Les écrans à plasma L
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Les écrans à plasma L
De la physique à la technologie Les écrans à plasma Dans les écrans à plasma, chaque élément d’image est constitué d’une cellule dont les dimensions sont de l’ordre de quelques centaines de microns, et contenant un mélange de gaz rares. Le passage d’un courant dans le volume gazeux d’une cellule conduit à la formation d’un plasma froid dont les électrons énergétiques excitent les atomes de gaz rares sur des niveaux émetteurs de photons ultraviolets. Ces photons UV sont convertis en photons visibles dans les trois couleurs fondamentales par des luminophores disposés sur les parois des cellules. Les écrans à plasma représentent la technologie la plus prometteuse pour la télévision murale de grandes dimensions. Bien que la production de ces écrans ait déjà démarré au Japon, des progrès restent à faire pour améliorer les performances de ces systèmes. Nous montrons ici l’apport de la modélisation du plasma à la compréhension des phénomènes de transport des particules chargées et des photons dans ces systèmes et à leur optimisation. es plasmas créés par décharge électrique dans un gaz sont des plasmas froids, dont le degré d’ionisation (proportion d’atomes ou molécules ionisés) est typiquement inférieur à 10–4 et les températures de l’ordre de l’eV (1 eVz10 000 K). C’est le cas par exemple des plasmas d’arc électrique. Si la densité de courant traversant le milieu gazeux est suffisamment faible, le plasma peut être très éloigné de l’équilibre thermodynamique, avec en général des « températures » électroniques très supérieures à celles des ions et des neutres (la fonction de distribution en énergie des électrons n’est plus maxwellienne dans ces conditions, et la « température » électronique est en fait définie à partir de l’énergie moyenne des électrons). La possibilité de découpler l’énergie électronique de la température du gaz et de moduler la forme de la fonction de distribution électronique en jouant sur les paramètres de la décharge (tension, mode d’excitation continu, haute fréquence, confinement magnétique, pression, géométrie des élec- L – Centre de physique des plasmas et leurs applications de Toulouse, ESA 5002 CNRS, Université Toulouse 3, Bât. 3R2, 118 route de Narbonne, 31062 Toulouse Cedex. trodes) est à la base des applications des plasmas de décharge hors équilibre. Une des applications récentes les plus importantes de ces plasmas est le traitement de surface, en particulier en micro-électronique (gravure et dépôt de couches minces). Dans cette application, c’est la propriété du plasma froid de permettre la création d’un milieu réactif par excitation et dissociation du gaz initial par impact électronique, tout en maintenant le milieu gazeux à basse température, qui est utilisée. LES ÉCRANS À PLASMA ET LEURS CONCURRENTS Avec les écrans à plasma, on retrouve l’une des toutes premières applications des plasmas froids, à savoir l’utilisation du plasma en tant que source de photons, comme dans les lampes à décharge ou les lasers à gaz. L’idée d’utiliser des décharges électriques hors d’équilibre de petites dimensions comme éléments d’images d’un écran de visualisation est ancienne. Les premières images monochromes d’écrans à plasma ont été obtenues dans les années 70. Ce n’est cependant qu’au début des années 90, grâce à des progrès importants sur les matériaux utilisés, l’électronique de commande, et le rendement lumineux du plasma, que les écrans à plasma se sont imposés comme la technologie la plus prometteuse pour la télévision murale de grande dimension (dans la gamme de diagonales d’écran de 1 m à 1,5 m). Les écrans à tube cathodique dominent actuellement largement les applications de type télévision. Malgré leurs performances excellentes et leurs coûts réduits, la taille et le poids de ces écrans les rendent très peu pratiques pour des diagonales d’écrans supérieures à 80 