MONTANARI Sonia - Recherches Actions Périnatalité

Transcription

MONTANARI Sonia - Recherches Actions Périnatalité
MONTANARI Sonia
Maîtrise de Psychologie Clinique
Université Paris X Nanterre
MEMOIRE DE RECHERCHE
L’IDENTIFICATION AU HEROS
DANS LES JEUX VIDEO
Sous la direction de Mr Sylvain Missonnier
2004-2005
REMERCIEMENTS
Je tiens à remercier toutes les personnes qui ont contribué à la réalisation de ce mémoire :
Monsieur Sylvain Missonnier,
pour avoir eu l’idée de proposer un séminaire de recherche sur la relation à l’objet virtuel,
thème très intéressant en liaison avec les nouvelles technologies,
pour ses cours laissant place au dialogue et à la réflexion,
pour son encadrement, son écoute et ses conseils
Monsieur Christophe Pic, lead level designer à Ubisoft,
pour m’avoir accordé de son temps et pour sa réflexion concernant le thème de ce mémoire
Les trois jeunes joueurs Squall, Anji et Madcas,
pour avoir accepté de participer activement à cette recherche,
pour m’avoir fait partager leur univers
Ainsi que tout mon entourage pour son soutien
2
RESUME
Ce mémoire de recherche porte sur l’identification au héros dans les jeux vidéo. Il s’intègre à
la réflexion concernant la relation à l’objet virtuel, en ce sens où le jeu permet au sujet
d’incarner un personnage virtuel, évoluant dans un monde virtuel. Comment définir cette
relation à l’objet virtuel dans le cadre particulier des jeux vidéo ?
Nous postulons que le joueur, au cours d’une partie, va s’identifier au personnage qu’il
incarne. Ce personnage, de par sa place, sa personnalité et ses actions, serait appréhendé
comme héros. Cette identification au héros amènerait alors à une revalorisation narcissique.
Pour vérifier ces hypothèses, trois joueurs âgés de 20 à 22 ans ont participé à cette étude. Ils
ont tous les trois un usage très fréquent des jeux vidéo et affectionnent tout particulièrement
les jeux de rôles (RPG). Nous leur avons fait passer un entretien pour évaluer la présence et la
nature du processus d’identification, la vision qu’ils avaient du héros, et pour observer
d’éventuelles traces de revalorisation narcissique. La passation du TAT a permis de conforter
ses suppositions, mais également d’analyser la problématique des sujets de manière beaucoup
plus précise.
Les résultats montrent que le joueur tend à s’identifier au personnage du jeu, et ceci est
directement en lien avec une revalorisation du moi.
Mots clés : virtuel, identification, narcissisme, héros, jeux vidéo
3
SOMMAIRE
Introduction générale
p8
I. PARTIE THEORIQUE
p 10
1. Qu’est- ce que le virtuel ?
p 11
1.1.
Le virtuel, un concept très ancien
p 11
1.2.
Le virtuel, nouvelle conception
p 12
1.3.
Les nouvelles technologies et les changements dans l’identité
p 15
2. Aspects psychanalytiques
2.1.
2.2.
p 19
Les théories classiques
p 19
2.1.1
Du principe de plaisir au principe de réalité et le rôle maternel
p 19
2.1.2
Les éléments féminins et masculins chez Winnicott
p 20
2.1.3
Du mode de relation à l’objet à son utilisation
p 21
2.1.4
L’objet et les phénomènes transitionnels
p 22
2.1.5
Le jeu, un espace transitionnel
p 23
Les théories plus récentes, appliquées au cyberespace
p 25
2.2.1
p 25
Le cyberespace comme espace potentiel
2.2.1. Le paradoxe du cyberespace
p 26
2.2.2. Bénéfique ou dangereux ?
p 26
2.2.3. Les relations via Internet
p 27
2.2.4. Réalité virtuelle ou réalité extérieure ?
p 29
2.2.5. Les trois logiques qui forment l’expérience selon M. Blanco
p 31
2.2.6. Le cyberespace, moteur de persécution ?
p 32
Une voie vers l’addiction ?
p 33
2.3.1. Comment définir l’addiction ?
p 33
2.3.2. Les facteurs de l’addiction
p 37
2.3.3. La théorie de l’attachement de J. Bowlby
p 37
2.4.
L’addiction et la fragilité narcissique
p 39
2.5.
Atelier thérapeutique de jeux vidéo
p 40
2.3.
4
3. Le concept de Narcissisme en Psychanalyse
p 43
3.1.
Définition
p 43
3.2.
Le Narcissisme chez Freud
p 43
3.2.1. Le Narcissisme Primaire : 1ère conception
p 45
3.2.2. Le Narcissisme Primaire : 2ème conception
p 46
3.2.3. Le Narcissisme Secondaire
p 46
Le Narcissisme chez Lacan
p 47
3.3.
4. L’identification
p 49
4.1.
Définition
p 49
4.2.
Evolution du concept chez Freud
p 49
4.2.1. L’hystérie et le rêve
p 49
4.2.2. La théorie de la sexualité
p 51
4.2.3. Narcissisme et identification chez les homosexuels
p 52
4.2.4. Totem et Tabou : l’identification totémique
p 52
4.2.5. Deuil et Mélancolie : l’identification narcissique
p 54
4.2.6. La Métapsychologie
p 55
4.2.7. Le complexe d’Œdipe
p 56
L’identification projective de Mélanie Klein
p 57
4.3.
5. Le lien étroit avec la culture
p 58
5.1.
Les contes
p 58
5.2.
Le mythe du héros
p 59
5.2.1. Caractéristiques générales
p 59
5.2.2. L’épopée
p 62
5.2.3. Le héros à travers les époques
p 62
5.3.
Les contes de fées et les mythes
p 67
5.4.
Cultures littéraire, cinématographique, et jeux vidéo
p 68
6. Les jeux vidéo
6.1.
p 69
Caractéristiques
p 69
6.1.1. Les supports
p 69
6.1.2. Où et comment jouer aux jeux vidéo ?
p 70
6.1.3. Catégories et exemples
p 71
5
6.2.
Entretien avec Christophe Pic, Lead level designer à Ubisoft
7. Quelques réflexions sur les jeux vidéo
p 76
p 80
7.1.
L’aspect interactif du jeu vidéo
p 80
7.2.
La créativité dans les jeux vidéo
p 81
7.3.
La violence dans les jeux vidéo
p 81
7.4.
La compétitivité, un attrait pour les joueurs
p 84
7.5.
La notion de toute-puissance dans les jeux vidéo
p 84
Problématique
p 86
II. PARTIE EMPIRIQUE
p 90
1. Hypothèses théoriques
p 91
2. Méthode
p 91
2.1.
Population
p 91
2.2.
Outils
p 93
2.2.1. L’entretien semi-directif
p 93
2.2.2. Le TAT
p 96
3. Hypothèses opérationnelles
p 98
III. RESULTATS
p 101
1.
Squall
p 102
1.1. Analyse de l’entretien
p 102
1.2. Analyse du TAT
p 106
2. Anji
p 114
2.1. Analyse de l’entretien
p 114
2.2. Analyse du TAT
p 119
6
3. Madcas
p 129
3.1. Analyse de l’entretien
p 129
3.2. Analyse du TAT
p 134
IV. DISCUSSION
p 144
Conclusion
p 147
Bibliographie
p 148
Annexes
p 150
7
INTRODUCTION
Les trente dernières années ont connu un essor sans précédent en ce qui concerne les
nouvelles technologies. De plus en plus de foyers sont dotés d’un équipement informatique et
abonnés à Internet. Les chiffres le montrent : actuellement, 12 millions de foyers possèdent un
ordinateur (contre 7 millions en 2001), et 24,30 millions de personnes se sont connectées au
mois de juillet 2005 (contre 11 millions en mai 2001).
Internet propose un grand nombre de services et devient un support de communication (emails, messageries instantanées), et ce par le biais d’images virtuelles.
En parallèle, l’intérêt pour les jeux vidéo s’accroît au fur et à mesure de leur évolution. Le
secteur occupe la première place dans les loisirs des jeunes. Les revenus du jeu vidéo, à savoir
30 milliards de dollars, ont dépassé ceux de l’industrie cinématographique.
Ce mémoire s’intéresse en premier lieu aux nouveaux modes de relations qui peuvent
s’instaurer au sein d’un espace virtuel.
Nous commencerons par développer la notion de virtuel, telle qu’elle a été pensée par
Aristote, puis telle qu’elle est définie par Pierre Levy, dans son ouvrage Qu’est-ce que le
virtuel ? Il s’agira ensuite d’étudier l’œuvre de Winnicott, Jeu et Réalité, concernant le mode
de relation à l’objet, l’objet transitionnel et le jeu comme espace transitionnel chez l’enfant.
Ce passage par les théories classiques permettre de faire un lien avec le cyberespace, abordé
par Civin comme un espace potentiel, espace qui pourrait permettre le passage d’un mode de
relation partielle à un mode de relation totale.
Le thème de cette recherche est basé sur la relation à l’objet virtuel dans le cadre particulier
des jeux vidéo. Nous postulons qu’il y a identification au héros dans les jeux vidéo, et que ce
processus engendre une revalorisation narcissique chez le joueur.
Les concepts d’identification et de narcissisme seront donc développés, principalement en
référence à la théorie freudienne. Freud, en évoquant l’exemple de la tragédie, parle
d’identification au héros s’opérant sur un trait spécifique et méconnu du sujet. Ce processus
inconscient va réconforter le moi. Plus tard, dans Totem et Tabou, il affirmera que créer la
figure de héros permet de se réconcilier avec le père, vu comme idéal : « L’identification
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permet de déplacer le désir dans le héros, l’idéal, qui est l’insigne, le symbole, l’impossible
exemple ». L’identification est selon Freud une opération purement narcissique.
L’identification au héros et son effet revalorisant seraient plus prégnants dans les jeux de rôle.
Les RPG mettent en scène un personnage qui se rapproche de celui du héros présent dans la
littérature enfantine et adulte, ainsi que dans le cinéma. Il serait charismatique, véhiculerait
certaines valeurs (fidélité, amitié, foi), franchirait des étapes et aurait un rôle décisif dans
l’histoire.
Quel va être le rapport que le joueur établit avec le personnage qu’il incarne ? Y a-t-il
identification au héros (personnage principal et héros dans son acceptation commune) dans les
jeux vidéo ? Quelle est la nature de cette identification et conduit-elle à une revalorisation
narcissique ? Serait-elle constitutive de L’Idéal du moi ?
Nous tacherons d’apporter des éléments de réponses à ces questions en interrogeant trois
sujets masculins âgés de 20 à 22 ans, jouant très fréquemment aux jeux vidéo et affectionnant
particulièrement les RPG. L’entretien sera suivi du TAT, test projectif évaluant la
personnalité.
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I
PARTIE THEORIQUE
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PARTIE THEORIQUE
I) Qu’est-ce que le virtuel ?
« Je crois que la souffrance de subir la virtualisation sans la comprendre est une des
principales cause de la folie et de la violence de notre temps ». Pierre Levy
Nous verrons, au cours de notre développement, qu’il y a deux conceptions générales du
virtuel, à savoir le virtuel dans son acceptation philosophique, et le virtuel issu d’une
conception plus moderne, directement en rapport avec les nouvelles technologies.
1.1) Le virtuel, un concept très ancien :
Dans la philosophie ancienne, le virtuel signifie « en puissance », « potentiel ». Le fondement
de la théorie philosophique sur la notion de virtuel s’inscrit dans la compréhension de
l’actualisation, c’est à dire du passage du virtuel à l’actuel. Le virtuel s’oppose ici à tout ce
qui est « en acte », à « l’actuel », et est en étroite relation avec le désir et l’idée de puissance,
de dynamique, ce n’est pas seulement un champ de possibles ou ce qui peut advenir. Il
précède, annonce, englobe l’actuel.
Parmi les nombreux philosophes ayant réfléchi autour de cette notion, je consacrerai quelques
lignes à la théorie d’Aristote, qui me paraît particulièrement intéressante en ce sens qu’elle
s’inscrit tout à fait dans la théorie de l’actualisation.
Aristote distingue dans toute chose deux aspects : une forme, qui fait que la chose est ce
qu’elle est, et une matière, qui est le support de la forme. Soit une statue de Zeus : sa matière
est le bloc de marbre dans lequel elle a été sculptée ; sa forme, l’ensemble des déterminations
qui lui permettent de représenter le dieu grec. En d’autres termes, la statue de Zeus est
contenue à la fois dans la faisabilité découlant d’un bloc de marbre, et à la fois dans la tête du
sculpteur, dans ses compétences et son objectif.
La matière est donc essentiellement indétermination : un bloc de marbre pourra devenir statue
ou tout autre chose. Elle est donc le sujet du changement, elle est « puissance », c’est-à-dire
virtualité. « Exister en puissance » s’oppose à « exister en acte », à savoir selon une forme
réalisée. Cette distinction entre la puissance et l’acte pourrait s’apparenter à une distinction du
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virtuel et de l’actuel. Le bloc de marbre est la statue de Zeus en puissance mais l’œuvre
achevée est la statue de Zeus en acte.
Pour comprendre le passage de la puissance à l’acte, Aristote évoque également d’autres
domaines, notamment biologique (la reproduction et la maturation biologiques font advenir le
vivant virtuel à sa maturité actuelle, mais l’amènent aussi à un degré 0 d’actualité par la
mort), et politique (l’homme est un animal politique, il contient « en puissance » la cité, c’est
« en lui », avant même que celle-ci existe).
Les causes du passage de la puissance à l’acte sont de nature métaphysique, et peuvent donc
donner lieu à toutes les actualisations possibles.
1.2) Le virtuel, nouvelle conception :
Une conception plus moderne vise à mettre le virtuel en relation avec l’artificiel et à l’associer
aux nouvelles technologies (l’informatique notamment). Il est principalement perçu comme le
dérivé des nouvelles technologies et du progrès des sciences et techniques.
On l’oppose souvent à la nature et au naturel. En effet, dans un monde virtuel, il y a toujours
une sorte de médiation : ce monde fonctionne selon des règles qu’il s’est imposées. L’individu
va alors lui apporter une signification et une certaine structure, tout cela dans une optique
dynamique. Un des aspects du virtuel est qu’il permet à chacun de fonctionner comme dans le
monde actuel, sans toutefois en subir les conséquences, en étant en quelque sorte protégé : on
voit ce phénomène dans les rêves, les jeux vidéo, ou bien les « chats » sur Internet.
Dans cette conception moderne, le virtuel se dégage de l’actuel. Le fait d’actualiser des
données numérisées va avoir pour effet une virtualisation. Le virtuel englobe toutes les
productions et les représentations obtenues par la numérisation.
Le virtuel amène à un processus complexe : il ne se contente pas de répondre à une question
mais laisse beaucoup de perspectives et de portes ouvertes pour penser. La virtualisation est
donc vue ici comme créatrice.
La notion de virtuel a très certainement évolué parallèlement à l’essor d’une nouvelle forme
de progrès, notamment les nouvelles technologies avec le multimédia, qui confèrent au virtuel
toute sa puissance. En effet, le multimédia est polyvalent : l’individu recherche une
information, se pose une question particulière, et s’en suit une réponse quasi-immédiate,
doublée de possibilités nouvelles et très variées (liens Internet). Ceci renvoie à la notion de
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plaisir, étant donné que le manque est ici aussitôt satisfait, mais aussi à la notion d’autonomie
et d’autosuffisance.
Le multimédia est aussi interactif, et ce à plusieurs niveaux : les messageries instantanées, les
e-mails, permettent aux gens de communiquer entre eux ; les jeux ont un aspect ludique,
permettent un affrontement homme/ machine (ex : jeux d’échecs contre l’ordinateur).
Enfin, il contient une mémoire : un ordinateur peut en effet tout mémoriser, mais l’homme
peut sélectionner les informations qu’il souhaite garder.
Tous ces aspects du multimédia sont présents chez l’homme, ce qui lui confère une puissance
particulière (CF : Le virtuel : la présence de l’absent, H. Lisandre, S. Missonnier).
Dans son ouvrage Qu’est-ce que le virtuel ?, Pierre Lévy étudie la virtualisation, « qui
remonte de l’actuel vers le virtuel » contrairement à la conception philosophique générale
évoquée plus haut, qui elle analysait le passage du virtuel à l’actuel.
Le virtuel ne s’oppose pas au réel comme on pourrait le penser, mais à l’actuel. En effet, « le
virtuel tend à s’actualiser, sans être passé cependant à la concrétisation effective ou
formelle ». Afin de mieux rendre compte de cette notion, Levy en vient à définir d’autres
termes lui faisant écho et tente de les mettre en rapport.
La virtualisation est le mouvement inverse de l’actualisation, c’est le passage de l’actuel au
virtuel, une mutation d’identité. Le virtuel est comme un complexe, un champ problématique
accompagnant une situation, un événement ou un objet, et qui appelle à un processus de
résolution. En somme, on dira que virtualiser un événement, une situation, un objet, consiste
à:
- découvrir une question générale à laquelle il se rapporte
- faire muter l’évènement en direction de cette question
- redéfinir l’actualité de départ comme réponse à une question particulière (idée d’un
retour).
Le possible est déjà tout constitué, mais il est latent. Il se réalisera sans que rien ne change
dans sa nature ni dans sa détermination (potentialisation).
L’actualisation invente une forme, elle crée une information radicalement nouvelle, c’est un
événement, une occurrence : un acte non pré-défini s’accomplit et modifie en retour la
configuration dynamique dans laquelle il prend une signification.
La réalisation, quant à elle, nourrit de matière une forme pré-existante. La réalisation
appartient à l’ordre de la sélection, tout comme la potentialisation.
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Latent
Manifeste
Substance
Possible
Réel
Evènement
Virtuel
Actuel
La virtualisation n’est pas quelque chose d’illusoire, ni une dématérialisation. Elle est plutôt
en rapport avec la déterritorialisation. En effet, elle se caractérise tout d’abord par son
détachement de l’ici et maintenant : on se détache de l’espace physique ou géographique et de
la temporalité habituels : messagerie instantanée, retransmission en direct… (unité de temps
sans unité de lieu,) e-mail, répondeurs… (continuité d’action malgré une durée discontinue).
Ces nouveaux modes de communication vont s’opérer dans des milieux différents et dans des
vitesses différentes. La virtualisation invente donc des vitesses qualitativement nouvelles et
des espaces-temps mutants.
Elle se caractérise également par le passage de l’intérieur à l’extérieur et vice versa : c’est
l’effet Moebius. On y voit les passages alternés entre privé et public, propre et commun,
subjectif et objectif, auteur et lecteur…
Pierre Lévy évoque plusieurs exemples de virtualisation :
- La virtualisation du corps : le téléphone virtualise l’ouïe, la télévision la vue, les
systèmes de télé-manipulations le toucher (la chirurgie à distance par exemple)…
- La virtualisation du texte : le texte est un objet virtuel, abstrait, indépendant d’un
support particulier. Il va s’actualiser quand il sera traduit, édité, copié, et lu. Mais un livre est
quelque chose de pré-établi, de pré-concis. L’hypertexte, quant à lui, amène à toute une série
de possibles : le texte actuel peut être modifié, reconfiguré, réorganisé, connecté à d’autres
textes ou corpus hypertextuels, et à des instruments aidant à l’interprétation ; tout cela avec
une rapidité extrême.
- La virtualisation de l’économie : le tourisme ( ne pas être là, s’éloigner de son
domicile…), la communication (télécommunications, informatique, médias…), le commerce,
la finance (la monnaie, objet virtuel, est plus facile à échanger, partager), l’enseignement, la
médecine (virtualisation du corps)… Auparavant, les connaissances et les métiers restaient
stables, désormais les connaissances se renouvellent et les informations circulent librement,
sans pour autant disparaître.
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Selon lui, trois virtualisations ont forgé l’humain :
1) Les langages, qui sont la virtualisation du présent, de l’ici et maintenant. Ils
virtualisent le temps réel, les choses matérielles, les évènements actuels et les situations en
cours. Nous avons, grâce au langage, la possibilité de connaître le passé à travers les récits
transmis de générations en générations, et par ce fait de nous détacher en partie du moment
présent pour aller dans un autre lieu, à une autre époque. Cette virtualisation passe par l’objet,
un objet indépendant des perceptions et des actes individuels, et qui peut être utilisé, partagé
par d’autres personnes.
2) La technique quant à elle virtualise l’action, par le biais de l’outil : par exemple, la
roue d’un vélo va être la virtualisation de la marche. Les objets techniques passent de mains
en mains, font partie de l’usage commun et sont les messagers d’une mémoire collective.
3) Le contrat virtualise la violence. En effet, la religion, la morale et les lois sont des
dispositifs pour virtualiser les relations fondées sur les rapports de force. Cette virtualisation
passe donc par un objet, qui induit des liens sociaux non-violents.
Tous ces objets et notamment le cyberespace sont communs et permettent le bon
développement de l’intelligence individuelle et collective.
Réel et virtuel sont en fait deux modes distincts d’existences réelles. En résumé, d’un point de
vue philosophique, le virtuel est le passage de la puissance à l’acte (montée de la puissance en
acte) ; et d’un point de vue plus contemporain, c’est l’élévation à la puissance, de l’actuel
(descente de l’actuel au virtuel).
1.3) Les nouvelles technologies et les changements dans l’identité :
Selon Serge Tisseron, dans Le virtuel : la présence de l’absent, les nouvelles technologies
introduisent des changements dans l’identité. Ceci est visible dans l’identification au héros,
dans la reconnaissance de la distinction entre l’actuel et le virtuel (entre le vivant et le nonvivant), entre l’intime et le public, ainsi qu’au niveau des repères de l’image de soi.
Pour ce qui est de la distinction entre l’actuel et le virtuel, Tisseron affirme que l’homme a
tendance à croire ce qu’il voit. Cela vient de notre propre histoire, avec le moment où nous
avons eu une première représentation visuelle de notre environnement et où nous avons
décidé d’y croire (ceci fait référence aux origines de la pensée), où nous nous sommes
regardés pour la première fois dans une glace et où nous avons pris la décision de nous y
reconnaître (ceci fait référence aux origines de l’identité individuelle), et enfin où nous avons
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décidé de considérer les images du monde que nous donnait notre entourage comme vraies
(ceci fait référence aux origines de l’identité de groupe).
Pourquoi croyons-nous aux images ? Parce que le désir de savoir est entièrement lié au fait de
se donner des images. Au début de la vie, les choses sont ressenties en grande partie par le
biais des sensations, par ce qui se passe dans le corps. L’imago et sa représentation au niveau
mnésique vont permettre à l’enfant de se différencier de sa mère et de décrypter
l’environnement, ainsi que d’accéder à une pensée objectivable et reproductible. Nous y
croyons également afin de conserver une image de soi, une image entière comme nous l’avons
vue dans le miroir. Cette croyance en l’image fait face aux angoisses archaïques de
morcellement. En effet, notre reflet dans le miroir nous donne l’impression d’être unifié et
nous permet de surmonter notre division intérieure. Enfin, le fait d’être en groupe va favoriser
notre croyance en l’image, puisque tout le monde y croit avec nous. L’individu va avoir
l’impression de participer, d’être à l’écoute des mêmes choses que les autres, et va pouvoir
ensuite en discuter avec eux.
Les images sont de plus en plus perçues comme des constructions plutôt que comme des
significations. Les gens s’intéressent à la manière dont elles ont été faites et de ce qu’ils
peuvent en faire. On le voit par exemple dans le jeu Tamagotshi, où l’on peut aussi bien
nourrir, soigner son animal ou le tuer. On voit ici que l’enfant ne confond pas le réel et le
virtuel puisqu’il ne tue pas pour autant son animal domestique. Les enfants, grâce aux
nouveaux jeux qu’ils ont (jeux vidéo…), sembleraient s’habituer davantage aux nouvelles
formes d’images que les adultes, et à les manipuler sans les confondre avec la réalité,
l’actualité et ses reflets.
De plus, les nouvelles technologies brouillent les repères entre ce qui est intime, ce que l’on
ne partage pas ou seulement avec un être très proche, et ce qui est public, ce qu’on accepte de
partager avec un grand nombre d’individus. Nous le voyons à travers le téléphone portable.
Avant, les coups de téléphone étaient passés à la maison ou dans une cabine. De nos jours, les
gens discutent par portable interposé dans les lieux publics (RER, train, restaurant, boutiques,
rue…), laissant des inconnus écouter leur conversation. Le correspondant n’en sait rien, où
même cela ne le dérange pas d’évoquer son intimité puisqu’il est loin et qu’il ne voit pas les
autres.
On observe ce même phénomène avec la photographie. De plus en plus de photos montrent
des corps dénudés ou des personnalités célèbres passant leurs vacances à la plage ou ayant
une liaison extra-conjugale. Nous avons aussi l’exemple de l’échographie ou encore des très
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nombreuses photos prises par les parents de leurs enfants, mais cela pose un certain problème
de distance et de droit à l’intimité. En effet, les parents, avec l’objectif, s’éloignent en quelque
sorte de leur enfant, et perdent un instant puisqu’ils étaient en train d’appuyer sur le bouton :
ils échappent ainsi au présent, avec comme prétexte de conserver ces moments pour l’avenir.
Ceci est d’autant plus flagrant quand on voit l’émergence des webcams au domicile des
individus. Les foyers disposent en général d’une webcam, qui se situe à côté de leur
ordinateur, et qui leur permet ainsi d’être vus par leurs correspondants s’ils le souhaitent
lorsqu’ils sont en train de chatter sur des messageries instantanées (MSN, Yahoo, AIM : ces
messageries permettent de dialoguer par écrit, en direct, avec une personne connectée à un
autre ordinateur). Notons tout de même que les deux interlocuteurs doivent « accepter » pour
mettre en marche leur webcam ou celle de l’autre, et que cela reste cantonné au cercle
familial, aux amis ou autres « contacts » détenant l’adresse MSN, Yahoo de l’interlocuteur.
Le dévoilement de l’intimité est donc restreint. Par contre, il est possible de voir la vie de
certaines personnes par le biais de webcams sur Internet (www.planete-webcam.com). Ici,
n’importe qui peut voir ce qu’il se passe chez la personne.
Nous sommes également témoins de nouvelles émissions télé, telles que la télé-réalité, où des
personnes sont filmées 24h/24 (Loft Story, La Ferme des Célébrités…). Là aussi, les
téléspectateurs entrent directement dans l’intimité des « acteurs ». On voit ceci à la télévision
mais aussi sur Internet (en général nos chaînes nationales ne diffusent que des extraits et
peuvent censurer certains passages, alors qu’Internet permet le visionnage 24h/24).
Enfin, il existe des sites où les internautes peuvent créer leur « blogs », sorte de journaux
intimes, consultables par n’importe quelle personne se connectant au site (Skyblog par
exemple). Ces blogs contiennent des photos ainsi que des renseignements sur la vie du sujet,
et les autres membres du site peuvent lui laisser des messages. Les nouvelles technologies
rendent donc possible à chacun de dévoiler son intimité devant des millions de personnes.
Tisseron émet l’idée que l’image de soi a été dans un premier temps liée aux regards des
autres, à ce qu’ils nous renvoyaient, puis aux miroirs et aux photographies qui sont apparus
par la suite. L’apparence est en rapport avec l’identité : les gens sont tels que nous les voyons
et nous-même sommes tels que nous nous voyons. Au départ, la photographie, peu
développée, permettait de fixer des instants et de garder notre identité profonde au fur et à
mesure que nous changions dans le miroir. De nos jours, avec le nombre faramineux d’images
de soi, nous recherchons des repères non-visuels de l’identité. Nous avons différentes
représentations de soi, et l’identité ne s’attache plus à une représentation. Nous ne pouvons
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plus nous attacher qu’à une référence visuelle de nous-même, il faut maintenant instaurer des
repères non-visuels (indicateurs sensoriels, émotifs, cénesthésiques). L’image de soi n’est plus
figée à cause de la multiplication des photographies, caméras, et cela ne permet pas de
constituer un repère quant à notre identité.
Selon Tisseron, quand le sujet d’identifie à un héros de télévision, de cinéma, il le fait pour
une caractéristique : la force, la moralité, le courage, l’ingéniosité du héros. Il ne s’identifie
pas globalement à lui. Cette identification va se faire à partir de modèles que l’on a imité dans
l’enfance, et qui ont visé les personnages réellement importants dans notre entourage (parents,
frères et sœurs, camarades…). Les images, elles, se contentent de donner des modèles aux
enfants qui les cherchent, mais ne suffisent pas à donner à l’enfant la volonté d’accomplir des
actions. Ces modèles seront adoptés s’ils vont dans le même sens que les identifications
préalables qui se sont formées chez l’enfant avec l’environnement proche ; et n’ont aucun
effet s’ils sont contraires à ces identifications. Les nouvelles technologies font que les images
sont de plus en plus vues comme des constitutions et de moins en moins comme des
imitations, des reflets, des modèles. Les enfants savent prendre du recul face à un personnage,
un héros violent et le critiquer. Ceux qui regardent la télévision ou jouent beaucoup aux jeux
vidéo font d’ailleurs beaucoup plus de remarques sur les conditions de production et de
diffusion des images que sur leur contenu et leur héros.
18
II) Aspects psychanalytiques :
Dans ce chapitre, plusieurs auteurs, oeuvres et concepts seront évoqués, de manière à
appliquer la notion de virtuel à des phénomènes plus spécifiques, phénomènes plus
particulièrement en rapport avec notre recherche.
2.1) Les théories classiques :
2.1.1) Du principe de plaisir au principe de réalité et le rôle maternel:
S. Freud a évoqué l’expérience de satisfaction, expérience originaire, première, qui consiste
en l’apaisement chez le nourrisson d’une tension interne créée par le besoin alimentaire. Le
bébé, n’étant pas capable d’arrêter seul cette tension, se trouve en situation de détresse. Une
fois satisfait, il va avoir l’image de l’objet qui l’a satisfait. Se constitue alors une trace
mnésique, c’est à dire l’association de l’image du besoin et de l’objet qui l’a satisfait.
Lorsque le bébé a de nouveau faim, il va réinvestir la trace mnésique de cette première
expérience de satisfaction. Il va investir l’image de l’objet de satisfaction sous la forme d’une
hallucination. C’est ce que Freud appelle la satisfaction hallucinatoire du désir. Mais ce type
de satisfaction ne lui suffit pas.
En effet, quand le bébé s’aperçoit qu’il a toujours faim (lors du sevrage), il est déçu, et c’est
cette déception qui est fondatrice de sa vie psychique, puisqu’il va saisir la différence entre ce
qu’il attend et la réalité de l’objet externe en lui-même. C’est l’épreuve de réalité, l’objet de
satisfaction manque. Selon la définition de J. Laplanche et J.B Pontalis, l’épreuve de réalité
est un processus permettant au sujet de distinguer les stimuli provenant du monde extérieur
des stimuli internes, et de prévenir la confusion possible entre ce que le sujet perçoit et ce
qu’il ne fait que se représenter, confusion qui serait au principe de l’hallucination. Elle est
définie comme un dispositif permettant d’opérer une discrimination entre les excitations
externes, sur lesquelles l’action motrice a prise, et les excitations internes, que celle-ci ne peut
supprimer. Ce dispositif est rattaché au système conscient en tant que celui-ci commande la
mobilité, il est rangé parmi les grandes institutions du moi. L’épreuve de réalité peut être mise
hors d’état de fonctionner dans les affections hallucinatoires et dans le rêve, dans la mesure où
se détourner de la réalité est corrélatif d’un état de désinvestissement du système conscient :
celui-ci se trouve alors libre pour tout investissement qui lui parvient de l’intérieur
(Vocabulaire de la Psychanalyse, p 138-139).
19
Se forment alors les premières représentations, et c’est l’absence qui va créer le désir, le
mouvement vers ce qui manque. La recherche de satisfaction s’opère donc à travers une
insatisfaction, car la satisfaction première est perdue. On voit bien ici que ce n’est que lorsque
l’objet est absent que l’on peut le désirer.
En résumé, c’est le sevrage qui va permettre à l’enfant de faire la distinction entre lui et
l’objet partiel (le sein de la mère). Auparavant, le sein était vu comme partie intégrante de luimême.
Winnicott évoque également le rôle de la mère, qui doit être « suffisamment bonne » pour que
son enfant puisse passer du principe de plaisir au principe de réalité. Elle doit s’adapter
activement aux besoins de son enfant, totalement au départ, puis laisser l’enfant petit à petit
en proie à des frustrations. Au début, ceci permet de donner au bébé l’illusion que le sein est
partie intégrante de lui-même. La mère va devoir alors désillusionner son enfant
progressivement. On a donc dès la naissance un problème de relation entre ce qui est
objectivement perçu et ce qui est subjectivement conçu. L’objet subjectif (qui est du ressort
des mécanismes projectifs mentaux et qui n’est pas encore considéré comme non-Moi) va
petit à petit se relier aux objets perçus objectivement. En résumé, l’environnement tient une
place prépondérante (ici la mère) dans la manière dont son bébé va accepter la perte de
l’omnipotence.
2.1.2) Les éléments féminins et les éléments masculins chez Winnicott:
L’auteur part du fait que chaque individu a en soi des éléments féminins et des éléments
masculins (en quantités variables) et inscrit cette caractéristique dans la relation d’objet.
L’élément féminin permet, lorsqu’il découvre le sein, la constitution de l’identité (l’élément
fille est le sein, autrement dit le bébé et l’objet ne font qu’un). On retrouve ce concept chez
Freud sous le terme « d’identification primaire », forme la plus originaire du lien affectif à un
objet. « C’est le mode primitif de constitution du sujet sur le modèle de l’autre ». (J.
Laplanche et J. B Pontalis, Vocabulaire de la Psychanalyse, p.192).
Ce mode du lien de l’enfant à une autre personne a été décrit principalement comme première
relation à la mère, avant qu’il y ait une distinction claire entre le soi et le non-soi, entre le
bébé et l’objet partiel (le sein). L’identification primaire est liée à la phase orale et marquée
par le processus de l’incorporation.
20
Pour Freud, il s’agit d’une identification au père de la « préhistoire personnelle » pris par le
garçon comme idéal. Il s’agit d’une identification directe, immédiate, et qui se situe avant tout
investissement d’objet.
Ce sentiment d’être va alors permettre au sujet d’acquérir le sentiment de soi, le sentiment
d’unité. L’individu atteint l’être avant le faire. Cette idée développée quant à l’être se
retrouve dans la position dépressive décrite par M. Klein. Cette phase succède à la position
schizo-paranoïde, où les pulsions agressives coexistent d’emblée avec les pulsions libidinales,
où l’objet est partiel (le sein maternel) et clivé en « bon » et « mauvais » objet, où
l’introjection et la projection sont prévalentes et où l’angoisse est persécutive (à cause du
mauvais objet).
Dans la position dépressive, qui apparaît vers le quatrième mois et qui est petit à petit
surmontée au cours de la première année (elle peut tout de même être réactivée plus tard lors
d’un deuil ou d’une dépression par exemple) ; l’enfant est désormais capable de voir sa mère
comme un objet total, le clivage entre bon et mauvais objet s’atténue, les pulsions agressives
et libidinales visent le même objet. De même, l’écart entre l’objet fantasmatique interne et
l’objet externe se réduit. L’angoisse est dépressive, elle est liée à la peur de détruire et de
perdre la mère (du fait sadisme infantile), et est combattue par des défenses maniaques ou des
défenses plus adéquates comme la réparation ou l’inhibition de l’agressivité. Cette angoisse
peut être surmontée quand la mère est introjectée de manière stable et sécurisante (J.
Laplanche, J.B. Pontalis, Vocabulaire de la Psychanalyse, p. 316-318).
L’élément masculin quant à lui va amener le bébé, dès que l’organisation du moi s’est
constituée, à voir l’objet comme séparé de lui, comme « non-moi ». L’enfant va se satisfaire
des pulsions de colère du ça résultant de la frustration, ce qui va ainsi le séparer de l’objet. Il y
a ici une motion pulsionnelle qui se traduit par : se relier activement à, ou être relié
passivement à, deux attitudes fonctionnant sur le mode instinctif (l’élément masculin fait).
2.1.3) Du mode de relation à l’objet à son utilisation :
D’autre part, Winnicott distingue le mode de relation à l’objet (relating) et l’utilisation de
l’objet. La première peut être décrite comme une expérience du sujet et peut se référer à
l’objet subjectif, tandis que la deuxième n’est en rapport qu’avec un objet réel, de la réalité
extérieure partagée. L’utilisation nécessite une capacité qui va se développer petit à petit et
qui fait référence à un changement qui s’opère dans le principe de réalité. On part donc d’une
21
relation à l’objet pour terminer sur son utilisation. Mais que se passe t-il entre ces deux
phases ? L’auteur nous explique que l’enfant va accorder une place extérieure et une entité
propre à l’objet, en dehors de l’aire du contrôle omnipotent. Ceci signifie qu’il détruit l’objet.
Le cheminement de la pensée de l’enfant décrit par Winnicott est intéressant, j’ai donc choisi
de le retranscrire tel quel :
L’enfant dit : « Hé ! l’objet, je t’ai détruit ». « Je t’aime ». « Tu comptes pour moi parce que
tu survis à ma destruction de toi ». « Puisque je t’aime, je te détruis tout le temps dans mon
fantasme (inconscient) » (p 169). Le fantasme « fait ressentir la réalité de l’objet qui survit
comme tel, renforce la qualité du sentiment et contribue à l’établissement de la constance de
l’objet » (p 175). L’enfant détruit l’objet car il n’est plus sous contrôle omnipotent, mais c’est
cette pulsion destructrice à valeur positive qui place aussi l’objet hors de ce contrôle. Le sujet
peut alors placer l’objet en dehors de soi et l’utiliser.
2.1.4) L’objet et les phénomènes transitionnels :
La conception freudienne, qui est certes très simplifiée ici, est étroitement en lien avec celle
de Winnicott sur l’objet transitionnel. En effet, l’enfant, au cours de son développement, va
petit à petit intégrer des objets externes à son propre schéma. Le pouce, le doudou, puis l’ours
en peluche et la poupée vont venir se substituer au fur et à mesure au sein de la mère et à tout
ce qui s’en suit. C’est le symbole du sein, et en utilisant ce symbolisme, l’enfant peut alors
faire la distinction entre ce qui relève du fantasme et ce qui est un fait réel, ce qui relève de
l’objet interne et ce qui est un objet externe…
« J’ai introduit les termes d’ « objets transitionnels » et de « phénomènes transitionnels »
pour désigner l’aire intermédiaire d’expérience qui se situe entre le pouce et l’ours en
peluche, entre l’érotisme oral et la véritable relation d’objet, entre l’activité créatrice
primaire et la projection de ce qui a déjà été introjecté, entre l’ignorance primaire de la dette
et la reconnaissance de celle-ci » (Winnicott, Jeu et réalité, p28-29).
Les phénomènes transitionnels représentent les gestes, les mots, les mélodies habituels que
l’enfant va utiliser pour s’endormir, et qui vont avoir une très grande importance puisqu’ils
auront pour but de pallier à l’angoisse, angoisse de type dépressif la plupart du temps. Ils
apparaissent selon Winnicott vers 4, 6, 8 ou 12 mois, et cela avec de grandes variations. Nous
avons également les objets dits transitionnels (le doudou, le coin de la couverture ou la
peluche), qui ont été découverts par l’enfant et qui le suivront partout où il ira. « Ce n’est pas
l’objet, bien entendu, qui est transitionnel. L’objet représente la transition du petit enfant qui
passe de l’état d’union avec la mère à l’état où il est en relation avec elle, en tant que quelque
22
chose d’extérieur et de séparé » (Jeu et réalité, p50). Cet objet, si le développement est
« normal », est voué à un désinvestissement progressif et va perdre sa signification dès le
moment où l’enfant va avoir des intérêts culturels. En d’autres termes, les phénomènes
transitionnels vont se propager dans cette zone intermédiaire qui est le domaine culturel (arts,
religion, vie imaginaire…), et qui se situe entre la réalité psychique interne et le monde
externe.
Winnicott souhaite opérer la distinction avec le concept d’objet interne développé par M.
Klein. Pour lui, l’objet transitionnel est une possession, contrairement à l’objet interne qui est
un concept mental. Il n’est jamais sous contrôle magique comme l’objet interne ni hors de
contrôle comme la mère. L’enfant peut utiliser l’objet transitionnel quand l’objet interne est
vivant, réel et suffisamment bon. Mais les qualités de cet objet interne dépendent des qualités
de l’objet externe. Si ce dernier comporte un manque, il va conduire à un état de mort ou de
fonction persécutrice de l’objet interne ; et si ce manque perdure, cela retire toute signification
de l’objet interne et donc de l’objet transitionnel pour l’enfant. Si la mère s’absente trop
longtemps par exemple, l’enfant va mettre un processus en marche qui est le déni de la crainte
que l’objet transitionnel perde sa signification.
Winnicott parlera plus tard dans son livre d’amorce de la constitution de l’objet dans le
psychisme de l’enfant, représentation mentale qui est possible grâce aux disponibilités
répétées de la mère. Si la mère s’absente trop longtemps, l’imago s’efface et ne réapparaît
plus même lorsque la mère revient, le bébé est traumatisé. Pour y remédier, il faut que la mère
répare la structure du Moi en s’occupant beaucoup de son enfant, ce qui permettra de rétablir
chez lui le symbole d’union.
Winnicott parle de paradoxe et d’acceptation du paradoxe pour évoquer l’objet transitionnel :
le bébé crée l’objet, mais ce dernier était déjà là et attendait d’être créé et investi.
L’acceptation de ce paradoxe réside dans la capacité de la mère à instaurer une relation de
confiance. En effet, elle ne mettra jamais son bébé à l’épreuve en lui demandant : « As-tu crée
l’objet ou l’as-tu trouvé ? ».
2.1.5) Le jeu, un espace transitionnel :
Winnicott en vient à parler du jeu (l’action de jouer ou playing). Le jeu a des caractéristiques
spatio-temporelles qui lui sont propres : en effet, il se situe dans l’espace potentiel entre la
mère et le bébé (il ne fait pas partie du dedans ni du dehors, c’est à dire ni de la réalité
23
psychique interne ni du monde extérieur, bien qu’il soit en dehors de l’individu). Dans cet
espace, l’enfant va utiliser des objets extérieurs et les assimiler à ce qu’il a retiré de sa réalité
interne (il les met au service du rêve). Le jeu s’établit dans un sentiment de confiance en la
mère qui permet au bébé d’exercer son omnipotence sans que celle-ci ne soit remise en cause.
B. Bettelheim affirme que dans le jeu, les objets (poupées…) sont utilisés pour personnifier
différents aspects de la personnalité de l’enfant qui sont trop complexes, inacceptables et
contradictoires pour qu’il parvienne à les contrôler. Ceci va permettre au Moi d’avoir une
certaine maîtrise sur ces éléments, chose qui n’est pas possible si on lui demande de les
identifier comme étant ses propres projections. Pour lui, les contes de fées « mettent en scène
des personnages sur lesquels l’enfant peut extérioriser ce qui se passe dans sa tête, et d’une
façon contrôlable » (Psychanalyse des contes de fées, p 104).
Winnicott affirme également l’existence d’un certain ordre : on passe des phénomènes
transitionnels au jeu, du jeu au jeu partagé, et de ce dernier aux expériences culturelles.
Le jeu est universel et est le signe d’une bonne santé car c’est une forme de communication
qui va permettre d’établir des relations interpersonnelles. C’est une expérience créative qui
comporte une part de préoccupation puis de concentration, et qui permet de faire ressortir sa
personnalité, de découvrir son Moi. Il implique le corps car l’enfant va être amené à
manipuler les objets, mais aussi parce que parfois son intérêt est lié à des aspects de
l’excitation corporelle. Les pulsions menacent sans cesse le jeu et le sentiment d’exister en
tant que personne (le Moi) du sujet. Selon Bettelheim, l’enfant doit se dégager de sa pensée
égocentrique et comprendre que l’entourage et le monde externe peuvent contribuer aussi à sa
richesse intérieure. Pour développer ses sentiments, son imagination et son intelligence,
l’enfant doit avoir confiance en l’avenir et avoir des ressources intérieures qui le lui
permettent. Ceci est notamment possible grâce aux contes.
