féminisme: comment dire le juste et l`injuste

Transcription

féminisme: comment dire le juste et l`injuste
Document à intégrer dans une publication future.
Une réflexion prospective
pour l’éducation populaire aujourd’hui
SEMINAIRE janvier-juin 2003
FÉMINISME:
COMMENT DIRE LE JUSTE ET L’INJUSTE ?
Pour une éducation populaire féministe
Animation et rédaction : Majo Hansotte
Secrétariat : Claudine Drion, le Monde selon les femmes.
Ce travail a été mené dans le cadre de la mission
de Majo Hansotte pour la DG Culture (CFWB),
mission portant sur la citoyenneté. Une vingtaine
de participantes appartenant à différentes
organisations invitées par la coordination liégeoise
de la Marche mondiale des Femmes ont contribué,
au cours de six journées de travail durant l’hiver
et le printemps 2003, à définir les enjeux d’une
ème
éducation populaire pour le féminisme du 21
siècle.
Cette
recherche
collective
devrait
notamment enrichir les méthodes du féminisme
contemporain et favoriser son intervention dans
l’espace public local et mondial.
Ont participé à cette recherche :
Marie Bruyer, Poupette Choque, Marie-Rise Clinet, Marie-Thérèse Coenen, Annie Cornet, Dominique
Dauby, Jeanne-Marie Delvaux, Caroline Doucy, Claudine Drion, Elisabeth Dumont, Fanette Duchesne,
Gisèle Eyckmans, Majo Hansotte, Marie-Noëlle Humblet, Nadine Liétar, Marie-Jo Macors, Annick Martin,
Adélie Miguel, Patricia Reinbold, Florence Ronveaux, Anne-Françoise Santy, Fatima Shaban, Nicole
Vanenis, Huguette Wilmotte.
SOMMAIRE
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Féminisme, comment dire le juste et l’injuste ?
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-
Pour une éducation populaire féministe
QUELQUES RÉFLEXIONS PRÉALABLES
élaborées par le groupe de travail
Le féminisme n’est pas une lutte particulière, concernant seulement les femmes : les
questions posées à travers ce mouvement concernent les enfants, les hommes et les femmes
de notre temps, pris dans des rapports insatisfaisants ou violents. Historiquement, les
mouvements féministes ont véritablement inauguré une autre façon de voir l’engagement
ème
ème.
politique par rapport aux mouvements classiques du 19
siècle et du début du 20
Les
mouvements féministes ont commencé par être essentiellement revendicatifs mais très vite, ils
ont formulé des visions alternatives, refusant les discriminations de sexes, la séparation entre
expériences de vie et objectifs politiques, les clivages entre dimensions économique, culturelle,
politique.
Les inégalités et difficultés touchant les femmes sont en effet tout à fait révélatrices des
différentes aliénations et exploitations du monde contemporain ; de même les différents
courants du féminisme, les multiples luttes des femmes de par le monde sont emblématiques
des espérances portées par de nombreux humains.
Le féminisme est un combat de longue date, conquérant à partir de 1789 son statut de
lutte politique et démocratique, mais on peut le voir déjà à l’œuvre dans la résistance des
poétesses grecques de l’Antiquité. Plus globalement, le féminisme s’inscrit dans les luttes
sociales, car si on est homme ou femme biologiquement, on est surtout homme ou femme à
cause des rôles sociaux imposés, à travers une culture de la séparation et de la hiérarchisation
des sexes. Ces rôles dès lors peuvent être transformés. Le féminisme a ainsi partie liée avec
1
l’histoire de la citoyenneté .
Dans leur évolution récente, les luttes féministes ont contribué à modifier le regard sur les
mouvements sociaux qui prévalait avant 1975. L’égalité entre hommes et femmes, c’est à la
fois une question permanente présente dans tous les mouvements sociaux, question qui
traverse la famille, les communautés, le travail, l’économie, les cultures, l’écologie… En même
temps, le féminisme est un mouvement autonome qui a ses analyses, ses
pratiques. L’originalité du féminisme historiquement, c’est d’avoir valorisé un pluralisme
philosophique et politique, faisant de ce pluralisme la condition même du combat politique.
Les torts subis par les femmes représentent un véritable analyseur des dérives de l’ultra libéralisme contemporain et de la permanence d’un patriarcat dur et archaïque. Il s’agit donc
d’inventer des processus d’expression collective, symbolique et sociale qui relayent le fait que
le féminisme contemporain n’est pas qu’une lutte particulière. Il ne s’agit donc pas de parler des
femmes ou des hommes comme si c’étaient des « natures » profondément spécifiques, mais
bien de considérer que le regard des femmes sur les rapports économiques, sociaux et
Voir Majo Hansotte, LES INTELLIGENCES CITOYENNES. Comment se prend et s’invente la parole
collective, De Boeck Université, 2002, 229 p.
Féminisme, comment dire le juste et l’injuste ?
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Pour une éducation populaire féministe
culturels d’aujourd’hui peut faire surgir une vigilance critique et des fidélités nouvelles à l’égard
des principes démocratiques. En effet, autour de la condition féminine se jouent des
affrontements vitaux pour la survie des démocraties. Les rapports humains fondés sur la
violence, sur les hiérarchies ancestrales, sur la marchandisation du corps et
commercialisation des embryons représentent la face cachée de la mondialisation sauvage.
la
Faire du féminisme un mouvement universel et culturel (et non pas uniquement un
courant défensif et occidental) est un défi prometteur. Pourquoi ? Parce que la résistance aux
différentes violences et inégalités liées à la condition féminine nécessite un déconditionnement
idéologique et culturel, à travers la promotion de l’expression des femmes sous toutes ses
formes et dans tous ses registres. Un mouvement politique fort s’accompagne d’une dimension
symbolique forte grâce à laquelle le rapport que les citoyennes et citoyens entretiennent avec le
monde se modifie. Le féminisme peut et doit devenir plus encore que par le passé non
seulement un mouvement politique mais aussi un courant culturel proposant des registres
symboliques inédits en lien avec des formes de vie quotidienne, à travers un engagement dans
l’espace public susceptible de promouvoir un nouvel imaginaire.
Faire du féminisme un courant culturellement novateur est important également pour
sortir complètement d’une culture de la victimisation où s’égrènent longuement les malheurs
féminins, finissant par les banaliser.
UN CHEMINEMENT EN CINQ ÉTAPES
Le travail de notre groupe a permis d’identifier un cheminement progressif pour le
déploiement du féminisme dans les différentes dimensions de la vie collective. Certes, nous
nous inscrivons dans une histoire de plusieurs siècles de luttes et de conquêtes et il importe de
2
le rappeler. Le processus que nous avons construit peut être proposé comme un parcours de
référence au mouvement féminin mais aussi aux structures éducatives.
Ce cheminement est à la fois éducatif et actif et sa progression permet de rejoindre les
ème
exigences de l’éducation populaire et les enjeux de celle-ci au 21
siècle.
PREMIÈRE ÉTAPE : IDENTIFIER LES LIEUX DU CONFLIT
Ce qui constitue un mouvement socio-politique, c’est que des femmes et des hommes
identifient un affrontement, c’est-à-dire des ennemis ou des réalités à combattre, qu’ils se
donnent des finalités et des objectifs précis de transformations, se constituent en contrepouvoir, développent une culture inventive et une résistance critique, et identifient sur cette
base des alliances et des réseaux partenaires.
2
Voir Annexe 1, dans la ligne du temps du féminisme, les dates que nous retenons dans l’histoire comme
ayant marqué l’avancée du féminisme.
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Pour une éducation populaire féministe
Nommer les torts subis et leurs ancrages
Ce point de départ permet d’élaborer des espérances politiques. Les principaux torts
subis par les femmes - non pas en tant que classes sociales substantielles (la classe
« naturelle » des femmes par exemple) mais en tant qu’objets d’une série de violences ou de
ème
dominations propres à l’ultra-libéralisme et au patriarcat du 21
siècle –sont emblématiques
des luttes sociales à venir.
Notre groupe de travail a donc fait un premier tour de ces lieux emblématiques où le
féminisme peut avoir valeur de résistance et d’offensive créatives. « Les lieux conflictuels »
envisagés par le groupe ne sont pas nouveaux Il ne s’agit pas d’une révélation ; simplement, le
projet du groupe est de les articuler dans une perspective d’éducation populaire et d’en explorer
toutes les implications méthodologiques pour le féminisme d’aujourd’hui et de demain.
En partant des principaux lieux où les femmes subissent un tort, on voit apparaître
des régularités et des convergences qui touchent d’une part aux conditions matérielles
et économiques, c’est-à-dire à l’infrastructure des rapports sociaux, et d’autre part à la
dimension culturelle et symbolique, qui forge les mentalités, amenant à accepter un
ordre établi, à travers des catégories imposées.
UN PREMIER LIEU : LE CORPS
Nous avons relevé différents processus où le corps des femmes est à la fois marqué par
les rapports marchands et le mépris qu’ils portent à ce qui est humain, mais aussi par la
violence des rapports de domination sociale et/ ou économique et enfin par l’enfermement ou le
contrôle généré par les relations patriarcales. Le patriarcat est toujours à l’œuvre, y compris
dans le monde occidental, renforcé par la montée du religieux.
-
Relevons en désordre :
Les violences conjugales ;
- la prostitution et la traite des êtres humains ;
- le rapport à l’image et à la consommation à travers les pubs sexistes et l’utilisation du corps
-
des femmes dans les publicités ;
l’orientation des recherches scientifiques vers l’utilisation du corps de la femme en vue de la
procréation, enlevant aux femmes la maîtrise sur leur fécondité (bébés éprouvettes et
dépossession des embryons) ;
-
-
la violence patriarcale archaïque, y compris au cœur du monde occidental, à travers la
répudiation, les mutilations génitales, la lapidation, les mariages forcés, l’enfermement du
corps dans des vêtements le dissimulant (la burqa, le tchador) ;
la non-reconnaissance des témoignages de femmes victimes de viol vis-à-vis desquelles les
institutions et les acteurs fonctionnent d’abord sur un a priori de mensonge ou de soupçon.
Bien sûr, le corps de la femme en tant qu’objet de violence et en tant que marchandise
est depuis toujours au cœur de la domination subie. L’objectif ici est de relier cette dimension
du corps aux autres composantes des rapports de sexe en explorant des perspectives
nouvelles et créatives. Le projet est de développer à partir du corps non pas une plainte, ou une
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Pour une éducation populaire féministe
analyse sociologique, ou un constat, mais bien d’inventer une culture offensive enracinée dans
les ressources du corps. Autrement dit, il s’agit de sortir du constat ou de la lamentation pour
inventer une résistance joyeuse et une esthétique impertinente. L’enjeu n’est donc pas de
reproduire :
1. la plainte ancestrale ;
2. le moralisme judéo-chrétien ;
3. le sociologisme déterministe,
4. le biologisme déterministe.
Le corps ici est pris comme un espace novateur articulant le dedans et le dehors qui peut
susciter des démarches, des gestes, des pratiques refusant la maîtrise : la maîtrise des
rapports d’autorité mais aussi la maîtrise du langage rationnel. Ce sont donc toutes les
ressources du langage corporel proche et symbolique tout à la fois qui nous paraissent trop peu
déployées dans la tradition féministe. L’éducation populaire féministe, ce serait donc toutes les
démarches d’expression et d’invention à partir de la vie quotidienne qui inventent un au-delà
des codes imposés.
Repenser l’éducation populaire féministe autour du thème du corps est une manière de
privilégier l’expression et la résistance. Cette entrée se prête particulièrement bien à
l’internationalisation du féminisme parce qu’elle est concrète, symbolique et collective, qu’elle
peut avoir un impact sur les modes d’organisation du mouvement féministe.
