Une étoile dans la nuit (Stéphanie Dugas)

Transcription

Une étoile dans la nuit (Stéphanie Dugas)
UNE ÉTOILE DANS LA NUIT
Je marche sans but précis, j’erre comme un renard dans la nuit. Les sentiments
refoulés à l’intérieur de moi se libèrent et coulent sur mes joues. Mes yeux sont flous. Les
mélodies que sa voix fredonnait doucement glissent dans ma tête comme une vieille
berceuse oubliée. Lorsque je ferme les yeux, je revois la douceur de ses traits que la
vieillesse avait creusés. Il y a des moments où je perçois encore son odeur, cette odeur
presque aussi agréable que celle d’une fleur. Je me revois encore jeune, enfermée dans
ses bras et couverte de mille baisers. Je me souviens aussi à quel point je pouvais
détester. Aujourd’hui, je donnerais tout pour me retrouver contre elle et profiter de
chaque seconde, juste une dernière fois. J’aimerais la revoir pour qu’elle me prenne dans
ses bras. Je voudrais entendre encore une fois sa voix me chuchoter tout bas ces «Je
t’aime» à répétition que je trouvais tellement importants. Je me rappelle encore les
blagues que je m’amusais à lui faire, la fierté qui brillait dans ses yeux lorsqu’elle me
regardait. Chacun de mes mouvements semblaient être pour elle un exploit, et chaque fois
elle me félicitait. Elle s’amusait à me montrer comment coudre ou encore comment faire
à manger. Elle m’encourageait, même si ce que je préparais était complètement raté. Elle
avait cette façon de rire chaque fois que je parlais. Tout ce que je disais ou faisais
l’émouvait. À ses yeux, j’étais la plus belle et la plus drôle. Aux yeux de tous ses amis,
j’étais celle qui tenait le beau rôle. Encore aujourd’hui, partout où je vais, on me
reconnaît. On me raconte mes exploits, et parfois j’ai honte de moi. Jeunesse est souvent
synonyme de naïveté. Lorsque j’étais enfant, contrairement à aujourd’hui, j’étais loin
d’être gênée. Ces souvenirs refont toujours surface, mais jamais je ne voudrais qu’ils ne
s’effacent. J’erre dans la nuit sans bruit, écoutant le son de la pluie.
Je regarde au loin. Sous mes yeux se forme un dessin. Je continue de marcher
jusqu’à ce que s’arrêtent mes pieds. Les larmes incessantes meurent sur mes lèvres tandis
que la pluie efface leurs traces. Quelqu’un me regarde au loin. Un sourire, ensuite plus
rien. Elle se retourne et s’enfuie en pénétrant dans la noirceur de la nuit. Une source de
lumière étrange s’échappe de son corps. Le ciel est noir, aucune étoile ne le décore. La
lune brille par son absence. Tout ce que j’apprécie de la nuit a perdu son sens. Malgré la
peur qui me tenaille, mes pieds décident de continuer. Je dois la retrouver. Un message
est caché au fond de ses yeux et sa bouche semblait prête à me faire un aveu. Je sais que
c’est vraiment elle, puisqu’elle ressemblait à un ange sans ailes. La nuit me repousse et
chacun de mes pas dans l’herbe mouillée m’éclabousse. L’obscurité me fait peur et fait
s’emballer mon cœur. Je prends mon courage à deux mains et je poursuis rapidement
mon chemin. Sans comprendre pourquoi, je sais exactement où me conduisent mes pas.
Une lumière intérieure me guide et une voix me murmure tout bas de continuer. La pluie
me glace et la tête me fait mal, pourtant, je n’ai pas envie de renoncer. Ma tête me répète
sans cesse de reculer, mais mon cœur me force à avancer. J’ai peur d’être déçue. J’ai peur
d’être mal reçue. Au fond, ce n’était peut-être qu’un mirage. Elle me manque tellement
que j’imagine son visage. Je fais confiance à mon instinct. Plus rien ne me retient.
J’avance dans cette forêt sombre et effrayante. La pluie froide tombe fortement sur mon
visage sans que je la ressente.
