Penti Sammallahati site

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Penti Sammallahati site
Pentti Sammallahti
Dévoiler ce qu’il y a derrière le visible
Quand j’aurai dépassé vos pièges, les loups mangeront dans ma main,
première neige. (Gilles Vigneault - Le Nord du Nord)
Certes Pentti Sammallahti n’a pas fait que magnifier la grande poudrerie
et la glace, support solide qui semble porter tout un pays, il a su
photographier du soleil et de la lumière drue, au Népal ou ailleurs. Mais
c’est bien le Grand Nord qui semble manger dans les mains de ses
images.
Comme le dit son compatriote finlandais Pentti Holappa :
La prochaine fois que je viendrai au monde ici, je n’oublierai pas de
compter chaque seconde.
Et lui égrène les secondes dans la capture du vide et de l’immensité que
sont ses photos, peintures plutôt fresques parfois, d’un monde enfoui
dans le silence.
L’œuvre de Pentti Sammallahti, a été récemment mis en lumière en
France par l’exposition des Rencontres d’Arles, en 2005 et en 2012, et
par un livre publié par Actes Sud à cette occasion en 2012.
Pentti Sammallahti semble s’être assigné la mission de « dévoiler ce
qu’il y a derrière le visible ».
Et pèlerin de l’argentique, il sait rendre le silence et l’espace, le lapin
apeuré, les chiens et les chevaux aux aguets des instants du temps qui
se figent, les humains qui sont encore vivants comme des légendes et
comme le dit Richard Desjardins :
« C'est quand même incroyable qu'on soit encore vivants à cent mille
sous zéro et depuis cent mille ans. » (Akinisi)
Et lui aussi, Pentti Sammallahti ne plie que devant la beauté. Et la
beauté il la restitue dans ses images en noir et blanc, souvent
panoramiques, toujours mangées d’espace, trouées de poésie.
Il est le voyageur aux semelles de neige et de glace, qui sait entendre ce
que lui disent les éléments, les nuages et les gens immobiles en euxmêmes.
«Me trouvant sur une île rocheuse, il m’est tout à coup apparu que la
Terre n’était pas ronde, et j’ai décidé de ne pas bouger. J’ai soudain saisi
ce que me disaient la pierre à côté de moi, le bateau sur le rivage, le
nuage qui naviguait dans le ciel et l’écriture en points saillants des
oiseaux migrateurs… J’ai alors compris qu’on ne prenait pas les
photographies, mais qu’on les recevait.»
Pentti Sammallahti est ce nomade en liaison chamanique avec la nature,
surtout celle du Grand Nord, et qui a su restituer dans le souffle de ses
images à la fois l'obscurité, le froid, la danse immobile de la neige, la
persistance vivante des hommes et des bêtes.
Son œuvre semble un palais de glace figé, où malgré tout la vie sauvage
fait mystère et présence.
Entre épure et parfois petites fables en photos, Pentti Sammallahti décrit
concrètement des instants du temps et transmet son amour de la nature.
Dans le silence habité qu’il nous fait vivre, comme un artisan des rêves
et des arpents de neige Pentti Sammallahti fait entendre une musique si
proche du grand Sibelius. Ses images semblent des monochromes,
comme la musique de Sibelius il fait entendre les sons amers de la
nature, lui aussi par couches superposées, et il nous appartient
d’entendre comme un dieu des forêts, Tapiola, dans ses images qui
comme lui « ruminants des rêves farouches, tandis que des esprits des
bois ourdissent des arcanes magiques dans les ténèbres ».
On entend les feuilles qui bruissent, les branches qui se tordent et
craquent, le vent qui murmure ou qui se meut affolé telle une
bourrasque, les gens qui se taisent emmurés dans leur glaciation
intérieure.
Pentti Sammallahti semble dresser une suite de stèles glacées en
souvenir du vivant. Du fond des âges, du fond des temps archaïques,
monte « l’infinie variété de la vie », le souvenir de bien des légendes.
Il sait entremêler humanité et humour dans ses photos, auxquelles il
apporte un grand soin esthétique et artistique.