cm. Les écrans à cristaux liquides sont très bien adaptés au marché des ordinateurs portables où les limites sur le poids et la consommation sont drastiques. Cependant, l’application des cristaux liquides aux écrans plats semble être actuellement limitée à des diagonales inférieures à 50 cm en raison notamment de la difficulté à réaliser, sur de grandes surfaces, les réseaux de transistors en couches minces nécessaires à la commande électrique des pixels. Par ailleurs, l’angle de vue relativement faible des écrans à cristaux liquides constitue encore une limitation importante de cette technologie. D’autres technologies à écrans platstellesquecellesdesécransélectroluminescents et des écrans à émission de champ semblent également prometteuses mais leur faisabilité dans la gamme de 1 m à 1,5 de diagonale n’a pas encore été prouvée. Au-delà de 97 1,5 m de diagonale, on retrouve la technologie à cristaux liquides, mais cette fois pour des systèmes de projection. L’épaisseur d’un écran à plasma de 1 m de diagonale avec son électronique de commande est d’environ 10 cm, pour un poids inférieur à 20 kg, contre 100 cm et 150 kg respectivement pour un écran à tube cathodique. Leur angle de vue est supérieur à 160°, ils présentent un excellent contraste et peuvent atteindre 16 millions de couleurs. La rapidité des processus de transport de particules chargées gouvernant le plasma de décharge électrique permet des vitesses d’adressage suffisantes pour la télévision. Enfin, la fabrication d’écrans de grande taille pose beaucoup moins de problèmes que celle des écrans à cristaux liquides. Figure 1 - Coupe d’un écran à plasma alternatif matriciel. Chaque cellule de décharge est à l’intersection d’une électrode ligne et d’une électrode colonne. Les dimensions transverses d’une celle sont entre 200 µm et 1 mm, suivant la taille de l’écran et sa résolution. La hauteur de l’espace gazeux entre les surfaces diaélectriques est de l’ordre de 100 µm. L’épaisseur de la couche d’émail est d’environ 20 µm, celle de MgO est inférieure 1 µm. PRINCIPES DES ÉCRANS À PLASMA Un écran à plasma est constitué de deux dalles de verres parallèles placées à environ 100 µm l’une de l’autre (figures 1 et 2). L’intervalle entre les deux dalles est rempli d’un mélange de gaz rares (néon ou hélium avec 5 à 10 % de xénon) à une pression de l’ordre de 500 torr (1 torr = 133 Pa). Des réseaux d’électrodes parallèles sont déposés sur les surfaces des dalles de verre en vis-àvis. Dans un écran de type matriciel les réseaux d’électrodes des deux dalles sont perpendiculaires. On peut, en appliquant une tension suffisamment élevée (supérieure à la tension de claquage du gaz) entre une ligne et une colonne, faire passer un courant dans le milieu gazeux, et créer ainsi, à leur intersection, un plasma de décharge électrique. La désexcitation spontanée ou induite des atomes de gaz rares excités par les électrons énergétiques du plasma conduit à l’émission de photons dont la longueur d’onde dépend de la nature du gaz. Dans les écrans à plasma couleur, on cherche à favoriser l’émission du plasma dans l’ultraviolet, de façon à obtenir, après interaction des photons UV avec des luminophores, 98 Figure 2 - Coupe d’une cellule d’écran à plasma alternatif matriciel (AC-M) et coplanaire (AC-C) dans un plan parallèle aux barrières diélectriques (perpendiculaire à celui de la figure 1). La décharge s’effectue entre les électrodes notées X et Y. des photons visibles dans les trois couleurs fondamentales. C’est généralement le xénon qui est utilisé pour l’émission de photons UV. Le niveau 3 résonnant Xe( P1) du xénon émet des photons à 147 nm. Dans les conditions de pression assez élevée des écrans à plasma, les collisions à trois corps entre l’état résonnant ou 3 l’état excité métastable Xe( P2) et des atomes de xénon et de néon entraînent également la formation d’états moléculaires excités du xénon (excimères) qui émettent dans un continuum de