Winnicott base également sa réflexion sur la créativité à proprement dite (quelque soit le
domaine et quelque soit l’âge), dans ce sens où elle va permettre à l’individu d’apprécier la
vie. Au contraire, son absence amène à vivre constamment dans la soumission, l’adaptation et
dans l’obligation de faire les choses, ce qui peut être considéré comme une pathologie puisque
le sujet pensera que rien n’a d’importance. Notre société actuelle tend à nous induire dans
cette direction.
Il précise que l’individu ne peut être original que s’il s’appuie déjà sur la culture commune, et
à l’inverse, l’originalité amène quelque chose de nouveau par rapport à cette tradition. Ce qui
24
est valable aussi pour le jeu réciproque entre la séparation affective et l’union à la mère. Cette
créativité qui émerge du jeu va donner place à l’expérience culturelle du sujet, qui se situe
rappelons-le dans l’espace potentiel. Et l’usage de cet espace sera déterminé par les
expériences de la vie.
Pour R. Caillois, Les Jeux et les Hommes (1967), le jeu est une « autre scène », dotée d’un
espace-temps propre, sur laquelle le sujet échappe aux contraintes du principe de réalité
(contraintes liées au travail et aux hiérarchies, à la famille et aux responsabilités). C’est une
activité :
- libre et volontaire, source de joie et d’amusement.
- isolée du reste de l’existence, et souvent effectuée dans un espace temps particulier.
- incertaine.
- comportant des règles précises, arbitraires, irrécusables (dans les jeux de fiction nonréglés, le « comme si » tient lieu de règle) ou
- fictive : accompagnée d’une conscience spécifique de réalité seconde.
- improductive, même avec les jeux de hasard et d’argent, où les transactions entre
joueurs ne sont pas définies par cet auteur comme productives.
2.2) Les théories plus récentes, appliquées au cyberespace :
2.2.1) Le cyberespace comme espace potentiel :
Certains auteurs s’inspirent de la théorie de Winnicott pour parler d’Internet comme d’un
espace potentiel. Sherry Turkle, dans son livre Life on the Screen,
considère que le
cyberespace est une aire d’illusion, de créativité, comme l’espace transitionnel décrit par
Winnicott. Pour Turkle, l’espace Internet est un moyen d’expression et un mode de relation
qui s’accorde bien avec les exigences de la vie actuelle, qui est indécise, changeante et
flexible. Il allie identité et multiplicité et permet d’envisager « un moi qui, pour se construire,
passe par de nombreuses identités » (p 47). Il devient une aire de développement personnel,
qui permet une grande flexibilité de l’être et donne ainsi la possibilité de se vivre de
différentes manières. Les sujets vont revêtir plusieurs identités qu’ils auraient pu, autrement,
rejeter. L’individu se construit un Moi en passant par des Moi différents. On voit bien ce
phénomène dans les jeux de rôle en ligne, dans les tchats, dans les MUDS, où chacun choisit
son pseudo et le personnage qu’il souhaite incarner et peut ainsi tromper les autres sur sa
réelle identité, et où souvent il y a multiplicité des personnages endossés sur le réseau. L’idée
25
développée par M.D Faber est également intéressante puisqu’il voit l’ordinateur comme un
objet de substitution remplaçant la mère, cette dernière échappant au contrôle de l’individu et
finissant par faire naître un sentiment d’impuissance et provoquer une blessure narcissique
chez son enfant. L’ordinateur est alors considéré comme un exemple de processus
transitionnel.
D’autres, comme Michael Civin, modulent cette conception un peu trop systématique en
parlant seulement de promesse de transitionnalité. « Ce caractère transitionnel en puissance
ne s’actualise que sous certaines conditions psychiques de l’usager » (p 13). L’ordinateur
constitue souvent un phénomène transitionnel mais ne l’est pas par essence. En effet, cela
dépend de l’usage que chaque personne en fait, en liaison avec sa personnalité et son mode de
fonctionnement psychique. Le sujet doit en effet être capable de flexibilité psychique pour
endosser plusieurs identités (âge, sexe, profession…).
2.2.2) Le paradoxe du cyberespace :
Dans son ouvrage Psychanalyse du Net, Michael Civin fait ressortir le paradoxe du
cyberespace. D’un côté, il isole des autres, supprime le contact physique, coupe du contact
réel. L’individu se repli sur lui-même (on parle de repli paranoïde) et battit une sorte de
forteresse pour pallier à une certaine angoisse. De l’autre, il amène à des relations très riches
avec un plus grand investissement et accroît la liberté en instaurant de possibilités infinies
d’être soi-même. Il permet l’investissement dans « des échanges complexes entre des aspects
d’eux-mêmes et des aspects d’autrui » (p 76).
2.2.3) Bénéfique ou dangereux ?
Pour H. Searles, l’environnement non-humain joue un rôle primordial dans le développement
et le comportement d’un individu. Dans un premier temps, le bébé se trouve face à un
environnement tant humain que non humain, et donc relativement indifférencié. Si adulte il ne
parvient pas à distinguer ces deux types d’environnements, il sera privé de l’épanouissement
que chacun d’eux nous procurent. Ceci peut alors conduire à la maladie et à la souffrance. On
se pose alors d’emblée la question des sujets qui n’arrivent pas à opérer la distinction entre
l’actuel et le virtuel, ou eux-mêmes et leur personnage, dans une relation via Internet. Nous
reviendrons sur ce point très prochainement. Searles affirme également que les nouvelles
technologies sont des supports pour projeter nos désirs non-humains d’omnipotence, ce qui
nous pousse à nous identifier à eux.
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D. Abram postule également que les nouvelles technologies font partie de l’environnement
non-humain, mais celles-ci sont présentes en si grand nombre et prennent tellement
d’importance dans nos vies que nos sens y sont modifiés, voir remplacés. L’odorat est absent,
l’ouie et la vue fonctionnent à travers des machines (téléphone, enceintes, écran…), le toucher
en tant que tel est quasi-absent. Abram pense que c’est seulement en étant au plus près de
notre être sensoriel que nous pouvons accéder à la relation dans son intégralité.
2.2.4) Les relations via Internet :
Ceci nous amène à parler des relations à proprement parler. Les nouvelles technologies
conduisent à de nouvelles formes de relations, puisqu’elles se font par le biais de machines la
plupart du temps : ordinateur, fax, téléphone… On voit par exemple qu’il est extrêmement
difficile, voire impossible d’exprimer des émotions sur Internet. Pour ce faire, des codes ont
été instaurés tels que les smileys ( ☺,
, :’( :D, :p , :$, :@, …) ou bien les abréviations (lol,
mdr…), pour signifier la joie, la colère, la tristesse, l’étonnement, l’embarras…
Pour rendre compte de certaines relations qui peuvent s’instaurer sur le net, J. Dibbell a écrit
un article intitulé « un viol dans le cyberespace », lui-même extrait de The Village Voice
(1996). Dibbell s’initie aux MUDS.
Qu’est-ce qu’un MUD ?
MUD signifie Multi-User Dialog/ Dimension/ Domain/ Dungeon. C’est un jeu de rôle multi-joueurs existant en
des centaines de versions (avec 19 langues de construction de mondes virtuels), originellement crée à l’université
d’Essex, en Angleterre, et qui s’utilise comme un IRC, c’est à dire qu’il est entièrement textuel, sans images,
mais en temps réel. Nethack et Rogue sont d’autres exemples de ces jeux.
Qu’est-ce que l’IRC ?
IRC signifie Internet Relay Chat. C’est un serveur permettant de dialoguer en direct avec plusieurs personnes (en
s’envoyant des chaînes de caractères sur des « channels » thématiques). Le programme IRC fut écrit en 1988 par
Jarkko Oikarinen, un finlandais, en remplacement de « Talk ». Source : www.tout-savoir.net
Il faut savoir que sur les MUDS (mais aussi en partie sur les tchats), chaque individu
s’attribue un pseudo unique et choisit les caractéristiques de son personnage. Au sein d’un
même jeu, certaines équipes (guildes) favorisent le role-playing, à savoir la création de
personnages crédibles dans un univers cohérent et pacifique. D’autres sont constituées de
27
player-killers, de joueurs uniquement crées pour combattre dans le but d’acquérir du pouvoir
le plus rapidement possible.
Quand un joueur est expulsé, il est libre d’utiliser à nouveau son personnage dans d’autres
MUDS, ou sous le même, à condition qu’il le fasse sous un nouveau nom et un nouveau
compte.
Dibbell évoque dans cet article le cas d’un viol sur Internet. Un internaute aurait « violé » une
personne sur un MUD. Les autres sujets présents semblent totalement choqués par son
manque de respect et par sa vulgarité. Le personnage, et par conséquent le joueur, a été
expulsé à cause de son manque de civilité, son compte est désormais résilié. Il est nécessaire
d’aller voir ce qui se passe du côté de celui qui « subit le châtiment » et ceux qui en sont les
témoins. On observe que les témoins de l’exclusion du personnage grossier aiment en reparler
bien après la sentence, évoquer les relations qu’ils entretenaient avec lui et continuer à
s’identifier à la fois à lui, le bourreau, et à la fois à la victime.
Mis à part les différents rapports qu’entretiennent entre eux les sujets à travers leur
personnage, on voit ici un des caractères des relations sur Internet : la difficulté à distinguer
le joueur du personnage qu’il incarne. Il me semble que cela pourrait venir du fait que,
n’ayant aucun renseignement sinon le pseudo et le personnage, les sujets soient tentés de s’y
fier et d’assimiler le joueur à son personnage (le personnage dit ça, alors le joueur est comme
le personnage). Dibbell parle de transformation, les deux expériences individu/ personnage se
transformant réciproquement.
On pourrait faire un parallèle avec un phénomène assez similaire présent au cinéma. En effet,
dans beaucoup de dessins animés, notamment les Walt Disney, les personnages sont souvent
des animaux (Dumbo, Le livre de la Jungle, Robin des Bois, Bambi, Merlin L’Enchanteur…).
Ces animaux sont doués de parole, pensent et agissent comme des être humains, et peuvent les
aider dans leur quête. Ceci va de paire avec la pensée animiste de l’enfant, pensée qui est
aussi reprise dans les contes de fées. Ceci est très intéressant lorsque l’on observe la place que
prend le virtuel : le virtuel est présent dans le dessin animé lui-même, puisque les personnages
sont inventés, puis dessinés dans un style tout à fait particulier. On a même vu des
productions qui alliaient film et dessin animé, comme Mary Poppins ou Roger Rabbit. Une
nouvelle vague apparaît désormais et semble avoir beaucoup de succès chez les spectateurs :
les dessins animés entièrement fait d’images de synthèse, comme Mille et une pattes, Toy
Story, Le monde de Némo et Les Indestructibles. Enfin, nous avons des productions
entièrement numérisées mais qui tentent de faire apparaître des personnages aussi vrais que
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nature tels que Final Fantasy ou Le Pôle Express. Dans tous ces exemples, on voit bien que
les personnages tendent aussi bien à être virtuel qu’humain.
Dans les films, nombreux sont les personnages machine/robot, qui pensent comme des êtres
humains. On le voit par exemple dans Star Wars avec les deux célèbres robots R2D2 et 6PO
qui parlent, pensent comme des humains. Nous avons aussi l’homme-robot dans Terminator
ou Alien IV (incarné par Winona Rider), qui sont des êtres doués de conscience. Nous voyons
ici que la distinction entre être virtuel et être humain est floue. Matrix est un film qui en est
l’exemple même. « C’est ça Matrix. Voilà un film qui parle d’humains vivant dans un monde
virtuel. Maintenant, il y a le jeu vidéo, un monde virtuel en ligne, sur des humains qui croient
vivre dans le monde réel, mais qui en fait font l’expérience d’un monde virtuel qui n’est que
l’apparence d’un monde réel. On ne peut que dire, quelle avant garde, quel paradoxe ! »
Steven Kent, journaliste, interviewé dans l’émission GAME OVER, sur Planète.
2.2.5) Réalité virtuelle ou réalité extérieure ?
Les jeux appelés MMO (Massively Multi-users Online) et MMORPG (Massively Multi-users
Online Role Playing Games) mettent en scène à la fois des personnages incarnés par des
joueurs mais également des personnages non-joueurs, les PNJ. Auparavant, les techniques
d’Intelligence Artificielle Classique (IAC) étaient limitées puisqu’elles étaient basées sur des
règles de comportements mises a priori par le concepteur. Les PNJ n’avaient donc pas de
comportements inadaptés face à l’imprévisibilité des joueurs. De nos jours, le gameplay d’un
jeu (qui gère entre autres les comportements des personnages) est plus sophistiqué, et les
actions des ennemis sont de moins en moins prévisibles. Ceci est rendu possible grâce à des
méthodologies tirées d’une nouvelle approche, appelée Intelligence Artificielle Située (IAS)
ou Approche Animat, issue de la biologie. Elle a pour but non pas d’égaler et de dépasser
l’intelligence humaine, mais de créer des systèmes aussi adaptatifs que l’être vivant. Cela va
permettre aux jeux d’être encore plus attrayants, déjà parce qu’ils font intervenir un grand
nombre de joueurs aux actions imprévisibles, mais aussi parce que les personnages nonjoueurs auront des conduites nouvelles, je dirais même adaptatives par rapport aux situations
présentes dans le jeux.
Il est à présent possible de créer des mondes virtuels très réalistes aussi complexes et
imprévisibles que le monde actuel. Ceci amène le joueur a mal distinguer le virtuel de
l’actuel, la frontière étant devenue floue et le « comme si » du jeu s’estompant de plus en
plus.
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Nous avons vu avec l’article de Dibbell évoqué par Civin dans Psychanalyse du Net la
difficulté que pouvaient rencontrer certains sujets à distinguer l’être humain de l’être virtuel,
la personne du personnage. Il induisait le concept de transformation réciproque pour qualifier
les états successifs du joueur au sein du MUD et de la vie réelle. Ceci montre que les
individus peuvent identifier l’autre joueur à un personnage, peut être parce qu’ils n’ont que
ces caractéristiques (pseudo, points de vie…) à disposition.
Caillois affirme que si le jeu sort de son cadre, s’il déborde dans la réalité, il peut amener à
des « corruptions » ou en d’autres termes des addictions. Valleur et Matysiak, dans Les
nouvelles formes d’addiction, L’amour, le sexe, les jeux vidéo, p.177 ; pensent que les
dépendances aux jeux vidéo sont en rapport avec « une corruption de la mimicry, qui induirait
une confusion entre le personnage mimé et la personne réelle ; et d’une corruption de l’agôn,
répandue dans la société à travers toutes les formes de compétitions (compétitivité que l’on
retrouve dans la genèse de certaines dépendances aux jeux de stratégies qui impliquent des
classements) ».
Pour en revenir à notre sujet, nous avons donc deux possibilités : pour certains sujets, le
décalage entre la vie réelle et la réalité virtuelle introduit par Internet ouvre la voie à des
expériences nouvelles. Internet peut être alors considéré comme un espace potentiel. Ceci
pourra donner lieu à de nouveaux comportements, qui naîtront à la fois des schémas antérieurs
et à la fois des nouvelles expériences que les sujets auront vécues grâce au Net. Pour d’autres,
cette expérience des relations via Internet n’opère pas la distinction entre vie réelle et réalité
virtuelle. Nous l’avons vu dans l’article de Dibbell. Nous voyons bien ici que l’émergence
d’un espace potentiel au sens de Winnicott et de Turkle n’est pas toujours possible chez
certaines personnes.
Dans le cas où Internet ne permet pas l’instauration d’un espace potentiel à proprement dit,
Civin met en évidence la notion de cellule d’isolement, cellule qui peut être présente à la fois
dans la vie réelle et à la fois dans la réalité virtuelle. Certaines personnes sont amenées à
revivre plus ou moins les relations qu’elles ont habituellement dans la vraie vie, et Internet
s’avère être un outil pour revivre des choses déjà connues. L’auteur tire cela de la théorie de
Winnicott sur le « faux self ». Un individu fonctionnant majoritairement en faux self tente de
protéger son Moi spontané caché et l’empêche d’être détruit. Il se protège en quelque sorte de
la déception, de la honte, du rejet. Dans ce cas, la relation via Internet et dans la vie réelle ne
30
sera jamais transitionnelle, car la manière de se comporter en société n’a plus vraiment de
sens pour l’individu. Il lui sera par exemple impossible de s’imposer en tant qu’être singulier,
avec ses propres expériences subjectives. Winnicott explique cette prédominance du faux self
dans le psychisme de l’adulte par l’échec antérieur de la mère à supporter émotionnellement
les actes et pensées destructrices de son bébé.
2.2.6) Les trois logiques qui forment l’expérience :
Civin s’appuie également sur la conception de Matte-Blanco en évoquant les logiques qui
caractérisent l’expérience. La logique de l’asymétrie découle de l’expérience consciente. Elle
fait référence à notre connaissance du temps et de l’espace dans lesquels se situent les choses,
à l’ordre chronologique des évènements, à l’organisation de cause à effet, à la compréhension
de la relation causale entre deux choses… La logique de la symétrie découle elle de
l’expérience inconsciente. C’est la logique de l’expérience émotionnelle, du rêve et du
fantasme. Ici, l’inverse d’une relation est considéré comme identique à la relation elle-même.
L’expérience a une triple nature, qui se compose des logiques symétriques et asymétriques, et
de la relation entre les deux. Cette relation transforme et établit un lien entre les deux parties
« organisée » et « désorganisée ». Ce
processus de transformation requiert un travail
psychologique.
Différentes barrières face à l’angoisse de persécution peuvent amener à des fonctionnements
pathologiques :
-
si nous supprimons notre logique symétrique d’organisation de l’expérience, cela
fait naître un comportement de type obsessionnel, avec un enchaînement des faits
quasi-automatique, ne laissant plus place à des processus de symbolisation, de
création, de rêves (inconscients). L’angoisse est une angoisse, rien de plus, c’est un
fait isolé.
-
si nous supprimons notre logique asymétrique, nous allons vers un comportement
hystérique. Nous ne pensons plus de façon logique, nous n’arrivons plus à nous
situer dans le temps et dans l’espace. Nous n’avons plus la notion d’anticipation
anxieuse puisqu’elle requiert la temporalité et que les associations causales sont
absentes.
-
si nous ignorons la relation entre les deux logiques, nous tendrons vers un
comportement « limite » ou borderline. Nous n’opérons pas de connexion entre
intérieur et extérieur, entre persécuteur et persécuté… Par conséquent, les notions
d’angoisse et de persécution n’ont plus aucun sens.
31
2.2.7) Le cyberespace, moteur de persécution ?
Il est certain que les systèmes informatiques basés sur la communication exacerbent les
angoisses de persécution. En effet, le domaine du privé devient public et susceptible d’être
surveillé. Nous pouvons évoquer le harcèlement de certains « contacts » trop envahissants, la
saturation de notre boîte de réception en ce qui concerne les mails, et notre impossibilité de
contrôler quoi que ce soit. L’isolement serait une forme de barrière contre cette angoisse, en
d’autres termes, certains individus se protégeraient de la menace en s’isolant. Ce repli, dit
paranoïde, est tout de même fragile puisque chez ces personnes, la persécution vient de
l’intérieur, et non de l’extérieur. Notons tout de même que les relations dans lesquelles
s’engage le sujet au sein de sa cellule de repli revêtent les qualités et les caractéristiques des
relations réelles.
Ce repli peut s’apparenter à ce que décrit M. Klein dans la position schizo-paranoïde, où
rappelons-le le mode de relation à l’objet est partiel, où il y a clivage de l’objet en bon et
mauvais objet, où les pulsions hostiles et libidinales coexistent d’emblée, où les principaux
mécanismes sont la projection et l’introjection, et où l’angoisse est persécutive (destruction
par le mauvais objet).
Nous avons dit précédemment que l’angoisse était la cause de l’isolement. Civin évoque le
fait que si les personnes pensent qu’elles sont persécutées extérieurement, alors elles
cherchent à n’établir que des relations partielles pour se protéger (l’autre est vu comme une
menace). Mais elles sont en fait persécutées intérieurement, et ces relations sont donc les
meilleures qu’elles puissent avoir puisqu’elles sont contrôlables. Le sujet choisira la meilleure
illusion de ce qui ressemble à l’objet total. L’angoisse ressentie par le joueur serait alors de
type paranoïde d’après la théorie kleinienne, et le recours à des relations d’objets partiels
serait plus facile. De plus, on pourrait dire qu’incarner un personnage charismatique, un héros
(que ce soit dans les chats ou les MUDS), montrerait un besoin de réassurance narcissique,
qui serait alors un mécanisme de défense face à cette angoisse.
Les deux pôles « enrichissement, voie à des expériences nouvelles » et « isolement, repli »
sont le reflet d’un certain nombre d’individus mais laissent place aussi à de nombreuses
variantes et à des degrés diversifiés. Des personnes n’entrent pas vraiment dans ces deux
catégories, par exemple celles qui prennent Internet pour un moyen de communication comme
un autre, ayant simplement pour but d’établir des contacts à distance.
32
« Internet facilite une forme d’interaction qui, d’un côté, paraît largement contribuer à la
sociabilité et au rapprochement et, de l’autre, semble promouvoir l’isolement, le retrait,
l’introspection, l’asociabilité ou, au mieux, une forme partielle de sociabilité ; c’est un mode
d’interaction caractérisé par des relations partielles. Il est le reflet de la confusion ou de
l’ambiguïté entre ce qui se passe réellement et ce qui est imaginé, entre ce qui se passe à
l’intérieur de soi et à l’extérieur, comme sur l’écran de l’ordinateur » (Michael Civin,
Psychanalyse du Net, p 191-192).
« De manière générale, Internet peut favoriser de nouvelles formes de socialisation et de
convivialité, de nouveaux types de liens donc, mais toute médaille a son revers : des individus
psychologiquement fragiles auront tendance à s’isoler dans des pratiques solitaires, non
socialisées, Internet encourageant alors le passage de l’habitude à l’addiction » (Marc
Valleur et Jean-Claude Matysiak, Les nouvelles formes d’addiction, L’amour, le sexe, les
jeux vidéo, p 204).
2.3) Une voie vers l’addiction ?
Nous avons vu que les chats et les jeux vidéo (en particulier les MUD) suscitaient un certain
attrait, et ce par le phénomène de l’identification à un personnage, par la possibilité de revêtir
plusieurs identités, parler sans tabou, prendre des risques, se faire tuer, sans que cela n’ait de
conséquences et de répercussions sur la vie actuelle. On peut alors s’interroger sur les
phénomènes d’addictions, étant donné que certaines personnes semblent totalement absorbées
par leur écran et ce pendant des heures, en s’isolant ainsi de leur famille et de leurs amis.
2.3.1) Comment définir l’addiction ?
Le terme addiction vient du latin « addictus » qui fait référence à une ancienne coutume par
laquelle le sujet était donné en esclavage. Il signifie la lutte inégale de l’individu avec une
partie de lui-même. Cependant, l’objet addictif est toujours ressenti comme bon, comme un
exutoire, car le but du sujet n’est pas de se faire du mal.
Le terme va peu à peu englober plusieurs états : addictions aux toxiques, addictions dues aux
troubles du comportements alimentaires (pathologies de l’incorporation telles que l’anorexie
et la boulimie), addictions comportementales (jeux pathologiques, kleptomanie, achats
compulsifs), tentatives de suicide et conduites à risque, addictions au sexe et au travail…
33
Nous voyons bien ici que l’addiction est parfois indépendante de la prise de substance
(anorexie, jeux pathologiques…).
Le concept d’addiction a été très peu employé par Freud. Il l’évoque entre autre dans Malaise
dans la culture, où les toxiques sont vus comme les « briseurs de soucis ». « La vie telle
qu’elle nous est imposée est trop dure pour nous, elle nous apporte trop de douleurs, de
déceptions, de tâches insolubles. Pour la supporter, nous ne pouvons pas nous passer de
remèdes sédatifs. Ces remèdes, il en est peut-être de trois sortes : de puissantes diversions qui
nous permettent de faire peu de cas de notre misère, des satisfactions substitutives qui la
diminuent, des stupéfiants qui nous y rendent insensibles. Quelque chose de cette espèce, quoi
que ce soit, est indispensable » (p.17). Pour éviter la souffrance, Freud nous dit qu’il faut
recourir à des méthodes capables d’influencer directement l’organisme propre, à savoir la
méthode chimique qui est l’intoxication. Il existe des substances procurant des sensations de
plaisir immédiates, mais qui modifient également nos sensations, de telle sorte que nous
n’éprouvons plus aucun déplaisir. « L’action des stupéfiants dans le combat pour le bonheur
et le maintien à distance de la misère est à ce point appréciée comme un bienfait que les
individus, comme les peuples, leur ont accordé une solide position dans leur économie
libidinale. On ne leur sait pas gré seulement du gain de plaisir immédiat, mais aussi d’un
élément d’indépendance ardemment désiré par rapport au monde extérieur. Ne sait-on pas
qu’avec l’aide du « briseur de soucis » on peut se soustraire à chaque instant à la pression de
la réalité et trouver refuge dans un monde à soi offrant des conditions de sensation
meilleures ? » (p.21). Dans la phrase qui suit, Freud évoque tout de même les dangers des
stupéfiants, qui peuvent mener un homme à sa perte au lieu d’améliorer son sort.
Ferenczi, quant à lui, a écrit sur l’alcoolisme. Il insiste beaucoup sur la notion de compulsion.
Dans les années 1930, Rado compare l’effet des toxiques à l’orgasme. Il affirme que le plaisir
vient du fait qu’il perd rapidement son caractère local pour se rependre sur la totalité de
l’organisme de manière intensive. Pour lui, il y a dans la toxicomanie la prévalence de
l’érotisme oral, qui donne lieu à un « orgasme alimentaire », et qui devient un point de
fixation qui va favoriser la dépendance aux drogues.
Glover évoque les toxicomanies et distingue celles qui sont nocives de celles qui sont
inoffensives. Il relie notamment la toxicomanie à certains troubles comme la névrose
obsessionnelle, l’état limite, et la mélancolie.
34
Vers 1945, Fenichel établit deux groupes de névroses impulsives. Il est le premier opérer la
distinction entre :
-
L’addiction à des toxiques (alcool, drogue) : ce sont les types les plus nets
d’impulsion, le sujet est « poussé » à prendre des toxiques.
-
L’addiction sans drogue (anorexie, boulimie, pathologie du jeu).
Il va être également le premier à combiner deux démarches, une démarche psychanalytique et
une démarche psychiatrique.
M. Valleur et J.C. Matysiak, dans leur ouvrage Les nouvelles formes d’addiction, L’amour,
Le sexe, Les jeux vidéo, donnent une définition de la conduite addictive qui pourrait être
résumée ainsi :
- on parle d’addiction lorsque le sujet souffre de son attachement, veut y mettre fin
mais n’y parvient pas sans aide.
- lorsque l’objet et la conduite qui s’y rapporte envahissent sa vie, au point de
l’empêcher de vivre et quand il y a désinvestissement social et affectif.
- on parle souvent d’un flash, d’un coup de foudre à la première rencontre avec l’objet
de l’addiction, qui prend la dimension d’une révélation.
- on parle aussi d’une recherche redondante des effets produits par une substance plus
ou moins toxique (drogue) ou une conduite (jeu, conduite alimentaire, sexe, Internet, achat…)
sur son corps et son esprit, sous peine de ressentir un profond malaise physique et/ou
psychologique. On peut introduire ici la notion de répétition, caractéristique de la conduite
addictive. Cette dernière va d’ailleurs retirer tout sens à la conduite que le sujet aurait pu
rechercher au départ.
- l’addiction implique des phénomènes de tolérance : la drogue a de moins en moins
d’effets sur le sujet, et il se doit d’en augmenter les doses pour ressentir un effet similaire.
Mais cette caractéristique est typiquement biologique, et nous ne sommes pas sûrs qu’elle soit
présente dans toutes les addictions, je pense aux jeux notamment, où cela n’a pas encore été
clairement démontré scientifiquement. Il est certes plus difficile de démontrer une addiction
aux jeux, car on ne peut s’attacher, même de nos jours et avec les progrès de la science, à des
données biologiques (comme dans le cas des drogues, qui accélèrent et augmentent le
fonctionnement du système dopaminergique, la dopamine permettant notamment la
mémorisation du plaisir).
35
Nous constatons donc principalement cette tolérance dans l’addiction aux drogues, ou peut
être aussi dans la passion, qui s’estompe petit à petit dans un couple et qui peut ressurgir lors
d’une dispute ou d’un rupture sous la forme d’un sentiment d’amour, jusqu’alors ignoré.
- elle implique également des phénomènes de sensibilisation : dans le cas de certaines
drogues comme la cocaïne ou de certaines conduites comme le jeu (qui entraînent une forte
dépendance sans qu’il n’y ait de symptômes de sevrage facilement objectivables ni de
phénomène de tolérance), il suffit d’une petite dose pour que l’effet soit maximal. Les
rechutes sont donc fréquentes, même après une longue période d’abstinence. Il suffit que le
sujet soit dans un environnement ou une situation qui lui rappellent la première prise pour
qu’il soit tenté à nouveau. Cette impulsion irrésistible, appelée craving, est liée à la
mémorisation et guidée par le sentiment que la reprise apportera un soulagement.
- il existe selon les auteurs plusieurs phases dans le processus conduisant à
l’addiction : des phases d’usage non-addictif, une phase « préclinique » où le sujet pense qu’il
contrôle tout et qu’il peut arrêter facilement, et une phase clinique, où il s’aperçoit qu’il ne
pourra pas s’en sortir seul et qu’il a besoin d’aide.
Dans le documentaire GAME OVER, diffusé sur la chaîne Planète le 11 janvier 2005, Marc
Valleur précise les phénomènes de dépendance aux jeux vidéo : « Les gens qui sont
dépendants des jeux sont dépendants à deux grands types de jeux : les jeunes sont souvent
dépendants des FPS, jeux de tir en 3 dimensions subjectives, où il faut tuer tout le monde, qui
permettent au joueur de déverser toute sa violence, son agressivité inconsciente. Certains
jeunes s’y accrochent car ils veulent devenir vraiment très bons, ils le pratiquent comme un
sport. L’autre catégorie de jeu où les gens s’accrochent sont les jeux d’aventure en univers
persistant. Le mode de dépendance est la préoccupation permanente par l’univers du jeu. Les
gens sont représentés par un avatar, et même quand ils arrêtent de jouer ils vont se demander
ce qui se passe dans le monde en ce moment. Ceci peut devenir obsédant et envahir la vie
entière du sujet ».
Mickael Stora, psychologue, affirme que le jeu peut avoir un effet de fascination et de
captation, et qu’il va venir révéler une problématique psychique pouvant être très grave. Selon
lui, on observe des phénomènes d’addiction surtout en ce qui concerne les jeux massivement
multi-joueurs. En effet, dans ce type de jeu, il n’y a pas de fin, et ce à l’image de l’univers
d’un narcissisme primaire qui est décrit en général par le ventre maternel, univers où il n’y a
pas de fin, de temps, de frontières. Dans les RPG, il n’y a pas de frontières, la relation au
temps n’est pas du tout la même. Il ajoute que lorsque l’illusion d’immersion est très forte, le
36
joueur oublie son corps. « Le corps à ce moment là est complètement sublimé, il n’a plus de
réalité corporelle. J’imagine que par une sorte d’effet visuel, le jeu devient le prolongement
naturel de son imaginaire et de son propre corps ».
2.3.2) Les facteurs de l’addiction :
Valleur et Matysiak insistent particulièrement sur la mise en relation de trois facteurs
intervenant dans le phénomène de l’addiction : le produit (plus ou moins addictif), la
personnalité (besoin d’autonomie ou de dépendance), ainsi que les contextes culturel et
familial (passés et présents).
Le schéma de base de l’addiction décrit par les auteurs fait intervenir une éducation
surprotectrice et une société dans laquelle les individus ont pris l’habitude d’être assistés dans
tous les domaines. Ces deux éléments amèneraient les sujets à manquer d’assurance et à fuir
l’inconnu, et traiteraient la dépendance comme un besoin.
Tentons à présent de voir plus précisément ce qui pourrait être la source d’une tendance à la
dépendance dans la constitution du sujet. Nous avons vu, d’après la théorie de Freud et de
Winnicott, que la mère devait être suffisamment bonne pour à la fois se détacher
progressivement de son bébé en lui permettant de se différencier d’elle et de faire naître sa
propre identité ; et la fois pour revenir « à temps » et cajoler son enfant après une absence
prolongée.
Nous savons aussi que Freud parlait d’amour maternel comme un amour narcissique, la mère
aimant son enfant comme le prolongement d’elle-même, comme une partie de son propre
corps. D’où le danger qu’il peut y avoir lorsqu’il y a perte de l’objet ou bien inadéquation des
attitudes de l’enfant avec le désir de la mère.
2.3.3) La théorie de l’attachement de J. Bowlby :
La conception de l’attachement, développée par J. Bowlby, est aussi très intéressante,
puisqu’elle peut nous amener à comprendre le type de lien que nouera le sujet à l’âge adulte,
qui est en rapport étroit avec l’attachement infantile avec les premiers objets, en particulier la
mère. Voici les quatre grandes formes d’attachement que décrit Bowlby chez le nourrisson
(entre 1 an et 1 ½ an) :
- l’attachement « sécure » : c’est la forme d’attachement la plus observée (env. 65%
des enfants). Le bébé parvient sans difficulté à vivre les absences de sa mère (ce qui suppose
37
que la mère soit suffisamment bonne). Ceci ne favoriserait pas de dépendance et de pathologie
du lien futures.
- l’attachement ambivalent : (env. 15% des nourrissons) il représente les enfants « trop
gentils », qui montrent beaucoup d’affection et ont du mal à se détacher de leur mère, qui sont
inquiets quand ils ne la voient plus. C’est une sorte d’hyperattachement anxieux.
- l’attachement évitant : il est présent chez les enfants qui paraissent « trop sages ». Ils
ont besoin continuellement de leur mère mais font comme s’ils étaient autonomes. La force du
lien est très importante, mais elle est masquée. Ceci pourra être à l’origine de troubles qui
apparaîtront à l’adolescence, quand le sujet devra être autonome, prendre des risques et
choisir son objet d’amour. Cette forme d’attachement prédisposerait l’individu aux relations
addictives.
- l’attachement confus : il concerne les bébés très perturbés, qui manifestent des
réactions violentes quand ils sont à la recherche de l’objet, mais qui n’ont aucun échange avec
lui lorsqu’il est présent. Nous sommes alors dans le registre de la psychose, qui dépasse les
pathologies du lien.
Ces formes d’attachement, mis à part l’attachement confus, ne conduisent
pas
inéluctablement à des pathologies, au contraire, la plupart des nourrissons deviendront des
adultes sans problème. Mais cela permet de comprendre certaines dépendances qui peuvent
émerger à l’adolescence à cause des nombreux remaniements (autonomie, choix de partenaire,
prise de risque…). Si l’attachement de base était de type « sécure », il est certain que
l’adolescent parviendra mieux à gérer ces remaniements, car il bénéficiera d’une certaine
souplesse. D’autres adopteront des conduites beaucoup plus maîtrisables et répétables à
volonté. Il faut bien savoir que chaque individu réagit différemment aux situations de la vie, et
que certains, même s’ils ont vécu des choses difficiles, parviendront à prendre du recul et à
relativiser sans se culpabiliser (dans ces cas là, on parle de résilience). Mais il existe tout de
même une corrélation entre le type d’attachement et la résilience.
Valleur et Matysiak expliquent qu’il y a dans l’addiction amoureuse une survalorisatoin de
l’objet, qui entraîne une dévalorisation du Moi. Le sujet régresserait et fonctionnerait sur un
mode narcissique, qui serait en référence à la toute-puissance infantile (appliquée ici à l’objet
de la passion) : le Moi serait donc en danger. Cette fascination pour l’objet pourrait justifier le
sacrifice du sujet, la mort renforçant le lien à l’objet (d’ailleurs, c’est ce qui s’observe dans les
sacrifices des héros).
38
De plus, l’objet idéalisé se trouverait au dessus des lois, de la société. On le voit très bien dans
l’histoire de Tristan et Yseult (Yseult est mariée au Roi Marc et doit lui rester fidèle), ou de
Roméo et Juliette (les deux familles, de classes sociales opposées, interdisent cette union). De
même que pour le drogué qui joue sa vie quand il fait une overdose, comme le joueur qui joue
tout son argent sur une mise, dans tous les cas il y a une prise de risque. C’est idée de
transgression est corrélée avec l’addiction (drogue, sexe…), et elle s’observe surtout dans les
conduites adolescentes, avec la quête des limites.
2.4) L’addiction et la fragilité narcissique :
Dans leur livre intitulé Anorexie, addictions et fragilités narcissiques, J. McDougall, V.
Marinov, F. Brelet-Foulard et leurs collaborateurs, mettent en lien l’anorexie et les autres
comportements addictifs avec une fragilité narcissique chez l’individu : « Le sens suggéré par
le vieux terme français d’addiction souligne le rapport de l’addiction avec une fragilité
narcissique menaçant les fondements corporels du narcissisme de la personne humaine » (p
9).
L’addiction amène à l’économie psychique, c’est à dire qu’elle va décharger la tension
psychique et empêcher le ressenti des affects. Elle a pour but de réparer l’image endommagée
de soi-même mais aussi de régler ses comptes avec les figures parentales. En effet, les
substituts addictifs sont là pour compenser les fonctions maternelles qui ont été défaillantes.
Dans les phénomènes d’addiction, comme nous l’avons vu, les frontières sont floues :
« L’objet interne perd de son autorité, au profit de l’externe […] L’économie addictive
interpelle bel et bien la problématique du narcissisme, elle renvoie avant tout à la question du
dedans et du dehors, soit à la question de la mise en place d’un espace intermédiaire
autorisant la différenciation et l’articulation de ces deux ordres de réalité » (p 89).
L’espace intermédiaire est le lieu de la représentation, qui lutte contre l’effondrement
psychique en tentant de retrouver une toute-puissance. Cette représentation est comme un
« jeu d’illusion ». Il semble qu’il y ait un écart important entre la représentation (la chose
pensée) et la réalité qu’elle est censée représenter (la chose en elle-même). Il y a un écart
entre le Moi et le Moi Idéal, que le sujet se fixe. L’addiction permettrait une sorte de
restauration pour compenser l’enveloppe de représentation.
Cela pose d’emblée un problème d’identité, mais également d’identification. En effet, la faille
narcissique se rattache à une fragilité identificatoire. Le sujet aurait besoin de s’identifier pour
combler cette fragilité identificatoire. Nous savons que les drogues dures donnent un
39
sentiment de toute-puissance. De même, on voit très bien que le joueur de jeux vidéo
s’identifie en partie au héros du jeu, et ce peut-être dans le but de pallier à une faille
narcissique.
2.5) Atelier thérapeutique de jeux vidéo :
Autant le jeu vidéo peut entraîner une dépendance, autant il peut s’avérer bénéfique pour
soigner certaines pathologies.
Depuis septembre 2002, Mickael Stora travaille comme psychologue clinicien pour enfants et
adolescents au CMP de Pantin (93) où il a crée un atelier jeu vidéo. Il réfléchit depuis
plusieurs années à l'impact des jeux vidéo sur les enfants souffrant de troubles psychiques
mais aussi sur ce lien interactif de l'homme à l'ordinateur ; et sur les processus mentaux qui en
émergent. Cet atelier a lieu une fois par semaine et se compose de quatre enfants âgés de 6 à 8
ans (deux garçons et deux filles), et de trois thérapeutes dont deux stagiaires en psychologie
clinique. L'atelier dure une heure et trente minutes. Il se décompose en une demie heure de
temps de parole et une heure de jeu.
Le jeu vidéo « ICO » met en scène un enfant né avec des cornes. Ces « enfants à cornes », de
par leur infirmité se retrouvent enfermés dans un château fortifié. Ico, avatar (double virtuel)
est très vite investi par les enfants car eux-mêmes se voient souvent comme des « enfants à
cornes ». Dans le jeu il faut qu'Ico trouve le moyen de se libérer de sa prison et rencontre une
jeune femme , Yorda, fille de la Sorcière propriétaire de ce château magique. De plus, pour
qu’Ico puisse passer des portes de Lumière, Yorda se doit de l'accompagner tout au long du
jeu. C'est grâce à une touche de la manette de jeu (R1), qu’Ico doit tenir la main de Yorda. Le
rythme de son coeur bat dans la manette. Yorda est un personnage tout blanc, qui peut
représenter la mère dépressive, toxicomane. La quête d'Ico est de s'échapper, celle de Yorda
est de fuir sa mère. Tous ces éléments viennent renforcer les processus identificatoires des
enfants vis-à-vis aussi bien d'Ico que de Yorda. Ico doit au départ sauver Yorda, puis se
trouve séparé d’elle et doit poursuivre sa route seul.
D'une manière générale, au bout de quelques mois de pratique, le jeu en lui-même et le temps
de parole permettent ces allers-retours nécessaires entre des moments de vie réelle et ceux du
jeu où chaque enfant selon son histoire projette et introjecte des affects et expériences
motrices qui semblent avoir une valeur thérapeutique. Le jeu va permettre à l’enfant d’avoir
40
du plaisir à jouer pour lui, à avancer pour lui-même, et non pour sauver quelqu’un, sa mère
par exemple. Il s’agit de voir, pour chaque enfant et selon son histoire personnelle, ce qui
émerge d'un travail d'élaboration par le passage en acte virtuel. La parole aura alors pour but
de renforcer le travail d'élaboration.
Dans le livre Du bon usage des jeux vidéo, et autres aventures virtuelles, Benoît Virole
évoque à plusieurs reprises l’aspect bénéfique des jeux vidéo au sein de la psychothérapie.
Pour lui, ces derniers permettraient une levée de l’inhibition chez l’enfant et l’adolescent et
amèneraient le psychologue à être d’emblée au contact des intérêts de leurs jeunes patients. Il
faut pour cela que le thérapeute joue avec l’enfant, à savoir qu’il y ait attention conjointe.
L’attention conjointe est en lien avec les premières interactions entre la mère et l’enfant et
constitue une base solide dans de développement de l’enfant. Le bébé va tenter d’attirer
l’attention de sa mère sur un objet ou une activité, et la mère va alors s’adapter à l’enfant pour
partager cela avec lui. Le cadre thérapeutique mis en place avec un jeu vidéo réactive ce
processus, ce qui va avoir pour conséquence de rassurer l’enfant. De plus, cette action
conjointe va rappeler le jeu de la mère et de l’enfant avec un objet extérieur. Nous pourrions
lier cette réflexion à celle de Winnicott concernant l’action de jouer « playing », qu’il
différencie du jeu à proprement dit. L’action de jouer implique l’espace transitionnel du jeu,
c’est à dire qu’il laisse place au jeu partagé et à la créativité. Winnicott a beaucoup utilisé le
jeu dans ses thérapies avec les enfants et a insisté sur les interactions mises en place
notamment grâce au jeu. De même, pour Virole, le jeu vidéo est vu comme un espace
transitionnel, qui se situe entre la réalité extérieure et la réalité psychique.
Virole donne l’exemple des Sims, jeu qui offre la possibilité de créer une famille virtuelle
selon les désirs du joueur et de faire interagir ses différents membres entre eux. Ceci permet
donc de faire ressortir les désirs et les conflits inconscients qui animent le sujet, ainsi que
l’élaboration du traumatisme. De plus, le choix du jeu vidéo et la manière de jouer peuvent
renseigner sur l’action thérapeutique à accomplir.
Le plaisir de jouer vient avant tout d’une économie d’énergie. Lorsque le sujet perçoit, il va
immédiatement anticiper virtuellement une action. Mais les actes virtuels s’effectuent par une
action limitée sur le plan moteur : le joueur, pour sauter par exemple, n’a qu’à appuyer sur
une touche du clavier. Nous pouvons donc dire que la réalisation du but à atteindre dans un
jeu implique une très faible dépense motrice et va être source de plaisir. Nous savons
également que l’ordinateur reste neutre en ce qui concerne la manière qu’a l’enfant de s’en
servir, ce qui l’amène à avoir davantage confiance en lui et à tenter plus de choses. « La
41
machine permet simplement une contenance des essais et des erreurs de l’enfant qu’elle
assure sans états d’âme, et donc avec une neutralité et une constance profondément
rassurantes pour l’enfant. Celui-ci peut alors progressivement prendre confiance dans
l’efficacité et la constance de ses propres activités de pensée. » (p. 62-63).
