Lettre 114
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Lettre 114
Lettre 114 A Sa Majesté l’empereur napoléon trois Antoine Hypolite Fouchereau, marchand tailleur, demeurant à Poitiers, département de la Vienne, a l’honneur d’exposer qu’il se trouve dans une situation si pénible et si cruelle, qu’il se décide à s’adresser a votre majesté pour la supplier de lui fournir les moyens d’y mettre un terme. Le suppliant a eu le malheur d’épouser le vingt neuf octobre 1845 la Demoiselle Maûle de Niort, département des deux sèvres ; il la croyait honnête et pure et il avait tellement confiance en elle qu’il consentit à lui donner avant le mariage, une quittance de la dotte qu’elle devait lui apporter, quoiqu’elle ne la lui eut pas payée ; après plusieurs retards exigés par la future, le mariage fut célébré dans la ville de Niort, mais la Demoiselle Maûle se refusa obstinément à le consommer et le suppliant, après plusieurs scènes facheuses, fut obligé de retourner à Poitiers avec le titre d’épouse sans en avoir les droits. Malgré ses instances réitérées, il ne put obtenir que la Dame Fouchereau vint habiter le domicile conjugal, mais comme il réclama ou le payment de la dot ou la restitution de la quittance qu’il en avait donnée, la Dame Fouchereau crut dans former une demande en séparation de corps, qui fut rejetée de plans par le tribunal civil de Poitiers tant elle était dénuée de fondement. Après cette décision, la Dame Fouchereau, n’en resta pas moins à Niort, malgré les sommations qui lui étaient adressées ; le suppliant fut obligé d’avoir recours à la force publiques pour la contraindre à se rendre à Poitiers. Cette mesure fut vaine ; à paine la Dame Fouchereau fut elle arrivée, que trompant la surveillance de son mari, elle abandonna sa maison pour retourner à Niort. Le suppliant désirant vaincre cette obtination si extraordinaire que le sieur Maûle père soutenait de tous son pouvoir, forma le 5 juin 1849 une demande en dommage et intérêt contre sa femme pour la contraindre à revenir au domicile conjugal, cette action produisit effet, quelques jours après la Dame Fouchereau revint, mais avec le projet bien arrêté de tourmenter son mari et de se livrer dans sa maison à des excès de toutes sortes, l’insultans à chaque instant, troublant son sommeil la nuit, mettant le désordre dans sa maison, injuriant ses ouvriers et ses cliants, cassant et brisant tous ce qu’elle pouvait. Elle chercha sans relâche et par tous les moyens possibles à le pousser à bout pour qu’il se portât envers elle a des injures ou a des voies de fait. Fatigué de cette enfer anticipé et ne pouvant y résister, le suppliant fut obligé de s’adresser à la justice, pour faire prononcer lui-même la séparation de corps qu’il a obtenu par jugement du tribunal de Poitiers, confirmé ensuite par la cour impérial. Les anquêtes ont révélé au suppliant le motif qui avait déterminé la conduite jusque-la inexplicable pour lui, de la Dame Fouchereau, c’est chose affreuse à dire ! Mais il a été prouvé que des relations coupables et incestueuses existaient entre elle et son père. Une barrière infranchissable existe désormais entre les époux. Voilà donc la cruelle position du suppliant ! Il est marié et il est condamné à un célibat perpétuel ; les douces émotions de la famille lui seront étrangères ; sa moralité et ses sentiments religieux ne lui permettent pas de chercher des consolations dans un attachement illicite. Actif et jeune encore, il travaille sans but et dans le plus cruel isolement, ne sachant à qui confier la surveillance de ses intérêts et de son établissement, lorsqu’il fait les voyages que nécessitent l’importance de ses affaires et le nombre de sa clientelle. Est-il donc juste qu’il soit condamné a un sort si funeste et si déplorable, sans qu’on puisse d’ailleur lui imputer aucune faute et lui adresser le moindre reproche dans les énormes anquêtes qui ont eut lieu. Et si la législation actuelle ne lui ouvre aucune voie pour sortir de l’abîme ou on là plongé, ne faut-il pas reconnaître qu’il existe une lacune dans nos lois. On a dit du divorce que c’était aux lois de le permettre et aux mœurs de le proscrire ! Le code l’avait admis, malheureusement ses dispositions donnaient trop de facilité aux époux pour se débarasser du lien sacré du mariage, en permettant le divorce par consentement mutuel et en ottorisant les juges à le prononcer directement pour de simple sévices, eccès et injures graves. C’est avec raison que la lois de 1816 avait aboli ces dispositions du code. L’ordre public est très intéressé à l’exécution des lois du mariage pour qu’il puisse y être valablement dérogé, par le consentement des parties, même avec les épreuves auxquelles le Code Civil les soumettait ; on comprend encore que des sévices, des excès, des injures graves que les juges peuvent apprécier fort diversement soient considérés comme insuffisant pour ottoriser les époux à rompre la dignité du lien civil et religieux du mariage et compromettre par là le sort des enfans, ainsi que l’armonie de la famille et de l’ordre social. C’est pour ces motifs encore qu’en 1848 la proposition de rétablir le divorce fut agitée. Mais lorsqu’une séparation de corps a été obtenue par l’un des époux, qu’il n’y a pas d’enfants nés du mariage, que le mariage n’a même pas été consommé, qu’un délais de deux à trois années s’est écoulé depuis la séparation, qu’il est clairement prouvé qu’il existe un motif extrêmement tel est celui-ci, qui s’oppose d’une manière invincible et insurmontable à la réunion des deux époux, pourquoi ne serait-il pas permis à celui des époux qui a fait prononcer la séparation de corps, non pas de convertir la séparation en divorce, si son épouse y consent, comme cela se pratique dans certain pays, mais de demander aux juges de le convertir en divorce ? Les juges alors examineraient attentivement la position de cet époux et ne pouraient admettre sa demande qu’autant qu’il leur serait bien démontré que le motif invoqué est d’une gravité telle qu’il vaut mieu prononcer le divorce que de laisser subsister un lien qui n’a du mariage que le nom et qui ne peut avoir d’autre effet que de condamner perpétuellement au malheur celui qu’il enchaine et peut-être de le conduire a des actes de désespoirs ou de désordre. Avec les conditions indiquées, la conversion de la séparation de corps en divorce, n’aurait aucun inconvénient et serait une mesure utille non seulement, mais même nécessaire et religieuse. Le suppliant, Sire, soumet humblement cette idée à la haute prudence de l’empereur avec l’espoir qu’elle seras prise en considération. Il a l’honneur d’être, de votre majesté, le très humble et très dévoué sujet. FOUCHEREAU Poitiers, le 30 juillet 1861