EtudeTA-Swiss sur la médecine anti-âge

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EtudeTA-Swiss sur la médecine anti-âge
étude
Etude TA-Swiss sur la médecine
anti-âge
Une étude approfondie de la «médecine anti-âge» a été menée par revue scientifique et enquête auprès d’experts internationaux, de praticiens et de cliniques anti-âge en Suisse, au
Japon et aux Etats-Unis.
L’objectif de cette étude était : 1) de faire l’état des lieux des
bases théoriques, empiriques et pratiques des interventions
anti-âge ; 2) d’en évaluer les effets et risques et 3) d’en tirer
des recommandations pour les milieux scientifiques, professionnels et politiques.
La médecine anti-âge se positionne comme une médecine individualisée et futuriste, centrée sur la prévention, la détection
et le traitement précoces des pathologies du vieillissement via
l’utilisation de technologies innovantes. De réels risques mais
aussi des opportunités existent, nécessitant de considérer une
régulation afin d’intégrer judicieusement cette médecine.
Rev Med Suisse 2009 ; 5 : 2219-26
A. Stuckelberger
Dr Astrid Stuckelberger
Institut de médecine sociale
et préventive
CMU/IMSP, 1211 Genève 4
[email protected]
www.imsp.ch
The TA-Swiss study on anti-ageing
medicine
A comprehensive study of «anti-ageing medicine» was conducted including a literature
review and survey as well as interviews of international experts, practitioners and clinics
in Switzerland, Japan and the United States.
The objective of the study was : 1) to provide
state of the art theoretical background and
empirically validated anti-ageing interventions ; 2) to assess their impact and risks ; 3)
to provide recommendations for researchers,
professionals and decision-makers.
Anti-ageing medicine claims to be an individualized and futurist medicine, that focus on
prevention, early detection and treatment of
age-related pathologies, using latest medical
technologies. Anti-ageing medicine holds
risks and opportunities, making it necessary
to regulate, educate and carefully integrate
anti-ageing medicine’s blooming global expansion.
a Récemment, l’appellation «Mieux Vieillir» (Better
Ageing) est parfois utilisée pour éviter les termes qui
dérangent comme celui de «succès» ou même «d’antiâge».
b Aussi parfois appelée ou intégrée avec la médecine de
la longévité, médecine de l’amélioration (human enhan­
cement), médecine de l’apparence.
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évolution vers une médecine anti-âge
Jusqu’au siècle dernier, la perspective médicale sur le vieillissement, d’où est issue la gériatrie, était dominée par la stricte
vue que les capacités humaines physiques et mentales déclinent avec l’âge et se caractérisent par une polymorbidité croissante et des interventions et traitements de type curatif, réhabilitatif et palliatif (figure 1). Depuis
les années quatre-vingt, les recherches de la psychologie développementale
démontrent que le vieillissement ne se résume pas qu’à des pertes mais aussi
à des gains, d’où l’apparition du concept de «vieillissement réussi a» (Successful
Aging1-3). Le vieillissement est hétérogène et vivre une vieillesse avec une qualité de vie élevée, sans détérioration pathologique et sans incapacités est possible via des stratégies de vieillissement incluant une vie active et un style de
vie sain. Plus récemment, la collaboration entre milieux technologiques et médecine a accéléré l’innovation et les transferts technologiques vers la médecine,
faisant émerger une série d’applications qui permettent à la médecine anti-âge b
de trouver sa place (par exemple biotechnologie, bio-ingénierie, bionique, microrobotisation, implants neuronaux, etc.).
Le concept de la médecine anti-âge est basé sur l’idée de la réversibilité des
processus, de «remise à zéro» de la machine humaine (resetting) dès les premiers
signes de défaillances liées à l’âge. L’idée est de ne pas attendre que le corps
se détériore, mais de mettre en œuvre les nouvelles techniques médicales pour
anticiper et combattre les défaillances qui apparaissent avec le temps (tableau 1
et figure 1). La médecine anti-âge trouve sa justification dans de nombreuses
théories biologiques, en particulier dans la théorie de la «fiabilité» (reliability
theory) (encadré 1).
étude ta-swiss
Dès son apparition, la médecine dite «anti-âge» (anti-ageing medicine) a provoqué réactions et débats houleux dans les milieux scientifiques avec une forte polarisation des «pro-anti-âge» et «anti-anti-âge», sans débat scientifique de fond.
