universite de franche-comte, besançon ecole doctorale « langages
Transcription
universite de franche-comte, besançon ecole doctorale « langages
UNIVERSITE DE FRANCHE-COMTE, BESANON
ECOLE DOCTORALE Ç LANGAGES, ESPACES, TEMPS, SOCIETES È
Thse en vue de lÕobtention du titre de docteur en
ETUDES IBERIQUES ET IBERO-AMERICAINES
LA RCEPTION DE LÕÎUVRE DE JOAQUêN SOROLLA
DE 1881 Ë 2009
Prsente et soutenue publiquement par
Jordane FAUVEY
Le 13 octobre 2012
Sous la direction de M. le Professeur mrite Grard BREY
Membres du jury :
M. Jean-Louis AUG, Docteur, Conservateur en Chef des muses Goya et Jaurs de Castres
M. Bernard BESSIéRE, Professeur lÕuniversit dÕAix-en-Provence
Mme Mara de los Santos GARCêA FELGUERA, Matre de Confrences lÕUniversit Pompeu
Fabra de Barcelone, rapporteur
M. Eliseo TRENC, Professeur mrite de lÕuniversit de Champagne-Ardennes, Reims, rapporteur
1
2
Ç Les fluctuations dÕune vie et dÕune rputation dÕartiste sont lies
de mystrieux phnomnes de comportement et de socit, et si
certaines volte-face du got surprennent, ou dconcertent, voire
scandalisent, il faut en saisir le contexte qui relve autant des
conditions de la vie de lÕart et des artistes que de lÕconomie et de la
sociologie. È
Introduction de Pierre Cabanne, ÒLes petits matres retrouvsÓ. Pierre
Cabanne et Grald Shurr, Dictionnaire des Petits Matres de la
peinture, 1820-1920, Paris, LÕAmateur, 2008, page 15.
3
TABLE DES MATIéRES
PREMIéRE PARTIE
RemerciementsÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ..
5
Abrviations et siglesÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ
8
IntroductionÉÉÉÉÉÉÉÉ.ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.ÉÉÉÉÉÉ.
9
I. 1881 - 1901. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance.
31
I.1. De lÕExposition Nationale aux Salons europens
33
I.2. LÕaffaire de la Mdaille dÕHonneur
49
I.3. Les premiers soutiens : la gauche librale et rpublicaine
71
II. 1902 - 1923. Le march de lÕart : un parcours de la contestationÉÉÉ.
86
II.1. De lÕexposition Petit Visin de Espaa
89
II.2. La reconnaissance des conservateurs
105
II.3. La lgende noire de Sorolla
121
III. 1924 - 1939. La cration du Muse SorollaÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ
138
III.1. Le sorollisme
139
III.2. Quel muse pour Sorolla ?
160
III.3. Un hritage artistique en jeu
177
IV. 1939 - 1974 : Sorolla et le rgime franquisteÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ
194
IV.1. Sorolla lÕAragonais : le pass du peintre en question
195
IV.2. SorollaÕs Spain is different
212
IV.3. Le regard de la gnration post-sorolliste
226
V. 1975 - 2009 Sorolla et lÕEspagne dmocratiqueÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ
242
V.1. Une Ïuvre trop ÒmarqueÓ dans une Espagne en mutation ?
243
V.2. Les rformes du Muse Sorolla et leurs consquences
254
V.3. ÒSorollamanaÓ
271
4
ConclusionÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ
288
DEUXIéME PARTIE
A. FiguresÉÉÉÉÉ.ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.ÉÉÉ
303
B. AnnexesÉ..ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ..ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ
353
C. BibliographieÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.
364
D. Index des noms de personnesÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ
393
5
PREMIéRE PARTIE
REMERCIEMENTS
Je tiens remercier chaleureusement tous mes collaborateurs ainsi que tous les
organismes qui mÕont aid raliser ce travail. Je remercie en premier lieu celui
qui fut mon professeur puis mon directeur de recherche, M. Grard Brey. Merci
au Conseil Rgional de Franche-Comt et lÕUniversit de Franche-Comt qui
mÕont tmoign leur confiance et leur soutien en attribuant mon projet une
allocation de recherche compter de lÕanne 2006, ceci pour une dure de trois
ans. Je remercie mon laboratoire, le Centre de Recherches Interdisciplinaires
(CRIT) et sa responsable Mme. Laurence Dahan-Gaida. Par ailleurs, durant cette
priode, lÕUniversit de Franche-Comt mÕa confi une charge de cours lÕUFR
des Sciences du Langage, de l'Homme et de la Socit. Je veux remercier
galement la Socit des Hispanistes Franais qui a accueilli favorablement le
projet de cette thse et mÕa remis, en 2008, une bourse dÕtude qui mÕa permis de
poursuivre mes recherches Madrid durant le mois de juillet 2008. Il y a quelques
annes, jÕai eu la chance de rencontrer lÕarrire-petite-fille du peintre, Mme.
Blanca Pons-Sorolla, qui mÕa gnreusement aid dans tous mes travaux
scientifiques et cette page me donne lÕoccasion de lÕen remercier particulirement
aujourdÕhui. Toute ma gratitude va bien sr M. Florencio de Santa-Ana qui fut
le directeur du Muse Sorolla de 1982 2008, ainsi quÕ sa jeune et enthousiaste
quipe compose de : M. David Ruiz Lpez, Mme. Araceli Muoz, Mme. Mara
del Carmen, Mme. Mnica Rodrguez et Mme. Alicia Vallina. Depuis 2004, ces
personnes mÕont paul dans mes recherches sur les portraits royaux de Sorolla.
Le fruit de ce travail est reccueilli aujourdÕhui dans un ouvrage publi en 2009 :
Joaqun Sorolla, pintor del Rey Alfonso XIII. Mes penses vont galement Mme.
Mara de los Santos Garca Felguera qui fut, dÕabord, mon professeur
lÕUniversit Complutense de Madrid et qui a continu ensuite mÕaider et me
conseiller dans mes travaux scientifiques. Un grand merci au ralisateur M. Jos
Antonio Escriv qui a gnreusement mis ma disposition son film Cartas de
Sorolla avant sa sortie commerciale et au dessinateur M. Rafael Munoa qui, me
6
recevant Saint-Sbastien, mÕa apport un clairage prcieux sur ses crations. Je
tiens mentionner aussi Mme. Stella Manaut pour tous les renseignements quÕelle
mÕa apports concernant son pre Jos Manaut Viglietti et son grand-pre Jos
Manaut Nogus. Enfin, pour leur aide divers gards, il me faut remercier M.
Mitchell A. Codding et M. Marcus Burke de lÕHispanic Society of America de
New York, M. Henri Ferreira Lpez de la Bibliothque dÕtude et de conservation
de Besanon, Mme. Emilia Alcela du Centre de Documentation Touristique
Espagnol de Madrid, Mme. Beln Villanueva du Muse Vicente Blasco Ibez de
Valence, Mme. Consuelo Cscar Casabn de lÕInstitut Valenci dÕArt Modern de
Valence, M. Baltasar Muoz Toms du Muse Postal de Madrid, M. Cecilio
Alonso Alonso de lÕUniversit Nationale dÕducation Distance ainsi que les
conservateurs des Archives Gnrales de lÕAdministration de Alcal de Henares,
M. Javier Delicado de lÕAcadmie de San Carlos de Valence et Mme. Mercedes
Gonzlez de Ameza de lÕAcadmie Royale de San Fernando de Madrid.
Comment ne pas remercier galement mes amis libraires madrilnes et
valenciens : Librera Berceo (Madrid), Librera El Crabo (Valence), Librera de
la Escalinata (Madrid) et Librera Ruzafa (Valence). Sans eux, je nÕaurais jamais
eu entre les mains de prcieux catalogues dÕexposition aujourdÕhui puiss.
Toutes mes penses vont enfin Mme. Claire Nicolle Robin Kerk (1938-2012)
qui, en 2004, a accept de diriger mon mmoire de Master sur Sorolla et le
portrait royal. Un tel sujet nÕallait pas de soi, tout dÕabord car cette facette de son
Ïuvre tait compltement inexplore. Le Valencien est pass la postrit
comme le peintre de la Mditerrane et approfondir cette piste scientifique tait
un vrai pari, qui sÕavra ensuite payant. Mais je tiens souligner ici, comme un
clin dÕÏil, que le peintre espagnol nÕavait pas bonne presse parmi les hispanistes
franais qui le considraient comme un peintre de droite, vendu la bourgeoisie et
rcupr par les fascistes aprs la guerre civile. Quand je lui proposai le nom de
Sorolla, elle me rtorqua : Ç ÀSorolla? ÁUna cuenta bancaria y el aplauso de los
del cuarenta! È cÕest--dire : Ç Sorolla ? Un compte en banque et les
applaudissements de la gnration de quarante ! È Elle me suggra alors les noms
de peintres plus ÒfrquentablesÓ, Catalans pour la plupart : Mariano Fortuny y
Marsal, Ramn Casas, Eduardo Zamacois y Zabala, Joaqun Mir Trinxet, Eliseo
Meifren, etc. JÕinsistai, et nous avons commenc faire venir dÕEspagne et des
tats-Unis toute la bibliographie disponible. En franais, il nÕy avait rien si ce
7
nÕest la traduction de lÕouvrage de Rafael Domnech, Sorolla, sa vie et son Ïuvre
(1910). Je me souviens aujourdÕhui avec beaucoup de tendresse de lÕhostilit de
Claire qui me donnait une ide du chemin restant parcourir pour forger une
vision plus juste de ce peintre et, avant tout, le faire connatre en France.
Ç ÀSorolla? ÁUna cuenta bancaria y el aplauso de los del cuarenta! È posait la
question de la rception critique du peintre et ce fut pour moi le point de dpart de
ce travail auquel jÕai choisi de donner pour titre : Sorolla et lÕEspagne puis La
rception de Joaqun Sorolla de 1881 2009. CÕest donc toi Claire, pour ta
confiance et ton implication dans tous mes travaux de recherche que je ddie ce
travail : la premire thse franaise consacre Joaqun Sorolla.
8
ABRVIATIONS ET SIGLES
AGA
Archivo General de la Administracin, Alcal de Henares.
AGP
Archivo General del Palacio Real, Madrid.
APMS
Archives de Presse du Muse Sorolla, Madrid.
BECB
Bibliothque dÕtude et de Conservation, Besanon
BNE
Biblioteca Nacional de Espaa, Madrid.
BNF
Bibliothque Nationale de France, Paris.
BNP
Biblioteca Nacional de Portugal, Lisbonne.
Cat.
Catalogue.
CEDA
Confdration Espagnole des Droites Autonomes, Madrid.
CDTE
Centro de Documentacin Turstica de Espaa, Madrid.
HSA
The Hispanic Society of America, New York.
Inc.
Inconnu.
Inv.
Inventaire.
MS
Muse Sorolla, Madrid.
Nb.
Nombre.
N¡.
Numro.
N¡ Cat.
Numro de catalogue.
PRR
Parti Rpublicain Radical, Madrid.
PURA
Parti de lÕUnion Rpublicaine Autonomiste, Valence.
RABASF
Real Academia de Bellas Artes de San Fernando, Madrid.
Trad.
Traduction.
UCM
Universidad Complutense, Madrid.
UFC
Universit de Franche-Comt, Besanon.
Introduction
9
INTRODUCTION
En 2007, lÕEspagne accueille pour la premire fois Visin de Espaa, une
Ïuvre au sujet de laquelle le quotidien El Pas rappelait que Ç el pintor [Joaqun
Sorolla] muri sin poder ver su obra ms extensa y para algunos expertos su obra
cumbre, ni en Espaa ni en Nueva York. È1 En 1911, le peintre Joaqun Sorolla
(1863-1923) recevait dÕune fondation prive amricaine, lÕHispanic Society of
America de New York, la commande dÕun dcor pour la bibliothque de cette
institution sur le thme des provinces espagnoles. Durant neuf ans, de 1911
1919, il travailla la ralisation de cette frise monumentale de 58,3m de longueur
par 3 3,5m de hauteur, quÕil termina quatre ans seulement avant sa mort, en
1923. Quatorze panneaux mobiles la composent : La fiesta del pan (Castilla), Los
nazarenos (Sevilla), La jota (Aragn), El consejo del Roncal (Navarra), Los bolos
(Guipzcoa), El encierro (Andaluca), El baile (Sevilla), Los toreros (Sevilla), La
romera (Galicia), La pesca (Catalua), Las grupas (Valencia), El mercado
(Extremadura), El palmeral (Elche) et La pesca del atn (Ayamonte). Ces
panneaux ne furent jamais prsents en Espagne, conformment aux dispositions
consignes dans le contrat de cette commande qui stipulait que le dcor complet
devait rester confidentiel jusquÕau jour de sa prsentation officielle, aux EtatsUnis.2 En 1921, le Muse du Prado tenta en vain dÕobtenir lÕautorisation de le
prsenter dans ses salles avant quÕil ne quittt dfinitivement le territoire puis, en
1922, il fut achemin outre-Atlantique. Quatre ans plus tard, lÕinstallation
permanente fut inaugure lÕHispanic Society.3 Voil pourquoi, en Espagne,
Visin de Espaa demeurera longtemps ignor du public. Les premires planches
1.
2.
3.
Ferrn Bono, ÒSorolla vuelve a casaÓ, El Pas, Madrid, 27/05/2006. Ç Le peintre [Joaqun
Sorolla] est mort sans pouvoir contempler son Ïuvre la plus vaste et, selon quelques
experts, son chef dÕÏuvre, ni en Espagne ni New York. È
Ë New York, HSA : Castilla. La fiesta del pan, 351x1393, 1913. Navarra. El Concejo del
Roncal, 349x230, 1914. Guipzcoa. Los bolos, 350x231Õ5, 1914. Aragn. La jota,
351x301, 1914. Andaluca. El encierro, 351x752, 1914. Sevilla. Semana Santa,
nazarenos, 1914. Sevilla. El baile (la cruz de mayo), 351x302,5, 1914. Sevilla. Los
toreros, 350x231, 1915. Catalua. El pescado, 351x485, 1915. Galicia. La romera,
351x300, 1915. Valencia. Las grupas, 351x301, 1916. Extremadura. El mercado,
351x302, 1917. Elche. El palmeral, 350x321, 1918-1919. Ayamonte. La pesca del atn,
348x485, 1919.
Blanca Pons-Sorolla, Joaqun Sorolla. Vida y obra, Madrid, Fahah, 2001, page 532.
Introduction
10
imprimes en couleur nÕy seront diffuses quÕen 1965, dans un ouvrage intitul La
visin de Espaa de Sorolla.4 Il sera rdit une seule fois, en 1973.
De 2007 2009, lÕexposition Visiones de Espaa fait le tour de lÕEspagne
depuis lÕEst du pays, Valence, au Sud, Sville et Malaga, en passant par le
Nord, Bilbao et Barcelone, pour finir au centre, Madrid. Ë la fin de cette
ÒtourneÓ, Visiones de Espaa aura t lÕexposition temporaire la plus visite de
lÕhistoire de lÕEspagne puisquÕelle enregistra, au total, plus de deux millions
dÕentres.5 Ë Madrid, le Muse du Prado profita de lÕopportunit qui se prsentait
pour dvoiler, ct des quatorze panneaux, quatre-vingt-huit tableaux majeurs
provenant de collections publiques et prives. Cette exposition vnement venait
ponctuer un cycle de prsentation qui, depuis le milieu des annes 1990, a ramen
lÕÏuvre de Sorolla au premier plan de la vie culturelle espagnole. En effet, grce
la rforme du statut juridique du Muse Sorolla (1993), qui autorise la libre
circulation de ses collections, lÕEspagne a redcouvert lÕÏuvre de ce peintre par le
biais dÕexpositions itinrantes qui ont parcouru tout le pays. Entre 1994 et 1996,
lÕexposition Sorolla. Fondos del Museo Sorolla a t prsente dans quinze villes
moyennes telles que La Corogne, Pampelune ou Alicante. Sur le mme principe,
lÕexposition Sorolla pequeo formato a t inaugure dans quinze villes entre
1995 et 1997. Sorolla paisajista a parcouru lÕEspagne entre 2000 et 2002 et, plus
rcemment, Sorolla y Castilla a connu huit ditions de 2003 2005. Ces
expositions ont montr au public les principales facettes de cette Ïuvre, en
runissant des tableaux appartenant toutes les priodes de la vie du peintre.
Toutefois, Visin de Espaa, la dernire pice du puzzle, Òle chef-dÕÏuvreÓ si
lÕon veut traduire lÕexpression Ç obra cumbre È utilise par le quotidien El Pas,
nÕavait jamais figur dans aucune exposition temporaire. Pour cette raison, sa
prsentation en Espagne a parachev un cycle de rception critique, fournissant
lÕoccasion de formuler un premier bilan de lÕensemble dvoil ces dernires
annes. Dans ce contexte, lÕtude scientifique de ce cycle pouvait voir le jour. Ce
nÕest donc pas le fruit du hasard si, parmi les articles publis dans le catalogue de
4.
5.
Felipe M. Garn Ortiz de Tarranco, La visin de Espaa de Sorolla, Valence, Diputacin
Provincial, 1973 (1965).
Eduardo Manzana, ÒLa exposicin de Sorolla supera los dos millones de visitantesÓ,
http://www.abc.es/, 20/01/2010.
Introduction
11
lÕexposition du Muse du Prado, lÕun dÕentre eux, ÒLa fortuna crtica de Joaqun
SorollaÓ, explore justement cette question.6
Ë lÕoccasion de lÕexposition itinrante Visiones de Espaa, Toms Llorens,
un ancien directeur du Muse Thyssen Bornemisza, a tent de rpondre aux
questions suivantes: Ç ÀCmo explicar el Òcaso SorollaÓ? ÀCmo entender la
discordancia entre la inmensa popularidad de la que goza y la imagen mezquina
que de l nos han venido dando muchos crticos e historiadores del arte moderno?
È7 LÕauteur constatait le dcalage entre lÕaffection du public, qui visite en nombre
les expositions rtrospectives, et la dsaffection tenace dÕune partie de la critique.
En 1989 dj, dans un article intitul ÒSorolla y la crticaÓ, Carmen Gracia relevait
des discordances et des conflits au sein de la critique.8 Pour elle, lÕÏuvre de
Sorolla ne serait mme jamais parvenue conqurir une place stable dans le
champ de la connaissance artistique. Tantt juge naturaliste, impressionniste,
no-impressionniste voire luministe, cette Ïuvre serait mme, pour certains,
inclassable. En outre, elle serait, crit-elle, lÕorigine dÕune cole, le
ÒsorollismeÓ ! Hors des frontires de lÕEspagne, elle est encore gnralement mal
connue et le plus souvent quasiment ignore, en particulier dans les autres pays de
lÕUnion Europenne.
Ce constat, ou lÕexistence dÕun Òcas SorollaÓ selon lÕexpression employe
par Llorens, pose la question du lien entre la perception actuelle de lÕÏuvre du
peintre espagnol et lÕhistoire de sa rception critique, en Espagne et lÕtranger.
CÕest pourquoi on se demandera dÕabord comment les contemporains de Sorolla
percevaient sa peinture et comment, aprs la mort du peintre, son Ïuvre continua
tre interprte. Nous chercherons identifier les raisons qui motivrent ou
justifirent ces interprtations et construisirent ce Òvoyage au long coursÓ dont
nous parle le sociologue de lÕart Jean-Pierre Esquenazi, pour lequel Ç [lÕÏuvre]
est embarque dans un voyage au long cours o elle est value, interprte,
6.
7.
8.
Felipe Garn et Facundo Toms, ÒLa fortuna crtica de Joaqun SorollaÓ in Joaqun
Sorolla, Madrid, Museo Nacional del Prado, 2009, pages 471-484.
Toms Llorens, ÒVerdad y naturaleza. Dejado de lado por la historia del arte, Sorolla fue
vctima del olvidoÓ, El Pas, Madrid, 3/11/2007. Ç Comment expliquer le Òcas SorollaÓ ?
Comment interprter la disonance entre lÕimmense popularit dont il jouit et lÕimage
mesquine que de nombreux critiques et historiens de lÕart moderne nous ont donn de lui
au fil du temps. È
Carmen Gracia, ÒSorolla y la CrticaÓ in Joaqun Sorolla, Londres, Philip Wilson, 1989,
pages 75-89.
Introduction
12
dissque, apprcie de nombreuses reprises. È9 On questionnera la prgnance
des interprtations anciennes sur la perception rcente de lÕÏuvre de Sorolla,
lÕheure o une historienne comme Mara Luisa Menndez Robles, une exconservatrice du Muse Sorolla, en appelle une lecture neuve en proposant des
points de vue jamais adopts, ainsi quÕelle lÕavait fait en 2000 dans un article.10
Autour dÕune problmatique qui croisait les vies du peintre Sorolla, du sculpteur
Mariano Benlliure et du collectionneur Benigno de la Vega-Incln, lÕhistorienne
faisait converger la triple perspective de lÕart, de lÕconomie et de la vie politique
du pays. On sÕintressera aux derniers travaux scientifiques afin de comprendre
dans quelle mesure ils induisent une remise en question des lectures hrites.
Dans lÕouvrage prcit, Esquenazi dcrit les conditions qui prsident la
naissance dÕune Ïuvre :
La premire vie des Ïuvres, qui les voit passer du statut de simple projet un
tat dÕachvement au moins matriel, se droule lÕabri des regards autres que
professionnels. Elles nÕaccdent la lumire quÕavec leur prsentation publique :
dÕune certaine faon, elles ne deviennent effectivement Ç Ïuvres È que lors de ce
second temps du processus social qui constitue leur existence. Le roman qui reste
lÕtat de manuscrit, le tableau qui ne sort jamais de lÕatelier sont-ils vraiment
un Ç roman È ou un Ç tableau È ? 11
On comprend que lÕÏuvre nÕest pas un objet mais un processus et que sa
vie commence seulement le jour o les regards se portent sur elle. Elle est une
variante dont la valeur et le sens se modifient au contact des poques et des
espaces sociaux. LÕtude dÕune Ïuvre rclame, par consquent, une analyse
diachronique, qui commence le jour de sa prsentation publique.
Un autre sociologue de lÕart, Michael Baxandall, propose un modle simple
et pertinent de ce Ç voyage au long cours È, en quatre tapes, que nous avons
schmatis de la manire suivante12 :
9.
10.
11.
12.
Jean Pierre Esquenazi, Sociologie des Ïuvres. De la production a lÕinterprtation, Paris,
Armand Colin, 2007, page 51.
Mara Luisa Menndez Robles, ÒSorolla, Benlliure y el segundo marqus de la VegaIncln: Interacciones amistosas y artsticasÓ in Mariano Benlliure y Joaqun Sorolla:
Centenario de un homenaje, Generalitat valenciana, Valence, 2000, pages 56-74.
J.P. Esquenazi, SociologieÉ page 70.
Michael Baxandall, Formes de lÕintention, Nmes, J. Chambon, 1991, page 34.
Introduction
13
ESPACE PRIV
ESPACE PUBLIC
SALON DÕEXPOSITION
! ! !
Objet confidentiel
Objet-candidat
Îuvre
TEMPS
1. Production
2. Prsentation
3. Dclaration
4. valuation
Accroch dans lÕatelier du peintre, le tableau nÕa pas gagn le statut dÕÏuvre
quÕil acquerra, ventuellement, aprs sa prsentation publique. Pour faire de lui
une ÒÏuvreÓ, la communaut dÕinterprtation le dclare tel. Cette tape consiste
attribuer une ÒdirectiveÓ qui peut tre lÕide que la communaut se fait du projet
initial du peintre. Dans tous les cas, la dclaration a pour fonction dÕadouber
lÕobjet-candidat en le situant quelque part dans le panthon de la connaissance.
Ainsi, on dira dÕun tableau quÕil est caravagiste, raliste, impressionniste,
expressionniste, cubiste etc. CÕest lÕacte de naissance de lÕÏuvre et le point de
dpart dÕun jugement de valeur que Baxandall choisit dÕappeler lÕvaluation.
LÕÏuvre dÕun artiste, comme Ç ensemble de ses diffrentes Ïuvres,
considr dans sa suite, son unit et son influence È, nÕexiste pas physiquement.13
Elle nÕest pas la somme des Òchef-dÕÏuvresÓ et encore moins lÕensemble de la
production, autrement dit lÕÏuvre au genre masculin, ÒlÕÏuvre peintÓ ou ÒÏuvre
entierÓ, dans lÕacception technique des catalogues raisonns. Chez Sorolla,
lÕÏuvre entier reprsenterait environ quatre mille peintures et onze mille dessins,
13.
Alain Rey (dir.), Dictionnaire culturel en langue franaise, Paris, Le Robert, 2005, tome
III, page 1088.
Introduction
14
selon les estimations les plus rcentes.14 LÕÏuvre dont il est le plus souvent
question dans les articles de presse consults est une reprsentation mentale qui
rsulte dÕun travail de synthse. Ë cet gard, quelques titres sont riches
dÕenseignements, en particulier celui dÕun article dÕEmilio Fornet conu comme
une quation: Ò!Sol + !Sorolla = ValenciaÓ ; ou bien, ÒSorolla, o el
impresionismo espaolÓ ; ou bien, ÒJoaquim Sorolla. Exhuberante intrprete da
luz e notvel renovador da pintura espanholaÓ ; ou encore ÒSorolla no fue un
impresionista sino un realista luminosoÓ, etc.15 Le corpus des objets-candidats
servant de base matrielle ces articles, sorte de pinacothque imaginaire propre
chaque auteur, nÕest bien sr jamais le mme. Il est toutefois fortement li au
contenu des expositions temporaires qui constituent des occasions de dcouverte
de tableaux indits et / ou de redcouverte de tableaux connus. Par consquent, les
contours de lÕÏuvre de Sorolla ont t constamment redfinis par les
communauts interprtatives successives et donc par le contenu des expositions
temporaires. Enfin, partir du point dÕancrage que constitue la dclaration,
lÕÏuvre va tre en condition dÕtre value et rvalue.
LÕanalyse diachronique de la rception de lÕÏuvre de Sorolla est un objet
dÕtude rcent, apparu il y a vingt ans environ. De toute vidence, il rclame la
fois une approche pluridisciplinaire mais aussi la prise en compte dÕune priode
aussi longue que possible. Or, jusque-l, il nÕa t trait que dans des articles
courts prsents comme de simples pistes de recherche. Cette question nous
renvoie tout dÕabord lÕarticle dj mentionn de lÕhistorienne de lÕart
valencienne, Carmen Gracia. Dans ÒSorolla y la crticaÓ (1989), elle formula des
observations qui auraient parfaitement pu se fondre dans des modles emprunts
la sociologie de lÕart, bien quÕelle nÕen utilist pas la terminologie. Ce texte
14.
15.
Blanca Pons-Sorolla, Joaqun Sorolla. Vida y obra, Madrid, Fahah, 2001, page 30. Ces
chiffres ont constamment t rvalues depuis la premire grande tentative dÕinventaire,
en 1970, par Bernardino de Pantorba. Son catalogue, divulgu en 1953 puis rvis en
1970, enregistrait dans sa dernire version deux mille cent soixante-quinze pices, toutes
techniques confondues.
Emilio Fornet, Ò!Sol + !Sorolla = ValenciaÓ, La Correspondencia de Valencia, Valence,
26/06/1927.
Cecilio Barbern, ÒSorolla, o el impresionismo espaolÓ, Patria, Grenade, 7/06/1944.
Joaquim Lopes, ÒJoaquim Sorolla - Exhuberante intrprete da luz e notvel renovador da
pintura espanholaÓ, OÕprimeiro de Janeiro, Rio de Janeiro, 15/12/1948.
ÒSorolla no fue un impresionista sino un realista luminosoÓ, El Correo de Andaluca,
Sville, 18/11/1973. En franais, Ò!Soleil + !Sorolla = ValenceÓ, ÒSorolla ou
lÕImpressionnisme espagnolÓ, ÒJoaqun Sorolla Ð Exubrant interprte de la lumire et
remarquable rnovateur de la peinture espagnoleÓ et ÒSorolla ne fut pas un
impressionniste mais un raliste lumineuxÓ.
Introduction
15
pionnier, le seul portant prcisment sur la rception critique de lÕÏuvre de
Sorolla, fut publi pour la premire fois dans le catalogue de lÕexposition Joaqun
Sorolla organise lÕInstitut Valenci dÕArt Modern (IVAM).16 LÕouvrage a fait
lÕobjet de deux rditions, la premire en 1990 et la seconde en 1996. Pour
montrer quel point la rception de Sorolla fut contraste, la spcialiste partait du
constat que deux critiques amricains contemporains de Sorolla, J.G. Mottet (inc.inc.) et Franck Jewet Mather jr. (1868-1953), tous deux journalistes du quotidien
new-yorkais The Evening Post, avaient exprim deux opinions radicalement
opposes dans des articles consacrs la mme exposition, que le peintre ralisa
New York en 1909. Alors que le premier nÕhsitait pas mesurer ce quÕil venait
de voir lÕaune des chefs-dÕÏuvre de Vlasquez, pour le second, la peinture de
lÕEspagnol nÕtait quÕune simple curiosit sans intrt.17 Carmen Gracia dcrivait
ensuite les tapes de la rception critique de lÕÏuvre de Sorolla durant le sicle
qui sÕtend de 1887 1989, partir de la publication dÕun article de Vicente
Blasco Ibez dans lequel lÕcrivain vantait les qualits de lÕÏuvre de son
compatriote.18 LÕhistorienne distinguait deux niveaux de rception simultans,
dÕabord local, avant les annes 1890, puis national et international, partir des
annes 1890. Pour la seconde priode, elle prcisait quÕen Espagne la rception de
lÕÏuvre de Sorolla avait t plus ÒpolmiqueÓ quÕ lÕtranger. Ensuite, aprs la
mort du peintre, survenue en 1923, elle voquait une priode dÕoubli dont elle
situait le commencement en 1926 en sÕappuyant sur un article tir de La Prensa. 19
Enfin, Carmen Gracia observait quÕaprs cette date et en dpit des expositions
consacres lÕÏuvre de Sorolla, en 1963 et en 1973, dÕune part celle-ci nÕtait pas
sortie de lÕoubli et que, dÕautre part, les publications monographiques ressassaient
les mmes ides et ritraient des lieux communs.
Pour Toms Llorens, Sorolla fut tout bonnement laiss de ct par lÕhistoire
de lÕart. Dans son article ÒVerdad y naturaleza. Dejado de lado por la historia del
arte, Sorolla fue vctima del olvidoÓ (2007) publi dix-huit ans aprs celui de
Carmen Gracia, lÕhistorien de lÕart parle de Ç damnatio memoriae È. Selon ce
16.
17.
18.
19.
Joaqun Sorolla, Londres, Philip Wilson, 1989, pages 75-89.
J.G. Mottet, ÒSorolla y Bastida ExhibitionÓ, The Evening Post, New York, 1/02/1909.
Frank Jewet Mather, ÒThe Painting of SorollaÓ, The Evening Post, New York,
12/03/1910.
Vicente Blasco Ibez, ÒCrnica artstica. SorollaÓ, El Pueblo, Valence, 5/06/1887.
ÒLa magia del arte pictrico espaol crea en New York un nuevo monumento al genio
vibrante de la razaÓ, La Prensa, Barcelone, 22/01/1926.
Introduction
16
spcialiste, la perception actuelle de lÕÏuvre de Sorolla dpendrait de deux
facteurs lis sa fortune critique, lÕun national et lÕautre international :
Uno est enraizado en lo que han sido las corrientes dominantes de la intelectualidad
espaola durante la mayor parte del siglo XX, el otro, internacional, deriva de la
manera en que se nos ha contado la historia del arte moderno.20
Dans cet article, lÕauteur souligne lÕhostilit des intellectuels Miguel de
Unamuno (1864-1936) et Ramn Mara del Valle-Incln (1866-1936) qui, selon
lui, Ç [É] en la pintura de Sorolla vean el paradigmo negativo de la Espaa que
ellos exaltaban. È cÕest--dire : Ç [É] dans la peinture de Sorolla, ils voyaient le
modle oppos de lÕEspagne quÕils magnifiaient. È Il met galement en cause la
construction de lÕhistoire de lÕart autour dÕune ligne unique, extrmement
simplifie, qui carterait ce quÕelle ne parviendrait pas assimiler. Pour Llorens,
la gnration de Joaqun Sorolla, dont il cite lÕAmricain John Singer Sargent
(1856-1925), le Hollandais Isaac Israels (1865-1934), lÕAllemand Max Lieberman
(1847-1935), le Sudois Anders Zorn (1860-1920), lÕItalien Pelliza da Volpedo
(1868-1907), et le Russe Rpine - Ilia Iefimovitch - (1844-1930), domina le
monde de la peinture autour de 1900, mais fut dfinitivement oublie en 1930.
LÕauteur attribue cette lacune au manque de cohsion historiographique, ces
peintres ayant t redcouverts sparment et des moments distincts.
Enfin, en 2009, dans ÒLa fortuna crtica de Joaqun SorollaÓ, les auteurs
valenciens Felipe Garn et Facundo Toms sÕintressrent aux jugements mis par
les crivains espagnols contemporains du peintre. Ils distingurent Ç la gnration
de 1898 È des Ç crivains favorables Sorolla. È21 Le premier groupe comprend
quatre crivains, Miguel de Unamuno, Po Baroja (1872-1956), Ramiro de
Maeztu et Ramn del Valle-Incln. Ces intellectuels auraient t hostiles la
peinture de Sorolla et auraient partag, au contraire, lÕesthtique sombre et grave
de Jos Gutirrez Solana (1886-1945) et Ignacio Zuloaga (1870-1945). Le
deuxime groupe associe Vicente Blasco Ibez (1867-1928), Juan Ramn
20.
21.
Toms Llorens, ÒVerdad y naturaleza. Dejado de lado por la historia del arte, Sorolla fue
vctima del olvidoÓ, El Pas, Madrid, 3/11/2007. Ç LÕun se trouve ancr dans ce quÕont t
les courants dominants de lÕintelligentsia espagnole durant la majeure partie du XXe
sicle, lÕautre, international, provient de la faon dont on nous a racont lÕhistoire de lÕart
moderne. È
Ibidem, ÒLa fortuna crticaÉÓ, pages 471-484.
Introduction
17
Jimnez (1881-1958) et Ramn Prez de Ayala (1881-1962), trois crivains qui
ont laiss des tmoignages de leur admiration pour le Valencien. La priode
postrieure la mort du peintre nÕest traite que dans la conclusion de lÕarticle.
Les auteurs y avancent une hypothse nouvelle : sous le franquisme, une partie de
la Critique considre comme ÒractionnaireÓ aurait oppos la peinture de Sorolla
aux Avant-gardes. Selon eux, au moins jusquÕ la fin de la dictature, ce point de
vue aurait empch les jeunes gnrations de sÕidentifier lÕÏuvre du Valencien.
Bien que vingt ans sparent lÕarticle le plus ancien du plus rcent, les quatre
auteurs se rejoignent nanmoins sur plusieurs points. SÕils soulignent dÕabord le
prestige et la notorit du peintre son poque, ils voquent ensuite une priode
dÕoubli, une Ç traverse du dsert È. Garn, Toms, Gracia et Llorens en situent le
commencement quelques annes seulement aprs la mort du peintre, entre 1926 et
1930. Pour lÕexpliquer, ils mettent en cause la persistance de jugements hostiles.
Aprs cette date, tous observent le manque de reconnaissance dont ptirait
lÕÏuvre de Sorolla principalement en Espagne, son pays dÕorigine. Notons, enfin,
que si tous ces spcialistes en arrivent des conclusions proches, ils nÕexploitent
cependant pas les mmes sources. Alors que Llorens semble sÕappuyer presque
exclusivement sur des sources de seconde main, les autres auteurs exploitent des
sources de premire main, en particulier des coupures de journaux probablement
issues, au moins en partie, des archives de presse du Muse Sorolla.
Ce muse fut inaugur en 1932 dans les murs de la maison madrilne du
peintre. Il conserve une importante collection de peintures et de dessins mais aussi
des sculptures, des pices archologiques, des cramiques, des bijoux rgionaux et
un ensemble mobilier et textile. Il hberge galement une bibliothque spcialise
et possde, parmi ses archives, une prcieuse collection de photographies
anciennes, toute la correspondance prive du peintre ainsi quÕun fond de presse
trs complet. Or, jusquÕ maintenant, la collection de coupures de presse nÕa pas
encore t exploite comme elle le mriterait. Durant longtemps, elle a t
nglige par les biographes du peintre au moins pour deux raisons lies, la fois
au contenu de leur projet dÕtude et la nature des sources disponibles. DÕabord,
lÕambition de ces auteurs visait le plus souvent raconter au public la vie et le
parcours du peintre. Les tmoignages et les anecdotes servaient plus efficacement
ce type de projet. Ensuite, les archives de presse ont t fortement concurrences
par les archives de correspondance du Muse Sorolla. Cette collection rare et
Introduction
18
prcieuse runit plus de deux mille lettres originales.22 Ces deux facteurs ont
contribu clipser une collection de presse qui a pourtant une immense valeur
documentaire. Ë lÕintrieur de trente-trois cartons, elle runit plus de quatre mille
articles, soit plus de dix mille feuillets. Les ouvrages de Bernardino de Pantorba,
La vida y la obra de Joaqun Sorolla (1970) et de Blanca Pons-Sorolla, Joaqun
Sorolla. Vida y obra (2001) contiennent chacun une liste dÕarticles de presse.
Cependant, lÕinventaire de la collection du muse nÕa jamais t fait. Pour cette
raison, nous avons ralis un travail de recherches pralable afin de rfrencer
prcisment tous les articles selon la manire habituelle : Auteur, ÒTitreÓ,
Priodique, Lieu dÕdition, jour / mois / anne. Dans la mesure du possible, les
auteurs utilisant un pseudonyme ont t identifis lÕaide des dictionnaires
dÕEugenio Hartzenbush et dÕAntonio Lpez de Zuazo Algar.23 LÕinventaire de la
collection de presse du Muse Sorolla existe dsormais. Toutefois, nous avons
choisi de ne pas adjoindre ce document dÕenviron quarante pages la thse et
nous nous rservons la possibilit de le publier ultrieurement en collaboration
avec le Muse Sorolla. Les archives de presse, dsormais plus lisibles, constituent
la source fondamentale de la thse. Deux autres sources principales la
compltent : les soixante-cinq catalogues des expositions monographiques et les
cinquante-sept ÒessaisÓ monographiques consacrs lÕÏuvre de Sorolla. La quasi
totalit de cette documentation est conserve sur le mme site, au Muse Sorolla
de Madrid.
Revenons, la collection de presse qui comprend deux ensembles
distincts : les Ç Archives de Presse Ancienne È, qui couvrent la priode 1887
1998, et un fond en cours de constitution que nous avons choisi dÕappeler les
Ç Archives de Presse Actuelle È, de 1999 2009. La plus ancienne occurrence
22.
23.
Depuis 2007, une maison dÕdition catalane publie cette correspondance au sein de la
collection Epistolarios de Sorolla : Facundo Toms, Felipe Garn, Isabel Justo et Sofa
Barrn, Epistolarios de Joaqun Sorolla, I. Correspondencia con Pedro Gil Moreno de
Mora, Barcelone, Anthropos, 2007. Blanca Pons-Sorolla, Vctor Lorente Sorolla et
Marina Moya, Epistolarios de Joaqun Sorolla, II. Correspondencia con Clotilde Garca
del Castillo, Barcelone, Anthropos, 2008 et Blanca Pons-Sorolla et Vctor Lorente
Sorolla, Epistolarios de Joaqun Sorolla, III. Correspondencia con Clotilde Garca del
Castillo (1891-1911), Barcelone, Anthropos, 2009.
Maxiriarth (Eugenio Hartzenbush), Unos cuantos seudnimos de escritores espaoles con
sus correspondientes nombres verdaderos, Madrid, Est. Tipogrfico Sucesores de
Rivadeneyra, 1904 et Antonio Lpez de Zuazo Algar, Diccionario de seudnimos
periodsticos espaoles del siglo XX, Madrid, Fragua, 2008.
Introduction
19
remonte au 10 juillet 1887 et la plus rcente au 31 octobre 2009.24 Cette date a t
retenue comme la borne chronologique de fin de lÕtude ; toutefois, nous avons
prfr comme borne de dpart le premier article de presse connu, bien quÕil ne se
trouve pas dans les cartons du Muse Sorolla.25 Il est question dans ce texte de la
premire participation du peintre lÕExposition Nationale, au printemps 1881.
Cette priode est la fois longue et complexe car pas moins de sept tapes
historiques sÕy sont succdes : la rgence de la Reine Marie Christine (18851902), le rgne dÕAlphonse XIII (1902-1931) qui comprend la dictature de Miguel
Primo de Rivera (1923-1930), la Seconde Rpublique et la Guerre Civile (19311939), la dictature de Francisco Franco (1939-1975) et une partie du rgne de
Juan Carlos I (1975-2009).
Les Ç Archives de Presse Ancienne È sont constitues de 3.001 articles
rpartis en vingt cinq cartons. Les huit premiers cartons dÕarchives contiennent
des coupures rcoltes par la famille Sorolla avant la cration du muse, en 1932.
Au moins trois raisons laissent penser que le peintre sÕimpliquait personnellement
dans lÕarchivage de ces documents. Tout dÕabord, plusieurs articles sont annots
de sa main. Ensuite, la collecte sÕarrte net le 18 juin 1920, cÕest--dire le
lendemain de lÕaccident vasculaire crbral dont il a t victime la veille et qui le
plonge, semaine aprs semaine, dans un tat vgtatif toujours plus avanc.26
JusquÕ son dcs, le 10 aot 1923, la collection ne fut pas augmente ni par son
pouse ni par son fils, qui habitaient encore la maison. Enfin, il convient de
signaler que Sorolla devait parfaitement tre conscient de lÕintrt historique de
ces documents. En effet, il comptait parmi ses plus proches amis trois historiens
dÕart aussi minents que Manuel Bartolom Cosso (1857-1935) Jos Ramn
Mlida (1856-1933) et Aureliano de Beruete (1845-1912), et un des plus fins
collectionneurs de son poque, le marquis de la Vega Incln (1858-1952). Ce
dernier lui conseilla peut-tre de protger son patrimoine sous la forme dÕune
fondation.27
24.
25.
26.
27.
De : Lucius, ÒNuestros artistas en RomaÓ, El Pas, Madrid, 10/07/1887 Felipe Garn,
ÒÀMs Sorolla?Ó, http://www.abc.es/, Madrid, 31/10/2009.
Anonyme, ÒCuadros para la exposicin de MadridÓ, Las Provincias, Valence, 5/04/1881.
Francisco Alcntara, ÒSorolla en la Escuela de Bellas ArtesÓ, El Sol, Madrid, 18/06/1920.
Mara Luisa Menndez Robles, ÒSorolla, Benlliure y el segundo marqus de la VegaIncln: Interacciones amistosas y artsticasÓ in Mariano Benlliure y Joaqun Sorolla.
Centenario de un homenaje, Valence, Generalitat Valenciana, 2000, pages 69.
Introduction
20
Selon toute vraisemblance, Sorolla tait trs attentif ce que la presse
publiait sur son compte, notamment lors de chacune de ses expositions
individuelles. Il lui importait de lire la presse parisienne car, dÕune part, il
concourait rgulirement au Salon de la Socit des Artistes Franais et, dÕautre
part, son poque la critique franaise faisait autorit dans le monde de lÕart et
orientait le march. Or, il ne vivait pas Paris mais Madrid et, malgr quelques
bons contacts dans la capitale franaise, son accs la presse trangre tait
limit. CÕest pourquoi il souscrivait ponctuellement des abonnements auprs
dÕagences, les ÒPress CuttingsÓ, qui lui fournissaient les coupures qui le
concernaient directement en indexant leur recherche sur son patronyme. Le plus
souvent, ces abonnements taient souscrits sur des priodes courtes qui
correspondaient la dure dÕune exposition. Parmi ces agences internationales,
qui possdaient des antennes dans les grandes capitales du monde, citons ÒLe
LynxÓ (1876, Paris), ÒLe Courrier de la PresseÓ (1880, Paris), ÒArgus de la
PresseÓ (1879, Paris), ÒArgusÓ (inc., Berlin), ÒC. Freyer ShneÓ (inc., Berlin),
ÒDurrantÕs Press CuttingsÓ (inc., Londres), ÒThe General Press Cuttings
Association Ltd.Ó (inc., Londres), etc. Pour dchiffrer ces coupures venues du
monde entier, lÕEspagnol pouvait compter sur ses trois enfants car lui-mme
nÕtait pas polyglotte. Il lisait lÕitalien, parlait mal le franais et ne connaissait ni
lÕallemand ni lÕanglais. Aprs la cration du Muse Sorolla, Joaqun Sorolla y
Garca (1892-1948), le fils du peintre et premier directeur de lÕinstitution,
conserva et augmenta la collection en souscrivant deux nouveaux abonnements,
dÕabord auprs de lÕagence ÒArgos de la PrensaÓ (inc., Madrid), de 1932 1933,
puis auprs de ÒEuropaÓ (inc., Madrid), partir de 1943. Aprs sa mort, en 1948,
la dernire souscription fut maintenue durant cinq ans, probablement par
Francisco Pons-Sorolla, le petit-fils du peintre, alors la tte de lÕinstitution. Entre
1953 et 1966, un dernier abonnement fut souscrit auprs de lÕÒAgencia
Internacional CamarasaÓ (inc., Madrid). Au cours des annes soixante, le muse
traversa une importante crise financire et, en 1967, il fut mme sur le point de
fermer ses portes au public. Malgr lÕabsence dÕabonnement, la collecte des
articles de presse ne fut pas interrompue mme si le nombre dÕentres dcrut
jusquÕ la fin des annes 1990. La rforme du statut du muse, qui se traduisit,
entre autres, par la cration dÕune quipe de recherche finance par un systme de
bourses, assura la prennit de la collection qui, sous la direction de Florencio de
Introduction
21
Santa-Ana, sÕenrichit partir de 1999 des Ç Archives de Presse Actuelle È. Ce
fond diffre du prcdent dans la mesure o il est constitu principalement
dÕarticles dits en ligne. Ë ce jour, ces articles sont imprims avant dÕtre
classs. Cependant, dans les prochaines annes, la numrisation des fonds anciens
pourrait permettre la cration dÕune base de donnes unique et plus facile dÕaccs,
regroupant les deux collections. Elle permettrait de visualiser directement les
articles en ligne sur un site dot dÕun moteur de recherches. Les Ç Archives de
Presse Actuelle È comprennent 1.067 articles rpartis en huit cartons. Le dernier
article du vingt-troisime carton est celui de Felipe Garn ÒMs SorollaÓ, publi le
31 octobre 2009.28 Les archives de presse du Muse Sorolla comprenaient, cette
date, un total de 4.068 articles rpartis chronologiquement de la manire
suivante :
28.
Felipe Garn, ÒMs SorollaÓ, http://www.abc.es/, 31/10/2009.
Introduction
22
Graphique n¡1. Rpartition des archives de presse du Muse Sorolla.29
1963
2007 - 20
2009
194
1944
44
1932
1900
1923
29.
Anne (Nb. dÕarticles) : 1887 (1) 1892 (1) 1893 (2) 1894 (1) 1895 (69) 1896 (13) 1897
(32) 1898 (1) 1899 (23) 1900 (99) 1901 (73) 1902 (3) 1903 (27) 1904 (26) 1905 (56)
1906 (32) 1907 (23) 1908 (29) 1909 (32) 1910 (3) 1911 (30) 1912 (30) 1913 (2) 1914 (8)
1915 (7) 1916 (19) 1917 (7) 1918 (6) 1919 (18) 1920 (3) 1923 (85) 1924 (17) 1925 (2)
1926 (7) 1927 (9) 1928 (3) 1929 (3) 1930 (5) 1931 (3) 1932 (147) 1933 (24) 1934 (7)
1935 (11) 1936 (2) 1939 (1) 1941 (1) 1942 (4) 1943 (15) 1944 (178) 1945 (82) 1946 (59)
1947 (10) 1948 (43) 1949 (15) 1950 (69) 1951 (37) 1952 (19) 1953 (63) 1954 (8) 1955
(74) 1956 (47) 1957 (91) 1958 (25) 1959 (35) 1960 (88) 1961 (6) 1962 (41) 1963 (512)
1964 (72) 1965 (91) 1966 (10) 1967 (29) 1969 (7) 1972 (9) 1973 (36) 1974 (8) 1975 (3)
1978 (2) 1979 (5) 1980 (32) 1981 (4) 1984 (36) 1985 (4) 1986 (9) 1987 (18) 1988 (12)
1989 (18) 1990 (2) 1991 (18) 1992 (5) 1993 (2) 1994 (7) 1995 (12) 1997 (6) 1998 (21)
Introduction
23
Ces statistiques ont t obtenues partir de ce corpus de presse spcialise
trs complet, mais non exhaustif. Par consquent, ce graphique doit tre lu en
tenant compte des spcificits de la constitution de ce corps dÕarchives que nous
avons prcises et ses donnes doivent ncessairement tre compares. Les
chiffres, tels quÕils apparaissent dans le graphique, font ressortir trois Òtemps
fortsÓ mdiatiques. Deux priodes de basse intensit les sparent. Un segment
permet de constater quÕelles sÕtendent sur une dure gale, de trente ans environ,
ce qui est apparemment le dlai indispensable avant toute redcouverte de
lÕartiste.
La courbe situe prcisment la naissance mdiatique de Sorolla en 1895. Ë
partir de l, une premire zone de forte activit critique culmine en 1900. Le
peintre est trs expos sur le plan mdiatique compter du printemps de cette
anne car il remporte alors le prix le plus important de sa carrire. Cette priode
est suivie dÕune phase de basse activit qui commence vers 1913 alors que,
paradoxalement, non seulement Sorolla tait toujours en vie mais il se trouvait
mme en pleine possession de ses moyens artistiques. Or, partir de cette date, il
sÕisola en se consacrant pleinement sa commande Visin de Espaa. Dans la
priode de basse intensit qui suit, 1923 et 1932 sont les deux seules annes qui se
dtachent. Elles correspondent respectivement la mort du peintre et la cration
du Muse Sorolla. Sous le franquisme, une nouvelle phase de haute intensit
critique commence en 1944, lÕanne de la premire exposition rtrospective. Le
nombre dÕarticles se maintient ensuite un niveau lev avec un pic en 1963, qui
nÕa jamais t dpass. Le centenaire de la naissance du peintre ft cette anne-l
fut jalonn dÕvnements commmoratifs dont le plus importants fut la grande
rtrospective organise au Muse du Prado. Cette priode sÕacheva vers la fin des
annes soixante. La transition dmocratique ne provoqua pas de regain dÕintrt
mdiatique, bien au contraire. Sorolla tait-il, ce moment-l, associ la
politique culturelle de la dictature ? Voil une des questions auxquelles cette
tude tentera de rpondre. Ensuite, le nombre dÕarticles se maintient un niveau
assez bas, avec moins de cinquante articles par an, jusquÕ la fin du XXe sicle.
Mais partir des annes 2000, il repart la hausse et atteint une frquence
suprieure cent articles par an durant toute la dure de lÕexposition itinrante
1999 (16) 2000 (49) 2001 (87) 2002 (52) 2003 (49) 2004 (63) 2005 (26) 2006 (87) 2007
(135) 2008 (199) 2009 (304). Total : 4.068.
Introduction
24
Visiones de Espaa, entre 2007 et 2009. La, ou les cause(s) de cette reprise
devront tre prcises.
Dans le cadre de cette tude, ce nÕest pas la totalit des 4.068 articles de
presse qui sera utilise. Aprs une slection pralable, dont nous allons prciser
les critres, 1.452 articles ont t retenus, soit 35,6 % du total. Ë lÕintrieur de ce
fond international, nous nÕavons fait valoir aucun critre linguistique ni
gographique. La slection runit des textes issus de douze pays trangers : tatsUnis (33), France (26), Angleterre (22), Argentine (22), Allemagne (6), Portugal
(5), Italie (5), Chili (3), Cuba (1), Uruguay (1), Hongrie (1) et Chine (1). Nous
avons privilgi les articles publis plusieurs fois dans plusieurs priodiques. Par
exemple, ÒEl Sorolla, nico museo madrileo de un solo artistaÓ de Juan Cantelly
est publi le 16 janvier 1955 dans le journal valencien Espaa30. La mme anne,
il est republi pas moins dÕune dizaine de fois, notamment dans des priodiques
locaux tels que Arriba Espaa (Pampelune), Clima (Valence), La Voz de Espaa
(Saint Sbastien). Il en va de mme pour les articles dont des extraits sont cits
entre guillemets et parfois mme comments ou complts dans dÕautres articles.
Ensuite, nous avons privilgi les textes signs, car beaucoup dÕentres, en
particulier les notes informatives, sont anonymes et leur contenu est superificiel
voire sans intrt. Ces entrefilets sont particulirement abondants la veille des
expositions dont ils annoncent les lieux, dates, horaires de visite, etc. Enfin,
durant la phase de rdaction de cette tude, quelques articles de presse, qui ne
faisaient pas partie de la collection du Muse Sorolla, ont t utiliss afin
dÕclairer tel ou tel point de lÕanalyse. Les rfrences de ces articles apparaissent
sparment dans la bibliographie. Ils proviennent, pour la plupart, des bases
dÕarchives consultables en ligne de la Bibliothque Nationale espagnole et du
groupe de presse madrilne ABC - Blanco y Negro.31
Le second corpus de sources comprend les soixante-cinq catalogues publis
entre 1906 et 2009, priode pendant laquelle la peinture de Sorolla est prsente
lors dÕexpositions collectives et dÕexpositions monographiques.32 Ce sont les
catalogues de ces dernires que nous avons choisi de consulter en priorit. Tous
30.
31.
32.
Juan Cantelly, ÒEl Sorolla, nico museo madrileo de un solo artistaÓ, Espaa, Tanger,
16/01/1955.
Consultables partir des url http://www.bne.es/es/Catalogos/HemerotecaDigital/ et
http://www.hemeroteca.abc.es/.
Voir lÕannexe n¡1. Expositions monographiques.
Introduction
25
ces ouvrages sont aujourdÕhui facilement localisables grce au nouveau catalogue
unique des bibliothques des muses nationaux espagnols, BIMUS, qui est
librement accessible depuis lÕurl http//:bimus.mcu.es. Pour restituer fidlement la
rpartition des expositions dans le temps, nous avons accord une place plus
grande aux vnements itinrants en comptabilisant le nombre de leurs
dplacements. Par exemple, la premire priode comprend les cinq expositions
particulires : 1906, Paris. 1907, Berlin - Dsseldorf - Cologne. 1908, Londres.
1909, New York - Buffalo - Boston et 1911, Chicago - Saint Louis. Puisque trois
sont itinrantes, au total ce sont dix villes qui ont accueilli une de ces expositions.
Graphique n¡2. Rpartition des expositions monographiques.33
Expositions
Dplacements
LÕaspect de ce graphique rappelle le prcdent car on y retrouve les trois
Òtemps fortsÓ. La ÒgrappeÓ des expositions individuelles, laquelle nous venons
33.
Annes (expositions ; dplacements):
1906 (1;0) 1907 (1;2) 1908 (1;0) 1909 (1;2) 1911 (1;1) 1935 (0;0) 1942 (1;0) 1944 (1;0)
1948 (1;0) 1952 (1;0) 1953 (1;0) 1958 (1;0) 1963 (3;0) 1965 (2;0) 1967 (1;0) 1968 (1;0)
1971 (1;0) 1972 (1;0) 1973 (1;0) 1974 (1;6) 1979 (1;0) 1982 (1;0) 1983 (1;2) 1985 (2;0)
1986 (2;0) 1989 (2;3) 1991 (1;0) 1992 (3;0) 1993 (1;0) 1994 (2;5) 1995 (3;7) 1996 (2;5)
1997 (5;11) 1998 (4;4) 1999 (0;3) 2000 (1;4) 2001 (0;7) 2002 (0;6) 2003 (1;3) 2004 (1;3)
2005 (0;7) 2006 (3;1) 2007 (3;2) 2008 (1;4) 2009 (1;2). Total : 61 ; 90.
Introduction
26
de faire rfrence, se dtache entre 1906 et 1911. Ensuite, un espace vide court
jusquÕen 1944, une priode qui comprend, rappelons-le, la guerre civile et les
annes noires durant lesquelles le pays tait accabl par les difficults
conomiques. Leur frquence se maintient ensuite un niveau bas, cÕest--dire
zro ou une exposition par an, jusque dans les annes soixante. Une reprise
ponctuelle dmarre la fin du franquisme et sÕachve avant la transition
dmocratique. Aprs la rforme du Muse Sorolla de 1993, leur nombre augmente
significativement, notamment grce au principe de lÕexposition itinrante et il se
maintient presque invariablement un niveau trs lev, entre cinq et dix
vnements annuels. En 2009, les manifestations lies au peintre valencien
occupent une telle place dans lÕactualit du pays que le magazine de mode Vogue
nÕhsite pas parler de ÒSorollamanaÓ !34
Les sources comprennent enfin les cinquante-sept essais monographiques
consacrs lÕÏuvre de Sorolla. De toute vidence, toutes ces publications nÕont
pas tous la mme valeur. Les quatre ouvrages de rfrence restent ce jour les
tudes de Rafael Domnech (1910), Aureliano de Beruete (1921), Bernardino de
Pantorba (1953 et 1970) et Blanca Pons-Sorolla (2001).35 Le catalogue raisonn
du mme auteur, paratre prochainement, deviendra sans doute lÕouvrage de
rfrence dans les annes venir. Ce corpus nÕinclut pas les supplments de
presse, ni les textes parus dans une publication priodique, ni ceux figurant dans
un catalogue dÕexposition, puisque les uns et les autres ont dj t pris en
compte. Les textes publis et vendus sparment sont tous compris entre 1910 et
2009 et rpartis ainsi quÕil apparat dans le graphique suivant :
34.
35.
M. C., ÒSorollamanaÓ, http://www.vogue.es/, Madrid, 06/2009.
Rafael Domnech, Sorolla. Su vida y su arte, Madrid, Leoncio Miguel, 1910 et Sorolla,
sa vie et son Ïuvre, Madrid, Vilanova y Geltr-Oliva, 1910. Aureliano de Beruete,
Joaqun Sorolla, Madrid, Biblioteca Estrella, 1921. Bernardino de Pantorba, La vida y la
obra de Joaqun Sorolla. Estudio biogrfico y crtico, Madrid, Mayfe, 1953 et La vida y
la obra de Joaquin Sorolla. Estudio biogrfico y crtico, Madrid, Grficas Monteverde,
1970. Blanca Pons-Sorolla, Joaqun Sorolla. Vida y obra, Madrid, Fahah, 2001.
Introduction
27
Graphique n¡3. Rpartition des essais monographiques.36
Essai monographique
Rdition et/ou traduction
De toute vidence, il serait hasardeux dÕanalyser dans le dtail la
rpartition de si peu dÕentres distribues sur une priode aussi longue.
Nanmoins, trois observations peuvent tre formules. Tout dÕabord, la
publication dÕun essai monographique accompagne gnralement une exposition
temporaire, comme le montrent les principaux pics, 1909-1910, 1932, 1944, 1967,
1973-1974 et 1979-1980. Ensuite, le nombre de ces publications augmente
progressivement partir du cycle des expositions itinrantes qui dbute en 1994.
Enfin, pour rpondre la demande du public, pas moins de huit essais
monographiques ont t dits ou rdits lÕoccasion de lÕexposition Visiones de
Espaa, entre 2007 et 2009.
En rsum, les graphiques n¡1 n¡3 mettent en vidence trois phases de
haute intensit critique, bien spares les unes des autres :
36.
1909 (1) 1910 (2 dont 1 traduction en franais) 1913 (1) 1921 (1) 1924 (1) 1927 (1) 1932
(3) 1933 (1) 1944 (2) 1948 (1) 1950 (1) 1953 (1) 1957 (1) 1958 (1) 1963 (1) 1964 (1)
1965 (1) 1967 (2) 1970 (1) 1973 (2 dont 1 rdition) 1974 (2) 1975 (1) 1979 (2) 1980 (2
dont 1 rdition) 1981 (1) 1983 (1) 1989 (1) 1992 (1 rdition.) 1993 (1) 1994 (1) 1995
(1) 1996 (2) 1998 (1) 2000 (2) 2001 (1) 2002 (1) 2004 (1) 2005 (2 dont une traduction en
anglais) 2006 (3) 2008 (1 rdition) 2009 (4 dont 1 rdition). Total : 57.
Introduction
28
1901
Temps I.
1963
Temps II.
JJuan
Jua
n Carlos I
Franquisme
II Rpublique et Guerre Civile
Alphonse XIII
Rgence
Graphique n¡4. Synthse.
2009
Temps III.
Le Temps I. 1895-1912, est cheval sur la fin de la Rgence et les
premires annes du rgne personnel dÕAlphonse XIII. Il correspond lÕapoge
de la carrire internationale du peintre. Le second, 1944-1963, se situe au milieu
de lÕre franquiste et sÕaccompagne dÕun nouvel essor de lÕhistoriographie
sorolliste alors que, on lÕa vu, Carmen Gracia et Toms Llorens intgrent cette
priode dans ce quÕils qualifient de Òpriode dÕoubliÓ. La transition dmocratique
marque un temps dÕarrt durant lequel Sorolla disparat nouveau des colonnes
de la presse jusquÕau Temps III. 1993-2009. Il sÕagit de lÕpoque rcente, des
mandats de Felipe Gonzlez (1942) ceux de Jos Luis Rodrguez Zapatero
(1960). Dans un mouvement de basculement qui dbuta dans les annes quatrevingt-dix, lÕÏuvre de Sorolla opra un retour progressif dans les salles
dÕexposition temporaire des muses espagnols puis trangers. Le cycle des
grandes expositions rtrospectives commena au milieu des annes quatre-vingt
dix avec la rforme du statut juridique du Muse Sorolla et connut son apoge
avec la grande exposition itinrante Visiones de Espaa organise du 7 novembre
2007 au 6 septembre 2009. Les pics vertigineux des graphiques n¡1 et n¡2
prouvent, sÕil le fallait, que les modes sont phmres. Par consquent, aprs
Introduction
29
cette exposition, Sorolla devra sans doute cder la place quÕil occupe aujourdÕhui
dÕautres artistes pour mieux tre redcouvert plus tard.
Dans les deux premiers chapitres, on sÕintressera lÕapoge de sa carrire.
On reviendra sur les courants dans lesquels il engagea sa peinture. On verra quels
furent les tableaux dvoils au cours de ces priodes et quels furent ceux qui ont
nourri la ou les interprtations fondatrices. On commentera les premiers
jugements critiques lesquels, selon Carmen
Gracia, dclenchrent une
ÒpolmiqueÓ. Pour faire toute la lumire sur cet aspect, on tentera dÕidentifier la
communaut interprtative, ses intrts et les enjeux qui lÕont anime. Dans les
deux chapitres suivants, on verra que la mort du matre fut suivie dÕune priode de
basse intensit critique seulement ponctue dÕvnements commmoratifs plus ou
moins remarqus. La fin du franquisme semble avoir t le moment dÕun nouvel
engouement critique si lÕon tient compte des graphiques n¡1. et n¡2., alors que des
chercheurs lÕont intgre dans une longue priode dÕoubli ! Cette contradiction
mritera un clairage. Enfin, dans le dernier chapitre, on tentera de comprendre
comment et pourquoi lÕÏuvre de Sorolla revint la mode dans les annes 1990 et
occupe dsormais une place si importante sur la scne culturelle espagnole,
comme vient de le dmontrer lÕexposition Visiones de Espaa.
Une deuxime partie complte cette tude dans lequel figure une
bibliographie aussi exhaustive que possible. Par ailleurs, une slection de vingtcinq documents iconographiques est reproduite et commente. Elle contient
principalement des photographies et des dessins tirs des archives de presse du
Muse Sorolla. Ë lÕexception dÕune bauche dÕaffiche ralise pour le journal
rpublicain El Pueblo en 1899, on ne fera pas apparatre les nombreuses peintures
du Valencien cites dans le corps de texte, prfrant renvoyer le lecteur au
catalogue numrique du Muse Sorolla librement accessible en ligne lÕadresse
suivante : http://ceres.mcu.es/.37 Un seul tableau fait partie des figures, Sorolla
como pretexto du duo dÕartistes pop Equipo Crnica. De mme, nous nÕavons
reproduit aucun article ni aucun document dÕarchive afin de ne pas nourrir cette
deuxime partie au-del du raisonnable. En revanche, nous avons voulu offrir au
lecteur trois outils indits cÕest--dire un tableau aussi complet que possible des
37.
CERES est une base de donnes musographique en rseau dveloppe par le Ministre
de la Culture pour optimiser la gestion des biens culturels conservs dans les muses
nationaux.
Introduction
30
expositions monographiques consacres Sorolla, une liste des derniers rsultats
de vente de ses tableaux ainsi quÕune table de traduction en franais des Ïuvres
cites dans ce travail.38 Les titres traduits varient normment selon les trois
sources de rfrences consultes cÕest--dire les catalogues des expositions
Georges Petit (1906), Sargent / Sorolla (2006) ainsi que Sorolla, sa vie et son
Ïuvre, la version franaise du livre de Rafael Domnech. Le catalogue de
lÕexposition Petit, qui nÕest en fait quÕune liste, pose de nombreux problmes de
comprhension car il est difficile de savoir prcisment quels tableaux
correspondent tels ou tels titres. Ë ce jour, il nÕa pas permis dÕtablir
formellement le contenu de lÕchantillon prsent Paris. Sauf indication
contraire, les traductions que nous proposons sont de lÕauteur. Enfin, ce travail
sÕaccompagne dÕun dvd contenant une copie du tlfilm de Jos Antonio Escriv
(1952) Cartas de Sorolla (2006).
38.
Annexe n¡3. Table de traduction des Ïuvres cites.
I
LES SALONS DE PEINTURE :
UN PARCOURS DE LA RECONNAISSANCE
1881 - 1901
Joaqun Sorolla nÕa que seize ans lorsque, pour la premire fois, il expose
publiquement un tableau. Avec El patio del Instituto, une aquarelle aujourdÕhui
perdue, il participe au concours de peinture de lÕExposition Rgionale de Valence
en 1879. LÕanne suivante, dans la mme ville, il prsente trois scnes
orientalistes lÕExposition de la Socit Rcrative El Iris. Naturellement, les
deux apparitions de ce Valencien, jeune et inconnu, sont peine remarques par
les journalistes. Ensuite, on ne sait presque rien de ces deux premires
participations lÕExposition Nationale, dans les annes 1880. Enfin, jusquÕ la
deuxime moiti des annes 1890, il est encore impossible de parler de notorit
tant donne la faible couverture mdiatique de chacune de ces apparitions. Les
choses changeront en 1895 avec son premier grand succs au Salon franais et
lÕentre de son tableau La vuelta de la pesca au Muse du Luxembourg de Paris.
Ce sera alors le dbut de ce nous avons choisi dÕappeler le Temps I. 1895-1912,
qui correspond lÕapoge de sa carrire de ÒsalonnierÓ et dont le sommet se situe
en 1901. En effet, cette anne-l, son dernier envoi lÕExposition Nationale lui
permettra de dcrocher la Mdaille dÕHonneur, le point dÕorgue de son parcours
acadmique.
Ces bornes chronologiques sont comprises lÕintrieur de la Restauration.
Le parcours acadmique de Joaqun Sorolla commence vers le milieu du rgne
dÕAlphonse XII, qui sÕtend de 1875 1885, et sÕachve la fin de la rgence de
Marie-Christine, en 1902. Sous le rgne dÕAlphonse XII, la peinture dÕhistoire vit
son dernier ge dÕor. Les chefs dÕÏuvres du genre, Juana la Loca (1877) et la
Rendicin de Granada (1882) de Francisco Pradilla (1848-1921), Los amantes de
Teruel (1884) dÕAntonio Muoz Degrain (1840-1924), La conversin del Duque
de Ganda (1884) de Jos Moreno Carbonero (1860-1942), ou encore
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
32
Fusilamiento de Torrijos y sus compaeros en las playas de Mlaga (1888)
dÕAntonio Gisbert (1834-1902) sont tous compris dans les limites du rgne
dÕAlphonse XII.1 Sous la Rgence le genre priclite, mme si la commande dÕtat
parvient lui donner un dernier souffle. Il volue en sÕadaptant la politique
dÕexaltation et de clbration de la monarchie porte par les dirigeants. Sous
lÕimpulsion de commandes publiques, la peinture dÕhistoire devient ÒhistoricocommmorativeÓ. JusquÕ la fin du sicle, elle immortalise des pisodes de la vie
politique des premires annes de la Restauration. En 1892, Joaqun Sigenza
(1825-1902) reprsente la crmonie dÕinvestiture dÕAlphonse XII comme Grand
Matre des ordres militaires de Santiago, Alcntara, Calatrava et Montesa. Joaqun
Sorolla avait reu, deux ans plus tt, une commande du Snat, La jura de la
Constitucin [de 1876] por la regente Da. Mara Cristina.2 Confie initialement
Jos Casado del Alisal (1832-1886), la commande est ensuite transmise
Francisco Jover Casanova (1830-1890), mais les deux peintres meurent avant
lÕachvement du tableau et Sorolla le termine en 1897.
Indniablement, le dclin, puis la disparition dfinitive dÕun genre rig
durant presque un demi-sicle au rang dÕexercice suprieur sanctionn par le jury
de lÕExposition Nationale, ouvre des perspectives nouvelles la jeune gnration.
Parmi elle, quelques peintres parviennent mme introduire au concours national
des genres venus de lÕextrieur, en particulier de France. Inversement, cÕest dans
ce contexte que Joaqun Sorolla, un jeune peintre ouvert aux influences
trangres, va contribuer changer lÕimage de lÕcole espagnole hors des
frontires de son pays. On verra, dans ce chapitre, comment cette ambition rejaillit
sur la rception de sa peinture et, pour ce faire, on reviendra tout dÕabord sur sa
formation, Valence et Rome. On rappellera ensuite quel est son parcours au
cÏur des institutions des Beaux-Arts, en Espagne et lÕtranger. On sÕintressera
aux courants dans lesquels il engage sa peinture et aux tableaux quÕil prsente
durant cette priode. On verra pourquoi le jury de lÕExposition Nationale refusera
par deux fois de lui dcerner la Mdaille dÕHonneur, en 1897 et en 1899, et
1.
2.
Doa Juana la loca. 300x500, Madrid, Muse National du Prado, 1878.
La rendicin de Granada, 300x550, Madrid, Palais du Snat, 1882.
Los amantes de Teruel, 330x516, Madrid, Muse National du Prado, 1884.
La conversin del Duque de Ganda, 315x500, Madrid, Muse National du Prado, 1884.
Fusilamiento de Torrijos y sus compaeros en las playas de Mlaga, 390x600, Madrid,
Muse National du Prado, 1888.
La jura de la Constitucin por la regente Da. Mara Cristina, 350x550, Madrid, Palais
du Snat, 1897.
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
33
quelles seront les consquences de ce double chec. On tentera de comprendre
pourquoi, dans ce contexte, la presse librale et rpublicaine valorisera sa peinture
et son parcours. On verra, enfin, quelles lignes dÕinterprtation vont merger dans
la presse.
I.1. DE LÕEXPOSITION NATIONALE AUX SALONS TRANGERS
Fils de Joaqun Sorolla Gascn (1832-1865) et de Mara Concepcin
Bastida (1838-1865), un couple de ngociants en tissus, Joaqun Sorolla y Bastida
est n Valence le 27 fvrier 1863. La famille possde une petite boutique dont le
nom tait ÒSis ditsÓ cÕest--dire ÒSix doigtsÓ, situe dans la rue de las Mantas,
ancienne Òcalle NuevaÓ. Elle vit lÕtage dÕun immeuble qui aujourdÕhui nÕexiste
plus. Sorolla sÕy rend une seule fois et emporte avec lui un carreau du sol et se
plat dire en le montrant : Ç Sobre este ladrillo yo vine al mundo. È3 LÕobjet se
trouve aujourdÕhui au Muse Sorolla o il est conserv comme une relique. Le
peintre ne garde aucun souvenir de ses parents car, en 1865, lÕpidmie de cholra
qui frappe la ville les emporte quelques jours dÕintervalle. Joaqun et sa sÏur
Concha sont alors recueillis par un oncle, Jos Piqueres Guilln (1832-1900),
modeste forgeron tabli Valence. Comme dÕautres peintres espagnols de son
temps, Sorolla est issu du milieu artisan dans lequel on pratiquait le dessin avant
de travailler les matires premires. Par exemple, Ignacio Zuloaga est fils dÕun
orfvre et le pre des frres Jimnez Aranda est bniste. Le jeune Valencien fait
donc ses armes dans lÕatelier familial. Pour cette raison, cÕest cet oncle qui dcle
chez son neveu des dispositions pour le dessin et lÕinscrit lÕcole des Artisans
de la ville en 1876. Il y reoit les enseignements du sculpteur Cayetano Capuz
(inc.-inc.) qui dispense des cours du soir.
Deux ans plus tard, le garon entre lÕcole des Beaux-Arts qui dpend de
lÕAcadmie Royale de San Carlos de Valence. Il y rencontre Cecilio Pl et
Antonio Garca del Castillo, le fils du photographe Antonio Garca y Peris qui
possde un atelier au centre ville. Dans sa jeunesse, ce notable de la ville avait
3.
Lola Soriano, ÒLa cuna de Sorolla, en el olvidoÓ, http://www.lasprovincias.es/, Valence,
22/10/2009. Ç Sur ce carreau, je suis venu au monde. È
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
34
tudi la peinture lÕAcadmie de San Carlos aux cts de Bernardo Ferrndiz
(1835-1885), Francisco Domingo Marqus (1842-1920) et Antonio Muoz
Degrain (1840-1924) avant dÕentreprendre des tudes de chimie et dÕintroduire
Valence les techniques photographiques les plus rcentes.4 En 1878, il recherche
un jeune peintre assez minutieux pour dcorer et rehausser ses portraits et Sorolla
est recommand par ses deux amis. Au contact de la photographie, il dveloppe
ses qualits visuelles et son sens de la composition. Les premiers biographes du
peintre voqueront cet apprentissage comme une anecdote ; pourtant, il sÕagit
certainement dÕune des tapes les plus dcisives de sa formation car lÕinfluence de
la photographie sur sa peinture est dÕautant plus prgnante chez un peintre g de
quinze ans seulement.
En juin 1884, la fin de son cursus, il dcroche vingt-et-un ans un prix
assorti dÕune bourse dÕtude. Cette rcompense acadmique lui permet de
poursuivre sa formation artistique lÕAcadmie Espagnole de Rome compter de
lÕanne suivante et pour trois annes civiles : 1885, 1886 et 1887. LÕAcadmie de
San Carlos organise un ÒPrix de RomeÓ local, dont les allocations sont finances
par les autorits dpartementales.5 Ce qui existe Valence depuis 1863 dcoule
dÕune tradition franaise ne deux sicles plus tt sous Louis XIV, en 1663, et qui
essaima dans toute lÕEurope. Le Prix de Rome tait destin offrir aux artistes les
plus mritants les moyens dÕapprofondir leur connaissance de lÕart dans la ville
ternelle, au contact direct des chefs-dÕÏuvre de lÕAntiquit et de la Renaissance.
Les pensions taient finances par le roi de France. Au XVIIIe sicle, le modle
fut copi en Espagne sous le rgne de Charles III. En 1746, des Òpensionnaires du
roiÓ, forms lÕAcadmie Royale des Beaux-Arts de San Fernando, sjournaient
en Italie aux frais de lÕtat. Celui-ci disposera seulement partir de 1873 dÕune
cole, lÕAcadmie Espagnole de Rome sur la colline du Janicule, suivant
lÕexemple de la Villa Mdicis qui hbergait depuis 1803 lÕAcadmie de France.
Mais la fin du XIXe sicle, la capitale italienne ne rpond plus aux aspirations
des jeunes artistes car tous les courants artistiques mergent, se dveloppent et se
4.
5.
Vicente Vidal Corella, ÒLa casa del fotgrafo Antonio Garca. Donde Sorolla fue
retocador de retratosÓ, Las Provincias, Valence, 20/08/1961.
Arturo Zabala, ÒJoaqun Sorolla, pensionado en RomaÓ in Un siglo de arte valenciano,
exposiciones conmemorativas de las pensiones de Bellas Artes de la Diputacin
provincial. IV. Sorolla, Valence, Diputacin Provincial de Valencia, 1965, pages 1-19.
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
35
diffusent Paris et Vienne, nouvelles capitales artistiques et sjours des
peintres.
Ë peine est-il arriv Rome que Sorolla se rend dj Paris lÕoccasion
dÕun voyage effectu avec un compagnon franco-espagnol rencontr dans la ville
ternelle, Pedro Gil Moreno de Mora (1856-1930). Il visite pour la premire fois
le ÒSalonÓ ou ÒSalon de la Socit des Artistes FranaisÓ. Sur place, il dcouvre
deux matres de la peinture de Òplein airÓ en visitant une exposition posthume
consacre lÕÏuvre du Franais Jules Bastien-Lepage (1848-1884) lÕHtel de
Chimay, et une exposition de tableaux de lÕAllemand Adolf Menzel (1815-1905)
installe aux Tuileries. De sa dcouverte de Paris, Sorolla dira plus tard : Ç All se
pintaban cosas vistas. È6, une petite phrase qui fait implicitement allusion la
peinture historique enseigne Rome et dans toutes les coles des Beaux-Arts
dÕEspagne. Pour le paysagiste et historien de lÕart Aureliano de Beruete, un des
premiers biographes du Valencien, Ç [É] abri Sorolla sus ojos por vez primera
al movimiento iniciado entonces en la pintura moderna. È7
De lÕcole des Artisans de Valence lÕAcadmie Espagnole de Rome, le
garon franchit toutes les tapes dÕune formation acadmique oriente vers
lÕExposition Nationale, participant pour la premire fois ce concours en 1881,
ainsi quÕon le verra plus avant. Il constitue son premier envoi vers un Salon
tranger en 1891, lÕexposition internationale de Berlin et, jusquÕen 1901, il
envoie rgulirement ses tableaux vers dÕautres Salons de peinture en Europe.
Durant la priode 1881-1901, il prsente au total un peu plus dÕune centaine de
tableaux, en Espagne et lÕtranger. En moyenne, cela reprsente peine plus de
cinq tableaux par an. Si lÕon ramne ce chiffre aux quatre cent quatre-vingt dix
sept tableaux dvoils lÕoccasion de sa premire exposition individuelle, en
1906, il est presque cent fois infrieur ! Pour comprendre cet cart, il faut rappeler
que les concours de peinture sont priodiques, gnralement annuels ou biennaux,
et que le nombre des toiles admises par envoi est strictement rglement. On saisit
alors mieux cette observation de Blanca Pons-Sorolla qui voque, dans une
monographie rcente, la lenteur avec laquelle les tableaux de son aeul sont
6.
7.
El Duende de la Colegiata (Abelardo Fernndez Arias y Lpez) ÒSorollaÓ, Por Esos
Mundos, Madrid, [1913]. Ç L-bas, on peignait des choses vues. È
Aureliano de Beruete, ÒJoaqun SorollaÓ, Hispania, Madrid, 15/06/1901. Ç Sorolla posa
pour la premire fois ses yeux sur le mouvement enclench alors dans la peinture
moderne. È
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
36
prsents au public durant cette priode : Ç Hasta este momento [1906] nunca se
haban visto ms de seis obras juntas en una misma exposicin internacional, y
entre las nacionales, slo en la de Madrid de 1901, se haban podido ver reunidas
diecisis. È8
Parmi les tableaux prsents avant 1902, tous ne bnficient pas de la mme
audience. Alors que certains passent compltement inaperus, dÕautres,
lÕinverse, sont distingus par un ou plusieurs prix et deviennent, en quelque sorte,
des tableaux clbres. CÕest le cas de onze ralisations : El dos de mayo, 1884.
Boulevard de Pars, 1890. Rogaciones en Burgos en el siglo XVI, 1892. ÁOtra
Margarita!, 1892. El beso de la reliquia, 1893. La vuelta de la pesca, 1894. ÁAn
dicen que el pescado es caro!, 1894. Pescadores valencianos, 1895. La bendicin
de la barca, 1895. Cosiendo la vela, 1896 et Triste herencia, 1899.9 Presque tous
bnficient, leur poque, dÕun excellent accueil dans les journaux et sont
reproduits dans la presse illustre. Dans lÕouvrage de Rafael Domnech, Sorolla.
Su vida y su arte (1910), qui est la premire monographie dite et vendue
8.
9.
Blanca Pons-Sorolla, Joaqun Sorolla. Vida y obra, Madrid, Fahah, 2001, page 217.
Ç Jusque-l [1906], jamais plus de six Ïuvres nÕavaient t runies dans une seule
exposition internationale et, parmi les expositions nationales, on avait put en voir seize
lors de celle 1901, Madrid. È
El dos de mayo, 400x580, 1884, Mdaille de Deuxime Classe, Exposition Nationale des
Beaux-Arts (Madrid, 1884).
Boulevard de Pars, 80x160, 1890, Mdaille de Deuxime Classe, Exposition Nationale
des Beaux-Arts (Madrid, 1890).
Rogaciones en Burgos en el siglo XVI, 1892, Mdaille dÕOr de Deuxime Classe,
Exposition Internationale (Munich, 1892).
ÁOtra Margarita!, 129x198, 1892, Mdaille de Premire Classe, Exposition Nationale des
Beaux-Arts (Madrid, 1892) / Premier Prix, Exposition Internationale (Chicago, 1893).
El beso de la reliquia, 103x125, 1893, Mdaille de Troisime Classe, Salon de la Socit
des Artistes Franais (Paris, 1893) / Mdaille de Deuxime Classe, Exposition
Internationale (Vienne, 1894) / Premier Prix, Exposition dÕArt (Bilbao, 1894). Achet par
le Muse des Beaux-Arts de Bilbao.
La vuelta de la pesca, 265x325, 1894, Premire Mdaille dÕOr de Deuxime Classe,
Salon de la Socit des Artistes Franais (Paris, 1895). Achet par lÕtat franais.
ÁAn dicen que el pescado es caro!, 151x204, 1894, Mdaille de Premire Classe,
Exposition Nationale des Beaux-Arts (Madrid, 1895). Achet par lÕtat espagnol.
Pescadores valencianos, 65x87, 1895, Mdaille dÕOr, Exposition Internationale (Berlin,
1896). Achet par la Galerie Nationale de Berlin.
La bendicin de la barca, 50x71, 1895, Mdaille dÕOr, Salon de la Socit des Artistes
Franais (Paris, 1896) / Prix de Venise, Exposition Biennale Internationale (Venise,
1897).
Cosiendo la vela, 220x302, 1896, Mdaille dÕOr, Exposition Internationale (Munich,
1897) / Grande Mdaille de lÕtat Autrichien (Vienne, 1898). Achet par le Muse dÕArt
Moderne de Venise.
Triste herencia, 210x285, 1899, Grand Prix de Peinture, Exposition Universelle (Paris,
1900) et Mdaille dÕHonneur, Exposition Nationale des Beaux-Arts (Madrid, 1901).
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
37
sparment, aucun ne manque.10 Ce groupe des onze sert de base aux premires
interprtations, tout simplement parce que les observateurs le connaissent trs
bien. Il y a dans ce lot une peinture dÕhistoire, un paysage urbain Ò la franaiseÓ,
trois peintures sociales, et le reste est compris dans le vaste courant naturaliste
hritier de la peinture de Bastien-Lepage, ainsi quÕon le verra par la suite. Si la
gamme des genres reprsents est aussi contenue cÕest parce que les critres
dÕadmission des Salons officiels sont trs stricts et que, pour le candidat,
contrevenir au got du moment revient ruiner toute chance de russir. CÕest
donc travers un prisme trs rduit que la personnalit artistique de Sorolla est
dissque et prsente au lecteur de la presse, en cette fin de XIXme sicle et au
moins jusquÕen 1902.
Force est de constater que seuls les initis connaissent aujourdÕhui ces onze
tableaux qui se trouvent actuellement tantt remiss, tantt exposs dans les salles
les plus confidentielles des muses qui les hbergent car, aujourdÕhui, ils
nÕintressent plus. On verra plus loin que, dsormais, le grand public connat ce
peintre essentiellement travers son Ïuvre tardive, cÕest--dire au moins
postrieure 1901. Pour cette raison, le grand public serait certainement drout
devant ces tableaux concours dont la facture obissait aux modes du moment.
Cette rgle nÕest pas propre Sorolla mais sÕapplique tous les peintres de cette
poque tant lÕvolution des codes picturaux est fulgurante entre 1890 et 1910. Il
faut se souvenir, comme un exemple assez parlant, que dans lÕÏuvre de Pablo
Ruiz Picasso (1881-1973), une dcennie seulement spare Ciencia y Caridad
(1897) et Les demoiselles dÕAvignon (1907) cÕest--dire le ralisme social et le
cubisme.11
De 1881 1901, Sorolla participe invariablement chacune des neuf
ditions de lÕExposition Nationale espagnole en 1881, 1884, 1887, 1890, 1892,
1895, 1897, 1899 et 1901. CÕest la raison pour laquelle son parcours est trs bien
document dans la presse madrilne dans tous les titres phares du moment : La
Ilustracin Espaola y Americana (1869), El Imparcial (1867), El Pas (1887),
Heraldo de Madrid (1890), Blanco y Negro (1891), etc. La cration du concours
gnral des Beaux-Arts, en 1856, a engendr toute une gnration de critiques
10.
11.
Rafael Domnech, Sorolla. Su vida y su arte, Madrid, Leoncio Miguel, 1910.
Pablo Picasso, Ciencia y Caridad, 197x249Õ5, Barcelone, Muse Picasso, 1897 et Les
demoiselles dÕAvignon, 243Õ9x233Õ7, New York, Museum of Modern Art, 1907.
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
38
dÕart dont on peut citer Isidoro Fernndez Flrez (1840-1902), qui crit sous le
pseudonyme ÒFernanflorÓ, Francisco Alcntara (1854-1930) ou encore Mariano
de Cava (1855-1920). Tous ont couvert les dbuts du jeune homme venu de
Valence.
Le garon nÕa pas encore dix-huit ans et ne possde que la seule exprience
des expositions rgionales organises Valence quand il se rend pour la premire
fois Madrid pour prsenter trois marines, Veleros en el mar, Escena de puerto et
Barcos en el puerto con fondo de edificios, qui passent inaperues.12 Lors de
lÕdition de 1884, il prsente un grand format historique intitul, comme le chefdÕÏuvre de Goya, El dos de mayo. Defensa del Parque de Artillera de Madrid el
da del 2 de mayo de 1808.13 Avec cet envoi, il obtient vingt-et-un ans une
brillante et prometteuse Mdaille de Seconde Classe. SÕil nÕy a pas de coupures
antrieures 1887 dans la collection de presse du Muse Sorolla, cela ne veut pas
dire pour autant que lÕvnement passe inaperu puisque deux revues illustres La
Ilustracin Espaola y Americana, Madrid, et La Ilustracin Ibrica,
Barcelone, couvrent le succs du jeune homme.14 Trois ans plus tard, il prpare
depuis Rome un sujet biblique, El entierro de Cristo. Mais cette toile aux
dimensions monumentales ne lui vaut quÕune Mention Honorifique, synonyme
dÕchec. Fernanflor en fait une critique acerbe dans laquelle il moque la
composition du tableau en considrant que, au lieu de reprsenter lÕenterrement
du Christ, le jeune homme a peint lÕheure durant laquelle il avait t enterr : Ç El
seor Sorolla, pues, ha hecho lo que muchos otros autores de esta Exposicin;
creyendo hacer un cuadro, ha hecho un pas, cosa ms fcil, aunque sea difcil
siempre. Ha pintado no el entierro de Cristo, sino la hora que le enterraron. È15
Humili et dcourag, il dtruit son tableau avant de repartir pour lÕItalie. Le
12.
13.
14.
15.
Barcos en puerto con fondo de edificios, 25x40, Valence, Museo de Bellas Artes, 1880.
Escena de puerto, 45x78, Madrid, MS,1880.
Veleros en el mar, non localis.
El dos de mayo ou Defensa del Parque de Artillera de Madrid el da del 2 de mayo de
1808, 400x580, Madrid, Museo Nacional del Prado, 1884 et El entierro de Cristo,
430x685, Madrid, fragments conservs au Muse Sorolla, 1887.
Fernanflor, ÒExposicin de Bellas Artes. Cuadros histricosÓ, La Ilustracin Espaola y
Americana, Madrid, 22/06/1884 et Manuel Pl y Valor, ÒExposicin Nacional de Bellas
Artes de 1884Ó, La Ilustracin Ibrica, Barcelone, 5/07/1884.
Fernanflor, ÒExposicin Nacional de Bellas ArtesÓ, La Ilustracin Espaola y Americana,
Madrid, 8/07/1887. Ç Monsieur Sorolla, disais-je, a commis la mme erreur que beaucoup
dÕautres peintres de cette exposition ; en pensant faire un tableau, il a fait un pays, ce qui
est plus facile, bien que cela soit toujours difficile. Il nÕa pas peint lÕenterrement du
Christ, mais lÕheure durant laquelle on lÕa enterr. È
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
39
rcent film Cartas de Sorolla reconstitue ce moment marquant de la vie et de la
carrire du peintre.16 Il est alors g de vingt-quatre ans. De cette grande toile,
quatre fragments sont conservs au Muse Sorolla.17 Une bauche de lÕensemble
fait aussi partie de la collection.18 De mme, lÕinstitution madrilne conserve une
photographie ancienne du tableau ainsi que des photographies de lÕatelier de
Pedro Gil Moreno de Mora, Rome, dans lequel le tableau tait entrepos avant
dÕtre envoy en Espagne.
LÕtat espagnol, reprsent par ses institutions des Beaux-Arts, rserve ses
premiers prix la peinture dÕhistoire, le Ògenre par excellenceÓ.19 Des
acadmiciens lus composent le jury du concours depuis sa cration, ainsi que le
prvoit lÕarticle III du rglement publi le 13 mai 1854 dans la Gaceta de
Madrid.20 La fortune artistique dÕun peintre espagnol tait donc ncessairement
lie ce genre, au moins jusque dans les annes 1889-1890. Ë cette poque, les
frres Luis (1845-1928) et Jos (1837-1903) Jimnez Aranda importent de France
une peinture de la Òdnonciation socialeÓ. Sous des titres sentencieux, elle met en
scne des histoires sombres, inspires ou directement tires des faits divers des
journaux tels que des meutes, des grves, des scnes de mendicit, etc. En
Espagne, ce courant sÕinscrit dans une priode dÕexpansion et dÕorganisation du
mouvement ouvrier partir de la fondation de la Fdration Espagnole de lÕAIT
en 1870, du Parti Socialiste en 1879 et de lÕUnion Gnrale des Travailleurs en
1888. De mme, la publication, en 1891, de lÕencyclique de Lon XIII Rerum
novarum Ð des choses nouvelles Ð engage lÕglise dans une rflexion sociale. En
Espagne, le genre pictural donne lieu une mode phmre qui, bien quÕelle
prenne fin au tournant du nouveau sicle, opre la transition entre une peinture de
sujets historiques et une peinture de Òsujets contemporainsÓ.
Aprs son chec de 1887, Sorolla a regagn Rome puis, fuyant une
pidmie, il se rfugie Assise, chez le peintre valencien Jos Benlliure (18551937). Il obtient lÕanne suivante la prorogation de sa pension romaine dÕune
anne supplmentaire et pouse, au mois de septembre 1888, Clotilde Garca del
16.
17.
18.
19.
20.
Cartas de Sorolla, 15:25 18:10.
Florencio de Santa-Ana, Catlogo de pintura del Museo Sorolla, Madrid, Ministre de la
Culture, 2009, pages 54-55.
Estudio para ÒEl entierro de CristoÓ, 63Õ5x100, Madrid, MS, 1886-1887.
Jess Gutirrez Burn, Exposiciones Nacionales de Bellas Artes, Madrid, Historia 16,
1992, page 22.
Reglamento para la Exposicin Nacional de Bellas Artes, Madrid, Imprenta del Colegio
Nacional de Sordomudos y de ciegos, 1860.
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
40
Castillo, la fille du photographe Antonio Garca y Peris. Cette famille fait partie
de la bourgeoisie commerante de la ville. Sorolla, dont les origines sont
modestes, connat alors une certaine ascension sociale. Le jeune couple vit
quelque temps Assise, avant de regagner dfinitivement lÕEspagne. En quittant
lÕItalie, en juin 1889, Sorolla et son pouse prennent le chemin de Paris ce qui
permet notre peintre de visiter les pavillons nationaux de lÕExposition
Universelle. Il dcouvre sur place les tableaux de ses compatriotes parmi lesquels
figure La visita al hospital de Luis Jimnez Aranda.21 Avec cette toile, le peintre
svillan, alors quasiment inconnu, remporte le Grand Prix de peinture au nez et
la barbe dÕun matre, Francisco Pradilla, qui prsente pourtant La rendicin de
Granada.22 Bien que dÕexcellente facture, ce tableau historique appartient un
genre dpass en France.
Ë Madrid, le signal envoy de Paris a des consquences immdiates sur
lÕExposition Nationale de 1890. Jos Jimnez Aranda, le frre du prcdent,
dcroche une Premire Mdaille avec Una desgracia, un tableau qui met en scne
le sort tragique dÕun maon tomb dÕun chafaudage.23 Aranda choisit un sujet qui
fait cho la tradition nationale. En effet, le Muse du Prado expose dans ses
salles El albail herido, un carton de Goya qui pourrait tre la premire Ïuvre
espagnole du genre.24 Sorolla, quant lui, obtient une Mdaille de Seconde Classe
avec Boulevard de Pars, une scne de vie quotidienne dans la veine du paysage
urbain cultiv par les Impressionnistes franais, notamment Gustave Caillebotte
(1848-1894) et Edgard Degas (1834-1917). Le concours madrilne nÕest pas
coutumier de ce genre de sujet qui doit apparatre, aux yeux du jury, comme un
tmoignage de son admiration pour le voisin franais. Sorolla justifiera plus
tard ce choix en expliquant que lÕeffervescence dÕun boulevard parisien
constituait, selon lui, un sujet rsolument naturaliste : Ç Estudi en Pars; y aquel
tono abigarrado logrado con la policroma del boulevard me hizo concebir tal
cuadro, ya francamente naturalista y al cual procur llevar la vida que vea. È25
21.
22.
23.
24.
25.
La visita al hospital, 291x441, Madrid, Muse National du Prado, 1889.
Francisco Pradilla, La rendicin de Granada, 300x550, Madrid, Palais du Snat, 1882.
Una desgracia, 108x156, Cadix, Collection particulire, 1890.
Francisco de Goya, El albail herido, 268x110, Madrid, Muse National du Prado, 17861787.
Petronio, ÒLos grandes artistas espaoles : Joaqun SorollaÓ, Onuba, Huelva, 30/09/1915.
Ç JÕai travaill Paris ; et cette palette chamarre, fruit de la policromie du boulevard, me
fit concevoir un tel tableau, dj rsolumment naturaliste et dans lequel jÕessayai de
rendre compte de la vie que jÕobservais. È
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
41
Malheureusement, Boulevard de Pars est aujourdÕhui perdu. Il prouve que le
Valencien anticipe alors deux volutions majeures : dÕune part, que les canons
tablis allaient changer et, dÕautre part, que le concours national tait sur le point
de sÕouvrir lÕinfluence du Salon de la Socit des Artistes Franais. Sorolla
entend russir depuis Madrid, et cÕest dans cette ville quÕil vient dÕinstaller sa
famille, au dbut de lÕanne. Plus tard, la presse valencienne lui demandera de
justifier ce choix et il expliquera que Madrid tait la seule ville partir de laquelle
il pouvait prtendre un destin national. Plusieurs raisons ont provoqu la droute
dÕEl entierro de Cristo, ainsi quÕon le verra, et lÕune dÕentre elles tenait
lÕloignement gographique du pensionnaire de lÕAcadmie Espagnole de Rome.
Dans son choix dÕtablir sa famille Madrid, cette mauvaise exprience compte
certainement.
Le genre social nouvellement introduit connat son apoge lors de lÕdition
de 1892 mme si, quatrime centenaire de la Dcouverte de lÕAmrique oblige,
Jos Garnelo (1866-1944) obtient une Mdaille de Premire Classe avec Primer
homenaje a Coln qui est le tableau le plus remarqu de cette dition26. Le
souvenir de la russite dÕAranda a conduit Sorolla adhrer au courant social et il
saisit ainsi lÕopportunit de se dtourner dfinitivement des sujets historiques. Il
prsente donc son premier tableau thseÓ, ÁOtra Margarita!, lÕimage dÕune mre
infanticide conduite sur le lieu de son excution. Avec cette toile ad hoc, il
dcroche vingt-neuf ans une Mdaille de Premire Classe quÕil reoit sans
effusion de joie comme si lÕchec dÕEl entierro de Cristo tait encore bien prsent
dans son esprit. CÕest ce que laisse entendre cette lettre quÕil adresse son pouse
le 1er dcembre : Ç Como ya sabrs se ha confirmado en la votacin en pleno la
primera medalla a mi cuadro ÒMargaritaÓ, de feliz memoria; es la nica que se
aprob por unanimidad; se dan muchos premios, pero eso no vale nada desde el
momento que los premios no hacen buenos pintores (sino lo contrario). Yo como
ya haba consumido la cantidad de deseo de tenerla, lo he recibido sin
impresin. È27 LÕExposition Nationale de 1892 passe la postrit comme
26.
27.
Jos Garnelo, Primer homenaje a Coln, 300x600, Madrid, Muse Naval, 1892.
Blanca Pons-Sorolla et Vctor Lorente Sorolla, Epistolarios de Joaqun Sorolla, III.
Correspondencia con Clotilde Garca del Castillo (1891-1911), Barcelone, Anthropos,
2009, page 54. Ç Comme tu le sais peut-tre dj, la premire mdaille vote en sance
plnire en faveur de mon tableau ÒMargaritaÓ, dÕheureuse mmoire, a t confirme, ce
fut la seule avoir t decerne lÕunanimit ; beaucoup de prix sont distribus, mais cela
ne vaut rien tant donn que les prix ne font pas les bons peintres (bien au contraire).
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
42
lÕdition sociale par excellence car la mme rcompense revient au peintre
madrilne Vicente Cutanda (1850-1925) pour son tableau Una huelga de mineros
en Vizcaya et au Valencien Francisco Javier Amrigo (1842-1912) pour El
derecho de Asilo.28 LÕtat nÕachte pas ÁOtra Margarita! si bien que le Valencien
lÕenvoie lÕExposition Universelle de 1893, qui se tient Chicago, et remporte un
Premier Prix.29 Le maire de Saint Louis, Charles Nagel (1849-1940), en fait
lÕacquisition, ce qui explique que le tableau soit aujourdÕhui conserv outreAtlantique.
En dpit des rcompenses obtenues avec ÁOtra Margarita!, le Valencien
demeure, trente ans, peu connu du grand public espagnol et compltement
inconnu en Europe car il lui manque un premier succs parisien. Cependant, une
coupure de presse de 1894 prouve quÕil est en train de conqurir, dans son pays,
un dbut de notorit. En effet, le caricaturiste succs Ramn Cilla (1859-1937)
croque ses traits pour le journal Blanco y Negro.30 Une autre caricature est publie
le 25 mai 1895 dans le journal satirique Madrid Cmico. Ce comentaire
accompagne le dessin : Ç ÀQu mis retratos no salen baratos? ÁEs natural! ÁPues si
los ms de ellos valen doble que el original! È31 cÕest--dire Ç Mes portraits ne
sont pas abordables ? Cela va de soi ! Puisque la plupart dÕentre eux valent deux
fois lÕoriginal ! È Outre lÕallusion peu flatteuse lÕendroit des riches clients du
peintre, le propos souligne sa ÒcoteÓ leve sur le march madrilne. Son envoi
lÕExposition Nationale comprenait dix portraits de socit, cÕest--dire ceux des
peintres Aurelio Portillo (inc.-inc.) et Jos Moreno Carbonero (1858-1942), de
lÕarchitecte Flix de la Torre Egua (inc.-inc.), Laura Hernndez (inc.-inc.),
Manuel de la Torre (inc.-inc.), Francisco Zablburu (inc.-inc.), Mara del Carmen
Zablburu y Mazarredo (inc.-inc.), Mademoiselle Barrios (inc.-inc.), comtesse de
Santiago, et sa disciple franaise Nicolle Houcelist (inc.-inc).32
28.
29.
30.
31.
32.
Dans mon cas, comme jÕavais consum toute envie de lÕobtenir, je lÕai reu sans aucune
impression. È
Vicente Cutanda, Una huelga de mineros en Vizcaya, 275x550, Madrid, Ministre du
Travail, 1892 et Francisco Javier Amrig, El derecho de Asilo, 340x540, Xrs de la
Frontera, Collge Cervantes, 1892.
Priscilla E. Muller, ÒSorolla y AmricaÓ in Joaqun Sorolla, Londres, Philip Wilson,
1989, pages 55-73.
Ramn Cilla, ÒDoce del CrculoÓ, Blanco y Negro, Madrid, 29/12/1894.
Ramn Cilla, ÒInstantneas. Joaqun SorollaÓ, Madrid Cmico, Madrid, 25/05/1895.
Figure n¡1. Instantans. Joaqun Sorolla (1895).
Blanca Pons-Sorolla, Joaqun Sorolla. Vida y obra, Madrid, Fahah, 2001, page 139.
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
43
Sr de lÕengouement pour le genre social, Sorolla prsente au concours ÁY
an dicen que el pescado es caro!, une toile reprsentant un jeune garon bless
la poitrine, agonisant dans la cale dÕun bateau de pche.33 Alors que les portraits
sont froidement accueillis, il russit nanmoins sÕimposer avec ÁY an dicen que
el pescado es caro!34 LÕtat espagnol en fait, cette fois, lÕacquisition pour la
collection du Muse dÕArt Moderne de Madrid. CÕest le premier et le seul de ses
tableaux rejoindre les collections nationales par une acquisition dÕtat. Pour
lÕoccasion, La Ilustracin Espaola en publie une photogravure en grand
format.35 ÁY an dicen que el pescado es caro! intgre des lments du
naturalisme du Lorrain Jules Bastien-Lepage (1848-1884), un peintre que Sorolla
avait dcouvert en France lors de son premier voyage. Le Franais avait russi
concilier la tradition, quÕil avait apprise dans lÕatelier dÕAlexandre Cabanel (18231889), avec lÕapport des peintres de Òplein airÓ, de lÕcole de Barbizon aux
Impressionnistes. Pour cette raison, le critique espagnol Bernardino de Pantorba
lui donne ce surnom pompeux : Òel armonizadorÓ.36 Dans ses tableaux, les figures
rigoureusement dessine se dcoupent sur un fond de nature champtre cisel de
petites touches de couleurs. Ce compromis entre lÕacadmisme et le naturalisme
ouvre une sorte de Òtroisime voieÓ qui, au cours de la dernire dcennie du
sicle, connat un engouement extraordinaire chez les peintres franais car elle
leur offre la possibilit de sÕaffranchir de la tradition sans toutefois rompre avec
elle. Ils prservent ainsi leurs chances de russir au Salon. Parmi ces peintres, on
peut citer Lon Lhermitte (1844-1925), Alfred-Philippe Roll (1846-1919) Pascal
Adolphe Jean Dagnan-Bouveret (1852-1929), mile Friant (1863-1932), etc.,
auxquels il faut ajouter de trs nombreux peintres trangers comme le Sudois
Hugo
Salmson
(1843-1894),
le
Tchque
Vclav
Bro!k
(1851-1901),
le Britannique George Clausen (1852-1944), ou encore le Hongrois Istvn Csk
(1865-1961) et beaucoup dÕautres.37 Cette peinture champtre, qui retient sur la
toile une France en train de disparatre, puise ses sujets dans le monde paysan, ses
33.
34.
35.
36.
37.
Otra Margarita, 129Õ5x198, Saint Louis (Missouri), Washington Gallery of Art, 1892.
ÁAn dicen que el pescado es caro!, 151x204, Madrid, Muse National du Prado, 1894,
S. C., ÒSorolla y sus retratosÓ, Nuevo Mundo, Madrid, 6/06/1895.
Anonyme, ÒÁAn dicen que el pescado es caro!Ó, La Ilustracin Espaola, Madrid,
22/09/1895.
Bernardino de Pantorba, Joaqun Sorolla, Madrid, Figuras de la Raza n¡20, 1927, page
32.
Emmanuelle Amiot-Saulnier, ÒLÕinfluence de Jules Bastien-Lepage : Un passage vers la
modernitÓ in Jules Bastien-Lepage, Paris, Muse dÕOrsay, 2007, pages 60-69.
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
44
traditions, son mode de vie, ses pratiques religieuses, etc. CÕest sur cette voie que
Sorolla engage sa peinture, de La vuelta de la pesca, en 1894, Sol de la tarde, en
1903.38
Il adapte le courant venu de la terre aux spcificits de la mer en mettant en
scne la vie des pcheurs de Valence. La vuelta de la pesca reprsente le halage
dÕun bateau de pche sur la plage par deux puissants bovins. Pour ce tableau, le
peintre ralise de nombreuses tudes peintes, dont deux de lÕensemble. Il sÕattache
particulirement rendre les lumires naturelles sur la surface de lÕeau et sur la
voile gonfle par le vent. Ce tableau longuement mri est dvoil Paris au Salon
de 1895 dont il est une des Ïuvres majeures. La critique franaise remarque cet
envoi parmi dix-neuf mille cent soixante toiles accroches au Palais de
lÕIndustrie ! Ce chiffre peine croyable donne lui seul une ide de lÕexploit
accompli par lÕEspagnol. Dans Le Figaro, le journaliste Charles Yriarte (18321898) tient le tableau pour le meilleur de lÕexposition. Une partie de son article est
traduite et parat le deux mai dans le journal La Iberia.39 La bonne rception de La
vuelta de la pesca est confirme par la sanction du jury qui lui dcerne une
Mdaille de Seconde Classe aprs lÕavoir pressenti pour une Mdaille de Premire
Classe laquelle il ne peut pas prtendre en tant quÕenvoi non franais.
LÕEspagnol vient dÕobtenir son premier grand succs lÕtranger car le Salon de
la Socit des Artistes Franais est, cette poque, le concours de rfrence.
Par ailleurs, aucun peintre espagnol nÕy a atteint un tel niveau depuis
Federico de Madrazo y Kuntz (1815-1894), qui avait obtenu la mme rcompense
en 1838 avec une peinture dÕhistoire. Luis Bonafoux ne se trompe donc pas en
affirmant : Ç [É] la gran ciudad habla actualmente de Espaa por lo que dej de
hablar en medio siglo. È40 Le journaliste, critique littraire et crivain n en
France, a fond deux journaux Madrid, El Espaol (1882) et El Intransigente
(1892). Il sera correspondant Paris du journal Heraldo de Madrid de 1902
1906. Dans son article, il associe Sorolla lÕcrivain Jos Mara de Heredia
(1842-1905) qui est probablement, cette poque, lÕEspagnol le plus connu dans
la capitale franaise. Comment ne pas mentionner, aussi, le nom de Mariano
38.
39.
40.
Sol de la tarde, 294x435, New York, HSA, 1903.
La vuelta de la pesca, 265x325, Paris, Muse dÕOrsay, 1894.
Charles Yriarte, Le Figaro et ÒUn cuadro de SorollaÓ, La Iberia, Madrid, 2/05/1895.
Luis Bonafoux, ÒSorolla-HerediaÓ, Heraldo de Madrid, Madrid, 2/06/1895. Ç La grande
ville parle actuellement de lÕEspagne pour tout ce quÕelle nÕen a rien dit depuis un demi
sicle. È
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
45
Fortuny y Marsal (1838-1874) qui, sans jamais participer au Salon, avait t le
dernier peintre espagnol avoir ÒconquisÓ le march parisien, dans la France du
Second Empire. Artiste virtuose, Fortuny y vend quantit de toiles. Il faut ajouter,
avant de poursuivre que, non seulement lÕtat franais fait lÕacquisition du tableau
rcompens, mais quÕil sÕagit, de surcrot, de la premire Ïuvre espagnole entrer
ainsi dans les collections du Muse du Luxembourg, le premier muse des artistes
vivants.41 Il a rejoint depuis les salles du Muse dÕOrsay o il est un des rares
tableaux espagnols accrochs parmi lÕexposition permanente. LÕactuel catalogue
des peintures espagnoles de ce muse compte trente-neuf tableaux de vingt-et-un
peintres : Hermen Anglada-Camarasa (1871-1959), Federico Beltrn (1885-1949),
Jos Benlliure Ortiz (1884-1916), Aureliano de Beruete (1845-1912), Juan
Cardona (1877-1957), Mariano Fortuny y Madrazo (1871-1949), Leandro Ramn
Garrido (1868-1909), Sebastin Gessa y Arias (1840-1915), Manuel Gonzlez
Mndez (1843-1909), Francisco Iturrino (1864-1924), Antonio de La Gandara
(1861-1917), Eugenio Lucas y Villamil (1841-1920), Enrique Mlida y Alinari
(1834-1892), Francisco Oller y Cestero (1833-1917), Andrs Parlad y Heredia
(1859-1933), Pablo Picasso (1881-1973), Santiago Rusiol (1861-1931), Joaqun
Sorolla, Pablo de Uranga (1861-1934), Daniel Vierge (1851-1904) et Ignacio
Zuloaga (1870-1945).42 Comme une consquence logique de sa russite
parisienne, la collection de presse du Muse Sorolla rend compte de la perce du
Valencien dans lÕespace mdiatique puisque lÕanne 1895 est le point de dpart de
la premire phase de haute intensit critique.
Dans ce quÕil convient dÕappeler sa Òpeinture concoursÓ, La vuelta de la
pesca marque un changement de cap par rapport la priode coule. Si, jusquel, celle-ci sÕest prudemment ajuste aux critres du jury de lÕExposition
Nationale, ce nÕest plus le cas de cette scne de mer baigne de lumire. En
revanche, elle peut lui ouvrir les portes dÕun concours moins conservateur comme
lÕest le Salon parisien qui tait organis depuis 1881 par la Socit des Artistes
Franais. LÕassociation avait t fonde par le rpublicain Jules Ferry (1832-1893)
41.
42.
Archives Nationales F21/4341. La base Arcade retrace la gense et l'histoire des Ïuvres
d'art, acquises, commandes ou gres par l'tat franais et les collectivits territoriales
entre 1800 et 1969. Elle est librement accessible lÕadresse suivante :
http://www.culture.gouv.fr/documentation/arcade/pres.htm.
Annabelle Mathias, ÒCatalogue des peintures espagnoles du Muse dÕOrsayÓ in
LÕEspagne entre deux sicles de Zuloaga Picasso de Zuloaga Picasso, Paris,
Fundacin Mapfre & Muse de lÕOrangerie, 2011, pages 135-149.
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
46
pour perptuer, sur un principe dÕouverture, lÕancien Salon de lÕAcadmie des
Beaux-Arts. Elle tait compose dÕartistes admis au moins une fois au concours
et, depuis 1891, son prsident est Lon Bonnat (1833-1922). En prenant le chemin
de lÕEurope, Sorolla affiche une ambition nouvelle, mais il risque en mme temps
de perdre pied en Espagne. Et cÕest ce qui advient puisque, sÕil sÕimpose comme
un matre incontournable dans les Salons europens, il renoue avec lÕchec dans
son pays en 1897 et en 1899.
La vuelta de la pesca est suivie dÕune srie marine dont tous les sujets sont
puiss dans le monde de la pche. Pescadores valencianos (1895), La bendicin
de la barca (1895) et Cosiendo la vela (1896) lui offrent cinq mdailles Paris,
Berlin, Venise, Munich et Vienne. Avec ces trois tableaux, Sorolla conquiert une
stature europenne. Avec le dernier, Cosiendo la vela, il russit Berlin, en 1897
puis Vienne, en 1898, aprs quoi un muse de Venise en fait lÕacquisition.43 Les
reflets de la lumire solaire sur une voile ravaude par un groupe de pcheurs
constitue le sujet principal de ce tableau minemment technique qui puise aux
sources de lÕImpressionnisme franais et des Macchiaolis italiens. Mais le tableau
ne plat pas en Espagne et est mme froidement accueilli, comme on le verra par
la suite. Ë Paris, Sorolla se fait connatre comme un peintre de la plage et il y est
plus prcisment associ une scne de halage dÕun bateau de pche quÕil dcline
dans plusieurs versions. LÕcrivain Po Baroja rapporte dans ses mmoires quÕun
peintre basque tabli Paris lui avait demand un jour le nom de ce peintre qui ne
peignait, disait-il, que des bÏufs.44
Pour briller nouveau Madrid, Sorolla renoue une dernire fois avec une
peinture du tragique, dÕinspiration littraire, dans un tableau intitul Triste
herencia. LÕExposition Nationale de 1899 est imprgne par le profond sentiment
dÕabattement qui suit la fin de la Guerre de Cuba de laquelle lÕEspagne sort
perdante et humillie. Le peintre se conforme contrecÏur la noirceur de cette
poque, ainsi quÕil le reconnatra plus tard :
Hemos tenido en la pintura una poca que pudiramos designar con el nombre de
pica, en la que todos nos dedicbamos casi exclusivamente a enterrar Reyes. Vino
despus una sana corriente de naturalismo: el placer de vivirÉ Pero vino amargada
43.
44.
Cosiendo la vela, 220x302, Venise, Muse dÕArt Moderne CaÕPesaro, 1896.
Po Baroja, Desde la ltima vuelta del camino: memorias. IV. Galera de tipos de la
poca, Madrid, Biblioteca Nueva, 1982, pages 253-258.
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
47
por una oleada literaria negra [É] Esa manera pesimista de la literatura invadi
tambin el campo de mi arte.45
Sur la plage de Valence, il a observ les jeunes pensionnaires de lÕHpital
San Juan de Dios. Ces enfants infirmes, aveugles ou boiteux, sortent le soir
lÕheure de leur bain de mer quotidien. Aprs avoir excut quelques pochades du
groupe, il tente dÕexploiter cette scne poignante en lui ajoutant une dimension
dramatique. La composition reoit dÕabord un titre difiant, Los hijos del placer,
qui devient par la suite Triste herencia. Sur la toile, les corps blancs et chtifs se
dtachent lugubrement sur un fond de mer sombre et menaant. Avec ce tableau,
qui fait la synthse entre les deux genres avec lesquels il avait triomph en
Espagne et lÕtranger, il obtient conscutivement les deux principales
rcompenses de sa carrire, cÕest--dire le Grand Prix de lÕExposition Universelle,
en 1900, puis la Mdaille dÕHonneur dcerne par le jury de lÕExposition
Nationale espagnole, en 1901. Cette dernire rcompense marque la fin de son
parcours acadmique mme si, aprs cette date, quelques-uns de ses tableaux
continuent figurer, titre honorifique, dans de prestigieuses expositions
internationales comme le Salon franais, jusquÕen 1909.
Au cours de la priode que lÕon vient de parcourir, la peinture de Sorolla
pouse les contours de ces ÒtendancesÓ en vogue dans les concours des BeauxArts organiss Madrid, Paris, Vienne, Berlin, Venise, etc. LÕEspagnol triomphe
dÕabord avec la peinture thse, dont il comprend temps lÕintrt quÕelle va
veiller dans son pays ; mais il parvient ensuite se fondre dans un courant
naturaliste plus en accord avec ses qualits de coloriste, qui lui permet de russir
lÕtranger. Cependant, cette peinture lumineuse et dynamique quÕil labore
partir de La vuelta de la pesca ne lui offre pas le moindre prix en Espagne ! Ironie
du sort, les observateurs franais reconnaissent dans ses tableaux lÕatmosphre
chaude et envotante de sa terre natale que lui saurait exalter mieux que personne.
Mais en Espagne, aux Expositions Nationales de 1897 et de 1899, cette peinture
45.
Francisco Martn Caballero, ÒHablando con D. Joaqun Sorolla en su estudioÓ, La
Correspondencia de Valencia, Valence, 11/09/1913. Ç Nous avons eu, en peinture, une
poque que nous pourrions qualifier dÕpique, durant laquelle nous nous consacrions tous
presque exclusivement enterrer des rois. Puis vint ensuite un sain courant de
naturalisme : le plaisir de vivreÉ bientt altr par une vague littraire noire [É] Ce
courant pessimiste de la littrature gagna aussi mon domaine artistique. È
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
48
ne lui permet pas de dcrocher la Mdaille dÕHonneur, le seul prix qui lui manque
alors.
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
49
I.2. LÕAFFAIRE DE LA MDAILLE DÕHONNEUR
La fortune artistique de Sorolla varie dÕune aire gographique lÕautre dans
la mesure o il russit en Espagne et lÕtranger avec deux genres diffrents. On
vient de voir que, sÕil triomphe dans son pays avec une peinture dÕatelier encore
trs acadmique, il conquiert des prix hors de ses frontires avec une peinture de
Òplein airÓ qui sÕinspire dÕun modle forg par Jules Bastien-Lepage et repris par
des peintres de toute lÕEurope. On cherchera ici comprendre cette diffrence et
expliquer pourquoi, Madrid, le jury de lÕExposition Nationale refuse de lui
dcerner la Mdaille dÕHonneur aux ditions de 1897 et de 1899.
Dans un discours rdig vers la fin de sa vie, Sorolla fait tat des querelles
esthtiques qui divisaient lÕpoque les professeurs de lÕcole des Beaux-Arts de
San Carlos o il tait lui-mme lve, cÕest--dire de 1878 1884. Il cite dans ce
texte deux peintres valenciens adeptes du pleinairisme franais, Antonio Muoz
Degrain et Francisco Domingo Marqus (1842-1920), ainsi que trois professeurs
de lÕcole, le peintre Gonzalo Salv Simbor (1845-1923), quÕil oppose deux
dfenseurs du Classicisme, le graveur Ricardo Franch y Mira (1839-1897) et le
sculpteur Felipe Farins y Tortosa (1826-1888) :
D. Ricardo Franch y D. Felipe Farins eran almas ponderadas que encarecan la
importancia del dibujo; pero D. Gonzalo Salv, conocedor del momento artstico,
lleno de anhelos luminosos, nos dejaba libres, animndonos siempre a copiar la
naturaleza con visin realista. [É] Sabamos que Salv era amigo de Muoz
Degrain y de Domingo, y, debido al trato frecuente de estos artistas, daba primaca a
la expansin colorista de los discpulos de aquella escuela, en la que, en lucha
interior, venci el color al dibujo, a pesar de los esfuerzos hechos por Franch y
Farins en contra de esta tendencia.46
46.
Homenaje a la Gloriosa Memoria del Excm. Don Joaqun Sorolla, Acadmico electo.
