DÉVELOPPEMENTS JURIDIQUES JURISPRUDENCE
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DÉVELOPPEMENTS JURIDIQUES JURISPRUDENCE
e.Bulletin du droit d’auteur octobre - décembre 2005 DÉVELOPPEMENTS JURIDIQUES JURISPRUDENCE ÉTATS-UNIS D’AMÉRIQUE COUR SUPRÊME DES ÉTATS-UNIS D’AMÉRIQUE Violation du droit d’auteur — Responsabilité subsidiaire — Distribution d’un produit susceptible d’utilisation tant légale qu’illégale — Incitation à la violation La question est de savoir dans quelles circonstances le distributeur d’un produit susceptible d’utilisation tant légale qu’illégale est responsable des actes de violation commis par des tiers qui utilisent le produit. Nous décidons que celui qui distribue un appareil avec l’intention de promouvoir une utilisation qui viole le droit d’auteur, tel que démontré par une expression claire ou par toute autre action volontaire entreprise pour encourager la violation, est responsable des actes de violation commis par des tiers, qui en découlent. Décision de la cour Suprême des Etats-Unis d’Amérique, 27 juin 2005 (Extraits tirés de la décision de la Cour suprême des Etats-Unis d’Amérique — les notes de bas de page sont ajoutées par l’UNESCO, traduction non officielle par l’UNESCO). Metro-Goldwin-Mayer Studios Inc. et al. v. Grokster, Ltd. et al. 380 F. 3d 1154 Faits Les défendeurs, Grokster et StreamCast Networks, distribuent un logiciel gratuit qui permet aux utilisateurs d’échanger des fichiers électroniques sur des réseaux de pairs-à-pairs (peer-topeer), ainsi nommés car les ordinateurs communiquent directement entre eux, et non à travers un serveur central. Parmi les utilisateurs de ces réseaux se trouvent les destinataires individuels du logiciel des défendeurs, et bien que les réseaux puissent servir à échanger tout type de fichier numérique, ils ont été employés principalement pour échanger des fichiers musicaux et vidéo protégés par le droit d’auteur et ce, sans autorisation. Un groupe de titulaires de droits (ci-après MGM, mais comprenant des studios de cinéma, des maisons de disques, des compositeurs et des éditeurs de musique) a poursuivi les défendeurs pour les violations commises par leurs utilisateurs, alléguant qu’ils avaient distribué le Original : anglais e.Bulletin du droit d’auteur octobre - décembre 2005 logiciel en sachant pertinemment qu’il permettait de reproduire et de distribuer des œuvres protégées en violation de la Loi sur le droit d’auteur. MGM exigeait des dommages et une injonction. La preuve présentée au cours de l’instance a révélé la manière dont le logiciel fonctionne. Un utilisateur qui installe le logiciel peut envoyer plusieurs demandes de fichiers directement aux ordinateurs de ceux qui utilisent le même logiciel. Les résultats de la recherche sont communiqués à l’ordinateur qui en a fait la demande et l’utilisateur peut télécharger les fichiers désirés directement depuis les ordinateurs de ses pairs. Bien que les défendeurs ignorent à quel moment les fichiers sont copiés, des recherches effectuées grâce à leur logiciel identifieraient les fichiers disponibles sur les réseaux. Près de 90% des fichiers téléchargeables sur le système étaient protégés par le droit d’auteur. Les défendeurs affirment que les utilisations du logiciel qui n’enfreindraient potentiellement pas le droit d’auteur, bien rares en pratique, sont importantes en nature. Mais la preuve fournie par MGM laisse supposer que la grande majorité des téléchargements viole le droit d’auteur, et puisque bien plus de 100 millions de copies du logiciel en question ont été téléchargées, et que des milliards de fichiers sont échangés tous les mois, l’étendue des violations est phénoménale. Les défendeurs admettent la violation dans la plupart des téléchargements. Les défendeurs ne sont pas seulement des destinataires passifs de l’information sur l’utilisation illégale. Le dossier contient de nombreux éléments de preuve selon lesquels les défendeurs ont clairement formulé le vœu que les destinataires utilisent le logiciel pour télécharger des oeuvres protégées, et chacun d’eux a contribué à encourager la violation du droit d’auteur. Les preuves indiquent que StreamCast avait l’intention d’utiliser son logiciel afin de reprendre les adresses e-mail du marché visé par Napster. La preuve que Grokster ait tenté de reprendre l’ancien