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Stratégies d’intervention sur le vieillissement selon trois modèles :
(A) «naturel», (B) «réussi», (C) «anti-âge»
C. Anti-âge
Prévention précoce et high tech : dépistage, intervention,
amélioration, augmentation, doping, remplacement
Performance maximum
B.Vieillissement «réussi»
Prévention classique : rester actif et en santé
A.Vieillissement «naturel»
Déclin, dégénérescence, perte de fonctions.
Seules interventions : curatives et palliatives
Stratégies d’intervention
Figure 1. Stratégies d’intervention sur le processus de vieillissement
Tableau 1. «A tout problème, une solution anti-âge» :
principes de la médecine anti-âge
•Si dégénérescence = intervention sur les mécanismes
de dégénération
•Si manque de tonus = booster le système, soft doping
•Si cassé = restaurer et/ou remplacer
•Si inutilisé ou sous-utilisé = réactiver, régénérer
•Si inutilisable = remplacer le chaînon manquant, implanter
des microsystèmes ou y pallier (par exemple : exo-squelette)
•Si maladies chroniques et soins réguliers = robotisation, auto monitoring, implants d’autorégulateurs
C’est là l’intérêt de l’étude sur la médecine anti-âge mandatée par TA-Swiss :6,c clarifier ce qu’est la médecine antiâge, l’évaluer scientifiquement et produire des recommandations scientifiques et politiques. La méthodologie
(encadré 2) et la synthèse des résultats de l’étude sont
présentées dans l’article. Les résultats et références détaillés sont inclus dans la publication finale.6,d
Définir le terme de «médecine anti-âge»
Une des difficultés a été de définir le terme et d’identifier les domaines couverts par les pratiques et produits
anti-âge en dehors de la seule étiquette de l’esthétique.
La définition de la médecine anti-âge s’est formée au
c TA-swiss : Technological Assessment Switzerland, Centre d’évaluation des technologies,
soutenu par le Département fédéral de l’éducation et de l’innovation (CTI) – voir www.
ta-swiss.ch
d L’étude a été menée avec la collaboration précieuse du Pr Philippe Wanner du Laboratoire de démographie de l’Université de Genève, et la contribution de Mme So-Barazetti pour l’enquête en Suisse allemande.
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cours du temps et est actuellement acceptée au niveau international dans les termes suivants :
«Les interventions anti-âge, connues sous le nom
de "Médecine anti-âge", sont des mesures qui visent
à ralentir, arrêter, ou renverser les phénomènes
associés au vieillissement et à allonger la durée
de vie humaine maximale».
Définition adoptée pour l’étude TA-Swiss et tirée de Robert H. Binstock
Anti-ageing Medicine : the History 7
La médecine anti-âge tire son origine d’un groupe de
médecins aux Etats-Unis, menés par les Drs Ronald Klatz
et Robert Goldman qui, en 1992, se sont insurgés contre la
lenteur du développement de la prévention et des traitements pour combattre le vieillissement pathologique : «La
motivation sous-jacente à la création de la médecine antiâge a été le constat d’échec de l’establishment gérontologique et gériatrique à répondre à leur mission dans le
monde : tout faire pour améliorer la vieillesse et trouver des
interventions efficaces pour contrer le vieillissement pathologique. Nous sommes un des mouvements médicaux
avec la croissance la plus phénoménale jamais vue dans
l’histoire et nous avons déjà formé plus de 60 000 mé­de­cins
dans le monde». (Dr Katz, interview pour l’étude, 2006).
Ce groupe crée ainsi non seulement un mouvement
mais le début d’un empire planétaire avec l’établissement
de «l’Académie mondiale de la médecine anti-âge (A4M)»
et l’émergence rapide de plusieurs organes qui se globalisent et se nationalisent rapidement offrant notamment,
telle une multinationale, des certifications de formation
dans un nombre croissant de pays dans le monde,e avec
ou sans l’aval des sociétés académiques en place (voir encadré 3 et www.waaam.org/ ou www.worldhealth.net).
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Encadré 1. Base de la médecine anti-âge : la théorie de la «fiabilité» (reliability theory)
Pour une revue voir Gavrilov et Gavrilova 4,5
La théorie de la fiabilité est une théorie générale sur la défaillance
des systèmes, de leur longévité et de leur vieillissement.4 Dans cette
théorie, un système est constitué de composants qui assurent des
fonctions élémentaires, en interrelation au sein d’une architecture
fonctionnelle. Les composants peuvent contenir un certain niveau
de redondance, et se relayer si l’un d’eux venait à défaillir. Le niveau de redondance intrinsèque au système est donc un facteur
essentiel de sa fiabilité au cours du temps. Lorsqu’un ensemble de
composants redondants est défectueux au point de ne plus pouvoir assurer une fonction dans l’architecture d’ordre supérieur, le
système peut devenir défaillant. Un composant d’un système peut
être lui-même un sous-système, constitué de sous-composants.