Discursos ledos en la Sesin Pblica el da 2 de febrero de 1924 Ð Real Academia de
San Fernando Ð Madrid, Mateu Artes Grficas, 1924, page 11. Ç Ricardo Franch et Felipe
Farins taient deux mes pondres qui accordaient une importance suprieure au
dessin ; mais Gonzalo Salv, au fait du moment artistique, pris de lumire, nous laissait
libres et nous encourageait toujours copier la nature depuis un point de vue raliste. [É]
Nous savions que Salv tait un ami de Muoz Degrain et de Domingo, et, en raison de
ses contacts frquents avec ces artistes, il laissait libre cours aux panchements coloristes
des disciples de cette cole, au sein de laquelle, dans une lutte intrieure, la couleur
terrassa le dessin, en dpit des efforts dploys par Franch et Farins contre cette
tendance. È
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
50
Sorolla affirme son penchant pour la couleur ds ses jeunes annes, au
risque de contrevenir aux canons tablis. En 1886, la majeure partie des travaux
quÕil fait parvenir Valence en change de sa pension romaine est rejete par
lÕAcadmie de San Carlos. Seuls deux des six dessins compris dans son envoi
sont jugs recevables et le reste est qualifi de Ç [É] graciosos apuntes muy
propios para la cartera de un artista pero en manera alguna bastante serios cuando
se los considera como envo de un pensionado. È47 La seule peinture comprise
dans son envoi, Una mujer desnuda, est un nu de facture trs libre et, surtout, non
idalis. Ce tableau rappelle le naturalisme de deux peintres franais, le Franccomtois Gustave Courbet (1819-1877) et le Parisien douard Manet (1832-1883),
dont Sorolla a peut-tre dcouvert quelques tableaux Paris lÕanne prcdente.48
La touche, courte et nerveuse, gomme efficacement les lignes du dessin
prparatoire. Le volume du corps est model dans des nuances de gris, de bleus et
de verts ples. Le triomphe de la couleur sur le dessin est signifi allgoriquement
par la palette dpose au pied du modle, qui occupe tout le tiers droit de la
composition. Il sÕagit, en Espagne, dÕun dbat ancien puisque Francisco Pacheco
(1564-1644) en fait tat dans son Trait de la peinture lorsquÕil relate sa rencontre
avec Le Greco en 1611 Tolde.49 De ce nu, le rapport acadmique conserv aux
archives du Conseil Gnral de la province de Valence prcise :
No puede aprobarlo la Academia porque no se revelan en esta obra las dotes que ha
tenido la satisfaccin de alabar en las dems [É] y porque se nota en l bien patente
la tendencia a un grosero realismo que aumenta los reparos opuestos por la decencia
a la completa desnudez de la figura humana, sobre todo en el sexo en que son ms
50
imperiosos el recato y el pudor.
47.
48.
49.
50.
Document dat du 18/04/1886, in Joaqun Sorolla. Exposiciones conmemorativas de las
pensiones de Bellas Artes de la Diputacin Provincial, Valence, Diputacin Provincial de
Valencia, 1965, page 13.
Una mujer desnuda, 88x168, Valence, Conseil Gnral de Valence, 1885.
Francisco Pacheco, Arte de la Pintura. Su antigedad y su grandeza, Sville, Simn
Fajardo, 1649.
Joaqun Sorolla. Exposiciones conmemorativasÉ page 14. Ç LÕAcadmie ne peut pas le
valider car les qualits quÕelle a eu la satisfaction de louer dans dÕautres Ïuvres ne se
rvlent pas ici [É] et parce quÕon y observe trs clairement un flchissement vers un
grossier ralisme qui augmente nos objections au nom de la dcence de la nudit
complte du corps humain, surtout lÕendroit du sexe, o la rserve et la pudeur sont
indispensables. È
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
51
LÕaversion de ces professeurs pour le ÒralismeÓ de la reprsentation rend
compte des barrires morales qui ont cours dans la socit de la Restauration. En
effet, lÕimplantation dÕun rgime conservateur a renforc la prdominance de
lÕEglise, notamment en matire dÕducation. LÕanne suivante, le jeune homme
choue lÕExposition Nationale de 1887 avec El entierro de Cristo, un grand
format peint Rome. Il confiera plus tard, avec une pointe dÕironie amre, que
son tableau ne plut personne sauf au chef du parti conservateur, Antonio
Cnovas del Castillo (1828-1897), un admirateur de ce classicisme qui fut
prcisment pour lui un carcan insupportable : Ç Mi pobre Entierro de Cristo fue
un fracaso, a nadie gust, a nadieÉ menos a Cnovas, que tuvo para mi cuadro
una frase suyaÉ È51
Selon le quotidien rpublicain El Pas, ce revers met davantage en vidence
son manque dÕappui au sein du jury du concours que la facture du tableau. Selon
Lucius, lÕauteur de lÕarticle, le jury est alors majoritairement ÒvilleguisteÓ, cÕest-dire partisan du peintre Jos Villegas Cordero (1844-1921). Ce rival de Francisco
Pradilla est alors au sommet de sa renomme. Or, cette poque, Sorolla est
pensionnaire de lÕAcadmie Espagnole de Rome dont le directeur est justement,
depuis 1881, Francisco Pradilla. Pour Lucius, cÕest la rivalit entre les deux
matres qui aurait provoqu lÕchec de Sorolla.52 Amer, Pradilla adresse une lettre
ouverte son disciple, en commenant par ces mots :
Hoy me explico por qu se senta V. necesitado de recomendacin!! Lo que no
acierto a explicarme an admitiendo grandisimos errores en su ÒCalvarioÓ como se
ha atrevido a desconocer sus bellezas y sus promesas un jurado que ha coronado las
mayores aberraciones!!!!
53
Cette lettre date du 12 juin 1887 parat en premire page du journal La
Regencia, quelques jours plus tard. Le Valencien est donc confront au moins
deux formes de rsistance, dÕune part, au conservatisme dÕune partie de
51.
52.
53.
Ceferino Palencia Tubau, ÒJoaqun SorollaÓ, La Tribuna, Madrid, 3/07/1912. Ç Mon
pauvre Enterrement du Christ fut un chec et il nÕa plu personneÉ sauf Cnovas, qui
a eu pour mon tableau une phrase bien luiÉ È
Lucius, ÒNuestros artistas en RomaÓ, El Pas, Madrid, 10/07/1887.
Francisco Pradilla, ÒCarta abiertaÓ, La Regencia, Madrid, 27/06/1887. Ç Je mÕexplique
aujourdÕhui pourquoi vous pensiez avoir besoin dÕun appui ! Ce que je ne parviens pas
mÕexpliquer, mme en reconnaissant de grandes erreurs dans votre ÒCalvaireÓ, cÕest
comment un jury qui a rcompens les pires aberrations a os en ignor les beauts et les
promesses. È
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
52
lÕAcadmie de San Carlos et, dÕautre part, aux manÏuvres et aux rapports
dÕinfluence propres lÕExposition Nationale. Il faut prciser que le systme
politique de la Restauration est lui mme vici par des pratiques clientlistes et
antidmocratiques. En 1885, la mort dÕAlphonse XII, les chefs respectifs des
partis conservateur et libral, Antonio Cnovas del Castillo (1828-1897) et
Prxedes Mateo Sagasta (1825-1903), chafaudent un plan dÕalternance politique
rgle, qui repose sur le clientlisme et la fraude lectorale. Cette entente, qui
carte du pouvoir les autres forces politiques Ð rpublicains, socialistes et carlistes
Ð prvaudra jusquÕen 1923. De mme, au sommet de ce concours dÕtat,
lÕlection des membres du jury, lÕadmission des tableaux comme lÕattribution des
prix nÕchappent pas aux influences et aux machinations en tout genre. Sur ce
dernier point, El Diario de Barcelona affirmait en 1890 : Ç [É] en el ltimo
certamen el reparto de premios fue cosa de compadres y comadres, algo parecido
a las meriendas de los Carabancheles, y quien ms empujo ms obtuvo. È54
Ë lÕvidence, Sorolla ne peut pas se soustraire compltement ce systme
et ces pratiques clientlistes sans risquer dÕanantir son avenir. Mais cette
contrainte nÕexplique-t-elle pas, au moins partiellement, quÕil participe si tt des
expositions hors des frontires de son pays dÕorigine ? En effet, bien quÕil
prsente chaque anne des nouveaux tableaux Madrid, il envoie des ralisations
vers des Salons trangers ds 1891. Ë cette poque, il ne possde quasiment
aucune rfrence nationale hormis la Seconde Mdaille enleve en 1884 avec El
dos de mayo. Toutefois, malgr son manque dÕexprience et de rfrences, il
parvient rivaliser avec les meilleurs peintres trangers Paris, Berlin, Munich,
Venise, Vienne, etc. o, leur contact, son esthtique se dsolidarise
progressivement du canon espagnol. Elle sÕenrichit et, dÕune certaine manire, se
modernise en assimilant les techniques et les courants les plus rcents. Sorolla
labore une peinture de plein air, lumineuse et dynamique, qui lui offre de
nombreux succs lÕextrieur mais quÕil ne parvient pas faire triompher
Madrid.
Ë ce titre, le sort rserv son tableau Cosiendo la vela, une scne de
pcheurs mise en lumire la manire de Renoir, est loquent. Cette peinture
54.
Anonyme, Òtitre inconnuÓ, El Diario de Barcelona, Barcelone, 1890. Ç Lors du dernier
concours, la distribution des prix fut un jeu de copains et de coquins, une chose semblable
aux goters de Carabanchel, car celui qui poussa le plus fort obtint plus que les autres. È
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
53
conquiert les premiers prix Vienne et Munich, en 1897 et 1898, avant de
rejoindre les collections du Muse dÕArt Moderne de la ville de Venise. Mais
lÕanne suivante, Madrid, elle ne dcroche pas la rcompense escompte. Dans
La Ilustracin Espaola y Americana, la principale revue dÕinformation illustre,
lÕhistorien et archologue Jos Ramn Mlida (1856-1933) tente dÕexpliquer ce
paradoxe de la faon suivante : Ç En suma es demasiado valiente y demasiado
tcnico ese gnero de pintura para la masa comn del pblico espaol. En el Saln
de Pars del pasado ao gust mucho, y se comprende, porque cuadros de esta
tendencia son all muy corrientes. È55 Un tel jugement tmoigne du dcalage de
lÕEspagne sur sa voisine. Alors, si Sorolla porte haut les couleurs de lÕEspagne en
dehors de ses frontires entre 1890 et 1900, cÕest au prix dÕune forme de
transgression du modle acadmique espagnol. Tandis que sa peinture perce dans
les capitales trangres, elle implique Madrid une rupture trop brutale avec la
priode coule. Cela explique, au moins en partie, quÕaux Expositions Nationales
de 1897 et de 1899, les jurys successifs lui refusent obstinment la Mdaille
dÕHonneur. On doit rappeler ici lÕinfluence de la famille Madrazo sur lÕensemble
du systme des Beaux-Arts. Les Madrazo sont une dynastie dÕartistes
acadmiques dont les membres les plus minents occupent des positions cls tout
au long du XIXe sicle. Jos de Madrazo (1781-1859), le patriarche, avait t
lÕlve du Franais Jacques Louis David (1748-1825). Il importa le classicisme en
Espagne et occupa des charges importantes la cour et dans les principales
institutions officielles. Un de ses fils, le peintre Federico de Madrazo y Kuntz
(1815-1894), est lÕhomme le plus influent de sa gnration. Il est constamment
rlu la tte de lÕAcadmie des Beaux-Arts de San Fernando de 1866 1893, et
sige rgulirement au sein du jury de lÕExposition Nationale. Son frre Luis
(1825-1897) est galement membre de ce jury en 1881, 1884, 1887 et 1892.56
Enfin il faut prciser, avant de poursuivre, que les deux dernires ditions de
lÕExposition Nationale du XIXe sicle sont organises sous les mandats de deux
chefs du gouvernement conservateurs, Antonio Cnovas del Castillo, assassin en
aot 1897, et Francisco Silvela (1843-1905). On se demandera alors, dans la suite
55.
56.
Jos Ramn Mlida, ÒLa Exposicin Nacional de Bellas ArtesÓ, La Illustracin Espaola
y Americana, Madrid, 22/05/1899. Ç Au bout du compte, ce genre de peinture est trop
audacieuse et technique pour la majeure partie du public espagnol. Au Salon de Paris de
lÕanne passe il plut beaucoup, et cela se comprend, car des tableaux de cette tendance y
sont trs frquents. È
El mundo de los Madrazo, Madrid, Comunidad de Madrid, 2007, pages 332-333.
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
54
de ce chapitre, si des critres non artistiques et lis au contexte politique, nÕont
pas contribu provoquer ce double chec de Sorolla.
Ds la premire dition de lÕExposition Nationale, qui remonte 1856,
lÕarticle VI du rglement prvoit la possibilit de distinguer une Ïuvre
exceptionnelle par une Mdaille dÕHonneur, un prix suprieur tous les autres
cÕest--dire aux mdailles de premire, deuxime et troisime classe ainsi quÕaux
mentions. En dehors de cette hirarchie de prix, des dcorations civiles peuvent
galement tre remises. La Mdaille dÕHonneur serait dcerne par un collge
extraordinaire form par les jurys des trois sections runies, cÕest--dire celles de
Peinture, Sculpture et Architecture.57 Depuis la cration du concours en 1854, la
plus haute distinction espagnole a t remise trois artistes : un peintre, un
architecte et un sculpteur. Francisco Pradilla lÕavait obtenue lÕissue de
lÕExposition Nationale de 1878, pour son tableau historique Doa Juana la Loca.
LÕarchitecte Juan de Madrazo y Kuntz (1829-1880) lÕavait reue titre posthume
en 1881 pour lÕensemble de son Ïuvre. Enfin, elle a t attribue au sculpteur
Mariano Benlliure (1862-1947) en 1895, pour sa statue de lÕcrivain basque
Antonio Trueba (1819-1889) inaugure la mme anne Bilbao. Dans la premire
grande tude consacre lÕExposition Nationale espagnole, Bernardino de
Pantorba rappelle que lÕattribution dÕune rcompense aussi convoite ne se fit pas
toujours sans heurts.58 En 1881, lÕinfluence de Federico de Madrazo, le directeur
de lÕAcadmie de San Fernando, changea le sens du scrutin en faveur de son plus
jeune frre Juan, qui venait de mourir. LÕchec du peintre Jos Casado del Alisal
(1832-1886) souleva une polmique qui eut des rpercussions jusquÕau parlement.
Car le dput rpublicain Emilio Castelar (1832-1899) demanda lÕtat dÕacheter
La leyenda del rey Monje, le tableau prsent par Casado del Alisal et obtint
finalement gain de cause.59 On verra que dans le cas de Sorolla, la conqute de la
Mdaille dÕHonneur est la fois lente et complique. Jalonne de
rebondissements et de polmiques, elle prendra la tournure dÕune affaire dÕtat et
sera mme lÕorigine dÕune importante rforme du concours.
57.
58.
59.
Reglamento para las Exposiciones de Bellas Artes, Madrid, Imprenta del Colegio
Nacional de Sordomudos y de ciegos, 1897.
Bernardino de Pantorba, Historia y crtica de las Exposiciones de Bellas Artes celebradas
en Espaa, Madrid, Jess Ramn Garca Rama, 1980, pages 34-35.
La leyenda del rey Monje, 356x474, Madrid, Muse National du Prado, 1880.
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
55
Ë partir de 1897, Sorolla ne peut donc plus prtendre quÕ la Mdaille
dÕHonneur car il a dj remport deux Mdailles de Premire Classe. Deux ans
auparavant, le sculpteur Mariano Benlliure a obtenu la Mdaille dÕHonneur de
sorte que, exalt par ce triomphe dÕun Valencien, lÕcrivain Vicente Blasco Ibez
rclame la rcompense pour son autre compatriote.
Pero a Sorolla an le faltan aqu en Espaa grados que ganar. Tiene todas las
medallas; es teniente general del arte, pero le falta el ltimo entorchado, el de
capitn general, el que se da por mritos excepcionales: la medalla de honor, que
hasta ahora slo la han alcanzado Pradilla y Mariano Benlliure, y a la que con
justicia aspira Sorolla.
60
Blasco oublie sans doute volontairement de citer Juan de Madrazo dont le
prix avait t demand et obtenu par les dirigeants conservateurs. Ë la fin du mois
de mars 1897, le jury prsid par Rafael Conde y Luque (1835- 1922), snateur
conservateur de Cordoue, procde pour la premire fois un vote pour attribuer la
Mdaille dÕHonneur Sorolla. Il prsente onze tableaux qui rvlent plusieurs
facettes de son Ïuvre : le ralisme social, Trata de blancas ; le paysage, El cabo
de San Antonio ; le naturalisme lepagien, Ordeando la cabra et La parra, ainsi
que des portraits individuels et de groupe : Mis chicos, La Pepiya, Mara
Guerrero, Amalia Romea, Luis Simarro Lacabra, Seora de Simarro et Una
investigacin peint dans le laboratoire madrilne du docteur Simarro.61 Entour de
ses confrres, le scientifique manipule des chantillons sous une lumire
artificielle qui enveloppe la scne dans une atmosphre orange. Ce tableau
rappelle le portrait du scientifique franais Louis Pasteur (1822-1895) par le
peintre finlandais Albert Edelfelt (1854-1905).62 Pasteur est reprsent en plein
travail, dans son laboratoire de la rue dÕUlm o il met au point le vaccin anti-
60.
61.
62.
Vicente Blasco Ibez, ÒCrnica artstica. SorollaÓ, El Pueblo, Valence, 5/06/1897.
Ç Mais ici, en Espagne, il reste encore Sorolla quelques grades conqurir. Il a toutes
les mdailles; il est gnral en chef de lÕart, mais il lui manque le dernier galon, celui de
marchal, celui qui rcompense des mrites exceptionnels: la mdaille dÕhonneur, que
seuls Pradilla et Mariano Benlliure ont obtenu jusquÕ maintenant, et laquelle Sorolla
aspire en toute justice. È
Trata de blancas, 166Õ5x165, Madrid, MS, 1894. El cabo de San Antonio. Ordeando la
cabra. La parra. Mis chicos, 140x228, Madrid, MS, 1897. La Pepiya. Mara Guerrero,
131x120Õ5, Madrid, Muse National du Prado, 1897-1906. Amalia Romea, 107Õ5x150Õ5,
Collection particulire, 1897.
Albert Edelfelt, Louis Pasteur, 154x126, Paris, Muse dÕOrsay, 1885.
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
56
rabique. Au Salon de 1886, le jeune peintre sÕtait vu remettre la Lgion
dÕHonneur pour ce tableau.
Lors de lÕExposition Nationale de 1897, le jury comprend quatre sections,
Peinture, Scultpure, Architecture et, pour la premire fois, Arts dcoratifs. Le
Valencien nÕest pas le seul candidat la rcompense. La concurrence du sculpteur
catalan Agustn Querol (1860-1909) rduit de facto les chances de ces deux
candidats de mme ge et de valeur gale. Le sculpteur form Barcelone a
effectu un parcours similaire celui de Sorolla. Ensemble, ils ont t
pensionnaires de lÕAcadmie Espagnole de Rome avant de regagner Madrid la
mme anne, en 1890. Sept ans plus tard, leurs palmars sont comparables. Car
mme si Sorolla a connu une russite internationale suprieure celle de Querol,
ce dernier a reu davantage de commandes publiques, Madrid. Il ralisa, par
exemple, le groupe monumental La gloria y los pegasos qui surplombe la faade
de lÕancien Ministre de lÕconomie qui abrite aujourdÕhui le Ministre de
lÕAgriculture. Paradoxalement, cÕest sans doute la qualit mme des deux
candidats qui conduit six des seize jurs, dont Francisco Pradilla et Mariano
Benlliure, ne pas attribuer la Mdaille dÕHonneur. Toute la section de Peinture,
lÕexception de Modesto Urgell (1839-1919), vote pour Sorolla. Il rcolte donc
six suffrages mais nÕen obtient aucun des sections de Sculpture et dÕArchitecture.
Querol runit quatre voix seulement, de sorte que la rcompense nÕest pas
attribue cette anne-l. Le rapport du jury conserv aujourdÕhui dans les
Archives Gnrales de lÕAdministration Alcal de Henares fait apparatre la
mention Ç desierta È.63
Le 19 mai 1899, un autre jury extraordinaire prsid par Eduardo de
Hinojosa lui refuse derechef cette rcompense, malgr une stricte galit des voix
pour et contre ! Parmi les dix-huit jurs, Sorolla rcolte neuf suffrages. Ceux
dÕAgustn Querol (1860-1909) et de Miguel Blay (1866-1936) pour la section de
Sculpture, celui de Lorenzo çlvarez Capra (1848-1901) pour la section
dÕArchitecture, ainsi que ceux de toute la section de Peinture lÕexception de
Manuel Domnguez (1840-1906) et de Salvador Martnez Cubells (1842-1914).64
63.
64.
AGA EC. 31/6836.
Membres du jury par section : Eduardo de Hinojosa (prsident), Juan Facundo Riao
(vice-prsident), Fernando Arbs (secrtaire). Peinture : Salvador Martnez Cubells,
Alejandro Ferrant, Manuel Villegas, Manuel Domnguez Snchez, Eduardo Pelayo,
Manuel Ramrez et Marceliano Santa Mara. Scultpure : Cipriano Folgueras, Miguel
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
57
Il faut noter que le fils de ce dernier, Enrique, deviendra un des plus fervents
admirateurs du Valencien et que, ironie du sort, notre peintre sera lu en 1914
membre de lÕAcadmie des Beaux-Arts de San Fernando sur le sige vacant du
pre dont il fera lÕloge dans un discours.65 Les autres peintres, Alejandro Ferrant
(1843-1917), Eduardo Fernndez Pelayo (1850-1901), Manuel Ramrez Ibnez
(1856-1925), Marceliano Santa Mara (1866-1952) et Manuel Villegas Brieva
(1871-1923) votent en faveur du Valencien.66 Le vote dfavorable du prsident du
jury, Eduardo de Hinojosa y Naveros (1852-1919), provoque lÕgalit des
suffrages. Ce membre du parti conservateur occupe alors la Direction Gnrale de
lÕInstruction Publique au sein du gouvernement Silvela. Un rsultat nul est
synonyme de nouvel chec pour Sorolla car, dans ce cas de figure, lÕarticle
XXXVII du rglement stipule : Ç Para premiar una obra ser preciso el voto
favorable de la mitad ms uno de los individuos del jurado È.67 Ë nouveau,
Sorolla repart sans la Mdaille dÕHonneur, qui nÕest pas attribue. Mais cette fois,
les jurs lui dcernent lÕunanimit la Grande Croix de Chevalier de lÕOrdre
dÕIsabelle la Catholique, une distinction cense compenser lÕeffet produit par ce
deuxime chec. Le peintre est abattu, ainsi que lÕatteste une lettre envoye son
ami Pedro Gil : Ç [É] yo he sufrido mucho moral y fsicamente; moral por la
mala fe de mis colegas negndome nuevamente la medalla de honor, y lo segundo
pues todos pasamos la gripe [É] È68
Dans la presse dÕopposition, la nouvelle du rsultat provoque un
mouvement dÕindignation et de protestation, dont lÕarticle de Vicente Sanchs y
65.
66.
67.
68.
Blay, Agustn Querol, çngel Avils et Eduardo Barrn. Architecture : Lorenzo çlvarez
Capra, Eduardo de Adaro, Jos Arija et Luis Sinz. Francisco Alcntara (journaliste) et
Enrique Amar (galeriste). Une photographie de ce jury a t publi le 13 mai 1899 en
page 5 du journal madrilne ABC.
Homenaje a la Gloriosa Memoria del Excm. Don Joaqun Sorolla, Acadmico electo.
Discursos ledos en la Sesin Pblica el da 2 de febrero de 1924. Real Academia de San
Fernando, Madrid, Mateu Artes Grficas, 1924.
Jess Gutirrez Burn, ÒSorolla y las Exposiciones Nacionales de Bellas ArtesÓ in
Conocer el Museo Sorolla. 10 aportaciones a su estudio, Madrid, Ministerio de Cultura,
1986, pages 13-19.
Reglamento para las Exposiciones de Bellas Artes, Madrid, Imprenta del Colegio
Nacional de Sordomudos y de ciegos, 1897. Ç Pour rcompenser une Ïuvre, les suffrages
favorables de la moiti du jury plus une voix, seront ncessaires. È
Facundo Toms, Felipe Garn, Isabel Justo et Sofa Barrn, Epistolarios de Joaqun
Sorolla, I. Correspondencia con Pedro Gil Moreno de Mora, Barcelone, Anthropos,
2007, page 369. Ç JÕai beaucoup souffert sur les plans moral et physique ; moral cause
de la mauvaise foi de mes collgues qui mÕont nouveau refus la mdaille dÕhonneur, et
ensuite parce que nous avons tous la grippe. È
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
58
Guilln (1849-1907), alias Miss-Teriosa, ÒEl fallo del JuradoÓ offre un bon
exemple :
No puede prevalecer un acuerdo como el que, con detalles que me resisto a
reproducir, sirve de pretexto para realizar una incalificable injusticia. Por el decoro
del arte nacional, es preciso que se anule la votacin, que revoten algunos
ÒvacilantesÓ jurados que votaron en contra, que recobre su imperio el que ha venido
a ser el menos comn de todos los sentidos, y que no demos ocasin a los
extranjeros para que nos califiquen tambin de ÒriffeosÓ en materia de arte.
69
Dans un article intitul ÒArte ministerialÓ, La Nacin avait anticip ce
rsultat en pressentant lÕinfluence des conservateurs sur le jury de lÕexposition.70
LÕcrivain Jos Martnez Ruiz (1874-1967) que le public connatra ensuite sous le
nom dÕAzorn, publie cet article sous son premier pseudonyme, Cndido. Selon
lui, des facteurs trangers lÕart auraient provoqu le nouvel chec de Sorolla.
Dans un article publi au lendemain de lÕannonce du rsultat, ÒNota del da. Se
consumÓ, on peut lire dans le mme journal : Ç Todo se ha confirmado. Sorolla,
se ha quedado sin la medalla de honor ; Menndez Pidal, la ha conseguido de
primera. È71 Selon lÕcrivain, si le peintre Luis Menndez Pidal (1861-1932)
obtint une Mdaille de Premire Classe ce fut grce lÕinfluence de ses oncles,
Luis Pidal y Mon (1842-1913), alors ministre de lÕconomie, et Alejandro Pidal y
Mon (1846-1913), le prsident de la Chambre des Dputs. Il faut prciser ici que,
selon lÕarticle XV du rglement de lÕdition de 1899, le ministre de lÕconomie
nomme la fois le prsident et le vice-prsident du concours.72
Les accusations contenues dans cet article ne sont pas assez tayes pour
tre fiables, mais elles sont suffisamment crdibles pour poser la question du lien
entre le double chec de Sorolla et lÕinfluence du parti conservateur, notamment
69.
70.
71.
72.
Miss-Teriosa (Vicente Sanchs y Guilln), ÒExposicin de bellas artes : El fallo del
juradoÓ, El Da, Madrid, 20/05/1899. Ç Un accord tel que celui qui, avec des dtails que je
me refuse de reproduire, sert de prtexte pour comettre une inqualifiable injustice ne peut
pas lÕemporter. Au nom du respect de lÕart national, il faut que le vote soit annul et que
revotent quelques jurs ÒhsitantsÓ qui se sont opposs et que, de tous les sens, celui qui
est aujourdÕhui le plus baffou recouvre toute sa superbe, et que nous ne donnions pas aux
trangers une occasion dÕtre aussi tax de ÒrifainsÓ en matire dÕart. È
Cndido, ÒArte ministerialÓ, La Nacin, Madrid, 1899.
Cndido, ÒNota del da. Se consumÓ, La Nacin, Madrid, 1899. Ç Tout sÕest pass
comme prvu. Sorolla nÕa pas remport la mdaille dÕhonneur ; Menndez Pidal en a
obtenu une de premire classe. È
Reglamento para las Exposiciones de Bellas Artes, Madrid, Imprenta del Colegio
Nacional de Sordomudos y de ciegos, 1899.
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
59
sur la dernire dition du concours. On peut sÕinterroger sur lÕexistence de critres
extra artistiques susceptibles dÕopposer les conservateurs Sorolla. Est-il, cette
poque, peru comme un artiste de gauche ? Pour rpondre cette question, on
peut tout dÕabord retenir les origines valenciennes du peintre, Valence tant alors
le bastion du rpublicanisme espagnol. De son pre adoptif, Jos Piqueres
Guilln, un journal valencien affirme lÕoccasion de sa mort, en 1900 : Ç Aparte
de sus mritos como hombre laborioso y de gran corazn, era un firme
republicano que figur con tanta modestia como esfuerzo en las milicias del 69 y
el 73, defendiendo los ideales democrticos. È73 Personne nÕa russi dmontrer
que Sorolla tait lui-mme rpublicain ; malgr cela, il tait de fait considr
comme tel si lÕon en juge par un article paru aux tats-Unis en 1902. Un peintre
amricain form en Europe, Cadwaller Lincoln Washburn (1866-1965), tient le
Valencien pour un opposant la monarchie qui mprise les rites religieux et
rprouve lÕinfluence de lÕglise dans les affaires civiles. Pour cet auteur, de telles
positions sont le rsultat de sa culture valencienne.74 Ces hypothses peuvent tre
pertinentes, toutefois, beaucoup dÕautres influences que celles de sa ville natale
interfrent dans sa formation intellectuelle. En ralit, il y rsida peu de temps
puisquÕil partit vingt-deux ans sÕtablir Rome o il se lia dÕune amiti
indfectible avec Pedro Gil Moreno de Mora, un jeune franco-espagnol issu de la
bourgeoisie monarchiste de Paris. Ë son retour en Espagne, cinq ans plus tard, il
dcide dÕinstaller sa famille Madrid. Dans la capitale, il ctoie la bourgeoisie
librale, en particulier les intellectuels krausistes de lÕInstitution Libre
dÕEnseignement et se lie dÕamiti avec plusieurs de ses membres : Aureliano de
Beruete, Manuel Bartolom Cosso (1857-1935), Luis Simarro Lacabra (18511921) et Francisco Giner de los Ros (1839-1915), son fondateur. De mme, ses
trois enfants y font leur scolarit. LÕInstitution Libre dÕEnseignement voit le jour
un an aprs le dbut de la Restauration. Francisco Giner de los Ros avait alors t
destitu de la chaire de philosophie quÕil occupait lÕUniversit Centrale de
Madrid car le nouveau rgime considrait que ses enseignements taient
incompatibles avec le dogme de la religion dÕtat. En raction cette mesure
73.
74.
ÒSorolla en Valencia, El Pueblo, Valence, 14/06/1900. Ç En dehors des mrites de
lÕhomme au grand cÏur et du travailleur, cÕtait un farouche rpublicain qui intgra avec
autant de modestie que dÕengagement les milices de 69 et de 73 pour dfendre les idaux
dmocratiques. È
Cadwaller Lincoln Washburn, ÒSorolla, a Great Spanish Painter of To-DayÓ, The
Outlook, New York, 3/05/1902.
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
60
arbitraire, Giner fonde une structure nouvelle proposant un modle dÕducation
laque tourn vers les dernires dcouvertes scientifiques et pdagogiques. Elle
sÕoppose aux valeurs traditionnelles, catholiques et bourgeoises.75
Contrairement Azorn, le peintre et critique valencien Augusto Coms y
Blanco (1862-1953), nÕtablit pas de relation entre les checs de Sorolla et des
manÏuvres politiciennes. Selon lui, la polmique met en vidence la faillite du
systme des Beaux-Arts. Dans un article publi par Diario de Barcelona, il
dnonce le dcalage entre les critres du concours national et les aspirations dÕune
nouvelle gnration de peintres. Il compare le phnomne aux rsistances
opposes aux Impressionnistes dans la France des annes 1870.
ÁEs triste, muy triste, que lo que en Europa ya no se discute hace muchos aos, ahora
empiece a discutirse en Espaa! ÁParece mentira que las obras de Sorolla, Casas,
Muoz Lucena, Godoy, Rusiol, Bilbao, Mir y Abrzuza encuentren en 1899 las
mismas resistencias que vencer que hace treinta aos vencieron los llamados
treintaistas franceses! 76
Mais comment ne pas voir aussi dans ce passage une mise en cause du
pouvoir. Car il y est aussi question du rapport entre Madrid, centre des pouvoirs,
et les provinces. En effet, Coms fait implicitement allusion trois villes plus
innovantes sur le plan des arts et qui, cette poque, le sont aussi sur le plan des
techniques et de lÕindustrie. Il sÕagit de Barcelone voque, par les noms de quatre
Catalans, Ramn Casas (1866-1932), Toms Muoz Lucena (1860-1943),
Santiago Rusiol (1861-1931) et Joaqun Mir Trinxet (1873-1940), Valence, par
Joaqun Sorolla, et enfin, Sville qui se profile derrire les noms de Felipe
Abrzuza (1871-1948) et de Gonzalo Bilbao (1860-1938). En filigrane, ce sont
donc aussi la reprsentation et la reconnaissance des priphries sous la
Restauration qui sont mises en cause travers des questions dÕordre artistique.
75.
76.
Antonio Jimnez-Landi, La Institucin Libre de Enseanza y su ambiente. Perodo
escolar 1881-1907, Madrid, Ministerio de Educacin y Cultura, 1996, page 522.
Augusto Comas y Blanco, ÒLa Exposicin Nacional de bellas artes en 1899Ó, Diario de
Barcelona, Barcelone, 22/05/1899. Ç Il est triste, trs triste que ce qui en Europe ne fait
plus polmique depuis de nombreuses annes, commence maintenant poser problme en
Espagne ! Cela semble peine croyable que les Ïuvres de Sorolla, Casas, Muoz Lucena,
Godoy, Rusiol, Bilbao, Mir et Abrzuza rencontrent en 1899 les mmes rsistances que
la gnration des Franais de 1830 a d combattre il y a trente ans. È
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
61
Le mouvement de protestation retombe vers la fin de lÕanne 1899. Mais en 1900,
il rejaillit avec plus dÕintensit lorsque, le 6 juin, Sorolla reoit un Grand Prix de
Peinture de lÕExposition Universelle qui se tient Paris. Pour reprsenter
lÕEspagne, le Comit dÕOrganisation du Pavillon Espagnol avait prslectionn
les grands noms du moment cÕest--dire Jos Moreno Carbonero (1860-1942),
Jos Pinazo (1879-1933), Santiago Rusiol, Ramn Casas, Eliseo Meifrn (19581940), etc. Chacun dÕeux peut envoyer deux ou trois tableaux Paris, deux
exceptions prs : Sorolla et Raimundo de Madrazo sont autoriss en prsenter
six ! Cette faveur laisse entendre que le comit espagnol entend mettre en avant
ces deux peintres.77 Le Comit comprend trois membres : lÕaristocrate comte de
Villagonzalo (1851-1921), le grand collectionneur vivant Paris, Ramn Errazu
(inc.-inc.) et le peintre dÕhistoire Antonio Gisbert. Mariano Miguel Maldonado y
Dvalos, VIIe comte de Villagonzalo, est un grand dÕEspagne, snateur en 18871888, ambassadeur dÕEspagne en Russie de 1893 1897, ami proche dÕAlphonse
XII, donc un diplomate monarchiste conservateur. Quant Ramn Errazu,
richissime industriel, trs bien introduit dans la haute socit parisienne, il est un
collectionneur de Mariano Fortuny et de Raimundo de Madrazo, ce qui explique
peut-tre la prsence de ce dernier comme artiste privilgi ct de Sorolla ;
quant Antonio Gisbert, en dehors de rticences esthtiques, le localisme pourrait
constituer un argument en faveur de Sorolla. Il est en effet originaire dÕAlcoy,
ville du Levant, de la province dÕAlicante. Mais les choix de ce jury dÕadmission
vont avoir une autre consquence trs importante, qui sera lÕorigine de la
Òlgende noireÓ de Sorolla et de la rivalit et de lÕantipathie de celui-ci avec
Ignacio Zuloaga, mme si, au fond, le premier nÕy est pour rien.
Dans ces conditions, la victoire du Valencien est donc prvisible. Parmi les
peintres rcompenss ses cts figurent les plus grands noms du moment :
lÕAutrichien Gustave Klimt (1863-1918), lÕAmricain John Singer Sargent, le
Russe Valentin A. Serov (1865-1911), le Franais Dagnan Bouveret (1852-1929),
lÕAnglais Lawrence Alma Tadema (1836-1912), le Danois Peter Severin Kr¿yer
(1851-1909), le Sudois Anders Zorn (1860-1920), etc. En ce qui concerne le
succs obtenu par le peintre espagnol, il faut prciser, tout dÕabord, quÕil remporte
facilement la mdaille en runissant trente-sept des cinquante-deux voix, soit
77.
Mariano Benlliure y Joaqun Sorolla. Centenario de un homenaje, Valence, Generalitat
Valenciana, 2000, page 26-27.
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
62
environ 70% des suffrages. Ensuite, lÕenvoi rcompens est quasiment identique
celui quÕil vient de prsenter Madrid, avec le rsultat que lÕon connat. En effet,
quatre des six toiles accroches Paris, Cosiendo la vela, Comiendo en la barca,
El algarrobo et La caleta lÕavaient t Madrid lÕanne prcdente.78 En
Espagne, cÕest lÕun des motifs qui va nouveau chauffer les esprits.
Ds que la nouvelle de ce succs parvient en Espagne, Vicente Blasco
Ibez ravive la controverse dans un article pamphltaire intitul ÒRegateosÓ. Ce
titre fait rfrence la fois au ÒmarchandageÓ auquel sÕest livr, ses yeux,
lÕancien directeur de lÕInstruction Publique, Eduardo de Hinojosa, et rpond en
mme temps au quotidien valencien Las Provincias. En effet, le journal
conservateur dirig par Teodoro Llorente (1836-1911) vient de publier un pitre
article dans lequel il est question de deux prix, lÕun pour Sorolla et le deuxime
pour Bastida ! Ë Valence, Llorente tait une figure incontournable et
unanimement respecte pour son engagement en faveur de la diffusion et de la
valorisation de la culture rgionale. Pote, crivain, journaliste et homme
politique, il est lu plusieurs fois dput et snateur sur les bancs conservateurs.79
Dans ÒRegateosÓ, lÕcrivain proteste tout dÕabord contre le conservatisme de
la socit de son poque :
Como no le nombren arzobispo de Toledo o reina madre, que son las dignidades ms
cmodas y honorficas que existen, no sabemos a qu otra cosa pueda aspirar Sorolla
despus de su triunfo de Pars.
Pero tal vez crean algunos que ms que ese premio conseguido sin recomendaciones
en la capital del mundo, vale el premio de honor de la Exposicin de Madrid, regalo
de influencias polticas y hasta de caciquismos electorales, y que negaron a Sorolla
porque no pinta retratos de seoras de ministros, y porque necesitando todo su
tiempo para estudiar, no visita palacios.
78.
79.
80.
80
Cosiendo la vela, 220x302, Venise, Muse dÕArt Moderne CaÕPesaro, 1896. Comiendo en
la barca, 180x250, Madrid, Acadmie Royale de San Fernando, 1898. El algarrobo,
46Õ3x96Õ3, Collection particulire, 1898 et La caleta, 47Õ5x97, Collection particulire,
1898.
Miguel Artola (dir.), Enciclopedia de Historia de Espaa, IV. Diccionario biogrfico,
Madrid, Alianza, 2001 (1991), page 509.
Vicente Blasco Ibez, ÒRegateosÓ, El Pueblo, Valence, [07/06/1900]. Ç Si on ne le
nomme pas archevque de Tolde ou reine mre, qui sont les dignits les plus
confortables et honnorifiques qui existent, nous ne savons pas quoi peut aspirer Sorolla
aprs son triomphe de Paris. Mais peut-tre que dÕaucun pense quÕau-del de ce prix
obtenu sans recommandation dans la capitale du monde se situe la mdaille dÕhonneur de
lÕexposition de Madrid, cadeau dÕinfluences politiques et mme de npotismes lectoraux
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
63
Il oppose ensuite avec vhmence deux rcompenses, la Mdaille
dÕHonneur, quÕil vilipende, et le Grand Prix, quÕil magnifie. Toutefois, les
arguments dfendus en faveur du prix international sont excessifs. Blasco ne dit
rien, par exemple, de la composition du jury. En effet, trente des cinquante-deux
jurs sont franais. Par consquent, si plusieurs nationalits cohabitent bel et bien
dans cette assemble, une majorit se dtache dj sur le papier.81 De plus, Sorolla
a obtenu dÕexcellentes rfrences en France, en particulier au Salon. Ensuite,
lÕcrivain omet de signaler la prsence dÕAureliano de Beruete au sein du jury
runi Paris. Non seulement le peintre madrilne est un intime du Valencien
mais, par ailleurs, il est le seul reprsentant de lÕEspagne dans ce jury. Pour ces
deux raisons, il est difficile dÕimaginer que son influence ne joue pas en faveur de
Sorolla. Beruete sÕen dfendra ds son retour en Espagne dans un article publi
dans le journal Hispania.82 Cela tant, Blasco a sans doute raison au moins sur le
point le plus essentiel : le Grand Prix de lÕExposition Universelle est logiquement
suprieur toute rcompense nationale. Ce constat suffit soulever une nouvelle
polmique laquelle le gouvernement conservateur de Francisco Silvela (18431905) tente ensuite, semble-t-il, dÕapporter une rponse avant la fin de son
mandat. Le ministre de lÕInstruction Publique et des Beaux-Arts, vient de voir le
jour par un dcret royal du 18 avril 1900 soit moins de deux mois avant cet
vnement. Le premier ministre de lÕInstruction Publique et des Beaux-Arts,
Antonio Garca Alix (1842-1911), prpare une rforme du concours national qui
est un des premiers chantiers de cette institution.83 Cependant, aucune mesure
effective nÕest adopte par son cabinet.
Le deuxime chec pse sur la rception du peintre, en particulier du ct de
ses partisans. Tout porte croire quÕils jugent alors que le peintre paye le prix de
son cosmopolitisme et de sa modernit. Aussi, pour inverser les choses,
interprtent-ils dsormais son Ïuvre sous lÕangle de la tradition. En 1899, le pays
fte le troisime centenaire de la naissance de Diego Vlasquez (1599-1660). Ë
lÕapproche de cet vnement, toutes sortes de rapprochements entre Sorolla et le
81.
82.
83.
quÕon refusa Sorolla parce quÕil ne peint pas de portraits dÕpouses de ministres et parce
que, ayant besoin de tout son temps pour travailler, il ne frquente pas les palais. È
Exposition Universelle Internationale de 1900. Rapports du jury international. Groupes
II Ïuvres dÕart, Paris, Imprimerie Nationale, 1904.
Aureliano de Beruete, ÒJoaqun SorollaÓ, Hispania, Madrid, 15/06/1901.
Anonyme, ÒTriunfo de SorollaÓ, [?], Valence, 7/05/1901.
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
64
matre de Sville voient le jour, comme pour signifier quÕil existe une filiation
artistique et spirituelle entre les deux artistes. Dans la presse trangre, il est
dÕusage de raisonner par coles nationales et Sorolla est communment peru
comme un hritier de la ÒmanireÓ des matres du Sicle dÕOr. Cette ide parvient
donc en Espagne dÕabord par le biais de traductions dÕarticles trangers. En 1896,
Ernesto Lpez dcouvre un article de la Berliner Zeitung Illustrierte quÕil publie
dans El Correo de Valencia. On peut lire dans le texte en espagnol :
Pasa con la pintura de Sorolla lo que con esos generosos vinos de la lejana Espaa :
al que los bebe le parecen cosa nueva, cuando hace sin embargo ms de un siglo que
se hallan encerrados en las profundidades de un tonel. As tambin parece cosa
completamente nueva la extraordinaria paleta de Sorolla y es porque en ella
resucitan los rasgos mgicos del Pincel de Velzquez. [É] Por lnea y en sucesin
directa la paleta del gran Velzquez ha venido a heredarla este joven maestro
espaol [É]
84
La comparaison est ensuite reprise et dveloppe par des journalistes
espagnols. Elle voque les racines nationales mais aussi la modernit et la
dimension europenne de Sorolla car, cette poque, Vlasquez symbolise tout
cela la fois. La redcouverte du matre remonte 1865, depuis le voyage en
Espagne dÕdouard Manet. Par la suite, des peintres de toute lÕEurope prennent le
chemin de Madrid dans le seul but de copier ses tableaux. Vlasquez fait
lÕunanimit, tant chez les conservateurs que chez les modernes. En 1900, dans les
colonnes de El Imparcial, Mariano de Cava (1855-1920) associe les noms de
Velzquez, Goya et Sorolla au panthon des peintres de la nation : Ç No siempre
en la patria de Velzquez y Goya ha de decirse solemnemente Don Diego, Don
Francisco, Don JoaqunÉÈ85 Dans le quotidien La Voz de Galicia, Carlos de
Pearanda (1848-1908) affirme lÕanne suivante : Ç [É] en verdad, que, despus
84.
85.
Ernesto Lpez, ÒSorollaÓ, Correo de Valencia, Valence, 15/08/1896. Ç Il en va de la
peinture de Sorolla comme de ces gnreux vins de la lointaine Espagne : quiconque les
boit croirait une chose nouvelle alors quÕils se trouvent, au contraire, enferms dans les
profondeurs dÕun tonneau depuis plus dÕun sicle. De mme, la palette de Sorolla parat
compltement nouvelle et cela parce que les traits magiques du Pinceau de Vlasquez
ressucitent en elle. [É] Ce jeune matre espagnol a hrit en succession directe de la
palette du grand Vlasquez. È
Mariano de Cava, ÒChimetÓ, El Imparcial, Madrid, 16/06/1900. Ç Ce nÕest pas tous les
jours que dan la patrie de Vlasquez et de Goya, on peut dire solennellement Don Diego,
Don Francisco, Don JoaqunÉ È
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
65
de Velzquez, nicamente al egregio pintor valenciano puede aplicrsele la frase
clebre de Mengs sobre el cuadro Las hilanderas: parece que la mano no ha
tomado parte en las obras de Sorolla, sino que ha pintado slo la voluntad. È 86
Pearanda rige le peintre au rang de nouveau Vlasquez, en lui reconnaissant des
qualits suprieures propres lÕauteur de Las hilanderas. Tous ces articles, plus
ou moins tays et fonds, finissent mme par exasprer un journaliste de la revue
El Artista qui se plaint dÕun tel martelage :
ÁOh, Sorolla!... ÁVelzquez!... ÁVelzquez puro!... Su paleta velazquina recuerda la
escuela clsicaÉ Estas y otras vulgaridades se oyen en boca de personas que, por su
cultura y sus conocimientos deberan hablar de otra manera, en materia de arte,
cuando se ocupan del insigne pintor valenciano y este mal nace de que slo creemos
comparable el Ç genio vivo È con el Ç genio muerto È.
87
Enfin, Blasco Ibez signe lui-mme un jour un article intitul ÒNieto de
Velzquez, hijo de GoyaÓ, dont il sera question plus avant.88 Cette lecture
vlasquzienne, ne dans le contexte de lÕaffaire, pourrait trs bien tre lÕorigine
de la perce dans lÕÏuvre de Sorolla de ces portraits ÒvlasquziensÓ dans
lesquels cohabitent des citations de chefs-dÕÏuvre du matre. Le premier du genre
est un portrait de lÕactrice Mara Guerrero (1867-1928) en mnine, qui remonte
justement 1897.89 La composition sera lgrement remanie en 1906, ce qui
explique que deux dates figurent sur la notice du Muse du Prado. Contrairement
la logique selon laquelle les observateurs reoivent un tableau quÕils interprtent
ensuite, la ralisation de ce portrait pourrait avoir t motive, en amont, par la
critique. Notre hypothse est la suivante : Sorolla se serait engag dans une voie
trace par ses amis journalistes et, cela, pour faire apparatre de faon indiscutable
86.
87.
88.
89.
Carlos de Pearanda, ÒEl triunfo de SorollaÓ, La Voz de Galicia, La Corogne, 7/05/1901.
Ç [É] il est vrai que, aprs Vlasquez, il nÕy a quÕ lÕillustre peintre valencien que lÕon
puisse appliquer la clbre phrase de Mengs concernant le tableau Les fileuses : Il semble
que, dans les Ïuvres, la main nÕait jou aucun rle et que seule la volont ait peint. È
Anton Raphael Mengs (1728-1779).
Martn Ricardo, ÒLa medalla de honorÓ, El Artista, Madrid, 15/05/1901. Ç Oh, Sorolla !
Vlasquez !... Vlasquez tout crach !... Sa palette vlasquzienne rappelle lÕcole
classiqueÉ Celle-l et dÕautres vulgarits sortent de la bouche de personnes qui, par leur
culture et leurs connaissances devraient parler autrement, en matire dÕart, quand ils
sÕoccupent de lÕillustre peintre valencien et ce mal provient de ce que nous pensons le
Ògnie vivantÓ seulement comparable au Ògnie disparuÓ. È
Vicente Blasco Ibez, ÒNieto de Velzquez, hijo de GoyaÓ, La Nacin, Buenos Aires,
3/03/1907.
Retrato de Mara Guerrero, 131x120Õ5, Madrid, Muse National du Prado, 1897-1906.
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
66
lÕempreinte de la tradition dans sa peinture. Ainsi, il espre augmenter ses chances
de dcrocher la Mdaille dÕHonneur. Cela expliquerait pourquoi, lÕExposition
Nationale de 1901, il prsente un portrait collectif, Mi familia, plagiant la
composition du tableau Les Mnines ou La famille de Philippe IV.90 On peut voir,
au premier plan, son pouse Clotilde et les trois enfants. Install un pupitre, le
petit Joaqun dessine le portrait de sa sÏur Elena. Dans le fond de la pice, un
miroir reflte la silhouette du peintre tenant une palette et un pinceau. Les
couleurs dominantes sont le gris et le rouge, une association qui rappelle un autre
chef-dÕÏuvre du Muse du Prado, Mercurio y Argos.91 Depuis le tricentenaire de
1899, les deux tableaux se trouvent cte cte dans la salle basilicale du muse,
dans une disposition identique a celle que nous connaissons aujourdÕhui.92 Le
portrait de Mara Guerrero et Mi familia forcent la comparaison avec le matre
mais cela ne veut pas dire, pour autant, que cette comparaison soit pertinente. En
effet, ces tableaux doivent tre compris dans le contexte de la conqute de la
Mdaille dÕHonneur et ils nÕont, disons-le, quÕune parent lointaine et assez
improbable avec lÕÏuvre de Vlasquez. Aprs lÕaffaire, le Valencien manipulera
dÕautres reprises la citation. Le portrait de lÕhistorien Rafael Altamira, inspir de
celui du Pape Innocent X de la Galerie Doria Pamphili de Rome, en est une autre
illustration.93
Quelques semaines seulement avant lÕinauguration de lÕExposition
Nationale de 1901, un nouveau gouvernement est form, le 6 mars, par le chef du
parti libral, Prxedes Mateo Sagasta. Ds son entre en fonction, le nouveau
ministre de lÕInstruction Publique et des Beaux-Arts, çlvaro de Figueroa y Torres,
comte de Romanones (1863-1950), modifie lÕarticle du rglement concernant
lÕattribution de tous les prix en faisant entrer en application une proposition dicte
par son prdcesseur. Cette attribution serait dcide, dornavant, par une
centaine dÕartistes rcompenss lors des ditions prcdentes et non plus par le
90.
91.
92.
93.
Mi familia, 185x159, Valence, Municipalit de Valence, 1901 et Diego Vlasquez, Las
Meninas o La familia de Felipe IV, Madrid, Muse National du Prado, 1656.
Diego Vlasquez, Mercurio y Args, 128x250, Madrid, Muse National du Prado, 1659.
Javier Ports, ÒVelzquez fin de sigloÓ in Dilogos : Sorolla & Velzquez, Madrid,
Ministerio de Cultura, 2009, pages 11-13.
Retrato de Rafael Altamira, 115x91Õ5, New York, HSA, 1913 et Diego Vlasquez,
Retrato del Papa Inocencio X, Rome, Collection Doria-Pamphili, 141x159, 1549-1551.
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
67
collge de pairs lus.94 Jos Ramn Mlida nÕhsite pas parler de Òsuffrage
universelÓ, une dsignation excessive mais charge dÕintentions puisquÕelle fait
cho la restauration du suffrage universel (masculin), en 1890. Il sÕagit dÕune
des principales mesures prises par la majorit librale durant le Òparlamento
largoÓ.95 La nouvelle mouture du rglement de lÕExposition Nationale restera en
vigueur durant un peu plus de trente ans, jusquÕ lÕdition de 1934. Signe des
temps, lÕancien systme dÕattribution des prix sera rtabli par lÕadministration
franquiste en 1941, lÕanne de la premire dition organise sous la dictature.
Mais dornavant, lÕultra conservatisme du jury fera perdre toute crdibilit au
concours qui disparatra dfinitivement en 1968.
Le 4 mai 1901, depuis les colonnes du journal Heraldo de Madrid, Jacinto
Octavio Picn (1852-1923) appelle les artistes votants choisir le Valencien.96 Le
6, le nouveau secrtaire du ministre de lÕInstruction Publique, le libral Federico
Requejo Avedillo (1854-1915), prside donc ce jury largi compos de cent
trente-six artistes.97 Requejo avait t dput de Zamora de 1886 jusquÕ 1901. Il
sera ensuite ministre de lÕAgriculture en 1905, puis ministre des Finances en
1906. Le peintre valencien, unique candidat la Mdaille dÕHonneur, obtient cent
douze voix, soit plus de 80% des suffrages. Dans la presse du lendemain,
Alejandro Saint-Aubin saisit lÕoccasion qui se prsente pour revenir sur lÕchec de
1899 : Ç [É] No seremos crueles, Sr. Hinojosa; no haremos alarde de rencorosos
y vengativos. ÁOh ilustre ex director de I.[nstruccin] P.[blica]! vuelve a la
memoria la famosa votacin para la medalla de honor, y aparece de nuevo el
presidente del Jurado uniendo a la minora un voto que no le concede el
reglamento y reclamando la calidad para decidir en el empate [É] È98 Ailleurs, on
peut lire cependant : Ç Pocas veces ha sido tan discutido por artistas y aficionados
este importante punto de la adjudicacin de la medalla de honor de nuestra
94.
95.
96.
97.
98.
On peut lire ce sujet : Jos Francs, ÒLa medalla de honorÓ, El Alczar, Madrid,
22/06/1950 et Jos Montero Alonso, ÒÇDoa Juana la LocaÈ fue el cuadro que obtuvo la
primera Medalla de HonorÓ, El Diario Vasco, Saint Sbastien, 13/06/1957.
Jos Ramn Mlida, ÒHonor a SorollaÓ, El Correo, Madrid, 05/1901.
Jacinto Octavio Picn, ÒSorollaÓ, Heraldo de Madrid, Madrid, 4/05/1901.
Alejandro Saint-Aubin, ÒExposicin de bellas artes. Cuestin previaÓ, Heraldo de
Madrid, Madrid, 7/05/1901.
Alejandro Saint-Aubin, ÒArte y artistasÓ, El Heraldo, Madrid, 7/05/1901. Ç Nous ne
serons pas cruels ; nous ne ferons pas talage ni de rancunes ni de vengeances. Oh,
illustre ex directeur de lÕI.[nstruction] P.[ublique] ! Le fameux vote pour la mdaille
dÕhonneur nous revient en mmoire, et nous revoyons nouveau le prsident du jury
joignant la minorit une voix que ne lui autorisait pas le rglement en invoquant sa
qualit pour dcider dÕun rsultat nul. È
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
68
Exposicin de Bellas Artes. È99 Dans le quotidien conservateur La poca, le
photographe Antonio Cnovas y Vallejo (1874-1933) Ð de son pseudonyme
Dalton Kaulak Ð un neveu dÕAntonio Cnovas del Castillo, dplore dÕautres effets
de la rforme comme, par exemple, la soudaine et douteuse inflation de la quantit
de prix distribus. SÕil reconnat les qualits de Sorolla, il affirme nanmoins :
Ç Conste asimismo que hay varios artistas de primera fila que la merecen
igualmente, y que tienen historia artstica (algunos) ms brillante, por ser ms
larga, que la de Sorolla. È100 LÕauteur fait visiblement allusion des artistes de la
gnration prcdente. Peut-tre pense-t-il aux peintres Jos Villegas, ou
Alejandro Ferrant (1843-1917), ou encore Francisco Domingo Marqus.
Avant de conclure, il convient de se demander si, en dÕautres circonstances,
Sorolla aurait obtenu cette rcompense. On peut raisonnablement penser que oui,
tout simplement parce quÕune stricte galit des suffrages sÕtait produite lors de
lÕdition antrieure. Dans ce cas, sÕil y eut ensuite un Òcoup de pouceÓ ministriel
du libral Romanones, celui-ci tait sans doute superflu et certainement
dommageable. En effet, acquise dans des conditions trop favorables, la
rcompense arrive, de surcrot, bien trop tard. Un article publi dans la revue
Blanco y Negro, rapporte quÕaux amis venus son atelier pour lui annoncer la
nouvelle, Sorolla se serait content de rpondre laconiquement, Ç ÁMe trais el
diploma de viejo! È101 Il existe dÕautres anecdotes faisant tat de lÕamertume et de
la retenue du peintre le jour de sa victoire. Manuel Gonzlez Mart rend compte
dÕun change entre Sorolla et le peintre valencien Antonio Fillol Granell (18701930) : Ç Cuando alcanz la medalla de honor un grupo de artistas valencianos,
que en su inquietud le haba sido adverso siempre, fue a felicitarle, y el cabeza del
grupo le endilg un pequeo discurso lleno de superlativos. Sorolla, con toda
seriedad, escuch los elogios y contest : Si cuando acabis de decir lo decs de
veras, os lo agradezco infinito. È102 Certes, le peintre accueille sa victoire sans
99.
100.
101.
102.
Anonyme, [?], [?], Madrid, 7/05/1901. Ç Rarement cette importante question de la remise
de la mdaille dÕhonneur de notre Exposition des Beaux-Arts nÕa autant t discute par
les artistes et les observateurs. È
Antonio Cnovas y Vallejo, ÒExposicin Nacional de Bellas Artes. Las recompensasÓ, La
poca, Madrid, 13/05/1901. Ç Reconnaissez, de mme, quÕil y a plusieurs artistes de
premier rang qui la mritent autant, et qui possdent une histoire artistique (pour
quelques-uns) plus brillante, parce que plus ancienne, que celle de Sorolla. È
Anonyme, ÒNuestros Artistas. Joaqun SorollaÓ, Blanco y Negro, Madrid, 7 ou 8/05/1901.
Ç Vous mÕapportez le diplme mon ge ! È
Pelejero, ÒUsted que conoci a Sorolla, dganos Àcmo era?Ó, Levante, Valence,
17/09/1959 et Francisco Almela Y Vives, ÒLo que el gran pintor pensaba donar a su
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
69
effusion de joie ; mais cela ne veut pas dire pour autant quÕil la mprise. Sorolla a
t form lÕcole des rcompenses et des honneurs et il ne les ddaigne pas, bien
au contraire. Ë la fin du XIXme sicle, ce sont des cls indispensables qui ouvrent
les portes des postes officiels, des commandes dÕtat et de beaucoup dÕautres
choses qui assurent la vie matrielle de lÕartiste.
Sorolla ne retire pas tout le bnfice de sa Mdaille dÕHonneur. Pis, les
polmiques qui ont maill ses dernires participations au concours et, plus
encore, lÕhostilit souleve par la rforme de Romanones chez les conservateurs,
vont ensuite lui porter prjudice. Elles sont mme lÕorigine dÕun contentieux
entre le peintre et lÕtat. Car le tableau rcompens, Triste herencia, nÕest jamais
achet son auteur, contrairement lÕunique prcdent en la matire, Doa Juana
la Loca, acquis Pradilla pour la somme de quarante mille pesetas plus de vingt
ans auparavant.103 Le gouvernement libral propose lÕacquisition de Triste
herencia au Parlement, conformment lÕusage tabli, mais les conservateurs
refusent de signer la dclaration dÕachat. Les deux partis dynastiques ne
parviennent pas sÕentendre, malgr les efforts du comte de Romanones, et le
dlai expire en dcembre 1902 sans quÕaucune solution nÕait t trouve.
Finalement, Sorolla vend avantageusement son tableau un collectionneur
espagnol tabli aux Etats-Unis. Il changera ensuite plusieurs fois de mains avant
dÕtre rapatri, dans les annes 1980, par la Caisse dÕpargne de Valence.
Dans son article ÒHonor a SorollaÓ, Jos Ramn Mlida rapporte une
anecdote qui pourrait servir dÕpilogue lÕaffaire. LÕauteur y voque les
rpercussions ngatives du Grand Prix de lÕExposition Universelle sur la
rception de Sorolla, dans son pays. Il cite les prdictions dÕun peintre anonyme,
Ç un illustre peintre qui connat bien notre pays È :
103.
ciudad nativaÓ, Levante, Valence, 24/02/1963. Ç Quand il remporta la mdaille
dÕhonneur, un groupe dÕartistes valenciens qui, par manque exprience, lui avait toujours
t hostile, vint le fliciter, et le chef du groupe se fendit dÕun petit discours rempli de
superlatifs. Sorolla, avec le plus grand srieux, couta les loges et rpondit : Si quand
vous aurez fini de parler vous consentez dire vrai, je vous en serai infiniment
reconnaissant. È
Rufo Vzquez, ÒAlgunos curiosos datos sobre la Medalla de HonorÓ, Dgame, Madrid,
15/07/1952. Federico Galindo, Federico, ÒÀDnde estn? Los distintos paraderos de
algunos cuadros famosos del Museo de Arte ModernoÓ, Dgame, 16/06/1959 et
Bernardino de Pantorba, ÒHistoria y peripecia del cuadro de Sorolla Triste HerenciaÓ,
ABC, Madrid, 3/06/1981.
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
70
Pero hubo entonces en Pars un pintor ilustre que conoce bien nuestro pas, y lo
demostr con lo que vamos a referir. Despus de visitar la Exposicin, se sentaban
una tarde a comer con Sorolla y en obsequio suyo dicho artista extranjero y otro
espaol. El extranjero felicit a Sorolla por su triunfo, que estim como muy
legtimo y aadi: - Pero ya ver usted cuntos disgustos le cuesta a Vd. en su pas
ese premio. Desgraciadamente fue profeta. [É] En otro pas, a Sorolla se le ensalza,
se le aplaude, se le admira; aqu la caracterstica es despreciarle, discutirle cuando ya
nadie le discute, y si es posible, procurar que se vaya.
104
Il sÕagit, selon toute vraisemblance, du Franais Lon Bonnat avec lequel
Sorolla et Beruete dnrent le 18 juilllet 1900.105 Le Franais connaissait trs bien
lÕEspagne et parlait espagnol couramment car sa famille sÕtait install
temporairement Madrid en 1847, et il y avait suivi les enseignements
de Federico de Madrazo lÕAcadmie des Beaux-Arts de San Fernando.
Aprs 1901, mme si Sorolla continue rsider en Espagne, cette affaire
lÕloigne de son pays dÕorigine. Il nÕy organise, par exemple, aucune de ses cinq
expositions individuelles. On verra dans le chapitre suivant, quÕ partir de 1902,
sa carrire sÕoriente vers trois pays europens, la France, lÕAllemagne et
lÕAngleterre, puis, partir de 1909, quÕelle se poursuit aux tats-Unis.
104.
105.
Jos Ramn Mlida, ÒHonor a SorollaÓ, El Correo, Madrid, 05/1901. Ç Mais il y avait
alors Paris un illustre peintre qui connat bien notre pays et il en donna une preuve ainsi
que le montre ce qui suit. Un aprs-midi, aprs avoir visit lÕExposition, cet artiste
tranger et un autre, espagnol, prenaient place autour dÕune table pour djeuner avec
Sorolla. LÕtranger flicita Sorolla pour son succs, quÕil estima trs lgitime avant
dÕajouter : Mais vous verrez combien de dsagrments vous cotera ce prix dans votre
pays. Malheureusement sa prophtie se ralisa. [É] Ë lÕtranger, on lÕencense, on
lÕapplaudit et on lÕadmire tandis quÕici lÕusage est de le mpriser, de remettre en cause son
talent quand il ne viendrait plus lÕide de personne de le faire et, si possible, faire en
sorte quÕil sÕen aille. È
Lettre de J. Sorolla son pouse Clotilde Garca del Castillo, date du 18/07/1900 : Ç [É]
ya mareado me fui con Beruete a ver el viejo Pars, una cosa que no hace mal, despus
estuvimos a comer con la familia Beruete y Bonnat en un restorn a la orilla del ro È in
Blanca Pons-Sorolla et Vctor Lorente Sorolla, Epistolarios de Joaqun Sorolla, III.
Correspondencia con Clotilde Garca del Castillo (1891-1911), Barcelone, Anthropos,
2009, pages 112-113. Ç [É] puis, je suis all visiter le vieux Paris avec Beruete, une
chose quÕil matrise assez bien, ensuite nous djeunmes avec la famille Beruete et Lon
Bonnat dans un restaurant au bord du fleuve.
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
71
I.3. LES PREMIERS SOUTIENS : LA GAUCHE LIBRALE ET RPUBLICAINE
Cette affaire de la Mdaille dÕHonneur est le premier Òmoment clÓ de la
rception de lÕÏuvre de Sorolla en Espagne si lÕon en juge, par exemple, par la
densit des articles entre 1897 et 1901.106 Avec presque cent articles, lÕanne 1900
constitue mme un ÒpicÓ qui ne sera dpass quÕen 1932, lÕanne de
lÕinauguration du Muse Sorolla. Durant le temps de lÕaffaire, les contours dÕune
communaut dÕinterprtation se dessinent dans la presse. Sa premire
caractristique est son positionnement idologique, clairement situ du ct de la
gauche dynastique librale et du rpublicanisme. On peut sÕinterroger dÕores et
dj sur le manque dÕarticles issus des organes de presse conservateurs et carlistes
dans les cartons du Muse Sorolla. Y aurait-il une lacune propre cette collection
ou faut-il penser que les journaux les plus ractionnaires sÕintressent moins
Sorolla durant cette priode ? Quand bien mme les deux hypothses fussent
valides, elles ne justifieraient peut-tre pas compltement ce dsquilibre si lÕon
tient compte, par exemple, de lÕimplication du peintre dans la collecte des
premires coupures. En admettant cela, lÕingale distribution des articles entre
gauche et droite, pourrait trs bien reflter ses propres ides politiques.
La seconde caractristique de la communaut dÕinterprtation qui se dtache
dans ce corpus est la prsence, parmi elle, dÕauteurs non spcialistes. Cette
particularit la diffrencie de la critique dÕart trangre reprsente dans les
mmes archives. Par exemple, la critique parisienne est un cercle de fins
connaisseurs dont font partie des hommes de lettres, parfois potes, comme
Josphin Pladan (1858-1918), Gustave Kahn (1859-1936), Camille Mauclair
(1872-1945), Alphonse Germain (1861-inc.), Gustave Larroumet (1852-1903),
Georges Lecomte (1867-1958) etc. Parmi eux figure un historien aussi minent
que Lonce Bndite (1856-1925), le conservateur du Muse du Luxembourg. Il
publie des chroniques dÕart bien documentes et signera, en 1910, un ouvrage de
rfrence.107 Ë lÕimage du discours dominant qui consiste alors relier
verticalement les peintres aux grands modles de lÕhistoire de lÕart, son livre sur la
peinture la fin du XIXme sicle est divis en coles nationales. Toutefois,
106.
107.
Voir : Graphique n¡1. Rpartition des archives de presse du Muse Sorolla.
Lonce Bndite, La peinture au XIXe sicle, Paris, Flammarion, 1910.
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
72
lÕintrieur du chapitre consacr lÕcole espagnole, la notice concernant Sorolla
tranche avec le reste puisque le Valencien est rattach trois peintres europens
ns au XIXme sicle : Jules Bastien-Lepage, Albert Besnard (1849-1934) et
Andres Zorn. Pour le critique franais, Sorolla est le plus europen des peintres
espagnols car sa peinture rejoint les courants dominants.
En Espagne, si des experts confirms, tels que Rodrigo Soriano, Francisco
Alcntara et Jos Ramn Mlida commentent les tableaux du Valencien, dÕautres
tels que Vicente Sanchs Guilln, Jos Cintora Prez (1861-inc.) ou Vicente
Blasco Ibez ne sont ni connaisseurs ni mme proches du monde des BeauxArts. Le dernier lit rgulirement la presse trangre et reconnat la valeur des
critiques trangers, comme le dmontrent les trois articles quÕil consacre Sorolla
durant cette priode. Pour cette raison, lÕcrivain nÕentend pas se substituer la
critique dÕart, ainsi quÕil lÕaffirme sans dtour en 1897 : Ç Considero intil hablar
aqu, una por una, de las obras que Sorolla tiene en la Exposicin. ÀPara qu? La
crtica se ha ocupado de ellas, tributndolas elogios justsimos, y las ilustraciones
extranjeras las han reproducido en hermosos grabados. È108 Jos Cintora Prez
commence mme une chronique intitule ÒEl cuadro de SorollaÓ de la manire
suivante : Ç ÀUn artculo de crtica? No. Soy profano en la materia. Pueden
ustedes leer sin cuidado estas lneas. È109
Tant dans sa nature que dans ses intentions, lÕaffaire de la Mdaille
dÕHonneur fdre une communaut dÕinterprtation diffrente de ce qui existe
dj lÕextrieur et plusieurs facteurs expliquent cette singularit. Le premier est
li au niveau de notorit du peintre car, cette poque, Sorolla est dj un
personnage public connu bien au-del des milieux artistiques. Le second tient
lÕcho, Madrid, de la presse trangre. En effet, la traduction totale ou partielle
dÕarticles imports rduit lÕespace critique des spcialistes locaux. Cet usage est
alors courant et il continuera jouer un rle important lors de chacune des
expositions du peintre lÕtranger. DÕune manire gnrale, les crivains
trangers sont alors tellement la mode que Miguel de Unamuno affirme en 1895
108.
109.
Vicente Blasco Ibez, ÒSorollaÓ, El Pueblo, Valence, 5/06/1897. Ç Il me semble inutile
de comenter ici, une une, les Ïuvres de Sorolla lÕExposition. Pourquoi le faire ? La
critique sÕest occupe dÕelles, en leur rservant des loges tout fait justifis, et les revues
illustres trangres les ont reproduites dans de belles gravures. È
Jos Cintora, ÒEl cuadro de SorollaÓ, [?], [Madrid], 04 ou 05/1901. Ç Un article de
critique ? Non. Je suis profane en la matire. Vous pouvez parcourir ces lignes sans
crainte. È
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
73
quÕon lit en Espagne plus dÕauteurs trangers que dÕauteurs espagnols.110 Enfin, il
faut souligner lÕinfluence du contexte historique de lÕEspagne. Car lÕaffaire se
superpose aux vnements tragiques de la guerre dÕindpendance de Cuba et des
Philippines (1895-1898) et une importante crise conomique. La double dfaite
de lÕArme et de la Marine espagnoles provoque le dmantlement des restes de
lÕempire dÕoutre-mer. Dans un tel contexte, la perception du parcours et de la
peinture de Sorolla ne reste pas lÕcart des tensions qui traversent la socit et
son double chec au concours national se transforme en une question brlante,
dont la dimension dpasse de loin les frontires de lÕart. CÕest probablement la
principale raison pour laquelle il mobilise bien au-del des seuls cercles
artistiques.
Durant lÕaffaire, Heraldo de Madrid, El Da et El Pueblo publient,
ensemble, au moins trente-deux articles sur le peintre valencien si lÕon sÕen tient
la collection de presse du Muse Sorolla. Inversement, durant la mme priode, la
production de Sorolla tmoigne de plusieurs changes avec leurs rdactions. Pour
le quotidien rpublicain de Vicente Blasco Ibez El Pueblo, il peint en 1899 une
affiche promotionnelle reprsentant une Valencienne coiffe dÕun bonnet
phrygien distribuant des exemplaires du journal.111 La mme anne, il ralise un
portrait dÕAlejandro Saint-Aubin, secrtaire du quotidien libral Heraldo de
Madrid.112 Enfin, une scne dÕintrieur de 1900-1901, Clotilde leyendo un diario,
pourrait tre une rfrence directe lÕappui quÕil reoit de ce journal.113 Aprs
lÕaffaire, Sorolla portraiturera cinq auteurs qui lÕont soutenu dans la presse : Luis
Lpez Ballesteros (1869-1933), Jos Ramn Mlida, Jacinto Felipe Octavio
Picn, Vicente Blasco Ibez, et Francisco Acebal.114
El Da est fond par le marquis de Riscal, en 1880, mais il est rachet six
ans plus tard par Segismundo Moret (1838-1913), le fondateur du parti
110.
111.
112.
113.
114.
Miguel de Unamuno, En torno al casticismo, Madrid, Biblioteca Nueva, 1996 (1895),
page 51.
Boceto para un cartel anunciador, 95Õ5x172Õ3, Valence, Muse des Beaux-Arts San Po
V, 1899. Figure n¡2. bauche dÕune affiche promotionnelle pour le journal El Pueblo
(1899).
Las manos de Alejandro Saint-Aubin, con un perrito, 41x71, Collection particulire,
1899.
Clotilde leyendo un diario, 60Õ5x100Õ5, Madrid, MS, 1900-1901.
Luis Lpez Ballesteros, 61x45, çlava, Muse des Beaux-Arts de çlava, 1903. Jos
Ramn Mlida, 95x59, New York, HSA, 1904. Jacinto Felipe Octavio Picn, 65x88,
Madrid, Museo Nacional del Prado, 1904. Vicente Blasco Ibez, 127x90, New York,
HSA, 1906. El escritor Francisco Acebal, 58x80, Collection particulire, 1908.
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
74
monarchiste libral. Il faut souligner, au passage, la parent de cet homme
politique avec un ami du peintre, Aureliano de Beruete, qui nÕest autre que son
neveu. LÕtude quÕil consacre lÕÏuvre de Sorolla parat dans la presse en juin
1901 et sera republie sparment en 1910.115 El Da consacre trois articles
Sorolla entre 1899 et 1901, tous signs du pseudonyme Miss-Teriosa sous lequel
crit un personnage mal connu, Vicente Sanchs Guilln.116 Il finit ses jours
Biarritz dans une villa quÕil fait construire en 1904 et que lÕon peut encore
admirer aujourdÕhui mais ses biens nÕy ont pas t conservs. Comme la plupart
des intellectuels de cette poque, ce militaire n Valence toucha diffrents
domaines. Il fut colonel de lÕarme espagnole missionne Cuba, journaliste,
crivain et homme politique, lu deux fois dput conservateur de Cuba, en 1891
et en 1893. Ë la fin de son deuxime mandat il se rallie au parti libral de Sagasta.
Pour le colonel Sanchs, le second chec de Sorolla symbolise lÕhermtisme de
lÕEspagne de la Restauration aux tentatives de rnovation. Depuis les colonnes
dÕEl Da, il demande en 1899 la rvision du rglement de lÕExposition Nationale
et dnonce lÕinfluence des dirigeants politiques sur le concours.
Le monarchiste libral Jos Canalejas (1854-1912) fait lÕacquisition de
Heraldo de Madrid en 1893, trois ans aprs sa naissance.117 Le journal couvre
efficacement les vnements majeurs de la carrire du peintre partir de 1895.
Les archives de presse du Muse Sorolla contiennent treize articles du quotidien
publis entre le 1er janvier 1900 et le 31 dcembre 1901. Bien sr lÕensemble nÕest
pas exhaustif et les archives consultables en ligne de la Bibliothque Nationale
dÕEspagne signalent soixante-huit occurrences du patronyme ÒSorollaÓ sur la
mme priode.118 Au printemps 1900, le journal publie les dpches de deux
peintres, Luis Jimnez Aranda (1845-1928) et Ulpiano Checa (1860-1916), qui
rendent compte, depuis Paris, de la participation des artistes espagnols
lÕExposition Universelle. Aprs lÕannonce du succs de Sorolla, le journal
continue valoriser son parcours en organisant sa rception Madrid. Jos
115.
116.
117.
118.
Aureliano de Beruete, ÒJoaqun SorollaÓ, Hispania, Madrid, 15/06/1901 et Joaqun
Sorolla, Madrid, Biblioteca Estrella, 1921.
Miss-Teriosa, ÒExposicin de bellas artesÓ, El Da, Madrid, 18/05/1899 ; ÒExposicin de
bellas artes : El fallo del juradoÓ, El Da, Madrid, 20/05/1899 et ÒSorollaÓ, [El
Da], [Madrid], 7/05/1901.
Mara Cruz Seoane et Mara Dolores Saiz, Cuatro siglos de periodismo en Espaa,
Madrid, Alianza, 2007, page 133.
http://www.bne.es/es/Catalogos/HemerotecaDigital/
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
75
Gutirrez Abascal (1852-1907), le directeur du journal, prside un banquet en
lÕhonneur du Grand Prix de lÕExposition Universelle, le lundi 11 juin 1900. CÕest
le premier dÕune srie des trois banquets organiss en lÕhonneur du peintre.
Le premier runit environ cent trente personnes dont une large majorit
dÕartistes tels que Jos et Mariano Benlliure, Ricardo de Madrazo, Jaime Morera y
Galicia (1954-1927), Marcelino Menndez Pelayo, Jos Soriano y Fort (18731937), etc. Parmi le reste de lÕassistance, figurent des journalistes de la gauche
librale comme Ricardo Blasco (inc.-inc.) de La Correspondencia de Espaa et
Augusto Coms y Blanco de Diario de Barcelona, et des hommes politiques : le
dput libral Luis Lpez Ballesteros (1869-1933), Ams Salvador Rodrigez
(1845-1922), Jos Francos Rodrguez (1862-1931) du Parti Dmocrate ou encore
Amalio Gimeno (1852-1936), un partisan du libralisme de Jos Canalejas. Il faut
ajouter cette liste un dput rpublicain, Miguel Morayta Sagrario (1834-1917)
ainsi que le fils homonyme de Cristino Martos (1830-1893).119
Le second banquet est organis Valence le 1er aot 1900, en hommage
Sorolla et Mariano Benlliure, les deux artistes mdaills Paris.120 Le banquet
clture les festivits commences le 28 juillet. Le peintre et le sculpteur sont tout
dÕabord levs au rang de citoyens dÕhonneur de la ville par le maire Jos
Montesinos Checa (inc.-inc.). La ÒPlaza de la PelotaÓ est rebaptise ÒPlaza de
Mariano BenlliureÓ et la ÒCalle de las BarcasÓ devient ÒCalle del pintor
SorollaÓ.121 Quelques jours plus tard, le Club Maritime du Cabaal convie les
deux artistes un banquet auquel participent les crivains Joaqun Dicenta (18621917), Manuel Passo (1864-1901) et les figures politiques de la ville, de gauche
comme de droite : Vicente Blasco Ibez ainsi que les dputs conservateurs
Teodoro Llorente et Francisco Peris Mencheta (1844-1916). Le journaliste et
homme politique est un intime du roi Alphonse XIII, dont il couvre les
dplacements pour La Correspondencia de Espaa. LÕt 1900 passera la
postrit comme une des pages les plus marquantes de lÕhistoire de la cit
119.
120.
121.
Alejandro Saint-Aubin, ÒArte y artistasÓ, Heraldo de Madrid, Madrid, 11/06/1900 ;
Anonyme, ÒEn honor de SorollaÓ, La Unin Democrtica, Alicante, 14/06/1900 et Csar
Gnzalez Ruano, ÒLos dos Cristinos Martos y su tiempoÓ, La Vanguardia, Barcelone,
16/03/1944.
Anonyme, ÒBenlliure y SorollaÓ, La Correspondencia de Valencia, Valence, 2/08/1900.
Anonyme, ÒSorolla y BenlliureÓ, [El Pueblo], [Valence], 29/07/1900
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
76
levantine qui continue, aujourdÕhui, dÕen fter lÕanniversaire.122 Cent ans plus
tard, le Muse San Po V accueillera une exposition intitule Mariano Benlliure y
Joaqun Sorolla. Centenario de un homenaje.123
En toute logique, Heraldo de Madrid consacre une importante couverture
lÕExposition Nationale de 1901 car la rforme du concours laisse prsager une
large victoire de Sorolla qui est le seul prtendant la Mdaille dÕHonneur. Aprs
lÕannonce du rsultat, le 6 mai, un cortge improvis, compos de journalistes et
dÕadmirateurs du peintre, prend le chemin de son atelier pour lui faire part de la
nouvelle et recueillir ses premires impressions. Parmi eux se trouve Jos
Canalejas, le fondateur du journal, qui va devenir ministre de lÕAgriculture, de
lÕIndustrie et du Commerce au sein du cabinet form par Sagasta, en mars 1902.
Le 7 mai, Heraldo de Madrid est le premier journal annoncer lÕattribution de la
Mdaille dÕHonneur Sorolla car Alejandro Saint-Aubin, son secrtaire, fait
partie du jury tendu une centaine dÕartistes.124 Deux jours plus tard, le 9, le
journal organise le troisime banquet, Madrid.125 Cette fois, le ministre de
lÕInstruction Publique et des Beaux-Arts, le comte de Romanones, prside luimme lÕassemble aux cts de Jos Canalejas. Trois crivains de la gauche
rpublicaine, Benito Prez Galds (1843-1920) Joaqun Dicenta et Jacinto
Octavio Picn, participent ce rassemblement des amis du peintre. En 1903,
Picn sera lu dput sous les couleurs de lÕUnion Rpublicaine aux cts de
trente-cinq autres, dont Joaqun Costa (1846-1911) et Nicols Salmern (18381908).
Les divers hommages offerts Sorolla, tant Madrid quÕ Valence,
rassemblent une majorit de personnalits de gauche, de sorte que, si les
convictions personnelles du peintre rejoignent, cette poque, celles de ses amis,
sa couleur politique doit se situer quelque part entre le rpublicanisme de Blasco
Ibez et le monarchisme dmocratique de Canalejas mme si aucun document
nÕtaye cette supposition. Le peintre ne sÕest jamais exprim publiquement sur sa
filiation politique, certainement pour ne pas sÕaliner une partie de sa riche
122.
123.
124.
125.
Vicente Vidal Corrella, ÒSorolla y Benlliure en la Feria de 1900Ó, Las Provincias,
Valence, 30/07/1961.
Mariano Benlliure y Joaqun Sorolla. Centenario de un homenaje, Valence, Generalitat
Valenciana, 2000.
Alejandro Saint-Aubin, ÒArte y artistasÓ, Heraldo de Madrid, Madrid, 7/05/1901.
Alejandro Saint-Aubin, ÒEn los Viveros. Banquetes de hoyÓ, El Heraldo, Madrid,
10/05/1901.
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
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clientle. Cela ne veut pas dire quÕil nÕa pas dÕopinion politique, bien au contraire.
LÕcrivain Po Baroja fera un court portrait du peintre dans lequel il dcrira un
homme trs intelligent et qui, sur le plan politique, avait les ides trs claires.126
Mais Sorolla nÕadhre aucun parti et sait, semble-t-il, se maintenir lÕcart des
cercles si lÕon en croit plusieurs sources concordantes dont fait partie ce
tmoignage du cramiste valencien Manuel Gonzlez Mart (1877-1972) :
En Valencia careca de tertulia [É] En Madrid, las tertulias, no muy nutridas, las
tena los domingos, por la maana de 12 a 2; periodistas literatos compaeros;
porque durante los das de la semana, el criado tena la consigna: El seor est
trabajando y no recibe.127
Contrairement dÕautres artistes de sa gnration tels que Santiago Rusiol,
Jos Gutirrez Solana, Cecilio Pl (1860-1934), Ricardo Baroja (1871-1953) et
beaucoup dÕautres, Sorolla nÕest pas un intellectuel. Il ne sÕexprime quasiment
jamais sur des sujets dÕordre public et ne signe que trois textes diffuss dans la
presse : un article consacr au peintre sudois Anders Zorn, un hommage
posthume au peintre Jos Benlliure Ortiz (1884-1916) Ð communment dsign
sous ses diminutifs Peppino ou Pepito Ð, le fils de son ami Jos Benlliure Gil, et
une lettre ouverte adresse au quotidien La Correspondencia de Valencia,
concernant lÕdification dÕun Palais des Arts Valence.128 Mais ces textes sont-ils
bien de lui ? Rien nÕest moins sr. DÕautres crits ne peuvent plus lui tre
attribus aujourdÕhui. LÕcrivain Azorn (1873-1967) affirme avoir compos sa
place une prface pour lÕexposition dÕun peintre amricain et cÕest un homme
politique, Amalio Gimeno (1852-1936), qui pourrait tre le vritable auteur de son
126.
127.
128.
Po Baroja, Desde la ltima vuelta del camino: memorias. IV. Galera de tipos de la
poca, Madrid, Biblioteca Nueva, 1952.
Pelejero, ÒUsted que conoci a Sorolla, dganos Àcmo era?Ó, Levante, Valence,
17/09/1959. Voir aussi Vicente Blasco Ibez, ÒCrnica artstica. SorollaÓ, El Pueblo,
Valence, 5/06/1897 et, enfin, Lon Roch, ÒJoaqun SorollaÓ, La Ilustracin Artstica,
Barcelone, 2/07/1900. Ç Ë Valence, il manquait de relation. Ë Madrid, il frquentait des
cercles, pas trs frquents, les dimanches matin de midi deux heures ; journalistes,
hommes de lettres, camarades ; car durant la semaine, le gardien avait la consigne
suivante : Monsieur est en train de travailler et ne reoit pas. È
Joaqun Sorolla y Bastida, ÒApunte sobre ZornÓ, La Lectura, Madrid, 1903. ÒPepito
BenlliureÓ, Rosas y Espinas, Valence, 10/1916 et ÒCarta abiertaÓ, La Correspondencia de
Valencia, Valence, 20/12/1916.
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
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discours dÕinvestiture lÕAcadmie Royale de San Fernando.129 Tous les titres
ÒlittrairesÓ de ses tableaux thse sont souffls par des tiers. Vicente Blasco
Ibez dcouvre probablement ÁAn dicen que el pescado es caro! et cÕest au
docteur Luis Simarro que lÕon doit les titres Triste herencia et Trata de
blancas.130 Sorolla ne publie aucun livre, ne prononce aucun discours et refuse
mme de prendre la parole devant un auditoire. Ë lÕoccasion dÕun banquet, Jos
Canalejas lui vite soigneusement cette peine par une pirouette reste clbre :
Ç no necesita hablar el que tan admirablemente pinta. È131 Il ne possde ni la
formation acadmique ni la culture suffisante pour occuper lÕespace public de
cette faon.132 CÕest en tant quÕartiste de rang international quÕil sÕattire la
sympathie dÕune partie des lites intellectuelles du pays car il incarne la fois la
nouvelle gnration, la rnovation artistique, mais aussi la russite au plus niveau.
Tous ces aspects de son parcours sont favorablement accueillis par les partisans
dÕun certain ÒrformismeÓ politique car ils font cho leurs propres engagements.
Cette identification orientera leur manire de lire ses tableaux. On sÕintressera
donc ici la vision des rpublicains qui, naturellement, identifirent leurs luttes
sa peinture de la dnonciation sociale. Le principal tableau de cet ensemble, Triste
herencia, donnera lieu de nombreuses lectures, ainsi quÕon va le voir
maintenant.
On a cit prcdemment un article du Valencien Vicente Blasco Ibez, une
des figures les plus emblmatiques de ce groupe, en particulier parce quÕil
dirigeait El Pueblo. Journaliste, romancier et homme politique farouchement
129.
130.
131.
132.
Azorn (Jos Martnez Ruiz), Obras selectas, Madrid, Biblioteca Nueva, 1943, page 156
et Florencio de Santa-Ana, ÒSorolla en el contexto de la pintura valenciana de su tiempoÓ
in Conocer el Museo Sorolla, Diez aportaciones a su estudio, 1986, pages 5-12.
Hiplito To, ÒSorolla era en la intimidad un hombre cariosoÓ, Las Provincias, Valence,
17/04/1960.
Anonyme, ÒEn los Viveros. Banquetes de hoyÓ, Heraldo de Madrid, Madrid, 10/05/1901.
Ç Celui qui peint si admirablement nÕa pas besoin de parler. È
On peut consulter ce sujet un entretien accord par Sorolla la revue Por esos Mundos,
dans lequel on peut lire :
- ÀEstudi usted alguna carrera?...
La de pintor, Áno le digo!... en vez de aprender a leer y escribir, yo pintaba monos, y
de tal manera me dediqu yo a la pintura, que abandonaba cualquiera otra
instruccin. ÁCon decir a usted que hoy es y me cuesta trabajo ser correcto
ortogrficamente! Y es que nosotros quisiramos hablar con los colores. [É] in El
Duende de la Colegiata, ÒSorollaÓ, Por esos Mundos, Madrid, [1913].
Ç - Avez-vous fait des tudes ?... - Celles de peintre, quelle histoire !... au lieu
dÕapprendre lire et crire, moi je peignais des singes et je me suis tellement consacr
la peinture que jÕai nÕglig tout autre enseignement. Sachez quÕil mÕest aujourdÕhui
difficile de ne pas commettre de fautes dÕortographe ! Parce que nous, nous voulions
parler avec les couleurs. È
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
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anticlrical et antimonarchiste, lu six fois dput sur les bancs rpublicains entre
1898 et 1908, il est plusieurs fois emprisonn puis amnisti. La relation entre
Blasco et Sorolla est aujourdÕhui plus clbre que connue, car les sources
manquent, un point sur lequel on reviendra dans le chapitre consacr au
franquisme. La bibliographie, en revanche, ne manque pas. La tentation dÕassocier
le peintre et lÕcrivain a souvent conduit les critiques des conclusions htives
tel point quÕils ont fini par forger une lgende selon laquelle les deux Valenciens
auraient t unis par toutes sortes dÕaffinits : personnelles, artistiques et mme
politiques.133 Les mmes sources reviennent cÕest--dire les articles de presse de
Blasco Ibez et la prface dÕune rdition de Flor de mayo publie en 1923,
lÕanne de la mort du peintre. On peut y lire par exemple : Ç Trabajamos juntos, l
en sus lienzos, yo en mi novela, teniendo enfrente al mismo modelo. As se
reanud nuestra amistad, y fuimos hermanos, hasta que hace poco nos separ la
muerte. Era Joaqun Sorolla. È134
Blasco et Sorolla se sont rencontrs tardivement, contrairement une ide
reue, dont lÕorigine se trouve, selon toute vraisemblance, dans cette prface.
LÕcrivain y consigne en effet le bref tmoignage suivant : Ç Este pintor y yo nos
habamos conocido de nios, perdindonos luego de vista. Vena de Italia y
acababa de obtener sus primeros triunfos. È135 Selon lÕhypothse la plus crdible,
les deux hommes auraient t prsents par un ami commun en 1894, lÕanne de
la fondation dÕEl Pueblo.136 Le peintre a alors trente et un ans, et lÕcrivain vingtsept. Il faut souligner que Sorolla vit Madrid depuis dj quatre ans et quÕen
dehors de courts sjours, il nÕa pas rsid Valence depuis son dpart pour Rome
133.
134.
135.
136.
Amalio Gimeno, ÒLlorente, Blasco Ibez, Sorolla y BenlliureÓ, El Liberal, Madrid,
07/1924. J. Bort-Vela, ÒSorolla y Blasco Ibez, glorias seeras de ValenciaÓ, El Pueblo,
Valence, 3/01/1934. Len Roca, ÒCmo conoci Blasco Ibez a SorollaÓ, Levante,
Valence, 16/10/1959. Emilio Gasco Contell, ÒLas playas de Sorolla y de Blasco IbezÓ,
ABC, Madrid, 29/09/1965. Francisco Cars, ÒBlasco y Sorolla inventaron la MalvarrosaÓ,
Arte y Libertad, Valence, 3/05/2007 ainsi que cet article prtention scientifique : Andrs
Ubeda de los Cobos, ÒSorolla y el escritor Blasco IbezÓ in Conocer el Museo Sorolla.
Diez aportaciones a su estudio, Madrid, Ministerio de Cultura, 1986, pages 47-54.
Vicente Blasco Ibez, Flor de mayo, Valence, Prometeo, 1923, page 10. Ç Nous
travaillions ensemble, lui ses toiles, moi mon roman, face au mme modle. CÕest
ainsi que nous avons renou amiti, et nous avons t des frres, jusquÕ ce quÕil y a peu
la mort nous spare. CÕtait Joaqun Sorolla. È
V. Blasco Ibez, Flor deÉ page 10. Ç Ce peintre et moi, nous nous tions connu plus
jeunes, avant de nous perdre ensuite de vue. Il arrivait dÕItalie et venait dÕobtenir ses
premiers triomphes. È
Extraits du journal intime de Archer M. Huntington in Sorolla y la Hispanic Society. Una
visin de la Espaa de entresiglos, Madrid, Museo Thyssen Bornemisza, 1999, page 377.
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
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en 1885. Comment, dans ce cas, traduire ÒnioÓ ? Blasco veut-il parler des jeunes
hommes quÕils taient tous deux en 1894, ou fait-il allusion une rencontre
antrieure, durant leur enfance ou leur adolescence ? Son propos est suffisamment
flou pour laisser entendre les deux choses. Sorolla nÕa jamais prtendu lÕavoir
rencontr durant son enfance, dÕailleurs Blasco Ibez appartenait une classe
sociale trs suprieure la sienne.
En tant quÕartiste, Sorolla a dÕabord recherch la protection de la
bourgeoisie de la ville. Ses premiers ÒprotecteursÓ et mcnes sont le marquis de
Villagracia, Luis Santoja Crespo (inc.-inc.), et le photographe Antonio Garca y
Peris.137 Ces hommes ont plus dÕargent, de relations, de pouvoir et dÕexprience
que lui. Ce nÕest pas le cas de Vicente Blasco Ibez et tout porte croire que
Sorolla ne cherche pas se rapprocher du jeune journaliste. Lui-mme est dj
connu Madrid et ce nÕest pas encore le cas du romancier nophyte. Il vient de
dominer lÕExposition Nationale en Òpeintre thseÓ, au printemps 1894, et il
prpare un tableau pour le Salon parisien, La vuelta de la pesca, alors que Blasco
Ibez vient tout juste de publier son premier roman, Arroz y tartana. Inspir des
conflits de classe Valence, le livre parat sous la forme de roman-feuilleton en
1894, dans El Pueblo. Pour lÕhistorien de lÕart Julin Gallego (1919-2006), le
personnage de lÕenfant abandonn sur le march par son pre, un immigr
aragonais, pourrait avoir t calqu sur lÕhistoire du pre de lÕartiste, Joaqun
Sorolla Gascn.138 Quand il rencontre Sorolla, Blasco ne travaille pas encore son
second ouvrage, Flor de mayo (1895). Ë cette poque, le jeune crivain observe
son compatriote travers le prisme de ses propres ambitions. Il considre que son
an est la peinture ce quÕil entend devenir lui-mme la littrature, cÕest--dire
un artiste engag, libre et insoumis, des ides que lÕon retrouvera ensuite chez
dÕautres rpublicains tels que Rodrigo Soriano, Jos Cintora Prez, Flix Azzati
(1874-1929) ou Roberto Castrovido y Sanz (1864-1941). Ce dernier semble
convaincu que Sorolla est un artiste rebelle qui sÕest rendu coupable dÕune
trahison impardonnable en enlevant la plus haute rcompense de lÕExposition
Universelle. Dans un article intitul ÒLa lucha por la medallaÓ, il voque la fois
son indpendance et son insubordination vis--vis de ses pairs :
137.
138.
Blanca Pons-Sorolla, Joaqun Sorolla. Vida y obra, Madrid, Fahah, 2001, page 56.
Julin Gallego, ÒBocetos de una vida de pintorÓ in Paisajes de Granada de Joaqun
Sorolla, Grenade, Fundacin Caja de Granada, 1997, page 15.
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Antes de abrirse la Exposicin ya saba de memoria lo que se iba a decir y a escribir
contra el premiado en Pars. ÁOh! Àcmo le iban a perdonar ese desacato los
acadmicos, los lamidos, los fracasados? Devoraron entonces la hiel y vinagre de su
envidia, se les meti dentro el pus de su impotencia; pero ah estn ahora fieros,
terribles, los gozquecillos convertidos en tigres, evitando que a Sorolla se le d lo
que merece: la medalla de honor.
139
On retrouve dans ce passage lÕopposition entre la France et lÕEspagne. En
effet, Castrovido sÕattache dmontrer lÕinfriorit de lÕExposition Nationale
espagnole par rapport son quivalent franais et il faut rappeler ici que pour les
rpublicains espagnols la IIIe Rpublique est le modle politique suivre. En
filigrane, la comparaison sÕtend donc aux rgimes en vigueur dans les deux
pays : la monarchie alphonsine et la IIIe Rpublique franaise. Blasco affirme
dÕailleurs sans hsitation : Ç El aplauso extranjero es el que ms vale y ms
ruidosamente suena. È140, en faisant allusion deux Rpubliques, la France et
lÕArgentine car, partir de 1897, Sorolla coule ses tableaux avec succs
Buenos Aires par lÕintermdiaire de Jos Artal (1862-1918), un marchand
espagnol tabli dans cette ville.141
Plus dÕun aspect du parcours, et de faon plus globale, du pass du peintre,
font cho des luttes menes par ces hommes, en particulier celle pour lÕgalit
des chances. Les origines sociales de Sorolla sont modestes et il gravit un un les
chelons dÕun parcours qui ne fait pas de distinction de classe. Dans sa peinture, la
population laborieuse Ð travailleurs de la mer et des champs Ð occupe une place
prpondrante puisquÕelle lui inspire les sujets de la plupart de ses tableaux Ò
concoursÓ. Il ralise, par exemple, une srie reprsentant les activits des pcheurs
ou encore lÕlaboration des raisins secs Jvea, un village de la cte valencienne.
139.
140.
141.
Roberto Castrovido, ÒLa lucha por la medallaÓ, Heraldo de Madrid, Madrid, 05/1901.
Ç Avant lÕouverture de lÕExposition, je savais dj par cÏur ce qui allait tre dit et crit au
sujet du Grand Prix de Paris. Ah ! Comment ces acadmiciens, ces vendus, ces rats
allaient-ils lui pardonner cet affront ? Ils dvorrent alors le fiel et le vinaigre de leur
jalousie, ils avalrent le pus de leur impuissance ; mais les voil maintenant changs en
btes froces, terribles ; de petits roquets, ils sont devenus tigres, et font en sorte que
Sorolla nÕobtienne pas ce quÕil mrite : la mdaille dÕhonneur. È
Vicente Blasco Ibez, ÒSorollaÓ, El Pueblo, Valence, 5/06/1897. Ç Les applaudissements
trangers sont ceux qui ont le plus de valeur et font le plus de bruit. È
On peut voir ce sujet Los Salones Artal. Pintura espaola en los inicios del siglo XX,
Madrid, Ministerio de Cultura, 1995 et Ramn Garca Rama, ÒHistoria de una emigracin
artsticaÓ in Otros emigrantes. Pintura espaola del Museo Nacional de Bellas Artes de
Buenos Aires, Salamanque, Caja Salamanca y Soria, 1995, pages 17-45.
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
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De mme, sa peinture Ò thseÓ prend le parti de montrer crment les conditions
de vie des couches infrieures de la socit, notamment celles des pcheurs dans
ÁY an dicen que el pescado es caro! Dans les colonnes de la presse rpublicaine,
la vie de Sorolla finit par ressembler une saga car certains de ses aspects ont t
non seulement mis en avant au profit dÕautres, mais aussi le plus souvent
amplifis et dforms. Orphelin de pre et de mre, recueilli par des gens
modestes, le garon deviendrait un des plus grands peintres du monde et peindrait
indiffremment les petits et les puissants, peut-on lire dans The New York Times
qui crit au sujet de lÕEspagnol lÕanne de son exposition newyorkaise : Ç Painter
of splendors and squalors, of fishermen, peasants, and Kings È, Ç Peintre des
splendeurs et des misres, des pcheurs, des paysans et des rois. È.142 Aux tatsUnis, lÕincroyable ÒsuccessÕstoryÓ de lÕorphelin devenu riche et clbre
passionnera tellement quÕelle contribuera au succs de ses deux expositions
itinrantes.
En Espagne comme lÕtranger, lÕenfance de Sorolla est gnralement
place sous le signe de lÕadversit et souvent rapporte avec des accents
misrabilistes et / ou piques comme le montre une biographie illustre publie
dans la revue Blanco y Negro, en 1919 : Ç Sus padres adoptivos quisieron dotarle
de medios para que siguiese los estudios de la pintura ; lucharon con la pobreza, y
sta hubiera vencido si la fortuna no vuelve al lado de Sorolla, despus de haberle
castigado con tanta crueldad la desgracia. È143 Cette image toute faite, forge
autour de 1900, traversera les poques et les frontires et connatra mme un
nouvel ge dÕor sous la Seconde Rpublique, ainsi quÕon le verra plus avant. On y
retrouve, comme une constante, la valeur du travail qui est perue comme la seule
rcompense juste. De ses origines sociales et de sa formation initiale dans lÕatelier
de lÕoncle, Sorolla tirerait sa lgendaire assiduit la tche. Un journaliste de La
Ilustracin Nacional dcrit le peintre comme un besogneux, vivant loin du
monde, reclus dans son atelier. Selon lui, il tirerait sa ÒnoblesseÓ de cet asctisme
et, en plagiant Voltaire, il estime que Sorolla, comme le plbien mritant, ÒporteÓ
142.
143.
Elizabeth Newport Hepburn, ÒSorollaÓ, The New York Times, New York, 6/03/1909. La
mme ide est reprise par Silvio Lago [ÒSorolla y los niosÓ, La Esfera, Madrid,
1/01/1927],
Rafael Domnech, ÒJoaqun SorollaÓ, Blanco y Negro, Madrid, 27/04/1919. Ç Ses parents
adoptifs ont voulu lui donner les moyens de suivre la formation de peintre, ils luttrent
contre la pauvret et elle aurait triomph si la bonne fortune nÕtait pas revenue aux cts
de Sorolla, aprs que le malheur sÕest abattu avec tant de cruaut. È
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
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son nom, alors que le noble, qui ne possde aucun talent, le ÒtraneÓ.144
En 1899, Rodrigo Soriano consacre un article Triste herencia, un tableau
connu cette poque sous son premier titre, Los hijos del placer. 145 En tant que
critique dÕart, Soriano collabore avec des journaux de tous bords, du conservateur
La poca, ses dbuts, jusquÕau journal rpublicain El Pueblo. Selon Blasco
Ibez, le tableau nÕaurait jamais vu le jour si le peintre nÕavait pas reu le soutien
de ses amis rpublicains.146 LÕcrivain raconte quÕaprs avoir peint les premires
bauches, Sorolla tait sur le point dÕabandonner sa toile car il la trouvait
beaucoup trop sombre et contraire son temprament. Mais au cours dÕun repas
chez le conseiller municipal Francisco Garrido (inc.-inc.), Rodrigo Soriano,
Roberto Castrovido et lui-mme, russissent le convaincre de persvrer en
vantant la porte sociale de son projet. Dans un article publi dans le quotidien
rpublicain, Rodrigo Soriano sÕattache tout dÕabord relever une parent entre la
peinture sociale de Sorolla et le naturalisme de quatre crivains, Benito Prez
Galds, Jacinto Octavio Picn, Emilia Pardo Bazn (1851-1921) et Armando
Palacio Valds (1853-1938). Selon lui, la conscience sociale du peintre affleure
dans la vrit de son dessin. Il fait rfrence la non idalisation des corps
mutils, dforms par les malformations congnitales ou dcharns par la
malnutrition et la maladie. Jos Cintora Prez pousse encore plus loin
lÕinterprtation de ce tableau. Selon lui, le corps souffrant de lÕenfant infirme
reflte lÕtat du corps social dans son ensemble :
Pero el poeta, el artista, el pensador, ve en el espectculo que ofrecen esas infelices
criaturas, esos seres raquticos, anmicos, escrofulosos, deformes, que muestran
desnuda toda la realidad de una espantosa miseria fisiolgica, algo ms hondo y ms
trascendental. Ve all en esos cuerpecillos entecos, de miembros desproporcionados,
de configuracin repulsiva y antiesttica, la imagen viviente, exacta, desconsoladora,
horripilante de las desigualdades, los vicios, las deformidades del gran cuerpo
social.147
144.
145.
146.
147.
ÒEscena de la costaÓ, La Ilustracin Nacional, Madrid, 18/04/1898.
Rodrigo Soriano, ÒLos hijos del placerÓ, El Pueblo, Valence, 4/11/1899.
Vicente Blasco Ibez, ÒEl gran SorollaÓ, El Pueblo, 1900.
Jos Cintora, ÒEl cuadro de SorollaÓ, [Heraldo de Madrid], [Madrid], 05/1901. Ç Mais le
pote, lÕartiste, le penseur, voit dans le spectacle quÕoffrent ces malheureux petits, ces
tres rachitiques, anmiques, scrofuleux, difformes, qui mettent nue toute la ralit
dÕune pouvantable misre physiologique, quelque chose de plus profond et de plus
transcendantal. Il voit dans ces petits corps chtifs, aux membres disproportionns, dans
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
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Bien que trs postrieure, il faut ajouter aux prcdentes une autre
interprtation de ce tableau, tire dÕun article de Flix Azzati. Ce Valencien
dÕorigine italienne participa la fondation dÕEl Pueblo. De 1908 1923, il sera
dput rpublicain pour la circonscription de Valence. Il publiera un article au
lendemain de la mort du peintre, dans lequel on peut lire : Ç Su cuadro ÁAn dicen
que el pescado es caro! tiene el sabor trgico del proletariado del mar. [É] Al
lado de esta maravillosa accin imprecatoria del arte ha de figurar forzosamente
su otro cuadro Triste herencia que no es sino la traduccin de una sensibilidad en
la que palpitan todas las protestas y todas las rebeldas. È148 Pour Azzati, les deux
tableaux tmoignent de lÕengagement du peintre en faveur dÕune socit plus
quitable et plus juste, une position conforme ses propres convictions
idologiques. Lors du banquet valencien dÕaot 1900, dont il a t question
prcdemment, lÕcrivain partisan du rpublicanisme Joaqun Dicenta rdige un
court pome dans lequel il imagine runir entre ses mains les talents conjugus du
sculpteur et du peintre afin de mieux les mettre la disposition dÕune plus grande
justice sociale. Il entend faonner ainsi ce quÕil considre comme son chefdÕÏuvre, cÕest--dire Ç un monde sans infamies È :
ÁLas manos de Benlliure y de Sorolla!
ÁQuin estas manos manejar pudiera
Para servir a la justicia humana
Y poner en accin a las ideas!...
Si yo las poseyese, si esos msculos
Que al arte rediviven y encadenan,
Pudiera ser clarn de mis deseos
Y ejecutar lo que mi anhelo intenta,
Yo hara algo sublime,
Una obra justa colosal, eterna.
ÀCul? Modelar un mundo sin infamias
Y pintar una patria sin fronteras.149
148.
149.
cette complexion repoussante et anti-esthtique, lÕimage vivante, exacte, alarmante,
exasprante des ingalits, des vices, des difformits du grand corps social. È
Flix Azzati, ÒEntierro de Joaqun SorollaÓ, El Pueblo, Valence, 14/08/1923.
Cit par Julio Just Jimeno, ÒEl seor de la chisteraÓ, El Pueblo, Valencia, 14/08/1923.
Ç Les mains de Benlliure et de Sorolla ! / Qui de ces mains pourrait faire usage / Afin de
servir la justice des hommes / Et mettre les ides en action !... / Si je le pouvais moimme, si ces muscles / qui pour lÕart ressuscitent et en brisent les chanes / Je pourrais
I. Les Salons de peinture : un parcours de la reconnaissance 1881-1901
85
Les intentions artistiques qui traversent la peinture de Sorolla rejoignent les
ides de justice et dÕgalit sociale que Vicente Blasco Ibez et Rodrigo Soriano
dfendent depuis les bancs de lÕopposition. Par ailleurs, la prsence de sujets
rgionaux dans plusieurs tableaux prsents lÕtranger, alimente lÕide de son
adhsion intellectuelle et de sa volont de promouvoir un certain ÒvalencianismeÓ,
qui leur tait si cher. Hors des frontires du pays, la russite artistique de ÁAn
dicen que el pescado es caro !, La vuelta de la pesca, Pescadores valencianos, La
bendicin de la barca, ou encore de Triste herencia, etc. ne dmontre-t-elle pas,
ds lors, la valeur politique des ides portes par les rpublicains de Valence ?
Inversement, lÕchec de ces mmes toiles, en Espagne, ne signifie-t-elle pas
lÕinertie de ce pays et lÕhostilit de ses dirigeants leurs propositions dans le
domaine social ?
exprimer mes dsirs / Et excuter le fruit de ma volont / Je ferais quelque chose de
sublime, / Une Ïuvre juste, colossale, ternelle. / Laquelle ? Modeler un monde sans
infamies / Et peindre une patrie sans frontire. È
II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
86
II
LE MARCH DE LÕART :
U N P ARC O URS DE LA CON T EST A T IO N
1902 - 1923
Joaqun Sorolla nÕa pas encore quarante ans, mais il a dj remport les
deux plus belles rcompenses auxquelles il pouvait prtendre cÕest--dire le Grand
Prix de lÕExposition Universelle et la Mdaille dÕHonneur de lÕExposition
Nationale. Son parcours acadmique est dsormais clos. Dans la deuxime moiti
de lÕanne 1901, il ne cherche obtenir aucune charge officielle, ce qui constitue,
dans lÕEspagne de la Restauration, un fait assez rare pour tre relev. En effet,
pour assurer leur avenir matriel, les artistes recherchent la scurit dÕun poste
dÕenseignement ou dÕadministration dans telle ou telle institution des Beaux-Arts,
par exemple lÕAcadmie Espagnole de Rome, lÕAcadmie Royale des BeauxArts de San Fernando ou la Direction Gnrale des Beaux-Arts. En octobre
1901, la mort de Luis çlvarez Catal (1841-1901), directeur du Muse du Prado,
rend possible sa nomination cette charge. Ë Madrid, lÕide est Òdans lÕairÓ,
comme le montrent les inquitudes de Sorolla ce sujet. Dans une lettre adresse
son ami Pedro Gil Moreno de Mora (1860-1930), il crit : Ç Hasta la fecha nada
se sabe de la direccin del Museo, yo preferira que no me obligasen a ello pues es
cargo de responsabilidad y no podra trabajar libremente. È1 Le comte de
Romanones confie le poste un autre peintre, lÕAndalou Jos Villegas qui dirige
depuis quatre ans lÕAcadmie Espagnole de Rome et Mariano Benlliure est
nomm la place vacante.2
En choisissant de se consacrer pleinement son art, Sorolla tente un pari
risqu car il assurera son avenir matriel tant que sa peinture correspondra aux
1.
2.
Facundo Toms, Felipe Garn, Isabel Justo et Sofa Barrn, Epistolarios de Joaqun
Sorolla. I. Correspondencia con Pedro Gil Moreno de Mora, Barcelone, Anthropos,
2007, page 158. Ç Ë ce jour, personne ne sait rien de la direction du Muse, moi je
prfrerais quÕon ne mÕoblige pas lÕaccepter car cÕest une fonction responsabilit et je
ne pourrais pas travailler librement. È
çngel Castro Martn, ÒJos Villegas: vida y obraÓ in Jos Villegas (1844-1921), Cordoue,
Cajasur, 2001, page 79.
II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
87
besoins dÕun march, ou au moins dÕun ou de plusieurs riches clients. Pour
couler ses tableaux, il peut compter sur le constant accroissement du march de
lÕart sur le continent amricain puisque cÕest hors dÕEurope que les perspectives
de gain sont dsormais les plus intressantes. Sorolla le sait et envoie dj des
toiles au Chili, en Argentine et Cuba. Plus tard, sa peinture se vendra aussi aux
tats-Unis.
La fin de sa carrire acadmique concide exactement avec lÕavnement
dÕAlphonse XIII, un roi g de seize ans en 1902. Sous son rgne, le Classicisme
disparat compltement et la peinture de Òplein airÓ entre dans les acadmies des
Beaux-Arts. Dans ce contexte nouveau, les difficults que Sorolla a rencontres,
quelques annes auparavant, semblent dfinitivement dpasses. Ë la fin de
lÕanne 1902, le journal ABC invite ses lecteurs lire leurs personnalits prfres
dans le monde de la politique, de la musique, de la littrature, etc. sous la forme
dÕun ÒConcours de NolÓ. Prs de deux cent vingt mille bulletins de jeu sont
envoys la rdaction du journal et les rsultats sont publis le 20 dcembre. Le
torero Antonio Fuentes, qui totalise 23.423 voix, est dsign comme la
personnalit prfre des lecteurs, devant le sculpteur Mariano Benlliure, 19.063
voix, et le peintre Sorolla 14.201 voix. Le trio devance le chef libral Prxedes
Mateo Sagasta, 13.501 voix, et le musicien Toms Bretn (1850-1923), 10.438
voix, auteur de zarzuelas aussi populaires que La Verbena de la Paloma (1894) et
Botn de guerra (1896).3 La nouvelle popularit de Sorolla va de pair avec la
reconnaissance de la majorit des artistes. En effet, ds 1904, il est suffisamment
lgitime auprs de ses confrres pour prsider le jury de peinture de lÕExposition
Nationale. Trois ans plus tard et tout juste vingt ans aprs lÕchec de El entierro
de Cristo, Vicente Blasco Ibez constate ce renversement non sans scepticisme.
Espaa, aunque no lo parezca a primera vista, ha cambiado totalmente de
pensamiento en menos de veinte aos. Este pintor, joven y audaz, que llegaba de
Roma con una obra irrespetuosa para los cnones del arte y los seculares
convencionalismos de la pintura religiosa, fue acogida con una ÒbroncaÓ
3.
Anonyme, ÒNuestro Concurso de NavidadÓ, Blanco y Negro, Madrid, 20/12/1902 et
anonyme, ÒUn plebiscito popular hace cincuenta aosÓ, Dgame, Madrid, 9/06/1953.
II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
88
monstruosa, inmensa, slo comparable a la que recibe en la plaza de toros un
picador que comete el sacrilegio de manejar la garrocha fuera del reglamento.
4
En 1906, Il Giornale dÕItalia considre que Sorolla a guid toute une
gnration vers la rnovation de lÕcole espagnole en constatant que, la fin du
XIXme sicle, le pays avait accumul tant de retard sur ses voisins europens que
le rattrapper semblait alors infaisable :
Noi assistiamo, da qualche anno, a una mirabile rifioritura dellÕarte spagnuola.
Quando gli ultimi discepoli del Fortuny sembravano immobilizzati in una formula
che escludeva ogni nuova ricerca, e i pi grandi pittori della Spagna si perdevano in
un virtuosismo in cui la grande abilit di una facile tecnica poteva dare lÕillusione di
un vigore che era solo apparente, tutta una nuova generazione ha meravigliato
lÕEuropa con un rinnovamento che non sembrava possibile.5
Au sommet de sa gloire, Sorolla est reconnu et admir en Italie, en France,
en Autriche, en Allemagne, aux tats-Unis, etc. et ÒenfinÓ Ð devrait-on dire Ð dans
son pays dÕorigine, un dnouement que ses soutiens ont recherch tout au long de
lÕaffaire de la Mdaille dÕHonneur. Mais on verra que cette rcompense est aussi
le point de dpart dÕun parcours de la contestation que lÕon tentera dÕexposer dans
ce chapitre.
4.
5.
Vicente Blasco Ibez, ÒNieto de Velzquez, hijo de GoyaÓ, La Nacin, Buenos Aires,
3/03/1907. Ç Mme si cela ne saute pas aux yeux premire vue, lÕEspagne a
compltement chang de mentalit en moins de vingt ans. Ce peintre, jeune et audacieux,
qui arrivait de Rome avec une Ïuvre irrespectueuse envers les canons de lÕart et les
conventionnalismes sculaires de la peinture religieuse, fut accueilli sous un monstrueux
concert de hues, seulement comparable celui que reoit dans lÕarne le picador qui
commet le sacrilge de manier la pique dÕune faon contraire au rglement. È
Diego Angeli, ÒIl pensionato artistico spagnuoloÓ, Il Giornale dÕItalia, Rome,
18/02/1906. Ç Nous assistons, depuis quelques annes, une miraculeuse renaissance de
lÕart espagnol. Quand les derniers disciples de Fortuny semblaient figs dans une formule
qui excluait toute nouvelle recherche, et que les plus grands peintres dÕEspagne se
perdaient dans une virtuosit dont lÕhabilet certaine dÕune technique matrise pouvait
donner lÕillusion dÕune vigeur qui nÕtait en fait quÕapparente, toute une nouvelle
gnration dÕartistes a merveill lÕEurope avec un renouvellement qui ne semblait pas
possible. È
II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
89
II.1. DE LÕEXPOSITION PETIT A VISION DE ESPAA
Ë compter de 1902, deux leviers vont transformer la fois lÕactivit et la
peinture de Sorolla : dÕabord le principe commercial de la galerie dÕart, jusquÕen
1908,
puis
la
prdominance,
parmi
sa
clientle,
de
deux
puissants
commanditaires : la Maison Royale dÕEspagne et lÕHispanic Society of America
de New York. De mme, la perception de son parcours, en Espagne, nÕaurait plus
rien voir avec ce quÕelle avait t antrieurement car Sorolla ne montera aucune
exposition dans son pays natal. La critique espagnole assistera dsormais de loin
la poursuite de sa carrire, laissant la presse trangre et, le cas chant, des
correspondants lÕtranger, le soin de ragir chaud. CÕest par tlgramme que
les dpches arrivent aux rdactions des journaux espagnols. Le journal ABC fait
apparatre au-dessus de ses articles les mentions Òpor telgrafoÓ ou Òpor cableÓ.
Enfin, on essaiera de comprendre pourquoi partir de 1912, alors quÕil est g de
quarante-neuf ans et quÕil se trouve encore en pleine possession de ses moyens, le
Valencien disparat brusquement des colonnes de la presse. En effet, entre 1913 et
1922, la collection de coupures de presse ancienne du Muse Sorolla contient
seulement soixante-dix articles, soit sept articles par an6 ! Ce recul par rapport la
priode antrieure appelle ncessairement un rexamen de lÕide, communment
admise ce jour, selon laquelle le peintre aurait sombr dans lÕoubli seulement
aprs sa mort, quelque part entre 1926 et 1930.
1902 est pour Sorolla une anne de transition au cours de laquelle son
activit ralentit. En mars, il voyage pour la premire fois en Andalousie avant de
prendre la route de Paris puis de Londres car il souhaite contempler in situ la
Vens del espejo de Vlasquez, dans les salles de la National Gallery.7 Il a en tte
de peindre, sans contrainte, un nu conforme la tradition du genre. Depuis son
sjour Rome, il nÕa jamais ralis une telle Ïuvre tout simplement car elle ne
correspondait pas au got des Salons officiels. Durant lÕt 1903, il peint un chef
dÕÏuvre majeur, Sol de la tarde, un tableau qui aurait pu conclure son parcours
acadmique. Il reprend le motif de La vuelta de la pesca en lÕenveloppant dans
6.