De nombreuses capacités sont requises et nécessaires lors d’une partie de jeu vidéo. Tout
d’abord, la rapidité, les réflexes moteurs, la flexibilité, la coordination manuelle et visuomanuelle (appuyer au bon moment sur les touches - parfois plusieurs touches en même temps
-, et ce en fonction des décors et des personnages…), la concentration, l’anticipation,
l’intuition, la mémoire (immédiate, à long terme, spatiale…), l’organisation spatiale, la
réflexion… Les jeux vidéo sont par conséquent de bons outils pour développer des
apprentissages chez certains enfants, on parlera dans ce cas de médiations. Les remédiations
ont quant à elles pour but de rééduquer un trouble d’apprentissage avec des logiciels
spécifiques aux besoins de l’enfant (qui se consacrent à une capacité cognitive particulière
comme la mémoire ou la concentration). Il est possible de les utiliser chez les enfants
hyperactifs ou très turbulents, mais il faut une bonne pratique professionnelle et une bonne
connaissance de ces troubles. Ces logiciels sont édités par des maisons d’édition spécialisées.
Cependant, on observe tout aussi bien des logiciels interactifs pour les apprentissages qui sont
accessibles à tout public, comme Adibou.
42
III) Le concept de Narcissisme en psychanalyse :
3.1) Définition :
C’est un concept important pour la compréhension de la constitution du Moi, du sujet comme
personne unifiée. Ceci est dû au résultat du travail de la pulsion de vie, qui lie et unit,
contrairement à la pulsion de mort qui détruit et sépare.
Il désigne l’amour porté à l’image de soi-même. En termes psychanalytiques, il correspond à
l’investissement de la libido, de l’énergie psychique, qui a pour objet le Moi. C’est un
investissement global du Moi par la libido.
La pensée de Freud a évolué, la définition du narcissisme aussi. Lacan va proposer la théorie
du stade du miroir pour prolonger celle de Freud. Mélanie Klein pense qu’il existe d’emblée
des relations, elle ignore le narcissisme. Green a beaucoup conceptualisé la notion du
narcissisme : il évoque le narcissisme de vie et le narcissisme de mort.
Le concept de narcissisme apparaît en 1898 sous la plume de Havelock Ellis qui s’est référé
au mythe de Narcisse. Insensible à l’amour passionné d’Echo, d’autres nymphes et de
mortelles, Narcisse est puni par Némésis. Epris de sa propre image reflétée dans une fontaine,
il se penche sur l’eau et languit de désespoir devant son idole insaisissable. A l’endroit où il
mourut pousse la fleur qui porte son nom.
En 1899, P. Näcke introduit ce terme dans le champ de la psychiatrie pour évoquer une
nouvelle catégorie de perversion, avec des sujets qui ne peuvent obtenir de satisfaction
sexuelle qu’en faisant de leur corps un objet érotique (perversion narcissique). Le narcissisme,
c’est le comportement par lequel un individu traite son propre corps de façon semblable à
celle dont on traite d’ordinaire le corps d’un objet sexuel.
3.2) Le narcissisme chez Freud :
C’est dans Trois essais sur la théorie de la sexualité (1910) que Freud utilise le terme de
narcissisme pour la première fois, pour rendre compte du choix d’objet chez les homosexuels.
La même année, Freud fait une étude sur Léonard de Vinci, Souvenir d’enfance de Léonard
de Vinci. Il va aussi parler de l’homosexualité en évoquant un lien amoureux pour la mère. Il
43
y a une identification au désir de la mère qui est l’image de l’enfant lui-même, une recherche
du même dans le choix d’objet extérieur (recherche de soi dans l’autre). Freud va se prendre
comme expérience pour identifier ses relations d’objet, liées au narcissisme.
En 1911, lorsqu’il écrit le cas Schreber, il pose l’existence d’un stade nouveau dans
l’évolution normale de la sexualité. Il s’agit du stade narcissique, qui serait l’intermédiaire
entre le stade auto-érotique et le stade de l’amour d’objet. Ce stade est précoce, les pulsions
sexuelles sont diffuses, ne sont pas unifiées, elles sont partielles selon les zones érogènes. Ces
pulsions vont petit à petit s’unifier, ce qui permet au sujet de parvenir à l’amour d’objet, à
savoir à l’amour d’une autre personne. Mais avant cela, l’individu commence par prendre son
propre corps comme objet d’amour : ce temps d’amour pour soi-même s’appelle le stade du
narcissisme. Freud va à nouveau aborder la question de l’homosexualité : il s’agit pour lui
d’une fixation narcissique. Cette dernière est d’ailleurs le fond même de la paranoïa. Face au
conflit va se mettre en place un mouvement de régression défensive au stade narcissique. Il
s’opère un retrait de tous les investissements libidinaux du monde extérieur. Le sujet est alors
submergé par un vécu de catastrophes internes qu’il projettera ensuite sur le monde extérieur.
Dans Totem et Tabou (1913), Freud reprend dans les mêmes termes la description de la phase
narcissique et affirme qu’elle est caractérisée par la toute-puissance de la pensée (tout est
possible par la pensée).
C’est dans l’article Pour introduire le narcissisme in La vie Sexuelle (1914) que l’auteur va
élaborer sa théorie du narcissisme. Ce texte va remettre en question sa première théorie des
pulsions, qui distingue les pulsions sexuelles et les pulsions d’auto-conservation. C’est cette
introduction du narcissisme qui pose l’existence de pulsions sexuelles du Moi, qui va
conduire à la deuxième théorie des pulsions, où le dualisme pulsionnel se coupe en pulsions
de vie et pulsions de mort. On a la mise en place de la notion du Moi Idéal : idéal de toutepuissance narcissique, amour que l’enfant porte à lui-même, avant que les jugements des
autres interviennent ; et de l’Idéal du Moi : instance qui résulte de la convergence du
narcissisme et de l’image des parents, et l’enfant va essayer de s’y conformer. Enfin, la
Conscience morale est l’instance psychique qui veille à ce que soit assurée la satisfaction
narcissique provenant de l’Idéal du Moi, elle observe le Moi actuel et le mesure à l’Idéal
(critique des parents et de la société). Nous sommes alors dans la première topique, avec le
Conscient, le Préconscient et l’Inconscient. C’est en 1923 qu’apparaîtra la seconde topique
avec les trois instances : le Moi, le Ca et le Surmoi.
44
Freud, sur le plan économique, définit une balance énergétique entre la libido du Moi et la
libido d’objet. Le Moi dispose d’une réserve de libido, d’une quantité d’énergie limitée. Cette
énergie est investie soit sur le monde extérieur, soit sur la personne propre. Comme elle est
limitée, plus il y a d’investissement d’objet, plus l’investissement du Moi diminue. On
observe ce phénomène dans l’état amoureux : le Moi s’appauvrit en libido au profit de l’objet
aimé. C’est objet peut prendre la place du Moi dans le cas de la passion amoureuse. La libido
peut être envoyée du Moi vers les objets, c’est l’investissement ; mais le Moi peut aussi
absorber la libido qui reflue à partir de ces objets.
Freud revient sur le cas des pervers et des homosexuels, et avance qu’ils ne choisissent pas
leur objet d’amour ultérieur sur le modèle de la mère mais sur celui de leur propre personne.
Ils se cherchent eux-mêmes comme objet d’amour, en présentant le type de « choix d’objet
narcissique » (voir plus bas).
Freud va définir deux types de narcissismes : le narcissisme primaire et le narcissisme
secondaire. Ce ne sont pas des stades chronologiques, ils ne se suivent pas.
3.2.1) Le narcissisme primaire : première conception :
Il s’agit d’un stade hypothétique, d’un état que l’on postule mais que l’on ne peut pas
observer. C’est un concept, qu’il est nécessaire de postuler pour la cohérence de la théorie du
narcissisme. C’est un état précoce où l’enfant investit toute sa libido sur lui-même.
(Vocabulaire de la Psychanalyse, J. Laplanche et J.B Pontalis, PUF, p263). C’est un état
intermédiaire entre l’auto-érotisme et l’amour d’objet. C’est à cette phase que se constitue le
Moi, et le Moi se prend comme objet d’amour.
A l’origine, il n’existe pas d’unité comparable au Moi. Le développement va être progressif :
le corps est d’abord divisé en territoires pulsionnels partiels selon les zones érogènes. Ces
pulsions partielles fonctionnent indépendamment. C’est un premier mode de satisfaction
libidinale, un premier stade de l’auto-érotisme.
La phase du narcissisme primaire correspond à l’apparition d’une première unification, d’un
Moi et va entraîner un nouveau mode de fonctionnement : les pulsions sexuelles partielles
vont s’unir, le Moi va pouvoir satisfaire lui-même les pulsions ; l’objet de satisfaction est le
corps propre, constitué comme objet unique (le mode de fonctionnement est toujours autoérotique). Ce temps va céder la place au choix d’un objet hétérosexuel.
Par ailleurs, Freud va situer la position des parents dans la constitution du narcissisme
primaire. La venue de l’enfant produit chez eux une reviviscence de leur propre narcissisme.
45
Ceci favorise l’attribution à l’enfant de toutes les perfections ainsi que le déni de la
sexualité infantile: les parents projettent leurs rêves, leurs idéaux sur leur enfant. Cette
rencontre entre le narcissisme de l’enfant et celui des parents est essentielle pour le
développement du narcissisme de l’enfant.
3.2.2) Le narcissisme primaire : deuxième conception :
Freud va abandonner la distinction entre auto-érotisme et narcissisme. Il rapporte le
narcissisme primaire à un premier état de la vie antérieur à la conception d’un Moi et dont la
vie intra-utérine serait l’archétype. Ceci est un état anobjectal, sans distinction entre sujet et
objet, entre le Moi et le Ca, et entre le Moi, le Ca et le monde extérieur (absence totale de
relation à l’entourage).
Cette conception est critiquée par de nombreux auteurs car elle suggère que le nouveau-né
n’aurait aucune ouverture sur le monde extérieur. Il est difficile de concevoir un état sans
relation avec des objets. En fait, les relations existent et ont une influence sur l’enfant, mais ce
qui est absent chez l’enfant est la représentation de cette relation. Le postulat d’un stade
anobjectal est donc problématique. Certains psychanalystes pensent qu’il existe d’emblée des
relations d’objets chez les nourrissons. Mélanie Klein va dire qu’il existe des relations
objectales qui sont instituées dès l’origine, et évoque des états narcissiques (au sens du
narcissisme secondaire). Sa théorie est fondée sur la deuxième topique freudienne. Elle donne
un rôle essentiel à la pulsion de mort et la décrit comme des mouvements agressifs. Elle
dégage une configuration oedipienne précoce, qui se situe bien avant la phase phallique et
l’Œdipe (de Freud). Elle décrit également l’existence d’une activité fantasmatique riche et
intense dès les premiers mois de la vie : avant même que l’enfant se repère comme unifié, il
participe à l’activité fantasmatique de l’autre (en l’occurrence la mère).
3.2.3) Le narcissisme secondaire :
C’est l’état qui va succéder à un retrait des investissements libidinaux des objets du monde
extérieur. Cette libido se retourne sur le Moi, et c’est ce retour qui constitue le narcissisme
secondaire. Il s’agit d’un état régressif que l’on retrouve dans les psychoses schizophréniques,
en particulier dans la catatonie (où le sujet est complètement replié sur lui-même). C’est un
état observable, qui est compréhensible grâce au narcissisme primaire.
Le narcissisme secondaire se rattache aussi à la mégalomanie : il y a retrait de la libido d’objet
sur la libido du Moi, d’où le sentiment de grandeur, de toute puissance.
46
Pour Freud, le narcissisme secondaire ne désigne pas seulement certains états de forte
régression, c’est aussi une structure permanente du sujet. Nous avons en effet une balance
énergétique qui s’opère entre l’investissement du Moi et l’investissement d’objet ; et l’Idéal
du Moi représente une formation narcissique toujours présente.
Freud va par ailleurs décrire deux types de choix d’objet : le choix d’objet par étayage, et le
choix d’objet narcissique. Dans le premier, l’objet d’amour est choisi en fonction du modèle
des figures parentales en tant que figures assurant à l’enfant nourriture, protection…
-
la femme qui nourrit
-
l’homme qui protège
Quant au deuxième, il se fait sur le modèle de la relation du sujet à sa propre personne. Le
choix d’objet représente la personne sous un de ses aspects.
-
on peut aimer ce que l’on est
-
on aime ce que l’on a été
-
on aime ce que l’on voudrait être
-
on aime la personne qui a été autrefois considérée comme une partie du propre soi
(la mère)
3.3) Le narcissisme chez Lacan :
Nous avons également le courant de J. Lacan, qui a proposé la théorie du stade du miroir pour
préciser la question du passage de l’auto-érotisme et des pulsions partielles à l’unité des
pulsions. A travers cette théorie, Lacan a cherché à répondre à la question de l’avènement
d’une image de soi indépendamment des interventions extérieures. Il va situer le narcissisme
primaire au moment où se constitue un Moi unifié et nettement différencié.
Cette constitution du Moi se fait par l’intériorisation d’une image de l’autre, en rapport avec
l’acquisition du schéma corporel. Elle porte donc déjà les caractéristiques de la relation
imaginaire puisque l’image dans le miroir, à laquelle l’enfant s’identifie, est d’abord perçue
comme l’image d’un autre (l’enfant voit l’image d’un être réel et tente de l’approcher),
« comme une image qui fournit la représentation d’une unité corporelle que le sujet ne
possède pas encore » (L’Homme en Développement, p. 127-128) ; provoquant alors une
confusion entre soi et l’autre. Puis l’enfant va assumer cette image comme étant la sienne. Ce
schéma intervient en même temps chez les individus, il est lié à la maturation du cerveau ; ce
qui est différent de l’image du corps, qui est plus en rapport avec la maturation psychique et
47
l’histoire du sujet. Elle apparaît vers 6-8 mois et se termine vers 18 mois. Lacan affirme donc
que la constitution du narcissisme se fait en fonction de l’acquisition du schéma corporel.
Le stade du miroir permet la représentation de soi par une identification à l’image de l’autre.
Mais cette représentation de soi unifiée fait à son tour apparaître le fantasme de morcellement
corporel.
La conception de Winnicott diffère de celle-ci puisqu’il avance que le visage de la mère est le
précurseur du miroir dans le développement affectif de l’enfant. En fait, dans cette théorie,
l’enfant « se voit » quand il observe le visage de sa mère. En empruntant les termes de
l’auteur, « la mère regarde son bébé et ce que son visage exprime est en relation directe avec
ce qu’elle voit […] Nous constatons que la petite fille normale, quand elle étudie son propre
visage dans le miroir, est en train de se réassurer, parce que c’est l’image de la mère qui est
là et que la mère peut la voir et, enfin, que la mère est en rapport avec elle. Quand, lors de la
phase de narcissisme secondaire, garçons et filles regardent pour voir la beauté et tomber
amoureux, c’est là déjà une preuve qu’un doute s’est introduit, relatif à l’amour soutenu de la
mère et des soins qu’elle prodigue » (p 205 et 207).
A l’adolescence, certains processus se réactualisent, comme le passage de la dépendance à
l’indépendance ou une certaine forme d’idéalisme. Alors que dans la petite enfance, il y avait
fantasme de « mort », il y a fantasme de « meurtre » à l’adolescence (car grandir signifie
prendre la place des parents). Là encore, le rôle de l’environnement et surtout des parents est
très important.
48
IV) L’identification :
4.1) Définition :
« L’identification est un processus psychologique par lequel le sujet assimile un aspect, une
propriété, un attribut de l’autre et se transforme totalement ou partiellement, sur le modèle de
celui-ci. La personnalité se constitue et se différencie par une série d’identifications »
(Vocabulaire de la Psychanalyse, J. Laplanche et J.B Pontalis, PUF, p 187).
Selon Freud, c’est l’opération par laquelle le sujet se construit. Il affirme que l’identification
peut porter sur un trait de l’objet, et non sur l’objet dans sa totalité. De plus, plusieurs
identifications peuvent coexister.
L’identification se fait à des objets, c’est-à-dire des personnes, par une assimilation du Moi à
un autre Moi ; ou à des objets partiels, à savoir au trait d’une personne. Freud fait cependant
bien la distinction entre l’identification, ce que l’on voudrait être ; et l’objet, ce qu’on voudrait
avoir.
4.2) Evolution du concept chez Freud:
Dans son livre L’identification dans la théorie freudienne, Jean Florence retrace toute la
réflexion de Freud à propos de l’identification.
4.2.1) L’hystérie et le rêve :
La notion d’identification apparaît la première fois chez Freud lorsqu’il aborde la question de
l’hystérie. Elle est directement liée au mécanisme de refoulement de la sexualité. En effet,
l’hystérique s’identifie à toute une série de personnages, mais ces figures sont instables, et le
sujet s’y reconnaît comme s’y perd. Selon Freud, c’est l’activité sexuelle d’une autre personne
qui éveille, par jalousie et identification, la même compulsion sexuelle de l’hystérique, mais
qui succombe au refoulement. Le symptôme va venir se substituer à la satisfaction de cette
compulsion et va apparaître alors comme une punition que le sujet s’inflige à lui-même. Les
termes d’identification et d’imitation sont vus alors comme quasi-équivalents, le sujet ne
sachant pas qu’il imite (l’imitation est souhaitée inconsciemment, et se traduit par un
symptôme, symptôme dont le sens est méconnu du sujet).
49
En même temps, Freud s’intéresse à l’oeuvre de Shakespeare, Hamlet, et à la tragédie. Ceci
lui permet d’établir le parallèle avec l’hystérique. L’identification chez l’hystérique est vue
comme une dramatisation d’un scénario sexuel fantasmatique et comme une production
scénique, corporelle, d’une action unissant des personnages dans un drame commun.
Le cheminement de la pensée de Freud va ensuite conduire au rêve, qui peut fournir une
explication à l’hystérie. Les mécanismes et les processus du rêve seront décrits dans
L’interprétation des rêves, et leur lien avec l’hystérie sera démontré dans le cas Dora.
L’identification est située par conséquent entre le rêve et la névrose. C’est une méthode qui
est la manifestation d’un acte mental. Elle se présente comme une scène, un fantasme, un
drame sexuel se jouant entre une série de personnes. L’identification est le moyen de jouer ce
fantasme et de le réaliser, soit par le rêve, soit par un symptôme d’ordre hystérique ; et permet
à l’impulsion (d’ordre sexuel), de trouver une issue.
Freud étudie le rêve et lui prête une logique propre : il produit du semblable, trouve des
ressemblances, opère des rapprochements et des raccourcis, pour opérer une unification et
échapper à la censure. Cette production du semblable est l’identification. Cette dernière est
ainsi vue comme une modalité de la condensation, condensation qui opère sur la
représentation des personnes :
« Quand je vois surgir dans le rêve non pas mon moi mais une personne étrangère, je dois
supposer que mon moi est caché derrière cette personne grâce à l’identification [...] Dans
d’autres cas, mon moi apparaît dans le rêve, c’est alors la situation où il se trouve qui
m’apprend qu’une autre personne se cache derrière moi par identification. Il faut alors
découvrir par l’interprétation ce qui est commun à cette personne et à moi et le transférer sur
moi. Il y a aussi des rêves où mon moi apparaît en compagnie d’autres personnes qui,
lorsqu’on résoud l’identification, se révèlent être mon moi. Il faut alors, grâce à cette
identification, unir des représentations diverses que la censure avait interdites. Ainsi, je peux
représenter mon moi plusieurs fois dans un même rêve, d’abord de manière directe, puis par
identification avec des personnes étrangères. Avec plusieurs identifications de cette sorte un
matériel de pensées extraordinairement riche peut se condenser » (note de Freud p.34).
Comme dans l’hystérie, l’identification présente dans le rêve permet de masquer une relation
inconsciente qui touche à l’identité : soit le désir « d’être comme », soit celui « d’avoir la
même chose que ». L’identification est donc particulièrement liée au moi. Le moi se construit
à travers une série d’identifications, le sujet ne peut ressentir du désir qu’en observant les
autres (leurs traits, leur situation...).
50
Freud étudie également le mot d’esprit. L’identification se fait alors entre des personnes
réelles et différentes, qui ont des places bien déterminées : le sujet qui produit le mot, la
personne objet, et l’auditeur qui sanctionne le mot. Le moi de l’auditeur va se mettre à la
place de la personne qui produit le mot d’esprit, va s’identifier inconsciemment à elle. Ceci
relève d’un inconscient collectif et d’une solidarité.
Freud, en évoquant la tragédie d’Hamlet, va parler d’identification au héros. Cette
identification ne s’opère pas à travers la situation dramatique dans laquelle est plongé le
héros, elle se fait sur un trait qui est méconnu du sujet, puisque ce processus est inconscient.
Ce n’est donc pas une imitation, on s’identifie à ce que le héros signifie d’inconscient. « Par
identification inconsciente au drame conflictuel (pulsionnel) du personnage qui porte les
signes ou les symboles de nos propres pulsions, nous sommes débarrassés de l’angoisse liée à
la pression pulsionnelle et à la fragilité de notre pouvoir de refoulement, nous faisons
l’épargne d’une résistance [ ...] l’identification nous fait aimer le destin de l’autre et produit
l’illusion d’une expérience certes fictive et imaginaire mais dont le plaisir est réel et la valeur
reconnue » (p. 54). Freud affirme que cette identification donne au sujet l’illusion d’une
maîtrise, réconforte son moi des peines de l’existence et confirme son sentiment de toutepuissance. Elle est vue comme une élaboration ayant la capacité de sublimer.
4.2.2) La théorie de la sexualité :
Dans les Trois essais sur la théorie de la sexualité (1905), Freud étudie la genèse de la
sexualité et le développement des pulsions. Il va tout d’abord définir la notion de pulsion, puis
va lui donner à cette dernière une source, une poussée, un but et un objet. C’est en étudiant la
sexualité que Freud va introduire le concept d’identification. Nous voyons là qu’il s’agit d’un
champ théorique bien différent de celui de l’hystérie et du rêve.
La première organisation sexuelle prégénitale est « orale ». Au cours de cette phase, l’activité
alimentaire n’est pas séparée de l’activité sexuelle. « L’objet de la première activité est aussi
celui de la seconde, le but sexuel consiste en l’incorporation de l’objet, prototype de ce que
sera plus tard l’identification appelée à jouer un rôle psychique important » (note de Freud
p.61). Le but alimentaire est de supprimer la tension due à la faim, et le but sexuel est donc
l’incorporation de l’objet. On a alors une incorporation qui se fait à deux niveaux, mais
l’incorporation de l’objet comme but sexuel va être formateur du psychique. Cette phase
d’organisation est un concept, elle est postulée pour donner sens à des phénomènes
pathologiques. La succion est vue comme un résidu de cette phase : l’activité sexuelle, qui est
séparée de l’activité alimentaire, remplace l’objet étranger par une partie du corps propre.
51
Nous pouvons donc dire que l’identification est liée à quelque chose d’archaïque, elle
« apparaît comme une élaboration psychique de la sexualité orale : elle oralise l’objet
d’amour. Et voir, sentir, toucher, caresser, parler, dans la mesure où ils sont sexualisés
obéissent à ce but sexuel incorporatif [...] Il y aurait dans toute identification ultérieure,
relevant de régimes sexuels plus élaborés, cette prétention dévoratrice » (p.63).
En ce qui concerne la puberté, le travail consiste à retrouver l’objet perdu de la petite enfance.
L’adolescent va alors produire une série de substituts imaginaires qui constituent le fantasme,
et qui ont but pour de répondre à la pulsion sexuelle en pleine réorganisation. La fonction de
l’identification va alors s’articuler à ce travail du choix de l’objet.
4.2.3) Narcissisme et identification chez les homosexuels :
Freud avait évoqué dans Pour introduire le narcissisme, les deux types de choix d’objets, le
choix d’objet par étayage, et le choix d’objet narcissique. Mais la relation entre narcissisme et
identification a réellement été démontrée dans son oeuvre, plus ancienne, Souvenir d’enfance
de Léonard de Vinci.
Dans ce texte, Freud parle de l’attachement érotique à la mère chez les homosexuels durant la
petite enfance, attachement renforcé par une tendresse excessive de la mère et par
l’effacement du père.
Cet amour pour la mère va par la suite être refoulé : le sujet va se mettre à la place de sa mère,
s’identifier à elle, et va se prendre comme modèle, modèle à partir duquel il fait le choix de
ses nouveaux objets d’amour. Ceci permet au sujet de se débarrasser de sa libido incestueuse
et de conserver cet amour intact dans l’Inconscient. Cette identification à la mère va rendre
inefficace l’identification au père, sur le plan du développement sexuel.
Les garçons aimés par l’homosexuel sont en fait des personnes substituées de sa propre
personne infantile. Il va aimer les autres comme sa mère l’aimait lorsqu’il était enfant. Il va
donc choisir ses objets d’amour suivant le mode du narcissisme (le sujet aime son propre
moi).
« L’identification est le processus qui convertit la libido d’objet orale en libido dont l’objet
est le moi travesti, métamorphosé selon le modèle de l’objet abandonné » (p. 70).
4.2.4) Totem et Tabou : l’identification totémique :
Totem et Tabou s’avère primordial dans le cheminement de la pensée de Freud concernant le
concept d’identification. Il part de l’animisme, attitude consistant à attribuer aux choses une
52
âme analogue à l’âme humaine. Les techniques de l’animisme sont la magie et la sorcellerie.
Freud s’intéresse particulièrement aux techniques magiques, qui imitent dans leur gestuelle
scénique l’événement attendu. Par exemple, en fabriquant l’effigie d’un ennemi ou en
décrétant que tel objet de le représente, l’individu pourrait lui nuire en frappant l’objet qui
l’imite (poupée…). Ceci est la « magie imitative ». Freud évoque également la « magie
contagieuse » : lorsque l’on observe la motivation sublimée du cannibalisme chez les
primitifs, c’est en mangeant certaines parties du corps d’une personne que l’on s’approprie ses
qualités. La magie réalise les vœux. Le désir de départ va se transformer en acte, de par la
mise en scène imitative. Le fait de faire « comme si » est bel et bien caractéristique de
l’identification. Freud va alors dire que c’est la toute-puissance de la pensée qui régit la
magie, à savoir la possibilité d’associer les choses à leurs représentations par contiguïté.
Dans l’hystérie et la névrose obsessionnelle, il y a en quelque sorte une pensée animiste, qui
agit par imitation ou par contagion. L’action et le faire « comme si » de l’hystérique se
substitue au désir (magie imitative). L’obsessionnel a quant à lui une volonté toute puissante
de contact entre tous ses processus psychiques (magie contagieuse).
Le lien entre l’identification et la projection est très étroit dans la pratique magique.
L’identification relève de l’appropriation et de l’incorporation, elle réalise le désir en
l’imitant : le mime (magique) est contact (métaphorique). La projection relève quand à elle de
l’expropriation, de l’exportation du désir qui est mis en l’autre, elle mime donc le
renoncement au désir.
Freud parle du totémisme, fondé sur l’interdit de l’inceste et du cannibalisme. Le totémisme
va permettre d’avancer dans la théorie de l’identification. Les primitifs se nomment d’après
des animaux ou des plantes. Il y a un parallèle à faire avec l’enfant. En effet, l’enfant
considère l’animal comme son égal. C’est après qu’il va ressentir de la peur envers ces
animaux, auparavant privilégiés. Freud fait le rapprochement avec l’attachement au totem,
marqué par l’ambivalence. Il y a chez l’enfant une sorte de « totémisme positif » et de
« totémisme négatif ». Nous le voyons avec le cas du petit Hans qui avait la phobie des
chevaux (phobie de les voir tomber et d’être mordu par eux). Le cheval ici symbolise le père,
et l’angoisse inspirée par le père s’est déplacée sur l’animal (le cheval). Il s’avère que lorsque
sa peur a commencé à diminuer, Hans s’est identifié lui-même à un cheval et a mordu son
père. Il y a donc identification au père. L’objet aimé et craint à la fois devient l’idéal, ce que
Hans souhaiterait être (identification au totem paternel). Cette identification implique dans un
certain sens la reconnaissance de l’idéal du moi. En résumé, l’admiration et l’amour voués au
père se transforment en un désir d’être comme le père idéal. L’identification a dans ce cas une
53
fonction narcissisante : elle réassure le moi dans son narcissisme sans le soustraire aux
exigences de la réalité.
Dans le totémisme, l’animal totémique symbolise le père, et l’identification au totem
commémore le père mort, « elle répète la scène de l’accomplissement du désir en en
produisant une substitution idéale ; le père incorporé recommence avec une force accrue son
pouvoir de fascination et d’intimidation sur le fils. Cette identification au père mort est donc
la reproduction de la relation ambivalente au père, l’accomplissement paradoxal du désir de
le supprimer et de l’amour, mais sur une autre scène » (p. 105). L’identification sert donc à
conserver le lien avec l’objet perdu.
La fin de Totem et Tabou est centrée sur la figure mythique du héros. L’identification
totémique est une identification héroïque. Le fait de créer la figure du héros permet de se
réconcilier avec le père. « L’identification permet de déplacer le désir dans le héros, l’idéal,
qui est l’insigne, le symbole, l’impossible exemple ». Ceci amène au triomphe du narcissisme,
« qui parvient à nier la mort par ce tour économique de la formation de l’Idéal » (p.106).
4.2.5) Deuil et Mélancolie : l’identification narcissique :
L’identification, comme nous venons de le voir, est liée au narcissisme. Ce lien est analysé
dans Deuil et Mélancolie. Nous sommes alors dans un contexte bien particulier, à savoir la
mélancolie. Nous observons chez les mélancoliques une forte diminution de l’estime de soi.
Le sujet s’auto- dévalue constamment, mais ses plaintes sont en réalité appliquées à une autre
personne, une personne qu’il aime, a aimé ou qu’il devait aimer. Freud explique que lorsqu’il
y a préjudice ou déception de la part de la personne aimée, la libido ne se déplace pas sur un
autre objet mais se retire dans le moi. S’en suit une identification du moi avec l’objet
abandonné. Ceci est typiquement un choix d’objet narcissique. La relation avec l’objet peut
ainsi perdurer, mais il en découle une modification partielle du moi. Le mélancolique est à la
fois très dépendant de l’objet et à la fois très narcissique. L’identification narcissique est
présente, selon Freud, quand l’objet était originellement un double narcissique du moi (il a
donc plus au sujet, mais ce choix s’est fait inconsciemment). Elle va nuire au moi tout en
préservant l’objet. Le moi s’étant substitué à l’objet, la personne va s’auto-injurier, se
rabaisser, et éprouver une satisfaction sadique.
L’identification est vue comme la relation originaire du moi à l’objet. Il n’y a pas de moi sans
investissement d’objet. C’est une opération fondamentalement narcissique, dans son origine et
dans sa fin. Elle est aussi une manière de sublimer.
54
4.2.6) La Métapsychologie :
Dans la Métapsychologie, Freud nous dit qu’il y a plusieurs destins de la pulsion : le
renversement dans le contraire (de l’activité à la passivité), le retournement sur la personne
propre (la libido d’objet se retire dans le moi, qui se retrouve clivé), la sublimation et le
refoulement (plus tardif). Les deux premiers sont très proches du processus d’identification.
Nous pouvons donc dire que l’identification constitue une défense plus archaïque que le
refoulement. Elle a pour but de maintenir le narcissisme et de conserve l’objet.
Freud va opérer un remaniement conceptuel en ce qui concerne la Métapsychologie. En effet,
il introduit les termes de pulsion de vie et de pulsion de mort. La pulsion de mort est en lien
avec le masochisme. Jean Florence propose une interprétation du jeu de la bobine du petit
Hans. Nous savons que ce jeu symbolise l’absence puis la présence de la mère. Hans continue
ce jeu devant le miroir, où il se fait disparaître lui-même. Le stade du miroir développé par
Lacan est bel et bien présent « je suis là », mais il lui succède une phase complémentaire « je
ne suis pas là ». « Le jeu n’accomplit pas seulement un désir mais translabore une impression
pénible proche de la mort (l’absence de la mère comme telle), l’identification en acte qu’est
le jeu ne peut plus être dite simplement au service d’un accomplissement de désir. Il semble
bien qu’elle soit le passage même, la voie obligée, de la conciliation de la pulsion de mort et
de la pulsion de vie » (p. 168). Le reflet de Hans dans le miroir est un substitut narcissique de
la mère absente. L’enfant a la possibilité de la faire partir et de la faire revenir quand il veut et
ceci montre bien l’ambivalence des sentiments amour/haine qu’il lui témoigne.
La Métapsychologie apparaît comme le récapitulatif des idées évoquées précédemment. La
notion d’identification primaire est énoncée pour la première fois et s’avère être antérieure au
conflit oedipien. Il s’agit de l’identification la plus précoce de l’enfant à son père. Le petit
garçon porte un intérêt très particulier à son père, il souhaiterait être comme lui, il le prend
comme idéal (nous retrouvons cette idée dans l’identification totémique). Dans l’identification
primaire, l’idéal est donc le sujet du moi. Un peu plus tard, le garçon va développer un
investissement d’objet de type sexuel envers sa mère. Ces deux manières d’aimer vont
coexister un moment sans créer de conflit. Puis, lors de l’unification de la vie psychique
(unification du moi, des pulsions sexuelles), elles vont se rencontrer et former le complexe
d’Œdipe normal. L’identification au père va alors changer : elle devient hostile et se
caractérise par le fait de vouloir remplacer le père auprès de la mère, d’être idéal comme le
père pour la mère. Le but de l’identification est devenir le père pour avoir la mère. Nous
55
avons donc une ambivalence envers le père, qui était vu comme idéal et maintenant comme
rival.
Le deuxième type d’identification se base sur l’identification hystérique et névrotique en
général. Elle est partielle car elle ne se fonde que sur un seul trait de l’objet. C’est en cela
qu’elle se distingue de l’identification primaire. On dira donc qu’elle est secondaire, elle
mime la coupure du lien avec l’objet sur le modèle narcissique de l’assimilation, de
l’incorporation.
Le troisième type est l’identification par sympathie qui va former des symptômes (contagion
mentale observée dans les salles d’hôpitaux psychiatriques). Elle a la particularité d’apparaître
en dehors de toute relation d’objet avec la personne copiée.
Jean Florence résume
toutes ces caractéristiques
communes
de
l’identification :
« L’identification est la forme la plus originaire d’un lien affectif à un objet ; elle devient par
une voie régressive le substitut d’un lien d’objet libidinal, une sorte d’introjection de l’objet
dans le moi ; elle peut survenir à chaque nouvelle perception d’un point commun avec une
autre personne qui n’est pas l’objet d’une pulsion sexuelle » (p. 190).
Les deux autres formes décrites par Freud sont deux types d’identification narcissique : celle
observée chez les homosexuels et chez les mélancoliques ; développées plus haut.
Trois conclusions peuvent être dégagées :
-
L’identification au père (primaire) et l’identification par sympathie sont motivées
par le désir d’être, de prendre la place, elles ne sont pas régressives.
-
L’identification secondaire renforce l’identification primaire.
-
Une identification peut être partielle (hystérie, par sympathie), ou globale
(homosexualité, identification totémique, identification primaire).
-
L’identification est une opération narcissique, elle aide à la conservation, au
maintien du moi et de l’objet.
4.2.7) Le complexe d’Œdipe :
Pour Freud, si le complexe d’Œdipe est universel, c’est que la préforme existe en chacun,
inscrite d’emblée comme « trace phylogénétique » du meurtre du père de la horde primitive
(C.F Totem et Tabou). Les facteurs de transmission de l’Œdipe sont à voir dans les
médiations culturelles et éducatives, et de tout ce qui peut venir à l’enfant de l’inconscient
parental (effets transgénérationnels). Il est aussi évident que chaque enfant construit sa
problématique oedipienne selon des modalités qui lui sont propres. Le complexe d’Œdipe
56
joue un rôle fondamental dans la structuration de la personnalité et dans l’orientation du choix
sexuel.
Le complexe d’Œdipe simple et positif chez le petit garçon se caractérise par l’ambivalence le
père et par la tendresse envers la mère. Freud, en élaborant le Seconde Topique, va proposer
le schéma complet de L’Œdipe, avec en plus du versant positif un versant négatif. Ce dernier
indique un comportement féminin tendre à l’égard du père et un sentiment de rivalité envers
la mère (Le complexe d’Œdipe, de Roger Perron).
La fin du complexe s’opère par la contrainte d’abandonner l’investissement d’objet de la mère
par toute une série d’identifications. Soit le garçon va s’identifier à la mère, soit il va y avoir
un renforcement de l’identification avec le père (issue normale du complexe). Freud dit que le
surmoi est « l’héritier du complexe d’Œdipe », il englobe l’ensemble des impératifs moraux,
des obligations et des interdits parentaux.
4.3) L’identification projective chez Mélanie Klein:
C’est un mécanisme archaïque, propre à la phase orale. Le sujet projette à l’intérieur de
l’objet, sa personnalité, sa personne, afin de le posséder, le contrôler et de lui nuire.
Ce concept a été développé par M. Klein, et est en relation avec la position schizo-paranoïde.
C’est un mécanisme qui consiste en une projection fantasmatique de parties clivées ou de la
totalité de la propre personne du sujet à l’intérieur de la mère. Ceci se fait dans le but de la
contrôler de l’intérieur, et peut donc générer des angoisses (être prisonnier et persécuté dans le
corps de la mère ou bien être puni par une introjection qui serait ressentie de manière violente,
comme une intrusion à l’intérieur de soi).
L’objet (la mère) peut donc devenir menaçant, le sujet ayant introduit les mauvais côtés de
son Moi. Il s’instaure une confusion entre le soi et l’objet, ou bien la perte des bonnes parties
de soi-même (le Moi est appauvri et l’Idéal du Moi peut devenir extérieur au sujet).
L’identification projective est donc une modalité de la projection : rejet à l’extérieur de ce que
le sujet refuse en lui-même (le mauvais).
57
V) Le lien étroit avec la culture :
5.1) Les contes :
Différents types d’addictions (amour, jeux vidéo…) ont un lien étroit avec la culture,
notamment celle des contes et récits enfantins. En effet, l’histoire affective de l’enfant y est
très présente, avec ses désirs de toute-puissance et les impératifs de la société pour les limiter,
le parcours qu’il devra accomplir, semé d’embûches et de rebondissements, qui lui permettra
d’acquérir de nouvelles capacités mais qui l’incitera aussi à faire des renoncements. Le conte,
pouvant être vu comme un espace transitionnel, montre également la difficulté à choisir son
objet d’amour, en renonçant aux premiers liens incestueux et interdits, et la nécessité de faire
preuve de courage pour se faire aimer à son tour. A la fin, le héros auquel s’identifie le lecteur
est heureux et les méchants sont quant à eux, punis (la distinction très nette entre bon et
mauvais personnages permet l’émergence d’affects totalement ambivalents).
B. Bettelheim, dans son livre Psychanalyse des contes de fées, affirme que les contes sont
bénéfiques à l’enfant dans la mesure où ils lui permettent de gérer ses angoisses et ses désirs
du moment, de trouver des solutions à ses problèmes, de le rassurer quant à l’avenir. Ils lui
suggèrent que les problèmes et les luttes qu’il rencontre sont inéluctables et qu’il doit les
affronter pour ensuite en venir à bout. Le conte de fées met l’enfance face aux difficultés
fondamentales de l’homme.
-
De nombreux contes débutent par la mort d’un parent, ce qui fait naître des
angoisses. Dans d’autres, c’est un parent qui passe le relais à la nouvelle
génération, le successeur devant auparavant faire ses preuves.
-
Il y a un certain dualisme entre le bien et le mal, caractérisé par les personnages et
leurs actions (le mal est représenté par un monstre, une sorcière, et triomphe
souvent momentanément). Ce dualisme, bien qu’il ne reflète pas la réalité (on n’est
pas tout bon, tout méchant), est caractéristique de la pensée de l’enfant. En effet,
l’enfant a une pensée dichotomique en bon ou mauvais. Il est incapable de
comprendre toute la complexité d’un être humain. On s’aperçoit d’ailleurs que plus
le personnage « bon » est simple et direct, plus l’enfant s’identifie à lui et rejette le
méchant. Cette identification ne se fait pas en raison de la bonté, de la vertu du
58
personnage, mais parce que le jeune se reconnaît à travers sa situation. Ce dernier
s’imagine alors qu’il partage toutes les souffrances du héros et qu’il triomphe par
la suite.
-
Dans les contes, le héros est au départ quelqu’un d’ordinaire, qui va devenir
célèbre en affrontant les dragons, épouser une princesse et demeurer heureux
jusqu’à la fin de ses jours.
-
Tous les processus internes qui caractérisent l’état du héros sont représentés sous
forme d’images. Par exemple, quand le héros doit affronter des problèmes
intérieurs, le conte nous le montre perdu dans une forêt impénétrable, ne sachant
plus où aller : c’est une image visuelle qui ne traduit aucun état d’âme.
L’enfant apprend dans les contes qu’il peut entretenir des relations interpersonnelles,
amoureuses, et peut échapper ainsi à l’angoisse de séparation qui le hante.
Notons que les contes ont un sens différent pour chaque individu et sont plus marquants à
certains âges (c’est en fonction des préoccupations du moment). Ils permettent des
changements d’identification selon les problèmes que doit affronter l’enfant. Ils ne sont pas
faits pour refléter la réalité telle qu’elle est mais ont pour but de rendre compte des processus
internes mis à l’œuvre. « Les contes de fées se rapportent essentiellement non pas à une
possibilité, mais à la désirabilité » Tolkien.
A la fin des contes, le héros revient à la réalité, tout comme nous. « Aucun enfant normal,
quand il atteint l’âge de 5 ans environ (l’âge où les contes de fées prennent tout leur sens), ne
croit que ces histoires sont conformes à la réalité. La petite fille se plaît à imaginer qu’elle est
une princesse vivant dans un château et elle ne se lasse pas de broder des fantasmes autour
de ce thème ; mais quand sa mère l’appelle pour se mettre à table, elle sait fort bien qu’elle
n’est pas une princesse » (Psychanalyse des contes de fées, p 102).
5.2) Le mythe du héros :
5.2.1) Caractéristiques générales :
Dans son livre Le Mythe du héros, Philippe Sellier donne une définition du héros extraite du
Dictionnaire de la langue française de Littré :
1. Nom donné dans Homère aux hommes d’un courage et d’un mérite supérieurs, favoris
particuliers des dieux, et dans Hésiode à ceux qu’on disait fils d’un dieu et d’une
mortelle, ou d’une déesse et d’un mortel.
59
2. Fig. Ceux qui se distinguent par une valeur extraordinaire ou des succès éclatants à la
guerre.
3. Tout homme qui se distingue par la force du caractère, la grandeur d’âme, une haute
vertu.
4. Terme de littérature. Personnage principal d’un poème, d’un roman, d’une pièce de
théâtre.
5. Le héros d’une chose, celui qui y brille d’une manière excellente en bien ou en mal…
Le héros du jour, l’homme qui, en un certain moment, attire sur lui toute l’attention du
public.
On retrouve à peu près cette même définition dans le Petit Robert de la Langue Française
(édition 2003), qui somme toute est assez étendue. Lorsqu’on l’utilise, on se réfère la plupart
du temps à la notion de divin, de puissance, d’un être singulier qui se détache des autres
individus ordinaires. Selon P.H Simon, le héros est doté d’une essence particulière, soumis à
une morale d’exception, et qui ne peut vivre que dangereusement. C’est un demi-dieu, sa
nature « le place entre le ciel et la terre, et son action procède de l’action divine » (in Le
Domaine Héroïque des Lettres françaises, Armand Colin, 1963, p 10).
Ce désir d’être héros fait partie d’une rêverie qui est commune à toutes les civilisations et a
suscité de nombreuses œuvres littéraires, en particulier les épopées.
Le mythe du héros a quasiment toujours la même structure, quelques soient les textes, même
si l’on observe quelques variations. Par exemple, nous avons très souvent l’alternance
naissance-mort-renaissance. Le héros naît souvent de parents illustres, créatures divines ou
qui sont les reflets de la divinité : rois, princes, êtres proches de Dieu ; et qui ont connu des
difficultés (politiques ou familiales). La naissance de l’enfant est précédée d’oracles, de
présages, qui se révèlent souvent menaçantes pour le père. L’enfant est alors rejeté par sa
famille, condamné à mourir (exemple d’Œdipe). Il est ensuite recueilli, vit caché et est
reconnu plus tard par un « signe » de son origine, ou par ses parents lors d’une rencontre, ou
bien il se distingue par des actes brillants (c’est le plus courant).
