Le dispositif UNECE de lutte contre la pollution atmosphérique

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Le dispositif UNECE de lutte contre la pollution atmosphérique
Le dispositif UNECE de lutte contre la pollution atmosphérique transfrontière
à longue distance
Marianne MOLINER-DUBOST
Maître de conférences (HDR) de droit public
Institut de droit de l’environnement
Université Jean Moulin – Lyon 3
1. La problématique de la pollution atmosphérique transfrontière à longue distance 1 a émergé au
début des années 1970 lorsque les pays nordiques ont fait état de l'acidification de nombre de leurs
lacs. Ce phénomène fut imputé aux oxydes de soufre provenant des régions industrielles d'Europe 2
qui, après avoir été transportés sur des centaines de kilomètres par les vents, retombaient sous forme
de dépôts acides humides3. Le même phénomène fut observé en Amérique du Nord4. Au milieu des
années 1970, les premières manifestations de dépérissement des forêts 5 en Europe furent également
imputées à la pollution de l'air6. En réponse à l'inquiétude suscitée par ces dommages, la
Commission Economique pour l'Europe des Nations Unies (plus connue sous son acronyme anglosaxon UNECE) organisa, fin 1979, une réunion ministérielle à l'issue de laquelle fut signée la
Convention sur la pollution atmosphérique transfrontière à longue distance 7. Bien que d’apparence
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Le droit de l’Union européenne face à la pollution atmosphérique d’origine industrielle. Quel bilan ? Quelles
perspectives ?, Journée d’étude, Boulogne-sur-Mer, 14 mars 2012, Table ronde : Les obligations internationales de
l’Union en matière de lutte contre la pollution atmosphérique.
Ainsi, on estime que sur les quelque 500 000 tonnes annuelles de composés soufrés mesurées en Suède en 1977,
plus de 400 000 tonnes provenaient d'Allemagne, de Grande-Bretagne et de Pologne (J.-C. Ceccaldi, Les pluies
acides en question, Electricité, n° 178, juin 1984, pp. 1-26, spéc. p. 7).
J. Valroff, Pollution atmosphérique et pluies acides, Rapport au Premier ministre, La Documentation française,
1985, Coll. des rapports officiels, pp. 12-13.
En 1977, les Canadiens estimaient que 50% des émissions acidifiantes provenaient de la vallée de l'Ohio (R. Vie Le
Sage, Les pluies acides : un holocauste écologique ?, La Recherche, n° 131, mars 1982, pp. 394-196, spéc. p. 394).
La moitié des lacs de l'Ontario souffraient à des degrés divers d'acidification (R. Barre, Les pluies acides en Europe.
Un avenir écologique en forme de scénarios géopolitiques et scientifiques, Futuribles, juin 1985, pp. 55-71, spéc. p.
58).
G. Landmann, Concepts, définitions et caractéristiques générales des dépérissements forestiers, Revue forestière
française, XLVI, n° 5, 1994, pp. 405-415.
C. Barthold, O. Gauthier, G. Landmann et P. Ebner, Ecologie, débat public et politiques techniques : le
dépérissement des forêts dix ans après, Revue forestière française, XLV, n° 5, 1993, pp. 509-524, spéc. p. 510.
A.-C. Kiss, La coopération pan-européenne dans le domaine de la protection de l'environnement, AFDI 1979, pp.
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fort modeste, au point qu’elle s’assimile à de la soft law, la convention de Genève sera d’emblée
qualifiée de « premier grand traité international consacré à la lutte contre la pollution de l'air »8.
Alexandre Kiss ne s’y était pas trompé ! En effet, la convention de Genève inaugure tout d’abord la
technique dite du « traité-cadre » qui fera florès9 (il n’est, pour rester dans le domaine de la
pollution atmosphérique, qu’à citer la convention de Vienne sur la couche d’ozone 10 ou la
Convention-cadre sur les changements climatiques11). Par ailleurs et surtout, la Convention de
Genève constitue la matrice d’un impressionnant dispositif de lutte contre la pollution
atmosphérique transfrontière édifié sous l’égide de l’UNECE. Le défi n’était pourtant pas mince et,
d’emblée, la définition de l’objet de la convention – la pollution atmosphérique transfrontière à
longue distance – donne la mesure de l’ambition, puisque l’expression désigne « la pollution
atmosphérique dont la source physique est comprise totalement ou en partie dans une zone soumise
à la juridiction nationale d'un Etat et qui exerce des effets dommageables dans une zone soumise à
la juridiction d'un autre Etat à une distance telle qu'il n'est généralement pas possible de
distinguer les apports des sources individuelles ou groupes de sources d'émission » (art. 1er b).
