions de Travail Circ. DGT : Circulaire de la Direction Générale du Travail Circ. min. : Circulaire Ministérielle Circ. : Circulaire CJCE : Cour de Justice des Communautés Européennes CNAM : Caisse Nationale d’Assurance Maladie CNRS : Centre National de la Recherche Scientifique Coll. : Collection CRFPA : Centre Régional de Formation Professionnelle des Avocats CSB : Cahiers Sociaux du Barreau de Paris CSS. art. : Article du code de la sécurité sociale D. : Décret Déc. : Décembre DG : Direction générale DH : Dalloz hebdomadaire DL : Recueil Dalloz DP : Recueil périodique et critique mensuel Dalloz (antérieur à 1941) Dr. soc. : Revue de Droit Social E.S.A.T. : Établissement et service d’aide par le travail éd. : Édition Éd. : Éditeur EPIC : Établissement Public à caractère Industriel et Commercial Fasc. : Fascicule Févr. : Février 8 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ Gaz. Pal. : Revue Gazette du Palais Ibid. : Ibidem, au même endroit Infra : ci-dessous, plus bas IR : Informations rapides du Recueil Dalloz IRES : Institut de Recherches Économiques et Sociales IRP : Institutions Représentatives du Personnel Janv. : Janvier J.-Cl. : Juris-Classeur (Encyclopédies) JCP : Juris-classeur périodique (= Semaine juridique) JCP E : Juris-Classeur périodique - Édition Entreprises et affaires JCP G : Juris-Classeur périodique - Édition générale JCP N : Juris-Classeur périodique - Édition notariale et immobilière JCP S : Juris-Classeur périodique - Édition sociale JOAN Q : Journal officiel (Questions réponses) Assemblée Nationale JOAN : Journal officiel de l’Assemblée Nationale JORF : Journal officiel (Lois et décrets) JSL : Jurisprudence sociale Lamy Juill. : Juillet jurispr. : Jurisprudence L. : Loi Libr. : Librairie Loc. cit. : Loco citato, à l'endroit déjà cité LPA : Les Petites Affiches N.R.E. : loi sur les nouvelles régulations économiques N° : Numéro NCPC : Nouveau Code de Procédure Civile NDLR : Note de la rédaction Nouv. édit. rev. et augm. : Nouvelle édition revue et augmentée Nov. : Novembre NTIC : Nouvelles Technologies de l’Information de la Communication Obs. : Observations Oct. : Octobre Ompr. : Impression, imprimeur 9 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ Op. cit. : opere citato, ouvrage déjà cité PACS : Pacte civil de solidarité Pan. : Panorama PEE : Plan d’Epargne Entreprise PEI : Plan d'Epargne Interentreprises PERC : Plan d'Epargne Retraite Collectif pp. : Plusieurs pages Préc. : Précité Préf. : Préface PUAM : Presses universitaires d’Aix-Marseille QE : Question écrite R. : Réglement Rapp. : Rapport RD rur. : Revue de droit rural Rec. Dalloz : Recueil dalloz rec. Leb. : Recueil Lebon (arrêts du Conseil d’Etat) Rép. Min. : Réponse ministérielle Rép. trav. Dalloz : Répertoire travail Dalloz Rép. : Répertoire Rev. dr. et patr. : Revue droit et patrimoine Rev. Dr. ouvr. : Revue de droit ouvrier Rev. Dr. Sanit. Soc. : Revue droit sanitaire et social Rev. dr. trav : Revue de droit du travail Rev. int. trav : Revue internationale du Travail Rev. jur. Auvergne : Revue Jura-Auvergne Rev. Proj. : Revue projet RF aff. Soc. : Revue française des affaires sociales RJS : Revue de Jurisprudence Sociale RPDS : Revue Pratique de Droit Social RSA : Revenu de Solidarité Active RTD civ. : Revue Trimestrielle de Droit Civil RTD com. : Revue Trimestrielle de Droit Commercial S. : et suivant 10 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ Sect. : Section Sept. : Septembre SMIC : Salaire Minimum Interprofessionnel de Croissance Somm. : Sommaire Spéc. : Spécialement SSL : Semaine sociale Lamy Sté : Société Supra : ci-dessus, plus haut T. : Tome TC : Tribunal des Conflits TGI : Tribunal de Grande Instance TI : Tribunal d’Instance URSSAF : Union pour le Recouvrement des cotisations de la Sécurité Sociale et des Allocations Familiales V. : Voir Vol. : Volume 11 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ INTRODUCTION « Il est faux que l'égalité soit une loi de la nature. La nature n'a rien fait d'égal. Sa loi souveraine est la subordination et la dépendance »1. 1. Partant de cette réflexion dont la portée se veut universelle, il peut-être envisagé de rejoindre progressivement le sujet de cette thèse dont l’intitulé fait directement référence à la notion de subordination : « le lien de subordination juridique dans les relations de travail ». Certes il s’agit là d’une subordination dite juridique, ce qui apporte une couleur particulière à la notion mais n’en change pas l’essence. 2. Luc de Clapiers, marquis de Vauvenargues2, pose ici une double affirmation qui peut être synthétisée ainsi : l’égalité n’est pas une loi de la nature et sa loi souveraine est la subordination et la dépendance. Tout d’abord cette affirmation résonne avec talent dans une société de type capitaliste, notamment dans le cadre d’une économie libérale. Le principe du « laisser faire, laisser passer » renvoie effectivement les hommes aux lois de la nature. La loi du marché est alors dans cette perspective synonyme de « loi de la jungle »3 et de loi du plus fort : sous son empire « l’homme est un loup pour l’homme »4 - dans le cadre, bien sûr, des lois de police - . 1 Vauvenargues, Maximes et pensées, Éd. du Rocher, Coll. André Silvaire, 2003 Luc de Clapiers, marquis de Vauvenargues (1715-1747), moraliste français qui passe pour avoir réhabilité le sentiment au siècle des Lumières 3 V. United Nations. General Assembly (23 ; 1968 ; Genève), Kongress (Genève ; 1968), Non à la loi de la jungle, Éd [s.n.], Coll. Centre d'information arabe, 1968 ; V. aussi : J.-M. Pelt, F. Steffan, La loi de la jungle : l'agressivité chez les plantes, les animaux, les humains, Librairie générale française, Paris, 2006 4 V. Plaute, Asinaria ; V.aussi T. Hobbes, Léviathan, Traité de la matière, de la forme et du pouvoir ecclésiastique et civil, 1651 ; A. Schopenhauer, Le monde comme volonté et comme représentation, Coll. Quadrige Grands textes, Presses Universitaires de France, 2ème éd., 2004 ; S. Freud, Malaise dans la civilisation, traduit de l'allemand par Ch. et J. Odier, Presses Universitaires de France, 1971 2 12 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ 3. Ensuite, si la nature n’a rien fait d’égal, l’Homme aspire parfois à corriger cet état en créant sa propre loi, au service de ses propres valeurs. Depuis le décalogue jusqu’aux civilisations modernes et notamment aux lois de la République française. La République mais aussi la démocratie s’opposent ainsi, dans l’Histoire française, au despotisme et au totalitarisme qui sont des illustrations parfaites de la loi du plus fort. 4. C’est ainsi qu’au siècle des lumières, naît progressivement le concept de justice sociale magnifié par J.-J. Rousseau dans le contrat social. Il estime que dans tout système social, le droit doit garantir l’égalité entre les hommes pour compenser l’inégalité naturelle en force ou en génie : « Je terminerai ce chapitre et ce livre par une remarque qui doit servir de base à tout sistême social ; c’est qu’au lieu de détruire l’égalité naturelle, le pacte fondamental substitue au contraire une égalité morale et légitime à ce que la nature avoit pu mettre d’inégalité physique entre les hommes, et que, pouvant être inégaux en force ou en génie, ils deviennent tous égaux par convention et de droit »5. 5. Cette idée de justice sociale est une valeur qui irrigue tout le droit français, au-delà du droit social, puisqu’elle introduit le texte de la Constitution de 1958. Ce dernier proclame la France comme étant une République démocratique mais aussi comme une République sociale : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion ». 6. La Constitution est donc directement inspirée de cette pensée philosophique en ce qu’elle proclame l’égalité de tous devant la loi. Qu’il soit alors permis de fonder la suite du raisonnement sur l’article 1134 alinéa premier du Code civil, inchangé depuis sa promulgation le 17 février 1804 : « Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ». Les conventions et contrats forment ainsi la loi des parties. Il est donc possible de considérer que l’égalité des citoyens devant la loi a vocation à imprégner le droit jusque dans les relations entre cocontractants. 5 J.-J. Rousseau, Du contrat social ou Principes du droit politique, Éd. Marc-Michel Rey, 1762, partie livre I, chap. IX (« Du domaine réel»), p. 90 ; V. aussi : J.-P. Siméon, J.-J. Rousseau : La Démocratie selon Rousseau - Du Contrat social, Éd. du Seuil, Paris, 1977 13 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ 7. Le rapprochement entre la maxime liminaire et le sujet de cette thèse est ainsi presque achevé. Car il suffit de souligner que tout contrat de travail est avant tout un contrat au sens du droit commun des obligations. À ce titre il est soumis à l’article 6 du Code civil codifiant une loi promulguée le 15 mars 1803, en vertu de laquelle « on ne peut déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l'ordre public et les bonnes mœurs ». Le contrat de travail, même s’il s’agit d’une convention particulière, ne devrait donc pas pouvoir déroger aux lois de la République qui proclament l’égalité de tous les citoyens devant la loi. 8. Le principe de la liberté contractuelle ne devrait donc pas justifier qu’il puisse être porté atteinte au principe de l’égalité. Pourtant le contrat de travail institue, mais aussi se distingue des autres contrats, par le lien de subordination juridique entre le salarié et l’employeur. Or, l’utilisation du terme « subordination » porte sur ce point à réflexion face au principe de l’égalité entre citoyens. Car ce n’est point un vain mot : c’est à la fois un concept, une notion et un critère. 9. Le terme subordination vient du latin médiéval subordinare, qui peut se traduire par l’idée sous-ordonner. Le Larousse l’illustre ainsi : « mettre quelqu'un dans une situation de dépendance hiérarchique par rapport à quelqu'un d'autre : l'organisation militaire subordonne le lieutenant au capitaine. Considérer quelque chose comme moins important que quelque chose d'autre : subordonner le dessin et la forme à la couleur. Faire dépendre quelque chose de la réalisation de quelque chose d'autre : subordonner un achat à l'obtention d'un crédit »6. On perçoit dès lors qu’un déséquilibre caractérise la subordination, qui est celui de l’exercice unilatéral du pouvoir hiérarchique d’une partie sur l’autre. Cette inégalité peut autant recouvrir une dimension factuelle que juridique ou encore psychologique7. 10. C’est pour cette raison qu’il est possible d’admettre que l’adjonction du qualificatif « juridique » a pour but de faire de la subordination une notion strictement juridique. Son sens se détache ainsi, presque complètement, du vocabulaire commun pour rejoindre les concepts jurisprudentiels. D’un point de vue secondaire l’adjectif signifie également que cette subordination puise son fondement dans le contrat et seulement dans le contrat. Ces aspects terminologiques ne sont point anodins. Il ne s’agit pas de subtilités purement terminologiques 6 Larousse, dictionnaire français en ligne : http://www.larousse.fr/dictionnaires V. G. Hernot, Le point de subordination, introduction à la psychologie de la relation hiérarchique, Coll. Dynamiques d’entreprises, Éd. L’Harmattan, Paris, 2007 7 14 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ puisqu’ils peuvent témoigner de l’embarras à laisser penser que le contrat de travail autoriserait une sorte d’illégalité contractuelle. 11. De plus, l’emploi de cette terminologie permet d’évacuer toute idée de dépendance, ce qu’il convient d’éclaircir ; les définitions du langage commun rattachent systématiquement la subordination à la notion de dépendance. C’est un point qui sera largement développé plus loin, mais il faut d’ores et déjà porter à la connaissance du lecteur que depuis presque cent ans, la jurisprudence a toujours refusé de consacrer - officiellement - la notion de dépendance économique. Elle la juge trop large pour fonder le critère du contrat de travail. Elle a donc fait le choix de ne recourir qu’au seul critère de la subordination. 12. Ce débat entre subordination juridique et dépendance économique s’est notamment tenu à l’époque du vote des lois sur les assurances sociales obligatoires. Certains auteurs ont émis l’idée que l’éviction de la notion de dépendance avait pour but d’ « alléger le fardeau »8 de la protection sociale. Donc, en recourant à une subordination dite juridique, le juge peut se défendre d’avoir consacré tout critère de dépendance. 13. Ce n’est pourtant qu’une virtualité irrationnelle. Car toute subordination s’inscrit dans un cercle plus grand : celui de la dépendance économique. La jurisprudence ne peut donc ignorer la dépendance et ne consacrer que la subordination, sauf au prix d’une incohérence. Comme l’explique G. Hernot, pour se subordonner, il faut « un état de manque qui soit à la hauteur du coût psychologique de l’obéissance à autrui. […] Ici se confirme s’il est besoin que l’entrée en subordination ne peut être l’effet que d’une dépendance. Dépendance économique bien sûr : on échange sa subordination contre un salaire»9. 14. En effet, sans cette dépendance économique, qu’est-ce qui pousserait « les hommes à se subordonner alors qu’ils n’y sont pas contraints ? »10. Cette question permet de souligner que même si le salarié jouit d’une part visible de liberté contractuelle, dans le choix de 8 P. Cuche, La définition du salarié et le critérium de la dépendance économique, D. H. 1932, chronique, pp. 101-104 ; V. aussi : P. Cuche, Du rapport de dépendance, élément constitutif du contrat de travail, Revue critique de législation et de jurisprudence, 1913, pp. 413-427 9 G. Hernot, Le point de subordination, introduction à la psychologie de la relation hiérarchique, Coll. Dynamiques d’entreprises, Éd. L’Harmattan, Paris, 2007, p.18 10 G. Hernot, Op. cit, p. 16 15 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ l’employeur par exemple, le choix de se subordonner, quant à lui, n’est pas libre et résulte d’un mécanisme invisible qui s’impose - institutionnellement - de manière héréditaire. Dans un contexte où une majorité s’accorde sur l’idée que « l’ascenseur social est en panne »11 le débat entre classe et caste demeure latent, même en 201012. 15. Car malgré toute la liberté contractuelle dont il dispose, il n’en demeure pas moins qu’en s’engageant dans les liens d’un contrat de travail, le salarié accepte, sans avoir beaucoup d’autres alternatives, d’aliéner une partie de sa liberté. En se subordonnant, le salarié s’oblige à obéir aux directives de l’employeur et à se soumettre aux conditions de travail définies par l’employeur. Ce qui implique, par exemple, qu’il accepte des restrictions de son droit d’aller et venir puisqu’il doit être à telle heure à telle place pour accomplir la tâche que l’employeur lui aura confié. Cet aspect du contrat de travail pourrait être d’autant plus critiqué que ces restrictions sont consenties en contrepartie d’une rémunération, ce qui pourrait attiser de vives polémiques. Par exemple : les libertés fondamentales du salarié sont elles à vendre ? 16. L’enjeu sous-jacent est de taille car « renoncer à sa liberté, c'est renoncer à sa qualité d'homme »13. Or, ce renoncement est symptomatique de la subordination, même si elle est plus ou moins librement consentie. Mais alors pourquoi ne pas supprimer la subordination dans le contrat de travail ? La conséquence la moins problématique serait de devoir trouver un autre critère du contrat de travail, ou un autre système de qualification. 17. Mais la subordination n’est pas qu’un critère du contrat de travail. C’est l’essence même du contrat de travail. Dans ces conditions, comment imaginer un contrat de travail dans lequel le salarié aurait la possibilité de ne pas obéir, et de manière discrétionnaire, sans qu’il ne puisse jamais lui être reproché quelque inexécution fautive du contrat de travail ? Cela reviendrait, ni plus ni moins, à supprimer l’objet de l’obligation du salarié et la cause de 11 F. Dedieu, L’ascenseur social est en panne, L’Expansion, 01/03/2007 ; V. aussi : A. Senni, J.-Marc Pitte, L’ascenseur social est en panne… : j’ai pris l’escalier, Coll. Archipel.archip, Éd. L’Archipel, Paris, 2005 ; V. aussi : recherche Google, résultats 1 à 10 sur un total d'environ 61 600 pour « ascenseur social en panne » 12 Y. Stefanovitch, La caste des 500, enquête sur les princes de la République, Éd. J.-C. Lattès, Paris, 2010 13 J.-J. Rousseau, Du contrat social ou Principes du droit politique, Éd. Marc-Michel Rey, 1762, partie livre I, chap. IV (« De l'esclavage »), p. 17 16 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ l’obligation de l’employeur dans le contrat de travail. C’est donc tout le contrat de travail qui s’effondrerait. 18. Le système français actuel a fait le choix d’un compromis : celui de l’octroi de droits et libertés au salarié pour compenser l’inégalité dans le contrat de travail. Mais c’est considérer que l’on peut artificiellement faire varier la subordination en intensité. Hors la liberté ne connaît pas de demi-mesure : soit ont est libre, soit on ne l’est pas. Le système du droit contemporain aboutit donc à des incohérences, des inégalités et des injustices. 19. Car certains salariés dits subordonnés jouissent d’une autonomie quasi-totale. Cette nouvelle forme de management, qui fait des salariés des « collaborateurs », donne au travailleur toute latitude pour parvenir à des objectifs fixés par l’employeur. C’est particulièrement le cas des cadres qui, en plus de l’autonomie qu’ils peuvent tirer de la technicité de leur emploi, peuvent parfois déterminer librement leurs conditions de travail. 20. La mise en place du forfait jours14 est sur ce point révélatrice de cette réalité « compte tenu de la nature de ses fonctions, [le cadre autonome] n’est pas conduit à suivre l’horaire collectif applicable au sein de l’atelier, du service ou de l’équipe auquel il est intégré et qui dispose d’une réelle autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps mais également celui dont la durée du temps de travail ne peut être prédéterminée et qui dispose d’une réelle autonomie dans l’organisation de son emploi du temps pour l’exercice des responsabilités qui lui sont confiées. Cette définition a été reprise par la loi du 20 août 2008 portant réforme du temps de travail »15. 21. Ce phénomène s’est enclenché suite à la crise économique causée par le premier choc pétrolier en 1973. Depuis lors, le monde du travail se restructure ou selon les points de vue, se déstructure16. Il émerge de plus en plus de salariés très peu subordonnés17 qui incarnent « les 14 V. P.-H. Antonmattéi, Les conséquences du forfait cadre en jours, Semaine sociale Lamy n°975, p.5-9, 03/04/2000 ; P.-H. Antonmattéi, Accords de réduction du temps de travail : l'arrêt Michelin, dr. soc. n° 9/10 , p. 839- 844, 01/08/2004 15 C. Artus-Jégou, Mon employeur instaure un forfait « jours », L'Expansion.com, 16/09/2008 ; V. aussi : A.-C. Alibert, Les cadres quasi-indépendants, du contrat de travail au contrat d’activité dépendante, Thèse pour le doctorat de l’Université d’Auvergne, 2005 16 D. Sauze, N. Thevenot, J. Valentin, L'éclatement de la relation de travail : Cdd et sous-traitance en France, in CEE, le contrat de travail, la découverte, Coll. Repères, pp. 57-68, 2008 17 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ nouveaux visages de la subordination »18. Ces derniers continuent toutefois de bénéficier de tout l’arsenal protecteur des salariés, tant sur les aspects du droit du travail, que du droit de la protection sociale. Concomitamment, des travailleurs indépendants, parfois moins autonomes mais considérés comme non subordonnés juridiquement, sont totalement abandonnés à leur vulnérabilité. Ils sont pourtant économiquement dépendants, ce qui donne à leur donneur d’ordre un pouvoir de direction implicite. Il s’agit donc de la même vulnérabilité qui fonde la protection accordée aux travailleurs salariés. Ils sont tous deux dans une situation où l’équilibre contractuel est rompu et où l’inégalité des rapports de force fait du travailleur la partie faible. 22. C’est donc, en amont, la notion même de salariat qui est affectée par cette remise en cause du lien de subordination. Comme le souligne Th. Aubert-Monpeyssen, cette notion « particulièrement restrictive au siècle dernier, elle s’est progressivement élargie avec l’essor du droit social pour englober dans la sphère de salarié protection, des catégories de plus en plus nombreuses de travailleurs »19. Mais le développement toujours croissant du travail atypique ne peut mener à une extension absolue, voire abusive, du salariat. Le salariat n’aurait alors plus aucun sens. 23. C’est pourtant ce que l’ancien Livre VII – devenu Partie VII – du Code du travail et la souplesse jurisprudentielle a parfois autorisé, si bien qu’aujourd’hui, la subordination apparaît comme une source d’insécurité juridique. Elle est devenue une notion à géométrie variable, en fonction des époques ou en fonction des spécificités techniques du travail. Au point qu’il est devenu impossible d’appréhender avec certitude le contenu de la notion ou d’en délimiter un contour unique : « L’ironie à peine voilée des commentaires suscités par l’expression « subordination juridique », les flottements terminologiques de la jurisprudence, voire la suggestion de recourir à une terminologie mieux adaptée, constituent autant de signes de la difficulté qu’il y a à retrouver dans l’actuel critère, la simplicité de ce concept juridique. On peut effectivement s’interroger sur l’utilité du maintien d’un terme aussi atténué 17 V. A. Taillandier, L'intensité du lien de subordination, Thèse de doctorat, Nantes, 1994 A. Supiot, Les nouveaux visages de la subordination, rev. dr. soc. 2000, p. 131 ; sur ce thème, V. aussi : V. H. Groutel, Le critère du contrat de travail in Mélanges Camerlynck, Dalloz, 1978, p. 49 19 Th. Aubert-Monpeyssen, Subordination juridique et relation de travail, Centre Régional de Publication de Toulouse, Éditions du Centre National de la Recherche Scientifique, 1988, p.7 18 18 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ sémantiquement et se demander pourquoi et comment, alors que le cadre traditionnel des rapports de travail a volé en éclats, la formulation initiale a résisté à l’épreuve du temps »20. 24. Proposer un sujet sur le lien de subordination juridique dans les relations de travail mène donc à réfléchir préalablement au besoin de distinguer le contrat de travail des autres contrats (I). Cette distinction repose actuellement sur le lien de subordination juridique, il faudra donc avoir un aperçu général des causes profondes de sa fragilisation (II) pour comprendre sa perte de légitimé comme critère distinctif et universel du contrat de travail. 25. C’est ce qui engendre aujourd’hui la crise du salariat (III), à laquelle il devient urgent de remédier, car les enjeux (IV) se rattachent directement aux exigences d’une justice sociale, dans une République qui se veut « indivisible, laïque, démocratique et sociale »21 et qui entend assurer « l'égalité devant la loi de tous les citoyens »22. I. Le besoin de distinguer le contrat de travail 26. Au fond, il est possible de se demander pourquoi il est à ce point nécessaire de recourir à un critère du contrat de travail. Dans l’absolu, il pourrait être considéré qu’il n’est pas déterminant de pouvoir différencier le contrat de travail des autres contrats, ou bien qu’une définition légale suffirait amplement à résoudre toutes ces incertitudes. C’est alors sur le plan de la théorie juridique qu’il faut se placer. Il faut tout d’abord expliquer pourquoi le droit contemporain s’emploie avec autant d’efforts à vouloir distinguer le contrat de travail des autres contrats. Ne serait-il pas possible de recourir à un travailleur simplement en concluant un contrat librement négocié ? 27. L’article 1107 du Code civil dispose a cet effet que « les contrats, soit qu'ils aient une dénomination propre, soit qu'ils n'en aient pas, sont soumis à des règles générales […]». Le 20 Ibid, p. 8 Constitution de 1958, alinéa premier 22 Ibid. ; V. aussi : Compte rendu provisoire de la Conférence Internationale du travail n°13A/B à propos du projet de déclaration de l’OIT sur la justice sociale pour une mondialisation équitable, Organisation internationale du travail, 97ème session, Genève, 2008 21 19 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ travailleur serait donc protégé, notamment au regard de son consentement qui devra être libre et éclairé. De plus selon la formule : « qui dit contractuel dit juste »23. Cette maxime incontournable en droit des obligations signifie qu’un contrat, quel qu’il soit, ne peut pas générer d’injustice puisque chaque partie y a donné son consentement. Cette affirmation est donc fondée sur le postulat d’un consentement libre et éclairé. Mais pour le cas du contrat de travail, c’est nier l’importance de l’ordre public social, c’est aussi nier l’état de dépendance dans laquelle se trouve le salarié pour subvenir aux besoins de la vie quotidienne et qui le pousse à se subordonner, parfois à tout prix. 28. La technique actuelle qui consiste à classer le contrat de travail dans la typologie des contrats spéciaux, avec une dénomination propre, est ainsi utilisée pour permettre l’application d’un droit spécial à la relation de travail. C’est donc grâce à sa distinction qu’il est possible d’identifier le contrat de travail et de lui appliquer les lois sociales, notamment celles qui relèvent de l’ordre public social auxquelles il n’est en principe pas possible de déroger. 29. C’est l’application de ce droit spécial qui empêche notamment de rémunérer un salarié en dessous du salaire minimum interprofessionnel de croissance, même si le salarié à donné son accord. Cette interdiction ne serait pas possible si le contrat de travail était entièrement régi par le droit commun, au nom de la liberté contractuelle. En période de crise de l’emploi, il serait ainsi très probable de voir se généraliser les enchères inversées sur salaires qui sont aujourd’hui interdites. C’est donc une solution qu’il faut oublier. 30. La seconde proposition de simplification à l’extrême consisterait à saisir le législateur pour qu’il donne enfin une définition légale digne de ce nom au contrat de travail. Ce n’est pas non plus une technique envisageable car si le législateur n’a pas donné de définition du contrat de travail, ce n’est point par paresse. En donnant une définition sur le fond plutôt qu’une définition descriptive au contrat de travail, il donne au juge le pouvoir souverain de s’emparer des montages frauduleux qui exploiterait les failles d’une formulation légale en vue d’éluder l’application du droit du travail. 23 A. Fouillée ; V. L. Rolland, « Qui dit contractuel, dit juste. » (Fouillée) … en trois petits bonds, à reculons, Fac. Droit Montréal, Coll. facultaire, 2005 : disponible sur l’adresse suivante : http://hdl.handle.net/1866/2162 ; V. aussi : IXe Congrès de l’Association internationale de méthodologie juridique, Les principes généraux de droit, Tunis, nov. 2005 20 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ 31. La technique actuelle permet donc une requalification a posteriori fondée sur l’article 12 du Nouveau Code de procédure civile, même si c’est au prix d’une insécurité juridique parfois critiquée : « Le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables. Il doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée […] »24. II. La fragilisation du lien de subordination 32. Plusieurs phénomènes conduisent aujourd’hui à fragiliser le lien de subordination juridique dans les relations de travail salarié. Soit ils sont incompatibles avec la notion, et leur émergence dans les rapports subordonnés crée un conflit, soit ils causent l’évitement du contrat de travail, et traduisent alors un danger pour l’avenir du salariat. Il s’agira donc de présenter respectivement l’introduction de l’égalité dans la subordination (A), l’introduction de la liberté dans la subordination (B) et l’évolution du tissu productif (C). A. L’introduction de l’égalité dans la subordination 33. Dans un contexte de loi du marché, la liberté contractuelle est la règle, même si elle est de plus en plus remise en cause dans le contrat de travail. Ce qui participe d’ailleurs à l’émergence d’une conception du droit du travail tournée vers l’adhésion à un statut plutôt que la négociation d’un contrat. À l’inverse, il se développe un phénomène de contractualisation de la fonction publique alors que celle-ci est historiquement fondée sur le statut25. 24 Art. 12 NCPC 25 Le recours au statut permet d’assurer la continuité des services publics mais aussi celle de l’État, notamment lorsqu’il s’agit de fonctions se rattachant à l’exercice de prérogatives dites régalienne. ; V. Livre blanc sur l’avenir de la fonction publique p.113 ; D. Jean-Pierre, La privatisation du droit de la fonction publique, La Semaine Juridique Administrations et Collectivités territoriales n° 29, 15 Juillet 2003, 1672 p. 973 21 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ 34. Si le contrat de travail demeure un contrat de gré à gré, la liberté contractuelle y est largement remise en cause par le développement de l’ordre public social26. Le législateur est intervenu pour protéger le salarié qui est considéré de tout temps comme la partie faible dans le contrat de travail. C’est même le fondement premier du droit du travail qui se veut être un droit à la fois protecteur et coercitif, selon que l’on soit salarié ou employeur27. Le législateur, particulièrement avec les lois Auroux28, a peu à peu développé un domaine réservé du salarié dans l’exécution du contrat de travail : « de même qu’il existe une sorte de domaine réservé de l’employeur, il existe un domaine réservé du salarié dans lequel le chef d’entreprise ne peut normalement s’immiscer »29. L’octroi de libertés devient ainsi l’instrument du rééquilibrage du contrat de travail, dans l’espoir de créer une égalité entre les parties qui n’a pourtant jamais existé dans ce contrat. B. L’introduction de la liberté dans la subordination 35. En faisant du salarié un citoyen dans l’entreprise, en octroyant plus de libertés et de droits aux salariés, le législateur à transformé sa condition initiale dans l'entreprise jusqu’à le rendre acteur de la détermination de ses propres conditions de travail via, en outre, le développement de la négociation collective et l’instauration d’Institutions Représentatives du Personnel. 36. Ces diverses réformes s’inscrivent donc dans une logique de justice commutative « qui fait abstraction des mérites personnels pour déterminer selon une stricte égalité arithmétique ce qui est dû à chacun »30. C’est Aristote qui est à l’origine de ce concept dont le but est de rétablir l'égalité dans le contrat lorsque celle-ci est rompue, notamment par un déséquilibre. 26 V. P.-H. Antonmattéi, Plaidoyer pour une promotion de la technique contractuelle en droit du travail, Cahiers de droit de l'entreprise n°3 , p. 37- 39, 07/07/2005 27 V. G. Xerxes, F. Hordern, O. Tholozan, et Institut régional du travail, Histoire du contrat de travail, Institut régional du travail, 2005 28 V. J. Le Goff, Les lois Auroux, 20 ans après, rev. dr. soc., n° 7/8 , p. 703 -711, 01/07/2003 29 M. Despax, L’évolution du rapport de subordination, rev. dr. soc. 1982, p.15 30 V. M. Blay, Dictionnaire des concepts philosophiques, Coll. Intéressement extenso, Éd. Larousse, 2008, pp.459,464 22 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ 37. Mais ce déséquilibre n’est-il pas justement la caractéristique intrinsèque du contrat de travail, puisqu’il naît de la subordination et meurt dès son extinction ? Pour revenir à l’affirmation de Vauvenargues, ces lois pourraient donc être qualifiées de contre-nature car elles forcent l’égalité là où la liberté contractuelle devrait laisser place à la loi du plus fort. 38. À l’état naturel, le contrat de travail n’est en effet que dépendance et subordination31. Mais ces réformes lui ont ôté son essence, de sorte qu’il contient de moins en moins de subordination, ce qui pose désormais le problème de sa reconnaissance juridique puisque celle-ci s’appuie sur l’existence d’un lien de subordination. 39. Dans le même ordre d’idée, un autre conflit plus profond peut se concevoir. Étant donné que le salarié est devenu un citoyen dans l’entreprise, il est possible d’y voir, en filigrane, l’influence idéologique de la devise française : Liberté, Égalité, Fraternité32. Le contrat de travail étant par nature bien étranger aux notions d’égalité et de liberté, peut-être se heurte-t-il finalement aux valeurs fondamentales de la République. La « notion de subordination repose en effet sur la soumission à l’autorité de l’employeur ; elle désigne la soumission d’un individu à des ordres. La subordination suggère ainsi une verticalité des rapports de travail qui s’accommodent mal avec les idées d’égalité et de liberté. On est loin des postulats de base que sont la liberté contractuelle et l’égalité des contractants en droit commun des obligations »33. 40. Cette idée plaide donc pour une alternative au recours à la seule notion de subordination juridique, puisque celle-ci est de plus en plus remise en cause. De sorte que le contrat de travail et le salariat connaissent aujourd’hui une crise sans précédent. Il n’est pas fait ici référence à la crise de l’emploi, mais à la crise institutionnelle que traversent le salariat et le contrat de travail ; certains auteurs annoncent la fin du salariat34. Tandis que d’autres se 31 V. Vauvenargues, Maximes et pensées, Éd.du Rocher, Coll. André Silvaire, 2003 V. A. Viottolo-Ludmann, Égalité, Liberté dans le contrat de travail, Évolutions du droit contemporain, Thèse de doctorat, Aix, 2004 ; A. Supiot, Liberté, égalité, fraternité, Actualités en droit social, Colloque Compirasec-Bordeaux, 8 et 9 sept. 1989, Éd. LCF, 1990 ; V. aussi M. Ozouf, Liberté, égalité, fraternité, in Lieux de Mémoire , tome III : Les France. De l'archive à l'emblème, Éd. Quarto Gallimard, 1997, pp.4353-4389 33 A. Viottolo-Ludmann, Égalité, Liberté dans le contrat de travail, Évolutions du droit contemporain, Thèse de doctorat, Aix, 2004, p.9 34 P. Pasin, La fin du salariat : le guide, Éd. Carnot, 1999 32 23 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ demandent comment moderniser le contrat de travail, notamment en proposant de ne plus recourir qu’à un seul contrat dit contrat de travail unique35, ce qui paraît bien utopique. C. L’évolution du tissu productif et mutations sociales 41. Un autre facteur de la fragilisation de la subordination provient de la restructuration des relations de travail. Les entreprises se structurent en réseaux, elles favorisent de plus en plus l’externalisation en recourant à des prestataires de service plutôt qu’en recrutant des salariés. Le tissu productif s’adapte ainsi aux contraintes croissantes du marché en recherchant la solution la moins onéreuse et la moins risquée pour tous les besoins qui ne concernent par leur cœur de métier. 42. Si le droit du travail a voulu protéger le salarié en instituant toujours plus de protection à son profit et de contraintes pour l’employeur, il faut observer que finalement cette bienveillance tend à le desservir. Il en résulte deux conséquences qui nuisent à l’attrait du salariat et mettent ainsi en cause la notion de subordination. 43. Tout d’abord le droit du travail est pris dans la logique de l’économie de marché puisqu’il peut-être perçu comme étant moins compétitif que le droit civil ou le droit commercial. Cette réalité se traduit par le recours croissant à la prestation de service et autres solutions permettant d’éviter le champ d’application du droit du travail. Ensuite le salarié devient lui aussi moins compétitif que les prestataires de service et encore moins compétitif que les salariés de pays sans charges sociales obligatoires : c’est le phénomène dit de dumping social36. 35 Contrat de travail unique : une « forme d'illusion » selon le COE in La Semaine Juridique Social n° 44, 31 Octobre 2006, act. 411 ; Nicolas Sarkozy pour un contrat de travail unique in La Semaine Juridique Social n° 12, 13 Septembre 2005, act. 102 36 V. Conseil économique et social, Enjeux sociaux et concurrence internationale : du dumping social au mieux-disant social, avis du Conseil économique et social sur le rapport présenté par M. Didier Marteau au nom de la section du travail, Éd. Direction des Journaux officiels, Paris, 2006 ; V. Delbecque, Concurrence fiscale, concurrence sociale et attractivité, une analyse des investissements directs français à l'étranger, Thèse de Droit, Paris X, 2009 ; V. M.-A. Moreau, Normes sociales, droit du travail et mondialisation : confrontations et mutations, Éd. Dalloz, Paris, 2006 ; Délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne, Rapport d'information sur le dumping social en 24 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ 44. C’est pour cette raison que les grandes usines françaises délocalisent de plus en plus de sites à l’étranger. Les grandes structures qui consomment beaucoup de main d’œuvre ont donc vocation à disparaître en l’état actuel des choses, de même que la production de masse. Sauf peut-être pour les produits de luxe nécessitant un savoir-faire rare37 ou bénéficiant, peut-être, du futur label made in France38. Cette disparition semble se faire au profit d’un tissu composé de petites structures, de travailleurs indépendants et globalement, d’une économie plutôt tertiaire qui se tourne volontiers vers les services à la personne. 45. Or, il s’avère que ce sont justement ces grandes usines bien hiérarchisés et structurée selon un modèle pyramidal, qui ont donné naissance au concept de subordination. Leur disparition s’accompagnant d’une restructuration horizontale de la production, elle rend nécessaire de constater une remise en cause du lien de subordination voire sa disparition. 46. Car dans leurs rapports horizontaux les entreprises ne connaissent que la dépendance ou l’interdépendance. Or, cette situation n’implique pas de conséquences aussi lourdes que la subordination puisque la dépendance économique ne fait l’objet d’aucun droit protecteur. Au contraire, le lien de subordination déclenche généralement l’application du droit du travail et de l’ordre public social. D’un point de vue économique il est donc possible de considérer - de manière caricaturale - que la subordination juridique est moins concurrentielle que la dépendance économique. III. Les conséquences des atteintes à subordination juridique 47. Les atteintes successives à la toute puissance de l’employeur, telle qu’elle pouvait se manifester au XIX° siècle, ont pour résultat d’avoir progressivement alléger le poids de la subordination. Si bien qu’aujourd’hui un choix semble s’imposer pour tenter d’endiguer la Europe déposé par la délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union Européenne et présenté par M. Gaëtan Gorce, Éd. Les documents d'information de l'Assemblée nationale, Paris, 2000 37 E. Chalmandrier, Les façonniers du luxe français en danger face aux délocalisations, La-Croix.com, 13 avr. 2010 ; B. Leblanc, Luxe : donneurs d’ordre et sous-traitants ont redéfini les règles du jeu, Usinenouvelle.com, 14 avr. 2010 38 J. Alimi, Le « made in France », c'est parti ! , LeParisien.fr, 20 avr. 2010 (le ministre de l'Industrie l'expérimentera d’ailleurs avec Renault et PSA, deux grandes usines françaises) 25 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ crise du salariat. Puisque le lien de subordination tend à se dématérialiser (A) sous l’effet de forces convergentes, il faut soit renoncer à l’institution qu’est devenu le contrat de travail soit repenser les relations de travail (B) pour que la notion de subordination n’entraîne pas dans sa chute le contrat de travail et donc le salariat. Seule cette dernière solution paraît raisonnablement exploitable. A. La dématérialisation du lien de subordination 48. Pour rejoindre l’idée de la remise en cause du lien de subordination, il faut ainsi retenir deux sources distinctes. D’une part, l’évolution des nouvelles organisations du travail et d’autre part, l’intervention du législateur pour forcer l’égalité dans la subordination. Leurs actions ont pour conséquences respectives de favoriser un glissement du recours à la subordination au profit du recours à une dépendance économique. Car elle permet d’exercer un contrôle au moins aussi fort par l’intermédiaire de contrôles qualité ou d’exigences commerciales. Mais les lois sociales ont progressivement amenuisé l’intensité du lien de subordination39. 49. Ce phénomène de désubstantialisation du contrat de travail cause l’effacement progressif de la frontière entre les salariés et les non salariés. Il en résulte un lieu parsemé d’incertitudes qu’A. Supiot a nommé la zone grise du droit du travail. C’est dans cette zone intermédiaire que se trouvent les travailleurs indépendants qui ne peuvent, par définition, pas justifier de l’existence d’un lien de subordination juridique. Ils ne bénéficient donc pas des avantages protecteurs du droit du travail alors qu’en état de dépendance économique vis-à-vis d’un seul donneur d’ordre, ils sont soumis voire implicitement subordonnés aux exigences de ce dernier : c’est un pouvoir invisible mais bien réel qui s’accommode mal des indices traditionnels du lien de subordination conçu au temps des usines tel qu’il apparaît dans le film « Les Temps modernes »40 . 50. Ces travailleurs ne sont donc pas réellement indépendants. Leur activité prend place dans un contexte où règne la loi du marché, la loi du plus fort. Or, pour qu’il existe des forts, c’est nécessairement qu’il existe des travailleurs plus faibles. Ces travailleurs indépendants 39 V. A. Taillandier, L'intensité du lien de subordination, Thèse de doctorat, Nantes, 1994 40 Les Temps modernes - Modern Times -, Ch. Chaplin, Prod. United artists, Éd. Williard Nico, 1936 26 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ économiquement dépendants « peuvent ne pas tomber sous le coup de la législation du travail, parce qu'ils occupent une « zone grise » entre le droit du travail et le droit commercial. Quoique formellement « indépendants », ils restent économiquement dépendants d'un seul commettant ou client/employeur pour la provenance de leurs revenus »41 51. Et puisque la loi a pour vocation d’être la même pour tous, qu’elle punisse ou quelle protège, il semblerait logique qu’elle prévoit une protection spécifique pour les travailleurs économiquement dépendants. L’égalité n’étant pas naturelle et la nature ne connaissant comme loi que la subordination et la dépendance, alors la marge est mince pour qu’on en déduise que la dépendance économique de ces travailleurs justifie une protection légale au même titre que la subordination. C’est donc à juste titre qu’il faut souligner qu’« une économie de marché ne peut permettre, au nom de la liberté contractuelle, de telles zones de non-protection, pouvant affecter des centaines de milliers de personnes en France et bien plus en Europe »42. 52. La prise en compte de la vulnérabilité de ces travailleurs dépendants a pourtant déjà été considérée par le livre VII du Code du travail et l’article L.311-3 du Code de la sécurité sociale mais d’une manière ciblée et inégalitaire. Ce qui n’est pas un système satisfaisant car il est catégoriel, et ne permet pas d’envisager le cas de tous les travailleurs économiquement dépendants. D’autant plus dans un contexte où le salarié est de plus en plus autonome et où se développe le travail à domicile ou le recours au statut d’auto-entrepreneur. C’est d’ailleurs l’objet d’un rapport officiel remis par P.-H. Antonmattéi et J.-C.Sciberras et qui s’intitule « le travailleur économiquement dépendant : quelle protection? »43. B. Le besoin de dépasser la subordination 53. Après avoir présenté le sujet, il convient d’en préciser l’objectif. Sur ce point il est important de citer un passage de l’illustre thèse de Th. Aubert-Monpeyssen « subordination 41 Livre vert de la Commission des Communautés Européennes « Moderniser le droit du travail pour relever les défis du XXIème siècle » du 22 novembre 2006 COM (2006) 708 final 42 P.-H. Antonmattéi, J.-C.Sciberras, Le travailleur économiquement dépendant : quelle protection ?, Rapport à M. le Ministre du Travail, des Relations sociales, de la Famille et de la Solidarité, nov.2008 43 P.-H. Antonmattéi, J.-C.Sciberras, Le travailleur économiquement dépendant : quelle protection ?, Rapport à M. le Ministre du Travail, des Relations sociales, de la Famille et de la Solidarité, nov. 2008 27 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ juridique et relation de travail »44 publiée en 1988. La préface est rédigée par M. Despax et dès les premières lignes, il fait le constat suivant : « est-il en effet notion qui, plus que celle-ci, notamment au début du siècle, ait fait l’objet d’études à juste titre tenues pour essentielles […] Dans ces conditions – dira-t-on – n’est-ce point vaine entreprise que de consacrer une thèse à la subordination juridique dans ses rapports avec la relation de travail ?». Et de conclure que cette thèse l’a convaincu du contraire. 54. La conviction que ce sujet de thèse n’était pas une vaine entreprise ni en 1988 ni en 2008, a été confortée par ces mots mais s’inspire initialement d’une expérience professionnelle ayant donné lieu à un étonnement certain. Il s’agissait de répondre à une lettre d’observation de l’URSSAF dans le cadre d’un redressement pour travail dissimulé. Or, plusieurs arguments appuyant la requalification de contrats conclus avec des prestataires de service en contrat de travail étaient fondés sur la notion de dépendance économique. 55. La Cour de cassation a pourtant consacré le lien de subordination depuis bien longtemps. C’est donc dans ce contexte, pour comprendre le recours à ces arguments, que les premières recherches bibliographiques ont été effectuées et que les premiers résultats ont montré leurs limites. Il a semblé important et utile de proposer un travail de recherche à la fois pratique et théorique, focalisé sur la problématique du recours à la notion de lien de subordination juridique comme critère du contrat de travail. 56. Car, depuis 1988, la notion de subordination juridique a continué de générer un engouement doctrinal constant, et même médiatique avec une affaire récente concernant une émission de télé réalité45. Pour autant, aucune thèse n’a réellement porté sur la question centrale du lien de subordination juridique depuis 1988, si ce n’est celle de G. Bredon en 199846, soit dix ans plus tard. La notion de lien de subordination juridique ne constitue souvent qu’un aspect secondaire des travaux existants, comme par exemple dans une thèse sur 44 Th. Aubert-Monpeyssen, Subordination juridique et relation de travail, Centre Régional de Publication de Toulouse, Éditions du Centre National de la Recherche Scientifique, 1988 45 V. par exemple : R. Garrigos et I. Roberts, L’île de la cassation, Libération, 30 avril 2009 ; D. M., Un ancien participant à L'île de la Tentation assigne une filiale de TF1, Agence France Presse, 28 avr. 2008 ; A. Gavidia, La télé-réalité s'invite aux Prud'hommes, Le Progrès, 24 novembre 2008 ; E. Berretta, Télé-réalité : 120 candidats aux prud'hommes, LePoint.fr, 19 décembre 2008 46 G. Bredon, l'évolution de la notion de subordination comme critère du contrat de travail, Thèse Paris II, 1998 28 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ « la condition juridique des personnes en état de subordination au regard des libertés »47 ou encore « le champ d'application et d'influence du droit du travail salarié »48. 57. Il semblerait donc que cette notion soit tellement cruciale que beaucoup préjugent qu’elle fait l’objet de trop de travaux. Qu’ainsi il s’agit d’une vaine entreprise faute de pouvoir apporter une innovation. Mais c’est justement à ce stade que ce situe l’intérêt fondateur de cette thèse, et qui consiste à ne pas préjuger hâtivement que la notion de lien de subordination juridique est un sujet trop bien exploré. 58. Car si cette notion donne lieu à de nombreux commentaires elle n’a que très rarement donné lieu à des travaux de grande ampleur ou approfondis. La dernière œuvre exhaustive à ce sujet est sans doute l’honorable travail collectif entrepris par J. P. Chauchard et A.C. Hardy-Dubernet en 2003 et qui contient de nombreux articles éclairés sur la métamorphose du lien de subordination49. Toutefois cette analyse porte globalement plus sur les facteurs du changement que sur la notion en elle-même, de plus elle se présente sous forme d’une compilation d’articles qui n’offre pas la même intelligibilité qu’une œuvre homogène. 59. Le type de travail proposé ici était donc jusqu’alors inexistant ou pas assez récent. Il a pour ambition première de synthétiser puis d’analyser au sein d’un ouvrage unique et nouveau toutes les difficultés actuelles posées par l’utilisation de cette notion - un bilan - et toutes les solutions envisagées ou envisageables à ce jour en tentant d’apporter de nouvelles idées pratiques et théoriques – des perspectives -. 60. L’objectif de ce travail est sous cet angle conforme à l’idée selon laquelle « le tout est plus que la somme de ses parties ». Et qu’ainsi, en 2010, il ne doit pas être nécessaire de compiler un nombre variable d’articles de doctrine, aussi brillants soient-ils, pour pouvoir cerner les déterminants de la notion fondamentale du contrat de travail en France. 47 J. Birnbaum, La condition juridique des personnes en état de subordination au regard des libertés, Thèse Strasbourg III, 2006 48 A. Simon, Le champ d'application et d'influence du droit du travail salarié, Thèse de Doctorat, Université de Lille III, 2006 49 J. P. Chauchard et A.C. Hardy-Dubernet (dir.), Les métamorphoses de la subordination, Paris, Ministère de l'Emploi, du Travail et des Affaires sociales, Éd. La Documentation française, 2003 29 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ IV. Les enjeux du dépassement de la subordination 61. L’étude du sujet proposé est centrée sur la notion de lien de subordination juridique dans les relations de travail. Elle ne rend donc pas nécessaire de définir de manière plus approfondie les principales notions déjà présentées précédemment. D’autant plus que ces dernières ont vocation à alimenter la réflexion dans l’exploration du sujet. 62. Toutefois, la notion de relations de travail peut justifier une dernière remarque. Elle ne doit pas être réduite car c’est une notion factuelle qui n’a aucune définition légale. C’est d’ailleurs ce qui a motivé son utilisation car toute relation de travail est susceptible de révéler l’existence d’un lien de subordination juridique comme cela sera démontré. Il est également possible d’affirmer que seule une relation de travail peut révéler un lien de subordination. Il pourra donc tout autant s’agir d’entraide familiale que de bénévolat et plus largement de travail non lucratif que de travail rémunéré. 63. La délimitation du sujet conduit plutôt à souligner qu’il ne s’agit pas d’un descriptif historique de la notion de subordination juridique bien qu’il sera indispensable de procéder à l’analyse de l’évolution juridique fondant le droit contemporain. L’intérêt principal du sujet est en effet de déterminer si le recours au seul lien de subordination juridique, pour caractériser universellement le contrat de travail, se justifie encore malgré les nouvelles organisations du travail et plus largement malgré les disparités générées par les mutations du tissu productif. 64. Plusieurs interrogations jaillissent à la formulation de cette problématique : est-ce que la notion de lien de subordination juridique a vocation à demeurer le critère d’identification du contrat de travail ? D’un point de vue plus général, est-ce que le besoin de recourir à un critère d’identification du contrat de travail est réel, le cas échéant quelle(s) alternative(s) peuvent être proposée(s) au système actuel ? Un autre critère ? Un autre système ? 65. Plusieurs enjeux dépendent directement des réponses qu’il sera possible d’apporter à ces questions. Ces enjeux concernent en priorité le sort des travailleurs économiquement dépendants puisque la subordination et la dépendance traduisent l’un comme l’autre l’inégalité naturelle des rapports laissés à la liberté contractuelle. Pourquoi le législateur n'a 30 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ donc limité cette liberté qu’au regard de la subordination délaissant totalement la dépendance ? 66. Les travailleurs dépendants sont ainsi totalement livrés au jeu des rapports de force même si la liberté contractuelle n’est jamais totale : la théorie de l’abus de droit et la notion de bonne foi amènent quelque tempérament 50. Mais il serait inconcevable aujourd’hui de laisser les salariés sous la seule protection de ces limites de droit commun alors que le système actuel y laisse les travailleurs économiquement dépendants. 67. Il faudra déterminer si le choix entre subordination et dépendance est réellement nécessaire, notamment en comparant le droit français à d’autres systèmes juridiques dans le monde. Il faudra déterminer dans quelle mesure il serait possible de prendre en compte la vulnérabilité des travailleurs économiquement dépendants de manière durable et universelle. C’est donc une modernisation du droit qu’il faudra envisager in fine. 68. Un autre enjeu non moins important concerne la sécurité juridique des relations de travail, commerciales ou non. Car le recours à la notion de lien de subordination juridique est soupçonné par une partie de la doctrine d’abriter silencieusement des considérations parfois liées à la dépendance économique51. Celles-ci fonderaient ainsi des requalifications en contrat de travail et donc des redressements et des poursuites pénales pour travail dissimulé52. Du moins, elles en sont soupçonnées comme en témoigne l’agitation doctrinale autour de l’arrêt Labbane53. Il faudra donc s’interroger sur la fonction qu’il serait possible de donner à la notion de dépendance économique, puisque sa négation absolue s’avère générer plus de complexité et d’insécurité juridique que sa reconnaissance et son encadrement. 69. Il sera donc procédé à une étude en deux temps. Tout d’abord il convient d’envisager la recherche d’un critère du contrat de travail (PARTIE 1). Le terme recherche a été longuement 50 V. E. Letombe, L’abus de droit en droit du travail, Thèse pour le doctorat, Université Lille II, 2007 51 G. Bredon, l'évolution de la notion de subordination comme critère du contrat de travail, Thèse Paris II, 1998, p.20 52 V. [s.n.], Prison avec sursis pour les fondateurs de Vêt'Affaires, NDLR, Ouest France, Éd. Presse Océan, 19 décembre 2008 53 Cass. soc, 19 décembre 2000 Labbane ; V. notamment : Droit social 2001 n° 3, page 227, 11 pages, note A. Jeammaud ; J.-P. Chauchard, Subordination et indépendance, La Lettre Prud’homale, 4ème trimestre 2002, n° 3 31 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ réfléchi et a finalement été retenu car il permet de mettre en évidence les deux aspects traités dans cette partie. 70. D’une part le processus de recherche d’un critère du contrat de travail qui tend à expliquer les fondements du droit positif. D’autre part la relativisation du lien de subordination. Car c’est cette relativisation qui met en évidence l’imperfection du système actuel. Elle oblige le législateur à procéder, notamment, par le jeu de présomptions et d’assimilations. C’est donc que la recherche d’un critère du contrat de travail n’a pas totalement abouti, du moins pas de manière satisfaisante. 71. Ces imperfections, qui relativisent l’importance du recours au lien de subordination et altèrent son caractère universel en tant que critère du contrat de travail, mènent directement à la deuxième partie. Celle-ci est en effet consacrée à la remise en cause du lien de subordination (PARTIE 2). 72. Elle confirme l’idée amorcée en fin de première partie en confrontant la notion de subordination juridique aux transformations du travail et à la régénération des rapports de subordination. Il sera notamment démontré que la pratique tend à substituer progressivement un rapport de participation au traditionnel rapport de subordination. Il sera aussi démontré que le recours à la seule notion de lien de subordination juridique mène à des impasses. Qu’ainsi il est temps de moderniser la conception actuelle des relations de travail ainsi que l’ont souligné l’Union européenne et l’Organisation internationale du travail, notamment dans un contexte où les pays voisins comme l’Italie, l’Allemagne, le Royaume-Uni et récemment l’Espagne ont déjà franchi le pas. PARTIE 1: LA RECHERCHE D’UN CRITÈRE DU CONTRAT DE TRAVAIL PARTIE 2: LA REMISE EN CAUSE DU LIEN DE SUBORDINATION 32 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ . PREMIÈRE PARTIE LA RECHERCHE D’UN CRITÈRE DU CONTRAT DE TRAVAIL 33 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ PREMIÈRE PARTIE LA RECHERCHE D’UN CRITÈRE DU CONTRAT DE TRAVAIL 71. Pourquoi et comment la jurisprudence en est-elle arrivée à choisir le critère du lien de subordination juridique alors que la loi ne donne aucune définition du contrat de travail ni même ne fait allusion au recours à ce critère. Ce terme n’est d’ailleurs employé que deux fois dans tout le Code du travail : à l’article L.7412-1 qui définit le travailleur à domicile, et à l’article L.8221-6 alinéa 4 qui prévoit les cas dans lesquels la présomption de non salariat peut être renversée. C’est là un article qui pourrait fonder une référence légale explicite au lien de subordination juridique comme critère du contrat de travail. Mais son champ d’application est limité aux cas où la loi instaure une présomption de non salariat, ce qui ne permet pas de lui reconnaître une telle portée. Cet article ne concerne en effet que les prestations de travail de certaines catégories de personnes telles que les commerçants, artisans, et agents commerciaux54. 72. Outre qu’elle ne donne aucune définition du contrat de travail, la loi ne dicte pas non plus l’obligation de recourir à ce critère, quand bien même elle aurait laissé au juge le soin d’en découvrir le sens. Elle prévoit tout au plus, en tête des nombreux titres qui composent les livres du Code du travail, une formule qui rend l’ensemble applicable aux salariés et employeurs. Celle-ci est généralement formulée ainsi : « Les dispositions du présent livre sont applicables aux employeurs de droit privé ainsi qu'à leurs salariés »55. La loi définit donc le champ d’application du droit du travail par référence au nom qui est donné aux parties dans un contrat de travail. Deux critiques peuvent alors être formulées ; d’une part, aucune loi ne prévoit explicitement que les parties d’un contrat de travail sont le salarié et l’employeur. 54 Article L.8221-6 alinéa 4 du Code du travail : « L'existence d'un contrat de travail peut toutefois être établie lorsque les personnes mentionnées au I fournissent directement ou par une personne interposée des prestations à un donneur d'ordre dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l'égard de celui-ci » ; pour effectuer une recherche par expression, V. Légifrance.gouv.fr, le service public de la diffusion du droit 55 V. Article L1111-1 du Code du travail qui se termine ainsi : « […] Elles sont également applicables au personnel des personnes publiques employé dans les conditions du droit privé, sous réserve des dispositions particulières ayant le même objet résultant du statut qui régit ce personnel » 34 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ Donc, même à reconnaître l’existence d’un lien de subordination et d’un contrat de travail, il pourrait être soutenu que cela ne suffit pas à rendre applicable la plupart des livres du Code du travail puisqu’ils visent les salariés et employeurs. La question demeure donc ouverte : ͨqu'est-ce qu'un salarié ? »56 ou encore « qui est salarié ? »57. D’autre part, à considérer qu’il serait « d’usage constant » de nommer ainsi les parties d’un contrat de travail, l’application du droit du travail n’en serait pas moins subordonnée, en principe58, à l’existence d’un contrat de travail59. C’est donc une impasse logique car la question se pose toujours de savoir ce qu’il faut entendre là ; « qu'il est difficile de définir le contrat de travail! » 60. 73. Cette interprétation stricte de la loi est certes rigide, mais elle s’appuie sur le respect du principe de légalité transcrit à l’article L.111-4 du Code pénal : « La loi pénale est d’interprétation stricte »61. Or, le Code du travail renvoit justement au Code pénal pour sanctionner de nombreuses règles qu’il édicte : c’est le droit pénal du travail62. Pour prendre l’exemple du travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié, cette infraction présuppose que soit rapportée la preuve d’un contrat de travail, avant même qu’il soit démontré que ce dernier a été dissimulé. L’application de la loi pénale est donc dans ce cas, comme dans beaucoup d’autres, subordonnée à la preuve d’un contrat de travail ce qui justifie, ou devrait justifier, une grande rigueur d’interprétation. Le recours au critère du lien de subordination juridique (TITRE 1) s’explique donc, avant tout, par la recherche d’un critère du contrat de travail. Ce sont les différents aspects de cette recherche, aux tumultes latents, qui expliquent la relativisation croissante du lien de subordination (TITRE 2). TITRE 1. LE RECOURS AU LIEN DE SUBORDINATION TITRE 2. LA RELATIVISATION DU LIEN DE SUBORDINATION 56 L. De la Pradelle, Qu'est-ce qu'un salarié ?, Revue pratique de droit social 1997, p. 79 C. Puigelier, Qui est salarié ?, La Semaine Juridique Social n° 28, 11 Juillet 2006, 1563 (à propos de Cass. soc., 17 mai 2006, n° 04-43.265) 58 Il existe des exceptions qui feront l’objet d’une étude dans la présente partie et qui concerne en outre le personnel des personnes publiques employé dans les conditions du droit privé 59 Sur cette question précise voir : A. Simon,.Le champ d'application et d'influence du droit du travail salarié, Thèse de Doctorat, Université de Lille III, 2006 60 F. Jault, Qu'il est difficile de définir le contrat de travail!, Petites affiches, 24 avril 2002, n° 82 p. 18 - à propos de l'arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation du 19 janvier 2000 61 Article L.111-4 du Code pénal 62 V. P.-H. Antonmattéi, L'entreprise et le droit pénal du travail, Gaz. Pal. n°69, p.22-25, 10/03/2002 57 35 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ TITRE 1 LE RECOURS AU LIEN DE SUBORDINATION 74. Aujourd’hui, contrat de travail et lien de subordination juridique sont à l’évidence deux notions interdépendantes presque indissociables. Cette situation est l’œuvre d’une lente évolution qui remonte au moins jusqu’en 1804, lors de la naissance du Code civil. Celui-ci instituait d’une part un régime de responsabilité original : celle des maîtres pour le fait de leurs commettants et, d’autre part, il instituait le contrat dit de louage d’ouvrage au terme duquel le travailleur consentait à se soumettre à l’autorité du locataire et à exécuter un travail sous à ses directives. 75. Ce contrat est donc l’ancêtre du contrat de travail moderne duquel il se distingue sur deux points principaux : il était régi entièrement régi par le Code civil et il bénéficiait d’une définition légale. À l’époque il avait donc une très grande similitude entre le louage de choses – aujourd’hui un contrat de location – et le louage d’ouvrage – aujourd’hui le contrat de travail - . 76. Quant à la responsabilité des maîtres du fait de leurs commettants elle démontre que la notion de lien de subordination était préexistante à la naissance du contrat de travail actuel. Ce cas de responsabilité du fait d’autrui est d’ailleurs toujours en vigueur est n’a jamais été réécrite depuis 1804 comme le prouve sa formulation actuelle : « Les maîtres et les commettants, du dommage causé par leurs domestiques et préposés dans les fonctions auxquelles ils les ont employées »63. Il faut toutefois nuancer le propos car ce régime de responsabilité exige la démonstration d’un lien de préposition. Or, ce lien de préposition recouvre, aujourd’hui encore, un domaine bien plus large que celui de la subordination qui n’en est qu’une illustration parmi d’autres. 77. Le lien de préposé à commettant peut en effet être caractérisé tant dans le cadre juridique d’un contrat, qu’en dehors de celui-ci, dans un cadre extra contractuel ; ͨL'existence du lien de préposition, qui conditionne l'application de l'article 1384, alinéa 5, 63 Article 1384 alinéa 5 du Code civil 36 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ du Code civil, est caractérisée toutes les fois qu'une personne a autorité sur une autre qui se trouve ainsi placée en situation de subordination, et qu'elle exerce sur elle certains pouvoirs permettant de diriger son activité. Les qualités de commettant et préposé ne sont pas nécessairement liées à une relation contractuelle limitativement nommée, même si le contrat de travail constitue aujourd'hui la principale source d'application de l'article 1384, alinéa 5, du Code civil. L'application de ce texte est en effet plus large et couvre également des situations de fait »64. 78. L’approche proposée ici consiste donc à essayer de comprendre comment et pourquoi la notion de contrat de travail, à l’origine définie par la loi, et de lien de subordination, à l’origine pas nécessairement « juridique »65, se sont rencontrées et à ce point nouées l’une à l’autre. Leur interaction est en effet devenue quasi-totale ; le contrat de travail ne se définit presque plus que par le lien de subordination et ne bénéficie plus d’aucune définition légale. Quant au lien subordination juridique, il est aujourd’hui soumis à des mutations causées par la nécessité d’adapter la notion de contrat de travail aux « nouvelles frontières du travail subordonné »66 et à l’évolution du tissu productif : ce sont les principaux facteurs des « métamorphoses de la subordination » 67 . Dans cette perspective, il convient d’envisager l’ensemble des déterminants qui ont abouti à l’élaboration du contexte juridique actuel (CHAPITRE 1), notamment au regard du droit du travail et du droit de la sécurité sociale. Cette réflexion permettra ainsi de mieux appréhender la conceptualisation actuelle du lien de subordination juridique (CHAPITRE 2), notamment le choix des indices qui sont utilisés pour donner une forme et un contenu à cette notion ambiguë. CHAPITRE 1. LES DÉTERMINANTS DU CONTEXTE JURIDIQUE ACTUEL CHAPITRE 2. LA CONCEPTUALISATION DU LIEN DE SUBORDINATION 64 C. Radé, Droit à réparation, Responsabilité du fait d'autrui, Domaine : responsabilité des commettants, JurisClasseur Civil Code, Art. 1382 à 1386, Fasc. 143, n° 10 65 Car composante du lien de préposition pouvant par exemple naître de relations familiales, un enfant peut ainsi être le préposé de son père ou de sa mère : Cass. req., 17 mars 1931, Gaz. Pal. 1931, 1, p. 800 ; Cass. civ., 4 déc. 1945, JCP G 1946, II, 3110, note J.R. ; Cass. 2e civ., 20 juill. 1970, Gaz. Pal. 1970, 2, somm. p. 57 ; Cass. 2e civ., 26 févr. 1986, Bull. civ. 1986, II, n° 26 66 H. Petit, N. Thévenot, Les nouvelles frontières du travail subordonné, Éd. La Découverte, 2006 67 J. P. Chauchard et A.C. Hardy-Dubernet (dir.), Les métamorphoses de la subordination, Paris, Ministère de l'Emploi, du Travail et des Affaires sociales, Éd. La Documentation française, 2003 37 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ CHAPITRE 1 LES DÉTERMINANTS DU CONTEXTE JURIDIQUE ACTUEL 79. L’objet de ce chapitre est de présenter les mécanismes qui ont contribué à la construction juridique du contrat de travail. La mise en perspective de cette construction permettra de comprendre le besoin du recours à la notion de lien de subordination. Cette première étape contribue donc à caractériser la relation entre la création d’une entité juridique autonome, le contrat de travail, et l’exigence d’un critère de distinction propre, le lien de subordination juridique. 80. Pour autant, le contrat de travail a conservé un lien avec ses origines civiles. Un paradoxe conflictuel existe donc entre la volonté de créer un cadre juridique autonome et la nécessaire persistance de certains principes le rattachant au droit commun ; le lien de subordination a vocation à isoler le régime du contrat de travail mais il se heurte à son origine contractuelle. La tension qui en résulte génère des retours de forces mutuelles, le droit commun du contrat de travail recevant de nombreux aménagements et le lien de subordination pouvant se trouver, tantôt tempéré, tantôt neutralisé. 81. La seconde étape consiste à analyser l’importance du lien de subordination au regard de l’application des lois sociales. Ces lois, soit qu’elles relèvent du droit de la sécurité sociale, soit qu’elles relèvent du droit du travail, ont une finalité première différente. Il n’en résulte donc pas nécessairement une conception jurisprudentielle unique, ce qui implique que la notion de lien de subordination recouvre, ne serait-ce que potentiellement, des conceptions distinctes sous une appellation identique. Le risque de confusion ainsi induit a motivé une consolidation du droit qui est à la source du contexte juridique actuel. L’ensemble de ces facteurs ont été déterminants dans l’élaboration du contexte juridique entourant la notion de lien de subordination. Leur étude contribuera à la compréhension des problématiques actuelles et à venir. Seront donc respectivement analysées l’articulation entre le contrat de travail et le lien de subordination (SECTION I), puis la relation entre droit du travail, droit de la sécurité sociale et lien de subordination juridique (SECTION II). 38 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ SECTION I - CONTRAT DE TRAVAIL ET LE LIEN DE SUBORDINATION 82. Pour comprendre les raisons du recours à la notion de lien de subordination, il faut mettre en lumière la consécration du contrat de travail. C’est en effet la volonté de créer un contrat soumis à un régime spécial qui est à l’origine du besoin d’un critère de distinction. 83. Il existe une articulation logique et historique entre la reconnaissance des spécificités du contrat de louage, lorsqu’il institue une relation de travail, et la nécessité de définir un critère juridique permettant la caractérisation du contrat de travail moderne. Cette caractérisation est déterminante puisqu’elle conditionne l’application d’un régime spécial. Une approche civiliste laisse pourtant apparaître que certains mécanismes issus du droit commun subsistent dans le contrat de travail. Le droit commun des contrats est marqué par les idées d’équité, d’égalité et d’équilibre. Or le propre du contrat de travail est d’instituer un lien de subordination qui par nature crée un rapport de force déséquilibré. 84. Il faut donc tenter de déterminer si l’existence d’un lien de subordination est réellement compatible avec l’analyse contractuelle classique du contrat de travail, notamment au regard de concepts inspirés de la classification des contrats. Seront donc abordés successivement : la consécration du contrat de travail (paragraphe I) et l’approche civiliste du contrat de travail (paragraphe II) face au lien de subordination. Paragraphe 1 - La consécration du contrat de travail 85. Lors de la promulgation du code civil en 1804, le contrat de travail n’existait pas dans le sens où le travail salarié avait vocation à être encadré par les règles du droit commun et plus particulièrement par celles du contrat de louage. Il a donc suscité un désintérêt doctrinal relativement marqué par rapport à aujourd’hui, lequel s’explique par la conception libérale de la relation de travail. Le contrat de louage était, en effet, un contrat comme les autres. Seul le droit commun des obligations avait vocation à s’y appliquer. 39 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ 86. Mais la liberté contractuelle et les règles du consensualisme, ont peu à peu révélé leurs limites. Ces principes masquaient une réalité différente de celle attendue, et dont on se convainc plus aisément aujourd’hui. L’employeur était déjà en position de force et les contrats tenaient déjà donc plus de l’adhésion obligatoire que de la libre négociation. 87. Le travailleur était dépendant de son employeur pour nourrir sa famille, sans que cette dépendance soit réciproque. Déjà à l’époque, l’employeur pouvait compter sur un vivier de main d’œuvre. Celle-ci était alors particulièrement abordable, abondante et disponible grâce à une liberté contractuelle quasi totale. Partant de ce constat, l’idée de rééquilibrer la relation de travail par l’encadrement du contrat s’est peu à peu développée. Ce sont donc les lacunes avérées du Code civil (A) face au besoin de régulation des relations de travail qui ont engendré, dans son principe, la naissance d’un contrat sui generis (B) : le contrat de travail. A - Les lacunes du code civil 88. La conception classique de la relation de travail dans le code civil s’est traduite par des lacunes. Au nom de valeurs d’équité et d’égalité, ce phénomène a engendré le besoin croissant d’abandonner l’approche matérialiste de la relation de travail (1) pour rééquilibrer la relation de travail (2). 1 – L’approche matérialiste de la relation de travail 89. Les origines du contrat de travail proviennent d’une conception purement matérialiste de la force de travail. Celle-ci constituait le cœur du contrat de louage avant même la promulgation du Code civil qui n’a fait que codifier le droit existant sur ce point. En s’engageant dans ce contrat, le travailleur exprimait ainsi la volonté de se soumettre à l’autorité du locataire et s’engageait à exécuter le travail prévu conformément à ses directives68. 68 V. G. Xerxes, F. Hordern, O. Tholozan, et Institut régional du travail, Histoire du contrat de travail, Institut régional du travail, 2005 ; Y. Aubrée, Contrat de travail, Existence – Formation, Rép. trav. Dalloz avril 2005 ; Boissard, Adéodat, Contrat de travail et salariat, introduction philosophique, économique et juridique à l'étude des conventions relatives au travail dans le régime du salariat, 1910 40 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ 90. Les rédacteurs du Code civil de 1804 ont choisi de conserver cette conception matérialiste de la relation de travail en l’encadrant seulement par quelques articles dans un titre relatif au contrat de louage. Deux catégories de louage y étaient d’ailleurs distinguées : le louage des choses et le louage d’ouvrage, c’est dire à quel point la valeur du travail humain était associée à la valeur des choses dont on faisait commerce. 91. L’article 1710 du Code définissait le louage d’ouvrage en ces termes : « un contrat par lequel l’une des parties s’engage à faire quelque chose pour le compte de l’autre, moyennant un prix convenu entre elles »69. Cependant il existait trois sous-catégories spécifiques de louage d’ouvrage : « le louage des gens de travail, qui s’engagent au service de quelqu’un […] les voituriers [...] qui se chargent du transport des personnes ou des marchandises, [et celui] des entrepreneurs d’ouvrages par suite de devis ou marchés »70. La force de travail et les marchandises étaient donc assimilables en ce sens qu’elles pouvaient faire l’objet du même type de contrat de bail. 2 – Le besoin de rééquilibrer la relation de travail 92. Le contrat de louage de services était régi par le principe de la liberté contractuelle. Il était donc initialement considéré que les parties étaient libres de négocier les termes de leurs obligations d’un commun accord. Leur situation était donc considérée comme strictement égalitaire. Chaque partie était libre d’user de la liberté de contracter et de rompre le contrat. Cette vérité n’a pourtant de sens qu’au détriment des différences préexistantes entre les parties. 93. Le travailleur est en général dans une situation économique précaire, en dehors de laquelle il n’aurait évidemment aucun intérêt à chercher du travail71. C’est donc qu’il espère obtenir un gain lui permettant de subvenir aux besoins de son existence ainsi qu’à celle de sa famille72. L’analyse économique de cette situation est indispensable pour rendre compte d’une 69 Ancien article 1710 du Code civil Ibid. 71 V. G. Hernot, Le point de subordination, introduction à la psychologie de la relation hiérarchique, Coll. Dynamiques d’entreprises, Éd. L’Harmattan, Paris, 2007, p.18 72 V. M. De Coster, F. Pichault, A. Touraine, Traité de sociologie du travail, 2°éd, ouvertures sociologiques, De Boeck Université 70 41 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ donnée primordiale : le déséquilibre constant du marché du travail : la demande de travail y est depuis toujours plus forte que l’offre, les employeurs jouissaient donc déjà de ce que l’on peut qualifier de position dominante. 94. Dans ce contexte le principe de liberté contractuelle leur permettait d’user voire d’abuser de leur position de force. Sous l’apparence d’une négociation, ils pouvaient donc fixer de manière unilatérale les conditions de travail et imposer toutes leurs exigences en usant du contrat puisque, en apparence, « qui dit contractuel dit juste »73. Il était donc plus équitable de faire application de principes inspirés par l’idée d’une justice distributive, et donc de se préoccuper de la valeur respective des parties et de leurs mérites inégaux. 95. Dans cette logique, continuer à considérer sur un pied d’égalité deux parties dans une situation inégale revient à générer de l’injustice. C’est ce concept qui fonde l’esprit du contrat de travail et du droit du travail, ce dernier ayant tendance à protéger le salarié et à sanctionner l’employeur. Le fondement du droit des relations de travail salarié est ainsi passé d’une logique de justice commutative à celle d’une justice distributive74. B - La naissance d’un contrat sui generis 96. La nécessaire prise en compte de la question sociale (1) devait, pour être efficace avoir force de loi. C’est donc par la mise en place d’un cadre juridique spécial (2) que s’est exercé le rééquilibrage de la relation de travail puisqu’en vertu de l’article 1134 du code civil « Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites […] ». 73 A. Fouillée La justice distributive est, selon Aristote, la « première espèce de la justice particulière qui s'exerce dans la distribution des honneurs ou des richesses ou des autres avantages qui peuvent être répartis entre les membres d'une communauté politique. » À l'inverse de la justice commutative qui établit une égalité arithmétique, la justice distributive établit une égalité géométrique. Elle distribue selon le mérite, faisant cas des inégalités entre les personnes. Aux personnes inégales, des parts inégales. Aujourd'hui, la justice distributive désigne couramment la notion de justice sociale, qui a pour but de réduire les inégalités matérielles ; .V. aussi A. Sériaux, Le droit naturel, Que sais-je ?, , puf, 1999 ; M. Villey, La formation de la pensée juridique moderne, PUF, 2003 ; Aristote, Traité de la morale, Livre V : De la justice, Traduction Thurot, Éd. Firmin Didot, Paris, 1823 74 42 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ 1 – La nécessaire prise en compte de la question sociale 97. Le législateur est intervenu pour rééquilibrer le rapport de force inégalitaire entre le maître et son préposé. Il était devenu évident que le travailleur avait besoin de protection face aux abus de l’employeur. Plusieurs mesures ont donc été adoptées pour réguler les relations de travail, notamment l’abandon de la référence au louage de services d’origine civiliste, pour consacrer la création d’un véritable contrat de travail. Un cadre juridique ad-hoc ayant été mis en place il à donc été nécessaire d’établir des règles spéciales applicables à la conclusion, à l’exécution et à la rupture de la relation de travail75. La jurisprudence a également œuvré à l’élaboration des règles sociales applicables à la relation de travail. La conception purement matérialiste de la relation de travail a ainsi été progressivement abandonnée au bénéfice d’une conception plus idéaliste. Le droit du travail a depuis connu un essor considérable puisqu’il est devenu quasi autonome par rapport au droit civil. Une partie de la doctrine souligne même une possible influence de la jurisprudence de la Chambre sociale sur le droit civil76. 2 – La mise en place d’un cadre juridique spécial 98. Le contrat de travail a conservé le critère de qualification juridique de l’ancien contrat de louage de services : l’existence d’un lien de subordination. L’objet du contrat reste en effet le même, à savoir, la réalisation d’un travail rémunéré pour le compte et sous l’autorité du donneur d’ordre77. Toutefois il est désormais assorti de règles spéciales : le droit du travail. 99. De plus la définition est aujourd’hui exclusivement jurisprudentielle. Outre l’accomplissement d’une prestation de travail et la rémunération de cette dernière, la jurisprudence a conservé la référence au troisième critère de l’ancienne définition légale : l’autorité du donneur d’ordre. C’est cette notion d’autorité qui décline aujourd’hui les trois principaux indices du lien de subordination : le pouvoir de donner des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements. Le rapport de subordination est ainsi 75 V. Y. Aubrée, Contrat de travail, Existence – Formation, Rép. trav. Dalloz avril 2005 ; Boissard, Adéodat, Contrat de travail et salariat, introduction philosophique, économique et juridique à l'étude des conventions relatives au travail dans le régime du salariat, 1910. 76 V. notamment : G. Xerxes, F. Hordern, O. Tholozan, et Institut régional du travail, Histoire du contrat de travail, Institut régional du travail, 2005 77 Y. Aubrée, Contrat de travail, Op. cit. 43 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ l’essence du contrat de travail qui permet de le caractériser. Mais il génère des conflits lorsqu’il est confronté aux mécanismes civilistes du droit commun des obligations : c’est particulièrement le cas de l’exception d’inexécution qui autorise une forme d’insubordination légale dans le contrat de travail. Paragraphe 2 – Approche civiliste du contrat de travail et subordination 100. Le droit du travail et le droit des obligations sont liés car il existe une permanence du droit des obligations en droit du travail. Ce dernier, en quête d’autonomie, a progressivement développé un principe de défiance sous la forme de mécanismes divers78. L’objet de ce paragraphe est donc d’analyser ce phénomène de l’imbrication du lien de subordination, propre au contrat de travail, avec d’autres caractéristiques communes à d’autres contrats. 101. Une partie de la doctrine a été amenée à se demander si le contrat de travail était encore régi par les règles du droit commun des contrats79. L’article L1221-1 alinéa 1 du Code du travail rappelle pourtant en ces termes : « Le contrat de travail est soumis aux règles du droit commun […] ». Le contrat de travail est donc soumis à un droit spécial tout en conservant sa filiation avec le droit civil80 puisqu’il constitue un accord de volontés créant des droits et des obligations81. 102. Ainsi l’article 1107 du code civil prévoit expressément que : « les contrats, soit qu'ils aient une dénomination propre, soit qu'ils n'en aient pas, sont soumis à des règles générales, qui sont l'objet du présent titre. […]»82. Si cet aspect hybride du contrat de travail, entre droit spécial et droit commun, est décliné à la relation de travail alors le salarié qui accepte de se soumettre dans une relation hiérarchique est dans le même temps un cocontractant envers qui 78 V. C. Saint-Didier, Droit du travail et droit des obligations : étude d'une opposition, Thèse de doctorat, Université Aix-Marseille III, 1996 79 V. G. Couturier, Droit des contrats et droit du travail, Revue droit du travail, Dalloz, 01/06/2007 ; V. aussi E. Lemoine, les principes civilistes dans le contrat de travail, Petites affiches, 15 juin 2001 n° 119, p. 8 80 C. civ., art. 1101 81 V. J. Ghestin, La notion de contrat, D. 1990.147 82 C.civ., 1107 44 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ l’employeur est débiteur d’obligations diverses. Deux rapports de force différents doivent donc coexister au sein d’une même relation de travail83. 103. D’une part le rapport hiérarchique et d’autre part le rapport contractuel voire même conventionnel84. Les principes civilistes dans le contrat de travail (A) permettent l’étude des caractéristiques du contrat de travail fondée sur la classification du code civil (B). Cette approche propose une étude originale en ce qu’elle tente d’établir un parallèle direct avec le lien de subordination. A – Les principes civilistes dans le contrat de travail 104. La relation entre le contrat de travail et les principes civilistes est généralement concentrée sur la question de l'autonomie du droit du travail. Cette autonomie trouve en partie son fondement dans le besoin de prendre en compte le déséquilibre et l'inégalité entre les parties. Pourtant, cette vision est quelque peu dépassée aujourd’hui car le droit civil a su, comme le droit du travail, s'adapter aux exigences de protection que ne permet pas une conception purement matérialiste de la relation contractuelle. 105. Cette évolution démontre que les principes civilistes peuvent offrir une protection aux cocontractants en situation d'infériorité, notamment dans les relations individuelles du travail. C'est pourquoi, la nécessité de concilier le droit du travail et le droit civil, et non de les opposer, fait désormais l'unanimité de la doctrine. Cette conciliation peut impliquer des aménagements tant dans le droit civil que dans le droit du travail. C’est ce second aspect qui intéresse plus spécialement la notion de lien de subordination. 106. Il faut en effet constater que les mécanismes protecteurs issus du droit civil, des plus classiques aux plus modernes, peuvent produire leurs effets au sein de la relation hiérarchique induite par le lien de subordination. 83 C. Saint-Didier, Droit du travail et droit des obligations : étude d'une opposition, Thèse de doctorat, Université Aix-Marseille III, 1996 84 L’adjectif contractuel réfère au contrat de travail tandis que l’adjectif conventionnel réfère à une éventuelle convention collective qui est également source d’obligation pour l’employeur et vient donc contrebalancer le rapport hiérarchique. 