Les combats contre les monstres sont très présents, monstres qui gardent un trésor, une jeune
fille, ou qui effraient la population. Pour les psychanalystes, ces combats symbolisent
l’arrachement à la mère menaçante. Ressorti vainqueur de cet affrontement, le héros est vu
60
comme le sauveur qui délivre le peuple et il accède ainsi à l’immortalité par une seconde
naissance.
Par ailleurs, le héros est comparé au soleil. Son lever est une naissance, mais son coucher
n’est qu’une mort apparente. Le soleil traverse les ténèbres et les enfers sans être atteint par la
mort. Comme lui, le héros est invincible. On retrouve cette comparaison dans certains traits
physiques du personnage, tels que le regard, la chevelure… Ce dernier est aussi souvent
associé à des animaux en rapport avec le soleil comme l’aigle ou le lion.
Le héros est si grand qu’il tend à s’imposer comme chef politique, s’il ne l’est pas déjà au
départ.
-
ou il est roi à l’origine et reprend son trône comme il se doit (Œdipe, Thésée).
-
ou bien il a des difficultés à coexister avec le pouvoir politique (dans l’Iliade, le roi
Agamemnon n’a pas la carrure ni l’image d’Achille).
-
ou il peut arriver que le héros tue le roi.
En tout cas, le héros tend à échapper à la loi.
Dans les récits héroïques, la femme apparaît généralement comme une menace. Pourtant, elle
attire. Elle n’est que le repos du repos du guerrier la plupart du temps. Au 12ème et au 16ème
siècles, avec les règles de la courtoisie, on a plutôt des récits où la femme lance un défi au
héros pour voir de quoi il est capable et où elle est la récompense à ses exploits. Dans tous les
cas, le femme tombe amoureuse aux vues des prouesses du héros, en défiant les interdits
sociaux ou moraux. Pour donner un exemple, Guenièvre, la femme du roi Arthur, tombe
amoureuse de Lancelot, ou bien Yseult, mariée au roi Marc, aime Tristan.
La femme peut enfin représenter la sagesse et la sérénité, celle qui va aider le héros à mieux
affronter la vie.
Nous avons également l’héroïsme féminin. Souvent, il s’agit d’une jeune fille vierge et svelte.
Atalante, vierge, tua les centaures Rhoecos et Hylaeos qui avaient essayé de la violer. Elle
participa à la mise à mort du sanglier de Calydon, et vainquit Pélée à la lutte. Jeanne d’Arc est
un cas où la réalité a dépassé la fiction. Née d’une famille obscure, elle est vierge et choisie
par Dieu. Puis elle est reconnue par le roi à un signe demeuré secret. Elle est trahie et son
bûcher est le signe de son apothéose (elle accède à l’immortalité par une seconde naissance).
Souvent, le héros est accompagné d’un ami, tout comme dans les romans policiers (Sherlock
Holmes…). Ceci lui permet de parler de lui-même et d’accomplir des exploits, et rend le duo
61
plus attachant. Nous pouvons également avoir des groupes héroïques, comme dans l’œuvre de
Dumas Les Trois Mousquetaires. C’est l’héroïsme collectif.
5.2.2) L’épopée :
Nous avons dit auparavant que l’épopée était le genre littéraire le plus caractéristique de
l’héroïsme. Dans l’agrandissement épique, le héros est plus grand, plus fort, mais pas
invulnérable : Tristan, Lancelot, Achille sont blessés à plusieurs reprises. Il est plus endurant,
plus noble ou plus confiant en Dieu. Il y a certes agrandissement épique, mais il faut tout de
même conférer à minima un caractère humain qui soit réel.
Le héros est protégé par les Dieux, et l’on a très souvent des interventions surnaturelles dans
les récits. Dans le merveilleux antique, il y a intervention des dieux (Iliade), dans le
merveilleux celtique, des fées et enchanteurs, dans le merveilleux chrétien, de Dieu, des anges
et des saints (Jeanne d’Arc, la Chanson de Roland).
Le héros s’insère dans une histoire avec beaucoup de personnages, qui restent bien en dessous
de lui. Il affronte tous les dangers. L’épopée se caractérise par ses rebondissements, sa
dynamique et son action, et ce dès le début de l’histoire. Elle fonctionne en contrastes : le
héros est beau, fort et les méchants sont repoussants ; avec des images très fortes et un
bestiaire (fauves, monstres…).
L’épopée, qui allie mort et renaissance, n’est pas une tragédie, car il n’y a pas de tragique
dans la vie d’un héros. Il lui arrive de souffrir certes, mais le lecteur pressent que tout n’est
pas perdu, que le héros va redresser la situation. Par contre, le mythe héroïque peut se
retrouver dans différents genres : épopées, romans surtout, mais aussi tragédies, contes…
Aujourd’hui, le héros occupe une place très importante dans notre esprit. « Il va de soi que
chacun de nous s’identifie au héros […] nous oublions un moment nos limites pour célébrer
secrètement une force dont nous rêvons qu’elle est la nôtre » ( P. Sellier, Le Mythe du Héros,
Bordas, 1970, p. 28).
5.2.3) Le héros à travers les époques :
5.2.3.1) L’antiquité :
Voici trois héros de l’Antiquité, il s’agit avant tout d’exemples pour illustrer le mythe du
héros, il y en a par ailleurs beaucoup d’autres que nous n’évoquerons pas ici.
62
Ulysse :
Fils de Laërte, roi d’Ithaque, et d’Anticlée ; mais une tradition lui donne comme père naturel
Sisyphe, le plus habile des hommes. Ulysse est, parmi les héros d’Homère, le plus habile, le
plus efficace, celui qui joint l’astuce à la vigueur, la persuasion et l’ingéniosité à la vaillance.
Engagé par le serment commun des prétendants d’Hélène (dont il est l’investigateur), il
participe à l’expédition contre Troie, en ayant auparavant essayé de se soustraire à la guerre ;
et contribue à la victoire grecque auprès d’Achille.
Mais c’est surtout son retour qui fait sa grandeur. Il mène différents combats au pays des
Cicones, et est jeté par les vents au pays des Lotophages (Libye). Puis il tombe au pays des
Cyclopes (Sicile) d’où il échappe de justesse, après avoir aveuglé Polyphème et encouru ainsi
la haine de Poséïdon. Voyageant sur une mer hostile, il échoue sur l’île d’Eole. Il rencontre
les anthropophages Lestrygons, puis la magicienne Circé qui transforme ses compagnons en
pourceaux. Il se rend ensuite au pays des Cimmériens, voisin des Enfers, évoque les ombres
des héros morts et consulte le devin Tirésias. Avec ses conseils, Ulysse peut désormais se
moquer des Sirènes, de Charybde et de Scylla. Mais ses marins imprudents mangent les bœufs
du Soleil et provoquent à nouveau la colère des dieux. Naufragé sur l’île de Calypso, Ulysse
est retenu pendant dix ans par la nymphe amoureuse de lui. Libéré par les dieux, il parvient à
l’île des Phéaciens, où il trouve enfin hospitalité et confort. Transporté alors par des marins
phéaciens, il est déposé endormi sur le rivage d’Ithaque. A Ithaque, il rencontre secrètement
son père Laërte et son fils Télémaque, et s’introduit au palais déguisé en mendiant. Son
épouse Pénélope lui raconte ses souffrances. Suivant son conseil, elle organise un concours de
tir promettant sa main au vainqueur. Ulysse est le seul qui réussisse à faire passer la flèche
dans des anneaux juxtaposés. Reconnu alors par Pénélope, il massacre les prétendants et
reprend sa place de roi. Les parents des tués se lancent dans la guerre, mais Athéna rétablit la
paix.
Héraclès :
Héros grec, le plus célèbre de la mythologie grecque. Fils de Zeus et d’Alcmène, la plus noble
des mortelles, à qui le dieu s’était présenté sous la forme de son mari absent, Amphitryon.
Zeus avait déclaré que le descendant de Persée qui allait naître deviendrait roi de Tirynthe et
de Mycènes. Héra, furieuse, ordonne à sa fille Ilithye, déesse des accouchements, de retarder
la naissance d’Héraclès et d’avancer celle de son cousin, Eurysthée. Mais Héraclès, né à
Thèbes, dès son berceau, montre sa force et son courage en étranglant deux serpents qu’Héra
avait envoyé contre lui.
63
En Boétie, il réalise ses premiers exploits. Il tue le lion de Cithéron qui dévastait le pays. Il
vainc le roi d’Orchomène, libérant les habitants de Thèbes du lourd tribu qu’ils lui payaient.
En récompense, il reçoit pour femme la fille du roi de Thèbes, Mégara, qui lui donne trois ou
huit fils. Mais le héros, frappé de folie par Héra, tue ses fils. En expiation du meurtre, il est
alors envoyé par un oracle à Tirynthe pour se mettre au service d’Eurysthée ; et sur son ordre,
exécute les douze travaux. Il commet un nouveau meurtre au cours d’une crise de folie et doit
se rendre comme esclave chez la reine de Lydie, Omphale, qui l’oblige à porter des robes de
femmes et à filer la laine à ses pieds. Ensuite, il réunit une armée avec son ami Télamon et
s’empare de Troie, puis d’Elide, Pylos et Sparte. Il s’exile avec sa dernière femme Déjanire et
son fils Hyllos à la suite d’un nouveau crime involontaire. Pendant ce voyage, le Centaure
Nessos tente de violer Déjanire et Héraclès le blesse d’une flèche. Le Centaure, avant de
mourir, remet à la jeune épouse quelques gouttes de son sang empoisonné, l’assurant qu’il
s’agit d’un philtre de fidélité conjugale. Or, quelques temps plus tard, Déjanire, jalouse de
l’amour de son mari pour sa captive Iole, imprègne une tunique de ce philtre et l’envoie à
Héraclès, qui la met et ressent de fortes brûlures. Il gravit alors le mont Oeta et se fait brûler
sur un bûcher. Vient enfin l’apothéose d’Héraclès, qui, monté au ciel, se réconcilie avec Héra
et prend comme femme Hébé, symbole de l’éternelle jeunesse.
Œdipe :
Personnage de la mythologie grecque. Fils de Laïos, roi de Thèbes, et de Jocaste. Lorsqu’un
oracle apprend à ses parents qu’il tuera son père et épousera sa mère, Œdipe est chassé et
exposé sur le Cithéron. Il est ensuite recueilli et élevé par Polybos, le roi de Corinthe. Fuyant
sa patrie pour échapper à la prédiction, il se querelle sur la route avec un voyageur et le tue :
c’était Laïos, son père. Arrivée à Thèbes, il répond aux énigmes que le Sphinx posaient aux
passants et le monstre meurt. Pour cette prouesse, les habitants de la ville le proclament roi et
Jocaste devient son épouse. Selon Sophocle, Thèbes est alors ravagée par la peste et Oedipe
décide de faire rechercher le meurtrier de Laïos. L’enquête lui révèle qu’il en est le coupable
et que Jocaste est sa mère. En apprenant cela, Jocaste se pend et Œdipe se crève les yeux. Il
est chassé par ses filles et part sur les routes de l’Attique, guidé par sa fille Antigone. Dans un
bois à Colone, il disparaît mystérieusement au milieu des éclairs et des grondements de
tonnerre en étant l’objet de la pitié des dieux.
(source : Le Petit Robert des noms propres, édition de 1994).
64
Ces différentes histoires reflètent plus ou moins les thèmes de la grande naissance, la vie
cachée, les signes et la reconnaissance, le défi, le combat singulier, l’affrontement du monstre,
la féminisation provisoire du héros, et l’apothéose.
5.2.3.2) Le Moyen-Age :
L’héroïsme chevaleresque est présent au 12ème siècle dans les chansons de gestes, comme La
Chanson de Roland, qui restent rudes, viriles. On a également l’apparition de romans courtois
tels que Tristan et Yseult, Erec et Enide (1160), Yvain et le Chevalier au Lion (1173) de
Chrétien de Troyes. Dans ses œuvres, le combat et l’amour sont les deux mobiles du héros.
5.2.3.3) La Renaissance :
C’est une période très pauvre en ce qui concerne l’héroïsme. L’intérêt des lecteurs se tournera
vers la littérature italienne et espagnole avec notamment Amadis de Gaule, Roland
Amoureux, La Jérusalem délivrée…
5.2.3.4) Le 17ème siècle :
C’est le siècle de la magnification du héros. La part de la guerre diminue au profit de l’amour.
Dans les tragédies de Corneille, on retrouve les contrastes, les épreuves, le héros sauveur, les
rapports entre les héros et les hommes ordinaires (rois…), le rôle de la femme, le thème de la
gloire…
A titre d’exemple, voici la structure du Cid :
-
vie cachée du héros et les signes qui le font reconnaître
-
épiphanie du héros grâce à plusieurs épreuves : affrontement du Comte, combat
contre les Mores, duel avec Don Sanche
-
l’ardeur de la course : héros vifs, susceptibles, coléreux, qui se précipitent
-
le héros sauveur national
-
le héros et la femme
-
le héros et le roi
-
la gloire et l’ascension solaire
Pascal, quant à lui, démolit le héros traditionnel devant le héros de la science. Il parle
d’orgueil humain, d’amour exclusif de soi-même. « Nous sommes si présomptueux que nous
voudrions être connus de toute la terre et même des gens qui viendrons quand nous ne serons
plus. Et nous sommes si vains que l’estime de 5 ou 6 personnes qui nous environnent nous
amuse et nous contente ».
65
« Qui ne hait en soi son amour-propre et cet instinct qui le porte à se faire Dieu, est bien
aveuglé » (Pascal, Pensées, …).
5.2.3.5) Le 18ème siècle : le siècle des Lumières :
La littérature héroïque disparaît. De plus en plus s’affirme la prédominance de la bourgeoisie.
L’épopée meurt, la tragédie fait place au drame bourgeois avec des auteurs comme Voltaire,
Rousseau, Diderot… La famille, le rang social, l’argent, l’intelligence, la raison, le goût et
l’ordre sont très prisés.
5.2.3.6) Le 19ème siècle :
La figure du héros traditionnel est reprise. Celui-ci est vu comme un artiste, un créateur. La
solitude est le trait le plus caractéristique du héros romantique. Elle montre sa difficulté à
s’intégrer dans un univers social qui lui paraît trop petit, trop mesquin, qui ne comprend pas
sa manière de penser.
Dumas met en scène un héros solitaire dans Le comte de Monté Christo, et donne à son roman
Les trois mousquetaires une touche d’aventure. Balzac, dans ses œuvres de la Comédie
Humaine, met en scène un homme qui évolue dans la société par son génie (Rastignac,
Rubempré…). Les romans de Zola sont l’objet d’un tournant « aux mythes de la Décadence,
de la Catastrophe, de l’invincible hérédité, de l’ensemencement du mal par le mal, de la
corruption réciproque des pauvres par les riches et des riches par les pauvres, tout ce
pessimisme qui fait abcès dans L’Assommoir et dans Nana se résorbe au profit des mythes
optimistes de la Vie, de la Fécondité et de l’Espérance révolutionnaire » ( Simon, Le
Domaine Héroïque des Lettres Françaises, p.385-386). Enfin, nous pouvons citer Hugo qui se
distingue de par son style épique. En effet, il met en scène des personnages particulièrement
puissants dans un contexte merveilleux, et sépare le genre humain en deux : les bons et les
méchants. Il reprend en quelque sorte la figure du héros traditionnel. Il voit Napoléon en héros
mais critique son neveu Napoléon III dans Les Châtiments.
5.2.3.7) Le 20ème siècle :
Nous pouvons citer à titre d’exemple le roman Jean-Christophe, de Romain Rolland (en 10
volumes). Jean-Christophe est le héros musicien. Dans cette œuvre, on retrouve la vie faite de
contrastes, les thèmes de la naissance et de la renaissance, de la marche à l’immortalité, les
images solaires, les présages annonçant une vie surhumaine, les rapports avec les femmes, les
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difficultés d’insertion dans le monde, les compagnons… La source de l’héroïsme est la
création musicale, imaginée à travers Beethoven.
Le 20ème siècle se caractérise par l’émergence du cinéma. Les films récents comme Troie,
Alexandre, Gladiator, mettent en scène le héros guerrier, puissant. Les films de science fiction
comme Star Wars, Matrix, mettent un pouvoir entre les mains du héros, qui représente le bien
contre le mal, et doit décider du sort de l’humanité. Les films d’action tels que les Die Hard,
James Bond, montrent des personnages ordinaires qui deviennent des héros en sauvant le
monde des attaques terroristes. Enfin, les productions comme Napoléon, Gandhi, Jeanne
D’arc, retracent la vie d’homme et de femmes qui ont marqué notre histoire par leurs actions.
Il est nécessaire d’ajouter que de nombreux écrits ont été rédigés à maintes reprises et dans
différentes époques sur ces héros, avec entre autre Charlemagne, De Gaulle, le Ché…
5.3) Les contes de fées et les mythes :
Selon Bettelheim, ils ont beaucoup en commun. Ils s’adressent à nous dans un langage
symbolique qui fait appel au conscient et à l’inconscient sous leurs différents aspects : le Ca,
le Moi, le Surmoi, mais aussi l’Idéal du Moi. On trouve les mêmes personnages, les mêmes
situations, qui représentent ces trois instances. Cependant, dans les mythes de l’Antiquité, on
a la présence d’un héros surhumain, d’un demi-dieu, qu’il faut s’efforcer d’imiter toute sa vie.
Comme le mythe développe beaucoup le Surmoi, l’enfant se décourage vite à cause des
exigences quand il doit arborer une personnalité idéale. L’histoire est unique, c’est l’histoire
d’un héros particulier, les évènements sont incroyables et ne peuvent pas advenir chez des
personnes ordinaires. Le conte de fées n’oblige à rien, il rassure, donne de l’espoir pour
l’avenir et promet un dénouement heureux. Il place les choses comme si elles pouvaient
arriver à n’importe qui, même si elles ne sont pas toujours très réalistes. Les titres sont
anonymes (La Belle et la Bête) ou descriptifs (Cendrillon, Le Petit Chaperon Rouge), ou des
noms courants (Jeannot et Margot), les parents ou l’entourage sont anonymes également (fées,
marraines…). Contrairement au mythe, le conte de fées a une dimension optimiste et se
termine toujours bien. La victoire est faite sur soi-même, sur le côté mauvais que l’on porte en
soi et que l’on projette sur les méchants. Les mythes donnent des réponses précises, alors que
les contes se contentent de suggérer des solutions.
La culture et notamment les contes ont donc un rôle primordial puisqu’ils fixent dans notre
psychisme des représentations, un certain modèle d’être. Seulement chez certaines personnes,
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ce modèle, qui permet l’émergence du fantasme de toute-puissance, est conservé tel quel, et
fait qu’elles ne parviendront pas à s’en détacher. Ceci favorisera l’addiction à un objet et les
conduites addictives qui en découlent.
5.4) Cultures littéraire, cinématographique, et jeux vidéo :
Certains jeux vidéos reprennent des scénarios de livres et de bandes dessinées : Astérix, Tintin
etc ; de dessins animés : Aladdin, le Roi lion etc ; mais surtout de films : Harry Potter,
Terminator, Alien, Prédator, le Seigneur des Anneaux, Star Wars, Matrix… A l’inverse, des
films se sont inspirés de jeux vidéo comme Tomb Raider, Resident Evil ou Final Fantasy. Ce
phénomène est aussi valable pour les livres et le cinéma.
On peut se demander la raison d’un tel va-et-vient. Il semble qu’il y ait un désir de retracer un
certain univers, je pense notamment à Star Wars ou au Seigneur des Anneaux, mais aussi de
mettre en scène un héros. En effet, le héros a un statut à part entière dans une œuvre : il est le
personnage principal de l’histoire, il va évoluer tout au long de son parcours, passer par
différentes étapes, faire face à différentes situations, rencontrer d’autres personnages : on peut
par conséquent s’identifier à lui.
Nous pouvons remarquer que les mythes, contes et œuvres littéraires, les films mais aussi les
jeux vidéo, ont tous une structure narrative, un scénario qui est plus ou moins identique. En
effet, il se compose d’une quête, d’un problème a résoudre (trouver un objet, délivrer une
princesse, tuer des ennemis…) qui est défini au départ, et d’épreuves (combats contre des
adversaires, monstres et autres créatures, résolution d’énigmes…) qui une fois surmontées
permettront le passage à un niveau supérieur ou le gain de nouveaux points de vie. Ces
œuvres mettent toutes en scène un héros, qui devra résoudre un problème.
Dans le jeu vidéo, il y a en quelque sorte deux héros : le héros du jeu (personnage) et le héros
joueur. Le premier est source d’identification pour le joueur, mais a des performances qui sont
prédéterminées par les concepteurs du jeu. Le joueur est acteur, il s’accommode aux
caractéristiques de son personnage mais est libre de le faire évoluer à sa manière. Il met en
place une stratégie qui lui est propre, se sert de ses compétences et de sa rapidité d’exécution.
Les deux héros vont par ailleurs pouvoir évoluer en même temps dans le jeu.
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VI) Les jeux vidéo :
J’ai choisi d’appliquer cette notion du virtuel en basant mon étude sur les jeux vidéo. A
l’heure actuelle, les jeux vidéo connaissent un essor sans précédent, en lien avec les nouvelles
technologies et les progrès de l’informatique, mais aussi avec les aspirations des individus
dans un contexte donné. Pourquoi les jeux vidéo ont-ils autant de succès ? Parallèlement au
progrès, il semble que ces jeux soient en lien étroit avec les bases que nous instaure la culture,
puisqu’ils mettent en scène un héros qui devra affronter les embûches et les difficultés pour
accéder au bonheur mais aussi aux exigences de la société. Ils sont également le moyen pour
les joueurs d’arborer différentes identités (nom, âge, sexe…), conformément à notre société
toujours changeante.
Les différents métiers dans le jeu vidéo ainsi que leurs caractéristiques sont examinés dans les
annexes, ainsi que les principales sociétés spécialisées dans l’édition et la production de jeux
vidéo.
6.1) Caractéristiques:
Les jeux vidéo englobent un grand nombre de caractéristiques. Nous en développerons les
principales.
6.1.1) Les supports :
Tout d’abord, ils peuvent fonctionner soit sur une console, comme la Playstation II, la Xbox,
la Nintendo Game Cube, la Game Boy Advance ; soit sur PC (seul ou en réseau). Les sociétés
font en sorte qu’un jeu puisse sortir sur console et sur PC (avec par conséquent des
configurations différentes).
La première console, « Odyssey », est sortie en 1972, associée au jeu de tennis rudimentaire
Pong, sous la société Atari.
Aujourd’hui, la concurrence a lieu entre trois consoles et débouche sur une véritable guerre
économique :
-
la Game Cube de Nintendo
-
la X-Box de Microsoft
-
la Playstation de Sony
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Shigeru Myamoto, Directeur Général de Nintendo, est l’inventeur de Mario et de Zelda.
« Chez Nintendo, nous nous consacrons essentiellement à produire des jeux originaux et
innovants, nous n’avons pas le temps de perdre notre créativité à nous demander si tel jeu
peut être compatible avec telle console. Nous voulons surtout investir notre créativité dans la
qualité de jeux » (GAME OVER, Planète, 11/01/05).
Microsoft et Sony rajoutent des éléments au jeu, tels que la musique, la radio, la vidéo, les
films, tout un dispositif de divertissement, et tentent également de cibler davantage les
adultes, ce qui leur permet de dépasser Nintendo.
Ken Kutaragi, inventeur de la Playstation, a annoncé la sortie d’une console portable : « La
Game Boy Nintendo c’est une très bonne console portable pour le jeu mais nous élaborons
une nouvelle industrie du divertissement où tous les médias seront intégrés. Nous sommes sur
le point de créer le walkman du 21ème siècle » (GAME OVER, Planète, 11/01/05).
Nous voyons bien à travers ces propos que chaque société essaie à tour de rôle de prendre la
première place sur le marché des jeux vidéo. D’ailleurs, le premier nom donné à la X-Box
était Midway, nom de la bataille du pacifique entre les américains et les japonais durant la
Seconde Guerre Mondiale, qui avait fait du Japon une nation déchue.
La X-Box de Microsoft se vend très bien grâce au piratage, car elle peut se transformer en
magnétoscope, en lecteur de DIVX, de MP3 et de jeux pirates. C’est une console multimédia.
On trouve des émulateurs Playstation et Nintendo pour X-Box, programmes illégaux qui la
rendent compatible avec les jeux concurrents.
6.1.2) Où et comment jouer aux jeux vidéo ?
De plus, ils peuvent se jouer seul ou à plusieurs. Dans le cas des consoles, on a la possibilité
de jouer seul bien sûr, mais aussi à plusieurs. Un console est conçue pour avoir jusqu'à 4
joueurs (4 manettes indépendantes). En ce qui concerne l’ordinateur, l’individu peut jouer
seul également (s’il le souhaite, il peut même brancher une manette sur son unité principale).
Il est aussi possible de jouer en réseau de chez soi grâce à l’Internet avec d’autres personnes
non-présentes, mais elles-mêmes derrière leur PC à cet instant ; ou grâce à l’Intranet. Comme
son nom l’indique, l’Intranet est un réseau intérieur. Quand des individus se connaissant
souhaitent jouer entre eux, ils peuvent amener leurs ordinateurs (écran + unité principale
dotée d’une carte réseau) chez un ami et les relier entre eux à un hub (plateforme à 8 / 10
entrées). Ils pourront ainsi jouer les uns contre les autres. Notons que cette méthode comporte
certains inconvénients pratiques.
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Il existe des lieux publics payants, les « lan party », qui sont réservés aux jeux à connexion
Intranet en majorité, et les cyber salles de jeu, payantes également, qui utilisent les deux types
de connexions. Nous voyons que cette option a aussi ses inconvénients : le coût et le
déplacement.
Enfin, des compétitions ont lieu chaque année, comme le championnat du monde des jeux
vidéo à Poitiers. Les joueurs jouent en équipe et communiquent par des casques avec micros
pour se donner des informations sur la partie en cours. Les équipes sont coachées et
s’affrontent, comme dans une compétition sportive (entraînement, étapes éliminatoires,
récompense). La somme destinée à l’équipe gagnante est de 35.000 €.
6.1.3) Catégories et exemples:
Roger Caillois propose une classification générale des jeux :
- l’agôn (terme grec signifiant lutte, combat) est le champ des jeux de compétition. La
compétition peut avoir lieu entre plusieurs joueurs, mais aussi entre le joueur et le jeu luimême. Tous les jeux ont cette caractéristique et offrent des classements.
- la mimicry ou mimesis (terme anglais qui désigne le mime, le déguisement, le
théâtre…) est le champ des jeux de rôle, d’imitation. C’est cette fonction du jeu qui permet
l’identification du joueur au personnage. Le plaisir vient du fait de pouvoir être quelqu’un
d’autre, d’incarner un héros, d’accomplir des actions dans des lieux différents (puisque
virtuels)…
- l’ilinx (terme grec signifiant le tourbillon) regroupe les jeux de vertige, de sensation
pure. Le plaisir vient ici du fait que le joueur ressente des sensations (vitesse due au
défilement des décors dans un jeu de F1, excitation, peur dues à un danger imminent,
chute…) sans qu’il ne soit en réellement en danger.
- l’alea (terme latin qui désigne le hasard) est le champ des jeux de hasard, dont
dépendent les jeux d’argent. La distribution aléatoire des conditions initiales est source de
plaisir chez le joueur. Chaque partie donne au joueur une nouvelle chance de gagner.
En ce qui concerne les jeux vidéo précisément, on a les jeux d’action, d’aventure, de combat,
de stratégie, de simulation, et les jeux de rôle (RPG = Role Playing Game, qui sont des jeux
où l'on incarne un ou plusieurs personnages dont les caractéristiques évoluent durant
l'aventure). Les frontières entre certaines catégories de jeux sont floues, puisque que certains
jeux mêlent plusieurs genres.
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Valleur et Matysiak énoncent quant à eux trois catégories principales :
- les jeux d’action : ils incluent les jeux d’arcade. Pong fut le premier dans le genre,
c’était un jeu de tennis avec la balle représentée par un point et les raquettes par des lignes. Ce
sont des jeux de réflexe pur, qui ne nécessitent pas de réflexion. Pour Tétris ou le Solitaire, il
suffit d’avoir intérioriser les règles pour pouvoir jouer après de manière mécanique.
D’autres jeux d’action comme les Shoot them up et les Beat them up sont des jeux de tir ou de
combat, dont l’unique but est de tuer ses adversaires.
Enfin, nous avons les First Person Shooter (FPS), aussi appelés Doom-Like ou Quake-Like,
où l’on voit uniquement l’arme que l’on tient et où l’on est totalement immergé. Ce sont des
jeux très réalistes en 3 dimensions. Pour ces derniers, nous pouvons donner quelques
exemples circulant en ce moment sur le marché, comme Postal II, Kingpin ou Soldier ou
Fortune.
Dans Postal II, la violence gratuite est mise au premier plan, et diverses actions peuvent être
commandées telles que celle d’uriner sur les gens, les arroser d’essence et leur jeter des
allumettes… Kingpin se situe dans un univers de gangs, où l’on peut insulter sans aucune
censure. Dans Soldier of Fortune, le joueur peut démembrer ses ennemis: on voit alors des
bras coupés, des intestins qui sortent… Notons que ces trois jeux se jouent à un seul joueur.
Par ailleurs, il est nécessaire de préciser que la plupart des jeux vidéo sont crées pour être
joués seuls mais qu’ils peuvent également être joués en réseau, et ce grâce à la place de plus
en plus importante que prend Internet dans notre vie de tous les jours.
Nous pouvons citer l’exemple du jeu Half Life, où le joueur incarne un scientifique, Gordon
Freeman, travaillant dans une centrale tenue secrète au Nouveau Mexique, la Black Mesa, et
qui lors d’un problème dans une expérience, ouvre une brèche avec un monde parallèle. Cette
brèche permet aux extraterrestres se s’y infiltrer et de venir sur Terre. Pour survivre, Gordon
se voit obligé de tuer ses ennemis, dont les Marines de l’Armée qui sont venus ratisser le
terrain pour empêcher que les expériences effectuées là-bas soient divulguées.
L’avantage de ce jeu est qu’il est basé sur un scénario original, cela avec une intelligence
artificielle qui rend les comportements et actions des personnages très humains : plusieurs
solutions sont envisagées par les ennemis. De plus, à sa sortie, le joueur avait la possibilité de
créer lui-même ses propres scénarios, appelés « Mods », grâce à un logiciel, contenant le
programme Worldcraft, vendu avec le jeu. Enfin, quand le sujet avait fait le tour du jeu, il
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pouvait jouer en réseau seul contre tous, ce qui a accru le succès de ce jeu. Bon nombre
d’amateurs-pro ayant eux-mêmes inventé et crée différents scénarios grâce à ce type de
programme ont fait émerger l’idée des jeux en réseau en équipe (manière de jouer qui se
retrouve en particulier dans les « lan party »). On retrouve cette possibilité de créer des
« Mods » dans d’autres jeux, comme par exemple les Sims (simulation). Dans le jeu
Everquest, l’univers virtuel ne cesse de changer et le joueur peut en télécharger des versions
successives. L’échelle des mesures et des distances y est respectée, ce qui signifie que le
personnage mette un temps réel, proportionnel pour arriver à un endroit donné. Ceci confère
au jeu un caractère encore plus réaliste.
Nous pouvons alors évoquer Counter Strike, une des dérives du jeu Half Life dans le sens où
ce dernier a permis aux joueurs et professionnels d’élaborer une autre façon d’aborder le jeu.
Pour décrire un peu Counter Strike, nous pouvons dire qu’il s’agit d’un jeu dans lequel on
incarne soit le GIGN (ou autre groupe d’intervention), soit des terroristes. Si le joueur choisit
d’être un policier, il doit désamorcer une bombe ou sauver les otages. Si par contre il décide
d’être un terroriste, il doit placer une bombe ou détenir des otages. C’est un jeu qui se joue
davantage en équipes.
Nous avons également Rainbow 6 : Rainbow 6 est le nom d’un groupe anti-terroriste qui
effectue des missions dans le monde. Dans ce jeu, l’utilisateur contrôle le chef et est épaulé
par trois camarades. De ce fait, il commande et les camarades exécutent. Il y a différents buts
et en tout 14 missions, parmi lesquelles il faut tuer les terroristes, voler des informations sur
leurs ordinateurs, poser une bombe dans leur base… Un aspect de ce jeu mérite d’être noté : il
est possible pour le joueur (ou le chef), de tuer ses camarades. Mais si cela venait à se
produire, il serait immédiatement puni, par une arrestation par exemple. Ce jeu n’est pas très
violent, on tue par les armes mais il y a très peu de sang. Par contre, il est très réaliste, avec de
bons graphismes. Il provient à la base d’un logiciel qui était destiné à l’entraînement des
recrues de l’Armée. L’écrivain Tom Clancy s’en est inspiré pour écrire ses romans à portée
militaire et pour développer par la même occasion le scénario ainsi que l’idée de la conception
du jeu Rainbow 6. Il a beaucoup inspiré les concepteurs de jeux vidéo avec ses œuvres, et
travaille actuellement pour la société Ubisoft.
Matrix on line est un MMORPG (Massively Multi-users Online Role Playing Game) coédité
par Ubisoft et la Warner et tiré du film des frères Wachowski. L’un des aspect les plus
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intéressants est qu’il comporte une histoire ininterrompue, qui vient après le 3ème épisode
Matrix Revolutions, conçue par les frères Wachowski eux-mêmes. Chaque personnage a sa
propre garde-robe et il y a une très grande variété de vêtements, de costumes. Ici, l’innovation
est dans la possibilité de changer de tenue pendant le jeu, alors qu’habituellement dans ce
genre de jeu, on choisit la tenue au départ et on la garde pendant toute la durée du jeu. De
plus, dans Matrix on line, l’environnement change de façon réaliste : le soleil se couche… le
monde continue d’évoluer par lui-même. Il y a aussi des combats d’arts martiaux qui
demandent 3 tactiques : force, vitesse, et défense, chacune comportant des avantages et des
inconvénients. Selon la tactique que l’on choisit, on sera capable ou non de battre son
adversaire. Ces combats d’arts martiaux sont aussi un point nouveau dans un jeu de ce type. Il
est possible de faire des gestes et des mouvements particuliers, voire même surhumains.
Il est nécessaire de préciser que les jeux en réseau ont des parties qui ne s’arrêtent jamais. Ils
sont accessibles 24h/24 et que l’on joue ou non, ce monde continue d’exister. Le joueur se
connecte à la plateforme de son choix et joue avec les nombreux joueurs. Dès qu’il quitte le
jeu, son personnage est livré à lui même et peut de ce fait perdre des pouvoirs. Ces
plateformes sont renouvelées régulièrement. A l’opposé, un jeu sur console comporte
plusieurs niveaux de difficulté différents. Le joueur joue dans l’optique de le finir, et une fois
qu’il l’aura terminé, il en rachètera un autre.
- les jeux de réflexion : nous avons des jeux tels que les échecs, le bridge, le Scrabble,
et autres jeux de société.
Mais aussi et surtout les jeux d’aventure, où le joueur part à la découverte d’un univers et
devra suivre un parcours parsemé d’obstacles, d’embûches et d’énigmes à résoudre. Pour citer
un exemple de ce type de jeu, Tomb Raider a eu un énorme succès avec l’héroïne Lara Croft.
C’est un jeu à la troisième personne (on voit le personnage en entier sur l’écran), qui demande
des capacités d’orientation et de réflexion. Lara Croft doit retrouver des objets légendaires,
parcourir le monde et faire face à des ennemis divers (animaux sauvages, hommes, extraterrestres…).
Sont présents également sur le marché les jeux de rôle. Le premier sorti est Dungeons and
Dragons, inspiré de l’univers du Seigneur des Anneaux de Tolkien. Ces jeux se jouent en
communauté sur Internet, et chaque participant se considère comme membre d’un groupe. On
assiste à des alliances, avec un « maître du jeu » qui coordonne les actions de plusieurs
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joueurs selon un scénario écrit à l’avance mais qui laisse place à des imprévus. Cela nécessite
une bonne connaissance des règles et une grande implication de la part du sujet.
- les jeux de simulation : cette catégorie est directement issue des progrès
technologiques. Pour citer des exemples, nous avons Flight Simulator (simulation de vol
d’avion) ou des jeux de voiture de course, de motos… Ces jeux sont tellement réalistes qu’ils
permettent presque au joueur régulier de savoir piloter réellement. Ils favorisent le réalisme au
dépend de la jouabilité ou vice-versa. Nous avons aussi dans un autre domaine Sim City, avec
l’édification et l’administration d’une ville. Un autre exemple montre bien ce qu’est la
simulation : Deuxième Monde est un jeu qui a été abandonné mais dont les aspirations étaient
similaires à un jeu de simulation. Il consiste en une reconstruction informatique en 3 D du
monde réel, à commencer par la ville de Paris. Les personnages y évoluent sans scénario
préconçu, et chacun invente l’histoire à mesure qu’il joue, selon ses rencontres avec d’autres
personnages, incarnés aussi par des joueurs qui sont connectés.
Par ailleurs, l’Armée américaine distribue un jeu, America’s Army, qui est une simulation de
l’entraînement militaire, pour inciter les jeunes à entrer dans l’Armée. La même chose a été
faite en France, avec le jeu Ghost Recon de la société Ubisoft, où le but est de simuler
l’Armée. La reproduction est très réaliste, et les armes américaines ont été remplacées par des
armes françaises. Yves Guillemot, Président d’Ubisoft : « Ce qui intéresse l’armée avant tout
c’est de simuler les choses qui risquent d’arriver, d’avoir des outils qui leur permettront de
faire de la guerre fictive pour sentir les réactions, les comportements, organiser des tactiques
avec l’objectif à très long terme que ce soit des hommes fictifs qui aillent se battre contre des
hommes fictifs » (GAME OVER, Planète, 11/01/05).
Les jeux de simulation allient bien souvent action et réflexion.
Lors de cette brève présentation, je n’ai pas évoqué le caractère violent de ces jeux. Il est
pourtant particulièrement présent dans les FPS, où le but premier est de tuer. En effet, la
plupart de ces jeux sont interdits au moins de 18 ans et présentent des images d’une grande
violence, où tuer (également dit « fraguer ») est perçu comme une banalité. La question de la
violence sera traitée de manière plus précise plus loin, car il ne s’agit pas ici de la critiquer ni
de la tenir pour cause de certains comportements agressifs, mais de comprendre pourquoi elle
est si présente et la raison pour laquelle elle attraie autant.
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6.2) Entretien avec Christophe Pic, lead level designer à Ubisoft :
Moi-même : Aujourd’hui, quels sont les critères pour qu’un jeu vidéo marche ?
Christophe Pic : Le but d’un jeu vidéo est de divertir l’acheteur et qu’il en ait pour son argent.
Aujourd’hui les gens consomment plus, ils demandent des jeux plus courts, peu compliqués et
qui génèrent un maximum de sensations et d’émotions. Les shooters marchent très bien
aujourd’hui car ils répondent au besoin de se défouler sans trop se poser de questions. Les
joueurs qui travaillent toute la journée n’ont pas envie de se prendre la tête en allumant leur
console. Ca reste un divertissement.
M : Comment choisit t-on les décors et le scénario?
C.P : L’importance du scénario est très variable selon le type de jeu. Il sert souvent de fil
conducteur entre les séquences de gameplay. Par exemple, dans un jeu de plate forme, le
joueur va rechercher des sensations dans les phases d’adresse et d’action mais s’intéressera
peu à l’histoire. Ce sera un univers journalier mais dans lequel le joueur sera entièrement
maître. Bien sûr c’est un plus si l’histoire arrive à accrocher le joueur et à maximiser
l’immersion.
Dans un jeu d’aventure, c’est complètement différent car la narration joue un rôle immersif
important.
Tout ceci émane d’une idée simple à la base, on essaie de faire que le joueur accède à un
univers dont il n’a jamais eu l’occasion de visiter sauf exception.
Les décors peuvent êtres choisis en fonction de besoins narratifs (telle séquence doit se passer
dans tel environnement pour accentuer la dramaturgie de la scène), artistiques (il faut un
passage dans une forêt pour offrir pour accentuer la diversité), de gamedesign (il faut un
entrepôt pour une séquence de puzzle avec des caisses)
Hors contexte réaliste, les décors sont souvent définis fonction des besoins des métiers
créatifs.
M : Comment choisit-on les personnages (traits physiques, capacités) ?
C.P : Le choix des personnages est fonction de l’univers, du traitement souhaité (réaliste,
cartoon,...) et des actions que le héros aura à effectuer.
Par exemple si le concept s’oriente vers un jeu de guerre, les personnages devront être
réalistes, avoir de vraies « gueules » de dur... S’il s’oriente vers un jeu de plate forme où le
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héros possède de nombreuses aptitudes atypiques, la morphologie du personnage devra être
adaptée (difficile de faire grimper un personnage à une corde s’il a une énorme tête !).
M : Quels sont les critères en fonction de la tranche d’âge que l’on vise ?
C.P : Le choix de la cible est très important dès la phase de conception d’un jeu car il pose un
cadre strict à absolument respecter. De nombreux choix design s’effectuent pour s’accorder
avec la cible.
Par exemple un jeu pour les 12 ans ne doit contenir ni sang, ni scènes de torture, ni violence
gratuite, ni injures...
M : Dans quelle part du jeu intervenez-vous pour attraire le joueur ?
C.P : Le point très important pour qu’un jeu soit attrayant et de donner l’envie est envie de
continuer, d’offrir des sensations variées. Cela passe par la diversité des challenges, les
récompenses, la diversité des décors...
Le réglage d’un jeu est très délicat car il faut éviter la répétitivité tout en proposant des
séquences répétitives. Il faut proposer des configurations identiques au joueur pour qu’il
puisse réussir facilement, avoir une sensation de maîtrise mais ne pas trop le faire pour ne pas
lasser.
M : Qu’est-ce qui fait que le joueur s’identifie au héros, en particulier dans les jeux de
rôles ?
C.P : L’identification au héros passe par l’immersion. Si un joueur se sent pris dans l’histoire,
que l’univers est crédible, qu’il vit différentes émotions il finira par s’identifier à son avatar.
M : Quelles sont les qualités que doit avoir un personnage pour permettre une meilleure
identification ?
C.P : Je pense qu’il est difficile de s’identifier à un personnage qui est trop défini, qui a déjà
une gueule, un tempérament bien trempé. C’est pour ça que les jeux de rôles proposent au
joueur de créer son personnage de toute pièce et de le faire évoluer à sa guise.
Un personnage est fait de manière à ce que le joueur puisse s’identifier à travers lui ou trouver
des attraits attachants.
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M : Si vous deviez choisir un seul aspect du personnage auquel s’identifie le joueur,
lequel serait-ce ?
C.P : La personnalité.
M : Une partie de jeu vidéo peut-elle modifier les sentiments que le joueur a de lui
même ?
C.P : Je pense que non. Les gens arrivent très bien à faire la part des choses entre ce qu’ils
vivent dans le jeu et ce qu’ils vivent dans la réalité.
M : A votre avis quel sentiment ressent le joueur (de 18/25 ans) quand il joue à un jeu de
rôle ?
C.P : Les jeux de rôles offrent un sentiment de liberté qui découle des multiples choix offerts
au joueur. Choix d’évolution, choix de quêtes, de ses camarades (dans le cas d’un
MMORPG).
C’est un moyen d’échapper au quotidien.
M : Pourquoi ce type de jeu marche particulièrement ?
C.P : Le succès des MMORPG est étroitement lié à l’aspect social. Le dialogue avec de
nouvelles personnes est facilité par ce biais, et les longues heures de jeu tissent des liens.
M : Qu’est-ce qui peut engendrer des phénomènes d’addiction dans ce jeu ?
C.P : Le fait que la plupart des quêtes soient effectuées à plusieurs, il y a un phénomène
d’attente qui est généré. Quand vous faites partie d’une Guilde, vous avez envie de progresser
avec vos amis pour continuer l’aventure avec eux. On arrive vite à une forte dépendance.
M : Est-ce que les jeux qui s’inspirent de faits réels marchent mieux (guerre…)?
