La justice distributive dans la jurisprudence constitutionnelle. La
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Dipartimento di Scienze Politiche, Giuridiche e Studi Internazionali UNIVERSITÀ DEGLI STUDI DI PADOVA Via del Santo,28 35123 Padova tel +39 049 8278389-8354 fax +39 049 8278355 CF 80006480281 P.IVA 00742430283 La justice distributive dans la jurisprudence constitutionnelle. La redéfinition) de la Constitution économique par le juge constitutionnel ? Par SERGIO GEROTTO Professeur de Droit Public Comparé à l’Université de Padoue (Italie) Introduction La “Constitution économique” reflète une organisation économique de l’État, inspiré par un système économique. Elle se compose d’un ensemble de règles qui contiennent les principes fondamentaux en matière de régime social, de propriété et de politique économique. Plus simplement, on pourrait dire que la notion de Constitution économique se compose de deux volets principaux : l’ensemble des normes visant à réglementer la production de richesse et l’ensemble des normes visant à réglementer sa distribution, ou, encore, sa redistribution. A travers mon exposé, je procède à une analyse basée sur des arrêts ayant pour objet le contrôle des règles faisant parti du deuxième ensemble. Un regard comparé nous donnera l’occasion de vérifier si les juges constitutionnels se positionnent comme défenseurs du modèle distributif initialement posé par le Constituant, ou bien s’ils se positionnent plutôt dans une approche évolutive. L’analyse présentée, ici, peut être considérée comme le point de départ d’un travail plus approfondie, dont le but sera de vérifier les tendances actuelles de la jurisprudence constitutionnelle dans les pays démocratiques occidentaux, afin de répondre à la question posée, préalablement, c’est-à-dire celle de savoir si le juge constitutionnel a le pouvoir de redéfinir la Constitution économique ? Quelques remarques préalables sur la notion de Constitution économique et ses notions corolaires : Constitution économique Définir la Constitution économique est à la fois simple du point de vue de la théorie générale du droit, et à la fois complexe du point de vue du droit positif, principalement car les Constituants ne définissent clairement leurs choix en matière d’organisation économique de l’État que rarement. A ce propos, l’opinion dissidente du Juge Oliver Wendell Holmes Jr. Dans l’affaire Lochner v. New York1 est célèbre. Contrairement à l’opinion de la majorité de la Cour, le Juge Holmes affirme que « la Constitution is not intended to embody a particular economic theory, whether of paternalism and the organic relation of the citizen to the state or of laissez faire ». Il est évident que dans l’affaire Lochner une partie de la Cour – même si il ne s’agissait pas de la majorité – était convaincue de pouvoir interpréter le XIV amendement de la Constitution de telle manière à en faire ressortir un certain type de modèle économique. Le juge Holmes était, cependant, convaincu du contraire, et cela pour une raison très simple : les règles de la 1 Lochner v. New York, 198 U.S. 45 (1905). 1 Dipartimento di Scienze Politiche, Giuridiche e Studi Internazionali UNIVERSITÀ DEGLI STUDI DI PADOVA Constitution des Etats-Unis sont assez floues en ce qui concerne le choix du modèle économique. La conséquence est facile à comprendre : quand les choix du Constituant ne sont pas clairement énnoncés la marge de manœuvre (plus joliment « la marge d’appréciation ») du juge constitutionnel s’amplifie exponentiellement. La jurisprudence de la cour Warren dans la période du New Deal en est la preuve vivante. Justice fiscale (et distributive) La deuxième notion à définir plus précisément est la plus important pour notre étude. Il s’agit de la notion de justice distributive. Le problème, du moins l’un des problèmes, réside dans le fait qu’il s’agit d’une notion intrinsèquement liée à la notion même de justice. Cette corrélation entre les deux notions est d’autant plus complexe dans l’État de droit moderne où la justice et le droit ne sont pas toujours en adéquation. C’est pour cette raison que les juristes expliquent la notion de justice distributive en se référant aux auteurs classiques, ceux qui ont défini la notion de justice même. Aristote, par exemple2. Cependant ce qui est d’autant plus étonnant est le renvoi opéré par le juge constitutionnel à ces auteurs. Ainsi, en 2007, par exemple, le Tribunal fédéral suisse a rejeté une loi cantonale prévoyant l’introduction d’un système d’impôt dégressif en se référant expressis verbis à la notion de justice distributive aristotélicienne3. Il est simple, même pour un non juriste, de faire une