7.
Voir plus haut le graphique n¡1. Rpartition des archives de presse du Muse Sorolla.
Diego Vlasquez, La Vens del espejo, 122Õ5x177, Londres, National Gallery, 16511660.
II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
90
une lumire du couchant. LÕcrivain Juan Ramn Jimnez se laissa envot par
cette atmosphre qui lui semblait irrelle : Ç La noche llega. El cuadro est ah
lleno de sol, lleno de rumor y de espuma. Parece un sueo. È8 Mais Sol de la tarde
laisse aussitt la place une peinture de plage qui prend pour sujet principal les
enfants au bain. Le Valencien adopte alors un regard trs photographique, base
de diagonales, et sÕattache rsoudre sur la toile des problmes techniques lis
la reprsentation dÕeffets lumineux et aquatiques.
Dans lÕaprs-guerre de Cuba, ces tableaux ne refltent pas le pessimisme
dominant et restituent, au contraire, la confiance du peintre en une Espagne
renaissante. Comme on le verra plus en dtail dans ce chapitre, sa peinture rejoint
les ides dfendues par les membres de lÕInstitution Libre dÕEnseignement.
Sorolla part du principe que ses tableaux doivent valoriser ce que son pays a de
plus prcieux et de plus digne dÕadmiration cÕest--dire le Territoire Ð les
paysages Ð, lÕHistoire Ð les monuments et les coutumes Ð, et le Peuple travers
ces enfants sains et heureux en qui il voit lÕavenir de son pays.9 Selon lui, les
problmes structurels, conomiques et sociaux, relvent de lÕaction politique quÕil
juge seule apte mettre en Ïuvre les solutions les plus adaptes leur nature et il
croit le jeune Alphonse XIII capable de rompre avec le pass et dÕinaugurer une
re nouvelle, tourne vers le progrs. Le peintre est conscient de lÕimportance des
images et il estime que ses toiles doivent accompagner lÕaction politique et ne pas
sÕy opposer.
Toujours en 1903, Sorolla est nomm acadmicien par lÕAcadmie Royale
des Beaux-Arts de Lisbonne. Ë cette occasion, il rencontre le peintre portugais
Carlos Reis (1863-1940) auquel il soumet lÕide de fonder une socit artistique
ibrique.10 En organisant alternativement des expositions communes, Madrid et
Lisbonne, les artistes des deux pays toucheraient une clientle plus large.
Sorolla et Reis cherchent vendre des tableaux aux amateurs des deux pays sans
aucun intermdiaire. Ce systme pouvait garantir aux artistes une rmunration
plus juste et une grande libert de cration. En effet, ces deux habitus des
8.
9.
10.
Juan Ramn Jimnez, ÒSol de la tardeÓ, Alma Espaola, Madrid, 13/03/1904. Ç La nuit
arrive. Le tableau est rempli de lumire, de bruit et dÕcume. On dirait un rve. È
Mara Luis Menndez Robles, ÒSorolla y su idea de EspaaÓ in Sorolla y su idea de
Espaa, Madrid, Ministerio de Cultura, 2009, pages 9-23.
Caiel, ÒUm grande pintor da actualidade. Uma idea de SorollaÓ, Diario de Noticias,
Lisbonne, 13/06/1903.
II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
91
concours et des commandes publiques connaissent les contraintes inhrentes
lÕactivit dÕun artiste de cette poque.
Durant vingt ans, lÕEspagnol avait prpar plusieurs concours par an et avait
accept les commandes qui sÕtaient prsentes, y compris celles qui ne
correspondaient pas son temprament artistique. Il avait une famille sa charge
et toutes les offres bien rmunres taient les bienvenues. En 1890, il avait reu
une importante commande du Snat pour un grand format historicocommmoratif reprsentant lÕinstant o la rgente Marie-Christine prte serment
la Constitution.11 Cette tche avait t pour notre peintre tout un pensum car la
scne devait tre entirement monte en atelier partir dÕbauches. En dcembre
1892, il avait crit son pouse : Ç Yo pinto el cuadro del Senado y va volando; si
supieras lo a disgusto que lo hago y lo que es el cuadro me compadecerasÉ È12
cÕest--dire Ç De mon ct, je peins le tableau du Snat et le travail avance vite ;
si tu savais de quoi il sÕagit et comme je le fais contre-cÏur, tu aurais piti de
moi. È Dans la correspondance prive du couple rcemment publie, ce sujet tait
pour Clotilde un motif dÕinquitude car elle connaissait lÕantipathie de son mari
pour le genre. Mais le tableau tait bien pay et lÕpouse, qui tenait les comptes du
foyer, se montra particulirement attentive au prompt achvement de cette
commande. Sa ralisation complte fut cependant interminable, puisque la toile
fut livre seulement en 1897. Aprs cela, Sorolla ne cacha pas sa lassitude dÕtre
trop souvent soumis des rgles imposes tantt par un commanditaire, tantt par
un jury de concours, et il rvait dÕinverser lÕordre des choses. Bien entendu,
lÕidal dÕun peintre est de reprsenter le motif quÕil a choisi selon sa propre ide
de lÕart. Mais ce qui est possible pour le peintre amateur ne lÕest pas pour le
professionnel. Sorolla ne possdait pas de fortune personnelle ; par consquent,
cela supposait que sa production ft accepte par le march de lÕart, sans quoi elle
resterait dans son atelier et constituerait une pure perte, au sens commercial du
terme.
Pour donner forme son aspiration, il commence ds 1903 prparer sa
premire exposition individuelle, dont il choisit de confier lÕinstallation un
marchand parisien. La location des murs dÕune galerie dÕart permet dÕcouler une
11.
12.
La jura de la Constitucin por la regente Da. Mara Cristina, 350x550, Madrid, Palais
du Snat, 1897.
Blanca Pons-Sorolla et Victor Lorente Sorolla, ÒEpistolarios de Sorolla III., Barcelone,
Anthropos, 2009, page 60.
II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
92
partie des tableaux accrochs dans lÕatelier mais aussi de se faire connatre et
dÕobtenir des commandes. Or, ce genre dÕentreprise comporte sa part de risques.
Une exposition monographique nÕest pas toujours rentable et Sorolla nÕa, cette
poque, aucune exprience en la matire. En France, il peut compter sur la bonne
rception de sa peinture car il a obtenu au Salon plus quÕune simple
reconnaissance, de La vuelta de la pesca Triste herencia. Expos hors
comptition au Salon de 1905, Sol de la tarde avait t trs remarqu. Ç Si lÕartiste
nÕtait tranger, il et dcroch la mdaille dÕhonneur È avait alors dclar un
journaliste.13 De plus, Paris est alors le meilleur endroit pour monter une
exposition dÕenvergure internationale. Deux galeristes, Georges Petit (1856-1920)
et Paul Durand Ruel (1831-1922), sÕy disputent le commerce des meilleurs
signatures. Le premier possde, rue de Sze, les locaux les plus vastes et les plus
modernes de la capitale. CÕest probablement cela qui dcide lÕEspagnol choisir
cette adresse. Pour profiter au maximum des grands espaces et donc rentabiliser
au mieux son investissement, il envoie environ cinq cent peintures. Or, une telle
quantit est trs excessive comme le souligne le critique tienne Charles qui
voque, dans La Libert, un ensemble Ç un peu ml. È14 Mais en dpit de ce
dfaut, lÕexposition nÕest pas un chec. En effet, le prestige que lÕEspagnol a
acquis dans la capitale franaise, quelques annes plus tt, paye. Il compense les
lacunes de ce premier essai et lÕexposition est trs rentable. La bourgeoisie
parisienne et les collectionneurs amricains investissent car ils voient dans cet
artiste cap une valeur sre. Par ailleurs, des peintres franais tablis Paris
achtent des tableaux pour leur propre compte. CÕest le cas de Lon Bonnat qui
fait lÕacquisition de deux grands formats peints Jvea et Claude Monet achte,
semble-t-il, une pochade que nous nÕavons pas russi localiser Giverny et qui
serait peut-tre perdue.15 Mais ce succs ne se renouvelera pas, ni en Allemagne
ni Angleterre, les pays qui doivent accueillir ses expositions suivantes.
LÕexposition allemande est, tout point de vue, un dsastre. En Espagne,
elle nÕa pas le moindre cho car aucun correspondant ne se trouve sur place et
parce que la presse allemande nÕest pas traduite. Nous nÕavons retrouv aucune
photographie de cette exposition parmi la presse trangre conserve au Muse
13.
14.
15.
Lon Ple, ÒSorolla y BastidaÓ, Les Annales Politiques et Littraires, Paris, 30/04/1905.
tienne Charles, ÒExposition Sorolla y BastidaÓ, La Libert, Paris, 12/06/1906.
Alfonso Snchez, ÒY para jardines, SorollaÓ, Informaciones, Madrid, 7/10/1958.
II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
93
Sorolla. Au dbut de lÕanne 1907, le peintre confie deux cent quatre-vingts
tableaux un marchand allemand qui organise une exposition itinrante Berlin,
Dsseldorf et Dresde. Ë nouveau, lÕEspagnol mise sur un pays qui avait
favorablement accueilli sa peinture lÕpoque o il participait aux Expositions
Internationales car il avait t rcompens deux fois Munich en 1892 et en 1897,
et une fois Berlin, en 1896. Le dtail de son envoi nÕest pas connu car il nÕexiste
pas de catalogue de cette exposition. En tout tat de cause, la presse allemande
conserve dans les archives du Muse Sorolla atteste la mauvaise rception des
toiles Outre-Rhin. Le rsultat commercial de lÕentreprise est dsastreux puisquÕun
seul tableau est vendu ! Plusieurs raisons pourraient justifier cet chec. Tout
dÕabord, Sorolla nÕest pas suffisamment ancr dans le paysage artistique allemand
en dpit des trois prix quÕil y avait dcrochs. Ensuite, non seulement il manque
cruellement dÕappuis sur place mais un de ses rivaux allemands, Max Liebermann
(1847-1935), voit dÕun mauvais Ïil lÕintrusion de lÕEspagnol dans son pays et
oriente la critique.16 LÕchec tient enfin son absence sur les diffrents lieux de
son exposition. En effet, le peintre ne se rend pas en Allemagne car il vient
dÕobtenir une importante commande du Roi Alphonse XIII. Cet vnement
concomitant nous oblige bifurquer vers lui avant dÕen venir lÕexposition
londonienne.
Au dbut de lÕt 1907, Sorolla sÕinstalle Sgovie pour peindre les
portraits de lÕInfante Isabelle de Bourbon, du Prince des Asturies, de la reine et du
roi qui sjournent au Palais de La Granja de San Ildefonso. Les quatre toiles
doivent ensuite rejoindre lÕAngleterre, o elles seraient offertes la famille royale
pour commmorer le premier anniversaire de lÕunion entre le roi Alphonse XIII et
la princesse britannique Victoria Eugenia de Battenberg.17 Jusque-l, Sorolla nÕa
jamais travaill pour la Maison Royale. Il a peint un portrait de la rgente MarieChristine en 1887 pour la Direction Gnrale de la Poste et une scne de serment
la Constitution commande par le Snat et livre en 1897. Enfin, il a achev en
1906 un double portrait de la rgente et du jeune Alphonse XIII pour le compte du
ministre des Affaires trangres18. Pour ces trois tableaux, les membres de la
16.
17.
18.
Anonyme, ÒEine MonsterausstellungÓ, Berliner Tageblatt, Berlin, 1/02/1907.
Jordane Fauvey, Joaqun Sorolla, pintor del Rey Alfonso XIII, Besanon, Presses
Universitaires de Frenche-Comt, 2009, page 63.
Retrato de la reina Mara Cristina, 141x90Õ30, Madrid, Direction Gnrale de la Poste,
1887. La jura de la Constitucin por la regente Da. Mara Cristina, 350x550, Madrid,
II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
94
famille royale nÕont pos que pour le photographe. Pour le dernier, le peintre a
travaill partir des clichs de Christian Franzen, le photographe de la cour. Les
archives de lÕatelier photographique Franzen conservent un portrait indit du
jeune Alphonse XIII avec, au second plan, notre peintre accroupi derrire un
fauteuil, supervisant la sance.19 Mais en 1907, Alphonse XIII pose et cÕest cette
occasion que les deux hommes se rencontrent et se lient dÕamiti. Sorolla a
cherch obtenir une commande royale et il y est parvenu grce au marquis de
Viana qui est alors un des hommes les plus proches du souverain20. Au moins
jusquÕ la fin de son parcours de ÒsalonnierÓ, le Valencien est peru comme un
rpublicain, en particulier parce que lÕon connat bien sa peinture sociale et que
les rpublicains de Valence sÕidentifient elle. Mais de toute vidence, Sorolla
nÕest pas anti-monarchiste Ð lÕa-t-il t jadis ? Ð et partir de sa rencontre avec
Alphonse XIII, il donnera de plus en plus de gages de son attachement la
personne du roi et dÕun certain patriotisme.
Dans les jardins du palais, Sorolla campe ses modles sous la lumire
naturelle filtre par la frondaison des arbres. Le roi, tout juste g de vingt-et-un
ans, accepte volontiers lÕide dÕun portrait de facture ÒimpressionnisteÓ, frais et
dynamique, propre moderniser lÕimage de la monarchie. Sorolla nÕest pas un
spcialiste du portrait royal comme lÕest, par exemple, le Hongrois Philip de
Lzl (1869-1937) qui a peint les souverains de son temps dans toute lÕEurope, en
Angleterre, en Italie, en Espagne, Monte-Carlo, etc. Or, le Valencien est un
peintre de la lumire et du mouvement et cÕest justement pour cette raison quÕil
peut sÕaffranchir des codes du genre et renouveler lÕimage du roi. Pour la
premire fois, un portrait de cour est peint en plein air, entirement sur le motif.
LÕvnement est bien couvert par le journal monarchiste ABC qui possde une
rubrique mondaine quotidienne intitule ÒDe PalacioÓ.21 Sur place, le photographe
Campa, Jos Mara Demaria Lpez (1870-1936), ralise un reportage
photographique qui sera ensuite largement diffus par la presse illustre espagnole
et trangre. En France, la revue LÕIllustration publie plusieurs clichs et dcrit
19.
20.
21.
Palais du Snat, 1897 et La Regencia, dim. inc., Madrid, Ministre des Affaires
trangres, 1906.
Archives Christian Franzen, Madrid. F4650.
Ibidem, J. Fauvey, ÒJoaqunÉÓ, page 56-57.
Les archives du journal ABC sont librement accessibles depuis la bibliothque numrique
en ligne http//www.hemeroteca.abc.es/. Elles couvrent une priode allant de 1891 nos
jours.
II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
95
ainsi les sances de pose du roi, en plein air : Ç Quant au Roi Alphonse, il a
consacr quelques-unes des heures de loisir que lui laissait cette villgiature
poser dans un coin ombreux des jardins: il a confi, en effet, au peintre Sorolla y
Bastida, le soin de faire de lui un portrait en grand uniforme, sabre au poing, tte
nue. È22 On peut y voir le jeune Alphonse XIII posant en uniforme de hussard
mais aucune photographie ne montre Victoria Eugenia de Battenberg posant en
extrieur. En effet, la jeune reine sÕest montre trs rtive au projet ÒpleinairisteÓ,
obligeant son excutant retoucher continuellement sa toile. Ces rticences,
auxquelles personne ne semble alors prter attention, prdisent la mauvaise
rception des tableaux la cour britannique. Car lorsquÕils seront prsents au
chteau de Windsor, en septembre, les deux portraits seront rejets. LÕeffigie de la
nouvelle reine dÕEspagne, dnue des symboles du pouvoir, donnera lieu de
violentes critiques, tant et si bien que, depuis Madrid, Alphonse XIII ordonnera en
urgence le retrait des tableaux. Sorolla essuiera la premire dÕune srie de
dconvenues, bientt suivie par la dconfiture de sa troisime exposition
personnelle.
LÕexposition londonienne organise au printemps 1908 aux Galeries
Graffton est donc un nouvel chec. En mai, The Daily Telegraph sÕinquite de
lÕexcs dploy dans les annonces diffuses par les organisateurs. Prsent
comme le meilleur peintre du monde, Ç The Greatest Painter of the World È
lÕEspagnol est, selon le journal argentin La Prensa, annonc la manire dÕun
numro de cirque questre.23 Mais il ne fait aucun doute que dÕautres raisons lies
la prparation de lÕexposition ont davantage nui sa russite. Sorolla nÕavait
probablement pas tir tous les enseignements de son prcdent chec et il commit
plusieurs impairs. Par exemple, il connat mal la demande londonienne. En effet,
le got de la classe dominante est tourn vers une peinture dÕatelier beaucoup plus
acadmique que la sienne. De plus, la slection prsente manque de cohrence et
donc de lisibilit. LÕEspagnol apparat sous le double jour dÕun peintre
conventionnel par ses portraits officiels des n¡84 n¡89 du catalogue, et dÕun
peintre htrodoxe par ses pochades peintes sur le motif et qui figurent dans le
22.
23.
Anonyme, ÒLes souverains d'Espagne au chteau de La GranjaÓ, L'Illustration, Paris,
27/07/1907.
Leer, ÒSorolla ExhibitionÓ, The Daily Telegraph, Londres, 5/05/1908 et Ramiro de
Maeztu, ÒSorolla en LondresÓ, La Prensa, Buenos Aires, 24/06/1908.
II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
96
catalogue sous le titre gnrique Coulour-Notes.24 Sa peinture nÕtant pas connue
outre-Manche, elle gagnait tre prsente sous un angle choisi lÕavance et ce
ne fut pas le cas. Ë nouveau, Il concde dÕimportantes pertes financires car
aucune de ses deux dernires expositions nÕa t rentable. En plus de cela, il doit
affronter dÕautres difficults. En effet, la correspondance entre Sorolla et son ami
Pedro Gil Moreno de Mora rend compte dÕun litige financier qui lÕoppose aux
marchands anglais. En septembre, il nÕa toujours pas russi rcuprer ses
tableaux et il crit cet ami : Ç ÁÁÁTemo entrar en un pleito!!! È25, Ç Je crains
dÕengager un procs !!! È Au bout du compte, le procs sera vit mais le peintre
ne travaillera plus jamais avec les galeries et il est mme probable que sa
troisime exposition aurait t la dernire sans lÕimplication, dans sa carrire, de
Jos de Saavedra y Salamanca (1870-1927), marquis de Viana.
Le Grand-Veneur dÕAlphonse XIII est aussi son homme de confiance. Par
son intermdiaire, Sorolla a obtenu sa premire commande de la Maison Royale et
a t reu par le roi en personne et les membres de sa famille dans la rsidence
dÕt de La Granja de San Ildefonso. Ë Londres, Viana sÕimplique de manire
dcisive dans la carrire du peintre en mettant lui-mme au point sa prochaine
exposition personnelle. Elle aura lieu huit mois plus tard, lÕHispanic Society of
America, une fondation prive inaugure New York en 1904. Afin dÕclairer ce
qui suit, il est temps de prsenter succinctement cette institution, dont il a dj t
question en introduction, ainsi que son fondateur, Archer Milton Huntington
(1870-1955). Cet Amricain n New York est lÕunique hritier dÕun empire
industriel et financier comprenant, notamment, les chemins de fer Central Pacific
et la compagnie maritime Newport News Shipbuilding and Drydock, en
Virginie.26 Il fait partie de ces industriels qui ont tabli des fortunes colossales
aprs la Guerre de Scession. rudit, collectionneur et mcne, Huntington
24.
25.
26.
Exhibition of Paintings by Sr. Joaqun Sorolla y Bastida, Londres, Grafton Galleries,
1908.
Facundo Toms, Felipe Garn, Isabel Justo et Sofa Barrn, Epistolarios de Joaqun
Sorolla, I. Correspondencia con Pedro Gil Moreno de Mora, Barcelone, Anthropos,
2007, page 262.
Beatrice Gilman Proske, Archer Milton Huntington, New York, HSA, 1965, page 17.
Ç Ne manquez pas lÕoccasion qui sÕoffre vous dÕenvoyer vos Ïuvres New York en
comptant sur lÕestime que vous porte Mister Archer Huntington : ce monsieur me dit que
vous ne vous occuperez de rien, que lui se chargera de tout, frais en tous genres,
assurancesÉ et vous, vous nÕaurez quÕ donner lÕautorisation dÕexposer vos tableaux. È
II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
97
finana de nombreux projets culturels, scientifiques et pdagogiques dont le plus
important fut la cration dÕune fondation musale ddie au monde hispanique.
En 1908, le riche Amricain ne rencontre pas Sorolla ainsi que cela a t
dmontr rcemment grce la publication du journal intime de Huntington.27 En
revanche, il entre en contact avec le marquis de Viana, ainsi que le prouve une
lettre dans laquelle ce dernier prsente au peintre le projet dÕune exposition New
York dont il a pralablement convenu des dtails matriels avec le mcne
amricain28 :
[É] no desperdicie la ocasin que se le presenta a Vd. de llevar sus obras a New-York
con el apreciamiento de que le hace Mr. Archer Huntington : este seor me dice que
de nada tendr Vd. que ocuparse, que l lo har todo, gastos de cualquier gnero,
29
segurosÉ y Vd. nicamente dar el permiso de exponer sus cuadros.
Dans une lettre antrieure, date du 4 juin, le marquis avait mis en garde son
protg contre le danger que reprsentaient, ses yeux, certains de ses
collaborateurs, Ç [É] estos Srs. ms comerciantes que artistas quieren lucrarse
con el pincel de Vd. È cÕest--dire Ç [É] ces messieurs plus commerants
quÕartistes veulent sÕenrichir sur votre signature. È, comme sÕil avait souhait luimme prendre en main les rnes de son destin.30 Les expositions allemande et
britannique sÕtaient soldes par des pertes financires ; par consquent, le peintre
avait tout intrt accepter une offre qui, compte tenu dÕun tel passif, tait
inespre. DÕun autre ct, plusieurs raisons justifient lÕimplication de la Maison
Royale dans la carrire de Sorolla. Quelle quÕen ft lÕissue, cette exposition
New York posait le principe dÕune collaboration engageant les deux pays, ce qui
ne sÕtait encore jamais prsent depuis le Trait de Paris. En effet, dix ans aprs
la fin de la Guerre de Cuba, les relations entre lÕEspagne et les tats-Unis
nÕavaient toujours pas repris. Pour retisser un lien neuf, la culture et le patrimoine,
au sens le plus large, constituaient un terrain favorable car la grande bourgeoisie
27.
28.
29.
30.
Sorolla y la Hispanic Society. Una visin de la Espaa de entresiglos, Madrid, Museo
Thyssen Bornemisza, 1998, pages 371-423.
J. Fauvey, JoaqunÉ page 78.
Muse Sorolla, CS 7113, 27/10/1908.
Muse Sorolla. CS 7112, 4/06/1908.
II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
98
du nord-est amricain comptait parmi elle quelques hispanophiles riches et
influents.31
Avant de quitter Madrid, le peintre est reu par Alphonse XIII au Palais
Royal de Madrid le 29 dcembre 1908.32 Il prend ensuite la direction de Paris et
embarque bord du transatlantique ÒLorraineÓ, au Havre. Il arrive aux tats-Unis
le 24 janvier 1909. Ç Yo llegu a New York en el estado de nimo que es de
suponer despus de lo de Santiago de Cuba È, confiera-t-il plus tard un
journaliste pour dire ses rticences et son malaise.33 Il supervise lui-mme
lÕaccrochage des tableaux et lÕexposition, qui bnficie du patronnage du roi
Alphonse XIII et de la reine Victoria Eugenia, ouvre ses portes au public le 4
fvrier. Ds les premiers jours, la bourgeoisie new-yorkaise se presse dans les
salles de lÕHispanic Society qui accueille 10.334 visiteurs la premire semaine,
17.974 la deuxime, 42.716 la troisime et 76.229 la quatrime.34 Au total,
presque cent soixante mille personnes visitent cette exposition, tout un record
pour un seul artiste. Le phnomne attire lÕattention des media, crant ainsi un
cercle vertueux car la mdiatisation devient elle-mme la cause dÕune plus grande
affluence. LÕexposition itinrante inaugure New York en fvrier, se dplace
Buffalo puis Boston. Elle se traduit chaque fois par dÕexcellentes ventes et
donne lieu des commandes. Au total, cent quatre-vingt quinze tableaux changent
de mains en trois mois pour une somme de prs dÕun million de francs.35 Sorolla
est reu chez de riches industriels et est mme appel Washington par le
prsident William Howard Taft (1857-1930) qui lui commande son portrait et
celui de son pouse. Dans le contexte de lÕaprs-guerre de Cuba, la prsence de
lÕEspagnol la Maison Blanche constitue tout un symbole.
Le Muse Sorolla ne possde quÕune infime partie des articles de presse
publis sur place et illustrs avec des images de la foule des lgantes se pressant
sur la terrasse et dans lÕescalier monumental du muse. En Espagne, Mundo
Grfico publie une photographie montrant la file des voitures alignes dans la cent
cinquante cinquime rue et une autre du peintre posant devant la porte de
31.
32.
33.
34.
35.
Mon livre : Joaqun Sorolla, pintor del Rey Alfonso XIII.
Anonyme, ÒDe palacioÓ, ABC, Madrid, 30/12/1908.
Francisco Martn Caballero, ÒHablando con D. Joaqun en su estudioÓ, La
Correspondencia de Valencia, Valence, 11/09/1913. Ç Je suis arriv New York dans
lÕtat dÕesprit quÕil faut imaginer aprs les vnements de Santiago de Cuba. È
Eight essays on Joaquin Sorolla y Bastida, New York, HSA, 1909, page 457.
Blanca Pons-Sorolla, Joaqun Sorolla. Vida y obra, Madrid, Fahah, 2001, page 323.
II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
99
lÕdifice.36 Ces images invraisemblables, synonymes dÕargent et de gloire, feront
sensation chez les jeunes peintres qui rveront leur tour dÕgaler le matre. Ë
dfaut dÕavoir pu visiter cette exposition historique, les Espagnols dcouvriront en
1910 la premire monographie du peintre dite dans deux luxeuses ditions,
lÕune en espagnol et lÕautre en franais. Cet ouvrage trs document fait apparatre
cent seize illustrations.37 Du vivant de lÕartiste, trois essais monographiques seront
proposs la vente : celui que lÕon vient de citer, puis Sorolla de Rodolfo Gil, en
1913, et Joaqun Sorolla dÕAureliano de Beruete qui tait dj sorti dans la presse
en 1901 mais ne sera vendu sparment quÕen 1921 dans une dition raffine.38
LÕexcellent rsultat de lÕexposition amricaine incite lÕEspagnol
retraverser lÕAtlantique, deux ans plus tard, pour prsenter dÕautres tableaux et
honorer plusieurs commandes. La dernire exposition individuelle du peintre est
donc organise de fvrier avril 1911, Chicago et Saint Louis. Cet vnement,
qui nÕest en fait que le prolongement du prcdent, bnficie des mmes
conditions et remporte logiquement le mme succs. Mais cÕest un autre projet
qui, la mme anne, va la fois mettre un terme au ÒcycleÓ des expositions
individuelles et prparer la fin de la carrire du peintre. Mais avant de tourner la
page des expositions particulires, il est temps dÕen tirer quelques enseignements.
Tout dÕabord, ce circuit international ne fait pas tape en Espagne. Ë Paris,
Sorolla coule ses tableaux auprs dÕune clientle cosmopolite, principalement
amricaine. Il ne vend quasiment rien en Allemagne et trs peu en Angleterre. En
revanche, plus dÕune centaine de tableaux changent de mains au cours de ses deux
expositions aux tats-Unis et des commandes prives sont honores sur place. Il
rentre en Espagne riche et aurol de gloire. De mme, la relation entre le peintre
et le roi en sort renforce. Sorolla est admis au sein de la cour et, bien quÕil ne
possde pas la charge de peintre de chambre Ð qui avait t supprime sous le
rgne dÕAlphonse XII Ð il est non seulement le portraitiste du souverain mais
galement un de ses amis les plus proches.
Alors mme que sÕachve sa dernire exposition, lÕEspagnol vient de
recevoir de lÕHispanic Society une commande considrable comprenant une srie
36.
37.
38.
Sebastin Cruset, ÒLa exposicin Sorolla en Nueva YorkÓ, Mundo Grfico, Madrid, 1909.
Rafael Domnech, Sorolla. Su vida y su arte, Madrid, Leoncio Miguel et Sorolla, sa vie et
son Ïuvre, Madrid, Vilanova y Geltr-Oliva, 1910.
Rodolfo Gil, Sorolla, Madrid, Senz de Jubera, 1913 et Aureliano de Beruete, Joaqun
Sorolla, Madrid, Biblioteca Estrella, 1921.
II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
100
de grands formats destins recouvrir les murs de la bibliothque de lÕinstitution.
Cette frise, la fois dcorative et pdagogique, offrirait au visiteur une Òvision de
lÕEspagneÓ travers des reprsentations de quelques provinces choisies. Compte
tenu des dimensions de ce dcor de trois trois mtres cinquante de hauteur sur
une longueur totale dÕenviron soixante-dix mtres, ce projet, confi un seul
excutant, rclame plusieurs annes de travail. Cette commande allait le mettre
lÕabri la fois de la transformation de la demande et des consquences
conomiques de la Premire Guerre Mondiale sur le march de lÕart europen
mais elle rduirait en mme temps son espace de cration. En effet, ce dcor peint
rclame un travail prparatoire colossal car les plus grands panneaux ne peuvent
pas tre peints directements sur le motif. Entre 1912 et 1919, lÕactivit du peintre
gravite donc essentiellement autour de Visin de Espaa. Cette priode est la
fois trs longue, huit ans, mais aussi trs pauvre dÕun point de vue critique car
Sorolla sort de lÕespace public pratiquement durant tout ce temps. Sa commande
lÕempche de monter une autre exposition individuelle parce que cela supposait
quÕil ralist suffisamment de tableaux pour cela. Cela ne fut jamais possible tant
sa charge de travail tait grande. Par ailleurs, il nÕoccupait aucun poste et nÕtait
donc expos dÕaucune manire sur le plan mdiatique.
Durant huit ans, il sjourne rgulirement hors de Madrid, dans chacune des
provinces quÕil compte transposer sur la toile. La presse rend compte de ses
dplacements constants jusque dans des contres trs recules, inaccessibles ni en
train ni en automobile. Le rcent film dÕAntonio Escriv nÕa dÕailleurs pas
manqu, sous la forme dÕun clin dÕÏil plein dÕhumour, dÕinsrer une courte scne
dans laquelle la voiture conduite par son disciple Francisco Pons Arnau se trouve
embourbe en pleine campagne.39 Le peintre sÕextirpe du vhicule en grimpant sur
le dos du garon. En 1914, dans une revue de Xrs de la Frontera, un dessinateur
le reprsente en costume de voyage, une valise dans la main droite et un pardessus
repli sur le bras gauche.40 Durant les deux annes 1912 et 1913, il travaille au
plus grand panneau du dcor, La fiesta del pan. En ralit, cette fte nÕa jamais
exist et ce thme inspir par la rcolte du bl nÕest quÕun prtexte une
composition unique associant les deux Castilles. LÕensemble reflte une certaine
39.
40.
Cartas de Sorolla, 65:45 66:00.
Anonyme, ÒFiguras popularesÓ, Revista Poltica y Administrativa, Xrs de la Frontera,
11/11/1914. Voir la figure n¡4. Figures populaires (1914).
II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
101
vision de lÕhistoire et du devenir du pays comme le montre cet extrait de lÕessai de
Miguel de Unamuno, En torno al casticismo :
En Espaa llev a cabo la unificacin Castilla, que ocupa el centro de la Pennsula,
la regin en que se cruzaban las comunicaciones de sus distintos pueblos, centro de
ms valor que ahora entonces, que en la crisis de la pubertad nacional las funciones
de nutricin predominaban sobre la relacin (si bien, y no olvide esto el lector, la
funcin nutritiva es una verdadera funcon de relacin). Entonces, cuando todava no
haba llevado la vida a las costas el descubrimiento de Amrica, ni llegaban del Far
West americano trigos al puerto de Barcelona, Castilla era un emporio del comercio
espaol de granos y verdadero centro natural de Espaa.41
Pour prparer cette Ïuvre, il parcourt les provinces de Tolde, Sgovie,
Avila, Salamanque, Guadalajara, Ciudad Real et Madrid.42 Les dimensions du
chssis, trois mtres cinquante sur prs de quatorze mtres, sont imposantes,
raison pour laquelle il doit travailler en atelier partir de centaines de dessins et
dÕbauches peintes sur le motif. La fiesta del pan est acheve la fin de lÕanne
1913. Puis partir de mars 1914, il commence une srie de panneaux
suffisamment petits pour tre installs directement en plein air. Ë Sville, il
assiste en spectateur aux processions de la Semaine Sainte et excute, sur place, le
deuxime panneau : Los Nazarenos. Durant lÕt, il prend la direction des
Pyrnes pour raliser les panneaux ddis la Navarre et lÕAragon : El consejo
del Roncal et La jota. Le premier reprsente un rite annuel pratiqu depuis le
Moyen-åge dans la valle de Roncal. Pour renouveler le droit de faire patre leurs
troupeaux du ct espagnol de la frontire, les bergers franais offraient, selon la
coutume, trois agneaux chacun des sept maires des villages de cette valle. Le
second immortalise la danse populaire pratique en Aragon. Ë Saint-Sbastien, il
peint une scne de jeu, Los bolos, symbolisant le Pays Basque. Il repart ensuite
41.
42.
Miguel de Unamuno, En torno al casticismo, Madrid, Biblioteca Nueva, 1996 (1895),
page 79. Ç La Castille, qui occupe le centre de la Pninsule, a men son terme
lÕunification de lÕEspagne. Vers cette rgion convergent les voies de communication des
autres provinces, carrefour plus crucial hier quÕaujourdÕhui, car au moment de la crise de
pubert nationale les fonctions alimentaires lÕemportaient sur les autres relations (disonsle, et que le lecteur ne perde pas cela de vue, la fonction alimentaire implique une vraie
relation). Jadis, alors que la dcouverte de lÕAmrique nÕavait pas encore apport la vie
sur nos ctes, que le bl amricain du Far West nÕarivait pas encore au port de Barcelone,
la Castille tait un centre commercial espagnol des crales, et le vritable centre naturel
du pays. È
Marcus Burke et Priscilla Muller, Sorolla. The Hispanic Society, New York, HSA, 2004,
pages 208-214.
II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
102
Sville avant la fin de lÕanne pour les besoins du sixime panneau, El encierro,
sur le thme de lÕlevage des taureaux en Andalousie. Au dbut de 1915, il
retourne dans cette rgion quÕil affectionne tant pour intgrer dans deux panneaux
distincts la danse flamenca et la tauromachie : El baile et Los toreros. Durant
lÕt, il prend la route de la Galice pour raliser le neuvime morceau du dcor, La
romera. En dpit de son titre, il sÕagit dÕune foire aux bestiaux comme il y en
avait dans cette Galice dÕlevage. La composition souligne lÕimportance des
produits laitiers dans la gastronomie locale. Il bifurque ensuite vers Barcelone, en
septembre, pour rejoindre le motif dÕune scne de pche symbolisant la
Catalogne : El pescado. Trs affaibli par tous les efforts consentis jusque-l, le
peintre est oblig dÕarrter momentanment son activit puis de la rduire
considrablement. Aprs cela, il ne produit plus quÕun seul panneau par an. 1916
est lÕanne de Las grupas, celui de Valence. Une nouvelle fois, la composition est
fabrique par Sorolla partir de diffrentes sources dÕinspiration religieuses et
paennes. Comme les panneaux castillans et galiciens, il sÕagit dÕune allgorie de
la rgion. En octobre 1917, il se rend en Estrmadure accompagn de son disciple
Santiago Martnez pour peindre un panneau figurant le march aux cochons de
Plasencia : El mercado. En novembre 1918, il sÕintresse la rcolte des dattes
Elche Ð El Palmeral Ð dans la province dÕAlicante. Enfin, en mai 1919, il achve
le quatorzime et dernier panneau, La pesca del atn, Ayamonte dans la
province de Huelva.43
Le peintre arpente davantage de territoires que ceux qui viennent dÕtre cits
car sa qute de motifs nÕaboutit pas systmatiquement. Ses recherches obissent
aux indications du commanditaire amricain ; or, nous ne les connaissons pas
prcisment. Ni le contrat de la commande ni la correspondance entre les deux
hommes ni mme le journal intime de lÕhispanophile ne permettent dÕtablir avec
prcision lÕimplication de chacun dans le choix des thmes.44 Visin de Espaa
semble avoir t pilote par Huntington de manire dmontrer que le mode de
vie et la culture des tats-Unis sont ns en Espagne. Par exemple, le panneau El
encierro rappelle que le cow-boy de lÕOuest amricain Ð comme le gaucho
argentin Ð descendent de lÕleveur de taureaux bravos andalous. Les carrioles, les
43.
44.
Florencio de Santa-Ana, ÒLa estancia ayamontina de Joaqun SorollaÓ, Boletn de
Ayamonte, Ayamonte, 09/1999.
Cette documentation a t publie in Sorolla y la Hispanic Society. Una visin de la
Espaa de entresiglos, Madrid, Museo Thyssen Bornemisza, 1998, pages 371-423.
II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
103
attelages et le costume castillan de La fiesta del pan, tout cela nÕvoque-t-il pas le
terroir amricain ? De mme, lÕarne de Los toreros ne rappelle-t-elle pas celle
des rodos ? Son thymologie est justement espagnole puisque le mot provient du
verbe ÒrodearÓ, cÕest--dire encercler. Autour de 1880, il tait dj pratiqu au
Texas comme un spectacle public. On pourrait ainsi multiplier les exemples pour
tablir dÕautres parrallles entre cette Espagne peinte et les campagnes nordamricaines au dbut du XXme sicle.
Durant toutes ces annes, les alles et venues du peintre lÕloignent de la
sphre publique mme si, ponctuellement, des entretiens sont publis dans les
quotidiens des provinces quÕil parcourt la recherche dÕun motif digne dÕintrt,
par exemple Alicante, Sville, Saint-Sbastien, Murcie, Palma de Majorque,
Huelva, Carthagne, etc. Ces entrevues, caractristiques de cette priode,
tmoignent du besoin dÕinformer le lecteur sur ce peintre dont il nÕa que de
lointains chos depuis 1906 puisquÕaucune de ses expositions nÕa eu lieu en
Espagne, et dont il ne sait plus rien aprs 1911, date partir de laquelle il
nÕexpose plus. CÕest donc bien avant sa mort et au moment o il sÕimmerge
compltement dans sa dernire commande que Sorolla commence sombrer dans
lÕoubli. La courbe de rpartition des archives de presse du Muse Sorolla le
prouve en sÕaffaissant progressivement jusquÕ lÕanne de son dcs. En 1917, le
critique Francisco Alcntara dclare aprs avoir aperu, par hasard, une toile du
Valencien : Ç hace tiempo que yo no vea pintura de Sorolla. È45 cÕest--dire Ç Il y
a longtemps que je nÕavais pas vu de peinture de Sorolla. È En Europe, les
courants se renouvellent et une autre gnration occupe lÕespace artistique et
mdiatique. Des mouvements dÕavant-garde tels que le Fauvisme, n Paris, le
Futurisme italien, ou encore les Expressionnismes allemands font leur apparition.
En Espagne, la critique sÕintresse davantage Ignacio Zuloaga, Julio Romero de
Torres et Jos Gutirrez Solana. Si bien quÕavant mme que Visin de Espaa ne
soit termine, lÕEspagnol appartient dj au pass.
Enfin, il achve cette commande au mois de juin 1919 et, en octobre, il
prend possession de la place de professeur de couleur et de composition de lÕcole
des Beaux-Arts de San Fernando occupe, avant lui, par le peintre madrilne
45.
Francisco Alcntara, ÒApertura de la Exposicin de Bellas ArtesÓ, El Imparcial, Madrid,
29/05/1917.
II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
104
Alejo Vera (1834-1923).46 Ë cinquante-six ans seulement Sorolla est dj trs
diminu physiquement. Le 17 juin 1920, alors quÕil est en train de peindre un
portrait de lÕpouse de Ramn Prez de Ayala dans le jardin de sa proprit, un
accident vasculaire crbral le foudroie. SÕil survit cette attaque, il conserve
nanmoins une hmiplgie dont il ne se remettra jamais et qui dgnrera peu
peu durant trois ans. Il dcde le 10 aot 1923.
46.
Anonyme, ÒSorolla, profesor oficialÓ, Heraldo de Madrid, Madrid, 23/03/1919.
II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
105
II.2. LA RECONNAISSANCE DES CONSERVATEURS
Ë lÕintrieur de lÕensemble dvoil chez le galeriste parisien Georges Petit,
quelques toiles refltent, de manire plus ou moins marque, les affinits
intellectuelles de Sorolla avec les membres de lÕInstitution Libre dÕEnseignement.
Sur les paysages des montagnes du Guadarrama notamment, la presse madrilne
ne manque pas de signaler lÕinfluence des ides librales prnes et mises en
pratique par Francisco Giner de los Ros et son entourage. Mais comme
lÕexposition nÕa pas lieu Madrid mais Paris, elle est aussi perue comme une
projection de lÕEspagne vers lÕextrieur. Il faut rappeler que le pays traverse alors
un moment cl de son histoire puisque, le 31 mai 1906, le roi Alphonse XIII a
pous la princesse anglaise Victoria Eugenia de Battenberg. Cette union laisse
prsager un renouveau politique. Aussi, en dvoilant les portraits des savants et
des artistes espagnols les plus minents de son poque, lÕexposition inaugure le
12 juin met en valeur une Espagne ÒmoderneÓ, dit Ricardo Blasco.47 De l, il nÕy
a quÕun pas Ð aussitt franchi Ð vers une autre perception du peintre espagnol. Car
la presse librale, et mme la presse conservatrive, qui nÕavait jamais jug
favorablement sa peinture, dcle derrire ces toiles une intention ÒpatriotiqueÓ.
Cette vision des choses reprsente indniablement un facteur supplmentaire qui
incite la Maison Royale sÕattacher les services de Sorolla, ds son retour en
Espagne. Les archives de presse du Muse Sorolla comprises entre les annes
1902 et 1907 traduisent un glissement idologique de la rception critique, de la
gauche vers la droite. En effet, tandis que les journalistes dÕEl Pueblo
disparaissent de la communaut dÕinterprtation, ceux du quotidien conservateur
La poca la rejoignent. Une nouvelle tape dans lÕhistoire de la rception de son
Ïuvre est sur le point de commencer.
Pour le journaliste et dramaturge Ricardo Blasco, la premire exposition
personnelle de Sorolla va rpandre une nouvelle image de lÕEspagne dans le
monde travers une srie de portraits et de paysages :
47.
Ricardo Blasco, ÒLa Exposicin Sorolla en ParsÓ, La Voz de Guipzcoa, Saint-Sbastien,
06/1906.
II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
106
Sorolla, adems de traerse en sus cuadros el sol de Espaa, con toda la fuerza de color
y calor con que vibra en las costas, las playas y las huertas valencianas, ha trado en
hermosos retratos de Echegaray, Galds, Cajal, Blasco Ibez, Canalejas y otros
ilustres compatriotas mucho de nuestras glorias de la Ciencia, las Letras, la
Elocuencia unidas a la suya propia pintura.48
En avril, Alejandro Saint-Aubin avait visit lÕatelier du peintre juste avant
que les tableaux ne fussent emballs. Dans un article, il affirme que les portraits
qui allaient tre envoys Paris mettraient en lumire une gnration de
penseurs.49 Il fait rfrence aux portraits de quelques amis du peintre dont on se
rappelle, pour Jos Canalejas, Vicente Blasco Ibez et Benito Prez Galds, le
soutien quÕils lui avaient apport quelques annes auparavant lorsquÕil tait
encore ÒsalonnierÓ. Il faut ajouter cette liste ceux du dramaturge Jos Echegaray
(1832-1916), des peintres Aureliano de Beruete et Antonio Gomar (1853-1911),
du sculpteur Mariano Benlliure, de lÕhistorien Manuel Bartolom Cosso (18571935), de la soprano Lucrecia Arana (1871-1927), de la comdienne Mara
Guerrero et enfin, du scientifique Santiago Ramn y Cajal (1852-1934).50 Tous
taient dignes dÕtre compars, sur le plan international, aux esprits les plus
brillants de leur poque. Il faut rappeler, par exemple, que Mariano Benlliure a
obtenu un Grand Prix de Sculpture lors de lÕExposition Universelle de 1900,
Echegaray a reu le Prix Nobel de Littrature en 1904 et Ramn y Cajal vient de
dcrocher le Prix Nobel de Mdecine pour ses travaux sur le systme nerveux
(1906).
48.
49.
50.
Ricardo Blasco, ÒLa Exposicin Sorolla en ParsÓ, La Voz de Guipzcoa, San Sbastien,
06/1906. Ç Sorolla, outre quÕil apporte dans ses tableaux le soleil de lÕEspagne, avec toute
lÕintensit de couleur et de chaleur avec laquelle il vibre sur les ctes, les plages, les
jardins de Valence, a fait venir dans de beaux portraits de Echegaray, Galds, Cajal,
Blasco Ibez, Canalejas et dÕautres illustres compatriotes, beaucoup de nos gloires des
Sciences, des Lettres, de lÕloquence unies sa propre peinture. È
Alejandro Saint-Aubin, ÒVisitando estudios : Joaqun SorollaÓ, Heraldo de Madrid,
Madrid, 04/1906.
Jos Canalejas, 131Õ5x97, Madrid, Chambre des dputs, 1906. Vicente Blasco Ibez,
127x90, New York, HSA, 1906. Benito Prez Galds, 75x100, Las Palmas de Gran
Canaria, Casa-Museo Prez Galds, 1894. Jos Echegaray, 100x133, Madrid, Collection
de la Banque dÕEspagne, 1905. Aureliano de Beruete, 115Õ5x110Õ5, Madrid, Muse
National du Prado, 1902. Familia Benlliure Arana, 128x91, Collection particulire, 1906.
Santiago Ramn y Cajal, 91x127Õ5, Saragosse, Muse Municipal, 1906. Bartolom
Cosso, non localis. Retrato de Mara Guerrero, 131x120Õ5, Madrid, Muse National du
Prado, 1897-1906.
II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
107
Francisco Giner de los Ros considre que les paysages de Sorolla ont autant
dÕintrt que les ÒpersonnesÓ.51 LÕexposition de la Galerie Petit comprend des
paysages peints dans quatre rgions diffrentes : Valence, les Asturies, la Galice
et la Castille. Pour les membres de lÕInstitution Libre dÕEnseignement, le territoire
et ses habitants constituent le socle de lÕidentit nationale. Ils ont fond une
socit en 1886 afin dÕtudier le massif du Guadarrama Ð au nord-ouest de Madrid
Ð dÕun point de vue gologique, hydrographique, botanique, etc.52 Suivant
lÕexemple dÕAureliano de Beruete et de Jaime Moreira y Galicia, partir de
lÕhiver 1905-1906 Sorolla part en excursion dans ce massif afin de peindre sur le
motif une srie de paysages des montagnes enneiges.53 Ë leur manire, les trois
peintres contribuent la connaissance et la valorisation de ce territoire. Sorolla
collectionne jusquÕ six toiles de son ami Beruete : une vue du massif du
Guadarrama, deux paysages de Madrid peints au bord du fleuve Manzanares,
deux paysages de Tolde et un paysage de la Sierra Nevada.54 Un autre membre
de lÕInstitution, le docteur Luis Simarro Lacabra, possdait une des ralisations
majeures de Sorolla, Mara con la sierra al fondo : un portrait de sa fille
convalescente qui, suivant les conseils du mdecin, prend lÕair revigorant de la
montagne.55
Autour de 1906, la peinture du Valencien est indissociable du courant
idologique ÒrgnrationnisteÓ mme si, lÕvidence, dÕautres influences la
traversaient. Dans lÕEnciclopedia de Historia de Espaa, dirige par Miguel
Artola, le ÒrgnrationnismeÓ est prsente de la faon suivante :
Surge como concepto y como prctica poltica, social y cultural a finales del siglo
XIX, en una Espaa sumergida en una crisis multifactorial, de la que la prdida de la
hegemona por parte del bloque oligrquico de poder es el factor fundamental, en
51.
52.
53.
54.
55.
Propos reccueillis par : Leonard Williams, ÒEl pintor Sorolla juzgado en el extranjeroÓ, El
Pas, Madrid, 22/05/04.
Nicols Ortega Cantero, Paisaje y excursiones : Francisco Giner, la Institucin Libre de
Enseanza y la Sierra del Guadarrama, Madrid, Races, 2001.
Laura Arias Serrano, La Universidad Complutense y sus fondos de pintura
contempornea: los Sorollas del legado SimarroÓ in La Universidad Complutense y las
Artes, Madrid, UCM, 1995.
Aureliano de Beruete, El Guadarrama desde la Moncloa, 48x79Õ5, Madrid, MS, 1893. La
Alhambra. Granada, 14Õ8x27Õ5, Madrid, MS, 1895. Orillas del Manzanares, 16Õ6x33Õ3,
Madrid, MS, 1900. Lavaderos en el Manzanares, 57Õ5x81, Madrid, MS, 1904. El Tajo.
Toledo, 53x48, Madrid, MS, 1908. Toledo desde el castillo de San Servando, 43x53Õ5,
Madrid, MS, 1910.
Mara con la sierra al fondo, 63x92, Madrid, Universit Complutense, 1907.
II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
108
tanto que el desastre colonial de 1898 (prdida de los territorios ultramarinos) ser el
catalizador o el detonante para que estalle tal crisis.56
Ce courant poursuit, comme un idal, lÕdification dÕune Espagne
modernise, capable de rivaliser sur les plans industriel, scientifique,
pdagogique, littraire, artistique, etc. avec les grandes puissances de lÕEurope du
XXe sicle, cÕest--dire lÕAngleterre, la France, lÕAllemagne, lÕAutriche-Hongrie,
la Russie et lÕItalie. En cherchant former une gnration neuve, plus instruite et
plus responsable que celle qui avait conduit le pays au Trait de Paris, lÕInstitution
Libre dÕEnseignement est le fer de lance de ce courant.
Dans un article intitul, ÒCajal y SorollaÓ, Vicente Ballester Soto (inc.-inc.)
affirme que seuls les sciences et les arts ont chapp la dcadence de lÕEspagne
et continuent briller au niveau europen :
Nada somos, nada representamos en la poltica europea; no figuramos lo ms
mnimo en el concierto de las grandes naciones libres de la Tierra; estamos
fracasados como hombres de espritu emprendedor, y nada de lo que constituy
nuestra corona de laurel en otros tiempos sirve y aprovecha: slo la ciencia y el arte
con sus cultivadores entusiastas nos realzan y honran, devolviendo a la madre patria
su prestigio, ms brillante, ms potente y ms firme ahora que antes.
57
Dans lÕre qui sÕannonce, les dcouvertes scientifiques et les progrs
artistiques constitueraient des conqutes inalinables, pensait-on, alors mme que
la guerre venait de mettre en vidence la vulnrabilit dÕun empire territorial
clat et distant de lÕEspagne de plusieurs milliers de kilomtres. LÕespoir dÕun
pays renaissant sur des bases nouvelles sÕinscrit dans le prolongement dÕune ide
56.
57.
Miguel Artola, Enciclopedia de Historia de Espaa, V. Diccionario temtico, Madrid,
Alianza, 2001 (1991), page 1027. Ç Le rgnrationnisme voit le jour comme une notion
et comme une pratique politique, sociale et culturelle la fin du XIXme sicle, dans une
Espagne immerge dans une crise multifactorielle, dont la cause fondamentale est la perte
dÕhgmonie dÕune partie du bloc oligarchique, et pour laquelle le dsastre colonial de
1898 (perte des territoires dÕOutre-mer) constitue le catalyseur et lÕlment dclencheur. È
Vicente Ballester Soto, ÒCajal y SorollaÓ, El Pas, Madrid, 2/11/1906. Ç Nous ne sommes
rien, nous ne reprsentons rien dans la politique europenne ; nous ne jouons pas le
moindre rle dans le concert des grandes nations libres de la Terre ; Nous avons chou
en tant que peuple lÕesprit conqurant, et rien de ce qui constitua notre couronne de
lauriers une autre poque nous est utile ni profitable : seuls la science et lÕart, incarns
par ses enthousiastes reprsentants, nous mettent en valeur et nous font honneur, en
rendant la mre patrie son prestige, plus brillant, plus puissant et plus solide aujourdÕhui
quÕhier. È
II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
109
largement rpandue lÕpoque, selon laquelle, seuls les Beaux-Arts auraient
chapp au dclin.58 Ë ce titre, la peinture et la sculpture lÕemportent
probablement sur tous les autres arts car le pays compte au moins deux sculpteurs
dÕenvergure europenne : Mariano Benlliure et Miguel Blay (1866-1936) qui
dcrochent ensemble le Grand Prix de lÕExposition Universelle de 1900.59 Et on
pourrait ajouter encore ces deux arts la photographie car lÕEspagnol dÕorigine
danoise Christian Franzen (1864-1923) brille lors du mme vnement et
remporte une rcompense quivalente. Sorolla fait sa connaissance en 1903 et le
photographe de la Cour, dont lÕatelier se trouve deux pas du Palais Royal, lÕaide
prparer une commande publique intitule La Regencia.60 Il peint son portrait la
mme anne.61
En 1901, Jacinto Octavio Picn compare son pays un navire en perdition
qui, dans son naufrage, nÕaurait russi sauver que les arts : Ç Nos han derrotado
por las armas un pueblo de mercaderes ricos ; estamos pobres y a todas horas
repetimos que nos devoran la corrupcin y la ignorancia, del naufragio de nuestra
gloria solo hemos salvado el arte. È62 Dans la prface du livre de Ramn Snchez
Daz (1869-1960), Juan Corazn (1906), Joaqun Costa (1846-1911) ne ÒsauveÓ
que la peinture : Ç No he encontrado una sola zona, fuera quiz del arte pictrico,
que no acuse en nosotros una marcada inferioridad respecto de los dems pueblos
europeos, cuando no una franca y radical incapacidad. È63 Le ÒsalutÓ peut donc
venir de la peinture et, pour un observateur comme Manuel Gonzlez Mart,
lÕexposition Petit en est la dmonstration.
Le Valencien signe un article intitul ÒSorolla dignificadorÓ sous le
pseudonyme de Folch. Il y prtend que Sorolla a redonn un peu de dignit son
pays en dtruisant lÕimage errone que lÕon sÕen fait encore lÕtranger.64 En
58.
59.
60.
61.
62.
63.
64.
Miguel de Unamuno, En torno al casticismo, Madrid, Biblioteca Nueva, 1996 (1895),
page 55-65.
Anonyme, ÒLas medallas de honor en la exposicin de ParsÓ, ABC, Madrid, 8/07/1900.
La Regencia, dim. inc., Madrid, Ministre des Affaires trangres, 1906.
El fotgrafo Christian Franzen, 100x66, Madrid, Collection prive, 1903.
Jacinto Octavio Picn, ÒSorollaÓ, Heraldo de Madrid, Madrid, 4/05/1901. Ç Un peuple de
commerants enrichis nous a dfaits par les armes ; nous voil pauvres et toute heure
nous rptons que la corruption et lÕignorance nous dvorent, du naufrage de notre gloire
nous nÕavons sauv que lÕart. È
Joaqun Costa (prface) in Ramn Snchez Daz, Juan Corazn, Madrid, Fernando F,
1906. Ç Je nÕai pas trouv un seul domaine, en dehors peut-tre de lÕart pictural, qui ne
dmontre pas chez nous une nette infriorit par rapport aux autres peuples europens,
quand il ne sÕagit pas dÕune franche et radicale incapacit. È
Folch, ÒSorolla dignificadorÓ, El Mercantil Valenciano, Valence, 3/12/1906.
II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
110
1900, lÕanne o Sorolla remporte le Grand Prix de peinture, le pavillon espagnol
de lÕExposition Universelle de Paris vhicule, selon Alejandro Saint-Aubin, une
image pathtique du pays.
Pena da pensar que detrs de aquellos muros, que evocan las grandezas picas de la
Espaa de Carlos V, encuentren los visitantes el bullicio de un caf jitanesco, donde
entre los excesos del ms desganado cante flamenco, se oiga la voz del mulato
Mory, recordando, no s si para llorarlas o escarnecerlas, pero s seguramente para
profanarlas, las pginas tristes de nuestra guerra de Cuba.65
En 1906, la perception de lÕEspagne lÕtranger, particulirement en
France, est encore fortement influence par les lieux communs rpandus par la
littrature romantique et / ou par les rgionalistes de droite, voire carlistes. La
redcouverte de ce pays, au milieu du XIXme sicle, avait t guide par lÕide
quÕil nÕavait pas t contamin par les nouveauts du monde moderne, notamment
par les effets nfastes de lÕindustrialisation. L rsidait toute sa beaut et tout son
charme. Au cours de son voyage, Thophile Gautier sÕintressa, par exemple, au
peuple gitan, aux courses de taureaux, la mantille et lÕventail comme des
vestiges du pass qui auraient travers les ges sans subir dÕinfluences extrieures,
du moins le croyait-il.66 En France, ces ides toute faites ont nourri une lite
cultive qui, son tour, recherchait dans la peinture espagnole des reprsentations
fidles cet imaginaire.
En 1904, lÕhistorien dÕart britannique Leonard Williams (inc.-inc.) dplore
lÕinfluence de la demande franaise sur la production artistique espagnole.67 Selon
lui, les tableaux en provenance dÕEspagne ne reprsentent pas ce pays tel que
leurs auteurs le voient mais tel que leurs riches clients lÕimaginent. Cette analyse
est partage par Alejandro Saint-Aubin, selon lequel les hritiers de la peinture
noire de Francisco de Goya (1746-1828), en particulier Ignacio Zuloaga, Jos
Gutirrez Solana et Julio Romero de Torres, perptuent une image fantasme de
65.
66.
67.
Alejandro Saint-Aubin, ÒArte y artistasÓ, Heraldo de Madrid, Madrid, 05/1900. Ç On a du
mal imaginer que derrire ces murs, qui rappellent les grandeurs piques de lÕEspagne
de Charles Quint, les visiteurs dcouvrent lÕagitation dÕun caf gitan, o parmi les excs
du chant flamenco le plus pathtique, rsonne la voix du multre Mory, rappelant, je ne
sais pas si pour les pleurer ou les tourner en ridicule, mais certainement pour les profaner,
les pages tristes de notre guerre de Cuba. È
dition consulte : Thophile Gautier, Voyage en Espagne, Paris, Hachette, 1981 (1843).
Leonard Williams, ÒEl pintor Sorolla juzgado en el extranjeroÓ, El Pas, Madrid,
22/05/04.
II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
111
lÕEspagne pour vendre leurs tableaux. Dans le passage qui suit, on reconnat
facilement ces trois peintres que cet auteur situe aux antipodes de Sorolla et de sa
peinture lumineuse.
No seguirn formando con los lienzos de Sorolla la equivocada y tristsimo idea que
de nosotros tienen en el Extranjero, contemplando la figura de toreros momificados
y repugnantes, de naranjeros negros, descendientes de la raza karabal, de amazonas
con sombrero calas, de mendigos y mujeres astrosas con pegotes de negro de
humo por cejasÉ Sorolla demostrar con retratos maravillosos que no es hoy
Espaa un pas de pandereta, y que entre nosotros existen pensadores, hombres de
Ciencia, literatos, artistas, damas distinguidas, caballeros decentemente vestidos y
otra cosa, en fin, que idiotas, rufianes, maletillas de la torera, dueas y brujas.68
Ce genre de distinction entre deux courants picturaux majeurs de lÕEspagne
du dbut du XXe sicle ouvre la voie une lecture ractionnaire de la peinture de
Sorolla et il trs parlant, cet gard, de rencontrer dans Heraldo de Madrid une
traduction dÕun article du Hongrois Max Nordau (1849-1923), le thoricien de
ÒlÕart dgnrÓ. Selon lui : Ç La Espaa que Sorolla ha querido mostrar al
Extranjero es la del pensamiento moderno, del trabajo fecundo, del progreso
radical; en una palabra, la Espaa europea, y no la antigua Espaa morisca, es
decir, africana. È69 Plus tard, sous la dictature nazie, les thories de cet auteur
justifieront la censure des avant-gardes au profit dÕun Òart racial purÓ inspir des
modles classiques, grecs et romains.
Mme si lÕheure nÕest pas encore une vision aussi radicale et oriente de la
peinture de Sorolla, la rception de lÕexposition Petit est indniablement
imprgne dÕune forme de conservatisme bien perceptible dans les colonnes de
Heraldo de Madrid. DÕailleurs, lÕadhsion du journal La poca, qui ne sÕtait
68.
69.
Alejandro Saint-Aubin, ÒVisitando estudios : Joaqun SorollaÓ, Heraldo de Madrid,
Madrid, 04/1906. Ç LÕaffligeante et mensongre ide que lÕon sÕest faite de nous
lÕtranger, en contemplant des toreros momifis et rpugnants, des vendeurs dÕoranges
basans descendants de la race karabali, des amazones aux chapeaux bords relevs, des
mendiants et de femmes malpropres, etc. tout cela prendra fin avec les toiles de Sorolla. Il
dmontrera avec des portraits merveilleux que ce pays nÕest pas aujourdÕhui une Espagne
dÕoprette et que, parmi nous, il y a des penseurs, des hommes de Science, des crivains,
des artistes, des dames distingues, des hommes bien mis et dÕautres choses encore, au
fond, que des idiots, des ruffians, des apprentis toreros, des maquerelles et des sorcires. È
Max Nordau, ÒSorolla y Max NordauÓ, Heraldo de Madrid, Madrid, 13/06/1906.
Ç LÕEspagne que Sorolla a voulu montrer lÕtranger est celle de la pense moderne, du
travail fcond, du progrs radical ; en un mot, lÕEspagne europenne, et non pas
lÕancienne Espagne morisque, cÕest--dire africaine. È
II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
112
encore jamais montr partisan du Valencien, atteste une nouvelle perception du
peintre. Le quotidien madrilne, fond en 1849, fut dirig de 1887 1933 par
Alfredo Escobar Ramrez (1858-1953), marquis de Valdeiglesias, qui en a fait le
premier organe conservateur du pays. En 1906, le quotidien publie une traduction
dÕune bonne critique publie en France dans le journal boulangiste
LÕIntransigeant, en ajoutant en note : Ç Hay un inters patritico, sin duda, en
propagar estos elogios de Sorolla, hechos por Rochefort, y a l respondemos
copiando lo que antecede, y celebrando, como es natural, ese triunfo en Pars de
nuestro arte contemporneo. È70 La poca publie ensuite deux autres articles
avant la fin de lÕanne 1906 et beaucoup dÕautres suivront. Ë lÕoccasion de la
mort du peintre, un article hommage intitul ÒUna gran prdida nacionalÓ
soulignera lÕamiti du roi pour son portraitiste.71 Le quotidien valencien Las
Provincias rejoint la mme ligne critique et lÕon peut sÕinterroger sur les raisons
dÕune telle rvaluation de Sorolla dans la presse de droite.
Force est de constater, tout dÕabord, que si le peintre avait t jadis associ
Valence et aux rpublicains, cette vision des choses est dsormais caduque.
DÕabord, en 1906 Sorolla envoie Paris le tableau La Regencia, une commande
du Ministre des Affaires trangres et un portrait dÕAlphonse XIII adolescent.
LÕanne suivante, il entre au service du roi ce qui carte, au passage, toutes les
suspicions de son adhsion au blasquisme. Durant lÕt 1909, il se montre
clairement partisan de la campagne de Melilla qui vise tendre les possessions
coloniales de lÕEspagne au Maroc : Ç Yo tengo una confianza absoluta en nuestro
Ejrcito : ÁQu hermoso porvenir para Espaa! El ensanchamiento de sus
dominios; romper el cinturn que nos oprime dentro del viejo solar. È72 Mais la
mobilisation de quarante mille rservistes allait dclencher, Barcelone, un
mouvement de protestation des ouvriers, du 26 au 30 juillet. Ce soulvement
70.
71.
72.
Anonyme, ÒSorolla en ParsÓ, La poca, Madrid, 28/06/1906. Ç Il y a un intrt
patriotique, sans doute, propager ces loges de Sorolla faits par Rochefort, et nous nous
y associons en copiant le texte prcit et en clbrant, comme il est naturel, ce triomphe
de notre art contemporain Paris. È
Mencheta, ÒUna gran prdida nacional : La muerte de SorollaÓ, La poca, Madrid,
13/08/1923.
Anonyme, ÒSans titreÓ, Las Provincias, 1909. Article republi par le journal le
12/08/1923. Ç JÕai une confiance absolue en notre arme : quel bel avenir pour
lÕEspagne ! LÕlargissement de ses possessions ; briser la ceinture qui nous opresse
lÕintrieur de notre vieux sol national. È
II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
113
contre une campagne militaire impopulaire est connu comme la ÒSemaine
TragiqueÓ car le gouvernement le rprime dans le sang.
Du travail prparatoire Visin de Espaa, un croquis dat de 1911 prouve
que le peintre envisage de consacrer un panneau aux possessions africaines. Il
voyage Ttouan quelques annes plus tard peut-tre la demande dÕAlphonse
XIII, mme si aucun document ne nous a, pour lÕinstant, permis de lÕtablir.
Beaucoup dÕinterrogations entourent ce voyage et le panneau africain, que nous
ne connaissons quÕ travers quelques croquis de lÕensemble conservs
lÕHispanic Society de New York, ne verra finalement pas le jour.73 En 1913, un
journaliste connu pour ses ides socialistes, Francisco Martn Caballero (inc.inc.), lÕinterroge sur ses convictions politiques et, non seulement il nÕobtient
aucune rponse, mais il dclenche en plus la colre du peintre qui refuse de
sÕexprimer sur ce sujet.74 Enfin, dans un article publi Valence en 1916, Sorolla
affirme dtester le rgionalisme chaque fois quÕil serait, pour lÕEspagne, un
facteur de division.75
Sur le plan artistique, le peintre abandonne le genre social ds lors quÕil ne
participe plus aux Salons officiels. Ë partir de 1902, il adapte sa production la
demande du march. Le succs commercial de sa peinture dÕenfants sur la plage
est la principale raison pour laquelle il cultive autant ce thme au point dÕarrter,
autour de 1904, les codes dÕun genre bien lui, immdiatement identifiable. Cette
peinture lumineuse et chamarre est prise par les riches clients trangers, dÕabord
parce quÕelle est minemment dcorative mais aussi parce que ces images atemporelles dÕenfants jouant au bord de lÕeau vhiculent une vision idale et
complaisante de lÕEspagne, conforme au got bourgeois. Cette peinture qui ne dit
rien de la misre sociale, des mouvements ouvriers et des conflits de classe Ð qui
sÕexacerbent partir de 1899 Ð reoit, selon toute logique, les faveurs des lites
sociales, du pouvoir et de la presse monarchiste. Pour lÕartiste, il sÕagit aussi Ð
rappelons-le Ð dÕune peinture plus intuitive et mme exprimentale puisque cÕest
travers elle quÕil se familiarise avec les domaines de la reprsentation qui
lÕintressent. Dans ces ralisations, il peint sans contrainte et se livre toutes
sortes dÕessais, en particulier en petit format et sur des supports pauvres. Par
73.
74.
75.
Croquis de la instalacin, 21Õ5x43Õ2, New York, HSA, 1911.
Francisco Martn Caballero, ÒHablando con D. Joaqun en su estudioÓ, La
Correspondencia de Valencia, Valence, 11/09/1913.
Joaqun Sorolla, ÒCarta abiertaÓ, La Correspondencia de Valencia, Valence, 20/12/1916.
II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
114
exemple, Jvea, il profite de la hauteur des rochers pour tenter dÕapprhender
des phnomnes aquatiques tels que la transparence, le reflet et la rfraction. Pour
toutes ces raisons, la scne de plage pourrait tre la partie la plus personnelle de
son Ïuvre. AujourdÕhui, nous connaissons cette facette plus que toutes les autres,
en particulier parce que le franquisme la mettra en avant dans les annes soixante,
dans le cadre de sa propagande. Une grande partie de ces tableaux se trouve
dissmine dans des collections prives ou conserve dans des muses aux tatsUnis. CÕest le cas de El bote blanco, Idilio en el mar, Nios en la playa, La herida
al pie et beaucoup dÕautres.76 Toutefois, lÕatelier de lÕartiste, qui est depuis 1932
le Muse Sorolla, conserve une grande quantit de ces scnes de plages, et un des
trois ateliers leur est mme entirement ddi depuis lÕouverture du muse. Pour
cette raison, de la dictature jusquÕ nos jours, les gouvernements successifs ont
utilis El balandrito, Paseo a orillas del mar ou encore Nios en la playa, dans
des campagnes promotionnelles lies au tourisme ctier.
En 1909, Sorolla voyage pour la premire fois aux tats-Unis. Le succs de
son exposition itinrante, moins de dix ans aprs la fin de la Guerre de Cuba,
marque une nouvelle tape dans la diplomatie transatlantique et lui donne une
dimension quÕil nÕavait pas jusque-l. En effet, partir de cette date, sa carrire
est perue en Espagne, tantt dans un esprit rconciliateur, tantt dans un esprit
revanchard, comme une chose collective et digne de fiert. En tmoigne cet article
publi dans le quotidien conservateur La Correspondencia de Espaa :
El suyo no es un xito privado : es el triunfo del arte espaol. Al sancionarlo los
yankis con los mayores pronunciamientos favorables, forzosamente ha de
inundarnos de ntima satisfaccin, ya que viene a indemnizarnos, espiritualmente,
siquiera en parte pequesima, de pasadas cadas en lo material. Por eso, felicitar al
ilustre Sorolla vale tanto como felicitarnos a nosotros mismos.
76.
77.
77
El bote blanco, 105x150, Collection particulire, 1905. Idilio en el mar, 151x199Õ3, New
York, HSA, 1908. Nios en la playa, 81Õ2x105Õ7, New York, HSA, 1908. La herida al
pie, 43x39, Los Angeles, The J. Paul Getty Museum, 1909.
Anonyme, ÒSorolla en AmricaÓ, La Correspondencia de Espaa, Madrid, 12/02/1909.
Ç Son succs nÕest pas personnel : cÕest le triomphe de lÕart espagnol. Aprs avoir t
favorablement sanctionn par les yankees, il nous submerge forcment dÕune intime
satisfaction, puisquÕil vient nous indemniser, spirituellement, et mme si cÕest dans une
proportion insignifiante, de pertes matrielles passes. Pour cette raison, fliciter lÕillustre
Sorolla revient nous fliciter nous-mmes.
II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
115
Il est question dans ce texte dÕun ddommagement immatriel cens
compenser, au moins en partie, les pertes matrielles et territoriales subies par
lÕEspagne cause du conflit. Mais dans le reste de la presse espagnole, il est aussi
question dÕun ddommagement matriel qui englobe la fois les gains du peintre
et des retombes touristiques attendues. Un journaliste interprte cela comme une
consquence positive de cette exposition : Ç Los risueos y pintorescos paisajes
de Valencia, que tan bellos asuntos inspiraron a la imaginacin del gran artista,
han revelado al pblico americano la existencia de una tierra ideal para pasar los
rigores del verano. È78
LÕtape suivante revient considrer le triomphe du peintre espagnol
comme une forme de reconqute sur lÕadversaire dÕhier, un pays qui lÕavait
contraint renoncer ses dernires possessions dÕoutre-mer. Dans le journal
monarchiste El Liberal, lÕhistorien dÕart Rafael Domnech affirme :
Este nuevo triunfo del gran pintor espaol debe enorgullecernos a todos, es una
victoria que el arte alcanza para nuestra patria en un pas del que guardamos
recuerdos muy tristes y muy recientes. All, en donde hace once aos acabamos de
perder nuestro gran imperio colonial, Sorolla conquista hoy un gran timbre de gloria
para nuestra patria.
79
Ë partir de 1911, lÕide encore trs imprcise de Visin de Espaa est salue
dans la presse comme la poursuite de cette reconqute. Un journaliste de Galicia
Nueva voque ce dcor dans des termes belliqueux et vengeurs en assimilant les
Amricains des pirates avant dÕenvisager, plus loin, les bienfaits conomiques
dÕune telle commande. Pour lui, Visin de Espaa assurerait la promotion de
lÕEspagne aux tats-Unis et entranerait ncessairement les retombes financires
dÕun tourisme culturel :
78.
79.
Anonyme, ÒEl gran triunfo de SorollaÓ, [?], [?], 1909. Ç Les joyeux et pittoresques
paysages de Valence, qui inspirrent de si beaux sujets lÕimagination du grand artiste,
ont rvl au public amricain lÕexistence dÕune terre idale o se prmunir des chaleurs
de lÕt. È
Rafael Domnech, ÒSorolla en los Estados UnidosÓ, El Liberal, Valence, [02/1909]. Ç Ce
nouveau triomphe du grand peintre espagnol doit tous nous rendre fiers, cÕest une victoire
que lÕart obtient pour notre patrie dans un pays dont nous conservons des souvenirs trs
tristes et trs rcents. L-bas, o il y a onze ans nous avons perdu notre grand empire
colonial, Sorolla conquiert un grand titre de gloire pour notre patrie. È
II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
116
[É] A m me encantara que el maestro les metiera una certera estocada en plena
bolsa a los felones que nos han atracado y robado all por el mar Caribe. Ms,
Sorolla nos va a vengar con creces. Ese friso de las ÒRegiones espaolasÓ en el
centro de la monstruosa metrpoli de los ÒrascacielosÓ es el grito soberano y triunfal
de ÁViva Espaa! Dado por un genio gigante en el corazn mismo de la nacin
poderosa que tan injustamente nos humill. [É]
Cuando los yankis cultos, curiosos y adinerados, entren a estudiar y curiosear por las
salas de dicho museo, se dirn asombrados, ante las prodigiosas pinturas: Aqu est
Espaa, la gloriosa Espaa, la luminosa, la alegre, la varia [É] ÁOh que Espaa ms
hermosa! ÁMs risuea, ms interesante! Vamos a ver. Y se caern por estas tierras,
con los bolsillos repletos de dlares.
80
En dpit du mystre qui entoure le projet, la presse voque Visin de
Espaa comme sÕil tait le prolongement de lÕExposition Petit. Il vise aussi,
pense-t-on, renouveler lÕimage de lÕEspagne lÕextrieur. Le contrat de la
commande prcise dÕailleurs que les motifs du dcor reprsenteront la Òvie
actuelleÓ de lÕEspagne et du Portugal.81 Mais la formulation mrite dÕtre place
entre guillements car le commanditaire amricain entend installer une frise
ÒpdagogiqueÓ donnant voir le folklore de chaque rgion. Ë lÕorigine,
Huntington avait mis lÕide dÕun dcor historique, mais Sorolla lÕavait
froidement accueillie. En effet, il avait abandonn depuis longtemps la peinture
dÕhistoire laquelle il sÕtait jadis astreint contre-cÏur. De mme, il ne sentait
pas lÕaise avec la peinture dÕatelier et prfrait peindre sur le motif ; ce sont
autant dÕinformations que Huntington a consignes dans son journal intime :
We returned to the question of the decoration, and finally decided upon a series of
landscapes of the provinces, emphasizing costume, and he was very delighted,
80.
81.
Daniel Porto, ÒSorolla en VillagarcaÓ, Galicia Nueva, Villagarca, 18/07/1915. Ç En ce
qui me concerne, jÕaimerais que le matre portt une estocade bien place dans la bourse
de ces flons qui nous ont attaqu et vol l-bas, du ct de la mer des Carbes. Et plus
encore, Sorolla va faire bien plus que nous venger. Cette frise des ÒRgions espagnolesÓ
installe en plein cÏur de la monstrueuse mtropole aux Ògratte-cielsÓ est le cri souverain
et triomphal de : Vive lÕEspagne ! Pouss par un immense gnie dans le cÏur mme de la
nation puissante qui nous humilla si injustement. [É] Quand les yankees cultivs, curieux
et riches, viendront tudier ou examiner les salles de tel ou tel muse, ils sÕapercevront de
leur tonnement face aux prodigieuses peintures : LÕEspagne est ici, la glorieuse Espagne,
la lumineuse, la joyeuse, la diverse [É] Oh ! Quelle belle Espagne ! Tellement joyeuse,
tellement intressante ! Allons voir cela. Et ils se dverseront sur notre territoire les
poches remplies de dollars. È
Bernardino de Pantorba, La vida y la obra de Joaquin Sorolla. Estudio biogrfico y
crtico, Madrid, Grficas Monteverde, 1970, page 83-84.
II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
117
because the idea of historical work had given him a bit of a chill as it meant research
and material with which he was unfamiliar.82
Si bien quÕaucun des sujets retenus ne rend compte des changements socioconomiques qui transforment lÕEspagne de la fin du XIXe sicle et du dbut du
XXe sicle tels que les dveloppements de lÕindustrie, du rseau ferroviaire, des
tlcommunications, etc. LÕintrt de Huntington se porte, au contraire, vers le
monde rural et vers tout ce qui, dÕune manire gnrale, semble menac par le
progrs technique comme la rcolte des dattes Elche, le march aux cochons de
Plasencia ou bien la pche au thon Ayamonte. En 1911, le monde rural regroupe
la majeure partie de la population, mais les rites folkloriques sont en voie de
disparition. De ce point de vue, Visin de Espaa ne va pas compltement
lÕencontre du rgnrationnisme castillan qui traverse lÕÏuvre du Valencien
autour de 1906 puisque les traditions, les ftes, les costumes rgionaux, la terre,
etc. sont perus comme des noyaux de lÕidentit nationale. Cependant, cette vision
de lÕEspagne ne rend pas compte de la ralit du moment et le peintre est
visiblement conscient et gn de cette drive puisque dans un entretien accord en
1915 il se dfend spontanment dÕavoir vers dans lÕespagnolade :
Yo he querido fijar conforme a la verdad, claramente, sin simbolismos ni literaturas,
la psicologa de cada regin; quiero dar, siempre dentro de mi escuela verista, una
representacin de Espaa; pero no buscando ninguna filosofa, sino lo pintoresco de
cada regin. Lo que s quiero que conste desde ahora, aunque creo que tratndose de
m sea necesario decirlo, es que estoy muy lejos de la espaolada.83
82.
83.
Journal intime de Archer M. Huntington, extrait dat de 1910 in Sorolla y la Hispanic
Society. Una visin de la Espaa de entresiglos, page 388. Ç Nous sommes revenus au
sujet du dcor et, en fin de compte, nous nous sommes dcids pour une srie de paysages
des provinces dans lesquels les costumes rgionaux seraient mis en valeur ; Sorolla est
ravi parce que lÕide dÕune Ïuvre de type historique lui donnait des sueurs froides. En
effet, cela lÕobligeait mener des recherches sur des choses qui ne lui sont pas
familires. È
Alejandro Prez Lugin, ÒLa capa de Sorolla y la montera de HuntingtonÓ, Heraldo de
Madrid, Madrid, 23/08/1915. Ç JÕai voulu peindre conformment la vrit, clairement,
sans symbolismes ni littratures, la psychologie de chaque rgion ; je veux offrir, toujours
lÕintrieur de mon cole raliste, une reprsentation de lÕEspagne ; mais en ne cherchant
aucune philosophie, mais plutt le pittoresque de chaque rgion. Ce que, en revanche, je
veux faire savoir ds maintenant, bien que je pense que sÕagissant de moi il soit inutile de
le signaler, cÕest que je suis trs loin de lÕespagnolade. È
II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
118
Pour contrebalancer ce dfaut et promouvoir aussi lÕEspagne modernise et
savante, Huntington fait lÕacquisition dÕune galerie de trente-sept portraits peints
par Sorolla cÕest--dire ceux dÕAlphonse XIII, Rafael Altamira (1866-1951),
Gumersindo de Azcrate (1840-1917), Azorn, Po Baroja, Victoria Eugenia de
Battenberg, Jacinto Benavente (1866-1954), Manuel Benedito, Jos Benlliure,
Mariano Benlliure, Aureliano de Beruete, Vicente Blasco Ibez, Miguel Blay,
Toms Bretn, Manuel Bartolom Cosso, Antonio Muoz Degrain, Jos
Echegaray, Antonio Garca y Peris, Jos Gestoso (1852-1917), Juan Ramn
Jimnez, Ricardo de Len y Romn (1877-1943), Raimundo de Madrazo, Jos
Ramn Mlida, Jos Ortega y Gasset (1883-1955), Antonio Machado, Gregorio
Maran, Emilia Pardo Bazn (1852-1921), Marcelino Menndez Pelayo (18561912), Ramn Prez de Ayala (1880-1962), Benito Prez Galds, Manuel Prez
de Guzmn (1852-1929), Ramn Menndez Pidal (1869-1968), Alejandro Pidal y
Mon, Francisco Rodrguez Marn (1855-1943), Francisco Sandoval (inc.-inc.),
Leonardo Torres Quevedo (1852-1933) et Benigno de la Vega Incln. Ces
portraits furent tantt achets leurs propritaires, tantt commands pour figurer
dans cette galerie.
Il reste enfin prciser quÕen Espagne Visin de Espaa nÕaura pas
dÕinfluence sur la rception de son Ïuvre avant de nombreuses annes. En effet,
les journalistes cits dans ce chapitre se contentent dÕvoquer un projet
confidentiel dont ils ne connaissent que les grandes lignes cÕest--dire ce que le
peintre a dvoil oralement au cours des entretiens accords et il se montre peu
loquace quand il sÕagit de donner des dtails sur le sujet. Le presse ne manque pas
de sÕen plaindre sans parvenir bien comprendre les raisons de tant de mystre :
Ç Hasta ahora nadie ha visto los cuadros de Sorolla, ni nadie ha tenido noticias
concretas de ellos. Se dice que Mr. Huntington exigi a Sorolla reserva absoluta
hasta que la obra estuviera terminada, y el artista guarda religiosamente el
secreto. È84 Mme au journal Heraldo de Madrid, il ne fait aucune rvlation
aprs avoir pralablement mis en garde le reporter : Ç Despacio, despacio, amigo
84.
Anonyme, ÒUna gran obra espaolaÓ, [?], [Sville], 26/08/1915. Ç JusquÕ maintenant
personne nÕa vu les tableaux de Sorolla, ni mme ne dtient la moindre information
concrte les concernant. On dit que M. Huntington exigea de Sorolla une rserve absolue
jusquÕ ce que lÕÏuvre ft acheve, et lÕartiste garde religieusement le secret. È
II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
119
mo, que usted est por preguntar mucho y yo por no decir nada. È85 Et il refuse
catgoriquement de montrer la moindre toile aucun journaliste. Bien des annes
plus tard, Manuel Gonzlez Mart expliquera que le peintre avait alors maille
partir avec la critique car il considrait quÕelle encensait exagrment les Ïuvres
dÕIgnacio Zuloaga et de Jos Gutirrez Solana.86
Le secret qui entoure Visin de Espaa nÕaura donc pas lÕoccasion dÕtre
dissip puisque les quatorze panneaux ne seront pas prsents en Espagne avant
dÕtre expdis vers les tats-Unis. Le Muse du Prado tentera dÕobtenir
lÕautorisation dÕaccrocher le dcor complet dans ses salles avant son expdition
mais la demande sera rejete. Le roi en personne aurait tent dÕobtenir la
drogation ncessaire mais le contrat tait trs clair : lÕHispanic Society se
rservait lÕexclusivit de sa prsentation publique. Les premires photographies
en noir et blanc ne seront reproduites dans la presse espagnole quÕen 1926,
lÕanne de lÕinauguration de lÕinstallation dfinitive.87 Enfin, comme il a t
signal dans lÕintroduction, lÕensemble ne sera expos pour la premire fois en
Espagne quÕen 2007 !
De lÕexposition Petit jusquÕ Visin de Espaa, la rception de Sorolla se
teinte dÕune coloration nationale et politique. Ë compter de 1907, le peintre se lie
dÕune amiti indfectible avec le roi Alphonse XIII quÕil prtendra considrer
comme son propre fils, si lÕon en croit un entretien publi en 1913 dans La
Correspondencia de Valencia.88 De toute vidence, cette relation influence
lÕvolution de sa peinture vers des sujets toujours plus a-temporels, souvent
anodins, qui ne dvoilent au monde quÕune image de lÕEspagne lumineuse et lisse.
De mme, elle oriente sa carrire puisque sa prsence aux tats-Unis a pour toile
de fond la reprise de la relation transatlantique dsire par le souverain. Mais
tandis que le peintre gagne le respect et les faveurs de la presse conservatrice, qui
voit en lui une sorte dÕambassadeur culturel de la monarchie, il provoque
lÕindignation dÕune partie des intellectuels du pays dont les jugements svres
85.
86.
87.
88.
A. Prez Lugin, ÒLa capa deÉÓ, Heraldo de Madrid, Madrid, 23/08/1915. Ç Doucement,
doucement mon ami, vous avez envie de me poser beaucoup de questions et moi je ne
peux rien dire. È
Pelejero, ÒUsted que conoci a Sorolla, dganos Àcmo era?Ó, Levante, Valence,
17/09/1959.
Mauricio Lpez Roberts, ÒLas Regiones de Espaa, cuadros de J. SorollaÓ, ABC, Madrid,
14/03/1926.
Francisco Martn Caballero, ÒHablando con D. Joaqun en su estudioÓ, La
Correspondencia de Valencia, Valence, 11/09/1913.
II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
120
finissent par forger une Òlgende noireÓ dont des traces subsistent encore dans la
perception actuelle de son Ïuvre.
II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
121
II.3. LA LGENDE NOIRE DE SOROLLA
En tant que correspondant Londres du quotidien argentin La Prensa,
lÕcrivain espagnol Ramiro de Maeztu (1875-1936) couvre la troisime exposition
particulire de Sorolla. En parlant de lui-mme la troisime personne, celui-ci
observe dans lÕintroduction dÕun article consacr cet vnement : Ç El
corresponsal empez a escribir crtica de arte en Madrid, hace cinco o seis aos,
en el preciso momento en que Sorolla tocaba las cimas del triunfo y por eso
mismo comenzaban a apuntarse tendencias hostiles a su manera de pintar. È89 Il
situe donc le sommet de la carrire du peintre autour de 1902, une date qui
concide avec la fin de sa carrire acadmique mais aussi, selon lui, avec
lÕapparition dÕun courant dÕhostilit. LÕcrivain ajoute ensuite : Ç [É] ha luchado
como un valiente para arrinconar a sus predecesores, para destacarse entre sus
contemporneos. Ahora, por conquistar el mundo, aunque al trasponer las
fronteras se le subleven dentro de la casa los que antes no se atrevan a pestaear
sin su permiso. È90 Ce propos opaque mrite dÕtre clarifi. Par exemple, qui sont
les ÒprdcesseursÓ, qui sont les ÒcontemporainsÓ et qui sÕest ÒsoulevÓ et contre
quoi ?
On peut supposer, tout dÕabord, que lesdits ÒprdcesseursÓ sont ces
peintres dÕhistoire qui, comme Federico de Madrazo, Manuel Domnguez ou
Salvador Martnez Cubells, sÕtaient montrs hostiles la peinture de Sorolla en
lui barrant la route des honneurs. Dans la suite de son article, Maeztu considre
que tant que le Valencien avait particip lÕExposition Nationale, il avait limit
les chances dÕau moins trois peintres de sa gnration, les ÒcontemporainsÓ :
Ignacio Zuloaga, Julio Romero de Torres et Daro de Regoyos. Certes, ces artistes
nÕadhrent pas au courant naturaliste, mais ils ne partagent pas non plus les
mmes affinits artistiques. En effet, les deux premiers cultivent un symbolisme
sombre trs loign du divisionnisme de Regoyos. Mais ils appartiennent tous au
89.
90.
Ramiro de Maeztu, ÒSorolla en LondresÓ, La Prensa, Buenos Aires, 24/06/1908. Ç Le
correspondant commena rdiger des critiques dÕart Madrid, il y a cinq ou six ans, au
moment prcis o Sorolla touchait le sommet de la gloire et, pour cette raison, des
courants hostiles sa mainre de peindre commenaient voir le jour. È
Ibidem, Ç Il a lutt comme un brave pour carter ses prdcesseurs, pour tirer son pingle
du jeu parmi ses contemporains. Et maintenant pour conqurir le monde, mme si, au
moment o il traversa les frontires, ceux-l mme qui nÕosait pas sourciller sans son
autorisation se sont soulev chez lui. È
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122
Modernismo, terme qui englobe tout le mouvement de modernisation de la culture
espagnole clectique car on peut y retrouver aussi bien le Symbolisme que le
Post-Impressionnisme de Daro de Regoyos, le Dcadentisme que son contraire,
le Vitalisme, le Wagnrisme et lÕcole franco-belge en musique ou encore lÕArt
Nouveau en architectur et dans les arts dcoratifs. Mais malgr leurs diffrences,
Zuloaga, Romero de Torres et Regoyos frquentent, en 1906, le cercle de la
bohme madrilne du Nuevo Caf de Levante autour de lÕcrivain Ramn del
Valle-Incln. Le sculpteur Mateo Inurria (1867-1924), les peintres Eduardo
Zamacois (1873-1971), Anselmo Miguel-Nieto (1881-1964), Beltrn Masses
(1885-1949), Rafael Penagos (1889-1954) et Jos Gutirrez Solana ainsi que les
frres Ricardo Ð peintre Ð et Po Baroja Ð crivain Ð ont frquent ce cercle qui fut
le creuset dÕune autre conception de lÕart, qui se voulait plus sensible, leve et
spirituelle.91 La forme picturale prne par le groupe sÕinscrit dans le sillage du
prraphalisme anglais, du symbolisme du Franais Gustave Moreau (18261898), du Suisse Arnold Bcklin (1827-1901), ou encore du Belge Fernand
Khnopff (1858-1921). En 1935, le critique Manuel Abril prfrera le terme
dÕidalisme.92 En toute logique, le naturalisme lumineux de Sorolla est jug avec
svrit par le cercle madrilne. Mais malgr cela, seul Valle-Incln affirme
publiquement son aversion pour sa peinture dans les colonnes dÕun journal. Cela
pourrait expliquer que son portrait ne figure pas dans la galerie iconographique de
lÕHispanic Society, alors que celui de Po Baroja sÕy trouve. On tentera ici de
mettre jour les causes dÕun rejet qui fut lÕvidence dÕordre esthtique. Mais un
paradoxe invite mener plus avant la rflexion. En effet, le Valencien essuie les
attaques les plus dures entre 1906 et 1908 alors quÕil expose loin de Madrid et
nÕest donc pas en concurrence avec les peintres du Nuevo Caf de Levante ! Ce
point mritera un clairage.
Ignacio Zuloaga nourrissait une inimiti tenace envers le Valencien. En
1900, le jury dÕadmission des tableaux espagnols destins lÕExposition
Universelle de Paris avait refus son tableau Vspera de la corrida qui lui avait
valu une Premire Mdaille lÕExposition des Beaux-Arts de Barcelone en 1898.
Zuloaga et beaucoup dÕartistes furent indigns par cette dcision, en particulier
91.
92.
Francisco Pompey, Recuerdos de un pintor que escribe. Semblanzas de grandes figuras,
Madrid, Artes Grficas Iberoamericanas, 1972, pages 20-25.
Manuel Abril, De la Naturaleza al Espritu. Ensayo crtico de la pintura contempornea
desde Sorolla hasta Picasso, Madrid, Espasa-Calpe, 1935, pages 29-60.
II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
123
ses amis catalans ÒmodernistesÓ : Ramn Casas et Santiago Rusiol. Ce dernier,
qui avait prsent six tableaux, renona participer lÕexposition devant la
dcision du jury dÕen liminer quatre. Par consquent, la raction de Zuloaga et
des artistes catalans devant le succs de Sorolla lÕExposition Universelle de
Paris ne pouvait tre que ngative et certainement teinte dÕamertume puisquÕils
nÕavaient pas pu y participer. Malgr tout, il y eut une sorte de compensation pour
Zuloaga puisquÕil participera, toujours avec Vspera de la corrida, la VIIe
Exposition de la Libre Esthtique Bruxelles, et que le gouvernement belge
dcidera dÕacqurir cette Ïuvre si polmique. Comme lÕcrit Miguel Zugaza dans
lÕintroduction du catalogue Sorolla-Zuloaga : Ç Inevitablemente, a partir de ese
xito de 1900 se sucede el enfrentamiento abierto entre los defensores de uno y
otro artista. È93 Dans une lettre son oncle Daniel, Ignacio Zuloaga dcrit ainsi
lÕexposition du Valencien chez Georges Petit, environ dix jours avant sa
fermeture :
Bueno, pues imparcialmente he de decirte que la exposicin de Sorolla ha sido un
desastre para la gente artista y para los que ven; aquellas quinientas telas le dejan a
uno fro como la nieve, al salir de dicha exposicin.
La opinin general es que Sorolla es muy trabajador y nada ms. Que su cerebro est
completamente vaco de arte pero s lleno de maldad; que los retratos son horribles;
que en cuanto quiere componer algo, es decir, crear, no sabe ni por donde empieza;
que para l, el Arte es el aproximarse lo ms posible al natural y copiarlo como un
carbn, lo cual es casualmente abnegacin completa.
94
Dans ce document priv, le peintre basque rduit la peinture de son
compatriote une copie systmatique et minutieuse du motif, ce qui constitue
pour lui une forme de renoncement artistique. LÕide a fait son chemin au sein de
93.
94.
Sorolla y Zuloaga. Dos visiones para un cambio de siglo, Bilbao, BBK, 1997, page 17.
Ç Invitablement, partir de ce succs de 1900 commence la lutte ouverte entre les
dfenseurs de lÕun ou de lÕautre. È
Mariano Gmez de Caso Estrada, Correspondencia de I. Zuloaga con su to Daniel,
Segovie, Diputacin Provincial de Segovia, 2002, lettre n¡90 date du 28/06/1906, page
123. Ç Bon, eh bien, en toute impartialit je dois te dire que lÕexposition de Sorolla a t
un dsastre du point de vue de la communaut artistique et pour tous ceux qui lÕont vue ;
au sortir de cette exposition ces cinq cent toiles vous laissent de glace. LÕopinion gnrale
est que Sorolla est trs travailleur et rien de plus. Que son cerveau est compltement vide
dÕart mais au contraire plein de mchancets ; que les portraits sont horribles ; quÕ
chaque fois quÕil veut composer quelque chose, cÕest--dire crer, il ne sait mme pas par
o commencer ; que pour lui, lÕArt revient se rapprocher le plus possible de la nature et
la copier comme au charbon, ce qui est, sans quÕil sÕen rende compte, un total sacrifice
de soi. È
II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
124
la presse franaise ainsi que le montre, par exemple, un article publi par le
Mercure de France. Charles Morice (1860-1919), qui est un ami de Daro de
Regoyos, accuse Sorolla de manquer de personnalit.95 Dans le quotidien parisien
Gil Blas, Louis Vauxcelles (1870-1945) affirme que lÕEspagnol est incapable de
sublimer la nature : Ç Ne demandons point Sorolla de penser. On lÕa dfini Òune
main et un ÏilÓ. Le cerveau nÕa gure de part dans cette prodigieuse
production. È96 Le peintre Zuloaga compare par drision lÕart du Valencien un
procd mcanique rudimentaire, la copie au carbone. Mais lÕide dÕune
intervention ÒmcaniqueÓ cache dans sa peinture est plus srieusement envisage
par le peintre macchiaioli Giovanni Boldini (1842-1931), si lÕon en juge par un
tmoignage rapport par le critique dÕart amricain Royal Cortissoz (1869-1948).
En visitant lÕexposition Petit, Boldini est frapp par la ressemblance entre la
slection de peintures quÕil dcouvre et la photographie et il lui semble possible
que lÕEspagnol lÕutilise dans son processus de cration :
I have always remembered with amusement what happened when I went with
Boldini to the Sorolla exhibition at the Georges Petit Gallery in Paris. As we
progressed form picture to picture Boldini seemed suddenly to get into the grip of
some hidden excitement and for a time hesitated about telling me just was the matter
! At last he could stand it no longer. ÒThis man must work with a cameraÓ, he said;
Òthey look like so many snapshots.Ó I donÕt believe Sorolla ever in his life used a
camera, but the episode I have cited points with some justice to the nature of those
impressions trough which he was first made know here.97
La photographie avait effectivement fait partie de la formation artistique de
Sorolla puisque, paralllement ses tudes lÕAcadmie de San Carlos, il avait
travaill dans un atelier photographique. Il utilisa ensuite des clichs afin
dÕtudier la composition de lÕimage comme lÕa montr une exposition rcente,
95.
96.
97.
Charles Morice, Òtitre inconnuÓ, Mercure de France, Paris, 06/1906.
Louis Vauxcelles, ÒSorollaÓ, Gil Blas, Paris, 12/06/1906.
Cortissoz, Royal, ÒThe Field of ArtÓ, ScribnerÕs, New York, 05/1926. Ç Je me suis
toujours rappel avec amusement de ce qui arriva le jour o je me rendis avec Boldini
lÕExposition Sorolla de la Galerie Georges Petit de Paris. Alors que nous avancions de
tableau en tableau il me semblait que Boldini ft soudainement pris dÕune sorte
dÕexcitation secrte et hsita un instant me dire simplement quel tait le problme !
Mais finalement, il ne put se taire plus longtemps. ÒCet homme doit travailler avec un
appareil photographiqueÓ, dit-il, Òcela ressemble tellement des prises de vues
instantannesÓ. Je doute que Sorolla ait un jour utilis un appareil photographique, mais
lÕpisode que jÕai voqu tmoignait assez justement de la nature des impressions dont il
me fit part alors. È
II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
125
Sorolla y la otra imagen (2006). En 1903, il se lie dÕamiti avec le photographe de
la cour Christian Franzen qui lÕaide, par exemple, arrter la composition du
portrait dÕAlphonse XIII en uniforme des hussards. Mais lÕinfluence de la
photographie sur son Ïuvre nÕa pas toujours t perue comme une preuve de son
intelligence artistique et de la modernit de sa peinture comme le montre le
tmoignage rapport par Cortissoz.
La deuxime exposition personnelle de Sorolla, en Allemagne, passe
compltement inaperue en Espagne, ce qui nÕest pas le cas de lÕexposition
londonienne, qui est bien couverte par la presse espagnole car plusieurs portraits
indits de la famille royale sont prsents au public avant de rejoindre les palais
dans lesquels ils seront ensuite tenus loin des regards. Dans deux chroniques
satiriques parues dans El Mundo, Ramn del Valle Incln sÕen prend violemment
cette peinture quÕil ne connat quÕ travers des repoductions de presse.
LÕcrivain estime, tout dÕabord, que les tableaux de Sorolla ne transmettent
aucune motion. On se souvient que lÕexposition Petit avait laiss le peintre
Zuloaga Òde glaceÓ, avait dclar celui-ci. Il rprouve ensuite la palette
impressionniste, trop chamarre son got, et raille enfin la facture, quÕil juge
maladroite.
Solamente un perfecto y vergonzoso conocimiento de la emocin y una absoluta
ignorancia esttica ha podido dar vida a esa pintura brbara, donde la luz y la
sombra se pelean con un desentono teatral y de mal gusto. Por una quimrica e
inverosmil semejanza, esa pintura de ocre y de violeta me ha dado siempre la
emocin antiptica y plebeya de dos borrachos de pelen disputando a la puerta de
una taberna. Solamente en una poca de mal gusto han podido los crticos alzar sus
incensarios ante esos prodigios tcnicos, donde toda emocin desaparece, y apenas
nos queda qu admirar en el pintor sino una habilidad manual muy inferior a la que
el elefante tiene en la trompa y de la cual suele hacer alarde en los circos.
98.
98
Ramn Mara del Valle Incln, ÒNotas de la exposicin de bellas artes de 1908. Un
pintorÓ, El Mundo, Madrid, 3/05/1908. Ç Seules une parfaite et honteuse connaissance de
lÕmotion et une absolue ignorance esthtique ont pu donner vie cette peinture barbare,
o la lumire et lÕombre se disputent dans un dchanement thtral et de mauvais got.
Par une chimrique et invraisemblable similitude, cette peinture dÕocres et de violets mÕa
toujours rappel cette motion antipathique et plbienne produite par deux ivrognes
bagarreurs en train dÕen dcoudre devant la porte dÕune taverne. Il nÕy a que dans une
poque de mauvais got que les critiques ont pu agiter leurs encensoirs devant ces
prodiges techniques qui font disparatre toute motion et laissent peine de quoi admirer
chez le peintre une habilet manuelle trs infrieure celle dÕun lphant avec sa trompe
et dont il a lÕhabitude de faire la dmonstration dans les cirques. È
II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
126
Dans un autre papier, lÕcrivain tourne en ridicule le portrait dÕAlphonse
XIII en uniforme des hussards de Pavie, qui est le tableau le plus important de la
slection londonienne :
Surgi ante m, evocado por el recuerdo, el retrato de nuestro seor Rey, con el
bizarro atavo de hsares colorado. La obra maestra del genio levantino [É] ÁOh,
dolor de mi alma, cmo la vi con los ojos del espritu! ÁQu aridez, qu ausencia de
emocin la que me dio al evocarla! Yo recordaba la palidez claustral de nuestro
Csar y, trmulo de admiracin, adverta como al ser pintado haba sufrido una
transformacin parecida a la que sufren los cangrejos al ser cocidos. Esta
observacin me llen de cavilaciones. ÀSera esa la grande y moderna evolucin de
la pintura ?
99
Valle-Incln admire Julio Romero de Torres plus que tout autre peintre
mais, dans ce passage cÕest, semble-t-il, Ramn Casas quÕil oppose implicitement
au Valencien car le Catalan avait peint deux portraits du roi plus conformes sa
sensibilit. Quelques annes plus tt, Casas sÕtait inscrit dans la continuit du
portrait de Cour et avait envelopp la figure du jeune roi dans une sombre
mlancolie de circonstance car le pays venait de vivre le ÒDsastre de 1898Ó. Ë
lÕinverse, Sorolla avait opt pour un portrait lumineux et dynamique qui
tmoignait dÕune rupture avec le pass. SÕil y avait eu une rivalit entre Casas et
Sorolla, celle-ci ne pouvait plus exister en 1908. Il convient donc de se demander
si une raison non esthtique explique que Valle-Incln prend alors aussi durement
parti contre Sorolla tant donn que son activit principale se situe alors hors des
frontires du pays et quÕil ne fait, pour cette raison, plus dÕombre aucun peintre
espagnol.
Le critique dÕart Ricardo Gutirrez Abascal (1888-1963), qui crit sous le
pseudonyme Juan de la Encina, apportera plus tard un clairage intressant sur les
99.
Ramn Mara del Valle Incln, ÒNotas de la exposicin de bellas artes de 1908. Del
retratoÓ, El Mundo, Madrid, 12/06/1908. Ç En cherchant dans ma mmoire, le portrait de
notre monsieur Roi arborant lÕtrange accoutrement bigarr des hussards mÕapparut tout
coup. Le chef dÕÏuvre du gnie levantin [É] Oh ! Pauvre de moi, combien je le regardai
avec les yeux de lÕesprit ! Quelle scheresse, quelle absence dÕmotion mÕenvahit alors !
Je me souvenais de la pleur claustrale de notre Csar et, tremblant dÕadmiration,
jÕobservais comment une fois peint il avait subi une transformation semblable celle
dÕune crevisse lors de la cuisson. Cette observation mÕemplit de doutes. Ce sera donc
cela la grande et moderne volution de la peinture. È
II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
127
accusations de Valle-Incln. Dans un article publi quelques jours aprs la mort
de Sorolla, dans lequel il utilisera le mot ÒsorollismeÓ comme une dsignation
visiblement dj admise cette poque, le journaliste dclare : Ç Hemos
combatido en distintas ocasiones y circunstancialmente su manera de pintar y,
sobre todo, lo que pudiera denominarse su teora esttica informulada. È100 Le
nologisme ÒsorollismeÓ renvoie la peinture trs formate des disciples de
Sorolla qui fera lÕobjet dÕun autre chapitre. Sans dvelopper ce qui le sera par la
suite, on peut nanmoins entamer cette question en signalant que si les partisans
de Zuloaga et de Romero de Torres rejettent en bloc le ÒsorollismeÓ cÕest parce
quÕ partir de 1904, ses jeunes adeptes accdent aux premiers prix de lÕExposition
Nationale grce lÕinfluence de leur matre, alors mme que Daro de Regoyos,
par exemple, choue encore. Quant Jos Gutirrez Solana et Daniel Vsquez
Daz (1882-1969), qui participent pour la premire fois au concours, ils passent
compltement inaperus. LÕdition de 1906 confirme mme la suprmatie des
ÒsorollistesÓ. Manuel Benedito (1875-1963), le principal disciple du Valencien,
domine encore les dbats et le vent ne commence tourner quÕ partir de lÕdition
de 1908 au terme de laquelle Julio Romero de Torres et Santiago Rusiol
dcrochent enfin des rcompenses de premier rang.101 Il y a donc cette poque
non seulement une concurrence couteaux tirs entre les ÒsorollistesÓ et tous les
reprsentants de courants picturaux diffrents, mais aussi une ingalit des
chances fonde sur lÕinfluence de Sorolla sur les membres des jurys de
lÕExposition Nationale.
Aprs que la Mdaille dÕHonneur lÕait adoub comme premier peintre du
pays, Sorolla mobilise en effet toute son influence au sein des mmes institutions
qui lui avaient jadis t contraires ! En favorisant tel ou tel artiste form dans son
atelier, il limite les chances des autres. Il use galement de toute son aura pour que
la Mdaille dÕHonneur revienne ses ÒvieuxÓ matres valenciens, au mpris des
tendances du moment. Il lÕobtient pour Muoz Degran, en 1910, pour Ignacio
Pinazo, en 1912, et tente en vain dÕorienter le jury vers Francisco Domingo, en
100.
101.
Juan de la Encina, ÒSorollaÓ, La Voz, Madrid, 17/08/1923. Ç Nous avons combattu en
diverses occasions et selon les circonstances sa manire de peindre et, surtout, ce qui
pourrait sÕappeler son informulable thorie esthtique. È
Bernardino de Pantorba, Historia y crtica de las Exposiciones de Bellas Artes celebradas
en Espaa, Madrid, Jess Ramn Garca Rama, 1980, pages 183-208.
II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
128
1915, provoquant au passage la colre du peintre et critique dÕart Jos Francs.102
Dans les coulisses de lÕExposition Nationale, Sorolla tire toutes les ficelles car son
avis compte plus quÕaucun autre. CÕest probablement cela qui conduit un auteur
anonyme le juger si durement, dans un article paru dans El Blido. Le Valencien
est prsent comme un homme arrogant et mprisant qui nÕaurait dÕgal que le
soleil, dont il inonde ses tableaux : Ç Sorolla no ayuda a los pintores jvenes de
talento. Es un hombre endiosado que se cree ms que Velzquez. Yo pinto el sol Ð
dice. È103 ce qui signifie Ç Sorolla nÕaide pas les jeunes peintres de talent. CÕest un
homme bouffi dÕorgeuil qui se croit suprieur Vlasquez. Moi je peins le soleil Ð
dit-il. È Le peintre Hermenegildo Anglada Camarasa (1871-1959) rappelera, la
fin de sa vie, que Sorolla et Benlliure lui barrrent obstinment la route car, selon
lui, ils se mfiaient de la jeunesse artistique et voulaient les prix et les
rcompenses pour eux seuls.104 LÕimmiscion du Valencien dans la vie artistique
madrilne est au moins une raison non esthtique pour laquelle quelques-uns
tirent sur lui boulets rouges ds les premires annes du sicle commenant.
Avant de poursuivre, il convient dÕajouter deux observations. DÕabord, si
Valle-Incln combat ponctuellement les choix esthtiques de Sorolla, en aucun
cas ce peintre ne peut tre oppos de faon systmatique tous les intellectuels
espagnols, ni une gnration dÕintellectuels, ni mme aux intellectuels du nord
de lÕEspagne. Azorn, Juan Ramn Jimnez (1881-1958) Ramn Prez de Ayala
(1881-1962), ou encore Miguel de Unamuno, lÕadmirent et le respectent comme le
montrent plusieurs tmoignages.105 Dans un article sur lÕart publi en 1912,
Miguel de Unamuno fait une analyse critique taye de lÕesthtique de Sorolla en
partant des reprsentations quÕil avait faites du Pays Basque.106 Il exprime, par
exemple, son malaise face sa reprsentation de la femme basque car elle lui
semble exagrment lascive. Mais cela tant dit, il est impossible dÕassocier sans
nuances Unamuno aux attaques de Valle-Incln. Des sources concordantes
prouvent que les deux hommes sÕapprcient mutuellement et ont toujours
102.
103.
104.
105.
106.
Jos Francs, ÒLas medallasÓ, El Ao Artstico, Madrid, 1915.
Anonyme, ÒSorolla, los requets, los intelectualesÓ, El Blido, [Madrid], 11/07/1915.
Anonyme, ÒNo arrempujenÉ no arrempujenÓ, Destino, Barcelone, 15/06/1955.
Juan Ramn Jimnez, ÒSol de la tardeÓ, Alma Espaola, Madrid, 13/03/1904. Ramn
Prez de Ayala, ÒSorollaÓ, La Prensa, Buenos Aires, 7/10/1923. Azorn, Obras selectas,
Madrid, Biblioteca Nueva, 1953, page 870.
Miguel de Unamuno, ÒDe Arte PictricaÓ, La Nacin, Buenos Aires, 21/07/1912 et
8/08/1912.
II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
129
maintenu une bonne relation. Ë la demande de Archer Milton Huntington,
Unamuno pose pour le peintre en 1920. Sans aucun doute, la qualit du lien entre
Sorolla et ses contemporains facilite la ralisation de la galerie iconographique de
lÕHispanic Society. Le commanditaire le comprend trs bien et sÕappuie sur le
rseau social du peintre.
On peut rappeler ici que lÕhispanophile nÕa pas toujours t bien peru en
Espagne car, en 1898, la fin de la Guerre de Cuba, il y menait des fouilles
archologiques sur le site dÕItlica, prs de Sville, et achetait des biens prcieux
pour sa fondation new-yorkaise. Aprs lÕexplosion du navire amricain Maine
dans le port de la Havane, le 15 fvrier, et lÕintervention militaire amricaine
Cuba, Huntington doit abandonner le site archologique. En 1902, lorsquÕil fait
lÕacquisition de la bibliothque du marquis de Jrez de los Caballeros, qui contient
une premire dition du Don Quichotte de la Manche de Miguel de Cervantes, il
dclenche la colre dÕAlphonse XIII.107 Aprs cela, il achtera des livres
espagnols anciens seulement en dehors du pays. LÕimage de Huntington auprs
des dirigeants et des intellectuels changera peu peu car il ralisera des
investissements colossaux en Espagne et assurera la promotion du pays aux tatsUnis.
Au chapitre de ÒSorolla et les intellectuelsÓ, il convient dÕvoquer le cas de
Po Baroja qui diffre de celui de Valle-Incln dans la mesure o il ne colporte
pas ses divergences ni avec lÕart ni avec la personne du peintre et ne les exprimera
finalement que dans des mmoires publies tardivement.108 Il ne voit dans lÕart du
Valencien quÕune formule commerciale indigne de son talent car il le considre,
du reste, comme un des meilleurs peintres de son poque. Personne ne voit en
Sorolla un mauvais peintre, au contraire, cÕest une ide que lÕhistorien Joaqun de
la Puente (1925-2001) exprimera trs bien dans un article publi dans les annes
soixante-dix : Ç De Sorolla nunca dijeron sus detractores que fuera pobre pintor.
Al contrario, deploraban el exceso de sus facultades manuales y visuales. Segn
ellos, en l slo haba manos y ojos. È109 Ë la demande du fondateur de lÕHispanic
107.
108.
109.
Beatrice Gilman Proske, Archer Milton Huntington, New York, The Hispanic Society of
America, 1965, page 9.
Po Baroja, Memorias, Madrid, Caro Raggio, 1997 (1955).
Joaqun de la Puente, ÒSorolla el GrandeÓ in Dibujos de Sorolla. Coleccin Pons Sorolla,
Valence, Direccin General de Bellas Artes, 1974, page 12. Ç Ë propos de Sorolla, ses
dtracteurs nÕont jamais dit quÕil tait un pitre peintre. Au contraire, ils dploraient chez
lui lÕexcs de facults manuelles et visuelles. Selon eux, il nÕtait que mains et yeux. È
II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
130
Society, il fait un portrait de lÕcrivain en 1914, mais leur rencontre est glaciale
car les deux hommes connaissent leurs divergences.110 Enfin, le mpris de
quelques socitaires du Caf de Levante relve dÕune opposition dÕordre artistique
quÕil ne faut pas confondre avec lÕopposition dÕordre idologique, cette fois, qui
allait sparer Sorolla de ses premiers soutiens, les rpublicains de Valence. Les
deux choses ne sont cependant pas trangres lÕune lÕautre et ce nÕest pas le fruit
du hasard si elles se manifestent concommitament, ainsi quÕon va le voir
maintenant.
Pour faire toute la lumire sur cette question, la collection de presse du
Muse Sorolla offre nouveau de prcieuses indications car, partir de 1902, les
rpublicains de Valence ne figurent plus parmi la collection de presse
lÕexception de Vicente Blasco Ibez qui publie un seul article en 1907. Les
autres noms rapparatront seulement en 1923 pour rendre hommage au peintre
disparu. Il faut noter enfin que, sous la Seconde Rpublique, la collection
comprend quatre articles de Roberto Castrovido car, durant cette priode, le
souvenir de Sorolla sera raviv par le Parti de lÕUnion Rpublicaine Autonomiste
(PURA), comme on le verra plus avant.
LÕvolution de lÕactivit, de la position sociale ou encore de lÕentourage du
peintre sont autant de facteurs responsables de la dsaffection des soutiens de la
premire heure. Autour de 1906, la famille Sorolla connat alors une progression
sociale rapide et est admise parmi la bourgeoisie royaliste de la capitale. LÕimage
brosse lÕpoque de lÕaffaire de la Mdaille dÕHonneur sÕmiette et la
commande royale de la Granja de San Ildefonso apporte finalement la preuve, si
cela tait ncessaire, que Sorolla nÕest pas un homme de gauche. Ë Valence, cette
Òdeuxime moitiÓ de la carrire du peintre est mal vcue mme si les
tmoignages publis dans la presse de lÕpoque manquent. Il faudra attendre de
nombreuses annes pour que les langues se dlient un peu. Depuis lÕEspagne
franquiste, la presse phalangiste portera un regard accusateur sur cette priode :
Sorolla no recibi de Valencia durante su vida el reconocimiento que la ciudad deba
a uno de sus hijos ms preclaros. El Sorolla consagrado en Pars, en Londres y en
110.
Sorolla y la Hispanic Society. Una visin de la Espaa de entresiglos, Madrid, Museo
Thyssen Bornemisza, 1998, pages 347-349.
II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
131
Nueva York no pudo vencer en Valencia el cacicato artstico de unas medianas
cimentadas sobre los intereses creados del menos ambicioso provincianismo.111
Avant 1923, si un Valencien a lÕintention de sÕen prendre publiquement
Sorolla, dans une lettre ouverte par exemple, personne ne le fait. Cela peut
sÕexpliquer la fois par une logique de cohrence avec des positions prises dans
le pass mais aussi par une forme de solidarit rgionale. De son vivant, le peintre
est toujours admir et respect des Valenciens car il est le meilleur ambassadeur
de la ville et de toute la rgion du Levant. Les Valenciens peuvent difficilement
jet lÕopprobre sur celui qui a fait connatre dans le monde entier les plages de la
Malvarrosa et de Cabaal, le Cap Saint Antoine de Jvea, le port du Grao, etc. La
fiert et lÕadmiration lÕemportent sur tout le reste. Ë cette rgle, il y a toutefois
une exception car, en dpit de ce qui vient dÕtre dit, Vicente Blasco Ibez
exprime habilement son indignation dans deux textes : un roman intitul La maja
desnuda (1906) et un article, ÒNieto de Velzquez, hijo de GoyaÓ, publi lÕanne
suivante.
Au printemps 1906 est publi le deuxime livre dÕune trilogie comprenant
Entre naranjos (1900) et La voluntad de vivir (1907). Dans La maja desnuda, le
romancier expose sa propre vision de lÕÇ Artiste È comme lÕavait fait, avant lui,
mile Zola (1840-1902) dans LÕÎuvre, en 1886. Dans le quatorzime tome des
Rougon-Macquart - Histoire naturelle et sociale dÕune famille sous le Second
Empire, Zola sÕintresse au destin dÕun peintre ÒrefusÓ, dont les toiles sont
exposes en marge du Salon officiel. Le hros de ce roman, Claude Lantier, est un
peintre libre, imptueux et rvolt, tel que Zola percevait lui-mme le jeune Paul
Czanne (1839-1906). Vingt ans plus tard, dans La maja desnuda, lÕcrivain
espagnol donne naissance un double littraire de Sorolla nomm Mariano
Renovales. Il pourrait tre driv de ÒrenovarÓ et ÒrenovacinÓ et faire donc
implicitement allusion lÕpoque o le Valencien tentait de renouveler les codes
picturaux dans son pays. Dans le premier chapitre du roman, le lecteur dcouvre
un peintre de quarante-trois ans Ð lÕge de Sorolla en 1906 Ð au fate de sa gloire
et de sa prosprit conomique. Une visite dans un Muse du Prado dsert lui
111.
Anonyme, ÒLa vuelta de SorollaÓ, Jornada, Valence, 20/05/1944. Ç De Valence, Sorolla
nÕa pas reu durant sa vie la reconnaissance que la ville devait un de ses fils les plus
illustres. Le Sorolla consacr Paris, Londres et New York nÕa pas russi vaincre
Valence lÕintelligentzia artistique repue de mdiocrits bases sur des intrts ns du
provincialisme le moins ambitieux. È
II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
132
donne lÕoccasion de se remmorer les principales tapes de sa carrire au fil dÕune
longue analepse qui occupe les trois premiers chapitres du livre. Si lÕon passe la
partie concernant sa formation, qui correspond scrupuleusement celle du
Valencien, le premier Renovales rappelle le jeune Sorolla que Blasco avait
dfendu au temps des Salons officiels. Le personnage lutte sans relche pour
imposer sa peinture de Òplein airÓ et parvient dcrocher les plus hautes
rcompenses, etc. Mais la conscration et la gloire le transforment. Conscient de
la valeur de sa signature, il gagne grce elle des sommes considrables, mne
grand train et ctoie la haute socit madrilne : Ç El maestro, amargado por las
estrecheces de su perodo de lucha, sinti de pronto una ansia de dinero, una
codicia dominadora que nunca le haban conocido sus amigos. È112 Renovales, qui
nÕest pourtant que le fils dÕun modeste artisan de Valence, tourne alors le dos sa
classe sociale dÕorigine. Dans une des scnes les plus marquantes, le peintre
contemple le petit peuple de Madrid depuis un balcon, avec la satisfaction
arrogante de celui qui a russi : Ç La pobre muchedumbre agolpada fuera le hizo
recordar con cierto orgullo al hijo del herrero. ÁDios! ÁY cmo haba
subido!É È113
Le hros madrilne sÕoppose donc radicalement Lantier dans la mesure o
il incarne un nouveau modle dÕartiste que lÕon qualifie dj en Espagne, avant la
sortie du roman, de Òpeintre installÓ.114 Francisco Acebal dcrit en 1904
lÕvolution de la condition conomique et sociale des peintres succs :
Suele ser el artista espritu inquieto, rebelde a toda costumbre que tenga cara de
rutina y no se da, sin embargo, cabal cuenta de que ya la vida bohemia entra en la
clasificacin de las grandes rutinas. Hoy los ms sonados artistas de Europa son una
nueva especie de plcidos burgueses, sometidos al severo rgimen de un trabajo
metdico, perseverante y regular. Con esta sumisin aderezan la vida, una vida
familiar, rica en goces verdaderos, y sobre esa vida, sobre esos hogares en donde la
existencia ofrece las blandas comodidades del caudal bien adquirido, flota, con sus
112.