C.P : Oui, à l’instar des films. Le fait que le joueur ait déjà entendu parlé des évènements et
donc du contexte du jeu l’incite à acheter le produit.
M : Pensez-vous que le fait que l’histoire et les personnages soient réalistes va
augmenter le phénomène d’identification au héros ?
C.P : Le traitement réaliste accentue l’immersion car l’univers est connu du joueur. Et pour
moi quand il y a immersion, l’identification suit.
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M : Quels sont les jeux qui marchent le mieux, ceux inspirés de films, de livres ou d’une
idée nouvelle ? Pourquoi ?
C.P : Les licences de film marchent très bien auprès des consommateurs qui achètent sans se
poser de questions vu que le film leur a plu et que le marketing « cinéma » a déjà fait un vrai
travail de matraquage. Ils s’attendent à retrouver dans le jeu les sensations que le film leur a
données. Malheureusement les éditeurs exploitent ce filon souvent au détriment du joueur, en
produisant des jeux peu coûteux et de piètre qualité. Mais quelques exceptions nous montrent
que le phénomène tend à changer.
M : Un héros déjà connu plaît-il plus qu’un personnage qui vient d’être inventé ?
C.P : Le fait que le personnage soit connu et que l’on communique sur lui facilite l’adhésion
par un plus grand nombre. Il faut un certain temps à un nouveau personnage avant de se faire
sa place.
Nous avons parlé plus haut des risques d’addiction, notamment aux jeux vidéo, mais il faut
savoir que la plupart des joueurs ne sont pas dépendants, et qu’il s’agit avant tout d’un loisir,
voire d’une passion. L’addiction se caractérise en effet par le fait que le sujet n’arrive plus à
s’arrêter alors qu’il le désire profondément et que cela nuit gravement à ses relations sociales
(en le plongeant dans l’isolement). Autrement dit, il y a addiction lorsque l’individu souffre,
qu’il souhaite que cela cesse pour retrouver une vie normale, car il sent qu’il n’a plus aucun
contrôle sur l’objet de la dépendance. Pour Caillois, jeu implique la liberté, et chacun doit
pouvoir s’arrêter quand il en a envie. S’il y a excès (attachement démesuré au jeu), on ne peut
plus parler de jeu à proprement dit.
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VII) Quelques réflexions sur les jeux vidéo :
7.1) L’aspect interactif du jeu vidéo :
En ce qui concerne la littérature et le cinéma, le lecteur et le spectateur sont plus ou moins
passifs, à savoir qu’ils n’ont aucun pouvoir sur le déroulement de l’histoire et sur le sort du
héros. Par contre, il est vrai que la lecture nécessite un effort d’imagination, d’attention… Le
cinéma, quant à lui, plait pour ses images, sa musique, le jeu des acteurs… Le cinéphile aime
particulièrement se déplacer dans les salles pour voir les films qu’il a choisi en exclusivité et
sur grand écran. L’ambiance d’un cinéma est en effet quelque chose d’atypique : le spectateur
se retrouve dans une grande salle, dans le noir, avec un son assez fort, un écran géant, et avec
des individus partageant la même passion que lui. C’est pour retrouver cette ambiance que
l’on paie sa place.
Qu’en est-il alors des jeux vidéo ? Le jeu vidéo invente une nouvelle manière d’être face à la
culture : le joueur fait lui-même évoluer son personnage dans un décor. Une dimension
apparaît, celle de l’interactivité. C’est le joueur qui va décider de faire gagner ou perdre son
personnage, il est le maître du jeu. Les niveaux de difficulté sont un aspect qui peut aussi
expliquer cet engouement : le joueur recommencera tant qu’il n’aura pas réussi à passer au
niveau supérieur, avec cet espoir d’avoir vaincu les ennemis et d’avoir été « plus fort que le
jeu », « que la machine ». Il se pourrait même bien qu’un jour l’engouement pour le jeu
vidéo, si celui-ci devient de plus en plus performant et élaboré, dépasse celui éprouvé pour le
cinéma, justement à cause de cet aspect interactif.
Le cinéma contient une part de virtualité puisqu’il nous transporte dans un autre lieu et dans
un autre temps, qu’il passe du privé au public (sortie en salle), qu’il met en scène des
personnages (joués par des acteurs) dans une histoire particulière qui est souvent inventée de
toute pièce, mais il ne donne pas la possibilité au sujet d’exploiter toutes les pistes et de
construire, conduire le déroulement à sa manière.
Le jeu vidéo, quant à lui, permet à la fois d’interagir avec des personnages joués par d’autres
joueurs (jeux en réseau) et de se confronter à eux ; et à la fois de progresser lui-même, comme
il l’entend, dans cet univers. Le joueur est « dans le jeu », surtout en ce qui concerne les First
Person Shooter où l’immersion est totale, il peut tout faire sans que cela ait de conséquence
80
sur le « monde réel ». D’où l’émergence d’un sentiment de toute-puissance, mais qui reste
tout de même fantasmatique puisqu’il ne se réalise pas totalement dans l’actuel.
7.2) La créativité dans les jeux vidéo :
Nous avons vu grâce à Winnicott que le jeu (l’activité telle qu’on peut l’observer chez
l’enfant) permettait l’émergence de la créativité dans un espace dit potentiel, nous pouvons
alors réfléchir sur le jeu vidéo, tel qu’il existe actuellement. Le jeu vidéo tel qu’on le voit
actuellement est certes interactif, mais ne demande pas au joueur d’être vraiment créatif,
puisqu’il progressera dans un monde déjà façonné, avec des possibilités qui sont certes de
plus en plus étendues, mais qui lui sont imposées (le but final du jeu est pré-déterminé par les
concepteurs). Il est quand même nécessaire de préciser que certains jeux de stratégie ou de
simulation laissent une petite place à la créativité, comme Age of Empire ou les Sims (le
joueur est libre de positionner ses bâtiments et ses unités pour prévoir une éventuelle attaque,
ou dans l’autre cas gérer une ville en construisant ce qui l’intéresse). Mais cette créativité
reste limitée. Il me semble que la créativité soit davantage du côté du concepteur, qui lui
conçoit le jeu (scénario, décors, personnages, musique…). Néanmoins, le joueur élabore toute
une stratégie puisqu’il est amené, dans les RPG, à jouer en équipe.
De plus, en agissant dans les jeux qui simulent des conditions réelles, le joueur doit utiliser
ses capacités de perception, de mémorisation, de réflexion, de jugement, de raisonnement.
Ceci ne peut pas être qualifié d’activité créatrice mais évoque toute un gymnastique de
l’esprit.
7.3) La violence dans les jeux vidéo :
On attribue souvent une image négative aux jeux vidéo violents, en les tenant pour
responsables d’actes agressifs, voire criminels. On observe ces mêmes phénomènes en ce qui
concerne certains films, comme Scream, où un adolescent avait assassiné à coups de couteau
des membres de sa famille pour faire « comme dans le film ». Des psychologues américains
vont même jusqu’à affirmer que les jeux violents sont responsables de tels actes.
Les films violents, la musique (rap, rock…) et même les bandes dessinées ont connu une
période où les médias, les parents les jugeaient mauvais pour leurs enfants. Or on sait très
bien que plusieurs facteurs interagissent dans des actes mauvais : le produit en lui-même, mais
81
aussi le contexte, l’environnement familial, relationnel, et surtout la personnalité du sujet. Ce
modèle trivarié a été développé par Claude Olievenstein dans Ecrits sur la toxicomanie, 1973.
Bon nombre d’individus jouent à ces jeux et regardent ces films, et ne commettrons pas pour
autant des actes d’une telle cruauté.
Une partie de jeu vidéo peut avoir l’effet d’un défouloir ou d’un exutoire à des pulsions qui
seraient considérées comme dangereuses ou criminelles par la société : le goût pour le
pouvoir, l’agressivité… Mais ce n’est pas ce qui est prégnant dans les jeux de rôles
massivement multi-joueurs.
Sébastien, 20 ans, joueur de jeux vidéo (notamment Counter Strike, jeu de rôle massivement
multi-joueurs) : « Quand je me suis mis à jouer à Counter Strike, j’ai eu un déclic, un peu
comme Néo dans Matrix, où d’un coup il se rend compte qu’il est l’élu et qu’il a réussi à
décoder la Matrice […] tous les joueurs ont dépassé le stade de la violence et donc moi,
quand j’ai eu le déclic, je pensais plus du tout à la violence, au sang. Je me concentrais sur
chaque bruit de pas, chaque bruit de texture, les ricochets dans les murs… vraiment le côté
stratégique, intelligence de jeu. Ca me paraissait très simple, y’avait rien qui me gênait, je me
concentrais à faire quelque chose, je perdais pas mon habileté, mes réflexes… En général, les
meilleurs joueurs ils ont une très très bonne mémoire, la mémoire visuelle, des sons, travail
qui peut être oublié dans d’autres disciplines » (Sébastien, en parlant de mémoire, évoquait la
mémoire des visages et la mémoire spatiale) (GAME OVER, Planète, 11/01/05).
Pour Marc Valleur, le vrai côté positif des jeux vidéo est qu’ils jouent bien leur fonction de
jeu. On a accusé les jeux vidéo d’être violents alors que c’est leur fonction même. On peut
penser que l’on est dans une société qui devient de moins en moins tolérante à la violence.
Les crimes diminuent, mais le sentiment d’insécurité va en augmentant parce que nous
sommes de plus en plus civilisés et nous la supportons de moins en moins. En échange, les
jeux sont de plus en plus violents, crus, explosifs, ce qui est normal. On le voit également
dans les livres et dans les films. « C’est le pendant du refus de la violence par la société. On
fait dans le jeu très exactement ce qu’on s’interdit de faire dans la vie réelle. C’est la fonction
principale du jeu » (GAME OVER, Planète, 11/01/05). Pour lui, aucune personne, même la
plus dépendante, ne fait la confusion entre ce qui se passe dans le jeu et ce qui se passe dans la
réalité. La violence dans le jeu n’a aucun rapport avec la violence dans la réalité.
Nous voyons ici des idées qui ne vont pas dans le sens d’un impact de la violence des jeux sur
les jeunes. Le joueur, lorsqu’il joue, expulse son agressivité, « se défoule ». Il sait critiquer le
82
jeu et se met à distance vis à vis des actes violents qu’il peut accomplir ou qu’il observe chez
ses ennemis. Il va pouvoir satisfaire ses pulsions agressives sans en subir les sanctions, et où
sa vie n’est point menacée.
D’autres auteurs accusent les jeux vidéo d’être responsables de certains actes violents et
criminels chez les jeunes. Il est vrai que certains sont très violents de par leurs combats, les
meurtres qu’ils autorisent, la dimension sadique… Ces différents actes, nous le savons
également, n’ont pas d’incidence sur la réalité.
Dans son ouvrage Du bon usage des jeux vidéo, Virole nous rappelle que ce sont les
sensations corporelles résultant des actions réelles qui permettent la distinction entre les
images mentales et la réalité. Il est donc possible que le jeu puisse abaisser le sens de la
réalité, mais cela reste exceptionnel, et s’observe dans les passages à l’acte de joueurs ayant
des troubles psychopathologiques. Pour la grande majorité des joueurs, le jeu est un espace
ludique, imaginaire, disponible sur PC ou console, et séparé du monde réel.
Serge Tisseron a étudié la violence des images et leur impact sur le psychisme. Il pense que
certaines images ont des conséquences néfastes sur les enfants. On assiste alors a des
mimétismes violents, c’est à dire à des imitations de scènes violentes regardées auparavant
par le sujets. Mais la réflexion de Tisseron s’applique avant tout à la télévision, tout comme
celle de Liliane Lurçat.
Pour les jeux vidéo, cela semble quelque peu différent. En effet, le joueur est actif, c’est lui
qui prend les décisions, il ne subit pas les images. Cela est donc beaucoup moins traumatisant.
On sait cependant qu’il est souvent amené à accomplir des actes violents, pour se défendre ou
même gratuitement. En général, le jeu fait assumer au joueur le rôle d’un personnage qui doit
sauver le monde. De plus, le fait de jouer en réseau, de partager ces expériences, de discuter
du jeu avec d’autres, déculpabilise le joueur.
En ce qui concerne le contenu des jeux, il existe un panneau d’estimations de logiciel de
divertissement, appelé ESRB (Entertainment Software Rating Board). Ces estimations sont
conçues pour fournir des informations au sujet du contenu du jeu et sont représentées par
différents symboles que l’on trouve sur la pochette. Il y a les symboles d’estimation, qui
déterminent pour quelle catégorie d’âge le jeu est le mieux adapté ; et les descriptifs de
contenus qui indiquent la nature du jeu et quelques caractéristiques (voir Annexe).
ERSB n’est pas le seul système de classification des jeux.
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7.4) La compétitivité, un attrait pour les joueurs :
Dans les jeux en réseau, il y a l’aspect de compétitivité : il faut être le meilleur à manier
l’arme, maîtriser toutes les techniques, être rapide, précis dans les tirs, stratégique. La
compétition, l’agôn (en grec lutte, combat), est ici présente puisque l’on se bat avec ou contre
un ou plusieurs autres joueurs, et plus seulement contre une machine. Ce qui est intéressant
ici, c’est que les joueurs paraissent aussi très emballés à l’idée de jouer contre des êtres
semblables. Il peut être très flatteur et très valorisant de battre une machine, comme nous
avons pu le voir lors des longues parties d’échecs. Mais il s’agit de jeux de réflexion pure.
L’intérêt de jouer contre des humains réside dans le fait que ce dernier est imprévisible. Dans
les jeux de rôle sur Internet, les individus forment des clans, des alliances, et réagissent à leur
manière, ce qui implique un nombre de possibilités beaucoup plus grand.
Le fait de se mesurer à d’autres va amener le joueur à la compétition. Nous avons vu que des
« lan party » étaient organisées dans des grandes salles et qu’elles réunissaient des joueurs qui
s’affrontaient. Dans ces « lan party » comme dans les jeux de rôle, il y a des classements qui
déterminent la place des joueurs en fonction de leur score. Le joueur placé en haut du
classement est considéré comme le meilleur, celui qui maîtrise totalement les techniques du
jeu, et par conséquent celui à battre, pour à son tour, être le meilleur.
Il faut savoir que certains avatars sont vendus aux enchères sur Internet. Il est certain que plus
le personnage aura de la valeur (force, sagesse…), plus il sera vendu cher.
7.5) La notion de toute-puissance dans les jeux vidéo :
Le fait de se situer en haut du classement avec son personnage peut être une source de
prestige que le joueur n’a pas envie d’abandonner. Pour ses capacités de maîtrise des
techniques et des règles, les autres le respectent, et il est reconnu dans le cercle des joueurs
avertis. Nous pouvons dès lors comprendre qu’il soit difficile pour lui de s’en détacher. Ces
hard-core gamers consacrent au jeu une grande partie de leur temps et de leur vie. Ils ont
souvent responsables de guildes de centaines voire de milliers de personnes.
Le jeu vidéo évoque aussi très souvent le pouvoir de décider de la vie d’un autre.
Le joueur peut braver l’interdit (en l’occurrence tuer…) sans que cela n’ait de répercussion
sur la vraie vie. On peut parler ici d’illusion, dimension qui semble plaire aux individus.
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Les jeux FPS (First Person Shooter), où l’immersion du joueur est totale, sont toujours conçus
de manière à ce qu’il y ait une arme au premier plan. Le joueur a vraiment l’impression qu’il
tire, ce qui est d’autant plus fort lorsque l’on tente d’analyser ce que cela lui procure.
Certains jeux vidéo ont repris l’idée de toute-puissance de Dieu. Dans Populous, le joueur
incarne un dieu qui doit tout faire pour avoir des adeptes. Ce dieu est doté de divers pouvoirs :
il peut par exemple, si un village est touché par la famine, provoquer des averses pour
permettre de bonnes récoltes. Il peut, s’il veut gagner la croyance d’une ville, matérialiser une
créature qui chassera celle façonnée par un autre dieu. Nous avons également le jeu Black and
White qui s’inscrit dans la même optique. Le joueur y incarne un dieu, qui choisit dès la
naissance une créature qu’il va élever et qui sera son messager sur Terre. S’il décide de trop la
blâmer, elle deviendra de plus en plus méchante ; dans le cas contraire, elle se laissera faire
lors de combats avec les créatures issues d’autres dieux.
Le joueur est parfois invincible pendant un certain laps de temps, ce qui lui confère une
dimension d’immortalité, et donc de toute-puissance, schéma du type : « personne ne peut me
tuer, je suis invincible ».
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PROBLEMATIQUE :
L’identification au héros dans les jeux vidéo :
L’identification au héros dans les jeux vidéo se fait à deux niveaux. Dans le premier,
l’individu va s’identifier au personnage qu’il incarne, personnage central et au premier plan,
qu’il doit faire évoluer dans un monde virtuel et dont il choisit les caractéristiques (nom,
costumes, dialogues…). Dans le second, le sujet s’identifie au « Héros », en tant que personne
faisant preuve d’héroïsme ; et qui est un concept très ancien que l’on retrouve dans les
mythes, contes, et toute la littérature ; mais aussi à la télévision, au cinéma ; ainsi que tout au
long de notre histoire (les héros de l’histoire comme Jeanne d’Arc, De Gaule…).
L’identification au héros peut être présente dans bon nombres de jeux, mais elle est plus
prégnante dans les jeux de rôles (RPG), puisque le joueur « customize » son personnage. Il lui
donne un nom, l’habille comme il le souhaite, choisit ses attributs : sa force, son intelligence,
sa dextérité, son charisme, sa facilité avec tel ou tel type d’arme… et peut même lui faire dire
ce qu’il veut dans les choix qui lui sont proposés. Le personnage va évoluer au long de la
partie, en fonction de la réussite ou des échecs du joueur (les boucliers et les armes deviennent
de plus en plus puissants…). Il va donc davantage refléter le joueur, il est le médiateur,
l’avatar du joueur.
De plus, tout est fait pour que le sujet soit immergé dans le jeu, surtout dans les First Person
Shooter. Le joueur est au centre de l’action, et même s’il joue avec une équipe dans le cas des
jeux de rôles, il se voit au premier plan, et ce tout au long de la partie. Il peut donc bien
s’identifier à son personnage.
L’identification, nous l’avons vu, émane de la fonction mimicry ou mimesis du jeu vidéo. Le
joueur s’identifie à un personnage différent et éprouve du plaisir à être un autre que soi
pendant un certain temps. C’est une occasion pour lui de faire évoluer un personnage virtuel,
un héros, connu de lui (Tintin, Spiderman…) ou encore inconnu. L’identification ne porte pas
forcément sur un personnage du même sexe, le garçon peut très bien jouer à Tomb Raider et
l’apprécier, ou bien incarner un personnage imaginaire. Selon Virole, le joueur va surtout
s’identifier à l’action de son personnage virtuel. C’est ce qu’il appelle une projection par
identification d’action. L’identification est d’autant plus prégnante quand le personnage
s’apparente au héros de l’imaginaire du joueur et possède des attributs sympathiques, mais
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elle est aussi présente quand le personnage n’est pas humain, il s’agit alors d’une « projection
dans l’actant (personnage) du potentiel d’action du joueur » (Du bon usage des jeux vidéo, et
autres aventures virtuelles, p.88). Ce processus est facilité par la mobilité du personnage qui
va donner envie au joueur d’agir dans l’univers virtuel. Virole précise que chaque action va
impliquer la conscience de soi chez l’individu. En effet, les phénomènes psychiques sont
toujours dirigés vers quelque chose, il y a une part d’intentionnalité qui est liée à la
conscience. Dans un jeu comme dans la réalité extérieure, l’intentionnalité va être de capturer
un objet.
Nous avons vu que les joueurs de jeux vidéo tendaient à s’identifier à un aspect du
personnage, et non au personnage dans son intégralité.
Nous pouvons également parler d’identification au « Héros » à proprement parler dans la
mesure où le joueur détient des armes, doit tuer ses ennemis, et ce dans un but particulier
(sauver des personnes…). Cette caractéristique du jeu est à mettre en lien avec la culture,
notamment avec le parcours initiatique du héros tel qu’on le retrouve dans la littérature et le
cinéma, avec son unité de lieu et de temps propre. En effet, nous avons vu que les combats
sont très présents : contre les monstres ou les ennemis (humains, animaux…), qui gardent un
trésor, une jeune fille, ou qui effraient la population. Le héros est fort mais pas invulnérable,
puisqu’il est souvent blessé. Ce dernier doit, pour arriver à son but, affronter toute une série
d’obstacles, d’épreuves. Nous avons souvent dans les récits une part de surnaturel, des
interventions divines, et un univers fantastique. Nous retrouvons ces aspects dans les jeux
vidéo. En effet, le personnage évolue au fur et à mesure des parties. Il va gagner des points, de
nouvelles armes, passer des épreuves et donc devenir plus fort. « Un personnage unique
représente généralement le joueur et évolue dans un monde virtuel le long d’un parcours
imposé semé d’embûches physiques, d’adversaires qu’il doit éliminer, d’ennemis de toutes
sortes, et d’énigmes qu’il doit résoudre. Après avoir réussi le parcours, le joueur accède à un
autre parcours se déroulant généralement dans un autre univers virtuel (tableau), d’un
niveau de difficulté plus élevé ». (Du bon usage des jeux vidéo, et autres aventures virtuelles ,
B. Virole, p.34).
Le héros est toujours le personnage principal d’une œuvre, quelle qu’elle soit. Le joueur
s’identifie à lui par le fait qu’il soit au premier plan.
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La trame narrative d’un jeu vidéo est étroitement en lien avec celles des mythes et des contes,
et donc avec nos fantasmes et représentations inconscients. L’identification au héros va
permettre à l’enfant ou même à l’adolescent de s’individualiser et de devenir autonome. Le
parcours, semé d’obstacles, et surtout sa réussite face aux ennemis va le débarrasser de ses
angoisses intérieures. Le héros, tout comme le joueur, agit seul face au monde la plupart du
temps, malgré qu’il soit parfois accompagné d’une équipe. Ceci peut avoir un effet
cathartique dans la mesure où le joueur se débarrasse de ses angoisses et parvient à acquérir
une certaine autonomie.
De plus, les jeux vidéo sont des espaces où le joueur est relativement libre d’agir, et va
imposer son style de jeu, va prendre des décisions, ce qui est une sorte d’initiation au monde.
Cette initiation est sans danger pour le joueur car elle n’a pas de conséquences sur la réalité
extérieure. Le joueur maîtrise en partie cette univers, il le connaît, sait comment réagir, il est
donc plus facile pour lui d’évoluer dedans que dans le monde adulte. Il va se découvrir luimême, puis abandonner le jeu petit à petit, ainsi que les autres jeux vidéo.
Cette identification amènerait à une revalorisation narcissique :
Le fait de s’identifier à un personnage qui reflète tout du Héros à proprement dit, permet au
joueur de se revaloriser narcissiquement. Le Héros, dans son sens commun, sauve le monde,
tue les méchants, doit résoudre des énigmes, faire preuve d’habileté, de courage…il est donc
une valeur sûre pour toute identification. Il a un statut tout à fait singulier dans l’imaginaire
des individus et un sens symbolique. Il est parfois doté de pouvoirs, et se voit aidé par des
forces surnaturelles, divines. Il est reconnu par la société pour ses nombreux exploits et son
histoire se transmet de génération en génération.
Tout l’intérêt du jeu vidéo réside dans le fait qu’il est interactif. L’image que l’on a d’un héros
lorsqu’on lit des romans ou lorsque l’on regarde des films reste une image pré-établie, que
l’on ne peut modifier puisqu’elle est dictée par l’auteur ou le réalisateur. En revanche, les
rêveries diurnes et le jeu permettent liberté, créativité et induisent une part de réalisation.
L’individu est totalement libre de s’imaginer qui il est, dans quelle situation, et de construire
un scénario à partir de ces divers éléments. Le jeu vidéo se situe à mon avis entre les deux. Le
sujet détient un certain nombre d’éléments qui lui sont imposés, mais il est libre de façonner
(plus ou moins) son personnage et de le faire évoluer comme il l’entend. C’est le sujet qui
contrôle son personnage et qui décide des répercutions que ses actions vont avoir sur le jeu.
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Dans la majorité des jeux, le personnage détient des armes et peut donc décider de la vie
d’autrui. Il est par conséquent amené à accomplir des actions qui sont prohibées par la société.
Nous avons vu à ce propos que certains jeux offraient au sujet la possibilité d’incarner aussi
bien un terroriste qu’un membre de l’Armée. Le joueur peut donc endosser plusieurs identités,
bonnes ou mauvaises, choses qu’il ne peut pas faire dans la réalité extérieure.
Enfin, dans un jeu, le personnage est immortel. Il peut être blessé et mourir, mais le joueur n’a
qu’à recommencer la partie pour qu’il soit à nouveau opérationnel. Le sujet peut accomplir
tout un panel d’actions sans en craindre les conséquences.
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II
PARTIE EMPIRIQUE
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PARTIE EMPIRIQUE
I) HYPOTHESES THEORIQUES:
- Aux vues des apports théoriques évoqués dans cette recherche et de mon expérience du
terrain, je fais l’hypothèse qu’un joueur de jeux vidéo aurait tendance à s’identifier au héros,
tout du moins à une de ses caractéristiques.
L’identification au héros serait en relation étroite avec notre vision culturelle du héros
(mythes, contes, cinéma…), mais aussi avec l’Idéal du moi, ce que l’on se fixe comme
modèle.
- Enfin, j’émets comme hypothèse que cette identification provoquerait chez ce joueur une
revalorisation narcissique. Ceci suppose que le joueur régulier présente une faille narcissique
et une fragilité identificatoire, d’où le besoin de s’identifier à un personnage sûr et valorisant,
comme le héros ou personnage principal d’un jeu vidéo.
II) METHODE :
1) Population :
Ma recherche s’effectue sur une population de trois sujets masculins, âgés de 20-22 ans. Ce
choix de population est basé sur le fait que les jeux vidéo présents sur le marché visent
principalement une population masculine. Le héros est très souvent un homme et les thèmes
oscillent entre combats, guerre et violence, et ce particulièrement de nos jours, où le but est de
créer des jeux de plus en plus intelligents, vastes et réalistes. Il est tout à fait possible qu’un
joueur prenne plaisir à incarner une héroïne, qu’il s’identifie partiellement à elle (le jeu Tomb
Raider, qui avait pour héroïne Lara Croft a plu à tout type de population) et vice versa qu’une
fille s’identifie à un héros masculin ; mais le phénomène d’identification serait alors
totalement différent. L’âge me paraît tout aussi important dans la mesure où ces personnes
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sont sorties de l’adolescence, période où les phénomènes d’identification sont très instables,
très prégnants et certainement décuplés.
Ces trois joueurs jouent très régulièrement aux jeux vidéo. Le fait qu’ils aient une pratique
régulière est indispensable pour mettre en exergue les phénomènes qui s’y rapportent.
Mes analyses découleront d’observations menées auprès de joueurs qui ne jouent pas ou
presque pas en réseau. Je pense que l’identification au héros peut avoir lieu dans n’importe
quel jeu vidéo, mais le fait qu’elle engendre une revalorisation narcissique peut être mieux
perçue et mesurée dans une partie que le joueur joue seul. En effet, le facteur « compétition »
qu’il y a dans les jeux de rôles en ligne peut biaiser les résultats. Le fait de se mesurer à
d’autres, de gagner des points, d’être le meilleur peut entraîner chez le joueur une
revalorisation narcissique, surtout s’il se compare à des joueurs qui se battent eux aussi pour
la première place. Le joueur qui est en haut du classement est considéré comme le meilleur,
l’homme à battre, et comme celui qui a développé la meilleure stratégie et la meilleure
technique (réflexes…). Ceci est donc très valorisant pour lui. Le sujet est d’autant plus
impliqué dans ce type de jeu que son personnage peut perdre des points de vie s’il décide
d’arrêter la partie pendant quelque temps, partie qui est illimitée dans le temps. Nous avons vu
aussi que des personnages étaient vendus aux enchères à des pris très élevés, ou bien que de
grosses sommes d’argent étaient versées aux vainqueurs dans les compétitions organisées. Ici,
le but est de gagner, et ce dans un contexte de compétition. Ma recherche étant basée sur
l’identification au héros qui amènerait à une revalorisation narcissique, m’oblige à écarter ce
facteur, qui me paraît-il est un facteur tout aussi acceptable et allant de pair pour expliquer la
revalorisation narcissique.
Les trois joueurs que j’ai choisi jouent la plupart du temps à des RPG, et préfèrent ce type de
jeu. Les RPG reprennent le mythe du héros, les valeurs et les bases de notre culture, (mort
d’un parent, parcours initiatique, ennemis à combattre…). La symbolique y est donc très
présente, il sera donc intéressant de faire un parallèle avec la vision qu’ont ces joueurs du
héros. L’identification au héros pourra être étudiée, ainsi que la revalorisation narcissique
qu’elle est sensée engendrer.
92
2) Outils :
2.1) L’entretien semi-directif :
L’entretien semi-directif présenté aux sujets de ma population constitue une trame de
questions qui me paraissaient pertinentes par rapport à ma recherche. Il se compose de
quelques questions d’ordre général, qui ont pour objectif de renseigner sur le sujet et sur
l’usage qu’il a des jeux vidéo, et des questions qui sont rattachées aux concepts évoqués dans
la partie théorique. Ces dernières auront pour but d’aider à vérifier les hypothèses. Cet
entretien n’est pas fixe, dans la mesure où le sujet est totalement libre et peut aborder une
certaine thématique à n’importe quel moment. J’ai donc du à certains moments réaménager
l’entretien en fonction des réponses données par chaque individu.
En voici la trame :
1) Quel est ton âge ? QG
2) As-tu des frères et sœurs ? QG
3) Tes parents sont-ils divorcés ? QG
4) Quels sont tes passe-temps favoris ? QG
5) Que fais-tu comme études ? (ou métier) QG
6) Que comptes-tu faire plus tard ? QG
7) Depuis quand joues-tu aux jeux vidéo ? FJ
8) Quels sont les aspects qui t’ont plus immédiatement la première fois que tu as joué ?
IH, N
9) Quand joues-tu, à quel moment de la journée ? FJ
10) Joues-tu seul, avec des amis, ou en réseau la plupart du temps?
11) Combien de fois y joues-tu par semaine ? ou par mois ? FJ
12) Et combien de temps y passes-tu en moyenne par partie ? FJ
13) Quel est ton type de jeu préféré ? Pourquoi ? IH, N
14) Peux tu me raconter en détail le jeu auquel tu joues le plus en ce moment ? NRV
15) Décris-moi le personnage que tu as préféré incarner dans un jeu vidéo (caractéristiques
physiques, mentales, armes, capacités, originalités…) IH, NRV
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16) Décris moi le héros idéal pour toi dans un jeu vidéo, le héros que tu créerais si tu étais
concepteur de jeu IH, NRV
17) Préfères-tu incarner un personnage déjà connu (jeu tiré d’un film…) ou un personnage
inventé, donc nouveau pour toi ? Pourquoi ? IH
18) Préfères-tu incarner un personnage fictif avec des pouvoirs ou un humain avec des
capacités limitées, mais qui soit plus réaliste ? Pourquoi ? IH
19) De même, préfères-tu évoluer dans un monde fantastique ou dans un monde semblable
à celui dans lequel nous vivons ? Pourquoi ? IH
20) Ce qui arrive au personnage du jeu a t-il de l’importance pour toi ? IH
21) Penses-tu que le personnage qu’incarne le joueur dans un jeu soit un héros ? HG
22) Qu’est-ce qu’un héros selon toi ? HG
23) Est-ce que plus jeune on te lisait des contes ? Aimais-tu t’imaginer à la place du
héros ? HG, IH
24) A quoi jouais-tu dans la cours de récré avec les autres garçons ?
25) T’arrive t-il de te faire des scénarios dans ta tête dans la journée ou avant de
t’endormir ? Pourrais-tu m’en raconter un? HG ? NRV
26) Regardes-tu beaucoup de films et quels genres de films ? HG
27) Les héros de films ou de livres sont-ils différents des héros du jeu vidéo ? Pourquoi ?
HG
28) Que ressens-tu généralement lorsque tu joues ? N
29) Est-ce que tu te sens différent quand tu joues (plus important, plus fort…) par rapport
à quand tu ne joues pas ? N
30) As-tu l’impression d’être une autre personne pendant le jeu, une personne totalement
différente de celle que tu es avec les gens qui t’entourent ? N, IH
31) Que ressens-tu lorsque tu te fais attaquer ou tuer ? N, IH
32) Que ressens-tu lorsque tu gagnes ? N, IH
33) Imaginons, si un jour on supprimait les jeux vidéo définitivement, qu’est-ce qui te
manquerait le plus et comment tu le compenserais ? N
34) As-tu quelque chose à ajouter sur les jeux vidéo ou sur toi, qui te semblerait
important?
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Questions d’ordre général :
QG : question générale
FJ : fréquence de jeu
Questions en relation avec les concepts et les hypothèses :
HG : héros en général
IH : identification au héros
N : narcissisme
NRV : narrativité
Les questions générales (QG) ont pour but de mettre à l’aise le sujet, de nous renseigner sur sa
situation familiale, ses passe-temps favoris (et si les jeux vidéo en font partie). Les questions
concernant l’orientation professionnelle peuvent renseigner sur un éventuel désir d’exercer un
métier en rapport avec les jeux vidéo ou dans le domaine artistique.
Les questions FJ servent à évaluer la fréquence de jeu. Il est important de pouvoir distinguer
quelqu’un qui joue de temps en temps de quelqu’un jouant très régulièrement. Nous avons vu
plus haut que plus l’individu penche vers l’addiction, plus il y a fragilité narcissique et donc
fragilité identificatoire.
Les questions HG visent à comprendre la vision qu’a le sujet du Héros. Nous lui demandons
de définir ce qu’est un héros et ce qu’il signifie pour lui. Il s’agit ensuite de faire le parallèle
entre le personnage principal du jeu vidéo, personnage qu’il incarne, et sa vision du héros, si
elle est concordante ou non. En d’autres termes, ceci permettra de constater si le héros dans
les RPG respecte la vision générale que l’on se fait du héros.
Les questions IH vont nous permettre de voir si le joueur s’identifie au héros dans les jeux
vidéo. Elles ont donc pour but de vérifier notre première hypothèse théorique. Il s’agira
d’observer à quel niveau a lieu l’identification, à quel type de personnage le joueur préfère
s’identifier, et si comme le disait le lead level designer la personnalité du héros est l’aspect
qui induit ce phénomène.
Les questions N vont quant à elles nous aider à valider notre seconde hypothèse, à savoir si
l’identification au héros amène à une revalorisation narcissique. Elles sont beaucoup plus
95
aléatoires étant donné que le sujet peut à tout moment de l’entretien avoir des explications
allant dans le sens d’une revalorisation.
Nous avons postulé que le fait d’incarner un personnage placé en tant que héros (personnage
central, que l’on dirige, au centre de l’intrigue) et disposant de qualités très valorisées telles
que la bravoure, la sagesse et le charisme, amènerait le joueur à se sentir plus fort, plus
puissant pendant la partie.
Les questions NRV évaluent la narrativité. Il s’agit de voir si le sujet parvient à construire un
récit cohérent, à faire interagir les différents éléments entre eux : scénario, personnages, but…
Le fait d’avoir écouter des contes, de regarder des films va induire une bonne narrativité.
2.2) Le TAT :
Le TAT ou Thematic Aperception Test est un test projectif, que l’on utilise principalement
pour évaluer la personnalité d’un sujet. Il se compose d’un certain nombre de planches sur
lesquelles il y a un dessin en noir et blanc. Le clinicien en sélectionne une partie pour les
présenter à la personne. A partir du matériel qui lui est proposé, le sujet devra raconter une
histoire. L’évaluateur devra recueillir dans les moindres détails, c’est à dire retranscrire dans
sa totalité le discours de l’individu. Les problématiques abordées et la manière de construire
un récit seront analysées par la suite et détermineront un certain nombre de renseignements
sur le fonctionnement psychique du sujet.
Une analyse sur le test en question est opérée notamment par F. Brelet dans Le TAT,
Fantasme et situation projective, Narcissisme, fonctionnement limite, dépression (Dunod,
1986).
Ce test permet avant tout de repérer les processus psychiques qui relient le fantasme au
discours. Le récit « témoigne de la traduction dans un discours cohérent et partageable, du
fantasme réactivé par la stimulation de la planche » (p 47). Dans cette phrase, deux notions
sont importantes et retiennent toute mon attention : il est important que le discours soit
« cohérent et partageable », cela renvoie directement à la question de la lisibilité. « La
lisibilité rend compte, pour chaque histoire, de sa capacité à être partagée, de sa cohérence
et de son mouvement » (p 40). Un récit qui ne respecte pas les règles grammaticales,
syntaxiques, une certaine structure, cohérence interne, doit retenir toute l’attention du
clinicien. La lisibilité montre si le sujet est capable de faire face aux exigences pulsionnelles
96
internes, et de les utiliser pour les décharger dans la création d’un récit. La deuxième notion
qui est importante est « la traduction du fantasme réactivé par la planche » : en effet, chaque
planche est destinée à faire ressortir des angoisses, des conflits, parfois archaïques. Le sujet
doit élaborer un récit qui tient compte de cela, sans être lui-même débordé par ses angoisses.
Chaque planche contient un contenu manifeste (descriptif de la planche), et un contenu latent
(ce à quoi renvoie la planche d’un point de vue symbolique). L’analyse de ces deux contenus
est importante, particulièrement celle du contenu latent, qui renseigne sur la problématique
interne du sujet.
2.2.1) L’utilité du TAT dans cette recherche :
J’ai choisi d’utiliser le TAT dans ma recherche pour trois raisons principales. Tout d’abord, il
s’avère être un excellent outil pour rendre compte des processus d’identification et du
vacillement identificatoire. On pourrait dire qu’il fait appel au mouvement de projectionidentification : le sujet assimile à des personnes étrangères ou à lui-même, des êtres animés ou
inanimés. Mon travail étant centré sur l’identification au héros dans les jeux vidéo, il est
intéressant de voir à qui le sujet s’identifie sur la planche, mais aussi la manière de traiter les
rapports avec les autres personnages aussi présents sur la planche (ou même absents). Le
héros du roman, du jeu vidéo, comme celui du TAT sont l’expression d’identifications. Dans
le jeu et dans ce test projectif, le sujet est libre de mener son récit comme il l’entend. Il se voit
« comme le créateur de son propre monde, retrouvant la toute-puissance et l’autarcie de son
rêve narcissique, de ses rêveries diurnes et de ses jeux d’enfants » (F. Brelet, Le TAT,
Fantasme et situation projective, Narcissisme, fonctionnement limite, dépression, Dunod,
1986, p 82).
Ceci nous amène à la question du narcissisme au sein du TAT. Nous savons que dans la grille
de dépouillement, un certain nombre de réponses sont côtées comme « narcissiques ». Les
individus qui utilisent ce mode de réponses de façon préférentielle peuvent fournir des récits
d’une très grande lisibilité. En effet, ils ont plaisir à inventer des histoires, maîtriser le conflit
entre désir et défense en créant un monde dont ils sont les seuls maîtres et où ils n’ont pas
besoin d’un autre. La création y est très prégnante, ainsi que la manipulation des personnages
par le sujet lui-même. On peut donc se douter que ces créations sont coûteuses pour le
fonctionnement psychique.
97
Il faut bien préciser ici que la problématique narcissique est complexe : d’un côté le sujet peut
fournir de nombreuses références à lui-même, ou bien idéaliser son récit ; mais ceci sera
certainement le reflet d’une faille, d’une fragilité narcissique, donc d’une blessure interne.
En ce sens, la notion de « faux-self » au sens de Winnicott serait appropriée : le sujet cacherait
son vrai self et donc sa réalité intérieure, et arborerait un « faux-self » en formulant des récits
portés sur le quotidien, le factuel, de manière à éviter tout conflit.
Nous avons vu plus haut que chez les sujets narcissiques, l’identification était à la base mal
assurée, d’où ce mouvement de réassurance identificatoire observé dans le TAT chez les
sujets à problématique narcissique.
La troisième raison qui m’a poussé à choisir le TAT est qu’il laisse place au récit. J’ai évoqué
plus haut le mythe du héros ainsi que les contes de fées. Ces derniers s’inscrivent toujours
dans un récit, récit qui a une structure particulière. On retrouve cette structure dans bon
nombres de jeux vidéo, et dans bon nombres d’histoires également. L’identification au héros
peut s’opérer à deux niveaux : au niveau du personnage principal (de l’histoire, de la planche,
du jeu vidéo), et au niveau du héros dans sa conception plus générale, à savoir au sauveur de
la planète, au grand homme… Il me paraît donc important, puisque le TAT évalue les
différents mouvements identificatoires, de voir comment l’individu va construire son récit par
rapport au personnage (héros), auquel il s’identifie.
De plus, le récit est un bon marqueur du fonctionnement psychique de la personne.
Auparavant, nous avons parlé brièvement de la lisibilité, et c’est de quoi il s’agit précisément
ici.
III) HYPOTHESES OPERATIONNELLES :
Au cours de l’entretien, je m’attends à trouver :
-
des indices allant dans le sens d’une identification au héros dans les jeux vidéo
-
une revalorisation narcissique en lien avec cette identification
-
une définition du héros en lien avec celle des RPG
98
Au TAT, je m’attends à trouver :
-
des récits riches et longs
-
de bonnes capacités narratives et imaginatives (récits originaux)
-
des procédés A2-1 en grande quantité, à savoir un recours au fictif et au fantastique
important
-
des procédés A1-4 qui sont les références culturelles
Nous supposons en effet que le sujet qui joue très régulièrement aux jeux vidéo, en particulier
les RPG, va être influencé par ses derniers. Ses récits seront fantastiques, riches et bien
construits. Cela sera d’autant plus prégnant si le sujet a écouté beaucoup de contes étant jeune,
les RPG reprenant en plus cette structure. Enfin, les jeux vidéo font partie d’une culture,
étroitement en lien avec le cinéma et la littérature. Nous nous attendons donc à voir beaucoup
de références culturelles.
-
une porosité des limites, particulièrement entre narrateur et sujet de l’histoire
(CL1)
Ceci révèlerait une identification au héros. Le sujet se mettrait à la place du personnage de la
planche.
Dans son livre Le TAT, Fantasme et situation projective, Françoise Brelet évoque un certain
nombre de caractéristiques marquant le récit des sujets à problématique narcissique:
-
le héros, ainsi que les autres personnages, sont flous, difficiles à situer. Ceci
concerne aussi bien le sexe ou les buts des personnages : CI-2
-
il y a souvent un aménagement spéculaire, c’est à dire des histoires à apparence
relationnelle : CN-5
-
les références personnelles sont nombreuses : CN-1
-
une a-conflictualisation s’inscrit dans les récits : série C
-
un grand nombre de descriptions sont présentes (jouissance à décrire) : A1-1
-
une mise en tableau, qui par son caractère stable, va rassurer l’individu ;
contrairement au destin pulsionnel objectal, qui lui est en mouvement constant. Le
sujet peut aussi mettre l’accent sur le quotidien, le factuel pour éviter le conflit :
CN-3 et CF-1
-
une insistance à organiser sa perception de la planche comme un tableau, un
dessin.
-
un surinvestissement du travail sensoriel (voir, chaud/froid, ombre/lumière,
blanc/noir), de l’espace et des positions dans l’espace, et du ressenti interne (repos,
99
sommeil, fatigue). Le sujet va également porter attention aux limites et aux
contours (dedans/dehors). Il peut y avoir télescopage des rôles car cette limite est
fragile, fluctuante, et demande un surinvestissement pour le faire tenir ; mais aussi
une confusion entre le héros et l’interprétant (confusion non-dite, non-repérée) à
l’inverse des références personnelles que l’on observe habituellement : CL-1, CL-2
-
un investissement du regard. Le regard freine le caractère « poussant » de la
pulsion et le déséquilibre. Il fixe la représentation de soi à laquelle le sujet a du mal
à croire.
-
l’excellence du héros avec une idéalisation, ou bien un repli narcissique avec une
dévalorisation du héros (ceci peut être le reflet d’une lutte anti-dépressive) : CN-2
-
un va et vient entre des tentatives d’investissement d’un objet sexualisé et le repli
sur soi devant l’angoisse qu’elles suscitent. Il y a donc un balancement de
l’investissement de la fantasmatique objectale à la fantasmatique narcissique.