45 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ B - La classification du code civil 107. Il s’agit là d’étudier une partie de la classification des contrats telle qu’elle résulte des articles 1102 à 1107 du Code civil. C’est en fonction de cette classification que se précise le champ d’application de certains principes civilistes. À ce titre le contrat de travail se présente sous la forme d’un contrat synallagmatique (1), commutatif (2), nommé (4) et onéreux (3). 1 - Contrat synallagmatique 108. En vertu de la classification civiliste, le contrat de travail constitue un contrat synallagmatique tel que décrit à l’article 1102 du code civil : « Le contrat est synallagmatique ou bilatéral lorsque les contractants s'obligent réciproquement les uns envers les autres »85. Il crée en effet des obligations réciproques à la charge de chacune des parties. Le salarié s’oblige envers l’employeur à exécuter le travail prévu tandis que l’employeur s’oblige envers le salarié à fournir le travail prévu ainsi qu’à verser le salaire86. La nature synallagmatique du contrat de travail justifie l’applicabilité de certains mécanismes issus du droit commun. Ceuxci peuvent venir s’appliquer à la relation de travail et donc perturber le rapport hiérarchique en tempérant les exigences découlant du lien de subordination. 109. Ces mécanismes, qui peuvent venir fragiliser le lien de subordination, ont vocation à se déclencher en cas de manquement de l’employeur à ses obligations. Le droit commun des contrats prévoit qu’en tel cas de figure le créancier de l’obligation peut soit invoquer l’exception d’inexécution, soit demander l’exécution forcée soit, encore, demander la résolution judiciaire du contrat87. 110. Étant issus du droit commun, ils font presque tous l’objet d’une transposition spécifique pour pouvoir s’appliquer au contrat de travail. En cas d’exécution partielle ou imparfaite et plus particulièrement en cas d’inexécution de ses obligations par l’employeur, le salarié est donc fondé à se soustraire à ses propres obligations et peut refuser de continuer à 85 J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, G. Auzero. Droit du travail. 24 Éd. Dalloz-Sirey, 2008 V. Cass. soc. 26 oct. 1999, CSB 2000, A. 2, n° 116, p. 389, obs. C. Charbonneau 87 V. P. Malaurie, L. Aynès , P. Stoffel-Munck, Les obligations, 3e édition, Coll. Droit civil, Éd Defrénois, 2007 86 46 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ les exécuter88. En dépit des exigences du lien de subordination ce mécanisme permet donc au salarié de suspendre l’exécution de sa prestation de travail lorsque l’employeur ne lui a pas versé de salaire dans les délais impartis par la loi. 111. Dans ce contexte le comportement du salarié ne pourra pas être considéré comme fautif alors qu’il le serait en temps normal89. En vertu des règles de droit commun, le salarié qui subit la défaillance de son employeur dispose également du droit d’exercer contre lui un recours en exécution forcée du contrat, lorsque cette exécution est possible. Cette seconde hypothèse ne concerne généralement que la délivrance de documents obligatoires (certificat de travail, attestation ASSEDIC, bulletin de paie). Il sera également fondé à demander la résiliation judiciaire du contrat avec dommages et intérêts ou de manière plus risquée, prendre acte de la rupture du contrat à la charge de l’employeur90. 112. La transposition de ces mécanismes civilistes au contrat de travail, par la loi et la jurisprudence, est accomplie dans la logique globale du droit du travail qui protège le salarié. Le but recherché est donc que leur mise en œuvre n’ait pas de conséquences préjudiciables pour ce dernier. Ces procédés tendent à créer une inégalité compensatrice. Certains auteurs se demandent ainsi quelle part de droit commun demeure dans le contrat de travail91. 113. L’application de l’exception d’inexécution dans le cadre d’un contrat de travail connaît, par exemple, un grand nombre d’exceptions au regard du droit commun. L’employeur et le salarié ont par principe droit de l’invoquer. Pourtant dans certaines circonstances particulières, l’exercice de ce droit connaît des exceptions du côté employeur. Il en est ainsi lorsque le salarié n’exécute pas sa prestation de travail pour cause de maladie, d’accident, de congés payés et plus largement pour un motif légitime. 88 C. civ., art. 1184 J. Birnbaum, La condition juridique des personnes en état de subordination au regard des libertés, Thèse Strasbourg III, 2006 90 C. civ., art. 1184 91 V. G. Couturier, Droit des contrats et droit du travail, Revue droit du travail, Dalloz, 01/06/2007, 6 pages ; V. aussi E. Lemoine, les principes civilistes dans le contrat de travail, Petites affiches, 15 juin 2001 n° 119, p. 8 ; p. Rémy-Corlay, Le droit civil hors le Code civil, Petites affiches, 07 septembre 2005 n° 178, p. 4 89 47 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ 114. L’application du mécanisme de la résiliation judiciaire du contrat de travail pour inexécution connaît également un régime d’exception. En effet, la jurisprudence a estimé que le recours à ce mécanisme doit être réservé au salarié92. 115. L’existence d’un lien de subordination dans un contrat synallagmatique produit donc des effets réciproques sur le droit du travail et le droit commun. Les règles du droit commun sont affectées par le particularisme de la relation de travail tandis que les règles du droit du travail sont affectées par la vocation générale du droit commun. L’applicabilité de certains mécanismes civils au bénéfice du salarié lui permet, dans certains cas, de s’affranchir du lien de subordination sans pour autant commettre de faute justifiant une sanction. 2 - Contrat commutatif 116. Le contrat de travail fait également partie des contrats commutatifs93. Les obligations réciproques qu’il met à la charge de chaque partie doivent pouvoir être considérées comme équivalentes, au regard de leur situation respective au moment de sa conclusion. L’intérêt de cette distinction tient généralement à la vérification de la validité des contrats aléatoires (non commutatifs) ou encore l’application de certaines dispositions du droit de la consommation94. 117. Mais l’intérêt de la distinction pour le contrat de travail est autre. Tout d’abord elle amène une remarque très rapide sur la lésion en matière de contrat de travail. Ensuite, elle amène une autre remarque sur la validité du contrat de travail conclu en période suspecte et la prééminence du lien de subordination. 92 V. P. Mazière, La résolution judiciaire du contrat de travail à durée indéterminée entre droit civil et droit du travail, Les Petites Affiches, n° 66, p. 7, 02/04/1999 ; V. également : Cass. soc. 9 mars 1999, RJS 4/99, n° 505, ayant affirmé que « l’employeur n’est pas recevable, hors des cas où la loi en dispose autrement, à demander la résiliation judiciaire du contrat de travail [aux torts du salarié, de sorte] qu’« il appartient à l’employeur, s’il estime que le salarié ne respecte pas ses obligations, d’user de son pouvoir disciplinaire et de prononcer le licenciement de l’intéressé » ; V. Dans le même sens : Cass.soc. 13 mars 2001, RJS 5/01, n° 596 et 15 janv. 2002, n° 99-41.460 93 C. civ., art. 1104 : « Il est commutatif lorsque chacune des parties s'engage à donner ou à faire une chose qui est regardée comme l'équivalent de ce qu'on lui donne, ou de ce qu'on fait pour elle. » ; V. également V. P. Malaurie , L. Aynès , P. Stoffel-Munck, Op. Cit. 94 Par exemple pour les ventes viagères 48 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ 118. La lésion correspond à un important défaut d'équivalence entre les prestations des parties au moment de la conclusion du contrat95. C'est un déséquilibre financier entre les prestations. Son application au contrat de travail pose problème car l’autonomie de la volonté se heurte aux dispositions de l’ordre public social, notamment au SMIC et aux grilles de salaires. Ainsi en cas de « lésion » constatée dans un contrat de travail, il convient de faire application du principe selon lequel le spécial déroge au général et donc de faire application des sanctions du droit du travail. 119. Ainsi apparaît un élément important : à la libre négociation du contrat de travail se substitue, toujours plus, les règles d’un statut de base du travailleur salarié. Cette idée ouvre la perspective d’une réflexion sur la pertinence du lien de subordination au regard d’une analyse non plus contractuelle de la relation de travail, mais d’une analyse statutaire. À la formation du contrat de travail se substituerait ainsi une forme d’adhésion au statut de salarié. 120. Au sujet de la validité du contrat de travail conclu en période suspecte, il convient de rappeler qu’aux termes de l'article L. 632-1, I, 2° du Code de commerce, sont nuls, lorsqu'ils ont été faits par le débiteur entre la date de cessation des paiements et celle du jugement d'ouverture du redressement ou de liquidation judiciaire, les contrats commutatifs dans lesquels « les obligations du débiteur excèdent notablement celles de l'autre partie ». Il peut donc s’agir d’un contrat de travail ainsi que le souligne la jurisprudence96. La Chambre sociale a ainsi prononcé la nullité d’un contrat de travail aux motifs qu’à la date de sa conclusion, l’employeur se trouvait manifestement, au regard de sa situation financière, dans l’incapacité de verser au salarié le salaire convenu97. 121. La question qui peut se poser est donc de savoir si la règles posée par l'article L. 632- 1, I, 2° du Code de commerce permet de déroger aux critères classiques du contrat de travail ; il peut être considéré l’hypothèse classique d’un contrat de travail comportant une rémunération et l’accomplissement d’un travail dans un lien de subordination juridique. Il pourrait ensuite être envisagé que ce dernier soit conclu en période suspecte et qu’il mette à la 95 V. G. Cornu, Vocabulaire juridique, PUF, 8e éd., 18 avril 2007 Cass. soc., 21 nov. 2000 ; Cass. soc., 29 oct. 2002 ; Bull. civ. 2002, V, n° 325; JCP E 2003, II, 1399; Cass. soc., 15 juin 2004 97 Cass. Soc. 29 nov. 2000, RJS 2/2001, n° 158 96 49 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ charge de l’employeur des obligations qui « excèdent notablement »98 celles du salarié embauché. Malgré la réunion des trois critères classiques du contrat de travail celui-ci pourrait-il encourir la nullité ? Ce serait pour le salarié concerné une inégalité de traitement critiquable. 122. Un arrêt de la cour d'appel de Versailles du 17 octobre 2006 a apporté des éléments de réponse plus précis à cette question. Les juges ont considéré qu’en concluant des contrats à durée indéterminée en période suspecte une société « ne grevait pas l'avenir comme si elle avait consenti des contrats à durée déterminée et autres contrats de qualifications »99. Les juges considèrent donc qu’un contrat à durée indéterminée peut être valablement conclu en période suspecte s’il ne renferme pas de « stipulations contractuelles excédant les régimes légaux ou conventionnels […] particulièrement avantageuses pour les salariés et excessivement onéreuses pour la société ». 123. En l’espèce le salarié fournissait un travail effectif et les salaires versés étaient « non excessifs par rapport aux qualifications et tarifs habituellement pratiqués dans la profession ou au regard de la convention collective ». Un élément qui peut conforter la validité du contrat de travail conclu en période suspecte tient au fait que l’employeur ait été dans la capacité financière de verser les salaires durant de nombreux mois. En l’espèce l’employeur avait effectivement versé les salaires durant près d’une année. 124. Le lien de subordination reste donc le critère dominant du contrat de travail puisque les dispositions de l’article L. 632-1, I, 2° du Code de commerce n’ont nullement vocation à s’y substituer. Il faut en effet entendre cette disposition comme un simple rempart supplémentaire permettant d’annuler un contrat de travail fictif. Il en va, par exemple, ainsi de celui conclu avec un dirigeant et qui a pour unique but de lui faire bénéficier du statut de salarié avant la mise en redressement judiciaire100. Donc en aucun cas la notion d’équilibre entre les prestations n’a vocation à créer une condition d’existence supplémentaire ou alternative au lien de subordination juridique. 98 L. 632-1, I, 2° du Code de commerce P. Morvan, Nullité de la période suspecte et contrat de travail à durée indéterminée, La Semaine Juridique Social n° 6, 6 Février 2007, 1076 100 V. Cass. soc., 29 nov. 2000, n° 98-43.116 ; Cass. soc., 16 juill. 1998 ; Cass. soc., 9 nov. 2004, n° 02-45.442 ; Cass. soc., 30 nov. ; Bull. civ. 2004, V, n° 308 99 50 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ 3 - Contrat à titre onéreux 125. Le contrat de travail est aussi un contrat à titre onéreux au sens de l’article 1106 du code civil : « Le contrat à titre onéreux est celui qui assujettit chacune des parties à donner ou à faire quelque chose ». En concluant un contrat de travail, l’employeur accepte d’être assujetti au paiement des salaires. Réciproquement, le salarié accepte d’être assujetti à l’accomplissement des tâches prévues au contrat, selon les directives de l’employeur. La cause de l’obligation de faire du salarié réside donc dans l’obligation de donner de l’employeur, et vice versa. Le caractère onéreux du contrat de travail rejoint donc deux des trois critères retenus par la jurisprudence pour qualifier le contrat de travail : l’existence d’une rémunération et l’accomplissement d’un travail effectif. 126. Ces critères enferment donc nécessairement le contrat de travail dans la catégorie des contrats à titre onéreux et excluent ainsi toute volonté d’échange gratuit de prestations. Ce n’est donc que par l’analyse de la volonté intéressée ou désintéressée des parties qu’il est possible de délimiter la frontière parfois mince qui peut exister entre le contrat de travail et diverses formes de travail gratuit de type entraide ou bénévolat. 4 - Contrat nommé 127. Selon la classification des contrats dite « suggérée » par le code civil, le contrat de travail constitue un contrat nommé, en ce sens que son régime juridique fait l’objet d’une réglementation légale particulière. En l’espèce celle-ci est contenue dans le Code du travail. 128. Concernant le contrat de travail de droit commun101, celui-ci obéit au principe du consensualisme. Sa formation ne dépend donc que de la volonté des parties ainsi que de leur comportement. C’est en s’appuyant sur l’article 12 du Nouveau Code de procédure civile que le juge pourra, au regard des critères jurisprudentiels du contrat de travail, qualifier, requalifier ou disqualifier la relation entre les parties102. 101 Contrat de travail à durée indéterminée V. Notamment, Cl. Roy-Loustaunau, Tempête sur la requalification du contrat emploi-solidarité, Dr. soc., 1999, p. 553 102 51 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ 129. Le droit des contrats de travail spéciaux constitue en revanche un droit plus complexe dont le contenu varie au gré des gouvernements successifs et de leurs politiques sociales pour la formation, l’emploi et les aides aux entreprises. La caractéristique commune de ces contrats et qu’ils prennent la forme de contrat à durée déterminée d’exception et qu’ils obéissent à un formalisme important. La loi impose aux parties, plus particulièrement à l’employeur, de nombreuses obligations que ce soit lors de la formation du contrat de travail que dans son exécution ou sa rupture lorsqu’elle est autorisée. 130. Ainsi aux conditions propres à tous les contrats de travail viennent donc s’ajouter les conditions de fond et de forme des contrats à durée déterminée et enfin se superpose les textes spéciaux régissant chacun de ces contrats particuliers (contrat de vendanges, contrat de travail temporaire, contrat de professionnalisation, contrat de travail saisonnier …). Au regard de ces contrats spéciaux, l’existence d’un lien de subordination ne suffit donc plus. 131. Il faut cependant distinguer l’existence du contrat de travail de la validité de sa qualification. En effet, celui-ci n’encourt généralement pas la nullité ce qui sanctionnerait le salarié pour les fautes commises par l’employeur. Le défaut du formalisme est généralement sanctionné par le mécanisme de la requalification en contrat de travail à durée indéterminée. Le lien d’emploi est ainsi protégé, de même que le principe du consensualisme. Le lien de subordination demeure donc le critère du contrat de travail103 et, par principe, il demeure établi selon les formes que les parties contractantes décident d'adopter104. 103 J. Salmon-Morin, Le formalisme dans la conclusion et la rupture du contrat de travail, Mémoire de DEA, Université Aix-Marseille III, 1998 ; A. Briant, Le formalisme dans la conclusion du contrat de travail, Mémoire de DEA, Université Aix-Marseille III, 1999 104 Article L. 1221-1 du code du travail 52 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ SECTION II - DROIT DU TRAVAIL, SÉCURITÉ SOCIALE ET LIEN DE SUBORDINATION JURIDIQUE 132. Le développement qui suit a pour objet d’analyser la corrélation entre le lien de subordination et l’application des lois sociales, qu’il s’agisse du droit du travail ou du droit de la Sécurité sociale (paragraphe 1). L’appréciation d’un lien de subordination peut donc relever, soit de la compétence du Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale, soit de celle du Conseil des Prud’hommes. La compétence étant déterminée par la nature du litige, la nature du lien de subordination pourra donc être distincte dans les deux matières. Il sera donc nécessaire d’aborder la question de l’identité de la notion de subordination en droit du travail et en droit de la sécurité sociale (paragraphe 2). Paragraphe 1 - Du lien de subordination à l’application des lois sociales 133. Il existe une double formulation de la problématique du paragraphe qui suit. Celle-ci peut être formulée ainsi : l’application et l’effectivité des lois protectrices du droit du travail sont elles conditionnées par l’existence d’un lien de subordination (B) ? L’accès à la protection sociale, dont bénéficient les salariés, est-il conditionné par l’existence d’un lien de subordination (C) ? L’application de la loi étant garantie par le juge, il convient également d’évoquer la relation entre travail subordonné et compétence juridictionnelle (A). A - Travail subordonné et compétence juridictionnelle 134. L’application de la loi étant garantie par le juge, il convient d’évoquer la relation entre le travail subordonné et la compétence juridictionnelle. Le statut de la fonction publique relevant d’un régime spécial, il conviendra de présenter la compétence de principe du Conseil des prud’hommes (1) laquelle peut être perturbée par la distinction entre les contrats relevant du droit privé de ceux relevant du droit public (2). 53 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ 1 – Lien de subordination et compétence du Conseil des Prud’hommes 135. Par principe, le Conseil des Prud’hommes est compétent pour juger des litiges individuels nés du contrat de travail et donc, pourrait-on penser, du lien de subordination. Il s’agit d’une compétence exclusive et d’ordre public, donc il n’y a pas d’exception conventionnelle possible105. Il existe toutefois des règles dérogatoires spécifiques dans les professions réglementées qui prévoient notamment la compétence de l’ordre en première instance (avocat, notaires…)106. 136. La compétence du Conseil des Prud’hommes est toutefois conditionnée par la démonstration faite qu’il existe un contrat de travail et donc un lien de subordination entre l’employeur et le salarié.107 Le défendeur, pour ne pas dire l’employeur, qui conteste l’existence d’un contrat de travail afin de se soustraire à ses obligations, peut aisément mettre en difficulté le salarié en dressant un déclinatoire de compétence108. Le salarié étant demandeur il lui incombera de rapporter la preuve des obligations dont il se prévaut109. 105 Article L 1411-1 : Le conseil de prud'hommes règle par voie de conciliation les différends qui peuvent s'élever à l'occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du présent code entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu'ils emploient. Il juge les litiges lorsque la conciliation n'a pas abouti. Art L 1411-2 : Le conseil de prud'hommes règle les différends et litiges des personnels des services publics, lorsqu'ils sont employés dans les conditions du droit privé. Art L 1411-3 : Le conseil de prud'hommes règle les différends et litiges nés entre salariés à l'occasion du travail. Art L 1411-4 : Le conseil de prud'hommes est seul compétent, quel que soit le montant de la demande, pour connaître des différends mentionnés au présent chapitre. Toute convention contraire est réputée non écrite. Le conseil de prud'hommes n'est pas compétent pour connaître des litiges attribués à une autre juridiction par la loi, notamment par le code de la sécurité sociale en matière d'accidents du travail et maladies professionnelles. Art L 1411-5 : Le conseil de prud'hommes donne son avis sur les questions que lui pose l'autorité administrative. 106 N. Pépin, L’avocat salarié, Mémoire de Master, Centre de Droit Social, Université Paul Cézanne Aix-Marseille III, 2008 ; V. aussi : M.-F. Miallon, Le salariat dans les professions libérales, Droit social 1978 Lib. Soc. Économ. 107 Cette compétence est donc exclue lorsque le litige concerne la rupture abusive de pourparlers : Cass. Soc. 19 Juin 1959 :Bull. civ. IV n°770 108 Exception permettant de contester la compétence du tribunal saisi qui doit être soulevée avant toute conclusion au fond et toute fin de non-recevoir, et contenir l'indication de la juridiction que le plaideur estime devoir être compétente (V. article 75 NCPC). 109 Art.1315 du Code civil : « Celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation. » 54 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ 137. La possession de l’instrumentum du contrat de travail et même de bulletins de salaire ne dispensent pas de rapporter la preuve de la réalité du lien de subordination. Méconnaître l’importance de cette notion, en perpétuel mouvement, peut donc avoir de lourdes conséquences sur le bon déroulement de l’action en justice. Il sera donc nécessaire d’étudier en profondeur les critères jurisprudentiels du lien de subordination dans le chapitre suivant. 138. Le Conseil des Prud’hommes a une compétence d’attribution, c’est une règle d’ordre public. Les juges peuvent donc relever d’office leur incompétence sans pour autant y être obligés. À condition que le fond de l’affaire n’ait pas été évoqué, la décision portant sur la compétence du conseil des prud’hommes peut faire l’objet d’une voie de recours via la procédure du contredit de compétence110. 139. Ainsi, dans la célèbre affaire Labbane111, les utilisateurs de taxis souhaitaient la reconnaissance de leur statut de salarié mais la société qui leur louait les véhicules ont soulevé l’incompétence du Conseil des Prud’hommes en produisant le contrat de location. Le Conseil des Prud’hommes ayant retenu son incompétence, les demandeurs ont engagé une procédure de contredit devant la Cour d’appel qui a également retenu l’incompétence du Conseil des Prud’hommes. Mais l’arrêt a été cassé par la Cour de cassation qui considérait qu’il y avait un lien de subordination, donc un contrat de travail, et donc compétence du Conseil des Prud’hommes. 2 - Le lien de subordination entre droit privé et droit public 140. Il faut enfin distinguer les contrats relevant du droit privé de ceux relevant du droit public112. Parfois la compétence peut même être double, selon le fond du litige. À titre illustratif, la Direction Départementale du Travail exerce un contrôle sur la forme des contrats 110 Procédure par laquelle, lorsqu'une juridiction a statué sur sa compétence, le défendeur qui a excipé de l'incompétence de la juridiction saisie par son adversaire, n'est pas satisfait de la décision rendue en première instance, fait vérifier par la Cour d'Appel, la conformité de ce jugement avec les règles du Code de l'organisation judiciaire et celles du nouveau Code de procédure civile sur la question. 111 Cass. soc, 19 décembre 2000 Labbane 112 Pour une étude centrée sur ce sujet, voir : N. Font., Le travail subordonné entre droit privé et droit public, Thèse de Doctorat, Dalloz-Sirey, 2009 ; V. également : A. Simon,.Le champ d'application et d'influence du droit du travail salarié, Thèse de Doctorat, Université de Lille III, 2006, p. 262 55 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ d’adaptation alors que c’est le Conseil des Prud’hommes qui demeure compétent pour le contentieux de fond113. 141. Dans l’arrêt époux Barbier114, le Tribunal des conflits a prononcé l’incompétence du Conseil des Prud’hommes dans le contentieux de la légalité du statut réglementaire des personnes qui travaillent pour le compte d’une personne publique. Cette hypothèse diffère du cas des personnes morales de droit privé investies d’une mission de service public où les rapports entre employeur et salariés relève du droit privé. Sont donc concernées tous les salariés des Établissements Publics à caractère Industriel et Commercial, à l’exception du directeur et du chef comptable115. 142. Au sein du service public administratif, l’arrêt Berkani a posé comme principe que les personnes non statutaires sont des agents contractuels de droit public, quel que soit leur emploi. Les litiges nés de la relation de travail relèvent donc de la compétence des juridictions administratives116. Plusieurs exceptions tempèrent toutefois ce principe jurisprudentiel ; il en est ainsi des agents recrutés par les anciens contrats emploi-solidarité, les contrats emploiconsolidé ou les emplois-jeunes117.Ce principe devrait donc être transposé au nouveau contrat unique d'insertion (CUI) applicable depuis le 1er janvier 2010118 qui remplace tous les anciens dispositifs de ce type. Il concerne enfin les agents de certains établissements publics nationaux à caractère administratif119, et les agents recrutés par un service de l’Etat ou de l’un de ses Établissements Publics Administratifs120. 113 Cass. Soc., 03 juillet 2001, société France Telecom S.A. c./ Fédération syndicaliste PTT FO Loire et Syndicat CFDT Poste et Telecom 114 TC, 15 janvier 1968, n° 01908, Compagnie Air France c/ Époux Barbier 115 CE, Sect., 8 mars 1957, Jalenques de Labeau 116 TC, 25 mars 1996, M. Berkani c/ Centre régional des œuvres universitaires et scolaires de Lyon 117 À l’exception des adjoints de sécurité, des agents de justice, des apprentis, des agents qui ont demandé à bénéficier d’un contrat de travail de droit privé. Sur ce dernier point, V. loi du 12 Avril 2000 relative aux droits des citoyens dans les relations avec les administrations 118 V. loi n° 2008-1249 du 1er décembre 2008 généralisant le revenu de solidarité active et réformant les politiques d'insertion 119 A condition d’être autorisés par la loi à recruter des contractuels de droit privé, comme la CNAM ou l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé 120 Il s’agit des établissements chargés d’une mission de service public industriel et commercial, exception faite du directeur et du comptable public 56 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ B - L’effectivité du droit du travail 143. L’effectivité du droit du travail est-elle exclusivement dépendante de l’existence d’un lien de subordination juridique121? Ou dépend-elle d’autres considérations ? Pour répondre à ces questions, il convient d’abord d’envisager le concept d’effectivité en droit du travail (1) puis de déterminer si le lien de subordination est la condition de l’effectivité du droit du travail (2). Plus largement, il faudra envisager l’hypothèse d’une effectivité du droit du travail conditionnée par l’accès au statut salarié (3). 1 – Le concept d’effectivité en droit du travail 144. La question de l'effectivité du droit du travail est un sujet d’actualité, car il devient de plus en plus délicat de poser les limites du concept. Ainsi que l’a récemment souligné P. Auvergnon dans une étude exhaustive sur ce sujet, « ne confond-on pas aujourd'hui bien souvent effectivité et efficacité ? »122. Aux termes d’une approche comparée entre différents systèmes juridiques et diverses formes d’activité, il souligne le besoin de repenser la notion d’effectivité en droit du travail͘ 145. Bien que certains facteurs d'ineffectivité soient récurrents, il faut désormais y ajouter la mutation des formes de travail ainsi que la dispersion de l’organisation productive. L’enjeu du concept d’effectivité en droit du travail porte donc sur la modernisation nécessaire du droit du travail. Ces notions déterminantes feront d’ailleurs l’objet d’analyses distinctes dans la deuxième partie consacrée à la crise logique du salariat et la remise en cause du lien de subordination. À ce stade il faut clarifier la relation entre l’applicabilité et l’effectivité du droit du travail, ce qui appelle une analyse dans les deux prochains développements. 121 V. P. Auvergnon, A. Jeammaud, L'effectivité du droit du travail : à quelles conditions?, PU Bordeaux, 2008 122 P. Auvergnon, Op.cit. 57 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ 2 – Lien de subordination et effectivité du droit du travail 146. L’article L.1111-1 dispose que : « Les dispositions du présent livre sont applicables aux employeurs de droit privé ainsi qu'à leurs salariés. Elles sont également applicables au personnel des personnes publiques employé dans les conditions du droit privé, sous réserve des dispositions particulières ayant le même objet résultant du statut qui régit ce personnel ». Le texte semble réserve l’application du droit du travail aux employeurs de droit privé, à leurs salariés ainsi qu’au personnel des personnes publiques employé dans les conditions du droit privé. Il faut donc pouvoir répondre à une question essentielle : qui est salarié ? 147. Il est généralement admis que le droit du travail n’est applicable que si, et seulement si, l’existence d’un contrat de travail peut être caractérisée puisqu’il conditionne l’accès au statut de salarié et donc entre dans le champ de l’article L.1111-1. Le contrat de travail ne pouvant se concevoir sans lien de subordination, il pourrait paraître logique de raisonner par syllogisme. Ainsi l’effectivité du droit du travail dépendrait directement de la capacité à démontrer l’existence d’un lien de subordination juridique. En corollaire, l’incapacité à réussir cette démonstration empêcherait la qualification d’un contrat de travail, et donc l’applicabilité et l’efficacité du droit du travail. 148. C’est dans ce cas la subjectivisation et la dilution de la notion de lien de subordination qui constituent les causes originelles de l’ineffectivité du droit du travail. Il est possible de résumer ce processus dans cette chaîne logique : Lien de subordination = contrat de travail = statut de salarié = applicabilité du droit du travail = effectivité du droit du travail (même potentiellement). 3 – Accès au statut salarié et effectivité du droit du travail 149. La question initiale est la suivante : l’effectivité du droit du travail est-elle exclusivement dépendante de l’existence d’un lien de subordination juridique? Cette question peut, et surtout doit, être abordée autrement. Il faut en effet se demander si le statut de salarié est exclusivement dépendant de l’existence d’un lien de subordination juridique ? Puisque c’est le rattachement à ce statut qui rend applicable, et donc potentiellement effectif, le droit du travail. Le cas échéant, l’effectivité du droit du travail ne serait pas entièrement 58 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ dépendante du lien de subordination puisque l’applicabilité des lois sociales dépendrait d’une autre condition. 150. À ce stade il convient d’observer que la réponse à cette nouvelle formulation implique un développement majeur qui fera l’objet d’une étude dans le prochain titre : « la relativisation du lien de subordination ». Cet intitulé préfigure clairement que le statut de salarié n’est pas exclusivement dépendant de l’existence d’un lien de subordination juridique. Seront en effet analysés divers mécanismes qui permettent d’accéder au statut de salarié par détermination de la loi. Ces mécanismes légaux peuvent donc prendre le relais du mécanisme jurisprudentiel du lien de subordination en l’évinçant. Dans ce schéma, la chaîne logique est plus courte. Elle peut être résumée ainsi : statut salarié par détermination de la loi, hors preuve d’un lien de subordination = preuve des critères ad-hoc prévus par la loi = applicabilité du droit du travail = effectivité du droit du travail (même potentiellement). 151. Ainsi, la détermination du champ d‘application et de l’effectivité du droit du travail dépasse largement la question du lien de subordination. Il sera démontré qu’il existe un double phénomène de diffusion de la sphère salariale et du champ d’application du droit du travail, au-delà du lien de subordination et du statut de salarié. 152. Il est donc d’ores et déjà possible de souligner qu’un lien de subordination n’implique pas nécessairement un contrat de travail puisqu’il existe des cas d’exclusion123. Vice versa, un contrat de travail n’implique pas nécessairement un lien de subordination puisqu’il existe des cas de présomption et d’assimilation124. Il faut en conclure que le lien de subordination, dans sa fonction de critère universel du contrat de travail, subit des atteintes qui remettent en question sa position dominante. Dans cette perspective, la notion de lien de subordination revêt un caractère subsidiaire puisque d’une part, sa caractérisation n’entraîne l’existence d’un contrat de travail qu’à condition qu’il n’existe aucun cas d’exclusion125. D’autre part son absence n’empêche la reconnaissance d’un contrat de travail que s’il n’existe pas de mécanisme d’assimilation ou de présomption. 123 Cf. infra Cf. infra 125 V. Décret n° 2009-863 du 14 juillet 2009 relatif à l'agrément des organismes d'accueil communautaire et d'activités solidaires ; NDLR, Le statut d'Emmaüs reconnu par décret, dépêche AFP, 16/07/2009 ; cf. infra, n°293 124 59 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ C - Le lien de subordination et l’accès à la protection sociale 153. La seconde question qui se pose concerne l’accès à la protection sociale. Ne seront traitées ici que les aspects relatifs au régime général de la sécurité sociale, l’étude des régimes spéciaux ou des régimes non obligatoires relevant d’une casuistique secondaire. 1 – Présentation du régime général 154. Le rôle du régime général de sécurité sociale est d’assurer ses bénéficiaires contres les risques liés à la maladie, aux accidents du travail, à la vieillesse, à l’invalidité, à la maternité, au décès et aux charges familiales. Il a vocation à s'appliquer aux travailleurs salariés et assimilés des professions, qu’elles soient industrielles, commerciales, artisanales ou libérales126. 155. Le régime général concerne aussi les personnes exerçant leur activité pour le compte d'organismes sans but lucratif ou de particuliers. Est donc visée toute activité salariée ou assimilée qui n’est pas de nature agricole ou ne relevant pas de régimes spéciaux. Dans ces conditions, l’accès au régime général de la sécurité sociale est-il exclusivement dépendant de l’existence d’un lien de subordination juridique ? 2 – Accès au régime général et lien de subordination 156. Selon l’article L.311-2 du Code la Sécurité Sociale : « sont affiliées obligatoirement aux assurances sociales du régime général, quel que soit leur âge et même si elles sont titulaires d'une pension, toutes les personnes quelle que soit leur nationalité, de l'un ou de l'autre sexe, salariées ou travaillant à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs et quels que soient le montant et la nature de leur rémunération, la forme, la nature ou la validité de leur contrat. » 126 J.-J. Dupeyroux, M. Borgetto, R. Lafore, R. Ruellan, Droit de la sécurité sociale, Dalloz-Sirey, coll. Précis Dalloz, 2005 60 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ 157. Le texte vise donc toutes les personnes salariées ou travaillant pour un employeur. La définition des personnes obligatoirement affiliées au régime général est très large. Cette formulation appelle deux remarques. 158. D’une part, elle est tellement large qu’elle pourrait viser des entrepreneurs ou des indépendants. Non pas parce que ceux-ci pourraient se placer dans un lien de subordination mais parce que le texte emploie la formule « un ou plusieurs employeurs » et non « leur ou leurs employeurs ». Cela implique qu’à la lettre du texte, le simple fait de travailler, même hors lien de subordination, pour une personne qui est un employeur doit suffire à rendre obligatoire l’affiliation au régime général. C’est une interprétation rigide des dispositions de l’article L.311-2 qui n’est pas répandue en pratique mais qui demeure source d’insécurité juridique pour les vrais indépendants. 159. D’autre part, la formulation est tellement floue que la question de la détermination du salarié reste sans réponse. C’est donc ce que l’on appelle parfois une « disposition balai ». Elle permet d’appréhender un maximum de situations mais empêche de déterminer l’affiliation au régime général au cas par cas. Il est donc nécessaire d’opérer un tri. Ce rôle est dévolu en grande partie à la jurisprudence127. 160. Dès lors se profile l’esquisse de divergences jurisprudentielles concernant la définition du salariat. L’article précité ne fait en effet ni référence au critère de la subordination, ni à celui de la dépendance. La notion de salariat n’étant définie légalement ni en droit du travail, ni en droit de la sécurité sociale, rien ne garantit l’unicité des critères jurisprudentiels du salariat et notamment celle du lien de subordination juridique. La reconnaissance de ce dernier peut en effet relever tantôt de la compétence du Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale128, tantôt de celle du Conseil des Prud’hommes. Le paragraphe suivant sera donc consacré à cette dichotomie structurelle. 127 T. Tauran, L'assujettissement au régime général de la Sécurité sociale et le critère du lien de subordination, évolution récente, droit social 2009 n° 2 p.195 (Retour sur la définition et l'application du critère de subordination, étude de la jurisprudence récente : Cour de cassation chambre civile 27 février 2008 n° 06-21.321 et Cour de cassation chambre civile 2 20 mars 2008 n° 06-20.480 et 0710.011) 128 V. X. Prétot, la répartition des compétences entre la caisse primaire et l’URSSAF pour prononcer l’assujettissement au régime général, droit social 1992, p.484 61 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ Paragraphe 2 – Le salariat en droit du travail et de la Sécurité sociale 161. Une question qui rend encore plus complexe le débat sur le critère du contrat de travail est la dichotomie entre droit du travail et droit de la Sécurité sociale. Mais cette dichotomie s’atténue, et finit par disparaître au fil du temps, simplifiant ainsi le problème. Seront ainsi présentées les étapes de l’unification (A) et l’intérêt de cette unification des critères (B) du salariat. A - L’unification des critères du contrat de travail 162. Deux étapes successives peuvent être envisagées : celle des critères distincts (1) et celle de l’uniformisation des critères (2). 1 – L’étape des critères distincts 163. Après la première tentative de création d'un régime national de protection sociale en 1910129 un système d'assurances sociales fut organisé en France par la loi du 30 avril 1930130. Ce système était limité car il ne couvrait pas les prestations familiales et l'indemnisation des accidents du travail. Mais surtout il ne couvrait que les salariés dont la rémunération était inférieure à un certain plafond131, ce qui témoigne d’une logique juridique qui peut laisser perplexe. 164. Au milieu du siècle, la conception du lien de subordination est statique : dès que les conditions étaient remplies, il y avait rattachement à un statut précis. La question de l’affiliation obligatoire à la Sécurité Sociale était à cette époque tranchée par l’article L.241 du Code la Sécurité Sociale « sont affiliées obligatoirement aux assurances sociales toutes les 129 Loi du 5 avril 1910 sur les retraites ouvrières et paysannes Alors qu'en Allemagne, les assurances sociales furent mises en place de 1881 à 1889 (Cf. notamment L. 15 juin 1883 sur l'assurance maladie, L. 6 juill. 1884 sur l'assurance accidents du travail, L. 29 juin 1889 sur l'assurance invalidité-vieillesse, Code des assurances sociales de 1911) et qu'en Grande-Bretagne, la loi d'assurance nationale remonte à 1911. 131 V. J.-P. Laborde, Droit de la sécurité sociale, Éd. PUF, éd. 2005 p. 54 et s.; V. également J.-J. Dupeyroux, Droit de la sécurité sociale, , Dalloz-Sirey, 16° éd., 2005 130 62 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ personnes […] salariées ou travaillant à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs et quels que soient le montant et la nature de leur rémunération, la forme, la nature ou la validité de leur contrat. ». La définition des personnes obligatoirement affiliées au régime général était donc déjà très large, très floue et complexe132. Le statut social étant d'ordre public, le choix d’une définition aussi large avait pour but premier de contribuer à lutter contre la fraude à la loi. 165. L’extension des assurances sociales aux travailleurs liés à un employeur autrement que par un contrat de travail est née du décret-loi du 25 octobre 1935. Ce texte fixait le champ d'application des assurances sociales, mais hésitait encore, pour définir le salarié, entre dépendance économique et subordination juridique. C’est notamment à cause de cette incertitude que le texte n’assurait que les travailleurs dont les revenus étaient inférieurs à un certain seuil. La suppression, dans les dispositions actuelles de l’article L. 311-2, de toute référence à des revenus plafonds démontre la volonté du législateur de privilégier la subordination juridique. Mais en l'absence de toute référence à la notion de contrat de travail, ces dispositions maintiennent les incertitudes sur la délimitation du champ du salariat. 166. La jurisprudence a commencé par abandonner le recours à un critère uniquement juridique pour recourir à des indices tenant à l’appréciation d’un rapport de dépendance économique. L’idée de dépendance économique comme critère du contrat de travail a véritablement connu un certain succès lors de la mise en place de l’ordonnance du 19 octobre 1945. Cette ordonnance a marqué la divergence, source de critiques, entre le droit du travail et le droit de la Sécurité sociale. En droit de la Sécurité sociale, l’appréciation de l’exercice d’un pouvoir de direction est alors abandonnée au profit de l’appréciation d’un rapport de dépendance d’ordre économique. 167. Mais cette voie fut vite rejetée car la notion de dépendance économique est trop abstraite. La Cour de cassation finit donc par l’exclure au profit d’une nouvelle ligne directrice : si les juges du fond relèvent une réelle indépendance il n’y a pas de contrat de travail. Mais s’il existe une ingérence dans le contrôle des moyens mis en œuvre dans l’accomplissement du travail, il y a contrat de travail. 132 Cf. supra : « Le lien de subordination et l’accès à la protection sociale » 63 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ 168. J.J. Dupeyroux a très tôt suggéré une solution intermédiaire entre la subordination juridique et la dépendance économique : « Pour notre part nous nous demandons, si à l’idée, trop restrictive, de dépendance juridique et à celle, trop imprécise, de dépendance économique, ne pourrait être avantageusement substituée celle de dépendance professionnelle. Nous parlerions de dépendance professionnelle, entraînant affiliation au régime général de la Sécurité sociale, lorsque la situation professionnelle d’une personne naît d’une convention et, liée à cet accord, disparaît avec lui. »133 Mais le rapprochement des critères a éclipsé le débat. 2 – L’uniformisation des critères 169. Depuis l’arrêt Société Générale134 la définition juridique du salarié en droit du travail et de la Sécurité sociale est unique. Cette solution est logique si l'on retient la subordination juridique comme critère fondamental. La Cour de cassation a cherché à réunir les deux disciplines afin de retrouver la filiation naturelle entre droit de la sécurité sociale et droit du travail. Cet arrêt consacre un long courant jurisprudentiel initié par la Chambre sociale de la Cour de cassation135. 170. La volonté de donner une définition unique des salariés dans ces deux matières ressort de références faites aux anciens articles L. 121-1 du Code du travail - relatif au contrat de travail - et L. 242-1 du Code de la sécurité sociale - relatif à l'assiette des cotisations du régime général -. Par ailleurs, la Chambre sociale précise que le seul critère d'identification du salarié est la subordination juridique, la participation à un service organisé n'en étant plus qu'un éventuel indice. 171. Elle définit enfin le lien de subordination comme « l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ». La Cour de cassation 133 J.J. Dupeyroux, Les conditions de l’affiliation obligatoire au régime général de la Sécurité sociale, Dalloz 1962, p.184 134 Cass. soc., 13 novembre 1996 ; Société Générale c/ URSSAF de la Haute-Garonne 135 Cass.soc. 8 déc. 1976, D.1976, IR, 27 ; Cass.soc. 6 juill. 1981, Bull.civ. V, n°650, p. 488 ; V. sur ce point P. Pigassou « L’évolution du lien de subordination en droit du travail et de Sécurité sociale », droit social 1982, p. 589 ; V. également : G. Bredon, L’évolution de la notion de subordination comme critère du contrat de travail, Thèse, Université Paris II, 1998, p. 24 64 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ abandonne ainsi tout recours à une définition du salarié qui soit plus large en droit de la sécurité sociale qu’en droit du travail, fondée sur le critère de participation à un service organisé et conçu comme un critère autonome136. B – L’intérêt de l’unification 172. Un critère unitaire ne se justifie pas tant par la finalité des textes en cause que par un besoin de cohérence et de simplification dans l’application du droit social. C’est du moins, au quotidien, l’intérêt perçu par les usagers et par les juges. 173. Les lois relevant du champ d’application du droit de la sécurité sociale et du droit du travail ont une finalité différente. Le droit du travail est fondé sur l’idée que le salarié a besoin d’être protégé d’éventuels abus de son employeur, du fait de sa position de force. Le droit de la sécurité sociale est inspiré par le besoin d’une protection solidaire contre les aléas inhérents à toute activité salariée. C’est notamment le cas du risque d’accidents du travail, de maladies professionnelles ou de chômage. 174. Cette différence justifiait jusqu’alors la spécificité de leurs champs d’application. Il ne pouvait néanmoins en résulter qu’une relativisation de la notion de salariat qui pouvait générer de l’insécurité juridique pour les usagers. Ceux-ci pouvaient parfois difficilement comprendre que le statut de salarié leur était reconnu au regard de certaines dispositions mais pas pour d’autres. 175. Ce besoin de rationalité a induit un mouvement d’harmonisation entre le droit du travail et le droit de la Sécurité sociale. Ce mouvement fût largement soutenu par J.J. Dupeyroux qui s’est fondé sur le besoin de sécurité juridique pour promouvoir un principe d’unité du statut social. Dans le même courant de pensée, P. Durand avait déjà défendu l’idée que « l’édification d’un droit de l’activité professionnelle » devait être « l’œuvre de la seconde moitié de ce siècle »137 136 J. Barthélémy, Salarié : une définition unique en droits du travail et de la sécurité sociale, La Semaine Juridique Entreprise et Affaires n° 5, 30 Janvier 1997, 911 137 V. J.J. Dupeyroux, Les conditions de l’affiliation obligatoire au régime général de la Sécurité sociale, Dalloz 1962, p.184 s. ; V. également : M. Leturcq, Contribution à l'élaboration d'un droit de 65 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ CHAPITRE 2 LA CONCEPTUALISATION DU LIEN DE SUBORDINATION 176. Tous les auteurs qui sont amenés à traiter la question du lien de subordination font un constat unanime : la notion de lien de subordination occupe à ce jour une place déterminante dans la reconnaissance du contrat de travail. Ce rappel permet de faire évoluer le développement car si la notion de subordination occupe la meilleure place cela implique qu’il existe d’autres critères, qu’ils soient alternatifs ou complémentaires par rapport au lien de subordination. 177. Force est alors de constater qu’il existe un rapport de force entre ces critères et que c’est dans ce contexte de concurrence jurisprudentielle que la notion de subordination s’est imposé comme l’unique critère distinctif du contrat de travail. Il est en effet l’outil indispensable de l’opération de qualification ou de requalification du contrat de travail. Pour ces raisons, la conceptualisation du lien de subordination juridique sera abordée sous l’angle de sa contextualisation. Il sera ainsi possible de répondre à deux questions essentielles : pourquoi les juges ont-ils recours à cette notion ? Et qu’est ce qu’un lien de subordination juridique ? 178. Le présent chapitre propose de développer ces idées en deux temps. Il faudra tout d’abord analyser la concurrence des critères du contrat de travail (SECTION I) puis la concurrence de critères alternatifs (SECTION II). l'activité professionnelle : pour une liberté professionnelle effective, Université du droit et de la santé, Lille, 16/12/2004 ; G. Bredon, L’évolution de la notion de subordination comme critère du contrat de travail, Thèse, Université Paris II, 1998, p.21 ; V. également Th. Aubert-Monpeyssen, Subordination juridique et relation de travail, Centre Régional de Publication de Toulouse, Éditions du Centre National de la Recherche Scientifique, 1988 66 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ SECTION I - LA CONCURRENCE DES CRITÈRES DU CONTRAT DE TRAVAIL 179. En l’absence de définition légale et hors cas de présomption ou d’assimilation, le principe demeure celui de la définition jurisprudentielle du contrat de travail. Cette définition peut être résumée en une phrase : le contrat de travail est la convention par laquelle une personne physique (salarié) effectue pour le compte d’une personne de droit privé, morale ou physique (l’employeur), et sous son contrôle, une prestation de travail en échange d’une rémunération138. 180. Trois critères peuvent ainsi être dégagés de cette définition : l’accomplissement d’une prestation de travail, le versement d’une rémunération et l’existence d’un lien de subordination. Si ces trois critères sont complémentaires, dans le sens où leur réunion consolide un faisceau d’indices, il n’en demeure pas moins que la primordialité du lien de subordination tend à donner aux deux autres critères un caractère subalterne. Cette idée de position inférieure ou secondaire, de hiérarchisation des critères du contrat de travail, conforte l’existence d’une concurrence qui les oppose. 181. Cette fragilisation ravive les antagonismes latents au sein de la doctrine concernant le choix du lien de subordination comme critère déterminant du contrat de travail. L’étude des critères complémentaires au lien de subordination (paragraphe 1) permettra toutefois de mettre en exergue et de comprendre la dominance du lien de subordination juridique (paragraphe 2). Paragraphe 1 – Les critères complémentaires au lien de subordination 182. La notion de subordination juridique est en concurrence directe avec les deux autres critères du contrat de travail : la rémunération et l’accomplissement d’une prestation de travail. Ces trois critères sont en principe complémentaires dans la qualification du contrat de 138 Pour une théorie sur l’extension du statut de salarié à une personne morale V. A. Lecea, L’entreprise subordonnée, Thèse de doctorat, Université de Toulouse I, 2005 67 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ travail, bien que « le critère de la subordination reste déterminant ».139 Il s’agit donc de comprendre pourquoi le lien de subordination bénéficie d’un statut clairement supérieur aux deux autres critères dans la qualification du contrat de travail. Cela signifie que le lien de subordination ne doit pas être présenté come l’unique critère du contrat de travail mais comme son critère distinctif. 183. Ce raccourci dans le discours est souvent emprunté et pourrait être défendu au regard de la jurisprudence mais il paraît plus exact de présenter les deux autres critères car un raccourci hâtif peut être source d’erreurs. L’objet de ce paragraphe est donc de présenter le critère de la rémunération (A) et celui de la prestation de travail (B). A – La rémunération 184. Le professeur G. Vachet rappelle avec sagesse une précision importante souvent négligée : « On peut s'interroger tout d'abord sur le mot même : rémunération ou salaire ? Il est curieux de noter que, si le lexique des termes juridiques contient une définition du salaire prestation versée par l'employeur au salarié en contrepartie de son travail- il ne définit pas la rémunération. Le Grand Larousse Universel indique que le mot salaire vient du latin « salarium » - solde pour acheter le sel - et donne du salaire la même définition que les juristes : toute somme versée en contrepartie ou à l'occasion d'un travail effectué par une personne pour le compte d'une autre dans le cadre d'un contrat de travail. En revanche, il est moins restrictif dans sa définition de la rémunération -prix d'un travail fourni, d'un service rendu- puisqu'il ne fait aucune référence au contrat de travail. Le droit social n'est pas exempt de telles hésitations quant au mot utilisé»140. 185. Renvoyant à son étude pour une analyse critique de cette notion, il faut retenir pour les besoins du développement subséquent que la rémunération désigne la contrepartie de la 139 F. Favennec-Hery, P.-Y; Verkindt, Droit du travail, Coll. LGDJ, 2° éd., 2009, p. 320 n° 280 G. Vachet, la notion de rémunération au regard de la sécurité sociale in Mélanges dédiés au président M. Despax, Presses de l’Université des Sciences sociales de Toulouse, 2002, p. 401. ; V. également P.-H. Antonmattéi, La qualification de salaire, dr. soc. n°6, p. 571-574, 01/06/1997 ; J. Hauser, La notion de salaire et le droit privé in Mélanges dédiés au président M. Despax, Presses de l’Université des Sciences sociales de Toulouse, p. 417 : « Il est des notions transversales du droit, privé et public, qui paraissent évidentes et l’ont peut-être été, mais qui s’avèrent multiformes, finalement difficiles à cerner et fort complexes. Il en est ainsi de la notion de salaire » 140 68 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ prestation de travail. Pour sa part, l’article L.242-1 du Code de la sécurité sociale considère comme rémunérations « toutes les sommes versées aux travailleurs en contrepartie ou à l'occasion du travail, notamment les salaires ou gains, les indemnités de congés payés, le montant des retenues pour cotisations ouvrières, les indemnités, primes, gratifications et tous autres avantages en argent, les avantages en nature, ainsi que les sommes perçues directement ou par l'entremise d'un tiers à titre de pourboire. La compensation salariale d'une perte de rémunération induite par une mesure de réduction du temps de travail est également considérée comme une rémunération, qu'elle prenne la forme, notamment, d'un complément différentiel de salaire ou d'une hausse du taux de salaire horaire »141. 186. À ce titre, la dénomination donnée par les parties ne lie donc pas le juge. Il pourra requalifier de rémunération des sommes contractuellement désignées comme vacation, redevance, honoraires, rétribution, commission, salaire, traitement, prime, indemnité voire de don ou de prêt. La rémunération en tant que critère du contrat de travail peut donc revêtir plusieurs formes (1) mais doit en tout état de cause constituer la contrepartie financière d’une prestation de travail (2). 1 - La forme de la rémunération 187. La forme de la rémunération demeure librement déterminée par les parties142. Ces dernières peuvent convenir qu’elle sera constituée, en partie ou intégralement, d’avantages en nature. À titre non exhaustif il est possible de citer la fourniture gratuite d’un logement, d’eau, d’électricité, de chauffage, de nourriture ou de la mise à disposition d’une machine, d’un véhicule ou des nouvelles technologies de l’information et de la communication143. Toutefois elle se compose dans la plupart des cas, au moins principalement, d’un salaire en espèces. Les 141 V. 2e Civ. 19 juin 2008, BICC n°678 du 15 novembre 2008 Sous réserve d’une rémunération mensuelle minimale : article L.3232-1 et s. du code du travail 143 V. en ce sens, Cass. soc. 7 avr. 1994, n° 89-45.796 ; 18 juill. 2000, RJS 11/2000, n° 1054. Comp. Cass. soc. 7 janv. 1981, Bull. civ. V, n° 2 ; V. aussi Cass. soc. 17 avr. 1985, Bull. civ. V, n° 238 ; Cass. crim. 27 sept. 1989, RJS 11/1989, n° 846 142 69 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ avantages, primes et indemnités qui procurent au salarié « un enrichissement »144 constituent en principe de simples accessoires de ce salaire. 188. Si la forme de la rémunération est libre, lorsqu’elle prend la forme d’un salaire, son paiement est ipso facto soumis aux prescriptions de l’article L.3241-1 du code du travail. Le salaire doit en effet être « payé en espèces ou par chèque barré ou par virement à un compte bancaire ou postal […]. En dessous d'un montant mensuel déterminé par décret, le salaire est payé en espèces au salarié qui le demande. Au-delà d'un montant mensuel déterminé par décret, le salaire est payé par chèque barré ou par virement à un compte bancaire ou postal»145. 189. De plus le paiement du salaire obéit à des règles de périodicité, notamment au principe de la mensualisation146 sans pour autant exclure les divers modes de calcul du salaire « aux pièces, à la prime ou au rendement »147. Ces modes de calcul peuvent être fixés en fonction du temps de travail mais aussi des résultats, des missions, du nombre de pièces rendues (tâcheron148), du volume des ventes ou du chiffre d’affaire réalisé. ϮͲla contrepartie d’une prestation de travail 190. Enfin, pour être constitutive d’un critère du contrat de travail, la rémunération doit constituer la contrepartie d’une prestation de travail pour le compte du cocontractant puisque 144 G. Vachet, la notion de rémunération au regard de la sécurité sociale in Mélanges dédiés au président M. Despax, Presses de l’Université des Sciences sociales de Toulouse, 2002, p. 408 145 Sous réserve des dispositions législatives imposant le paiement des salaires sous une forme déterminée : Article L.3241-1 du code du travail 146 Article L. 3242-1 du code du travail ; V. aussi Rép. Proveux, JOAN 26/08/85, p. 4035 : « […] Si le paiement du salaire afférent à une période de travail doit être effectué dans le délai le plus rapproché de la fin de cette période, il peut cependant être admis que l'établissement des comptes individuels exige quelque délai pour permettre aux employeurs l'achèvement des opérations comptables. [..] Aussi, dans le souci d'assurer aux entreprises une certaine souplesse de gestion, il n'apparaît pas opportun de fixer une date-limite de paiement des salaires dès lors que l'intervalle de temps entre deux paies successives n'excède pas la périodicité maximale prévue par l'art. L. 143-2 du Code du travail » 147 Article L. 3242-2 du code du travail 148 En l'absence de fixation par le contrat de travail du temps relatif à chaque tâche, le salarié payé à la tâche peut prétendre au SMIC ou au salaire minimum conventionnel pour le nombre d'heures de travail qu'il a effectué, V. Cass. soc., 25 mai 2005, Bull. 2005, V, n° 179 ; Cass. soc., 25 septembre 1990, Bull. 1990, V, n° 383 ; Cass. Soc., 13 octobre 2004, Bull. 2004, V, n° 254 70 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ le contrat de travail est un contrat onéreux149. La jurisprudence tolère toutefois la pratique consistant à ce qu’un tiers puisse verser la rémunération au salarié sans pour autant être substitué à l’employeur pour l’exécution des autres obligations découlant du contrat de travail. Dans une affaire de ce type, la Cour de cassation a eu l’occasion de souligner qu’en l’espèce « il importait peu que la rémunération des membres de cette association leur fût versée par les personnes âgées qu’ils accueillaient et non directement par ladite société »150. B - La prestation de travail 191. L’existence d’un contrat de travail suppose en toute logique qu’une des parties ait l’obligation d’exécuter une prestation de travail. Il s’agit là de l’objet même du contrat de travail. La prestation de travail constituant l’obligation principale du salarié elle est aussi, corrélativement, la cause de l’obligation de l’employeur151. Pour pouvoir constituer un critère du contrat de travail, la jurisprudence à développé certaines exigences tenant notamment au caractère direct et effectif de la prestation (1), à son caractère professionnel (3) et enfin à ce qu’elle soit accomplie pour le compte d’autrui (2). 1 - Le caractère direct et effectif de la prestation 192. Premièrement, la prestation de travail doit revêtir un caractère effectif, en ce sens que le travailleur doit réellement avoir effectué les tâches prévues au contrat. Cette exigence a pour effet d’exclure toute prestation apparente et/ou fictive152 ou encore ne faisant l’objet d’aucun accord et exécutée à l’insu de l’employeur. 193. En second lieu, la Cour de cassation refuse que le travail puisse être délégué ou sous- traité. À défaut, la prestation ne pourra pas être constitutive d’un critère du contrat de travail. La jurisprudence considère que seul celui qui a effectivement exécuté la prestation de travail 149 Cf. supra Cass. soc. 16 juin 1994, RJS 7/1994, no 898 ; V. aussi Cass. soc. 25 mars 1998, RJS 5/1998, n° 560 ; V. dans le même sens, 27 sept. 1989, Bull. civ. V, n° 547, RJS 10/1989, no 802 ; 8 juin 1994, Bull. civ. V, n° 189 ; 6 juin 1995, n° 93-45.720 ; CA Versailles, 7 oct. 1998, RJS 12/1999, n° 1553 ; rappr. Cass. soc. 27 mars 1996, Bull. civ. V, n° 117 151 M.-A. Peano, L’intuitus personae dans le contrat de travail, dr. soc. 1995, p. 129 152 Cass. soc. 14 mai 1987, n° 85-40.181; CA Versailles, 2 déc. 1999, RJS 3/2000, n°244 150 71 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ est en mesure d’être considéré comme titulaire d’un contrat de travail153. Cette exigence tient au fait que le contrat de travail constitue un contrat intuitu personae en ce sens que le consentement de chacune des parties est donné en considération de la personne avec laquelle il contracte. « Ainsi, en pratique, l’employeur n’accepte de le conclure qu’avec le candidat à l’emploi qui justifie des compétences requises pour accomplir efficacement les tâches afférentes au poste à pourvoir […] quant au candidat à l’emploi, sa décision d’accepter une offre d’embauche est, elle-même, largement déterminée par la personne de l’employeur et, plus précisément, par les avantages sociaux que celui-ci lui a promis »154. 2 – Une prestation pour le compte d’autrui 194. La jurisprudence exige encore que la prestation de travail soit exécutée pour le compte d’autrui. Pour la Cour de cassation, il s’agit d’une caractéristique essentielle de la prestation de travail155 qui exclu, en principe, que le salarié possède une clientèle propre ainsi que les moyens de l’exploiter. Sous réserve des mécanismes de participation et d’intéressement aux résultats, le salarié ne doit pas non plus participer aux pertes et bénéfices de l’activité156 au risque d’être qualifié d’associé 157. 195. Toutefois la nuance peut être ténue entre l’associé et le salarié abusé. En effet la Cour de cassation a eu l’occasion de souligner que la clause du contrat de travail subordonnant la rémunération du travailleur à domicile à l’encaissement effectif de la commande est illicite. Le travailleur à domicile est en effet un salarié sur lequel ne saurait peser partie du risque d'entreprise158. 153 M.-A. Peano, L’intuitus personae dans le contrat de travail, dr. soc. 1995, p. 130 Y. Aubrée, Contrat de travail, Rép. trav. Dalloz avril 2005, p.5, n° 11 et p.10, n° 24 155 Cass. soc. 1er mars 1989, RJS 4/1989, n°384 ; Cass. soc. 14 juin 1989, RJS 8-9/1989, n°719 ; Cass. soc. 10 mai 1990, RJS 6/1990, n°522 ; Cass. soc. 22 mars 1989, RJS 5/1989, n° 454 ; Cass. soc. 12 juill. 1989, RJS 10/1989, n° 801 ; Cass. soc. 27 sept. 1989, Bull. civ. V, n° 547, RJS 10/1989, n° 802 156 Cass. soc. 14 juin 1989, RJS 8-9/1989, n° 719; Cass. soc. 29 nov. 1989, RJS 1/1990, n° 2 ; 23 janv. 1997; Cass. soc. 9 avr. 1987, Bull. civ. V, n° 213 ; 5 oct. 1989, RJS 11/1989, n° 880 ; Cass.soc., 22 févr. 1990, RJS 4/1990, n° 337 ; 23 janv. 1997 ; 157 Cass. ch. mixte 12 févr. 1999, RJS 3/1999, n° 444, dr. soc. 1999, p. 404, obs. C. Radé ; Cass. soc. 19 juill. 2000, RJS 12/2000, n° 1299 ; 158 Cass.soc., 10 mai 2007, Bull. n° 71 154 72 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ 3 – Le caractère professionnel de la prestation de travail 196. Enfin, pour caractériser l’existence d’un contrat de travail, la prestation de travail doit être accomplie à titre professionnel. Cet indice sera d’autant plus probant que la rémunération permet au salarié de subvenir aux besoins liés à l’existence et est exercée de manière habituelle. La qualification de contrat de travail sera généralement rejetée lorsque la prestation de travail est exécutée à titre occasionnel, exceptionnel, selon ses convenances159 ou encore à titre de service rendu160. Il faut remarquer que la plupart de ces décisions sont bien antérieures à la loi Madelin du 11 février 1994 qui instaurait l’exigence d’un lien de subordination juridique permanente. Ces décisions s’ajoutent donc à la question de l’utilité de l’ajout du qualificatif « permanente »161. Paragraphe 2 – La dominance du lien de subordination juridique 197. Le lien de subordination demeure l’outil privilégié dans l’identification du contrat de travail car il en est l’élément distinctif ; si les deux autres critères permettent d’attribuer à une relation de fait le terme générique de contrat, le lien de subordination est le seul critère qui permet d’ajouter à ce genre juridique qu’est le contrat, une différence spécifique permettant de le classer dans la typologie du contrat de travail. 198. En effet, la rémunération ne permet pas de distinguer entre tous les contrats à titre onéreux. Ce seul critère ne permet pas de distinguer un contrat de travail d’une vente, d’une location, d’un prêt ou encore d’un contrat d’entreprise. Quant à l’exécution d’une prestation de travail, ce critère ne permet pas, à lui seul, de distinguer le contrat de travail des autres 159 V. Cass. soc. 11 janv. 1990, RJS 2/1990, n° 150. V. aussi Cass. soc. 25 oct. 1990, RJS 12/1990, n° 1017 ; Cass. soc. 21 nov. 1991, RJS 1/1992, n° 69 ; Cass. soc. 16 janv. 1992, RJS 3/1992, n° 341 ; V. encore : Cass. soc. 25 mars 1998, n° 95-41.817 ; CA Paris, 17 déc. 1997 ; Cass. soc. 11 oct. 2000, RJS 12/2000, n° 1302 160 Cass. soc. 22 mars 1989, RJS 5/1989, n° 455 ; Cass.soc., 31 oct. 2000, RJS 1/2001, n° 124 ; Cass. soc. 29 mars 1990, RJS 5/1990, n° 423 ; Cass. soc. 13 déc. 1990, RJS 2/1991, n° 240 ; CA Montpellier, 31 mars 2004, RJS 12/2004, n° 1243 ; pour quelques interprétations contraires : V. Cass. soc. 22 mars 2001, RJS 6/2001, n° 783 ; Cass. soc. 10 oct. 2002, RJS 1/2003, n° 73 161 Cf. infra, n° 206 73 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ contrats ou relations de fait impliquant la fourniture d’un service : le bénévolat, l’entraide, le contrat d’entreprise, le stage, voire même le devoir d’assistance dans le cadre du mariage. 199. Pour prendre l’exemple du contrat d’entreprise, celui-ci implique la réalisation d’une prestation de travail qui doit être rémunérée. Dans ces conditions comment différencier le contrat d’entreprise du contrat de travail ? La solution actuelle ne trouve de réponse qu’en recourant au critère à la fois distinctif et qualificatif du contrat de travail : le lien de subordination. 200. L’explication de sa supériorité à l’égard des deux autres critères peut être tirée de ce constat : le lien de subordination offre une double fonction ; premièrement il participe à la caractérisation d’une relation contractuelle. Deuxièmement, il permet le classement dudit contrat parmi la typologie des contrats nommés, soit dans la catégorie contrat de travail. De plus les deux autres critères constituent des obligations des parties, ce qui n’est pas le cas du lien de subordination. La subordination n’est pas une obligation du contrat de travail mais à la fois une condition et un révélateur de son existence. Ce critère du lien de subordination juridique se caractérise aujourd’hui par son instabilité (A), ce qui complexifie l’approche jurisprudentielle qui peut en être faite (B). A – L’instabilité du critère du lien de subordination juridique 201. La Cour de cassation est constante, dans le verbe, dans l’exigence d’un lien de subordination. Il apparaît cependant qu’elle a pu appliquer des variations qualitatives mais aussi quantitatives au contenu de cette notion. Elle a progressivement été amenée à exiger une subordination plus ou moins intense selon le degré d’autonomie inhérente à la profession exercée162. Force est donc de constater qu’il n’existe pas un lien de subordination mais une pluralité de subordinations. Cette déclinaison résulte de l’évolution de la notion dans le temps, des nuances jurisprudentielles et surtout de son éclatement face à la déverticalisation du travail163. 162 Expression empruntée à A. Taillandier : A. Taillandier, L'intensité du lien de subordination, Thèse de doctorat de l’Université de Nantes, 1994 (dir. A. Supiot) 163 Cf. infra, n°586 74 Ͳ 202. >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ Les formulations successives utilisées dans la jurisprudence ont fortement contribué à parasiter la compréhension du concept de subordination juridique; « les formules de « subordination 164 juridique » économique », de « dépendance économique », de 165 , voire de « sujétions dans le cadre d’un service organisé » 166 subordination d’employé à employeur » « dépendance ou de « lien de se rencontrent dans les arrêts et voisinent avec le « lien juridique de subordination »167 ou encore « l’état juridique de subordination »168. Le vocabulaire est donc diversifié »169. La terminologie n’offre aucune aide à la délimitation du contenu de la subordination, la reléguant ainsi au rang de fiction juridique sans ancrage dans la réalité. 203. La loi Madelin du 11 février 1994 a érigé la notion de subordination juridique au rang de catégorie légale. Cependant la loi Madelin a employé l’expression de « lien de subordination juridique permanente » aux fins d’exclure les travaux ponctuels de courte durée. Outre la critique tenant au fait qu’un contrat de travail temporaire, même d’une heure, doit demeurer un contrat de travail avec toutes ses conséquences juridiques, la loi a généré un facteur supplémentaire d’incompréhension en ajoutant l’adjectif « permanente ». Mais comme le remarquent plusieurs auteurs, notamment A. Simon, les juges sont restés « impassibles face à la notion légale de subordination juridique permanente ». Ce point particulier ne mérite donc pas d’étude supplémentaire170. 204. P.-Y. Verkindt et F. Favennec-Hery expliquent en ces termes que « plus qu’un critère du contrat de travail, la subordination en est l’âme même »171. Depuis un arrêt de principe de 164 Cass. Soc., 4 janvier 1974 Cass. Soc., 24 février 1975 166 Cass. Ch. Réun. 23 juin 1966, Prénatal, les grands arrêts du droit de la sécurité sociale, n°9 167 L’expression date de l’arrêt Bardou du 6 juillet 1931et figure dans l’arrêt Société générale de 1996 168 Expression employée dans l’arrêt Labbane : Cass. soc, 19 décembre 2000 Labbane ; Droit social 2001 n° 3, page 227, 11 pages, note A. Jeammaud 169 J.-P. Chauchard, A.-C. Hardy-Dubernet, Les métamorphoses de la subordination, analyse juridique et sociologique de l’évolution des formes d’autonomie et de contrôle dans la relation de travail, Maison des Sciences de l’Homme Ange Guépin, 2002, p.12 ; F. Favennec-Hery, P.-Y; Verkindt, Droit du travail, Coll. LGDJ, 2° éd., 2009, p. 323, n°282 170 A. Simon, Le champ d’application et d’influence du droit du travail salarié, Thèse Bordeaux, 2006, p. 152 à 157 ; J.-P. Chauchard, A.-C. Hardy-Dubernet, Les métamorphoses de la subordination, analyse juridique et sociologique de l’évolution des formes d’autonomie et de contrôle dans la relation de travail, Maison des Sciences de l’Homme Ange Guépin, 2002, p.12 171 F. Favennec-Hery, P.-Y. Verkindt, Droit du travail, Coll. LGDJ, 2° éd., 2009, p. 317 n°278 165 75 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ 1931172 la Cour de cassation fait primer le recours à la notion de subordination juridique sur celle de dépendance économique. Mais les auteurs précités soulignent, avec d’autres et à très juste titre, que si la Cour de cassation a toujours été constante dans le recours à cette notion, elle recouvre toutefois un contenu à géométrie variable173. 205. En 1988, Th. Aubert-Monpeyssen écrivait déjà que « ce terme conservateur, chargé d’histoire, riche de toute une évolution juridico-sociale, recouvre une notion-cadre qui n’a pu devenir le précieux outil juridique qu’elle constitue aujourd’hui qu’en perdant partiellement sa signification littérale. […] La signification de ce terme s’étant simplement simplifié au fil des ans »174. Ce sont donc les indices de ce critère qui ont évolué plus que le choix du recours à ce critère. C’est pourquoi le critère s’apparente aujourd’hui à une « pseudo-subordination » voire à une « coquille vide de sens »175. 206. C’est aujourd’hui dans l’arrêt dit « Société Générale »176 du 13 novembre 1996, que la Cour de cassation a eu l’occasion de donner une définition de principe du lien de subordination. Elle estime dans cette décision que « le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné » 177. 207. Une partie de la doctrine a estimé qu’en 2000, dans l’arrêt Labbane, la Cour de cassation avait effectué un revirement de jurisprudence en ayant eu recours à la notion de subordination économique voire de dépendance économique178. En l’espèce il s’agissait de 172 Cass.civ., 6 juillet 1931, DP 1931, 1, 121 note P. Pic ; V. également Cass. Civ.,22 juin 1932 et Cass. Civ., 1 août 1932, DP 1933, 1, note P. Pic 173 F. Favennec-Hery, P.-Y; Verkindt, Op. cit.,p. 318 174 Th. Aubert-Monpeyssen, Subordination juridique et relation de travail, Sciences sociales, Éd. du Centre national de la recherche scientifique, 1988, p.86 (voir également p.82) ; G. Bredon, L’évolution de la notion de subordination comme critère du contrat de travail, Thèse de doctorat de l’Université Panthéon-Assas Paris II, 1998, p. 137 175 F. Favennec-Hery, P.-Y; Verkindt, Droit du travail, Coll. LGDJ, 2° éd., 2009, p. 318, n°278 176 Cass. soc., 13 novembre 1996, Société Générale c/ URSSAF de la Haute-Garonne 177 Cass. soc., 13 novembre 1996 ; Société Générale c/ URSSAF de la Haute-Garonne ; Bulletin civil novembre 1996 n° 9 n° 386 ; Bulletin civil 1996 v n° 386 page 275; semaine juridique JCPG - édition générale 1997 1, IV, 54 9 ; semaine juridique JCPE - édition entreprise 1997 n° 1 n° 20 page 7 ; recueil Dalloz 1996 n°44 Ir page 268 ; gazette du palais 5 janvier 1997 n° 5-7 panorama page 10-11 178 Cass. soc, 19 décembre 2000 Labbane ; Droit social 2001 N° 3, p. 227, 11, note A. Jeammaud 76 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ chauffeurs de taxi qui devaient louer un véhicule sans lequel ils ne pouvaient pas exercer leur métier. En réalité il ne s’agissait pas d’un contrat de location mais d’un contrat de travail car « les juges ont déduit des clauses et de l’économie du contrat ainsi que de la situation de l’intéressé l’existence d’un état de subordination juridique - et non économique-179. [Donc] ce critère bien qu’interprété plus souplement, subsiste »180. 208. La Cour de cassation consacre ainsi le principe selon lequel les « conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité des travailleurs » priment sur la qualification que les parties ont donné à leur convention181. En ce sens, la qualification échappe à la volonté des parties puisque c’est leur comportement qui sera déterminant du fait que le contrat de travail relève de l’ordre public social182. Donc, conformément à l’article 12 du NCPC, « le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables » il lui incombe de « donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée »183. B – L’approche jurisprudentielle du lien de subordination juridique 209. Les arrêts dits « Labbane »184 et « Société Générale »185 permettent de comprendre la méthode constamment utilisée par la Cour de cassation pour caractériser la subordination. Puisque c’est le comportement des parties qui caractérise le lien de subordination, et non les 179 Le Contrat prévoyait que sa durée et celle de chacun de ses renouvellements étaient limitée à un mois, qu'il pouvait être résilié mensuellement avec un délai de préavis très court, que la redevance due au loueur incluait les cotisations sociales du locataire et était révisable en fonction notamment du tarif Taxi. Par ailleurs les conditions générales annexées au contrat prévoyaient la résiliation du contrat en cas de non paiement des redevances et imposaient au locataire des obligations concernant l'utilisation et l'entretien du véhicule notamment conduire personnellement et exclusivement ce dernier, procéder aux vérification des niveaux d'huile et d'eau du moteur, le maintenir en état de propreté en utilisant les installations adéquates du loueur, faire procéder dans l'atelier du loueur à une visite technique et d'entretien une fois par semaine sous peine de supporter les frais de remise en état. 180 F. Favennec-Hery, P.-Y; Verkindt, Droit du travail, Coll. LGDJ, 2° éd., 2009, p. 322, n° 282 181 Cass. soc., 19 déc. 2000, no 98-40.572, Bull. civ. V, no 437, p. 337 ; Cass. 2e civ., 20 mars 2008, no 06-20.533 182 Cf. infra, n° 253 s. 183 Toutefois, il ne peut changer la dénomination ou le fondement juridique lorsque les parties, en vertu d'un accord exprès et pour les droits dont elles ont la libre disposition, l'ont lié par les qualifications et points de droit auxquels elles entendent limiter le débat. 184 Cass. soc, 19 décembre 2000 Labbane ; Droit social 2001 n° 3, p. 22, note A. Jeammaud 185 Cass. soc., 13 novembre 1996 ; Société Générale c/ URSSAF de la Haute-Garonne 77 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ actes juridiques conclus par eux, la preuve se fait par tout moyen selon la méthode du faisceau d'indices. Celui-ci peut être révélé en analysant quelles sont les conditions matérielles d'exécution du travail (1) et en mesurant de degré d'autorité ou de contrôle de l'employeur (2). 1 - Les conditions matérielles d'exécution du travail 210. Un lien de subordination peut se déceler au travers des contraintes imposées au salarié par l'employeur. Ces contraintes portent souvent sur la détermination des horaires, du lieu de travail, des machines, outils et matériels à utiliser ainsi que sur l’intégration dans une hiérarchie. Les différentes contraintes révélatrices des conditions matérielles de l’exécution du travail se conjuguent à d'autres indices et vient ainsi conforter l'état de subordination. 211. C’est par exemple le cas lorsque l’employeur fournit au salarié le matériel et les outils lui permettant de s’acquitter de sa tâche de travail. Il existe toutefois des situations où le salarié doit certes obéir aux ordres de l’employeur mais en utilisant ses propres outils de travail. Ce cas de figure s’illustre parfaitement avec l’exemple de certains chauffeurs livreurs qui utilisent leur propre véhicule mais sont soumis au règlement d’une entreprise de transport. C’est dans ce cas la soumission du salarié au règlement qui traduit la subordination. Le pouvoir règlementaire de la société lui permet d’opérer un contrôle sur les modalités de l’accomplissement du travail par le salarié186. 212. La fixation du lieu de travail par l'employeur est un indice supplémentaire de la subordination juridique du salarié. En effet, ce dernier doit généralement se rendre sur le lieu où se trouvent les locaux de l'entreprise puisqu’en principe ils hébergent l’activité productive ou économique. Cet exemple trouve de multiples illustrations jurisprudentielles, notamment concernant un consultant au service d'une entreprise et exerçant dans ses locaux, un médecin qui effectuaient des gardes dans les locaux d’un service de réanimation ou un professeur donnant des cours dans une école187. 186 Cass. soc., 3 déc. 1986, no 84-12.546, D. 1987, som., p. 159 187 Cass. soc., 11 mai 1967, n° 65-13.607; Cass. ass. plén., 4 mars 1983, n° 81-15.290 et 81-41.647, Bull. civ. ass. plén., p. 5 ; Cass. soc., 12 juin 1974, n° 73-40.652, Bull. civ. V, p. 344 ; Cass. 2e civ., 21 sept. 2004, n° 03-30.144 78 Ͳ 213. >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ Lorsque la Cour de cassation est confrontée à un travailleur itinérant, elle tient compte de la détermination d’un lieu ou d’un secteur de travail par l'employeur. À ce titre elle a pu retenir l’existence d’un contrat de travail entre une société d'études de marché et des enquêteurs de terrain188. Un contrat de travail peut aussi être reconnu à un itinérant lorsqu’il doit procéder à un compte-rendu précis de son activité189. 214. L’horaire de travail constitue un indice particulièrement privilégié du lien de subordination lorsqu’il revêt un caractère obligatoire et qu’il est fixé unilatéralement par l’employeur. La jurisprudence a ainsi pu retenir cet indice pour qualifier le contrat de travail entre un professeur et l’association qui fixait les horaires de cours190, entre un kinésithérapeute et le centre qui fixait les horaires de consultations191 ou encore entre des salariés d’une entreprise étrangère et l’entreprise française qui avait recours à leurs services « dans le cadre d'un service organisé dont les conditions de travail étaient déterminées unilatéralement par l'employeur »192. 215. Un exemple plus connu et récent concerne le cas d’avocats, magistrats et professeurs d’Université donnant des cours dans les locaux d’un CRFPA193 en devant respecter l’emploi du temps et le programme des cours. Ils devaient également contrôler l’absentéisme. La Cour de cassation en a donc déduit que ces intervenants travaillaient dans un lien de subordination avec le CRFPA puisqu’il pouvait leur donner des directives et en contrôler l'exécution194. 216. Enfin il existe des professions qui, de par leur nature, ne peuvent pas s'exercer dans l’astreinte d’un horaire rigide. En pareille situation c’est le degré de contrôle de l’employeur qui caractérisera la subordination juridique. Un degré suffisant a été retenu concernant un travailleur obligé de répondre « à toute convocation de l'employeur »195, de se rendre de manière régulière au siège social pour rendre compte de son activité196 ou encore d'effectuer 188 Cass. soc., 11 févr. 1981, n° 79-14.202, Bull. civ. V, p. 90 Cass. soc., 19 déc. 1978, n° 77-10.933, Bull. civ. V, p. 670 190 Cass. soc., 10 oct. 1991, n° 87-14.878 191 Cass. soc., 7 mai 2002, n° 00-14.451 192 Cass. 2e civ., 8 mars 2005, n° 03-30.324 193 Centre Régional de Formation pour Avocat 194 Cass. 2e civ., 9 mars 2006, Bull. civ. II, n° 72, p. 71 195 Cass. soc., 14 juin 1979, n° 77-41.305, Bull. civ. V, p. 397 196 Cass. soc., 5 oct. 1983, n° 82-13.474 189 79 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ des gardes selon les horaires de service197. La caractérisation du lien de subordination juridique ne pouvant être réduite à la seule fixation unilatérale de l'horaire ou de lieu de travail par l’employeur il est nécessaire d’envisager les autres indices émanant de l'autorité et du contrôle de l'employeur. 2 – L'autorité et le contrôle de l'employeur 217. L'autorité de l'employeur constitue un indice du lien de subordination juridique qui se traduit par le pouvoir à la disposition de l’employeur de donner des directives et d’en contrôler l’exécution. Il suffit simplement que l’employeur ait ce pouvoir, ainsi le simple fait qu’il n’use pas de ce pouvoir ne peut lui permettre d’en nier l’existence et a fortiori celle du lien de subordination. 218. Sous cet angle la subordination juridique peut consister en une soumission des salariés au pouvoir disciplinaire de l'employeur pour l’accomplissement des tâches de travail. Ces éléments correspondent aux cas les plus couramment rencontrés et caractérisent, la plupart du temps, l'existence d'un contrat de travail. La Cour de cassation a par exemple cassé une décision qui ne « faisait référence à aucun pouvoir disciplinaire de la société sur les bénéficiaires des primes »198. Le pouvoir de direction et de contrôle de l'employeur sera contrôlé par les juges avec plus ou moins d’ « intensité »199 en fonction de la nature de la profession en cause. Ce pouvoir de direction s’affirmera différemment selon que l’employeur s’adresse à un cadre ou à un ouvrier. Il existe une différence dans le degré d’autonomie dont chacun doit disposer pour la réalisation de l’objectif et pour exploiter son savoirfaire (souvent dénommé knowledge)200. 219. L’ouvrier doit généralement mettre en œuvre sa force de travail dans une chaîne de production avec plus ou moins de technique. Le cadre doit pour sa part atteindre des objectifs en mettant en œuvre une dimension sinon créative, du moins plus intellectuelle et qui, par nature, présente moins d’emprise au contrôle de l’employeur dans sa mise en œuvre. Pour 197 Cass. 2e civ., 21 sept. 2004, n° 03-30.144 Cass. 2e civ., 4 déc. 2008, n° 08-12.680 ; voir aussi : Cass. 2e civ., 15 mai. 2008, no 07-12.684 199 V. A. Taillandier, L'intensité du lien de subordination, Thèse Nantes, 1994 (dir. A. Supiot) 200 V. A.