Indemnits pour prjudice moral : souvent requalifies mais pas

Transcription

Indemnits pour prjudice moral : souvent requalifies mais pas
Indemnités pour préjudice moral : souvent
requalifiées mais pas toujours
Bernard MARISCAL
Une récente circulaire administrative apporte un éclairage nouveau sur le régime
fiscal des indemnités pour préjudice moral en cas de licenciement collectif (Circ.
n Ci.RH. 241/539.525 du 9 mars 2004). Cela nous permet de faire le point en la
matière.
L’Administration n’est pas liée par la qualification que les parties donnent à une
indemnité. Une indemnité qualifiée de morale peut ainsi être requalifiée en
indemnité de dédit et subir une imposition à ce titre. Pour introduire cette
matière, nous allons partir d’un cas exemplatif tiré d’une jurisprudence abondante
en la matière. (Mons, 2 mai 1997, CD Rom Sources fiscales, Kluwer,
n 9756502).
Les faits
Lors de la fermeture d’une entreprise, un membre du personnel avait, au même
titre que ses collègues, perçu diverses indemnités légales et, en outre, une
indemnité complémentaire de +/- 100.000 BEF qualifiée de « dédommagement
moral » en vertu d’une convention conclue entre les représentants de
l’employeur, les délégués du personnel et les organisations syndicales.
Cette indemnité ne fut soumise à aucune retenue fiscale ou de sécurité sociale.
L’Administration fiscale estima que cette indemnité était en fait une indemnité de
dédit puisqu’elle avait été obtenue en raison la cessation de travail. Elle taxa
l’indemnité en conséquence.
La Cour
Sans contester que la rupture de contrat procède de la fermeture de l’entreprise
employeur et a ainsi porté atteinte aux divers intérêts patrimoniaux et moraux
des contribuables, la Cour constate que l’indemnité litigieuse a été obtenue dans
les circonstances visées à l’article 26, alinéa 2, 3 du C.I.R. 64. Le texte légal est
en effet rédigé en termes généraux; il ne fait aucune distinction quant à la nature
des indemnités allouées, qu’elles soient légales ou extra-légales, conventionnelles
ou bénévoles, principales ou complémentaires.
Pour être taxable, il faut mais il suffit que l’indemnité trouve sa cause dans des
relations de travail auxquelles il est mis fin.
En outre, la dénomination de « dommage moral » ne lie pas l’Administration
fiscale qui fut étrangère à la convention qui a adopté cette qualification.
Enfin, la Cour constate que la convention elle-même considère que l’indemnité
constitue une prime complémentaire de fermeture en sorte qu’il existe entre cette
fermeture et l’allocation de la prime une relation causale, directe et nécessaire, et
suffisante pour l’application de l’article 26, alinéa 2, 3 du C.I.R. 64.
La Cour confirme la cotisation litigieuse.
Commentaire
Notion de dommage moral et taxation
Le dommage moral peut être défini comme toute atteinte à un droit de la
personne autre que patrimonial.
La jurisprudence et la doctrine admettent l’existence d’un dommage moral dans
les cas suivants :
– atteintes à l’honneur et à la réputation;
– souffrances endurées à la suite d’une atteinte à l’intégrité physique;
– atteintes à l’esthétique corporelle;
– atteintes aux sentiments d’affection.
Au niveau fiscal, le ministre a déjà confirmé dans une question parlementaire que
les indemnités destinées à réparer un tel préjudice n’étaient pas taxables (Q. et
R. Parl., Chambre, n 171 – Q n 797 CAUDRON, 8 juillet 1991).
Ce caractère non imposable des indemnités pour dommage moral a d’ailleurs été
confirmé par la jurisprudence (voir e.a. Bruxelles, 24 mai 1988, FJF, 1988, 342).
L’existence d’un dommage moral dans le cadre d’un licenciement est plus délicat.