longueur d’ondes autour de 173 nm (cf. figure 3). Le néon ou l’hélium sont utilisés comme gaz tampons, uniquement pour abaisser la tension de claquage, qui est trop élevée dans le xénon pur. Dans la plupart des écrans à plasma actuels, les réseaux d’électrodes sont recouverts d’une couche diélectrique d’émail. Le rôle de cette couche isolante est double : d’une part, la capacité qui lui est associée permet de limiter le courant simplement, sans avoir à placer une résistance en série avec chaque cellule ; d’autre part, elle permet un adressage simple des cellules, basé sur un effet mémoire dû aux charges stockées sur De la physique à la technologie Figure 3 - Spectre UV typique d’un plasma de décharge luminescente à haute pression dans le xénon. les surfaces diélectriques (cf. encadré 1). En fait, la présence de cette couche capacitive au-dessus des électrodes impose un fonctionnement en régime alternatif. On distingue deux catégories d’écrans à plasma alternatifs : les écrans matriciels, AC-M, et les écrans coplanaires, AC-C (cf. figures 1 et 2). La couche isolante audessus des électrodes a environ 20 µm d’épaisseur, et est recouverte d’une couche protectrice diélectrique de MgO de moins de un micron. Cette couche protectrice, qui est bombardée par les ions de xénon et de néon du plasma, doit également avoir un coefficient d’émission électronique secondaire (nombre d’électrons émis par ion incident) élevé. Elle joue un rôle fondamental dans un écran plasma car, d’une part, la durée de vie de l’écran est directement liée à sa stabilité et à sa résistance à la pulvérisation par impact ionique, et, d’autre part, son coefficient d’émission électronique secondaire élevé doit permettre un fonctionnement à basse tension d’entretien. Le MgO est considéré actuellement comme le matériau idéal en raison de sa stabilité et de son coefficient d’émission secondaire élevé, de l’ordre de 0,3-0,5 pour des ions de néon. Comme décrit dans l’encadré 1, l’état allumé d’une cellule d’écran plasma alternatif est le résultat d’une succession de décharges électriques impulsionnelles. Pendant l’impulsion de courant qui dure de 10 à 100 ns, les électrons excitent et ionisent le milieu. La décharge cesse rapidement car la couche diélectrique recouvrant les électrodes se charge, ce qui entraîne une chute de la tension au sein du gaz. Les atomes excités libèrent progressivement leur énergie en émettant des photons pendant un temps plus long, de l’ordre de 1 ou 2 µs après l’impulsion de courant. A chaque changement de signe de la tension appliquée entre les électrodes, une nouvelle décharge impulsionnelle est activée. Une cellule d’écran plasma fonctionne dans un régime de décharge luminescente caractérisé par un degré d’ionisation (nombre d’électrons par particule lourde) faible, inférieur à 10–5, et des énergies moyennes électroniques inférieures à quelques eV. Les tensions d’amorçage sont typiquement comprises entre 250 et 300 V, et les tensions d’entretien entre 150 et 200 V. La densité de courant maximale dans une cellule atteint 10 A/cm2, et les densités de particules chargées dans le plasma restent inférieures à quelque 14 − 3 10 cm . La tension de claquage dépend du produit de la pression par la distance interélectrode. Les valeurs optimales de ce produit pour un écran plasma sont de 5 à 10 torr.cm. Au-delà, la tension d’amorçage devient trop grande (également, la décharge peut devenir instable et filamentaire) et, pour des valeurs inférieures, la marge de l’écran (cf. encadré 2) diminue. LA COURSE AU RENDEMENT Les écrans plasma ont actuellement un rendement lumineux limité, de l’ordre de 1 lm/W, ce qui signifie que seulement 0,5 % de l’énergie électrique dissipée dans une cellule est convertie en lumière visible utile. Ce chiffre est 2 à 3 fois plus faible que celui caractérisant les tubes à rayons cathodiques. L’augmentation de l’efficacité lumineuse est donc un thème prioritaire de recherche. Plusieurs