D`étudiant à intervenant, il garde intacte sa passion pour la télé

Transcription

D`étudiant à intervenant, il garde intacte sa passion pour la télé
Numéro spécial 90e anniversaire de l’École supérieure de journalisme de Lille - Samedi 11 octobre 2014
2
Sommaire
À l’occasion des 90 ans de l’École supérieure de journalisme de Lille, l’association des anciens Réseau-ESJ a organisé pour ses adhérents trois jours exceptionnels les 10,
11 et 12 octobre. Cette Gazette spéciale, réalisée dans
l’urgence par les étudiants de la 89e promotion, tente de
relater les meilleurs moments de cet événement unique. Il
manque la soirée de gala au Vélodrome de Roubaix. Pour
une bonne raison : le pari était d’y distribuer cette Gazette...
8 - Colloque et signatures
Le progamme
Mercredi 8 octobre
Numéro 0
Furet du Nord, présentation de la
révue réalisée par les étudiants de
la 88e sur les journalistes
Jeudi le 9 octobre
Projection
Au Palais des Beaux-Arts, projection de «Les Gens du Monde».
Vendredi 10 octobre
Leçon inaugurale
par Anne Sinclair à la Mairie de
Lille (
Exposition
Inauguration de l’exposition
sur le journalisme.
Cocktail
Après la leçon à la Mairie.
Diplômes
Dans la foulée, remise des diplômes à la 89e dans le grand
amphi de l’École.
Bal à Jules
Teuf dans les locaux de l’École
Samedi 11 octobre
A.G.
Assemblée générale des
Anciens
Buffet
Cocktail et buffet
Colloque
Colloque à L’ESJ
3 - Accueil par la Mairie
4 - Les gens du Monde
Expo Labasse
5 - La leçon inaugurale
6 - Bal à Jules
7 - A.G. de Réseau ESJ
9 - Philippe Rochot expose
10 - 11 L’ESJ aujourd’hui
12 - 13 Les piliers
Éditorial
Pierre Savary
Directeur de l’ESJ-Lille
14 - Les enfants ESjiens
15 - Le test
16 - Les années quarante
18 - Les années cinquante
20 - Les années soixante
22 - Les années soixante-dix
24 - Les années quatre-vingt
26 - Les années quatre-vingt-dix
28 - Les années deux mille
30 - Les années deux mille dix
Jeune et vieille dame
À l’approche de ce 90e anniversaire, en rendant cette
semaine hommage au fondateur de l’École, Paul Verschave, en discutant avec sa petite-fille des archives de
son grand père, j’ai eu une pensée pour tous ceux qui
ont accompagné cette « jeune et vieille dame » pour
reprendre l’expression de l’un d’eux, Loïc Hervouet.
Paul Verschave a fondé l’École en 1924, entre deux
guerres, il fut le premier.
Robert Hennart l’a dirigée pendant trente ans à partir de l’immédiate après-guerre, les autres pendant des
Gala
Soirée de gala au Vélodrome
de Roubaix
Dimanche 12 octobre
Clôture
Matinée culturelle et apéritif
de clôture.
Un ours bien léché
Cette Gazette a été écrite et
mise en page par les “deuz”,
étudiants de la 89e promotion sous la baguette d’Yves
Sécher (49e) intervenant à
l’École pour l’Édition.
périodes plus courtes. Ces directeurs, ces présidents,
ces serviteurs de l’ESJ ont connu l’École à un moment
donné de son histoire, dans des contextes différents.
Tous ont essayé de l’accompagner, cet anniversaire est
aussi le leur.
Il est celui de tous ceux, permanents – journalistes ou
non –, pédagogues, formateurs, qui ont donné à cette
École quelle qu’en soit la période ou la forme.
Il est aussi bien sûr celui de tous les Anciens, de toutes
les promotions, la 27e est la plus ancienne représentée
cette année. Merci à vous tous pour cette fidélité à votre
École.
Gazette du 90e anniversaire de l’ESJ Lille du 10 au 12 octobre 2014
Echos
des discours
C’est un message positif pour
l’avenir du journalisme
3
Vendredi 10 octobre.16h30.
Rendez-vous à la mairie de Lille. La journaliste Anne Sinclair y prononce la leçon inaugurale à la 90e promotion
de l’ESJ [page suivante]. Cette tradition remonte à près
d’une quarantaine d’années. Huit cents personnes au moins
– Anciens, étudiants et nombreuses personnalités – sont
accueillies dans le hall d’honneur de l’Hôtel-de-ville par
Martine Aubry, maire de Lille.
Réception
à la Mairie
Martine Aubry, maire de Lille :
« L’ESJ, une école dont nous sommes fiers ! »
Martin Delacoux (90e)
Ce que je retiens de tous ces discours,
c’est un message positif, surtout en
ce qui concerne le numérique, qui
est l’avenir du métier. J’ai été marqué
par certains discours, notamment par
la transparence de Martine Aubry et
d’Anne Sinclair. Il faut apprendre à ne
pas tout dire.
Ce que raconte Anne Sinclair
est un peu du quotidien
Sophie Bogatay, journaliste (58e)
C’était super long. Hervé Bourges,
il déjeune, il déjeune. Il côtoie les
grands de ce monde comme toujours,
il n’a pas changé. Martine Aubry est
très sympa, très sobre. Anne Sinclair
fait un petit peu sourire. Ce qu’elle
raconte c’est un peu loin du quotidien qu’on vit mais ça motive, ça fait
du bien à entendre. C’étaient des discours très sympas.
L
e grand carré de l’hôtel
de ville de Lille était plein
comme un œuf pour écouter le discours de Martine Aubry.
Derrière son pupitre, la maire de
Lille a exprimé son « bonheur » de
fêter le 90e anniversaire de l’ESJ
Lille, « convaincue qu’il était partagé ».
« Nous sommes fiers de notre
École », a souligné d’emblée Martine Aubry. « Il n’y a pas un endroit où j’aille sans qu’on me parle
de cette école », a-t-elle ajouté.
Brossant un rapide historique de
l’institution depuis sa fondation
en 1924, la maire a rappelé que les
Anciens de l’ESJ Lille étaient les
« meilleurs ambassadeurs » de la
capitale des Flandres, en France
comme à l’étranger.
Tout en rappelant l’aide financière et morale que la mairie de
Lille a toujours apportée à l’ESJ,
y compris quand celle-ci rencontrait des difficultés financières,
Martine Aubry a loué la « rigueur » inculquée par l’Ecole à ses
étudiants, ainsi que sa formidable
capacité d’innovation à l’heure de
la révolution numérique. L’ESJ
« a toujours été tournée vers l’avenir », a salué l’élue. Ce qui lui a
permis au fil du temps de devenir
« une référence ».
Cette réussite, a expliqué Martine
Aubry, tient essentiellement à la
qualité du personnel de l’école,
mais aussi à ses valeurs. Et au
premier plan « la modestie, qui
n’empêche pas l’ambition ».
La maire de Lille a également rappelé le rôle « irremplaçable » du
journalisme dans les démocraties
modernes et la « responsabilité »
des médias dans la transmission
de l’information. Une responsabilité à laquelle les anciens de
l’ESJ Lille tentent d’être à la hauteur depuis 90 ans.
Adrien Lelièvre
Fleur Pellerin : « Avec le numérique, tout
change »
Anne Sinclair est restée fidèle
aux fondamentaux
Guillaume Carré, journaliste (13e
PHR)
Anne Sinclair est restée fidèle aux fondamentaux. Elle a rappelé ce qu’est la
base du métier et c’est plutôt pas mal, à
l’heure actuelle où ça se disperse un peu
dans tous les sens. Vérifier, recouper
avant de publier la moindre information, c’est la base, c’est bien de le rappeler.
La ministre de la Culture et de la Communication Fleur Pellerin
a mis le numérique et son rôle dans l’évolution du journalisme
au cœur de son discours. « Le plus beau métier du monde » est à
un tournant, a souligné Fleur Pellerin. « Car avec le numérique, tout
change ». La ministre a invité les écoles de journalisme, qui « jouent
un rôle crucial dans l’avenir de l’information en France », à embrasser
cette évolution « immense et sans équivalent » dans l’histoire. « Le
renouveau et l’ébullition sont la clé », a-t-elle souligné, précisant que
les étudiants en journalisme d’aujourd’hui feront « muter l’ADN de
l’information ». Une tâche que la ministre a qualifié d’« exaltante ».
« Dans un contexte de profusion, et parfois de confusion », la ministre a
loué la capacité d’innovation des médias français, citant Elle, vendu
dans 60 pays, Mediapart, observé dans le monde entier pour sa
réussite économique en ligne, ou encore l’AFP et son « haut degré
de professionnalisme ». Car « contrairement à une idée reçue, la presse
se renouvelle beaucoup », a estimé la ministre.
Gazette du 90e anniversaire de l’ESJ Lille du 10 au 12 octobre 2014
4
Jeudi 9 octobre, au Palais des Beaux-Arts, était projeté le documentaire Les Gens
du Monde, réalisé par Yves Jeuland. Pendant cinq mois, le réalisateur s’est immergé
dans le service politique du quotidien, au moment de la campagne présidentielle
de 2012. L’ occasion de scruter le métier, avec ses acteurs en pleine action. Bertrand
Labasse, lui, a délaissé l’habit de journaliste scientifique pour s’inscrire dans un
temps plus long : celui de la recherche. Enseignant en Sciences de l’information à
l’université d’Ottawa et à l’ESJ, ce Canadien d’adoption a traversé une nouvelle fois
l’Atlantique pour inaugurer son musée virtuel de la presse francophone. Marque
du temps, ce travail est à découvrir sur Internet. Mais l’inauguration officielle a eu
lieu à l’hôtel de ville de Lille, vendredi 10 octobre.
Docu
&
Expo
Au centre du Monde
ser le film, le documentariste a dû
faire des choix. Sur les 168 heures
de rush, moins d’1 % a été gardé.
Pendant près d’une heure et demie,
la caméra se faufile dans les couloirs de la rédaction, témoin des
doutes et des joies de ces « gens »
qui la composent.
Interroger la sélection des journalistes
«
Les meilleurs
journalistes ne
doivent pas
avoir de vie
privée
Ce qui m’a le plus épaté, c’est le
rythme de travail... Je me dis
que les meilleurs journalistes
ne doivent pas avoir de vie privée »
confie Yves Jeuland sur la scène de
l’auditorium du Palais des Beaux
Arts. À ses côtés, Raphaëlle Bacqué, grand reporter au Monde. Elle
qui scrute et analyse, la voici à son
tour observée derrière la caméra
– discrète – du réalisateur. « C’est
toujours difficile de laisser filmer les
cuisines. On a l’impression qu’on est
sales, fatigués en permanence. Ce
n’est pas flatteur. Mais en contrepartie, on constate notre investissement », explique-t-elle. Pour réali-
Parmi les débats quotidiens du
journal, celui du recrutement
des jeunes journalistes. Florence
Aubenas défend Le Monde Académie, une alternative aux grandes
écoles. « C’est un échec » estime
Raphaëlle Bacqué. « La vérité,
c’est que l’ESJ et le CFJ trustent les
embauches. Il est extrêmement rare
de trouver quelqu’un qui sait écrire
sans avoir fait d’études. » Aux premières heures du Monde, les nouveaux venus sont encore formés
sur le tard, auprès d’anciens. « Aujourd’hui, on demande aux jeunes
d’être immédiatement opérationnels. Le fait d’avoir fait une école est
un plus indéniable. »
Quant à l’image de ce journal historique, la voilà mieux connue.
« J’ai vu des jeunes de vôtre âge, en
jean et basket », raconte Yves Jeuland. De quoi motiver les quelque
300 étudiants présents dans la salle.
Clément Melki
Paroles
d’Anciens
Alain Quesseveur (42e promo)
De la campagne à la ville...
Le passage abrupt d’une adolescence
quasi-rurale à la semi-modernité de la
métropole lilloise. L’ apprentissage du
métier s’obscurcit, mais les images des
à-côtés de l’ESJ gardent leur éclat : le
clinquant des néons de la Grand’Place,
les sombres arrières-cours de Wazemmes, les heures perdues (peut-être
pas) au Furet du Nord. Le vieux tram
brinquebalait ; le cheval tirait encore
le lourd fardier du livreur de bière et
l’on pouvait s’étourdir d’interminables
séances du ciné-club. Le ciné sans fin,
histoire et nouveauté, avec toujours
d’étonnantes merveilles : Joseph Losey,
en personne, venant parler de ses
films; Henri Langlois prêtant de précieuses bobines de la cinémathèque;
des débats jusqu’au bout de la nuit
sur des films aujourd’hui oubliés. Il y
avait parfois quelque féérie au détour
de ces années d’études lilloises...
Bertrand Fichou (59e promotion)
Le rebelle de la promo 59
J’ai été le seul étudiant, je crois, à avoir
eu un examen de passage pour passer
en deuxième année. Tout le monde
se promenait avec Le Monde ou Libé
sous le bras et moi j’avais décidé de ne
pas lire du tout d’actu par pur esprit
de contradiction. J’ai donc du passer l’été à rattraper mon retard, pour
passer un examen devant le directeur
Maurice Deleforge.
On avait organisé une soirée déguisée à l’Ecole. Vers le milieu de la nuit,
trois types habillés en policiers arrivent près de la grille. Je les accueille,
épaté : super déguisement ! Et ils me
répondent qu’ils ont été appelés par
les voisins pour tapage nocturne...
Bertrand Labasse et “la tache aveugle”
Le chercheur en sciences de l’information Bertrand Labasse (université d­ ’Ottawa et ESJ)
D
es unes de journaux, aussi
symboliques que les évènements sur lesquelles
elles titrent. Des cartes de presse,
des outils d’imprimerie, et plus
loin, une relique : le sac de cou-
chage du journaliste américain
qui a annoncé l’arrivée d’Hitler
à la frontière tchèque...et qui fut
capturé quelques années plus
tard. Ce sont ces « Moments de
presse » que propose Bertrand
Labasse, professeur à Ottawa, et
journaliste à la mairie de Lille
jusqu’au 24 octobre. Une exposition « physique », qui se veut
avant tout une vitrine d’un projet
plus important : « Je voulais créer
une véritable collection muséale
du journaliste et du journalisme,
pour que l’on oublie pas tous ces
objets pratiques du métier. ». Et
ainsi, quelques pièces exposées,
déclinées par thématique : les
difficultés du journaliste, la pression exercée sur son quotidien et
des anecdotes liées au métier. «
Ce n’est pas du tout historique et
linéaire ! La visite se veut avant
tout ludique, explique Taïna Cluzeau, une ancienne élève tout
Gazette du 90e anniversaire de l’ESJ Lille du 10 au 12 octobre 2014
juste diplômée de la filière journaliste scientifique, qui a largement contribué à l’existence et la
mise en place de cette exposition.
« Moments de presse » se veut être
également un projet de « musée
sans murs », avec un site Internet,
momentspresse.org, où l’on peut
retrouver plus de reliques du
journalisme, des visites guidées
thématiques...mais sans caféteria
!
« Moments de presse » à la mairie
de Lille, jusqu’au 24 octobre. Entrée libre. Continuer la visite sur
momentspresse.org.
Liza Kroh
5
Anne Sinclair,
« une femme pleine
de paradoxes »
En quarante ans de carrière, Anne Sinclair a interviewé
beaucoup de personnalités politiques. À tel point qu’elle
ne souhaite plus le faire aujourd’hui. « Ce sont toujours les
mêmes. » La directrice éditoriale du Huffington Post français
aurait pu revenir à la télé, mais c’est la radio qu’elle a choisie, (Europe 1) où elle reçoit chaque samedi à 8h30 un invité
dans un cadre très libre. Elle nous a donné rendez-vous dans
un café du septième arrondissement de Paris.
E
Les étudiants attendaient Anne
Sinclair. Ils ont eu le discours
conformiste d’une journaliste
peu encline à s’aventurer hors
des sentiers battus. « On attendait des exemples concrets sur son
expérience à elle, c’était bateau et
trop généraliste » témoignent de
nombreux étudiants de la 90ème
promotion. Etre curieux, avoir
envie, creuser les sujets difficiles
et se lancer dans ceux où on ne
nous attend pas ? Les conseils
d’Anne Sinclair n’étaient que «
poncifs enfilés comme sur un collier de perle » lance Thibault.
Un constat partagé par la plupart de ses camarades qui n’ont
pas manqué de souligner les
ambiguïtés de la journaliste. «
Elle nous dit d’aller en profondeur
dans les sujets, de faire du fact
checking mais le Huffington Post
fonctionne en partie grâce à la
stratégie du click, du buzz, grâce
aux tribunes de gens connus et
médiatisés, sans aucun fact checking » constate Daxia. Se méfier
des connivences, autre recommandation d’Anne Sinclair, a
fait sourire plus d’un étudiant. «
Pour une personne qui a baigné
dans le milieu des politiques pendant plusieurs années, c’était plus
que limite» confie Cyril. « Invraisemblable quand on tutoie Martine Aubry ! » renchérit Clément.
« Anne Sinclair est une femme
pleine de paradoxes » conclut
Juliette.
Reste que les journalistes en
herbe ont apprécié certaines
prises de position. Du haut de
ses quarante ans de carrière,
Anne Sinclair condamne le snobisme de la presse papier et place
le journalisme web au même niveau. Pour Nadine, la journaliste
a rappelé la qualité essentielle du
métier, celle de l’humilité : « On
ne sera jamais aussi important
que le sujet qu’on traite, c’était
bien de le rappeler ». « Parfois,
on oublie que l’information prime
avant tout, avant la personnalité
» constate Julia, « modestie ne
rime pas avec absence d’ambition,
elle a raison ».
Justine Sagot
La leçon
inaugurale
Anne Sinclair, intervieweuse interviewée
lle préfère la rareté à l’exposition
médiatique permanente. « Les
journalistes se prennent trop souvent pour ce qu’ils ne sont pas. ». Pour
elle, l’humilité compte parmi les qualités
d’un bon journaliste. « Interviewer, c’est
être humble, c’est permettre à quelqu’un
de délivrer son message. »
C’est qu’elle a sa vision du journalisme,
et elle s’y tient : son métier n’est pas de
se montrer, mais de transmettre. Comprendre, et faire comprendre ce qui se
passe. « Même si le journalisme a évolué, du fait de la technique notamment,
les mêmes exigences demeurent : être le
plus juste, le plus honnête possible. » Si
elle n’avait pas été journaliste, la newyorkaise d’origine aurait voulu être professeur.
« Je n’ai jamais fait de plan de carrière,
ma seule ambition était de faire ce qui
m’intéressait. » Toute en retenue, Anne
Sinclair prend le temps de réfléchir aux
réponses qu’elle délivre. Et ne peut s’empêcher de poser elle-même quelques
questions. Sa curiosité, elle ne peut s’en
défaire, même pour quelques minutes.
« C’est exaltant d’explorer des continents
inconnus ! Ce qui m’intéresse, c’est de
comprendre », sourit-elle.