En effet, privilégier le rapport au corps permet d’inventer des événements fédérateurs qui
ne jouent pas seulement sur le discours et l’argumentation mais bien plus sur la scénographie,
la rencontre, le mouvement, la liberté : liberté du dehors, pouvoir des femmes de sortir de chez
elles, de se montrer, de manifester au sens fort du terme.
Le thème du corps permet à la fois de manifester les deuils que subissent de
nombreuses femmes mais aussi d’inventer les fêtes que le corps en mouvement permet. Cette
approche concrète de la situation des femmes permet donc de déployer un travail d’éducation
populaire autour d’une expression à la fois humaine et politique dans deux directions : une
direction centrée sur le tort et la dénonciation (le corps en deuil) et une direction beaucoup plus
joyeuse, créative, expressive faisant du mouvement féministe un mouvement culturel au sens
fort du terme, inventant des langages et des référents dans une offensive positive et attractive
(le corps en fête).
LE CORPS EN DEUIL
Autour des violences faites au corps de femmes, violences symboliques et physiques,
peuvent circuler de nombreux récits. Cette entrée a été privilégiée notamment par Vie Féminine
lors de sa rencontre d’été 2003 proposant à ses animatrices une démarche de narration, à
partir de la consigne suivante : « un moment de ma vie au cours duquel mon corps ou le corps
d’une femme de mon entourage n’a pas été suffisamment respecté ». Les récits font apparaître
évidemment le statut d’objet de séduction et d’objet marchand du corps de la femme, mais
aussi le corps instrumentalisé dans des circuits hospitaliers, le corps enfermé dans des
vêtements à l’intérieur des murs et bien sûr le corps violenté. Les témoignages ont notamment
évoqué la femme machine lors de l’accouchement, la femme reproductrice et pondeuse, à
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Pour une éducation populaire féministe
travers des témoignages de pressions familiales subies par des jeunes femmes de chez nous
pour qu’elles « donnent des enfants à leur famille et belle-famille ».
Le corps en deuil, c’est aussi un ressort pour inventer des énonciations politiques fortes,
dénonçant les torts subis, non seulement par les femmes mais aussi par tous les humains et
dont le mouvement féminin se veut le fer de lance : par exemple le pacifisme et l’accueil des
réfugiés. Le corps en deuil peut donc donner lieu à une énonciation politique : « nous les
femmes en noir », par exemple, un collectif international qui se mobilise régulièrement et qui
invite tous ceux partageant son combat à porter ce nom, hommes ou femmes. Ceux qui
rejoignent les femmes en noir deviennent des femmes en noir.
LE CORPS EN FÊTE
L’autre facette du corps ouvre sur l’invention de langages, de démarches qui s’appuient
sur différentes traditions et inventent des événements joyeux. Ces événements sont novateurs
et ont une destination collective ; en même temps, ils sont subversifs et critiques, en cassant
des habitudes et des clivages. Citons à ce propos la revue théâtrale inventée par les Femmes
Prévoyantes Socialistes autour du thème « Stop modèle », transformant les instruments de
coquetterie en instruments de torture et dénonçant « la dictature de la taille 36 ». De même
autour de la Louvière des femmes chômeuses se sont données comme nom joyeux les
« parolesses » et elles inventent différentes interventions sur les marchés ou les places
publiques autour de stéréotypes (voir « Paroles citoyennes » ).
Dans le même ordre d’idée, on peut évoquer bien sûr les différentes parades altermondialistes. Donnons une place particulière à « la parade des lanternes » à Hotton en
Ardennes où des jeunes filles d’origine turque se sont retrouvées dans le cortège, aux côtés de
leurs frères, avec des déguisements extrêmement originaux et inventifs : bref dans une posture
d’égalité tout à fait nouvelle et dans une liberté de mouvements et de vêtements tout à fait
révolutionnaire eu égard à leurs habitudes culturelles.
Cet exemple montre bien la richesse du travail d’expression, de rencontre, d’inventions
scénographiques. Une telle entrée évite le piège de l’argumentation, de la conviction que l’on
veut imposer et qui souvent est bloquante, provoquant des réactions de méfiance. En revanche,
entrer par l’expérience culturelle et expressive sans discours « prêchi-prêcha » permet presque
naturellement que des femmes commencent à s’affranchir du patriarcat. Le corps en fête
résiste au patriarcat sans l’agresser de front.
Cette démarche ne se situe pas dans le registre de la libération individuelle et sexuelle
des femmes telle qu’on la connue en 1968. La déconstruction propose un registre politique plus
large, esthétique, symbolique, collectif. Ce qui est revendiqué à travers ces démarches, c’est le
droit à l’expression des femmes comme citoyennes, puisque inventant des événements
collectifs et y participant dans une liberté de gestes et de mouvements.
Une telle option permet que le féminisme ne soit plus réservé à une élite intellectuelle
mais qu’il se popularise. Il s’agit d’une dynamique articulant le dedans et le dehors : sortir de
l’espace privé et s’extérioriser par un choix libre d’attributs et de gestes.
Féminisme, comment dire le juste et l’injuste ?
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Pour une éducation populaire féministe
LE PIEGE DES LUTTES REDUITES
En effet se focaliser exclusivement sur l’intégration économique des femmes comme
levier de leur émancipation représente au plan international un piège. On constate en effet que
les pays à forte domination patriarcale envoient leurs femmes travailler pour être rentables et
les poussent à occuper la sphère économique, mais à une condition, c’est que cet espace de
production soit tout de suite relayé par l’espace privé. Bref, l’enfermement des femmes dans
l’espace privé n’est pas du tout corrigé par leur intégration sur le marché de l’emploi, puisque
est seulement autorisé leur va et vient entre la sphère du travail et la sphère familiale. L’on voit
notamment cette tendance à l’œuvre dans un pays comme l’Iran où les femmes contrôlées par
la religion et les hommes, voilées jusqu’aux yeux, occupent des fonctions économiques
pointues et variées.
Ce qui leur est refusé, c’est l’accès à l’espace public dans tous les sens du terme :
l’accès à l’espace public démocratique, à la libre expression de leurs désirs et de leurs projets,
l’accès aux espaces publics concrets, c’est-à-dire aux lieux de libre rencontre, de libre
association ou de libre loisir.
LE CORPS ET LE DEHORS
La conquête de l’espace public par les femmes à travers leurs droits de sortir
physiquement, de s’inventer des registres d’expression et d’action représente un levier pour le
mouvement culturel féminise international, dont l’enjeu est la conquête de l’espace public. Un
tel enjeu peut aussi s’appuyer sur une démarche plus argumentaire : par exemple, une plateforme revendicative comme celle proposée par le mouvement de la Marche mondiale des
femmes. En bout de course, c’est aussi une revendication économique, à savoir que les
femmes puissent s’approprier l’argent qu’elles gagnent et ne pas être de simples machines à
travailler. Ce qui est interrogé de manière inventive et expressive dans des dispositifs collectifs
toujours renouvelés, c’est le lien social, ce qui est refusé ou combattu, c’est le consumérisme,
le natalisme, le conservatisme social et la reproduction des hiérarchies entre sexes.
Il s’agit néanmoins d’inventer un mouvement beaucoup moins mental et discursif que
dans les années 70 et 80 : un mouvement plus symbolique et expressif touchant à des thèmes
qui ne sont pas exclusivement féminins comme l’alter - mondialisme, le pacifisme, l’avenir des
jeunes migrants, la double peine, etc.
L’option du corps et de l’invention symbolique permet aussi une articulation forte aux
pratiques artistiques, notamment à l’art contemporain, ou encore aux poètes et aux artistes de
toutes les cultures. C’est aussi contribuer à mettre sous le signe de la gaieté l’offensive
féminine.
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Pour une éducation populaire féministe
UN DEUXIÈME LIEU : LA PENSÉE
Le statut immobile et ancestral imposé à de nombreuses femmes est le fruit d’un
refoulement, repoussant « hors frontière » la pensée critique et divergente, pensée
indispensable au développement des démocraties.
Relevons en désordre :
-
le retour en force de la famille comme valeur unique et l’enfermement de la femme dans
celle-ci, courant de pensée particulièrement puissant aux Etats-Unis ;
-
la puissance des stéréotypes, y compris auprès des jeunes générations, qui empêchent
tant les filles que les garçons d’avoir des projets inédits en relation avec leurs désirs ;
-
la manière dont sont ridiculisées des femmes revendicatrices et contestatrices ;
la persistance d’un discours nataliste où pour être en ordre avec la société, une femme doit
-
avoir des enfants;
l’importance des mythologies médiatiques et télévisuelles (Star - Academy par exemple) où
-
filles et garçons mettent en spectacle des rapports tout à fait convenus ;
la pauvreté des modèles de vie inventifs et alternatifs qui pourraient proposer aux femmes
-
de tous les jours (et pas seulement aux intellectuelles) des scénarios ouverts et diversifiés ;
la vision dogmatique des rapports entre hommes et femmes véhiculée dans de nombreuses
-
communautés ethniques ;
l’invisibilité des codes dominants complètement intégrés dans les esprits et les pratiques à
travers les images, les médias, les modes, les habitudes.
UN TROISIÈME LIEU : LA REPRODUCTION SOCIALE
Qu’ils s’agisse des pays développés ou des pays en voie de développement, du Nord ou
du Sud, les mouvements féminins sont confrontés à des processus très profonds de
reproduction sociale. Les termes « reproduction sociale » sont à prendre dans le sens que leur
donne Bourdieu : les processus d’éducation, de formation et de production qui répètent un
ordre social existant, renforçant les positions acquises et maintenant les autres positions dans
un statut subalterne.
Relevons en désordre
-
la prédominance des rapports patriarcaux dans les activités sociales et économiques,
particulièrement dans les pays du sud ;
-
le petit nombre de femmes dans des postes à responsabilités, maintenant au sein même
des démocraties une hiérarchie implicite ;
-
la reproduction des rôles en matière de relations sentimentales entre hommes et femmes
(ou pour résumer « de jeunes hommes n’épousent pas des femmes mûres mais l’inverse est
vrai ») ; a contrario le silence entretenu à l’égard de nouvelles pratiques égalitaires
minoritaires telles que l’émergence d’hommes intéressés par la vie domestique /familiale ou
-
intéressés par les relations amoureuses/ affectives avec des femmes de tous âges ;
le manque d’encadrement des adolescents et adolescentes à l’école et ailleurs pour
favoriser leur compréhension et analyse des rapports sociaux de sexe.
NB : ce manque « d’éducation populaire » encourage la reconduction implicite des
évidences sexistes ;
Féminisme, comment dire le juste et l’injuste ?
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Pour une éducation populaire féministe
-
la difficulté de reconnaître légalement et politiquement un aspect collectif aux menaces
pesant sur les femmes: on individualise, on psychologise la violence conjugale, les
« tournantes », etc. Notamment le viol est présenté comme une conséquence presque
-
normale du psychisme masculin ce qui tend à le légitimer ;
la manière dont les réflexes de défense à l’égard des humiliations et vexations ne sont pas
suffisamment développés chez les filles dans l’éducation familiale et scolaire ; en ce compris
les réflexes de défense à l’égard des comportements humiliants ou vexatoires venant des
-
filles elles-mêmes ;
les inégalités salariales persistantes y compris dans les pays occidentaux après presque un
-
siècle de luttes à ce sujet ;
la spécialisation persistante des rôles en éducation entraînant le manque de prise en charge
collective des enfants : pauvreté des services publics insuffisamment organisés et
décentralisés comme les crèches, maisons pour enfants, … ;
-
le manque de visibilité voire même le déni obstiné dont fait l’objet l’Histoire des femmes
dans l’Histoire tout court : par exemple le mouvement ouvrier est étudié dans nos écoles
comme un mouvement important de transformation collective, mais le mouvement des
femmes qui dans les faits a eu une importance équivalente n’est jamais étudié dans nos
-
écoles ;
la désinformation à l’égard des conditions de vie concrètes des femmes: par exemple
l’énorme insuffisance statistique (à une époque qui ne jure que par la statistique) touchant à
la comparaison entre réussites professionnelles des filles et des garçons, accès des filles et
des garçons aux responsabilités politiques, économiques, sociales, juridiques, locales et
internationales, accès des filles et des garçons à l’instruction, à l’expression artistique et
-
esthétique, aux loisirs et à l’épanouissement physique et culturel ;
le rapport au patronyme et au nom de famille où dans de nombreux pays occidentaux, c’est
le nom du père et celui du mari qui identifie les femmes.
