Accompagner les résidents/ électeurs : pas si simple…

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Accompagner les résidents/ électeurs : pas si simple…
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MMR - Février 2010
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Civisme
Les 14 et 21 mars prochains, les Français sont appelés à élire leurs conseillers régionaux. L’occasion de se demander comment la participation des résidents aux scrutins électoraux est appréhendée en Ehpad. À question simple, réponse plus compliquée qu’il n’y paraît…
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Accompagner les résidents/
électeurs : pas si simple…
À
l’Ehpad Ker Lenn à Rosporden, dans le Finistère, les
résidents n’ont pas à aller
bien loin pour remplir leur devoir
civique. « On a de la chance : le
bureau de vote est dans l’école
juste en face de la maison de retraite », explique Noëlle Le Dévedec, la directrice. Les dimanches
d’élection, l’équipe soignante et
accompagnante conduit ainsi une
petite procession de résidents, valides ou en fauteuil, de l’autre côté
de la rue.
Mais l’Ehpad Ker Lenn est un peu
une exception. Car si nombre de
maisons de retraite assurent accompagner leurs résidents/électeurs dans leurs démarches, l’aide
ne va pas forcément jusqu’à l’escorte au bureau de vote. Mais aide
il doit bien y avoir. L’exercice des
droits civiques doit être facilité par
l’établissement, rappelle la Charte
des droits et libertés de la personne accueillie en établissement,
affichée dans tous les Ehpad de
France et de Navarre. L’exercice
des droits civiques est également
souvent inscrit dans le règlement
de l’Ehpad ou le livret d’accueil.
Un intérêt limité
pour les régionales
Mais, dans les faits, même s’ils
assurent l’encourager, l’exercice
du droit de vote des résidents
n’apparaît pas être, à proprement
parler, une préoccupation des directeurs d’Ehpad. « D’une maison
de retraite à l’autre, on ne sent
pas forcément la volonté de dynamiser les personnes âgées sur
cette question », estime Joëlle Le
Gall, présidente de la Fédération
nationale des personnes âgées
et de leurs familles (Fnapaef).
Mais, en fonction des élections,
les résidents ne font pas non plus
preuve d’un enthousiasme dé-
bordant. « Les régionales ne les
passionnent pas, remarque ainsi
Julie Domengé, directrice de la
maison de retraite de Bétharram,
en Gironde. Ils se mobilisent plus
pour les présidentielles et surtout
pour les municipales, parce qu’ils
connaissent le maire. » Même
son de cloche à la résidence Clairefontaine, à Clairefontaine, dans
les Yvelines : « J’ai déjà abordé
le sujet avec eux, mais cette élection ne les intéresse pas trop. Ils
ne connaissent pas les candidats
– qui ne sont d’ailleurs pas très
médiatisés – et ont l’impression
que cela ne les concerne pas »,
confirme Anne Degas, l’animatrice de cet Ehpad de 80 résidents. L’animatrice se souvient en
revanche de discussions vives au
moment des dernières élections
présidentielles, où les résidents
manifestaient franchement leurs
désaccords, et « où il fallait gérer
le débat ! ». Bref, les résidents
d’Ehpad ne sont pas différents de
la population générale, qui a bien
du mal à se mobiliser pour certains rendez-vous électoraux.
Information vs
intrusion
Cela dit, la majorité des établissements accompagne aujourd’hui
les résidents dans leurs démarches administratives au moment
du vote. « Pratiquement tous les
Ehpad facilitent le vote par procuration », estime Joëlle Le Gall,
de la Fnapaef. « Le secrétariat de
la résidence s’occupe de faire le
relais avec la gendarmerie », assure ainsi Denys Laruelle, directeur de la résidence Saint-Joseph
à Giromagny, dans le Territoire de
Belfort.
Mais, avant de voter, il faut avoir
été informé. Et c’est là que le bât
peut blesser. Un affichage des
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dates des élections, c’est le minimum syndical auquel s’arrêtent parfois certains établissements. D’autres, heureusement, vont plus
loin. Notamment dans le cadre des activités
d’animation, et des rituelles revues de presse et
lecture des journaux. « Certains résidents sont
vraiment férus d’actualité et nous parlons
des élections via la lecture du journal. Mais,
pour l’instant, ils paraissent un peu décontenancés, remarque Isabelle Pennarun, animatrice à l’Ehpad Ker Lenn, dans le Finistère.