Femme des 90’s
Après avoir consacré quatorze années
de sa vie à une émission politique emblématique de la télévision, « 7 sur 7 »,
son exaltation, dans ce domaine, s’est
un peu tarie. « Christine Ockrent et moi
étions parmi les premières à avoir investi
un monde très masculin. À l’époque,
on confiait aux femmes les sujets sur la
santé, la famille, l’éducation… Jamais sur
la politique, l’économie ou la politique
étrangère. », note-t-elle. Elle a vécu des
moments très forts : l’interview de Gorbatchev huit jours avant que l’Union
Soviétique ne s’écroule, par exemple. À
ce sujet, elle raconte : « C’est une fierté
de faire dire à quelqu’un l’essentiel de ce
qu’il est ou de ce qu’il fait. L’interview
politique c’est compliqué. L’important
ce n’est pas la première question, c’est la
seconde ! »
Elle se définit comme « une de ces
femmes des années 90 qui ont essayé
de tout concilier ». Et quand il s’agit de
travail, elle ne compte pas ses heures :
ses interviews requièrent beaucoup de
préparation en amont. « Je suis une besogneuse. Une laborieuse, pas par vertu
mais par confort. » À ses yeux, la réussite passe surtout par la reconnaissance
de ses pairs. « C’est ce qu’il y a de plus
important. Il ne faut pas que les jeunes
qui l’entreprennent le fassent pour la
notoriété. » La sienne, elle la subit plus
qu’autre chose.
« Je n’ai jamais rêvé de starification »,
insiste celle qui s’est destinée au journalisme dès l’âge de 10 ans. Son nom est
pourtant l’un des plus connus au sein la
profession. Mais le projet qu’elle préfère,
« c’est le dernier en date ! ». Et d’ajouter :
« Je n’ai jamais le regard en arrière. Il
faut aller de l’avant ! »
C. de Blasi et C. Delattre
L’interview
politique c’est
compliqué. L’important ce n’est
pas la première
question, c’est la
seconde !
Repères
1948 : Anne Sinclair naît à New-York. Ses parents
s’installent en France quelques années plus tard,
en 1951
1973 : Elle entre à Europe 1 après avoir obtenu une
maîtrise de droit et un diplôme de Sciences Po
1976 : Elle intègre la rédaction de France 3.
1984 : Le magazine politique 7 sur 7, qu’elle présente jusqu’en 1997, lui permet de se forger une
solide réputation de journaliste politique
1986 : Elle est nommée directrice adjointe de
l’information de TF1, en plus de la présentation de
son émission.
2010 : Nomination au conseil d’administration du
musée Pablo Picasso.
2012 : Anne Sinclair devient directrice éditoriale
du Huffington Post
2014 : Depuis la rentrée, la journaliste interviewe
chaque semaine des personnalités qui font l’actualité sur Europe 1
Gazette du 90e anniversaire de l’ESJ Lille du 10 au 12 octobre 2014
6
Bal à Jules
Les discours officiels, prononcés vendredi à l’occasion des
90 ans de l’ESJ, ça assèche le palais. La meute de journalistes,
d’apprentis journalistes, de parents de journalistes et autres
spécialistes du journalisme s’est donc dirigée comme un
seul homme dans la pièce d’à côté, où les attendait toute
une flotille de remontants. Alors, ce cocktail, une réussite ?
On serait tentés de dire oui.
J’y étais :
Au cocktail de début de soirée en mairie de Lille
Repères
2012
Réseau ESJ a élu pour trois années
un nouveau bureau, lors de l’AG du
samedi 11 février 2012.
C’est désormais
Marc VENTOUILLAC (58e)
qui préside Réseau ESJ, avec Armelle ROUSSEL (55e), Trésorière,
Tangi SALAUN (70e), Secrétaire,
Emmanuelle GEUNS (10e PHR),
Secrétaire adjointe,
Sylvie PIVOT (58e)
et Cyril PETIT (79e),
Membres.
C’est leur avis
Quentin Fichet, 88ème promotion,
journaliste à TF1
Des célébrations qui mettent
mal à l’aise
À
quoi reconnaît-on un pot
de qualité ? Déjà, et c’est
sans doute une évidence,
sauf pour les complexés de l’éthanol, par une table qui présente à
nos yeux ébahis une gamme d’alcools suffisamment large. De ce
point de vue, le « verre de l’amitié » (comme on appelle ça de nos
jours), organisé dans une galerie
sympathique aux influences Art
nouveau, était une réussite.
Il y en avait pour tous les gosiers : de la bière brassée dans la
région, pour les indécrottables du
« consommer local » ; du Mar-
J’évite d’aller aux pots après les conférences de presse ou autres événements, je n’aime pas trop ça. Je me
souviens avoir couvert l’annonce du
plan social de La Redoute. Après la
conférence, tout le monde est allé se
servir un verre avec un sourire. Je suis
parti tout de suite, ça me mettait très
mal à l’aise de boire un coup après des
annonces de licenciements. En règle
générale donc je ne reste pas, on y
apprend rarement quelque chose en
plus.
tini rouge, sans doute destiné aux
Parisiens égarés din ch’Nord ;
du whisky, que peu ont osé toucher, par peur de passer pour
des ivrognes ; du champagne, ou
plutôt une pâle copie qui fait des
bulles, restrictions budgétaires
obligent.
Mais un cocktail ne serait rien
sans les gaillards endimanchés
qui s’y pressent. C’est eux, les gens
importants, devenus accessibles
le temps d’un verre ; car l’alcool
facilite les rapports humains, si
consommé avec modération. Là
encore, la petite sauterie post-
J’étais aussi au bal à Jules
discours officiels a su combler
les attentes. On pouvait y croiser
quelques stars du journalisme,
comme Vincent Glad, qui, osons
l’écrire, est encore plus beau en
vrai qu’à la télé.
Les serveurs zélés ont commencé
à remballer les bouteilles vers
20 heures, au grand désespoir
de certains, ceux-là même qui
râlaient sur les doses servies.
Quand on voit de la bière versée
dans des petits ballons à vin, c’est
vrai, on se dit que les temps sont
difficiles...
Adrien Gavazzi
C’est le moment que tout le
monde attendait : la cour de l’ESJ
relookée baloche, avec tonnelles
blanches, nappes en papier et
tout le toutim. C’est simple, on n’a
jamais vu l’école aussi belle.
L’ambiance était à la décontraction : Pierre Savary, un homme
de protocole, a même tombé la
cravate, à défaut de la chemise.
Cette fois-ci, le bureau des élèves
a tapé dans le haut de gamme,
en proposant aux convives des
caisses de 3 Monts. Quand on
sait que d’habitude, les soirées à
l’ESJ sont arrosées de bières bon
marché, voire frelatées, on saisit
mieux l’importance de l’événement.
A. G.
Gazette du 90e anniversaire de l’ESJ Lille du 10 au 12 octobre 2014
Patrick Eveno, historien spécialiste de
la presse
Entre indépendance et connivence
On reproche aux journalistes d’aller
au repas du Siècle parce que ça incarne le summum de la connivence.
En même temps c’est des sources
et qu’est ce qu’un journaliste sans
ses sources ? Il faut arbitrer entre la
proximité avec ses sources et la nécessité de préserver son indépendance
pour ne pas se faire acheter.
Sylvia Gonzalez, responsable de la
formation télévision à l’ESJ
C’est la multiplication des
cadeaux qui pose problème
C’est compliqué d’avoir une position
rigide et théorique sur le sujet. Tout
dépend de l’enjeu, en fait : si un producteur de lait sur qui on a fait un
reportage nous offre une bouteille
de lait, c’est un affront de refuser. En
revanche, un homme politique qu’on
interviewe et qui nous invite à dîner,
c’est plus problématique. C’est donc
la rencontre qui va déterminer. Je
me souviens d’un mag que j’avais fait
sur la communauté polonaise : j’avais
rencontré une mammie, qui nous attendait avec le café et les gâteaux. Eh
bien, on a d’abord bu ce café avant de
faire nos séquences. Il n’aurait pas été
concevable de refuser.
Repères
2012
Réseau ESJ a élu pour trois années
un nouveau bureau, lors de l’AG
du samedi 11 février 2012.
C’est désormais
Marc VENTOUILLAC (58e)
qui préside Réseau ESJ, avec Armelle ROUSSEL (55e), Trésorière,
Tangi SALAUN (70e), Secrétaire,
Emmanuelle GEUNS (10e PHR),
Secrétaire adjointe,
Sylvie PIVOT (58e)
et Cyril PETIT (79e),
Membres.
Les 90 ans,
c’est presque
deux ans
de
préparation
et
70 000 euros
de budget.
7
L’Association des Anciens a organisé les 90 ans de l’ESJ. Son
président Marc Ventouillac et le bureau souhaitent redonner
de l’importance à l’association. Pour cela, il veut augmenter
son nombre d’adhérents mais aussi améliorer sa visibilité, en
organisant par exemple plus de débats et de rencontres. Son
mot d’ordre pendant ces quelques jours de festivités : « Se
retrouver et retrouver son école. » Les 90 ans de l’école ont
nécessité presque deux ans de préparation et 70 000 euros
de budget.
L’Assemblée
Générale
L’AG des Anciens : le débrief
S
amedi matin, une soixantaine d’anciens ont retrouvé
les bancs du grand amphi.
C’était l’occasion de parler de
l’évolution de l’association des
Anciens, d’applaudir debout
Maurice Deleforge et Patricia
Dormal, et de partager des préoccupations quant au devenir de
l’École.
La session s’ouvre sur des photos en noir et blanc de Philippe
Rochot : Beyrouth, Suez, Jalalabad. Les sujets évoqués par
la suite sont moins exotiques.
Marc Ventouillac, le président
de l’Assocation des Anciens, cède
rapidement sa place à Maurice
Deleforge. « Ventouille m’a laissé
une nuit pour préparer mon discours… Je l’ai consacrée à dormir
donc je ne me sens pas brillant. »
Même sans note, il remercie avec
des mots simples et efficaces Patricia Dormal, son assistante pendant des années. Elle est faite Ancienne d’honneur à l’unanimité.
Marc Ventouillac dresse ensuite
un rapide bilan de la vie de l’Association ces dernières années.
Il veut la voir grandir, forcir,
pour augmenter la dotation de
la bourse Fontaine (8000 euros
aujourd’hui) à destination des
étudiants qui ne peuvent pas
payer leurs études. Il propose
aussi de renouveler les membres
au conseil d’administration en
janvier 2015 et d’élire un nouveau
bureau en janvier 2016.
Marc Ventouillac voudrait aussi
organiser davantage de réunions
et de débats sur la profession, à
l’école de Lille et ailleurs. Il souligne aussi l’importance du patrimoine de l’École dont il voudrait
tirer un meilleur parti. Cette année, ce sont le gala et le musée en
ligne de Bertrand Labasse qui ont
constitué les deux postes de dépense principaux. Pierre Savary a
ensuite pris la parole pour expliquer le fonctionnement de l’École
et l’arrivée de l’Académie ESJ.
Les questions des Anciens ont
principalement porté sur la lisibilité des différentes filières labellisées ESJ (ESJ Pro à Montpellier,
Académie ESJ) et sur le fonctionnement de l’École aujourd’hui.
Pierre Savary a profité de cette
assemblée pour présenter le parcours Académie ESJ.
Marc Ventouillac : « Il faut que les gens
reviennent vers cette École qui a besoin d’eux »
I
l porte la moustache, des chemises noires et il occupe un
bureau mystérieux au premier
étage. Marc Ventouillac a succédé à Didier Eugène et Carole
Lefebvre à la présidence de l’Association des anciens depuis 2011.
Elle compte aujourd’hui entre 400
et 500 membres. L’objectif de Marc
Ventouillac est de passer la barre
des 500 et plus globalement, de
ramener tous les Anciens dans le
giron de l’École.
Pourquoi as-tu décidé de devenir président de l’association des
anciens ?
Mon engagement pour l’École
date, puisque je faisais partie du
conseil d’administration lorsque
j’étais élève. Après, je m’y suis
retrouvé par éclipse. Cette école,
comme pas mal de gens, j’y suis
attaché. J’avais proposé à Carole
Lefèvre, celle qui m’a précédé,
de lui donner un coup de main.
Quelques mois plus tard, on m’a dit
« Tu ferais un bon président. » Que
des gens me fassent confiance, ça
ne me déplait pas.
Quelles sont tes priorités ?
On s’est fixé quelques objectifs,
comme d’essayer de relier les
anciens à leur école. Les AG réunissent deux pelés et trois tondus.
Ensuite, on a essayé de donner des
nouvelles entre les anciens. Pour
les 90 ans, on a deux leitmotiv : se
retrouver et retrouver son École.
Il faut que les gens reviennent
vers cette École qui a besoin d’eux,
pour faire embaucher les gamins
et récupérer de la taxe professionnelle.
Gazette du 90e anniversaire de l’ESJ Lille du 10 au 12 octobre 2014
Comment fais-tu cohabiter ton
rôle de président et ton travail de
journaliste à L’Équipe ?
J’ai pris quatre semaines de vacances pour préparer les 90 ans.
Mais quand je bosse, je bosse ! Je
m’arrange pour passer des coups
de fil au boulot et pour prendre
des jours lorsque j’ai des rendezvous. Ça me prend beaucoup de
temps, mais j’ai la chance de me
retrouver avec des gens bien. On
arrive à redonner une vie à cette
association.
Comment est utilisée la cotisation à l’association ?
On demande entre 15 et 50 euros de cotisation. Ce n’est pas
un énorme effort. L’essentiel de
l’argent de l’association va à la
bourse Fontaine, qui est passée de
6500 à 8000 euros.
8
Signatures
Samedi 11 octobre. 15h. Divers ateliers sont proposés aux
Anciens et aux Lillois intéressés. Une dizaine d’Anciens
avaient pris place dans les halls de l’École pour dédicacer
leur dernière production : livre d’enquête, manuel de formation, guide, roman, etc. Il n’existe pas de statistiques mais
le nombre de livres publiés par les Anciens au cours d’une
année approche la centaine [voir ci-dessous]. Et comme l’ESJ
frôle désormais le siècle d’existence, faites le calcul !
Pourquoi les journalistes écrivent-ils des livres ?
Repères
2012
Réseau ESJ a élu pour trois années
un nouveau bureau, lors de l’AG du
samedi 11 février 2012.
C’est désormais
Marc VENTOUILLAC (58e)
qui préside Réseau ESJ, avec Armelle ROUSSEL (55e), Trésorière,
Tangi SALAUN (70e), Secrétaire,
Emmanuelle GEUNS (10e PHR),
Secrétaire adjointe,
Sylvie PIVOT (58e)
et Cyril PETIT (79e),
Paroles
d’Anciens
Geoffroy Deffrennes, qui couvre la région Nord-Pas-de-Calais pour le Monde et le Point, dédicace son dernier ouvrage.
D
Un sentiment
de liberté,
hors des
contraintes
du journalisme
u roman policier au livre de recettes, les journalistes s’essaient
de plus en plus à l’écriture, hors
des formats classiques.
Une vingtaine d’entre eux sont au Salon
du livre de l’ESJ. Mais alors, d’où leur est
venue cette idée ?
« Un sentiment de liberté, hors des
contraintes du journalisme ». Sans hésitation, Haydée Sabéran, Benoit Lobez et
Pierre Barrot, décrivent tous ce même
sentiment lors de l’écriture de leur premier ouvrage.
Dans les années 90, alors que les migrants affluent à Calais, Haydée Sabéran
est correspondante pour Libération dans
le Nord-Pas-de-Calais.
Tous les jours, elle remplit des carnets de
note entiers sur les visages qu’elle croise.
Des histoires de Syriens, de Kurdes,
qu’elle raconte brièvement dans le quotidien.
« Ils arrivent, ils passent en Angleterre, ils
risquent leur vie mais il ne se passe rien
au niveau politique. Les visages changent
mais les histoires, elles, restent les mêmes »
Très tôt, la journaliste a envie de donner
un visage humain à ces migrants dont
tout le monde parle mais que personne
ne connaît. Habituée à travailler dans
l’urgence, Haydée ne se sent pas prête à
écrire un livre entier.
Coup du sort, la maison d’édition La Découverte la contacte pour lui proposer de
rédiger deux chapitres dans un ouvrage
collectif sur les oubliés des médias, La
France invisible. Elle y raconte le quotidien des sans domiciles, ceux qui ne
disent jamais « chez moi » et des retraités
sans le sous. « Cette expérience m’a décidée à écrire un livre sur les migrants. » Six
ans plus tard sort Ceux qui passent aux
éditions Carnets Nord.
Quand la fiction sert la réalité
« J’ai écrit mon premier livre en 1993,
alors que j’étais journaliste au Burkina
Faso. C’était une commande d’une fondation humanitaire, explique Pierre Barrot,
de la 56e promotion. Ils m’avaient demandé de faire une enquête et de la raconter
sous forme de roman, pour que cela soit
le plus accessible possible ». Bill l’espiègle,
raconte le détournement de pompes à
eau au Burkina Faso entre des villageois
et des maraîchers. « La fiction permet une
extrême liberté, même lorsque les choses
sont très réelles. C’était beaucoup le cas en
Afrique lorsqu’on traitait de faits de corruption et qu’on pouvait être censurés. On
changeait les noms mais les lecteurs comprenaient quand même. »
Pour la plupart des journalistes, l’envie
d’écrire n’est pas venue spontanément.
Parfois, c’est juste une histoire de passion.
« J’étais spécialiste du secteur maritime à
la Voix du Nord dans les années 80. Les
éditeurs ont fait appel à moi pour rédiger
un guide touristique sur la côte d’Opale »,
raconte Benoît Lobez, de la 53e promotion. Une passion pour la mer du Nord
qui l’a aussi conduit à co-écrire un livre
de recettes sur le maquereau.
élise LAMBERT,
élodie HERVé
Gazette du 90e anniversaire de l’ESJ Lille du 10 au 12 octobre 2014
Hugo Clément (86e) :
La Patrouille
On avait créé ce qu’on appelait
“La Patrouille”, un petit groupe
qui débusquait les gens en train
de se chopper dans l’école, en
prenant photos et vidéos pour
preuve. Les gens nous voyaient
arriver en ayant un peu peur.
« Attention, y a la Patrouille ! ».
Il faut dire que c’était pratiquement uniquement composé de
gens déjà en couple, donc un
peu frustrés de pas pouvoir draguer aux soirées.
Clément Parrot (87e) :
Les soirées ESJ
Forcément, ce dont on se souvient le plus, ce sont les soirées
ESJ. Il y en a eu une où des personnes de l’extérieur sont venues
s’incruster. Le matin d’après,
Pierre Savary arrive vers 6-7h du
matin et il tombe nez à nez avec
des gens inconnus de l’école,
allongés par terre. Ils lui lancent
de but en blanc : « on nous a dit
“en bas pour la picole, en haut
pour la choppe” ». La phrase est
restée.
9
Prix Albert Londres, ancien otage au Liban, il a couvert les conflits majeurs des quatre
dernières décennies. A l’occasion des 90 ans de l’école, l’ESJ expose les fragments
d’histoire qu’il n’aura eu de cesse d’immortaliser.
Philippe Rochot : sur les pavés, la plume
P
avés,
barricades...
Lorsqu’éclate mai 68, Philippe Rochot est étudiant
à l’ESJ. L’image fixe, déjà, le passionne. Appareil photo en bandoulière, il part avec quelques
camarades de sa 43e promotion
pour immortaliser la révolte des
étudiants parisiens. Ces années
là, boulevard Vauban, on festoie
au rythme des airs de Jacques
Bertin (41e), « qui était plus
chanteur que journaliste », sourit
aujourd’hui le grand reporter. «
Àl’époque, ni studio radio, ni studio télé. Une salle dans laquelle
on bidouillait sur un Nagra. » Ce
« on », c’est Jean-Louis Burgat,
Alain Denvers et bien d’autres...
L’Arabie plutôt que le Vietnam
Étudiant, il se levait à 5h, faisait
son bulletin radio à 7h avant
d’aller en cours. Loin d’imaginer qu’il arpentera les conflits
majeurs de la seconde moitié du
vingtième siècle, c’est plutôt l’Asie
qui l’attire au départ. À l’orée des
années 70, le Vietnam se déchire.