100
III
RESULTATS
101
ANALYSE DES RESULTATS
1) SQUALL
1.1) Analyse de l’entretien :
Mon premier entretien s’est effectué avec Squall. Il s’est déroulé dans la salle à manger de
mon appartement, nous étions seuls.
J’ai pris contact avec Squall par l’intermédiaire de ma sœur.
Après l’avoir brièvement informé par téléphone de ce qu’allait être le contenu de cette
rencontre, Squall semblait préoccupé par le contenu des questions de mon entretien et par le
fait qu’il allait être enregistré. Je l’ai immédiatement rassuré en lui disant que l’entretien était
basé sur des questions quotidiennes et qui concernent son univers, et que de plus mon
professeur et moi-même serions les seuls à le lire.
Avant de commencer l’entretien, Squall semblait être un peu anxieux. Cette anxiété a perduré
tout au long de la rencontre.
L’entretien et la passation du TAT se sont fait en face à face, à l’aide d’un dictaphone (avec
micro s’attachant à la chemise, de sorte de ne pas gêner l’interlocuteur). Auparavant, nous
avons discuté brièvement et je lui ai proposé de boire un verre.
Présentation :
Squall a 20 ans. Son passe temps favori est l’ordinateur, principalement les jeux vidéo. Il y
joue depuis environ dix ans. Ayant passé une période où il jouait souvent en réseau, son choix
se fixe aujourd’hui davantage sur les RPG. Il joue deux heures tous les soirs sur ordinateur, et
trois fois par semaine sur Playstation 2. Squall a donc un usage très régulier des jeux vidéo.
Analyse :
Squall dit aimer les RPG pour deux raisons : le scénario et le fait de pouvoir se mettre dans la
peau du personnage. Lorsque je lui ai demandé de me raconter deux jeux auxquels il avait
joué récemment, Squall a immédiatement évoqué le héros : « t’es dans la peau d’un étudiant
[…] donc lui c’est le héros… », « t’es dans la peau d’un scientifique ». Compte tenu de ces
termes, nous pourrions dire que Squall se sent totalement immergé dans le monde du jeu, il
102
entre dans la peau d’un étudiant et d’un scientifique, comme s’il endossait un autre statut. Il
s’identifie bien à un personnage, qui est le héros du jeu, par une sorte de projection dans le
jeu.
La narrativité est assez mauvaise dans le premier récit. En effet, il s’avère être difficilement
compréhensible et mal organisé. Ceci provient peut être du stress généré par le face à face ou
bien du fait que Final Fantasy est un jeu difficile à résumer puisque très compliqué. Le second
récit est de meilleure qualité. La narrativité est bonne, nous avons bien un héros, ses ennemis,
et le contexte dans lequel ils s’insèrent.
Le type de héros préféré de Squall a le physique et la personnalité d’un personnage de
manga : grand, cheveux en pic, un peu réservé. L’identification semble se faire davantage au
niveau de la personnalité.
En ce qui concerne les capacités du personnage, la magie et les armes plaisent beaucoup à
Squall. Le héros doit évoluer dans un monde fantastique et détenir des armes particulières
(« gunblade », épée à pistolet intégré).
La suite de l’entretien se révèle très intéressante pour notre analyse. Si Squall avait la
possibilité de créer un héros dans un jeu vidéo, il choisirait de se prendre pour modèle : « bah
ouais carrément, je me mettrais dans un jeu vidéo moi ». Ici, l’identification au Héros est très
prégnante, dans le sens où la personne en tant que joueur souhaiterait se mette à la place du
héros d’un jeu vidéo. Pour lui, le fait de se voir comme héros nécessiterait des changements, à
savoir retirer tous ses défauts. Ceci renvoie directement à la revalorisation narcissique, en ce
sens qu’occuper la place du héros engendre un idéal chez le sujet. Squall se verrait alors
évoluer dans un univers magique, fantastique, avec des ennemis très imposants et difficiles à
battre : « ouais, pas des ennemis humains en fait, plutôt de grosses bestioles… plutôt genre
monstres ». Le scénario est d’ailleurs très révélateur : « sauver la Terre d’un raz de marée de
monstres qui arrivent de l’espace ». Nous avons ici quelque chose de très surmoïque.
L’univers du jeu permettrait au sujet de devenir un véritable héros.
Squall préfère incarner un personnage totalement nouveau pour lui, de manière à pouvoir « un
peu mieux s’identifier à lui ». Pour lui, « si on a déjà une image du personnage, on a plus de
difficultés à se mettre à sa place ». Il est donc plus facile pour le joueur de s’identifier à un
personnage qui lui est totalement inconnu et qu’il découvre pour la première fois. Ceci
viendrait probablement du fait que la personnalité du héros n’est pas connue d’emblée par le
103
sujet, il va la découvrir au fur et à mesure de l’avancement du jeu. Nous n’avons pas de
représentation pré-établie du personnage puisqu’il n’a pas été repris d’un film, d’une bande
dessinée ou d’un livre célèbres.
Squall préfèrerait incarner un personnage fictif avec des pouvoirs pour « se différencier de la
réalité, essayer de rentrer dans une autre réalité, un peu plus parallèle ». Nous avons bien là
l’idée d’une revalorisation narcissique, qui serait permise grâce aux jeux vidéo.
Le jeu vidéo et principalement le RPG serait un espace où tout est possible, où les héros ont
des pouvoirs et évoluent dans un monde totalement magique. Il serait un moyen de fuir la
réalité, de s’évader et d’avoir le sentiment de jouer un rôle prépondérant.
Ce qui arrive au personnage paraît avoir beaucoup d’importance pour Squall : « ah bah oui
quand même ! Parce que tu te mets à leur place en fait, ce qui leur arrive à eux ça t’arrive à
toi ». Nous remarquons à nouveau le phénomène d’identification : le joueur s’identifie au
héros, et par identification va ressentir la même chose que lui.
L’entretien s’est poursuivi sur la définition même du Héros. Pour le sujet, un héros est
« quelqu’un qui va se rendre compte qu’il a plus de facultés qu’il n’imaginait, et qui va finir
par faire quelque chose de vraiment incroyable pour lui ». Le héros n’est donc pas quelqu’un
d’invincible, c’est quelqu’un qui évolue.
Pour Squall, le personnage incarné par le joueur est un héros, qu’il soit là « pour sauver le
monde » ou qu’il ait moins de pouvoirs que d’autres personnages.
La suite de l’entretien est marquée par une plus grande inhibition, il m’a donc été difficile
d’obtenir des renseignements plus personnels. Quand il était plus jeune, Squall s’imaginait à
la place du héros de The Mask. Le masque avait comme pouvoir de rendre son porteur très
comique. Il pouvait faire tout ce qu’il voulait car personne ne connaissait sa réelle identité. Le
fait de mettre le masque le faisait changer de personnalité. Ce personnage intéresse Squall
pour son aspect comique : « c’était vraiment le gars que j’avais envie d’être à sa place ».
Au moment d’évoquer ses rêveries diurnes, Squall met en place des défenses qui se
caractérisent par les rires et l’inhibition. Il dit ne plus se souvenir s’il s’est déjà inventé un
monde dans le quel il serait le héros : « bah je sais pas… peut être s’imaginer à la place
d’un… ouais d’un héros de… jeu vidéo… ça m’est sûrement déjà arrivé mais… je m’en
104
rappelle plus en fait… rires ». Il m’est par conséquent impossible d’avancer une quelconque
hypothèse concernant le phénomène d’identification.
Squall regarde beaucoup de mangas. L’une des caractéristiques qui lui plait le plus est l’aspect
anti-héros des personnages. Un personnage de manga qui va avoir le rôle principal n’aura pas
de pouvoirs exceptionnels, mais « tout tournera autour de lui ». Ceci peut également
engendrer une revalorisation narcissique dans la mesure où le personnage est central dans
l’histoire. On parle bien ici de Héros dans le sens où Squall l’entend. Les jeux vidéo, quant à
eux, tentent souvent de donner au personnage principal une image très héroïque : « le gars
bien baraque qui arrive et qui va sauver la Terre ».
Une partie de jeu vidéo va permettre l’entrée dans un autre monde et l’oubli de ce qui se passe
autour du sujet. Squall se sent différent et à l’impression d’être une autre personne quand il
joue : « tu rentres dans un truc et toi tu te mets vraiment à la place du joueur, c’est clair t’es
plus toi », « tu te mets à la place du joueur et tu rentres à fond dedans justement tu vas essayer
de tuer le monstre qui t’attaque ». Ces propos pourraient être interprétés de différentes
manières, je pense ici que le Squall veut parler d’un état où il se met en position de
compétition. Un bon scénario permettant une bonne immersion et une bonne identification au
personnage ferait apparaître des sensations fortes ainsi qu’un désir de gagner, de vaincre les
ennemis chez le joueur. Les phrases qui suivent montrent d’ailleurs la frustration du joueur
lorsqu’il perd : « ça te casse dans ton truc », « tu te dis que tu dois recommencer là où t’en
étais avant ». Ce type de frustration est bien sûr en lien avec le narcissisme, avec le fait de
s’être fait battre par un ennemi, de perdre une partie. Ce passage nous révèle une certaine
empathie pour le héros : « et même si tu sais que tu peux recommencer justement, tu te dis
merde, ça y est ton personnage est mort quoi ». Il y a bien là quelque chose qui relève de
l’identification.
Un sentiment de frustration apparaît également quand le jeu est totalement fini. Ce sentiment
va de pair avec le fait de devoir quitter tout un univers avec ses personnages.
Quand Squall gagne un ennemi ou franchit un niveau, il nous dit « c’est l’apothéose, t’es le
roi là, t’as tout gagné ! ». Ces termes renvoient aussi directement au narcissisme. Il y aurait
une revalorisation narcissique à faire gagner son personnage et à gagner soi-même par sa
technique et sa stratégie.
Les jeux vidéo ont une place très importante dans la vie de Squall. Il ne s’imagine pas vivre
sans, et aimerait les voir évoluer dans le sens d’une meilleure immersion : « tu mets un casque
105
et ça y est, t’as l’impression d’être dans le monde, dans ce monde-là, et t’as juste à bouger tes
membres avec cet espèce d’appareil et tu te trouves à la place de ton personnage ». Il pense
enfin que les scénarios des jeux changeraient, notamment en ce qui concerne les ennemis.
1.2) Analyse du TAT :
Premières impressions :
-
temps total de passation assez court
-
récits très courts et peu structurés, excepté lors du recours au fictif
-
thèmes concernant l’école, l’idée d’enquête, de meurtre et l’univers
fantastique prédominants
-
nombreuses références à la culture
-
chocs aux planches 7 BM et 19
-
grande inhibition, tendance au refus...
-
nombreux appels au clinicien
-
rires et défenses maniaques
Planche 1 :
A1-4 : références littéraires, culturelles : « Les Choristes »
CM1 : Appel au clinicien : « tu vois »
CM3 : rires x 2
Le contenu manifeste est abordé, mais on observe un évitement du conflit, à savoir qu’il n’y a
pas de référence à l’immaturité fonctionnelle face à un objet d’adulte, le violon. Le contenu
latent n’est donc pas abordé, le sujet passe directement à la réussite de l’enfant, qui
« deviendra un grand violoniste, un petit virtuose ». Le dénouement est idéalisé, sans prise en
compte de l’expression du garçon et la difficulté pour parvenir à cette fin.
Planche 2 :
CM3 : appel au clinicien : « oh, les dessins que tu me donnes aussi », mais aussi critique du
matériel et commentaire personnel, B2-1.
CM3 : rires x 3
Tout ceci montre l’émergence de défenses maniaques.
A3-2 : annulation : « c’est un paysan mais c’est pas grave moi j’imagine quand-même... ». Ici,
le sujet voit une histoire avec un paysan mais préfère donner une autre version.
106
A2-1 : recours au fictif : « héros », « sauver la Terre », « roi maléfique »
B2-1 : introduction de personnages non figurants sur l’image : « roi maléfique »
Le contenu manifeste est abordé, nous sommes en présence de l’homme, paysan au départ, du
cheval et de la jeune fille au premier plan, mais pas de la femme adossée à l’arbre. Il y a
scotome du personnage tiers et donc pas de référence au triangle oedipien. Ceci révèle une
défense manifeste contre la reconnaissance de la triangulation et a pour but d’écarter le
conflit. La relation est duelle et la mère est absente. Ici, la jeune fille est vue comme la copine
de l’homme, comme si l’oedipe était réalisé, et ils s’insèrent tout deux dans une histoire à
valeur fantastique.
En effet, ce récit met en scène un héros, sa future fiancée, et un méchant détenant des
pouvoirs, le roi maléfique. Il fait directement référence à la structure des contes et des RPG :
-
« héros qui arrive avec son cheval »
-
« dans une contrée lointaine »
-
« elle doit avoir un rôle important »
-
« il va devoir sauver sûrement cette terre d’un roi maléfique »
L’histoire est bien construite et élaborée.
Planche 3 BM :
CM3 : rires
CF1 ou CN1 : il est difficile ici de voir s’il s’agit uniquement d’une description faisant
référence à la réalité extérieure, ou s’il s’agit d’une référence personnelle si l’on imagine que
le sujet a déjà vécu une situation similaire.
Le contenu manifeste est respecté, mais le contenu latent est abordé différemment. Le thème
est l’alcool, mais il n’est pas précisé si c’est un jeune qui vient de faire la fête ou une personne
qui est réellement alcoolique, à cause de la forme impersonnelle « tu » et « on » et de
l’anonymat du personnage CI-2. Le récit est banalisé, très court et il y a non reconnaissance
de la dépression ni de la perte d’objet. Il est donc marqué par l’inhibition et reste cantonné à
une description.
107
Planche 4 :
A1-4 : référence littéraire, culturelle : « ça me rappelle les vieux films ça ». Ici, les deux
personnages sont insérés dans un contexte de guerre. La relation de couple n’est pas vraiment
conflictuelle étant donné que l’homme part à la guerre et qu’il « laisse sa compagne
derrière ». On ne nous dit pas ce que la femme ressent. Le récit se termine mal puisque
l’homme ne reviendra pas et laissera sa femme enceinte.
Il est intéressant de noter le terme de « héros à l’américaine », un aviateur qui part à la guerre,
avec la notion de sacrifice.
Planche 5 :
CN1 : accent porté sur l’éprouvé subjectif et référence personnelle : « ça c’est ma mère qui
rentre dans ma chambre pour savoir si j’ai fait mes devoirs », avec aussi référence à l’école.
Ici, le contenu latent est tout à fait abordé, il renvoie à une image féminine, maternelle, qui
pénètre et regarde.
A3-2 : annulation : « non ? C’est pas... »
A1-4 : référence littéraire : « L’Assommoir »
CM1 : appel au clinicien : « tu vois ? »
CM3 : rires, qui dénotent tous deux une défense maniaque
CI-1 : tendance à la restriction, silences importants, qui montrent une inhibition « elle est dure
ton image » ...
CI-3 : éléments anxiogènes suivis ou précédés d’arrêts dans le discours
Dans cette deuxième version, il y a l’idée d’enquête, ajoutée à celle de meurtre. Le récit est
marqué par l’angoisse.
Planche 6 BM :
CM1 : appel au clinicien « tu vois »
B1-2 : introduction de personnages non figurants sur l’image : « son mari »
L’idée d’enquête et de meurtre est encore présente. Le contenu latent n’est pas abordé
totalement. Il y a bien un malaise et un contexte dramatisé puisqu’il y a meurtre, mais pas de
relation mère-fils. Il s’agit ici d’un inspecteur chargé d’une enquête. La mère est une fois de
plus absente, et devient ici une femme quelconque.
108
Planche 7 BM : choc
CI-1: silences importants, tendance refus: “j’ai le droit à un joker? », et CM1 : appel au
clinicien
Ceci peut être révélateur d’une montée d’angoisse, d’une surcharge d’affects.
A1-3 : référence sociale : « anciennes écoles...1945 après-guerre » et précision temporelle A12
B1-1 : accent porté sur les relations inter-personnelles « deux professeurs discutent
ensemble », mais le motif du conflit n’est pas précisé « de je ne sais pas... à propos d’une
affaire qui se passe dans l’école » CI-2.
Le contenu latent n’est pas abordé, à savoir le rapproché père-fils, mais il y a tout de même
une discussion entre les deux protagonistes. Le thème de l’école est de nouveau présent,
l’angoisse empêchant le sujet de donner le motif de l’affaire et provoquant une inhibition.
Planche 8 BM :
E1-1 : scotome du fusil
CM3 : rires
CM1 : appel au clinicien : « tu vois »
Nous avons là un retour à la planche précédente au niveau de l’époque, mais aussi au niveau
du thème de l’école. Le contenu manifeste et le contenu latent sont abordés, avec parfois des
termes très crus E2-3 : « trucider », « disséqués ». Ces termes renvoient à une problématique
de destruction et à une angoisse d’anéantissement. Ils témoignent généralement de
l’envahissement par des représentations et des affects massifs, impossibles à contenir.
Le contenu latent évoque une scène d’agressivité ouverte, met en présence des hommes
adultes et un adolescent dans un contexte de positions contrastées. On voit bien ici que c’est
l’adolescent qui va enquêter sur les agresseurs, avec une nouvelle fois la thématique de
l’enquête, à la différence de certains récits qui évoquent le souvenir du garçon. Le fait
d’insérer cet adolescent dans ce contexte et de le positionner comme enquêteur peut révéler
une volonté de mise à l’écart et de recul face à l’angoisse, angoisse qui touche à l’intégrité
corporelle.
Le contenu et la tournure du récit font référence aux films policiers : des élèves disparaissent,
le jeune homme va enquêter, se retrouver « dans une histoire pas possible », risquer sa vie...
109
Planche 10 :
CM1 : appel au clinicien : « tu vois »
CI-2 : anonymat des personnages « leur jeunesse » et banalisation « ils se marient ». Le
contenu latent est abordé, c’est à dire l’expression libidinale au niveau du couple. Le récit
paraît un peu imagé, dans le sens : séparation- retrouvailles-mariage.
Planche 11 :
CM1 : appel au clinicien : « ça se regarde comment ? »
CM3 : rires x 2
B2-1 : commentaires personnels : « on est sensé y voir quelque chose dedans ? Ah oui »,
« j’ai peur pour eux »...
A2-1 : recours au fictif : « dragon », « chevalier », « château », « gros monstre »
Le contenu latent renvoie à des angoisses archaïques et à une problématique prégénitale. Le
château étant un élément structuré, il permet la remontée à un niveau moins archaïque « les
chevaliers rentrent se réfugier dans une espèce de château », et le récit ne signale ni
éboulement ni apocalypse.
Toutefois, si l’on analyse de près le contenu de ce récit, on comprend que pour parvenir au
château, les chevaliers doivent d’abord affronter le dragon, ce qui marque un certain danger
« j’ai peur pour eux ». Etant donné les éléments constituant l’histoire, nous aurions pu nous
attendre à une certaine richesse dans le contenu et à une bonne structure narrative. Cependant,
nous voyons bien ici le recours au fantastique et à l’univers Fantasy que l’on retrouve dans
certains fils et dans les RPG. Ce qui montre une capacité de dégagement du réel par
l’imagination.
Planche 12 BG :
A1-4 : référence culturelle : « Monet »
A3-1 : hésitation entre interprétations différentes
CM1 : appel au clinicien : « ça peut me rappeler un film ? »
A1-4 : référence culturelle : « Frodon », « Gollum », en référence au Seigneur des Anneaux
Nous avons donc un recours au fictif A1-2, ainsi que l’introduction de personnages non
figurant sur l’image B1-2.
110
B1-1 : accent porté sur les conflits inter-personnels : « il se bat avec son copain pour avoir
l’anneau »
Cette planche renvoie notamment à la capacité d’être seul, à imaginer. L’introduction de
personnages et le recours à un film peut avoir pour objectif de combler la solitude de la
planche, solitude pouvant provoquer une certaine angoisse. Ils peuvent également révéler une
volonté de recourir à un univers fantastique et à faire preuve d’imagination, devant une
planche qui symbolise le calme et la platitude et qui pourrait générer de l’angoisse.
Planche 13B :
B2-1 : commentaires personnels : « c’est tous des anciens films »
CM3 : rires
Le contenu manifeste ainsi que le contenu latent, qui renvoie à la capacité d’être seul, à
l’immaturité fonctionnelle et à la précarité du refuge maternel symbolisé par la cabane. Le
récit met bien en scène un petit garçon seul qui doit se débrouiller, mais ce dernier est inséré
dans un contexte dramatique, il est maltraité et essaye de survivre. Ceci pourrait signifier ici
que le fait d’être seul est corrélatif au fait d’être maltraité et abandonné par ses parents. Ce
n’est pas une simple absence des parents, la perte d’objet est réellement présente. Le long
silence à la fin signale un profond malaise de la part du sujet.
Planche 13 MF :
B1-2 : introduction de personnages non figurant sur l’image : « meurtrier »
Nous sommes encore dans un contexte de meurtre et d’enquête. Le récit est basé sur l’aprèsmeurtre, sur ce que va devenir le personnage témoin de ce meurtre, le héros. Le contenu latent
est abordé avec le meurtre, mais il est vite mis de côté pour un récit plus « stéréotypé »,
ressemblant au scénario typique et caractéristique de bon nombre de films mais surtout de
jeux vidéo. Le héros est au départ une personne ordinaire, sa famille est tuée et il va mener
l’enquête et se venger, tout en se découvrant « un potentiel qu’il n’avait pas avant ».
Le récit est bien structuré.
Planche 19 : choc
B2-1 : commentaires personnels : « ça ressemble à pas grand chose ton truc là », et appel au
clinicien CM1.
A1-4 : référence culturelle : « Mickey Mouse », « Tom et Jerry » et recours au fictif (dessin
animé) A2-1, ainsi que l’introduction de personnages non figurant sur l’image B1-2
111
Le contenu manifeste est abordé , à savoir qu’il s’agit d’une maison : « petite maison »
Par contre, le motif du conflit n’est pas précisé et l’histoire est banalisée : « il va lui arriver
des petites embrouilles quoi ». Ici, il n’y a pas de régression et le récit a du mal à se structurer.
Planche 16 :
B2-1 : commentaire personnel : « ah ouais c’est pas mal...j’aime bien »
CN2 ou CN1 : détail narcissique ou référence personnelle : « ça me rappelle moi »
CL1 : porosité des limites (narrateur/sujet de l’histoire, entre dedans/dehors) : « oh il est
transparent »
CM3 : ironie : « ce n’est pas un trou noir, c’est ‘trou-blant’ », rires et critique du matériel, qui
sont une défense maniaque contre la dépression.
CI-1 : tendance à la restriction, caractéristique de l’inhibition.
Cette planche renvoie à la manière dont le sujet structure ses objets privilégiés et aux relations
qu’il établit avec eux. Nous observons que le sujet a une vision dégradée de lui-même et des
autres, puisqu’il se voit lui et les autres comme transparents. La référence à l’école est
toujours présente et est signe d’échec. Cette dernière peut être également le reflet du reste de
la passation, au fait de n’avoir su répondre et d’avoir éprouvé de grandes difficultés.
Procédés majoritaires :
A1-4 : +++ et B1-2 : ++
Le sujet a recours à la perception « objective » du matériel comme défense contre
l’émergence d’éléments subjectifs. Ces procédés mettent l’accent sur l’utilisation de la réalité
objective, externe, pour éviter l’apparition de représentations et d’affects (de la réalité interne)
réactivés par la situation.
A2-1 : ++
Ces procédés témoignent des capacités de dégagement du sujet, et de sa capacité à distinguer
l’intérieur de l’extérieur, le dedans du dehors.
B2-1 : ++
Ici, les commentaires personnels sont davantage le reflet d’une défense contre l’angoisse et la
dépression. Ils relèvent d’une critique du matériel ou ont pour but de gagner du temps, et
évitent au sujet d’aborder le conflit ou d’être submergé par ses affects.
CI-1 : +++ et CI-2 : ++
Ces procédés renvoient à des mécanismes de type phobiques. Dans ce protocole, l’accent
porte sur les conduites et les effets inhérents à l’inhibition névrotique. Cela se caractérise par
112
une tendance générale à la restriction et au refus, à la nécessité de poser des questions. Les
motifs des conflits ne sont pas précisés et participent à l’évitement de mouvements dépressifs.
CM1 : +++ et CM3 : +++
Ce sont des procédés anti-dépressifs. L’appel au clinicien montre un besoin d’étayage.
L’ironie, l’humour et les rires sont des défenses maniaques utilisées par le sujet pour faire
face à la dépression.
Thèmes récurrents :
L’école :
Le thème de l’école est souvent présent dans les récits (planches 1, 5, 7 BM, 8 BM, 16), et est
lié à une connotation plutôt négative. L’école semble prendre une place très importante dans
l’esprit du sujet, au niveau de la réussite et de l’attente de sa mère. D’autre part, deux histoires
laissent place à un certain mystère, à des évènements plus ou moins douteux survenant dans
l’école. Dans ces cas là, l’école est vue comme un lieu où règne le danger pour les élèves.
Le meurtre et l’enquête :
Plusieurs récits sont centrés autour d’une enquête (planches 5, 6 BM, 8 BM, 13 MF), enquête
qui s’additionne à un meurtre. La planche 5, sensée renvoyer à l’intrusion maternelle, va
jusqu’à évoquer au sujet l’idée de meurtre.
113
2) ANJI
2.1) Analyse de l’entretien :
Le deuxième entretien s’est effectué avec Anji. Les conditions étaient similaires : la rencontre
a eu lieu dans mon appartement, nous étions face à face et j’ai enregistré l’entretien avec un
dictaphone.
J’ai pu établir un premier contact avec lui par l’intermédiaire de mon demi-frère. Nous avons
tout d’abord eu une discussion par téléphone, où je lui ai brièvement expliqué sur quoi je
travaillais, puis Anji m’a fait part de son intérêt pour cette recherche. Nous avons ensuite
convenu d’un rendez-vous.
Au premier abord, Anji m’a paru très décontracté, parlant avec beaucoup de facilité. Ceci se
remarque d’ailleurs dans tout le protocole.
Présentation :
Anji a 20 ans. Ses passe-temps favoris sont les mangas, les arts martiaux, le dessin et les jeux
vidéo, auxquels il s’intéresse depuis tout petit. Les mangas et les jeux vidéo lui permettent de
s’évader, de « s’enfuir dans des mondes d’Heroïc Fantasy, dans des mondes avec des
personnages super « class », des mondes totalement imaginaires qui sont vraiment
magnifiques ».
Anji joue depuis très longtemps aux jeux vidéo (depuis les premières consoles). Quand il était
plus jeune, le premier aspect qui lui a plu est le fait de pouvoir jouer avec ses copains ou de
comparer leurs scores. Plus tard, il s’attardait plus sur la qualité même du jeu. Anji joue assez
régulièrement (ne joue pas tous les jours), le soir après les cours, et deux-trois heures le
week-end. Il n’a pas de télévision dans sa chambre et ne peut donc pas toujours jouer quand il
le veut. Il lui arrive de faire quelques parties en famille. Il a la Playstation 2 et la GameCube,
mais joue également aux MMORPG sur Internet (World of Warcraft).
Analyse :
Le type de jeu préféré d’Anji est le RPG, car il peut voir son personnage évoluer : « et quand
je vois un personnage comme ça évoluer de niveau en niveau mais je prends un plaisir fou,
c’est immense, à le voir devenir plus puissant, à affliger plus de dommages, à le voir évoluer
dans un monde qui est purement magnifique », « c’est vraiment voir évoluer le personnage,
lui trouver des armes magnifiques ou le voir changer d’apparence ». Lorsqu’Anji termine le
114
jeu, il se sent très nostalgique, « parce qu’on vient de perdre quelque chose, c’est comme un
vie qui vient de se terminer». Nous remarquons qu’une grande importance est donnée à
l’évolution du personnage, et qu’Anji tend à s’identifier à lui : « c’est une histoire qu’on vit, et
franchement à chaque fois que je joue à un RPG, j’évolue petit à petit avec le personnage ».
La revalorisation narcissique est présente et liée à cette évolution (puissance…).
Anji joue beaucoup a World of Warcraft en ce moment, qui est un MMORPG. C’est un jeu où
deux clans s’opposent : l’Alliance (les bons) et la Horde (les méchants), dans lesquels il y a
quatre races différentes. Il permet au sujet de choisir les caractéristiques de son personnage, à
savoir sa race, son sexe, son apparence. Au fur et à mesure de l’avancée dans le jeu, le
personnage va devoir faire des quêtes, tuer des monstres, sauver des personnes ; et ses
différentes actions vont lui permettre de gagner en expérience et en niveau. Le personnage va
pouvoir par la suite acheter de nouvelles armes, et son apparence va changer. Nous retrouvons
là l’aspect évolutif du personnage, qui semble beaucoup plaire à Anji. Un autre aspect semble
important, le fait que le joueur puisse choisir, parmi une liste, les caractéristiques de son
avatar. Ce choix irait dans le sens d’une meilleure identification au héros que l’on aimerait
incarner, dans notre idéal. Le récit d’Anji pour expliquer l’histoire de World of Warcraft est
très clair, bien structuré : il nous situe le contexte, les personnages et leurs buts.
Une phrase retient toute mon attention : « on pourrait y vivre, c’est à dire que si on met une
personne dedans, elle a tout pour y vivre ». Il s’agit pour Anji d’expliquer la complétude du
jeu, mais cela peut également montrer la fragile limite entre le dedans et le dehors, entre le
virtuel et l’actuel, et peut être un désir d’entrer dans le jeu.
Le second récit concernant le scénario du jeu Baten Kaitos a lui aussi une bonne structure
narrative. Anji va d’ailleurs directement évoquer le héros, puis le monde dans le lequel il
évolue, et enfin ses équipiers.
Anji aime incarner les personnages qui ont beaucoup de classe, avec une grosse épée : « tout
ce qui va dégager de la classe naturellement, qui a de la prestance, du charisme et tout, il dit
pas un mot mais on le ressent déjà et on sait qu’il est là. Ca va être aussi au niveau de l’épée
qu’il va porter, donc plus l’épée est grosse et impressionnante, et plus ça plait », « avec un
style de combat très bourrin ». Comme Squall, il apprécie les personnages de mangas, assez
simples mais très expressifs, qui évoluent et qui ont de grandes capacités. S’il en avait la
possibilité, Anji créerait un personnage typé manga « avec une puissance de frappe vraiment
impressionnante, très résistant ». Notons l’emploi du pronom personnel « je » dans la phrase :
115
« En fait le principe c’est, dans son style de combat, c’est je peux encaisser les coups, des
coups très très puissants, mais je redonnerai toujours plus fort ». Nous voyons ici qu’il y a
identification au personnage héros puisqu’Anji se voit et se met à sa place.
Notre joueur montre une nette préférence pour les personnages qui lui sont inconnus, car il
peut ainsi les « faire évoluer comme lui le veut » et « le découvrir petit à petit ». Ne pas
connaître d’emblée le personnage et son but semble être important pour Anji comme pour
Squall. Cela permettrait une meilleure identification dans le sens où tout ne leur est pas dicté
d’avance (personnalité, chemin à parcourir, tâches à accomplir…). Les deux joueurs préfèrent
également incarner un personnage qui a des pouvoirs. Cela permet à Anji de s’évader, mais
aussi de « s’imaginer avec un personnage qui a une force extra et qui peut faire ça ça ça… ».
Nous constatons qu’il y a un autre but que l’évasion dans un monde virtuel, à savoir un but de
revalorisation narcissique, directement induite par les pouvoirs du héros.
Lorsqu’il est plongé dans une partie, Anji accorde beaucoup d’importance au devenir de son
personnage : « si jamais je manipule un personnage tout le long, qui fait partie de mon groupe,
que je fais évoluer et devenir super fort et tout et qu’il meurt, ça m’affecte sur le moment…
tant que j’aurais pas éteint la console, je vais vraiment être affecté, je trouve ça […] Les jeux
bien fait comme ça qui arrivent à vous prendre, je trouve ça vraiment énorme ». Nous
constatons bien que se mettre dans la peau d’un personnage et le faire évoluer constitue un
réel investissement de la part du joueur. Il est donc coûteux pour lui de le perdre. La fin d’un
jeu lui donne un profond sentiment de nostalgie : « on voit les personnages et leur fin… je
sais pas ça laisse une profonde nostalgie parce qu’on les quitte ». Il y a comme un certain
attachement au personnage et à l’univers qui l’entoure.
Pour Anji, un héros est quelqu’un de plutôt ordinaire au départ : « c’est celui qui va s’opposer
à la tendance générale, si elle est pas forcément honnête pour lui, à partir du moment où il
obéit à ses convictions et qu’il va prendre responsabilité de tous ses actes. Et le fait de prendre
responsabilité de ses actes va le mener très loin, très haut, et va le démarquer au final des
autres, par sa puissance… Au final, ça le mène toujours du coup à sauver le monde ». Cette
conception est assez similaire à celle de Squall, dans le sens où elle stipule une évolution du
personnage. Le héros n’est pas vu comme quelqu’un qui d’emblée va sauver le monde, mais
comme quelqu’un d’ordinaire au départ, qui de par sa force et son ambition va monter très
116
haut et va être amené à sauver le monde. Une telle vision du héros permettrait aux sujets de
partir du même point que leur avatar, et donc une meilleure identification possible.
Il arrive souvent à Anji de se créer ses propres mondes. Il s’y représente habillé tout en noir,
charismatique, avec une grosse épée dans le dos. Parfois, il se dit « être un grand guerrier »,
mais dit ne jamais s’imaginer à la place d’un héros. Il peut très bien avoir un rôle secondaire
et voir les évènements se produire sous ses yeux sans qu’il soit concerné. Il peut aussi être très
puissant au départ ou bien évoluer petit à petit, tout cela dans un contexte d’Heroïc Fantasy,
dans un monde séparé par le Bien et le Mal : « je peux très bien commencer en étant très
puissant, et donc avancer dans le monde, arriver à un moment où il y aura une guerre, ou
devoir faire certaines missions ; ou commencer je suis vraiment pas fort, j’évolue petit à petit,
je découvre et tout ». Anji ne se voit pas comme un héros, mais c’est bien lui qu’il imagine
dans un monde qu’il a lui-même créé. Il se voit « évoluer petit à petit » et impliqué dans ce
qui lui arrive. Il lui arrive parfois de s’imaginer « comme guerrier se démarquant très
rapidement au niveau de sa force ». Nous pourrions dire qu’il n’est certes pas le héros de son
monde, mais bien un héros par ses actions et par le fait qu’il soit au premier plan.
La suite de l’entretien permet de rendre compte du phénomène d’identification : « si mon
héros est de niveau 1, bon très bien. Par contre, si jamais j’arrive à un niveau 99, qui est
quasiment le maximum, dans le jeu là oui je me sentirais pour lui plus en confiance, plus
posé, je saurais que je pourrais rencontrer des monstres et tout je vais me les faire ».
J’ai ensuite demandé à Anji pourquoi il était attiré par les personnages de mangas, de manière
à obtenir davantage d’explications sur les phénomènes d’identification. Au-delà du fait qu’il
aime la culture japonaise et les arts martiaux, Anji m’a confié qu’il avait découvert un
personnage, Sanosuke Sagara (Kenshin), qu’il prenait comme modèle et dont il s’inspirait
pour son mode de vie. On peut voir ici ce que Freud appelait la structure clivée du moi. Plus
l’objet se voit attribuer des qualités supérieures, plus le moi se trouve petit. L’objet prend la
place de l’idéal du moi, l’objet devient l’idéal du moi. Cette idéalisation constituerait donc
une identification.
Anji aimerait d’ailleurs pouvoir incarner ce personnage dans un jeu vidéo. Nous pouvons en
déduire que s’il souhaite incarner ce personnage dans un jeu, c’est que c’est un modèle pour
lui et qu’il veut s’identifier à lui.
117
Anji m’a également parlé plus précisément de ses rêveries diurnes. Au début, il s’imaginait se
battre avec une grosse hache à double tranchant, puis avec un énorme bâton. Il a pendant un
temps assez court utilisé l’arc, mais cette méthode ne lui convenait pas. Maintenant, il
s’imagine vaincre ses ennemis avec une grosse épée. En ce qui concerne les caractéristiques
propres au personnage, Anji préférait au départ l’optique « du gros gars bien bourrin, qui en
impose énormément ». Aujourd’hui, il dit « préférer un gars comme lui », mais il annule
immédiatement cette proposition en riant, ce qui est le signe d’une défense. Il dit alors
incarner « un personnage bien fait, plutôt grand, qui dégage de la puissance par son
charisme ». Les explications d’Anji sur ses rêveries s’avèrent être très intéressantes pour notre
analyse. Il se crée des mondes où il évolue, tant au niveau des armes que du physique et de la
personnalité. Au départ, il visait davantage la force, la carrure, et les armes imposantes (hache
à double tranchant). Maintenant, il voit quelqu’un qui lui correspond davantage et qui fait
preuve de charisme avec une grosse épée. Nous pourrions dire que ses identifications à des
personnages héroïques changent. S’identifier à un personnage qui détruit tout parait plus
enfantin. Il semblerait donc bien que nos identifications à des personnages évoluent avec
l’âge. Dans ces rêveries, Anji s’approprie le personnage héros qu’il voit habituellement dans
les jeux vidéo, et il vit ses aventures. Il aime donner au personnage certaines caractéristiques
qui lui sont propres tout en conservant celles du héros typique, idéal des jeux vidéo (armes,
charisme). « Maintenant justement je préfère le gars… comme moi…rires, non euh… tu vois
plus posé, physiquement tu sens qu’il est quand même bien fait, tu sais donc assez grand et
tout, mais qui dégage sa puissance non pas musculairement, mais par son charisme. C’est
vraiment ça quoi que…‘fin c’est vraiment un idéal que moi je vise là dans la vie réelle, mais
que j’adorerais voir dans les jeux vidéo ». Cet amalgame donne un héros « parfait » auquel
Anji s’identifie entièrement. Cela va revaloriser l’image qu’il a de lui-même, car ce
personnage possède d’un côté toutes les qualités du héros idéal d’un jeu vidéo (charisme,
armes, vaincre ses ennemis…), et de l’autre son apparence et sa personnalité à lui (c’est lui
qu’il voit dans ses rêveries).
Par la suite, Anji affirme qu’il faut que le joueur soit en accord avec le personnage pour qu’il
continue le jeu. Le personnage a une certaine personnalité, à laquelle le sujet choisit de
s’identifier ou non : « est-ce que maintenant j’ai envie de m’identifier à ça, au mec qu’a une
logique, moi qui me convient d’ailleurs… », « ‘ah oui, le mec a une personnalité qui me plait
bien’, c’est le genre de détail qui fait qu’on va vouloir s’identifier ». Un joueur qui ne semble
pas aimer le jeu à première vue peut espérer voir le personnage changer et pour cela continuer
118
à avancer dans la partie, ou bien il arrêtera, se sentant trop loin du personnage. La tenue
vestimentaire importe peu au final, c’est la personnalité du héros, sa façon d’agir qui va
faciliter l’identification : « c’est un caractère, ce qu’il dégage dans l’ensemble. Ca va être
l’envie de ressembler au personnage qui va pousser à l’identification ». Ceci correspond tout à
fait à la réponse du lead level designer interviewé plus haut, et nous conforte dans notre
hypothèse d’une identification au héros dans les jeux vidéo. Pour que cette dernière devienne
possible, il faut aussi des éléments qui soient présents dans la vision que se fait le joueur du
héros.
Anji imagine des consoles futuristes qui permettraient au joueur d’être lui-même le héros du
jeu : « donc en fait on retrouve le jeu de World of Warcraft par exemple, sauf qu’on n’est pas
devant notre clavier, on le vit, on est LE personnage ». Ceci va totalement dans le sens d’une
identification au héros. Il se verrait bien comme héros du jeu, tout comme il s’imagine héros
dans les histoires et les mondes qu’il se crée.
Pour lui , « s’enfermer dans un monde c’est vivre une autre vie ». Il se dit assez répulsif par
rapport à la société dans laquelle il vit et préfère s’évader dans des mondes fantastiques où il
incarne un personnage doté de pouvoirs et d’un grand charisme. Il y mènerait une vie
incroyable qui lui ferait accomplir des choses qui lui sont impossibles dans la réalité
extérieure.
Pour lui, les scénarios des RPG se ressemblent beaucoup et ne changeront pas car ils sont la
base de notre culture. Anji est en accord avec notre pensée qui postule que les RPG sont
construits sur le modèle des contes et donc sur une base culturelle commune à tous (mort des
parents, évolution du héros, monstres, étapes à franchir, quêtes…).
2.2) Analyse du TAT :
Premières impressions :
-
récits assez longs, langage plutôt soutenu
-
instabilité des limites et quelques émergences en processus primaires
-
inhibition à certaines planches
-
planches choc : planche 4 (17 s) et planche 6BM (17 s)
-
histoires à rebondissements
119
-
peu de recours au fictif
-
très peu de références à la réalité externe
Planche 1 :
E2-1 : légère fabulation hors image : « en train de jouer…il commence à jouer de la
musique »
E3-3 : désorganisation de la causalité logique : «il a joué au violon… Il commence à jouer de
la musique. C’est un enfant qui joue depuis assez longtemps »
B1-2 : introduction de personnage non figurant sur l’image : « son père »
B1-3 : expression d’affects : « nostalgique », « il est vraiment nostalgique »
A1-1 : description avec attachement aux détails : « en train de regarder le violon posé sur la
table devant lui… C’est vraiment au niveau du regard, de tout ce que… »
Le contenu latent renvoie à l’immaturité fonctionnelle et est basé sur la problématique
d’impuissance actuelle associée à l’angoisse de castration. Ici, la problématique induite par la
planche semble être liée à la frustration. En effet, le petit garçon est frustré de ne plus pouvoir
jouer du violon. Il est déçu d’avoir cassé une de ses cordes. L’immaturité fonctionnelle n’est
donc pas abordée, le garçon sait déjà très bien jouer du violon.
Nous observons des émergences en processus primaires au début du récit, qui sont
immédiatement rattrapés par la suite par Anji, puisqu’il fournit une explication plausible
concernant l’état du petit garçon.
Planche 2 :
CN3 : mise en tableau : « Ca se serait une journée dans les champs… paumée avec un… en
pleine campagne et tout, beau soleil, température pile poil avec un vent frais… »
CL2 : appui sur le percept et le sensoriel : « mais les ondes que ça pose au niveau des champs
c’est magnifique » et intellectualisation A2-2
B1-1 : accent porté sur les relations interpersonnelles : « pour que tout le monde se retrouve »,
« tout le monde va commencer à préparer ça », « ils vont faire un petit feu de bois »
E4-1 : craquée verbale : « le soleil est en train de tomber ». Je justifie cette cotation par le fait
qu’Anji s’exprime très bien durant l’entretien et le protocole du TAT, et utilise un langage
assez soutenu. Cette phrase ne relève pas d’une faute « grave », mais elle surprend lors de la
relecture.
Cette planche renvoie au triangle oedipien père-mère-fille. Bien qu’il y ait un accent porté sur
les relations interpersonnelles (gens du village), il n’apparaît aucun lien de parenté entre les
120
trois personnages. La triangulation est donc complètement absente. Le récit est marqué par
une grande inhibition et un évitement du conflit. Nous remarquons un fort appui sur le
sensoriel qui suggère une instabilité des limites.
Planche 3 BM:
B2-1 : exclamation : « fff, woh ! »
E2-1 : inadéquation du thème au stimulus : « sur un bout de tabouret. Je sais même pas si
c’est chez elle ou dans un bar ». Nous voyons clairement sur le dessin qu’il ne s’agit pas d’un
tabouret ni d’un bar, mais plutôt d’un canapé ou d’un lit, dans une maison. Ceci montre qu’il
y a massivité de la projection.
Dans ce récit, le content latent est abordé, à savoir la position dépressive. Cependant, nous
constatons l’emploi de termes très fort, et ce avec insistance : « elle s’effondre », « écroulée »,
« elle est effondrée », « elle en peut plus », « elle est totalement ravagée ». De plus, ces
affects ne sont pas liés à une représentation précise : « il lui est arrivé plein de malheurs dans
la journée », « elle les enchaîne ». Nous avons donc de l’inhibition et un certain évitement de
ce qui aurait pu mettre le personnage dans un tel état.