Beaucoup, qui sont restés sur une opposition
classique gauche/droite, ont du mal à se repérer avec tous les partis politiques qui existent
aujourd’hui. » Pour sa consœur Anne Degas, le
rôle de l’animateur est d’ailleurs, sur ces questions, essentiel : « Il doit être la personne référente en la matière. C’est en tout cas comme
cela que je conçois mon rôle. » De fait, à la résidence Clairefontaine, Anne Degas demande
à chaque nouvel arrivant dans l’Ehpad s’il est
inscrit sur les listes électorales et s’il compte,
a priori, continuer à voter. C’est elle, aussi, qui
s’occupe des demandes de procuration. C’est
elle, enfin, qui peut conduire, en voiture, les
résidents qui le souhaitent au bureau de vote,
situé à moins d’un kilomètre de la résidence.
Mais peu d’Ehpad ont ainsi désigné, formellement ou non, un « référent élections ». Et peu
d’entre eux s’inquiètent de la volonté du résident dès son entrée dans l’établissement.
Mais information ne veut pas dire intrusion.
« Nous veillons à la discrétion : information,
mais pas enquête pour savoir qui veut voter
ou pas », résume Denys Laruelle, à Giromagny. Pas question non plus de forcer la main.
« L’établissement ne doit pas se substituer à
la personne. On ne doit pas faire de forcing »,
relève Noëlle Le Dévedec, à Rosporden.
Bref, globalement, l’exercice du droit de vote
des résidents d’Ehpad n’apparaît pas être un
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Le rôle du conseil de la vie sociale
« Le conseil de la vie sociale est un endroit que l’on voudrait citoyen. C’est le lieu où les résidents et les
familles devraient s’emparer du sujet, et demander au directeur et à l’équipe comment l’Ehpad compte
s’organiser pour informer et aider les résidents dans leurs démarches au moment d’un scrutin électoral »,
estime Joëlle Le Gall, présidente de la Fédération nationale des personnes âgées et de leurs familles
(Fnapaef). Le CVS paraît effectivement le lieu approprié pour de telles discussions. Mais, dans les faits, ce
n’est pas vraiment le premier sujet abordé… quand il est abordé.
sujet de conflit entre l’équipe de direction et
les résidents ou leurs familles.
La responsabilité
des familles
Pourtant, il pose des questions éthiques
aujourd’hui sans réponses. C’est une évidence,
les Ehpad accueillent des personnes de plus en
plus dépendantes, notamment atteintes de la
maladie d’Alzheimer ou de maladies apparentées. À ce sujet, dans sa très intéressante enquête sur les droits des personnes atteintes de
la maladie d’Alzheimer auprès de 5 690 Ehpad
(lire MMR no 124), la Fondation Médéric
Alzheimer s’est justement intéressée à l’exercice
du droit de vote pour les malades résidant en
Ehpad (1). 54 % des Ehpad enquêtés affirment
avoir mis en place des mesures facilitant l’exercice du droit de vote, contre 43 % qui n’ont pris
aucune disposition. Parmi les mesures facilitatrices, l’organisation du vote par procuration,
on l’a vu (84 %), l’organisation du déplacement
au bureau de vote (42 %) et l’inscription sur les
listes électorales (20 %). Ceux qui ne font rien
le justifient par « l’absence de compétences de
l’Ehpad en la matière », l’existence d’une tutelle, ou l’incapacité de voter, du fait de l’avan-
cée de la maladie. Mais cette incapacité réelle
– ou parfois supposée ? – n’amène-t-elle pas,
du coup, une sélection sauvage des résidents
à qui l’on porte l’information ? « Si sélection il
y a, elle n’est évidemment pas intentionnelle,
réagit Denys Laruelle, directeur de la résidence
Saint-Joseph, à Giromagny. C’est vrai que, jusqu’ici, nous n’allions pas voir les résidents un
par un pour vérifier qu’ils savaient bien qu’il
y avait une élection et leur rappeler que nous
pouvions les aider dans leurs démarches. Mais
je ne crois pas que nous laissions pour autant
des résidents désireux de voter sur le bord de
la route. » Cela dit, Denys Laruellle a décidé de
profiter de ces élections régionales pour être
plus attentif sur ce sujet : tous les résidents de
Saint-Joseph seront désormais informés personnellement des élections, en plus des informations affichées et diffusées par la chaîne de
télé interne de l’établissement.