marché de Napster est moins étoffée mais tout aussi révélatrice. Le but, évidemment, aurait été d’attirer les utilisateurs déjà enclins à enfreindre la loi, tel que l’indique le matériel promotionnel présentant des chansons protégées comme exemples de fichiers disponibles. En plus de la preuve de promotion explicite, de commercialisation et de l’intention de promouvoir davantage, le modèle économique (Business Model) confirme l’objectif des défendeurs d’utiliser le logiciel pour télécharger des oeuvres protégées. Les défendeurs ne perçoivent aucun revenu des utilisateurs. Ils génèrent plutôt un revenu en vendant des espaces publicitaires, puis en diffusant la publicité aux utilisateurs. La preuve montre que le volume important des utilisateurs est fonction de la gratuité de l’accès aux œuvres protégées. Enfin, il n’existe aucune preuve selon laquelle les compagnies ont fait l’effort de filtrer les œuvres protégées ou de faire obstacle d’une manière quelconque à l’échange de fichiers protégés. Procédures antérieures -2- e.Bulletin du droit d’auteur octobre - décembre 2005 Après la production des pièces, les deux parties ont présenté chacune une requête pour jugement sommaire.1 Première instance La cour de première instance (District Court) a maintenu que ceux qui utilisaient le logiciel pour télécharger des fichiers « média » violaient directement les droits de MGM, une conclusion non contestée en appel, mais la cour a néanmoins accordé le jugement sommaire en faveur des défendeurs quant à leur responsabilité dans la distribution du logiciel. La distribution de ce logiciel n’entraînait pas la responsabilité des distributeurs puisque ils n’avaient pas, du simple fait de l’utilisation du logiciel, la connaissance réelle d’actes de violation spécifiques. Appel La cour d’appel a confirmé le jugement de première instance. Un défendeur est responsable par faute contributive lorsqu’il a connaissance d’une violation directe et contribue matériellement à la violation. Mais la cour a lu Sony Corp. of America v. Universal City Studios, Inc., 464 U.S. 417 (1984) comme stipulant que la distribution d’un produit commercial propice à des utilisations légales substantielles ne pouvait entraîner la responsabilité contributive, à moins que le distributeur n’ait une connaissance réelle de cas spécifiques de violation et manque à son devoir d’action. Le fait que le logiciel soit propice à des utilisations légales substantielles signifie que les défendeurs n’étaient pas responsables, parce qu’ils n’avaient pas cette dite connaissance, à cause de l’architecture décentralisée du logiciel. Le tribunal a aussi énoncé que les défendeurs n’avaient pas contribué matériellement car c’était les utilisateurs qui recherchaient, récupéraient et mémorisaient les fichiers faisant l’objet de violation du droit d’auteur, sans intervention des défendeurs au-delà de la fourniture du logiciel. La Cour d’appel (Ninth Circuit2) a également étudié la question de responsabilité pour violation indirecte (vicarious infringement). Le tribunal n’a pas retenu cette théorie car les défendeurs ne contrôlaient ni ne maîtrisaient l’utilisation du logiciel, n’avaient aucun droit reconnu ni la capacité de superviser son utilisation, et n’étaient tenus à aucune obligation de police eu égard à l’atteinte au droit. 1 Un jugement sommaire est un jugement accordé par le tribunal avant le procès, déterminant qu’un tel procès ne sera pas nécessaire. 2 Le « Ninth Circuit » est la cour d’appel chargée d’entendre les causes de la plupart des états de l’Ouest, dont la Californie. -3- e.Bulletin du droit d’auteur octobre - décembre 2005 Opinion Valeurs en jeu Les demandeurs réprouvent la décision de la cour d’appel et l’accusent de causer un déséquilibre entre les valeurs qui sont d’une part liées au soutien de la créativité par la protection du droit d’auteur, et d’autre part, à la promotion de l’innovation dans les nouvelles technologies de l’information en limitant les cas de responsabilité pour violation du droit d’auteur. La tension entre les deux valeurs est au cœur de cette affaire car la distribution numérique d’œuvres protégées menace les titulaires de droit plus que jamais, puisque chaque copie est identique à l’originale, la copie est facile à effectuer et de nombreuses personnes (surtout des jeunes) utilisent