facteurs affectent l’efficacité lumineuse : 1) le rendement UV de la décharge (éner- gie émise sous forme de photons UV rapportée à l’énergie électrique dissipée dans le plasma) ; 2) l’efficacité de collection des photons UV par les luminophores ; 3) le rendement de conversion des photons UV en photons visibles par les luminophores ; 4) l’efficacité de collection des photons visibles. Le rendement de la décharge est évalué par les modèles à environ 10 %, pour un mélange Xe-Ne (10 %-90 %). Le rendement de conversion des luminophores est estimé à 20 %. Puisque le rendement global est de 0,5 %, on peut estimer l’efficacité de collection géométrique des photons UV et visibles à 25 % (beaucoup de photons sont perdus vers la face arrière de l’écran). L’étude de matériaux luminophores plus efficaces, et l’optimisation de la géométrie de la cellule pour mieux collecter les photons sont donc des axes de recherches importants. L’efficacité de la production de photons UV par le plasma doit également être améliorée. Elle est conditionnée principalement par le mélange de gaz et sa pression, et par la géométrie des électrodes et de la cellule. Ces paramètres sont cependant soumis à des contraintes : 1) faible tension de fonctionnement pour simplifier l’électronique de commande ; 2) mélange de gaz stable, uniforme et non réactif ; 3) durée d’une impulsion de décharge courte pour permettre un adressage télévision ; 4) pulvérisation de la surface de MgO par bombardement ionique minimisée (durée de vie) ; 5) structure des cellules simple pour que le coût de fabrication reste modéré. La contrainte 2) impose l’utilisation de gaz rares. Le xénon est un gaz émetteur d’UV efficace, mais sa tension d’amorçage est élevée car les ions de xénon sont peu efficaces pour l’émission secondaire. L’utilisation d’un mélange de xénon et de néon permet de réduire la tension d’amorçage. La figure 4 montre que le choix du mélange de gaz résulte d’un compromis entre rendement lumineux élevé et tension d’amorçage faible. 99 Encadré 1 ALLUMAGE, ENTRETIEN ET EFFACEMENT D’UN ÉLÉMENT D’IMAGE D’UN ÉCRAN PLASMA ALTERNATIF Une tension alternative rectangulaire, la tension d’entretien, est appliquée en permanence entre l’ensemble des lignes et l’ensemble des colonnes à l’écran. L’amplitude de la tension d’entretien est inférieure à la tension d’amorçage des cellules. Sa fréquence est de l’ordre de 100 kHz. Pour faire passer la cellule de l’état éteint à l’état allumé, une brève surtension est appliquée entre ses électrodes de telle sorte que la tension aux bornes de la cellule dépasse la tension d’amorçage. Il en résulte une décharge électrique et la formation d’un plasma dans la cellule. Le courant qui traverse la cellule devenue conductrice charge les couches diélectriques positivement et négativement du côté cathodique et anodique respectivement. La tension due aux charges déposées sur les diélectriques s’oppose à la tension aux bornes des électrodes. La tension vue par le milieu gazeux (tension entre les surfaces diélectriques) chute et s’annule, et la décharge s’éteint. A l’alternance suivante de la tension d’entretien une décharge s’amorce à nouveau car la tension due aux charges sur les diélectriques s’ajoute maintenant à la tension aux bornes des électrodes. Cette décharge est à nouveau stoppée par l’accumulation de charges sur les couches diélectriques. On voit sur la figure ci-contre que, dans l’état allumé, une surface diélectrique porte successivement les charges + Q, – Q, + Q... à la fin de chaque demi-période de la tension d’entretien. Puisque la tension aux bornes du gaz est nulle après chaque impulsion de courant, la charge Q est liée à la tension d’entretien Vs par Q = Ceq Vs, où Ceq est la capacité équivalente des deux couches diélectriques. On peut en déduire que la décharge correspondant à l’impulsion d’allumage de la cellule doit déposer la charge + Q sur l’une des deux surfaces diélectriques (– Q