2. A l’époque, la « pollution transfrontière » n’était certes pas inconnue, ainsi qu’en témoigne le
célèbre précédent de la fonderie de Trail 12, mais la « longue distance » impliquait que le principe
d'utilisation non dommageable du territoire devait excéder les seules relations de voisinage entre
Etats limitrophes13. Le préambule de la Convention le confirme en rappelant le principe 21 de la
Déclaration de Stockholm et spécialement « le devoir [des Etats] de faire en sorte que les activités
exercées dans les limites de leur juridiction et sous leur contrôle ne causent pas de dommage à
l'environnement dans d'autres Etats ou dans des régions ne relevant d'aucune juridiction
nationale ». La responsabilité internationale ne pouvait donc qu’être disqualifiée au profit d’une
coopération tout entière orientée vers la prévention des atteintes à l'environnement. Cette
coopération prend la forme d'échanges d'informations, de consultations, d'activités de recherche et
de surveillance14 en vue « de combattre dans toute la mesure du possible les rejets de polluants
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719-725.
A.-C. Kiss, La Convention sur la pollution atmosphérique transfrontière à longue distance, RJE n° 1, 1981, pp. 3035, spéc. p. 30.
A.-C. Kiss, Les traités-cadres : une technique juridique caractéristique du droit international de l'environnement,
AFDI 1993, pp. 792-797.
Convention sur la protection de la couche d'ozone signée à Vienne le 22 mars 1985.
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Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, signée à New York, le 9 mai 1992.
Tribunal arbitral, 11 mars 1941, Fonderie de Trail, RSA, vol. 3, p. 1938.
V. M. Moliner, Le droit face à la pollution atmosphérique et aux changements climatiques, thèse, Lyon 3, 2001, pp.
732-744.
Convention de Genève, art. 3, 5, 7, 8 et 9.
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atmosphériques qui peuvent avoir des effets dommageables, et ainsi de réduire la pollution
atmosphérique, y compris la pollution atmosphérique transfrontière à longue distance »15.
3. A la même période, la Communauté économique européenne (CEE) qui, comme ses neuf Etats
membres16, avait immédiatement signé la Convention17, exprimait sa volonté « de limiter et, autant
que possible, de réduire graduellement et de prévenir la pollution atmosphérique transfrontière due
à l'anhydride sulfureux et aux particules en suspension »18. Significativement, les directives 84/360
et 88/609 portant respectivement sur la pollution atmosphérique en provenance des installations
industrielles et sur la limitation des émissions atmosphériques des grandes installations de
combustion (GIC) visaient la Convention de Genève 19. Le processus était lancé, qui allait conduire à
une similarité de plus en plus marquée entre les exigences des directives communautaires et celles
des protocoles à la Convention - protocoles qui en constituent en quelque sorte le prolongement
opérationnel et contraignant -.
4. La Convention compte aujourd’hui huit protocoles : le protocole de Genève du 28 septembre
1984 sur le financement du programme concerté de surveillance continue et d'évaluation du
transport à longue distance des polluants atmosphériques (EMEP) 20, le protocole d’Helsinki du 8
juillet 1985 sur la réduction des émissions de soufre (SO2) d'au moins 30% 21, le protocole de Sofia
du 31 octobre 1988 sur les oxydes d’azote (NOx) 22, le protocole de Genève du 18 novembre 1991
sur les composés organiques volatils (COV) 23, le protocole d’Oslo du 14 juin 1994 relatif à une
nouvelle réduction des émissions de soufre24, les protocoles d’Aarhus du 24 juin 1998 sur les
métaux lourds (ML)25 et sur les polluants organiques persistants (POP) 26 et le protocole de Göteborg
du 1er décembre 1999 relatif à l'acidification, à l'eutrophisation et à l'ozone troposphérique27.