Une entité biologique telle qu’une cellule, un organisme ou une
Les trois règles de la médecine anti-âge
selon les fondateurs :
• Règle 1 : ne pas tomber malade
• Règle 2 : ne pas devenir vieux
• Règle 3 : ne pas mourir.
Si la règle 3 survient, oubliez les règles 1 et 2.
Klatz et Goldman 8
population est évidemment un système de la sorte, caractérisé par
une forte redondance.
Pour clarifier la théorie de la fiabilité, Gavrilov et Gavrilova comparent le système humain à une horloge : si le risque de défaillance
n’augmente pas avec l’âge (avec le temps, l’horloge est aussi fiable
que neuve), alors il n’y a pas de vieillissement – dans le sens de la
théorie de fiabilité – même si le calendrier chronologique d’un
système augmente. Les horloges parfaites qui ont un marqueur
idéal de leur avance en âge (lecture du temps) ne vieillissent pas,
mais les horloges qui progressivement ont des défaillances vieillissent. De façon intéressante, un système constitué de composants
non vieillissants peut être lui-même vieillissant (avec un taux de
défaillance qui croît avec le temps), tel le système humain.
Objectifs
La médecine anti-âge a pour objectif de maintenir le
«système humain» à son niveau de performance maximum
le plus longtemps possible en «réparant» et «restaurant»
et de combattre toute dégénérescence et maladie :«Nous
voulons tuer les maladies liées au vieillissement et au
processus dégénératif en intervenant le plus précocement
possible avec les technologies médicales prouvées les plus
Encadré 2. Méthode de l’étude TA-Swiss
MAA : médecine anti-âge.
Situation : «State of the Art»
a. Qu’est-ce que la MAA ?
• Définitions
• Concepts et théories
• Mouvements MAA : pour-contre
• Contexte : longévité, société et MAA
c. Impact-conséquences
• Démographique (EV, longévité)
• Santé de la population
– Qualité de vie (subjective/objective)
– Risques (à court/long terme)
• Economique
• Socioculturel
• Environnemental
b. Qu’est-ce qui marche ou non ?
Quelles pratiques, comment ?
• Mécanismes : ralentir et renverser
• Domaines de prévention, intervention
et traitement
• Evidences : bénéfices vs risques
• Zone grise de la science-pratique
• Marché de consommation, internet,
tourisme, cas d’abus/négligence
1. Enquête auprès d’experts
Réseaux internationaux, européens et nationaux
• Panels d’experts sur le vieillissement
• Questionnaire (ouvert/fermé sur MAA)
• N = 120 participants
2. Interviews approfondies face à face
Experts en Suisse, au Japon et aux Etats-Unis
• Fondateurs de la MAA (Etats-Unis)
• Fondateurs des centres longévité (ILC)
• Experts liés à la MAA et au vieillissement
• Questionnaire guidé
3. Enquêtes sur les pratiques MAA
Cliniques et praticiens en Suisse et au Japon
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• Cliniques
• Médecins installés ou en institut
• Industrie liée à MAA
• Associations : professionnels et usagers
Implications politiques
• Contrôle de qualité
• Protection des usagers
• Législations nationale/européenne
Questions éthiques
4. Revue scientifique de MAA
«State of the Art»
• Méta-analyses
revues systématiques
• Revues générales
médias scientifiques
technologies de pointe
prix technologiques
5. Mandats d’experts
• Socioécologique : Dr Mollenkopf
• Présentation de cas MAA
–Ophtalmologie : Dr Mansouri
–Dentiste : Dr Kulen
• Economique : Pr Domenighetti, Dr Siegrist
• Ethique : Dr Olson, Dr Zimmermann-Acklin
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Vu la nouveauté du sujet, la méthodologie
s’est basée sur une approche originale en cinq
volets :
1. une enquête par questionnaire auprès d’un
panel de 120 experts internationaux et nationaux sur le vieillissement * (les présidents de
sociétés nationales de gériatrie et gérontologie dans le monde, les experts de la Commission européenne, les réseaux d’experts et
directeurs de programme des Nations Unies
et les panels d’experts en Suisse).