Pentti Sammallahti a créé un nouvel espace photographique par une
sorte d’alchimie de l’image. Il est le médiateur hors du temps, dans un
entre-deux mondes où l’espace s’étant calmement jusqu’au vide.
Seules ses images peuvent nous en faire franchir le seuil.
On entend la neige crisser dans ses images.
Pentti Sammallahti, l’artisan chaman
Pentti Sammallahti est né en Finlande en 1950, et il vit et travaille à
Helsinki. Il est issu d’une famille d’artisan (son père était orfèvre). Il est le
petit-fils de la photographe suédoise Hildur Larsson, travaillant pour le
journal Helsinki Kaiku dans les années 1900.
Il semblait prédestiné à devenir photographe, car il avait déjà « un
pressentiment intuitif de l'image ».
Il a commencé à photographier avec son regard poétique le monde
autour de lui dès l'âge de onze ans. Mais le choc, la révélation fut pour
lui quand à l'âge de neuf ans, il a visité "The Family of Man" exposition
d’Edward Steichen, à Helsinki Art Hall.
Il sut alors qu’il serait photographe et ce qu'il voulait faire de sa vie.
Pentti Sammallahti s'initie alors dès l'âge de treize ans aux techniques
de la photographie ; il construit son propre agrandisseur et expérimente
le développement, la prise de vue et le tirage.
Sa galerie Camera Obscura décrit alors ainsi son parcours :
« Dès son adolescence, il commence à pratiquer avec passion la
photographie et le tirage. Il rejoint le Camera Club d’Helsinki à 14 ans.
Étudie l’histoire de l’art, la musicologie et les mathématiques à
l’université, mais n’obtient aucun diplôme.
Parallèlement, il commence à travailler pour de petits périodiques
culturels et s’occupe du laboratoire du photographe Matti A. Pitkänen.
Sa première exposition personnelle a lieu en 1971. Pacifiste, il refuse de
faire son service militaire.
En 1974, il expose au Musée de la photographie d’Helsinki et commence
à enseigner (École d’art de Lahti, Université d’art et de design
d’Helsinki).
La reconnaissance de son travail se confirme en 1975 lorsqu’il reçoit le
prix national finlandais de photographie, qu’il obtiendra à nouveau en
1979, 1992 et 2009.
En 1991, l’octroi d’une bourse artistique d’état pour une période de 15
ans lui permet de quitter l’enseignement et de se consacrer totalement à
son œuvre.
Première exposition en France en 1996 (Institut Finlandais, dans le
cadre du Mois de la Photo.
Sammallahti a été honoré d'être parmi les 100 photos favorites de la
collection personnelle de Henri Cartier-Bresson, qui était l'exposition
inaugurale de la Fondation Henri Cartier-Bresson en 2003.» (Galerie
Camera Obscura).
Présenté dans des expositions solos à l'âge de 21 ans, Sammallahti a
continué à exposer et d'enseigner à l'Université d'Helsinki Art et de
Design jusqu'à l’obtention d’une bourse de l'État finlandais en 1991 pour
quinze ans, ce qui lui permet de poursuivre son travail librement.
Comme l’homme est peu avare de confidences, l’on se contentera de
cette source en ajoutant seulement ceci.
Les années 1990 vont être marquées pour lui par de nombreuses
expéditions photographiques à travers l’Europe, l’Asie, la Sibérie, qu’il
poursuivra dans les années 2000. En 2005, il partira pour le continent
africain pour un travail de commande de l’organisation Japan Today.
Son travail est exposé à travers le monde entier dans des expositions
personnelles et collectives. Passionné par le livre et les techniques de
reproduction de la photographie, il a conçu et autopublié plus de
quarante livres ou portfolios, classés en « Opus », dont treize consacrés
à son propre travail.
Pentti Sammallahti est un homme doux et paisible qui pose sur le monde
un regard tendre et lumineux, attentif à l’étrange beauté de notre
planète. Il la contemple à hauteur d’homme, parfois aussi comme un
oiseau planant.