113.
114.
Vicente Blasco Ibez, La maja desnuda, Madrid, Ctedra, 1998, page 246. Ç Le matre,
aigri par les privations de sa priode de lutte, sentit tout coup un dsir ardent de
richesse, une avidit imprieuse que ses amis ne lui connaissaient pas. È
Ibidem, La majaÉ page 355.
Sur les occurrences entre la vie de Joaqun Sorolla et celle de Mariano Renovales, on peut
consulter lÕdition critique de Facundo Toms cite dans la note prcdente.
II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
133
destellos ureos, la codiciada gloria. [É] Los tiempos del arte mendicante y
pobretn pasaron ya.
115
Artistes bohme dans les annes 1870-1880, certains peintres de Òplein airÓ
accumulent des fortunes considrables moins de vingt ans aprs, une poque o
la reconnaissance publique de leur Ïuvre et lÕenvole de la demande prive
transforment le march de lÕart. Entre 1890 et 1900, les revenus de Sorolla
triplent, passant de 21.775 ptas. 79.135 ptas. par an.116 Au cours des cinq annes
suivantes, ils sont de nouveau multiplis par deux, atteignant la somme colossale
de 149.971 ptas. en 1905. Le portrait dit Òde socitÓ ou ÒmondainÓ, qui dcore
habituellement les intrieurs bourgeois, reprsente la plupart des commandes
particulires et constitue le premier facteur de cette progression. La presse de
lÕpoque reflte cette volution puisque, par exemple, la revue mondaine et
cosmopolite Gran Mundo y Sport consacre Sorolla une chronique dans sa srie
des Òpeintres pour damesÓ dÕavril 1906.117 Ce genre dÕarticles revient ensuite
assez frquemment pour que Sorolla lui-mme sÕindigne de se voir trait ainsi :
Ç ÁYo pintor de retratosÉ y de retratos de seoras! ÁNo salgo de mi asombro! È
crit-il son pouse en 1913.118 Car le genre entre en contradiction avec la libert
laquelle il est attach et quÕil revendique, par exemple, en refusant des charges
officielles. Vicente Blasco Ibez assimile cette activit une forme de
prostitution intellectuelle. Dans le roman, le genre est synonyme dÕargent facile et
de subordination au client : Ç Poda estar satisfecho de los retratos de aquellas
gentes: ellos, unos seores despreciables, malas personas, ladrones casi todos.
115.
116.
117.
118.
Francisco Acebal, ÒSorollaÓ, La Vanguardia, Barcelone, 1904. Ç LÕartiste a gnralement
lÕhumeur vagabonde, rebelle toute habitude qui ressemble une routine, et il ne se rend
pas bien compte du fait que la vie de bohme fait aussi partie des grandes routines.
AujourdÕhui, les artistes europens les plus prestigieux constituent une nouvelle espce de
bourgeois paisibles, soumis la svre astreinte dÕun travail mthodique, constant et
rgulier. Cette constance est tout le sel de leur vie, une vie de famille, riche en plaisirs
authentiques, et sur cette vie, sur ces foyers o lÕexistance offre le confort moelleux dÕune
fortune bien acquise, flotte, comme une lumire dore, la gloire tant convoite. [É]
LÕpoque dÕun art mendiant et indigent est rvolue. È
Bernardino de Pantorba, La vida y la obra de Joaquin Sorolla. Estudio biogrfico y
crtico, Madrid, Grficas Monteverde 1970, page 121.
Manuel Carretero, ÒPintores de mujeresÓ, Gran Mundo y Sport, Madrid, 04/1906.
Pantorba, La vidaÉ page 101. Ç Moi, un portraitisteÉ et portraitiste pour dames ! Je nÕen
reviens pas ! È
II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
134
[É] Aquella casa, con toda sus fachada de laureles y sus letras de oro, era un
burdel. È119
On se souvient que, par le pass, lÕcrivain avait relev une parent entre les
tableaux de Sorolla et ses romans et, par extension, entre les mtiers de peintre et
dÕcrivain. Mais dans La maja desnuda, il est frappant de les voir opposs
dornavant, ce qui pourrait tout fait reflter lÕvolution de sa relation avec son
compatriote :
Pero ahora para ser un pintor clebre haba que ganar mucho dinero, y ste slo se
consegua con los retratos, abriendo tienda, pintando al primero que se presenta, sin
derecho al escoger. ÁMaldita pintura! En el escritor era mrito la pobreza; representaba
virtud e integridad. Pero el pintor haba de ser rico: su talento se juzgaba por las
ganancias.
120
La bibliothque personnelle de Sorolla compte peu de livres, mais parmi
eux figure un exemplaire de La maja desnuda ddicac par son auteur. Selon
toute vraisemblance, Blasco lui-mme le lui adresse par courrier avec une lettre,
or, aucun document de cette nature nÕest conserv dans les archives du Muse
Sorolla. Quelques mois aprs la sortie du roman, Blasco publie un autre texte dans
le quotidien argentin La Nacin.121 Malgr son titre, ÒNieto de Velzquez, hijo de
GoyaÓ, il ne sÕagit nullement dÕun hommage Sorolla ainsi quÕil est
invariablement interprt jusquÕ maintenant. Dans cette tude, nous nous
inscrivons en faux contre cette vision des choses. Selon nous, dans la continuit
de La maja desnuda, ce texte ne saurait tre un hommage.
Contre toute logique, lÕcrivain y livre une vision de son compatriote
apparemment identique celle quÕil brosse dix ans plus tt. Il dfend lÕide que
son ami nÕa pas chang depuis lÕpoque o ils se sont rencontrs. Plusieurs
intentions pourraient se recouper lÕintrieur de cet article : visiblement, Blasco
119.
120.
121.
V. Blasco Ibez, La majaÉ page 253. Ç Il pouvait tre satisfait des portraits de ces
gens : eux, ces messieurs mprisables, ces mauvaises personnes, presque tous voleurs [É]
Cette maison, en dpit des lauriers de sa faade et de ses lettres dÕor, tait un bordel. È
Ibidem, La majaÉ page 270. Ç Mais alors pour devenir un peintre clbre il fallait gagner
beaucoup dÕargent, ouvrir boutique, peindre le premier qui se prsente, sans possibilit de
choisir. Maudite peinture ! Pour lÕcrivain, la pauvret tait une valeur, elle reprsentait
vertu et intgrit. Mais le peintre devait tre riche : on mesurait son talent lÕaune de ses
revenus. È
Vicente Blasco Ibez, ÒNieto de Velzquez, hijo de GoyaÓ, La Nacin, Buenos Aires,
3/03/1907.
II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
135
veut convaincre le lecteur que Sorolla nÕa rien voir avec le Renovales du roman.
Mais un lecteur avis peut aisment lire le contraire des affirmations et capter
lÕironie de lÕcrivain. On peut lire par exemple : Ç Por encima de los honores de la
gloria y del dinero, Sorolla ama su arte. È, Ç Au-del des honneurs de la gloire et
de lÕargent, Sorolla aime son art.È Ou encore Ç Los honores le dejan fro, y en
plena gloria de triunfador ilustre, rico y clebre, muestra cierta sencillez y
descuido bohemios, como en sus primeros tiempos de lucha artstica. È cÕest-dire Ç Les honneurs le laissent de marbre et, en pleine gloire de vainqueur illustre,
riche et clbre, il fait preuve dÕune certaine simplicit et dÕune nonchalance toute
bohmiennes, comme aux premiers temps de ses combats artistiques. È Dans ce
texte, Blasco voque la couleur politique de son compatriote, nÕhsitant pas le
qualifier de rpublicain enthousiaste alors mme que celui-ci est sur le point de
sÕatteler la commande royale qui vient de lui tre confie : Ç Reyes y gobiernos
haciendo caer sobre su pecho bandas y condecoraciones, de las cuales, como
silencioso pero entusiasta republicano, slo usa de la Legin de Honor, de la
Repblica Francesa. È122 Ce propos jet publiquement depuis les colonnes dÕun
journal grand tirage nÕa rien voir avec un hommage. Blasco nÕen revient pas
de voir son ami se transformer en portraitiste pour dames de la haute socit et
bientt en peintre courtisan et tout cela lui apparat comme une mascarade
insupportable. Sorolla serait-il devenu le nouveau Federico de Madrazo ? CÕest la
question quÕil semble poser alors. LÕcrivain connat la porte des mots et leurs
consquences possibles alors que le peintre est sur le point de travailler la cour.
LÕarticle oblige Sorolla prciser sa relation avec Blasco auprs du roi, quand
celui-ci lÕinterroge en priv.123 Alphonse XIII a besoin de lui car il est lÕartiste le
plus mme de rnover lÕimage de la monarchie et cÕest probablement pour cette
raison que cela ne condamne pas ses chances et ne remet pas en cause la
commande. En revanche, la relation entre le peintre et lÕcrivain sÕenvenime
momentanment. CÕest cette poque que Sorolla cde le portrait de lÕcrivain
122.
123.
Ibidem Ç Des rois et des gouvernements couvrant sa poitrine dÕcharpes et de dcorations,
parmi lesquelles, en tant que silencieux mais enthousiaste rpublicain, il nÕarbore que la
Lgion dÕHonneur de la Rpublique Franaise. È Sorolla est nomm Chevalier de la
Lgion dÕHonneur en 1900 puis il reu la Grande Croix de la Lgion dÕHonneur en 1906
pour lÕensemble de son Ïuvre.
Jos Manaut Nogus, ÒJoaqun Sorolla. Intimidades y recuerdosÓ, El Mercantil
Valenciano, Valence, 10/08/1930.
II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
136
lÕHispanic Society, provoquant la fureur de ce dernier.124 Ç Vine i te fare un
altre È, Ç Viens et je tÕen ferai un autre È aurait-il reu pour toute rponse, mais
lÕinvitation reste lettre morte puisquÕaucun autre portrait ne voit le jour.125 Au
bout du compte, mme si leur relation est ponctue de hauts et de bas, dÕloges et
de reproches mutuels, il nÕy a, apparemment, jamais de rupture franche et
dfinitive. Malheureusement les sources manquent dÕun ct comme de lÕautre,
cÕest--dire dans les archives du Muse Sorolla de Madrid et de la Maison-Muse
Blasco Ibez de Valence. Mais au hasard dÕun document rencontr par chance,
les deux hommes rapparaissent cte cte comme dans cette lettre de lÕcrivain
adresse au peintre Fernando Vizca, date du 26 juillet 1913 : Ç Estuve en
septiembre en Pars. Dios Mediante, te avisar mi llegada. [É] Dichoso arte que
siempre da disgustos. Mil abrazos de Sorolla. Posdata: Hace un calor infernal.
ÁTreinta y nueve grados a la sombra. È126
Au lendemain de la mort du peintre, les rpublicains de Valence
commmorent chaleureusement le souvenir de leur compatriote, mais lÕhomme
auquel la presse rpublicaine fait alors allusion est le premier Sorolla, celui de la
peinture sociale et des luttes acadmiques, comme si le temps sÕtait arrt en
1901. Le reste est tout simplement cart. El Pueblo publie un numro spcial le
14 aot 1923 dans lequel on peut lire : Ç Su lucha en franco combate contra la
miseria, nos presenta su temperamento, que sigue con tenacidad asombrosa hasta
su muerte. È cÕest--dire Ç Sa lutte acharne contre la misre nous en dit assez
long sur son caractre, quÕil conserva avec une tonnante obstination jusquÕ sa
mort. È et Vicente Blasco Ibez rdige un hommage sous la forme dÕun prologue
son roman Flor de mayo, dans une rdition illustre de tableaux du peintre. Il
se limite voquer la jeunesse de son compatriote en citant La vuelta de la pesca,
un tableau peint en 1894. En tant que farouches adversaires de la monarchie, les
rpublicains de Valence ne considrent pas Sorolla comme une personnalit de
dimension nationale et ils prfrent toujours le rduire une dimension locale ou
lÕlever une dimension internationale gnralement dsigne, non sans emphase,
124.
125.
126.
Vicente Blasco Ibez, 127x186, New York, HSA, 1906.
V. Blasco Ibez, La majaÉ Page 60. Note n¡62.
Vicente Borges, ÒSorolla y Vizca, en el Crculo. Una valiosa e interesante exposicin de
pintura figurativa, de gran clase y buena escuelaÓ, La Tarde, Santa Cruz de Tenerife,
2/07/1962. Ç JÕtais Paris en septembre. Si Dieu le veut, je te prviendrai ds mon
retour. [É] Satan art qui cause toujours des dceptions. Mille bonjours de Sorolla. Postscriptum : Il fait une chaleur infernale. Trente neuf degrs lÕombre. È
II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
137
comme ÒuniverselleÓ. Ce rapport si particulier des rpublicains cet Òenfant du
paysÓ et citoyen dÕhonneur de la ville reste toujours entour dÕune part de
mystre. Toutefois, lÕenterrement du peintre, le 13 aot 1923, est riche de
circonstances en tout genre qui, leur manire, aident la comprhension de ce
lien.
Au matin, le corps de lÕartiste est transfr en train de Madrid Valence.
Depuis la gare, le cortge est cens prendre la direction du cimetire, mais des
incidents clatent avant le dpart du corbillard. Pour le comprendre, il faut
rappeler que Manuel Sigenza Alonso (1870-1964), le directeur du Cercle des
Beaux-Arts de Valence, avait demand et obtenu les honneurs militaires pour le
peintre.127 Les autorits ecclsiastiques et militaires accueillent donc le cortge
ds sa descente du train. Mais la rdaction du quotidien El Pueblo, reprsente sur
place par son directeur Flix Azzati et ses collaborateurs Arturo Perucho (inc.inc.), Jos Fernndez Serrano (1889-1963), Rigoberto Soler, Julio Just Jimeno
(1894-1976), et quelques autres, peroit la prsence de lÕarme comme une
intrusion du pouvoir central. Contre lÕavis des autorits et de la famille, la
rdaction du journal sÕoppose physiquement au protocole prvu et une rixe clate
devant la gare. Il est question, entre autres, que le cercueil reste sur le corbillard.
Mais Flix Azzati en dcide autrement ; il se juche sur la voiture, soulve le
cerceuil par une de ses poignes en bronze et harangue la foule au cri de
Ç ÁSorolla es nuestro, es de Valencia! ÁValencia quiere llevarlo al jardn de los
muertos sobre su corazn! È128 et les rpublicains sÕemparent du cercueil manu
militari pour le porter eux-mmes travers les rues. Le ton monte nouveau et,
pour viter que la dispute ne dgnre en pugilat, le cercueil est tantt port
lÕpaule, tantt pos sur le corbillard.
Le journal illustr madrilne Mundo Grfico publiera le lendemain quelques
photographies de la foule compacte sÕcartant au passage de lÕattelage. Sur lÕune
dÕentre elles, un cavalier ouvre la voie, sabre au poing, sommant la foule de
reculer.129 Pour la rdaction dÕEl Pueblo, Sorolla symbolise encore ces classes
populaires de Valence qui englobe la fois les artisans et les pcheurs quÕil avait
couchs sur quelques-unes de ses toiles clbres. DÕailleurs, le journal ne manque
127.
128.
129.
Enrique Malboysson, ÒSorolla y los honores oficialesÓ, El Pueblo, Valence, 14/08/1923.
Ibidem Ç Sorolla est des ntres, il est de Valence ! Valence veut le porter jusquÕau jardin
des morts sur son cÏur ! È
Figure n¡6. Valence accueille la dpouille de Joaqun Sorolla (1923).
II. Le march de lÕart : un parcours de la contestation 1902-1923
138
pas dÕopposer la ferveur populaire la pompe des solennits. Il rapporte, par
exemple, quÕ lÕangle de la rue de las Comedias, trois femmes plores se jetrent
sur le cerceuil pour y dposer leurs larmes avant dÕtre rudoyes sans
mnagement, prcise le journal, par un militaire pied.
Les incidents du 13 aot sont en quelque sorte le prlude la querelle qui
allait sÕinstaller sous la Dictature et se prolonger tout au long de la Seconde
Rpublique. En effet, Madrid et Valence opposeraient deux visions diffrentes de
Sorolla, lÕune nationaliste et conservatrice, lÕautre rgionaliste et rpublicaine.
III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939
139
III
LA CRATION DU MUSE SOROLLA
1924 - 1939
La mort de Sorolla, le 10 aot 1923, est aussitt clipse par la crise
politique qui dbouchera, un mois plus tard, sur une dictature avalise par
Alphonse XIII. Dpass, sur le plan extrieur, par les revers subis par lÕarme
espagnole au Maroc et, lÕintrieur, par les crises successives et les mouvements
de protestation, le souverain concdera des pouvoirs extraordinaires au gnral
Miguel Primo de Rivera le 15 septembre. Deux jours auparavant, lÕofficier sÕest
soulev et a adress au roi un manifeste dans lequel il demande le dpart des
hommes dÕtat quÕil qualifie de Òprofessionnels de la politiqueÓ. La Constitution
de 1876 est suspendue, les partis politiques dclars illgaux, le parlement et les
conseils municipaux destitus et lÕtat de guerre proclam. Un Directoire militaire
remplace le gouvernement jusquÕen 1925. Dans ce contexte, le souvenir du
peintre sÕestompe au point de sÕeffacer presque compltement. La rpartition des
archives de presse met en vidence cet affaissement de lÕactivit critique qui est
seulement interrompu par la couverture rserve lÕinauguration du Muse
Sorolla, en 1932. Avec cent quarante-sept articles conservs entre le 1er janvier et
le 23 novembre, cette anne reprsente un sommet critique lÕintrieur de la
collection du Muse Sorolla. On tentera de comprendre dans ce chapitre dans
quelle mesure la fondation dÕun muse monographique mettra fin lÕoubli dans
lequel le peintre avait sombr, rappelons-le, dj avant sa mort. On sÕintressera
ses nombreux disciples, les ÒsorollistesÓ et leur influence sur la rception de son
Ïuvre. On verra o, par qui, et comment le souvenir et la commmoration du
peintre seront pris en charge. Enfin, on cherchera expliquer pourquoi son
hritage se trouvera au centre dÕun rapport de forces entre les rpublicains et les
conservateurs, quelques annes seulement avant le dbut de la Guerre Civile.
III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939
140
III.1. LE SOROLLISME
LÕinfluence de Sorolla sur les peintres espagnols est une question vaste
lÕintrieur de laquelle quelques distinctions doivent tre faites. Naturellement, sa
peinture influe dÕabord sur des peintres de sa gnration tels que Jos Benlliure,
Jos Moreno Carbonero, Gonzalo Bilbao (1860-1938), Cecilio Pl (1860-1934),
etc. Il faut souligner, par ailleurs, que des peintres plus gs que lui, tels
quÕAureliano de Beruete, Raimundo de Madrazo et Jaime Moreira y Galicia,
transforment leur touche son contact. Or, dans ce chapitre, on ne sÕintressera ni
aux uns ni aux autres, mais tous ces peintres plus jeunes que lui et qui, de faon
plus ou moins directe, sont en quelque sorte les ÒcontinuateursÓ de sa manire.
Ë la fin des annes cinquante, un journaliste de la revue littraire et
culturelle madrilne ênsula jettera ce regard rtrospectif sur lÕimpact du matre sur
les jeunes peintres :
Los pintores y el pblico de nuestros das no pueden imaginarse la fama de que
Sorolla goz en su poca. En los estudios alababan casi unnimemente su obra.
Llegaban a ellos noticias de los triunfos que Sorolla obtena fuera de Espaa y de los
precios a que se pagaban sus cuadros. Los ms de los pintores jvenes eran
sorollistas.1
Par ses succs, sa notorit, ses voyages, la nature de ses commandes et le
prestige de ses commanditaires, mais aussi par sa fortune personnelle, son
patrimoine, ses relations, son aura, le matre de Valence a nourri les rves et les
espoirs de plusieurs gnrations de peintres. Tout cela nÕaurait pas exist sans la
presse nationale qui joue indniablement son rle dÕintermdiaire entre les media
trangers et le public espagnol. Ë la manire dÕun jeune dÕaujourdÕhui rvant de
suivre lÕexemple de tel footballeur ou de tel chanteur vu la tlvision et sur
internet, les articles de presse font natre des vocations chez de nombreux jeunes.
1.
Juan Menndez Arranz, ÒUna visita al pintor SorollaÓ, ênsula, Madrid, 15/04/1957. Ç Les
peintres et le public dÕaujourdÕhui ne peuvent pas sÕimaginer la notorit dont Sorolla a
joui son poque. Dans les ateliers, on faisait presque unanimement lÕloge de son
Ïuvre. On recevait les nouvelles des succs quÕil obtenait hors dÕEspagne et des prix
auxquels se vendaient ses tableaux. La majeure partie des jeunes peintres taient
sorollistes. È
III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939
141
Comme Claude Monet et Auguste Rodin en France, Sorolla et Benlliure ont t
un jour, dans leur pays, les premires ÒstarsÓ espagnoles des Beaux-Arts.
Parmi les ÒcontinuateursÓ de la peinture de Sorolla, il faut distinguer deux
groupes : dÕune part, les jeunes forms dans son atelier entre 1892 et 1905, et
dÕautre part, tous ceux qui nÕen franchissent jamais les portes et sont initis sa
peinture par un autre matre. De 1910 1920, la manire du Valencien se diffuse
largement lÕintrieur des acadmies et sur tout le territoire, car Sorolla a des
admirateurs au sein des principales coles dÕart du pays.2 Certains sont tout
simplement dÕanciens disciples dj reconvertis dans des fonctions professorales.
Un des plus fervents promoteurs de la technique de Sorolla est lÕhistorien dÕart
Rafael Domnech, qui enseigne lÕcole des Beaux-Arts de San Carlos de
Valence. Il publie une monographie du peintre en 1910, aussitt traduite en
franais.3 Parmi les sorollistes devenus professeurs, citons Teodoro Andreu, qui
enseigne lÕcole des Beaux-Arts de Cadix ds 1904, Eduardo Chicharro, qui
devient professeur lÕAcadmie Espagnole de Rome en 1912, Jos Mongrell,
lÕcole des Beaux-Arts San Jorge de Barcelone en 1913. Enfin, en 1916,
lÕimplication de Sorolla dans la vie artistique de sa ville dÕorigine provoque un
dernier regain dÕintrt pour sa peinture chez de jeunes Valenciens ns autour de
1895. Il convient donc de sparer deux gnrations de disciples : celle des peintres
ns dans les annes 1870 1880, qui frquentent son atelier madrilne, et celle de
ces plus jeunes peintres ns dans les annes 1890 1900, forms dans les coles
dÕart et / ou qui frquentent les ateliers des premiers. Dans le deuxime cas de
figure, la premire gnration participe la formation de la relve. Il faut noter,
enfin, que Sorolla dispense lui-mme un cours lÕcole des Beaux-Arts de San
Fernando de Madrid durant la seule anne acadmique 1919-1920, mais son
impact est trs limit car peu dÕlves y sont admis.
Parmi les disciples de la deuxime gnration, tous ne russissent pas se
dmarquer assez nettement du modle enseign. Certains pratiquent mme un art
tellement formel quÕil tire vers la caricature dans la mesure o il repose sur des
lments puiss, a et l, dans les tableaux du matre. Pour nommer cela, le
2.
3.
L. Folch, ÒEl pintor Joaqun SorollaÓ, Diario de Barcelona, Barcelone, 08/1923.
Rafael Domnech, Sorolla. Su vida y su arte, Madrid, Leoncio Miguel et Sorolla, sa vie et
son Ïuvre, Madrid, Vilanova y Geltr-Oliva, 1910.
III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939
142
nologisme ÒsorollismeÓ apparat en 1923 sous la plume de Ricardo Gutirrez
Abascal comme une dsignation pjorative :
El sorollismo es una variante levantina del impresionismo. [É] Pero no debe
confundirse al sorollismo con Sorolla. El hijo no tiene, ni mucho menos, la calidad del
padre. En todo caso, acenta, no ya lo que en el padre parece entrar en la categora de
lo permanente, sino lo perecedero, lo circunstancial, lo inmediatamente caedizo. Es su
caricatura por el defecto.4
ÒLa caricature par le dfautÓ est une dfinition cinglante qui doit tre
comprise dans les limites du pictural. Car en copiant avec application tel ou tel
coup de pinceau, effet de constraste, nuance, reflet, etc. isol de lÕensemble,
certains jeunes disciples finissent par oublier leur propre ralisation au point de
commettre dÕimportantes erreurs de composition et de proportion. La somme de
ces morceaux de peinture pris, a et l, ne donne pas une autre peinture, mais bel
et bien la caricature du modle.
Au lendemain de la mort du matre, un flot dÕarticles critiques suit la
publication des notices ncrologiques. A cette poque, les spcialistes Ricardo
Gutirrez Abascal, Manuel Gonzlez Mart, Jos Francs (1883-1964) et dÕautres,
tentent de porter un regard ÒdpassionnÓ sur les attaques dont le Valencien a t
la cible durant les vingt dernires annes de sa vie. La disparition du matre est
suivie dÕune rconciliation possible dans la mesure o le ÒsorollismeÓ expie tous
les pchs. En effet, pour ces journalistes, le Valencien a t victime de tous les
peintres qui galvaudent sa peinture en lÕimitant jusque dans ses traits les plus
singuliers. Dans La Nacin, un journaliste tient le ÒsorollismeÓ pour une vulgarit
qui a fini par nuire lÕimage de la peinture de Sorolla.
Lo que pasa es que la manera sorollesca se ha hecho vulgar, a fuerza de contrahecha
por gentes que han pensado que basta pincelar duro con colores bravos para parecerse
4.
Juan de la Encina, ÒSorollaÓ, La Voz, Madrid, 17/08/1923. Ç Le sorollisme est une
variante levantine de lÕImpressionnisme. [É] Mais le sorollisme ne doit pas tre
confondu avec Sorolla. Le fils ne possde, ni de prs ni de loin, la qualit du pre. En tous
cas, il accentue, non pas ce qui chez le pre entre dsormais dans la catgorie du prenne,
mais au contraire, le prissable, lÕanecdotique, lÕphmre. CÕest sa caricature par le
dfaut. È
III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939
143
al maestro. Y lo peor no es que se haya hecho vulgar sino que, por culpa de esos
plagiarios sin talento, haya sido calumniada y se haya desacreditado.5
Le critique Jos Francs considre que les peintres Francisco Pradilla et
Jos Villegas ont survcu un genre puisque la peinture dÕhistoire sÕest teinte
avant eux. Mais il souligne, comme un fait douteux et inquitant, que la peinture
de Sorolla a survcu son crateur au point de devenir un genre part entire. Il
ajoute, enfin, que le ÒsorollismeÓ est tellement tributaire de son modle quÕil est
condamn disparatre brve chance. Toutes ces opinions trs svres ne
tardent pas jeter lÕopprobre sur tous ceux qui, avec plus ou moins de russite,
continuent peindre comme le matre disparu et le courant se dlite compltement
partir de 1923. Ë cette poque, tout ce qui parat, de prs ou de loin, emprunt
Sorolla est jug avec la plus grande svrit.6
Avant dÕaller plus avant, il faut prciser que le terme ÒsorollismeÓ volue au
fil du temps au point de recouvrer tout et son contraire. Dans les annes quarante,
un journaliste en propose deux dfinitions qui continuent aujourdÕhui se
parasiter mutuellement :
Y entindase por sorollismo el culto fervoroso, la admiracin incondicional y el
justo apasionamiento hacia lo que Sorolla fue y represent en el mbito de la pintura
nuestra. El otro sorollismo, el del amaneramiento de los seguidores del gran
maestro, ya es ms discutible y hasta ms recusable.7
Le ÒsorollismeÓ est tantt synonyme dÕadmiration, dÕimitation ou mme
dÕusurpation, et il est toujours peru comme un phnomne exogne, indpendant
de la volont du matre. Or, il est temps de rappeler quÕil ne se dveloppe pas aux
dpens de Sorolla et que, aux antipodes dÕune ide visiblement admise dj en
5.
6.
7.
Anonyme, ÒJoaqun Sorolla y BastidaÓ, La Nacin, Buenos Aires, 12/08/1923. Ç Ce qui
se passe cÕest que la manire sorollesque est devenue vulgaire, force dÕavoir t
contrefaite par des gens qui ont pens quÕil suffisait de peindre obstinment avec des
couleurs chatoyantes pour ressembler au matre. Et le pire nÕest pas quÕelle ft devenue
vulgaire mais que, cause de ces plagiaires sans talent, elle ait t calomnie et
discrdite. È
Jos Francs, ÒEvocacin de Joaqun SorollaÓ, La Esfera, Madrid, 9/02/1924.
J.O., ÒSorolla en Nueva YorkÓ, Jornada, Valence, 3/10/1946. Ç Et comprenez bien par
sorollisme le culte fervent, lÕadmiration inconditionnelle et lÕengouement justifi pour ce
que Sorolla fut et reprsenta dans le domaine de notre peinture. LÕautre sorollisme, celui
des continuateurs maniristes du grand matre, est dj plus discutable et mme plus
contestable. È
III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939
144
1923, ou passe sous silence, il veille lui-mme crer les conditions les plus
favorables sa survie et son expansion.
Invitablement, le premier foyer de ÒsorollismeÓ est lÕatelier du peintre.
Rappelons quÕavant longtemps, il est impossible dÕtudier la peinture de Sorolla
sans entrer dans son atelier puisque les muses du pays ne possdent pas assez de
tableaux. Arriv Madrid en 1890, Sorolla sÕinstalle trois ans plus tard dans
lÕancien atelier du peintre Jos Jimnez Aranda, quand celui-ci dcide de regagner
Sville, sa ville dÕorigine. Ë cette poque, le Valencien a dj quelques lves
auxquels sÕajoute le petit groupe de disciples de son confrre8. Le journaliste Jos
Valenzuela (inc.-inc.), qui crit sous le pseudonyme Riverita, est frapp par la
jeunesse de ce matre peine plus g que ses lves : Ç Hoy se agrupan a su
alrededor una porcin de jvenes entusiastas que buscan sus enseanzas y
solicitan sus consejos. Sorolla ha comenzado por donde la generalidad termina. È9
Un cahier de comptes tenu par lÕpouse du peintre prouve dÕailleurs, au moins
jusquÕ lÕanne 1905, que Sorolla peroit le produit des enseignements quÕil
dispense.10 Cet atelier attire rapidement des disciples venus de lÕtranger,
principalement des tats-Unis, comme William Starkweather (1879-1969) et
Dudley Croft Watson (inc.-inc.) qui entreprennent de voyager en Espagne dans le
seul but de se former aux cts du peintre.11 Ë cette poque, les jeunes
Amricains sÕtablissent temporairement en Europe et entrent lÕAcadmie
Julian, fonde par Rodolphe Julian (1839-1907), ou intgrent les ateliers de
peintres succs comme Jean Lon Grme ou William Bouguereau (18251905), etc. Ë Paris, ils forment une colonie et, de l, parcourent les capitales
europenes.12 Mais la plupart des lves de Sorolla sont originaires de
Valence, tels que Jos Navarro Llorens (1867-1923), Teodoro Andreu (18701935), Joaqun Martnez Lumbreras (inc.-inc.), Jos Mongrell (1870-1923), Felipe
8.
9.
10.
11.
12.
Bernardino de Pantorba, La vida y la obra de Joaquin Sorolla. Estudio biogrfico y
crtico, Madrid, Grficas Monteverde, page 115.
Riverita, ÒJoaqun SorollaÓ, La Unin Vascongada, Saint-Sbastien, 27/11/1893.
Ç AujourdÕhui il est entour dÕun groupe de jeunes enthousiastes recherchant ses
enseignements et sollicitant ses conseils. Sorolla a comenc l o la plupart finit. È
Le cahier de compte de la famille Sorolla tenu par Clotilde Garca del Castillo est
conserv au Muse Sorolla. Sa consultation est, pour lÕinstant, restreinte et contrle.
Priscilla E. Muller, ÒSorolla y AmricaÓ in Joaqun Sorolla, Londres, Philip Wilson, 1989
page 60.
Kathleen Adler, ÒWeÕll always have Paris : Paris comme cole et comme cadreÓ in
Amricains Paris 1860-1900, Londres, 5 Continents & The National Gallery, 2006,
pages 11-55.
III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939
145
Abarzuza (1871-1848), Julio Vila Prades (1873-1930), Eduardo Chicharro (18731949), çlvaro Alcal Galiano (1873-1936), Enrique Martnez Cubells (18741947), Isidoro Millas (1875-1938), Samuel Ma (1875-1955), Manuel Benedito
Vives (1875-1963), Ricardo Verde Rubio (1876-1954), Jos Bermejo (1879-inc.),
Fernando Vizca (1879-1936), Salvador Tuset (1883-1951), Peppino Benlliure
(1884-1916), Francisco Merenciano (1885-1934), Francisco Pons Arnau (18861953) et beaucoup dÕautres. Cette gnration de peintres espagnols est aussi celle,
rappelons-le, de Pablo Picasso et Carlos Casagemas, ns tous deux en 1881. Ë
lÕpoque o ils frquentent le cabaret barcelonais Els Quatre Gats, lÕAndalou et le
Catalan sont plus influencs par Ramn Casas que par Sorolla.
Entre 1904 et 1920, le naturalisme lumineux hrit du matre assure la
russite acadmique et, dans certains cas, le succs commercial de cette premire
gnration de ÒsorollistesÓ. Mais il convient de se demander si ces peintres
auraient perc lÕExposition Nationale et / ou sur le march de lÕart en dÕautres
circonstances. Il est difficile de le savoir, mme si on peut au moins penser quÕils
nÕauraient pas russi si tt et mont si vite tant donn que la plupart dÕentre eux
sont encore jeunes et inexpriments lÕheure de leurs premiers succs.
LÕinfluence de leur matre est telle quÕelle a pu en aider certains gravir aussi
aisment que prmaturment les chelons de lÕExposition Nationale, de la
Mdaille de Troisime Classe jusquÕ la Mdaille dÕHonneur, pour lÕun dÕentre
eux.
Huit ditions du concours sont organises durant cette priode, en 1904,
1906, 1908, 1910, 1912, 1915, 1917 et 1920. Voici synthtiquement les
rcompenses obtenues par les ÒsorollistesÓ13 :
13.
Tableau labor partir de lÕouvrage de Bernardino de Pantorba, Historia y crtica de las
Exposiciones de Bellas Artes celebradas en Espaa, Madrid, Jess Ramn Garca Rama,
1980 (1948), pages 183-249.
III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939
ANNEE
1904
146
NATURE DE LA MEDAILLE
1re CLASSE
2me CLASSE
3me CLASSE
M. Benedito
J. Bermejo
T. Andreu
E. Chicharro
J. Vila Prades
J. Mongrell
E. Martnez C
F. Abrzuza
S. Ma
1906
M. Benedito
1908
E. Chicharro
DECORATION
J. Bermejo
1910
P. Benlliure
J. Bermejo
T. Murillo
S. Tuset
J. Navarro
1912
E. Martnez C
J. Navarro
T. Murillo
J. Bermejo
A. Alcal-G
1915
J. Navarro
P. Benlliure
1917
1920
A. Alcal-G
S. Martnez M
En 1904, Sorolla prside le jury de la section de peinture, ce qui explique
que, parmi les quatre laurats dÕune Mdaille de Premire Classe, seul le Catalan
Ramn Casas nÕest pas un de ses disciples. CÕest un peintre confirm, g de
quarante-et-un ans Ð trois ans de moins que Sorolla Ð, mais qui se trouve ici au
mme niveau que ses jeunes lves. Manuel Benedito, Eduardo Chicharro et
Enrique Martnez Cubells remportent pour la premire fois ce prix. Benedito
parvient atteindre le mme niveau de russite en 1906, Chicharro en 1908, et
Martnez Cubells sÕimpose en 1912 avec un tableau mdiocre mais dont le titre,
La vuelta de la pesca, fait clairement cho un chef-dÕÏuvre bien connu de
Sorolla. Comme leur matre en son temps, tous trois sont donc des prtendants
III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939
147
la Mdaille dÕHonneur que seul Chicharro dcroche en 1922, avec Las
tentaciones de Buda.14
Pour plusieurs raisons, la deuxime gnration de ÒsorollistesÓ ne connat
pas une russite comparable la prcdente. Premirement parce quÕelle accde
aux concours dÕtat une poque o Sorolla nÕest plus aussi influent car sa
commande amricaine lÕaccapare. Ensuite, la qualit des productions de ces
jeunes est globalement infrieure celles de leurs ans. En effet, les ÒsorollistesÓ
de la deuxime gnration essayent de se rapprocher au maximum dÕun modle
dont ils nÕont quÕune ide vague puisque, aussi tonnant que cela puisse paratre,
ils ne connaissent les tableaux de Sorolla quÕ travers des reproductions ! Ë
lÕinverse de la premire gnration, ils nÕont pas ctoy la peinture du matre et ne
la connaissent, pour ainsi dire, pas. Tous, sans exception, peignent des scnes de
plage en abondance car Sorolla en avait fig les codes au point de donner
naissance un genre. Cependant, il nÕa laiss aucune de ces scnes de plage dans
sa ville natale, lÕexception dÕune toile intitule Playa de Valencia qui figurait
dans la collection du marquis de Montortal mais laquelle aucun dÕentre eux
nÕeut jamais accs.15 La deuxime gnration de sorollistes a, avant tout, un
intrt sociologique, comme vestige dgrad en commercialisation de lÕart de
Sorolla. Est-elle un courant ? un genre ? un sous-genre ? ou un simple effet de
mode ? Elle pourrait nÕtre quÕune Òniche de peintureÓ Ð la plage lÕt Ð
commercialement comparable dÕautres modalits picturales telles que les
courses de chevaux, les animaux, les sports mcaniques, etc.
Les ÒsorollistesÓ de la deuxime gnration frquentent, selon les cas, les
ateliers des ÒsorollistesÓ de la premire gnration car, occup honorer sa
commande, le matre est devenu quasiment inaccessible. Rigoberto Soler (18961968) est le disciple dÕun ÒsorollisteÓ de la premire gnration, Jos Mongrell.
Le jeune homme affirme vnrer Sorolla comme sÕil sÕagissait dÕun dieu vivant
bien que, jusquÕen 1917, il ne lÕa pas rencontr une seule fois ! Il raconte que
lorsquÕil se prsente au domicile du matre sans avoir t recommand, le gardien
lui en refuse lÕentre. Il rdige alors le billet suivant : Ç Permtame maestro, le
14.
15.
Enrique Martnez Cubells, La vuelta de la pesca, 84x105, Malaga, Muse de Malaga,
1911.
Eduardo Chicharro, Las tentaciones de Buda, 366x290, Madrid, RABSF, 1922-1943.
Fernando Dicenta de Vera, ÒClausura del centenario de Sorolla. La realidad y el sueo
realizableÓ, Las Provincias, Valence, 28/02/1964.
III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939
148
haga saber que soy discpulo de Jos Mongrell, hijo espiritual de usted; por lo
tanto soy de usted su nieto y con el mayor dolor de mi vida me he visto que no me
recibe mi abuelo. È16 Aprs quoi il est finalement reu et dcouvre alors le
contenu des ateliers. De mme, Juan Menndez Arranz de la Torre (1884-inc.), un
peintre amateur recommand par Cecilio Pl, est chaleureusement accueilli par le
matre qui apprcie, semble-t-il, le contact avec la jeunesse. 17 Sorolla se mfie de
la critique et se refuse expliquer sa peinture : Ç Yo slo pinto cuadros, son los
dems los que me los explican a su manera È cÕest--dire Ç Moi je ne fais que
peindre les tableaux, ce sont les autres qui me les expliquent leur faon. È disaitil. Cependant, il apprcie par dessus tout de partager ses ides et son exprience
mais aussi dbattre de questions purement techniques avec les gens de son mtier,
dont il aime tre entour.18
La gnration de ces deux garons, qui se veut lÕhritire de Sorolla,
sÕattache le dmontrer sur la toile, au risque de verser dans le pastiche. Parmi
ces peintres, presque tous ns Valence, il faut citer encore Santiago Martnez
(1890-1979), Toms Murillo Ramos (1890-1934), le plus ÒsorollisteÓ des
ÒsorollistesÓ si lÕon en croit Jos Manaut Viglietti (1898-1971). Cet artiste, luimme disciple du matre, est le fils dÕun proche ami de Sorolla, le journaliste
valencien Jos Manaut Nogus (inc.-inc.). DÕailleurs, il consacrera une
monographie son matre, en 1964, dans laquelle un chapitre traite du
ÒsorollismeÓ.19 Chez les derniers reprsentants de ce courant il y avait aussi
Ernesto Valls (1891-1941), Alfredo Clars (1893-1965), Francisco Gras (1897inc.), Casimiro Garca Raga (1898-1985), ainsi que beaucoup dÕautres artistes
dont les noms ne sont pas toujours passs la postrit.
Sorolla tient ce que ces peintres accdent une reconnaissance officielle
qui, selon lui, constitue la condition sine qua non toute perce sur le march
national. Par ailleurs, il considre que la peinture qui lÕa rendu clbre et a fait sa
fortune peut, entre les mains de ces jeunes Valenciens enthousiastes, faire
16.
17.
18.
19.
Rigoberto Soler, ÒRecuerdos del maestroÓ, El Pueblo, Valence, 14/08/1923. Ç Permettezmoi, matre, de porter votre connaissance que je suis le disciple de Jos Mongrell, votre
fils spirituel ; par consquent je suis votre petit-fils et avec la plus grande douleur de ma
vie, je me suis vu refus lÕentre du domicile de mon grand-pre. È
Juan Menndez Arranz, ÒUna visita al pintor SorollaÓ, ênsula, Madrid, 15/04/1957.
Hiplito To, ÒSorolla era en la intimidad un hombre cariosoÓ, Las Provincias, Valence,
17/04/1960.
Jos Manaut Viglietti, Crnica del pintor Joaqun Sorolla, Madrid, Editora Nacional,
1964.
III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939
149
prosprer une rgion et peut-tre mme tout un pays. Il avait peut-tre hrit cette
conviction de lÕun de ses matres, Ignacio Pinazo (1849-1916), qui prchait avant
lui un discours similaire : Ç El regionalismo, desde el punto de vista del arte,
aportara grandes ventajas; las modalidades seran ricas y varias. Espaa, por su
situacin geogrfica, lo pide y lo necesita. È20 Sorolla voyage suffisamment pour
comprendre que lÕart et lÕindustrie ont une valeur ajoute trs suprieure aux
productions agricoles sur lesquelles reposent lÕconomie de sa rgion natale. En
suivant la voie du progrs, Valence rivaliserait bientt avec une ville comme
Barcelone, dans laquelle il sjourne longuement en 1915 pour peindre le dixime
panneau du dcor, Catalua. El pescado. Dans une lettre son ami Jos Manaut
Nogus, il affirme : Ç [É] sera la pintura riqueza valenciana ms poderosa que el
arroz y la naranja, y si esto ocurre, como ocurrir, debemos bendecir el haber
nacido. È21 Pour saisir le sens de ces lignes il faut garder lÕesprit lÕide que
Sorolla est vritablement proccup par le progrs conomique et social de son
pays et, en tant quÕartiste de premier plan, il pense y contribuer.
Sa peinture se vend si cher quÕelle constitue trs tt une cible de choix pour
les voleurs et les faussaires. Le vol et la contrefaon sont dÕexcellents baromtres
de la cote dÕun artiste puisque, en toute logique, ils ne touchent que les peintres
les plus cots. Dans le cas du peintre espagnol, cÕest le succs retentissant de son
exposition new-yorkaise, en 1909, qui dclenche la prolifration de faux. Des
toiles frelates circulent sur le march amricain, et plus tardivement et en plus
grande quantit, sur le march espagnol. En 1911, lors de son passage Chicago,
Sorolla est directement confront une rplique de son tableau El bao. Jvea,
conserv au Metroplitan Museum de New York.22 Effar, il constate lui-mme la
contrefaon et le journal Chicago Illustrated rend compte de toute lÕaffaire en
rapportant le dmenti ci-aprs : Ç Jamais, jamais de ma vie, did I paint such a
picture, he said. It was a botch, a daub. Some one in America is making a business
of forging my works. I have heard that some dealer in New York has had others
20.
21.
22.
Pinazo cit par Jos Guillot Carratala, ÒPor fin se abri al pblico el museo del insigne
SorollaÓ, El Adelantado, Salamanca, 16/03/1933. Ç Le rgionalisme, du point de vue de
lÕart, apporterait de grands bnfices ; les modalits seraient riches et varies. LÕEspagne,
par sa situation gographique, le rclame et en a besoin. È
J.M. Viglietti, CrnicaÉ page 97. Ç La peinture deviendrait une richesse valencienne
plus forte que le riz et lÕorange et, si cela arrive, comme ce sera le cas, il faut remercier le
ciel quÕil en soit ainsi. È
El bao. Jvea, 90Õ2x128Õ3, New York, The Metropolitan Museum of Art, 1905.
III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939
150
for sale. È23 Le ÒsorollismeÓ accentue le problme car les jeunes peintres sont,
tantt sciemment, tantt leur insu, des propagateurs de faux. Les marchands
sont, dans certains cas, des faiseurs de toiles de matre ainsi que lÕont dmontr
plusieurs affaires. Dans les annes quatre-vingt, un faux vendu pour vritable sera
la cause dÕun procs retentissant Madrid car la transaction sÕlvera dix
millions de pesetas.24 Or, lÕauteur du tableau serait, selon toute vraisemblance,
Jos Navarro, un ÒsorollisteÓ de la premire vague. Chez Sorolla, la signature
nÕest pas indicateur fiable car elle varie normment dÕune poque une autre
sous les formes : J. Sorolla, J. Sorolla B. ou J. Sorolla y Bastida.25 Le peintre
nÕaccorde pas la moindre importance ce dtail tellement pris du client. Ë une
riche cliente qui lui rclamme une signature bien visible ct de son portrait, il
aurait rpondu : Ç Todo lo grande que sea para que ni usted ni yo hagamos el
ridiculo. È26 Avant les expositions individuelles, toute la famille sÕemploie
signer toutes les toiles dÕun coup ; cÕest pourquoi cinq graphies diffrentes, celles
des poux et des trois enfants, doivent tre distingues. Mara Jess Burgueo a
rcemment tudi cette question dans un article difiant intitul ÒSorolla bajo la
lupa. Anlisis del pintor ms falsificadoÓ.27
En 1916, Sorolla fait tape Valence pour peindre le onzime panneau de
son dcor, Las grupas. Valencia. Il travaille sa ralisation de janvier mars, et
dcide ensuite de marquer une longue pause jusquÕen janvier 1917.28 Durant ce
sjour dans ville natale, il reprend son compte lÕide dÕy difier un Palais des
Beaux-Arts et de lÕIndustrie capable dÕaccompagner lÕessor conomique de la
rgion en accueillant des expositions de grande envergure. Le projet nÕest pas
nouveau puisquÕil a dj t soulev avant lÕExposition Rgionale de 1909. Cette
exposition industrielle et commerciale avait t imagine comme une vitrine pour
23.
24.
25.
26.
27.
28.
Anonyme, ÒSorolla Finds Forged PictureÓ, Chicago Ill., Chicago, 22/03/1911. Ç Jamais,
jamais de ma vie je nÕai peint un tel tableau, dit-il. CÕtait un travail de sagouin, une
crote. QuelquÕun en Amrique est en train de faire des affaires en contrefaisant mes
Ïuvres. JÕai entendu dire quÕun vendeur de New York en a eu dÕautres vendre. È
Romano (Jos Mara Jimnez Aguirre), ÒPleito sobre la compraventa de un SorollaÓ,
ABC, Madrid, 12/12/1981.
Bernardino de Pantorba, La vida y la obra de Joaquin Sorolla. Estudio biogrfico y
crtico, Madrid, Grficas Monteverde, 1970, page 132.
R. Mart Orbera, ÒUn recuerdo de Sorolla. Crnica ntimaÓ, La Voz Valenciana, Valence,
9/08/1924. Ç Aussi grande que possible de sorte que ni vous ni moi nÕayons lÕair
ridicule. È
Mara Jess Burgueo, ÒSorolla bajo la lupa. Anlisis del pintor ms falsificadoÓ,
Subastas Siglo XXI, Madrid, 03/2001.
Jos Luis Dez, ÒLa Ç visin de Espaa È de Sorolla. Gestacin plstica de un proyectoÓ
in Sorolla y la Hispanic Society, 1999, page 222.
III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939
151
les entreprises de la rgion. En dcembre 1908, Mariano Benlliure, Manuel
Benedito et Sorolla avaient demand dj la construction dÕun difice permanent
qui devait se trouver, selon eux, hors de lÕenceinte de lÕexposition quÕils jugeaient
trop loigne du centre ville. La municipalit avait favorablement accueilli cette
proposition mais elle avait demand aux artistes de runir des subventions
hauteur de six cent mille pesetas et ce fut probablement faute des fonds
ncessaires que le projet ne vit pas le jour.29 Huit ans plus tard, le projet est donc
relanc par Sorolla. Entre ses mains, il prend une tournure inattendue car, avec
lÕaide des frres Benlliure, Manuel Benedito, Antonio Muoz Degrain, Rafael
Domnech, et quelques autres, il russit Ð momentanment Ð fdrer autour de
cette ide ambitieuse les artistes et les intellectuels valenciens les plus en vue.
La presse locale rend compte des principales tapes du projet ressuscit qui
commence prendre forme aussitt avec, comme premier pas, la cration dÕun
comit excutif prsid par Jos Benlliure puis par Gonzalo Salv. Ce collectif est
cens rcolter les fonds ncessaires la construction de lÕdifice. Afin de
prsenter le projet au public, le comit organise un spectacle au Thtre Principal
de Valence auquel assistent les lites et les autorits de la ville.30 En hommage
la peinture valencienne, des Òtableaux vivantsÓ reconstituent, sur les planches,
Muerte del Rey don Jaime de Ignacio Pinazo (1849-1916), Santa Clara de
Francisco Domingo (1842-1920), San Francisco dÕAntonio Cortina (1841-1890),
Los dos amigos de Joaqun Agrasot (1837-1919), ou encore La vuelta de la pesca
de Sorolla. Ë la fin du spectacle, une vue du futur Palais des Beaux-Arts, dessine
par lÕarchitecte catalan Federico Aymam (inc.-inc.), est dvoile sur la scne sous
les applaudissements et les ÒÁViva Valencia !Ó Le quotidien Heraldo de Madrid
dcrit un difice de style noclassique de cent mtres de long par vingt trente
mtres de large entour dÕune colonnade et surmont dÕune coupole dans sa partie
centrale.31 Il en estime la construction cinq cent mille pesetas, une somme
importante mais nanmoins justifie pour un tel projet car, titre de comparaison,
lÕExposition rgionale de 1909, pour laquelle une dizaine de btiments avait t
construits, avait cot six millions de pesetas.32
29.
30.
31.
32.
Anonyme, ÒValenciaÓ, ABC, Madrid, 29/12/1908.
Anonyme, ÒEl festival de anoche por el palacio de Bellas-ArtesÓ, [?], Valence, 1916.
Jos Fillol Sanz, ÒIdeal de artistasÓ, [?], Madrid, 1916.
Francisco Soler Fando, ÒLa Exposicin Regional valenciana de 1909Ó, ABC, Madrid,
17/05/1959.
III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939
152
Toujours en 1916, et lÕinitiative de Sorolla, le comit excutif convoque
un concours dÕart ÒjeuneÓ cens la fois contribuer au financement du projet mais
surtout valoriser les nouveaux talents, en particulier les talents fminins car le
peintre avait lui-mme deux filles artistes, Mara, qui tait peintre et Elena,
sculptrice.33 La premire dition de ce concours est inaugure le 22 juillet dans le
clotre de lÕuniversit. Le gouvernement de Romanones contribue son
financement.34 Sorolla envoit un tableau, Componiendo la vela, mais nÕassiste pas
lÕinauguration.35 En revanche, il exprime sa vision de lÕavenir dans un discours
lu par son disciple Jos Manaut Viglietti. Selon lui, Valence est en train de vivre
une ÒRenaissanceÓ, un terme qui fait cho la ÒRenaixena catalanaÓ de la moiti
du XIXme sicle. Cependant, il constate que les classes dominantes ne protgent
plus les artistes et que, sans ce mcnat, ce nouvel lan risque de retomber.
Sorolla avait sans doute en tte Barcelone, comme le modle suivre. Il affirme,
enfin, bnficier de lÕappui personnel du roi Alphonse XIII, dont il est alors trs
proche. Un ÒsorollisteÓ de la premire gnration, Salvador Tuset, remporte le
concours de peinture avec Concierto de mujeres.36
Au cours dÕun banquet offert au matre par un groupe de jeunes artistes
valenciens, Sorolla les incite sÕunir en corporation pour mieux dfendre leurs
intrts.37 CÕest ainsi que Jos Manaut Viglietti, Enrique Cuat (1883-1959), Jos
Colomer (inc.-inc.), Rigoberto Soler et dÕautres ÒsorollistesÓ de la deuxime
gnration fondent lÕAssociation de la Jeunesse Artistique Valencienne, prside
par Alfredo Marco Lpez (1884-inc.).38 LÕassociation se dote dÕune revue,
Renovacin, pour laquelle Sorolla offre une allgorie au fusain reprsentant une
mre tenant son enfant dans les bras!39 Illustre-t-il ainsi la fonction ducative quÕil
entend remplir auprs des plus jeunes ? Dans une autre revue valencienne, un
pote anonyme estime que la jeunesse pche par indolence et quÕelle a besoin
dÕun pre spirituel capable de lÕduquer pour en tirer le meilleur parti. Un portrait
de Sorolla par le jeune Francisco Gras illustre ces vers :
33.
34.
35.
36.
37.
38.
39.
Fidelio, ÒExposicin de arte jovenÓ, El Mercantil Valenciano, Valence, 23/07/1916.
ÒPalacio de Bellas-ArtesÓ, [?], Valence, 1916.
Emilio Fornet, ÒLa estela de Joaqun Sorolla en los salones de Mariano BenlliureÓ, La
Correspondencia de Valencia, Valence, 06/1927.
Salvador Tuset, Concierto de mujeres,
J. Manaut Viglietti, CrnicaÉ page 95.
Ibidem, page 95.
Figure n¡5. Renouveau (1916).
III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939
153
ÁOjal pronto
nuestros artistas vean que hacen el tonto
malgastando su tiempo, da tras da,
si no en siestas, en vana palabrera!
Si tu impulso les saca
De andar despacio
Y, al fin, de Bellas Artes
Se alza el Palacio.
ÁBenditos tambin ellos que, a tu influencia,
inmarcesibles glorias dan a Valencia!
40
Aprs avoir termin Visin de Espaa, le peintre prend ses fonctions de
professeur lÕcole des Beaux-Arts de San Fernando, lÕautomne 1920. Selon le
journaliste Adolfo de Azcrraga, il aurait alors dclar : Ç Sentira que de mi paso
por la ctedra surgiera el sorollismo como escuela, pues esto supondra una
decadencia. È41 Or, avec ou sans ce cadre acadmique, le ÒsorollismeÓ est bel et
bien une cole. Dans le film rcent de Jos Antonio Escriv, Cartas de Sorolla,
une scne montre justement le matre entour de ses derniers lves. Le peintre,
interprt par Jos Sancho (1944), prononce ces mots qui sont attribus au
peintre par ses descendants : Ç El sorollismo es una peste pictrica. Deje a Sorolla
que imite a Sorolla. Mire el mundo con sus propios ojos, no con los de este tonto
pintor valenciano del que todo el mundo habla ltimamente. È42 Ë cette poque, le
matre est visiblement conscient de la drive de la peinture de ses disciples,
force dÕimitation excessive.
LÕAssociation de la Jeunesse Artistique Valencienne cesse dÕexister en 1923
car la disparition de Sorolla provoque sa dissolution, si lÕon en croit Jos Manaut
Viglietti : Ç Esta Asociacin perdur con mayor o menor vitalidad durante
algunos aos hasta desaparecer quiz por la falta de estmulo a consecuencia de la
40.
41.
42.
Anonyme, ÒEl Palacio de Bellas ArtesÓ, El Pueblo, Valence, 7/06/1916. Ç Pourvu que
bientt / nos artistes se rendent compte quÕils font les idiots / en gchant leur temps, jour
aprs jour / dans des verbiages inutiles, quand ils ne font pas la sieste / Si sous ta houlette
ils renoncent / traner la savate / Et, enfin, des Beaux-Arts / Le Palais sort de terre /
Bnis soient ceux qui, sous ton influence / offrent des gloires immarcescibles Valence.
Adolfo de Azcrraga, ÒSorollismo y Antisorollismo. Con posdata sobre un monumento
inexcusableÓ, Las Provincias, Valence, 16/05/1975. Ç Je serais navr quÕaprs mon
passage par la chaire le sorollisme voie le jour en tant quÕcole, car cela supposerait une
dcadence. È
Cartas de Sorolla, de 92:53 93:05. Ç Le sorollisme est un fleau pictural. Laissez Sorolla
imiter Sorolla. Regardez le monde avec vos propres yeux, et non pas travers ceux de ce
peintre valencien imbcile dont tout le monde parle en ce moment. È
III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939
154
enfermedad y la muerte del maestro. È43 Un journaliste de Diario de Barcelona
affirme que personne ne regretterait les ÒsorollistesÓ : Ç Muere con l toda esa
escuela que, salvo contadsimas excepciones, no supo tener por desgracia, ms
que imitadores serviles y amanerados de la obra de su fundador a quien honraban
bien poco, creyndole un manerista poseedor de recetas y dominador de
trucos. È44 Presque tout ce que Sorolla avait chaffaud autour des jeunes artistes
sÕeffondre comme un chteau de cartes. Le projet de Palais des Beaux-Arts et de
lÕIndustrie ne verra finalement jamais le jour et seules les expositions se
perptueront jusquÕau soulvement du 17 juillet qui empchera lÕinauguration de
lÕdition de 1936.45
De nombreux facteurs expliquent que Sorolla nÕait pas russi difier le
Palais des Beaux-Arts et de lÕIndustrie dont il rvait. Tout dÕabord, il sÕattelle
tardivement ce projet car, mme sÕil nÕavait que cinquante trois ans, sa sant
commence dj dcliner. De plus, il ne vit pas Valence et ne jouit pas, cette
poque, de lÕautorit et du rseau relationnel indispensable pour conduire jusquÕ
son terme un projet de cette envergure. SÕil y a, au dpart, une large adhsion sur
le principe, les choses se compliquent par la suite. Incapable de concilier les
attentes des uns et des autres, Sorolla choue en perdant le soutien des hommes
les plus influents en la matire. Il doit renoncer dfinitivement toute chance dÕy
parvenir aprs sÕtre brouill avec les frres Benlliure. Quant au ÒsorollismeÓ, il
priclite pour dÕautres raisons. DÕabord, il fait figure dÕarchasme dans une
Europe traverse par le Cubisme (1906), le Futurisme (1909), le mouvement Dada
(1916) et bientt le Surralisme (1924). Ensuite, il nÕest pas lÕatout conomique
que Sorolla avait imagin parce que les tableaux des sorollistes se vendent mal et
ne sÕexportent pas. Paradoxalement, dans les deux pays o lÕEspagnol avait connu
ses plus grands succs, cÕest--dire en France et aux tats-Unis, ses disciples ne
russissent pas percer. Sur ces deux questions, des pistes seront ouvertes dans
les paragraphes qui suivent.
43.
44.
45.
Jos Manaut Viglietti, CrnicaÉ page 96. Ç Cette association sÕest maintenue avec plus
ou moins de vitalit durant quelques annes jusquÕ disparatre peut-tre cause du
manque de motivation qui fut une consquence de la maladie et de la mort du matre. È
L. Folch, ÒEl pintor Joaqun SorollaÓ, Diario de Barcelona, Barcelone, 08/1923. Ç Avec
lui disparat toute cette cole qui, en dehors de rares exceptions, nÕa malheureusement pas
su offrir autre chose que des imitateurs serviles et maniriste de lÕÏuvre de son fondateur
quÕils honoraient bien peu en le tenant pour un maniriste dtenteur de recettes et
disposant de trucs. È
J. Manaut Viglietti, CrnicaÉ page 98.
III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939
155
Dans les villes du Nord-est amricain, Sorolla avait assez dÕadmirateurs
autour de 1900 pour que sa peinture pntrt dans les acadmies des Beaux-Arts,
en particulier dans la plus prestigieuse dÕentre elles, celle de Philadelphie, o
enseignaient ses amis William Merritt Chase (1849-1916) et Cecilia Beaux (18551942).46 La connaissance de sa technique tait facilite par la prsence, dans les
collections amricaines, de quelques-uns de ses meilleurs tableaux. En 1909,
lÕhistorien de lÕart Rafael Domnech lÕavait dÕailleurs mis en vidence pour alerter
lÕopinion espagnole sur la mauvaise reprsentation du Valencien dans les
collections nationales :
Hace poco vino a Madrid un joven Ç yankee È; me lo recomend un amigo para que
le enseara los Museos. Llegamos al de Arte moderno y me pregunt cuntos
cuadros haba all de SorollaÉ Por toda contestacin le llev ante el lienzo ÁAn
dicen que el pescado es caro! Examinle bien el americano y despus de largo rato
de silencio me dijo: Ç No es de lo mejor suyo. ÀDnde estn los otros? È Ç No hay
ms. È, le contest, Ç ÁAh! Nosotros tenemos Otra Margarita, su primer gran
triunfo; tenemos Triste herencia, su premio de honor, en Madrid; tenemos Nios
jugando en la playa, de los ms tpicos de su ltima manera, y ahora hemos
comprado muchos, los mejores que ha pintado.47
Aprs le succs de son tableau Otra Margarita, lÕExposition
Internationale de Chicago de 1893, sa peinture avait t enseigne comme un
modle suivre Philadelphie. Dans cette ville, il y eut donc un court pisode
ÒsorollisteÓ non espagnol. Manuel Benedito ne lÕoublia pas et rappela dans une
interview lÕinfluence internationale du Valencien : Ç Joaqun Sorolla y Bastida ha
tenido muchos seguidores en la pintura contempornea. No slo entre nosotros
sino tambin fuera del mbito nacional, dnde su pintura luminista de cromtico
46.
47.
Anonyme, ÒMr. Sorolla Here to Schow PaintingsÓ, New York Herald, New York,
25/01/1909.
Rafael Domnech, ÒEl arte de Sorolla y su triunfo en la Amrica del NorteÓ, El Liberal,
Madrid, 1909. Ç Il y a peu, un jeune ÒyankeeÓ vint Madrid ; un ami me le recommanda
afin que je lui montrasse les Muses. Nous arrivons celui dÕArt moderne et il me
demanda combien de tableaux de Sorolla sÕy trouvaientÉ Pour toute rponse je
lÕemmenai devant le tableau ÁAn dicen que el pescado es caro! LÕAmricain lÕexamina
bien et aprs un long moment de silence il me dit : ÒCela ne fait pas partie de ce quÕil a
fait de mieux. O sont les autres ?Ó ÒIl nÕy a rien dÕautreÓ lui rpondis-je, ÒAh ! Nous
autres avons Otra Margarita, son premier grand succs nous avons Triste herencia, sa
mdaille dÕhonneur, Madrid, nous avons Nios jugando en la playa, un des plus
emblmatique de son Ïuvre tardive, et maintenant nous en avons achet beaucoup
dÕautres, les meilleurs quÕil ait peint. È
III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939
156
zarpazo, provoc la posible escuela. El ÒSorollismoÓ fue, a la vez, incitacin y
peligro. È48 La dernire observation de Benedito mrite un clairage. En effet, aux
tats-Unis, cette peinture venue dÕEurope fut trs tt perue comme un nouvel
acadmisme insupportable, comme le montre trs bien un cartoon humoristique de
Gus Mager (1878-1956) publi par The Evening Journal, en avril 1909.49 Knocko,
le personnage principal, est un singe critique dÕart qui pourrait tre la caricature
du professeur de lÕcole des Beaux-Arts de Philadelphie, William Merrit Chase. Il
renvoie implacablement tous les tableaux que lui prsentent les jeunes peintres en
les jugeant toujours trop infrieurs ceux de Sorolla. Quand un novice exhibe
firement ce quÕil considre comme sa meilleure ralisation : Ç My masterpiece !
Tell me, ainÕt it great ? È Knocko rtorque avec ddain : Ç Tush ! Sorolla would
laugh at you ! È Mais la fin du gag, Knocko nÕchappe pas une bastonnade en
rgle.50
En France, non seulement il nÕy eut rien de comparable, mais les
ÒsorollistesÓ venus dÕEspagne pour tenter leur chance ne renourent pas avec la
russite de leur matre, pour des raisons probablement diverses. LÕune dÕelles
devait dpendre de lÕempreinte que celui-ci y avait laisse. En effet, pour les
peintres franais, la russite Paris de cet tranger avait t particulirement mal
ressentie. LÕexposition Petit avait piqu au vif de nombreux artistes actifs dans la
capitale qui nÕaccdrent jamais une vitrine aussi prestigieuse ni de pareils
gains financiers. Paradoxalement, ce fut donc le glorieux pass du matre qui,
dÕune certaine manire, barra la route de Paris ses disciples. Au Salon de 1912,
lÕenvoi de Mara Sorolla fut refus, la surprise de son pre qui tenta aussitt
dÕen dcouvrir les causes. Son ami Pedro Gil Moreno de Mora lui expliqua par
retour de courrier que quelques membres du jury avaient contre lui une rancÏur
persistante. Il nuanait ensuite son propos en invoquant les tensions politiques
entre la France et lÕEspagne provoques par leurs prtentions respectives sur le
48.
49.
50.
Rafael Florez, ÒEl discpulo predilecto de Sorolla, habla de su maestro con motivo de la
exposicin del Casn del RetiroÓ, Dgame, Madrid, 26/03/1963. Ç Joaqun Sorolla a eu
beaucoup de continuateurs dans la peinture contemporaine. Non seulement parmi nous
mais aussi hors de la sphre nationale, o sa peinture luministe aux couleurs mordantes
ouvrit la voie une cole possible. Le ÒSorollismeÓ fut, tout la fois, incitation et
danger. È
Ciro Inafer, ÒKnocko the Monk as an Art CriticÓ, Evening Journal, New York, 3/04/1909.
Voir la figure n¡3. Le singe Knocko, critique dÕart (1909).
Ç Mon chef-dÕÏuvre ! Dites-moi un peu, nÕest-il pas excellent ? È Ç Bah ! Sorolla rirait de
toi ! È
III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939
157
Maroc. Car jusquÕau Trait de Fez du 27 novembre 1912, les zones dÕinfluence
des deux pays nÕtaient pas encore tablies :
Te mand la lista del jurado. No me gust su composicin pues hay muchos de ellos
que salen de lÕatelier Julian y all forman Ç une coterie È que no te quiere. Es ms,
ahora estn en Francia muy montados contra los espaoles por los eventos de
Marruecos, ven que no pueden hacer lo que quieren con nosotros y estn furiosos.51
Pour en finir avec les causes de lÕchec du ÒsorollismeÓ, il faut rappeler
quÕaucun des disciples de Sorolla nÕatteignit, en Espagne, une russite comparable
la sienne. Et quant la russite de quelques-uns, elle se limita lÕExposition
Nationale et dpendait troitement de son aura et de son influence. Les
ÒsorollistesÓ les plus tardifs prirent dÕautres voies au contact des mouvements
dÕavant-garde durant le bref pisode dÕouverture des annes trente, cÕest--dire de
la proclammation de la Seconde Rpublique jusquÕ lÕimplantation du rgime
franquiste. Durant cette priode, un ouvrage franais intitul La jeune peinture
espagnole fit connatre un petit groupe de jeunes peintres rassembls autour de
Genaro Lahuerta (1905-1985) et de Pedro de Valencia (inc.-inc.), au fait des
courants la mode en France.52 Avant la Guerre Civile, le Cubisme et le
Surralisme furent introduits Madrid par des peintres comme Benjamn Palencia
(1894-1980), Francisco Bores (1898-1972) et Pancho Cosso (1898-1970) qui
avaient rsid et expos Paris et avaient connu Pablo Picasso (1881-1973), Joan
Mir (1893-1983) et le sculpteur Pablo Gargallo (1881-1934). En 1932, le
dessinateur Manuel Tovar (1875-1935) avait imagin dans une vignette
humoristique la rencontre improbable entre Sorolla et lÕun dÕentre eux. Comme un
fantme, le matre pntrait dans lÕatelier dÕun peintre surraliste rappelant
vaguement celui dÕAndr Breton (1896-1966). Au centre dÕune toile pose sur un
chevalet, on pouvait voir clairement les fesses dÕun corps disproportionn entour
de symboles primitifs. Dconcert, le vieux matre posait la question suivante :
51.
52.
Facundo Toms, Felipe Garn, Isabel Justo et Sofa Barrn, Epistolarios de Joaqun
Sorolla. I. Correspondencia con Pedro Gil Moreno de Mora, Barcelone, Anthropos,
2007, page 309. Ç Je tÕai envoy la liste du jury. Je nÕai pas aim sa composition parce
que plusieurs de ses membres sortent de lÕatelier Julian et ils forment l-bas Òune coterieÓ
qui ne tÕaime pas. Par ailleurs, on est maintenant en France trs remont contre les
Espagnols cause des vnements du Maroc, ils voient quÕils ne peuvent pas faire ce
quÕils veulent de nous et ils sont furieux. È
La jeune peinture espagnole, Paris, Gallimard, 1935.
III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939
158
Ç ÀConoci usted a Sorolla? È et le jeune surraliste de rpondre : Ç S, creo que
he odo hablar de lÉ Àno era un seor millonario que tena la mana de
pintar ? È53 cÕest--dire : Ç Avez-vous connu Sorolla ? È Ç En effet, je crois avoir
entendu parler de luiÉ NÕtait-ce pas un monsieur millionaire qui avait la manie
de peindre ? È La rponse iconoclaste tranchait avec la dvotion des ÒsorollistesÓ
et rejoignait des critiques dj exprimes il y a bien longtemps par Zuloaga,
Regoyos et des peintres qui avaient choisi une autre voie esthtique. En taxant le
peintre de bourgeois millionnaire dconnect de la vie relle, le dessinateur
restituait la vision de ces jeunes qui ne sÕidentifiaient plus la peinture radieuse
du Valencien. En se remmorant ce dbut des annes trente, un artiste interrog
dans les annes soixante par Levante expliquait que la superficialit et lÕidalisme
du monde vu par Sorolla taient incompatibles avec les proccupations du jeune
quÕil tait :
-
Es algo importante, Àsabes? Son los personajes. Los de Sorolla eran gente
feliz y sin problemas. A Sorolla no se le muri nadie.
-
ÀNi el pescador que puso precio al pescado ?
-
Ni se, que no pas de pura ancdota. No es que yo prefiera la gente
atormentada, pero el hombre tiene problemas y hay que captarlos [É] Hay
que meterse dentro del hombre y Sorolla se qued en el umbral.54
Dans la presse de gauche comme de droite, les hommes qui avaient connu le
matre se scandalisrent de ce quÕils interprtrent comme du mpris. Roberto
Castrovido nÕy voyait quÕune manire maladroite de revendiquer une certaine
ÒmodernitÓ : Ç Escribir mal de Sorolla y de Benlliure es para los necios un timbre
de modernidad. È55
AujourdÕhui le ÒsorollismeÓ reste la fois mal aim et mal connu car une
tude de ce courant reste faire. Aucune exposition temporaire nÕa couvert le
53.
54.
55.
Tovar, ÀConoci usted a Sorolla?, La Voz, Madrid, 13/06/1932. Figure n¡9. Avez-vous
connu Sorolla (1932).
Pons-Santiago, ÒCuatro opiniones sobre SorollaÓ, Levante, Valence, 23/02/1963. Ç - CÕest
quelque chose dÕimportant, tu sais ?, Je parle des personnages. Ceux de Sorolla taient
des gens sans problmes. Sorolla nÕa fait mourir personne. / - Et quÕen est-il du pcheur
qui fit monter le prix du poisson ? / - Pas mme celui-l, qui ne fut rien de plus quÕune
simple anecdote. Ce nÕest pas que je prfre les gens tourments, mais lÕhomme a ses
problmes et il faut les capter [É] Il faut rentrer lÕintrieur de lÕhomme et Sorolla est
rest sur le perron. È
Roberto Castrovido, ÒSorolla y BenlliureÓ, El Pueblo, Valence, 23/11/1932. Ç crire mal
de Sorolla et de Benlliure est, pour les niais, une preuve de modernit. È
III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939
159
sujet dans son ensemble et il nÕexiste pas de catalogue raisonn de lÕimmense
Ïuvre ÒsorollisteÓ. Les galeries dÕart et les maison de ventes aux enchres
espagnoles connaissent bien ces peintres car leurs tableaux se trouvent en nombre
dans leurs rserves. Or, jamais elles ne les prsentent sous la dsignation
infamante du ÒsorollismeÓ et prfrent les vendre sous lÕtiquette imprcise du
ÒluminismeÓ ou, plus simplement, comme des disciples de Sorolla. Le luminisme
est un terme gnrique qui englobe tous les courants de la lumire ns en Europe
dans le dernier tiers du XIXme sicle, des macchiaolis italiens aux
impressionnistes et jusquÕaux naturalistes scandinaves et des peintres cossais,
les Glasgow boys. Jos Mongrell est un des peintres les plus chers de ce march
des ÒdisciplesÓ et quelques-uns de ses tableaux majeurs sont dissmins dans de
prestigieuses galeries dÕart Barcelone, Valence et Madrid. En 2006, son tableau
Vuelta de la pesca a chang de mains pour cent soixante-dix mille euros lors
dÕune vente aux enchres londonienne.56 Ë lÕtranger, la grande majorit de ces
peintres ne sont pas connus de sorte que leurs tableaux se vendent mal. Mais cela
pourrait changer, ainsi que lÕa laiss prsager lÕexposition monographique
itinrante de Salvador Tuset Valence, Alicante et New York, en 2007.57
Pour conclure, il faut signaler, comme les prmices dÕune possible
rvaluation du courant, que le Muse Sorolla a entrepris rcemment lÕarchivage
de documents textuels et iconographiques se rapportant ce sujet. Deux cartons
dÕarchives sont dj disponibles la consultation. Ces sources pourraient, un jour,
constituer le point de dpart dÕun recensement exhaustif de ces artistes et de leurs
tableaux, et peut-tre dÕune premire tude sur le sujet. Par ailleurs, le matre
possdait quelques tableaux de ses premiers disciples. De toute vidence, Sorolla
tait un collectionneur comme beaucoup dÕartistes lÕon t avant lui. On pense
Francesco Squarcione (1397-1468), matre de Mantegna, qui collectionnait les
Antiques. Le Valencien runit une importante collection de sculptures parmi
lesquelles figurent un Antique romain provenant des fouilles de Cstulo, un bas
relief du IIIme sicle reprsentant un Mercure romain, une Vierge lÕenfant
polychrome du XVme sicle et dÕautres sculptures anciennes. De ses
contemporains, il collectionnait Auguste Rodin, Paul Troubetzkoy (1866-1938),
56.
57.
Jacques-Armand Akoun, Akoun 2011, Paris, La cote des peintres, 2011, page 1128.
Anonyme, ÒNueva York descubre la obra de Salvador Tuset, discpulo de SorollaÓ,
heraldo.es, 25/05/2007.
III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939
160
Jos Capuz et exposait dans la maison madrilne des nus fminins de sa fille
Elena. Sorolla admirait la sculpture classique, en particulier les frises du
Parthnon et la Victoire de Samothrace, dont il possdait une reproduction en
pltre dans son atelier. Il rvait, semble-t-il, de sculpter lui-mme, ce quÕil ne fera
jamais. En 1913, Il avait indiqu Huntington son intention de raliser un buste
dÕAlphonse XIII pour lÕoffrir lÕHispanic Society mais ce projet ne verra pas le
jour. Par ailleurs, il collectionnait la cramique, les bijoux anciens et accumula
une soixantaine de tableaux en plus des siens. On retrouve les noms de peintres
quÕil admirait, comme Joaqun Agrasot, Jos Benlliure y Gil, Aureliano de
Beruete, Francisco Domingo Marqus, Mariano Fortuny, Ignacio Pinazo, Martn
Rico Ortega (1833-1908), Casimiro Sainz (1853-1898), John Singer Sargent, Frits
Thaulow (1848-1906), Benigno Vega-Incln, Anders Zorn et quelques autres. Il
ne possdait pas de tableaux anciens lÕexception dÕun panneau anonyme,
probablement peint au XVme sicle, reprsentant une vierge lÕenfant ainsi quÕun
San Bartolom qui pourrait tre lÕÏuvre dÕun disciple de Jos de Ribera.
De ses disciples, Sorolla possdait huit toiles : un paysage de Teodoro
Andreu, Barca en la playa et Figuras holandesas de Manuel Benedito, Paisaje de
Ass de Pepino Benlliure, Pescadores en la barca de Carlos Lezcano (1871-1929),
Estudio para el mercado. Extremadura de Santiago Martnez, Escena de mercado
de Jos Mongrell et Cabeza masculina de Cadwallader Lincoln Washburn (18661965).
Tous
figurent
aujourdÕhui
dans
les
collections
du
Muse
Sorolla.58 Certaines de ces peintures sont tellement semblables aux siennes
quÕelles pourraient tre confondues, ce qui laisse penser que le matre aimait sans
doute reconnatre sa ÒpatteÓ chez ceux quÕil formait. Il est frappant, par ailleurs,
de rencontrer une tude pour Visin de Espaa attribue son lve andalou
Santiago Martnez qui lÕaccompagna lors de son voyage en Estrmadure. Cela
pourrait vouloir dire que le matre associa son lve au panneau quÕil tait en train
de prparer. Le jeune peintre tait donc, vraisemblablement, celui qui aurait
termin la commande si Sorolla tait mort avant son achvement. Tous les
peintres que lÕon vient de citer ont eu une relation trs troite avec lui. Pepino
Benlliure, Manuel Benedito et Teodoro Andreu taient considrs comme des fils
58.
Catlogo de pintura del Museo Sorolla, Madrid, Ministre de lÕducation, de la Culture
et des Sports, 2002, tome II. pages 387-413.
III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939
161
et taient reus par la famille qui leur offrait le gte et le couvert durant leurs
sjours Madrid.59
59.
Francisco Martn Caballero, ÒHablando con D. Joaqun Sorolla en su estudioÓ, La
Correspondencia de Valencia, Valence, 11/09/1913.
III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939
162
III.2. QUEL MUSE POUR SOROLLA ?
Le Muse Sorolla, premier muse monographique de Madrid, est inaugur
dans lÕancienne demeure familiale le 11 juin 1932. Les Sorolla possdaient une
rsidence dÕt, la Villa Coliti Cercedilla, un village de montagne situ entre
Madrid et Sgovie. Par ailleurs, durant ses sjours Valence, le peintre louait une
maison face la plage de la Malvarrosa, la Casa Blanca. Mais cÕest logiquement
la maison-atelier de Madrid, rsidence principale de la famille, qui accueille le
Muse Sorolla. Cet vnement couronne les dmarches commences par la veuve
et les enfants du peintre qui sont en quelque sorte les Ògardiens du templeÓ.
Depuis cette poque, tout ce qui touche lÕÏuvre de Sorolla est imbib de lÕesprit
de sa famille et de ses descendants. Il faut prciser, avant dÕaller plus loin, que
lÕide de la fondation dÕun muse tait ancienne. Sorolla avait souhait que les
tableaux accrochs dans son atelier ne fussent pas disperss, mais il nÕavait jamais
dit explicitement son dsir de constituer un muse dans les murs de sa proprit. Il
avait probablement une ide trs claire du devenir de ses biens mais il ne pouvait
pas prendre le risque de provoquer lÕindignation des Valenciens qui, bien entendu,
pouvaient sÕattendre accueillir au moins une partie de sa collection prive.
Pourtant, la mue de la demeure madrilne en Muse Sorolla devait tre une sorte
de Òsecret de PolichinelleÓ car la conception et lÕamnagement de cette maison ne
laissait planer aucun doute quant sa future conversion musale, comme on le
verra plus avant. Il convient donc, tout dÕabord, dÕapporter quelques prcisions
concernant cet difice. Nous dcrirons ensuite les diffrentes tapes qui
jalonnrent la fondation de ce muse jusquÕ la veille de son inauguration, car cet
vnement sera trait sparment.
En novembre 1905, le peintre avait achet la duchesse de Marchena un
terrain dans le nouveau quartier madrilne hupp, Chamber, qui se situait
lÕpoque la limite septentrionale de la ville.60 Puis avec lÕargent gagn aux
tats-Unis, il acheta un deuxime terrain, attenant au premier, avant de confier la
conception dÕune maison bourgeoise lÕun des architectes les plus en vue
lÕpoque, Enrique Mara Repulls (1845-1922). LÕarchitecte de la Maison Royale
60.
La casa de Sorolla. Dibujos, Madrid, Ministerio de Cultura, 2007, page 10.
III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939
163
et des riches particuliers de la capitale venait dÕentamer les travaux de
rhabilitation de la maison de Mariano Benlliure, dans le mme quartier.61 La
commande de Sorolla fut pour Repulls un projet difficile conduire car le
peintre dessina lui-mme la maison Ð faades et intrieurs Ð et les trois jardins,
ainsi que lÕa rcemment mis en vidence lÕexposition temporaire La casa de
Sorolla. Dibujos (2007). LÕarchitecte dposa la mairie de Madrid un premier
projet en fvrier 1910, mais il dut par la suite le revoir compltement car le
peintre avait une ide trs prcise de ce quÕil voulait et resta tous moments le
seul matre dÕÏuvre. Les plus anciens croquis du peintre remontent 1905. Il
dessina une maison dÕun tage en forme de ÒLÓ comprenant, au rez-de-chausse,
trois grands ateliers en galerie afin de faciliter lÕexposition et la visite de la
collection.62 Les chambres occupaient le bel tage. Si lÕintrieur de la maison
volua peu, il nÕen fut pas de mme de la faade. Ë lÕorigine, Sorolla lÕimagina
trs sobre dans le style castillan mais le dessin volua vers lÕhistoricisme, toujours
la mode. Puis son dessin se simplifia nouveau et la maison gagna finalement
un tage indispensable au logement des domestiques. La construction commence
en juillet 1910 sÕacheva en octobre 1911 et la famille emmnagea avant la fin de
lÕanne. Il est intressant de souligner que, ds la fin des travaux, lÕaspect musal
de la maison fut dj relev par les rares journalistes autoriss la visiter. Dans le
premier article consacr ce lieu, en dcembre, Federico Garca Sanchs ne parlait
pas dÕune maison, mais bel et bien dÕun muse qui ne lÕtait pas encore.63 Il y
retournera bien des annes plus tard et, en se remmorant sa premire visite, il
livrera la description suivante :
El taller. Sigue en sus proporciones de hangar y en su bric a brac, con la panoplia de
armas antiguas, las tanagras, la caja de mariposas tropicales. Unos viejos estandartes
cuelgan de una viga que cruza. Reconozco la otomana con baldaqun en que
descansaba o soaba el heroico trabajador; junto a ella se yergue la Senyera del
Reino de Valencia, dando al cubierto sof un aire de tienda de capitn. Por el suelo,
61 .
62.
63.
IbidemÉ page 10.
Enrique Mara Repulls, Plano de la planta principal de la Casa Sorolla, 78Õ6x61Õ2,
Madrid, Museo Sorolla, 1911.
Federico Garca Sanchs, ÒDe cerca, Ave CsarÓ, La Noche de Madrid, Madrid,
29/12/1911.
III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939
164
tapices encantadoramente descoloridos. Y en los muros, y en los caballetes, y por
los rincones, cuadros, cuadros, cuadros.64
LÕarticle ne faisait pas encore mention des espaces extrieurs qui
deviendront, par la suite, un lieu dÕexposition en plein air. Sorolla imagina,
dessina et planta lui-mme un jardin dÕinspiration andalouse et y installa plusieurs
sculptures dont un antique romain provenant des fouilles archologiques de la cit
romano-ibre de Cstulo.65 Pour la dcoration extrieure, il associa des azulejos
valenciens de Manises, et svillans, de Triana. LÕintrieur de la maison continua
sÕenrichir dÕÏuvres permanentes en recevant une frise peinte sur les murs de la
salle manger autour du thme des rcoltes du verger. Il dessina galement des
croquis et peignit plusieurs bauches pour un autre dcor plus ambitieux,
apparemment des allgories de Valence. LÕensemble devait orner les trois murs de
la monte dÕescalier mais il ne verra jamais le jour.66
En 1912, le peintre utilisa les grands espaces dont il disposait pour y
organiser la premire exposition posthume de lÕÏuvre dÕAureliano de Beruete. Il
fit diter un catalogue de cette exposition et obtint du roi quÕil la visitt afin de lui
donner un caractre officiel. Outre ses expriences en tant quÕexposant, le peintre
avait quelques connaissances musologiques. Comme il a t dit en introduction,
Sorolla tait un ami intime du collectionneur Benigno de la Vega Incln qui fonda
la Maison-muse du Greco de Tolde (1911), la Maison Cervants de Valladolid
(1912) et le Muse Romantique de Madrid (1921), qui sont aujourdÕhui trois des
vingt-quatre Muses Nationaux espagnols.67 Aux cts du collectionneur, il
sÕinvestit personnellement dans la fondation du premier. Cette exprience lÕincita
64.
65.
66.
67.
Federico Garca Sanchs, ÒSorolla en el PradoÓ, ABC, Madrid, 26/02/1944. Ç LÕatelier. Il
affiche toujours des proportions de hangar et renferme le mme bric--brac, toute la
panoplie des armes anciennes, les figurines de Tanagra, la bote aux papillons tropicaux.
De vieux tendarts pendent accrochs une poutre traversante. Je reconnais le lit turc
avec son baldaquin dans lequel lÕhroque travailleur se reposait ou rvait ; ct, se
dresse la Senyera du Royaume de Valence, offrant au canap ainsi recouvert un air de
tente de gnral. Sur le sol, des tapis aux charmantes couleurs passes. Et sur les murs, et
sur les chevalets, et dans tous les coins, des tableaux, des tableaux et encore des
tableaux. È
Hiplito To, ÒCmo hara un periodista de hoy una entrevista de SorollaÓ, Levante,
Valence, 7/06/1957.
Le Muse Sorolla conserve trois panneaux, tous dats de 1911 : Boceto para la
decoracin de la escalera de la casa Sorolla, 99x186, Proyecto de decoracin de la
escalera de la casa Sorolla, 39Õ7x103 et Proyecto de decoracin de la escalera de la
casa Sorolla, 62x115.
Mara Luisa Menndez Robles, El marqus de la Vega Incln y los orgenes del turismo
en Espaa, Madrid, Ministerio de Industria, Turismo y Comercio, 2006, page 13.
III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939
165
peut-tre prendre lui-mme des dispositions concernant la conservation et la
protection de son propre patrimoine. En 1913, cÕest--dire lÕanne suivante,
Sorolla indiqua clairement au journaliste Francisco Martn Caballero son intention
de confier ses tableaux, ses livres, ses documents personnels, ses objets dÕart,
ainsi que sa correspondance prive, un muse existant Ð peut-tre pensait-il au
Muse des Beaux-Arts de Valence Ð ou cr cet usage.68 Selon Manuel
Gonzlez Mart, il avait lÕintention de faire construire une villa Valence et, au
cours dÕune conversation prive, il estima pouvoir sÕatteler cette tche vers
soixante-cinq ans Ð un ge quÕil nÕatteindra jamais Ð : Ç Dejad que cumpla 65
aos y realice mi sueo dorado: construir un gran edificio para vivir en l,
instalando all mis obras y mis recuerdos de triunfos y viajes por el mundo y morir
aqu, en Valencia. Para ese edificio he comprado ya la portada del palacio de las
Plateras de Madrid. È69 En janvier 1914, La Ilustracin Espaola consacra au
peintre valencien un numro spcial dans sa srie ÒNuestros grandes artistas
contemporneosÓ.70 Les lecteurs de la revue dcouvrirent alors douze
photographies de la maison. Les trois ateliers tendus de brocart et baigns par la
lumire naturelle depuis une large verrire znithale ressemblaient aux salons des
galeries dÕart. De plus, tous les tableaux taient dj encadrs et accrochs,
comme si le lieu tait dj ouvert la visite. Plus tard, autour de 1915, le critique
Jos Francs fut reu par Sorolla et, alors quÕils parcouraient ensemble les
ateliers, il sembla vident aux yeux du critique que la maison tait destine
devenir un muse :
68.
69.
70.
Francisco Martn Caballero, ÒHablando con D. Joaqun Sorolla en su estudioÓ, La
Correspondencia de Valencia, Valence, 11/09/1913.
Pelejero, ÒUsted que conoci a Sorolla, dganos Àcmo era ?Ó, Levante, Valence,
17/09/1959. Ç Attendez que jÕatteigne 65 ans et que je ralise mon plus grand rve :
construire un grand difice pour y vivre, en y instalant mes Ïuvres et les souvenirs de
mes voyages et de mes succs de par le monde et mourir l, Valence. Pour cette
construction, jÕai dj achet le portail du Palais des Orfvres de Madrid. È
Rafael Domnech, ÒJoaqun SorollaÓ, La Ilustracin Espaola y Americana, Madrid,
30/01/1914.
III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939
166
-
Esta casa ser un museo Ð le dije.
-
ÁOjal! Ð contest con aquella su voz clara cantarina de aes abiertas Ð. Me gustara
que lo pareciese ahora, y que el da de maana lo fuese sin parecerlo.71
Le journal intime de Archer M. Huntington porte la trace dÕune visite de la
maison effectue en compagnie du matre, en janvier 1918 : Ç We went over each
picture slowly and explored the house in detail. He is very proud of the house &
calls it is His[panic] Soc[iety]. He has a dream of its future as a S[orolla] museum
& I think something of the kind may be brought about one of these days, but I
hope in the distant future. È72 LÕhispanophile redoutait visiblement deux choses.
DÕune part, que lÕartiste ne dpenst trop dÕnergie dans un autre projet que le
sien parce quÕil nÕavait pas encore termin Visin de Espaa et que son tat de
sant lui inspirait les plus vives inquitudes. DÕautre part, il pouvait craindre que
ce muse nÕentrt en concurrence directe avec sa propre collection dj ouverte au
public et qui, lÕpoque, nÕavait pas dÕquivalent dans le monde.
Pour toutes les raisons voques, le Muse Sorolla sera davantage une
conversion quÕune cration de A Z et, mme si le peintre ne fit pas de testament
et ne prit aucune disposition juridique de son vivant allant de ce sens, sa veuve
prcisera dans son testament les conditions et les dtails dÕune importante
donation lÕtat. Ses trois enfants et les cinq excuteurs testamentaires se
chargeront ensuite de conduire le projet jusquÕ sa complte ralisation, ainsi
quÕon va le voir maintenant.
En aot 1923, au lendemain de la mort du peintre, la dcision de
transformer la maison en muse tait dj arrte, comme le montre une lettre du
roi publie rcemment par lÕhistorienne Mara Luisa Menndez Robles,
spcialiste du marquis de la Vega Incln et ex-directrice du Muse Romantique de
Madrid. Apparemment, le marquis aurait t consult par Clotilde Garca del
71.
72.
Jos Francs, ÒLa elocuente nostalgia de la Casa SorollaÓ, Crnica, Madrid, 3/07/1932.
Ç - Cette maison sera un muse, lui dis-je. / - Pourvu quÕil en soit ainsi, rpondit-il de sa
voix stentor. JÕaimerais que cela en ait lÕair aujourdÕhui et que, demain, ce le ft sans en
avoir lÕair. È
Extraits du journal intime de Archer M. Huntington in Sorolla y la Hispanic Society,
Madrid, Museo Thyssen Bornemisza, 1998, page 416. Ç Nous avons lentement examin
chacun des tableaux et explor la maison. Il en est trs fier et lÕappelle son Hispanic
Society. Il rve quÕelle devienne un muse Sorolla et je crois quÕun jour il pourrait en tre
ainsi mais jÕespre que cela arrivera dans un avenir lointain. È
III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939
167
Castillo et, son tour, il informa Alphonse XIII du projet. Voici la rponse du
souverain date du 14 aot et qui figure dans les archives du Muse Romantique :
Recibo tu telegrama en el que inspirndote en tu gran admiracin que como sabes
comparto siempre por Sorolla y por su obra inmortal propones la formacin de un
Museo de sus cuadros. Puedes comprender con cuanta simpata acojo yo esta idea
que como todo lo que tienda a honrar y perpetuar la gloriosa memoria del artista que
todos lloramos.73
En aot 1924, lÕoccasion du premier anniversaire de la mort de Sorolla, le
reporter de El Mercantil Valenciano, Jos Ballester y Gozalvo (1893-1970),
manifestait son tonnement aprs avoir vu de ses propres yeux le trsor artistique
conserv dans les murs de la maison familiale :
Pero al entrar en este almacn, ante la realidad de los hechos, siente uno
insignificante el concepto que de ella habamos formado. Sorolla ha vendido mucho;
quizs sea el pintor espaol que ms obras tiene esparcidas por el mundo. Pues bien;
adems de eso, su estudio de Madrid tiene almacenadas ms de mil doscientas obras
de todos tamaos. Parece como si Sorolla hubiera guardado sin querer desprenderse
de ella, la produccin de toda su vida.74
Aprs cette visite, effectue en compagnie du peintre Manuel Benedito,
Ballester y Gozalvo affirmait que plus de mille deux cent toiles sÕy trouvaient
alors. videmment, la collection sera ensuite divise en quatre parts
correspondants lÕhritage de la veuve et des trois enfants. Sans tenir compte de
ce partage, le journaliste demandait lÕtat dÕacheter la villa avec tous ses biens
73 .
74.
Mara Luisa Menndez Robles, ÒSorolla, Benlliure y el segundo marqus de la VegaIncln: Interacciones amistosas y artsticasÓ in Mariano Benlliure y Joaqun Sorolla.
Centenario de un homenaje, Valence, Generalitat Valenciana, 2000, pages 69. Ç Je reois
ton tlgramme dans lequel, fidle ton immense admiration pour Sorolla et pour son
Ïuvre immortelle Ð que je partage Ð tu proposes de constituer un muse partir de ses
tableaux. Tu dois bien comprendre avec quelle symapthie jÕaccueille cette ide, comme
tout ce qui tend honorer et faire vivre le glorieux souvenir de lÕartiste que nous pleurons
tous. È
Jos Ballester y Gozalvo, ÒEl templo abandonadoÓ, El Mercantil Valenciano, Valence,
9/08/1924. Ç Mais en entrant dans cette rserve, face la ralit des choses, dÕaucun
comprend combien lÕide quÕil sÕen tait faite mrite dÕtre rvalue. Sorolla a vendu
beaucoup ; il est peut-tre le peintre ayant le plus dÕÏuvres parpilles de par le monde.
Eh bien, en plus de cela, les rserves de son atelier de Madrid renferment plus de mille
deux cent Ïuvres de tous les formats. CÕest comme si Sorolla avait gard, sans jamais
avoir voulu sÕen dfaire, la production de toute une vie. È
III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939
168
mobiliers afin de fonder un muse qui serait ensuite ouvert au public. Le mme
jour, La Voz Valenciana publia un numro spcial contenant une dizaine dÕarticles
consacrs au peintre disparu, pour le premier anniversaire de sa mort.75 Ë cette
occasion, Mariano Benlliure, Antonio Muoz Degrain, Cecilio Pl et dÕautres
artistes qui avaient bien connu Sorolla collaborrent avec la rdaction du journal.
Le peintre Vicente Navarro regrettait que Madrid nÕait pas un Muse Sorolla sur
le modle du Muse Rodin de Paris, install depuis 1919 dans lÕhtel particulier
du sculpteur. Toutefois, dans la ville natale du peintre, cette ide suscita quelques
rticences car tous les observateurs valenciens ne consentirent pas laisser
Madrid le bnfice dÕune telle institution. Naturellement, sans un projet local le
souvenir de Sorolla finirait par chapper la ville. Ë partir de ce constat, deux
ides allaient voir le jour concomitamment Valence : la cration dÕun musecole et lÕdification dÕun monument public commmoratif.
Dans La Voz de Valencia, un journaliste soulignait que le premier
anniversaire de la mort du peintre avait fait lÕobjet dÕune commmoration
Sville, o un buste du peintre avait t install dans le Jardin des Dlices.76 La
chose tait dÕautant plus regrettable pour lÕobservateur que le buste tait lÕÏuvre
dÕun sculpteur valencien, Jos Capuz (1884-1964). Dans la presse valencienne,
lÕimage dÕune ÒdetteÓ morale non acquitte se propagea pour dire lÕingratitude de
la ville envers celui quÕelle avait fait son citoyen dÕhonneur. LÕimage traversera
tant et si bien les poques, quÕil en reste encore aujourdÕhui des rminiscences,
ainsi quÕon le verra plus avant.
Ë Valence, rien de semblable nÕavait t fait car un conflit opposait la
municipalit aux nombreux partisans de lÕdification dÕun monument sur la plage
de La Malvarrosa. Ë dessein, Mariano Benlliure avait offert la ville un buste du
peintre en marbre blanc. Selon lui, le bord de mer devait accueillir sa sculpture car
son compatriote y avait peint ses meilleurs tableaux. Mais un an plus tard, le
projet nÕavait toujours pas avanc, si bien quÕ lÕoccasion du premier anniversaire
de la mort du peintre, Benlliure menaa de retirer la sculpture dans une lettre
ouverte adresse au maire de la ville, Luis Oliag Miranda (1861-1933).77 Il y
75.
76.
77.
Vicente Navarro, ÒLa casa de SorollaÓ, La Voz Valenciana, Valence, 9/08/1924.
Jaime Mariscal de Gante, ÒUn recuerdo a SorollaÓ, Voz de Valencia, Valence,
11/08/1924. Figure n¡7. Hommage des artistes svillans D. Joaqun Sorolla (1924).
Mariano Benlliure, ÒUna carta de Mariano BenlliureÓ et Luis Oliag Miranda, ÒEl alcalde
contesta a Mariano BenlliureÓ, El Mercantil Valenciano, Valence, 23/11/1924.
III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939
169
exposait dÕabord sa vision de ce monument, compos dÕun buste pos sur un socle
simple et solide, le tout faisant face la mer. Puis il prcisait, comme une mise en
garde, que le marbre, qui tait alors prsent dans une exposition vnitienne,
intressait le Muse dÕArt Moderne de Madrid qui, affirmait-il, dsirait lÕinstaller
dans les jardins qui longent lÕavenue de la Castellana. Dans la rponse quÕil
adressa au journal, le maire accda toutes les requtes du sculpteur en
promettant de commencer les dmarches en concertation avec les deux
institutions des Beaux-Arts de la ville : lÕAcadmie de San Carlos et le Cercle des
Beaux-Arts. Un concours fut donc convoqu et des avant-projets furent prsents,
mais les choses en restrent-l. Si bien que trois ans plus tard, le journaliste
Francisco Almela y Vives (1903-1967) ironisait encore sur cet pisode sans
lendemain : Ç [É] los anteproyectos estuvieron expuestos muchos das, hasta que
cambiaron el color blanco de la escayola por el color gris y tostado del polvo. Y
en este resultado inane influy no poco el hecho de que ningn anteproyecto
satisficiera plenamente. È78 LÕauteur expliquait que les maquettes nÕavaient pas
apport entire satisfaction aux diles, mais il ajoutait plus loin que la
municipalit rejetait lÕide dÕinstaller le monument dans une zone non urbanise
et expose aux temptes hivernales, un argument dont on comprendra toute la
pertinence plus loin dans ce chapitre. La municipalit se vit ensuite offrir une
deuxime sculpture reprsentant la main droite de Sorolla tenant un pinceau,
Ïuvre du sculpteur Ricardo Causars Casaa (1875-1953). Il en avait ralis le
moule directement sur la main de lÕartiste en 1901, lÕanne o il dcrocha la
Mdaille dÕHonneur. En aot 1930, lÕassociation des Valenciens de Barcelone
avait financ un coulage de ce moule en argent, bien quÕil aurait t initialement
question, nous dit-on, dÕun coulage en or.79 La ville avait donc au moins deux
Ïuvres commmoratives sa disposition, mais toujours pas le moindre
monument !
Cette situation ubuesque et le dlai anormal pour ce type de projet mit en
vidence la passivit des autorits locales, sous la dictature de Primo de Rivera
78.
79.
Francisco Almela y Vives, ÒMonumentos en honor de Joaqun SorollaÓ, La Voz, Madrid,
27/09/1927. Ç Les avant-projets furent exposs plusieurs jours, jusquÕ ce que la couleur
immacule du pltre vire au gris de lin de la poussire. Et le fait quÕaucun des projets ne
donnt entire satisfaction explique en grande partie ce bilan infructueux. È
Anonyme, ÒLa mano de Joaqun SorollaÓ, La Voz, Madrid, 11/08/1930 et Enrique
Gonzlez Fiol, ÒLa mano de plata de Sorolla, mano votivaÓ, La Esfera, Madrid,
21/08/1930.
III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939
170
car, pour contrler le territoire, il avait dmis de leurs fonctions les maires en les
remplaant par des officiers. Le plus probable est que ceux-ci ne firent aucun cas
du dossier car il tait port par les rpublicains ; cÕest en tout cas ce que semble
montrer la suite de lÕaffaire. En effet, Mariano Benlliure et tous les artistes et
intellectuels qui avaient apport leur soutien au premier projet persvrrent
jusquÕ le faire aboutir tel quÕils imaginaient et le nÏud gordien fut enfin tranch
aprs la proclammation de la Seconde Rpublique, en avril 1931. Le premier
maire de lÕre rpublicaine, Vicente Alfaro Moreno (1902-1974) du Parti de
lÕUnion Rpublicaine Autonomiste (PURA) porta le projet jusquÕ son terme en
un temps trs court. Ds le mois de juin 1932, lÕoccasion de lÕinauguration du
Muse Sorolla de Madrid, le prsident de la commission municipale des
monuments de Valence, Enrique Durn y Tortajada (1883-1947), annona que les
travaux avaient commenc.80
Paralllement aux dbats concernant la nature et lÕemplacement du
monument, lÕide dÕun Muse Sorolla de Valence avait fait son chemin durant le
mme laps de temps. Alors quÕen 1927 le projet mmoriel semblait dans
lÕimpasse, Eduardo de Santiago y Carrin avana lÕide de la cration dÕun
Òmuse-coleÓ consacr lÕÏuvre de Sorolla.81 La proposition souleva tellement
dÕenthousiasme dans la presse locale quÕelle fut bientt toffe par toutes sortes
de suggestions. Pour Emilio Fornet de Asensi (1898-1985), celui-ci devait
occuper la Òmaison blancheÓ, la modeste demeure dans laquelle le peintre avait
sjourn chaque fois quÕil avait travaill sur la plage de la Malvarrosa.82 Le
Òmuse-coleÓ ne laissa pas indiffrente la presse conservatrice comme le montre
un article publi dans Las Provincias. Luis de Galinsoga (1891-1967) voyait dans
ce projet une sorte de rempart qui prserverait les artistes valenciens de
lÕinfluence des Avant-gardes.83 Mais cette proposition rtrograde, qui visait
raviver le pass sorolliste de la ville, dclencha la colre dÕEmilio Fornet de
Asensi, qui qualifiait son confrre dÕÒanti-avant-gardisteÓ. Dans lÕesprit de ce
journaliste, la vocation du Òmuse-coleÓ nÕtait pas de sÕopposer aux nouvelles
80.
81.
82.
83.
Anonyme, ÒInauguracin del Museo SorollaÓ, Diario de Valencia, Valence, 12/06/1932.
Eduardo de Santiago y Carrin, Ò?Ó, El Imparcial, 09 ou 10/1927. Article cit in Emilio
Fornet de Asensi, Ò!Sol + !Sorolla = ValenciaÓ, La Correspondencia de Valencia,
Valence, 26/06/1927.
Emilio Fornet de Asensi, ÒLevante - ValenciaÓ, La Correspondencia de Valencia,
Valence, 1927.
Luis de Galinsoga, [?], Las Provincias, Madrid, 1927.
III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939
171
tendances mais au contraire de les accompagner en les mettant en contact avec
lÕÏuvre du matre.84 Pour signifier les dangers dÕune admiration excessive des
gloires du pass, il paraphrasait dans sa rponse le titre dÕun ouvrage de Joaqun
Costa devenu proverbial, Crisis poltica de Espaa. Doble llave al sepulcro del
Cid85 :
Pero es que Luis de Galinsoga viene a decirnos que sea Sorolla y su recuerdo en
Valencia como un talud que preserve a los artistas valencianos de la oleada de
modernidades. Y eso, no. [É] ÁO es que tendremos que soltar la irreverencia
tremenda de que se den dos vueltas a la llave del sepulcro de Sorolla, como se dice
del de El Cid ! 86
Le 13 octobre 1927, Santiago y Carrin rpondit aux deux journalistes dans
lÕespoir de concilier leurs points de vue divergents87. Mais quelques jours plus
tard, par journaux interposs, Galinsoga rpondait violemment Fornet, rduisant
davantage la faisabilit de cette institution nouvelle qui nÕen tait pourtant quÕau
stade dÕide.88 Sans entrer davantage dans les dtails de ce dbat sur lequel les
sources ne manquent pas, il faut souligner quÕ lÕimage du monument, qui avait
mis aux prises les deux bords politiques de la ville, le muse-cole divisa
pareillement, illustrant une fois encore deux visions du peintre opposes. Elles
coexisteront jusquÕ la guerre civile, aprs quoi le camps victorieux imposera sa
propre perception et les choses en resteront l au moins jusquÕ la transition
dmocratique.
LÕenthousiasme soulev par lÕide dÕun muse-cole retomba et finit par
disparatre compltement le 5 mars 1929, le jour o la nouvelle de la fondation du
Muse Sorolla se rpandit. DÕun coup, elle ensevelit les espoirs des Valenciens
car la collection familiale semblait voue rester entre les murs de la villa
84.
85.
86.
87.
88.
Emilio, Fornet ÒLevante. ValenciaÓ, La Correspondencia de Valencia, Valence, 1927.
Joaqun Costa, Crisis poltica de Espaa. Doble llave al sepulcro del Cid, Madrid,
Biblioteca Costa, 1914.
E. Fornet de Asensi, ÒLevanteÉÓ Ç Mais il apparat que Luis de Galinsoga vient nous
dire que Sorolla et son souvenir Valence devraient constituer une digue prservant les
artistes valenciens de la vague des avant-gardes. Et de cela, il nÕen est pas question [É]
Ou alors devrons-nous avoir lÕinsolence de donner deux tours de cl au tombeau de
Sorolla, comme on dit de celui du Cid ! È
Eduardo de Santiago y Carrin, ÒEl Museo-Escuela y la casa de SorollaÓ, El
Imparcial, Madrid, 26/10/1927.
Luis Galinsoga de la Serna, ÒAcerca del homenaje a SorollaÓ, Las Provincias, Valence,
11/1927.
III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939
172
madrilne. Or, personne nÕignorait que, sans une importante donation des hritiers
du peintre, il tait impossible de constituer ailleurs une collection ambitieuse.
LÕinformation provenait dÕEl Clamor, un journal oral dclam sur les planches du
Thtre de la Comdie de Madrid par un cabotin n Valence, Federico Garca
Sanchs (1886-1964).89 En se rservant la primeur de la nouvelle, le comdien
assura la promotion de son spectacle puisque, de Madrid Valence, la presse
quotidienne du lendemain reprit la nouvelle, tout en questionnant son authenticit
et la lgitimit de son propagateur. Le 6 mars, El Mercantil Valenciano et La
Correspondencia de Valencia titraient ensemble : Ç El Museo Sorolla Àestar en
Madrid? È Dpit, Emilio Fornet accusait lÕorganisation gnrale du pays et celle
de la vie artistique espagnole en particulier car, selon lui, elles avaient contraint le
peintre sÕexpatrier, sans quoi il serait rest Valence et sÕy serait fix
dfinitivement. Sorolla lÕavait dit lui-mme dans un entretien car il considrait
effectivement que pour conduire une carrire artistique de haut niveau, rsider en
province nÕtait pas la bonne option : Ç Los artistas vivimos aqu por ser el centro
de todo el movimiento, no porque esto nos agrade, y vivimos a fuerza de carecer
Madrid de personalidad. Yo vivira en Valencia, y all hubiera construido esta
casa, si Valencia fuera camino para ir a alguna parte. È90
Il faut noter que lÕide dÕun muse valencien renatra pisodiquement. Par
exemple, quand une collection particulire fut expose Valence, en 1944, deux
journalistes locaux demandrent la propritaire de cder sa collection la ville ;
en vain.91 La question fut nouveau dbattue en 1963, lÕanne du centenaire de la
naissance du peintre. Sorolla tait n Valence, rue de Las Barcas, ses restes
reposaient dans le cimetire municipal, mais son Ïuvre tait ailleurs et les
touristes cultivs prfraient se rendre Madrid plutt que dans sa rgion natale.
En janvier 1966, une motion visant la cration dÕun Muse Sorolla de Valence
fut approuve sous le mandat du maire Adolfo Rincn de Arellano (1910-2006),
mais elle ne donna aucun rsultat. Quand le Muse Sorolla traversa une
importante crise financire, en 1967, il fut mme question de dmonter lÕdifice
89.
90.
91.
J.L.L., ÒLa casa de Sorolla, convertida en MuseoÓ, ABC, Madrid, 1932.
Francisco Martn Caballero, ÒHablando con D. Joaqun Sorolla en su estudioÓ, La
Correspondencia de Valencia, Valence, 11/09/1913. Ç Nous les artistes, nous vivons ici
car cÕest le centre de tout le mouvement et non pas pas parce que cela nous plat, nous
vivons Madrid bien que cette ville manque de personnalit. Moi je vivrais Valence, et
cÕest l-bas que jÕaurais construit cette maison si Valence avait t le chemin menant
quelque-part. È
Jess Vasallo, ÒLa fundacin de la beca Mara SorollaÓ, Jornada, Valence, 31/05/1944.
III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939
173
pierre par pierre pour mieux le reconstruire ensuite Valence !92 En 2001, la
question dÕun dpt permanent Valence dÕÏuvres extraites des rserves du
Muse Sorolla fut dbattue lÕoccasion de lÕexposition temporaire El Museo
Sorolla visita Valencia installe dans les salles du Muse du XIXme sicle.93
Enfin, aujourdÕhui, lÕide dÕun muse valencien continue mobiliser la classe
politique locale et fut rcemment, ainsi quÕon le verra, un des enjeux des lections
rgionales de 2007.94
La veuve Sorolla avait indiqu son intention de fonder le muse Madrid
dans un testament tabli le 10 juillet 1925. Ce document confidentiel prcisait les
dtails et les conditions dÕune donation lÕtat espagnol comprenant la demeure
familiale, une partie du mobilier, sa propre collection de peinture, etc. Clotilde
Garca del Castilla dcda le 5 janvier 1929 et le contenu du testament fut donc
partiellement rvl en mars par Garca Sanchs, comme on vient de le voir. La
ralisation du muse revint donc aux trois hritiers et aux cinq excuteurs
testamentaires, Mariano Benlliure, Manuel Benedito, Jos Capuz, Pedro Gil
Moreno de Mora et son fils Jos Pedro.95 Les trois enfants du peintres firent
lÕinventaire de tous les biens mobiliers conservs dans la maison car cette tche
indispensable permettait dÕtablir les parts correspondant chaque hritier.
Ensuite, lÕensemble de la procdure se fit en collaboration avec les institutions de
la Dictature qui vivait alors ses dernires heures. Sous la menace dÕun
renversement du pouvoir par lÕarme, Primo de Rivera prsenta sa dmission le
28 janvier 1930, avant de trouver refuge en France. Le gnral Dmaso Berenguer
(1878-1953), nomm sa place, ne parviendra pas remettre flot le rgime et ce
fut dans une situation proche du chaos politique que lÕadministration dÕAlphonse
XIII traita le dossier du muse comme une affaire urgente. Le 23 fvrier 1931,
Mariano Benlliure prsenta lÕinventaire de la donation de la veuve au ministre de
lÕInstruction Publique et des Beaux-Arts.96 Il comprenait neuf cent dix huiles,
trois mille quatre cent quatre-vingt sept dessins, vingt et une gouaches et dix
92.
93.
94.
95.
96.
R. Trivio, ÒLa Casa-Museo de Sorolla ser en Madrid o no serÓ, Generalitat, Valence,
16/07/1980.
R.V.M., ÒPons-Sorolla dice que el legado peligrara si el depsito en Valencia fuera
permanenteÓ, El Mercantil Valenciano, Valence, 1/12/2001.
Anonyme, ÒCamps anuncia la prxima creacin del Centro Sorolla en un convento de
ValenciaÓ, lavanguardia.es, 13/04/2007.
Csar Gonzlez Ruano, ÒLa verdad sobre la fundacin del museoÓ, La Libertad, Madrid,
5/03/1929.
La casa de Sorolla. Dibujos, Madrid, Ministerio de Cultura, 2007, page 27.
III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939
174
aquarelles.97 Le 24 mars, le fils du peintre fit joindre la donation de sa mre
cinquante-six tableaux dont il avait hrit parmi lesquels figuraient plusieurs
grand formats tels que La siesta, El bao del caballo, Tipos de Salamanca,
Despus del bao, etc.98 Sa part comprenait en tout deux cent trente et une huiles,
mille quarante-deux dessins, sept gouaches et une aquarelle.99 Dans sa jeunesse,
Joaqun avait vcu une histoire dÕamour avec la chanteuse et actrice de cinma
Raquel Meller (1888-1962) et, aprs leur sparation, il ne sÕtait jamais mari et
nÕavait pas eu dÕenfant.100 Il possdait dÕailleurs un portrait dÕelle que Sorolla
avait peint la fin de sa vie et qui se trouve aujourdÕhui au Muse Sorolla.101 Le
28, le ministre de lÕInstruction Publique et des Beaux-Arts, Jos Gascn Marn
(1875-1962), signa le dcret royal Ð publi dans la Gaceta de Madrid du 12 avril
suivant Ð par lequel lÕtat acceptait lÕensemble de la donation. Ce fut le dernier
dcret de lÕre alphonsine puisque, le 14 avril 1931, le roi abandonnait le pouvoir
et sÕexilait dfinitivement lÕtranger.102
Au milieu de lÕagitation politique qui secouait le pays, les dmarches
administratives ne furent pas retardes par la proclamation de la Seconde
Rpublique. Aprs le dpart du roi, le rpublicain Niceto Alcal-Zamora (18771949) prit la tte dÕun gouvernement provisoire. Il nomma un comit de direction
le 29 mai et pronona un discours dans lequel il annona lÕinauguration prochaine
du Muse Sorolla. Il salua la contribution de tous les acteurs qui avaient pris part
la ralisation du projet et, cela mrite dÕtre remarqu, il souligna lÕimplication
personnelle du roi, dont il connaissait les liens dÕamiti qui lÕunissaient lÕartiste.
Son administration mena le dossier son terme en un temps record, au moins pour
deux raisons. DÕune part, lÕessentiel du travail avait t ralis en amont par le
ministre Jos Gascn y Marn qui sÕtait pleinement investi dans ce projet. Par
consquent, le nouveau rgime pouvait sans peine en recueillir le fruit. Ensuite,
les rpublicains tenaient lÕoccasion de reprendre la main en ramenant dans leur
97.
98.
99.
100.
101.
102.
Bernardino de Pantorba, Gua del Museo Sorolla, Madrid, Grficas Nebrija, 1975 (1951),
page 11.
M.A., ÒLa casa de SorollaÓ, Luz, Madrid, 24/09/1932.
La siesta, 200x201, Madrid, Muse Sorolla, 1911. El bao del caballo, 205x250, Madrid,
Muse Sorolla, 1909. Tipos de Salamanca, 191x200, Madrid, Muse Sorolla, 1912 et
Saliendo del bao, 130x150Õ5, Madrid, Muse Sorolla, 1914.
B. de Pantorba, GuaÉ page 11.
Csar Gonzlez Ruano, ÒEvocacin de Raquel MellerÓ, Arriba, Madrid, 17/07/1955.
Retrato de Raquel Meller, 125x100, Madrid, Muse Sorolla, 1918 et Jos Rico de
Estasen, ÒSorolla pint a Raquel MellerÓ, Garbo, Barcelone, 25/08/1962.
La casa de Sorolla, page 34.
III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939
175
giron le peintre de Valence. Roberto Castrovido, qui venait de retrouver un sige
de dput comme rpublicain indpendant, a peut-tre jou un rle important dans
la poursuite et lÕaboutissement rapide du projet.
Le 12 juin 1931, cÕest--dire moins de deux mois aprs le dpart du roi, le
Muse Sorolla fut solennellement remis lÕtat au cours dÕune crmonie en petit
comit laquelle participrent le chef du gouvernement provisoire, le ministre de
lÕInstruction Publique et des Beaux-Arts, Marcelino Domingo (1864-1939), le
directeur gnral des Beaux-Arts, Ricardo de Orueta (1868-1939), les enfants du
peintre, les excuteurs testamentaires, et dÕautres personnalits du monde de
lÕart.103 Tous faisaient partie du premier comit de direction du muse dont
Manuel Azaa tait le prsident dÕhonneur. Il sera solennellement inaugur un an
plus tard, presque jour pour jour, ainsi quÕon le verra par la suite.