Les reportages de Lucien Bodard
lui sont d’une grande inspiration,
et quand sonne l’heure du service national, il y demande son
affectation. « Je m’orientais vers le
Vietnam. Je me suis retrouvé en
Arabie ».
RÉSEAU
ESJ
Je m’orientais
vers le Vietnam. Je me suis
retrouvé en
Arabie.
Chargé des émissions en langue
française, il apprendra plus tard
que les autorités soudanaises
avaient « exigé quelqu’un qui sortait de l’ESJ Lille ».
De l’Arabie du roi Fayçal en passant par la révolution iranienne,
le génocide au Rwanda, la famine
en Somalie, le conflit afghan, la
montée en puissance de la Chine,
Philippe Rochot a couvert les
conflits majeurs des dernières
décennies. Difficile de cibler un
souvenir lorsque les anecdotes
s’entremêlent. « Voir deux fois
le pèlerinage à La Mecque reste
quelque chose d’impressionnant
», confie t-il. Un regret ? « Avoir
laissé mon appareil photo dans
ma chambre d’hôtel, quand le
mur de Berlin est tombé ».
C. Cieslinski et C. Melki
Le grand reporter Philippe Rochot, de la
43e promotion
Éric Chevillard fait partie de ces anciens qui, diplomé de l’École, n’est jamais devenu journaliste. Il a préféré
une carrière d’écrivain.
Un cadavre exquis avec Éric Chevillard (61e)
Élève de la 61ème promotion de l’ESJ, Eric Chevillard n’est
jamais devenu journaliste. L’écrivain a reçu cette année le
prix Alexandre Vialatte, pour l’ensemble de son œuvre.
Quand j’étais élève à l’ESJ...
Jean-Paul Kauffmann, ancien de l’école, était otage au Liban
et notre promotion se baptisa de son nom. Je me souviens
de la visite de sa femme Joëlle, de l’affreuse colombe en étain
que nous lui avions offerte pour l’occasion. Quand elle le reçut, l’oiseau se décolla de la planche vernie à laquelle il était
fixé… Un augure peut-être, murmura-t-elle.
Ce qui est bien, avec les briques rouges... c’est qu’il n’y en a
pas deux pareilles.
J’ai vite compris que le journalisme... menait à moi à condition que j’en sorte.
Eric Chevillard (g.)
en compagnie de
François Mitterrand.
Rue Gauthier de Châtillon… les pèlerins devront l’emprunter puisque j’ai habité dans son prolongement, rue Jacquemars-Giélée.
Un welsch, c’est comme... ça se prononce.
Propos recueillis par
Clémence de Blasi
Gazette du 90e anniversaire de l’ESJ Lille du 10 au 12 octobre 2014
10
ESJ
aujourd’huI
Après une décennie difficile pour ses finances l’École, sous
la baguette de Pierre Savary (XXe), directeur, et de Louis
Dreyfus, président, se porte mieux aujourd’hui. Pour faire
face à la baisse constante des moyens offerts par la taxe
d’apprentissage, elle multiplie les innovations...
L’apprentissage rentre à l’ESJ
2014, année du 90e anniversaire de l’école
est aussi celle de deux naissances.
La première promotion de l’Académie ESJ
Lille a effectué sa rentrée en septembre.
160 étudiants, issus de 25 parcours de première année de licence dans les trois universités lilloises suivent désormais un tiers
de leurs enseignements à l’école. Ils vont
découvrir pendant trois ans, les métiers du
journalisme, s’initier, parfaire leur culture
générale et journalistique puis se préparer
aux concours des écoles reconnues par la
profession. Ce nouveau parcours pédagogique permet à l’école d’étoffer son offre,
d’être présente de la sortie du lycée, en
première année de licence jusqu’au niveau
Master 2 à bac+5.
L’ESJ peut désormais proposer à tous ces
jeunes bacheliers un accompagnement
jusqu’à l’obtention d’une licence, jusqu’à la
porte des concours.
2014 est aussi l’année de l’apprentissage qui
entre à l’ESJ. La seconde année de scolarité peut désormais être effectuée en alternance. Dix étudiants de la 89e promotion
suivent leur seconde année en apprentissage, combinant périodes passées à l’école
et dans les médias.
Si l’ESJ évolue dans ses enseignements,
dans sa structure, s’adapte à son environnement, innove, elle n’en oublie pas ses racines, elle sait d’où elle vient. Elle reste attachée à ses valeurs, à son indépendance, à
cet état d’esprit développé au fil des années,
boulevard Vauban puis rue Gauthier-deChâtillon. Cet état d’esprit que ses anciens
revendiquent et – à raison- défendent.
Ces étudiants, opérationnels, techniquement bien formés, doivent continuer à
être des acteurs critiques de la profession,
à vouloir rendre intéressant ce qui important et pas l’inverse à avoir chevillée au
corps la volonté d’élever notre métier.
P.S
école ch’ti ouverte au monde
D
“Il y a une période où j’ai essayé d’exclure l’espagnol de mon cerveau. Je faisais tout en
français” explique Pablo Aiquel.
epuis sa création, l’ESJ
Lille est toujours ouverte
aux étudiants étrangers.
Ils enrichissent l’histoire et le
réseau de l’école non seulement
avec leurs vécus différents, mais
aussi leurs carrières professionnelles.
Accueillir des étudiants aspirant
au journalisme à la française est
une tradition aussi vieille que
l’histoire de l’école. Déjà dans la
deuxième promotion, figure le
nom de Boleslas Surowka, le premier étranger de l’ESJ Lille qui
était d’origine polonaise. Dans les
années suivantes, des noms noneuropéens se trouvent parmi les
profils français. Tchang Kong
Piao, étudiant chinois, a amorcé
ses études en journalisme en
France en 1929. Son trajet devient aujourd’hui, un mythe.
Si la plupart des étudiants internationaux ont poursuivi leur
carrière dans leur propre pays,
certains ont choisi de rester. Li
Jie, Chinoise de la 87e promo,
travaille aujourd’hui comme pigiste JRI pour France Télévisions,
l’AFP et TF1. Elle exerce son métier en se déplaçant partout en
France, tout en gardant de bons
souvenirs de “l’ambiance ch’ti, le
carnaval de Dunkerque, le mau-
Gazette du 90e anniversaire de l’ESJ Lille du 10 au 12 octobre 2014
vais temps, les plages du Nord”.
Pourtant, les études à l’ESJ
étaient et restent toujours une
certaine prise de risque. Écrire
en français est un combat quasi
éternel contre les petites fautes
d’orthographe et les méandres
des nuances de cette langue si
éloquente. La plus grande barrière pour les étrangers est là.
Partir ou Rester
Pablo Aiquel, vénézuelien et président du BDE de la 71e promotion, aujourd’hui correspondant
de l’AFP à Vichy et journalise à la
Gazette des Communes, est parmi
les rares non-francophones qui
se sont frayé un chemin dans la
presse écrite. “J’ai énormement lu
se souvient-il. Il y a une période
où j’ai esayé d’exclure l’espagnol
de mon cerveau. Je faisais tout en
français” poursuit-il.
L’Europe, l’Afrique, l’Asie, l’Amérique. Avec des points de départ
différents, ces anciens étudiants
“étrangers” partagent la même
conviction, vivent la même
époque, et observent le même
univers avec leurs camarades. Le
journalisme est, pour l’ESJ, un
métier qui se fait avec un esprit
ouvert au monde.
Mingmin Wu Yuta Yagishita
11
l’ESJ Lille et le Bondy Blog ont lancé en juillet 2009 une classe préparatoire aux
concours des écoles de journalisme ouverte à des jeunes boursiers. Les résultats
obtenus par cette classe sont très encourageants.
La belle aventure de la prépa égalité des chances
L
a prépa égalité des chances
de l’ESJ Lille et du Bondy
Blog souffle déjà sa sixième
bougie. Tous les ans, il sont six
en moyenne à intégrer l’ESJ Lille
après une année de préparation
aux concours des écoles de journalisme.
«On est d’horizons très différents»,
résume Émilie Gouveia Vermelho. Membre de la quatrième
prépa égalité des chances, de la
89e promotion de l’ESJ Lille et apprentie à France 3 Picardie, Émilie insiste pour dire que «ce n’est
pas la prépa des gens de banlieue».
En effet, les étudiants sélectionnés sur dossier, puis via un entretien oral, viennent tant du milieu
urbain, que du milieu rural.
«Je suis fier d’être à l’ESJ»
Les parcours de ces étudiants
sont également différents. Axel
Roux a eu une vocation tardive
pour le journalisme. C’est lors de
son service civique dans l’association Genepi, qui organise des
ateliers dans le milieu carcéral,
qu’il découvre la radio. «Paradoxalement, le milieu fermé qu’est
la prison, m’a ouvert à d’autres
choses.» Sans la prépa, il n’aurait
peut-être pas passé les concours.
Diplômé en criminologie, avec
son camarade Thibault Saingeorgie, il fait pourtant partie
des étudiants sélectionnés pour
rejoindre le blog “Lui président”
Yves Renard et Rachel Bertout encadrent la prépa depuis le début.
lancé par trois anciens de l’ESJ
Lille.
Thibault, lui, a toujours gardé
l’ESJ Lille dans un coin de la
tête. «Dès que j’ai pensé journalisme, j’ai pensé au logo de l’ESJ»,
confie-t-il. Il a presque fait le
tour de toutes les rédactions de
Picardie, comme stagiaire. Admis dans six écoles, il a choisi
l’ESJ pour son «attachement sen-
timental à la région». Thibault,
qui se voit plus tard journaliste
radio, a fait ses études de Droit à
Lille, avant de s’envoler vers Madrid en Erasmus. Le Roncquois,
Morgan Plouchart est lui aussi
attaché au Nord-Pas-de-Calais.
«Je suis fier d’être à l’ESJ. En plus,
c’est ma région», sourit-il. Après
un BTS en communication et
une année de Master en jour-
nalisme à l’université catholique
de Lille, il a intégré l’école. Pour
lui, la prépa est «un bon tremplin». Malgré le rythme soutenu, la prépa est pour tous «une
superbe aventure». Pour Émilie,
l’année de prépa est l’année où
elle a «le moins dormi de sa vie».
Mais aussi une année pendant
laquelle, elle a «rencontré de
super personnes».
ESJ Académie : ils sont déterminés !
L
e vendredi, de nouvelles
têtes, plus jeunes, font leur
apparition dans les couloirs
de l’École.
Les 150 élèves du “Parcours Journalisme ESJ Lille”, la nouvelle
formation post bac, vont y suivre
une formation en trois ans, en
parallèle de leur licence. La troisième année, ils prépareront les
concours.
En attendant, ils viennent d’arriver dans l’école. L’occasion pour
nous d’aller recueillir leurs impressions.
Benjamin, à 18 ans, il est en histoire à Lille 3 et il a déjà une idée
très précise de son futur métier :
« Plus tard, j’aimerais devenir
JRI. Je veux devenir journaliste
pour transmettre l’information
et analyser les phénomènes de
société ». Pour Axel, 20 ans, déjà
parti au Pérou, en Bolivie ou en
Gazette du 90e anniversaire de l’ESJ Lille du 10 au 12 octobre 2014
Lettonie, « le journalisme est une
façon de voyager ».
Côté cours, les journalistes en
herbe ont l’air satisfaits : « On a
la chance d’avoir des horaires
aménagés. Nos cours ne se chevauchent pas entre la fac et l’ESJ.
J’aime beaucoup le cours de
décryptage de l’actualité et découverte des médias », explique
Camille, en licence d’histoire.
Claire, 18 ans, s’enthousiasme :
« Le temps passé à l’ESJ est hyper
enrichissant, ça nous offre une
vision élargie des médias ».
Et comme tous ceux interviewés,
elle semble bien déterminée : « Je
me donne trois ans pour tester
les différents médias. Plus tard,
j’aimerais faire découvrir des initiatives peu connues grâce à ce
métier ». La relève est assurée !
Anaïs Denet
et Matthieu Wallart
12
ESJ
aujourd’huI
Pierre, Marlène, Philippe,Yves et Moha.Tous font tourner la
baraque. Et cultivent son esprit. Chacun sa spécialité. Côté
voix, le directeur, investi jusque dans ses nuits, et la conseillère vocale, fan de jazz. Au clavier, Mister Sécher, avec ses
zozos et zozottes. Aux commandes en régie, Moha, patient
et généreux jusque dans ses sourires. Clope au bec, même
dans son bureau, Philippe, au milieu des zooms. A peine entré, chaque étudiant connaît déjà leur prénom.
D
Marlène, ce phénomène!
« Je continue de venir parce que c’est mon essence, il y a une ambiance et une vraie famille ici »
ans le studio radio qu’elle
connaît bien, entre flashs,
papiers et débrief ’, Marlène Anconina-Mazaud livre ses
souvenirs après vingt-deux années années passées à l’ESJ.
« Pétard Clément ! Tu vas t’en
prendre une avec tes “voilà”! » Des
yeux parfaitement dessinés au
crayon bleu nuit et pétillants de
bonne humeur, des lèvres colorées pour un bagou incontournable… Marlène Anconina-Mazaud fait vibrer les cordes vocales
des étudiants de l’ESJ depuis 1992.
Et le franc-parler de cette parisienne au fort caractère a certainement laissé des traces dans les
mémoires de quelques “crapouillots”. « Ça peut faire rire, mais je
suis quelqu’un d’un peu réservée ,
glisse-t-elle avec malice, et je ne
vous dis qu’un dixième de ce que je
lis en vous ». Un peu psy avec les
étudiants ? « Quand tu travailles
sur la voix, tu travailles forcément
sur la personnalité. » Mais on dit
comment alors, coach vocal ? «
Ah non, coach c’est pour le sport !
Je ne suis pas Aimé Jacquet, je suis
conseillère vocale. »
Marlène avoue que le travail de la
Repères
2014
• Modification des statuts de
l’école. Les étudiants entrent
au Conseil d’administration.
voix n’était pas une évidence pour
tout le monde au début. L’ESJ a
été la première école à lui faire
signe. « C’est Yves Renard qui m’a
engagée. Au début, ce n’était pas
facile, je suis arrivée avec mes gros
sabots. » Et même si la retraite approche, d’ici trois ou quatre ans,
pas question de freiner. « Je continue de venir parce que c’est mon
essence, il y a une ambiance et une
vraie famille ici », confie-t-elle.
Elle ne compte plus les bons
moments : la désinté ‘’Chute du
mur de Berlin’’, les pots avec les
élèves, Philippe, du bordeaux et
quelques bières… Saviez-vous
qu’il y avait même une porte à la
place de l’escalier de la mezzanine
radio ? Une fois ouverte, un barbecue attendait la joyeuse bande
pour griller quelques saucisses!
Si elle garde des liens particuliers
avec certains, elle n’ose pas toujours aller aux nouvelles. « Je me
dis qui tu es pour faire ça ? » Alors
n’hésitez pas à prendre les devants.
Elle aussi c’est une ancienne. « Et je
mériterais un diplôme, tu ne crois
pas ?! » Sacrée Marlène !
Emilie Gouveia Vermelho
Pierre Savary, une scolarité de plusieurs décennies
P
ierre Savary se lève, commande
un demi de la Cuvée des trolls
au comptoir et s’assied sur l’une
des banquettes rouges éventrées de
L’Ecart, le bar de la rue Jeanne d’Arc.
Quand il était l’un des élèves de la
65ème promotion de l’ESJ, il fréquentait plutôt le Beaujolais, rue Nicolas
Leblanc. Un bistrot qui n’existe plus.
« A l’époque, les trombis de toutes les
promos étaient affichés sur le comptoir, c’était le QG ! » raconte le directeur de l’école. Il a posé sur la table ses
lunettes, son téléphone, ainsi qu’un
trousseau de clefs que ne renierait pas
Passe-Partout.
Interviewer Pierre Savary ne sera pas
chose facile. Non seulement mon directeur ne se livrera pas facilement,
mais en plus je le soupçonnerai de lire
mes notes à l’envers, croyant que je ne
m’en apercevrai pas.
Pierre Savary, directeur de l’ESJ
Lille, à L’Écart, le 29 septembre
2014.
Du rugby à l’ESJ
Manches retroussées, regard franc,
l’ancien rugbyman- il a joué avec Brest
en troisième division- évoque ses
années à l’ESJ. Comme élève d’abord,
une fois sa maîtrise de Sciences/Eco
Gazette du 90e anniversaire de l’ESJ Lille du 10 au 12 octobre 2014
validée à Brest. Rentré à l’école pour
faire de la presse écrite et de l’économie, il en sort féru de politique et de
sport, après un coup de foudre pour
la radio. Il reviendra justement à l’ESJ
comme intervenant pour la radio,
alors qu’il travaille pour France Bleu
à Nancy. Puis comme permanent,
en 2003, quand il se voit proposer le
poste de responsable de l’audiovisuel,
vaste spé qui regroupe alors la radio
et la télé. Il occupera ce poste jusqu’à
devenir directeur des études (2007),
et directeur-tout-court (au 1er janvier
2013).
Cette école, il la raconte volontiers,
en ponctuant ses phrases de vastes
mouvements des bras et des mains. Il
y aura occupé presque toutes les fonctions, et s’y est forgé toutes sortes de
souvenirs…Comme cette rencontre
avec un footballeur camerounais bigame de l’équipe de Valenciennes, au
cours de sa scolarité. « Un chouette
souvenir », se marre encore Pierre, en
avalant la dernière gorgée de sa bière.
Je lui laisse le soin de vous le raconter.
Clémence de Blasi
13
Yves Sécher,
l’ESJ comme port d’attache
D
e Bucarest à Bujumbura
en passant par Kaboul, le
patron de la PAO distille
sa maitrise de l’espace insécable et
du détourage à la plume en participant à la création de journaux. Tout
en restant amarré à l’ École qui l’a
formé, où il transmet aux nouvelles
générations.
L’info en choquera plus d’un : la
90e promotion sera la dernière à
laquelle Yves Sécher apprendra les
rudiments de Quark Xpress et des
différents logiciels Adobe. Fini. Le
vétéran de la maquette raccroche sa
veste en cuir. « Je continuerai quand
même à aider ponctuellement sur
les magazines de chaque promo »,
laisse-t-il entendre.
Pas si facile de prendre le large et
laisser l’École qui lui a appris le
journalisme. Depuis 1992, il est
revenu tous les ans prendre du rab
d’ESJ après y avoir passé sa scolarité. C’était entre 1972 et 1975, dans
la 49e promotion.
Des années dont il se souvient avec
l’œil qui frise. « Après les cours, on
faisait des pastiches du Petit Rapporteur dans le mini studio TV, dans
les combles. » Sa troisième année,
il la passe à cumuler les postes de
reporter à France 3, SR à La Voix du
Nord et correspondant pour RTL. «
Et puis il y avait les fêtes... »
En sortant de l’ESJ, entre 1975 et
1979, il participe coup sur coup à la
création de trois quotidiens. France
Picardie d’abord, puis Le Quotidien
de La Réunion (qui existe toujours),
qu’il aide à fonder en compagnie de
dix autres jeunes diplômés de l’ESJ.
« On a tous pris le même avion pour
aller sur l’île », se souvient-il.
Ce sera ensuite la création de Forum International, un titre destiné
à faire concurrence aux Échos. Il y
acquiert des compétences en informatique qu’il viendra communiquer aux étudiants de l’ESJ pendant
deux ans au début des années 90.