sur l’autre) tandis que les décharges d’entretien qui suivent transfèrent respectivement – 2 Q, + 2 Q, etc. (+ 2 Q, – 2 Q,... sur l’autre surface). La cellule reste dans l’état allumé grâce à cet « effet mémoire » lié aux charges déposées par l’impulsion d’écriture (ou d’allumage) et qui passent d’un diélectrique à l’autre à chaque impulsion de courant. Pour faire passer une cellule de l’état allumé à l’état éteint, il faut annuler la charge de mémoire. Cela peut se faire simplement en appliquant entre les électrodes de la cellule une tension plus petite que Vs et ajustée de façon à ne transférer que + Q et – Q sur les surfaces diélectriques. Puisque la charge transférée par chaque impulsion de courant est fixée par la capacité des couches diélectriques et par l’amplitude de la tension d’entretien, on ne peut pas moduler 100 le courant de décharge ni l’intensité de l’émission lumineuse d’une cellule. Les demi-teintes sont donc obtenues en adressant plusieurs fois les cellules pendant une période image. On obtient ainsi 256 niveaux de gris en adressant les cellules 8 fois par période image. L’image est donc codée sur 24 bits par pixel trichrome (8 bits par couleur). Enfin, la tension d’entretien d’un écran doit être choisie dans un intervalle bien défini, la marge, dont la valeur maximale est liée à la tension d’amorçage, et la tension minimale à la tension de décharge luminescente (cf. encadré 2). Si la tension d’entretien est au-dessus de la borne supérieure de la marge, on ne peut pas effacer les cellules, si elle est plus petite que la borne inférieure, on ne peut pas maintenir l’état allumé. Il est fondamental de rechercher des conditions de fonctionnement où la marge est grande, pour éviter que des cellules qui ne seraient pas parfaitement identiques aient des marges disjointes. Tension appliquée et courant de décharge au cours d’un cycle « allumage – entretien – effacement » pour une cellule d’écran plasma alternatif matriciel. La charge des diélectriques avant et après chaque impulsion de courant est représentée schématiquement. La tension rectangulaire d’entretien (les temps de montée sont en fait de l’ordre de 200 ns) est appliquée en permanence entre les lignes et les colonnes. Les paliers de la tension d’entretien sont utilisés pour exciter les cellules. De la physique à la technologie Figure 4 - a) Rendement lumineux mesuré et calculé d’une cellule d’écran matriciel, en fonction du pourcentage de xénon dans le néon, pour une pression totale de 560 torr et une distance de 100 µm entre surfaces diélectriques ; le modèle ne simulant pas la conversion photons UV – photons visibles, les résultats sont normalisés par rapport au rendement expérimental à 10 % de xénon. b) Tensions d’entretien minimale Vs, min et maximale Vs, max (définissant la marge) mesurées et calculées d’une cellule d’écran plasma alternatif matriciel en fonction du pourcentage de xénon. Les valeurs élevées des tensions de fonctionnement dans le xénon pur imposent un fonctionnement à faible concentration de xénon (inférieur à 10 %), ce qui diminue le rendement. La modélisation du plasma de décharge est indispensable pour comprendre la synergie des phénomènes physiques mis en jeu et rechercher les conditions optimales de fonctionnement. LA MODÉLISATION : UN OUTIL DE DIAGNOSTIC INDISPENSABLE Les plasmas froids sont décrits à l’aide d’équations de transport pour les particules chargées couplées aux équations de champ. Une représentation fluide, particulaire, ou hybride des phénomènes de transport est utilisée suivant les cas. Dans un écran à plasma, le milieu est suffisamment collisionnel pour qu’une approche fluide soit raisonnable. Dans un modèle fluide, les phénomènes de transport électronique et ionique sont décrits à l’aide de grandeurs moyennes (densité, vitesse moyenne et énergie moyenne) et il est nécessaire de faire des hypothèses sur la distribution énergétique des particules. Dans une cellule d’écran