Le Muse Sorolla fut donc un projet men avec succs dans un temps court,
en dpit du changement de rgime. Il ouvrit ses portes moins de dix ans aprs la
mort du peintre et trois ans seulement aprs la mort de son pouse. Dans la presse,
la donation de la veuve fut souvent rduite la gnrosit du geste. Or, cette
dimension occultait dÕautres objectifs de cette initiative, qui devait aussi permettre
la rvaluation critique de Sorolla. LÕarrire-petite-fille du peintre rappelle
aujourdÕhui que la donation fut, sur le plan familial, une question particulirement
pineuse puisquÕelle revenait soustraire aux trois enfants un hritage qui leur
revenait de droit.104 Clotilde Garca del Castillo en dcida seule et cela fut
visiblement mal vcu au sein de cette famille. DÕailleurs, avec le recul des annes,
il est frappant de constater que les trois enfants adopteront des attitudes trs
diffrentes lÕgard de leur hritage respectif car Mara conserva ses tableaux,
Joaqun en cda lÕensemble lÕtat et Elena en vendit une partie. Pour Blanca
Pons-Sorolla, son aeule sacrifia une partie du bien de ses enfants pour offrir son
mari le rayonnement et la gloire quÕil mritait. Car il faut rappeler, une fois
encore, que son Ïuvre tait trs mal reprsente dans les collections nationales
pour plusieurs raisons lies au droulement de sa carrire. Par consquent, la
cration dÕun muse dÕtat pouvait combler au moins cette lacune. En vitant la
dispersion dÕune partie de la collection familiale, le muse permettrait une
103.
104.
Alfonso (photographie), ÒEl museo del pintor Joaqun SorollaÓ, La Libertad, Madrid,
12/06/1931.
Blanca Pons-Sorolla, ÒSorolla y su familiaÓ in Ternura y Melodrama. Pintura de escenas
familiares en tiempos de Sorolla, Valence, Bancaja, 2003, pages 97-98.
III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939
176
meilleure connaissance de son Ïuvre, pensait-elle. La dispersion dÕune collection
prive tait perue, cette poque, comme une catastrophe quÕil fallait
absolument viter. Quant au choix de Madrid, il allait presque de soi, tout
simplement parce que le peintre avait choisi de sÕy tablir et dÕy construire un
btiment dot dÕvidentes qualits musales. Par ailleurs, dans la capitale, cette
institution aurait une envergure nationale et peut-tre internationale tandis que,
Valence, elle aurait t isole et limite une dimension locale. Enfin, ce muse
tait susceptible de mettre fin deux phnomnes indissociables durant la
dcennie qui suivit la mort du peintre, cÕest--dire lÕoubli dans lequel Sorolla avait
sombr et lÕaversion que son nom suscitait dsormais chez les jeunes artistes et
que lÕon attribuait, tort ou raison, la mauvaise connaissance de son Ïuvre.
Cette opinion se diffusa dans la presse au lendemain de lÕinauguration du muse
car les observateurs pensaient que les choses allaient enfin changer. Jos Manaut
Nogus tait de ceux qui partageaient ce point de vue, rsum dans Heraldo de
Madrid de la faon suivante :
Despus, su muerte le coloca en esa difcil situacin de toda figura eminente ante la
generacin inmediata. Se proyecta sobre l esa sombra, esa disminucin de aprecio,
que slo los grandes logran superar. As Sorolla se encuentra hoy incomprendido por
falta de conocimiento, cosa que parece inverosmil, tan cercana su prdida.105
Si la mort dÕun peintre fait mcaniquement monter la valeur de son Ïuvre,
qui devient un ensemble clos et dnombrable, sa rvaluation critique est souvent
plus tardive et doit parfois subir au moins lÕindiffrence dÕune ou de plusieurs
gnrations. Un exemple assez frappant est celui des peintres dÕhistoire franais
qui ont endur, titre posthume, un rejet au moins proportionnel au succs quÕils
avaient connu de leur vivant. Or, ces peintres intressent nouveau comme
105.
Daz Casariego (Photographie), ÒEl Museo Sorolla se ha inaugurado solemnemente esta
maana con asistencia del seor AzaaÓ, Heraldo de Madrid, Madrid, 11/06/1932 et Jos
Manaut Nogus, ÒHoy hace nueve aos que muri Joaqun SorollaÓ, El Mercantil
Valenciano, Valence, 10/08/1932. Ç Ensuite, sa mort le place dans cette situation difficile
propre toute personnalit minente face la gnration suivante. Cette ombre se projte
sur lui, cette diminution dÕestime, que seuls les grands parviennent surmonter. Ainsi,
Sorolla se trouve aujourdÕhui incompris par mconnaissance, une chose qui semble
invraisemblable tant est proche sa disparition.È
III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939
177
viennent de le montrer les surprenants rsultats obtenus par les rcentes
expositions monographiques dÕAlexandre Cabanel et de Jean Lon Grme.106
LÕinauguration du Muse Sorolla intressa ponctuellement les media si lÕon
en juge par la rpartition des archives de presse consultes pour les besoins de
cette tude. Elles contiennent presque cent cinquante articles dats de 1932. Avant
cette date, Sorolla avait sombr dans un oubli presque total. En effet, aprs sa
mort les journaux du pays avaient couvert trs sommairement les deux
vnements attendus, cÕest--dire sa rception posthume lÕAcadmie Royale des
Beaux-Arts de San Fernando et la prsentation publique de Visin de Espaa,
New York. Le 2 fvrier 1924, la sance-hommage posthume que lui consacra
lÕAcadmie fut peine remarque. Il faut rappeler que, dix ans auparavant, le 16
mars 1914, Sorolla avait t lu acadmicien sur le sige vacant de Salvador
Martnez Cubells (1874-1947) la suite dÕune proposition collective des peintres
Antonio Muoz Degran, Alejandro Ferrant Fisherman (1843-1917) et du
sculpteur Miguel Blay. La lettre portant les trois signatures est conserve dans les
archives de lÕinstitution.107 En 1914, le peintre tait absorb par Visin de Espaa.
Plus tard, son tat de sant ne lui permit pas de se rendre lÕAcadmie pour
prononcer son discours dÕinvestiture de sorte que, en 1924, lÕinstitution madrilne
organisa une session extraordinaire au cours de laquelle le peintre Marceliano
Santa Mara fit une lecture publique de ce discours.108
Deux ans plus tard, le 25 janvier 1926, la prsentation officielle de Visin de
Espaa, New York, fut un non vnement, tant aux tats-Unis quÕen Espagne.
Dans cette ville, les courants artistiques sÕtaient renouvels depuis lÕArmory
Show, en 1913. Cette exposition internationale dÕart moderne fit connatre aux
tats-Unis Pablo Picasso, Georges Braque, Raoul Dufy, etc. En 1926, les avantgardes taient trs implantes New York, ainsi que le prouve lÕinauguration dÕun
Muse dÕart moderne, le MOMA, trois ans plus tard. Dans ce contexte, lÕÏuvre
monumentale de lÕEspagnol fut traite avec cynisme par la critique et quelques
artistes du moment. Le muraliste mexicain Jos Clemente Orozco (1883-1949)
dclarait aprs avoir contempl la frise des provinces : Ç Los murales de Sorolla:
106.
107
108.
Alexandre Cabanel 1823-1889 : la tradition du beau, Montpellier, Muse Fabre, 2010 et
Jean Lon Grme 1824-1904 : lÕhistoire en spectacle, Paris, Muse dÕOrsay, 2010.
Archives de lÕAcadmie Royale des Beaux Arts de San Fernando, dossier 5-146-6.
Homenaje a la Gloriosa Memoria del Excm. Don Joaqun Sorolla, Acadmico electo.
Discursos ledos en la Sesin Pblica el da 2 de febrero de 1924 Ð Real Academia de
San Fernando ÐMadrid, Mateu Artes Grficas, 1924.
III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939
178
ÁUn aburrimiento! Este hombre confunda la pintura con el cante jondo. ÁOl! Y
esto a diez metros de El Greco, Goya y Velzquez. È109 Orozco avait visit
lÕHispanic Society car il ralisait alors des dcors de grandes dimensions en
Californie, New York et dans le New Hampshire.110 Comme lui, les jeunes
Espagnols chercheront emprunter dÕautres voies que celles traces par Sorolla et
lÕouverture du muse ne russira pas, ni brve ni moyenne chance,
rconcilier ces artistes avec le vieux matre.
109.
110.
Jos de Orozco, El artista en Nueva York, Mxico, Ciudad de Mxico, 1971, page 40.
Ç Le dcor mural de Sorolla, un ennui ! Cet homme confondait la peinture avec le chant
populaire andalou. Ol ! Et cela dix mtres du Greco, de Goya et de Vlasquez. È
Edward Lucie-Smith, Arte latinoamericano del siglo XX, Londres, Destino, 1994, page
58.
III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939
179
III.3. UN HRITAGE ARTISTIQUE EN JEU
Le 11 juin 1932, lÕinauguration du Muse Sorolla marque une tape majeure
dans lÕhistoire de la rception du peintre car des personnalits de tous bords se
trouvent runies par le seul souvenir dÕun homme quÕelles avaient toutes connu et
ctoy. La liste des personnes prsentes tmoigne elle seule de lÕtonnante
dualit de Sorolla qui est alors au moins aussi cher aux rpublicains quÕil lÕest aux
monarchistes. Toutefois, et contrairement des apparences trompeuses, le
souvenir de lÕartiste nÕest pas un objet de concorde, bien au contraire. Quatre ans
avant la Guerre Civile, cette inauguration est le thtre dÕun double affrontement :
idologique, entre deux familles politiques, mais aussi gographique, entre
Madrilnes et Valenciens.
Parmi les quelque trois cents personnes qui assistent lÕinauguration du
Muse Sorolla, il faut relever dÕemble lÕimportance du corps diplomatique
compos des ambassadeurs dÕAllemagne, dÕItalie, dÕAutriche et des tats-Unis
ainsi que des membres des gouvernements de Saint Domingue, du Panama,
dÕUruguay et de Tchcoslovaquie.111 Cette reprsentation trangre relve
probablement moins du rayonnement du peintre dans ces pays lointains que de la
volont des autorits rpublicaines de donner du relief cet vnement. Parmi les
personnalits espagnoles figurent le Òtout MadridÓ cÕest--dire les crivains
Miguel de Unamuno et Adolfo Posada (1860-1944), lÕarchitecte du Madrid de la
Seconde Rpublique Secundino Zuazo (1887-1971), les docteurs Gregorio
Maran et Gonzalo Rodrguez Lafora (1886-1971), le naturaliste Ignacio Bolvar
(1850-1944), le dessinateur Manuel Tovar ainsi que de nombreux artistes tels que
les peintres Anselmo Miguel Nieto (1881-1964), Timoteo Prez Rubio (18961977), Cecilio Pl, Juan Rivelles (1896-inc.), Toms Murillo (1890-1934), les
sculpteurs Jos Capuz, Mariano Benlliure, Juan Adsuara (1893-1973) et beaucoup
dÕautres.112
Le projet musal avait t men sous la Dictature et le dossier avait t trait
par son administration mais, par les alas de lÕhistoire, les autorits rpublicaines
sÕapprtent alors en reccueillir le bnfice. LÕouverture dÕun tel muse est une
111.
112.
Anonyme, ÒInauguracin del Museo SorollaÓ, La Voz, Madrid, 11/06/1932.
Alfonso, ÒInauguracin del Museo SorollaÓ, Luz, Madrid, 11/06/1932.
III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939
180
premire en Espagne. Il existe, ailleurs, des maison-ateliers reconverties aprs la
mort de leur propritaire en muse ouvert au public. Les plus clbres sont les
muses Gustave-Moreau et Auguste-Rodin de Paris, qui ont servi de modles aux
suivants. Dans la premire moiti du XXme sicle, ce principe musal est la
mode car il offre une approche plus complte et surtout plus intimiste de lÕartiste
que les traditionnelles pinacothques qui prsentent dans leurs salles froides et
vides dÕinterminables enfilades de tableaux. En plus de lÕatelier et de ses Ïuvres,
le visiteur peut dcouvrir les objets de lÕartiste, ses collections, son mobilier, sa
bibliothque, la dcoration intrieure des pices dÕhabitation, le cas chant des
manuscrits, etc. Tout cela est conserv dans son ÒambianceÓ de lÕpoque, tel
point que pntrer dans un de ces lieux revient faire un bond dans le temps. En
Espagne, aucun atelier dÕartiste nÕest ainsi protg et valoris avant celui de
Sorolla. Par exemple, un peintre valencien de la gnration antrieure, Antonio
Muoz Degrain, vendit son atelier et donna ses tableaux aux muses de Valence
et de Malaga avant de sÕtablir dans un appartement de la rue San Lorenzo,
Madrid. Le sort rserv aux ateliers ne diffre pas de celui des lieux dÕhabitation.
Ils sont tantt vendus ou cds, tantt occups par les descendants. Les biens
mobiliers sont gnralement disperss aprs la mort de lÕartiste. La donation de la
veuve Sorolla est donc, dÕune certaine manire, en avance sur son temps. Elle fait
merger lÕide que ces ateliers ne peuvent pas tre traits comme de simples
proprits prives car ils constituent, en quelque sorte, des morceaux du
patrimoine collectif. Dans son sillage, deux autres donations lui emboteront le
pas, le Muse Rusiol de Sitges et le Muse Romero de Torres de Cordoue si bien
que la jeune Rpublique sÕennorgueillira de recevoir, dÕun coup et sans effort, un
muse national et deux muses municipaux.113
Le jour de lÕinauguration du Muse Sorolla, cÕest donc le chef du
gouvernement rpublicain, Manuel Azaa Daz (1880-1940), qui occupe le centre
de la table au milieu dÕune foule compose, en majorit, de ses adversaires
politiques. Une photographie panoramique publie dans lÕdition de Blanco y
Negro du lendemain montre le chef du gouvernement assistant au discours
dÕAmalio Gimeno.114 Le regard perdu quelque part en direction des grands
113.
114.
Anonyme, ÒNuevos museos de la Repblica : Sorolla en Madrid ; Rusiol en Sitges ;
Romero en CrdobaÓ, Nuevo Mundo, Madrid, 1/01/1932.
Figure n¡8. Madrid. Inauguration du Muse Sorolla (1932).
III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939
181
tableaux accrochs en hauteur sur les murs de lÕatelier, le leader rpublicain
coute dÕune oreille cet expos quÕil qualifiera, dans ses mmoires, dÕassomant.115
Autour de lui, dÕautres monarchistes coutent ce mme discours, comme Benigno
de la Vega-Incln, Jos Joaqun Herrero (1858-1945), Elas Tormo (1869-1957),
le marquis de Lozoya (1893-1978), Federico Garca Sanchs etc.116 Ces hommes
faisaient partie du dernier entourage du peintre. La maison Sorolla avait vu passer
entre ses murs le gratin de lÕpoque, des vedettes de la scne madrilne telles que
Raquel Meller, Catalina Barcena (1896-1978) et Mara Guerrero, jusquÕ
lÕaristocratie et le roi en personne.117 LÕcrivain Francisco Umbral le rappelera,
sur un ton goguenard, dans un article dÕEl Pas dat de 1986 : Ç El Museo Sorolla
es como un chalet pretencioso de maestro de obras de derechas. Hoy parece
inslito decirlo, pero fue el Ceesep de su tiempo. È118 cÕest--dire Ç Le Muse
Sorolla est une sorte de villa prtencieuse dÕun matre dÕÏuvres de droite. Cela
semble incroyable de lÕaffirmer aujourdÕhui, mais il fut le CSP de son poque. È
CSP ou Carlos Snchez Prez (1958) est un peintre Ò la modeÓ dans les annes
quatre-vingt. La prsence des monarchistes cette inauguration dmontre que, si
les rpublicains en avait recueilli le fruit, le Muse Sorolla est bel et bien un projet
port par les autorits de la dictature. Il faut imaginer quÕen lieu et place de
Manuel Azaa, le roi Alphonse XIII en personne aurait probablement prsid cet
hommage dans une maison quÕil avait frquente une autre poque.
Parmi les figures politiques des partis de gauche, il faut aussi noter la
prsence du ministre de lÕInstruction Publique, Fernando de los Ros (1879-1949),
du dput Gerardo Carreres Bayarri (1885-1936), du maire rpublicain de Madrid
Pedro Rico (1888-1957), de la dpute socialiste Margarita Nelken (1894-1968),
ou encore du reprsentant du maire de Valence, Enrique Durn y Tortajada. Dans
son article ÒUna fiesta de toleranciaÓ, Gregorio Maran (1887-1960), un homme
du centre, voit dans cette assemble de rpublicains et de monarchistes un
symbole de ÒfraternitÓ : Ç Ayer sin embargo, muchas gentes de banderas
encontradas vivieron juntas unos instantes de tolerancia y de fraternidad.
Hablaron los antiguos y los modernos, con intencin unsona. Se habl del pasado
115.
116.
117.
118.
Manuel Azaa, Memorias polticas y de Guerra, Madrid, Giner, 1990, tome IV, pages
400-401.
Anonyme, ÒInauguracin del Museo SorollaÓ, La poca, Madrid, 11/06/1932.
Jordane Fauvey, Joaqun Sorolla pintor del Rey Alfonso XIII, Besanon, PUFC, 2009,
pages 95-97.
Francisco Umbral, ÒSorollaÓ, El Pas, Madrid, 18/01/1986.
III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939
182
sin rencor y del presente sin ira. È119 Cependant, la crmonie nÕest pas aussi
apaise que ce passage le laisse entendre. Les textes des discours, dont des
passages seront cits plus avant, le dmontrent sans ambigit. Par ailleurs, le
journal personnel de Manuel Azaa donne entendre tout fait le contraire de ce
quÕaffirme le docteur Maran. Ce texte est dat par son auteur du 9 juin 1932
bien que les faits rapports datent, en ralit, du 11 :
Se ha inaugurado la casa de Sorolla, que es un museo de cuadros de este pintor,
instalado en la casa que construy en el paseo que no s ahora cmo se llama.
Bastante gente, mucha de ella del otro bando. Yo presid la ceremonia. El perdurable
don Amalio Gimeno ley un discurso pesado. Otros seores leyeron otros discursos
tambin pesados. Y el increble Garca Sanchz, alias ÒBorregueroÓ (que as le
llamaban cuando vino de Valencia con el pelo de la dehesa a hacer fortuna), recit
una de esas tiradas de prosa en delirio que l llama charlas. [É] Ha dicho, entre otras
cosas, que la ÒGuardia Civil es la columna vertebral de la PatriaÓ. En el ABC se
derriten por Sanchz. Le conoc en el Ateneo hace treinta aos. Entonces era muy
amigo de Juan Pujol : los llamaban Rinconete y Cortadillo.120
Ce passage mrite dÕtre comment en dtail. Tout dÕabord, celui qui est
alors chef du gouvernement traite le peintre avec une certaine distance comme
pour sÕen tenir lÕcart. LÕassimile-t-il, lui aussi, cet Òautre campÓ dont il est
question dans le texte, cÕest--dire la droite monarchiste ? Cela est possible car il
faut se souvenir que, un an seulement auparavant, Alcal Zamora avait mentionn
les liens dÕamiti qui unissaient le peintre Alphonse XIII, alors quÕon se
souvient que Vicente Blasco Ibez nÕavait jamais admis cette ide. Or, mme si
119.
120.
Gregorio Maran, ÒCon motivo de la entrega del Museo Sorolla al Estado. Una fiesta de
toleranciaÓ, El Sol, Madrid, 14/06/1932. Ç Hier pourtant, beaucoup de gens appartenant
des factions opposes ont partag ensemble quelques instants de tolrance et de fraternit.
Les anciens et les modernes ont parl, avec les mmes intentions. On voqua le pass sans
rancÏur et le prsent sans animosit. È
Manuel Azaa, Memorias polticas y de Guerra, Madrid, Giner, 1990, tome IV, pages
400-401. Ç On a inaugur la maison de Sorolla, qui est un muse de tableaux de ce
peintre, install dans la maison quÕil a fait construire sur lÕavenue dont je ne sais plus le
nom cet instant. Pas mal de gens, beaucoup de lÕautre camp. Moi jÕai prsid la
crmonie. LÕinfatigable Amalio Gimeno a lu un discours assommant. DÕautres messieurs
ont lu dÕautres discours pas moins assommants. Et lÕincroyable Garca Sanchs, alias
Ògardien de moutonsÓ (cÕest ainsi quÕon lÕappelait quand il arriva de Valence, avec ses
sabots tout crotts, pour chercher fortune), rcita une de ses tirades de prose dlirante
quÕil appelle conversations. [É] Il a dit, entre autres choses, que la ÒGarde Civile est la
colonne vertbrale de la PatrieÓ. Ë la rdaction dÕABC, on a dÕyeux que pour Sanchs. Je
lÕai connu lÕAteneo il y a trente ans. Il tait alors trs ami de Pujol : on les appelait
Rinconete et Cortadillo. È
III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939
183
lÕattachement de Sorolla la monarchie espagnole est connu de tout le monde, et
bien sr dÕAzaa, le sujet demeure encore tout un tabou Valence. Dans les
colonnes dÕEl Pueblo, un journaliste opte pour une formule suffisamment
ambigu pour que chacun y trouve son compte : Ç Pensara Sorolla como pensase,
era un hombre nuestro. È121 cÕest--dire Ç Peu importe ce que pensait Sorolla, il
tait lÕun des ntres. È Dans le texte dÕAzaa, il est aussi question du changement
de nom de la rue du muse. En effet, le peintre avait fait lÕacquisition de deux
terrains attenants situs Paseo del Obelisco.122 En 1914, la rue avait reu le nom
du gnral Martnez Campos, dont le pronunciamiento du 29 septembre 1874
avait permis la Restauration de la monarchie. Mais en juin 1931, juste avant
lÕinauguration du muse, la mairie de Madrid efface le nom du gnral putschiste.
Il est remplac par celui de lÕintellectuel libre penseur Francisco Giner de los Ros
car lÕInstitution Libre dÕEnseignement tait situe au numro 14, et le muse au
37. Depuis les colonnes dÕEl Liberal, Roberto Castrovido, qui est cette poque
dput de Madrid, salue la modification et demande aux diles de poursuivre leur
action en changeant le nom de la Plaza vieja de Chamber en Plaza del pintor
Sorolla.123 Mais la proposition nÕest pas entendue et les alas de lÕhistoire font que
le vÏu formul par le rpublicain sera exauc sous le franquisme, le 9 mars
1944.124 Par la mme occasion, la rue Francisco Giner de los Ros retrouvera son
ancienne plaque, quÕelle continue arborer aujourdÕhui. Cette anecdote prouve,
au moins, que si les conservateurs ne disputent pas lÕhritage de Giner la gauche
rpublicaine, et que celle-ci ne dispute pas la droite monarchiste les valeurs de
lÕpope de Martnez Campos, il nÕen va pas de mme pour Sorolla et son Ïuvre
puisquÕils servent, au gr de lÕalternance politique, toutes les causes.
Enfin, dans le texte dÕAzaa, il est surtout question dÕun homme, le
comdien, pote et romancier n Valence, Federico Garca Sanchs. Dans le
texte, le nom comporte une faute dÕorthographe, ÒSanchzÓ, qui pourrait tre
intentionnelle et faire allusion un accent madrilne forc. Cette pique entrerait
en cohsion avec le portrait caustique de Sanchs, quÕAzaa nous prsente comme
un provincial venu chercher fortune Madrid. Il affirme lÕavoir connu trente ans
121.
122.
123.
124.
Arturo Mori, ÒSorollaÓ, El Pueblo, Valence, 16/06/1932.
La casa de Sorolla. Dibujos, page 10.
Roberto Castrovido, ÒEl Museo SorollaÓ, El Liberal, Madrid, 12/06/1931.
Anonyme, ÒMs de un milln de pesetas para ampliar el alumbrado elctrico pblicoÓ,
Arriba, Madrid, 10/03/1944.
III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939
184
auparavant lÕAteneo de Madrid, une institution cre en 1835 qui fut, jusquÕ la
guerre civile, un lieu dÕchanges et de dbats politiques, scientifiques, littraires et
artistiques. Azaa en fut le secrtaire de 1913 1920, lÕpoque o Sanchs le
frquentait. Au sujet de ce Valencien touche--tout, il faut rappeler que, quelques
annes plus tt, il avait pris de court la presse en annonant la cration du Muse
Sorolla et il avait ensuite publi plusieurs articles sur le peintre quÕil ctoya la
fin de sa vie. En 1926, lÕanne de la prsentation de Visin de Espaa, il signa un
article fortement empreint de nationalisme intitul ÒEl pintor Sorolla y el
comandante FrancoÓ.125 Il y associait lÕvnement new-yorkais lÕexploit ralis
par le frre an du futur caudillo, Ramn Franco (1896-1938) qui, le 22 janvier,
avait t le premier aviateur espagnol franchir lÕocan Atlantique, de Palos de la
Frontera Buenos Aires, bord dÕun hydravion baptis ÒPlus UltraÓ, la devise de
Charles Quint. Pour le journaliste, les deux vnements apparemment sans lien
relevaient dÕun mme lan de ÒpatriotismeÓ car ils glorifiaient tous deux, et leur
manire, le nom de lÕEspagne. Azaa accuse le journal ABC de nÕavoir dÕyeux
que pour Sanchs probablement parce que dans lÕdition du 12 juin 1932, son
discours est jug admirable : Ç Federico Garca Sanchiz, el conde de Gimeno y las
dems personalidades que ayer hicieron uso de la palabra en el acto de la
inauguracin oficial del Museo, ensalzaron de manera admirable las grandes
cualidades del artista insigne que dej este esplndido legado a la nacin. È126
Dans le discours quÕil prononce le jour de lÕinauguration du muse, Sanchs
sÕen prend avec virulence la politique visant concder une autonomie aux
rgions qui le souhaiteraient. En effet, pour redfinir le rle et les comptences de
lÕtat et des rgions, le gouvernement est prt accorder une certaine autonomie
la Catalogne ainsi que le prvoit le Pacte de Saint-Sbastien. Avant lÕavnement
de la Rpublique, les responsables des partis rpublicains sÕtaient runis dans la
ville basque, le 17 aot 1930, dans le double but de former un Comit
Rvolutionnaire et de dfinir les grands chantiers de la Rpublique. Parmi les
sujets dbattus, figurait la question de la dcentralisation des pouvoirs. Le 9
125.
126.
Federico Garca Sanchz, ÒEl pintor Sorolla y el comandante FrancoÓ, Informaciones,
Madrid, 11/02/1926.
Anonyme, ÒInauguracin oficial de la Casa Museo SorollaÓ, ABC, Madrid, 12/06/1932.
Ç Federico Garca Sanchs, le comte Amalio Gimeno et autres personnalits qui ont fait
hier usage de la parole au cours de la crmonie officielle dÕinauguration du Muse,
lourent de faon admirable les grandes qualits de lÕillustre artiste qui laissa ce splendide
hritage la nation. È
III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939
185
septembre 1932, les Corts concdent un statut particulier la Catalogne mais,
bien avant ce vote, les conservateurs dnoncent dj une atteinte lÕunit
nationale. CÕest ce thme que Sanchs dveloppe travers des images tires du
plus grand panneau du dcor de lÕHispanic Society, Castilla. La Fiesta del pan.
Comme lÕEspagne, la frise des provinces est une Ïuvre part entire qui nÕa de
sens que dans lÕindivisibilit de ses quatorze panneaux, remarque Sanchs. Il loue
lÕÒespagnolismeÓ de lÕensemble, une notion en vogue dans lÕEspagne des annes
trente
quÕil
faut
comprendre
comme
le
contraire
de
ÒsparatismeÓ.
LÕÒespagnolismeÓ doit sÕentendre comme un patriotisme fond sur le souci de
maintenir une cohsion politique, territoriale, conomique, etc. Il poursuit en
expliquant que le pays doit son unit aux Rois Catholiques, avant dÕajouter que
sans le Compromis de Caspe (1412) et le rle jou par Saint Vincent Ferrer
(1350-1419), celle-ci nÕaurait pas t possible. Le Compromis de Caspe avait
permis Ferdinand de Castille, avec le soutien du dominicain de Valence,
dÕaccder la Couronne dÕAragon et dÕunir ainsi les deux royaumes qui
formeront ensemble lÕEspagne. Par un raccourci historique, Sanchs estime que le
pays doit donc son unit un Valencien, ce qui explique quÕun autre Valencien,
Sorolla, lÕexalte son tour dans ses tableaux. Il poursuit sa dmonstration par une
mtaphore. Selon lui, le fruit valencien par excellence, lÕorange, symbolise lÕunit
nationale car chacun de ses quartiers, spars les uns des autres, sont
hermtiquement maintenus ensemble sous la peau, comme les rgions lÕintrieur
des frontires. Dans un discours postrieur il compltera cette image en signalant
que lÕorange est un mlange de jaune et de rouge, les couleurs du drapeau
national.127 Il identifie ensuite dÕautres symboles nationaux dans la composition
du panneau Castilla. La Fiesta del pan. Il fait lÕloge des drapeaux, des
monuments et du pain qui, selon lÕorateur, accommode et rassemble sur la table
tous les aliments produits dans la pninsule. Il fait enfin mention de la Garde
Civile quÕil considre comme la Òcolonne vertbrale de la PatrieÓ, ce quÕAzaa
tiendra sans doute pour du ÒdlireÓ, car la Garde Civile avait t lÕun des piliers
de la monarchie.
Douze ans plus tard, Sanchs livrera lui aussi son souvenir de cette
inauguration et son rapport glacial avec Azaa :
127.
Federico Garca Sanchs, ÒSorolla en el PradoÓ, ABC, Madrid, 26/02/1944.
III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939
186
Nos conocamos de antiguo del Ateneo. Saludmonos al entrar, pero como en mi
discurso, glosando la composicin titulada La fiesta del pan en Castilla, que se
conserva en la Hispanic Society of America, arremetiese contra la poltica separatista
del Gobierno, su Jefe y yo no nos despedimos a la salida, o mejor dicho, nos
despedimos para siempre.128
Les discours prononcs sont publis ensemble quelques jours plus tard, dans
un fascicule intitul La Casa de Sorolla.129 En annexes, huit tableaux du muse
sont reproduits en noir et blanc dont la moiti sont des tudes prparatoires au
dcor de lÕHispanic Society : Tipos regionales castellanos, Tipos regionales del
Valle de Ans, Tipos regionales del Roncal, Tipos aragoneses.130 Ë cela, il faut
ajouter une imposante reproduction du panneau Castilla. La fiesta del pan sur une
page qui se dplie en quatre volets. Tout cela vient illustrer le discours de
Federico Garca Sanchs. Les images quÕil a voques et commentes sont
aussitt reprises et propages par la presse conservatrice. Dans un article de La
Voz de Valencia, un journaliste tente lui aussi de dmontrer comment Visin de
Espaa incarne lÕide dÕunit nationale. Il oppose le patriotisme de Sorolla
lÕgosme des Catalans :
ÁSublime ejemplo! Ese rasgo de los familiares de Sorolla, al dejar a Espaa la casa
solariega en la que el maestro pas sus mejores aos y en la que volc sus
entusiasmos de artista y en la que reconcentr todo el buen gusto de elegido y en la
que fue dejando ao tras ao huellas de genio creador son una prueba de su
espaolismo inculcado devotamente a sus hijos [É] y que denotan su gran amor a la
patria grande, a la que representa la hermandad de todas las regiones hispanas
unidas en estrecho abrazo y sin la mezquina idea que subyuga a los infelices
catalanes de nuevo cuo.131
128.
129.
130.
131.
Federico Garca Sanchz, ÒSorolla en el PradoÓ, ABC, Madrid, 26/02/1944. Ç Nous nous
connaissions de longue date, de lÕAteneo. Nous nous sommes salus lÕentre, mais
comme dans mon discours, en glosant sur la composition intitule La fiesta del pan en
Castilla, qui est conserve lÕHispanic Society of America, je mÕen suis pris la
politique sparatiste du Gouvernement, son Chef et moi nous nous sommes spars sans
nous saluer la sortie, ou plutt, nous nous sommes spars pour toujours. È
La Casa de Sorolla, Madrid, Patronato del Museo Sorolla, 1932.
Au Muse Sorolla de Madrid : Tipos regionales castellanos, 203x156, 1912. Tipos
regionales del Valle de Ans, 206x150Õ5, 1912. Tipos regionales del Roncal, 200x150,
1912 et Tipos aragoneses, 209x143, 1912.
Emilio Juan Favieres, ÒSorolla. El maravillosoÓ, La Voz Valenciana, Valence,
22/06/1932. Ç Sublime exemple ! Ce geste des membres de la famille Sorolla, qui
cdrent lÕEspagne la noble maison dans laquelle le peintre passa les meilleurs annes
III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939
187
Il prtend que les enfants de Sorolla ont accru le bien commun alors que, au
contraire, Ç les Catalans È sont justement en train de le sacrifier. Ë la fin de ce
passage, lÕauteur sÕen prend lÕÒhistoire communeÓ des Catalans, un argument du
catalanisme politique, en les taxant de ÒnaturalissÓ pour signifier la superficialit
de leur revendication. La filiation se trouve au cÏur de ce passage car, en
renonant une partie importante de leurs hritages respectifs, au profit de lÕtat,
Mara, Joaqun et Elena viennent de faire un ÒsacrificeÓ matriel qui revt dans ce
contexte une signification nationale. La famille est perue ici la fois comme le
creuset de valeurs telles que lÕentente, le respect, lÕabngation, dans une vision
toute catholique, mais aussi comme la Ògrande familleÓ cÕest--dire la patrie, dont
la cohsion repose sur les mmes valeurs. Pour bien le comprendre, il faut
rappeler que lÕÏuvre de Sorolla reflte une certaine Òcohsion familialeÓ car
lÕartiste a peint en quantit des scnes de foyer aussi intimistes que Madre, Mi
mujer y mis hijos, Clotilde con los hijos, Da de Reyes et beaucoup dÕautres.132 Par
ailleurs, il peignait galement des portraits individuels de ses enfants et de son
pouse. Ces modles furent particulirement importants dans son processus de
cration car, en toute libert, il se Òfaisait la mainÓ et se livrait des
exprimentations dont il transfrait ensuite lÕapport vers ses commandes. Ce fut le
cas, entre autres, du portrait de jardin quÕil mit au point dÕabord avec ses proches
avant de le proposer ensuite ses clients. Le portrait du designer amricain Louis
Comfort Tiffany, sur un fond de fleurs qui rappelle ses vitraux art nouveau, en est
un exemple.133 Naturellement, la plupart des tableaux familiaux nÕavait pas t
vendue et une grande partie dÕentre-eux figure dans la donation de la veuve cÕest-dire dans les collections initiales du Muse Sorolla. Pour cette raison ils sont
dcouverts tardivement et donc abondament coments en 1932.
Dans ce contexte brlant, le fils du peintre, qui est galement le premier
directeur du Muse Sorolla, accorde un entretien Jos Montero Alonso (1904-
132.
133.
de sa vie et dans laquelle il versa son enthousiasme dÕartiste et dans laquelle il concentra
tout le bon got, et dans laquelle il laissa, anne aprs anne, des traces de son gnie
crateur, autant de preuves de son espagnolisme inculqu dvotement ses enfants [É] et
qui attestent de son grand amour pour la grande patrie, reprsente par la fraternit de
toutes les rgions hispaniques unies main dans la main et sans lÕide misrable qui
aveugle les satans Catalans de la nouvelle espce. È
Au Muse Sorolla de Madrid : Madre, 125x169, 1895. Mi mujer y mis hijos, 160x150,
1897-1898 et Clotilde con los hijos, da de Reyes, 36Õ5x53, 1900.
Retrato de Louis Comfort Tiffany, 150Õ5x225Õ5, New York, HSA, 1911.
III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939
188
2000), le directeur du journal conservateur La Hoja del Lunes.134 Au cours de sa
visite, une toffe accroche dans un des ateliers attire son attention. Il sÕagit de la
ÒsenyeraÓ, cÕest--dire le drapeau burel de la Couronne dÕAragon que le peintre
avait immortalis dans le panneau Valencia. Las grupas. Il lÕavait ensuite
conserv comme un souvenir de son sjour de 1916. Embarrass, le fils affirme
que son pre nÕtait pas sparatiste, mais quÕil avait toujours eu une affection
profonde et sincre pour sa terre natale. En remontant le fil de la presse on
retrouve en 1924 ce tmoignage du Valencien Benedito qui confiait alors au
journal El Mercantil Valenciano: Ç El da que esa bandera entr en esta casa,
organiz don Joaqun, en petit comit, como de corazn a corazn, una fiesta
ntima, de exaltacin de valencianismo, todo emocin y sentimiento. È135 Ce
genre dÕanecdote sera absolument prohib sous le franquisme, en particulier chez
celui qui deviendra un des portraitistes du dictateur. Quelques jours aprs la visite
de La Hoja del Lunes, un journaliste de la revue Hogar considre que
lÕarchitecture et la dcoration intrieure de la maison revtent un Òprofond
caractre nationalÓ : Ç Aqu habla Espaa con su recio acento histrico. Esta
valiosa coleccin de cuadros, de tipos regionales, no puede ser ms elocuente en
estos momentos polticos. È136
En novembre, le souvenir de Sorolla est raviv par le trs conservateur
Salon dÕAutomne de Madrid. Alors que quelques tableaux du matre sont exposs
dans une des salles de lÕexposition, son organisateur, Manuel Abril (1884-1943),
essuie les attaques du critique çngel Vegue y Goldoni (inc.-inc.) qui lui reproche
de nÕexposer que des peintres de droite.137 Selon lui, la slection admise reflte le
conformisme du salon et dcourage les tentatives de rupture artistique. Dans sa
rponse, Abril indique tout dÕabord que les salles consacres Sorolla et au
sculpteur Benlliure ne constituent pas toute lÕexposition. Puis il revendique
lÕorientation conservatrice de lÕassociation quÕil prside, en signalant que cÕest l
134.
135.
136.
137.
Jos Montero Alonso, ÒEl glorioso pintor visto a travs de su hijoÓ, El Eco de Santiago,
Saint Jacques de Compostelle, 21/06/1932 et Anonyme, ÒJos Montero Alonso,
periodistaÓ, El Pas, Madrid, 28/03/2000.
Jos Ballester y Gozalvo, ÒEn templo abandonadoÓ, El Mercantil Valenciano, Valence,
9/08/1924. Ç Le jour o ce drapeau entra dans cette maison, don Joaqun organisa, en
petit comit, auprs de ses fidles, une fte intime, dÕexaltation de valencianisme, qui ne
fut quÕmotion et sentiment. È
C. J., ÒEl hogar del pintor SorollaÓ, Hogar, Madrid, 30/06/1932. Ç LÕEspagne parle ici
avec son pre accent historique. Cette prcieuse collection de tableaux, de types
rgionaux, ne peut tre plus loquente en ces temps politiques. È
çngel Vegue y Goldoni, Òtitre inconnuÓ, La Voz, Madrid, 1/11/1932.
III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939
189
une de ses obligations, au nom de la dfense de lÕart.138 Sous le franquisme, le
Salon dÕAutomne nÕexposera plus que des peintres consacrs.
Comme il a t indiqu, les discours prononcs le jour de lÕinauguration du
Muse Sorolla sont publis le 24 juin 1932 dans un fascicule dit par le comit
de direction du muse. Tous les discours y figurent, except celui du reprsentant
du maire de Valence, Enrique Durn y Tortajada. Il avait annonc ce jour-l que
la ville tait en train dÕdifier un monument sur la plage de La Malvarrosa. Le
texte fut cart par le comit de direction, la tte duquel se trouvait le fils du
peintre, peut-tre parce que, dans son allocution, Tortajada avait prcis que
lÕinauguration du monument attendrait le rapatriement de la dpouille de Vicente
Blasco Ibez, mort quatre ans plus tt Menton, et que les deux vnements
donneraient lieu une manifestation conjointe. En organisant cet hommage, le
Parti de lÕUnion Rpublicaine Autonomiste, dirig alors par son plus jeune fils,
Sigfrido Blasco-Ibez (1902-1983), entend rhabiliter la fois lÕhomme
politique et lÕcrivain en lÕassociant aux artistes de la grande poque valencienne,
Mariano Benlliure et Joaqun Sorolla. Cet vnement commmortaif contribuerait
forger une identit valencienne conforme lÕidal de ces rgionalistes de
gauche. En 1929, Sigfrido Blasco-Ibez avait rachet Flix Azzati le journal
fond par son pre, El Pueblo, qui faisait lui aussi partie du patrimoine culturel de
la ville. Le journal disparatra dix ans plus tard avec lÕarrive au pouvoir des
franquistes.
Le 11 aot 1933, le maire de Valence Vicente Alfaro Moreno organise une
crmonie au cimetire municipal pour le dixime anniversaire de la mort du
peintre et, le 31 dcembre, le monument tant attendu est inaugur sur le bord de
mer. En ce qui concerne cette construction, il faut prciser, tout dÕabord, que le
buste en marbre offert par Mariano Benlliure avait du tre fondu en bronze en
septembre 1932 car il serait tre expos ciel ouvert.139 Le monument dessin par
lÕarchitecte Francisco Mora Berenguer (1875-1961) comprend une esplanade
ferme lÕouest par un pristyle semi-circulaire compos de huit colonnes
doriques.140 Au centre, le bronze est plac sur un socle frapp du blason rouge et
jaune de la ville. Le buste fait face la Mditerranne, figeant ainsi pour lÕternit
138.
139.
140.
Manuel Abril, ÒEl Saln de OtooÓ, Luz, Madrid, 2/11/1932.
Jos Manaut Nogus, ÒBenlliureÓ, El Mercantil Valenciano, Valence, 2/08/1932
Figure n¡10. Monument Ç Valencia a Sorolla È (1933-1957).
III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939
190
la tension visuelle si fugace entre le regard du peintre et son motif. Pour les
pcheurs et les gens de la ville qui ont aperu un jour le peintre seul sur la plage,
immerg dans sa tche, le monument est dÕautant plus marquant et mouvant. Les
Valenciens avaient longtemps attendu un tel monument et il est dÕautant mieux
accueilli par la population quÕil compense une lacune et solde la ÒdetteÓ de la ville
envers son peintre, selon la formule rebattue par la presse locale.
AujourdÕhui, rien de tout cela ne subsiste car lÕhistoire donna raison aux
fonctionnaires aviss qui sÕtaient opposs cette construction. En effet, le
coteux mausole sera balay par les eaux lors de la crue du fleuve Turia de
lÕautomne 1957, qui cause aussi la perte de nombreux tableaux de Sorolla qui
dcoraient des rsidences prives comme celle du peintre Jos Benlliure, qui
possdait une importante collection personnelle.141 Durant six ans, le monument
la mmoire de Sorolla reste lÕtat de ruine. parpills sur la plage, les blocs de
pierre semblent driver dans une mer de sable. Ce spectacle dsolant constitue
durant tout ce temps une sorte de curiosit locale, photographie par les badauds.
Les autorits franquistes ne mettront aucun empressement organiser
lÕvacuation des vestiges, peut-tre parce que ces pierres et leur histoire
rappelaient le rgime rpublicain, comme on va le voir. En 1960, Levante
sÕindignera du sort rserv au monument alors que la ville sÕest releve de cette
preuve : Ç Tres aos han pasado de la catstrofe y Valencia est completamente
restaurada de sus terribles heridas, pero an queda abierta una que cada da se
ulcera ms y ms: ese monumento que, de no tomar una determinacin, acabar
por desaparecer falto de respeto y consideracin que se merece. È142 Ë lÕapproche
du centenaire de la naissance du peintre, en 1963, il sera finalement dmont et
partiellement rinstall un peu plus loin du rivage dans le quartier maritime o il
se trouve aujourdÕhui.143 La nouvelle sera annonce par Jornada, en aot 1962. Le
141.
142.
143.
Anonyme, ÒEl barro destroza lienzos de Benlliure, Sorolla y Pepino BenlliureÓ, Clima,
Valence, 26/10/1957.
Gnzalez Vidal, ÒContina sin restaurar el monumento a SorollaÓ, Levante, Valence,
12/07/1960 et Anonyme, ÒEl monumento a SorollaÓ, Levante, Valence, 17/12/1960.
Ç Trois annes se sont coules depuis la catastrophe et Valence est compltement remise
de ses terribles blessures, mais il en reste encore une qui chaque jour se gte de plus en
plus ; si personne ne prend une rsolution, ce monument finira par disparatre faute du
respect et de la considration quÕil mrite. È
Anonyme, ÒHa quedado instalado totalmente el monumento al pintor Sorolla. Ser
inaugurado el prximo mircolesÓ, Levante, Valence, 24/02/1963. Figure n¡16. Valence
commmore le 100e anniversaire de la naissance de Sorolla (1963).
III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939
191
journal saluera ce dnouement mais il estimera que le buste du peintre doit rester
face la mer, cote que cote.144
Pour comprendre la crmonie dÕinauguration du 31 dcembre 1933, il faut
rappeler que les rpublicains viennent de perdre les lections lgislatives du 19
novembre, remportes par la Confdration Espagnole des Droites Autonomes
(CEDA) le parti conservateur et catholique de Jos Mara Gil-Robles (18981980). Toutefois, si la CEDA gagne les lections, cÕest le Parti Rpublicain
Radical (PPR) dÕAlejandro Lerroux (1864-1949) qui va gouverner. Lerroux
prside un conseil des ministres largement compos de membres de son parti :
Diego Martnez Barrio (1883-1962) ministre de la Guerre, Juan Jos Rocha
Garca (1877-1938), ministre de la Marine, Antonio Lara Zrate (1881-1956),
ministre des Finances, Manuel Rico Avello (1886-1936), ministre de lÕIntrieur,
Rafael Guerra del Ro (1885-1955), ministre de lÕconomie, Jos Pareja Ybenes
(1888-1951), ministre de lÕInstruction Publique et des Beaux-Arts, Jos Estadella
Arn (1880-1951), ministre du Travail et Ricardo Samper Ibez (1881-1938),
ministre de lÕIndustrie et du Commerce. Dans ce contexte lÕinauguration prend un
sens politique particulier car elle donne lieu un rassemblement rpublicain
auquel prennent part le ministre de lÕIndustrie Ricardo Samper, ainsi que les
membres les plus minents de PURA, la branche valencienne du PRR, cÕest--dire
les dputs Sigfrido Blasco-Ibez, Pascual Martnez Sala (inc.-inc.), Vicente
Marco Miranda (1880-1946), çngel Puig (inc.-inc.), Joaqun Reig Piqu (18961989), etc. Ricardo Samper est n Valence et y a exerc les fonctions de
conseiller municipal de 1911 1920, avant dÕen devenir le maire de 1920 1923.
CÕest sans doute pour cela que le gouvernement le dlgue, au lieu dÕenvoyer,
comme il et t logique, le ministre de lÕInstruction Publique Jos Pareja
Ybenes.
Mme si la manifestation conjointe associant le peintre et lÕcrivain nÕa
finalement pas lieu, les discours font allusion aux deux personnages. Le directeur
de lÕcole des Beaux-Arts de San Carlos voque deux Òmes jumellesÓ : Ç sus
espritus eran tan fraternos que lo que el uno pintaba era lo que el otro
144.
Vicente Mauri, ÒÀTraslado del monumento a Sorolla? De ser cierto, no debe prosperarÓ,
Jornada, Valence, 18/08/1962.
III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939
192
escriba. È145 cÕest--dire Ç leurs esprits taient si fraternels que ce que lÕun
peignait lÕautre lÕcrivait. È Le reste des discours prononcs fait revivre les images
que les blasquistes ont jadis associes Sorolla comme le montre, par exemple, ce
passage lu par le directeur de lÕcole des Arts et Mtiers : Ç [É] siempre fue un
amigo de las clases necesitadas y, como hombre que haba luchado, realiz en sus
obras un verdadero canto al trabajo. È146 ce qui signifie Ç il fut toujours lÕami des
classes dfavorises et, en tant quÕhomme qui avait lutt, il ralisa dans ses
Ïuvres une vritable ode au travail. È ou cet autre passage extrait du discours du
conseiller municipal Durn y Tortajada :
Fue un ciudadano de la repblica del arte; hombre de humilde linaje, nunca tuvo la
petulancia del saber, sino que vivi entregado a su arte, sin pagarse de relumbrones ni
de apariencias. De su niez y de su juventud, en la que se curti para la lucha, sin ms
proteccin que la de don Antonio Garca, conserv un vivo sentimiento contra las
injusticias sociales.147
Comme par le pass, ces rpublicains modrs brossent le portrait inchang
dÕun Sorolla des dbuts, de son enfance sa formation acadmique en terminant
par son parours pique comme ÒsalonnierÓ. Ils ne disent rien, en revanche, du
portraitiste de la haute socit et de la Cour, ni du peintre qui fut, de trs loin, le
plus riche de tous et frquentait les stations balnaires de Saint-Sbastien, Zarauz
et Biarritz, comme si tout cela nÕavait jamais exist. Pourtant, les tableaux
accrochs aux murs du Muse Sorolla le disent assez. Car les jardins sont bien
ceux de lÕAlhambra, du Palais de La Granja de San Ildefonso, et de lÕAlcazar de
Sville, autant de rsidences royales o notre peintre avait t invit par le roi en
personne. Dans le jardin de la proprit, la plus belle pice est un antique la toge
dcouvert sur le site archologique de Cstulo Ð dans la province de Jan Ð qui est
un cadeau du marquis de Viana comme le prouve cette lettre : Ç Ah van dos
figuras bastante interesantes de las ruinas de Cstulo, que acaban de descubrirse.
En ningn lugar estarn mejor que en el precioso jardn de Vd. Recbalas de este
145.
146.
147.
Anonyme, ÒSe inaugur brillantemente el monumento a SorollaÓ, La Correspondencia de
Valencia, Valence, 1/01/1934.
Ibidem.
Ibidem. Ç Ce fut un citoyen de la rpublique de lÕart ; un homme issu dÕune famille
modeste, il nÕa jamais eu lÕoutrecuidance de celui qui sait, mais il vcu au contraire
absorb par son art, en ne versant ni dans le clinquant ni dans les apparences. De son
enfance et de sa jeunesse, endurci par les luttes et sans autre protection que celle de don
Antonio Garca, il avait conserv une vive rpugnance envers les injustices sociales. È
III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939
193
amigo que le abraza y le quiere. È148 Et lÕon pourrait continuer ainsi la liste de ces
symboles tangibles qui laissent entrevoir le Òpeintre courtisanÓ. En dpit de tout
cela, dix ans aprs la mort du peintre, le credo des rpublicains nÕa pas volu. Le
critique dÕart Antonio Mndez Casal (1884-1940) va mme jusquÕ affirmer :
Ç Joaqun Sorolla fue un temperamento genuinamente rebelde. Su rebelda noble,
sentida, jams hizo concesiones a la farsa exhibicionista. Sorolla fue como fue,
por impulso nativo, un revolucionario. È149 Une fois encore, le raccourci est
rapide. Tous les natifs de Valence ne sont pas des Ç rvolutionnaires È et Sorolla
nÕavait rien dÕun opposant la monarchie.
Comme une marque dÕaffirmation et de rsistance, tous les symboles
rgionaux sont de lÕinauguration du monument : le drapeau valencien, lÕhymne
rgional compos et crit en 1909 par Maximiliano Thous Orts (1875-1947) et
Jos Serrano Simen (1873-1941) et, dans les discours, le valencien alterne avec
lÕespagnol150. Le refrain de lÕhymne rgional fait cho lÕesprit de rsistance des
rpublicains : Ç Per ofrenar noves glries a Espanya, tots una veu, germans,
vingau È cÕest--dire : Ç Pour offrir lÕEspagne de nouvelles gloires, notre rgion
a su lutter. È Sorolla tait de ces ÒgloiresÓ et faisait bel et bien partie des figures
historiques revendiques par le parti comme siennes et admises comme
ambassadrices de sa pense. Le fils du peintre reprsente, sur place, le Muse
Sorolla. Sur une photographie de groupe prise par Vicente Barber Masip (18701935) et publie par le journal Las Provincias, il apparat aux cts du sculpteur
Mariano Benlliure.151
Ë Madrid, le Muse Sorolla est tardivement ouvert au public, seulement en
mars 1933, pour des raisons internes lies lÕapprobation de son budget et
lÕadoption dÕun rglement intrieur. Mais aprs trois ans dÕexploitation, il doit
148.
149.
150.
151.
MS. CS 7237, Lettre du marquis de Viana Sorolla date du 19/01/1916. Ç Voici deux
pices intressantes des ruines de Castulo qui viennent dÕtre dcouvertes. Il nÕy a pas de
meilleur endroit pour les accueillir que votre beau jardin. Recevez-les de cet ami qui vous
embrasse et vous estime. È
Antonio Mndez Casal, ÒJoaqun Sorolla por Mariano BenlliureÓ, ABC, Madrid,
11/04/1931. Ç Joaqun Sorolla avait un temprament rsolument rebelle. Sa rbellion
noble, mesure, ne fit jamais de concession la farce exhibitionniste. Sorolla a t ce
quÕil a t, par lÕinfluence de sa terre, un rvolutionnaire. È
Anonyme, ÒHomenaje a la memoria de SorollaÓ, El Pueblo, Valence, 11/08/1933.
Vicente Barber Masip (photographies), ÒInauguracin del monumento a SorollaÓ, Las
Provincias, Valence, 3/01/1934.
III. La cration du Muse Sorolla : 1924-1939
194
refermer ses portes cause de la guerre.152 Le 16 fvrier, une coalition de partis de
gauche, le Front Populaire, remporte les lections lgislatives. Alcal-Zamora
assume la prsidence jusquÕen mai avant dÕtre remplac par Manuel Azaa. Les
garnisons du Maroc se soulvent le 17 juillet et le mouvement sÕtend la
pninsule les 18 et 19 juillet. Nous ne disposons dÕaucun article de presse entre le
17 aot 1936 et le 9 mai 1939 et ce nÕest quÕaprs cette date que quelques
journalistes madrilnes sÕintressent au sort des collections du muse.153 Or, ds
juillet 1936, le gouvernement rpublicain sÕest dot dÕun Comit de Dfense du
Trsor Artistique prsid par le peintre Timoteo Prez Rubio. Quelques chefsdÕÏuvre du Muse du Prado sont mis lÕabri hors de Madrid, mais les collections
du Muse Sorolla ne sont pas concernes par ce plan. Son directeur rassemble
simplement les toiles au rez-de-chausse du btiment afin quÕelles soient moins
exposes aux tirs de mortier et aux bombardements ventuels. Joaqun Sorolla y
Garca vit encore dans cette maison puisque sa mre a veill lui laisser la
direction du muse et la jouissance des pices dÕhabitation. Sur ses fonds propres,
lÕhritier finance un coteux plan de sauvegarde du btiment.154 Il charge en effet
lÕarchitecte Jos Mara Aspiroz (inc.-inc.) de mettre en place une protection
autour du site qui se rvle trs efficace puisque les seuls dgts dplorer la fin
du conflit sont deux impacts de grenade dÕartillerie sur la faade. Enfin, durant la
prise de Madrid, les soldats de lÕarme franquiste assurent la protection des lieux
jusquÕ la fin des hostilits. En 1939, tous les biens sÕy trouvent inctacts.
Sous la Seconde Rpublique, plus que jamais auparavant, le souvenir du
peintre valencien prend une coloration politique dans un contexte marqu par de
violentes luttes entre les partis. JusquÕ la fin de la priode 1924-1939 et au gr de
lÕaternance au pouvoir, droite et gauche puisent dans la vie de Sorolla, et dans son
Ïuvre, les symboles de lÕune ou de lÕautre Espagne quÕils veulent voir triompher.
Le souvenir du peintre se situe donc prcisment sur cette fracture qui est sur le
point de dgnrer en guerre civile.
152.
153.
154.
Jos Guillot Carratala, ÒPor fin se abri al pblico el museo del insigne SorollaÓ, El
Adelantado, Salamanque, 16/03/1933.
J.F. Garca Lozano, ÒUn recuerdo al gran pintor valencianoÓ, El Luchador, Alicante,
17/08/1936.
Jos Flix Tapia, ÒCuadros del inmortal Sorolla, salvadosÓ, Informaciones, Madrid,
9/05/1939.
IV
SOROLLA ET LE RGIME FRANQUISTE
1939 - 1974
La victoire des troupes franquistes est suivie dÕune refonte totale de la
presse. Hormis quelques journaux conservateurs, tous les titres dÕavant-guerre
disparaissent. Ë Madrid, ABC parvient se maintenir dans une offre rduite
quelques titres dÕextrme droite : Arriba, Ya, El Alczar, Informaciones, Madrid
et Pueblo. Le seul journal dit Barcelone est La Vanguardia qui devient La
Vanguardia Espaola. Valence ne compte plus que Las Provincias, et deux
journaux phalangistes font leur apparition ses cts : Levante et Jornada.1 Cette
presse autorise par le pouvoir est, par ailleurs, soumise une censure pralable
jusquÕ la promulgation de loi de la presse de Manuel Fraga (1922-2012), en
1966. Sa suppression nÕest pas, pour autant, synonyme de libert dÕexpression
puisque les mmes mesures de rpression menacent toujours les rdactions qui
finissent par pratiquer lÕautocensure. Sous la dictature, non seulement Sorolla
nÕest pas menac par la censure, mais ses tableaux sont rgulirement exposs et
les journalistes ne manquent pas de couvrir ces vnements. Naturellement, dans
ce contexte, une perception nouvelle et quasiment uniforme de sa peinture, et
surtout conforme lÕidologie du rgime, va tre diffuse.
La premire exposition rtrospective de son Ïuvre est organise Valence,
en 1944, dans une Espagne o se conjuguent famine et ennui, selon une
expression de lÕhistorienne Andre Bachoud.2 Cette date marque le dbut du
Temps n¡2, 1944-1963, qui est la deuxime phase de haute intensit critique. Ë
partir des annes cinquante, la peinture radieuse du Valencien sert la propagande
du rgime en accompagnant lÕouverture du pays au tourisme. Des images tires de
ses tableaux ornent des affiches promotionnelles, des timbres, des billets de
banque, etc. Le dbut des annes soixante est un moment dÕexaltation de sa
1.
2.
Mara Cruz Seoane et Mara Dolores Saiz, Cuatro siglos de periodismo en Espaa. De los
avisos a los peridicos digitales, Madrid, Alianza, 2007, pages 253-256.
Andre Bachoud, Franco ou la russite dÕun homme ordinaire, Paris, Fayard, 1997, page
289.
IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974
196
peinture qui connat son apoge avec la double exposition commmorant le
centenaire de sa naissance, en 1963. La prsentation publique de cent trente-deux
tableaux dans les salles du Casn del Buen Retiro est lÕorigine dÕun changement
dans la reprsentation du peintre auprs des jeunes artistes. En effet, nombreux
sont ceux qui dcouvrent seulement son Ïuvre cette occasion. En visitant cette
exposition, quelques jeunes peintres portent mme un regard neuf, enfin librs de
prjugs anciens. Enfin, en 1974, le triptyque Sorolla como pretexto du duo
dÕartistes pop Rafael Solbes (1940-1981) et Manolo Valds (1942) connu sous le
nom dÕEquipo Crnica, est le premier hommage de lÕart contemporain au vieux
matre longtemps honni. Le triptyque met en lumire la modernit de sa peinture,
jusque-l taxe dÕacadmique et de ringarde, et dmontre Ð ce qui ne va pas de soi
Ð que la nouvelle vague est capable dÕintgrer son hritage artistique sans imiter
servilement sa technique.
IV.1. SOROLLA LÕARAGONAIS : LE PASS DU PEINTRE EN QUESTION
Avant dÕentrer dans cette priode dÕaprs-guerre, il est temps de faire un
point quant la vision dÕensemble de lÕÏuvre de Sorolla, dans lÕEspagne de 1939.
Certes, avant la guerre, la presse a publi des reproductions en telle ou telle
occasion mais quÕen est-il de la prsentation des toiles vritables ? Pour
comprendre cette priode, il faut se souvenir que jusquÕ la guerre civile le Muse
Sorolla est la seule exposition permanente suffisamment complte pour donner
une juste ide de lÕÏuvre de Sorolla. Or, cause des alas de lÕhistoire,
lÕinstitution est reste ouverte dans un laps de temps trop court et nÕest donc pas
encore connue du public. On se souvient galement que le peintre nÕavait jamais
expos dans son pays, si bien que les Espagnols ne peroivent pas encore les
contours de son Ïuvre. Aprs la guerre, les nouveaux matres du pays sont-ils srs
de bien la connatre ? De mme, que savent-ils du pass du peintre ? Voil des
questions qui se posent alors et qui ne seront pas lucides sans dlai. JusquÕ ce
que les choses se prcisent, Sorolla sera dÕabord cart des premiers projets
culturels de la dictature ainsi quÕon va le voir dans ce chapitre.
IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974
197
Hitler et Franco se sont rencontrs pour la premire fois Hendaye, le 23
octobre 1940. LÕanne suivante, lÕEspagne, qui est officiellement neutre et non
engage dans la Deuxime Guerre Mondiale, collabore militairement avec le
Reich en envoyant un contingeant de soldats volontaires sur le front russe, la
ÒDivisin AzulÓ. Alors que des Espagnols participent au sige de Lningrad,
lÕAllemagne nazie inaugure le 19 mars 1942 une importante exposition de
peinture espagnole contemporaine compose de deux cent dix-neuf tableaux. Le
projet fait partie dÕun programme dÕchanges culturels entre deux pays qui
cooprent sur le plan militaire. Cet vnement est prpar, en Espagne, par
lÕarchitecte Francisco Iiguez (1901-1982), commissaire gnral du patrimoine
artistique et, en Allemagne, par une hispaniste nomme Richte et par le gnral
Wilhelm Faupel (1870-1945). Sous le Reich, il dirige lÕInstitut ibro-amricain de
Berlin, une institution scientifique cre en 1930 et qui, entre ses mains, sert la
propagande du rgime. La slection espagnole prsente dans les murs de
lÕAcadmie des Beaux-Arts de Berlin exclut les peintres avant-gardistes tels que
Pablo Ruiz Picasso, Juan Gris, Joan Mir, etc., qui sont associs de facto au Parti
Communiste. Mais elle fait la part belle la peinture de plein air dÕAureliano de
Beruete, Eliseo Meifrn, Joaqun Mir, Antonio Muoz Degrain, Santiago Rusiol,
Daro de Regoyos et dÕautres peintres ns au XIXme sicle. Dans le quotidien
madrilne ABC, un journaliste relve lÕabsence de Sorolla, qui est dÕautant plus
criante que le choix de lÕtat sÕest port sur les peintres qui ont fait cole !3 Il ne
sait, ou ne peut, apporter de rponse convaincante expliquant cette absence et
pour claircir cette question, nous ne pouvons que formuler de simples
hypothses.
Vraisemblablement, aucun obstacle technique nÕempche lÕenvoi dÕun ou de
plusieurs tableaux, car mme si les statuts du Muse Sorolla interdisent les prts,
dÕautres institutions dÕtat possdent des tableaux qui auraient parfaitement pu
rejoindre la slection berlinoise. Bernardino de Pantorba en fera un inventaire en
1953.4 Le Muse dÕArt Moderne de Madrid conserve neuf portraits et deux grands
formats, ÁAn dicen que el pescado es caro! et La jura de la Consitucin por la
Reina Regente Doa Mara Cristina. Le muse de lÕAcadmie des Beaux-Arts de
3.
4.
Ernesto del Campo, ÒExposicin de arte espaol contemporneoÓ, ABC, Madrid,
20/03/1942.
Bernardino de Pantorba, La vida y la obra de Joaqun Sorolla. Estudio biogrfico y
crtico, Madrid, Mayfe, 1953, pages 165-171.
IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974
198
San Fernando possde deux sujets de mer, Jugando en el agua et Comiendo en la
barca. De plus, une trentaine de tableaux se trouve dissmine en province dans
les muses de Valence, Castelln, Murcie, Cordoue, Cadix, Bilbao, Saragosse,
Barcelone, Malaga et Tolde. Par consquent, lÕabsence de Sorolla, en
Allemagne, doit dpendre dÕautres motifs tels que, par exemple, lÕide que le
pouvoir franquiste se fait de son pass. Ë lÕvidence, les prcautions sont de mise
car les tableaux vont rejoindre le Reich et lÕEspagne ne peut pas risquer
dÕindisposer un partenaire aussi puissant. Il faut rappeler que, la fin de lÕanne
1941, les forces de lÕAxe sont leur apoge. LÕaviation japonaise vient dÕinfliger
de lourdes pertes la flotte amricaine du Pacifique Pearl Harbor, lÕAfrika
Korps contrle le Maroc, lÕAlgrie et la Tunisie et la Wehrmacht se trouve aux
portes de Moscou. Les ministres du caudillo sont-ils certains que le peintre ne fut
pas, jadis, un rpublicain ou un ÒvalencianisteÓ ? Quelques indices tendent
prouver que non car, sous la Seconde Rpublique, cÕest justement cette ide que le
PURA, le parti de Sigfrido Blasco-Ibez, sÕest attach diffuser en rapprochant,
par exemple, le peintre de lÕauteur de Flor de mayo.
Au dbut de la Guerre Civile, le gouvernement lgitime a fait dit,
Londres, un billet de banque de vingt-cinq pesetas lÕeffigie de Sorolla.5 Le recto
de ce billet prsente un portrait du peintre dans un ovale ct dÕune vue dÕun
monument emblmatique de Valence, la tour de Miguelete ou Micalet, la
dsignation locale du clocher de la Cathdrale Sainte Marie de Valence. Le recto
prsente une reproduction dÕun tableau peint sur la plage de La Malvarrosa,
reprsentant une scne de retour de pche. Pour comprendre la porte de ces
images valenciennes il faut rappeler que le gouvernement de Manuel Azaa sÕest
rfugi Valence le 7 novembre 1936. La ville devient alors la capitale de
lÕEspagne rpublicaine et un bastion de rsistance. Mais elle paie pour cela un
lourd tribut puisquÕelle est rgulirement bombarde par lÕaviation nationaliste
partir de 1937. Le gouvernement a donc utilis lÕimage du peintre sur un billet
charg de sens puisquÕil raffirmait la continuit et la lgitimit du gouvernement
rpublicain lu au suffrage universel.
Aprs la guerre, les franquistes peuvent avoir quelques raisons de
sÕinterroger sur le pass de Sorolla et ils prfrent peut-tre, dans un premier
5.
Figure n¡11. Billet de 25 pesetas Ç Pescadoras valencianas È (1936).
IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974
199
temps, ne pas lÕincorporer leur politique culturelle. CÕest au moins une
hypothse qui nÕest pas invraisemblable. Toutefois, si Sorolla est Òmis en
quarantaineÓ en 1942, il sera vite nouveau admis par le rgime. En effet, ds
novembre 1943, un de ses tableaux fait partie de la slection de peinture du XXme
sicle envoye Lisbonne aux cts de ceux de Julio Romero de Torres, Jos
Gutirrez Solana, Jos Moreno Carbonero (1860-1942), etc.6 Apparemment,
Sorolla est alors compatible avec la dictature dÕAntnio Salazar (1889-1970).
Mais avant ce dbut de Òretour en grceÓ, le peintre a-t-il d tre rhabilit ?
Durant les annes qui suivent la fin de la guerre civile, un document tonnant
prouve que, dans lÕEspagne franquiste, le pass de Sorolla est bel et bien en
question.
Ë lÕoccasion de la rouverture du Muse Sorolla, en novembre 1941, le fils
accorde un entretien au journaliste Emilio Fornet (1898-1985). Ce tmoignage est
largement diffus puisquÕil est plusieurs fois republi et abondamment cit dans
dÕautres articles. Au cours de cette rencontre, apparemment prpare et mme
rdige lÕavance, Joaqun Sorolla y Garca insiste particulirement sur les
origines aragonaises de son pre et fait allusion lÕanciennet de sa ligne : Ç Era
muy espaol. Oriundo de Aragn por sus padres, del casal aragons tena la
tenacidad, la agudeza, la elegancia, aquella que el rey Alfonso V expandiera en el
Npoles humanista [É] È7 et le journaliste prsente ainsi les objets, pour la
plupart valenciens, accrochs dans lÕatelier : Ç Colgado est el bello estudio de
Sorolla de banderas, de faroles, de trofeos; expresan su ardiente opulencia latina,
romana, a travs de su rica sangre aragonesa [É] È8 Latine, romaine, aragonaise,
tous ces adjectifs contournent soigneusement la ralit. Et par un Ògrand cartÓ
historique, le texte voque lÕancien royaume dÕAragon qui englobait, sous le
rgne dÕAlphonse le Magnanime (1396-1458), Valence, lÕAragon, la Catalogne
mais aussi la Corse, la Sardaigne, la Sicile, le Sud de lÕItalie et dÕautres
possessions. Or, dÕune part, notre peintre nÕa rien voir avec cette poque
6.
7.
8.
Marino Rico, ÒEl arte espaol en PortugalÓ, ABC, Madrid, 12/11/1943.
Emilio Fornet, ÒLa Casa-Museo de Joaqun SorollaÓ, Madrid, Madrid, 18/11/1941. Ç Il
tait trs espagnol. Originaire dÕAragon par ses parents. Du terroir aragonais il possdait
la tnacit, la finesse, lÕlgance, celle-l mme quÕAlphonse V rpandit dans la Naples
humaniste. È
Ibidem Ç Dans le bel atelier de Sorolla sont accrochs les drapeaux, les lustres, les
trophes ; ils expriment sa brillante opulence latine, romaine, travers son riche sang
aragonais. È
IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974
200
lointaine et, dÕautre part, chacun sait bien quÕil est Valencien et ses tableaux les
plus clbres le dmontrent assez. Mais, dans les premires annes de la dictature,
mme lÕvidence relve du tabou. En ralit, seul le pre de lÕartiste tait
aragonais, natif de Cantavieja, un village de la province de Teruel.9 Quant sa
mre, elle tait catalane, mais le fils prend soin de ne pas y faire mention. Dire
que son pre est dÕorigine aragonaise permet Joaqun de masquer la fois sa
propre origine valencienne et les origines catalanes de sa mre, donc dÕloigner
tout ventuel soupon de ÒsparatismeÓ.
Il faut rappeler, en plus de cela, que lÕAragon est la terre de Francisco de
Goya, un des peintres les plus emblmatiques de lÕcole espagnole. Le
rapprochement entre les deux peintres est dÕailleurs le sujet de la confrence
donne par le prsident de lÕassociation de la presse valencienne, en juin 1944.10
Ë lÕimage de Goya, Sorolla est peru comme un gnie isol et visionnaire. Et
comme tous deux ont fait cole, ils apparaissent comme des jalons de lÕhistoire de
la peinture nationale. Enfin, au moins durant quelques annes, la confusion
concernant les origines de Sorolla est relle. Ë tel point que le journal Artes y
Letras le prsente comme un Òillustre peintre svillanÓ probablement parce quÕun
monument son effigie se trouve dans cette ville.11 En tenant compte de tous ces
lments, on peut se demander si le directeur du Muse Sorolla prend dÕautres
prcautions durant cette priode. Par exemple, les archives familiales sont-elles
pures ? Si tel fut le cas, cela pourrait expliquer, entre autres, les inexplicables
lacunes dans la correspondance avec Vicente Blasco Ibez qui font si
cruellement dfaut pour une plus juste comprhension de leur relation. Le Muse
Vicente Blasco Ibez ne possde que quatre lettres signes du peintre, une
quantit insignifiante qui pourrait sÕexpliquer par les constants dplacements de
lÕcrivain et sa vie tumulteuse, faite de hauts et de bas. Le Muse Sorolla conserve
treize de ses lettres mais qui nÕvoquent que des sujets anodins, quasiment sans
intrt.12 Les collections du muse sont de trs bonne qualit, en particulier celle
qui contient les courriers reus par le couple Sorolla, mais manifestement, ici des
lettres manquent. Une source orale nous a confi que le fils aurait fait un tri parmi
9.
10.
11.
12.
Anonyme, ÒArte y artistas. Los maestros del arte: Joaqun SorollaÓ, El Correo Cataln,
Barcelona, 29/04/1943.
Anonyme, ÒSolemne clausura de la Exposicin de obras pictricas de Joaqun SorollaÓ,
Hoja del Lunes, Valence, 12/06/1944.
Anonyme, ÒNoticiario artsticoÓ, Artes y Letras, Madrid, 15/06/1944.
MS. X.1 / 67. Lettres de V. Blasco Ibez J. Sorolla.
IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974
201
les archives de son pre. Ë deux reprises, il aurait dtruit par le feu les documents
les plus gnants dans le jardin de la proprit.
LÕpoque rclame en effet de prendre quelques prcautions indispensables.
Joaqun Sorolla y Garca est alors doublement responsable de ces documents ;
dÕabord en tant que membre de la famille mais aussi en tant que directeur du
Muse Sorolla. Nous ne disposons pas dÕinformations concernant les positions
idologiques de Joaqun Sorolla y Garca et une tude de ce personnage mal
connu reste faire. Rien ne permet de percevoir chez cet homme un conservateur,
bien au contraire. Il fit sa scolarit lÕInstitution Libre dÕEnseignement avant
dÕtudier les sciences Londres. Comme il a t dit, il fut lÕamant de Raquel
Meller et frquentait le cancan de Madrid. Il nÕexera pas de mtier et sÕadonnait
la photographie et la peinture en amateur. LÕensemble de ses ralisations, qui
est aujourdÕhui conserv au Muse Sorolla, ne porte pas de traces idologiques.
Elle ne contient, en effet, que des portraits et des nus fminins, souvent lascifs.13
Les photographies pourraient se fondre dans le courant surraliste. Elles montrent
des jeunes femmes costumes dans des mises en scne oniriques qui rappellent
lÕunivers de Jean Cocteau (1889-1963). En 1933, Joaqun Sorolla y Garca a
particip lÕinauguration du monument la mmoire de son pre difi par les
rpublicains de Valence comme seul reprsentant de la famille. Ë cette occasion,
il avait accueilli favorablement lÕide de monter une exposition temporaire dans
cette ville en collaboration avec le maire de lÕpoque, Vicente Lambies Grancha
(inc.-inc.). Mais ce projet ne verra pas le jour avant la guerre. Plus tard, sa sÏur
Mara et son beau-frre Francisco Pons Arnau y organiseront une exposition sous
le franquisme, mais lui sÕen tiendra lÕcart en ne participant pas son
inauguration.14
Si le tmoignage du fils est remarqu, le retour en grce du Valencien
nÕaurait jamais t possible sans le soutien de la presse phalangiste, ds le dbut
des annes quarante. Elle joue un rle dterminant en revendiquant et prsentant
Sorolla tantt comme le dernier reprsentant de la grande cole espagnole, tantt
comme lÕinventeur dÕun ÒImpressionnisme nationalÓ. Jornada, Solidaridad
13.
14.
Son Ïuvre peint a t publi dans un catalogue des collections du Muse Sorolla :
Catlogo de pintura del Museo Sorolla, Madrid, Ministre de lÕducation, de la Culture
et des Sports, 2002, tome II, pages 483-515.
Anonyme, ÒSolemne apertura de la gran exposicin SorollaÓ, Levante, Valence,
16/05/1944.
IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974
202
Nacional, El Alczar, Arriba, etc. et dÕautres journaux lis au Mouvement fasciste
prennent part une campagne de ÒrhabilitationÓ du peintre. En mai 1944, le mot
apparat dÕailleurs sous la plume dÕun journaliste de Jornada qui, au risque de se
contredire, ne juge pas cette rhabilitation ncessaire en la trouvant nanmoins
bienvenue : Ç Ahora, el tiempo ha vuelto las aguas a su cauce y nos ayuda en esta,
aunque innecesaria, oportuna rehabilitacin del pintor. È15
En septembre 1942, lÕoccasion dÕune exposition de peintres phalangistes
organise Madrid, Carlos Boronat (inc.-inc.) vante la suprmatie de ÒlÕart
raliste espagnolÓ qui, selon lui, dcoule directement de la peinture de Sorolla.
Dans son article, il analyse son esthtique du mouvement et de la lumire comme
le premier pas vers un ÒImpressionnisme nationalÓ qui nÕentretient, selon lui,
aucun lien de parent avec lÕImpressionnisme franais. Dans son raisonnement, il
reconnat Sorolla comme le pre dÕune cole de peinture dgage dÕinfluences
trangres. Pour dmontrer que son art nÕest pas purement rgional Ð faut-il
comprendre valencien ? Ð il rappelle quÕil a peint les paysages des Asturies,
dÕAndalousie et de Castille.16 Cette position intellectuelle est, dans les faits,
rvisionniste dans la mesure o elle occulte toute la dimension europenne du
mouvement
n en
France.
En prfrant lÕadjectif
ÒralisteÓ celui
dÕÒimpressionnisteÓ lÕauteur jette une passerelle entre les matres du Sicle dÕor et
les peintres modernes. Enfin, sa vision des choses fait cho la situation politique
dÕun pays qui a fait le choix de lÕautarcie. En 1963, lÕhistorien Bernardino de
Pantorba rfutera tout lien entre lÕessor de la peinture sur le motif Valence et le
pleinairisme franais en voquant une simple concidence !17 LÕide dÕun
ÒImpressionnisme nationalÓ, prsent et justifi dans les circonstances que lÕon
vient de voir, survivra la dictature. Alors quÕun contemporain de Sorolla comme
Aureliano de Beruete admettait comme une vidence lÕinfluence des peintres
franais dans son volution, ce nÕest plus le cas aprs la guerre civile. Les
interprtations de lÕÏuvre de Sorolla nes sous le franquisme passeront la
postrit quasiment sans tre jamais remises en cause par les communauts
15.
16.
17.
J.O., ÒLa Exposicin SorollaÓ, Jornada, Valence, 16/05/1944 . Ç Maintenant, le temps a
fait que les choses sont rentres dans lÕordre ce qui facilite cette, bien que superflue,
ncessaire rhabilitation du peintre. È
Carlos Boronat, ÒDe arte. Sorolla y la pintura realistaÓ, Solidaridad Nacional, Madrid,
1/09/1942.
Bernardino de Pantorba, ÒSorolla, el hombre y la obraÓ, Blanco y Negro, Madrid,
13/04/1963.
IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974
203
dÕinterprtations postrieures. Il en va ainsi de la rception critique, les strates
sÕadditionnent les unes aux autres et les plus rcentes prennent pour point de
dpart les prcdentes. Suivant cette logique, la vision de Sorolla a plus souvent
t complte quÕelle nÕa t rvise et des ides ont t admises sans tre
pralablement questionnes.
Dans le prolongement de la lecture franquiste, le peintre Francisco Pompey
(1887-1974) ractualise lÕide selon laquelle, dans la nouvelle re qui est en train
de sÕouvrir, Sorolla doit figurer comme un modle : Ç Los artistas
contemporneos, de esta poca de inquietudes y de confusin, se encontrarn
frente a esas obras, paisajes y retratos de Sorolla como nufragos que aperciben
en la lejana la isla maravillosa del ensueo y de la salvacin. È18 Ce discours
empreint de la religiosit de lÕpoque rappelle que lÕinauguration du Muse
Sorolla nÕa pas mis fin lÕimpopularit du matre auprs dÕune partie des jeunes
peintres que Pompey considre comme des ÒnaufragsÓ. LÕexistence mme de ces
Òanti-Ó continue nuire son image. CÕest une des raisons qui incite une des filles
du peintre, Mara, parrainer un jeune artiste valencien en crant la bourse
ponyme. Pour ce faire, lÕhritire vend aux enchres un tableau de sa collection.
En couvrant lÕenchre la plus leve, la Caisse dÕpargne et Mont-de-pit de
Valence fait lÕacquisition du lot pour douze mille pesetas et se charge elle-mme
de convoquer un concours de peinture avec cet argent.19 Cependant, aucune des
ralisations prsentes ne lui semble digne de la rcompense si bien quÕelle
convoque un deuxime concours et rcompense finalement une sculpture
classique qui obit des canons dpasss depuis longtemps. La bourse Mara
Sorolla est un double chec puisquÕelle ne parvient pas parrainer un peintre et
que, de surcrot, elle finit par promouvoir lÕacadmisme le plus orthodoxe.
Ë lÕoccasion du quatre-vingtime anniversaire de la naissance du peintre, le
27 fvrier 1943, le journal madrilne Pueblo rappelle que le Valencien a honor
un jour son pays en le reprsentant dignement lÕtranger au plus fort de la crise
de 1898 : Ç Sorolla, jaln de historia y temple de voluntad al servicio ideal de la
belleza, gan para Espaa el respecto y la admiracin de un mundo que haba
18.
19.
Francisco Pompey, ÒLa Casa de SorollaÓ, [?], [?], 23/11/1942. Ç Les artistes
contemporains de cette poque de troubles et de confusion, se trouveront devant ces
Ïuvres, paysages et portraits de Sorolla, comme des naufrags aperevant au loin lÕle
merveilleuse du rve et du salut. È
Anonyme, ÒValencia al daÓ, Las Provincias, Valence, 2/05/1946.
IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974
204
empezado a desdearnos o a olvidarnos. È20 Ë travers une mtaphore militaire
caractristique de cette priode, il estime que le pays ne doit pas oublier ceux qui
ont vers pour elle Òle sang de la pense et du cÏurÓ. Un pays la drive secouru
par un homme, voil une image qui renvoie implicitement lÕpope martiale du
gnralissime. Le pays a alors besoin de mythes et de parangons. Comme le chef
suprme, le peintre disparu peut aussi tre un modle pour la jeunesse et cÕest
sous ce jour que la revue Chicos le prsente.21 Pour faciliter lÕidentification entre
Sorolla et les jeunes lecteurs de la revue, lÕauteur anonyme brosse le portrait de
lÕenfant quÕil a un jour t. Le garon est dcrit comme un colier mdiocre et
rveur mais comme un dessinateur hors pair qui, force dÕapplication et de
constance, est dment rcompens par le travail manuel. Dans une Espagne o
tout est reconstruire, le rgime a moins besoin dÕintellectuels que de garons
forts, sains et forms aux tches physiques. Cette rcupration du peintre,
fortement empreinte des valeurs du rgime, flatte lÕorgueil national et prouve que
lÕEspagne a aussi ses ÒgloiresÓ.
La priode durant laquelle la presse sÕemploie rtablir Sorolla dans
lÕestime et la considration du plus grand nombre sÕtend au moins jusquÕ la
premire exposition rtrospective. En contribuant la fondation dÕun muse, les
enfants de lÕartiste ont accompli la volont de leur mre et la fille ane poursuit
leur engagement en rendant possible lÕorganisation dÕune exposition posthume de
grande envergure. Le maire de Valence, Juan Antonio Gmez Trnor (inc.-inc.),
apporte son soutien ce projet dont lÕinitiative revient Francisco Pons Arnau, le
gendre du peintre. Selon lui, lÕexposition est cense rparer une injustice car la
ville natale de lÕartiste nÕa jamais accueilli aucune de ses expositions
monographiques. Il invoque cet argument lorsquÕun journaliste de Las Provincias
lÕinterroge, une semaine avant lÕinauguration.22 Mais est-ce l son unique
intention ? Dans le contexte que lÕon a dcrit, celui qui a t un disciple du matre
avant de devenir le mari de sa fille ane entend aussi dmontrer que son matre et
beau-pre a t un peintre de lÕEspagne toute entire, patriote et ÒespagnolisteÓ.
Deux ans auparavant, Pons Arnau a mont une exposition personnelle Valence,
20.
21.
22.
Jos, ÒHace ochenta aos naca SorollaÓ, Pueblo, Madrid, 27/02/1943. Ç Sorolla, jalon de
lÕhistoire et modle de volont au service idal de la beaut, gagna pour lÕEspagne le
respect et lÕadmiration dÕun monde qui avait commenc nous mpriser et nous
oublier. È
Anonyme, ÒÀCerrajero o pintor?Ó, Chicos, Madrid, 17/11/1943.
Rafael Mart Orber, ÒSorolla y nuestra deudaÓ, Las Provincias, Valence, 7/05/1944.
IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974
205
du 1er au 11 mai 1942. Elle avait pour pice majeure un portrait questre du
dictateur que le peintre offrit la ville.23 Si son adhsion au nouveau rgime allait
de soi et si le reste de la famille avait donn des gages de son patriotisme en
rendant possible, on sÕen souvient, la fondation du Muse Sorolla, les incertitudes
entourant les positions idologiques de Sorolla demeurent en 1944. Or, une
slection de toiles bien choisies peut commencer lever quelques doutes.
Dans la presse, lÕexposition est annonce en dcembre 1943.24 Pour attirer
un maximum de visiteurs, elle est programm pour la mi-mai, au moment de la
fte de la Vierge des Dsempars Ð deuxime dimanche de mai Ð qui,
gnralement, sÕaccompagnait dÕun programme touristique. LÕensemble qui va
tre prsent comprend principalement des Ïuvres indites provenant de la
collection prive du couple. Le 15 mai 1944, une centaine de toiles et deux cents
pochades et dessins sont dvoiles dans les salles du nouveau Muse Municipal
que lÕon inaugure par la mme occasion. Depuis Madrid, le critique Enrique
Lafuente Ferrari (1898-1985) considre dÕemble que cette exposition ne doit pas
avoir lieu Valence car elle prsenterait ncessairement Sorolla sous lÕangle
local.25 Mais le lendemain de la parution de cet article, les journaux madrilnes El
Alczar, El Hoja del Lunes, Arriba et ABC, dpchent des reporters sur place et
ceux-ci constatent justement le contraire : Ç Valencia hace bien en regalar en esta
ocasin el concepto de lo regional con que se present hasta aqu esta genial
pintura y en mostrarla de forma ms profunda y justa. È26 Les quatre journalistes,
Cecilio Barbern (1899-1982), Manuel Snchez-Camargo (1911-1967), Benito
Rodrguez Filloy (1906-1946) et Enrique Azcaoga (1912-1985) sont reus le 18
mai par les organisateurs de lÕexposition.27 LÕvnement a une valeur nationale Ð
ainsi en a dcid Pons Arnau Ð et cÕest le message que les journalistes se chargent
de rpercuter. Dans El Alczar, lÕarticle de Snchez Camargo commence ainsi :
Ç El homenaje que Valencia ha rendido a Sorolla tiene une significacin nacional
23.
24.
25.
26.
27.
Exposicin Sorolla patrocinada por el Excmo. Ayuntamiento de Valencia, Valence,
Ayuntamiento de Valencia, 1944, page 14.
Anonyme, ÒGran exposicin del pintor SorollaÓ, El Alczar, Madrid, 10/12/1943.
Enrique Lafuente, ÒPara un Ç descubrimiento È de SorollaÓ, Arriba, Madrid, 17/05/1944.
Anonyme, ÒArte y artistas : la Exposicin de Sorolla en ValenciaÓ, ABC, Madrid,
3/06/1944 et Manuel Snchez Camargo, ÒValencia y SorollaÓ, El Alczar, Madrid,
22/05/1944. Ç Ë cette occasion, Valence fait bien de mettre de ct la notion de rgional
sous laquelle cette peinture gniale a t prsente jusquÕici et de la montrer dÕune
manire plus profonde et juste. È
ÒCrticos de la prensa madrilea visitan la exposicin SorollaÓ, Las Provincias, Valence,
19/05/1944.
IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974
206
que es preciso sealar [É] È28 cÕest--dire Ç LÕhommage que Valence a rendu
Sorolla a une valeur nationale quÕil convient de souligner [É] È
La slection prsente exclut la jeunesse valencienne du peintre et la
peinture sociale des annes 1894-1901, en particulier la peinture de dnonciation
dans laquelle les rpublicains ont jadis reconnu leurs valeurs. En effet, les
organisateurs ont privilgi les ralisations tardives, cÕest--dire au moins
postrieures 1901, en expliquant juste titre, il faut bien le reconnatre, quÕil
sÕagit alors de son Ïuvre le moins connu du public. Leur choix sÕest donc port
sur des scnes de plage et de jardin, cÕest--dire des productions purement
plastiques, sans ÒthseÓ. Ils ont privilgi galement des paysages de diffrentes
rgions du territoire national, cÕest--dire la Castille, lÕAndalousie, le Pays Basque
et les les Balares. LÕexposition dvoile trois bauches en grand format du dcor
de lÕHispanic Society : Tipos regionales de Soria, Tipos regionales de Segovia et
Tipos regionales de çvila.29 Dans le catalogue de lÕexposition comme dans la
presse, cette Ïuvre tardive est alors qualifie ÒdÕge dÕorÓ, une dsignation qui
souligne la maturit de lÕartiste mais tablit, de fait, une hirarchie de valeur entre
son Ïuvre de jeunesse et son Ïuvre tardive.30 LÕexposition doit gnrer une autre
perception de Sorolla, moins locale, car il est encore peru Valence travers des
tableaux anciens, en particulier des scnes de pcheurs affairs tirer un bateau
sur la plage, ravauder une voile ou un filet, rparer les nasses, etc. Le dcor
Visin de Espaa, qui a sombr dans un oubli complet, est entirement dvoil
dans le catalogue de cette exposition, qui contient en annexes les quatorze
planches imprimes en noir et blanc dpliables en trois volets.
LÕexposition vhicule lÕide suivante : en tant que peintre de tout le
territoire national, tout Espagnol peut sÕidentifier son Ïuvre. Ë cette poque
cela ne va pas de soi, car les rpublicains de Valence se sont toujours refuss
partager leur artiste et cette culture demeure. On se souvient du Ç ÁSorolla es
nuestro, es de Valencia! È de Flix Azzati, le cri lanc la foule le jour de
lÕenterrement du peintre. Il existe un lien trs fort entre la population et le peintre,
et une exposition comme celle de 1944 entend apparemment le diluer en
28.
29.
30.
Manuel Snchez Camargo, ÒValencia y SorollaÓ, El Alczar, Madrid, 22/05/1944.
Tipos regionales de Soria, 200x244, Madrid, Collection particulire, 1912. Tipos
regionales de Segovia, 192x200, Madrid, Collection particulire, 1912. Tipos regionales
de çvila, 205x121, Madrid, Collection particulire, 1912.
Sorolla, Valence, Ayuntamiento de Valencia, 1944, page 14.
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207
montrant, Valence, les paysages de Castille. Jusque-l, Sorolla tait toujours
associ aux plages de la Malvorrasa et du Cabaal et les familles de pcheurs se
souvenaient encore trs bien de lÕartiste install face la mer, au milieu dÕeux. Il
nÕest pas commun quÕun peintre entre ce point dans le cÏur et dans la vie dÕune
population. Comme sur les pages dÕun album photo, des gens humbles et
anonymes figurent sur les tableaux du matre si bien que, dans cette ville,
nombreux ont toujours t ceux qui, tort ou raison, ont jur reconnatre tel
grand pre ou tel cousin loign sur une toile du matre. Il y a peu, le journal Las
Provincias a envoy un reporter sur les traces des descendants des personnages
peints. Reconnatre les femmes nÕest pas une chose aise car elles prfraient ne
pas tre identifiables. Cela apparat au premier coup dÕÏil, en dehors des enfants,
Sorolla ne peignait pas les visages de ces gens de la mer. Les ttes sont le plus
souvent tournes ou masques par un couvre-chef quand elles ne sont pas, tout
simplement, imprcises. Poser pour un artiste tait alors mal vu car les modles
fminins, souvent des gitanes, taient perues comme des femmes lgres prtes
se dnuder pour quatre sous. Selon un tmoignage, des familles de pcheurs ont
pu recevoir des cadeaux du peintre en change de leurs bons services, mme si
des lments nous autorisent en douter. Une Valencienne affirmait la chose
suivante : Ç Me consta que la abuela tuvo dos retratos pintados por Sorolla mucho
tiempo, pero en poca de hambre vendi cada uno de ellos por 200 pesetas. [É]
Luego creo que fueron a Amrica. È31
En juin 1945, le journal Dgame rencontre un tmoin qui explique que
Sorolla aimait le contact des travailleurs et sÕadressait tout le monde sans
protocole ni hauteur. LÕhomme interrog voque les sances de travail du peintre
qui commenaient lÕaube, lÕheure o les pcheurs rapportent les filets relevs
durant la nuit.32 Les tmoignages recueillis dans les annes quarante sont autant
dÕexemples de la constante et indfectible popularit du peintre parmi les couches
populaires. Les gens de la mer apprcient Sorolla dÕabord parce quÕils lÕont tous
vu de leurs propres yeux. Par ailleurs, sa peinture leur parle dÕautant plus quÕelle
31.
32.
Anonyme, ÒEn el pincel de SorollaÓ, lasprovincias.es, 11/11/2007. Lola Soriano,
ÒInmortalizados por SorollaÓ, lasprovincias.es, 17/08/2008 et Ramn J. Campo, ÒEl
modelo de SorollaÓ, heraldo.es, 14/09/2009. Ç Je suis certaine que ma grand-mre a
longtemps possd deux portraits peints par Sorolla, mais dans une poque de famine elle
vendit chacun dÕeux pour deux cents pesetas. Ensuite, je crois quÕils partirent pour
lÕAmrique. È
Federico Galindo, ÒEl hombre que sujetaba el caballete de SorollaÓ, Dgame, Madrid,
5/06/1945.
IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974
208
est fidle cette nature quÕils connaissent si bien. Les enfants de la plage qui,
jadis, poursuivaient lÕartiste en nue et sÕagglutinaient autour du chevalet au point
de pitiner ses tubes de couleurs, sont devenus en 1944 des adultes qui retrouvent
dans ses tableaux un monde quÕils ont connu et dont ils conservent une grande
nostalgie. Ces Òenfants de la plageÓ ont transmis oralement telle ou telle anecdote
dans leur entourage et, de fil en aiguille, une lgende valencienne a pris forme.
Les histoires orales nÕont jamais manqu dans la capitale du Levant et il serait
dommage dÕen faire lÕconomie dans cette tude. Fascins par le don de lÕartiste,
ceux qui ont observ le peintre la tche demeurrent vie subjugus par sa
maestria. CÕest ce qui explique que la plupart des rcits qui nous sont parvenus
font lÕloge de sa rapidit dÕexcution, de la prcision de son geste et de lÕacuit
de son regard. Ainsi, un certain Santos Faura se souvient dÕun jour o lÕartiste
ÒcueillitÓ en une poigne de seconde un pcheur qui traversait son champ de
vision :
En otra ocasin, Ácmo le recuerdo!, estaba pintando una marina, en la que haba una
barcaza sobre la playa. En esto vio venir hacia l un labriego. Yo le iba a llamar la
atencin para que se apartase del ngulo visual del maestro, pero ste me lo impidi
diciendo : ÁEsprate a ver si se para! La casualidad quiso que el lugareo se detuviese
precisamente ante la barca, y entonces Sorolla, en un instante, ÒcazÓ al labrador
sobre el lienzo con una verdad y una vida difcilmente superablesÉ33
Les liens troits qui unissaient le peintre la population locale sont une des
raisons de lÕimmense succs populaire de lÕexposition de 1944. DÕautre part, elle
apporte un peu de joie et de bonne humeur dans la ville et trompe, durant un mois,
la noirceur et la morosit de cette Espagne dÕaprs-guerre. Cinq jours seulement
aprs son ouverture au public, lÕexposition enregistre dj sept mille visites
quotidiennes !34 Pour rguler lÕaffluence des personnes venues de Catalogne, le
33.
34.
Ibidem, Ç Une autre fois, Ð comme je mÕen souviens ! Ð il tait en train de peindre une
marine au centre de laquelle se trouvait un bateau de pche. Alors quÕil peignait, je vis un
pcheur qui sÕapprochait et je mÕapprtais attirer son attention afin quÕil sÕcarte du
champ de vision du matre, mais celui-ci mÕinterrompit aussitt en disant : Attends,
voyons voir sÕil sÕarrte. Le hasard voulu que cet homme sÕarrta prcisment devant le
bateau et alors Sorolla, en un instant, ÒcueillitÓ le pcheur et le fixa sur la toile avec une
vrit et une vie incomparables. È
Anonyme, ÒGran xito de la exposicin Sorolla en ValenciaÓ, El Alczar, Madrid,
20/05/1944.
IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974
209
trafic ferroviaire entre Valence et Barcelone est intensifi.35 Tmoin de ce succs,
la galerie barcelonaise Pars runira un peu plus tard une trentaine de tableaux
pour monter une exposition dans ses murs.36 Parce que lÕengouement pour cet
vnement dpasse de loin toutes les attentes, une partie de la presse verse dans
lÕexaltation lÕheure o Valence clbre la Vierge des Dsempars, sa sainte
patronne locale. Jornada voque donc dans un registre religieux de circonstance
des Òconversions foudroyantesÓ pour la peinture de Sorolla :
Tengo noticia de varias conversiones fulminantes al aprecio e incluso al fervor hacia
Sorolla, ante los lienzos que ahora se exponen en nuestro ayuntamiento. Gentes,
forasteras algunas, que sentan por nuestro genial pintor una repulsin injustificada o
un desdn olmpico sembrado de prejuicios se han visto en el caso de desdecirse bajo
la abrumadora elocuencia de las telas de don Joaqun.37
LÕexposition reste ouverte vingt-neuf jours, durant lesquels elle accueille
86.106 visiteurs, un chiffre colossal plus dÕun titre. Tout dÕabord, cela
reprsente environ un cinquime de la population de cette ville qui comptait alors
environ 450.000 habitants, selon lÕInstitut National des Statistiques, INE
(Madrid).38 Dans ces annes dÕautarcie, le pays vit des heures trs sombres
marques par la faim, la rpression et le march noir. La population restera
soumise au rationnemment des produits alimentaires et de premire ncessit
jusquÕen 1952. LÕtat de guerre se prolonge jusquÕ la fin des annes quarante. De
plus, il sÕagit dÕun vnement provincial ddi, qui plus est, un seul artiste.39
Pour une exposition ouverte durant un mois seulement, la frquentation
enregistre est comparable des succs rcents. Ë titre de comparaison,
lÕexposition du Muse dÕOrsay Jean Lon Grme 1824-1904 : lÕhistoire en
spectacle, qui a t un des succs parisien de lÕanne 2010, nÕa pas fait mieux.
35.
36.
37.
38.
39.
Anonyme, Ò42 miembros de la Asociacin de Amigos de los Museos, en Valencia.
Vienen a visitar la Exposicin SorollaÓ, Levante, Valence, 21/05/1944.
Anonyme, ÒSe inaugura una exposicin de cuadros de SorollaÓ, La Almudaina, Palma de
Majorque, 1/02/1948.
Anonyme, ÒSorolla al alcance de todosÓ, Jornada, Valence, 22/05/1944. Ç JÕai eu vent de
plusieurs cas de conversions foudroyantes, dans le sens dÕune reconnaissance et mme
dÕun enthousiasme pour Sorolla, devant les toiles exposes en ce moment dans notre
mairie. Des gens, de lÕextrieur pour certains, qui prouvaient pour notre peintre gnial
une rpulsion injustifie ou un ddain hautain sem de prjugs se sont retrouvs dans
lÕobligation de se ddire face lÕtonnante loquence des toiles de don Joaqun. È
http://www.ine.es/inebaseweb/71807.do?language=0.
Felipe Garn Ortiz de Taranco, ÒUna ojeada al arte plstico en Valencia durante el ao
1944Ó, Levante, Valence, 5/01/1945.
IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974
210
LÕcho mdiatique de lÕexposition valencienne est retentissant, comme le montre
la distribution des archives de presse du Muse Sorolla, qui contiennent cent
soixante dix-huit articles pour la seule anne 1944, un pic qui ne sera dpass
quÕen 1963. Ces deux dates, qui correspondent deux expositions temporaires
majeures, constituent les bornes chronologiques du Temps II. cÕest--dire la
deuxime phase de haute intensit critique. Sorolla occupe lÕespace mdiatique
tout au long de la priode car des expositions prsentant ses tableaux jalonnent le
calendrier culturel.
Le succs inattendu de lÕexposition de 1944 a des rpercussions sur le plan
politique car il a mis en vidence tout lÕavantage que le pays peut tirer de lÕÏuvre
de Sorolla, en particulier sur le plan touristique. Mais il fait apparatre en mme
temps la contradiction suivante : alors que lÕexposition a attir Valence une
foule de visiteurs, le muse madrilne est trs loin dÕenregistrer lÕaffluence
escompte. Au moins deux raisons peuvent expliquer les mauvais dbuts du
Muse Sorolla. DÕune part, il est situ loin du centre et donc lÕcart des
principaux muses et monuments de la ville. DÕautre part, il ne dispose pas de
lÕespace suffisant pour prsenter toute sa collection, ce pourquoi la visite est
courte et donc peu attractive. Faute dÕespace, beaucoup de peintures et tous les
dessins de lÕartiste sont entreposs dans les rserves. Pour rsoudre ce problme,
une srie de travaux sont financs afin de viabiliser de nouveaux espaces et donc
tendre la surface dÕexposition. Trois nouvelles salles sont inaugures le 27 juin
1945 par le ministre de lÕducation Nationale Jos Ibez Martn (1896-1969), le
directeur gnral des Beaux-Arts, le marquis de Lozoya, et le prsident de
lÕuniversit de Valence, Fernando Rodrguez Fornos (1884-1951).40 Aprs la mort
de Joaqun Sorolla y Garca, le 2 mars 1948, un petit-fils du peintre, Francisco
Pons-Sorolla (1917-2011), est charg de lÕadministration du muse. Pour en
augmenter davantage la capacit, lÕtat finance partiellement un autre projet
dÕextension, si bien quÕen octobre 1951, une nouvelle salle est amnage prs du
patio andalou pour recevoir les meilleurs dessins de la collection.41 Le jour de sa
rouverture, le muse dispose dÕun livre trilingue en espagnol, anglais et franais
40.
41.
Anonyme, ÒInauguracin de nuevas salas en el Museo SorollaÓ, El Alczar, Madrid,
27/06/1945.
Anonyme, ÒInauguracin de una nueva sala en el Museo SorollaÓ, Ya, Madrid,
18/10/1951.
IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974
211
cens rpondre la demande des touristes.42 Mais en dpit de toutes ces
amliorations, et mme si Las Provincias titre en dcembre 1951 ÒLa casa de
Sorolla no es un museo muertoÓ, aucune solution radicale nÕa t trouve et le
muse demeure un endroit isol et ignor du touriste de passage Madrid.43 Le
concept de la maison-muse a certes un certain charme mais il comporte
galement sa part de contraintes et cÕest la raison pour laquelle il est si difficile de
lÕadapter aux nouveaux enjeux touristiques et commerciaux de lÕpoque.
LÕinvestissement de lÕtat visant rendre le muse plus fonctionnel est
donc la consquence la fois du succs de lÕexposition de 1944 et de la campagne
de rhabilitation mene dans la presse nationale. DÕun point de vue politique, elle
peut aussi tre lie lÕouverture du pays en direction de lÕextrieur et tout
particulirement des tats-Unis car Sorolla est toujours le peintre espagnol le plus
connu et apprci outre-Atlantique. Ses toiles sont dissmines dans les
collections publiques et prives du pays, en particulier sur la cte est. La visite du
Muse Sorolla figure dans les brochures des tour-oprateurs nord-amricains
comme une tape obligatoire des circuits touristiques. La question de la relation
transtlantique se pose nouveau aprs la Deuxime Guerre Mondiale car
lÕEspagne, qui nÕa pas directement pris part au conflit mais sÕest montre
clairement partisane de lÕAxe, a besoin de tisser un lien neuf avec la premire
puissance mondiale. Par le pass, le peintre et son commanditaire Archer Milton
Huntington avaient Ïuvr ensemble la rconciliation de leurs pays respectifs,
aprs la Guerre de Cuba. La biographe de lÕhispanophile, Beatrice Gilman Proske
(1899-2002), a signal dans un ouvrage que Huntington fut appel ngocier un
trait commercial entre les deux pays en 1918.44 Les autorits franquistes ne lÕont,
semble-t-il, pas oubli. Le 25 septembre 1946, Franco dcerne la Grande Croix
dÕAlphonse le Sage au fondateur de lÕHispanic Society, alors g de quatre-vingt
quatre ans.45 Si Sorolla a t dÕabord, pour ainsi dire, Òplac en quarantaineÓ afin
de ne pas compromettre la relation diplomatique avec lÕAllemagne nazie en 1942,
il devient un atout lÕheure o le pays sÕemploie changer son image auprs de la
42.
43.
44.
45.
Bernardino de Pantorba, Gua del Museo Sorolla, Madrid, Grficas Nebrija, 1951.
Anonyme, ÒLa casa de Sorolla no es un museo muertoÓ, Las Provincias, Valence,
30/12/1951.
Beatrice Gilman Proske, Archer Milton Huntington, New York, The Hispanic Society of
America, 1965, page 17.
Anonyme, ÒLa Gran Cruz de Alfonso el Sabio a Mr. Archer M. HuntingtonÓ, ABC,
Madrid, 26/09/1946.
IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974
212
premire puissance mondiale. La prudence lÕgard de ce peintre prtendument
sulfureux contraste avec la rcupration et la promotion acharne par un rgime
port son znith.
IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974
213
IV.2. SOROLLAÕS SPAIN IS DIFFERENT
ÒLÕEspagne de Sorolla est diffrenteÓ : voici une variante possible du slogan
touristique ÒSpain is diferentÓ qui pourrait parfaitement convenir aux annes
cinquante et soixante telles que nous allons les parcourir. LÕexpression tait
double tranchant car en voulant signifier que cette destination de vacances avait
des atouts supplmentaires, elle pouvait tre comprise, lÕinverse, comme
diffrente du fait de son retard par rapport aux autres pays europens. En intgrant
la peinture du Valencien sa propagande touristique, le rgime projette sur le
monde une image radieuse certes, mais en dcalage avec son sicle. Non
seulement Sorolla est mort lÕanne de la fin de la Restauration mais sa peinture
refltait, dj son poque, une Espagne dÕun autre temps. Ë lÕvidence, une
image arrte du pays tel quÕil se prsentait aprs-guerre nÕest pas exportable et
cÕest pourquoi la peinture occupe une place privilgie dans lÕiconographie de la
dictature. On verra sous quelle forme des images tires de ses tableaux seront
instrumentalises et qui en seront les destinataires.
La guerre civile avait ananti le secteur du tourisme qui ne commence
renatre de ses cendres que dans les annes cinquante, date partir de laquelle le
nouveau rgime entreprend dÕexploiter lÕÏuvre de Sorolla des fins
promotionelles pour changer lÕimage sinistre dÕun pays ravag par le conflit et,
dont les deux premiers gouvernements de lÕre franquiste, ceux de 1938-1939 et
1939-1945, sont composs en majorit de militaires.46 Le choix du peintre
valencien relve de plusieurs facteurs : tout dÕabord, son pass politique est
compatible avec le rgime car il nÕavait pas t franc-maon et, sÕil avait eu des
sympathies rpublicaines, il nÕa jamais apport son soutien militant aucun parti.
Ensuite, il fait partie des ces Espagnols dont le nom a franchi les frontires du
pays. Un journal catalan publie une liste des artistes espagnols les plus connus
outre-Atlantique le 24 mai 1945. Dans cette liste, Sorolla figure en bonne place
ct des peintres Ignacio Zuloaga et Pablo Picasso, du pianiste Jos Iturbi
46.
Ramn Tamames, La Repblica. La era de Franco, Madrid, Alianza, 2001 (1988), page
307-308.
IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974
214
Baguena (1895-1980) et du compositeur Manuel de Falla (1876-1946).47 Les
tats-Unis avaient manifest leur attachement Sorolla en 1923 et en 1932, en
envoyant un reprsentant diplomatique Valence le jour de son enterrement, et
Madrid pour lÕinauguration du Muse Sorolla. Ensuite, lÕÏuvre du Valencien est
facilement exploitable car, depuis la fondation du muse, elle se trouve en grande
partie dans les collections de lÕtat. Enfin, sa peinture montre des paysages de
cartes postales, des enfants heureux, sains et pleins de vie. Cette vision radieuse et
sereine de lÕEspagne se situe aux antipodes des reportages photographiques
diffuss lÕtranger durant et aprs la guerre civile. Les clichs du reporter
hongrois Robert Capa (1913-1954), publis par les revues illustres du monde,
avaient propag les images dÕune terre inculte, dÕdifices en ruines, dÕune
population civile rurale plonge dans une misre extrme, de familles entires
jetes sur les routes, en particulier des femmes et des enfants.48 Ds la cration du
Ministre de lÕInformation et du Tourisme, en 1951, lÕÏuvre de Sorolla va servir
renouveler lÕimage du pays lÕextrieur. En mme temps, des expositions de ses
tableaux feront partie de lÕoffre culturelle ÒchoisieÓ que le rgime proposera ses
touristes.
Aprs la guerre, les relations diplomatiques entre lÕEspagne et les ex-allis
se trouvent au plus mal car les vainqueurs se refusent reconnatre comme
lgitime une dictature fasciste. En fvrier 1946, le gouvernement franais ferme sa
frontire pyrnenne. En mars, lÕOrganisation des Nations Unies condamne
officiellement le rgime franquiste et, en dcembre, lÕinstitution demande ses
tats membres le dpart des ambassadeurs en poste Madrid. Ë lÕexception de
Dublin, du Saint-Sige, de Lisbonne, de Berne et de Buenos Aires, la plupart des
membres suivent cette recommandation.49 Ë partir de 1947, seize pays europens
commencent bnficier du plan Marshall, mais lÕEspagne est mise lÕcart du
programme dÕaide amricain. LÕisolement politique et la fragilit conomique du
pays sont tels que le gouvernement de Franco est oblig de redfinir son modle
afin de changer son image lÕtranger, en particulier auprs de la premire
puissance mondiale. Pour y parvenir, il prcise lÕavenir de son rgime dans une
47.
48.
49.
Anonyme, ÒLos artistas espaoles ms conocidos en NorteamricaÓ, Barcelona Teatral,
Barcelone, 24/05/1945.
Alicia Alted (dir.), El exilio de los nios, Madrid, Sinsentido, 2003.
Andre Bachoud, Franco ou la russite dÕun homme ordinaire, Paris, Fayard, 1997, page
297 et Ramn Tamames, La Repblica. La era de Franco, Madrid, Alianza, 2001 (1988),
pages 268-270.
IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974
215
Òloi sur la successionÓ annonce la radio en mars 1947. Ce texte prvoit le
retour la monarchie dans des conditions bien dfinies. Franco se rserve le droit
de gouverner jusquÕ sa mort et de dsigner lui-mme un successeur de sang
royal, de sexe masculin, catholique, g dÕau moins trente ans et dÕune fidlit
indfectible aux Leyes fundamentales. En juin, le rgime assure la mdiatisation
de sa relation avec lÕextrieur en recevant avec tous les honneurs lÕpouse du
prsident argentin, Eva Pern (1919-1952). Les deux pays ont sign un accord
conomique lÕanne prddente concernant lÕapprovisionnement alimentaire de
lÕEspagne. La solidarit de lÕArgentine proniste est un atout pour le rgime de
Franco qui valorise autant que possible lÕHispanit, cÕest--dire la prtendue unit
et fraternit des pays de langue espagnole. Cette notion pose le principe dÕune
communaut transnationale soude par une culture, une histoire et une religion
communes. Mme si la langue officielle des tats-Unis est lÕanglais, le rgime de
Franco lÕinclut, sur le plan culturel, dans cette Hispanit. DÕailleurs, certainement
la demande de Huntington, Sorolla lÕavait mise en images avec Visin de
Espaa puisque les motifs faisaient apparatre une ÒfiliationÓ historique entre les
deux pays. On se souvient, par exemple, du panneau El encierro qui montre les
gardiens de troupeaux, Sville, et renvoie implicitement au Òcow-boyÓ
amricain. En Espagne, les planches en noir et blanc du dcor ont justement t
publies pour la premire fois en 1944, lÕintrieur du catalogue de lÕexposition
valencienne.
Progressivement, les contraintes imposes par la communaut internationale
sont leves. Le 30 mars 1948, le Congrs amricain adopte lÕinclusion de
lÕEspagne lÕintrieur du plan Marshall. Quelques mois plus tard, le tourisme
reprend car la compagnie arienne Trans World Airlines (TWA) met en place une
liaison quotidienne entre lÕEspagne et les tats-Unis.50 Enfin, les tensions entre
les blocs amrcain et sovitique modifient la perception de lÕEspagne auprs du
gouvernement de Harry S. Truman (1884-1972). Par sa situation gographique,
son territoire peut constituer une position avance dans le contexte de la ÒGuerre
FroideÓ commenante. La Guerre de Core clate le 25 juin 1950. Elle oppose le
Sud, soutenu par les tats-Unis, au Nord, soutenu par la Rpublique populaire de
Chine et lÕUnion sovitique. Durant les premiers mois du conflit, les
50.
Beatriz Ruiz Correyero, ÒLa propaganda turstica espaola en los aos de aislamientoÓ in
Historia y comunicacin social VIII., Madrid, UCM, 2003, page 29.
IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974
216
recommandations des Nations Unies visant asphixier lÕEspagne sont abroges.
Le pays est admis au sein de lÕOrganisation des Nations Unies pour lÕalimentation
et lÕagriculture (FAO) en novembre 1950 et intgrera, plus tard, lÕOMS en 1952,
lÕUNESCO en 1953, avant de devenir membre de lÕONU en 1955. La nouvelle
relation transatlantique dbouche sur la signature du Pacte de Madrid, le 26
septembre 1953. Cet accord conomico-militaire prvoit lÕinstallation de bases
militaires en Espagne en change dÕune aide conomique. Quatre bases ariennes
et une base sous-marine sont construites ainsi quÕun rseau de conduites de
transport de ptrole et de gaz.51
Ce nÕest quÕaprs le Pacte de Madrid que Sorolla redevient, titre
posthume, lÕambassadeur culturel quÕil avait t par le pass. En effet, quelques
semaines plus tard, le 31 dcembre, la Fabrique Nationale des Monnaies et des
Timbres met un billet de mille pesetas lÕeffigie de Sorolla qui sera mis en
circulation en juin 1953.52 Les Espagnols, qui disposent cette poque de neuf
billets de banque Ð 1, 2, 5, 10, 25, 50, 100, 500 et 1000 ptas Ð, voient apparatre
en quelques mois quatre nouveaux visages ct des plus grosses sommes :
Joaqun Sorolla, 1000 ptas. Mariano Benlliure, 500 ptas. Julio Romero de Torres,
100 ptas. et Santiago Rusiol, 50 ptas. Sous le franquisme, le billet de mille est
rserv aux grands noms de lÕhistoire puisque le Valencien a succd,
fiduciairement parlant, Charles Quint et sera ensuite remplac par les Rois
Catholiques, qui seront eux-mmes supplants par le Patron de Madrid, Saint
Isidore. Dans une chronique humoristique intitule Òensayo sobre la psicologa
bancariaÓ, Evaristo Acevedo commente lÕarrive des artistes dans les portefeuilles
des bourgeois alors que le thologien Jaime Balmes (1810-1848), 5 ptas. le roi
Alphonse X le Sage (1221-1284), 5 ptas. et le personnage de Miguel de Cervantes
(1547-1616), Don Quichotte de la Manche, 1 pta. frquentent les comptoirs des
cafs et les guichets de cinma et de mtro.53 Dans lÕEspagne des annes
cinquante, le billet de mille nÕest pas la porte de toutes les bourses. Cette grosse
coupure rpondrait, entre autres, aux besoins des touristes trangers et serait donc
le billet le plus frquemment dlivr par les bureaux de change. Ë cette poque, le
51.
52.
53.
Ramn Tamames, La Repblica. La era de Franco, Madrid, Alianza, 2001 (1988), pages
264-265.
Anonyme, ÒNuevo billete de mil pesetasÓ, Informaciones, Madrid, 23/06/1953.
Evaristo Acevedo, ÒEnsayo sobre psicologa bancariaÓ, Informaciones, Madrid,
16/01/1957.
IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974
217
dollar et la livre sterling bnficient du taux de change le plus intressant car le
rgime entend ainsi soutenir le tourisme en provenance des tats-Unis et de la
Grande Bretagne.54 Ce nÕest donc pas le fruit du hasard si le billet espagnol
lÕeffigie de Sorolla copie lÕaspect du dollar amricain.55 Son modle pourrait avoir
t le billet dÕun dollar lÕeffigie du premier prsident des tats-Unis George
Washington (1732-1799) car il en reprend la couleur, la longeur, imite lÕentrelacs
complexe et copie mme la feuille dÕacanthe stylise.
LÕmission de ce billet vert va de pair avec lÕenvole du tourisme nordamricain puisque le nombre de visiteurs issus de ce pays est pratiquememnt
multipli par huit entre 1947 et 1951.56 Ce rsultat avait t un des objectifs
majeurs du Directeur Gnral du Tourisme, Luis Antonio Boln (1894-1969). En
janvier 1950, il se rend avec son quipe dans plusieurs villes des tats-Unis pour
rencontrer les tours-oprateurs et inaugurer de nouvelles agences touristiques. Au
cours de sa tourne, il invite une dlgation de journalistes ainsi que les plus hauts
reprsentants de la compagnie arienne TWA visiter lÕEspagne. Le 10 fvrier, la
dlgation amricaine est reue au Palais prsidentiel par Franco lui-mme. Le
journal El Alczar publie cet extrait de son allocution :
ÒEl pueblo espaol no tiene ninguna diferencia con el pueblo americano, antes al
contrario; por su historia, por la tarea que un da Espaa desarroll en Amrica, se
considera unido familiarmente por vnculos de sangre y de lenguaje con los pueblos
de Amrica. Y lo que deseamos es que este camino que han iniciado hoy con este
viaje por los aires pueda repetirse y que siempre que quieran saber algo de Espaa
vengan a verlo a Espaa misma, con la seguridad de que nosotros no les ocultaremos
absolutamente nada.Ó57
Le dictateur prtend garantir ses htes une certaine ÒtransparenceÓ alors
que, au contraire, il contrle parfaitement lÕimage de son rgime comme le montre
54.
55.
56.
57.
Beatriz Ruiz Correyero, ÒLa propaganda turstica espaola en los aos de aislamientoÓ in
Historia y comunicacin social VIII., Madrid, UCM, 2003, page 53.
Figure n¡12. Billet de mille pesetas Ç La fiesta del naranjo È (1951).
B. Ruiz Correyero, ÒLa propagandaÉÓ, page 52.
Anonyme, Òtitre inconnuÓ, El Alczar, Madrid, 11/02/1950. Ç Le peuple espagnol ne
diffre en rien du peuple amricain, et cÕest mme tout le contraire ; par son histoire, par
lÕÏuvre que lÕEspagne difia jadis en Amrique, elle se considre unie fraternellement par
des liens du sang et de la langue aux peuples dÕAmrique. Et ce que nous dsirons cÕest
que ce chemin ouvert aujourdÕhui par ce vol puisse se prrenniser et que chaque fois que
vous voudrez savoir quelque chose sur lÕEspagne vous viendrez le voir par vous-mmes,
avec lÕassurance que nous ne vous cacherons absolument rien. È
IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974
218
lÕoffre culturelle propose sur place. Les touristes de 1953 peuvent dcouvrir
plusieurs manifestations commmorant le trentime anniversaire de la mort de
Sorolla. Ë Madrid, une exposition organise par la galerie Toisn prsente cent
pochades et dessins indits.58 Pour les inconditionnels de lÕartiste, trois mille
exemplaires numrots du premier catalogue raisonn de lÕÏuvre peinte crit par
Bernardino de Pantorba sont proposs la vente dans le courant de lÕanne.59 Le
livre sera rdit en 1970 dans une luxeuse dition, plus conforme la place de
choix que le rgime accorde cet artiste. En effet, lÕouvrage in folio reli en cuir
rouge, frapp de lettres dÕor et sera tellement raffin que son prix de vente en fera
un objet exclusif. Enfin, le 9 octobre, lÕtat met en circulation un timbre de
cinquante pesetas lÕeffigie du peintre.60 La srie est connue sous le nom ÒSorolla
& LegazpiÓ car elle comprend galement un timbre reprsentant le dcouvreur des
Philippines, Miguel Lpez de Legazpi (1502-1572). Les deux timbres ne circulent
pas sur les courriers ordinaires mais sont propags par del les frontires
puisquÕils sont destins au seul affranchissement arien. Appos sur les plis pour
lÕtranger, le visage du peintre symbolise lÕEspagne. Dans les colonnes du journal
Informaciones, Evaristo Acevedo glose sur les ÒSorollaÓ de papier, quÕil juge tout
aussi inaccessibles que les toiles vritables en soulignant que la valeur du timbre
dpassait celle dÕune livre de jambon !61 LÕanne 1954 voit apparatre les
premiers produits drivs par lesquels la peinture de Sorolla pntre dans les
foyers comme Òart de masseÓ.