C’est en 1992 que débute la désormais incontournable formation en
PAO. Dans le même temps, Yves Sécher commence à “courir le monde”
pour lancer Bucarest Matin en Rou-
manie, aider El Watan en Algérie ou
divers titres au Viêt-Nam, en Ouzbékistan, au Liban, en Égypte, au
Burundi... À côté de cela, il a monté
sa boîte dans les années 80 : une
agence de presse et maison d’édition.
Le recordman des désintés semble
depuis avoir trouvé la balance parfaite : être au cœur de l’innovation
en aidant des journaux à travers
la France et le monde, puis venir
transmettre son savoir aux nouvelles générations. « À moi aussi,
les Anciens sont venus faire cours.
L’esprit de cette École, il passe par là.
On apprend presque autant dans les
couloirs qu’en salle de cours. »
Adrien FRANQUE
Phiphi, du son, toujours du son...
P
hilippe Caplette, nous
sommes tous passés le voir
dans son bureau enfumé, le
roi du zoom et du nagra. Sa carrière esjienne touche à sa fin, on a
voulu connaître ses petits secrets
avant de le laisser partir. Il a répondu à tout, non sans émotion...
Moha, la mémoire de l’École
« Elsa ! » Dans la cafétéria, Mohamed Chlaouchi, le technicien
audiovisuel de l’école, vient de reconnaître une ancienne élève. Elsa
a quitté l’ESJ il y a onze ans. Entre
temps, près de 660 élèves sont passés devant sa caméra mais “Moha”,
comme on l’appelle ici, a la mémoire des noms. Surtout celui de
l’ancien directeur de l’école, André
Mouche, qui l’a embauché en 1986.
« Les gens envers qui je suis redevable, je ne les oublie jamais », explique-t-il, perdu dans ses pensées.
Et puis, il y a tous ces anciens qu’il
retrouve avec plaisir sur les écrans
de la régie, – cette fois pour de
vrai – sur Tf1, France 2, itélé… aux
heures de travail uniquement car
Moha s’informe plutôt via la radio.
Pendant ses premières années à
l’ESJ, le monsieur de la spé télé était
aussi aux commandes de la régie
radio, ça laisse des traces! Il écoute
Radio Classique parce que « Europe 1 ou RTL, c’est n’importe quoi,
ce n’est plus que de la publicité »
mais en fan de musique classique,
il commence à délaisser la fameuse
fréquence.
« Avant sur Radio Classique, quand
ils annonçaient Beethoven, on avait
le droit à toute la 9ème symphonie
sans publicité. Maintenant, on a à
peine l’Adagio », lance-t-il. Ce fin
mélomane peste contre les temps
qui changent, à la radio comme
dans la vie. Il déplore l’avènement
d’internet qui lui a fait perdre
contact avec ses anciens élèves.
« Je déteste les mails, je ne communique que par lettre mais maintenant plus personne n’écrit », s’attriste-t-il.
S’il lui arrive de regarder vers le
passé, Mohamed se répand assez
peu. Né à Oujda, au Maroc, il vient
s’installer avec ses parents et ses
trois frères et sœurs à Roubaix au
début de sa primaire. À l’époque,
la ville embauche dans le secteur
textile et son père vient grossir les
rangs de ces ouvriers, avant de devenir marchand forain.
Les revenus de ses parents lui font
ranger au placard ses rêves de devenir architecte, il devient électricien
puis technicien audio-visuel à l’ESJ,
et ce, depuis quasiment trente ans.
Céline MAGUET
Tu as eu quelle vie avant l’ESJ ?
À 17 ans, je travaillais déjà dans la
production d’électricité. Toute ma vie,
j’ai appris sur le tas, sans formation.
À 18 ans, j’ai décidé de rentrer dans
l’armée avant qu’on me convoque, j’ai
devancé l’appel. Puis j’ai bossé pour
un fabriquant de télévisions et de
radios, dans la construction de téléphones sur les grosses bagnoles de
luxe, un boulot pointu.
C’était comment l’ESJ avant ?
Quand je suis arrivé en 1992, il y
avait cent fois moins de matériel et le
serveur AFP tombait en panne tous
les deux jours. J’adorais ce boulot, je
suis allé chercher une console chez
Europe 1 pour les étudiants et j’ai
construit le studio radio. J’ai vu passer pas mal de directeurs et il y en a
un avec qui j’ai eu quelques coups de
gueule, Loïc Hervouet. Mais je suis
comme ça, quelqu’un d’entier qui ne
sais pas cacher ses sentiments.
Il paraît que tu étais le roi des soirées ?
J’étais le premier arrivé et dernier
parti ! Je me déguisais à chaque fois.
Pour faire Rambo, je m’étais appliqué
un produit sur la peau pour faire les
cicatrices, j’ai eu de l’eczéma pendant
quinze jours ! Avec Christophe, ont
a osé le duo “Starky et Hutch”. On
a aussi fait un disque avec des étu-
Gazette du 90e anniversaire de l’ESJ Lille du 10 au 12 octobre 2014
diants : Mauvaise Presse, un groupe
de bluzz rock qui s’entrainait dans la
cave. On a monté le CD en un weekend, je me suis farci une centaine
d’heures de montage ! L’organisation
et la playlist des soirées, c’était moi. Et
puis à un moment tout ça m’a fatigué,
j’étais devenu le flic qui reconduisait
les gens bourrés chez eux.
Le billet étrange et les plaques sur
ta porte de bureau, ça vient d’où ?
Les deux plaques viennent de NewYork, où je suis parti en voyage.
Je ne suis pas un pentouflard, je
voyage en Asie depuis des années,
avec vol sec et sac à dos, je vais
continuer. Le billet, il vient du
Congo, c’est un cadeau des élèves,
ils me l’avaient scotché sur ma
porte, je ne l’ai jamais décollé.
Un message à adresser aux étudiants ?
L’ESJ j’en ai profité à fond, c’est une
vraie richesse ce relationnel avec de
jeunes journalistes comme vous, ça
va me manquer.
Propos recueillis par Anaïs Denet
14
ESJ
une histoire
Ah, l’ESJ! Prestigieuse école de journalisme, réputée pour sa formation de qualité, ses
intervenants pédagogues et son esprit de corps. Ils sont des milliers à avoir pensé
à ça durant l’été qui a précédé leur intégration, à rêver de reportages, d’interviews
et d’articles qui allaient révolutionner le métier. C’était oublier quelques clins d’œil
du destin... Romances dans le froid du Nord, et petits soucis avec les bas de laine de
l’École : tous les secrets sont là.
Jamais sans mon petit carnet blanc
E
n franchissant le portail
d’entrée de l’École, certains,
peut-être, se voyaient déjà
faire fondre les coeurs de celles et
ceux qui partageraient les bancs
avec eux, mais peu sont ceux
qui se doutaient que plus qu’une
vocation, ils allaient trouver une
âme soeur.
Quand elle est rentre à l’École en
1964, Dominique Mobailly, pas
encore Pennequin, ne s’imagine
pas qu’un homonyme la ferait
chavirer. « J’étais jeune, je découvrais la vie et je venais pour apprendre un métier dont je rêvais.
A aucun moment je n’ai pensé à
une vie de couple ». Ce n’est d’ailleurs qu’un an après avoir quitté
l’ESJ, « alors que le quartier latin
s’embrasait et que mai 68 débutait », qu’elle recroise le chemin
de Dominique Pennequin, alors
jeune reporter pour Ouest France
venu couvrir les évènements pour
le quotidien. Depuis, les deux ne
se sont plus quittés et vivent aujourd’hui près de Lille, comme un
clin d’œil au destin.
Aurélia End et Antoine Heulard n’ont pas attendus la fin de
leur scolarité pour se mettre ensemble. « On s’est immédiatement
bien entendus et à la soirée de Noël
la magie s’est produite » raconte
celle qui a aujourd’hui deux en-
fants et revoit régulièrement ses
amis de la promo 76 ou ils sont
pas moins de cinq couples à être
encore ensemble. « On continue à
passer du temps ensemble, à partir
en vacances, on est la promo Bisounours » raconte-t-elle en riant.
Hortense Gérard, elle, ne pensait
pas du tout trouver quelqu’un en
arrivant à l’École. Et pourtant, elle
rencontre très vite François Geffrier avec lequel elle partage ses
deux années d’étude entre le Bel
Ouvrage, L’Écart ou encore le Zoo
de Lille que les deux ont adoré,
“surtout pour ses coatis”.
Tous en tout cas ont résisté au
départ de Lille et gardent de
beaux souvenirs de leur idylle
dans le Nord. Quiconque a été
à l’ESJ a forcément eu le béguin
pour quelqu’un. Quiconque a
été à l’ESJ sait qu’avec 140 journalistes au mètre carré c’est très
difficile de garder tout ça secret.
Quiconque a été à l’ESJ, sait que
son plus grand amour sera à tout
jamais cette école.
Lenny Pomerantz
De journalisme et d’eau fraîche : le quotidien à l’ESJ
I
l paraît que l’ESJ est la meilleure école de journalisme.
Peut-être. Mais c’est aussi une
école de la vie. Plongée dans la
vie quotidienne des étudiants,
où l’excellence rime surtout avec
galère...
Tu es sorti de l’ESJ il y a deux,
trois, quinze ou quarante ans.
Dans ton souvenir, c’est l’école qui
t’a lancé dans la vie, la vraie, celle
où il faut payer tes impôts et sou-
rire aux blagues du rédac’ chef.
Tu te souviens sans doute des
amis rencontrés, de la première
fois où, tout gêné, tu as tremblé
derrière la caméra ou quand tu as
bafouillé ton premier flash radio.
Mais te souviens-tu vraiment de
la vie à l’ESJ ? Celle de la galère
quotidienne : des journées longues comme un hiver lillois. Tu
arrives le matin, trempé par la
pluie qui bat les pavés du centreville depuis la veille. La bataille
s’engage avec tes camarades pour
attraper un exemplaire de La
Voix du Nord : ton ultime espoir
pour trouver une idée géniale
de reportage que tu étais censé
avoir eu hier soir. Mais tu avais
préféré noyer le peu d’argent que
t’envoient tes parents à L’Écart ou
dans un vieux bar du quartier
Vauban.
Le froid glacial
Te souviens-tu quand tu entrais
dans l’amphi ? Le froid glacial
Gazette du 90e anniversaire de l’ESJ Lille du 10 au 12 octobre 2014
? Tu pensais geler dehors mais
tu réalises que perdre 5 degrés à
l’intérieur des murs est tout à fait
possible. Pas de chauffage non...
Tu penses aux difficultés financières de l’école et tu vénères l’idée
géniale qui t’est venue ce matin
lorsque tu as pensé à mettre deux
pulls sous ta doudoune.
As-tu subi la solitude des sessions
télé ? Quand tu disposais encore
de trois minutes avant ton passage antenne. Ton commentaire
écrit, tu lançais l’impression...
Echec. Après quelques mèches
de cheveux arrachées, tu partais
en courant, traversais la cour (où
il pleut, évidemment) pour trouver, paniqué, une imprimante
vivante.
As-tu oublié ces moments où
tout s’écroulait? Que tu racontais,
dépité, le soir autour d’un verre ?
Et qui, finalement, font partie de
tes meilleurs souvenirs.
Vincent Lenoir
Vous êtes...
Vous avez une majorité de triangles :
vous êtes Vincent Glad
Ce n’est pas en cours de
web que vous vous êtes inscrit sur Twitter, ou Instagram. Il faut l’avouer, vous
étiez un peu le geek de la
promo. Votre activité sur
les réseaux sociaux vous
permet même de vous faire
connaître des « grands »
de ce monde. Vous êtes un
peu touche à tout et passez
vos nuits entre les entrepôts
berlinois et les soirées branchées parisiennes.
Vous avez une majorité de carrés :
vous êtes Jean-Pierre Pernaut
Le terroir, voilà ce qui vous
anime. Du vendeur de
légumes de Roquefort-laBédoule au rempailleur de
chaise au fin fond du Limousin, vous n’oubliez pas
les vrais gens. Les images de
costume-cravate, vous les
refusez dans votre journal.
Dans votre rédac, parfois
on se moque mais au final,
tout le monde vous respecte : vous avez su imposer
votre style et vos idées.
Vous avez une majorité de
ronds :
vous êtes Patrick Cohen
Votre voix suave nous
réveillera peut-être bientôt. Mais cela ne se fera
pas du jour au lendemain.
Tranquillement vous ferez
vos gammes en région
avant de gagner du galon.
Votre journalisme est plutôt engagé. Vous n’hésitez
pas à rayer de votre carnet
d’adresse les personnes que
vous jugez peu fréquentables. Peut-être est-ce le
reste de vos années de militantisme étudiant.
Vous avez une majorité de losanges :
vous êtes Sophie Bouillon
Bon, on ne va pas se mentir, vous êtes un peu un(e)
surdoué(e). A peine sorti(e)
de l’école, vous raflez le prix
que tout le monde convoite.
Pour cela, vous n’avez pas
hésité à sécher le magazine pour crapahuter au
Zimbabwe et vendre votre
reportage à XXI. Rester
dans un bureau, très peu
pour vous. Votre truc, c’est
le grand reportage. Vous
préférez la cambrousse aux
strass et paillettes des rédactions parisiennes.
Quel ancien ESJ
êtes vous ?
15
LE TEST
1. Vous votre média de prédilection c’est :
A.La télé : le flou-net a une vraie signification
B.La radio : une bonne ambiance transforme un reportage
C.Le web : il n’y a rien de plus clair qu’un diagramme à barres interactif
D.La presse écrite : l’art noble, pas besoin de gadgets
2. Lors de vos soirées à l’école :
A. Vous séduisiez les premières années sur le dancefloor
B. Vous n’alliez pas aux soirées ESJ, vous aviez des projets bien plus importants
C. Vous discutiez avec vos amis des problèmes des laitiers du Loir-et-Cher
D. Vous crâniez avec votre Nokia 3310 mis en vente la veille
3. Où partez-vous en vacances ?
A. À Vilnius, c’est le nouveau Berlin
B. Dans le Luberon, c’est sympathique, comme la Charente-Maritime
C. À Sainte-Maxime, vous y entretenez votre teint hâlé
D. Au Gabon, vous ne connaissez pas encore bien cette partie de l’Afrique
4. Votre objectif à la sortie de l’école c’était (c’est) :
A. De gagner l’Albert-Londres
B. D’interviewer toute la classe politique
C. De devenir le journaliste préféré des Français
D. D’atteindre le million de followers sur Twitter
5. Pour suivre l’information :
A. Vous feuilletez les grands quotidiens nationaux, surtout Libé
B. Vous êtes un addict de Twitter
C. Vous êtes abonné à Courrier International et au Monde Diplo
D. Vous lisez la PQR, surtout le Courrier Picard
6. Votre boisson préférée, c’est :
A. Le café, pas facile de se lever à 3h30 tous les jours
B. Le Bissap, cette boisson sénégalaise découverte lors de vos nombreux voyages
C. Le ricard, parce que 13 heures, c’est l’heure de l’apéro
D.Du club-maté, le nouveau Red Bull
7. Votre première expérience professionnelle, c’était :
A. Une pige pour la Revue XXI
B.Un CDD chez Télé 2 semaines
C.Des reportages pour Fréquence Nord
D.Un stage au Courrier Picard
Gazette du 90e anniversaire de l’ESJ Lille du 10 au 12 octobre 2014
16
décennie
40
Repères
Promos 17 à 26
À 90 ans, elle se porte comme un charme. Comme si le poids
des ans n’avait aucune prise sur elle. L’ESJ Lille est une vieille
dame décidée à former des étudiants en journalisme aussi
longtemps qu’il y aura des histoires à raconter. De sa fondation
dans les années vingt à sa reconnaissance par l’Etat en 1969,
du boulevard Vauban à la rue Gauthier de Châtillon, retour sur
l’histoire d’une École qui a marqué la presse française.
Naissance et reconnaissances
194O
Paul Verschave rouvre l’École en
novembre
1941
Jules Clauwaert intégre l’École dont
il deviendra, plus tard Président.
1947
Paul Verschave laisse son fauteuil
de directeur à Robert Hennart qui
l’occupera pendant vingt-huit ans
jusqu’en1976.
L’ESJ racontée
par un témoin de sa vie
Paul Verchave, bras croisés, au milieu de la neuvième promotion de l’École celle de Robert Hennart (deuxième à partir de la droite en bas).
C
’est en 1924 que l’ESJ Lille
voit le jour au sein des
Facultés Catholiques de
Lille. Paul Verschave, son premier directeur, est alors choisi
par les cardinaux et archevêques
de France pour créer « une école
de journalistes qui utiliserait les
cours déjà existants et y ajouterait
quelques cours spéciaux ». Une
mission à la hauteur du talent de
ce Nordiste, qui fit ses premières
armes en tant que journaliste
pendant la Grande Guerre.
Du haut de son mètre cinquantecinq, Paul Verschave préside
aux destinées de l’ESJ Lille pendant vingt-sept ans. Le temps de
donner de solides fondations à
l’École. À l’époque, la presse écrite
était le média par excellence.
Aussi les premiers étudiants de
l’École feront-ils le bonheur des
grands titres de presse.
Mais à l’image de la société,
l’École évolue, notamment sous
la houlette de Robert Hennart
[voir encadré]. Tandis que la taille
des promotions s’agrandit, l’école
s’autonomise petit à petit de l’université.
En 1956, L’ESJ Lille est agréée
par la profession en vertu de la
Convention collective des journalistes. Treize ans plus tard, elle
est reconnue par l’État. L’École
s’impose comme une référence
en France et s’ouvre aux nouveaux médias : la radio, l’agence
de presse et la télévision. Mais
avec toujours le même mot
d’ordre : l’exigence.
Si les directeurs se succèdent,
l’âme de l’École est préservée. En
1981, l’ESJ Lille quitte le boulevard Vauban pour s’installer rue
Gauthier de Châtillon, où elle
se trouve toujours aujourd’hui.
Ses anciens en activité essaiment
dans tous les médias et occupent
souvent des places à responsabilité. Et c’est souvent avec plaisir
qu’ils reviennent à Lille en qualité
d’intervenant pour transmettre
leur savoir-faire aux nouvelles
générations.
À l’heure du virage du numérique et d’internet, l’École forme
désormais au web, aux réseaux
sociaux et aux formats innovants.
Sans négliger bien sûr les médias
historiques. Car même âgée de 90
ans, l’ESJ Lille a de la suite dans
les idées. Et encore toute la vie
devant elle.
Adrien Lelièvre
Qui de mieux placé que la “mémoire
de l’école” pour raconter son histoire ?
En 1997, Maurice Deleforge publie
L’ESJ racontée par des témoins de sa
vie, petite somme relatant l’épopée de
la vieille dame, de son fondateur, Paul
Verschave, au déménagement rue
Gauthier de Châtillon. Anecdotes,
photos, hypothèses : le “narrateur”
qui se désigne à la 3e personne, s’amusant lui-même de ce syndrome Alain
Delon, assure ne pas avoir (encore)
percé tous les mystères de cette institution, érigée à l’ombre de la Catho.
Professeur de français, puis directeur
des études, il en aura vu passer des
promotions. On le soupçonne de pouvoir pousser de la voix sur l’Aubépine,
hymne héritée de la 45e promotion,
dont il nous retranscrit la partition.
Aujourd’hui, ce sont plutôt Les corons
de Pierre Bachelet qui résonnent dans
les soirées. Sûr que Maurice Deleforge
apprécierait.
La seconde Maison de Robert Hennart
Il détient, juste derrière Paul Verschave, le record de
longévité chez les directeurs de l’ESJ Lille. Robert
Hennart a tenu la barre de l’école pendant 28 ans.
Avec talent, modestie et ambition.
