Accompagner les résidents/ électeurs : pas si simple…
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Accompagner les résidents/ électeurs : pas si simple…
L e dossier MMR - Février 2010 13 Civisme Les 14 et 21 mars prochains, les Français sont appelés à élire leurs conseillers régionaux. L’occasion de se demander comment la participation des résidents aux scrutins électoraux est appréhendée en Ehpad. À question simple, réponse plus compliquée qu’il n’y paraît… © ChristianSchwier.de - Fotolia.com Accompagner les résidents/ électeurs : pas si simple… À l’Ehpad Ker Lenn à Rosporden, dans le Finistère, les résidents n’ont pas à aller bien loin pour remplir leur devoir civique. « On a de la chance : le bureau de vote est dans l’école juste en face de la maison de retraite », explique Noëlle Le Dévedec, la directrice. Les dimanches d’élection, l’équipe soignante et accompagnante conduit ainsi une petite procession de résidents, valides ou en fauteuil, de l’autre côté de la rue. Mais l’Ehpad Ker Lenn est un peu une exception. Car si nombre de maisons de retraite assurent accompagner leurs résidents/électeurs dans leurs démarches, l’aide ne va pas forcément jusqu’à l’escorte au bureau de vote. Mais aide il doit bien y avoir. L’exercice des droits civiques doit être facilité par l’établissement, rappelle la Charte des droits et libertés de la personne accueillie en établissement, affichée dans tous les Ehpad de France et de Navarre. L’exercice des droits civiques est également souvent inscrit dans le règlement de l’Ehpad ou le livret d’accueil. Un intérêt limité pour les régionales Mais, dans les faits, même s’ils assurent l’encourager, l’exercice du droit de vote des résidents n’apparaît pas être, à proprement parler, une préoccupation des directeurs d’Ehpad. « D’une maison de retraite à l’autre, on ne sent pas forcément la volonté de dynamiser les personnes âgées sur cette question », estime Joëlle Le Gall, présidente de la Fédération nationale des personnes âgées et de leurs familles (Fnapaef). Mais, en fonction des élections, les résidents ne font pas non plus preuve d’un enthousiasme dé- bordant. « Les régionales ne les passionnent pas, remarque ainsi Julie Domengé, directrice de la maison de retraite de Bétharram, en Gironde. Ils se mobilisent plus pour les présidentielles et surtout pour les municipales, parce qu’ils connaissent le maire. » Même son de cloche à la résidence Clairefontaine, à Clairefontaine, dans les Yvelines : « J’ai déjà abordé le sujet avec eux, mais cette élection ne les intéresse pas trop. Ils ne connaissent pas les candidats – qui ne sont d’ailleurs pas très médiatisés – et ont l’impression que cela ne les concerne pas », confirme Anne Degas, l’animatrice de cet Ehpad de 80 résidents. L’animatrice se souvient en revanche de discussions vives au moment des dernières élections présidentielles, où les résidents manifestaient franchement leurs désaccords, et « où il fallait gérer le débat ! ». Bref, les résidents d’Ehpad ne sont pas différents de la population générale, qui a bien du mal à se mobiliser pour certains rendez-vous électoraux. Information vs intrusion Cela dit, la majorité des établissements accompagne aujourd’hui les résidents dans leurs démarches administratives au moment du vote. « Pratiquement tous les Ehpad facilitent le vote par procuration », estime Joëlle Le Gall, de la Fnapaef. « Le secrétariat de la résidence s’occupe de faire le relais avec la gendarmerie », assure ainsi Denys Laruelle, directeur de la résidence Saint-Joseph à Giromagny, dans le Territoire de Belfort. Mais, avant de voter, il faut avoir été informé. Et c’est là que le bât peut blesser. Un affichage des L e dossier dates des élections, c’est le minimum syndical auquel s’arrêtent parfois certains établissements. D’autres, heureusement, vont plus loin. Notamment dans le cadre des activités d’animation, et des rituelles revues de presse et lecture des