Dossiers de presse - Theatre
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FesTivAl D’AuTomne à pAris 13 septembre – 12 janvier | 42e édition Dossier De presse THeATre Service de presse : Christine Delterme, Carole Willemot Assistante : Chloé Cartonnet Tél : 01 53 45 17 13 | Fax : 01 53 45 17 01 [email protected] [email protected] [email protected] Festival d’Automne à Paris | 156, rue de Rivoli – 75001 Paris Renseignements et réservations : 01 53 45 17 17 | www.festival-automne.com ThéâTre Quarante lieux à Paris et en Île-de-France sont associés à cette nouvelle édition du Festival dont le programme 2013 affiche près de soixante événements. C’est dans un jardin que débute ce prochain automne ; celui du Muséum national d’Histoire naturelle, où Jennifer Allora et Guillermo Calzadilla provoquent l’improbable rencontre d’un homme sifflant l’éphémère actualité du monde sur le dos d’un hippopotame impassible et révèlent dans leurs films l’archéologie sonore des formes. Une inscription paradoxale dans le temps qui nous est chère puisque le Festival n’a jamais envisagé le présent qu’en résonance avec l’histoire et la mémoire dans sa capacité à inventer d’autres demains. Nomade par essence, mais cette année plus que jamais fédérateur, le Festival réunit autour des projets qu’il défend un nombre croissant de partenaires qui partagent un même goût de la création et de l’ouverture au monde. Les trois parcours principaux que nous avons imaginés cette année s’inscrivent dans cet esprit : Un nouveau « Portrait » – dans la continuité de celui de 2012 avec Maguy Marin – est consacré à Robert Wilson. Il célèbre une histoire commune et rare débutée en 1972. L’ultime reprise de l’opéra mythique Einstein on the Beach au Théâtre du Châtelet, le Peter Pan féérique avec le Berliner Ensemble et la création de The Old Woman avec Willem Dafoe et Mikhail Baryshnikov au Théâtre de la Ville, une série d’événements organisés par le Louvre dont Robert Wilson est le grand invité. Venus du KwaZulu-Natal, de Johannesbourg et du Cap, plus de cent-vingt artistes Sud-Africains présentent un programme ambitieux pour lequel sept lieux de Paris et d’Île-de-France se sont associés. Les Saisons Afrique du SudFrance lancées par l’Institut français et ses partenaires Sud-Africains sont pour nous une occasion d’explorer à nouveau, et de manière plus large, la scène artistique de ce pays, sa diversité et l’énergie créatrice de ses artistes. Musiques traditionnelles ou populaires – surprenantes sonorités de l’arc musical, émotion et joie communicatives des grandes formations chorales des townships –, compositeurs et poètes-performeurs côtoient le théâtre de Brett Bailey, la danse de Nelisiwe Xaba et Mamela Nyamza, et les dernières créations de Robyn Orlin et Steven Cohen. Les arts plastiques sont représentés par Mikhael Subotzky et Mary Sibande. Voilà plus de quinze ans que le Théâtre National du Bunraku n’était pas venu à Paris, et son retour, sous l’oeil du photographe Hiroshi Sugimoto, augure d’un moment aussi rare que précieux. Le Festival permet également de voir à la Fondation Pierre Bergé-Yves Saint Laurent une exposition de pièces d’art ancien japonais et de photographies inédites, toutes issues de la collection personnelle d’Hiroshi Sugimoto. Au Théâtre de Gennevilliers, à la Maison de la culture du Japon et au Centre Pompidou, nous présentons Toshiki Okada avec deux de ses dernières créations et Daisuke Miura pour la première fois en France. Ceci pérennise la relation de fraternité avec les artistes du Japon lancée dès 1972. Nous retrouvons cette année plusieurs artistes avec lesquels nous avons construit une relation singulière et profonde. Ainsi de Christoph Marthaler, Krystian Lupa, Claude Régy, Trisha Brown, Anne Teresa De Keersmaeker, George Benjamin, Hugues Dufourt et Matthias Pintscher. Des « compagnons » plus récents : Joris Lacoste, Romina Paula, Mariano Pensotti ou Lia Rodrigues. Une constellation de nouveaux venus : Philippe Quesne, Angélica Liddell pour le théâtre, Rebecca Saunders et Lucia Ronchetti pour la musique, ainsi que Marcelo Evelin pour la danse. Pour la première fois, le Théâtre du Soleil est notre invité, avec la troupe d’acteurs cambodgiens de L’Histoireterrible mais inachevée de Norodom Sihanouk. Continuant d’élargir son territoire et tissant les liens entre Paris et l’Île-de-France, le Festival d’Automne s’associe cette année au Centre Dramatique National de Montreuil, au Forum de Blanc-Mesnil, au Théâtre Louis Aragon de Tremblay-en-France, à l’Onde de Vélizy, à l’Apostrophe de Cergy-Pontoise et à la Scène Watteau de Nogent-sur-Marne, qui rejoignent l’ensemble des partenaires historiques. Avec le développement d’un ensemble d’initiatives en direction des publics, centré sur l’implication des artistes de toutes disciplines et de toutes origines, notre programme devient aussi un instrument au service de la transmission et de l’éducation artistique, favorisant la rencontre avec les oeuvres et la découverte des mondes étranges ou familiers de la création, pour un public aussi large que diversifié. Conviant maîtres et jeunes créateurs de tous les champs artistiques, de tous les continents, inventant de nouvelles circulations des artistes et du public dans un Paris élargi bien au-delà de ses frontières, le Festival d’Automne, dans un temps plutôt enclin à la morosité et au repli, se doit plus que jamais de revendiquer l’ouverture. Le partage, aussi, d’actes artitiques qui sont autant de manières de penser l’avenir, de susciter la rêverie du monde. Le Festival d’Automne à Paris est subventionné par le Ministère de la Culture, la Mairie de Paris et la Région Île-deFrance. Il bénéficie par ailleurs du généreux soutien des Amis du Festival d’Automne que préside Pierre Bergé. Sans eux, rien de cette singulière aventure ne pourrait être mené. Nous les remercions. Emmanuel Demarcy-Mota Directeur Général Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 2 sommaire Gwenaël Morin / Antiteatre d’après Rainer Werner Fassbinder Théâtre de la Bastille 18 septembre au 13 octobre Pages 5 à 10 Philippe Quesne / Vivarium Studio / Swamp Club Théâtre de Gennevilliers – 7 au 17 novembre Le Forum, scène conventionnée de Blanc-Mesnil 21 et 22 novembre Pages 57 à 60 Christoph Marthaler / Letzte Tage. Ein Vorabend Théâtre de la Ville 25 septembre au 2 octobre Pages 11 à 16 **Brett Bailey / Third World Bunfight House of the Holy Afro Le CENTQUATRE 19 au 21 novembre Pages 61 à 64 Krystian Lupa / Perturbation d’après le roman de Thomas Bernhard La Colline – théâtre national 27 septembre au 25 octobre Pages 17 à 20 Encyclopédie de la parole / Parlement Maison de la Poésie 2 au 12 octobre Pages 21 à 28 Georges Bigot / Delphine Cottu L’Histoire terrible mais inachevée de Norodom Sihanouk, roi du Cambodge d’Hélène Cixous Théâtre du Soleil 3 au 26 octobre Pages 29 à 34 *Le Japon au festival d’Automne à Paris Pages 35 à 36 *Toshiki Okada / Ground and Floor Centre Pompidou 9 au 12 octobre Pages 37 à 40 *Sugimoto Bunraku Sonezaki Shinjû – Double suicide à Sonezaki Hiroshi Sugimoto Théâtre de la Ville 10 au 19 octobre Pages 41 à 46 Angélica Liddell Todo el cielo sobre la tierra. (El síndrome de Wendy) Odéon - Théâtre de l’Europe 20 novembre au 1er décembre Pages 65 à 68 Nicolas Bouchaud / Eric Didry / Un métier idéal d’après le livre de John Berger et Jean Mohr Théâtre du Rond-Point 21 novembre au 4 janvier Pages 69 à 74 Mariano Pensotti / El Pasado es un animal grotesco La Colline – théâtre national 4 au 8 décembre Pages 75 à 80 *Daisuke Miura / Le Tourbillon de l’amour Maison de la culture du Japon à Paris 5 au 7 décembre Pages 81 à 84 Romina Paula / Fauna Théâtre de la Bastille 6 au 21 décembre Pages 85 à 88 Mariano Pensotti / Cineastas Maison des Arts Créteil 11 au 14 décembre Pages 75 à 80 *Toshiki Okada / Current Location Théâtre de Gennevilliers 14 au 19 octobre Pages 37 à 40 *le programme Japon Encyclopédie de la parole / Suite n°1 « ABC » Centre Pompidou – 16 au 20 octobre Nouveau Théâtre de Montreuil / CDN – 19 au 23 novembre Pages 21 à 28 Le programme Afrique du Sud ainsi que celui du Portrait Robert Wilson font l’objet de dossiers de presse indépendants et téléchargeables sur le site du Festival d’Automne à Paris www.festival-automne.com **le programme Afrique du Sud Claude Régy / La Barque le soir de Tarjei Vesaas Le CENTQUATRE 24 octobre au 24 novembre Pages 47 à 52 Paroles d’acteurs / André Wilms Casimir et Caroline d’Ödön von Horváth Atelier de Paris - Carolyn Carlson 4 au 8 novembre Pages 53 à 56 Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 3 Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 4 gwenaël morin Antiteatre d’après Rainer Werner Fassbinder 4 pièces : Anarchie en Bavière, Liberté à Brême, Gouttes dans l’Océan, Le Village en flammes Mise en scène, Gwenaël Morin Assistante à la mise en scène, Elsa Rooke Avec Renaud Béchet, Mélanie Bourgeois, Virginie Colemyn, Kathleen Dol, Julian Eggerickx, Pierre Germain, François Gorrissen, Barbara Jung, Ulysse Pujo, Natalie Royer, Brahim Tekfa FESTIVAL D’AUTOMNE à PARIS THéâTRE DE LA BASTILLE Mercredi 18 septembre au dimanche 13 octobre Mercredi, jeudi et vendredi 21h : Diptyque Anarchie en Bavière et Liberté à Brême 16€ à 26€ Abonnement 14€ et 18€ Samedi 17h Anarchie en Bavière, Liberté à Brême, Gouttes dans l’Océan, Le Village en flammes 35€ à 45€ Abonnement 33€ et 37€ L’antiteatre théorisé et mis en pratique par R.W. Fassbinder à la fin des années 1960 procède au démontage méthodique de tous les repères politiques, psychologiques ou moraux. Plongé dans le climat explosif de l’ Allemagne d’aprèsguerre, Fassbinder écrit, pense, filme, joue. Absorbant les chocs et les contradictions, il tend à la RFA du « miracle économique » le miroir déformant de sa brutalité. Comment réactiver quelque chose de cette urgence et de ce corps à corps avec son époque – redonner à ces textes leur « charge » ? Dans une société libérale privée d’utopie, quels spectres continuent d’agir sur les représentations, les rapports sociaux et intimes ? à travers quatre pièces, qui balaient tout l’éventail des problèmatiques traitées par Fassbinder, Gwenaël Morin revisite cette matière tumultueuse qui s’apparente pour lui à une « archéologie de la violence ». Chacun de ces textes raconte des utopies qui tournent mal : des histoires de dépendance, de désir et de mort, où rire et désespoir, mécanismes d’aliénation et d’émancipation sont intimement liés – où victimes et bourreaux ne cessent d’échanger leurs rôles. Après l’entreprise du Théâtre permanent, menée pendant un an aux Laboratoires d’Aubervilliers – où sa compagnie jouait, répétait et transmettait en continu –, Gwenaël Morin revendique avec Antiteatre la même logique de traversée intensive d’une œuvre : laisser la langue parcourir les corps comme un courant électrique, et proposer un « précipité » théâtral épuré, produit dans l’urgence, sans décor ni costumes. Qu’il aborde des auteurs classiques ou contemporains, c’est toujours à la recherche du potentiel perturbateur « où le spectateur puisse investir sa propre imagination ». Dimanche 15h : Gouttes dans l’Océan 14€ à 24€ Abonnement 12€ et 16€ Production Théâtre du Point du Jour/Compagnie Gwenaël Morin Coréalisation Théâtre de la Bastille (Paris) ; Festival d’Automne à Paris Avec le soutien du DIESE # Rhône-Alpes Le Théâtre du Point du Jour est conventionné par le ministère de la Culture et de la Communication DRAC Rhône-Alpes, la région Rhône-Alpes et la Ville de Lyon. L’Arche est éditeur et agent théâtral du texte représenté (www.arche-editeur.com). Contacts presse : Festival d’Automne à Paris Christine Delterme, Carole Willemot 01 53 45 17 13 Théâtre de la Bastille Irène Gordon Brassart 01 43 57 78 36 Avec le soutien de l’Adami Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 5 noTes D’inTenTion Gouttes dans l’océan : un coup d’essai « C’est une œuvre d’art qui aide à élaborer du théorique sans être théorique, qui contraint à des attitudes morales sans être morale, qui aide donc à accepter le banal comme essentiel, comme sacré, sans être banale ou même sacrée ou sans prétendre être un exposé sur l’essentiel et malgré tout sans être pour autant cruelle… » 1 L’œuvre dont parle ici Fassbinder, c’est Berlin Alexanderplatz, le roman d’Alfred Döblin qui l’accompagne depuis l’adolescence et dont il signe une adaptation télévisée en 15 épisodes en 1980 – une œuvre où ce sont, exceptionnellement selon lui, « les rapports entre deux hommes qui constituent assurément l’essentiel. » 2 Est-ce en hommage à son personnage principal, Franz Biberkopf, que Fassbinder prénomme le rôle du garçon de 19 ans dans sa première pièce de théâtre, Gouttes dans l’océan, écrite en 1965 alors qu’il n’a que 19 ans lui aussi ? Y a-til une parenté entre ce Franz initial et tous les autres Franz qu’on trouve dans ses premiers films et dont il endosse chaque fois l’interprétation ?3 Gouttes dans l’océan met en scène la relation du jeune Franz avec un homme plus âgé. Interviewé sur la question de l’homosexualité dans son film Le Droit du plus fort, Fassbinder précise: « Dès que l’homosexualité apparaît quelque part dans l’art, elle devient toujours le sujet le plus important. Dans ce cas-là, soit on met l’accent sur l’oppression des homosexuels, soit on présente une vision romantique de la vie heureuse des homosexuels. Personne n’a jamais signalé que la vie des homosexuels est soumise aux mêmes mécanismes que la vie des gens soi-disant normaux. » 4 De fait, Gouttes dans l’océan n’est pas une pièce sur l’homosexualité, mais déjà, comme Les larmes amères de Petra Von Kant quelques années plus tard, une pièce sur le fait que « l’être humain (…) a besoin de l’autre, mais il n’a point appris à être deux », réflexion que Fassbinder met dans la bouche de Petra et qu’il commente par ailleurs : « l’homme (…) n’est pas éduqué de manière à pouvoir plus tard appliquer le principe d’égalité dans ses rapports avec les autres. (…) Si bien qu’il y a toujours quelqu’un qui domine. En amour, celui qui est le plus fort ne doit pas exploiter l’amour du plus faible. (…) Il est plus facile de se laisser aimer que d’aimer. C’est plus facile pour ceux qui sont aimés et ils en profitent la plupart du temps sans le moindre remords. » 5 Fassbinder n’a jamais monté Gouttes dans l’océan. L’auteur la considérait-t-il inaboutie ? Ce coup d’essai emprunte sa facture classique à un certain théâtre bourgeois, que le tout jeune Fassbinder tente de revisiter et de détourner par la fabrication d’une matière textuelle d’une pauvreté absolue en chargeant la moindre phrase d’une violence extrême et en finissant par s’envoyer dans le décor « de cette comédie avec fin pseudo tragique » qui vire au grand guignol. Un coup d’essai, comme pour fourbir ses armes pour la suite en somme. Pour Gwenaël Morin, cette première pièce constitue dans le répertoire de Fassbinder « une archéologie de la violence » : « comment on la subit et comment on l’exerce sur l’autre et sur soi-même, avec un principe d’imitation qui est à l’origine de la chaine de la violence, (…) ou comment l’Allemagne opprimée se met à opprimer le monde et donc à se suicider, (…) même s’il n’y a pas de méga et de micro structure dans la pièce, simplement la mécanique de l’humanité inscrite dans la dynamique du couple. » Un enchaînement et une mécanique que Fassbinder exhibe dans toutes ses œuvres par la suite, en aspirant toujours à aider à « élaborer du théorique sans être théorique » et à « accepter le banal comme essentiel, comme sacré, sans être banal ou même sacré… » Elsa Rooke pour Gwenaël Morin, 2013 1« Les villes de l’homme et son âme » (1980) in R.W. Fassbinder, Les films libèrent la tête, L’Arche, Paris, 1984. Nous sommes assis sur un volcan » (1981) in Fassbinder par lui-même, Entretiens (1969-1982), édition établie par Robert Fischer, G3J éditeur, Paris 2010. 3Le petit chaos (1967), L’Amour est plus froid que la mort (1969), Le Soldat américain (1970), Le Droit du plus fort (1974) etc. 4« Un nouveau réalisme» (1975) in Fassbinder par lui-même, Entretiens (1969-1982), édition établie par Robert Fischer, G3J éditeur, Paris 2010. 5« Nous sommes assis sur un volcan » (1981) in Fassbinder par lui-même, Entretiens (1969-1982), édition établie par Robert Fischer, G3J éditeur, Paris 2010. 2« Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 6 Le Village en flammes : lecture d’une fresque / lecture en forme de fresque « Souvent je prends plus de plaisir à adapter des sujets existants, à m’appuyer sur des œuvres littéraires que de construire moi-même des modèles » confie Fassbinder dans le dernier entretien qu’il accorde (quelques heures avant sa disparition) au sujet de son ultime film, Querelle, adapté du roman de Jean Genet. 1 Sur la soixantaine d’œuvres qu’il écrit et réalise (pièces de théâtre, pièces radiophoniques, courts et longs métrages, feuilletons télévisés), près d’un tiers sont tirées d’œuvres littéraires, qui manifestent une culture à la fois vaste, éclectique et pointue. S’y côtoient des classiques (Sophocle, Lope de Vega, Goldoni, Goethe, Ibsen), des grands contemporains (Nabokov, Genet), une certaine fine fleur de la littérature germanophone (Theodor Fontane, Heinrich Mann, Alfred Döblin, Oskar Maria Graf, Mariluise Fleisser) comme des curiosités venues d’outre-Atlantique (Cornell Woolrich, Clare Booth Luce ou Daniel Galouye) ou des perles isolées (John Gay ou encore Alfred Jarry). Le dramaturge et cinéaste boulimique est donc aussi un bibliophage monstre qui invite à la lecture (il avoue d’ailleurs ne pas conserver ses livres mais les distribuer autour de lui au fur et à mesure – à l’exception de Döblin qui ne le quittera jamais). Avec la réécriture de la pièce Fuente Ovejuna de Lope de Vega qu’est Le Village en flammes, c’est sa propre lecture de l’œuvre originale que Fassbinder nous livre. Et sa lecture (réécriture) condense et accentue, parfois jusqu’à la distorsion, les situations pour en faire saillir ses préoccupations perpétuelles : l’entente entre les puissants pour asservir les faibles (le napalm est alors en train d’incendier le Vietnam) ; « l’occasion d’édifier un état qui aurait pu être plus humain et plus libre qu’aucun autre auparavant, et la façon dont en fin de compte ces occasions ont été manquées »2 ; ou encore le paradoxe des mécanismes d’oppression où la victime est toujours suspecte : « la plupart des femmes ont eu une éducation telle qu’elles sont totalement satisfaites quand elles sont prises dans ces mécanismes d’oppressions. Ce qui ne veut toutefois pas dire qu’elles n’en souffrent pas – évidemment qu’elles en souffrent. (…) Je connais quelques femmes assez émancipées qui jouissent d’être opprimées mais qui luttent en même temps contre cette oppression. C’est un état extrêmement contradictoire. (…) Dans l’ensemble, je trouve que les femmes se comportent de manière aussi abominable que les hommes, et j’essaie d’en expliquer les raisons : c’est que notre éducation et la société dans laquelle nous vivons nous ont fait faire fausse route. » 3 à partir de la grande tragi-comédie à l’espagnole, telle que la fonde Lope de Vega, Fassbinder dresse une fresque au trait forcé, où, entre deux stéréotypes, il fait surgir des visions cinglantes – sa façon à lui de débusquer l’horreur tapie dans le maquis du quotidien. C’est à une lecture en forme de fresque que Gwenaël Morin se soumet avec ses interprètes pour restituer cette pièce qui joue avec l’intertextualité, qui est à la fois du théâtre de Fassbinder sans en être entièrement, et qui d’une certaine manière, représente la dualité de cet artiste : « d’un côté une volonté farouche d’apparaître, de l’autre la tentation tenace de disparaître » . Une dualité que Fassbinder lui-même évoque en empruntant la formule de Goethe : « divinement euphorique et abattu à en mourir ». « Divinement euphorique et abattu à en mourir », comme on peut l’être en effet à travailler ce répertoire et à être « travaillé » par lui. « Divinement euphorique et abattu à en mourir. » Mais surtout, on l’espère, « divinement euphorique »… Elsa Rooke pour Gwenaël Morin, 2013. 1 « Il était nécessaire d’avoir vécue la vie que j’ai vécue pour faire ce film tel qu’il est » (1982) in Fassbinder par lui-même, Entretiens (19691982), édition établie par Robert Fischer, G3J éditeur, Paris 2010. 2 « La Troisième Génération » (1978) in R.W. Fassbinder, Les films libèrent la tête, L’Arche, Paris, 1984. 3 « De vampires et de cannibales » (1975) in Fassbinder par lui-même, Entretiens (1969-1982), édition établie par Robert Fischer, G3J éditeur, Paris 2010. Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 7 enTreTien gwenaël morin L'antiteater est né sous l'impulsion de Fassbinder, dans le contexte de la RFA des années soixante – comme une riposte formelle et politique au conformisme ambiant. Comment peut-on entendre, et réactiver cette idée d'antiteatre aujourd'hui ? Gwenaël Morin : Le principe du scandale est un principe qui a toujours été attaché au spectaculaire. Un triomphe est une forme de scandale. Un scandale pour moi, c'est de la parole qui se libère. Au niveau du scandale, la parole est chaotique, pas encore réfléchie ni articulée, mais elle est le signe d’un nouvel espace, encore non investi, dont elle s’empare dans l’excès. Avant de recouvrir un discours critique, Antiteater de Fassbinder est d’abord un geste de provocation, une tentative de scandale… Dans un entretien, Fassbinder parle de construire « des images où le spectateur puisse investir sa propre imagination ». L'adresse aux spectateurs, les stratégies employées pour toucher un large public font partie intégrante de sa « poétique ». Comment se matérialise pour vous cette question du public, et la manière de lui laisser une place pour effectuer le travail de décryptage ? Gwenaël Morin : Le théâtre est une expérience de l’imagination. L’imagination est un acte de transformation du monde. La question n’est pas de toucher un large public en répondant à des attentes non formulées ou des désirs inavoués, mais de prendre le risque de faire coexister un ensemble de signes à partir desquels il devient possible d’imaginer un monde qui n’existe pas. To be and not to be that is theater. Je ne me pose pas la question du public, je n’ai pas cette prétention. Je travaille à partir de ma propre expérience de la réalité, et je fonde l’utopie de pouvoir être rejoint dans cette expérience. C’est le seul risque : la solitude le désert et la mort. Mais sans ce risque, la rencontre de l’autre n’a, pour moi, pas de valeur. L'état de « spectacularisation du monde », de sa mise en scène permanente est, en un sens, beaucoup plus avancé qu'à l'époque de Fassbinder – où on a le sentiment que le théâtre avait encore une certaine force critique. Quelles stratégies mettre en oeuvre pour faire encore résonner la charge de contradiction de ces textes ? Gwenaël Morin : Un certain orgueil « historique » nous force à croire que le monde ne cesse de se complexifier, que nous vivons à présent une réalité plus dure qu’avant. Se cache là derrière la pensée du « y a plus de saisons », ou encore « ah avant oui c’était bien », etc. Même si la tentation est forte, je ne veux pas croire en cette fiction populiste. Sophocle, Molière, Fassbinder, vous et moi-même sommes au présent. Ce qui m’intéresse n’est pas ce qui change mais ce qui reste invariant. Pour moi la beauté est permanente, c’est ce que je cherche dans les textes que j’étudie, quelque soit leur époque, origine etc… Je n’ai pas d’autre stratégie que celle d’aimer le plus de choses que je peux. Deux éléments déterminants dans votre manière de travailler : d'une part, l'urgence du travail, d'autre part, le caractère public du processus de travail. A quoi correspondent ces deux éléments pour vous, et comment communiquent-ils ? Gwenaël Morin : C’est précisément la présence du public qui crée l’urgence. La nécessité « magique » de devoir produire de la lisibilité, au jour le jour, parce que quelqu’un va venir... Et tant pis pour Godot. Le théâtre n’est pas un média, le théâtre est le nom de cette expérience singulière de l’autre qui s’articule entre un acteur et un spectateur. J’ai constaté qu’en répétant le plus souvent possible cette expérience, je franchissais un certain seuil de la peur de l’autre, et que l’expérience du théâtre devenait pour moi toujours plus nécessaire et toujours plus vive. Ces deux logiques correspondent non pas à un principe de maturation ou d'infusion du texte, pas plus qu'à un travail psychologique sur les personnages, mais plutôt à une logique intensive : laisser la langue traverser les corps. De quelle manière travaillez-vous sur le texte, et comment travaillez-vous avec les acteurs de la compagnie ? Gwenaël Morin : Mettons nous d’accord : l’urgence et l’exposition intensive au public sont une seule et même logique. J’essaie, dès nos premières lectures, d’activer le texte dans l’espace par le corps des acteurs : une forme de précipité aveugle de nos premières intuitions, sans recherche de justesse, sans à priori. En général ce processus révèle notre incompréhension du texte, la distance qui nous en sépare, comme si nous lui crachions au visage : il se referme et s’enfuit. Nous travaillons ensuite sur les traces de sa fuite… d’une manière moins métaphorique nous travaillons sur les espaces de violence et d’incompréhension dans notre relation au texte, nous travaillons sur les espaces de non-sens, pour précisément tenter d’en produire. Ce qui m’intéresse est ce que je ne comprends pas. Un autre principe consiste à retirer ce qui constitue habituellement la « signature » formelle d'une mise en scène – décors, costumes, agencement scénique. Est-ce également une manière de mettre en exergue la présence des corps ? D'essayer de toucher une pure présence de l'acteur, dépourvue artifices ? Gwenaël Morin : Hamlet, ahmlet, amhlet, amlhet, amleht, amleth… je vois le h comme un fantôme, et je ne l’entends pas. Il y a naturellement une non-coïncidence de l’œil et de l’oreille ; une certaine « magie » (encore une fois) du théâtre est dans cette perception différente du même. Je n’ai pas de posture doctrinale sur les costumes décors etc… tous ces compléments d’image. Aujourd’hui je m’en passe, la nécessité de m’en servir viendra peutêtre. Vous avez eu l'occasion de tester ce processus public aux Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 8 laboratoires d'Aubervilliers. Qu'est-ce qui s'en dégage, en terme d'écho collectif, de retours du public, d'énergie générée, et d'influence sur le travail lui-même ? Gwenaël Morin : Il faudrait, comme le fait Jérome Bel en Avignon (si j’ai bien tout compris), poser cette question aux spectateurs eux-mêmes. Pour ma part je souscris à la loi de Grégoire Monsaingeon, « nous jouons a partir de un ». Une fois la porte du théâtre ouverte, il y a toujours eu au moins un spectateur pour la franchir, l’expérience pouvait avoir lieu. Vous écrivez avoir « l’intuition que l’œuvre de Fassbinder pourrait former une anthologie, une archéologie de la violence ». Quelles sont les zones de violence mises à jour dans ces textes qui vous paraissent résonner le plus fortement aujourd'hui ? Gwenaël Morin : D’une manière générale, le spectacle de la violence est un spectacle du non sens. La violence matérialise un point ou rien n’est plus pensable. La violence nous inflige la nécessité de reconstruire du sens. Ce qui peut parfois produire une insoutenable torture. Le théâtre se tient à ce point d’équilibre entre la violence et la parole que j’appelle l’humanité. Chez Fassbinder, la question du viol est une question sinon centrale, en tous les cas récurrente. Comment l’acte sexuel est-il destructeur dans le cas d’un viol, et constructeur dans le cas d’une relation consentie ? C’est sur ces points d’ambivalence, de non-sens, que se décide notre action sur le monde. Comment avez-vous choisi ces quatre pièces, dans l'oeuvre, très vaste, de Fassbinder ? Avez-vous le sentiment qu'elles forment une sorte de « synthèse » des problématiques qu'il a abordé tout au long de sa vie ? Gwenaël Morin : Mon intention est de monter à moyen terme toutes les pièces de Fassbinder. Aujourd’hui, je me suis arrêté sur ces quatre-là parce qu'il y avait entre ces quatre titres une certaine symétrie : ils désignent tous des lieux. Dans le roman d'Alban Lefranc sur Fassbinder, La mort en fanfare on peut lire : « Quand un journaliste lui demande ce qu’il cherche dans ses films, il répond doucement : crises, déclencher des crises, voir ce qui sort de la crise, la crise est son élément ». Dans chacune des pièces, c'est un élément de crise bien précis qui est cerné – crise révolutionnaire, crise de l'état, crise amoureuse. Est-ce que chaque pièce met en jeu un travail spécifique – sur la diction, la manière de donner à entendre la crise ? Gwenaël Morin : Je n’ai pas été encore assez loin dans le travail pour pouvoir vous répondre. Je tacherai, lors des représentations à venir, d’accorder ma concentration sur vos hypothèses. Vous revendiquez également une forme de fascination pour l'énergie créatrice de Fassbinder. Au-delà de son théâtre, en quoi cette figure est-elle « enseignante » ? Gwenaël Morin : Il n’y a pas plusieurs vies, de temps off et de temps on ou in. J’admire chez Fassbinder, comme chez Picasso, Beuys ou encore Hirschhorn – dont j’ai été témoin de l’activité – le point d’intensité de leur action sur le monde. Chaque souffle, chaque instant, chaque geste de leur vie est investi de la plus exigeante des concentrations possibles. Fassbinder a eu le courage et l’énergie de cet engagement total. Je crois que « artiste » est une des formes de responsabilité les plus intenses et les plus hautes qu’un homme puisse exercer sur sa propre vie. En admirant Fassbinder j’essaie de faire pareil. Propos recueillis par Gilles Amalvi Biographie gwenaël morin Gwenaël Morin est né en 1969. Il vit et travaille à Lyon. Il a suivi des études d’architecture interrompues après quatre années pour faire du théâtre. Entre autres expériences dans ce domaine, il a réalisé plusieurs mises en scènes qui sont, chronologiquement depuis 1998 : Merci pitié pardon chance, montage de textes de Samuel Beckett ; Débite ! (allez vas-y), une adaptation de Fin août d'Arthur Adamov; Pareil pas pareil, montage croisé de dialogues d’amour tirés de films de Jean-Luc Godard et remarques sur la peinture de Gerhard Richter ; Stéréo, diptyque avec Acte sans paroles et Paroles et musique de Samuel Beckett ; Théâtre normal, série de sketchs divers ; Mademoiselle Julie d'August Strindberg ; Comédie sans titre de Frederico Garcia Lorca; Viaje a la luna de Frederico Garcia Lorca ; Aneantis movie / Blasted film, d’après Sarah Kane ; Guillaume Tell d'après l'œuvre de Friedrich von Schiller ; Les Justes d'après Albert Camus ; Philoctète d’après Philoctète de Sophocle ; Lorenzaccio d’après Lorenzaccio d’Alfred de Musset. Dans le cadre du Théâtre Permanent en 2009 aux Laboratoires d'Aubervilliers, Gwenaël Morin et sa compagnie ont monté : Tartuffe d’après Tartuffe de Molière, Bérénice d’après Bérénice de Racine, Hamlet d’après Hamlet de Shakespeare, Antigone d’après Antigone de Sophocle, Woyzeck d’après Woyzeck de Büchner. Depuis il a mis en scène : Théâtre à partir de Closer de Joy division (créé en juin 2011 au Théâtre de la Cité/Paris dans le cadre de Week-end de la Cité); Introspection de Peter Handke (créé en septembre 2011 au Théâtre de la Bastille/Paris); Antiteatre / 40 jours : Traversée de 4 pièces majeures du répertoire de Rainer Werner Fassbinder en 40 jours : Anarchie en Bavière, Liberté à Brême, Gouttes dans l’Océan et Village en flammes, (création de septembre à décembre 2012 au Théâtre du Point du Jour/Lyon). Il dirige depuis le 1er janvier 2013 le Théâtre du Point du Jour à Lyon. Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 9 Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 10 ChrisToph marThaler Letzte Tage. Ein Vorabend (Derniers Jours. Une veillée) Mise en scène et direction musical Christoph Marthaler Direction musicale, Uli Fussenegger Scénographie, Duri Bischoff Costumes, Sarah Schittek Lumière, Phoenix (Andreas Hofer) Assistant à la mise en scène, Gerhard Alt Dramaturgie, Stefanie Carp Avec Tora Augestad, Carina Braunschmidt, Bendix Dethleffsen, Silvia Fenz, Ueli Jäggi, Katja Kolm, Josef Ostendorf, Clemens Sienknecht, Bettina Stucky, Michael von der Heide Musiciens, Uli Fussenegger (contrebasse), Hsin-Huei Huang (piano, orgue à anches), Michele Marelli (clarinette, cor de basset), Julia Purgina (alto), Sophie Schafleitner (violon), Martin Veszelovicz (accordéon) Musique, Pavel Haas, Ernest Bloch, Rudolf Karel, Józef Koffler, Pjotr Leschenko, Emil František Burian, Charles Loubé/Erich Meder, Erwin Schulhoff, Alexandre Tansman, Viktor Ullmann, Bernhard Lang, Erich Wolfgang Korngold, Uli Fussenegger et d’autres Il y a cent ans, l’Europe se trouvait à la veille de la Première Guerre mondiale. Quel est son état, un siècle plus tard ? Muni de son marteau de metteur en scène musicien, Christoph Marthaler ausculte à petits coups précis notre vieille Europe. Il y a vingt ans, il dressait un tableau sans concession de la réunification allemande dans un spectacle qui fut joué plus de 150 fois : Murx den Europäer! Murx ihn! Murx ihn! Murx ihn! Murx ihn ab ! (Bousille l’Européen ! Bousille-le ! Bousille-le ! Bousille-le bien !) ; puis avec Riesenbutzbach. Eine Dauerkolonie (Riesenbutzbach. Une colonie permanente), il mettait en scène la spirale sécuritaire de nos sociétés. Letzte Tage. Ein Vorabend (Derniers Jours. Une veillée) est un projet théâtral et musical qui a réuni, lors de sa création à Vienne, des chanteurs, comédiens et musiciens dans la salle historique de l’ancien Parlement autrichien. De 1914 à aujourd’hui, il n’y a qu’un pas à faire, tant les problèmes sont restés les mêmes. Racisme et nationalisme n’ont pas disparu, mais ont trouvé d’autres points d’ancrage. Au siècle dernier, les conséquences de ce climat idéologique et politique sont celles que l’on connaît : deux guerres mondiales et l’holocauste. Portrait de l’égoïsme populiste et belliqueux de l’Europe des XXe et XXIe siècle, Letzte Tage laisse résonner une musique, celle de compositeurs juifs exilés ou persécutés en camp de concentration. Dans ce spectacle, Christoph Marthaler pose la question du caractère cyclique de l’histoire et place les spectateurs devant un constat dérangeant : histoire et science-fiction côtoient notre réalité de bien plus près que ce que l’on voudrait penser. FESTIVAL D’AUTOMNE à PARIS THéâTRE DE LA VILLE Mercredi 25 septembre au mercredi 2 octobre, 20h30 relâche dimanche 25€ et 35€ Abonnement 25€ spectacle en allemand surtitré en français Production Wiener Festwochen Coproduction Staatsoper Unter den Linden (Berlin) Théâtre de la Ville-Paris ; Festival d’Automne à Paris Coréalisation Théâtre de la Ville-Paris ; Festival d’Automne à Paris Avec le soutien de Ernst von Siemens Musikstiftung Spectacle créé le 17 mai 2013 au Wiener Festwochen Contacts presse : Festival d’Automne à Paris Christine Delterme, Carole Willemot 01 53 45 17 13 Théâtre de la Ville Jacqueline Magnier 01 48 87 84 61 Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 11 enTreTien ChrisToph marThaler eT sTéphanie Carp Letzte Tage. Ein Vorabend est une œuvre de commande. Pourquoi avez-vous choisi de regarder notre époque par le prisme des événements qui ont précédé la Première Guerre mondiale ? Christoph Marthaler : C'est une commande que nous nous sommes passée à nous-mêmes ! Stefanie nous a emmené dans la salle historique du Parlement de l'Autriche-Hongrie et a pensé que nous pourrions y faire un projet, car elle sait que j'aime travailler dans des lieux qui ont une histoire. Stefanie Carp : Puis, Uli Fussenegger, le musicien qui nous a accompagné sur ce projet, a proposé à Christoph de faire entendre, dans l'acoustique merveilleuse de ce Parlement, des œuvres de compositeurs juifs qui furent déportés, exterminés – certains purent émigrer. Ils n'étaient pas tolérés pendant la période nazie. Nous nous sommes demandé comment nous pouvions relier ces différentes problématiques : le Parlement, chargé d'une histoire, et la musique, qui thématise cette grande catastrophe européenne qu'est la Shoah. Nous avons eu l'idée de mettre en scène, dans la grande salle du Parlement, un diagnostic de l'idéologie qui règne actuellement en Europe, une façon de penser, dont les prémices se situent avant la Première Guerre mondiale. Il nous semblait important de penser ensemble la Première et la Deuxième Guerre mondiale, qui menèrent à l'Holocauste. En 2014, l'Europe toute entière va commémorer le début de la Première Guerre mondiale. Pensez-vous que le théâtre puisse être un lieu de mémoire et de commémoration ? Christoph Marthaler : Le théâtre peut être également un lieu de la commémoration. Dans certaines de mes précédentes productions, cette dimension est très importante. Schutz vor der Zukunft (Se protéger de l'avenir) fait œuvre de mémoire. C'est également lié au fait que dans mon théâtre, je pose la question du souvenir et travaille essentiellement en musique. La musique est pour moi un médium qui permet de faire surgir des souvenirs et de soulever des émotions. Je pense que ces musiques que nous allons utiliser sont porteuses de leurs propres souvenirs, qui ne sont pas les nôtres. Dans Murx den Europäer, la musique intervenait lorsque la parole ne suffisait pas, et elle racontait beaucoup de choses que le texte ne pouvait exprimer. Stefanie Carp : Je pense que ton travail est traversé par cette question du souvenir subjectif qui devient collectif. Cette salle historique de l'ancien Parlement n'est plus utilisée aujourd'hui, car elle est bien trop grande pour les dimensions de l'Autriche actuelle. Mais depuis les années 50 environ, a lieu tous les ans une journée de mémoire aux victimes du racisme (le 5 mai), le jour anniversaire de la libération du camp de concentration de Mauthausen-Gusen. La direction du Parlement m'a demandé si le Wiener Festwochen ne voulait pas produire un projet musical et théâtral, à l'occasion de cette commémoration. Voilà l'origine de ce projet. Nombre de vos projets interrogent l'histoire européenne, comme Murx den Europäer (1993). Comment votre analyse a-t-elle évolué depuis cette époque ? Christoph Marthaler : Je ne crois pas que ma recherche ait changé depuis 1993. Bien sûr, les thèmes que j'aborde sont différents car ils ont évolué. à l'époque de Murx den Europäer, nous nous trouvions juste après la réunification allemande. Sous le communisme, les gens de la RDA avaient tous un emploi, aussi petit et absurde soit-il, mais avec la chute de l'URSS, ils ont presque tout perdu. Tout allait plus vite et eux avaient disparu. Mon projet parlait de ces gens qui ont été exclus de l'histoire. Letzte Tage. Ein Vorabend est consacré aux personnes que l'on a gommées de l'histoire. Il y a certes une évolution dans la thématique, mais la problématique est restée la même. Quelles sont ces personnes que l'histoire a oubliées dans Letzte Tage. Ein Vorabend ? Christoph Marthaler : Dans ce projet, je parle de ces compositeurs qui furent assassinés de façon extrêmement brutale. Ils n'avaient plus le droit d'exister. Mais on ignore souvent qu'on leur a permis de jouer leur musique dans un camp de concentration qui servait de vitrine et où l'on voulait montrer que les Juifs pouvaient tout à fait faire de la musique. Tout cela était une horrible mascarade. La plupart d'entre eux furent ensuite déportés à Auschwitz. Aujourd'hui, je crois qu'un nouvel antisémitisme se développe, notamment en France. Le racisme envers les Roms en est une des expressions les plus frappantes : certaines personnes sont exclues de la société et elles doivent partir. Ainsi, ce projet interroge l'avenir que ce type de prise de position politique construit. Si tout cela continue, des pogroms auront peut-être à nouveau lieu. Stefanie Carp : Les Roms vivent déjà dans des ghettos. Dans de nombreux pays d'Europe, un discours d'extrême-droite redevient de bon ton en société et s'introduit de façon insidieuse. C'est très dangereux. L'anti-islamisme prend de plus en plus de poids dans certains pays. Le fait de mettre en scène ce projet dans l'ancien Parlement n'est pas anodin, car il replace le discours dans un lieu politique. La musique est celle des victimes, la parole appartient aux bourreaux. Comment avez-vous construit la dramaturgie de ce projet ? Stefanie Carp : C'est un collage de documents réels et de textes fictifs. Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 12 Christoph Marthaler : Nous avons également utilisé les documents qui furent produit dans cette salle. Stefanie Carp : Tout à fait. Vienne a eu un maire, Karl Lueger, qui a tenu des discours extrêmement antisémites dans cette salle, avant la Première Guerre mondiale. Nous allons les utiliser, bien sûr. Comment reliez-vous l'époque précédant la Première Guerre mondiale et la nôtre ? Stefanie Carp : Ce n'est pas une confrontation directe. Mais l'hypothèse que nous formulons est que les événements qui ont précédé 1914 ont mené l'Europe à la catastrophe et qu'aujourd'hui, de nombreux signes semblent nous alerter de l'imminence de dangers, différents, mais tout aussi graves. Christoph Marthaler : C'est inquiétant de voir que cette époque n'est pas si lointaine, lorsque l'on entend les discours d'extrême-droite de certains politiques. C'est abominable ce qui se passe aujourd'hui. Stefanie Carp : Le NSDAP (parti national socialiste) a commencé à émerger en Autriche bien avant 1914. Le nom du parti était différent, mais l'idéologie était la même. Lorsque l'on regarde la biographie des compositeurs qui furent persécutés, on s'aperçoit qu'ils n'avaient absolument pas anticipé les événements. Ces gens d'extrême-droite leur semblaient si ridicules, qu'ils n'ont pas cru qu'ils prendraient le pouvoir. Christoph Marthaler : Le comportement de certains politiques, comme Berlusconi ou d'autres coupables de fraude fiscale par exemple, ne sont qu'une vaste farce, dans son sens le plus abject. On n'arrive plus à croire au spectacle de l'actualité : Ubu-Roi n'est rien à côté de certains hommes politiques. Dans ce projet, l'histoire semble être cyclique. Karl Marx disait que « l'histoire se répète », la première fois comme une tragédie, la seconde comme une farce. Comment mettez-vous en scène cette répétition dans Letzte Tage. Ein Vorabend ? Christoph Marthaler : L'histoire se répète et revient à la manière de spectres. Pour le caractère farcesque de ce spectacle, je ne sais pas encore. Je fais un théâtre dans lequel la farce est toujours présente, même de manière latente. On rit beaucoup lorsque l'on regarde vos spectacles. Comment peut-on rire encore lorsque l'on considère le sujet de Letzte Tage ? Christoph Marthaler : C'est vraiment dur et éprouvant de travailler sur ces questions. Parfois, nous rions de choses horribles, car nous ne pouvons plus supporter la gravité de ce travail. Mais ces blagues ne peuvent sortir du contexte des répétitions. Nous essayons tout de même de développer un certain humour dans ce spec- tacle, car je suis persuadé que nous ne pouvons nous en passer. Lorsque l'on s'intéresse aux blagues que les gens se racontaient à Theresienstadt, à l'humour que les gens développaient afin de pouvoir survivre, on s'aperçoit que le rire devient un thème très important. La question est toujours de savoir où et comment l'on rit. Je ne peux pas vivre sans humour. Letzte Tage. Ein Vorabend n'a pas pour point de départ un texte. Comment avez-vous construit la dramaturgie ? Christoph Marthaler : Stefanie est à la fois l'auteure, la dramaturge et la monteuse de ce projet. Beaucoup de choses sont également nées de l'improvisation. On doit également entendre certains textes, afin de savoir s'ils sont utilisables. C'est un work in progress et un travail collectif. Sur ce projet, nous disposons de tout un tas de documents d'archive. Nous devons effectuer une sélection et nous expérimentons à partir de ces textes. Stefanie Carp : Je remarque que lorsque l'on entend des voix différentes, on invente des textes différents. La voix révèle la façon dont les gens se présentent. Au début du projet, nous nous posons toujours trois grandes questions, très simples, mais auxquelles il est difficile de répondre : qui sont les personnes sur scène ? Quelle est leur situation ? Que voulons-nous raconter à partir d'eux et de cette situation ? J'aime regarder Christoph improviser avec les comédiens et les musiciens. Je sais ensuite presque de manière intuitive comment les différents éléments du spectacle s'organisent. Vous avez dit un jour que l'Europe serait culturelle ou ne serait pas. La culture : que signifie ce grand et gros mot pour vous ? Christoph Marthaler : Le concept de culture est très vaste. Pour moi, il ne désigne pas seulement la musique ou le théâtre, mais ce qui peut et doit relier les hommes et les peuples. Je pense que la culture est actuellement meilleure que la politique pour rassembler. Sous le mot de « culture », j'entends aussi le fait d'être cultivé. Les manières d'agir des politiques sont de moins en moins cultivées. Je pense donc que nous devons cultiver toute forme de culture. Stefanie Carp : Lorsque l'on regarde quel est le secteur dans lequel l'Europe reste à la pointe aujourd'hui, on ne peut penser qu'à la culture. Dans les secteurs de l'économie et de la politique, le poids de l'Europe est sans cesse plus faible. En Chine par exemple, l'architecture européenne est copiée afin d'en faire une sorte de Disneyland. Quelles stratégies de survie peut-on développer dans une Europe qui coupe dans les budgets de la culture ? Christoph Marthaler : La liberté de la culture est de plus en plus restreinte : on explique aux artistes quelle forme Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 13 de théâtre ils doivent faire, on leur dit qu'ils doivent divertir absolument, faute de quoi la subvention risque d'être supprimée. La politique pratique ainsi une forme de censure : on est forcé de faire une certaine sorte de théâtre. Stefanie Carp : La censure n'est pas officielle, mais indirecte. Lorsque notre démarche est critique, elle est toujours considérée comme élitiste. Christoph Marthaler : En Europe, il faut trouver le moyen de former un réseau d'artistes afin de résister, de s'informer les uns les autres et de se soutenir. Lorsque l'on ferme un théâtre, il faut également penser que c'est tout un quartier de la ville qui en pâtit. Propos recueillis et traduits par Marion Siefert 1 Stéphanie Carp est la dramaturge de ce spectacle Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 14 Biographie ChrisToph marThaler Né en 1951 à Erlenbach, Christoph Marthaler, musicien de formation, intègre un orchestre comme hautboïste. Il suit également l’enseignement de Jacques Lecoq à Paris. Ses premiers contacts avec le monde du théâtre se font par la musique : dix ans durant, Marthaler compose des musiques pour des metteurs en scène, à Hambourg, Munich, Zurich et Bonn. En 1980, il réalise avec des comédiens et des musiciens son premier projet, Indeed, à Zurich. En 1989, il crée une Soirée de chansons à soldats, œuvre indéfinissable, entre performance, musique et théâtre. Des soldats suisses assis, quasiment immobiles, entonnent en boucle, au bout d’un quart d'heure Die nacht ist ohne ende (La nuit est sans fin). La même année, il rencontre la scénographe et costumière Anna Viebrock qui signera à partir de là pratiquement tous les décors et costumes de ses spectacles. Suivent les mises en scène de L'Affaire de la Rue de Lourcine de Labiche (1991), Faust, une tragédie subjective, d'après le Fragment-Faust de Fernando Pessoa (1992) et Prohelvetia (1992). En 1992, Marthaler monte une soirée patriotique, Murx den Eurapäer ! Murx ihn ! Murx ihn ! Murx ihn ! Murx ihn ab ! (Bousille l'Européen...!) à la Volksbühne de Berlin et Le Faust racine carré 1+2, une adaptation du texte de Goethe, à Hambourg. De 1994 à 2000, il crée entre autres au théâtre et à l'opéra : La Tempête devant Shakespeare - le petit Rien (1994), Pelléas et Mélisande de Debussy et L'Heure zéro ou l'art de servir (1995), Luisa Miller de Verdi, Pierrot Lunaire de Schönberg et Casimir et Caroline de Horváth (1996), Fidelio de Beethoven et Les Trois Soeurs de Tchekhov (1997), La Vie Parisienne d'Offenbach et Katia Kabanova de Jánacek (1998), Les Spécialistes et Hôtel Belle Vue de Horváth (1999), 20th Century Blues et L'Adieu de Rainald Goetz (2000). Grande Duchesse de Géroldstein, la création Wüstenbuch de Beat Furrer, Le Laboratoire de langue Meine Faire Dame et le projet de théâtre musical Lo Stimolatore Cardiaco sur la musique de Verdi. Ses mises en scène, dont ±0 créé à Nuuk, capitale du Groenland, sont présentées dans les festivals du monde entier. En 2012, il monte Foi, Amour, Espérance d'Ödön von Horváth et Lukas Kristi à l’Odéon-Théâtre de l’Europe / Ateliers Berthier et en 2013 au festival d’Avignon il présentera pour la première fois en France King Size. La musique que Marthaler affectionne tout particulièrement : le classique, la pop et la musique populaire suisse. Christoph Marthaler au Festival d’Automne à Paris : 1995 Murx den Europäer ! Murx ihn ! Murx ihn ! Murx ihn ! Murx ihn ab ! Ein patriotischer Abend (Maison des Arts Créteil) 2003 Die schöne Müllerin (Théâtre Nanterre-Amandiers) 2007 Geschichten aus dem Wiener Wald / Légende de la Forêt Viennoise (Théâtre national de Chaillot) 2008 Platz Mangel (MC93 Bobigny) 2011 ±0 (Théâtre de la Ville) 2012 Foi, Amour, Espérance (Odéon-Théâtre de l’Europe / Ateliers Berthier) En 2000, Marthaler prend la direction du Schauspielhaus de Zurich avec la dramaturge Stefanie Carp et y met en scène notamment La Nuit des rois de Shakespeare, La Belle Meunière de Schubert, Aux Alpes de Jelinek, La Mort de Danton de Büchner et les projets Hôtel Peur et Groudings, une variante d'espoir. II quitte la direction du Schauspielhaus de Zurich en 2004 et travaille depuis à nouveau comme metteur en scène indépendant. En 2006, il crée Winch Only au KunstenFestivaldesArts de Bruxelles. En 2007, Christoph Marthaler réactualise Les Légendes de la forêt viennoise de Ödön von Horváth en collaboration avec la décoratrice Anne Viebrock. En 2007, il crée à Zurich Platz Mangel. Puis, en 2009 au Wiener Festwochen, toujours avec Anna Viebrock, Reisenbutzbach. Eine Dauerkolonie qui a été présenté au Festival d’Avignon en juillet 2009. En 2010, il est artiste associé de la 64ème édition du Festival d’Avignon; il choisit -avec Anna Viebrock- la Cour d’Honneur du Palais des Papes pour y créer, en juillet 2010, le spectacle Papperlapapp. Pour le Festival de Salzbourg, il a mis en scène à l’été 2011 l’opéra L’Affaire Makropoulos de Janácek. Au Theater Basel, Marthaler a notamment produit La Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 15 Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 16 KrysTian lupa Perturbation d’après le roman de Thomas Bernhard Mise en scène, scénographie, lumière : Krystian Lupa Traduction texte original : Bernard Kreiss © Editions Gallimard Adaptation : Krystian Lupa et l’équipe artistique Collaborateurs à la traduction : Grazyna Maszkowska, Mariola Odzimkowska, René Zahnd Collaborateur artistique - Lukasz Twarkowski Costumes - Piotr Skiba Interprète - Mariola Odzimkowska Son - Frédéric Morier Vidéo - Karol Rakowski Assistant vidéo - Giuseppe Greco Figurants vidéo - Bruno Dani Eric Ecoffey - Xavier Vasseur Construction décor - Ateliers du Théâtre Vidy-Lausanne Avec - John Arnold, Thierry Bosc, Valérie Dréville, Jean-Charles Dumay, Pierre-François Garel Lola Riccaboni, Mélodie Richard Matthieu Sampeur, Anne Sée, Grégoire Tachnakian Durée estimée : première partie : 1h40 entracte 20 minutes deuxième partie : 1h40 entracte 10 minutes troisième partie : 1h00 Age conseillé : dès 16 ans Genre : drame métaphysique Publié en 1967, Perturbation est le deuxième roman de Thomas Bernhard. Cette œuvre de jeunesse, à la structure profondément musicale, est une partition hybride, tendue entre narration – le récit d’une journée de consultations médicales dans l’Autriche profonde, description implacable et minutieuse d’individus déliquescents, prisonniers d’un environnement hostile –, et éructation – le long monologue du prince Saurau, ultime patient, homme d’esprit et de culture empli d’une haine inexorable envers l’état et son pays natal –, personnage caractéristique de l’œuvre bernhardienne. Des Somnambules de Broch à Salle d’attente de Nören, de Zarathoustra d’après Nietzsche à La Cité du rêve d’après Kubin, le théâtre de Krystian Lupa n’a cessé de nous confronter aux perturbations qui animent corps et âmes humaines, que celles-ci soient liées à une modification de l’état de conscience, aux subversions de la langue, à l’organisation sociétale, au rapport à l’autre… L’interstice ténu entre réalité et fantasme – souvent frontière entre capitulation et révolte – est mis en crise dans nombre des créations de Krystian Lupa ; aussi n’est-il guère surprenant que la mélancolie virulente et jubilatoire des œuvres de Thomas Bernhard soit le ciment d’un compagnonnage aussi fertile que durable entre auteur et metteur en scène : les créations de Kalkwerk, Immanuel Kant, Déjeuner chez les Wittgenstein, Extinction et Par-delà les sommets – pour certaines d’entre elles toujours au répertoire du Stary Teatr de Cracovie – sont considérées comme des œuvres majeures du théâtre polonais contemporain. Perturbation prolonge et réinvente cette aventure : en portant à la scène ce roman de langue allemande avec des comédiens français, Krystian Lupa nous invite à une expérience affranchie des frontières, radicalement européenne. FESTIVAL D’AUTOMNE à PARIS LA COLLINE – THéâTRE NATIONAL vendredi 27 septembre au vendredi 25 octobre 20h, mardi 19h30 dimanche 15h30, relâche lundi 14€ à 29€ Abonnement 9€ à 14€ Durée : 3h30 spectacle en français Production Théâtre Vidy-Lausanne Coproduction et coréalisation La Colline – théâtre national ; Festival d’Automne à Paris Avec le soutien de l’Adami L’Arche Editeur est l’agent théâtral du texte dans sa version originale Avec le soutien de Adam Mickiewicz Institute Spectacle créé le 10 septembre 2013 au Théâtre Vidy-Lausanne Contacts presse : Festival d’Automne à Paris Christine Delterme, Carole Willemot 01 53 45 17 13 La Colline - théâtre national Nathalie Godard 01 44 62 52 25 Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 17 enTreTien KrysTian lupa Vous entretenez avec Thomas Bernhard une « complicité artistique » depuis de longues années : comment ce dialogue s’est-il construit et transformé au fil du temps ? Krystian lupa : Au début de cette aventure, le texte de Bernhard, par la rigueur de sa forme, demandait un grand effort autant à moi qu’aux acteurs, indirectement. Avec le temps, j’ai vraiment l’impression que cet effort s’est relâché, et que c’est devenu progressivement une façon de penser personnelle, quasiment propre à moimême… Je me sens très proche de cette citation d’Ingeborg Bachman : « Bernhard, ce n’est pas seulement un énième style littéraire, c’est aussi un nouveau style de pensée bouleversant ». Perturbation est une œuvre de jeunesse, une confrontation entre narration – le récit – et éructation – le monologue du prince –, comme si Bernhard avait en quelque sorte souhaité « commenter » son propre devenir d’écrivain. Comment percevez-vous sur ce travail de la langue, de la syntaxe ? Krystian lupa : Je suis d’accord. C’est un texte d’initiation, un monologue souterrain, imprévisible, loufoque, qui véhicule un cosmos inexprimable par d’autres moyens littéraires. Le monologue, c’est l’éruption qui a le pouvoir de radiographier le chaos cérébral et de créer un cosmos subjectif, un monde vu en quelque sorte directement de l’intérieur. Car la description nous tourne du côté du monde extérieur, inconcevable et non digéré par l’expérience individuelle. Mon désir intuitif va encore plus loin : le phénomène de l’incarnation théâtrale de l’imagination peut adopter ce pouvoir créatif du monologue de Bernhard, en le transformant en sa propre « réalité intérieure ». Pour cette création, vous avez choisi de diriger des comédiens français : l’expérience de Salle d’attente a-t-elle été déterminante ? Krystian lupa : C’était un premier pas, c’est certain. J’ai rencontré au cours de ce projet de jeunes gens ouverts, ou qui s’ouvraient à une aventure théâtrale très radicale. Cette aventure, la manière dont elle s’est construite comme ce qui en a résulté, m’a donné un immense désir de lui donner suite. René Gonzales, le regretté directeur du théâtre Vidy-Lausanne, partageait ce désir. Dans la troupe de Perturbation, il y a d’ailleurs de jeunes comédiens qui ont pris part à Salle d’Attente. Pour être honnête, j’aurais aimé retrouver presque tous ceux qui ont travaillé sur cette production. Mais bien entendu, ce n’est pas possible. En cherchant des comédiens pour incarner ces individus extrêmes de Bernhard, j’étais guidé, comme la dernière fois, c’est-à-dire pour Salle d’Attente, par les critères du courage et de la faculté à utiliser l’outil de l’imagination et de l’improvisation, de l’ouverture aux risques de la recherche. Qu’est-ce-que cette confrontation à une langue étrangère apporte au processus de création, celui-ci en est-il transformé ou conservez-vous la même méthode de travail qu’avec les acteurs polonais ? Krystian lupa : Une autre langue c’est un autre chemin vers la « compréhension émotionnelle » : cela sert beaucoup à se libérer, à se débarrasser des stéréotypes, des idées reçues. Nous, partenaires de ce processus à double sens, avons accès au récit caché dans le fond, au métalangage. J’ai souvent l’impression que le comédien dit quelque chose « de plus » dans une langue étrangère, et aussi qu’il travaille « davantage ». Ce travail n’est guère illusoire. C’est quelque chose de tangible des deux côtés. Lorsqu’on travaille dans sa langue maternelle, on se sent souvent prisonnier du sens ou des informations contenues dans les textes prononcés. En France, nous avons tendance à idéaliser les conditions de production polonaises… La protestation de l’année dernière nous donne tort : comment les conditions de production ont-elles évolué en Pologne ces dernières années ? Krystian lupa : Ces évolutions sont pour moi très négatives. Le dialogue de sourds, et surtout, l’étiolement de la relation entre les artistes et la « génération au pouvoir » actuelle, qui gère la culture, mène à la fragilisation systématique du théâtre avant-gardiste polonais. Les nominations et renvois arbitraires des directeurs à la tête des théâtres ces dernières saisons ont amoindri de manière catastrophique le nombre de « territoires théâtraux » sur la carte de la Pologne. Les arguments avancés pour justifier ces décisions sont extrêmement cyniques : ce sont des manœuvres de partis ou des économies envisagées à court terme qui conduisent à l’effondrement artistique et financier des lieux touchés par cette politique. Je n’ai jamais eu autant le sentiment d’un si grand mépris de la voix artistique qu’aujourd’hui… Mais cela ne se passe pas seulement chez nous, ce qui n’est qu’une maigre consolation… Le théâtre reste-t-il ancré au sein de la société polonaise ? Comment percevez-vous le rôle de la pratique théâtrale en Pologne et en France ? Krystian lupa : J’ai le sentiment, et cela donne à la situation actuelle en Pologne une résonnance supplémentaire, que la négligence de la culture (pas seulement du théâtre) par le pouvoir et les partis coïncide avec un engagement croissant de la jeune génération pour cette culture – quoiqu’il ne s’agisse, je m’en rends bien compte, que d’une petite partie de notre jeune génération. La plupart se noient dans un désert intellectuel et, j’en suis convaincu, la stratégie de notre classe politique actuelle porte une part énorme, incommensurable, de responsabilité dans ce processus de dégradation. Mais il Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 18 y a en même temps en Pologne un public de théâtre extraordinaire et excellent. Ceux qui désirent prendre le chemin de la création théâtrale ont beaucoup de nouvelles choses à expérimenter et à dire, mais ce potentiel est dans une grande mesure gâché et méprisé. Il m’est difficile de juger la politique culturelle actuelle en France : de mes rencontres avec les artistes et le public français, sources d’inspiration et très positives, je ne saurais faire une généralité. Un metteur en scène polonais adaptant un roman autrichien avec des comédiens français… Croyez-vous en une Europe de la culture, comme celle du « Café Europe » de Tadeusz Kantor ? Une identité européenne est-elle en train de voir le jour ? Krystian lupa : Oui. C’est un espace de pénétration permanente, je crois en ce potentiel. Mais cela exige quand même des artistes qui se rencontrent d’énormes zones de vigilance car ils doivent se libérer de leurs préjugés. Ce n’est certainement pas une politique à « succès », c’est quelque chose de plus intéressant et de plus risqué… Il reste que la culture européenne existe depuis longtemps, mais chaque génération d’artistes et de théoriciens de l’art semble le découvrir à chaque fois. Propos recueillis pas Laure Abramovici Biographie KrysTian lupa Né en 1943 à Jastrzebie Zdroj en Pologne, il étudie les arts graphiques à l’académie des Beaux-Arts de Cracovie. Il commence sa carrière de metteur en scène à la fin des années soixante-dix au Teatr Norwida de Jelenia Gora, tout en dirigeant quelques productions au Stary Teatr de Cracovie, dont il devient le metteur en scène attitré en 1986. Depuis 1983, il enseigne la mise en scène au Conservatoire d’Art dramatique de Cracovie. Influencé par T. Kantor (son maître, avec le cinéaste A. Tarkovski) et grand lecteur de Jung, il développe sa conception du théâtre comme instrument d’exploration et de transgression des frontières de l’individualité (exposée dans un texte intitulé Le Théâtre de la révélation). Il monte d’abord les grands dramaturges polonais du XXe siècle : Witkiewicz, Wyspianski, Gombrowicz (Yvonne, Princesse de Bourgogne, 1978, Le Mariage, 1984) et conçoit entièrement deux spectacles : La Chambre transparente (1979) et Le Souper (1980). En 1985, il créé Cité de rêve au Stary Teatr d’après le roman d’Alfred Kubin (L’Autre Côté). Parallèlement à la mise en scène d’œuvres dramatiques, Tchekhov (Les Trois Soeurs, Festival d’Automne, 1988), Genet, Reza, Schwab (Les Présidentes, 1999), Loher (Les relations de Claire, 2003), la littérature romanesque, particulièrement autrichienne, devient son matériau de prédilection. Il adapte et met en scène Musil (Les Exaltés, 1988 ; Esquisses de l’homme sans qualités, 1990), Dostoïevski (Les frères Karamazov, 1988, Odéon-Théâtre de l’Europe, 2000), Rilke (Malte ou le triptyque de l’enfant prodigue, 1991), Bernhard (La plâtrière, 1992 ; Emmanuel Kant et Déjeuner chez Wittgenstein, 1996 ; Auslöschung-extinction, 2001), Broch (Les Somnambules, 1995, Festival d’Automne à Paris, 1998), Boulgakov (Le Maître et Marguerite, 2002), Nietzsche et E. Schleef (Zarathoustra, 2006). Créateur de théâtre complet, il s’impose à la fois comme concepteur d’adaptations, plasticien (il signe lui même les scénographies et les lumières de ses spectacles) et directeur d’acteurs (connu pour son long travail préparatoire avec les comédiens sur la construction des personnages). Ses spectacles sont également marqués par un travail singulier sur le rythme, temps ralenti dans le déroulement de l’action scénique, souvent concentrée autour de moments de crises. De nombreux prix ont distingué son travail, dernièrement le Prix Europe pour le théâtre (2009). à la suite de Factory 2, il créé Persona. Marilyn et Le Corps de Simone (deux volets d’un projet autour des figures de Marilyn Monroe et Simone Weil) ; Salle d’attente, librement inspiré de Cathégorie 3.1 de Lars Noren au Théâtre Vidy-Lausanne avec la participation de jeunes acteurs fraîchement sortis des écoles de Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 19 théâtre telles que la Haute école de théâtre de Suisse romande (HETSR) ou encore le Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris (CNSAD). En 2012, il créé à nouveau La Cité du rêve d’après le roman d’Alfred Kubin L’ Autre Côté pour le Festival d’Automne à Paris. Krystian Lupa au Festival d’Automne à Paris 1998 Les Somnambules (Odéon-Théâtre de l’Europe) Les Trois Sœurs (Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique) 2010 Factory 2 (La Colline – théâtre national) 2012 La Cité du rêve (Théâtre de la ville) Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 20 enCyClopéDie De la parole enCyClopéDie De la parole Parlement Suite n°1 « ABC » Une pièce de l’Encyclopédie de la parole Composition et mise en scene, Joris Lacoste Une pièce de l’Encyclopédie de la parole pour 11 interprètes et 11 invités Conception et mise en scene, Joris Lacoste Lauréate de l'aide à la création du CNT au titre des dramaturgies plurielles DirectioDirection musicale, Nicolas Rollet Conception générale et collecte de documents, Frédéric Danos, Joris Lacoste, Emmanuelle Lafon et Nicolas Rollet Avec Emmanuelle Lafon Dispositif sonore, Kerwin Rolland et Andrea Agostini Collaboration, Frédéric Danos et Grégory Castéra FESTIVAL D’AUTOMNE à PARIS MAISON DE LA POESIE Mercredi 2 au samedi 10 octobre 21h dimanche 16h relâche lundi, mardi et mercredi 9 octobre 10€ et 15€ Abonnement 10€ Durée : 1h Production échelle 1:1 Coproduction Fondation Cartier ; Parc de la Villette-résidences d’artistes (Paris) Spectacle créé le 31 janvier 2009 aux Laboratoires d’Aubervilliers Contacts presse : Festival d’Automne à Paris Christine Delterme, Carole Willemot 01 53 45 17 13 Maison de la Poésie Annabelle Mathieu 01 44 54 53 14 Avec Ese Brume, Hans Bryssinck, Geoffrey Carey, Frédéric Danos, Delphine Hecquet, Vladimir Kudryavtsev, Emmanuelle Lafon, Marine Sylf, Nuno Lucas, Barbara Matijevic, Olivier Normand et 11 invités Assistante à la mise en scène, Elise Simonet Consultants, Grégory Castéra et David Christoffel Lumière, Koen De Saeger et Florian Leduc Régie générale, Florian Leduc Production, diffusion, administration, Frédérique Payn et Marc Pérennès FESTIVAL D’AUTOMNE à PARIS CENTRE POMPIDOU Mercredi 16 au dimanche 20 octobre, mercredi au samedi 20h30, dimanche 17h 14€ et 18€ Abonnement 14€ NOUVEAU THéâTRE DE MONTREUIL / CDN Mardi 19 au samedi 23 novembre, / mardi et jeudi 19h30, mercredi, vendredi et samedi 20h30 11€ à 22€ Abonnement 8€ et 13€ Durée : 1h15 Spectacle en quinze langues non surtitré Production échelle 1:1 // Coproduction Kunstenfestivaldesarts (Bruxelles) ; Parc de la Villette-résidences d’artistes (Paris) ; Théâtre Universitaire (Nantes) ; TNBA (Bordeaux) ; Studio-Théâtre de Vitry (Vitry-sur-Seine) ; MAC/VAL (Vitry-sur-Seine) ; Nouveau théâtre de Montreuil-centre dramatique national ; Les Spectacles vivants – Centre Pompidou (Paris) ; Festival d’Automne à Paris // Coréalisation Les Spectacles vivants – Centre Pompidou (Paris) ; Festival d’Automne à Paris // Avec le soutien de l’Institut français et la participation artistique du Jeune Théâtre National // Suite n°1 est co-produit par NXTSTP avec le soutien du Programme Culture de l’Union Européenne. // Avec le soutien de l’Adami // Spectacle créé le 18 mai 2013 au Kunstenfestivaldesarts (Bruxelles) Contacts presse : Festival d’Automne à Paris Christine Delterme, Carole Willemot 01 53 45 17 13 Centre Pompidou Agence Myra 01 40 33 79 13 Nouveau Théâtre de Montreuil / CDN Désirée Faraon 06 18 51 30 78 Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 21 L’Encyclopédie de la parole est un projet artistique qui explore l’oralité sous toutes ses formes. Depuis 2007, ce collectif de musiciens, poètes, metteurs en scènes, plasticiens, acteurs, sociolinguistes, curateurs, collecte toutes sortes d’enregistrements de parole et les inventorie en fonction de phénomènes particuliers telles que la cadence, la choralité, l’emphase, la saturation ou la mélodie. à partir de ce répertoire comprenant aujourd’hui près de 800 documents sonores, l’Encyclopédie de la parole produit des pièces sonores, des spectacles, des performances, des conférences ou des installations. En 2013, l’Encyclopédie de la parole regroupe Frédéric Danos, Emmanuelle Lafon, Nicolas Rollet, Joris Lacoste, Grégory Castéra et David Christoffel. Parlement, créé en 2009 et aujourd’hui repris au Festival d’Automne à Paris, est un solo conçu et mis en scène par Joris Lacoste pour la comédienne Emmanuelle Lafon, dont l’enjeu vise à reproduire vocalement une partition composée à partir d’une centaine d’enregistrements de paroles. Ces documents sonores, impliquant des situations particulières et des figures de langage, sont articulés de sorte à faire entendre toute la richesse et la complexité des paroles les plus ordinaires ou les plus singulières. Suite n°1 « ABC », qui inaugure un cycle de Suites chorales, prolonge et amplifie cet enjeu par la multiplication des langues et par le redoublement massif des voix. Jeu télévisé, conversation entre amis, commentaire sportif, babil d’enfants, récitation de poème sont autant de situations de paroles qui sont ici restituées au souffle près par un choeur de onze interprètes et onze invités. En multipliant les styles, les registres, les interprètes, les langues, les fictions, les jeux de composition, cette suite chorale se propose d’élever un monument précaire, mobile et vivant à la diversité des formes orales. Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 22 enTreTien ColleCTiF De l’enCyClopéDie De la parole Suite n°1 ‘ABC’ et Parlement sont des créations portées par l'Encyclopédie de la parole, un collectif créé en 2007. Pouvez-vous rappeler l'enjeu exact de cette « Encyclopédie » qui produit des oeuvres scéniques, mais aussi des pièces sonores, des articles, des conférences et des expositions ? Joris Lacoste : L'Encyclopédie de la parole est un projet que nous avons initié en 2007 aux Laboratoires d'Aubervilliers. L'idée de départ était de réunir des gens intéressés d'une manière ou d'une autre par l'oralité, dans les champs les plus variés possibles, poètes, musiciens, metteurs en scène, plasticiens, acteurs, chanteurs, sociologues, linguistes, cinéastes, curateurs, réalisateurs radio, et de collecter ensemble des enregistrements de parole. Emmanuelle Lafon : Enregistrement de parole, cela veut dire aussi bien une lecture de Gertrude Stein que la météo marine, des amis jouant au Pictionary, la voix synthétique du serveur vocal de Pôle Emploi, le flow d'Eminem, le babil d’un bébé, une plaidoirie de Jacques Vergès, un slogan de manifestation, un commentaire de foot… Frédéric Danos : Aucun genre n’est exclu a priori, artistique ou non, noble ou vulgaire, connu ou inconnu, très formel ou très ordinaire. On s’intéresse à tout ce qui parle, à partir du moment où on décèle une singularité, quelque chose dans une parole qui nous arrête, que ce soit un débit inhabituel, des espacements spectaculaires, un timbre bouleversant, des accents bizarrement martelés, des inflexions chantantes... Nicolas Rollet : Voilà. Et ces enregistrements qu’on collecte ensemble, on les met en rapport les uns avec les autres, on les fait se répondre et se croiser, on les organise en différentes catégories, et on les publie sur le site de l’Encyclopédie de la parole. Ce faisant on constitue peu à peu une base de données, très partielle et très partiale, sur l'oralité contemporaine. Avant de fonder l'Encyclopédie de la parole, vous étiez quelques-uns à collecter des documents sonores. A quoi les destiniez-vous, individuellement? Joris Lacoste : Nos pratiques sont diverses et complémentaires. La plupart des documents que nous collectons sont des enregistrements faits par d’autres. J'avais de mon côté une petite collection de poésie sonore, des cours de Roland Barthes ou de Jankelevitch, des archives de procès ou de débats parlementaires, à coté d’enregistrements historiques de théâtre comme Madeleine Renaud dans Oh les beaux jours, qui a été publié en disque il y a longtemps, et que j’ai beaucoup écouté dans ma jeunesse. Nicolas Rollet : Pour ma part j'ai commencé à enregistrer des paroles quotidiennes dès que j'ai eu mon premier magnétophone, à 7 ans. C'est devenu encore plus systématique depuis une dizaine d'années et j'en ai fait une pratique professionnelle dans le domaine de l'ethnographie et de l'analyse conversationnelle. Frédéric Danos : Mais en fin de compte, aujourd'hui nous sommes moins des collectionneurs que des collecteurs. Le numérique et Internet permettent facilement de partir à la recherche de nouveaux documents en fonction de certaines propriétés que nous voulons étudier, ou bien simplement parce que tel document nous fait penser à tel autre. Par exemple quelque chose dans le débit du poète Charles Pennequin va nous rappeler celui de Julien Lepers, et du coup on va aller chercher un extrait de « Questions pour un champion »... Nicolas Rollet : Un collectionneur a tendance à chercher un type d'objet précis. Nous, on collecte tout. Il y a énormément de déchets. Pour un document collecté, il y en a peut-être quatre-vingt d'écoutés. Que faites-vous de ces documents collectés. Comment les organisez-vous ? Frédéric Danos : Nous les répertorions en fonction de différentes propriétés formelles ou phénomènes : la cadence, la choralité, le pli, l’espacement, la compression, l’emphase, le timbre, la saturation, etc. Chacune de ces notions constitue une « entrée » de l'Encyclopédie, et chaque entrée est dotée de son corpus sonore et de sa notice. Nicolas Rollet : Pour donner un exemple, dans l'entrée « Compressions », nous pouvons trouver un enregistrement de Michel Rocard, un autre de Françoise Sagan, un troisième de Louis de Funès parce qu'ils se caractérisent tous trois par un flux de parole très compressé, une manière de manger leurs mots à la fois unique et comparable. Emmanuelle Lafon : Dans l'entrée « Focalisations », qui traite des différents niveaux d'adresses dans la parole, nous avons un discours de Villepin à l'assemblée, un poissonnier qui vend à la criée, la pomponnette de Raimu... Joris Lacoste : ...et Francis Lalanne qui pleure à « Avis de Recherche ». Dans l'entrée « Espacements », on trouve en vrac Jacques Lacan, Juliette Binoche, Nicolae Ceaucescu et le poète Claude Royet-Journoud. Tous ont une manière singulière de produire du silence au fil de leur parole. Nicolas Rollet : Les critères de recoupement des documents ne sont donc ni thématiques ni liés à des situations ou à des genres, mais renvoient à des manières de faire et de dire. Cette façon de mettre en rapport des paroles permet de faire entendre des rapprochements inédits, ou plutôt inouïs au sens propre, et de pointer comment n'importe quelle parole, de la plus ordinaire à la plus académique, peut comporter une part de créativité. A quelle cadence alimentez-vous la collection l'Encyclopédie? Joris Lacoste : Nous nous appuyons sur une communauté de collecteurs qui nous envoient régulièrement Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 23 des documents. C'est un cercle de personnes qui sont toutes passées par l'Encyclopédie à un moment ou à un autre. Nous avons aujourd’hui une collection d’environ 800 documents organisés en 18 entrées. Frédéric Danos : à partir de ce fonds sonore constitué de façon collective, nous concevons différentes pièces, qui sont autant de manières de rendre compte de cette activité, de faire entendre la collection, et de faire entendre la diversité des formes orales. Nicolas Rollet : Nous avons ainsi depuis 2007 produit une quinzaine de pièces sonores, commandées à différents compositeurs ou artistes sonores, une conférence évolutive, un jeu, une exposition à la Villa Arson en 2011, une chorale amateur, ainsi que deux spectacles que l’on présente cette année au Festival d’Automne : Parlement, qui date de 2009, et Suite n°1 ‘ABC’ que nous avons créé cette année au Kunstenfestivaldesarts à Bruxelles. Dans chacun des deux spectacles présentés dans le cadre du Festival d'Automne, les spectateurs n'entendent pas les documents sonores originaux. Il s'agit, dans Parlement comme dans Suite n°1, de restituer vocalement une succession de documents enregistrés… Joris Lacoste : Oui, le parti-pris consiste à reproduire au plus près un choix de paroles enregistrées. Reproduire au plus près, ça ne veut pas dire imiter des individus ou incarner des situations, encore moins des personnages, mais traiter musicalement chaque parole enregistrée, dans la richesse et la complexité de ses intonations, de ses rythmes, de ses jeux d'adresse, de ses mouvements, de ses hésitations... Emmanuelle Lafon : C’est-à-dire qu’on laisse les situations et les contextes apparaître d eux-mêmes, à travers le seul jeu des voix : c’est un théâtre à entendre. Joris Lacoste : Un des effets les plus troublants du déplacement de ces paroles vers le plateau théâtral est celui de la dissociation du contexte et du contenu : on prête soudain attention à des manières de discuter, d'écouter, de séduire, d'expliquer, des façons de dire, des tonalités qui étaient jusqu'ici occultées par notre insatiable besoin de percevoir le sens de ce qui se dit. Les paroles les plus banales, les plus triviales, parce qu'elles sont traitées comme des partitions très exactes, se revêtent soudain d'une étrangeté qui nous les fait entendre autrement. Emmanuelle Lafon : Plus on avance dans ce travail et plus ce qui frappe, c'est à quel point cette pratique de collecte, et celle de la restitution, renouvellent l'écoute de la parole, et plus largement de tout type de son. Et puis il y a là une dimension très simple, presque enfantine. C'est comme apprendre par coeur sa chanson, son poème ou sa carte géo préférée, répéter tout le temps tout ce qu'on entend quand on a deux ans, faire la voix de son voisin de palier, ou celle des annonces dans le métro, se faire tourner ça en boucle, à plusieurs, en mar- chant, sous la douche, en attendant le bus. En tout cas chacun peut le faire, chacun le fait. En traitant ces paroles de façon musicale, vous les sortez donc de leur contexte? Nicolas Rollet : Non, pas du tout. Le contexte est pris en compte, c'est simplement qu'il n'est pas le critère premier de sélection. Nous n'avons pas une approche exclusivement musicale ou plastique de la parole, nous défendons une pratique qui s'ancre tout de même dans une approche du langage où forme et fond se structurent mutuellement. La question du contexte ou du genre est difficile dès lors qu'on ne la réduit pas à quelques critères externes de type « dîner en famille », « discours à l'assemblée » : lorsque l'on joue un extrait en russe, en italien ou en allemand, on s'appuie beaucoup sur l'activité dans laquelle cette parole est produite, sur les intentions qu'on peut prêter aux locuteurs. On sait ce qu'on dit. Frédéric Danos : L'enjeu, c'est justement de faire réapparaitre le contexte autrement. Joris Lacoste : En répétitions, la première phase est d'abord formelle: on travaille sur la façon de reconstituer vocalement les contours du document. Dans la seconde phase, nous cherchons comment investir le document de manière à faire réapparaître une situation, une adresse, une intensité. Disons que la méthode est inverse à ce qui se fait habituellement au théâtre où l'acteur travaille à donner une forme orale à un texte. Ici on commence par la forme, telle qu’elle a été figée par l’enregistrement, et tout le travail consiste à lui donner vie. Emmanuelle Lafon : Cette opération peut se faire au moyen de paramètres aussi variés que le tempo, le volume, la façon de poser la voix ou l'usage de souffles différents. Tout cela n'est que le produit d'intentions, de réactions, de mouvements de pensées. Ces documents sonores sont des fragments plus ou moins longs, et au moment de les interpréter, nous cherchons dès la première seconde à raccorder avec l'ensemble du contexte qui les sous-tend pour pouvoir en restituer l'unicité. Parlement est une création pour une seule interprète, vous Emmanuelle Lafon, qui êtes comédienne. Suite n°1 prolonge et amplifie les enjeux de cette pièce en proposant une forme chorale pour 11 interprètes, 11 invités, et un chef de chœur. Qu'expérimentez- vous dans Suite n°1 que vous n'aviez pas pu tester dans Parlement ? Emmanuelle Lafon : à chaque fois qu’on écoute les documents de notre collection, que ce soit à l'occasion de leur recherche, de leur sélection, ou à l'occasion des pièces que l’on produit, on s'aperçoit que personne n'entend jamais exactement la même chose. Entre les interprètes de Suite n°1, c'est pareil : on entend tous la mélodie particulière de l'hôtesse de l'air, son flux régulier mais incohérent, on entend l'espacement qui ponc- Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 24 tue les cris de joie et les respirations d'un homme exalté, on peut en compter les secondes. Et pourtant, même en étant d'accord là-dessus, chacun va s'approprier à sa façon tel ou tel aspect de cette mélodie ou de cet espacement, au filtre de ce qu'il entend, puis de ce qu'il peut en faire, avec sa voix, son corps et son imagination. La base du travail étant l'unisson, ces détails sont minimes ; ils créent néanmoins une seule voix à plusieurs. Par rapport à Parlement, la nouveauté de l'expérience est de sentir sa voix, ses impulsions propres, se glisser à l'intérieur de celles des autres. L'amplitude des possibilités est tout autre. Joris Lacoste : Suite n°1 est la première pièce d’un cycle de Suites chorales que nous projetons sur plusieurs années. C’est un travail qui a commencé avec Parlement, puis qui s’est poursuivi avec la chorale que nous avons animée depuis 3 ans dans différents contextes (ateliers, impromptus). Les Suites chorales proposent de pousser cette expérience plus loin en mettant en jeu différentes formations d'interprètes qui tous ont des voix et des personnalités différentes. Toutes sortes de combinaisons et de répartitions deviennent possibles. Cela permet aussi de travailler des documents polyphoniques, des dialogues, des situations de paroles à plusieurs, voire de foules, ce qui bien sûr n’était pas possible avec le solo Parlement. Nicolas Rollet : Le travail de choeur, en particulier l’unisson, permet de traiter globalement la tonalité ou le timbre d'une voix. Chaque interprète fait quelque chose de différent, c’est l’harmonie globale qui crée l’effet recherché. Par exemple, nous faisons un extrait des Simpsons dans le spectacle. Pour restituer le timbre de Marge, un interprète va prendre en charge la nasalité de sa voix, un autre sa hauteur, un troisième son grain. Personne n'imite Marge à proprement parler : c'est la combinaison des différentes voix qui créera l'illusion de la voix de Marge. Joris Lacoste : C'est d'ailleurs je crois ce qui est intéressant dans l'unisson : le fait de parler en choeur empêche ou brouille l’identification de la parole à une personne, à un personnage. Du coup c’est la parole elle-même, avec ses contours, sa personnalité, sa singularité, qui devient le vrai personnage de la pièce. Frédéric Danos : Autre exemple : nous avons travaillé sur la voix d'un prêcheur américain, qui ponctue sa parole d’inspirations très sonores. Nous avons décomposé la partition entre les respirations d'un côté (prises en charge par une partie du choeur), et la parole proprement dite de l'autre. Joris Lacoste : Du point de vue du spectateur, l'unisson souligne « l'écriture » du document sonore. Dans Parlement, quand Emmanuelle restitue un document et qu'elle soupire, hésite ou tousse, il est impossible de savoir si cette action lui appartient à elle, comédienne, ou si elle vient du document enregistré. Cette ambiguité n'existe pas dans Suite n°1 : quand le groupe entier inspire ou bégaie d'un même souffle, on devine que cette inspiration ou ce bégaiement est celui du locuteur d’origine. Quel niveau de précisison vous imposez-vous dans la restitution des documents d’origine ? Nicolas Rolet : Il y a une disproportion énorme entre la manière spontanée et naturelle avec laquelle une parole a été prononcée à l'origine, et le temps que l'on passe, nous, à tenter de la restituer. On peut rester plusieurs jours sur deux minutes du babil d'un bébé, par exemple, ou sur une conversation téléphonique très banale. La complexité se cache souvent dans les choses les plus ordinaires. Frédéric Danos : On essaie de traiter le babil du bébé aussi sérieusement que si c’était une partition de Schubert ou de Berio. Emmanuelle Lafon : Ce travail de fourmi qu'est la restitution confronte d'emblée l'interprète à de fortes contraintes, à l'impossible même : après tout, impossible de supporter la comparaison avec la parole originale. Impossible dans Parlement qu'une voix en traverse cent autres, ou dans Suite n°1 qu'un ensemble de 22 voix en incarne une seule. Une fois ce point de départ admis, le travail est très excitant, car on a suffisamment de distance pour inventer mille manières d'y arriver. Nicolas Rollet, c'est vous le chef de choeur de ce projet. Vous avez créé une partition, annotée comme pour un concerto, de façon à diriger les choristes sur scène, à vue. Quelles ont été les étapes de votre travail ? Nicolas Rollet : Tout d'abord il y a une phase de transcription du document, plus ou moins fine selon les cas: le discours est transcrit dans sa temporalité et dans ses caractéristiques formelles (cadences, hésitations, accents, attaques, etc.). Bref, on transcrit de la parole. Les choix dans la transcription sont guidés aussi par les phénomènes vocaux que l'on souhaite souligner, sans jamais les caricaturer. Ensuite ces transcriptions deviennent des partitions c'est-à-dire des supports de travail intermédiaires qui permettent de nous accorder sur des méthodes pour reproduire le document (le restituer) ensemble (à un unisson, trois unissons, six solos, etc.). Je découpe ainsi les documents en séquences plus ou moins longues, je m'appuie sur des attaques ou des accents, des démarrages, des tempi. Vient donc se greffer une écriture de direction, celle que j'emploie pour diriger l'ensemble vocal. Une partie de cette écriture se fait également avec les interprètes pendant les répétitions. Je laisse toujours de la place pour trouver collectivement les meilleures méthodes. Mais quoi qu'il en soit, bien que j'en effectue une interprétation à la fois dans les partitions et surtout au moment de la performance, la référence lors du travail avec les interprètes reste toujours le document audio d'origine. Joris Lacoste, c’est vous qui signez la composition. Quelle différence faite-vous entre l’écriture d’une pièce de théâtre classique et celle de Parlement, ou de Suite n°1 ? Joris Lacoste : Je vois deux particularités : d’abord c’est un travail qui relève du montage de documents existants. Ensuite c’est une écriture qui se fait entièrement à l’oreille. C’est-à-dire que concrètement je travaille avec Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 25 un logiciel de son et non pas un traitement de texte... Mais à ces deux choses près, je ne vois pas de vraie différence avec un travail d’écriture textuel : car au fond on écrit toujours plus ou moins à partir de matériaux trouvés, non ? Mais selon quelles logiques s'enchainent les documents? Joris Lacoste : Je pars du corpus de documents collectés collectivement, et je cherche des rapprochements, des résonances, des contrastes ou des continuités entre certaines paroles. La composition se fait simultanément sur trois plans parallèles : d'abord la succession de situations clairement reconnaissables (un dîner entre amis, un dessin animé, un cours de tango) ; ensuite, le sens des mots prononcés, dont l’enchaînement et l articulation composent qu’on le veuille ou non un « texte » en forme de patchwork multilingue ; enfin, le plan purement sonore, musical, énergétique, de la parole. Chacun de ces plans est signifiant, et c’est en les prenant en compte en même temps que des possibilités (et des impossibilités) apparaissent. Des rapports de sons engendrent des rapports de sens et vice-versa. Des lignes se constituent, qui ne sont pas tant narratives qu’associatives, allusives, suggestives, ou rythmiques. Il y a des enchaînements qui forment des thèmes, comme on dit en musique. Par exemple, dans la Suite n°1, que nous avons intitulée ABC, il est souvent question d’apprentissage, de b.a.