2. Des interviews guidées et approfondies en
face à face avec les leaders internationaux
de la médecine anti-âge (les fondateurs, les
présidents des sociétés anti-âge, etc.) et les
leaders du groupe scientifique s’y opposant
par questionnaires guidés.
3. Enquêtes par visites des cliniques et centres de
médecine anti-âge et interviews personnelles de la
direction médicale en Suisse et au Japon.
4. Revue de la littérature scientifique sur diverses
interventions anti-âge et en priorité les
méta-analyses, revues systématiques et revues
générales, mais aussi les innovations et prix
technologiques.
5. Mandats d’experts spécialisés sur des sujets
de pointe.
* Notamment : International Association of
Gerontology and Geriatrics (IAGG), European
Geriatric Medical Society (EUGMS), European
Research Area – European Forum on Population Ageing, Geneva International Network on
Ageing (GINA), Société suisse de gérontologie
et de gériatrie.
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Encadré 3. Globalisation des organisations de la médecine anti-âge
• Swiss Society for Anti-Aging Medicine & Prevention
• Swiss Academy for Anti-Aging Medicine
• Schweizerische Arbeitsgruppe für Better Aging
• Swiss-Austrian Association for Anti-Aging Medicine
WAAM : Conseil mondial
pour l’accréditation clinique
récentes, la médecine préventive est seulement une portion de la médecine anti-âge» (Dr Katz).
Dans ce sens, le but est également : 1) l’extension de la
durée et de la qualité de vie en santé ; 2) l’optimisation de
la santé, l’augmentation de la vitalité et des performances
durables et 3) la prévention précoce des signes du vieillissement via les dernières technologies médicales. Pour ce
faire, toute une série d’interventions sont disponibles agis­
sant aussi bien sur les microcomposants du processus du
vieillissement (gènes, cellules, hormones) que sur le fonctionnement physique et mental, voire même sur l’environnement pathogène. Par exemple, une opération de la cataracte ou de la myopie est considérée comme anti-âge
puisqu’elle restaure la vision, de même pour les pro-
e En Suisse, deux sociétés anti-âge ont vu le jour et organisent un congrès chaque année :
la SAAAM à Genève (Swiss Academy of Anti-Aging Medicine – www.saaam.org)
membre de la ESAAM (European Society of Anti-Aging Medicine) et à Berlingen (TG)
la SSAAMP (Swiss Society for Anti-Ageing Medicine and Prevention – www.ssaamp.ch)
ainsi que deux organes qui contournent le terme en utilisant le «Mieux vieillir» et se
composent essentiellement de gynécologues : la SAABA (Swiss Austrian Association for
Better Ageing) et la SABA (Schweizerische Arbeitgruppe für Better Aging).
f En 2006, Nestlé signe un accord avec L’EPFL de 5 millions par an pour des recherches
sur la nutrition et le cerveau – voir http://actualites.epfl.ch/index.php?module=procontent
&func=display&id=133
g Par exemple : médecine générale, endocrinologie, gynécologie, phlébologie, dermatologie, cardiologie, chirurgie esthétique, orthopédie, ophtalmologie, oncologie, psychiatrie,
dentiste, médecine du sport et bien d’autres. La médecine anti-âge touche également
d’autres professions de santé ou paramédicales : nutritionniste, kinésithérapeute, physiothérapeute, sexologue, acupuncteur, psychologue et coach de vie, écologiste et toxicologue, etc.
h Par exemple : médecine orthomoléculaire, médecine régénérative, médecine esthétique,
médecine de l’apparence, médecine pré-préventative, médecine de la longévité, biochirurgie, bioingénieur, génie biomédical. Des termes incluant une nouvelle approche sont
également très en vogue : polymorphisme, nutrigénomique, protéomique, cosméceutique, etc.
i Cliniques privées de tailles diverses, centre esthétique, hôtel wellness anti-âge, start up
avec produits ou services anti-âge, suppléments nutritifs et alicaments.
j Par exemple, l’expérience avortée de la «Clinique Easy Look» à Genève offrant des interventions esthétiques à moitié prix.
k A Lausanne, «Label Esthétique» offre des vacances «anti-âge» à la carte incluant voyagehôtel-interventions médicales, ce service organise des interventions esthétiques à des
prix avantageux en Tunisie, à Lyon ou à Paris. La publicité sur le web propose une inscription directe pour une première consultation médicale préchirurgicale à Lausanne en
vue du séjour en «all inclusive» pour les patients en médecine et chirurgie esthétique
www.labelesthetique.com
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thèses dentaires qui permettent à nouveau de retrouver
fonctionnalité et esthétique.