à plasma, la fonction de distribution électronique n’est pas maxwellienne et ne peut pas toujours être simplement définie par une température ou une énergie moyenne. On utilise alors des modèles hybrides dans lesquels la queue de la fonction de distribution électronique (correspondant aux électrons énergétiques susceptibles d’exciter et d’ioniser les atomes du gaz) est décrite de façon particulaire tandis que les électrons froids sont traités comme un fluide. Dans la description particulaire, on simule les trajectoires d’un nombre représentatif d’électrons qui évoluent dans l’espace des phases sous l’effet du champ et des collisions. Les collisions sont considérées comme des événements stochastiques et traitées par simulation Monte Carlo. A ce modèle électrique du plasma est adjoint un modèle décrivant la cinétique des espèces excitées et le transport des photons. Dans les conditions d’une cellule d’écran plasma, le modèle cinétique peut être traité séparément, les taux de production d’espèces excitées par impact électronique étant tirés du modèle de transport électronique. La présence des atomes excités affecte relativement peu la fonction de distribution électronique et l’ionisation du milieu (en d’autres termes, les collisions entre électrons et atomes excités peuvent être négligées en première approximation). Cela est dû à la relativement faible puissance dissipée dans une cellule d’écran plasma. Le modèle cinétique fournit les taux de production de photons par le plasma. Les photons émis par l’état résonnant Xe(5P1) peuvent être absorbés par un autre atome de xénon, puis réémis, et cela plusieurs fois avant d’atteindre les surfaces de la cellule. Le transport de ces photons « emprisonnés » ne peut pas être décrit par un simple mécanisme de diffusion car la distance d’absorption dépend fortement de la fréquence du photon (la raie de résonance a une largeur finie). On utilise donc une simulation Monte Carlo pour décrire le transport des photons résonnants. Les photons émis par les états excimères du xénon ne sont pas réabsorbés par le milieu et leur transport peut donc être décrit très simplement. Le modèle physique global fournit donc, à partir de la donnée des conditions de fonctionnement de la cellule et des tensions appliquées, une description détaillée de la formation et de l’extinction du plasma, et permet de calculer les flux de photons vers les différentes surfaces de la cellule. La figure 5 illustre le modèle électrique du plasma dans le cas d’une cellule coplanaire en régime d’entretien. Le modèle permet en particulier de déterminer les régions dans lesquelles l’excitation du xénon (et donc la production de photons UV) est plus intense. On voit sur cette figure que les états excités du xénon sont produits dans la zone de fort champ électrique au-dessus de la cathode (gaine ionique), mais également, et en quantité non négligeable, dans la zone de champ électrique modéré audessus de l’anode. La production d’états excités est en fait beaucoup plus efficace dans cette région à champ faible. En effet, dans la gaine ionique au-dessus de la cathode les électrons sont trop énergétiques et transfèrent une partie non négligeable de leur énergie au néon, dont les énergies d’excitation et d’ionisation sont supérieures à celles du xénon. De plus, la région de la gaine cathodique est peu efficace pour la production d’UV car une partie importante de l’énergie totale y est dissipée par les ions lors de collisions avec les neutres ou avec les surfaces diélectriques (environ 50 % de l’énergie 101 Encadré 2 AMORÇAGE ET BISTABILITÉ D’UNE DÉCHARGE ÉLECTRIQUE L’amorçage d’une décharge électrique dans un gaz (ou le claquage du gaz) est la transition de l’état isolant vers un état conducteur du milieu. Après application d’une tension, les quelques électrons libres présents dans le gaz sont accélérés et peuvent atteindre (si le rapport entre le champ électrique et la densité de gaz est