Sans connatre un sort comparable LÕAnglus ni aux Glaneuses de JeanFranois Millet (1814-1875), qui ornent mille et un objets du quotidien des
Franais tels que des soufflets, des porcelaines, des canevas, des tabatires ou
encore des botes biscuits, les scnes de pcheurs de Sorolla figurent sur les
pages des almanachs dits par des banques, offerts la clientle pour la nouvelle
anne.62 La prfrence pour Millet, dans la France du Marchal Ptain, et pour
58.
59.
60.
61.
62.
Germn Gmez de la Mata, ÒExposiciones de Arte. Apuntes de SorollaÓ, Crtica, Madrid,
31/01/1953 et M. Chamoso Lamas, ÒDesde Madrid. Exposicin de apuntes de SorollaÓ,
La Noche, Santiago du Chili, 7/02/1953
Anonyme, ÒUn libro fundamental: La vida y la obra de Joaqun SorollaÓ, òltima hora,
Palma de Majorque, 15/06/1953.
Figure n¡13. Timbre de cinquante pesetas Ç Sorolla & Legazpi È (1953) et anonyme,
ÒSello areoÓ, Hierro, Bilbao, 27/09/1953.
Evaristo Acevedo, ÒEl pintor de la carestaÓ, Informaciones, Madrid, 16/10/1953.
Joaqun de Valencia (Joaqun Jos Thous Orts), ÒY sigue sin estatuaÉÓ, Hoja del lunes,
Valence, 5/04/1954 et anonyme, ÒEn el pincel de SorollaÓ, lasprovincias.es, 11/11/2007.
IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974
219
Sorolla, dans lÕEspagne de Franco, sÕajuste aux mmes critres. Les tableaux
reproduits
sont
scrupuleusement
naturalistes
et
refltent
les
valeurs
traditionnelles prnes par ces rgimes autoritaires : le travail, la foi et la famille.
Dans le cas de Sorolla, il sÕagit donc principalement des premires scnes de mer,
celles des annes 1890, reprsentant la vie quotidienne des familles de pcheurs,
cÕest--dire La vuelta de la pesca, La bendicin de la barca, Pescadores
valencianos, Cosiendo la vela, etc.
Ë la fin des annes cinquante, le touriste de passage Madrid peut
difficilement manquer la peinture de Sorolla puisquÕelle se trouve presque
invariablement au centre de lÕactualit culturelle de la capitale. Le rgime ne
laisse rien au hasard et balise mthodiquement le parcours de ses visiteurs. En
1956, une exposition centennale est organise lÕoccasion de lÕanniversaire de
lÕExposition Nationale. Contrairement lÕambition affiche, lÕvnement
nÕintgre pas le sicle en entier car, conformment la ligne idologique des
phalangistes, la Direction Gnrale des Beaux-Arts ne prsente que des tableaux
dÕartistes disparus. Avec vingt-neuf tableaux, Sorolla est un des artistes les mieux
reprsents.63 Deux ans plus tard, le Cercle des Beaux-Arts de Madrid monte une
exposition thmatique autour de sa peinture de jardin en prsentant quarante-six
toiles puis, en 1960, lÕinstitution madrilne hberge une autre exposition
comprenant dix tableaux issus de collections prives.64 Le Cercle des Beaux-Arts
est une fondation culturelle prive cre en 1880 par un groupe dÕartistes pour
assurer la diffusion, la transmission et la promotion des arts. AujourdÕhui, elle
couvre des champs aussi varis que le thtre, la musique, la danse, le cinma ou
encore les sciences.
Au printemps 1960, un documentaire sur Sorolla reprsente lÕEspagne au
festival de Cannes : le cinaste espagnol Manuel Domnguez (inc.-inc.) participe
au concours international avec un court mtrage documentaire intitul Sorolla,
pintor de la luz.65 LÕtat ne participe pas son financement et il sÕagit donc dÕune
production entirement prive. Ce film est en ralit une succession de plans
63.
64.
65.
Jos Rico de Estasen, ÒLa aportacin valenciana a la exposicin. Un Siglo de Arte
EspaolÓ, Levante, Valence, 11/01/1957.
Anonyme, ÒExposicin homenaje a Sorolla en el Crculo de Bellas ArtesÓ, Levante,
Valence, 10/04/1960.
Guillamon, ÒExcelente documental sobre SorollaÓ, Signo, Madrid, 29/08/1959, Juan
Ignacio, ÒDesde el punto de vista educativo el documental resulta interesanteÓ, Signo,
Madrid, 21/05/1960 et Anonyme, ÒLa crtica de Barcelona otorga el VI Ç Premio San
Jorge È de cinematografaÓ, Fotogramas, Barcelone, 4/05/1962.
IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974
220
glissants et de fondus enchans dvoilant des dtails de tableaux du matre. Un
fond musical au piano accompagne ces images et une voix off retrace le parcours
du peintre. Le critique Manuel Snchez-Camargo signe les textes et Salvador Ruiz
de Luna (1908-1978), la musique. Selon le journal Signo, le documentaire ne
passe pas inaperu, mais la ralit est tout autre. Il ne se vend pas et cÕest la raison
pour laquelle il est si difficile dÕen localiser une copie aujourdÕhui. Le Muse
Sorolla en possde une. En Espagne, le film a un certain cho puisque, en mai
1962, la critique catalane lui dcerne le Prix San Jorge dans la catgorie des
courts-mtrages.66 Mais son impact lÕtranger est quasiment nul. Si bien que si
le film tait cens promouvoir lÕEspagne lÕtranger travers lÕÏuvre du
Valencien, le but ne fut pas atteint.
En 1961, un tableau de Sorolla est pour la premire fois appos sur un
poster touristique. LÕOffice du Tourisme de Valence dite cette affiche
promotionnelle conue partir dÕun tableau du Muse Sorolla intitul El
balandrito, qui montre un enfant jouant sur la plage de la Malvarrosa avec son
petit bateau.67 Elle est tire dix mille exemplaires, en deux formats et en cinq
langues : franais, allemand, italien, anglais et espagnol.68 La ville espre ainsi
attirer un tourisme familial car le niveau de vie dans les pays dÕEurope du Nord a
considrablement augment depuis la fin de la guerre. Ë cette poque, le tourisme
de masse connat une croissance vertigineuse. Suivant le modle de la Costa
Brava et de la Costa del Sol, Valence entend profiter de cette manne en
dveloppant les infrastructures de sa cte. LÕexploitation de cette peinture
ensoleille capte sur le motif sur les plages de la Malvarrosa et du Cabaal, est
facilite par son atemporalit. En effet, comme elle nÕest ÒmarqueÓ ni
politiquement, ni socialement, ni historiquement, elle convient trs bien dans les
annes soixante, et continue aujourdÕhui tre utilise des fins promotionnelles
par le ministre de lÕIndustrie, du Tourisme et du Commerce : deux affiches, une
de 1990 et lÕautre de 1998, sont prsentes en annexes.69
66.
67.
68.
69.
Anonyme, ÒLa crtica de Barcelona otorga el VI Ç Premio San Jorge È de
cinematografaÓ, Fotogramas, Barcelone, 4/05/1962.
Figures n¡14. J. Sorolla, peintre de Valence. Espagne (1961) et n¡15. J. Sorolla, Spanien,
(1961).
ÒCuadro de Sorolla en un cartel turstico de ValenciaÓ, Las Provincias, Valence,
4/03/1961.
Figures n¡24. Espagne tout (de nouveau) sous le soleil (1990) et n¡25. Espagne. Plages,
1998.
IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974
221
Il faut encore signaler une occurrence tonnante trouve parmi les archives
de presse du Muse Sorolla, qui atteste lÕexploitation tous azimuts de lÕimage du
peintre. En mars 1963, la compagnie arienne dÕtat Iberia commande un appareil
DC-8 la firme amricaine Douglas Aircraft Corporation. LÕavion est baptis du
nom de Sorolla et son fuselage reoit pour dcoration une scne de retour de
pche inspire dÕun de ses tableaux.70 Le gros-porteur dcolle de Los Angeles
avec, son bord, une missive amicale du directeur de lÕHispanic Society. Pour le
symbole, il entre sur le territoire national par la localit galicienne dÕEl Ferrol,
ville natale de Franco, et atterrit ensuite lÕaroport de Valence, o il est attendu
par un reprsentant du maire, par les autorits militaires et religieuses. Il sÕenvole
ensuite pour Madrid o il rejoint la flotte transatlantique de la compagnie. Ds
lÕembarquement, les touristes nord-amricains se trouvent dj en contact avec le
nom et lÕimage de Sorolla qui a la proprit dÕvoquer immdiatement lÕEspagne
radieuse quÕils sÕattendent dcouvrir. Tous les vnements lis au peintre de
Valence, de la tenue dÕune exposition la mise en circulation dÕun timbre,
formaient ensemble une chane vnementielle dont la courbe de rpartition des
archives de presse du Muse Sorolla rend clairement compte puisquÕelle se
maintient un niveau lev sans quasiment flchir jusquÕen 1963.
Tout au long des annes cinquante et jusquÕau dbut des annes soixante,
une iconographie choisie, dont font partie des images tires de la peinture de
Sorolla, nourrit la propagande extrieure dÕun rgime soucieux de changer son
image dans le reste du monde et dÕexploiter le potentiel conomique de son
littoral mditerrannen. Certes, lÕimage de Sorolla est alors projete lÕtranger ;
mais on a vu galement que, de manire indissociable, elle nourrit lÕoffre
touristique propose sur place. Ë ce titre, un dessin de Rafael Munoa (1930)
illustre avec sagacit ce double aspect des choses. On y voit au premier plan deux
croisiristes confortablement installs sur des chaises pliantes caractristiques des
paquebots transatlantiques et qui portent, pour cette raison, le nom de ÒtransatsÓ.
La chaleur semble crasante alors que les deux touristes ne se trouvent ni sur le
pont dÕun bateau ni sur aucune plage mais dans la salle dÕun muse, face deux
tableaux de Sorolla. Effar, le gardien-matelot sÕcrie : Ç Comprendemos, seores
70.
Figure n¡17. Un avion baptis au nom de Sorolla (1963) et Anonyme, ÒEl nuevo reactor
trasatlntico de Iberia que llevar el nombre de SorollaÓ, Las Provincias, Valence,
27/03/1963.
IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974
222
turistas, que Sorolla tiene mucha luz mediterrneaÉ Pero no es para ponerse
asÉ71 È LÕhumour repose sur la confusion entre lÕimage publicitaire et la ralit.
Car au lieu de contempler lÕEspagne telle quÕelle sÕoffre leurs yeux, les deux
touristes se pment devant une image fabrique par un artiste. Les deux touristes
du dessin ne contemplent-ils pas, au fond, lÕEspagne quÕils sont venus chercher ?
CÕest la question que semble poser Rafael Munoa. Le dbut des annes soixante
est la fois le prolongement et lÕapothose de lÕinstrumentalisation de lÕimage de
Sorolla par le rgime car, encore plus quÕauparavant, le centime anniversaire de
la naissance du peintre va servir de vitrine.
LÕtat ne manque pas ce rendez-vous et prpare rien de moins quÕune
ÒAnne SorollaÓ, qui est annonce dans la presse en mai 1962.72 Ë la manire
dÕune fte, cet anniversaire aurait un caractre national. En Espagne, les peintres
sont rarement clbrs ainsi. En la matire, le seul prcdent comparable cette
ÒAnne SorollaÓ pourrait tre le troisime centenaire de Diego Vlasquez, en
1899. Il avait t commmor en grande pompe car, dans la deuxime moiti du
XIXme sicle, le matre de Sville tait admir par les peintres du monde entier
qui venaient Madrid pour copier ses tableaux dans les salles du Muse du
Prado.73 Vlasquez tait, cette poque, un symbole de la culture espagnole
connu lÕtranger.
Un dcret du ministre de lÕducation Nationale dat du 8 janvier 1963, et
publi au Boletn Oficial del Estado du 2 fvrier suivant, confirme la tenue de
clbrations compter du 27 fvrier 1963, jour du centenaire de la naissance du
peintre et jusquÕau mme jour de lÕanne suivante.74 Cette priode constitue un
sommet critique, ainsi que le prouvent les cinq cent douze articles conservs au
Muse Sorolla pour la seule anne 1963. Les archives contiennent une majorit
dÕarticles dÕinformation, des biographies condenses et quelques articles
dÕopinion. Blanco y Negro nÕhsite pas sortir un supplmnt de vingt-six pages,
ÒSorolla, el hombre y la obraÓ, driv du livre de Pantorba.75 LÕorganisation de
71.
72.
73.
74.
75.
Rafael Munoa (dessin), ÒSans titreÓ, Ya, Madrid, 24/04/1963 et figure n¡19. Dessin
humoristique sans titre (1963).
Anonyme, ÒConmemoracinÓ, Dgame, Madrid, 22/05/1962.
Gary Tinterow, ÒRaphal supplant : le triomphe de la peinture espagnole en FranceÓ in
Manet Vlazquez, la manire espagnole au XIXe sicle, Paris, RMN, 2002, pages 16-82.
Vicente Badia, ÒNuestra ciudad. Centenario de SorollaÓ, Las Provincias, Valence,
7/02/1963.
Bernardino de Pantorba, ÒSorolla, el hombre y la obraÓ, Blanco y Negro, Madrid,
13/04/1963.
IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974
223
cette anne commmorative est confie un Comit dÕHonneur lu pour
lÕoccasion et compos du sous-secrtaire du ministre de lÕducation Nationale,
Luis Legat Lafarga (inc.-inc.), du directeur gnral des Beaux-Arts, Gratiniano
Nieto Gallo (1917-1986), des membres du comit xcutif du Muse Sorolla, du
directeur de lÕAcadmie Royale des Beaux-Arts de San Fernando, Jos Eugenio
de Baviera (inc.-inc.), du maire de Valence, Adolfo Rincn de Arellano, et du
directeur de lÕAcadmie des Beaux-Arts de San Carlos.76 Ce comit et les souscommissions qui en dpendent sont chargs dÕtablir le programme vnementiel
de lÕanne.
La veille de la journe inaugurale, le quotidien Levante titre avec emphase
ÒMaana nacer SorollaÓ, car le peintre sera certainement redcouvert grce aux
expositions commratives.77 Le programme est ouvert par une messe donne en
une chapelle de la cathdrale qui est immdiatement suivie dÕune crmonie de
reccueillement autour de la tombe du peintre, au cimetire municipal. Ë midi, le
nouveau monument install dans le quartier maritime est dvoil et inaugur par
le prsident du comit charg de lÕorganisation des festivits, Luis Legat Lafarga,
le directeur gnral des Beaux-Arts, Gratiniano Nieto Gallo (1917-1986), son
prdcesseur le marquis de Lozoya, etc.78 Levante souligne que la prsence des
autorits venues de Madrid donne un caractre national cet vnement
dcentralis.79 Comme en 1944, la dimension nationale du peintre prime. Valence
nÕest dÕailleurs que le prlude du programme qui doit battre son plein Madrid.
Comme un symbole, le cours des clbrations suit la trajectoire du peintre, de la
province vers la capitale. Le cortge valencien prend ensuite la direction du
Muse Municipal, l mme o, en 1944, la premire grande exposition posthume
sÕest tenue. Une slection trs rduite est prsente, probablement pour ne pas
faire dÕombre lÕexposition madrilne prvue pour la mi-avril. Trente tableaux
seulement sont accrochs, dont plusieurs sont dj connus des Valenciens.
Paralllement, le Conseil Gnral organise une autre manifestation en runissant
76.
77.
78.
79.
Anonyme, ÒEl Ayuntamiento va a celebrar el centenario del nacimiento del pintor
SorollaÓ, Jornada, Valence, 19/01/1963.
Salvador Chanz, ÒMaana nacer SorollaÓ, Levante, Valence, 26/02/1963.
Anonyme, ÒConmemoracin del centenario del nacimiento de Sorolla. Descubrimiento
del monumento al insigne artista en su nuevo emplazamientoÓ, Jornada, Valence,
27/02/1963.
Luis Vidal Corrella (photographies), ÒCarcter nacional del homenaje a SorollaÓ, Levante,
Valence, 28/02/1963.
IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974
224
quelques travaux du jeune Sorolla lÕpoque o, en tant que pensionnaire de
lÕAcadmie Espagnole de Rome il avait bnfici dÕune bourse dÕtude.80 Enfin,
une confrence donne par le marquis de Lozoya lÕAcadmie de San Carlos sert
dÕpilogue cette journe.
LÕvnement majeur de cette anne commmorative est donc la grande
rtrospective organise Madrid dans le Casn del Buen Retiro du Muse du
Prado et inaugure par le chef de lÕtat. Avant elle, la Direction Gnrale des
Beaux-Arts y a organis les expositions de trois matres espagnols : Diego
Vlasquez, Francisco de Goya et Pedro Berruguete (1450-1504).81 Elle affirme
ainsi la place de choix que Sorolla occupe dsormais lÕintrieur de la politique
culturelle du rgime. Cent trente tableaux, vingt-quatre pochades et soixante-huit
dessins du Valencien sont prsents au public durant un mois, compter du 22
avril 1963.82 Comme le dcor Visin de Espaa ne peut pas quitter les murs de
lÕHispanic Society, des diapositives en couleurs des quatorze panneaux sont
projetes dans une salle.83 Il sÕagit alors de lÕexposition la plus complte jamais
ralise car elle prsente un ensemble partant de sa premire toile connue, une
nature morte peinte vers lÕge de quinze ans, jusquÕaux jardins de sa maison
madrilne quÕil peignit la fin de sa vie.84 Tous les genres quÕil avait abords
cÕest--dire la peinture religieuse, la peinture ÒthseÓ, la scne dÕintrieur, le
portrait Ð y compris le portrait royal Ð le paysage, le nu, la scne de plage, de
jardin, etc. Mme sa peinture dÕhistoire, qui avait compltement sombr dans
lÕoubli, est exhume des collections publiques. DÕailleurs, le 21 avril, jour de
lÕinauguration, le chef de lÕtat Francisco Franco pose devant une Ïuvre de
jeunesse, El dos de mayo, un sujet de guerre, symbole dÕunit nationale.85 La
reprsentation officielle donne une ide de lÕimportance de cet vnement puisque
le chef de lÕtat est accompagn du Capitaine gnral des armes, Agustn Muoz
Grandes (1896-1970) Ð ex-commandant de la Divisin Azul Ð, du ministre de
lÕducation Nationale Manuel Lora Tamayo (1904-2002), et plusieurs autres
80.
81.
82.
83.
84.
85.
Sorolla. Pensionado de la Diputacin, Valence, Diputacin Provincial de Valencia, 1963.
Sorolla 1863-1923. Primer centenario del nacimiento de Sorolla, Madrid, Ministerio de
Cultura, 1963, page 2.
ÒFranco y su esposa inauguraron la Exposicin de Obras de Sorolla en el Casn del
Retiro, en MadridÓ, El Adelantado de Segovia, Sgovie, 22/04/1963
Mercedes Chivelet, ÒEsta primavera: Sorolla, en el CasnÓ, Pueblo, Madrid, 8/02/1963.
Bodegn, 45x65, Valence, Muse des Beaux-Arts, 1878.
Figure n¡18. Franco a inaugur lÕexposition Sorolla (1963).
IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974
225
ministres en fonction assistent cet vnement.86 Parmi les invits trangers se
trouve Anne-Aymone Giscard dÕEstaing (1933) lÕpouse de Valry (1926),
ministre des Finances du prsident De Gaulle. La mdiatisation de lÕexposition est
assure par la presse et la radio mais aussi par la tlvision qui est cette poque
un media nouveau. Elle ne compte cette poque quÕune seule chane, Televisin
Espaola (TVE), qui mettait quotidiennement depuis 1956.87
Ë lÕoccasion de cette exposition, la Direction Gnrale des Beaux-Arts fait
diter un catalogue dans lequel tous les tableaux sont reproduits en noir et blanc.88
Il ne contient quÕun court article biographique et des repres chronologiques
tablis par Bernardino de Pantorba. DÕun point de vue bibliographique,
lÕvnement est trs mal couvert, peut-tre parce que les autorits lÕont annonc
trop tard. La grande monographie du mme auteur publie en 1953 est puise et
elle ne sera pas rdite avant 1970.89
La fin de lÕanne Sorolla est suivie dÕune nouvelle mission philatlique
lÕoccasion de la Òjourne du timbreÓ, le 23 mars 1964.90 Une srie de dix timbres,
sur lesquels figurent principalement des tableaux prsents lÕanne prcdente, est
tire quatre millions dÕexemplaires. Durant dix ans, Sorolla a occup lÕespace
mdiatique parfois de manire inattendue et bien loigne de lÕart en soi. Pourtant,
et en dpit des formes surprenantes de la ÒdiffusionÓ, la connaissance de son
Ïuvre sÕest considrablement amliore sous la dictature grce toutes les
expositions inaugures entre 1944 et 1963. Durant ce laps de temps, des tableaux
ont t runis et montrs ensemble. Pour le public, ces conditions ont permis une
meilleure
connaissance
de
lÕart
du
Valencien.
Si
le
franquisme
a
incontestablement son lot de consquences ÒpositivesÓ sur la rception du peintre,
cette priode de Òsur-expositionÓ pose la question de son devenir, aprs la mort de
Franco et la disparition de son rgime autoritaire. En effet, en tant que support de
propagande de la dictature, la peinture de Sorolla est dsormais fortement
86.
87.
88.
89.
90.
Anonyme, ÒEl Caudillo presidi la inauguracin de la Exposicin de las obras de
SorollaÓ, Nueva Espaa, Huesca, 23/04/1963.
Miguel Costas et Carlos Marimn, ÒAyer en TV. SorollaÓ, Noticiero Universal,
Barcelone, 1/05/1963.
Sorolla 1863-1923. Primer centenario del nacimiento de Sorolla, Madrid, Ministerio de
Cultura, 1963.
Bernardino de Pantorba, La vida y la obra de Joaquin Sorolla. Estudio biogrfico y
crtico, Madrid, Grficas Monteverde, 1970, page 8.
Anonyme, ÒEl 24 de marzo se pondr en circulacin la serie dedicada al Da del SelloÓ,
Yugo, Almera, 15/02/1964. Figure n¡20. Srie de timbres Ç Pintor Joaqun Sorolla È.
IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974
226
connote et cela pourrait un jour la condamner une nouvelle mise lÕcart
comme cela avait dj t le cas au dbut de lÕre franquiste. Jusque-l, et en dpit
de lÕalternance au pouvoir et mme des changements de rgime, lÕÏuvre de
Sorolla continue de dmontrer son tonnante capacit traverser et sÕadapter
toutes les poques.
IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974
227
IV.3. LE REGARD DE LA GNRATION POST-SOROLLISTE
Es comprensible que cualquier gesto innovador, esbozado entre
nosotros, hubiese de tener, en consecuencia, algo de desafo
antisorollista. Pedro Salinas, hablando de la reaccin de los
escritores del 98 frente a don Vicente Blasco Ibez, la calific
de Òjusta injusticiaÓ. Otro tanto podra decirse de la actitud ante
Sorolla de muchos pintores valencianos posteriores. Fueron
ÒinjustosÓ, pero con razn. Con una razn que, en ltima
instancia, la proporcionaban, no don Joaqun, sino sus
aburridos seguidores.91
Fuster, ÒSorolla, en un cartelÓ, Jornada, Valence, 11/03/1961.
LÕarrive au pouvoir des franquistes avait provoqu un retour une
politique artistique trop ractionnaire pour autoriser lÕinnovation. LÕextrme
droite lÕavait salue comme la restauration des valeurs classiques : Ç Por fortuna,
en estos ltimos aos, y sin que ello pueda interpretarse como un sntoma de
regresin, se advierte un marcado afn revisionista a la luz de una estimacin
clsica de los valores. È92 Pour orienter la production des Beaux-Arts, le pouvoir
peut agir au moins sur deux leviers : les coles dÕart et lÕExposition Nationale. La
dernire dition du concours avait eu lieu en 1936 et la premire de lÕre
franquiste est organise en 1941. Ë partir de cette date, la transmission et la
validation des savoirs artistiques campe sur des principes dpasss, hrits du
XIXme. Au bnfice de lÕimplantation dÕun rgime ultra-conservateur, les exÒsorollistesÓ qui avaient t vilipends par la critique aprs la mort de leur matre,
sont en train dÕtre reconsidrs dans les annes quarante. Sic transit gloria
mundi. Tout porte croire que Francisco Franco, qui est lui-mme peintre
91.
92.
Ç Il est comprhensible que chacune de nos actions innovantes dut avoir, comme
consquence, un air de dfi antisorolliste. En voquant la raction des crivains de la
gnration de 98 face don Vicente Blasco Ibez, Pedro Salinas la qualifia dÕÒinjustice
justifieÓ. On pourrait en dire autant de lÕattitude de beaucoup de peintres valenciens issus
des gnrations suivantes, face Sorolla. Ils furent ÒinjustesÓ, mais juste titre. Avec une
raison qui, au fond, ne venait pas de don Joaqun, mais de ses ennuyeux continuateurs. È
Benito Rodrguez Filloy, ÒLa gran exposicin Sorolla en ValenciaÓ, Arriba, Madrid,
28/05/1944. Ç Par chance, ces dernires annes, et sans que cela puisse tre interprt
comme un signe de rgression, on remarque un retour bien marqu vers la tradition,
motiv par la revalorisation des valeurs classiques. È
IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974
228
amateur, nÕest pas tranger cette rhabilitation.93 N en 1892, il est
contemporain de la deuxime gnration de ÒsorollistesÓ. Manuel Benedito et
Francisco Pons Arnau sont deux de ses portraitistes. Franco apprend tardivement
les Beaux-Arts auprs dÕun peintre acadmique, Fernando çlvarez de Sotomayor
(1875-1960), originaire comme lui dÕEl Ferrol et qui avait t directeur du Muse
du Prado de 1922 jusquÕ lÕavnement de la Rpublique, en 1931. Il fut alors
destitu de son poste mais le rintgra au bnfice de la victoire franquiste, en
1939. Dans les annes quarante, non seulement les disciples de Sorolla exposent
nouveau, comme Francisco Pons-Arnau et Salvador Tuset qui montent leur propre
exposition individuelle, respectivement en 1942 et en 1946, mais en outre, les
autorits leur commandent des tableaux et leur confient dÕimportants postes de
direction et dÕenseignement au sein des institutions des Beaux-Arts. Manuel
Benedito enseigne lÕcole des Beaux-Arts de Madrid, en lieu et place de son
matre. Il prside le Comit de direction du Muse Sorolla en 1941 et intgre celui
du Muse du Prado en 1951. Salvador Tuset devient professeur lÕcole des
Beaux-Arts de Valence en 1943, avant dÕen devenir le directeur, trois ans plus
tard.94 Par ailleurs, il est sur le point dÕobtenir la Mdaille dÕHonneur en 1948. 95
Ceux-l mme que plus aucun journaliste ne dsigne sous le nom infamant de
ÒsorollistesÓ sont donc chargs de former une nouvelle gnration, ne dans les
annes vingt et trente. Cette ÒrelveÓ, on va le voir, nÕa pas connu Sorolla et
connat superficiellement son Ïuvre.
LÕarrive au pouvoir des franquistes a rduit nant la diversit artistique
des annes trente tout dÕabord parce que la plupart de ceux qui avaient t des
partisans de la rnovation avaient aussi t les adversaires du soulvement des 17
et 18 juillet. Certains ont mme pris les armes et combattu dans les milices
populaires et ont t, pour cela, tantt tus au front, tantt victimes de la
rpression, cÕest--dire perscuts, emprisonns ou excuts. Mais la plupart des
artistes anti-acadmiques russirent sÕexiler avant, pendant, ou aprs le conflit,
comme les surralistes Maruja Mallo (1902-1995), îscar Domnguez (19061957), Remedios Varo (1908-1963), Manuel Viola (1916-1987) et beaucoup
93.
94.
95.
Narciso Campillo Balboa, ÒFranco, gran mecenas de las ArtesÓ, Diario de Cdiz, Cadix,
1/10/1957.
Manuel Muoz Ibez, La pintura valenciana de la posguerra, Valence, Universitat de
Valncia, 1994, pages 35-36.
Anonyme, ÒNueva York descubre la obra de Salvador Tuset, discpulo de SorollaÓ,
heraldo.es, 25/05/2007.
IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974
229
dÕautres. Maruja Mallo quitta lÕEspagne en 1936 pour le Portugal avant de
rejoindre lÕArgentine. îscar Domnguez et Javier Bueno (1915-1979) voyagrent
clandestinement Paris, et Remedios Varo gagna la France avant de partir pour le
Mexique. Javier Bueno a jou en rle notable en excutant deux chef-dÕÏuvres
conservs au Muse Goya de Castres : le Combattant espagnol et Judith et
Holopherne, Ïuvres politiques empreintes de rminiscences mdivales et
renaissantes. Enfin, Manuel Viola sÕexpatria Paris aprs avoir combattu dans les
milices du Parti Ouvrier dÕUnification Marxiste (POUM). Il convient ici de
souligner que les peintres acadmiques et, parmi eux, des disciples de Sorolla, ont
aussi t victimes de la guerre. Par exemple, Jos Manaut Viglietti fut emprisonn
Madrid parce quÕil avait t franc-maon et ses dessins raliss dans les prisons
de Porlier et de Carabanchel ont rcemment t exposs Madrid.96
Au moins jusquÕ la fin de la Deuxime Guerre Mondiale, lÕisolement et la
censure des artistes rsidant en Espagne est extrme. Mais au-del de cette
priode noire et alors que le rgime amorce le virage de lÕouverture et de la
ÒnormalisationÓ, quelques jeunes artistes commencent sÕaffranchir du carcan
acadmique. Ainsi, entre 1945 et 1950, des collectifs voient le jour en marge des
institutions officielles. En 1947, les Valenciens Manuel Gil (1925-1952) et Jos
Vento (1925) parviennent fdrer autour dÕeux un petit groupe compos de huit
lves de lÕcole des Beaux-Arts de San Carlos dsireux de se dmarquer du
modle enseign.97 Ils forment ensemble le groupe Z qui se fait connatre en
novembre de la mme anne en organisant une exposition commune dans la
librairie Faus, Valence. Une initiative semblable voit le jour la mme anne
Saragosse. Autour de lÕarchitecte Santiago Lagunas (1912-1995), un petit groupe
dÕartistes se retrouve dans la librairie Prtico afin de se tenir informs des
dernires tendances artistiques. Ce groupe, auquel appartient le peintre Fermn
Aguayo (1926-1977), expose la galerie Bucholz de Madrid avant de se sparer
en 1950. En Catalogne, le collectif avant-gardiste Dau al Set Ð la septime face du
d Ð, dont font partie les peintres Joan Josep Tharrats (1918-2001), Antoni Tpies
(1923-2012), Modest Cuixart (1925-2007) et Joan Pon (1927-1984), voit le jour
en 1948. En mme temps, Santander, le collectif lÕcole dÕAltamira dont font
partie Willi Baumeister (1889-1955) et Pancho Cosso (1898-1970), revendique
96.
97.
Patricia Ortega Dolz, ÒEl artista cautivoÓ, El Pas, Madrid, 22/06/2008.
M. Muoz Ibez, La pinturaÉ, page 107-116.
IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974
230
lÕhritage des peintures rupestres du site prhistorique quÕil considre comme leur
manifeste. Ces artistes partagent au moins trois points communs : ils ont une
vingtaine dÕannes environ, rejettent lÕenseignement de la peinture tel quÕil est
dispens dans les structures officielles et cherchent rester en contact avec lÕart
pratiqu hors des frontires du pays.
Ë la fin des annes quarante, le rgime sÕemploie changer son image
lÕtranger afin de rtablir des relations diplomatiques cordiales avec le reste du
monde. En juillet 1946, lÕambassadeur dÕEspagne au Vatican, Joaqun RuizGimnez (1913-2009), reprsente son pays lors du XIXme rassemblement des
jeunesses catholiques, Pax Romana, qui se tient San Lorenzo del Escorial. Ce
colloque dbouche sur la cration dÕune fondation destine renforcer les
relations culturelles entre les pays ibro-amricains. LÕtat franquiste lÕintgre
ensuite son appareil en faisant de lÕInstitut de Culture Hispanique une institution
officielle part entire. En 1951, Ruiz-Gimnez est nomm ministre de
lÕducation Nationale et prsident de cet Institut. Pour faire exister lÕhispanit et
orienter la politique culturelle du pays en direction de lÕouverture et du
cosmopolitisme, lÕInstitut de Culture Hispanique sÕemploie dvelopper les
changes avec le continent amricain en finanant, notamment, un programme
ditorial scientifique et des bourses universitaires. En 1951, lÕInstitut organise la
Ire Biennale hispano-amricaine. LÕexposition comprend quatre sections :
architecture, sculpture, peinture et dessin / gravure. Mille trois cents Ïuvres en
provenance de quinze pays trangers sont exposes : Argentine, Chili, Colombie,
Cuba, quateur, tats-Unis, Honduras, Nicaragua, Panama, Paraguay, Prou,
Philippines, Rpublique dominicaine, Salvador et Venezuela. La Biennale est
inaugure par le chef de lÕtat le 12 octobre, fte nationale et jour de lÕHispanit.
JusquÕau 28 fvrier de lÕanne suivante, Madrid accueille des ralisations non
figuratives qui sont toutes englobes, par la critique espagnole, sous le terme
gnrique et vague dÕabstraction. Pour dissimuler au monde le repli artistique de
lÕEspagne, lÕexposition doit donner lÕillusion que le pays nÕest pas hostile aux
nouveaux courants picturaux. Pour cette raison, lÕInstitut de Culture Hispanique
expose les avant-gardes trangres et, pour reprsenter lÕEspagne, invite les
collectifs avant-gardistes Dau al Set, Prtico, lÕcole dÕAltamira, etc. ainsi que le
IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974
231
Catalan Salvador Dal (1904-1989), dont lÕÏuvre est dj reconnue en Europe et
aux tats-Unis.98
Dans la presse phalangiste, les intentions du rgime ne sont pas toujours
comprises ni partages. Par exemple, Dgame sÕindigne de voir dferler Madrid
une telle vague de nouveauts cot des classiques et imagine un dialogue
improbable entre des personnages peints :
Doa Juana la Loca se ha apartado un momento del fretro que encierra los restos de
su real esposo para preguntar a los judos expulsados, a los nios de la playa al
jovencito don Juan de Austria y a las hijas del Cid qu locura es esta. [É] Don
Francisco, don Emilio, don Joaqun, etctera, sabrn perdonar. Son aires nuevos los
que nos llegan. Y ya tendremos cuidado de evitar las corrientes.99
Il faut reconnatre dans ce passage cinq tableaux biens connus conservs
dans les collections du Muse du Prado : Doa Juana la Loca de Francisco
Pradilla, Expulsin de los judos de Espaa dÕEmilio Sala, Chicos en la playa de
Sorolla, Don Juan de Austria dÕEduardo Rosales (1836-1873) et Las Hijas del Cid
de Discoro Puebla (1831-1901).100 Selon le journaliste, les peintres espagnols
doivent se tenir lÕcart de toute influence trangre. Ce qui vient de lÕextrieur
est jug pernicieux, commencer par le libralisme hrit de la Rvolution
franaise. Les observateurs les plus ractionnaires martlent lÕide que lÕart
national a chapp la dcadence et les commentaires les plus absurdes fusent
pour dfendre les orientations esthtiques prnes par les institutions officielles.
Mais, au mme moment, les voix divergentes de quelques jeunes artistes sÕlvent
dans lÕespace mdiatique. Dans les colonnes du journal Ayer, un peintre form
Sville entre 1941 et 1946, Francisco Moreno Galvn (1925-1999), dclare sans
dtour que les coles des Beaux-Arts ne rendent pas service lÕartiste et que lÕon
98.
99.
100.
Jos Guillot Carratal, ÒLa I Bienal Hispano-americana de ArteÓ, La Gaceta Regional,
Salamanque, 18/10/1951.
R. de G. ÒPerdn, MaestrosÓ, Dgame, Madrid, 16/10/1951. Ç Jeanne la Folle sÕest carte
un moment du cerceuil contenant les restes de son poux royal pour demander aux juifs
expulss, aux enfants de la plage, au jeune don Juan dÕAutriche ainsi quÕaux filles du Cid,
quelle est donc cette folie. [É] Don Francisco, don Emilio, don Joaqun et c¾tera sauront
pardonner. Ce sont des vents nouveaux qui soufflent jusquÕici. Et nous prendrons soin
dÕviter les courants. È
Ë Madrid, Muse National du Prado : Francisco Pradilla, Doa Juana la Loca, 300x500,
1878. Emilio Sala, Expulsin de los judos de Espaa, 313x281, 1889. Joaqun Sorolla,
Chicos en la playa, 118x185, 1910. Eduardo Rosales, Don Juan de Austria, 76Õ5x123Õ5,
1869 et Discoro Tefilo Puebla, Las Hijas del Cid, 232x308, 1879.
IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974
232
y respire un air dprimant.101 Il ne cache pas son admiration pour Pablo Ruiz
Picasso (1881-1973), quÕil considre comme un chef de file en exil alors mme
que, auprs de la droite catholique, ce dernier fait figure de dmon. Pour un
journaliste dÕExtremadura, Picasso est investi dÕune mission funeste consistant
dtruire le spirituel dans lÕart. Puisque lÕEspagne a dclar le communisme hors la
loi, le journaliste propose dÕinterdire la libert artistique afin de prserver les
jeunes du venin de la modernit.102 Le peintre qui vit en France a sign le
manifeste anti-Biennale des artistes espagnols et hispano-amricains rsidant
Paris. Des contre-biennales sont mme organises Paris, Mexico et Caracas.103
La Biennale met en vidence une fracture qui est peut tre moins
idologique que gnrationelle. En effet, La Verdad publie un article intitul ÒLa
Bienal y los pintores clasicistasÓ, dans lequel le journaliste sollicite lÕopinion dÕun
jeune peintre de la Phalange. Pour un certain Gregorio Cebrin, les artistes
espagnols doivent tre en contact avec lÕtranger et il juge lÕisolement comme un
acte suicidaire !
104
JusquÕ la transition dmocratique, deux visions du systme
des Beaux-Arts sÕopposent, lÕune ultra-conservatrice, dont le modle est toujours
la peinture naturaliste, et lÕautre ÒmodrmentÓ progressiste, convaincue que cette
tape doit tre dpasse. Comme par le pass, Sorolla sert de porte-tendard aux
premiers, ainsi quÕon va le voir maintenant.
LÕhistorien dÕart Bernardino de Pantorba (1896-1990) est aussi un peintre
qui appartient la gnration des derniers disciples de Sorolla. On peut souligner
quÕil est le neveu des frres Jimnez Aranda que le Valencien avait trs bien
connus. Selon lui, seule une deuxime vague de ÒsorollismeÓ est susceptible de
prserver le pays de lÕinfluence venue dÕailleurs. Il idalise le rle que le
Valencien a jou auprs de la jeunesse et le rapporte, comme ici, avec des accents
la fois mystiques et militaires comme sÕil eut t jadis un ÒguideÓ : Ç Llega por
consiguiente lo que se ha llamado Òla poca del sorollismoÓ. Sorolla, el
renovador, conduce a su legin por el camino sano y luminoso. [É] A su
alrededor se forman muchos; por librarse de quien as manda y sujeta, otros se
101.
102.
103.
104.
J.M.C., ÒLa joven pintura espaola en la BienalÓ, Ayer, Jan, 21/10/1951.
Francisco Mirn, ÒModernismo pernicioso en la pinturaÓ, Extremadura, Cceres,
10/02/1955.
Francisco Javier çlvaro Oa, ÒLa I Bienal Hispanoamericana de 1951. Paradigma y
contradiccin de la poltica artstica franquistaÓ in www.ahist.con.org.
Antonio Oliver, ÒLa Bienal y los pintores clasicistasÓ, La Verdad, Murcie, 8/09/1951.
IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974
233
aventuran por el campo opuesto. È105 Bernardino de Pantorba ralise un travail de
fond car il a accs aux archives familiales. Tous ses livres sont trs bien
documents et cÕest la raison pour laquelle ils feront longtemps autorit. Il signe
dÕailleurs lÕarticle consacr au peintre lÕintrieur de lÕEncyclopdie EspasaCalpe. Vingt-quatre tableaux y sont reproduits, dont un en couleur. Quant sa
vision de Sorolla, elle est minemment nationaliste et traditionelle.106 Un des
critiques les plus conservateurs du moment est Jos Guillot Carratal (inc.-inc.). Il
est la fois journaliste et historien dÕart. En tant que spcialiste des productions
artisanales nationales, il publie des ouvrages sur le verre, la cramique, la
tapisserie et lÕventail. Il signera en 1967 une courte biographie du Valencien,
sans grand intrt puisquÕil sÕagit dÕun pot pourri dÕempreints divers plutt quÕune
tude nouvelle.107 Aprs avoir parcouru les diffrents sites de la Biennale, il ne
dissimule pas son malaise face aux Avant-gardes espagnoles mais il affirme
ensuite que quelques peintres acadmiques venus du continent amricain ont
lÕenvergure dÕun Sorolla.108 Sous le franquisme lÕcriture de la vie de Sorolla reste
dÕabord la chasse garde de la critique conservatrice puis les choses changent
dans les annes soixante et soixante-dix. Mme si Pantorba est une sorte de
Òbiographe officielÓ et que Guillot Carratal publie un opuscule, des critiques plus
ÒpondrsÓ tels que Enrique Lafuente Ferrari, Vicente Aguilera Cerni (19202005) et Joaqun de la Puente (1925-2001) adoptent une approche plus esthtique
de son Ïuvre en sÕattachant la mettre en lien avec les courants picturaux de son
poque.109
Dans lÕEspagne de Franco, aucun artiste dsireux dÕinnover ne sÕidentifie
lÕÏuvre de Sorolla. LÕadolescence des jeunes Espagnols a t interrompue par la
guerre civile et ils nÕont ensuite connu que la dictature. Dans ces conditions, la
peinture dÕaprs-guerre est logiquement grave et empreinte de noirceur. Ç Lo de
105.
106.
107.
108.
109.
Bernardino de Pantorba, Gua del Museo Sorolla, Madrid, Grficas Nebrija, 1951, page
18. Ç Ce que lÕon a appel ÒlÕpoque du sorollismeÓ arrive alors. Sorolla, le rnovateur,
conduit sa lgion sur le chemin sain et lumineux. [É] Autour de lui beaucoup se
rassemblent ; voulant se soustraire lÕautorit de celui qui commande ainsi, dÕautres
sÕaventurent dans le camps adverse. È
Enciclopedia universal ilustrada europeo-americana, Madrid, Espasa-Calpe, 1958, pages
568-576.
Jos Guillot Carratal, El pincel deslumbrador, Plasencia, Snchez Rodrigo, 1967.
Jos Guillot Carratal, ÒLa I BienalÉÓ.
Joaqun de la Puente, Joaqun Sorolla, Buenos Aires, Codex, 1964. Enrique Lafuente
Ferrari, Conmemoracin de Sorolla: disertacin leda en el acto inaugural del curso el
da 15 de octubre de 1963, Madrid, Ministerio de Educacin Nacional, 1963 et Vicente
Aguilera Cerni, Dibujos de J. Sorolla, Ibrico europea de ediciones, 1973.
IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974
234
Valencia ya ha pasado È Ð que lÕon pourrait traduire par : Ç LÕcole de Valence,
cÕest du pass È Ð affirme Daniel Vzquez Daz pour signifier que la peinture
lumineuse ne dans cette ville nÕa plus de raison dÕtre dans les annes
cinquante.110 Pour sÕen dmarquer assez nettement, les membres du groupe Z,
Manolo Gil Prez (1925-1957) et ses camarades Jos Vento (1925-2005), Jacinta
Gil (1917), Custodio Marco (1925-2003), Manuel Benet (inc.-inc.), Ricardo
Zamorano (1930), Federico Montaana (1928-2006) et Carmen Prez Giner (inc.inc.), cultivent une esthtique sombre inspire de lÕÏuvre du matre hollandais
Rembrandt (1606-1669). Manolo Gil Prez est visiblement cÏur par la peinture
de Sorolla et il sÕen explique au cours dÕun entretien dans lequel il affirme que le
professeur Salvador Tuset lÕa jadis oblig copier le peintre de la lumire durant
une anne entire pour obtenir la validation de son cursus !111 Ë dfaut des
tableaux vritables, lÕlve avait copi de simples lithographies comme le
confirment plusieurs tmoignages. Dans Informaciones, un peintre anonyme
voque Ç la prodigada reproduccin litogrfica de la obra sorollana, que tan mal le
refleja. È112 En 1953, un journaliste voit dans lÕusage de ces reproductions un
dfaut majeur de lÕenseignement dispens Valence : Ç Desgraciadamente, los
jvenes pintores no disfrutan de las enseanzas vivas, prendidas en sus lienzos, de
quien es ya un clsico de la pintura espaola. [É] debemos llegar con mayor
frecuencia a los originales pictricos ms valiosos, pues de ver sus reproducciones
litogrficas al uso se nos familiarizan rebajados. È113 Malheureusement ces
lithographies si prcieuses pour une plus juste connaissance du ÒsorollismeÓ ne
figurent pas dans les archives historiques de lÕAcadmie de San Carlos, si bien
que demeurent de nombreuses questions concernant le choix des Ïuvres
110.
111.
112.
113.
Jos Guillot Carratal, ÒLa exposicin de Ç Jardines de Sorolla È ha tenido un gran xito
de pblicoÓ, Las Provincias, Valence, 7/10/1958.
Adolfo de Azcrraga, ÒSorollismo y Antisorollismo. Con posdata sobre un monumento
inexcusableÓ, Las Provincias, Valence, 16/05/1975.
D.S., ÒSorolla, ahora y siempreÓ, Informacin, Alicante, 11/09/1953. Ç lÕabondante
reproduction lithographique de lÕÏuvre sorollienne, qui le reflte si mal. È
Jos Ombuena, ÒLos restos de Sorolla reciben sepultura definitivaÓ, Madrid, Madrid,
9/09/1953. Ç Malheureusement, les jeunes peintres ne profitent pas des enseignements
vivants, accrochs sur les toiles de celui qui est dj un classique de la peinture espagnole.
[É] Nous devons aller plus frquemment aux originaux picturaux les plus prcieux, car
force de voir ses reproductions lithographiques, on se familiarise avec une Ïuvre
dprcie. È
IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974
235
reproduites, ou encore la qualit, le format, le lieu et la maison dÕdition de ces
documents.114
En 1955, des peintres anti-acadmiques sont rcompenss au terme de la
IIIme Biennale hispano-amricaine. Pour un journaliste de Hoy, lÕexposition va
plonger le public dans la confusion car la rupture avec la priode coule lui
semble trop brutale.115 Le journal catalan La Vanguardia sÕindigne des
prfrences du jury, comme le montre ce passage : Ç Consumatum est. Ya se han
fallado los premios de la III Bienal Hispanoamericana de Arte. Vencieron los no
figurativos. È116 LÕun de ses membres, Enrique Lafuente Ferrari (1898-1985), est
interrog par le journal. Le directeur du Muse dÕArt Moderne dfend les
nouvelles tendances artistiques et rejette lÕaccusation selon laquelle la politique du
rgime aurait pes sur la dcision de remettre un Grand Prix au peintre quatorien
Oswaldo Guayasamin (1919-1999). Or lÕtat finance le concours et ce choix
valide au moins deux objectifs de lÕInstitut de Culture Hispanique cÕest--dire la
promotion de lÕhispanit et la mise en pratique dÕune certaine ouverture dÕesprit,
au moins de faade. DÕailleurs, les peintres acadmiques ont dsert le concours,
convaincus quÕils taient quÕils nÕavaient aucune chance dÕy briller.
Il faut rappeler quÕil y a alors un dcalage trs net entre la tolrance prne
par la Biennale et dÕautres expositions sans envergure internationale. LÕexemple
de la centennale de 1956 le dmontre assez bien.117 En effet, pour commmorer le
centenaire de lÕExposition Nationale, la Direction Gnrale des Beaux-Arts runit
dans les salles du Casn del Buen Retiro prs de cinq cents tableaux prsents au
concours depuis sa cration. Deux cent peintres sont reprsents et six dÕentre
eux, Eduardo Rosales, Mariano Fortuny, Ignacio Zuloaga, Jos Mara Sert (18741945), Jos Gutirrez Solana et Joaqun Sorolla figurent dans des salles
individuelles.118 Mais au mpris de toute logique, lÕexposition centennale carte
les artistes vivants ! Cette clbration cense fter un sicle complet est, dans les
114.
115.
116.
117.
118.
çngela Aldea Hernndez, El Archivo Histrico de la Real Academia de Bellas Artes de
San Carlos y sus fondos documentales, Valence, Real Academia de Bellas Artes de San
Carlos, 2007.
Arturo Gazul, ÒDe la pintura realista a la abstractaÓ, Hoy, Badajoz, 28/04/1955.
Del Arco, ÒEnrique Lafuente FerrariÓ, La Vanguardia, Barcelone, 16/12/1955.
Ç Consumatum est. Les jurs de la IIIe Biennale Hispanoamricaine dÕArt se sont
tromps. Les non figuratifs ont gagn. È
Anonyme, ÒTemporada de pinturasÓ, La Vanguardia, Barcelone, 9/11/1956.
Anonyme, ÒInauguracin por el jefe del Estado de la exposicin antolgica de artistas
fallecidosÓ, ABC, Madrid, 30/11/1956.
IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974
236
faits, une rtrospective de la deuxime moiti du XIXme sicle de Federico de
Madrazo, en passant par Eduardo Rosales, Domingo Marqus, Mariano Fortuny et
jusquÕ Sorolla, Zuloaga, Solana, etc.
En octobre 1958, lÕexposition 46 jardines de Sorolla, installe dans le salon
Goya du Cercle des Beaux-Arts de Madrid, ctoie une exposition de lÕcole de
Madrid, un groupe htroclite constitu de peintres en contact avec les courants
trangers dont font partie Daniel Vzquez Daz (1882-1969) et Rafael Zabaleta
(1907-1960).119 La cohabitation entre ces peintres et les jardins de Sorolla offre un
nouveau motif de polmiques. Jos Guillot Carratal estime que les tableaux du
Valencien vont donner une leon dÕthique professionnelle cette jeunesse Òfolle
et gareÓ :
Era muy natural que ahora los jardines que pintara el maestro Sorolla, presentados
en el Crculo, dieran ejemplo de honradez profesional a toda esa juventud loca y
descarriada que, con sus atesmos y deformaciones pictricas, desea descubrirnos
una naturaleza nueva y renovada a su gusto.120
Ë lÕinverse, Manuel Snchez-Camargo y voit le grand ventail de la
peinture espagnole qui sÕtend, selon lui, de Sorolla jusquÕ Picasso. Ë la fin des
annes cinquante, le prestige international de lÕauteur des Demoiselles dÕAvignon
et de Guernica est tel que seuls les esprits les plus orthodoxes lui sont encore
hostiles. Snchez-Camargo salue les succs artistiques de lÕEspagne la Biennale
de Venise en les comparant lÕhgmonie sur le football continental du club Real
de Madrid qui vient de gagner sa quatrime Coupe dÕEurope conscutive.121 En
1960, le Cercle des Beaux-Arts de Madrid rassemble dix tableaux de Sorolla dans
une de ses salles et, cette occasion, Guillot Carratal prononce une confrence
119.
120.
121.
Sorolla en el Crculo de Bellas Artes. 46 jardines de Sorolla, Madrid, Crculo de Bellas
Artes, 1958.
Jos Guillot Carratal, ÒLa exposicin de Ç Jardines de Sorolla È ha tenido un gran xito
de pblicoÓ, Las Provincias, Valence, 7/10/1958. Ç Il est tout naturel que les jardins
peints par le matre Sorolla offrent aujourdÕhui une leon de probit professionnelle
toute cette jeunesse folle et gare qui, avec ses dformations et ses blasphmes
picturaux, dsire nous rvler une nature nouvelle et rnove son got. È
Manuel Snchez-Camargo, ÒJardines de SorollaÓ, La Nueva Espaa, Oviedo, 15/10/1958.
IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974
237
remarque dans laquelle il oppose le Valencien aux peintres ÒabstraitsÓ quÕil
qualifie ÒdÕanarchistes de lÕartÓ.122
Aprs cela, Sorolla sort momentanment de lÕactualit artistique pour mieux
y revenir puisque le centenaire de sa naissance approche. LÕanne 1963 a pour
effet de replacer lÕÏuvre du Valencien au cÏur des dbats entre les partisans de
telle ou telle orientation esthtique. Un journaliste affirme dans les colonnes de la
revue Luna y Sol : Ç Otro Sorolla nos hubiera evitado la confusin presente. È123
en franais : Ç Un autre Sorolla nous aurait vit la confusion actuelle. È
Toutefois, et malgr les frictions entre Òpro-Ó et Òanti-Ó, lÕexposition est, pour
Enrique Lafuente Ferrari, le point de dpart dÕune rconciliation, car il estime que
le peintre fait enfin lÕunanimit.124 Un tel renversement est probablement
impossible dans un dlai aussi court ; toutefois, comme lÕÏuvre du Valencien se
trouve pour la premire fois dvoile dans un chantillon assez vaste pour que
chacun puisse en prendre la juste mesure, quelques jeunes artistes commencent
porter un autre regard sur la peinture quÕils dcouvrent. Le pote Jos Hierro del
Real (1922-2002) constate alors que les tableaux quÕil a devant lui nÕont rien
voir ni avec la peinture des ÒsorollistesÓ ni avec les lithographies quÕil connat. Il
en conoit une plus grande animosit pour ces peintres en estimant quÕils ont
masqu la jeunesse la vritable essence de sa peinture et livre cet intressant
tmoignage au journal El Alczar :
Los viejos seguidores del pintor opinaban que nada se haba hecho antes ni despus
que pudiese ser comparable. Los jvenes, entre los que entonces me contaba,
abominbamos de aquella pintura. Fue ms tarde, y lejos cuando empec a
comprender y a gustar la obra de Sorolla. A pesar de sus enormes defectos, de una
esttica fuera de circulacin, a pesar del sorollismo de sus imitadores malos, supe
ver entonces el gran pintor.125
122.
123.
124.
125.
Anonyme, ÒGuillot Carratal diserta en Valencia sobre la exposicin de Joaqun SorollaÓ,
En Pie, Madrid, 1960 et anonyme, ÒExposicin homenaje a Sorolla en el Crculo de
Bellas ArtesÓ, Levante, Valence, 10/04/1960.
Luis Gil Fillol, ÒSorolla, hoyÓ, Luna y Sol, Madrid, 02/1963.
Anonyme, ÒSorolla fue un pintor de aire libre y gran genio creadorÓ, La Verdad, Murcie,
2/02/1964.
Jos Hierro del Real, ÒCrnica de Arte. SorollaÓ, El Alczar, Madrid, 10/04/1963. Ç Les
vieux disciples du peintre estimaient que rien de comparable nÕavait t fait ni avant, ni
aprs lui. Les jeunes, dont je faisais alors partie, avions cette peinture en horreur. Ce fut
plus tard et avec de la distance que je commenai comprendre et apprcier la peinture
de Sorolla. Malgr ses normes dfauts, son esthtique dpasse, malgr le sorollisme de
ses mauvais imitateurs, je sus voir alors le grand peintre. È
IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974
238
Le ÒsorollismeÓ rhabilit par le franquisme est nouveau la cible
dÕattaques trs dures partir de 1963. Les derniers disciples forms dans lÕatelier
du matre sont morts dans les annes cinquante : Tuset en 1951, Pons-Arnau en
1953, Ma en 1955, avec toutefois une exception puisque Benedito disparat
seulement en 1963.
Comme Jos Hierro del Real, le peintre Arturo Zabala (inc.-inc.) sÕattache
dissocier lÕÏuvre de Sorolla du ÒsorollismeÓ, une diffrence dsormais
indispensable ses yeux.126 Aprs avoir parcouru les salles du Muse du Prado, le
peintre valencien Joaqun Michavila (1926) affirme avoir t impressionn en tant
que spectateur, mais quÕen tant que peintre, il ajoute ne pas pouvoir tre intress
par la technique du Valencien.127 Pour les plus jeunes peintres, qui en 1963 ne
sont encore que des lves des coles dÕart, cÕest--dire pour la gnration ne
dans les annes quarante, le rapport Sorolla est plus apais. Leurs tmoignages
attestent une curiosit nouvelle alors mme que la gnration prcdente lui tait,
au mieux, indiffrente. Pour les Valenciens Manolo Valds (1942) et Rafael
Solbes (1940-1981), lÕÏuvre de Sorolla avait aussi fait partie de lÕenseignement
quÕils avaient reu lÕcole des Beaux-Arts de San Carlos :
[É] durante los aos de la Escuela de Bellas Artes, siempre cuestionbamos a
Sorolla, no sabamos bien si era por la defensa que los profesores hacan o por el
desconocimiento que tenamos de su obra. Con el paso del tiempo, aprendimos a
reconocer sus cualidades.128
Avant la fin du franquisme, une autre approche de Sorolla voit le jour dans
une Ïuvre hommage des artistes pop Equipo Crnica. La formation du collectif
valencien remonte 1965. Manolo Valds (1942), Rafael Solbes (1940-1981) et
Joan-Antoni Toledo (1940) participent ensemble au XVIe Salon de la Jeune
Peinture, Paris, sous le nom Equipo Crnica mais ils y prsentent leurs Ïuvres
sparment. Toledo quitte le groupe et le duo poursuit sous le mme nom. Equipo
126.
127.
128.
Pons Santiago, ÒCuatro opiniones sobre SorollaÓ, Levante, Valence, 23/02/1963.
Ibidem.
Manolo Valds, ÒSorolla como pretextoÓ in Cuadernos del IVAM 02, Valence, IVAM,
2004, page 18-19. Ç [É] Durant nos annes lÕcole des Beaux-Arts, nous discutions
toujours lÕart de Sorolla, sans bien savoir si cÕtait cause de lÕadmiration excessive des
professeurs ou cause de notre mconnaissance de son Ïuvre. Au fil du temps, nous
avons appris reconnatre ses qualits. È
IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974
239
Crnica labore une Ïuvre innovante inspire des artistes pop amricains Roy
Lichtenstein (1923-1997), Robert Rauschenberg (1925-2008), Andy Warhol
(1928-1987), et Jasper Johns (1930). Le groupe cesse dÕexister en 1981, lÕanne
de la mort de Rafael Solbes. LÕInstitut Valencien dÕArt Moderne publiera un
catalogue raisonn de leur Ïuvre, exactement vingt ans plus tard.129
En 1971-1972, Equipo Crnica explore deux thmes, la violence et la mort,
comme deux symboles de la dictature. Ils choisissent pour motifs les mouvements
de foule, la rpression policire, lÕaccident, le duel, etc. En 1972-1973, la srie
ÒPortraits, nature-mortes et paysagesÓ marque un retour vers la tradition picturale
espagnole sous la forme de citations et de dtournements. Ils explorent la peinture
religieuse du Sicle dÕOr, le portrait royal, lÕÏuvre de Jos Ribera mais aussi les
chef-dÕÏuvres de Goya et de Gutirrez Solana. En 1973, la srie Òprofessions et
professionnelsÓ est celle de lÕautoportrait collectif puis, partir de 1974, ces
artistes de Valence rinventent quelques chefs-dÕÏuvre de lÕart comme lÕavaient
fait avant eux Pablo Picasso, Marcel Duchamp (1887-1968) ou encore Francis
Bacon (1909-1992). Sorolla lui-mme assimilait et citait les matres, en particulier
Diego Vlasquez. La rcente exposition du Grand Palais, Picasso et les matres a
explor cette question rsume dans une courte citation de lÕartiste : Ç Ce sont
nous, les peintres, les vrais hritiers, ceux qui continuent peindre. Nous sommes
les hritiers de Rembrandt, Vlasquez, Czanne, Matisse. Un peintre a toujours un
pre et une mre, il ne sort pas du nantÉ È130 Valds et Solbes imaginent, par
exemple, leurs propres versions de Garrote Vil et de La carga de Ramn Casas
quÕils intitulent Arroyo y Casas en la plaza et Ver y or.131
Ë lÕintrieur de cette srie, Sorolla como pretexto est une triple dclinaison
du tableau El balandrito.132 Ë travers cette Ïuvre, ils revendiquent pour la
premire fois lÕhritage du peintre de la mer. Depuis 2004, lÕÏuvre fait partie des
collections de lÕIVAM et est expose parmi lÕaccrochage permanent. De faon
consciente ou non, les artistes choisissent une image de lÕEspagne franquiste
puisque le tableau a t reproduit des miliers dÕexemplaires sur une affiche
129.
130.
131.
132.
Michle Dalmace (dir.), Equipo Crnica, Valence, IVAM, 2001, page 8.
Anne Baldassari, ÒLa peinture de la peintureÓ in Picasso et les matres, Paris, RMN,
2008, pages 21-35.
Ramn Casas, La Carga, 298x470Õ5, Barcelone, Muse National dÕArt de Catalogne,
1902 et Garrote vil, 127x166, Madrid, Muse Reina Sofa, 1894. Equipo Crnica, Arroyo
y Casas en la plaza, 114x146, Valence, collection particulire et Ver y or, 140x110,
Valence, collection particulire.
Figure n¡23. Sorolla como pretexto (1974).
IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974
240
touristique de 1961. Dans lÕensemble de leur production de cette poque, le
tryptique tranche avec la noirceur dominante.133 Pour comprendre son irruption
dans leur Ïuvre, il faut en rappeler le point de dpart. Comme lÕa expliqu
Manolo Valds en 2004, Sorolla como pretexto est n dÕun concours de
circonstances :
Algunos sbados solamos ir a un restaurante de la Malvarrosa. Un da estbamos
Rafael Solbes y yo hablando de pintura y alguien que nos estaba escuchando dijo
que cuando era nio vea a Sorolla pintando del natural en esa playa. Recordaba
haber visto a Sorolla con un caballete que montaba all mismo y le haba visto
protegerse del sol con un sombrero y la paleta con su cuerpo, porque no le gustaba
que la arena se pegara a los colores. Tambin deca que protegerse de los nios era
difcil. [É] All mismo empezamos a repasar sus cuadros hasta que encontramos el
que nos pareca que haba sido pintado en ese lugar. Se trataba del cuadro en el que
un nio juega con un barquito de vela.134
Ë lÕinverse du ÒsorollismeÓ, le duo nÕessaie pas dÕimiter la facture du
tableau mais plutt de la dtourner jusquÕ en inverser les codes. Alors que la
peinture du matre repose sur la nuance, ils dcident de rduire la palette
quelques couleurs pures : bleu, jaune, orange, rouge, marron et vert. La peinture
acrylique est applique de telle sorte quÕelle rappelle un coloriage dÕenfant, une
technique qui convient cette scne de jeu et peut aussi voquer la facilit et
lÕintuitivit du matre. Le tableau est ensuite complt par une deuxime version
dans laquelle Valds et Solbes transforment les touches de couleur en formes
gomtriques anguleuses, trs graphiques. Ils conservent le principe dÕune palette
contenue, sans nuance. Ce traitement met clairement en vidence la prfrence du
matre pour la ligne oblique, qui apporte plus de dynamisme la composition, par
exemple en acclrant la perspective. Enfin, la troisime partie du triptyque tabli,
133.
134.
El balandrito, 100x110, Madrid, Museo Sorolla, 1909 et Equipo Crnica, Sorolla como
pretexto, 363x288, Valence, IVAM, 1974.
Manolo Valds, ÒSorolla comoÉÓ page 18-19. Ç Certains samedi, nous avions lÕhabitude
dÕaller manger dans un restaurant de la plage de la Malvarrosa. Un jour, Rafael Solbes et
moi tions en train de parler de peinture, et quelquÕun qui nous coutait rapporta que
quand il tait enfant, il voyait Sorolla peindre sur le motif sur cette plage. Il se souvenait
lÕavoir vu avec un chevalet quÕil plantait ici mme et il se rappelait lÕavoir vu se prmunir
du soleil avec un chapeau et protger la palette avec son corps car il nÕaimait pas que le
sable se mlange ses couleurs. Il disait aussi que se protger des enfants lui tait
difficile. [É] Dans le restaurant, nous avons commenc nous remmmorer ses tableaux
jusquÕ ce que nous trouvassions celui qui nous semblait avoir t peint cet endroit. Il
sÕagissait dÕun tableau dans lequel un garon joue avec petit bateau voile. È
IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974
241
la manire dÕun collage, un lien entre la scne de jeu, la plage de Valence et le
dbut du XXme sicle. Sur un fond reprsentant un plan du quartier et de la plage
de La Malvarrosa, ils peignent en Òtrompe lÕÏilÓ une photographie en noir et
blanc reprsentant trois enfants ocups jouer dans le sable, semblables ceux
que Sorolla couchaient sur la toile lorsquÕil plantait son chevalet sur cette plage.
En simplifiant au maximum tel ou tel aspect de la ÒmanireÓ du matre, la
triple dclinaison pop du tableau El balandrito fait apparatre la modernit de sa
composition plongeante, trs photographique. Dpouille de sa touche ample, de
ses nuances subtiles et de ses effets lumineux, lÕÏuvre revue et corrige montre
quel point Sorolla domine les proportions, lÕquilibre des formes et des couleurs,
le rapport de lÕobjet et du corps lÕespace, etc. Toutes ces questions plastiques
fondamentales restent des questions artistiques ÒactuellesÓ. En 1974, le Valencien
peut donc tre lu diffremment travers ce que son Ïuvre a de plus novateur. Ë la
manire de Sorolla lui-mme, qui avait puis aux sources des matres du Sicle
dÕOr, en particulier de Diego Vlasquez, Equipo Crnica russit mettre jour ce
que lÕÏuvre de Sorolla a de plus moderne et de plus compatible avec les annes
soixante-dix. Relire ce peintre sous lÕangle de lÕinnovation rappelle les premiers
articles dÕun autre Valencien, Vicente Blasco Ibez, qui voyait en lui et sur cette
mme plage de la Malvarrosa, le liquidateur de la peinture dÕhistoire et on se
souvient quÕil tait all jusquÕ inscrire lÕide mme de renouvellement dans le
nom de son personnage : Renovales. Ë travers le tryptique Sorolla como pretexto,
cÕest une autre facette qui est mise en vidence, cÕest--dire celle dÕun artiste
exprimental, une sorte de peintre-chercheur capable de perfectionner
constamment la reprsentation du mme sujet pour atteindre un idal. Le duo
dÕartistes isole enfin la peinture de Sorolla de lÕanecdotique et de lÕhistorique, les
deux prismes travers lesquels elle a t regarde jusque-l par les exgtes
crivant sous la dictature.
Signe que la perception du peintre doit ncessairement changer aprs le
franquisme, lÕoccasion dÕune exposition de dessins du matre, Joaqun de la
Puente estime que, pour reconnatre les qualits de la peinture du matre de
Valence, il ne faut plus ncessairement tre conservateur outrance :
IV. Sorolla et le rgime franquiste : 1939-1974
242
Por fortuna para Sorolla, y para nosotros quiz tambin, los tiempos han cambiado.
La perspectiva cultural es otra. Ya no hace falta sacar las cosas de quicio o ser un
conservador a ultranza, para ver y admitir la grandeza de Sorolla.135
Equipo Crnica vient alors de dmontrer quÕil faut dsormais tre
mminement moderne pour juger de sa qualit. Un an avant la fin de lÕre
franquiste, Sorolla como pretexto annonce dj que la vision du peintre impose
sous la dictature est caduque. Dans les annes qui viennent, Sorolla sera moderne
ou ne sera pas.
135.
Dibujos de Sorolla. Coleccin Pons-Sorolla, Valence, Direccin General de Bellas
Artes, 1974, page 9. Ç Par chance pour Sorolla, et pour nous aussi peut-tre, les temps ont
chang. La perspective culturelle est diffrente. Il est dsormais inutile de chercher la
petite bte ou dÕtre conservateur outrance pour voir et reconnatre la grandeur de
Sorolla. È
V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009
243
V
SOROLLA ET LÕESPAGNE DMOCRATIQUE
1975 - 2009
Nous avons choisi Sorolla como pretexto pour borne de fin de lÕre
franquiste car le triptyque pop annonce un nouveau rapport lÕÏuvre de Sorolla.
Sa redcouverte sous le jour dÕun peintre innovant et au fait des courants antiacadmiques de son poque viendra beaucoup plus tard, seulement partir des
annes quatre-vingt dix. Entre temps, la transition dmocratique est une priode
de basse intensit critique qui, dans les faits, ne commence pas en 1975 mais dix
ans plus tt, aprs lÕanne anniversaire. Ë partir de l, Sorolla est de moins en
moins expos et nÕintresse plus les media.
Ë la fin des annes soixante et au dbut des annes soixante-dix, les
archives de presse rendent comptent de la lthargie du Muse Sorolla, qui sera
mme sur le point de fermer ses portes. Cela semble difficile croire aujourdÕhui
tant donn la frquence et lÕimpact mdiatique des vnements qui ont t
consacrs au peintre de la mer durant ces quinze dernires annes. Car depuis la
rforme du statut juridique du Muse Sorolla, le Valencien est la mode. Sa
peinture plat, les expositions temporaires dplacent des foules et, dans les salles
des deux plus importantes maisons de ventes aux enchres, SothebyÕs et Christies,
ses tableaux changent de mains pour des prix qui se calculent en millions dÕeuros.
Entre 2007 et 2009, lÕexpositon Visiones de Espaa connatra un tel engouement
populaire quÕune revue nÕhsitera pas parler de ÒsorollamanieÓ. LÕimage de
Sorolla gnrera tellement de bnfices que les marques lanceront des produits
son effigie et quÕune enseigne commerciale ouvrira mme un point de vente,
Madrid. Les muses cherchent aujourdÕhui obtenir et accrocher ses tableaux,
cote que cote. En Espagne, la loi interdisant quÕun peintre n avant Pablo
Picasso, cÕest--dire avant 1881, ne soit expos dans un muse dÕart contemporain
pourrait prochainement tre rvise afin dÕinclure Sorolla dans un chapitre de
lÕhistoire de lÕart qui correspondrait aux Òpr-avant-gardesÓ. Ses tableaux
pourraient alors tre exposs dans les muses dÕart contemporain. De la rforme
V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009
244
de lÕExposition Nationale, en 1901, celle dite de sparation des collections,
notre peintre pourrait encore une fois se trouver au cÏur des transformations du
systme des Beaux-Arts de son pays.
V.1. UNE ÎUVRE TROP ÒMARQUEÓ DANS UNE ESPAGNE EN MUTATION ?
Le rgime franquiste a jet un coup de projecteur sur la peinture du
Valencien en lÕintgrant sa propagande. Pour cette raison, la diffusion de son
Ïuvre sÕest faite selon des modalits et sur des supports trs varis et parfois
mme dconcertants. JusquÕen 1964, plusieurs formes dÕutilisation de lÕimage de
Sorolla par lÕtat ont cohabites. Ë compter de cette date, la courbe de rpartition
des archives de presse du Muse Sorolla fait apparatre une chute vertigineuse. Le
nombre dÕarticles passe, en effet, de cinq cent douze en 1963 dix seulement pour
lÕanne 1966 ! Ensuite, la courbe frle le zro et nous ne disposons mme plus
dÕarchives de presse pour les annes 1968, 1970, 1971, 1976, 1977 et 1983. Par
ailleurs, aucune exposition monographique nÕest organise entre 1974 et 1979. La
transition dmocratique ne provoque pas de regain dÕintrt mdiatique, et cÕest
mme tout le contraire. Pour expliquer un tel coup dÕarrt par rapport la priode
coule, nous devrons tenter de comprendre pourquoi le peintre sombre dans un
nouvel oubli avant mme la fin du franquisme, cÕest--dire entre 1964 et 1972.
Puis, durant la priode de transition dmocratique, 1975-1978, nous tenterons de
dterminer dans quelle mesure Sorolla est toujours associ la politique culturelle
de la dictature et si cela le condamne une autre mise lÕcart.
Ë partir de 1964, lÕintrt des journaux et du public pour le peintre de la
lumire retombe. Comment expliquer que, dix avant la mort de Franco, Sorolla
sort si brusquement de la vie culturelle du pays ? Pour le comprendre, il faut
rappeler, tout dÕabord, quÕune exposition majeure comme celle du centenaire ne
peut tre suivie que dÕune accalmie. En effet, il est impossible de remonter un
vnement aussi ambitieux sans accrocher encore une fois des peintures qui
viennent de lÕtre comme ses tableaux concours El dos de mayo, Trata de
blancas, ou encore Comiendo en la barca, qui sont indispensables la
V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009
245
comprhension de son parcours de ÒsalonnierÓ.1 Il faut signaler que cette
exposition repose uniquement sur des collections espagnoles libres de circulation
et que celles-ci ne sont pas ÒextensiblesÓ, cÕest pourquoi la Direction Gnrale des
Beaux-Arts laisse sÕcouler un peu de temps aprs lÕAnne Sorolla. Mais cela ne
veut pas dire pour autant que le peintre cesse dÕintresser le pouvoir, ainsi que le
montrent plusieurs actions. La premire et la plus importante concerne la gestion
de la crise du Muse Sorolla, entre 1967 et 1973.
Mme si plusieurs vagues de travaux ont t ralises depuis son ouverture,
lÕinstitution a insuffisamment rempli sa mission de diffusion et de valorisation des
collections quÕelle hberge. Elle nÕa, par exemple, jamais attir assez de visiteurs
pour tre rentable. Ses statuts juridiques nÕont pas t rviss et son
fonctionnement obit donc toujours des dispositions prises dans les annes
trente. Son budget repose encore sur des fonds privs complts par une
participation de lÕtat. Celle-ci sÕlve quarante mille pesetas, alors que le
muse aurait besoin, selon le petit-fils du peintre Francisco Pons-Sorolla, dÕune
somme six fois suprieure.2 Sa sant financire sÕest dgrade progressivement
aprs la mort du premier directeur, Joaqun Sorolla y Garca, car il engageait des
fonds propres dans le muse. Son neveu Francisco Pons-Sorolla assuma aprs lui
la gestion de lÕinstitution mais, la fin des annes cinquante, son budget devint
dsormais insuffisant pour garantir un fonctionnement normal, tel point que
jusquÕ la surveillance des collections finit par en ptir. En 1960, un portrait du
fils, Joaqun en el laboratorio, fut drob avant dÕtre finalement retrouv par la
police.3
En juin 1964, le marquis de Lozoya est nomm la tte du Comit de
direction du muse pour relancer son activit. Il fait connatre son intention
dÕaccrocher par roulement les collections entreposes dans les magasins et
propose dÕattirer les touristes valenciens en transformant le muse en une sorte
ÒdÕambassade de ValenceÓ Madrid (sic).4 LÕanne suivante, le journal Heraldo
de Aragn annonce que la frquentation est en hausse mais quÕelle reste
1.
2.
3.
4.
El dos de mayo, 400x580, Madrid, Museo Nacional del Prado, 1884. Trata de blancas,
165x194, Madrid, MS, 1895. Comiendo en la barca, 180x250, Madrid, RABASF, 1898.
Ral Torres, ÒSorolla. Un museo con vida a fecha fijaÓ, [?], [?], 1967.
Anonyme, ÒRobo de un cuadro de SorollaÓ, Diario de Barcelona, Barcelone, 1/06/1960.
Joaqun en el laboratorio,19Õ8x19Õ7, Madrid, Muse Sorolla, 1912.
Julio Garca Candau, ÒEl marqus de Lozoya ha sido nombrado presidente del Patronato
del Museo SorollaÓ, Las Provincias, Valence, 9/06/1964.
V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009
246
insuffisante pour redresser sa situation conomique et elle continue, de fait, se
dteriorer.5 Les archives du Muse Sorolla portent la trace de cette crise puisque
le dernier abonnement de presse, souscrit auprs de lÕagence Camarasa en 1953,
est rsili en 1966. Cela aussi explique que nous disposions de si peu de coupures
partir de cette date.
Au dbut de lÕanne 1967, un dficit de deux cent mille pesetas grve ses
finances. Sa frquentation est insignifiante si lÕon en croit deux journaux
diffrents, selon lesquels il nÕenregistre que deux ou six mille visites annuelles.6
Quel que soit le chiffre rel, il est drisoire quand on pense que ce muse
accueille aujourdÕhui plus de cent mille visiteurs par an. Le 1er mars 1967,
Francisco Pons-Sorolla annonce dans la presse que, sans une intervention de
lÕtat, le muse fermera ses portes pour une dure indtermine compter du 31
mars.7 La nouvelle a un large cho mdiatique et est mme le sujet de dessins
humoristiques. LÕun dÕentre eux, sign du caricaturiste Dtile, montre deux
visiteurs commentant lÕactualit. Un des personnages rclame lÕintervention dÕun
nouvel Archer M. Huntington : Ç ÁLstima que no aparezca algn americano que
descubra el tesoro artstico que tenemos aqu! È cÕest--dire Ç Quel dommage
quÕun Amricain capable de dcouvrir le trsor artistique que nous avons ici ne
pointe pas le bout de son nez ! È Un autre dessin prte la parole un autoportrait
au chapeau conserv dans une salle du muse. Alors quÕau premier plan les
visiteurs lui tournent ostensiblement le dos, le portrait sÕen indigne en ces termes :
Ç Podra regalar mis cuadros y todas mis cosas a este extrao pas mo, pero Àlas
querr? È8, Ç Je pourrais offrir mes tableaux et tous mes biens cet trange pays
qui est le mien, mais en voudra-t-il ? È Le dessinateur Mximo oppose ainsi la
gnrosit de la donation ralise dans les annes trente lÕingratitude de
lÕEspagne des annes soixante.
LÕultimatum de Pons-Sorolla porte ses fruits puisque le ministre de
lÕducation prend sa charge les salaires des personnels de surveillance et que le
directeur gnral des Beaux-Arts, Gratiniano Nieto Gallo (inc.-1986) augmente la
5.
6.
7.
8.
Borau, ÒSorolla en augeÓ, Heraldo de Aragn, Saragosse, 27/06/1965.
Ral Torres, ÒSorolla. Un museo con vida a fecha fijaÓ, [?], [?], 1967 et Pedro Crespo,
ÒUn museo en trance de asfixia: el SorollaÓ, ABC, Madrid, 29/01/1967.
Mayte Mancebo, ÒLa crisis del Museo Sorolla. Tendr que ser cerrado porque su dbito
sobrepasa ya las doscientas mil pesetasÓ, Las Provincias, Valence, 1/03/1967.
Figures n¡21 et n¡22. Dessins humoristiques sans titre (1967). Mximo (dessin), ÒPodra
regalar mis cuadrosÉÓ, Pueblo, Madrid, 11/03/1967 et Dtile (dessin), ÒLstima que no
aparezca algn americanoÉÓ, Ya, Madrid, 12/03/1967.
V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009
247
participation de lÕtat de cent mille pesetas. Le directeur du Cercle des BeauxArts de Madrid, Joaqun Calvo Sotelo (1905-1993), offre cinquante mille pesetas.
Enfin, une socit prive, Constructions Colomina G. Serrano, injecte deux cent
cinquante mille pesetas destines la rnovation des locaux.9 Mais ce plan de
sauvetage improvis nÕa rien de prenne ; le budget du Muse Sorolla nÕest
toujours pas quilibr et cette situation se prolonge durant six ans. Pour le doter
des moyens dont il a besoin, lÕtat le fait passer sous la coupe de la Direction
Gnrale des Beaux-Arts, le 27 avril 1973. LÕinformation est publie
officiellement le 17 juillet suivant, en voici un extrait :
[É] A fin de vitalizar al mximo las posibilidades de actuacin cientfica y didctica
del Museo Sorolla [É] se estima conveniente proceder a la integracin de dicho
Centro en el Patronato Nacional de Museos, lo que sin suponer menoscabo de la
participacin de sus actuales rganos de gobierno, reglamentariamente consistuidos,
en el funcionamiento del citado Museo, se traducir en una evidente mejora de su
actual situacin econmica-fundacional. 10
Un directeur, Jos Gabriel Moya (inc.-inc.), est nomm la place du petitfils qui en assurait jusque-l la gestion si bien que, deux ans avant la mort du
dictateur, le Muse Sorolla dispose dÕun nouveau statut et des moyens
indispensables la conservation et la valorisation de ses collections. Cette
rforme nÕest pas une petite mesure mais une transformation majeure qui est le
premier acte de sa ÒnormalisationÓ. Alors quÕil tait gr jusque-l comme une
fondation prive, le Muse Sorolla fonctionnera dsormais comme un muse
national.
Il convient alors de se demander si la mesure nÕest pas aussi dicte par les
incertitudes lies lÕavenir politique du pays. En effet, si le Muse Sorolla avait
ferm ses portes la fin des annes soixante, ou au dbut des annes soixante-dix,
9.
10.
Anonyme, ÒEntrega de un donativo de 250.000 pesetas al patronato del Museo SorollaÓ,
ABC, Madrid, 8/10/1967.
Boletn Oficial del Estado, n¡170 du 17/07/1973, page 14597. Document consultable en
ligne lÕadresse suivante :
http://www.boe.es/aeboe/consultas/bases_datos/doc.php?id=BOE-A-1973-983. Ç Dans le
but dÕaccrotre au maximum les possibilits dÕactions scientifiques et didactiques du
Muse Sorolla [É] on estime quÕil convient de procder lÕintgration de ce Centre
lÕintrieur du Commissariat National des Muses ce qui, loin de reprsenter une atteinte
la participation de ses actuels organes de direction, lgalement constitus, se traduira par
une vidente amlioration de sa situation financire actuelle dont lÕorigine remonte sa
fondation. È
V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009
248
rien nÕassurait que, aprs la mort de Franco, un autre chef dÕtat lui octroyt les
moyens indispensables sa survie. Entre 1972 et 1973, le journal Heraldo de
Aragn lance une campagne de promotion du muse travers une srie de dix
articles thmatiques sign de lÕhistorien dÕart Julin Gallego.11 Leur publication
hebdomadaire sÕchelonne sur une priode de trois mois durant lesquels, la
manire dÕun feuilleton, Gallego prsente ses lecteurs un aspect de la vie ou de
lÕÏuvre du peintre dans des articles courts et accessibles tous. Mais en 1974,
ABC titre encore : ÒLa Casa Museo del pintor Sorolla, descuidada e ignoradaÓ.12
Pour le journal Arriba, tout reste encore faire car lÕinstitution a accumul un
retard tellement important quÕelle aura besoin de plusieurs annes pour le
combler.13
Pour tmoigner son intrt pour le peintre de la lumire, la Direction
Gnrale des Beaux-Arts organise en 1974 une exposition itinrante de dessins
tirs de la collection Pons-Sorolla. Elle est prsente dans sept villes : Valence,
Sville, Valladolid, Bilbao, Grenade, Barcelone et Madrid. Il sÕagit de la dernire
exposition du peintre sous la dictature. Mais elle passe quasiment inaperue
probablement parce quÕelle nÕexpose que des dessins. Dans son discours
inaugural, le pote Rogelio Buenda (1891-1969) avait dÕailleurs qualifi le dessin
dÕÏuvre Òmineure mais importanteÓ (sic).14 Dans le catalogue de lÕexposition,
lÕhistorien Joaqun de la Puente rdige un article biographique dans lequel il nÕest
question des dessins que dans les deux dernires pages. Par ailleurs, il dplore le
manque de reconnaissance dont auraient pti les dessins mais il nÕexplique pas
comment ni pourquoi ils permettent une plus juste comprhension de lÕÏuvre de
Sorolla ce qui pose la question du sens et de la pertinence de cette exposition :
11.
12.
13.
14.
Julin Gallego, ÒEl Museo Sorolla : 1. El pintorÓ, Heraldo de Aragn, Saragosse,
2/11/1972. ÒEl Museo Sorolla : 2. La casaÓ, Heraldo de Aragn, Saragosse, 9/11/1972.
ÒEl Museo Sorolla : 3. El jardnÓ, Heraldo de Aragn, Saragosse, 16/11/1972. ÒEl Museo
Sorolla : 4. De Valencia a Roma, pasando por MadridÓ, Heraldo de Aragn, Saragosse,
7/12/1972. ÒEl Museo Sorolla : 5. ParsÓ, Heraldo de Aragn, Saragosse, 14/12/1972. ÒEl
Museo Sorolla : 6. Sorolla, modernistaÓ, Heraldo de Aragn, Saragosse, 21/12/1972. ÒEl
Museo Sorolla : 7. FuturistaÓ, Heraldo de Aragn, Saragosse, 25/12/1972. ÒEl Museo
Sorolla : 8. Msica y jardinesÓ, Heraldo de Aragn, Saragosse, 5/01/1973. ÒEl Museo
Sorolla : 9. Sorolla y el noventa y ochoÓ, Heraldo de Aragn, Saragosse, 18/01/1973. ÒEl
Museo Sorolla : 10. Sorolla y el folkloreÓ, Heraldo de Aragn, Saragosse, 25/01/1973.
Ismael Fuente Lafuente, ÒLa Casa Museo del pintor Sorolla, descuidada e ignoradaÓ,
ABC, Madrid, 20/01/1974.
Ladislao Azcona, ÒEl Museo Sorolla, para superar su crisis actualÓ, Arriba, Madrid,
20/08/1974.
Buenda cit par Luis Garca de Vegueta, ÒDibujos de SorollaÓ, Las Provincias, Valence,
23/10/1974.
V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009
249
Con cuantos conozco, puedo dar tranquilamente por sentado que suponen algo muy
importante y, por ningn concepto, considerable como tarea ÒmenorÓ, a marginar sin
escrpulos de ninguna clase.15
Durant toute la priode franquiste, le total des expositions finances par des
institutions publiques et prives, sÕlve quinze cÕest--dire douze en Espagne,
deux en Argentine et une en Angleterre.16 Des tableaux issus de collections
particulires ont t exposs Buenos Aires en 1942 et en 1952. Au gr des crises
politiques et conomiques traverses par le pays, la collection argentine a t
disperse et il nÕy a aujourdÕhui que deux tableaux du Valencien inscrits au
catalogue du Muse National des Beaux-Arts de Buenos Aires.17 Enfin, en 1965,
dix tableaux de Sorolla furent prsents ensemble par le marchand Edmund Peel
(inc.) dans la ville de Worcestershire.
Le 20 novembre 1975, la mort du dictateur marque la fin dÕune re
politique. Le successeur dsign, Juan Carlos de Borbn (1938), est proclamm
roi deux jours plus tard. Le chef du dernier gouvernement de la dictature, Carlos
Arias Navarro (1908-1989), qui a t maintenu son poste par le jeune roi,
dmissionne le 1er juillet 1976 et le souverain nomme sa place le Secrtaire
Gnral du Mouvement, Adolfo Surez (1932). Ë partir de l et jusquÕen 1981,
Surez prend une srie de mesures indispensables la liquidation du franquisme
dont font partie la lgalisation des partis, lÕamnistie des prisonniers politiques, la
convocation dÕlections dmocratiques, la mise en chantier dÕune nouvelle
Constitution, etc. lÕUnion de Centre Dmocratique (UCD), une coalition de partis
de centre-droit, remporte les premires lections dmocratiques le 15 juin 1977.
Le ministre de la Culture, cr le 4 juillet, absorbe la Direction Gnrale des
Beaux-Arts, qui dpendait auparavant du ministre de lÕducation et des
Sciences.
15.
16.
17.
Joaqun de la Puente, ÒSorolla el GrandeÓ in Dibujos de Sorolla. Coleccin Pons Sorolla,
Valence, Direccin General de Bellas Artes, 1974, page 12. Ç Parmi tous ceux que je
connais, je peux affirmer sereinement quÕils reprsentent quelque chose de trs important,
et en aucune faon intressant en tant que genre ÒmineurÓ, bons mettre de ct sans
aucun scrupule. È
Annexe n¡1. Expositions monographiques.
La vuelta de la pesca, Muse National des Beaux-Arts, Buenos Aires, 1898 et En la costa
de Valencia, Muse National des Beaux-Arts, Buenos Aires, 1898.
V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009
250
On a vu que le franquisme avait privilgi la promotion de la peinture du
XIXme sicle, au dtriment des contemporains. Aprs quarante ans de mise
lÕcart et de mpris, les avant-gardes espagnoles doivent leur tour et de manire
urgente tre valorises et diffuses en Europe. Par consquent, la nouvelle
politique culturelle du pays va tre oriente en direction de lÕart contemporain,
la fois pour rsorber le retard accumul et pour rompre avec lÕhritage de la
dictature. Cette politique culturelle de rupture avec le pass est mene de 1979
1982 par lÕhistorien Javier Tusell (1945-2005), directeur gnral des Beaux-Arts.
Comme un symbole de la nouvelle re culturelle qui est en train de sÕouvrir, il
ngocie avec les descendants de Picasso et le Muse dÕArt Moderne de New York
et obtient le retour en Espagne du tableau Guernica, qui voque les victimes
civiles du bombardement de ce village basque par lÕaviation allemande, le 26 avril
1937.18 De mme, il organise les expositions rtrospectives Joan Mir (1978),
Antoni Tpies (1980), Eduardo Chillida (1980) et Pablo Picasso (1981). Le 28
octobre 1982, le Parti Socialiste remporte les lections et Felipe Gonzlez (1942)
devient chef du premier gouvernement de gauche depuis la Seconde Rpublique.
Ce parti se maintiendra au pouvoir durant quatre mandats, cÕest--dire jusquÕen
1996.
En 1983, un Centre National des Expositions est cr. Cette structure prend
en charge lÕorganisation des expositions dÕart moderne et contemporain.19 Ë
Madrid, un nouveau centre dÕart contemporain, le Muse Reina Sofa, est
inaugur en 1986. Sous le premier mandat socialiste, tous les peintres qui avaient
occup lÕespace culturel sous le franquisme cdent la place des artistes
ÒactuelsÓ. Pour autant, Sorolla paye-t-il, plus quÕun autre, le prix de sa
surexposition sous la dictature ? Il semble que ce ne soit pas le cas, ainsi que le
prouvent plusieurs indices convergeants. DÕabord, lÕtat lÕinclut dans sa politique
dÕacquisition. En septembre 1981, la Direction Gnrale des Beaux-Arts fait
lÕacquisition un collectionneur priv de Grupa valenciana20. La transaction
sÕlve seize millions de pesetas.21 La gauche poursuit cette action et cÕest sous
18.
19.
20.
21.
Anonyme, ÒJavier Tusell, ms all de la historiaÓ, http://www.elmundo.es/, 10/02/2005.
Isaac Ait Moreno, ÒModernizacin y poltica artstica: el Centro Nacional de
Exposiciones entre 1983 y 1989Ó in Anales de Historia del Arte, Madrid, n¡17, 2007,
pages 223-245.
Grupa valenciana, 254x185, Barcelone, Muse National dÕArt de Catalogne, 1908.
Anonyme, ÒEl Ministerio de Cultura adquiere para Valencia un cuadro de SorollaÓ, El
Pas, Madrid, 22/09/1981.
V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009
251
mandat socialiste que le Muse Sorolla opre sa mue. Le ministre de la Culture
Javier Solana (1942) lui donne les moyens de mener des projets de fond. Mme si
rien de spectaculaire et de mdiatique nÕest entrepris durant cette priode, des
tches aussi essentielles que les inventaires des collections de peintures, de
cramiques et de sculptures sont alors realiss.22 Le muse bnficie dÕune quipe
technique permanente compose dÕun directeur, dÕun conservateur et de deux
assistants. En 1982, la premire exposition temporaire de lÕaprs-franquisme
finance par lÕtat voit le jour : El jardn de la Casa Sorolla en la pintura de
Sorolla.23 Vingt-deux tableaux sont prsents par le directeur Florencio de SantaAna et son pouse Mara Antonia qui vient de mener dÕimportantes recherches sur
le jardin plant par Sorolla. Il sÕagit des ralisations les plus tardives du peintre
puisquÕelles sont toutes comprises entre 1918 et 1920. Dans les dernires annes
de sa vie, Sorolla sÕisola dans le jardin de sa proprit et en ralisa diffrentes
vues associant vgtal et minral. LÕexposition offrait lÕintrt majeur de se
trouver sur le lieu mme.
La premire campagne de restauration des toiles endommages remonte
galement aux annes quatre-vingt.24 Auparavant, le petit-fils Francisco PonsSorolla intervenait lui-mme sur les tableaux quand il le jugeait ncessaire.25 Pour
toutes ces raisons, ce muse, qui se trouvait au bord de lÕagonie la fin de annes
soixante, est en train de prendre un nouveau dpart dans les annes quatre-vingt.
LÕaction de lÕtat est complte par un projet valencien. En 1985, la Communaut
Autonome de Valence prside par le socialiste Joan Lerma (1951) finance
lÕexposition de la collection Sorolla du Muse des Beaux-Arts de La Havane. Ces
tableaux issus de collections prives collectivises sous le rgime de Fidel Castro
(1927) nÕavaient jamais quitt le territoire cubain.26
Sorolla nÕest donc pas ÒenterrÓ par les socialistes, bien au contraire. Ils
crent les conditions favorables une approche plus scientifique de son Ïuvre qui
permettra, par la suite, de la faire connatre sous un autre jour. Comme on a pu le
voir au cours de cette tude, le Valencien appartient au moins autant la culture
22.
23.
24.
25.
26.
Catlogo de pintura del Museo Sorolla, Madrid, Ministre de lÕducation, de la Culture
et des Sports, (2 tomes), 2002 (1982).
El jardn de la Casa Sorolla en la Pintura de Sorolla, Madrid, Museo Sorolla, 1982.
Florencio de Santa-Ana, Museo Sorolla, Madrid, Electa, 2000, page 30.
R. Trivio, ÒLa Casa-Museo de Sorolla ser en Madrid o no serÓ, Generalitat, Valence,
16/07/1980.
Els Sorolla de lÕHavana, Valence, Generalitat Valenciana, 1985.
V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009
252
de la gauche quÕ celle de la droite en particulier parce que le Muse Sorolla a t
inaugur par Manuel Azaa et quÕil est pass la postrit comme un projet
rpublicain, en dpit de la ralit puisque, rappelons-le, cÕest en trs grande partie
la monarchie et lÕimplication personnelle dÕAlphonse XIII que nous le devons.
Par ailleurs, Valence, le peintre est toujours associ au pass rpublicain de la
ville.
La Transition dmocratique ouvre un espace de libert dÕexpression qui
rend possible une lecture de son Ïuvre sans complaisance et mme provocatrice.
En 1985, une exposition comparative, Sorolla Ð Solana, est organise en Belgique
par la fondation brusseloise Europalia qui propose depuis 1969 une biennale
interculturelle autour dÕun pays invit. Aprs la Grce et avant lÕAutriche, 1985
est lÕanne de lÕEspagne. LÕexposition est prsente Lige dans la Salle Saint
Georges. Son catalogue contient un seul article, celui de lÕcrivain espagnol
Francisco Umbral (1932-2007) qui livre une vision trs sombre du Valencien et
ractualise les ides dominantes de la lgende noire propage autour de 1906 par
ses dtracteurs. Ce texte montre quel point les strates de rception les plus
anciennes imprgnent durablement la perception dÕun artiste. Francisco Umbral
voque un peintre sans attrait, bon bourgeois et fonctionnaire de la peinture. Il
reprend son compte lÕide ancienne selon laquelle ses portraits ne transmettent
aucune motion :
Sorolla Òne donne pas son opinionÓ sur Galds ni sur Echegaray, deux personnages
bien dfinis. Il se limite faire leur portrait, de la manire la plus mcanique, voire
photographique, dans le sens que nous donnons ce mot. CÕest ce quÕil a fait avec les
coutumes valenciennes et avec Valence, ce quÕil a fait avec la vie et lÕart : sÕabstenir.
Voil pourquoi un si grand peintre apparat, comme je lÕai dit dÕabord, sans Òaucun
intrtÓ. Sorolla ne formule aucune opinion.27
Il voit enfin en Sorolla un peintre ractionnaire, vendu la monarchie, qui
Ç chantait un peuple heureux pour le convaincre de son bonheur. È28 Une lecture
si acerbe ne pouvait voir le jour quÕaprs le franquisme et dans un contexte de
rupture. On se souvient que les dtracteurs de Sorolla ne lÕavaient jamais jug
mauvais peintre, au contraire, mais quÕils lui reprochaient de reprsenter des
27.
28.
Sorolla-Solana, Lige, Europalia, 1985, page 17.
Ibidem, page 16.
V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009
253
sujets anodins, sans paisseur intellectuelle. Umbral reprend son compte cette
ide ancienne en expliquant que le Valencien est un artiste Òmanqu, par excs de
facultsÓ :
CÕest lÕun des meilleurs et des plus grands impressionnistes europens, si nous
laissons les dates de ct, et dans ces derniers tableaux dont je parle il y a plus de
Czanne (pour donner un point de repre) que dÕimpressionnisme. Sorolla est
lÕexemple de lÕartiste Ç manqu È par excs de facults. Comme il pouvait tout
faire, il fit le plus facile, ce quÕil avait sous les yeux [É] 29
De manire plus surprenante, lÕcrivain pousse plus loin la charge en tentant
de dcouvrir les ressorts psychologiques qui se cachent derrire sa peinture de
plage et il voit en Sorolla le ÒLewis Carroll de la peintureÓ : Ç Sorolla a peint une
fillette de dos, solide, elle a de sept neuf ans et un fessier gracieux, ingnu.
Sorolla savait ce quÕil peignait bien sr. È30 Ses premiers dtracteurs avaient aussi
donn dans les attaques personnelles et basses, touchant la psychologie de
lÕhomme. Dans ses mmoires, Po Baroja avait beaucoup glos sur son avarice,
alors mme quÕil tait un peintre trs riche.31
En dehors de cet article, le peintre de la lumire ne dchane plus les
passions et il reste ainsi en retrait de la vie culturelle espagnole jusquÕ la fin des
annes quatre-vingt. Mais cela commence changer en 1989 avec lÕexposition
Sorolla an 80th anniversary exhibition organise par le Muse des Beaux-Arts de
San Diego et lÕIVAM de Valence.32 Prs de cent tableaux prts par des muses
du monde entier sont exposs aux tats-Unis, New-York, Saint-Louis et San
Diego avant de rejoindre Valence. LÕvnement commmore la russite de
Sorolla aux tats-Unis en 1909 et prouve que lÕEspagnol a laiss une empreinte
forte outre-Atlantique, notamment dans les villes qui ont accueilli une de ses
expositions individuelles. LÕapproche choisie par le commissaire britannique,
Edmund Peel, est novatrice car elle permet de mieux comprendre lÕlaboration
des tableaux concours car des tudes prparatoires indites de La vuelta de la
pesca et de Triste herencia sont runies autour des deux tableaux. Alors que le
29.
30.
31.
32.
Ibidem.
Ibidem.
Po Baroja, Desde la ltima vuelta del camino: memorias. IV. Galera de tipos de la
poca, Madrid, Biblioteca Nueva, 1982, pages 253-258.
Sorolla an 80th anniversary exhibition, New York, HSA, 1989.
V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009
254
franquisme avait construit des expositions anthologiques, cÕest une approche plus
plastique qui est choisie par le commissariat de cette exposition. En dpit de cette
dmarche et de la qualit de la slection, elle passe un peu inaperue quand elle
est prsente en Espagne, probablement parce quÕelle a lieu en province.
V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009
255
V.2. LA RFORME DU STATUT JURIDIQUE DU MUSE SOROLLA
CÕest un muse o ne va personne. Il appartenait la famille
Sorolla qui le cda lÕtat moyennant une clause qui interdit
de sortir aucun tableau du muse. La famille Sorolla pensait
sans doute assurer ainsi la prsence continuelle des visiteurs,
mais cela a produit lÕeffet contraire : ce muse, retir et sans
publicit, personne ne va et beaucoup de Madrilnes en
ignorent mme lÕexistence.
Sorolla-Solana, Lige, Europalia, 1985, page 16.
Comme le rappelle ici lÕcrivain Francisco Umbral, le statut juridique du
Muse Sorolla, inchang depuis 1932, interdit les prts. Par ailleurs, une
disposition prvoit que toute violation aux principes de la fondation est
susceptible dÕentraner sa dissolution immdiate et donc la restitution de tous les
biens aux hritiers.33 Dans les annes quatre-vingt-dix, le Comit de direction du
muse et le minitre de la Culture conviennent de rformer ce statut pour des
raisons que lÕon expliquera plus avant. Cela va rendre possible la mise en
circulation de la plus importante collection de tableaux du matre, cÕest--dire
environ un tiers de son Ïuvre peint. Invitablement, la prsentation de sa peinture
la plus intime, cÕest--dire celle qui nÕest jamais sortie de lÕatelier, va entraner
son lot de changements sur la rception de son Ïuvre. La perception de Sorolla
par les institutions des Beaux-Arts se trouve au cÏur des enjeux de cette poque.
En effet, au dbut des annes quatre-vingt-dix, Sorolla est peru comme le plus
acadmique des peintres de Òplein airÓ. Pour cette raison, il nÕa sa place dans les
muses nationaux que dans les collections XIXme. JusquÕen 1996, celles du
Muse du Prado se trouvent dans les salles du Casn del Buen Retiro. Les
tableaux du Valencien y figurent car son Ïuvre sÕinscrit, semble-t-il, dans la
continuit de la ÒtraditionÓ. Ë Madrid, le Muse du Prado conserve dix-neuf
tableaux alors que le Muse Reina Sofa nÕen possde aucun, ce qui est justement
33.
R. Trivio, ÒLa Casa-Museo de Sorolla ser en Madrid o no serÓ, Generalitat, Valence,
16/07/1980.
V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009
256
sur le point de changer aujourdÕhui.34 Un des matres de Sorolla, Ignacio Pinazo,
qui fut pourtant un peintre dÕhistoire, est dj expos lÕIVAM de Valence avec
les artistes contemporains. Cette institution possde, depuis 1986, une centaine de
peintures provenant pour moiti dÕune donation des hritiers et son Ïuvre est
prsente dans ce muse dÕart moderne et contemporain comme le point de dpart
des avant-gardes valenciennes.
Le Muse Sorolla abrite des peintures jusque-l confidentielles qui auraient
parfaitement pu se fondre dans les collections dÕun muse dÕart contemporain. Car
quand Sorolla peignait Òpour luiÓ, selon lÕexpression de Florencio de Santa-Ana,
sa production rejoint les courants de son poque, en particulier lÕexpressionnisme
allemand et le fauvisme.35 En 1986, une historienne a accs aux rserves du
Muse Sorolla et le met en vidence dans un article intitul ÒSorolla y el
fauvismoÓ dans lequel elle rapproche Sorolla dÕHenri Matisse (1869-1954),
Albert Marquet (1875-1947), Maurice de Vlaminck (1876-1958), Raoul Dufy
(1877-1953), Kees Van Dongen (1877-1968), Andr Derain (1880-1954) et
Georges Braque (1882-1963) ; mais cette tude est passe inaperue.36 Les
expositions des annes 1994-1999 vont enfin dmontrer que, en marge de Visin
de Espaa, lÕEspagnol a aussi suivi ce quÕil appelait lui-mme la Òmarche de lÕart
moderneÓ. Devoir y renoncer avait t une de ses craintes quand il avait
commenc sÕimmerger dans cette commande :
Nada he pintado engolfado en el proyecto de la decoracin, y cuanto ms pienso en
ello ms contrario lo encuentro para mi temperamento. He perdido dos meses en los
34.
35.
36.
Au Muse National du Prado de Madrid : Retrato de seora con mantilla blanca, 48x33,
sans date. Santa italiana, 78x61, sans date. Retrato de la nia Mara Figueroa vestida de
menina, 152x122, sans date. El dos de mayo, 387x580, 1884. Retrato de Rafael Altamira
y Crevea, 55Õ5x41, 1886. El pintor Juan Espina y Capo, 69Õ5x54Õ5, 1892. El nio Jaime
Garca Banus, 85x110, 1892. ÁAn dicen que el pescado es caro!, 151Õ5x204, 1894.
Doa Mara Teresa Moret, 111x88, 1901. El pintor Aureliano de Beruete, 115Õ5x110Õ5,
1902. Aureliano de Beruete y Moret, hijo, 140x82, 1902. Jacinto Felipe Picn y
Pardinas, 65x88, 1904. El doctor don Francisco Rodrguez de Sandoval, 104x104, 1906.
La actriz doa Mara Guerrero como Ç La dama boba È, 131x120Õ5, 1906. Doa
Mercedes Mendeville, condesa de San Flix, 198x98Õ5, 1906. El pintor Antonio Gomar y
Gomar, 59x100, 1906. Retrato de don Ramn Pia y Millet, 80x62, 1907. El doctor
Joaqun Decref y Ruiz, 60x91, 1907. Nios en la playa, 118x185, 1910.
Florencio de Santa-Ana, ÒCuando Sorolla pintaba para s mismoÓ, Arte y Libertad,
Valence, 10/11/2007.
Paloma Plaza Lpez, ÒSorolla y el fauvismoÓ in Conocer el Museo Sorolla. Diez
aportaciones a su estudio, Madrid, Ministerio de Cultura, 1986, pages 31-38.
V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009
257
que he podido pintar algunas cosas que es posible fueran ms tiles para la marcha
del arte moderno; mientras este encargo me comer los mejores aos de mi vidaÉ37
Cet extrait dÕune lettre son ami Pedro Gil Moreno de Mora, date de
janvier 1912, a t dvoil seulement en 2001. Il apporte un clairage nouveau
La Siesta (1911) qui est la fois le dernier grand format avant Visin de Espaa
et une des toiles les plus modernes de Sorolla. Sa facture, la fois rapide et
ÒbruteÓ, pourrait trs bien se fondre dans la peinture du peintre allemand Ernst
Ludwig Kirchner (1880-1938). Ë lÕaube du XXIme sicle, un autre Sorolla est sur
le point dÕmerger et cÕest ce que lÕon verra ici. Mais pour comprendre le sens et
la porte de la rforme du statut juridique du Muse Sorolla, il faut tout dÕabord
revenir son origine.
Sous la dictature franquiste, les expositions consacres au peintre nÕauraient
pas pu voir le jour sans la collaboration de ses deux filles, Mara et Elena, qui
possdaient, titre priv, deux cent soixante-deux tableaux.38 Les deux hritires
prtrent leurs Ïuvres tout au long de la priode car le Muse Sorolla, qui tait
cens remplir cette mission de diffusion et de valorisation du peintre, nÕavait pas
les moyens lgaux de le faire. Comble dÕune situation ubuesque, il resta lÕcart
du mouvement. En prenant une disposition qui rendait impossible la dispersion
des collections, la donatrice pensait agir pour le bien de sa fondation, mais elle ne
sut pas anticiper les transformations musales du XXme sicle, en particulier
lÕessor de lÕexposition temporaire qui, telle quÕon la connat aujourdÕhui, repose
sur la mobilit des collections. Cette close condamnait le muse une autre forme
dÕisolement, plus pernicieuse que sa situation gographique qui, par ailleurs,
mesure de lÕextension urbaine et du dveloppement du rseau de transports, ne
posait plus le mme problme quÕauparavant. Le Muse Sorolla conservait alors
un peu plus de mille cent peintures et entre quatre et cinq mille dessins qui ne
pouvaient ni sortir des murs ni mme des magasins puisque sa capacit maximale
37.
38.
Lettre de Joaqun a Pedro Gil Moreno de Mora, 01/1912 in Blanca Pons-Sorolla, Joaqun
Sorolla. Vida y obra, 2001, page 385. Ç Je nÕai rien peint tellement je suis absorb par le
dcor, et plus jÕy pense plus je le trouve contraire mon temprament. JÕai perdu deux
mois durant lesquels jÕai russi peindre deux ou trois choses qui, vraisemblablement,
seraient plus utiles la marche de lÕart moderne ; tandis que cette commande me mangera
les meilleures annes de ma vieÉ È
Bernardino de Pantorba, La vida y la obra de Joaquin Sorolla. Estudio biogrfico y
crtico, Madrid, Grficas Monteverde, 1970, pages 152-165.
V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009
258
dÕexposition tait environ de deux cent cinquante tableaux.39 Sa superficie totale
se situe autour de deux mille huit cents mtres carrs. Ë titre de comparaison, le
Muse National du Prado expose aujourdÕhui mille cent cinquante tableaux sur
quarante-cinq mille mtres carrs ! Compte tenu de tout cela, les collections du
Muse Sorolla se trouvaient confines et prisonnires dÕune citadelle bien
verouille et cette situation semblait irrmdiable. LÕinstitution remplissait, par
consquent, la fonction oppose celle qui lui avait t assigne en retenant des
grands formats majeurs tels que Una investigacin, Nadadores Jvea,
Instantnea, La siesta, ou encore les portraits dÕAlphonse XIII, de Raquel Meller,
de Catalina Brcena, etc.40 Le muse contrariait la diffusion de lÕÏuvre de Sorolla
en rendant son accs plus compliqu et cette situation se prolongea jusque dans
les annes quatre-vingt-dix.
En 1990, un muse sudois dpose le projet dÕune exposition comparative
dÕAnders Zorn et de Joaqun Sorolla.41 Les deux peintres sÕtaient connus Paris
et avaient concouru ensemble au Salon de la Socit des Artistes Franais. En
1900, ils furent tous deux laurats du Grand Prix de leurs pavillons respectifs et,
en 1906, alors que lÕun occupait les salons du galeriste Petit, lÕautre exposait en
mme temps chez le concurrent Durand-Ruel.42 Au fil de leurs rencontres, les
deux hommes sÕtaient lis dÕamiti et leurs Ïuvres respectives sÕtaient
mutuellement influences. CÕest en tout cas ce que pouvait dmontrer cette
exposition.43 Zorn avait construit sa maison en Sude, Mora et, aprs sa mort,
celle-ci fut transforme en muse. LÕide dÕune exposition comparative est
souleve pour la premire fois par un Espagnol europaniste, Jorge Semprun
(1923-2011), ministre de la Culture de son pays de 1988 1991. Ë lÕoccasion
dÕun voyage officiel Stockholm, il propose de runir dans une exposition
39.
40.
41.
42.
43.
La collection de dessins du Muse Sorolla est en cours dÕinventaire. Les chiffres donns
ici sont tirs de Bernardino de Pantoba, Gua del Museo Sorolla, Madrid, Grficas
Nebrija, 1975 (1951), page 11.
Au Muse Sorolla de Madrid : Una investigacin, 122x151, 1897. Nadadores Jvea,
90x126, 1905. Instantnea, 62x93Õ5, 1906. La siesta, 200x201, 1911. S.M. el Rey Alfonso
XIII, 150x104Õ5, 1918. Retrato de Raquel Meller, 125x100, 1918 et Retrato de Catalina
Barcena, 135x100, 1919-1920.
Florencio de Santa-Ana, Museo Sorolla, Madrid, Electa, 2000, page 31.
Sorolla-Zorn, Madrid, Ministerio de Cultura, 1992, page 82 et Pilar de Navascus
Benlloch, ÒSorolla y los pintores nrdicosÓ in Conocer el Museo Sorolla. Diez
aportaciones a su estudio, Madrid, Ministerio de Cultura, 1986, pages 23-29.
Rafael Sierra, ÒEntre dos mares. Sorolla y Zorn nos acercan a travs de su obra a una
Espaa lejana y exticaÓ, El Mundo, Madrid, 1/03/1992.
V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009
259
commune les Ïuvres de Sorolla et de Zorn.44 Son ide sduit alors
lÕamabassadeur sudois Madrid, Ulf Hjertensson (inc.) et le directeur du Muse
National de Stockolm, Olle Granath (1940) qui tentent de mettre sur pied ce
projet. En 1990, la directrice du Muse Zorn, Birgitta Sandstrm (inc.), adresse
une demande de prt son homologue espagnol Florencio de Santa-Ana (1938),
mais celle-ci la rejette tout simplement car le Muse Sorolla ne peut pas
lgalement la satisfaire.
Toutefois, les choses nÕen restent pas l, car le gouvernement sudois
formule ensuite une demande officielle directement auprs du gouvernement
espagnol.45 En intervenant au plus haut sommet de lÕtat, Stockholm russit
obtenir la drogation ncessaire et cette exposition peut alors voir le jour un an
plus tard. Ce projet binational doit tre rapproch des grands chantiers europens
de ce dbut des annes quatre-vingt-dix. LÕinstauration dÕune politique extrieure
europenne, dÕune monnaie unique ou encore la dfinition de la citoyennet
europenne seront bientt lÕordre du jour du Trait de Maastricht, en 1992. Dans
une Espagne communautaire depuis le 1er janvier 1986, la dimension
transnationale de Sorolla peut alors apparatre comme un lment digne dÕtre
valoris, mme si la Sude ne fait pas partie de la Communaut conomique
Europenne (CEE). On peut imaginer que lÕtat espagnol est alors
particulirement soucieux de promouvoir son patrimoine artistique dans ce quÕil a
de plus europen car Madrid sera la capitale europenne de la culture en 1992,
lÕoccasion du cinq-centime anniversaire de la dcouverte de lÕAmrique. Cette
anne verra aussi se raliser deux vnements internationaux majeurs : les Jeux
Olympiques dÕt, Barcelone, et lÕExposition Universelle de Sville.
Le ministre de la Culture espagnol accde la requte sudoise mais
demande, en contre-partie, que lÕexposition soit itinrante, raison pour laquelle
elle est dÕabord prsente en novembre 1991 Mora sous le titre Frn tv hav.
Zorn och Sorolla cÕest--dire De deux mers, Zorn et Sorolla. Les reines
dÕEspagne et de Sude lÕinaugurent ensemble le 7 novembre. Puis en mars 1992,
lÕexposition est inaugure Madrid sous le titre Sorolla - Zorn. Elle contient
soixante-et-un tableaux de lÕEspagnol et cinquante-trois du Sudois. Parmi eux
44.
45.
Anonyme, ÒLas reinas de Espaa y Suecia inauguran una muestra en EstocolmoÓ, El
Correo Espaol, [Buenos Aires], 8/11/1991.
Museo Sorolla, 2000, page 31.
V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009
260
figurent un portrait de Sorolla par Zorn, conserv Madrid, et le tableau de
Sorolla Despus del bautizo. Valencia, conserv Mora.46 Comme lÕexposition
devance la rforme du statut juridique du Muse Sorolla, celle-ci est mise en
chantier ds lÕanne suivante. Le nouveau statut est rdig par une commission
dÕexperts puis adopt en Conseil des ministres le 30 juillet 1993. Il autorise enfin
la mobilit des collections ce qui constitue, de fait, la condition la plus
indispensable au rayonnement la fois national et international de lÕinstitution.
Le Muse Sorolla entre alors dans une nouvelle re car il assure dornavant
la promotion de ses collections non seulement lÕtranger mais aussi, et surtout,
en province. Par ailleurs, la redcouverte du peintre va tre guide par des
questions dÕordre historique et esthtique. Le directeur Florencio de Santa-Ana
dfinit en priorit un programme national car il estime que le peintre nÕest pas
suffisamment connu dans son propre pays. Ainsi, ds 1994, cinquante-deux
tableaux sont envoys Sville le temps de lÕexposition Sorolla en Andaluca.47
Soixante-dix ans aprs la mort de lÕartiste, de nombreuses facettes de son Ïuvre
demeurent compltement indites. LÕune dÕentre elle, sa peinture andalouse,
tmoigne de son profond attachement cette rgion. Ë un journaliste, le peintre
avait un jour dclar : Ç Son, entre las ciudades de Espaa, las de mis dos grandes
amores. Si posible fuera nacer a voluntad y en dos lugares a un tiempo, yo sera
mitad de Valencia, mitad de Sevilla. È48 Sous le franquisme, les paysages de la
cte ont t surexposs pour des raisons lies lÕconomie touristique. Mais
Sorolla nÕa pas plant son chevalet uniquement sur la plage de Valence. En
Andalousie, il a peint Cordoue, Grenade, Sville et Xrs de la Frontera ainsi
que le dmontre lÕexposition. Deux paysages des montagnes enneiges de la
Sierra Nevada offrent un tout autre aperu de lÕartiste car ils mettent en vidence
les recherches plastiques qui le menrent jusquÕaux portes de lÕabstraction.49 La
touche large et rapide, la palette anti-naturaliste et la facture synthtique de ces
46.
47.
48.
49.
Joaqun Sorolla y Bastida, 62x58, Madrid, Muse Sorolla, 1906 et Despus del bautizo,
Valencia, 80x114, Mora, Muse Zorn, 1899.
Sorolla en Andaluca, Ministerio de Cultura, Sville, 1994.
Francisco Martn Caballero, ÒHablando con D. Joaqun Sorolla en su estudioÓ, La
Correspondencia de Valencia, Valence, 11/09/1913. Ç Ce sont, parmi les villes
dÕEspagne, celle de mes deux grands amours. SÕil ft possible de voir le jour selon mon
bon vouloir et en deux lieux en mme temps, je serais pour moiti de Valence et pour
lÕautre moiti de Sville. È
Sierra nevada en invierno, 81Õ5x105, Madrid, MS, 1910 et Sierra Nevada, Granada,
95x69, Madrid, MS, 1917.
V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009
261
peintures rappelle le paysage du groupe allemand Die Brcke. DÕautres tableaux
dmontrent que, en marge de la commande de lÕHispanic Society, Sorolla peignait
les mmes motifs ÒautrementÓ. En effet, entre les sances de pose du septime
panneau du dcor de lÕHispanic Society, El baile, il ralise des portraits de gitanes
purement exprimentaux. Il essaie des expositions de lumire contre-plongeantes
qui donnent aux figures un aspect spectral. De lÕobscurit, la lumire jaillit en
diffrents points, en particulier des visages qui, de ce fait, font penser des
masques. Florencio de Santa-Ana les rapproche, juste titre, de la peinture
expressionniste.50 Ces toiles pourraient trs bien tre compares aux portraits
fminins de Kees Van Dongen peints autour de 1910 ou encore ceux dÕAndr
Derain. Les paysages de Grenade et les portraits de gitanes, qui sont rests si
longtemps confidentiels, mettent en lumire des axes vers lesquels Sorolla
engagea sa peinture la fin de sa vie. Pour toutes ces raisons, Sorolla en
Andaluca est le point de dpart dÕune rvision des jugements tablis. Le peintre
a-t-il t aussi acadmique et formel que certains lÕont affirm durant longtemps ?