Il arrive en effet que l’on fasse passer une indemnité de rupture pour une
indemnité pour préjudice moral. Dans un tel cas, il y a lieu de procéder à une
requalification de manière à pouvoir taxer.
Confrontée à des abus, l’Administration a décidé que seuls les tribunaux et les
Cours du travail pouvaient octroyer une indemnité pour dommage moral (Com. IR
1992, n 171/229).
Restera bien entendu à déterminer la partie de l’indemnité réparant un préjudice
moral sur la base des éléments juridiques et des circonstances de fait propres à
chaque cas (Q. n 316 MARTENS, 17 mars 1993, Bull. contr. n 730, p. 2323).
Licenciement collectif
Dans le cas d’espèce soumis à la Cour d’appel de Mons, il s’agissait d’une
indemnité pour dommage moral accordée dans le cadre d’un licenciement collectif
suite à la conclusion d’une convention entre l’employeur et les syndicats.
La Cour estime que l’indemnisation morale a été attribuée à l’occasion de la
rupture du contrat de travail et qu’elle a été attribuée pour indemniser la perte de
travail. Cette position est la même que celle de la Cour d’appel de Gand qui a
également été appelée à se prononcer dans des cas similaires (Gand, 23 juin
1994 et Gand, 15 mai 1997, CD Rom Sources fiscales, Kluwer n 9454815 et
n 9754580).
L’argumentation de la Cour d’appel de Gand nous semble plus complète. Ainsi,
dans son dernier arrêt, pour conclure à la taxation, la Cour se fonde en effet sur
les éléments suivants :
– il n’avait pas été prouvé que la réputation et l’honneur des travailleurs avaient
été entachés par le licenciement;
–
une indemnité pour préjudice moral suppose qu’il y ait individualisation de
l’indemnité en fonction du préjudice subi par chacun des travailleurs. En
l’espèce, chacun avait reçu le même montant.
On peut donc conclure que pour qu’il y ait indemnisation morale, il faut que
l’indemnité morale soit individualisée : elle doit être adaptée au « préjudice » subi
par le travailleur. En aucun cas, l’indemnité ne peut compenser une perte de
salaire.
Une précision administrative bienvenue
L’Administration rappelle dans sa circulaire du 9 mars 2004 que lorsqu’un tribunal
ou une Cour du travail décide d'allouer pour un cas précis une indemnité pour
dommage moral suite à une faute commise par l'employeur en raison ou à
l'occasion de la cessation de travail ou de la rupture d'un contrat de travail, cette
indemnité n’est pas imposable.
Toutefois, dans le cas d'un licenciement collectif, l'indemnisation revêt également,
pour des raisons d'équité, un caractère non imposable lorsque l'employeur étend
celle-ci aux autres travailleurs concernés qui ne sont pas allés en justice mais qui
sont placés dans la même situation que les travailleurs de la même entreprise
pour lesquels une décision judiciaire a été rendue.
Cette nouvelle position administrative a d’ailleurs été reprise par le Tribunal de
1ère instance de Liège (Civ. Liège, 1er avril 2004, inédit).
Néanmoins, l’Administration exige toujours l’existence d’une décision judiciaire
pour avaliser le caractère non imposable d’une indemnité pour préjudice moral.
Une position administrative générale contestable
Contrairement à ce que prétend l’Administration, nous pensons que l’attribution
d’une indemnité pour préjudice moral n’est pas réservée aux Cour et tribunaux
même s’il s’agit du cas le plus fréquent.
Pour qualifier une indemnité morale, il faudra faire apparaître que l’employeur a
commis une faute et que cette faute a entraîné un dommage de nature, non pas
matérielle, mais morale.