liste des principes structurant la notion de justice distributive. Premièrement, aucun citoyen n’est tenu de payer un montant supérieur à son revenu ; deuxièmement tous les citoyens sont tenus de payer des impôts ; troisièmement les impôts prélevés aux citoyens doivent respecter la capacité économique de chacun. Cependant, derrière son apparente simplicité, la justice fiscale cache une complexité sans équivalent. La question se pose de savoir si tous sont tenus de payer ou s’il y a des conditions légitimant une exemption ? Évidemment il y en a, mais lesquelles ? Le principe de l’imposition selon la capacité économique (ou capacité contributive) est garantie seulement par le biais d’une imposition progressive ou aussi par un régime de flat rate tax ? Brièvement, quelle est l’imposition juste ? La réponse est complexe, ça va sans dire. Elle dépend partiellement des choix du constituant et de leur interprétation par le juge constitutionnel (en fonction aussi de l’orientation politique du juge), et partiellement, je dirais, d’une notion générale de justice4. La complexité que je viens d’évoquer a poussé le Tribunal fédéral suisse à faire référence à la conception de justice distributive aristotélicienne. Ainsi, je pense qu’il serait permis de dire que la marge d’appréciation du juge constitutionnel arrive dangereusement proche de l’arbitraire. Que faut-il penser d’un juge utilisant un paramètre qui n’est pas inscrit dans la Constitution positive ? Égalité Finalement, un facteur de complexité ultérieure : la notion de justice fiscale est intrinsèquement liée à celle d’égalité. En imposant la charge fiscale, l’État doit respecter le principe d’égalité entre citoyen, il est évident. Il ne s’attarder sur la complexité de l’argumentation juridique visant à l’implémentation du principe d’égalité dans le contrôle de constitutionnalité. Je souhaite seulement rappeler que la plupart du temps ce contrôle s’inscrit dans le principe d’égalité et que l’utilisation de ce principe pousse le juge constitutionnel à des choix d’ampleur plus politique que juridique. En effet, le législateur adopte souvent des actes qui mettent en danger l’égalité. Par exemple, là où il destine des ressources pour aider des groupes ou individus désavantagés, le législateur établie une discrimination. Ensuite, le juge constitutionnel pourra intervenir, sur recours des groupes ou individus exclus, pour vérifier s’il s’agit 2 ALAIN STEICHEN, La justice fiscale entre la justice commutative et la justice distributive, 46 Archives de philosophie du droit 243(2002). 3 ATF 133 I 206, traduction française dans RDAF 2007, II, 512; HENRY TORRIONE, Justice distributive aristotélicienne en droit fiscal selon la jurisprudence du TF. Une étude de philosophie du droit sur la notion de «Sachgerechtigkeit», Zeitschrift für Schweizerisches Recht (2010). 4 Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, Article XIII, « Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable. Elle doit être également répartie entre tous les Citoyens, en raison de leurs facultés ». 2 Dipartimento di Scienze Politiche, Giuridiche e Studi Internazionali UNIVERSITÀ DEGLI STUDI DI PADOVA d’une discrimination légitime du point de vue constitutionnel ou pas. Ainsi, régulièrement le juge utilise la rationalité en tant que critère d’appréciation de la légitimité : une discrimination est légitime si elle est nécessaire, raisonnable et proportionnée, en vue d’éviter toute dérive arbitraire. Comme le dit la Charte canadienne des droits et libertés de 1982, une discrimination est légitime si elle représente des « limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique ». Le respect de l’égalité en droit fiscal est beaucoup plus complexe ; plus encore que pour d’autres domaines du droit. En fait, il faut garantir l’égalité effective face à des situations très diversifiées. Quelques réflexions sur quelques cas concrets Pas des doutes sur le fait que l’imposition fiscale soit du domaine du législateur. Entre 1750 et 1760, « no taxation without representation » a été le slogan avec lequel les treize colonies britanniques d'Amérique du Nord ont donné lieu à la guerre d'indépendance des États-Unis contre la Grande-Bretagne. On peut même dire qu’un des piliers du système juridique des EE.UU. est le principe selon lequel tout ce qui concerne l’imposition fiscale doit être décidé par l’organe le plus représentative parmi ceux composant l’Etat en tant qu’apparat, c’est-à-dire le Parlement. Le Parlement est souverain, mais sa souveraineté n’est pas sans limitation puisque le corolaire de la Constitution, est le contrôle de la constitutionnalité des lois. Il arrive, donc, que