Mariée à un play-boy - e

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Mariée à un play-boy - e
TabledesMatières
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TabledesMatières
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©2008,SarahMorgan.©2010,Traductionfrançaise:Harlequin
S.A.
83-85,boulevardVincent-Auriol,75013PARIS–Tél.:01421663
63
978-2-280-21475-9
COLLECTIONAZUR
Toutereprésentationoureproduction,parquelqueprocédéquecesoit,constituerait
unecontrefaçonsanctionnéeparlesarticles425etsuivantsduCodepénal.
ServiceLectrices–Tél.:0145824747
www.harlequin.fr
Chèrelectrice,
Quevoussoyezencoreenvacancesoudéjàderetour,vousallezadorervousplongerdansles
romansquej’aisélectionnéspourvouscemois-ci.Intensesetsensuelles,leshistoiresquejevous
proposededécouvrirpourconclurecettesaisonestivalesaurontvouscaptiveretvoustransporter.
Pourcommencer,jevousinviteàvousplongerdanslederniertomedenotresaga,L'héritière
desKaredes,deCarolMarinelli(Azurn°3034).EnvenantservirleroiZakaridanssaretraiteen
pleincœurdudésert,Effienes’imaginaitpasqu’elletomberaitamoureusedecesuperbecheikhet
encoremoinsqu’illademanderaitenmariagealorsqu’ellen’estqu’unesimpledomestique.Dans
cederniervolume,vousferezunesurprenantedécouverteetpercerezenfinlemystèredudiamant
Stefani.Undénouementquinevousdécevrapas,soyez-ensûre!
N’oubliez pas non plus les autres romans de votre collection, des récits captivants mettant en
scène des personnages passionnés. Dans Une accusation si troublante (Azur n° 3031, de Daphne
Clair),vousserezstupéfaiteparlecomportementdeMarcoqui,unbeaujour,seprésenteàlaporte
d’Amberenl’accusantdeluiavoircachél’existencedesonfils.Pourtant,Amberenestsûre:elle
n’ajamaisrencontrécethommeauparavant…
Partagez également le désarroi de Cairo, obligée de cohabiter avec Rafe, son grand amour,
qu’ellepensaitnejamaisrevoiraprèsleursoudainerupture(La flamme de la passion, de Carole
Mortimer,Azurn°3028).
Enfin,pensezàprofiterdenotrepackspécial,pourencoreplusderêveetd’évasion.
Jevoussouhaiteunmerveilleuxmoisd’août,
Bonnelecture,
Laresponsabledecollection
Sivousachetezcelivreprivédetoutoupartiedesacouverture,nousvoussignalonsqu’il
estenventeirrégulière.Ilestconsidérécomme«invendu»etl’éditeurcommel’auteurn’ont
reçuaucunpaiementpourcelivre«détérioré».
Cetouvrageaétépubliéenlangueanglaise
sousletitre:
THEVASQUEZMISTRESS
Traductionfrançaisede
JEAN-BAPTISTEANDRE
ARLEQUIN®
estunemarquedéposéeduGroupeHarlequin
etAzur®estunemarquedéposéed’HarlequinS.A.
1.
Elle se tenait en selle droite comme un i, ses cheveux scintillants comme une cascade d’or
liquidesouslesoleilbrûlantd’Argentine.
Lorsqu’ill’avaitaperçue,ilenavaitd’abordconçudel’irritation:ellepoussaitsonchevaltrop
viteparunetellechaleur.Etelletroublaitlasolitudequ’ilétaitvenuchercherdanslapampa.
Mais, son irritation s’était transformée en incrédulité lorsque la cavalière s’était approchée et
qu’il avait reconnu le cheval qu’elle montait. Une bouffée de colère l’avait alors envahi à
l’encontredeceluioudecellequil’avaitlaisséepartiravecuntelanimal.
Maissamauvaisehumeursedissipabienvitequandellefutenfinassezprochepourqu’ilpuisse
discerner ses traits. Il avait passé sa vie entourée de filles magnifiques et la beauté ne
l’impressionnaitplus.Pourtant,ilnepouvaitdétachersesyeuxduvisagedelacavalière.Sapeau
était laiteuse et délicate, ses membres minces et graciles et ses courbes affolantes placées
exactementoùilfallait.
A croire qu’elle avait été créée par les dieux et mise sur terre pour tenter les hommes. Et les
conduireàleurperte,songea-t-ilavecunsourirecynique.Ilétaitd’unnaturelsiméfiantqu’ilse
demandamomentanémentsicetterencontre,aubeaumilieud’ununiversd’herbesquiondulaient
jusqu’àl’horizon,étaitlefruitduhasardoud’unsavantcalcul.
C'étaitlehasard,décida-t-il,sonoptimismel’emportant.Unhasardparticulièrementheureux.
Faithserralesjambesautourdesamonture.Lechevalavaitlesoreillescouchées,etils’étaitmis
à ruer pour la désarçonner. Les dents serrées, les pieds fermement calés dans les étriers, elle
parvintmalgrétoutàresterenselle.
–Tuesvraimentdemauvaisehumeuraujourd’hui,Fuego,marmonna-t-elle.Pourtagouverne,
jen’aipasl’intentiondetomberlà,aumilieudenullepart.Noussommesàdeskilomètresdela
maison.Alorsgardetesforces.
La chaleur était devenue étouffante. Elle se pencha pour attraper sa gourde mais se figea en
percevantunmouvementauxconfinsdesonchampdevision,prèsdelarivière.Elleseretournaet
eutlesoufflecoupéàlavuedel’hommequil’observait.
Elle avait été trop occupée à rester en selle pour le remarquer. Mais il avait à présent son
attention pleine et entière. Car c’était l’homme le plus incroyablement séduisant qu’elle avait
rencontrédepuissonarrivéeenArgentine.Grandetbâtitoutenmuscles,ildonnaitnéanmoinsune
impressiondesouplesseetdegrâce,pareilàunfauvesurlepointdebondir.Maisleplusétonnant,
c’étaitl’auradesensualitéquil’entouraitcommeunchampmagnétique.
–Quelquechosenevapas,mademoiselle?
Savoix,graveetveloutée,semblapénétrerdanssesveinestelleunedrogue.Faithsesentitprise
d’unaccèsdefaiblesse.
Samonture,percevantunfléchissementdanssaconcentration,enprofitapoursecabrer.Avecun
cri,elles’envolapouratterrirlourdementsurlesfessesdanslapoussière.
– Décidément…, grommela-t-elle, vérifiant avec précaution qu’elle n’avait rien de cassé. Ce
chevalavraimentbesoind’unpsychiatre.
Deuxlargesmainsserefermèrentautourdesataillepourlaremettresurpiedcommesiellene
pesaitrien.
–Non.Ilabesoind’uncavalier,pasd’unecavalière.
–Jesuisexcellentecavalière,répliqua-t-elle.C'estvousquim’avezdéconcentréeensortantde
nullepart…
Savoixseperditdansunmurmurecommel’hommeplongeaitsesyeuxdanslessiens.
– Je pensais que vous m’aviez vu. La pampa n’offre pas beaucoup d’endroits où se cacher, vu
l’absencederelief.
–J’étaispréoccupéeparmamonture.
–Vousallieztropvite.
– C'est à cet animal qu’il faut le dire, pas à moi. Je suppose que c’est pour ça qu’on l’appelle
Fuego. Mon espagnol est médiocre mais je sais que ça signifie « feu ». C'est lui qui a choisi
l’allure,pasmoi.
Elles’arrêtapourreprendresonsouffle.Elleavaitégalementlatêtequitournaitetlesmembres
lourds.Maisqueluiarrivait-il?
C'étaitsansdoutel’effetdelachaleurquipesaitcommeunechapesurlapampaetfaisaitvaciller
l’horizontelunmirage.
– Vous venez de l’Estancia La Lucia ? demanda l’homme en se retournant même s’il était
impossible de voir le ranch, à une heure de trajet. Vous ne devriez pas sortir seule, sans un
palefrenier.
– Epargnez-moi votre numéro de macho argentin, répliqua-t-elle sèchement. Je ne suis pas
d’humeur.
–Monnumérodemachoargentin?répéta-t-ilenlevantunsourcilmoqueur.
–Voussaveztrèsbiencequejeveuxdire,répondit-elletoutens’époussetant.Lestyle«homme
descavernes».
–Intéressant,réponditsoncompagnonenriant.VousêtesenAmériqueduSud,cariño. Ici, les
hommessontdeshommes,desvrais.
–Oui,j’airemarqué.Depuisquejesuisdescenduedel’avion,j’ail’impressiondenagerdansla
testostérone.
–BienvenueenArgentine.
Ilyavaitdelamoqueriedanssavoixmaiségalementunaccentséducteurquiluinoual’estomac.
Elles’envoulutaussitôtdesavulnérabilité,ellequis’étaittoujoursconsidéréecommeunefemme
forteetindépendante.
–Voustravaillezici?
Ileutunehésitationsibrèvequ’ellesongeaunmomentqu’ellesel’étaitimaginée.
–Oui.
–Vousavezdelachance.
Ildevaitêtregaucho,l’undecescow-boysquiveillaientsurlestroupeauxdebétail.Détournant
le regard, elle se demanda pourquoi l’inconnu avait cet effet sur elle. D’accord, il était très
séduisant, mais l’Argentine regorgeait d’hommes séduisants. Lui, il avait quelque chose de
différent…
–Vousparlezparfaitementanglais,remarqua-t-elle.
–C'estparcequ’ilm’arrivedeparlerauxfemmesavantdelesjeterentraversdemonépauleet
delesemmenerdansmacaverne.
Illuisourit,puisbaissalesyeuxsurseslèvresenfronçantlégèrementlessourcils,commes’il
réfléchissait à quelque chose. La chaleur, déjà oppressante, devint franchement insupportable. La
tension sexuelle, entre eux, monta elle aussi d’un cran, si bien que Faith eut l’impression de se
pencherinvolontairementverslui,attendantlemomentoùill’embrasseraitenfin.
L'intensité de son désir la déroutait d’autant plus qu’elle avait passé son temps, depuis son
arrivée, à repousser les avances de nombreux hommes. Elle était ici pour travailler et pour
apprendre,paspourrencontrerquelqu’un.
Etpourtant,seslèvrestressaillaientd’impatience.Leregarddesoninconnu,lourddesensualité,
latenaitprisonnière.Ilsouriaitcommes’ilsavouraitlemomentetpouvaitlirelamoindredeses
pensées. Une chaleur liquide explosa au creux de son être, plus intense que tout ce qu’elle avait
jamaiséprouvé.
Retenant son souffle, elle attendait le moment fatidique. Quelque chose allait se passer, c’était
sûr.Sonintuitionluisoufflaitquecethommeavaitlepouvoirdebouleversersavie.
Maisaulieudel’embrasser,iltournasoudainlatêteversFuego.
–Votrechevalasoif.Ilabesoindeboire.
Libéréedelaforcehypnotiquedesonregard,ellesesentitrougirjusqu’auxoreilles,tandisque
sesjambesmenaçaientdesedérobersoussonpoids.
–Monchevalabesoindebeaucoupdechoses,marmonna-t-elle.
Elleétaitcomplètementdéstabilisée.S'était-elleimaginécettealchimieentreeux?
EllelesuivitduregardcommeilprenaitFuegoparlabrideetlemenaitàlarivière,oùl’animal
sedésaltéra.Non,ellenes’étaitrienimaginé.C'étaitjustequ’ellen’avaitpasaffaireàunadolescent
impatientd’enfinirmaisàunhommesûrdeluietdesaséduction.Ellesavait,mêmesiellen’aurait
sudirecomment,qu’iljouaitavecelle.
Furieuse contre elle et contre lui, elle s’avança vers la rivière, affectant le plus grand
détachement.Elleneluilaisseraitpasvoiràquelpointill’affectait.
–Jedoisrentrer,annonça-t-elle.
Sansattendresaréponse,ellepritlesrênesdeFuegoetremontaenselle.Leregardquel’homme
posasursesjambesneluiéchappapasetconfirmaqu’ellenes’étaitpastrompée.L'attiranceétait
bienmutuelle.
–Attendez.
SamainserefermasurlemorsdeFuego,l’empêchantd’avancer.
–Quefaites-vousàl'estancia?Voustravaillezàl’entretien?
–Voilàdenouveauvospréjugés.TouslesArgentinsquej’airencontréssemblents’imaginerque
laplaced’unefemmeestau…
Elle s'interrompit juste avant de dire « lit » mais l’homme sourit et leva vers elle un regard
malicieux.
–Vousdisiez?NousautresArgentinspensonsquelaplaced’unefemmeestau…?
Il était si diaboliquement séduisant que l’espace d’un instant, elle se trouva incapable de
prononcer le moindre mot. Répondre entraînerait la conversation en territoire dangereux. Ce
qu’ellevoulaitéviteràtoutprix.
–…auxfourneaux,répondit-elled’unevoixtremblante.
–Auxfourneaux?répétal’hommesanschercheràdissimulersonironie.Sic’estcequevous
croyez,alorsvousavezmalcompriscommentfonctionnelecerveaudumâleargentin.
– Le cerveau du mâle argentin, ou de n’importe quelle autre nationalité, ne m’intéresse pas le
moinsdumonde.Saufsilemâleenquestionestuncheval.
–C'estcequivousamèneenArgentine?Noschevaux?
Faithbalayal’immenseplateauherbeuxduregardavantderépondre:
–JesuisvenueaprèsavoirluunarticlesurRaulVásquez.
Soncompagnon,àlamentiondecenom,sefigea.
–VousavezfaitdesmilliersdekilomètrespourrencontrerRaulVásquez?demanda-t-il,lavoix
soudainteintéed’unsoupçondefroideurqu’ellen’avaitpasdétectéjusque-là.Vousêtesàlachasse
aumilliardaire?
Faithledévisageaavecstupeuravantd’éclaterderire.
– Bien sûr que non, ne soyez pas ridicule. Premièrement, l’argent ne m’intéresse pas et
deuxièmement,jenel’aijamaisrencontré.Ilestpeut-êtretrèslaid.
–Cen’estpascequ’ondit,répondit-il,soudainamusé.
–Quoiqu’ilensoit,ilestauxEtats-Unisencemoment,oùilnégociejenesaisquelcontratqui
va sûrement lui rapporter des millions de dollars. Il emploie des milliers de personnes, ce qui
signifiequejenelerencontreraisûrementjamais.
–Etçavousdécevrait?
– Pas le moins du monde. L'homme ne m’intéresse pas. Ce qui m'intéresse, en revanche, c'est
l'estancia où il élève des chevaux de polo. Raul Vásquez lui-même est un joueur célèbre. Ses
chevauxsontlesmeilleursdumonde.J’ailuunarticleécritparEduardo,sonvétérinaireenchef,je
l’aicontacté,etj’aiobtenuuntravailauculot.Jen’arrivaispasàycroire.
–Eduardovousaembauchée?
Sontonperplexelaissaitdevinersonincrédulité.
–Vousêtesvétérinaire?
–Oui,jesuisvétérinaire,réponditFaithengrinçantdesdents.Bienvenueauxxie siècle, où les
femmes peuvent devenir vétérinaires. Certaines sont même capables de parler et de marcher en
mêmetemps,mêmesilesnouvellesdecetexploitnesontpasencoreparvenuesenArgentine.
–Jesaisquelesfemmespeuventêtrevétérinaires,répondit-ild’untonégal.MaisLaLuciaestun
ranchoùl’onélèvedesétalons,pasunpetitcabinetdeprovince.
–Merci,maisjen’aipasenvied’unpetitcabinetdeprovince.Mapassion,cesontleschevaux.
Lesyeuxdel’hommedescendirentsursesbrasets’yattardèrent.
–Jenedoutepasdevotreenthousiasmeetdevotreprofessionnalisme,maistravailleravecles
chevaux requiert de la force physique. Surtout avec des étalons et des juments en proie à leurs
hormones.
– Nous y revoilà, vous pensez que tout est question de muscle, d’agressivité, de domination.
Vousdevezcomprendrequetoutcelaestfortpeuutileavecuncheval.RaulVásquezlecomprend,
lui.Ilemploiedesméthodesd’entraînementrévolutionnaires.
