Le tir aux premiers Jeux Olympiques.
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Le tir aux premiers Jeux Olympiques.
LE TIR AUX PREMIERS JEUX OLYMPIQUES Par Bryan Kett Le stand de tir de Kallithea à Athènes qui fut inauguré par la reine de Grèce le 27 mars 1896. D’après une photographie de Mme Sumner Paine qui a paru dans « Shooting and Fishing » en mai 1896. 394 Le 25 mars 1896, dans le splendide Stade panathénéique, bondé de spectateurs enthousiastes, le roi de Grèce inaugurait les Jeux de la Ière Olympiade de l’ère moderne, avec tout le cérémonial convenu. Les Jeux durèrent dix jours, jusqu’au 3 avril, et le rapport officiel mentionne la participation de trois cent onze concurrents originaire de treize nations; 43 épreuves dans 9 sports figurait au programme. II se peut que le tir ait été inclus dans le programme sur ordre de Pierre de Coubertin, ce dernier étant lui-même un bon tireur au pistolet. I I n’existait pas de normes communes pour les compétitions internationales de tir. L’Union Internationale de Tir (UIT) n’existait pas encore et il est probable que les Grecs décidèrent d’organiser une série d’épreuves qui leur étaient familières. Le programme comprenait donc le fusil à 300m, le fusil d’armée à 200m, le pistolet de duel à 25m, le pistolet-cible à 30m et le pistolet d’armée à 25m. A une exception près, nous ne possédons pratiquement aucun détail sur les conditions des épreuves, les cibles, les méthodes de calcul des résultats et les armes permises, ni aucun récit de première main sur leur déroulement. L’exception dont il s’agit, est un long rapport publié par l’Américain Sumner Paine dans la revue « Shooting and Fishing» du 28 mai 1896. L’histoire commence toutefois à Boston en janvier 1896. La Boston Athletic Association accepta I’invitation olympique et fut d’ailleurs la seule association américaine à le faire. Le 2 mars, un groupe de treize jeunes gens des Universités de Princeton et Harvard, qui s’étaient sélectionnés eux-mêmes et financés au petit bonheur, embarquèrent sur le Fulda pour Athènes. Parmi eux se trouvait John Paine, membre de l’illustre famille de Nouvelle-Angleterre, fils du général Charles Jackson Paine le célèbre yachtman. A I’arrivée en Europe, Paine quitta le groupe et se rendit à Paris pour y rencontrer son frère aîné, Sumner Paine, qui travaillait aux gale- FEDERATIONS INTERNATIONALES ries Gastinne-Renette. Les deux frères étaient des tireurs au pistolet accomplis et il ne fallut pas longtemps à John Paine pour persuader son frère Sumner de se rendre à Athènes. Dans son rapport paru dans « Shooting and Fishing », Sumner Paine décrit leurs préparatifs. Ignorant le programme et les conditions (qui n’avaient pas été remis aux concurrents), il se préparèrent à toute éventualité. Chacun d’eux emporta un revolver Colt New Army, un pistolet Smith & Wesson Russian, un pistolet de poche non spécifié, tandis que John ajouta pour lui un pistolet-cible Stevens de calibre 22 et Sumner un Wurfflein de calibre 22. Craignant des épreuves de qualification, ils se munirent de trois mille cinq cents balles et cartouches. Pour les armes de tous les calibres, Sumner avait chargé à la main une quantité de munitions en utilisant 21 centigrammes (3,234 grains) de poudre et des balles rondes de G. Russell de Boston. A leur arrivée à Athènes le 28 mars, on leur demanda de se procurer des certificats confirmant leur statut d’amateurs auprès du consul des Etats-Unis. Ce qu’ils firent et le lendemain matin, ignorant toujours les conditions de la compétition, ils se présentèrent au stand de tir ou ils soumirent leurs armes pour approbation. Malheureusement, n’étant pas de «calibre courant», tous les pistolets de calibre 22 furent disqualifiés. Les règles s’arrêtait en effet à «toute arme de calibre courant dotée d’une gâchette limitée à 41/2 Ibs ». La seule compétition de pistolet qui eut lieu le 29 mars était le pistolet d’armée à 25m. Deux tirs d’essai et cinq séries de six tirs. Le système de calcul du score ne fut pas du goût des frères Paine. On fit le compte des points de chaque série et on multiplia le résultat