des lois établissant un certain impôt, soient subordonnées à l’examen du juge constitutionnel. Souvent la violation alléguée concerne l’égalité entre citoyens, parfois en relation avec certains principes spécifiquement posés dans le domaine de la fiscalité. Un bon nombre de Constitutions ont en fait introduit certains principes régissant le pouvoir d’imposition et/ou celui de dépense5. Le législateur dispose ainsi d’un large pouvoir normatif et le juge dispose d’un pouvoir d’annulation des lois, une sorte de pouvoir normatif négatif au sens kelsenien6. Le pouvoir du législateur a une très grande latitude. Il peut multiplier les impôts, donnant naissance à des systèmes fiscaux très complexes où il est tout à fait difficile de comprendre l’effet global concret de l’imposition fiscale sur chaque individu. Ce phénomène est très répandu, surtout dans les systèmes décentralisés (Etat fédéral, mais encore plus dans l’Etat dit régional), qui nécessitent de mécanismes de coordination des finances publiques. Parfois le législateur intervient sur le système fiscal dans sa complexité. C’est le cas des réformes globales de la fiscalité, avec lesquelles le législateur poursuit un but spécifique (simplification ; atténuation de la charge fiscale généralisé ou pour certaines groupes, etc.). Les résultats de l’activité du législateur sont parfois inattendus, mais la plupart du temps les réformes visent à des cibles bien définies. Nous avons déjà rappelé le cas du Canton d’Obwald, qui avait introduit un système d’imposition dégressif sur le revenu et la fortune. Mais on peut citer d’autres cas, comme par exemple celui du Kansas, où le législateur a introduit, en 2013, une large réforme du système fiscal qui a eu pour résultat de le rendre, dans sa complexité, dégressif7. Ce n’est pas un cas si j’ai fait référence à deux réformes introduisant un système d’imposition dit dégressif. Il s’agit, en fait, d’un point controversé, ou du moins si l’on prend en compte le principe de la progressivité de la charge fiscale. Cependant ce principe est loin d’être universel. Il apparait dans de nombreuses Constitutions parmi les plus récentes, mais souvent les Constituants lui ont préféré le principe de la capacité contributive, ce qui n’est pas la même chose. 5 Art. 127 Cst. suisse ; art. 53 Cst. italienne ; art. 31.1 Cst. espagnole ; art. 1012-107 Cst. portugaise ; art. 13 de la Déclaration Universelle des droit de l’homme de 1789, et donc Cst. Française, voire à ce propos 2013.685 C.C. ; art. 363 Cst. colombienne. etc. 6 Pour H. Kelsen, le tribunal constitutionnel est un législateur-cadre négatif. Le parlement élabore les lois (législateurcadre positif) et le juge constitutionnel a pour mission de les annuler si celle-ci sont contraires à la Constitution. H. Kelsen, Théorie générale du droit et de l'Etat, Paris, L.G.D.J. 7 Bill 2117, http://www.kslegislature.org/li_2012/b2011_12/measures/hb2117/. 3 Dipartimento di Scienze Politiche, Giuridiche e Studi Internazionali UNIVERSITÀ DEGLI STUDI DI PADOVA L’analyse comparée offre plusieurs cas intéressants. Le Tribunal fédéral suisse a, comme expliqué précédemment, annulé une loi du Canton d’Obwald introduisant un barème d’imposition dégressif sur le revenu et la fortune. Les argumentations du TF, très articulés, sont axées sur deux paramètres constitutionnels : le principe de la capacité contributive (art. 127 Cst.) et l’égalité entre citoyens (art. 8.1 Cst.). Le Tribunal fédéral rappelle que « les Cantons sont par principe libres d’organiser leur fiscalité »8, mais qu’ils « ne sont toutefois pas complètement libres dans l’exercice de leur liberté d’organisation qui leur appartient. Ils doivent observer les droits fondamentaux, en particulier le droit à l’égalité de traitement (art. 8 al. 1 Cst.) et ses corollaires en matière fiscale, parmi lesquels figure le principe d’imposition selon la capacité économique »9. Il donne ensuite une définition d’ordre économique inscrivant dans la Constitution : « la Constitution fédérale établie un état de droit démocratique fondé sur un ordre économique libéral et social. En mettant en exergue la promotion de la prospérité commune, l’art. 2 al. 2 Cst. met en évidence les préoccupations sociales de l’Etat ainsi que sa responsabilité en matière ». Dans ce schéma, dit le Tribunal fédéral, la concurrence fiscale entre Cantons est sans doute admise, pourvu qu’elle ne produise des discriminations entre contribuables10. Si cela était avéré, le Tribunal fédéral assume le rôle de contrôle, bien qu’ « il n’appartient pas au juge constitutionnel de formuler des règles générales auxquelles la concurrence fiscale doit se tenir »11. Les juges