–Jeconnaisparfaitementsesméthodes.Maisrépondezàunequestion…
Ilmarquaunecourtepauseavantdereprendred’unevoixsuave:
–Quandvousavezchevauchéjusqu’ici,quiétaitlemaître?Vousoulecheval?
–Oh,lecheval,concédabienvolontiersFaith.Maislaforcebruten’yauraitrienchangé.
–Ilabesoind’êtremontéparunhomme.Unhommesuffisammentfortpourlecontrôler.
– Non, répliqua-t-elle du tac au tac, il a besoin d’être compris. Si vous voulez changer son
comportement, vous devez d’abord en déterminer les raisons. Les chevaux, tout comme les
humains,secomportentdemanièrerationnelle.
Elles’interrompit,unenouvellefoistroubléeparl’intensitéduregardqu’ilposaitsurelle.Elle
avait passé sa vie à étudier les chevaux et son temps libre en leur compagnie. Mais avec les
hommes,c’étaitdifférent.Ellen’avaitdoncaucuneidéedequoifairedanscegenredesituation.
Enfin si, corrigea-t-elle en silence. Elle savait que celui-ci la troublait comme aucun autre
auparavant.Etellesavaitqu’ilneluiétaitpasindifférentnonplus.
–Je…jeferaisbiend’yaller,déclara-t-ellesoudain.Ilfautque…quejerentre.
Ellesedemandauninstants’ilallaitl’arrêtermaisiln’enfitrien.Samainglissadelabridede
Fuego,puisilfitunpasenarrière.
–Soyezprudente,dit-ild’unevoixdouce.
Elleeutunsouriremédusé.Elleavaitespéréqu’illuiproposeraitdelarevoir.Elleauraitjuré
qu’ilallaitlefaire.
Réprimantcequiressemblaitfortàdeladéception,elleéperonnasamonture.
La Vásquez Polo Cup était un événement sportif majeur en Argentine. C'était également le
rendez-vousmondainleplusimpressionnantauquelFaithavaitassisté.
Elle n’était là qu’en tant que vétérinaire mais ne pouvait s’empêcher de jeter des coups d’œil
réguliersaupublicquiemplissaitlesgradins.
–Maiscommentfonttoutescesfemmespourêtreaussibelles?demanda-t-elle.Etpouravoir
descheveuxsilisses?Lesmiensfrisentparcettechaleur.
– C'est l’élite de Buenos Aires, répondit Eduardo, s’interrompant pour crier un ordre à un
palefrenier avant de reporter son attention sur elle. Elles ont passé la journée entière à se
pomponnerdansl’espoird’attirerleregarddupatron.
–Lepatron?RaulVásquez?Iljoueaujourd’hui?
–Oui.Maisiln’estpasencorearrivé.
–Lapartiecommencedanscinqminutes.Ilaintérêtàsedépêcher.
Curieuse, elle étudia de nouveau les gradins. Même à cette distance, elle apercevait l’éclat des
diamants,lesrobesdecouturiers,lescoiffuresélaborées.
–Cesfemmessonthabilléescommepourunesoiréeàl’ambassade,alorsqu’ellesvontpasserla
journéeencompagniedechevaux,ironisa-t-elle.
–C'estlepolo.Lesportleplusélégantaumonde.Toutlemondesemetsursontrenteetun.
A cet instant, les équipes déboulèrent sur le terrain dans un tonnerre de sabots. Faith ouvrit de
grandsyeux,captivéemalgréelleparlabeautéduspectacle.
Elle venait à peine de reporter son attention sur le poney dont elle s’occupait lorsque le
bourdonnementdistantd’unhélicoptèresefitentendre.
– Ah, le voilà, murmura Eduardo, la main en visière pour abriter ses yeux du soleil. Pile à
l’heure,commed’habitude.
MaisFaith,denouveauabsorbéeparsontravail,neprêtapaslamoindreattentionàl’appareil
quis’apprêtaitàatterrirnonloinduterraindejeu.
–Iln’estpasenparfaitesanté,marmonna-t-elle,étudiantleponeydeplusprès.
–Tuplaisantes?Lepatronestausommetdesaforme.
–Paslui,leponey,répliqua-t-elleavecirritation.RaulVásquezn’estpaslecentredumonde!
Laclameurdelafoulenoyalafindesaphrase,laforçantàredresserlatête.Lapartievenaitde
commencer.Lavitesseetlesdangersdujeuétaientdéjàeffrayantsàlatélévisionmaisvudeprès,
c’étaitpireencore.
–Oùest-il?demanda-t-elleàunpalefrenier.
–C'estceluiquiprendtouslesrisques.
Elleplissalesyeuxpourmieuxétudierlescavaliers.Acettedistanceetsouslescasques,ilétait
impossiblededistinguerleurstraitsmaisunhommesedistinguaitdesautres.Minceetmusclé,il
dirigeaitsonchevald’unemaintoutensepenchantpourcueillirlaballe,apparemmentindifférent
au danger. Il sembla à plusieurs reprises sur le point de tomber de sa monture mais se rattrapa
systématiquement chaque fois comme si c’était la chose la plus naturelle au monde. Etant ellemêmeunecavalièreémérite,Faithfutimpressionnéeparsamaîtrise.
Elle continua de le regarder évoluer, fascinée malgré elle, la tête légèrement rentrée dans les
épaules.Elles’attendaitàlevoirchuteraufuretàmesurequ’ilprenaitplusderisques.Maisiln’en
fit rien. Au contraire, d’un coup de crosse, il marqua un point spectaculaire qui arracha aux
spectateursunesalved'applaudissements.
– C'est presque angoissant à regarder, murmura-t-elle, ce qui arracha un éclat de rire au
palefrenier.
–Oui,c’esttrèsagressif.Maisnevousenfaitespas,leschevauxadorentça.
Se rappelant qu’elle était là pour travailler, elle se remit à examiner les poneys, étudiant
soigneusementchaqueanimalavantdedonnerdesconseilsauxpalefreniers,jusqu’aumomentoù
l’und’entreeuxluitapasurl’épaule.
–C'estlami-temps.Venez,nousallonstasserlesmottes.C'estlatradition.
Les spectateurs, descendus sur le terrain, s’étaient mêlés aux joueurs et avaient entrepris de
remettre les mottes de terre arrachées par les sabots des chevaux en place. L'exercice était autant
utilequesocial,permettantaupublicderencontrerlescavaliers.
Faiths’apprêtaitàremettreunemottedansuntroulorsqu’unelargebottenoirelefitavantelle.
Levantlatête,ellecroisaleregarddel’hommequ’elleavaitobservépendantlapartie.
RaulVásquez.
Etaccessoirement,l’hommequ’elleavaitrencontrélaveilleprèsdelarivière!
Ellelefixadansunsilenceabasourdi,pendantcequiluisemblauneéternité.C'étaitàcroireque
salangueétaitcolléeàsonpalais.
–Je…jenesavaispas,bredouilla-t-elleenfin.Vousnevousêtespasprésenté…
–Jen’enavaispasenvie,répondit-il,avecunsourire.
Elle rougit furieusement. Il était incroyablement séduisant et entouré de femmes splendides. Et
pourtant,c’étaitellequ’ilregardait!
–Vousauriezdûmedirequivousétiez,protesta-t-elle.
–Pourquoi?Vousvousseriezcomportéedifféremmentetjen’enavaispasenvie.
–Etcommentmesuis-jecomportée?
D’uncoupdepied,ilenfonçaunemotte.Sajambeeffleuralasienneenunmouvementdontelle
auraitjuréqu’ilétaitintentionnel.
–Vousétiezmerveilleusementnaturelle,répondit-ilenfin.
– Vous voulez dire que je n’ai pas passé toute la journée chez l’esthéticienne ou le coiffeur,
ironisa-t-elle,regardantautourd’elle.Jemedemandemêmepourquoivousprenezlapeinedeme
parler.
–Parcequevousmefascinez.
–Vouspréférezlesfemmessansmaquillage,couvertesdepoussièreetavecdelapailledansles
cheveux?
Ilsemitàrire.
–C'estlapersonnequim’intéresse,pasl’emballage.
–Allons,vousessayezdemedirequelabeautén’estpasuncritèreessentielpourquevousvous
intéressiezàunefemme?
–Non,cen’estpascequej’aidit.
Ses yeux plongèrent dans les siens, et elle eut l’impression de recevoir un coup de poing au
creuxdel’estomac.
–Je…Dois-jecomprendreque…
–Oui.Jevoustrouvetrèsbelle.Etjesuisravidevousvoirmuette,pourunefois.Onnevousa
jamaisfaitdecompliment?
Denouveau,uneincroyablealchimiechargeaitl’aird’électricité.Conscientedesregardscurieux
quis’étaientbraquéssureux,ellemarmonna:
–Toutmondenousobserve.
–Etçavousgêneparceque…?
–Vousêtespeut-êtrehabituéauxfeuxdesprojecteursmaiscen’estpasmoncas.
Irritéed’êtretroubléeparcethommeetparlamaladressedontellefaisaitpreuve,ellerenchérit
avecfougue:
–Peuimportequivousêtes.Jepensetoujoursquevousêtesmachoetsexiste.
Raulrenversalatêteenarrièreetpartitd’unriregrave.
– Vous avez raison, cariño. Je suis macho et sexiste. Mais je veux aussi passer du temps avec
vous.J’aimeraisquevousveniezàl’Océane.
L'Océaneétaitsarésidenceprivée,unevillad’architectesplendideconstruitesuruneplageface
àl’Atlantique.Elleétaitinterditeaupersonnel.
Qu’avait-ilentête,exactement?
Unseulcoupd’œilàsonsouriresatisfaitsuffisaitpourcomprendresesintentions.Sentantson
visage s’enflammer, elle fit un pas en arrière, tenaillée par une furieuse envie d’accepter son
invitation. Comment dire non à un homme comme lui ? A un homme que toutes les femmes
regardaientavecundésiràpeinevoilé?
Mais se jeter dans les bras d’un inconnu n’était pas son genre… Faisant taire la petite voix
tentatricedanssonesprit,elleréponditfermement:
–Nonmerci.
–Cen’étaitpasunequestion.
– Vous… vous me donnez un ordre ? demanda-t-elle, vibrante de colère et, elle devait bien
l’avouer,d’autresémotionsbeaucoupmoinsavouables.
–Appelezçaune…impérieuserequêtesivouspréférez.
Aprésent,elleavaitpresquedumalàrespirer.
–J’aidutravail.Jenefinispasavant10heures.
–Jem’arrangeraipourquevousayezlasoiréelibre.
Justecommeça.C'étaitlepouvoird’unmilliardaire,songea-t-elle.D’unclaquementdedoigt,il
obtenaittoutcequ’ilvoulait.
– Non, répondit-elle fermement. Ce ne serait pas juste pour les autres. J’ai bien peur qu’il me
faillerefuservotreinvitationaubaldeCendrillon.Eduardonetravaillepascesoiretnousavons
unejumentsurlepointdemettrebas.Jenepeuxpasquitterlesécuries.
LevisagedeRaul,àcesmots,redevintinstantanémentsérieux.
–Quellejument?
–Velocity.
Ilpritunebrusqueinspiration,passantunemainderrièresanuque.
–Sielleestsurlepointdemettrebas,ilfautqu’Eduardosoitlà.
–Mercidevotreconfiance,répliqua-t-elled’untonsec.Çafaitchaudaucœur.
–Çan’ariendepersonnel.
–Vousvoulezdirequevouspenseriezlamêmechoseden’importequellefemme?
Acesmots,leregarddumilliardaires’étrécitdangereusement.
–Velocityestmajumentlaplusprécieuse.C'estuneénormeresponsabilité.
– Les responsabilités ne me font pas peur. Je ne passe pas mes journées à me coiffer et à me
maquiller.J’aiétudiépendantseptansetjesuisparfaitementàmêmedefairefaceàcegenrede
situation.
Elleétaitàprésentencolère,aucombledelafrustration.S'était-elletrompéeencroyantpouvoir
poursuivreunecarrièreenAmériqueduSud?Etrepriseausérieuxicisemblaitêtreuneluttede
touslesinstants.
Elleauraitpuenpleurerderage.Maisleslarmesneferaientpasavancersacause…
–Letravailnem’effraiepas,renchérit-elle,glaciale.Cequim’agace,cesontleshommesqui
pensentqu’unefemmenepeutpasêtreunebonneprofessionnelle.Aprésent,sivousvoulezbien
m’excuser,mesponeysm’attendent…
EssayantdenepaspenseràRaulVásquez,Faithtravaillaauxécuriesjusqu’à10heures.Puiselle
décidaderendrevisiteàVelocityavantderegagnersachambredansl’ailedupersonnel.
***
Lepremiercoupd’œilluifitcomprendrequelajumentétaitendifficulté.Dansuncoindeson
box, le palefrenier qui lui était affecté essayait fiévreusement de composer un numéro sur son
téléphoneportable.
–Jen’arrivepasàjoindreEduardo!Ilnerépondpas!
–Eduardon’estpasenservice.C'estmoiquevousauriezdûappeler.
Tombant à genoux près de l’animal, elle saisit son stéthoscope, se maudissant d’avoir fait
confianceaupalefrenierpourlaprévenirencasdeproblème.
–Netouchezpascecheval!C'estlajumentpréféréedupatron.Vousallezavoirdesennuissi…
Ils’interrompit,unelueurpaniquéedansleregard,avantdereprendre:
– Il faut contacter Eduardo. Si quelque chose arrive à la jument, le patron va être furieux. Je
risquedeperdremontravail.
–Jememoquedupatronoudevosperspectivesdecarrière,maisjemefaisbeaucoupdesouci
pourVelocityetj’aibesoindevotreaide.
D’untoncalmepournepasaffolerl’animal,Faithdonnauneséried’instructionsaupalefrenier,
qui ne bougea pas le petit doigt et resta debout dans son coin, à fixer le cheval de ses yeux
exorbités.
–Siellemeurt…
–Ceseramaresponsabilité!Je…Oh,etpuisallezaudiable.Sortezdelà.Sivousnevoulezpas
m’aider,trèsbien.Trouvezquelqu’unquipeutlefaire.
–Jevaisvousaider.
RaulVásquezvenaitd’apparaîtredansl’encadrementdelaporte.Lepalefrenierparutrétréciret
sefondredansl’ombreduboxmaisFaith,pourunefois,étaittropabsorbéeparsatâchepourse
laissertroubler.
Elleluirépétalesordresqu’elleavaitdéjàdonnés.Raulinclinalatêtepuis,s’agenouillantàson
tour,murmuraquelquechoseenespagnolàl’oreilledel’animal.Faithnesavaitpascequ’ildisait
maisl’effetfutimmédiat.Velocitysecalma,luipermettantdetravaillerplusefficacement.
Quelques minutes plus tard, la jument poussa un soupir tandis que son poulain glissait dans la
paille.
–Bonnefille,murmuraFaithenluiflattantl’encolure.
Raulsourit,puisposasurelleunregardpresquetroublantd’intensité.
–Jevousdoisdesexcuses.Jevousaisous-estimée.
Latensionétaitpalpable,etilssedévisagèrentensilencependantunlongmoment.Puis,Faithse
renditcomptequesonemployeurportaitunetenuedesoirée.Nuldoutequ’ilavaitinterrompuun
dînerpourvenirs’enquérirdel’étatdeVelocity.Peut-êtremêmeundînergalant,avecunefemme
quineluiavaitpasditnonlorsqu’ill’avaitinvitée…
Celaauraitpuêtreelle.
Elleserappelalesbeautésquiavaientrivalisépourcapterl’attentiondeRaul,aumatchdepolo,
etsedemandalaquellel’avaitemporté.Non,iln’auraitpaspulachoisir.LeshommescommeRaul
Vásquezcherchaientdespotiches,pasdesfemmescommeelle,dédiéesàleurcarrière.
Revenantàlaréalité,elleadressaunsourirelasaumilliardaire.
–Toutirabien,Raul.Maisjevaisresterlàpourm’enassurer.Mercidevotreaide,ellem’aété
précieuse.
–Vouscomptezdormirdansleboxdemoncheval?
–Oui,répondit-elle,essayantdenepasfixerletriangledepeaubronzéequerévélaitsachemise
entrouverte.