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Ibid., art. 4.
Allemagne (RFA), Belgique, Danemark, France, Irlande, Italie, Luxembourg, Pays-Bas et Royaume-Uni.
Comme l’UE aujourd’hui, la CEE disposait d'une compétence partagée avec les États membres pour les accords
environnementaux multilatéraux, qui sont par suite des accords mixtes.
Résolution du Conseil du 15 juillet 1980, concernant la concernant la pollution atmosphérique transfrontière due à
l'anhydride sulfureux et aux particules en suspension (JOCE n° C 222, 30 août 1980, p. 1).
Directive 84/360/CEE du Conseil du 28 juin 1984, 4e cons. (JOCE n° L 188, 16 juillet 1984 p. 20) et directive
88/609/CEE du Conseil du 24 novembre 1988, 3e cons. (JOCE n° L 336, 7 déc. 1988, p. 13).
Publié par décret n° 88-235 du 9 mars 1988 (JO 15 mars 1988, p. 3416).
Publié par décret n° 90-59 du 10 janvier 1990 (JO 16 janvier 1990, p. 665).
Publié par décret n° 91-1029 du 2 octobre 1991 (JO 9 octobre 1991, p. 13201).
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Publié par décret n° 98-373 du 11 mai 1998 (JO 16 mai 1998, p. 7451).
Publié par décret n° 2005-1108 du 5 septembre 2005 (JO 6 septembre 2005, p. 14431).
Publié par décret n° 2005-1109 du 5 septembre 2005 (JO 6 septembre 2005, p. 14444).
Publié par décret n° 2005-1110 du 5 septembre 2005 (JO 6 septembre 2005, p. 14447).
Publié par décret n° 2007-1115 du 19 juillet 2007 (JO 21 juillet 2007, p. 12315).
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5. Tous ces protocoles ont été ratifiés par la CEE puis l’Union européenne (UE) (à l’exception du
protocole d’Helsinki, qui ne sera ni signé ni ratifié par la CEE mais par tous ses Etats membres).
Les engagements qui en découlent sont mis en œuvre (ou anticipés) par diverses directives
sectorielles (GIC28, Incinération29, COV30 et solvants31) (désormais regroupées dans la directive
IED32 et qui seront progressivement abrogées) et par la directive « NEC »33, même si les plafonds
nationaux d’émission qu’elle fixe sont plus sévères que ceux arrêtés par le protocole de Göteborg
auquel l’UE n’est devenue partie qu’en 200334.
6. Le dynamisme, assez exceptionnel, du dispositif conventionnel reflète l’évolution des
préoccupations et de la connaissance scientifique des phénomènes (acidification, pollution
photochimique, eutrophisation, contamination, changements climatiques) et explique son extension
à un nombre croissant de polluants (SO2, NOx, COV - et à travers eux, ozone [O3] , ML, POP,
ammoniac [NH3] et, à compter de 2020, particules [PM] et noir de carbone 35). S’il ne concerne pas
seulement les émissions d’origine industrielle (mais aussi les sources mobiles [véhicules] et les
produits [piles, carburants]), le dispositif UNECE couvre néanmoins majoritairement des sources
fixes qui sont presque exclusivement industrielles (si l’on excepte les installations domestiques de
chauffage au bois dans le protocole POP).
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Directive 2001/80/CE du 23 octobre 2001, relative à la limitation des émissions de certains polluants dans
l’atmosphère en provenance des grandes installations de combustion (JOCE n° L 309, 27 novembre 2001, p. 1).
Directive 2000/76/CE du 4 décembre 2000, sur l'incinération des déchets (JOCE n° L 332, 28 décembre 2000, p.
91).