Rappeler la tenue d’un prochain scrutin, « c’est
aussi de la responsabilité des familles », relève
Joëlle Le Gall, présidente de la Fnapaef. « Les
familles peuvent être incitatives, mais aussi
décider à la place de leur parent qu’il n’est pas
utile d’aller voter », remarque Denys Laruelle.
« Inutile d’embêter maman avec ça, parce que,
de toute façon, elle n’a plus toute sa tête… »
Sauf que ce n’est pas si simple.
© Résidence Saint-Joseph
Faut-il juger
la capacité à voter ?
À la résidence Saint-Joseph, à Giromagny, dans le Territoire de Belfort, tous les résidents sont désormais informés personnellement des élections, en plus des informations affichées et diffusées par la chaîne de télé interne de l’établissement.
D’abord, qui dit personne âgée sous tutelle ne
dit plus automatiquement privation des droits
civiques. La loi du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs
prévoit désormais, dans son article 12, que,
lorsque le juge ouvre ou renouvelle une mesure de tutelle, il doit statuer obligatoirement
sur la suppression, ou le maintien, du droit de
vote de la personne protégée. Ensuite, la loi
Handicap du 11 février 2005 prévoit, dans son
article 73, « que les bureaux et les techniques
de vote doivent être accessibles aux personnes handicapées, quel que soit le type de ce
handicap, notamment physique, sensoriel,
mental ou psychique ». Enfin, en pratique,
les malades d’Alzheimer ou atteints de troubles cognitifs conservent leur droit de vote.
Mais comment et jusqu’où les aider à voter ?
Et qui décide, et sur quelle base, que tel ou tel
résident n’est plus en capacité d’exprimer son
point de vue ? Des questions essentielles qui
n’ont, aujourd’hui, pas de réponse. Le Pr Isabelle Mahé et le Dr Antoine Bousquet, du service de médecine interne du CHU Louis-Mou-
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capacité à voter. Les seules données disponibles aujourd’hui sont
américaines. Interviewés dans la
dernière Lettre de l’Observatoire
de la Fondation Médéric Alzheimer, qui soutient leurs travaux,
ils expliquent qu’« en utilisant un
outil d’évaluation des capacités
décisionnelles mises en jeu lors
du vote, le Pr Karlawish (USA) a
montré que de nombreuses personnes atteintes de la maladie
d’Alzheimer à un stade léger et
modéré conservent leur capacité
de voter ».
Et ils prévoient, dans le cadre d’un
programme hospitalier de recherche clinique national, d’évaluer,
en France, des outils d’évaluation
des capacités de décision des malades d’Alzheimer, notamment
lors de la participation à des scrutins électoraux. On attend leurs
résultats avec impatience.
À l’Ehpad Ker Lenn, à Rosporden, dans le Finistère, les élections régionales sont abordées par l’animatrice
Isabelle Pennarun, dans le cadre de la traditionnelle lecture du journal du matin.
rier (AP-HP) à Colombes, font
partie des rares personnes à s’être
penchées sur le sujet. Ils ont notamment lancé, l’année dernière,
une grande étude, en Ehpad et
en USLD en région Île-de-France
et Centre, sur « l’évaluation de la
réalité des conditions de l’exercice
des droits de vote des personnes
atteintes de la maladie d’Alzhei-
mer » à l’occasion des élections
européennes de juin 2009, dont
les résultats sont encore en cours
de traitement. Et ils réfléchissent
aussi aux outils d’évaluation de la
Valérie Lespez
(1) Lettre de l’Observatoire de prise
en charge et d’accompagnement de
la maladie d’Alzheimer no 13, janvier
2010. Disponible gratuitement sur
www.fondation-mederic-alzheimer.org