–Maisvousêtesdeservicedepuis6heurescematin.
– Je prendrai ma journée demain. Je ne veux pas partir sans être sûre que tout va bien. Vous
devezmecomprendre,non?D’aprèscequ’ondit,vousêtesvous-mêmeunaccrodutravail.
–C'estdifférent.
– Parce que vous êtes un homme et que je suis une femme ? Je vous en prie Raul, ne
recommencezpas.
Soudainépuisée,ellen’avaitqu’uneenvie:qu’ils’enailleetlalaissedormir.
–Jenevaispasquitteruntravailàmoitiéfait.Etapparemment,vousêtesvous-mêmeaubeau
milieud’undîner.Rejoignezdoncvotrecompagneavantqu’elleneselasseetnedécidedepartir.
Ilyeutunlongsilenceavantqu’ilnedemande:
–Vousvouscachezderrièrevotretravail,ondirait.Pourquoi?
–Jenemecachepas.Maisoui,j’aimemontravailsic’estcequevousvouliezdire.
Elle lui jeta un rapide regard puis détourna la tête, le cœur battant et l’esprit bouillonnant de
fantasmes.
–Cequisepasseentrenous,murmura-t-il.Çavouseffraie,n’est-cepas?
Elleétaittrophonnêtepourprétendrenepascomprendredequoiilparlait.
–Oui,çam’effraie.Parcequec’estuneillusion.Laseuleidéequevousetmoi…
Ellechassal’idéeenquestiond’ungesteavantdereprendre:
–C'estridicule.Nousnepourrionspasêtreplusdifférentsl’undel’autre.Vousêteshabituéàdes
femmessophistiquées,etjesuisunetravailleuse.J’aimemacarrièreetjenecherchepasdutoutà
fonderuncouple.
–Sivousnecherchezpasàfonderuncouple,vousêteslafemmedemesrêves,ironisa-t-il.Etle
plaisir,cariño?Vousnevoyezpasd’objectionàenprendre,n’est-cepas?
Elles’empourpraaussitôt.
–Raul…
–Pourquoirougissez-vous?Quandils’agitdevotretravail,vousarborezuneconfianceetune
assuranceimpressionnantes.Maisquandnoussommesseuls…
D’undoigt,ilsuivitlacourbedesamâchoire,luiarrachantunfrissondeplaisir.
–Pourquoiêtes-voussitimideavecmoi?
–Jenesuispashabituéeàtantdemachisme,voulut-elleplaisanter.
Maissoncompagnoncontinuadeladévisagerintensément.
–Vousn’avezpasbeaucoupd’expérience,c’estça?
–J’aieudespetitsamis,marmonna-t-elle,piquéeauvif.
–Maisdeshommes,cariño?C'estuneexpériencenouvellepourvous,n’est-cepas?
Elleledévisagea,lagorgesècheetlecœurbattant.
–Que…quesignifiecariño?
LesouriredeRauls’élargit.D’unbondsouple,ilseredressaetsedirigeaverslaporte.
–Jevousl’apprendraidemain.Enattendant,reposez-vousetreprenezdesforces.Vousallezen
avoirbesoin.
2.
Faith passa la nuit près de la jument et, lorsqu’elle émergea de l’écurie le lendemain matin,
trouvaRaulVásquezenpleineconversationavecEduardo.
Lorsquelemilliardairesetournaverselle,ellesentitsoncœurs’affoler,uneréactiondésormais
familière.
–Vousêtesàprésentofficiellementencongé,annonçalemilliardaire.Venezavecmoi.
Sans attendre sa réponse, il prit sa main dans la sienne et, après avoir dit quelque chose en
espagnolàEduardo,entraînaFaithversl’héliportsituédel’autrecôtéduterraindepolo.
–Jevoulaisalleraulit,marmonna-t-elle.
Elleregrettacesmotsenvoyantunsourireentenduglissersurseslèvres.
–Çapeuts’arranger.
Ellefrémit,sedemandantsielleétaitchoquéeouamusée.
–Je…jenefaispascegenredechoseentempsnormal.
–Quelgenredechose?
La gorge nouée, elle jeta un coup d’œil à l’hélicoptère noir, aux lignes futuristes, puis se
retournapourregarderl'estancia.
–Jenem’envolepasDieusaitoùavecdesétrangers.
– Vous pouvez passer la journée dans votre chambre et dîner avec les palefreniers ce soir,
réponditRaulavecunhaussementd’épaules.Ouvouspouvezdîneravecmoi.
Ilposalesyeuxsurseslèvres,qu’ellehumectacommeparréflexe.
–Dîner?Oùça?
Raulouvritlaportedel’hélicoptère,toutsourires.
–Dansunendroitoùnouspourronsparlertranquilles.
Ellehésita.Celaneluiressemblaitpas.Ellen’appartenaitpasàcemonde.Ellenevoyageaitpas
enhélicoptèreencompagniedeséduisantsmilliardaires.
Pendant qu’elle était en proie à ses doutes, Raul l’installa dans le cockpit, puis s’assit à côté
d’elleavantdecommenceràappuyersurdifférentsboutonsavecunerapiditétrahissantunelongue
expérience.
–C'estvousquipilotez?
–Jen’aimepasdéléguer,confessa-t-ilenriant.Etpuis,nousn’avonspasbesoindespectateurs,
n’est-cepas?
Denouveau,unfrissond’anticipationlaparcourut.
–Jenesaispaspourquoivousfaitesça,grommela-t-elle.Etjenesaispasdavantagepourquoije
lefais.Jen’ainirobedesoie,nidiamants.
–Ah,maisnousdevronsyremédier.
Puisiltournaverselleunregardrieuretajoutad’unevoixétonnammentdouce:
– Détendez-vous. Je ne vais pas vous manger. Je vous promets que vous allez passer un bon
moment. C'est ma façon de vous remercier pour avoir sauvé Velocity. Et de vous présenter mes
excusespourvousavoirsous-estimée.Vousavezététrèsimpressionnante.
Cescomplimentsétaientaussiinattendusquebienvenusetlafirentrosir.
–Cen’étaitpasl’avisdevotrepalefrenier.
–Ilnetravaillepluspourmoi.
–Vousl’avezrenvoyé?demanda-t-elle,stupéfaite.Cen’estpasunpeusévère?
–Vousavezrequissonaideetilvousl’arefusée.
Acettenouvelle,elleéprouvaunpincementdeculpabilité.
–Toutdemême,delààlerenvoyer…Vousnepensezpasquevousdevriezluidonneruneautre
chance?
–Jeluiaidéjàdonnéunechanceenl’embauchant.
Rauln’avaitpascessédesourire.Maisunéclatdanssonregardrévélaituneautrefacettedesa
personnalité.Ilyavaitlàunedureté,uneférocitémême,quiexpliquaitsansdoutepourquoiilétait
devenurichesijeune.
Sentantqu’ilvalaitmieuxchangerdesujet,Faithregardaautourd’elleetdemanda:
–Oùallons-nous?
–Vousverrez.
Quelques secondes plus tard, l’hélicoptère s’envolait. D’abord nerveuse, elle finit par oublier
toutessescraintesfaceauspectacledelapampa.
–Lavueestincroyable,murmura-t-elle.
Ilssurvolèrentdevastesétenduesherbeusesseméesçàetlàdelacscouleurd’opaleoudemarais.
Elle apercevait des troupeaux encadrés par des hommes à cheval. Ces derniers paraissaient
insignifiantsetincroyablementvulnérablesdansununiversd’untelgigantisme.
Enfin, un lac plus grand que les autres se dessina à l’horizon et Raul entama leur descente.
Quelquesminutesplustard,lespatinsdel’hélicoptèretouchaientuneairedeterrebattueprévueà
ceteffet.
–Nousysommes.Cesontleslimitesdel'estancia.
Bondissantàbasdel’appareil,ilvintluiouvrirlaporte.Puis,ill’entraînaversunpavillonde
boisluxueuxconstruitauborddel’eauetentouréd’arbres.
–C'estmaretraitesecrète.
Elles’arrêtanet,lecœurbattantlachamade.Toutallaittropvite.
–Vousvoulezdireque…noussommesseulsici?
Ilposasurelleunregardsombre,légèrementmoqueur.
–Çavousennuie?Vousêtesnerveuse?
–Un…unpeu,reconnut-elle.
Ilrevintverselled’unpaslent,puisencadrasonvisagedeseslargesmains.
–Nousétionspourtantseulslorsdenotrepremièrerencontresurlapampa.Etvousn’étiezpas
nerveuse.
– C'était une rencontre accidentelle, répondit-elle en faisant de son mieux pour ignorer les
bouffées de chaleur qui lui montaient au visage. Je ne fais pas ce genre de chose, d’habitude. Je
n’auraisjamaisdûvenir.
–Arrêtezdepaniquer.Vousn’avezrienfaitdutout.Etvousneferezriencontrevotregré.Tout
cequejevousdemande,c’estdemelaisserprendresoindevousenguisederemerciementpour
avoirsauvémonchevalpréféré.Considérezçacommeunejournéeauspa.
–Unejournéeauspa?
Les lèvres de Raul s’approchèrent dangereusement des siennes mais il fit soudain un pas en
arrière,ungrandsourireauxlèvres.
–Jeveuxvousgâter.Etenréponseàvotrequestion,nousnesommespasseulsici.Vouspouvez
criersibesoinest,etmesdomestiquesaccourrontpourvoussauveretmebattrecommeplâtre.
Quelques marches les conduisirent sur une terrasse de teck qui semblait flotter au-dessus de
l’eau.Là,degrandesbaiesvitréesdonnaientaccèsàunechambrebaignéedelumière.
–Voicivosquartiers.Reposez-vous,vousleméritez.Quandvousserezprêtepourunmassage,
décrochezletéléphoneetappuyezsurlatouchezéro.
Faithclignadesyeux,complètementabasourdie.Satêtebourdonnaitdequestionsmaisellen’eut
pasleloisirdelesposer:Raulétaitdéjàparti.
Elledormitquelquesheuresdansl’immenselit,puisenpassauneautreallongéeàl’ombre,sur
lepatio,tandisqu’unejeunefemmelamassaitavecdeshuilesparfumées,chassantlatensiondeses
muscles.
Aprèslemassage,etpendantqu’elleadmiraitlavue,uneautreemployéeluifitlesonglesetun
coiffeurs’occupadesescheveux.Elleavaitl’impressiond’êtretombéeaubeaumilieuduparadis.
Rauln’avaittoujourspasdonnésignedevielorsqu’elleregagnasachambreetellesedemandait
cequ’elleétaitcenséefaire.Devait-ellelecontacter?Etcomment?
Unetachedecouleurattirasoudainsonattention.Tournantlatête,ellehoquetaenapercevantla
magnifique robe de soie étalée sur le lit. Le tissu paraissait briller légèrement dans la lumière
déclinantedecettefindejournée.Elles’enapprochaavecprécaution,commesielleredoutaitde
dissiperunrêve.
Alorsellevitlecollierdediamantsquireposaitpresquenonchalammentsurlarobe.Lespierres
brillaientdemillefeux,pareillesàdeséclatsdeglace.
Faithétaittellementsidéréequ’illuifallutquelquesinstantspourremarquerlacarte.D’unemain
tremblante,elleouvritl’enveloppeetlutlemessageécritd’unemainassurée.
Toute femme mérite, au moins une fois dans sa vie, de se voir offrir une robe de soie et des
diamants.R.
Abasourdie,ellefixalescadeauxétaléssursonlit.Ilsdevaientcoûterunevéritablefortune.Elle
nepouvaitdécemmentpaslesaccepter.Ellesemordillalalèvre,tourmentéeparl’indécision,fitun
pasenarrièrecommepouréchapperàlatentationavantdeserapprocherdenouveau.
Enfin, cessant de réfléchir, elle prit la robe et la laissa glisser sur son corps nu. En tant que
femme,illuiétaittoutsimplementimpossibled’yrésister!Ellevoulaitseulementl’essayer.Juste
quelquesminutes.
Lasoiecoulasursapeau,luiarrachantunpetitsoupirdeplaisir.Lorsqu’ellesetournaversle
miroir,sonrefletluifitl’effetd’unchoc:c’étaitàcroirequecetterobeavaitététailléepourelle.
CommentRaulavait-ildevinésataille?
Avec l’étrange impression d’usurper la vie d’une autre, elle ajusta sa tenue, puis essaya
d’attacher le collier de diamants derrière sa nuque. Des mains chaudes couvrirent soudain les
siennesetterminèrentletravailpourelle.
En proie à un mélange d’appréhension et de tension sexuelle, elle pivota avec raideur pour se
trouveraussitôtprisonnièreduregarddeRaul.
–Comments’estpasséevotrejournée?murmura-t-il,faisantglissersesmainsdesépaulesde
Faithpluslentementquenécessaire.Quepensez-vousdemonhospitalité?
–Jenepeuxpasacceptervoscadeaux.
–Biensûrquesi.Cen’estrien.
Pourlui,cen’étaitpeut-êtrerien.Maisellesoupçonnaitquececollieràluiseulvalaitcequ’elle
gagnaitenunan!
–Jenefaisqu’essayerl’ensemble.Jevaisl’enlever.
–Faitesdonc,répondit-ilavecunsourireravi.
Ellelevalesyeuxauciel,mi-agacée,mi-amusée.
–Voussavezcequejeveuxdire.
–Non.
–Cen’estpasmoi.Cen’estpasmavie.
Avecdouceur,illafitdenouveaupivoterverslemiroir.
–Quiest-cedonc,sicen’estpasvous?
Elleouvritdegrandsyeux.Elleavaitpeineàsereconnaître.Sescheveuxtombaientenunflot
dorésursesépaules,larobeflattaitsasilhouetteetlesdiamantsbrillaientaucreuxdesagorgesur
sapeaulaiteuse.Elleavaitl’impressiond’êtreuneprincesse.
– Peut-être que je les porterai ce soir, concéda-t-elle, se moquant en son for intérieur de sa
faiblesse.Maisaprèsça,jevouslesrendrai.
Raulsouritmaisneréponditpasdirectement.
–Nousdîneronssurlaterrasse.Lavueestmagnifique.
–Vousfaitesçasouvent?
D’ungeste,RaulcongédialeserveuravantdesepencherpourresservirduvinàFaith.
–Dîner?ironisa-t-il.Touslesjours.
–Non,jeveuxdire…Jouerlesbonnesfées.
– C'est bien la première fois qu’on me traite de fée… Mais pour répondre à votre question,
j’aimeoffrirdescadeauxàunefemmequisaitlesapprécier.
Puisilluisouritavantd’ajouter:
–Maisjevoisquevousavezàpeinetouchéàvotreassiette.Vousn’avezpasfaim?
Faith,quiavaitl’impressiond’avoirdesnœudsdansl’estomac,secoualatête.
–Non.Je…jesuisdésolée,çaal’airdélicieuxmais…
–Vousn’avezpasàvousexcusersijevouscoupel’appétit,répondit-il,visiblementamusé.Jele
prendscommeuncompliment.
–Vousêtesdécidémenttrèssûrdevous.
– Et vous, vous êtes très nerveuse. Je ne comprends pas pourquoi. Il n’y a pas d’hommes en
Angleterre?
Pasd’hommescommeluientoutcas,pensa-t-elleavantderépondre:
–J’étaistropoccupéepourlesremarquer,répondit-elle,évasive.
– Hmm. Vous êtes particulièrement dévouée à votre travail. Pourquoi avez-vous choisi de
devenirvétérinaire?
– C'est un vieux rêve. Mon père était vétérinaire et je l’ai toujours aidé. Même quand j'étais
enfant,ilmedonnaittoujoursquelquechoseàfaireetm’encourageait.
–Ildoitêtrefierdevous.
Elleeutunehésitation,puisluiconfia:
–Mesparentssontmortsilyadeuxans.C'estl’unedesraisonsdemaprésenceenArgentine.Ils
me manquent beaucoup et j’avais besoin de faire quelque chose de différent. J’ai pensé que de
mêlervoyageettravailseraitunebonneidée.
–Vousn’avezpasenviedevousmarier,d’avoirdesenfants?demandaRauld’untondétachéqui
contrastaitavecl’éclatincisifdesonregard.Quandunefemmepenseàl’avenir,c’estgénéralement
encestermes.