UN QUATRIÈME LIEU : LES LANGAGES SYMBOLIQUES
La manière dont les relations sociales et culturelles de sexe sont parlées à travers les
langues, les images, les médias et les codes est révélatrice des représentations implicites
véhiculées. Nos sociétés excellent en effet à banaliser ou à neutraliser l’injustice ou l’inégalité
que certains termes révèlent : tout un langage politiquement correct au nom d’un soi-disant
respect de la différence tend à occulter les fractures et les affrontements. Bref, il est de bon ton
de parler de « caractéristiques culturelles » plutôt que de « femmes dominées », de « différence
culturelle » plutôt que « d’aliénation intégriste », etc. Voilà pourquoi le féminisme paraît là aussi
être un courant analyseur de cette « novlangue » qui prône un statu quo de bon aloi et tend à
neutraliser tout ce qui fait faille, tout ce qui pourrait avoir une force de transformation collective.
Ce dernier axe est particulièrement important, car il touche aussi à la disqualification que
subissent une série de termes liés aux combats politiques et sociaux : par exemple, « éducation
populaire », « exploitation », « aliénation », « domination ».
Relevons en désordre :
-
la péjorativisation des termes féminins : exemple : entraîneur, entraîneuse, etc. ;
Féminisme, comment dire le juste et l’injuste ?
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Pour une éducation populaire féministe
-
la féminisation des noms de métier tournée en ridicule alors qu’elle a son importance pour
favoriser l’accès des filles à toutes les professions , par exemple : la fameuse polémique de
la cafetière ;
-
les plaisanteries variées évoquant l’idiotie des femmes , par exemple : les blagues sur les
blondes ;
-
les termes ironiques évoquant les aspirations féminines à l’émancipation , par exemple :
les pétroleuses ; les suffragettes, les brûleuses de soutien-gorge, les « mal -baisées ».
En particulier, notons qu’en matière d’images, un important travail est à faire qui permette
de comprendre la manière dont les médias relaient une certaine vision des rapports entre
hommes et femmes, la manière dont plus largement les nouvelles technologies de l’information
privilégient le rapport au masculin, dans leur choix de dispositifs : par exemple les jeux vidéo
« mâles et guerriers ».
Féminisme, comment dire le juste et l’injuste ?
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Pour une éducation populaire féministe
DEUXIÈME ÉTAPE : SE DONNER QUATRE INTELLIGENCES POUR AGIR
Pour inventer des formes d’actions et d’engagements, il est important d’identifier sur quoi
il faut mettre l’accent pour transformer ce qui est inacceptable et insatisfaisant au regard des
principes démocratiques d’égalité et de liberté. C’est en effet par rapport à ces principes
démocratiques que la situation actuelle des femmes est insatisfaisante. En dehors de cette
référence méta - sociale, les situations vécues ne peuvent pas être évaluées.
Les lieux emblématiques que le groupe a identifiés amènent donc à penser le
déploiement du féminisme autour de deux orientations importantes. La première orientation
concerne les relations concrètes entre humains : les rapports au corps et les pratiques de
reproduction sociale. La deuxième orientation touche aux visions du monde et aux
représentations : la normalisation des rapports entre hommes et femmes (la pensée unique) et
les langages ou images qu’elle véhicule. Voilà deux orientations fortes et complémentaires pour
le combat féministe : intervenir sur les rapports concrets (l’infrastructure des rapports sociaux)
et inventer des pratiques symboliques et culturelles pour modifier les mentalités.
Il s’agit de mener un travail de conscientisation, d’éducation et d’expression avec et par
les femmes. Tel est l’objectif traditionnellement ancré dans l’histoire de l’éducation populaire,
ème
laquelle s’est donné dès le 19
siècle la mission de transformer des acteurs soumis et affaiblis
individuellement en acteurs sociaux, collectivement organisés et offensifs, en leur donnant des
moyens d’analyse et aussi des moyens d’expression et d’action. A partir de là, quatre
perspectives de travail inspirées des « intelligences citoyennes » de Majo Hansotte ont été
valorisées par le groupe.
QUELLES SONT NOS RESSOURCES POUR AGIR ?
1.
La narration
La narration privilégie les témoignages proches de la vie quotidienne et le lien à l’Histoire
3
des femmes . La narration assure donc dans les processus d’éducation populaire le lien aux
formes de vie concrètes et à l’expérience. Elle favorise la transmission de l’Histoire des
femmes, de leur exploitation comme de leurs créations et inventions ; dans la sensibilisation
publique, la narration permet de promouvoir les témoignages, déclencheurs et éveilleurs d’un
combat à mener, et permet aussi d’inventer des fidélités aux événements.
Raconter et écouter des récits font partie d’une habitude humaine très ancienne,
grâce à laquelle l’exigence de Justice se transmet comme un héritage ou un bien
précieux. Le récit peut, en effet, témoigner de l’exigence de Justice.
3
Voir annexe 2, les récits des participantes
Féminisme, comment dire le juste et l’injuste ?
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Pour une éducation populaire féministe
Enfants, adolescentes ou adultes, nous pouvons écouter ou lire des témoignages
dans lesquels les « héroïnes » racontent les injustices qu’elles ont subies, les
combats qu’elles ont menés pour plus de Justice… Parce que nous sommes
nourries par ces récits, nous devenons plus attentives aux injustices et nous
renforçons nos exigences ou nos espérances pour l’avenir.
La réception d’un récit comprend trois temps : le récit nous aide à comprendre les
autres – une attitude éthique – à analyser ce qui s’est passé – une attitude critique –
à utiliser ce qui est raconté pour imaginer notre avenir à tous – une attitude
dynamique qui « potentialise » le récit, qui en fait un moteur pour nous engager
dans un projet, une action, une intervention, un nouveau récit, une œuvre nouvelle
en faveur du Juste.
2.
L’argumentation
L’argumentation touche au combat législatif proprement dit. L’intelligence argumentative
permet que les enjeux féministes puissent faire leur chemin dans la classe politique. Elle
contribue à ce que les différentes lois reposent bien sur une argumentation prenant le point de
vue des femmes en considération.
Si le débat et l’argumentation sont essentiels pour discerner le Juste de l’Injuste, ils le
sont à trois conditions :
•
Ne pas appliquer des règles de logique purement formelles et mécaniques parce
qu’elles ne prennent pas la réalité des rapports sociaux, y compris les rapports de sexe
•
en compte ;
Ne pas utiliser la force du raisonnement et de l’argument pour impressionner l’autre et
•
le faire taire ;
Ne pas être malhonnête ou peu sincère : le principe de débattre avec d’autres n’a alors
plus de sens.
Les femmes ont particulièrement à être vigilantes à l’égard de ces repères permettant
d’identifier que l’on est dans un vrai débat et non pas dans un jeu de langage rhétorique, inscrit
dans un rapport de force. C’est autour des quatre questions identifiées dans le tableau suivant
que s’évalue la qualité politique et éthique d’un débat.
Féminisme, comment dire le juste et l’injuste ?
- 13 -
Pour une éducation populaire féministe
Votre conviction
le rapport
au Juste :
Ce que vous
proposez, est-ce bien
seulement pour
certains humains ou
juste pour toutes et
tous ?
le rapport
au Sincère :
le rapport
au Vrai :
le rapport
au Droit :
Ce que vous croyez
Quels faits vous
Quelles lois ou règles
est-il à mettre en
relation avec les
permettent de dire
cela ?
peuvent vous servir de
références ?
situations vécues par
vous ?
Quelles lois ou règles
vous posent
difficulté ?
Travailler les textes démocratiques
Un autre axe important pour le mouvement féministe est d’interroger les textes fondateurs
du Droit international et des Constitutions européennes et nationales. On constate en effet
que la plupart des textes régissant le Droit et les Constitutions sont formulés à partir d’un
point de vue essentiellement masculin dans le contenu et dans la grammaire ; ce qui leur
donne une légitimité réduite. L’on songe en particulier à la révision de la Constitution belge
qui pourrait être l‘ occasion de repenser la manière avec laquelle le texte est formulé et
plus encore à la Constitution européenne où le point de vue féminin devrait être autant
garanti que le point de vue masculin.
3.
La déconstruction
La déconstruction représente une option relativement neuve pour le féminisme
contemporain : ce sont toutes les démarches créatives développées par les groupes de base
d’abord, projetées dans l’espace public ensuite, qui imposent de manière originale de nouvelles
questions, de nouvelles visions du monde. Dans des processus de base, la déconstruction
amène progressivement des femmes à interroger leurs rapports sociaux, leurs rapports
familiaux pour les remettre en question. Dans l’espace public, ce sont toutes les formes
d’interventions créatives qui déclenchent un autre regard, qui suscitent un étonnement ou un
basculement des opinions : comment introduire dans l’opinion un doute sur des évidences
acceptées comme telles ? Comment diffuser le soupçon sur les mots, sur la syntaxe, sur les
règles de vie admises ?
Féminisme, comment dire le juste et l’injuste ?
- 14 -
Pour une éducation populaire féministe
La vigilance critique c'
est résister aux discours d'
embrigadement ou aux
humiliations. La déconstruction, joyeuse ou silencieuse, n’est pas la dérision : ni
se moquer, ni inverser les choses. Elle cherche surtout à débusquer l’arbitraire
dans des règles ou codes, en les détricotant de façon inventive. Elle ne s’attaque
pas à des personnes privées, ce que la dérision peut faire. La déconstruction est
une attitude éthique de résistance.
4.
La prescription
Cette étape de la prescription est indispensable à l’émergence d’un mouvement social
complet. Comment faire en sorte que des prescriptions précises soient produites par le point de
vue féminin et porté par de nombreux acteurs ? Inventer des injonctions radicales non
négociables qui font avancer les rapports sociaux ces dernières années (« à travail égal,
salaire égal ! » ou bien « un enfant si je veux, quand je veux »).
Comment formuler ces exigences de Justice pour être entendues et ne pas rester
dans son coin ? De nombreux slogans célèbres sont construits de la façon
suivante : a) se situer : dire ce qu’on veut ici et maintenant;
b)se rebaptiser c’est-à-dire se donner un nouveau nom : « Nous, les
femmes en noir » ; Ce nouveau nom est un nom de combat qui permet d’être
rejointes par d’autres;
c) exiger un avenir juste : « Nous voulons nos enfants vivants ».
Féminisme, comment dire le juste et l’injuste ?
- 15 -
Pour une éducation populaire féministe
TROISIÈME ÉTAPE : EXPLORER TOUTES LES COMPOSANTES DU
MOUVEMENT
Nous constatons que l’argumentation a été très privilégiée dans l’histoire du
féminisme, ce qui en fait un courant rationnel et légaliste, même si de nombreuses
formes d’expression sont sorties de ce cadre.
1) Définir l’exigence féministe
Il est important pour le déploiement du féminisme que des exigences radicales de
changement soient identifiées, explorées, partagées et comprises par un maximum de femmes.
Qu’est-ce que le féminisme ?
Une urgence, une survie ?
Un projet de société, un projet politique, une utopie ? Comme mouvement social, où se
situe-t-il sur l’échiquier politique ?
Le féminisme est-il un courant culturel, joyeux, festif, désobéissant, se rendant visible,
faisant la nique, interrogeant les mots et les langages imposés ?