par le nombre de tirs réussis. Ensuite, les cinq totaux additionnés donnait le score final. Les cibles, montées sur une planche grise, étaient plus petites sur les bords que la cible américaine standard à 7 anneaux placée à 25m et les anneaux dont le score comptait allaient de 1 à 6 avec une zone centrale blanche. Ils trouvèrent que la cible était éblouissante dans la lumière vive du soleil d’Athènes, avec pour autre complication le besoin de viser à côté de la cible car les Colts étaient ajustés pour 50 yards (45m). A la fin de l’épreuve John avait un résultat total de 442 points, avec un score réel de 85, et Sumner 380 points avec un score réel de 79. II mentionne que le troisième était un Danois, suivi de plusieurs Grecs et d’un Anglais, les concurrents étant dix-huit au total, bien que certains se soient retirés de l’épreuve. Sumner Paine décrit le bâtiment du champ de tir comme « le plus joli stand de tir au monde, de 200 pieds (60m) de long, tout en marbre blanc comme neige ». Le champ, s’étirait sur 200m, II y avait 30 places de tir complètement insonorisées, protégées par des talus. Avant la première compétition, les frères s’étaient entendus sur le fait que si l’un des deux la remportait, il s’abstiendrait de participer à la seconde. John Paine ne concourut donc pas dans l’épreuve de pistolet sur cible à 30m qui avait lieu le lendemain, 30 mars. L’épreuve du pistolet sur cible était soumise aux mêmes conditions que le pistolet d’ordonnance, avec le même nombre de tirs, les mêmes cibles et la même méthode de calcul des résultats. Six concurrents y participèrent et c’est Sumner Paine, avec Quelques-uns des participants de l’université d’Harvard. Sumner faine (assis à gauche, au premier plan) tient son S& W, modèle russe. Son frère John (assis au premier plan à droite) tient son Colt. Reconstitution d’une cible pour pistolet d’armée et pour pistolet-cible, d‘après la description de Sumner Paine. 395 FEDERATIONS INTERNATIONALES son S&W, modèle russe, qui remporta l’épreuve avec une avance confortable, obtenant un score réel de 92 pour un résultat total de 442. Le concurrent danois, Viggo Jensen, arriva second avec 285 points. Sportif remarquable, Jensen participa également à l’épreuve de fusil à 300m ou il obtint la troisième place. II remporta également l’épreuve d’haltérophilie et se classa quatrième à la montée à la corde. Le pistolet Wurfflein de calibre 22 à un seul coup. Sumner Paine égala le record américain amateur avec ce modèle, mais ne put l’utiliser aux Jeux Olympiques #Athènes, du fait qu’il ne s’agissait pas d’un « calibre courants. Ayant remporté chacun une épreuve, les frères Paine décidèrent de ne pas participer à la troisième compétition de pistolet, le pistolet de duel à 25m, un geste sportif peu vraisemblable aujourd’hui. Sumner Paine ne nous livre aucune description de cette dernière compétition et le rapport officiel mentionne un tir à 25m avec trente séries qui comptaient. II se peut que cette épreuve ait eu des similarités avec « le pistolet au commandement », utilisant une des premières cibles en forme de silhouette. Le rapport mentionne quatre concurrents et indique que le vainqueur en fut le Grec Jean Phranguodis, avec 344 points. Paine conclut son récit en décrivant les nombreuses cérémonies et réceptions auxquelles ils assistèrent, l’hospitalité dont firent preuve les Grecs et finalement la cérémonie de clôture et de remise des 396 prix. Les festivités finales eurent lieu dans le stade le 3 avril devant une foule que Paine estima à 100.000 spectateurs. Chaque athlète récompensé reçut ses prix des mains du roi, à savoir une branche d’olivier sauvage du Mont Altis, une médaille à la décoration impressionnante (argent pour la première place et bronze pour la seconde), un diplôme gravé et divers prix spéciaux donnés par le monde des affaires. Entre autres articles, les frères Paine reçurent chacun une caisse de vin local et une douzaine de cravates de soie offertes par un grand magasin athénien. Ils rentrèrent à Paris avec plus de 3400 balles et cartouches, n’en ayant utilisé que 96! Tous deux continuèrent