journaux. « Certains résidents sont vraiment férus d’actualité et nous parlons des élections via la lecture du journal. Mais, pour l’instant, ils paraissent un peu décontenancés, remarque Isabelle Pennarun, animatrice à l’Ehpad Ker Lenn, dans le Finistère. Beaucoup, qui sont restés sur une opposition classique gauche/droite, ont du mal à se repérer avec tous les partis politiques qui existent aujourd’hui. » Pour sa consœur Anne Degas, le rôle de l’animateur est d’ailleurs, sur ces questions, essentiel : « Il doit être la personne référente en la matière. C’est en tout cas comme cela que je conçois mon rôle. » De fait, à la résidence Clairefontaine, Anne Degas demande à chaque nouvel arrivant dans l’Ehpad s’il est inscrit sur les listes électorales et s’il compte, a priori, continuer à voter. C’est elle, aussi, qui s’occupe des demandes de procuration. C’est elle, enfin, qui peut conduire, en voiture, les résidents qui le souhaitent au bureau de vote, situé à moins d’un kilomètre de la résidence. Mais peu d’Ehpad ont ainsi désigné, formellement ou non, un « référent élections ». Et peu d’entre eux s’inquiètent de la volonté du résident dès son entrée dans l’établissement. Mais information ne veut pas dire intrusion. « Nous veillons à la discrétion : information, mais pas enquête pour savoir qui veut voter ou pas », résume Denys Laruelle, à Giromagny. Pas question non plus de forcer la main. « L’établissement ne doit pas se substituer à la personne. On ne doit pas faire de forcing », relève Noëlle Le Dévedec, à Rosporden. Bref, globalement, l’exercice du droit de vote des résidents d’Ehpad n’apparaît pas être un MMR - Février 2010 14 Le rôle du conseil de la vie sociale « Le conseil de la vie sociale est un endroit que l’on voudrait citoyen. C’est le lieu où les résidents et les familles devraient s’emparer du sujet, et demander au directeur et à l’équipe comment l’Ehpad compte s’organiser pour informer et aider les résidents dans leurs démarches au moment d’un scrutin électoral », estime Joëlle Le Gall, présidente de la Fédération nationale des personnes âgées et de leurs familles (Fnapaef). Le CVS paraît effectivement le lieu approprié pour de telles discussions. Mais, dans les faits, ce n’est pas vraiment le premier sujet abordé… quand il est abordé. sujet de conflit entre l’équipe de direction et les résidents ou leurs familles. La responsabilité des familles Pourtant, il pose des questions éthiques aujourd’hui sans réponses. C’est une évidence, les Ehpad accueillent des personnes de plus en plus dépendantes, notamment atteintes de la maladie d’Alzheimer ou de maladies apparentées. À ce sujet, dans sa très intéressante enquête sur les droits des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer auprès de 5 690 Ehpad (lire MMR no 124), la Fondation Médéric Alzheimer s’est justement intéressée à l’exercice du droit de vote pour les malades résidant en Ehpad (1). 54 % des Ehpad enquêtés affirment avoir mis en place des mesures facilitant l’exercice du droit de vote, contre 43 % qui n’ont pris aucune disposition. Parmi les mesures facilitatrices, l’organisation du vote par procuration, on l’a vu (84 %), l’organisation du déplacement au bureau de vote (42 %) et l’inscription sur les listes électorales (20 %). Ceux qui ne font rien le justifient par « l’absence de compétences de l’Ehpad en la matière », l’existence d’une tutelle, ou l’incapacité de voter, du fait de l’avan- cée de la maladie. Mais cette incapacité réelle – ou parfois supposée ? – n’amène-t-elle pas, du coup, une sélection sauvage des résidents à qui l’on porte l’information ? « Si sélection il y a, elle n’est évidemment pas intentionnelle, réagit Denys Laruelle, directeur de la résidence Saint-Joseph, à Giromagny. C’est vrai que, jusqu’ici, nous n’allions pas voir les résidents un par un pour vérifier qu’ils savaient bien qu’il y avait une élection et leur rappeler que nous pouvions les aider