Pentti Sammallahti, les arpents de neige et ceux de nos rêves
« Je ne prends pas de photos, je les reçois. Je les attends comme un
chien d'arrêt, c'est une question de chance, et de circonstances. Je
préfère l'hiver, plus le temps est mauvais, meilleure sera la photo ».
Sammallahti se décrit comme un nomade qui aime la nature du Grand
Nord, l'obscurité, le froid, et la mer. Sammallahti est un maître artisan,
magnifiant ses impressions, pour créer une atmosphère poétique de
silence désolé.
« Je n’aime pas trop le soleil et le beau temps. J’aime quand il pleut,
quand il grêle et quand il fait si noir qu'on dirait la nuit», » avoue-t-il.
Pentti Sammallahti, a une conscience mystique de la nature, de la pureté
des lacs et les nuits étoilées, de la fonte des neiges et l’envol des cygnes
migrateurs. Mais il sait aussi tutoyer l’immobilité des choses.
Il sait rendre la vie sauvage, les frontières non identifiables, les confins
de l’indécis. Que de silences étouffés dans ses images. Une sorte
« d’odyssée de l’espace » peut se deviner dans son œuvre.
Lui l’homme du Nord il est le complice de la neige, de la blancheur, des
chiens errants dont il fait des amis. Il sait nous faire glisser vers l’ailleurs,
pas loin des forêts sombres, repaires des légendes.
Là s’étendent du Nord les vieilles forêts sombres
Mystérieuses en leurs songes farouches
Elles abritent la grande divinité des bois,
Les sylvains familiers s’agitent dans leurs ombres. (Quatrain de Sibelius
pour présenter Tapiola)
Les images de Pentti Sammallahti sont minérales, lyriques, immenses
pour que l’on s’y perde. Car nous sommes dans des espaces indéfinis,
indéterminés où tout semble nous guetter.
La relation fusionnelle qu’entretient Pentti Sammallahti avec la nature
irrigue chacune de ses images. La prolonge, la fait résonner si fort en
nous. Il nous semble assister à une sorte de rituel sacré mis en images,
beaucoup de ce que l’on voit reste inexplicable.
Ses images possèdent leur propre logique, leurs clefs secrètes. Il faut
les approcher comme on va vers le mystère souterrain de la vie.
Il nous reste qu’à regarder, contempler les photos en noir et blanc de
Pentti Sammallahti.
Depuis le rivage
Semant ses bienfaits un nuage vole
puis un aigle, messager.
Seules les îles gémissent vers le rivage à leur départ,
quand le vent sous le gel se fige, pleurant sur leur sort.
Et la mort du nuage
et la fin de l'aigle
et le dernier cri
sont une suffisante genèse.
Les lueurs de l'Est ne dorent pas les eaux du rivage,
et les lumières de l'Ouest ne recouvrent pas l'homme qui
regarde.
Seul jusqu'au destin du rivage résonne le chant de ceux
qui s'en vont :
Adieu, étranger aux visages enfouis. (Le fils de la terre 1953)
Aucun texte ne pourrait mieux aider à saisir l’essence de la photographie
de Pentti Sammallahti et l’étrange sensation que provoque chacune de
ses images.
Fasciné par la totalité de la vie, depuis le lapin effaré sous la lune, aux
gamins qui jouent avec le froid comme à la marelle, aux oiseaux posant
sur les arbres secs, Pentti Sammallahti parle d’un monde encore embué
de poésie, encore engourdi d’innocence. La création semble continuer à
se faire et Pentti Sammallahti la regarde se déployer lentement,
obstinément contre toute froidure, tout renoncement.
Ses images sont un tremplin pour nos imaginaires.
Il est marqué par Paul Strand, et aussi Josef Koudelka.
Pentti Sammallahti ne travaille qu’en argentique et en noir et blanc,
réalisant lui-même ses tirages, et ses propres livres, qu’il auto-publie
dans une série de livres qu’il appelle ses opus.