Domaines et spécialisations de la médecine
anti-âge
La médecine anti-âge couvre un large spectre de domaines : du clonage thérapeutique, aux cellules souches, à
la génomique et la protéomique, aux suppléments alimen­
taires, au dopage du cerveau (Brain Food f), aux appareils
bioniques, à la biochirurgie et chirurgie esthétique, à l’environnement robotisé et les «maisons intelligentes» (figure
2 et tableau 2).
L’enquête a montré que la médecine anti-âge peut se
concevoir comme un nouvel axe transversal de la médecine et se décline dans plusieurs domaines de la santé. De
nombreuses spécialités médicales pratiquent d’ores et
déjà la médecine anti-âge, que ce soit en Suisse, au Japon
ou aux Etats-Unis.g De nouvelles spécialités médicales
sont affichées jusqu’ici sans reconnaissance officielle de
l’ordre médical.h La pratique se conjugue souvent avec des
activités entrepreneuriales privées.i De nombreux actes
de cette médecine ne sont pas couverts par les assurances
et créent de ce fait un marché médical privé juteux avec
des prix élevés en Suisse,j ou alors des «prix cassés» avec
un tourisme médical anti-âge foisonnant avec consultations
de départ en Suisse.k
Interventions anti-âge (tableau 2)
Faire le répertoire des interventions pratiquées dans la
médecine anti-âge et en déterminer les évidences scienti­
fiques est un véritable casse-tête du fait qu’une des caractéristiques de cette pratique tient de l’Art de la médecine
et de l’évidence empirique : une médecine individualisée,
faite sur mesure (taylor-made medicine) et dont l’intervention
dépend de la condition propre à chaque individu. De plus,
aucun catalogue, registre ou manuel de la médecine antiâge n’existe à l’heure actuelle. Il a toutefois été possible
de catégoriser les domaines les plus cités, étudiés et mentionnés par les cliniques et pratiques privées. La liste du
tableau 2 montre que les interventions anti-âge les plus
utilisées sont plutôt centrées soit sur le niveau bio-moléRevue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 4 novembre 2009
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Amélioration
cerveau
Cosmétique
Esthétique
Entraînement
mémoire/cognitif
Amélioration
de l’humeur
«Appearance
Medicine»
Vitamines
Suppléments
Style de vie
Fitness/sport
Wellness
Thérapie cellulaire,
transplantation
prosthétique/implants
esthétiques, etc.
Médecine
anti-âge
Herbes
médicinales
Innovation :
robot de réhabilitation
Chirurgie
Biochirurgie
Médecine spécialisée
Médecine
de l’amélioration
(«Human Enhancement»)
Soft/hard doping
(par exemple : ostéoporose,
hormones génétiquement
modifiées)
Nutrition
Alicaments
Nutrigénomique
Cosméceutique
«Brain Food»
Technologie de détection
ou de self-monitoring
(classique : glycémie, HTA, diabète, etc.
Innovante : gènes, cellules, hormones, etc.)
Médecine régénérative
Esthétique
Cardiologue
Dermatologue
Orthopédiste
Ophtalmologiste
Dentiste, etc.
Médecine du sport
Pharmaceutiques
Médicaments de
réjuvénation et
régénération
•
•
•
•
•
•
•
Robotique
Environnement
«Smart House»
Bio-ingénierie
Corps bionique
Pièces de rechange,
transplantations,
implants, etc.
Biomarqueurs du vieillissement
Biomoléculaire
et cellulaire
Cellules souches,
génétiques, etc.
Médecine
du métabolisme
(hormones, etc.)
• Endocrinologie
• Gynécologie
• Orthomoléculaire
Traitements/interventions
high tech
Laser, lumière pulsée, photofréquence,
biostimulation, etc.