de Lausanne sont donc conscients de la difficulté de leurs rapports avec le(s) législateur(s), mais cela ne vaut pas à désavouer l’existence de certains principes généraux de niveau constitutionnel. Dans l’arrêt cité précédemment, le TF suisse analyse la loi du Canton d’Obwald au regard de certains principes constitutionnels. Le juge se trouve souvent dans une telle situation : évaluer le moyen que le législateur a choisi pour obtenir un certain résultat. Dans ce cas le paramètre constitutionnel est utilisé pour déterminer si le moyen est approprié au but envisagé. Dans ATF 133 I 206, le moyen était l’imposition régressive, et le but poursuivi consistait en une certaine orientation de l’économie (attraction de contribuables riches). En utilisant comme paramètre les principes dont l’explication fut faite auparavant, le Tribunal fédéral suisse a jugé le moyen inapproprié par rapport au but poursuivi. Le cas DeRolph, jugé par la Cour Suprême de l’Ohio, représente un exemple similaire. Dans ce cas, le moyen soumis au contrôle des juges était le système de financement de l’école publique, jugé inadéquate par rapport au résultat : le système de l’école publique, utilisant le paramètre de l’art. VI.2 de la Constitution de l’Ohio12. Dans l’Etat de l’Ohio le l’Ecole publique est financée par le biais d’une double source : l’argent de l’Etat et celui dérivant de l’imposition des collectivités locales (districts). Les districts contribuent au financement de l’Ecole publique avec l’impôt local sur la propriété (local property tax – real estate+personal property). Pour des raisons qu’il n’est pas nécessaire d’expliquer ici, que ce système n’était pas en mesure d’éviter un effet discriminatoire entre districts plus et moins riches. Lesdites discriminations n’étaient pas le seul problème du système de financement de l’Ecole publique de l’Ohio. En effet, ce système n’était pas soutenable non plus pour les districts plus riches. Une coalition de districts s’est ainsi formée pour proposer une solution au problème. En fait, tous les districts étaient dans l’obligation d’augmenter constamment la charge fiscale afin de couvrir les coûts de l’Ecole publique. Le cas a finalement été porté devant la Cour Suprême de l’Ohio en 1997. Celle-ci a déclaré l’inconstitutionnalité du système de financement de l’école publique à plusieurs reprises (DeRolph I, II, III), et elle a aussi réprimandé le législateur pour avoir donné suite à l’arrêt tout simplement en augmentant les dépenses destinées à l’école publique. « To date, the principal legislative response to DeRolph I and DeRolph II has been to increase funding, 8 ATF 133 I 206, traduction française dans RDAF 2007, II, 512. RDAF 2007, II, 513. 10 RDAF 2007, II, 526. 11 RDAF 2007, II, 516. 12 « The General Assembly shall make such provisions, by taxation, or otherwise, as, with the income arising from the school trust fund, will secure a thorough and efficient system of common schools throughout the state; but no religious or other sect, or sects, shall ever have any exclusive right to, or control of, any part of the school funds of this state ». 9 4 Dipartimento di Scienze Politiche, Giuridiche e Studi Internazionali UNIVERSITÀ DEGLI STUDI DI PADOVA which has benefited many schoolchildren. However, the General Assembly has not focused on the core constitutional directive of DeRolph I: “a complete systematic overhaul” of the school-funding system. Id., 78 Ohio St.3d at 212, 677 N.E.2d 733. Today we reiterate that that is what is needed, not further nibbling at the edges. Accordingly, we direct the General Assembly to enact a school-funding scheme that is thorough and efficient, as explained in DeRolph I, DeRolph II, and the accompanying concurrences ». Le juge constitutionnel défenseur de la justice fiscale Très différents sur beaucoup d’aspects, les deux cas cités présentent des indéniables points de contact. Le plus évident, à mon sens, est lié au rôle du juge constitutionnel, qui dans les deux cas se présente comme défenseur de la justice fiscale. Au sens large, la justice fiscale contient les deux volets de la capacité contributive et de la progressivité de l’imposition fiscale, tous les deux inextricablement liés à l’égalité entre citoyen. La justice fiscale est mise en danger de différentes manières. Elle l’est lorsqu’ un système de financement de l’école publique créait des discriminations entre citoyens, aussi bien que lorsqu’un barème d’imposition privilègie le contribuable plus riche au détriment du moins riche. Ainsi, il y a là un problème toujours non résolu, celui du constitutionnalisme moderne, ledit dilemme de la antidemocraticité du contrôle de la