Directive 94/63/CE du 20 décembre 1994 relative à la lutte contre les émissions de composés organiques volatils
résultant du stockage du pétrole et de sa distribution des terminaux aux stations-service (JOCE n° L 365, 31
décembre 1994, p. 24) et directive 2009/126 du 21 octobre 2009 concernant la phase II de la récupération des
vapeurs d'essence, lors du ravitaillement en carburant des voitures particulières dans les stations-service (JOUE n° L
285, 31 octobre 2009, p. 36).
Directive 1999/13 du 11 mars 1999, relative à la réduction des émissions de composés organiques volatils dues à
l'utilisation de solvants organiques dans certaines activités et installations (JOCE n° L 85, 29 mars 1999, p. 1 et
rectif. JOCE n° L 188, 21 juillet 1999, p. 54 et n° L 87, 8 avril 2000, p. 34) modifiée par directive 2004/42/CE du 21
avril 2004 (JOUE n° L 143, 30 avril 2004, p. 87) et directive 2008/112/CE du 16 décembre 2008 (JOUE n° L 345,
23 décembre 2008, p. 68).
Directive 2010/75/UE du 24 novembre 2010, relative aux émissions industrielles (JOUE n° L 334, 17 décembre
2010, p. 17 et rectif. JOUE n° L 158, 19 juin 2012, p. 25).
Directive 2001/81/CE du 23 octobre 2001, fixant des plafonds d’émission nationaux pour certains polluants
atmosphériques (JOCE n° L 309, 27 novembre 2001, p. 22). NEC est l’acronyme anglais de plafonds d’émission
nationaux (National Emission Ceilings).
Décision n° 2003/507/CE du Conseil du 13 juin 2003, portant approbation de l'adhésion de la Communauté
européenne au protocole à la convention de 1979 sur la pollution atmosphérique transfrontière à longue distance
relatif à la réduction de l'acidification, de l'eutrophisation et de l'ozone troposphérique (JOCE n° L 179, 17 juillet
2003, p. 1).
Cette inclusion résulte des amendements au protocole de Göteborg adoptés le 4 mai 2012
(http://www.unece.org/fr/unece-main/info-resourcesinfo-resources/presscurrent-press-h/environment/2012/partiesto-unece-air-pollution-convention-approve-new-emission-reduction-commitments-for-main-air-pollutants-by2020/les-parties-a-la-convention-sur-la-pollution-de-lair-de-la-cee-onu-approuvent-de-nouveaux-objectifs-dereduction-des-emissions-des-principaux-polluants-atmospheriques-dici-a-2020.html).
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7. Plus que par son efficacité, c’est par son caractère profondément environnemental que le
dispositif UNECE se distingue. Si l’on peut certes trouver cette caractéristique bien normale pour
un ensemble conventionnel environnemental, force est d’observer qu’elle n’est pas pour autant
l’apanage de tous les accords environnementaux et qu’elle est, en tout état de cause, poussée ici à
un niveau tout à fait remarquable. En effet, dès l’origine, il s’est agi d'adopter une approche fondée
sur les effets, c’est-à-dire sur ce que peut tolérer l’environnement sans subir de dommages
appréciables (I). L'adoption de cette approche a profondément modifié la physionomie normative
des protocoles à la Convention (II).
I. Une stratégie innovante de réduction des émissions fondée sur les effets
8. D’emblée, les Parties à la Convention de Genève ont exprimé l'ambition d'établir
scientifiquement des relations dose/effet aux fins de protection de l'environnement (art. 7 d). Le
Protocole de Sofia définira la notion de charge critique (critical load) : il s'agit « [d'] une estimation
quantitative de l'exposition à un ou plusieurs polluants au-dessous de laquelle, selon les
connaissances actuelles, il ne se produit pas d'effets nocifs appréciables sur des éléments sensibles
déterminés de l'environnement » (art. 1er, point 7). Une réflexion s'est développée, en parallèle, sur
le concept de niveaux critiques (critical levels) correspondant aux niveaux de polluants gazeux
tolérables par les écosystèmes naturels ou les cultures 36. Le Protocole de Genève en a fourni une
définition officielle aux termes de laquelle il s'agit « des concentrations de polluants dans
l'atmosphère, pour une durée d'exposition spécifiée, au-dessous desquelles, en l'état actuel des
connaissances, il ne se produit pas d'effets néfastes directs sur des récepteurs tels que l'homme, les
végétaux, les écosystèmes ou les matériaux » (art. 1er, point 8). Cette approche repose sur trois
hypothèses : il existe un certain niveau de pollution qui ne produit pas d'effets indésirables sur
l'environnement et ses utilisations légitimes, chaque partie de l'environnement a une capacité propre
et finie de s'adapter à une pollution sans conséquence inacceptable et cette capacité peut être
quantifiée37.