Peu de personnes ont lié leur destin à l’ESJ Lille comme
Robert Hennart. L’école était sa seconde maison, et
on devine aisément combien il aurait été fier d’assister à son quatre-vingt-dixième anniversaire. Sa nomination à la tête de l’ESJ en 1948 constitua pourtant
une surprise et suscita la controverse. Car non seulement Robert Hennart (9e promotion) possédait une
maigre expérience journalistique, mais en plus il était
l’époux de la fille du fondateur de l’école... D’où d’inévitables accusations de népotisme, auxquelles il mit fin
rapidement en raison de sa compétence. Le challenge
était de taille : tout, ou presque, était à reconstruire
après la guerre. La presse souffrait de ses compromissions avec l’occupant allemand, de nouveaux journaux
voyaient le jour, la radio prenait son envol. Robert
Hennart tâcha de redonner ses lettres de noblesse au
métier en formant des journalistes intègres. Sous son
magistère, l’école se sécularisa et traversa les Trente
Glorieuses avec la conviction que la presse était un
contre-pouvoir indispensable. Malgré une fin de règne
contestée et quelques ardoises laissées à son successeur, Robert Hennart quitta son poste en 1976 avec le
sentiment du devoir accompli. Il s’éteindra trente ans
plus tard à l’âge de 90 ans.
Gazette du 90e anniversaire de l’ESJ Lille du 10 au 12 octobre 2014
Adrien Lelièvre
17
Enfant de Flandres, rédacteur en chef de Nord Eclair, directeur de l’ESJ pendant 15 ans. Jules Clauwaert
fut l’un des journalistes les plus emblématiques de la région et de l’école, dont il a traversé l’histoire.
Jules Clauwaert, l’homme qui aimait le Nord
F
ils de mineur, Jules
Clauwaert l’était lui-même.
Un des seuls enfants d’ouvrier parmi sa promotion, son
emploi du temps à l’ESJ était
adapté à ses horaires à la mine.
Ses pas d’apprenti journaliste se
font durant la période trouble de
l’Occupation. Impertinent, sa carrière de résistant débute dans les
couloirs de la Catho, où chaque
portrait du maréchal Pétain retourné porte son empreinte.
à l’aube de la libération, Jules
Clauwaert qui, à 21 ans, a terminé l’ESJ, rejoint le balbutiant
quotidien né de la Résistance
des Flandres, Nord Eclair. Nous
sommes en 1944, Jules ne quittera jamais ce journal qui a grandi avec lui. Qui a vu Roubaix, la
France, le monde évoluer. Son
charisme et sa foi dans un journalisme de qualité permettent
à Jules Clauwaert de devenir, à
moins de 30 ans, rédacteur en
chef du quotidien.
Le journaliste s’attèlera pendant
les années 1960 et 1970 au grand
reportage. URSS,
guerre du
Vietnam, révolution cubaine ou
encore la Chine de Mao, son œil
acéré et sa plume affutée le transportent aux quatre coins d’un
monde en ébullition.
Le temps des batailles
Mais Jules Clauwaert est avant
tout un homme de chez lui. De
sa terre. De son Nord pour lequel
il rêve d’une information de qualité, sincère et proche des gens.
Une information comme on la
lui a apprise à l’ESJ. Quand le
rédacteur en chef de Nord Eclair
apprend au début des années
1960 que la Catho veut fermer
l’ESJ devenue trop coûteuse pour
la faculté, il rassemble les anciens
de l’école et monte le projet d’une
école indépendante. L’ESJ deuxième mouture nait alors en
1965. Il en devient le directeur.
Il y restera jusqu’en 1978, avant
d’être nommé directeur d’honneur de l’école.
L’ESJ à peine stabilisée, Jules
Clauwaert s’engage dans un
nouveau combat. En 1975, Nord
Eclair doit moderniser son équipement, notamment les rotatives,
et fait appel au groupe Hersant.
Jules Clauwaert bataillera pour
que l’identité de Nord Eclair et sa
liberté éditoriale soient respectées malgré la vente du titre.
Durant les trente dernières années de sa vie, le journaliste a été
un des piliers de la vie politique,
sociale et culturelle de la région.
Son engagement dans ce métier
a permis, entre autres, la création
au milieu des années 1990 du
Club de la presse du Nord-Pasde-Calais.
Il est toujours un temps où les
grands hommes nous quittent et
laissent place au mythe. L’étoile du
Nord s’est éteinte le 3 février 2014
à 90 ans, à quelques mois de l’anniversaire de sa chère école. S’il
Jules Clauwaert, ancien directeur et président de l’ESJ
avait encore été là pour ce weekend, qu’aurait-il dit aux jeunes
générations de journalistes qui
foulent le sol de cette école dont il
fut l’un des grands ? Sûrement sa
devise. « Faisons mieux et faisons
le savoir ! »
Maëlenn Bereski
L’école pendant la Seconde Guerre mondiale
De 1939 à 1945, l’Ecole
a maintenu ses missions
malgré la guerre. Nous
avons pu recueillir le
témoignage de quelques
Anciens, âgés de 87 à
92 ans.
L’important restait de s’informer
et de faire fonctionner une école
qui ne comptait alors qu’une petite dizaine d’étudiants.
« On était une grande famille »
Mais ce qui frappe dans les récits
de nos Anciens, ce sont les descriptions de l’ambiance qui régnait dans l’école à ce momentlà. « On était une grande famille.
Tout le monde était très attaché à
son école », affirme Eliane Basin
de la 22e. « L’esprit était très fraternel au quotidien », poursuit
Jean Paul Lampe. Et de fait, malgré l’Occupation, les étudiants
avaient monté un groupe de jazz
avec leurs camarades de l’université catholique. Un professeur de
gym donnait officieusement des
cours de danse, alors interdits.
En parallèle, une vie studieuse
s’organisait autour du directeur
de l’école, Paul Verschave. Surnommé “le petit père”, il conserve
un statut d’idole pour les anciens
étudiants. Farouche soutien du
général de Gaulle selon certains,
régionaliste pour d’autres, il dispensait les cours lui-même. Sa
mémoire reste précieuse pour
Jean-Paul Lampe, qui termine
notre entretien par ce message :
« n’oubliez pas le père Verschave ».
«P
ar rapport à ce que
l’Ecole est aujourd’hui,
nous n’étions que les
germes », sourit Guy Fauchille, de
la 18e promotion. à l’époque où
l’école se faisait en trois ans, cet
ancien de 92 ans n’en a fait qu’un,
avant de prendre le maquis dans
le Jura en 1942 pour éviter le
Service du Travail Obligatoire
(STO). « L’école dispensait une
formation très générale, axée sur
le droit constitutionnel, l’économie, l’histoire. On apprenait à
rédiger de manière académique »,
complète Eliane Basin, 87 ans.
« Les temps étaient difficiles, mais
c’était une belle époque malgré la
guerre », souligne Antoine Molin,
de la 20e promotion.
Tous se rappellent d’une école qui
gardait une liberté fondamentale
malgré les restrictions. « On essayait de s’informer au maximum
de ce qui était à l’extérieur. Nous
recevions tous les journaux et
écoutions Radio Londres », se souvient Jean Paul Lampe, 92 ans.
Gazette du 90e anniversaire de l’ESJ Lille du 10 au
à l’époque, les cours de l’ESJ étaient dispensés à l’université catholique.
étienne Combier
12 octobre 2014
18
décennie
50
Repères
Promos 27 à 36
Sous la direction de Robert Hennart qui a pris la succession de Paul Verschave en 1948, l’ESJ confirmera sa vocation nationale et internationale, poursuivant l’accueil de très
nombreux étudiants étrangers, qui constituent aujourd’hui
un réseau d’anciens dans plus de quatre-vingts pays. Cette
décennie voit aussi l’arrivée d’un jeune prof, Maurice Deleforge, pour enseigner le français.
Momo,
docteur ès ESJ
N
e vous fiez pas aux apparences. Sous ses airs de
grand-père, cultivant sa
barbe blanche, le bonhomme
conserve un solide humour.
Capable de vous déstabiliser par
une seule phrase, prononcée au
téléphone. Pour rencontrer Maurice Deleforge, il faut d’abord se
perdre au fin fond des Flandres.
Godewaersvelde. Imprononçable.
Pas de quoi effrayer les étudiants
de l’ESJ qui, de promotion en promotion, effectuent leur pèlerinage
auprès de ce pilier de l’école. En
apportant avec eux les salutations
des autres incontournables, qui
continuent d’officier rue Gauthier de Châtillon. « Bonjour à
Momo ! »
Le voici, vous ouvrant la porte,
avant de s’installer dans son canapé, prêt à s’amuser de la jeunesse qui vient recueillir les souvenirs. Sur son mur, des photos
de promotions, d’Anciens autrefois élèves, et avec qui il garde
contact. « Je me réveille tous les
matins avec eux ». Maurice Deleforge, professeur de français puis
directeur des études, entre à l’ESJ
en 1957. Pour la quitter en 1999,
forcé, assure-t-il. « On m’a foutu
dehors. » Laissons-là les rancunes. « La nostalgie, ça emmerde
le monde. »
Il faut d’abord l’apprivoiser et
montrer patte blanche. Il s’inquiète de savoir quel type d’élève
on a bien pu lui envoyer. Pour
sûr, des jeunes journalistes, il en
a maté un paquet. « Après 68, j’en
ai chié ». L’écrivain, admirateur
de Péguy, est un farouche amateur de la langue. Celle du 20e
siècle, qu’il a enseignée. Certains
se souviendront peut-être d’un
sujet proposé il y a quelques décennies : « jusqu’où le journaliste
peut-il pousser l’amour physique
des mots ? »
Journaliste, d’ailleurs, très peu
pour lui. « Je n’ai jamais voulu être
journaliste. Je n’ai pas de mépris
particulier pour la profession.
Même une grande admiration
pour certains. Mais, moi, je voulais être professeur ». Une carrière
initiée par un enseignant de philosophie, et somme toute logique
pour ce petit-fils de directeur
d’école publique. D’ailleurs, pré-
Gazette du 90e anniversaire de l’ESJ Lille du 10 au 12 octobre 2014
1956
L’ESJ Lille est agréée par la profession en vertu de la Convention collective des journalistes, qui limite à
un an le stage professionnel de ses
diplômés.
A la fin, Momo
tapait dans ses
mains
et tout le
monde revenait.
sent à Berlin en novembre 1989,
il ratera la chute du mur. « On
m’avait dit, « le mur, c’est pour
demain ». Je me suis dit, « Maurice, demain, tu vas en chier,
donc couche toi de bonne heure ».
Le mur est tombé pendant la
nuit. On l’imagine, fringant,
après une bonne nuit de repos,
et déambulant près de la porte de
Brandebourg, à 6h du matin.
« ôtez l’amitié, plus d’école »
Alors, quand surviennent les premiers ordinateurs, Momo sent
le vent tourner. « Je faisais cours
dans une petite salle. A la pause,
tout le monde foutait le camp dans
la pièce voisine, pour peloter les ordis. A la fin, Momo tapait dans ses
mains et tout le monde revenait. »
Le voilà donc prêt à partir en
1994. Il s’attarde encore quelques
années, avant de prendre officiellement sa retraite. On le soupçonne de caresser l’idée d’un
retour. « J’aurais pu faire, une fois
par an, un panorama de l’école de
1924 à nos jours ». Le mot est entendu. Pourtant, « qu’est-ce qu’on
peut bien enseigner dans une école
de journalisme en 2014-2015 ? »
Reste le passage de témoin, d’une
génération à une autre. « On ne
peut plus faire vivre l’ESJ de 1964.
Mais on peut quand même entretenir l’esprit de l’école ». Quatrevingt-dix ans : il fallait bien s’y
rendre à Godewaersvelde pour
rencontrer ce monsieur, à peine
plus jeune que l’école à laquelle
il a consacré un de ses ouvrages.
Pour l’occasion, l’Ancien d’honneur reviendra à Lille, histoire de
retrouver les briques rouges et ses
chaires d’amphi. « Je vais revoir
tellement de monde. J’ai presque
peur d’en mourir, d’émotion. »
On n’y croit pas. La légende de
Momo est bien trop robuste.
Anne Charlotte Waryn
19
Vingt-neuf juin 1959. L’ultimatum tombe. Monseigneur Simon Delacroix, le recteur de
la Catho envoie une missive inquiétante : l’École devra, à partir du 1e octobre, assurer
sous sa propre responsabilité « les dépenses et l’équilibre du budget de l’école supérieure de journalisme ». Robert Hennart, le directeur, réclame un délai d’un an. On lui
accorde 3 mois. L’ESJ joue sa survie financière.
1959 : quand la Catho a lâché l’ESJ
L
e couperet tombe. Le journalisme, pas vraiment rentable, devient une charge
pour une Catho déjà endettée.
Autant s’en délaisser. Pourtant,
sous la férule de Paul Verschave,
l’ESJ assumait jusque lors son
côté catho. En 1924, on formait
une poignée de journalistes, avec
un certain paternalisme. Le but :
rédiger des articles, faire œuvre
de pédagogie. Eduquer, donc, son
public. Dans le respect des bonnes
mœurs. Après la Seconde Guerre
mondiale, et une vague de recrutements, l’établissement s’oriente
vers la professionnalisation. Mais
fiers de leur Catho, les étudiants
arborent encore quelques signes
distinctifs sur leur faluche, en
signe de ralliement. D’ailleurs, on
se partage les locaux, et les liens
De toute
manière,
l’ESJ, brutalement sans
le sou, risque
bien de disparaître.
entre les différentes promotions
des deux établissements sont
nombreux. Maurice Deleforge,
entré à l’ESJ en 1957, a d’ailleurs
suivi toute sa scolarité à la Catho,
ce qui lui a permis d’être recruté
par l’École.
La décision de la Catho remet
donc aussi en cause toute une
philosophie sur laquelle l’enseignement était fondé. De toute
manière, l’ESJ, brutalement sans
le sou, risque bien de disparaître.
C’est là que le réseau des Anciens
se met en marche.
Joseph Fontaine, connu des étudiants d’aujourd’hui grâce à la
bourse qui porte son nom, est
président de l’Association des
anciens. Nombreux débats, nombreux dîners chez les promotions
déjà en postes. Jules Clauwaert se
rapproche de ses camarades, et
forme avec Philippe Gaillard, le
La canarothèque dans les locaux boulevard Vauban pendant les années soixante.
noyau dur. Le 12 décembre 1959,
ils créent l’association de gestion
de l’ESJ. En novembre 1960, ils
signent une nouvelle convention avec la Catho. Et, étape par
étape, constituent une nouvelle
institution capable d’être reconnue par l’enseignement supérieur technique d’Etat et surtout
obtenir le droit de percevoir la
taxe d’apprentissage auprès des
entreprises. Robert Hennart sacrifie même sa nationalité belge :
impossible, sinon, de diriger un
établissement français. Les démarches prendront deux ans.
Le défi est relevé. L’ESJ, nouvelle
version, désolidarisée de la Catho, ouvre son premier conseil
d’administration le 25 novembre
1961. Ouvert aux représentants
de l’Université et à la presse,
indispensable pour une école
formant de jeunes journalistes.
Autre innovation : les Anciens
de l’Esj détiennent la majorité au
sein de l’association de gestion
présidée par Joseph Fontaine.
Gazette du 90e anniversaire de l’ESJ Lille du 10 au 12 octobre 2014
Jules Clauwaert officie en tant
que vice-président. Les Anciens
deviennent propriétaires de leur
école. Reste le nerf de la guerre :
l’argent.
Chacun contribue. On peut
même se permettre de recruter : Emile Delahousse devient
gestionnaire, complétant le duo
Robert Hennart et Maurice Deleforge. Une configuration qui durera quelques promotions encore.
20
décennie
60
Promos 37 à 46
L’ESJ est une des plus anciennes écoles de journalisme d’Europe et la plus ancienne
des écoles reconnues en France. Au début des années soixante l’École sort du giron
de la Catho et est reprise par une association en grande partie constituée d’anciens
(c’est encore le cas aujourd’hui). C’est à la fin de cette décennie que les diplômes
remis par l’École, dirigée alors par Robert Hennart, sont reconnus par l’État.
Mai 68 : « On voulait voir ce qui se passait »
Élèves de première année à l’ESJ en 1967-1968, dans la salle P. Desnoyer. (Extrait du premier numéro du journal ESJ de janvier 1968)
« Nous avions 18, 19 ou 20 ans,
on était des enfants du babyboom.
Une société pleine de jeunes qui
voulaient se distraire. » En 1968,
Joëlle Jacques est à l’ESJ. Elle a 20
ans. Au mois de mai, c’est l’effervescence à Paris. « Le week-end,
quand la semaine s’achevait, on
prenait la voiture et on montait à
Paris. Par petits groupes. On voulait voir ce qui se passait. » A Lille,
des petits groupes d’étudiants se
rencontrent dans les cafés. Pas de
briques jetées mais beaucoup de
débats animés.
Nous savions que le moment
était historique
« Je ne participais pas directement
aux révoltes étudiantes à Paris.
Etant belge, je savais que si les policiers me mettaient la main dessus, je serai reconduite à la frontière. Mes parents n’auraient sans
doute pas apprécié, sourit Joëlle. Je
voulais observer. Nous savions que
le moment était « historique » et
nous étions là. »
Observer. C’est peut-être la particularité de mai 68 vu de l’ESJ :
ce sont d’apprentis journalistes
qui assistaient, de près ou de
loin, à cette « révolution ». « On
confrontait ce qu’on avait appris
au terrain, confie Philippe Rochot,
lui aussi dans les murs de l’école en
68. Je me souviens que j’étais parti
à Paris un week-end en 2 CV mais
il n’y avait plus d’essence nulle part
avec les grèves, alors j’y ai passé 15
jours. »
Les étudiants avaient un rôle privilégié, une fois rentrés à Lille, ils
racontaient ce qu’ils avaient vu.
«Au restaurant universitaire, qui
était boulevard Vauban à l’époque,
il y avait beaucoup d’étudiants.
Des haut-parleurs dans la salle
nous permettaient de les informer
sur les événements », se souvient
Joëlle.
Les conséquences ? Il y en a eu
beaucoup. « Mai 68 a libéré la
société de tellement de carcans !
C’est difficile de s’en rendre compte
aujourd’hui, le plus marquant
pour moi a été le changement de
regard sur nous. Les étudiants
n’avaient plus à accepter n’importe
quelle autorité sans réfléchir »,
explique Joëlle. « Il n’y a pas eu
de révolution dans notre enseignement à l’ESJ, poursuit Philippe,
mais il y avait des débats d’idée et
ça c’était nouveau. Un grand courant d’air frais qui n’a pas trouvé,
tout de suite, de concrétisation
en somme. » Mais si aujourd’hui
l’enseignement a tant évolué c’est
un petit peu grâce à mai 68.
Isaure Hiace
Parole d’Anciens
C’est Maurice Deleforge qui m’a appris à écrire
Brigitte Le Brun Vanhove (35e)
« C’est Maurice Deleforge qui m’a appris à écrire, de façon moins littéraire : sujet-verbe-complément ! Je suis émue de l’avoir revu hier.
Quand je l’ai rencontré, il enseignait à l’école depuis deux ans. On travaillait beaucoup, dans une ambiance très joyeuse. Quand on partait
en voyage de promo, on se défoulait complètement. Robert Hennart,
notre directeur, aussi ! »
Gazette du 90e anniversaire de l’ESJ Lille du 10 au 12 octobre 2014
Repères
1960
L’ESJ devient un établissement
privé pris en charge par ses anciens élèves qui créent (loi 1901)
l’Association de l’École supérieure
de journalisme de Lille habilitée à
percevoir la taxe d’apprentissage
au titre de la formation des cadres
moyens et supérieurs.