Déterminer la partie « morale » de l’indemnité doit s’apprécier en fonction des
circonstances de fait :
– pas de problème si la juridiction a elle-même clairement procédé à la scission
de l’indemnité en différentes composantes;
– en cas d’attribution d’un montant global, mais dont le jugement signale
explicitement qu’il couvre en partie un dommage moral, le contribuable ne
devra pas démontrer l’existence du dommage moral mais devra évaluer la
partie de l’indemnité qui le couvre;
– si la décision de la juridiction ne précise pas que l’indemnité couvre
partiellement un dommage moral, il faudra à la fois prouver l’existence du
dommage et l’évaluer;
–
les mêmes preuves devront être rapportées en cas d’indemnisation à
l’amiable du licenciement.
La preuve de l’existence d’un préjudice moral sans décision d’une juridiction sera
naturellement malaisée à rapporter. Au regard de la jurisprudence, l’on peut déjà
affirmer qu’une indemnité d’un montant identique attribuée à tous les travailleurs
à l’occasion d’un licenciement collectif sous le vocable « indemnité pour préjudice
moral » sera en tous les cas requalifiée en indemnité de dédit et taxée à ce titre,
en l’absence d’une décision judiciaire.
Par contre, il existe des cas individuels dans lesquels, il est possible d’apporter
une preuve. On peut ainsi prendre comme exemple un cas qui s’est présenté
devant la Cour d’appel de Bruxelles (Bruxelles, 15 janvier 1998, inédit).
A l’occasion d’une procédure devant le tribunal du travail introduite par un
travailleur licencié pour motif grave, l’employeur et le travailleur concluent une
transaction. Il est ainsi convenu qu’outre une indemnité de rupture, le travailleur
percevra une indemnité pour préjudice moral. L’accord stipule que les impôts
éventuellement dus par le travailleur sur cette indemnité seront à sa charge.
L’indemnité pour préjudice moral est considérée par l’Administration comme une
indemnité de dédit telle que visée à l’article 27, §1er, 2 du C.I.R. 1964 et taxée
au taux moyen afférent à l’ensemble des revenus imposables de la dernière
année antérieure pendant laquelle le contribuable a eu une activité
professionnelle normale.
La Cour d’appel estime que si une indemnité est accordée à un travailleur à
l’occasion de la fin de son contrat d’emploi pour réparer le préjudice moral qu’il a
subi en raison des circonstances de cette rupture de contrat qui ont causé une
atteinte grave à sa notoriété et sa réputation professionnelle, il ne s’agit pas
d’une rémunération des prestations de travail et cette indemnité est par
conséquent non imposable.
Pour apprécier la nature de l’indemnité, il ne suffit pas d’analyser les termes de la
transaction conclue entre le travailleur et l’employeur; il faut également analyser
les circonstances de fait qui sont à la base de la rupture du contrat et qui ont
amené l’octroi d’une indemnité pour préjudice moral.
La Cour se base sur les éléments suivants pour conclure à l’existence d’une
« véritable » indemnité pour préjudice moral :
– l’importance de l’indemnité (8 millions de BEF) attribuée en sus de l’indemnité
de rupture proprement dite (elle-même particulièrement conséquente) et la
courte période d’emploi (environ 5 mois) indiquent que l’indemnité ne porte
pas sur les prestations de travail exécutées;
– la fiche que le travailleur a reçue de son employeur mentionne expressément
qu’il s’agit d’un dédommagement;
– la personne en cause avait été débauchée auprès de son précédent employeur
et jouissait d’une bonne réputation dans son secteur d’activité;
– le licenciement a eu un retentissement dans les médias;
– l’employeur reconnaît qu’il a commis une grosse erreur en licenciant le
travailleur;
–
le licenciement a diminué les possibilités du travailleur sur le marché
professionnel et il a dû accepter des fonctions moins importantes.
En tout état de cause, il faut insister sur le fait qu’une indemnité pour préjudice
moral ne constitue pas, au même titre que les indemnités de non-concurrence,
une forme alternative de rémunérations. Il n’est pas question d’utiliser une
qualification erronée pour soustraire une partie des revenus à la taxation.