les logiciels d’échange de fichiers afin de télécharger des œuvres protégées. Théories de responsabilité indirecte Les arguments en faveur de la responsabilité indirecte sont solides étant donné le nombre de téléchargements illégaux qui ont lieu chaque jour grâce au logiciel. Lorsqu’un service ou un produit est largement utilisé pour commettre une violation de droit d’auteur, il peut être impossible de mettre en œuvre les droits de manière efficace contre tous les violateurs, la seule solution pratique est donc de se retourner contre le distributeur de l’appareil en invoquant la responsabilité subsidiaire selon les théories de faute contributive ou de violation indirecte. La faute contributive implique un encouragement ou une incitation intentionnels à la violation directe et la violation indirecte implique la notion de profit de la violation directe et une absence d’intervention pour arrêter ou limiter la violation. Le précédent Sony Dans l’affaire Sony Corp. v. Universal City Studios, notre cour devait décider si la responsabilité subsidiaire pour violation pouvait découler de la distribution même d’un produit commercial. Dans ce cas-là, le produit en question était le magnétoscope. Les titulaires de droits avaient poursuivi Sony en tant que fabricant, prétendant qu’il était responsable par faute contributive pour les violations qui se produisaient lorsque les utilisateurs de magnétoscope enregistraient des émissions protégées par le droit d’auteur, car Sony fournissait le moyen employé pour commettre la violation et savait que cette violation allait se produire. Il n’y avait aucune preuve que Sony avait exprimé l’intention de promouvoir l’enregistrement illégal ni n’avait entrepris des démarches pour augmenter ses profits par l’enregistrement illégal. Sans preuve d’intention, explicite ou non, de promouvoir les actes de violation, la seule façon envisageable d’imposer la responsabilité était sur la base de la théorie de faute contributive découlant des ventes de magnétoscopes à des consommateurs en sachant que certains les utiliseraient pour enfreindre le droit d’auteur. Mais puisque le magnétoscope était “capable d’utilisations légales commercialement significatives”, nous avons décidé que le fabricant ne pouvait pas être tenu responsable sur la seule base de la distribution du produit. -4- e.Bulletin du droit d’auteur octobre - décembre 2005 Utilisations légales significatives Les parties dans cette affaire croient que la clé de l’énigme réside dans la règle établie dans l’affaire Sony et dans la définition de « utilisations légales significatives». MGM avance que d’accorder un jugement sommaire aux défendeurs concernant leurs activités actuelles donnait trop de poids à la valeur des technologies innovantes, et trop peu aux droits d’auteur violés. Les défendeurs répondent en citant la preuve que leur logiciel peut être utilisé pour reproduire des œuvres du domaine public et en mentionnant certains titulaires de droits qui encouragent la copie de leurs œuvres. La cour d’appel a interprété la limitation dans Sony comme indiquant que dès lors qu’un produit peut être utilisé de façon légale et substantielle, le fabricant ne peut en aucun cas être tenu responsable par faute contributive pour les violations commises par des tiers. Dans la mesure où la cour d’appel a déterminé que le logiciel était susceptible d’utilisation légale substantielle, elle a conclut qu’aucune des deux compagnies ne pouvait être tenue responsable, puisqu’il n’y avait pas de preuve que le logiciel, étant dépourvu d’un serveur central, leur permettait d’avoir connaissance d’utilisations illégales spécifiques. Cette vision de Sony, cependant, était erronée car elle confondait la responsabilité reposant sur une intention imputée avec celle reposant sur n’importe quelle autre théorie. Parce que Sony n’a pas remplacé les autres théories de responsabilité subsidiaire et parce que nous décidons que c’était une erreur que d’accorder un jugement sommaire aux sociétés sur la base de l’argument d’incitation de MGM, nous n’explorerons pas Sony davantage, tel que MGM le demande, pour ajouter une description mieux quantifiée du point d’équilibre entre la protection et le commerce lorsque la responsabilité repose uniquement sur la distribution avec la connaissance qu’une utilisation illégale