9. C’est dans ce contexte que l'Organe exécutif de la Convention a créé le Groupe de travail des
effets chargé de développer la coopération dans le domaine de la recherche et la surveillance
36
37
Voir J. BONTE, Polluants gazeux : détermination des niveaux critiques, Pollution atmosphérique, n° spécial
Pollution de l'air et charges critiques, juin 1993, pp. 35-43, spéc. p. 38.
V. LABROT, La précaution : prudence environnementale et réalisme social ou A propos d'un concept durable… in
Environnement et politique, Constructions juridico-politiques et usages sociaux, textes réunis par A. Gouzien et P.
Le Louarn, Presses universitaires de Rennes, 1996, coll. « des Sociétés », note n° 33, p. 182.
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continue, de déterminer l'ampleur des effets de la pollution atmosphérique sur les différents
récepteurs, de fournir une base scientifique et des recommandations pour le développement de
stratégies de réduction des émissions et l'examen de l'efficacité des protocoles à la Convention 38. En
application de ce mandat, le Groupe de travail des effets a mis en place plusieurs programmes
internationaux de coopération (PIC) spécialisés dans l'étude des effets de la pollution atmosphérique
sur les différents éléments de l’environnement.
10. L'approche par les effets a été affinée avec la prise en compte des phénomènes d'interaction et
de synergie. D'une manière générale, l'association de plusieurs polluants a pour conséquence
d'abaisser le seuil à partir duquel apparaissent des effets nocifs. Les mêmes substances peuvent, en
outre, être impliquées dans différentes problématiques environnementales. Ces caractéristiques
impliquent que les émissions devraient faire l'objet d'un traitement global et intégré et non polluant
par polluant.
11. A cet égard, le Protocole d'Oslo encourage la recherche et la surveillance afin de comprendre les
effets « des émissions de soufre, en particulier l'acidification, compte tenu de la relation entre les
oxydes de soufre, les oxydes d'azote, l'ammoniac, les composés organiques volatils et l'ozone
troposphérique » (art. 6 d). Le Protocole d'Oslo annonce ce faisant l'évolution imminente vers une
« stratégie multi-polluants et multi-effets » qui sera retenue par le Protocole de Göteborg. Ce dernier
vise à lutter de manière conjointe contre l’acidification, l’eutrophisation et la formation d'ozone
troposphérique en réglementant simultanément les émissions anthropiques de soufre, d'oxydes
d'azote, d'ammoniac et de composés organiques volatils. La même approche sous-tend la stratégie
communautaire de lutte contre l'acidification qui repose sur la directive NEC et sur la directive
concernant l'ozone dans l'air ambiant39.
12. Rappelant les engagements contractés au titre de la Convention-cadre des Nations Unies sur les
changements climatiques, l'accord de Göteborg évoque notamment la nécessité d'éviter « un
accroissement des émissions d'azote réactif, y compris d'hémioxyde d'azote 40 » (préambule, al. 22 et
23), lequel est un puissant gaz à effet de serre.
38
39
40
Decision 1999/2 concerning the structure and organization of work (in report of the seventeenth session of the
Executive Body, Appendix IV. Mandate of the Working Group on Effects, § 2, ECE/EB.AIR/68, 27 December 1999
[http://www.unece.org/env/lrtap/conv/report/eb53_a3.htm]).
V. directive 2001/81/CE du 23 octobre 2001, préc. et directive 2002/3 du 12 février 2002, relative à l'ozone dans l'air
ambiant (JOCE n° L 67, 9 mars 2002, p. 14).
Ce gaz est plus communément dénommé protoxyde d’azote (N2O).