Le féminisme est-il un mouvement de réflexion sur les rapports dominés /dominants en
faisant surgir un point de vue « en plus », une analyse nouvelle ?
Pour donner au féminisme un statut visible de mouvement social et ne pas le maintenir
dans une lutte particulière, il est important qu’il se déploie dans trois sphères de la vie
collective : l’action des groupes de base proches et quotidiens, les interventions mobilisatrices
dans l’espace public et médiatique, le travail législatif et la stabilisation des conquêtes au
niveau des États, envisageant le suivi de l’application des lois dans la vie quotidienne.
Ce travail est épuisant, car de très nombreuses pratiques restent en désaccord avec la
loi. Il s’agit là de trois sphères différentes pour une action politique. Ces trois sphères sont
complémentaires, mais renvoient à des démarches, à des attitudes, à des ressources et à des
modes d’actions fondamentalement différents.
Les trois composantes du développement féministe sont respectivement : le travail
quotidien et local avec des groupes de base, la sensibilisation et la mobilisation de la société
civile, l’offensive juridico-politique à l’égard des Etats et de leurs différents niveaux de pouvoirs.
C’est à l’articulation de ces trois sphères que l’on peut évaluer l’amplitude d’un
mouvement social et sa portée. On peut donc considérer qu’un processus d’éducation populaire
« féministe » est complet lorsque pour différentes actrices ont été mis en place et identifiés trois
registres de l’action collective et trois cibles différentes de cette action. Il serait donc
indispensable que les différentes organisations féministes se situent par rapport à ces trois
Féminisme, comment dire le juste et l’injuste ?
- 16 -
Pour une éducation populaire féministe
sphères, identifient ce qu’elles développent plus spécifiquement comme initiatives liées aux
trois sphères.
Bien sûr, les trois composantes n’obéissent pas à un ordre strictement chronologique,
mais peuvent être menées de manière interactive en clarifiant pour les groupements féministes
les pôles d’actions à développer et les synergies entre ces pôles d’actions, en créant sur cette
base des pactes entre associations pour assurer à l’ensemble une force et un cohérence
locales et mondiales : ces sphères n’incarnent en rien une hiérarchie dans l’action.
Une manière de repenser le féminisme contemporain est donc d’articuler, dans la
réflexion mais aussi dans les pratiques, ces trois niveaux d’action et d’intervention
profondément complémentaires et indispensables. Cette articulation est celle que prône
l’éducation populaire : une culture de l’action collective où chacun-e apprend de l’autre à partir
de l’expérience, pour développer des savoirs et des actions.
Il s’agirait donc pour le mouvement féministe d’identifier différents niveaux d’intervention
et donc différentes méthodes pour pouvoir créer des synergies et des liens forts. Le réseau est
en conséquence un moyen d’action parmi d’autres pour autant qu’il soit bien situé dans des
objectifs et par rapport à des logiques d’action.
Il nous semble dès lors important de promouvoir les approches déconstructive et
narrative pour articuler trois sphères d’action : groupes de base, espace public et travail
législatif. C’est ainsi que nous pourrons favoriser l’expression culturelle et politique du
féminisme.
Féminisme, comment dire le juste et l’injuste ?
- 17 -
Pour une éducation populaire féministe
2) Déployer le féminisme en mouvement culturel et politique
Un enjeu important pour le féminisme est d’élargir les modalités de la société civile
organisée. Qu’entend-on par société civile organisée ? Il s’agit de toutes les modalités
d’intervention imaginées par les citoyennes et les citoyens pour aborder la question du
changement, proposer d’autres logiques sociales. Cette société civile tend à s’organiser petit à
petit sur le plan mondial à travers des initiatives comme la marche mondiale des femmes ou les
forums sociaux.
Le sens donné à « société civile » ici n’est donc pas à confondre avec le corporatisme ou
l’enfermement des citoyens dans leurs préoccupations ou touchant strictement à leur
environnement immédiat. La société civile organisée, ce sont tous les processus par lesquels
des gens s’engagent en faveur de l’intérêt général et du bien commun, ce qui nécessite des
méthodes, des lieux, des démarches d’informations.
On considère cette société civile organisée comme une des trois composantes d’une
société moderne : les Etats, le Marché et la société civile. De nos jours, en effet, les citoyennes
et les citoyens sont nécessairement confrontés à une pluralité d’États dont certains en voie de
fédération et voient leur sort arbitré notamment par des États au pluriel dont il ne font pas
partie. Voilà pourquoi on parlera des Etats comme partenaires des mouvements sociaux et de
la société civile plutôt que d’un Etat.
Un processus complet d’engagement féministe devrait donc impliquer les niveaux
d’intervention suivants :
1.
la conscientisation des femmes là où elles sont et leur accès à l’expression en lien avec
leur vie quotidienne ;
2.
3.
la mobilisation publique et la sensibilisation médiatique ;
le combat législatif et parlementaire.
Ces différents repères représentent trois phases de l’action sociale et culturelle du
féminisme, à travers trois « figures » de militantes : les animatrices travaillent avec des
groupes de base pour mener des démarches de conscientisation, d’expression, d’échanges de
pratiques quotidiennes ; les « déclencheuses « qui savent forger des mots d’ordre, mobiliser
des combats, rendre visibles les exigences, trouver des performances symboliques et enfin les
élues qui ont reçu des autres le mandat de transformer les rapports insatisfaisants à travers la
modification du droit. Dans les colonnes qui vont suivre, ces trois composantes de l’action
collective sont formalisées de façon structurelle.
Féminisme, comment dire le juste et l’injuste ?
- 18 -
Pour une éducation populaire féministe
Les groupes de base
La société civile
Les États
Conscientisations et accès à
Sensibilisation ou mobilisation
Combats législatifs et
l’expression en lien avec la vie
quotidienne
publiques et médiatiques
conquêtes politiques
Ce travail de conscientisation, ce
Cette sensibilisation publique, ce
Cette troisième dimension d’un
sont toutes les démarches par
lesquelles des femmes
sont toutes les manifestations
fortes d’un refus et d’une
mouvement socio-politique
concerne le rapport de la société
rencontrant d’autres femmes et
d’autres hommes expriment et
exigence. Les registres sont
multiples ; par exemple : La
civile avec les Etats de droit : la
manière dont un mouvement
analysent les rapports
insatisfaisants qui les enferment
Marche mondiale des femmes,
les femmes en noir, ou encore
pèse sur la formalisation des
textes de lois, des normes
ou inventent d’autres rapports.
Les groupes de base sont des
« lles mères de la place de Mai»
etc… On peut comparer cet axe
publiques. Cet axe de travail
jusqu’à présent a été bien
groupes locaux qui se rencontrent
régulièrement et qui partent des
questions : Qu’est-ce que l’on
veut changer ? Qu’est-ce que
de travail à des processus de
déclenchement : les
« déclencheuses » dans
développé chez nous par les
associations féministes, faisant
l’on veut exprimer ?
Les groupes de base sont
appuyés par des « animatrices »
l’espace public sont
indispensables pour faire
apparaître de manière percutante
proposant des méthodologies,
les inégalités et les injustices,
faire surgir de mille et une façons
pour comprendre, s’exprimer,
agir…
« le choc du doute ou de la
révolte ».
du féminisme un courant
légaliste, valorisant le travail des
élues.
Et, suivis vigilants pour contrôle de l’application des conquêtes législatives.
Trois figures complémentaires pour un agir politique : les animatrices, les
« déclencheuses, » les élues. Ces trois figures pouvant être assumées à des moments
différents par chacune d’entre nous.
Comment le féminisme peut-il se donner des méthodes et des processus d’éducation
populaire en amont et au-delà du combat juridique et parlementaire ? Comment investir
aussi le champ culturel et l’espace public ?
Féminisme, comment dire le juste et l’injuste ?
- 19 -
Pour une éducation populaire féministe
QUATRIÈME ÉTAPE : EXPLORER L’INVENTION DÉCONSTRUCTIVE
L’intelligence déconstructive apparaît comme prioritaire à explorer pour inventer des
pratiques d’éducation populaire dans une perspective d’émancipation des femmes : favoriser la
transformation du mouvement féministe trop rationnel et trop légaliste (privilégiant
l’argumentation) en un mouvement culturel riche, ancré dans les pratiques de vie et suscitant
un imaginaire fort, des utopies variées. On constate, en effet, une timidité très grande des
féministes à l’égard de la subversion créative, de l’invention utopique, de l’intervention et de la
performance esthétique - politique, bref une timidité à l’égard des registres inventifs multiples de
la résistance.
1) Une culture du doute démocratique
Un des premiers objectifs de l’intelligence déconstructive est d’asseoir une culture du
doute démocratique. Ce doute démocratique est une attitude tout à fait indispensable pour
garantir le développement correct des démocraties. On constate cependant qu’à l’origine de la
pensée des lumières, cette condition indispensable de l’exercice démocratique s’est trouvée
déniée ou réduite par la toute puissance du positivisme et des sciences dites exactes, et par
des pratiques idéologiques d’endoctrinement centrées sur l’affirmation plutôt que sur le doute et
la question. Un bon exemple de cette faillite tragique de la culture du doute est incarnée par
une partie de la société américaine contemporaine où cette culture du doute semble inexistante
.
A cet égard, le féminisme a un rôle tout à fait central et incontournable à jouer dans les
années à venir, car comme le mouvement gay ou comme le mouvement d’émancipation des
noirs, le mouvement féministe est particulièrement sensible aux clivages artificiels imposés
entre les humains et aux dégâts qui en résultent.
Plus largement, la tradition des pratiques sociales des femmes est faite de distance et de
petites résistances à l’égard du machisme et de l’autorité abusive . Les femmes sont donc
porteuses d’un capital symbolique riche en matière de distance critique, et donc porteuses
d’une ressource indispensable aux démocraties contemporaines.
Ce qui rend le doute et le questionnement, la capacité d’autocritique et d’autodérision à
l’égard de soi-même indispensables et salutaires, c’est la condition post-moderne où se
juxtaposent des références hétéroclites au sein d’un même espace, d’un même discours, d’un
même métier, d’un même collectif, d’un même lieu, d’un même projet. Face à cela, le
questionnement et le doute permettent de construire ou de reconstruire un projet commun ainsi
que la capacité d’interroger systématiquement toutes les informations et toutes les catégories
en cours.
Féminisme, comment dire le juste et l’injuste ?
- 20 -
Pour une éducation populaire féministe
2) Pratiquer l’impertinence culturelle et la résistance
Cette approche est différente de l’approche narrative, mais elle représente aujourd’hui un
axe clé touchant à nos rapports aux médias et au symbolique. C’est une impertinence culturelle
qu’il faut pouvoir développer en préservant le droit au plaisir et en privilégiant l’accès à l’espace
public. Comment le mouvement féministe peut-il valoriser les différentes ressources culturelles
existantes pour développer des stratégies joyeuses de détournement, de questionnement, de
doute ? Comment peut-il à travers mille et une formes de créativité, encouragées pour toutes
quelles que soient leurs origines, développer une culture de la pensée critique en lien avec les
principes démocratiques ?
Le principe d’impertinence représente une dimension centrale dans un travail d’éducation
populaire. Qu’entendre par impertinence ? Ce sont toutes les modalités créatives par lesquelles
un groupe se « paie le luxe » d’interroger les rôles sociaux, les rapports amoureux, les rapports
familiaux, les rapports de travail, pour débusquer ce que ces différents rapports ont d’arbitraire
et d’injuste. Ce sont aussi toutes les modalités symboliques par lesquelles un groupe se « paie
le luxe » d’imaginer une manière totalement différente de vive et d’avoir du bonheur. A cet
égard, on peut constater que les discours trop rationnels et trop verbaux passent moins bien
que les réalisations symboliques.