1969
L’ESJ Lille est reconnue par l’État en
vertu du décret du 24 avril.
21
Dominique Mobailly, diplômée de la 41ème promotion, et responsable de la presse
écrite à l’ESJ de 2003 à 2007 revient sur la féminisation du journalisme.
3 questions à Mob (Dominique Mobailly)
Dans votre promotion, combien
y avait-il de femmes ?
J’ai été diplômée en 1967. A
l’époque sur une promotion de 60
il n’y avait que six ou sept filles.
On considérait cela comme normal. Il y avait encore du boulot à
faire. Je me souviens du responsable de la radio qui travaillait
pour Europe 1. Il nous avait fait
passer des tests pour la voix et
nous avait dit : « De toute façon
que ce soit bien ou pas, vous ne
pourrez pas passer à l’antenne,
je ne vous retiens pas. » Il a fallu
attendre les années 70 pour entendre une voix féminine sur les
ondes. Les femmes d’aujourd’hui
ont plus de chance. Après mon
diplôme on m’a proposé un poste
à Ouest France où il n’y avait
aucune femme. Cependant c’était
pour tenir la « page de la femme
» du journal. C’était ringard, du
genre « comment récupérer le
manteau de l’année dernière ».
J’ai refusé.
L’arrivée des femmes a-t-elle
transformée la profession ? Une
femme apporte-t-elle quelque
chose de différent ?
Les points de vue s’en trouvent
diversifié je pense. Il faut faire
attention car toute généralité
est par essence réductrice. En
gardant de la nuance, on peut
penser que les femmes sont un
peu moins conformistes que les
hommes, elles apportent un instinct un peu décalé par rapport
à l’information. Dans le film Les
Gens du Monde, on voit ainsi
Ariane Chemin en conférence de
rédaction au lendemain de la victoire de François Hollande. Elle
voulait faire un papier sur la tente
VIP des socialistes ou d’anciens
responsables essaient de revenir
en grâce. Elle s’intéresse au côté
« chair » de l’information. Les
femmes sont un peu comme ça
je pense même si les profils sont
divers.
Quel est le prochain combat à
mener pour les femmes dans le
Gazette du 90e anniversaire de l’ESJ Lille du 10 au 12 octobre 2014
journalisme ?
Je crois que les portes sont ouvertes pour les femmes, il n’y a
plus d’injustice flagrante même
si on retrouve souvent peu de
femmes dans les conseils d’administration. Les enjeux du métier
ne sont pas sexués. Ils sont plutôt à chercher dans l’influence
grandissante de la communication qui dispose de moyens bien
supérieurs à ceux des journalistes. L’exploitation des jeunes
par les vieux singes du métier,
confortablement installés sur
leurs branches, est aussi problématique.
Propos recueillis
par Vianey Lorin
22
décennie
70
Promos 47 à 56
Désormais, le concours de l’École n’est ouvert qu’aux possesseurs d’un Deug, les études ne durent plus que deux
années au lieu de trois et la rédaction d’un mémoire de fin
d’études n’est plus obligatoire pour obtenir le diplôme de
l’ESJ. Les étudiants, qui resteront dans l’histoire de l’École
pour leur mouvement du printemps 70, se dotent d’une
machine à écrire portative. Portraits choisis.
Christophe Beaudufe, humble carburant
1970
Repères
Septembre de contestation.
1973
La scolarité passe de trois à deux
ans. Il faut posséder un Deug pour
se présenter au concours.
1979
Chaque étudiant doit posséder une
machine à écrire portative.
I
Notre grande
tolérance
envers les
cultures
étranges nous
avait amenés
à accepter
quelques aliens
dans la bande
maginez-vous à cinq mois de
tenter le concours d’entrée de
l’ESJ. C’est bientôt Noël, l’heure
de mettre un terme au voyage autooctroyé, de se mettre à ficher l’actu
comme un fou.Vous êtes – accessoirement - à Johannesburg. Derrière
de hauts murs de briques rouges,
surmontés de barbelés, se cache le
desk AFP qui traite tout le sud de
l’Afrique. Christophe Beaudufe, qui
dirige ce bureau, vous reçoit dans
l’effervescence : Mandela vient d’être
hospitalisé. Le monde entier attend
une dépêche.
Pour les mois suivants, le souvenir de
cette scène supplantera tous les carburants du monde ; et ceux qui lisent
ces lignes savent combien tel carburant est précieux, les mois qui précèdent une admission à l’ESJ. C’était
il y a deux ans, et cette gazette consacrée aux Anciens est l’occasion de le
recontacter, et de le faire sourire. Car,
lui aussi, « (modeste) élément de la
(brillante) 60e promo », avait dû, dès sa
rentrée, mettre la main à la pâte pour
les festivités des 60 ans de l’École. De
ces années, Christophe Beaudufe se
rappelle de sa bande d’amis, dite du
«sud-ouest», « où se mélangeaient les
accents basque et toulousain. Notre
grande tolérance envers les cultures
étranges nous avait amenés à accepter
quelques aliens dans la bande, dont le
breton Yvon Legall... »
Broussard contre Mesrine
L’intervenant mythique de l’époque
portait une barbe blanche taillée au
carré. « Maurice Deleforge nous enseignait la magie du verbe avec passion, il
m’a fait comprendre la différence entre
‘’écrire’’ et bien ‘’écrire’’. » Le terrain,
aussi, faisait partie intégrante de la
formation. Contrairement à Paris où
les conférences de presse fleurissent
chaque matin, à Lille, l’actu n’est pas
d’emblée apparente. « L’ESJ avait, et
Paroles d’Ancienne
Christophe Beaudufe travaille à Johannesbourg.
a toujours la réputation de former
des journalistes de terrain, immédiatement opérationnels en reportage. À
l’époque, l’ESJ était plus ouverte aux
gens qui aimaient l’aventure, ou la découverte du monde les yeux grands ouverts... » Trente ans après, Christophe
Beaudufe ne sait plus trop ce qu’il a
pu raconter à son oral de motivation
à l’entrée. Mais « disons que passer sa
vie à aller voir de près les événements
du monde et être payé pour les raconter me semblait le comble du bonheur
pour un voyageur bavard. »
Ankara, Berlin, Moscou, Johannesburg... son cheminement post-ESJ
laisse rêveur. Mais avant l’Afrique du
Sud, Christophe Beaudufe a dirigé
la rédac des sports de l’AFP, alors ce
n’est pas tout à fait un hasard, si « la
victoire historique sur le CFJ à Villeneuve d’Ascq, par un score quasi-humiliant (genre 7-0) » figure en bonne
place parmi ses souvenirs marquants
de l’École. « Un attaquant du CFJ était
le fils d’un officier de police, célèbre à
l’époque, le commissaire Broussard.
Quand les supporters ont commencé
à scander son nom ‘’ BROUS-SARD,
BROUS-SARD ‘’, le public de l’ESJ
a répliqué dans la seconde : ‘’MESRINE, MES-RINE’’.» Le non moins
célèbre bandit que Broussard père
avait affronté peu de temps auparavant.
Charlotte Cieslinski
Gazette du 90e anniversaire de l’ESJ Lille du 10 au 12 octobre 2014
1970 : Catherine ABET (50e promotion)
Si une institution vaut par les hommes qui la composent nous fûmes gâtés : Momo bien sûr, mais aussi
Gunther Schild, généreux, lumineux, dont la vie déjà était un roman (lire : la France sans billet de retour).
Joan Misser, la passion des êtres et de la liberté chevillée à son corps nerveux. D’autres encore mais il faut
choisir, tous enthousiastes même si parfois trop prudents à mon goût… il y eut aussi les copains, les amis
venus parfois de loin, les éclats de rire de Pumla, ma 2CV décorée de Riri le spermatozoïde par Philippe
Pascal, sale gosse doué, le Clampin libéré et avec lui l’apprentissage accéléré des relations complexes avec
les sources et les notables et de la nécessité impérieuse d’aller au-delà des apparences. Toujours.
Gazette du 90e anniversaire de l’ESJ Lille du 10 au 12 octobre 2014
Paroles
d’Anciens
Hervé Favre (50e)
«Dis moi gros grain d’orge»
Année 77-78 : le comédien René Pillot nous fait travailler notre diction
un crayon dans la bouche : « dis moi
gros grand grain d’orge... ». Et il note
sans pitié nos prestations d’apprentis
Mourousi. Ce jour là j’annonce la
mort d’un illustre oublié et devant
mon air compassé il m’interrompt :
« Vous êtes un ami de la famille ? ».
Ma vocation de journaliste de presse
écrite en sortira renforcée !
Jean-Claude Rigault (53e promo)
Dissertations sur les nuances
Maurice Deleforge, dit Momo, nous
répétait sans cesse : les problèmes ça
ne s’utilise pas. Il trouvait que c’était
un mot trop facile à utiliser, qu’il y
avait des synonymes. Si on employait
le mot interdit, on se faisait engueuler, et surtout nous avions droit à
une dissertation sur les nuances de la
langue française!
Marie-Hélène Dufourny (55e promo)
«Voilà mon avis, et je le partage»
Lundi, carrefour hebdomadaire d’actualité. Rémi, comme à son habitude,
entame un discours enflammé pour
exposer son point de vue, celui du
fervent militant communiste qu’il est.
Il conclut son long propos par un «
voilà mon avis sur la question... » et
dans un silence indifférent ajoute «
et je le partage… » déclenchant alors
l’hilarité générale.
23
Hassan Alaloui Kacimi est arrivé en France en 1968. Il a vécu l’époque d’Hubert Beuve-Méry, d’André
Fontaine et est devenu un grand nom du journalisme marocain.
Hassan Alaoui Kacimi (49e) : « Il y a un souci de distraire »
L
e déclic a lieu à l’été 1964.
Hassan Alaloui Kacimi
suit alors un stage dans un
monastère de religieux français
au Maroc. Il y rencontre Hubert
Beuve-Méry et Jean Lacouture, et
c’est le choc. En 1968, il quitte le
Maroc : « J’ai glandouillé à Paris.
J’étais trotskiste, comme tout le
monde. Mais mon rêve, c’était d’aller à l’école de Lille car au Maroc,
tout le monde en parlait. »
À l’époque, l’école dure quatre
ans. Hassan Alaoui Kacimi se
rappelle surtout de l’ambiance. «
C’était 8 h du mat’ jusque 18 h. On
voyait Claude Julien, André Fontaine, Hubert Beuve-Méry… Il y
avait un esprit de fierté. On voyait
les promotions se déverser tous les
ans dans les rédactions… Et puis
celui qui m’a marqué, c’est Momo
bien sur ! » Pendant ses études,
il travaille à Liberté puis fait un
rapide passage à La Voix du Nord.
Ensuite, sans doute bercé ses rencontres avec les piliers du Monde,
il intègre la rédaction du quotidien en 1975, à sa sortie d’école.
Puis il change de direction.
« Mon cap, mon destin, c’était
la France. Mais je suis rentré au
Maroc pour un court séjour, il y
avait la guerre secrète au Sahara
occidental. J’ai écrit dessus et je
suis rapidement devenu rédacteur
en chef de Maroc-Soir. J’étais le
plus jeune rédacteur en chef du
pays, j’avais 25 ans ! » S’ensuit une
carrière au Matin, un quotidien
marocain dont il a pris sa retraite
il y a deux ans.
Journalisme à la française
Il cultive la fierté de l’ESJ d’une
drôle de manière : « Je critique
le CFJ ! C’était notre concurrent
à l’époque. Ils phagocytaient les
meilleurs profs. »
Mais s’il aime cette école française, il porte un regard critique
sur l’évolution du journalisme
qu’on lui a enseigné : « Pour le
moi, le journalisme à la française,
c’était un journalisme de retenue.
Aujourd’hui, il y a un souci de distraire. Petit à petit, les journaux
ont versé dans un certain américanisme, il y a une espèce de suren-
chère qui s’installe. » Il y a un peu
de déception dans la voix d’Hassan Alaoui Kacimi, mais cela ne
l’empêche pas de conseiller aux
aspirants journalistes marocains
de passer le concours d’entrée.
Laure Delacloche
Jérôme Daquin, aujourd’hui retraité, fait partie de la 49e promo de l’ESJ. Il garde de très bons souvenirs de
l’École, et revient sur un parcours professionnel hétéroclite.
« De septembre 1972 à août 1975,
j’ai l’impression de n’avoir pas dormi », Jérôme Daquin (49e)
Pouvez-vous nous détailler votre
parcours de la sortie de l’École
en 1975 à aujourd’hui?
Quand j’ai fini l’École, j’ai fêté ça
avec ma bande d’amis. Et sinon
plus sérieusement j’ai été embauché comme stagiaire à L’Est Républicain.
Ensuite, je suis parti à Kinshasa,
en République
Démocratique
du
Congo,
comme assistant chargé des
cours de radio
et de télévision à l’Institut
des Sciences
et Techniques
de l’Information, une école
fondée par un
Ancien, Paul
Malembé. Ça
m’a permis de
remplacer mon
service militaire, encore
obligatoire à
l’époque. C’était une expérience
inoubliable, que je garde encore
en mémoire aujourd’hui. J’y suis
resté jusqu’en 1977.
Je suis revenu ensuite à Paris pour
trouver du travail. Une quête qui
s’avère difficile. J’accepte un boulot de secrétaire de rédaction au
Monde. Ça n’était pas payé mais
j’avais espoir que ça débouche
sur quelque chose. Je me rends
compte que c’est trop bête, et puis
mon compte en banque avait tiré
la sonnette d’alarme, alors je décide de partir.
Après quelques autres expériences particulières, en 1988,
alors que je vais devenir papa, je
passe les tests à l’Agence France
Presse et je les réussis.
Je commence alors une longue
carrière d’agencier. J’ai occupé
des postes en France (Paris, Lille,
Bayonne…) et à l’étranger, à Berlin notamment. Et aujourd’hui, je
suis à la retraite.
Petit retour en arrière, qu’est ce
que l’ESJ vous a apporté?
L’ESJ m’a apporté de nombreuses
connaissances et compétences,
même si je pense que certaines
d’entre elles sont déjà dépassées. À l’époque, on utilisait des
machines à écrire, du papier,
des appareils photo argentiques
et des nagra à bande. Mais j’y ai
appris les bases du journalisme,
Gazette du 90e anniversaire de l’ESJ Lille du 10 au 12 octobre 2014
qui m’ont été utiles jusqu’à la fin
de ma carrière.
Et puis l’ESJ m’a surtout laissé
une belle bande de potes, dont
Yves Sécher bien sûr.
Quel est votre meilleur souvenir
à l’École?
J’ai énormément de très bons
souvenirs à l’École. J’ai fait la fête
avec mes amis et ça fait forcément partie des bons souvenirs.
De septembre 1972 à août 1975,
j’ai l’impression de n’avoir pas
dormi.
Et au contraire votre pire souvenir?
Non là vraiment, je ne vois pas…
Avez-vous une anecdote à nous
raconter sur vos trois années à
l’ESJ ?
Une anecdote? Il y en a plein, de
quoi pourvoir écrire un livre. Un
projet sur lequel je travaille, bien
sûr.
Robin Prudent
Chloé Cohen
24
décennie
80
N
Repères
Promos 57 à 66
Ils étaient censés suivre des conférences. Le 8 novembre
1989, les jeunes pousses de la 64e promotion arrivent à
Berlin. Ils ne se doutent pas encore qu’ils couvriront l’événement qui marque la fin du XXe siècle.
Berlin 1989 : « C’était parti
pour être super chiant… »
icolas Winclair avait
acheté sa V200 quelques
jours avant de partir.
«J’étais complètement fauché mais
je voulais avoir cette caméra. On
sentait que ça bougeait à Berlin
mais on n’imaginait pas ce qu’il
allait se passer. » Le 9 novembre,
après une soirée un peu arrosée,
l’apprenti JRI déjeune avec son
oncle, militaire en poste dans le
quartier français de Berlin. « Il a
reçu un coup de téléphone. Il est
devenu livide. ‘‘Tu fais quelque
chose ce soir Nicolas ? Parce que
le Mur va tomber’’ ».
«Après les infos de l’oncle de Nicolas, on s’est précipité vers la porte
de Brandebourg. On était parmi
les premiers à monter sur le mur »,
assure Soizic Bouju. Avec son appareil photo celle qui deviendra
directrice des études de l’École
mitraille pendant 72 heures.
1981
Pendant vingt ans, l’ESJ a été logée
boulevard Vauban, avant d’emménager cette année-là au 50 rue Gauthier-de-Châtillon.
1983
• Le diplôme de l’ESJ Lille est reconnu par l’État, qui l’autorise à
délivrer un diplôme revêtu du visa
officiel en vertu de l’arrêté du 18
février 1983.
• L’arrivée du Scrib à l’École (premier ordinateur portable pour
journaliste).
Paroles
d’Anciens
Viande froide
Face à eux, l’armée est-allemande
ne sait pas trop comment réagir.
« On était
fous ! (...) on
était dépassé par les
événements.
Le regard
de journaliste, je me
souviens ne
pas l’avoir
trop eu »
« Quand vous vous retrouvez sur
le mur avec des soldats en enfilade, vous ne savez pas trop quoi
faire, indique Muriel Jaouën. Aujourd’hui, je me dis qu’on était un
peu inconscients. »
Nicolas Winclair a un autre avis.
« À un moment il faut être couillu. On vivait un moment extraordinaire, il fallait en profiter. »
Caméra sur l’épaule, l’étudiant se
glisse au milieu des soldats. « Les
militaires pensaient que je faisais
des images pour l’armée. Ils m’ont
demandé ma carte, je leur ai montré celle de l’école, et c’est passé ! »
De quoi donner des sueurs
froides à Maurice Deleforge,
alors directeur des études. « Il disait qu’il avait peur de ‘‘ramener
de la viande froide’’, glisse Muriel
Jaouën. On était complètement
lâchés dans la nature, il ne savait
Matteu Maestracci, 79e
«Le Lokator a marqué à jamais
ma promo»
absolument pas où on était ! »
Canons à eau
Livrés à eux-mêmes, difficile de
ne pas se laisser emporter par
l’ambiance qui les entoure. « On
était fous ! Nous, la génération de
la Guerre Froide, on vivait un moment historique ! C’était un vrai
bordel, on était dépassé par les
événements. Le regard de journaliste, je me souviens ne pas l’avoir
trop eu », admet Muriel Jaouën.
« On chantait sur le mur, on s’est
pris les canons à eau, raconte
Soizic Bouju. Et ce n’était pas des
jets de jardin ! On a passé toute
la nuit trempés. Imaginez ça un 9
novembre à Berlin !» Une situation qu’aucun d’entre eux n’imaginaient, quand au début de leur
voyage, ils passaient de conférences en conférence. « C’était
parti pour être super chiant. Et les
premiers jours, ça l’a été », garantit Nicolas Winclair.
Conscients d’avoir été là où il
faut, au moment où il le faut, les
étudiants en profitent. « Un journaliste de France 3 voulait absolument mes images, indique Nicolas
Winclair. Il me demandait combien je les vendais mais moi ce que
je voulais, c’est un travail. Alors je
lui ai donné et en échange, je lui ai
demandé de me mettre en relation
avec la rédation, ce qu’il a fait.»
Après un stage de 2 mois, Nicolas Winclair travaillera 10 ans à
France 2.
Nicolas Picquet
Gazette du 90e anniversaire de l’ESJ Lille du 10 au 12 octobre 2014
«Y a deux trucs qui m’ont mar
qués : une fois où on a visité les lieux
«secrets» de l’école, comme l’espèce de
beffroi où on a bu des bières et on est
partis à la découverte de la cave, où on
a trouvé des photos de femmes à poil.