dans leurs démarches. Mais je ne crois pas que nous laissions pour autant des résidents désireux de voter sur le bord de la route. » Cela dit, Denys Laruellle a décidé de profiter de ces élections régionales pour être plus attentif sur ce sujet : tous les résidents de Saint-Joseph seront désormais informés personnellement des élections, en plus des informations affichées et diffusées par la chaîne de télé interne de l’établissement. Rappeler la tenue d’un prochain scrutin, « c’est aussi de la responsabilité des familles », relève Joëlle Le Gall, présidente de la Fnapaef. « Les familles peuvent être incitatives, mais aussi décider à la place de leur parent qu’il n’est pas utile d’aller voter », remarque Denys Laruelle. « Inutile d’embêter maman avec ça, parce que, de toute façon, elle n’a plus toute sa tête… » Sauf que ce n’est pas si simple. © Résidence Saint-Joseph Faut-il juger la capacité à voter ? À la résidence Saint-Joseph, à Giromagny, dans le Territoire de Belfort, tous les résidents sont désormais informés personnellement des élections, en plus des informations affichées et diffusées par la chaîne de télé interne de l’établissement. D’abord, qui dit personne âgée sous tutelle ne dit plus automatiquement privation des droits civiques. La loi du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs prévoit désormais, dans son article 12, que, lorsque le juge ouvre ou renouvelle une mesure de tutelle, il doit statuer obligatoirement sur la suppression, ou le maintien, du droit de vote de la personne protégée. Ensuite, la loi Handicap du 11 février 2005 prévoit, dans son article 73, « que les bureaux et les techniques de vote doivent être accessibles aux personnes handicapées, quel que soit le type de ce handicap, notamment physique, sensoriel, mental ou psychique ». Enfin, en pratique, les malades d’Alzheimer ou atteints de troubles cognitifs conservent leur droit de vote. Mais comment et jusqu’où les aider à voter ? Et qui décide, et sur quelle base, que tel ou tel résident n’est plus en capacité d’exprimer son point de vue ? Des questions essentielles qui n’ont, aujourd’hui, pas de réponse. Le Pr Isabelle Mahé et le Dr Antoine Bousquet, du service de médecine interne du CHU Louis-Mou- L e dossier MMR - Février 2010 15 capacité à voter. Les seules données disponibles aujourd’hui sont américaines. Interviewés dans la dernière Lettre de l’Observatoire de la Fondation Médéric Alzheimer, qui soutient leurs travaux, ils expliquent qu’« en utilisant un outil d’évaluation des capacités décisionnelles mises en jeu lors du vote, le Pr Karlawish (USA) a montré que de nombreuses personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer à un stade léger et modéré conservent leur capacité de voter ». Et ils prévoient, dans le cadre d’un programme hospitalier de recherche clinique national, d’évaluer, en France, des outils d’évaluation des capacités de décision des malades d’Alzheimer, notamment lors de la participation à des scrutins électoraux. On attend leurs résultats avec impatience. À l’Ehpad Ker Lenn, à Rosporden, dans le Finistère, les élections régionales sont abordées par l’animatrice Isabelle Pennarun, dans le cadre de la traditionnelle lecture du journal du matin. rier (AP-HP) à Colombes, font partie des rares personnes à s’être penchées sur le sujet. Ils ont notamment lancé, l’année dernière, une grande étude, en Ehpad et en USLD en région Île-de-France et Centre, sur « l’évaluation de la réalité des conditions de l’exercice des droits de vote des personnes atteintes de la maladie d’Alzhei- mer » à l’occasion des élections européennes de juin 2009, dont les résultats sont encore en cours de traitement. Et ils réfléchissent aussi aux outils d’évaluation de la Valérie Lespez (1) Lettre de l’Observatoire de prise en charge et d’accompagnement de la maladie d’Alzheimer no 13, janvier 2010. Disponible gratuitement sur www.fondation-mederic-alzheimer.org