L’impertinence correspond à un mouvement de « dissémination » : comme si on soufflait
sur les références traditionnelles pour les jeter à tous vents et les mélanger. La question
principale est : comment se débloquer, comment oser ? L’impertinence, c’est ce qui prépare
l’audace de la vie et le passage à l’action. C’est un moment très important dans la
conscientisation politique, moment qui passe par l’invention de pratiques culturelles mélangées
et métissées pour « détricoter » les classifications acquises.
DES IDÉES D’ACTIONS
Imaginer des démarches et inventer des outils pédagogiques attractifs pour apprendre
dès la petite enfance le doute et le questionnement par rapport à l’image et aux technologies de
l’information est essentiel.
Quelques petites idées : donner davantage d’extension aux slogans de la
Meute : sur des publicités ambiguës ou sexistes, coller des slogans « Non
merci, je n’achète pas ». Autre idée, face à des publicités de cosmétiques,
coller la phrase « Est-ce vraiment cela qui compte ? ».
Autre exemple encore, distribuer un autocollant qui proclame : « ça ne te
pose aucune question, pourquoi ? ».
Féminisme, comment dire le juste et l’injuste ?
- 21 -
Pour une éducation populaire féministe
3) Une culture de l’impertinence créative
Ce deuxième axe de l’intelligence déconstructive peut être particulièrement enrichi par
toutes les formes symboliques d’investissement de l’espace public. C’est inventer des
événements rituels, en valorisant notamment les événements folkloriques rituels ou sociaux que
nous héritons de l’Histoire.
DES IDÉES D’ACTIONS
Un premier exemple pour mener ce travail est l’alter - parade qui a lieu
notamment à Liège, dénonçant plus largement les méfaits de la mondialisation
marchande : le corps est un lieu convergent de toutes les formes d’exploitation.
Une idée parmi d’autres, un char intitulé « arrête ton char Julot ». Ce char
comporte une très grande poupée gonflable. Des infirmières proposent aux
patients des petites pilules pour devenir immédiatement une femme-objet comme
la poupée gonflable ou un homme objet partenaire de la poupée gonflable. Celles
et ceux qui ne veulent pas ces pilules signent une charte avec deux devises en
tête :
« mal baisée », jamais ne dirai ;
me moquer des blondes, jamais ne ferai.
Le principe de la déconstruction est de provoquer un malaise ou une surprise et pour
avoir de l’effet, le geste doit se répéter.
Un deuxième exemple concerne la parade des lanternes qui s’est déroulée en
2002 dans le village de Hotton dans la province de Luxembourg. Des jeunes filles
d’origine turque se sont engagées dans cette parade aux côtés de leurs frères en
portant des vêtements fantasques, en participant à l’événement de façon libre,
montrant qu’une approche davantage reliée à l’expression et aux événements
fédérateurs est plus efficace qu’une approche trop bavarde et trop rationnelle.
Une autre idée de déconstruction : la recherche d’héroïnes inscrites dans
l’Histoire qui peuvent nous servir de repères. Cette piste peut être exploitée de
manière narrative (voir plus loin) mais peut aussi être traitée sur le thème
déconstructif de la « disparition ». Dans cette perspective, on peut imaginer tout
un processus de sensibilisation de l’opinion publique et des jeunes autour de
« Louise Michel, avis de recherche » :
1.
réaliser de nombreuse affiches sous forme d’avis de recherche inspirées de
2.
Child Focus, avec le portrait de Louise Michel: disparue depuis…
coller largement dans les villes ces affiches ;
3.
organiser un meeting sur une place publique avec des pancartes reprenant
l’avis de recherche ;
4.
sur cette même place, simuler une émission « Appel à témoin, RTBF » :
« Louise Michel a disparu depuis le… Elle allait à un rendez-vous au
Féminisme, comment dire le juste et l’injuste ?
- 22 -
Pour une éducation populaire féministe
ministère de l’Education pour négocier l’intégration dans les programmes
scolaires de l‘ Histoire des femmes et du féminisme. Différents témoins
racontent les étapes de la vie de Louise Michel et constatent que non
seulement elle a « disparu » physiquement, mais aussi qu’elle n’apparaît
pas dans les « manuels scolaires ».
Un autre exemple de performance déconstructive autour des médias : organiser
une journée d’informations fantaisistes où les journaux écrits, parlés et télévisés
éviteraient de prononcer le mot « femme » et toutes les qualifications féminines
4) Une pratique de l’utopie féministe
L’effet de l’utopie est comparable à celui d’un voyage : après s’être promenées ailleurs,
on en revient stimulées. Le propre de l’utopie est qu’elle n’a pas à se réaliser mais qu’elle
propose un imaginaire alternatif inventant des souhaitables qui servent de moteur. Le propre de
l’utopie est d’imaginer une société idéale à partir de principes que l’on défend. Diffuser ou
même disséminer un peu partout un courant d’utopie féministe permettrait de favoriser un autre
imaginaire et d’autres désirs Le propre de ces utopies féminines seraient évidemment de
postuler l’égalité entre hommes et femmes, d’inventer des modalités d’organisation sociale en
cohérence avec ce principe et de travailler dans la jubilation .
Ainsi les utopies éducatives pourraient être multipliées, suscitant étonnement et
perplexité : imaginer une école où les jouets guerriers sont mis dans une pièce
noire et fermée, dans laquelle l’on ne peut se rendre qu’un à la fois. A l’inverse, les
jeux coopératifs sont mis dans une salle claire, fréquentée tous les jours par les
enfants. Dans cette même école , il y a des grands-mères qui racontent l’histoire
des femmes et l’histoire des enfants. Dans l’évaluation , il y a des rubriques
comme « esprit critique, sens de la coopération ». Dans cette même école de
demain, on brouille les savoirs traditionnels : par exemple, les filles donnent les
cours d’informatique et de technologie et les garçons des cours de couture ou de
cuisine.
Féminisme, comment dire le juste et l’injuste ?
- 23 -
Pour une éducation populaire féministe
CINQUIEME ÉTAPE : EXPLORER L’INTELLIGENCE NARRATIVE
Encourager toutes les formes de narrations réalistes ou poétiques représente un enjeu
considérable dans le devenir du mouvement féministe à condition d’encourager ce rapport au
récit et à la narration sous l’angle d’un pacte. En effet, faire de la narration un pacte, c’est
refuser la consommation passive des témoignages immédiats, spectaculaires. Le « pacte »,
c’est un rapport d’implication réciproque entre femmes, entre hommes et femmes où chacun(e)
s’engage à respecter ce qui lui est narré et à faire quelque chose de ce qu’on lui raconte.
L’enjeu de l’intelligence narrative, c’est une fidélité collective à ce qui est raconté. L’intérêt de
l’intelligence narrative, c’est aussi d’être proche des formes de vie quotidienne, des registres de
paroles non élitistes et non techniques ; c’est aussi de pouvoir accueillir toutes les cultures et
toutes les sensibilités .
Faire l’Histoire et transmettre l’Histoire
Il serait important en matière d’éducation populaire de sortir du dilemme entre la
prétention universelle à détenir la vérité démocratique et le relativisme culturel acceptant
passivement la cohabitation avec des cultures dominatrices pour les femmes. L’objectif : créer
des lieux et des démarches où l’on puisse raconter des insatisfactions de femmes de toutes
origines, mais aussi des victoires et des conquêtes obtenues par des femmes. Par exemple, on
constate que peu de moyens sont mis en œuvre pour que les femmes musulmanes, regrettant
pour elles-mêmes ou pour leurs filles le port de voile, puissent s’exprimer. Seules s’expriment
les femmes qui défendent cette pratique sans pour autant disposer des moyens d’analyse
permettant de situer cette obligation dans des rapports hiérarchiques religieux, sociaux et
familiaux. En particulier ne sont pas abordées les questions que cette pratique culturelle peut
faire surgir comme toute pratique culturelle d’ailleurs : d’où vient ce port du voile ? A quelles
visions des rapports humains correspond-il ? Qui détient l’autorité dans cette pratique ? Est-il
stratégique de porter le voile pour pouvoir gagner sa liberté sur d’autres terrains ?
En termes de transmission historique, relevons aussi qu’il existe peu d’ouvrages, de
lieux, de films, de pièces transmettant l’Histoire des femmes dans une perspective collective.
Ce serait là un axe de travail tout à fait important à développer pour les différentes
organisations de femmes : mélanger les « historicités », faire se rencontrer l’histoire des
femmes ouvrières en Europe occidentale, l’histoire des femmes du Maghreb, l’histoire des
femmes d’Afrique ou d’Asie.
Un exemple de fidélité à relancer : la conquête de la contraception. Parce que des
femmes ne racontent plus suffisamment ce que cette conquête a représenté et quelle victoire
magnifique elle a été, la vigilance s’émousse et on voit notamment l’État réduire
progressivement le soutien aux contraceptifs dans sa politique de santé.
Dans le rapport aux États, la narration permet que des témoignages nourrissent le
travail législatif et suscitent la mobilisation des parlementaires.
Féminisme, comment dire le juste et l’injuste ?
- 24 -
Pour une éducation populaire féministe
DES IDÉES D’ACTIONS
Nous avons exploré le pacte narratif sous un autre angle : chacune a réalisé un petit
texte se remémorant un moment particulier : « la première fois où je me suis impliquée
dans un combat ou un refus» . Les différentes étapes de ce pacte narratif ont abouti à
partager pour les unes et pour les autres ce qui a été déclencheur dans l’engagement de
la personne et à travers ce moment déclencheur, quelle espérance pour le Je (la
narratrice), pour le Nous (notre groupe) et pour le Nous Toutes : autrement dit, les
perspectives de transformation personnelles et collectives présentes à travers ce récit.
Dans un deuxième temps, le groupe a partagé tous ces récits et les a utilisés pour
dégager les conditions pratiques de l’engagement: quels sont les rapports de force et
quelles sont les coopérations qui ont transformé ces rapports de force ? Comment être
fidèles à ces récits en termes d’actions collectives ? Comment imaginer des démarches
qui prolongent les espérances de ces récits ?
Un exemple de cette valorisation de la narration peut être évoqué à travers
l’initiative mise sur pied dans le Beaujolais, à Villefranche-sur-Saône, intitulée
« Un week-end chez l’autre ». Ce projet a rassemblé 7 femmes de générations
différentes issues de l’immigration marocaine, de 75 ans à 26 ans environ :
Sabah Bouquelifi ; Atika Bouriah ; Kenza Elamraoui ; Fahima Kourtel ; Essia
Joncoux ; Emine Unex ; Zineb Zouzou Saïdouni. Ces femmes souhaitaient
transmettre aux générations montantes un certain nombre de richesses
symboliques et culturelles refoulées par l’immigration. Le projet a consisté à
mobiliser 6 écrivains français de renom et une photographe qui ont chacun été
reçus dans la famille des différentes femmes pour passer un week-end :Sylvie
Chausse ; Jean Yves Loude ; Daniel Pelligra ; Thierry Renard ; Annie Salager ;
Joël Vernet , Laurence Verrier. En échange, ces 7 artistes ont chacun invité leur
« partenaire » marocaine chez eux, pour un week-end. Au cours de ces deux
week-ends, chaque femme et son partenaire ont produit en collaboration une
courte nouvelle et dans un cas, un récit photographique ; dans toutes ces
réalisations, l’essentiel du message des femmes était présent. Ces 7
réalisations, plus ou moins réalistes ou totalement imaginaires selon les goûts,
ont été rassemblées dans un très beau livre intitulé « Un week-end chez
l’autre ». A l’occasion de la sortie du livre, les femmes et leurs partenaires
littéraires ont participé à des émissions de la radio locale pour présenter
l’ouvrage, ont organisé des séances -ateliers en lien avec des bibliothèques de
la région pour la diffusion de l’ouvrage. Est envisagée une caravane au Maroc
pour présenter l’ouvrage, en entourant cette présentation d’interventions
symboliques (danses, vêtements, photos, …) : Un Week-end chez l’autre , La
passe du vent, 2003.