Je marche depuis combien d’heures? Je ne sais pas. J’entends sa voix m’appeler
tout bas. À quelques reprises, je crois apercevoir sa lueur angélique au loin. J’avance
toujours avec grand soin. La forêt se referme de plus en plus sur moi et les branches
heurtent mon visage. Je sens monter en moi une rage. Une rage mélée de détermination
qui me pousse toujours plus en avant. Je me mets à courir, mes mains recouvrent mon
visage. La ténacité se lit sur mes traits habituellement si sages. Je cours aveuglément.
L’inévitable arrive soudainement. Je sens qu’un de mes pieds est retenu prisonnier. La
nature s’est enroulée autour de ma cheville et m’empêche de continuer. Je perds
l’équilibre et m’étale de toute ma longueur. J’ai peur. Mes coudes me brûlent et mes
cheveux me voilent la vue. Je suis, à présent, complètement seule dans ce monde
inconnu. Je serre les dents et je réfléchis rapidement. Je refoule les larmes et dégage mon
visage. Je regarde au loin. Je ne vois plus rien. Cette lueur que je suivais depuis des
heures a disparu de ma vue. Elle marchait bien plus rapidement que je ne l’aurais cru.
Épuisée, je roule sur le dos et je fixe le ciel. J’ai perdu toute trace d’elle. Ma
détermination cède place au désespoir. Autour de moi, tout est tellement noir. La pluie
continue de tomber. J’ai l’impression que ce labyrinthe d’arbres se moque bien de moi et
tente de m’arrêter. Je ferme les yeux et respire un peu. Je revois encore ses grands yeux
verts, la tendresse de son regard à mon égard ainsi que son sourire sans imperfection. Son
sang coule dans mes veines et elle est là, tout près de moi, j’en ai la conviction. Je veux
simplement la revoir une dernière fois. Je lève les yeux et regarde droit devant moi.
- Lève-toi, continue. Marche au-delà de ce que te montre ta vue. Suis ton cœur,
l’instigateur de tout bonheur. Laisse aller tes pensées, oublie le passé. Vis ce que t’offre
le présent et fonce dans ma direction, me chuchote une voix familière au creux de
l’oreille. Cette voix qui m’a jadis raconté mille et une merveilles. N’abandonne pas, je
suis là, tout près de toi.
Je sens un deuxième souffle d’espoir grandir en moi. Elle me donne la force de la
rejoindre pour la première fois. Je me relève sur mes genoux et j’essuie mes mains
pleines de boue. J’arrache l’herbe à mes pieds, celle qui m’a fait tomber. Je me relève et
prend une grande respiration. Tout ceci n’est peut-être qu’une fiction, mais j’irai jusqu’au
bout. Un point, c’est tout.
J’avance, une voix me chuchote d’aller tout droit. Les branches se cassent devant
moi. L’herbe s’aplatit sous mes pas. Je remarque que plus j’avance, plus la pluie diminue.
Je regarde le ciel et les dernières gouttes de pluie viennent s’écraser sur mon visage nu.
Pour la première fois depuis des heures, je souris. Petit à petit, la nuit redevient mon
amie. Le ciel s’éclaircit et me fait découvrir un nouveau sentier. Un sentier que les années
semblent avoir oublié. Je dévie un peu de ma trajectoire pour emprunter ce nouveau
chemin. Je pose chacun de mes pas avec encore plus de soin. L’herbe est à hauteur de
mes genoux. Je crois même entendre, pendant une seconde, le hululement d’un hibou.
Tout reprend vie. Ma peur s’évanouit petit à petit.
Le ciel s’éclaircit toujours plus, émerveillée, je regarde les étoiles apparaître. Je
frissonne de tout mon être. Les constellations apparaissent en me montrant le chemin. J’ai
le sentiment qu’elles sont vivantes et qu’elles me tiennent par la main. Ce spectacle est
tout simplement magnifique. Tout, autour de moi, semble être devenu magique. La lune,
ronde et lumineuse, fait son apparition. Cet astre qui est source de réconfort dans la nuit
m’aide à mener à terme ma mission. Je passe du cauchemar au pays des merveilles.
L’astre de la nuit est devenu mon soleil.