-C. Alibert, Les cadres quasi-indépendants, du contrat de travail au contrat d’activité dépendante, Thèse pour le doctorat de l’Université d’Auvergne, 2005 198 80 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ l’employeur il est ainsi plus aisé de surveiller la productivité ou le quota horaire d’un ouvrier que de surveiller un cadre en charge d’élaborer un projet de grande ampleur et étalé sur plusieurs mois201. L’application de ce critère du contrôle doit donc s’adapter à la nature du travail commandé. La Cour de cassation a ainsi retenu l’existence d’un contrat de travail au bénéfice d’un cadre conseil en publicité qui devait obligatoirement consulter l’employeur pour les « décisions importantes »202. Au même titre elle a retenu l’existence d’un contrat de travail à l'enseignant obligé de suivre les programmes officiels203 aux collaborateurs privés du choix de leurs clients et placés sous l'autorité et le contrôle d’un responsable204 ou encore aux agents commerciaux qui prospectaient en respectant des règles contraignantes205. 220. Par contre, la Cour de cassation a rejeté l’existence d’un contrat de travail dans plusieurs cas voisins. Notamment entre un médecin qui « exerçait dans les locaux et avec le matériel et les équipements fournis et entretenus par celui-ci, selon un emploi du temps fixé par le secrétariat commercial de l'institut » qui, outre les honoraires des patients, percevait « un fixe mensuel ». Il faut toutefois s’étonner que ces indices n’aient pas convaincu la Cour de cassation qui s’est borné à relever « l'exclusion de toute référence à un pouvoir disciplinaire de la société à l'encontre de celui-ci »206. 221. Sans affirmer que ces critères sont devenus obsolètes, la Cour de cassation exige que la rémunération et l’encadrement des conditions de travail soient complétés par la démonstration d’un pouvoir disciplinaire : « Qu'en statuant ainsi alors que les dispositions contractuelles liant les parties ne concernaient que les conditions de travail et la rémunération de M. X..., à l'exclusion de toute référence à un pouvoir disciplinaire de la société à l'encontre de celui-ci, la cour d'appel a violé les textes susvisés »207. 222. Les décisions les plus récentes semblent asseoir cette voie jurisprudentielle qui érige l’existence d’un pouvoir disciplinaire à un rang supérieur dans les indices du lien de 201 V. A.-C. Alibert, Les cadres quasi-indépendants, du contrat de travail au contrat d’activité dépendante, Thèse pour le doctorat de l’Université d’Auvergne, 2005 202 Cass. soc., 9 nov. 1965, n° 64-40.592, Bull. civ. V, p. 650 203 Cass. soc., 23 janv. 1980, n° 78-41.425, Bull. civ. V, p. 46 204 Cass. soc., 20 déc. 1983, n° 82-14.502, Bull. civ. V, p. 454 205 Cass. soc., 3 juill. 1985, n° 84-10.110 206 Cass. 2e civ., 21 juin 2005, no 04-12.105 207 V. également : Cass. 2e civ., 4 déc. 2008, no 08-12.680 ; Cass. 2e civ., 15 mai. 2008, no 07-12.684 81 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ subordination. La Cour a ainsi eu l’occasion de se prononcer dans un litige opposant l’URSSAF d’une part, les joueurs de l'équipe de France de football et les arbitres d’autre part. Mais là encore, elle relève que le pouvoir disciplinaire invoqué ne traduisait pas un pouvoir de direction, de contrôle et de sanction de la fédération à leur égard208. Toutefois D. Jacotot209 souligne qu’il est possible de se demander si la loi du 23 octobre 2006 portant diverses dispositions relatives aux arbitres, dite loi Lamour -entrée en vigueur le 1er janvier 2007- n’a pas pu, officieusement, influencer la décision. 223. Ce courant jurisprudentiel, dont l’origine peut être rattachée à l’arrêt Société Générale, traduit un resserrage de la notion de subordination autour du pouvoir de direction de l’employeur dont le pouvoir disciplinaire n’est qu’une composante. La notion d’intégration au sein d’un service organisé demeure quant à elle cantonnée au rang de simple indice210. Ainsi, en 2006, la Cour de cassation relevait déjà « que ces médecins, affiliés au régime d'assurance sociale des travailleurs indépendants, participaient aux frais de gestion de la clinique, celle-ci n'ayant pas recherché comment avait été fixée la rémunération de ces médecins ni si la société avait le pouvoir de leur donner des ordres et des directives dans l'organisation de leur travail, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner leurs manquements »211. 208 Cass. 2e civ., 22 janv. 2009, n° 07-19.039, V. D. Jacotot, La Semaine Juridique Social n° 37, 8 Sept. 2009, 1395 209 D. Jacotot, La Semaine Juridique Social n° 37, 8 sept. 2009, 1395 210 Cf. infra, n°237 211 Cass. 2e civ., 16 nov. 2004, no 03-30.412; V. A. Simon, Le champ d’application et d’influence du droit du travail salarié, Thèse Bordeaux, 2006, p.138 s. 82 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ SECTION II– LA CONCURRENCE DES CRITÈRES ALTERNATIFS 224. Si sa fonction distinctive permet au lien de subordination d’occuper la première place au regard des deux autres critères du contrat de travail, il faut se demander ce qui justifie sa prééminence au regard d’autres critères offrant théoriquement la même fonction. Il est dans ces conditions possible de considérer que la notion de subordination juridique est en concurrence indirecte avec des critères d’inspiration doctrinale qui ont pu recevoir application tacite ou expresse dans la jurisprudence. Concurrence indirecte car pour certains ils ont pu dans certaines décisions - envahir le contenu de ce concept creux de la subordination, jusqu’à s’y substituer officieusement. 225. Il est ici fait référence à la dépendance économique (paragraphe 1), concurrent historique du lien de subordination et à l’intégration dans un service organisé (paragraphe 2), un concurrent plus moderne qui mérite sa place de concurrent malgré sa rétrogradation actuelle au rang de simple indice de la subordination. 226. Ces notions doivent être distinguées d’alternatives plus larges et qui demeurent purement théoriques, du moins en droit français. Par exemple la parasubordination212 inspirée de la parasubordinazione du droit italien ou la création d’un droit de l’activité professionnelle. Ces nouvelles perspectives sont encore ignorées par le droit positif français et serviront à ouvrir une réflexion d’ensemble sur la modernisation du droit du travail en fin de deuxième partie. 227. Enfin la Cour de justice des communautés européennes a dégagé des critères qui lui sont propres pour qualifier l’existence d’un contrat de travail. La question de la place et de l’influence de ces critères peut se poser. Il s’agira donc de présenter ces critères, d’en mesurer l’éventuel impact en droit interne et de déterminer s’ils peuvent alimenter le phénomène de concurrence entre les critères d’identification du contrat de travail (paragraphe 3). 212 J. Barthélémy, Parasubordination, Les Cahiers du DRH n°143, mai 2008 83 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ Paragraphe 1 – La notion de dépendance économique 228. La notion de dépendance économique présente la particularité de fonder la reconnaissance du contrat de travail sur la force économique des parties. Elle est donc intrinsèquement différente de la notion de subordination juridique puisque celle-ci fonde la reconnaissance du contrat de travail sur des indices juridiques tenant au comportement des parties, en dehors de toute considération économique (en outre le pouvoir de contrôler l’exécution du travail, de donner des directives ou encore des sanctions). 229. Le critère de dépendance économique se distinguant du lien de subordination, il pourrait caractériser l’existence d’un contrat de travail. Il convient donc de présenter ce critère (A) pour expliquer les raisons de son rejet partiel (B) puisqu’il est désormais relégué au rang de simple indice du lien de subordination, son concurrent. A - Dépendance économique et subordination juridique 230. Les notions de subordination juridique et de subordination économique se sont réellement affrontées dès le début du XX° siècle. La première de fonde sur l’identification d’un pouvoir de direction et de contrôle par l’employeur, hors de toute considération tenant à la condition sociale et économique du salarié. À contrario, la dépendance économique fonde justement son analyse sur la situation économique et sociale du salarié plutôt qu’au pouvoir de l’employeur. 231. Ainsi le juge devrait reconnaître l’existence d’un contrat de travail dès lors que « [...] celui qui fournit le travail en tire son unique ou du moins son principal moyen d'existence et quand d'autre part celui qui paye le travail utilise entièrement et régulièrement l'activité de celui qui le fournit. »213 213 P. Cuche, La définition du salarié et le critérium de la dépendance économique, D. H. 1932, chronique, pp. 101-104 84 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ B - Rejet du critère de la dépendance économique 232. Ce critère a toujours été rejeté par la Cour de cassation au profit du critère de subordination juridique, notamment dans L’arrêt Bardou du 6 juillet 1931214: « La condition juridique d'un travailleur à l'égard de la personne pour laquelle il travaille ne saurait être déterminée par la faiblesse ou la dépendance économique dudit travailleur [...] la qualité de salarié implique nécessairement l'existence d'un lien juridique de subordination du travailleur à la personne qui l'emploie. » 233. Il convient tout de même de souligner que ce critère de dépendance économique est susceptible d’avoir influencé la Cour de cassation dans les années 1980, notamment en accordant le statut de salarié aux travailleurs entretenant un lien d’exclusivité avec une seule et même entreprise. C’est ainsi que des contrats de travail ont pu être reconnus au bénéfice des gérants libres de stations-service215 et que des extensions légales du statut de salarié ont pu être accordée aux vendeurs représentants placiers, aux travailleurs à distance ou encore aux gérants de succursales. 234. Toutefois, si la notion de dépendance économique a pu s’immiscer dans la jurisprudence, elle l’a toujours fait de manière officieuse et sous couvert de la terminologie officielle de lien de subordination juridique. En ce sens la dépendance économique apparaissait comme l’outil privilégié des jugements en opportunité lorsque la subordination juridique était trop étriquée pour permettre de rendre une justice de qualité216. L’URSSAF n’hésite pourtant pas à continuer d’invoquer cet argument même si cette manœuvre est rarement, pour ne pas dire jamais, couronnée de succès car la jurisprudence récente semble avoir définitivement abandonné tout recours à cette notion. 235. Elle est en effet trop large et génèrerait encore plus d’insécurité juridique que ce qu’il en existe déjà. En 2008, la Cour de cassation a rendu un arrêt remarquablement bien motivé. Elle a ainsi longuement rappelé à l’URSSAF qu’un lien de dépendance économique est 214 Cass, civ., 6 juillet 1931. Préfet de la Haute-Garonne c./ Bardou, DP1931. I. l3l, note, P. Pic Cass. soc., 18 nov. 1981, no 80-12.526, Bull. civ. V, p. 665 ; Cass. soc., 14 juin 1989, no 86-17.867 ; Cass. soc., 23 nov. 1989, no 87-10.407 216 Cass. soc., 18 nov. 1981, no 80-12.526, Bull. civ. V, p. 665 ; V. également : Cass. soc., 14 juin 1989, no 86-17.867 ; Cass. soc., 23 nov. 1989, no 87-10.407 215 85 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ insuffisant à caractériser un contrat de travail 217 : « Que le contrat de travail se caractérisant par l'existence d'un lien de subordination juridique et non par celle d'un lien de dépendance économique, viole l'article L.242-1 du Code de la sécurité sociale, ensemble les articles L.1221-1 et L.1221-3 L.121-1 ancien du Code du travail, l'arrêt attaqué qui retient l'existence d'un contrat de travail entre la Société DUNLOP et les vendeurs et monteurs de pneus des distributeurs de cette société au motif que la situation de fait aurait révélé l'existence d'un « lien de dépendance économique » entre la Société DUNLOP et les bénéficiaires des primes litigieuses »218. 236. Si la dépendance n’est pas suffisante, la Cour de cassation sous-entend qu’elle peut contribuer à l’élaboration du faisceau d’indices, ce qui expliquerait que l’URSSAF continue d’y faire référence dans ses lettres d’observation. Entre lien de subordination juridique et lien de dépendance économique c’est donc la sécurité juridique qui détermine le choix de la Cour de cassation. Le lien de subordination est pourtant accusé d’être générateur d’insécurité juridique mais s’il l’est, l’histoire jurisprudentielle permet de savoir que c’est dans une mesure nécessairement moins prononcée que la notion de dépendance économique. 237. Si une alternative juridiquement plus sécurisante que le lien de subordination devait être recherchée, il faudrait donc éliminer le recours unique à la notion de dépendance économique ou du moins l’utiliser comme complément à la notion de subordination juridique. Il serait encore possible d’envisager la notion de dépendance professionnelle développé par la doctrine219. Paragraphe 2 – La notion d’intégration à un service organisé 238. La notion de travail au sein d'un service organisé fut utilisée par la jurisprudence comme un critère alternatif à la subordination juridique, notamment dans un arrêt de 1937220. C’est ce qui justifie l’approche de cette notion comme critère concurrent au lien de 217 Cass. 2e civ., 4 déc. 2008, no 08-12.680 Ibid. 219 V. notamment : J.J. Dupeyroux, Les conditions de l’affiliation obligatoire au régime général de la Sécurité sociale, Dalloz 1962, p.184 220 M. Del Sol, L’activité salariée aujourd’hui et demain, Le droit en questions, Ellipses, 1998, « subordination juridique et notion de service organisé » p. 42 s. 218 86 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ subordination. Toutefois, depuis l’arrêt « Société Générale » rendu en 1996, l’intégration au sein d’un service organisé ne constitue désormais qu’« un indice de subordination lorsque l’employeur détermine unilatéralement les conditions d’exécution du travail »221. 239. Donc la Cour de cassation ne considère plus cette notion comme un critère du contrat de travail, elle la rejette donc en tant que critère (A) mais elle lui accorde une fonction d’indice dans l’identification du lien de subordination (B). Elle n’est donc pas complètement obsolète. A - Le rejet de la notion comme alternative au lien de subordination 240. La notion « d'intégration dans un service organisé » est généralement présentée comme l’œuvre de l’arrêt « Hebdo Presse » du 18 juin 1976222. Depuis lors, la jurisprudence emploie régulièrement cette expression mais sa portée s’est amenuisée. La Cour de cassation considère que le travail au sein d'un service organisé ne peut à lui seul déterminer l'assujettissement au régime général de la Sécurité sociale223 , et ne peut donc constituer qu’un simple indice de la subordination224. 241. Dans une décision de 2003, la Cour de cassation a ainsi eu l’occasion de rappeler que, ne constituant qu’un simple indice, l’intégration au sein d’un service organisé ne suffit pas à caractériser un lien de subordination s’il n’est pas conforté par la démonstration d’autres indices de la subordination : « après avoir justement fait ressortir que le statut social des collaborateurs de la société découlait des conditions d'exercice de leur activité, relève que ces derniers travaillaient sur la base d'un fichier clients préétabli par les salariés téléprospecteurs de l'entreprise qui prenaient également les rendez-vous avec les clients, mais que ce service 221 Cass. Soc., 13 novembre 1996, dr. soc. 1996, p.1067, note J.-J. Dupeyroux, Grands arrêts n° 2. ; V. aussi Cass. Soc., 1er juillet 1997, Bull. civ. V, n° 242 le cas d’un médecin dans une clinique privée ; Ch. Mixte, 12 février 1999, dr. soc. 1999, p. 404, note Ch. Radé le cas d’un faux contrat de collaboration entre un avocat et un cabinet ; Cass. Soc., 29 janvier 2002, dr. soc. 2002, p. 494, note J. Savatier le cas d’un bénévole à la Croix Rouge ; V. encore Cass.soc., 23 janvier 1997 et Cass. 2e civ., 4 déc. 2008, no 08-12.680 222 Cass. ass. plén., 18 juin 1976, no 74-11.210, Bull. civ. ass. plén., p. 13; D. 1977, 173, note A. Jeammaud ; J.J. Dupeyroux, M. Borgetto, R. Lafore, Rolande Ruellan, Droit de la sécurité sociale, Dalloz-Sirey, coll. « Précis Dalloz », 16° éd., 2008 p. 424 223 Cass. 2e civ., 4 déc. 2008, no 08-12.680 224 V. notamment Cass.soc., 16 avril 1992, Bull. civ. V, n°283, 27 mai 1992, Bull. civ. V, n° 345 87 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ organisé ne faisait pas obstacle à ce qu'ils organisent librement leur temps de travail et assument la charge de leurs frais professionnels et de leur protection sociale conformément aux clauses de leurs contrats d'agents commerciaux, et, décide que les intéressés n'étaient pas placés dans un lien de subordination à l'égard de la société, de sorte que leurs rémunérations n'étaient pas soumises aux cotisations du régime général de la Sécurité sociale »225. B – Le recours à la notion comme indice du lien de subordination 242. Bien que diminuée, la notion de service organisé continue donc de jouer un rôle jurisprudentiel et, ne serait-ce que théoriquement ou potentiellement, constitue une notion susceptible de concurrencer à nouveau la notion de lien de subordination. Pour l’heure il convient de s’en tenir à la place réelle qu’occupe la notion de service organisé dans la jurisprudence. Ainsi, la Cour de cassation a estimé que des particuliers qui « participaient à un service de transport organisé, dont le conseil général déterminait unilatéralement les règles de fonctionnement, rémunérés sur des bases forfaitaires imposées et exposés à des sanctions en cas de défaillance dans l'exécution du transport »226pouvaient se prévaloir d’un contrat de travail. L’indice du service organisé était en effet conforté par l’exercice d’un pouvoir disciplinaire et d’une rémunération. Le rang de simple indice occupé par la notion de service organisé est ainsi conforté. 243. Dans un autre arrêt, déjà évoqué au sujet de l’horaire de travail, la Cour de cassation a estimé que des travailleurs détachés pour travailler en France dans le cadre d'un service organisé pouvaient se prévaloir de l’existence d’un contrat de travail car là encore d’autres indices avaient été constatés par les juges du fond. À savoir qu’en l’espèce, l’employeur déterminait les horaires unilatéralement et leur versait une rémunération227. 244. Dans une interprétation a contrario il faut évoquer une décision de la Cour de cassation dans laquelle elle avait refusé l’existence d’un contrat de travail au motif que les juges du fond s’étaient borné à énoncer qu'ils étaient intégrés dans un service organisé. Cette motivation jugée insuffisante n’a pas convaincu la Cour de cassation qui s’en est tenu à sa jurisprudence classique et a rappelé que l'intégration au sein d’un service organisé ne peut 225 Cass. 2e civ., 9 déc. 2003, no 02-30.671 ; voir aussi Cass. 2e civ., 14 sept. 2006, no 04-30.649 Cass. 2e civ., 31 mai 2005, Bull. civ. II, no 135, p. 121 227 Cass. 2e civ., 8 mars 2005, no 03-30.324 226 88 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ constituer qu’un simple indice de l'existence du lien de subordination228 -et non un critère concurrent de ce dernier. 245. Là encore force est de constater que le lien de subordination constitue pour l’heure, aux yeux des juges, le moins pire - et non le meilleur - critère dans la recherche d’un équilibre entre sécurité juridique et protection du travailleur. Le défi des perspectives d’avenir est donc de permettre une meilleure adéquation entre ces deux impératifs : sécurité juridique et protection sociale. Paragraphe 3 – La place des critères du droit communautaire 246. Le travailleur fait l’objet de plusieurs règles protectrices issues du droit communautaire mais force est de constater qu’il ne le définit pas et qu’il incombe donc à la Cour de Justice des Communautés Européennes de combler ce vide juridique. Il convient donc de présenter la jurisprudence communautaire (A) sur ce point pour comprendre les raison de l’inapplicabilité de ces critères (B). A – La jurisprudence communautaire 247. Dans l’arrêt de principe Unger en 1964, la Cour de Justice des Communautés Européennes a précisé qu’ « attendu que le traité, ayant institué, par les articles 48 à 51 la libre circulation des « travailleurs » a de ce fait, conféré à ce terme une portée communautaire [...] et que la notion de travailleur contenue aux dits articles relève non du droit interne, mais du droit communautaire »229. Si ce terme a une portée communautaire la CJCE resserre toutefois sa définition de la notion « aux dits articles », soit à la libre circulation. 248. Il faut donc aussitôt souligner que la notion de travailleur salarié, hors l’application des articles 48 à 51 du traité, reste définie le droit interne des États membres. La définition communautaire demeure cantonnée à la protection du principe de la libre circulation des travailleurs. Son intérêt ne porte donc pas tant sur son application en droit interne que sur son 228 Cass. 2e civ., 25 mai 2004, no 02-31.203, Bull. civ. II, no 233 229 CJCE, 19 mars 1964, aff. 75/63, Rec. p. 347. 89 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ éventuel apport théorique. Il convient donc de la présenter, ne serait-ce que pour cette précision importante, mais aussi pour déterminer ce qu’elle pourrait apporter de plus que la subordination juridique. 249. Il faut pour ce faire commencer par évoquer l'arrêt Lawrie Blum, rendu en 1986 par la CJCE. Dans cet arrêt la Cour a reconnu l'existence d'une relation de travail du fait qu’un stagiaire se trouvait placé pendant toute la durée du stage sous la direction et la surveillance d’un établissement qui lui imposait les prestations à accomplir et les horaires de travail. Il devait au surplus exécuter les instructions sous peine d’être sanctionné230. 250. Comme en droit interne, la reconnaissance du statut de salarié suppose donc l'existence d'un lien de subordination entre le travailleur et celui qui le rémunère en retour. Ainsi, la subordination constitue le critère déterminant de la qualité de travailleur que ce soit au sens de l'article 39 du traité ou au sens du droit interne. 251. L’arrêt précité démontre qu’à l’instar des juges français, l’analyse du juge communautaire est également fondée sur des critères objectifs qui caractérisent la relation de travail : « la caractéristique essentielle de la relation de travail est la circonstance qu'une personne accomplit, pendant un certain temps, en faveur d'une autre et sous la direction de celle-ci, des prestations en contrepartie desquelles elle touche une rémunération ». Cette définition permet de faire la transition vers une autre exigence de la CJCE déjà énoncée dans l'arrêt Levin en 1982 : « l'exercice d'une activité économique réelle et effective »231. 252. Il faut noter que le statut juridique de l'employeur est indifférent puisque l’analyse du juge communautaire se focalise sur l'existence d'une relation de travail de fait232. Comme en droit interne, c’est donc la méthode du faisceau d'indices qui prévaut. La jurisprudence relève donc de la casuistique puisque dans chaque affaire des éléments différents devront être mis en 230 CJCE, 3 juillet 1986, précité, point 18 CJCE 23 mars 1982 Levin aff. 53/81 232 CJCE, 15 décembre 1995, Bosman, aff. C-415/93, Rec. p. I-4921, point 75; V. JCP E, 1996, chron., n° 565, p. 249, note P.-H. Antonmattéi 231 90 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ perspective. Il peut s’agir, comme dans l'arrêt Agegate, de la participation aux risques de l'entreprise, de la liberté de fixer ses horaires ou de recruter du personnel233. B – L’inapplicabilité des critères communautaires 253. Le droit communautaire ne définit donc pas le travailleur salarié par référence au contrat de travail mais par référence à la relation de travail, voire par l’appartenance à une profession234. G. Lyon-Caen observe que « le travailleur salarié est ainsi caractérisé par la cour de justice non par le contrat mais par la profession »235 ce qui lui permet d'appréhender toute forme de travail subordonné, actuelle ou future. En effet la cour de justice considère que le traité tend à protéger aussi le travailleur qui « ayant quitté son emploi est susceptible d’en occuper un autre »236. 254. Cette approche n'est pas et ne peut pas être totalement partagée par le droit du travail français, car il poursuit des finalités différentes. Le droit communautaire ne se préoccupe que de la libre circulation tandis que le droit du travail français vise, dans son fondement, la protection du salarié en tant que partie faible dans le contrat de travail. Il conserve donc, peutêtre nécessairement, une approche contractuelle du lien d’emploi237 et reste ainsi tributaire du besoin de sécurité juridique. 255. Les critères communautaires ne sont donc pas déterminants en droit interne et ne concurrence pas le lien de subordination. En effet le travailleur à la recherche d’emploi n’a pas besoin d’être protégé d’un harcèlement moral ou sexuel, d’heures supplémentaires abusives, ou d’un licenciement abusif. Le droit du travail français peut néanmoins présenter une exception pouvant le rapprocher du droit communautaire concernant la discrimination à 233 CJCE 14 déc. 1989 The Queen contre Ministry of Agriculture aff. C-3/87, Rec. p. 4459, point 36. V. aussi : CJCE, 25 juillet 1991, Ayuntamiento de Sevilla, aff. C-202/90, Rec. p. I-4247, point 13 234 CJCE, 19 mars 1964, Unger, Rec. 349, dr.soc.1973, p. 658, obs. G. Lyon-Caen 235 G. Lyon-Caen, Le droit du travail non salarié, Sirey, 1990, p. 80 236 CJCE, 19 mars 1964, Unger, Op. cit. 237 A. Jeammaud ; M. le Friant, A. Lyon-Caen, « L'ordonnancement des relations de travail », D. 1998, p. 359 ; P. Durand et A. Vitu, Traité de droit du travail, Dalloz, 1950, n° 114 et s. 91 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ l’embauche puisqu’il protège le simple candidat à l’emploi des abus de l’employeur pressenti en dehors de tout contrat de travail238. 256. La jurisprudence communautaire se caractérise donc par une acception particulièrement large de la notion de travailleur ce qui garantit les libertés au plus grand nombre239. Mais cette conception reposant sur le seul besoin de garantir le respect de la libre circulation des travailleurs, elle ne peut servir de modèle d’inspiration en droit interne. Sa conception large ne génère, en pratique, pas d’insécurité juridique mais au contraire de la liberté (liberté de circuler). 257. En droit interne, la notion de travailleur salarié repose au contraire sur le compromis déjà évoqué entre protection sociale et sécurité juridique. Une conception trop large déstabiliserait donc cet équilibre en réduisant à néant la sécurité juridique (redressements, travail dissimulé, requalifications, dommages-intérêts). Une conception trop rigide déstabiliserait également cet équilibre en privant de protection sociale tout un pan de la population active. 238 Articles L.1132-1 du code du travail ; V. P.-H. Antonmattéi, Les opérations de recrutement, rev. droit du travail et de la sécurité sociale n°12, p.1-2, 01/12/1994 ; La protection du travailleur qui « ayant quitté son emploi est susceptible d’en occuper un autre » peut également présenter des similitudes de fond avec le droit de la Sécurité sociale, notamment l’assurance chômage particulièrement le nouveau dispositif d’aide au retour à l’emploi (ARE) – et le dispositif du revenu de solidarité active (RSA). Ces deux dispositifs visent à protéger des travailleurs sans emploi mais actifs et qui sont censé aspirer à une reprise d’activité. 239 V. sur ce thème : E. Soubayroux, La libre circulation des travailleurs dans l’Union Européenne élargie, Mémoire de fin d’études, séminaire droit constitutionnel de l’Union européenne, Université Lumière Lyon II, 21/06/2006 ; La notion de travailleur salarié en droit Communautaire : une notion en devenir, B. Reynès in Mélanges dédiés au président M. Despax, Presses de l’Université des Sciences sociales de Toulouse, p. 239 92 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ TITRE 2 LA RELATIVISATION DU LIEN DE SUBORDINATION 258. La relativisation du lien de subordination juridique résulte de deux phénomènes majeurs : le recours à la main d’œuvre non subordonnée (chapitre 1) et l’extension du salariat hors lien de subordination (chapitre 2). 259. Dans le premier cas, cette relativisation de l’importance du lien de subordination juridique tient au fait que la production s’organise de plus en plus de manière à en empêcher les manifestations. Le but étant souvent de bénéficier de plus de flexibilité ou de trouver une solution alternative à l’applicabilité du droit du travail. S’il était poussé à l’extrême, ce processus conduirait donc à la disparition totale du lien de subordination voire du contrat de travail et du salariat. Ce n’est évidemment pas le cas, et il y a même peu de chance pour que le processus atteigne ce degré d’intensité. Il est toutefois bien réel, qu’il s’agisse du rejet de la subordination par utilisation de l’externalisation ou qu’il s’agisse d’exclusions du contrat de travail par détermination de l’activité. 260. Dans le second cas, la relativisation de l’intérêt du lien de subordination juridique est marquée par une diffusion croissante du droit du travail en dehors de tout contrat de travail et donc de tout lien de subordination. C’est particulièrement vrai en ce qui concerne la plupart des règles relatives à l’hygiène, à la sécurité, ou encore à la protection de libertés et droits fondamentaux. Ces règles s’étendent par exemple au contrat d’entreprise et pénètrent même une partie du droit de la fonction publique. Cette extension du salariat hors lien de subordination est également favorisée par le développement du système de présomption légale. Les travailleurs qui exercent leur activité dans certains domaines sont donc soit présumés soit assimilés à des salariés. Le lien de subordination juridique est ainsi relativisé car ce sont alors d’autres critères, expressément prévus par la loi, qui le remplace. CHAPITRE 1. LE RECOURS À LA MAIN D’ŒUVRE NON SUBORDONNÉE CHAPITRE 2. L’EXTENSION DU SALARIAT HORS LIEN DE SUBORDINATION 93 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ CHAPITRE 1 LE RECOURS À LA MAIN D’ŒUVRE NON SUBORDONNÉE 261. Ces dernières décennies, le marché de l’emploi a été marqué par un phénomène en développement. Il s’agit de l’extériorisation, ou pour employer une terminologie plus moderne de l’externalisation de l'emploi240. Cette pratique consiste à faire exécuter certaines tâches secondaires par des prestataires de service. Il peut tout autant s’agir de travailleurs indépendants, de sous-traitants ou d’entreprises de service. Cette externalisation évite donc de recourir systématiquement au contrat de travail lorsque ce recours ne s’avère pas strictement nécessaire. 262. Cette pratique rencontre d’autant plus de succès que le droit du travail se complexifie (malgré la recodification du code du travail) et comporte toujours un risque financier pour l’employeur car la Chambre sociale de la Cour de cassation aurait parfois tendance à créer le droit plus qu’à l’interpréter241. Parallèlement à cette pratique d’externalisation se développe également le recours direct à des travailleurs accomplissant une prestation de travail mais théoriquement - sans être liés par un contrat de travail. Il est ici fait référence aux bénévoles ou encore aux stagiaires. 263. Il existe donc un double phénomène d’exclusion du salariat de la part des entreprises ; celui de l’externalisation du travail et celui du recours direct à une main d’œuvre hors contrat de travail. Pourtant, l’évitement du contrat de travail n’est pas la panacée car les entreprises dérivent parfois vers un contournement frauduleux du contrat de travail dont la qualification 240 L'entreprise éclatée : Le Monde, 24 avr. 1991 ; P.-H. Antonmattéi, Externalisation d'activité et application de l'article L. 1221-1 du Code du travail : revirement de jurisprudence dans le secteur des établissements de santé, Revue Lamy Droit des affaires, n°41, p. 58- 59, 01/08/2009 241 L. Cruciani, Existe-t-il une politique sociale de la chambre sociale de la Cour de cassation ?, mémoire de DEA, Paris, 1997 ; C. Fernandes, Les revirements de jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation, mémoire de DEA, Paris, 1999 ; V.aussi : P.-H. Antonmattéi, Bref retour sur la jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de Cassation in Mélanges en l’honneur de Christian Mouly, Éd. Litec, 1998 94 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ est d’ordre public. Qu’il s’agisse d’exclusions du contrat de travail par détermination de l’activité (Section 1) ou d’exclusions par l’externalisation du travail (Section 2) ces pratiques génèrent dans la plupart des cas un risque de requalification en contrat de travail qu’il est d’autant plus difficile de maîtriser que la notion de lien de subordination est une notion à géométrie variable. 95 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ SECTION I – LES EXCLUSIONS PAR DÉTERMINATION DE L’ACTIVITÉ 264. L’exclusion du contrat de travail fait référence ici à deux réalités ; celle de l’exclusion du travail à finalité sociale (paragraphe 1), par exemple le travail en centre d’aide par le travail, et celle de l’exclusion du travail non rémunéré (paragraphe 2). Ces pratiques permettent de bénéficier d’une main d’œuvre hors contrat de travail. Paragraphe 1 – Le travail à finalité sociale 265. Le travail à finalité sociale est ici entendu comme une activité ayant pour but une insertion ou une réinsertion de différentes catégories de personnes. Les exclusions qui en découlent permettent pour certaines d’éviter la qualification du contrat de travail. Mais pour d’autres il apparaîtra que malgré la réunion des critères classiques du contrat de travail, notamment le lien de subordination, le juge ne peut pas requalifier la relation. Ces modes d’exclusion du contrat de travail permettent ainsi de distinguer le travail en centre d’aide par le travail (A), le travail pénitentiaire (B) et le travail d’intérêt général (C). A - Travail en Centre d’Aide par le Travail 266. Les Centres d'Aide par le Travail sont des établissements et services d'aide par le travail242 qui ont pour mission la prise en charge de personnes handicapées dans le cadre d’un apprentissage par le travail243. Les travailleurs étant des usagers d'une structure médicosociale ils ne peuvent pas - en principe - être considérés comme titulaire d’un contrat de travail. 242 E.S.A.T. Loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002 rénovant l'action sociale et médico-sociale ; Articles L 344-2 à L.344-6 du Code de l'action sociale et des familles ; Décret n° 77-1546 du 31 décembre 1977 modifié par le Décret n° 93-669 du 26 mars 1993 et le Décret n° 95-714 du 9 mai 1995 relatif aux centres d'aide par le travail ; Circulaire 60AS du 8 décembre 1978 relative aux centres d'aide par le travail ; V. http://www.cat-unapei.org 243 96 Ͳ 267. >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ Ainsi que le rappelle la circulaire 60 AS du 8 décembre 1978 « il n'y a pas de contrat de travail ni d'embauche au sens où l'entend le code du travail »244. L'admission dans un de ces établissements résulte en effet d’une décision de la C.O.T.O.R.E.P. Dans cette logique les travailleurs ne sont pas susceptibles de recevoir les sanctions disciplinaires connues en droit du travail. Mais si le travailleur n'est pas « à même de tirer profit de sa présence en C.A.T » le directeur peut saisir la C.O.T.O.R.E.P, qui décidera ou non d’une réorientation. La réorientation ne doit donc, en principe, surtout par être motivée par des considérations lucratives mais par l'intérêt du travailleur. 268. La Cour de cassation confirme cette exclusion du salariat en soulignant que « les travailleurs handicapés ne sont pas liés aux Centres d’Aide par le Travail par un contrat de travail »245. En dépit de l’inexistence d’un contrat de travail, un décret du 31 décembre 1977 prévoit toutefois que les règles relatives à l'hygiène, à la sécurité et à la médecine du travail sont applicables à ces centres. C’est donc un exemple de dissociation entre l’application du droit du travail et le salariat. Par contre le décret n° 2004-287 du 25 mars 2004 prive les travailleurs des institutions représentatives du personnel classiques. Ils doivent donc s’orienter vers le Conseil de la Vie Sociale qui remplace désormais les Conseils d'Etablissement. 269. Un malaise semble pourtant exister. Il est martelé que les « C.A.T. sont surtout des lieux d’éducation, de soins, d’adaptation au travail, à ce titre, ils n’ont pas à être rentabilisés »246. Pourtant tous les éléments du contrat de travail sont bien présents, et les exclusions faites par les circulaires, outre le fait qu’elles ne sont pas opposables aux travailleurs handicapés, témoigne dans leurs répétitions d’un besoin de présenter comme évident ce qui ne l’est point. 270. Selon A. Simon, la cause de cette dérive tient peut-être au fait que « les enjeux économiques sont tels qu’ils semblent être devenus la préoccupation majeure de ces établissements, au détriment de leur vocation sociale, traduisant une dérive industrielle et commerciale du secteur de travail protégé. […] Les établissements de travail protégé, dont les C.A.T., sont donc de plus en plus souvent amenés à concurrencer dans certains domaines les 244 V. encore circulaire 21 février 1987, JO 3 mars Cass. Soc., 18 mars 1997, Dr. Soc. 1997, p. 525, observations P.-Y. Verkindt 246 JO Avis et Rapports du Conseil économique et social, 29 mai 1979, p. 861 245 97 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ entreprises du milieu ordinaire qui critiquent cette concurrence déloyale »247. Ainsi, selon M.- C. Villeval, il y a « des marchés à conclure, des prix à fixer, des cadences à tenir et une qualité à respecter [ainsi] le développement du milieu de travail protégé correspond aussi à une tendance capitaliste, même s’il est géré selon un mode particulier »248. 271. Dès lors, les travailleurs handicapés accueillis dans les C.A.T. se rapprochent d’autant plus de travailleurs handicapés salariés que les C.A.T. s’apparentent de plus en plus à des entreprises puisqu’ils sont animés par la recherche d’un profit. Pour preuve, « la recherche d’une meilleure productivité conduit d’ailleurs, depuis plusieurs années les établissements de travail protégé à modifier leurs modes de recrutement au profit de handicaps moins lourds, de type handicaps sociaux, avec des capacités de production supérieures, et à déterminer les conditions d’évolution et d’organisation des travailleurs handicapés entre les différents postes de travail en fonction de leur rendement et non en fonction d’une recherche d’évolution sociale »249. 272. La recherche du profit dépasse alors l’objectif social et donc la qualité de patient ne devrait plus, économiquement, juridiquement et moralement être un obstacle à la qualification d’un contrat de travail lorsque tous les critères sont identifiés. B - Le travail pénitentiaire 273. Selon l’article L.717-3 alinéa 3 du code de procédure pénale250 : « Les relations de travail des personnes incarcérées ne font pas l'objet d'un contrat de travail. Il peut être dérogé à cette règle pour les activités exercées à l'extérieur des établissements pénitentiaires. » Le travail conçu en tant que sanction pénale puise ses origines dans les galères et le bagne des forçats251. 247 A. Simon, Op.cit., p.204 MC Villeval, Politique sociale et emploi des personnes handicapées, RF aff. Soc. 1983, p.7 249 A. Simon, Op.cit., p.204 248 250 Loi n°2005-1549 du 12 décembre 2005 - art. 9, JORF 13 décembre 2005. E. Shea, Le travail pénitentiaire, un défi européen: étude comparée : France, Allemagne et Angleterre, Thèse de doctorat, Université Strasbourg III, 2005 ; E. Shea, Les paradoxes de la normalisation du travail pénitentiaire en France et en Allemagne in Déviance et Société, Volume 29, 2005/3 251 98 Ͳ 274. >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ Pourtant, aujourd’hui, « le travail pénitentiaire s’entend du travail accompli dans le cadre d’une peine privative de liberté […] distinct de la peine (à savoir l’enfermement) et diffère ainsi du travail pénal c'est-à-dire du travail entendu comme peine. »252. En effet selon la formule célèbre « La prison c'est la privation de la liberté d'aller et de venir et rien d'autre »253. 275. Depuis l'entrée en vigueur de la loi du 22 juin 1987 relative au service public pénitentiaire, le travail des détenus n'est plus obligatoire en France, mais le code de procédure pénale dispose que « toutes dispositions sont prises pour assurer une activité professionnelle aux personnes incarcérées qui le souhaitent ». Mais les dispositions du droit du travail, dont certaines ont une origine constitutionnelle254, ne franchissent pas les murs de la prison et ne sont donc pas applicables puisque la loi exclue le contrat de travail dans ce cas de figure. 276. C'est en particulier le cas de la rémunération puisqu’elle est généralement de l'ordre d'un euro par heure, soit bien inférieure au SMIC. Si le droit du travail n’est pas applicable, faute de contrat de travail, exception est pourtant faite pour les règles générales relatives à l'hygiène et à la sécurité. Certains y voit donc un paradoxe et une forme d’hypocrisie ayant pour effet de légaliser une forme d’esclavage moderne : « À défaut de droit reconnu, le travail en prison n’est qu’une amère servitude quasi volontaire et une peine supplémentaire illégitime»255. 277. La Chambre sociale de la Cour de cassation s’est déclarée incompétente pour statuer sur le sort d’une personne incarcérée qui avait travaillé trois semaines pour le compte d’une entreprise et avait perçu 30,53 euros. Il pourrait cependant être remarqué que même en l’absence de contrat de travail et donc de lien de subordination, l’article 225-13 et suivants du Code pénal prévoit que « le fait d'obtenir d'une personne, dont la vulnérabilité ou l'état de dépendance sont apparents ou connus de l'auteur, la fourniture de services non rétribués ou en échange d'une rétribution manifestement sans rapport avec l'importance du travail accompli est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 150 000 Euros d'amende ». Le texte n’exige pas 252 A. Bonduel, Le droit du travail pénitentiaire, Mémoire DEA, Lille, 2002 Valéry Giscard d'Estaing 254 Préambule de la Constitution de 1946 255 Ban Public, Accès au droit du travail pour la main d’œuvre illégale de l’Etat, association pour la communication sur les prisons et l’incarcération en Europe 253 99 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ de contrat de travail, le rempart de l’article L.717-3 alinéa 3 du code de procédure pénale excluant l’existence d’un contrat de travail devrait donc dans ce cas s’avérer inefficace256. 278. Pour conclure, il faudra retenir que la loi exclût le contrat de travail dans une situation où sont pourtant réunis les trois critères du contrat de travail : une rémunération, une prestation de travail au profit d’autrui (dans le but théorique de subvenir au besoin du travailleur puisque pas obligatoire) et surtout un lien de subordination juridique car le travail des détenus est dirigé, peut être contrôlé et donner lieu à des sanctions. C - Les travaux d’intérêt général 279. Ils ont été institués par la loi n° 83-466 du 10 juin 1983. Il s’agit d’une alternative à la privation de liberté lorsque celle-ci ne s’avère pas indispensable, eu égard à la nature de l’infraction et à la personnalité du condamné. Cette sanction prend la forme d’un travail non rémunéré pour le compte d’une collectivité, d'un établissement public ou d'une association. 280. Cette sanction permet donc à la personne condamnée de conserver une vie sociale et familiale, tout en effectuant une activité au profit de la société. Dans ce cas, l’exclusion du contrat de travail paraît donc moins critiquable, dans le sens où le T.I.G. résulte d’un choix librement consenti des modalités d’exécution d’une peine. Il est en cela totalement étranger à l’attente d’une rémunération ou à toute relation contractuelle au sens civiliste du terme. Enfin, de même que pour les travailleurs en C.A.T., les dispositions du code du travail relatives à l’hygiène et à la sécurité sont applicables, ce qui illustre encore un cas de dissociation entre le droit du travail et le contrat de travail. 281. Pour conclure, il s’agit d’hypothèses où l’identification d’un contrat de travail au moyen des critères classiques serait dans la plupart des cas aisée si la volonté du législateur ne 256 S’il est vrai qu’en vertu de l’article 4 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme « nul ne peut être tenu en esclavage ni en servitude. Nul ne peut être astreint à accomplir un travail forcé ou obligatoire ». La convention précise que « n'est pas considéré comme travail forcé ou obligatoire au sens du présent article tout travail requis normalement d'une personne soumise à la détention dans les conditions prévues par l’article 5 de la présente Convention, ou durant sa mise en liberté conditionnelle […] ». Sur ce point, V. D. Szymczak, Europe, La Semaine Juridique Administrations et Collectivités territoriales n° 49, 5 déc. 2005, 1375 (à propos de CEDH, 26 juill. 2005, n° 73316/01, Siliadin c/ France ) 100 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ s’y opposait pas. Cela dépasse donc le cadre de la problématique du lien de subordination comme critère du contrat de travail mais permet de constater que l’application du droit du travail n’est pas nécessairement tributaire de l’existence d’un contrat de travail, ni même d’une relation contractuelle. À contrario la réunion des critères du contrat de travail ne permet pas systématiquement de se prévaloir d’un contrat de travail puisqu’ une loi spéciale peut faire écran. Paragraphe 2 – Le travail non rémunéré 282. Le travail non rémunéré peut être décliné sous quatre catégories distinctes. Il s’agira dans cette partie de présenter, à titre non exhaustif, les cas du bénévolat et du volontariat (A), de l’entraide ou assistance (B), et des stages (C). A - Bénévolat et le volontariat 1 – Le bénévolat 283. D’un point de vue étymologique ce mot provient du latin benevolus - bonne volonté - mais la loi ne définit pas le bénévolat. Il pourrait éventuellement entrer dans le cadre du contrat de bienfaisance257. Cette idée se retrouve dans la jurisprudence puisqu’elle considère que le bénévolat se distingue par l’intention fondamentalement désintéressée du travailleur, ce qui le rend incompatible avec un contrat à titre onéreux comme le contrat de travail. Le statut des bénévoles se caractérise ainsi par l’accomplissement d’une prestation de travail non rémunérée. 284. La jurisprudence témoigne toutefois d’un contentieux important quant à la distinction entre bénévolat et contrat de travail258. Un faux bénévolat peut en effet résulter à la fois d’une 257 C. civ., art. 1105 Th. Aubert-Monpeyssen, Les frontières du salariat à l'épreuve des stratégies d'utilisation de la force de travail, dr. soc., 1997, n° 6, p. 616 ; V. BICC n° 459 du 15/10/1997 ; D. Asquinazi-Bailleux, La difficile distinction du contrat de bénévolat et du contrat de travail, RJS 12/2002, p. 983 ; G. Gaudu, Du statut de l’emploi au statut de l’actif, Dr. soc. 1995, p. 535 ; O. Giraud, L’exemple de la Communauté Emmaüs, CSB spéc. juill.-août 2002, p. 33 ; J. Savatier, Entre bénévolat et salariat : le 258 101 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ intention frauduleuse de l’employeur, qui espère faire des économies de main d’œuvre tout en contournant le droit du travail et le paiement de cotisations sociales. Mais il peut également résulter de la turpitude du salarié, s’il perçoit une rémunération alors qu’il bénéficie des prestations de l’assurance chômage. 285. Les risques de requalification dans ce domaine sont donc réels et souvent le fruit de redressement de l’URSSAF au titre des cotisations sociales non perçues. À titre d’illustration, les médias ont récemment rapporté que l'URSSAF avait opéré un « redressement colossal du festival de Clermont au prétexte que les 26 euros de frais de repas journaliers que perçoivent les quelque 230 bénévoles constitueraient une forme de salaire, et que les réunions d'information et les cadrages horaires indispensables à leur activité durant les neuf jours du festival indiqueraient un lien de subordination qui définit les relations entre un salarié et son employeur »259. 286. Incontestablement, bénévolat et contrat de travail impliquent la fourniture d’une prestation de travail. Mais pour qu’un bénévole puisse être qualifié de salarié il faut que cette prestation de travail ait donné lieu à rémunération, et surtout il ne peut être fait l’économie de la preuve d’un lien de subordination. 287. La Cour de cassation a ainsi eu l’occasion de préciser qu’en intégrant la communauté d'Emmaüs, le compagnon se soumettait aux règles d'accueil de la vie communautaire et que sa simple participation à un travail destiné à son insertion sociale était - dans les circonstances exclusive de tout lien de subordination260. Mais le statut associatif ne saurait constituer une statut des volontaires pour le développement, Dr.soc. 2000, p. 146 ; X. Delsol, Quel statut social pour le travail communautaire ?, CSB spéc. juill.-août 2002, p. 39 ; B. Robilliard-Lastel, Bénévolat et volontariat, CSB 2002, D. 9, no 141, p. 273 ; P. Pochet, Assistance et contrat de travail, TPS, déc. 2002, chron. n° 16, p. 4 ; A. Garay, Bénévolat et travail communautaire, CSB 2002, D. 6, n° 139, p. 157 ; Vie communautaire et contrat de travail, dr. soc. 2001, p. 798 ; Fortier, Le travail communautaire au regard de la jurisprudence de la Cour de cassation, CSB spéc. juill.-août 2002, p. 41 ; M. Morand et Ph. Coursier, Le contrat de travail solidaire, dr. soc. 2003, p.155 ; La distinction du contrat de travail et des services bénévoles fournis dans le cadre d’une association, dr. soc. 2002, p. 494 ; C. Willmann, L’activité bénévole du chômeur, dr. soc. 1999, p. 162 ; Le service gratuit à la recherche de son contrat, RD sanit. soc.1999.350 259 D. Widemann, Liberté, égalité, fraternité, l’Humanité, 7 février 2009 260 Cass. soc., 9 mai 2001; JCP E 2001, p. 1777, note D. Boulmier ; V. aussi dr. soc. 2001, 798, note J. Savatier ; D. 2002, jurispr. p.1705, note E. Alfandari ; dans le même sens, Cass. soc., 31 mai 2001, Assoc.CASC : RJS 11/01, n° 1336 ; Rev. dr. san. soc. 2002, p. 68, obs. P.-Y. Verkindt; Cass. soc., 31 102 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ paroi étanche entre le bénévole et le bénéficiaire de la prestation de travail. Leur relation reste susceptible d’être requalifiée en contrat de travail. Le bénévolat est donc susceptible de requalification en contrat de travail et des sanctions pour travail dissimulé261 notamment s’il ressort des « conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité de ce dernier » qu’il existait un lien de subordination262. Pour reprendre l’expression de D. Boulmier, un « contrat dit de bénévolat en faveur d'une association n'exclut pas l'existence d'un contrat de travail »263. 288. Cette règle a été rappelée par la Cour de cassation à propos de bénévoles de l’association Croix rouge française. Dans cette affaire la chambre sociale s’est fondée sur les constatations souveraines des juges du fond qui avaient relevé que « les intéressés effectuaient un travail d'accompagnement des voyageurs sous les ordres et selon les directives de l'association, qui avait le pouvoir d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements éventuels, mais encore que les intéressés percevaient une somme forfaitaire dépassant le montant des frais réellement exposés »264 . 289. Le statut des bénévoles demeure donc fragile comme en témoigne un arrêt plus récent en défaveur de la communauté Emmaüs265. Aux termes de cet arrêt « semble désormais mai 2001 : JCP E 2002, 414, chron. G. Vachet : « les intéressés étaient bénévoles, n'avaient aucun horaire de travail, géraient eux-mêmes leurs activités, choisissaient les activités et orientations à mettre en œuvre, ne recevaient aucune instruction pour le travail et participaient aux activités selon leur bon vouloir et selon les modalités qu'ils déterminaient eux-mêmes, et que les conditions de cette participation excluaient l'existence d'un lien de subordination » 261 Cass. soc. 17 avr.1991, RJS 5/1991, n° 640 ; 23 janv. 1997, RJS 3/1997, n° 245 ; CA Versailles, 9 juin 1998, RJS 10/1998, n° 1319 ; Cass. soc.19 déc. 2000, RJS 3/2001, n° 275 262 Cass. soc. 27 oct. 1959, Bull. civ. IV, n° 1068 ; Cass. soc. 9 mai 2001, RJS 7/2001, n° 825 ; 31 mai 2001, RJS 11/2001, n° 1336 ; Cass. soc. 23 janv. 1997, RJS 3/1997, n° 245 ; V. également Décret n° 2009-863 du 14 juillet 2009 relatif à l'agrément des organismes d'accueil communautaire et d'activités solidaires, JORF n° 0162 du 16 juillet 2009 p.11849 263 D. Boulmier, un contrat dit de bénévolat en faveur d'une association n'exclut pas l'existence d'un contrat de travail, la semaine juridique entreprise et affaires n° 12, 21 mars 2002, 497 264 Cass. soc., 29 janvier 2002 ; Association Croix rouge française c/ Huon et a., ; V. D. Boulmier, un contrat dit de bénévolat en faveur d'une association n'exclut pas l'existence d'un contrat de travail, la semaine juridique entreprise et affaires n° 12, 21 mars 2002, 497 265 . Cass. 2e civ., 20 sept. 2005, n° 1347 FS-D, Assoc. Compagnons bâtisseurs c/ Urssaf d'Ille-etVilaine et a. L. n° 2006-586,23 mai 2006 : Journal Officiel 25 Mai 2006 103 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ condamnée la jurisprudence Emmaüs qui admettait qu'il n'y avait pas de lien de subordination entre le compagnon et sa communauté »266. 290. Le gouvernement a toutefois entrepris des réformes visant à sécuriser le statut des bénévoles. Il s’agit de la loi n° 2006-586 du 23 mai 2006 relative au volontariat associatif et à l'engagement éducatif mais concernant plus particulièrement le bénévolat, du décret n° 2009863 du 14 juillet 2009 relatif à l'agrément des organismes d'accueil communautaire et d'activités solidaires267. Cette nouvelle disposition offre plus de sécurité aux bénévoles et associations bénéficiant de l’agrément. Toutefois ces dispositions n’éludent pas complètement le risque de requalification ni la jurisprudence classique. 291. En effet, ce décret fonctionne sur un mécanisme comparable au rescrit social. Ainsi pour obtenir l’agrément protecteur du décret de 2009, l’association doit présenter « un dossier précisant les règles de vie communautaire, les caractéristiques des personnes accueillies auxquelles s'appliquent ces règles, les modalités de participation des personnes accueillies à des activités solidaires, le soutien financier qu'elles reçoivent et, le cas échéant, leur participation financière à la vie communautaire, les conditions dans lesquelles la santé et la sécurité au travail de ces personnes sont garanties, et les autres activités de l'organisme ou du groupement demandeur »268. 292. Beaucoup d’autres informations sont demandées de sorte qu’en cas d’inspection, s’il ressort des divergences entre les déclarations fournies et la réalité, l’association pourrait se voir retirer l’agrément et donc la protection du décret. Lors d’un contrôle, il pourrait ainsi ressortir « des modalités de participation des personnes accueillies à des activités solidaires »269 qu’il existe un lien de subordination non entre l’association et le bénévole. Il sera donc intéressant d’opérer une veille juridique sur l’interprétation à venir des dispositions de ce décret. 266 G. Vachet Droit de la sécurité sociale, La Semaine Juridique Entreprise et Affaires n° 29, 20 Juillet 2006, 2129 267 JORF n°0162 du 16 juillet 2009 page 11849 268 Décret n° 2009-863 du 14 juillet 2009 relatif à l'agrément des organismes d'accueil communautaire et d'activités solidaires 269 Ibid. 104 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ 2 - Le volontariat associatif 293. Le législateur s'est inspiré du contrat de volontariat de solidarité internationale institué par la loi n° 2005-159 du 23 février 2005270 pour mettre en place le contrat de volontariat associatif. Il s’agit d’un contrat passé entre une personne physique et une association ou une fondation reconnue d'utilité publique. Il s’agit donc d’un contrat spécial qui fait l’objet d’une réglementation et dont l’objet est d’encadrer une collaboration désintéressée entre le volontaire et l’organisme agréé. Toutefois ce contrat ne constitue pas un contrat de travail et n’est donc pas soumis au code du travail271. Il se rapproche en cela de la convention de stage. Le volontaire doit satisfaire à des conditions définies par la loi n° 2006-586 du 23 mai 2006. Il doit s’engager dans une mission d'intérêt général et l'association, ou la fondation, doit être agréée par l'Etat. Dans ces conditions le volontaire peut recevoir une indemnité mensuelle qui ne peut être supérieure à un plafond fixé par décret. 294. L’intérêt de ce contrat réside donc dans la possibilité de prévoir une indemnisation en contrepartie de l’accomplissement d’une prestation de travail, sans que cette relation soit susceptible d’être requalifiée en contrat de travail. De plus, la rémunération perçue n’est pas soumise à l'impôt sur le revenu ni aux cotisations de sécurité sociale. Le volontaire bénéficie pourtant d'une protection sociale complète. La loi est encore récente, mais il est certain que le risque de requalification est en substance comparable à celui pesant sur les conventions de stage ou les contrats de bénévolat conclus par les associations agrémentées au titre du décret n° 2009-863 du 14 juillet 2009. B - Entraide et assistance 295. Les relations impliquant la fourniture d’un travail non rémunéré peuvent encore consister en une entraide, qu’elle soit d’origine familiale, amicale ou professionnelle. Elle peut même relever du devoir d’assistance dans le cadre du contrat de mariage. 270 Journal Officiel 24 Février 2005 ; JCP G 2005, act. 120 et 168 Loi n° 2006-586 du 23 mai 2006 relative au volontariat associatif et à l'engagement éducatif ; Décret n° 2006-1205 du 29 septembre 2006 pris pour l'application de la loi n° 2006-586 du 23 mai 2006 et relatif au volontariat associatif ; Décret n° 2006-1206 du 29 septembre 2006 relatif aux titresrepas du volontaire associatif et aux chèques-repas du bénévole prévus par les articles 11 et 12 de la loi n° 2006-586 du 23 mai 2006 relative au volontariat associatif et à l'engagement éducatif. 271 105 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ 1 - Le devoir d’assistance dans le cadre du contrat de mariage 296. Lorsqu’un époux fournit une prestation de travail au profit de son conjoint cela exclut, par présomption, tout contrat de travail en vertu du devoir mutuel d’assistance entre époux272. Cette présomption est renforcée lorsque par exemple les époux ont expressément convenu de l’absence de rémunération ou d’une rémunération inférieure au SMIC273. Mais il s’agit d’une présomption simple pouvant être renversée s’il apparaît que les parties ont eu la volonté d’établir une telle relation contractuelle, celle-ci pouvant alors se superposer sans se substituer aux obligations du contrat de mariage. 297. La loi n° 82-596 du 10 juillet 1982 relative aux conjoints d'artisans et de commerçants travaillant dans l'entreprise familiale avait institué l’ancien article L.784-1 du Code du travail. Cet article prévoyait une présomption de contrat de travail274 mais cet article ayant été abrogé suite à la recodification [à droit constant?], le conjoint salarié du chef d'entreprise est désormais visé dans le seul Code de commerce275. Malheureusement celui-ci ne donne pas les critères d’identification du conjoint salarié, ce que faisait l’ancien article L.784-1, ni n’établit de présomption de contrat de travail. 298. Le statut de conjoint salarié était alors applicable même en l’absence de lien de subordination, si les trois conditions cumulatives du texte étaient remplies276. Ces critères adhoc ont aujourd’hui disparu du Code du travail ce qui rend nécessaire d’apporte la preuve plus difficile d’un lien de subordination. « Cela ne peut être le fruit que d’une grossière erreur qui, souhaitons-le, sera rapidement réparée »277. 272 C. civ., art. 212 V. C. trav.art. L. 784-1 ; V. également : Cass. soc. 6 nov. 2001, RJS 1/2002, n° 1 (a contrario) ; D. 2002.987, note P. Rossi, Contrat de travail et lien de subordination entre époux ou entre partenaires liés par un PACS, D. 2002.987 ; rappr. Cass. soc. 16 févr. 1999, RJS 3/1999, n° 370 ; V. encore Cass. soc. 27 mars 2002, RJS 7/2002, n° 870 274 « Les dispositions du présent code sont applicables au conjoint du chef d'entreprise salarié par lui et sous l'autorité duquel il est réputé exercer son activité dès lors qu'il participe effectivement à l'entreprise ou à l'activité de son époux à titre professionnel et habituel et qu'il perçoit une rémunération horaire minimale égale au salaire minimum de croissance » 275 C. com., art. L. 121-4 276 Cass. Soc., 24 janvier 2007, Bull. 2007, V, n° 12; Cass. soc.,13 déc. 2007, Bull. 2007, V, n° 210 277 D. Boulmier, Quand la volonté de codifier à droit constant est source d'inconstance, Le cas des employés de maison, La Semaine Juridique Social n° 49, 2 Décembre 2008 273 106 Ͳ 299. >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ À défaut, il y a lieu de penser que le statut de conjoint de salarié se heurte aujourd’hui à l’article 212 du Code civil et qu’au-delà de la preuve d’un lien de subordination juridique le conjoint doive au surplus prouver que la prestation de travail dépasse les obligations du devoir d’assistance entre époux. 300. C’est de ce fait à juste titre que la recodification de 2007 a pu à être qualifiée de « décodification »278, les conjoints salariés étant désormais privés de la protection qu’ils tiraient de la loi de 1982. « Il apparaît que le nouveau texte, qui devait être rédigé « à droit constant », est en réalité une réécriture complète qui modifie de façon très négative l’articulation, le sens général et donc l’interprétation du Code »279. 301. L’effet de l’article 212 du Code civil peut même être étendu aux partenaires d’un Pacte Civil de Solidarité puisque la loi institue une obligation d’entraide et d’assistance identique à celle découlant du mariage. En revanche, elle ne peut pas être étendue aux concubins puisque aucune disposition légale ne leur impose de devoir mutuel d’assistance. Ainsi, il a été admis, à propos d’une concubine qui participait à l’exploitation du fonds de commerce de son conjoint, que « la seule existence d’une relation de concubinage avec l’employeur, exploitant d’un fonds de commerce, ne saurait exclure l’existence d’un lien de subordination à son égard»280. 2 - L’entraide de courtoisie 302. Par principe, l’entraide dans le cadre de la famille, d’une profession voire entre voisins ne relève pas du droit du travail puisque la prestation de travail est accomplie ponctuellement, sans volonté d’enrichissement, et par solidarité. Le contentieux de l’entraide amicale demeure donc très pauvre281 mais peut être lourd de conséquences car la relation peut constituer un travail salarié et donc relever de l’infraction pour travail dissimulé282. 278 D. Boulmier, Op. cit. Extrait de la pétition « La réécriture du Code du travail mérite un véritable débat », CGT – Syndicat des Avocats de France – Syndicat de la Magistrature 280 CA Nancy, 6 sept. 1999, RJS 2/2000, n° 235 281 Cass. soc. 16 oct. 1959, Bull. civ. IV, n° 1018 282 Cass. crim. 14 déc. 1999, RJS 3/2000, n° 245 279 107 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ 3 - Le cas particulier du contrat d'entraide agricole 303. Selon l'article L. 325-1, alinéa 3, du Code rural, « [...] L'entraide est un contrat à titre gratuit, même lorsque le bénéficiaire rembourse au prestataire tout ou partie des frais engagés par ce dernier [..] ». Cette disposition résulte d’une volonté d’aider le secteur agricole en conservant la tradition de l’entraide et en la soustrayant à tout régime social et fiscal283. La distinction entre le contrat d’entraide agricole et le contrat de travail tient essentiellement à l’existence ou non d’une rémunération, mais l’appréciation est rendue difficile par la possibilité de rembourser au prestataire « tout ou partie des frais engagés par ce dernier »284. 304. C’est donc le critère de la disparité des superficies exploitées par les agriculteurs qui a été retenu par la jurisprudence. Celle-ci doit être raisonnable au risque de voir disqualifier le contrat d'entraide en un contrat de travail285. L'entraide implique également une équivalence entre les aides échangées. « Les relations entre agriculteurs s'inscrivent dans le cadre de l'entraide tant que les versements en espèce ou en nature demeurent des accessoires des prestations de services ou de moyens, tant que celles-ci l'emportent en valeur sur celleslà »286. 305. Toutefois, la disproportion entre les aides prodiguées ne fait que disqualifier le contrat d’entraide agricole. Pour pouvoir le requalifier en contrat de travail, il faudra donc prouver l’existence d’un lien de subordination juridique : « ce qui compte, c'est l'analyse des pouvoirs de chacun. L'agriculteur qui ne parvient pas à prouver qu'il était soumis aux ordres, à l'autorité et à la direction du bénéficiaire restera confiné à l'entraide agricole »287. Le lien de subordination conserve donc son statut de critère distinctif du contrat de travail, y compris dans ce cas particulier. 283 V. C. Guyot-Chavanon, L’entraide en droit privé, Thèse de doctorat, Université Bordeaux IV, 2003, n°164; M. Orliac, L'entraide agricole, Journ. not. 1988, art. 59384, n° 9, p. 705 284 Article L. 325-1 alinéa 3 du Code rural ; V. notamment : RD rural 1976, p. 320, obs. J. Le Calonnec ; JCP G 1976, IV, 65 ; Cass. soc., 10 févr. 1977 ; Cass. soc., 8 janv. 1976, n° 75-10.036 : Bull. civ. 1976, V, n° 7 ; 285 V. notamment Rép. min. JOAN 10 août 1974, p. 4038 ; RD rur. 1974, p. 357 286 J. Le Calonnec : RD rur. 1978, p. 249 287 C. Guyot-Chavanon, Op. cit. n° 253 à 267 ; V. Cass. soc., 21 mars 1972, n° 71-12.560, Bull. civ. 1972, V. n° 232 ; Cass. soc., 14 nov. 1973, n° 72-12.306 : Bull. civ. 1973, V, n° 565 ; Gaz. Pal. 1974, pan. 17 108 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ C - Les stages en entreprise 306. Le stage exclut du champ du salariat des personnes qui pourraient parfois prouver l’existence des critères du contrat de travail. Si la qualité de salarié est en principe exclue, sous conditions, tout risque de requalification n’est toutefois pas à exclure. Le stage oblige en effet aux mêmes contraintes que les salariés mais sans rémunération, ce qui est la cause principale du contentieux en la matière288. Selon la Cour de cassation, l’accomplissement d’une prestation de travail sous l’autorité d’un employeur ne peut être assimilé à un contrat de travail tant que la convention de stage n’est pas détournée de son objet289. Ainsi, l’objet du stage consiste à professionnaliser le stagiaire en le plaçant dans une situation réelle de travail290. L’objet du stage est donc le critère déterminant au regard duquel doit être appréciée la frontière entre le stage et le contrat de travail291. 307. Le choix du recours à un stagiaire ne doit toutefois pas avoir pour effet de pourvoir des emplois permanents grâce à une main d’œuvre gratuite292. De plus, le recours au stage sera dépourvu d’objet si aucune convention de stage n’est signée ou si le stagiaire ne bénéficie d’aucune formation. L’objet du stage serait alors détourné de même que lorsque le stagiaire doit exécuter des tâches qui ne se rattachent pas directement à l’objet de son stage ou qui excèdent ses limites. À titre d’exemple le stage pourra être requalifié en contrat de travail « lorsque le stagiaire n’a pas bénéficié, au sein de l’entreprise d’accueil, de la formation qu’elle lui avait promise dans la convention de stage »293. 288 V. Th. Aubert-Monpeyssen, Les frontières du salariat à l’épreuve des stratégies d’utilisation de la force de travail, dr. soc. 1997, p. 616 ; M. Elbaum, Petits boulots, stages, emplois précaires : quelle «flexibilité » pour quelle insertion ? dr.soc. 1988, p. 311 ; V. Godfrin, De l’absence de définition du statut du stagiaire à l’opportunisme du régime de responsabilité, Dr. ouvrier 1998, p. 393 ; A. LyonCaen, Stage et travail, dr. soc. 1982, p. 164 ; G. Poulain, Stage et précarité d’emploi, dr. soc. 1982, p. 155 ; V. toutefois, pour un essai de définition de cette notion, P. Etiennot, Stage et essai en droit du travail, RJS 8-9/1999, n° 623 289 V. Cass. soc. 17 oct. 2000, RJS 12/2000, n° 1214, dr. soc. 2001, p. 192, obs. J. Mouly, RPDS 2001, n° 678, p. 313 ; Cass. soc. 3 oct. 1991, RJS 11/1991, n° 1189 290 V. Cass. soc., 18 juill. 2001, RJS 11/2001, n° 1242, dr. soc. 2001, p. 1115, obs. Y. Rousseau ; Cass. soc. 3 oct. 1991, RJS 11/1991, n° 1189 ; Cass. Soc., 17 oct. 2000, RJS 12/2000, n° 1214, dr. soc. 2001.192, obs. J. Mouly 291 Cass. soc. 14 nov. 2000, RJS 2/2001, n° 157 ; Cass. soc. 15 nov. 1990, RJS 1/1991, n° 63 292 V. notamment, QE n° 79617, JOAN 29 novembre 2005 293 Cass. soc. 27 oct. 1993, dr. soc. 1993, p. 960 ; 6 juill. 1981, Bull. civ. V. n° 649, à propos d’un stagiaire hospitalier 109 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ SECTION II -- LES EXCLUSIONS PAR L’EXTERNALISATION DU TRAVAIL 308. À l’origine, seules les activités auxiliaires des entreprises étaient concernées par l’externalisation du travail. Les entreprises ne souhaitaient pas augmenter leur masse salariale pour des tâches n’entrant pas directement dans leur activité de production comme la surveillance du site ou le nettoyage des locaux. Progressivement, cette pratique s’est étendue aux opérations sans valeur ajoutée comme la comptabilité. Ainsi, certaines entreprises ne recrutent par contrat de travail que pour les postes liés directement à la production du bien ou du service qu’elles proposent294. 309. Pour les tâches secondaires, les entreprises ont de plus en plus recours à des prestataires de service qui fournissent une main d’œuvre extérieure chargée d’exécuter un travail aux côtés des salariés de l’entreprise cliente. Il faut toutefois nuancer selon l’intensité de la pratique ; «l'extériorisation est structurelle quand des travailleurs étrangers à l'entreprise prennent place aux côtés des salariés directement embauchés par elle. L'extériorisation est conjoncturelle quand le secours à une main-d’œuvre extérieure est liée à un surcroît d'activité purement temporaire »295. 310. Il sera distingué selon les cas où l’externalisation est directe (Paragraphe 1), c'est-à- dire - en principe - sans intermédiaire ou intervention d’un tiers, puis les cas où elle est indirecte (Paragraphe 2) et fait intervenir un tiers créant ainsi une relation de travail triangulaire. L’externalisation est un phénomène qui juridiquement peut recevoir de nombreuses applications. Ne seront donc présentées que les formes de recours les plus classiques. Mais à partir du moment où il y a une prestation de travail à accomplir, tous les cas de figures donnant lieu à la fourniture d’un travail peuvent être envisagés car ils engendrent tous un risque de requalification en contrat de travail (paragraphe 3). 294 V. B. Boubli, Le recours à la main-d'oeuvre extérieure, dr. soc. 2009 n° 7/8 p. 806 ; S. Jubert, Externalisation : la gestion contractuelle de la réversibilité et de la transférabilité, Expertises 2004 n° 279 p. 101 ; J. Brunel, externalisation et droit social: des principes juridiques encore plus stricts, Banque magazine 2003, n° 646, p.65 ; F. Gaudu, les frontières de l'entreprise, entre concentration économique et externalisation : les nouvelles frontières de l'entreprise, dr. soc. 2001, n° 5, p.461 ; S. Rozenfeld, externalisation et transfert de personnel, une relative insécurité juridique, expertises 2000, n° 241 p.284 ; P.-Y. Verkindt, le risque pénal de l'externalisation, petites affiches 9 décembre 1998 ; 295 H. Blaise, À la frontière du licite et de l'illicite : dr. soc. 1990, p. 418 110 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ Paragraphe 1 - L’externalisation directe 311. L’externalisation directe signifie que le bénéficiaire de la prestation de travail bénéficie d’une main d’œuvre sans recourir à un tiers. Il s’agit donc de toutes les hypothèses qui ne se fondent pas dans une relation triangulaire de travail comme l’intérim. De nombreux contrats pourraient être étudiés, comme le contrat de société, mais l’étude se concentrera sur le recours au contrat de mandat (A), le recours au contrat d’entreprise (B) et le recours au contrat de sous-traitance (C). A - Le recours au contrat de mandat 312. Si l'article 1984 du Code civil définit le mandat296, sa distinction avec le contrat de travail demeure floue puisqu’un salarié peut être amené à exécuter précisément ces opérations dans le cadre de son contrat de travail. Ainsi « la difficulté provient de la fréquence du pouvoir reconnu à un salarié […] de parler au nom de l'entreprise et de l'engager es-qualité. Non, certes comme un simple organe ou rouage de l'entreprise se situant étroitement dans son contexte, tel le vendeur, le caissier, l'agent comptable, le directeur commercial, ou même à l'extérieur des démarcheurs ou démonstrateurs, mais comme représentant doté de prérogatives l'autorisant à négocier et conclure au nom de l'entreprise »297. 313. Dans ce contexte le recours au critère du lien de subordination s’impose naturellement comme seul critère différenciant un contrat de travail d’un contrat de mandat. Pour autant, le besoin de distinction n’implique pas que les statuts soient systématiquement exclusifs l’un de l’autre. Lorsqu’un salarié est amené à agir comme mandataire dans le cadre de sont contrat de travail, cela ne le prive pas nécessairement de son statut de salarié s’il était placé dans un lien de subordination juridique298. 296 « Le mandat ou procuration est un acte par lequel une personne donne à une autre le pouvoir de faire quelque chose pour le mandant et en son nom » 297 G.-H. Camerlynck, Le contrat de travail : Dalloz, n° 68, p. 85 298 V. F. Duquesne, Droit du travail, Coll. Manuel, 2° éd., 2006, p.123 ; V. Cass. soc., 17 juin 1982, Bull. civ. V. n° 403 ; V. aussi : Cass. soc., 31 mars 1982, Bull. civ., V. n° 239 ; Cass. com., 27 févr. 1973, Bull. civ. IV, n° 100 ; Cass. soc., 6 févr. 1974, Bull. civ. V, n° 98 ; V. aussi : Cass. soc., 31 mars 1982, Bull. civ. V, n° 239. Pour la reconnaissance du statut salarié, V. Cass. soc., 17 juin 1982, Bull. civ. V, n° 40 ; Cass. soc., 24 févr. 1956 : dr. soc. 1956, p. 354 ; Cass. soc., 11 déc. 1981, Bull. 111 Ͳ 314. >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ Seule l'absence de ce lien permet donc d’exclure la qualité de salarié au mandataire se prévalant d’un contrat de travail299. « Il est donc possible d'avancer que le critère de distinction issu d'un lien de subordination à l'origine d'une exclusion ou d'une admission de la qualité de salarié, dépend de la valeur de son intensité. Le lien de dépendance unissant le salarié à l'employeur est, en effet, plus appuyé que celui rapprochant le mandataire au mandant »300. Le recours à un mandataire peut donc permettre une alternative au contrat de travail si le lien entre le mandant et le mandataire ne se transforme pas en un lien de subordination. 315. Il est enfin possible de cumuler un mandat social et un contrat de travail mais la Cour de cassation encadre cette pratique afin de lutter contre la pratique des contrats de travail fictifs301 et l’enrichissement sans cause302. Cela n’empêche pas, au même titre que tout salarié, que le mandataire titulaire d’un contrat de travail jouisse d’une sphère d’autonomie, notamment d’une « latitude laissée au salarié pour déterminer ses horaires et itinéraires »303. 316. Lorsqu’un mandataire social se prévaut d’un contrat de travail, il doit pouvoir isoler ses fonctions de mandataire et de salarié. Le mandataire devrait donc percevoir deux rémunérations distinctes, de sorte que la même prestation de travail ne puisse en fait donner lieu à un double statut et une double rémunération304. Afin de prévenir les cas de contrats de travail fictifs, le mandataire social doit également être en mesure de prouver qu’il effectue sa prestation de travail dans un état de subordination juridique. civ. V, n° 967 ; Cass. soc., 19 févr. 1986, Rev. sociétés 1986, p. 600 ; Cass. soc., 17 juin 1982, Bull. civ. V, n° 403 299 Cass. com., 27 févr. 1973, Bull. civ. IV, n° 100 ; Cass. soc., 6 févr. 1974, Bull. civ. V, n° 98, V. aussi Cass. soc., 31 mars 1982, Bull. civ. V, n° 239. Pour d’autres illustrations : Cass. com., 5 juin 1973, Bull. civ. IV, n° 201; Cass. soc., 27 oct. 1978, Bull. civ. V, n° 726 ; Cass. soc., 12 déc. 1990, Bull. civ. V, n° 658 ; Cass. com., 12 juill. 1983, Bull. civ. IV, n° 218 ; Cass. soc., 15 nov. 1972, Bull. civ. V, n° 618 ; Cass. com., 5 juin 1973, Bull. civ. IV, n° 201 ; Cass. soc., 8 oct. 1980 : D. 1981, p. 257, note Y. Reinhard 300 Catherine Puigelier, JurisClasseur Travail Traité, Fasc. 17-1 : Salariat, n° 22 301 V. P.-H. Antonmattéi, Directeurs généraux, rev. dr. et patr. n°88, p.81, 01/12/2000 ; V. Cass. Soc., 25 janvier 1957, n° 851, Bull. civ. IV, n° 83 ; Cass. Soc., 16 mai 1990, n° 86-42.681 ; Cass. Soc., 6 mars 1985, n° 83-42081 ; Cass. Soc., 27 avril 1984, n° 83-11330 ; Cass. Soc., 27 mai 1983, n° 8140059 ; Cass. Soc., 19 octobre 1978, n° 77-13338 302 B. Siau, Cumul d'un mandat social et d'un contrat de travail, Revue Lamy Droit des affaires n°44, p.53-54, 01/12/2009 303 Cass. soc., 14 mai 1992, n° 90-10081 304 Cass. soc., 5 février 1981 n°79-14.798, Bull. civ. V, p. 80 112 Ͳ 317. >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ De cette exigence découle le principe évident selon lequel nul ne peut être salarié sous sa propre autorité. Un dirigeant qui se trouve au plus haut niveau de la hiérarchie ne pourra donc théoriquement pas se prévaloir d’un contrat de travail au sein de l’entreprise faute de pouvoir se placer sous la subordination d’un supérieur pouvant le sanctionner voire le licencier, ce pouvoir incombant en dernier lieu à lui-même305. B - Le recours au contrat d’entreprise 318. Le contrat d'entreprise est « une convention par laquelle une personne s'engage moyennant rémunération, à exécuter un travail de façon indépendante »306. Il se distingue donc du contrat de travail par l’indépendance qui le caractérise. Toutefois l’ingérence dans l’accomplissement de la prestation peut faire naître un lien de subordination qui sera d’autant plus favorisé par le fait que l’entrepreneur - ou l’auto-entrepreneur - n’ait qu’un seul client et soit donc contraint d’accepter de rendre des comptes et d’accepter des directives. À l’avenir, cette hypothèse risque donc de concerner plus particulièrement les auto-entrepreneurs307. 319. Les juges distinguent en effet le contrat d’entreprise et le contrat de travail en vérifiant l’existence d’un lien de subordination308. Le recours à un prestataire de service via un contrat d’entreprise permet donc une alternative au contrat de travail sous réserve que l’entrepreneur - ou l’auto-entrepreneur - ne soit pas pris dans un lien de subordination. C - Le recours au contrat de sous-traitance 320. La loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance définit celle-ci comme étant « l'opération par laquelle un entrepreneur confie par un sous-traité, et sous sa responsabilité, à une autre personne appelée sous-traitant l'exécution de tout ou partie du contrat d'entreprise ou d'une partie du marché public conclu avec le maître de l'ouvrage ». Dans une affaire récente309, un serrurier-menuisier au statut de travailleur indépendant 305 Cass. soc., 4 mars 1981, n° 79-16504 ; Cass.soc., 18 juin 1986, n° 84-13.853, Bull. civ. V, p 239 ; Cass.soc., 16 mai 1990, n° 86-42.681, Bull. civ. V, p 137 306 P. Malaurie, Aynès et P.-Y. Gautier, Contrats spéciaux : Cujas, 12e éd. 1998, n° 73 et 704 307 V. notamment : C. Nouri, Auto-entrepreneur : une coquille vide ?, ecotidien.fr, 5 mai 2010 308 Cass. soc. 8 novembre 1995, Gaz. Pal. 1996, I, Panorama p.15 309 Cass. soc. 23 janvier 2008, n° 06-46137 113 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ intervenait régulièrement dans une société au titre de contrats de sous-traitance. La société rompu les relations contractuelles mais le serrurier a obtenu la requalification de leurs relations en contrat de travail, le paiement d'indemnités de licenciement et de dommagesintérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. 321. Les juges ont en effet constaté l'existence d'un lien de subordination car le sous-traitant ne disposait « d'aucune clientèle propre ni d'aucun stock de matériel personnel, était entièrement à la disposition de l'entreprise, soit sur les chantiers de la société […] soit au sein de l'atelier de fabrication où il occupait un poste de menuisier voire des fonctions de chef d'équipe »310. D'autre part, le sous-traitant travaillait aux horaires imposés par l'entreprise en utilisant une carte de pointage comme les autres salariés et était rémunéré en fonction du nombre d'heures travaillées et non pas en fonction « d'ordres de missions ou de contrats de prestations de service »311. Le recours à un sous-traitant exclut donc l’existence d’un contrat de travail de manière fragile car il n’est légal qu’à la condition que le sous-traitant ne soit pas pris dans un lien de subordination312. Paragraphe 2 - L’externalisation indirecte L’externalisation indirecte désigne le recours à des modes d’organisation triangulaires ou nécessitant l’intervention d’un tiers. Il s’agit du recours à l’intérim (A), du recours au portage salarial (B) et du recours au prêt de main-d’œuvre (C). A - Le recours à l’intérim 322. L'intérim désigne une relation de travail triangulaire au terme de laquelle une entreprise conclut un contrat de mise à disposition avec une entreprise de travail temporaire, laquelle met à sa disposition un travailleur intérimaire recruté par un contrat de travail temporaire. Le travailleur intérimaire exécute sa mission au sein de l’entreprise utilisatrice mais n’est en principe pas lié par un contrat de travail avec cette dernière. Le travail 310 Cass. soc. 23 janvier 2008, n° 06-46137 Ibid. 312 V. S. W., Les dangers de la sous-traitance, La Tribune, 15 mai 2008 311 114 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ temporaire met donc en jeu trois partenaires : l'entreprise de travail temporaire, le travailleur intérimaire et l'entreprise utilisatrice. 323. Suite aux nombreux abus dans ce domaine, le législateur est intervenu pour mieux encadrer cette pratique. « Désormais le travail temporaire n’apparaît plus comme un moyen de contourner la législation sociale, permettant à un tiers utilisateur d’éviter d’embaucher les salariés permanents qui lui feraient franchir certains seuils d’effectifs sources d’obligations nouvelles […] »313. 324. La Cour de cassation a régulièrement l’occasion de rappeler deux règles importantes314 ; d’une part, « aux termes du premier alinéa de l’article L. 124-2 du Code du travail, le contrat de travail temporaire ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise utilisatrice »315 et, d'autre part, « selon le second alinéa de ce texte, un utilisateur ne peut faire appel à des salariés intérimaires que pour l'exécution d'une tâche précise et temporaire dénommée mission, et seulement dans les cas énumérés à l'article L. 124-2-1, et notamment en cas d’accroissement temporaire d’activité »316. 325. Elle en a déduit que le recours à des travailleurs intérimaires ne peut être autorisé que pour les besoins d’une ou plusieurs tâches résultant du seul accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise, notamment en cas de variations cycliques de production. Le recours à l’intérim permet donc de bénéficier d’une main d’œuvre sans recourir au contrat de travail à condition de respecter le cadre posé par la loi et la jurisprudence. 326. À défaut, le travailleur temporaire peut demander la requalification du contrat de mission en contrat de travail à durée indéterminée, entre lui et l’agence d’intérim. Il poura également demander la requalification de sa mission en contrat de travail à durée 313 B. Siau, Le travail temporaire en droit comparé européen et international, coll. Bibliothèque de droit social, Paris, L.G.D.J., 1996, 581 p. ; V. aussi : N. Pépin, Les innovations en matière d'intérim ces trois dernières années, Mémoire de Master, Centre de droit social, Université Aix-Marseille III, 2007, 34 p. 314 Cass. soc., 21 janvier 2004 ; V. aussi : Cass. soc., 25 janvier 1989 ; Cass. crim., 2 mars 1999, n° 9880.862 315 Ibid. 316 Ibid. 115 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ indéterminée entre lui et l’entreprise utilisatrice. Ces hypothèses ne sont pas exclusives l’une de l’autre et dépendent du comportement de chacune des parties317. B - Le recours au portage salarial 327. Le portage salarial est apparu en dehors de tout cadre juridique dans les années 1980. Toutefois ce n’est que depuis les années 2000 qu’il a connu un réel essor ce qui a amené la jurisprudence à préciser les conditions de sa légalité, jusqu’à sa récente consécration par la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail318. Le portage salarial se caractérise par « l'existence d'une relation contractuelle triangulaire exclusive de tout lien de subordination entre une société de portage, un professionnel recruté au vu de ses compétences pour une mission particulière, et une entreprise utilisatrice »319. 328. Les relations instituées par le portage salarial peuvent pourtant dissimuler un contrat de travail. C’est ainsi qu’un arrêt du Tribunal de Grande Instance de Paris320 a requalifié la relation entre le porté et la société de portage en contrat de travail en relevant « de réels liens de subordination juridique et économique tels que recherchés pour caractériser l'existence d'un contrat de travail ». 