à tirer avec éclat aux galeries Gastinne-Renette et Sumner envoya des rapports réguliers sur ces activités à la revue « Shooting and Fishing », En leur qualité d’officiers de réserve de la milice du Massachusetts, ils furent mobilisés pour la guerre hispano-américaine. Sumner Paine resta dans l’armée jusqu’en 1901, date à laquelle il fut congédié pour mauvaise santé. II mourut en 1904. John Paine s’établit à Weston, riche faubourg de Boston, et devint banquier d’affaires. II mourut en 1951. Le moins qu’on puisse dire concernant les détails des autres épreuves de tir, le fusil d’armée à 200m et le fusil à 300m, est qu’ils sont vagues et imprécis. Ces épreuves attirèrent certainement de nombreux concurrents. Le fusil d’armée fut la première épreuve des Jeux et eut lieu les 27 et 28 mars. Elle réunit 160 concurrents, dont dix étrangers, sous la surveillance personnelle du prince Nicolas. Deux tirs d’essai étaient permis, suivis par quatre groupes de dix tirs qui comptaient. L’ordre de tirer était donné par une sonnerie de clairon de l’armée. Le vainqueur fut l’étudiant en droit grec, Pantelis Karasvdas, avec 2320 points. Son concitoyen P. Pavlidis prit la seconde place avec 1978 points. La manière dont furent calculés ces résultats reste un mystère. Le « Times » rapporte que le gagnant utilisa un fusil Mauser et selon l’archiviste Walter Schmid d’Oberndorf, il est possible que des fusils standard 7 mm 1894 ou 1895 modifiés aient été utilisés, peut-être avec des viseurs. Malheureusement, les dossiers de la firme Mauser pour la période des Jeux ont été perdus pendant la dernière guerre. II est également possible que des fusils Gras conversions ou Gras Kropatschek aient été utilisés, ces modèles ayant été fournis à l’armée grecque pendant les années 1870 et 1880. La seconde épreuve de fusil, qui attira vingt-cinq participants, eut lieu le 30 mars et se prolongea le 31 afin d’accueillir des concurrents supplémentaires. Le mode de tir semble avoir été le même que pour le fusil d’armée mais eut lieu à une distance de 300m. Le vainqueur olympique fut Georges Orphanidis avec 1583 points et le second de nouveau Jean Phrangoudis avec 1312 points. Aucune information n’est donnée sur les armes utilisées. LES RÉSULTATS Les cinq épreuves de tir des premiers Jeux Olympiques de l’ère moderne attirèrent des concurrents de quatre nations: 2 Danois, 1 Français, 2 Américains et 110 à 150 Grecs (les rapports divergent). Sumner Paine mentionna un Anglais dans la compétition de pistolet d’armée mais I’Association olympique britannique (BOA) ne peut le confirmer. II se peut qu’il s’agisse du concurrent nommé Merlin qui fut attribué à la France, peut-être un parent de Gerald et Sydney Merlin, les gagnants de l’épreuve au pigeon d’argile des Jeux Athéniens de 1906, mais c’est là une hypothèse. La répartition des médailles fut la suivante: 6 à la Grèce (trois premières places), 3 aux Etats-Unis (deux premières places) et 1 au Danemark. Les Américains dominèrent les épreuves au pistolet et il ne fait aucun doute qu’ils auraient gagné au pistolet de duel s’ils y avaient participé. Les Grecs furent très impressionnés par leurs performances et le rapport officiel attribue leurs victoires à des armes personnelles « fabriquées sur un système tout à fait supérieur et dotées d’une puissance de visée remarquablement correcte ». Le correspondant spécial du « Times » relata avec force détails la cérémonie de clôture, nous donnant une description éloquente de la pompe et de la jubilation de ceux qui étaient présents dans le stade. Les Grecs avaient réussi un exploit quasi impossible en un temps limité et avaient organisé les Jeux Olympiques et les festivités annexes dans une atmosphère d’ordre, de comportement exemplaire et de fair-play. Pantelis Karasevdas, vainqueur de I’épreuve au fusil d’armée, Jean Phrangoudis (assis), vainqueur de I’épreuve de pistolet de duel et Georges Orphanidis, vainqueur du fusil à 300m. B.K. Ce texte est un extrait de l'excellent article publié par M. Bryan Kett dans Target Gun, mai 1990, nous le reprodusions avec son aimable autorisation. 397