Figure 2. Domaines couverts par la médecine anti-âge
Tableau 2. Liste d’interventions anti-âge (anti-ageing) non exhaustive
• Restriction calorique et pilule mimétique
• Thérapies cellulaires et cellules souches
• Thérapies génétique, génomique, protéomique et médecine prédictive
• Interventions pharmacologiques
–Paradoxe de l’hormone de croissance
–DHEA – Déhydroépiandrostérone
–Hormones féminines : traitement hormonal substitutif
–Hormones masculines : testostérone
–Statines : efficaces pour les maladies coronariennes
–Thérapie chélation : nettoyage du corps (courant au Japon)
–Suppléments nutritionnels : acide folique, antioxydants, vitamines,
nutrition fortifiée, etc.
culaire et métabolique, une micro-médecine en quelque
sorte, mais aussi sur les interventions hormonales ou sur
les suppléments vitaminés, nutritifs ou «alicaments», soit
sur le niveau fonctionnel et sensoriel (ossature, muscles,
vision, audition) et bien sûr esthétique et cosmétique.
Les niveaux d’évidence scientifique sont variés, souvent
empiriques ou issus d’études ponctuelles ou de résultats
bénéfices/risques contradictoires (par exemple vitamines).
La médecine anti-âge subit le même processus de mise
en évidence que toute nouvelle découverte médicale doit
parcourir avant d’obtenir l’évidence sur un grand échantillon (laboratoire animalier, tests in vitro, tests sur quelques cas humains, cas cliniques, études randomisées, études de population). La preuve en laboratoire est parfois
difficile à tester dans la population humaine : par exemple,
il est certain que la restriction calorique dans plusieurs esl Notamment dans la levure, le poisson, les insectes, les rongeurs, les chiens et les primates non humains.
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• Interventions externes et amélioration des performances
–Esthétique : régénération faciale et corporelle : botox, mésothérapie,
resurfacing, peeling chimique, etc.
–Modification/amélioration de l’humain : corps bionique, services
robotiques, réhabilitation High Tech, viagra
–Entraînement du cerveau interne/externe (nutrition, Brain Food,
Brain Game…)
Exemples de progrès dans l’amélioration réussie
• Vision (cataracte, rétine artificielle par cellules souches, implant lentilles
– futur : œil bionique)
• Audition (appareils auditifs, implants cochléaires – futur : audition
bionique – ingénierie)
• Dents (biomatériaux durables bénéfiques pour la mastication, l’hygiène
buccale, l’esthétique, la sexualité)
pèces non humaines l réduit les pathologies liées au vieil­
lissement et augmente la longévité moyenne et maximale
jusqu’à 30%-40%, mais comment mener une étude épidémiologique chez l’humain sans problèmes éthiques et tem­
porels ? D’autres recherches sont partiellement transférées
en pratiques cliniques ou appliquées au cas par cas (par
exemple régénération cellulaire, manipulation génétique,
cellules sou­ches thérapeutiques, etc.). Quelques exemples
illustratifs de l’application efficace rapportés par les praticiens et cliniques sont listés dans le tableau 3.
Le bilan entre risques et bénéfices est une affaire individuelle et c’est au médecin que revient l’art de juger et
négocier avec le patient (citation A). Le risque dans la pratique de la médecine anti-âge n’est pas dans les mains de
la médecine mais plutôt en dehors du cercle médical. Tout
au plus, le reproche qui pourrait être fait aux gériatres et
autres spécialités concernées est le manque de «mise à
jour» des connaissances et techniques d’interventions efficaces pour leurs patients. Pour les protagonistes de la mé­
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Tableau 3. Efficacité rapportée par les praticiens et cliniciens en Suisse
• Hormone de croissance administrée à des patients âgés pour éviter
une perte musculaire conséquente à la période d’immobilisation
postopératoire
• Traitement pharmacologique pour reconstruire l’os dans les cas
d’ostéoporose (par exemple : le ranélate de strontium sur le marché
depuis peu en Suisse)
• Traitement hormonal substitutif individualisé pour les femmes en
ménopause (souvent à leur demande) malgré les résultats alarmants
d’une étude aux Etats-Unis
• Réhabilitation robotique (Lokomat Robotic Gait Orthosis fabriqué en
Suisse, www.hocoma.ch) augmente l’efficacité thérapeutique et les
performances locomotrices dans le traitement des blessures de la
moelle épinière, des troubles neuromusculaires, cranio-blessures,
réadaptation à la marche
• Traitement efficace de la dépression et de l’apathie avec un supplément
d’acide folique, de B6 et B12 pour corriger des taux élevés d’homo cystéine
• Restauration de la vision suite à diverses chirurgies dans les cliniques
ophtalmologiques en Suisse, notamment opérations de la cataracte,
rétine artificielle à base de cellules souches, etc.