329. Par ailleurs l'article L. 8241-1 du Code du travail, tel qu’il est issu de la loi du 20 août 2008, interdit « toute opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de maind'oeuvre », à l'exception des « opérations réalisées dans le cadre : 1° Des dispositions du 317 V. B. Siau, Requalifications subtiles de la relation de travail intérimaire : note sous Cour de cassation, Chambre sociale, 17 septembre 2008, pourvoi numéro 07-40.704, Revue Lamy Droit des affaires n°32, p.58-59, 01/11/2008 318 P. Morvan, le portage salarial face à son destin, semaine juridique JCP S. 2008, n° 26, p. 18 ; O. Rault, Z. Ketir, le portage salarial : vers la fin des incertitudes ?, jurisprudence sociale Lamy 2008 n° 234 p. 10 ; L. Casaux-Labrunee, le portage salarial : travail salarié ou travail indépendant, droit social 2007 n°1 page 58; J.-Y. Kerbourc'h, le portage salarial: prestation de services ou prêt de main d'œuvre illicite ? Droit social 2007 n° 1 p. 72;N. Côte, Le portage salarial : entre innovations et dérives : JCP E 2002, p. 1758 ; F. Riquoir, Le portage salarial : Semaine sociale Lamy, 2000, n° 1004, p. 7 319 C. Colle, Le portage salarial, La Semaine Juridique Social n° 25, 19 Juin 2007, act. 296 320 TGI Paris, sect. soc., 18 mars 2008, RG n° 06/08817, Christian et a. c/ ASSEDIC de Paris ; V. Le TGI de Paris reconnaît l'existence de contrats de travail, JCPS n° 15, 8 Avril 2008, act. 193 ; V. aussi CA Chambéry, 23 sept. 2003 116 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ présent code relatives au travail temporaire, au portage salarial, aux entreprises de travail à temps partagé [...] ». Mais comme le souligne P. Morvan, cette disposition ne peut être assimilée à une dépénalisation du portage salarial puisque seule l’infraction de prêt illicite de main d’œuvre est écartée, l’infraction de travail dissimulé menace donc toujours ces conventions si elles créent un lien de subordination juridique : « Si la loi légalise le portage salarial, c'est de façon bien minimaliste : en le définissant d'une manière descriptive et inachevée puis en écartant la menace d'une infraction unique, procédé qui n'équivaut certainement pas à une dépénalisation »321. 330. Le portage salarial permet donc à une entreprise d’avoir recours à une main d’œuvre généralement intellectuelle (consultants) sans recourir au contrat de travail à condition qu’il ne s’instaure pas de « réels liens de subordination juridique et économique »322. C - Le recours au prêt de main-d’œuvre licite 331. Le prêt de main d’œuvre est « un contrat par lequel un employeur met temporairement un de ses salarié à la disposition d’un autre employeur »323. Selon la nouvelle rédaction de l’article L.8241-1 du code de travail324« toute opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main d'œuvre est interdite ». La loi poursuit toutefois en précisant désormais que ces dispositions ne s'appliquent dans le cadre du travail temporaire, du portage salarial, des entreprises de travail à temps partagé, de l'exploitation d'une agence de mannequins, d’une association ou société sportive et enfin à la mise à disposition des salariés auprès des organisations syndicales ou des associations d'employeurs mentionnées à l'article L.2231-1325. 321 P. Morvan, le portage salarial face à son destin, semaine juridique JCPS. 2008, n° 26, p. 18 TGI Paris, sect. soc., 18 mars 2008, RG n° 06/08817, Christian et a. c/ ASSEDIC de Paris ; V. Le TGI de Paris reconnaît l'existence de contrats de travail, JCPS n° 15, 8 Avril 2008, act. 193 ; V. aussi CA Chambéry, 23 sept. 2003 323 G. Cornu, Association Henri Capitant, Vocabulaire juridique, 7ème éd revue et augmentée avec locutions latines, Quadrige. Dicos poche, Paris : Presses universitaires de France, 2005 322 324 loi n° 2008-789 du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail 325 L.8241-1 du code de travail : «[…] 1° Des dispositions du présent code relatives au travail temporaire, au portage salarial aux entreprises de travail à temps partagé et à l'exploitation d'une agence de mannequin lorsque celle-ci est exercée par une personne titulaire de la licence d'agence de mannequin ; 2° Des dispositions de l'article L. 222-3 du code du sport relatives aux associations ou sociétés sportives ; 3° Des dispositions des articles L. 2135-7 et L. 2135-8 du présent code relatives à 117 Ͳ 332. >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ De plus les opérations qui n'ont pas pour objet exclusif le prêt de main-d’œuvre demeurent autorisées même si elles ont un but lucratif. Le cas d’une fourniture de maind’œuvre inhérente à une prestation de service échappe donc du champ des infractions de prêt de main-d’œuvre illicite et de marchandage. À titre d’illustration, la Cour de cassation estime que dans le cadre d’un contrat de sous-traitance les tâches à accomplir doivent être suffisamment définies, le personnel doit demeurer sous l'autorité du sous-traitant et la rémunération doit être forfaitaire326. Le lien de subordination juridique fait, là encore, courir un risque de requalification dont il est important d’avoir conscience dans toute relation de travail initialement non salariée. Paragraphe 3 – Le risque de requalification en contrat de travail 333. La construction de la notion de subordination trouve sa justification dans le besoin de faire du contrat de travail une catégorie juridique d’ordre public (A). C’est la raison pour laquelle sa qualification juridique échappe au principe de la liberté contractuelle, ce qui signifie que les parties ne peuvent pas lier le juge sur ce point ainsi que le prévoit l’article 12 du Nouveau Code de procédure civile pour les règles supplétives. Cette volonté est directement liée au besoin de protection du salarié, y compris contre lui-même. 334. C’est également ce besoin de protection juridique qui a inspiré la création d’un droit pénal du travail avec l’instauration d’infractions spécifiques comme l’interdiction du travail dissimulé total et partiel. À titre d’illustration il faut encore évoquer l’instauration du système français de protection sociale. C’est ce qui explique que d’autres personnes que les parties elles-mêmes puissent avoir un droit de regard sur les relations susceptibles de caractériser un contrat de travail. la mise à disposition des salariés auprès des organisations syndicales ou des associations d'employeurs mentionnées à l'article L. 2231-1. » ; V. Gauriau, La rénovation de la démocratie sociale, loi n° 2008789 du 20 août 2008 : JCP S 2008, 1448. - Pour une reproduction du texte, V. JCP S 2008, 1460 ; Y. Pagnerre, G. Saincaize, L'intégration des salariés mis à disposition : nouvelles conditions, nouveaux effets, La Semaine Juridique Social n° 36, 1er Septembre 2009, 1368 326 Cass. crim., 21 janv. 1986 : JCP E 1987, II, 14869, note O. Godard. V. également, Cass. soc., 9 juin 1993 ; CA Paris, 11e ch., 20 déc. 1996 118 Ͳ 335. >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ Dans leurs missions respectives, ces personnes ou ces organismes doivent maîtriser la qualification du contrat de travail. Il faudra donc envisager cet angle particulier en présentant l’utilité du lien de subordination pour les autres parties intéressées par le contrat de travail (B). Il faudra enfin approfondir l’opération juridique de la qualification ou de la requalification en elle-même puisqu’il s’agit de la raison d’être du lien de subordination en tant que critère juridique (C). A – Une catégorie juridique d’ordre public 336. Pourquoi tant d’efforts sont-ils déployés pour saisir la notion de subordination juridique ? Le cœur de cette motivation tient au fait que le juge doit qualifier et au besoin requalifier les actes et faits juridiques qui lui sont soumis : « Le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables. Il doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée »327. 337. Le fait d’accorder au contrat de travail un caractère obligatoire ou d’ordre public, tend à protéger la partie faible du contrat de travail, à savoir le salarié. Ce mécanisme particulier prive les parties d’une part de leur liberté contractuelle et donc du pouvoir de lier le juge sur les points qu’ils ont entendus régler contractuellement. Il protège donc le salarié contre l’employeur mais aussi contre lui-même. Par exemple, depuis la création du statut d’autoentrepreneur, certains employeurs diffusent une offre d’emploi puis invitent les candidats à opter pour ce statut afin de se soustraire à leurs obligations d’employeur. Ne pas recourir systématiquement au salariat n’est certes pas illégal en soi, sauf le cas de la fraude à la loi caractérisé ici par l’existence d’un lien de subordination328. Cette pratique illustre le phénomène grandissant des faux indépendants329 auquel l’auto-entrepreneur risque d’être particulièrement exposé dans les prochaines années. 327 Article 12 NCPC V. article presse récent à retrouver 329 N. Pépin, L’avocat salarié, Mémoire de Master, Centre de Droit Social, Université Paul Cézanne Aix-Marseille III, 2008, p.92, n°194 ; A rapprocher de Cass.soc., 10 mai 2007, Bull. n° 71 : la clause du contrat de travail subordonnant la rémunération du travailleur à domicile au règlement par le client de la commande qu'il a enregistrée est illicite. Le travailleur à domicile est en effet un salarié sur lequel ne saurait peser partie du risque d'entreprise. 328 119 Ͳ 338. >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ Les conséquences de ce mécanisme de protection se manifestent également au cours de l’instance. Elles recouvrent alors deux hypothèses ; dans la première hypothèse, lorsque les parties n’invoquent pas de règle de droit au soutien de leurs prétentions (ce qui est rare), il appartient alors au juge de rechercher s’il existe une règle applicable, le cas échéant de l’identifier et de l’appliquer au cas qui lui est soumis. Dans une seconde hypothèse, lorsqu’une partie sollicite l’application d’une règle de droit pour motiver ses prétentions, alors le juge doit encore s’assurer que celle-ci est effectivement applicable pour trancher le litige en conséquence. Le lien de subordination étant le critère privilégié du contrat de travail, le juge aura donc recours à cette notion pour appliquer les règles, invoquées ou non, qui ne sont applicables qu’en vertu du contrat de travail. 339. J.-P. Chauchard développe cette idée en se demandant « pourquoi qualifier ? Parce qu’il est apparu, à un certain moment de l’histoire sociale française, un certain nombre de lois dont il a fallu savoir à qui elles s’adressaient, quels pouvaient en être les bénéficiaires ou encore qui allait en supporter les charges (cotisations) »330. Et de poursuivre en rappelant très justement que « l’une des premières lois en faveur des salariés est la loi de 1898 sur les accidents du travail, qui s’appliquait aux ouvriers et aux employés de certaines industries ou de certaines entreprises. Très rapidement, la jurisprudence a décidé que les ouvriers et les employés étaient ceux-là même qui étaient liés à un employeur par un contrat de travail. Et si l’on veut aller plus loin, c’est dans le droit de la responsabilité des commettants331 qu’il faut chercher l’origine première de la subordination, déjà utilisée à propos du lien de préposition qui a pour effet de placer une personne (le préposé) sous l’autorité d’une autre (le commettant), en vertu d’un contrat ou du fait des circonstances »332. 330 J.-P. Chauchard, A.-C. Hardy-Dubernet, Les métamorphoses de la subordination, analyse juridique et sociologique de l’évolution des formes d’autonomie et de contrôle dans la relation de travail, Maison des Sciences de l’Homme Ange Guépin, 2002, p.16 331 P. Jourdain, « Les principes de la responsabilité civile, Dalloz, connaissance du droit, 5ème éd., 2000, p.113. Le préposé peut alors être, sous condition, libéré de sa responsabilité pour des actes ou inaction de son fait. C’est en effet à l’employeur de supporter le risque de l’exploitation puisque c’est lui qui en tire profit. C’est un rare cas de ce que certains auteurs nomment « la responsabilité pénale du fait d’autrui », courante en droit civil elle fait face, en droit pénal, au principe selon lequel nul ne peut être tenu pour responsable que pour les faits qu’il a commis. 332 J.-P. Chauchard, A.-C. Hardy-Dubernet, Les métamorphoses de la subordination, analyse juridique et sociologique de l’évolution des formes d’autonomie et de contrôle dans la relation de travail, Maison des Sciences de l’Homme Ange Guépin, 2002, p.16 120 Ͳ 340. >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ Il faut donc pouvoir identifier le contrat de travail avant tout débat sur le fond. En pratique, dans les cas de figures les plus courants, cette étape est souvent inutile ; soit qu’avant tout débat sur le fond, l’employeur omette de soulever l’inexistence d’un contrat de travail et logiquement l’incompétence du Conseil de Prud'hommes333. Ce silence emporte alors reconnaissance tacite du contrat de travail. Soit que le demandeur produit l’original du contrat de travail et le défendeur (généralement l’employeur) ne parvient pas à en démontrer le caractère fictif, en démontrant notamment l’absence de lien de subordination. Mais, dans une affaire donnée, le débat sur l’existence ou l’inexistence d’un contrat de travail peut intéresser d’autres personnes que le salarié et l’employeur. B - Les parties intéressées par la requalification en contrat de travail 341. Certes, il s’agit dans la plupart des cas deux principaux acteurs : celui qui tient le rôle de salarié et celui qui tient le rôle d’employeur. Bien que généralement l’action en qualification ou requalification soit le fait de celui qui aspire au statut de salarié et souhaite faire valoir ses droits, d’autres personnes (B), notamment les organismes de recouvrement (A) peuvent jouer un rôle dans la (re)qualification du contrat de travail, chacun pouvant s’approprier d’une manière qui lui est propre la notion de subordination. 342. Le concept présentant une nature particulièrement malléable voire molle, il peut servir les considérations les plus arbitraires dans la quête de résultats voire de quotas, menant parfois des justiciables de bonne foi jusqu’à l’infraction de travail dissimulé. Le juge, garant du respect du droit mais surtout des libertés, occupe donc une place importante tant pour la protection des justiciables que pour la défense d’un droit de qualité par son appréciation pertinente du lien de subordination. 1 - Les organismes de garantie et de recouvrement 343. D’une part l’URSSAF à généralement un intérêt pécuniaire important dans la découverte d’un contrat de travail. L’organisme ne ménage donc pas ses efforts jusqu’à 333 Nier l’existence d’un contrat de travail de manière abusive peut constituer des manœuvres dilatoires et relever de l’abus de droit 121 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ dénaturer parfois le sens de la jurisprudence, notamment dans ses lettres d’observation, en invoquant par exemple le critère de la dépendance économique334. Il en va du recouvrement de cotisations sociales, de majorations de retard et de pénalités qui peuvent s’étaler sur plusieurs années jusqu’à mettre en péril l’activité et la sauvegarde des emplois. Si les cas de fraudes avérées n’inspirent aucune empathie, il n’en va pas de même pour les cas où la malléabilité du concept de lien de subordination devient l’outil de redressements tatillons confirmant l’adage Summum jus, summa injuria335. 344. Il devrait donc être plus aisé de pouvoir conceptualiser, a priori, la notion de lien de subordination. C’est désormais la garantie offerte par l’instauration du rescrit social permettant aux cotisants d’obtenir une décision explicite des organismes de recouvrement sur l’application de certains points de législation à la situation du demandeur, cotisants ou futurs cotisants en sa qualité d’employeur336. La position prise par l’URSSAF l’engage pour l’avenir ce qui garantie une meilleure sécurité juridique, sous réserve bien sur des éventuels éléments non portés à leur connaissance. D’autre part l’Association pour la Gestion du régime de Garantie des créances des Salariés (AGS), par l’intermédiaire des Centres de Gestion et d'Etude (CGEA), trouve cette fois intérêt dans la négation de l’existence d’un contrat de travail. En tant que débiteur des salaires et accessoires de salaires impayés, elle doit obligatoirement être appelée dans la cause par le salarié en cas de procédure collective. 345. L’AGS est donc une véritable partie à l’instance et peut contester ses créances en niant l’existence d’un contrat de travail337. La contestation est souvent de mise et la jurisprudence illustre cette réalité338 ; « Il y a lieu de rappeler que dans pareil cas, en face d’une attitude abusive ou dilatoire de l’AGS, un salarié peut réclamer la condamnation à titre personnel de celle-ci à une indemnité sur le fondement de l’article 700 du nouveau Code de procédure 334 Cf. supra Peut se traduire par : Le droit appliqué trop rigidement entraîne l'injustice : Justice excessive devient injustice ; le maximum de la loi est le maximum de l'injustice ; trop de droit, trop d'injustice. 336 Ordonnance n° 2005 -651 du 6 juin 2005, complétée par la loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008 337 V. F. Saramito « La garantie par l’AGS des créances établies judiciairement après l’ouverture de la procédure d’exécution collective » Droit ouvrier 2002 p.383 338 CA, Grenoble, Ch. Soc., 21 janvier 2002, CGEA d’Annecy c/ Baroz 335 122 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ civile et à des dommages et intérêts en réparation du dommage causé par l’attitude fautive de l’organisme de garantie »339. 2 - Les personnes habilitées à constater le travail dissimulé 346. En vertu de l’article L.8271-7 du Code du travail, la constatation d’infractions aux interdictions du travail dissimulé340 sont constatées par procès verbal, bien qu’elles demeurent sous le contrôle du juge. À ce titre il est donc nécessaire de prouver l’existence d’un contrat de travail pour que l’infraction puisse être constituée dans tous ces éléments car le procès verbal fera foi jusqu’à preuve du contraire. 347. L’existence d’un lien de subordination doit donc, théoriquement, être recherchée par les personnes habilitées à dresser ces procès verbaux. La recherche d’un lien de subordination par ces personnes est indispensable même si les poursuites sont ultérieurement engagées par leur autorité hiérarchique, que ce soit le Procureur de la République ou l’autorité administrative de tutelle. En effet c’est le procès verbal dressé par ces personnes qui, faisant foi jusqu’à preuve du contraire, sera versé au dossier et fondera juridiquement les poursuites. La liste des personnes habilitées à constater les infractions de travail dissimulé est strictement délimitée : « 1° Les inspecteurs du travail et les contrôleurs du travail; 2° Les inspecteurs et les contrôleurs du travail maritime ; 3° Les officiers et agents de police judiciaire ; 4° Les agents des impôts et des douanes ; 5° Les agents des organismes de sécurité sociale et des caisses de mutualité sociale agricole agréés à cet effet et assermentés ; 6° Les officiers et les agents assermentés des affaires maritimes ; 7° Les fonctionnaires des corps techniques de l'aviation civile commissionnés à cet effet et assermentés ; 8° Les fonctionnaires ou agents de l'Etat chargés du contrôle des transports terrestres ». 339 340 Rev. Dr. ouvr. sept. 2002, p. 455, note Emmanuel Gayat Article 8221-1 du Code du travail 123 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ C – L’opération de requalification 348. En quoi consiste l’opération de requalification ? « Qualifier, c'est identifier une situation de fait à une notion visée par la loi »341. Il s’agit d’une opération dévolue au juge et dans laquelle il doit s’emparer des faits ou des actes juridiques qui lui sont soumis afin d’y découvrir un critère de rattachement à une catégorie juridique préexistante. Il lui appartient ensuite d’appliquer les règles qui découlent de l’appartenance à la dite catégorie. 349. Cette opération spécifiquement juridique relève, par principe de l'office du juge. Celui- ci doit, selon l'article 12, alinéa 2, du NCPC « donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée ». Donner, lorsque les parties ne l'ont pas fait, restituer, lorsqu'elles ont formulé une qualification, mais une qualification erronée342. 350. Le juge n'est pas lié par la qualification juridique que les parties donnent à leurs conventions343 et il lui appartenait d'examiner le litige sous tous ses aspects, au besoin en restituant aux faits leur véritable qualification344. Ce pouvoir s'exerce d’ailleurs dans tous les domaines du droit. En substituant une qualification à une autre, le juge remédie à l'erreur des parties dans la dénomination de l'acte, du fait ou de la situation sur lequel ils se fondaient. Le juge a le devoir de procéder à la requalification lorsque les conditions sont réunies, il ne s'agit donc pas d'une simple faculté. Suite à la requalification, les nouvelles règles sont applicables au litige de manière rétroactive. 341 D. 1986, p. 121 note J. Boré H. Solus et R. Perrot, Droit judiciaire privé, t. III, n° 102 343 Cass. 3e civ., 5 avr. 1968, V. Bull. civ. III, n° 162 344 Cass. 1re civ., 11 janv. 1972, V. Bull. civ. I, n° 10 342 124 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ CHAPITRE 2 L’EXTENSION DU SALARIAT HORS LIEN DE SUBORDINATION 351. Il vient d’être démontré que se développent des hypothèses dans lesquelles des personnes sont exclues du statut salarié alors même qu’ils accomplissent leur travail dans un lien de subordination. Mais la relativisation du lien de subordination se traduit également par un mouvement inverse : l’extension du salariat hors lien de subordination. Cette expression désigne ici le phénomène de décentrage entre le lien de subordination et l’extension de la sphère salariale (SECTION I). Il existe ainsi de nombreux cas dans lesquels des personnes bénéficient du statut salarié alors même qu’ils n’accomplissent pas une prestation de travail dans un état de subordination vis-à-vis du donneur d’ordre. 352. Ce décentrage se distingue aussi par la propagation du droit du travail hors subordination (SECTION II). Cela signifie que le droit du travail développe progressivement son champ de compétence en dehors de l’exigence du lien de subordination. Cette exclusion du lien de subordination est soit positive, le droit du travail s’applique alors en dehors du contexte traditionnel. Soit négative, puisque des travailleurs subordonnés sont parfois évincés de l’application de certaines règles protectrices du Code du travail. De plus, tout salarié ne peut pas bénéficier de toutes les dispositions du code du travail. Les droits de chacun sont ainsi uniques car déterminés en fonction de multiples variables. 353. La grille de lecture des droits de chaque salarié est ainsi déterminée par une mosaïque de variables qui tend à pixéliser le droit du travail et à le rendre de moins en moins intelligible. Il s’agit par exemple de la taille de l’entreprise, du secteur professionnel, des conventions et accords applicables, voire encore de la zone géographique où se situe l’entreprise. Enfin des travailleurs indépendants – par définition non salariés – peuvent bénéficier de droits instaurés par le Code du travail puisqu’il prévoit des obligations à l’égard des entrepreneurs qui recourent à leurs services. 125 Ͳ 354. >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ Le recours au lien de subordination juridique perd donc de l’intérêt car il ne permet plus d’établir un dénominateur commun entre les travailleurs salariés, ni d’établir une frontière nette entre les travailleurs indépendants et les subordonnés. Il en résulte un émiettement du statut des travailleurs et un accroissement des inégalités de droit et de fait. C’est cette dilution qui justifie le besoin d’une unification moderne du statut applicable aux travailleurs. Non pas par la création d’un contrat de travail unique mais plutôt par l’édification d’un véritable tronc commun pour toutes les activités professionnelles. 126 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ SECTION I - LES FLUX ET REFLUX DE LA SPHERE SALARIALE 355. L’article 1315 du Code civil pose comme principe que c’est à celui qui se prévaut d’une obligation qu’il appartient de prouver l’existence de cette obligation. Ce principe est applicable au contrat de travail mais le Code du travail a institué des dispositions protectrices qui dérogent à ce principe. Le but étant soit de sécuriser le recours aux prestataires de service et sous-traitants, soit de protéger certains travailleurs pour lesquels il est difficile de prouver un lien de subordination. Le code du travail instaure donc des présomptions et extensions du salariat (paragraphe 1). À l’inverse il existe des présomptions de non-salariat et des pratiques permettant de bénéficier d’une main d’œuvre sans recours au contrat de travail. Juridiquement instables, ces pratiques concourent à une exclusion fragile345 du statut salarié (paragraphe 2). Paragraphe 1 - L’extension du statut salarié 356. L’extension du statut salarié résulte – directement - des mécanismes de la loi (A) et - indirectement - du développement du salariat dans les professions libérales (B) puisque historiquement, ces dernières n’étaient exercées que par des travailleurs indépendants afin de garantir le respect de certains principes déontologiques. A – L’extension par mécanisme de la loi 357. La loi instaure deux types de mécanisme : la présomption et l’assimilation. Dans le premier cas le travailleur est dispensé de rapporter la preuve du lien de subordination pour prouver l’existence du contrat de travail. Dans le second cas le travailleur n’a pas à prouver le lien de subordination puisqu’il est simplement bénéficiaire de droits par analogie au statut salarié. Les assimilations et présomptions de salariat (1) sont prévues au cas par cas et sont soumises à des conditions d’application strictes (2). 345 V. notamment : P.-H. Antonmattéi, Externalisation et article L. 122-12 alinéa 2 du Code du travail : le clash !, Semaine sociale Lamy n°996, p.7-9, 25/09/2000 ; P.-H. Antonmattéi, Externalisation et article L 122-12 alinéa 2 du code du travail, dr. soc. n° 1, p. 13-16, 01/01/2001 127 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ 1 - Les assimilations et présomptions de salariat 358. Le code du travail assimile à des salariés des catégories de travailleurs qui réalisent leur prestation de travail sans être placées dans un lien de subordination juridique. Ils bénéficient ainsi de certaines dispositions du code du travail. Ils doivent cependant satisfaire aux conditions légales propres à la catégorie professionnelle à laquelle ils prétendent appartenir346. À titre d’illustration, il est possible de citer le cas des travailleurs à domicile347, des voyageurs représentants placiers348, des journalistes349, des artistes350, des mannequins351, des assistantes maternelles352 et des gérants de succursales353. 359. En fonction de la catégorie visée, l’assimilation est le résultat d’un mécanisme de présomption simple de salariat soit d’une simple extension du champ d’application du code du travail. Dans ce dernier cas, le travailleur ne bénéficie donc pas de la qualification de salarié mais simplement de certains effets de ce statut. C’est notamment le cas des marins354, des dockers355 et des gérants mandataires de succursales356 qui ne bénéficient que d’une extension de certaines dispositions du code du travail. Toutefois, si les conditions d’exécution de leur prestation de travail révèlent un lien de subordination ils pourront évidemment revendiquer l’existence d’un contrat de travail. 346 V. notamment sur cet aspect, J. Barthélémy, Le professionnel parasubordonné, JCP E, 1996. I. 606; C. Boudineau, Faut-il salarier le conjoint du chef d’entreprise ?, Petites affiches 30 juill. 1999, n° 151, p. 11 ; R. Debonne-Penet, Le statut juridique des artistes du spectacle, D. 1980. p.17 ; C. Eutedjian, Le commerçant partenaire d’un PACS, rev. dr. et patr., avril 2000, p. 75 ; F. Favennec-Héry, Les relations professionnelles entre époux ou le travail sans subordination, Dr. soc. 2002, p. 403 ; R. Jambu-Merlin, Les travailleurs intellectuels à domicile, dr. soc. 1981, p. 561 ; D. Randoux, Le conjoint du chef d’une entreprise artisanale ou commerciale : collaborateur, salarié ou associé ?, JCP 1983. I. 3103 ; P. Rossi, Contrat de travail et lien de subordination entre époux ou entre partenaires liés par un PACS, D. 2002.987 ; Y. Saint-jours, Le statut juridique des artistes du spectacle et des mannequins, D. 1970, chron. 17 ; E. Wagner, La rémunération de la collaboration professionnelle du conjoint, D. 1985, chron. 1 347 C. trav., art. L.7412-1 348 C. trav., art. L. 7313-1 349 C. trav., art. L. 7112-1 350 C. trav., art. L. 7121-3 351 C. trav., art. L. 7123-3 352 C. trav., ancien art. L. 773-1 (non repris dans la nouvelle codification) 353 C. trav., art. L. 7321-1 354 C. trav., ancien art. L. 742-1 et s. (non repris dans la nouvelle codification) 355 C. trav., ancien art. L. 743-1 et L. 743-2 (non repris dans la nouvelle codification) 356 C. trav., art. L.7322-2 128 Ͳ 360. >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ C’est dans cet esprit de protection que les articles L. 311-2 et L. 311-3 du code de la sécurité sociale rattachent ces travailleurs au régime général de sécurité sociale « quels que soient le montant et la nature de leur rémunération, la forme, la nature ou la validité de leur contrat ». Sans cette intervention du législateur, ces catégories de travailleurs devraient être assujetties au régime des indépendants et bénéficieraient donc de prestations moins avantageuses que celles du régime général. 2 – Les conditions d’application 361. Le bénéfice des extensions ou des présomptions demeure subordonné à la preuve de l’exécution d’un travail dans les conditions posées par les textes propres à chaque catégorie socioprofessionnelle. C’est une règle que la Cour de cassation se borne à rappeler quelle que soit la profession concernée. À titre d’illustration il est possible de citer le cas d’un travailleur à domicile357, d’un représentant de commerce358, d’un journaliste professionnel, d’un artiste359 ou d’un gérant de succursale360. Dans le cas particulier des présomptions de salariat, il faut encore souligner que la loi établit une présomption simple, ce qui laisse au défendeur (le donneur d’ordre) la possibilité de rapporter la preuve qu’il ne s’agit pas d’un contrat de travail, notamment en démontrant l’absence de lien de subordination361. B - L’extension du domaine du salariat dans les professions libérales 362. Les personnes relevant d’une profession pouvant être exercée à titre libéral optent généralement pour le salariat en raison des avantages de ce statut : un temps de travail souvent moins important qu’en exercice libéral, une rémunération fixe et prévisible, l’absence de 357 Cass. soc. 14 octobre 1970 ; Cass.soc., 23 novembre 1978 ; Cass.soc., 22 janvier 1981 Cass. soc. 4 janvier 1979 ; Cass. soc. 2 mars 1989 ; Cass. soc. 22 octobre 1996 ; Cass. soc. 17 décembre 2002, RJS 3/2003, n°398 ; Cass.soc., 14 mai 2003, RJS 11/2003, n°1326 359 Cass.soc.5 mai 1994, RJS 6/1994, n°774; Cass.soc.10 février 1998, RJS 3/1998, n°381; Cass.soc., 19 mai 1998, RJS 8-9/1998, n°1084; Cass.soc., 8 juill. 1999, RJS 10/1999, n°1310, pour un éclairagiste; Cass.soc., 11 octobre 2000, RJS 12/2000, n° 1302 ; Cass.soc., 6 mars 2003, RJS 5/2003, n° 678, concernant un boxeur professionnel ; Cass.civ.2°, 25 mai 2004, RJS 8-9/2004, n° 955 360 Cass. soc. 4 décembre 2001, [2 arrêts], rendus à propos de franchisés, dr. soc. 2002, p. 162 et 163, note A. Jeammaud ; Cass.soc., 8 févr. 2005, RJS 4/2005, n° 453 ; V. aussi : L. Neuer, SFR en procès avec ses franchisés, LePoint.fr, 20 novembre 2008 361 V. en ce sens, en ce qui concerne la qualification de journaliste professionnel, Cass. soc. 30 juin 1988 ; Cass.soc., 9 février 1989 ; V. pour ce qui est de la qualification de mannequin, Cass. soc. 16 janvier 1997, RJS 3/1997, n° 326 ; 10 février 1998, RJS 3/1998, n° 381 358 129 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ charges professionnelles, l’affiliation à tout ou partie du régime général de la Sécurité sociale, le bénéfice de dispositions conventionnelles, la capitalisation de congés payés, la participation à un plan d'épargne salariale, l’assurance d’être protégé financièrement en cas de perte d’emploi… Sans bien sûr évoquer les méandres de la gestion administrative du cabinet, du personnel et les aléas économiques. Cela permet globalement de bénéficier de plus de temps libre et d’une qualité de vie qu’une majorité dirait meilleure. 363. Au sein des professions libérales, il faut toutefois distinguer celles qui ne sont pas réglementées de celles qui le sont. Par définition, le choix du salariat dans les professions libérales non réglementées ne pose aucune difficulté. C’est parmi les professions libérales réglementées que ce choix peut générer des incertitudes362. Ces dernières sont caractérisées par l’éthique, l’indépendance et le désintéressement363, raisons pour lesquelles elles n’autorisent pas nécessairement le salariat. Or, le lien de subordination peut constituer une entrave à l’indépendance requise. 364. Ces professions libérales réglementées sont soumises à un statut législatif ou réglementaire. Le titre professionnel est ainsi protégé soit par le décret d’application de la loi du 29 novembre 1966 sur les sociétés civiles professionnelles, soit par la loi du 31 décembre 1990 sur les sociétés d’exercice libéral364. L’exercice libéral peut également faire l’objet d’une protection de chacune des deux lois365. Trois catégories de profession peuvent être distinguées : les professions du droit, celles de la santé et les professions dites techniques. Tous les exemples ne seront pas examinés, seulement les plus topiques qui sont ceux généralement retenus par la doctrine366. Pour servir les besoins de l’illustration (1) quatre 362 Pour une liste complète : V. http://www.pme.gouv.fr/essentiel/environnement/proflibreg.htm V. Renaux-Personnic, L’avocat salarié : entre indépendance et subordination, Éd. PUAM 1998, p.40 364 V. Lamy Assurances 2008, Modalités d'exercice de la profession d'expert, n°4617 365 V. E. Terrier, La profession libérale, JurisClasseur Entreprise individuelle Traité, Fasc. 920 ; A. Toulemon; L'organisation d'une profession libérale : Gaz. Pal. 1968, 2e sem., doctr. p. 96 ; V. aussi : G. Lyon-Caen, L'exercice en société des professions libérales en droit français : Dalloz, 1975 ; J. Savatier, Étude juridique de la profession libérale : LGDJ, 1947; Qu'est-ce qu'une profession libérale : Rev. Proj., 1966, p. 451 ; Contribution à une étude de la profession, 10 ans de conférences d'agrégation, Études de droit commercial offertes à J. Hamel, Dalloz 1961, p. 2 366 M.-F. Miallon, Le salariat dans les professions libérales, Droit social 1978 Lib. Soc. Économ., p. 288 ; B. Boccara, Le besoin et la nécessité de l’indépendance du barreau, Semaine juridique JCP G, 1990 n°3464 ; A. Coeuret, Le salariat dans l’entreprise libérale, dr. soc., 1992 p. 902 ; R. Martin, 363 130 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ exemples seront évoqués : celui de l’avocat salarié et du notaire, celui du géomètre expert, des experts comptables et enfin des médecins. Ces exemples ont participé à faire évoluer la notion de lien de subordination qui a du appréhender l’antilogie du statut des libéraux salariés (2). 1 - Illustrations 365. Tout d’abord, s’agissant de la profession d’avocat. Suite aux fusions de la loi n° 71- 1130 du 31 décembre 1971, en dépit de toute autorisation du salariat dans la profession, le risque des requalifications en contrat de travail est devenu réel. Après l’affaire « MandesiBel »l367 le législateur est intervenu pour empêcher ces requalifications. La loi de 1977 qui ignorait encore le salariat de fait laisse désormais place à la loi n° 90-1259 du 31 décembre 1990 et son décret d’application - décret n°91-1197 du 27 novembre 1991 - qui introduisent un salariat de droit dans la profession d’avocat. Ce n’est pourtant pas sans soulever de problèmes puisque l’avocat salarié étant titulaire d’un contrat de travail, cela induit qu’il se trouve dans un lien de subordination avec son employeur. Alors comment l’avocat, qui prête serment d’exercer sa profession avec indépendance368, peut-il se lier à un employeur qui pourrait lui donner des ordres, contrôler son travail et le sanctionner ? Le lien de subordination n’est-il pas le critère essentiel de la distinction entre le salarié et l’indépendant369 ? L’avocat salarié est supposé être avocat, donc indépendant mais dans le même temps salarié donc subordonné. La profession d’avocat a donc évolué significativement. L’apparition d’avocats salariés370 illustre typiquement le développement du salariat dans les professions libérales mais aussi l’évolution du salariat dans son ensemble. Déontologie et profession libérale, Annales des loyers 2000, n°1 p.24 ; V. Renaux-Personnic, Op.cit., n°180 367 Cass, civ 1°, 26 Janvier 1982, n° 78-40.211 et 78-11.212 ; Rec. Dalloz 1982, p.528, note P. Gode ; Gaz. Pal.1982 p. 154 368 « Je jure, comme Avocat, d'exercer mes fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité ». 369 J.-P., Chauchard, Subordination et indépendance : un sisyphe juridique ? Travail et protection sociale 2001, n° 10, p.4 ; S. Brissy, L'application du droit du travail aux travailleurs indépendants : un régime juridique cohérent ? La Semaine Juridique Social n° 5, 31 Janvier 2006, 1093 370 Pour une analyse du système français de conciliation entre l’indépendance et la subordination de l’avocat salarié, V. N. Pépin, L’avocat salarié, Mémoire de DEA, Centre de Droit Social, Aix, 2008 ; V. aussi : V. Renaux-Personnic, L’avocat salarié : entre indépendance et subordination, Thèse, Éd PUAM 1998 ; B. Guizard, L'avocat salarié, Thèse, Université Montpellier I, 1997 131 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ « La subordination stricte du XIX° siècle cohabite désormais avec la subordination relative des libéraux salariés »371. 366. Concernant les notaires, l'ordonnance du 2 novembre 1945372 prévoit qu’ils peuvent exercer leur activité comme salarié d'une personne morale ou physique titulaire d'un office notarial373. Le décret n° 93-82 du 15 janvier 1993374 rappelle que le notaire doit cependant exercer dans des conditions garantissant son indépendance et le respect de la déontologie : «Les notaires salariés sont soumis aux dispositions législatives et réglementaires relatives à l'exercice des fonctions de notaire par des personnes physiques, à la déontologie et à la discipline notariale ainsi qu'aux dispositions du présent décret ». 367. En ce qui concerne les géomètres experts, ils sont soumis à la loi n°46-942 du 7 mai 1946 instituant l'Ordre des géomètres experts375. À ce titre la qualité de membre de l'Ordre est incompatible avec une charge d'officier public ou ministériel ou avec « toute occupation ou tout acte de nature à porter atteinte à son indépendance »376. La qualité de membre de l'Ordre est ainsi incompatible avec un mandat commercial, ou un emploi rémunéré, même chez un autre géomètre-expert. Les seules exceptions admises sont les cas de « missions temporaires de l'État ou d'une collectivité publique ». Il existe donc un cas de salariat externe nécessairement temporaire377 et un cas de salariat interne si l'employeur est une personne morale exerçant la profession. Hors de ces deux cas le géomètre-expert n'est pas autorisé à exercer sa profession dans un rapport de subordination. S'il conclut un contrat de travail celuici produira ses effets mais le géomètre encourt des sanctions disciplinaires pouvant aller jusqu'a la radiation. 371 J.-E. Ray, de germinal à internet, une nécessaire évolution du critère du contrat de travail, dr. soc. 1995 n° 7-8, p.1 ; V. aussi : P.-H. Antonmattéi, Les 35 heures dans les cabinets d'avocats, Act., JCP E n°43, p.1697-1699, 28/10/1999 372 Prise en application de la loi du 31 décembre 1990 373 D. Gilles, Notaire salarié, un professionnel libéral ? : JCP N, I, 1993, p. 213 ; V. aussi : J.-F. Pillebout, JCP N, formulaire, Fasc. 110 : Notariat 374 Décret portant application de l'article 1er ter de l'ordonnance n° 45-2590 du 2 novembre 1945 et relatif aux notaires salariés 375 V. version consolidée au 09 juin 2005 376 Article 8 de la loi précitée 377 Contrat de travail temporaire, CDI de chantier, Contrat de mission à l'exportation 132 Ͳ 368. >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ Le cas des experts-comptables est pour sa part soumis à l’ordonnance n° 45-2138 du 19 septembre 1945. À ce titre ils ne peuvent pas exercer leur profession selon des modalités portant atteinte à leur indépendance. Leur statut d’expert comptable est donc incompatible, en outre, avec tout emploi salarié excepté auprès d’un expert-comptable ou d’une société d’expertise comptable378. Ils peuvent donc être subordonnés à l’autorité d’un membre de leur profession, personne physique et personne morale, sur le modèle du salariat interne de l’avocat salarié. 369. Enfin les médecins sont soumis au code de déontologie médicale institué par le décret n° 95-1000 du 6 septembre 1995379. Les rapports de subordination sont réglementés par l’article n° 87 : « Il est interdit à un médecin d'employer pour son compte, dans l'exercice de sa profession, un autre médecin ou un étudiant en médecine ». La subordination entre médecins est donc proscrite sauf en cas de stages de formation universitaire. La pratique de ces stages dans un contexte de crise d’effectifs dans le milieu hospitalier aboutit souvent à un exercice plus proche du contrat de travail que de la formation380. 370. Le risque particulier qui en découle est lié au fait que les stagiaires ne sont pas encore médecins. Il existe ainsi une nomenclature d’actes importants qui leur sont en principe strictement interdits (un acte interruptif de grossesse par exemple) ; l’exercice illégal de la médecine est un risque réel pouvant compromettre l’accès ultérieur à la profession. Le médecin peut exercer dans des structures médicales comme les hôpitaux, les cliniques, les mutuelles ou les centres médicaux381. Il faut aussi mentionner le cas du médecin du travail qui 378 Articles 7 et 8 de l’Ordonnance n° 45-2138 du 19 septembre 1945 ; V. V Renaux-Personnic, Op.cit., n° 181 379 L’exercice salarié de la médecine est encadré par les articles n°95 à n°99 380 C. Roy-Loustaunau, Stage ou contrat de travail ? La Semaine Juridique Édition Générale n° 9, 28 févr. 2001, II 10482 ; A. Lyon-Caen, Stage et travail : dr. soc. 1982, p. 64 ; P. Étiennot, Stage et essai en droit du travail : RJS 1999, 8-9, p. 623 ; J. Y. Frouin, Les éléments de précarité dans le contrat à durée indéterminée, rev. dr. ouvr. 1997, p. 125 ; J.-M. Luttringer, L'entreprise formatrice sous le regard du juge, dr. soc.1994, p. 283 381 V. Oosterlynck, Nicolas. L'ambigüité du statut du médecin du travail : entre indépendance et subordination. [s.l.], 1995. ; R. et J. Savatier, J.-M. Aubry et R. Péquinot, Traité de droit médical, Libr. Techniques, 1956, p.382 ; J. Savatier, L'application du droit du travail dans les établissements hospitaliers privés, Rev. Dr. Sanit. Soc. 1990, p. 476 à 478 ; V. aussi J.-P. Viennois, Le médecin collaborateur libéral, La Semaine Juridique Édition Générale n° 52, 28 Décembre 2005, I 198 133 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ peut être titulaire d’un contrat de travail avec une entreprise382. Seul le salariat externe du médecin est donc autorisé. 2 – L’antilogie du statut des libéraux salariés 371. L’introduction de la notion de lien de subordination au sein des professions réglementées relève donc de l’antilogie puisqu’elles sont marquées par l’indépendance. La réduction du domaine de la subordination de l’avocat salarié contribue à l'évolution générale du salariat. Il s’agit plus que jamais d’un concept à géométrie variable. La subordination de l'avocat salarié est aussi relative que celle du médecin, du notaire ou de l'huissier. L'avocat salarié qui contribue à un service organisé conserve l'indépendance inhérente à son serment et nécessaire à l'exécution de ses obligations professionnelles en matière d'aide juridictionnelle et de commission d'office. Le droit français poursuit cependant la quête d’un meilleur système de conciliation entre indépendance et subordination. Actuellement la solution du droit français réside dans l’octroi de libertés au libéral salarié. 372. Pour reprendre le cas de l’avocat salarié, ce dernier est certes soumis à un lien de subordination mais il est réduit à la seule détermination des conditions de travail. L'article 137 du décret prévoit que : « l'avocat salarié est lié par un contrat de travail écrit qui ne peut porter atteinte au principe déontologique d'égalité entre avocats, nonobstant les obligations liées au respect des clauses relatives aux conditions de travail ». Les textes témoignent d'une volonté embarrassée de concilier la déontologie propre à l'avocat et les conditions de travail du salarié. L'avocat salarié est donc l'égal de son confrère employeur en liberté et indépendance mais demeure subordonné dans ses conditions de travail383. 373. L’indépendance technique réduit donc le champ du lien de subordination. Il en découle un éclatement du lien de subordination. C’est l’idée déjà évoquée qu’il existe plusieurs liens de subordination, qui varient selon la nature de la profession ou selon la technicité des tâches à accomplir. Cette incapacité de la notion de subordination à atteindre l’universalité lui fait perdre sa légitimité au rang de critère du contrat de travail. Pourtant aucun autre critère n’est à ce jour parvenu à dépasser le lien de subordination. 382 383 Loi du 12 décembre 1973 sur la sécurité au travail R. Martin, Déontologie de l'avocat : Litec, 8e éd., 2004, p. 105 134 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ Paragraphe 2 - L’exclusion du statut salarié 374. Le code du travail prévoit des présomptions de non-salariat. L’objet de ces dispositions est de sécuriser le recours à un travailleur indépendant en maîtrisant le risque de requalification en contrat de travail. Mais les hésitations de la loi (A) ont plusieurs fois remis en cause ce système car les conséquences des présomptions de salariat (B) sont déterminantes dans la qualification du contrat de travail puisqu’elles présupposent l’existence d’un lien de subordination. A – Les hésitations de la loi 375. À l’origine, la loi n° 94-126 du 11 février 1994, dite loi Madelin, prévoyait que les personnes physiques immatriculées au registre du commerce, au répertoire des métiers, au registre des agents commerciaux ou auprès de l’URSSAF pour le recouvrement des cotisations d’allocations familiales étaient présumées ne pas être liées par un contrat de travail dans l’exécution de leur activité professionnelle ayant donné lieu à cette immatriculation384. 376. Cette loi a été accusée de servir les intérêts des donneurs d’ouvrage en constituant « un moyen de se soustraire à bon compte des contraintes de la législation sociale inhérentes à l’emploi de salariés, notamment en ce qui concerne la durée du travail, les conditions de rémunération, l’hygiène et la sécurité, le paiement des cotisations sociales, ainsi qu’au domaine du contrôle de l’inspection du travail »385. La loi du 19 janvier 2000 dite loi Aubry II a donc abrogé cette disposition. 384 V. sur cette réforme, A. Arséguel et Ph. Isoux, loi « Initiative et entreprise individuelle », aspects sociaux, Bull. Joly 1994, n° 5, p. 469 ; Th. Aubert-Monpeyssen, La définition du salariat par la loi Madelin, Petites affiches 22 sept. 1995, no 114, p. 14 ; J. Barthélémy, Contrats de travail et d’entreprise : nouvelles frontières, Réflexions sur la loi Madelin, JCP E, 1994. I. 361 ; F. Doroy, La vérité sur le faux travail indépendant, dr. soc. 1995, p. 638 ; J. Djoudi, Sur la loi Madelin, dr. soc. 1995, p. 631 ; M. Laroque, Présentation introductive de la loi du 11 février 1994, relative à l’initiative et à l’entreprise individuelle, dr. soc. 1995, p. 631 ; G. Lyon-Caen, « Où mènent les mauvais chemins» (à propos de la loi Madelin) dr. soc. 1995, p. 647 ; B. Teyssié, Sur un fragment de la loi n° 94-126 du 11 février 1994, commentaire de l’article L. 120-3 du code du travail, dr. soc. 1994. p. 667 385 V. Association Villermé, La loi Madelin et le contrat de travail, dr. soc. 1994, p. 673 ; Syndicalisme hebdo CFDT 3 et 10 janv. 1994 135 Ͳ 377. >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ Mais la loi du 1er août 2003 est venue rétablir la présomption de non-salariat à l’ancien article L.120-3 du code du travail386. Désormais codifiée à l’article L. 8221-6, la loi prévoit que « Sont présumés ne pas être liés avec le donneur d'ordre par un contrat de travail dans l'exécution de l'activité donnant lieu à immatriculation ou inscription : les personnes physiques immatriculées au registre du commerce et des sociétés, au répertoire des métiers, au registre des agents commerciaux ou auprès des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales pour le recouvrement des cotisations d'allocations familiales ; les personnes physiques inscrites au registre des entreprises de transport routier de personnes, qui exercent une activité de transport scolaire prévu par l'article L. 213-11 du code de l'éducation ou de transport à la demande conformément à l'article 29 de la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 d'orientation des transports intérieurs ; les dirigeants des personnes morales immatriculées au registre du commerce et des sociétés et leurs salariés ; les personnes physiques relevant de l'article L. 123-1-1 du code de commerce ou du V de l'article 19 de la loi n° 96-603 du 5 juillet 1996 relative au développement et à la promotion du commerce et de l'artisanat ». B – Les conséquences de la présomption de salariat 378. Au plan juridique, la présomption de non-salariat que contient le nouvel article L. 8221-6 du code du travail est critiquable car elle fait prévaloir la volonté du travailleur de choisir ou d’accepter le statut de travailleur indépendant sur les conditions de fait dans lesquelles il exécute effectivement sa prestation de travail pour le compte du donneur d’ouvrage387. Ce texte laisse entendre qu’il serait possible à un travailleur de renoncer au statut de salarié, et donc aux droits attachés à cette qualité, en se contentant de se déclarer comme travailleur indépendant sur un registre ou un répertoire professionnel388. 386 V. L. Milet, Sortie par la porte... Rentrée par la fenêtre ! [à propos de la présomption de nonsalariat], RPDS 2003, n° 696, p. 91 ; M. Véricel, Le rétablissement de la présomption de non-salariat, dr. soc. 2004, p. 297 387 V. M. Vericel, Le rétablissement de la présomption de non-salariat, préc., spéc. p. 298 388 Registre du commerce pour les professions commerciales, répertoire des métiers pour les professions artisanales, registre des agents commerciaux, inscription auprès de l’URSSAF pour les professions libérales 136 Ͳ 379. >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ Or, la jurisprudence rappelle constamment qu’il n’est point permis de renoncer, à l’avance, au bénéfice d’un droit389. Qui plus est, les termes de ce texte tendent à contredire sur un autre point la jurisprudence, lorsqu’elle affirme, également pour principe, que « l’existence d’une relation de travail salariée ne dépend, ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination donnée par celles-ci à leur convention, mais des conditions [de fait] dans lesquelles s’exerce l’activité du travailleur »390, ce qui relègue incontestablement l’expression de la volonté des parties à un simple indice de non-salariat et exclut donc qu’elle puisse être considérée comme un critère décisif de la qualification du contrat que celles-ci ont conclu entre elles391. 380. Cela étant précisé, la question se posera, en pratique, et très certainement devant les tribunaux, de déterminer la portée juridique concrète de cette présomption de non-salariat. À cet égard, il convient de souligner qu’aux termes du nouvel article L. 8221-6 du code du travail, cette présomption n’est pas irréfragable, mais simple. Le texte précise dans son alinéa 2, que la présomption peut être renversée lorsque «l’existence d’un contrat de travail est établie [par la preuve que] les personnes [concernées] fournissent, directement ou par personne interposée, des prestations à un donneur d’ouvrage dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l’égard de celui-ci ». Avant la loi de 2003, l'existence d'un contrat de travail pouvait déjà être établie lorsque les travailleurs fournissaient une prestation dans des conditions qui les plaçaient dans « un lien de subordination juridique permanente »392 à l'égard du donneur d’ordre. 389 V. notamment en ce sens, Cass. soc. 28 juin 2000, n° 98-43.780, concernant le droit du salarié au bénéfice de commissions prévues par son contrat de travail ; 4 juillet 2001, n° 99-43.520, à propos du droit de l’employeur à l’application d’une clause contractuelle de dédit-formation ; 19 juin 2002, n° 99-45.837, concernant le droit du salarié au bénéfice d’une majoration de jours de congés payés pour fractionnement ; 23 octobre 2002, n° 00-45.451, pour le droit du salarié au bénéfice de son préavis de licenciement 390 V. en ce sens, Cass. ass. plén. 4 mars 1983, Bull. civ., n° 3 ; Cass. soc. 17 avril 1991, RJS 5/1991, n° 640 ; 23 janvier 1997, RJS 3/1997, n° 245 ; 19 déc. 2000, RJS 3/2001, n° 275 ; 16 janvier 2002, RJS 3/2002, n° 253 ; Cass. soc. 10 décembre 1998, RJS 3/1999, n° 457 ; 16 janv. 2002, RJS 3/2002, n° 253 391 V. Cass. com. 10 décembre 2003, RJS 6/2004, n° 771, affirmant à propos d’un prétendu agent commercial que « l’application du statut d’agent commercial - tel qu’il est défini par l’article L. 134-1 du code de commerce - ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties dans le contrat [qu’elles ont conclu entre elles], ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention, mais des conditions dans lesquelles l’activité [du travailleur en cause] est effectivement exercée » 392 L. 8221-6 alinéa 2 du Code du travail ; V. Cass. soc. 4 oct. 2001, RJS 12/2001, n° 1454 ; Cass. soc. 10 décembre 2002, RJS 2/2003, n° 144 ; Cass. soc. 8 juill. 2003, RJS 10/2003, n° 1111 137 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ SECTION II – LA PROPAGATION DU DROIT DU TRAVAIL HORS SUBORDINATION 381. Il a déjà été évoqué que si le droit du travail a une vocation naturelle à s'appliquer aux travailleurs subordonnés, le champ d'application du Code du travail ne peut être réduit à ce postulat qui n’est pas rigoureusement exact. En effet, de nombreuses dispositions concernent les services publics (paragraphe 1), les travailleurs indépendants (paragraphe 2), voire même les demandeurs d'emploi. Les frontières du droit du travail sont donc poreuses et ne peuvent pas être cantonnées aux relations subordonnées. Il est possible aujourd’hui d’observer un phénomène de décloisonnement des règles applicables aux travailleurs, qu’ils soient subordonnés ou indépendants, du secteur privé ou du secteur public. C’est dans cette hypothèse que l’on peut observer une relativisation de l’intérêt du lien de subordination par la propagation du droit du travail au-delà du salariat classique. C’est aussi ce qui pourrait fonder la mise en place d’un tronc commun qui serait indifférent à la notion de subordination juridique. Paragraphe 1- Secteur public et droit du travail 382. Certains travailleurs exerçant dans le secteur public bénéficient du statut salarié et relèvent donc du champ d’application du droit du travail. Il s’agit des agents publics contractuels et des personnes employées par une personne morale de droit privé investie d’une mission de service public. Mais plus globalement il est possible de constater une application croissante du droit du travail dans le secteur public (A). 383. Dans certaines hypothèses le droit du travail a pu recevoir une application au-delà de sa vocation naturelle. Dans ce cas c’est la summa divisio du travail hiérarchisé qui est fragilisée avec en perspective un rapprochement entre les travailleurs du secteur privé et ceux du secteur public. Ce rapprochement se traduit d’ailleurs par le mouvement réciproque du pas pris par le statut sur celui du contrat dans le secteur privé et celui de la contractualisation croissante de la fonction publique (B). Ce phénomène constitue d’ailleurs la trame de fond du discours de N. Sarkozy à l’Institut Régional d'Administration à Nantes, le 19 septembre 2007. Ce discours étant consacré à l'avenir de la fonction publique, il n’en est que plus significatif. 138 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ A – L’application croissante du droit du travail dans le secteur public 384. Les fonctionnaires et les agents publics sont par principe soumis aux règles du droit public, et plus particulièrement du statut auquel ils sont soumis. Pourtant le droit du travail peut également recevoir application. Cette extension du champ du droit du travail se fonde tout d'abord sur le rôle des textes légaux (1) mais il faut aussi envisager celui des principes généraux du droit (2) ainsi que celui de la jurisprudence (3). Il en ressort un alignement du droit de la fonction publique sur le droit du travail. 1 – Le rôle des textes 385. La loi n° 82-915 du 28 octobre 1982 relative au développement des institutions représentatives du personnel a étendu la mise en place de comités d'entreprise et de délégués du personnel au bénéfice du personnel statutaire de droit privé393. Il s’agit donc d’une première extension du champ du droit du travail au-delà du lien de subordination juridique394. 386. La loi n° 82-597 du 13 novembre 1982 relative à la négociation collective et au règlement des conflits collectifs du travail dispose que « des conventions et accords d'entreprise peuvent compléter les dispositions statutaires ou en déterminer les modalités d'application dans les limites fixées par le statut »395. Selon l’article L2233-1 du Code du travail, cette disposition concerne les entreprises publiques, les établissements publics à 393 « La catégorie juridique des personnels statutaires de droit privé est originale. D'une part en effet, il s'agit bien de salariés, comme l'ont reconnu quasi simultanément en 1950 le Conseil d'État et la Cour de cassation, l'existence d'un statut n'excluant pas celle de contrats individuels conclus dans son cadre, et relevant donc pour les conflits du travail, du juge judiciaire. Mais d'autre part, il s'agit de salariés sui generis, qui ne sont pas placés sous le régime des conventions et accords collectifs, mais régis, avec l'autorisation du législateur, par un statut, acte administratif réglementaire, le plus souvent « négocié », pris soit sous forme de décret, soit sous la forme d'un acte innommé pris par l'entreprise elle-même […] À ce statut s'ajoutent en outre les excroissances de la réglementation interne, c'est-à-dire toute une série d'actes unilatéraux complétant et développant le statut, et qui peuvent également avoir la nature d'actes administratifs. » V. C. Albert-Garbar, Les EPIC face à leurs personnels. De la différenciation à l'indifférenciation, La Semaine Juridique Administrations et Collectivités territoriales n° 31, 27 Juillet 2009, 2199 394 V. J. Chorin, L'adaptation de la législation de la représentation du personnel dans les entreprises à statut, dr. soc. 1990, p. 886. 395 Article L.2233-2 du Code du travail 139 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ caractère industriel ou commercial ainsi que les établissements publics assurant à la fois une mission de service public à caractère administratif et à caractère industriel et commercial. Des conventions et accords collectifs relevant du code du travail peuvent donc bénéficier à des travailleurs qui ne sont pas dans un lien de subordination juridique et qui relèvent par ailleurs de dispositions statutaires. 387. La loi n° 2003-775 du 21 août 2003 portant réforme des retraites a partiellement aligné le régime des retraites de la fonction publique sur celui du secteur privé. Cette harmonisation a d’ailleurs été complétée par plusieurs décrets de 2008396 qui ont étendu cet alignement aux régimes spéciaux des entreprises publiques à statut. Il est donc possible d’y voir les prémices d’un alignement total du régime des retraites de la fonction publique sur celui du droit privé. En tout état de cause il s’agit d’un rapprochement incontestable des régimes applicables aux travailleurs subordonnés et aux travailleurs statutaires qui vient relativiser l’importance du lien de subordination puisque ce mouvement rend plausible le développement d’un véritable tronc commun de l’activité professionnelle. Il s’agirait donc de l’abandon de la différenciation des travailleurs subordonnés et statutaires – du privé et du public - au profit de leur indifférenciation397. 388. Par ailleurs, les anciens articles L.970-1 à L.970-6 du Code du travail prévoyaient un dispositif de formation professionnelle des agents publics tout au long de la vie. Malheureusement la recodification à droit constant n’a pas repris ces dispositions dans la nouvelle codification. Elles demeurent toutefois en vigueur car elles ont été intégrées dans la loi de modernisation de la fonction publique qui consacre le droit à la formation professionnelle des agents publics tout au long de la vie. Bien qu’extérieure au Code du travail, cette loi mérite toutefois d’être mentionnée car « le volet formation qu'elle contient s'inspire en réalité du dispositif inventé de prime abord pour la fonction publique territoriale et plongeant ses racines du côté du droit privé »398. 396 V. notamment D. n° 2008-47, 15 janv. 2008 relatif à la SNCF, JO du 16 janv. 2008 ; D. n° 2008-48, 15 janv. 2008 relatif à la RATP, JO du 16 janv. 2008 ; D. n° 2008-69, 22 janv. 2008 relatif au personnel des industries électriques et gazières, JO du 23 Janv. 2008. 397 Sur ces notions V. C. Albert-Garbar, Les EPIC face à leurs personnels. De la différenciation à l'indifférenciation, La Semaine Juridique Administrations et Collectivités territoriales n° 31, 27 Juillet 2009, 2199 398 D. Jean-Pierre, La loi de modernisation de la fonction publique, La Semaine Juridique Administrations et Collectivités territoriales n° 6, 5 Février 2007, act. 107 140 Ͳ 389. >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ À ce titre il convient également de mentionner la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 applicable aux trois fonctions publiques car elle est la première loi à avoir consacré un droit individuel à la formation au bénéfice des agents, et qui complète les actions de formation prévues par les statuts particuliers : « le droit à la formation professionnelle tout au long de la vie est reconnu aux fonctionnaires »399. Là encore, l'alignement du droit de la fonction publique sur le droit du travail est évident. 390. De plus, l’article L.3221-1 du Code du travail relatif à l’égalité de rémunération entre les femmes et les hommes prévoit expressément que les dispositions des articles L. 3221-2 à L. 3221-7 du Code du travail sont applicables aux agents de droit public : « Les dispositions des articles L. 3221-2 à L. 3221-7 sont applicables, outre aux employeurs et salariés mentionnés à l'article L. 3211-1, à ceux non régis par le code du travail et, notamment, aux agents de droit public »400. 391. C’est aussi le cas de l’article L.3252-1 du Code du travail relatif aux saisies et cessions des rémunérations qui bénéficie aux agents publics puisqu’il vise « les sommes dues à titre de rémunération à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs, quels que soient le montant et la nature de sa rémunération, la forme et la nature de son contrat ». L’article L.2512-1, lui aussi, vise directement l’exercice du droit de grève par les personnels de l'État, des régions, des départements et des communes comptant plus de dix mille habitants, des personnels des entreprises, organismes et établissements publics ou privés lorsqu’ils sont chargés de la gestion d'un service public. 392. L’article L.5212-1 prévoit encore que l’obligation d'emploi des travailleurs handicapés, mutilés de guerre et assimilés s'applique à tout employeur, occupant vingt salariés et plus, y compris les établissements publics industriels et commerciaux. L’article L.8211-1 est aussi susceptible de s’appliquer à tout fonctionnaire puisqu’il vise les cumuls irréguliers d'emplois. L’article L.1234-14 prévoit des dispositions particulières au secteur public concernant les préavis et indemnités de licenciement. Les dispositions des articles L. 1234-1, 399 Article 22 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires Art. préc. ; V. P.-H. Antonmattéi, Note sous Loi numéro 2007-1224 du 21 août 2007 sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs, JO n° 193 du 22 août 2007, p. 13956, Revue Lamy Droit des affaires n°20, p. 57- 59 400 141 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ L. 1234-8, L. 1234-9 et L. 1234-11 sont ainsi applicables aux agents et salariés, autres que les fonctionnaires et les militaires et aux salariés soumis au même statut légal que celui d'entreprises publiques. 393. Enfin les dispositions de l’article L. 4111-1 du Code du travail relatives à l'hygiène, à la sécurité et aux conditions de travail disposent que l'ensemble de ses dispositions s'appliquent « aux établissements publics à caractère industriel et commercial, aux établissements publics administratifs lorsqu'ils emploient du personnel dans les conditions du droit privé [et] aux établissements de santé […]. Ainsi le droit commun n'a pas vocation à s'appliquer aux seuls travailleurs subordonnés, mais, de façon extensive, peut également concerner les agents d'employeurs publics »401. 2 - Le rôle des principes généraux du droit 394. Les principes généraux du droit sont découverts et non créés par le juge administratif. Ils sont fondées sur l'équité, l'éthique402 voire sur la bonne administration de la justice. Les principes généraux du droit s'appliquent même en l'absence de texte et ont, selon la formule de R. Chapus, une valeur infra-législative et supra-décrétale. Le juge administratif tire ainsi du Code du travail l'inspiration nécessaire à la découverte de ces principes ce qui contribue au rayonnement grandissant du droit du travail des salariés subordonnés jusqu’aux travailleurs du secteur public soumis à un statut réglementaire. 395. Il en est ainsi de l’influence de l’interdiction de licencier une salariée en état de grossesse403, de l’interdiction pour l’employeur d’infliger des sanctions pécuniaires à ses employés404, de l’interdiction de résilier un contrat de travail en raison de la situation familiale du salarié405, ou de l’obligation de fournir à tout agent public une rémunération au moins égale au SMIC406. Il faut également souligner l’influence de l’exigence d’un accord des deux 401 D. Jean-Pierre, La privatisation du droit de la fonction publique, La Semaine Juridique Administrations et Collectivités territoriales n° 29, 15 Juillet 2003, 1672 p. 973 402 CE, 10 mars 2006, Caccavelli ; JCP S 2006, 1365, note D. Asquinazi-Bailleux. 403 CE, Ass, 8 juin 1973, Dame Peynet, Leb. p. 406 concl. Suzanne Grevisse 404 CE, Ass., 1er juillet 1988, Billard et Volle, Leb. p. 268 405 CE, 27 mars 2000, Mme Brodbeck 406 CE, Sect., 23 avril 1982, Ville de Toulouse c. Mme Aragnou, rec. Leb. p. 152 142 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ parties pour toute modification d’un élément essentiel du contrat de travail407. Selon un autre principe général du droit, un préavis de licenciement ne peut être tenu pour accompli lorsqu'il débute lors d’une période de congé maladie408 et le certificat de travail délivré par l'employeur public doit être conforme aux prescriptions du Code du travail409. 396. Avant son intégration dans le décret du 16 juin 2000410, la jurisprudence administrative avait déjà introduit le droit de retrait dans la fonction publique territoriale en l’élevant au rang de principe général et en reconnaissant explicitement s'inspirer du Code du travail 411 . Le Conseil d'État s’est encore inspiré du Code du travail en jugeant qu’un employeur public est soumis à l'obligation de chercher à reclasser un agent non titulaire déclaré inapte et, lorsque c'est impossible, de le licencier pour inaptitude412. 397. Le Conseil d'État recourt donc aux principes généraux du droit du travail et contribue ainsi à renforcer l'alignement du droit de la fonction publique sur le droit du travail. « Le phénomène d'hybridation entre droit privé et droit public est univoque : les règles de droit du travail pénètrent massivement le régime juridique applicable à l'emploi public local et cette tendance constitue un élément essentiel de l'évolution du droit des collectivités territoriales. Le champ du droit du travail est donc extensif et cette branche du droit a vocation à s'appliquer au-delà de la seule situation du travailleur salarié »413. 3 – Le rôle casuistique de la jurisprudence 398. Enfin il mérite d’être souligné que la jurisprudence administrative applique parfois certaines règles du droit du travail, qui ne sont pas des principes généraux, à des travailleurs 407 CE, Ass., 29 juin 2001, Berton CE, 12 juin 1987, Séguin : Rec. CE 1987, p. 789 409 TA Rennes, 23 juill. 1997, G. : AJFP mars 1998, p. 49 410 D. n° 2000-542, 16 juin 2000 modifiant le décret n° 85-603 du 10 juin 1985 relatif à l'hygiène et à la sécurité du travail ainsi qu'à la médecine professionnelle et préventive dans la fonction publique territoriale, art. 6 : Journal Officiel 20 Juin 2000. 411 TA Besançon, 10 oct. 1996 ; Dr. soc. 1996, p. 1034, concl. C. Moulin ; LPA 1997, n° 88, note P. Portet 412 CE, 2 oct. 2002, n° 227868, CCI Meurthe-et-Moselle c/ Fardouet : AJDA 2002, p. 997 et p. 1294, concl. D. Piveteau, note M.-Ch. de Montecler ; LPA 2003, n° 120, p. 18, note A. Toublanc 413 D. Jean-Pierre, La privatisation du droit de la fonction publique, La Semaine Juridique Administrations et Collectivités territoriales n° 29, 15 Juillet 2003, 1672 p. 973 408 143 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ relevant d’un statut réglementaire. Il s’agit donc d’une troisième voie de propagation du droit du travail. Elle n’a « pas un effet erga omnes à l'instar des principes généraux du droit, mais est posée au cas par cas […]. En l'absence de disposition expresse, il peut donc être fait application de règles issues du droit du travail, sur lequel s'aligne alors le droit de la fonction publique territoriale »414. B – Privatisation et contractualisation du droit de la fonction publique 399. La contractualisation (1) ainsi que la privatisation de la fonction publique (2) sont deux phénomènes récents qui favorisent la propagation du droit du travail hors lien de subordination. La relativisation du lien de subordination juridique est donc encore aggravée par ce nouveau facteur. 1 – La contractualisation de la fonction publique 400. « Le phénomène de contractualisation ne consiste […] nullement en un reflux de la loi face au contrat ni en un recul du dirigisme face au laissez-faire. Loin de signifier un retour aux origines contractuelles du droit du travail, il s’exprime par l’apparition de l’hétéronomie et de l’autonomie. Au lieu de soumettre les relations de travail à des règles imposées de l’extérieur ou bien de s’en remettre au libre jeu du rapport de forces entre employeurs et salariés, on s’efforce d’associer les uns et les autres à la définition et à la mise en œuvre des règles nécessaires au bon fonctionnement du marché du travail »415. 401. La contractualisation appliquée au droit de la fonction publique peut donc servir à désigner le développement des accords entre l’administration et ses agents, qu’ils soient de nature individuelle ou collective. 414 F.Héas, L'extension du droit du travail aux agents des collectivités territoriales, La Semaine Juridique Social n° 17, 22 Avril 2008, 1246 415 A. Supiot, La contractualisation des relations de travail en droit français in P. Auvergnon, La contractualisation du droit social, Actes du séminaire international de droit comparé du travail, des relations professionnelles et de la sécurité sociale de 2002, Bordeaux 2003 p.27 144 Ͳ 402. >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ Tout d’abord la contractualisation individuelle ; lors de son discours à l’IRA de Nantes, le 19 septembre 2007, le Président de la République N. Sarkozy a ainsi déclaré : « je suis convaincu que pour certains emplois de la fonction publique il serait souhaitable qu'on laisse le choix aux nouveaux entrants entre le statut de fonctionnaire ou un contrat de droit privé négocié de gré à gré. Cela donnerait de la souplesse et du sang neuf. Au fond pour moi c'est cela sans doute le plus important dans la transformation qu'il nous faut accomplir : sortir d'une approche purement mécanique, juridique, égalitariste, anonyme et remettre de l'humain, de l'individualité, de la différenciation dans la gestion de la fonction publique »416. 403. Il apparaît également dans ce discours relatif à la grande réforme de la fonction publique, que la voie empruntée est celle d’un rapprochement significatif du statut des fonctionnaires vers celui des salariés du privé, ce qui aurait pour conséquence d’accroître le caractère contractuel du lien entre le fonctionnaire et son administration et donc de favoriser encore plus l’applicabilité du doit du travail : « Ce que je voudrais, ce que je crois nécessaire, c'est que l'on cesse de gérer des statuts et que l'on se mette davantage à gérer des hommes et des femmes, que l'on s'occupe davantage des personnes et moins des catégories, que le fonctionnaire en tant que personne ne s'efface pas derrière des textes, des indices, des procédures. On a un peu progressé, mais on est encore loin du compte. Ce pourrait être le fil directeur des réformes à venir. C'est dans cet esprit que je veux ouvrir le chantier de l'individualisation des rémunérations pour qu'il soit davantage tenu compte du mérite, de l'implication, de l'expérience, des résultats. Pour que chacun soit incité à faire mieux. Pour que les meilleurs soient incités à rester »417. 404. Il s’en traduit une orientation managériale de la fonction publique en quête de productivité, de résultats, de chiffres et de rentabilité et qui prend modèle sur le secteur privé. Le livre blanc sur l'avenir de la fonction publique propose d’ailleurs de développer l’externalisation comme méthode de gestion, s’alignant ainsi sur la pratique de grandes entreprises : « Dans la fonction publique aussi on doit gagner plus quand on travaille plus. Elles doivent, comme dans le secteur privé, être mieux payées que les heures normales […] La réforme de la rémunération, c'est aussi le développement d'une protection sociale 416 N. Sarkozy, discours à l’IRA de Nantes le 19 sept 2008 ; V. aussi : M. Correia, L’individualisation de la relation de travail dans la Fonction publique in J.-P. Chauchard, A.-C. Hardy-Dubernet, La subordination dans le travail, Éd. La Documentation Française, 2003 417 Ibid. 145 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ complémentaire qui ne soit pas enfermée dans les statuts et qui puisse faire l'objet d'une négociation collective. L'individualisation des carrières, la révolution que constituerait une véritable gestion des ressources humaines, appelle bien sûr une autre révolution, celle de la formation continue, celle de la validation des compétences et en corollaire une réflexion sur la culture du concours et sur la notation. Car tout se tient : pas de mobilité, pas de perspective d'évolution sans formation continue. Pas de gestion humaine si le dialogue avec sa hiérarchie se limite à la notation. Ce sont de véritables procédures d'évaluation qui impliquent l'engagement de l'encadrement et la définition d'objectifs de travail précis qui doivent se substituer aux pratiques de notation que nous connaissons »418. 405. N. Sarkozy encourage donc le mouvement d’alignement du statut du fonctionnaire sur celui du salarié subordonné puisque il considère que « partout et depuis toujours ce pari du développement se gagne non dans l'opposition du privé et du public mais au contraire dans leur articulation réussie ». Le livre blanc préconise d’ailleurs de privilégier « une fonction publique où coexistent des agents relevant soit du statut, soit du contrat, sans chercher à établir une cloison étanche entre les espaces statutaire et contractuel, qui serait illusoire et contre-productive en termes de gestion »419. 406. Enfin concernant la contractualisation collective, la fin de ce discours sur l’avenir de la fonction publique est significative puisque N. Sarkozy y déclare en ces termes : « Toutes les propositions que je viens de formuler, je le souligne, sont autant de thèmes de négociation et de concertation avec les organisations syndicales. Je propose de favoriser partout la logique démocratique de l'élection. Je souhaite que l'on enrichisse les sujets ouverts à la négociation collective. Je suggère que l'on abandonne la composition strictement paritaire des instances de dialogue social, qui a mal vieilli ». 2 – La privatisation 407. Le professeur D. Jean-Pierre est un des seuls auteurs à avoir traité du phénomène global de la privatisation du droit de la fonction publique, « une privatisation entendue non 418 Livre blanc sur l'avenir de la fonction publique : faire des services publics et de la fonction publique des atouts pour la France, Éd. La documentation française, avr. 2008 419 Livre blanc sur l’avenir de la fonction publique p.113 146 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ pas comme la privatisation des personnels due à des changements de statuts d'entreprises ou à une réforme politique d'envergure telle que celle conduite en Italie à partir de 1993, mais comme celle des sources et des règles du droit de la fonction publique, à l'œuvre depuis plusieurs années »420. Ce phénomène large englobe donc le recours au droit du travail et peut se décliner en trois branches : l'applicabilité directe du droit privé aux agents publics, l'alignement progressif des situations des agents publics et des salariés et celui du droit de la fonction publique sur le droit privé421. 408. Or si la fonction publique se privatise dans ses fondements juridiques, ce mouvement ne peut que permettre une meilleure pénétration du droit privé du travail. L’alignement entre les travailleurs du secteur privé et ceux du secteur du public s’en retrouve accentué ce qui tend également au rapprochement de ces travailleurs dans un droit commun de l’activité professionnelle. Paragraphe 2- Travail indépendant et droit du travail 409. Le droit du travail tend à se répandre dans le régime applicable aux travailleurs indépendants. Ce phénomène met en exergue l’hétérogénéité des règles du Code du travail (A) ainsi que de l’extension des mécanismes classiques du droit du travail (B). A – L’hétérogénéité du Code du travail 401. Si le Code du travail n’est pas intitulé Code du travail salarié alors le droit du travail ne peut être réduit au droit du travail salarié. Dans ces conditions l’extension du droit du travail aux travailleurs indépendants paraît naturelle. Pourtant l’extension des règles contraignantes du Code du travail (1) et l’extension du champ des règles protectrices du Code du travail (2) démontrent que ces extensions aboutissent à un alignement du régime des indépendants sur celui des salariés. Au-delà de la simple application de règles du Code du travail à des indépendants ou à des entrepreneurs, cette hétérogénéité du Code du travail 420 D. Jean-Pierre, La privatisation du droit de la fonction publique, La Semaine Juridique Administrations et Collectivités territoriales n° 29, 15 Juillet 2003, 1672 p. 973 421 Ibid. 147 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ traduit, dans une logique globale, un même besoin de protection des travailleurs hors toute considération de lien de subordination. 1 – L’extension des règles contraignantes du Code du travail 402. Tout d’abord l’article L. 3132-29 du Code du travail prévoit - sous certaines conditions - que le préfet peut interdire à certains indépendants d’ouvrir leur établissement pour éviter des distorsions de concurrence entre leur établissements et ceux embauchant des salariés. Les premiers – par exemple les petits commerces alimentaires ouverts le dimanche peuvent fonctionner avec une main d’œuvre familiale alors que les seconds sont en principe limités par l’exigence du repos dominical : « Lorsqu'un accord est intervenu entre les organisations syndicales de salariés et les organisations d'employeurs d'une profession et d'une zone géographique déterminées sur les conditions dans lesquelles le repos hebdomadaire est donné aux salariés, le préfet peut […] ordonner la fermeture au public des établissements de la profession ou de la zone géographique concernée pendant toute la durée de ce repos […] ». 403. Il faut confronter cette disposition à la loi n° 2009-974 du 10 août 2009 visant à adapter des dérogations au principe du repos dominical dans les communes et zones touristiques et thermales ainsi que dans certaines grandes agglomérations pour les salariés volontaires. En élargissant la possibilité pour des salariés de travailler le dimanche, cette disposition réduira le besoin de recourir à l’article 3132-29 du Code du travail. 404. Il est également possible de citer l’article L. 4532-2 du Code du travail puisqu’il impose à des entrepreneurs, au bénéfice, en outre, de travailleurs indépendants une coordination en matière de sécurité et de santé des travailleurs. Celle-ci est organisée « pour tout chantier de bâtiment ou de génie civil où sont appelés à intervenir plusieurs travailleurs indépendants ou entreprises, entreprises sous-traitantes incluses, afin de prévenir les risques résultant de leurs interventions simultanées ou successives et de prévoir, lorsqu'elle s'impose, l'utilisation des moyens communs tels que les infrastructures, les moyens logistiques et les protections collectives ». 148 Ͳ 405. >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ Troisièmement, l’article L. 8221-3 du Code du travail peut également trouver à s’appliquer à des travailleurs indépendants puisqu’est « réputé travail dissimulé par dissimulation d'activité, l'exercice à but lucratif d'une activité de production, de transformation, de réparation ou de prestation de services ou l'accomplissement d'actes de commerce par toute personne […] se soustrayant intentionnellement à ses obligations […] ». Dans le même contexte juridique, l’article R. 8222-1 du Code du travail impose aux travailleurs indépendants qui concluent un des contrats prévus à l'article L. 8222-1422 d’opérer les vérifications obligatoires pour les opérations d'un montant au moins égal à trois mille euros. Cette disposition du Code du travail s’impose donc au-delà et en dehors de toute embauche de salarié, ce qui confirme le phénomène d’extension du droit du travail. 406. Enfin, le Code du travail impose encore des obligations au chef d'entreprise qui conclut avec un entrepreneur, un contrat pour l'exécution d'un travail ou la fourniture de services, lorsque l’entrepreneur recrute lui-même la main-d'oeuvre nécessaire. L’article L. 8232-1 dispose en effet que « lorsque l’entrepreneur n'est pas propriétaire d'un fonds de commerce ou d'un fonds artisanal, le chef d'entreprise respecte, à l'égard des salariés de l'entrepreneur employés dans son établissement ou les dépendances de celui-ci et sous les mêmes sanctions que pour ses propres salariés, les prescriptions relatives aux repos obligatoires prénatal423 et postnatal, aux dispositions particulières à l'allaitement424, à la durée du travail, aux repos et aux congés425 et à la santé et la sécurité au travail426 ». 407. Il s’agit donc d’obligations classiques du droit du travail qui s’imposent à un chef d’entreprise, au bénéfice de personnes qui ne sont pas ses salariés et sans que soit exigé de 422 « Toute personne vérifie lors de la conclusion d'un contrat dont l'objet porte sur une obligation d'un montant minimum en vue de l'exécution d'un travail, de la fourniture d'une prestation de services ou de l'accomplissement d'un acte de commerce, et périodiquement jusqu'à la fin de l'exécution du contrat, que son cocontractant s'acquitte : 1° Des formalités mentionnées aux articles L. 8221-3 et L. 8221-5 ; 2° De l'une seulement des formalités mentionnées au 1°, dans le cas d'un contrat conclu par un particulier pour son usage personnel, celui de son conjoint, partenaire lié par un pacte civil de solidarité, concubin, de ses ascendants ou descendants. Les modalités selon lesquelles sont opérées les vérifications imposées par le présent article sont précisées par décret. » 423 Article L. 1225-29 du Code du travail 424 Articles L. 1225-30 à L. 1225-33 du Code du travail 425 Au livre 1 de la partie 3 du Code du travail 426 Partie 4 du Code du travail 149 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ lien de subordination entre eux ni même de lien contractuel. L’article L. 8232-2 prévoit même des sanctions envers le chef d’entreprise en cas de défaillance de l’entrepreneur427. 2 - L’extension du champ des règles protectrices du Code du travail 408. L’extension du champ des règles protectrices du Code du travail peut être révélée par la lecture de l’article L. 6313-1. Il prévoit en effet une série d’actions de formation qui entrent dans le champ d'application des dispositions relatives à la formation professionnelle continue. Ces actions de formation ne sont pas propres aux salariés et s’adressent plus généralement aux travailleurs et donc aux indépendants. À titre d’illustration il s’agit d’actions de préformation et de préparation à la vie professionnelle, de promotion professionnelle, de prévention ou de conversion, d'acquisition, d'entretien ou de perfectionnement des connaissances. Il existe également des formations à l'économie et à la gestion de l'entreprise. 409. Il peut encore s’agir d’actions permettant de réaliser un bilan de compétences, de faire valider les acquis de leur expérience, d’actions d'accompagnement aux créateurs ou repreneurs d'entreprises exerçant ou non une activité et enfin d’actions de lutte contre l'illettrisme et l'apprentissage de la langue française. L’article L. 6312-2 précise même que ce droit à la formation professionnelle concerne les travailleurs indépendants, les membres des professions libérales et des professions non salariées ainsi que leur conjoint collaborateur et les travailleurs privés d'emploi. 