constitutionnalité, ou countermajoritaria difficulty, selon la définition de Alexander Bickel13. Il s’agit de l’un des problèmes les plus connus du droit constitutionnel, une sorte de « malformation congénitale » du contrôle de la constitutionnalité des lois. Ce contrôle instaure une confrontation entre un organe représentatif du peuple, le Parlement, et un organe exerçant une forme de juridiction, certainement pas représentatif. Le juge constitutionnel, dépourvu de la légitimité démocratique a le pouvoir d’annuler des actes qui se trouvent, eux, démocratiquement légitimés. La solution du problème n’est pas aussi simple que l’on pourrait le penser. Il serait très facile de dire que le contrôle de la constitutionnalité est un corollaire de la rigidité de la Constitution. Par conséquent, si l’on croit que la rigidité de la Constitution est une valeur indérogeable, il faut sans doute accepter la présence d’un arbitre, avec certaines conséquences négatives. Par conséquent, le contrôle de la constitutionnalité sera considéré comme un moindre mal face à la possible tyrannie de la majorité. Mais le contrôle de la constitutionnalité n’est pas une simple arithmétique. Le juge constitutionnel est obligé d’interpréter soit l’objet, la loi prétendue inconstitutionnelle, soit le paramètre, la Constitution. Autrement dit, le juge a la possibilité d’interpréter ce qui le législateur aurait voulu dire, et aussi ce qui le Constituant aurait voulu dire. Cela nous amène au véritable problème : l’activisme judiciaire. En fait, il n’y a pas de véritable conflit entre parlement et le juge constitutionnel jusqu’au moment où ce dernier franchit la ligne d’un activisme trop poussé. Le Tribunal fédéral suisse s’est posé une autolimitation en affirmant que « il n’appartient pas au juge constitutionnel de formuler des règles générales auxquelles la concurrence fiscale doit se tenir », mais il est évident que la réponse qu’il a donnée à la question « le barème régressive est-il légitime ? » n’est pas la seule possible. La dégressivité est contraire au principe selon lequel chacun participe en raison de sa capacité économique, peut-on dire le même d’un impôt à taxe unique ? On dirait que non, étant donné que le Canton d’Obwald a introduit un impôt de ce type sans éveiller de mécontentement. Pareillement, la Cour Suprême de l’Ohio a déclaré l’inconstitutionnalité du système de financement de l’Ecole publique parce qu’il n’était pas en mesure d’instaurer un système scolaire « complet et efficace » (art. VI.2 Cst. Ohio), mais qu’est que signifie concrètement « complet et efficace » ? Bien sûr, on pourrait dire que là où il y a des 13 Alexander M. Bickel, The least dangerous branch. The Supreme Court at the Bar of Politics (Yale University Press. 1986). 5 Dipartimento di Scienze Politiche, Giuridiche e Studi Internazionali UNIVERSITÀ DEGLI STUDI DI PADOVA discriminations le système est inefficace, mais un système scolaire peut bien être inefficace tout en garantissant une parité d’accès et de traitement aux citoyens. Là encore, le Tribunal fédéral suisse a procédé un renvoi à la notion de justice distributive telle que développée par Aristote pour tracer les contours de la notion de justice fiscale. Il parait amusant que les juges de Lausanne aient voulu d’un côté se limiter à la façon expliquée auparavant, et de l’autre côté, élargir le paramètre du contrôle jusqu’à interpréter un principe constitutionnel à la lumière d’une notion philosophique. Conclusions provisoires Les réflexions présentée dans mon exposé ne sont que le point de départ d’une recherche plus approfondie que je viens de commencer. Autrement dit, il s’agit d’une hypothèse de travail, qu’il faudra étudier dans le cadre d'une démarche expérimentale. L’hypothèse est la suivante : la juridiction constitutionnelle permet aux juges de redéfinir la structure de la Constitution économique initialement posée par le Constituant. Pour accomplir cette recherche Je souhaite concentrer mon attention sur la notion de justice fiscale, en cherchant à donner réponses à des questions telles que les suivantes : « quelles Constitutions ont introduit des principes permettant de définir la notion de justice fiscale ? » ; « quels juges constitutionnels ont utilisé ces principes pour donner une définition de justice fiscale ? » ; « comment ces principes ont- ils été utilisé par les juges ? ». Bibliographie AMATUCCI, F. 2013. Principi e nozioni di diritto tributario, Torino, Giappichelli. BARCLAY, D. 2013. The Constitutional Vulnerabilities of Kansas’s Income Tax Reforms. University of Kansas Law Review, 61. CARL DAVIS, K. 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