Autres démarches narratives :
-
mettre
sur
Internet
des
-
victimisation) ;
organiser une Nuit d’écriture femmes,
Féminisme, comment dire le juste et l’injuste ?
histoires
- 25 -
positives
(résiliance
plutôt
que
Pour une éducation populaire féministe
-
En région rurale, aller chercher en cascade des récits de femmes (chacune
devenant chercheuse de récit à son tour puis mise en commun) ;
-
Réaliser des CV alternatifs (insérer expériences personnelles positives) ;
Créer une comédie musicale avec l’ histoire d’un groupe de femmes ;
-
Faire circuler l’histoire de la diffusion « Les Monologues du vagin » encore
en construction ;
-
« Ni putes ni soumises » : relayer ce collectif de jeunes filles, faire
événement …
A SUIVRE …..
Féminisme, comment dire le juste et l’injuste ?
- 26 -
Pour une éducation populaire féministe
Annexe 1 : Ligne du temps du féminime
Nous nous inscrivons dans une histoire… en voici quelques éléments partiaux et partiels à
garder en mémoire.
1 - Quelques personnalités marquantes dans l'
histoire du féminisme
Sappho (7ème siècle av. J.-C)
Sappho naquit et vécut dans l'
île de Lesbos. Son mari mourut jeune : elle resta veuve avec une
jeune fille et se dévoua dès lors à la poésie ; elle appela autour d'
elle plusieurs femmes
illustres; elle en fit ses élèves et ses compagnes; elle les aima avec la passion d'
une âme
élevée et sensible. Dans ses poésies, elle leur exprima sa tendresse avec toute la violence du
plus tendre amour.
Christine de Pisan (1364-1431)
Une des premières femmes de lettres ayant vécu de sa plume. À la cour de Charles VI, elle est
la protégée d'
Isabeau de Bavière. Son œuvre abondante et variée lui assure une certaine
notoriété : œuvres savantes, ouvrages didactiques édifiants et politiques, en prose ou en vers,
et textes lyriques dans tous les genres à la mode. Elle est restée célèbre pour avoir défendu,
avec beaucoup d'
ardeur, la cause des femmes.
Louise Labé (1524-1566)
Femme de lettres qui parvient à publier de son vivant un recueil qui contient un texte en prose :
" le Débat de folie et d'
amour ", trois élégies, vingt-quatre sonnets. Elle a appris le latin, l'
italien,
quelques rudiments de grec, la musique (on l'
appellera " La dame au luth "), mais aussi tous les
arts des armes traditionnellement réservé aux hommes. Une femme rebelle déclarant qu'
elle
voulait voir les femmes : "non en beauté seulement, mais en science et vertu passer ou égaler
les hommes".
Olympe de Gouge (1748-1793)
Rédactrice de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne en 1791, où elle proposa
l'
égalité des femmes, et souligne leurs droits à la propriété, à la sûreté, et à la résistance à
l'
oppression. Elle soutint aussi les droits des femmes non-mariées, la liberté d'
expression, et les
droits des citoyennes à participer à la politique aussi bien que les hommes. Elle fut aussi femme
de lettres mais fut exécutée en 1793 pour son combat pour l'
égalité.
Terwagne de Méricourt (1762-1817)
Venue de la région Liège prêter main forte aux révolutionnaires, elle prononce en 1792 un
discours à la Société des Minimes de Paris, pour inciter les femmes à organiser une corps
d'
armée. "Brisons nos fers, il est temps que les femmes sortent de leur honteuse nullité, où
l'
ignorance, l'
orgueil et l'
injustice des hommes les tiennent asservies depuis longtemps."
Héroïne révolutionnaire, elle fut surnommée l'
Amazone de la Liberté
Flora Tristan (1803-1844)
Fille illégitime d'
une Française pauvre et d'
un riche Péruvien. Elle épousa le lithographe chez
qui elle travaillait comme ouvrière et elle en eut trois enfants. Elle dut fuir la brutalité de son
mari qui l'
avait blessée d'
un coup de pistolet et qui avait enlevé sa fille. Ses déboires familiaux
ne l'
empêchèrent pas de lutter, à partir de son expérience personnelle, pour défendre la cause
Féminisme, comment dire le juste et l’injuste ?
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Pour une éducation populaire féministe
des "parias" comme elle. Elle appela les femmes et les travailleurs à s'
unir au-delà des
frontières et des métiers (et ce plus de vingt ans avant Karl Marx!)
Louise Michel (1830-1905)
Signe avec 37 autres femmes un manifeste Le Droit des femmes en 1868.
Pendant la Commune, elle fait parie des plus révolutionnaires et elle anime le Club de la
révolution, tout en se montrant très préoccupée de questions d’éducation et de pédagogie. De
1890 à 1895, Louise Michel est à Londres, où elle gère une école libertaire. Anarchiste, elle
s'
est engagée dans les combats anti-esclavagistes, féministes et syndicaux.
Clara Zetkin
Révolutionnaire allemande, elle fait décider en 1910 par le Congrès international des femmes
socialistes d'
organiser chaque année une journée internationale des femmes, le 8 mars.
Virginia Woolf
Auteure, notamment d'
Une chambre à soi en 1929. Pour elle, il ne suffit pas à une femme qui
veut écrire de reconnaître dans sa mémoire un héritage spécifiquement féminin, maternel, il lui
faut encore inventer une généalogie nouvelle d’artistes femmes, une histoire culturelle féminine,
un précédent non plus seulement familial mais social.
Simone de Beauvoir
Auteure, notamment, du Deuxième sexe en 1949, où la construction sociale du supposé
déterminisme naturel est mise en avant : "on ne naît pas femme, on le devient".
2- Des faits marquants en Belgique 4
1847 : Zoë Gatti de Gamond devient la première inspectrice des écoles maternelles, primaires
et normales pour filles.
1880 : L’Université Libre de Bruxelles s’ouvre aux femmes, suivie par l’Université de Liège en
1881 et par celle de Gand en 1882.
1892 : création de la ligue du droit des femmes par Marie Popelin, docteure en droit et Louis
Franck, avocat.
1929 : Lucie Dejardin, première femme élue à la Chambre (en 1921, Marie Spaak-Janson était
entrée au Sénat mais par cooptation)
1948 : droit de vote des femmes aux élections législatives
1962 : ouverture du premier centre de planning familial en Belgique francophone, "la Famille
heureuse"
1966 : grève de 3 mois des 3000 ouvrières de la FN-Herstal « à travail égal, salaire égal »
1967 : la FGTB publie la Charte des droits de la femme au travail
1968 : la CSC publie le Statut de la travailleuse
Pas à pas, l'
histoire de l'
émancipation de la femme en Belgique, Publication du Ministère de l'
Emploi, Egalité des
Chances , 1991.
Moi les féministes j’ai rien contre, Poupette Choque et Claudine Drion, Ed. Luc Pire et le Monde selon les femmes,
2004.
Féminisme, comment dire le juste et l’injuste ?
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Pour une éducation populaire féministe
1972 : 11 novembre, première journée nationale des femmes (au Passage 44 à Bruxelles avec
Simone de Beauvoir)
1973 : autorisation de la vente de la pilule contraceptive
1978 : ouverture du Refuge pour femmes battues de Liège et de La Louvière, et quelques mois
après, de celui de Bruxelles.
1981,82, 83, 84 : "femmes contre la crise", des milliers de femmes dans les rues pour protester
contre les mesures d'
austérité qui frappent surtout les femmes : la suppression du complément
chômage pour les travailleurs-euses à temps partiel involontaire, le statut de cohabitant-e avec
les droits réduits qu'
il entraîne et l'
exclusion du droit aux allocations de chômage pour les
chômeurs-euses de longue durée.
1990 : dépénalisation de l’interruption volontaire de grossesse
1992 : création de SOS Viol
1993 : décret relatif à la féminisation des noms de métier, fonction, grade et titre par la
Communauté Française
2000 : 40.000 personnes à Bruxelles le 14 octobre pour le rassemblement européen de la
Marche mondiale des femmes
2002 : loi sur la parité sur les listes électorales
2002 : 8 mars, premier parlement des femmes à la Chambre
2002 : loi attribuant le logement familial à la victime de violences conjugales
2003 : loi créant le Fonds de créance alimentaire (qui sera transformé eb 2004 en Service de
créances alimentaires aux intentions plus limitéées).
3- Et aussi au plan international…
National Woman Suffrage Association, créée en 1869 aux USA : des centaines de clubs et
d'
associations pour les droits des femmes voient le jour. Le mouvement atteint l'
Angleterre.
Conférences internationales de l'ONU sur les droits des femmes : 1975 à Mexico, 1980 à
Copenhage, 1985 à Nairobi et 1995 à Pékin : cette dernière aboutit à un engagement des pays
membres de l'
ONU envers un plan d'
action en 12 points.
Marche mondiale des femmes de l'an 2000 : dans tous les pays, des associations de femmes
font marcher des centaines de milliers de femmes contre la pauvreté et les violences faites aux
femmes.
Prix Nobel de la Paix 2003 à l’Iranienne Shirin Ebady, première femme d’origine musulmane
à recevoir cette distinction.
Féminisme, comment dire le juste et l’injuste ?
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Pour une éducation populaire féministe
Annexe 2 : Récits
Ces récits narratifs ont été rédigés durant le processus de travail collectif du groupe.
Récit numéro un
Septembre 94, en répondant à une offre d’emploi pour la coordination d’un projet d’insertion socioprofessionnelle, je me retrouve engagée à Vie Féminine. Au-delà de la dimension professionnelle, une
sorte d’alchimie s’opère. Découverte d’une action collective, d’un projet féministe qui rejoint une série de
choses présentes en moi mais pas nécessairement encore formulées : des questions, des aspirations, des
révoltes, une injustice ressentie.
Pour moi, le premier moment d’un engagement dans une démarche collective et féministe, ce n’est pas
une action précise, ponctuelle, mais la rencontre avec un mouvement de femmes (qui ne se dit pas encore
féministe à l’époque). Rencontre qui a « structuré » mon féminisme.
Récit numéro deux
« La solide Madame Tout le monde »
Elle est vieille, ronde, passe-partout aux yeux d’une fille de 15 ans. Elle ressemble à une mère sans
grande autorité.
Et de plus, elle est professeur de cuisine. Tout pour déplaire. Rien en elle n’évoque la modernité. L’autre,
beaucoup plus jeune, attentive à son apparence, coquette, voulant faire amie-amie. Quelle garce cette
prof de couture ! (Toujours aux yeux de cette fille de 15 ans).
Et cette fille de 15 ans qui refuse obstinément la discrimination, qu’elle identifie comme telle, et d’autorité
fréquente « l’atelier bois » réservé aux garçons. Malaise du prof mais il lui donnera quand même les outils
et le bois et la laissera à la joie de creuser, polir … ce bois si tendre qu’est le cerisier.
Tout aurait pu baigner si la coutureuse n’avait décidé de moffler la fille et estimé qu’elle devait doubler.
Elle ne voulait rien entendre et sans doute que les menaces proférées par la fille de révéler partout qu’elle
avait un amant marié n’ont pas arrangé son humeur.
Et, oh surprise, un jour la prof de cuisine « convoque » la fille. Que va-t-il se passer ? Elle est déjà prête à
mordre, à défendre son droit de choisir son atelier bois.
Mais non ! Du calme !
La prof de cuisine : « Voilà, je sais que tu ne sais pas cuire un œuf. J’ai cependant décidé de te
mettre le maximum de points en cuisine, vu que les cotes cuisine-couture sont jointes et que la
prof couture veut te mettre zéro, pour que tu puisses continuer tes humanités. Je connais ta mère
et je sais que le jour où tu le décideras, elle pourra t’apprendre autant et peut-être mieux que moi.