• Utilisation avec des cellules souches pour le traitement de diverses
conditions (par exemple leucémies) ou le remplacement de certains
organes (par exemple : membranes cardiaques)
Citations référencées dans le texte
A«Je n’applique que la médecine anti-âge qui a été prouvée utile
et dont les risques sont connus ; pour les tests et analyses, je ne
fais que ceux qui ont un sens, par exemple qui peuvent servir à
prendre des mesures préventives ou thérapeutiques. Aussi, je ne
propose que des tests et éventuellement des thérapies qui sont
accessibles pour la population normale. En termes d’hormones, je
fais une anamnèse exhaustive – j’ai d’ailleurs développé un test
assisté par ordinateur – et sur la base des symptômes, je peux
dans la majorité des cas décider de quoi le patient a besoin.»
Gynécologue
B«C’est le praticien lui-même qui doit juger de ce qu’il peut faire
sans risque et ce qui ne doit pas être fait, parce que le risque est
trop important. (…) Un problème éthique peut exister, car tout
médecin qui décide de pratiquer la médecine anti-âge se doit de
savoir de quoi il parle. D’un point de vue médical, ce n’est pas
éthique de donner des conseils ou d’influencer le comportement
des gens si l’on n’a pas les connaissances appropriées.»
Spécialiste de la médecine préventive et anti-âge
C«Il faut pouvoir résister aux industries qui viennent tout le
temps taper à votre porte vous présenter de nouveaux produits
qui sont fabuleux et fantastiques, très chers mais très bons.»
Directeur de clinique anti-âge
decine anti-âge, c’est une faute, une «négligence par ignorance».
Extraits des opinions de praticiens en Suisse
La plupart des praticiens interrogés en Suisse ne trouvent pas le terme «anti-âge» très heureux mais admettent
que ce terme résonne très bien dans la population et attire une forte demande. La médecine anti-âge s’adresse à
tout âge et est considérée comme une sous-spécialité de
m Par exemple une semaine/six nuits de thérapie avec revitalisation cellulaire à la Clinique
La Prairie à Montreux se monte à près de Fr. 20 000.– tout inclus : les clients rapportent
un meilleur état général après ce séjour, alors qu’aucune étude systématique n’a démontré les effets des cellules fraîches (ou artificielles) de l’embryon des moutons noirs élevés dans les prés fribourgeois. Voir www.laprairie.ch
n Par exemple : pharmaciens, laboratoires, tests génétiques, équipement technologique
médical de pointe (par exemple laser), compagnies de suppléments nutritifs et cosmétiques, professions paramédicales, industries pharmaceutiques, hôtels.
o Global Market Report on Anti-Aging Products, Global Industry Analysts. Résumé du
rapport sur www.worldhealth.net/news/global_anti-aging_products_market_to_rea
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Exemples d’innovations en phase de tests
Implants prosthétiques, implants neuronaux notamment pour contrôler
l’incontinence urinaire et fécale, remplacement de parties usées par un
organe artificiel (peau artificielle, reins artificiels), poly-pill, bras bionique
dirigé par la pensée grâce à un neuro-implant, miniaturisation des appareils autorégulateurs, combinaisons robotisées, etc.
la médecine qui s’occupe de prévention active et n’est pas
en conflit avec la gériatrie. Tous sont unanimes : la médecine anti-âge pratiquée n’est pas une philosophie mais
une science basée sur l’évidence empirique et souvent en
voie de devenir une médecine basée sur les preuves
(EBM) (citation B). La médecine anti-âge a besoin de développer des protocoles de recherches et des études plus
systématiques.
La motivation des «médecins anti-âge» est décrite comme un mélange de curiosité académique, de goût pour
l’innovation et du besoin pragmatique d’attirer des patients et un revenu plus intéressant. La nouveauté réside
dans l’approche : une anamnèse très fouillée, des analyses
de laboratoire très spécifiques et peu habituelles (génétiques, cellulaires, hormonales) et l’évaluation de l’âge biologique. Les prix que certaines cliniques produisent font
partie d’une offre pratiquée le plus souvent conjointement
à une hôtellerie de grand luxe pour une clientèle riche.m
Un vaste réseau autour des pratiques soutient la médecine
anti-âge avec des motivations diverses (citation C).n Selon
les experts et les études de marché (cf. * dans l’encadré 2),
la demande pour la médecine anti-âge va aller en augmentant et des mesures de précaution dans la profession
médicale et la formation seraient indispensables.