suffısamment élevé) des énergies suffısantes pour exciter et ioniser les atomes du gaz ; les seuils d’énergie pour l’excitation et l’ionisation des gaz rares sont typiquement entre 10 et 20 eV. Cela conduit à la formation d’avalanches électroniques. Les ions positifs résultant de l’ionisation du gaz sont accélérés vers la cathode et peuvent en extraire des électrons secondaires. L’amorçage se produit quand chaque électron atteignant l’anode est remplacé, en moyenne, par un électron secondaire émis par la cathode sous l’effet du bombardement ionique (ou des photons). La décharge électrique est dans ce cas auto-entretenue. La tension d’amorçage dépend du produit de la pression par la distance interélectrode, du mélange de gaz et du matériau de cathode. Si le courant est limité à l’aide d’une résistance extérieure, la décharge peut fonctionner dans un régime à bas courant (régime de Townsend) dans lequel la distorsion du champ électrique géométrique due à la charge d’espace électronique et ionique est négligeable. Dans ce régime, la densité électronique dans l’espace interélectrode est faible devant la densité ionique, car les électrons sont beaucoup plus mobiles que les ions. Quand le courant est augmenté progressivement, en diminuant la résistance du circuit extérieur, l’accumulation d’ions positifs entre les électrodes commence à entraîner une distorsion du champ électrique. Cette distorsion change le bilan énergétique électronique et tend généralement à augmenter l’énergie électronique et la multiplication par avalanches. Elle conduit à une décroissance de la tension aux bornes des électrodes. Quand le champ de charge d’espace dû aux ions devient du même ordre que le champ appliqué, les électrons ne peuvent plus diffuser librement dans le gaz et il se forme, du côté anodique, une zone quasi neutre, le plasma, dans laquelle les électrons et les ions diffusent ensemble. Le champ électrique dans la région quasi neutre chute, et le potentiel se redistribue dans la région comprise entre la cathode et le plasma (la « gaine »). Le plasma s’étend et la gaine cathodique se contracte jusqu’à ce que la condition d’auto-entretien soit à nouveau satisfaite. Ce nouveau régime dans lequel la distribution du champ est fortement perturbée 102 par la présence d’un plasma est le régime de décharge luminescente. Cette nouvelle configuration du champ est plus effıcace du point de vue du bilan énergétique électronique et permet de fonctionner à une tension plus basse que la tension de claquage, comme l’indique la figure ci-dessous. La tension minimum de fonctionnement, qui est appelée tension d’extinction dans un panneau à plasma à courant continu dépend du gaz et du matériau de cathode avec des valeurs typiques de l’ordre de 150 à 300 V. Le fait que la décharge puisse opérer à une tension inférieure à celle requise pour l’amorçage est fondamental dans l’application aux écrans à plasma. L’existence de cette bistabilité naturelle des décharges combinée à l’effet mémoire décrit dans l’encadré 1 rend possible l’adressage de cellules spécifiques d’un réseau sans changer l’état (éteint ou allumé) des autres cellules. En d’autres termes, on peut envisager, en appliquant la même différence de potentiel entre les lignes et les colonnes d’un réseau, entretenir certaines cellules dans un état éteint. Caractéristique courant-tension d’une décharge électrique. Le fonctionnement bistable d’une cellule est possible parce que la tension requise pour amorcer la décharge est supérieure à la tension de fonctionnement en régime de décharge luminescente (caractéristique à pente négative entre deux régimes stables). De la physique à la technologie Figure 5 - Courbes équipotentielles (lignes) et puissances électronique dissipée dans l’excitation du xénon dans une cellule d’écran alternatif à électrodes coplanaires, à quatre instants d’une impulsion d’entretien (mélange Xe-Ne 10%-90%, à une pression totale de 500 torr). Les