Planche 4 : choc
B2-1 : exclamation : « Woh ! Bah… »
CI-1 : tendance générale à la restriction : « j’ai du mal à voir », « je sais pas », « je sais pas
j’ai vraiment du mal » et long silence. Il semblerait qu’il y ait également du doute chez Anji,
une hésitation entre plusieurs interprétations A3-1 : « il va casser la gueule à quelqu’un, ou il
va… je sais pas… pousser une voiture qui l’énerve, ou euh… aider une vieille femme à passer
la rue »
CL4 : clivage : « j’ai l’impression que c’est deux images opposées », « j’ai l’impression de
voir deux choses totalement différentes »
A1-1 : attachement aux détails : « au niveau de l’expression des visages »
B1-2 : introduction de personnage non figurant sur l’image : « une vieille femme »
Le récit est lourd, et comporte un grand nombre de répétitions. Anji a beaucoup de mal à
trouver une interprétation et reste focalisé sur les deux images opposées. Ses dernières
interprétations sont hésitantes, et sont caractérisées par la banalisation et l’anonymat des
personnages CI-2. De plus, le sujet ne mentionne pas qu’il s’agit d’un couple. Cependant, le
contenu latent est en partie respecté, puisqu’il renvoie à l’ambivalence pulsionnelle (l’homme
121
part mais la femme ne veut pas qu’il parte), mais le motif du conflit est très banalisé. Le
clivage prend le dessus sur l’interprétation.
Planche 5 :
B2-1 : entrée directe dans l’expression : « Alors ça ! »
B1-2 : introduction de personnages non figurant sur l’image : « les gamins »
B2-1 : commentaire personnel : « ils ont assuré les gars hein ! », et appel au clinicien CM1
CM3 : sourire, rire
A1-1 : attachement aux détails : « si le salon est bien rangé, si tout est à la place, les fleurs,
tout ça, rien n’est cassé… des petits regards comme ça là… »
Le contenu latent est abordé, nous sommes en présence d’une image féminine, maternelle, qui
pénètre dans une pièce et regarde. La mère n’espionne pas, ne rentre pas à l’improviste mais
elle vérifie que tout est bien rangé. Ce n’est donc pas l’image d’une mère intrusive.
Planche 6 BM : choc
CN3 : mise en tableau : « Pas de discussion. Moment posé comme ça… »
CI-2 : anonymat des personnages : « ils »
CI-2 : banalisation : « ils viennent de parler d’un truc »
Dans ce récit, le sujet ne précise pas quel est le lien entre les deux personnages. Nous ne
sommes également pas dans une problématique de deuil ou de tristesse (fantasme parricidaire
et tristesse liée à la mort du père). Le contenu latent n’est donc pas abordé, puisqu’il renvoie à
la relation mère-fils dans un contexte de tristesse.
Le récit est marqué par l’inhibition et par l’évitement du conflit CI-1 : « je sais pas », « … ».
Anji ne précise pas le sujet de la discussion entre les deux personnages.
Planche 7 BM :
CI-2 : anonymat des personnages : « le vieil homme », « à l’autre »
CI-2 : banalisation : « il a fait un score terrible au foot »
A1-1 : attachement aux détails : « un petit sourire narquois »
A1-2 : précision chiffrée : « 60-70 piges »
Là encore, le contenu latent n’est pas abordé dans sa totalité. Nous ne connaissons pas le lien
entre les deux personnages, il n’y a donc pas de rapproché père-fils. Toutefois, nous sommes
bien dans un contexte de rivalité entre les deux hommes, le vieil homme faisant preuve de
supériorité.
122
Planche 8 BM :
CI-2 : anonymat des personnages : « un personnage »
E1-1 : scotome du fusil
E2-1 : inadéquation du thème au stimulus : « qui est en train de marcher dans la rue »,
produite par la massivité de la projection
E3-1 : confusion des identités : « un personnage… », « qu’elle a fait cette nuit-là », « elle est
en train de revoir », qui renvoie à une désorganisation des repères identitaires et objectaux. De
plus, nous voyons très bien qu’il s’agit d’un petit garçon au premier plan.
E1-4 : perception d’objets détériorés ou de personnages malformés : « avec les expressions
déformées des personnages ». Ceci révèle en général l’existence sous-jacente d’une
représentation de soi atteinte dans ses fondements identitaires.
CI-1 : tendance à la restriction : « … »
Ce récit est marqué par une lenteur, une restriction, qui caractérisent une grande inhibition.
Anji ne nous dit pas le contenu du cauchemar, ce qui s’avère être probablement une défense
contre le surgissement d’affects et de représentations trop importants (procédés E1-1 et E2-1).
Le contenu latent n’est donc pas abordé, à savoir une scène d’agressivité ouverte confrontant
des hommes adultes et un adolescent, en positions contrastées active/passive.
Nous constatons également une désorganisation des repères identitaires, absente dans le reste
du protocole. Ceci est donc certainement dû à l’envahissement par les affects et les
représentations. Nous observons alors une certaine fragilité.
Planche 10 :
CN3 : mise en tableau ou affect titre : « Ca c’est un baiser sur le front. C’est un moment de
tendresse, de réconfort »
CM-1 : appel au clinicien : « tu sais » x 2
CI-2 : anonymat des personnages : « la personne », « des deux personnes », « l’homme »
A2-2 : tendance à l’intellectualisation tout au long du récit
Le contenu latent de cette planche renvoie à l’expression des désirs dans le couple. Ici, nous
ne savons pas précisément s’il s’agit d’un couple. De plus, il n’y a pas la notion de désir, mais
quelque chose qui relève davantage de la protection et du réconfort. L’homme joue un rôle
important dans cette relation puisqu’il protège. La tendance générale de ce récit se caractérise
par un évitement du conflit.
123
Planche 11 :
B2-1 : entrée directe dans l’expression et commentaire personnel : « Putain de truc d’Heroïc
Fantasy ça ! » et A1-4 : référence culturelle
B1-2 : introduction de personnages non figurant sur l’image : « les Nains », « armées »,
« Roi »
A2-1 : recours au fictif : « les Nains », « dragon »
B2-1 : histoire à rebondissements
CL-4 : clivage : « le Bien et le Mal »
CM3 : ironie : « Mais c’est le Bien qui va vaincre », et rires.
Il est intéressant de noter qu’il s’agit du seul récit à valence fantastique et de la seule référence
culturelle du protocole.
Le contenu latent de cette planche renvoie à une imago maternelle archaïque. Nous observons
une volonté de se maintenir à un niveau moins archaïque avec le château (construction
humaine) et le recours au fictif ; mais les défenses sont fragiles. En effet, la logique du récit
est un peu altérée : « et ils vont rejoindre le château en sûreté. Mais on voit qu’à ce niveau là y
a déjà des dégâts qui ont été faits », et il y a l’idée de dégâts, qui est à relier à l’imago
maternelle archaïque. Le récit est structuré sur le mode du clivage (de l’objet) entre le Bien et
le Mal.
Planche 12 BG :
B1-2 : introduction de personnages non figurant sur l’image : « un vagabond », « un
pêcheur »
A2-2 : intellectualisation : « par quelque vieil homme », « une petite trace de l’Homme »
B2-1 : histoire à rebondissements
CL-1 : à la lecture de ce récit, nous avons l’impression qu’il y a une porosité des limites entre
le narrateur et le personnage du vagabond. En effet, nous avons l’impression que le paysage
vu par le sujet (sur la planche) est le même que celui vu par le vagabond. La solitude du
personnage est bien vécue, dans un contexte où règne la tranquillité.
Planche 13 B :
B1-2 : introduction de personnages non figurant sur l’image « vieil homme », « vagabond »
B2-1 : histoire à rebondissements
B1-1 : accent porté sur les relations interpersonnelles : « il veut venir voir, se poser, découvrir
des choses et des histoires avec eux »
124
CL-1 : porosité des limites entre le narrateur et le personnage (vagabond)
A1-1 : attachement au détail : « la maison en bois est vachement rustique »
Nous remarquons que ce récit reprend celui de la planche précédente. Il ne s’agit pas d’une
persévération de type psychotique, étant donné que le récit correspond bien au contenu
manifeste de la planche et qu’il est dans la continuité du précédent. Ceci pourrait avoir pour
but d’éviter la création d’une histoire totalement différente, celle-ci étant déjà très riche.
Le contenu latent, qui vise la capacité à être seul, n’est pas abordé puisqu’il y a introduction
du vagabond et accent porté sur les relations interpersonnelles. Il n’y a aucun sentiment de
solitude et l’enfant n’est pas délaissé par ses proches. Toutefois, la remarque d’Anji sur la
maison : « la maison en bois est vachement rustique » peut montrer un étayage maternel de
mauvaise qualité. Là encore, le sujet ne mentionne pas les parents.
Planche 13 MF :
CM-3 : ironie : « euh… réveil après une nuit de folie ? » et rires x 2
CN3 : mise en tableau
CM1: appel au clinicien : « je sais pas si mon raisonnement intéresse beaucoup mais… »
CF1 : accent porté sur le quotidien, le factuel, référence plaquée à la réalité externe : « la
position est pas naturelle », « pourtant quand on dort on peut obtenir toute sorte de positions »
CI-2 : anonymat des personnages : « entre deux… », « il ». Ce n’est qu’à la fin du récit
qu’Anji nous parle de couple : « sa femme »
A1-1 : attachement aux détails : « mais y a tellement d’ordre dans l’ensemble de la pièce
que.. », « il est habillé en costard-cravate »
A3-1 : hésitations entre interprétations différentes (réveil après une nuit de folie/meurtre) et
A2-4 : aller retour entre l’expression pulsionnelle et la défense
Le contenu latent renvoie à l’expression de la sexualité et de l’agressivité dans le couple. Ce
contenu est en partie respecté dans la première version que nous donne le sujet, à savoir la
nuit de folie. Cependant, cette version ne semble pas tout à fait convenir à Anji étant donné la
position de la femme. Il fournit donc une seconde version qui fait ressurgir une fantasmatique
meurtrière et qui s’est imposée à lui en premier. Nous ne savons pas si ce meurtre à été
commis par le mari ou par une personne tiers, le sujet se focalisant sur la position de la femme
et non sur le contexte du meurtre.
Nous voyons donc qu’il y a un aller retour entre deux interprétations différentes. La version
de la nuit de folie semble être une défense contre la massivité de la problématique induite par
la planche (fantasmatique mortifère, perte violente et destruction).
125
Planche 19 :
B2-1 : entrée directe dans l’expression, exclamation : « Putain elle est démente celle-là ! »
CI-1 : silence important : « … »
CN-3 : mise en tableau : « un train-maison »
B1-2 : introduction de personnages non figurant sur l’image : « une famille »
A2-1 : recours au fictif : « un esprit gardien qui les suit »
CN-4 : insistance sur les limites et les contours et sur les qualités sensorielles : « qui est en
train de suivre le train comme ça, ça les enrobe un peu de… tu sais de nuages noirs, mais
bienfaiteurs, posés, comme la nuit, avec les étoiles, quelque chose qu’on apprécie »
CM1 : appel au clinicien : « tu sais »
B1-2 : introduction de personnages non-figurant sur l’image : « leur famille »
Cette planche met à l’épreuve les limites entre dedans/dehors, bon/mauvais, et peut réactiver
des problématiques archaïques dépressive et /ou persécutive. Le récit d’Anji met en scène une
famille qui voyage et qui va retrouver ses proches. Les personnages sont dans un univers
sécurisant, une maison-train, qui de plus est protégée par un esprit gardien. Nous constatons la
nécessité de poser des limites et des contours, qui renvoie à l’investissement de l’enveloppe
corporelle et au renforcement de la frontière entre dedans et dehors, pour sans doute faire face
une fragilité des repères internes.
Planche 16 :
CM3 : humour : « un ours blanc par tempête de neige », et rires
CN3 : mise en tableau
CM1 : appel au clinicien : « faut pas me montrer un truc pareil… »
CI-1 : long silence
A1-2 : précision temporelle : « c’est le lendemain matin »
B1-1 : accent porté sur les relations interpersonnelles : « après avoir parlé avec le vieil
homme, ils se sont partagés plein de choses, bonnes rigolées, bu un peu d’alcool entre eux »
E4-1 : craquée verbale : « bonnes rigolées »
CL-1 : porosité des limites : « ce soleil là qui lui vient sur les yeux, ce qui fait que c’est tout
un son qu’on entend à travers cette blancheur » et CL2 : appui sur le percept et le sensoriel : «
un rayon de soleil qui lui vient sur les yeux et qui donne cette lumière blanchâtre, qui traverse
nos pupilles… », « c’est vraiment des sensations qui viennent de l’extérieur »
126
E4-2 : flou du discours : « un rayon de soleil qui lui vient sur les yeux… il est en train
d’écouter la totalité… ce qui fait que c’est tout un son qu’on entend à travers cette
blancheur… »
CM3 : rires
B2-1 : commentaire personnel : « il y a tellement de choses à dire sur un truc comme ça
que…c’est pas drôle, c’est même limite frustrant »
Cette planche permet à Anji de fournir une suite à son histoire, commencée à la planche 12
BG, et reprise à la planche 13 B. Il peut s’agir d’une défense mais aussi d’une grande
imagination, une volonté de se créer des histoires assez riches. Nous notons toutefois une
instabilité des limites très prégnante, avec un recours aux sensations et aux perceptions.
Procédés majoritaires :
A1-1 +++
L’attachement aux détails renvoie en général à l’utilisation de la réalité externe pour lutter
contre les émergences de la réalité interne.
B1-2 +++ B2-1 ++
Les procédés B1-2 rendent compte de l’existence d’un espace psychique interne, de la
capacité à prendre une relative distance vis-à-vis de la réalité externe, et participent au jeu
avec l’imaginaire. Les histoires à rebondissement vont dans le même sens puisqu’elles
relèvent de l’imagination.
CI-1 ++ CI-2 ++
Ces deux procédés sont le signe d’une inhibition. Nous les retrouvons à certaines planches
dans ce protocole, et ont pour objectif d’éviter d’aborder ou de développer le conflit.
L’anonymat des personnages permet au sujet de prendre un certain recul face aux
sollicitations latentes de la planche, tout comme la banalisation.
CN3 +++
La mise en tableau est très présente dans ce protocole et correspond à l’investissement
narcissique. Elle renvoie aux tentatives d’inhibition pulsionnelle par l’immobilisation dans
des scènes. Notons la présence d’un procédé CN-4.
CL1 +++
La porosité des limites témoigne de la fragilité des frontières, de l’instabilité des limites. Le
sujet est parfois « dans la planche », et va même jusqu’à se mettre à la place du personnage,
ce qui se rapproche du mécanisme de l’identification, à savoir se mettre en fantasme à la place
de l’autre. Anji utilise également deux fois le clivage CL-4.
127
E2-1 + et autres procédés E
La massivité de la projection, induite par les sollicitations latentes de certaines planches,
entraîne une inadéquation du thème au stimulus.
128
3) MADCAS
3.1) Analyse de l’entretien :
Une troisième rencontre a eu lieu, avec Madcas. Elle s’est égalemement déroulée dans la salle
à manger mon appartement, en face à face.
J’ai fait la connaissance de Madcas par l’intermédiaire d’un ami, et nous avons pris contact
une première fois par téléphone. Au cours de cette discussion téléphonique, j’ai informé
Madcas que j’étais en maîtrise et que mon mémoire portait sur les jeux vidéo. Puis je lui ai
demandé s’il était d’accord pour passer un entretien ainsi qu’un test projectif. Madcas
semblait très intéressé et étant donné que notre ami en commun lui en avait déjà parlé, nous
avons directement convenu d’un rendez-vous.
Lorsqu’il est arrivé chez moi, Madcas était très décontracté et je lui ai expliqué une seconde
fois le déroulement de l’entretien. L’entretien a été enregistré sur dictaphone.
Présentation :
Madcas a 22 ans. Ses passe-temps favoris sont la musique, les jeux vidéo et la Formule 1. Il
accorde une place très importante à la musique, il dit ne pas pouvoir s’en passer. Il en écoute
entre 4 et 8 heures par jour. Il aime bien aussi la Formule 1, mais cette passion a décliné au fil
des années.
Madcas a commencé à jouer aux jeux vidéo il y a dix ans. Au départ, il ne s’y intéressait pas
trop, jusqu’à la sortie de la Playstation qui a crée chez lui une véritable passion, puisque l’on
passait de la 2D à la 3D et que les jeux proposaient une meilleure immersion. Il a passé une
période où il pouvait jouer jusqu’à 15-16 heures par jour. Cette année, il jouait le week-end,
allant de 2-3 heures à 10-12 heures de jeu selon ses occupations et le jeu dans lequel il était
plongé. Etant en ce moment même en vacances, il joue 3 heures par jour presque tous les
jours. Madcas ne joue pas sur PC, il préfère la console, seul ou à plusieurs (il aime le
multijoueurs pour la compétition entre amis). Il possède la MégaDrive, la Playstation 1 et 2, la
DreamCast et la GameCube, et 250 jeux au total.
Analyse :
Madcas n’a pas de catégorie de jeu préférée, il oscille entre les jeux d’horreur (Resident Evil,
Silent Hill, Project 0…), les jeux d’infiltration militaire (Metal Gear Solid, Ghost Recon,
129
Splinter Cell…), et les RPG (Final Fantasy, Suikoden…). Cela dépend de son humeur et de
son état d’esprit.
Les RPG le passionnent dans le sens où ils proposent un monde complet et totalement
inconnu. Le joueur doit intégrer cet univers, « rentrer dedans » et « s’acclimater au jeu ». Il
nous parle ici du plaisir de découvrir un monde et de s’y plonger.
L’univers est merveilleux, chevaleresque, « avec des monstres, des quêtes à faire, des mondes
à visiter ». De plus, les RPG ont quelque chose de moralisateur et prônent presque toujours les
mêmes valeurs : « la famille, les amis, l’amour et la foi en ses convictions ». Tout ceci renvoie
bien à l’univers des contes et aux messages qu’ils véhiculent. Madcas pense que « beaucoup
de joueurs, quand ils jouent à ces jeux-là, ont besoin de retourner dans des valeurs plus
faciles, plus traditionnelles et plus vraies ». Au delà de l’évasion suscitée par l’univers
fantastique, le RPG propose une vision qui est fortement liée à l’Inconscient collectif, à la
culture dans laquelle nous baignons depuis notre plus tendre enfance. Cela va aussi de paire
avec les exigences du Surmoi (exigences parentales, de la société), ainsi qu’à l’idéal que nous
nous fixons (Idéal du Moi).
Madcas a choisi de me raconter en détail le jeu Metal Gear Solid 3, un jeu d’infiltration. Nous
observons une bonne narrativité, le récit est clair, structuré ; et présente bien le contexte, le
héros ainsi que sa mission. Ce qui semble plaire à Madcas est la grande liberté que ce jeu
propose dans le champ d’action du personnage : « tu as plusieurs possibilités de choix,
plusieurs actions possibles. Tu peux être furtif, tu peux être bourrin, tu peux faire un combiné
des deux, tu peux faire tout ce que tu veux ». Dans ce jeu, le sujet ne s’identifie pas à un
personnage ayant des pouvoirs, mais à un militaire. Le contexte est beaucoup plus réaliste, ce
qui le rapproche d’un film. C’est ce qui permet, selon Madcas, une meilleure immersion.
Nous remarquons une préférence à incarner des personnages humains, réalistes, car cela
facilite l’immersion. Cependant, Madcas nous précise bien qu’il se sent immergé dans un film
quand il joue à ce jeu, et que le personnage qu’il incarne est « un personnage haut en
couleur », ce qui montre qu’il y a une revalorisation qui s’opère, corrélée à la notion de héros.
« Je préfère les voir évoluer au-delà de leur limite à petite échelle pour voir s’ils se dépassent
justement, qu’ils souffrent mais qu’ils se dépassent quand même ».
Madcas ne se souvient pas d’un personnage l’ayant réellement marqué. Cependant, il s’est
attaché à certains personnages « parce que je les ai suivi depuis le début, donc c’est de gens
130
que tu connais un peu ». Il a beaucoup apprécié des personnages de second rôle, « des
personnages qui avaient une classe, qui avaient un statut ou qui avaient des objectifs, un
sacrifice, quelque chose qui les fasse sortir justement de la normalité ». L’important pour
Madcas est de se mettre dans la peau de quelqu’un d’atypique, qui se distingue des autres par
ses actions ou par sa personnalité. Le but d’un jeu vidéo n’est pas de sacrifier son personnage
principal, même si le héros, dans son acceptation commune, peut être amené à le faire.
Le personnage idéal que Madcas voudrait voir dans un jeu est quelqu’un qui lui
« ressemblerait, en mieux ». « Donc à peu près ma taille, 1m90, brun, plus charismatique, un
peu plus… un peu plus froid aussi. Un mec en conflit intérieur, un mec qui justement… avoir
un relief, mais un relief secret. Quelqu’un qui serait bon mais torturé. Quelqu’un qui va
s’orienter de façon à avoir une fin dramatique, une fin théâtrale mais dramatique, soit par un
sacrifice soit par une… je sais pas une mauvaise fin on va dire d’une manière ou d’une
autre ». Ce héros évoluerait dans un contexte similaire à celui d’un RPG. Il y a donc bien
identification au héros dans les jeux vidéo, puisque Madcas voudrait être lui-même le héros
d’un jeu. De plus, nous constatons que comme pour Squall et Anji, il se verrait mieux qu’il est
actuellement. Ceci va dans le sens d’une revalorisation narcissique. Les caractéristiques
physiques des joueurs resteraient les mêmes, mais c’est la personnalité qui changerait, et son
impact sur les autres : « plus charismatique ». Ceci va de pair avec la fait que le joueur
s’identifie au personnage au niveau de la personnalité. En d’autres termes, l’identification
passe par l’appropriation de la personnalité du héros. Lorsqu’il ne connaît pas le personnage,
Madcas dit devoir s’impliquer davantage. Pour s’identifier à lui, il lui sera avant tout
nécessaire de cerner sa personnalité : « il va falloir que tu cernes sa personnalité, toutes ses
qualités, tous ses défauts, justement pour pouvoir commencer à l’apprécier, à évoluer avec
lui ».
Toutefois, nous remarquons quelque chose de nouveau chez Madcas, l’idée d’un sacrifice et
qu’il y a « forcément une mauvaise fin pour un personnage ». Il me semble que le sacrifice est
lié ici à la pulsion de mort, mais qu’il y a un travail de symbolisation qui s’opère, en ce sens
où il signifierait quelque chose (sauver le monde).
La suite de l’entretien concerne la manière dont le sujet définit le héros : « c’est quelqu’un qui
fait du bien, quelqu’un de gentil, qui va dénouer une situation. C’est le personnage central
auquel toute l’intrigue évolue autour […] La dénomination de héros c’est le personnage que
tu vas incarner, et je pense que dans les jeux vidéo le héros est par défaut le personnage que tu
131
incarnes ». « Le héros, c’est un peu l’image que tout le monde voudrait être dans les jeux,
dans les RPG quoi. Parce que dans les RPG le héros c’est toujours le personnage qui est
respecté, c’est la légende…c’est vraiment la mythologie du héros qui est remise à jour dans
ces jeux-là ». Nous avons bien ici la définition du héros en tant que personnage principal
d’une histoire, et en tant que porteur de toute une symbolique. Le héros impose le respect,
c’est une légende, et il est très bien représenté dans les RPG. Le phénomène d’identification
au héros dans les jeux vidéo ressort tout à fait dans les propos de Madcas : « le héros c’est
l’image que tout le monde voudrait être dans les jeux ». Les joueurs d’identifieraient à un
personnage ayant de grandes qualités, et ces qualités seraient valorisantes pour eux. Cette
identification se retrouve également dans les termes : « parce que ça lui permet
psychologiquement de rentrer dans l’histoire, mais non pas sous sa propre personnalité, mais
justement par substitution de rentrer dans quelqu’un d’autre. Ca t’oblige à faire l’effort
justement de comprendre la personnage, de rentrer dans sa psychologie ».
Il est arrivé à Madcas de ne pas accepter vraiment son personnage, mais il a continué car
l’univers lui plaisait et que le jeu était très bien réalisé. Cela demande un effort
supplémentaire, mais il finit par accepter le personnage.
Madcas semble beaucoup apprécier les jeux où le sort du personnage est induit par les actions
du joueur : « c’est le joueur qui inconsciemment va donner son avis, sa façon de jouer au
personnage, et qui va s’influer vers une fin ». Il évoque le jeu Silent Hill, où le personnage
peut aller jusqu’à se suicider à la fin : « quand on fait un jeu comme ça, qui est
psychologiquement déroutant, extrêmement triste et qui pousse vers la tristesse, et qu’à la fin
du jeu, en jouant naturellement on se suicide, on se pose des questions ». Pour lui, la manière
de jouer est directement liée à l’état d’esprit du joueur : « la façon dont tu vas influer sur le
personnage va te montrer la psychologie que tu as, la façon dont tu absorbes ou tu gères les
problèmes, ce que tu crains le plus, selon la fin que tu vas prendre ou même dans l’état
psychologique dans lequel tu te trouves ». Le joueur, quand il en a la possibilité, peut
transposer certains aspects de lui-même sur le personnage qu’il incarne, dans une sorte
d’identification projective, au sens de Mélanie Klein. Il mettrait en l’autre (l’objet), certains
aspects de sa personnalité dans le but de la contrôler ou de lui nuire.
Ce qui arrive au personnage a de l’importance pour Madcas, dès l’instant où il rentre dans le
jeu : « il y a un moment donné où tu oublies que t’es dans un jeu vidéo. Pour peu que tu
rentres complètement dedans, tu deviens tellement proche du personnage que s’il se fait taper,
132
t’as l’impression de souffrir psychologiquement, parce que tu crains en fait pour lui », « tu te
dis : il souffre, je souffre indirectement ». Nous retrouvons bien ici le phénomène
d’identification.
Madcas a parfois du mal à se décrocher du personnage, il lui arrive de rester un peu dans sa
peau après avoir fini la partie. De même en ce qui concerne le jeu en général, car « c’est un
voyage initiatique ».
Dans les périodes difficiles de sa vie, il joue surtout par substitution de sa propre vie. Cela lui
occupe l’esprit et lui évite de déprimer. « Et c’est intéressant à jouer par exemple un jeu
comme un RPG parce que tandis que tu vas être mal ou tu vas déprimer, tu vas passer sur la
console et tu vas commencer à jouer, tu vas commencer à rentrer dans la peau du personnage,
et tu vas faire en sorte que ce personnage-là soit il te ressemble d’une manière ou d’une autre
à un certain moment, ou soit tu vas rentrer dans sa peau et dans ce cas-là tu vas essayer de
ressentir ce qu’il pourrait ressentir au même moment ». Nous sommes exactement dans le
phénomène d’identification projective, mais aussi dans l’identification au sens freudien.
L’identification projective signifie ici que le joueur tend à mettre les mauvais aspects qu’il a
en lui (dépression) dans le personnage du jeu. On retrouve bien cette caractéristique dans le
jeu Silent Hill. Ceci permettrait peut être au sujet d’expulser ses sentiments à l’extérieur et de
faire du mal à quelqu’un d’autre. D’un autre côté, l’identification permettant une
revalorisation narcissique à proprement parler s’exercerait davantage dans des jeux de type
RPG par exemple, où le héros serait vu comme un modèle.
Les valeurs véhiculées par le jeu (l’amitié, la fidélité…) et le fait de devoir « se surpasser et se
sacrifier pour les autres » sont les raisons pour lesquelles Madcas joue aux RPG. Le jeu
amène donc le joueur à s’identifier au personnage, et cette identification va amener à une
revalorisation narcissique, le temps de la partie.
Quand Madcas bat un ennemi, il a des manifestations de joie car c’est une victoire par rapport
à lui-même et par rapport au personnage (en effet, il « rentre par substitution dans le
personnage »).
Lorsqu’on lui lisait des contes, Madcas « rentrait toujours dans le personnage ». Il lui est
arrivé plus tard d’inventer des films en imagination « dans lesquels il était le personnage
principal, le héros ». Puis il s’est imaginé dans des films qu’il avait déjà vus ou dans des jeux
vidéo auxquels il avait joués. « J’ai toujours essayé d’imaginer ce que donnerait le jeu vidéo si
133
je me mettais moi, des amis ou des acteurs ». Ceci nous confirme à nouveau l’identification
au Héros.
Madcas n’est pas très attiré par les mangas, même s’il en a lu «étant plus jeune (Dragon Ball
Z, Fly).
Pour lui, les héros de jeux vidéo sont inspirés des héros de films ou de livres. Le RPG prend
sa source dans la littérature (le Seigneur des Anneaux…), et c’est ce type de jeu qui lui
manquerait le plus, de par son univers, son héros et les valeurs qu’il véhicule.
En ce qui concerne l’avenir du jeu vidéo, « il a toujours été ludique, ça ça changera pas, il est
de plus en plus réaliste, de plus en plus vaste, de plus en plus beau et de plus en plus
spécialisé (horreur, pédagogie…), avec une intelligence artificielle de plus en plus élaborée.
Le héros aura une plus grande liberté et verra son destin influencé par les actions qu’il a mené
tout au long du jeu.
3.2) Analyse du TAT :
Premières impressions :
-
récits assez longs, riches et bien construits
-
plusieurs
récits
par
planche,
doute,
nombreux
changements
d’interprétation
-
choc à la planche 7 BM
-
beaucoup de références culturelles
-
bonne implication dans le test et bonnes capacités imaginatives
-
recours au fictif assez récurent
Planche 1 :
A1-4 : référence culturelle : « je pense aux Choristes là »
A3-1 : doute, précautions verbales : « oh je sais pas moi », « le violon ça pourrait être quoi
comme histoire ? »
B1-3 : expression d’affects : « il sait pas en faire donc il est triste »
A1-2 : précision temporelle : « vers les années 40 »
134
Au début du récit, le sujet n’aborde pas le contenu latent. Le petit garçon apprend la musique
et devient un grand musicien. Ce n’est que dans un second temps que le conflit est abordé, il
va porter sur l’impossibilité puis la difficulté à utiliser le violon dans l’immédiat : « il sait pas
en faire », « un chemin long et difficile », ce qui caractérise la position dépressive. Puis le
sujet va retourner la situation et donner un dénouement heureux : « mais il y arriverait à la fin,
il deviendrait super fort », ce qui dénote une position légèrement mégalomaniaque.
L’immaturité fonctionnelle est donc traitée, mais le sujet met en place des défenses de type
mégalomaniaque : « super fort » pour lui faire face.
Planche 2 :
B2-1 : commentaires personnels : « bah là en fait je vois… ouais je vois quoi ? »
CN3 : mise en tableau : « un cheval, un gars dans les champs »
A1-4 : référence culturelle : « RPG »
A3-1 : doute, hésitation entre plusieurs interprétations : « moi j’imagine plutôt une grosse…
un truc comme… »
A1-4 : référence culturelle : « Harvest Moon ».
Ici, le sujet change d’interprétation. Il part sur l’idée d’un RPG et termine sur un jeu de type
simulation : « tu pourrais cultiver à chaque fois pour vivre, t’alimenter… »
L’accent est davantage porté sur le quotidien, le récit relève de la description et de la
référence aux jeux vidéo. Nous avons bien la présence du cheval et du paysan dans leur
contexte, mais il y a omission des deux personnages féminins. Le contenu latent, qui renvoie
au triangle oedipien, n’est donc pas abordé. Il y a absence de conflit entre les personnages.
CI-2 : motif des conflits non précisé, anonymat des personnages, banalisation.
Planche 3 :
B1-3 : expression d’affects : « c’est quelqu’un qui souffre, quelqu’un de triste, quelqu’un qui
pleure » et CI-2 : anonymat du personnage
A1-4 : référence culturelle : « Silent Hill »
E2-1 : fabulation hors image : « quelqu’un qui retournerait en ville… ». On ne peut pas parler
d’une réelle fabulation en ce sens que le sujet ne délire pas, il nous décrit simplement le
scénario d’un jeu vidéo. Mais son récit est hors contexte et ne renvoie pas au dessin, qui
montre un personnage effondré.
B1-2 : introduction de personnage non figurant sur l’image : « sa fille ».
135
Le contenu latent est bien abordé, à savoir la position dépressive. Cependant, il y a une fuite
dans la réalité externe. Le sujet voit dans le dessin de la planche une référence à un
personnage de Silent Hill, et base son récit sur la scénario de ce jeu, comme pour trouver une
explication à cette position dépressive et l’insérer dans un contexte plus fictif. La fin reste en
suspends, comme la fin de Silent Hill, le joueur étant responsable des actes du personnage
qu’il incarne.
Planche 4 :
CN3 : mise en tableau : « les relations humaines »
B2-1 : commentaire personnel : « à quoi ça me fait penser ça ? »
A3-1 : doute, hésitation : « oh ça peut être plein de choses »
CI-2 : anonymat des personnages : « on dirait qu’ils se sont engueulés »
A3-1 : doute, hésitation : « ça me fait penser je sais pas »
B1-1 : mise en dialogue : « il faut que j’y aille », « non il faut pas que t’y ailles, pas bien, tu
vas mourir », « mais non je vais pas mourir, je suis fort » et B1-1 : accent porté sur les
relations interpersonnelles
A1-1 : attachement au détail : « vu la gueule qu’elle a »
A3-2 : annulation : « ou alors ça peut être tout con, il peut très bien aller au cinéma » et CF-1 :
accent porté sur le quotidien, le factuel, référence plaquée à la réalité externe
A3-1 : hésitation entre plusieurs interprétations : « je sais pas ça me fait plus penser… »
B1-1 : mise en dialogue : « je suis obligé d’y aller », « mais n’y va pas ».
Le contenu latent est abordé. Il renvoie à une relation de couple conflictuelle avec les pôles
agressivité/tendresse. Les personnages sont anonymes mais le conflit est bien précisé, avec
une tendance à la dramatisation. Nous sommes dans un contexte de guerre, mais on peut
toutefois remarquer une annulation laissant place à une autre interprétation, beaucoup plus
banale (la version du cinéma).
Planche 5 :
B2-1 : exclamation : « Oula ! »
CI-2 : anonymat du personnage : « quelqu’un »
CN1 : référence personnelle : « ça me fait penser à un film que je voulais aller voir au
cinéma ». Nous avons bien dans cette première version l’idée de quelqu’un qui pénètre dans
une pièce et regarde, mais le sujet ne précise pas qu’il s’agit d’une femme. Nous n’avons donc
pas de référence à l’image maternelle intrusive. Le récit est banalisé « quelqu’un qui se
136
promène dans une maison qui n’est pas la sienne », alors que son contenu ne l’est pas : « qui
prend des photos ». L’idée d’intrusion est réellement présente mais ne semble pas être un
danger. Le récit reste cantonné à de la description.
B2-1 : commentaire personnel : « qu’est-ce qui pourrait arriver dans cette maison ? »
A3-1 : hésitation entre plusieurs interprétations : « Maison hantée tiens pourquoi pas. C’est
pas mal ça aussi tiens », et mise en tableau CN3 pour « Maison hantée »
A2-1 : recours au fictif : « maison hantée », « phénomènes paranormaux », « fantômes »,
« monstres »
CI-2 : anonymat du personnage : « la meuf »
A1-1 : attachement au détail : « avec la tête un petit peu inquiète »
B2-1 : histoire à rebondissements
Dans cette version, le contexte est fantastique et fait penser à de l’épouvante. La tonalité est
morbide : « d’une famille avant qui a été assassinée ». Nous sommes dans un contexte assez
angoissant mais le personnage semble simplement « un petit peu inquiète », sa réaction est
banalisée. Le contenu latent est à nouveau abordé étant donné que le personnage « commence
à voir des trucs suspects » et « visite une pièce vide » qui est en fait remplie de monstres.
Nous avons donc un personnage féminin qui regarde.
Planche 6BM :
B2-1 : entrée directe dans l’expression : « Oula alors ça… »
A1-1 : attachement aux détails : « vu la tête du mec »
B2-1 : commentaire personnel : « mais bon ça fait bizarre »
CI-2 : anonymat des personnages : « mec », « la dame à gauche », « il », « un personnage »,
« un témoin ou un truc comme ça »
A3-1 : doute : « je sais pas très bien à quoi elle me fait penser », hésitations entre plusieurs
interprétations : « peut-être plutôt une enquête »
A1-1 : attachement aux détails : « avec son chapeau là »
Nous remarquons une fois de plus qu’il y a deux interprétations différentes. La première
renvoie au contenu latent en ce sens qu’elle traite de la problématique du deuil. Mais elle ne
renvoie pas explicitement à une relation mère-fils, puisque le sujet ne voit pas qui pourrait
être la dame. Il s’agit peut-être d’une défense, d’autant plus que Madcas va immédiatement
proposer une autre interprétation. Il s’agit alors d’une enquête, menée par un flic anti-héros,
torturé et qui a sombré dans l’alcool. Ceci fait référence, pour le sujet, à un film ou à un jeu
vidéo très sombre. En effet, nous retrouvons souvent ce type de personnage et de scénario au
137
début d’un film ou d’un jeu. Nous sommes donc à nouveau dans quelque chose de fictif, avec
ce recours au cinéma et au jeu vidéo.
Planche 7BM : choc
A3-1 : doute : « je sais pas » x 4
B1-1 : accent porté sur les relations interpersonnelles et banalisation « une discussion entre un
père et son fils, un truc tout banal »
CI-2 : le motif des conflits n’est pas vraiment précisé : « ils font la gueule, je ne sais pas de
quoi ils pourraient parler. De l’héritage, du futur… »
CI-1 : tendance à la restriction, silences : « … », « je sais pas »
Dans ce récit, le contenu latent est abordé, il y a bien un rapproché père-fils, et cela dans un
contexte de réticence. Mais cette réticence est d’emblée mise à l’écart pour une discussion
plus banale. Le sujet ne s’attarde pas sur le contenu de cette discussion.
Planche 8BM :
CM3 : rire, qui dénote une défense maniaque, ironie « très intéressant dis donc ça ! »
E1-1 : scotome du fusil, signe d’une défense par le refoulement
CI-2 : anonymat des personnages : « le mec », « lui »
B2-1 : commentaire personnel : « ouais ça fait un peu gore quand même »
A1-4 : référence culturelle : « Jack l’Eventreur » et recours au fictif A2-1
A3-1 : doute : « je sais pas ce que ça pourrait être comme histoire »
A1-4 : référence culturelle : « Frankenstein »
A1-2 : précision temporelle : « du 21ème siècle »
A1-1 : description avec attachement aux détails : « avec sa cravate », « il fait genre tout
propre »
A1-4 : référence culturelle : « X Files »
Dans le récit que nous livre le sujet, nous remarquons que les personnages des deux plans ne
sont pas liés. Au deuxième plan, l’histoire renvoie bien à une scène d’agressivité ouverte par
un adulte, un « professeur fou, qui découpe des gens pour faire des expériences dessus ». Ici,
l’agression corporelle est vécue au niveau de la destruction, les victimes sont tuées, puis
découpées. Le premier plan montre un homme du gouvernement, qui par conséquent serait
opposé à ces pratiques. Cependant, Madcas ne fait pas explicitement le lien entre des deux
scènes. Les nombreuses références culturelles ont pour but d’éviter l’apparition de
138
représentations et d’affects trop important, notamment de l’angoisse suscitée par la scène de
la planche.
Planche 10 :
A3-1 : doute : « je sais pas » x 4
B1-1 : accent porté sur les relations interpersonnelles : « un moment de tendresse entre deux
personnages », « un moment de partage ».
Le contenu latent de cette planche renvoie à l’expression libidinale au niveau du couple. Mais
l’image est assez floue et peut laisser place à différentes interprétations quant au sexe et à
l’âge des deux personnages. Le sujet évoque ici la relation de tendresse entre une mère (ou
une grand-mère) et son fils. Ceci est important dans la mesure où il n’avait pas abordé la
triangulation à la planche 2, ni le rapproché mère-fils dans un contexte dramatique à la
planche 6 BM. Les relations traitées ici sont donc familiales, et ne concernent pas le couple.
Planche 11 :
B2-1 : commentaire personnel : « mais c’est bien, ça me plait bien ça moi »
A1-4 : référence culturelle : « RPG »
A3-1 : doute : « je sais pas très bien ce qu’on dirait »
A2-1 : recours au fictif : « dragon », « monstres »
A1-1 : attachement aux détails : « à cause de la patte-là »
A1-4 : référence culturelle : « Le Seigneur des Anneaux »
CN3 : la première partie du récit est caractérisée par une mise en tableau. Le sujet décrit, fige
la planche : « je vois une sorte de muraille », « un dragon », « avec les monstres, les héros qui
se promènent », « La quête quoi », « L’aventure »
B1-1 : accent porté sur les relations interpersonnelles : « la dragon, il a l’air de les
poursuivre »
E2-3 : expression crue liée à une thématique agressive : « il va essayer de les bouffer »
A3-1 : hésitations « …je sais pas combien ils sont là », « je sais pas peut-être… »
Cette planche permet la réactivation d’une problématique prégénitale.
La seconde partie du récit est plus élaborée, nous sommes ici en présence d’éléments
structurés, comme la muraille et le pont, qui peuvent permettre la remontée vers un niveau
moins archaïque. Cependant, les termes employés sont crus « de les bouffer », ce qui montre
un envahissement par des représentations et des affects massifs qui sont impossible à contenir.
139
Pour se défendre de ces représentations et affects massifs, Madcas poursuit en disant que les
personnages sont plus forts « il va essayer de les bouffer mais ils sont plus forts ».
Le récit devient alors assez flou, peu logique, allant presque jusqu’au contresens. Les trois
personnages qui sont sensés être plus forts que le dragon n’arriveront pas à le battre, du fait de
leur nombre. L’idée d’un éboulement est par la suite formulée « un truc qui va s’effondrer »,
éboulement qui serait provoqué par les personnages. Cette idée est très significative à cette
planche en ce sens qu’elle fait référence à des angoisses de type archaïque. Nous pouvons
donc avancer que le recours au fictif et la soi-disant victoire des héros ne font que masquer
des angoisses archaïques présentes chez le sujet.
Planche 12 BG :
B2-1 : entrée directe dans l’expression, exclamation: « Oh une barque! »
A1-4 : référence culturelle : « jeux de rôles »
Le début et la fin du récit fourni par Madcas relève de la description et d’un appui sur le
percept, le sensoriel CL2 : « je vois pas ça bouger », « le vent qui pousse légèrement les
feuillages », « la barque je la vois pas bouger ». Ceci montre une instabilité des limites, le
sujet est dans la planche.
A3-1 : au milieu du récit, Madcas nous donne deux autres interprétations, puis finit par
revenir sur sa première réponse. Il semble hésiter entre plusieurs versions : « A moins qu’il y
ait un papy…ou alors un truc… »
A3-2 : annulation : « vachement plus poussé comme… comme, bah non remarque peut-être
pas un chevalier » et recours au fictif A2-1
B1-2 : introduction de personnages non figurants sur l’image : « papy et son petit fils »,
«chevalier »
La planche 12 BG renvoie à la capacité à être seul. Ici, le récit est dominé par l’hésitation
entre plusieurs scénarios, pour enfin revenir sur quelque chose de très simple, basé sur le
ressenti. Nous notons beaucoup de remaniements, mais le contenu latent est abordé. Madcas
n’éprouve pas le besoin de faire intervenir des personnages dans sa réponse finale. Toutefois,
il y a appui sur le percept et le sensoriel.
Planche 13B :
CN3 : mise en tableau : « un petit bonhomme devant une porte… là je pense à l’abandon là »
B1-2 : introduction de personnages non figurants sur l’image : « son père », « sa mère »
140
CN4 : insistance sur le contraste entre lumière à l’extérieur et intérieur très noir : « avec le
noir derrière les ténèbres, devant le petit garçon ». Cette insistance sur les limites renvoie à
l’investissement de l’enveloppe corporelle et au renforcement de la frontière dedans/dehors.
Elle se caractérise par l’accent porté sur la délimitation d’un espace ou sur des qualités
sensorielles (luminosité…).
Le contenu latent de cette planche renvoie à la capacité à être seul. L’accent porte sur
l’immaturité fonctionnelle et la précarité du refuge maternel symbolisé par la cabane. Le
thème de l’abandon et le fait de voir l’intérieur de la cabane comme des ténèbres montrent des
représentations massives. Nous remarquons que le sujet n’a pas la possibilité de se maintenir
dans sa continuité d’être alors que l’objet est absent (les parents). Cela signifie que l’objet n’a
pas été intériorisé. Madcas va mobiliser des défenses face à cela et va changer la tournure de
son récit : « non je vois pour l’instant un gosse qui attend on va dire, qui attend ses parents ».