14
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13. La référence aux changements climatiques se justifie également par le fait que la limitation de la
production d'ozone troposphérique, qui est également un gaz à effet de serre (non réglementé par le
Protocole de Kyoto41), aura un impact positif du point de vue du climat. Dans le contexte de la
négociation de la révision du protocole de Göteborg, il est question d’inclure dans le champ
d’application de ce dernier les particules et spécialement le noir de carbone qui contribue au
réchauffement planétaire en absorbant directement la lumière solaire et au réchauffement régional
en réduisant l’albédo de la neige et de la glace42.
14. La prise en compte de l'ensemble des effets néfastes des différents polluants n'a pas seulement
un intérêt environnemental ; elle a aussi un sens au plan économique. Elle permet, en effet, de
maximiser le rapport coût/efficacité des mesures de réduction 43, ce qui a constitué un aspect
important des négociations menées au sein de l’UNECE. La démarche « multi-polluants, multieffets » autorise ainsi le développement de stratégies de lutte contre la pollution à la fois cohérentes
et rentables ; elle constitue la forme la plus aboutie de l’approche fondée sur les effets.
II. Les incidences normatives de l’approche fondée sur les effets
15. Les premiers protocoles à la Convention de Genève ont imposé aux pays signataires de réduire
ou geler, à une date donnée, leurs émissions nationales du polluant considéré ou leurs flux
transfrontières d'un certain pourcentage, identique pour tous, par rapport à une année de référence.
Si elle présente l'avantage de la simplicité, cette stratégie n'est pas satisfaisante lorsque les effets
nocifs des polluants considérés sur l’environnement varient d'un lieu à un autre. C'est la raison pour
laquelle la nécessité de fonder les réductions d'émission sur une base scientifique tenant compte des
relations dose/effet s'est imposée d'emblée. Si cette approche n'a pu, compte tenu des informations
scientifiques disponibles, être appliquée pour les protocoles de première génération, ceux-ci, en
affirmant la nécessité de prendre en considération, avant de décider de nouvelles mesures de
réduction, l'élaboration d'une approche fondée sur les charges44 et niveaux critiques45, ont annoncé
l'abandon imminent des stratégies de lutte contre la pollution atmosphérique transfrontière basée sur
41
42
43
44
45
V. P. Sum, Tropospheric Ozone : The Missing GHG in the UNFCCC Equation, Linkage Journal, vol. 3, n. 4,
28 October 1998.
Voir Rapport des Coprésidents du Groupe d’experts du noir de carbone, ECE/EB.AIR/2010/7, 30 septembre 2010, §
14.
H. Wuester, Aspects économiques des travaux engagés dans le cadre de la Convention sur la pollution
atmosphérique transfrontière à longue distance, Pollution atmosphérique, n° spécial « Vingtième anniversaire de la
Convention sur la pollution atmosphérique transfrontière à longue distance », préc., pp. 101-115, spéc. p. 104.
Protocole de Sofia du 31 octobre 1988, préc., préambule, al. 8.
Protocole de Genève du 18 novembre 1991, préc., préambule, al. 16.
15
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des taux de réduction uniformes et la perspective d'engagements nationaux différenciés.
16. Le Protocole d'Helsinki prévoit pour le soufre un taux fixe de réduction (- 30%) à atteindre en
1993 en se fondant sur une année de référence unique (1980) (art. 2). Le Protocole de Sofia fixe,
pour le dioxyde d'azote, un objectif de stabilisation en 1995 par référence à une année non imposée
(1987 ou toute année antérieure spécifiée par les signataires) (art. 2 § 1). Le Protocole de Genève
impose, pour les COV, une réduction de 30% en 1999 par rapport aux émissions mesurée en 1988
ou tout autre niveau annuel de la période 1984-1990 (art. 2 § 2 a). Guidés uniquement par la
référence aux meilleures technologies disponibles (MTD) n'entraînant pas de coûts excessifs et par
les niveaux mesurés dans l'air ambiant, ces engagements ne permettent pas de garantir la qualité de
l’environnement ni sa protection à terme, car ils ne tiennent compte ni de la sensibilité des
différents écosystèmes (récepteurs), ni de la répartition géographique des écosystèmes sensibles.