unités de l’échelle de couleurs sont respectivement 1.8, 5.5, 7.9, 3.8 104 W/cm-3, aux instants 133, 150, 157, et 166 ns. Les lignes équipotentielles mettent en évidence l’effet des charges de mémoire déposées sur les diélectriques par l’impulsion précédente : bien que la tension d’entretien apppliquée soit de 170 V, la différence de potentiel maximale entre deux points situés sur les diélectriques, au-dessus des électrodes, est de l’ordre de 300 V. La déformation des équipotentielles au cours du temps est liée à la formation à l’expansion du plasma : le champ électrique décroît et les équipotentielles s’écartent dans le plasma qui est un milieu conducteur. L’expansion du plasma comprime la zone de champ élevé vers la cathode. L’excitation du milieu se produit à l’interface entre la zone de champ élevé (gaine ionique) et le plasma, et également au-dessus de l’anode. Le plasma « glisse » le long de la surface, au-dessus de l’anode, car la charge de la surface par les électrons induit une chute du potentiel local et un « glissement » des électrons le long de la surface, vers des régions à potentiel plus élevé. Le champ électrique associé à cette chute de potentiel le long de la surface, est responsable de l’excitation du milieu dans cette région. L’émission infrarouge de la décharge a été enregistrée à l’aide d’une caméra ultrarapide par l’équipe du Professeur Uchiike à l’Université d’Hiroshima ; ces mesures confirment qualitativement les calculs. totale est dissipée de façon « inutile », par les ions). L’exemple ci-dessus montre comment la modélisation permet d’identifier les conditions pour lesquelles l’énergie électronique est dissipée le plus souvent possible. Elle est également utilisée comme outil d’aide à la conception, pour rechercher les configurations d’électrodes ou les mélanges de gaz qui optimisent le rendement UV de la décharge. PERSPECTIVES Bien que les principales idées et concepts actuels sur les écrans plats à plasma aient été définis à l’Université d’Illinois dans les années 60-70, la recherche sur ce thème a été menée surtout par des équipes industrielles. La faisabilité d’écrans plasma de grande taille, de performances et de qualité d’image compétitives n’a été démontrée que dans les années 90. Au moment où les compagnies Japonaises et Coréennes ont annoncé des plans d’investissement importants pour la production d’écrans plats à plasma, il apparaît que cette technologie est en mesure de conquérir une part importante du marché de la télévision dans les 5 à 10 années à venir. Un effort de recherche important est cependant encore nécessaire pour atteindre et dépasser les performances des tubes à rayons cathodiques. Les modèles physiques contribuent de façon essentielle à cet effort mais des études expérimentales systématiques des propriétés du plasma à l’aide des méthodes de diagnostic électriques ou spectroscopiques font cruellement défaut. Des recherches de base sur les matériaux (couche émissive, interaction plasma-surface, luminophores) sont également indispensables. POUR EN SAVOIR PLUS Weber (L.F.), in Flat Panel Displays and CRTs, edited by L.E. Tannas Jr. Van Rostrand Reinbold, New York, 1985, Vol. 322. Deschamps (J.), Doyeux (H.), Physics World, pp. 39-43, juin 1997. Doyeux (H.), Barret (G.), Science et Technique, Le Vide n° 281, pp. 1-15, juillet 1996. Bœuf (J.P.) et Doyeux (H.), Europhys. News, pp. 46-49, mars-avril 1996. Bœuf (J.P.), Punset (C.), Hirech (A.) et Doyeux (H.), à paraître, Journal de physique, 1998. Article proposé par : Jean-Pierre Bœuf, tél. 05 61 55 68 60, e-mail : [email protected], Cédric Punset et Leanne Pitchford. Cet article est le résultat d’un travail d’équipe auquel participent Guillaume Auday, Henri Brunet, Jacques Galy, Philippe Guillot, pour la partie expérimentale au CPAT, ainsi que Henri Doyeux à Thomson Tubes Electroniques (Moirans). Ph. Belenguer, A. Hirech, et J. Meunier ont également contribué à la modélisation. 103