Je ne suis pas d’accord d’empêcher une élève, bonne en plus, de poursuivre des études qui lui
ouvriront d’autres horizons et d’autres carrières possibles. Va donc à l’atelier bois en paix !!
La fille soulagée a donc continué son petit bonhomme de chemin sans se poser de questions et encore
moins remercier cette prof. C’est bien plus tard naturellement qu’elle a réfléchi à la situation. Quelle
puissance chez cette femme-qui-ressemblait-à-une-mère-sans-autorité.
On peut imaginer la lutte qu’elle a du mener au sein de l’institution école pour « imposer » son point de
vue et faire admettre le droit des filles de travailler le bois, de faire admettre qu’une fille qui ne sait pas
cuire un œuf n’est pas perdue pour la cause et est digne de respect et d’encouragement.
Moralité : Ne vous fiez pas aux apparences ! La vraie puissance peut être bien au chaud dans chaque
« Madame Tout le Monde »
Récit numéro trois
Printemps 78-79, 19 ans … je décide de faire mon stage d’étudiante éducatrice au Collectif et Refuge pour
femmes battues – rue Hocheporte – aux Grignoux – à Liège.
Je sais que j’ai envie de travailler avec des adultes, des femmes et dans une perspective politique de
changement de société.
Je revois le local, petit, sympa et la grande table autour de laquelle plusieurs femmes sont assises, MarieJo, Monique, Bernadette, Nicole … l’Affiche de l’ASBL, rouge et noire avec sa serrure et le sigle des
femmes. Impression immédiate d’être enfin où je devais être. Impression d’entendre, avec des voix
chaleureuses : « Sois la bienvenue ». Impression de légèreté, de convivialité, de force commune, de
volonté commune. Je suis bien là où je dois être car tout ce qui m’est présenté et offert est en cohérence
avec moi-même. Je vais enfin pouvoir associer ma réflexion personnelle, privée avec ma vie
professionnelle. Je vais enfin pouvoir agir sur un changement de société et intensifier, nourrir ma réflexion
Féminisme, comment dire le juste et l’injuste ?
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Pour une éducation populaire féministe
politique par des échanges, des confrontations, des projets communs et le plus important encore, être
avec des femmes.
Je vais également effectuer un stage dans un lieu autogestionnaire, non institutionnel … cet aspect est
également très moteur car je connaissais une de mes difficultés qui est de fonctionner face à un poids
institutionnel et hiérarchique. Ces sentiments de légèreté, de chaleur humaine, de certitude de pouvoir
changer la société, de reconnaissance d’appartenance m’accompagnera pendant plusieurs années … à
savoir jusqu’à mon départ du Collectif. Et je pense bien, avec le recul que mon départ était lié à ces
pertes de sentiments.
Récit numéro quatre
Il y a 20 ans, par idéal, par utopie j’entre en action directe non violente dans les mouvements pacifistes,
communautaires, tiers-mondistes, auto-gestionnaires etc… c’est dans cette mouvance et ce réseau que je
vais ouvrir les portes et faire mes premiers pas féministes. Toute ma réflexion, mon approche et mon
besoin de vivre la non violence, une conduite vers des rencontres et des stages de formation. Quoi de
plus naturel alors de m’inscrire, avec les copines, à un stage de Wendo, technique d’auto-défense pour les
femmes qui valorise plus la confiance en soi la vigilance et le « désarmement » de l’adversaire que les
coups ? Je peux dire que c’est Gandhi qui m’a amenée au féminisme au départ. J’étais une gamine qui
avait construit son identité en cherchant à être partout l’égale des garçons. Je pouvais tout faire comme
eux, les jeux, les courses, aller aux matches de foot et y jouer toutes les récrés, grimper, escalader,
m’aventurer partout, et puis boire comme eux plus tard etc … Mais en niant complètement mon sexe.
J’étais mal dans ma peau de femme à la fin de mon adolescence. Et ne je pouvais que très peu
m’identifier aux luttes des femmes dont j’entendais parfois des échos chez ma mère : je n’étais pas des
leurs. Par cette décision de participer au stage de Wendo avec les copines, je savais que je faisais rupture
avec le passé. J’acceptais, et ce n’était pas sans malaise, de me joindre à un groupe composé de femmes
uniquement et donc de me définir comme femme parmi elles et face à elles. Mais ce qui à mes yeux
justifiait ma participation c’était avant tout ce qui nous unissait à l’origine : notre lutte pacifiste.
La porte était donc ouverte, et le bouleversement a démarré : je suis entrée pendant trois jours dans un
partage de parole et destin de femmes, dans un échange de combats de femmes, dans une affirmation de
réalité de femmes, dans une reconnaissance d’une opposition aux hommes … Et j’y ai apporté ma
participation, premier acte de ma propre identification à une spécificité de lutte de femmes.
Déclic, point de non-retour, j’avais sauté les murs et franchi les barrières. Forte d’un sentiment immense
de confiance en moi et d’enthousiasme chaleureux nourris par ces trois journées intensives, j’ai pris
conscience d’une dimension inconnue alors de moi-même qui ouvrait l’horizon. Un peu plus tard, je me
suis engagée dans l’organisation d’un autre stage, pour d’autres, et la construction de mon appartenance
et de mon adhésion aux luttes féministes s’est organisée au fil du temps.
Récit numéro cinq
1990. Lors d’une réunion du Monde selon les Femmes où il n’y avait pas autant de participantes que
d’habitude, Catherine a conclu que c’était sans doute la dernière : « L’enterrement du Monde selon les
Femmes » ! Cette éventualité m’a révoltée, un sentiment d’inacceptable, il fallait réagir. Déclic du à
l’indignation. On a décidé de ne pas se laisser aller : à trois, un projet a été rédigé pour faire financer la
Monde selon les Femmes. J’ai ressenti une appartenance, une complicité entre nous, on y était bien.
L’avantage de se soutenir, de mettre ensemble nos aspirations. C’était difficile pour moi de structurer ce
désir au départ « épidermique » de renforcer une association de femmes mais l’apport des deux autres l’a
permis. Rendre visible ce défi m’a donné de l’énergie. Je jubilais un peu d’imaginer que ce projet anticonformiste puisse être « accepté » par l’ « Institution ». Je sentais qu’on se battait pour rendre le
quotidien plus humain, plus sensible.
Femmes libres pas soumises
Femmes complices pas cancan
Femmes poètes pas bébêtes
Femmes rebelles pas aliénées
Femmes sujets pas objets
Femmes couleurs pas grises
Femmes debout pas endormies
Femmes chanteuses pas annonantes
Femmes du vent pas poussières
Femmes maintenant pas demain
Féminisme, comment dire le juste et l’injuste ?
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Pour une éducation populaire féministe
Récit numéro six
Septembre 76,
« le test est positif »
« Ca veut dire que je suis enceinte ? »
« Oui »
« Est-ce que vous pouvez m’aider ? »
« Non ».
J’ai 20 ans. J’ai eu un rapport sexuel pour la première fois huit jours auparavant. « Tu vas te faire avorter »
me demande l’amie avec qui je partageais mon kot. « Je ne crois pas » mais je me pose la question. Je
prends rdv à l’hôpital St Pierre. On me dit d’aller à Utrecht, qu’en Belgique, c’est encore interdit. J’ai une
amie dont la maman accepte de nous prêter la voiture pour aller en Hollande mais « Tu l’auras dans une
semaine, pas avant, réfléchis ». Le lendemain matin, je la rappelle « Vous pouvez garder l’auto, je garde
le bébé ». Pour moi c’est clair, « si c’est pour faire plaisir au reste du monde et me conformer au parcours
prévu, ce n’est pas une raison suffisante pour renoncer à l’aventure. Se conformer c’est être raisonnable,
poursuivre ses études, trouver du travail, un mari ( !) et avoir des enfants après. Cela peut paraître
paradoxal mais pour moi, à ce moment, être féministe passe par l’affirmation de ce que « je veux » et pas
les autres.
A partir de ce moment, tout un univers s’ouvre à moi. Mes intuitions se concrétisent en rencontres, en
confidences reçues, en informations sur « ce qui existe ». Des femmes se battent pour le droit à
l’avortement. Le 11 novembre, grande rencontre de femmes autour de ce sujet. Le 8 mars 77 également.
J’y suis avec mon ventre déjà bien arrondi. Je vais rue du Méridien à la maison des femmes, elles ont une
bibliothèque de livres féministes ; il existe aussi une librairie « Les rabouilleuses » à Ixelles. J’y trouve des
livres pour ma future … fille. Je lis Benoîte Groult, Annie Leclerc, « La cause des femmes » de Gisèle
Halimi et « Du côté des petites filles » de Belotti.
Lors d’un débat public, je prends la parole pour affirmer l’importance du choix en matière d’avortement.
Permettre aux femmes de choisir est essentiel.
Récit numéro sept
Mon rapport au dit « genre », fut très tôt malaise. Je suis née et j’ai grandi dans une famille où l’homme
était majoritaire et majoritairement violent et buveur, … et bien fragile. Deux frères morts trop jeunes, l’un
suicidaire, l’autre cancéreux. La petite fille que j’étais les a avant tout protégés, aidés, écoutés. Aujourd’hui
encore je ressens la nécessité d’aider, autant et sans doute plus, que celle de me défendre et de
m’affirmer vis à vis d’eux. Mes engagements au niveau collectif, Patro d’abord, association de parents, Vie
Féminine et puis ACRF ont tous été teintés de ma volonté de permettre à chacun de trouver sa place,
d’être reconnu.
Mon travail dans un centre de planning m’a donné l’occasion de travailler avec des couples, des groupes
de paroles … où l’expression et l’écoute des « torts subis » était réciproques et concernait l’individu luimême plutôt que la société. En entrant à l’ACRF, je choisis de rentrer dans un mouvement d’éducation
permanente collectif car j’en ressens la nécessité. L’individuel m’étouffe. C’est ici à la formation (où je
venais par intérêt pour une méthode d’action collective) que s’éveille tout doucement le projet d’un
engagement dans l’action collective pour la cause des femmes.
J’y rencontre des « pures et dures » non sans certaines réticences … et suis contente d’y entendre aussi
des femmes plus nuancées, moins « attaquantes ». Les échanges nourrissent ma réflexion, je ressens la
nécessité de m’informer davantage. Le groupe me porte vers un je ne sais quoi à clarifier.
Récit numéro huit
Mes premières lunettes « Genre »
C’était à la fin du siècle dernier en 1999 … J’avais décidé de reprendre des études sociales après avoir
eu deux enfants, ce qui avait permis à mon ex de faire remarquer perfidement que « décidément, je faisais
tout à l’envers … ».
J’avais alors 30 ans et j’étais entourée de jeunes filles qui en avaient dix de moins, elles, persuadées pour
la plupart que le féminisme c’était « trop ringard » ou du moins parfaitement inutile à l’heure actuelle.
Nous sommes parties en voyage d’étude au Maroc avec au programme, notamment, la visite d’un
orphelinat d’Etat.
C’est à cette occasion que j’ai découvert ce que j’appelle aujourd’hui « les lunettes genre ». Soutenue par
une condisciple d’origine marocaine, nous nous sommes mises à questionner les évidences, à demander
au porte parole officiel des infos sur les formations, les infrastructures, les sports, les activités des garçons
et des filles, ce qui a mis en évidence les différences de traitement, d’attention et de projet de vie pour
chacun. Les filles n ‘étaient pas encouragées à faire des études au-delà des humanités, de type technique
« couture, cuisine, puériculture » et tout le toutim … et encouragée à se marier. Nous n’avons pas eu de
« discours » revendicatif, mais le seul fait de questionner les évidences, en particulier du fait d’une jeune
Féminisme, comment dire le juste et l’injuste ?