Quels changements de perception peut-on attendre des expositions venir ?
Autant de questions qui se posent en 1994.
La mme anne, les collections du muse continuent tre exhumes et
prsentes au public. Sorolla. Fondos del Museo Sorolla est la premire dÕune
srie dÕexpositions itinrantes parcourant les grandes et moyennes villes du pays.
Ainsi, le Muse Sorolla Òse dplaceÓ en direction du public. Contrairement
lÕexposition prcdente, celle-ci se veut plus gnraliste. La direction du muse
fait sortir les grands formats quÕelle considre comme les chefs-dÕÏuvre de la
collection comme lÕautoportrait de 1904 mais aussi Madre, Una investigacin,
Clotilde con traje gris, Mis hijos, Saltando a la comba, Paseo a orillas del mar,
La siesta, El balandrito, La bata rosa, Clotilde con traje de noche et beaucoup
dÕautres.51 LÕexposition itinrante est installe et dmonte pas moins de quinze
fois en trois ans ! Elle fait le tour du pays dans le sens des aiguilles dÕune montre
en commenant par la Galice puis le Pays Basque, la Catalogne, lÕAragon, la
Communaut de Valence et ainsi de suite.
50.
51.
Sorolla en Andaluca, page 138.
Au Muse Sorolla de Madrid : Autorretrato, 66x100Õ5, 1904. Madre, 125x69, 1895. Una
investigacin, 122x151, 1897. Clotilde con traje gris, 178Õ5x93, 1900. Mis hijos,
160Õ5x230Õ5, 1904. Saltando a la comba, 105x166, 1907. Paseo a orillas del mar,
205x200, 1909. El balandrito, 100x110, 1909. Clotilde con traje de noche, 150x105,
1910. La siesta, 200x201, 1911. La bata rosa, 208x126Õ5, 1916.
V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009
262
En 1995, une exposition itinrante de petits formats est inaugure
Valence. Sorolla en Andaluca a donn un aperu des recherches plastiques du
peintre en grand format mais, en toute logique, le petit format avait t le support
privilgi de ses recherches picturales. Le peintre vendait aussi des petits formats
quÕil signait pour lÕoccasion, comme le prouvent les catalogues de ses expositions
individuelles, mais la plupart de ces ralisations, de la simple pochade au
tableautin, nÕavaient jamais quitt son atelier. Lors de ses dplacements, il
transportait avec lui tantt un bloc, pour les dessins au fusain, tantt des cartons
pour les gouaches, ou encore des tablettes pour les huiles. Ë lÕcole des BeauxArts, son matre Gonzalo Salv lui avait enseign la peinture sur le motif telle que
la pratiquait, par exemple, Ignacio Pinazo. Sorolla aimait peindre ainsi, en pleine
nature et sous la lumire naturelle et fit un jour un court rcit de ces excursions en
compagnie de Salv : Ç Recuerdo con verdadero deleite las largas caminatas, bajo
el ardiente sol levantino, en busca de un efecto de luz o de una nota de color. È52
En petit format, il essayait des compositions, cherchait la nuance juste pour tel
reflet ou telle ombre ou encore ÒcueillaitÓ une silhouette sur le vif. Sur ces
supports pauvres, il essayait de rsoudre les problmes quÕil rencontrait. Il
conservait ensuite prcieusement ce matriel et lÕutilisait, le cas chant, lorsquÕil
peignait en grand format. Ë Valence, les deux expositions qui sont prsentes
conscutivement marquent le retour de lÕÏuvre de Sorolla dans la ville.
LÕvnement est ft lÕoccasion des Fallas car le peintre y a un char son
effigie.53
Ë partir de 1996 et jusquÕen 2005, le Muse Sorolla exporte ses expositions
lÕtranger. Ce cycle commence en Amrique latine, dans six pays : la Colombie,
le Chili, la Bolivie, le Prou, le Brsil et le Mexique. Dans cette partie du monde,
le peintre est compltement inconnu du public. Sur le continent amricain, les
deux collections les plus importantes se trouvent en Argentine et Cuba. Il faut
aussi mentionner le rle jou par le plus grand collectionneur priv du monde, le
milliardaire mexicain Juan Antonio Prez Simn (1941) qui a constitu une
52.
53.
Homenaje a la Gloriosa Memoria del Excm. Don Joaqun Sorolla, Acadmico electo.
Discursos ledos en la Sesin Pblica el da 2 de febrero de 1924. Real Academia de San
Fernando, Madrid, Mateu Artes Grficas, 1924, page 11. Ç Je me souviens avec un vrai
dlice des longues marches, sous le soleil ardent du levant, la recherche dÕun effet de
lumire ou dÕune nuance de couleur. È
Anonyme, ÒFalla sobre SorollaÓ, ABC, Madrid, 17/03/1995.
V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009
263
importante collection de tableaux du Valencien.54 Durant lÕt 2010, ils ont t
prsents au Muse Jacquemard-Andr de Paris.55
En Espagne, dans les annes quatre-vingt-dix, les vnements lis Sorolla
couvrent quasiment tout le calendrier artistique car les expositions se suivent et
arrivent mme se superposer les unes aux autres. En mars 1996, le visiteur peut
dcouvrir Palma de Majorque Sorolla y el Mediterrneo, puis J. Sorolla y la
cornisa cantbrica Oviedo en mai, puis Sorolla. Fondos del Museo Sorolla,
òbeda en octobre et, enfin, Sorolla. Pequeo formato en novembre, Valladolid.
Le calendrier est encore plus dense pour les deux annes 1997 et 1998 comme le
montre le tableau ÒExpositions monographiquesÓ prsent en annexe n¡1. Alors
que trente ans auparavant le Muse Sorolla tait sur le point de fermer ses portes
faute dÕaffluence, il bat dsormais des records puisquÕil double sa frquentation
en cinq ans. En effet, il accueille 51.408 visiteurs en 1998, 56.914 en 1999 et
57.066 en 2000.56 Aprs une fermeture temporaire en 2001-2002, pour cause de
travaux de rnovation, il reoit 104.609 visiteurs en 2003.57 Florencio de SantaAna profite de cette priode de fermeture temporaire pour intensifier la
divulgation des collections du muse en province. Pour cela, il sÕappuie presque
exclusivement sur le mcenat des caisses dÕpargne rgionales car le muse nÕa
pas les moyens dÕassumer seul le cot de ses expositions. La collaboration de ces
institutions prives lui permet de mettre sur pied un programme vnementiel
digne des plus grands muses.
Parmi les expositions temporaires proposes durant cette priode, trois
retiennent lÕattention : Paisajes de Granada de Joaqun Sorolla, Sorolla a Xbia
et Sorolla y la Hispanic Society. Una visin de la Espaa de entresiglos. 58 La
premire explore un aspect de son Ïuvre, le paysage tardif, que le public a pu
entrevoir quelques annes plus tt lÕoccasion de lÕexposition andalouse. La
54.
55.
56.
57.
58.
Anonyme, ÒVoici le plus grand collectionneur priv du mondeÓ, Paris Match, Paris,
5/09/2010.
Du Greco a Dal. Les grands matres espagnols de la collection Prez Simn, Paris,
Snoeck Ducaju Et Zoon, 2010.
Pedro Silverio y Moreno, ÒEl Romntico deja de ser el museo que menos visitas recibe al
aoÓ, Madrid y ms, Madrid, 8/03/2000 et Mara Diezhandino, ÒEl Thyssen, el museo
madrileo que ms visitantes perdi en el 2000Ó, Madrid y Ms, Madrid, 5/02/2001.
Anonyme, ÒEl Museo Sorolla duplica el nmero de visitantesÓ, Metro, Madrid,
26/02/2004 et anonyme, ÒEl Museo Sorolla cierra por obrasÓ, Metro Directo, Madrid,
15/10/2001.
Paisajes de Granada de Joaqun Sorolla, Grenade, Fundacin Caja de Granada, 1997.
Sorolla y la Hispanic Society. Una visin de la Espaa de entresiglos, Madrid, Museo
Thyssen Bornemisza, 1998 et Sorolla a Xbia, Jvea, Bancaixa, 1999.
V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009
264
seconde est sans doute la plus spectaculaire puisquÕelle met jour ses recherches
sur la reprsentation des phnomnes aquatiques. En 1905, Sorolla sÕtait install
dans un village situ au sud de Valence, Jvea. Depuis la hauteur des rochers, il
tenta dÕapprhender sur la toile un phnomne optique aussi fugace que la
rfraction. Durant un t, il reprsenta le corps immerg dans une srie connue
comme celle des ÒnageursÓ. Elle comprend principalement des pochades mais
aussi cinq grands formats dont trois se trouvent dans les collections du Muse
Sorolla et sont prsents cette occasion. LÕensemble fait apparatre lÕinfluence
du Valencien sur deux peintres relis aux mouvements dÕavant-garde, Joaquim
Mir et Hermenegildo Anglada Camarasa. Enfin, lÕexposition Sorolla y la
Hispanic Society. Una visin de la Espaa de entresiglos permet de mieux cerner
le portraitiste de la dernire poque puisquÕune partie de la galerie
inconographique de lÕHispanic Society est temporairement prte au Muse
Thyssen Bornemisza. A dfaut de pouvoir accueillir Visin de Espaa, les
bauches conserves au Muse Sorolla sont prsentes ensemble. Ces expositions
offrent les conditions indispensables une analyse scientifique rigoureuse de cette
Ïuvre puisque, disons-le ainsi, un tableau qui nÕest pas visible est perdu pour la
critique et pour la recherche. Les historiens dÕart Marcus Burke, Javier Burn,
Mitchell. A Codding, Jos Luis Dez, Julin Gallego, Toms Llorens, Javier
Tusell, Felipe Garn, Francisco Javier Prez Rojas, Facundo Toms, Florencio de
Santa-Ana, et dÕautres contribuent alors prciser et largir la connaissance de
lÕÏuvre du Valencien. Leurs travaux bnficient de la collaboration de Blanca
Pons-Sorolla, lÕarrire-petite-fille, qui continue soutenir et / ou prend part ellemme activement aux travaux de recherches en cours.
La redcouverte du peintre profite au march de lÕart, puisque les prix de ses
tableaux sÕenvolent comme on le verra plus avant. En mme temps, lÕdition vit
des heures fastes puisquÕen plus des traditionnels catalogues dÕexposition, des
tudes isoles voient le jour et quÕun ambitieux projet de catalogue raisonn en
quatre volumes est annonc dans la presse en aot 1999.59 Ë cette poque,
lÕouvrage de rfrence est toujours celui de Bernardino de Pantorba, qui a t
publi en 1953 puis rdit en 1970. Entre 1985 et 1986, Francisco Pons-Sorolla
et sa fille Blanca commencent tablir lÕinventaire de lÕÏuvre de leur aeul.
59.
Natividad Pulido, ÒCultura busca un espacio anexo al Museo Sorolla para su ampliacinÓ,
ABC, Madrid, 12/08/1999.
V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009
265
Quand le projet est suffisamment avanc, les ditions Fahah et lÕentreprise Airtel
Vodafone lui apportent un soutien financier. Enfin, la sortie de quatre volumes est
annonce en aot 1999. Le premier, une monographie trs documente, sort en
2001 et est suivi lÕanne suivante dÕune tude des dessins drive de la thse de
Luz Buelga.60 Ë ce jour, le catalogue raisonn de lÕÏuvre peint nÕa pas encore t
publi. Il devrait prochainement porter la connaissance du public quatre mille
fiches ainsi que toutes les reproductions des peintures, en couleur.
En ce qui concerne la progression des prix sur le march, il faut rappeler,
titre dÕexemple, que le grand format avec lequel Sorolla dcrocha la Mdaille
dÕHonneur de lÕExposition Nationale, Triste Herencia, a t vendu pour la somme
de vingt-deux millions de pesetas en 1981.61 Or, en 1997, Clotilde y Elena en las
rocas change de mains pour plus de cent quatre-vingts millions de pesetas, cÕest-dire pour un prix huit fois suprieur ! Selon Consuelo Durn (1952), de la
maison de ventes aux enchres madrilne Durn Subastas, les acquisitions du
ministre de la Culture ont dynamis le march.62 En 1999 et en 2000, lÕtat
achte conscutivement deux Ïuvres de jeunesse, Moro con naranjas, pour vingtsix millions de pesetas, puis El Pillo de playa pour cent seize millions de pesetas.
Les deux Ïuvres se trouvent dsormais dans les collections du Muse Sorolla.63
Curieuse concidence, en 2002, une Valencienne nomme Encarna Martnez se
prsente aux media comme la fille dÕun prtendu fils cach du peintre, un certain
Jos Martnez Fosatti. Ë la manire de ces histoires sensation racontes dans le
talk show dÕAntena 3 ÒDiario de PatriciaÓ, cette femme porte cette histoire prive
la connaissance du public. Que les faits rapports soient avrs ou non, la
mdiatisation de cette affaire nous intresse pour lÕclairage quÕelle apporte sur la
rception de Sorolla. En effet, elle intervient dans un contexte dÕintense activit
mdiatique, car ses tableaux nourrissent lÕactualit culturelle du pays et tablissent
des records sur le march qui, leur tour, font les gros titres. Le journaliste ne
manque pas de demander : Ç ÀY por qu usted ha tardado tanto en contar esta
historia? Desde que muri su padre han pasado once aos. È et lÕinterroge de
60.
61.
62.
63.
Natividad Pulido, ÒLa bisnieta de Sorolla publica la monografa ms completa del pintorÓ,
ABC, Madrid, 9/12/2001. Blanca Pons-Sorolla, Joaqun Sorolla. Vida y obra, Madrid,
Fahah, 2001 et Luz Buelga, Dibujos de Joaqun Sorolla, Madrid, Fahah, 2000.
Voir lÕannexe n¡2. Rsultats des ventes par adjudication.
Mara Jess Burgueo, ÒSorolla bajo la lupa. Anlisis del pintor ms falsificadoÓ,
Subastas Siglo XXI, Madrid, 03/2001.
Au Muse Sorolla de Madrid : Moro con naranjas, 73Õ5x39Õ9, 1885-1886 et El pillo de
playa, 80Õ5x124, 1891.
V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009
266
rpondre : Ç No lo cont antes por el temor a la desconfianza de la gente sobre un
asunto tan delicado y mantenido en secreto tanto tiempo. È64 Dans une Espagne
gagne par la tlralit et grande consommatrice de presse scandale, lÕaffaire
passionne. CÕest le dbut dÕun pisode de ÒpeopleisationÓ de Sorolla, un
phnomne de socit qui nÕpargne pas les personnages historiques. La double
vie dÕmile Zola, la mysoginie dÕAlbert Einstein ou bien encore la sexualit
dÕOscar Wilde, ont t avant cela autant de thmes vendeurs.65 Cela revient
prsenter lÕhistoire par le petit bout de la lorgnette pour mieux la vendre au grand
public. Las Provincias sÕintresse aux liaisons extraconjugales du peintre dans un
article intitul ÒEl lado oculto de SorollaÓ. On y raconte, par exemple, que le
peintre de la mer a vcu une idylle avec une jeune fille de Jvea et que lÕaffaire
prit un mauvais tour car le fianc cornard, un carabinier, se fit justice lui-mme en
tuant la nymphette dÕun coup de feu. Selon la mme source, le pre et le fils se
seraient disputs la belle Raquel Meller.66
En 2004, La hora del bao change de main pour la somme colossale de cinq
millions deux cent mille euros ! Cette transaction constitue toujours le record pour
une production de Sorolla. Elle le positionne alors parmi les peintres les plus
chers du march du XIXme sicle et comme un des meilleurs investissements,
selon lÕexperte de la maison de ventes aux enchres SothebyÕs, Helene
Montgomery (inc.-inc.).67 En 2006, Mara mirando los peces franchit la barre des
deux millions et demi dÕeuros et Las tres velas frle, en 2008, les trois millions
dÕeuros car les collectionneurs recherchent les scnes de plage cote que cote,
sans toujours tenir compte de leur qualit. Cette partie de lÕÏuvre du matre
fascinait dj les ÒsorollistesÓ qui avaient plant leur tour leurs chevalets sur le
sable de la plage de La Malvarrosa. CÕest pour cette raison quÕelle sÕest ensuite
dvalue jusquÕ ce que le franquisme lÕintgre sa propagande. Elle est alors
nouveau prise des collectionneurs. Signe des temps, en avril 2008, le site
64.
65.
66.
67.
Rafa Mar, ÒSorolla pint a mi abuela con mi padre en brazosÓ, Las Provincias, Valence,
30/04/2002. Ç Et pourquoi avoir mis autant de temps raconter cette histoire ? È Ç Je ne
lÕai pas raconte par peur du scepticisme des gens concernant un sujet si dlicat et gard
secret aussi longtemps. È
Anonyme, Òmile Zola, solitaire et solidaireÓ, Le Monde, Paris, 27/09/2002. Anonyme,
ÒVatican reconciles with Oscar WildeÓ, The Telegraph, Londres, 16/07/2009 et Denis
Bryan, ÒThe Unexpected Einstein: The Real Man behind the IconÓ, Cosmos, Chippendale,
09/2006.
Rafa Mara, ÒEl lado oculto de SorollaÓ, Las Provincias, Valence, 9/05/2002.
Anonyme, ÒLa hora del bao, de Sorolla, se vende por 5,3 millones y marca un rcord del
artistaÓ, El Pas, Madrid, 19/11/2003.
V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009
267
dÕenchres en ligne Ebay met pour la premire fois en vente un tableau du matre,
un paysage de Valence peint en 1881.68
Durant la premire dcennie du XXIme sicle, les muses Sorolla et
Thyssen Bornemisza russissent programmer le peintre de Valence dans
lÕagenda culturel europen. LÕenjeu est annonc dans ABC, en 1999 par Blanca
Pons-Sorolla : Ç Falta una gran antolgica en Madrid, Pars y Londres, que
acabara de encumbrar a Sorolla como pintor universal. Es un reto de Europa. È69
Sorolla avait eu une dimension europenne de 1895 1906 puis lÕavait ensuite
perdue autour de 1909, dÕabord en exposant aux tats-Unis puis en acceptant une
commande qui lÕloigna et lÕisola. Ë Paris, les modes se renouvelrent et son nom
fut rapidement gomm par dÕautres. Un sicle plus tard, aucun muse de lÕUnion
Europenne, hormis lÕEspagne bien sr, nÕa accueilli une exposition consacre
son Ïuvre. Les grands muses modernes comme Orsay, Paris, ou la Tate
Gallery de Londres, nÕont jamais investi dans une exposition monographique du
peintre espagnol. Il est peu frquent quÕun pays valorise les collections quÕil nÕa
pas et Sorolla se trouve aujourdÕhui insuffisamment reprsent dans les muses
franais, anglais, allemands, belges, italiens, russes, etc. La base Joconde, qui est
le catalogue numrique des collections des muses nationaux franais, fait
apparatre cinq rponses seulement : La vuelta de la pesca, La preparacin de la
pasa. Jvea, et les portraits de lÕantiquaire parisien Jacques Seligmann (18581923), du critique dÕart Marcel Nicolle (1871-1934) et de lÕpouse du marchand
Henri Dequis (inc.-inc.).70 DÕautres tableaux ne sont pas rfrencs dans cette
base mais, malgr cela, lÕensemble du fond franais reste insignifiant. Cette
situation est paradoxale quand on songe au parcours du peintre mais il faut se
souvenir quÕ Paris la clientle tait cosmopolite. Pour le reste de lÕEurope, on a
vu que ses expositions allemandes et anglaises furent deux dsastres commerciaux
puisquÕil ne vendit quasiment rien et, lÕexception du Muse Zorn, aucune
68.
69.
70.
Ramn Sanchs, ÒEbay Ç cuelga È un SorollaÓ, http://www.lasprovincias.es/, 9/04/2008.
Natividad Pulido, ÒCultura busca un espacio anexo al Museo Sorolla para su ampliacinÓ,
ABC, Madrid, 12/08/1999. Ç Il manque une grande rtrospective Madrid, Paris et
Londres, qui achverait dÕlever Sorolla au rang de peintre universel. CÕest un dfi de
lÕEurope. È
La vuelta de la pesca, 265x325, Paris, Muse dÕOrsay, 1894. La preparacin de la pasa.
Jvea, 195x140, Pau, Muse des Beaux-Arts, 1901. Retrato de Jacques Seligmann,
150x108, Castres, Muse Goya, 1911. Retrato de Marcel Nicolle, 48x58, Rouen, Muse
des Beaux-Arts, sans date. Retrato de la seor Dequis, 73x93, Bordeaux, Muse des
Beaux-Arts, 1913. La base Joconde est consutable lÕadresse suivante :
http://www.culture.gouv.fr/public/mistral/joconde_fr .
V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009
268
institution ne prit le parti de monter une exposition du peintre espagnol. En
revanche, deux expositions prpares et finances en Espagne furent exportes
vers le nord de lÕEurope.
En 2002, le Wallraf Richartz Museum de Cologne accueille Sorolla
paisajista, une exposition itinrante du Muse Sorolla qui circulait en Espagne
depuis prs de deux ans.71 Puis, en 2006, le Petit Palais de Paris, qui a rcemment
ouvert ses portes au public aprs quatre ans et demi dÕune rnovation complte,
installe dans ses salles lÕexposition du Muse Thyssen Bornemisza Sargent y
Sorolla.72 Le Petit Palais avait t construit pour lÕExposition Universelle de
1900, un cadre dÕautant plus appropri que Sargent et Sorolla y avaient alors t
rcompenss ensemble par un Grand Prix. Mme si lÕexposition prpare par le
Muse Thyssen Bornemisza est bien accueillie en France, cette exprience ne se
renouvellera pas. Ë ce jour, la redcouverte de Sorolla en Europe reste faire. La
dispersion de son Ïuvre lÕaurait probablement facilite car, de fait, cette tche est
aujourdÕhui entirement dvolue aux institutions espagnoles. Avec la crise
conomique et bancaire qui a frapp le pays en 2008, elles ne disposent plus
aujourdÕhui des moyens ncessaires pour assumer seules autant de projets
internationaux que par le pass. Nanmoins, et comme une consquence positive
du travail ralis, la Fondation de lÕHermitage de Lausanne vient de monter une
exposition largement consacre au peintre de Valence : El Modernismo de Sorolla
a Picasso, 1880-1918.73 Sorolla apparat aujourdÕhui comme le peintre le plus
important de sa gnration et cÕest pourquoi cÕest autour de lui que lÕexposition
est btie. Elle prsente un ensemble trs vari parmi lequel on retrouve des
portraits mais aussi des scnes de plage et de jardin provenant principalement de
collections prives europennes. Plus rcemment, le 17 mars 2012, la premire
exposition rtrospective italienne de son Ïuvre, Sorolla. Giardini di luce Ð
ÒJardins de lumireÓ Ð a ouvert ses portes Ferrara.74
Il nous reste voquer lÕexposition Visiones de Espaa qui est le point
dÕorgue de cette priode car, pour la premire fois de son histoire, le dcor de
71.
72.
73.
74.
Anonyme, ÒLa calidez de Sorolla se ver en AlemaniaÓ, Metro Directo, Madrid,
4/09/2001. Unter Spaniens Sonne. Landschaften von Joaqun Sorolla (1863-1923),
Cologne, 2002.
Sargent et Sorolla. Peintres de la lumire, Paris, 2006.
El Modernismo de Sorolla a Picasso 1880-1918, Lausanne, 5 Continents & Fondation de
lÕHermitage, 2011.
Sorolla. Giardini di luce, Ferrara, Comune di Ferrara, 2012.
V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009
269
lÕHispanic Society allait tre entirement dmont, restaur et prsent en
Espagne en 2007. Mais avant cela, il convient de se demander dans quelle mesure
la perception de Sorolla a chang depuis 1994. Certes, le peintre apparat
aujourdÕhui dans une complexit et une modernit quÕon ne lui connaissait pas
mais, pour autant, peut-il tre, comme Ignacio Pinazo, resitu par les historiens de
lÕart aux prmices des mouvements dÕavant-garde ? Mme si la redcouverte de
son Ïuvre dpasse de loin toutes les attentes, elle ne balaie pas un sicle de
rception critique et les institutions espagnoles ne sont pas encore prtes
associer Sorolla aux Avant-gardes. On a vu que, par le pass, les deux choses ont
continuellement t opposes par les communauts dÕinterprtation successives
selon un schma fig : Sorolla la tradition et aux Avant-gardes, lÕinnovation.
Mais on pourrait imaginer que ces barrires soient prochainement leves et que,
par exemple, une exposition comparative des Ïuvres de Sorolla et dÕEquipo
Crnica voie le jour en Espagne. Elle pourrait sÕarticuler autour du rapport aux
matres et explorer, par exemple, la question de la citation.
Mme si, pour lÕheure, un tel projet nÕest pas encore lÕordre du jour, une
slection de tableaux provenant du Muse Sorolla fait dsormais partie de la
collection permanente du nouveau Muse Reina Sofa qui bnficie depuis 2005
dÕune extension dessine par lÕarchitecte franais Jean Nouvel (1945). Saltando a
la Comba fut la premire Ïuvre a rejoindre les salles du muse dÕart
contemporain.75 En dpit de la loi de sparation des collections de 1995 qui fixe
1881, lÕanne de naissance de Picasso, la frontire entre ÒmodernesÓ et
ÒcontemporainsÓ, le Muse Reina Sofa a fait inscrire le Valencien sur la liste des
exceptions. Voici une partie du contenu du Dcret Royal du 17 mars 1995 :
De acuerdo con el criterio general formulado por dicha Comisin, se ha optado por
establecer como hito determinante de la asignacin de obras a uno u otro museo la
fecha del nacimiento de Pablo Picasso, cuya obra, por su reconocida genialidad y su
trascendencia ms all de lo puramente esttico, pueda servir para determinar el
antes y despus de la evolucin artstica en los dos ltimos siglos. No obstante,
dicho criterio general queda atemperado, asimismo, de conformidad con el informe
de la Comisin, con la posibilidad de introducir sobre el mismo aquellas
75.
Saltando a la comba, 105x166, Madrid, MS, 1907.
V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009
270
excepciones que aconseje la complejidad de la creacin artstica del perodo
considerado.76
Le texte prvoyait donc une certaine souplesse justifie par ses rdacteurs
par la complexit des formes artistiques nes en Espagne, entre la Restauration et
la premire Guerre Mondiale. LÕanne 1881 ne saurait, de fait, constituer une
frontire tanche entre deux gnrations et elle doit tre comprise, sur le plan
administratif et juridique, comme un repre permettant de distinguer les
collections de lÕtat, dont la gestion est confie des institutions diffrentes
menant des politiques distinctes. En France, cÕest lÕanne 1850 qui spare les
collections du Muse du Louvre de celle du Muse dÕOrsay. LÕide de sparation
des collections est forcment discutable et elle le fut, raison, lors de lÕexposition
Visiones de Espaa car lÕÏuvre du Valencien se situe prcisment entre tradition
et innovation et peut figurer autant comme la fin dÕune cole que comme les
prmices dÕune autre. Sorolla a peint en 1897 un des derniers tableaux dÕhistoire,
La jura de la Constitucin [de 1876] por la regente Da. Mara Cristina, mais il a
aussi frl avec lÕabstraction en 1910, dans ses paisajes de la Sierra Nevada. Il
peut donc, tour tour, clore le XIXme sicle espagnol et introduire le XXme.
Le directeur du Muse Reina Sofa de Madrid, Manuel Borja-Villel (1957),
explique que Sorolla, autant que Zuloaga, a nourri le terreau des Avant-gardes :
Est comnmente aceptado que la Espaa negra es moderna, y por su luminosidad
mediterrnea a Sorolla se le ha considerado un artista de otra poca [É] Pero
tambin hubo una Espaa blanca que hay que tener en cuenta, y lo cierto es que
Zuloaga y l tuvieron una consideracin internacional, sobre todo en EE UU,
similar. Y de la confrontacin de ambas ideas es de donde surge Picasso y la
superacin de los discursos caducos por la va de las vanguardias.77
76.
77.
Dcret
Royal
n¡410/1995
consultable
en
ligne
lÕadresse :
http://www.boe.es/aeboe/consultas/bases_datos/ Ç Conformment lÕavis gnral
exprim au sein de cette Commission, nous avons dcid de fixer comme repre pour
lÕattribution des Ïuvres tel ou tel muse, la date de naissance de Pablo Picasso, dont
lÕÏuvre, par son gnie reconnu et son importance au-del du critre purement esthtique,
peut servir dterminer un avant et un aprs de lÕvolution artistique des deux derniers
sicles. Cependant, ce critre gnral reste modulable, car, en accord avec le rapport de la
Commission, il existe une possiblit dÕy introduire des exceptions dues la complexit de
la cration artistique de la priode considre. È
Iker Seisdedos, ÒJoaqun Sorolla tambin tiene cabida en el nuevo Reina SofaÓ,
http://www.elpas.com, 9/05/2009. Ç Il est communment admis que lÕEspagne noire est
moderne, et quÕen raison de sa lumire mditerrannenne, on a considr Sorolla comme
V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009
271
Il faut imaginer que lÕintrt de ce muse dÕart contemporain est aussi
conomique car Sorolla est aujourdÕhui un formidable Òproduit dÕappelÓ. Le
Muse du Prado vient dÕadresser dÕailleurs au ministre de la Culture une
demande visant augmenter la reprsentation du peintre parmi sa collection.78
78.
un artiste dÕune autre poque [É] Mais il y a eu aussi une Espagne blanche quÕil faut
prendre en compte et, ce qui est certain, cÕest que Zuloaga et lui ont joui dÕune
reconnaissance internationale comparable, surtout aux tats-Unis. Et cÕest de la
confrontation de ces deux tendances que Picasso voit le jour et que les discours caduques
sont alors supplants par les Avant-gardes. È
Ibidem.
V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009
272
V.3. ÒSOROLLAMANêAÓ
Pour dsigner lÕengouement soulev par lÕexposition itinrante Visiones de
Espaa qui circule en Espagne durant un peu plus de deux ans, du 7 novembre
2007 au 18 janvier 2010, une journaliste de Vogue invente le nologisme
ÒsorollamanaÓ qui est ensuite suffisamment repris pour devenir une dsignation
admise.79 Le terme fait cho la ÒbeatlemanaÓ qui sÕest empare des jeunes
Madrilnes les 2 et 3 juillet 1965, lors des deux seuls concerts espagnols de la
tourne du groupe.80 Visiones de Espaa reste ce jour lÕexposition la plus visite
de lÕhistoire de lÕEspagne puisquÕun peu plus de deux millions de personnes en
ont franchi les portiques. Un cran digital faisait apparatre en direct la
progression vertigineuse dÕun nombre qui arrta sa course 2.034.784 entres. Ce
nombre sept chiffres dpasse de trs loin les rsultats de la rtrospective
Vlasquez organise par le Muse du Prado en 1998 qui avait enregistr environ
six cent mille entres et tait jusque-l le record en la matire.81 Selon le magazine
Vogue, Sorolla connat, titre posthume, un succs comparable aux plus grandes
stars internationales ! En aot 2009, le journal El Pas prtend, non sans ironie,
que lÕcho mdiatique de lÕexposition a clips le concert de la chanteuse
amricaine Madonna (1958) : Ç En Madrid la estrella de este verano est siendo
sin ninguna duda Joaqun Sorolla, mucho ms que Madonna, que pas por aqu a
dar un concierto y a ver el Museo del Prado y al final se hablaba ms de la visita
al museo que de la actuacin. È82 La priode de ÒsorollamanaÓ est la fois courte
mais trs dense car, comme jamais auparavant, lÕÏuvre du Valencien occupe le
calendrier des vnements culturels du pays.
Visiones de Espaa est, plusieurs gards, une exposition hors du commun.
DÕabord, contrairement lÕusage selon lequel les muses organisent les
expositions avec lÕappui financier dÕentits publiques et / ou prives, lÕexposition
79.
80.
81.
82.
M. C., ÒSorollamanaÓ, http://www.vogue.es/, Madrid, 06/2009.
Juan Luis Calleja, ÒComo catecumenosÓ, ABC, Madrid, 3/07/1965.
M. L., ÒBancaja idea nueva disposicin y ttulo para el regreso de las obras a ValenciaÓ,
http://www.lasprovincias.es/, Valence, 24/06/2009.
Clara Snchez, ÒSorolla, Madonna, tapasÓ, http://www.elpas.com, Madrid, 30/08/2009.
Ç Ë Madrid, la star de lÕt est certainement en passe de devenir Joaqun Sorolla, loin
devant Madonna, qui a fait tape par ici pour donner un concert et visiter le Muse du
Prado et, en fin de compte, la visite du muse fut davantage commente que sa
prestation. È
V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009
273
est entirement prpare et finance par la fondation culturelle de la caisse
dÕpargne valencienne Bancaja. Pour mettre sur pied une exposition itinrante,
lÕentreprise tablit ensuite des conventions avec cinq des plus grands muses du
pays : les muses des Beaux-Arts de Sville et de Bilbao, les muses dÕArt
Contemporain de Malaga et de Barcelone ainsi que le Muse National du Prado
de Madrid. Sa prparation sÕtend sur plusieurs annes et cÕest pourquoi il
convient de remonter un peu en arrire pour revenir son point de dpart.
Au mois de juin 2005, Jos Luis Olivas, prsident de Bancaja, se rend
New York pour signer lÕaccord autorisant la prsentation en Espagne du dcor de
lÕHispanic Society. Outre une indemnisation dÕun million dÕeuros verse au
muse amricain, le cot logistique de lÕopration est estim deux millions et
demi dÕeuros. Il comprend le dmontage des panneaux, leur restauration
complte, les transports routier et arien, leur scurit, etc. Par ailleurs, les
quatorze toiles sont assures pour un montant de cent millions de dollars.83 En
ralisant un investissement aussi important, la banque poursuit plusieurs objectifs
mme si, dans un exercice de communication bien rod, Jos Luis Olivas voque
que sa raison dÕtre premire concerne lÕimage de la marque Bancaja auprs de
ses partenaires et de ses clients :
Creo que hay poca tradicin en las instituciones culturales; existe cierto complejo
para reconocer a los patrocinios con la misma naturalidad que se aceptan.
Lgicamente, al patrocinador hay que darle la repercusin que merece. Entre la
inversin que hace y la compensacin de imagen debe haber correspondencia. En
otros lugares se ve como algo muy natural. La imagen se traduce en reputacin,
prestigio, confianza, que en el mundo financiero y empresarial tienen gran
importancia.84
83.
84.
Carlos Aimeur, ÒLas exposicin de los sorollas de la Hispanic Society costar 2,5
millonesÓ, El Mundo, Valence, 8/06/2005.
Jess Garca Calero, ÒJos Luis Olivas: En Espaa hay cierto complejo en reconocer los
patrociniosÓ, http://www.abc.es/, Madrid, 4/06/2009. Ç Je crois que lÕusage est peu
rpandu parmi les institutions culturelles ; il existe un certain complexe reconnatre
lÕide de patronnage aussi facilement quÕelle est accepte. Logiquement, il faut donner au
parrain la rpercussion quÕil mrite. Entre lÕinvestissement quÕil ralise et la
compensation en matire dÕimage, il doit y avoir une quivalence. Dans dÕautres pays, on
peroit cela comme quelque chose de trs naturel. LÕimage se transforme en rputation,
en prestige, en confiance, ce qui, dans le monde de la finance et de lÕentreprise, est dÕune
grande importance. È
V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009
274
Outre cet argument, lÕexposition Visiones de Espaa peut tre compare
une gigantesque campagne de publicit lÕchelle nationale. Sur le plan local, elle
est cense faire connatre le nouveau sige valencien de la Fondation Bancaja
puisque lÕexposition y sera inaugure en grande pompe.85 Ensuite, il faut rappeler
que la caisse dÕpargne possde dj quatorze tableaux du matre et que, en
investissant dans la promotion et la diffusion de lÕÏuvre du Valencien, elle fait
augmenter en mme temps la valeur de sa propre collection.86 LÕart constitue un
placement sr qui peut connatre dÕimportantes plus-values et rarement lÕinverse.
Les grandes entreprises espagnoles et les banques, bien sr, possdent des
collections dÕart. Aussi vrai quÕil convient de diversifier un portefeuille boursier
pour limiter les risques, les entreprises runissent des collections gnralistes.
Mais en la matire, une collection cohrente a plus de valeur que des tableaux
isols. Pour ces deux raisons, Bancaja oriente ses acquisitons autour de deux
axes valenciens : lÕÏuvre du peintre Sorolla et, un sujet historique : lÕexpulsion
des morisques en 1609. En dehors de ces deux fonds, elle possde principalement
des Ïuvres de peintres rgionaux. Elle a runi galement une collection de
sculpture valencienne contemporaine qui comprend des Ïuvres de Manuel Boix
Alvrez (1942), Vicente Martnez Gonzlez (inc.), Pedro Prez Boy (inc.) et
Adolfo Siurana (1970).
Le lien entre Visin de Espaa et une partie de sa propre collection nÕest
quÕun des aspects de lÕinvestissement ralis par Bancaja. LÕentreprise mise sur la
rentabilit du projet en prvoyant de dpasser les rsultats atteints par lÕexposition
archologique Guerreros del XiÕan qui a attire en 2005, lors de sa prsentation
Valence, environ deux cent quarante mille visiteurs et restait la plus visite de
lÕhistoire de la ville. Pour cela, Bancaja prvoit dj court terme les retombes
financires des entres payantes et les ventes des produits drivs, en particulier
du catalogue, qui est dÕabord tir trente-sept mille exemplaires. Les recettes
dpasseront largement toutes les prvisions et lÕinvestissement sÕavrera trs
85.
86.
Charo Ramos, ÒEn la capilla sixtina de EspaaÓ, http://www.diariodesevilla.es/, Sville,
27/05/2008.
Fundacin Bancaja de Valence : Cabeza de nia con flores, 45x29Õ3, sans date. Monja en
oracin, 81x61, 1883. Retrato de una dama, 39x33, 1883. Doa Enriqueta Garca,
63x54, 1890. Barca, 34x45, 1895. Triste herencia, 212x288, 1899. Arrastre del bou,
Valencia, 21x33, 1903. Barcas de pesca, 21x33, 1903. Playa de Biarritz, 16x22, 1906.
Otoo en la Granja, 81x106, 1907. Al agua, 81x106, 1908. Seoras sentadas en un banco
del Paseo de la Concha, 16x22, 1917. Figuras sentadas en la playa de San Sebastin,
14Õ5x18, 1917. Horno de El Palmeral de Elche, 20x24, 1918.
V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009
275
rentable. Enfin, lÕinitiative doit tre relie au contexte politique car il sÕinscrit sur
fond de rgionalisme culturel. En effet, la Communaut Autonome, le Conseil
Gnral et la Ville de Valence financent depuis quelques annes des expositions
et des projets ditoriaux visant promouvoir les artistes rgionaux avec en ligne
de mire la consolidation dÕune identit culturelle rgionale. Pour lÕhistorien Felipe
Garn, Sorolla est un symbole de la ÒvalencianidadÓ, lÕidentit valencienne.87
En janvier 2007, la Communaut Autonome de Valence prside par le
conservateur Francisco Camps (1962), du Parti Populaire, fait lÕacquisition de
deux cent soixante quinze lettres indites crites par Sorolla et adresses son ami
Pedro Gil Moreno de Mora.88 Il sÕagit dÕun fond trs prcieux car les deux
hommes taient amis de longue date et sÕcrivaient trs rgulirement en abordant
aussi bien des sujets dÕordre priv que des questions artistiques. Gil avait t
peintre dans sa jeunesse et cÕest lÕAcadmie Espagnole Rome que les deux
hommes sÕtaient connus, ainsi que cela a dj t mentionn. Mais il sÕtablit
ensuite Paris et devint banquier. Il conseilla notamment son ami dans la gestion
de son patrimoine, en lÕorientant vers tel ou tel placement. La premire lettre est
trs ancienne puisquÕelle est date de 1886 et nous renvoie donc au sjour romain
des deux garons. La dernire est un courrier de 1953, de Mara Clotilde Sorolla
Jos Pedro Gil, car les enfants des deux familles restent en contact bien aprs la
mort de leurs pres respectifs89. La collection complte des courriers changs est
porte la connaissance du public travers une exposition organise au Muse
San Po V, qui est inaugure le 25 mars, puis par la publication du premier
volume dÕun programme ditorial ambitieux : Epistolarios de Sorolla.90 Le projet
vise mettre le contenu de ces lettres la disposition du public, en particulier des
chercheurs. Le premier tome est suivi en 2008 et en 2009 par la sortie de deux
volumes contenant les lettres changes entre Sorolla et son pouse. Plus de mille
lettres comprises entre 1891 et 1919 sont aujourdÕhui conserves au Muse
Sorolla et dsormais accessibles au plus grand nombre grce ces deux volumes.
87.
88.
89.
90.
Anonyme, ÒGarn asegura que Sorolla es un smbolo por antonomasia de la
valencianidadÓ, http://www.panorama-actual.es/, Barcelone, 4/10/2007.
Anonyme, ÒLa Generalitat valenciana adquiere por 300.000 euros unas 300 cartas inditas
de SorollaÉÓ, http://www.actualidad.terra.es/, Madrid, 9/01/2007.
Facundo Toms, Felipe Garn, Isabel Justo et Sofa Barrn, Epistolarios de Joaqun
Sorolla, I. Correspondencia con Pedro Gil Moreno de Mora, Barcelone, Anthropos,
2007, pages 53-376.
Marta Moreira, ÒEl epistolario indito de Sorolla revela a un pintor apasionado y
familiarÓ, ABC, Madrid, 27/03/2008.
V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009
276
En raison des nombreux voyages du peintre, le couple correspondait presque
quotidiennement, si bien que cette documentation reprsente une mine
dÕinformations sur la vie quotidienne de lÕartiste.91 Ce fonds tait rest jusque-l
confidentiel car les descendants nÕtaient pas prts rendre public des archives
familiales traitant de questions quÕils jugeaient prives. Le prochain volume de la
collection pourrait contenir la correspondance entre Sorolla et les artistes.92
Quelques semaines avant les lections rgionales de mai 2007, la cration
dÕun centre dÕexposition et / ou de recherches ddi Sorolla est une des
promesses du candidat du Parti Populaire valencien (PPCV), Francisco Camps. Sa
vocation nÕest cependant pas dtermine avec prcision car, sans collection, ce
centre serait ncessairement amput de son volet musal et donc cantonn des
missions dÕtude et de recherche. Mme si les contours de ce projet demeurent
alors trs flous, le candidat annonce en avril que, sÕil est rlu, cette institution
verra le jour dans lÕancien couvent San Vicent de la Roqueta.93 Un journaliste
estime que la ville recevra enfin son ÒMuse SorollaÓ quÕelle attend depuis si
longtemps et que cela mettra un terme la ÒdiasporaÓ (sic) de la collection
valencienne qui se trouve toujours dissmine dans plusieurs institutions
publiques.94 Or, les runir est une gageure qui a dj t tente maintes fois par le
pass et qui sÕest toujours solde par des checs.
Le 27 mai 2007, le PPCV remporte les lections et le prsident du
Gouvernement Autonome est rlu ; un Institut Joaqun Sorolla dÕtude et de
recherches Ð Institucin Joaqun Sorolla de Investigacin y Estudios Ð voit le jour
au printemps 2010 lÕintrieur dÕun autre difice, un ancien couvent carmlite qui
est une annexe du Muse des Beaux-Arts de Valence, le Centre El Carmen. Mais
non seulement il ne dispose pas du moindre tableau mais son budget est bien en
de des ambitions affiches lors de la campagne.95 La Communaut Autonome
de Valence est alors la rgion la plus endette dÕEspagne en raison de la gestion
des dirigeants rgionaux du Parti Populaire qui ont entrepris, sur une priode trs
91.
92.
93.
94.
95.
Epistolarios de Joaqun Sorolla. Correspondencia con Clotilde Garca del Castillo,
Barcelone, Anthropos, 2008, 2 tomes.
Alfonso Garca Valencia, ÒEl epistolario privado de Sorolla revelaÉÓ, http://www
.levante-emv.com, Valence, 2/07/2009.
Anonyme, ÒCamps anuncia la prxima creacin del Centro Sorolla en un convento de
ValenciaÓ, http://www.lavanguardia.es/, Barcelone,13/04/2007.
A.B., ÒEl genio de la luz, en ArrancapinsÓ, El Mundo, Madrid, 23/08/2007.
Alfonso Garca Valencia, ÒEl Centro Sorolla queda reducido a un instituto de
investigacin de 72m2Ó, http://www .levante-emv.com, Valence, 20/10/2009.
V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009
277
courte, des projets faramineux. Des statistiques publies par la Banque dÕEspagne
sont
consultables
sur
son
site
internet
lÕadresse
http://www.bde.es/webbde/es/estadis/infoest/a1310.pdf . Ces chiffres montrent
que cet endettement tait plus de deux fois suprieur la moyenne des autres
rgions en 2007.96 Valence est alors la rgion la plus endette devant la
Catalogne, la Galice et les Balares. La rgion la moins endette en 2007 est le
Pays Basque. La dette valencienne progressa ensuite de faon vertigineuse
puisquÕelle est quasiment multiplie par deux entre 2007 et 2011. On verra plus
avant sous quelle forme lÕInstitut Joaqun Sorolla se prsente aujourdÕhui et
quelles sont ses comptences et son champ dÕaction.
LÕintrt du Parti Populaire de Valence pour le peintre de La Malvarrosa
mrite dÕtre dcrypt. En effet, il sÕinscrit la fois dans lÕhistoire rcente de la
droite, en particulier parce que Sorolla a t rhabilit par le rgime franquiste,
mais aussi lÕintrieur dÕun certain ÒvalencianismeÓ conservateur. Il faut se
souvenir que le pote Teodoro Llorente qui, au XIXme sicle, dfendait la langue,
le patrimoine et la culture valenciennes, tait un lu conservateur. Le Òsentiment
rgionalÓ est aussi une valeur historique de la droite valencienne. DÕun autre point
de vue, lÕacquisition dÕune importante collection de correspondance comme la
cration de cet Institut ne doivent pas tre spares des vises lectoralistes du
Parti Populaire car, ainsi que cela a t dvelopp dans un autre chapitre, le
citoyen dÕhonneur de la ville a continu jouir, dans sa ville dÕorigine, dÕune
indfectible popularit parmi toutes les couches de la population. La cration dÕun
Muse Sorolla de Valence est, nous le savons, une aspiration ancienne qui nÕa
jamais abouti, de sorte que la promesse lectorale de Camps est taille pour
rassembler au-del des clivages politiques. Les chiffres de frquentation des
expositions monographiques de la peinture de Sorolla organises dans la ville
depuis la rforme du statut juridique du muse madrilne continuent dmontrer
que le peintre compte pour les Valenciens et lÕexposition Visiones de Espaa va
bientt le confirmer.
La restauration des quatorze panneaux, New York, prend fin en mai 2007
et ils sont achemins en Espagne le 30 septembre bord dÕun boeing 747 affrt
96.
Statistiques de lÕendettement publique. Tableau n¡13.10.
V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009
278
pour lÕoccasion.97 Le 7 novembre, lÕexposition Visiones de Espaa est inaugure
par le couple princier dans les salles de la Fondation Bancaja. Prsente jusquÕau
31 mars de lÕanne suivante, elle attire plus de quatre cent mille visiteurs en cent
quarante-cinq jours, soit prs de tois mille visiteurs par jour !98 Pour comprendre
ce succs, il convient de rappeler que, tout comme les fonds du Muse Sorolla, le
dcor de lÕHispanic Society ne pouvait pas sortir des murs de lÕinstitution pour
des raisons juridiques, auxquelles sÕajoutaient dÕvidentes contraintes techniques
et matrielles. Si bien que, quand cet obstacle fut dpass et que le prt des
collections fut vrifi, la nouvelle dclencha un emballement mdiatique. La
communication autour de lÕvnement est axe autour de deux messages
simples, en direction du grand public : lÕexposition est indite et a, de surcrot,
peu de chance de se renouveler. Elle est, en un mot, immanquable. Ç No creo que
nunca ms se desmonten los murales. È cÕest--dire Ç je ne crois pas que les
panneaux soient un jour redmonts. È dclare dans la presse locale Mitchell A.
Codding, le directeur de lÕHispanic Society.99 La petite phrase fait les gros titres le
jour de lÕinauguration et est entendue par le public, comme le montre ce microtrotoir ralis dans les files dÕattente de lÕexposition : Ç Juande y Pamela, de 27 y
26 aos respectivamente, pidieron el viernes pasado un da de permiso en sus
centros de trabajo, en Castelln, para venir expresamente a Valencia a ver la
exposicin porque : Es una oportunidad nica. È100
Les messages diffuss par les organisateurs et relays par les media sont
taills pour dplacer les foules car ils mobilisent des rfrences connues de tous.
Visin de Espaa est qualifie, par exemple, de Òchapelle sixtine de lÕEspagneÓ et
prsente comme le Òtestament artistiqueÓ de Sorolla.101 La dsignation est
singulire quand on songe dÕune part, que le peintre sÕattelle cette tche
quarante-huit ans seulement et, dÕautre part, quÕil continue peindre aprs lÕavoir
97.
98.
99.
100.
101.
Anonyme, ÒSorolla est listo para volarÓ, http://www.levante-emv.com, Valence,
3/05/2007.
Paco Gisbert, ÒSorolla se va de gira por EspaaÓ, http://www.elpais.com, Madrid,
31/03/2008.
Jos Aleixandre, ÒMichel Codding: ÒNo creo que nunca ms se desmonten los muralesÓ,
http://www.levante-emv.com, Valence, 7/11/2007.
Paco Gisbert, ÒSorolla se va de gira por EspaaÓ, http://www.elpais.com, Madrid,
31/03/2008. Ç Juande et Pamela, gs respectivement de 27 et 26 ans, ont demand un
jour de cong leurs employeurs vendredi dernier, Castelln, pour venir expressment
Valence dans le but de voir cette exposition parce que : CÕest une occasion unique. È
Charo Ramos, ÒEn la capilla sixtina de EspaaÓ, http://www.diariodesevilla.es/, Sville,
27/05/2008.
V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009
279
termine. Quant la prtendue Òchapelle sixtineÓ espagnole, la comparaison vise
la frange catholique de la population dans une ville qui a accueilli depuis 2006, et
jusquÕen 2009, les Vme Rencontres Internationales de la Famille. LÕvnement
organis et financ par le Vatican aborde et dbat de questions lies la
transmission de la foi au sein des familles. LÕhistorien Felipe Garn nÕhsite pas
affirmer dans les colonnes de Las Provincias : Ç El Sorolla de la Hispanic Society
es el mejor Sorolla. È102 Ç Le Sorolla de lÕHispanic Society est le meilleur
Sorolla. È De mme, on peut se demander ce que recouvre ce ÒmeilleurÓ lanc ici
comme une formule dÕappel. Quoi quÕil en soit, tous ces slogans font mouche et
lÕexposition attire bien au-del du public habituel des muses.
Afin de rpondre la demande, la Fondation Bancaja met en place des
visites noctures, les Ònuits blanchesÓ, les vendredis et les samedis. Grce ce
dispositif, les salles restent ouvertes jusquÕ seize heures par jour ! En mme
temps, une visite virtuelle est propose sur le site internet de la fondation mais,
ds le jour de sa mise en service, le nombre de connexions est tel que la page web
se trouve hors service. LÕengouement gnral cre un contexte trs favorable la
prsentation publique du tlfilm Cartas de Sorolla, le premier long mtrage
consacr au peintre.103 Il avait t projet en avant-premire Valence ds le
lendemain de lÕinauguration de lÕexposition. Sur la chane rgionale Canal 9, il
sera diffus plus tard en deux pisodes. Cette fiction pdagogique destine au
grand public prsente les grandes lignes du parcours du peintre et soigne tout
particulirement la reconstitution des ambiances en essayant de coller au plus prs
des tableaux. Escriv nÕen est pas sa premire fiction valencienne puisquÕil vient
dÕadapter pour la mme chane le roman de Vicente Blasco Ibez, Arroz y
Tartana (2003). Le Gouvernement Autonome et le groupe audiovisuel RTVV Ð
Radiotelevisi Valenciana Ð financent ces deux tlfilms. Pour cette raison, le
scnario de Cartas de Sorolla privilgie le lien entre le peintre et sa rgion et ne
manque pas de souligner son amiti avec Blasco. Escriv reconstitue notamment
leur rencontre sur la plage de La Malvarrosa, telle que lÕcrivain lÕa raconte dans
la prface dÕune dition de Flor de Mayo. En mai 2008, Cartas de Sorolla
remporte le prix du meilleur tlfilm de lÕanne dcern par lÕAcadmie des
102.
103.
Rafa Mar, ÒFelipe Garn: Ç El Sorolla de Hispanic Society es el mejor Sorolla ÈÓ,
http://www.lasprovincias.es, Valence,16/10/2007.
Marta Moreira, Ò2.000 invitados asisten al estreno del telefilme Ç Cartas de Sorolla ÈÓ,
http://www.abc.es/, Madrid, 8/11/2006. Figure n¡26. Cartas de Sorolla (2006).
V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009
280
Sciences et des Arts de la Tlvision.104 Depuis lÕt 2009, il est projet une fois
par semaine au Muse Sorolla de Madrid dans le cadre du programme ÒNoches de
veranoÓ.
LÕexposition connat une belle russite dans toutes les villes o elle est
prsente, comme le montre le tableau ci-dessous :
Rsultats de lÕexposition Visiones de Espaa
Source : http://www.obrasocial.bancaja.es/ page consulte le 16/08/2011.
Dure en jours
Nb. dÕentres
Entres / j.
Valence, Centro Cultural Bancaja.
145
422.794
2916
Sville, Museo de Bellas Artes.
68
132.292
1945,5
Mlaga, CAC.
66
161.220
2443
Bilbao, Museo de Bellas Artes.
98
154.009
1571
Barcelona, MNAC.
73
252.376
3457
Madrid, Museo Nacional del Prado.
111
459.267
4137,5
Valence, Centro Cultural Bancaja.
121
452.826
3742
681
2.034.784
2887,5
Total
Les quatorze panneaux sont prsents Madrid compter du 26 mai 2009,
dans les nouvelles salles du Muse du Prado. Pour lÕoccasion, quatre-vingt-huit
tableaux supplmentaires sont rassembls pour former ensemble une grande
rtrospective seulement comparable celles de 1963 et de 1989. Ils proviennent
du monde entier et, grce la collaboration dÕinstitutions et de collectionneurs
trangers, des Ïuvres majeures sont pour la premire fois prsentes cte cte.
Le Muse dÕOrsay prte La vuelta de la pesca, le Muse des Beaux-Arts de Cuba
cde Verano et le Muse dÕArt Moderne CaÕPesaro de Venise se spare
momentanment de Cosiendo la vela qui, une fois restaur, rvle lÕclat et la
brillance de ses bleus azurs. Le chef-dÕÏuvre de la srie des nageurs de Jvea, El
104.
Anonyme, ÒEl Consell destaca el premio de la Academia de la Televisin a Cartas de
SorollaÓ, http://www.panorama-actual.es/, Barcelone, 3/07/2008.
V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009
281
bote blanco, figure aussi au catalogue de cette exposition de prestige.105 Il nÕavait
t expos quÕune fois aux tats-Unis, en 1989. On pourrait poursuivre ainsi
longuement car les cent deux tableaux inscrits au catalogue sont autant de pices
essentielles la comprhension de lÕÏuvre de Sorolla. Selon les besoins, quelques
toiles sont restaures par les spcialistes du Muse du Prado Eva Perales (inc.) et
Luca Martnez (inc.), et rencadres pour mieux rendre compte de leur tat
premier. Deux toiles retrouvent leurs cadres originels, noclassiques de style
dorique.
Ë Madrid, lÕexposition est inaugure par le Roi Juan Carlos I et la reine
Sofa ainsi que le prince des Asturies et son pouse. Elle se traduit, comme
ailleurs, par un immense succs populaire et tablit une nouvelle fois des records
de frquentation, dpassant de loin la meilleure rfrence de lÕanne cÕest--dire
une exposition dÕobjets vus dans la srie Star Wars qui avait enregistr deux cent
quatre-vingt mille entres.106 Ë la fin de lÕanne 2009, la presse diffuse les
chiffres dÕune exposition dj connue comme celle de tous les records.107 Les
rsultats de frquentation donnent une ide de lÕadhsion populaire au peintre de
Valence. Son nom devient une marque part entire, gnrant assez de bnfices
pour intresser lÕenseigne commerciale Corte Ingls qui ouvre un point de vente
de produits drivs : ÒRincn SorollaÓ.108 Prs de cent mille cartes postales, trente
mille aimants dcoratifs, sept cents foulards, mille cent DVD, cent cinquante
mille affiches et cinquante mille exemplaires du catalogue sont vendus en deux
ans. Celui-ci est rdit deux fois dans le courant de lÕexposition car les trente
sept mille exemplaires de la premire dition et les onze mille exemplaires
supplmentaires de la deuxime sÕarrachent en quelques semaines. Une telle
ferveur populaire nÕest pas le lot commun de tous les peintres et cela est mme
extrmement rare. On peut se demander pourquoi Sorolla plat autant
aujourdÕhui, au-del du public ordinaire des muses dÕart ? Pour le journaliste
Jos Ignacio Cubero, lÕart contemporain est devenu trop conceptuel pour tre
105.
106.
107.
108.
La vuelta de la pesca, Paris, Muse dÕOrsay, 265x325, 1894. Verano, Cuba, Muse des
Beaux-Arts de La Havanne, Cosiendo la vela, Venise, Muse dÕArt Moderne CaÕPesaro,
1896. El bote blanco, Collection particulire, 1905.
Anonyme, ÒUn milln de personas con SorollaÓ, http://www.lasprovincias.com, Valence
04/2009 et E. Prez, ÒEl Sorolla de los rcordsÓ, http://www.lasprovincias.es/, Valence,
13/09/2009.
E, Prez, ÒEl Sorolla de los rcordsÓ, http://www.lasprovincias.es/, Valence, 13/09/2009.
Anonyme, ÒEl xito de la exposicin de Sorolla dispara la compra de libros y artculos
sobre el pintorÓ, http://www.europapress.es/, Madrid, 3/10/2009.
V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009
282
compris de tous et un foss se serait creus entre les masses et les artistes. La
valeur financire et la reconnaissance concdes certaines Ïuvres ne sont pas
comprises quand elles remettent en cause la valeur du travail. Dans une Espagne
accable par le chmage, la prcarit et la baisse du pouvoir dÕachat, la peinture
de Sorolla trouverait grce aux yeux du grand public car elle tmoignerait dÕun
savoir-faire hors du commun et digne dÕtre admir. CÕest en cela quÕelle serait
aujourdÕhui considre par le public comme un art vritable.109 Mais on peut
dgager dÕautres rponses possibles car un tel engouement obit, de toute
vidence, de nombreux critres. Tout dÕabord, on ne peut pas exclure la
dimension gographique de cette Ïuvre. Visin de Espaa montre des territoires
varis et parle autant lÕAndalou quÕau Basque. Les lieux, les monuments et les
costumes sont non seulement facilement identifiables mais aussi trs vocateurs
puisquÕils renvoient des images prsentes dans lÕalbum de famille du spectateur.
Par ailleurs, en de temps de crise, la peinture lumineuse du Valencien pourrait trs
bien offrir un certain ÒrconfortÓ. En effet, cette ÒEspagne dÕavantÓ saine,
heureuse et insouciante, est particulirement scurisante dans un tel contexte. Par
ailleurs, Visin de Espaa montre lÕabondance des rcoltes, lÕauthenticit des
produits de la terre et de lÕlevage et ces savoir-faire rgionaux qui ont presque
disparus dans une Espagne qui est aujourdÕhui le verger de lÕEurope. La
production marachre intensive est une industrie qui a sacrifi depuis longtemps
la qualit au profit de la productivit. Visin de Espaa cÕest lÕEspagne de papi,
celle laquelle on pense avec nostalgie et tendresse.
DÕun point de vue historiographique, dÕimportants enjeux accompagnent la
prsentation du dcor de lÕHispanic Society. Car la redcouverte rcente de
Sorolla a t guide par lÕide que son Ïuvre prsente des affinits thmatiques et
plastiques avec des courant anti-acadmiques europens. Pour le dmontrer, les
spcialistes se sont appuys sur sa peinture la plus confidentielle, cÕest--dire celle
qui nÕa pas quitt son atelier. Or, Visin de Espaa est prcisment le contraire,
puisquÕil sÕagit non seulement dÕun dcor monumental, dÕune commande prive
mais aussi dÕune Ïuvre ancre dans le no-romantisme du XIXme sicle
espagnol, le ÒcostumbrismoÓ. LÕimplication du peintre avait t limite par les
dsirs de son riche client ; cÕest pourquoi Florencio de Santa-Ana continue
109.
Jos Ignacio Cubero, ÒSobre la pinturaÓ, abc.es, 4/08/2009.
V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009
283
considrer cette frise comme une rgression par rapport la peinture la plus
personnelle de lÕartiste.110 videmment, dans le contexte de lÕexposition Visiones
de Espaa, cette lecture nÕest pas ÒcommercialeÓ et la communication autour de
lÕvnement est toute diffrente. Ds son inauguration, en 1926, le dcor tait en
dcalage avec les courants du moment. Il fut ensuite longtemps ignor jusquÕ ce
que le franquisme lÕexhume et sÕemploie le rhabiliter et cela en dit assez long
sur la mauvaise image de la dernire Ïuvre de Sorolla. Il est dÕailleurs intressant
de consulter, titre de comparaison, les forums en ligne car la perception des
internautes nÕobit pas aux rgles journalistiques. LÕun dÕentre eux voit dans ce
dcor une Ïuvre encore trs acadmique : Ç A mi Sorolla em sembla un pintor
fora del deu temps, molt acadmic i venut a la burguesia dÕ lÕpoca. Quan a Paris
passaben fam o morien de febra genis com Modigliani, ell segua pintant
ÒmarinesÓ i eixa horrorosa y tpica ÒVisin de EspaaÓ. Preferisc el apunts de la
primera poca i no aquestes pintures dÕencrrec. È111
Depuis notre dbut de XXIme sicle, la perception de Visin de Espaa ne
peut tre que renouvele compte tenu du cycle qui vient de sÕachever mais aussi
du contexte politique, conomique et social de lÕEspagne. Sous le franquisme, elle
symbolise lÕunit nationale et lÕHispanit. CÕest en ces termes quÕelle avait t
commente en 1944, lorsque la premire rtrospective de lÕÏuvre de Sorolla avait
dvoil quelques bauches du panneau castillan La fiesta del pan. Mais
lÕexposition Visiones de Espaa voit le jour dans des conditions trs diffrentes de
celle de 1944 puisque le projet est entirement priv et se superpose, par ailleurs,
la politique culturelle rgionaliste conduite par les autorits valenciennes. Dans
ce contexte, la nouvelle lecture de cette Ïuvre en quatorze parties est
diamtralement oppose lÕancienne. La forme mme de lÕÏuvre est prsente
sous un autre angle car, si les provinces se trouvent, de fait, associes les unes aux
autres, les panneaux sont bien spars et ne forment pas une frise continue mais
plutt une mosaque de panneaux autonomes et solidaires comme le sont les
rgions dÕEspagne lÕintrieur du systme des autonomies tel quÕil est dfini dans
110.
111.
Jos Luis Plaza, ÒSorolla fue tan personal que no tuvo discpulosÓ, En Libertad, [?],
31/05/2008.
Anonyme, ÒOtro hito para Joaqun SorollaÓ, levante-emv.com, 5/09/2009. Ç Selon moi,
Sorolla mÕapparat comme un peintre hors du temps, trs acadmique et vendu la
bourgeoisie de lÕpoque. Tandis quÕ Paris des gnies comme Modigliani mouraient de
faim, lui continuait peindre des ÒmarinesÓ et cette affreuse et strotype ÒVisin de
EspaaÓ. Je prfre ses pochades de la premire poque ces peintures commandes. È
V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009
284
lÕarticle 2 de la constitution de 1978 : Ç La Constitucin se fundamenta en la
indisoluble unidad de la Nacin espaola, patria comn e indivisible de todos los
espaoles, y reconoce y garantiza el derecho a la autonoma de las nacionalidades
y regiones que la integran y la solidaridad entre todas ellas. È112 Tout est une
question de point de vue. Dans un journal en ligne de Cadix, le conservateur de
lÕHispanic Society Marcus Burke (inc.) affirme que le dcor a une valeur
prophtique puisquÕil aurait anticip le Òfdralisme moderneÓ :
En un tiempo estos magnficos cuadros se desapreciaron por ser tursticos, pero hoy
en da, con una Espaa regionalizada dentro de un Europa igualmente reconocida de
valores locales, la visin artstica de Sorolla nos parece no solamente moderna, sino
proftica. Si el federalismo moderno tuviera una ciudad vaticana, Las Regiones de
Espaa sera su Capilla Sixtina. La serie nos permite, casi un siglo despus de su
creacin, saber lo que era Espaa y lo que ha llegado a ser.113
Ë la fin de ce passage, lÕintellectuel amricain parle dÕun tmoignage de
lÕEspagne de lÕpoque comme si Visin de Espaa avait la valeur dÕun document
historique. Un journaliste considre que, en recueillant sur la toile les
physionomies et les costumes des rgions, le peintre a suivi une dmarche
anthropologique avant lÕheure.114 Hormis Castilla. La fiesta del pan, tous les
panneaux ont t peints directement sur le motif. Pour cette raison, la manire
dÕun relev, ils peuvent revtir un caractre ethnographique. AujourdÕhui, la frise
des provinces peut difficilement tre lue sous le seul angle valencianiste, car cela
serait un non-sens. Il faut se souvenir que, par le pass, les rpublicains ne
rduisaient pas le peintre sa dimension nationale et prfraient lÕlever une
dimension internationale quÕils dsignaient, selon une formule rebattue, comme
112.
113.
114.
http://www.lamoncloa.gob.es/ Ç La Constitution repose sur le principe de lÕunit
indissoluble de la Nation espagnole, patrie commune et indivisible de tous les Espagnols.
Elle reconnat et garantit le droit lÕautonomie des nationalits et des rgions qui la
composent ainsi que la solidarit entre elles. È
Marcus Burke, ÒLa capilla sextina del regionalismo espaolÓ, http://www.lavozdigital.es/,
Cadix, 21/12/2008. Ç Ë une autre poque, ces superbes tableaux ont perdu de leur valeur
pour avoir t jugs touristiques. Mais de nos jours, dans une Espagne des rgions
lÕintrieur dÕune Europe qui, de mme, reconnat les particularismes locaux, la vision
artistique de Sorolla nous semble non seulement moderne, mais aussi prophtique. Si le
fdralisme moderne avait un Saint Sige, les Rgions dÕEspagne en seraient la Chapelle
Sixtine. La srie nous permet de savoir, presque un sicle aprs sa cration, ce quÕtait
lÕEspagne et ce quÕelle est devenue. È
Enrique Castaos Als, ÒUna cierta idea de EspaaÓ, http://www.sur.es/, Malaga,
5/09/2008.
V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009
285
universelle. CÕest justement la mme notion dÕuniversalit qui se trouve au cÏur
de la rception de Visin de Espaa entre 2007 et 2009. Le site internet
granadahoy.com titre prcisment : ÒEl Sorolla ms universalÓ.115 La frise est
perue comme universelle plus dÕun titre. Tout dÕabord, lÕimage est un langage
universel. Ensuite, les thmes choisis sont la porte du plus grand nombre car le
travail Ð agriculture, pche et levage Ð le commerce, la religion, la tradition, la
fte, le spectacle et le jeu font partie de la culture de toutes les communauts
humaines. Le dcor montre des vnements marquants de la vie des hommes. Par
exemple, dans le panneau consacr la Castille le mariage est voqu par la jeune
fille qui arbore la robe de marie de Salamanque. Par ailleurs, lÕÏuvre est
universelle parce quÕelle ne cite pas dÕvnements nationaux, contrairement la
peinture dÕhistoire ou, en littrature, aux pisodes nationaux de Benito Prez
Galds, dont la rception sÕest limite lÕEspagne. Enfin, parce quÕelle est
installe dans une ville aussi cosmopolite que New York et que cela lui confre
une dimension transnationale.116
Cette nouvelle lecture de Visin de Espaa mrite dÕtre replace dans le
prolongement de la transformation de la ville de Valence dans les annes quatrevingt-dix et deux mille et sa nouvelle dimension de ple cosmopolite, ouvert sur
le monde. En effet, lÕinternationalisme et lÕinterculturalisme dcels dans la
dernire commande de Sorolla sont des valeurs qui correspondent cette ville qui
se trouve alors dans une phase mergente et rayonne au plus haut niveau mondial
sur les plans conomique, infrastructurel, culturel, sportif, etc. Citons, par
exemple, lÕinauguration en 2010 dÕune nouvelle gare ferroviaire ultra moderne,
baptise prcisment Joaqun Sorolla. En 2005, le Palais des Arts Reina Sofa est
inaugur lÕintrieur de la Cit des Arts et des Sciences. La ville accueille en
2007 et en 2010 deux ditions de lÕAmericanÕs Cup, une course la voile de
lgende puisquÕil sÕagit dÕun des plus vieux trophes sportifs au monde. Enfin,
depuis 2008, un Grand Prix de formule 1 emprunte un circuit urbain trac dans le
quartier maritime. Le gigantisme, la fois du dcor de lÕHispanic Society et de
lÕexposition elle-mme, colle une stratgie politique de la dmesure qui prendra
fin avec la crise conomique de 2008 et se soldera par un endettement exorbitant.
115.
116.
Bernardo Palomo, ÒEl Sorolla ms universalÓ, http://www.granadahoy.com, Grenade,
16/06/2008.
Bernardo Palomo, ÒEl Sorolla ms universalÓ, http://www.granadahoy.com,
Grenade,16/06/2008.
V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009
286
LÕexposition quitte les salles du Muse du Prado au dbut du mois de
septembre 2009. Malgr la dure de cette exposition et les moyens mobiliss pour
quÕun maximum de personnes puisse la visiter, toutes les demandes ne sont pas
satisfaites. Pour des raisons de scurit, les entres sont limites cent personnes
toutes les quinze minutes selon un systme dÕentres groupes qui a fait ses
preuves au Muse Thyssen Bornemisza. Un systme de rservations sur internet
est mme mis en service pour rguler lÕaffluence. Mais vingt jours avant la fin de
lÕexposition, le stock de billets disponibles en ligne est puis.117 Afin de rpondre
la demande valencienne, Visin de Espaa est nouveau accroch dans les
salles de la Fondation Bancaja jusquÕau dbut de lÕanne 2010.118 En complment,
des dessins prparatoires conservs lÕHispanic Society sont prsents Gandia,
une ville de la province de Valence.119 Par ailleurs, la ville clbre alors le
centenaire de lÕexposition de 1909 et de lÕhymne rgional. Ë cette occasion
Manolo Valds dessine une affiche inspire dÕun tableau de Sorolla, Las grupas.
Aprs cette tourne nationale de deux ans, les panneaux et les bauches
reprennent le chemin de New York.
Sur le plan touristique, lÕexposition a t une manne pour la capitale du
Levant et pour continuer dÕattirer les inconditonnels du peintre, la Communaut
Autonome a rcemment dvoil un nouvel itinraire touristique : le circuit
Sorolla.120 Le choix des sites et la rdaction des notices ont t confis lÕInstitut
Joaqun Sorolla dÕtude et de recherches. Le circuit comprend vingt-neuf tapes,
de la maison natale du peintre la collection de peintures du Muse Lladr en
passant par lÕatelier photographique dÕAntonio Garca, le monument ÒValencia a
SorollaÓ, la plage de la Malvarrosa, le Muse Vicente Blasco Ibez, le Muse
des Beaux-Arts, etc.121 De mme, le Muse des Beaux-Arts San Po V a rnov
117.
118.
119.
120.
121.
Anonyme, ÒAgotadas las entradas por internet para ver antologa de Sorolla en el PradoÓ,
http://www.abc.es/, Madrid,21/08/2009.
Anonyme, ÒVisin de Espaa 2Ó, http://www.elpais.com, Madrid, 27/09/2009.
Anonyme, ÒUna muestra documenta en Valencia los siete aos deÉÓ, http://www.adn.es/,
Madrid, 7/07/2009.
Figure n¡29. Affiche promotionnelle du circuit Sorolla (2012).
1. Maison natale de J. Sorolla. 2. glise Sainte Catherine. 3. Rsidence de la famille
Sorolla Bastida (1864-1865). 4. Foyer adoptif de Joaqun et Concha Sorolla Bastida
depuis 1865. 5. Ancien emplacement de lÕcole des Artisans de Valence. 6. cole des
Artisans de Valence. 7. Centre El Carmen. 8. Atelier photographique et domicile de la
famille Garca del Castillo. 9. Ancien emplacement de la Socit Rcrative El Iris. 10.
Premier atelier de Joaqun Sorolla. 11. Deuxime atelier. 12. Escalones de la Lonja.
Dcor de lÕÏuvre El grito del palleter. 13. glise San Martn. 14. Maison natale de Saint
Vincent Ferrier. Dcor de lÕÏuvre Exvoto. 15. Maison muse Benlliure. 16. Mairie de
V. Sorolla et lÕEspagne dmocratique : 1975-2009
287
une partie de ses locaux pour prsenter sa collection de quarante-deux tableaux et
onze dessins du matre dans des conditions optimales. Un site internet,
comprenant une visite interactive, est consultable gratuitement.122
122.
Valence. 17. Cathdrale de Valence. 18. Place Redonda. 19. glise Saint Jean. 20. Palais
de lÕExposition. 21. Casilicio de la Virgen de los Desamparados en el Puente del mar. 22.
Cercle des Beaux-Arts de Valence. 23. Muse des Beaux-Arts de Valence. 24. Plage de la
Malvarrosa. Maison muse Vicente Blasco Ibez. 25. Ancien Asile San Juan de Dios.
26. Maison dels bous. 27. Monument ÒValencia a SorollaÓ. 28. Cimetire Gnral de
Valence. 29. Collection de peinture du Muse Lladr.
http://sorolla.museobellasartesvalencia.gva.es/.
Conclusion
288
CONCLUSION
AujourdÕhui, la ÒsorollomanieÓ est retombe mme sÕil est probable quÕelle
reprenne un second souffle en 2013, lÕanne du cent-cinquantime anniversaire de
la naissance du peintre. Aprs cela, ses tableaux disparatront probablement
nouveau du devant de la scne culturelle du pays ainsi que plusieurs indices nous
conduisent le penser. Tout dÕabord, la prsentation de Visin de Espaa a clos
un cycle car, de lÕÏuvre peint, la frise des provinces restait la dernire pice
indite dans la mesure o des expositions ont balay les principaux champs de sa
production. De plus, il serait difficile dÕorganiser dj une autre exposition
majeure si proche de la grande rtrospective du Muse du Prado. Si lÕon en croit
les oscillations de la courbe de rpartition des archives de pressse, le peintre
cdera ncessairement la place dÕautres artistes qui occuperont leur tour
lÕactualit culturelle du pays selon une logique de cycles. Le graphique prsent
en introduction montre que les phases de haute intensit critique sont spares de
trente ans environ. CÕest apparemment la dure au-del de laquelle il est
ncessaire de raviver le souvenir du peintre disparu en 1923.
Le public espagnol connat aujourdÕhui lÕÏuvre de Sorolla comme jamais
auparavant. Selon lÕexpression du journaliste Antonio Lucas (1975), le peintre a
cess dÕtre un Òlocataire de lÕoubliÓ : Ç Algo pas con Sorolla. No un maleficio,
ni una torcedura del destino. Sencillamente que qued largo tiempo sentado en ese
purgatorio donde algunos artistas esperan turno para ser restituidos. No es un
hospital de convalescientes, sino un pabelln de sombras. Joaqun Sorolla fue uno
de los inquilinos del olvido. È1 Si son Ïuvre devait sombrer dans un nouvel
ÒoubliÓ, il ne serait certainement pas comparable la longue lthargie des annes
vingt quarante ou, plus rcemment, celle des annes soixante-dix et quatrevingt. Mais fatalement, un peu de temps doit sÕcouler pour quÕelle soit nouveau
redcouverte et Ð il faut lÕesprer Ð sous un jour aussi nouveau quÕinattendu.
1.
Antonio Lucas, ÒLa recuperacin del maestro de la luzÓ, El Mundo, Madrid, 17/05/2009.
Ç Quelque chose sÕest produit avec Sorolla. Non pas un malfice, ni mme un tournant du
destin. Simplement, il resta longtemps assis dans ce purgatoire o quelques artistes
attendent leur tour avant dÕtre rendus la libert. Ce nÕest pas un hpital de
convalescents mais un pavillon des ombres. Joaqun Sorolla a t un de ces locataires de
lÕoubli. È
Conclusion
289
Durant la priode qui vient de sÕachever, le Valencien aurait, dit-on,
retrouv sa place dans lÕhistoire de lÕart. Rcemment, Toms Llorens prtendait
que la perception actuelle de son Ïuvre devrait tre au moins proportionnelle
son rayonnement pass. On peut se demander quel est le sens dÕun tel avis, dans la
mesure o la rception dÕun artiste nÕest pas constante et obit des facteurs sur
lesquels lÕhistorien nÕa pas toujours de prise. Par ailleurs, il nÕy a pas de ÒjusticeÓ
en la matire, ni son contraire, car ce serait un non-sens. Un peintre comme le
Franais Ernest Meissonnier (1815-1891) fut considr son poque comme un
matre et jouissait dÕun haut niveau de notorit, alors quÕil est aujourdÕhui
inconnu du grand public. Son contemporain Vincent Van Gogh (1853-1890) est
lÕexemple le plus frappant dÕun artiste marginal qui resta toujours en dehors de
lÕespace public et fut, malgr tout, redcouvert et mme adul aprs sa mort par
les peintres, puis par les spcialistes et enfin par le public. La journaliste
Guillermina Perales pense que Sorolla occupe la place qui lui revient : Ç Sorolla
es lo que es È, Ç Sorolla nÕest que ce quÕil est È, crivait-elle dans un article paru
en dcembre 2007. Elle le justifiait en mettant en avant les choix esthtiques du
peintre : Ç Sorolla condiciona su concepcin pictrica a una visin estereotipada y
caduca, ajeno a la realidad artstica y social de la Espaa de aquellos aos. È2 En
dehors de cette justification, le titre choisi par Perales suppose quÕil existe une
hirarchie reposant sur un quilibre naturel. Or, l encore cÕest un non-sens car,
comme la spculation oriente le march, les forces qui orientent la rception sont
anti-naturelles. Au fil dÕune tude diachronique, nous avons tent de dmontrer
que la place dÕun artiste nÕest ni due, ni indue, mais quÕelle se trouve comme
gaine lÕintrieur de phnomnes politiques, conomiques et sociaux.
Un peintre est plus ou moins reconnu par lÕhistoriographie, le march de
lÕart et le grand public. Depuis une vingtaine dÕannes, Sorolla est entr dans une
phase de rvaluation car son Ïuvre a t trs souvent prsente au public durant
cette priode. Aussi vrai quÕun auteur doit tre frquemment rdit, un peintre
doit tre rgulirement expos et cÕest ce qui est arriv dans son cas. Pour que ces
expositions puissent voir le jour, il faut bien sr quÕun certain nombre de
conditions soient runies. Ces pisodes ne durent pas ternellement et cÕest
2.
Guillermina Perales, ÒSorolla es lo que esÓ, informacion.es, 5/12/2007. Ç Sorolla adapte
sa conception de la peinture une vision strotype et caduque, trangre la ralit
artistique et sociale de lÕEspagne de cette poque. È
Conclusion
290
pourquoi la redcouverte dÕun artiste est cyclique et se calque, selon lÕusage, sur
des phmrides. Par exemple, lÕEspagne a ft le quatrime centenaire de Don
Quichotte en 2005, lÕAutriche a clbr le deux cent cinquantime anniversaire de
la naissance de Mozart (1756-1791) en 2006 et la France a commmor le
cinquantime anniversaire du Prix Nobel dÕAlbert Camus, en 2007. Le roman de
Miguel de Cervantes et les Ïuvres compltes des deux crateurs ont t chaque
fois rdits. Bien que les commmorations soient phmres, elles laissent une
empreinte qui, elle, dure quelques annes de plus. Les expositions temporaires
laissent des catalogues que lÕon regarde et relit. Les peintres dÕhistoire que lÕon
dsignait sous le terme pjoratifs de ÒpompiersÓ, en rfrence aux casques luisants
arbors par les soldats romains, sont en voie de rhabilitation en France, comme
on lÕa dj not dans cette tude, mais aussi en Espagne si lÕon pense par exemple
la grande rtrospective organise au Muse du Prado en 2007.3 Cette exposition
a t une occasion de redcouvrir les chefs-dÕÏuvre du genre, La leyenda del rey
Monje et La rendicin de Bailn de Jos Casado del Alisal, Conversin del Duque
de Ganda de Jos Moreno Carbonero, Muerte de Lucrecia dÕEduardo Rosales, et
quelques autres.4 Cela tant, combien dÕexpositions et de nouvelles approches
seront ncessaires la complte rhabilitation des peintres dÕhistoire ? Nul ne le
sait et le temps seul le dira.
Sorolla nÕa jamais occup que la place que ses contemporains ont bien
voulu lui donner. Le ÒsalonnierÓ des annes 1890 bnficia de lÕappui de la
gauche librale et rpublicaine car il apparaissait, sur le plan artistique, comme un
rformateur. Il nÕa jamais t un peintre rsolumment anti-acadmique et il tenta
seulement de concilier, dans sa peinture, la tradition et lÕinnovation, comme avait
su le faire en France Jules Bastien-Lepage. En suivant cet exemple, il russit
ouvrir cette voie ÒintermdiaireÓ qui nÕexistait pas dans son pays et chercha
obtenir la reconnaissance officielle. Y parvient-t-il par lui-mme ? La rponse est
non car il bnficia la fois du soutien des rpublicains de Valence et de la
gauche dynastique. Aprs deux checs conscutifs aux Expositions Nationales de
1897 et de 1899, le concours fut rform en 1901 par le ministre libral
3.
4.
El siglo XIX en el Prado, Madrid, Museo Nacional de Prado, 2007 et çngeles Garca, ÒEl
Prado pone fin al exilio de la coleccin del XIXÓ, elpais.com, 5/10/2009.
Au Muse National du Prado : Eduardo Rosales, Muerte de Lucrecia, 257x347, 1871.
Jos Moreno Carbonero, Conversin del Duque de Ganda de, 315x500, 1884. Jos
Casado del Alisal, La rendicin de Bailn, 338x500, 1864 et La leyenda del rey Monje,
356x374, 1880.
Conclusion
291
Romanones sous le dernier mandat de Prxedes Mateo Sagasta. Son jury fut alors
compltement renouvel. La gnration des peintres dÕhistoire fut carte au
profit des jeunes artistes rcompenss lors des ditions prcdentes. Dans ces
conditions, Sorolla dcrocha facilement la Mdaille dÕHonneur car tous
reconnaissaient en lui le liquidateur du classicisme. Il tait g de trente-huit ans
seulement mais aucun peintre, en Espagne, nÕavait un palmars comparable au
sien.
Comme Bastien-Lepage, Sorolla fit cole et devint, en quelque sorte, le
modle de la gnration suivante. Ë partir de 1902, il affronta seul le march de
lÕart europen et connut deux checs en Allemagne et en Angleterre qui
lÕincitrent ne plus collaborer avec les galeries et rechercher la relation directe
avec le client. En mme temps, il essuya dans son pays des critiques svres car sa
peinture de la lumire et du mouvement tait dj vcue comme un nouvel
acadmisme. Il avait, certes, fait voluer le concours national et lÕenseignement
des Beaux-Arts, mais non seulement il ne comprit pas lÕabsolue ncessit de
dpasser cette tape, mais il cra par ailleurs les conditions les plus favorables
lÕexpansion dÕune cole drive de sa manire, le ÒsorollismeÓ. Il utilisa son
influence en faveur de ses disciples et cela eut pour effet de rduire les chances
des peintres les plus innovants, ce qui lui valut de trs vifs reproches. Enfin, ses
commandes le conduisent camper sur des choix esthtiques dpasss comme le
montre Visin de Espaa, sa dernire commande. Elle lÕisole prmaturment, en
1911, date partir de laquelle Sorolla disparat pour longtemps de lÕespace
mdiatique.
Aprs sa mort, le peintre de Valence laissa une empreinte la fois
contraste et contradictoire. Lou et insult par gal, il avait t la fois peru
comme anti-acadmique et acadmique, progressiste et ractionnaire, soutenu par
les rpublicains et par les conservateurs, ami de Vicente Blasco Ibez et du roi
Alphonse XIII, peintre du peuple et de lÕaristocratie, etc. LÕamiti que porta
Sorolla pour des tres aussi diffrents que lÕcrivain, le roi ou encore le richissime
mcne new-yorkais, laissent entrevoir les contradictions humaines, esthtiques et
politiques qui ont d agiter cette personnalit sans doute aussi attachante et
tourmente que le Mariano Renovales du roman. Son niveau de vie, sa place dans
la socit comme ses opinions politiques avaient suffisamment fluctu pour ne pas
obir une dfinition unique. La dualit de Sorolla est un lment cl de sa
Conclusion
292
rception critique dans la mesure o elle lui permit de traverser toutes les
poques. Pour cette raison, son hritage fait aujourdÕhui autant partie de la culture
et de lÕhistoire des partis de gauche que de ceux de droite.
En ce qui concerne son Ïuvre peint, ses contours demeuraient trs flous et,
en 1923, elle tait pour ainsi dire inconnue car seulement entre deux et trois pour
cent de celle-ci avaient t prsents en Espagne, essentiellement lÕExposition
Nationale. En 1932, la cration dÕun Muse Sorolla Madrid nÕy changea rien car
lÕinstitution restera longtemps confidentielle. Sorolla commencera seulement
tre instrumentalis sous le franquisme, dÕabord en 1944, puis entre 1953 et 1963
car la dictature avait besoin de sa peinture lumineuse et a-politique pour
lÕincarner. Durant cette dcennie, les expositions organises par lÕtat
accompagnrent lÕouverture du pays au tourisme. Elles faisaient partie dÕune offre
culturelle choisie en fonction de lÕimage de lÕEspagne quÕelle vhiculaient. Pour
le centenaire de la naissance du peintre, lÕexposition du Casn del Buen Retiro
couvrit, pour la premire fois, lÕensemble de sa vie artistique. Ce cycle amliora
considrablement la connaissance du peintre et commena modifier le rapport
des artistes sa ÒmanireÓ. Mais le centenaire fut suivi dÕune priode de trente ans
durant laquelle le peintre resta en retrait de la vie culturelle. Les premiers
gouvernements de lÕEspagne dmocratique valorisrent les Avant-gardes
auxquelles la dictature nÕavait jamais donn les moyens dÕexister dans lÕespace
public. LÕheure de Sorolla viendra plus tard, dans les annes quatre-vingt-dix. Sur
le plan politique, lÕentre de lÕEspagne dans la Communaut Europenne favorisa
la redcouverte du peintre car son parcours et sa peinture avaient justement une
dimension europenne ad hoc. La rforme du statut juridique du Muse Sorolla de
1993 rendit possible la libre circulation de ses collections et donc la mise en place
dÕun vaste programme dÕexpositions itinrantes. Ë partir de l, le Valencien a t
prsent au public comme un artiste moins acadmique et plus cratif. Enfin, la
politique rgionale de la Communaut Autonome de Valence eut son lot de
consquences positives sur la rception du peintre. En 2007, la prsentation en
Espagne de Visin de Espaa, sa dernire Ïuvre majeure indite, est relue
travers le prisme des ambitions politiques et de dirigeants mgalomanes dÕune
rgion endette. Valence voulait merger comme un ple de dimension
internationale ; cÕest pourquoi la frise des provinces est prsente comme une
Ïuvre universelle et interculturelle.
Conclusion
293
Nous avons vu dans cette tude que, mme si la perception dÕune Ïuvre se
transforme au contact des poques, elle ne se rinvente pas tous les jours.
Chaque strate de rception critique se superpose la prcdente et il y a donc une
certaine forme de continuit entre les interprtations les plus anciennes de lÕÏuvre
dÕun artiste et les plus rcentes. Il est frappant de constater, quÕune partie de la
critique refuse toujours dÕadmettre lÕinfluence de lÕImpressionnisme sur la
peinture de Sorolla. Or, les archives de presse rvlent que cette posture critique
correspond une lecture franquiste qui a vu le jour dans la presse phalangiste,
aprs la guerre civile. Ë cette poque, des incertitudes entouraient le pass du
peintre ; cÕest pourquoi ses admirateurs cartrent les liens entre son art et les
courants trangers pour mieux clmer son Òpatriotisme artistiqueÓ. La rception
critique peut aussi orienter la production dÕun artiste. On a vu, par exemple, que la
comparaison entre Sorolla et Vlasquez remonte une poque aussi lointaine que
celle de lÕaffaire de la Mdaille dÕHonneur, cÕest--dire une priode comprise
entre 1897 et 1901. La technique du Valencien tait naturellement plus proche des
courants de son poque que des ateliers du Sicle dÕOr. Toutefois, pour conqurir
la plus haute rcompense des Beaux-Arts, son art devait sÕinscrire dans la
continuit de la grande cole espagnole. Le rapprochement entre les deux peintres
fut donc une ligne interprtative choisie par ses soutiens afin dÕaugmenter ses
chances de russir et de flatter les conservateurs. Comme nous lÕavons indiqu
dans le cours de cette tude, cela influena sa production puisquÕ partir de 1897
Sorolla commena intgrer des citations vlasquziennes dans ses tableaux
concours.
La perception de lÕÏuvre de Sorolla va bien sr continuer changer dans les
annes qui viennent. LÕInstitut Joaqun Sorolla de Valence et le nouveau Muse
Sorolla de Madrid qui, pour lÕinstant, nÕen est quÕau stade de projet, continueront
faire avancer la connaissance de lÕÏuvre de Sorolla. On verra galement quÕune
quipe de recherche de lÕInstitut des Sciences des Matires de lÕUniversit de
Valence (ICMUV) a choisi, il y a peu, lÕÏuvre de Sorolla pour objet dÕtude.
LÕInstitut Joaqun Sorolla de Valence a t prsent la presse en octobre
2009 par la conseillre rgionale charge de la culture et des sports, Trinidad Mir
Conclusion
294
(1960) ; et il a t inaugur en avril 2010.5 LÕide dÕtablir un muse dans cette
ville tait ancienne et nÕavait jamais abouti. La cration dÕune institution
entirement ddie ce peintre fut une promesse de campagne du candidat
Francisco Camps, en 2007.6 Sans collection, un muse ne pouvait pas voir le jour
Valence et il nÕy avait que deux manires de la constituer : soit en runissant les
tableaux disperss dans les collections publiques valenciennes, soit en menant une
politique dÕacquisition sur le march.7 La dernire tait bien sr trop coteuse et
rclamait des dlais beaucoup trop longs. La premire supposait un accord qui ne
fut pas trouv. Actuellement, les quatre principales collections valenciennes de
tableaux de Sorolla sont les suivantes : le Muse San Po V possde quarantedeux tableaux, la fondation Bancaja, quatorze, la Communaut Autonome de
Valence, six, et la Municipalit possderait une dizaine de toiles, ce qui reprsente
donc un total de soixante-douze units. CÕest ce chiffre que Francisco Camps
annona lors de sa campagne en promettant de regrouper tous ces tableaux sur un
seul site. En 2002, la Communaut Autonome de Valence avait dj tent de
runir les tableaux disperss dans des bureaux et des salons dÕinstitutions
officielles et la demande fut renouvele, en vain, avant les lections rgionales de
2007 par le conseiller la Culture Alejandro Font de Mora (1949).8 Ironie du sort,
en 2008, un tableau appartenant la ville de Valence, Mi familia, et un autre
faisant partie de la collection de la Communaut Autonome El grito del palleter,
se trouvrent au cÏur dÕune polmique.9 En effet, le premier est accroch dans le
bureau de la mairesse Rita Barber (1848) et le second dans celui du prsident
Francisco Camps, deux lus du Parti Populaire. Quand le Muse du Prado
demande les deux toiles, elles sont cdes sans dlai pour mieux regagner ensuite
leurs emplacements initiaux. LÕopposition dnonce alors ce prt comme une
aberration car les tableaux inaccessibles la population valencienne vont tre
prsents Madrid. La promesse de Camps nÕest pas tenue car il ne parvient pas
5.
6.
7.
8.
9.
X.M., ÒTras la pista de SorollaÓ, http://wwww.abc.es/, Madrid, 20/10/2009.
Anonyme, ÒCamps anuncia la prxima creacin del Centro Sorolla en un convento de
ValenciaÓ, http://wwww.lavanguardia.es/, Barcelone, 13/04/2007.
Ramn Sanchs, ÒSan Vicente de la Roqueta expondr de forma permanente obras de
SorollaÓ, http://wwww.lasprovincias.es/, Valence, 14/04/2007.
Mikel Labastida, ÒSorollas en despachos oficiales y colecciones privadasÓ,
http://wwww.lasprovincias.es/, Valence, 14/04/2007 et J. R. S., ÒSorolla slo para sus
ojosÓ, http://wwww.levante-emv.com, Valence, 6/06/2009.
Paco Moreno, ÒSorolla viaja del despacho al museoÓ, http://wwww.lasprovincias.es/,
Valence, 12/2008
Conclusion
295
runir les quelques soixante-dix tableaux convoits et le journal Las Provincias
titre le 30 dcembre 2009 : ÒValencia se quedar definitivamente sin un Museo
sobre Joaqun SorollaÓ, ÒValence demeurera dfinitivement sans Muse consacr
Joaqun SorollaÓ. Ces mots ne sont pas sans rappeler le dcouragement qui avait
parcouru la presse valencienne aprs lÕannonce de la cration dÕun Muse Sorolla
Madrid. CÕtait en 1929, quatre-vingts annes plus tt.
Ë dfaut dÕune collection propre, lÕInstitut ne peut tre quÕune sorte de lieu
dÕexposition temporaire. LÕoption la plus raliste consiste accueillir par
roulement des collections dj constitues. En signant une convention avec le
Muse Sorolla de Madrid, lÕinstitution pourrait un jour devenir une sorte de
succursale valencienne dans lÕintrt des deux entits car le premier ne dispose
pas de lÕespace suffisant pour accrocher tous ses fonds. Si cela se confirme un
jour, lÕInstitut pourrait dmnager dans des locaux plus vastes et plus modernes,
qui ressembleront peut-tre au Centre Paul-Klee de Berne, inaugur en 2005.
Depuis cette date, quatre mille peintures du Suisse Paul Klee (1879-1940) sont
exposes par rotation lÕintrieur dÕun btiment moderne, spacieux et lumineux
dessin par lÕarchitecte italien Renzo Piano (1937). Valence pourrait un jour sÕen
inspirer, car sa structure reprend la forme dÕune vague et son systme complexe
de dflecteurs, destin moduler la luminosit dans les salles, rappelle les voiles
dÕun bteau. Mais un tel projet est coteux et la Communaut Autonome de
Valence se trouve actuellement en rcession conomique et trs endette. Pour
lÕheure, lÕInstitut Joaqun-Sorolla est cantonn au seul volet scientifique. Il
dispose dÕune bibiothque, de bureaux et de salles de travail dans le Centre El
Carmen cÕest--dire dans les anciens locaux de lÕAcadmie des Beaux-Arts de
San Carlos.10 Son quipe est compose de trois membres, les historiens de lÕart
Felipe Garn, Facundo Toms et Isabel Justo. Pour lÕinstant, lÕinstitution poursuit
les objectifs suivants : la localisation, la restauration, lÕtude et la divulgation de
tableaux oublis ou perdus. Selon la spcialiste Blanca Pons-Sorolla, dix pour
cent de lÕÏuvre peint Ð soit quatre cents tableaux Ð nÕest toujours pas localise.11
En 2010, lÕInstitut prsente au public Elena en la playa, un tableau exhum dÕune
collection particulire. LÕanne suivante, lÕquipe reconstitue un dyptique :
10.
11.
Anonyme, ÒA la caza de obras de SorollaÓ, http://www.panorama-actual.es/, Barcelone,
25/10/2009.
Alfonso Garca Valencia, ÒMs de un centenar de obras de Joaqun Sorolla todava estn
por localizarÓ, http://www.levante-emv.com, Valence, 12/07/2009.
Conclusion
296
Familia de Estanislao Granzow, command en 1905 par une famille aristocrate de
Valence et runit autour du tableau Comiendo en la barca les bauches disperses
dans des collections publiques et prives.12 Les trois projets ont donn lieu des
publications spares qui forment ensemble les premiers volumes dÕune
collection. En 2012, lÕInstitut a tabli lÕitinraire ÒRoute SorollaÓ qui est
aujourdÕhui propos par lÕOffice du tourisme de la ville.
Ë Valence,
une autre quipe de recherche mne des travaux
complmentaires en constituant une base de donnes des pigments relevs sur les
toiles du matre. Depuis 2007, lÕInstitut des Sciences des Matires de lÕUniversit
de Valence (ICMUV) perfectionne cet outil de pointe conu pour confondre les
faux. Le projet est men par une quipe dirige par les professeurs Jos Ferrero et
Clodoaldo Roldn.13 LÕquipe exploite une technologie base sur la fluorescence
des rayons X, qui ne cause pas de dommage aux couches de matire et permet de
connatre la composition chimique des pigments. Comme cela a dj t soulign
dans cette tude, Sorolla est un des peintres les plus contrefaits. Des copies
prsentes comme authentiques circulent sur le march, dÕautres sont conserves
chez des particuliers et mme dans les collections des muses. Un faux grossier
dat de 1923 se trouve dans la collection de la Casa Lis, le Muse dÕArt Nouveau
et dÕArt Dco de Salamanque. Or, le peintre ne peignait plus depuis trois ans car il
nÕavait plus aucune mobilit. Il sÕagit vraisemblablement dÕune toile dÕun
sorolliste transforme en ÒSorollaÓ ce qui, cela a t signal antrieurement, est
une pratique suffisamment lucrative pour sÕtre gnralise. Le systme
dvelopp par lÕICMUV a tabli rcemment quÕun tableau conserv au Muse
National des Beaux-Arts de La Havane nÕappartient pas lÕÏuvre du Valencien
car il contient du blanc de titane (PW6), un pigment qui nÕexistait pas
lÕpoque.14
12.
13.
14.
Elena en la playa, 201x121Õ5, Collection particulire, 1909. Retrato del seor Granzow,
101x116, Valence, Muse des Beaux-Arts San Po V, 1905, Seora de Estanislao
Granzow e hijo, 101x116, Collection particulire et Comiendo en la barca, 180x250,
Madrid, Acadmie Royale de San Fernando, 1898.
Anonyme, ÒUn registro de los pigmentos usados por Sorolla permitir detectar
falsificacionesÓ, http://www.lasprovincias, Valence, 23/12/2007.
Anonyme, ÒLa Universidad de Valencia crea una base de datos de pigmentos de
SorollaÉÓ, http://www.panorama-actual.es/, 23/12/2007. Anonyme, ÒLos sorollas
americanos, a estudioÓ, http://www.lasprovincias.es/, Valence, 26/02/2009 et E. Prez,
ÒLa luz de Sorolla tiene qumicaÓ, http://www.lasprovincias.es/, Valence, 1/04/2009.
Conclusion
297
Enfin, dans les annes venir, lÕextension du Muse Sorolla transformera
vraisemblablement la rception du peintre car lÕinstitution pourrait enfin
bnficier des outils qui lui font aujourdÕhui dfaut. En tant que maison-atelier, ce
muse au charme surann a toujours t peru comme un lieu fig dans le temps
et isol de lÕactivit bruyante de la ville. Ses dirigeants successifs ont toujours
veill prserver lÕambiance de ce qui avait t un jour un atelier de peinture et
un lieu dÕhabitation. Mais lÕaugmentation de sa frquentation dans les annes
quatre-vingt-dix a chang la donne car, plusieurs gards, le muse tait
incompatible avec dÕimportants flux de visiteurs. Il ne disposait dÕaucun moyen
moderne de surveillance, cÕest--dire des portiques, des camras, des alarmes
individuelles, etc. En 2000, deux journalistes de Diario 16 dnoncent cette
situation en pointant du doigt le manque de moyens indispensables la scurit
des tableaux :
Y aqu nos encontramos con el primer descuido. Nadie nos registra las mochilas, ni
pasamos por un detector de metales, ni superamos ningn tipo de control. La
entrada, expedida por la Subdireccin General de los Museos Estatales, deba haber
sido cortada por el encargo de seguridad, pero el Museo Sorolla apenas dispone de
vigilancia: tan slo dos personas para quince salas y, en nuestra visita, uno de ellos
se encontraba en una esquina de la planta principal leyendo un peridico.15
LÕarticle provoque la colre des descendants et, au dbut des annes 2000, le
muse subit une modernisation gnrale.16 Mais ce qui fait le plus dfaut
aujourdÕhui reste lÕespace. Le Muse Sorolla a besoin de salles pour ses
expositions temporaires car, jusquÕ maintenant, elles empitent sur la collection
permanente qui doit tre range. Il manque, par ailleurs, un vestiaire, des espaces
de stockage, des bureaux, une bibliothque accessible aux chercheurs, une salle de
consultation des archives, etc. Comme il a dj t signal, un des atouts majeurs
15.
16.
O. Lorenzo, ÒSorolla en peligroÓ, Diario 16, Madrid, 24/07/2000 et ÒLa familia Sorolla
denuncia la falta de seguridad del museoÓ, Diario 16, Madrid, 3/08/2000. Ç Et nous voici
arrivs la premire ngligence. Personne ne vrifie nos sacs dos, nous ne passons pas
au dtecteur de mtaux et nous ne franchissons aucune sorte de contrle. LÕentre
dlivre par la Sous-direction des Muses Nationaux aurait d tre dchire par le charg
de scurit, mais le Muse Sorolla dispose peine de surveillance : seulement deux
personnes pour quinze salles et, au cours de notre visite, lÕune dÕelles lisait un journal
dans un coin du niveau principal. È
O. Lorenzo, ÒLa familia Sorolla denuncia la falta de seguridad del museoÓ, Diario 16,
Madrid, 3/08/2000.
Conclusion
298
de cette institution est la richesse et la raret de ses archives. Or, faute de place,
leur accs reste trs compliqu.
Pour remdier cette situation, le Muse Sorolla de demain a t imagin il
y a dj longtemps mais de nombreuses contraintes ont frein lÕavance du projet.
AujourdÕhui, le btiment se trouve entour dÕimmeubles qui sont autant
dÕentraves la construction dÕune extension comme le montre lÕimage satellite
propose en annexes17. En 1999, lÕtat avait tent dÕacqurir des espaces annexes
dans le but de doubler la superficie du muse, mais lÕopration nÕaboutit pas.18 Ë
lÕautomne 2009, des appartements reprsentant une surface totale de mille neuf
cent mtres carrs sont achets dans la rue attenante, au n¡68 de la rue Zurbano, et
les bureaux devraient prochainement y tre transfrs.19 La ministre de la Culture
çngeles Gnzalez-Sinde (1965) en fait lÕannonce devant le Snat le 23 octobre
2009.20 Dans sa nouvelle configuration, le Muse Sorolla devrait pouvoir
organiser des expositions temporaires sans sacrifier dÕespaces permanents et il
accueillera davantage de chercheurs. Mais sa mue dfinitive sera lente et pourrait
prendre plusieurs annes.
Ë nÕen pas douter, les trois centres de recherches dont il a t question ici
vont compter dans les annes qui viennent et leur impact sur la communaut
scientifique, en particulier sur le monde universitaire, est prvoir. Le Muse
Sorolla dveloppe des outils en ligne afin de simplifier lÕaccs aux collections
depuis
un
site
commun
tous
les
muses
nationaux
du
pays :
http://www.ceres.mcu.es/. Les archives sont progressivement dmatrialises et
consultables distance. Par ailleurs, des catalogues imprims continuent tre
dits. Celui des collections de peintures a t publi dans une nouvelle version en
2009 et celui de la collection photographique devrait sortir trs prochainement.21
Ë lÕavenir, le peintre de Valence pourrait trs bien intresser au-del des
seuls historiens dÕart et cÕest ce que prvoyait un des membres de lÕInstitut
Joaqun Sorolla, Felipe Garn.22 Des avances considrables pourraient tre
17.
18.
19.
20.
21.
22.
Figure n¡28. Vue satellite du Muse Sorolla de Madrid (2009).
Carlos Bueno, ÒTodos los veranos de Joaqun SorollaÓ, La Gaceta del Sbado, Madrid,
10/07/1999.
Anonyme, ÒEl Museo Sorolla ve cumplida su anhelada ampliacin, despus de cuarenta
aosÓ, noticias.terra.es, 23/10/2009.
Anonyme, ÒSe ampla la capacidad del Museo SorollaÓ, elmundo.es, 23/10/2009.
Anonyme, ÒSe ampla la capacidad del Museo SorollaÓ, http://www.elmundo.es/, Madrid,
23/10/2009.
X.M., ÒTras la pista de SorollaÓ, http://.abc.es/, Madrid, 20/10/2009.
Conclusion
299
ralises dans les domaines historique et conomique, car ces champs ont jusquel t ngligs. Dans le cas de Sorolla, la connaissance de lÕartiste a longtemps
prim sur celle du personnage historique. Or, il a jou un rle dans lÕhistoire de
son pays et cÕest ce quÕavait tent de dmontrer lÕhistorien Javier Tusell dans un
texte pionnier.23 La piste quÕil avait trace est prolonge en 2009 par lÕexposition
du Muse Sorolla, Sorolla y su idea de Espaa, et par la publication de mon livre
dj mentionn, Joaqun Sorolla, pintor del Rey Alfonso XIII.24 Mais, ce jour,
dÕautres questions restent explorer en particulier celle de ses liens personnels et
politiques avec le comte de Romanones, sa position dans le conflit qui opposa
blasquistes et sorianistes ou encore le motif et le contenu de son sjour en Afrique
du Nord. En outre, aucune question dÕordre conomique nÕa t traite. On ignore
encore tout de sa fortune personnelle et de son patrimoine, de ses placements en
France et de son implication financire dans les projets valenciens de lÕanne
1916, cÕest--dire le Palais des Beaux-Arts et de lÕIndustrie et le concours dÕart
jeune. De mme, nous gagnerions connatre les mouvements de ses tableaux sur
le march de lÕart, partir de 1906. Il conviendrait aussi de sÕinterroger, dans de
futurs travaux, sur lÕimpact de lÕopration marketing mise en Ïuvre par Bancaja
sur la perception du peintre et notamment auprs du grand public.
Enfin, une meilleure connaissance de Sorolla passera ncessairement par la
redcouverte du ÒsorollismeÓ et cÕest, selon nous, le grand chantier des annes
venir. Le Muse Sorolla et LÕInstitut Joaqun Sorolla en ont fait une de leurs
priorits scientifiques. Le ÒsorollismeÓ est un courant pictural aussi cohrent que
le ÒcaravagismeÓ qui sÕest dvelopp Rome dans la premire moiti du XVIIme
sicle. Les deux coles semblent dÕailleurs se rpondre puisque Le Caravage
enveloppait ses personnages dans lÕobscurit et posait la lumire par ÒtchesÓ
alors que Sorolla est au contraire un virtuose des ombres colores baignes dans
une lumire diaphane. Ë la diffrence du ÒcaravagismeÓ, le ÒsorollismeÓ ne
sÕexporta pas, en dehors dÕun court pisode aux tats-Unis. En Espagne, le
courant nÕa jamais joui dÕune bonne rputation. Sous le franquisme, il tait vcu
par les jeunes peintres comme un acadmisme rtrograde et il ne sÕest pas
dbarrass de cette tiquette. AujourdÕhui, le mot est tabou et il est souvent utilis
23.
24.
Javier Tusell, ÒJoaqun Sorolla en los ambientes polticos y culturales de su tiempoÓ in
Sorolla y la Hispanic Society, Madrid, Museo Thyssen Bornemisza, 1998, pages 19-32.
Sorolla y su idea de Espaa, Madrid, Ministerio de Cultura, 2009 et Jordane Fauvey,
Joaqun Sorolla pintor del Rey Alfonso XIII, Besanon, PUFC, 2009.
Conclusion
300
mauvais escient, par ignorance de son contenu rel.25 Il ne figure ni dans le
Dictionnaire de lÕAcadmie Royale Espagnole (DRAE), ni dans lÕencyclopdie
Espasa Calpe.
Enfin, cette tude a jet un regard rtrospectif sur un sicle largi de
rception critique depuis la naissance mdiatique de Sorolla jusquÕ sa
redcouverte complte. Par la nature mme du sujet que nous avons trait, cette
thse nÕest pas ferme, bien au contraire. Elle pourrait mme recevoir un jour un
sixime chapitre qui commencerait, par exemple, aprs le 150me anniversaire, en
2013.
25.
Pedro Gnzalez-Trevijano, ÒSorollistas y sorolllogosÓ, La Gaceta, Madrid, 16/06/2009.
301
DEUXIéME PARTIE
TABLE DES MATIéRES
A. FiguresÉÉÉÉÉ.ÉÉ..ÉÉÉÉÉ..ÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.É..ÉÉÉ. 303
1. Instantans. Joaqun Sorolla (1895) ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ..ÉÉ 303
2. bauche dÕune affiche promotionnelle pour le journal El Pueblo (1899)ÉÉ. 305
3. Le singe Knocko, critique dÕart (1909) ..ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ... 306
4. Figures populaires (1914) ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.ÉÉ. 308
5. Renouveau (1916) ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.ÉÉÉ..É 310
6. Valence accueille la dpouille de Joaqun Sorolla (1923) ÉÉÉÉ..ÉÉÉ.É 312
7. Hommage des artistes svillans D. Joaqun Sorolla (1924) ÉÉÉÉÉ..É.. 313
8. Madrid. Inauguration du Muse Sorolla (1932) ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ..ÉÉ 315
9. Avez-vous connu Sorolla ? (1932) ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.ÉÉ 317
10. Monument Ç Valencia a Sorolla È (1933-1957) ÉÉÉÉ..ÉÉÉÉÉÉÉ.. 319
11. Billet de 25 pesetas Ç Pescadoras valencianasÈ (1936) ÉÉÉÉÉÉÉ...É 321
12. Billet de mille pesetas Ç La fiesta del naranjo È (1953) ÉÉÉÉÉÉ........... 322
13. Timbre de cinquante pesetas Ç Sorolla & Legazpi È (1953) ÉÉÉÉÉÉ..
324
14. J. Sorolla, peintre de Valence. Espagne (1961) ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ..É.. 325
15. J. Sorolla, Spanien (1961) ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ..É
325
16. Valence commmore le 100e anniversaire de la naissance de Sorolla (1963)
327
17. Un avion baptis au nom de Sorolla (1963) ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ..É 329
18. Franco a inaugur lÕexposition Sorolla (1963) ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ 331
19. Dessin humoristique sans titre (1963) ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.. 333
20. Srie de timbres Ç Pintor Joaqun Sorolla È (1964) ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.. 335
21. et 22. Dessins humoristiques sans titre (1967) ÉÉÉÉÉÉÉÉ..ÉÉÉ.. 337
23. Sorolla como pretexto (1974) ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.. 339
24. Espagne. Tout (de nouveau) sous le soleil (1990)ÉÉÉÉÉÉÉÉ..ÉÉÉ 342
25. Espagne. Plages (1998)ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ 344
26. Cartas de Sorolla (2006) ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ
345
27. Centenaire de lÕexposition de 1909 et de lÕhymne rgional (2009)ÉÉÉÉ. 347
28. Vue satellite du Muse Sorolla de Madrid (2009)ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ 349
29. Affiche promotionnelle du circuit Sorolla (2012)ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ 351
B. AnnexesÉ..ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ..ÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.
353
302
1. Liste des expositions monographiquesÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.
353
2. Rsultats des ventes par adjudicationÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ
359
3. Table de traduction des Ïuvres citesÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ 361
C. BibliographieÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ...
364
D. Index des noms de personnesÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ.. 393
A. Figures
303
A. F I G U R E S
1. INSTANTçNEAS (JOAQUêN SOROLLA), 1895.
- INSTANTANS (JOAQUêN SOROLLA) -
Ramn Cilla (1859-1937)
Madrid Cmico, Madrid, 25/05/1895.
On dcouvre dans cette caricature le visage dÕun Sorolla jeune, ag de trente-deux ans
seulement. 1895 est pour lui lÕanne de la conscration puisquÕil vient de dcrocher une
mdaille au Salon parisien. Cet vnement est mdiatis en Espagne, notamment par la presse
illustre. Le dessinateur Ramn Cilla signe quelques caricatures du peintre pour plusieurs titres,
dont celle-ci parue dans le journal satirique Madrid Cmico. La lgende qui accompagne le
A. Figures
304
dessin donne la parole Sorolla : Ç ÀQu mis retratos no salen baratos? ÁEs natural! ÁPues si los
ms de ellos valen doble que el original! È1 Ë cette poque, quelques riches madrilnes lui
commandent des portraits de socit, conformes au got bourgeois. LÕactivit est lucrative mais,
la fin du XIXme sicle, le portrait est peru comme un genre mineur car il est limit et
conditionn par le got du commanditaire. Il faut se souvenir que le portrait modain sera la cible
dÕattaques svres de Vicente Blasco Ibez. En effet, le rpublicain mprisait ces bourgeois,
quÕils fussent hommes politiques, industriels, banquiers, rentiers, etc. et il lÕexprimera sans
dtour dans son roman La maja desnuda : Ç Poda estar satisfecho de los retratos de aquellas
gentes: ellos, unos seores despreciables, malas personas, ladrones casi todos. È 2 Dans la
lgende qui accompagne la caricature de Cilla, il est donc dj question de ces notables
madrilnes qui, nous dit-on, ne valent pas la moiti de leur portrait.
1.
2.
Ç Mes portraits ne sont pas abordables ? Cela va de soi ! Puisque la plupart dÕentre eux valent
deux fois lÕoriginal ! È.
Vicente Blasco Ibez, La maja desnuda, Madrid, Ctedra, 1998, page 253. Ç Il pouvait tre
satisfait des portraits de ces gens : eux, ces messieurs mprisables, ces mauvaises personnes,
presque tous voleurs. È
A. Figures
305
2. BAUCHE DÕUNE AFFICHE PROMOTIONNELLE POUR LE JOURNAL EL
PUEBLO, 1899.
Joaqun Sorolla y Bastida (1863-1923)
Valence, Muse des Beaux-Arts San Po V.
En 1899, lÕanne de son deuxime chec vers la conqute de la Mdaille dÕHonneur, Joaqun
Sorolla ralise cette bauche dÕune affiche promotionnelle la demande du directeur dÕEl
Pueblo, Vicente Blasco Ibez. Le journal rpublicain de Valence lui apporte un soutien sans
faille durant toute la priode de lÕaffaire de la Mdaille dÕHonneur et ce projet est un
tmoignage de la reconnaissance du peintre. LÕaffiche est un genre quÕil ne connat pas Ð il nÕen
a jamais produit une seule Ð et cette toile le prouve. Cette ralisation est un tableau dÕexcellente
facture, raison pour laquelle il a t soigneusement conserv. Sorolla choisit dÕassocier deux
symboles valenciens : lÕoranger et le costume traditionnel. Le bonnet phrygien est lÕlment
principal de la composition. Il sÕagit dÕun clin dÕÏil la Rvolution franaise qui rappelle ici
lÕorientation politique du journal. Vicente Blasco Ibez admirait cette page de lÕhistoire de
France. Ë vingt et un ans, il avait choisi pour nom maonnique : ÒDantnÓ.
A. Figures
306
3. KNOCKO THE MONK AS AN ART CRITIC, 1909.
- LE SINGE KNOCKO, CRITIQUE DÕART -
Gus Mager (1878-1956)
Evening Journal, New York, 3/04/1909.
APMS IV.
Charles Augustus Mager (Gus) est un dessinateur amricain dÕorigine allemande, auteur de
bandes dessines qui sont devenues culte aux tats-Unis telles que Sherlocko the Monk (1910)
A. Figures
307
et Hawkshaw the Detective (1913). Le personnage du singe Knocko est antrieur puisquÕil
remonte 1904. Les singes de Mager inspireront les Marx Brothers qui leur emprunteront leurs
pseudonymes : Groucho, Harpo et Chico. La presse amricaine conserve au Muse Sorolla
atteste la bonne rception de lÕexposition du peintre espagnol lÕHispanic Society, en 1909.
Toutefois, parmi ces articles, le cartoon humoristique de Gus Mager apparat comme une note
dissonante. Il laisse entendre que lÕEspagnol a t exagrment encens par la critique
amricaine et que cet engouement a eu un impact sur lÕenseignement de la peinture dans les
acadmies amricaines. Dans ce gag, Knocko se sert de Sorolla comme dÕun talon servant
mesurer la qualit des toiles que les jeunes peintres lui soumettent. Mme si la partialit du juge
est certainement grossie des fins comiques, la peinture de Sorolla fut vritablement enseigne
comme un modle suivre lÕAcadmie de Philadelphie entre 1894 et 1909. William Merrit
Chase fut un de ses plus fervents dfenseurs et cÕest pourquoi le singe-critique pourrait en tre
la caricature. La chute du cartoon repose sur la rvolte des novices qui, loin de sÕen laisser
conter, organisent eux-mmes leur vengance en soumettant leur communaut un vote (vignette
n¡5). Par une nuit de pleine lune, ils passeront tabac le critique arrogant au dtour dÕune rue. Il
faut noter la diffrence de classe entre ces jeunes peintres lÕallure nglige et aux mthodes de
voyou et ce critique au style recherch qui pourrait tre un bourgeois de la ville. Sorolla pouvait
difficilement tre accept des jeunes car sa peinture nÕavait pas t introduite par eux mais par
les classes dominantes. CÕest bien elles qui lÕavaient impose, dÕen haut.
A. Figures
308
4. FIGURAS POPULARES, 1914.
- FIGURES POPULAIRES -
[Dessinateur inconnu].
Revista poltica y administrativa, Xrs de la Frontera, 11/11/1914.
APMS V.
Ë lÕautomne 1914, Sorolla vient dÕachever le premier panneau de Visin de Espaa, consacr
aux deux Castilles. Du 8 au 16 octobre, il sjourne Xres de la Frontera pour trouver le motif
de son premier panneau andalou 3. Le choix de cette ville nÕest pas anodin. En effet, elle compte
parmi les cits espagnoles les plus connues hors des frontires du pays pour ses vins qui taient
exports, entre autres, vers le nord de lÕEurope et aux tats-Unis. Sur place, le peintre ralise
quelques bauches de paysages de vignes pour composer un grand format sur le thme des
vendanges, dont il abandonnera ensuite le projet. Comme ce fut souvent le cas lors de ses
dplacements en province, Sorolla ne refuse pas lÕinvitation dÕun notable de la ville honor de
recevoir chez lui un hte de marque. Ë Xrs, il est donc reu chez un propritaire terrien tabli
3.