Une autre fois en Pologne, en déplacement de toute la promo. Après une
journée de colloques sur les génocides, on s’est tous retrouvé dans un
bar de Cracovie, le Lokator. Un nom
qui a marqué à jamais ma promo».
25
Sophie Pons (59e). Après une carrière très internationale à l’AFP (Moscou pendant la période charnière
1989-1991, Johannesburg, Prague, etc). Elle se souvient de l’ESJ.
Sophie Pons (59e) : de l’agence de Moscou à Johannesburg
S
ophie Pons, 59e promotion de l’ESJ, a
fait une grande partie de sa carrière à
l’AFP. De Bordeaux à Moscou en passant par Johannesburg, elle revient sur son
parcours à l’école et sur les grandes aventures journalistes qui ont suivi.
Retour à l’ESJ : Qu’est-ce que l’école vous
a apporté ?
Je savais me servir d’un stylo, je faisais un
peu de photo, j’ai appris à tenir une caméra,
à utiliser un banc de montage, à formater
des dépêches, à parler dans un micro, à
couper des bandes magnétiques au ciseau...
et puis aussi à rédiger des articles dactylographiés à la machine à écrire, à me servir
d’un typomètre, à connaitre les différents
caractères d’imprimerie…À l’époque, et ce
n’est pas si lointain que ça, tout était très
artisanal, on découvrait l’usage du Minitel
et son annuaire téléphonique 3615.
Pouvez vous revenir sur vos différentes
expériences à l’AFP ?
Après Bordeaux, je suis partie à Moscou en
1991, à une époque passionnante, avec le
putsch contre Gorbatchev, la fin du régime
communiste, l’éclatement de l’Union soviétique… C’est formidable de vivre l’histoire,
la grande Histoire, en direct.
À l’époque, on montait dans les avions en
payant les pilotes en dollars, on travaillait
avec des téléphones “portables” qui pesaient 10 kg et des valises satellites de 60 kg.
Puis j’ai été nommée à Johannesburg pendant la transition post-apartheid, sous la
présidence de Nelson Mandela. C’est une
très grande chance d’avoir pu assister à la
naissance d’une démocratie et au démantèlement de l’apartheid.
De retour en France, j’ai travaillé deux
ans en free lance à Bordeaux. Puis je suis
partie à Prague. Ma mission s’est terminée
à la fin de la présidence tchèque de l’UE,
après six mois de diplomatie intense, de
réunions au sommet et de ballets de chefs
d’État, d’Obama à Poutine, en passant par
Hu Jintao, Merkel, Berlusconi ou Sarkozy.
Aujourd’hui j’ai rejoins Paris.
Et ce n’est pas fini, j’espère ! J’aime l’idée
de ne pas savoir ce que je ferai, où je serai,
dans deux ou trois ans.
L’ESJ n’a pas seulement formé des journalistes de renom, certains ont aussi mené une carrière parallèle
de musiciens... débutée à l’École lors du concert du 60e anniversaire.
La décennie rock de l’ESJ
François Thomazeau, un “paparazzi”
Les soixante ans de l’ESJ, ambiance rock assurée, avec le
concert des Paparazzis dans
le grand amphi plein à craquer. Derrière les Paparazzis,
quelques étudiants de l’École
amoureux de musique. « On
avait tous des groupes de
rock dans le civil, donc on a
continué à l’ESJ », se souvient
François Thomazeau (60e),
bassiste et chanteur. À ses
côtés Pierre Grumberg (61e),
« un guitare héros chevelu »,
Saïd Aissaoui (60e), Bruno
Trigalet (59e), Bertrand Fichou (59e) et une ou deux
choristes.
« Un succès inqualifiable, ce
concert », rigole encore le
bassiste. « On avait essayé
de faire chanter L’idole des
jeunes à Maurice Deleforge
le directeur des études, mais
il avait refusé. » À la place ils
ont joué une reprise punk de
La balade irlandaise. « On a
fait tous les standards de la
route 66, on était très branchés années 70 », se remémore
Bertrand Fichou.
Les répétitions avaient lieu
à la cave, plusieurs fois par
semaine. Du rock, de la soul
et du punk, et du champagne.
« Après les 60 ans de l’école,
Gazette du 90e anniversaire de l’ESJ Lille du 10 au 12 octobre 2014
il restait des caisses de champagne dans la cave, ça nous
a pas mal inspiré», plaisante
François Thomazeau.
Pour la plupart, ils ont continué à jouer une fois sortis de
l’École. Les Paparazzis sont
devenus Les Contribuables
pendant quelques temps, puis
Les Chers Disparus. « On
a même sorti deux albums,
on avait enregistré en même
temps que les Innocents », se
souvient François Thomazeau. Après dix-neuf ans à
Reuters, il écrit des livres et
continue de chanter. Mais
l’ESJ n’est jamais loin : sur ses
deux albums en solo on croise
Jean-François Pérès (68e) et
Agnès Bonfillon (75e).
Bertrand Fichou et Pierre
Grumberg, aujourd’hui respectivement rédacteur en
chef de Youpi et Images Doc
chez Bayard et rédacteur en
chef adjoint de Guerres &
Histoire, ont tourné à Paris
dans un groupe de bluesrock pendant plusieurs années. « Beaucoup d’Anciens
de l’École sont des musiciens
qui ont raté leur vocation »,
conclut François Thomazeau,
hilare.
Ambre Lefèvre
26
décennie
90
L
Promos 67 à 76
Au cours de ces dix années, l’École se développe. Elle créedeux filiales de formation professionnelle, ESJ-Médias (perfectionnement des journalistes) et ESJ-Entreprise (hors
presse) et lance deux filières qui répondent aux attentes
de la profession et qui gonflent le nombre de diplômés : JS
(journaliste et scientifique) et PHR (Presse hebdomadaire
régionale). Un babyfoot fait également son apparition...
a principale attraction de
l’école déchaîne les passions. Mais peu connaissent
son histoire, qui se perd dans la
légende.
Quand on creuse un peu, elle
éclate au grand jour : l’amnésie collective. Comme s’il était
des choses qu’il valait mieux
taire. Depuis quand le babyfoot
pourrit-il dans la cour de l’ESJ ?
Philippe Caplette, presque aussi
vieux que l’objet, reste vague :
« J’ai Alzheimer qui débute... »
Mohamed Chlaouchi, la bouée
de sauvetage des noyés de Final
Cut, parle de « sept ou huit ans
». « Tout ce que je sais, c’est qu’il
était déjà là quand j’étais étudiant
», précise Pierre Savary, plus volontiers ballon ovale que balle en
liège.
Quelques souvenirs émergent
tout de même de la nébuleuse
éthylique où ils reposent. Ceux
d’Yves Sécher, par exemple, le dinosaure ès PAO, jamais suspecté
d’esquive quand un bon coup se
présente : « Il était dans le foyer
des étudiants, dans le bâtiment
d’à côté, qui accueille aujourd’hui
l’institut Avicenne. On l’a ramené
au cours d’une soirée avinée, vers
92. »
Les versions divergent
Philippe Caplette n’en démord
pas : « C’est moi qui l’ai introduit à l’école, grâce à une copine
qui bossait dans un magasin de
jeux. Il y avait un flipper aussi.
Ou peut-être que c’était un jukebox ? » Christophe de Mattéis, le
régisseur bodybuildé de la maison, l’aurait déplacé de l’annexe à
la cour… quand son bureau a été
déplacé de l’annexe à la cour.
Carcasse déglinguée par le temps
et les hommes, le baby-foot n’est
plus que l’ombre de lui-même. Un
débris, sans doute là pour rappeler aux étudiants que leur école
est aux prises avec d’importantes
difficultés financières. « Pourtant,
au début, il était comme neuf,
s’exclame Christophe de Mattéis.
On mettait même des pièces pour
jouer ! »
Mais s’agit-il de la bécane d’origine ? Certains murmurent l’existence d’un deuxième babyfoot,
qui aurait été chapardé lors d’une
soirée, puis remplacé… C’est là
la marque des grands hommes :
mille théories circulent sur leur
compte. Et le babyfoot est bien
un personnage incontournable
de l’établissement.
Adrien Gavazzi
Gazette du 90e anniversaire de l’ESJ Lille du 10 au 12 octobre 2014
Patricia Dormal et
ses 30 promotions
Patricia Dormal a connu tous
les directeurs de l’école, sauf
les deux premiers. Elle a vu défiler trente-quatre promotions.
Elle est désormais la première
femme Ancienne d’honneur de
l’École.
Patricia Dormal a survécu à
tout dans l’École, même au
départ de Maurice Deleforge
en 1992. Arrivée en 1978 dans
nos murs, à l’âge de 24 ans, elle
prend le poste d’assistante de
direction. Elle qui travaillait
avant dans une entreprise de
manutention change d’univers :
aux côtés d’Hervé Bourge, elle
rencontre une ribambelle de
journalistes et de personnalités,
dont de nombreux présidents
africains. Elle garde de son arrivée un bon souvenir : « J’avais
le même âge que les étudiants,
j’ai sympathisé avec certains.
L’ambiance était très familiale. »
Elle a vu défiler trente promotions mais il y a une constante
: l’indiscipline des étudiants. «
Je faisais la mère-tape-dur! »
dit-elle en riant. « Je leur disais
: c’est bien gentil vos fêtes, mais
ça, ça et ça c’est cassé, il faut
être responsable… »
Il y a deux ans, Patricia Dormal
a pris sa retraite. Quand elle
écoute les infos, qu’elle regarde
le JT ou qu’elle lit la presse,
elle cherche immédiatement
les signatures : « Et quand je
ne suis pas sure, je vérifie dans
l’annuaire ! »
Samedi 11 octobre, elle a été
élue Ancienne d’honneur par
l’assemblée générale de l’association des Anciens. « Je suis
fière car je suis la première
femme dans ce cas mais aussi
parce que c’est la première fois
qu’on met à l’honneur l’administration. C’est la petite fourmi administrative qu’on ne voit
pas. » Un scoop : c’est elle qui a
réclamé le réaménagement de
la cafétéria, dont elle a choisi la
couleur des murs.
Laure Delacloche
27
Arrivée à l’école en 1999, Agnès Bonfillon (75e promotion) a attrapé depuis un moment le virus de la
radio. Elle raconte avec nostalgie ses années ESJ, avec passion sa carrière sur les ondes, propulsée par le
11 septembre 2001.
Agnès Bonfillon, la radio comme vocation
S
ans
réfléchir,
encore
un peu décontenancée
par la question, Agnès
Bonfillon décrit son passage
à l’Ecole avec mélancolie :
« Je regrette de ne pas m’être assez
amusée. Il y avait une super ambiance, je n’en ai profité que sur la
fin de la deuxième année. » Avec
déjà un pied à l’étrier en travaillant les weekends à la radio BFM,
elle se souvient s’être elle-même
mis une importante pression.
« J’étais tellement stressée ! Tout le
monde l’était un peu pour trouver
un stage, mais moi je me mettais
un double stress. »
Car Agnès Bonfillon a un objectif : entrer à France Inter. Après
la spécialité radio, les stages s’enchaînent. Lauréate de la bourse
René Payot en 2001 à sa sortie de
l’école, elle s’envole pour Montréal
débuter un stage à Radio Canada.
Date de début de stage, 11 septembre 2001.
Ce jour là, deux tours s’écroulent
et sa vie bascule. Elle pensait commencer un stage basique, et en
quelques heures elle se retrouve
envoyée à New York couvrir les
attentats. « C’était complètement
hallucinant », se rappelle-t-elle.
« J’ai même cru que c’était une
blague au départ. J’avais dit “oui,
oui, c’est ça oui, Radio France
veut que j’y aille, mais bien sûr…“
», rit-elle. Sans carte de presse,
sans carte bleue, sans permis de
travail aux Etats-Unis, Agnès
Bonfillon commence à alimenter
les antennes de la Maison Ronde
avec son « grand frère québécois »,
Danny Braun.
Un saut dans l’inconnu
Une grosse dose d’adrénaline,
un saut dans l’inconnu, mais
surtout l’opportunité de faire ses
armes de reporter, sur le terrain.
Elle intègre le service reportage
Un an pour tout changer
de France Inter pour trois ans. «
J’aurais aimé faire encore plus de
reportage à l’époque. Maintenant,
je ne sais pas si j’aurais la même
force pour tenir le rythme et ne
faire que du news sur du une minute », confie-t-elle « Mais si on
me propose du format Interception, c’est différent ».
En 2004, Inter cherche une voix
féminine pour tenir le 7h30. Elle
accepte : « Ça ne se refuse pas. »
Puis elle bascule sur RTL pour
tenir, pendant cinq ans, la revue
de presse matinale. Depuis cette
année, elle co-présente Le Grand
Soir. Un format qu’elle n’avait pas
envisagé au départ : « En plus des
horaires plus faciles, c’est une émission où il faut tout inventer chaque
jour. Et ça me permet d’apprendre
comment animer, interviewer en
direct. C’est un nouveau challenge,
et j’aime ça », conclut-elle. Car
Agnès Bonfillon exerce toujours
son métier de cœur, journaliste
radio.
Sarah Mansoura
Une fois le diplôme en poche, le
JS rejoint la grande famille des
journalistes avec ce petit quelque
chose en plus. Prenez un scientifique, faites-en un journaliste.
Cette recette, unique en Europe,
est l’une des spécialités de l’ESJ.
A en croire la réussite de ces
scientifiques reconvertis en professionnels de l’information, un
constat s’impose : changer de
voie, finalement, c’est pas sorcier !
Diplômée cette année, la 22ème promotion Journaliste & Scientifique revient sur les avantages de
sa formation.
«
Pas besoin de passer à la télé
pour changer de vie, on peut
aussi faire l’ESJ. » Marion Vagner aurait pu rester ingénieure.
Elle travaille à présent pour
Science et Avenir et France Télévisions. Ce soir, avec ses neuf camarades, elle reçoit son diplôme
de journaliste scientifique. Sous
vos applaudissements.
Enfant des années 90, la filière «
Journaliste & Scientifique » (JS)
souffle aujourd’hui ses 21 bougies. Sa benjamine, la formation
« Presse Hebdomadaire Régionale » (PHR), la suit de près. Les
deux soeurs font figure d’électrons libres dans les vieux murs
de l’école.
Les bancs de l’université Lille 1
voient également les promotions
se succéder. Au coeur de cette cité
scientifique, les JS apprennent à
user des mots pour résoudre les
équations. Leur atout-maître :
leur aptitude à décrypter le langage savant et à déconstruire les
idées reçues. Au sein d’une presse
accordant une large place aux
sujets politiques et sociétaux, le
journaliste scientifique tente de
faire entendre la voix parfois discordante des sciences et des techniques.
Apprenti-sorcier, reporter, le JS
sait tout faire. Il fait ses classes
dans la presse hebdomadaire,
la presse spécialisée et la presse
professionnelle. Il s’exporte également : cette année, deux élèves
sont parties au Canada et en
Malaisie pour leur stage de fin
d’études. La première filière JS
ne comptait qu’une seule fille.
Depuis quelques années, la tendance s’est inversée : l’unique garçon de la classe est aujourd’hui
bien entouré ...
Gazette du 90e anniversaire de l’ESJ Lille du 10 au 12 octobre 2014
La 22e promotion JS
28
décennie
00
Repères
Promos 77 à 86
Octobre 2001. À son retour de stages en PQR, la 78e a pu
penser qu’elle était victime d’un nouveau bizutage. Comment?
On lui avait changé toute l’équipe pédagogique durant l’été !
Plus de Soizic ni d’Hughes ni d’Olivier. Ils trouvaient à la place,
trois bizuts expérimentés : Éric Maitrot (59e) directeur des
études secondé par Dominique Mobailly (41e presse écrite)
et par Pierre Savary (65e audiovisuel). Une équipe gagnante.
21 avril 2002, le choc politique
2000
Internationalisation de la formation
avec des échanges d’étudiants avec
l’Université Laval (Québec).
2007
Création d’une télépréparation
pour les candidats étrangers, élargie ensuite à tous les concours.
2009
Lancement d’une Prépa égalité des
chances.
• Modification des statuts de l’école.
Le CA s’enrichit de la présence de
représentants de l’enseignement
supérieur, des collectivités locales,
des entreprises régionales.
On est restés
un moment
abasourdis
devant notre
écran. Puis on
a tous pris une
caméra ou un
Nagra et on
est descendus
dans la rue.
La naissance de
Latitudes
E
Au soir du premier tour de l’élection
présidentielle de 2002, le séisme politique qui ébranle toute la France s’invite à l’école. S’ensuit une profonde
interrogation sur le rôle des journalistes.
C
ela fait partie des moments dont on se souvient, avec précision parfois. Ce 21 avril 2002,
aux alentours de 20 heures, Elsa Fayner, 77e,
est dans le train pour Lille, de retour de Paris où elle
était allée voter. Sur le plateau de France 2, David
Pujadas annonce que Jean-Marie le Pen est au deuxième tour de l’élection présidentielle, devant Lionel
Jospin. « Comme beaucoup de monde, je ne pensais
pas que ce résultat était possible » explique-t-elle.
Quelques minutes plus tard, Thomas Baumgartner,
alors en deuxième année, apprend la nouvelle par
un ami. Les étudiants couvraient la soirée présidentielle à l’école. « On est restés un moment abasourdis
devant nos écrans. Puis on a tous pris une caméra
ou un Nagra, et on est descendus dans la rue » se
souvient-il.
Dès le lendemain, les étudiants se mobilisent. Les
couloirs se transforment en ateliers de peinture, où
banderoles et écriteaux prennent forme. Durant
deux semaines, les manifestations se succèdent. « A
l’école, on est parfois repliés sur nous. Ces jours-ci,
on partageait pleinement la vie des Lillois » explique
Elsa. Mais le débat est aussi ailleurs.
Faut-il crier au loup ?
« On s’est demandés quel était le rôle des journalistes dans cet événement : faut-il crier au loup en
alertant les gens, au risque que cela arrive ? » Les
étudiants concluent que les medias avaient eu un
impact important dans la montée du Front National, et que cela ne devait pas se reproduire. Ils rédigent même une charte pour fixer quelques principes fondamentaux.
« Cela a été un grand sujet de discussion, y compris
avec les intervenants, se souvient Thomas. Nous ne
pouvions pas être à la fois citoyens engagés et journalistes, observateurs. Cela a valu aux médias de
nombreuses critiques » ajoute-t-il.
Après deux semaines d’intenses débats, une vague
de votes par procuration déferle sur l’école. « Je n’ai
jamais rien vécu d’aussi fort politiquement depuis »
confie Elsa.
Clément Melki
Gazette du 90e anniversaire de l’ESJ Lille du 10 au 12 octobre 2014
n février 2004, la 79e promotion assiste à un colloque sur les génocides
à Cracovie. Organisé par le
Mémorial de la Shoah, il était
spécialement destiné aux étudiants de l’ESJ. À la suite de ce
séminaire, les étudiants produisent un magasine intitulé
« Mémoire vive » sur les questions relatives aux génocides.
C’est de cette expérience que naîtra Latitudes, avec son premier
numéro en 2005 dédié à Berlin.
Chaque promotion de première
année partira ensuite tous les
ans dans une ville en France ou
à l’étranger. Marseille, Londres,
Bruxelles ou Tbilissi suivront.
Cette initiative a été conduite
sous la direction d’Eric Maitrot,
responsable de la fillière presse
écrite puis directeur des études.
L’édition 2014 du magazine a
emmené la 89e promotion sur
les traces de la Première Guerre
mondiale à l’occasion du Centenaire.