–Unautrecommentairetypiquementmacho.Vouspensezvraimentquelaplaced’unefemmeest
àlamaison?
–C'estcequelaplupartveulent.Pasvous?
–Non.Pasmaintenant,entoutcas.Jesuisbientropjeunepourpenseràça.J’aitoutemacarrière
devantmoi.Dansdixans,peut-être,quisait…Enattendant,j’aimetropmontravail.
Setournantpouradmirerlecoucherdesoleil,ellereprit:
–Etvous?Pasdefemmeetd’enfantsenvue?
Sonregardparuts’assombrir.
–Non.Surtoutpas.
–Vousvoulezdirequevousn’envoulezpastoutdesuite?
Ses doigts longs et tannées s’étaient refermés sur le pied de son verre comme s’il voulait le
briser.
–Jeveuxdirequejen’enveuxpasdutout.Rappelez-vous-en,Faith.
Ellefronçalessourcils,étonnéeparletonmétalliquequ’avaitprissavoix.
–Pourquoidevrais-jem’enrappeler?
–C'estjusteunpointsurlequeljetiensàêtreclair,audébutd’unerelation.
Ellesentitaussitôtunechaleurinsupportableenvahirsonvisage
–Nous…nousavonsunerelation?
–Jenesaispas…Qu’enpensez-vous?
3.
Dixmoisplustard
– Elle a traversé juste devant un taxi sans regarder. A en croire un témoin, elle a de la chance
d’êtreencoreenvie.
Delachance?
Enentendantcesmotsdulitd’hôpitaloùellegisait,Faithdécidadenepasouvrirlesyeux.Elle
nesesentaitpaslemoinsdumondechanceuse.
–Desnouvellesdelafamille?demandalemédecin.
Derrièresespaupièrescloses,ellesentitladouleurs’intensifier.Non,ellen’avaitpasdefamille.
Elleavaittoutperdu.Etilluiétaitimpossibledesavoir,desesblessuresapparentesoudecellesqui
n’étaientqu’intérieures,lesquellesétaientlesplussérieuses.
–Non,répondituneinfirmière.Ellen’avaitpasdepièced’identitésurelle.Onsupposequeson
sacaétévolé.Maiselleportaitunerobequejenepourraispasmepermettremêmesijetravaillais
soixantejoursparmois.Soitelleaunbontravail,soitelleaunpetitamitrèsriche.
–Nousnepouvonspaslalaisserpartirtantqu’ellen’anullepartoùaller.Etc’estd’autantplus
ennuyeuxqu’ellenousbloqueunlit.Jenecomprendspas,quelqu’unabiendûs’apercevoirdesa
disparition…
Commesiquelqu’unsesouciaitd’elle…
–Faith?Vousêtesréveillée?
Comprenantquelepersonnelhospitaliernes’eniraitpassansluiavoirparlé,elleouvritenfin
lesyeux.Lemédecinluiadressaunsourireetdemandadecetonvaguementcondescendantréservé
auxpatients:
–Commentnoussentons-nousaujourd’hui?
–Jevaisbien,mentit-elle.Beaucoupmieux.
–Jesupposequevousavezhâtederentrerchezvous?
Chez elle ? Elle n’avait plus de chez-elle. Elle avait vécu en Argentine pendant un an et avait
cru…
Elledétournasoudainlatête,serendantcompteavechorreurqu’elleallaitpleurer.Ledésespoir
quis’étaitaccumuléenelleaufildesjoursmenaçaitd’exploser.
Avec un énorme effort de volonté, elle essaya de se concentrer sur un sujet neutre, de ne pas
penseràl’Argentine,aufaitqu’ellen’avaitplusnifoyer,nitravail,ni…ni…
Avecungémissement,elleseroulaenpositionfœtale,secouantlatêtecommepourchasserses
souvenirs.
– Vous avez mal ? demanda aussitôt le médecin en se penchant sur elle. Nous pouvons vous
donnerquelquechosesivousvoulez.
Rienquipourraitsoignercettedouleur,songea-t-elleenréprimantunenausée.
–C'estterrible,murmura-t-elle.
–Votretête?Allons,vousn’avezqu’unecicatricedanslescheveux,elledisparaîtraenunriende
temps.
–Pasmatête.Mavie.
Maisdéjà,lemédecinnel’écoutaitplus.Ils’étaittournéversl’infirmièrepourdemander:
–Quelestl’étatdesplaies?
–Toutcicatriseàmerveille,réponditl’intéressée.Iln’yaurapasdeséquelles.
Deséquellesvisibles,peut-être,songeaFaith.Maisintérieurement,c’étaituneautreaffaire.
Ignoranttotalementledramequisejouaitenelle,lemédecineutunsourireapprobateur.
– Vous vous remettez remarquablement vite, surtout lorsque l’on considère l’état dans lequel
vous êtes arrivée il y a deux semaines. Il va falloir penser à rentrer chez vous. Vous avez de la
famille,oudesamis?
–Je…jemedébrouilleraiseule,réponditFaithdansunsouffle.
–Allons,ildoitbienyavoirquelqu’un…Oupensez-vousqu’ilestpossiblequevoussouffriez
d’amnésiepartielle?
Ellesetournaalorsverslemédecinpourleregarderdroitdanslesyeux.
– Mes parents sont morts il y a presque trois ans et je suis fille unique, répondit-elle, se
demandant combien de fois elle devrait se répéter. Et ma mémoire va très bien, comme vous le
voyez.
Malheureusement,fut-elletentéed’ajouter.Carelleauraitvolontiersoubliélesévénementsdes
deuxderniersmois.Danssoncas,cen’étaitpasl’oubliquiposaitproblème,maislessouvenirs!
Elleserappelaiteneffetabsolumenttoutetcelalamettaitàlatorture.Ellen’avaitqu’uneenvie:
seblottirsouslesdrapspourpleurertoutesleslarmesdesoncorps.Celaluiressemblaitpourtant
si peu… Où étaient passées son énergie, sa combativité ? Sa propension naturelle à prendre les
problèmesàbras-le-corpsetàlesrésoudre?
Elle avait toujours été résistante. La vie était dure, elle le savait et ne se faisait pas d’illusion.
Maisjamaisellen’auraitcruqu’elleseraitsidure.
Paniquéeparlaviolencedesesémotions,elleseremitsurledosetfixalesfissuresduplafond.
Presque aussitôt, elle crut y discerner le dessin d’une baie, d’une plage, et vit une femme et un
hommenussurlesable…
Avecunsoupirabattu,Faithcouvritsonvisagedesesmains.Maissamémoiren’avaitpasbesoin
dusecoursdesavueetlessouvenirscontinuèrentd’affluer.Illuisemblaitqu’unénormetrounoir
l’aspiraitetellenetrouvaitpaslaforced’yrésister.
Danslelitvoisindusien,unevieilledames’agita,confuseetdésorientée.
–Docteur,docteur!
Marmonnant quelque chose dans sa barbe, le médecin se retourna en demandant avec une
politesseexagérée:
–Oui,madameHitchins?Quepuis-jefairepourvous?
–M’épouser,depuisletempsquevousmelepromettez!Arrêtezdefuirvosresponsabilités!
L'infirmièreposaunemainsurseslèvrespourétoufferunéclatderire,tandisquelemédecin
prenaitlateinted’unebetterave.
–Vousêtesàl’hôpital,madameHitchins!déclara-t-ilenélevantlavoixetendétachantchaque
syllabe,commes’ilparlaitàunenfant.Etjesuismédecin!
–Necroyezpasunmotdecequ’ildit,grommelalavieilledameàl’attentiondeFaith.C'estun
vaurien.Leshommessonttouslesmêmes.Ilsveulentleplaisir,sanslesresponsabilités.
Faitheutunrireétranglé.
–J’auraisappréciéceconseililyaquelquesmois.Ilarriveunpeutroptard.
Aumêmeinstant,uneautreinfirmièreentradanslapièce,lesjouesrougesetlesyeuxbrillants
d’excitation.ElledévisageaFaith,unemainsurleslèvres.
–Jecroisquej’ailapreuvequevousêtesamnésique.
–Jevousdisquenon.
– Vraiment ? Comment se fait-il que vous ne vous rappeliez pas être mariée ? Votre mari est
venuvouschercher.Etjedoisvousdirequevousavezdelachance.Jenediraispasnons’il…
Lemédecinlarappelaàl’ordred’unfroncementdesourcils,etl’infirmièrereprit:
–Jevoulaissimplementdirequecen’estpaslegenred’hommequ’onoublie.SiFaithnes’en
souvientpas,c’estqu’elleestvraimentamnésique.
Bouillant d’impatience, Raul jeta un coup d’œil à sa montre, sans remarquer l’émoi que son
arrivéeavaitprovoquéauprèsdelapopulationfémininedel’hôpital.
Ilétaitentièrementtenduverssonbutetceretarddansl’accomplissementdesesplansl’irritait.Il
resta donc immobile quelques minutes – il n’avait jamais eu à attendre autant de sa vie entière –
avantdesedécideràprendreleschosesenmain.D’unpasrapide,ilremontalecouloiretpénétra
danslachambreàsixlitssituéeàsonextrémité.
LemédecinsaluasonapparitionparunegrimaceréprobatricequeRaulignoratotalement.Son
regardbalayalapiècepourseposerenfinsurlajeunefemmeallongéedanslelitleplusprochede
lafenêtre.
Lacolèrequis’étaitaccumuléeenluiexplosaavecuneviolencemeurtrièreetilsepassalamain
derrièrelanuquepourseretenirdedonneruncoupdepoingdansquelquechose.Puisilregarda
denouveaulasilhouettefrêleetsolitaireetsacolères’évanouit,remplacéeparunflotd’émotions
biendifférentes.
C'étaient des émotions qu’il ne voulait pas ressentir et qui défiaient ouvertement sa certitude
d’êtreenpleincontrôledelui-même.
La femme causerait toujours la perte de l’homme. Cela n’avait jamais changé et ne changerait
jamais. D’Eve au jardin d’Eden à Pandore et sa boîte, il y avait toujours une femme dont le but
semblaitêtredecompliquerlavied’unhomme.
Danssoncas,c’étaitcellequisetrouvaitdanscelitd’hôpital.Ilpouvaitnégocierlescontratsles
plusimportantssansciller,gagneretperdredesmillionsenuneminuteenconservantsonsangfroid.Maisdèsqu’ilsetrouvaitdanslamêmepiècequeFaith,c’étaitcommesisaraisonabdiquait.
–Faith.
Elletournalatêteverslui.Sitôtqu’ellel’aperçut,sesbeauxyeuxvertssedilatèrentsousl’effet
d’uneexpressiond’effroietd’horreur.
–Non!
Puis elle se blottit sous les draps. Sa réaction lui fit l’effet d’un coup de poing au creux de
l’estomac.Maislepirefutdevoirlerestedeségratignuresethématomesdiversquicouvraientses
épaulesetsonvisage.
–Maisqu’est-cequit’estarrivé?
Deux semaines plus tôt àpeine, ces mêmes lèvres souriaient à la vie. Ses longs cheveux, une
incroyable cascade qui évoquait de l’or pur, avaient depuis été coupés court et lui donnaient une
expressionplusvulnérableencore.
Ques’était-ilpassé?
Son cœur se serra mais il repoussa aussitôt cet apitoiement malvenu. Elle était la seule
responsabledecequis’étaitpassé.
– Nous avons dû lui couper les cheveux pour traiter ses blessures, expliqua le médecin après
s’êtreéclaircilavoix.
–Diosmío,ellen’aquelapeausurlesos!
Prisdecourtparsespropresémotions,Rauldirigeatoutesacolèresurlepraticien.
–Vousnenourrissezpasvospatientsdanscethôpital?
– Elle a été inconsciente pendant longtemps, répondit l’autre d’un ton égal. Sa guérison est
spectaculaire.Nousluiavonssauvélavie.
–Tantmieux.Parcequesiçan’avaitpasétélecas,vousauriezpuchangerdemétier.Comment
a-t-elleétéblessée?
L'infirmièrefitunpasenavant,visiblementdésireusededésamorcerleconflitquis’annonçait.
–Elleaétérenverséeparunevoitureensortantdel’aéroport.Elleatraversésansregarder.
Leslèvrespincées,Rauls’approchadulit.MaisFaithluitournaledosenrabattantlesdrapssur
sa tête. Repoussant farouchement la culpabilité qui menaçait de le submerger, il ordonna
sèchement:
–Regarde-moi.
Souslesdraps,ellenebougeapas.
–Fuirlesproblèmesnerésoudrarien.Tuasuneidéedusouciquejemesuisfait?
Lacolèrenel’avaitpasquittéaucoursdesdeuxdernièressemaines,leharcelantjouretnuit.Il
s’étaitpromis,lorsqu’ilreverraitFaith,deluifairecomprendrecequ’ilpensaitd’elle.
Ilcrutd’abordqu’ellen’allaitpasrépondre.Enfin,elleseredressaetilsentitlesmotsmourir
surseslèvres.
Elle avait l’air aussi fragile qu’un nouveau-né. Sa chemise de nuit était trop grande, ses joues
creuses,sesyeuxcernésfixaientunpointdanslevide.Elleressemblaitàunefemmebrisée.Apart
le«non»qu’elleavaitcriélorsqu’ilétaitentré,ellen’avaitpasprononcéunmot.
Incapabled’affrontercespectaclepourlemoment,ilsetournabrusquementverslemédecin.
–Dequoisouffre-t-elleexactement?
–Malgrélagravitédel’accident,elles’esttrèsbienremise.Elleaencoredesmauxdetêteetdes
vertiges mais c’est normal. Reste la question de sa mémoire. Nous avons du mal à évaluer
l’étenduedesonamnésie.
–Ellen’estpasamnésique,déclaraRaul.
Unseulcoupd’œilluiavaiteneffetsuffiàconstaterqu’elleserappelaittoutcequis’étaitpassé
entreeux…
–Mais…ellenesesouvientpasdevous,fitlemédecin,médusé.
UnsourireglacialétiraleslèvresdeRaultandisqu’ilreportaitsonattentionsurFaith.
–Oh,si,ellesesouvientparfaitementdemoi.Sicen’étaitpaslecas,ellenem’ignoreraitpas
commeça.Etlaraisondesonattitude,c’estquesaconsciencelatravaille.Jemetrompe,cariño?
Cettefois,elletournalatêteversluimaiscontinuadegarderlesilence.Sonregard,cependant,
étaitéloquent.Lepassébouillonnaitentreeux,pareilàunvolcansurlepointd’exploser.
–Jeneleconnaispas,déclara-t-ellesoudainàl’attentiondupersonnelmédical.Jenel’aijamais
vudemavieetjen’aimepassesmanières.Jenepartiraipasaveclui.
Rauleutunrireameret,ignorantlepanneauluiinterdisantdelefaire,s’assitauborddulità
quelquescentimètresd’elleàpeine.
–Ilsn’ontpasd’autrechoixquedetelaisserpartiravecmoi.Jesuistaseulefamille.
Ilcrutvoirsesyeuxbrillermaislorsqu’ilvoulutl’étudierdeplusprès,elletournalatêteversla
fenêtre.
–Vousdevezbienadmettrequesamémoiresembleunpeubrumeuse,repritlemédecin.
–J’aidécouvertquelamémoiredeFaithétaittrèssélective.Illuiarrived’oubliercertainsfaits
importants.Commeuncontratentredeuxpersonnes,parexemple.
Ses mots eurent l’effet désiré. Non sans satisfaction, il la vit s’empourprer sous l’effet de la
colère.
– Il n’y a jamais eu le moindre « contrat » entre nous. Je ne suis pas un de tes associés. Mais
pourquoia-t-ilfalluquejeterencontre!Jetedéteste.Tuessanscœur,cynique,insensible…
Lemédecintoussota,l’airgêné.
–Ehbien,ellesemblesesouvenirunpeudevousetdevotre…caractère.C'estbien.Ellenousa
ditqu’ellen’avaitpasdefamille.
–Jen’aipasdefamille.SicethommeetmoiétionslesdeuxderniersêtresvivantssurlaTerre,
l’espècehumaineseraitcondamnée.