Sammallahti imprime donc ses propres photographies avec des tonalités
profondes et les textures contrastées, et la profonde patience de
l’artisan. Celui qui sait nommer l’espace. Celui qui sait amadouer chiens,
chevaux, humains et chats, pour les placer apaisés dans ses images.
Il utilise souvent le format paisible du panoramique noir et blanc qui
comme les méandres d’un fleuve enserre tout le paysage. On dit de lui
qu’il était « le Bruegel de l’art argentique ». C’est réducteur, car s’il ya
souvent de petites scènes de vie dans ses photos, il s’agit avant tout
d’exercices de méditation et non pas de simples narrations.
Pentti Sammallahti fuit l’anecdote, le spectaculaire. Ses images se
veulent ternes, peu éclairées, si ce n’est par la réflexion de la neige, car
la lumière doit sourdre de l’intérieur.
Sammallahti définit une bonne photo par le fait qu’elle contienne à la fois
mélancolie, légèreté et profondeur. Et aussi faire vœu de silence.
Tout repose sur la composition très élaborée où les détails sont
essentiels. Ses images sont un véritable tableau.
Tableau où se déploie un vaste paysage et passe un être vivant qui
semble traîner par là.
Et une douceur grise descend sur nous.
Pentti Sammallahti a une écriture et son art des contrastes donne une
grande intensité dramatique à ses images.
Sa poésie mélancolique nous donne à voir enchâssé dans des images
en noir et blanc, un monde proche et lointain, « ici et loin », comme le
nomme son livre le plus connu.
L’étrangeté des choses et des gens le fascine. Il rend l’attente qui monte
de ses visions, l’inscription des humains et des animaux dans leur propre
monde : un homme marchant sur une route dans un monde enneigé
silencieux au crépuscule, une route mouillée dans la brume, des
chevaux dans leur solitude, des chiens qui seuls connaissent les
mystères et se taisent, des oiseaux même pas apeurés…
Dans les étendues glacées des îles Solovki sur la mer Blanche en
Russie, au Népal, en Hongrie, en Bulgarie, en Chine, au Japon, en
Irlande, et ailleurs, Sammallahti fait parler la blancheur du paysage, le
ciel gris, les chiens et les oiseaux solitaires, les arbres nus, les humains
comme survivants, et tout semble figé dans l'immobilité.
Tout semble une rêverie, au seuil d’un autre monde, dont nous n’osons
nous approcher à peine. Les images de Pentti Sammallahti sont des
chuchotements d’infini, des glissements vers l’invisible. Contemplant
plutôt que participant Pentti Sammallahti déroule, plus particulièrement
dans ses panoramiques, les nappes blanches de l’invisible.
Dans les images sublimées et subliminales de Pentti Sammallahti un
monde étrange est là et nous regarde.
Gil Pressnitzer
Source : Galerie Camera Obscura
Images © Pentti Sammallahti
Bibliographie
Cathleen Ni Houlihan Opus 1, Helsinki, 1979
The Nordic Night, partie I Opus 2, Helsinki, 1982.
Senki élonék ellensége Opus 3, Helsinki, 1983.
The Nordic Night, partie II Opus 4, Helsinki, 1983.
Andante Opus 5, Helsinki, 1984.
Rannalla Opus 6, Helsinki, 1986.
Honnos, My Fiddler Opus 8, Helsinki, 1987.
The Japanese Portfolio Opus 15, Helsinki, 1990.
Tiny pictures of animals Opus 25, Helsinki, 1993.
Sacri - photographs as lithographs Opus 29, Helsinki, 1995.
The Russian Way Opus 31, Helsinki.
Pentti Sammallahti Musta Aide, Helsinki, 1996.
Pentti Sammallahti, Blue Sky Gallery, Portland, 2001.
Sammallahti, Nazraeli Press, Tucson, 2002.
Archipielago, Opus 41, Helsinki, 2004.
La ville Opus 45, Helsinki, 2006
Les oiseaux Opus 46, Helsinki, 2006
Chambres Opus 52, Helsinki, 2009
En français
Pentti Sammallahti, Photo Poche, 2005.
Ici au loin, Actes Sud, 2012