29
Des bancs de l’ESJ à la direction d’un lycée agricole
Elle a suivi la formation
de l’École supérieure
de journalisme de Lille.
Pourtant après sa scolarité, sa trajectoire professionnelle a bifurqué.
Catherine Rolling est
aujourd’hui directrice
du lycée agricole à Castelnaudary.
«L
e métier d’enseignante a
été une découverte. » Catherine Rolling, 52 ans,
a rapidement changé de voie
après sa formation à l’ESJ. Issue
de la 59e promotion, la jeune
journaliste part à la Voix jurassienne, un hebdomadaire d’information locale. Elle y reste un an
puis rejoint un autre hebdomadaire, l’Indépendant du Haut Jura,
pendant une autre année. Elle décide alors de faire une pause pour
élever ses trois enfants. Cette
interruption sera prolongée. Des
problèmes familiaux l’obligent à
trouver du travail rapidement et
à s’assurer un revenu confortable.
« J’avais envie de relâcher la pres-
Catherine Rolling a pris un virage assez radical à sa sortie de l’ESJ.
sion. Quand on a coupé du milieu
du journalisme, il est difficile de
s’y remettre. Beaucoup de choses
évoluent, il faudrait une nouvelle
formation », explique-t-elle.
Elle choisit alors de s’orienter vers
l’enseignement. Titulaire d’une
licence de lettres modernes, ce
choix lui semble le plus logique.
« J’ai apprécié le confort de la
fonction publique », avoue l’enseignante. D’abord dans le Jura, puis
dans les Ardennes et dans l’Eure,
professeur de français, d’histoiregéographie puis de philosophie,
Catherine Rolling multiplie les
expériences.
Jusqu’à devenir gestionnaire des
établissements. Depuis la rentrée
2013, l’ancienne étudiante de l’ESJ
est directrice du lycée agricole de
Castelnaudary, dans l’Aude.
Si la fonction semble éloignée du
métier de journaliste, la formation à l’école lilloise sert encore à
Catherine Rolling.
« Quand on me dit “C’est urgent”,
je réponds “Pourquoi? On a un
journal à boucler ?” » lance la
directrice. « J’ai appris à gérer
la pression. » Dans son travail
de direction, Catherine Rolling
doit aussi souvent faire appel à
ses qualités rédactionnelles. Une
compétence qu’elle a acquise lors
de sa formation. « Mes deux ans
à l’ESJ me servent tous les jours »,
assure-t-elle. Mais de là à revenir
au journalisme… « Je vais avoir
52 ans, clairement, ma carrière est
derrière moi. »
Anne-Lise Havard
Le pigiste, mine à fantasmes
Le statut de pigiste,
connu des journalistes,
entretient quelques fantasmes que les pigistes
interviewés ont gentiment mis à mal.
Q
uand la conseillère Pôle
Emploi de Garance Pardigon tout juste diplômée de l’ESJ lui assène « Vous
êtes la faille du système », cette
jeune journaliste pigiste à TF1
découvre de manière abrupte ce
statut à part. Méconnu du grand
public, de nombreux clichés circulent à son sujet.
Elsa Fayner, pigiste par choix
après un passage de deux ans à
Rue89, s’amuse des coups de fil
qu’elle reçoit de ses amis nonjournalistes. « Certains me disent
‘je suis en bas de chez toi, on va
prendre un café’ comme si un
pigiste ne faisait rien de ses journées », raconte-t-elle.
Il l’est aussi de certains journalistes alors qu’il constitue souvent
la porte d’entrée dans de nombreuses rédactions : être pigiste
ne fait pas forcément de soi un
travailleur indépendant.
Anaïs Bouitcha (RTL), Flore Maréchal (France 2) et Nicolas Burnens (RTL) gardent le sourire.
Liberté à double tranchant
« Avec tous ces plans sociaux et
Gazette du 90e anniversaire de l’ESJ Lille du 10 au 12 octobre 2014
ces nombreux pigistes qui arrivent
sur le marché, on peut de moins en
moins se payer le luxe de refuser
une pige ou de ne pas vouloir travailler pour un média », explique
Elodie Ratsimbazafy, journaliste
sortie de l’ESJ en 2002.
Nicolas Burnens, pigiste régulier
à RTL, se retrouve pieds et mains
liés à son employeur alors qu’il ne
bénéficie d’aucun contrat sur la
durée. « Si j’allais bosser ailleurs,
ils me le feraient payer en réduisant mes piges », soupire-t-il.
Tous s’accordent sur une réalité,
bien loin du mythe : la précarité.
« Même si tu peux gagner plus, tu
as besoin d’un contrat pour vivre
correctement, pour louer un appartement ou pour emprunter »,
explique Flore Maréchal, jeune
pigiste à France 2.
La plupart des jeunes journalistes acceptent les règles du jeu
mais espèrent vite rentrer dans les
rangs et obtenir un CDD ou un
CDI alors que d’autres, souvent
établis comme journalistes depuis
plus longtemps, s’accomodent et
apprécient même cette liberté.
Elodie Ratsimbazafy reste positive. « Malgré tous ces points
négatifs, je préfère rester indépendante : bosser quand j’en ai envie
même si l’instabilité et la précarité
sont le revers de la médaille. »
30
décennie
10
Les enseignements à l’ESJ ont évolué au fil du temps. Aux
spécialisations classiques comme la presse écrite, l’édition,
l’agence, la radio et la télévision, les responsables de la formation de l’École ont ajouté depuis une quinzaine d’années une
filière “web“ et une filière JRI (journaliste reporter d’images)
qui attirent chaque année un nombre croissant d’étudiants.
Une évolution obligée pour se maintenir en tête...
« C’était devenu évident pour moi de choisir la
spé web », Clément Parrot, 87e promotion
élections présidentielles. Baptisé
campagneenor.com, le site lui a
permis de découvrir le web et d’y
prendre goût.
Clément Parrot (à droite) a lancé le site Lui Président, hébergé par Le Monde, avec son
camarade de promo Maxime Vaudano.
O
J’avais envie
de participer au
dynamisme
du web, à la
création de
nouveaux
sites/ Je voulais être de
la partie.
Repères
Promos 87 à ...
utils, live, bâtonnage…
des mots étranges qui ne
vous disent peut-être rien,
mais qui prennent tout leur sens
quand on infiltre le monde du
web. Une discipline qui, depuis
quelques années, évolue, se perfectionne, s’améliore, et se complexifie.
Clément Parrot, jeune diplômé,
et élève de la 87e promotion,
s’est orienté vers le web. Et ce qui
n’était qu’une possibilité au départ
est devenu une évidence au fil de
sa scolarité. « Quand je suis rentré
à l’École, j’avais très peu de notions
en web et j’étais là pour découvrir
plein de choses. Mais en début de
deuxième année, c’était devenu
évident pour moi de choisir la spé
web », explique-t-il, confortablement assis sur un banc de la cour
de l’ESJ.
Entre sa première et sa deuxième
année, quelque chose a tout fait
basculer. C’était en 2012, quand
il n’était encore qu’un preum’s.
La promo avait inventé et créé
un site internet pour parler des
Lui Président
Puis en mai 2012, il se lance dans
une nouvelle aventure. Avec
ses deux camarades de fortune,
Corentin Dautreppe et Maxime
Vaudano, ils lancent Lui Président. « L’idée est née pendant le
débat de l’entre-deux-tours entre
Nicolas Sarkozy et François Hollande, au moment de l’anaphore
Moi Président », dit-il, le sourire
aux lèvres. Et aujourd’hui, le site
fonctionne encore très bien.
Armé de ces deux expériences,
Clément intègre donc la spé web.
« J’avais envie de participer au dynamisme du web, à la création de
nouveaux sites. Je voulais être de la
partie », confie-t-il. Un pari plutôt
réussi, puisque Clément est aujourd’hui journaliste pour francetvinfo.fr. Un parcours qu’il doit
aussi à l’École, qui a su s’adapter
aux évolutions de la discipline.
En 2012, l’ESJ créé un poste de
responsable web à part entière,
et c’est Charlotte Menegaux, ancienne journaliste au figaro.fr, qui
intègre l’équipe. « Le programme
en spé web a énormément changé
en l’espace de deux ans. Mais il y
a encore des choses qui méritent
d’être améliorées, comme les cours
de codes par exemple », intervient Clément avant d’ajouter,
« je me souviens, à mon époque,
on organisait des apéros-codes
avec Maxime Vaudano, il s’agissait de cours du soir optionnels ».
Comme quoi, certaines traditions
finissent par se perdre.
Chloé Cohen
2011
Accord de partenariat entre
Sciences Po Lille et l’ESJ, les étudiants bénéficient d’une double diplomation des deux établissements.
Ils suivent des cours à l’IEP visant
à leur donner des enseignements
en droit de la presse, économie de
la presse et étudient son histoire.
C’est le spécialiste de la discipline,
Patrick Eveno, qui est chargé de retracer l’histoire des médias auprès
des étudiants.
2014
Modification des statuts de l’école.
Les étudiants entrent au CA. Les
premiers délégués à assister aux
réunions du conseil d’administration sont les élus de la 89e promotion : Clément Melki et Emilie Gouveia Vermelho.
Lancement d’un parcours post bac
unique en France en partenariat
avec les universités lilloises permettant aux étudiants de s’initier
aux métiers de la presse et de se
préparer aux concours des écoles
de journalisme [voir page 12].
Ouverture à l’apprentissage de la
seconde année d’enseignement du
diplôme de Master.
Dans la 89e promotion qui a pu en
bénéficier, 10 étudiants font actuellement leur année en alternance
dans un titre de presse. Télé, radio,
presse écrite et web sont représentés.
Gazette du 90e anniversaire de l’ESJ Lille du 10 au 12 octobre 2014
31
Visage espiègle de la «génération Y», geek revendiqué, cet enfant d’Internet explique pourquoi, entre
plateaux de télé et Twitter, il a choisi de revenir donner des cours à l’école.
« Sur le web, c’est très intéressant de repérer les jeunes talents»
Q
uand on m’a proposé de
revenir à l’école, cette
fois-ci en tant qu’intervenant, je n’ai pas hésité une seule
seconde. Comment refuser une
proposition comme ça ? J’étais
plus qu’heureux, c’était comme
un rêve, alors que l’idée ne m’avait
jamais effleuré l’esprit. J’aurais pu
me dire que ç’aurait été possible
dans dix ou quinze ans, mais
j’étais quand même très jeune en
sortant de l’ESJ.
Le système des anciens qui reviennent pour donner des cours
est une des grandes forces de
l’ESJ. C’est un principe de l’école.
Si j’ai été contacté, c’est que j’ai
sans doute profité du fait qu’il y
a un rajeunissement des enseignants en web. Il faut l’avouer,
nous ne sommes pas payés des
milles et des cents mais c’est un
plaisir, je suis toujours très motivé avant de venir. Moi-même, je
me souviens de quelques profs,
dont les remarques m’ont aidé. Ca
me motive encore plus.
Génération geek
C’est aussi un avantage personnel, quand tu travailles, de voir
des jeunes qui sortent de l’école.
Sur le web en particulier, c’est très
intéressant de repérer des jeunes
talents. J’ai aussi souvent recom-
mandé pour des stages des gens
après les avoir vus en formation.
C’est aussi comme ça qu’on trouve
du travail, par des expériences,
par des discussions, en étant remarqué pendant une formation à
l’école.
Il y a quand même un paradoxe
: j’ai souvent l’impression de peu
leur apprendre. Je suis assez surpris, il est de plus en plus difficile d’apprendre des choses aux
élèves de cette génération qui
grandissent avec le numérique.
Je peux leur apporter quelques
astuces, mais je ne peux pas nécessairement répondre à toutes
les questions.
Un grand plaisir, c’est que dans
tout groupe il y a trois ou quatre
“geeks“, extrêmement motivés.
Ces derniers temps, ce noyau
grandit, et de plus en plus d’étudiants ont déjà un bon niveau en
web. J’essaye simplement de les
accompagner vers plus de maîtrise. C’est un défi permanent, et
en même temps, parfois, ça se
résume à de l’accompagnement.
Je suis assez
surpris, il est
de plus en
plus difficile
d’apprendre
des choses aux
élèves de cette
génération qui
grandissent
avec le numérique.
sarah mansoura
Etudiant de la 86e promotion et aussi lauréat de la bourse d’Arcy, Hugo Clément revient aujourd’hui à l’ESJ en
tant que intervenant. Journaliste à France 2, il trouve que l’envie est essentielle pour exercer ce métier.
D’étudiant à intervenant, il garde intacte sa passion pour la télé
«
L’ actualité la plus marquante
que j’ai du couvrir, c’était la
catastrophe de Bretigny en
2013. J’étais sur place avant même
que le train déraille.» Etre présent sur le terrain en
permanence, est la raison principale pour laquelle Hugo Clément a choisi la télé, même s’il
est conscient que c’est un média
difficile à comprendre. «En télé,
on fait face à la critique en permanence. Quand tu es journaliste
de France 2, TF1, BFMTV, tu représentes tout ce que les gens n’aiment pas dans les médias. Parfois
les critiques sont très violentes
parce que les gens connaissent
mal nos manières de travailler. »
Reproche souvent fait à la télé :
préparer son tournage à l’avance.
« Mais dans la pratique à France
2, on part avec un angle, en sachant que ce que l’on trouve sur
Gazette du 90e anniversaire de l’ESJ Lille du 10 au 12 octobre 2014
le terrain est la priorité. Si on ne
trouve pas ce qu’on attend, on
s’adapte. L’important, est de tenir
l’angle.»
Lauréat de la 29e bourse d’Arcy,
Hugo Clément entre à France
2 en 2012. Après deux ans de
reportages et de duplex, le jeune
journaliste se souvient encore des
cours de télé à l’ESJ. « L’école nous
a préparé au monde professionnel. On a appris à anticiper les
exigences des rédactions, même
si dans la réalité, les chefs et les
téléspectateurs sont évidemment
plus exigeants. »
Toujours prêt à discuter avec des
jeunes qui rêvent de télé, Hugo
Clément prévient : «Mes conseils
ne valent pas ceux de rédacteurs
en chef. Mais je sais ce que vous
allez vivre, parce que c’est ce que
j’ai vécu il y a deux ans. »
Mingmin Wu
32
Diplôme
&
revue
Les étudiants de l’ESJ qui optent pour la presse écrite,
l’agence et le web terminent leur scolarité par la réalisation d’un magazine. D’ordinaire, ils choisissent une revue
connue dont ils détournent le titre et empruntent la maquette pour traiter le thème qu’ils ont adopté. Pour le 90e
anniversaire, les nouveaux diplômés ont décidé de parler
des journalistes en créant eux-mêmes la maquette de ce
one-shot inédit remis à tous les Anciens lors de la soirée
de clôture.
La 88e a pris le pouls des journalistes
I
Mercredi dernier, 8 octobre, en lever de rideau des festivités du
quatre-vingt-dixième anniversaire de l’École, les jeunes diplômés
ont présenté leur Numéro Zéro au Furet du Nord où il sera mis
en vente.
ls auraient pu « cloner » Muse, Feuileton, Uzbeck et Rica ou Le Tigre (pour
XXI, c’était déjà fait, par la 83e promo)
puisque la tradition le veut pour les étudiants de l’intensive Presse écrite/web/
agence : chaque année, ils prennent un magazine pour modèle et le détournent, Tétu
devenant Létu, So Foot So Food etc.
Mais en 2014 ils ont choisi de relever un
autre défi : la création d’une revue de journalisme originale, pensée, conçue et réalisée d’un bout à l’autre du processus : élaboration de la ligne éditoriale, reportages sur
le terrain, photos et illustrations, rédaction
des articles, maquettes, relectures et editing.
La revue de la 88e promotion de l’ESJ se
devait aussi d’être au rendez-vous du 90e
anniversaire de l’Ecole, alors pourquoi ne
pas oser se lancer dans une enquête sur
les journalistes ? Les plans sociaux se succèdent dans les médias, fragilisant à la fois
les journalistes individuellement mais aussi
collectivement, dans les rédactions. Et la
profession ne s’est sans doute jamais autant
interrogée et remise en question. Mais finalement le constat, après plusieurs semaines
d’enquête et 112 pages joliment troussées,
n’est pas forcément pessimiste : il y a des
débats, des initiatives, de la créativité et c’est
dans un monde en plein bouleversement
que les jeunes journalistes de la 88e promotion arrivent, le cœur vaillant.
Judith Perrignon, journaliste et romancière,
a encadré ce projet, avec Cyril Petit (79e
promo), rédacteur en chef au Journal du dimanche. Hervé Pinel, dessinateur de presse,
est venu soutenir la jeune rédaction avec
son coup de crayon, distancié et lucide. De
l’avis général, le résultat est à la hauteur de
nos espérances : c’est une revue professionnelle, qui apporte un éclairage subtil et tout
en nuances sur l’évolution de notre métier.
Corinne Vanmerris
La revue est en vente à 10 euros, à l’Ecole
et sur le site du Furet du Nord (http://www.
furet.com)
Remise des diplômes : «L’an prochain il faudra louer le Zénith»
Depuis 2011, la remise des diplômes se déroule en octobre. L’occasion de retrouver l’ensemble de la
promo quatre mois après son entrée dans le métier.
O
n y était bien dans ce petit
studio radio avec ses cinq
micros, son lapin borgne
et sa Barbie. On y était bien dans
ce studio avec ses horloges pas
d’accord entre elles et sa porte qui
ferme mal. On y était bien dans
cette mini rédaction radio avec ses
ordinateurs si rapides qui nous ont
appris la patience et la maîtrise du
stress...».
22H45 à l’ESJ. La déclaration
d’amour de François Geffrier à
son ancien studio et à l’école entière vient clôturer la cérémonie
de remise des diplômes de la 88e
promotion.
On y a eu chaud, pour une fois,
dans cet amphithéâtre plein à
craquer. Pour une fois. On y a
senti le sol trembler au rythme
des élans de joie de la centaine
de journalistes PHR, JS et généralistes.
On y a vu des jeunes gens heureux se sauter au cou et des sourires en pagaille. « Il y a un an,
on se battait pour qu’un Master
bouleverse notre vie. Cela a été
le cas parce que nous étions tous
soudés » a lancé, émue, Nadège
Jolie, journaliste scientifique.
Nicolas Gaillard, journaliste de
PHR l’avoue : « L’ESJ, c’est quand
ça s’arrête qu’on s’aperçoit à quel
point c’était fort et exigeant ». On
y a vu une petite tête blonde défiler devant le micro, parce qu’avoir
un bébé et suivre une formation à
l’ESJ en même temps « c’est possible ».
On y a vu Edouard, ancien laissé pour compte du permis de
conduire réconforter Kevin, nouveau laissé pour compte du permis de conduire : « T’as chié dans
la colle mec ». Kevin devra revenir l’an prochain pour récupérer
son diplôme.
On y a vu des parents fiers de
leurs rejetons ayant fait le déplacement parfois depuis le Marais
Poitevin, parce que « voir Pierre
Savary en vrai » , comme dit
Gazette du 90e anniversaire de l’ESJ Lille du 10 au 12 octobre 2014
Quentin Fichet, c’est émouvant.
On y a même vu des grandmères ravies venues comprendre
pourquoi l’ESJ valait la peine de
cohabiter avec leurs petite-filles
pendant un an.
On y a vu des professeurs filmer
leurs ex-petits poussins chantant Les corons sans connaître les
couplets de Pierre Bachelet. Bref,
on ne voyait plus une parcelle de
moquette dans cet amphi.
Alors Pierre Savary a prévenu :
l’an prochain, « il faudra louer le
Zénith ».
Justine Sagot