Ainsi, par exemple, les écosystèmes aquatiques des pays nordiques sont-ils beaucoup plus sensibles
à l'acidification et les écosystèmes forestiers de la région méditerranéenne à la pollution
photochimique (ozone).
17. Du fait de ces situations hétérogènes, aucun taux uniforme de réduction des émissions ne permet
de prévenir la survenance de dommages46. Cette approche s'oppose à ce que des réductions plus
importantes soient exigées des pays dont les émissions et/ou les flux transfrontières sont
particulièrement élevés. Elle ignore, de plus, les efforts déjà consentis par certains Etats 47 et les
variations de coûts et avantages marginaux de réduction des émissions. Ainsi, « le principe des
obligations égales ne reflétait pas les situations différentes selon les pays telles que les charges
réelles en acide, la fragilité des écosystèmes, la contribution de chaque pays à l'acidification de
l'environnement des autres pays, ou encore les implications écologiques et économiques de cette
acidification »48. Sur la base de ces constats et compte tenu des recherches entreprises sur les effets,
le principe d'une approche fondée sur les effets s'est imposé pour la révision des protocoles existants
et la négociation de futurs objectifs de réduction.
46
47
48
O. Gauthier et J.-P. Foray, Comment lutter contre la pollution atmosphérique transfrontière, Pollution
atmosphérique, n° spécial « Pollution de l'air et charges critiques », préc., pp. 81-84, spéc. p. 84.
S. Pannatier, La protection de l'air, in Le droit international face à l'éthique et à la politique de l'environnement, éd.
Georg, 1996, coll. « Stratégies énergétiques, biosphère et société », pp. 37-46, spéc. p. 44.
V. Sokolovsky, 1999 : Nouvelle phase - nouveaux objectifs, Pollution atmosphérique, n° spécial « Vingtième
anniversaire de la Convention sur la pollution atmosphérique transfrontière à longue distance », préc., pp. 135-138,
spéc. p. 136.
16
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18. L'approche fondée sur les effets a été appliquée pour la première fois dans le cadre du Protocole
d'Oslo relatif à une nouvelle réduction des émissions de soufre puis dans celui du Protocole de
Göteborg relatif à la réduction de l'acidification, de l'eutrophisation et de l'ozone troposphérique. Il
est apparu, lors de la négociation de ces accords, que des taux de réduction très élevés seraient
nécessaires pour éviter l'impact négatif de la pollution atmosphérique sur les écosystèmes. Deux
conséquences purent être tirées de ce constat. Tout d'abord, pour être adoptées, les nouvelles
obligations devraient présenter le meilleur rapport coût/efficacité et tenir compte des variations de
coûts entre les Etats Parties. La modélisation d'évaluation intégrée a répondu à ces exigences 49. Il
fut, d’autre part, décidé de procéder par étapes, les réductions nécessaires à la protection des
écosystèmes ne pouvant, pour des raisons d'ordre économique et technique, être réalisées partout et
en une seule fois.
19. Le non dépassement des seuils critiques constitue donc un objectif à long terme à atteindre, dans
la mesure du possible, à une date non déterminée et en procédant par étapes. Afin que toutes les
régions d'Europe se rapprochent progressivement des objectifs à long terme, les Etats Parties se sont
vu assigner des objectifs de réduction différenciés calculés à partir des résultats de la modélisation
d'évaluation intégrée. Le Protocole de Göteborg a fixé, pour la première étape, 2010, des plafonds
d'émission pour le SO2, les NOx, les COV et le NH3. Chaque Partie devait réduire ou stabiliser ses
émissions annuelles de 1990 afin de respecter en 2010 les limites fixées par les plafonds d'émission
arrêtés pour chacun de ces polluants (art. 3 § 1). La directive NEC a assigné aux Etats membres des
niveaux d'émission compatibles avec les plafonds décidés à Göteborg50.