va se produire. La règle dans le cas Sony limite l’imputation d’une intention coupable en droit à partir des caractéristiques ou utilisations d’un produit distribué. Mais rien dans Sony n’oblige le tribunal à ignorer la preuve d’intention si une telle preuve existe, et cette décision n’a jamais eu pour conséquence d’éliminer les règles de responsabilité fondées sur la faute qui découlent de la common law. Incitation Le cas classique de preuve directe d’une intention illégale concerne le cas d’une personne qui incite un tiers à commettre une violation ou qui entraîne ou convainc un tiers de commettre une violation, par exemple, par la publicité. Quiconque distribue un appareil avec l’intention de promouvoir son utilisation pour enfreindre le droit d’auteur, tel que démontré par une expression claire ou toute autre action volontaire encourageant l’infraction, est responsable des actes de violation commis par des tiers qui en résultent. La règle d’incitation fait reposer la responsabilité sur l’expression et la conduite intentionnelles et coupables, et donc ne fait rien pour compromettre le commerce légitime ou pour décourager l’innovation ayant des débouchés légaux. La question de la suffisance de la preuve de MGM au stade du jugement sommaire selon la théorie de l’incitation concerne la nécessité de présenter une preuve selon laquelle les défendeurs ont communiqué un message incitatif à leurs utilisateurs. En l’espèce, le dossier -5- e.Bulletin du droit d’auteur octobre - décembre 2005 du jugement sommaire abonde de preuves selon lesquelles les défendeurs, contrairement au fabricant et distributeur dans Sony, ont agi avec l’intention de causer des violations de droit d’auteur par l’utilisation du logiciel. Trois aspects de cette preuve d’intention sont particulièrement visibles. Premièrement, les deux compagnies ont voulu satisfaire un foyer connu de violation de droit d’auteur, le marché comprenant les anciens utilisateurs de Napster. Deuxièmement, aucune des deux sociétés n’a tenté de développer des outils de filtrage ou autres mécanismes pour diminuer l’activité illégale. Troisièmement, il est utile de rappeler que les défendeurs gagnent de l’argent en vendant de l’espace publicitaire, en envoyant de la publicité sur les écrans des ordinateurs qui utilisent leur logiciel. Cette preuve en soi ne justifierait pas une inférence d’intention illégale, mais prise dans le contexte du dossier au complet, son importance est claire. En plus de l’intention de causer des violations et de la distribution d’un appareil susceptible d’être utilisé à des fins de violation, la théorie de l’incitation requiert évidemment la preuve de violation réelle. Il existe une preuve de violation à très grande échelle. Il ne fait aucun doute que la preuve, au niveau du jugement sommaire, est suffisante pour permettre à MGM de poursuivre sa demande en dommages et en réparation équitable. En somme, cette affaire est complètement différente de Sony et un recours à cette décision pour décider en faveur des défendeurs était une erreur. Les éléments de preuve de MGM dans cette affaire sont évidemment fondés sur une autre forme de responsabilité, celle de la distribution d’un produit propice à des utilisations différentes. Ici, la preuve des paroles et actions des distributeurs qui va au-delà de la distribution en tant que telle démontre une intention de causer et de profiter des actes de violation commis par des tiers. Si la responsabilité pour incitation à la violation est en fin de compte prouvée, ce ne sera pas sur la base de faute présumée ou imputée, ce sera par la déduction d’un objectif manifestement illégal de déclarations et d’actes qui démontrent le véritable objectif visé. La preuve en faveur de MGM est substantielle sur tous les éléments de l’incitation, et accorder le jugement sommaire en faveur des défendeurs était erroné. Sur renvoi (on remand3), la requête de MGM pour jugement sommaire devra être reconsidérée. Le jugement de la cour d’appel est annulé et la cause est renvoyée à d’autres procédures compatibles avec cette opinion. 3 Un renvoi consiste à renvoyer une affaire au tribunal où elle a été entendue au départ. D’habitude c’est une cour d’appel qui renvoie une affaire à la cour de première instance pour des procédures compatibles à la décision de la cour d’appel. -6-