Cette pique, contre toute attente, rassura Raul. La lueur féroce qui brillait dans son regard
indiquait que l’accident n’avait eu que des conséquences physiques sans gravité. Son esprit était
intact.C'étaitbienlaFaithqu’ilconnaissait.
Etsoncorpsréagitaussitôtparuneviolentemanifestationdedésir.
Il soupira, médusé. Leur compatibilité, au lit, était extraordinaire. Cela l’avait rendu aveugle
d’ailleurs,iln’avaitpasvouluserendreàlaréalité:ilauraitdûfuiràtoutesjambeslapremière
fois qu’il l’avait vue. Il n’était pas la bonne personne pour elle et elle ne l’était certainement pas
davantagepourlui.
Réalisantquelemédecinetl’infirmièreattendaientuneréponse,ildéclara:
–Jesuisbiensonmari.Jemechargedetout,àprésent.
Surcesmots,iltirasonportabledesapocheetcommençaàpianoterdessus.
– Ne te gêne pas pour nous surtout, ironisa Faith. Profites-en pour t’occuper de tes affaires.
Pourquoiperdrelapossibilitédegagnerunoudeuxmillions,aprèstout?
– Je ne me fatiguerais pas à décrocher le téléphone pour un ou deux millions, répondit-il du
mêmeton.Tudevraislesavoir,àprésent.
Lemédecinsecoualatête,visiblementatterré.
–Vousavezdesproblèmes,touslesdeux.
Raul se redressa en le fusillant du regard, puis sortit dans le couloir, son téléphone collé à
l’oreille.Lorsqu’ilrevint,l’infirmièreavaitdisparuetlemédecinremplissaitdesformulairesd’un
airlas.
–Sijelalaissepartiravecvous,ilfautquevousmesigniezcespapiers.Voussereztenupour
responsablesiquelquechosearrive.
– Elle sera mieux là où je l’emmène que dans cet horrible endroit, répondit Raul, regardant
dédaigneusementautourdelui.
– Cet horrible endroit ? répéta le praticien, scandalisé. Nous soignons les gens dans cet «
horribleendroit»commevousdites!Etce,depuislerègnedeHenriVIII!
–Etc’estsansdouteaussiladernièrefoisquelesolaéténettoyé,jesuppose?
–Biendit!s’exclamalavieilledameallongéedanslelitvoisindeFaith.Voilàunhommequine
mâche pas ses mots. Et qui est très séduisant… Il n’y a plus de vrais hommes, de nos jours.
Monsieur,sicettejeunefemmecontinuedevousrésister,sachezquejesuislibre.
Amusémalgrélui,Raulluidécochaunsourire.
–Gracias,jem’ensouviendrai.
–C'estunemauvaiseaffairepourvous,madameHitchins,raillaFaith.Jevousauraiprévenue.
Raul,àcesmots,serenfrogna.
– Avec une telle opinion de moi, on se demande pourquoi tu étais si pressée de me traîner à
l’église.
–Jenet’aitraînénullepart.Depuisquandtelaisses-tudictertaconduite?
–Tum’asmisdansunepositionimpossible!
Sentant qu’il perdait le contrôle de lui-même, Raul prit une profonde inspiration. Elle le
provoquaitetlui,commeunimbécile,ilfonçaittêtebaisséedanslepanneau.Voilàl’effetqu’elle
avaitsurlui.
Etc’étaitlamêmechoseaulit.Sesyeuxvertsetsessouriresavaientexercéunempirepresque
humiliantsurlui.Ilétaitravid’enêtrelibéré.
Libéré?IlneseraitjamaislibérédeFaith.Malgrésonétat,ilavaittoujoursautantenviedelui
fairel’amouretilosaitappelercela«êtrelibéré»?
–Va-t’en,reprit-elleaumêmemomentd’unevoixtremblante.Tuvoulaisunevoiedesortie,je
t’enoffreunesurunplateau.Jen’aipasbesoindetoi.
–Malheureusement,çaarriveunpeutroptard.Jesuistonmari,cariño.Bienquejecomprenne
quetul’aiesoublié,vuquetut’esenfuiedeuxheuresseulementaprèsnotremariage!
–Jenemesuispasenfuie.Jenesuisniunegamine,niuneprisonnière.Jesuispartieparceque
j’ai découvert l’énorme erreur que j’avais faite. Je ne t’aurais jamais épousé si j’avais su quel
genred’hommetuétais.
Seremémorantlescirconstancesdeleurmariage,Raullâchaunrirenarquois.
–Tusaistrèsbienquecen’estpasvrai.Quoiqu’ilensoit,tuserasmieuxavecmoiqu’ici,même
situmedétestes.
–Non.Jenevienspasavectoiettunepeuxpasm’yforcer.Jenesuispastonemployée.
–Sil’undemesemployéss’étaitcomportécommetul’asfait,ilnetravailleraitpluspourmoi.
Mais puisque nous sommes légalement unis, je ne peux pas te renvoyer. Crois-moi, ce n’est pas
fauted’avoirréfléchiauproblème.
Sontéléphonesonnaetilpritl’appelsansluilaisserleloisirderépliquer.Ilraccrochapresque
aussitôtpourannoncer:
–Monavionestprêtàdécoller.Ilyauneéquipemédicaleàbord.
Acettenouvelle,elleserenfonçadanssescoussins.
–Jenevienspas.Jenesuispascomplètementremise.
–Tuachèverastaconvalescenceausoleil,prèsdelapiscine.
Faith,indécise,posasurluisesgrandsyeuxverts.Raulsedemandasisapâleurétaitdueàson
étatouàlaperspectivedevivreavecluialorsqu’elleregrettaitleurmariage.
Elleavaitvoululaguerre,ellel’avaiteue.C'étaitellequiavaittirélapremière.Aprésent,elle
devaitenassumerlesconséquences.
4.
Vingt-quatreheuresplustard,Faithsomnolaitàl’ombred’unparasol.Justedevantelle,leseaux
bleues de la plus belle piscine qu’elle avait jamais vue reflétaient le soleil et faisait danser des
refletsmouvantssurl’abondantevégétationexotiquequil’entourait.
Aupremiercoupd’œil,unvisiteurauraitpusecroireenpleinejungle.Quiauraitpusoupçonner
que le siège de la Vásquez Corporation, en plein centre de Buenos Aires, abritait à son dernier
étageunsplendideloftéquipéd’unjardinsursontoit,enpleinciel?Faithelle-mêmen’enavaitpas
crusesyeuxlorsqu’elleétaitarrivéeetavaitdécouvertl’endroit.
PourquoiRaull’avait-ilconduitelàetpasàl'estancia?sedemanda-t-ellepourlacentièmefois.
Plus curieux encore, pourquoi avait-il insisté pour la ramener en Argentine ? Qu’attendait-il
d’elle?
Lorsqu’elleétaitpartie,quelquesheuresàpeineaprèsleurmariage,ellenes’étaitpasattenduà
ce qu’il la suive. Pourquoi l’aurait-il fait, après avoir mis un point d’honneur à lui faire
comprendrequ’ilnel’aimaitpas?
Enserappelantsesmotsexacts,elleneputréprimerunfrisson.Elleavaitétésichoquéeparses
propos qu’elle n’avait eu qu’une hâte : mettre le plus de distance possible entre eux. Maintenant
encore,ellenecomprenaitpascommentelleavaitpusetromperàcepointsursoncompte.
Rouvrant les yeux, elle soupira et tendit la main vers le verre de limonade posé sur une table
prèsdesachaiselongue.IlluiétaitimpossibledesedétendrecarellesavaitqueRaulnetarderait
pasàréapparaître.
Etait-ilentraindetravailler?Commentpouvait-ilseconcentrersurquoiquecesoitalorsque
leurmariagepartaitàvau-l’eau?
Levantlesyeux,ellelevitsoudainquitraversaitlaterrasseécraséedesoleildanssadirection.Il
s’était douché et changé après le vol et portait à présent une chemise de lin bleu pâle sur un
pantalondetoile.L'auradepuissancequ’ildégageaitluiasséchalagorge,commetouteslesfois
qu’ellelevoyait.
L'espaced’uninstant,ellesedemandaquoifaire.Ellehésitaitentrehurler,bourrerdecoupsce
corps athlétique, ou plus simplement fondre en larmes. Au final, épuisée, elle décida de ne rien
fairedutout.
–Laprochainefoisquetudécidesdet’enfuir,réfléchis-yàdeuxfois,lançasonmarid’unton
acide.J’aipassélamatinéeàréglerlesproblèmessurvenuspendantquejetepoursuivaisaubout
dumonde.
–Jenet’aipasdemandédemepoursuivre.
–Tunem’aspaslaissélechoix.Situvoulaisunmariagelibre,tun’auraispasdûépouserun
Argentin.
Surunsignepresqueimperceptibledelui,desserveursapparurentetentreprirentdedresserune
tablesurlaquelleilsdisposèrentunbuffetfroid.
–Jen’aipasfaim,déclara-t-elleenlesobservant.
–Ilfautquetumanges.
Elle tourna les yeux vers lui avant de comprendre son erreur. Car en dépit de la façon dont il
l’avait traitée, il l’attirait toujours autant. Malgré son imposante stature, il se mouvait avec une
grâceféline.Soncorpsévoquaitlaforceetlavitesse,lapuissanceetlasouplesse,autantdequalités
qu’ilappliquaitàtoutcequ’ilfaisait:travail,sport…sexe.
–Jenevoudraispasteretenir,marmonna-t-elle.Jesuissûrequetubrûlesd’enviederetournerà
tontravail.
–Jemesuisoccupédescriseslesplusurgentes,jen’aidoncrienàfairecetaprès-midi.
La mine sombre, il s’assit sur une chaise voisine et se servit un verre de limonade avant
d’ajouter:
–Ilyadeschosesplusimportantesàrégler.
–Plusimportantesquetontravail?
Endépitdesatension,ellesemitàrire,avantdeseressaisirensentantqu’elleétaitsurlepoint
defondreenlarmes.
–Jecroyaisquec’étaitmoiquiavaisreçuuncoupsurlatête,marmonna-t-elle.
–Pourquoit’es-tuenfuie?demandaRaul,impassible.
Laquestionétaitsiinsultantequ’elledutseretenirpournepaslegifler.
–Situessérieux,alorstuesencoreplusinsensiblequecequejecroyais.
–Jenesuispasinsensible.
Repoussantsachaise,ilselevabrusquementetlatoisadesonregardnoir.
– Je ne comprends simplement pas pourquoi quelqu’un comme toi voudrait partir au moment
mêmeoùelleatteintsonbut.
–Sonbut?répéta-t-elled’unevoixtremblante.Tucroisquejesuisunecroqueusedediamants?
Soncompagnonladévisagead’unœilnarquois,sansrépondre.Etcesilenceétaitéloquent.La
jeunefemmedéglutit,déterminéeànepass’effondrerdevantlui.
–Jesuispartieparcequetum’asditdeschosesaffreuses!Tuasétéodieux,stupideetcruel.Tu
croisquej’avaisenvied’enentendredavantage?
LesyeuxnoirsdeRaulplongèrentdanslessiens,flamboyants,accusateurs.
–C'esttoiquiascréécettesituation.Ilfallaitallerjusqu’aubout.
–Pourquoifaire?Tuasététrèsclairquantàtaposition,danscetteaffaire.
Siclairqu’ilavaitparquelquesmotsbiensentisdétruitsesrêves.Etsanaïveté.
–Situprendstesjambesàtoncouàlapremièredifficulté,cemariages’annoncetrèsintéressant.
Situm’avaisparlé,nousaurionspuarrangerleschoses.
–Tune«parlais»pas,Raul.Tuaccusais!Jugeetpartieàlafois!Tun’aspasvouluécouterce
quej’avaisàdirepourmadéfense!
Serendantcomptedecequ’ellevenaitdedire,elleenchaînaaussitôt:
–Etjen’aipasàmedéfendre,parcequejen’airienfaitdemal!Riendutout!Alorsarrêtede
metraitercommesij’avaiscommisuncrime.
–Tuasprétenduquetuprenaislapilule.
–Etc’étaitvrai!
Voilà,c’étaitdit.Lesujetquiavaitprécipitélacriseetempoisonnéleurrelationflottauninstant
entreeux.
Faithserenditcomptequ’elles’étaitmiseàtrembler,maisellen’auraitsudiresic’étaituneffet
desafaiblessephysiqueouuneréactionauxaccusationsdeRaul.
– Je n’avais pas prévu de tomber enceinte ! renchérit-elle, lançant ses dernières forces dans la
bataille. Mais ça, je te l’ai déjà dit. Si tu ne veux pas l’entendre, c’est ton problème. Retourne
travailler,nousn’avonsplusrienànousdire.
Tournantlestalons,ils’éloignaetellecrutuninstantqu’ilallaitluiobéir.Maisils’immobilisa
quelquesmètresplusloin,lespoingsserrés,toutsoncorpsirradiantd’unecolèrecontenue.
Elleleconnaissaitassezbienpoursavoirqu’ilétaitàboutdepatience.Etcelal’étonnaitd’autant
plusqu’ilmanifestaitengénéralunsang-froidimpressionnantentoutescirconstances.Iln’étaitpas
devenumilliardairepourrien.Quandsesconcurrentscraquaientsouslapression,Raul,lui,restait
demarbre.
Ellel’étudiaensilenceàtraverslebrouillarddeseslarmes,notantlalignetenduedesesépaules.
Lorsqu’iltournalatêtepourfixerl’horizon,elleentraperçutledébutdebarbequicommençaità
couvrirsamâchoire.
DepuisquandRauloubliait-ildeseraser?Celasignifiait-ilqu’ilsouffrait?Sic’étaitlecas,elle
enétaitravie.Ilsavaientaumoinsquelquechoseencommun!
– Comment te sens-tu, physiquement ? demanda-t-il en continuant de lui tourner le dos. Le
personnelmédicals’estbienoccupédetoi?
–Ohoui.Rassure-toi,tun’aspersonneàrenvoyeroùàpoursuivreenjusticedececôté.
Ilpivotaverselle,l’ombred’unsourireauxlèvres.
–Jevoisàcecommentairequetonespritfonctionneparfaitement.
– Oui, ma tête va très bien. Je n’ai pas besoin de l’équipe médicale. Ils doivent te coûter une
fortune.
–Ah,maisc’estl’undesavantagesd’êtremafemme,cariño.
–Tonargentnem’ajamaisintéresséettulesaistrèsbien.Jenesavaismêmepasquituétais
quandjet’airencontré.Etjegagnaistrèsbienmaviesanstoi,mercibeaucoup.Alorsn’insultepas
notrerelationenlaissantsupposerquej’enavaisaprèstafortune.
–Pourquoitesoucierducoûtdel’équipemédicale,alors?Nousavonsdéjàassezdeproblèmes
commeça.Inutiled’enrajouter.
–Jem’enpréoccupeparcequenousnesommesplusensembleetquejeneveuxrientedevoir.
–Maintenantjemedemandesitun’aspasperdularaison,aprèstout.
Poingssurleshanches,fermementcampésursesjambesécartées,ilenchaîna:
–Tut’esjetéesouscettevoitureàdessein?
Laquestionluiarrachaunhoquetdestupeur.
–Non!Commentpeux-tumedemanderunechosepareille?
– Parce que je n’ai pas peur d’affronter les sujets difficiles, contrairement à toi. Tu étais…
perturbée.
Perturbée?Ellefaillitéclaterderire.Lemotétaittellementinadéquatpourdécrirelesentiment
d’anéantissementquil’avaitdévoré!
–Effectivement,jemesentais«perturbée»,commetuledis,etc’estpourçaquej’aitraversé
sansregarder.C'étaitunaccident.
–Pourquoiavoirditàl’hôpitalquetun’avaispasdefamille?C'étaituneattitudeextrêmement
égoïste.Tuauraisdûm’appeler.
–Pourquoidiableaurais-jefaitunechosepareille?
–Pourmedireoùtuétais,répliquasoncompagnon,laminesombreetlamâchoirecrispée.
–Jen’avaispasderaisondecroirequeçat’intéressait.
–Arrêtecespuérilités,s’ilteplaît.
– Ça n’a rien de puéril ! Je suis honnête, c’est tout ! Notre dernière confrontation n’avait rien
d’amical.Tum’asfaitsouffrir,Raul.Terriblement.