20. Le bilan en termes d’émissions n’est sans doute pas tout à fait à la hauteur des espérances,
spécialement pour les NOx. Les projections d’émission de NOX de l’UE-27 sont de 6% supérieures
au plafond d’émission agrégé de l’annexe I (c’est-à-dire calculé sur la base des plafonds définis
dans la directive NEC) ; elles sont supérieures de 17% au plafond le plus strict de l’annexe II pour
l’UE-27 dans son ensemble. Onze États membres prévoient de ne pas respecter leur plafond
national d’émission, dont six avec des dépassements de plus de 20% (Autriche, Belgique, France,
49
50
Il s’agit d’un modèle permettant de calculer les solutions optimales en termes de coûts en vue d'atteindre les
objectifs environnementaux convenus en se basant sur les émissions, le transport et la dispersion atmosphériques des
polluants, les paramètres de sensibilité de l’environnement, les options techniques de limitation des émissions et
leurs coûts (M. Amann, J. Cofala, C. Heyes, Z. Klimont et W. Schopp, Modèle Rains, un outil d'évaluation des
stratégies régionales de contrôle des émissions en Europe, Pollution atmosphérique, n° spécial « vingtième
anniversaire de la Convention sur la pollution atmosphérique transfrontière à longue distance », préc., pp. 41-63).
L’objectif est de réduire - par rapport à 1990 - d’au moins 50% les zones présentant des dépôts de polluants acides à
des niveaux critiques, de diminuer des deux tiers les concentrations d’ozone au sol dépassant le niveau critique pour
la santé humaine et de réduire d’un tiers les concentrations d’ozone au sol dépassant le niveau critique pour les
cultures et la végétation semi-naturelle.
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Allemagne, Irlande et Espagne). Les projections de COV pour l'UE-27 sont inférieures de 14% au
plafond d'émission agrégé, et sont légèrement en dessous du plafond de l’annexe II, même si quatre
Etats membres ne respecteront pas les plafonds pour 2010, dont deux avec des dépassements
élevés : 33% pour l’Allemagne et 17% pour l'Espagne. Concernant le SO2, les émissions de l'UE-27
devraient être inférieures de 35% au plafond agrégé de l'annexe I et de 31% au plafond de l’annexe
II. Les émissions de tous les Etats membres sauf Malte (qui enregistre + 55%) seront inférieures aux
plafonds nationaux d’émission. Les projections de NH3 de l'UE-27 sont inférieures de 9% au
plafond d'émission de l’annexe I ; il n'y a pas de plafond distinct pour le NH3 défini à l'annexe II de
la directive NEC. Trois États membres ne respecteront pas leur plafond, les dépassements les plus
importants concernant l'Espagne (+ 8%) et l’Allemagne (+ 6%). A titre de comparaison, chacun des
pays non-membres de l'UE mais membres de l'Espace économique européen, dépassera au moins
un des plafonds d'émission fixés par le Protocole de Göteborg. La Norvège dépassera de 17% le
plafond fixé pour les NOX et de 5% le plafond de SO2. Le Lichtenstein et la Suisse dépasseront
leur plafond de NH3 de 15 et 5% respectivement51.
21. Reste à passer à la seconde étape. A cet effet, les amendements apportés au protocole de
Göteborg en mai 2012 ont fixé les réductions à atteindre d’ici 2020 pour le SO2, les NOx, les COV,
le NH3 et les particules fines par rapport aux niveaux d’émissions de 2005. Pour l’UE les
réductions à atteindre sont de 59% pour le SO2, 42% pour les NOx, 6% pour les COV, 28% pour le
NH3 et 22% pour les particules 52. Une révision subséquente de la directive NEC est prévue pour
2013.
51
52
NEC Directive status report 2010, Reporting by the Member States under Directive 2001/81/EC of the European
Parliament and of the Council of 23 October 2001 on national emission ceilings for certain atmospheric pollutants,
EEA Technical report n° 3/2011.
Pour la France, ces réductions sont de 55% pour le SO2, 55% pour les NOx, 4% pour les COV, 43% pour le NH3 et
27% pour les particules. Les réductions fixées pour chaque Etat partie au protocole figurent dans le communiqué de
presse de l’UNECE cité supra note n° 34.
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