Dans cette version, le retour des parents est sous-entendu.
Le récit est encore hésitant, mais il s’agit ici d’une inhibition, avec des procédés CI-1 : « je
sais pas moi », « j’en sais rien ». Cette inhibition constitue une défense pour éviter le
surgissement de l’angoisse de perte d’objet.
Planche 13 MF :
B2-1 : entrée directe dans l’expression, commentaire personnel : « Alors là c’est mal barré,
qu’est-ce qu’il s’est produit là ? »
A3-4 : affect minimisé : « à une femme morte, à un mec qui est pas content »
CI-2 : anonymat des personnages : « une femme », « le mec »
Le contenu latent renvoie à l’expression de la sexualité et de l’agressivité dans le couple.
Cette planche sollicite également une fantasmatique mortifère. Elle fait ressurgir la question
de la perte violente et de la destruction, et peut générer des affects et des représentations
massifs. Ici, le conflit lié à la sexualité et à l’agressivité dans le couple est absent. Les deux
personnages ne semblent avoir aucun lien (A3-4 : isolation entre représentations ou entre
représentation et affect). De plus, les affects sont minimisés, dans la mesure où l’homme
devrait être totalement paniqué, choqué par la mort de la femme. A la place de cela, il n’est
« pas content », et « réfléchit très calmement », de peur d’être inculpé pour un meurtre qu’il
n’a pas commis. Ce récit fait penser à une fiction (film, livre ou jeu vidéo), où le héros est
recherché par la police alors qu’il n’est pas coupable.
141
Planche 19 :
B2-1 : exclamation : « Oula ! »
B2-1 : commentaires personnels : « c’est très bizarre », « mais un peu dessiné à l’arrache
quand même »
A1-1 : description avec attachement aux détails : « avec clairement des roulottes, clairement
l’avant, clairement la fumée de cheminée ici »
A3-1 : hésitation entre plusieurs interprétations : « mais sinon ça fait une maison »
Cette planche est sensée réactiver une problématique prégénitale. Nous constatons ici
l’évocation d’un environnement contenant, il s’agit en effet d’une maison habitée. Le dessin
évoque pour le sujet le côté « douceur du foyer », donc quelque chose de protecteur (image
maternelle protectrice).
Planche 16 :
CM3 : ironie : « très intéressant comme dessin ça »
A3-1 : doute, hésitation : « non le blanc je vois pas très bien ce que je pourrais dire »
CL2 : appui sur le percept, le sensoriel : « c’est relaxant, couché sur le sol, dans l’herbe »
CM3 : humour : « C’est le monochrome de White Man »
A3-1 : doute : « non à part ça… ou les nuages »
Cette planche renvoyant directement à la manière dont le sujet structure ses objets privilégiés
(internes et externes) et aux relations qu’il établit avec eux, la réponse de Madcas serait peut
être en rapport avec son besoin d’évasion, sa volonté de se plonger dans des rêveries, de
laisser libre cours à son imagination.
Procédés majoritaires :
A1-1 +++ A1-4 +++
Les descriptions avec attachement aux détails avec ou sans justification de l’interprétation
mettent l’accent sur l’utilisation de la réalité objective pour éviter l’apparition de
représentations et d’affects réactivés par la planche.
A2-1 : +++
Ce procédé témoigne des capacités de dégagement du sujet, et de sa capacité à distinguer
l’intérieur de l’extérieur, le dedans du dehors. Le sujet met à distance la situation qu’il aborde
en mettant au premier plan une tonalité imaginaire, et transpose le conflit en scène de film ou
de jeu vidéo. Le A2-1 insiste sur la dimension fictive, ce qui permet une relance de la
conflictualisation du récit.
142
A3-1 +++ A3-2 +
Le doute se traduit par de nombreuses précautions verbales, par l’hésitation entre des
interprétations différentes, des thèmes multiples avec difficultés à choisir ou à privilégier l’un
d’eux. Ceci est caractéristique du mode de pensée obsessionnelle.
B2-1 +++
Nous remarquons beaucoup d’entrées directes dans l’expression tout au long du protocole.
Ceci montre les sentiments éprouvés par le sujet face à la situation.
B1-2 + B1-1 +
Les procédés B1-2 rendent compte de l’existence d’un espace psychique interne, de la
capacité à prendre une relative distance vis-à-vis de la réalité externe, et participent au jeu
avec l’imaginaire.
Les mises en dialogue donnent une tonalité très labile au récit et participent à la mise en scène
du conflit à travers les relations entre les personnages.
CI-2 +++
Les motifs des conflits ne sont pas précisés, il y a anonymat des personnages dans un bon
nombre de planches. L’anonymat des personnages permet au sujet de prendre un certain recul
face aux sollicitations latentes de la planche. Tout ceci renvoie à l’inhibition et à l’évitement
du conflit.
CN-3 ++
La mise en tableau est très présente dans ce protocole et correspond à l’investissement
narcissique. Elle renvoie aux tentatives d’inhibition pulsionnelle par l’immobilisation dans
des scènes.
143
IV
DISCUSSION
144
DISCUSSION
La présente analyse des résultats fait ressortir des éléments en faveur de notre première
hypothèse qui postulait une identification au héros dans les jeux vidéo, en lien avec la vision
culturelle du héros (mythes, contes, cinéma). Les entretiens fournissent un grand nombre
d’indices allant dans le sens d’une identification partielle. Le joueur s’identifie à un ou
plusieurs aspects du personnage, principalement à sa personnalité. Il s’agit parfois d’une
identification par sympathie lorsque le sujet éprouve de l’empathie pour le héros (lorsqu’il
meurt par exemple).
Les résultats montrent une définition du héros étroitement en lien avec les personnages des
mythes, contes et mangas : le héros est vu au départ comme quelqu’un d’ordinaire, qui va
acquérir certaines qualités au fur et à mesure des épreuves, qui va combattre des ennemis et
être amené à avoir un destin hors du commun.
Cet appui sur la culture est très présent au TAT chez Squall et Madcas. Nous constatons en
effet beaucoup de références culturelles (jeux vidéo, films, livres), ainsi qu’un recours au
fictif et au fantastique. Le Héros prend donc une place importante dans la pensée des deux
joueurs. Leurs récits sont également marqués par une inhibition quant aux motifs des conflits
et aux caractéristiques et intentions des personnages. Anji, quant à lui, fournit des réponses
différentes, avec très peu de références culturelles et de recours au fictif, mais par contre avec
de grandes capacités narratives et imaginatives. L’identification au héros se remarque par une
porosité des limites entre narrateur et sujet de l’histoire. La mise en tableau, aussi présente
chez Madcas, révèle une volonté de créer une histoire se rapprochant d’un film ou d’un jeu,
par l’évocation d’un titre.
L’analyse des résultats va aussi dans le sens de notre seconde hypothèse, à savoir que
l’identification au héros engendrerait une revalorisation narcissique. Ceci est observable dans
les trois entretiens : le héros possède des qualités valorisantes pour le joueur. Pour les trois
sujets, le héros idéal aurait à la fois des caractéristiques propres aux leurs (physiques) et à la
fois une personnalité plus affirmée (charisme).
Dans le cas d’Anji, le héros devient un modèle qu’il faut suivre. Ceci fait directement
référence à l’Idéal du moi qu’avait décrit Freud pour l’identification. Anji se créer des mondes
145
totalement imaginaires où il est le héros et semble s’évader plus que les autres. Le TAT fait
ressortir des éléments marquant une problématique narcissique : le héros et les autres
personnages sont parfois flous, il y a absence de conflit, un grand nombre de descriptions qui
montrent une jouissance à décrire, une mise en tableau, un surinvestissement du travail
sensoriel, une confusion entre le héros et l’interprétant… Les procédés qui caractérisent ce
mode de fonctionnement sont présents en grande quantité dans le TAT.
Nous pouvons avancer que le besoin d’évasion d’Anji dans des mondes virtuels et
fantastiques, de s’identifier à un héros et de prendre un héros comme modèle dont il s’inspire
pour son mode de vie est corrélé à cette problématique narcissique. Notre seconde hypothèse
affirmant que le joueur régulier présente une faille narcissique qui l’amène à s’identifier à un
personnage sûr et valorisant est en partie confirmée avec Anji. Plus la faille narcissique est
importante, plus il y a identification au héros (mais cette identification se révèle fragile dans
certaines planches du TAT). L’Idéal du moi se trouvant renforcé (l’individu place la barre très
haut) au dépend du moi.
146
CONCLUSION
Les résultats ont permis de vérifier en grande partie nos hypothèses, mais la revalorisation
narcissique mérite un approfondissement plus poussé. En effet, il a été difficile d’observer et
d’analyser ce phénomène. Il serait par conséquent judicieux d’effectuer cette recherche sur un
plus grand nombre d’individus.
Il aurait été également intéressant d’étudier le phénomène d’identification au héros dans les
jeux vidéo chez les filles.
Les jeux vidéo prenant de plus en plus d’ampleur dans notre société actuelle au point de
devenir le loisir privilégié des jeunes, il me paraissait primordial de s’y intéresser de plus près.
En effet, nous savons que l’individu se forme à travers une série d’identifications. Or nous
nous trouvons maintenant en face d’une génération de jeunes adultes qui s’identifient à des
personnages virtuels dont les capacités et le rôle dépassent largement celles d’un être humain
ordinaire (armes et pouvoirs magiques, destin extraordinaire…).
Il me semble donc que l’identification et la revalorisation narcissique apportent à l’individu
une meilleure image de lui-même et l’aident à se créer un idéal à atteindre. Toutefois, nous
pouvons nous demander s’il ne s’agit pas d’un palliatif, la société actuelle n’apportant peut
être plus aux jeunes des modèles et des valeurs sûrs.
147
BIBLIOGRAPHIE
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WINNICOTT, D.W. (1971). Jeu et Réalité. Paris, Gallimard, 1975.
Documentaires télévisuels :
GAME OVER, diffusé le 11/01/05 à 8h30 sur Planète
Liens Internet :
http://www.tout-savoir.net
http://www.carnetpsy.com
http://www.esrb.org
http://www.ffdream.com/?cat=encyclopedie&rub=cliches_rpg
http://www.journaldunet.com
149
ANNEXES
150
PLAN DES ANNEXES
Annexe 1: Biographies principales
p 152
Annexe 2 : Métiers dans les jeux vidéo
p 154
Annexe 3: Estimation du contenu des jeux vidéo
p 158
Annexe 4: La grande liste des clichés des RPG sur console,
par un joueur passionné
p 161
151
ANNEXE 1 : BIOGRAPHIES PRINCIPALES
Sigmund Freud :
Sigmund Freud (1856-1939) était issu d’une famille juive, famille qui s’installe à Vienne
lorsqu’il a 4 ans. Il s’orienta vers des études de médecine en 1873 et entre en 1876 dans le
laboratoire de physiologie de E. Von Brucke où il fit des recherches sur le système nerveux. Il
se lia d’amitié avec J. Breuer puis termina ses études de médecine en 1881. En 1883, il entra
dans le service de psychiatrie de T. Meynert. Il partit à Paris faire un stage chez J. M Charcot
à la Salpétrière en 1885. Là, il observa les manifestations de l’hystérie et les effets de
l’hypnotisme et de la suggestion. De retour à Vienne, il ouvrit un cabinet privé, et se fit une
clientèle (surtout hystérique) qu’il soigna par électrothérapie et hypnose. Il revint en 1889 en
France, à Nancy, pour étudier les méthodes de Bernheim. Il va peu à peu abandonner
l’hypnose et y substituer l’état de relaxation chez le patient. En 1886, il rompit avec Breuer.
Pendant dix ans, il n’aura ni disciples ni collaborateurs, consacrant son activité au traitement
des malades et en créant la psychanalyse. Il découvrit l’Œdipe en 1897, et publia
l’Interprétation des rêves en 1900. C’est en 1908 qu’est fondée la Société Psychanalytique de
Vienne. Freud correspond avec Bleuler à partir de 1904 et reçoit en 1907 la visite de son
assistant C. Jung. Ce dernier va fonder à Zurich la Société Freud et participer à des congrès et
des conférences avec Freud. Freud rompit avec Jung en 1911, puis avec Rank (1924) et
Ferenczi (1929). Il a introduit les concepts de Conscient, Inconscient, Préconscient (1ère
topique), de Moi, Ca, Surmoi (2ème topique), la théorie des pulsions, le principe de plasir et de
réalité, le complexe d’Œdipe, la théorie du narcissisme…
Mélanie Klein :
Mélanie Klein (1882-1960) a élaboré sa thèse à partir de son travail avec les enfants. Elle a
mis en évidence les mécanismes de projection et d’introjection, liés au clivage de l’objet et du
self, qui contribuent à instituer un premier mode différencié. Elle a évoqué les concepts
d’objet partiel et d’objet total, de position « schizo-paranoide » et « dépressive », puis
d’identification projective et introjective, et enfin le concept d’envie (Envie et gratitude).
152
Donald Woods Winnicott :
Donald Woods Winnicott (1896-1971) a travaillé pendant une quarantaine d’années en tant
que pédiatre au Paddigton Green Children’s Hospital. Il s’est opposé aux traitements par
électrochocs en intervenant à maintes reprises dans le British Medical Journal. Il s’intéressa
ensuite à la psychanalyse, il fut d’ailleurs membre puis président de la Société britannique de
Psychanalyse (de 1956 à 1959 et de 1965 à 1968). Il s’est beaucoup appuyé sur l’œuvre de
Freud : il évoque les concepts du Moi, du Ça, du Surmoi, de la censure, de qualité et de
quantité des processus, de régression à des points de fixation…mais a également introduit de
nouveaux concepts, comme ceux de phénomènes et d’objets transitionnels.
Jacques Lacan :
Jacques Marie Lacan (1901-1981) a passé sa thèse de psychiatrie en 1939 et a suivi une
psychanalyse la même année avec R. Loewenstein. Il s’est beaucoup rattaché aux thèses
freudiennes et a introduit le concept du « stade du miroir » en 1936. Il enseigna dix ans à St
Anne puis fut chargé de conférences à l’Ecole pratique des hautes études. En 1964, il fonda sa
propre école, l’Ecole Freudienne de Paris, qu’il dissoudra en 1980. L’essentiel de sa théorie à
consisté à proposer ces deux énoncés corrélatifs : « l’inconscient est le discours de l’Autre »,
et « l’inconscient est structuré comme un langage ».
153
ANNEXE 2 : METIERS DANS LES JEUX VIDEO
Il faut savoir que toute personne travaillant dans la conception d’un jeu a une fonction bien
particulière.
- le graphiste décor : il s’occupe des décors. Côté création, le graphiste donne au produit
son identité visuelle qui repose sur la qualité de l'interface graphique (habillage des écrans,
codes couleurs et typographiques, animation des textes et images, intégration des textes). Côté
exécution, il assure l'homogénéité de la charte visuelle sur l'ensemble des écrans.
- le character designer : c’est le graphiste s’occupant des personnages, il décide du
graphisme des personnages.
- l’animateur : il se charge des éléments graphiques à animer. Son travail consiste à
mettre en mouvement des éléments d’une image pour créer une impression de continuité entre
deux situations. L’animation multimédia associe les techniques du dessin animé traditionnel
aux manipulations d’images numériques
- le modeleur : construit des choses en 3D
- l’infographiste : c’est un terme général qui désigne une personne faisant du graphisme
avec l'informatique : il est soit modeleur, animateur… Un graphiste s’occupe soit des décors,
soit des personnages, soit des interfaces (images en 2D ou 3D), et est donc généralement
infographiste
- le level designer : il s’occupe de la mécanique de jeu d’un niveau
- le sound designer : c’est l’illustrateur sonore : il s’occupe des sons, des dialogues et de la
musique d’accompagnement
- le game designer : il s’occupe de la mécanique gameplay. Le gameplay est la mécanique
du jeu, elle comprend les règles, la maniabilité, la physique du jeu… C’est en fait le
croisement de plusieurs choses : la manière dont le joueur va s’identifier au personnage
principal, il sert donc à faire entrer dans le jeu. A partir de là, on va lui donner plusieurs
éléments : un scénario, une base de jeu, une architecture de jeu, un univers, des ingrédients de
cet univers (des compétences, des armes, des pouvoirs, de l’expérience…) et il faudra
l’exploiter de manière intéressante, pour que je joueur se sente transcendé. C’est en quelque
sorte le cerveau du jeu. L’activité du game designer consiste à traduire un scénario écrit en jeu
virtuel avec personnages et décors. L’ensemble doit être animé par des actions, des interfaces,
154
des phases de jeu, des protagonistes surprenants et différents niveaux de difficulté. Le game
designer doit créer un univers ludique et captivant pour le joueur. À lui d’imaginer le
comportement des héros du jeu et de trouver des épreuves inédites : attaque, contre-attaque,
héros, ennemis… Mais il doit aussi veiller aux coûts de développement
- le programmeur : il travaille sur la conception moteur. Il assemble les différents médias
intervenant dans le projet en rédigeant les lignes de codes constituant le programme. Ce
dernier est conçu pour être modifié en fonction des nouvelles versions prévues. En résumé, le
rôle du programmeur est de traduire en langage informatique. Depuis les analyses de
faisabilité technique faites par le développeur, en fonction des volontés initiales quant à la
forme et au contenu du projet, le programmeur rédige les lignes de code appropriées pour le
bon fonctionnement des composants et des capacités données au jeu. Il traduit en langage
informatique et assemble textes, images, sons et vidéos.
- le développeur : il traduit les orientations graphiques et éditoriales en langage de
programmation. Dès la phase de conception du projet, il étudie sa faisabilité, participe à la
rédaction du cahier des charges et collabore avec les créatifs. Le développeur transforme le
contenu et les choix éditoriaux, graphiques et artistiques en langage de programmation. Il
influe ainsi plus ou moins sur les choix liés à l'arborescence et la navigation. Lorsque les
possibilités techniques et les volontés de départ sont en phase, le développeur participe à la
rédaction du cahier des charges final et peut alors commencer à écrire des lignes de code qui
constituent l'ossature architecturale de tout programme informatique. Le développeur est
souvent mobilisé pour la conception de la base de données et la mise en place du moteur de
recherche interne capable d'aller puiser dans l'ensemble des ressources en fonction de la
requête de l'utilisateur.
- le testeur : il a pour fonction de tester les jeux. Il passe des heures à jouer pour repérer
les bugs et pour tester la maniabilité
Chaque fonction a un ou plusieurs supérieurs :
- le directeur artistique (ou art director) : il est le garant de la qualité artistique et
graphique. C’est à lui qu’incombe la responsabilité de mettre en pratique toutes les idées et les
directives de l’auteur. Il a la lourde tâche de diriger la conception de l’ensemble du produit
dans son aspect extérieur. Pour cela, il lui faut superviser comment implanter les différents
médias proposés (animations, images 3D, son, musique...) et comment arriver à les assembler
dans un tout artistique cohérent, attractif et parfaitement interactif. Il dirige l’équipe graphique
155
et artistique de création et de réalisation. Il joue souvent le rôle d'intermédiaire direct entre
l’auteur et le réalisateur.
- le directeur technique : il est responsable du développement informatique du projet. Son
premier travail consiste à définir, sur la base du scénario, la bonne solution informatique et
technique. Il évalue la faisabilité technique et propose des traitements informatiques à
l’écriture interactive en accord avec le réalisateur et les partenaires de la création. Il établit les
besoins entre les collaborateurs (programmeurs…). Il décide de l’installation des
équipements, machines ou réseaux multimédias pour le développement informatique et il met
en place le studio technique. Par la suite, il coordonne la programmation et il valide les choix
techniques. Il veille également à optimiser le développement afin d’atténuer les coûts et
d’éviter le maximum de risques de dépassement de budget.
- le chef de projet ou réalisateur : il coordonne toute l’équipe et joue un rôle pivot dans la
fabrication du jeu vidéo. Il est engagé par le producteur, dans la plupart des cas, dès la genèse
du projet et il collabore déjà avec l’auteur, le directeur artistique et le scénariste lors de la
mise au point du scénario. Ensuite, c’est lui qui est responsable de l’évaluation des moyens
nécessaires pour mener à bien la réalisation proprement dite du projet à la fois en hommes et
en matériel. Lorsque tout est mis en place, il consulte toute l’équipe afin d’établir le planning
et il fait en sorte que tout se passe bien dans le respect des délais. Le réalisateur est en quelque
sorte le ‘chef d’orchestre’ à la fois pour la création et la réalisation.
- le producteur : il prend en charge toute la gestion de la production. Il est ainsi
responsable de la bonne conduite de l’ensemble des activités de création, de fabrication, de
mise en forme, d’enregistrement et de distribution au public. C’est lui qui s’occupe des
contrats de travail des divers intervenants : auteur(s), réalisateur, scénariste(s), directeur
artistique, directeur technique... C’est également lui qui examine les possibilités en matière de
ressources. Il s’occupe de la location ou de l’achat du matériel : stations de travail multimédia,
postes d’infographie, périphériques, matériels de numérisation ou de stockage de données...
Bien qu’il ne soit pas entièrement mobilisé par les productions qu’il gère, le producteur doit
cependant exercer un contrôle constant sur la qualité du travail. Son interlocuteur privilégié
est le réalisateur (ou chef de projet) et ses instruments de référence sont le planning et le
budget prévisionnel. Il doit se débrouiller avec l’enveloppe budgétaire qu’il reçoit de
l’éditeur. Un bon producteur multimédia est donc également amené à avoir des connaissances
de commerce, de droit et de finances. En résumé, le producteur est le maître d’œuvre du
projet.
156
- l’éditeur : il joue un rôle central dans tout projet multimédia. C’est lui qui a le pouvoir de
décider d’un nouveau projet et qui est responsable de l’ensemble de la production. Il apporte à
la fois les capitaux et le savoir-faire. Il est non seulement à la base du financement, mais il
peut aussi être à la base de l’idée. Pour cela, il étudie le marché, il sent les secteurs qui se
mettent en place et il repère où se situent les demandes.
[Par exemple, le graphiste décor va travailler sous les ordres du producteur, du directeur
artistique mais aussi du directeur technique. Mais il faut savoir que toute l’équipe travaille
ensemble pour viser un résultat à la fois performant et cohérent.]
Sources :
http://mrw.wallonie.be/dgtre/fiches/presenta.htm
http://www.ecole-multimedia.com/observatoire/fiches_metiers.html
157
ANNEXE 3 : ESTIMATION DU CONTENU DES JEUX VIDÉO
Sept symboles d’estimation existent :
E.C : Early E:
E.10+:
T:
M:
A.O: Adults R.P: Rating
Childhood
Everyone
Everyone
Teen
Mature
Only
3 ans et +
6 ans et +
10 ans et +
13 ans et +
17 ans et +
18 ans et +
Ne contient Contient le
Contient
Peut
Contient
Contient
Attente des
aucun
simple
plus de
contenir de
des thèmes
des images
données
matériel
dessin
dessins
la violence, sexuels
crues de
finales pour
que les
animé, avec animés, peu de
pour
sexe et/ou
attribuer au
parents
une infime
de violence, l’humour
adultes, une de violence jeu un
jugeraient
violence,
de langage
violence et
inadéquat
sans propos cru et peu
peu de sang des injures
vulgaires
de thèmes
et peu
plus
suggestifs
d’injures
intenses
crue, mais
Pending
symbole
Descriptifs de contenus d’ESRB:
•
Alcohol Reference – Référence aux boissons alcoolisées
•
Animated Blood – Représentation décolorée et non-réaliste du sang
•
Blood – Représentation du sang
•
Blood and Gore – Représentation du sang ou de membres du corps mutilés
•
Cartoon Violence - Actions violentes impliquant des dessins animés et qui ont lieu
dans certaines situations et chez certains personnages. Cette catégorie incluse les cas
où le personnage est indemne après qu’un coup lui ait été infligé
•
Comic Mischief – Représentations ou dialogues comportant des farces et qui
suggèrent de l’humour
158
•
Crude Humor – Représentations ou dialogues impliquant u humour cru, légèrement
vulgaire
•
Drug Reference – Référence aux drogues
•
Edutainment - Contient du matériel qui propose au joueur un apprentissage : soit un
développement soit un renforcement des capacités dans un ou plus plusieurs
domaines, et ce dans un contexte interactif. Ceci est une catégorie à part entière.
•
Fantasy Violence – Actions violentes de nature fantaisiste, impliquant des
personnages humains ou non-humains dans des situations que l’on peut facilement
distinguer du monde réel.
•
Informational – Contient des données, des faits, des textes instructifs, une source
d'informations
•
Intense Violence – Représentation réaliste des combats. Peut inclure du sang, des
armes, des hommes blessés ou morts. Contenu souvent gore.
•
Language – Usage modéré d’injures, d’insultes
•
Lyrics – Légères références à la sexualité, la violence, l’alcool, la drogue, et aux
propos injurieux dans la musique du jeu
•
Mature Humor – Représentations ou dialogues impliquant un humour « adulte », à
connotation sexuelle
•
Mild Violence – Scènes peu violentes représentant des personnages dans des
situations dangereuses
•
Nudity – Représentations assez prolongées et crues de personnages nus
•
Partial Nudity – Représentations brèves et partielles de nudité
•
Real Gambling – Le joueur peut miser, faire des paris avec son véritable argent
•
Sexual Themes – Légères références et représentations sexuelles, nudité partielle
•
Sexual Violence – Représentation de viols ou autres actes sexuels
•
Simulated Gambling – Le joueur joue en misant de l’argent et en faisant des paris,
mais cela reste une simulation, il ne dépense rien
•
Some Adult Assistance May Be Needed – Requiert l’aide d’un adulte et concerne les
enfants très jeunes
•
Strong Language – Utilisation fréquente et explicite d’injures
•
Strong Lyrics – Références fréquentes et explicites au sexe, à la violence, à l’alcool
ou aux drogues dans la musique du jeu, avec propos vulgaires
•
Strong Sexual Content – Références crues ou représentations de comportements
sexuels, qui incluent parfois la nudité
159
•
Suggestive Themes – Références ou représentations légèrement provocantes
•
Tobacco Reference – Référence aux produits du tabac
•
Use of Drugs – Consommation ou utilisation de drogues
•
Use of Alcohol – Consommation d’alcool
•
Use of Tobacco – Consommation de tabac
•
Violence – Scènes impliquant des combats violents, agressifs
Source: http://www.ersb.org/
160
ANNEXE 4 : LA GRANDE LISTE DES CLICHÉS DES RPG
SUR CONSOLE, PAR UN JOUEUR PASSIONNÉ
Cette liste comprenant au total 193 points, voici les principaux :
La/le ville/village/hameau/planète du héros est généralement anéanti(e) d'une manière
spectaculaire avant la fin du jeu, et souvent même durant la séquence d'ouverture.
Peu importe de quoi elle est accusée ou le degré de mystère qui entoure ses origines, le héros
est toujours prêt à risquer sa vie pour une fille qu'il a rencontré trois secondes plus tôt. Ladite
fille mystérieuse porte un pendentif qui se révèlera être l'élément nécessaire au sauvetage du
monde ou à sa destruction.
Dans un RPG, les personnages sont jeunes. Très jeunes. L'âge moyen semble être 15 ans, à
moins que le personnage ne soit un soldat vétéran, auquel cas il peut avoir jusqu'à 18 ans. Ces
adolescents sont souvent capables d'utiliser de nombreuses armes et magies, ont plusieurs
années d'expérience, et ne se soucient jamais du fait que leurs parents aimeraient bien qu'ils
soient rentrés de leurs aventures pour le dîner. A l'opposé, les personnages de plus de 22 ans
se considèrent allègrement comme de vieux routard fatigués qui souhaitent passer la main aux
jeunes.
On n'a presque jamais entendu parler d'un personnage de RPG dont les deux parents sont en
vie. En général, les personnages masculins ont seulement une mère, et les personnages
féminins seulement un père. Pour ce qui est du parent manquant, soit il/elle a disparu
mystérieusement plusieurs années auparavant, soit il/elle n'est jamais mentionné/e. Bien
souvent, le parent restant du personnage principal meurt peu après le début du jeu, ce qui
libère le héros de toute obligation filiale gênante.
Les gentils ont seulement un prénom, et les méchants ont seulement un nom de famille. Si un
méchant a un prénom, il deviendra un gentil à un moment ou à un autre.
Il y a toujours un donjon de feu, un donjon de glace, un labyrinthe dans les égouts, une forêt
brumeuse, un vieux bateau fantôme, une mine, un labyrinthe avec de jolis cristaux partout, un
temple ancien rempli de pièges, un château volant royaume de la magie, et un donjon
technologique.
161
A ce propos, la technologie est mauvaise en soi et est la propriété exclusive des méchants. Ce
sont eux qui ont les robots, les usines, les mégalopoles cyberpunk et les forteresses volantes ;
alors que les gentils vivent dans de petits villages paisibles, en harmonie avec la nature.
De plus, quel que soit le niveau de richesse, de gloire et de puissance du héros ou de sa
famille avant le début du jeu, il sera destitué et presque ruiné quand le jeu démarrera
vraiment.
Vous recruterez au moins trois personnages parmi ceux-ci :
o
La princesse "pile électrique" qui se rebelle contre ses parents et qui est amoureuse du
héros.
o
La douce mage réservée spécialisée dans la magie curative qui, en plus d'être
amoureuse du héros, est aussi la dernière survivante d'une ancienne civilisation.
o
La guerrière indomptable qui n'est pas amoureuse du héros (à noter qu'il s'agit du seul
personnage féminin du jeu qui ne soit pas amoureuse du héros, et qu'en conséquence,
elle est signalée comme telle par la présence d'une mutilation ou d'une difformité
frappante (cicatrice, oeil manquant, membre cybernétique, ...). Voir Le Bon, le
Méchant et le Moche.
o
Le classieux guerrier gothique miné par un passé tragique.
o
La grosse brute soupe au lait qui, en fait, a un coeur d'artichaut.
o
Le meilleur ami du héros (qui est un personnage largement supérieur au héros).
o
Le mercenaire taciturne et égoïste qui, au fil du jeu, apprend à se dévouer pour les
autres.
o
L'espion(ne) au service des méchants qui retourne sa veste dès que vous le/la
démasquez.
o
Le personnage bonus bizarre qui requiert une tripotée de quêtes annexes pour devenir
efficace (ce qui fait qu'au final, aucun joueur ne l'utilise à moins d'y être forcé).
o
L'écoeurante mascotte kawaii qui est totalement inutile en combat.
Vous serez aussi amené à affronter au moins trois adversaires parmi ceux-là :
o
Le type excessivement stylé, mignon et méchant (et en plus il a les cheveux longs) qui
peut ou non être le grand méchant.
o
Le bras droit du grand méchant, qui peut être
162
Tellement incompétent qu'il en est drôle
Tellement tenace qu'il en est énervant
o
L'alliée du grand méchant, qui est la plus fine lame et la meilleure soldate qui soit,
mais qui laisse toujours filer le héros et ses amis car, bien sûr, elle aussi est amoureuse
du héros.
o
Un de vos anciens alliés, qui est officiellement mort et auquel on ne pense plus jusqu'à
ce que, beaucoup plus loin dans le jeu, il réapparaisse aux côtés du grand méchant et
très remonté contre vous.
o
L'adversaire tellement pétri d'honneur qu'il en est énervant mais que vous ne pourrez
jamais tuer vous-même puisque, lorsqu'il découvre la vraie nature de ses employeurs,
soit il se sacrifie noblement, soit il rejoint votre équipe.
o
Le clown ou autre bouffon totalement cinglé qui se révèle être incroyablement difficile
à vaincre.
o
Le savant fou qui aime bien créer des mutants et des armes de destruction massive
parce que c'est marrant (et aussi très utile si jamais des aventuriers passent dans le
coin).
o
L'adorable bestiole mignonne comme tout ou le gamin de six ans qui vous affronte et,
inexplicablement, vous inflige de cuisantes défaites chaque fois.
Quelle que soit l'époque dans laquelle se déroule le jeu (passé, présent ou futur), le héros et le
grand méchant se battent avec des épées (d'ailleurs, cela peut vous permettre de repérer
facilement le grand méchant dès le début du jeu : il suffit de chercher l'autre type qui utilise
une épée). De plus, ces épées sont beaucoup plus efficaces que n'importe quelle arme à feu, et
elles permettent même d'attaquer à distance.
Tout comme le premier rôle masculin se doit d'utiliser une épée, le premier rôle féminin se
doit d'utiliser une canne, un bâton ou des variantes de ces deux armes.
Dans le cas où les parents du héros ont eu plusieurs enfants, et si les frères et/ou soeurs du
héros sont encore en vie :
- Si le héros n'est pas l'aîné, il a un grand frère qui a été recruté par les méchants
- Si le héros n'est pas le benjamin, il a une petite soeur qui sera enlevée par les
méchants et qui leur servira d'otage
163
Vous pouvez bien frapper comme un sourd sur des cibles blindées avec votre épée ou arroser
tout ce qui bouge avec votre flingue en mode full-auto, votre arme ne sera jamais brisée,
enrayée ou même ébréchée à moins que ce ne soit nécessaire pour faire avancer l'histoire.
Une bonne nuit de sommeil soigne toutes les blessures, maladies et autres incapacités, jusque
et y compris la mort !
La plupart des méchants dans les RPGs disposent d'une forme de téléportation. Ils s'en servent
généralement pour surgir devant vos aventuriers juste au moment où ceux-ci arrivent dans
l'Inévitable Salle de la Relique Légendaire et s'emparer de cet objet tant convoité juste avant
vous.
Le but du jeu (expliqué durant la fausse fin) est de sauver le monde d'une puissance maléfique
qui tente soit d'en prendre le contrôle, soit de le détruire. Cette tâche est incontournable. Quel
que soit le but que le personnage principal cherche à atteindre (rembourser une dette,
découvrir le monde ou sortir avec une fille), il lui sera nécessaire de sauver le monde pour y
parvenir. Courage : dès que le monde sera sauvé, tout ce que vous vouliez vous sera aussitôt
accordé.
La capitale de l'Empire des méchants est toujours divisée en deux parties : une ville basse (et
sale) remplie d'esclaves et de rebelles, et une cité haute remplie de loyaux servants et de
nobles corrompus.
Si vous demandez de l'aide à un grand guerrier, il voudra d'abord "tester votre force" dans un
combat à mort.
Vous êtes les seuls qui tentent de sauver le monde. Si d'autres personnages sont présentés
comme des héros, ils rejoindront votre groupe ou se révèleront être des pleutres et/ou des
escrocs.
Tout personnage masculin laid, difforme ou atrocement mutilé peut soit être un méchant, soit
être tellement moral, honorable et/ou sage qu'il est incroyable que personne n'ait encore songé
à le canoniser. Tout personnage masculin mutilé (cicatrice, borgne,...) est méchant. Sauf bien
sûr s'il s'agit du héros puisque les cicatrices, c'est stylé et qu'aucun personnage masculin gentil
ne peut se permettre d'être plus stylé que le héros. La seule exception est le cas des
personnages âgés (qui, en tant que tels, sont forcément moins stylés que le héros). Tout
164
personnage féminin laid, difforme ou atrocement mutilé est forcément une méchante, puisque
les gentilles ne sont là que pour être séduites par le héros.
Le Mal revient dévaster le monde tous les mille ans, et la dernière fois remonte à 999 ans, 11
mois et quelques jours. Malgré tous leurs efforts, les héros du passé n'ont jamais réussi à faire
plus que renfermer le Mal et laisser les générations suivantes s'en occuper (ce qui conduit à
s'interroger sur le fonctionnement des entraves utilisées, mais passons). La bonne nouvelle,
c'est que cette fois-ci, le Mal sera définitivement détruit. La mauvaise, c'est que c'est vous qui
devez vous en charger.
Si le Grand Méchant (ou l'adversaire que vous avez pourchassé pendant la majeure partie du
jeu avant qu'il n'invoque le véritable Grand Méchant) a déjà été vaincu auparavant par un
autre groupe, alors l'un des membres de ce groupe fait partie de votre équipe (sans révéler qui
il est) et un autre est le père du héros.
Parmi tous les animaux prédateurs du monde, vous croiserez des araignées géantes, des
serpents géants, des scarabées géants, des loups, des calmars, des poissons qui lévitent hors de
l'eau, des gargouilles, des golems, des plantes carnivores, des chimères, des griffons, des
hydres, des minotaures, des choses fouisseuses avec de grandes griffes, des choses qui
peuvent vous paralyser, des choses qui peuvent vous endormir, des choses qui peuvent vous
empoisonner, au moins une vingtaine de choses avec des tentacules empoisonnées, et des
dragons. On croise toujours des dragons.
Toute énigme présente dans un donjon peut être classée dans l'une de ces catégories :
o
trouver un petit objet et l'insérer dans l'emplacement prévu à cet effet
o
pousser des "blocs" (rochers, statues, ou autres) sur des interrupteurs
o
activer des leviers et/ou des interrupteurs pour ouvrir et/ou fermer des portes
o
trouver le bon ordre / les bonnes positions d'un groupe d'objets
o
franchir des portes dans un certain ordre
o
un mécanisme comprenant une horloge ou un ascenseur
o
une énigme insoluble parce qu'un indice vital a été mal traduit du Japonais
Il y a soit un seul, soit trois personnages féminins dans l'équipe du héros, quel que soit le
nombre de personnages masculins.
165
Quand le personnage principal doit effectuer une tâche complexe ou dangereuse, même s'il n'a
jamais rien fait de tel auparavant, il s'en tirera toujours mieux que les meilleurs vétérans.
Quelle que soit leur mythologie propre, la plupart des RPGs comportent un pays basé sur le
Japon médiéval, rempli de pagodes, de temples, de shoguns, de kitsune et de sushi. Cet
endroit totalement anachronique est aussi l'endroit d'où viennent tous les ninjas et tous les
samouraïs du monde.
Si un personnage dort et rêve, ce rêve sera un souvenir exact du passé, un aperçu psychique
exact du présent, une vision prophétique exacte du futur, ou toute combinaison de ces
éléments.
Presque tous les puissants artistes martiaux ont tout appris d'un vieux maître ou ami. Depuis
lors, ce dernier est devenu méchant, a été tué, ou a disparu sans laisser de trace.
Si le maître de votre artiste martial a seulement disparu, vous le retrouverez au cours de vos
voyages. Le maître défiera alors son disciple en duel, après quoi il lui enseignera une
technique ultime qu'il avait gardée secrète durant des années.
Les monstres géants capables de raser des villes entières sont tous :
o
Totalement idiots
o
Démesurément forts
o
Capables d'attaquer à distance
o
Pourvus de crocs et des griffes gigantesques (probablement prévus pour leur
permettre de dévorer d'autres monstres géants)
o
Vulnérables aux armes 10000 fois plus petites qu'eux
o
Militants pour l'écologie
Si, une nuit, un personnage retrouve un autre personnage tout seul en train de regarder la
Lune, ces deux personnages tomberont amoureux l'un de l'autre.
Si les Méchants arrivent a recruter un Gentil, celui-ci deviendra soudain beaucoup plus fort.
Tout conseiller d'un dirigeant important complote depuis longtemps pour prendre le pouvoir.
Et grâce à la magie du timing, vous arriverez juste au moment du coup d'Etat.
166
Si un conseiller est au service d'un dirigeant Mauvais, ce conseiller sera au moins aussi
Mauvais que ledit dirigeant, et il est même très probable qu'il s'agisse du Grand Méchant.
Si un conseiller est au service d'un dirigeant Bon, alors il a à coeur les intérêts du royaume
(pour ce que ça sert : ce n'est pas ça qui empêchera que vous soyez accusés d'être
responsables de tout ce qui va mal, et jetés en prison).
Les royaumes sont Bons, les empires Mauvais.
Toute belle jeune fille est là pour vous aider. Cette règle s'applique même quand la fille en
question est énervante, inutile ou clairement maléfique.
Toute belle femme d'âge moyen est là pour vous tuer. Cette règle s'applique même quand la
femme en question a gagné votre entière confiance et votre plus profond respect.
Certains personnages peuvent accomplir des prouesses surhumaines, vaincre leurs ennemis
avec une main dans le dos et utiliser des pouvoirs incroyables... Jusqu'à ce qu'ils vous
rejoignent et que vous puissiez les contrôler. Alors, toutes ces capacités formidables
disparaissent, ainsi que la plupart de leurs Points de Vie.
A un moment ou à un autre, le héros recevra une blessure mortelle liée à l'histoire et partira à
l'hôpital au lieu de se faire soigner par un mage. Du coup, il sera incapable d'assumer la
direction de l'équipe pendant au moins le temps nécessaire pour faire deux sous-quêtes. Le
personnage principal féminin sera aussi indisponible pendant ce temps car elle décidera de
rester aux côtés du héros. Au final, une simple quête intérieure est tout ce dont il est besoin
pour que le héros retrouve son état normal.
Le personnage féminin typique se promène avec tout un arsenal d'armes mortelles et peut sans
efforts tailler son chemin à travers des hordes de monstres, de cyborgs tueurs et de créatures
mutantes. Elle peut être une ninja confirmée, un agent secret avec des superpouvoirs ou la
plus grande aventurière au monde. Malgré tout, si l'un des méchants du jeu réussit à se glisser
derrière elle et à l'attraper par l'Endroit Standard d'Attrapage de Personnages Féminins (le
bras), elle perdra tous ses moyens jusqu'à ce qu'elle soit délivrée par le héros.
Si un personnage féminin, dans un moment de colère ou d'enthousiasme, décide de partir et
d'accomplir quelque chose toute seule sans le héros, elle échouera lamentablement et devra
encore être sauvée.
167
Tous vos efforts pour maximiser les statistiques et capacités du personnage principal féminin
n'auront finalement servi à rien puisque lors du combat final contre le Méchant elle sera
morte, ensorcelée ou retenue en otage.
Quand ça commence à vraiment sentir le roussi, la séduisante acolyte du Méchant sera la
première à s'enfuir et à rejoindre la cause du Bien. Malheureusement, elle ne survivra quand
même pas jusqu'à la fin car plus tard elle se sacrifiera par amour pour le Méchant.
Tout personnage principal sombre et torturé trouvera la rédemption via une quête longue,
ardue et quasi-mystique qui semble difficile sur le moment, mais qui dans l'ordre cosmique
des choses n'était pas grand-chose après tout.
Malgré tout, même quand il est évident que le Méchant joue les héros, et quand le héros s'est
fait avoir plusieurs fois, ce dernier ne comprend pas qu'on s'est joué de lui, pas plus qu'il ne
décide de changer ses plans (ou simplement de tout laisser tomber et d'aller se cuiter, ce qui
ne manquerait pas de contrecarrer les plans du Méchant visant à le manipuler).
S'il y a un quelconque moyen pour que le Grand Méchant X soit le père du personnage
principal masculin, alors le Grand Méchant X est le père du personnage principal masculin.
A mesure que vous vous rapprochez de la confrontation finale, les évènements deviendront de
plus en plus gauches, invraisemblables et sans lien les uns avec les autres.
Vers la fin du jeu, vous êtes mondialement connu comme étant les Héros Légendaires, tous
les gouvernements et instances dirigeantes encore en place se sont ralliés à votre étendard, le
destin du monde est entre vos mains, et lorsque vous passez quelque part, de parfaits inconnus
vous donnent une tape dans le dos et vous souhaitent bonne chance. Pourtant, il n'est pas
question qu'un marchand vous fasse une réduction, encore moins qu'il ne vous fournisse
gratuitement ce dont vous pourriez avoir besoin pour votre combat final contre le Mal.
Vous devrez tuer le Grand Méchant au moins deux fois à la fin du jeu. D'abord, il aura une
apparence normale et sera facile à vaincre ; ensuite il deviendra cinquante fois plus grand que
le héros et sera beaucoup plus difficile à tuer.
168
Même si vous réussissez à le vaincre sous cette nouvelle apparence, ce n'est pas encore fini !
Le Méchant prendra alors sa dernière forme, qui est toujours une créature d'aspect angélique,
sur fond de musique remixée avec des grandes orgues et des choeurs extatiques.
Toutes les femmes du jeu trouvent le personnage principal masculin incroyablement
séduisant.
Source : http://www.ffdream.com/?cat=encyclopedie&rub=cliches_rpg
169