410. En ce qui concerne la représentation collective, l’article L. 2131-2 permet aux syndicats ou associations de personnes exerçant la même profession ou des métiers similaires de se constituer librement en visant entre autres, les personnes exerçant la même profession 427 « En cas de défaillance de l'entreprise, à laquelle il est recouru dans les conditions prévues à l'article L. 8232-1, le chef d'entreprise encourt, nonobstant toute stipulation contraire, les responsabilités suivantes : 1°) Si les travaux sont exécutés ou les services fournis dans son établissement ou dans les dépendances de celui-ci, le chef d'entreprise est substitué au sous-traitant en ce qui concerne les salariés que celui-ci emploie pour le paiement des salaires et des congés payés ainsi que pour les obligations résultant de la législation sur les assurances sociales, sur les accidents du travail et les maladies professionnelles et sur les prestations familiales ; 2°) S'il s'agit de travaux exécutés dans des établissements autres que ceux du chef d'entreprise ou de travaux exécutés par des salariés travaillant à domicile, le chef d'entreprise est substitué au sous-traitant pour le paiement des salaires et congés payés ainsi que pour le versement de la cotisation des prestations familiales et de la double cotisation des assurances sociales ». 150 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ libérale. Les travailleurs indépendants – intermédiaires, gérant de succursale428 ou autre - font ainsi parti du champ d’application du Code du travail qu’ils soient débiteurs d’obligations ou créanciers de règles protectrices. « Il y a une tendance du droit du travail à ne pas se limiter aux seuls rapports entre les employeurs et les salariés, mais à déborder sur l’activité professionnelle en général »429. 411. Le droit applicable aux travailleurs indépendants tend à s’aligner sur celui applicable aux salariés. L’intérêt du recours au lien de subordination pour caractériser le contrat de travail s’en trouve relativisé dans le sens où il est démontré ici qu’il ne constitue pas la condition d’application sine qua non des règles de base du statut salarié. Cette harmonisation est renforcée par la démonstration faite que le lien de subordination n’est - dans certaines hypothèses - pas indispensable à la reconnaissance du contrat de travail. 412. Le droit développe ainsi un tronc commun de règles applicables aux travailleurs ayant une activité professionnelle voire même non professionnelle puisque de nombreuses règles et principes fondamentaux du droit du travail qui sont contenus dans le Code du travail s’appliquent aux non salariés. C’est ce tronc commun qui pourra fonder l’éventuelle création d’un droit de l’activité professionnelle tel qu’envisagé dans le dernier chapitre. B – L’extension des mécanismes classiques du droit du travail 413. L’examen des règles applicables aux contrats civils et commerciaux, qui impliquent la fourniture d’une prestation de travail, quelle qu’en soit la nature, laisse apparaître une adaptation de mécanismes issus du droit su travail subordonné. Ces mécanismes fondent l’intervention du juge dans la régulation des rémunérations des contrats à exécution successive (1). Mais aussi dans le contrôle a postériori des ruptures unilatérales des relations contractuelles (2). À cette occasion il peut être observé que si le droit du travail tient un lien 428 Pour un approfondissement des cas particuliers des intermédiaires et gérants de succursale, V. A. Simon, Op. Cit, p.384 429 G. Lyon-Caen, Le droit du travail non salarié, Éd. Sirey, Paris, 1990,p. 94 ; A. Supiot, Travail salarié et travail indépendant, Rapp. au 6° Congrès européen de droit du travail et de la sécurité sociale, p.143 ; V. aussi pour d’autres illustrations : O. Soria, A la recherche du critère du contrat de travail, Thèse de doctorat, Université Bordeaux IV, 2003, p.127 et s. 151 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ de filiation direct avec le droit civil - duquel il s’est grandement inspiré jusqu’à atteindre son autonomie actuelle - de nombreux auteurs décrivent l’influence en retour, du droit du travail sur le droit civil. Si le droit du travail donne l’impulsion d’une volonté de régulation calquée sur le modèle salarial, il faut reconnaître que c’est le principe civiliste de la bonne foi qui en est l’instrument juridique. 1 – L’influence du droit du travail sur l’exécution des contrats civils et commerciaux 414. L’influence des relations individuelles de travail sur l’exécution des contrats civils et commerciaux peut s’illustrer au travers de nombreux arrêts. Toutefois ces illustrations déclinant le même phénomène seul le cas de l’arrêt Huard sera évoqué. Depuis quelques années, la jurisprudence rend des décisions qui peuvent laisser entrevoir une volonté plus ou moins affirmée d’introduire un impératif de stabilité du revenu professionnel des travailleurs indépendants. Ainsi dans l’arrêt Huard, un distributeur a obtenu la condamnation d’une société pétrolière à lui payer des dommages-intérêts « pour ne pas lui avoir donné en l’absence de tout cas de force majeure, les moyens de pratiquer des prix concurrentiels et n’avoir pas ainsi exécuté le contrat de bonne foi» 430. 415. Volontairement ou non, cette jurisprudence révèle un mécanisme d’alignement des contrats spéciaux sur le contrat de travail. Du moins, elle rend plausible la consécration d’un tronc commun applicable à la globalité de l’activité professionnelle. 2 – L’influence du droit du travail sur la rupture des contrats civils et commerciaux 416. L’influence des relations individuelles de travail est plus topique concernant la rupture de certains contrats civils et commerciaux. En effet, cette rupture peut désormais être soumise 430 Cass. com. 3 novembre 1992, Sté française des pétroles BP c./ Huard, V. D. Mainguy, J.-L. Respaud, Portée des pouvoirs reconnus au juge en matière de sanction de la mauvaise foi contractuelle, La Semaine Juridique Entreprise et Affaires n° 46, 15 Novembre 2007, 2394 ; V. aussi J. Raynard, technique contractuelle, La Semaine Juridique Entreprise et Affaires n° 14, 3 Avril 2003, 543 ; D. Mainguy, De l'influence d'une clause de prix de revente imposé dans un contrat-cadre, La Semaine Juridique Entreprise et Affaires n° 42, 15 Octobre 1998, p. 1645 152 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ – en l’absence de toute clause contractuelle en ce sens - à une obligation de motivation, à une obligation de respecter un préavis raisonnable voire à l’obligation de verser une indemnité ayant pour objet de compenser les effets de la rupture du contrat. Si le principe demeure celui du droit de ne pas renouveler et de ne pas motiver, la Cour de cassation apporte quelques tempéraments à ce principe en se fondant sur la théorie de l’abus de droit. S’il existe de nombreuses déclinaisons de l’abus dans les contrats, ce dernier constitue toujours un manquement à l'exigence de bonne foi et constitue une faute de nature contractuelle431. 417. En l’absence de toute clause contractuelle dans ce sens, les juges ont ainsi pu découvrir une obligation générale de motivation de la rupture de contrats commerciaux, particulièrement lorsqu’ils instaurent une relation déséquilibrée (comme dans le contrat de travail). Dans ce sens, la Cour de cassation a estimé dans un arrêt de principe que « le refus d'agrément [...] devait être justifié par des impératifs tenant à la sauvegarde de ses intérêts commerciaux légitimes, et que, pour éviter tout arbitraire, il lui appartenait de le motiver, à seule fin de permettre au concessionnaire de vérifier que sa décision était fondée sur un examen équitable et soigneux conforme à ses engagements contractuels »432. 418. Il en est de même de l’introduction de l’exigence d’un préavis dans l’article L.442-6 du Code de commerce, tel qu’il est issu de la loi modificatrice n° 2008-776 du 4 août 2008. Ce dernier prévoit qu’ « engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers […] 5° - de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels ». Force est donc d’établir le parallèle avec la loi du 27 431 V. P. Stoffel-Munck, L'abus dans le contrat, essai d'une théorie, Paris, 2000 ; E. Letombe, L’abus de droit en droit du travail, Thèse pour le doctorat, Université Lille II, 2007 432 Cass. com., 2 juill. 2002 ; V. R. Bertin, Sanction du détournement par le concédant de sa prérogative d'agrément du nouveau concessionnaire et rupture fautive du contrat de concession automobile, La Semaine Juridique Entreprise et Affaires n° 42, 17 Oct. 2002, 1508 ; V. aussi dans le même sens : Cass. com., 5 avr. 1994, VAG c/ Gauthier ; Cass.civ.1°, 5 février 1985 ; Cass. Com., 8 avril 1986 ; CA. Paris, 17 février 1992 ; CA. Paris, 8 juin 1994 ; Cass. Com., 5 octobre 1993 153 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ décembre 1890 qui est « la première qui porte atteinte à la liberté totale de rompre le contrat de travail, qui, jusque-là, était considérée comme inhérente à la liberté de contracter »433. 419. Enfin concernant le cas des indemnités de rupture, classiques en droit du travail, il peut être fait état du développement de divers mécanismes similaires dans les relations commerciales. Ainsi l’article 12 alinéa 1 de la loi n° 91-593 du 25 juin 1991 - relative aux rapports entre les agents commerciaux et leurs mandants – dispose en ces termes qu’ « en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subiª 420. Il peut encore être fait référence à l’exigence de la bonne foi dans l’exécution de tout contrat, exigence fondée sur l’article 1134 du Code civil. Ou encore au développement du recours aux clauses contractuelles comme celles dite parachutes dorés. Cette clause fixe des indemnités devant être versées lors d'une éviction ou même lors d'un départ d’un dirigeant de société anonyme. Elle ne se confond pas avec l’éventuelle indemnité légale de licenciement. Selon le cabinet Hewitt434, « 79 % des dirigeants des grandes sociétés françaises bénéficient de telles indemnités de départ, soit au titre de leur mandat social (31 %), soit au titre d'un contrat de travail, toujours valide, d'ancien salarié de l'entreprise (48 %). Ces indemnités se superposent pour un tiers des dirigeants, aboutissant à des excès manifestes. Elles sont même parfois majorées en cas de changement de contrôle de l'entreprise ou pour tenir compte d'une clause de non-concurrence » 435. 421. Enfin, la jurisprudence met également en place une obligation d’assistance ayant pour objet de faciliter le reclassement ou la reconversion du cocontractant pendant le préavis. C’est ce qui explique que « décidément, dans les relations de dépendance économique, le droit du travail n’est pas loin de servir de modèle »436. 433 A.-S. Beau, Les salarié-e-s du grand commerce : des « employé-e-s » ?. Les parcours professionnels des salarié-e-s du grand bazar de Lyon aux 19ème et 20ème siècles, Éd. La Découverte, Coll. Travail, genre et sociétés 2002/2, N° 8, p. 55-72 434 Hewitt Associates est une société mondiale de conseil en management des ressources humaines et des risques financiers associés 435 V. A. Michel, Parachutes dorés : les excès continuent, Le Monde, éd. 14 janvier 2009 436 J. Mestre, obs. sur CA. Paris, 26 mars 1999, RTD civ. 2000, p.114 ; V. aussi J.-P. Viennois, JurisClasseur Commercial, Fasc. 303 : contrats de distribution, Règles communes aux différents contrats de distribution, Cote : 03,2005 154 Ͳ 422. >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ C’est sur cette notion de dépendance économique qu’il sera conclu en observant que le droit du travail est un modèle de protection contre la vulnérabilité qu’elle engendre. Pourtant, cette notion est presque totalement niée au profit du lien de subordination juridique alors que ce dernier crée de plus en plus d’impasses. Il va cependant être démontré que le droit, flexible droit437, s’adapte progressivement à cette situation en développant des mécanismes qui concourent à la même fin : la remise en cause de la notion de lien de subordination juridique. 437 V. J. Carbonnier, Flexible droit : pour une sociologie du droit sans rigueur, 10ème éd., LGDJ, Paris, 2001 155 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ DEUXIÈME PARTIE LA REMISE EN CAUSE DU LIEN DE SUBORDINATION JURIDIQUE 156 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ DEUXIÈME PARTIE LA REMISE EN CAUSE DU LIEN DE SUBORDINATION JURIDIQUE 423. L’accumulation de facteurs tendant à la relativisation du lien de subordination juridique tend aujourd’hui à une remise en cause du recours à ce critère pour fonder le contrat de travail et le salariat. Cette remise en cause est demeurée latente depuis la consécration du critère par l’arrêt Bardou en 1931438, mais elle ne s’est jamais fait entendre de manière aussi forte. Il faudra donc analyser les raisons de cette recrudescence à laquelle il est possible de rattacher deux phénomènes en plein développement. 424. D’une part le lien de subordination se trouve de plus en plus confronté aux transformations du travail (TITRE I). L’organisation de type tayloriste s’épuise. Or, elle fondait une structure fortement hiérarchisée dans laquelle il était aisé d’identifier les indices du lien de subordination. Mais ce modèle vertical tend à être dépassé par d’autres modèles qui privilégient l’autonomie et la responsabilisation. 425. Il devient ainsi parfois difficile de détecter les indices de la subordination juridique dans ce salariat moderne. Sa structure privilégie des rapports selon un alignement horizontal. Les salariés sont par exemple invités à jouer un rôle de collaborateur, et l’employeur a tendance à effacer les signes de la subordination pour les responsabiliser. 426. Dans ce système les salariés ont le sentiment d’être investis d’une obligation de résultat alors que dans le modèle précédent ils se sentaient plutôt investis d’une obligation de moyen. Les objectifs de résultats étaient déjà présents, mais la définition précise des tâches à accomplir pour y parvenir fixait le cadre objectif de la bonne exécution du contrat de travail439. La disparition de la définition précise des tâches à accomplir, au profit de la simple définition d’objectifs à atteindre, tend ainsi à responsabiliser moralement le salarié au-delà 438 Cass, civ., 6 juillet 1931. Préfet de la Haute-Garonne c./ Bardou, DP1931. I. l3l, note, P. Pic ; V. également Cass. Civ.,22 juin 1932 et Cass. Civ., 1 août 1932, DP 1933, 1, note P. Pic 439 V. P.-H. Antonmattéi, Clause d'objectifs, rev. dr. et patr. n°91, p.118-119, 01/03/2001 157 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ d’une bonne exécution du contrat de travail. Dans ces conditions, la bonne exécution du contrat de travail devient totalement subjective et psychologiquement infinie. 427. Mais cette disparition des ordres entraîne surtout celle d’indices permettant de caractériser le lien de subordination. Il devient parfois invisible ou baisse en intensité440. Ce phénomène est également favorisé par le développement des rapports de participation et d’intéressement des salariés. Au-delà du salaire, les salariés ont ainsi un intérêt économique supplémentaire à la réussite de l’entreprise ce qui renforce leur motivation et fait disparaître le besoin de contrôle. 428. Ce sont donc finalement le pouvoir de donner des ordres et le pouvoir d’en contrôler l’exécution qui s’effacent ou tombent en désuétude dans certaines entreprises. Il ne reste donc parfois que les manifestations du pouvoir de sanction pour espérer caractériser le lien de subordination juridique, ce qui peut s’avérer lacunaire. Il faudra donc approfondir plus en détail le phénomène de régénération des rapports de subordination (TITRE II) et tenter de définir des alternatives pour l’avenir. TITRE 1. LA SUBORDINATION FACE AUX TRANSFORMATIONS DU TRAVAIL TITRE 2. LA RÉGÉNÉRATION DES RAPPORTS DE SUBORDINATION 440 N. Aubert, Le management managinaire, dans Bouilloud J-P & Lecuyer B-P (dir.), L'invention de la gestion, Éd. L'harmattan, Logiques de Gestion, 1994 158 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ TITRE 1 LE LIEN DE SUBORDINATION FACE AUX TRANSFORMATIONS DU TRAVAIL 429. Le recours au lien de subordination juridique comme critère du contrat de travail correspond à un choix historique qui ne peut être détaché de son contexte sociologique. Ainsi, du XIX° au XX° siècle, le modèle caricatural est celui d’une masse salariale homogène, composée d’ouvriers qui travaillent toute leur vie dans la même usine. 430. C’est l’occasion de souligner que c’est dans un arrêt de principe de 1931441 que la Cour de cassation a consacré le recours à la notion de subordination juridique. Cette époque peut paraître relativement proche dans le temps pourtant les relations de travail ont depuis connu de réels bouleversements. 431. C’est un constat qu’il est aisé de faire au regard du célèbre film sorti en 1936 « Les Temps modernes », soit cinq ans après la consécration du lien de subordination juridique comme critère du contrat de travail. Si ce film est une satire de la société industrielle, il témoigne bien de la réalité de l’époque, dans laquelle le travailleur est assimilé à une machine. L’employeur apparaît sous les traits d’un patron autoritaire qui surveille sans relâche le travail des ouvriers et sanctionne la moindre faiblesse. Les conditions de vie et de travail sont précaires, les ouvriers travaillent à la chaîne et effectuent des tâches mécaniques aliénantes dans un rythme toujours plus rapide. Il s’agit là d’une image qui n’a pas totalement disparu mais qui tend à disparaître en tant que norme. 432. Or, dans ce modèle sur-mesure, la subordination juridique est éclatante et atteint son paroxysme. Il est donc légitime de se demander si la chute du modèle fordiste et celle du modèle tayloriste n’emportent pas avec elles le bien-fondé du recours au lien de subordination comme critère du salariat. 441 Cass.civ., 6 juillet 1931, DP 1931, 1, 121 note P. Pic ; V. également Cass. Civ.,22 juin 1932 et Cass. Civ., 1 août 1932, DP 1933, 1, note P. Pic 159 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ 433. Il y a ainsi une convergence d’événements très proches dans le temps - Mai 68, le choc pétrolier de 1973, le développement technologique dès 1970 - concentrés autour des années 1970 qui marquent le début de profondes mutations structurelles. Les années 1970 ont ainsi été le début houleux des agences d’intérim. Dans les années 1980 l’explosion du chômage et l’inflation ont affaibli la croissance et essoufflé le système fordiste. La production de masse des années 1950 a progressivement laissé place à l'ère du marketing et du knowledge management442. Schématiquement, dans les années 1990, les grandes usines ont laissé place aux entreprises et aux startups. La richesse de l'entreprise réside désormais dans sa capacité à innover, à s'adapter, à communiquer. 434. À partir de cette période il est possible de déceler le début d’une crise, sinon du capitalisme dans son ensemble, au moins de ses déterminants et de ses conséquences sociales. Parallèlement au développement d’une politique sociale de protection des travailleurs, le tissu économique s’est affaibli jusqu'à laisser place à l’apparition de nouvelles organisations du travail443. Ces deux facteurs sont donc également susceptibles d’ébranler le bien-fondé du recours au lien de subordination comme critère du salariat. 435. Il convient donc d’envisager la dilution du lien de subordination dans les transformations du travail en envisageant les limites de la conception tayloriste du lien de subordination (CHAPITRE 1) et l’impact des nouvelles organisations du travail sur le lien de subordination (CHAPITRE 2). CHAPITRE 1. LES LIMITES DE LA CONCEPTION TAYLORISTE DU LIEN DE SUBORDINATION CHAPITRE 2. L’IMPACT DES NOUVELLES ORGANISATIONS DU TRAVAIL SUR LE LIEN DE SUBORDINATION 442 « Ensemble des initiatives, des méthodes et des techniques permettant de percevoir, d'identifier, d'analyser, d'organiser, de mémoriser, et de partager des connaissances entre les membres des organisations, en particulier les savoirs créés par l'entreprise elle-même (ex : marketing, recherche et développement) ou acquis de l'extérieur (ex : intelligence économique) en vue d'atteindre l'objectif fixé » : V. http://fr.wikipedia.org/wiki/Gestion_des_connaissances 443 V. M. Stroobants. Sociologie du travail. Nathan, Coll. « 128 », 1993 160 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ CHAPITRE 1 LES LIMITES DE LA CONCEPTION TAYLORISTE DU LIEN DE SUBORDINATION 436. L’objet de ce chapitre est de présenter les mécanismes qui contribuent à limiter les pleins pouvoirs de l’employeur. Ces atteintes interviennent dans un domaine qui lui est pourtant réservé, à savoir, la détermination des conditions de travail via la mise en œuvre de son pouvoir de direction. Il est ainsi possible de mettre en parallèle deux mécanismes d’atteinte à la détermination discrétionnaire des conditions de travail par l’employeur. 437. Le premier résulte des mutations des systèmes de production issus du fordisme et du taylorisme. L’éclatement du modèle de production en masse et à la chaîne ont engendré des modifications dans le tissu productif. Le nombre des PME a augmenté, celui des autoentrepreneurs également, alors que dans le même temps les grandes usines, dont certaines ont fait le fleuron de la France d’après-guerre, disparaissent ou bien délocalisent en masse vers l’Inde, la Chine ou encore le Maroc. 438. L’année 2009, l’année de la crise pourrait-on dire, a d’ailleurs été marqué par ce phénomène qui touche particulièrement le secteur automobile : Michelin, Continental, Dunlop-Goodyear, Renault, Toyota, Ford, Nissan, Caterpillar, Faurecia, Arcelor Mittal, Valéo, New Fabris, 3M, SKF. En 2009, on ne compte plus les usines qui ont défrayé la chronique avec des piquets de grève agités, des séquestrations de patrons ou des menaces d’explosion et de destruction. Mais le processus est enclenché de manière irréversible et les usines de production en masse ont vocation à disparaître de la France par l’effet de la mondialisation et du dumping social qui en résulte. 439. Le second mécanisme d’atteinte aux pleins pouvoirs de l’employeur résulte du développement des droits et libertés des salariés dans toutes les sources du droit du travail. Il en est ainsi de la loi, de la jurisprudence, du contrat de travail lui-même lui même ou encore de la négociation collective. 161 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ 440. L’ensemble de ces facteurs sont déterminants car la dilution du lien de subordination dans le post-taylorisme (SECTION I) ainsi que le développement des droits et libertés des salariés (SECTION II) témoignent du rôle déterminant des transformations du travail dans la remise en cause du lien de subordination. 162 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ SECTION I - LA DILUTION DU LIEN DE SUBORDINATION DANS LE POSTTAYLORISME 441. Le lien de subordination est une notion juridique qui a été mise en avant pour permettre l’identification du contrat de travail. Or, en 1931, date de la consécration du critère par la Cour de cassation, le système productif s’inscrit encore dans les schémas de révolution industrielle. Ce système s’intensifie sous l’effet des organisations de travail, fordistes et tayloristes. 442. La disparition de ces organisations du travail comme norme dans le paysage social français pose la question du maintien du lien de subordination juridique comme critère pertinent du contrat de travail. Les nouvelles transformations du travail, que l’on peut regrouper dans la notion de post-taylorisme, tendent ainsi à diluer le lien de subordination et par là-même à brouiller de manière croissante et durable l’identification du contrat de travail. 443. Pour ces raisons, il conviendra de présenter les implications du courant post-tayloriste (paragraphe I) pour comprendre la disparition des frontières du salariat classique (paragraphe II) à l’heure actuelle. Paragraphe 1 – Le courant du post-taylorisme 444. Le courant post-tayloriste est directement issu de la remise en cause du taylorisme et du fordisme (A). Il résulte d’une transformation de ces anciens modèles (C). L’analyse de son développement (B) mettra en avant des répercussions déterminantes au regard de l’identification du lien de subordination. A - La remise en cause du tayloro-fordisme 445. G. Friedmann est à l’origine des premiers travaux en sociologie du travail. Ceux-ci témoignent d’un certain pessimiste quant à l'impact de l'évolution technologique sur le travail humain. Il observe en effet que l'introduction de machines automatiques et de chaînes fait 163 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ disparaître un savoir-faire traditionnel. Ce savoir-faire est peu à peu remplacé par un « travail en miettes »444. Or ce travail en miettes constitue une situation idéale pour recourir à la notion de subordination juridique puisque ce dernier avait pour caractéristique intrinsèque d’être effectué selon les directives et sous le contrôle permanent de l’employeur. 446. Dans le contexte de l’époque, la segmentation des processus de production et l'éclatement des tâches de travail avait fait disparaitre la formation et l’apprentissage. La qualification requise pour tout travailleur ne se résumait qu’à une dextérité élémentaire et un minimum d’aptitude à respecter un rythme de travail. Ainsi, le modèle tayloro-fordiste « élimine la valeur attachée à la connaissance du matériau travaillé, annule les perspectives de promotion, tend à transformer les ouvriers en « bouche-trous » de la chaîne, déplacés en fonction des besoins sans que l'on attende d'eux une vision globale du procédé […]»445. 447. Friedmann proposa donc une évolution volontariste de la division du travail permettant aux ouvriers de recouvrer une plus grande maîtrise dans le processus de production446. Ce sont là les bases du post-taylorisme qui va donner voire redonner au travailleur une part d’autonomie et de liberté plus grande. 448. C’est ce dernier constat qui va remettre en cause l’idée que le recours au lien de subordination est la meilleure solution pour caractériser le salariat car elle laisse un nombre croissant de zones d’ombre sans solution juridique. B – Le développement du post-taylorisme 449. Pour comprendre les mécanismes du post-taylorisme il convient de présenter tout d’abord les déterminants de l’organisation post-tayloriste du travail (1) puis les différentes formes d’organisation du travail post-tayloriste (2). 444 V. G. Friedmann, Le travail en miettes, Coll. Idées, Éd. Gallimard, Paris, 1956 ; V. aussi nouv. édit. rev. et augm., Gallimard, Paris, 1964 445 A. Beitone, C. Dollo, J. Gervasoni, E. Le Masson, C. Rodrigues. Sciences Sociales. Sirey, coll. Aide Mémoire, 4ème édition 2004. 446 Ibid. 164 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ 1 – Les déterminants de l’organisation post-tayloriste du travail 450. Le post-taylorisme tend à développer la participation des travailleurs aux décisions qui intéressent le processus de production. Comme son nom l’indique il est une réponse directe aux incidences humaines du taylorisme. À titre non exhaustif il en est ainsi de l’usure des travailleurs, de l’absentéisme, des accidents de travail, des malfaçons et de la démotivation des travailleurs. 451. Le post-taylorisme tend donc à atténuer la séparation radicale entre ceux qui conçoivent et ceux qui produisent. L’ouvrier redevient un être susceptible de réfléchir et de penser. Son travail peut donc à nouveau revêtir une dimension intellectuelle. « l’homme travaillait à la sueur de son front, il devra travailler à la lumière de son intelligence. Bref, le temps de la trique et du joug ferait désormais place à une sollicitation de l’intelligence »447. 452. Or c’est justement ce glissement qui fragilise le recours au lien de subordination. Car moins le travailleurs est privé de son intellect, plus il acquiert de l’autonomie en se voyant reconnaître une part de liberté plus ou moins importante dans la détermination des processus à mettre en œuvre pour parvenir au résultat448. Cette cellule de liberté, en quête de flexibilité, est dans son fondement antinomique avec l’existence d’un pouvoir de direction449. Ainsi plus ces cellules de liberté et d’autonomie se propageront dans la relation de travail, plus il y aura de difficultés à apprécier l’existence et la consistance d’un lien de subordination juridique. 2 – Les différentes formes d’organisation du travail post-tayloriste 453. Il est possible de recenser plusieurs types d’indices susceptibles de relever d’une organisation post-tayloriste. Ce peut être l'élargissement des tâches déléguées au salarié ou la rotation des postes pour éviter la routine et ainsi lui permettre d’acquérir une vision plus 447 B. Grassi, l’autonomie du salarié in La subordination dans le travail, J.-P. Chauchard, Éd. La documentation française, Coll. Cahier travail et emploi, 2003, p. 200 448 V. A.-C. Alibert, Les cadres quasi-indépendants, du contrat de travail au contrat d’activité dépendante, Thèse pour le doctorat de l’Université d’Auvergne, 2005 ; F. Varcin ép. Verdun, Le pouvoir patronal de direction, Thèse pour le doctorat de l’Université Lyon II, 2000 449 V. P.-H. Antonmattéi, Les 35 heures dans les cabinets d'avocats, Act., JCP E n°43, p.1697-1699, 28/10/1999 165 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ globale du processus de production. Mais d’autres indices sont plus problématiques au regard du recours au lien de subordination juridique comme critère du contrat de travail. 454. Tout d’abord la mise en place de cercles de qualité dans l’entreprise. Cette méthode consiste à organiser les travailleurs en groupes de volontaires ayant pour objectif d’améliorer la qualité et/ou les processus de production. Le travailleur prend ainsi les traits d’un collaborateur puisque ce système s’affranchit de la division verticale du travail qui est typique du taylorisme. C’est donc un facteur de dilution du lien de subordination puisque la structure pyramidale de l’entreprise est remise en question. Il est en effet mal aisé de concevoir la subordination dans un système horizontal puisque la notion de hiérarchie est absente. 455. Il est également possible de rencontrer des groupes d’ouvriers semi-autonomes. Ceux- ci ont la possibilité de s’organiser librement à condition d’honorer des quotas de production fixés par la direction. Là encore il s’agit d’un facteur de dilution du lien de subordination car une fois le principe de la liberté accordée au groupe acquis, celle-ci peut atteindre de grandes variations d’intensité. 456. Comment, alors, concevoir la subordination dans un groupe autonome qui détermine ses conditions de travail, peut-être ses horaires et jours et lieu de travail, hors de tout contrôle si ce n’est la vérification de l’objectif atteint. Dans les cas de figure les plus développés, il pourrait en effet devenir difficile de distinguer ces travailleurs des prestataires de services indépendants qui n’ont qu’un seul client et duquel ils dépendent économiquement. 457. Enfin, l'enrichissement des tâches de travail peut venir troubler la qualification d’un lien de subordination car elle implique une responsabilisation du travailleur. Le thème de la responsabilisation du travailleur est en effet crucial puisqu’il peut servir à créer l’illusion de faux collaborateurs en effaçant littéralement les indices apparents d’un lien de subordination. C – La transformation des anciens modèles 458. L’analyse de l’évolution des anciens modèles permet de comprendre les modifications structurelles des organisations productives. Du fordisme au post-taylorisme (1) et du 166 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ taylorisme au post-taylorisme (2), le lien de subordination ne trouve plus les conditions favorables à sa matérialisation et donc à son identification. 1 – 459. Du fordisme au post-taylorisme Les besoins de la reconstruction d’après-guerre ont favorisé l’avènement généralisé du fordisme. L’emploi se stabilise autour d'une figure normale unique. L’emploi se fait à plein temps et à durée indéterminée. Le lieu de travail est unique et le revenu des salariés comprend « en plus du salaire direct des éléments de salaire indirect dont la part est croissante dans le revenu total »450. 460. Il est possible de recenser plusieurs types d’indices susceptibles de relever d’une organisation fordiste telle qu’elle apparaissait durant la période des trente glorieuses. Ceux-ci ont pour point commun de relever d’une organisation scientifique du travail comme le travail à la chaîne. Le but recherché est ainsi d'accroître la productivité en appliquant des schémas systématiques. 461. Le fordisme se caractérise par une division du travail verticale qui isole la réalisation de la conception mais également par une division horizontale qui segmente les tâches successives sur une ligne de montage impliquant un travail à la chaîne. Le fordisme procède ainsi de la « de la bipolarisation des qualifications entre « cols blancs » (encadrement) et « cols bleus » (ouvriers spécialisés à la chaîne et ouvriers qualifiés dans l'atelier) »451. 462. Le contraste essentiel entre fordisme et post-taylorisme tient donc dans le niveau de responsabilité du travailleur ainsi que dans le niveau d’autonomie et de liberté dont il jouit. Dans le post-taylorisme, le travailleur bénéficie d’une marge d’appréciation qu’il n’avait pas dans le système fordiste. 450 D. Linhart, Les nouveaux visages du taylorisme, rev. Sciences humaines, 1994 451 V. M. Baslé, J. Mazier, J.-F. Vidal, Quand les crises durent, Éd. Economica, 1984 167 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ 2 – Du taylorisme au post-taylorisme 463. Au sein des industries qui produisent en série, l'organisation du travail n’a parfois changé « qu'à la marge ; les principes fondamentaux du taylorisme, à savoir une séparation nette entre les tâches de conception et d'organisation du travail, d'un côté, et celles d'exécution, de l'autre, demeurent. Certes, des aménagements ont été introduits ; ils consistent le plus souvent à attribuer aux ouvriers de fabrication des opérations de contrôle qualité ou d'entretien de premier niveau »452. 464. Ainsi, il est possible d’en déduire que si l’organisation de la production actuelle a conservé une trame de fond tayloriste, les conditions de sa mise en œuvre, notamment dans la gestion et le management de la main d’œuvre, ont subi les effets de la modernisation du travail453. Les ouvriers continuent de remplir les mêmes fonctions mais plus dans les mêmes conditions. 465. Un parallèle avec le droit de la modification du contrat de travail peut ainsi aider à illustrer cette idée. Il faut tout d’abord rappeler que si l’employeur souhaite modifier un élément essentiel du contrat de travail alors cette modification est assimilée à une modification du contrat de travail et nécessite l’accord du salarié concerné. Mais si les modifications ne constituent qu’un changement des conditions de travail du salarié, dans ce cas l’employeur peut imposer ces changements dans le cadre de son pouvoir de direction. 466. Ce n’est donc pas tant le contenu essentiel du contrat de l’ouvrier d’usine qui a été modifié puisque les changements portent essentiellement sur leurs conditions de travail. C’est donc les conditions d’exercice du pouvoir de direction de l’employeur qui se sont assouplies. Or l’existence du lien de subordination juridique est directement conditionnée par ce pouvoir de direction. Donc ce lien sera d’autant plus diffus que l’exercice du pouvoir de direction sera relâché. 452 D. Linhart, Les nouveaux visages du taylorisme, rev. Sciences humaines, 1994 V. P.-H. Antonmattéi, Modernisation du marché du travail : une victoire historique des partenaires sociaux, Revue Lamy Droit des affaires n° 24, p. 61- 62, 01/02/2008 ; Entretien avec Paul-Henri Antonmattei, Rev. Décideurs Juridiques et Financiers, n° hors-série, p. 140-141, 01/10/2007 453 168 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ Paragraphe 2 – La disparition des frontières du salariat classique 467. Les transformations du travail depuis les années 1970 sont marquées par l’évolution parallèle et paradoxale de l’autonomie et de la contrainte au sein de la relation subordonnée. L’interprétation de ces mutations du travail donne lieu à une opposition entre deux tendances opposées. La première tendrait à présenter ces mutations comme un facteur de croissance de l’autonomie dans le travail subordonné tandis que la seconde souligne une accentuation de la contrainte via le pouvoir de direction. 468. Dans ce contexte il est difficile de déterminer laquelle de ces théorie doit être retenue. Le choix est d’autant plus difficile que des études statistiques récentes454 démontrent que les travailleurs subordonnés ressentent à la fois l’accroissement de l’autonomie et celui de la contrainte au sein de leur relation de travail. Il faut donc s’interroger sur le sens de cette évolution pour déterminer dans quelle mesure autonomie et contrainte peuvent se conjuguer dans la subordination sans en dénaturer le fondement conceptuel. 469. À force de mutations de son contenu, de la multiplicité de ses formes selon les temps historiques et selon les professions visées, peut-être la subordination a-t-elle perdu son sens et sa quintessence. Dans cette hypothèse le recours au critère de subordination pourra s’avérer contestable car dépassé par les nouvelles formes d’organisation du travail et donc inapte à remplir efficacement le rôle de critère distinctif du contrat de travail. 470. Il faut également souligner qu’en plus de ce tiraillement intérieur, la crise du lien de subordination est aggravée par des pressions extérieures. Ces dernières résultent de la précarité et de la dépendance économique des travailleurs indépendants, du développement du travail immatériel et du secteur dit quaternaire455. 471. Il sera donc nécessaire d’aborder la subordination moderne entre fausse autonomie et vraie contrainte (A). Car ce phénomène génère des vides juridiques favorisant la disparition 454 455 V. Gollac, Volkoff, 1996, Cézard, Vinck, 1996, Cézard, Dussert, Gollac, 1992 Secteur du conseil et de la propriété intellectuelle 169 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ des frontières du salariat et l’extension de la zone grise entre travailleurs salariés et indépendants (B). A – La subordination moderne entre autonomie et contrainte 472. La nouvelle rationalisation de l’organisation du travail engendre des effets complexes et contrastés sur la subordination. L’autonomie dans les nouveaux rapports de subordination est ambigüe car si de prime abord elle évoque un souffle de liberté dans le travail, elle « peut être source de malaise et de stress si elle est la contrepartie d’une tendance de la hiérarchie à se défausser sur les exécutants quant aux indications minimales qui permettraient d’encadrer son exercice ; il n’est pas non plus exclu que l’autonomie, sur certains points, s’accompagne d’une surabondance d’obligations diverses (objectifs, procédures) »456. 473. C’est le phénomène de responsabilisation croissante des salariés. L’employeur se décharge de la responsabilité - psychologique - des résultats en se désengageant du lien de subordination. Il abandonne ainsi le salarié à son autonomie, non pas pour améliorer ses conditions de travail, mais pour faire peser sur lui une forme non dite d’obligation de résultats en lieu et place d’une simple obligation de moyens. 474. Dans ce cadre en plein essor, le salarié ne peut plus se contenter d’obéir aux ordres, il doit les anticiper voire les deviner. Et si échec il y a, celui-ci lui sera psychologiquement imputable puisqu’il avait toute latitude pour atteindre le résultat demandé. Le phénomène de contractualisation des objectifs et résultats, malgré un encadrement jurisprudentiel strict, participe au développement de ce phénomène en lui donnant force de loi. 475. L’autonomie est dans ce sens source de contrainte car elle engendre une pression et un stress supplémentaire induit par toute responsabilité. Elle peut même faire partie d’une logique de harcèlement moral lorsqu’elle mène à un isolement soudain, à l’ignorance physique et verbale ou à la non fourniture d’une tâche de travail et des moyens de l’accomplir convenablement : « Enfin il nous semble particulièrement important de souligner les liens qui 456 P. Ughetto, La rationalisation vue de l’activité de travail, une diversification du traitement sociologique de l’autonomie et de la contrainte, rev. IRES n° 44, 2004/1 170 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ existent entre la montée des cas de harcèlement moral ou de violences psychologiques au travail et ce mode d’organisation »457. 476. L’autonomie n’est alors plus source de liberté et de progrès mais l’instrument d’un management par la mise à l’épreuve physique et psychique du salarié. « L’observateur attentif peut noter l’ambiguïté de cette autonomie, et le préventeur constater les ravages qu’elle peut produire sur la santé. […] Cette autonomie n’est certainement pas la liberté pour laquelle certains de ses chantres voudraient la faire passer. Elle est en effet, souvent largement contrainte, quand elle n’est pas complètement déterminée par le diktat des résultats. L’autonomie devient alors un alibi. Il s’agit, alors, d’un bon moyen pour renvoyer à la responsabilité du salarié, un mode opératoire […] l’autonomie du salarié a pour seul objet de l’amener à se dépasser en permanence ou à ne pas le payer de la totalité de ses heures de travail »458. 477. C’est aussi une forme de transfert progressif des risques de l’entreprise de l’employeur vers le salarié. Le salarié accomplit ainsi sa prestation de travail sous la menace plus ou moins explicite d’un dépôt de bilan, d’un plan de licenciement économique, d’un licenciement pour insuffisance professionnelle, d’une délocalisation ou encore d’une extériorisation du poste qu’il occupe si jamais il n’est pas en mesure de fournir les résultats attendus. 478. La course à la compétitivité à laquelle se livrent certains salariés aboutit ainsi à un amalgame inconscient entre subordination et soumission. La crainte de la perte d’emploi est exagérée par le contexte de chômage et de crise sociale et économique. Le marché du travail étant saturé, le salarié s’oblige à être irréprochable, au-delà du contrat, car il sait que l’employeur n’aura aucun mal à le remplacer alors que lui même aura beaucoup de mal à retrouver rapidement un emploi équivalent. 479. Comme le souligne très justement B. Grassi, « dès lors, le risque de se voir éliminer, de ce qui est devenu une compétition permanente, devient une crainte omniprésente qui se 457 B. Grassi, la subordination et l’autonomie dans l’emploi privé, in La subordination dans le travail, J.-P. Chauchard, Éd. La documentation française, coll. Cahier travail et emploi, 2003, p. 212 458 Ibid. p. 211 171 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ transformera en angoisse lorsque les problèmes commenceront à apparaître »459. Et de souligner que « les risques psychosociaux sont donc plus que jamais le mal de la subordination moderne : « Renault, PSA, Areva, la Société générale, EDF, HSBC, La Poste, France Télécom, Veolia Propreté… La liste des sociétés touchées ne cesse de s’allonger »460. 480. L’employeur exerce donc de moins en moins une autorité directe et a priori. Il se limite à passer commande à son salarié et intervient a postériori soit pour féliciter, soit pour sanctionner ce qui apparaîtra après coup comme un mauvais choix fait par le salarié, si ce choix a engendré une perte ou un manque à gagner. En ce sens le salarié cumule les inconvénients du salariat : la subordination, et ceux du prestataire de service : l’obligation de résultat : « Le discours managérial […] présente à travers ses théories et à l’aide d’un jeu sémantique, des relations de travail où l’intérêt des employeurs serait identique à celui des salariés, ce qui réduirait à néant toute idée de domination des unes par les autres (et par voie de conséquence de résistance à cette domination). Cette forme de discours peut conduire les juristes à s’interroger sur l’opportunité de conserver à ce critère une place décisive. […] Il semble en effet que le lien de subordination ne s’exerce plus toujours d’une manière aussi directe et immédiate que dans une organisation industrielle de type fordiste »461. 481. Ce phénomène de responsabilisation ultra-subordonnée462 se caractérise par sa nature souvent indicible, non dite et sous-entendue. Il met en œuvre des mécanismes psychologiques invisibles qui tendent à faire disparaître les indices visibles de la subordination en s’y substituant : « L’observation des relations de travail entre salarié et employeur fait apparaître des formes indirectes de contrôle de l’employé qui échappent au principe d’échange d’obligations »463. Dans cette logique, le salarié doit devenir un rouage intelligent, productif et autonome, qui ne consomme pas de ressource en gestion de personnel, et qui assume le risque 459 B. Grassi, La subordination et l’autonomie dans l’emploi privé, in La subordination dans le travail, J.-P. Chauchard, Éd. La documentation française, Coll. Cahier travail et emploi, 2003, p. 212 460 S. Béchaux, Le stress fait le bonheur des consultants, Liaisons Sociales Magazine, sept. 2008 461 A.-C. Hardy-Dubernet, La subordination du point de vue de la sociologie in La subordination dans le travail, J.-P. Chauchard, Éd. La documentation française, Coll. Cahier travail et emploi, 2003, p. 31 462 Au-delà de la subordination 463 Ibid. p. 34 172 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ de son activité. « On passe de l’exploitation de la seule force de travail à celle de la personne du travailleur »464. 482. Dans cette perspective le poste de travail tend à devenir la micro-entreprise du salarié dans l’entreprise de l’employeur et le lien de subordination se dilue dans une domination économique et psychologique diffuse. Il devient alors presque impossible de prouver l’existence du contrat de travail en cas de contestation, même si ce contrat a été signé et remis aux parties. 483. Pour illustrer cette idée en pratique, il est possible d’imaginer une hypothèse inspirée de faits réels. Ce sera le cas d’une esthéticienne salariée à temps partiel, en charge de l’institut d’une salle de sport. Pour éviter une embauche à temps plein, plus onéreuse et au risque qu’il n’y ait pas assez de client, le besoin de flexibilité mènera l’employeur à obtenir de sa salariée qu’elle organise elle-même la répartition hebdomadaire de ses heures de travail. Il abandonne - pour partie - son pouvoir de direction, le lien de subordination perd donc en visibilité. Pourtant il en tire bénéfice car elle s’adaptera elle même à la demande de rendez-vous des clients qui la contacteront directement. Il s’évite ainsi le problème des modifications des horaires en lui donnant le sentiment qu’elle a l’avantage de pouvoir s’organiser librement, mais elle abandonne en fait la protection du droit du travail pour se rendre disponible à la demande. Au besoin en émiettant elle-même son temps de travail, au mépris de ses droits465. 484. Elle est ainsi responsabilisée psychologiquement et au-delà des obligations normales induites par le lien de subordination. Dans ce sens, elle se sentira obligée de se tenir disponible pour les clients afin de sauvegarder l’utilité économique de son poste de travail, au risque d’une suppression de celui-ci. 464 B. Grassi, la subordination et l’autonomie dans l’emploi privé, in La subordination dans le travail, J.-P. Chauchard, Éd. La documentation française, Coll. Cahier travail et emploi, 2003, p. 210 465 « Après qu’on ait cherché à l’anéantir, celle-ci va désormais devenir la pièce maîtresse des organisations de travail. […] Cette démarche n’est pas limitée aux secteurs traditionnels de l’industrie et des services. Elle va toucher un peu tous les secteurs […] de même, elle concernera toutes les catégories jusqu’aux cadres. Du coup, la valeur positive qu’elle représente a priori pour l’homme au travail sera immédiatement utilisée pour vanter la qualité et la modernité de ces nouveaux systèmes », V. B. Grassi, la subordination et l’autonomie dans l’emploi privé, in La subordination dans le travail, J.-P. Chauchard, Éd. La documentation française, Coll. Cahier travail et emploi, 2003, p. 211 173 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ 485. D’où l’apparition de l’idée d’une micro-entreprise du salarié dans l’entreprise de l’employeur et celle du transfert psychologique du risque de l’exploitation. « Ceci met en évidence le caractère illusoire de cette libération et même l’effet pervers induit par sa non reconnaissance juridique »466. Ainsi que le souligne B. Grassi, « une des situations les plus redoutables pour les salariés, est celle qui les met en responsabilité personnelle d’une clientèle. Ils se retrouvent alors, dans cette position paradoxale, de devoir assumer personnellement la responsabilité d’exigences qui devraient s’adresser à l’entreprise »467. 486. La liberté subordonnée est donc une illusion qui relève d’un management invisible car psychologique468. C’est un leurre imposé qui n’a pour but que de responsabiliser au-delà des obligations normales de la subordination. Dans le contexte évoqué ci-dessus, l’employeur se décharge de la gestion de la clientèle et du temps de travail. Il ne fixe plus les horaires de travail, ni ne contrôle la prestation de travail en raison du caractère technique de celle-ci. Il ne donne pas d’ordre puisque la salariée s’organise elle-même. Il ne reste tout au plus que le pouvoir de sanction pour rendre visible le lien de subordination, mais celui-ci est substitué par le mécanisme quasi imperceptible de la responsabilisation. 487. Pour reprendre l’expression d’A.-C. Hardy-Dubernet, « quand le management veut faire disparaître la subordination, elle devient indicible en droit »469. Ainsi, « les nouvelles formes du management annoncent l’abolition pure et simple de toute manifestation coercitive et immédiate de l’autorité hiérarchique, en prônant l’autonomie du salarié comme condition de la réussite de l’organisation toute entière. Autrement dit, il ne s’agit pas d’une prise d’autonomie par le salarié mais d’un devoir d’autonomie qui apparaît sous la forme d’une injonction »470. 466 A.-C. Hardy-Dubernet, La subordination du point de vue de la sociologie in La subordination dans le travail, J.-P. Chauchard, Éd. La documentation française, Coll. Cahier travail et emploi, 2003, p.37 467 B. Grassi, la subordination et l’autonomie dans l’emploi privé, in La subordination dans le travail, J.-P. Chauchard, Éd. La documentation française, Coll. Cahier travail et emploi, 2003, p.212 468 V. N. Aubert, Le management managinaire, dans Bouilloud J-P & Lecuyer B-P (dir.), L'invention de la gestion, Éd. L'harmattan, Logiques de Gestion, 1994 ; F. Pichault, Call-centers, hiérarchie virtuelle et gestion des ressources humaines, rev. française de gestion, n° 130, 2000, p. 5-15 469 Ibid. p.30 470 B. Grassi, la subordination et l’autonomie dans l’emploi privé, in La subordination dans le travail, J.-P. Chauchard, Éd. La documentation française, Coll. Cahier travail et emploi, 2003, p.233 174 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ 488. L’illustration proposée permet donc d’illustrer un courant global de dérive managériale qui exploite les failles d’un lien de subordination conçu par une jurisprudence séculaire comme étant nécessairement ostensible et autoritariste. Ainsi « l’autorité de l’employeur cherche à s’exercer de la manière la plus unilatérale possible, ce qui est rendu possible par la définition juridique de la subordination. Celle-ci, parce que circonscrite à l’exécution du contrat de travail, n’est plus objet de droit dès lors qu’elle s’en écarte. Devenue indicible, donc sans limite, elle se manifeste dans les failles du contrat de travail, là où, soit rien n’est dit, soit ce qui est dit n’est pas réellement applicable »471. 489. La distinction entre le salarié – qui jouit d’une liberté subordonnée - et le travailleur indépendant - économiquement subordonné - se trouve ainsi perturbée par l’insuffisance d’un critère dilué et anachronique. Ainsi que le souligne l’OIT dans ses rapports, il devient pressant de pouvoir apporter une réponse juridique plus satisfaisante. B – L’extension de la zone grise entre travailleurs salariés et indépendants 490. Le monde du travail est marqué par le développement du travail atypique. Ce phénomène doit être distingué de celui des nouvelles formes d’organisation bien qu’ils entretiennent des liens étroits évidents. Apparaissent ainsi de nouvelles formes d’emploi : pluriactivité, télétravail, travail indépendant ou encore le nouveau statut d’auto-entrepreneur. Ce phénomène conforte les difficultés déjà existantes concernant la délimitation du travail indépendant. La prolifération et la diversification des situations de travail mettent à l’épreuve le recours à un critère unique (le lien de subordination juridique) élaboré à une époque où les formes d’activités étaient moins complexes. 491. Ainsi que le souligne la Commission des Communautés européennes dans un rapport récent, « l'apparition de formes de travail atypique variées a estompé les frontières entre le droit du travail et le droit commercial. La distinction binaire traditionnelle entre «salarié» et «travailleur indépendant» n'est plus le reflet fidèle de la réalité économique et sociale du travail. Des différends peuvent survenir à propos de la nature juridique d'une relation de travail lorsque celle-ci est déguisée ou lorsque de véritables difficultés se posent pour faire 471 A.-C. Hardy-Dubernet, La subordination du point de vue de la sociologie in La subordination dans le travail, J.-P. Chauchard, Éd. La documentation française, Coll. Cahier travail et emploi, 2003, p. 32 175 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ coïncider de nouvelles modalités de travail dynamiques avec la relation de travail traditionnelle »472. 492. La jurisprudence de la Cour de cassation peut elle-même révéler cette difficulté. En effet, plusieurs auteurs ont déjà souligné l’incohérence entre l’arrêt Société Générale rendu en 1996 : « le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné » et l’arrêt Labbane rendu en 2000 : « L’accomplissement effectif du travail dans les conditions […] prévues par le contrat et les conditions générales annexées plaçait le locataire dans un état de subordination à l’égard du loueur […] ». 493. S’il est vrai que ces deux arrêts font référence à la subordination, ils se contredisent dans la mesure où l’arrêt Société générale fait appel à la caractérisation d’une relation hiérarchique en écartant l’argumentation économique de la subordination, alors que l’arrêt Labbane fait justement appel à des arguments économiques pour établir le lien de subordination473. La notion de travailleur économiquement dépendant n’a donc pas été consacrée explicitement car la Cour de cassation refuse de franchir ce cap. Elle semble toutefois interpeller le législateur sur la nécessité de donner une cadre adapté aux situations qui ne relèvent ni des standards du travail salarié ni de ceux du travail indépendant. Cette zone grise entre droit commercial et droit du travail laisse de nombreux travailleurs en situation fragile sans protection légale ou sociale adaptée. Elle participe ainsi à la disparition des frontières du salariat. 472 Commission des communautés européennes, Livre vert, Moderniser le droit du travail pour relever les défis du XXIe siècle, COM(2006) 708, final Bruxelles, 22 novembre 2006 473 J.-P. Chauchard, Subordination et indépendance, La Lettre Prud’homale, 4ème trimestre 2002, n° 3 176 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ SECTION II - LES DROITS ET LIBERTÉS DU SALARIÉ COMME LIMITES AU LIEN DE SUBORDINATION 494. Les lois Auroux ont été une étape déterminante dans l’élaboration du droit actuel des relations individuelles et collectives de travail. Elles sont composées de la loi n° 82-689 relative aux libertés des travailleurs dans l’entreprise, de la loi n° 82-915 relative au développement des institutions représentatives du personnel, de la loi n° 82-957 relative à la négociation collective et au règlement des conflits du travail et enfin de la loi n° 82-1097 relative aux comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail. 495. Leur ambition est de consacrer les objectifs de progrès qui sont contenus dans le rapport 474 de J. Auroux sur les droits des travailleurs. Ce rapport préfigure les idées directrices de ces lois. Elles participent à la mise en œuvre effective des principes politiques, économiques et sociaux particulièrement nécessaires à notre temps qui sont reconnus dans le préambule de la Constitution de 1946. 496. Le premier objectif consistait à étendre le concept de la citoyenneté à la sphère de l'entreprise ainsi que le précise rapport : « citoyens dans la cité, les travailleurs doivent l’être aussi dans leur entreprise »475. Le second objectif était de stimuler les initiatives individuelles et collectives au motif que « les travailleurs doivent devenir les acteurs du changement dans l’entreprise »476. 497. Sans aller jusqu’à faire une étude consacrée aux lois Auroux il faudra, pour comprendre ces deux mécanismes comme limites au lien de subordination, envisager la proclamation du salarié citoyen dans l’entreprise (paragraphe 1) et le développement de la négociation collective (paragraphe 2). 474 J. Auroux, Les droits des travailleurs, Rapport au Président de la République et au Premier ministre, Paris, La Documentation françaises, 1981, 104 p. 475 Ibid., p. 4 476 Ibid., p. 4 177 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ Paragraphe 1 – La proclamation du salarié citoyen dans l’entreprise 498. L'entreprise est de moins en moins un monde hermétique dans lequel l’employeur règne sans considération pour ses employés. La loi donne aujourd’hui aux salariés de plus en plus de droits et de prérogatives : « le bon salarié était celui qui exécutait son travail sans réclamer ni s'exprimer. La seule réaction possible était collective. D'où l'apparition progressive des grandes libertés : droit de grève, liberté syndicale, négociation collective. Mais l'évolution de la société (de l'autorité au consensus), la transformation des rapports sociaux (de Taylor au travailleur du savoir) et les propres de la démocratie ont amené l'entreprise à s'ouvrir au monde extérieur, à reconnaître à chaque salarié des droits autres que ceux qui résultaient directement du contrat de travail (salaire, durée du travail, garanties contre la perte de l'emploi). L'effort de la jurisprudence a porté, en premier lieu, sur la reconnaissance d'une autonomie réelle du salarié. En dehors de l'entreprise et même au sein de celle-ci, il doit conserver une sphère d'intimité qui lui est propre »477. 499. Cette sphère de protection du salarié constitue un espace réservé, une zone de liberté hors de portée du lien de subordination dont l'article L.1121-1du Code du travail constitue la principale protection. Tout salarié est ainsi en mesure de faire valoir ses droits et libertés de citoyen dans l’entreprise. Le développement de ce concept constitue donc un contrepouvoir juridique au pouvoir de subordination de l’employeur478. 500. Mais l’employeur peut apporter des restrictions à l'exercice de ces droits et libertés lorsque celles-ci sont nécessaires à la préservation des intérêts de l'entreprise, légitimes et proportionnées. Les nouveaux rapports de travail sont donc de nature à fragiliser la pertinence du recours au lien de subordination puisque la consistance de ce dernier s’amenuise sous l’influence grandissante des droits et libertés. 501. La jurisprudence est également un outil privilégié de protection des droits et libertés de salariés. Son rôle est déterminant puisqu’elle forge les illustrations pratiques des principes 477 P. Waquet, L'Entreprise et les Libertés du salarié : Du salarié-citoyen au citoyen-salarié, Éd. Liaisons, Coll. Droit vivant, 2003 478 Entendu comme étant plus classiquement désigné comme le pouvoir de direction 178 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ généraux édictés par la loi, comme dans l’affaire dite du « bermuda »479. Celle-ci témoigne généralement d’un raisonnement en deux temps puisque la consécration des droits et libertés du salarié s’accompagne d’une légitimation obligatoire du pouvoir de direction. « Il s'agit d'une articulation entre pouvoir et liberté, qui provient du jeu d'intérêts contraires, celui du respect de l'autonomie de la vie personnelle du salarié et celui du respect de la paix sociale dans l'entreprise »480. 502. L'article L. 1121-1 du Code du travail permet donc la reconnaissance du respect dû aux droits et libertés du salarié (A). Il en résulte l’apparition et le développement d’un domaine réservé du salarié dans la subordination (C) qui est protégé par le contrôle a posteriori des pouvoirs patronaux mis en œuvre (B). A – Le respect des droits et des libertés par l’employeur 503. Différentes catégories de droits et libertés sont susceptibles d’être mis à mal par l’existence d’un lien de subordination. Quelle que soit l’atteinte qui peut légalement y être apportée, elle variera dans son principe et dans sa gravité en fonction de l’importance du droit ou de la liberté en cause. Seront ainsi respectivement abordés le cas des libertés et droits fondamentaux (1) des droits des personnes et de la personnalité (2) et des libertés individuelles et collectives (3). 1 – Les libertés et droits fondamentaux 504. Les libertés et droits fondamentaux désignent l'ensemble des droits subjectifs primordiaux de l'individu qui doivent être garantis dans tout État de droit. Les libertés et droits fondamentaux englobent donc les libertés publiques. Il leur est reconnu un effet vertical et horizontal ce qui signifie que le juge ne doit pas se limiter à protéger les libertés et droits fondamentaux de tout individu seulement contre l'État. Il devra donc également garantir leur respect face aux atteintes d’autres individus. 479 Cass. Soc., 28 mai 2003 P. Waquet, L'Entreprise et les Libertés du salarié : Du salarié-citoyen au citoyen-salarié, Éd Liaisons, Coll. Droit vivant, 2003 ; P.-H. Antonmattéi, Vie professionnelle, vie personnelle et vie syndicale, dr. soc. n° 1 , Page(s) 21- 22, 01/01/2010 (Colloque de Droit social du 23 octobre 2009 intitulé "Vie professionnelle et vie personnelle") 480 179 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ 505. Tout employeur et toute mesure disciplinaire sont donc susceptibles d’être respectivement sanctionné et annulée. Il suffit pour ce faire qu’il ait été porté atteinte de manière abusive aux droits que le salarié citoyen – voire le citoyen salarié – tient de principes ou de textes à valeur constitutionnelle481 comme la Convention Européenne de Sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales. 506. Ces droits se présentent de manière chronologique. Ainsi distingue-t-on classiquement les droits dits de première génération - ensemble des droits individuels et organisationnels issus de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 - les droits dits de seconde génération issus du Préambule de la Constitution de 1946 - ensemble des droits sociaux - et les droits de troisième génération – ensemble des droits inspirés par la Charte de l'environnement -. 507. La protection des libertés et droits fondamentaux est d'origine prétorienne. Ainsi le juge pourra se fonder sur le Code du travail, notamment sur la base de l’article L.1121-1, pour apprécier le respect de ceux-ci dans le lien de subordination. Si besoin est, il pourra sanctionner toute atteinte abusive qui leur aura été portée par l’annulation des mesures ou sanctions en cause. Lorsqu’elle résulte d’une inaction ou d’un manquement à une obligation de faire, il pourra allouer au salarié des dommages-intérêts, au besoin, sur la base de la responsabilité civile si aucun texte spécial du Code du travail ne le permet. Les libertés et droits fondamentaux forment donc une première limite à l'état de subordination juridique du salarié. 2 – Les droits des personnes et de la personnalité 508. Les droits de la personnalité sont des droits fondamentaux qui sont, par leur nature, indissociables de la personne du salarié. Il s’agit donc d’une catégorie de droits fondamentaux particulièrement sensible aux dérives de la subordination puisque le salarié doit - dans la grande majorité des cas - être physiquement présent au sein de l’entreprise. Lorsqu’il s’engage dans les liens d’un contrat de travail, le salarié ne peut aliéner de manière générale et absolue ses droits et libertés. 481 V. Définition du « Bloc de constitutionnalité » selon l’expression du doyen L. Favoreu 180 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ 509. Cette règle est confortée par les principes de l'inviolabilité et de l'indisponibilité du corps humain. Ces principes élémentaires doivent cadrer les limites à la subordination, laquelle ne doit pas dégénérer en soumission voire en servitude. Le respect de l’intégrité morale du salarié, son droit à l'image, son droit au respect de sa dignité, son droit au respect de son intégrité corporelle ou encore son droit au respect de sa vie privée482 sont autant de remparts juridiques qui protège le fort personnel du salarié contre les éventuelles dérives d’une subordination réifiante ou asservissante. Pour reprendre les mots du Professeur Savatier, « Le salarié n'abandonne pas son corps à la volonté de l'employeur. Il se borne à contracter des obligations de faire ou de ne pas faire. Ses droits sur son corps sont inaliénables »483. 510. Le respect de la vie privée proclamée dans la célèbre formule de l'article 9 du Code civil « chacun a droit au respect de sa vie privée », est une protection des plus significatives à l’heure de la vidéosurveillance, des systèmes de pointage biométriques, des dispositifs d’alerte professionnelle484, dit whistleblowing, du téléphone portable, des SMS, d’internet, des mails, des blogs et des réseaux sociaux485. 511. Dans ce contexte la protection de la vie privée permet au salarié de prévenir deux types d'atteintes par l’employeur : « la divulgation de la vie privée et l'investigation dans la vie privée »486. Pour reprendre une des expressions prégnantes de J-E. Ray, peut-être que le droit à la déconnexion constitue donc « le droit à la vie privée du XXIe siècle »487. 482 V. P. Malaurie, Droit civil, Les Personnes, Cujas, 1992, p. 99 s. J. Savatier, La liberté dans le travail : dr. soc. 1990, p. 56 484 V. P.-H. Antonmattéi, Informatiques et libertés : conditions de validité des dispositifs d'alerte professionnelle, JCP S n° 9 , pp. 38- 41, 02/03/2010 ; P.-H. Antonmattéi, Appréciation par le juge judiciaire de la licéité d'un dispositif d'alerte professionnel, JCP G n°52, pp. 34- 35, 21/12/2009 ; P.-H. Antonmattéi, Ph. Vivien , Chartes d’éthique, alerte professionnelle et droit du travail français: état des lieux et perspectives, Éd. La Documentation française, Janvier 2007 ; Circ. DGT n° 2008-22, 19nov.2008, V. Liaisons sociales, rev. Social pratique n° 52, p. 19 485 A. Mole, Mails personnels et responsabilités : quelles frontières? dr. soc., n°84, 2002 ; P.-H. Antonmattéi, NTIC et vie personnelle au travail, dr. soc. n° 1, p.37-41, 01/01/2002 ; J.-C. Sciberras, L'irrigation de l'entreprise par les NTIC : le point de vue d'un praticien, dr. soc. n°93, 2002 486 V. P. Kayser, Aspects de la protection de la vie privée in J. Savatier, article préc., p. 330 ; B. Teyssié, Personnes, entreprises et relations de travail, dr. soc. 1988, p. 374 487 J.-E. Ray, Naissance et avis de décès du droit à la déconnexion, le droit à la vie privée du XXIème siècle, dr. soc. n°939, 2002 ; P.-H. Antonmattéi, Vie professionnelle, vie personnelle et vie syndicale, dr. soc. n°1, p.21- 22, 01/01/2010 (Colloque de Droit social du 23 octobre 2009 intitulé "Vie professionnelle et vie personnelle") 483 181 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ 512. Les droits de la personnalité réservent ainsi à l'individu « une sphère secrète de vie d'où il aura le pouvoir d'écarter les tiers »488. Pour le salarié il s’agit donc d’une sphère d’où il aura le pouvoir d’écarter l’employeur et donc de rompre le lien de subordination sans rompre son contrat de travail. 3 – Les Libertés individuelles et collectives 513. Les libertés individuelles permettent aux individus, et donc aux salariés, de disposer de manière discrétionnaire de leur corps, de leur pensée ou de leur action. Elles se composent à titre non exhaustif de la liberté de se déplacer, de s'exprimer, de travailler, d'adhérer à un groupement ou encore de la liberté de conscience ou de culte. Les libertés collectives recouvrent la liberté d'association, la liberté de réunion ou encore le droit de grève. Elles trouvent « leur traduction normale dans le cadre d'institutions organisées par des textes spécifiques »489. 514. Dans l’exercice de son pouvoir disciplinaire, l’employeur doit sous certaines conditions élaborer un règlement intérieur. De ce fait, il ne peut pas contenir de dispositions restreignant le droit des personnes ou les libertés individuelles et collectives, sauf si ces restrictions sont justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché490. 515. La jurisprudence et les circulaires DRT n° 5-83 du 15 mars 1983 et n° 91-17 du 10 septembre 1991 fournissent des exemples significatifs de clauses illégales qui illustrent les atteintes aux droits et libertés en donnant des exemples de clauses interdites : « interdiction du mariage entre salariés, obligation d'adopter un type de coiffure, obligation de porter un uniforme sans restriction, recours à l'alcootest ou à la fouille en toute circonstance, interdiction absolue de chanter, siffler ou de parler à ses collègues »491. 488 J. Carbonnier, Droit civil : PUF, 1980, t. 1, n° 71 Circulaires DRT n° 5-83 du 15 mars 1983 490 C. trav., art. L. 1321-3 al.1 491 Circulaires DRT n° 5-83 du 15 mars 1983 ; V. CE, 25 janv. 1989 : RJS 1989, n° 423 : une clause de règlement intérieur ne peut donc interdire toute conversation en dehors du service car cela dépasse « l'étendue des sujétions que l'employeur pouvait édicter en vue d'assurer le bon ordre et la discipline [...] ainsi que la bonne exécution de certains travaux exigeant une attention particulière » 489 182 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ 516. L’article L. 1321-3 du Code du travail témoigne donc du phénomène de limitation du pouvoir de l’employeur face aux droits et libertés des salariés. Tout salarié dispose donc d’un domaine réservé dans la subordination492. Cet espace d’insubordination légitime lui permet de circonscrire l’emprise de l’employeur à l’accomplissement de sa prestation de travail, à l’abri de l’imposition de considérations obscures493. B - La nécessaire justification du pouvoir patronal 517. « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché »494. Ainsi, chaque fois qu’une restriction est apportée aux droits ou libertés d’un salarié, le juge pourra contrôler la légitimité de cette restriction. En édictant un principe de portée générale le législateur permet au juge d’apprécier librement chaque situation. 518. Chaque droit, chaque liberté étant concerné par le champ d’application de L.1121-1 du Code du travail il serait impossible de présenter de manière exhaustive tous les cas de figure possibles. Toutes les fois où un employeur souhaitera prendre une mesure restrictive de liberté il devra confronter sa légitimité face à la nature de la tâche à accomplir et vérifier dans un second temps si elle est proportionnelle au but recherché. 519. Les ordres ou consignes qui portent des restrictions trop générales aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives sont donc annulées si leur justification n’est pas convaincante. « La nécessité de la restriction édictée par l'employeur doit être impérieuse, évidente, la solution adoptée être mesurée ; si la liberté de la personne est limitée, sa dignité est toujours inviolable ; si la contrainte est indispensable, elle doit rester proportionnée au but recherché ». 492 N. Baudson, Le domaine réservé du salarié dans le rapport de subordination, Thèse de doctorat, Université Toulouse I, 2000 493 V. B. Siau, Nullité du licenciement d'un salarié ayant exercé son droit de retrait ; note sous Cass. soc., 28 janvier 2009, pourvoi numéro 07-44.556, Revue Lamy Droit des affaires n°36, p.57-59, 01/03/2009 494 Article L.1121-1 du Code du travail 183 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ C – Le domaine réservé du salarié dans la subordination 520. Les empiètements patronaux à l’intérieur de ce domaine réservé ont pour conséquence de légitimer l’insubordination du salarié. Le refus d’obéir est dans ce cas autorisé et ne produit donc pas les effets d’une inexécution car l’employeur dépasse les limites de la subordination495. L’existence de limitations au droit de l’employeur de donner des ordres, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les éventuels manquements participe à l’effacement des indices de la subordination et complexifie l’identification du contrat de travail. Il constitue un élément supplémentaire de remise en cause du recours au lien de subordination comme critère du salariat. 521. Dans une première hypothèse, il faut considérer que l’employeur peut porter atteinte à la personnalité du salarié en donnant un ordre soit abusif, soit contraire à l’ordre public ou aux bonnes mœurs soit encore illégal. Dans cette situation le salarié peut se défendre en usant d’une insubordination légitime qui lui permet de lutter contre des atteintes illégitimes. C’est la logique défensive de principe des droits de la personnalité. Elle protège a posteriori les droits du salarié, « c’est précisément afin de constituer autour du sujet une zone de protection que l’existence de ces droits a été affirmée »496. C’est ici le juge qui va conférer un certain degré d’inaliénabilité aux droits de la personnalité du salarié à partir du moment où il aura reconnu l’abus de droit de l’employeur. 522. Dans une seconde hypothèse il faut considérer que les droits de la personnalité peuvent avoir une fonction protectrice voire offensive dont les effets auront vocation à produire leurs effets a priori. Le salarié ne se défend plus contre une atteinte mais réclame d’office le respect de ses droits de manière subjective. En cas de conflit le salarié devra prouver le bien-fondé de ses prétentions. L’initiative du salarié qui impose ses exigences en refusant d’exécuter un ordre ou de respecter une règle prend donc un risque. Qu’il invoque la lettre du contrat lui-même, par exemple une clause de conscience, ou bien un droit prévu par la loi, comme le droit de retrait, le juge pourra toujours qualifier l’attitude du salarié comme abusive ou erronée. 495 V. N. Baudson, Le domaine réservé du salarié dans le rapport de subordination, Thèse de doctorat, Université Toulouse I, 2000 496 G. Goubeaux, Traité de droit civil, Les obligations, le contrat, 3° éd., Éd. LGDJ, 1993, p.251 n°179 184 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ 523. Il n’en demeure pas moins que, dans ce contexte, le salarié prévient en toute légitimité une atteinte morale ou physique en usant d’un droit d’inexécution qui prive l’employeur d’un pouvoir de subordination absolu et d’une autorité indiscutable. Dans ces conditions, le recours au lien de subordination peut perturber la qualification du contrat de travail puisqu’il s’efface sous l’effet de libertés et droits d’intérêts supérieurs. Il en résulte un droit à l’inexécution légitime pour tout cocontractant (1) ainsi qu’un droit à l’insubordination légitime (2). Ces droits sont renforcés par la mise en place d’un dispositif d’alerte en cas d'atteinte aux libertés (3). 1 – Le droit à la désobéissance légitime de tout cocontractant 524. De manière générale le refus d'exécuter une tâche non prévue au contrat de travail ne constitue pas un motif légitime de licenciement497 ni même de sanction. Tout salarié peut donc refuser d'exécuter un ordre sans encourir de sanction disciplinaire498. Il en sera de même lorsque le refus d’exécution d’une tâche de travail aura pour fondement une stipulation contractuelle. Le refus pourra par exemple se fonder sur une clause de conscience. 525. Le respect de la loi peut également autoriser le salarié à refuser l'exécution d'ordres de son employeur s’ils sont manifestement illégaux. Il peut s’agir du refus d'exécuter des heures supplémentaires qui entraîneraient un dépassement de la durée maximale de travail autorisée ou du refus d’espionner un autre salarié en le suivant ou installant un système de surveillance illégal. Plus généralement, tout salarié peut refuser d’exécuter un ordre de son employeur si celui-ci l'expose lui-même à des sanctions pénales. 526. Enfin la théorie générale des obligations est un mécanisme supplémentaire de rééquilibrage de la relation de travail puisque le contrat de travail est un contrat synallagmatique. Ainsi l'employeur qui ne verse pas les salaires autorise implicitement ses salariés à ne pas accomplir leur prestation de travail. C’est l’exception d’inexécution. 497 498 Cass. soc., 3 déc. 1992 : RJS 1993, n° 17 Cass. soc., 28 mars 1995 : Dr. soc. 1995, p. 505 185 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ 2 – Le droit à l’insubordination légitime de tout salarié 527. Le droit à l’insubordination légitime de tout salarié peut se fonder sur l’exercice d’un droit comme, par exemple, le droit de retrait prévu à l’ article L. 4131-1 du Code du travail : « Le travailleur alerte immédiatement l'employeur de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu'elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ainsi que de toute défectuosité qu'il constate dans les systèmes de protection. Il peut se retirer d'une telle situation. »499. Il s’agit là encore d’un héritage des lois de 1982, en vertu duquel le salarié peut refuser d'exécuter sa prestation de travail sans qu'aucune sanction ne puisse être prise à son encontre500. 528. L’exercice d’autres droits peut autoriser le salarié à se soustraire à l’autorité de l’employeur. Par exemple en usant du congé individuel de formation prévu à l’article L.63224 du Code du travail. Sous réserve de pouvoir bénéficier de ce droit, le salarié doit simplement demander une autorisation d’absence à son employeur qui ne peut la refuser sauf si un autre salarié est déjà absent dans le cadre d’un congé individuel de formation. Il pourra tout au plus différer la date de début de formation d’une durée maximale de neuf mois à condition de justifier d’un motif légitime tenant à l’organisation de l’entreprise501. C’est donc une sphère supplémentaire de liberté laissée à la discrétion du salarié qui ne peut être contrariée par le lien de subordination et donc par le pouvoir de direction de l’employeur. 3 – Le dispositif d’alerte en cas d'atteinte aux libertés 529. La loi organise un mécanisme d'alerte dans le but de prévenir toute atteinte aux libertés dans l’entreprise. Ce mécanisme est complémentaire au contrôle du règlement intérieur. L'article L.2313-2 du Code du travail dispose ainsi que « si un délégué du personnel constate, notamment par l'intermédiaire d'un salarié, qu'il existe une atteinte aux droits des personnes, à leur santé physique et mentale ou aux libertés individuelles dans l'entreprise qui ne serait pas 499 Article L. 4131-1 du Code du travail B. Siau, Nullité du licenciement d'un salarié ayant exercé son droit de retrait ; Note sous Cour de cassation, Chambre sociale, 28 janvier 2009, pourvoi numéro 07-44.556, Revue Lamy Droit des affaires n°36, p.57-59, 01/03/2009 ; V. aussi : Cass. soc., 9 déc. 2003 : Dr. soc. 2004, p. 313, obs. P. Waquet, le droit de retrait est un « droit », le salarié n'est donc pas tenu d'en user 501 Articles L. 6322-1 à L. 6322-36, L. 6322-64 et R. 6322-1 à R. 6322-27 du Code du travail 500 186 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ justifiée par la nature de la tâche à accomplir, ni proportionnée au but recherché, il en saisit immédiatement l'employeur […]. En cas de carence de l'employeur ou de divergence sur la réalité de cette atteinte, et à défaut de solution trouvée avec l'employeur, le salarié, ou le délégué si le salarié intéressé averti par écrit ne s'y oppose pas, saisit le bureau de jugement du conseil de prud'hommes qui statue selon la forme des référés […]»502. 530. Le juge peut donc décider de toute mesure utile pour faire cesser le trouble, au besoin en ordonnant une astreinte503. Le domaine réservé issu des droits et libertés du salarié ne pourra cependant se révéler que par l’action revendicative du salarié. En temps de crise de l’emploi, un salarié sera d’autant plus réticent à user de ses droits qu’il sait qu’il risque de compromettre la pérennité de son emploi à court ou moyen terme. Le remède peut alors paraître pire que le mal ; il existe des salariés qui préfèrent accepter quelques abus par crainte de voir leur vie déstabilisée par un licenciement et par hantise d’être confronté aux conséquences sociales du chômage (dépression, isolement, difficultés financières etc.)504. 531. Ce peut être également l’explication du faible taux de syndicalisation des salariés français (de l’ordre de 7 à 8 pour cent des salariés). L’action syndicale permet pourtant aux salariés de s’effacer en tant qu’individu derrière la personnalité du syndicat mais aussi derrière l’action physique de représentants protégés. Ce mécanisme de représentation et d’assistance favorise la protection des libertés et droits, c’est pourquoi le législateur est attentif au développement de la négociation collective. Paragraphe 2 – Le développement de la négociation collective 532. La négociation collective d’aujourd’hui est l’œuvre de lois successives qui ont marqué les années les plus importantes du droit du travail. Tout d’abord la loi du 25 mars 1919 instaure pour la première fois un cadre institutionnel aux conventions collectives. Puis, après la victoire du Front populaire, le gouvernement obtient le vote de la loi du 24 juin 1936 qui introduit la procédure d’extension et qui fonde l’origine du principe de faveur. La loi du 23 502 Article L.2313-2 du Code du travail V. J.-E. Ray, Une loi macédonienne ? Étude critique du titre V de la loi du 31 décembre 1992, dr. soc. 1993, p. 107 s. 504 V. F. Rey, A. Fairise, Salariés, vous n'avez plus le droit à l'erreur, rev. liaisons sociales n° 33, juin 2002 503 187 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ décembre 1946 soumet le contenu et le champ d’application de la négociation au contrôle de l’État. Après l’instauration de la cinquième République, le développement de la négociation collective a été principalement marqué par la loi du 13 juillet 1971 qui reconnaît l’existence d’un droit des travailleurs à la négociation collective. Enfin les lois Auroux marquent l’apogée de cette évolution. Ainsi faut-il citer la loi du 28 octobre 1982 relative au développement des institutions représentatives du personnel, et celle du 13 novembre 1982 relative à la négociation collective et au règlement des conflits collectifs du travail. 533. Le sens de cette évolution est de créer un contrepoids au pouvoir unilatéral de l’employeur afin de pouvoir offrir une protection au salarié dans un état de subordination. Les lois Auroux ont en cela été déterminantes, le législateur ayant placé la négociation au niveau de l’entreprise en la rapprochant donc du salarié. Elles ont donc participé à renforcer l’effectivité du « droit des salariés à la négociation collective de l’ensemble de leurs conditions d’emploi et de travail et de leurs garanties sociales » prévu par le Préambule de la Constitution de 1946. 534. Ce développement et cet intérêt pour la négociation collective ont été confirmés par les lois votées après l’an 2000. Il fait du dialogue social un véritable mode de régulation démocratique des relations de travail au sein de l’entreprise. Le salarié n’est donc plus celui qui écoute, il devient également celui qui parle et fait entendre ses aspirations. Le lien de subordination est en cela de moins en moins absolu, unilatéral et indiscutable. Cette progression est soutenue par l’extension du champ d’intervention de la négociation collective (A) qui a été rendue possible par l’épuisement du compromis fordiste (B). A – L’extension du champ d’intervention de la négociation collective 535. L’extension du champ d’intervention de la négociation collective résulte de différents facteurs. Les mutations économiques et juridiques ont progressivement introduit de nouveaux thèmes dans la négociation collective. La négociation collective a longtemps été focalisée sur la détermination des salaires. Les thèmes abordés visaient donc principalement les augmentations, les primes et les grilles de salaire. « En 1990, salaires et primes représentent 188 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ 400 des 500 accords de branches. À la même date, la négociation salariale représente plus de 50% des accords d’entreprise »505. 536. Que ce soit au niveau des accords d’entreprise ou des accords de branche, ce n’est qu’après la loi n° 2004-391 du 4 Mai 2004 qu’il est possible d’observer un réel enrichissement de la négociation collective. De nouveaux thèmes apparaissent, comme celui de la formation professionnelle, de la durée du travail ou de la protection sociale complémentaire : « ainsi, salaires et primes prépondérants 15 ans plus tôt ne font plus qu’un peu plus de la moitié des accords. Dans les entreprises, les avenants salariaux passent de 56% en 1989 à 29,6% en 2004, alors que leur nombre est passé de 3 300 à 4 300 »506. 537. Ainsi, la négociation collective devient « un outil de définition en commun non plus des enjeux substantiels (salaires, primes, classifications, etc.), mais des procédures qui se situent en amont de ces enjeux (objectifs de performance, critères de calcul et d’attribution des compléments de rémunération, etc.). Cette tendance reflète le passage d’une « négociation substantielle » à une « négociation procédurale ». Elle accrédite l’idée que la négociation collective a moins pour objectif de définir le contenu des décisions (augmentation ferme d’une prime) que leur mise en œuvre (modalités d’octroi des primes) »507. 