– Je n’ai fait que me montrer honnête quant à mes sentiments, moi aussi, répondit-il sans
manifesterlamoindretracederemords.
Les tremblements de Faith s’accentuèrent. Malgré la chaleur, elle avait aussi froid que si on
l’avaitlarguéeenmaillotdebaindansl’océanArctique.
–J’ail’impressiondeneplussavoirquitues.Tun’esplusl’hommequej’aiconnu.
Sentantsonestomacsenouerd’alarmantefaçonetsatêtesemettreàtourner,elleachevadansun
souffle:
–Va-t’en.Toutestfini,Raul.
Lâchantunjuron,ilsedétournadenouveau,commesileseulfaitdelaregarderluipesait.
– Peut-être que tu n’as pas voulu voir la vérité, Faith. C'est bien moi, je n’ai pas changé.
Simplement,tun’aspréférévoirquecequiteconvenaitetocculterlereste.
–C'estfaux.Jesaisquetupeuxêtredurenaffairesmaistun’es…tun’étaispascruel.
Sentantleslarmesmenacerdenouveau,ellebattitfurieusementdespaupièrespours’éclaircirla
vision.
–Jusqu’aujourdenotremariage,reprit-elle,tuétais…
–Quoi?Naïf?Unbelimbécile?coupa-t-ilfurieusement.
–Jenecroispasqu’ilsoitnaïfdefaireconfianceàlapersonnequel’on…
Elleavaitfaillidire«quel’onaime»,maisellesavaitqu’ilnel’avaitjamaisaimée.
–…quel’onépouse,acheva-t-elle.Iln’estpasnaïfdefaireconfianceàcellequel’onépouse.
–Ohvraiment?fitRauld’untonlourddesarcasme.Çadépendpeut-êtredesraisonsdumariage
enquestion,tunecroispas?Dansnotrecas,ilestbasésurlemensongeetlatromperie.Jenevois
pascommentlaconfiancepourraitentrerenlignedecompte!
–Jenet’aijamaismenti!Etjenecomprendsmêmepascommenttupeuxlecroire.C'estàcause
detonargent?C'estunproblèmepropreauxmilliardaires?Qu’est-cequetucrois,Raul?Quetu
estellementfabuleux,quetuastellementd’argentquelesfemmesvonttoutfairepourtepiéger?
C'estça?
Sonmarisepassaunemainlassesurlevisage,puissecoualatête.
– Laissons le sujet de côté pour le moment. Tu n’es pas en état d’en discuter sereinement et
franchement,moinonplus.Lefaitestquetuauraispuêtretuéedanscetaccident.
–Cequiauraitréglétoustesproblèmes.
– Dios mío, c’est une remarque parfaitement injustifiée ! A aucun moment je n’ai souhaité ta
mort!
Ellehaussalesépaules.Elleavaitlagorgehorriblementsècheet,heureusedeceprétextepour
détourner le regard, prit son verre de limonade. Mais sa main tremblait tellement qu’elle en
renversaunedosegénéreusesursarobe.
Avecunjuron,Raulluiôtasonverredesmains,puisleluiportaauxlèvres.
–Bois,ordonna-t-il.Tuasbesoindet’hydrater.
Sesmanièresautoritairesavaientbeaulahérisser,ellesavaitqu’ilavaitraison.Elleobtempéra
donc,buvantàpetitesgorgéesjusqu’àcequesonverresoitvide.
Sa présence, cependant, ne l’aidait guère à recouvrer ses moyens. Il était à présent si proche
d’elle qu’elle sentait la chaleur qui émanait de son corps, ce qui eut pour effet d’aggraver ses
tremblements.
–Tun’aspasl’airbien.Jevaisappelerlemédecin.
–Non,c’estinutile,jet’assure.
Claquantdesdents,elleserallongeasursontransat,enpleineconfusionintérieure.Raulluiavait
clairementditqu’ilregrettaitleurmariageetpourtant,ilétaitvenulachercherenAngleterrepour
laramenerenArgentine.C'étaitàn’yriencomprendre.
–Pourquoisuis-jeici,Raul?demanda-t-ellefaiblement.Qu’est-cequetumeveux?
–Tuesmafemme.Taplaceestàmescôtés.
Elle ferma les yeux, déprimée. Ainsi donc, ce n’était qu’une question de possession. Elle était
pareille,àsesyeux,àunetêtedebétail.
–Jen’auraisjamaiscruquecegenredechosenousarriverait…,murmura-t-elle.
–Jeveuxbientecroire.Tuasfaitunpari,tuasperdu.Aieaumoinslecouraged’enaffronterles
conséquences.C'estàcausedetoiquenousensommeslà.
–J’enaiassez.Jeneveuxplusenparler.
– Je croyais que parler était ce que les femmes faisaient de mieux ? Que ça permettait de
résoudren’importequelproblème?
–Jen’airiend’autreàtedire,Raul.Tuesencolère,tudisdeschosesaffreuses…J’aivraiment
l’impressiondenejamaist’avoirvraimentconnu.
Une ombre passa dans les yeux de son mari, une nébuleuse mouvante qui suggérait de noirs
secrets,profondémentenfouis.
–Jenepeuxpasêtrel’époused’unhommequinem’aimepas,reprit-elleaveceffort.Jeveux
divorcer.Donne-moilespapiersquejedoissigneretjeleferai.
Commeilnerépondaitrien,ellelevadenouveaulesyeuxetconstataqu’ils’étaitéloigné.Ilse
tenaitàprésentauborddelapiscine,ledostourné.Maisilpivotasoudainementpourlacloueràsa
chaiselonguedetoutelaforcedesonregard.
–Tutedémènescommeunefollepourmeforceràt’épouseretmaintenant,tuveuxdivorcer?
Aumomentmêmeoùturemporteslabataille,tudéposeslesarmes?
– Je n’ai jamais vu notre relation comme une guerre, Raul, répondit-elle avec une immense
lassitude.
– Peut-être pas une guerre ouverte, non, mais tu m’as habilement manipulé pour me forcer à
t’épouser.Aprésentquetuasatteinttonbut…
–Jen’aipasdebut!coupalajeunefemmeenseredressantbrusquement.Jenesuispasunede
tesentreprises!Jen’aipasdestratégieoudeplanquinquennal!
–Vraiment?Aquilafautesinousensommeslà,pourtant?Lemariagenefaisaitpaspartiede
mesprojetsetj’aiétéclairsurcepointdèsledébut.
Avançantd’unpas,ilrepritd’unevoixvibranted’émotion:
–Pasdemariage.Pasdebébé.Tuesentréedanscetterelationlesyeuxgrandsouverts.
L'accusationétaitsiinjustequel’espaced’uninstant,elleeutdumalàrespirer.Commentavaitellepucroirequeleurssentimentssuffiraientàcomblerlegouffrequilesséparait?
–Tutetrompes.Jenevisaispaslemariage.J’étaistrèsheureuseavectoietçamesuffisait.Je
croyaisquenouspartagionsquelquechosedespécial.
– C'était le cas. Mais ça ne te suffisait pas, n’est-ce pas ? Tu voulais davantage… Tu pensais
savoircequejedésiraismieuxquemoi-même!
–Jenet’aijamaismenti,Raul!Toutçanefaitpaspartied’unplanélaboré!C'étaitunaccident!
–Lapilule,c’estscientifique.
–Exactement,etlascienceditqu’elleestàquatre-vingt-dix-neufpourcentefficace!Ilesttemps
quetuapprennesquetunepeuxpastoutcontrôlerdanslavie.Lesaccidents,çaarrive!J’ensuisla
preuvevivante.Maisçan’aplusd’importance,n’est-cepas?
CommeRaulouvraitlabouchepourrépondre–etsansdoutecontestersespropos,commeàson
habitude–ellel’interrompitd’ungestevif.
– Non ! Ça suffit, maintenant. Je ne suis pas d’humeur à supporter une nouvelle volée de
critiques.
–Tunesaismêmepascequej’allaisdire.
–Ohsi,jelesais.Quelquechosedugenre«situn’étaispastombéeenceinte,jenemeseraispas
sentiobligédet’épouser»oubien«quellechancequetuaiesperdulebébé».
Sesyeuxs’emplirentdelarmesmais,lesravalantfarouchement,elleenchaîna:
– Je ne me sens pas chanceuse. Je sais que tu n’en voulais pas, et je te répète que c’était un
accident,maisjeregretted’avoirperdulebébé.
Raulétaitàprésentsitenduquetoutsoncorpsparaissaitvibrer.Ilacquiesçasèchement.
–Jecomprends.
–Non,tunecomprendspas!Commentlepourrais-tu?Jet’aiintentionnellementtenuàl’écart
detoutça,pourteprotéger,pendantquetuétaisàNewYork.Jenevoulaispasajouteràtonstress
parcequetutravaillaissurcettefusion…
–C'étaituneOPA.
–Jemefichedecequec’était!Jesavaissimplementquec’étaitimportantpourtoi!C'estpour
çaquejenet’airiendit.Maisévidemment,tul’asmalinterprété,ettuascruquec’étaitparpeur
quetun’annulesnotremariagequej’avaisgardélesilence.
–C'étaituneconclusionnaturelle.
–Pourunhommetelquetoi,Raul.N’importequid’autrem’auraitremerciée.
Lecœurserré,elledétournalatête.Elleétaitépuiséeparcetteluttedetouslesinstants.
–Va-t’en.Laisse-moitranquille.Aquoibonparlerdetoutça?
–Noussommesmariés.Nousdevonsréglerleproblèmeensemble.
– Certains problèmes n’ont pas de solution et c’est le cas de celui-ci. Est-ce que tu te rends
comptequetun’aspasuneseulefoissongéàmessentimentsdanscetteaffaire?
Avecunsoupir,ilsemassalanuque.
–Ecoute,jemerendsbiencomptequetuasétééprouvée…
– Etonnant, non ? Je perds un bébé, je découvre que mon mari est un monstre, je me fais
renverserparunevoiture,je…
Elles’interrompit,lesoufflecourt,lestempesvrilléesparlamigraine.
–Calme-toi!Lesmédecinsontditquetudevaisévitertouteformedestress.Tuasraison,ilest
inutiledeparlerdetoutça.Nomeimporta.Nousdevonsallerdel’avant.
– Aller où ? demanda-t-elle d’une voix étranglée. Tu es soulagé, mais ce n’est pas mon cas.
Notrerelationestmorteet…etjen’aimêmepasdebébépourmelarappeler,acheva-t-elled’une
voixbrisée.
–C'estpourçaquetuauraisdûmequitterilyasixmoispourunhommequipartagetonidéal
defélicitédomestique.Tuauraisdûpartiraulieudemeforcerlamain.
–C'étaitunaccident.
Faithcouvritsonvisagedesesmainspourcacherseslarmes,maiscefutenvain.Elleentendit
Rauljureravantdesentirsacuisseeffleurerlasiennecommeilprenaitplaceprèsd’elle.
–Arrêtedepleurer.Jenet’aijamaisvuepleurerjusqu’àprésent.Tueslafemmelaplusforte
quej'aiejamaisconnue.Tutedemandescequej’aicontrelemariage?Regardecequ’ilafaitde
toi.Nousétionsheureux,avant.
–Çan’arienàvoiraveclemariage.C'est…c’estl’hommequetuesdevenu…
–J’étaisdéjàcethomme.Tulesavais.Tusavaisquenousn’avionspasd’avenir,quetufinirais
parvouloirdesenfants.
–Jen’aijamaispenséàça!
–Quandtuascomprisàquelpointtuavaisenvied’unbébé,tuauraisdûpartir.
Dejustesse,elleretintunéclatderirehystérique.
–Maiscommentpeux-tuêtresidouéenaffairessitun’écoutespascequ’ontedit?Jeneveux
plus en discuter avec toi, de toute façon. Tu tiens à croire le pire, à t’imaginer que tu as été
manipulé?Trèsbien.Toutcequejetedemande,c’estdedivorcer.Jeveuxoubliercedésastre.
Etellevoulaitplusquetoutl’oublier,lui.Sic’étaitencorepossible…
Aussitôt,levisagedeRaulseferma.
–Iln’yaurapasdedivorce,répliqua-t-ilsanslamoindrehésitation.Tuaschoisitavoie,ilfaut
allerjusqu’auboutmaintenant,cariño.Jedoistelaisser:j’aidescoupsdefilàpasser.Jeteverrai
audîner.
5.
Qu’était-ellecenséeporteraudîner?
Faithavaitfuil’Argentineavecsonsacàmainpourtoutbagage.Etforcément,ellenes’étaitpas
arrêtéeencheminpourseracheterunegarde-robe!
Jetant un coup d’œil à sa montre, elle constata qu’elle disposait encore de quelques heures. Et
puisquel’appartementdeRaulsetrouvaitenpleincentredeBuenosAires,ellen’auraitsansdoute
pasdemalàtrouverquelquechosed’approprié.
Elle emprunta l’ascenseur et, tandis qu’il descendait, s’adossa à la paroi, songeuse. Raul avait
tellementchangéquec’enétaiteffrayant.Etellen’avaitpasbesoind’encherchertrèsloinlaraison.
Entombantenceinte,elleavaitcommislepéchéultime.
Elle tressaillit lorsque les portes de l’ascenseur s’ouvrirent sur l’homme qui occupait ses
pensées.Lorsqu’ill’aperçut,sonvisagesecontractaaussitôtsousl’effetdelacolère.
–Maisqu’est-cequetufais?Tuescenséetereposer!
Latensionsexuellequiexplosaentreeux,commeàl’accoutumée,luicoupamomentanémentle
souffle.Etsoudain,endévisageantRaul,ellecompritpourquoileurrelationavaitétédèsledépart
vouéeàl’échec.
Ilsappartenaientàdeuxmondesdifférents.Passeulemententermesdefortune,maiségalement
d’éducation, de culture, d’expérience de la vie. Et ils avaient eu beau parler, il n’avait jamais
évoquésonpassé.
Enrésumé,ellenesavaitpresqueriendelui!
Ilrevenaitd’unrendez-vousd’affaires,àenjugerparlecostumeanthracitequ’ilportaitsurune
impeccable chemise blanche. Sentant son pouls s’affoler, elle se demanda comment elle pouvait
encore le trouver si désirable après tout ce qu’il lui avait fait subir. Etait-elle masochiste sans le
savoir?
– Je… je vais faire du shopping, déclara-t-elle enfin, se rappelant qu’il venait de poser une
question.
–Jecroyaisqueleshoppingnet’intéressaitpas?
–Jen’airienàmemettre.Tousmesvêtementssontrestésàl'estancia.
Raulladévisageauninstant,sourcilsfroncés,avantd’acquiescer.
–Excuse-moi,jen’avaispaspenséàcedétail.Tuauraisdûm’enparlerplustôt.
Ilfitunpasenavantetlesportesdel’ascenseurserefermèrentderrièrelui.Asongranddam,
elleseretrouvaprisonnièred’unespacequiluiparutsoudaintropétroit.
Des visions érotiques envahissaient son esprit, la forçant à regarder droit devant elle et à se
concentrer sur un détail insignifiant de la cabine. Mais cette stratégie ne l’aida pas à diminuer le
désirquimontaitenellecommelapressiondansunemachineàvapeur.
Avecunpincementaucœur,elleserenditcomptequec’étaitlapremièrefoisqu’ilssetenaientsi
proches l’un de l’autre sans se toucher. Elle enviait son détachement apparent, le contrôle qu’il
exerçaitsursesémotions.
Peut-êtreaurait-elledûmoinss’investirdansleurrelation.Maiscelaaurait-ilrenduleurrupture
moinsdifficile?Rienn’étaitmoinssûr.
Raulnefaisaitpasminedevouloirparleret,deplusenplustendue,elletentadeseraisonner.
Commentpouvait-elleunseulinstantsongeràunequelconquerelationavecunhommequinelui
faisaitpasconfiance?Laconfiance,dansuncouple,étaitaussiessentiellequel’oxygèneàunêtre
humain.
N’avait-elledoncaucunefierté?Ouétait-cetoutsimplementqu’elleavaitsous-estimélepouvoir
del’amour?
–Je…jenesavaispasquetuavaisunappartementàBuenosAires,remarqua-t-elledansl’espoir
dedétournerlecoursdesespensées.