Epistolarios de Joaqun Sorolla, II. Correspondencia con Clotilde Garca del Castillo,
Barcelone, Anthropos, 2008, page 152.
A. Figures
309
deux kilomtres de la ville au cÏur de son domaine viticole.4 Plus tard, Ayamonte, il sera
reu par lÕindustriel Feu qui mettra sa disposition les locaux indispensables la prparation du
panneau La pesca del atn.5
Quelques semaines aprs le passage du peintre Xrs, et alors quÕil se trouve encore Sville,
un journal local publie le dessin prsent ci-dessus. La lgende nÕest pas de trop pour identifier
ce voyageur au visage maci, visiblement fatigu : Ç El eminente artista de la paleta Sr. Sorolla
que ha sido nuestro husped das pasados6. È dit la lgende. Pour plusieurs raisons, ce dessin
apparement anodin a la valeur dÕun symbole. Il montre tout dÕabord un personnage connu de
tous dont les apparitions sont si rares depuis quÕil travaille sa commande amricaine. En effet,
ses voyages de province en province lÕont loign de Madrid et des media. Pour le souligner, le
dessinateur le reprsente en voyageur, tel quÕil sÕest probablement prsent en arrivant sur
place. On remarque, au passage, les traits tirs du visage de cet homme reint par les
dplacements constants. Associ la lgende, lÕensemble peut laisser entendre que, sur la route
du matre, la cit andalouse est une halte salutaire. Il faut remarquer, enfin, que ce personnage
aux faux airs de vagabond apparat dans un costume bourgeois et fumant un imposant cigare,
des indices qui laissent entrevoir sa condition sociale.
4.
5.
6.
Jos Luis Jimnez, ÒSorolla en Jerez para pintar la vendimiaÓ, La Voz, Madrid, 9/04/2006.
Florencio de Santa-Ana, ÒLa estancia ayamontina de Joaqun SorollaÓ, Boletn de Ayamonte,
Ayamonte, 09/1999.
Ç LÕillustre artiste la palette, M. Sorolla, qui a t notre hte il y a quelques jours. È
A. Figures
310
5. RENOVACIîN, 1916.
- RENOUVEAU -
Renovacin, 16/09/1916.
APMS V.
Le premier numro de Renovacin, la revue de la Jeunesse Artistique de Valence, est dit en
septembre 1916. Sur la premire page de la revue figure la reproduction dÕun dessin de Sorolla
au-dessus de cette lgende : Ç Hermoso boceto dibujado por Sorolla para esta revista de
juventud. È7 En dpit de cette indication et du titre du dessin, le plus probable est que Sorolla ne
le fait pas prcisment pour la revue. Il sÕagit sans doute dÕune bauche pour un tableau en
grand format qui pourrait appartenir sa production de plage de lÕt 1916 car il existe plusieurs
dessins presque identiques celui-ci, conservs dans les archives du Muse Sorolla. LÕun dÕeux
a t reproduit dans le fascicule La Casa de Sorolla.8 Cette mre acclimatant son jeune enfant
lÕeau est un motif rpt dans son Ïuvre. Jugando en el agua, un tableau peint en 1908, en est
7.
8.
Ç Belle bauche dessine par Sorolla pour cette revue de la jeunesse. È
La Casa de Sorolla, Madrid, Patronato del Museo Sorolla, 1932page 43.
A. Figures
311
un bon exemple.9 En tant quÕallgorie de la Jeunesse Artistique de Valence, ce dessin anodin
mrite un clairage particulier. Le jeune enfant reprsente sans doute la gnration nouvelle,
mais que dire de cette mre ? Le Valencien avait coutume dÕemployer une mtaphore aquatique
pour parler de lÕapprentissage de la peinture. En 1918, dans un entretien accord un journalise
dÕEl Imparcial, il affirme : Ç En general, me parece preferible la pincelada corta porque barre
menos matices. Pero esto es como nadar. El aprendiz se vale de corchos, y no nada. El que
sabe se tira de cabeza o de lado, y siempre flota 10 . È LÕimage est frappante quand on songe au
dessin prsent ci-dessus. SÕil reprsente vritablement le premier contact dÕun enfant avec
lÕeau, Sorolla se prsente comme celui qui, telle une mre, transmet lÕart de la peinture.
9.
10.
Jugando en el agua, 75x105, Madrid, RABASF, 1908.
Francisco Camba, ÒSorollaÓ, El Imparcial, Madrid, 15/02/1918. Ç En gnral, la touche courte
me semble prfrable parce quÕelle gomme moins de nuances. Mais cela est comme nager. Le
novice se sert de flotteurs, et il ne nage pas. Celui qui sait, plonge tte la premire ou sur le ct,
et il flotte toujours. È
A. Figures
312
6. VALENCIA RECIBE EL CADçVER DE JOAQUêN SOROLLA, 1923.
- VALENCE ACCUEILLE LA DPOUILLE DE JOAQUêN SOROLLA -
ÒCampaÓ. Jos M.a Demara Lpez (1870-1936).
Mundo Grfico, Madrid, 14/08/1923.
APMS. VI.
Le reportage photographique publi par Mundo Grfico donne une ide de la foule immense
prsente sur le parcours du cortge funbre. Encadrs dans une fentre en bas de page, la veuve
et le fils du peintre sont peine visibles sur le grand format. Pour voir passer le corbillard, les
Valenciens se sont masss sur les trottoirs et quelques-uns se sont mme juchs sur le toit des
omnibus comme il apparat sur la gauche de lÕimage. Au premier plan, les hommes tent leurs
chapeaux en signe de respect au dfunt. Enfin, il est difficile de dceler dans ce document la
tension qui rgne entre un petit groupe de rdacteurs du journal El Pueblo et les autorits
prsentes sur place. On constate cependant la nervosit de la garde monte qui carte le public,
sabre au point, intimant lÕordre de reculer.
A. Figures
313
7. HOMENAJE DE LOS ARTISTAS SEVILLANOS A LA MEMORIA DE D.
JOAQUêN SOROLLA, 1924.
- HOMMAGE DES ARTISTES SVILLANS Ë D. JOAQUêN SOROLLA -
Buste de Jos Capuz (1884-1964) et socle de Vicente Traver (1888-1966).
Photographie sans titre de ÒCampaÓ. Jos M.a Demara Lpez (1870-1936), 26/10/1924.
Collection du Muse Sorolla, n¡Inv. 80.884.
Le reportage photographique de ÒCampaÓ (Agence Cmara) fut partiellement publi in :
ÒHomenaje de los artistas sevillanos a la memoria de D. Joaqun SorollaÓ, Mundo Grfico,
Madrid, 5/11/1924. APMS VII.
Le premier monument consacr la mmoire de Sorolla est inaugur le 26 octobre 1924, dans le
Jardin des Dlices de Sville. La Section des Beaux-Arts de lÕAteneo svillan finance cette
installation compose dÕun socle en pierre surmont du buste en bronze de Jos Capuz. Le
sculpteur avait form Elena Sorolla, la fille du peintre, et avait ralis plusieurs Ïuvres pour le
compte de la famille. Sorolla tait attach ce jeune Valencien qui tait, par ailleurs, un neveu
du scultpeur Cayetano Capuz de qui il avait appris le dessin lÕcole des Artisans, quand il tait
enfant. LÕhommage des Svillans soulve une polmique Valence car la municipalit nÕa
encore rien fait de semblable. Pour comprendre cette initiative, il faut rappeler que Sorolla fut
sduit par lÕAndalousie bien quÕil dcouvrt tardivement cette rgion, en 1902. Il y voyagea
ensuite souvent et, grce son disciple Santiago Martnez, il se lia dÕamiti avec sa
A. Figures
314
communaut artistique. Dans le discours quÕil prononce le jour de lÕinauguration du monument,
Martnez explique ainsi le geste de ses confrres : Ç Al ocurrir la muerte del gran maestro de la
pintura espaola don Joaqun Sorolla, se reuni la Seccin de Bellas Artes del Ateneo,
acordando rendir un homenaje al que fue en vida artista glorioso, al mismo tiempo que
enamorado entusiasta de esta Sevilla. [É] El acuerdo tomado fue el de elevar un monumento
que perpetuara la memoria de tan gran maestro, pagando de este modo la deuda de gratitud que
tenan contrada Sevilla y sus artistas con el insigne pintor : Sevilla, por lo mucho que la am
durante su vida y por las obras geniales que de sus bellezas supo crear, repartindolas por el
mundo como enseanza y honra de nuestra ciudad. È11 En effet, Sorolla avait peint la cit
andalouse maintes reprises. Dans ce discours, Santiago Martnez fait plus particulirement
rfrence Visin de Espaa puisque pas moins de quatre des quatorze panneaux du dcor ont
t peints Sville et dans ses environs : El encierro, Los nazarenos, El baile et Los toreros.
11.
Anonyme, ÒLa inauguracin del monumento a Joaqun SorollaÓ, El Liberal, Murcie, 27/10/1924.
Ç Quand survint la mort du grand matre de la peinture espagnole don Joaqun Sorolla, la Section
des Beaux-Arts de lÕAteneo se runit, sÕaccordant rendre hommage celui qui fut, sa vie
durant, un artiste couvert de gloire mais aussi un amoureux enthousiaste de cette ville de Sville.
[É] La rsolution prise consistait lever un monument la mmoire dÕun si grand artiste,
soldant ainsi la dette de reconnaissance que Sville et ses artistes avaient contracte envers
lÕillustre peintre : Sville, pour tout lÕamour quÕil lui porta sa vie durant et pour les Ïuvres de
gnie quÕil sut crer avec ces splendeurs, en les dispersant de par le monde comme enseignement
et honneur de notre ville. È
A. Figures
315
8. MADRID. INAUGURACIîN DEL MUSEO SOROLLA, 1932.
- MADRID. INAUGURATION DU MUSE SOROLLA -
Zegr (inc.-inc.)
Blanco y Negro, Madrid, 12/06/1932.
APMS VIII.
Le Muse Sorolla est inaugur le 11 juin 1932 par le chef du gouvernement Manuel Azaa ainsi
que le prcise la lgende : Ç Bajo la presidencia del jefe del gobierno, Sr. Azaa, y con
asistencia del ministro de Instruccin Pblica, director General de bellas artes, representantes
diplomticos y un selectsimo pblico de crticos y artistas, se verific ayer la inauguracin
oficial del Museo Sorolla, en el que fue domicilio y estudio del glorioso pintor. È12 On distingue
clairement le dirigeant rpublicain au centre de la table, devant le tableau Mara en El Pardo,
encadr par les deux filles du peintres, Mara et Elena. La crmonie se droule dans le plus
grand des trois ateliers mais, en dpit de la taille de cette pice, la majeure partie des personnes
12.
Ç Sous la prsidence du chef du gouvernement, M. Azaa, et en prsence du ministre de
lÕInstruction Publique, Directeur Gnral des Beaux-Arts, des reprsentants diplomatiques et
dÕun public de critiques et dÕartistes distingus, lÕinauguration officielle du Muse Sorolla sÕest
tenue hier, dans la maison qui fut le domicile et lÕatelier du glorieux peintre. È
A. Figures
316
prsentes restent lÕextrieur ainsi que le laissent entrevoir les deux entres, vers lesquelles se
presse la foule la plus compacte. Sur la table est install le micro dÕUnin Radio car les discours
sont retransmis Valence par liaison tlphonique.13 Debout, sur la droite de lÕimage, Amalio
Gimeno est en train de lire son discours. Au premier plan, on ne distingue que les chapeaux des
lgantes de la haute socit madrilne.
13.
Anonyme, ÒInauguracin del Museo SorollaÓ, El Socialista, Madrid, 12/06/1932.
A. Figures
317
9. ÀCONOCIî USTED A SOROLLA?, 1932.
- AVEZ-VOUS CONNU SOROLLA ? -
Manuel Tovar (1875-1935)
La Voz, Madrid, 13/06/1932.
APMS VIII.
CÕest probablement lÕinauguration du Muse Sorolla, laquelle il vient dÕassister, qui inspire
Manuel Tovar ce dessin humoristique. Il y a rencontr cette occasion des admirateurs du
peintre qui ne cachent pas leur aversion pour les courants avant-gardistes. LÕun dÕentre eux,
Bernardino de Pantorba, a violemment oppos la peinture de Sorolla au Surralisme dans une
courte biographie publie en 1927. Il considre le courant comme un Òart de pygmesÓ :
Apartemos los ojos del arte actual, con su mezquino campo de accin, con su
balumba de ÒteorasÓ, con sus pobres ÒismosÓ grotescos, con sus ridculas
extravagancias, con su ÒingenuidadÓ calculada, con sus amaneramientos de fbrica,
con su falta de belleza y de verdad, de arranque y de vuelo ; separemos la vista de
tanta figura dislocada, de tanto retrato elemental, de tanto paisaje de rutina, de tanta
fruta polidrica, de tanta notita de color, de tanto engendro de principiante y tanto
aborto de la ignorancia, de la vanidad, de la impaciencia, correados por une crtica
A. Figures
318
hueca y presuntuosa, podrida de literatura y, en mil ocasiones, francamente cerril ;
levantmonos sobre este lamentable panorama de un arte de pigmeos y para abrir el
alma a la Naturaleza, en bao de salud, y ennoblecer los ojos viciados por la
contemplacin de esperpentos y mediocridades, fijmonos en la labor de Sorolla.14
Pour illustrer avec humour lÕincomprhension mutuelle entre les uns et les autres, le dessinateur
imagine cette rencontre impossible entre le fantme de Sorolla et ÒEl moderno artistaÓ, un jeune
peintre surraliste. Tovar vient de dcouvrir lÕatelier de la rue Martnez Campos, mais la source
dÕinspiration du dessin pourrait tre une photographie de lÕatelier parisien dÕAndr Breton du 42
de la rue Fontaine. LÕAssociation Andr Breton conserve des clichs de cet atelier remontant
lÕanne 1929. On y voit, notamment, les objets dÕart primitif de la collection de lÕintellectuel
franais. LÕune de ces photographies pouvait tre dj connue de Tovar. LÕeffet comique du
dessin repose la fois sur le dcalage esthtique et gnrationnel qui spare les deux hommes,
mais aussi sur le contre-pied lÕadmiration excessive des ex-ÒsorollistesÓ. Alors que ceux-ci
vnrent encore le Valencien comme un demi-dieu, son nom nÕvoque, pour les autres, que le
souvenir imprcis dÕun millionaire peignant ses heures perdues !
EL VISITANTE : ÀConoco usted a Sorolla?
EL MODERNO ARTISTA : S; creo que he odo hablar de lÉ Àno era un seor
millonario que tena la mana de pintar ?15
Pour les ÒsorollistesÓ et autres notalgiques du peintre de Valence, cette vision relve du
sacrilge.
14.
15.
Bernardino de Pantorba, Joaqun Sorolla, Madrid, Figuras de la Raza n¡20, 1927, page 28-29.
Ç Dtournons le regard de lÕart actuel, avec son champ dÕaction mesquin, avec son fatras de
ÒthoriesÓ, avec ses pauvres ÒismesÓ grotesques, avec ses extravagances ridicules, avec sa
ÒnavetÓ calcule, avec ses manires en srie, avec son manque de beaut et de vrit, dÕlan et
de hauteur ; dtournons le regard de tant de figures disloques, de tant de portraits lmentaires,
de tant de paysages dj vus, de tant de fruits polydriques, de tant de petites touches de couleur,
de tant dÕhorreurs de dbutant et de tant de monstruosits de lÕignorance, de la vanit, de
lÕimpatience, encenss par une critique creuse et prtentieuse, gave de littrature et, la plupart
du temps, rsolumment grossire ; Indignons-nous de ce lamentable panorama dÕun art de
pygmes et pour ouvrir lÕme la Nature, dans un bain salutaire, et pour annoblir les yeux
pollus par la contemplation de ces extravagances et autres mdiocrits, concentrons-nous sur le
travail de Sorolla. È
LE VISITEUR : Avez-vous connu Sorolla ?
LÕARTISTE MODERNE : Oui ; je crois que jÕai entendu parl de luiÉ nÕtait-ce pas un
monsieur millionaire qui avait la manie de peindre ?
A. Figures
319
10. MONUMENT Ç VALENCIA A SOROLLA È, 1933.
Architecture : Francisco Mora Berenguer (inc.-inc.)
Sculpture : Mariano Benlliure.
Photographie Atelier Boldn, Valence. [1953] publie par Bernardino de Pantorba in La vida y
la obra de Joaquin Sorolla. Estudio biogrfico y crtico, Madrid, Grficas Monteverde, 1970,
page 104.
Au terme dÕune dcennie dÕaffrontements et de polmiques, ce monument voit le jour la fin de
lÕanne 1933. Ainsi que lÕavait souhait Mariano Benlliure, il est difi sur la plage de la
Malvarrosa de Valence. Il rappelle ainsi que, ici mme, Sorolla a peint ses tableaux les plus
clbres. Or, le sculpteur avait plaid pour un monument simple, lÕimage de lÕhomme dont il
honnererait la mmoire. Cependant, le monument dfinitif ne reflte pas cette vision des choses.
Le projet est confi lÕarchitecte Francisco Mora Berenguer. Ë lÕinverse du monument svillan,
trs sobre et install dans un jardin intimiste, il dessine un impressionnant monument de style
noclassique, comme si Sorolla avait t un personnage comparable un hros antique. Ë nÕen
pas douter, lÕeffort financier consenti pour difier un tel monument fut au moins proportionnel
la prtendue ÒdetteÓ de la ville envers Sorolla, une ide longtemps propage par une partie de la
presse locale. En finanant ce monument spectaculaire et coteux, le maire rpublicain de la
A. Figures
320
ville Vicente Alfaro Moreno entend solder cette ÒdetteÓ mais aussi clmer lÕattachement de sa
famille politique lÕauteur de Triste herencia et de ÁY an dicen que el pescado es caro!
A. Figures
321
11. BILLET DE 25 PESETAS Ç PESCADORAS VALENCIANASÈ, 1936.
11Õ2x7Õ1
mis le 31/08/1936 Madrid.
Date de mise en circulation inconnue.
Madrid, Muse Arquologique National.
Inv. 2007/123/4
Il sÕagit du premier billet de banque consacr au peintre espagnol. ÒPescadoras valencianasÓ est
mis en circulation au dbut de la guerre civile. Il a t command par le gouvernement
rpublicain la maison londonienne Thomas de La Rue. Sur le recto, la tour du Micalet de
Valence ctoie un mdaillon contenant le portrait de Sorolla. Le recto reproduit une scne de
retour de pche.
A. Figures
322
12. BILLET DE MILLE PESETAS Ç LA FIESTA DEL NARANJO È, 1953.
15Õ8 x 10Õ1
mis le 31/12/1951, Madrid.
Mis en circulation en 1953.
Collection particulire
Le billet de mille pesetas reprend la police de caractre fleurie popularise par les westerns
hollywoodiens des annes trente et quarante. LÕaffiche du film La diligencia (1939) de John
Ford (1894-1973) est peut-tre une rfrence documentaire utilise par ses concepteurs. Par
ailleurs, ce portrait indit du peintre pourrait lui aussi avoir t influenc par le genre car le
large col blanc ainsi rabattu sur la veste sombre rejoint les codes vestimentaires du Far West.
A. Figures
323
Sur le plan technique, le modle est apparemment le billet dÕun dollar avec lequel il partage la
mme encre, la mme longueur et dÕautres dtails de composition. Le mdaillon blanc laisse
apparatre en transparence un portrait de don Quichotte coiff dÕun plat barbe. Selon la
formule consacre, Informaciones prsente le ÒSorollaÓ comme infalsifiable, un comble pour
celui qui continue faire partie des peintres les plus contrefaits ! Ë cette poque, Eugenio Lucas
(1817-1870), Daro de Regoyos, Jos Gutirrez Solana et le Valencien forment ensemble le
quatuor des signatures les plus frquemment plagies16 .
Cet Òautre billet vertÓ, forcment kitsh, accompagne lÕessor du tourisme nord-amricain en
Espagne. Le recto prsente le portrait dÕun Sorolla g, lÕpoque o il peint le dcor de
lÕHispanic Society dont un dtail figure au verso. Il sÕagit du panneau consacr Valence qui
immortalise une scne de procession de lÕorange invente de toutes pices. Le billet prsente
une Espagne folklorique, conforme la doctrine du rgime franquiste.
16.
Anonyme, ÒNuevo billete de mil pesetasÓ, Informaciones, Madrid, 23/06/1953. Andrs
Apellniz, ÒLas falsificaciones en la pintura modernaÓ, Pensamiento Alavs, Vitoria, 19/04/1954
et A.D.O., ÒApasionante Ç affaire È en el mundo de la pinturaÓ, Pueblo, Madrid, 15/06/1955.
A. Figures
324
13. TIMBRE DE CINQUANTE PESETAS Ç SOROLLA & LEGAZPI È, 1953.
Srie 1124-1125.
émise le 9/10/1953.
Tirage: 200.000 exemplaires.
Format !. Bords classiques.
Le premier timbre lÕeffigie de Sorolla est mis lÕoccasion du trentime anniversaire de sa
mort. Il compte aujourdÕhui parmi les plus recherchs des collectionneurs car son tirage est
limit deux cent mille exemplaires. Selon le journal El Pas, il se ngociait neuf cent
cinquante euros en 2006 et dpasse aujourdÕhui le millier dÕeuros 17. Mais, dj lÕpoque, son
cot tait lev car son usage tait rserv lÕaffranchissement arien. Il voyage sur les
courriers adresss par les touristes destination de leurs pays dÕorigine. Ce timbre tmoigne de
la place occupe par Sorolla dans lÕiconographie du rgime.
17.
Fernando Barciela, ÒAntiguos, caros y en buen estadoÓ, El Pas, Madrid, 25/06/2006.
A. Figures
325
14. J. SOROLLA, PINTOR DE VALENCIA. ESPAA, 1961.
- J. SOROLLA, PEINTRE DE VALENCE. ESPAGNE -
Jos Cabrelles Sigenza
Las Provincias, Valence, 10/03/1961.
APMS. XVII.
15. J. SOROLLA, SPANIEN, 1961
- J. SOROLLA, ESPAGNE -
Affiche promotionnelle.
Ministerio de Informacin y Turismo.
Conception : Rieusset S.A.
Centro de Documentacin Turstica de Espaa. Madrid.
Inv. 61-03 R. 858
LÕaffiche prsente dans cette coupure de presse tire de Las Provincias est commande
lÕatelier de graphisme catalan Rieusset par lÕOffice du Tourisme de Valence. Elle reproduit un
tableau conserv au Muse Sorolla, El balandrito18. Sous lÕimage, un bandeau fait apparatre la
signature du peintre ct de la mention : Ç Sorolla, pintor de Valencia / Espaa. È LÕaffiche est
assez emblmatique de la double revendication de Sorolla, locale et nationale. Sous le
18.
El balandrito, 100x110, Madrid, MS, 1909.
A. Figures
326
franquisme, le mot ÒEspaaÓ doit apparatre dans une police plus grande car la dimension
nationale du peintre prime. DÕailleurs, les versions trangres diffuses par le Ministre de
lÕInformation et du Tourisme ne font mme plus apparatre le mot ÒValenciaÓ, comme on peut
le constater dans lÕdition allemande. Enfin, le choix de lÕenfant au petit bateau prouve que la
campagne est oriente vers le tourisme familial des grandes vacances de juillet et dÕaot. En
1960, ces deux mois reprsentent prs de 40% de lÕaffluence touristique annuelle.19 Les
Franais constituaient la principale communaut touristique de la cte mditerrannenne de
lÕEspagne. En 1956, leurs congs pays avaient t ports de deux trois semaines annuelles,
facilitant ainsi les dparts de la classe moyenne.
19.
Ramn Tamames et Antonio Rueda, Estructura econmica de Espaa, Madrid, Alianza, 1997
(1985), Tableau n¡3, page 557.
A. Figures
327
16. VALENCIA CONMEMORA EL CENTENARIO DE SOROLLA, 1963.
- VALENCE COMMMORE LE 100me ANNIVERSAIRE DE LA NAISSANCE DE SOROLLA -
Photographie de Jos Cabrelles Sigenza (inc.-inc.)
ABC, Madrid, 7/03/1963.
APMS. XIX.
LÕactuel monument valencien consacr Sorolla est rig sur la Plaza de la Armada Espaola,
face au port de Valence, dans un quartier en pleine restructuration dans les annes soixante. Il
est inaugur le 27 fvrier 1963 par le Directeur Gnral des Beaux-Arts, Gratiniano Nieto Gallo.
La crmonie est le premier pisode dÕune anne culturelle place sous le signe du peintre n un
sicle plus tt. Ce monument trs sobre, qui remplace celui qui avait t dtruit par la crue de
1957, est conu par lÕarchitecte municipal Carlos Soler (inc.-inc.). Le bronze de Benlliure est
rinstall sur un nouveau socle entour dÕun bassin de 3,50m par 7,84m cens, peut-tre,
symboliser la mer Mditerranne. Quoi quÕil en soit, lÕensemble est clairement inspir du
monument Cervantes de la Plaza de Espaa de Madrid inaugur en 1929. Toutefois, ses
dimensions bien plus petites nÕen font quÕune ple copie du prcdent. Dans la cit levantine,
lÕaspect insolite de cette construction sera un sujet de raillerie et alimentera une fois encore
lÕide que Valence est dcidment incapable de rendre hommage son peintre. Un journaliste
de Jornada en fait une description cinglante : Ç [É] visto desde lejos parece una falla de tercera
categora B, y visto de cerca es una autntica birria, con todas las agravantes. Es imperdonable
que a un hombre como Sorolla, que con su arte rindi culta a la belleza, se le ofrezca como
A. Figures
328
homenaje este esperpento. È 20 En fvrier 2008, en pleine ÒsorollamanieÓ, un conseiller
municipal socialiste, Juan Soto (1962), demande la mairie de rassembler les vestiges de
lÕancien monument Ð celui des rpublicains Ð afin de le rinstaller, comme en 1933, sur la plage
de la Malvarrosa.21 Mais loin de satisfaire la demande, la mairie aux couleurs du Parti Populaire
restaure le monument existant en 2009 car il se trouve sur le circuit urbain qui va accueillir le
premier Grand Prix de formule 1 de lÕhistoire de la ville.22 Le regard fig du peintre, jadis
tourn vers la mer, contemple donc aujourdÕhui les bolides du paddok ! Cela semble incroyable
que, comme par le pass, le souvenir de Sorolla continue aujourdÕhui opposer vertement la
droite et la gauche.
20.
21.
22.
Fineza (photographie), ÒÀEs esto lo que Valencia hace por Sorolla?Ó, Jornada, Valencia,
13/11/1963. Ç [É] Vu de loin, il ressemble une falla de troisime catgorie B, et vu de prs
cÕest une vritable verrue, avec toutes les circonstances aggravantes. CÕest impardonnable quÕ
un homme comme Sorolla, qui avec son art a vou un culte la beaut, on offre en son hommage
une telle extravagance. È
Anonyme, ÒEl PSPV propone al ayuntamiento la recuperacin del monumento a Sorolla en la
playa de la Malva-rosaÓ, http://www.lasprovincias.es/, 7/02/2008.
Cristina Fernndez, ÒSorolla relucir en la F-1Ó, http://www.lasprovincias.es/, 3/08/2009.
A. Figures
329
17. EL NOMBRE DE SOROLLA A UN AVIîN, 1963.
- UN AVION BAPTIS AU NOM DE SOROLLA -
Cifra
ABC, Madrid, 31/03/1963.
APMS. XX.
Les autorits franquistes nÕont pas oubli que le peintre Sorolla et le fondateur de lÕHispanic
Society, Archer Huntington, avaient Ïuvr ensemble la rconciliation entre les deux pays
aprs la Guerre de Cuba. Appos sur le flanc dÕun appareil californien achet par la compagnie
dÕtat Iberia, le nom de Sorolla symbolise lÕentente hispano-amricaine. Comme un clin dÕÏil
lÕhistoire, le premier vol transporte son bord une missive du nouveau directeur de lÕinstitution
new-yorkaise adresse au maire de Valence. Le Douglas DC-8 dcolle le soir du 29 mars de
lÕaroport de Santa Monica. Pour le symbole, il entre sur le territoire espagnol par la localit
dÕEl Ferrol, la ville natale du ÒcaudilloÓ, avant dÕaterrir un peu plus tard lÕaroport de
Manises, au sud de Valence23. Comme on peut le voir sur cette photographie publie par le
23.
Anonyme, ÒAyer lleg al aeropuerto nacional de Manises el avin reactor Ç Sorolla ÈÓ, Las
Provincias, Valence, 31/03/1963.
A. Figures
330
journal ABC, lÕavion est assitt baptis sur le tarmac au cours dÕune crmonie laquelle
participent les diles et les autorits militaires de la rgion. Il intgrera ensuite le reste de la flote
transatlantique avec, son bord, la documentation touristique valencienne qui sera distribue
aux futurs passagers amricains.
A. Figures
331
18. FRANCO INAUGURî LA EXPOSICIîN SOROLLA, 1963.
- FRANCO A INAUGUR LÕEXPOSITION SOROLLA -
Sanz Bermejo
ABC, Madrid, 23/04/1963.
APMS. XXI.
Sur cette photographie qui fait la couverture du quotidien madrilne ABC, le gnralissime pose
devant un grand format militaire, El dos de mayo, la premire peinture dÕhistoire du jeune
Sorolla. Situ au centre du salon principal, ce tableau avait t longtemps oubli de tous, dÕune
part car le genre tait pass de mode et, dÕautre part, parce que le tableau se trouvait Valence,
dans un salon du Conseil Gnral. Le soulvement contre lÕoccupant franais du 2 mai 1808 est
la fois un symbole dÕunit nationale mais aussi de la grande cole espagnole, car Goya lÕavait
magistralement reprsent avant lui. Une lgende dsigne les quatre personnages du premier
plan, cÕest--dire le couple Franco ainsi quÕAgustn Muoz Grandes (1896-1970) et Manuel
Lora Tamayo (1904-2002), dont les pouses se trouvent, elles, au second plan : Ç Su Excelencia
el Jefe del Estado y su esposa, doa Carmen Polo de Franco, con el vicepresidente del
Gobierno, capitn general Muoz Grandes, y el ministro de Educacin Nacional, Sr. Lora
A. Figures
332
Tamayo, en su recorrido por las salas de la Exposicin Sorolla, inaugurada en el Casn del
Retiro ayer, a primera hora de la tarde. È24
24.
Ç Son Excellence le chef de lÕtat et son pouse, doa Carmen Polo de Franco, en prsence du
vice-prsident du gouvernement, le capitaine gnral Muoz Grandes, et du ministre de
lÕducation Nationale, M. Lora Tamayo, lors de leur visite des salles de lÕExposition Sorolla,
inaugure hier au Casn del Retiro, en dbut dÕaprs-midi. È
A. Figures
333
19. DESSIN HUMORISTIQUE SANS TITRE, 1963.
Rafael Munoa (1930)
Ya, Madrid, 24/04/1963.
APMS. XXI.
La publication de ce dessin humoristique suit de prs lÕinauguration de lÕexposition du Casn
del Buen Retiro. Rafael Munoa a, coup sr, parcouru ses salles puisque deux tableaux
exposs, Sacando la barca (Cat n¡118) et Nia saliendo del bao (Cat n¡74), figurent dans la
composition du dessin25. Au premier plan, un couple de touristes est confortablement install
dans des transats, comme sÕils se trouvait sur le bord de la plage ou sur le pont dÕun paquebot.
La prsence dÕun homme casquette qui pourrait aussi bien tre un gardien de muse quÕun
matelot semble confirmer cette hypothse. Mais ces touristes ne contemplent pas la mer, mais
les tableaux de Sorolla qui la reprsentent, et ce couvre-chef aux faux airs de bret est bel et
bien la casquette dÕun gardien de muse sÕcriant : Ç Comprendemos, seores turistas, que
Sorolla tiene mucha luz mediterrneaÉ Pero no es para ponerse asÉ26 È La rprimande met en
vidence une situation droutante et absurde qui nÕest pas sans rappeler le tourisme romantique
du XIXe sicle puisque, cent ans plus tt, les voyageurs trangers recherchaient en Espagne une
25.
26.
Nia saliendo del bao, 100x70, Madrid, Collection particulire, 1909 et Sacando la barca,
100x120, Madrid, Collection particulire, 1916.
Ç Nous comprenons, messieurs les touristes, que Sorolla contient beaucoup de lumire
mditerrannnneÉ Mais ce nÕest pas une raison pour sÕinstaller ainsi. È
A. Figures
334
ralit conforme leur imaginaire. Rafael Munoa pousse lÕabsurdit jusquÕ placer le touriste
des annes soixante face aux images originales dont les reproductions ont, il faut le croire,
nourri sa culture, par le biais dÕaffiches promotionnelles, de timbres, de billets de banque etc. Le
dessin fait ainsi la synthse entre la double utilisation de lÕÏuvre de Sorolla sous le franquisme.
En effet, elle sert la fois lÕimage du pays lÕextrieur et lÕoffre culturelle propose sur place.
A. Figures
335
20. SRIE DE TIMBRES Ç PINTOR JOAQUêN SOROLLA È, 1964.
Srie 1566-1575.
mise le 23/03/1964.
Tirage: 4.000.000 dÕexemplaires.
28,8x33,2 et 33,2x28,8. Format !. Bords dors.
De gauche droite :
1575. Grupa valenciana, 10 pesetas.
1569. Pescadora valenciana, 80 centimes.
1571. El encierro, 1Õ50 pesetas.
1568. Tipos manchegos, 70 centimes.
1567. Boyero castellano, 40 centimes.
1570. Autorretrato, 1 peseta.
1573. Nios en la playa, 3 pesetas.
1566. El botijo, 25 centimes.
1574. Sacando la barca, 5 pesetas.
1572. ÁY an dicen que el pescado es caro!, 2Õ50 pesetas.
Un mois aprs la fin de lÕanne jubil, lÕtat met en circulation cette srie de dix timbres, avec
son enveloppe de collection, lÕoccasion du Òjour du timbreÓ. Cette dition prolonge le
souvenir de lÕexposition du Casn del Buen Retiro car Pescadora valenciana (Cat. n¡29) El
A. Figures
336
botijo (Cat. n¡45) Grupa valenciana (Cat. n¡70) ou encore Sacando la barca (Cat. n¡118),
viennent dÕtre prsents au public. Le dernier figure dÕailleurs dans la composition du dessin
qui vient dÕtre comment. Contrairement au timbre dit en 1953, destin lÕaffranchissement
arien, la nouvelle srie circulerait lÕintrieur du pays sur les courriers ordinaires. Pour cette
raison, elle est tire quatre millions dÕexemplaires. Le choix de ces dix tableaux semble avoir
t guid par deux critres. DÕune part, ils refltent le territoire dans sa diversit en montrant des
paysages de Castille, dÕAndalousie et de Valence. DÕautre part, les images slectionnes ne
disent rien de la ralit de lÕEspagne des annes soixante mais brossent, au contraire, la vision
dÕune terre pittoresque et mythique.
A. Figures
337
21 et 22. DESSINS HUMORISTIQUES SANS TITRE, 1967.
Mximo
Pueblo, Madrid, 11/03/1967.
APMS. XXIV.
Dtile
Ya, Madrid, 12/03/1967.
APMS. XXIV.
Mximo et Dtile sont deux dessinateurs espagnols qui collaborent dans les annes soixante
avec La Codorniz (1941), la principale revue comique du pays, aux cts de Munoa, Kalikatres,
Serafn, Mena, Mingote, etc. Ces deux dessins doivent tre replacs dans le contexte de la crise
du Muse Sorolla. Parce quÕelle ne peut plus faire face ses cots de fonctionnement,
lÕinstitution est sur le point de fermer ses portes au public la fin du mois de mars 1967. Trois
ans seulement aprs la fin de lÕÒanne SorollaÓ, la nouvelle interpelle lÕopinion et les autorits et
des solutions sont rapidement trouves. Mais avant cela, lÕaffaire inspire quelques dessinateurs
de presse qui apportent, leur faon, un clairage particulier sur cet vnement. Mximo et
Dtile choisissent pour point de dpart un autoportrait conserv au Muse Sorolla que le public
connat bien puisquÕil figure sur le timbre dÕune peseta de 1964, prsent dans la figure
prcdente. Pour Mximo, tout le monde tourne dsormais le dos au peintre et celui-ci de
sÕinterroger : Ç Podra regalar mis cuadros y todas mis cosas a este extrao pas mo pero, Àlas
A. Figures
338
querr?27 È La question fait allusion la donation de la veuve qui avait rendu possible la
cration dÕun muse. Ë la fin des annes soixante, le nombre dÕentres enregistr laisse croire
lÕingratitude des Espagnols, qui ne prennent pas la peine de le visiter et donc de lui donner les
moyens de subsister. Dtile, quant lui, met en scne la complainte dÕun visiteur nostalgique :
Ç ÁLstima que no aparezca algn americano que descubra el tesoro artstico que tenemos
aqu!28 È Ce visiteur anonyme nÕa visiblement pas oubli le rle jou par Archer M. Huntington
en faveur de la prservation et de la valorisation du patrimoine espagnol. LÕAmricain avait
galement t le plus grand mcne du Valencien. Enfin, la complainte laisse entendre que les
trangers sont plus mme de protger le patrimoine espagnol que les Espagnols eux-mmes.
27.
28.
Ç Je pourrais offrir mes tableaux et tous mes biens cet trange pays qui est le mien, mais en
voudra-t-il ? È
Ç Quel dommage quÕun Amricain capable de dcouvre le trsor artistique que nous possdons
ne se prsente pas ici ! È
A. Figures
339
23. SOROLLA COMO PRETEXTO, 1974.
- SOROLLA COMME PRTEXTE -
Equipo Crnica, 1974.
Acrylique sur toile.
Triptyque compos de trois panneaux de 121x96. Dimensions totales 363x288.
Valence. Collections de lÕInstitut Valenci dÕArt Modern (IVAM).
Cat. raisonn (2001) page 265.
En 2004, lÕoccasion de lÕachat du tryptique Sorolla como pretexto par lÕInstitut dÕArt Modern
de Valence, le muse publia ce tmoignage de Manolo Valds, lÕintrieur de sa revue
Cuadernos del IVAM :
Algunos sbados solamos ir a un restaurante de la Malvarrosa. Un da estbamos
Rafael Solbes y yo hablando de pintura y alguien que nos estaba escuchando dijo
que cuando era nio vea a Sorolla pintando del natural en esa playa. Recordaba
haber visto a Sorolla con un caballete que montaba all mismo y le haba visto
protegerse del sol con un sombrero y la paleta con su cuerpo, porque no le gustaba
que la arena se pegara a los colores. Tambin deca que protegerse de los nios era
difcil. Cuando ese personaje se fue, nosotros continuamos la conversacin
comentando que, durante los aos de la Escuela de Bellas Artes, siempre
cuestionbamos a Sorolla, no sabamos bien si era por la defensa que los profesores
hacan o por el desconocimiento que tenamos de su obra. Con el paso del tiempo,
aprendimos a reconocer sus cualidades. All mismo empezamos a repasar sus
cuadros hasta que encontramos el que nos pareca que haba sido pintado en ese
A. Figures
lugar. Se trataba del cuadro en el que un nio juega con un barquito de vela.
Pensamos que una forma de interpretarlo poda ser reducir el cuadro a 4 o 5
colores, usando los rotuladores para despus ampliarlo, de manera que se
conservara el trazo y se pudiera reconocer la herramienta. Este apunte servira para
ampliar y fabricar el cuadro. El resultado nos pareci pobre y decidimos continuar,
hacer una segunda versin. Esta vez traduciramos las manchas que Sorolla haba
pintado con tanta soltura a manchas cuyos perfiles seran rectos, siempre hechos
con la regla y el tiralneas para separarnos de su manera de pintar cambiando su
cdigo. Cuando tuvimos estos dos cuadros, vimos que podan complementarse y
formar un dptico que mostrara las dos maneras de abordarlo. Recordando la
historia que habamos odo en el restaurante, decidimos que debamos buscar una
manera de situarlo en el lugar en que haba sido pintado, la Malvarrosa. As pues,
empezamos un tercer cuadro que haca referencia a un mapa de esa playa. Aquello
se haba convertido en un trptico. Para darle mayor unidad al conjunto, utilizamos
una cinta adhesiva como un trompe lÕÏil, que hiciera de bisagra de los cuadros, y
con la misma finalidad pintamos las herramientas con las que haban sido hechos:
el pincel, el lpiz y el tiralneas. Slo faltaba ya una foto de los nios para
completar la imagen. ÒSorolla como pretextoÓ es uno de esos cuadros al podamos
haber seguido aadindole ms elementos. Recuerdo que cuando se lo sugera a
Solbes, dijo: Ç Alguna vez habr que acabarlo29.È
Ç Certains samedis, nous avions lÕhabitude dÕaller manger dans un restaurant de la
Malvarrosa. Un jour, Rafael Solbes et moi tions en train de parler de peinture dans
ce restaurant et quelquÕun nous coutait et raconta que, quand il tait enfant, il
voyait peindre Sorolla, en plein air, sur cette plage. Il se souvenait lÕavoir vu avec
un chevalet quÕil installait ici mme et il lÕavait vu se protger du soleil avec un
chapeau et protger sa palette avec son corps, car il nÕaimait pas que le sable se
mlange ses couleurs. Il disait aussi quÕil lui tait difficile de se prmunir des
enfants. Quand ce personnage sÕen alla, nous poursuivmes la conversation en nous
rappelant que, durant nos annes lÕcole des Beaux-Arts, nous discutions
toujours lÕart de Sorolla, sans bien savoir si cÕtait cause de lÕadmiration
excessive des professeurs ou cause de notre mconnaissance de son Ïuvre. Au fil
du temps, nous avons appris reconnatre ses qualits. Toujours dans le restaurant,
nous avons commenc nous remmorer ses tableaux jusquÕ ce que nous
trouvmes celui qui, selon nous, avait pu tre peint cet endroit. Il sÕagissait du
29.
Manolo Valds, ÒSorolla como pretextoÓ in Cuadernos del IVAM 02, Valence, IVAM, 2004,
pages 18-19.
340
A. Figures
tableau dans lequel un enfant joue avec un petit bateau voile. Il nous sembla
quÕune manire de lÕinterprter pouvait tre de le rduire 4 ou 5 couleurs, en
utilisant des marqueurs pour ensuite lÕagrandir, de faon conserver le trait et
laisser lÕoutil utilis facilement identifiable. Cette bauche servirait agrandir et
fabriquer le tableau. Le rsultat nous sembla pauvre et nous dcidmes de
poursuivre, faire une deuxime version. Cette fois, nous transformerions les tches
de couleur que Sorolla avait peint avec tant dÕaisance en des applats dont les lignes
seraient droites, toujours traces la rgle et au tire-ligne afin de nous loigner de
sa manire de peindre, en changeant ses codes. Aprs avoir obtenu ces deux
tableaux, nous nous sommes rendus compte quÕils pouvaient se complter et
former un dyptique montrant deux manires de lÕaborder. En nous remmmorant
lÕhistoire que nous avions entendu au restaurant, nous avons pris la dcision de
chercher une manire de le situer dans le lieu o il avait t peint, la Malvarrosa.
De sorte que nous avons commenc un troisime tableau qui ferait apparatre un
plan de cette plage. Le projet sÕtait donc transform en un tryptique. Afin de
donner davantage dÕunit lÕensemble, nous avons fait apparatre des morceaux de
scotch peints en trompe lÕÏil, la manire dÕune charnire entre les tableaux, et
dans le mme esprit nous avons peint les outils avec lesquels nous avions travaill :
le pinceau, le crayon et le tire-lignes. Enfin, il ne manquait quÕune photo des
enfants pour complter lÕimage. ÒSorolla como pretextoÓ est un de ces tableaux que
nous aurions pu poursuivre en lui ajoutant davantage dÕlments. Je me souviens
que lorsque je le suggrais Solbes, il disait : Ç Un jour il faudra le terminer. È
341
A. Figures
342
24. ESPAA. TODO (NUEVO) BAJO EL SOL, 1990.
- ESPAGNE. TOUT ( DE NOUVEAU) SOUS LE SOLEIL -
Affiche promotionnelle.
Ministerio de Transportes, Turismo y Comunicaciones.
Conception : DÕArcy Masius Benton & Bowles.
Centro de Documentacin Turstica de Espaa. Madrid.
Inv. M 15325-1990.
Les tableaux du Valencien ont servi promouvoir les plages de la cte mais, cette fois, ils
apparaissent dans une campagne valorisant le patrimoine artistique national. On peut voir ici
une vue du troisime atelier du Muse Sorolla dans lequel on reconnat le lit turc et la copie en
pltre de la Victoire de Samothrace. Sur le chevalet se trouve un portrait de son pouse Clotilde
dit Ò la mantille noireÓ. Les robes blanches qui se dtachent sur le parquet clair et mat, le tout
envelopp par la lumire diaphane qui tombe de la verrire, tout cela fait cho au tableau Paseo
a orillas del mar que lÕon aperoit au second plan, accroch au milieu du mur. La maxime
biblique Òrien de nouveau sous le soleilÓ (Ecclsiaste I, 9), transforme ainsi quÕil apparat sur
lÕaffiche, laisse entendre que tout a chang en Espagne et tout est bel et bien sur le point de
changer pour le Muse Sorolla. Car en 1990, la rforme de son statut juridique est dj Òdans
lÕairÓ puisque le gouvernement est prt intervenir dans ce sens pour permettre la Sude
dÕorganiser lÕexposition Frn tv hav. Zorn och Sorolla. Par le pass, les dcideurs politiques
A. Figures
343
avaient plusieurs fois financ des campagnes de travaux pour le moderniser afin de le rendre
plus attractif, mais cela nÕavait pas eu dÕimpact sur son affluence. La cl du changement se
trouve ailleurs. En effet, la rforme du statut juridique du Muse Sorolla, qui autorisera enfin les
prt, sauvera lÕinstitution.
A. Figures
344
25. ESPAA. PLAYAS, 1998.
- ESPAGNE. PLAGES -
Affiche promotionnelle rdite en 2000.
Ministerio de Economa y Hacienda
Conception : Pedro Alonso, Madrid.
Centro de Documentacin Turstica de Espaa. Madrid.
Inv. 98-08 R. 566
CÕest un dtail dÕun tableau du Muse du Prado, Chicos en la playa, qui figure sur cette affiche
sous-titre ÒEspaa. PlayasÓ. Le nom du peintre nÕapparat pas car, en 1998, il nÕa toujours pas
t redcouvert hors des frontires du pays. Malgr les rcentes expositions Unter Spaniens
Sonne. Landschaften von Joaqun Sorolla (1863-1923) organise Cologne en 2002 et Sargent
et Sorolla, peintres de la lumire, Paris en 2006, lÕEspagnol demeure aujourdÕhui
pratiquemment inconnu du grand public europen. Toutefois, par le biais de campagnes
publicitaires comme celle-ci, des images tires de sa peinture ont largement t diffuses
lÕtranger. Aperues sur une affiche touristique, une carte postale ou bien au dtour dÕune page
de manuel scolaire dÕespagnol, ces scnes de plage ensoleilles sont vaguement connues des
citoyens de lÕUnion Europnne.
A. Figures
345
26. CARTAS DE SOROLLA, 2006.
- LETTRES DE SOROLLA -
DePalacio Films pour RTVV (Radiotelevisi Valenciana) et Generalitat Valenciana.
Mise en scne : Jos Antonio Escriv.
Scnario : Horacio Valcrcel.
Dure : 2 heures.
Acteurs principaux: Jos Sancho (Joaqun Sorolla) et Rosanna Pastor (Clotilde Garca del
Castillo).
Le tlfilm biopic de Jos Antonio Escriv est diffus pour la premire fois la tlvision le 14
novembre 2006, sur la chane valencienne Canal 9. Ë la manire dÕun documentaire historique,
le film retrace la vie et la carrire du peintre, de son enfance jusquÕ sa mort. Escriv dclare
dans la presse que son objectif principal a t de donner vie aux tableaux :
-
ÀEn qu medida la pelcula es biogrfica y en cul se aproxima al documental?
-
Mi idea ha sido darle vida a los cuadros y creo que lo he logrado. Me he
preocupado ms de eso que de contar la vida de Sorolla. Quera que los
cuadros tomaran vida30.
30.
Alejandro Pl, ÒHe puesto la cmara donde Sorolla pona el caballeteÓ,
http://www.lasprovincias.es/, 7/11/2006.
- Dans quelle mesure le film est-il biographique, dans quel mesure se rapproche-t-il dÕun
documentaire ?
A. Figures
346
Un personnage fictionnel, Ramn Bertomeu, tire les fils de la construction narrative. Ce jeune
journaliste entreprend lÕcriture dÕun essai biographique et, pour toffer son manuscrit, il
rencontre lÕartiste, puis son pouse ainsi que lÕcrivain Vicente Blasco Ibez. Au gr des
entretiens, les vocations du pass donnent lieu de longues analepses. En tant que programme
destination du grand public, Cartas de Sorolla a incontestablement rempli une mission
pdagogique. Cela ne veut pas dire que la vision dlivre soit neutre. En effet, elle privilgie le
lien entre le peintre et sa rgion natale, car le tlfilm est financ par la chane de tlvision
rgionale officielle et par la Communaut Autonome de Valence hauteur de plus de deux
millions dÕeuros31. Sous le franquisme, un tel point de vue aurait certainement t cart car le
peintre devait apparatre dans sa dimension nationale.
-
31.
Mon ide a t de donner vie aux tableaux et je crois que jÕai russi. Je me suis davantage
intress cela quÕ la vie de Sorolla. Je voulais que les tableaux prennent vie.
Anonyme, ÒJos Sancho desvela en miniserie RTVV el lado ms humano de SorollaÓ,
actualidad.terra.es, 7/11/2006.
A. Figures
347
27. CENTENARIO DE LA EXPOSICIîN DE 1909 y ANIVERSARIO DEL HIMNO
REGIONAL, 2009.
- CENTENAIRE DE LÕEXPOSITION DE 1909 ET DE LÕHYMNE REGIONAL -
Manolo Valds.
Affiche promotionnelle.
Collection particulire.
En mai 2009, la mairie de Valence inaugure une exposition commmorant le centenaire de
lÕExposition Rgionale de 1909. Pour lÕoccasion, lÕartiste Manolo Valds rinterprte un
tableau de Sorolla, Grupa valenciana, dans une affiche promotionnelle32. Le Valencien a peint
deux fois ce sujet, en 1908 puis en 1916, dans le panneau de Visin de Espaa consacr sa
rgion natale33. Valds simplifie la composition et pose la couleur lÕintrieur de formes
gomtriques pour suggrer en trompe-lÕÏil un recouvrement par des tessons de cramiques en
rfrence aux fabriques de Manises. Une fois encore, Valds puise un sujet dans lÕÏuvre de
32.
33.
Roco Carrin, ÒValds reinventa a Sorolla en el cartel del centenario de la Exposicin
RegionalÓ, abc.es, 24/02/2009.
Grupa valenciana, 254x185, Barcelone, Muse National dÕArt de Catalogne, 1908 et Valencia.
Las grupas, 351x301, New York, HSA, 1916.
A. Figures
348
Sorolla, sans pour autant sacrifier sa technique. Il dmontre ainsi que lÕart contemporain peut
sÕapproprier son Ïuvre.
A. Figures
349
n¡28. VUE SATELLITE DU MUSE SOROLLA DE MADRID, 12/04/2009.
Imagerie GeoEye. 2009!
Donnes cartographiques Google, Tele Atlas.
http://maps.google.fr/maps?utm_campaign=fr&utm_medium=ha&utm_source=fr-ha-emea-frbk-gm&utm_term=google%20map.
Le Muse Sorolla est situ dans le quartier de Chamber, au nord du centre historique de
Madrid, entre les rues Garca de Paredes, Zurbano, General Martnez Campos et Miguel çngel.
Dans lÕencadr, on distingue clairement les trois parties de la proprit cÕest--dire les jardins, la
maison qui occupe la moiti gauche du trapze et, au fond, les ateliers en galerie dont peut voir
les trois verrires. Au fil du dveloppement de la ville et de son urbanisation croissante, le
quartier sÕest transform et le Muse Sorolla se trouve aujourdÕhui encaiss entre des
immeubles construits sous le franquisme. Cette position rend trs difficile tout projet
dÕextension. LÕaggrandissement de muses existants est une pratique en vogue sur la
A. Figures
350
Òpromenade des artsÓ de Madrid, qui comprend tous les muses qui longent lÕavenue Paseo del
Prado et dont le dernier en date est lÕimpressionnant Caixa Forum (2007), situ au numro 36.
LÕextension du Muse Reina Sofa dessine par lÕarchitecte franais Jean Nouvel (1945) a
ouvert ses portes en octobre 2005 et celle du Muse du Prado, imagine par Rafael Moneo
(1937), a t inaugure le 30 octobre 2007. Dans le cas du Muse Sorolla, le projet passe par
lÕacquisition des appartements des immeubles collatraux. Il a t lanc en 2009, date des
premiers achats, mais il sÕtendra ncessairement sur une priode longue.
A. Figures
351
n¡29. AFFICHE PROMOTIONNELLE DU CIRCUIT SOROLLA, 2012.
Institucin Joaqun Sorolla de Investigacin y Estudios - CMCV - Generalitat Valenciana.
http://www.institucionsorolla.gva.es/es/publicaciones-e-investigacion/ruta-sorolla.html.
Le circuit Sorolla est un itinraire touristique permettant de dcouvrir vingt-neuf sites
valenciens voquant la vie et lÕÏuvre du peintre. Le projet a t financ par la Communaut
Autonome de Valence et sa ralisation a t confi lÕInstitut Joaqun Sorolla dÕtude et de
recherches. Voici les tapes de ce parcours :
1. Maison natale de J. Sorolla.
2. glise Sainte Catherine.
A. Figures
3. Rsidence de la famille Sorolla Bastida (1864-1865).
4. Foyer adoptif de Joaqun et Concha Sorolla Bastida depuis 1865.
5. Ancien emplacement de lÕcole des Artisans de Valence.
6.
cole des Artisans de Valence.
7. Centre El Carmen.
8. Atelier photographique et domicile de la famille Garca del Castillo.
9. Ancien emplacement de la Socit Rcrative El Iris.
10. Premier atelier de Joaqun Sorolla.
11. Deuxime atelier.
12. Escalones de la Lonja. Dcor de lÕÏuvre El grito del palleter.
13. glise San Martn.
14. Maison natale de Saint Vincent Ferrer. Dcor de lÕÏuvre Exvoto.
15. Maison muse Benlliure.
16. Mairie de Valence.
17. Cathdrale de Valence.
18. Place Redonda.
19. glise Saint Jean.
20. Palais de lÕExposition.
21. Casilicio de la Virgen de los Desamparados en el Puente del mar.
22. Cercle des Beaux-Arts de Valence.
23. Muse des Beaux-Arts de Valence.
24. Plage de la Malvarrosa. Maison muse Vicente Blasco Ibez.
25. Ancien Asile San Juan de Dios.
26. Maison dels bous.
27. Monument ÒValencia a SorollaÓ.
28. Cimetire Gnral de Valence.
29. Collection de peinture du Muse Lladr.
352
B. Annexes
353
B. A N N E X E S
1. Liste des expositions monographiques
Anne
Titre de lÕexposition
Lieu dÕexposition
Dates de
lÕexposition
Units
dition
dÕun
catalogue
Paris, Galerie Georges Petit.
12 juin - 10 juillet
497
!
Berlin, Galeries Schulte.
Dsseldorf, Galeries Schulte.
Cologne, Galeries Schulte.
3 fvrier - 1 mars
mars
avril
280
=
=
"
"
"
1906
Exposition Sorolla y Bastida
1907
Sorolla y Bastida
1908
Exhibition of Paintings by Sr.
Joaqun Sorolla y Bastida
Londres, Grafton Galleries.
4 mai - 4 juillet
278
!
1909
Joaqun Sorolla y Bastida at
The Hispanic Society of
America
New York, The HSA.
Buffalo , Fine Arts Academy.
Boston, Copley Society.
8 fvrier - 8 mars
19 mars - 10 avril
20 avril - 11 mai
356
201
201
!
!
"
1911
Joaqun Sorolla y Bastida
14 fvrier - 12 mars
20 mars - 20 avril
190
189
!
!
1924
Exposicin Sorolla
2 - 7 fvrier
12
"
16 novembre - 5
dcembre
49
!
Espaola.
Valence, Museo Municipal.
14 mai - 11 juin
108
!
Barcelone, Sala Pars.
31 janvier - 15
fvrier
33
!
juillet - aot
28
!
Chicago, The Art Institute.
Saint Louis, City Art Museum.
Madrid, Academia de Bellas Artes
de San Fernando.
1942
Sorolla. Su obra en el arte
espaol y sus obras en la
Argentina
1944
Sorolla
1948
Exposicin de cuadros del
gran pintor Joaqun Sorolla
(1863-1923), con motivo del
XXV aniversario de su muerte
1952
J. Sorolla y Bastida (18631923)
Buenos Aires, Institucin Cultural
Buenos
Aires,
Galerie
Wildenstein.
1953
Exposicin de Apuntes y
Dibujos de Joaqun Sorolla,
de la Coleccin de sus hijas
Mara y Elena
Madrid, Sala Toisn.
1 - 31 janvier
100
"
1958
Sorolla en el Crculo de
Bellas Artes. 46 jardines de
Sorolla
Madrid, Crculo de Bellas Artes.
3 - 15 octobre
46
!
1960
Exposicin homenaje a
Sorolla
Madrid, Crculo de Bellas Artes.
11 - 22 avril
10
"
1963
Sorolla. Pensionado de la
Diputacin
Valence, Palacio de la Generalidad.
27 fvrier - avril
19
!
Centenario de Sorolla
Valence, Ayuntamiento.
27 fvrier - avril
30
!
Primer centenario del
nacimiento de Sorolla
Madrid, Casn del Buen Retiro.
22 avril - mai
132
!
10 juillet - 2 aot
10
!
1965
Joaqun Sorolla (1863-1923)
Worcestershire, Broadway Art
B. Annexes
354
Gallery (Royaume-Uni).
Un siglo de arte valenciano.
IV. Joaqun Sorolla.
Exposiciones
Conmemorativas de las
Pensiones de Bellas Artes de
la Diputacin Provincial
Valence, Diputacin Provincial.
27 octobre - 14
nov.
19
!
1967
Joaqun Sorolla
Alicante, Aula de Cultura Altea.
27 juillet - 8 aot
36
"
1968
Joaqun Sorolla y Bastida
(1863-1923)
Madrid, Galera Theo.
19 novembre - 7
dcembre
[inc.]
!
1973
Exposicin Sorolla
Barcelone, Sala Pars.
10 - 22 mars
41
!
1974
Dibujos de Sorolla de la
coleccin Pons-Sorolla
22 octobre - [inc.]
!
[inc.]
180
=
=
=
=
=
=
Valence, Diputacin Provincial
[inc.]
[inc.]
Valence, Museo de Bellas Artes.
Sville, Museo de Bellas Artes.
Valladolid, Museo de Bellas Artes.
Bilbao, Museo de Bellas Artes.
Grenade, Hospital Real.
Barcelone, Palacio de la Virreina.
Madrid, Direccin General de Bellas
Artes.
[inc.]
[inc.]
[inc.]
[inc.]
[inc.]
1979
J. Sorolla
1982
El jardn de la Casa Sorolla
en la pintura de Sorolla
Madrid, Museo Sorolla.
[inc.]
24
!
1983
Sorolla
Tarrasa.
Barcelone.
Villanueva y Geltr.
mars - juin
[inc.]
[inc.]
!
30 janvier - 3 mars
31
!
15 octobre - 1 dc.
35/24
!
fvrier
15
!
New York, The HSA.
Saint Louis, City Art Museum.
San Diego, Museum of Art.
Valence, IVAM.
mars - mai
juin - aot
aot - octobre
novembre - janvier
97
=
=
=
!
1985
Els Sorolla de lÕHavana.
Col.lecci del Museo
Nacional de Bellas Artes de
Cuba
Sorolla - Solana
Valence, Centre de la Caixa de
[inc.]
lÕEstalvis.
Lige, Salle Saint Georges.
1986
Joaqun Sorolla y Bastida
(1863-1923)
1989
Sorolla an 80th anniversary
exhibition
1991
Frn tv hav. Zorn och
Sorolla
Stockholm, Nationalmuseum.
7 nov. - janv.
53/61
!
1992
Sorolla, el pintor de la luz
Mxico, Museo de San Carlos.
dcembre -fvrier
[inc.]
!
Sorolla en Guipuzkoa
Saint Sbastien, Sala Kutxa.
avril - septembre
55
!
4 mars - 3 mai
61/53
!
[inc.]
[inc.]
"
1/04 au 19/01
51
!
Sorolla - Zorn
1993
Sorolla
Madrid, Galera Jorge Juan.
Madrid, Museo Sorolla.
La Havane, Museo Nacional de
Bellas Artes.
1994
Sorolla en Andaluca
Sville, Hospital de los Venerables
Sacerdotes.
B. Annexes
355
[inc.]
!
21 mars - 30 avril
dcembre - janvier
175
!
Madrid, Fundacin Cultural Mapfre.
novembre - janvier
81
!
Sorolla. Fondos del Museo
Sorolla (suite et fin)
Andorre la Vieille,
òbeda, Hospital de Santiago
janvier
octobre - novembre
[inc.]
Sorolla. Pequeo Formato
(suite)
Bogota, Museo de Arte Moderno
Valladolid, Teatro Caldern
Palencia, Sala Caja Espaa
fvrier - mars
novembre
dcembre
175
?
Oviedo, CAMCO
9 mai - 2 juin
70
!
mars - avril
26
!
janvier
fvrier
mars
avril - mai
mai - juin
juin
175
Sorolla. Fondos del Museo
Sorolla
1995
Sorolla. Pequeo Formato
Vigo, Caixavigo.
La Corogne, Kiosko Alfonso.
Santander, Fundacin M. Botn.
Vitoria, Caja Vital Kutxa.
Pamplune, Planetario.
Barcelone, La Pedrera.
mai - juin
juillet - aot
aot - septembre
septembre - oct.
novembre - dc.
dcembre Ð janvier
Saragosse, Centro Ibercaja.
Valence, Fundacin Bancaja.
Murcie, Sala San Esteban.
Logroo, Sala Ams Salvador.
Alicante, Llotja del Peix.
Valladolid, Museo de la Pasin.
Grenade, Museo de Bellas Artes.
janvier - mars
mars - avril
avril - mai
mai - juillet
juillet - aot
septembre
novembre - janvier
Valence, Edificio del Reloj.
Castelln de la Plana, Centro
Sant Miquel.
Joaqun Sorolla (1863-1923)
1996
J. Sorolla y la cornisa
cantbrica
Sorolla y el Mediterrneo
Palma de Majorque, Fundacin
Barcel
1997
Sorolla. Pequeo Formato
(suite et fin)
Zamora, Centro Caja Espaa
Salamanque, Sala La Salina
Len, Centro Caja Espaa
Vigo, Caixavigo
Pontevedra, Museo Provincial
Ourense, Museo Municipal
St Jacques de Compostelle,
Igrexada Universidade
La Corogne, Ayuntamiento
Lugo, [inc.]
Aranjuez, Centro Isabel Farnesio
Joaqun Sorolla y Bastida
Salamanque, Sala Caja de Ahorros
juillet - aot
aot - septembre
septembre - oct.
octobre - nov.
14 fvrier - 10 avril
66
!
mai - juillet.
juillet - sept.
45
!
de Salamanca y Soria
Paisajes de Granada de
Joaqun Sorolla
Grenade,
Fundacin
Rodrguez
Acosta
Valence, Museo de la Ciudad
Sorolla (1863-1923)
Caracas, Museo de Bellas Artes
septembre - oct.
60
!
Sorolla en las colecciones
valencianas
Valence, Museo de Bellas Artes
3 mars - 20 avril
[inc.]
!
Bilbao, Museo de Bellas Artes.
19 dcembre - 22
36/36
!
Sorolla - Zuloaga, dos
B. Annexes
356
visiones para un cambio de
siglo
1998
Sorolla Zuloaga
Sorolla (1863-1923) (suite)
J. Sorolla a Xbia
1999
2000
fvrier
8 avril - 28 juin
=
!
Bogota, Museo Nacional34.
Santiago du Chili, CTC.
La Paz, Museo Nacional.
Lima, Museo de Bellas Artes.
fvrier - mars
septembre - oct.
juillet - aot
17 septembre - 18
octobre
60
=
=
58
!
!
Jvea, Espai dÕArt A. Lambert.
17 juillet - 30 aot
43
!
4 novembre - 17
janvier
93
!
5 novembre - 31
janvier
131
!
fvrier - mai
mars - avril
93
=
Valence, Museo del siglo XIX.
New York, The Spanish Institute.
20 juin - 3 sept.
27 novembre - 21
octobre
61/59
=
!
Orense, Aula Caixanova.
Pontevedra, Sala G. Mendoza.
Lugo, Museo Provincial.
14 sept. - 29 oct.
novembre - dc.
dcembre - janv.
69
=
=
!
Saragosse, Centro Ibercaja.
Logroo, Sala Ams Salvador.
Torren de Lozoya (Sgovie).
Las Palmas de Grande
Canarie, C.I.C.C.A.
Huelva, Fundacin El Monte.
Badajoz, MEIAC.
24 janv - 14 avril
27 avril - 2 juin
14 juin - 19 aot
septembre - octobre
17 oct. - 18 nov.
novembre - janv.
69
=
=
Rio de Janeiro, Museo Nacional.
14 novermbre - 31
dcembre
59
!
Valence, Museo del Siglo XIX.
26 novembre - 15
mai
70
!
Madrid, Fundacin Mapfre Vida.
Sorolla y la Hispanic Society.
Una visin de la Espaa de
entresiglos
Madrid,
Sorolla y su visin de Espaa:
Dibujo
Madrid, Museo Sorolla.
Sorolla y la Hispanic Society.
Una visin de la Espaa de
entresiglos (suite et fin)
Valence, Museo de Bellas Artes.
La Corogne, Fundacin Barri de
Mariano Benlliure y Joaqun
Sorolla: Centenario de un
homenaje
Sorolla paisajista
2001
Sorolla paisajista (suite)
Sorolla no Brasil
El Museo Sorolla visita
Valencia
Museo
Thyssen
Bornemisza.
la Maza.
=
=
=
2002
Sorolla paisajista (suite et
fin)
Grone, Centro Cultural La Caixa.
Valence, Edificio del Reloj.
Castelln, Sala San Miguel.
Alicante, Palacio Gravina.
Albacete, CCM.
Cologne, Wallraf Richartz Museum.
janvier - 2 mars
13 mars - 2 mai
mai - juin
juillet - aot
4 - 30 septembre
19 octobre - 5
janvier
69
=
=
=
=
=
2003
Sorolla y Castilla
Talavera de la Reina, Centro
6 mai - 4 juin
25 sept. - 29 oct.
6 nov. - 8 dc.
45
Cultural San Prudencio.
Cuenca, Casa Zavala.
34.
!
n
=
Ë Bogota, cette exposition fut prsente sous le titre Sorolla en Gran Formato car la capitale
colombienne venait dÕaccueillir lÕexposition Sorolla. Pequeo Formato. En 2001, Rio de
Janeiro, elle reut un autre titre : Sorolla no Brasil.
B. Annexes
357
Ciudad
Real,
Museo
Lpez
12 dc. - 25 janv.
Vilaseor.
=
Tolde, Museo de Santa Cruz.
2004
Sorolla ntimo
Sta. Cruz de Tenerife, Museo
144
Mlaga, Museo de Bellas Artes.
Cceres, Museo de Historia.
6 - 31 octobre
10 nov. - 8 dc.
15 dc. - 6 janv.
çvila, Palacio de los Serranos.
20 janv. - 29 fv.
48
Cordoue, Sala Vincorsa.
Jan, Museo de Bellas Artes.
Grenade, Centro Gran Capitn.
14 janv. - 13 fv.
16 fv. - 14 mars
30 mars - 23 avril
144
=
=
25 mai - 8 aot
50
27 janv. - 6 mars
11 mars - 28 avril
5 - 29 mai
45
=
=
Municipal.
Sorolla y Castilla (suite)
2005
Sorolla ntimo (suite et fin)
Sorolla en Mxico
=
Mxico, Museo Nacional de San
!
=
=
!
!
Carlos.
Sorolla y Castilla (suite)
Murcie, Palacio de Almudn.
Aranjuez, Centro Isabel
de
Farnesio.
Madrid, Casa de Vacas.
2006
Sorolla y sus contemporneos
Castelln, Sala San Miguel
30 nov. - 22 janvier
15/35
!
Sorolla y la otra imagen en la
coleccin de fotografa
antigua del Museo Sorolla
Valence, Centro del Carmen.
6 novembre - 7
janvier
155
!
phot.
Sorolla y sus contemporneos
(suite)
Murcie, Museo de Bellas Artes.
Santiago, Fundacin Caixa Galicia.
Sargent y Sorolla
27 janv. - 26 mars
21 avril - 6 juillet
15/35
3 octobre - 7
janvier
55/50
Paris, Petit Palais.
15 fvrier - 13 mai
45/48
Madrid, Muse Sorolla.
25 janvier - 25 mai
Madrid,
Museo
Thyssen
Bornemisza.
2007
Sargent et Sorolla, peintres de
la lumire
Sorolla y la otra imagenÉ
(suite)
Joaqun Sorolla en el Museo
de Bellas Artes de Cuba
Cartas de Sorolla a Pedro
Gil-Moreno de Mora
La casa Sorolla. Dibujos
Blasco Ibez y Sorolla
inventaron la Malvarrosa
2008
155
La Havane, Museo Nacional.
Valence, Museo de Bellas Artes.
19 janvier - 23 avril
26 mars - 20 mai
30
"
275
!
lettres
Madrid, Muse Sorolla.
Valence, Museo Blaco Ibez.
11 juin - 14 octobre
84
!
1 - 30 juin
24
"
7 novembre - 31
mars
14
!
17 janvier - 14
mars
5
!
Valence, Centro Cultural Bancaja.
Joaqun Sorolla en lÕescola
dÕartesans de Valncia
Valence, Escola dÕartesans.
Sorolla. Visiones de Espaa
(suite)
Sville, Museo de Bellas Artes.
Malaga, CAC.
Bilbao, Museo de Bellas Artes.
24 avril - 29 juin
18 juil. - 21 sept.
13 oct. - 18 janv.
14
=
=
Valladolid, Sala de la Pasin.
Salamanque, Casa Lis.
28 fv. - 12 avril
17 avril - 1 juin
45
=
Burgos, Centro Cultural Cordn.
15 mai - 27 juillet
118
Sorolla
!
phot.
Sorolla. Visiones de Espaa
Sorolla y Castilla (suite)
!
!
B. Annexes
358
Sorolla y sus contemporneos
(suite)
20 avril - 6 sept.
15/31
15 juil. - 31 aot
19 sept. - 23 nov.
15 octobre - 15
novembre
=
=
=
20 fvrier - 3 mai
30 sept. - 28 janv.
14
=
6 mai - 10 juin
21 oct. - 22 nov.
15/31
Madrid, Museo Sorolla.
12 mai - 13
septembre
33
!
Madrid, Museo Nacional del Prado.
26 mai - 6
septembre
102
!
Gandia, Casa de Cultura Marqus de
8 juil. - 29 aot
[inc.]
"
1 octobre - 31
janvier
14/1
!
St Jacques de Compostelle,
Fundacin Caixa Galicia.
Malaga, Sala Unicaja.
Cadix, Castillo de Santa Catalina.
Albacete, Museo Municipal.
2009
Sorolla. Visiones de Espaa
(suite)
Sorolla y sus contemporneos
(suite)
Sorolla y su idea de Espaa:
estudios preparatorios para
la Hispanic Society of
America
Joaqun Sorolla
Visin de Espaa. Estudios
previos. Coleccin de la
Hispanic Society of America
Dilogos: Sorolla &
Velzquez
Barcelone, MNAC.
Valence, Centro Cultural Bancaja.
Cordoue, Museo Etnolgico.
Huelva, Museo Provincial.
Gonzlez de Quirs.
Madrid, Museo Sorolla.
B. Annexes
359
2. Rsultats des dernires ventes par adjudication35
Anne
Date
Titre du tableau
Prix en ptas.
Prix en !
Lieu
1981
28 mai
Triste herencia
22.000.000
New York.
1984
mars
La vuelta de la pesca
12.000.000
Londres.
1987
9 avril
Nios jugando en la playa
5.500.000
Madrid, Durn.
8 juin
Pescador valenciano
18.000.000
Madrid, Durn.
1988
fvrier
Familia campesina de Benimamet
14.000.000
Madrid, Durn.
1989
24 oct.
Familia segoviana
84.000.000
New York, SothebyÕs.
Playa de Valencia
42.000.000
Retrato de don Diego de Alvear
9.000.000
Retrato
7.600.000
1990
14 fv.
Londres, ChristieÕs.
1993
24 juin
Estudio para Sol de la tarde
162.000.000
Londres, ChristieÕs.
1997
10 mai
Clotilde y Elena en las rocas
181.500.000
New York, ChristieÕs.
22 mai
A la orilla del mar
43.878.800
New York, ChristieÕs.
5 mai
Sol de la tarde
145.282.300
New York, ChristieÕs.
6 mai
Playa de Biarritz
10.371.400
New York, ChristieÕs
18 juin
La odalisca
33.688.376
Londres, ChristieÕs
1999
avril
El pillo de playa
116.240.000
2000
mars
Moro con naranjas
26.000.000
Londres, SothebyÕs.
avril
Retrato de Da. Isaura Zaldo
Arana
32.000.000
Madrid, Ansorena.
avril
Pescadora. Playa de Valencia
18.000.000
Madrid, Durn
22 nov.
Nia en la playa del Cabaal
160.000
Sville, AIG.
4 dc.
Desnudos en patio o plaza
274.000
Londres, ChristieÕs
Mondando patatas
247.644
1998
2002
2004
18 nov.
5.200.000
Londres, SothebyÕs
En la playa de Valencia
683.939
Londres, ChristieÕs
Baile valenciano en la huerta
572.000
Madrid, ChristieÕs
16 nov.
Arreglando las redes
492.650
Londres, SothebyÕs
17 nov.
La playa. Biarritz
195.738
Londres, ChristieÕs
14 juin
Playa de Biarritz
141.848
Londres, ChristieÕs
Nia en la playa
322.635
Nios en el mar
1.179.287
2005
2006
5 oct.
La hora del bao
Sville, AIG.
Bacante
35.
229.181
Grille ralise partir des archives de presse du Muse Sorolla, cartons n¡XXV n¡XXXII.
B. Annexes
2007
7 nov.
Mara mirando los peces
26 juin
Puerto de Valencia
Nia en la playa
22.800
186.860
Londres, ChristieÕs
ÁQue te come!
264.250
Madrid, ChristieÕs
Apunte de la playa de Valencia
144.250
Remendando las redes
336.250
3 octobre
2008
4 janvier
7 mai
2009
360
2.552.000
New York, SothebyÕs
Nios en el mar
1.236.080
Londres, ChristieÕs
Las tres velas
2.974.000
New York, SothebyÕs
2 juillet
La playa de Valencia
726.757
Londres, ChristieÕs
21 janv.
Dando cuerda
59.278
Londres, ChristieÕs
Barcos en la playa de Valencia
159.852
3 juin
Nia entrando en el bao
Estudio en la playa
1.900.000
141.000
Londres, SothebyÕs
B. Annexes
361
3. Table de traduction des Ïuvres cites36
ÁAn dicen que el pescado es caro! o
ÁY an dicen que el pescado es caro!
Et lÕon dit que le poisson est cher ! [R.D.]
Barcos en el puerto con fondo de edificios
Bateaux au port sur fond de maisons
Boulevard de Pars
Boulevard de Paris
Chicos en la playa
Enfants sur la plage
Clotilde con los hijos
Clotilde avec les enfants
Clotilde con traje de noche
Clotilde en robe du soir
Clotilde con traje gris
Clotilde en robe grise
Clotilde leyendo un diario
Clotilde lisant un journal
Clotilde y Elena en las rocas
Clotilde et Elena sur les rochers
Comiendo en la barca
Dner bord [R.D.]
Cosiendo la vela
Cousant la voile [R.D.]
Despus del bao
Aprs le bain
Despus del bautizo, Valencia
Aprs le baptme. Valence
Da de Reyes
piphanie
El algarrobo
Le caroubier
El balandrito
Le petit bateau
El bao del caballo
Le bain du cheval
El beso de la reliquia
Baisant la relique [R.D.]
El bote blanco
Le canot blanc [R.D.]
El dos de mayo. Defensa del Parque de Artillera
de Madrid el da del 2 de mayo de 1808.
Le deux mai. Dfense du Parc dÕArtillerie Madrid
le 2 mai 1808 [R.D.]
El entierro de Cristo
LÕenterrement du Christ
El grito del palleter
Le cri du palleter
El pillo de playa
Le galopin de la plage [S.S.]
El patio del Instituto
La cour de lÕcole
Elena en la playa
Elena sur la plage
En la costa de Valencia
Sur la cte de Valence
Escena de puerto
Scne de port
Joaqun en el laboratorio
Joaqun dans le laboratoire
Jugando en el agua
En jouant dans lÕeau
Grupa valenciana
En croupe la valencienne [R.D.]
36.
Sauf indication contraire, les traductions sont de lÕauteur. Les abrviations [R.D.] et [S.S.]
correspondent respectivement : Rafael Domnech, Sorolla, sa vie et son Ïuvre, Madrid,
Vilanova y Geltr-Oliva, 1910 et Sargent / Sorolla, Paris, Petit Palais muse des Beaux-Arts de
la ville de Paris, 2006.
B. Annexes
362
Instantnea
Instantann
La bata rosa
La robe rose [S.S.]
La bendicin de la barca
La bndiction du bateau [R.D.]
La caleta
La crique
La hora del bao
LÕheure du bain
La jura de la Constitucin por la regente
Da. Mara Cristina
Le serment la Constitution de la rgente Marie
Christine
La preparacin de la pasa. Jvea
La prparation des raisins secs. Jvea
La Regencia
La Rgence
La siesta
La sieste
La vuelta de la pesca
Le retour de la pche
Las tres velas
Les trois voiles
Madre
Mre
Mara con la sierra al fondo
Mara sur fond de montagne
Mara mirando los peces
Mara regardant les poissons
Mi familia
Ma famille
Mi mujer y mis hijos
Ma femme et mes enfants
Mis hijos
Mes enfants
Moro con naranjas
Vendeur dÕoranges
Nadadores. Jvea
Nageurs. Jvea
ÁOtra Margarita!
Une autre Marguerite [R.D.]
Paseo a orillas del mar
Promenade au bord de la mer [R.D.]
Pescadores valencianos
Pcheurs valenciens
Playa de Valencia
Plage de Valence
Renovacin
Renouveau
Rogaciones en Burgos en el siglo XVI
Une rogation Burgos au XVIe sicle [R.D.]
Saltando a la comba
En sautant la corde
Sol de la tarde
Soleil du soir [R.D.]
Tipos aragoneses
Types aragonais
Tipos de Salamanca
Types de Salamanque
Tipos regionales castellanos
Types rgionaux castillans
Tipos regionales de çvila
Types rgionaux dÕçvila
Tipos regionales de Segovia
Types rgionaux de Sgovie
Tipos regionales de Soria
Types rgionaux de Soria
Tipos regionales del Roncal
Types rgionaux du Roncal
Tipos regionales del Valle de Ans
Types rgionaux de la valle de Ans
Trata de blancas
Traite des blanches [S.S.]
Triste herencia o Los hijos del placer
Triste hritage ou Les enfants du plaisir
Una investigacin
Une exprience [S.S.]
B. Annexes
363
Una mujer desnuda
Nu fminin
Veleros en el mar
Voiliers en mer
Verano
t
Visin de Espaa
Vision dÕEspagne
- La fiesta del pan (Castilla)
- La fte du pain (Castille)
- Los nazarenos (Sevilla)
- Les nazarens (Sville)
- La jota (Aragn)
- La jota (Aragon)
- El consejo del Roncal (Navarra)
- Le conseil du Roncal (Navarre)
- Los bolos (Guipzcoa)
- Le jeu de boules (Guipzcoa)
- El encierro (Andaluca)
- La mise au toril (Andalousie)
- El baile (Sevilla)
- La danse (Sville)
- Los toreros (Sevilla)
- Les toreros (Sville)
- La romera (Galicia)
- Le plerinage (Galice)
- La pesca (Catalua)
- La pche (Catalogne)
- Las grupas (Valencia)
- Les cavaliers (Valence)
- El mercado (Extremadura)
- Le march (Extremadoure)
- El palmeral (Elche)
- La palmeraie (Elche)
- La pesca del atn (Ayamonte)
- La pche au thon (Ayamonte)
C. Bibliographie
C. B I B L I O G R A P H I E
1.
Archives Gnrales de lÕAdministration
2.
Archives de lÕAcadmie Royale des Beaux-Arts de San Fernando
3.
Archives du Muse Arquologique National
4.
Archives du Centre de Documentation Touristique Espagnol
5.
Archives de correspondance du Muse Vicente Blasco Ibez
6.
Archives de correspondance du Muse Sorolla
7.
Archives de Presse du Muse Sorolla
8.
Articles de presse hors APMS
9.
Catalogues des expositions monographiques
10.
Monographies
11.
Autres ouvrages consults
12.
Articles issus dÕun ouvrage collectif
13.
Sites internet
364
C. Bibliographie
1.
Archives Gnrales de lÕAdministration (Alcal de Henares)
EC. 31/6829
Exposition Nationale des Beaux-Arts.
EC. 31/6836
Exposition Nationale des Beaux-Arts.
EC. 31/6839
Exposition Nationale des Beaux-Arts.
2.
Archives de la Royale Acadmie des Beaux-Arts de San Fernando (Madrid)
5-146-6
Candidature de Joaqun Sorolla y Bastida.
5-175-12
Acquisitions.
3.
2007/123/4
365
Archives du Muse Arquologique National (Madrid)
Billet de 25 pesetas ÒPescadoras valencianasÓ, 1936.
4.
Archives du Centre de Documentation Touristique Espagnol (Madrid)
61-03 R.858
Affiche ÒJ. Sorolla, SpanienÓ, 1961
M 15325-1990
Affiche ÒEspaa. Todo (nuevo) bajo el solÓ, 1990.
98-08 R.56
Affiche ÒEspaa, playasÓ, 1998.
5.
Archives de correspondance du Muse Vicente Blasco Ibez (Valence)
Lettres de J. Sorolla V. Blasco Ibez de 1902 1912.
6.
Archives de correspondance du Muse Sorolla (Madrid)
I.1 / 142
Lettres dÕAlphonse XIII J. Sorolla.
X.1 / 67
Lettres de V. Blasco Ibez J. Sorolla.
LVI.1 / 176
Lettres du marquis de Viana J. Sorolla
7.
Archives de Presse du Muse Sorolla (Madrid)
En accord avec le directeur de la thse, le catalogue indit tabli par mes soins, recensant les
rfrences compltes des 4.068 articles conservs au sein de la collection de presse du Muse
Sorolla, est tenu confidentiel dans la perspective dÕune ventuelle publication. Les articles
mentionns ci-dessous nÕen font pas partie et ils proviennent de la collection particulire de
lÕauteur.
C. Bibliographie
366
8. Articles de presse hors APMS
ACEBAL, Francisco, ÒSorollaÓ, La Vanguardia, Barcelone, 1904.
ANONYME, ÒNuevo Centro de investigacin y
http://www.arteylibertad.org/, Valence, 10/2009.
estudios Joaqun
Sorolla BastidaÓ,
! ÒCuadros para la exposicin de MadridÓ, Las Provincias, Valence, 5/04/1881.
! ÒLes souverains d'Espagne au chteau de La GranjaÓ, L'Illustration, Paris, 27/07/1907.
! ÒDetalles del fallecimiento de Joaqun SorollaÓ, ABC, Madrid, 12/08/1923.
! ÒValenciaÓ, ABC, Madrid, 29/12/1908.
! ÒLas medallas de honor en la exposicin de ParsÓ, ABC, Madrid, 8/07/1900.
! ÒExposicin de bellas artes de 1899Ó, ABC, Madrid, 13/05/1899.
! ÒDe palacioÓ, ABC, Madrid, 30/12/1908.
! ÒJavier Tusell, ms all de la historiaÓ, http://www.elmundo.es/, Madrid, 10/02/2005.
! ÒVoici le plus grand collectionneur priv du mondeÓ, Paris Match, Paris, 5/09/2010.
BAEZA, Almudena, ÒExposicin. De Sorolla al Equipo CrnicaÓ, http://www.elmundo.es/,
Madrid, 15/09/2005.
BARCIELA, Fernando, ÒAntiguos, caros y en buen estadoÓ, El Pas, Madrid, 25/06/2006.
BENAVENTE, Jacinto, ÒLa poltica y los intelectuales I.Ó, ABC, Madrid, 30/09/1930.
! ÒLa poltica y los intelectuales II.Ó, ABC, Madrid, 1/10/1930.
BLASCO IBçEZ, Vicente, ÒEl gran SorollaÓ, El Pueblo, Valence, 9/06/1900.
CALLEJA, Juan Luis, ÒComo catecumenosÓ, ABC, Madrid, 3/07/1965.
CALVO SERRALER, Francisco, ÒJoaqun Sorolla, la otra Cara del 98Ó, El Pas, Madrid,
25/11/1995.
CILLA, Ramn, ÒInstantneas. Joaqun SorollaÓ, Madrid Cmico, 25/05/1895.
ENCINA, Juan de la, (Ricardo Gutirrez Abascal), ÒSorollaÓ, La Voz, Madrid, 17/08/1923.
F. S., ÒCultura crea un centro de investigacin sobre SorollaÓ, El Pas, Madrid, 20/10/2009.
FERNANFLOR (Isidoro Fernndez Flores), ÒExposicin de Bellas Artes. Cuadros histricosÓ, La
Ilustracin Espaola y Americana, Madrid, 22/06/1884.
! ÒExposicin Nacional de Bellas ArtesÓ, La Ilustracin Espaola y Americana, Madrid,
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C. Bibliographie
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UNAMUNO, Miguel de, ÒDe Arte PictricaÓ, La Nacin, Buenos Aires, 21/07/1912.
! ÒDe Arte PictricaÓ, La Nacin, Buenos Aires, 8/08/1912.
VALLE-INCLçN Ramn Mara del, ÒNotas de la exposicin de bellas artes de 1908. Un pintorÓ,
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VEGUE Y GOLDONI, çngel, Òtitre inconnuÓ, La Voz, Madrid, 1/11/1932.
VIDAL CORELLA, Vicente, ÒLa casa del fotgrafo Antonio Garca. Donde Sorolla fue retocador
de retratosÓ, Las Provincias, Valence, 20/08/1961.
C. Bibliographie
9.
368
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MS G2726
Dilogos : Sorolla & Velzquez, Madrid, Ministerio de Cultura, 2009.
MS D147
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MS G666
El jardn de la Casa Sorolla en la Pintura de Sorolla, Madrid, Museo Sorolla, 1982.
MS D262
El Museo Sorolla visita Valencia, Valence, Bancaja, 2001.
MS G676
Els Sorolla de lÕHavana, Valence, Generalitat Valenciana, 1985.
MS D137
Exhibition of Paintings by Sr. Joaqun Sorolla y Bastida, Londres, Grafton Galleries, 1908.
Coll. part.
Exposicin de Apuntes y Dibujos de Joaqun Sorolla, de la Coleccin de sus hijas Mara y Elena,
Madrid, Saln de Exposiciones Toison, 1953.
Coll. part.
Exposicin de cuadros del gran pintor Joaqun Sorolla (1863-1923), con motivo del XXV
aniversario de su muerte, Barcelone, Sala Pars, 1948.
Coll. part.
Exposicin Sorolla, La Havane, Museo Nacional, 1971.
MS P8
Exposition Sorolla y Bastida, Paris, Imprimerie Georges Petit, 1906.
MS. D130
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Coll. part.
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Coll. part.
J. Sorolla, Barcelone, Ajuntament de Barcelona, 1983.
Coll. part.
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Coll. part.
J. Sorolla y Bastida (1863-1923), Buenos Aires, Wildenstein, 1952.
MS F50
J. Sorolla y Bastida (1863-1923), Madrid, CB Galera de Arte, 1986.
MS D125
Joaqun Sorolla 1863-1923, Madrid, Mapfre, 1995.
MS P21
Joaqun Sorolla, Saint Louis, City Art Museum of Saint Louis, 1911.
MS P11
Joaqun Sorolla (1863-1923), Worcestershire (RU), Broadway Art Gallery, 1965.
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C. Bibliographie
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Sorolla, el pintor de la luz, Mxico, Museo de San Carlos, 1992.
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Sorolla en el Crculo de Bellas Artes. 46 jardines de Sorolla, Madrid, Crculo de Bellas
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Sorolla en Guipuzkoa, San Sbastien, Fundacin Kutxa, 1992.
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Sorolla en Mxico, Mxico, Ministerio de Cultura, 2005.
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Sorolla y Castilla, Madrid, CCM, 2003.
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Sorolla y el Mediterrneo, Madrid, Ministerio de Cultura, 1996.
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Sorolla y Zuloaga. Dos visiones para un cambio de siglo, Bilbao, BBK, 1997.
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Sargent / Sorolla, Madrid, Turner, 2006.
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Diputacin provincial. IV. Sorolla, Valence, Diputacin Provincial de Valencia, 1965.
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BURKE, Marcus et MULLER, Priscilla, Sorolla. The Hispanic Society, New York, HSA, 2004.
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ECHEVARRêA, Rosa, Sorolla, Madrid, Sarpe, 1979.
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FAERNA GARCêA-BERMEJO, Jos Mara, Joaqun Sorolla, Barcelone, Polgrafa, 1995, rd.
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GALLEGO ESTARELLES, Carmen (sous la dir. de -), Una forma de leer la pintura de Sorolla,
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GARCêA SçNCHEZ, Laura, Enciclopedia ilustrada. Sorolla, Madrid, Susaeta, 2009.
MS D127
GARêN ORTIZ DE TARANCO, Felipe Mara, La visin de Espaa de Sorolla, Valence,
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GARêN, Felipe et TOMçS, Facundo, Joaqun Sorolla (1863-1923), Madrid, tf, 2006.
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MS D121
GIL, Rodolfo, Sorolla, Madrid, Senz de Jubera, 1913.
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D. Index des noms de personnes
393
D. I N D E X D E S N O M S D E P E R S O N N E S
Abrzuza, Felipe, 60, 144.
Abril, Manuel, 122, 186, 187.
Azorn, 58, 60, 77, 118, 127.
Azzati, Flix, 80, 84, 136, 187, 205.
Acebal, Francisco, 73, 132.
Acevedo, Evaristo, 215, 217.
Adsuara, Juan, 177.
Agrasot, Joaqun, 150, 158.
Aguayo, Fermn, 228.
Aguilera Cerni, Vicente, 232.
Alcntara, Francisco, 37, 72, 103.
Alcal Galiano, çlvaro, 144.
Alcal Zamora, Niceto, 172, 181, 192.
Alfaro Moreno, Vicente, 167, 187, 320.
Alma Tadema, Lawrence, 61.
Almela y Vives, Francisco, 167.
Alphonse V le Magnanime, 198.
Alphonse X le Sage, 215.
Alphonse XII, 31, 32, 52, 99.
Alphonse XIII, 19, 28, 87, 90, 93, 94, 98, 105,
113, 118, 119, 125, 128, 135, 138, 151, 164,
171, 179, 181, 251, 257, 291.
Altamira, Rafael, 66, 118.
çlvarez Capra, Lorenzo, 56.
çlvarez Catal, Luis, 86.
çlvarez de Sotomayor, Fernando, 227.
Amrigo, Francisco Javier, 42.
Andreu, Teodoro, 140, 144, 158, 159.
Anglada-Camarasa, Hermenegildo, 127, 139,
263.
Arana, Lucrecia, 106.
Artal, Jos, 81.
Artola, Miguel, 107.
Aspiroz, Jos Mara, 192.
Aymam, Federico, 150.
Azaa, Manuel, 178, 179, 180, 181, 182, 183,
184, 192, 196, 250, 315.
Azcaoga, Enrique, 204.
Azcrate, Gumersindo de, 118.
Azcrraga, Adolfo de, 152.
Bachoud, Andre, 194.
Bacon, Francis, 238.
Balmes, Jaime, 215.
Ballester y Gozalvo, Jos, 165.
Ballester Soto, Vicente, 108.
Barber, Rita, 294.
Barber Masip, Vicente, 191.
Barbern, Cecilio, 204.
Barcena, Catalina, 179, 257.
Baroja, Po, 16, 46, 76, 118, 122, 128, 252.
Baroja, Ricardo, 77, 122.
Bastida, Mara Concepcin, 33.
Bastien-Lepage, Jules, 35, 37, 43, 47, 72, 290,
291.
Battenberg, Victoria Eugenia de, 93, 95, 98,
105, 118.
Baumeister, Wili, 228.
Baviera, Jos Eugenio de, 222.
Baxandall, Michael, 12, 13.
Beaux, Cecilia, 153.
Beltrn, Federico, 45.
Benavente, Jacinto, 118.
Bndite, Lonce, 71.
Benedito Vives, Manuel, 118, 126, 144, 145,
149, 150, 154, 158, 159, 165, 171, 186, 227,
236.
Benet, Manuel, 233.
Benlliure Gil, Jos, 39, 75, 77, 118, 139, 150,
153, 158, 188.
Benlliure Gil, Mariano, 12, 54, 56, 75, 86, 87,
106, 109, 118, 127, 149, 150, 153, 157, 160,
165, 166, 167, 171, 177, 187, 191, 215, 319,
327.
Benlliure Ortiz, Jos, 45 , 77, 144, 159.
Berenguer, Dmaso, 171.
Bermejo, Jos, 144.
D. Index des noms de personnes
Beruete, Aureliano de, 19, 26, 35, 45, 59, 62,
70, 74, 99, 106, 107, 118, 139, 158, 162, 196,
201.
Berruguete, Pedro, 223.
Besnard, Albert, 72.
Bilbao, Gonzalo, 60, 139.
Blasco, Ricardo, 75, 105.
Blasco Ibez, Sigfrido, 187, 189, 196.
Blasco Ibez, Vicente, 15, 16, 55, 61, 62, 63,
65, 72, 73, 75, 76, 78, 79, 80, 81, 83, 85, 87,
106, 118, 129, 130, 131, 133, 134, 135, 181,
187, 199, 226, 240, 279, 291, 304, 305, 346.
Blay, Miguel, 56, 107, 118, 175.
Bcklin, Arnold, 122.
Boix Alvrez, Manuel, 273.
Boldini, Giovanni, 123.
Boln, Luis Antonio, 216.
Bolvar, Ignacio, 177.
Bonafoux, Luis, 44.
Bonnat, Lon, 46, 70, 82.
394
Cantelly, Juan, 24.
Capa, Robert, 213.
Capuz, Cayetano, 33, 313.
Capuz, Jos, 166, 171, 177, 313.
Cardona, Juan, 45.
Carreres Bayarri, Gerardo, 179.
Casado del Alisal, Jos, 32, 54.
Casas, Ramn, 60, 61, 125, 126, 144, 145, 238.
Casagemas, Carlos, 144.
Castro, Fidel, 250.
Castrovido, Roberto, 80, 81, 83, 129, 157, 172.
Castelar, Emilio, 54.
Causars Casaa, Ricardo, 167.
Cava, Mariano de, 37, 64.
Cebrin, Gregorio, 231.
Cervantes, Miguel de, 215, 290.
Czanne, Paul, 131, 238, 252.
Charles, tienne, 92.
Bores, Francisco, 156.
Charles III dÕEspagne, 34.
Borja-Villel, Manuel, 269.
Charles Quint, 182, 215.
Boronat, Carlos, 201.
Bouguereau, William, 143
Bourbon, Isabelle de, 93.
Braque, Georges, 175, 255.
Breton, Andr, 156, 318.
Bretn, Toms, 87, 118.
Bro#k, Vclav, 43.
Buenda, Rogelio, 247.
Burgueo, Mara Jess, 149.
Checa, Ulpiano, 74.
Chicharro, Eduardo, 140, 144, 145, 146.
Chillida, Eduardo, 249.
Cilla, Ramn, 42, 303, 304.
Cintora Prez, Jos, 72, 80, 83.
Clars, Alfredo, 147.
Clausen, George, 43.
Codding, Mitchell A., 263, 278.
Colomer, Jos, 151.
Burke, Marcus, 263, 284.
Coms y Blanco, Augusto, 60, 75.
Burn, Javier, 263.
Comfort Tiffany, Louis, 185.
Conde y Luque, Rafael, 55.
Cabanel, Alexandre, 43, 172.
Caillebotte, Gustave, 40.
Calvo Sotelo, Joaqun, 246.
Camps, Francisco, 275, 293, 294.
Camus, Albert, 290.
Canalejas, Jos, 74, 75, 76, 78, 106.
Cnovas del Castillo, Antonio, 51, 52, 53, 67.
Cnovas y Vallejo, Antonio, 67.
Cortina, Antonio, 150.
Cortissoz, Royal, 123, 124.
Cosso, Manuel Bartolom, 19, 59, 106, 118.
Cosso, Pancho, 156, 228.
Costa, Joaqun, 76, 109.
Courbet, Gustave, 50.
Croft Watson, Dudley, 143.
Csk, Istvn, 43.
D. Index des noms de personnes
395
Cubero, Jos Ignacio, 281.
Fernndez Flrez, Isidoro, 37, 38.
Cuixart, Modest, 228.
Fernndez Pelayo, Eduardo, 57.
Cuat, Enrique, 151.
Fernndez Serrano, Jos, 136.
Cutanda, Vicente, 42.
Ferrndiz, Bernardo, 34.
Ferrant Fisherman, Alejandro, 57, 68, 175.
Dagnan-Bouveret, Pascal Adolphe Jean, 43, 61.
Ferrero, Jos, 296.
Dal, Salvador, 229.
Ferrer, Saint Vincent, 183.
Dtile, 245, 337.
Ferry, Jules, 45.
David, Jacques Louis, 53.
Fillol, Antonio, 68.
Degas, Edgard, 40.
Font de Mora, Alejandro, 294.
Demaria Lpez, Jos Mara, 94, 312.
Ford, John, 322.
Dequis, Henri, 266.
Fornet de Asensi, Emilio, 14, 168, 169, 198.
Derain, Andr, 260.
Fortuny y Madrazo, Mariano, 45, 234.
Dicenta, Joaqun, 75, 76, 84.
Fortuny y Marsal, Mariano, 44, 158.
Dez, Jos Luis, 263.
Fraga, Manuel, 194.
Domnech, Rafael, 26, 30, 36, 115, 140, 150,
154.
Francs, Jos, 127, 141, 142, 163.
Domingo, Marceliano, 172.
Franch y Mira, Ricardo, 49.
Domingo Marqus, Francisco, 34, 49, 68, 127,
150, 158, 234.
Franco y Bahamonte, Francisco, 19, 196, 198,
210, 214, 217, 220, 223, 224, 226, 232, 243,
246, 331.
Domnguez, Manuel, 56, 121, 218.
Franco y Bahamonte, Ramn, 182.
Domnguez, îscar, 227, 228.
Francos Rodrguez, Jos, 75.
Dongen, Kees van, 255, 260.
Franzen, Christian, 109, 124.
Duchamp, Marcel, 238.
Friant, mile, 43.
Dufy, Raoul, 175, 255.
Fuentes, Antonio, 87.
Durn, Consuelo, 264.
Durn y Tortajada, Enrique, 168, 179, 187, 190.
Galinsoga, Luis de, 168, 169.
Durand Ruel, Paul, 92, 257.
Gallego, Julin, 80, 247, 263.
Gandara, Antonio de la, 45.
Echegaray, Jos, 106, 118.
Garca Alix, Antonio, 63.
Edelfelt, Albert, 55.
Garca del Castillo, Antonio, 33, 286.
Einstein, Albert, 265.
Garca del Castillo, Clotilde, 39, 65, 91, 164,
171, 173, 342.
Escobar Ramrez, Alfredo, 112.
Esquenazi, Jean Pierre, 11, 12.
Escriv, Jos Antonio, 30, 100, 152, 279, 345.
Estadella Arn, Jos, 189.
Garca Raga, Casimiro, 147.
Garca Sanchs, Federico, 161, 169, 179, 180,
181, 182, 183, 184.
Garca y Peris, Antonio, 33, 39, 80, 118.
Gargallo, Pablo, 156.
Falla, Manuel de, 213.
Farins y Tortosa, Felipe, 49.
Garn, Felipe, 16, 17, 21, 263, 274, 278, 295,
298.
Faupel, Whilem, 196.
Garnelo, Jos, 41.
Ferdinand I de Castille, 183.
Garrido, Francisco, 83.
D. Index des noms de personnes
396
Garrido, Leandro Ramn, 45.
Gascn Marn, Jos, 172.
Habsbourg, Marie-Christine de, 19, 31, 91, 93.
Gautier, Thophile, 110.
Hartzentbush, Eugenio, 18.
Grme, Jean Lon, 143, 174.
Heredia, Jos Mara de, 44.
Gessa y Arias, Sebastin, 45.
Hernndez, Laura, 42.
Gestoso, Jos, 118.
Herrero, Jos Joaqun, 179.
Gil, Jacinta, 233.
Hierro del Real, Jos, 236.
Gil, Jos Pedro, 171, 274.
Hinojosa, Eduardo de, 56, 57, 61.
Gil, Rodolfo, 99.
Hitler, Adolf, 196.
Gil Moreno de Mora, Pedro, 35, 39, 57, 59, 86,
96, 155, 171, 256, 274.
Hjertensson, Ulf, 258.
Gil Prez, Manuel, 228, 233.
Gil-Robles, Jos Mara, 189.
Houcelist, Nicolle, 42.
Huntington, Archer Milton, 96, 97, 102, 117,
118, 128, 163, 210, 245, 329, 338.
Gilman Proske, Beatrice, 210.
Gimeno, Amalio, 75, 77, 179, 182, 316.
Ibez Martn, Jos, 209.
Giner de los Ros, Francisco, 59, 105, 107, 181.
Innocent X, 66.
Gisbert, Antonio, 32.
Inurria, Mateo, 122.
Giscard dÕEstaing, Anne-Aymone, 224.
Iturbi Baguena, Jos, 212.
Giscard dÕEstaing, Valry, 224.
Iturrino, Francisco, 45.
Gomar y Gomar, Antonio, 106.
Isidore, Saint, 215.
Gmez Trnor, Juan Antonio, 203.
Israels, Isaac, 16.
Gonzlez, Felipe, 28, 249.
Gonzlez Mart, Manuel, 68, 77, 109, 119, 141,
163.
Gonzlez Mndez, Manuel, 45.
Gonzlez-Sinde, çngeles, 298.
Goya y Lucientes, Francisco de, 38, 40, 110,
175, 199, 223, 238.
Gracia, Carmen, 11, 14, 15, 17, 28, 29.
Granath, Olle, 258.
Gras, Francisco, 147, 151.
Greco, Le, 175.
Gris, Juan, 196.
Guayasamin, Oswaldo, 234.
Jerez de los Caballeros, marquis de, 128.
Jewet Mather, Franck, 15.
Jimnez, Juan Ramn, 17, 90, 118, 127.
Jimnez Aranda, Jos, 33, 39, 40, 41, 143, 231.
Jimnez Aranda, Luis, 33, 39, 40, 74, 231.
Johns, Jasper, 237.
Jover Casanova, Francisco, 32.
Juan Carlos I, 19, 248, 281.
Julian, Rodolphe, 143.
Just Jimeno, Julio, 136.
Justo, Isabel, 295.
Guerra del Ro, Rafael, 189.
Guerrero, Mara, 65, 66, 106.
Guillot Carratal, Jos, 232, 235.
Gutirrez Abascal, Jos, 74.
Gutirrez Abascal, Ricardo, 126, 141.
Gutirrez Solana, Jos, 16, 77, 103, 110, 119,
122, 126, 198, 234, 238, 323.
Kahn, Gustave, 71.
Kalikatres, 337.
Khnopff, Fernand, 122.
Kirchner, Ernst Ludwig, 256.
Klimt, Gustave, 61.
Kr¿yer, Peter Severin, 61.
D. Index des noms de personnes
397
Madrazo y Kuntz, Ricardo de, 75.
Lafuente Ferrari, Enrique, 204, 232, 234, 236.
Maeztu, Ramiro de, 16, 121.
Lagunas, Santiago, 228.
Mager, Gus, 155, 306.
Lahuerta, Genaro, 156.
Mallo, Maruja, 227, 228.
Lambies Grancha, Vicente, 200.
Manaut Nogus, Jos, 147, 148, 174.
Lara Zrate, Antonio, 189.
Manaut Viglietti, Jos, 147, 151, 152, 228.
Larroumet, Gustave, 71.
Manet, Edouard, 50, 64.
Lzl, Philip de, 94.
Ma, Samuel, 144, 236.
Lecomte, Georges, 71.
Masriera, Llus, 139.
Legat Lafarga, Luis, 222.
Maran, Gregorio, 118, 177, 179, 180.
Lon XIII, 39.
Marchena, duchesse de, 160.
Len y Romn, Ricardo, 118.
Marco, Custodio, 233.
Lerma, Joan, 250.
Marco Lpez, Alfredo, 151.
Lerroux, Alejandro, 189.
Marco Miranda, Vicente, 189.
Lezcano, Carlos, 158.
Marquet, Albert, 255.
Lhermitte, Lon, 43.
Martn Caballero, Francisco, 113, 162.
Lichtenstein, Roy, 237.
Martnez, Encarna, 264.
Liebermann, Max, 16, 93.
Martnez, Luca, 281.
Lpez, Ernesto, 63.
Martnez, Santiago, 102, 147, 158, 159, 313,
314.
Lpez Ballesteros, Luis, 73, 75.
Lpez de Legazpi, Miguel, 217.
Lpez de Zuazo Algar, Antonio, 18.
Lora Tamayo, Manuel, 223, 331.
Louis XIV, 34.
Lozoya, marquis de, 179, 209, 222, 223, 244.
Llorens, Toms, 11, 15, 16, 17, 28, 263, 289.
Llorente, Teodoro, 61, 75, 277.
Lucas, Antonio, 288.
Lucas, Eugenio, 323.
Lucas y Villamil, Eugenio, 45.
Lucius, 51.
Martnez Barrio, Diego, 189.
Martnez Campos, Arsenio, 181.
Martnez Cubells, Enrique, 56, 144, 145.
Martnez Cubells, Salvador, 56, 121, 175.
Martnez Fosatti, Jos, 264.
Martnez Gonzlez, Vicente, 273.
Martnez Lumbreras, Joaqun, 144.
Martnez Sala, Pascual, 189.
Martos, Cristino, 75.
Masriera, Llus, 139.
Masses, Beltrn, 122.
Matisse, Henri, 238, 255.
Machado, Antonio, 118.
Madonna, 271.
Madrazo, Jos de, 53.
Madrazo, Raimundo de, 61, 118, 139.
Madrazo y Kuntz, Federico de, 44, 53, 54, 70,
121, 234.
Mauclair, Camille, 71.
Mximo, 245, 337.
Meifrn, Eliseo, 61, 196.
Meissonnier, Ernest, 289.
Mlida, Jos Ramn, 19, 53, 66, 69, 72, 73, 118.
Mlida y Alinari, Enrique, 45.
Madrazo y Kuntz, Juan de, 54, 55.
Meller, Raquel, 172, 200, 265.
Madrazo y Kuntz, Luis, 53.
Mena, 337.
D. Index des noms de personnes
398
Mndez Casal, Antonio, 191.
Nagel, Charles, 42.
Menndez Arranz de la Torre, Juan, 146.
Navarro, Vicente, 165.
Menndez Pelayo, Marcelino, 75, 118.
Navarro Llorens, Jos, 144.
Menndez Pidal, Luis, 58.
Nelken, Margarita, 179.
Menndez Robles, Mara Luisa, 12, 164.
Nicolle, Marcel, 266.
Menzel, Adolf, 35.
Nieto Gallo, Gratiniano, 222, 245, 327.
Merenciano, Francisco, 144.
Nouvel, Jean, 268, 350.
Merrit Chase, William, 153, 155, 307.
Nordau, Max, 111.
Michavila, Joaqun, 237.
Miguel Nieto, Anselmo, 122, 177.
Oliag Miranda, Luis, 166.
Millas, Isidoro, 144.
Olivas, Jos Luis, 272.
Millet, Jean Franois, 217.
Oller y Cestero, Francisco, 45.
Mingote, 337.
Orozco, Jos Clemente, 175.
Mir Trinxet, Joaqun, 60, 139, 196, 263.
Ortega y Gasset, Jos, 118.
Mir, Francisco, 156.
Orueta, Ricardo de, 173.
Mir, Joan, 196, 249.
Mir, Trinidad, 293.
Palacio Valds, Armando, 83.
Moneo, Rafael, 350.
Palencia, Benjamn, 156.
Monet, Claude, 92, 140.
Pantorba, Bernardino de, 18, 26, 43, 54, 196,
201, 217, 221, 224, 231, 232, 263, 317.
Mongrell, Jos, 140, 144, 146, 158.
Montero Alonso, Jos, 186.
Montgomery, Helene, 265.
Montortal, marquis de, 146.
Mora Berenguer, Francisco, 188, 319.
Morayta Sagrario, Miguel, 75.
Moreau, Gustave, 122, 178.
Moreno Carbonero, Jos, 31, 42, 60, 139, 198,
290.
Pardo Bazn, Emilia, 83, 118.
Pareja Ybenes, Jos, 189.
Parlad y Heredia, Andrs, 45.
Passo, Manuel, 75.
Pasteur, Louis, 55.
Pastor, Rosanna, 345.
Peel, Edmund, 248, 252.
Pladan, Josphin, 71.
Moreno Galvn, Francisco, 230.
Pelliza da Volpedo, 16.
Moreira y Galicia, Jaime, 75, 107, 139.
Penagos, Rafael, 122.
Moret, Segismundo, 73.
Pearanda, Carlos de, 64.
Morice, Charles, 123.
Perales, Eva, 280.
Moya, Jos Gabriel, 246.
Perales, Guillermina, 289.
Mozart, Wolfgang Amadeus, 290.
Prez de Ayala, Ramn, 17, 104, 118, 127.
Munoa, Rafael, 220, 221, 333.
Prez Boy, Pedro, 273.
Muoz Degrain, Antonio, 31, 34, 49, 118, 127,
150, 165, 175, 178, 196.
Prez Galds, Benito, 76, 83, 106, 118, 285.
Muoz Grandes, Agustn, 223, 331.
Muoz Lucena, Toms, 60.
Murillo Ramos, Toms, 147, 177.
Prez Giner, Carmen, 233.
Prez Rojas, Francisco Javier, 263.
Prez Rubio, Timoteo, 177, 192.
Prez Simn, Juan Antonio, 261.
D. Index des noms de personnes
399
Peris Mencheta, Francisco, 75.
Rembrandt, 233, 238.
Pern, Eva, 214.
Renoir, Piere-Auguste, 52.
Perucho, Arturo, 136.
Repulls, Enrique Mara, 160, 161.
Ptain, Philippe, 217.
Requejo Avedillo, Federico, 67.
Petit, Georges, 30, 92, 105, 257.
Ribera, Jos de, 238.
Piano, Renzo, 295.
Rico Avello, Manuel, 189.
Picn, Jacinto Felipe Octavio, 67, 73, 76, 83,
109.
Rico Ortega, Martn, 158.
Pidal y Mon, Alejandro, 58, 118.
Pidal y Mon, Luis, 58.
Pinazo, Ignacio, 127, 147, 158, 255, 261, 268.
Pinazo, Jos, 61, 150.
Piqueres Guilln, Jos, 33, 58, 74.
Pl, Cecilio, 33, 77, 139, 147, 165, 177.
Pompey, Francisco, 202.
Pon, Joan, 228.
Pons Arnau, Francisco, 100, 144, 200, 203, 204,
227, 236.
Pons-Sorolla, Blanca, 18, 26, 35, 173, 263, 264,
266, 295.
Pons-Sorolla, Francisco, 20, 209, 244, 245, 250,
263.
Portillo, Aurelio, 42.
Posada, Adolfo, 177.
Pradilla, Francisco, 31, 40, 51, 54, 56, 69, 142,
230.
Rincn de Arellano, Adolfo, 170.
Ros, Fernando de los, 179.
Riscal, marquis de, 73.
Rivelles, Juan, 177.
Rocha Garca, Juan Jos, 189.
Rodin, Auguste, 140, 179.
Rodrguez Filloy, Benito, 204.
Rodrguez Fornos, Fernando, 209.
Rodrguez Lafora, Gonzalo, 177.
Rodrguez Marn, Francisco, 118.
Rodrguez Zapatero, Jos Luis, 28.
Roldn, Clodoaldo, 296.
Roll, Alfred-Philippe, 43.
Romanones, Comte de, 66, 68, 69, 76, 86, 291,
299.
Romero de Torres, Julio, 103, 110, 121, 125,
126, 198, 215
Rosales, Eduardo, 234, 290.
Primo de Rivera, Miguel, 19, 138, 167, 171.
Ruiz Gimnez, Joaqun, 229.
Puebla, Discoro, 230.
Ruiz Picasso, Pablo, 37, 45, 144, 156, 175, 196,
212, 230, 231, 235, 238, 249, 268.
Puente, Joaqun de la, 232, 238, 247.
Puig, çngel, 189.
Pujol, Juan, 180.
Querol, Agustn, 56.
Ruiz de Luna, 219.
Rusiol, Santiago, 45, 60, 61, 77, 126, 196, 215.
Sagasta, Prxedes Mateo, 52, 66, 76, 87, 291.
Saint-Aubin, Alejandro, 67, 73, 106, 110.
Ramn y Cajal, Santiago, 106.
Ramrez Ibez, Manuel, 57.
Rauschenberg, Robert, 237.
Regoyos, Daro de, 121, 123, 126, 157, 196,
323.
Sainz, Casimiro, 158.
Sala Francs, Emilio, 230.
Salazar, Antnio, 198.
Salmern, Nicols, 76.
Salmson, Hugo, 43.
Reig Piqu, Joaqun, 189.
Salv Simbor, Gonzalo, 49, 150, 261.
Rpine, 16.
Salvador Rodrigez, Ams, 75.
Reis, Carlos, 90.
Samper Ibez, Ricardo, 189.
D. Index des noms de personnes
400
Snchez-Camargo, Manuel, 204, 219, 235.
Thaulow, Fritz, 158.
Snchez Daz, Ramn, 109.
Thous Orts, Maximiliano, 191.
Sanchs y Guilln, Vicente, 57, 72.
Toledo, Joan-Antoni, 237.
Sancho, Jos, 152, 345.
Toms, Facundo, 16, 17, 263, 295.
Sandoval, Francisco, 118.
Tormo, Elas, 179.
Sandstrm, Brigitta, 258.
Torre, Manuel de la, 42.
Santa-Ana, Florencio de, 21, 250, 255, 258,
259, 260, 262, 263, 282.
Torre Egua, Flix de la, 42.
Santa Mara, Marceliano, 57, 175.
Santiago y Carrin, Eduardo de, 168, 169.
Sargent, John Singer, 16, 61, 158.
Seligmann, Jacques, 266.
Semprun, Jorge, 257.
Serafn, 337.
Torres Quevedo, Leonardo, 118.
Tovar, Manuel, 156, 177, 317.
Trueba, Antonio, 54.
Truman, Harry S., 214.
Tusell, Javier, 249, 263, 298.
Tuset y Tuset, Salvador, 144, 151, 158, 227,
233, 236.
Serov, Valentin A., 61.
Serrano Simen, Jos, 191.
Umbral, Francisco, 251, 254.
Sert, Jos Mara, 234.
Unamuno, Miguel de, 16, 72, 101, 127, 128,
177.
Sigenza Alonso, Manuel, 136.
Silvela, Francisco, 53, 57, 63.
Simarro Lacabra, Luis, 59, 78.
Uranga, Pablo de, 45.
Urgell, Modesto, 56.
Siurana, Adolfo, 273.
Solana, Javier, 249.
Solbes, Rafael, 195, 237, 238.
Soler, Rigoberto, 136, 146, 151.
Soriano, Rodrigo, 72, 80, 83.
Soriano y Fort, Jos, 75, 85.
Sorolla Gascn, Joaqun, 33, 80.
Sorolla y Bastida, Concha, 33.
Sorolla y Garca, Elena, 65, 150, 173, 185, 256,
313, 315.
Sorolla y Garca, Joaqun, 20, 65, 173, 185, 192,
198, 200, 209, 244.
Sorolla y Garca, Mara Clotilde, 150, 155, 173,
185, 202, 256, 274, 315.
Valds, Manolo, 195, 237, 238, 339, 347.
Valencia, Pedro de, 156.
Valenzuela, Jos, 143.
Valle-Incln, Ramn Mara del, 16, 122, 124,
125, 126, 127, 128, 158, 164.
Valls, Ernesto, 147.
Van Gogh, Vincent, 289.
Vauxcelles, Louis, 123.
Varo, Remedios, 227, 228.
Vzquez Daz, Daniel, 126, 232, 235.
Vega-Incln, Benigno de la, 12, 19, 118, 162,
179.
Vegue y Goldoni, çngel, 186.
Soto, Juan, 327.
Vento, Jos, 228, 233.
Starkweather, William, 143.
Velsquez, Diego, 15, 63, 64, 66, 89, 175, 221,
223, 238, 240, 271, 293.
Surez, Adolfo, 248.
Vera, Alejo, 104.
Taft, William Howard, 98.
Tpies, Antoni, 228, 249.
Tharrats, Joan Josep, 228.
Verde Rubio, Ricardo, 144.
Viana, marquis de, 94, 96, 97, 191.
Vierge, Daniel, 45.
Viola, Manuel, 227, 228.
D. Index des noms de personnes
Vila Prades, Julio, 144.
401
Yriarte, Charles, 44.
Villagracia, marquis de, 80.
Villegas Cordero, Jos, 51, 68, 86, 142.
Zabala, Arturo, 236.
Villegas, Manuel, 57.
Zabaleta, Rafael, 235.
Vizca, Fernando, 135, 144.
Zablburu, Francisco, 42.
Vlaminck, Maurice de, 255.
Zablburu y Mazarredo, Mara del Carmen, 42.
Voltaire, 82.
Zamacois, Eduardo, 122.
Zamorano, Ricardo, 233.
Warhol, Andy, 237.
Zegr, Jos, 315.
Washburn, Cadwaller Lincoln, 59, 158.
Zola, mile, 130, 265.
Washington, George, 216.
Zorn, Anders, 16, 61, 72, 77, 158, 257, 258,
259.
Wilde, Oscar, 265.
Williams, Leonard, 110.
Zuazo, Secundino, 177.
Zuloaga, Ignacio, 16, 32, 45, 103, 110, 119,
121, 122, 123, 124, 126, 157, 212, 234.
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