538. L’employeur n’est donc plus seul à déterminer les conditions de travail des salariés. Ces derniers négocient avec l’employeur des accords juridiquement contraignants ce qui tend à faire disparaître la figure patronale comme unique source du pouvoir de direction. Ce pouvoir perd son caractère unilatéral puisque les salariés prennent part à l’encadrement de leur propre subordination. B - Une évolution révélatrice de l’épuisement du compromis fordiste 539. Cette évolution de la négociation collective marque la fin de l’accord tacite qui sous- tendait les relations de travail dans la croissance d’après-guerre. En effet, les « salariés 505 J.P. Jacquier, l’évolution de la négociation collective, sociologos.insa-lyon.fr, 14 mars 2003 Ibid 507 Les nouvelles tendances de la négociation collective, Séminaire de la promotion Romain Gary, ENA, Direction des études, 2006 506 189 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ centraient leurs revendications sur la question salariale, laissant l’organisation du travail en dehors du champ de négociation. L’intensification, la parcellisation du travail et l’allongement de sa durée étaient en quelque sorte achetés par des hausses de salaires »508. 540. La main-d’œuvre abondante n’avait pas à justifier d’une qualification élevée car la production était alors massive, standardisée et « nécessitait peu d’efforts d’implication ou d’innovation de la part des salariés. De fait, les accords collectifs portaient principalement sur les salaires, ce qui révèle un lien, qualifié de compromis fordiste, entre un mode d’organisation productive et un mode de régulation sociale »509. 541. De ce point de vue, la crise économique qui a suivi, apparaît comme un facteur déterminant du renouveau de la négociation collective. Les changements structurels induits par un contexte de faible croissance a ainsi favorisé l’apparition du thème de l’organisation du travail jusqu’alors ignoré dans le processus de négociation collective. Les salariés ont donc aujourd’hui la possibilité d’influer sur la détermination de leurs conditions de travail de manière conventionnelle. D’autant plus que cette voie s’emprunte plus aisément que la re/négociation de leur contrat de travail. Dans l’absolu, l’entreprise n’est donc plus ce « monde clos où l'employeur exerçait une autorité sans partage »510 ce qui témoigne d’un effritement du pouvoir de direction et par conséquent du lien de subordination. 508 Ibid 509 Ibid P. Waquet, L'Entreprise et les Libertés du salarié : Du salarié-citoyen au citoyen-salarié, éd. Liaisons, Coll. Droit vivant, 2003 510 190 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ CHAPITRE 2 L’IMPACT DES NOUVELLES ORGANISATIONS DU TRAVAIL SUR LE LIEN DE SUBORDINATION 542. L’avènement de la troisième ère industrielle résulte de l’apparition et du développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication. C’est une révolution de l’informatique qui puise ses origines en 1970 avec notamment l’accès aux premiers ordinateurs. Il s’agit d’ « inventions [qui] vont progressivement se diffuser à l'ensemble de l'économie provoquant une rupture paradigmatique du processus de production. Les grands conglomérats industriels sont démantelés. Les grandes usines disparaissent dans les pays industrialisés consécutivement à la robotisation des chaînes de montage, à la révolution des moyens de communication qui permettent la désintégration verticale du processus de production et au recours à l'externalisation et à la sous-traitance. Les entreprises se spécialisent alors que les employés deviennent polyvalents. Elle est aussi une révolution de l'information et de l'intermédiation, avec un essor considérable des télécommunications et de l'industrie financière. Dans le domaine social, elle s'accompagne parfois d'une hausse des inégalités »511. 543. Cette évolution industrielle a produit - et continue de produire - un impact important sur l’organisation productive et les relations de travail qui en découlent. Une partie de la doctrine s’interroge donc sur le maintien du recours au lien de subordination juridique pour caractériser les nouvelles relations de travail salarié. Deux phénomènes croissants participent de cette nouvelle pensée qui va même jusqu’à la remise en cause du salariat. Seront présentés le développement du télétravail (SECTION I) et l’éclatement structurel des entreprises en réseaux (SECTION II) pour mesurer l’importance de leurs répercussions sur le lien de subordination juridique. SECTION I - LE DÉVELOPPEMENT DU TÉLÉTRAVAIL SECTION II - L’ÉCLATEMENT STRUCTUREL DES ENTREPRISES EN RÉSEAUX 511 http://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9volution_industrielle 191 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ SECTION I - LE DÉVELOPPEMENT DU TÉLÉTRAVAIL 544. Le développement du télétravail pose plusieurs types d’interrogations qu’il sera nécessaire de traiter de manière distincte. Peuvent en effet être distingués les thèmes du télétravail et de la dématérialisation du lien de subordination (paragraphe 1), celui de l’avenir du travail à domicile et du droit du travail (paragraphe 2). Enfin celui de la distinction entre travail salarié et travail indépendant, car cette distinction primordiale se pose de manière accrue dans le télétravail (paragraphe 3) en raison de la dématérialisation du lien de subordination. Paragraphe 1 - Le télétravail et la dématérialisation du lien de subordination 545. La dématérialisation du lien de subordination est le problème le plus évident posé par le télétravail. Bien que la loi y ait apporté quelques solutions pratiques par le jeu de présomptions simples, elle n’y a pas encore apporté de réponse sur le fond. Ainsi, même s’il est présumé, le lien de subordination continue de générer des incertitudes dans le télétravail. Afin d’envisager au mieux cette situation, il conviendra de cerner le concept du télétravail (A) pour comprendre le phénomène de dématérialisation du lien de subordination juridique (B). A – Le concept du télétravail 546. Le télétravail est une forme d’organisation du travail qui a connu un essor notable grâce au développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication. C’est un choix organisationnel qui peut autant être le fait d’un entrepreneur que d’un salarié ou encore d’une entreprise qui propose la fourniture de services à distance (téléopérateurs, téléassistance, télésurveillance…). La matière est encadrée, aujourd’hui, par les articles L. 7412-1et suivants du Code du travail, et par l’accord national interprofessionnel du 19 juillet 2005 étendu par l’arrêté du 30 mai 2006 (modifié par arrêté du 16 juin 2006). 192 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ 547. Cet accord interprofessionnel donne la définition suivante : « le télétravail est une forme d’organisation et/ou de réalisation du travail, utilisant les technologies de l’information dans le cadre d’un contrat de travail et dans laquelle un travail, qui aurait également pu être réalisé dans les locaux de l’employeur, est effectué hors de ces locaux de façon régulière »512. Quant au code du travail, il dispose qu’« est travailleur à domicile toute personne qui exécute, moyennant une rémunération forfaitaire, pour le compte d'un ou plusieurs établissements, un travail qui lui est confié soit directement, soit par un intermédiaire ; travaille soit seule, soit avec son conjoint, partenaire lié par un pacte civil de solidarité, concubin ou avec ses enfants à charge au sens fixé par l'article L. 313-3 du code de la sécurité sociale, ou avec un auxiliaire [...] »513. 548. Lorsqu’une entreprise met en place un service à distance, la relation employeur/salarié n’est pas différente des salariés classiques puisqu’ils occupent tous les deux leur poste de travail au sein de l’entreprise. Dans ce cas de figure, le salarié se trouve donc dans un lien de subordination classique puisque l’employeur peut exercer un contrôle physique direct et instantanée de leur activité. Ce cas de figure doit être distingué du véritable télétravailleur, dit à domicile, puisque c’est lui qui pose la véritable question du recours au lien de subordination comme critère du contrat de travail. Si le salarié est à son domicile, dans quelle mesure le donneur d’ordre peut-il contrôler l’exécution du travail pour éventuellement le sanctionner ? Comment mesurer le temps de travail effectif ? Pour répondre à cette question il convient, au préalable, de définir le télétravail et d’exposer ses particularités. 549. Le télétravail se caractérise tout d’abord comme étant « une activité constituée d’éléments invariables et d’éléments variables »514. Selon l’auteur de cette théorie, les éléments invariables correspondent à l’exécution d’un travail à distance du lieu où celui-ci a vocation à être réceptionné. Cet élément intrinsèque du télétravail ne peut donc techniquement être réalisé qu’au moyen des technologies de l’information et de la communication, notamment internet qui permet de transmettre facilement et instantanément un lot important de données ou encore d’organiser des visioconférences. Quant aux éléments variables, ils 512 Accord national interprofessionnel du 19 juillet 2005 sur le télétravail salarié 513 C. trav. L. 7412-1 T. Breton, Le télétravail en France : situation actuelle, perspectives de développement et aspects juridiques, Rapports Officiels, La Documentation Française, 1995 514 193 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ correspondent aux modes d’organisation encadrant la réalisation de la prestation de travail, que ce soit au niveau des délais à respecter et parfois au niveau du lieu où le travailleur devra se rendre. D’autres variables concernent le contrôle à distance du travailleur, notamment en ce qui concerne le respect de directives d’exécution. 550. Ces différentes variables participent à créer une mosaïque des formes de télétravail. Il s’agit donc d’une notion protéiforme ce qui complexifie les tentatives de définition juridique. Il peut toutefois être conçu comme « l’exécution, de manière régulière, d’un travail commandé par l’employeur, hors des murs de l’entreprise qui l’emploie et de la présence physique des personnes chargées de contrôler sa production et ce par la réception et l’envoi régulier de données au moyen de l’outil informatique et des nouvelles technologies de la communication »515. 551. Mais le télétravail - distinct du travail à domicile - ne constitue pas un statut propre à certains salariés ni même un régime juridique autonome ou distinct : « C’est une nouvelle forme d’organisation du travail qui suscite nombre d’interrogations sur le plan juridique. En effet, si elle remet en cause à l’unité de temps, de lieu et d’action de la journée de travail des XIXème et XXème siècles, cette nouvelle forme d’organisation du travail ne libère pas pour autant le salarié qui demeure, bien qu’éloigné physiquement de son employeur ou de ses supérieurs hiérarchiques, à la disposition de l’employeur au sens du Code du travail et au sens, notamment, des dispositions de ce Code sur le temps de travail »516. Éloignement physique et lien de subordination ne semble donc pas être nécessairement incompatibles. Toutefois il en peut en résulter un lien moins intense qui semble subir les effets d’une dématérialisation de la relation de travail. B – La dématérialisation du lien de subordination 552. C’est en raison de cette nature protéiforme et dématérialisée du télétravail qu’il est possible de considérer qu’il remet en cause le recours au lien de subordination comme critère du contrat de travail, du moins dans son acception traditionnelle. L’existence d’un contrat de 515 T. Breton, Le télétravail en France : situation actuelle, perspectives de développement et aspects juridiques, Rapports Officiels, La Documentation Française, 1995 516 P. Alix, Le télétravail salarié : Définition, régimes juridiques et conclusion d’un contrat de travail, www.village-justice.com, 30 mars 2002 194 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ travail est source d’incertitudes car le lien de subordination entre le télétravailleur et son employeur peut être particulièrement détendu et discontinu. La question qui se pose donc de manière récurrente est de savoir sur quel critère subsidiaire il serait possible de qualifier un contrat de travail entre un télétravailleur et un donneur d’ordre. 553. Une réponse ministérielle du 12 juin 2000 a donné quelques pistes de réflexion en distinguant quatre sous-catégories de télétravail: « le travail à domicile » qui est effectué grâce aux nouvelles technologies de l’information et de la communication et caractérisé par la fixité du poste de travail et, donc, par l’utilisation de moyens informatiques et télématiques non transportables. Il est pratiqué de façon régulière ; « le télétravail mobile » : pratiqué par des personnes dont l’activité nécessite de nombreux déplacements et qui, grâce aux moyens de communications électroniques, peuvent rester en contact avec l’entreprise ; « le télétravail pendulaire » : qui désigne le travail alterné entre le bureau et le domicile, où il est exercé au moyen des nouvelles technologies de l’information et de la communication et enfin « le télétravail off shore » qui désigne les activités délocalisées à l’étranger grâce aux techniques modernes de communication517. 554. Les deux catégories de télétravailleur qui effectuent tout ou partie de leur travail à domicile ne posent guère de difficultés. Il s’agit des salariés fournissant un télétravail à domicile ou un télétravail pendulaire. La qualification du contrat de travail est plus aisée, non pas que le lien de subordination soit plus apparent, mais le code du travail institue une présomption simple de salariat ce qui permet de contourner le problème de la dématérialisation du lien de subordination sans toutefois y apporter de solution sur le fond. 555. Ces travailleurs pourront revendiquer l’existence d’un contrat de travail à condition de satisfaire à la définition légale du travailleur à domicile. L’article L. 7412-1du Code du travail prévoit ainsi qu’ « est travailleur à domicile toute personne qui exécute, moyennant une rémunération forfaitaire, pour le compte d'un ou plusieurs établissements, un travail qui lui est confié soit directement, soit par un intermédiaire ; travaille soit seule, soit avec son conjoint, partenaire lié par un pacte civil de solidarité, concubin ou avec ses enfants à charge au sens fixé par l'article L. 313-3 du code de la sécurité sociale, ou avec un auxiliaire [...] »518. Il faut 517 518 Rép. min. n° 28123 : JOAN Q, 12 juin 2000, p. 3570 C. trav. L. 7412-1 195 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ ainsi rappeler que la loi établissant une présomption simple, le défendeur la pourra démontrer qu’il ne s’agit pas d’un contrat de travail en rapportant l’absence d’un lien de subordination519. Ce qui sera d’autant plus difficile que, par nature, le télétravail se caractérise par un lien de subordination très atténué. 556. Concernant les deux autres catégories qui ne travaillent pas à domicile, le télétravailleur mobile et le télétravailleur off shore, la qualification d’un contrat paraît plus complexe. Ils n’ont, par définition, pas vocation à relever des dispositions protectrices des travailleurs à domicile. Ne bénéficiant pas de la présomption simple de salariat, ils pourraient être amenés à devoir rapporter la preuve du lien de subordination en fonction des circonstances d’exécution de la prestation de travail ou des contraintes qui lui sont imposées. Il sera, dans ces circonstances, possible de révéler l’existence d’un lien de subordination d’un point de vue qualitatif et quantitatif. Paragraphe 2 – L’avenir du travail à domicile et du droit du travail 557. L’avenir du droit du travail ne semble plus pouvoir être dissocié de l’actuel engouement pour le travail à distance et en particulier le travail à domicile. Cette forme d’organisation ne convient certes pas à toutes les prestations de travail mais son développement rationnel pourrait s’avérer très positif en termes d’accès à l’emploi pour le salarié, et, en termes de croissance pour les entreprises520. 558. La situation en France est toutefois encore archaïque car malgré le développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication, les entreprises demeurent méfiantes vis-à-vis de ce mode d’organisation qui reste trop souvent réduit à la 519 V. en ce sens, en ce qui concerne la qualification de journaliste professionnel, Cass. soc. 30 juin 1988 ; Cass.soc., 9 février 1989 ; V. pour ce qui est de la qualification de mannequin, Cass. soc. 16 janvier 1997, RJS 3/1997, n° 326 ; 10 février 1998, RJS 3/1998, n° 381 520 ANI du 19 juillet 2005 sur le télétravail salarié : « Considérant que le télétravail constitue à la fois un moyen pour les entreprises de moderniser l'organisation du travail et un moyen pour les salariés de concilier vie professionnelle et vie sociale et de leur donner une plus grande autonomie dans l'accomplissement de leurs tâches ; […]Considérant que le télétravail peut constituer un facteur de développement économique et une opportunité pour l'aménagement du territoire de nature à favoriser l'emploi et à lutter contre la désertification de certains territoires ; » 196 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ téléprospection. L’expérience des pays étranger, et notamment des États-Unis, démontre pourtant que cette forme d’organisation peut s’avérer être un excellent facteur de croissance. L’avenir de cette forme d’organisation semble donc promis à un bel avenir. Il sera envisagé sous l’angle du besoin de protection des travailleurs à domicile (A) et des perspectives d’accès à l’emploi de personnes ne pouvant pas quitter leur domicile (B). A – La protection des travailleurs à domicile 559. A. Supiot, dans son rapport « Transformations du travail et devenir du droit du travail en Europe »521, souligne l’importance de « penser descriptivement et normativement l'articulation du droit avec les nouvelles pratiques sociales » en clarifiant - outre les frontières entre travail salarié et travail indépendant - le rôle du travail à domicile. Car les nouvelles techniques d'information et de communication ont engendré un accroissement notable du recours du travail à domicile. 560. Ce phénomène pose notamment la question de la protection des travailleurs à domicile. Selon C. Rey, celle-ci pourrait reposer sur deux niveaux de protection distincte. Le premier étant « de considérer que la domination de la logique financière subsistera et qu'il convient de protéger les travailleurs et d'assurer des sécurités dans ce cadre, en adaptant la législation en conséquence. [Le second] conduit à considérer que l'obtention de garanties individuelles et collectives sont liées et doivent couvrir les champs tant social qu'organisationnel et de gestion »522. 561. Les conditions de travail de cette catégorie de travailleur devraient - idéalement - également permettre d’appréhender l’isolement engendré. Il est en effet notable que « le travail à domicile exercé à plein temps, sans rapports réguliers avec les autres salariés de l'entreprise, crée une situation d'isolement qui ne peut se résoudre par la seule utilisation des communications à distance. Il engendre également de nombreux problèmes au sein de la vie familiale et privée et freine l'égalité entre les sexes. Intégrer la pratique du travail à domicile 521 A. Supiot, Au-delà de l'emploi, Divers Sciences, rapport pour la Commission européenne, Flammarion,1999 522 C. Rey, Travail à domicile, salarié ou indépendant. Incidence des nouvelles technologies de l’information et de la communication, Innovations 2001/1, n° 13, p. 173-193 197 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ de façon partielle et alternée peut par contre constituer une réponse à de nouveaux besoins productifs et de modes de vie »523. 562. Ce rôle d’encadrement pourrait être dévolu à l’enrichissement législatif ou conventionnel des rapports de travail à distance. L’individualisation de ces rapports de travail ayant un effet négatif sur « l'épanouissement des individualités au travail » 524 il conviendrait d’établir un meilleur équilibre entre le statut individuel et le statut collectif des travailleurs à domicile. En la matière, l’accord national interprofessionnel du 19 juillet 2005 constitue un premier pas encourageant mais qui doit encore être soutenu par une dynamique politique réelle. B – L’accès à l’emploi des personnes ne pouvant pas quitter leur domicile 563. Les nouvelles technologies de l’information et de la communication laissent par ailleurs entrevoir de bonnes perspectives en termes de création d’emploi. Elles pourraient potentiellement permettre l’accès à l’emploi de nombreuses personnes qui ne peuvent ou ne veulent pas quitter leur domicile. Il en va ainsi de certaines personnes handicapées, de celles qui souhaitent garder leurs enfant en bas âge, ou encore de celles qui, bien qu’en arrêt de travail peuvent fournir une activité intellectuelle et productive compatible avec le travail à distance525. 564. C’est dans cette optique que le porte-parole de l’UMP F. Lefebvre avait annoncé en juin 2009 le dépôt d’un amendement polémique qui aurait pu permettre au salariés malades qui en exprimait le souhait, la possibilité de continuer à travailler à distance si un certificat médical les y autorisaient ; il a ainsi déclaré « je veux que le salarié puisse avoir un nouveau 523 Ibid. Ibid. 525 ANI du 19 juillet 2005 sur le télétravail salarié : « Considérant que pour tirer le meilleur parti du développement des technologies de l'information et de la communication, cette forme d'organisation du travail doit allier sa souplesse à la sécurité des salariés de sorte que la qualité des emplois soit accrue et que, notamment, les possibilités offertes aux personnes handicapées sur le marché du travail soient renforcées tant en matière d'insertion que de maintien dans l'emploi ; » 524 198 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ droit, à partir du moment où il y a un certificat médical, que c'est donc lui qui le déclenche, de travailler s'il le souhaite »526. 565. De manière optimiste, il est possible d’envisager que le télétravail à domicile permette à toutes ces personnes de trouver un emploi alors qu’elles ne peuvent pas quitter leur domicile. La double condition évidente étant que le poste permette le travail à distance et que le salarié ait les compétences requises pour celui-ci. Ainsi « il paraît nécessaire, dans le cadre d'une nouvelle vision de l'organisation du travail favorisant initiative et responsabilité et permettant la réduction du temps de travail et la création d'emplois, d'intégrer les dimensions spatiales du travail à distance et les nouvelles possibilités qu'elles ouvrent entre lieu de travail et lieu de vie »527. 566. Ces perspectives pourraient permettre de considérer, pour l’avenir, que l’organisation du travail à domicile devienne un véritable droit créance pour les salariés. Qu’ainsi, dans une procédure similaire à la revendication d’un congé individuel formation (CIF) assortie éventuellement d’un avis de l’inspection du travail, ces derniers puissent revendiquer la mise en place de poste de travail à distance. Cette pratique novatrice pourrait par exemple faire l’objet d’un nouvel accord national interprofessionnel modifiant celui du 19 juillet 2005 sur le télétravail salarié. La négociation pourrait dans ce cadre aboutir à un consensus qui reprendrait notamment les thèmes de la protection des travailleurs à domicile ou les modalités de leur contrôle et du droit de déconnexion528. 567. À titre subsidiaire il pourrait être également relevé qu’une franche augmentation du taux de télétravailleur dans la tranche de la population active induirait nécessairement une diminution sensible des transports professionnels et réduirait donc l’émission de gaz à effet de serre - outre la diminution des embouteillages, des problèmes de stationnement et des accidents de la route-. Un bon point écologique qui accompagne le fait que la durée consacrée aux transports professionnels quotidiens étant ainsi évitée, le travailleur disposerait de plus de 526 Dépêche AFP du 27/06/2009 C. Rey, Travail à domicile, salarié ou indépendant. Incidence des nouvelles technologies de l’information et de la communication, Innovations 2001/1, n° 13, p. 173-193 528 C. Rey, Travail à domicile, un modèle de travail flexible en plein évolution, dans Les mutations du travail en Europe, Coll. Économie et innovation, L'Harmattan, 2000. 527 199 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ temps libre et serait donc dans de meilleures conditions psychologiques529. Sous réserve de causer ou d’aggraver un éventuel isolement social, le télétravail est donc également un facteur positif pour la santé du travailleur, qu’elle soit mentale et même physique puisqu’elle évite les transports routiers et donc les accidents de la route ainsi que les troubles musculosquelettiques liés à la conduite. Paragraphe 3 – La distinction entre travail salarié et travail indépendant dans le télétravail 568. La distinction entre travail salarié et travail indépendant est un thème déjà complexe qui soulève la question du bien-fondé des critères actuels du contrat de travail. Mais lorsqu’il est situé dans un contexte de télétravail la tâche est encore plus difficile. Car à partir du moment où le travailleur se trouve à son domicile – pour prendre la sous-catégorie de télétravail la plus problématique – comment déterminer s’il s’agit d’un travailleur indépendant qui n’a qu’un seul client ou bien d’un salarié subordonné aux directives d’un employeur. 569. Le développement des travailleurs économiquement dépendants accentue la difficulté d’appréciation car la position de force dont bénéficie le client unique d’un travailleur indépendant lui permet d’obtenir une quasi-subordination via les contrôles qualité et les exigences de délais. Dans l’autre sens, la frontière s’estompe aussi car de nombreux télétravailleurs particulièrement qualifiés jouissent d’une autonomie totale dans l’accomplissement de leur travail. La technicité de certains emplois peut ainsi mener à une quasi-indépendance des télétravailleurs salariés. Celle-ci soulève la question de l’adaptation du droit du travail (A) et du droit de la sécurité sociale (B) aux différentes formes de télétravail. 529 ANI du 19 juillet 2005 sur le télétravail salarié : « Constatant que le télétravail peut revêtir différentes formes (télétravail à domicile, télétravail nomade,…) et répondre à des objectifs variés tant pour les entreprises que pour les salariés (conciliation de la vie familiale et de la vie professionnelle, modernisation de l'organisation du travail, organisation spécifique…) ; » 200 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ A – Télétravail et droit du travail 570. Le télétravail est une forme d’activité connue depuis longtemps, bien qu’à ses débuts internet n’existait pas encore. Déjà « en 1920, alors que les activités de service s'étendaient, le débat fut ouvert pour savoir si le fait d'intervenir sur des informations et non sur la transformation de la matière pouvait donner lieu à reconnaissance des droits liés au travail à domicile. Des entreprises de dactylographie apparaissent dans les années 1930. Elles confient la frappe à des travailleuses à domicile, activité particulièrement développée dans la presse et l'édition»530. 571. Le développement du télétravail soulève donc des interrogations sur l’avenir du salariat bien que le droit du travail résiste pour sa part assez bien aux défis du télétravail. Comme l'écrit J. E. Ray, « le paradoxe est que les articles L.721-1 et suivant du code du travail, rédigés il y a cinquante ans pour des femmes produisant des robes ou des poupées de chiffon, paraît s'appliquer parfaitement au télétravailleur »531. 572. Ainsi, les progrès des nouvelles technologies de l’information et de la communication ont fait apparaître de nouvelles formes d’organisation de travail mais ils n’ont pas engendré de nouvelles délimitations entre le travail salarié et le travail indépendant. C’est là un point important des problèmes posés par le télétravail, celui de l’adaptation du droit aux nouveaux comportements. Car à partir du moment où une personne exécute une prestation de travail, notamment à son domicile, comment vérifier si elle relève de la catégorie des indépendants ou des salariés. 573. Car même s’il s’agit d’un salarié, il se peut très bien que l’employeur lui accorde toute confiance et n’opère pas de contrôle et ne donne pas de directives particulières. La relation subordonnée peut donc être réduite - par exemple - à la réception de dossiers à traiter et au renvoi de ces dossiers une fois traités. La prestation de travail peut donc être fournie sans que l’employeur et le salarié ne soit entrés en contact direct, du moins très brièvement par téléphone ou mail. 530 C. Rey, Le travail à domicile, La documentation française, 1999 J. E. Ray, Le droit du travail à l'épreuve du télétravail : le statut du télétravailleur, dr. soc., n°2, févr. 1996. 531 201 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ 574. Lorsque le travailleur est déjà positionné comme salarié de l’entreprise, cela pose moins de problèmes que lorsqu’il est pseudo-indépendant. Dans ce cas il sera difficile de marquer l’existence du lien de subordination car celui-ci est dématérialisé, il peut ne laisser aucune trace visible, pas même dans les horaires. 575. Ce phénomène qui tend à responsabiliser et à développer l’autonomie des salariés se rencontre également chez les salariés classiques. Mais dans ce cas, la caractérisation d’un lien de subordination est facilité par les marques d’absence de distanciation entre employeur et salarié : nécessité de prendre son poste de travail dans les locaux de l’entreprise, d’utiliser le matériel de l‘entreprise ou encore d’utiliser un dispositif de pointage. Le télétravail participe donc à l'évolution globale du droit du travail par la remise en cause des critères d’identification du salariat et donc, du recours au lien de subordination juridique. B – Télétravail et droit de la sécurité sociale 576. Du point de vue du droit de la sécurité sociale le contentieux se complexifie car la détermination du régime d'affiliation est source d’incertitude. Dès le début de son développement, le télétravail s’est trouvé particulièrement adapté à la prestation de service. L’argument qui s’est donc développé, et dont le but était de soustraire les prestataires de service à distance du régime général de sécurité sociale, consistait à dire qu’il ne s’agissait pas de « la production d'un objet qui pouvait être directement mis en vente. Ces travaux ne s'inséraient pas dans un cycle professionnel susceptible d'une exploitation financière. [Mais] dans un arrêt du 10 janvier 1968, la Cour de cassation rejeta cet argument au motif qu'il ajoutait en réalité une exigence supplémentaire aux conditions limitativement prévues par le code du travail »532. Et R. Jambu-Merlin de d’ajouter que « les dispositions légales ont, de toute évidence, une portée générale et l'on ne saurait en limiter l'application aux métiers qui ont historiquement provoqué leur apparition »533. 577. Quel que soit le domaine d’activité dans lequel exerçaient les premiers travailleurs à domicile, les juges ont eu besoin de recourir à des critères de distinction entre les prestataires 532 C. Rey, Travail à domicile, salarié ou indépendant. Incidence des nouvelles technologies de l’information et de la communication, Innovations 2001/1, n° 13, p. 173-193 533 R. Jambu-Merlin, Les travailleurs intellectuels à domicile, dr. soc. n°1/8, juillet-août 1981 202 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ de service indépendants et les travailleurs à domicile salariés. Pour pouvoir revendiquer la qualité de travailleur à domicile salarié il était ainsi nécessaire de rapporter la preuve « d'une part, […] de l'existence d'un travail confié et contrôlé par le donneur d'ordre. D'autre part, [du] versement d'une rémunération forfaitaire, [correspondant] à une rémunération dont les bases [étaient] précisées dans une convention collective ou une décision réglementaire »534. Les critères démontrant au contraire la qualité de prestataire indépendant de service tiennent principalement à l’existence d'une clientèle personnelle, du choix des clients, ou de la possibilité d’embaucher des salariés à son service. 578. Or, le développement du télétravail salarié grâce aux nouvelles technologies n’a pas remis en cause la pertinence de ces indices classiques. Ceux-ci permettent encore de caractériser ou non l’existence d’un lien de subordination. De plus, aujourd’hui, la définition du contrat de travail répond aux mêmes critères qu’il s’agisse du droit du travail ou du droit de la sécurité sociale535. Mais la dynamique engagée par la symbiose télétravail/NTIC a vocation à imprégner les relations de travail futures. Elle participe donc à la remise en cause du recours au lien de subordination puisqu’elle est un des facteurs qui fondent la remise en cause du salariat classique. 534 C. Rey, Travail à domicile, salarié ou indépendant. Incidence des nouvelles technologies de l’information et de la communication, Innovations 2001/1, n° 13, p. 173-193 535 Cf. Titre 1, Chapitre 2 : La recherche d’un critère du contrat de travail 203 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ SECTION II - LA DÉSTRUCTURATION DES ENTREPRISES EN RÉSEAUX 579. Les nouvelles formes d’organisation des entreprises sont de nature à brouiller l’identification d’un lien de subordination car elles sont l’œuvre d’une déverticalisation structurelle536. Le modèle hiérarchique pyramidal et traditionnel n’est plus la figure unique de l’organisation productive. Celle-ci a tendance à se réorganiser de manière horizontale, substituant dans cette perspective le rapport client/fournisseur à celui d’employeur/salarié. Ce phénomène pose le problème de l’identification des frontières de la firme et, par conséquence, celui de l’identification du véritable l’employeur au-delà de l’apparence contractuelle. 580. Cette modification du tissu productif constitue un obstacle dans l’identification de celui qui donne les ordres, en contrôle l’exécution et sanctionne les manquements. Elle éprouve donc le recours au lien de subordination comme critère principal du contrat de travail autant qu’elle remet en cause de la conception classique du salariat. Il faudra donc analyser les implications des nouvelles organisations de la firme (paragraphe 1) afin d’en déterminer l’impact sur les relations de travail (paragraphe 2). Paragraphe 1 – Les nouvelles organisations de la firme 581. La notion de firme permet de se concentrer sur l’entité productrice au sens large car elle est dénuée de connotation juridique. Les firmes doivent faire des choix d’organisation structurelle impliquant l’internalisation ou bien l’externalisation des compétences. Au-delà de l’analyse stratégique de ces choix, il convient de constater que cette frontière entre l’interne et l’externe a tendance à s’estomper voire à disparaître. Il devient de plus en plus complexe de situer une relation de travail d’un côté ou de l’autre de cette frontière. L’identification de l’employeur de fait est ainsi parfois difficile. 536 V. A. Cornet, L'Entreprise Réseau et les nouvelles formes d'organisation du travail, in L'Espace virtuel. des échanges des idées aux transactions commerciales, Institut Universitaire International de Luxembourg, 1999 ; V. F. Pichault, M. Zune, Organisations sociales et entreprises réseau, rapport de recherche pour le Fonds Social Européen, 1999, 190 p. 204 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ 582. C’est pourtant dans cette nouvelle configuration que la notion de lien de subordination juridique est censée pouvoir révéler l’existence d’un contrat de travail. Mais la notion ayant été conçue dans un contexte productif plus traditionnel, elle se trouve parfois inapte à envisager les différents niveaux d’organisation de la firme (A). Il en résulte une difficulté accrue dans la détermination de l’employeur (B) car les liens entre les risques économiques et les risques de l’emploi (C) sont indissociables et devraient à ce titre aboutir à l’adaptation des mécanismes de responsabilité existants. A – Les différents niveaux d’organisation de la firme 583. D’un point de vue chronologique, le premier degré de structuration de la firme renvoie globalement au concept de producteur. Il s’agit donc d’une notion qui peut facilement trouver une traduction en droit. La notion de producteur renvoie dans cette perspective au « lieu de combinaison du capital et du travail concret. Elle assure la fabrication de produits mis sur le marché. Il s’agit de l’usine, de l’établissement là où il est nécessaire de protéger les salariés, où plutôt les corps au travail »537. La caractérisation du lien de subordination dans ce niveau d’organisation ne pose pas de difficulté particulière puisqu’il est en adéquation parfaite avec les structures pyramidales issues du taylorisme. Cette structure demeure encore la plus courante mais elle a progressivement laissé une large place à d’autres niveaux d’organisation plus complexes. 584. Il est ainsi possible de caractériser un second degré de structuration de la firme qui lui, n’est pas centré sur la production mais sur l’activité économique. Dans cette conception de la firme, il est possible de rencontrer au sein de la même unité plusieurs types de production. La firme est souvent - dans cette perspective - polyvalente et composée d’un nombre indéfini d’usines, de locaux ou d’établissements. À ce stade, la firme demeure toutefois encore caractérisée par une structure hiérarchisée puisque l’on y rencontre généralement un pouvoir décisionnel central et une direction des ressources humaines chargée de gérer et coordonner les effectifs. 537 M.-L. Morin, Le droit du travail face aux nouvelles formes d’organisation des entreprises, Summer University of Work, Nantes, 29-31 août 2004 205 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ 585. L’identification d’un lien de subordination dans ce type de structure peut déjà se révéler plus complexe que dans la configuration précédente. Toutefois, ce degré d’organisation de la firme - conçue comme acteur sur le marché - permet de tracer une ligne jusqu’au pouvoir central de décision car il procède d’une conception pyramidale. L’exercice d’un pouvoir vertical facilite donc l’identification d’un lien de subordination juridique grâce à la flexibilité de la jurisprudence. 586. C’est d’ailleurs aussi « dans le cadre de cette approche de l’entreprise comme organisation que s’est développé le concept moderne d’emploi, en tant que créateur d’un lien durable avec l’entreprise. La notion française d’unité économique et sociale est fortement marquée par cette approche de la firme, ainsi qu’un certain nombre de règles sur l’information et la consultation du comité d’entreprise sur les décisions économiques du chef d’entreprise, ou sur les procédures de licenciement économique »538. 587. Enfin, il est possible d’identifier un ultime degré de structuration de la firme qui lui, n’est ni centré sur la production, ni sur l’activité économique mais sur les liens financiers. Le droit du travail connaît aujourd’hui le groupe de sociétés, ainsi « lorsqu’une société ou une personne exerce un contrôle majoritaire sur l’ensemble des sociétés, soit qu’il possède la majorité des parts directement ou indirectement des sociétés du groupe, soit qu’il ait le pouvoir de nomination des sociétés du groupe, alors on peut dire qu’il y a une unité de gouvernance du groupe. Et cette unité permet de tracer les contours de la firme »539. 588. C’est en considérant ce niveau d’organisation que la directive n° 94-45 a été amenée à mettre en place le comité d'entreprise européen dans les entreprises et groupes d'entreprises de dimension communautaire. Le législateur a d’ailleurs transposé cette directive dans la loi n° 96-985 du 12 novembre 1996 relative à l'information et à la consultation des salariés dans les entreprises et les groupes d'entreprises de dimension communautaire, ainsi qu'au développement de la négociation collective. 538 M.-L. Morin, Le droit du travail face aux nouvelles formes d’organisation des entreprises, Summer University of Work, Nantes, 29-31 août 2004 ; P.-H. Antonmattéi, Unité économique et sociale: Un nouvel arrêt... mais le débat continue, dr. soc. n° 7-8, p. 720- 723, 01/07/2002 539 Ibid. 206 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ 589. L’identification d’un lien de subordination dans ce type de structure s’avère être celle qui déclenche le plus de difficultés – du moins potentiellement-. En effet, le degré d’implication d’une société du groupe sur une autre peut avoir des conséquences directes et indirectes sur la gestion du personnel d’une autre société du groupe. De telle sorte que dans les faits, la première se substitue en réalité à la première dans l’exercice des prérogatives de l’employeur. Elle pourra donc exercer, en vertu de sa position de force, ces prérogatives de manière plus ou moins directe. 590. De manière directe si elle donne des instructions visant directement la gestion du personnel, et indirectement en posant des exigences de qualité à son fournisseur (société du même groupe) qui a des répercussions sur les conditions de travail ou l’emploi des salariés employés par le fournisseur. C’est dans ce contexte que le recours à la notion de lien de subordination paraît le plus inadapté. Il ne peut en effet s’emparer de la réalité des jeux de pouvoirs financiers qui permettent à un tiers à la relation de travail d’opérer une influence réelle plus ou moins directe des salariés, ce qui explique que la recherche du véritable employeur via le lien de subordination soit parfois bien difficile et aboutisse à des incertitudes. B – La détermination de l’employeur 591. La détermination de la personne morale ou physique susceptible de pouvoir revêtir la véritable qualité d’employeur, au sens juridique du terme, se heurte aujourd’hui aux limites conceptuelles du lien de subordination. L’employeur peut ou doit de plus en plus être recherché hors des murs de l’établissement et même de l’entreprise, dans le groupe ou dans l’unité économique et sociale540. 592. Dans ce dernier cas, la caractérisation même d’une unité économique et sociale peut entraver celle du lien de subordination, puisqu’elle résulte d'une décision de justice ou d'un accord conventionnel. La caractérisation d’un lien de subordination en l’absence de reconnaissance d’une unité économique et sociale n’est toutefois pas un obstacle définitif mais sa preuve sera d’autant plus difficile à rapporter que les liens de pouvoirs seront 540 V. [s.n.], Des juges s'appuient sur l'immixtion de fait d'un investisseur dans la gestion d’une entreprise pour le déclarer coemployeur, NDLR, La Tribune, 4 mai 2009 207 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ dématérialisés et indirects. L’apparence selon laquelle les ordres proviennent de l’employeur visible sera dans ces conditions difficilement renversée. C’est donc que la notion de lien de subordination ne peut de suffire à elle-même pour appréhender les nouvelles relations de travail dans un univers de réseaux mondialisés et globalisés. 593. Ainsi que le souligne M.-L. Morin, « le niveau financier de la prise de décision peut être très éloigné des établissements qui en subiront les conséquences et les moyens juridiques d’impliquer le centre de décision ne sont pas toujours aisés »541. La jurisprudence tente donc d’appréhender ces difficultés et n’hésite pas à rappeler fréquemment que la recherche d’un poste de reclassement doit s’effectuer au sein du groupe, dans les entreprises dont les activités, l’organisation ou le lieu de travail permettent la permutation de tout ou partie du personnel. 594. Mais les juges se trouvent confrontés à deux obstacles qui limitent leur intervention au niveau d’un groupe ou d’un quelconque réseau financier. Tout d’abord les acteurs financiers influents au niveau de la firme ne prennent pas nécessairement de décision, n’exercent pas nécessairement un contrôle. Il est ici fait référence au cas de figure où les acteurs financiers « par des prises de participations souvent d’un niveau relativement faible, […] cherchent pour l’essentiel à réaliser des profits financiers, en exerçant un pouvoir d’influence, sanctionné par le marché financier. En d’autre terme il y a groupe et groupe »542. 595. Les groupes ou réseaux déjà envisagés, au sein desquels le juge pourra déceler un pouvoir unique et influent pourront en effet laisser place à l’application du droit du travail, notamment en ce qui concerne la détermination de la personne, physique ou morale, qui jouit des prérogatives accordées à l’employeur vis-à-vis de subordonnés. 596. Mais il existe également des réseaux d’entreprises qui entretiennent des liens virtuels, mouvants et éphémères sur le marché des actions et des obligations. Ces actions, voire ces obligations, qui établissent ces liens sur le marché boursier, n’ont ainsi pas nécessairement vocation à perdurer, du moins pas assez longtemps pour que s’instaurent des rapports de domination ouvrant la voie vers l’exercice d’un pouvoir décisionnel. 541 M.-L. Morin, Op. cit. 542 Ibid. 208 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ 597. Dans ce cas de figure il devient alors très complexe de se situer sur le terrain des relations de travail pour tenter de trouver un éventuel lien de subordination. Il se peut pourtant que les liens financiers, aussi éphémères fussent-ils, aient engendrés des répercussions sur l’emploi des salariés. Dans ce cadre précis la notion de lien de subordination se révèle donc être particulièrement inadaptée. Par ailleurs, les nouveaux comportements des entreprises, du moins en France, se concentrent autour des stratégies de décentralisation. La production est également de plus en plus l’objet d’externalisations systématiques : « l’unité classique de l’entreprise comme organisation sociale et économique au niveau la firme comme producteur, c'est-à-dire au niveau des établissements »543 est ainsi remise en cause. 598. Or, si la notion de lien de subordination parvient à s’accommoder de ces changements, elle n’a pas pour autant été conçue dans leur perspective. Il en résulte une insécurité juridique constante car aucun donneur d’ordre ne peut aujourd’hui être certain d’échapper à la reconnaissance d’un contrat de travail par le biais d’un lien de subordination avec celui ou ceux qui accomplissent la prestation de travail. 599. C’est d’autant plus le cas s’agissant des relations qui s’établissent entre entreprises, qui relèvent de la « domination économique et qui donne aussi naissance à des relations d’autonomie contrôlée, ou les sujétions passent moins par la dépendance économique exclusive d’un sous traitant vis-à-vis de son donneur d’ordre que par des exigences de qualité, de délai, de formation, etc… qui peuvent avoir des conséquences très directes sur les conditions de travail, sans que le donneur d’ordre n’ait à assumer une quelconque responsabilité »544. 600. Le recours à la notion de lien de subordination est aujourd’hui fragilisé par les difficultés de délimitation des frontières de la firme. Ce phénomène a pour conséquence d’obstruer les voies classiques de la détermination des véritables employeurs. Il convient donc 543 Ibid. 544 M.-L. Morin, Le droit du travail face aux nouvelles formes d’organisation des entreprises, Summer University of Work, Nantes, 29-31 août 2004 ; Sur ce point particulier V. aussi H. Petit, N. Thévenot, Les nouvelles frontières du travail subordonné, Éd. La Découverte, 2006 209 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ de s’interroger sur la compatibilité entre le recours à la notion de lien de subordination et le développement des relations d’autonomie contrôlées entre les groupes d’entreprises545. C - La dualité des risques économiques et de l’emploi 601. Ces phénomènes de ramification à l’extrême conduisent à bouleverser les rapports traditionnels entre firmes. Ces dernières usent des nouvelles technologies pour constituer des réseaux divers, en vue de se répartir les risques économiques de leur activité. « Les structures financières des firmes répondent assurément à une rationalité financière de répartition du risque financier ; l’organisation de firmes en réseau qu’ils s’agissent de groupes ou de réseaux contractuels d’entreprise permet de répartir le risque économique (et la charge des investissements) »546. 602. Mais ce processus ne se limite pas au domaine des risques financiers. Il s’étend dans une même logique aux risques liés à l’emploi de salariés (d’un autre point de vue il pourrait aussi être considérer que le risque financier englobe celui de l’emploi puisque ce dernier se traduit au final en un coût financier). En tout état de cause, le recours à l’externalisation et aux sociétés filiales sont souvent un moyen encore efficace d’effectuer un transfert imperméable des obligations incombant à tout employeur et des risques civils et pénaux qui en découlent. C’est sans doute là encore, une des limites du concept de lien de subordination, notamment lorsque ces risques sont confiés à une société à responsabilité limité. 603. C’est qu’à l’origine du lien de subordination se trouve une conception traditionnelle de la relation de travail, celle centrée sur le rapport employeur/salarié au sein d’un unique lieu (l’usine, l’établissement ou l’entrepôt). « Aussi l’une des questions centrales posées aujourd’hui par les nouvelles formes d’organisation de l’entreprise, n’est pas seulement celle de savoir comment reconstituer l’entreprise pour tenter de retrouver des relations binaires et un employeur ou un chef d’entreprise responsable, mais comment prendre en compte des relations triangulaires contractuelles ou institutionnelles pour déterminer la responsabilité de 545 V. notamment : H. Petit, N. Thévenot, Les nouvelles frontières du travail subordonné, Éd. La Découverte, 2006 546 M.-L. Morin, Le droit du travail face aux nouvelles formes d’organisation des entreprises, Summer University of Work, Nantes, 29-31 août 2004 210 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ chacun sur les relations d’emploi et l’exécution du travail, et organiser les relations collectives de façon plus pertinente »547. Paragraphe 2 - Relations professionnelles et nouvelles organisations 604. La notion de responsabilité est abordée ici sous l’angle des problématiques posées par les nouvelles organisations productives. Il s’agit de déterminer comment le lien de subordination juridique permet au droit, et aux juges de s’emparer de la réorganisation du tissu productif pour répartir les obligations en matière d’emploi548. Seront donc abordés les thèmes de l’adaptation du droit des relations collectives (A), des mécanismes de responsabilité possibles (B) et plus largement de la responsabilité dans l’exécution du travail. A – L’adaptation du droit des relations collectives 605. Le thème de la négociation collective est aujourd’hui bouleversé sa modernisation549. Le législateur a ainsi pris en considération les nouvelles organisations productives pour étendre le dialogue social aux niveaux supérieurs, notamment au niveau du groupe (1). C’est là une des voies possibles pour adapter les relations professionnelles aux nouvelles organisations, à côté d’autres solutions plus discrètes comme la négociation territoriale (2) et l’intégration volontaire des intérêts sociaux (3). Ce nouveau besoin est le témoin d’une décentralisation de la négociation collective hors de l’entreprise - stricto sensu - bien que celle-ci demeure obligatoire. 1 – La négociation au niveau du groupe 606. Généralement, la négociation de groupe prend aujourd’hui la forme d’accords-cadres qui donnent l’impulsion d’une politique de conduite générale toute en permettant aux 547 Ibid. 548 V. H. Petit, N. Thévenot, Les nouvelles frontières du travail subordonné, Éd. La Découverte, 2006 549 P.-H. Antonmattéi, Modernisation du marché du travail : une victoire historique des partenaires sociaux, Revue Lamy Droit des affaires n° 24 , p. 61- 62, 01/02/2008 ; P.-H. Antonmattéi, À propos du développement de la négociation collective, dr. soc. n°2, p.164-169, 01/02/1997 ; Entretien avec Paul-Henri Antonmattei, Rev. Décideurs Juridiques et Financiers, n° hors-série, p. 140-141, 01/10/2007 ; P.-H. Antonmattéi, Négociation collective : une bonne nouvelle et une mauvaise, dr. soc. n°4, p 459-462, 01/04/2007 211 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ entreprises concernées de déterminer librement l’application de cette politique dans la négociation interne550. La jurisprudence rappelle d’ailleurs régulièrement que la négociation de groupe n’a pas vocation à remplacer la négociation d’entreprise. C’est ici une des formes de régulation de l’autonomie contrôlée qui régit les entreprises d’un groupe. Mais comme le souligne M.-L. Morin, «cette décentralisation n’a-t-elle pas des limites évidentes, si les frontières de l’entreprise ne sont plus certaines en amont et en aval ?»551. 607. La mise en place de ces adaptations des relations collectives de travail au sein des groupes soulèvent donc de nouvelles problématiques qui nécessitent des solutions innovantes situant ainsi la consécration législative du groupe entre « satisfaction et interrogations » 552. Le développement de la notion juridique de groupe est ainsi indispensable pour garantir les droits et libertés des salariés face à la multiplication des réseaux d’entreprises. C’est donc à juste titre que L. Guillebaud constate que « s’il est bien installé dans la pratique de la négociation collective, l’accord de groupe est toujours dans l’attente d’un traitement juridique plus efficace »553. 2 – La négociation territoriale 608. M.-L. Morin a proposé, en 2004, d’emprunter la voie de la négociation territoriale pour adapter les relations de travail au sein des réseaux d’entreprises soulignant que si « elle n’est pas développée en France, [...] il en existe des exemples dans divers pays européens, et d’assez nombreux travaux insistent sur la nécessité de ce type de négociation »554. Il s’agit dans cette perspective de reprendre le mécanisme de la directive européenne sur la prestation 550 V. P.-H. Antonmattéi, Accord de méthode, génération 2005 : la « positive attitude », dr. soc. n° 4 , p. 399- 402, 01/04/2005 551 M.-L. Morin, Le droit du travail face aux nouvelles formes d’organisation des entreprises, Summer University of Work, Nantes, 29-31 août 2004 552 V. P-H Antonmattéi, L'accord de groupe, dr. soc. 2008, no1, pp. 57-59 ; V. aussi : P-H Antonmattéi, La consécration législative de la convention et de l’accord de groupe : satisfaction et interrogations, dr. soc. 2004, p.601 553 L. Guillebaud, Quel droit pour la négociation collective de demain ? dr. soc. n°1, janvier 2008 ; V. aussi : P.-H. Antonmattéi, Conventions et accords collectifs de groupe : nouvelles interrogations, Semaine sociale Lamy n°1263, p. 35- 36, 29/05/2006 ; F. Saramito, Le nouveau visage de la négociation collective, rev. dr. ouvr., oct. 2004 n°675 ; P.-H. Antonmattéi, L'accord de groupe, dr. soc. n°1, p. 57-59, 01/01/2008 554 M.-L. Morin, Le droit du travail face aux nouvelles formes d’organisation des entreprises, Summer University of Work, Nantes, 29-31 août 2004 212 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ de service pour en faire application au sein des réseaux d’entreprises. La directive 96/71/CE du Parlement Européen et du Conseil du 16 décembre 1996 fait application du principe d’égalité de traitement entre travailleurs dans le cadre d’un détachement effectué pour les besoins d’une prestation de services555. 609. Elle dispose ainsi que « les conventions collectives qui sont conclues par les organisations des partenaires sociaux les plus représentatives au plan national et qui sont appliquées sur l'ensemble du territoire national, pour autant que leur application aux entreprises visées à l'article 1er paragraphe 1 garantisse, quant aux matières énumérées au paragraphe 1 premier alinéa du présent article, une égalité de traitement entre ces entreprises et les autres entreprises visées au présent alinéa se trouvant dans une situation similaire. Il y a égalité de traitement, au sens du présent article, lorsque les entreprises nationales se trouvant dans une situation similaire […] »556. 610. Cette référence faite au concept de « situation similaire » pose pourtant problème. L’externalisation et plus particulièrement le recours à la sous-traitance supposent normalement que les salariés extérieurs occupent des postes ou accomplissent des tâches qui n’existent pas dans l’entreprise d’accueil. 611. Car dans le cas contraire il peut s’agir de prêt illicite de main d’œuvre ou de marchandage. « La question posée est alors de savoir quel type de négociation peut être alors pertinente : la négociation interentreprises ou négociation territoriale par exemple sur une clause sociale des contrats de sous-traitance assurant que les entreprises qui soumissionnent à un même marché respecte les mêmes normes minima […] pourraient être développées. […] On notera qu’aux USA une décision remarquée du NLRB a décidé que les salariés de l’entreprise dominante et les salariés « d’agence » travaillant en son sein formaient une unité de négociation pluri-employeurs »557. 555 V. aussi : P.-H. Antonmattéi, Nullité de la clause prévoyant une mobilité à l'intérieur d'un groupe ; Note sous Cass. soc., 23 sept. 2009, n° 07-44.200, Revue Lamy Droit des affaires, n°43 , p. 49- 50, 01/11/2009 556 Directive 96/71/CE du Parlement Européen et du Conseil du 16 décembre 1996 ; P.-H. Antonmattéi, Avantage catégoriel d'origine conventionnelle et principe d'égalité de traitement : évitons la tempête !, dr. soc. n°12, p. 1169- 1170, 01/12/2009 557 M.-L. Morin, Op.cit. 213 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ 3 – L’intégration volontaire des intérêts sociaux 612. Cette perspective a été ouverte par le Livre vert européen qui utilise la notion d’«intégration volontaire dans les décisions commerciales ou autres des intérêts sociaux ou environnementaux »558. Il s’agit d’un concept déjà appliqué sous forme de chartes auxquelles les grands groupes adhèrent ou qu’elles mettent en place mais qui n’ont pas de portée juridiquement contraignante559. 613. La Commission des Communautés Européennes y explique en ces termes qu’« être socialement responsable signifie non seulement satisfaire pleinement aux obligations juridiques applicables, mais aussi aller au-delà et investir davantage dans le capital humain, l'environnement et les relations avec les parties prenantes ». L’aspect volontariste de cette solution l’empêche de pouvoir présenter des garanties d’effectivité suffisante. Elle ne peut donc être qu’un complément à d’autres mesures. 614. Toutefois la commission souligne à juste titre que « Les institutions financière ont de plus en plus recours à des listes de critères sociaux et écologiques pour évaluer le risque de prêt ou d'investissement vis-à-vis des entreprises. De même, le fait d'être reconnue comme une entreprise socialement responsable, par exemple en étant représentée dans un indice boursier de valeurs éthiques, peut jouer en faveur de la cotation d'une entreprise et apporte donc un avantage financier concret. »560. 615. Il est donc possible que l’action d’une main invisible aboutisse à un effet d’autorégulation. Mais encore faut-il que l’irresponsabilité sociale puisse être sanctionnée pour pouvoir engendrer un risque financier préjudiciable. Il reste donc nécessaire de définir en amont un cadre juridiquement contraignant qui régule les effets sociaux des nouvelles 558 Commission des Communautés Européennes, Livre Vert Promouvoir un cadre européen pour la responsabilité sociale des entreprises, COM(2001) 366 final, Bruxelles, 2001 559 V. P.-H. Antonmattéi, Ph. Vivien , Chartes d’éthique, alerte professionnelle et droit du travail français: état des lieux et perspectives, Éd. La Documentation française, Janvier 2007 ; D. Berra, Les chartes d’entreprise et le droit du travail in Mélanges dédiés au Président Michel Despax, Presses de l’Université des sciences sociales de Toulouse, 2002, p. 123 560 Commission des Communautés Européennes, Livre Vert, Promouvoir un cadre européen pour la responsabilité sociale des entreprises, COM(2001)3 66 final, Bruxelles, 2001 214 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ organisations en réseaux, que le seul lien de subordination juridique ne permet pas d’appréhender, et qui ne laisse pas les groupes absents du marché boursier hors de portée561. B – Les mécanismes de responsabilité proposés par l’O.I.T. 616. Le Bureau International du Travail a établi un rapport sur le champ de la relation de travail qui souligne la nécessité de garantir l’effectivité des droits et libertés des travailleurs au sein des groupes ou réseaux d’entreprise562. Ce rapport envisage plusieurs voies susceptibles d’être appliquées qui permettent d’engager la responsabilité des véritables décisionnaires. Seront ainsi évoquées la technique du co-employeur (1) et la technique de la responsabilité solidaire (2). 1 – La technique du co-employeur 617. Il s’agit de faire peser les responsabilités découlant d’une relation de travail avec un travailleur sur deux entités distinctes. C’est un mécanisme déjà applicable aux groupes d’entreprises ainsi qu’aux situations de travail triangulaire lorsque l’utilisateur se comporte en employeur et exerce de fait un pouvoir de direction sur le travailleur. Dans cette perspective le recours au lien de subordination est suffisant pour peu que soit privilégié la primauté des faits sur le montage contractuel apparent. 618. La caractérisation du lien d’emploi avec l’utilisateur bénéficiaire de la prestation de travail demeure somme toute classique. La perspective à approfondir tient donc à considérer les deux employeurs successifs non pas comme deux employeurs distincts et responsables individuellement de leur propre chef - ainsi que cela est le cas dans le cadre de la pluriactivité - mais comme une communauté solidaire. 619. Dans le cadre du travail intérimaire, le fondement juridique de cette solidarité pourrait - par exemple - reposer sur la nécessaire sanction du fait que l’entreprise utilisatrice a exercé un pouvoir de direction sur le travailleur, à condition que l’entreprise de travail temporaire 561 V. C. Perraudin, H. Petit, A. Reberioux, Marché boursier et gestion de l'emploi : analyse sur données d'entreprises française, document de travail du CES, n°41, 2007 562 Bureau international du Travail, La relation de travail, Conférence internationale du Travail, 95e session, Genève, 2006 215 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ « avait ou aurait dû avoir conscience de la situation [de son salarié] et qu’elle n’a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver »563. Ce mécanisme aboutit donc à mêler la technique du co-employeur et celle de la responsabilité solidaire. Elle présente l’avantage de pouvoir s’appliquer à toutes les relations de travail triangulaires, notamment la sous-traitance, la mise à disposition ou encore le prêt de main d’œuvre licite. La technique de la responsabilité solidaire doit toutefois être distinguée car son but est à l’origine de responsabiliser différents donneurs d’ordres indépendamment de l’existence d’un lien de subordination. 2 – La technique de la responsabilité solidaire 620. La notion de responsabilité solidaire consiste à identifier un ou plusieurs donneurs d’ordre, outre l’employeur principal, pour mettre à leur charge l’obligation – sinon de garantir – au moins de ne pas faire obstacle aux droits et libertés des salariés de leurs soustraitants. « Une loi finlandaise par exemple considère que le donneur d’ordre est responsable du respect des droits fondamentaux des salariés de ces sous-traitants, ce qui est une façon d’assurer la portée juridique des codes de conduite, vis-à-vis de l’entreprise dominante ellemême. Dans le même esprit un tribunal du district de New York a annulé un contrat de fourniture de vêtements, les termes du contrat ne permettant pas d’assurer le respect des salaires minimaux en vigueur »564. 621. L’intérêt de cette technique est donc de responsabiliser les donneurs d’ordre en l’absence de tout lien de subordination entre le travailleur et ces derniers. L’effet escompté est 563 V. B. Siau, L'employeur soumis à un principe de précaution? Note sous Cour de cassation, Chambre sociale, 5 mars 2008, pourvoi numéro 06-45.888 et pourvoi numéro 06-42.435, Revue Lamy Droit des affaires n°26, p.49-50, 01/04/2008 ; Cass. Soc., 28 février 2002, n° 99-17.221 : « En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés par l'entreprise ; le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable, au sens de l'article L. 452-1 du Code de la sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver » (arrêts n°1, 2, 3, 4, 5, 6 et 7). Publication : Bulletin 2002 V. n° 81 p. 74 ; dr. soc. n° 4, avril 2002, p. 445 447, note A. Lyon-Caen ; RTD Civ. avril-juin 2002, n° 2, p. 310-312, note P. Jourdain ; Dalloz, 10 oct. 2002, n° 35, Jurisprudence, p. 2696 2701, note Xavier Pretot ; RJS n° 06/02, juin 2002, Chron. p. 495-504, note Patrick Morvan ; Décision attaquée : CA Grenoble, 03 nov. 1999 564 M.-L. Morin, Le droit du travail face aux nouvelles formes d’organisation des entreprises, Summer University of Work, Nantes, 29-31 août 2004 216 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ celui d’une prise de conscience par les donneurs d’ordre que leur pouvoir ou leurs exigences envers un sous-traitant produisent des effets - bons ou mauvais - sur les libertés et droits fondamentaux de ses salariés. Qu’à ce titre, ils ne devraient pas pouvoir se prévaloir de l’absence de lien contractuel direct entre eux et les salariés du sous-traitant pour nier la causalité liant leur pouvoir de donner des ordres aux conséquences sociales de ceux-ci. 622. En pratique, la mise en œuvre de cette technique pourrait reposer justement sur la contractualisation d’un code de bonne conduite. Faute de lier directement les salariés du soustraitant au donneur d’ordre, cette contractualisation d’objectifs sociaux pourrait permettre de sanctionner le donneur d’ordre du fait de ses carences. Ainsi, « l’insertion de clauses sociales dans les contrats de sous-traitance permettant de préciser l’étendue des droits que le soustraitant doit respecter vis-à-vis de ces salariés pourrait être dans le même esprit être un moyen de fonder la responsabilité du donneur d’ordre. Celui-ci ne peut être exonéré, qu’autant que les termes du contrat de sous-traitance permettent de respecter ces droits »565. 623. Pour conclure sur cette technique, il doit être rappelé que le droit du travail connaît déjà quelques esquisses hésitantes de ce type de mécanisme. Notamment en matière de travail dissimulé où la jurisprudence procède déjà de manière très similaire. En effet, aux vues de certains indices, elle considère qu’un donneur d’ordre – même s’il s’agit d’un particulier – ne pouvait pas ignorer que le sous-traitant avait recours au travail dissimulé566, lui faisant ainsi encourir un risque de sanctions pénales. Et ce, même s’il a respecté les dispositions du Code du travail, lequel dispose que : « les vérifications à la charge de la personne qui conclut un contrat, prévues à l'article L. 8222-1, sont obligatoires pour toute opération d'un montant au moins égal à 3.000 € »567. Cette illustration permet de constater qu’il est nécessaire que l’obligation sociale du donneur d’ordre ait une origine légale ou réglementaire car elle ne peut se déduire de la simple économie du contrat de sous-traitance. 565 Ibid. V. Cass. Crim. 05 nov. 2002, n°01-88.779, à propos de la différence notable entre le nombre de salariés figurant sur les déclarations transmises au donneur d’ordre et le nombre de salariés travaillant sur un chantier ; V. aussi : Cass. Crim. 30 octobre 2001, n°01-80.507, à propos des déclarations irréalistes au regard de l’importance des travaux et des délais imposés ; Cass. Crim., 18 avril 2000, n°99-86.048 et Cass. Crim., 19 nov. 2002, n°02-80.026 à propos du prix anormalement bas ne permettant pas au sous-traitant de respecter la législation sociale en vigueur 567 C. trav. Art. R. 8222-1 566 217 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ TITRE II LA RÉGÉNÉRATION DES RAPPORTS DE SUBORDINATION 627. Le terme régénération est utilisé car il permet une métaphore. Celle-ci traduit l’idée principale de chacun des deux chapitres qui seront envisagés. L’utilisation du terme régénération est originale car elle est normalement réservée pour désigner la faculté d’une entité vivante à se reconstituer après sa destruction partielle. Mais l’image de la régénération des rapports de subordination permet de mettre en exergue le caractère vivant des rapports de subordination, puisqu’ils ne cessent de se reconstruire. 628. Plus particulièrement, cette idée permet de souligner que les rapports de subordination se reconstruisent progressivement, ce qui suppose l’apparition de nouveaux éléments. Il s’agira donc d’analyser ces nouveaux éléments qui résultent de la régénération actuelle des rapports de subordination en envisageant l’expansion des liens hors subordination (CHAPITRE I). 629. Seront notamment envisagés le développement de l’intéressement des salariés aux fruits de l’entreprise, ainsi que la participation des salariés à la vie et aux résultats de leur entreprise. Ces nouveaux rapports tendent à se substituer progressivement aux rapports de subordination et établissent de nouveaux rapports horizontaux, loin des schémas traditionnels. Ce phénomène illustre donc l’idée d’une reconstruction progressive, car le lien de subordination demeure bien présent dans les relations de travail, même s’il devient invisible. 630. Parallèlement, cette métaphore permettra d’anticiper l’idée d’une régénération à venir des rapports de subordination, et donc de tenter de prévoir, ou de proposer, les nouveaux éléments qui pourraient en découler. Les limites du recours au lien de subordination juridique invitent donc à réfléchir sur les alternatives pour l’avenir (CHAPITRE II), notamment en repensant les relations de travail. CHAPITRE I - L’EXPANSION DES LIENS HORS SUBORDINATION CHAPITRE II - LES ALTERNATIVES POUR L’AVENIR 218 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ CHAPITRE 1 L’EXPANSION DES LIENS HORS SUBORDINATION 631. Les discussions autour de la participation ont fait une première apparition hésitante lors de la promulgation de la loi du 26 avril 1917 sur la société anonyme à participation ouvrière. Mais cette initiative n’a pas rencontré un grand succès et il a fallu attendre l’ordonnance du 22 février 1945 instituant les comités d’entreprise pour révéler que la participation des salariés comme un enjeu social essentiel. C’est ce que confirme d’ailleurs la Constitution de 1946 puisque le préambule dispose que « tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises »568. 632. Cette innovation dépasse la simple restructuration des relations de travail dans l’entreprise. Elle témoigne d’une prise de conscience quant à la nécessité de faire participer les salariés à la gestion et aux résultats de l’entreprise dans laquelle ils travaillent. Ainsi que le souligne G. Bredon, « le vocabulaire adopté dans le monde du travail est symptomatique de cette évolution. On emploie plus les termes de « travailleurs, employés, salariés… ». On préfère employer les termes de collaborateurs ou encore de « managers ». Ce changement de terminologie est significatif de l’évolution de la nature des relations qu’entretiennent désormais les collaborateurs au sein des entreprises »569. 633. Cette consécration est relativement récente à l’échelle de l’histoire du salariat. Mais elle est bien réelle car ce principe constitutionnel a été mis en œuvre et a trouvé de nombreuses applications. La participation est devenue un thème de négociation privilégié dans le dialogue social. Les accords collectifs révèlent aussi un intérêt croissant pour la participation ainsi qu’une diversification de son champ d’application. Ce phénomène de diversification est particulièrement prononcé et quelques distinctions doivent être posées en préalable. D’un point de vue global, la participation peut se décliner en deux formes distinctes. La participation financière et la participation dite institutionnelle. 568 Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 G. Bredon, l'évolution de la notion de subordination comme critère du contrat de travail, Thèse Paris II, 1998, p. 154 569 219 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ 634. La première consiste à associer financièrement les salariés aux bénéfices de l’entreprise : « s'agissant de la participation financière, il faut distinguer, d'une part, la participation au sens le plus strict, participation aux bénéfices ou modulation d'une fraction des salaires selon les performances collectives de l'entreprise, lesquelles peuvent être financières ou non financières et, d'autre part, l'actionnariat salarié, ainsi que l'épargne salariale, dont certains instruments donnent lieu à des investissements sur des placements diversifiés » 570. L'actionnariat permet donc aux salariés, en outre, de détenir directement ou indirectement des parts du capital de la société dans laquelle ils travaillent voire du groupe. 635. La seconde forme de participation qu’il faut distinguer, à côté de la participation financière, est la participation institutionnelle. Cette forme de participation se décline ellemême en deux genres selon qu’elle consiste à associer les salariés directement et/ou indirectement à la gestion de l’entreprise dans laquelle ils travaillent. Il est dans ce cas révélateur d’écrire qu’il s’agit de les associer à la gestion de - leur - entreprise alors qu’elle ne leur appartient pas. 636. Il est ainsi possible de détacher trois niveaux d’associations des salariés à la vie de leur entreprise. Ils sont toujours plus prononcés et favorisent un rééquilibrage des rapports de travail entre employeurs et salariés. Or, ces rapports s’entendent traditionnellement comme étant verticaux et unilatéraux, même si le contrat de travail est synallagmatique. Ainsi, la volonté d’introduire toujours plus d’équilibre dans le déséquilibre engendre nécessairement une remise en cause de ces rapports de subordination. Le recours au lien de subordination comme critère principal et distinctif du contrat de travail est donc remis en cause et menacé. 637. Tout d’abord s’agissant de leur participation institutionnelle, il faudra envisager leur participation directe aux prises de décisions importantes (SECTION I). Il s’agit là de la participation institutionnelle directe qui doit être distinguée de la participation institutionnelle indirecte à savoir l’association des salariés à la gestion de l’entreprise par l’intermédiaire de leurs représentants (SECTION II). Ce procédé est plus répandu et mieux adapté à une gestion courante de l’entreprise. Enfin, il faudra envisager leur participation financière : l’association des salariés aux fruits de l’entreprise (SECTION III). 570 F. Guillaume, Rapport d'information sur « la participation des salariés dans l'Union européenne », présenté à l'AN le 13 sept. 2006 220 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ SECTION I - LA PARTICIPATION DIRECTE DES SALARIÉS AUX DÉCISIONS 638. L’action des salariés sur la vie de leur entreprise est généralement pensée comme celle qui s’effectue par l’intermédiaire d’instances représentatives du personnel, et que la doctrine désigne par les termes de codécision ou de surveillance indirecte571. Mais c’est oublier que, plus rarement, l’action des salariés au sein de leur entreprise s’exerce plus directement, sans qu’il n’y ait d’intermédiaire. L’action des salariés est alors exercée sur le modèle de la démocratie participative572 ou encore de la démocratie directe573. Elle emprunte dans ce cas la forme du référendum (paragraphe 1). De manière encore plus absolue, l’action des salariés sur la gestion de l’entreprise peut aujourd’hui s’opérer par leur accession au statut d’associé ou d’actionnaire (paragraphe 2). Paragraphe 1 - L’action des salariés par l’usage du référendum 639. Le concept du salarié citoyen dans l’entreprise, défendu dans les lois Auroux, trouve aujourd’hui une application concrète et aboutie dans le recours des entreprises aux accords référendaires. L’employeur consulte ainsi directement les salariés pour avaliser un projet important pour l’entreprise et dont les répercussions sont susceptibles d’avoir un impact sur l’emploi ou les conditions de travail. Cette pratique permet à la fois une meilleure association des salariés à la vie de l’entreprise, en les responsabilisant, mais il permet aussi d’évincer – sous certaines conditions – les instances représentatives du personnel et les éventuels blocages de négociation. Pour cette raison, le recours au référendum a été strictement encadré par le législateur. Ce dernier en a délimité les contours et la valeur juridique. 571 V. G. Couturier, Droit du travail, Coll. Droit fondamental, PUF, 1991, p.18 V. V. de Briant, De la démocratie participative en France et en Europe, EspacesTemps.net, Il paraît, 2005 ; V. aussi P. Le Galès, Comment Gouverner Une Ville En Mutation ?, rev. pouvoirs locaux n° 65, Éd. Institut de Décentralisation, mai 2005 573 V. Y. Papadopoulos, Démocratie directe, Coll. Politique comparée, Éd. Économica, 1998 ; T. Jeantet, Démocratie directe, démocratie moderne, Coll. Vivre demain, Éd. Entente, 1991 572 221 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ 640. Les accords dits atypiques qui résultent de ces référendums s’étendent de plus en plus, qualitativement et quantitativement574. Ils deviennent donc une nouvelle source de pouvoir pour les salariés qui peuvent ainsi agir directement sur le sort de leur entreprise. Dans cette perspective, le développement des accords référendaires - ou atypiques – apparaissent comme un nouveau facteur de fragilisation d’une subordination traditionnelle et absolue au profit d’une subordination altérée et relative. 641. Ce phénomène participe donc de la déstructuration du lien de subordination juridique et de la remise en cause du recours à ce critère pour continuer à qualifier l’existence d’un contrat de travail. Il sera donc opportun d’envisager le champ d’application de l’accord référendaire (A) puis d’exposer les conséquences de l’expansion de ces accords dans l’entreprise (B). A – Le champ d’application de l’accord référendaire 642. Il est important de délimiter le domaine de l’accord référendaire car il est souvent confondu avec celui des accords dits atypiques. Dans le premier cas c’est la loi qui oblige l’employeur à consulter directement les salariés alors que dans le second il s’agit d’une pratique qui s’est développée en marge de toute obligation légale. La force juridique de l’accord n’est ainsi pas la même selon le cas de figure. 643. Le législateur a institué des cas dans lesquels le recours à un accord référendaire est non pas une option mais une véritable obligation. Il s’agit d’une part de la détermination des modalités de la participation des salariés aux résultats de l’entreprise et, d’autre part, de l’adhésion et de la mise en place dans l’entreprise d’un régime de protection sociale complémentaire, dont la cotisation sera prélevée à la source du salaire575. 574 V. M. Vericel, la contractualisation des avantages nés de normes d'entreprise atypiques, dr. soc. 2000 n° 9/10, page 833, 4 pages ; G. Vachet, les accords atypiques, rev. dr. soc. 1990 n 7-8 p. 620 ; C. Freyria, les accords d’entreprises atypiques, droit 1988 p. 43 ; J. Savatier, accords d’entreprise atypiques, rev. dr.soc. 1985 p.188, V. encore E. Loiseau, Accords atypiques et accords dérogatoires, la semaine sociale Lamy, supplément au n° 537, Éd. Lamy, 1991 575 V. notamment J. Barthélémy, Le référendum en droit social, dr. soc. 1993, p.89 : « La loi prévoit le recours au référendum dans deux domaines particuliers : la participation des salariés aux fruits de l’entreprise et l’assurance des salariés contre les risques vieillesse ou les risques couverts par les régimes de prévoyance » 222 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ 644. Le premier cas concerne à la fois la participation et l’intéressement des salariés dans l’entreprise. L’article L. 3312-5 du Code du travail dispose en effet que « les accords d'intéressement sont conclus pour une durée de trois ans, selon l'une des modalités suivantes […] 4° À la suite de la ratification, à la majorité des deux tiers du personnel, d'un projet d'accord proposé par l'employeur. Lorsqu'il existe dans l'entreprise une ou plusieurs organisations syndicales représentatives ou un comité d'entreprise, la ratification est demandée conjointement par l'employeur et une ou plusieurs de ces organisations ou ce comité ». En ce qui concerne la participation, c’est l’article L. 3322-6 qui prévoit les règles de vote selon une formulation strictement identique à l’article L.3312-5. 645. Pour le deuxième cas, c’est l’article L. 911-1 du Code de la Sécurité Sociale qui prévoit que l’accord référendaire est une des modalités restrictives pour permettre l’adhésion des salariés à un régime de protection sociale complémentaire576. Dans ces deux hypothèses le recours à l’accord référendaire constitue la procédure légale obligatoire que l’employeur doit observer pour pouvoir instituer l’une et l’autre de ces mesures. 646. Il peut donc être considéré qu’il ne s’agit pas d’accords atypiques stricto-sensu. Ces derniers désignant plutôt les accords conclus par la consultation directe des salariés en lieu et place de leurs représentants, notamment des instances représentatives du personnel. Dans tous les cas, il faut remarquer que le développement de la consultation directe des salariés rééquilibre la relation de travail entre employeur et salarié et participe à l’amenuisement de la subordination traditionnelle. B – L’expansion des accords référendaires et atypiques 647. Ainsi que le souligne G. Bredon, les entreprises, quelle que soit leur taille, ont de plus en plus recours au référendum. Son importance, et par là même celle des salariés, ne doit pas être négligée car « dans bien des cas, avant de solliciter une négociation avec le délégué 576 Art. L. 911-1 du Code de la Sécurité Sociale : « A moins qu'elles ne soient instituées par des dispositions législatives ou réglementaires, les garanties collectives dont bénéficient les salariés, anciens salariés et ayants droit entreprise complément de celles qui résultent de l'organisation de la sécurité sociale sont déterminées soit par voie de conventions ou d'accords collectifs, soit à la suite de la ratification à la majorité des intéressés d'un projet d'accord proposé par le chef d'entreprise, soit par une décision unilatérale du chef d'entreprise constatée dans un écrit remis par celui-ci à chaque intéressé. » 223 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ syndical, l’employeur aura réuni le personnel pour lui demander un avis au sujet de la décision qui fera l’objet de l’accord collectif d’entreprise. En cas d’acceptation par le personnel, le délégué syndical ne pourra que suivre entreprise concluant un accord. Aussi, malgré les incertitudes de la place de l’accord résultant du référendum plaide pour que lui soit reconnu la qualité d’accord collectif »577. Mais pour asseoir véritablement l’idée selon laquelle le recours au référendum dans l’entreprise renforce le rôle et la puissance des salariés face à l’employeur il faut préciser la force juridique des accords référendaires. 648. Il faut ainsi distinguer les deux hypothèses déjà évoquées, la participation aux fruits de l’entreprise et la protection sociale complémentaire, de toutes les autres hypothèses. Dans les premiers cas l’accord référendaire relève du champ d’application prévu par législateur578. Ces accords auront donc force de loi et constitueront un accord d’entreprise. Ils auront donc vocation à régir les relations de travail entre l’employeur et l’ensemble des salariés, y compris ceux qui n’étaient pas favorables à la proposition de l’employeur. Pour reprendre le cas d’un régime de protection sociale complémentaire, l’employeur sera autorisé à prélever directement sur leur salaire la part correspondante à la cotisation prévue par l’accord. 649. La Cour de cassation a par exemple admis qu'un accord collectif pouvait être remis en cause par un référendum d'entreprise579. Mais dans les autres cas les accords conclus n’ont pas la même valeur. La règle est en effet qu’en dehors du cadre dans lequel le référendum constitue la procédure légale obligatoire, l’accord atypique a la valeur d’un simple engagement unilatéral de l'employeur580. Ils peuvent donc être révoqués. 650. Pour ces accords, le choix des salariés est donc moins contraignant pour l’employeur. Mais le simple fait que le recours aux accords atypiques se développe est de nature à établir un renouveau au sein des rapports de subordination. D’autant plus que, même s’ils sont juridiquement révocables, le risque de conflit social et la crédibilité de l’employeur sont 577 G. Bredon, L'évolution de la notion de subordination comme critère du contrat de travail, Thèse Paris II, 1998, p.213 578 V. en matière de protection sociale complémentaire, CSS, art. L. 911-1. et en matière d'intéressement et de participation, C. trav., art. L. 3312-5 et L. 3322-6 579 Cass.soc.,10 févr. 1999 ; V. JSL 1999, 33-4, note M. Hautefort, V. aussi J. Grimaldi d'Estra, Nature et régime juridique du référendum en droit social, dr. soc. 1994, p. 397 580 L. Drai, JCL Travail traité, Fasc. 1-10 : Sources, 15 juin 2009 224 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ autant d’enjeux qui permettent de donner un minimum de sécurité et de stabilité factuelle à ces accords. Paragraphe 2 - L’accès des salariés à la qualité d’associé 651. Si l’action des salariés sur leur entreprise se manifeste parfois par l’intermédiaire d’une participation classique de type actionnariat, elle peut également s’inscrire dans un processus plus original lorsqu’elle résulte d’une véritable association au sens de l’article 1832 du Code civil581. Dans cette dernière hypothèse, l’association des salariés à leur entreprise implique qu’ils en deviennent – au moins pour partie – les propriétaires. En tout état de cause l’association des salariés à leur entreprise - dans une et l’autre des situations exposées substitue au rapport de subordination vertical, un rapport d’association horizontal. Seront donc abordés successivement l’une et l’autre de ces situations voisines, à commencer par le salarié actionnaire (A) puis le salarié associé (B). A – Le salarié actionnaire 652. 