Après avoir repris confiance, je commence à courir. Plus question de penser à fuir.
La forêt est de mon côté, plus rien ne peut m’arrêter. Plus je marche, moins le boisé est
dense. Ce que je vois a de plus en plus de sens. Les fleurs m’offrent un spectacle
saisissant en déployant leurs pétales. Elles me dévoilent leur simplicité en me laissant
découvrir leurs couleurs passant du rouge à l’opale. Une nouvelle fleur semble naître à
chacun de mes pas, tandis que j’entends toujours la voix me parler tout bas.
Finalement, une grande étendue sans arbres apparaît devant moi. Au loin, se
trouve une chute d’eau qui se jette sur des rochers, un peu plus bas. Tout semble encore
plus irréel et j’aperçois à nouveau les fleurs, autour de moi, qui ont toutes cette
merveilleuse teinte vermeille. La lune semble immense et le vent dans les branches leur
fait effectuer une danse. Les feuilles se balancent au rythme d’une mélodie inconnue,
tandis que les étoiles brillent sans retenue. Une bourrasque me glace la nuque et pousse
mes cheveux devant mon visage. Je les repousse énergiquement et j’aperçois une brume
d’un blanc pur prendre forme devant mes yeux. Finalement, après tout ce temps, vient le
temps des aveux.
Son visage apparaît, identique à mes souvenirs. Elle me sourit et c’est
pratiquement comme si je pouvais l’entendre rire. Ses yeux, d’une infinie tendresse, se
posent sur moi et lentement elle pointe un doigt vers moi. Elle avance sans marcher,
respectant le silence de la nuit étoilée. Je ferme les yeux lorsque la fraîcheur de sa main
se pose sur ma joue. Elle m’effleure comme la caresse du vent en repoussant mes
cheveux sur mon cou. Elle soulève mon collier, la breloque qu’elle m’avait donnée.
- Tu la portes toujours, souffla-t-elle avec une certitude déconcertante.
- Oui, je la porte chaque jour, ajoutai-je d’une voix chantante.
- Je vais bien, ne crains rien. Cesse de t’inquiéter, continue de vivre sans penser à
moi. Je suis là et je veille sur toi, me dit-elle en me regardant en souriant.
- Tu me manques tant, je t’aime toujours autant, dis-je en soupirant. Les larmes
emplissent mes yeux, tandis que mon cœur passe aux aveux. Est-ce que tu es bien?
Comment tu te sens?
- Tout mal est absent. C’est comme si j’avais à nouveau 15 ans. Je peux courir,
sauter et surtout marcher. Ces mouvements que la vie m’avait enlevés.
- J’ai peur que tu m’oublies. J’ai peur que tu manques tout de ma vie. J’aimerais
revoir cette fierté dans ton regard. J’aimerais te parler comme avant, de tout et de rien,
jusqu’à ce qu’il soit très tard. J’ai l’impression de ne pas t’avoir démontré de ton vivant,
tout l’amour que j’éprouvais pour toi réellement, dis-je en sanglotant.
- Tu es ma petite-fille. Mon étoile est là-haut et c’est pour toi qu’elle brille. Je
veille sur toi constamment, je suis à tes cotés à tout moment. Chacune de tes paroles est
entendue. Chacune de tes phrases est lue. Laisse le soleil briller sur ta vie sans regarder
derrière, ne laisse aucun obstacle te mettre des barrières. Maintenant, ouvre tes yeux et
fonce tant que tu le peux. Je t’aimais et je t’aimerai, peu importe l’heure ou la journée.
Son visage se dissipe peu à peu, laissant place à une lumière éblouissante. Je
regarde le ciel et aperçoit une étoile devenir de plus en plus éclatante. Elle disparaît
complètement, emportant avec elle tout ce qui nous entoure. Fleurs, étoiles et forêt
disparaissent chacune à leur tour. Un si grand vide me torture, mais une joie intense
m’habite. Le simple fait de revoir son visage, si serein et sans douleur, apaise toutes mes
peurs. La maladie ne fait plus partie de sa nouvelle vie. Si c’est vraiment aussi paisible
d’être ici. Je suis heureuse qu’elle soit au paradis.
Stéphanie Dugas