Avecunhochementdetête,Raultirasursacravateavantd’appuyerdupoingfermésurlebouton
quicommandaitl’accèsàsonappartement.
–Jetravailletard,parfois,secontenta-t-ilderépondre.
Lacabines’élevadenouveau.Elleétaitàl’extérieurdubâtimentetsaparoideverreoffraitune
vuespectaculairesurlaville.
–C'estvraimentmagnifique,murmuraFaith.
–Oui.Maisj’aimisl’appartementenvente.
–Vraiment?
–Jemesuisaperçuqu’unascenseurdeverren’étaitpaslemoyenidéaldeprotégersonintimité.
Elleacquiesçaensilence.Elleavaitbeaumalleconnaître,ellesavaitàquelpointilétaitattachéà
sa vie privée. Il ne reculait devant aucune dépense pour la préserver. C'était d’ailleurs la raison
pour laquelle il passait la majeure partie de son temps à l'estancia, sertie entre des dizaines de
milliersd’hectaresdepampad’uncôtéetl’Atlantiquedel’autre.
Là,ils’adonnaitàsapassion,l’élevagedechevauxdepolo.L'estanciaétaitdevenuelepointde
passage obligé de tout ce que le monde comptait d’amateurs fortunés. Bien sûr, l'estancia n’était
qu’une fraction de l’empire de Raul, qui englobait également des hôtels, des banques, des
entreprisesdenégoce.Ils’étaitdiversifié,luiavait-ilexpliquéunjour,afind’éviterqu’unebrutale
baissed’activitédansunsecteurenparticuliernemetteenpérill’ensembledesesaffaires.
Lesportess’ouvrirentenfinsurl’appartementetRauljaillitlepremierdelacabine,commes’il
avaithâtedes’éloignerd’elle.Aprèsuneinfimehésitation,ellelesuivit.
– C'est vraiment impressionnant, dit-elle en admirant la vue qu’offraient les grandes baies
vitrées.
Rauleutunhaussementd’épaules.
–C'estjusteuneville.
–Pourquoias-tuachetécetappartementsicen’estpaspourlavue?
– Je te l’ai dit : j’avais besoin d’un endroit où me doucher et me changer. Et c’est un
investissement.
Il se tenait immobile, découpé contre l’horizon, irradiant une incroyable tension. L'énergie
pulsaitdetoutsoncorpsenondespresquepalpables.
– L'argent entre donc en compte dans la moindre de tes décisions ? ne put-elle s’empêcher de
remarqueravecironie.
–Pasdanstoutes,non,réponditRaulensetournantverselleetenplongeantlesyeuxdansles
siens.
Lemessageétaitclair.Sil’argentl’avaitintéressé,ilnel’auraitpaschoisieelleenpremierlieu.
Faithledévisagea,sedemandantcommentelleavaitjamaispusesentiràl’aiseaveclui.Touten
luiévoquaitlepouvoir,l’agressivité,lavirilité.C'étaitunmélangeentêtant,certes,maisinfiniment
dangereux.Iln’étaitpasétonnantqu’elles’ysoitbrûlélesailes.
–Jenet’aipasencorefaitvisitermaislachambreestàl’étage,déclara-t-il.
Savoixetsesmanièresétaientsèches,commes’ilbrûlaitd’envied’endirebeaucoupplusmais
secontenait.
–Prendsunedoucheetutiliselesvêtementsquetutrouverasdanslesplacards.
Les vêtements ? Faith sentit son cœur tressauter dans sa poitrine tandis que son estomac se
serrait.Pourquoiavait-ildesvêtementsfémininsdanssesplacards?Ellen’étaitjamaisvenueet…
Iln’yavaitqu’uneexplicationpossible.
Serappelantquelafaçondontilconduisaitsavienelaregardaitplus,elleserralespoings.
–Al’étage?répéta-t-elle.
D’unsignedetête,illuidésignaunescalierqu’ellen’avaitpasremarqué.
–L'appartementestunduplex.
Elleseforçaàsourirepuis,redoutantqu’ilnelisesontroubledanssesyeux,sedirigeaàgrands
pasversl’escalier.EllesentaitleregarddeRaulbraquésursanuquesibienqu’elledutseretenir
pournepassemettreàcourir.
Lachambreoccupaitl’intégralitédupremierétage.Rongéeparlajalousie,elleévitaderegarder
endirectiondel’immenselit,unlitqu’ilavaitdûpartageravecunnombreincalculabledefemmes.
Pourlapremièrefois,ellesedemandaits’ilavaiteudesmaîtressesdurantleurproprerelation.
Aprèstout,ils’étaitrenduàplusd’unerepriseàBuenosAirespendantqu’ellerestaitàl'estancia
pour s’occuper des chevaux. Qui savait comment il avait occupé ses nuits ? Il s’était toujours
montré sexuellement insatiable et d’une vigueur inépuisable. Pouvait-il même passer une seule
journéesansfairel’amour?
TentantdenepaspenserauxlargesmainsdeRaulcaressantuneautrefemme,ellesedéshabilla
avantdepassersousladouche.Queluiimportaitqu’ill’eûtdéjàremplacée?Cen’étaitpascomme
silemoindreavenirétaitpossibleentreeux.Pasaprèscedontill’avaitaccusé.
Ilavaitraison:ilsn’étaientabsolumentpasfaitsl’unpourl’autre.Elleétaitunefemmemoderne
et lui, le produit d’un monde qui l’avait rendu dur et cynique. Peut-être aurait-elle dû, comme il
l’avaitsuggéré,mettreuntermeàleurrelationdesmoisplustôt.
Maisc’étaitnégligerunlégerdétail.
Ellel’aimait.
Elleétaitéperdumentamoureusedelui.Etilavaitpiétinécetamour,l’avaitréduitànéant.
Lesyeuxfermés,ellelaissal’eaubrûlanteluicourirsurlapeau,trouvantunétrangeréconfort
dans cet excès de chaleur. Après l’odeur de désinfectant de sa chambre d’hôpital, le parfum des
luxueuxproduitsdedoucheàsadispositionétaitunvéritablebonheur.
Elle aurait pu rester là pendant des heures mais elle soupçonnait qu’il finisse par venir la
chercher.Etcommec’étaitbienladernièrechosequ’ellevoulait,elleseforçaàcouperl’eau.Puis
elles’enveloppad’unépaispeignoiretrevintdanslachambre.
Sepréparantmentalementàdécouvrirlacollectiondevêtementsfémininsdontregorgeaitsans
doutesonplacard,ellel’ouvritengrand,d’uncoupsec.
Maisaulieuderobesdesoirée,delingeriefineetautresaccessoires,ellesetrouvafaceàune
rangéedecostumes,dechemisesetdecravates.Unintensesoulagementl’envahit,auquelsuccéda
bienvitedel’irritation.Carelleauraitpréférénerienressentir.EllesemoquaitbiendeRauletde
saviesexuelle.
Oudumoins,c’étaitlathéorie…Secouantlatête,ellesedemandacommentelleallaitpouvoir
divorcer. Oh, légalement, elle savait que la chose serait facile. Mais survivre à l’agonie
émotionnelleenseraituneautre.Lesdeuxdernièressemainesluiavaientdonnéunavant-goûtdela
difficultédelachose.
En parcourant le contenu du placard, elle comprit rapidement qu’elle n’y trouverait rien à sa
taille.Avecunsoupir,ellepritunechemiseblancheetl’enfila.Elleluitombaitàmi-cuissesmais,
en y ajoutant une ceinture et en roulant les manches, la jeune femme en fit une robe improvisée
acceptable.
Ainsivêtue,etvaguementembarrassée,Faithredescenditdanslesalon.Raulluitournaitledos,
le téléphone collé à l’oreille, prenant appui d’une main contre la baie vitrée. Il se retourna en
l’entendantarriveretsonregardl’enveloppatelunventbrûlant.
Ilmurmuraquelquesmotsdanslecombiné,puisraccrochasanscesserdel’observer.
–Tuasperdudupoids,observa-t-il.
– C'est juste que cette chemise est trop grande pour moi, protesta Faith. Il n’y avait pas de
vêtementsféminins.
–Pourquoiyenaurait-il?Jenepensepasqu’onmeprendraittrèsausérieuxsijemettaisune
robeetdestalons.
Laquestionluibrûlaitleslèvresmaiselleserefusadelaposer,semaudissantintérieurementde
safaiblesse.Pourquoiserabaisserendonnantlibrecoursàsajalousie?
Illevasoudainlesyeuxaucielavantdepartird’unrirerauque.
–Tun’espastrèsdouéepourladissimulation,n’est-cepas?Jet’aitoujoursétéfidèle.Pourqui
me prends-tu ? Pour un adolescent en proie à ses hormones ? Tu crois que je couche avec la
premièrevenue?
Mortifiéeetsoulagéeàlafois,ellebredouilla:
–Je…Jepensaisjusteque…
–Jesaiscequetupensais.Pourtoninformation,jen’aijamaisamenéuneautrefemmeences
lieux.Cen’estpasunnidd’amour.Quandjesuisici,c’estpourletravail.
Atterréeparsaproprefaiblesse,elleneputquemurmurer:
–C'estsidifficile…
–C'esttoiquirendsleschosesdifficiles.Pasmoi.
–Tuattendsquejet’accordemaconfiancemaistumerefuseslatienne.Qu’est-cequej’aidonc
fait pour te laisser croire que je pourrais un jour te mentir ? Particulièrement sur un sujet aussi
important?
Soncompagnonpâlitlégèrement.Ilsefigea,détournantleregard.
–TunepeuxpassortirdansBuenosAiresaveccettechemisesurledos.
Ainsi donc, il préférait changer de sujet. Son instinct lui soufflait qu’il valait mieux ne pas le
contrarier.Ildevaitavoirunebonneraisondelefaire.
Mais la curiosité l’emporta. Elle voulait connaître la réponse. Pour la première fois, elle se
demandaitsiellenepayaitpaspourlescrimesd’uneautre.
–Commejetel’aiexpliqué,jesuispartiesansmesaffaires.Jen’aipasréfléchi.
–Eneffet.Toutcommetun’aspasréfléchiquandtut’esjetéesouscetaxi.Cen’estpasd’une
garde-robedonttuasleplusbesoin,cariño.C'estdequelqu’unpourteprotéger.Pourteprotéger
detoi-même.
–Cen’estpasvrai.Jen’auraisprisaucuneaffairedetoutefaçon,mêmesij’avaiseulechoix.Je
nevoulaisrientedevoir,rienemporterquit’appartenait.
– Tu m’appartenais, fit valoir son compagnon d’une voix sourde, ses cils voilant
momentanémentl’éclatférocedesesyeux.Tuétaismienne.Etcontrairementàtoi,jeprendsgrand
soindecequim’appartient.
6.
–Jenet’appartienspas,Raul.
Illafixaensilence,regrettantdenepasavoirpenséàluiacheterdesvêtements.Celaluiaurait
permisdeseconcentrersurladiscussionencours.Jamaisiln’auraitpenséqu’unesimplechemise
blanchepuisseêtreaussisexy.
Ce n’était pas la chemise, corrigea-t-il aussitôt, mais celle qui la portait. Faith aurait été
séduisantedanslesvêtementsdesagrand-mère.
Elleledévisageaitàprésentdesesyeuxverts,brillantscommedesémeraudes.
– Parle-moi, Raul, demanda-t-elle d’une voix soudain radoucie. Dis-moi ce qui a fait de toi
quelqu’und’aussidur.Est-cequ’ilyaquelquechosequej’ignore?Est-cequequelqu’unt’afait
souffrir?
Ilseraidit.Elles’approchaitdangereusementdelavérité.Plusqu’aucuneautreauparavant.
–Nousavonsparlésansarrêt,fit-ilvaloird’untonfroid,fuyantlaquestionqu’illisaitdansson
regard.
–Maispeut-êtrepasdesbonneschoses.
–C'esttoiquim’astrahi,luirappela-t-ildurement.
–Pourquoiaurais-jefaitunechosepareille?
–Parcequetuvoulaistemarier.
–C'estfaux!
– Si c’est faux, que faisons-nous là, mari et femme ? s’emporta-t-il. Parce que c’est ce que
j’aimeraissavoir!
Il se mordit la lèvre en constatant qu’elle s’était remise à trembler. Avec son visage pâle, elle
semblaitenétatdechoc.
–Noussommesmarietfemmeparcequejecroyaisquec’étaitcequetuvoulais,répondit-elle
dansunsouffle.C'esttoiquim’asdemandéeenmariage.
–Parcequetunem’aspaslaissélechoix.Tun’asdoncrienécoutédecequejet’aiditaucours
decesdixderniersmois?Pasdemariage,pasdebébé,j’aiététrèsclairsurcesdeuxpoints.Si
c’étaitcequetuavaisderrièrelatête,tuauraisdûchoisirunautrehomme.
Maisalorsmêmequ’ilprononçaitcesmots,ilsavaitqu’ilmentait.Jamaisilnel’auraitlaissée
partiravecunautrehomme.
–Jen’avaisrienderrièrelatête,protesta-t-elled’unevoixlasse.Jenesuisvenuedanstafichue
estanciaquepourm’occuperdechevaux.Jenesavaismêmepasàquoituressemblais!
Voyant qu’elle crispait et décrispait convulsivement les poings, il leva une main en signe
d’apaisement.
–D’accord,calme-toi.
– Comment veux-tu que je me calme alors que tu m’accuses d’avoir c-c-comploté contre toi !
rétorqua-t-elle,bégayantsousl’effetdelacolère.C'étaitunaccident!Çaarriveàdesmillionsde
femmes tous les jours ! Et je te rappelle qu’il faut être deux pour ça. Tu étais là, tout le temps,
partout!Aulit,sousladouche,danslesécuries,danstonbureau,dansleschamps…Jen’aipasfait
çatouteseule!
Cettediatribepassionnéeévoquaitdesimagessivivacesqu’illuifallutquelquessecondesavant
depouvoirformuleruneréponse.
–Tum’asditquetuprenaislapilule.
–Ehbien,ilsemblequeriennesoitcertaindanscemonde!
–Bon,n’enparlonsplus,toutçaappartientaupassé.
–Non,cen’estpasdupassé.Jen’aipasl’intentiondevivreavecunhommequimecroitcapable
dupire!
–Toutmariagetraversedespériodesdecrise…
–Maispasdeuxheuresaprèslacérémonie!serécria-t-elleavecunéclatderirenerveux.Jete
déteste,Raul!
Deslarmesavaientjaillidesesyeuxets’étaientmisesàroulerlelongdesesjoues.Cen’étaient
pas des larmes calculées pour s’attirer les faveurs d’un homme – celles-ci Raul savait les
reconnaître–maisdessanglotsangoissésquisemblaientsecouertoutsonêtre.
–Jetedétesteparcequetunemecroispas.Jetedétesteparcequetum’asépouséealorsquetu
n’en avais pas envie. Mais plus que tout, je te déteste parce que tu te moques que j’aie perdu le
bébé!
Avecunjuron,ilfitunpasdanssadirectionmaisellelevalamainpourl’arrêter.
–Net’avisepasdemetoucheroujetejurequejenerépondspasdemaréaction!
–Tuesvisiblementbouleversée…
– A cause de toi ! coupa-t-elle, les yeux jetant des éclairs. Décide-toi, Raul. Tu ne peux pas
m’accuserdetementiretd’avoirvoulutemanipuler,puisvouloirm’aiderdanslasecondequisuit.
Quandj’aiperdulebébé…c’estlàquej’auraiseubesoindetonsoutien!Maisqu’est-cequetuas
fait?Tuasprétenduquej’avaistoutmanigancépourteforceràm’épouser!Cejour-là,j’ainon
seulementperdulebébé,maisjet’aiperdutoi!
Faceàcesaccusationsinjustes,ilsentaitsapropretensionremonter.
–Etqu’étais-jesupposécroired’autre?
–Quejen’auraisjamaispufaireunechosepareille!
Sesjouesruisselaientdelarmesàprésentmaiselleneparaissaitplusnitriste,nivulnérable.Tout
sonêtreexprimaitlacolère.Etelleétaitplusbellequejamais.