2006 L’accession des salariés à la qualité d’actionnaire, modifiée par la loi du 30 décembre 582 , a été rendue possible par la mise en place de différents dispositifs similaires mais qu’il fait distinguer en ne retenant que ceux qui ont un impact direct sur le lien de subordination. Dans cette perspective l’actionnariat salarié583 recouvre alors trois figures différentes : l’émission de titres boursiers réservés aux salariés, la mise en place par 581 Art. 1832 C. Civ. : « La société est instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un contrat d'affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l'économie qui pourra en résulter ». 582 Loi n°2006-1770 du 30 déc. 2006 pour le développement de la participation et de l'actionnariat salarié et portant diverses dispositions d'ordre économique et social ; V. Le nouveau souffle de l'actionnariat salarié dans la loi du 30 décembre 2006, Dalloz 2007, p. 524. 583 V. J.-B. Cottin, Actionnariat des salariés, Fasc. 27-25, 2009 ; D. Jourdan , M. Morand et B. Serizay, Épargne salariale et actionnariat salarié, Éd. législatives, 2001 ; D. Jourdan, Épargne salariale, intéressement, participation, actionnariat, Éd. Liaisons sociales, 2007 ; O. Bonijoly , G. Bordier et J.B. Cottin, À propos de la loi pour le pouvoir d'achat, JCP G 2008, n° 7, p. 3 ; Développement de la participation et de l'actionnariat salarié : Bull. Joly, mars 2007 ; Développement de l'actionnariat salarié : JCP S 2007, 1032 225 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ l’entreprise d’options de souscription ou d’achat d’actions584 et enfin l'attribution gratuite d'actions. 653. Dans le premier cas, c’est la loi du 27 décembre 1973 qui a instauré le système de souscription ou d’achat d’actions réservées aux salariés. Il s’agit du système plus connu sous le terme de stock-option585. Ainsi dans les entreprises qui relèvent de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales, il est possible de mettre à la disposition exclusive des salariés l’achat d’actions ou la souscription à une augmentation de capital586. En pratique, « le conseil d'administration (ou le directoire dans les sociétés dualistes) offre, après autorisation de l'assemblée générale extraordinaire, à des salariés et/ou aux dirigeants sociaux le droit – l'option - de souscrire ou d'acheter des actions à un prix déterminé préalablement et qui reste fixe durant la période de l'option »587. 654. Dans le second cas, le système d’option d’achat ou de souscription d’actions permet aux salariés de souscrire ou d’acheter, à des conditions plus avantageuses que pour les tiers. Le Code du travail permet ainsi aux sociétés de procéder à des augmentations de capital réservées aux adhérents de plans d'épargne destinés recevoir les dites actions588. 655. Enfin, l'attribution gratuite d'actions589 résulte d’un dispositif introduit par la loi de finances de 2005590. Le législateur a ainsi souhaité enrichir le droit existant entreprise offrant à tout salarié d’une entreprise de pouvoir bénéficier d’une distribution d'actions591 dans 584 V. sur ce point : J.-B. Cottin, JurisClasseur Travail Traité, Fasc. 27-25 : Actionnariat des salariés R. Vatinet, Le clair-obscur des stock-options à la française : Rev. sociétés, janv.-mars 1997 ; Quelques incertitudes du régime juridique des stock-options, V. Cass. soc., 15 janv. 2002, dr. soc. 2002, p. 690 586 Loi n°73-1196 du 27 décembre 1973 et décret n°74-319 du 23 avril 1974 587 J.-B. Cottin, Actionnariat des salariés, Fasc. 27-25, n°7, 2009 588 C. trav., art. L. 3332-18, « Les sociétés peuvent procéder à des augmentations de capital réservées aux adhérents d'un plan d'épargne d'entreprise.» 589 J.-Ph. Dom, L'attribution gratuite d'actions : Bull. Joly, févr. 2005 ; V. aussi D. Labarthette, Les plans de stock-options à l'épreuve des attributions gratuites d'actions : JCP E 2006, 1576 ; S. Plantin, L'attribution d'actions gratuites, une alternative séduisante aux plans de stock-options : JCP E 2005, 524 590 L. n° 2004-1484, 30 déc. 2004, art. 83; C. com., art. L. 225-197-1 à L. 225-197-5 ; V. R. Vatinet Développement de l'actionnariat salarié, L. n° 2006-1770, 30 déc. 2006, Titre II, La Semaine Juridique Social n° 4, 23 Janvier 2007, 1032, n°4 591 JOAN, 2e séance, 19 nov. 2004, p. 9818 585 226 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ l’entreprise. Comme le souligne J.-B. Cottin, cette disposition592 a « fait du bénéficiaire un véritable actionnaire qui partage les gains et les risques de pertes avec les autres actionnaires »593. Le dispositif a été modifié par la loi n° 2006-1770 du 30 décembre 2006594 qui confirme le plafonnement de l'attribution gratuite d'actions à dix pour cent du capital social. 656. Dans les trois cas, ces dispositifs ont pour effet de susciter chez le salarié un sentiment nouveau face à leur entreprise, autre que celui « consistant à ne voir en elle qu’un lieu d’asservissement. Les salariés redécouvrent par ce biais les vertus du travail qui enrichit »595. Mais le fait de donner la possibilité à un salarié de devenir actionnaire de l’entreprise dans laquelle il travaille engendre plusieurs conséquences. Tout d’abord, le salarié est responsabilisé puisqu’il a un intérêt financier personnel dans les réussites et les échecs de l’entreprise. Mais les conséquences les plus problématiques se posent au regard du lien de subordination juridique. Dans le cas du salarié actionnaire, il existe en effet une superposition de liens : le lien de subordination auquel se superpose un lien financier. 657. Cette superposition crée une cohabitation conflictuelle car le salarié occupe deux positions diamétralement opposées vis-à-vis de l’entreprise : une position que l’on peut qualifier de hiérarchiquement inférieure - car il est subordonné - et une position économiquement supérieure - car il est actionnaire -. Or, « sur le plan théorique, cette situation remet en cause les fondements même du droit du travail bâti sur la dichotomie opposant actionnaires et salariés. Alors que l’actionnaire contrôle en sa qualité les décisions prises par les dirigeants sociaux, ces derniers commandent directement ou indirectement les salariés. De cette situation résulte, au regard de la notion de subordination, une incompatibilité de principe entre ces différents statuts »596. 592 V. JCl. Sociétés Traité, Fasc. 1866 J.-B. Cottin, Actionnariat des salariés, Fasc. 27-25, n°71, 2009 594 V. R. Vatinet Développement de l'actionnariat salarié, L. n° 2006-1770, 30 déc. 2006, Titre II, La Semaine Juridique Social n° 4, 23 Janvier 2007, 1032, n°4 595 G. Bredon, l'évolution de la notion de subordination comme critère du contrat de travail, Thèse Paris II, 1998, p.216 593 596 G. Bredon, l'évolution de la notion de subordination comme critère du contrat de travail, Thèse Paris II, 1998, p.216 227 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ 658. Le législateur a donc mis en place des limites afin de garantir une certaine compatibilité entre les statuts de salarié et d’actionnaire. L'article L. 225-182 du Code de commerce dispose en effet que les salariés possédant plus de dix pour cent du capital social ne peuvent pas se voir accorder de nouvelles options597. B – Le salarié associé 659. L’action des salariés peut encore résulter du rachat de l’entreprise par les salariés. Après quelques succès, ce dispositif a dû attendre la loi du 30 décembre 2006 sur la participation et l'actionnariat salarié pour connaître une nouvelle mise en avant598. 660. À l’heure actuelle la mise en œuvre du rachat d’une entreprise par ses salariés résulte principalement de deux dispositifs encadrés. Il s’agit, d’une part, de la création d’une société coopérative ouvrière de production 599 ou de la création, d’autre part, d’une société anonyme à participation ouvrière600. Ces solutions offrent aux salariés la possibilité d’acquérir la majeure partie du capital de leur entreprise601, « dès lors, leur action ne se résume plus à une simple participation à la gestion. Leurs intérêts sont confondus avec ceux des actionnaires »602. 661. Il est donc possible de se demander si, dans cette perspective, la notion de subordination juridique est encore à même de fonder le critère commun de l’existence du contrat de travail. Car dans cette configuration le salarié fournit bien une prestation de travail au profit d’un employeur personne morale. Mais cette personne morale – la société – n’est que le groupement des dits salariés. De sorte qu’à l’issu du raisonnement il peut être considéré que ces salarié associés sont en fait subordonnés à eux-mêmes. Et qu’ainsi « le paradoxe 597 Article L. 225-182 du Code de commerce : « Le nombre total des options ouvertes et non encore levées ne peut donner droit à souscrire un nombre d'actions excédant une fraction du capital social déterminée par décret en Conseil d'État. Il ne peut être consenti d'options aux salariés et aux mandataires sociaux possédant plus de 10 % du capital social ». 598 Loi n°2006-1770 du 30 décembre 2006 599 V. Loi n°78-763 du 19 juillet 1978 portant statut des sociétés coopératives ouvrières de production 600 V. Loi n°77-748 du 8 juillet 1977 relative aux sociétés anonymes à participation ouvrière ; C. com., art. L. 225-258 à L. 225-270 601 V. P. Le Vey, Juris-Classeur Sociétés, Fasc. 173-50 602 G. Bredon, L'évolution de la notion de subordination comme critère du contrat de travail, Thèse Paris II, 1998, p.217 228 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ d’une telle situation démontre par l’absurde l’incohérence et l’anachronisme d’un critère fondé sur la notion de subordination »603. 662. Quelques incohérences juridiques apparaissent à l’examen de cette situation. Car les salariés associés sont en même temps ceux qui accomplissent la prestation de travail et ceux qui en tirent profit. Ainsi l’accomplissement d’une seule et unique prestation donne lieu à une double rémunération : dans un premier temps, au titre du contrat de travail puis, dans un second temps, au titre de la répartition d’éventuels bénéfices. 663. D’autre part, il faut se demander dans quelle mesure il est possible que ces salariés se trouvent dans un lien de subordination puisqu’ils détiennent le capital. Ainsi, même s’ils nomment un gérant, ce dernier pourrait être révocable à tout moment. Il serait donc peu enclin à diriger, contrôler et sanctionner ceux-là même qui ont le pouvoir de le révoquer. 664. Enfin, le cas des salariés associés met en exergue un déséquilibre juridique au regard de la situation des travailleurs économiquement dépendants et notamment de bon nombre d’auto-entrepreneurs. Ces derniers apparaissent souvent beaucoup moins libres et indépendants que des salariés-associés, pourtant ils bénéficient d’une protection sociale moins avantageuse que le régime général de la sécurité sociale. Le recours à la notion de lien de subordination juridique, dans un contexte changeant et évolutif, n’est donc pas à même de résoudre les impasses qu’il crée. 603 G. Bredon, L'évolution de la notion de subordination comme critère du contrat de travail, Thèse Paris II, 1998, p.217 229 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ SECTION II – L’ASSOCIATION INDIRECTE DES SALARIÉS A LA GESTION DE L’ENTREPRISE 665. L’association des salariés à la gestion de l’entreprise désigne ici celle qu’ils exercent par l’intermédiaire de leurs représentants. Cette action médiate peut être présentée en deux temps. Tout d’abord, elle désigne la possibilité d’interagir sur les décisions déterminantes en intégrant les organes sociaux (paragraphe 1). Dans un second temps, elle pourra désigner la possibilité qu’ont les salariés d’interagir sur la gestion de leur entreprise via les institutions représentatives du personnel (paragraphe 2). Paragraphe 1 – La représentation des salariés au sein des organes sociaux 666. Différentes étapes ont été cruciales dans la mise en place de dispositifs favorisant l’action des salariés au sein des organes sociaux. Parmi celles-ci, il faut ainsi évoquer l’apport de la loi n° 83-675 du 26 juillet 1983 relative à la démocratisation du secteur public. Bien que cette loi n’ait concerné que les établissements publics, elle a tout de même contribué à étendre le champ d’action des salariés dans ces entreprises. Le concept démocratique du salarié acteur dans son entreprise, quelques années après les lois Auroux, trouvait donc dans cette loi une application avancée. Cette loi a en effet instauré la présence de salariés élus dans les conseils d’administration et de surveillance d’entreprises publiques. 667. Le concept du salarié acteur dans les organes de la société étant ainsi démystifié, il était plus aisé de l’étendre au secteur privé. Ce fût le rôle dévolu à la loi du 2 juillet 1986 autorisant le gouvernement à prendre diverses mesures d'ordre économique et social. Cette loi a instauré les prémices de l’action des salariés au sein des organes de gestion dans l’entreprise. Cette loi-cadre autorisa le gouvernement à prendre par ordonnance les « mesures nécessaires au développement de la participation des salariés à l’entreprise [ainsi qu’à] modifier la législation sur les sociétés commerciales afin d’offrir aux sociétés anonymes la faculté d’introduire dans leurs statuts des dispositions prévoyant que des représentants du 230 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ personnel salarié siègeront avec voie délibérative au sein du conseil d’administration ou du conseil de surveillance »604. 668. C’est dans ce contexte que l’ordonnance du 21 octobre 1986 a ouvert la voie vers l’action des salariés au sein des organes sociaux des entreprises du secteur privé605. Mais c’est la loi du 25 juillet 1994 relative à la participation des salariés dans l’entreprise qui a institué le premier dispositif réellement abouti en la matière. Le dispositif de base a ensuite été modifié par la loi de modernisation sociale en 2002606 et la loi de 2006 pour le développement de la participation et de l'actionnariat salarié607. 669. Sur ce dernier point il convient de souligner que si la loi favorise toujours la participation de représentants élus par l’ensemble des salariés au sein des conseils d'administration ou de surveillance608, elle a diminué le champ de celle des représentants des actionnaires salariés. Ni la loi de modernisation sociale, ni la loi de 2006 n’ont en effet repris la possibilité de recourir à ce dispositif hors des cas pour lesquels la loi oblige609. 670. Aujourd’hui, la participation des salariés actionnaires aux instances sociétaires des entreprises obéit à certaines conditions de fond et de forme. Seront donc envisagés respectivement les conditions de cette représentation (A) ainsi que les modalités de sa mise en œuvre (B). 604 Loi n°86-793 du 2 juillet 1986, art. 3, J.O. du 3 juillet 1986 V. R. Vatinet Développement de l'actionnariat salarié, L. n° 2006-1770, 30 déc. 2006, Titre II, La Semaine Juridique Social n° 4, 23 Janvier 2007, 1032 ; A. Couret, La participation des salariés à la gestion des sociétés anonymes : Bull. Joly 1986, p. 987 ; J.-J. Daigre, Les représentants des salariés élus au conseil d'administration ou de surveillance des sociétés anonymes, Ord. n° 86-1135, 21 oct. 1986, dr. soc. 1987, p. 450 606 Loi n°2002-73 du 17 janvier 2002 de modernisation sociale ; V. C. Malecki, La loi de modernisation sociale et la nouvelle donne de la participation des salariés à la gestion de l'entreprise : JCP E 2002, p. 986 ; J.-M. Moulin, La participation des salariés à la gestion de la société : le comité d'entreprise actionnaire, Bull. Joly 2002, p. 571 607 Loi n°2006-1770 du 30 décembre 2006 pour le développement de la participation et de l'actionnariat salarié et portant diverses dispositions d'ordre économique et social ; V.R. Vatinet, de la loi sur les nouvelles régulations économiques à la loi de modernisation sociale : une montée en puissance du comité d'entreprise ? dr. soc. 2002, p. 286 ; R. Vatinet La société anonyme et ses salariés. Essai de problématique : rev. sociétés 2000, p. 161 608 C. com., art L. 225-27 et art. L. 225-79 609 V. R. Vatinet Développement de l'actionnariat salarié, L. n° 2006-1770, 30 déc. 2006, Titre II, La Semaine Juridique Social n° 4, 23 Janvier 2007, 1032 605 231 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ A – Les conditions de la représentation des salariés 671. La représentation des salariés actionnaires est aujourd’hui restreinte au regard du dispositif qui était en vigueur avant la loi de modernisation sociale. Il n’est en effet plus possible de procéder à l’élection de salariés actionnaires en dehors des cas limitativement et strictement prévus par l’article L. 225-23 du Code de commerce. En vertu de cette disposition, la représentation des salariés actionnaires n’est possible et obligatoire que « dans les sociétés dont les titres sont admis aux négociations sur un marché réglementé » 610. 672. Le seuil déclenchant cette obligation dans les sociétés concernées par l’article L.225- 23 du Code de commerce est franchi dès lors que le rapport présenté par le conseil d'administration lors de l'assemblée générale prévue par l'article L. 225-102611, établit que les actions détenues par le personnel de la société représentent plus de trois pour cent du capital social de la société612. 673. En ce qui concerne les sociétés dont les titres ne sont pas admis aux négociations sur un marché réglementé, il y a lieu de préciser qu’elles ont été déchargées de l’obligation de mettre en œuvre une représentation des salariés actionnaires afin de lutter contre l’effet d’exclusion qu’il pourrait engendrer, « de crainte qu'une telle obligation ne les dissuade de constituer un actionnariat salarié »613. Il s’agit là d’une première restriction à l’action médiate des salariés. 674. Il en existe une seconde. Celle-ci concerne la mise en œuvre volontaire d’une représentation des salariés actionnaires hors des cas obligatoires. Celle-ci n’est désormais plus 610 Art. L. 225-23 du Code de commerce : « Dans les sociétés dont les titres sont admis aux négociations sur un marché réglementé, lorsque le rapport présenté par le conseil d'administration lors de l'assemblée générale en application de l'article L. 225-102 établit que les actions détenues par le personnel de la société ainsi que par le personnel de sociétés qui lui sont liées au sens de l'article L. 225-180 représentent plus de 3 % du capital social de la société, un ou plusieurs administrateurs sont élus par l'assemblée générale des actionnaires sur proposition des actionnaires visés à l'article L. 225102. Ceux-ci se prononcent par un vote dans des conditions fixées par les statuts. Ces administrateurs sont élus parmi les salariés actionnaires ou, le cas échéant, parmi les salariés membres du conseil de surveillance d'un fonds commun de placement d'entreprise détenant des actions de la société […] ». 611 Art. L.225-102 du Code de commerce 612 Art. L. 225-23 du Code de commerce 613 R. Vatinet, Développement de l'actionnariat salarié, Op. cit. 232 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ possible car les lois de 2002 et 2006 ne comporte aucune disposition dans ce sens. « Il paraît curieux qu'elle ne soit pas offerte aux sociétés qui le souhaiteraient. Mais, faute d'autorisation explicite, ce serait une dérogation au droit commun des sociétés anonymes qui pourrait être contestée par d'autres actionnaires minoritaires »614. Il s’agit là d’un deuxième obstacle à l’action médiate des salariés. 675. Toutefois il est important de souligner, au regard de la problématique du lien de subordination, que ces restrictions ont un effet pratique et théorique très limité. Car même dans les sociétés absentes du marché boursier, la représentation de salariés demeure possible. Car si le droit commun ne permet pas la représentation spéciale de cette catégorie particulière de salariés, elle privilégie encore la représentation générale de l’ensemble des salariés. Ainsi, l’article L. 225-27 permet que des dispositions statutaires puissent prévoir que le conseil d’administration soit en partie composé d’ « administrateurs élus soit par le personnel de la société, soit par le personnel de la société et celui de ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français » 615. 676. Ainsi les conséquences de la représentation de salariés au sein du conseil d’administration, qu’il s’agisse de la représentation spéciale de salariés actionnaires ou de la représentation générale de l’ensemble des salariés, demeurent entières. Elles remettent en cause la consistance du lien de subordination entre ces salariés et la société qui les emploie. Cette remise en cause est encore plus prononcée concernant les salariés élus qui eux peuvent intégrer personnellement le conseil d’administration. Ils jouissent ainsi d’un pouvoir certain pouvant inspirer un sentiment de crainte ou de méfiance à ses supérieurs hiérarchiques. Dans les faits, le lien de subordination pourrait dans ce cas se trouver neutralisé. 677. Enfin, il serait possible d’objecter que ces cas de figure ne concernent que les sociétés anonymes et qu’ainsi la remise en cause du lien de subordination qu’ils impliquent sont 614 R. Vatinet Développement de l'actionnariat salarié, Op. cit. Art. L225-27 : « Il peut être stipulé dans les statuts que le conseil d'administration comprend, outre les administrateurs dont le nombre et le mode de désignation sont prévus aux articles L. 225-17 et L. 225-18 , des administrateurs élus soit par le personnel de la société, soit par le personnel de la société et celui de ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français. Le nombre de ces administrateurs ne peut être supérieur à quatre ou, dans les sociétés dont les actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé, cinq, ni excéder le tiers du nombre des autres administrateurs. Lorsque le nombre des administrateurs élus par les salariés est égal ou supérieur à deux, les ingénieurs, cadres et assimilés ont un siège au moins […]». 615 233 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ limités à ces structures. Il peut alors être mis en avant que c’est aussi le modèle du recours au lien de subordination juridique comme critère universel du contrat de travail qui est ici remis en cause. Ce qui conforte l’idée-force de cette deuxième partie. B - Les modalités de la représentation des salariés 678. Les modalités de la représentation des salariés prévue par l’article L. 225-23 du Code de commerce met en place l’obligation, pour l'assemblée générale des actionnaires, d’élire un ou plusieurs administrateursparmi les salariés actionnaires ou les salariés membres du conseil de surveillance d'un fonds commun de placement d'entreprise détenant des actions de la société616. 679. Les actionnaires disposent ainsi d’une marge d’appréciation concernant le nombre de salariés contrairement à la représentation générale de l’article L. 225-27 du Code de commerce qui dispose que « le nombre de ces administrateurs ne peut être supérieur à quatre ou, dans les sociétés dont les actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé, cinq, ni excéder le tiers du nombre des autres administrateurs »617. 680. Dans le cadre de la représentation prévue par l’article L.225-23, il est donc juridiquement envisageable qu’une majorité de sièges soit occupée par des salariés actionnaires. Ainsi « le risque ne peut pas être totalement écarté de voir une équipe dirigeante favoriser la constitution d'un noyau sûr d'administrateurs ou de membres du conseil de surveillance représentants les salariés actionnaires […] au détriment de l'intérêt des autres catégories d'actionnaires618 ». 681. Dans l’absolu, cette situation contribue donc à cristalliser la remise en cause du lien de subordination juridique. Car si les salariés subordonnés sont - en fait - dirigés contrôlés et sanctionnés par leurs supérieurs hiérarchiques, les salariés actionnaires qui parviendraient à prendre le contrôle du conseil d’administration seraient alors en position de force par rapport à eux. 616 V. Art. L. 225-23 du Code de commerce Art. L. 225-27 du Code de commerce 618 R. Vatinet, Développement de l'actionnariat salarié, Op. cit. 617 234 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ 682. Cette hypothèse pose la question de l’intensité du lien de subordination juridique619 qui dans ce cas peut être réduite à néant car celui qui dirige devient celui qui est dirigé, le contrôleur devient le contrôlé et celui qui sanctionne devient celui qui peut être sanctionné. Dans un tel contexte la notion de lien de subordination juridique n’a plus aucune pertinence et laisse place au vide juridique. Paragraphe 2 – La gestion par les institutions représentatives du personnel 683. Les institutions représentatives du personnel ont aujourd’hui acquis un véritable rôle décisionnel quant aux choix importants de la vie de l’entreprise. Elles sont devenues les interlocuteurs privilégiés des dirigeants mais aussi des pouvoirs publics. Elles sont alors plus connues sous le terme générique de partenaires sociaux. 684. Leur champ d’intervention s’est progressivement enrichi. De sorte qu’il est désormais possible de distinguer, à côté d’un champ d’intervention traditionnel (A), le développement d’une véritable cogestion entre l’employeur et les instances représentatives du personnel (B). Ces différentes institutions constituent un véritable contrepouvoir dans l’entreprise car elles disposent de prérogatives importantes dans le contrôle de gestion de l’entreprise. A – La gestion traditionnelle par les institutions représentatives du personnel 685. Les institutions représentatives du personnel désignent en pratique différents organes élus ou désignés, qui sont composées de salariés et dont chacune a des compétences et des missions qui leurs sont propres. Il est ainsi possible de citer les délégués du personnel, le comité d'entreprise, les représentants du personnel, le comité d'hygiène de sécurité et des conditions de travail et enfin les délégués et représentants syndicaux. La présence et les moyens de chacune de ces institutions sont déterminés par le calcul de l'effectif des salariés dans l'entreprise. 619 V. A. Taillandier, L'intensité du lien de subordination, Thèse Nantes, 1994 235 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ 686. De nombreuses évolutions ont marqué ces institutions depuis que le préambule de la Constitution de 1946 a proclamé le droit pour tout travailleur de participer par l’intermédiaire de ses délégués à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises. Les différentes lois qui les régissent sont aujourd’hui le socle d’une jurisprudence très dense. Leur action est devenue source de complexité et leur participation à la gestion et à la politique de l’entreprise est souvent source de tensions et de conflits. 687. L’analyse de l’évolution du droit des institutions représentatives du personnel fait apparaître une intensification de leur rôle dans l’entreprise. Car au-delà de leurs prérogatives normales ou traditionnelles, axées sur le dialogue social, les instances représentatives du personnel jouissent aujourd’hui de véritables pouvoirs de gestion. 688. Cette évolution a typiquement concerné le comité d’entreprise. Celui-ci disposait initialement de pouvoirs de gestion et de contrôle des activités sociales et culturelles au sein de l’entreprise. Cette compétence résulte de la loi du 16 mai 1946 modifiant l'ordonnance du 22 février 1945 sur les comités d'entreprise et du décret du 2 novembre 1945 pris pour l'application de ladite ordonnance. Mais à l’origine la loi ne prévoyait qu’une mission de coopération. Or, depuis la loi du 28 octobre 1982, le comité d’entreprise dispose d’une compétence exclusive pour gérer de manière autonome les activités sociales et culturelles de l’entreprise. 689. Ainsi le comité d’entreprise détermine librement les activités sociales et culturelles qui feront partie du budget alloué. La Cour de cassation considère d’ailleurs que l’employeur n’a pas le droit de voter lors d’une délibération concernant les activités sociales et culturelles620. L’autodétermination des salariés sur les questions relatives aux activités sociales et culturelles est donc devenue la règle. En « influant directement sur les conditions de vie des salariés, elles participent à l’affirmation du rapport de participation »621 au détriment du rapport de subordination traditionnel. 620 Cass. soc., 25 janv. 1995, n° 92-16.778 ; V. M.-C. Tual, Savoir qui vote au CE et comment, Les cahiers Lamy du CE, octobre 2007 621 G. Bredon, L'évolution de la notion de subordination comme critère du contrat de travail, Thèse Paris II, 1998, p.157 236 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ 690. Une autre conséquence du développement de ce rapport de participation est que l’entreprise n’est plus perçue systématiquement comme « un lieu de soumission mais un lieu dans lequel et par lequel le salarié peut s’épanouir, améliorer ses conditions de vie et celles de sa famille. Le changement d’image véhiculée par l’entreprise au cours des années 1980 est révélateur de la prise de conscience par les salariés que l’entreprise n’est plus un lieu d’asservissement mais un lieu où il est possible d’entreprendre »622. B – Le développement de la cogestion au sein de l’entreprise 691. L’apparition de la cogestion dans les entreprises permet aux salariés de bénéficier d’un contrepouvoir original. Ses manifestations peuvent intervenir à titre préventif mais aussi à titre curatif. La cogestion par l’intermédiaire des institutions représentatives du personnel est aujourd’hui un fait de plus en plus fréquent qui est signe de bonne gestion mais cette cogestion implique en principe une réorganisation horizontale de la relation de travail avec les salariés ce qui laisse en suspens les conséquences quant à la caractérisation du lien de subordination juridique qui reste ancré dans une logique de hiérarchie verticale : « l’entreprise qui parvient à enregistrer des profits sans que ses gains de productivité ne soient gagnés au détriment des salariés, toute entreprise les faisant participer activement et financièrement au succès, possède les caractéristiques de l’entreprise bien gérée. Une telle gestion devrait emporter l’unanimité. Un consensus de ce type se produit le plus fréquemment lorsque les salariés sont eux-mêmes actionnaires de l’entreprise »623. 692. Sans approfondir toutes les prérogatives dont disposent les institutions représentatives du personnel pour contrôler la gestion de l’entreprise il faudra retenir que l’élargissement de leur champ d’action participe à l’intensification du droit de regard des salariés sur la gestion de l’entreprise par l’employeur. Il s’agit donc d’un rééquilibrage de la relation de travail ou chacun des cocontractants peut contrôler l’activité de l’autre dans le cadre de l’entreprise. Le pouvoir de contrôle dont dispose le salarié d’une part, et l’employeur d’autre part, ne sont certes pas de même envergure mais dans le principe il s’agit d’une très nette évolution au regard des relations de travail au XIXème et XXème siècle. 622 623 G. Bredon, Op. cit., p.158 G. Bredon, Op. cit.,, p.181 237 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ 693. Dans ces conditions, le recours au lien de subordination est remis en cause. L’association du salarié aux résultats de l’entreprise tend en effet à faire disparaître le besoin de le surveiller, de le contrôler puisque l’intérêt de l’entreprise se confond avec son propre intérêt. D’autre part le pouvoir de négociation des salariés via les institutions représentatives du personnel ainsi que leur pouvoir de contrôle de l’employeur sont autant de limites au pouvoir de subordination de l’employeur. Ce dernier perd donc progressivement la toute puissance qui le caractérisait jadis au profit d’une prérogative plus limitée, celle de donner des ordres légitimes et proportionnés. 238 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ SECTION III – L’ASSOCIATION DES SALARIÉS AUX RÉSULTATS DE L’ENTREPRISE 694. Il est possible de distinguer deux principaux modes d’association des salariés aux résultats de l’entreprise. Il s’agit de la participation (paragraphe 1) et de l’intéressement (paragraphe 2). Ces deux formules sont souvent amalgamées pour ne faire qu’une alors qu’elles désignent chacune un cadre juridique différent. Cette confusion tient à ce que chacun de ces dispositifs ont une finalité substantiellement commune : associer les salariés aux fruits de leur travail, au-delà et en marge du salaire prévu. Toutefois l’intéressement et la participation se situent à deux degrés de contrainte différents. 695. S’agissant de la participation, d’une part, il faut souligner qu’il s’agit d’un dispositif d’ordre public puisque « le personnel doit obligatoirement bénéficier d'une participation financière aux résultats dans toute entreprise ou unité économique et sociale employant au minimum cinquante salariés »624. Le mode de calcul est donc imposé par la loi sauf dispositions plus favorables pour le salarié. S’agissant de l’intéressement, d’autre part, il s’agit de dispositions supplétives dans leur principe puisqu’ elles prévoient qu’ « un système facultatif [est] susceptible d'être mis en œuvre par accord dans toute entreprise, quelle que soit sa taille, sa forme juridique ou son activité »625 Ainsi les modalités de calcul de l'intéressement sont librement déterminées par l'accord à la double condition de reposer sur les résultats de l'entreprise et de présenter un caractère aléatoire et collectif 626. 696. Cette association des salariés aux fruits de l’entreprise est à l’évidence génératrice d’une plus grande motivation et d’un investissement personnel plus sincère du salarié. Mais au regard du lien de subordination juridique, cette association est aussi une source d’autonomie et de responsabilisation du salarié. Elle traduit « l’autonomie participative qui caractérise actuellement la situation des salariés »627. 624 G. Bordier, Participation aux résultats, Jurisclasseur Travail Traité, Fasc. 27-20, n°16 G. Bordier, Intéressement, Jurisclasseur Travail Traité, Fasc. 27-15, n° 5 626 V. A. Derue et D. Jourdan, Épargne salariale, intéressement, participation, actionnariat, Liaisons sociales, Spécial 2007-246, 25 oct. 2007 627 G. Bredon, L'évolution de la notion de subordination comme critère du contrat de travail, Thèse Paris II, 1998, p.223 625 239 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ Paragraphe 1 - La participation des salariés aux bénéfices 697. Plus de vingt années se sont écoulées entre la proclamation du principe dans le préambule de la Constitution de 1946 et la mise en application effective de la participation en France. C’est en effet l’ordonnance n° 67-693 du 17 août 1967 prise en application de la loi n° 67-482 du 22 juin 1967 qui a instauré la participation des salariés aux fruits de l'expansion des entreprises, alors obligatoire dans toutes les entreprises de plus de cent salariés. Il s’agit d’une ordonnance prise par le Général de Gaulle, Président de la République au terme de laquelle la participation est devenue « un véritable principe d’organisation sociale »628. 698. Le système de participation a depuis beaucoup et constamment évolué même s’il reste largement inspiré de l'ordonnance n° 86-1134 du 21 octobre 1986629. Récemment le législateur est encore intervenu dans ce domaine par la loi n° 2006-1770 du 30 décembre 2006 pour le développement de la participation et de l'actionnariat salarié et la loi n° 20081258 du 3 décembre 2008 en faveur des revenus du travail630. 699. Ces différentes réformes ont pour point commun de traduire « une volonté constante de concevoir et de faire concevoir la participation comme un moyen privilégié, délibérément choisi, d'associer les salariés aux résultats de leur entreprise et au-delà, peut-être, de faire - de leur faire - prendre conscience qu'ils sont des acteurs à part entière du développement économique et non de simples prestataires de main-d'œuvre »631. 700. Afin de cerner au mieux les implications de ce système au regard du recours au lien de subordination juridique il conviendra donc de préciser le concept juridique de la participation des salariés (A) pour comprendre ses effets sur le rapport de subordination (B). 628 G. Bredon, L'évolution de la notion de subordination comme critère du contrat de travail, Thèse Paris II, 1998, p.224 629 V. lois n° 90-1002 du 7 novembre 1990, n° 94-640 du 25 juillet 1994, n° 2001-152 du 19 février 2001, n° 2003-775 du 21 août 2003, n° 2004-391 du 4 mai 2004, n° 2004-804 du 9 août 2004, n° 2005-842 du 26 juillet 2005 et n° 2005-882 du 2 août 2005 630 Les salariés qui bénéficient d’un accord de participation peuvent aujourd’hui bénéficier des gains acquis sans attendre la clôture de l’exercice. 631 G. Bordier, Participation aux résultats, Jurisclasseur Travail Traité, Fasc. 27-20, n°1 240 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ A – Le concept juridique de la participation 701. Les systèmes de participation sont impliqués dans la remise en cause du lien de subordination juridique comme critère du contrat de travail. Pour comprendre les mécanismes de ce phénomène il convient de présenter cette pratique en plein essor et qui a vocation à se développer encore. Seront ainsi envisagés successivement le champ d'application de la participation des salariés (1) et le principe de la participation des salariés (2). 1 - Le champ d'application de la participation des salariés 702. L’article L. 3322-2 alinéa 1 du Code du travail pose tout d’abord comme principe que « les entreprises employant habituellement cinquante salariés et plus garantissent le droit de leurs salariés à participer aux résultats de l'entreprise »632. Toutefois le volontariat est privilégié puisque les employeurs non assujettis conservent la possibilité de conclure un accord de participation tout en conservant les avantages fiscaux du dispositif initial. 703. Une condition doit toutefois être observée car le-dit accord doit être conclu dans les formes prescrites par le Code du travail. Soit par convention ou accord collectif de travail, soit par accord entre l'employeur et les représentants d'organisations syndicales représentatives dans l'entreprise, soit par accord au sein du comité d'entreprise soit enfin par ratification, à la majorité des deux tiers du personnel, d'un projet de contrat proposé par l'employeur633. 704. Le Code du travail prévoit même qu’ « en cas d'échec des négociations, l'employeur peut mettre en application unilatéralement un régime de participation conforme aux dispositions du présent titre. Le comité d'entreprise ou, à défaut, les délégués du personnel sont consultés sur le projet d'assujettissement unilatéral à la participation au moins quinze jours avant son dépôt auprès de l'autorité administrative »634. La mise en place d’un accord de participation peut donc - potentiellement - concerner toutes les entreprises : « la nature économique de l'activité de l'entreprise ou la forme juridique choisie pour son organisation 632 C. trav., art. L. 3322-2 alinéa 1 du Code du travail C. trav., art. 3322-6 du Code du travail 634 C. trav., art. L. 3323-6 al. 3 633 241 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ sont sans incidence sur l'application du texte : tous les secteurs d'activité sont concernés, y compris le secteur agricole »635. 2 - Le principe de la participation des salariés 705. Le mode de calcul de la participation de chaque salarié est essentiellement fonction des bénéfices réalisés par l’entreprise. Il en résulte pour chaque salarié une somme d’argent versée sur un compte ad-hoc : la réserve spéciale de participation. Pour pouvoir être ensuite distribuée à chaque salarié, la réserve spéciale de participation doit faire l’objet d’une répartition. Cette opération est rendue possible par la mise en œuvre des critères contenus dans l’accord de participation et qui varient généralement en fonction du salaire et de la présence. 706. La loi du 30 décembre 2006 n’étant pas rétroactive, les accords de participation conclus avant son entrée en vigueur peuvent être conservés. Ils peuvent donc prévoir que les sommes réparties entre les salariés seront consacrées à l'attribution d'actions, à la souscription d'actions émises par les sociétés créées par des salariés en vue du rachat de leur entreprise, à l'acquisition de titres de société d'investissement à capital variable, à l'acquisition de parts de fonds communs de placement, ou enfin à un compte courant bloquéϲϯϲ. 707. Par contre, la loi du 30 décembre 2006 dispose que les accords conclus après son entrée en vigueur devront prévoir que les gains des salariés devront alimenter soit des comptes personnels en application d'un plan d'épargne salariale637, soit un compte que l'entreprise consacre à des investissements. Les accords de participation peuvent toujours 635 G. Bordier, Participation aux résultats, Jurisclasseur Travail Traité, Fasc. 27-20, n°7 ; V. aussi C. trav., art. L3323-7 « Une convention ou un accord de branche étendu peut prévoir la mise en application d'un régime de participation dans les entreprises agricoles employant des salariés mentionnés aux 1° à 3°, 6° et 7° de l'article L. 722-20 du code rural selon des modalités dérogeant aux dispositions de l'article L. 3324-1. Ces entreprises et leurs salariés bénéficient alors, dans les mêmes conditions, du régime social et fiscal prévu au chapitre V ». 636 V. Circ. min. n° DSS/5B/DGT/RT3/2007/199, 15 mai 2007 ; V. aussi : Droit de la participation. Les apports de la loi du 30 décembre 2006, Cahiers de droit de l'entreprise n° 1, Janvier 2007, entretien 1 637 De type Plan d’Épargne Entreprise, Plan d'Épargne Interentreprises ou Plan d'Épargne Retraite Collectif 242 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ prévoir que la réserve spéciale de participation sera répartie sur un compte courant bloqué à condition de compléter la constitution d’un fonds d’investissement ou d’épargne salariale638. B – Les effets de la participation sur le rapport de subordination 708. L’association des salariés aux bénéfices de leur entreprise par l’intermédiaire de la participation a pour effet de rattacher la motivation des salariés à celle de l’employeur. Elle développe l’esprit d’entreprise chez les salariés et un sentiment d’appartenance à l’entreprise plus prononcé ce qui favorise sa motivation. « Ce sentiment peut résulter de deux facteurs : l’accroissement de la motivation des salariés née de la distribution d’une partie des bénéfices réalisés par l’entreprise ; le facteur d’intégration est alors l’animus. La participation des salariés à l’élaboration et à la gestion des systèmes de participation : il s’agit alors de l’intégration à l’entreprise par la technique juridique »639. 709. Ce phénomène induit par la participation a donc une conséquence certaine sur le recours au lien de subordination juridique comme critère du contrat de travail puisqu’il entraîne une restructuration des rapports de travail. Ces rapports passent d’une logique traditionnelle verticale à une logique plus moderne et plutôt horizontale. « La conscience d’appartenir à une collectivité qui travaille dans un but commun est un facteur supplémentaire d’affermissement du rapport participation au détriment du rapport de subordination »640. 710. Dans un tel contexte d’expansion croissante de la participation salariale, la notion de subordination juridique paraît subir les effets du temps mais aussi ceux de l’évolution du droit et de la pratique. D’autant plus que les systèmes de participation salariale ne sont pas les seuls facteurs de cette désuétude. Non pas parce que la notion de lien de subordination juridique n’est plus utilisée, bien au contraire – c’est d’ailleurs le nœud de la polémique - mais parce qu’elle ne semble plus être en phase avec la société contemporaine et notamment avec les nouvelles organisations du travail. Il faut donc également aborder l’intéressement des salariés aux bénéfices de l’entreprise. 638 V. G. Bordier, Participation aux résultats, Jurisclasseur Travail Traité, Fasc. 27-20 G. Bredon, L'évolution de la notion de subordination comme critère du contrat de travail, Thèse Paris II, 1998, p.237 640 Ibid. 639 243 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ Paragraphe 2 - L’intéressement des salariés aux bénéfices 711. C’est l’ordonnance n° 59-126 du 7 janvier 1959 qui a instauré l'intéressement des salariés en France641. Mais le dispositif actuel résulte principalement des articles L. 3311-1 à L.3315-5 du Code du travail tels qu’ils ont été modifiés par la loi n° 2008-1258 du 3 décembre 2008 en faveur des revenus du travail642 ainsi que le décret n° 2009-351 du 30 mars 2009. Pour pouvoir comprendre les effets de ce système sur les rapports de travail et donc le lien de subordination juridique, il sera nécessaire de présenter le principe de l’intéressement (A) ainsi que les effets de l’intéressement sur le rapport de subordination (B). A – Le principe de l’intéressement 712. L'intéressement des salariés aux bénéfices de l’entreprise se distingue de la participation en ce qu’il repose toujours sur les bases du volontariat. Il prend donc la forme d’un accord d’intéressement et peut être négocié dans toutes les entreprises ou groupes d’entreprises sans distinction. Les accords d’intéressement reposant sur le principe de la liberté contractuelle, les modalités de calcul obéissent donc aux principes négociés avec toutefois quelques principes directeurs à observer. 713. En effet, pour pouvoir ouvrir droit aux exonérations prévues aux articles L. 3315-1 à L. 3315-3, l'intéressement des salariés doit présenter un caractère aléatoire et résulter d'une formule de calcul prédéfinie. Soit « aux résultats ou aux performances de l'entreprise […] soit aux résultats de l'une ou plusieurs de ses filiales »643͘ Le mode de calcul de l'intéressement doit donc nécessairement comporter un aléa pour bénéficier d’avantages sur les cotisations sociales. 714. À défaut, la validité de l’accord d’intéressement n’est pas remise en cause mais les sommes versées aux salariés seront soumises cotisations sociales en tant qu’éléments de 641 V. A. Derue et D. Jourdan, Épargne salariale, intéressement, participation, actionnariat, rev. liaisons sociales, 2007 642 V. aussi : L. n° 2001-152, 19 févr. 2001 ; L. n° 2004-391, 4 mai 2004 ; L. n° 2005-842, 26 juill. 2005 ; L. n° 2006-1770, 30 déc. 2006 643 C. trav., art. L. 3314-2 244 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ salaire644. L’ensemble des salariés a normalement le droit d’être associé à la répartition de l’intéressement bien que l’accord puisse prévoir une condition d’ancienneté minimale, sans que celle-ci puisse être supérieure à trois mois645. Pour cette raison, en outre, les sommes versées au titre d’un accord d'intéressement ne doivent pas se substituer à quelque élément de salaire tel que défini par le Code de la Sécurité Sociale. À défaut, toutes les sommes versées seront réintégrées dans l’assiette de calcul des cotisations sociales. Il s’agit d’un principe de non-substitution qui n’est plus applicable lorsqu'il s'est écoulé douze mois entre le dernier versement d’un élément de salaire supprimé et la prise d'effet de l'accord d'intéressement646. B – Les effets de l’intéressement sur le rapport de subordination 715. L’association des salariés aux bénéfices de l’entreprise par un accord d’intéressement – ou de participation – aux bénéfices démontre que les enjeux économiques et sociaux ne sont ni incompatibles ni opposés. Car l’investissement social et financier que constituent les accords d’intéressement produisent un effet stimulant sur la productivité et sur la qualité des prestations de travail. Ces éléments se répercutent normalement sur l’activité de l’entreprise qui devient plus compétitive et obtient de meilleurs résultats. 716. Un cercle vertueux se met ainsi en place, dont la clef est l’association des salariés aux fruits de leur travail. Cette évolution des rapports de travail est « le témoin du passage du modèle de l’entreprise reposant sur la subordination des salariés à un modèle fondé sur la notion de participation. [elle] reflète la prise en compte du capital humain dans l’entreprise. Plus qu’une organisation matérielle et conjoncturelle de l’entreprise, la participation est la traduction d’une réflexion philosophique sur l’importance du facteur humain »647. 644 C. trav., art. L. 3315-5 : « Lorsqu'un accord, valide au sens de l'article L. 2232-2, a été conclu ou déposé hors délai, il produit ses effets entre les parties mais n'ouvre droit aux exonérations que pour les périodes de calcul ouvertes postérieurement au dépôt ». 645 C. trav., art. L. 3314-5 et s. 646 V. circ. 14 sept. 2005, Dossier intéressement, Fiche 2 647 G. Bredon, L'évolution de la notion de subordination comme critère du contrat de travail, Thèse Paris II, 1998, p.238 245 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ CHAPITRE 2 LES ALTERNATIVES POUR L’AVENIR 717. Le recours au lien de subordination juridique pour caractériser l’existence d’un contrat de travail a démontré ses limites. Il y a de plus en plus de situations que le recours à cette seule notion ne permet pas d’encadrer de manière satisfaisante. Ainsi que le souligne très justement la Commission des Communautés Européennes : « l'apparition de formes de travail atypiques variées a estompé les frontières entre le droit du travail et le droit commercial. La distinction binaire traditionnelle entre « salarié » et « travailleur indépendant » n'est plus le reflet fidèle de la réalité économique et sociale du travail. Des différends peuvent survenir à propos de la nature juridique d'une relation de travail lorsque celle-ci est déguisée ou lorsque de véritables difficultés se posent pour faire coïncider de nouvelles modalités de travail dynamiques avec la relation de travail traditionnelle » 648. 718. Il est donc important d’avoir conscience des limites actuelles du recours au lien de subordination juridique et notamment des principales impasses auxquelles il mène sans pouvoir apporter de solution réellement satisfaisante. Ces impasses de la subordination (SECTION I) seront donc explorées car elles appellent à la modernisation du droit du travail (SECTION II). Sur ce dernier point il faudra mettre en évidence le besoin de penser autrement la régulation des relations professionnelles dans leur ensemble. Car la dichotomie qu’il existe entre les travailleurs salariés et les autres travailleurs est aussi un facteur de précarité et de déséquilibre. 719. Enfin il faudra remettre en question le choix de ne recourir qu’à un seul critère distinctif du contrat de travail - le lien de subordination - puisque son incompatibilité apparente avec la notion de dépendance économique n’a rien de fondé. Les deux notions pourraient donc être envisagées comme complémentaires ce qui ouvrirait plus de perspectives que leur traditionnelle mise en concurrence. 648 Livre vert de la Commission des Communautés Européennes, « Moderniser le droit du travail pour relever les défis du XXIème siècle » du 22 novembre 2006 COM (2006) 708 final 246 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ SECTION I – LES IMPASSES DE LA SUBORDINATION 720. La Cour de cassation a toujours affirmé la prédominance du lien de subordination juridique pour qualifier le contrat de travail. Mais cette notion à été consacrée il y a plus de quatre-vingt ans dans un contexte de forte industrialisation. Avec le développement de la crise, le démantèlement des grandes usines, l’essor des services à la personne, du travail à domicile et plus globalement du secteur tertiaire, de plus en plus de travailleurs se sont retrouvés dans une zone vide, une impasse, dans la distinction binaire salarié/indépendant. 721. C’est la zone grise du droit du travail dans laquelle se trouve les travailleurs qui ne peuvent pas rapporter la preuve d’un lien de subordination juridique, notamment à cause d’une trop grande autonomie, et qui sont dépendants d’un donneur d’ordre faute d’avoir une clientèle assez développée pour amortir économiquement une éventuelle rupture des relations commerciales. Pour protéger certains de ces travailleurs vulnérables, qui ne pouvaient pas ou difficilement rapporter la preuve d’un lien de subordination, le législateur a introduit un système de présomptions légales et d’assimilations. Il s’agit de la partie VII du nouveau Code du travail et de son pendant, l’article L.311-3 du Code de la Sécurité Sociale. 722. Mais ce système de correction au coup par coup laisse sans protection les professions ou les travailleurs qui ne reçoivent pas les faveurs du législateur ce qui aboutit finalement à la double injustice déjà évoquée. Ainsi, « au vu de ce constat, on peut soutenir que la tendance expansive du salariat – qu’elle soit d’essence légale ou d’origine jurisprudentielle […] a un double effet pervers, celui de surprotéger ceux des travailleurs en état de subordination juridique, mais pouvant négocier leur contrat individuel dans l’équilibre des pouvoirs, et celui de laisser sans protection, au nom de l’absence de subordination juridique, les travailleurs en état de seule dépendance économique »649. Il devient donc important pour cette catégorie de travailleurs vulnérables, de pointer les incertitudes juridiques que génère le développement de la zone grise (paragraphe 1) et de mettre en évidence les conséquences du vide juridique qui entoure le travail économiquement dépendant (paragraphe 2). Ce sont là les deux grandes impasses crées par la subordination juridique à laquelle il serait souhaitable de remédier efficacement et surtout universellement. 649 J. Barthélémy, Parasubordination, Les Cahiers du DRH n° 143, mai 2008 247 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ Paragraphe 1 – Le développement de la zone grise en droit du travail 723. Le développement de la zone grise en droit du travail (A) laisse un nombre croissant de travailleurs économiquement dépendant en état de grande vulnérabilité. Ce phénomène traduit les insuffisances de la distinction binaire actuelle entre le salariat et le travail indépendant (B). A – Le développement de la zone grise en droit du travail 724. Le terme de zone grise en droit du travail est utilisé pour désigner les formes de travail, généralement nouvelles, dans lesquelles se trouvent des travailleurs ni véritablement subordonnés juridiquement ni indépendant économiquement. Pour reprendre la formule consacrée, ils sont économiquement dépendants. Généralement ils sont liés à un seul donneur d’ordre ce qui leur donne des caractéristiques très proches de celles d’un salarié. Mais ils ne peuvent pas se prémunir de l’existence d’un contrat de travail et de la protection qui en découle faute d’accomplir leur prestation de travail dans un lien de subordination juridique traditionnel. Ils sont jugés trop autonomes. Ainsi « ils peuvent ne pas tomber sous le coup de la législation du travail, parce qu'ils occupent une « zone grise » entre le droit du travail et le droit commercial. Quoique formellement « indépendants », ils restent économiquement dépendants d'un seul commettant ou client/employeur pour la provenance de leurs revenus »650. 725. Cette zone grise est donc celle qui se trouve au croisement de la distinction dualiste entre le travail salarié et le travail indépendant : « le législateur reste dans la logique du droit du travail inspirée de la civilisation de l'usine qui oppose de manière manichéenne deux statuts, ne laissant pas de place à d'autres formules ». Il est en effet constant que « l'opposition binaire entre salarié et indépendant structure fortement le droit du travail. À tel point que l'indépendant n'est qu'une figure négative, construite par opposition à celle du salarié »651. Or cette zone ne devrait théoriquement pas exister si le système n’était pas lacunaire. La logique 650 Livre vert de la Commission des Communautés Européennes, « Moderniser le droit du travail pour relever les défis du XXIème siècle » du 22 novembre 2006 COM (2006) 708 final 651 G. Lyon-Caen, Le droit du travail non-salarié, Sirey, 1990, p.2 ; V. aussi : E. Peskine, Entre subordination et indépendance : en quête d'une troisième voie, Rev. dr. trav. 2008, p. 371 248 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ binaire qu’il propose ne devrait pas laisser de place à l’existence de situations alternatives. De sorte qu’en reprenant la l’idée que l’indépendant est la figure négative du salarié, tout travailleur qui n’est pas salarié ne devrait être rien d’autre qu’un travailleur réellement indépendant, ce qui n’est pas le cas. 726. Par conséquent, la réalité du monde du travail génère de plus en plus de personnes qui n’appartiennent ni véritablement à l’une ni véritablement à l’autre de ces deux seules catégories envisagées pour un travailleur. Il s’agit des travailleurs économiquement dépendants. Et effectivement « on se croirait revenu dans les premières années du siècle dernier »652 car cette situation ravive les débats opposant la subordination juridique à la dépendance économique. Le débat est d’autant plus difficile à résoudre que l’autonomie dans le travail salarié peut aujourd’hui atteindre un niveau significatif. 727. Il est toutefois difficile de démontrer scientifiquement l’explosion du phénomène car les chiffres ne peuvent relater avec certitude que le recensement des statuts juridiques reconnus par droit. Officiellement ils n’existent donc pas. Les travailleurs économiquement dépendants qui sont dans la zone grise n’apparaissent pas dans les statistiques, ils rejoignent officiellement le rang des travailleurs indépendants : « inutile pour se convaincre de l’importance du débat de rechercher des statistiques, car faute d’être, pour l’heure, une catégorie juridique, la dépendance économique n’est pas une catégorie statistique. Pourtant, les clignotants sont allumés : le rapport de force du travailleur vis-à-vis du donneur d’ordre s’est dégradé depuis les années 70 du vingtième siècle et de nombreux témoignages fournis aux auteurs ne peuvent laisser indifférents : là un boulanger indépendant installé au sein d’une grande surface qui perd brutalement le contrat de location et ne peut poursuivre son activité ; là des professionnels de l’alimentaire qui, dans le cadre de réseau de distribution, travaillent plus de 70 heures par semaine pour des revenus nettement inférieurs au SMIC »653. 728. L e phénomène est pourtant connu et n’est pas contesté, ni par les autorités françaises, ni par l’Union européenne, ni même par l’Organisation internationale du travail. C’est en tout cas ce que démontrent les nombreux rapports officiels. Il est ici fait référence au rapport de 652 P.-H. Antonmattéi, J.-C.Sciberras, Le travailleur économiquement dépendant : quelle protection ?, Rapport à M. le Ministre du Travail, des Relations sociales, de la Famille et de la Solidarité, nov. 2008, n°1 653 P.-H. Antonmattéi, J.-C.Sciberras, Op. cit., n°4 249 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ P.-H. Antonmattéi et J.-C.Sciberras remis en 2008 à Xavier Bertrand, alors ministre du Travail654. Au Livre vert de la Commission des Communautés Européennes « Moderniser le droit du travail pour relever les défis du XXIème siècle » du 22 novembre 2006655 et aux importants travaux de l’Organisation Internationale du Travail656. 729. De nombreux États membres ont même déjà adapté leur droit pour prendre en compte la vulnérabilité des travailleurs indépendants économiquement dépendants. « Ainsi, l'Italie et l'Allemagne ont identifié le concept de travailleurs « similaires aux travailleurs salariés » correspondant à la notion de « parasubordination » en droit civil. En Allemagne, […] la situation des travailleurs économiquement dépendants du point de vue de la sécurité sociale, ont été largement revues en 2002 […]. L'Espagne envisage, quant à elle, l'adoption d'un texte de loi relatif aux droits et aux prestations dont bénéficient les travailleurs indépendants, y compris les travailleurs économiquement dépendants […]»657. 730. La France, poussée par la doctrine et les réformes des pays voisins, est en train de prendre conscience qu’il est temps d’innover ou au moins de rénover son système traditionnel. Le développement de la zone grise en droit du travail étant en plein essor, le 654 P.-H. Antonmattéi, J.-C.Sciberras, Le travailleur économiquement dépendant : quelle protection ?, Rapport à M. le Ministre du Travail, des Relations sociales, de la Famille et de la Solidarité, nov. 2008 655 Livre vert de la Commission des Communautés Européennes, « Moderniser le droit du travail pour relever les défis du XXIème siècle » du 22 novembre 2006 COM (2006) 708 final 656 V. Notamment : F. Larré, V. Wauquier, La protection des travailleurs, Etude sur la situation en France, Organisation Internationale du Travail, R198 Recommandation sur la relation de travail, Genève, 2006 ; Rapport réalisé à la demande du Bureau International du Travail, Décembre 1999 ; Bureau International du Travail, Commission de l'emploi et de la politique sociale, première question à l’ordre du jour, Emploi et protection sociale dans le secteur informel, GB.277/ESP/1/2, 277e session, Conseil d’administration Genève, mars 2000 ; Réunion d'experts sur les travailleurs se trouvant dans des situations où ils ont besoin de protection, Le champ de la relation d'emploi, Document technique de base, Genève, 15-19 mai 2000 ; Conférence internationale du Travail, Cinquième question à l’ordre du jour: Le champ d’application de la relation de travail, Compte rendu provisoire 21, Quatre-vingtonzième session, Genève, 2003 ; Bureau international du Travail Genève, Conférence internationale du Travail, Cinquième question à l’ordre du jour, Le champ de la relation de travail, 91e session 2003, Rapport V ; Bureau International du Travail, Commission de la relation de travail, Rapport du directeur général, changements dans le monde du travail, conférence internationale du travail 95e session, 2006 Rapport I (C), Genève ; Bureau International du Travail, Service du dialogue social, de la législation du travail et de l’administration du travail, La relation de travail: Guide annoté sur la recommandation no 198, Genève, Mars 2008 657 Livre vert de la Commission des Communautés Européennes, « Moderniser le droit du travail pour relever les défis du XXIème siècle » du 22 novembre 2006 COM (2006) 708 final, p. 13 250 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ besoin devient pressant de parvenir à trouver des pistes de réflexion adaptées aux spécificités du modèle français, notamment en droit de la sécurité sociale. 731. Le modèle actuel présente en effet des signes évidents d’insuffisance. L’obstacle le plus sérieux tenant peut-être à ce qu’une protection plus grande des travailleurs économiquement dépendants – jusque-là considérés comme des indépendants – engendrerait un alourdissement des dépenses de la sécurité sociale alors que la réforme des régimes de retraite est prioritaire et pose déjà son lot de complexité. Comme le soulignait déjà – non sans une ironie certaine - Paul Cuche, au moment des premières décisions consacrant le lien de subordination juridique en 1932, « j’hésite à y voir, comme certains, une jurisprudence tendancieuse, inspirée par le parti pris de rétrécir le champ d’application des assurances sociales et d’en alléger le fardeau pour les employeurs. Mais j’imagine que parmi les juristes de l’entourage du ministre du Travail il en est qui n’éprouvent pas cette hésitation et qui ne considèrent pas comme la moins plausible cette explication de la solution jurisprudentielle »658. B – Les signes d’une insuffisance des dispositifs actuels 732. L’opposition qui subsiste entre subordination juridique et dépendance économique constitue-t-elle réellement une « vaine querelle »659 ? Certes, la Cour de cassation a depuis longtemps posé comme principe que « la condition juridique d’un travailleur à l’égard de la personne pour laquelle il travaille ne saurait être déterminée par la faiblesse ou la dépendance économique dudit travailleur et ne peut résulter que du contrat entre les parties ; que la qualité de salarié implique nécessairement l’existence d’un lien juridique de subordination du travailleur à la personne qui l’emploie »660. Pourtant si elle concurrence avec autant de force et de persistance le lien de subordination juridique c’est bien qu’elle paraît pouvoir révéler 658 P. Cuche, La définition du salarié et le critérium de la dépendance économique, D. H. 1932, chronique, p. 101-104 ; V. aussi : P. Cuche, Du rapport de dépendance, élément constitutif du contrat de travail, Revue critique de législation et de jurisprudence, 1913, p. 413-427 659 J.-P. Le Crom, Retour sur une vaine querelle : le débat subordination juridique-dépendance économique dans la première moitié du XXe siècle, in J. P. Chauchard et A.C. Hardy-Dubernet (dir.), Les métamorphoses de la subordination, Paris, Ministère de l'Emploi, du Travail et des Affaires sociales, Éd. La Documentation française, 2003, p. 71-84. 660 Cass. civ. 6 juill. 1931, DP 1931, 1, 131, note P. PIC ; V. aussi Cass.civ.22 juin 1932 (3arrêts), 30 juin 1932 et 1er août 1932 (5 arrêts), D.P. 1933.1.45, note PIC 251 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ l’essence du contrat de travail. La dépendance économique autant que la subordination juridique génère une inégalité dans les rapports de force au sein du contrat de travail. L’un comme l’autre légitiment donc la mise en place d’un système de protection pour rééquilibrer la situation. 733. Et c’est précisément là que le système actuel présente une incohérence car le choix du recours au lien de subordination juridique n’est pas pleinement assumé. Plusieurs dispositifs mis en place par le législateur sont le signe voire l’aveu de l’insuffisance du choix de la subordination juridique comme critère du contrat de travail. Les dispositifs auxquels il est ici fait allusion désignent toutes les mesures – souvent politiques - ayant pour but d’estomper la vulnérabilité des travailleurs indépendants économiquement dépendants. 734. Ce procédé fonctionne par retouches successives et présente comme inconvénient majeur d’être subjectif, inégalitaire et injuste. Car chaque mesure qui favorise une catégorie de travailleurs économiquement dépendants implique que dans l’ombre subsistent d’autres travailleurs économiquement dépendants laissés pour compte. 735. Au-delà de la double inégalité dont souffrent les oubliés de la dépendance économique – au titre du recours au lien de subordination juridique et au titre de l’absence de mesure rectificative les concernant – ce procédé souffre d’une plus grande critique. Car le fait de légiférer ainsi par des correctifs disparates donne au livre sept du Code du travail, tout aussi disparate, un aspect « fourre-tout », à ce point qu’il est souvent présenté comme tel aux jeunes étudiants en droit. 736. La récente recodification du Code du travail ayant eu pour but de simplifier le droit du travail, cela aurait été une bonne occasion de soulever à quel point cette méthode du « livre sept » nuit à l’intelligibilité de la loi et surtout à l’identification du contrat de travail. « Au siècle dernier, il [le législateur] a offert un statut sur mesure aux travailleurs à domicile calmant ainsi l’ardeur de ceux qui souhaitaient la victoire de la dépendance économique sur la subordination juridique. La liste s’est allongée au fil des ans au sein du célèbre livre VII du code du travail devenu septième partie du code nouveau (« Dispositions particulières à certaines professions et activités »). Il faut en effet admettre que « sans intervention légale, le travailleur à domicile aurait été un sous-traitant indépendant, le voyageur, représentant ou 252 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ placier (VRP) un mandataire, le journaliste un auteur, l’artiste du spectacle un prestataire indépendant. Mais la loi a tenu compte de leur dépendance économique, à défaut de subordination juridique véritable ou suffisamment caractérisée »661. 737. Le débat opposant le choix de la subordination juridique et le choix de la dépendance économique reste d’autant plus fort que les deux critères ne sont pas nécessairement exclusifs l’un de l’autre sur le plan théorique. En effet, A. Rouast a très tôt mis en exergue que les deux critères pouvaient se superposer. Ce dernier considérait en effet que « le salarié au point de vue social n’est pas seulement celui qui a loué ses services, mais celui qui dépend économiquement d’un maître pour lequel il travaille, même en dehors de toute subordination »662. 738. Cette idée est toujours présente en 2008 puisque le Bureau International du Travail attire l’attention sur le fait qu’entre subordination et dépendance « Les situations varient d’un pays à l’autre. Dans certains pays ces deux termes ont la même portée. Dans d’autres ils sont différenciés: la subordination se caractérise alors par un élément de contrôle, tandis que la dépendance renvoie au critère de dépendance économique, qu’il y ait ou non contrôle sur les modalités dont s’effectue le travail. Il faut reconnaître que le critère de subordination s’est révélé être insuffisant pour déterminer l’existence d’un véritable contrat de travail »663. 739. Il existe donc un domaine dans lequel subordination juridique et dépendance économique ne sont pas des critères concurrents mais complémentaires. Chacun d’eux peut ainsi suppléer aux carences de l’autre et il serait intéressant de superposer la zone grise du droit du travail et le domaine de complémentarité des deux critères. L’hypothèse selon laquelle cette zone grise pourrait prendre les traits d’un « parti pris de rétrécir le champ 661 P.-H. Antonmattéi, J.-C.Sciberras, Le travailleur économiquement dépendant : quelle protection ?, Rapport à M. le Ministre du Travail, des Relations sociales, de la Famille et de la Solidarité, nov. 2008, p.2 ; V. aussi : Pelissier, A. Supiot et A. Jeammaud, Droit du travail, 23ème éd., Dalloz, 2006, n° 260 662 A. Rouast, la notion de contrat de travail et la loi sur les Assurances sociales, La semaine juridique, 1929.1.329 663 International du Travail, Service du dialogue social, de la législation du travail et de l’administration du travail, La relation de travail: Guide annoté sur la recommandation no 198, Genève, Mars 2008,p.30 ; V. aussi Supiot, A.: Critique du droit du travail, Presses Universitaires de France, 1994, p. 165 253 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ d’application des assurances sociales et d’en alléger le fardeau pour les employeurs »664 ne peut alors pas être totalement exclue. C’est dans cette optique qu’il est possible de résoudre l’interrogation liminaire en émettant l’idée que le débat opposant subordination juridique et dépendance économique est en effet une « vaine querelle »665. Celle-ci résultant alors d’une contrariété artificielle permettant « d’alléger le fardeau »666. 740. En tout état de cause, « ces nombreuses interventions législatives alimentées par quelques renforts jurisprudentiels restent ponctuelles et interviennent en définitive au gré des revendications et des rapports de force. Il n’est donc pas étonnant que le débat sur l’appréhension juridique de la dépendance économique ne soit pas éteint. Il est vrai que plus les situations de dépendance économique se multiplient, et plus la technique de la législation particulière perd en crédibilité et en efficacité : il faut sortir du corporatisme pour désormais embrasser la situation dans son ensemble »667. Paragraphe 2 – Le vide juridique du travail économiquement dépendant 741. Ainsi qu’il a été indiqué, les travailleurs indépendants économiquement dépendants sont « privés deux fois de protection n’étant pas salariés, ils ne peuvent prétendre à la protection juridique qu’offre le code du travail ; n’étant pas réellement indépendants, ils ne bénéficient pas de la protection économique que donne la multiplicité des donneurs d’ordre, la rupture de commande d’un seul étant d’effet limité »668. Ce vide juridique laisse de plus en plus de personnes en état de vulnérabilité et de dépendance vis-à-vis de leur unique donneur d’ordre. 664 P. Cuche, La définition du salarié et le critérium de la dépendance économique, D. H. 1932, chronique, pp. 101-104 665 J.-P. Le Crom, Retour sur une vaine querelle : le débat subordination juridique-dépendance économique dans la première moitié du XXe siècle, in J. P. Chauchard et A.C. Hardy-Dubernet (dir.), Les métamorphoses de la subordination, Paris, Ministère de l'Emploi, du Travail et des Affaires sociales, Éd. La Documentation française, 2003, p. 71-84. 666 Ibid. 667 P.-H. Antonmattéi, J.-C.Sciberras, Le travailleur économiquement dépendant : quelle protection ?, Rapport à M. le Ministre du Travail, des Relations sociales, de la Famille et de la Solidarité, nov. 2008, p.2 668 P.-H. Antonmattéi, J.-C.Sciberras, Op. cit., p.3 254 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ 742. C’est là la deuxième impasse laissée par le recours au lien de subordination juridique et qu’il est inapte à résoudre. Du moins tant que cette notion sera seule à ouvrir droit à protection pour les travailleurs de droit commun qui ne relève pas des dispositions spécifiques de la partie VII du Code du travail ou de l’article L.311-3 du code de la sécurité sociale. 743. Il est donc important d’avoir conscience des limites actuelles du recours au lien de subordination. Certes « la construction d’un statut protecteur suscite naturellement des discussions voire des crispations d’autant que l’octroi de certaines prérogatives dépend d’une appréciation subjective du concept de protection ». Mais au regard des travaux doctrinaux déjà réalisés dans ce domaine il sera possible de proposer, ainsi qu’il est d’usage en la matière, une distinction pratique. Seront ainsi présentées les règles visant la protection sociale des travailleurs indépendants (A) et celles visant leur activité professionnelle (B)669. A – La protection sociale des travailleurs dépendants 744. La question de la protection sociale des travailleurs économiquement dépendants est un enjeu déterminant de la discussion sur le recours au lien de subordination juridique et les frontières du salariat. Il faut rappeler que « dans le passé, l’attrait du régime des salariés a été le moteur de l’extension du salariat via le critère de la dépendance économique »670. L’article L.311-3 du Code de la Sécurité Sociale, tel que modifié par la loi n° 2009-1673 du 30 décembre 2009 de finances pour 2010, prévoit ainsi plusieurs cas d’extensions et d’assimilations légales au régime général. Il énumère une « liste d’activités ou de professions qui, bénéficiant de la protection sociale des travailleurs dépendants, sont donc obligatoirement affiliés au régime général »671. 669 V. A. Perulli, Le travail économiquement dépendant ou parasubordonné, Audition publique coorganisée par la commission de l'emploi et des affaires sociales et la Commission européenne, DG Emploi et Affaires sociales, Parlement européen, salle PHS 3C50, Bruxelles Jeudi 19 juin 2003 670 P.-H. Antonmattéi, J.-C.Sciberras, Le travailleur économiquement dépendant : quelle protection ?, Rapport à M. le Ministre du Travail, des Relations sociales, de la Famille et de la Solidarité, nov. 2008, p.15 ; V. aussi : J.-J. Dupeyroux, M. Borgetto et R. Lafore, Droit de la sécurité sociale, 16ème éd., Dalloz, 2008, n° 568 et s. 671 J.-J. Dupeyroux, M. Borgetto et R. Lafore, Droit de la sécurité sociale, 16ème éd., Dalloz, 2008, n° 589 255 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ 745. La liste de l’article L. 311-3 du code de la sécurité sociale a été utilisée par le législateur pour prendre en compte la vulnérabilité de certaines catégories de travailleurs dépendants. Elle a donc vocation à être modifiée au gré des tensions sociales et notamment, à s’allonger672. Ce constat amène deux remarques. 746. Tout d’abord, elle témoigne d’une prise en compte – même si elle n’est pas absolue – de la dépendance économique. Cette disposition du droit de la sécurité sociale se rapproche en cela du livre sept du Code du travail. Car même si « ce qui importe, c'est l'existence d'un lien de subordination. […] l'affiliation au régime général au titre de l'article L. 311-3 du Code de la sécurité sociale ne nécessite pas l'existence d'un lien de subordination juridique, c'est-à-dire l'existence d'un contrat de travail »673. Pour tous les cas qu’elle vise, cette liste permet donc de faire bénéficier du régime général - normalement réservé aux travailleurs juridiquement subordonnés – à des travailleurs « dont la dépendance économique prime sur la subordination juridique »674 747. Enfin, l’existence d’une telle liste peut paraître illogique. L'article L. 311-2 du Code de la sécurité sociale dispose en effet que « sont affiliées obligatoirement aux assurances sociales du régime général, quel que soit leur âge et même si elles sont titulaires d'une pension, toutes les personnes quelle que soit leur nationalité, de l'un ou de l'autre sexe, salariées ou travaillant à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs et quels que soient le montant et la nature de leur rémunération, la forme, la nature ou la validité de leur contrat »675. La dénomination donnée par les parties à leurs rapports ne suffit donc pas à déterminer l’affiliation au régime général676. 748. Mais surtout il faut remarquer que l’exigence jurisprudentielle d’un lien de subordination juridique n’est pas mentionnée et ne se justifie pas à la seule lecture de l’article 672 V. J.-J. Dupeyroux, M. Borgetto et R. Lafore, Op. cit., n° 590 G. Vachet, Régime d'affiliation d'un pharmacien exerçant les fonctions de directeur général d'une société, La Semaine Juridique Social n° 40, 2 Oct. 2007, 1749 674 P.-H. Antonmattéi, J.-C.Sciberras, Le travailleur économiquement dépendant : quelle protection ?, Rapport à M. le Ministre du Travail, des Relations sociales, de la Famille et de la Solidarité, nov. 2008, p.15 675 C.S.S., art. L. 311-2 676 Cass. soc., 2 avr. 1992, n° 90-11.691, RJS 1992, n° 677 ; Cass. soc., 16 juin 1994, RJS 1994, n° 898 ; Cass. soc., 23 avr. 1997, RJS 1997, n° 645 ; dr. soc. 1997, p. 642, obs. J. Savatier ; Cass. Soc., 25 avr. 2005, dr. soc. 2006, p. 94, note J. Savatier 673 256 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ L .311-2 du Code de la sécurité sociale. Celui-ci reprend en effet « pratiquement mot pour mot les termes du décret-loi du 28 octobre 1935 qui s’était référé à une dépendance économique »677. De plus il n’exige pas nécessairement un contrat de travail, il peut s’agir de tout contrat puisque le texte énonce : « quels que soient le montant et la nature de leur rémunération, la forme, la nature ou la validité de leur contrat ». 749. Il ne devrait donc pas être utile d’ajouter une liste consacrée à la dépendance économique puisque celle-ci pourrait tout à fait fonder l’affiliation au régime général au titre de l’article précité. Comme ce fut le cas dans le passé et comme et même encore dans quelques décisions. Ce n’est toutefois jamais explicite puisque le juge déduit alors l’existence d’un lien de subordination juridique alors même que les indices sont ceux de la dépendance économique. Le droit social a ainsi été réformé et modernisé au point qu’aujourd’hui le régime des salariés et celui des indépendants – dont le Régime Social des Indépendants est l’interlocuteur social unique depuis le 1er janvier 2008- se ressemblent de plus en plus. 750. Ce phénomène est renforcé par les mécanismes de l'assurance volontaire et de la couverture maladie universelle. Si bien que « le débat se concentre désormais sur les deux risques qui ne sont pas couverts par le régime social des indépendants : le risque perte de revenus et le risque accident du travail et maladie professionnelle »678. Cette technique du maintien des travailleurs dans la catégorie des indépendants est donc préférable à celle d’une extension mal contrôlée du salariat, laquelle se heurte à un problème majeur, celui de la détermination des charges sociales dans les cas où il existerait plusieurs de donneurs d’ordres. 751. L’activité des travailleurs indépendants, même économiquement dépendants, comporte ainsi des problématiques qui leur sont propres679 et qui justifient le maintien d’un système de protection sociale distinct de celui des salariés : « Si l’entrée des travailleurs économiquement 677 J.-J. Dupeyroux, M. Borgetto et R. Lafore, Droit de la sécurité sociale, 16ème éd., Dalloz, 2008, n°570 678 P.-H. Antonmattéi, J.-C.Sciberras, Le travailleur économiquement dépendant : quelle protection ?, Rapport à M. le Ministre du Travail, des Relations sociales, de la Famille et de la Solidarité, nov. 2008, p.15 679 V. A. Perulli, Le travail économiquement dépendant ou parasubordonné, Audition publique coorganisée par la commission de l'emploi et des affaires sociales et la Commission européenne, DG Emploi et Affaires sociales, Parlement européen, salle PHS 3C50, Bruxelles Jeudi 19 juin 2003 ; V. aussi : L. Nurit Pontier, Le statut social des dirigeants de sociétés, La Semaine Juridique Entreprise et Affaires n° 5, 31 Janvier 2002, n°222 257 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ dépendants dans le régime général ne pose pas de problème de principe, en revanche, la pluralité éventuelle de donneurs d’ordres complique le paiement des cotisations. Il est dès lors plus pragmatique de les conserver dans le régime des indépendants tout en offrant des garanties sur les risques perte de revenus et accidents du travail »680. En l’absence d’une véritable modernisation du droit du travail, notamment de la « quête d’une troisième voie »681, ce sont donc essentiellement ces thèmes qui doivent faire l’objet d’une réflexion. B – La protection de l’activité professionnelle des travailleurs dépendants 752. Le deuxième vide juridique auquel sont confrontés les travailleurs économiquement dépendants concerne la protection du lien d’emploi. Ce lien d’emploi ne nécessite normalement pas de protection particulière, hormis celles posée par le droit commercial et qui sanctionne principalement les abus. La rupture d’une relation commerciale a en principe des effets très limités lorsque le travailleur indépendant dispose d’une large clientèle. 753. Mais dans le cas d’un travailleur économiquement dépendant, elle peut avoir des conséquences économiques et sociales plus lourdes qu’un licenciement. Dans ce cas, la seule protection du droit commercial paraît bien insuffisante, le principe restant celui de la liberté du droit de rompre une relation commerciale afin de garantir le libre jeu de la concurrence. Ainsi que le soulignent P.-H. Antonmattéi, J.-C.Sciberras, « le réflexe est naturel mais il est fastidieux de dérouler l’ensemble de la réglementation sociale pour tantôt écarter, tantôt retenir. Il ne s’agit pas d’ajouter une nouvelle catégorie à la septième partie du code du travail en segmentant l’application des dispositions des autres livres mais de forger des règles protectrices en adéquation avec la spécificité de la dépendance économique retenue. L’idéal serait de pouvoir identifier la protection née de la subordination juridique pour ne retenir que la protection seulement fondée sur la dépendance économique »682. 680 P.-H. Antonmattéi, J.-C.Sciberras, Le travailleur économiquement dépendant : quelle protection ?, Rapport à M. le Ministre du Travail, des Relations sociales, de la Famille et de la Solidarité, nov. 2008, p.16 681 E. Peskine, Entre subordination et indépendance : en quête d'une troisième voie, Revue de droit du travail 2008 682 P.-H. Antonmattéi, J.-C.Sciberras, Le travailleur économiquement dépendant : quelle protection ?, Rapport à M. le Ministre du Travail, des Relations sociales, de la Famille et de la Solidarité, nov. 2008, p.16 258 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ 754. Il faut en tout état de cause réfléchir aux solutions possibles pour combler les vides laissé par le recours au lien de subordination juridique. Il faut reconnaître, au sujet des droits fondamentaux du travail «qu’un vent réducteur a jusqu’ici eu tendance à réserver au seul travail salarié »683 qu’ils doivent aujourd’hui contribuer à l’élaboration d’un meilleur système de protection qui puisse les garantir684. Certains droits peuvent être communs à tout travailleur quelle que soit la forme juridique d’emploi : « la formation professionnelle, la rémunération, la conclusion et la rupture du contrat, la santé et à la sécurité du travailleur, des périodes de repos minimales »685. La mise en place de ce statut pourrait être opportunément assurée par une négociation collective interprofessionnelle qui serait relayée par une intervention législative laissant des marges de liberté à la négociation collective686. Ce qui amène directement à aborder la modernisation du droit du travail et notamment la question de la création d’un droit de l’activité professionnelle. 683 Ibid. ; V. aussi : V. notamment M.-A. Moreau, Normes sociales, droit du travail et mondialisation, Confrontations et mutations, Dalloz, 2006, spéc. p. 231 et s. 684 V. Bureau international du travail, Droits fondamentaux au travail et normes internationales du travail, Genève, 2004 685 P.-H. Antonmattéi, J.-C.Sciberras, Le travailleur économiquement dépendant : quelle protection ?, Rapport à M. le Ministre du Travail, des Relations sociales, de la Famille et de la Solidarité, Novembre 2008, p.22 686 Cf. Ibid. 259 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ SECTION II - LA MODERNISATION DU DROIT DU TRAVAIL 755. Ce sont les impasses de la subordination qui appellent aujourd’hui à la modernisation du droit du travail. Si le recours au lien de subordination juridique pose des problèmes qu’il n’est - seul - pas apte à résoudre, cela n’implique pas nécessairement qu’il faille l’abandonner totalement. Il sera en effet souligné que le recours au lien de subordination juridique n’est pas incompatible avec d’autres notions, notamment celle de la dépendance économique. Et qu’en lieu et place de débattre sur le choix de l’un ou de l’autre il serait peut être envisageable d’analyser les avantages de leur combinaison. D’autant plus que dans certains pays ces deux notions, tantôt se confondent, tantôt se complètent. 