Marché du business anti-âge
Un rapport récent d’un institut de recherche du marché
(Global Industry Analysts o) prédit que les recettes liées
aux produits anti-âge atteindront 291,9 milliards de dollars
en 2015 et que cette expansion est surtout le fait de la jeune génération des 25-30 ans qui sont de plus en plus nombreux à se ruer sur le marché des crèmes et suppléments
nutritifs visant non seulement la santé et le combat des signes visibles du vieillissement mais surtout la beauté et la
vitalité (cosmeceuticals). Les Etats-Unis et l’Europe se partagent le gros du marché avec 62,8% du marché global en
2007. Inquiet de l’essor des produits anti-âge et des nombreuses plaintes déposées (effets adverses, contre-indications, interactions médicaments et suppléments nutritifs), le sénat américain s’est emparé du dossier pour faire
le procès des produits labélisés «anti-âge» ayant un potentiel de nuisance.9
Selon les experts interrogés, il n’y a pas de données dis­
ponibles sur le marché de la médecine anti-âge en Suisse
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Tableau 4. Recommandations pour la médecine anti-âge (MAA) en Suisse
I Consommateurs et usagers
Sécurité, information et formation
1.Risque élevé des produits et appareils pour les interventions MAA :
législation
2.Pratiques non certifiées et non médicales des interventions MAA :
certification
3.Manque d’information fiable sur les interventions et produits MAA :
plateforme d’experts
II Recherche et développement
Garantir le transfert rapide de l’innovation, et éthique de la recherche
à la pratique
4.Données scientifiques insuffisantes pourtant transfert sur le marché :
besoin de recherche
5.Directives scientifiques et éthiques coordonnées sur la chaîne du
transfert : standard qualité
ni aucune mesure ou indicateur pour l’évaluer – les seules analyses de marché sont faites par les milieux industriels et vendus à prix fort. Il y a donc un besoin urgent
d’une étude économique du sujet, l’existence d’un marché prolifique n’étant plus à prouver (Pr Domenighetti, Dr
Siegrist).
conclusion et synthèse
de recommandations
Force est de constater que la médecine anti-âge est
déjà établie au niveau international notamment par la forte demande d’une clientèle avec de nouvelles exigences
et par une concurrence des milieux industriels dans le business anti-âge international. Dans ce contexte et pour éviter un «schisme» dans les milieux médicaux, l’étude met
6.Double standard de la recherche et du développement : danger du
développement scientifique dirigé par la seule logique de marché :
monitoring
IIIPolitique et financement
Améliorer la prévention et le système de santé
7.Besoin d’un meilleur accès et application rapide des nouvelles
technologies et de l’innovation
8.Renforcer la prévention : mieux vieillir et la MAA basée sur
l’évidence
Secteurs concernés par les recommandations
• Recherche et technologie anti-âge
• Pratiques médicales et non commerciales
• Industrie et marché MAA
• Consommateurs et usagers MAA
en relief un besoin urgent de formation, de régulation et
d’intégration d’une médecine répondant à ces développements. L’établissement d’une plateforme d’information
scientifique (clearing house) mais aussi d’un office des plaintes pour mieux guider les développements inévitables de
l’alliance de la médecine, de la technologie et du business.
L’étude TA-Swiss conclut à une série de recommandations dont les grandes lignes sont présentées dans le tableau 4. A chacun des points correspondent des recommandations détaillées présentées aux parlementaires fédéraux en mars 2008.6,10 Il appartient au corps médical et
aux chercheurs de saisir l’opportunité de faire avancer et
mettre en œuvre les recommandations afin d’anticiper les
effets de la globalisation de la médecine anti-âge et du
business médical parallèle.
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6 * Stuckelberger A. Anti-ageing medicine : Myths and
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Zurich, Switzerland : Verlag, ETHZ, 2008. www.ta-swiss.
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8 Klatz R, Goldman R. The new anti-ageing revolution. Basic Health Publications, 2003.
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9 GAO health products for seniors : Potential harm
from «anti-aging» products, no 01-1139T. Testimony 5
Before the Special Committee on Aging, US Senate
United States General Accounting Office. U.S. 6 Government, 2001. www.gao.gov/new.items/d011139t.pdf
10 Stuckelberger A. An introduction to anti-ageing
me­dicine. Bulletin de la Société suisse d’éthique biomédicale SSEB 2008;56:12-5. www.bioethics.ch/downloads/
company/download/Bull56.pdf
* à lire
** à lire absolument
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