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Pour une éducation populaire féministe
fille maghrébine comme ma copine, a mis notre hôte très mal à l’aise et suscité une agressivité à laquelle
nous répondions par la dérision, l’ironie …
La réaction de notre prof, étiquetée féministe à l’école nous a déçue. Elle jugeait notre intervention
grossière et méprisante par rapport à un pays d’accueil, le respect de la culture, des traditions, discours de
légitimation des inégalités plus prévisible dans la bouche d’un homme.
découverte que les femmes peuvent avoir intégré le point de vue de l’oppresseur
découverte de la force, de la solidité, de la parole collective
découverte que questionnement = action déconstructive.
Récit numéro neuf
C’était dans les années 70, au moment où le Parti féministe unifié mettait les partis traditionnels face à la
faible place qu’ils donnaient aux femmes et aux questions de femmes. Je ne fréquentais aucun groupe
féministe mais je lisais les journaux féministes belges et français et j’étais une assidue des Editions des
femmes. Les injustices imposées aux femmes me révoltaient et j’avais pris le pli de les dénoncer par
l’écriture. J’étais en particulier une habituée des courriers des lecteurs des journaux, surtout celui de la
Libre Belgique, à laquelle j’étais abonnée pour connaître la pensée de l’ennemi. Tout l’art consistait à
poser les problèmes de manière à la fois suffisamment claire et encore assez « soft » pour que le texte
soit publié. Hors courrier des lecteurs, j’avais réussi à faire publier un message favorable à la libéralisation
de l’avortement via les œuvres du journal. Outre les journaux, mes cibles préférées étaient les hommes
politiques de droite. Je me souviens d’un courrier adressé à Grafé sur le thème de l’absence inadmissible
de pissotières publiques pour femmes et d’un autre, signé Lysistrata, qui menaçait De Sanger d’une grève
de la maternité en représailles de je ne sais quelle iniquité qu’il venait d’imposer aux femmes. Je me
servais aussi de l’arme de la « naïveté » dans la vie quotidienne, par exemple pour renvoyer le policier qui
venait me remettre une contravention à mon mari en m’appuyant sur l’incapacité juridique de la femme
encore en vigueur à l’époque. La question du nom me mobilisait à l’extrême et je refusais d’être appelée
par le nom de mon mari, ce qui m’avait valu un échange de courriers féroces avec le directeur du centre
de transfusion sanguine, échange qui s’était conclu par ma « démission » de donneuse de sang.
Ce qui constitue le point commun de tous ces éléments est ma volonté d’agir individuellement en
m’inscrivant dans un mouvement collectif (auquel je souscrivais sans y participer « physiquement ») et en
visant un impact public. Ce n’est que bien plus tard que j’ai rejoint des groupes et, même alors, la
dimension individuelle est restée quelque chose de fondamental pour moi.
Récit numéro dix
1973, classe de Bio.
Je viens tout juste d’avoir 13 ans. Le prof, homme, fait de « l’humour » en expliquant que « les femmes
c’est rien que des emmerdeuses partout où elles sont et qu’il faudrait créer des zoos pour les y enfermer.
Zoos dans lesquels « on » pourrait aller en chercher une en vue de la procréation » … ( !?)
Moi, la timide, comme ce n’était pas la première fois qu’il provoquait ainsi, je me suis entendue dire (plutôt
que je n’ai dit) « et si on faisait le contraire ».
Les autres filles me tapaient du coude en disant « tais-toi, mais t’es folle ou quoi ».
Lui, s’est approché, m’a soufflé sa fumée et m’a dit « Ah je vois que nous avons une féministe parmi
nous ». Je ne savais pas ce qu’était une « Féministe ». Je l’ai raconté à mon retour à la maison. Mon père
a beaucoup ri en me disant « t’es bien de la famille » et puis il m’a raconté l’histoire de sa mère et de mes
tantes : femmes engagées dès le début du siècle dernier (1917).
Je les ai alors fait raconter leur histoire, il en restait deux en vie. Je suis de leur clan : affiliée.
Ensuite j’ai lu « nos classiques » et me suis engagée plus collectivement. D’abord déléguée de ma classe
au niveau d’un projet d’école. Puis presque tous les combats de femmes depuis. Femmes contre la crise,
dépénalisation de l’avortement etc, etc… Mais toujours j’ai mes grande-tantes et ma grand-mère derrière
moi un peu comme des fantômes bienveillantes et souriantes : l’accoucheuse de Sprimont … tatouée sur
le bras qui expliquait aux femmes pourquoi elles devaient réclamer le droit de vote, celle qui était
résistante pendant la guerre, celle qui avait été travailler contre l’avis de tous et élevait seule ses enfants
parce que son mari « batifolait » et qu’elle ne voulait rien lui devoir, ni faire semblant de l’ignorer … enfin
bref, celles dont le récit m’a construit : « mes petites matriarches perso ».
Récit numéro onze
Le 8 mars 84, j’ai participé à la manifestation des « femmes contre la crise » à Bruxelles. J’étais syndiquée
depuis que je travaillais (2 ans) mais je n’étais pas engagée sur ce plan-là. Je l’étais dans la lutte antimissiles. Les premières mesures de réduction des dépenses chômage allaient toucher les femmes
puisque les femmes, involontairement à temps partiel, n’allaient plus avoir droit au complément chômage.
Je me suis sentie concernée, étant à l’époque entre sous-statut et chômage. Je ne connaissais pas de
militante syndicale mais j’ai retrouvé des copines à la manif. Je me sentais un peu extra terrestre, peu
Féminisme, comment dire le juste et l’injuste ?
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Pour une éducation populaire féministe
consciente qu’il y avait une discrimination à l’égard des femmes. Je crois que je me demandais « mais
qu’est ce qu’elles veulent ? ». Après la manif, je n’ai plus eu de contact avec des associations ou collectifs
de femmes pendant plusieurs années et sans pouvoir discuter avec d’autres, ma prise de conscience
féministe est restée bloquée dans un mélange de sentiments. J’étais gênée d’être dans le « mauvais
camp » puisque je suis devenue travailleuse à temps partiel cohabitante et j’ai vu mon complément
chômage disparaître ! Mais ça n’a pas suffit à me remobliliser ! D’autres événements ont dû arriver par
m’éveiller pour de bon.
Ce qui apparaît comme significatif après réflexion, c’est que j’avais oublié pourquoi on manifestait et que
grâce aux souvenirs évoqués, je me suis rendu compte que j’avais pourtant conscience d’être discriminée.
L’autre élément, c’est que sans pouvoir en discuter, j’ai enfoui le problème dans une cave … préférant
rester sans doute dans le « neutre » des mesures sociales injustes sans devoir en plus porter l’étiquette
des « femmes discriminées » dont je ne pouvais me sentir fière ! Heureusement les choses ont changé …
j’ai rencontré des copines et des associations qui m’ont permis de me former et de me sentir fière d’être
féministe !
Récit numéro douze
1990.
Je travaille depuis 4 ans à l’ACRF. Le Mouvement, pas spécialement féministe telle que la caricature le
définit, me délègue pour le représenter au sein d’une structure « inter-mouvements »féminins(ACI,
Femmes au foyer, Vie féminine, Acrf...).
L’objectif principal de ce groupe : mettre sur pied, collectivement sur Namur, une manifestation, un
événement, pour le 8 mars.
Nouvellement arrivée, je découvre d’autres Mouvements dont j’avais entendu parler, et d’autres que je
connaissais un peu mieux. Je me laisse porter et me limite à faire, dans mon Mouvement, la pub pour la
soirée-théâtre prévue.
Le jour J arrive, et, catastrophe pour moi, le comité prévu pour l’accueil est réduit à peu de choses : l’une
est malade, l’autre à un enfant entré d’urgence en clinique...) et il me revient de recevoir les invités,
resituer la journée du 8 mars dans le cadre du travail mené en « inter-mouvements », de présenter la
pièce de théâtre (dont j ‘ai oublié le titre et l’auteur, mais qui traitait d’un sujet poignant avec une seule
femme en scène...).
Bref, amenée, malgré moi, à non seulement trouver ma place, mais à la dire... à un public, en majorité
féminin. Prise de conscience :
De la place du mouvement ACRF dans une action menée en partenariat
De la place du mouvement dans une action « féministe », ou en tout cas « à spécificité
féminine »
Du lien entre mon travail professionnel, le militantisme et/ou l’engagement personnel.
Récit numéro treize
Engagement fortuit, engagement qui fait du bruit.
Lorsque j’étais arrivée aux Etats-Unis, Carine m’avait hébergée, le temps que je trouve un logement.
Après quelques mois, j’avais pris mes marques et là, cela faisait longtemps que je ne l’avais plus vue. Je
lui ai téléphoné pour prendre de ses nouvelles et elle m’a proposé de la rejoindre une manif. Je ne savais
pas exactement de quoi il s’agissait, mais je savais que cela avait à voir avec les femmes, et de toute
façon, je voulais lui montrer mon soutien.
Je suis donc arrivée sur le quad, espace vert au centre de l’université ; juste devant le bâtiment principal,
ironiquement appellé « union » (syndicat), alors qu’à l’époque il n’en existait pas et qu’il a fallu 10 ans pour
en imposer un. Il y avait beaucoup de monde. Je me sentais un peu perdue. Carine était là mais courait un
peu dans l’organisation. Elle et d’autres portaient un ruban sur la poitrine. Blanc ou rose, je ne sais plus.
Je lui ai demandé ce que cela signifiait. Air embêté, oh rien ! Silence, encore des silences. Tabou. On ne
parle pas. Chacune reste avec ses problèmes et les gère.
Celles qui parviennent à briser la loi du silence, on les vénère : lecture de poèmes, d’extraits de romans,
autant d’exemples de mots que nous ne pouvions pas trouver ou ne voulions pas prononcer. Mes
ancêtres auraient peut-être du plus les lire. Mais ce ne sont pas des classiques, évidemment. Beaucoup
de Toni Morisson. Je ne sais pas pourquoi, cela m’a marquée. Probablement parce qu’une citation d’elle
se trouvait sur les t-shirts en vente.
Féminisme, comment dire le juste et l’injuste ?
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Pour une éducation populaire féministe
Tout le groupe commence à avancer. Nous quittons le quad pour descendre Green Street. Il fait très
chaud et j’ai envie d’une bière. Mais, non, bien sûr ! Carine me dit que je suis folle, que cela ne se fait pas
ici. Ah oui, pays des libertés, mais pas question de boire en rue. Dès que le soir tombe, même plus
question de boire en rue si on est une femme. « C’est chercher des problèmes ! » Sous entendu : « s’il
t’arrive quelque chose, tu l’auras bien cherché ! » Voilà donc un bon moyen de me confiner à l’espace
privé.
La première chose que l’on m’a d’ailleurs remise lors de mon inscription aux cours, c’est un sifflet. « Ah
bon, vous savez que j’aime la montagne ? ! » « Non, c’est en cas de tentative de viol. Sifflez pour vous
défendre. » Il paraît que tout le monde sifflerait en cœur ou accourrait à la rescousse. Des coups de sifflet,
je n’en ai jamais entendu ; des annonces de viol ou de meurtre, par contre …
Pourquoi tant de violence ? Et pourquoi matérialiser la crainte dans ce petit bout de métal ? Et pourquoi ne
pas refuser ce manque de liberté de mouvement ? Education ? Prise en charge ? D’après moi, permettre
à plus de personnes de se balader la nuit serait plus efficace que de donner des sifflets et conseiller de
rester chez soi. Mais en attendant, nous utilisons nos sifflets pour manifester. Faire du bruit, nous faire
entendre. Après quelques prises de conscience, j’apprendrai que c’était de la réappropriation.
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Pour une éducation populaire féministe
Ce document « Féminisme: comment dire le juste et l’injuste ? Pour une éducation populaire
féministe » est le résultat d’un travail collectif, il appartient à toutes les personnes y ont
participé. Il peut être distribué dans les associations. Il est téléchargeable sur le site du
Monde selon les femmes : www.mondefemmes.org
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Pour une éducation populaire féministe