756. Pour cette raison la recherche d’un critère alternatif à la subordination (paragraphe 1) n’est peut-être pas la voie la plus prometteuse, ni la plus évidente puisque l’étude des systèmes étrangers démontre qu’il n’existe pas de critère de distinction ou de qualification du contrat de travail autre que la subordination et la dépendance. 757. C’est pour cette raison qu’il faudra à l’avenir se concentrer avec intérêt sur l’introduction d’une troisième voie (paragraphe 2). Cette troisième voie désigne la création d’une catégorie intermédiaire entre le salarié et le travailleur indépendant. Elle permettrait d’englober avec plus d’équité cette catégorie de travailleur d’un nouveau genre que sont les indépendants économiquement dépendants. Toutefois cette solution n’est pas exempt de critique car, comme le souligne J. Barthélémy, « reconnaître l’existence d’une catégorie intermédiaire entre salarié et indépendant présente l’inconvénient de remplacer une frontière floue... par deux qui le seront tout autant ! Cette remarque invite à rechercher ailleurs le terrain d’expérimentation du concept de parasubordination »687. 758. C’est pour cette raison qu’il faudra envisager une dernière alternative au recours au lien de subordination juridique : la création d’un droit de l’activité professionnelle (paragraphe 3). Cette perspective est peut-être la plus novatrice en ce qu’elle repense le droit des relations de travail en le délivrant du carcan de la distinction traditionnelle entre salariés et non salariés. Il serait ainsi envisageable de ne plus retenir qu’une seule catégorie : celle des travailleurs. 687 J. Barthélémy, Parasubordination, Les Cahiers du DRH n°143, mai 2008 260 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ Paragraphe 1 – La recherche d’un critère alternatif à la subordination 759. Le législateur tente aujourd’hui de faire preuve d’innovation pour flexibiliser le droit du travail dans le sens où il cherche des issues légales pour offrir aux travailleurs un compromis entre indépendance et subordination. Il est ainsi fait référence à la loi n° 2003721 du 1er août 2003 instituant le contrat d'appui au projet d'entreprise qui a introduit un dispositif d'exonération de charges sociales pour les salariés désirant s’investir dans une activité de travailleur indépendant. Il peut également être fait référence à la loi n° 2005-882 du 2 août 2005 instituant le statut de collaborateur libéral dans les professions libérales créant ainsi « un statut intermédiaire se rapprochant par certains aspects de la parasubordination »688. 760. Mais ces initiatives demeurent trop limitées et ciblées pour envisager la mutation structurelle qui touche tous les secteurs. Il peut donc être enfin possible d’ouvrir la réflexion sur la recherche non pas d’une véritable troisième voie en instituant un statut intermédiaire entre le salarié et l’indépendant. Mais en recherchant un critère alternatif au lien de subordination juridique qui permettrait également de prendre en compte la vulnérabilité des travailleurs se situant dans la zone grise du droit du travail. Ce peut être en élargissant la réflexion sur les notions de cause et d’objet dans le contrat de travail (A) ce qui permettra de présenter l’initiative d’O. Soria689, ou en comparant le critère du lien de subordination juridique aux éventuels autres critères retenus dans d’autres systèmes juridiques (B). A - La notion d’objet et de cause dans le contrat de travail 761. Dans une thèse de 2003, O. Soria part « à la recherche du critère du contrat de travail »690. À cette occasion il envisage notamment la création d’un droit de l’activité professionnelle mais de manière plus originale il invite à fonder un nouveau critère sur les notions de cause et d’objet dans le contrat de travail. Cette dernière initiative, outre qu’elle conforte l’idée que le lien de subordination juridique mène aujourd’hui à des impasses, permet de souligner deux points importants. 688 Rép. min. Jacquat n° 110877, JOAN du 27 mars 2007 p. 3169 ; V. aussi : J. Barthélémy, Le collaborateur libéral, La Semaine Juridique Social n° 7, 14 févr. 2006, 1131 689 O. Soria, A la recherche du critère du contrat de travail, Thèse de doctorat, Bordeaux IV, 2003 690 Ibid. 261 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ 762. Tout d’abord il faut sortir des automatismes du passé : il n’est en effet pas nécessaire de conserver à tout prix un seul critère du contrat de travail, et donc d’en rechercher un autre pour le remplacer. La rémunération et la prestation sont de plus les deux autres critères du contrat de travail bien qu’ils ne soient pas distinctifs. Mais l’idée importante est qu’actuellement le seul critère original admis par la loi et la jurisprudence est bel et bien le lien de subordination juridique et qu’il pourrait très bien partager sa fonction avec un autre critère. 763. Par exemple la notion de dépendance économique ou de dépendance professionnelle. Il peut encore être fait référence à la thèse de la « relation de travail » qui se fonde sur un rapport juridique extra contractuel puisque ce dernier né du seul fait de l’appartenance à l’entreprise691. La notion de « lien d’entreprise »692 peut aussi faire avancer une réflexion nouvelle. La modernisation du droit du travail concernant la qualification du contrat de travail ne passe donc pas nécessairement par la recherche d’un autre critère mais doit plutôt se situer dans une nouvelle pensée juridique conçue pour de nouveaux travailleurs hors des usines. 764. Le deuxième point important est que cette réflexion s’appuie sur l’analyse contractuelle de l’objet et de la cause dans le contrat de travail. L’auteur en déduit la possible détermination d’un critère fondé sur le profit : « L’étude de l’objet et de la cause va nous permettre d’établir que le critère de l’existence et de la recherche d’un profit est la conséquence logique d’une approche contractuelle du contrat de travail. Aussi ce nouveau critère se trouve légitimé par la théorie générale des contrats »693. 765. Pourtant la notion de profit est déjà utilisée par la jurisprudence puisqu’elle exige que la prestation de travail soit accomplie au profit d’un tiers pour que l’existence d’un contrat de travail puisse être retenue694. « la prestation de travail doit être accomplie par le travailleur concerné pour le compte d’autrui, et non pas pour son propre compte. En effet, le salariat 691 P. Durand et A. Vitu, traité de droit du travail, TI, Dalloz, 1947, n°348 A. Brun, Le lien d’entreprise, JCP G, 1962, I, 1719 693 O. Soria, A la recherche du critère du contrat de travail, Thèse de doctorat, Bordeaux IV, 2003, p.195 694 V. CJCE 3 juill. 1986, aff. C-66/85, Rec. CJCE, p. 2139 ; Cass. soc. 1er mars 1989, RJS 4/1989, n° 384 ; Cass. soc. 14 juin 1989 [3 arrêts], RJS 8-9/1989, no 719. V. dans le même sens, Cass.soc. 10 mai 1990, RJS 6/1990, n° 522 ; Cass. soc. 22 mars 1989, RJS 5/1989, n° 454; Cass. soc. 12 juill. 1989, RJS 10/1989, n° 801 ; Cass. soc.27 sept. 1989, Bull. civ. V, n° 547, RJS 10/1989 692 262 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ implique, par définition, l’accomplissement de tâches qui profitent directement, non pas au travailleur à qui incombe la charge de leur exécution (en tant que débiteur de cette obligation de faire), mais à la personne qui les a commandées : le donneur d’ouvrage (créancier de cette même obligation) »695. La Cour de cassation exclut donc la qualification de contrat de travail lorsque la prestation de travail est accomplie pour le propre compte de celui qui l’accomplit696. Cette solution, bien qu’originale, ne permettrait donc pas de faire face au développement de la zone grise ni de protéger les travailleurs économiquement dépendants. 766. Mais surtout, le fait de recourir au profit suite à la recherche du critère du contrat de travail aboutirait à de réelles impasses car la notion de profit pour le compte d’autrui est également caractéristique du contrat de mandat. Le lien de subordination juridique est en effet le seul critère qui permet de distinguer les deux contrats, de sorte qu’en découvrant dans la notion de profit le nouveau critère du contrat de travail on aboutirait à un pêle-mêle, et le remède serait alors pire que le mal. « En effet, si la situation du salarié peut être comparée à celle du mandataire dans la mesure où il exécute, comme ce dernier, un travail rémunéré pour le compte d’autrui, elle ne saurait pour autant lui être assimilée, car le mandataire représente les intérêts du mandant et agit pour le compte de celui-ci de manière indépendante, en disposant d’une grande latitude quant au choix des moyens pour atteindre les objectifs qui lui ont été fixés. Au contraire, le lien de subordination qui caractérise le contrat de travail exclut, par hypothèse, toute indépendance dans l’exécution de la prestation de travail du salarié et, notamment, en ce qui concerne le choix des moyens nécessaires à la réalisation de celleci »697. 695 Y. Aubrée, Contrat de travail, Existence – Formation, Rép. trav. Dalloz avril 2005, p.11 Y. Aubrée, Op. cit., p.11 : « Ce qui suppose que le travailleur en cause ne possède pas ses propres moyens d’exploitation (matériel, marchandises, outillage, locaux, brevets, licence, etc.) et en l’occurrence une clientèle personnelle, qu’il ne soit pas intéressé - à titre principal - à la réussite de l’affaire, en disposant d’un droit aux bénéfices de l’entreprise, et enfin qu’il ne soit pas exposé au risque d’exploitation (aléa économique), en se trouvant contraint de contribuer aux pertes éventuelles de cette dernière » ; V. Cass. soc. 14 juin 1989, RJS 8-9/1989, n° 719 ; Cass. soc. 29 nov. 1989, RJS 1/1990, n° 2 ; Cass. soc. 9 avr. 1987, Bull. civ. V, n° 213 ; 5 oct. 1989, RJS 11/1989, n° 880 ; 22 févr. 1990, 1re esp., RJS 4/1990, n° 337 697 Y. Aubrée, Contrat de travail, Existence – Formation, Rép. trav. Dalloz avril 2005, p.19 696 263 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ B - Les critères des autres systèmes juridiques 767. Il peut être intéressant de rechercher et de comparer comment d’autres pays parviennent à qualifier l’existence d’un contrat de travail. Sur quels critères se fondent-ils pour établir ce lien juridique entre la personne qui fournit la prestation de travail – le salarié – et celle au profit de laquelle elle est effectuée - l’employeur - ? Cette recherche aura pour principal intérêt, sinon de découvrir un critère miracle, de mettre en évidence que les difficultés qui se manifestent en France sous les traits du lien de subordination juridique sont universelles et concernent même les pays de Common-law et/ou qui sont en dehors de l’Union européenne. 768. Il est ainsi possible de distinguer deux grands mécanismes juridiques permettant de qualifier l’existence d’un contrat de travail : celui de la définition descriptive et celui de la définition sur le fond698 : « Certaines législations définissent le contrat de travail comme le cadre de cette relation et précisent également ce que l’on entend par salarié et par employeur »699. Il s’agit alors de pays qui ont adopté le système d’une définition descriptive (2) dans lequel la loi définit ce qu’est un salarié a priori. Ce système présente cependant comme inconvénient majeur de prédéfinir le contrat de travail de sorte que par certains montages juridiques il sera envisageable de contourner les règles de sa qualification en usant de subterfuges neutralisant l’effet de la loi. 769. C’est principalement pour cette raison que la France a recours au système du faisceau d’indices afin de qualifier ou requalifier la relation entre les parties au regard de la réalité des faits. Car la qualification du contrat de travail étant d’ordre public, il ne peut pas y être dérogé, même par la volonté des parties. Le juge a ainsi l’obligation, sur le fondement de 698 Cette distinction est empruntée aux travaux du Bureau international du Travail : Bureau international du Travail, La relation de travail, Conférence internationale du Travail, 95e session, Genève, 2006 699 V. Bureau international du Travail, La relation de travail, Conférence internationale du Travail, 95e session, Genève, 2006 : concernant les études nationales suivantes: Afrique du Sud (p. 10-13); Argentine (p. 2); Brésil (p. 16-17); Cameroun (p. 11); Chili (p. 9); République de Corée (p. 3-6); Costa Rica (p. 2; 7-9; 45); El Salvador (p. 6-7); Inde (p. 6-8;10-14; 19); République islamique d’Iran (p. 7); Italie (p. 2); Jamaïque (p. 8-9); Maroc (p. 2-5); Mexique (p. 9); Nigéria (p. 7); Panama (p. 6-8; 17-19); Pérou (p. 6-12); Pologne (p. 2; 11); Royaume-Uni (p. 9); Fédération de Russie (p. 2; 12); République tchèque (p. 4); Trinité-et-Tobago (p. 15-17, 27-30); Venezuela (p. 6-12) 264 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ l’article 12 du Nouveau Code de procédure civile, de trancher le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables et de donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée. 770. Beaucoup de pays, dont la France, ont ainsi opté pour l’établissement d’une législation qui définit les critères du contrat de travail sur le fond et non sur la forme (1). La loi est dans cette perspective « formulée de manière à établir quels sont les facteurs constitutifs d’un tel contrat et, partant, ce qui le distingue d’autres contrats similaires »700 ce qui permet notamment au juge de s’emparer a posteriori des qualifications frauduleuse ou inexactes. Car en l’absence ou en cas d’imprécision de la loi, le juge dispose d’un pouvoir souverain d’appréciation des faits, ce qui est impossible lorsqu’il est lié par une définition descriptive qui le lie. 1 – Les définitions portant sur le fond 771. Les pays qui ont fait le choix de définir le contrat de travail en usant de critères de fond considèrent globalement que le contrat de travail est une convention au terme de laquelle une personne - le salarié - s’engage à effectuer une prestation de travail pour une autre personne - l’employeur - en échange d’une rémunération et dans des conditions déterminées (notamment en France dans un lien de subordination juridique). Il est donc dans ce système indispensable d’établir des indices dont la réunion en faisceaux fera présumer l’existence d’un contrat de travail. Comme le souligne le Bureau International du Travail : « la description de ces facteurs varie d’un pays à l’autre par la formulation et le niveau de détail »701. La situation en France a déjà été longuement détaillée et il ne sera pas utile d’y revenir car l’intérêt ici est de pouvoir la comparer avec d’autres systèmes. 772. Ainsi en Argentine et au Salvador la loi prévoit que « le travail est exécuté dans des conditions de dépendance par rapport à l’employeur ; au Chili, l’expression utilisée est dépendance et subordination ; au Panama, subordination ou dépendance ; en Colombie, dépendance ou subordination permanentes ; au Costa Rica, dépendance permanente et 700 V. Bureau international du Travail, La relation de travail, Conférence internationale du Travail, 95e session, Genève, 2006, p.20 701 Ibid. 265 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ direction directe ou déléguée ; au Nicaragua, subordination vis-à-vis d’un employeur ; au Mexique et au Pérou, l’expression utilisée est travail subordonné ; au Venezuela, travail pour un tiers et dans des conditions de dépendance par rapport à celui-ci. Les législations du Bénin, du Burkina Faso, du Congo, du Gabon, du Niger et du Rwanda, notamment, ainsi que le Code du travail du Portugal, énoncent que le travail effectué dans le cadre d’un contrat de travail est exécuté sous la direction et/ou l’autorité de l’employeur. On trouve d’autres variantes de ces facteurs en Finlande, où la législation fait état de travail effectué sous la direction et le contrôle de l’employeur; à Bahreïn et au Qatar, de travail exécuté sous la direction ou la surveillance de l’employeur; en Tunisie, sous la direction et le contrôle de l’employeur ; et, au Maroc, sous la direction de l’employeur. En Angola et au Botswana, un contrat de travail est réputé exister si le travailleur effectue le travail sous les ordres de l’employeur ; en Slovénie, l’expression utilisée est conformément aux instructions et sous le contrôle de l’employeur »702. 773. Les indices retenus dans tous ces pays ayant opté pour une définition sur le fond sont donc presque identiques, ce qui malheureusement ne permet pas d’apporter de nouveaux éléments. La réflexion sur les critères possibles pour la qualification du contrat de travail tourne en effet autour des deux notions déjà connues : la dépendance et la subordination. De plus, dans bon nombre de ces pays, la notion de subordination juridique prend le même sens que la notion française puisqu’elle désigne les conditions d’accomplissement d’une prestation, notamment sous la direction, l’autorité, la surveillance ou le contrôle d’un donneur d’ordre. Il est même fait référence à ses ordres ou instructions et au fait que la prestation de travail soit accomplie pour son compte. 774. Enfin, ces pays utilisent souvent les notions de subordination et de dépendance comme alternatives ou comme synonymes. Aucune piste nouvelle ne peut donc être recherchée dans le droit comparé. Toutefois cette recherche permet de mettre en évidence, une nouvelle fois, que le débat qui oppose la dépendance économique à la subordination juridique est « une vaine querelle »703 puisque ces critères sont complémentaires. 702 V. Bureau international du Travail, La relation de travail, Conférence internationale du Travail, 95e session, Genève, 2006, p.21 703 J.-P. Le Crom, Retour sur une vaine querelle : le débat subordination juridique-dépendance économique dans la première moitié du XXe siècle, in J. P. Chauchard et A.C. Hardy-Dubernet (dir.), 266 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ 2 – Les définitions descriptives 775. Le mécanisme de la définition descriptive n’apportera guère plus d’élément car il procède d’une définition légale sans référence aux indices du contrat de travail. « Au Kenya, il est défini comme un contrat en vertu duquel une personne convient de travailler comme salarié ; au Nigéria, comme le fait d’être au service d’un employeur comme travailleur ou, au Lesotho et en Indonésie, comme un contrat entre un employeur et un salarié »704. Ces définitions renvoient donc soit à une définition du salarié et de l’employeur, soit à une définition du contenu du contrat de travail. 776. L’élément distinctif tient donc alors, essentiellement, à ce que ces indices sont contenus directement dans la loi au lieu d’être relevés par la jurisprudence. Ainsi, la loi de certains de ces pays définit le contrat de travail comme la convention au terme de laquelle le travailleur accomplit une prestation sous l’autorité et le contrôle d’un employeur. Or tous ces indices sont déjà bien connus et ont une substance identique aux indices français. La seule différence tient à leur nature légale alors que les indices français - et ceux des pays qui ont opté pour une définition sur le fond – sont de nature jurisprudentielle. Cette différence ne permet donc pas de faire évoluer le débat sur la recherche d’un nouveau critère. Il faut donc y préférer la recherche d’une nouvelle conception de la relation de travail comme la création d’une troisième voie entre salariat et indépendance ou d’un droit de l’activité professionnelle. Paragraphe 2 – L’introduction d’une troisième voie 777. La parasubordination est une notion qui pour l’instant n’existe pas juridiquement et qui est utilisée en doctrine pour désigner la possible émergence d’une catégorie intermédiaire entre les salariés et les travailleurs indépendants. La terminologie et le concept français de la Les métamorphoses de la subordination, Paris, Ministère de l'Emploi, du Travail et des Affaires sociales, Éd La Documentation française, 2003, p. 71-84. 704 V. Bureau international du Travail, La relation de travail, Conférence internationale du Travail, 95e session, Genève, 2006, p.21 267 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ parasubordination s’inspirent du droit italien de la « parasubordinazione » et notamment du statut des « co-co-co »705. Mais il peut aussi s’apparenter au quasi-salariat allemand. 778. Le concept de parasubordination consiste à instituer une catégorie ayant vocation à englober les indépendants quasi-salariés ou économiquement dépendants et les salariés disposant d’une grande autonomie et donc quasi-indépendants. Ces travailleurs parasubordonnés ouvriraient donc une troisième voie dans la « summa divisio entre salariés et indépendants »706. Dans cette perspective la notion de parasubordination « ne matérialisera pas une catégorie intermédiaire, ce qui accroîtrait l'insécurité juridique en remplaçant une frontière floue par deux qui le seraient tout autant. Elle sera le catalyseur de la naissance de ce droit en favorisant la mise sur orbite du prisme de situations progressivement diversifiées, plus en phase avec la réalité […] »707. 779. Il faut donc distinguer le concept français de la parasubordination (A) des solutions desquelles elle s’inspire, notamment de la parasubordinazione en Italie (B) et du quasisalariat en Allemagne (C). La présentation de ces différents modèles permet de se convaincre que le système dualiste opposant les salariés aux autres travailleurs n’est pas une fatalité et surtout qu’il a atteint ses limites. A – Le concept français de la parasubordination 780. Lorsqu’il est question de subordination aucun article ne manque de mentionner J. Barthélémy qui fut le premier à proposer l’adaptation de ce concept en droit français708. Pour 705 « Il existe en Italie trois catégories de travailleurs : les salariés, les travailleurs indépendants et les « parasubordonnés ». Apparus en 1973, les contrats de collaboration coordonnée et continue (« co-co-co ») voit un collaborateur autonome fournir une prestation pour le compte d’un employeur dont il n’est pas le salarié, de manière coordonnée, exprimant l’idée d’un lien fonctionnel nécessaire avec l’activité économique du commanditaire, en particulier s’agissant des modalités d’organisation, et continue. » : V. P.-H. Antonmattéi, J.-C.Sciberras, Le travailleur économiquement dépendant : quelle protection ?, Rapport à M. le Ministre du Travail, des Relations sociales, de la Famille et de la Solidarité, Novembre 2008, Annexe 706 J. Barthélémy, Parasubordination, Les Cahiers du DRH n°143, mai 2008 707 Ibid. 708 V. J. Barthélémy, Essai sur la parasubordination : Semaine sociale Lamy, n° 1134, 8 sept. 2003 ; J. Barthélémy, « Essai sur la parasubordination », Semaine sociale Lamy, n° 1194, septembre 2003 ; La Semaine Juridique Entreprise et Affaires n° 47, 21 Novembre 1996, 606 ; J. Barthélémy, Le 268 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ lui la parasubordination consiste en une qualification intermédiaire fondée sur le constat d'une dépendance économique mais aussi d'une autonomie technique du travailleur. Ce modèle vise à réfuter l'assimilation travailleur indépendant / entreprise individuelle et l'opposition contrat de travail / contrat d'entreprise709. Le modèle n’est donc pas une transposition pure et simple du modèle italien mais plutôt son adaptation dans le but d’apporter le traitement étiologique tant attendu et qui résoudrait la problématique française de la zone grise. 781. Ce vocable est donc de plus en plus utilisé pour évoquer un renouveau en droit du travail. La parasubordination fait d’ailleurs partie du socle commun de la nouvelle norme sociale envisagée par l’Union européenne710. Car le travail indépendant ne cesse de croître et le développement de l’externalisation du travail et de la sous-traitance concourent au même phénomène : celui d’une fuite en avant face au poids du droit du travail. 782. Le code du travail est fui quand il peut l’être, parfois même quand il ne peut pas l’être : « la fuite du droit du travail est un phénomène explicable, soit par l’aspiration naturelle à la liberté d’initiative et de choix économique, soit par le souci de réduction des coûts, imposée par la compétition sur le marché. L’évasion travailliste est une réalité universelle »711. 783. Les requalifications en contrat de travail sont donc nombreuses et l’insécurité juridique grandissante, surtout dans les secteurs qui s’organisent de plus en plus sur le modèle de l’externalisation. Il est alors d’usage de recourir aux services d’un travailleur par la soustraitance ou le portage salarial712. Les prestations en free-lance, le self-employment et les collaborateur libéral, La Semaine Juridique Social n° 7, 14 Février 2006, 1131 ; V. aussi A. Supiot, Les nouveaux visages de la subordination, rev. dr. soc., févr. 2000. 709 V. aussi : J.-P. Chauchard, Éléments pour une définition d'un contrat de travail indépendant, La Semaine Juridique Entreprise et Affaires n° 24, 14 Juin 2007, 176 710 P. Garabiol, La flexisécurité : une révolution européenne, Fondation Robert Schuman, Question d'Europe n° 73, 1er octobre 2007 ; V.aussi : A. Perulli, Le travail économiquement dépendant ou parasubordonné, Audition publique co-organisée par la commission de l'emploi et des affaires sociales et la Commission européenne, DG Emploi et Affaires sociales, Parlement européen, salle PHS 3C50, Bruxelles Jeudi 19 juin 2003 711 Antonio Monteiro Fernandes, Réflexions sur l’effectivité en droit du travail à partir du cas portugais in P. Auvergnon, L’effectivité du droit du travail. A quelles conditions, Presses universitaires de Bordeaux, 2009 712 V. TGI Paris, sect. soc. 18 mars 2008, RG n° 06/08817, Christian et a. c/ ASSEDIC de Paris: Qualification du portage salarial, La Semaine Juridique Entreprise et Affaires n° 15, 10 Avril 2008, 269 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ collaborations par le travail à domicile sont en plein essor. Mais c’est souvent en marge du droit et de manière mal encadrée. Ces statuts traduisent souvent une situation d’abus de précarité permettant de maîtriser les coûts du donneur d’ordre. 784. Il apparaît peu à peu des travailleurs libéraux d’un nouveau genre, fragiles les moins bien protégés : les jeunes et les chômeurs de longue durée. Il n’est d’ailleurs plus rare en répondant à une annonce d’emploi, de se voir en proposer un contrat free-lance voire un statut d’auto-entrepreneur et non un emploi. Les déviances du faux travail libéral sont donc absolument contraires à l’ordre public social et doivent être distinguées d’une pratique saine qui demeure la norme. Dans un contexte de crise du pouvoir d’achat et de crise de l’emploi le choix de cette liberté n’est, pour cette catégorie de personne, souvent qu’un moindre mal. À ce titre la loi se doit d’encadrer ces pratiques. 785. Il serait donc utile que le législateur ouvre une réflexion en profondeur sur un statut du travailleur parasubordonné et ainsi trouver une alternative – pas nécessairement totale – au lien de subordination juridique. Car, ainsi qu’il a été justement souligné, ce statut « n’est pas en mesure de faire régresser la protection dont doivent bénéficier les travailleurs concernés et il peut constituer un réel progrès sur le terrain des droits et libertés fondamentaux »713. 786. Il existe certes des obstacles théoriques et pratiques mais il faudra parvenir à les dominer. Il en va de la modernisation du droit dans un contexte européen dans lequel la France prend chaque jour du retard car les pays transfrontaliers ont déjà mis en place de nouveaux systèmes permettant de mieux prendre en compte le phénomène des travailleurs indépendants économiquement dépendants. « Depuis des décennies l’Italie avec les « co-coco » et plus récemment avec les « co-co-pro », le Royaume Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord avec les « workers », l’Allemagne avec les « Arbeitnehmerähnliche Personen », et depuis 2007, l’Espagne avec les « travailleurs autonomes économiquement dépendants »714 act. 191 ; N. Côte, Le portage salarial : entre innovation et dérives, La Semaine Juridique Entreprise et Affaires, n° 45, 7 nov.2002, 1599 713 J. Barthélémy, Parasubordination, Les Cahiers du DRH n°143, mai 2008 ; V. aussi : A. Supiot, Les nouveaux visages de la subordination, rev. dr. soc., févr. 2000. 714 P.-H. Antonmattéi, J.-C.Sciberras, Le travailleur économiquement dépendant : quelle protection ?, Rapport à M. le Ministre du Travail, des Relations sociales, de la Famille et de la Solidarité, nov. 2008, p.7 270 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ B - Les solutions de la parasubordination italienne 787. La « zone grise », pour réemprunter l’expression à Alain Supiot715, ne cesse de croître. La parasubordination y est souvent amalgamée dans un mélange de statuts autoproclamés et non réglementés comme celui de free-lance qui n’est en principe autre qu’un travailleur indépendant et non un travailleur parasubordonné. 788. C’est qu’il faut en effet parfois rappeler que la parasubordination n’existe pas en France. Le concept duquel il s’inspire existe en Italie. C’est la parasubordinazione. Il s’agit d’un statut strictement encadré par la loi qui n’élude pas en bloc le droit du travail contrairement aux idées reçues. 789. La loi italienne n° 533 du 11 aout 1973 transposée à l’article 409 alinéa 3 du code de procédure civile définit la parasubordination comme un rapport de collaboration qui se concrétise en une prestation de travail continue et coordonnée sans considération de l’existence d’un lien de subordination. Les travailleurs demeurent soumis à l’application du droit du travail dans les cas prévus par la loi. Par exemple le litige du contrat de travail et les conditions d’hygiène et de sécurité. La protection sociale en revanche n’est pas encadrée par le système et relève donc du droit commun italien. C - Les solutions du quasi-salariat allemand 790. L’Allemagne aussi connaît un statut particulier organisant la liberté dans le salariat. Il s’agit d’un quasi-salarié. Ce mode d’activité est de plus en plus évoqué, y compris par les praticiens alors que cette notion n’a pas de définition légale en France. Certains praticiens ne semblent d’ailleurs pas hésiter à employer l’expression jusque devant le Conseil d’État716. Ce détail anodin peut donner le sentiment que le quasi-salariat est un statut bien connu alors qu’il ne l’est pas. 715 A. Supiot, Transformations du travail et devenir du droit du travail: une prospective européenne, Rev. int. trav., vol. 138 n°1, 1999 716 CE, 23 Juillet 2003, n° 243926, Société CLL Pharma : « [...] que la société requérante présente à tort comme lié à la société Produits Roche par des liens de quasi-salariat [...] » 271 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ 791. En Allemagne le quasi-salarié porte le nom d’arbeitsnehmerähnliche Personen. Son statut est organisé par la section 12 a de la loi du 29 octobre 1974. Ces quasi-salariés sont des travailleurs « juridiquement indépendants mais économiquement dépendants […] qui ont besoin d’une protection semblable à celle des salariés »717. 792. Cette loi permet d’apporter une protection aux travailleurs économiquement dépendants à condition qu’ils entrent dans son champ d’application. C’est notamment le cas lorsqu’il s’agit de travailleurs qui « exécutent leur prestation de travail en faveur d’autres sujets sur la base de contrats de service et d’ouvrage, personnellement et essentiellement sans le concours de travailleurs salariés et qui exécutent le travail pour une seule personne ou bien reçoivent d’une seule personne, en moyenne, plus de la moitié de la rétribution qui leur est due pour le travail qu’ils ont exécuté »718. 793. Le travailleur économiquement dépendant est de mieux en mieux protégé par le droit allemand qui se modernise : « une loi de 1994 a étendu aux arbeitnehmeränliche Personen la protection contre le harcèlement sexuel sur le lieu de travail […] des modifications législatives […] ont introduit un système de présomptions destiné à élargir le concept de travailleur salarié. De cette manière une totale égalisation entre les travailleurs salariés et les arbeitnehmeränliche Personen, en ce qui concerne la sécurité sociale, a été réalisée »719. 794. Pour toutes les raisons qui viennent d’être exposées, « le concept de parasubordination peut être utile. Il peut conduire à la création d’une catégorie intermédiaire ou mieux sans 717 V. Renaux-Personnic, Op.cit., n° 154 ; V. aussi : A. Supiot, le travail, liberté partagée, Droit Social 1983, spéc. p. 720 ; O. Kaufman, P.A. Köhler, Le droit social en Allemagne, Collection Lamy Europe, 1991, spéc. n°98 p. 53 718 P.-H. Antonmattéi, J.-C.Sciberras, Le travailleur économiquement dépendant : quelle protection ?, Rapport à M. le Ministre du Travail, des Relations sociales, de la Famille et de la Solidarité, nov. 2008, p.33 ; V. aussi : V. aussi A. Perulli, Le travail économiquement dépendant ou parasubordonné, Audition publique co-organisée par la commission de l'emploi et des affaires sociales et la Commission européenne, DG Emploi et Affaires sociales, Parlement européen, salle PHS 3C50, Bruxelles Jeudi 19 juin 2003 719 A. Perulli, Le travail économiquement dépendant ou parasubordonné, Audition publique coorganisée par la commission de l'emploi et des affaires sociales et la Commission européenne, DG Emploi et Affaires sociales, Parlement européen, salle PHS 3C50, Bruxelles Jeudi 19 juin 2003 272 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ doute être le catalyseur d’une réflexion sur l’émergence d’un droit de l’activité professionnelle se substituant au droit du travail »720. Paragraphe 3 – L’émergence d’un droit de l’activité professionnelle 795. La création d’un droit de l’activité professionnelle est de plus en plus d’actualité. La cause principale de ce regain d’intérêt étant sans conteste le dépassement du recours au lien de subordination juridique par les nouvelles organisations du travail : « Le droit du travail a été conçu par et pour la civilisation de l'usine. Il ne peut que sombrer dans une dérive technocratique s'il demeure ce qu'il est malgré les progrès des mutations induites de la civilisation du savoir. On peut donc se risquer à pronostiquer son remplacement par un droit de l'activité professionnelle regroupant tous les travailleurs, du plus subordonné à celui bénéficiant d'une indépendance totale »721. 796. Dans cette perspective il est aujourd’hui possible d’identifier les prémices d’un véritable droit de l’activité professionnelle dans un conglomérat de règles éparses qui laissent présager sa prochaine consécration. Que ce soit à court ou moyen terme ainsi que le pronostique J. Barthélémy722. « Ce droit n’existe donc pas encore. Cependant, il est potentiellement présent au sein de notre législation ce qui justifie son caractère émergent »723. Ses manifestations ne sont donc pour l’instant qu’officieuses ce qui invite à distinguer les éléments régulant l’activité professionnelle dans la loi existante (A) de la création d’un véritable droit de l’activité professionnelle dans la loi à venir. La probabilité d’une telle évolution est d’autant plus forte que « l'harmonisation de la protection sociale est aujourd'hui quasi-totale »724. 720 J. Barthélémy, Parasubordination, Les Cahiers du DRH n°143, mai 2008 721 P. Durand, Naissance d'un droit nouveau : du droit du travail au droit de l'activité professionnelle, dr. soc. 1962, p. 437 ; V. aussi J. Barthélémy, Mutations du travail et évolution du droit social, conférence, Clermont-Ferrand, 22 janv. 1998, rev. jur. Auvergne 722 J. Barthélémy, Le collaborateur libéral, La Semaine Juridique Social n° 7, 14 Février 2006, 1131 723 M. Leturcq, Contribution à l'élaboration d'un droit de l'activité professionnelle, Thèse de doctorat, Université Lille II, 2004, p.239 724 J. Barthélémy, Le collaborateur libéral, La Semaine Juridique Social n° 7, 14 Février 2006, 1131 : « les risques non couverts s'expliquent par la responsabilité de l'employeur à l'égard des salariés ou par le recours au droit conventionnel comme source de garanties ; les principaux droits collectifs : la négociation collective et la grève - sont d'essence constitutionnelle, ce qui interdit qu'ils soient réservés 273 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ A – Les éléments régulant l’activité professionnelle dans la loi existante 797. Les principaux éléments qui constituent actuellement une ébauche du droit de l’activité professionnelle ont déjà été présentés. Il s’agit notamment de l’ensemble des dispositions étudiées dans le cadre de l’application du droit du travail au-delà du contrat de travail. Il est en effet soutenu dans la première partie725 que l’application du droit du travail n’est pas totalement subordonnée à l’existence ou la reconnaissance d’un contrat de travail. Ces dispositions pouvant tant s’appliquer au salarié qu’au travailleur indépendant, qu’à l’entrepreneur voire même aux personnes à la recherche d’une activité, il s’agit donc bien d’un tronc commun professionnel726. 798. Pour autant le recensement effectué n’ayant pas eu pour vocation d’être exhaustif, il convient de développer ici la présentation de ce tronc commun de l’activité professionnelle. Car ce dernier recoupe un champ bien plus large que celui de l’application du Code du travail ou du droit du travail. Il peut en effet s’agir de règles émanant tant du droit commercial que du droit civil. En matière de droit des contrats il peut ainsi s’agir de « la conception extensive du professionnel »727, même – d’un certain point de vue - lorsqu’il s’agit de l’administration728. 799. F. Jault souligne d’autre part l’émergence d’un droit, plus précisément d’obligations, qui ont vocation à s’appliquer de plus en plus uniformément à tous les professionnels : « en aux seuls salariés ; au demeurant, la convention collective est beaucoup moins une institution du droit du travail qu'un instrument au service de l'optimisation du fonctionnement de l'activité économique » ; V. aussi : V. J. Barthélémy, Du droit du travail au droit de l’activité professionnelle, Les Cahiers du DRH n°144, 06-2008 ; V. aussi P.-H. Antonmattéi, J.-C.Sciberras, Op. cit. 725 Cf. Partie I, Titre II, Chapitre II, Section II : « La propagation du droit du travail hors subordination » 726 V. notamment : M. Leturcq, Contribution à l'élaboration d'un droit de l'activité professionnelle, Thèse de doctorat, Lille, 2004, p.248 ; V. J. Barthélémy, Du droit du travail au droit de l’activité professionnelle, Les Cahiers du DRH n°144, 06-2008 727 M.-L. Coquelet, R. Moulin, G. Amlon, F. Jault, C. Legros, M.-H. Malleville, Ch. Pigache, Chronique de droit de l'activité professionnelle n° V, I, Petites affiches, 24 avril 2002 n° 82, p. 9 ; V. Cass. civ. 1re, 10 juillet 2001, M. Leblanc c/ M. Soinne, Bull. civ. I, no 209, p. 132 728 R. Moulin, Clauses abusives : l'administration est-elle un professionnel comme les autres ? Conseil d'État, section, 11 juillet 2001 : Société des eaux du Nord in Chronique de droit de l'activité professionnelle n° V, I, Petites affiches, 24 avril 2002 n° 82, p. 9 ; V. aussi : M.-L. Coquelet, R. Moulin, G. Amlon, F. Jault, C. Legros, M.-H. Malleville, Ch. Pigache, Chronique de droit de l'activité professionnelle n° V suite et fin, Petites affiches, 25 avril 2002 n° 83, p. 8 274 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ modifiant l'article 2061 du Code civil, le législateur introduit […] l'expression « d'activité professionnelle ». Cette innovation mérite d'être remarquée ; elle […] est révélatrice d'une tendance relevée en droit positif et qui constitue l'un des fils directeurs de la présente chronique. Dans différents domaines en effet, on constate l'émergence d'un régime juridique spécifique aux professionnels, voire à l'activité professionnelle, ces deux notions n'étant pas nécessairement interchangeables »729. 800. Ce constat l’amène notamment à opérer une distinction nécessaire entre les notions d'activité professionnelle, d'activité économique et d'activité commerciale. Il s’agit en effet de notions élémentaires qui s’avèrent être déterminantes pour l’avenir. Car chacune d’elles pourraient être le fondement des mutations importantes qui s’amorcent sur le long terme. Comme le souligne J. Barthélémy, le « droit de l'activité professionnelle sera compatible avec le droit de l'activité économique qui supplantera le droit de l'entreprise. Émergera un droit commun du travailleur reposant sur trois piliers : celui des rapports individuels, celui des rapports collectifs, celui de la protection sociale »730. 801. En ce qui concerne les rapports individuels, dans le cadre d’un prochain droit de l’activité professionnelle, ceux-ci pourront et/ou devront - selon les cas - s’inspirer des libertés et droits fondamentaux. Tout particulièrement en ce qui concerne les droits déjà reconnus comme applicables à tout travailleur, sans autre condition que l’exercice d’une activité professionnelle. 802. En ce qui concerne les rapports collectifs, soit le deuxième pilier du droit de l’activité professionnelle, de nombreux droits et libertés sont également déjà inscrits dans la Constitution. Ils fonderaient donc une base incontournable. Toutefois l’exercice de certains de ces droits relatifs au travail connaît des aménagements qui aboutissent à des disparités. La création d’un droit de l’activité professionnelle serait ainsi l’occasion d’ouvrir une grande 729 F. Jault, Notion d'activité professionnelle et arbitrage en droit interne Commentaire du nouvel article 2061 du Code civil issu de la loi N.R.E. du 15 mai 2001 in Chronique de droit de l'activité professionnelle n° V (suite et fin), Petites affiches, 25 avril 2002 n° 83, p. 8 ; V. aussi : V. J. Barthélémy, Du droit du travail au droit de l’activité professionnelle, Les Cahiers du DRH n°144, 062008 730 J. Barthélémy, Le collaborateur libéral, La Semaine Juridique Social n° 7, 14 Février 2006, 1131 275 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ réflexion sur une possible harmonisation du droit de participer à la détermination collective des conditions de travail ou encore du droit de grève - par exemple -. 803. Les grèves de travailleurs indépendants sont en effet un phénomène réel. Qu’il s’agisse des médecins, des chauffeurs de taxi ou de tout autre travailleur indépendant. Il ne s’agit certes pas de grèves classiques au sens du Code du travail. Elles peuvent cependant être considérées comme telles au sens des droits fondamentaux. Pourtant tous les travailleurs indépendants ne sont pas égaux face aux conséquences financières de l’exercice de ce droit. Certains travailleurs indépendants, notamment ceux qui sont vulnérables économiquement, ne pourront donc souvent pas exercer ce droit au risque de compromettre définitivement leur activité. 804. Enfin, concernant la protection sociale – soit le troisième pilier du droit de l’activité professionnelle –, elle fait déjà l’objet de règles relativement uniformes. Ainsi que le souligne J. Barthélémy : « l'harmonisation de la protection sociale est aujourd'hui quasi totale ; les risques non couverts s'expliquent par la responsabilité de l'employeur à l'égard des salariés ou par le recours au droit conventionnel comme source de garanties »731. 805. C’est dans cette optique qu’il est donc important de mettre en avant les impasses non résolues qu’implique le maintien du recours à la notion de lien de subordination juridique. Ce choix traduit aujourd’hui les difficultés qu’éprouve le législateur à concevoir le monde du travail autrement qu’une « civilisation de l'usine »732. 806. Mais un tempérament peut être apporté à l’instauration d’un droit de l’activité professionnelle. Car « le contenu d’un droit de l’activité professionnelle est, par nature, limité par les différences majeures existant entre les diverses formes juridiques d’exercice d’une activité professionnelle. […] Un droit de l’activité professionnelle ne gommera [donc] pas les particularités du travailleur salarié, du travailleur indépendant et du travailleur indépendant 731 J. Barthélémy, Le collaborateur libéral, La Semaine Juridique Social n° 7, 14 Février 2006, 1131 ; V. aussi V. J. Barthélémy, Du droit du travail au droit de l’activité professionnelle, Les Cahiers du DRH n°144, 06-2008 732 J. Barthélémy, Le collaborateur libéral, La Semaine Juridique Social n° 7, 14 Février 2006, 1131 276 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ économiquement dépendant »733. Il sera donc nécessaire d’envisager d’autres pistes de réflexion dans les prochains paragraphes. B – La création d’un droit de l’activité professionnelle dans la loi à venir 807. L’idée d’un droit commun complété par la l’instauration d’un droit spécial de l’activité professionnelle permettrait d’élaborer un socle juridique plus universel et donc plus intelligible : « la finalité particulière du droit de l’activité professionnelle consiste en l’apport, à l’ensemble des travailleurs, d’une protection unifiée. Tant les travailleurs salariés que leurs homologues non salariés sont concernés par cet objectif, au-delà de toute limite catégorielle »734. Les impasses de la subordination trouveraient ainsi de nouvelles issues juridiquement cohérentes dans un droit ayant vocation à être autonome735 et à regrouper l’ensemble des travailleurs736. 808. Ce concept contribuerait à rapprocher la régulation des relations de travail de la construction d’un statut même si l’exercice d’une activité professionnelle ne peut, en soi, être réduit à une logique contractuelle, institutionnelle ou statutaire737. Cependant « la parenté du critère de l’exercice d’une activité professionnelle et celui de la relation de travail, esquissé en droit du travail, suggère une possible réception avec adaptation de règles légales et statutaires propres au droit du travail par le droit de l’activité professionnelle »738. 733 P.-H. Antonmattéi, J.-C.Sciberras, Le travailleur économiquement dépendant : quelle protection ?, Rapport à M. le Ministre du Travail, des Relations sociales, de la Famille et de la Solidarité, nov. 2008, p.5 734 M. Leturcq, Contribution à l'élaboration d'un droit de l'activité professionnelle, Thèse de doctorat, Lille, 2004, p.300 ; J. Barthélémy, droit du travail au droit de l’activité professionnelle, Les Cahiers du DRH, juin 2008, p. 35 735 V. P.-H. Antonmattéi, J.-C.Sciberras, Le travailleur économiquement dépendant : quelle protection ?, Rapport à M. le Ministre du Travail, des Relations sociales, de la Famille et de la Solidarité, nov. 2008 : « Aussi, la création d’une catégorie intermédiaire entre travail salarié et travail indépendant est une troisième voie qui n’est pas contrariée par l’émergence d’un droit de l’activité professionnelle. Ce dernier peut être utilement décliné et complété par un droit du travail, un droit du travail indépendant ou non salarié et éventuellement un droit du travail indépendant économiquement dépendant. On rentre alors dans une logique de droit commun et de droit spécial » 736 V. J. Barthélémy, Du droit du travail au droit de l’activité professionnelle, Les Cahiers du DRH n°144, 06-2008 737 V. M. Leturcq, op.cit., p. 304 738 V. M. Leturcq, Contribution à l'élaboration d'un droit de l'activité professionnelle, Thèse de doctorat, Lille, 2004, p. 305 277 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ 809. Mais pour mener à bien cette construction il reste à ce jour nécessaire de substituer au critère du lien de subordination juridique un nouveau critère qui serait celui de l’activité professionnelle qui pour l’instant ne fait pas l’objet d’un réel consensus doctrinal. Seuls les critères d’identification du travailleur indépendant économiquement dépendant ont été officiellement et surtout clairement proposés. Il a notamment été proposé de le définir comme celui qui « appartient à la catégorie des travailleurs indépendants, exerce seul son activité, perçoit au moins cinquante pour cent de ses revenus d’un seul donneur d’ordres dans le cadre d’une relation contractuelle d’une durée minimale de deux mois et exécute sa prestation dans le cadre d’une organisation productive dépendante de l’activité de son donneur d’ordres »739. 810. Il pourrait donc être possible d’élaborer un ou plusieurs critères alternatifs à partir de cette proposition, éventuellement en la combinant au lien de subordination juridique. On rejoint alors l’idée déjà avancée selon laquelle lien de subordination juridique et dépendance économique ne sont ni hermétiques ni incompatibles. Leur combinaison permettrait avec certitude d’apporter une protection à un plus grand nombre de travailleurs sans distinctions catégorielles. 811. C’est en tout cas la principale motivation de la réflexion autour de l’élaboration de l’activité professionnelle. Mais il est aussi envisageable que cette plus grande protection soit aussi la principale cause de rejet d’une vraie réforme adaptée aux mutations sociales, notamment à cause du surcoût nécessairement engendré pour les finances publiques. Ce n’est donc peut-être pas tant la volonté qui fait défaut mais les moyens qui manquent pour pouvoir financer une réelle innovation. 739 P.-H. Antonmattéi, J.-C.Sciberras, Le travailleur économiquement dépendant : quelle protection ?, Rapport à M. le Ministre du Travail, des Relations sociales, de la Famille et de la Solidarité, nov. 2008, p. 22 278 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ 279 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ CONCLUSION 812. Il est finalement opportun de retenir que le lien de subordination juridique dans le contrat de travail, et plus largement le salariat, sont aujourd’hui exposés à de profondes mutations qui touchent l’ensemble du tissu productif. Ces mutations sont l’œuvre de forces convergentes qui résultent autant du développement croissant des NTIC que de l’essor des nouvelles organisations du travail. 813. Les relations de travail dans l’entreprise moderne sont de moins en moins bilatérales et verticales, et de plus en plus multilatérales et horizontales. Ce phénomène se traduit, en outre, par l’amplification de la négociation collective et l’affermissement des rapports de participation. Dans cette perspective, l’enrichissement continu des droits et libertés du salarié contribue à élargir la sphère d’autonomie dont il dispose, créant ainsi un domaine réservé toujours plus grand dans lequel l’employeur ne peut plus exercer pleinement son pouvoir de subordination. 814. Le salariat ne se réduit donc plus à la subordination traditionnelle des travailleurs puisqu’ils jouissent de plus en plus d’avantages liés à leur statut et de plus en plus de liberté dans le travail. Pour autant cette évolution économique et sociale n’est pas totale. Elle cohabite avec des organisations productives plus traditionnelles dans lesquelles la subordination juridique est manifeste et sans ambigüité. L’époque actuelle est donc une période de transition entre la subordination traditionnelle et l’indépendance dans le travail. 815. La caractérisation du contrat de travail doit faire face au développement de deux schémas hétérogènes et contemporains, auxquels l’opération de qualification du contrat de travail est censée pouvoir donner une réponse unique. Au surplus, cette transition entre la subordination ancienne et l’indépendance moderne des travailleurs ne sera certainement jamais totale, de sorte que les deux schémas ont vocation à cohabiter de manière pérenne, ce qui rend nécessaire de repenser l’approche des relations de travail et du salariat. 280 Ͳ 816. >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ La notion de lien de subordination juridique a donc perdu sa légitimité comme critère universel du contrat de travail. Elle varie en amplitude et en intensité, au gré des situations, si bien qu’elle devient parfois difficile voire impossible à identifier dans l’analyse des faits. Cette notion est plus que jamais mouvante, instable et sujette aux métamorphoses ou remodelages jurisprudentiels. La terminologie qui à toujours été utilisée pour désigner ce concept devenu creux est à ce point galvaudée que l’insécurité juridique est désormais latente au sein de toutes les relations de travail. Il est de plus en plus difficile d’y éluder le spectre de la requalification en contrat de travail. 817. Ce sont donc les frontières même du salariat qui sont remises en question avec le développement de la zone grise et des travailleurs indépendants qui sont économiquement dépendants. Les extensions successives du salariat ont été difficiles à contrôler, si bien que les distinctions classiques entre travailleurs salariés et indépendants, mais aussi entre travailleurs du secteur privé et public, tendent à s’effacer. 818. Cette disparition des frontières traditionnelles est loin d’être totale, mais elle met en exergue les incohérences du système actuel. Le droit du travail surprotège certains salariés très autonomes, voire indépendants, tandis qu’il ignore la vulnérabilité de travailleurs économiquement dépendants ne bénéficiant pas des faveurs de quelque présomption ou assimilation légale. Les alternatives sont aujourd’hui du côté d’une nouvelle pensée des relations de travail. Il ne peut suffire de rechercher en vain un nouveau critère ou de chercher une issue dans la théorie des contrats. 819. L’une des solutions possibles, et des moins bouleversantes, serait d’utiliser la combinaison des deux seuls critères juridiques universellement utilisés pour caractériser le contrat de travail salarié : la subordination juridique et la dépendance économique. Il a été découvert que de nombreux pays utilisent ces critères de manière complémentaire au lieu de les opposer vainement et artificiellement. 820. Cette solution permettrait une protection plus grande puisque le critère de la subordination se fondrait dans celui de la dépendance économique, beaucoup plus large et subjectif. Toutefois, l’expérience du passé démontre que le risque est celui d’une extension presque illimité du salariat, sauf à retenir des critères limitatifs comme ceux proposés par P.281 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ H. Antonmattéi et J.-C. Sciberras, notamment le chiffrage de la relation d’activité avec un unique donneur d’ordre, la détermination de la durée de cette relation d’activité ou encore le critère de la dépendance de l’organisation productive740. 821. Sans ces limites, il faut se demander si ce système serait concevable puisque la question est de savoir sur qui pèsera, finalement, le risque de l’entreprise. Jusqu’à présent, il pèse sur le seul (auto-)entrepreneur. Un tel système aboutirait donc à faire peser le risque de l’exploitation sur les cocontractants économiquement supérieurs ou sur le budget de l’Etat, voire sur les deux. Un système de protection pour tous peut paraître séduisant mais il n’est pas concevable dans le contexte actuel, ni viable. L’absence de risque inhérent au statut salarié ne peut être étendue à tous les travailleurs et entrepreneurs. 822. Ce système serait même illégal au regard des articles 87 et 88 du traité fondateur de l’Union européenne qui interdisent tout financement d'État pouvant « fausser ou menacer de fausser la concurrence ». Sans un encadrement strict, ce système mettant à la charge du plus riche les déboires du plus pauvre risquerait donc de compromettre la France au sein de l’Union européenne et de son économie de marché. 823. Sous cet angle, la création d’un droit de l’activité professionnelle peut paraître plus satisfaisante en ce qu’elle permet de dépasser une franche opposition entre travailleur subordonné et travailleur indépendant, voire entre travailleur du public et travailleur du secteur privé. C’est une approche nouvelle déjà entreprise dans plusieurs pays voisins et qui permettrait, idéalement, de concilier tous les schémas impliquant une relation de travail au sein d’un socle commun assorti d’un droit spécial. 824. Cette solution aurait aussi comme principal avantage d’aller dans le sens de « l'harmonisation des contrats en Europe », du moins des systèmes qui y sont appliqués741. Avec des solutions comme la parasubordination ou la création d’un droit de l’activité professionnelle, ce n’est finalement pas tant l’extension des règles du droit du travail ou du 740 V. P.-H. Antonmattéi, J.-C.Sciberras, Le travailleur économiquement dépendant : quelle protection ?, Rapport à M. le Ministre du Travail, des Relations sociales, de la Famille et de la Solidarité, nov. 2008 741 C.Jamin, D. Mazeaud, L'harmonisation des contrats en Europe, Coll. Études juridiques, Éd. Economica, mars 2001 282 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ salariat via le lien de subordination qui importe, mais l’instauration d’une protection sociale mieux adaptée à la vulnérabilité particulière de ces travailleurs742. 742 « Pendant longtemps, la requalification de travailleur indépendant a surtout été invoquée pour permettre l’accès à la protection sociale, puis plus tard pour permettre l’accès à un niveau plus élevé de protection sociale. A partir du moment où celle dont bénéficient les indépendants est harmonisée avec celle des salariés, le problème ne se pose plus du tout dans les mêmes conditions » J. Barthélémy, Parasubordination, Les Cahiers du DRH n°143, mai 2008 283 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ 284 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ 285 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ INDEX Ǥ Accord collectif ¾ 647, 649, 704 Accord référendaire ¾ 641, 642, 643, 645 Administrateur ¾ 676, 679, 680, 681 Artiste ¾ 361, 364, 738 Autorité ¾ 39, 74, 77, 89, 98, 99, 171, 207, 210, 218, 219, 221, 308, 309, 320, 335, 342, 350, 372, 480, 487, 488, 491, 497, 522, 528, 541, 705, 730, 774, 775, 778 Avocat ¾ 135, 216, 368, 369, 372, 375, 376 Ǥ Bail ¾ 91 Bénévolat ¾ 62, 126, 199, 284, 285, 286, 288, 289, 292, 297 Boursier ¾ 597, 614, 615, 676 286 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ Ǥ Charte ¾ 505, 612 Chômage ¾ 173, 286, 433, 478, 530 Collaborateur(s) ¾ 19, 221, 243, 409, 425, 454, 457, 632, 761 Cogestion ¾ 685, 692 Coercitif ¾ 34, 487 Critère du contrat de travail ¾ 11, 16, 17, 26, 55, 69, 70, 71, 73, 131, 161, 166, 182, 186, 190, 192, 194, 205, 241, 283, 380, 429, 431, 453, 548, 553, 702, 710, 735, 763, 764, 768 Critère distinctif ¾ 24, 177, 182, 308, 469, 720 Ǥ Dépendance économique ¾ 11, 12, 13, 14, 46, 48, 49, 51, 54, 68, 165, 166, 167, 168, 203, 205, 208, 226, 229, 230, 231, 233, 234, 235, 236, 238, 239, 348, 421, 422, 470, 600, 720, 723, 728, 729, 734, 737, 738, 739, 740, 741, 742, 746, 748, 750, 751, 755, 757, 765, 776, 782, 809 Dumping social ¾ 43, 438 Déverticalisation ¾ 204, 580 287 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ Ǥ Effectivité ¾ 133, 143, 144, 145, 147, 148, 149, 150, 151, 533, 613, 616 Entraide ¾ 62, 126, 199, 284, 298, 304, 305, 306, 307, 308 Epargne ¾ 365, 634, 654, 708 Externalisation ¾ 41, 261, 263, 264, 265, 311, 313, 314, 408, 542, 582, 603, 611, 783 Ǥ Famille ¾ 87, 93, 305, 691 Frontière(s) ¾ 49, 78, 126, 309, 357, 385, 443, 471, 490, 492, 560, 570, 580, 582, 601, 607, 718, 746, 759, 780 Fusions ¾ 369 Ǥ Gérant ¾ 364, 410 Ǥ Héréditaire ¾ 14 288 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ Homme(s) ¾ 2, 3, 4, 14, 16, 132, 135, 136, 138, 139, 140, 141, 160, 343, 394, 407, 451, 504, 505, 529 Ǥ Indépendance ¾ 167, 321, 366, 370, 371, 375, 376, 377, 570, 761, 768, 778, 797 Intéressement ¾ 195, 427, 629, 644, 695, 696, 711, 712, 713, 714, 715, 716 Ǥ Justice sociale ¾ 4, 5, 25 Jadis ¾ 694 Ǥ Kenya ¾ 777 Kinésithérapeute ¾ 215 Knowledge ¾ 220, 433 Ǥ Liberté contractuelle ¾ 8, 14, 15, 29, 33, 34, 37, 39, 51, 65, 66, 86, 87, 92, 94, 336, 340, 713 289 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ Lieu de travail ¾ 211, 213, 218, 272, 456, 459, 566, 594, 795 Ǥ Main invisible ¾ 615 Made in France ¾ 44 Mandat social ¾ 318, 420 Mannequin ¾ 334, 361 Marchandage ¾ 335, 611 Marché du travail ¾ 93, 407, 478 Marketing ¾ 433 Médecin ¾ 213, 222, 224, 270, 368, 373, 374, 375, 805 Ǥ Négociation collective ¾ 35, 390, 408, 410, 439, 493, 496, 497, 531, 532, 533, 534, 535, 536, 537, 539, 541, 589, 606, 608, 756 Nouvelles organisations du travail ¾ 48, 63, 434, 435, 711, 797 290 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ Ǥ Organisation ¾ 9, 20, 145, 224, 273, 324, 424, 449, 453, 460, 463, 464, 469, 475, 480, 487, 490, 528, 539, 540, 541, 543, 546, 547, 551, 558, 559, 566, 567, 573, 580, 581, 582, 583, 584, 586, 587, 589, 594, 599, 602, 604, 605, 606, 610, 615, 644, 692, 698, 705, 717, 811 Ǥ Parasubordination ¾ 227, 731, 759, 761, 779, 780, 781, 782, 783, 789, 790, 791, 796 Participation ¾ 633, 635, 637, 661, 698, 705, 707, 709, 713, 717 Post-taylorisme ¾ 440, 442, 447, 449, 450, 451, 458, 462 Pouvoir de direction ¾ 21, 166, 220, 223, 224, 231, 436, 452, 465, 466, 467, 483, 500, 528, 538, 541, 617, 619 Pouvoir de subordination ¾ 498, 522, 694 Prêt illicite de main d’œuvre ¾ 332, 611 Pyramidal(e) ¾ 45, 454, 580, 584, 586 Ǥ Qualification ¾ 16, 31, 54, 98, 122, 123, 131, 147, 177, 182, 197, 209, 265, 267, 274, 336, 338, 339, 344, 352, 353, 362, 378, 383, 446, 457, 461, 522, 540, 555, 557, 758, 765, 767, 770, 771, 772, 775, 782 291 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ Ǥ Référendum ¾ 638, 639, 640, 647, 649 Rémunération ¾ 99, 121, 125, 163, 180, 182, 183, 184, 185, 186, 187, 188, 180, 191, 196, 197, 199, 222, 224, 253, 278, 282, 286, 297, 299, 335, 365, 394, 395, 399, 547, 556, 578, 663, 764, 773 Requalification ¾ 31, 54, 131, 177, 265, 287, 289, 292, 297, 309, 311, 323, 329, 335, 338, 344, 351, 353, 378, 785 Réseau(x) : ¾ 41, 509, 543, 593, 595, 596, 597, 602, 608, 609, 615, 616, 729 Ǥ Salariat ¾ 22, 25, 40, 42, 71, 145, 160, 174, 260, 262, 265, 270, 309, 342, 354, 358, 359, 360, 362, 365, 366, 369, 371, 372, 374, 378, 381, 382, 383, 385, 425, 443, 448, 471, 480, 555, 572, 576, 579, 723, 725, 746, 767, 778, 779, 781, 789 Service organisé ¾ 170, 203, 215, 224, 226, 240, 242, 243, 244, 245, 246, 375 Stage ¾ 199, 251, 284, 295, 297, 309, 310, 373 Subordination juridique permanente ¾ 197, 204, 384 292 Ͳ Ǥ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ Télétravail ¾ 490, 543, 544, 545, 546, 547, 548, 549, 550, 551, 553, 554, 555, 556, 566, 567, 568, 569, 570, 571, 572, 573, 576, 577, 579 Travail à domicile ¾ 52, 544, 551, 554, 555, 558, 560, 562, 566, 567, 571, 721, 785 Travailleur indépendant ¾ 323, 378, 382, 489, 490, 569, 570, 718, 754, 759, 761, 782, 789, 799, 805, 808, 811 Travail dissimulé ¾ 54, 68, 73, 259, 289, 305, 332, 337, 345, 349, 405, 624 Ǥ Usine(s) ¾ 44, 45, 49, 429, 433, 437, 438, 466, 542, 584, 585, 604, 721, 727, 765, 797, 807, Ǥ Voyageur ¾ 290, 361, 738 VRP ¾ 738 Ǥ Whistleblowing ¾ 509 Ǥ XXI, XX, XIX ¾ 47, 231, 369, 429, 510, 551, 693, 730 293 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ Ǥ York ¾ 621 Ǥ Zone grise ¾ 49, 50, 471, 492, 722, 724, 725, 726, 727, 729, 732, 741, 762, 767, 789 294 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ BIBLIOGRAPHIE I. 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La Documentation Française, 2003 297 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ Hernot (G.), Ͳ Le point de subordination, introduction à la psychologie de la relation hiérarchique, Coll. Dynamiques d’entreprises, Éd. L’Harmattan, Paris, 2007 Jeammaud (A.), Ͳ Le droit du travail confronté à l͛économie, Éd. Dalloz, 2006 Ͳ L'exercice en société des professions libérales en droit français, Dalloz, 1975 Kerbourc'h (J.-Y.), Ͳ Le portage salarial: prestation de services ou prêt de main d'œuvre illicite ? Droit social 2007 n° 1 p. 72 Laborde (J.-P.), Ͳ Droit de la sécurité sociale, Éd. PUF, éd. 2005 Lyon-Caen (G.), Ͳ Le droit du travail non salarié, Éd. Sirey, Paris, 1990 Martin (R.), Ͳ Déontologie de l'avocat : Litec, 8° éd., 2004, p. 105 Monroy (M.), Ͳ La violence de l’excellence : pressions et contraintes en entreprise, Éd. Hommes & Perspectives, 2000 Pasin (P.), Ͳ La fin du salariat : le guide, Éd. Carnot, 1999 Petit (H.), Thévenot (N.), Ͳ Les nouvelles frontières du travail subordonné, Éd. La Découverte, 2006 Rey (C.), Ͳ Le travail à domicile, La documentation française, 1999 Ͳ Travail à domicile, un modèle de travail flexible en plein évolution, dans Les mutations du travail en Europe, Coll. Économie et innovation, L'Harmattan, 2000 Rousseau (J.-J.), Ͳ Du contrat social ou Principes du droit politique, Éd. Marc-Michel Rey, 1762 298 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ Supiot (A.), Ͳ Au-delà de l’emploi : Transformations du travail et devenir du droit du travail en Europe, Éd. Flammarion, 1999 Ͳ Critique du droit du travail, PUF, Quadridge, 2002 Waquet (P.), Ͳ L'Entreprise et les Libertés du salarié : Du salarié-citoyen au citoyen-salarié, Éd. Liaisons, Coll. Droit vivant, 2003 III. Thèses Alibert (A.-C.), Ͳ Les cadres quasi-indépendants, du contrat de travail au contrat d’activité dépendante, Thèse pour le doctorat de l’Université d’Auvergne, 2005 Aubert-Monpeyssen (Th.), Ͳ Subordination juridique et relation de travail, Centre Régional de Publication de Toulouse, Editions du Centre National de la Recherche Scientifique, 1988 Baudson (N.), Ͳ Le domaine réservé du salarié dans le rapport de subordination, Thèse de doctorat, Université Toulouse I, 2000 Birnbaum (J.), Ͳ La condition juridique des personnes en état de subordination au regard des libertés, Thèse Strasbourg III, 2006 Bredon (G.), Ͳ L'évolution de la notion de subordination comme critère du contrat de travail, Thèse pour le doctorat de l’Université de Paris II, 1998 Bruguier (T.), Ͳ L’indépendance en droit privé, contribution à l’étude du sujet de droit en activité, Thèse pour le doctorat de l’Université de Nice, 1996 Coiquaud (U.), Ͳ Le travail non salarié dépendant : étude de droit comparé France Canada, Thèse pour le doctorat de l’Université de Montréal et d’Aix-Marseille III, 2004 299 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ Font (N.), Ͳ Le travail subordonné entre droit privé et droit public, Thèse de Doctorat, DallozSirey, 2009 Guiomard (F.), Ͳ La justification des mesures de gestion du personnel : essai sur le contrôle du pouvoir de l’employeur, Thèse pour le doctorat de l’Université de Paris X, 2000 Guizard (B.), Ͳ L'avocat salarié, Thèse de doctorat, Université Montpellier I, 1997 Gunia (N.), Ͳ La fonction ressources humaines face aux transformations organisationnelles des entreprises, impacts des nouvelles technologies d’information et de communication, Thèse pour le doctorat de l’Université de Toulouse, 2002 Guyot-Chavanon (C.), Ͳ L’entraide en droit privé, Thèse de doctorat, Université Bordeaux IV, 2003 Laffont (B), Ͳ Etude comparée de la collaboration et du salariat dans les professions libérales, Thèse pour le doctorat de l’Université de Toulouse, 2006 Laskar (C.), Ͳ Le pouvoir de direction des personnes en droit du travail, Thèse pour le doctorat de l’Université de Nice, 2007 Lecea (A.), Ͳ L’entreprise subordonnée, Thèse de doctorat, Université de Toulouse I, 2005 Lepine (N.-M.), Ͳ Les enjeux communicationnels et socio-organisationnels du déploiement des dispositifs du groupware en entreprise : la médiatisation du travail collaboratif, Thèse de doctorat, Université de Grenoble III, 2000 Letombe (E.), Ͳ L’abus de droit en droit du travail, Thèse pour le doctorat, Université Lille II, 2007 Leturcq, (M.), Ͳ Contribution à l'élaboration d'un droit de l'activité professionnelle, Thèse de doctorat, Université Lille II, 2004 300 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ Probst (A), Ͳ le droit du travail à l’épreuve du télétravail au domicile, Thèse pour le doctorat de l’université de Paris I, 2005 Renaux-Personnic (V.), Ͳ L’avocat salarié : entre indépendance et subordination, Thèse de doctorat, Université Aix-Marseille III, Ed PUAM 1998 Saint-Didier (C.), Ͳ Droit du travail et droit des obligations : étude d'une opposition, Thèse de doctorat, Université Aix-Marseille III, 1996 Shea (E.), Ͳ Le travail pénitentiaire, un défi européen: étude comparée : France, Allemagne et Angleterre, Thèse de doctorat, Université Strasbourg III, 2005 Simon (A.), Ͳ Le champ d'application et d'influence du droit du travail salarié, Thèse de Doctorat de l’Université de Lille III, 2006 Soria (O.), Ͳ À la recherche du critère du contrat de travail, Thèse de doctorat, Université Bordeaux IV, 2003 Taillandier (A.), Ͳ L'intensité du lien de subordination, Thèse de doctorat, Université Nantes, 1994 Tschaeglé (A.), Ͳ Le droit du travail et les libertés fondamentales du salarié, Thèse pour le doctorat de l’Université d’Aix-Marseille III, 1993 Varcin (F.) ép. Verdun, Ͳ Le pouvoir patronal de direction, Thèse pour le doctorat, Université Lyon II, 2000 Viottolo-Ludmann (A.), Ͳ Egalité, Liberté dans le contrat de travail, Evolutions du droit contemporain, Thèse de doctorat, Université Aix-Marseille III, 2004 Xerxès, (G.), Ͳ Salariat et subordination : étude historique, Thèse de doctorat, Université Paris I, 2004 301 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ IV. Mémoires de DEA Briant (A.), Ͳ Le formalisme dans la conclusion du contrat de travail, Mémoire de DEA, Université Aix-Marseille III, 1999 Chin Kow (A.) et M. Medgée (M.), Ͳ La relation de travail dans l’entreprise et son évolution, Mémoire pour le DEA de l’Université Montpellier I, 1997 Cruciani (L.), Ͳ Existe-t-il une politique sociale de la chambre sociale de la Cour de cassation ?, Mémoire de DEA, Paris, 1997 Fernandes (C.), Ͳ Les revirements de jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation, Mémoire de DEA, Paris, 1999 Regulsky (C.), Ͳ Le lien d’emploi et le tiers dans le cadre du prêt de main d’œuvre, Mémoire pour le DEA de l’Université de Lille II, 2006 Salmon-Morin (J.), Ͳ V. Le formalisme dans la conclusion et la rupture du contrat de travail, Mémoire de DEA, Université Aix-Marseille III, 1998 Colloques, séminaires et forums Actes du colloque « Bénévoles et salariés dans le sport associatif : positionnements et identités sociales», Ͳ Colloque organisé par l’AFS de Bordeaux les 4-8 septembre 2006 Actes du colloque « Construction d’une histoire du droit du travail », Ͳ Cahiers de l’Institut régional du travail, Université Aix-Marseille III, n°9, avril 2001 302 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ Actes du colloque « Conventions et salariat : de la valeur-travail aux institutions de valorisation du travail » Ͳ Forum organisé par l’Université Paris X et le Centre d’Etudes de l’Emploi, janvier 2005 Actes du colloque « L’entreprise réseau : unicité de la formule, diversité des situations », Ͳ XIVème congrès de l’AGRH Grenoble, 20-22 novembre 2003 Actes du colloque « La mondialisation et la gestion du changement dans le monde du travail, Dialogue de haut niveau : le modèle social européen dans le contexte de la mondialisation », Ͳ Colloque organisé Turin, 1er-3 juillet 2008 Actes du colloque « Le travail indépendant comme combinaison de formes de travail, de sources de revenus et de protections : Etude des conditions pour comprendre les rapports entre le travail indépendant et protection sociale » Ͳ Colloque organisé par le groupe de recherche sur les transformations du travail, des âges et des politiques sociales et l’INRS, Montréal, avril 2004 Actes du colloque « Les droits fondamentaux des salariés face aux intérêts de l’entreprise », Ͳ Colloque organisé le 20 mai 1994, PUAM, Aix-en-Provence, 1994, 120p Actes du colloque « Les frontières du salariat », Ͳ Colloque organisé les 26-27 octobre 1996 à l’Université Cergy-Pontoise, sous l’égide de la revue juridique d’île de France, n°39/40, Dalloz, 1996, 263p. Actes du colloque « Ouvriers et employés à « statut » d’hier à aujourd’hui », Ͳ Colloque organisé par la Maison des Sciences de l'Homme Ange-Guépin et le Centre Nantais de Sociologie, Nantes, 16-17 juin 2008 Actes du colloque « volontariat/bénévolat et emploi : concurrence ou complémentarité ? », Ͳ Colloque organisé par l’Institut de recherche et d’information sur le volontariat, Paris, février 1999, 93p. 303 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ Actes du séminaire international de droit comparé du travail, des relations professionnelles et de la sécurité sociale, Ͳ L’insécurité de l’emploi, Bordeaux, 10-22 juillet 2000 VI. Rapports et documents de travail Compte rendu provisoire de la Conférence Internationale du travail n°13A/B, Ͳ Projet de déclaration de l’OIT sur la justice sociale pour une mondialisation équitable, Organisation internationale du travail, 97ème session, Genève, 2008 Document de travail de C. Perraudin, H. Petit, N. Thèvenot, J. Valentin, Ͳ Dépendance interentreprises et inégalités d'emploi : hypothèses théoriques et tests empiriques, document de travail n° 117, Centre d’études de l’emploi, mars 2009 Document de travail de C. Perraudin, H. Petit et A. Reberioux, Ͳ Marché boursier et gestion de l'emploi : analyse sur données d'entreprises française, document de travail du CES, n°41, 2007 Document de travail de P. Pailot, Ͳ Les dimensions oubliées des théories critiques de la domination : l’exemple du droit, document de travail du LEM, Éd. CNRS, déc. 2007 Dossier de synthèse de M. Devillers, Ͳ Le télétravail, Dossier de synthèse documentaire, INIST/CNRS, Oct. 2003 Rapport de A. Perulli Ͳ Travail économiquement dépendant / parasubordination : les aspects juridiques, sociaux et économiques, Rapport pour la Commission européenne, 2003 Rapport de A. Supiot, Ͳ Au-delà de l'emploi, Divers Sciences, rapport pour la Commission européenne, Flammarion,1999 Ͳ Travail salarié et travail indépendant, rapport au 6° Congrès européen de droit du travail et de la sécurité sociale,Société internationale de droit du travail et de la sécurité sociale, Section Polonaise, Varsovie, 1999, pp. 141-176 304 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ Rapport de F. Guillaume, Ͳ Rapport d'information sur « la participation des salariés dans l'Union européenne », présenté à l'AN le 13 sept. 2006 Rapport de F. Pichault, M. Zune, Ͳ Organisations sociales et entreprises réseau, rapport de recherche pour le Fonds Social Européen, 1999, 190 p. Rapport de J. Auroux, Ͳ Les droits des travailleurs, Rapport au Président de la République et au Premier ministre, Paris, La Documentation françaises, 1981, 104 p. Rapport de P. Cahuc et F. Kramarz, Ͳ De la précarité à la mobilité : vers une sécurité sociale professionnelle, rapport au Ministre de l'Economie et au Ministre du Travail, décembre 2004 Rapport de R. Pedersini, Ͳ Travailleurs économiquement dépendants, droit du travail et relations industrielles, Fondation européenne pour l'amélioration des conditions de travail, 2002 Rapport de T. Breton, Ͳ Le télétravail en France : situation actuelle, perspectives de développement et aspects juridiques, Rapports Officiels, La Documentation Française, 1995 Rapport de recherche de T. Aubert-Monpeyssen et C. Aubert, Ͳ L’individualisation de la rémunération : approches économiques et juridiques, Recherche effectuée dans le cadre d'une convention conclue entre l'Institut de Recherches Économiques et Sociales (IRES) et la CFE-CGC, mars 2005 Rapport de la Commission des Communautés Européennes, Ͳ Livre Vert Promouvoir un cadre européen pour la responsabilité sociale des entreprises, COM(2001) 366 final, Bruxelles, 2001 Rapport de la Commission présidée par J. Boissonnat, Ͳ Le travail dans vingt ans, Commissariat général au plan, éd. Odile Jacob, La documentation française, 1995, 373 p. 305 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ Rapport de la Commission présidée par P. Gassman, Ͳ Professionnels indépendants, donneurs d’ordre et dépendance économique : sécuriser les relations contractuelles et favoriser la création d’entreprises individuelles, Chambre du Commerce et de l’industrie de Paris, 13 juin 2002 VII. Articles contenus dans un ouvrage Antonmattéi (P.-H.), Ͳ Bref retour sur la jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de Cassation in Mélanges en l’honneur de Christian Mouly, Éd. Litec, 1998 Bidet (A.), Ͳ La sociologie du travail face au salariat, les paradoxes d’une métrologie salariale in Vatin F., Le salariat : Histoire, formes et perspectives, Éd. La Dispute, Paris, 2006 Chauchard (J.-P.) Ͳ J.-P. Chauchard, J.-P. Le Crom, Les services, entre droit civil et droit du travail in Les services : définitions, ruptures, enjeux, sous la direction de C. Chevandier, rev. Le Mouvement Social, n°211, 2005 Cornet (A.), Ͳ L'Entreprise Réseau et les nouvelles formes d'organisation du travail, in L'Espace virtuel. des échanges des idées aux transactions commerciales, Institut Universitaire International de Luxembourg, 1999 Grassi (B.), Ͳ L’autonomie du salarié in La subordination dans le travail, J.-P. Chauchard, Éd. La documentation française, Coll. Cahier travail et emploi, 2003 Groutel (H.), Ͳ Le critère du contrat de travail in Mélanges Camerlynck, Dalloz, 1978, p. 49 Hardy-Dubernet (A.-C.), Ͳ La subordination du point de vue de la sociologie in La subordination dans le travail, J.-P. Chauchard, Éd. La documentation française, Coll. Cahier travail et emploi, 2003 306 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ Hauser (J.) Ͳ La notion de salaire et le droit privé in Mélanges dédiés au président M. Despax, Presses de l’Université des Sciences sociales de Toulouse, 2002 Le Crom (J.-P.), Ͳ Ͳ Retour sur une vaine querelle : le débat subordination juridique-dépendance économique dans la première moitié du XXe siècle in J. P. Chauchard et A.C. HardyDubernet (dir.), Les métamorphoses de la subordination, Paris, Ministère de l'Emploi, du Travail et des Affaires sociales, Éd. La Documentation française, 2003, p. 71-84. Les services, entre droit civil et droit du travail in Les services : définitions, ruptures, enjeux, sous la direction de C. Chevandier, rev. Le Mouvement Social, n°211, 2005 Monteiro Fernandes (A.), Ͳ Réflexions sur l’effectivité en droit du travail à partir du cas portugais in P. Auvergnon, L’effectivité du droit du travail. À quelles conditions, Presses universitaires de Bordeaux, 2009 Sauze (D.), Thevenot (N.), Valentin (J.), Ͳ L'éclatement de la relation de travail : Cdd et sous-traitance en France, in le contrat de travail, Coll. Centre d'Etudes de l'Emploi, Éd. La Découverte, Coll. Repères, pp. 5768, 2008 Shea (E.), Ͳ Les paradoxes de la normalisation du travail pénitentiaire en France et en Allemagne in Déviance et Société, Volume 29, mars 2005 Vachet (G.), Ͳ La notion de rémunération au regard de la sécurité sociale in Mélanges dédiés au président M. Despax, Presses de l’Université des Sciences sociales de Toulouse, 2002 VIII. Articles contenus dans une revue Antonmattéi, (P.-H.) Ͳ Accords de réduction du temps de travail : l'arrêt Michelin, dr. soc. n° 9/10, p. 839844, 01/08/2004 307 Ͳ Ͳ Ͳ Ͳ Ͳ Ͳ Ͳ Ͳ Ͳ Ͳ Ͳ Ͳ Ͳ Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ Informatiques et libertés : conditions de validité des dispositifs d'alerte professionnelle, JCP S n° 9, pp. 38- 41, 02/03/2010 Appréciation par le juge judiciaire de la licéité d'un dispositif d'alerte professionnel, JCP G n°52, pp. 34- 35, 21/12/2009 Vie professionnelle, vie personnelle et vie syndicale, rev. dr. soc. n° 1 , p.21-22, 01/01/2010 (Colloque de Droit social du 23 octobre 2009 intitulé "Vie professionnelle et vie personnelle") Avantage catégoriel d'origine conventionnelle et principe d'égalité de traitement : évitons la tempête !, rev. dr. soc. n°12, p.1169- 1170, 01/12/2009 Externalisation d'activité et application de l'article L. 1221-1 du Code du travail : revirement de jurisprudence dans le secteur des établissements de santé, rev. Lamy Droit des affaires, n°41, p. 58- 59, 01/08/2009 L'accord de groupe, dr. soc. n°1, p. 57-59, 01/01/2008 Négociation collective : une bonne nouvelle et une mauvaise, rev. dr. soc. n°4, p 459462, 01/04/2007 Conventions et accords collectifs de groupe : nouvelles interrogations, Semaine sociale Lamy n°1263, p. 35- 36, 29/05/2006 L'accord de groupe, dr. soc. n°1, p. 57-59, 01/01/2008 NTIC et vie personnelle au travail, dr. soc. n° 1, p.37-41, 01/01/2002 Les conséquences du forfait cadre en jours, Semaine sociale Lamy n°975, p.5-9, 03/04/2000 La qualification de salaire, dr. soc. n°6, p. 571-574, 01/06/1997 Externalisation et article L. 122-12 alinéa 2 du Code du travail : le clash !, Semaine sociale Lamy n°996, p.7-9, 25/09/2000 Aubert-Monpeyssen (Th.) Ͳ Les frontières du salariat à l'épreuve des stratégies d'utilisation de la force de travail, rev. dr. soc., 1997, n° 6, p. 616 Asquinazi-Bailleux (D.), Ͳ La difficile distinction du contrat de bénévolat et du contrat de travail, RJS 12/2002, p. 983 Barthélémy (J.), Ͳ Ͳ Ͳ Ͳ Ͳ Ͳ Du droit du travail au droit de l’activité professionnelle, Les Cahiers du DRH N°144, 06-2008 Le collaborateur libéral, La Semaine Juridique Social n° 7, 14 Février 2006, 1131 Le professionnel parasubordonné, JCP E, 1996. I. 606 Le référendum en droit social, dr. soc. 1993, p.89 Mutations du travail et évolution du droit social, conférence, Clermont-Ferrand, 22 janv. 1998, Rev. jur. Auvergne Parasubordination, Les Cahiers du DRH n°143, mai 2008 308 Ͳ Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ Salarié : une définition unique en droits du travail et de la sécurité sociale, La Semaine Juridique Entreprise et Affaires n° 5, 30 Janvier 1997, 911 Blaise, (H.), Ͳ À la frontière du licite et de l'illicite, rev. dr. soc. 1990, p. 418 Boubli (B.), Ͳ Le recours à la main-d'oeuvre extérieure, rev. dr. soc. 2009 n° 7/8 p. 806 Boudineau (C.), Ͳ Faut-il salarier le conjoint du chef d’entreprise ?, Petites affiches 30 juill. 1999, n°151, p. 11 Boulmier (D.), Ͳ Quand la volonté de codifier à droit constant est source d'inconstance, Le cas des employés de maison, La Semaine Juridique Social n° 49, 2 décembre 2008 Bouquin (S.), Ͳ Fin du travail ou crise du salariat ?, rev. banlieu-ville et lien social, 1997 Brissy (S.), Ͳ L'application du droit du travail aux travailleurs indépendants : un régime juridique cohérent ? La Semaine Juridique Social n° 5, 31 Janvier 2006, 1093 Brunel (J.) Ͳ Externalisation et droit social: des principes juridiques encore plus stricts, Banque magazine 2003, n° 646, p.65 Chorin (J.) Ͳ L'adaptation de la législation de la représentation du personnel dans les entreprises à statut, dr. soc. 1990, p. 886. Chauchard (J.-P.), Ͳ Subordination et indépendance : un sisyphe juridique ? Travail et protection sociale 2001, n° 10 Ͳ Subordination et indépendance, La Lettre Prud’homale, 4ème trimestre 2002, n° 3 Coeuret (A.), Ͳ Le salariat dans l’entreprise libérale, rev. dr. soc., 1992 309 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ Colle (C.), Ͳ Le portage salarial, La Semaine Juridique Social n° 25, 19 Juin 2007, act. 296 Côte (N.), Ͳ Le portage salarial : entre innovations et dérives, JCP E 2002, p. 1758 Cuche (P.), Ͳ Du rapport de dépendance, élément constitutif du contrat de travail, Revue critique de législation et de jurisprudence, 1913, pp. 413-427 Ͳ La définition du salarié et le critérium de la dépendance économique, D. H. 1932, chronique, pp. 101-104 Darmaisin (S.) Ͳ Télé-réalité et contrat de travail, Revue Lamy Droit des affaires n°40, p.55-56, 01/07/2009 Ͳ L'applicabilité de l'article L. 122-12 alinéa 2 du Code du travail aux opérations d'externalisation, Cahiers de droit de l'entreprise n°33, p.21- 27, 01/05/2006 Ͳ Grève dans le secteur public, JCP S n°11, p.35-36, 14/03/2006 Ͳ L'épargne salariale après la loi du 26 juillet 2005 pour la confiance et la modernisation dans l'économie, JCP S n°11, p.34-40, 06/09/2005 Ͳ Assujettissement au régime général de Sécurité Sociale "...Dieu reconnaîtra les siens...", La Gazette du Palais n°10, p.4-7, 10/01/2001 Ͳ L'ordinateur, l'employeur et le salarié, rev. dr. soc. n°6, p.580-588, 01/06/2000 De la Pradelle (L.), Ͳ Qu'est-ce qu'un salarié ?, rev. pratique de droit social, 1997 Derue (A.) et Jourdan (D.), Ͳ Épargne salariale, intéressement, participation, actionnariat, rev. Liaisons sociales, Spécial 2007-246, 25 oct. 2007 Despax (M.), Ͳ L’évolution du rapport de subordination, rev. dr. soc. 1982 Durand (P.), Ͳ Naissance d'un droit nouveau : du droit du travail au droit de l'activité professionnelle, rev. dr. soc. 1962 310 Ͳ >ĞůŝĞŶĚĞƐƵďŽƌĚŝŶĂƚŝŽŶũƵƌŝĚŝƋƵĞĚĂŶƐůĞƐƌĞůĂƚŝŽŶƐĚĞƚƌĂǀĂŝůͲ Elbaum (M.), Ͳ Petits boulots, stages, emplois précaires : quelle «flexibilité » pour quelle insertion ? rev. dr.soc. 1988, p. 311 Etiennot (P.), Ͳ Stage et essai en droit du travail, RJS 8-9/1999, n° 623 Eutedjian (C.), Ͳ Le commerçant partenaire d’un PACS, rev. dr. et patr., avril 2000 Garabiol (P.), Ͳ La flexisécurité : une révolution européenne, Fondation Robert Schuman, rev. question d'Europe n° 73, 1er octobre 2007 Gaudu (F.), Ͳ Les frontières de l'entreprise, entre concentration économique et externalisation : les nouvelles frontières de l'entreprise, rev. dr. soc. n° 5 ; 2001 Ͳ Du statut de l’emploi au statut de l’actif, rev. dr. soc. 1995 Gautié (J.), Ͳ Quelle troisième voie ? 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Pourtant, les enjeux sont importants, notamment au regard de l’infraction de travail dissimulé. La subordination juridique étant le critère distinctif du contrat de travail, il convient de faire le point sur les approches successivement proposées par la doctrine et la jurisprudence. Le but de cette thèse est d’essayer de faire le bilan de cette notion instable pour prévoir et proposer les évolutions possibles. EN ANGLAIS : The concept of legal subordination is in direct confrontation with the changing labor market. Given the constraints of employment law, the wage is leaking which promotes legal arrangements but also the real alternatives. These now supply the phenomenon of economically dependent workers, reflecting the extension of a gray area into borders of employment. It becomes increasingly difficult to define the employment contract. Yet the stakes are high, particularly with regard to the infringement of concealed work. The legal subordination is the distinguishing criterion of the employment contract, it should take stock of approaches successively proposed by doctrine and jurisprudence. The aim of this thesis is to try to take stock of this unstable concept to predict and suggest possible changes. DISCIPLINE : Droit privé et sciences criminelles MOTS CLEFS : Subordination juridique ; contrat de travail ; critères ; zone grise ; travailleur économiquement dépendant INTITULÉ ET ADRESSE DE L’UFR OU DU LABORATOIRE : Laboratoire du Droit Social (LDS) Faculté de droit, Université Montpellier I, 39 rue de l’Université, 34060 Montpellier Cedex (France)