-ba, d’alphabets, de babil, de blabla, de brouhaha, de langues étrangères. On expose le vocabulaire de base, on joue à traduire ou à chanter, à alterner des langues et des registres, on parle non pas pour ne rien dire mais pour le plaisir de parler, le goût de la langue. Mais il y a aussi des ruptures et des contrepoints, des fausses pistes qui sont des détours, des suspens ou des dénouements. prendrez peut-être pas les mêmes moments que votre voisin, personne probablement ne maîtrisera toutes les langues, mais n'importe qui a priori détient suffisamment de compétences pour entendre et voir quelque chose. Nicolas Rollet : C'est une déclinaison du motto sur lequel nous nous appuyons depuis le début du projet de l'Encyclopédie : « Nous sommes tous des experts de la parole. » Joris Lacoste : Non au sens où nous serions tous des linguistes comme Nicolas, mais simplement parce que nous avons tous une pratique concrète, ancrée, quotidienne, de la parole. Nous passons une grande partie de notre vie à parler et à écouter les autres parler, nous savons nous positionner dans une conversation, nous saisissons intuitivement le sens d'un accent ou d'une intonation qui monte ou qui descend, nous partageons toutes sortes de ressources communes. C'est ce savoir commun que le projet de l'Encyclopédie de la parole essaie de faire apparaître. Propos recueillis par Eve Beauvallet Vous avez choisi de travailler dans beaucoup de langues, une douzaine je crois, sans utiliser de surtitres. Comment traitez-vous ces langues, et comment le public est-il invité à les recevoir ? Frédéric Danos : Le projet des Suites chorales est l’occasion pour nous d’élargir la collection de l’Encyclopédie à d’autres langues. Pas tant dans une idée d’exhaustivité, mais parce que l’expérience d’écouter des langues qu’on ne comprend pas ou peu nous fait percevoir des phénomènes qui souvent restent invisibles dans les langues qu’on maîtrise bien. Nous avons cependant pris soin de choisir des documents dont les situations représentées sont toujours clairement identifiables, même quand on ne comprend pas la langue. Vous n’avez pas besoin de parler italien pour comprendre que ce que vous entendez est un commentaire de foot. Joris Lacoste : Du coup c'est aussi une manière de poser dès la conception de la pièce la question de son existence internationale. En général, le théâtre de parole s’exporte soit au moyen de surtitrages, soit en traduisant ou adaptant le texte. Nous avons voulu faire une pièce qui sera la même dans tous les pays où nous allons jouer, mais dont bien sûr le sens sera perçu différemment selon les contextes linguistiques. Vous ne com- Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 26 Biographies ColleCTiF De l’enCyClopéDie De la parole Joris laCosTe FreDeriC Danos Joris Lacoste est né en 1973, il vit et travaille à Paris. Il écrit pour le théâtre et la radio depuis 1996, et réalise ses propres spectacles depuis 2003. Il a ainsi créé 9 lyriques pour actrice et caisse claire aux Laboratoires d'Aubervilliers en 2005, puis Purgatoire au Théâtre national de la Colline en 2007, dont il a également été auteur associé. De 2007 à 2009 il a été co-directeur des Laboratoires d'Aubervilliers. Il initie deux projets collectifs, le projet W en 2004 et l'Encyclopédie de la parole en 2007, qui donne lieu notamment en 2009 au solo Parlement. En 2004 il lance le projet Hypnographie pour explorer les usages artistiques de l’hypnose : il produit dans ce cadre la pièce radiophonique Au musée du sommeil (France Culture, 2009), l’exposition-performance Le Cabinet d’hypnose (Printemps de Septembre Toulouse, 2010), la pièce de théâtre Le Vrai Spectacle (Festival d'Automne à Paris, 2011), l'exposition 12 rêves préparés (GB Agency Paris, 2012), la performance La Maison vide (Festival Far° Nyon, 2012), ainsi que 4 prepared dreams (for April March, Jonathan Caouette, Tony Conrad and Annie Dorsen) à New York en octobre 2012. Né en 1959. Autodidacte, il écrit, performe, chante, danse, joue depuis plus de 15 ans. Il performe des films qu'il n'a pas terminés, tourne en Europe avec le trio d'infamie lyrique Jeune fille orrible, fait du bruit électrifié avec Erik Minkkinen ou Joana Preiss, ou Tomoko Sauvage et participe, depuis 2003, à la Coordination des intermittents et précaires (sculpture sociale). Il lit et improvise ses textes dans des festivals de poésie ou des cafés. Il s'intéresse à la superposition. Enfin, Frédéric Danos cuisine puis rédige des comptes rendus de plats qui sont autant de recettes qu'il envoie par mail à des gens qui n'ont rien demandé mais apprécient. Certaines recettes sont publiées dans la revue Le Tigre. DaviD ChrisTophel Musicien de la parole, chercheur de poésie, David Christoffel prend la voix des autres pour leur chercher d'autres voix, avec l'ambition de repousser les hypocrisies médiatiques ailleurs. Il travaille pour les revues Criticalsecret, Il Particolare, L'Impossible et les antennes de France-Musique et France-Culture-Plus. Il compose des opéras parlés depuis 1996 et publie des albums de poésie depuis 1999. Docteur en musicologie de l'EHESS, il est l'auteur d'études sur les rapports de la musique à la poésie et sur la parole artistique sous contraintes radiophoniques. Ses productions sont répertoriées sur le site dcdb.fr emmanuelle laFon Emmanuelle Lafon est issue du CNSAD, elle joue notamment auprès de Klaus Michael Grüber et Michel Piccoli, Bruno Bayen, Célie Pauthe, Aurélia Guillet, Lucie Berelowitsch et Vladimir Pankov, Frédéric Fisbach, Jean-Baptiste Sastre, Bernard Sobel, Madeleine Louarn. Au cinéma, elle tourne avec Marie Vermillard, Patricia Mazuy, Bénédicte Brunet, Denise Chalem (Talents Cannes 2004), Philippe Garrel. Elle co-fonde le collectif F71 en 2004 avec Sabrina Baldassarra, Stéphanie Farison, Sara Louis et Lucie Nicolas, dont elles sont chacune auteur, comédienne et metteur en scène. Sensible aux rapports entre son, musique, voix, texte et partition, elle collabore aussi avec des musiciens et des plasticiens (SounDrama, Goat’s Notes, Emmanuel Whitzthum, Thierry Fournier, Marie Husson). Elle est membre de l'Encyclopédie de la parole depuis 2009. grégory CasTéra Grégory Castéra est curateur. Pluridisciplinaires, souvent collaboratifs et in process, les projets qu'il engage ont pour point commun de traiter de la construction de l'objectivité dans les pratiques artistiques contemporaines. En 2013, il conçoit, avec Sandra Terdjman, «The Councile», un dispositif pour la conception collaborative de projets artistiques depuis des problèmes de société. Le premier « Council », s'est réuni autour du développement d'une approche sonore de la diversité des capacités d'entendre (Biennale de Sharjah / Ecole pour sourds d'Al Amal). Depuis 2010, il développe Ecologies, un essai curatorial sur les écologies de pratiques artistiques (Lauréat de la bourse Hors les Murs de l'Institut Français en 2013). Il a été directeur des Laboratoires d'Aubervilliers de janvier 2010 à décembre 2012, avec Alice Chauchat et Natasa Petresin-Bachelez, coordinateur de Bétonsalon de 2007 à 2009 et curateur, avec Mélanie Bouteloup, du festival de performances Playtime en 2008 et 2009. Il est membre de l'Encyclopédie de la parole depuis 2007. niColas rolleT Nicolas Rollet, né en 1977, vit et travaille à Paris, menant recherches universitaires sur la conversation et les interactions sociales, et recherches en proses. Il publie depuis 2005 (Les petits Matins, Argol, Little Single, Leo Scheer) avec le secours parfois de J.Kikomeko. Il est un des membres fondateurs du collectif Encyclopédie de la Parole. En 2011 il fonde le projet MonEX, avec Kerwin Rolland et Jean-François Riffaud, projet plasticien mobilisant la vidéo, la performance et le rock . Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 27 Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 28 Théâtre du Soleil ThéâTre Du soleil / phare ponleu selpaK L’Histoire terrible mais inachevée de Nordom Sihanouk, roi du Cambodge d’Hélène Cixous Mise en scène, Georges Bigot et Delphine Cottu d’après la mise en scène d’Ariane Mnouchkine (1985) Direction historique et textuelle, Ashley Thompson Traduction, Ang Chouléan Avec Chea Ravy, Chhith Chanpireak, Chhith Phearath, Horn Sophea, Houn Bonthoeun, Huot Hoeurn, Huot Heang, Khuon Anann, Khuonthan Chamroeun, Mao Sy, Nov Srey Leab, Nut Sam Nang, Ong Phana, Pin Sreybo, Pov Thynitra, Preab Pouch, Sam Monny, Sam Sarry, San Marady, Sim Sophal, Sok Doeun, Sok Kring, Thorn Sovannkiry, Uk Kosal, Uk Sinat Musiciens, Norng Chantha, Pho Bora, Pring Sopheara, Vath Chenda Décor et accessoires, Everest Canto de Montserrat, Elena Antsiferova Lumière Georges Bigot, Olivier Petitgas Costumes élisabeth Cerqueira, Marie-Hélène Bouvet, d’après les costumes originaux avec l’aide de Maider Etxeberri, Léa Delmas, Maud Guérin, Amélie Esbelin et Barbara Gassier-Ressort (2011) et de Nawelle Aïneche, et Monica Siv (2013) Masque Erhard Stiefel Interprète et surtitrage Rotha Moeng Décor et accessoires Everest Canto de Montserrat, Elena Antsiferova Régie Olvier Petitgas, Vincent Lefevre, assistés de Sam Sopheak (2011) et Sonia Chauveau (2013) Constructeurs bois Jules Infante, Florentin Guesdon, David Buizard Assistantes à la mise en scène Sophie Piollet, Caroline Panzera (2011) et Natacha Milosevic (2013) Stagiaire assistant à la mise en scène Clément Longueville 1985. La dictature des khmers rouges, orchestrée par le dirigeant politique et militaire Pol Pot, vient de tomber. Du Cambodge, alors, on ne sait encore que peu de choses si ce n’est qu’une partie de sa population vient d’être victime d’un des plus terribles génocides de l’histoire contemporaine. Un an après la diffusion sur les écrans du film La Déchirure de Roland Joffé qui rend compte du massacre, Ariane Mnouchkine met en scène L’Histoire terrible mais inachevée de Norodom Sihanouk, roi du Cambodge, un texte monumental d’Hélène Cixous qui retrace l’histoire récente du Cambodge, de son indépendance en 1953 à la fin du régime khmère rouge en 1979. « En ce temps-là, raconte le comédien Georges Bigot, qui interpréta en 1985 l’idéaliste et capricieux monarque Norodom Sihanouk, nous étions nombreux à partager avec Ariane et Hélène le désir de jouer cette pièce au Cambodge. L’histoire ne l’a pas permis de cette manière-là. » Elle le permettra autrement. Car depuis 2009, en collaboration avec Delphine Cottu, également passée (de 1997 à 2008) par le Théâtre du Soleil, le comédien s’est lancé dans une épopée théâtrale et humaine de grande envergure : la recréation, en langue khmère, de l’œuvre de 1985 avec trente jeunes acteurs cambodgiens de l’école des arts Phare Ponleu Selpak. Riche de mois entiers de transmission à Battambang dans le Nord-Est du Cambodge, portée par un style de jeu néoexpressionniste de grande qualité, cette vaste fresque épique perpétue l’ambition théâtrale et citoyenne du Théâtre du Soleil et nous rappelle à quel point les plateaux peuvent se faire l’écho de l’Histoire en cours. FESTIVAL D’AUTOMNE à PARIS THéâTRE DU SOLEIL Jeudi 3 au samedi 26 octobre, mercredi, jeudi, vendredi 19h30 (1ère ou 2ème époque, en alternance), samedi (sauf samedi 26 octobre) 15h (1ère époque) et 19h30 (2ème époque), dimanche (et samedi 26 octobre) 13h (intégrale) 15€ à 27€ Abonnement 15€ et 22€ (1re ou 2e époque) 25€ à 48€ Abonnement 25€ et 38€ (intégrale) Durée de chaque époque : 3h30 avec entracte Spectacle en khmer surtitré en français Avec le soutien de l’Onda Coproduction Théâtre du Soleil ; Festival Sens Interdits – Célestins, Théâtre de Lyon ; Phare Ponleu Selpak // Avec le soutien de la Région Rhône-Alpes, de la Ville de Paris, du ministère de la Culture et de la Communication, de l’Institut Français (ministère des Affaires étrangères et le ministère de la Culture et de la Communication), de l’Organisation Internationale de la Francophonie et de l’Onda. Lauréat du Trophée des Associations de la Fondation EDF (2011). 2012 prince Claus Fund Award. Merci à Air France, l’Ambassade royale du Cambodge en France, le Théâtre national de Chaillot, le Théâtre de l’élpée de bois, le Théâtre de la Tempête, l’Atelier de Paris Carolyn Carlson, le lycée des métiers du bois Léonard de Vinci (Paris 15), Asian Cultural Council, British Academy, University of Leeds, World University Network. Première époque créée en octobre 2011 aux Célestins-Théâtre de Lyon, Deuxième époque créée le 20 Septembre 2013 au Teatro Sao Luiz, dans le cadre des 15 ans du pacte d’amitié entre Paris et Lisbonne, et en tournée au Festival des Francophonies en Limousin (Théâtre de l’Union, Limoges) les 27, 28 et 29 septembre ; au Festival Sens Interdits (Célestins, Théâtre de Lyon) les 28, 29, 30 octobre ; au Théâtre de Vénissieux le 8 novembre ; à la Comédie de Valence le 19 novembre ; au Théâtre national de Toulouse les 21, 22 et 23 novembre 2013. Contacts presse : Festival d’Automne à Paris Christine Delterme, Carole Willemot 01 53 45 17 13 Théâtre du Soleil Liliana Andreone 01 43 74 66 36 Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 29 enTreTien georges BigoT eT Delphine CoTTu Depuis 2007, vous êtes investis dans une aventure théâtrale tout à fait inédite: la recréation, en langue khmère, avec des comédiens cambodgiens, de L'histoire terrible mais inachevée de Norodom Sihanouk, roi du Cambodge, une pièce écrite par Hélène Cixous, mise en scène par Ariane Mnouchkine en 1985. Comment est né ce projet de recréation? Delphine Cottu : Le projet est à l’initiative d’Ashley Thompson, une chercheuse américaine aujourd'hui éminente khmérologue. En 1985 à l’époque de la création de la pièce, Ashley, étudiante dans le séminaire d'Hélène Cixous, assiste aux représentations de la pièce, c’est pour elle une révélation. Depuis, ce pays ne la quitte plus, elle s'y installe quelques temps, et poursuit d'années en années le rêve un peu fou de voir un jour la pièce d'Hélène Cixous traduite, éditée et pourquoi pas jouée au Cambodge. En 2005-2006, lorsque les "Ateliers de la Mémoire" se mettent en place au Cambodge, elle entrevoit la possibilité de réaliser ce projet. Elle contacte alors Ariane et Hélène qui lui apporte tout de suite leur soutien actif. Elle a par la suite recherché des équipes pour réaliser ce projet, comme celle de l'école des Arts de Phare Ponleu Selpak, située à Battambang, avec qui nous travaillons désormais. Ya t-il une raison particulière pour qu'Ariane Mnouchkine vous confie ce projet à tous les deux? Delphine Cottu : Georges est l'acteur qui avait incarné le Roi Norodom Sihanouk, en 1985, il y a 28 ans. C’est un acteur « phare » du Théâtre du Soleil qui a profondément marqué l’histoire de ce lieu. Depuis, parallèlement à son chemin d’acteur il est aussi devenu metteur en scène. Sa place était incontournable dans un tel projet. Quand à moi, j'ai joué dans cinq créations avec Ariane, avec qui j’ai toujours eu une relation limpide et fertile dans le travail. Je pense qu’elle m’a choisie car elle me faisait confiance. La mise en scène m’attirait, elle le savait. Georges et moi représentons deux générations de l’histoire du Théâtre du Soleil, deux époques distinctes de créations, Ariane a souhaité nous réunir aussi pour cette complémentarité. Vous avez déjà présenté la "première époque" de cette pièce en 2011, notamment au Théâtre des Célestins à Lyon et au Théâtre du Soleil à Paris. Vous présentez actuellement la seconde époque, après un cycle de répétition mené cet été au Cambodge. Pouvez-vous revenir sur la période historique couverte par la pièce? Delphine Cottu : C’est une période très dense et très complexe. En résumé, la première époque débute en 1955 au moment de l’indépendance du Cambodge et s’achève en 1970 par le coup d’état du Général Lon Nol, la destitution du Roi Sihanouk et son exil à Pékin. La deuxième époque quant à elle couvre la période de 1970 à 1979, débute par l’alliance de Sihanouk avec les communistes, traite de la dictature de Lon Nol puis de la victoire des Khmers Rouges en 75 et s’achève par l’en- trée des Vietnamiens pour libérer puis occuper le Cambodge Georges Bigot : La pièce raconte l'histoire moderne du Cambodge, dans le contexte géopolitique du monde de cette époque. Elle suit des faits historiques très précis qui permettent de comprendre les mécanismes politiques qui l’ont plongé dans l’histoire tragique que nous connaissons. On y découvre ainsi le rôle qu'ont pu jouer dans ces événements les grandes puissances comme les Etats-Unis, l’Union Soviétique, la Chine, le Viet Nam ou bien la France. Cependant la pièce n'adopte pas une forme pamphlétaire, c’est une forme épique. Je dirai qu’Hélène a inventé une sorte de théâtre épique contemporain avec pour originalité, le fait que la plupart des protagonistes représentés dans la pièce étaient encore vivants au moment de son écriture. Hélène Cixous s’est inspirée de leurs choix politiques, de leurs différentes visions du monde pour écrire cette « tragédie historique ». La pièce prend comme figure centrale le roi Norodom Sihanouk. Pourquoi s'être focalisé sur lui? Georges Bigot : Ariane Mnouchkine a choisi de raconter l’histoire tragique qu’a subit le Cambodge comme une métaphore de l’histoire du monde dans lequel nous vivions à l’époque. Elle était révoltée par l’enfer que le régime Pol Pot avait fait subir à ce pays qu’elle avait rencontré dans sa jeunesse et dont elle avait tant aimé le sourire. Quand elle a proposé à Hélène Cixous d’écrire la pièce, leur est apparue immédiatement la difficulté de porter au théâtre presque 30 ans d’histoire. Elles ont très vite compris que le Prince Sihanouk était en était le centre, il n'y avait plus qu'à tirer le fil. Le Roi Norodom Sihanouk avait obtenu l'indépendance de son pays, et malgré des erreurs, il se battait sincèrement pour une vision du Cambodge comme état indépendant, neutre et démocratique de l'Asie du Sud-Est. En suivant son cheminement, on pouvait comprendre toutes les étapes qui ont mené à son alliance avec les Khmers rouges. Delphine Cottu : Sihanouk était un acteur né. C’était un homme qui avait un grand sens du théâtre et de l’improvisation dans ses discours ou dans ses interventions publiques. Il savait très bien se mettre en scène ce qui le rendait à la fois attachant et insupportable. Marady, la comédienne qui joue le rôle de Sihanouk, a rapidement compris cette dimension avec ce que Georges lui a transmis. Sihanouk c’est « tout l’un » et « tout l’autre »et si Hélène et Ariane l’ont placé au centre de la pièce, ce n’est pas par hasard. C’est une figure théâtrale complexe comme l’ont été ses choix politiques. Georges Bigot : Le placer au centre de la pièce, c'était aussi retrouver un canevas shakespearien. En 1984, nous avions clos le cycle des « Shakespeare » qui avait été pour nous une sorte d' « Ecole » en vue du futur projet de raconter le monde moderne au théâtre, de façon épique. En 1985 nous avons abordé la pièce d’Hélène Cixous riches de cette expérience shakespearienne, à la diffé- Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 30 rence que cette fois ci, nous jouions des personnages vivants. D’ailleurs, le Prince Norodom Sihanouk a assisté aux représentations de la pièce en 1985. Tout comme son fils, l’actuel Roi du Cambodge, Norodom Sihamoni qui m'a invité aux Funérailles du Roi Norodom Sihanouk en février dernier. Au cours d’une audience qu’il m’a accordée, il m'a raconté que sous le régime Khmer Rouge, alors qu’il était enfermé en résidence surveillée, avec son père, sa mère et quelques proches de la famille royale encore vivants, il avait demandé l'autorisation de cultiver des légumes pour nourrir sa famille. L’autorisation lui fut accordée et en retournant la terre, il trouve un livre, certainement tombé des camions des autodafés des Khmers rouges, ce livre était une traduction en français de Richard II de Shakespeare. La pièce devient son viatique pendant trois ans. Quelques années plus tard, libéré des Khmers Rouges, il se rend en France, se rend au Théâtre du Soleil, et là, c'est précisément Richard II que nous sommes en train de jouer … Qui sont ces comédiens avec lesquels vous avez recréé la pièce au Cambodge et quel a pu être la réalité de votre travail là-bas? Delphine Cottu : L’équipe se compose d’une trentaine d’acteurs et musiciens d’une moyenne d’âge de 25 ans, tous issus de l’école des Arts de Phare Ponleu Selpak à Battambang. La période de l’histoire relatée dans la pièce concerne la génération de leurs parents et de leurs grands parents. Après le génocide des Khmers Rouges, l’histoire enseignée à l’école a été modifiée. La plupart d’entre eux viennent de milieux très modestes et peu éduqués et avaient une connaissance très approximative et fragmentée de cette période. Grâce à la pièce d’Hélène et par le travail sur le plateau nous avons pu reconstruire le puzzle. Georges Bigot : La première étape de travail fut de leur redonner confiance en eux même. Nous nous sommes positionnés face à eux non pas comme des « maîtres », mais comme des artistes étrangers qui proposent d’échanger avec eux un point de vue sur leur histoire, à eux d’apporter leur propre vision, leur regard. Nous avons travaillé sur une forme de jeu non naturaliste, non psychologique, comme l’impose l’écriture de la pièce. Tous les faits historiques relatés par Hélène Cixous sont exacts, mais la dramaturgie adopte l’écriture d’une auteure, ses visions propres, son art, un peu comme un peintre. Delphine Cottu : Oui, on devait avoir l’humilité d'être un relais et entamer un gros travail de transmission. Georges Bigot : Il fallait qu’ils comprennent tous les sujets abordés dans la pièce, qu’ils en connaissent les moindres détails. Nous ne devions faire l’impasse sur rien. Qui était Shakespeare ? Mozart ? Kossyguine ? Kissinger ? Qu’appelle t’on la démocratie ? Expliquer d’où venait « la guerre froide », ce qu’elle était ainsi que la guerre du Viet Nam etc. Lors des ateliers de formation, c'est en découvrant l'engagement de certaines actrices que nous avons réalisé que la recréation était réellement envisageable. Très exactement, c'est en voyant une des actrices, Ravy, la comédienne qui joue entre autre Pol Pot, que j'ai compris qu'un tel projet était possible. Je lui avais demandé de me raconter avec ses mots un monologue de Pol Pot dans une forme de récit plus ou moins dansé. Et quelque chose s'est passée. Tout à coup, c'est devenu du théâtre. On a continué en suivant cette veine en se rapprochant de plus en plus du texte d'Hélène. Puis quand nous avons compris qu’une distribution des personnages était possible alors s'est dessinée pour nous la possibilité de monter la pièce dans son entièreté et dans sa forme. Ce projet, est aussi lié à l'avenir de ces jeunes artistes. On leur transmet des outils théâtraux pour qu’ils puissent inventer leur théâtre de demain, chez eux, au Cambodge, parce tout est à réinventer làbas. Quelle culture du jeu théâtral avait vous découvert en arrivant au Cambodge? Delphine Cottu : Le théâtre, la danse et la musique sont partout en Asie, inséparables dans les formes théâtrales traditionnelles. Au Cambodge ces formes traditionnelles avaient disparues sous les khmers rouges, elles sont en train de renaître. Nous avons eu peu de temps malheureusement pour assister au travail de ces troupes, car nous étions très concentrés sur nos propres répétitions, le temps nous étant compté. Je garde pour ma part un très fort souvenir d’une troupe de Théâtre d’Ombre cambodgienne que j’ai vu à Phnom Penh. En ce qui concerne les artistes avec lesquels nous travaillons, il pratiquent surtout un théâtre social de prévention. Notre projet leur a permis de renouer avec une forme épique inhérente à leur culture et de rencontrer aussi l’écriture d’un auteur. Qu'est-ce qu'a pu représenter, pour ces jeunes artistes, ce voyage en France pour jouer la pièce? Delphine Cottu : Certains comme les circassiens du groupe avaient déjà voyagé en dehors du Cambodge pour présenter leur spectacle, d’autres n’en étaient jamais sortis. Mais l’arrivée de cette nouvelle troupe cambodgienne, si jeune, venant présenter, en khmer, une partie de l’histoire de son pays à un public français, était totalement inédite. Il y eut beaucoup d’émotion lors de ces représentations à Paris, à Lyon et dans les autres villes quand les acteurs ont pris la mesure de ce qui se passait. Grâce à eux, grâce au théâtre, le public pouvait comprendre leur histoire de l’intérieur et devenir lui aussi, à son tour, pour un moment, cambodgien. Georges Bigot, vous qui interprétiez il y a 28 ans le rôle de Sa Majesté Norodom Sihanouk. Quel désir aviez-vous de recréer cette pièce en langue khmère? Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 31 Georges Bigot : A l’époque de la création en 1985, nous étions nombreux à partager avec Ariane et Hélène le désir de jouer là-bas, au Cambodge, mais il était « libéréoccupé » par le Viet Nam, c’était impossible. Le désir d'aller au Cambodge, d'y rencontrer son peuple, ne m'a jamais quitté. J’attendais un signe, l’occasion d’une véritable rencontre. Quand Ariane m’a proposé l’aventure, j’ai tout de suite répondu présent. Aujourd’hui, recréer la pièce en langue Khmère, c’est restituer aux artistes et au public cambodgien et plus généralement au Cambodge ce qui lui appartient : une partie de sa mémoire. en arriverait là, réellement. C'est aussi comme ça que de grandes choses peuvent advenir: accepter de rester dans une forme de fragilité et d'incertitude. Ça ramène au sens profond du théâtre. En l'occurrence, ce projet est presque une mise en abîme de ce qu'est le théâtre: qu'est-ce que la mémoire? Que signifie de venir sur scène pour être entendu? Parce que la parole, dans ce projet, a presque une dimension vitale, pour eux. Par le théâtre, on peut continuer à faire entendre l'Histoire. C'est comme une réparation. Rendre à quelqu'un sa mémoire, c'est l'aider à se reconstruire. Et aujourd'hui, quelles sont les chances de voir cette pièce jouée un jour au Cambodge? Georges Bigot : La pièce a failli se jouer à Phnom Penh en septembre 2011 juste avant la venue de la troupe en France. Cela aurait été idéal, les artistes auraient créés la pièce chez eux, puis ils seraient partis en tournée à l’étranger, comme nous le faisons nous artistes français, mais le projet a été annulé. Il faut savoir qu'au Cambodge, la constitution interdit que l'on incarne le Roi Sihanouk. Ce dernier nous avait pourtant donné sa « Bénédiction », tout comme son fils, l'actuel Roi Norodom Sihamoni qui était très touché par ce projet de création au Cambodge, mais il nous fallait aussi l'accord du gouvernement. Au dernier moment, le ministère a rendu un avis défavorable. Quel rapport à la mémoire avez-vous pu évaluer dans le pays? Georges Bigot : Je me pose tout le temps cette question: est-ce que les Khmers ont envie, aujourd'hui, de raconter leur histoire? Dans quelle mesure les familles qui ont survécu au coup d’état et à la république de Lon Nol, aux Khmers rouges, à la « libération » vietnamienne, ontelles envie d'aller fouiller dans leur passé? Nous tentons d'avancer le plus délicatement possible. Nous menons cette aventure humaine et artistique comme un travail de mémoire, nécessaire à la construction de l’avenir de ce pays, en espérant qu’un jour la pièce soit jouée au Cambodge, par des artistes Khmers, en langue khmère, devant un public Khmer. Propos recueillis par Eve Beauvallet Comment avez-vous réagit à ce qui ressemble à un acte de censure? Georges Bigot : Ce n'est pas à proprement dit un acte de censure. Il faut être extrêmement prudent, à mon sens, avec cette question. Même si nous brûlons tous d'envie et surtout les comédiens que la pièce se joue un jour au Cambodge, je pense qu’il est plus prudent d'attendre encore. Ce n'est pas rien, ce qui se passe actuellement avec les nouvelles élections et les procès des cadres khmers rouges. Aujourd'hui, certains personnages de la pièce sont encore vivants, d'autres sont en procès. En amorçant ce projet, nous n’étions pas sûr du contexte politique. Y avait-il un danger à présenter cette pièce là-bas? Comment le savoir? Comment savoir si la protection des jeunes comédiens cambodgiens serait réellement assurée? Si un problème survient, nous rentrons en France, pas eux. Evidemment, selon notre logique de respect de la liberté d'expression, cette décision peut sembler inacceptable. Il nous faut faire avec le contexte exact de la vie actuelle au Cambodge. Dès que le pouvoir actuel comprendra que notre projet ne vise qu’à participer à la construction de l’avenir, nous pourrons jouer là-bas, j'en suis sûr. Il faudra encore du temps pour persuadé tout le monde sur le bien fondé de notre aventure. Qu'est-ce que ce projet a pu transformer ou conforter dans votre appréhension du théâtre? Delphine Cottu : Pour moi, ce projet est un miracle. La première fois qu'on y est allé, on ne pensait pas qu'on Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 32 noTes De mise en sCène georges BigoT J'ai eu l'immense honneur, en 1985, d'interpréter au Thétre du Soleil le rôle de Sa Majesté Norodom Sihanouk, roi du Cambodge dans la pièce L'Histoire terrible mais inachevée de Norodom Sihanouk, roi du Cambodge d'Hélène Cixous, mise en scène par Ariane Mnouchkine. La puissance métaphorique et poétique de l'œuvre d'Hélène Cixous et le génie visionnaire d'Ariane Mnouchkine avaient insufflé, aux jeunes acteurs que nous étions, la force et l'humilité respectueuse d'incarner cette période de l'Histoire Cambodgienne. Dans la continuité de la notion d'un théâtre de service public, qui leur est si chère et que nous partagions fermement avec elles, nous étions devenus ce Cambodge de théâtre, éclairant un public qui souvent prenait conscience des tragédie qui ont dévasté ce pays. En ce temps-là, nous étions nombreux à partager avec Ariane et Hélène le désir de jouer cette pièce au Cambodge. L'histoire ne l'a pas permis de cette manière-là. J'ai toujours eu la conviction, au plus profond de moi même, qu’un jour ce rêve se réaliserait, quoi qu'il arrive. J'étais lié pour toujours à cette histoire, grâce à ce fil si ténu, celui du coeur et de l'art, si fort et si fragile... Le désir d'aller au Cambodge, d'y rencontrer son peuple ne me quittait pas. Il y eût quelques opportunités, mais le grand respect que j'éprouve pour ce pays, que l'imaginaire et la force du théâtre m'avaient fait côtoyer si intimement pendant quelques années, me rendait insupportable l'idée d'y aller en vacances ou en touriste. Je ne concevais ma venue que dans la continuité de la rencontre, de l'action, bref, dans la vérité de l'échange. Patiemment, j'attendais qu'une occasion réelle se présente. Cette occasion s'est présentée en décembre 2007, quand Ariane m'a proposé de rejoindre le projet de la réalisation de la pièce au Cambodge avec des artistes cambodgiens. Le « destin » frappait à ma porte ! J'ai tout de suite répondu présent à cet appel et nous avons poursuivi le travail. Depuis, le projet a connu de nombreuses étapes sous forme d'ateliers de formation, jusqu'en automne 2009 où Ariane a officiellement confié la mission de mettre en scène la pièce à Delphine Cottu et à moi-même, avec les jeunes artistes de l’école des Arts Phare Ponleu Selpak. Les véritables répétitions ont commencé en juillet et août 2010 à Battambang. Il y eût de nouveaux cycles de répétitions en février et juin 2011. Le hasard a fait que le 25 juin 2011, veille de l'ouverture des procès des Khmers Rouges à Phnom Penh, la troupe a présenté, à Battambang, la première époque de L'Histoire terrible mais inachevée de Norodom Sihanouk, roi du Cambodge d'Hélène Cixous. Un nouveau « roi Sihanouk de théâtre » est né au Cambodge. Quelle émotion pour Delphine et moi de voir une partie de cette pièce, créée en France en 1985, se jouer au Cambodge par des Cambodgiens ! Quel honneur et quelle joie j'ai ressenti, d'avoir transmis le flambeau du « rôle » à Maradi ! C'est une jeune actrice, qui a grandi comme tous les autres membres de notre troupe cambodgienne, dans une banlieue pauvre de la ville de Battambang. Ces acteurs sont tous issus de milieux très défavorisés. Quelle émotion nous pouvions lire dans leurs yeux à la fin de cette présentation quand ils entonnèrent avec ferveur l'hymne national du Cambodge, devant ce public d'amis, de familles et de villageois des alentours, qui se tenait respectueusement debout pour recevoir leur désir de communion. La reconnaissance de ce public, étonné par la grande qualité artistique de leur jeu et l'engagement collectif qu'ils ont démontrés au service de cette pièce, leur a donné, pour la première fois, une confiance en eux-mêmes et en leur avenir, en tant que femmes et hommes de théâtre au Cambodge. Quand nous évoquons, avec Delphine, les dix futures représentations au Théâtre du Soleil, secrètement nous sourions, d’une joie espiègle, tels des enfants. Nous les imaginons sur ce fabuleux plateau qui a donné naissance à cette oeuvre il y a vingt-six ans et partageons ce bonheur, semblable à celui de « sages femmes ». Nous savourons ensemble l’humanité qu’ils nous offrent, ce « Phare » qui nous a guidé tout au long de cette mission jusqu’au coeur de l’humain. Plus que jamais cette lumière nous a réuni dans notre conviction qu’elle est l’essence de la pratique du théâtre. Comme fruit de l’amitié et de la reconnaissance mutuelle de nos deux grandes cultures et des liens véritables qui unissent nos deux nations, ce projet correspondra peut-être au désir, si souvent rencontré, du peuple cambodgien d’approcher au mieux des tenants de son histoire contemporaine, je le souhaite sincèrement. « Par l’Art, pour l’Humanité », cette aventure artistique et humaine plutôt rare, est ainsi une preuve de persévérance et de résistance au service de l’Histoire et de l’Art du théâtre dans le monde, mais aussi,un acte pour la reconstruction du pays, dans l’espoir que le Cambodge retrouve son fabuleux sourire ancestral. Novembre 2011 Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 33 Delphine CoTTu En janvier 2008, revenant d'une tournée à Taïwan où, avec le Théâtre du Soleil, nous avions joué Les Éphémères, je me suis rendue pour la première fois au Cambodge pour accompagner Ariane Mnouchkine qui dirigeait à Battambang un atelier avec les jeunes élèves majoritairement circassiens de l’école des Arts Phare Ponleu Selpak et les acteurs de la troupe Kok Thlok. Il s’agissait de remonter la pièce d'Hélène Cixous, L'Histoire terrible mais inachevée de Norodom Sihanouk, roi du Cambodge, créée par le Théâtre du Soleil en 1985. Du Cambodge, à cette époque, je ne savais que peu de choses, si ce n’est bien évidemment son « histoire terrible ». Le projet m'attire car, je le sens, il est travail sur la mémoire, source d’enseignement et promesse de découverte. Lors de ces deux semaines d’atelier, en présence de cinq autres de mes compagnons du Théâtre du Soleil (dont Maurice Durozier qui avait joué Pen Nouth à l'époque), et sous l'oeil de la caméra de Catherine Vilpoux, une forte émotion s'empare de moi lorsqu’Ariane remet en scène l'entrée de Sihanouk avec les acteurs cambodgiens. En quelques minutes, dans la belle salle de l'école des Arts, se réaniment devant mes yeux les protagonistes devenus légendaires de cette épopée, et j'entrevois, par l'imagination, le visage des acteurs qui les avaient incarnés vingt-trois ans plus tôt sur le plateau du Théâtre du Soleil. Pahn et de Roland Joffé. Je me compose une mémoire du Cambodge, et tisse les liens affectifs et poétiques qui m’unissent désormais au royaume khmer. La réalité du terrain viendra par la suite tout ébranler, quand, me retrouvant face au temps redoutable de la répétition, aucune certitude n’avait plus lieu d'exister, aucune attente plus lieu d’être satisfaite. Avec un tel projet, et dans un contexte politique toujours aussi tendu, le présent fait loi, et c’est sur une route fertile mais inexplorée, qu’aux côtés de Georges, mon précieux aîné, et de ces jeunes artistes si souvent enseignants, je me trouve aujourd’hui engagée. Novembre 2011 Ma relation avec le Cambodge fut dès lors instinctive, j'avais envie et besoin d'y retourner. Une correspondance secrète s’était établie entre les questions qui m'habitaient dans mon propre travail de comédienne durant Les Éphémères et ce projet qui cherchait, humblement, par la métaphore du théâtre et la force de l'écriture d'Hélène Cixous, à rendre au peuple cambodgien, au moins à une partie représentative, la mémoire de son histoire, de ses richesses, de sa culture, de son identité. En juin 2009, Ariane me demande de retourner à Battambang pour poursuivre ces ateliers de recherches avec Georges Bigot. Je découvre alors la générosité, l'exigence et le magnifique engagement de l'acteur qui avait incarné Sihanouk en 1985. Notre rencontre est forte et j'ignore à ce moment-là qu'elle sera le début d'une longue et belle collaboration. En octobre, Ariane décide de nous missionner tous les deux pour mener à bien cette aventure. Je pars alors sur les traces de cette histoire avec le Cambodge qui avait commencé pour le Théâtre du Soleil il y a 26 ans et qui croisait aujourd’hui mon profond désir de mise en scène. Dans les salles de lecture de la BnF, je découvre des cartons entiers de notes de répétitions, de photos du spectacle, soigneusement collées sur de petites plaques en bois et enveloppées dans du papier de soie. Je lis et relis la pièce d'Hélène Cixous, et découvre les ouvrages de William Shawcross, de François Bizot, d'André Malraux, de Dane Cuypers, les films de Rithy Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 34 Biographies georges BigoT Georges Bigot a été acteur au Théâtre du Soleil de 1981 à 1992. Sous la direction d’Ariane Mnouchkine, il a joué dans Richard II, La Nuit des rois et Henri IV de William Shakespeare ; L’Histoire terrible mais inachevée de Norodom Sihanouk, roi du Cambodge et L’Indiade de Hèlène Cixous, ainsi que dans Iphigénie à Aulis d’Euripide, Agamemnon et Les Choéphores d’Eschyle. Il y a incarné de façon marquante les rôles du Roi Richard II, du Duc Orsino, du Prince de Galles, du Prince Sihanouk et du Pandit Nehru. En 1986, il reçoit le prix du meilleur acteur, pour le rôle du Prince Norodom Sihanouk, décerné par le Syndicat National de la Critique. Depuis 1992, il a joué dans Figaro Divorce de Ödön Von Horvàth, mise en scène de Jean-Paul Wenzel (1993) ; Lélio ou le retour à la vie, d’Hector Berlioz avec l’Orchestre Philharmonique de Rotterdam (1993) ; Le Grain et la Balle, d’après Samuel Beckett, mise en scène de Stuart Seide (1994) ; Les Nouveaux Bâtisseurs de Mohamed Rhouabi, mise en scène de Claire Lasne (1997) ; Sauvés, d’Edward Bond, mise en scène de Laurent Lafargue (1997) ; Et ils passèrent des menottes aux fleurs… de Fernando Arrabal avec Le Petit Théâtre de Pain (1998) ; Le Cid, de Pierre Corneille, mise en scène de Declan Donnellan (1999) ; Titus Andronicus, de William Shakespeare, mise en scène de Simon Abkarian (2003) ; La vie de Galilée, de Bertolt Brecht, mise en scène de Christophe Rauck (2004) ; Embedded, de Tim Robbins, mise en scène de Georges Bigot (2006) ; La Mouette, de Anton Tchekhov mise en scène de Philippe Adrien (2006) ; La Chance de ma vie, mise en scène de Valérie Grail (2007) ; Pénélope Ô Pénélope, de Simon Abkarian, mise en scène de Simon Abkarian ; La Grande Magie, de Edouardo de Filipo, mise en scène de Laurent Lafargue (2008) ; Ciels, de Wajdi Mouawad, mise en scène de Wajdi Mouawad; Something Wilde, d’après Salomé de Oscar Wilde, mise en scène de Anne Bissang (octobre-novembre 2010) ; et en 2013 Mangeront-ils ? de Victor Hugo, mise en scène de Laurent Pelly à Genève, au Théâtre de Carouge et à Marseille, à la Criée. Il a mis en scène Kalo, de Maurice Durozier (1993) co-mise en scène avec l’auteur ; La Dispute de Marivaux (1994), Ambrouille, écriture collective du Petit Théâtre de Pain (2000), Le Retour de Bougouniéré, et Ségou Fassa, de Jean-Louis Sagot Duvauroux, avec l’atelier Bamako, fruit d’un long voyage et travail au Mali (2000 à 2004); La Mouette de Anton Tchekhov, créée à Los Angeles avec la compagnie de Tim Robbins The Actor’s Gang (2001), Ail d’Hélène Cixous au festival Teatromil de Santiago du Chili (2004). Il a traduit et mis en scène Embedded de Tim Robbins avec Le Petit Théâtre du Pain (création pour la première fois en France en mars 2006, tournée jusqu’en 2010), L’Histoire terrible mais inachevée de Norodom Sihanouk, roi du Cambodge (Première époque), d’Hélène Cixous (2011), CAFI de Vladia Merlet ; Ail d’Hélène Cixous (créée à Los Angeles avec la compagnie de Tim Robbins The Actor’s Gang (2012). Il enseigne depuis 2009 à L'école nationale supérieure de l'Académie de Limoges. Son esprit d’aventure l’a conduit à diriger le festival de théâtre Les Chantiers de Blaye durant six années, de 1996 à 2001. Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 35 Delphine CoTTu Delphine Cottu a été comédienne au Théâtre du Soleil entre 1997 et 2009. Entre 1992 et 2010, elle se forme au cours de stages auprès de Stuart Seide, Olivier Werner, éloi Recoing, Feruccio Soleri, Carolyn Carlson, Philippe Faure, Antonio Araujo, Catherine Germain, et Alexandre del Perrugia. De 1994 à 1995, elle joue dans On vient chercher Mr Jean, et Mon théâtre secret, de Jean Tardieu, mis en scène par G. Vernay. Elle travaille avec la compagnie Bagage de sable, sur la lecture de l’œuvre de Charlotte Delbo - assistante de Louis Jouvet, déportée et revenue des camps - avec 320 comédiennes, répartie sur 154 communes, la lecture est retransmise en simultanée sur France-Culture. En 1996, elle réitère l’expérience avec la lecture du Fil, l’œuvre autobiographique de Christophe Bourdin, mort du Sida en 1997. Elle continue sa formation à l’école de l’Embarcadère, Centre régional de formation aux arts et techniques du spectacle et pôle d’écritures contemporaines, à Besançon, qui lui permet de découvrir les textes de Roland Fichet, Noëlle Renaude, de rencontrer Jean-Luc Lagarce, et Michel Azama ; elle se forme auprès Lucas Belvaux, Anne-Marie Fijal, Christophe Galland, Laurent Pelly, et Jacques Livchine. C’est en jouant Séraphine, dans Le Suicidé, de Nicolaï Erdman, mis en scène par Joséphine Derenne, qu’elle fait la rencontre déterminante d’Ariane Mnouchkine. Elle suit ensuite une année de formation au Conservatoire national de région de Tours. En 1997, elle joue dans Amphitryon de Kleist, mis en scène par Serge Irlinger, au Théâtre de l’Utopia à La Rochelle, puis participe au stage organisé par Ariane Mnouchkine, à la suite duquel elle intègre le Théâtre du Soleil la même année. De 1997 à 1998, elle joue Charlotte, la stagiaire indocile dans Et soudain des nuits d’éveil. De 1999 à 2002, elle joue dans Tambours sur la digue. De 2003 à 2007, elle est Babouchka et Solange, l’infirmière à Sangatte, dans Le Dernier Caravansérail. Puis entre 2006 et 2009, elle tient les principaux rôles dans Les Éphémères. En 2010, elle joue La Puce à l’oreille, sous la direction de Paul Golub ; puis elle retrouve le Théâtre du Soleil pour lequel elle interprète le rôle de la narratrice des Naufragés du Fol Espoir, en alternance avec Shaghayegh Beheshti. Parallèlement, depuis 2004, Delphine Cottu encadre des ateliers de formation en France (classes option théâtre, à l’occasion notamment de la programmation du Théâtre du Soleil au baccalauréat), et à l’étranger (Maroc, Argentine, Israël). En 2007, elle collabore avec Charles-Henri Bradier pour sa création de L’ Arbalète magique, conte musical de Thon That Tiêt pour chanteurs et orchestre, avec l’ensemble Musica 13. En janvier 2008, elle accompagne Ariane Mnouchkine au Cambodge pour un atelier autour de la recréation de L’Histoire terrible mais inachevée de Norodom Sihanouk, roi du Cambodge. En juin 2013, Delphine Cottu était au Printemps des Comédiens de Monpellier dans Liliom, mise en scène de Jean Bellorini. Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 36 le Japon au FesTival D’auTomne à paris Une terre des possibles Depuis sa création, le Festival d’Automne à Paris poursuit un cap novateur et cosmopolite, une pratique vagabonde et subjective tournée vers d’autres territoires. Le Japon est l’une de ces terres des possibles conciliant modernité et tradition. Dès 1973, à l’invitation du Festival, des moines bouddhistes de la secte ésotérique Tendai exécutent une cérémonie du rituel shômyô à l’espace Cardin. Adeptes de l’universalité du salut pour toute l’humanité, les religieux viennent du temple Enryaku-ji, situé sur le mont Hiei, au-dessus de Kyôto, ancienne capitale impériale. Leurs chants liturgiques inaugurent une programmation qui ne cessera jamais de témoigner de la vitalité artistique du Japon. En 1975, au Théâtre des Bouffes du Nord, la compagnie Yoshi anime un atelier de techniques corporelles et vocales issues de pratiques spirituelles, des arts martiaux et du théâtre nô, avant de présenter Hannya Shingyo, spectacle dirigé par Yoshi Oida mettant en scène un rituel de purification shintô (religion fondatrice) et la récitation du « Sûtra du cœur » (« Hannya Shingyo »), court texte bouddhique populaire de tradition mahayaniste (Grand Véhicule). à la suite de sa première visite au Japon, en 1976, Michel Guy, fondateur du Festival d’Automne à Paris, a l’idée d’un programme japonais plus ambitieux et plus vaste, qui verra le jour deux ans plus tard : « faire partager les impressions si particulières, sans doute uniques au monde, qui saisissent l’Européen lorsqu’il découvre Tokyo. La parfaite cohabitation de la culture authentiquement japonaise et de l’hyper-civilisation à l’occidentale (le théâtre du kabuki n’est-il pas au cœur de Ginza ?), le profond enracinement d’un certain art de vivre, me semblaient être des éléments sensibles d’une importance capitale dans le développement de l’expression artistique du Japon d’aujourd’hui. » Il sait déjà que ce programme s’appuiera sur le compositeur Toru Takemitsu (1930-1996) et l’architecte Arata Isozaki, deux personnalités incarnant « cette permanence de la tradition et d’une conscience aiguë de la création ». Ma : le « lien entre » En 1978, alors que, de l’autre côté de l’Eurasie, un traité de paix et d’amitié est signé entre le Japon et la Chine et que L’Empire de la passion de Nagisa Oshima sort en salle, l’exposition MA Espace-Temps, au musée des Arts décoratifs, marque les esprits. Roland Barthes signe les textes d’introduction de cet événement majeur imaginé par Arata Isozaki. Sculpteurs, graphistes et photographes participent à cette installation d’un nouveau genre. Au Japon, le concept ma définit un intervalle spatial et temporel, une notion de distance existant naturellement entre deux objets ou entre deux actions. « C’est-à-dire aussi : vide et ouverture entre deux éléments, par exemple la notion d’absence qui oppose l’espace compris dans un paravent à l’espace compris dans la pièce. Ou, si l’on privilégie la notion du temps : intervalle, temps de pause existant dans un processus se déroulant en plusieurs moments. Il n’existe aucune différence entre les deux notions de temps et d’espace telles que les perçoivent les Européens. Ce concept est le fondement même de l’environnement, de la création artistique et de la vie quotidienne au point que l’architecture, I’art, la musique, le théâtre, l’art des jardins sont tous appelés des arts « MA »1. L’événement sera d’une portée considérable dans la perception que le public et beaucoup de créateurs auront désormais des principes régissant la création artistique japonaise. Cette même année, le public du Festival découvre le chorégraphe et interprète Min Tanaka, héritier artistique de Tatsumi Hijikata (1928-1986), créateur du butô, danse des ténèbres et des origines, dont l’épouse Yoko Ashikawa surgit comme un fantôme dans la Chapelle de la Sorbonne. Signe tangible des fidélités du Festival et de sa capacité à ne pas oublier, ce même Min Tanaka, celui qui « danse les lieux », sera invité en 2012, trente-quatre ans après, à présenter au Théâtre des Bouffes du Nord Locus Focus. Yoshi Oida conçoit et dirige Ame Tsuchi, exercices mythologiques japonais sur le Kojiki, premier livre d’histoire de l’empire insulaire. Sous le signe du pinceau, Sho, calligraphie contemporaine japonaise, expose cent quatre-vingts œuvres à la Chapelle de la Sorbonne. Des maîtres venus de l’archipel, représentants les principales tendances de la calligraphie contemporaine, exercent leur art en public. école d’humilité et de persévérance, la calligraphie trace « la vérité du geste sans défaillance ». Le trait devient mouvement traversant les possibles du temps et de l’espace. Dans ce même lieu et aux Arts décoratifs, musiques traditionnelles de koto (longue cithare), de shamisen (luth à trois cordes), de satsuma-biwa (luth), de shakuhachi (flûte droite en bambou) font écho aux compositions de Toru Takemitsu, Maki Ishii et de Jo Kondo. Ce programme inédit en Occident engendre un désir de Japon toujours plus intense. Le Festival accueille, en 1981, la troupe de Ichikawa Ennosuke III interprétant trois pièces de kabuki ; en 1983, la compagnie Motoaki Kanze présentant deux nô et un kyôgen puis, en 1990, le Grand Kabuki avec Nakamura Utaemon VI. En 1997, le Festival s’associe à l’année du Japon en France et présente, pour la première fois rassemblées dans une même manifestation, les trois grandes traditions du théâtre classique : le kabuki, placé sous le signe du spectaculaire, le hiératique et aristocratique nô – authentique scène nô Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 37 reconstituée dans la Grande Halle de la Villette pour un cycle exceptionnel de sept pièces sous l’égide du maître Kiyokazu Kanze, vingt-sixième de la dynastie Kanze – et le théâtre de marionnettes bunraku. Le jiuta-maï, danse de cour stylisée et sobre exécutée par des femmes, révèle par la retenue des gestes une grande quiétude. Trois générations de passeurs, trois compositeurs japonais – Yoritsune Matsudaïra, Toru Takemitsu et Toshio Hosokawa – offrent une traversée du XXe siècle entre le Japon et l’Europe. L’installation du plasticien Tadashi Kawamata, à la chapelle Saint-Louis de La Salpêtrière, souligne à nouveau l’importance de l’entre-deux, si primordial au concept ma. La virtuosité des artistes japonais invités, dont des « trésors nationaux vivants », a contribué au succès de cette XXVIe édition, réunissant soixante-sept mille spectateurs ! Naomi Kawaze et Nabuhiro Suwa, la rétrospective Shinji Aoyama, le cycle sur les arts martiaux dans le cinéma japonais témoignent tous de l’impossibilité d’un clap de fin avec le 7e Art japonais… Jean-Luc Toula-Breysse Au cours des dix dernières années, le Festival a su s’ouvrir à l’émergence d’une scène théâtrale japonaise née à Tokyo en présentant les mises en scènes et textes d’ Oriza Hirata et Toshiki Okada. Le chorégraphe et danseur Saburo Teshigawara, découvert en France en 1986 lors du concours international de Bagnolet, n’a cessé de poursuivre la recherche d’une « nouvelle forme de beauté », puisant ses sources dans la tradition japonaise comme dans les formes du présent. Chacune de ses pièces prolonge une réflexion sur l’équilibre fragile qui unit le corps à son environnement. Ce sculpteur du mouvement, à ses heures cinéaste et plasticien, fut invité à huit reprises. Ce bref retour sur une déjà longue histoire serait incomplète si l’on ne citait Ryoji Ikeda, plasticien et compositeur de musique, figure de la scène électronique minimaliste, profondément emprunt d’une beauté toute mathématique et cinétique. Cette nouvelle édition permettra de présenter deux pièces de Toshiki Okada (Ground and Floor et Current Location), de découvrir le travail de Daisuke Miura (Le Tourbillon de l’amour) et de revenir aux fondamentaux bien vivants de la tradition japonaise : un spectacle original de bunraku mis en scène par l’artiste photographe Hiroshi Sugimoto et une exposition à la Fondation Pierre Bergé – Yves Saint Laurent présentant des pièces d’art ancien japonais et des œuvres inédites provenant de la collection personnelle de Hiroshi Sugimoto. Sugimoto Bunraku Sonezaki Shinjû – Double suicide à Sonezaki Hiroshi Sugimoto Théâtre de la Ville 10 au 19 octobre Pages 41 à 46 1 D’après Arata Isozaki, archives du festival 1978. Le programme Japon page : Toshiki Okada / Ground and Floor Centre Pompidou 9 au 12 octobre Pages 37 à 40 Toshiki Okada / Current Location Théâtre de Gennevilliers 14 au 19 octobre Pages 37 à 40 Daisuke Miura / Le Tourbillon de l’amour Maison de la culture du Japon à Paris 5 au 7 décembre Pages 81 à 84 Le cinéma Au fil des éditions et des bobines, le Festival d’Automne à Paris s’est associé aux Cahiers du Cinéma pour rendre hommage à Kenji Mizoguchi (1898-1956), Akira Kurosawa (1910-1998), Toshiro Mifune (1920-1997), Takeshi Kitano, Kiyoshi Kurosawa. La rétrospective consacrée à Nagisa Oshima (1932-2013), figure de la « nouvelle vague » japonaise dépeignant la violence d’une société, le panorama des cinéastes japonais contemporain aux images de Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 38 ToshiKi oKaDa ToshiKi oKaDa Ground and Floor Current Location Texte et mise en scène, Toshiki Okada Texte et mise en scène, Toshiki Okada Avec Taichi Yamagata, Makoto Yazawa, Yukiko Sasaki, Mari Ando, Izumi Aoyagi Scénographie, Shusaku Futamura Musique, Sangatsu Dramaturgie, Sebastian Breu Régisseur général, Koro Suzuki / Son, Norimasa Ushikawa Lumière, Tomomi Ohira / Vidéo, Shimpei Yamada Traduction française, Mathieu Capel et Hirotoshi Ogashiwa Directrice de production, Akane Nakamura Manager compagnie, Tamiko Ouki Avec Yukiko Sasaki, Saho Ito, Kei Namba, Mari Ando, Izumi Aoyagi, Azusa Kamimura, Shiho Ishibashi Scénographie, Shusaku Futamura Musique, Sangatsu Dramaturgie, Sebastian Breu Régisseur général, Koro Suzuki Son, Norimasa Ushikawa Lumière, Tomomi Ohira / Vidéo, Shimpei Yamada Directrice de production, Akane Nakamura Manager compagnie, Tamiko Ouki FESTIVAL D’AUTOMNE à PARIS THEATRE DE GENNEVILIERS FESTIVAL D’AUTOMNE à PARIS CENTRE POMPIDOU Mercredi 9 au Samedi 12 octobre, mercredi et jeudi 20h30, vendredi et samedi 21h, 10€ et 14€ Abonnement 10€ Durée estimée : 1h30 Spectacle en japonais surtitré en français Production Kunstenfestivaldesarts (Bruxelles) Producteur exécutif chelfitsch (Tokyo) Producteur associé precog (Tokyo) Coproduction Hebbel am Ufer/HAU (Berlin) La Bâtie – Festivalde Genève KAAT (Kanagawa Arts Theater) ; Kyoto Experiment; De Internationale Keuze van de Rotterdamse Schouwburg ;Dublin Theatre Festival ; Théâtre Garonne (Toulouse) Onassis Cultural Center (Athène) Les Spectacles vivants – Centre Pompidou (Paris) ; Festival d’Automne à Paris Coréalisation Les Spectacles vivants – Centre Pompidou (Paris) ; Festival d’Automne à Paris Remerciements à Steep Slope Studio et Nao Kusumi Lundi 14 au samedi 19 ocobre 20h30, mardi et jeudi 19h30 12€ à 24€ Abonnement 10€ et 12€ Durée : 1h40 Spectacle en japonais surtitré en français Production chelfitsch (Tokyo) Producteur associé precog (Tokyo) Coproduction Doosan Art Center Coréalisation Théâtre de Gennevilliers, centre dramatique national de création contemporaine ; Festival d’Automne à Paris Remerciements à Steep Slope Studio Spectacle créé le 20 avril 2012 au (Kanagawa Arts Theater) (Japon) Spectacle créé le 22 mai 2013 au Kunstenfestivaldesarts (Bruxelles) Avec le soutien de The Agency for Cultural Affairs Government of Japan in the fiscal 2013 Avec le soutien de l’ONDA Office national de diffusion artistique Avec le soutien de la Fondation Franco-Japonaise Sasakawa, de The Japan Foundation (Performing Arts Japan Program for Europe) et de la Fondation pour l’étude de la langue et de la civilisation japonaises sous l’égide de la Fondation de France Contacts presse : Festival d’Automne à Paris Christine Delterme, Carole Willemot 01 53 45 17 13 Contacts presse : Festival d’Automne à Paris Christine Delterme, Carole Willemot 01 53 45 17 13 Centre Pompidou Agence Myra 01 40 33 79 13 Théâtre de Gennevilliers Philippe Boulet 06 82 28 00 47 Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 39 Toshiki Okada, qui a fondé sa compagnie Chelfitsch en 1997, est connu pour son « théâtre dansé », qui détourne la gestuelle du quotidien pour explorer les enjeux de la société contemporaine japonaise. Le thème du travail précaire était ainsi au centre de Hot Pepper, Air Conditioner and the Farewell Speech, présenté au Théâtre de Genneviliers dans le cadre du Festival d’Automne à Paris 2010. Avec Current Location et Ground and Floor, le metteur en scène ouvre un nouveau chapitre de son parcours. Marqué par le tragique séisme du 11 mars 2011 et l’accident nucléaire de Fukushima qui s’en est ensuivi, il y interroge le thème du changement et la recherche d’un rapport plus adéquat entre les individus et le monde. Ground and Floor suit ainsi le parcours d’une femme en butte aux contraintes sociales, parlant une langue japonaise ordinaire, mais comme en voie d’extinction. Current Location se déroule dans un univers de sciencefiction, où sept femmes évoluent dans un village que l’on dit « damné ». Alors que les rumeurs circulent, chacune adopte une attitude différente à l’égard de cette menace. Comment faire face à une réalité fragmentaire et incertaine, qui semble perdre toute vraisemblance ? Comme le résume Toshiki Okada : « On veut à tout prix changer les circonstances, et si l’on ne peut pas, on est frustré ou en colère. On se promet de changer, ou bien on hésite. On essaye de rester calme en toutes circonstances. On dit que c’est une question de courage ou de lâcheté, ou alors, on ignore la question… On espère ne pas faire d’erreur, pour avoir raison. Et on compare cet espoir aux erreurs irréversibles que l’homme a commises par le passé. Les personnages de Current Location vivent ainsi, et nous aussi. » Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 40 enTreTien ToshiKi oKaDa Vous avez écrit que Current Location ouvrait un nouveau chapitre de votre carrière. Pour quelle raison ? Toshiki Okada : Avant, je ne m’intéressais pas à la fiction, au fait de raconter des histoires. Current Location est la première pièce pour laquelle je me suis intéressé à la fiction. La raison de cela, c’est que j’ai vécu un changement après la catastrophe du 11 mars 2011 et l’accident nucléaire qui s’en est suivi. Après cette catastrophe, j’ai changé ma manière de voir le théâtre et son rôle dans la société. J’ai commencé à m’intéresser au fait de placer une fiction devant le public – c’est-à-dire devant la société. J’espère ainsi créer une tension entre cette fiction et la société. En quel sens entendez-vous le mot fiction ? Est-ce une réalité alternative, quelque chose de totalement imaginaire... ? Toshiki Okada : C’est quelque chose qui ne s’est pas produit en réalité, mais qui peut donner au public l’occasion de réfléchir. C’est cela, l’effet et le sens de la fiction. Avant 2011, ce n’est pas ce que je pensais. Je pense aujourd’hui qu’une société après une catastrophe a besoin de fiction, a besoin d’une tension avec quelque chose. La fiction est le meilleur moyen de créer une tension avec la société. La pièce, dîtes-vous, se déroule dans un univers de science-fiction. Qu’est-ce qui vous a intéressé dans la science-fiction ? Avez-vous été inspiré par certains livres ou films ? Toshiki Okada : Quand j’ai eu l’idée de créer une fiction, la science-fiction était un objectif. C’est-à-dire que je ne voulais pas seulement créer une histoire fictionnelle à une petite échelle, mais créer une histoire complètement irréelle. Je ne sais pas dans quelle mesure Current Location est véritablement de la science-fiction, mais c’est à cela que je pensais en la montant. On y parle de rumeurs, d’un village damné, de la question de la croyance en une réalité peu assurée... Toshiki Okada : Cela provient du tremblement de terre et de l’accident nucléaire. Comme les radiations sont invisibles, c’était facile pour certaines personnes qui n’y croyaient pas de ne pas voir la réalité. D’autres, au contraire, pensaient que c’était une situation extrêmement dangereuse. Donc nous, les Japonais, nous vivons exactement la même situation que celle qui est présentée dans Current Location. Dans Current Location, le public est sur scène. Quel rôle joue-t-il ? Toshiki Okada : La raison de mon intérêt pour la fiction est la relation qu’elle crée avec le public. Si l’on met en scène une fiction de façon classique, cette relation se produit. Mais, d’une certaine façon, je ne pouvais pas me résoudre à faire cela. Je n’aurais pas complètement cru à cet effet. Je voulais que le public comprenne l’effet de cette expérience de la fiction, en voyant la pièce. C’est pourquoi Current Location ne montre pas seulement l’histoire, mais aussi la relation entre l’histoire et le public. Dans Current Location et Ground and Floor, comment avez-vous abordé la chorégraphie ? Pouvez-vous nous parler du processus créatif avec les acteurs ? Toshiki Okada : Je n’aime pas le rapport conventionnel du mouvement au langage. Ce type de mouvement ne me convainc pas. Le mouvement que j’apprécie est celui qui se tient à une distance appropriée du langage. Lorsque je crée un mouvement avec les acteurs, je leur demande de faire un mouvement qui provient d’une image qu’ils ont en tête, et pas d’un discours. Les acteurs de Current Location et de Ground and Floor connaissent très bien ma méthode. La plupart d’entre eux travaillent avec moi depuis longtemps. Non seulement ils comprennent ma méthode, mais ils ont leur propre interprétation de ma méthode, donc ils ont leur propre méthode maintenant ! Il y a cinq ans, c’était donc facile pour moi de vous décrire la façon dont nous créions le mouvement pour une pièce, parce que je leur disais quelque chose qu’ils apprenaient. Aujourd’hui, je ne suis plus certain de la façon dont ils travaillent. Mon critère, c’est : est-ce que j’aime ou non ce qu’ils font ? Est-ce que cela me convainc ou non ? Quel était le point de départ de Ground and Floor ? Toshiki Okada : Ma curiosité à l’égard de la fiction se poursuit. Après Current Location, je voulais réussir à faire une pièce avec cette même curiosité. Mais la différence avec Current Location réside dans l’utilisation de la musique, et dans sa relation avec la pièce. Pour Current Location, j’avais travaillé avec le groupe Sangatsu et j’avais aimé leur travail. Ils utilisent une guitare, une basse et une batterie, donc ils ressemblent à un groupe de rock sauf qu’ils utilisent ces instruments de façon expérimentale. J’étais satisfait de notre collaboration et je voulais aller plus loin, leur donner un plus grand rôle. La musique était très importante, mais elle était en toile de fond, elle était moins importante que la pièce. Pour Ground and Floor, je voulais qu’elle vienne au premier plan. Parfois, les musiciens venaient aux répétitions et improvisaient en regardant le spectacle. La musique dans la pièce précédente était plutôt calme, presque silencieuse, et là je ne voulais pas qu’elle soit timide. Parfois, elle dérange la pièce à cause de sa présence, et cela m’intéresse d’être dérangé par la musique. Que signifie le titre de la pièce ? Toshiki Okada : Le sol (ground) est immobile, le plancher (floor) est mobile. L’histoire de la pièce tourne autour de la mobilité : est-ce que vous quittez le pays dans lequel vous êtes né ou est-ce que vous restez ? Si vous Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 41 Biographie pensez que votre pays est devenu dangereux, il est possible que vous vouliez partir. Mais cela crée des problèmes. Il y a dans Ground and Floor un personnage de fantôme : une femme morte qui dort sous la terre. Elle a besoin de l’aide des vivants. C’est le fantôme d’une mère, qui a deux fils. Elle veut qu’ils s’occupent d’elle. L’un des deux fils s’acquitte bien de cette tâche, et l’autre non, il veut quitter cet endroit. Lui et sa femme ne pensent pas qu’il y ait de l’espoir à rester. Donc ils sont confrontés à un problème : ils veulent partir, mais il y a des choses qu’ils doivent faire. Comment votre rapport au langage a-t-il évolué ces dernières années ? Pour Ground and Floor, vous dîtes que les personnages sont comme quelques « rares locuteurs du japonais, dans un monde où ils ont tous presque disparu ». Pouvez-vous nous en dire plus ? Toshiki Okada : Ces temps-ci, je suis préoccupé par l’idée que la langue japonaise va disparaître. Après avoir fait l’expérience de la catastrophe et de la faillite du gouvernement, je me suis rendu compte que je ne pouvais plus compter sur eux. à cause de ce gouvernement pitoyable, la langue japonaise pourrait disparaître. Par ailleurs, depuis environ six ans, j’ai eu l’opportunité de montrer mes pièces à l’étranger – et tout particulièrement en Europe. Je parle japonais, mais je sais que presque personne ne comprend le texte. Le public voit le spectacle et entend la langue, et je trouve cela très intéressant, curieux, bizarre même. Donc cette idée du langage dans Ground and Floor provient de mon inquiétude à l’égard du japonais et de mon expérience en Europe. Propos recueillis par Barbara Turquier ToshiKi oKaDa Toshiki Okada est né en 1973 à Yokohama. Il est auteur dramatique et metteur en scène. En 1997, il fonde la compagnie de théâtre Chelfitsch, dont il a écrit et mis en scène toutes les productions, en appliquant une méthodologie distincte que l’on reconnaît à son langage très familier et ses chorégraphies très particulières. En 2005, le spectacle Five Days in March remporte le prestigieux 49e prix Kishida Kunio. En 2005, Okada a participé au prix Toyota de la chorégraphie avec son spectacle Air Conditioner (Cooler) (2005) qui lui a valu beaucoup d’attention. En février 2007, il fait ses débuts littéraires avec le recueil de nouvelles Watashitachi ni Yurusareta Tokubetsu na Jikan no Owari (The End of the Special Time We Were Allowed) pour lequel il s’est vu attribuer le prix Kenzabure. Depuis 2012, il fait partie du jury du prix Kishida Kunio. Toshiki Okada au Festival d’Automne a Paris : 2008 Freetime (le CENTQUATRE) Five days in March (Théâtre de Gennevilliers) 2010 We are the Undamaged Others et Hot Pepper, Air Conditioner and the Farewell Speech (Théâtre de Gennevilliers) Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 42 Sugimoto Bunraku Sonezaki ShinjûDouble suicide à Sonezaki Mise en scène et direction artistique, Hiroshi Sugimoto Composition et direction musicale, Tsurusawa Seiji Chorégraphie, Waka Yamamura Vidéo, Hiroshi Sugimoto et Tabaimo Avec Tsurusawa Seiji (shaminsen), Yoshida Ichisuke (manipulateur), Kiritake Kanjuro (manipulateur) et 24 interprètes Traduction et surtitrage, Patrick De Vos FESTIVAL D’AUTOMNE à PARIS THEATRE DE LA VILLE Jeudi 10 au samedi 19 octobre 20h30, samedi 15h et 20h30, dimanche 15h, relâche lundii 25€ et 35€ Abonnement 25€ Durée : 2h25 avec entracte Spectacle en japonais surtitré en français Hiroshi Sugimoto, reconnu comme l’un des plus grands photographes contemporain japonais, s’approprie un classique de la scène nipponne : le théâtre de marionnettes bunraku, inscrit au patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’Unesco. Après avoir embrassé l’univers du théâtre nô, l’artiste met en scène, dans une nouvelle production, Le pèlerinage à la déesse Kannon, extrait du Double suicide à Sonezaki (Sonezaki shinjû) du dramaturge Chikamatsu Monzaemon (1653-1724). Jeune et innocent, Tokubei a pour bien-aimée une belle courtisane nommée Ohatsu, pleine de dévotion pour Kannon, une divinité bouddhique compassionnelle. Les amants, croyant que le bonheur les attend de l’autre côté de la vie, se poignardent. L’histoire s’inspire d’un fait réel qui fit grand bruit à Osaka en 1703. Par cette création, Hiroshi Sugimoto, considérant le bunraku comme un opéra, investit la tradition pour la vivifier. En modelant la lumière, le maître du noir et blanc reflète L’éloge de l’ombre. Il revisite l’espace scénique, reconfigure les dimensions du plateau, introduit des projections vidéos, imagine une installation d’une extrême qualité plastique, pour donner âme à ces acteurs de bois. Fruit d’une longue méditation avec des maîtres du Théâtre national de bunraku que sont les manipulateurs, les récitants et les joueurs de shamisen (luth japonais à trois cordes), dont plusieurs « trésors nationaux vivants », le spectacle aborde le thème d’Eros et Thanatos, « matière de toutes les émotions ». Organisateurs, The Japan Foundation, The Odawara Art Foundation (Tokyo) D’après l’œuvre originale Sonezaki shinju tsuketari Kannon meguri de Chikamatsu Monzaemon (extraite de Shin-Nihon koten bungaku taikei, Iwanami Shoten Publishers) Production The Odawara Art Foundation (Tokyo) Conseillère, Emmanuelle de Montgazon Coréalisation Théâtre de la Ville-Paris ; Festival d’Automne à Paris En collaboration avec Bunraku Kyokai (Osaka) et la Maison de la Culture du Japon à Paris Le Festival d’Automne à Paris présentera lors de cette édition une exposition de Hiroshi Sugimoto Accelerated Buddha à la Fondation Pierre Bergé - Yves Saint Laurent du 10 octobre au 26 janvier Avec le soutien de Boucheron Paris et de Shiseido pour la production de ce spectacle au Japon Avec le soutien de la Fondation d’entreprise Hermès, de la Fondation Franco-Japonaise Sasakawa et de la Fondation pour l’étude de la langue et de la civilisation japonaises sous l’égide de la Fondation de France Spectacle créé le 14 août 2011 au Kanagawa Arts Theatre (Japon) Contacts presse : Festival d’Automne à Paris Christine Delterme, Carole Willemot 01 53 45 17 13 Théâtre de la Ville Jacqueline Magnier 01 48 87 84 61 Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 43 le speCTaCle enTreTien Sugimoto Bunraku Sonezaki Shinjû hiroshi sugimoto Sugimoto bunraku : Sonezaki Shinju (Le pèlerinage à la Déesse Kannon tiré du Suicide amoureux à Sonezaki) est une adaptation originale de théâtre de marionnettes traditionnel japonais bunraku, qui a été créée en aôut 2011 au Théâtre des Arts de Kanagawa (KAAT). Les trois représentations exceptionnelles de cette pièce ont remportées un grand succès devant plus de 5 000 spectateurs. En France, vous êtes surtout connu comme photographe, et l’on connaît mal vos incursions dans le domaine des arts de la scène. Quand les avez-vous découverts, comment y êtes-vous venu? Hiroshi Sugimoto : J’ai toujours été familier des arts de la scène japonais. Mon père était un homme d’affaires qui aimait beaucoup les arts et qui a longtemps offert son patronage à des artistes appartenant à différentes traditions. Ma mère pratiquait la danse dite buyô et détenait même une licence d’enseignement. La maison familiale se muait régulièrement en une sorte de salon pour ces artistes, et résonnait de bout en bout du son du shamisen, des voix des récitants ou des conteurs comiques (rakugo). Dès la petite enfance, mes oreilles se sont ainsi familiarisées avec les rythmes japonais qui sont la base des arts de la scène. Vous connaissez ce sens du « ma », d’intervalle de temps (qui est aussi bien « un espacement »), qui en est la caractéristique, avec ceci de très important qu’il s’agit toujours de travailler sur les retards, les effets de syncopes, sur ce qui ne tombe pas juste; bref un rythme inexact, car il ne saurait se plier entièrement à la mesure. On est très loin en effet de la mesure parfaite de la musique occidentale; on y est, intentionnellement, dans une sorte d’imperfection. De la même manière qu’on évite dans les arts visuels du Japon tout effet de symétrie, toute définition d’un centre, d’un axe ordonnant par un milieu arithmétique. Il n’est pas de genre, de discipline, de sensation qui ne soit travaillé par ce sens du « ma ». J’en suis imbibé depuis toujours et il m’est donc très cher. C’est une source vitale, jaillissant de nos arts de la scène. Si, parvenu à la soixantaine, je me suis senti requis par eux, c’est aussi parce que j’ai voulu prendre du recul par rapport à une pratique assise sur une matérialité, ou qui tend à fixer les choses dans la matière, à leur conférer une semi-pérennité, fût-elle sous l’espèce d’une simple surface comme dans la photographie. Le sentiment m’est peu à peu venu que cet art de la surface est finalement d’un niveau inférieur, et que le sommet de l’art est du côté des arts de la performance. Ici, la perfection, l’achèvement doit être atteint dans le moment même de son émergence, juste avant de disparaître, en ne cherchant nullement à se conserver, sinon, peut-être, dans la mémoire. C’est l’étape suprême de l’art, celle où il refuse de devenir objet. J’ai poursuivi encore cette recherche dans Sambasô, une performance récente, créée à New York, avec l’acteur de kyôgen Nomura Mansai. Je voulais que l’on puisse y pressentir comme les signes d’une épiphanie, celle d’un élément que je serais tenté d’appeler “divin”, faute de pouvoir mieux exprimer ce que représente le personnage éponyme – dont le nom est intraduisible. J’ai finalement nommé cette pièce « Divine Dance » (non sans allusion à la Divine Comédie). « Divine » aussi parce qu’il s’agit d’une danse sacrale que, dans les premiers temps de l’humanité au Parmi les nombreuses pièces de cet art traditionnel du Bunraku - fierté du Japon et patrimoine immatériel de l’UNESCO - Sugimoto a choisi le Suicide amoureux à Sonezaki, l’une des plus célèbres de l’auteur dramatique Chikamatsu Monzaemon. Basée sur une adaptation fidèle du scénario original de Chikamatsu lors de la première représentation de la pièce au XVIIIème siècle, cette adaptation est une grande première également au Japon. En effet, Sugimoto apporte ici, grâce à sa profonde connaissance des arts traditionnels du Japon et à son regard novateur, une interprétation nouvelle du théâtre de marionnettes joruri. La participation des plus grands acteurs du Théâtre National de Bunraku (récitants, joueurs de shamisen et manipulateurs) a d’ores et déjà fait l’objet d’une attention particulière. Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 44 Japon, les hommes auraient offert aux dieux au moment de sceller un pacte fondateur avec eux. Je ne connais pas d’autre exemple de danse dans le monde qui nous relie à des temps aussi reculés. Car celle-ci nous met en communication avec les mythes anciens, à travers une transmission continue, celle des acteurs d’abord dont on peut remonter le cours jusqu’au XVème siècle au moins, et audelà à travers la tradition orale des récits. Cette ligne généalogique n’est peut-être pas sans rapport avec l’histoire de la royauté japonaise, dont la continuité est avérée depuis le VIIème siècle, mais que les mythes prolongent bien au-delà, en la faisant remonter à des temps immémoriaux. Il y a quelque chose de merveilleux, et d’unique au monde, dans ces continuités propres à la civilisation japonaise; c’est en particulier le cas des arts de la scène qui s’y sont transmis de façon ininterrompue, d’homme à homme, de façon vivante. Le théâtre grec est certes très ancien, mais il nous est parvenu au prix de solutions de continuité énormes, et d’une disparition quasi totale de ses formes scéniques. Dans cette longue histoire au Japon, il y a aussi bien des discontinuités. Le bunraku est plus récent: il date du XVIIème siècle et il a fallu des décennies pour qu’il ressemble à la forme que nous connaissons aujourd’hui. Hiroshi Sugimoto : Je ne voulais évidemment pas dire que dans le cas du Japon, ces arts scéniques se soient transmis à l’identique. Bien au contraire, la modification est pour ainsi dire de rigueur. On parle dans la poésie classique de honkadori, d’une technique éprouvée consistant à s’appuyer sur un modèle. Il ne s’agit pas de citer, ni de copier, mais de transposer, de faire autre chose avec le même. Les grandes anthologies de l’antiquité se renouvelaient ainsi. On ne peut lire le Shin-kokinshû (Nouveau Recueil des poèmes anciens et modernes) en ignorant le Kokinshû qui le précède et cette pratique du honkadori. La question de l’originalité et du droit de procéder ainsi ne se posait pas, car rien n’était plus éloigné des hommes du passé que notre conception des « droits d’auteur » : imiter les modèles consacrés pour leur qualité était une chose parfaitement naturelle au Japon, et en Extrême-Orient de manière générale. Il en allait de même de Chikamatsu Monzaemon, l’auteur de Sonezaki shinjû, qui possédait une culture littéraire phénoménale, incluant bien sûr les classiques chinois. Il s’y réfère constamment. C’est là, je crois, une dimension fondamentale de la culture japonaise: on y cherche à définir, à exprimer la modernité d’une époque, moins dans la négation de celles qui précèdent, que dans leur réinterprétation, dans une réappropriation singulière, en cherchant à les faire coïncider à nouveau avec le présent. Dans votre propre démarche de « réappropriation » des arts scéniques du passé, pourquoi vous êtes-vous intéressé d’abord au bunraku? Ce sont les marionnettes qui vous ont attiré? Hiroshi Sugimoto : Avant de m’intéresser au bunraku, j’ai monté deux nô : un grand classique, Yashima, de Zeami, puis, toujours en bénéficiant de la collaboration de grands acteurs du nô, Takahime, adapté de At the Hawk's Well (« Au puits de l'épervier ») de W.B. Yeats. L’écrivain irlandais avait écrit cette pièce en 1916 sous l’influence du nô qu’il avait pu lire dans les traductions de Fenellosa. La découverte du nô, de sa dramaturgie des revenants, lui avait permis de réinvestir de façon originale les mythes celtiques qui nourrissaient son univers littéraire, de les réinscrire dans la modernité. C’est évidement en cela que la pièce me questionnait. Après le nô, je ne pouvais qu’aller vers le bunraku, encore qu’il y ait aussi ce troisième genre qu’est le kabuki dans notre tradition théâtrale, mais il m’intéresse moins: trop kitsch. Et bien trop coûteux! Il est vrai aussi qu’avant cela j’avais photographié les figures de cire de Mme Tussauds, la photographie me permettant de jouer avec des effets de réel. Cette fois, il s’agit de reprendre ce travail mais avec les moyens des poupées du bunraku, et la technique très sophistiquée de ce théâtre pour conférer à ces objets morts une réelle présence, de les montrer comme des choses vivantes. La photographie a toujours été pour moi une technique pour ressusciter ce qui est mort, et en ce sens elle me destinait assez naturellement à ce théâtre. A quelles conditions cet art particulier du bunraku peutil être réinscrit aujourd’hui dans notre modernité ? Hiroshi Sugimoto : La logique de la tradition est en effet de se réécrire sans cesse au présent. Et cela ne se fait pas forcément en cherchant désespérément à faire des avancées. Il faut souvent aller à reculons, revenir en arrière, voire même remonter aux commencements pour progresser. C’est une loi de la tradition. Est-ce pour cela que je me suis intéressé à la toute première des pièces dites de sewamono (« genre domestique ») de Chikamatsu? Elle constitue en effet un point de départ auquel il fallait revenir, parce que la charge du réel y était aussi très forte. C’est une pièce-reportage, il ne faut pas l’oublier. Je me suis très vite rendu compte que le plus moderne était dans cette pièce qui est aujourd’hui l’une des plus anciennes du répertoire, qu’il fallait rejoindre ce commencement, cette pièce pionnière avec laquelle Chikamatsu réinventait le genre des sewamono pour les poupées. Elle travaillait au cœur de l’actualité de l’époque. Mais si elle est un chef-d’œuvre, cela tient aussi à son sujet, le shinjû, le suicide d’amour, et à la façon dont Chikamatsu l’a abordé. Sous sa plume, cette histoire sinistre est comme transfigurée; la mort elle-même s’y transforme et devient belle. La pièce est tendue vers un temps absent, celui d’après la mort, qu’elle donne à Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 45 imaginer. Elle a convaincu la jeunesse de l’époque que ce temps était celui d’une expérience de la beauté qui ne pouvait avoir lieu dans le monde des vivants. Au cours de la période d’Edo, la spiritualité du Bouddhisme a perdu beaucoup de son influence, mais cette pièce eut l’effet de redonner du sens, de ressusciter la pensée de ce qu’on appelle la Terre Pure. Notre bas monde est impur, dit cette pensée, et ce n’est que dans l’autre monde que l’on peut s’en libérer, que les âmes peuvent accéder à la Pureté. Et ce fut une ruée. Les suicides d’amour proliférèrent, devinrent quasiment une mode – les jeunes se tuèrent par centaines: un véritable phénomène social. A tel point que les autorités prirent des mesures d’interdiction très sévères. La pièce fut proscrite et il fallut attendre deux siècles et demi avant qu’on ne la remette à l’affiche. J’ai pensé qu’il y avait sens à la restituer aujourd’hui dans son intégralité, car cela n’avait jamais été fait. Vous avez donc choisi de rétablir la longue scène d’ouverture dite du pèlerinage à la déesse Kannon, scène qu’on a toujours coupée depuis les premières reprises de la pièce dans les années 50, car on la jugeait fastidieuse. Hiroshi Sugimoto : Elle est essentielle cependant pour comprendre la pièce et son héroïne, O-Hatsu. Il s’agit d’une misérable fille de joie, contrainte de se prostituer dans les quartiers de plaisirs sans qu’elle puisse entrevoir la fin de son calvaire. Son unique salut repose dans une foi profonde en Kannon, divinité qui lui offre la garantie d’être sauvée de sa condition malheureuse, d’être accueillie après la mort dans la Terre Pure. On ne peut comprendre sa décision de mourir sans cela. Et c’est elle qui prend les devants, qui tire l’action vers sa conclusion: Tokubei, son amant, ne fait que suivre, se laisse entraîner, sans y croire autant qu’elle, et l’on peut même sentir des résistances chez lui. Toujours est-il que dans un contexte chrétien, où le suicide est considéré comme une offense à Dieu – peut–être même l’offense suprême – une telle volonté de mourir, affirmée comme elle l’est ici, aurait sans doute été impensable. On ne peut y disposer à sa guise de la vie que Dieu vous a confiée. Alors qu’au Japon, détruire sa vie dans le but d’être accueilli par la divinité et d’entrer dans un état de Pureté est parfaitement concevable. Mais ce n’est pas Roméo et Juliette, car dans la pièce de Shakespeare, la mort des amants est finalement due à un malentendu, aux aléas du destin. De ce point de vue, la mort de O-Hatsu et de Tokubei ne peut être dite tragique. La traduction française de la pièce est présentée dans une anthologie complète des « tragédies bourgeoises » de Chikamatsu. Hiroshi Sugimoto :Au sens strict, je dirais qu’il y a contresens à parler de « tragédie ». Car ils vont à la mort, sereins, anticipant le bonheur à venir. Serait-il exagéré de parler de « happy end »? Certes, il y a un côté pathétique dans leur adieu au monde: ils abandonnent leurs parents à la tristesse de la séparation. Il y a aussi tout un aspect malheureux, mais qui appartient aux contradictions de ce monde. L’amour des deux héros est en proie à des contrariétés: il est marié, elle appartient à une catégorie d’êtres méprisables que même un magasinier d’un commerce d’huile ne saurait épouser. Toutes sortes de pressions sociales pèsent terriblement mais il y a une humanité qui est plus forte, plus profonde, que le terme japonais de « jô » exprime bien. Le mot est difficile à traduire; il peut vouloir dire : « amour », « tendresse », « pitié », « affection », « compassion », « désir sensuel », mais ne coïncide avec aucun de ces sens en particulier. Il en est comme la somme. Il est ce sentiment, cette force irrépressible qui demande à se réaliser quels que soient les obstacles que la société y oppose, quitte à les conduire dans la mort. Ce jô est au cœur de la dramaturgie de Chikamatsu, mais dans Sonezaki shinjû – la scène inaugurale du pèlerinage en est l’annonce – il s’accomplit grâce à Kannon, grâce à la foi dans sa miséricorde: sans tristesse, et même porté par l’allégresse qui hâtent les amants vers la mort, vers la bouddhéité promise. C’est pourquoi dans les représentations de notre spectacle au Japon, Kannon paraît sur la scène sous la forme d’une antique statue, que l’on pourra d’ailleurs voir à Paris dans l’exposition qui m’est consacrée : « Accelerated Buddha ». Votre approche est double et apparemment paradoxale: vous restaurez le passé enfoui d’une œuvre perdue par la tradition, vous revenez à sa lettre authentique, et simultanément vous bouleversez de fond en comble les modalités, la grammaire technique de la représentation. Comment les artistes de la manipulation, les récitants et musiciens ont-ils accepté de vous suivre ? Hiroshi Sugimoto : Je suis en effet parti du texte le plus proche de celui de la première en 1703 et je n’en ai pas coupé une virgule. On ne sait rien, ou presque, de la façon dont il était mis en scène; aucune trace non plus de la partition musicale. Il a donc fallu tout imaginer. Sur le plan musical, on ne pouvait adopter le rythme tranquille des pièces d’antan; les représentations ne se déroulent plus sur une journée entière comme autrefois. La scène du pèlerinage en particulier, avec ses 33 étapes, le long et lent développement rhétorique autour des noms de temples s’annonçait redoutable. J’ai donc demandé à Tsurusawa Seiji de la concevoir comme une ouverture à l’usage d’un Jimmy Hendrix du shamisen qui apparaîtrait des dessous de scène. Une autre des rares choses que l’on sait de l’époque de la création est que les poupées n’étaient pas encore manipulée à trois, selon la formule aujourd’hui plus que consacrée, mais à un seul marionnettiste. C’est le génie de l’époque, Tatsumatsu Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 46 Hachirôbei, qui a créé le personnage de O-Hatsu, et la tradition orale rapporte qu’il est l’auteur de maintes innovations. Kiritake Kanjûrô a merveilleusement relevé le défi de cette manipulation en solo. Pour ce qui est des inventions, il n’a pas été en reste car il s’est ingénié à compenser l’absence de ses deux assistants en conférant à la poupée une mobilité jusqu’à alors inédite : celle, notamment, de chaque doigt des deux mains, phalange par phalange. Il a également conçu un costume original à partir du motif, repris d’une œuvre d’une artiste aborigène, d’un foulard de chez Hermès. J’ai cherché personnellement à « agrandir » les marionnettes, et leur donner plus de vie et c’est pourquoi j’ai demandé aux artistes de se masquer continûment, ce qu’ils ne font pas d’ordinaire. Je dois dire que j’ai été sidéré par l’énergie, le volontarisme de ces artistes, parmi les plus brillants du bunraku d’aujourd’hui. Je ne les ai pourtant pas ménagés. En particulier les marionnettistes que j’ai obligés à travailler dans la plus grande obscurité et selon un axe perspectif qui leur est totalement étranger, car il les prive de leur orientation fondamentale dans l’espace, qui est latérale. Je les oblige ainsi à prendre des risques dont ils ne sont pas du tout familiers. Mais loin d’opposer une résistance à mes demandes incongrues, ils prenaient les devants, et parfois c’était moi qui devais tempérer leurs ardeurs réformistes. Ces trésors vivants se révélaient finalement plus radicaux que moi. 1 Danse de style ancien, issue principalement de la tradition du kabuki. 2 Farces qui, traditionnellement, faisaient office d’intermède entre deux pièces de nô. 3 Ou Kokinwakashû, la première anthologie de waka (poème de 31 syllabes) compilée sur ordre impérial. Achevée autour de 912, elle compte 1111 waka, qui constituèrent des modèles pour les générations suivantes. Quelque deux cents ans plus tard, le Shin-kokinshû (anthologie achevée en 1205) allait exercer une influence non moins importante, notamment sur les poètes du théâtre nô des siècles ultérieurs. Propos recueillis par Patrick De Vos Biographie hiroshi sugimoTo Né à Tokyo en 1948, Hiroshi Sugimoto étudie la photographie aux états-Unis dans les années 1970. Artiste pluridisciplinaire, il travaille avec la photographie, la sculpture, les installations et l’architecture. Son art relie les idéologies orientales et occidentales tout en exami- nant la nature du temps, de la perception, et les origines de la conscience. Dioramas, Theaters, Seascapes, Architecture, Portraits, Conceptual Forms et Lightnings fields, sont ses séries les plus connues. Ses œuvres figurent parmi de nombreuses collections publiques, dont celles du Metropolitan Museum of Art et du MoMA à New York, de la National Gallery et de la Tate Modern à Londres, et du Musée national d’art moderne ainsi que du Musée d’art contemporain de Tokyo. La série Portraits, initialement produite pour le Deutsche Guggenheim Berlin, a été également présentée au Guggenheim Bilbao en 2000 et au Solomon R. Guggenheim New York en mars 2001. En 2006, une rétrospective de ses oeuvres a été organisée par le Hirshhorn Museum de Washington, D.C et le Mori Art Museum de Tokyo, donnant lieu à la publication d’une monographie intituée « Hiroshi Sugimoto ». Au début des années 2000, il commence des mises en espaces et débute ses collaborations avec les arts vivants traditionnels : Noh performance of Yashima daiji interprété par Naohiko Umewaka au Kunsthaus Bregenz en Autriche et à la Dia Center for the Arts à New York en 2001, Modern Noh – The Hawk Princess à la Japan Sociery de New York en 2005, et récemment Sanbaso – Kami hisomi iki au Kanagawa Arts Theatre à Yokohama en 2011 puis au Solomon R.Gugenheim Museum de New York en 2013. En 2011, il créé en collaboration avec la compagnie Nationale de Bunraku d’Osaka, Sugimoto Bunraku Sonezaki Shinju, au Kanagawa Arts Theatre et devient le premier artiste à revisiter une pièce du Bunraku traditionnel. En 2008, à l’occasion d’une exposition personnelle au 21st Century Museum of Contemporary Art de Kanazawa, intitulée « The History of History », il regroupe ses propres oeuvres avec des pièces de sa collection d’Art ancien japonais et dévoile ainsi un aspect essentiel de son travail en dialogue et questionnement avec les sources les plus anciennes de civilisation et de spiritualité. Il étend également son champs d’activité à la littérature et à l’architecture. En 2008, il publie un second essai au Japon Utsutsu-na-zo (Edition Shinchosha) et fonde New Material Laboratory à Tokyo alors qu’il est impliqué dans la conception des espaces extérieurs et l’aménagement du Izu Photo Museum (2009). Il a également conçu l’aménagement de oak omotesando à Tokyo (2013). Il créé Odawara Art Foundation en 2009 qu’il va doter d’un lieu dont il conçoit actuellement l’architecture et l’aménagement paysagé du site. Hiroshi Sugimoto est lauréat du Mainichi Art Prize (1988), du Hasselblad Foundation International Award in Photography (2001), du prix Photo España (2006) et du Praemium Imperiale Award (2009). Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 47 Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 48 ClauDe régy La Barque le soir de Tarjei Vesaas (reprise) Adaptation par Claude Régy du texte « Voguer parmi les miroirs », extrait du roman de Tarjei Vesaas La Barque le soir, traduit du norvégien par Régis Boyer Mise en scène, Claude Régy Assistant à la mise en scène, Alexandre Barry Scénographie, Sallahdyn Khatir Lumière, Rémi Godfroy Son, Philippe Cachia Avec Yann Boudaud, Olivier Bonnefoy, Nichan Moumdjian FESTIVAL D’AUTOMNE à PARIS LE CENTQUATRE Jeudi 24 octobre au dimanche 24 novembre, mardi au samedi 20h, dimanche 16h, relâche lundi 15€ et 20€ Abonnement 12€ Durée : 1h20 Création Les Ateliers Contemporains Coproduction Odéon-Théâtre de l’Europe (Paris) ; CDN Orléans-Loiret-Centre ; Théâtre National de Toulouse Midi-pyrénées et Théâtre Garonne ; Comédie de Reims ; Festival d'Automne à Paris Réalisation LE CENTQUATRE (Paris) Spectacle créé le 27 septembre 2012 à l’ Odéon-Théâtre de l’Europe / Ateliers Berthier dans le cadre du Festival d’Automne à Paris Ce que personne d’autre ne sait Dans ce texte s’invente un univers vierge parce que se brouillent continûment les frontières : monter et descendre, toucher le fond parmi la vase, émerger à la surface – à peine un quart de visage, le nez seul peut-être. Respiration – très peu d’air – asphyxie – lutte farouche pour l’interrompre. Ce qu’on ressent, c’est le trouble constant de l’absence de démarcation. « Pas une mort violente, mais une mort profonde, silencieuse. » Une vie profonde, silencieuse. C’est l’écho qu’on entend au loin. A demi cadavre, un homme dérive accroché, d’un bras, à un tronc d’arbre qui flotte à la surface d’un fleuve. Il dérive vers le sud « comme une conscience blessée. » Des choses qui viennent d’une autre existence – la sienne sans doute en un autre temps – se déchaînent sur lui. A moins qu’il s’agisse des manifestations d’une existence extérieure à la sienne. Il s’agit en tout cas d’un déchaînement de forces qui s’opposent à lui, contraint comme il est de s’abandonner au courant. Vesaas laisse de grands espaces de liberté où peuvent jouer les clés secrètes de notre conscience. Il écrit un pur poème et nous le ressentons illimité. Pour l’homme qui navigue – étrange navigation – son reflet dans l’eau et sa propre place tout contre la mort peuvent dire – c’est un moment unique – ce que personne d’autre ne sait. Un cheminement lent au bord de l’inconnaissable. L’ultime ne finit pas. C’est une ouverture – pour un temps prolongé – à une libre coexistence de la vie et de la mort. Une sorte de permanence est donnée au passage du seuil qui cesse, par là même, d’être fatal et émotionnel. C’est une aventure du corps et de l’esprit, une expérience à l’extrême du vivant, dans le moment infiniment dilaté de sa rupture. La dilatation permet l’observation au-delà même du savoir. Claude Régy, mars 2013 Contacts presse : Festival d’Automne à Paris Christine Delterme, Carole Willemot 01 53 45 17 13 CENTQUATRE Virginie Duval 01 53 35 50 96 Ateliers Contemporains / Claude Régy Nathalie Gasser 06 07 78 06 10 Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 49 enTreTien ClauDe régy Après Brume de Dieu, pièce tirée du roman Les Oiseaux, vous poursuivez votre exploration de l'écriture de Tarjei Vesaas avec La Barque le soir. D'où est venu le désir de prolonger votre travail sur Vesaas ? Claude Régy : La lecture de La Barque le soir m'a beaucoup frappé. L'écriture y est très différente de celle de ses romans antérieurs. D'œuvre en œuvre, l'écriture de Vesaas n'a cessé de se chercher, de se transformer ; elle ne s'est jamais fossilisée dans un « style ». On a l'impression que pour lui, chaque œuvre nécessitait l'invention d'une nouvelle langue. La Barque le soir est son dernier livre, et là, il atteint l’épure. Je crois que c'est cette avancée qui m'a donné envie de poursuivre, d'essayer moi aussi — avec lui — d'aller plus loin. Ce qui m'a convoqué en premier lieu dans La Barque le soir, c'est le caractère de l'écriture – pleine de sautes, de soubresauts. Ce caractère fragmentaire se manifeste aussi bien au niveau du livre lui-même – composé de textes juxtaposés – que dans le rythme des phrases et le rapport des images. Pour lire Vesaas, il faut accepter de se perdre, attendre que se perçoivent les fils par quoi les choses se raccordent. Ce qui est surprenant, c'est que Vesaas donne à ce livre le nom de « roman », alors que formellement, on dirait plutôt des nouvelles : ce sont des morceaux de souvenirs personnels, une traversée de son être par éclats, qui parvient à toucher quelque chose d'un au-delà de l'inconscient. Je crois que Lacan parlait d'une région au-delà de l'inconscient qui resterait un mystère. C'est de cette région-là que Vesaas s'occupe – cherchant à en laisser affleurer quelque chose dans ses mots. Dans La Barque le soir, l'écriture se fait extrêmement secrète, elle va plus loin que jamais dans l'exploration des régions enfouies de l'être. Ce qui m'a frappé également, c'est le refus d'opposer les contraires. Rien n'est univoque. Les choses s’inversent sans cesse. Dans le texte que j'ai choisi de traiter, « Voguer parmi les miroirs » — il est issu du livre La Barque le soir — on suit une conscience qui coule, qui touche le fond – on est emporté avec elle, happé par une force qui nous précipite dans une eau sombre, asphyxiante... Mais, sans que l'on sache comment, un courant finit par faire remonter l'homme à la surface, où il s'accroche à un tronc d'arbre qui flotte là. Vesaas invente alors une navigation étrange, entre deux eaux : la dérive d'un être qui n'est plus tout à fait conscient – qui est qualifié de « demimort ». Une vie à peine maintenue hors de la mort... C'est cet état ambigu, qui m'a attiré, fait de mort et de vie, d'obscurité et de lumière, unifiant le fond et la surface. Toujours entre. L'individu anonyme qui dérive ainsi n'a plus de forces, sa conscience erre de sensation en sensation, entrevoit des lumières, entend des bruits. Sa parole même est perdue : à un moment, il entend un chien, et il en vient à lui répondre en aboyant. Même à cet endroit – celui du langage – le texte dessine une frontière vacillante entre l'humain et l'animal, le silence et la parole... Cet état qui intéresse Vesaas produit une béance du sujet : à mesure que la conscience rationnelle s'amenuise, l'univers perceptif s'élargit à un monde parallèle fait de reflets, d'illusions... Claude Régy : Oui, le noyé plus ou moins rescapé a des visions, il entend des bruits. Il bascule entièrement du côté de l'imaginaire. L'écriture cherche à restituer ce passage très fragile entre « l'imaginaire pur » et ce qu'on appelle le réel, ou entre la « normalité » et ce qu'on appelle la folie. En effet, comme dans Les Oiseaux, on retrouve là – à un autre niveau, moins lisible, plus enfoui – cette friabilité qui m'intéresse beaucoup entre la maladie mentale et l'état dit « normal » de l'esprit, ce qu'on appelle la normalité. Cette frontière, il s'agit de la faire vibrer : la conscience vacille au bord de l'hallucination. Oui, un au-delà : on pourrait parler d'un au-delà du langage, mais on pourrait presque dire un au-delà de tout. à partir d'un monde apparemment simple, Vesaas nous renvoie à la part la plus indéchiffrable de nous-mêmes. L'état prolongé d'extrême proximité avec la mort — dépeint dans ce texte — permet d'approcher quelque chose comme un secret absolu — à la frontière du connu et de l'inconnu. En dilatant les bords de la vie, Vesaas nous fait entrevoir ce qui reste habituellement invisible. Du coup, c'est une exploration tout à fait unique à laquelle je convie les spectateurs. Bien entendu, il faut que les spectateurs désirent vivre cette expérience – qui ne sera pas de l'ordre de l'agrément ou du divertissement, mais de la recherche : en essayant de comprendre comment l'écriture se fait, s'invente, se régénère, le spectateur est invité à écrire lui-même une part de l'œuvre. J'espère qu'à partir de choses qui ont l'air très personnelles à l'étrange navigateur, des recoupements auront lieu, des correspondances avec nos vies, la complexité de notre nature. Ce qui est frappant dans cette écriture, c'est que les correspondances que vous évoquez émergent par les liens manquants, par les vides. Claude Régy : Oui, c'est très important, il faut insister làdessus. C'est une écriture qui repose sur le manque. Cela m'attire parce que je pense faire un théâtre fondé sur le manque. Selon moi, il faut qu'il y ait un manque dans la représentation pour toucher à la réalité du théâtre. La question est : comment représenter, comment transmettre quelque chose si on se prive des moyens de la représentation ? J'ai envie de répondre : en se privant des moyens habituels de la communication, Vesaas invente une voie d'expression tout à fait unique, une voie que j'aimerais emprunter à mon tour. Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 50 Brume de Dieu était un monologue, pour lequel vous aviez extrait un fragment du roman Les Oiseaux. Comment avez-vous procédé avec La Barque le soir, et quel rapport au texte s'en dégage ? Claude Régy : Le travail des gens de théâtre – qu'ils soient acteurs, metteurs en scène, scénographes, créateurs lumière – porte essentiellement sur les différents niveaux imaginaires du texte, sur la manière de les révéler, de les faire entendre. Mais en creusant la matière de La Barque le soir je me suis aperçu que le théâtre exigeait de ne pas épuiser les facultés réceptives et créatives du spectateur. J'ai donc décidé de procéder à une sorte d'adaptation, qui s'est faite progressivement, par étapes. Pour qu'il soit possible d'entrer dans cette écriture, une brièveté relative du texte est tout à fait essentielle. La beauté du spectacle se manifeste à partir du texte, mais pour aller au-delà – dans les manques, les blancs, les silences. Il faut rétablir ce temps de non-écriture, ce temps où on « parle avec le silence » ; réussir à créer les conditions nécessaires pour que les mots préparent le terrain à « un silence qui parle ». D'où la nécessité de faire des syncopes, d'opérer des coupes, d'accentuer l'expression par le silence. C'est un aspect que soulève Régis Boyer, le traducteur de Tarjei Vesaas : les peuples scandinaves ont un rapport très particulier au silence. Ils peuvent rester ensemble des jours entiers sans qu'une parole ne soit dite. Pour eux, le silence est une forme de langage. Comme dirait Henri Meschonnic, ce n'est pas un « arrêt » du langage, mais bien une catégorie à part entière du langage. Cela peut paraître très théorique, mais c'est pourtant un aspect que l'on peut éprouver matériellement, physiquement au théâtre. Le travail du texte concerne trop souvent le débit, la virtuosité, le jeu, l'agitation – ce que certains appellent le rythme, mais qu'ils confondent avec la vitesse... On a pu se moquer dans mon travail de cette extrême lenteur, de ce goût du silence. Pour ma part, j'ai choisi d'être du côté de la non-expression voire de la non-représentation, et de me servir essentiellement de la lumière, du son, du texte — donc de l'acteur — et du silence. Régis Boyer cite cette autre belle phrase de Vesaas : « à qui parlons-nous lorsque nous nous taisons ? ». J'entends là, secrètement, une analogie avec votre travail théâtral. À la fois un silence qui parle, et une adresse indécise. Claude Régy : Je crois que le silence a une force très grande. Je ne peux travailler que dans le silence. Il est très important que les gens qui sont là, avec moi, ne fassent pas de bruit, qu'il n 'y ait pas de conversations. Pour Brume de Dieu, j'avais même demandé aux ouvreurs et aux ouvreuses d'obtenir le silence avant que la représentation ne commence. C'est une véritable préparation au spectacle. Si les spectateurs abandonnent le brouhaha de la vie quotidienne, les problèmes qui les agitent, je pense qu'ils peuvent pénétrer beaucoup plus profondément dans l'univers de Vesaas. Je ne voudrais pas que cela paraisse abusif ; c'est plutôt un sas permettant de véritablement écouter : écouter ce langage qui, par des bribes, exprime des pans entiers de l'être. À propos de silence, le jeu de l'acteur dans Brume de Dieu était très radical : on avait l'impression qu'il arrachait chaque mot au silence, à l'issue d'un effort presque surhumain. Claude Régy : Brume de dieu a été un processus très particulier. En un sens, le jeune acteur avec lequel j'ai travaillé, Laurent Cazanave, m'a dépassé dans la lenteur. En l'écoutant, j'ai d'abord pensé que ce débit serai insupportable, que l'on cesserai de comprendre. Et petit à petit, je me suis laissé imprégner, et je l'ai laissé travailler à son propre rythme. Je crois qu'il a senti d'instinct que s'il disait le texte autrement, il risquait de le massacrer, c’està-dire de ne pas laisser s'exprimer ce qui y est déposé – qui ne remonte à la surface qu'à condition de n'opposer aucune résistance. C'est une indication majeure que je lui ai donnée : au lieu de vouloir faire, se laisser traverser. Laisser faire les mots, le rythme, les sons, ne pas essayer à tout prix « d'avoir des idées ». C'est une chose que Jon Fosse – lui-même disciple de Vesaas, et que j'ai plusieurs fois mis en scène – explique très bien : l'essentiel, lorsqu'on se met à sa table de travail pour écrire, c'est d'écouter. Ne surtout pas chercher à remplir. Jon Fosse ajoute que le metteur en scène, comme l'écrivain, doit écouter avant d'agir – ainsi que l'acteur. C'est une très grande leçon de théâtre. Remplacer l'activité par la passivité. Reconnaître une vertu créatrice à la passivité. Laisser des choses arriver, se condenser, se manifester. Pour La Barque le soir, vous avez décidé de travailler avec plusieurs acteurs. Comment se manifeste cette pluralité : allez-vous travailler à la manière d'une structure chorale, faisant ressortir différents niveaux d'interprétation du texte ? Claude Régy : Non. à vrai dire, les autres acteurs seront des présences muettes, ayant valeur de signes : des démultiplications du sujet qui parle – mais aussi des démultiplications des spectateurs ou des lecteurs. Pour moi, cela signifie que le travail se fait à plusieurs, qu'il est tramé d'échos atteignant une collectivité. Ces acteurs, on peut les voir comme une sorte de Chœur muet, un Chœur de reflets en miroir. Par ailleurs, je voudrais travailler aussi avec des images. Ce ne seront pas des images fixes, réalistes, mais des images flottantes, non reconnaissables, construisant une sorte de monde sous-marin où des formes apparaissent et se transforment ; comme un écho au texte, où l'on ne sait jamais si ce qui se produit est réel, imagi- Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 51 naire, halluciné... Tout le texte est fondé sur un état semi-conscient, proche du sommeil, peuplé de processus inconscients. J'aimerais que le public sorte du spectacle en ayant l'impression d'avoir rêvé. Quand nous nous souvenons de nos rêves – sans savoir si le souvenir est exact ou déformé – c'est souvent avec étonnement, avec l'impression que ces images nous sont étrangères. Il y a en nous un être sans manifestations tangibles, visibles. Tout l'enjeu du théâtre est de se laisser aller à l'écoute de cet être. Cet être au-delà du conscient, Henri Michaux l'appelait le « lobe à monstres »... Claude Régy : C'est une belle expression. Je voudrais créer un univers qui évoque la possibilité de monstres intérieurs. Après le travail avec Laurent Cazanave sur Brume deDieu, comment avez-vous choisi l'acteur pour La Barque le soir ? Claude Régy : Il s'agit de Yann Boudaud, un acteur qui a travaillé avec moi pendant six ans – par exemple dans La Mort de Tintagiles, Holocauste, Mélancholia, Quelqu'un va venir. L'écriture de Vesaas, qu'il ne connaissait pas, l'a énormément attiré. Nous avons commencé à explorer le texte ensemble avec plus d'un an d'avance. On a souvent le sentiment en lisant cette écriture que quelque chose d'imminent se prépare – un événement « presque-là », qui ne cesse de vouloir se manifester sans jamais « arriver ». Ce sentiment me semble assez proche de votre manière d'aborder la scène comme un horizon : une approche sans finalité, dont le but resterait voilé... Claude Régy : Oui, la thématique de l'approche – quel que soit le nom donné à ce que l'on approche. La sensation de se trouver au seuil. A la bordure des choses. Il y a une phrase dans Les Oiseaux qui, pour moi, incarne ce flottement, cette lisière : « il entrevit quelque chose qu'il ne comprenait absolument pas ». Il entrevit – toujours prudent – quelque chose – c'est très vague – qu'il ne comprenait absolument pas. Je l'interprète comme l'idée qu'il peut y avoir une perception au-delà de la compréhension. Il me semble que la volonté de sens à tout prix limite la perception. Ce qu'on ne comprend pas, malgré tout, parle et nous dit quelque chose. C'est par la fréquentation de l'inconnu qu'on peut ouvrir certaines portes dont on n'avait pas forcément conscience. Si les spectateurs ne comprennent pas tout dès les cinq premières minutes, ce n'est pas grave. Il faut apprendre la patience. Dans une période de retour à l'amusement, ou à une vio- lence exacerbée, il me paraît très important de ménager des espaces où rien n'est donné à l'avance. Des espaces où le non-résolu prédomine. Des espaces où le public demeure dans une possibilité d'imagination personnelle. Propos recueillis par Gilles Amalvi (pour la création en septembre 2013) Note Un mathématicien – Alain Connes – pense que la plupart des énoncés mathématiques qui sont vrais sont en fait indémontrables. Il pense qu’il y a des choses vraies mais qu’on n’arrive pas à percevoir. Un astrophysicien – Michel Cassé – pense, lui, qu’il n’y a aucune raison de nier l’existence de ce que nous ne pouvons pas percevoir et dont nous ne pouvons parler. Ce dont on ne peut pas parler, il faut l’écrire, dit Derrida. Il semble que, par intuition, Vesaas soit proche de ces chercheurs. Pour eux tous, le matérialisme est une idée un peu naïve parce que la théorie du matérialisme se fonde sur une compréhension partielle des choses : elle identifie le réel au matériel. Erreur réductrice. Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 52 Biographies ClauDe régy Né en 1923. Adolescent, la lecture de Dostoïevski « agit en lui, comme un coup de hache qui brise une mer gelée ». Après des études de sciences politiques, il étudie l’art dramatique auprès de Charles Dullin, puis de Tania Balachova. En 1952, sa première mise en scène est la création en France de DOÑA ROSITA de García Lorca. Très vite, il s’éloigne du réalisme et du naturalisme psychologiques, autant qu’il renonce à la simplification du théâtre dit « politique ». Aux antipodes du divertissement, il choisit de s’aventurer vers d’autres espaces de représentation, d’autres espaces de vie : des espaces perdus. Ce sont des écritures dramatiques contemporaines — textes qu’il fait découvrir le plus souvent — qui le guident vers des expériences limites où s’effondrent les certitudes sur la nature du réel. Claude Régy a créé en France des pièces de Harold Pinter, Marguerite Duras, Nathalie Sarraute, Edward Bond, Peter Handke, Botho Strauss, Maurice Maeterlinck, Gregory Motton, David Harrower, Jon Fosse, Sarah Kane. Il a dirigé Philippe Noiret, Michel Piccoli, Delphine Seyrig, Michel Bouquet, Jean Rochefort, Madeleine Renaud, Pierre Dux, Maria Casarès, Alain Cuny, Pierre Brasseur, Michael Lonsdale, Jeanne Moreau, Gérard Depardieu, Bulle Ogier, Christine Boisson, Valérie Dréville, Isabelle Huppert… Au-delà du théâtre, qui selon lui ne commence qu’en s’éloignant du spectacle, Claude Régy écrit un long poème, fragile et libre, dans la vastitude et le silence, irradié par le noyau incandescent de l’écriture. Découvreur d'écritures contemporaines, étrangères et françaises, Claude Régy est un des premiers à avoir mis en scène des œuvres de Marguerite Duras (1960), Nathalie Sarraute (1972), Harold Pinter (1965), James Saunders (1966), Tom Stoppard (1967), Edward Bond (1971), David Storey (1972), Peter Handke (1973), Botho Strauss (1980), Wallace Stevens (1987), Victor Slavkine (1991), Gregory Motton (1992), Charles Reznikoff (1998), Jon Fosse (1999), David Harrower (2000), Arne Lygre (2007). Il a également travaillé à la Comédie Française : Ivanov d'Anton Tchekhov en 1985, Huis clos de Jean-Paul Sartre en 1990. Il a mis en scène des opéras : Passaggio de Luciano Berio (1985), Les Maîtres-chanteurs de Nuremberg de Wagner (1990) au Théâtre du Châtelet, Jeanne d'Arc au bûcher de Paul Claudel et Arthur Honegger (1991) à l'Opéra de ParisBastille. En 1995, Paroles du Sage (L'Ecclésiaste retraduit de la Bible par le linguiste Henri Meschonnic). En 1997 La Mort de Tintagiles de Maurice Maeterlinck. Puis création de Holocauste du poète américain Charles Reznikoff, au Théâtre national de la Colline et en tournée durant toute l’année 1998. Saison 1999/2000, deux créations successives au Théâtre Nanterre-Amandiers : Quelqu’un va venir du Norvégien Jon Fosse (Festival d’Automne à Paris) et Des couteaux dans les poules du jeune Ecossais David Harrower. Janvier 2001, création de Melancholia - théâtre, extraits du roman de Jon Fosse Me- lancholia I (Théâtre national de la Colline à Paris, puis tournée à Caen, Rennes et Belfort). La même année au KunstenFestivaldesArts, création d’une œuvre musicale, Carnet d’un disparu de Léos Janacek, d'abord à Bruxelles, puis au Festival International d’Art Lyrique d’Aix-en-Provence, au Théâtre Nanterre-Amandiers / Théâtre&Musique et au Carré Saint-Vincent d’Orléans. Le dernier texte de Sarah Kane, 4.48 Psychose est créé en octobre 2002, avec Isabelle Huppert, au Théâtre des Bouffes du Nord, avant de tourner à Caen, Gérone, Genève, Lorient, Lisbonne, Anvers, Lyon, Rennes, Sao Paulo, puis en 2005 à Montpellier, Los Angeles, New York, Montréal, Berlin, Luxembourg et Milan. En octobre 2003, création d'une nouvelle pièce de Jon Fosse, Variations sur la mort, au Théâtre national de la Colline. En janvier 2005 création, avec la comédienne Valérie Dréville, de Comme un chant de David, 14 psaumes de David retraduits par Henri Meschonnic (Théâtre national de Bretagne - Rennes, MC2 - Grenoble, De Singel - Anvers, puis de janvier à mars 2006, Théâtre national de la Colline - Paris et CDN de Normandie-Caen). En septembre 2007 création de Homme sans but du jeune écrivain norvégien Arne Lygre, à l'Odéon-Théâtre de l'Europe (Ateliers Berthier), puis en tournée : Genève, Lyon, Anvers, Montréal. Ode maritime de Fernando Pessoa sera créée en juin 2009 au Théâtre Vidy Lausanne puis au Festival d'Avignon en juillet, et reprise en tournée début 2010, au Théâtre National de Strasbourg puis à Lorient, Paris (Théâtre de la Ville), Toulouse, Montpellier, Villeneuve d'Ascq, Belfort, Grenoble, Reims, au Japon (Festival de Shizuoka, puis Kyoto) et enfin au Portugal (Festival d'Almada - Lisbonne). Il crée à l'automne 2010 Brume de dieu à partir du roman de Tarjei Vesaas Les Oiseaux, au TNB Rennes, puis à Paris (Ménagerie de Verre, Festival d’Automne à Paris), épinal, Vire, Tours, Toulouse, spectacle repris pendant la saison 2011-12 à Paris (Ménagerie de Verre, Festival d’Automne à Paris), Orléans, Cherbourg, Brest, Angers, Aix-en-Provence, Bruxelles et Marseille. Il a publié plusieurs ouvrages : Espaces perdus - Plon 1991, réédition Les Solitaires Intempestifs 1998, L’Ordre des morts - Les Solitaires Intempestifs 1999 (Prix du Syndicat de la critique 2000 - meilleure publication sur le théâtre), L’État d’incertitude - Les Solitaires Intempestifs 2002, Au-delà des larmes - Les Solitaires Intempestifs 2007, La Brûlure du monde (livre et DVD) - Les Solitaires Intempestifs 2011, Dans le désordre - Actes Sud 2011, La Mort de Tintagiles, Maurice Maeterlinck / collection « Répliques » - Babel / Actes Sud 1997. Dans sa filmographie, il a réalisé : Nathalie Sarraute - Conversations avec Claude Régy — La Sept / INA 1989. Plusieurs films lui ont été consacrés : Mémoire du Théâtre « Claude Régy » — INA 1997, Claude Régy - le passeur — réalisation Elisabeth Coronel et Arnaud de Mézamat, Abacaris films / La Sept Arte 1997, Claude Régy, par les abîmes — réalisation Alexandre Barry, Arte / One time 2003, Claude Régy, la brûlure du monde — réalisation Alexandre Barry, Local Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 53 TarJei vesaas Films 2005. Claude Régy au Festival d’Automne à Paris : 1978 Elle est là (Centre Pompidou) 1984 Passaggio (Théâtre du Châtelet) 1985 Intérieur (Théâtre Gérard Philipe – CDN) 1988 Le Criminel (Théâtre de la Bastille) 1990 Le Cerceau (Théâtre Nanterre-Amandiers) 1994 La Terrible Voix de Satan (Théâtre Gérard Philipe) 1999 Quelqu'un va venir (Théâtre Nanterre-Amandiers) 2003 Variations sur la mort (La Colline – Théâtre national) 2007 Homme sans but (Odéon – Théâtre de l’Europe) 2010 et 2011 Brume de Dieu (Ménagerie de Verre) 2012 La Barque le Soir (Odéon - Théâtre de l’Europe / Atelier Berthier) Tarjei Vesaas est né à Vinje en Norvège, dans le comté du Telemark, le 20 août 1897. Il est mort à Oslo le 15 mars 1970. Il est un écrivain norvégien de langue néo-norvégienne, dénommée nynorsk, une langue rejetant les influences étrangères. Son œuvre est dominée par une omniprésence de la nature et de ses plus profonds secrets. Ainsi s’enterrent elles-mêmes les racines. Ses parents possédaient la ferme Vesaas et lui, aîné de trois fils, devait prendre la succession de son père et hériter de l’exploration familiale. Ces paysans entretenaient – et c’est surprenant – un vif intérêt pour la lecture, souvent collective et à voix haute, à la ferme, lors des soirées prolongées par la prédominance de la nuit. Tarjei refuse la succession de la ferme et se veut écrivain. à vingt ans, il suit une sorte d’université populaire qui lui fait connaître les plus grands écrivains de son pays et d’Europe. Grâce à des bourses, il voyage en Europe en 1925 puis en 1927. En 1934 (il a trente-sept ans), il épouse une femme écrivain Halldis Moren et se fixe à Midtbø, ferme construite par son grand-père maternel, tout près de la ferme de ses parents. D’abord, deux tentatives de publication échouent. Mais très rapidement, Tarjei Vesaas s’impose comme un des plus grands écrivains norvégiens. Il inspire toute une nouvelle génération d’auteurs et, très particulièrement, Jon Foss. Vesaas nous laisse 40 romans, dont 13 seulement sont traduits en français. Deux d’entre eux sont très célèbres : Les Oiseaux et Palais de glace. Son dernier livre, La Barque le soir, révèle un art qui, loin de s’achever, est toujours tourné vers la recherche, sculptant l’obscur avec des outils de métal. Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 54 anDré wilms paroles D’aCTeur Casimir et Caroline d’Ödön von Horváth Mise en scène, André Wilms Avec Margot Bancilhon, Natalie Beder, Sigrid Bouaziz, Pierre Cachia, Esteban Carvajal Alegria, Vincent Heneine, David Houri,Julia Piaton, Yann Sorton et Sarah Stern FESTIVAL D’AUTOMNE à PARIS ASSOCIATION ARTISTIQUE DE L’ ADAMI ATELIER DE PARIS-CAROLYN CARLSON Lundi 4 au vendredi 8 novembre 20h30 10€ et 14€ Abonnement 10€ Un soir, en Allemagne. La fête de la bière bat son plein. Le parc d’attraction rutile, les manèges et les barbes à papa s’accumulent et l’amour, dans la fleur de l’âge, s’est donné rendez-vous en plein air. Les conditions extérieures sont ici réunies pour que s’épanouisse l’amour de Casimir et Caroline… Mais voilà : Ödön von Horváth écrit cette oeuvre populaire en 1931 et la crise économique mondiale se substitue rapidement au décor chatoyant des attractions foraines. Dans le chef d’oeuvre de ce dramaturge hongrois de langue allemande, adulé par l’impétueux Peter Handke, le héros vient d’être renvoyé de son emploi de chauffeur et craint que l’héroïne ne le quitte pour réaliser ses rêves d’ascension sociale avec plus riche et plus puissant que lui. L’âge des ballades amoureuses n’est plus, chante amèrement Ödön von Horváth qui signe avec Casimir et Caroline une sérénade désenchantée où la jeunesse allemande rencontre l’inquiétude croissante d’une époque de non-sens. Figure inoubliable du théâtre de Klaus Michael Grüber, acteur fétiche d’Aki Kaurismäki, André Wilms s’empare aujourd’hui de cette chronique des années 1930 pour la proposer aux jeunes acteurs sélectionnés pour la 19ème édition de « Paroles d’acteurs », un dispositif de transmission conçu par l’Adami pour faire se rencontrer un maître de théâtre et des acteurs issus du dispositif « Talents Cannes Adami ». L’Arche est éditeur et agent théâtral du texte représenté. www.arche-editeur.com Traduction, Hélène Mauler et René Zahnd © L’Arche Editeur Coproduction Association artistique de l’Adami Festival d’Automne à Paris En collaboration avec l’Atelier de Paris-Carolyn Carlson ADAMI L’ADAMI représente les artistes-interprètes principaux : comédiens, danseurs, chanteurs, musiciens, solistes, chefs d’orchestres. Sa mission est de géreer leurs droits en France et à l’étranger. Elle agit au niveau national et européen pour leur juste rémunération notament au titre de la copie privée et des nouveaux usages numériques. Elle favorise également l’emploi artistique au moyen de ses aides à la création. www.adami.fr Contacts presse : Festival d’Automne à Paris Christine Delterme, Carole Willemot 01 53 45 17 13 Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 55 enTreTien anDré wilms Vous allez travailler avec de jeunes acteurs dans le cadre d'un dispositif de transmission mis en place par l'ADAMI intitulé « Paroles d'acteurs ». Pourquoi avez-vous retenu Casimir et Caroline, ce texte qu'Ödön von Horvàth a écrit en 1932 sur la jeunesse allemande? André Wilms : J'aime bien Horvàth. J'aime sa façon d'écrire. C'est une écriture qui ne se répand pas, qui va vite. Ce n'est pas très lyrique (une belle qualité au théâtre). Ça parle de choses que je comprends. Ça parle de chômage, ça parle de gens qui sont un peu tristes. Horvàth écrit à une période de l'Histoire où les grandes utopies ont disparu. Les personnages de Casimir et Caroline errent sous un ciel vide. Et puis ils ont à peu près l'âge des acteurs qui vont jouer la pièce. Qui sont ces jeunes acteurs avec lesquels vous allez travailler? Qu'allez-vous tenter de leur transmettre? André Wilms : La majorité veut faire du cinéma. Je ne crois pas qu'ils me connaissent. Le nom de Grüber ne leur dit pas grand chose, par exemple. Je compte leur transmettre un peu de discipline. J'aime, en tant qu'acteur, la discipline quasi militaire. Alors, forcément, ils sont un peu surpris quand je leur dit: « Pas de baskets, pas de tennis, venez en costume! ». Bin oui, sinon ils sont toujours un peu mous. J'aime les corps qui ont une certaine tenue. Je dis ça avec humour, mais quand même… Et puis je vais leur enseigner à être contre. à être méchant. Ou à être en colère. S'ils ne sont pas en colère, ce n'est pas la peine de faire ce métier. Racontez-nous l'histoire... André Wilms : Une jeune fille est amoureuse d'un jeune homme. Le jeune homme est au chômage. La jeune fille voudrait s'en sortir. Elle veut vivre. Faire des choses formidables. Nous sommes dans une fête foraine un peu glauque et c'est l'histoire de jeunes gens qui veulent tenter de sortir de leur monde. On nous raconte la tentative d'être plus grand que soi-même. Et on s'aperçoit que c'est difficile. Pourquoi? André Wilms : Si vous n'êtes pas en colère, vous faites ce que tout le monde fait actuellement : du divertissement tout doux. C'est difficile d'arriver en tant que jeune acteur aujourd'hui. Il y a tellement de choses, comment voulez vous surnager? à la télé, que voulez-vous, seuls les sportifs, les top models et les gens de téléréalité intéressent. Nous, on est comme les derniers chrétiens dans les catacombes. Et puis aujourd'hui, tout le monde est artiste, tout le monde est metteur en scène, tout le monde est créateur. Même les enfants sont soi-disant « créateurs »… Tu fais un dessin de merde et voilà, t'es créateur… N'importe quoi! Nous devrions remettre à l'honneur la phrase de Brecht: « Je fais du théâtre pour chier sur l'ordre du monde ». La bourgeoisie a compris que pour que leurs enfants ne les embêtent pas trop, il fallait qu'ils deviennent artistes. Ou obèses. Le métier d'artiste n'a plus rien de subversif. L'auteur autrichien Peter Handke considérait l'écriture de Horvàth comme plus puissante que celle de Bertold Brecht. Vous le rejoignez sur ce point? André Wilms : Bon, on sent que Brecht a lu Horvath, quand même, qu'il s'en est inspiré… Mais je n'ai pas de point de vue aussi tranché qu' Handke sur ce sujet! Disons que Horvàth est moins militant que Brecht, il n'essaie pas de tirer de conséquences politiques de sa fable. Horvàth sent la montée du fascisme, mais tout est diffus dans Casimir et Caroline. La dimension politique est moins appuyée. Ses personnages sont moins emblématiques que ceux de Brecht. Ils nous ressemblent davantage. Ils sont plus tristes, aussi. Ils sont paumés, ne savent plus très bien… Horvàth agit en entomologiste : il parle de papillons qui se heurtent à des ampoules électriques. En même temps, et sur ce point je suis en désaccord avec Handke, c'est que Brecht écrit à une époque où il se devait sûrement d'être plus frontal. Doit-on évacuer tout rapprochement entre cette jeunesse des années 1930 et la nôtre? André Wilms : C'est une question délicate. Je suis assez méfiant avec cette volonté d'actualiser à tout prix les textes d'antan. L'Histoire balbutie, nous sommes d'accord, mais elle ne se reproduit pas toujours. Il faut arrêter : nous ne vivons pas aujourd'hui les nouvelles années 1930. Ça, c'est un discours marchand. Je ne crois pas qu'il faille créer des parallèles de façon mécanique. S'il y a des échos avec notre période actuelle, dans le spectacle, j'ai envie qu'ils arrivent malgré moi. Il y a encore quelques artistes subversifs, tout de même! André Wilms : Oui, évidemment… Il y a une nouvelle génération passionnante qui arrive sur nos scènes, des jeunes gens qui ont remis les acteurs au centre, qui écrivent depuis le plateau. Prenez un jeune artiste comme Vincent Macaigne, c'est très bien. Jeanne Candel et Samuel Achache, qui ont présenté une version de Didon et Énée, pareil, c'est très bon. Je veux simplement dire qu'il y en a peu, de vrais artistes. Ce que je ne comprends pas, c'est qu'on veuille qu'il y en ait beaucoup! En fait, il n'y a pas moins d'artistes subversifs qu'avant, c'est juste qu'ils sont noyés parmi une tripotée d'artistouilles. Toute représentation qui crée le consensus est toujours un peu ennuyeuse. On est seul dans la vie, restons seuls au théâtre. Arrêtons de vouloir unifier les gens à tout prix. Moi, je n'aime pas la culture, j'aime l'Art. Quelle différence faites vous? André Wilms : L'Art, c'est inadmissible. L'Art, c'est ce qu'on n'aime pas. Ce sont des choses méchantes. L'Art doit être contre l'époque dans laquelle il est produit. Et Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 56 quelle que soit l'époque parce que toutes les époques rendent malheureux. Les grands artistes sont ceux qui questionnent le fait d'être là. Toutes les grandes aventures artistiques ont commencé par des scandales, d'ailleurs… Aujourd'hui, dans le monde du théâtre, Grüber est un dieu mais le premier spectacle de lui dans lequel j'ai joué, les gens se tiraient de la salle par wagons! Alors ça peut produire un académisme de la subversion. Il faut faire attention. On marche sur une crête et, entre l'escroquerie et le génie, c'est très fragile. Nous sommes comme des danseurs de corde. Qu'est-ce qui serait vraiment subversif aujourd'hui, selon vous? André Wilms : La lenteur. La lenteur et le silence. Enfin, c'est compliqué parce qu'un metteur en scène comme Vincent Macaigne travaille sur le hurlement et c'est somptueux. En fait, c'est bien quand c'est contradictoire : désespérés mais avec humour... Lorsque vous étiez jeune acteur, avec qui auriez-vous rêvé de travailler, dans un dispositif similaire à « Paroles d'acteurs »? André Wilms : Buster Keaton. Parce qu'il rendait intelligent. Cet acteur est une page blanche, une surface de projection. D'une manière générale, les acteurs imposent trop ce qu'ils pensent. Lui n'imposait rien… C'est pour ça que Beckett trouvait qu'il était le meilleur acteur au monde. Il est parfait pour jouer Beckett… Et l'autre, c'est Robert Mitchum. Il dormait presque en jouant. Il se faisait tellement chier ! Selon vous, on n'insiste pas assez, dans la formation des acteurs actuellement, sur cette capacité à se soustraire? André Wilms : C'est certain. Il faudrait mieux apprendre à retrancher les émotions plutôt qu’à les surligner. Regardez les jeunes actrices françaises que l'on voit au cinéma, elles sont toutes hyper ventilées. Le jeu est saturé en émotion ! Il ne s'agit pas non plus de prôner un faux naturel télévisuel, mais tout de même… Je trouve que certains acteurs donnent trop de choses aux spectateurs. Ils tremblent. Ils suent… Parfois, j'ai presque envie qu'il y ait une vitre entre eux et moi. Cela vous correspond donc tout à fait de travailler avec des artistes proches de la musique contemporaine comme Heiner Goebbels, qui ont un abord du texte quasi mathématique... André Wilms : Absolument. Quand je disais à Heiner Müller que je ne comprenais pas tel passage, il me répondait: « Arrête de m'emmerder… Contente-toi de dire le texte comme un botin téléphonique ». Et il avait bien raison ! Avec Goebbels, on travaille comme sur une partition, avec des contraintes de durées et de rythmiques. Vous êtes venu au théâtre en rencontrant le grand metteur en scène Klaus Michaël Grüber à Paris. Quelle est la chose fondamentale qu'il vous a transmise à laquelle vous repensez encore en jouant? André Wilms : J'étais machiniste, je suis arrivé au théâtre par hasard, et j'ai rencontré Grüber. Il a été mon maitre. Presque mon père. Je l'ai imité pendant 10 ans ! J'étais dans le mimétisme total… un vrai clone ! Et puis je m'en suis débarrassé, avec tendresse, mais il fallait s'en débarrasser. Je pense qu'il faut des maîtres pour les jeunes acteurs. Mais ce n'est plus dans l'air du temps. Grüber ne nous dirigeait pas vraiment, il ne disait pas grand chose : « Pleure à l'intérieur, ne te répands pas sur mes genoux », « Tes sentiments ne m'intéressent pas… Vos sentiments sont tous les mêmes, ils ne m'intéressent pas », « Dis le texte simplement, calmement », « Ne fais pas ça pour t'émanciper ou penser que tu es un artiste. Travaille. » « Tous les mots sont usés, essaies de redécouvrir les mots », « Rien n'est évident. Monter sur un plateau n'est pas évident. Dire des mots n'est pas évident. » Travailler avec lui était une cure d'amaigrissement. Il nous apprenait à ne pas trop nous aimer. à tuer nos ego. Vous avez souvent travaillé avec des artistes allemands. Qu'êtes-vous allé chercher dans le théâtre allemand que vous ne trouviez pas en France? André Wilms : En France, à mon époque, on n'était pas très fort, côté trash et dépense physique. La nouvelle génération qui arrive est meilleure que la mienne, sur ce plan, parce qu'elle a pu tirer enseignement des théâtres allemands et belges, justement. Je suis né en Alsace, en plus, alors j'ai toujours entretenu une sorte de schizophrénie entre le père allemand et la mère française ! Si vous étiez aujourd'hui à la direction d'une école de théâtre, que mettriez-vous en place comme dispositif de transmission et de quels collaborateurs vous entoureriezvous? André Wilms : Il y a un artiste qui a fait une super école de théâtre, c'est Ariel Garcia Valdès au Conservatoire de Montpellier. Sa présence n’avait rien de pédagogique, en ce sens on pourrait dire de lui que c’était un maître : on n’explique rien, on ne justifie rien, on ne dit rien. Les artistes qu’il invitait avaient ceci de commun d’être tous, à leur manière, non-conventionnels, atypiques et partisans. Moi, très franchement, si je devais diriger une école, je ne saurais pas quoi faire. Sûrement ferais-je venir des philosophes, comme Jean-Luc Nancy, des peintres, des musiciens, des jeunes intellectuels français comme ceux de la revue Le Diable probablement, des jeunes cinéastes, des architectes, ou des gens qui n'ont rien à voir avec le théâtre, des infirmières, des éboueurs... Je crois que le seul intérêt de ce métier est de rencontrer des gens qu'on n'auraient pas rencontrés ailleurs. Des gens très intelligents. Et il y en a, quand même. Propos recuillis par Eve Beauvallet Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 57 Biographie anDré wilms André Wilms est comédien et metteur en scène. Au théâtre, il a travaillé sous la direction de Klaus Michael Grüber dans La Mort de Danton ; André Engel dans Baal, Week-end à Yaïck, Kafka, Hôtel moderne, En attendant Godot, La Nuit des chasseurs ; Jean-Pierre Vincent dans Vichy fictions, Le Dispensaire, Le Bureau de poste, La Peste, Le Palais de justice ; Michel Deutsch et Philippe Lacoue-Labarthe dans Les Phéniciennes ; Christian Colin dans Othello ; Jacques Lasalle dans Tartuffe ; Bernard Sobel dans Le Cyclope, Walter le Moli, Marat-Sade ; Ann Bogart dans Assimil ; Jean Jourdheuil et Jean-François Perret dans Paysage sous surveillance, La Route des chars, Les Sonnets et La Nature des choses ; Luigi Nono dans Prometeo ; Heiner Goebbels dans Ou bien le débarquement désastreux, Max Black, Eraritjaritjaka ; Deborah Warner dans Maison de poupée ; Matthias Langhoff dans Dieu comme patient ; Georges Lavaudant dans La Mort d’Hercule, Les Cenci et enfin Les Trachiniennes. Au cinéma, depuis 1972, il a joué notamment dans Coup pour coup de Marin Karmitz, Il faut tuer Birgit Haas de Laurent Heynemann, Tartuffe de Gérard Depardieu, La Vie est un long fleuve tranquille, Tatie Danielle et Tanguy d’Etienne Chatiliez, Monsieur Hire de Patrice Leconte, La Lectrice de Michel Deville, Drôle d’endroit pour une rencontre de François Dupeyron, Europa Europa d’Agnieszka Holland, La Vie de bohème, Léningrad cowboys meet Moses, Juha et Le Havre d’Aki Kaurismäki, L’Enfer de Claude Chabrol, Bienvenue chez les Rozes de Francis Palluau, Le Temps d’un regard d’Ilan Flamme, Ricky de François Ozon, Pauline et François de Renaud Fély, Sans laisser de traces de Grégoire Vigneron, Robert Mitchum est mort d’Olivier Babine et Fred Kihn, Americano de Mathieu Demy, Un château en Italie de Valeria Bruni Tedeschi et Spiritismes de Guy Maddin. Depuis la fin des 1980, André Wilms signe ses propres mises en scène au théâtre et à l’opéra. Il a ainsi monté La Conférence des oiseaux de Michaël Lévinas (1988) Le Château de Barbe Bleu de Béla Bartok (1990), Le Château des Carpathes de Philippe Hersant (1993), à Munich Toller Topographie d’Albert Ostermaier (1995) et La Philosophie dans le boudoir du Marquis de Sade (1997). Au Théâtre Nanterre-Amandiers, il monte Alfred, Alfred de Franco Donatoni (1998) et Pulsion de F.X. Kraetz (1999) au Théâtre de la Colline. En 2000, il crée à Munich La Noce chez les petits-bourgeois de Bertolt Brecht, Kill your ego et Médée Matériau de Heiner Müller sur une musique de Pascal Dusapin (joués à Nanterre). Il met en scène Histoires de famille de Biljana Srbljanovic joué au TNP Villeurbanne et au Théâtre de la Colline (2002). Au Schauspiel de Francfort, il monte La Vie de Bohème d’après Henri Murger et Aki Kaurismäki (2001), Macbeth et Songe d’une nuit d’été de William Shakespeare, Les Bonnes de Jean Genet, La Dernière bande et 10 Pièces courtes de Samuel Beckett, L’Opéra de quatre sous de Ber- tolt Brecht et Barbe bleu espoir des femmes de Dea Loher. En 2005, il met en scène Les Bacchantes d’Euripide à la Comédie-Française. En 2010, il est conseiller scénique sur Le Paradis et la Péri de Robert Schuman à la Cité de la Musique à Paris. En 2010, il met en scène Le Père de Michael Jarell et Heiner Müller au Théâtre de l’Athénée (dans le cadre du festival Agora) puis Agit Prop avec l’Orchestre de l’Opéra de Rouen et le chœur Accentus, sous la direction musicale de Laurence Equilbey, à l’Opéra de Rouen et à la Cité de la Musique à Paris. André Wilms est lauréat de la Villa Médicis hors les murs. Ses collaborations musicales sont nombreuses, en particulier avec les compositeurs Heiner Goebbels ou Georges Aperghis dans le domaine du théâtre musical. En 2011, il joue au Théâtre des Bouffes du Nord dans Macbeth Horror Suite (d’après William Shakespeare et Carmelo Bene) mis en voix par Georges Lavaudant puis en 2012 dans une reprise de Max Black de Heiner Goebbels. Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 58 philippe Quesne vivarium sTuDio Swamp Club Conception et mise en scène, Philippe Quesne Avec Isabelle Angotti, Snæbjörn Brynjarsson, Ola Maciejewska, émilien Tessier, Gaëtan Vourc’h (distribution en cours) et un quatuor à cordes Collaborations artistiques, Yvan Clédat, Cyril Gomez-Mathieu, Corine Petitpierre Assistante à la mise en scène, Marie Urban FESTIVAL D’AUTOMNE à PARIS THéâTRE DE GENNEVILLIERS Jeudi 7 au dimanche 17 novembre, mardi, jeudi 19h30, mercredi, vendrei, samedi 20h30, dimanche 15h, relâche lundi 12€ à 24€ Abonnement 10€ et 12€ LE FORUM/ SCèNE CONVENTIONNéE DE BLANC-MESNIL Jeudi 21 novembre 19h et vendredi 22 novembre 20h30 7€ à 16€ Durée estimée : 1h40 Production Vivarium Studio Coproduction Wiener Festwochen ; Foreign Affairs - Berliner Festspiele ; Festival d’ Avignon ; La Ménagerie de Verre (Paris) ; Kaaitheater (Bruxelles) ; La Filature, Scène nationale de Mulhouse ; Internationales Sommerfestival – Hambourg ; Festival Theaterformen Hanovre / Braunschweig ; La Bâtie – Festival de Genève ; Théâtre de Gennevilliers, centre dramatique national de création contemporaine ; Le Forum / scène conventionnée de Blanc-Mesnil (France) ; Festival d’Automne à Paris Coréalisation Théâtre de Gennevilliers, centre dramatique national de création contemporaine ; Festival d’Automne à Paris Avec le soutien du Centre chorégraphique national de Montpellier Languedoc Roussillon (France) et de EMPAC – Rensselaer Polytechnic Institute, et the Jaffe Fund for Experimental Media and the Performing Arts (états-Unis) La compagnie est conventionnée par la DRAC Île-de-France, Ministère de la Culture et de la Communication, et par le Conseil Régional Île-de-France au titre de la Permanence artistique et culturelle. Philippe Quesne est artiste associé au Théâtre de Gennevilliers à partir de 2012-2013. Avec le soutien de l’Adami 2003. Philippe Quesne, jusqu’alors repéré comme scénographe de théâtre et d’expositions, créait le Vivarium Studio, réunissant une petite communauté d’acteurs, de plasticiens, de musiciens et un chien. On découvrait alors un curieux petit théâtre, coincé entre ludisme et mélancolie, héritier des fantaisies de Georges Perec ou des plasticiens Fischli & Weiss, et redevable aux heures entières passées par Quesne à collectionner des insectes, en jeune entomologiste. Pas de tension dramatique classique au Vivarium Studio, mais l’observation laborantine, patiente et amusée, de petits organismes vivants. En dix ans donc, on nous a présenté une tripotée de héros ordinaires, occupés sur scène à bricoler des œuvres, à chercher comment créer des contes et des récits à leur échelle. On a pu s’enchanter pour des hard-rockeurs qui jouaient les tubes de Scorpions à la flûte à bec (La Mélancolie des dragons, 2008), pour un Serge qui inventait de mini-shows pour ses voisins à base de cierges magiques et de phares de voitures (L’Effet de Serge, 2007) et pour tous ces autres personnages aux aspirations créatives et poétiques. Qu’importe d’échouer, nous disait déjà La Démangeaison des ailes (2003), il faut tenter toujours. Ainsi la plus dérisoire des actions est-elle, sur les plateaux de Philippe Quesne, sujette à l’émerveillement et au débat public. Ce regard oblique sur la création, à la fois critique et engagé, s’exprime aujourd’hui dans Swamp Club, une création anniversaire qui réunit les fidèles acolytes du Vivarium Studio, un quatuor à cordes et des collaborateurs rencontrés au fil des tournées. La fable se présente ainsi : dans un paysage artificiel et marécageux, un petit lieu culturel (un centre d’art monté sur pilotis) accueille des artistes venus du monde entier. Menacé d’anéantissement par un projet urbain, les résidents du Swamp Club cherchent des solutions pour résister… Contacts presse : Festival d’Automne à Paris Christine Delterme, Carole Willemot 01 53 45 17 13 Théâtre de Genneviliers Philippe Boulet 06 82 28 00 47 Le Forum/scène conventionnée de Blanc-Mesnil Diane Claisse-Brouxel 01 48 14 22 07 Spectacle créé le 4 juin 2013 au Wiener Festwochen Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 59 enTreTien philippe Quesne Contrairement aux précédentes créations de Vivarium Studio qui se fabriquaient toujours au plateau, vous créez Swamp Club à partir d'une fable pré-écrite. Que nous raconte t-elle? Philippe Quesne : C'est un procédé nouveau puisque nos pièces, en effet, naissaient souvent de l'imaginaire véhiculé par un titre, puis de l'expérimentation d'une matière à même le plateau. Cette fois, peut-être parce que nous fêtons avec Swamp Club les 10 ans de la compagnie, j'avais envie de fonctionner différemment. J'ai songé à cette fable et écrit la trame comme un petit livret d'opéra puisqu'il va s'agir d'une pièce très musicale… Swamp Club pourrait être un conte urbain fantastique qui se déroulerait dans le décor inquiétant et paisible d'un marais reculé du monde, peuplé d'étranges créatures, d'animaux et d'insectes. Dans ce paysage marécageux subsisterait un bâtiment construit sur pilotis : un centre d'art et de résidences d'artistes, nommé le Swamp Club. Qui vit dans ce centre d'art fantastique? Philippe Quesne : J'ai imaginé qu'il soit géré par trois des membres fondateurs de Vivarium Studio (Isabelle Angotti, Gaëtan Vourc'h et Emilien Tessier) et que des artistes de différentes nationalités croisés au gré des tournées et de diverses collaborations, y soient accueillis en résidence. Parlant différentes langues, ils ne se comprennent pas toujours, mais s'entendent tous. Ola Maciejewska parle polonais. Snaebjörn Brynjarsson vient d'Islande mais parle aussi le Japonais. Tous deux seront en résidence au Swamp Club avec un quatuor de musiciens. Le contraste entre un univers romantique, merveilleux, porté par la musique symphonique et ce lieu marécageux d'une grande précarité me plaisait beaucoup. Le centre d'art est implanté en « zone sensible », une zone dite inconstructible… Philippe Quesne : Oui, construire un bâtiment sur un marécage, c'est presque antinomique… Mais dans nos pièces, les premiers signes envoyés au spectateur se lisent souvent comme de belles causes perdues. La Démangeaison des ailes (2004) présentait des trentenaires paumés occupés à chercher comment s'envoler - au sens propre comme au figuré - La Mélancolie des dragons (2008) plaçait des hard-rockeurs dans une Citroën AX en panne mais dans un paysage enneigé, digne d'un conte… La dialectique de l'envol et de la chute, le motif du désir qui se heurte à la réalité ont toujours été nourrissants pour nous. Installer aujourd'hui un centre d'art dans une zone marécageuse est une nouvelle façon de mettre en scène l'échec et le caractère profondément dérisoire (et pourtant nécessaire) de certaines entreprises humaines. J'aime aussi l'image de grande précarité véhiculée par cette structure implantée en plein marais. Le marécage ressemble certes à un ramassis de déchets végétaux ou même radioactifs, mais les artistes qui y vivent ont su recréer quelques unes des conditions modernes de détente et de confort : nous installerons peut-être un petit jacuzzi ou un sauna… Il est fondamental que le Swamp Club soit un lieu dans lequel on se sente bien. Au moment où nous l'imaginons, il vit sa pleine expansion et suscite l'intérêt d'artistes du monde entier. Les demandes de résidence affluent… Il est pourtant menacé de destruction. Ainsi, les artistes devront organiser la défense, et lutter pour survivre et sauver une certaine idée de l'art. Nous découvrirons peut-être que le directeur du centre, que l'on habillerait en clin d'oeil à Eyroll Flynn, est un descendant de Robin des Bois. Robin étant une figure historique idéale, un super-héros parfait pour notre époque, proche du peuple, allié de la nature. Il faut des super-héros dans les cas désespérés ! Quelle est la menace qui pèse exactement sur le Swamp Club ? Philippe Quesne : Pour l'heure, nous n'en sommes qu'aux hypothèses. Je ne sais pas encore s'il s'agira d'une menace écologique ou immobilière. Peut-être sera t-il menacé par le projet de construction d'un centre commercial ou d'un vrai théâtre, comme une méga Scène nationale? Les initiatives individuelles sont couramment remplacées par des châteaux-forts dirigés par des gestionnaires… De quelle situation réelle Swamp club est-il la mise en abyme? Philippe Quesne : Toutes les pièces du Vivarium Studio parlent en creux, de nos propres aspirations en tant qu'artistes. Cependant, je souhaitais plus que jamais problématiser les conditions d'exercice de notre métier et la place de l'art au sens large dans la société d'aujourd'hui. Il y a, malheureusement, beaucoup de raisons d'être pessimiste… Imaginer l'histoire de ce petit centre d'art reculé du monde revient à questionner notre statut de compagnie indépendante, à questionner les conditions de viabilité et de liberté artistique, à s'interroger sur l'articulation possible entre enjeux économiques et culturels. Il ne s'agira pas d'être aussi austère dans la pièce, bien sûr. Nous proposons des métaphores. Le centre d'art que nous fantasmons est libre d'un point de vue artistique parce qu'il s'autogère. Nous imaginons qu'il soit installé à côté d'une mine d'or et que les artistes aient domestiqué une taupe qui leur permette de collecter des pépites et de financer l'art comme ils l'entendent. Ainsi, le Swamp Club invente une micro-société idyllique qui aurait résolu le problème économique tout en gardant la foi dans une certaine idée de l'art. Vos pièces prennent souvent pour sujet la création artistique en la transposant dans un monde utopique, sans Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 60 obstacles à son épanouissement. Vous glissez ici vers un registre plus grave, assez inhabituel dans votre parcours.. Philippe Quesne : J'ai souvent travaillé sur la figure de l'artiste idéal débarrassé des contraintes économiques, c'est vrai. Avec l'envie de montrer une micro-communauté qui arrive à s'entendre et qui affirme la liberté d'être ensemble, ne serait-ce que pour le temps d'un spectacle, en créant des mondes avec des rouleaux de coton ou des formes gonflables. Même si la création de l'univers s'invente avec des fourrures synthétiques, comme dans Big Bang (2010), les artistes (parfois amateurs) que nous mettons en scène ont la foi dans leurs projets. Ils créent et s'expriment envers et contre tout, comme des aventuriers, portés par un souffle inaltérable. Dans La Mélancolie des dragons comme dans L'Effet de Serge (2007), nous jouions aussi sur la figure du spectateur idéal, qui s'émerveille de tout, trouve toutes les propositions géniales, comme si nous naviguions dans une sorte de version fabuleuse et bienveillante du monde de la création. Il y a une inquiétude dans Swamp club qui est assez nouvelle. Les conditions de résidence et de résistance de l'art sont des sujets que je n'avais jamais abordés aussi directement... Vous fêtez aujourd'hui les 10 ans du Vivarium Studio. Comment s'est constitué cette troupe singulière et autour de quelle envie de théâtre avez-vous pu vous fédérer? Philippe Quesne : Je crois que la spécificité du Vivarium Studio tient au caractère hétérogène du groupe. Après avoir exercé pendant dix ans le métier de scénographe, j'ai réuni autour de moi des gens que j'aimais (mais qui ne se connaissaient pas) pour lancer un projet de spectacle. à l'époque, je n'avais pas du tout prémédité la constitution d'un groupe durable et de fonder une compagnie. Certaines de ces personnes venaient du théâtre, d'autres pas. Cyril Gomez-Mathieu et Yvan Clédat viennent d'écoles d'art. Emilien Tessier, qui s'apprête à fêter ses 70 ans, était géomètre avant de jouer chez Matthias Langhoff (un metteur en scène qui m'a beaucoup marqué pendant l'adolescence). Isabelle Angotti était juriste et a décidé de devenir assistante à la mise en scène à 45 ans. Snaebjörn Brynjarsson, que j'ai rencontré il y a huit ans, est auteur de livres sur les monstres et légendes, il est parti cette année en Transylvanie pour étudier le mythe de Dracula… Cette diversité m'enthousiasme beaucoup. Nous ne sommes ni une troupe « générationnelle », ni une bande d'amis préétablie, ni un « collectif » qui prétendrait tout créer ensemble. J'aime les bandes mais je me méfie beaucoup des gangs, des dogmes et du jeunisme. Lorsque l'on envoie des gens dans l'espace, c'est toujours plus intéressant de créer un panel de profils diversifié de façon à constituer un microcosme. Une petite communauté en miniature. Un micro-monde. J'entrevois le théâtre comme une expérience d'observation un peu similaire. La Démangeaison des ailes (2003) se référait d'ailleurs au principe de téléréalité encore naissant à l'époque avec Loft Story… Nous avons travaillé sur scène avec un chien et si je pouvais aujourd'hui intégrer un enfant, je le ferai! C'est fondamental, pour moi, que chacun des membres amène avec lui un univers très singulier. D'autant que vous ne travaillez pas, à proprement parler, la direction d'acteurs telle qu'on l'entend traditionnellement? Philippe Quesne : C'est vrai. J'ai toujours trouvé plus intéressant d'utiliser la matière brute, réelle, proposée par une personne en entrant sur le plateau plutôt que de lui demander de jouer ou de chercher ce qu'elle ne sait pas faire. Les gens avec lesquels je travaille m'inspirent et je compose les pièces grâce à eux. Les acteurs, dans nos pièces, se préoccupent rarement des sentiments, c'est la scénographie et la musique qui s'occupent de les induire. Dans L'Effet de Serge, par exemple, l'appartement inspire une certaine tristesse qui dispense alors l'acteur de la prendre en charge. Il se contente d'effectuer des actions précises, de façon neutre, avec une précision quasi mathématique. C'est le spectateur, par contre, qui peut y projetter une émotion. Qu'est-ce qui a pu changer dans votre manière de travailler ensemble? Philippe Quesne : Le processus de travail n'a pas changé. Cependant, la constitution d'un répertoire du Vivarium Studio amène chez moi l'envie de travailler les spectacles comme une saga, comme un feuilleton à plusieurs épisodes. Je suis un grand fan du soap opéra Star Wars et cette manière de travailler l'enchevêtrement des histoires, d'imaginer des prequels (en replongeant, a posteriori, dans l'enfance de Dark Vador, par exemple) est très nourrissante. J'adorerais, par exemple, imaginer une pièce sur l'enfance des personnages de La Mélancolie des dragons. Il y a peut-être des signaux de cet ordre dans Swamp Club : Gaetan, Isabelle et Emilien (déjà présents dans La Mélancolie des dragons et dans L'Effet de Serge) pilotent le centre d'art et on peut tout à fait imaginer que ce sont les personnages des pièces précédentes qui ont persisté sur le chemin de la création au point d'avoir monté leur propre structure… Comme si Serge ou Isabelle avaient mûri et choisi de se consacrer à la gestion du Swamp Club. Il y a donc un intérêt artistique à vieillir tous ensemble, pour inventer notre monde de pièce en pièce. Propos receuillis pas Eve Beauvallet Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 61 Biographie philippe Quesne En 2013, Vivarium Studio célèbrera ses dix ans d'existence. à cette occasion, Philippe Quesne créera un nouveau spectacle, qui réunira certains des acteurs fidèles de la compagnie depuis ses débuts mais aussi de nouveaux interprètes et artistes rencontrés au cours des tournées à l'étranger. Accompagnée par un orchestre de chambre, cette équipe polyglotte se lancera dans une nouvelle aventure. On retrouvera ce théâtre laborantin emblématique de Philippe Quesne et de son Vivarium Studio ; un théâtre qui s'ingénie à modifier les conventions du genre et qui crée un univers aux contours incertains, mêlant le songe et la matière, la musique et les langages, la fumée et la lumière, la solitude et le groupe. Un théâtre qui part des rituels communs de la vie contemporaine pour les transformer sur scène en petites cérémonies, à la fois dérisoires et ludiques. Pour Philippe Quesne, le plateau est un atelier, un laboratoire, un « espace vivarium ». S’y déroulent des situations extrêmes de l’ordinaire et s’y mènent des expériences infimes, propres à la mélancolie urbaine. Tout s’y fomente souvent comme une comédie absurde et musicale, développée en milieu tempéré. « La conception de chaque projet commence avec le titre du spectacle qui devient notre champ de recherches et d’expérimentations. L’écriture s’élabore ensuite au cours des répétitions et le dispositif scénographique en fait partie intégrante : un microcosme qui place le spectateur en position d’observateur et dans lequel j’aime à plonger une petite communauté d’humains ». Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 62 BreTT Bailey ThirD worlD BunFighT House of the Holy Afro Mise en scène, Brett Bailey Avec Odidiva Scénographie, Brett Bailey Chorégraphie, Natalie Fisher Poésie, Odidi Mfenyana, Brett Bailey Arrangements musicaux, Dino Moran Arrangements vocaux, Bongile Mantsai, Bongani Magatyana, Terence Nojila Lumière et responsable technique, Kobus Rossouw Régisseur et responsable des tournées, Justin Green Responsable de la production et régisseur général, Barbara Mathers Producteur Royaume-Uni et consultant international, UK ARTS FESTIVAL D’AUTOMNE à PARIS LE CENTQUATRE Le Sud-Africain Brett Bailey est depuis longtemps un spécialiste des carambolages stylistiques. Dans la foulée de ses spectacles et performances précédents, House of the Holy Afro mêle street dance, gospel des townships et rituels chamaniques. Un cocktail explosif à la croisée de plusieurs cultures. Brett Bailey agite un chaudron d’autant plus intense qu’il accueille les formes les plus diverses. C’est dans d’anciens lieux sacrés dans les montagnes de l’Est sud-africain que Bailey est allé enregistrer certaines des chansons au cours de cérémonies ancestrales. Ces enregistrements ont été ensuite retravaillés par les interprètes du spectacle qui y ont adjoint des rythmes électroniques. Il s’agit de montrer que l’Afrique ne présente pas un seul visage, mais qu’elle est composée de multiples facettes ; comme si différents mondes ou différentes époques coexistaient en même temps dans un même lieu. Ce principe, à l’origine de plusieurs spectacles créés avec sa compagnie Third World Bunfight – de iMumbo Jumbo à The Prophet –, est radicalisé dans House of the Holy Afro, où il s’agit de susciter un choc à même de remettre en question l’image trop formatée que l’on se fait souvent de la réalité africaine. Dramaturge, metteur en scène, mais aussi plasticien, Brett Bailey interroge inlassablement les transformations à l’œuvre dans l’Afrique post-coloniale avec les ambiguïtés et les contradictions qui les accompagnent. Mardi 19 au jeudi 21 novembre 20h30 20€ et 25€ Abonnement 15€ Durée : 1h30 Le programme Afrique du Sud fait l’objet d’un dossier de presse indépendant téléchargeable sur le site du Festival d’Automne à Paris www.festival-automne.com Production A Third World Bunfight Reprise pour Le CENTQUATRE (Paris) et le Festival d’Automne à Paris Manifestation organisée dans le cadre des Saisons Afrique du Sud-France 2012 & 2013 www.france-southafrica.com Spectacle créé en 2004 au Sharp Sharp Festival (Berne) Contacts presse : Festival d’Automne à Paris Christine Delterme, Carole Willemot 01 53 45 17 13 Le CENTQUATRE Virginie Duval 01 53 35 50 96 Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 63 enTreTien BreTT Bailey House of the Holy Afro ressemble à un mélange d’ingrédients divers rassemblant plusieurs esthétiques et confrontant plusieurs cultures. À quoi correspond ce projet ? Brett Bailey : Ce qui me fascine en Afrique du Sud c’est la façon dont tant de choses disparates coexistent presque sur un même plan. C’est en grande partie le sujet même de House of The Holy Afro. Mais ce n’est pas tout le sujet. Le spectacle a aussi la forme d’un cabaret, il y a de la musique shamanique telle qu’elle est jouée dans des grottes qui se trouvent dans une région montagneuse à l’est. Il y a aussi de la poésie hip hop, de la musique pop africaine et du gospel. Tout ça se mélange dans un spectacle qui intègre par ailleurs beaucoup de changements de costumes. L’ensemble étant pris dans un beat de house music qui donne une unité aux différentes couleurs de ce spectacle. Je vois House of the Holy Afro comme une sorte de pot-pourri des différentes tendances ou formes musicales que l’on trouve en Afrique du Sud. Ce projet n’a pas été conçu pour être vu assis dans un fauteuil. Le public est debout comme dans un concert de rock. Pourquoi ? Brett Bailey : C’est une fête. Le public est convié à danser sur la musique. On peut déambuler, entrer et sortir et même boire un verre si on en a envie tout en assistant au spectacle. Mais ça reste quand même un spectacle. Parce que même s’il n’y a pas d’histoire avec un début, un milieu et une fin, il y a en revanche des temps forts et des moments plus apaisés. Mais dans l’ensemble il s’agit d’un spectacle de danse assez énergique. Parmi les artistes qui participent au spectacle, il y a notamment un DJ et une drag queen… Brett Bailey : Oui, il s’agit d’Odidi Mfenyana qui est dans le spectacle depuis sa création. On peut dire que House of the Holy Afro est en bonne partie construit autour de son personnage. C’est un performer incroyable avec une présence scénique très forte. Au départ, le spectacle se déroulait en quatre parties de quarante minutes chacune. Ce qui est assez long. à force de le jouer nous en avons fait quelque chose de plus dense qui se concentre maintenant sur quatre-vingt dix minutes. Et puis, bien sûr, il y aussi l’apport essentiel de Dino Moran le DJ qui mixe des chants traditionnels Xhosa, du gospel et de la poésie hip hop sur des rythmes de house music. Pourquoi ce titre House of the Holy Afro ? Brett Bailey : Encore une fois, c’est une allusion au fait que différents styles de musique se mélangent avec en particulier du gospel et des chants traditionnels. à l’origine cette création est une commande qui m’a été faite par un festival en Suisse d’un spectacle pour boîte de nuit. De tout ce que j’ai fait jusqu’ici House of the Holy Afro est mon œuvre la plus légère au sens où c’est celle où il y a le moins d’implications politiques. Je ne vais jamais dans des soirées en boîte de nuit, par exemple. Le clubbing, ce n’est pas vraiment mon truc. à l’époque où l’on m’a passé cette commande, j’étais à Amsterdam. Du coup je suis allé dans un club pour voir à quoi cela ressemblait. Il y avait un type avec un ordinateur portable qui produisait des beats et sur scène deux superbes filles qui chantaient nonchalamment sur ces rythmes. J’ai pensé : « Ok, c’est simple. Cela peut me servir de modèle. Je peux transposer ça avec les rythmes auxquels je suis habitués en Afrique du Sud, le gospel, les musiques traditionnelles…». Vous dites que ce spectacle expose différentes facettes de l’Afrique du Sud. Quelles sont ces différentes facettes selon vous ? Brett Bailey : La culture sud-africaine est très mélangée. Pour commencer notre pays abrite la plus importante population d’Indiens en dehors de l’Inde. Et puis il y a les Afrikaners, les anciens colons néerlandais et ceux d’origine britannique. Avec évidemment toutes les traditions africaines des populations habitant cette terre depuis toujours. Toutes ces cultures interagissent les unes avec les autres. Cela tient à la fois du mélange et de la différence. Les choses sont interprétées différemment selon les points de vue où l’on se place. Ces juxtapositions et ces mélanges peuvent aussi être source de malentendus. En Afrique du Sud, le public peut voir des allusions là où il n’y en a pas, tant il y a de tensions entre les différentes sensibilités. Pour un artiste, travailler en Afrique du Sud, c’est comme avancer sur un champ de mines. Au moindre faux-pas, on risque l’explosion. Ma règle face à une telle situation, c’est de poursuivre sa voie coûte que coûte. Parce que si vous vous arrêtez, vous êtes sûr de ne jamais aboutir à rien. Vous avez grandi sous l’apartheid à Tokai dans la banlieue du Cap. Quelle vision de l’Afrique du Sud aviez-vous en tant qu’enfant blanc ? Brett Bailey : Je n’avais aucun accès à ce qu’était réellement la culture sud-africaine étant de l’autre côté de la barrière. Quand vous vivez sous ce régime extrêmement rigide de l’apartheid, toutes les informations auxquelles vous avez accès que ce soit à l’école, à la télévision ou dans les journaux correspondent à un seul point de vue, celui de la population blanche. Le reste n’existe tout simplement pas. Quand le pays a commencé à s’ouvrir vers le début des années 1990, c’était comme un miracle. Tout d’un coup, je découvrais toutes ces choses en comprenant à quel point j’avais été tenu éloigné de tout cet univers correspondant à la nature profonde de ce pays ; toutes ces questions essentielles liées à l’Histoire et à la Culture surgissaient tout à coup devant moi. Il y avait quelque chose dans tout cela de miraculeux et j’étais un peu comme un enfant qui découvre un magasin plein de nouveautés. Vous avez créé une trilogie intitulée The Plays of Miracle and Wonder. Pouvez-vous expliquer ce que signifie ce titre ? Brett Bailey : Cela vient d’une chanson de Paul Simon dans l’album Graceland où il dit : « These were the days of miracle and wonder »… Paul Simon a enregistré ce disque en Afrique du Sud peu de temps avant la libéra- Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 64 tion du pays avec la fin de l’apartheid en 1994. Ce morceau exprimait du coup un moment décisif dans l’histoire du pays. C’est précisément le thème de ces pièces. Elles parlent du miracle que serait pour l’Afrique du Sud la possibilité d’en finir avec le régime d’apartheid. Considérez-vous que votre travail en tant que metteur en scène est le fruit de cette ouverture ? Une façon pour vous de combattre une vision trop réductrice de la réalité sudafricaine et même de l’ensemble du continent ? Brett Bailey : Ce sur quoi je m’efforce de travailler dans mes spectacles a trait aux rapports à la fois historiques et contemporains entre le monde occidental et l’Afrique. Le fait de vivre en Afrique du Sud suppose de s’affronter à des situations sociales et politiques très spécifiques. C’est pourquoi mon travail plus spécifiquement orienté vers un public sud-africain s’intéresse aux questions liées à l’inégalité ou au racisme, par exemple. Dans l’ensemble, c’est vrai que mon travail se concentre beaucoup sur l’Afrique en général, mais toujours en examinant quelles sont les relations entretenues par ce continent avec l’Occident ; non seulement dans un contexte postcolonial, mais aussi en prenant en compte ce qui s’est passé au cours de l’histoire, c’est-à-dire la colonisation et l’esclavage. Je pense que je suis vraiment devenu un artiste au début des années 1990. Or c’est à cette époque qu’on a réussi à en finir avec l’apartheid. Donc la genèse de mon travail est bien là. C’est à ce moment-là que j’ai eu envie d’être un artiste. Mais vers la fin des années 1990 avec le départ de Mandela et les affaires de corruption au sein du gouvernement, tandis qu’au Zimbabwe Robert Mugabe se maintenait au pouvoir, on a compris que l’embellie était terminée, des nuages noirs s’accumulaient à l’horizon. Du coup, mon travail est devenu plus sombre, plus inquiet. C’était une réflexion sur ce qui se passait en Afrique du Sud. Je suis politiquement engagé et mon travail est le reflet de cet engagement. Est-ce pour cette raison qu’une partie du matériau utilisé dans vos spectacles et en particulier dans House of the Holy Afro est le fruit de recherches sur les cultures traditionnelles d’Afrique du Sud ? Vous avez notamment séjourné dans des grottes de l’Est sud-africain où vous avez enregistré des cérémonies chamaniques… Brett Bailey : En fait, j’ai fait ces recherches il y a déjà longtemps, en 1998, pour Ibi Zombi, spectacle sur lequel je travaillais à l’époque. Je suis allé là-bas à plusieurs reprises pour essayer de comprendre ce qui se passait vraiment dans les cérémonies qui sont célébrées dans ces grottes dans la montagne. Ceux qui y participent pensent réellement que ces grottes sont le ventre de la terre et que c’est de là que sont sortis les premiers hommes qui ont peuplé la planète. Les cérémonies qui ont lieu là sont un mélange de plusieurs cultures dans lequel entre même une part de christianisme. Il y a des groupes issus de différentes confessions chrétiennes qui viennent prier dans ces grottes au moment de Pâques. Mais aussi des hommes et des femmes appartenant à des cultures africaines traditionnelles. J’ai enregistré beaucoup de chants traditionnels quand j’étais là-bas. Certains sont utilisés dans House of the Holy Afro. D’où vient le nom de votre compagnie, Third World Bunfight ? Brett Bailey : Là encore, il s’agit d’une forme de bricolage. Un jour, je me trouvais dans l’Est du pays, dans un bantoustan, comme on appelait à l’époque de l’apartheid les régions réservées aux populations noires. Ces régions ont fini heureusement par être ouvertes au reste du pays, mais à l’époque elles étaient encore sous-développées et chaotiques. Je ne sais plus si je travaillais sur Ibi Zombi ? ou iMumbo Jumbo. J’attendais à une station de taxi et tout autour de moi il y avait un mélange tout à fait hétéroclite : des publicités pour les téléphones portables « Vodaphone » côtoyaient des étals où s’alignaient des chèvres dépecées pour servir à des sacrifices ; juste à côté c’étaient des produits chinois qui étaient à vendre, mais aussi des stands de guérisseurs traditionnels et pas loin de là des chœurs de gospel. Le mot bunfight renvoie à l’idée de chaos, un peu comme la politique en Italie par exemple. Donc le choix de ce nom pour la compagnie est une façon de célébrer cette folie chaotique du tiers-monde. Vous êtes souvent en Europe pour présenter vos spectacles et vous avez notamment vécu un an à Amsterdam. Comment percevez-vous les différences entre l’Afrique du Sud et la société européenne ? Brett Bailey : Ce qui frappe d’emblée en Europe pour quelqu’un qui arrive d’Afrique du Sud, c’est la richesse apparente. C’est un effet de surface qui peut être trompeur, mais c’est ce qui saute aux yeux quand vous débarquez pour la première fois aux Pays bas, par exemple. Dans les pays en voie de développement que ce soit en Inde, en Amérique du Sud et beaucoup de pays d’Afrique, les infrastructures n’ont jamais cette qualité que l’on voit en Europe. Sinon en tant qu’artiste, je me rends compte que nous ne sommes pas concernés par les mêmes sujets en Europe et en Afrique du Sud. à Amsterdam, par exemple, beaucoup d’artistes plasticiens travaillent sur des domaines extrêmement spécialisés. Ils se concentrent sur des choses minimales comme les cellules du cerveau ou d’autres choses de ce genre. Dans les pays en voie de développement en revanche, les artistes travaillent sur des sujets comme la famine, les inégalités sociales, la santé publique. Ils sont plus impliqués dans les questions de société, parce qu’il a des défis urgents à relever. Il y a cinq ans, j’étais en Pologne dans un festival. Il y avait un débat important sur ce que cela signifiait d’être européen, sur la question de l’identité européenne. Or on sait que dans une ville comme Amsterdam, par exemple, il y a plus d’immigrés que de Néerlandais. Pourtant dans ce festival polonais, je me souviens que sur les trente-trois projets présentés, toutes les œuvres étaient dues à des artistes européens. Je trouve que ce manque d’intérêt pour les vraies questions a quelque chose de très étrange. Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 65 Vous-mêmes vous travaillez dans différents pays, au Congo, en Ouganda, au Zimbabwe, à Haïti… Brett Bailey : Non je n’ai jamais vraiment monté de projets au Congo. J’aimerais essayer un jour, mais je sais que c’est très compliqué. J’ai fait des choses en Ouganda et ce n’était pas facile. En revanche, j’ai travaillé plusieurs fois au Zimbabwe où c’est plus facile parce que ce pays a beaucoup de choses en commun avec l’Afrique du Sud. Chaque fois que je mets en place un projet quelque part, je m’efforce de travailler avec des artistes issus du pays concerné. C’est très important. C’était le cas pour Avignon avec Exhibit B et c’est le cas à Paris. Quant à Haïti, j’y suis allé à la demande d’une amie qui, connaissant bien mon travail, m’a proposé de mettre en scène un spectacle avec un groupe de rock local. Haïti, c’est vraiment une autre vision du monde. Même quand on vient d’Afrique du Sud. C’est un pays fascinant, mais ravagé par une telle misère et une telle violence, que c’est vraiment très dur de vivre là-bas. Propos recueillis par Hugues Le Tanneur Biographie BreTT Bailey Né en Afrique du Sud à la fin des années 60, Brett Bailey a connu le système de l’apartheid. Devenu auteur dramatique, metteur en scène et scénographe, il fonde une compagnie il y a près de dix-sept ans : Third World Bunfight. à travers des formes artistiques variées (installations, performances, pièces de théâtre, opéras ou spectacles musicaux), son œuvre interroge sans relâche les dynamiques du monde postcolonial et les relations de pouvoir et d’assujettissement qui perdurent entre l’Occident et le continent africain. S’intéressant aussi bien au parcours du dictateur ougandais Idi Amin Dada dans sa pièce Big Dada, qu’aux orgines des inégalités raciales en Afrique du Sud dans sa performance Terminal (Blood Diamonds), Brett Bailey revisite aussi des figures mythiques comme Médée ou Orphée, qu’il plonge dans la réalité de son temps et de son continent. Bouleversant les idées reçues, ses propositions questionnent la responsabilité de l’Occident dans la situation actuelle de l’Afrique, mais aussi plus largement ce qui, consciemment ou inconsciemment, « colonise » toujours les esprits : ce racisme ordinaire qui légitime encore aujourd’hui la violence faite aux étrangers et aux autres, à l’image de la société ségrégationniste dans laquelle Brett Bailey a grandi. Son travail est présenté pour la première fois en France. Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 66 angéliCa liDell Todo el cielo sobre la tierra. (El síndrome de Wendy) Texte et mise en scène, Angélica Liddell Avec Wenjun Gao, Fabián Augusto Gómez Bohórquez, Xie Guinü, Lola Jiménez, Angélica Liddell, Sindo Puche, Zhang Qiwen, Lennart Boyd Schürmann Ensemble musical Phace Décors et costumes, Angélica Liddell Musique, Cho Young Wuk Assistants, orchestration et arrangements, Hong Dae Sung, Jung Hyung Soo, Sok Seung Hui Préparation musicale, Lee Ji Yoen Guitare, Lennart Boyd Schürmann Lumière, Carlos Marquerie / Son, Antonio Navarro Régie lumière, Octavio Gómez Professeur danse de salon, Sergio Cardozo Costumes ajustés, González Masque chinois lion, Lidia G le petit paquebot Interprète chinois/espagnol, Wenjun Gao, Saite Ye Traduction, Christilla Vasserot Directeur technique, Marc Bartoló Régisseuse de scène, África Rodríguez Production et logistique, Mamen Adeva Assistante mise en scène, María José F. Aliste Production exécutive, Gumersindo Puche Dans Peter Pan, le roman de James Barrie, les enfants perdus de Neverland accueillent Wendy comme la mère qu’ils attendaient depuis longtemps. Dans Todo el cielo sobre la tierra. (El síndrome de Wendy), en revanche, Wendy hurle sa haine des mères, la sienne et toutes les autres. Telle est la vision qu’ Angélica Liddell nous propose du « syndrome de Wendy », qui fait écho à celui de Peter Pan, le jeune garçon qui refuse de devenir adulte. Wendy l’a suivi sur une terre où les enfants ne grandiront pas : l’île norvégienne d’Utøya, où le 22 juillet 2011 soixante-neuf jeunes gens périrent sous les balles d’Anders Breivik. Angélica Liddell ne prétend nullement se livrer à une reconstitution des faits ; elle imagine Utoya comme le lieu où Peter Pan a pu concrétiser son rêve de jeunesse éternelle. « Quand je pense à Utoya, je ne pense ni à la douleur, ni à l’horreur, je pense à tous ces jeunes que j’aurais aimés et qui ne m’auraient jamais aimée. » Wendy nourrit une obsession : la peur d’être abandonnée. Assumant la solitude, elle s’expatrie, s’en va pour Shanghai, pour connaître « le soulagement d’être étrangère », pour « sentir tout le ciel au-dessus de la terre ». Sur la scène, son île, Angélica Liddell s’entoure des comédiens qui l’ont accompagnée dans ses précédents spectacles, Lola Jiménez, Fabián Augusto Gómez Bohórquez et Sindo Puche, rejoints par des musiciens et des danseurs évoluant au rythme des valses du compositeur coréen Cho Young Wuk. La musique, en effet, « va bien plus loin que les mots. Elle dit la vérité. » FESTIVAL D’AUTOMNE à PARIS ODéON-THéâTRE DE L’EUROPE Mercredi 20 novembre au dimanche 1er décembre, mardi au samedi 20h, dimanche 15h, relâche lundi 8€ à 36€ Abonnement 8€ à 24€ Durée estimée : 2h30 Spectacle en espagnol, mandarin, shanghaïen et allemand surtitré en français Production Iaquinandi, S.L. Coproduction Wiener Festwochen ; Festival d’Avignon ; deSingel Internationale Kunstcampus ; Le Parvis Scène Nationale Tarbes Pyrénées ; Odéon-Théâtre de l’Europe (Paris) ; Festival d’Automne à Paris Coréalisation Odéon-Théâtre de l’Europe (Paris) ; Festival d’Automne à Paris En collaboration avec le Teatros del Canal (Madrid) et Tanzquartier (Vienna) Avec le soutien de la Comunidad de Madrid y Ministerio de Educación, Cultura y Deporte – INAEM Remerciements au Centro Cultural Coreano en España, Biblioteca Miguel de Cervantes – Consulado de España en Shanghai, et Mariano Arias Spectacle créé le 9 mai 2013 aux Wiener Festwochen Contacts presse : Festival d’Automne à Paris Christine Delterme, Carole Willemot 01 53 45 17 13 Odéon-Théâtre de l’Europe / Ateliers Berthier Lydie Debièvre 01 44 85 40 57 Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 67 enTreTien angéliCa liDDell Votre pièce est nourrie du roman de James Barrie, Peter Pan. Quand avez-vous lu ce livre pour la première fois ? Angélica Liddell : Je l’ai lu au moment où j’ai commencé à travailler sur le spectacle. La connaissance que j’avais de Peter Pan était jusque là inscrite dans un imaginaire collectif et universel. Je n’avais jamais vu le film de Walt Disney, je n’avais pas non plus lu le livre de James Barrie, mais je ressentais un lien émotionnel avec l’idée que nous nous faisons tous de Peter Pan. Une fois que j’ai lu le livre, les choses ont changé : l’île d’Utoya est devenue Neverland, le Pays Imaginaire, l’île de Peter Pan ; et les mères, qui étaient déjà pour moi des êtres repoussants, sont devenues les responsables de la douleur de Peter Pan, de la douleur de Wendy. Cette idée de femme-mère est l’origine ou l’explication de leur douleur. C’est que, de mon point de vue, les mères représentent le mal. Elles dévorent leurs enfants jusqu’à les réduire en miettes. Elles ne créent pas, elles détruisent. Je ressens une irrépressible répulsion à l’égard des mères. Il y a entre elles et moi des interférences insurmontables, je ne parviens pas à avoir des rapports normaux avec elles. Dès que je vois une femme avec ses enfants, je ressens un mélange de dégoût et de compassion, c’est une image que j’associe immédiatement à la bassesse et à la bêtise. J’ai l’impression que les femmes deviennent un peu bêtes quand elles ont des enfants, elles accordent une valeur disproportionnée aux douleurs de l’accouchement, c’est comme s’il n’y avait rien d’autre au monde. Quand je vois une mère avec ses enfants, surtout s’ils sont très jeunes, je pense que je n’aimerais pas avoir une mère pareille, d’ailleurs je n’ai jamais rencontré de bonne mère. Je me mets dans la peau de ses enfants, je me dis que cette femme fait des choses répugnantes, qu’elle est méchante, stupide, et que ces enfants vont devoir la supporter toute leur vie. Le fait de voir des mères en compagnie de leurs enfants met en évidence leurs défauts, leur part nauséabonde. Je vois même des choses que je n’avais pas remarquées auparavant, qu’elles camouflent derrière les rituels de la « maman heureuse ». Quand je les vois avec leurs enfants, tout ce qu’il y a d’immonde en elles devient une évidence. Bref, je n’aime pas les mères, j’éprouve à leur égard un immense sentiment de rejet, je ne peux pas m’en empêcher, j’ai envie de les insulter à tout bout de champ. Votre pièce Mais comme elle ne pourrissait pas… Blanche-Neige est elle aussi inspirée d’un classique pour enfants qui désormais appartient à l’imaginaire collectif. Comment concevez-vous ce travail de réécriture ? Angélica Liddell : Pour moi, il ne s’agit pas du tout de réécriture mais de reconnaissance. Ça revient à dire : « Je suis Wendy ». Je ne réécris pas, je n’adapte pas. Quand la nature humaine est ainsi révélée dans un livre, on se reconnaît, tout simplement, et on écrit sur soi. Comment le « syndrome de Wendy » est-il lié au sentiment d’abandon dont il est question dans Tout le ciel audessus de la terre ? Angélica Liddell : Une des caractéristiques de Wendy est qu’elle tente continuellement de satisfaire les désirs de l’autre pour ne pas être abandonnée. Les relations sentimentales s’en trouvent bouleversées, car l’autre peut se permettre de maltraiter Wendy, et les mauvais traitements augmentent sa peur d’être abandonnée, et la dépendance vis-à-vis de l’être aimé devient alors brutale. L’humiliation augmente la dépendance, l’abandon augmente la dépendance, et le trouble devient tel que Wendy ne peut plus avoir de relations normales, elle n’a plus que des relations pathologiques, et elle sera abandonnée encore et encore, il n’y a pas de solution à cela. Dans Tout le ciel au-dessus de la terre (Le syndrome de Wendy), que représente le massacre qui a eu lieu sur l’île norvégienne d’Utoya ? Angélica Liddell : J’entretiens avec le massacre d’Utoya un rapport d’ordre social et un rapport d’ordre poétique, qui est absolument antisocial. Le rapport social passe par le sens de la justice : si quelqu’un commer un crime, il est jugé et puni pour les faits qu’il a commis. Mon rapport avec ce massacre ne va pas plus loin, et il n’est guère intéressant. Mon rapport profond avec Utoya est lié à Peter Pan, c’est comme une vengeance poétique face à la perte de la jeunesse. Dans Tout le ciel au-dessus de la terre (Le syndrome de Wendy), Utoya est nécessaire dans la mesure où seule la tragédie permettra de faire naître l’amour entre deux êtres blessés, spirituellement blessés. Je transforme les blessures réelles en blessures spirituelles. Utoya est la tragédie nécessaire pour parvenir à l’amour. Dans quelle mesure le travail avec les comédiens a-t-il une incidence sur votre écriture ? Comment le texte s’estil modifié au cours des répétitions ? Angélica Liddell : J’écris pour la scène, ce qui veut dire que, lorsque je débarque sur le lieu des répétitions, c’est le chaos qui débarque avec moi. Les comédiens m’aident à organiser ce chaos, car leurs corps expulsent les phrases et les mots qui sont incompatibles avec leur nature. Les répétitions contribuent à organiser le chaos et lui donnant une structure. Cette structure, à son tour, transforme l’écriture. Et ça ne finit jamais. Je laisse la vie prendre part à l’élaboration de la pièce, je fais en sorte que la vie contamine l’œuvre et que l’œuvre contamine la vie. L’œuvre est toujours en cours de transformation car il existe toujours un événement digne de la transformer. Et puis j’ai du mal à mettre un point final, à cesser de corriger. Au fil des représentations, je corrige le texte de la pièce, ça peut durer des années, je peux passer des années à corriger le texte d’une de mes pièces. Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 68 « Maudit soit l’homme qui se confie en l’homme » : un projet d’alphabétisation, le spectacle que vous avez créé en 2011, Ping Pang Qiu et Tout le ciel au-dessus de la terre (Le syndrome de Wendy), vos deux dernières créations, constituent une sorte de trilogie sur la Chine. Estce ainsi que vous les avez conçues ? Angélica Liddell : Tout d’abord, il y a une chose à ne pas perdre de vue, c’est le fait que j’ai écrit une œuvre, une seule œuvre, très longue, j’ai commencé à l’écrire à l’âge de dix ans et j’ai passé ma vie à l’écrire. Cela dit, oui, ces trois pièces forment une trilogie. Mais quand j’ai commencé à écrire « Maudit soit l’homme qui se confie en l’homme » : un projet d’alphabétisation, je ne savais absolument pas que j’allais écrire une trilogie. En fait, cette pièce a marqué le début de quelque chose que je n’avais pas prévu : ma relation avec la Chine, qui m’a conduite à écrire Ping Pang Qiu – ce que je déteste de la Chine – et Tout le ciel au-dessus de la terre (le syndrome de Wendy) – ce que j’aime de la Chine… même si les deux sentiments sont en fait tout le temps mêlés. Il y a un autre lien, encore plus fort, entre les pièces de cette trilogie conçue après la Tétralogie du sang. Ce lien, c’est la méfiance, la méfiance et les conséquences de la méfiance sur l’être humain. De la méfiance est né l’isolement. Après la méfiance, il y a eu l’île, le désir de me sentir étrangère et seule à Shanghai. Vous parlez de sentiments mêlés à l’égard de la Chine, d’un mélange de haine et d’amour. Est-ce là ce que dans Ping Pang Qiu vous qualifiez de « contradictions au sein de l’amour » ? Angelica Liddell : En amour, le plaisir et la souffrance se mêlent dès le premier instant. C’est la contradiction originelle, comme le péché originel. à partir de là, tout n’est fait que de contradictions. Et quand l’amour n’est pas réciproque, la méchanceté peut surgir, la méchanceté et le désir de vengeance. Parfois, je me sens comme Jeanne Moreau dans Mademoiselle, le film de Tony Richardson. C’est une très très très très belle méchanceté. Je crois que les femmes ont une soif d’amour insatiable. Ça fait de nous des monstres, nous sommes capables de détruire ce que nous aimons le plus. Un poème de Karin Boye intitulé Nulle part exprime très bien cela. Il s’ouvre et se clôt sur ces vers : « Je suis malade, empoisonnée. Malade d’une soif / pour laquelle la nature ne créa pas de breuvage. » Propos recueillis et traduits de l’espagnol par Christilla Vasserot Mais pas forcément seule sur scène… Angélica Liddell : Parfois je suis seule, parfois je suis accompagnée. Parfois, je rencontre des gens par hasard, dans la rue, avec lesquels j’ai envie de travailler. D’autres fois, j’ai besoin de quelqu’un de très précis pour raconter une histoire. Et il arrive également que je me trompe, qu’au bout d’un mois je me rende compte que je suis en train de travailler avec une personne que je n’estime pas ; alors je dois mettre quelqu’un d’autre à sa place, car il est épuisant de travailler avec une personne qu’on ne supporte pas. Ça aussi, ça influe sur l’écriture : le remplacement d’un acteur a des conséquences sur l’écriture de la pièce. Mais ce que je préfère, c’est quand je suis seule sur scène, car j’ai beaucoup plus de liberté : je peux continuer à créer en direct, pendant le spectacle, je me permets de construire et de détruire, de corriger, d’altérer, sans dépendre de personne. Je prends plus de risques quand je travaille seule. Tout peut arriver sur scène s’il n’y a pas d’autres comédiens autour de moi. Tout peut arriver. J’improvise aussi beaucoup quand d’autres acteurs sont présents, mais eux, ils ne peuvent pas, je le leur interdis. J’ai donc besoin de travailler avec des gens capables de supporter cette pression de l’inattendu. Ce qui a le plus de valeur sur scène à mes yeux, c’est ce qui n’arrive qu’une fois, pas ce qui se répète mais ce qui n’arrive qu’une seule fois. Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 69 Biographie angéliCa liDell Angélica Liddell est née en 1966 à Figueres en Gerone (Espagne). En 1993, elle fonde à Madrid sa compagnie Atra Bilis Teatro avec qui elle signera vingt-deux mises en scène. Ses pièces ont été traduites dans plusieurs langues : Français, Anglais, Russe, Allemand, Portugais et Polonais. Parmi ses travaux, on peut citer : La Falsa Suicida (2000), El Matrimonio Palavrakis (2001), Once upon a time in West Asphixia (2002), Hysteria Passio (2003), Y cómo no se pudrió Blancanieves (2005), El Año de Ricardo (2005), Perro muerto en tintorería: los fuertes (2007), Anfaegtelse (2008), La Casa de la fuerza (2009), Maldito sea el hombre que confía en el hombre: un projet d’alphabétisation (2011) et Ping Pang Qiu (2012). Angélica Liddell a gagné plusieurs prix, parmi lequels : le Casa de América Award for Innovative Drama (2003) pour sa pièce Nubila Wahlheim ; le SGAE Theatre Award (2004) pour Mi relación con la ; le Premio Ojo Crítico Segundo Milenio Award (2005) pour l’ensemble de son travail ; le Notodo del Público Award (2007) pour Perro muerto en tintorería : los fuertes… Ses derniers travaux : El Año de Ricardo, La Casa de la fuerza, Maldito sea el hombre que confía en el hombre, ont été présenté au Festival d’Avignon, au Wiener Festwochen et au Théâtre de l’Odéon à Paris. Elle s’est récemment vue remettre le National Prize of Drama Literature 2012 pour La Casa de la fuerza par le Ministre espagnol de l’Education, de la Culture et du Sport. Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 70 niColas BouChauD eriC DiDry Un métier idéal d’après le livre de John Berger et Jean Mohr Un projet de Nicolas Bouchaud Mise en scène, Éric Didry Avec Nicolas Bouchaud Traduction, Michel Lederer Adaptation Nicolas Bouchaud, éric Didry et Véronique Timsit Collaboration artistique, Véronique Timsit Lumière, Philippe Berthomé Scénographie, élise Capdenat Son, Manuel Coursin FESTIVAL D’AUTOMNE à PARIS THéâTRE DU ROND-POINT Jeudi 21 novembre au samedi 4 janvier 21h, dimanche 15h30, relâche lundi, 24 novembre, 25, 31 décembre et 1er janvier 15€ à 28€ Abonnement 11€ et 18€ Durée estimée : 1h30 Production Théâtre du Rond-Point / Le Rond-Point des tournées Coproduction La Comédie de Clermont-Ferrand – Scène nationale ; Cie Italienne avec Orchestre ; Festival d’Automne à Paris,Le Printemps des Comédiens - Montpellier Coréalisation Théâtre du Rond-Point (Paris) ; Festival d’Automne à Paris Le livre de John Berger et Jean Mohr est publié aux éditions de l’Olivier. Avec le soutien de l’Adami Spectacle créé le 5 novembre 2013 à La Comédie – Scène nationale / Clermont-Ferrand L’ Angleterre rurale des années 1960, une zone économiquement défavorisée. Après avoir exercé dans la Royal Navy pendant la Seconde Guerre Mondiale, John Sassall travaille aujourd’hui comme médecin de campagne. Dans cette petite communauté à laquelle, par son vécu et sa culture, il n’appartient pas tout à fait, il assiste quasiment à toutes les naissances, il prononce quasiment toutes les morts. Un sacerdoce. Le récit du quotidien professionnel de ce médecin nous est fait par l’écrivain britannique John Berger dans A fortunate man, un ouvrage publié en Angleterre en 1967 et en France en 2009 sous le titre Un métier idéal, résultat de deux mois d’observation et de dialogue mené en compagnie de John Sassall et du photographe Jean Mohr. En 2005, The British Journal of General Practice écrivait que le livre était « le plus important sur la médecine jamais écrit ». Et sûrement l’est-il. Mais il est aussi bien autre chose… Situé aux confins de la fiction, de l’analyse et de l’enquête sociologique, Un métier idéal frappe par sa nature hybride : récit d’investigation sur les conditions d’exercice de la médecine en milieu rural, le texte camoufle aussi un roman d’apprentissage, une quête philosophique sur l’expérience du temps ou le sentiment d’empathie, mais encore un carnet de route, imprégné d’un goût pour l’aventure qui rappelle les belles pages des écrits de Joseph Conrad. Pour le comédien Nicolas Bouchaud, Un métier idéal offre avant tout l’occasion de saluer ceux, médecins, acteurs ou écrivains, qui, passionnément, envisagent leur travail comme le terrain d’un «questionnement infini, vertigineux sur la nature humaine ». Après La Loi du marcheur, une création centrée sur le grand critique de cinéma Serge Daney (accueillie au Théâtre du Rond-Point dans le cadre du Festival d’Automne à Paris en 2010 et 2011), il retrouve le metteur en scène éric Didry pour construire un nouveau portrait d’homme en travailleur, inconditionnellement dévoué à sa vocation. Contacts presse : Festival d’Automne à Paris Christine Delterme, Carole Willemot 01 53 45 17 13 Théâtre du Rond Point Hélène Ducharne Carine Mangou 01 44 95 98 47 Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 71 enTreTien niColas BouChauD Après La Loi du marcheur, une création réalisée à partir des entretiens donnés par le critique de cinéma Serge Daney, vous choisissez à nouveau, en collaboration avec le metteur en scène Eric Didry, de travailler sur un texte non-théâtral. De quoi traite exactement Un métier idéal de l'écrivain britannique John Berger ? Nicolas Bouchaud : De prime abord, c'est un livre qui pourrait se présenter comme une enquête. Le sujet de l'enquête en question est un dénommé John Sassall, un médecin de campagne, de ceux qui peuvent débarquer avec leur petite sacoche à n'importe quelle heure du jour et de la nuit et qui connaissent toutes les générations d'un village. Ce Sassall, John Berger et le photographe Jean Mohr l'ont suivi et accompagné pendant deux mois dans son activité professionnelle. Le récit a lieu en 1967. Berger nous raconte que John Sassall a exercé dans la Royale Navy pendant la guerre, avant de s'installer dans un village relativement reculé de l'Angleterre, dans une petite communauté à laquelle il est étranger, située au coeur de la forêt. Les habitants, qui s'appellent les « forestiers », sont, nous dit-on, des êtres assez « frustres »… Le livre s'apparente donc à un récit d'investigation. Mais comme chez Georges Orwell ou James Agee, autres « écrivains d’investigation », il ne se limite pas à un simple rapport d’enquête. C’est une œuvre hybride qui emprunte à des styles d’écritures très différents, une oeuvre impossible à classer dans un seul genre, où la réflexion politique et esthétique prend souvent le relais de la narration, une oeuvre qui tient à la fois de la nouvelle, de la forme dialoguée, de l’art du portrait, ou du carnet de route. Quelle a été votre sentiment premier à la lecture de cette œuvre? Nicolas Bouchaud : C'est une œuvre que j'ai trouvée amicale et mystérieuse. C’est un livre qui dégage un certain charme parce qu’on ne comprend pas tout de suite pourquoi et comment il nous touche. Ce qui m'a intéréssé en premier lieu, c'est la personnalité même de Sassall et la façon qu'il a de vivre sa vocation. Un métier idéal a quelque chose du roman d'apprentissage. John Berger remonte dans l'enfance de Sassall, explique qu'il rêvait beaucoup autour des récits d'aventure de Joseph Conrad, que de là lui vient cette conception un peu romantique de la médecine, comme s'il s'apparentait à un capitaine de bateau qui affronterait chaque jour la tempête… Sassall, qui devient presque un personnage de roman sous la plume de Berger, se décrit lui-même, à ses débuts, comme un « hôpital mobile individuel ». Le livre se transforme peu à peu en une invitation au voyage, une traversée au cours de laquelle nous entendons des voix, (celles de Berger, de Sassall et des ses patients) parfois proches, parfois lointaines et des histoires tantôt simples et tantôt extravagantes. Quelle conception de la médecine est véhiculée au travers de ce récit? Nicolas Bouchaud : Je crois qu’elle se place dans le sillage des réflexions de Michael Balint et de son livre : Le médecin, son malade et sa maladie paru en 1957. Les interrogations les plus passionnantes de Sassall, il me semble, portent sur la relation médecin/patient. Sassall est un personnage jusqu'au-boutiste, qui va loin dans sa relation aux patients. Lorsqu'il fait lui-même une psychanalyse, il comprend que soigner ne consiste pas seulement à « réparer » mais avant tout à « comprendre l'autre ». Pour cela, il doit utiliser son imagination au même titre que ses connaissances médicales. L’imagination est parfois un dénominateur commun entre les disciplines scientifiques et artistiques. Ce qui intéresse Berger, observant Sassall, c'est vraiment la façon dont on peut soigner aussi bien l'esprit que le corps. Comment peut-on regarder, étudier, comprendre la maladie? Estce que la médecine peut devenir le lieu, la scène où le malade aura la possibilité de se reconnaître ? Sassall travaille sur les maux en les contextualisant, en considérant l'individu dans sa culture et son environnement. Soigner devient alors tout autre chose que de trouver le bon diagnostic. La maladie n’est-elle pas aussi une forme d’expression plutôt qu’une capitulation devant les périls naturels? C'est une idée voisine de ce que nous enseigne aujourd'hui l'éthique du « care », théorisée Outre-Atlantique, qui considère l'attention aux autres comme accomplissement de soi… Nicolas Bouchaud : En 1967, cette philosophie de la prévenance et de la sollicitude n'était pas énoncée comme telle, mais il y a cette idée forte, dans Un métier idéal, de la médecine érigée en outil de connaissance d'autrui. Le personnage de Sassall pousse très loin le sentiment d'empathie puisqu'il tente même de « devenir » le patient. La façon dont Berger décrit l'activité de Sassall nous invite à nous imaginer nous-même, tour à tour dans le rôle du médecin et du patient comme si, dans cet étrange voyage, les frontières disparaissaient. Comme si les rôles s’inversaient. La question qui se pose à travers cette inversion des rôles est importante. Si les rôles s’inversent, c’est précisément parce qu’on présuppose une certaine égalité entre le médecin et le malade. Est-ce que le médecin peut apprendre davantage du malade que de son propre savoir ? Si on répond par l’affirmative, on mise alors sur une égalité des intelligences qui pose différemment la question de notre rapport au savoir. Le malade ne se retrouve donc pas seul face à un dispositif de savoir qui le définirait comme un problème mais plutôt comme un sujet avec son histoire personnelle et singulière. Par ailleurs, ce qui est passionnant, c'est la soif de connaissance qui anime Sassall, cette façon d'être « addict » à son métier. C'est un personnage qui me fait penser, parfois, au Galilée de Bertolt Brecht. Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 72 Sassall ne fait pas qu'exercer la médecine, il vit son métier comme une chose absolue, dévorante. Il risque de de lui-même, il risque son corps. Il est dit que Sassall tombe régulièrement en dépression à force de se projeter dans l'autre. Il y a une puissante idée de dépersonnalisation chez lui qui provoque chez moi un élan fraternel immédiat. Cette idée de dépossession n'est pas étrangère, en effet, aux questions que peuvent affronter un comédien. Quel lien de parenté voyez-vous entre la façon dont Sassall envisage sa vocation et la façon dont, en tant qu'acteur, vous envisagez la vôtre? Nicolas Bouchaud : Sassall grâce à la position qu’il occupe au sein de la communauté rurale où il exerce n’est pas quelqu’un comme les autres. Il est à la fois dans la communauté, parce qu’il en est le seul médecin et en dehors, parce qu’il ne vient pas du même milieu et ne partage pas la même culture. C’est pourquoi Berger est souvent tenté de le comparer à un acteur, à celui qui joue un rôle, celui qui compose, non pas pour mentir, mais pour entrer plus intimement en contact avec ses patients, avec ceux qu’il doit soigner ou soulager. Dès lors, oui, il y aura sûrement dans le spectacle un fil poétique tendu entre la façon dont Sassall décrit son métier et la manière dont je vis le mien. On a fait ce genre d'hypothèse avec le metteur en scène Eric Didry et Véronique Timsit. Pour pouvoir traduire ce livre en langage théâtral sans être dans l'illustration, j'ai du me demander ce qui me liait à Sassall. Soyons clairs : il ne s'agit pas de faire une analogie entre médecine et théâtre, en postulant que le théâtre a une fonction thérapeutique. Mais je reconnais en Sassall une certaine façon de vivre et de pratiquer son métier quiattise mon appétence à questionner le mien. De la même façon, je crois que Berger s’interroge sur son rôle d’écrivain en observant Sassall exercer la médecine. De plus, il est clair que cette « dépersonnalisation » est proche du métier de l'acteur. Ce que je reconnais chez John Sassall, c’est une façon d’être au monde ; toujours en léger décalage, à une légère distance, de lui-même et de l’autre, dans un imperceptible déplacement qui ne traduit pas, comme on pourrait le penser une forme d’indifférence, mais une blessure secrète. Sur un plateau, on est d'une certaine manière en « vacance » de soi-même. C'est un espace très étrange. Le danger qui guette l'acteur est similaire à celui qui guette Sassall. Plus on joue, plus c'est difficile de savoir qui on est. On ne joue pas avec le désir d’être un autre mais au contraire avec la peur de ne jamais pouvoir être soimême, avec la peur de se trouver indéfiniment séparé de soi-même. Le théâtre, comme la médecine telle que la vit Sassall, nous apprend à exciter les contraires en nous-mêmes à créer de la complexité et nous contraint à une forme d'exil intérieur. N'y a t-il pas aussi un parallèle entre la relation médecin-patient et celle entre acteur-spectateur? Nicolas Bouchaud : Si, mais, encore une fois, je ne le place pas sur un plan thérapeutique. Il concerne la disposition à l'autre. Un acteur doit être disponible sur un plateau. Si j'arrive en sachant tout, rien ne peut advenir. Sassall dit que lorsqu'un patient entre dans son cabinet, il doit créer les conditions nécessaires pour pouvoir le toucher, rentrer en contact avec lui. C'est comme s'il devait instaurer un pacte de lecture. Il y a un vocabulaire similaire pour parler de médecine et de théâtre. C'est assez amusant: « perdre » la salle, « prendre la température » de la salle... Un métier idéal est un livre très physique et dans l'idéal, il faudrait que la pièce le soit aussi. Berger nous décrit inlassablement Sassall en train d'attraper un pied, faire une piqûre dans une fesse… Il nous rappelle à quel point la médecine est affaire de contact - ce qui est en passe de disparaitre (personnellement, mon généraliste ne me touche quasiment pas). Je vois le théâtre comme une rencontre physique. Jouvet disait que le spectateur finit toujours par respirer comme l'acteur respire sur le plateau. C’est une rencontre charnelle. Envisagez-vous cette création comme un pendant à La Loi du marcheur? Nicolas Bouchaud : C'est finalement l'histoire similaire de deux professionnels passionnés, qui se consument dans leur vocation… Si l'on arrivait à créer deux portraits d'hommes au travail, ce serait merveilleux. On serait presque en face d'un diptyque. Bien sûr, on nous parle de médecine d'un côté, et de cinéma de l'autre, mais il y a des similitudes entre John Sassall et Serge Daney. La mélancolie en est une. Le désir de transmission en est une autre. Mais surtout, comme disait Daney en prenant la métaphore du tennis, il y a l'envie commune de s'interroger sur la façon de « rendre service ». C'est une disposition d'âme très présente chez Daney et elle l'est tout autant chez Sassall. Il exerce dans une région économiquement défavorisée, il vit son métier de façon militante, comme un sacerdoce, en étant entièrement tourné vers l'idéal du « service ». C'est une idée qui vous anime également, le théâtre comme « service »? Nicolas Bouchaud : J'ai toujours eu cette évidence en moi, dès que j'ai commencé à jouer. Je ne sais vraiment pas d'où elle me vient mais j'ai toujours ressenti de façon très vivante, très présente l'idée de « service public ». Je suis par exemple toujours et invariablement content, après avoir joué, malgré la fatigue des tournées, de me rendre aux rencontres publiques… Pour moi, cet échange est normal, fondamental même. Quel est le vrai moteur, qui nous pousse à jouer une fois que notre narcisisme est tranquillisé ? C'est quand même de faire éprouver des émotions aux gens, non ? On joue pour ressentir, ensemble, plus fort. Avec ce désir de montrer un peu plus Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 73 que l’homme de chaque jour, un peu plus que ce que nos oreilles peuvent entendre, un peu plus que ce que nos yeux peuvent voir. Je parle ici en terme d’intensité et pas de pédagogie. Jouer, c’est toujours un chaos qu’on essaye plus ou moins d’organiser c’est à dire d’intensifier. Pourquoi Un métier idéal peut-il être un texte à jouer et pas seulement un texte à lire? Nicolas Bouchaud : D'une part, parce que le livre contient cette dimension physique dont je parlais. D'autre part, parce que l'écriture de John Berger appelle, selon moi, le plateau. On est face à une écriture assez elliptique, qui laisse entrer l'émotion par les interstices des phrases. Certains passages me font penser aux nouvelles de Raymond Carver dont j’ai souvent pensé qu’elles feraient un bon matériau théâtral. L'émotion n'advient pas par une sorte de fulgurance du style qui embraserait la totalité du monde comme, par exemple, chez les romanciers du XIXe siècle, comme chez Tolstoï, comme chez Balzac… Elle émerge des trous laissés par le texte. C'est une écriture qui laisse des blancs, qui crée du vide et des silences, donc une écriture qui donne la place à l’interprétation, à l’imagination, à l’attention. On fait alors l’hypothèse qu’elle puisse devenir théâtrale. Mais le travail est forcément différent lorsque l'on aborde un texte non-dramatique. Il faut « rêver » davantage. Au début, les possibilités paraissent infinies. Au théâtre, les personnages nous sont toujours donnés en situation, en action, à travers un fil plus ou moins narratif. Dans un texte qui n'est pas théâtral, il faut créer soi-même les conditions de l'action et les conditions d’énonciation de la parole. C’est pourquoi le travail avec Elise Capdenat pour la scénographie, Philippe Berthomé pour la lumière et Manuel Coursin pour le son, est primordial. puisse le sentir à partir d’un détail ou comme ici, à travers le portrait de Sassall. Les textes plus généraux qu'il a pu écrire sur « le fascisme économique », par exemple, m'intéressent moins. Je préfère les textes dans lesquels sa filiation marxiste agit comme un levier, à ceux qui versent plus frontalement dans le pamphlet. Un métier idéal a un côté universel et intemporel. On sent la charge politique mais c'est sensiblement et concrètement qu'elle nous parvient. On sent l’amitié profonde de Berger pour Sassall. S'il y a un mouvement d'indignation dans ce livre de Berger, c'est quelque chose qui affleure. C'est la condition pour que l'indignation nous parvienne et surtout qu’elle nous donne l’envie d’en faire quelque chose. Propos recueillis par Eve Beauvallet Comment expliquez-vous que l'auteur soit si peu connu en France? Nicolas Bouchaud : C'est un mystère. En même temps on sent que c'est quelqu’un qui n'a jamais rien fait pour l'être : il vit dans un tout petit village de Haute Savoie depuis les années 1970… Il n'y a qu'une petite communauté de gens qui ont lu Un métier idéal. C'est un livre qui circule presque en contrebande, un livre qu'on aime garder un peu secret. Daney disait ça, que les oeuvres devaient circuler en contrebande… Je ne cache pas que ça procure un certain plaisir, ce côté confidentiel ! Mais c'est formidable, aujourd'hui, de pouvoir faire découvrir cette oeuvre et de la partager avec un cercle plus large. Les textes de John Berger sont souvent militants. Comment considérez-vous la dimension politique de ses écrits? Nicolas Bouchaud : Son engagement est quelque chose de très important, inséparable de son écriture. Un métier ideal est, en ce sens, un texte politique. Mais j'aime qu’on Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 74 Biographies niColas BouChauD eriC DiDry Comédien depuis 1991. Il travaille d’abord sous les directions d'étienne Pommeret, Philippe Honoré... puis rencontre Didier-Georges Gabily qui l’engage pour les représentations de Des cercueils de zinc. Suivent Enfonçures, Gibiers du temps, Dom Juan / Chimères et autres bestioles. Il joue également avec Yann Joël Collin dans Homme pour homme et l’Enfant d’éléphant de Bertolt Brecht, Henri IV (1e et 2e parties) de Shakespeare ; Claudine Hunault Trois nôs Irlandais de W.-B. Yeats ; Hubert Colas, Dans la jungle des villes de Bertolt Brecht ; Bernard Sobel, l’Otage de Paul Claudel ; Rodrigo Garcia, Roi Lear, Borges + Goya ; Théâtre Dromesko : l’Utopie fatigue les escargots ; Christophe Perton : le Belvédère d’Odon von Horvath... Jean-François Sivadier l’a dirigé dans : l'impromptu Noli me tangere, la Folle journée ou le Mariage de Figaro de Beaumarchais, la Vie de Galilée de Bertolt Brecht, Italienne scène et orchestre, la Mort de Danton de Georg Büchner, le Roi Lear de Shakespeare (Avignon Cour d'honneur), La Dame de chez Maxim de Georges Feydeau créée au TNB en 2009, Noli me tangere de Jean-François Sivadier, création au TNB en 2011 et en 2013, le Misanthrope. En 2012, il joue dans Projet Luciole mise en scène de Nicolas Truong au Festival d'Avignon dans le cadre de « sujet à vif », la pièce sera reprise cette année à la Chapelle des Pénitents blancs. Metteur en scène et acteur, éric Didry a été l’assistant de Claude Régy, lecteur pour les Ateliers Contemporains, et collaborateur artistique de Pascal Rambert. à partir de 1993, il devient créateur de ses propres spectacles. Il cherche à élargir le champ théâtral en créant de nouvelles dramaturgies. Dans son premier spectacle Boltanski/Interview, retranscription d’une interview radiophonique de Christian Boltanski, l’oralité est au centre de son travail. Avec les spectacles de récits improvisés, Récits/Reconstitutions (1998) et Compositions, la parole devient texte et il cherche à relier acteurs et spectateurs dans une relation d’intimité. Il collabore avec d’autres artistes comme le chorégraphe Sylvain Prunenec, le concepteur son Manuel Coursin, le magicien Thierry Collet. La pédagogie tient une place importante dans son travail. Il fait partie du conseil pédagogique de l’école du Theâtre National de Bretagne. Depuis de nombreuses années, il anime régulièrement en France et à l’étranger des ateliers de récits improvisés où il réunit acteurs et danseurs. Il joue et co-met en scène Partage de Midi de Paul Claudel, en compagnie de Gaël Baron, Valérie Dréville, JeanFrançois Sivadier, Charlotte Clamens à la Carrière de Boulbon pour le Festival d’Avignon en 2008. Il joue en 2011 au Festival d’Avignon, Mademoiselle Julie de Strindberg mise en scène Frédéric Fisbach avec Juliette Binoche, spectacle filmé par Nicolas Klotz. Il adapte et joue La Loi du marcheur (entretien avec Serge Daney) mise en scène d’Eric Didry en 2010 au Théâtre du Rond Point et en tournée ; il met en scène Deux Labiche de moins pour le Festival d’automne en octobre 2012. Au cinéma, il a tourné pour Jacques Rivette Ne touchez pas à la hache, pour Edouard Niermans, La Marquise des ombres, Pierre Salvadori Dans la cour, Jean Denizot La Belle vie… Nicolas Bouchaud au Festival d’Automne à Paris 2010 La Loi du Marcheur (Théâtre du Rond-Point) 2011 La Loi du Marcheur (Théâtre du Rond-Point) 2012 Deux Labiche de moins / Parole d’acteurs / Adami (Théâtre de l’Aquarium) Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 75 Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 76 mariano pensoTTi mariano pensoTTi El Pasado es un animal grotesco Cineastas Texte et mise en scène, Mariano Pensotti Texte et mise en scène, Mariano Pensotti Avec Santiago Gobernori, Javier Lorenzo, Laura Paredes, Maria Ines Sancerni Avec Horacio Acosta, Elisa Carricajo, Valeria Lois, Javier Lorenzo, Marcelo Subiotto Scénographie et costumes, Mariana Tirantte Création lumière, Matías Sendón Musique, Diego Vainer Assistant à la mise en scène, Leandro Orellano Décors et costumes, Mariana Tirantte Musique et design sonore, Diego Vainer Lumière, Alejandro Le Roux Assistant à la mise en scène, Leandro Orellano Assistant de production, Gabriel Zayat Diffusion en collaboration avec Ligne Directe / Judith Martin FESTIVAL D’AUTOMNE à PARIS MAISON DES ARTS CRéAIL FESTIVAL D’AUTOMNE à PARIS LA COLLINE – THéâTRE NATIONAL Mercredi 4 au dimanche 8 décembre 20h30, samedi 15h30 et 20h30, dimanche 15h30 14€ à 29€ Abonnement 9€ à 14€ Mercredi 11 au samedi 14 décembre 20h30 10€ à 20€ Abonnement 10€ et 15€ Durée estimée : 1h40 Durée : 1h50 Spectacle en espagnol surtitrés en français Spectacle en espagnol surtitrés en français Production Grupo Marea Coproduction Kunstenfestivaldesarts (Bruxelles) ; Complejo Teatral de Buenos Aires ; Theaterformen (Hanovre) ; Norwich & Norfolk Festival ; Festival de Otoño de Madrid Coréalisation La Colline – théâtre national (Paris) ; Festival d’Automne à Paris Avec le soutien de l’ONDA Avec le soutient de la ville Buenos Aires Diffusion en collaboration avec Ligne Directe / Judith Martin Spectacle créé en mars 2010 au Teatro Sarmiento (Buenos Aires) Coproduction Grupo Marea ; Complejo Teatral de Buenos Aires ; Kunstenfestivaldesarts (Bruxelles) ; Wiener Festwochen ; HAU Hebbel am Ufer (Berlin) ; Holland Festival ; Theaterformen (Hanovre) ; Maison des Arts Créteil ; Festival d’Automne à Paris Coréalisation Maison des Arts Créteil ; Festival d’Automne à Paris Avec le soutien de l’ONDA Avec le soutient de la ville de Buenos Aires Contacts presse : Festival d’Automne à Paris Christine Delterme, Carole Willemot 01 53 45 17 13 Contacts presse : Festival d’Automne à Paris Rémi Fort, Christine Delterme 01 53 45 17 13 La Colline - théâtre national Nathalie Godard 01 44 62 52 25 Maison des Arts Créteil Bodo 01 44 54 02 00 Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 77 L’auteur et metteur en scène argentin Mariano Pensotti aime raconter des histoires. Des histoires singulières, des vies croisées. Dans El Pasado es un animal grotesco, quatre jeunes gens revivent comme dans un film des séquences de leur existence, deviennent tour à tour narrateur de la vie d’un autre. Le plateau tourne et dix années défilent chaotiquement entre 1999 et 2009. Dix années au cours desquelles le monde change et les personnages grandissent, leurs désirs peu à peu affrontent la réalité : celui qui voulait devenir cinéaste indépendant se retrouve dans un studio de Los Angeles, déguisé en cow-boy, pour vanter les mérites d’une marque de bière ; celle qui rêvait d’une vie de bohème à Paris finit par jouer le rôle de Marie Madeleine dans un parc à thème consacré à la vie de Jésus ; et ainsi de suite. « The past is a grotesque animal » chantait le groupe of Montreal. Mariano Pensotti reprend la phrase à son compte pour mener à bien cette entreprise de reconstruction d’un passé fragmenté dont le fil est à réinventer. Dans Cineastas, la vie et la fiction ne font désormais plus qu’un : quatre cinéastes vivent et filment sous les yeux des spectateurs. Les instants passent, le cinéma tente de les figer, le théâtre les fait s’entrechoquer. Cinq comédiens se partagent une voix off et incarnent une foule de personnages, ils vont et viennent entre deux espaces superposés, deux temps simultanés : celui de la « réalité » et celui de la fiction. Ce croisement d’histoires est aussi le portrait d’une ville : Buenos Aires, toujours présente en filigrane, immuable et en perpétuelle transformation, vertigineuse comme la somme des vies qui l’habite. Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 78 enTreTien mariano pensoTTi Votre pièce Cineastas met en scène quatre cinéastes de Buenos Aires. Et les références cinématographiques sont récurrentes dans vos spectacles. Comment concevez-vous cette combinaison du théâtre et du cinéma ? Mariano Pensotti : Le théâtre et le cinéma abordent chacun très différemment le problème du temps. Le cinéma est une invention qui pour la première fois a permis à l’être humain de capturer le temps, de préserver l’expérience, de la reproduire autant de fois qu’il en avait envie. Le théâtre, en revanche, a beau être fait de répétitions, il est le règne de l’éphémère, où le temps se dissipe ; ainsi, il ressemble bien plus à notre expérience quotidienne. C’est cela qui me fascine dans la relation entre théâtre et cinéma : la tension entre l’éphémère et le durable. C’est cette tension que je m’efforce de travailler dans mes pièces. Et puis il se trouve que ma formation a été liée d’abord au cinéma, j’ai été réalisateur et scénariste. Et j’ai utilisé des procédés narratifs généralement associés au cinéma pour les transposer dans mes mises en scène. Je pense par exemple à La Marea, une « intervention urbaine » : dans une rue de la ville, nous installions neuf plateaux où des acteurs interprétaient de courtes scènes de la vie quotidienne ; pendant ce temps, leurs vies faisaient l’objet d’un récit sous forme de sous-titrage ; c’était comme si la ville réelle devenait un énorme plateau de cinéma. Dans El pasado es un animal grotesco, la scénographie est un manège tournant qui jamais ne s’arrête durant les deux heures que dure la pièce, comme le temps qui passe, ou comme un très long travelling, ou un interminable plan-séquence. En revanche, je ne suis pas du tout intéressé par la reproduction au théâtre d’une esthétique cinématographique, pas plus que par l’utilisation plus banale de techniques audiovisuelles sur scène. Ce qui me séduit, c’est de récupérer une forme d’ambition narrative propre au cinéma, souvent enclin à raconter de grandes histoires où la tension entre le réel et la fiction est palpable, et transférer cela au théâtre sans utiliser les grands moyens, en m’en tenant à l’échelle humaine qui est celle du théâtre. Je me propose de raconter de grandes histoires, avec des personnages à qui il arrive des tas de choses, mais sans forcément travailler avec vingt comédiens, sans avoir recours à une technique élaborée. Au contraire, j’aime que les grandes fictions puissent surgir d’un petit format. En quoi consistent ces « interventions urbaines » que vous évoquiez précédemment ? Mariano Pensotti : Elles sont très différentes les unes des autres. Leur point commun, c’est l’installation de la fiction dans des contextes réels. Elles font parfois appel à la notion de « réalité sous-titrée » : ajouter des textes, certains préalablement écrits, d’autres rédigés en direct, et les projeter sur des scènes installées dans la ville, afin de rendre visibles toutes ces histoires qui demeurent cachées dans les espaces publics. Dans La Marea, les neuf scènes interprétées par seize comédiens reproduisaient des situations de la vie quotidienne : un couple en train de dîner, un accident de moto, une fête, une personne en train de chercher le sommeil, une scène dans un bar, un couple en train de s’embrasser… Le public pouvait aller et venir d’une scène à l’autre, choisir sa propre combinaison, élaborer sa propre totalité. Le but était de raconter toutes sortes d’histoires susceptibles de se dérouler dans une rue, la nuit, pendant deux heures, en transformant des vies privées en exhibitions publiques, en incitant le public à poser un regard neuf sur un lieu qu’ils avaient déjà vu des centaines de fois. Dans Interiores, le public avait accès à dix appartements d’un immeuble réel où, pendant plusieurs heures, les comédiens interprétaient différentes scènes. Les spectateurs déambulaient dans l’immeuble, s’introduisaient dans les appartements et dans ces vies, en se sentant un peu comme l’homme invisible. Dans l’une de mes dernières « interventions urbaines », A veces creo que te veo (Parfois je crois que je te vois), des écrivains écrivaient en direct des histoires sur des gens qui attendaient leur train dans une gare, ou dans une station de métro. Leurs ordinateurs portables étaient connectés à d’immenses écrans, les gens pouvaient donc lire ce qu’ on écrivait sur eux et sur les autres. Les spectateurs devenaient euxmêmes des personnages. Les écrivains, quant à eux, devenaient comme des caméras de surveillance littéraire dans cet espace public, le but étant de sous-titrer la réalité, de mettre à nu la théâtralité du quotidien tout en créant de la fiction dans un espace réel. Dans El Pasado es un animal grotesco comme dans Cineastas, quelques comédiens interprètent une foule de personnages. Comment avez-vous travaillé avec les comédiens ? Mariano Pensotti : Les deux pièces ont quelque chose à voir avec l’épique : quand on raconte ce qui arrive à un groupe de personnes pendant dix ans (El Pasado es un animal grotesco), quand on relate les vies privées de quatre cinéastes tout en représentant les films qu’ils tournent (Cineastas), il y a là quelque chose qui tient de l’épique. Et ça l’est d’autant plus si les comédiens ne sont que quatre ou cinq et si les dispositifs scéniques sont certes complexes d’un point de vue conceptuel, mais simples dans leur réalisation. Ces dernières années, le théâtre argentin a eu tendance à se focaliser sur de petites histoires, la représentation de conflits familiaux. Moi, au contraire, je veux revendiquer pour le théâtre la possibilité d’évoquer des vies privées mais aussi des événements historiques, politiques ; j’ai envie que le théâtre puisse débattre de sujets d’esthétique ou de Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 79 philosophie ; je m’efforce d’interroger la représentation pour en forcer les limites ; je préfère travailler au bord, là où le théâtre croise d’autres disciplines artistiques ou la réalité elle-même. Le travail avec les comédiens a été long et intense. Nous avons répété chacune des pièces durant une année environ. C’est aussi dû au fait que, bien que mes textes aient été écrits avant le début des répétitions, ils ne sont pas au format théâtral traditionnel, ils ressemblent moins à une pièce dramatique qu’à de petits romans, avec un style assez littéraire. Une partie du travail consiste donc à découvrir et à développer avec les comédiens la théâtralité de ces textes. La virtuosité des comédiens est fondamentale, pas en tant que valeur en soi, mais parce qu’ils doivent construire quelque chose de complexe, aussi bien durant les répétitions que sur scène. Ces deux spectacles sont également liés par la présence d’un ou plusieurs personnages-narrateurs. Sont-ils la voix off capable de donner sens à cet « animal grotesque » qu’est le passé ? Ou bien cette voix détermine-t-elle le rapport que votre théâtre entretient non seulement avec le cinéma mais aussi avec la littérature ? Mariano Pensotti : Les deux spectacles sont bâtis sur une juxtaposition entre des scènes représentées et le récit d’un narrateur qui donne un nouveau sens à ce que le spectateur voit sur scène. Le narrateur peut raconter des choses que le public ne voit pas, qui ont eu lieu avant, ou qui auront lieu plus tard, ou qui existent seulement dans la tête des personnages. Il ne s’agit pas d’un narrateur totalement omniscient ou distancié car il est présent dans ces scènes et, parfois, il ne sait pas avec certitude ce qui va arriver. Cette dissociation entre narration et représentation m’intéresse au plus haut point. Elle permet à des situations quotidiennes, à des moments anodins, pris dans la vie des personnages, d’atteindre une dimension plus large et plus complexe. Il est vrai, aussi, que tout cela est lié à mon goût de la littérature. D’une certaine façon, le narrateur présent sur scène rend plus évidente la dimension littéraire des textes, il permet que, parfois, la pièce devienne une sorte de livre représenté sur scène d’une étrange manière. Mais ce qui me semble plus important encore, surtout dans le cas de El Pasado es un animal grotesco, c’est que la présence de ce narrateur est liée à l’idée que le passé, l’expérience vécue, ne cesse de se transformer chaque fois que nous le racontons. Nous sommes tous faits de récits, nous sommes ce que nous racontons de nousmêmes. J’aime penser que ce qui perdure du passé, ce sont des fragments dispersés d’un film inachevé dont le scénario a été perdu, des morceaux que quelqu’un s’efforce de rassembler en racontant ce qui s’est passé… Les travaux d’Henri Bergson sur le temps et le récit n’ont cessé de nous accompagner durant l’élaboration du spectacle. J’ajouterai que le récit nous transforme, il ne transforme pas seulement les événements narrés, il transforme aussi le narrateur. C’est une idée très présente dans Cineastas : le narrateur qui est sur scène rappelle la classique voix off du cinéma et, en même temps, la pièce met l’accent sur le fait que réaliser un film (qui est une forme de récit) transforme la vie privée de son réalisateur. Enfin, si le passé est construit sur des récits, le présent est aussi construit sur des fictions. Notre expérience est infiltrée par la fiction que nous absorbons tout au long de nos vies. Cette notion classique selon laquelle les fictions prolongent nos vies éphémères pourrait être renversée : nos vies sont un véhicule permettant aux fictions de se prolonger car nous agissons en imitant ou en reproduisant ce que nous avons lu, ou vu au cinéma, à la télé. Dans quelle mesure ces vies individuelles sont-elles emblématiques d’une Histoire argentine ? Mariano Pensotti : Il y a une constante dans mes spectacles : l’intérêt pour le conflit entre vie publique ou sociale et vie privée. Dans El Pasado es un animal grotesco, j’avais envie d’interroger la façon dont l’histoire collective d’un lieu, dans un laps de temps bien précis, pouvait influencer ou non des histoires privées. De quelle façon l’Histoire ou les grands événements de nos villes sontils liés à des épisodes intimes ? En l’occurrence, il s’agit d’un groupe de personnes appartenant à la même génération que la mienne. La pièce met en scène dix années de leurs vies, entre 1999 et 2009, entre vingt-cinq et trente-cinq ans. Les quatre personnages vivent des conflits liés à la difficulté d’être ce qu’ils désirent être. Leurs vies se font et se défont sans cesse, elles sont traversées par des crises personnelles et économiques, ce qui peut clairement être mis en rapport avec l’Histoire de l’Argentine. Ils ont grandi pendant la dictature militaire, de la fin des années soixante-dix au début des années quatre-vingts, ils ont connu les crises sociales et économiques qui ont suivi le rétablissement de la démocratie ; tout cela est gravé en eux : la précarité, la sensation que la vie peut changer du tout au tout, d’un instant à l’autre. Ils ont constamment l’impression que leurs vies pourraient être meilleures s’ils étaient quelqu’un d’autre, ou s’ils vivaient ailleurs… C’est une idée qui me semble très étroitement liée à ma génération et à Buenos Aires. Buenos Aires est une ville d’une grande théâtralité, due en partie à sa tradition de théâtre indépendant, mais également au fait que ses habitants pensent être ce qu’ils ne sont pas. Il y a un décalage entre ce que les gens veulent être et ce qu’ils sont. Il règne au quotidien un très haut niveau de théâtralité. C’est une situation de Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 80 schizophrénie : beaucoup de gens se perçoivent comme des Européens en exil et non comme des Latino-Américains. La ville est pleine d’immeubles qui imitent ceux d’autres villes ; on y a d’ailleurs tourné pas mal de films dont les histoires se déroulent ailleurs. Et puis, très fréquemment, on envoie les enfants suivre des cours de théâtre, comme un loisir ou une activité thérapeutique… Tout cela fait que Buenos Aires est pour moi une ville fascinante car elle regorge de possibilités en termes de théâtre. Mes pièces parlent de la ville et de la relation qu’elle entretient avec ceux qui l’habitent. Dans El Pasado es un animal grotesco, l’histoire des personnages est indissociable de celle de Buenos Aires. Dans Cineastas, le but était de raconter l’histoire de cette ville à travers la fiction créée par ses habitants. Cineastas est une façon de raconter Buenos Aires à travers les vies et les œuvres de ses cinéastes. Ce qui soustend tout cela, c’est qu’on ne connaît jamais vraiment un lieu à travers la vie de ses habitants, on le connaît grâce à sa production fictionnelle. Propos recueillis et traduits par Christilla Vasserot Biographie mariano pensoTTi Mariano Pensotti (1973, Buenos Aires) est auteur dramatique et metteur en scène de théâtre. Il a étudié le cinéma, les arts plastiques et le théâtre à Buenos Aires, en Espagne et en Italie. Au cours des dix dernières années, il a écrit et créé plus de quinze spectacles de théâtre. Parmi ces dernières créations, on peut citer : El Pasado es un animal grotesco (2010), Sometimes I think I can see you (2010), Encyclopaedia of unlived lives (2010), et La Marea (2005). Il a participé au projet Infinite Jest (2012) de David Foster Wallace au HAU à Berlin. Mariano Pensotti est aujourd¹hui l’un des metteurs en scène expérimentaux les plus remarqués du monde. Mariano Pensotti et sa compagnie effectuent des tournées internationales tout au long de l’année. Il développe deux lignes distinctes dans son oeuvre : l’une se compose de spectacles scéniques pour lesquels il écrit ses propres textes littéraires et qui s’appuient fortement sur le travail avec les comédiens, et l’autre consiste à produire en parallèle divers spectacles hors les murs, avec pour intention principale de générer un contraste particulier entre fiction et réalité, en situant la fiction dans l’espace public. Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 81 Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 82 DaisuKe miura Le Tourbillon de l’amour Texte et mise en scène, Daisuke Miura Avec Ryotaro Yonemura, Yusuke Furusawa, Ryo Iwase, Hideaki Washio, Tetsu Hirahara, Runa Endo, Megumi Nitta, Yoshiko Miyajima etc Régisseur général, Kiyonaga Matsushita Décors, Toshie Tanaka Lumière, Takashi Ito Son, Yoshihiro Nakamura Vidéo, Norimichi Tomita Accessoires, Michiyo Kawai Surtitrage, Aya Soejima, Philippe Achermann Directrice de production, Kyoko Kinoshita Coordinatrice, Fumiko Toda FESTIVAL D’AUTOMNE à PARIS MAISON DE LA CULTURE DU JAPON à PARIS Jeudi 5 et vendredi 6 décembre 20h, samedi 7 décembre 16h Un tourbillon… Comme celui des sentiments qui animent, sous une surface policée, les dix personnages du spectacle Le Tourbillon de l’amour. Quatre hommes et quatre femmes réunis dans un appartement pour un banal échange des corps, soigneusement codifié. Derrière l’ordinaire des conversations se joue la comédie amère d’une violence à l’état brut. Le tourbillon décrit aussi une structure dramaturgique en spirale, qui voit les couples disparaître et réapparaître sur scène pour former d’éphémères attachements, creusant les limites du dicible et les failles de la communication. Manège de la séduction, ronde millimétrée reflétant la circulation d’un désir toujours insatisfait mais toujours ravivé. Enfant terrible de la scène japonaise, Daisuke Miura (né en 1975) fonde la compagnie Potudo-ru en 1996 avec d’autres étudiants de l’université de Waseda, avant que sa pièce Knight’s Club en 2000 ne le place au centre de l’attention. à la fois dramaturge, metteur en scène et réalisateur, il crée un théâtre résolument contemporain, nourri des séries télévisées de sa génération, en quête d’un réalisme quasi documentaire. Avançant vers toujours plus d’épure, son art exploite des situations humaines volontiers dérangeantes et s’appuie sur une étroite collaboration avec ses acteurs. Créée en 2005, Le Tourbillon de l’amour a reçu le prestigieux prix Kishida Kunio – une des plus grandes récompenses qu’un auteur de théâtre puisse recevoir au Japon – alors que la pièce, aujourd’hui présentée en France, continue de sonder les manifestations de l’intime et les signes d’une quête d’amour qui ne dit jamais son nom. 16€ et 20€ Abonnement 12€ Durée : 2h Spectacle en japonais surtitré en français Coréalisation Maison de la culture du Japon à Paris ; Festival d’Automne à Paris Avec le soutien de The Agency for Cultural Affairs Government of Japan in the fiscal 2013 Avec le soutien de l’ONDA Avec le soutien de la Fondation Franco-Japonaise Sasakawa et de la Fondation pour l’étude de la langue et de la civilisation japonaises sous l’égide de la Fondation de France Contacts presse : Festival d’Automne à Paris Christine Delterme, Carole Willemot 01 53 45 17 13 Maison de la culture du Japon à Paris Aya Soejima 04 44 37 95 22 Spectacle créé en 2005 au Theatre Tops (Shinjuku, Tokyo) Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 83 enTreTien DaisuKe miura Quel a été le point de départ du Tourbillon de l’amour? Daisuke Miura : étonnamment, je trouvais qu’il y avait peu de pièce sur le thème du sexe. Je me suis donc dit que j’allais essayer. Il y a beaucoup de pièces qui ajoutent d’autres éléments à ce thème – politiques, sociaux, religieux, etc. – et j’ai pensé que ce serait original de ne pas le faire. Je voulais aussi écrire quelque chose qui n’adopte pas le point de vue masculin égocentrique; qui représente aussi la sexualité féminine de façon juste. Les hommes comme les femmes se rendent à des soirées échangistes parce qu’ils veulent faire l’amour, donc cela me semblait bien convenir au thème de la pièce. Que signifie pour vous le titre de la pièce ? De quel amour parle-ton ? Daisuke Miura : Le titre n’a pas de sens dans la pièce en elle-même. Je trouvais arrogant de répondre à la question : « qu’est-ce que l’amour ? » Je voulais plutôt que le public assiste à la pièce, et que chacun se pose la question de ce qu’est l’amour. J’ai écrit la pièce parce que je voulais que chacun cherche cette réponse, donc il n’y pas de définition. Et en effet, les membres du public ont chacun leur façon de voir la pièce, et d’interpréter « l’amour » de façon différente. Cela me convient très bien, parce que je trouve personnellement que cette ambiguïté définit bien l’amour. Dans votre approche de ce thème, est-ce que vous réagissiez, d’une façon ou d’une autre, à la façon dont la sexualité est traitée habituellement au théâtre, à la télévision ou dans la littérature ? Et quelle relation cherchiez-vous à créer avec le public ? Daisuke Miura : Je ne pense pas vraiment à des choses difficiles. Je veux juste montrer au public le moment où quelqu’un qui a l’esprit mal tourné s’expose à la question « ça ne vous rappelle pas quelque chose ? », « vous aussi, vous aimez les trucs cochons, non ? ». Je veux que le public ressente de l’empathie. Je me suis dis qu’en intéressant les gens ainsi, le public pourrait assister à la pièce sans se lasser de ce qui se passe sur scène. Et en fait, c’est ce qui se passe. Je suppose que cela veut dire que le monde entier a l’esprit mal tourné ! Vous avez dit dans un entretien avoir été influencé par les séries populaires à la télévision japonaise, quand vous avez commencé votre carrière au théâtre. Est-ce qu’il y a eu des sources d’inspirations particulières pour Le Tourbillon de l’amour ? Daisuke Miura : Je suis toujours influencé par les programmes télévisés que je regardais pendant ma puberté. à l’époque, les séries télévisuelles japonaises étaient très populaires et j’étais « à fond dedans ». Mais même si cette influence fait partie de mes racines, elle s’est affai- blie à mesure que je vieillis. Pour Le Tourbillon de l’amour je n’ai pas été influencé par un programme télévisé ou un écrivain... J’ai écris la pièce à partir de mes propres expériences. J’ai suis allé à des soirées échangistes à de nombreuses reprises. Bien entendu, je ne raconte pas mes expériences exactement comme elles se sont produites, mais j’utilise certains détails que j’ai vécus pendant ces soirées. Les personnages de la pièce sont des projections de moi-même. Comment avez-vous écrit le dialogue de la pièce ? Avezvous collaboré avec les acteurs pour le texte ? Quel type de langue recherchiez-vous par rapport à la situation que vous montrez ? Daisuke Miura : Je me suis servi de certaines répliques des acteurs pendant les répétitions, mais pour la plus grande part, j’ai écrit le dialogue à mon bureau. Je n’ai aucun désir de composer des répliques isolées. J’utilise simplement la langue comme un moyen de construire une situation. Pour le dire de façon plus extrême, il n’y a aucune réplique dans la pièce que je tienne absolument à ce que le public entende. Je veux montrer ce qui émerge à partir de l’énumération d’un dialogue sans raison d’être. C’est là, à mon avis, ma spécificité en tant que dramaturge. Comment avez-vous abordé la scénographie, et en particulier l’écart entre ce qui est montré et ce qui ne l’est pas, entre ce qui se passe sur scène et ce qui se passe en dehors de la scène ? Daisuke Miura : Je crois que le théâtre est un moyen très efficace de nous faire imaginer ce qui se passe en dehors de la scène, et j’exploite beaucoup cela. Presque toutes les scènes de sexe dans Le Tourbillon de l’amour se produisent en dehors de la scène. Pour le drame, cela transmet les thèmes de la pièce de façon plus claire que si je montrais les choses directement. Je ne veux pas simplement décrire l’érotique, je veux montrer de quelles façons les gens sont « cochons ». Diriez-vous toujours, comme vous l’avez fait par le passé, que votre approche est « documentaire » ? Daisuke Miura : à une époque, mon approche était effectivement très documentaire : les acteurs venaient sur scène avec leur vie intime, au naturel, et ils montraient les relations humaines qu’ils avaient dans la vraie vie. Même si je me contente aujourd’hui de faire de la fiction à partir de mes expériences, on continue à dire que mon approche est « documentaire ». Or, je pense que je fais exactement l’inverse que ce que fait un vrai documentaire, parce que je présente une situation très élaborée, avec beaucoup de détails. Mais à cause de cette grande précision, de cette grande résolution graphique, on pense que c’est très proche de la réalité. Mais, en fait, ce Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 84 n’est pas le cas. Dans la réalité, les détails qui sembleraient pouvoir exister sont exagérés. C’est donc une illusion. D’autres personnes qui ont vu mes pièces disent que ce n’est pas réaliste. Mais je ne cherche pas à être « réaliste ». L’impression de « réalisme » découle simplement des moyens déployés pour s’approcher du thème. Vous avez aussi réalisé des films. Est-ce que votre expérience du cinéma a influencé votre approche du théâtre ? Voyez-vous des points communs entre ces deux arts, ou au contraire des différences ? Daisuke Miura : Je considère que le cinéma et le théâtre sont deux entités différentes. Ils créent tous les deux un portrait de l’humanité, mais les techniques et les méthodes qu’ils utilisent pour exprimer des choses sont complètement différentes. Je crois que la seule approche qui ait du sens, c’est d’exprimer des choses au cinéma avec les moyens du cinéma, et au théâtre avec les moyens du théâtre. Et qu’est-ce que le cinéma est le seul à pouvoir exprimer ? Honnêtement, je ne peux pas aujourd’hui répondre à cette question. Mon expérience en tant que réalisateur est limitée, et je cherche encore... Mais cela fait maintenant quinze ans que je fais du théâtre, donc j’espère trouver la réponse pour le théâtre. Cela prendrait trop de temps de traduire cela en mots, mais pour le dire succinctement, le théâtre est, dans son essence même, une représentation en direct, et il est vital de s’assurer que le public sente que quelque chose est partagé, qu’il y a une complicité. monté des pièces qui ont traité de sujets variés. Par exemple, la question de savoir si un visage est beau ou laid, des sentiments amoureux, du sentiment de vide intérieur des jeunes, etc. Mais aujourd’hui, je pense que le théâtre doit avoir une contemporanéité, qu’il doit ne pouvoir se faire que maintenant. Mon intention constante est de créer, pour chaque pièce, une œuvre qui crée « l’époque » dans laquelle nous vivons. Je ne sais pas d’ailleurs comment cela va évoluer à l’avenir. Comme j’évolue, en tant que personne, je veux vraiment que le public vienne voir mes pièces en se demandant à quoi cela va ressembler cette fois. C’est d’ailleurs la plus grande motivation que le public peut avoir pour aller au théâtre. Propos recueillis par Barbara Turquier Diriez-vous que vos pièces disent quelque chose de la société japonaise contemporaine, d’un point de vue social ou politique ? Daisuke Miura : Ce n’est jamais mon objectif quand je crée une pièce. Ce n’est pas à moi d’en juger, mais au public qui vient voir la pièce. Si je faisais des pièces en pensant à ça, je finirais par faire du théâtre pour gratifier mon ego. Avec Le Tourbillon de l’Amour, je voulais seulement créer une pièce qui montre la manière dont les gens sont vraiment « cochons ». Les gens qui y ont assisté y ont ajouté leur propre signification, de sorte que c’est devenue une pièce qui parle aussi d’autre chose. Rétrospectivement, quelle a été l’importance du Tourbillon de l’amour dans votre parcours ? Est-ce que la pièce a été un tournant ? Et quelles nouvelles directions prend votre théâtre aujourd’hui ? Daisuke Miura : J’ai remporté un prix de théâtre pour cette pièce, et la visibilité de ma compagnie a explosé. Mais si l’on me demande si j’ai changé en tant que personne, non, ce n’est pas le cas. J’ai simplement passé une certaine étape. Depuis Le Tourbillon de l’amour, j’ai Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 85 Biographie DaisuKe miura Daisuke Miura est né à Hokkaido en 1975. Il est dramaturge et dirige la Compagnie théâtrale de Potudoru qu’il a formé avec les membres de la Waseda University Theater Club. Aux prémices de la Compagnie, il met en scène des pièces dramatiques avant d’évoluer vers un tout autre style. Ce nouveau style se détache du théâtre autant que possible en empruntant un ton plus « semi-documentaire » afin de produire un « degré de réalité supérieur ». Par la suite, ce style continue d’évoluer et abouti enfin à son approche actuelle qui mêle adroitement théâtre et documentaire créant ainsi « de la fiction avec de la réalité ». En 2003, le film indépendant First Love, co-réalisé avec Makiko Mizoguchi a remporté le prix spécial du jury au 25ème Pia Film Festival (Tokyo). En 2010, il écrit et dirige Boys on the Run, cette même année il écrit et réalisé City of Betrayal pour le Parco Theater de Tokyo. En février 2011, il adapte et met en scène sa première pièce étrangère The Shape of Things, de Neil LaBute au Aoyama Round Theater à Tokyo. Sa pièce Castle of Dream, sera jouée pour la première fois à l’étranger au Theater der Welt a Essen en Allemagne. Depuis, elle a été jouée au Kunstenfestivaldesarts à Bruxelles, au Wiener Festwochen de Viennes et au Festival TransAmériques à Montréal. En 2012, Ai no Uzu (Le Tourbillon de l’amour) (écrite et jouée au Japon en 2006) a été invitée au Foreign Affairs festival à Berlin. Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 86 romina paula Fauna Texte et mise en scène, Romina Paula Un spectacle de Romina Paula/Compagnie El Silencio Avec Esteban Bigliardi, Rafael Ferro, Pilar Gamboa, Susana Pampín Scénographie, Alicia Leloutre, Matías Sendón Lumière, Matías Sendón Assistant à la mise en scène, Ramiro Bailarini Photographies, Sebastián Arpesella Traduction, Christilla Vasserot FESTIVAL D’AUTOMNE à PARIS THéâTRE DE LA BASTILLE Vendredi 6 au samedi 21 décembre 21h, samedi 14 et 21 décembre 17h et 21h, dimanche 17h, relâche lundi 9 et dimanche 15 décembre 14€ à 24€ Abonnement 12€ et 16€ La France a découvert le travail de Romina Paula à l’occasion de la tournée du spectacle qu’elle a écrit et mis en scène en 2011 : El Tiempo todo entero, une pièce toute en finesse librement inspirée de La Ménagerie de verre de Tennessee Williams, servie par la virtuosité de ses comédiens. Dans son théâtre comme dans ses romans, dans son écriture comme dans ses mises en scène, Romina Paula explore les relations humaines. Elle revient cette année avec un nouveau spectacle : Fauna. Le titre est le prénom d’une femme dont il est sans cesse question dans la pièce, même si on ne la verra jamais. Fauna est morte, mais encore vivante dans les mémoires. Et c’est de cette mémoire qu’il s’agit dans la pièce : un réalisateur veut tourner le film de sa vie, alors il enquête, part sur ses traces en compagnie de la comédienne qui interprétera son rôle. Ensemble, ils vont trouver les enfants de Fauna pour en savoir plus sur cette femme propulsée aux confins de la folie par une existence heurtée, une femme qui refusa l’aliénation d’une société masculine, qui décida de se faire passer pour un homme pour entrer dans les cercles de poètes ou aller à l’université. Fauna est un faune, un être hybride, hors-norme, alors elle met à nu les failles des gens « normaux ». Au fur et à mesure des conversations, des répétitions de scènes du film, les personnages se dévoilent. La pièce n’est pas seulement la reconstitution d’une vie. Elle est « un film sans caméra, sans écran ». Elle propose un regard subtil sur l’essence de l’art, les mécanismes du regard, les fondements du théâtre. Durée estimée : 1h30 Spectacle en espagnol surtitré en français Production El Silencio Production exécutive Sebastián Arpesella (Buenos Aires) Production déléguée de la tournée 2013 Théâtre Garonne (Toulouse) Coproduction El Cultural San Martín (Buenos Aires) ; Théâtre Garonne (Toulouse) ; Espaces pluriels (Pau) ; Théâtre de la Bastille (Paris) ; Festival d’Automne à Paris Coréalisation Théâtre de la Bastille (Paris) ; Festival d’Automne à Paris La compagnie El Silencio est représentée par Ligne Directe / Judith Martin (www.lignedirecte.net) Avec le soutien de l’ONDA Avec le soutient de la ville de Buenos Aires Avec le soutien de King’s Fountain Fauna est publié aux éditions Les Solitaires Intempestifs (novembre 2013) Spectacle créé le 16 mai 2013 à El Cultural San Martín (Buenos Aires) Contacts presse : Festival d’Automne à Paris Christine Delterme, Carole Willemot 01 53 45 17 13 Théâtre de la Bastille Irène Gordon Brassart 01 43 57 78 36 Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 87 enTreTien romina paula Comment le personnage de Fauna vous est-il venu à l’esprit ? Romina Paula : Fauna est une pièce qui s’est écrite toute seule, je ne saurais dire d’où elle vient. Il y a tout de même une chose dont je me souviens : j’étais intriguée par le nom d’une rue de Buenos Aires, la rue Concepción Arenal. Une rue dont je m’étais habituée à prononcer le nom sans forcément faire attention au fait que c’était celui de quelqu’un, et que ce quelqu’un devait avoir fait suffisamment de choses dans sa vie pour qu’on donne son nom à une rue. Un jour, j’ai fait des recherches sur cette fameuse Concepción Arenal. J’ai appris que c’était une auteure féministe du XIXème siècle qui, entre autres, avait pour habitude de s’habiller en homme pour pouvoir suivre des cours à l’université, entrer dans les cercles de poètes ou, tout simplement, avoir accès à la vie culturelle de son pays. Une femme se glissant incognito parmi les hommes : cette image m’a non seulement émue mais elle a également ouvert la porte à bien d’autres. Combien de ces hommes, jeunes ou moins jeunes, étaient-ils en fait des femmes se faisant passer pour autre ? Je pense par exemple à George Sand, ou à Claude Cahun, à Flora Tristan, à Virginia Woolf… et la liste est longue. Je pense également à la mère d’une amie de ma mère : fille d’immigrés allemands, elle a grandi en Patagonie et, depuis des années, elle vit à Sierra de la Ventana, dans les montagnes de la province de Buenos Aires. Elle est une sorte d’amazone et, aujourd’hui encore, alors qu’elle est âgée de quatre-vingt-dix ans, elle continue à monter à cheval. Elle aussi, elle a inspiré le personnage de Fauna. Le personnage qui donne son titre à votre pièce porte un prénom et un nom symboliquement chargés : Fauna Forteza, c’est à la fois le faune, la faune et la force… Romina Paula : Ce n’était pas mon intention au départ mais, comme toujours, le hasard a bien fait les choses. En fait, tout l’imaginaire qui entoure la famille dont il est question dans la pièce est inspiré de la vie d’Horacio Quiroga, écrivain uruguayen qui s’était installé en Argentine ; il a vécu et écrit durant une grande partie de sa vie dans la forêt vierge, et il a beaucoup écrit sur cette forêt. Forteza, c’était le nom de sa mère. Bref, c’était au départ un choix totalement arbitraire, mais il finit par avoir une charge symbolique importante. Par ailleurs, les questions du genre sont au cœur de cette pièce. Mais je ne voulais pas tenir un discours figé sur le sujet, je voulais juste poser des questions. Qu’est-ce que le féminin ? Qu’est-ce qui définit le masculin ? Je nourris le fantasme ou l’ambition de pouvoir m’éloigner toujours un peu plus de la pensée binaire, car les choses ne sont pas comme ci ou comme ça, elles ne s’opposent pas forcément. Je m’efforce d’avancer dans des territoires rocailleux, difficiles à nommer, à définir. Comme El tiempo todo entero, votre précédent spectacle présenté en 2011 au Festival d’automne à Paris, Fauna évoque la relation entre des enfants et leur mère ou, plus exactement ici, la mémoire de leur mère… Comment avezvous désiré aborder ce thème dans Fauna ? Romina Paula : Je n’ai pas du tout imaginé une pièce sur le thème de la famille. D’ailleurs, bien au-delà du fait qu’il y a un frère et une sœur parmi les personnages, ce groupe de quatre personnes est plutôt conçu comme un groupe de travail et non comme une cellule familiale. La contingence qui les réunit dans un même espace et dans un même lieu, c’est le travail, le film qu’ils veulent réaliser ensemble. Cette pièce est avant tout une réflexion sur le travail d’un groupe qui finit, certes, par ressembler à une famille, mais une famille qu’ils se sont choisie, une famille qui se dissout quand le travail est fini. Ces quatre personnages répètent des scènes pour un film à venir et ils discutent à propos de ce qui pourrait être représenté ou pas, à propos de la véracité de l’histoire et de l’importance ou non de cette vérité. Chacun est confronté à des émotions inéluctables, presque comme les acteurs pendant les répétitions. Les personnages de Fauna s’exposent émotionnellement. Ils veulent créer de la fiction, mais cette fiction les expose-t-elle ou les protège-t-elle ? La pièce s’ouvre sur des vers de Rainer Maria Rilke. Quel sens ont-ils pour vous ? Romina Paula : Une fois de plus, je m’en remets à l’arbitraire et au hasard : ce poème se trouve dans une édition des poèmes de Rilke en allemand, un très vieux livre qui a atterri entre mes mains je ne me souviens plus comment… un héritage, je suppose. Je suis littéralement subjuguée par ce poème : Expérience de la mort. En langue originale, surtout, il est d’une beauté sans nom. Alors, comme bien des choses qui m’émeuvent à ce point, j’ai envie de le partager. C’est un poème où le théâtre, la scène est métaphore de la vie, mais son rythme et sa beauté vont bien au-delà de ce lieu commun. Et puis finalement, comme un hasard supplémentaire, il fait sens avec le reste de la pièce. Dans votre spectacle, la vie de Fauna Forteza va faire l’objet d’un film. Quel est le rôle du cinéma dans la pièce ? Romina Paula : Le cinéma est l’une de mes images de départ. Faire du cinéma. Je pensais écrire une pièce sur le cinéma et, d’une certaine façon, c’est le cas, bien que les procédés employés soient ceux du théâtre. Depuis que nous avons débuté les répétitions, le cinéma est là, je l’ai toujours en tête. Le chemin est tracé par la phase de la photographe Dorothea Lange qui figure en épigraphe de la pièce : « L’objectif est un instrument qui enseigne aux gens comment voir quand ils ne sont pas derrière l’objectif ». C’est une idée qui me fascine. On peut bien sûr l’appliquer à l’art en général, mais, pour moi, cette pièce est un film sans caméra, sans écran. Quand je regarde les Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 88 acteurs, je vois des plans, des échelles de plans : moyens, rapprochés, gros plans ou plans d’ensemble. Les yeux, le regard posé sur l’autre, c’est la caméra, l’œil est la caméra : elle coupe, elle choisit, elle balaie. Par ailleurs, j’aurais tendance à comparer l’expérience d’un tournage avec le processus de répétitions d’une pièce de théâtre. C’est un temps de cohabitation. Sauf que, dans le premier cas, cela a lieu sur une plus courte période. Au sein de la compagnie, nous sommes habitués à cohabiter durant des mois, pendant les répétitions, même si ce temps est plus diffus. Mais, dans les deux cas, le lien qui s’établit entre ces personnes réunies pour travailler est très intense. J’avais envie d’aborder ce sujet dans la pièce : observer un groupe de gens en train de cohabiter car ils ont un projet commun, un projet qui parfois se confond avec la vie, qui prend sa place ; voir comment ces forces cohabitent et s’équilibrent. Ferro, qui est nouveau dans la compagnie, ces mots prennent un sens nouveau, et on dirait que, depuis le début, ils avaient été écrits pour lui. Une fois de plus, ce dont j’ai toujours eu l’intuition se confirme, et j’en suis de plus en plus persuadée : la pièce en sait plus long que nous sur elle-même. Nous, tout ce que nous faisons, c’est essayer de nous en approcher. Propos recueillis et traduits par Christilla Vasserot. Romina Paula a publié un roman ¿Vos me querés a mí? et un récit Autonomía dans l’anthologie Buenos Aires/ Escala 1:1, et sa pièce Algo de ruido hace dans l’anthologie Dramaturgias (éditions Entropía). Elle a publié le récit Si llegás a faltar un verano dans l’anthologie Mujeres Infieles en (éditions Emecé). Son second roman, Agosto, a été finaliste du Prix Página/12 pour le Nouveau Roman et est publié en septembre 2009 (éditions Entropía). Les trois pièces de Romina Paula, traduites par Christilla Vasserot, sont publiées aux éditions Les Solitaires Intempestifs, en novembre 2013. Le travail avec les comédiens a-t-il été différent pour ce spectacle ? Romina Paula : Chaque spectacle requiert un processus de répétitions bien à lui, chaque texte porte la façon dont il doit être abordé, que l’on ne découvre et comprend qu’au moment des répétitions. Fauna exige la présence de tous les comédiens, toujours. Impossible de répéter partiellement : s’il manque un des comédiens, la répétition est annulée. Il n’est pas envisageable de répéter des parties isolées du texte, car il faut parcourir, traverser l’ensemble de la pièce. En ce sens, Fauna est une pièce très exigeante : elle se présente comme un tout, comme une traversée, où chaque partie a besoin de celle qui précède et de celle qui suit pour exister. C’est comme un organisme. C’est là que réside la contradiction : je pense au cinéma, qui est avant tout fragmentation, mais nous ne pouvons travailler que dans la totalité, la totalité des acteurs, la totalité du texte. Pensiez-vous déjà aux comédiens qui allaient jouer la pièce quand vous en avez écrit le texte ? Romina Paula : J’ai écrit la pièce pour les comédiens de la compagnie El Silencio : Pilar Gamboa, Susana Pampín, Esteban Bigliardi et Esteban Lamothe. Ce dernier a commencé les répétitions, puis il a dû quitter la compagnie pour des raisons personnelles. Sur le moment, le départ d’Esteban a résonné comme une tragédie pour la compagnie, il symbolisait la fin d’une époque. Nous n’imaginions pas quelqu’un d’autre interpréter ce rôle que j’avais écrit pour lui. Puis nous avons commencé à travailler avec Rafael Ferro. à présent, le texte et le personnage sont chargés d’un sens nouveau, puisé dans le corps d’un nouvel acteur. Il y a par exemple un moment, dans la pièce, où le personnage du réalisateur dit : « Qui êtes-vous ? D’où sortez-vous ? M’investir comme ça, je ne peux pas, ça me semble trop cher. C’est trop cher payé pour je ne sais quoi, j’ai l’impression d’être en train de payer le prix fort. » Forcément, dans la bouche de Rafael Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 89 Biographie romina paula Romina Paula est née à Buenos Aires en 1979. Elle est diplomée de dramaturgie de l’EMAD. Comme actrice, elle se forme auprès d’Alejandro Catalán, Ricardo Bartís et Pompeyo Audivert. Elle joue au théâtre, notamment sous la direction de Pablo Ruiz dans El Padre, de Santiago Gobernori dans Darío tiene momentos de soledad, et de Daniel Veronese dans La Niña fría. Elle joue également pour Gonzalo Martínez dans La Pornografía et Los Demonios, ou encore pour Michel Didym dans El diván, et Mariano Pensotti dans La Marea. Au cinéma, elle joue dans La Punta del diablo de Marcelo Paván, Resfriada de Gonzalo Castro, El hombre robado et Todos mienten de Matías Piñeiro ainsi que dans El Estudiante de Santiago Mitre. Auteur et metteur en scène, elle crée : Si te sigo, muero, inspiré des textes de Héctor Viel Temperley, puis Algo de ruido hace, texte lauréat du Prix Metrovías a Guiones de Teatro 2006 et programmé dans le VIème Festival Internacional de Teatro de Buenos Aires. Très remarqué lors du Festival International de Théâtre de Buenos Aires, ce spectacle monté avec sa compagnie El Silencio, intègre en 2008 la tournée Itinerarte en Espagne (représentations à San Sebastián, Santander et Segovia), puis tourne en Europe, au Brésil (Festival Porto Alegreem Scena) et est programmé au Festival el Quinto Argentino de Teatro de la ville de Santa Fe. En 2007, sa pièce [chalet] obtient une mention du Prix Germán Rozenmacher consacré à la nouvelle dramaturgie. Romina Paula met également en scène la pièce Ciego de Noche, de Darja Stocker, dans le cadre du Cycle Nouvelle dramaturgie organisé par le Goethe Institut. En avril 2008, elle met en scène la pièce Todos los miedos de Mariana Chaud au C.C.R.Rojas dans le cadre du Cycle Decálogo – Indagación sur les 10 Commandements. En mai 2008, elle voyage à Berlin, boursière du Goethe Institut, pour participer à un workshop dirigé par Renée Pollesch dans le cadre du festival allemand Berliner Festspiele. El Tiempo todo entero, créé en 2012 et écrit pour sa compagnie, est lauréat du prix Estímulo « S » pour sa production. Ce spectacle est invité en 2011 à tourner en Europe dans les plus grands festivals, tels que le Festival d’Automne à Paris, festival Temporada Alta en Espagne, festival Teatro a Mil de Santiago du chili, Festival international de Naples… En 2011, elle écrit sa troisième pièce de théâtre Fauna, qu’elle crée avec sa compagnie à El Cultural San Martín de Buenos Aires, le 16 mai 2013. Romina Paula au Festival d’Automne à Paris 2011 El Tiempo todo entero (Théâtre du Rond Point) Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 90 DÉCouvrir TrAnsmeTTre pArTAGer Les projets artistiques et culturels du Festival d’Automne à Paris pour la jeunesse Le Festival d’Automne à Paris participe et accompagne la formation des spectateurs de demain. Fort de ses spécificités – pluridisciplinaire, nomade et international – il se propose d’amener les jeunes spectateurs de Paris et d’Île-de-France à se familiariser avec les différentes disciplines artistiques (théâtre, musique, danse, arts plastiques) présentes dans chaque édition par le biais d’actions ludiques et novatrices. Un parcours pluridisciplinaire S’adressant plus précisément aux collégiens et aux lycéens, un parcours pluridisciplinaire est mis en place, engageant les académies de Créteil, Paris et Versailles. Ce parcours, accompagné par des professionnels, permet aux élèves de rencontrer certains artistes programmés lors de séances de travail et d’échanger en groupe sur les émotions ressenties, les interrogations esthétiques et les thèmes abordés dans les oeuvres, mais également de mobiliser expériences et souvenirs, en partant de paroles, mouvements, jeux, expression graphique et écritures. Une mémoire et une perception à la fois individuelle et collective se construisent. 2013 : 12 classes de lycées des l’académies Paris, Créteil, Versailles. Cours de Re-création : transmettre et partager son expérience de spectateur Le projet « Cours de Re-création », qui fête ses dix ans d’existence, convoque des participants d’âges différents, issus de territoires géographiques divers, et place l’échange au centre de sa démarche. Ce projet propose aux élèves, avec la complicité des professeurs, de formaliser librement la réception qu’ils ont des oeuvres. Ils tiennent le rôle de « passeur », habituellement dévolu aux adultes, en présentant à leurs camarades le récit (plastique ou verbal) de leurs visites sur les différents lieux d’exposition avant que ces derniers ne la découvrent à leur tour. Un matériau important (textes, photos, enregistrements audio et vidéo) nait de ces rencontres croisées avant d’être présenté lors d’une exposition réalisée en collaboration avec la Maison du geste et de l’image. 2013 : 20 classes d’écoles élémentaires, maternelles collèges et lycées (de 5 à 18 ans) et 2 centres aérés de la Ville de Paris. La Fondation d’entreprise Total et le Crédit Municipal de Paris soutiennent les projets artistiques et culturels du Festival d’Automne à Paris pour la jeunesse. Avec le soutien d'Aleth et Pierre Richard. Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 91 Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 92 programme afrique du sud manifestations organisées dans le cadre des saisons afrique du sud-France 2012 & 2013 www.france-southafrica.com Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 93 Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 94 Coordonnées et contacts des partenaires service de presse Festival d’automne à paris Christine Delterme, Carole willemot assistante : Chloé Cartonnet Tél : 01 53 45 17 13 Ateliers de Paris-Carolyn Carlson 20 Boulevard de Sébastopol Cartou- Nathalie Gasser cherie, Route du Champ Manoeuvre 06 07 78 06 10 75012 Paris Centre Pompidou Place George Pompidou 75004 Paris Agence Myra 01 40 33 79 13 La Colline- théâtre national 15 Rue Malte Brun 75020 Paris Nathalie Godard 01 44 62 52 25 Le CENTQUATRE 5 rue Curial 75019 Paris Virginie Duval 01 53 35 50 96 Le Forum 1/5 place de la Libération 93150 Blanc-Mesnil Diane Claisse-Brouxel 01 48 14 22 07 Maison des Arts de Créteil Place Salvador Allende 94000 Créteil Bodo 01 44 54 02 00 Maison de la culture du Japon à Paris 101Bis Quai Branly 75015 Paris Aya Soejima 04 44 37 95 22 Maison de la Poésie Passage Molière - 157 rue Saint Mar- Annabelle Matthieu tin 75015 Paris 01 44 54 53 14 Musée du Louvre 75058 Paris cedex 1 Laurence Roussel [email protected] Nouveau Théatre de Montreuil centre dramatique national Odéon - Théatre de l’Europe 10 Place Jean Jaurès 93100 Montreuil Désirée Faraon 06 18 51 30 78 Place de l’Odéon 75006 Paris Lydie Debièvre 01 44 85 40 57 Théâtre de la Bastille 76 rue de la Roquette 75011 Paris Irène Gordon Brassart 01 43 57 78 36 Theatre de Genneviliers 41 Avenue des Gresillons 92230 Gennevilliers 2bis Av. F.D Roosevelt 75008 Paris Philippe Boulet 06 82 28 00 47 Théatre du Soleil La Cartoucherie 75012 Paris Liliana Andreone 01 43 74 66 36 Théâtre de la Ville 2 place du Châtelet 75001 Paris Jacqueline Magnier 01 48 87 84 61 Théatre du Rond Point Hélène Ducharne 01 44 95 98 47 Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 95 Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 96 le Festival d’automne à paris est subventionné par : Le ministère de la Culture et de la Communication Direction générale de la création artistique Secrétariat général / services des affaires juridiques et internationales La Ville de Paris Direction des affaires culturelles Le Conseil Régional d’Île-de-France Les Amis du Festival d’Automne à Paris Fondée en 1992, l’association accompagne la politique de création et d’ouverture internationale du Festival. Grand mécène du Festival d’Automne à Paris Fondation Pierre Bergé – Yves Saint Laurent Grand mécène 2013 Chloé pour Eternity Dress Les mécènes agnès b. Arte Baron Philippe de Rothschild S.A. Crédit Municipal de Paris Koryo Publicis Royalties Fondation Clarence Westbury Fondation d’entreprise Hermès Fondation d’entreprise Total Fondation Franco-Japonaise Sasakawa Fondation pour l’étude de la langue et de la civilisation japonaises sous l’égide de la Fondation de France HenPhil Pillsbury Fund The Minneapolis Foundation & King’s Fountain Japan Foundation (Performing Arts Japan Program for Europe) Mécénat Musical Société Générale Pierre Bergé Pâris Mouratoglou Aleth et Pierre Richard Philippine de Rothschild Béatrice et Christian Schlumberger Sylvie Winckler Guy de Wouters Les donateurs Sylvie Gautrelet, Ishtar Méjanes, Anne-Claire et Jean-Claude Meyer, Ariane et Denis Reyre, Bernard Steyaert Alfina, Société du Cherche Midi, Top Cable, Vaia Conseil Les donateurs de soutien Jean-Pierre Barbou, Annick et Juan de Beistegui, Jacqueline et André Bénard, Christine et Mickey Boël, Irène et Bertrand Chardon, Catherine et Robert Chatin, Hervé Digne, Aimée et Jean-François Dubos, Agnès et Jean-Marie Grunelius, JeanPierre Marcie-Rivière, Micheline Maus, Brigitte Métra, Annie et Pierre Moussa, Tim Newman, Sydney Picasso, Myriam et Jacques Salomon, Agnès et Louis Schweitzer, Nancy et Sébastien de la Selle, Reoven Vardi et Pierluigi Rotili Partenaires 2013 La Sacem est partenaire du programme musique du Festival d’Automne à Paris. L’Adami s’engage pour la diversité du spectacle vivant en soutenant dix spectacles. L’ONDA soutient les voyages des artistes et le surtitrage des œuvres. Le Festival d'Automne bénéficie du soutien d'Air France. Les Saisons Afrique du Sud-France 2012-2013 soutiennent le programme sud-africain du festival d’Automne à Paris L’Ina contribue à l’enrichissement des archives audiovisuelles du Festival d’Automne à Paris. Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 97 Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 98 FesTival D’auTomne à paris 2013 13 sepTemBre – 12 Janvier Avant-Programme ( **Programme Afrique du Sud ) ( *Programme Japon ) Robert Wilson / The Old Woman d’après Daniil Kharms avec Mikhail Baryshnikov et Willem Dafoe Théâtre de la Ville – 6 au 23 novembre Robert Wilson / CocoRosie / Peter Pan de James Matthew Barrie Berliner Ensemble Théâtre de la Ville – 12 au 20 décembre Le Louvre invite Robert Wilson / Living rooms Musée du Louvre – 9 novembre au 17 février Robert Wilson / Philip Glass / Einstein on the Beach Théâtre du Châtelet – 8 au 12 janvier *** ThéâTre Gwenaël Morin / Antiteatre d’après Rainer Werner Fassbinder Théâtre de la Bastille – 18 septembre au 13 octobre Christoph Marthaler / Letzte Tage. Ein Vorabend Théâtre de la Ville – 25 septembre au 2 octobre *Sugimoto Bunraku Sonezaki Shinjû – Double suicide à Sonezaki Hiroshi Sugimoto Théâtre de la Ville – 10 au 19 octobre *Toshiki Okada / Current Location Théâtre de Gennevilliers – 14 au 19 octobre Krystian Lupa / Perturbation d’après le roman de Thomas Bernhard La Colline – théâtre national 27 septembre au 25 octobre Encyclopédie de la parole / Suite n°1 « ABC » Centre Pompidou – 16 au 20 octobre Nouveau Théâtre de Montreuil – 19 au 23 novembre Encyclopédie de la parole / Parlement Maison de la Poésie – 2 au 12 octobre Claude Régy / La Barque le soir de Tarjei Vesaas Le CENTQUATRE – 24 octobre au 24 novembre Georges Bigot / Delphine Cottu L’Histoire terrible mais inachevée de Norodom Sihanouk, roi du Cambodge d’Hélène Cixous Théâtre du Soleil – 3 au 26 octobre Paroles d’acteurs / André Wilms Casimir et Caroline d’Ödön von Horváth Atelier de Paris-Carolyn Carlson – 4 au 8 novembre *Toshiki Okada / Ground and Floor Centre Pompidou – 9 au 12 octobre Philippe Quesne / Vivarium Studio / Swamp Club Théâtre de Gennevilliers – 7 au 17 novembre Le Forum, scène conventionnée de Blanc-Mesnil 21 et 22 novembre Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 99 Mariano Pensotti / El Pasado es un animal grotesco La Colline – théâtre national – 4 au 8 décembre **Brett Bailey / Third World Bunfight House of the Holy Afro Le CENTQUATRE – 19 au 21 novembre *Daisuke Miura / Le Tourbillon de l’amour Maison de la culture du Japon à Paris – 5 au 7 décembre Angélica Liddell Todo el cielo sobre la tierra. (El sindrome de Wendy) Odéon-Théâtre de l’Europe 20 novembre au 1er décembre Romina Paula / Fauna Théâtre de la Bastille – 6 au 21 décembre Mariano Pensotti / Cineastas Maison des Arts Créteil – 11 au 14 décembre Nicolas Bouchaud / Eric Didry / Un métier idéal d’après le livre de John Berger et Jean Mohr Théâtre du Rond-Point – 21 novembre au 4 janvier *** Danse Trajal Harrell / Antigone Sr. / Twenty Looks or Paris is Burning at The Judson Church (L) Centre Pompidou – 26 au 28 septembre **Nelisiwe Xaba / Uncles & Angels Théâtre des Bouffes du Nord – 27 et 28 septembre **Mamela Nyamza / The Soweto’s Finest Mamela Nyamza et les Kids de Soweto musée du quai Branly – 3 au 11 octobre Marcelo Evelin / Matadouro Théâtre de la Cité internationale – 14 au 19 octobre Noé Soulier / Mouvement sur mouvement La Ménagerie de Verre – 15 au 19 octobre Trisha Brown Dance Company For M.G. : the Movie / Homemade / Newark Théâtre de la Ville – 22 au 26 octobre Foray Forêt / If you couldn’t see me / Astral Convertible Théâtre de la Ville – 28 octobre au 1er novembre Lia Rodrigues / Pindorama Théâtre Jean Vilar / Vitry-sur-Seine – 15 au 17 novembre Théâtre de la Cité internationale – 21 au 26 novembre Le CENTQUATRE – 28 au 30 novembre L’apostrophe / Théâtre des Louvrais-Pontoise 3 décembre Latifa Laâbissi / Adieu et merci Centre Pompidou – 20 au 22 novembre **Robyn Orlin / In a world full of butterflies, it takes balls to be a caterpillar… some thoughts on falling... Théâtre de la Bastille – 21 novembre au 1er décembre Bruno Beltrão / CRACKz Le CENTQUATRE – 26 et 27 novembre L’apostrophe / Théâtre des Louvrais-Pontoise 29 et 30 novembre Théâtre de la Ville – 3 au 6 décembre Théâtre Louis Aragon / Tremblay-en-France – 7 décembre Anne Teresa De Keersmaeker avec Anne Teresa De Keersmaeker et Boris Charmatz Partita 2 – Sei solo Théâtre de la Ville – 26 novembre au 1er décembre Jérôme Bel / Theater Hora / Disabled Theater Les Abbesses – 3 au 7 décembre Le Forum, scène conventionnée de Blanc-Mesnil 10 décembre François Chaignaud / Думи мої / Dumy Moyi Maison de l’architecture / Café A – 4 au 8 décembre Jefta van Dinther / Ballet Cullberg / Plateau Effect Maison des Arts Créteil - 5 au 7 décembre *** arTs plasTiQues Jennifer Allora / Guillermo Calzadilla Galerie Chantal Crousel 13 septembre au 19 octobre Museum national d’Histoire naturelle 13 septembre au 11 novembre *Hiroshi Sugimoto – Accelerated Buddha Fondation Pierre Bergé – Yves Saint Laurent 10 octobre au 26 janvier **Mikhael Subotzky / Mary Sibande MAC / VAL – à partir du 26 octobre *** perFormanCe **Steven Cohen / Sphincterography : The Tour – Johannesburg (The Politics of an Arsehole) La maison rouge – 13 au 21 septembre Olivier Saillard / Tilda Swinton Eternity Dress Beaux-Arts de Paris 20 au 24 novembre Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 100 musiQue **Traditions vocales du KwaZulu-Natal Théâtre des Bouffes du Nord – 17 au 22 septembre **Kyle Shepherd / Xamissa Théâtre des Bouffes du Nord – 25 septembre L’Onde, Théâtre-centre d’art Vélizy-Villacoublay 27 septembre **Traditions vocales du Cap L’apostrophe / Théâtre des Louvrais-Pontoise 4 octobre Théâtre de la Ville – 5 et 6 octobre Scène Nationale d’Orléans – 8 octobre **Cape Cultural Collective Maison de la Poésie – 8 et 9 octobre **Michael Blake, Andile Khumalo, Clare Loveday, Angie Mullins, Pierre-Henri Wicomb / Mantombi Matotiyana La Scène Watteau, Théâtre de Nogent-sur-Marne 17 octobre Opéra national de Paris / Bastille-Amphithéâtre 19 octobre Hans Abrahamsen / Mark Andre / Rebecca Saunders Opéra national de Paris / Bastille-Amphithéâtre 22 octobre Anton Webern / Matthias Pintscher / Igor Stravinsky Opéra national de Paris / Bastille – 30 octobre Hugues Dufourt / Lucia Ronchetti Cité de la musique – 8 novembre Karlheinz Stockhausen Cité de la musique – 13 novembre George Benjamin / Martin Crimp /Written On Skin Opéra Comique – 16, 18 et 19 novembre Eliane Radigue Collège des Bernardins – 22 et 23 novembre *** Cinéma Shirley Clarke / L’Expérience américaine Centre Pompidou – 16 au 29 septembre **Un regard de cinéma sur l’Afrique du Sud Jeu de Paume – 5 novembre au 26 janvier Planète Marker – Cinéastes en correspondances Centre Pompidou – 16 octobre au 16 décembre Dossier De presse ThéâTre – FesTival D’auTomne à paris 2013 – page 101 www.festival-automne.com FesTivAl D’AuTomne à pAris 2013 13 sepTemBre – 12 jAnvier Festival d’automne à paris | 156, rue de rivoli – 75001 paris renseignements et réservations : 01 53 45 17 17 | www.festival-automne.com