–Çaauraitsansdouteaidésitum’avaisannoncélanouvelleavantlemariage,grommela-t-il,
passantsesdoigtsdanssescheveuxenungestedefrustration.
–Jel’auraissansdoutefaitsij’avaisréaliséàquelpointtuétaiscynique!Encorequejenesais
pascommentj’auraispulefaire,vuquetuesarrivécinqminutesavantlacérémonie!Sijet’en
avaisparlé,jemeseraissûrementeffondrée.Etj’aipenséqueceneseraitpasbonpourtonimage
detevoirépouserunefemmeenlarmes!
–Faith…
–Réponds-moihonnêtement,Raul,l’interrompit-elled’unevoixrauqued’émotion.Situétaisà
ce point contre la notion de mariage, pourquoi me l’avoir proposé ? Quand je t’ai annoncé que
j’étaisenceinte,jet’aidittrèsclairementquejenem’attendaispasàcequetum’épouses.
–Oui,c’étaittrèshabile.
– Pas habile, non, honnête. Tu as une idée du courage qu’il m’a fallu pour t’annoncer la
nouvelle, alors que je savais que c’était la dernière chose que tu voulais entendre ? J’aurais pu
m’enfuiretdisparaîtreavectonbébépourl’élevertouteseule.Maisjenel’aipasfait.
Raulsefigea,laminesombre,hantéparlesdémonsdesonpassé.
–Jen’auraispasvoulucela.Jenel’auraispaspermis.Jamais.
– Pourquoi pas ? Si tu es si allergique au concept de paternité, ça aurait été une option
parfaitementraisonnable.
Repoussantdessouvenirsqu’ilpensaitavoirenterrésdéfinitivement,ilsemassalestempesdu
boutdesdoigts.Non,ilnevoulaitpasrepenseraupassé.Pasmaintenant.Niplustard,d’ailleurs.
– J’essaie de te comprendre, murmura-t-elle, les yeux scintillants comme deux éclats de jade.
Maistunem’yaidespas.
Raulprituneprofondeinspirationavantderépondrecalmement:
–Jen’aipassimalréagiquandtum’asannoncéquetuétaisenceinte.
– En effet, tu n’as pas eu la moindre réaction. Tu es resté immobile, comme si tu venais de
recevoiruneballeenpleincœur.
Illadévisagea,perplexe,déchirépardesémotionscontradictoires.Leurrelationétaitenmiettes
et il ignorait comment en recoller les morceaux. En général, au premier signe d’incompatibilité
avecunefemme,ilrompait.
Alorspourquoinefaisait-ilpasdemêmeavecelle?
–Tudoistecalmer…
–Arrêtedemediredemecalmer!Jenemecalmeraipas!Jesuisfurieuse,Raul.Contretoi,et
contre moi-même. Je m’en veux d’avoir cru que nous partagions quelque chose de spécial. J’ai
vraimentcruque…quenouspourrionssurmonterçaensemble…
Savoixsebrisaetilsentittoussesmusclessecrisper.
–Pourquoinem’as-tupasditquetuavaisperdulebébécettenuit-là?Jet’aiappelée,justeavant
lemariage.Tuauraispulefaire.
–Jenevoulaispastel’annoncerautéléphone!Quevoulais-tuquejedise?«Tuaspasséune
bonnejournée,monchéri?Aufait,j’aifaitunefaussecouche…»
–Faith…
– J’étais anéantie et je sais que tu détestes les larmes ! Ne le nie pas. Regarde-toi, même
maintenant,tuesentraindetedire«pourvuqu’elleneseremettepasàpleurer…».
–C'estfaux.
Il s’éloigna d’elle, ne s’arrêtant que lorsqu’il eut atteint le bout de la pièce. Il y avait déjà un
immensefosséémotionnelentreeux.
–Toutcelan’aaucuneimportance,renchérit-ilavecirritation.Noussommesmariésetc’esttout
cequicompte.
Il repensa à l’année qui venait de s’écouler, à la passion qu’ils avaient partagée. Elle avait eu
beau ignorer son identité, le jour de leur rencontre, leur entente sexuelle avait été explosive,
immédiate. Et quand elle avait découvert qui il était, elle n’avait pas changé. Elle était restée la
même, continuant de lui dire ses quatre vérités quand elle en avait envie. Habitué à être entouré
d’hypocrites,ilavaittrouvésafranchiseincroyablementrafraîchissante.
–Raul,c’estfini.
–Tuesmafemme,Faith.Taplaceestdansmonlit.
Acesmots,elleeutunhoquetdestupeursuivid’unricanementincrédule.
–Dis-moiquetuplaisantes!
Blesséparsaréaction,ilserembrunit.
–Touterelationtraversedesmomentsunpeudifficiles,marmonna-t-il.
–Desmomentsunpeudifficiles?
–Jet’aidittoutàl’heurequ’iln’yauraitpasdedivorce.
–Jenepensaispasquetuétaissérieux.
–Nousnousentendonsbientouslesdeux.
–Noussommessexuellementcompatibles,jetel’accorde.Lereste,c’estdelapurepossessivité!
TonnumérodemachoArgentin!
Elleétaitàprésenttrèspâleetelleoscillaitlégèrement,commesiellesetrouvaitsurlepontd’un
navire.
Fronçant les sourcils, il s’avança vers elle. Mais avant qu’il ait pu l’atteindre, elle s’était
effondréedetoutsonlongsurlesoldemarbre.
– Ce genre de chose arrive après un traumatisme crânien. Mais elle doit éviter toute forme de
stress.
Lorsque Faith se réveilla, elle était allongée sur un lit, un médecin penché sur elle. Un
grognementdedépitluiéchappa.Ohnon,pasencore...
–Que…ques’est-ilpassé?demanda-t-elleenseredressantpéniblement.
–Vousvousêtesévanouie,luiappritlemédecin.
–Jenem’évanouisjamais.
–Vousêtesconvalescente.Vousdevezvousménager.
–Jecomptelarameneràl'estanciademain,annonçaRaul.
– Ça devrait lui faire du bien, en effet. Mais rappelez-vous qu’après une fausse couche et une
blessureàlatête,elleaavanttoutbesoinderepos.
Refermant sa trousse, le médecin salua Faith d’un signe de tête et se retira suivi par Raul.
Quelquesminutesplustard,cedernierreparutetladévisagead’unairinquiet.
–Pourquoimeregardes-tucommeça?bougonna-t-elle.Jenevaispasmecasserendeux.
–Lemédecinpensequeta…volatilitéémotionnelleestdueàtafaussecouche.Ilditqueçate
feradubiend’enparler.
–D’enparler?Ilnedoitpastrèsbienteconnaître.Jecomprendsmieuxpourquoitufaiscette
tête.Tuaspeurquejeneveuillesoudainmettremonâmeànue.Net’inquiètepas,Raul,tuesbien
ladernièrepersonneaveclaquellejeveuxparlerdeça.
Ilencaissalaremarquesansbroncher,continuantdeladévisagerd’unairsombre.Puisilfitun
petitgesteetquelquechosetombasursesgenoux.Baissantlesyeux,ellereconnutaussitôtl’objetet
lesbattementsdesoncœurs’accélérèrent.
–C'esttonalliance,déclara-t-il.L'alliancequetum’asjetéeauvisagedeuxheuresàpeineaprès
l’avoirreçue.Remets-la.Tudoislaporter,tuesmafemme!Net’aviseplusdel’oublier.
–Tun’auraisjamaisdûmeladonner,murmura-t-elle,lavoixbrisée.
–Jen’aijamaiseul’intentiondetefairesouffrir.
–MonDieu,heureusement!Qu’est-cequeçaseraitsic’étaitlecas!
–Jeveuxbienreconnaîtrequejemesuiscomportédefaçonunpeuégoïste.
Cetaveulapritdecourt,laprivantmomentanémentdel’usagedelaparole.
–Tuvois,jefaisdesefforts,renchérit-il.
–Puisquetufaisdesefforts,donne-moiuneseulebonneraisonderemettrecettealliance.
–Tum’aimes.
Cette affirmation – et son arrogance – l’ébranlèrent, la forçant à s’interroger. L'aimait-elle
vraiment?Sonsensdujugementétait-ilmauvaisàcepoint?
–Laisse-moitranquille,Raul,répliqua-t-elleavecraideur.Tuasentendulemédecin:j’aibesoin
derepos.
Enguisederéponse,illuipritl’alliancedesmainspourlaluipasseràl’annulaire.
– Quoi que tu en dises, Faith, je sais que tu m’aimes. Alors n’enlève pas cette alliance. Et
maintenant,dis-moicommenttutesens.
–Qu’est-cequeçapeuttefaire?Tutemoquesparfaitementdemessentiments.
–Tutetrompes,protesta-t-il,resserrantsonétreinte.Quoiquetuenpenses,tucomptesbeaucoup
pourmoi.Etlesmédecinsontditquetudevaisparlerdetafaussecouche.Jeleuraiexpliquéquela
grossesseétaitaccidentellemaisilsdisentqueçanefaitpasdedifférence.
–Parcequetuavaisbesoinqu’unmédecintediseça?s’exclama-t-elle,incrédule.Tucroisque
çachangequoiquecesoit,quelagrossessesoitdésiréeounon?
–Jenesaispas.Jen’aiaucuneexpérienceenlamatière.
–Jenevoismêmepaspourquoinousenparlons,marmonna-t-elleavecungested’irritation.
–Parcequec’estcequelesmédecinsrecommandent.Est-ceque…çaafaitmal,physiquement?
–Raul,jenecroisvraimentpasque…
–Parle-moi!
–Pourquoi?Pourquetupuissesmevoirm’effondrer?
–Diosmío,inutiledem’agresserquandj’essaiedet’aider!Dis-moicequeturessens.
–Delacolère,voilàcequejeressens!
–Sí,çajelevoisbien.Quoid’autre?
–Delatristesse,murmura-t-elle,crispantlesdoigtssurlacouverturequiluicouvraitlesjambes.
Etdelaculpabilité.Parcequejemedemandaisquellesseraientlesconséquencesdecettegrossesse
surnotrerelation…Etmaintenantquejel’aiperdu…
–Cen’étaitpastafaute…
Il avait lu dans ses pensées, elle en fut stupéfaite. Contre toute attente, il était donc capable
d’empathie.
–Netetorturepaspourrien,renchérit-il.
– Tu voulais savoir ce que je ressentais, je te l’ai dit. Je me sens coupable. Triste. Déçue. En
colèrecontretoi.Etvide.Incroyablementvide.Parcequej’aiperduunepartiedemoi.Unepartie
denous.
–Tuastoujourseuunfortinstinctmaternel,soupiraRaul.Jet’aiobservée,chaquefoisquetu
aidaisunejumentàmettrebas,etc’étaitévident.
–Peut-être,maisçan’étaitpasunproblème.Jen’avaispaspourprojetdememarieretd’avoir
desenfants.J’étaisbienavectoietc’étaittoutcequicomptait.J’étaisheureusedevivreaujourle
jour.
–Leproblèmeétaitlatent.
–Tutetrompes.Jenesaispascombiendefoisjevaisdevoirtelerépéter.
– Ce que je veux dire, c’est que tu espérais secrètement que je me réveillerais un jour avec
l’envied’avoirdesenfants.
Ellehaussalesépaules.Surcepoint,ilétaitinutiledementir.
–Peut-être.Maisjenel’aijamaisformuléencestermes,oudemanièreconsciente.
–Bon,etmaintenant?
–Disonsquej’aiconnudemeilleursmomentssic’estlesensdetaquestion.
–Jen’aijamaisvoulutefairesouffrir,soupira-t-il,selevantetenposantsurelleunregardqui
luinoualagorge.
–Raul,s’ilteplaît…
–J’adoreêtreavectoi.
C'était ce qui ressemblait le plus à une déclaration d’amour, dans sa bouche, et elle en resta
muettedesurprise.Redoutantdes’humilier,ellefermalesyeuxetironisa:
–Tevoilàdevenusentimental?
–Peut-être.
Elleneputretenirungémissementdedépit.
–Ilm’estplusfaciledet’affronterquandtuesdésagréable.Pourquoifais-tuçamaintenant,alors
qu’iln’yaplusd’avenirpossibleentrenous?
–Parcequecontrairementàtoi,jecroisqu’iln’estpastroptard.
Enproieàlaplusintenseconfusion,ellesecoualatête.
–Commentpeux-tuaffirmerquejecompteàtesyeuxaprèsm’avoirfaitsouffriràcepoint?
–Situnecomptaispas,jeneseraispasiciencemoment.C'estaussisimplequecela.
–Non,c’estaucontrairetrèscompliqué.Nousnousrendonsmutuellementmalheureux.
–Maisjusqu’àcemariage,nousétionstrèsheureuxensemble.Nousdevonsoubliercequis’est
passé,nousconcentrersurnotrerelationetallerdel’avant.
–Jenepeuxpasoublier.C'estimpossible…
– Qu’allons-nous faire, alors ? Continuer sur cette voie? Tu vas de nouveau passer sous une
voiture,out’évanouirsousl’effetdustress?
Commeengourdie,ellelevaunregardd’incompréhensionverslui.
–Qu’est-cequetuattendsdemoi,aujuste?
–Jeteveuxtoi,c’esttout.Dansmonlit.
Face à une telle manifestation de machisme, elle sentit la petite flamme d’espoir qui brûlait
encoreenelles’évanouir.
–Tucroissérieusementquenousavonsunavenir?
–Oui.Maistuestoutepâleetjenevoudraispasquetut’évanouissesdenouveau.Laissonsdonc
lesujetdecôtépourlemoment.Tuasbesoindetereposer.Pourmapart,jedoistravailler.
Sansattendresaréponse,ils’éloigna.Tropépuiséepourprotester,elleselaissaallercontreles
coussins,l’espritenproieàmilleinterrogations.
PourquoiRaulétait-ilsidéterminéàfairedurerleurmariage?
Quelavenirs’offraitàeux?
Avait-ellesuffisammentderessourcespourluipardonner?
Sielleacceptaitdeluidonnerunechance,nesecondamnait-ellepasàplusdesouffranceencore,
sic’étaitpossible?
Incapable de trouver le repos, elle finit par se lever et par redescendre dans le salon. A sa
surprise,elleletrouvanonpasentraindetravaillermaisallongésurlecanapé,lesyeuxclos.
Ilparaissaitépuiséetellesentitsoncœurseserrer.Cinqminutesplustôt,ellel’auraitgiflé.Et
voilàqu’ellebrûlaitd’enviedeleprendredanssesbras.
Maudissant sa faiblesse, elle s’apprêtait à tourner les talons lorsqu’il ouvrit les paupières et
plongeasonregarddanslesien.Ellesentitsoncorpss’épanouirtelleunefleurausoleiletcomprit,
àlafaçondontilcrispaitlespoings,qu’iléprouvaitlamêmechose.
Avecunriretriste,ildemanda:
–C'estcompliqué,hein?
–Oui…
Détournantleregard,elleétudialavuesurlavilleavantdereprendre:
–Jen’aijamaisvouluteforcerlamain.Nous…nousétionsbien,ensemble.
–C'estvrai.
–Reste-t-ilquelquechosedetoutça?
Ensilence,ilseredressaavantdes’approcherd’ellepourl’attirerdoucementcontrelui.
–Commentpeux-tuposerunetellequestion?Tusensaussibienquemoicequ’ilyaentrenous.
Ellen’eutpasletempsd’ouvrirlabouchequeseslèvresseposaientdéjàsurlessiennes.C'était
unbaiserdénuédetendressemaisbrûlantdepassion,etelles’affaissaavecunpetitsoupircontre
soncorpsmusclé.
Ilss’embrassèrentavecunefouguedésespérée,presquefurieuse.Cenefutquelorsqu’unemain
puissanteenveloppal’undesesseinsqu’ellerecouvraunsemblantderaison.
– Nous… nous ne pouvons pas régler tous nos problèmes au lit, fit-elle valoir d’une voix
hachée,lesmembresparcourusdefrissons.C'esttropcompliquépour…
–Lavieestcompliquée,murmuraRaultoutcontresonoreille.
–Tun’aspasunseulinstantpenséàmessentiments.
–Noussommestouslesdeuxcoupablesdeça.
Sonpremierréflexefutdeprotester,maisellesoupiraetreconnut:
–D’accord,j’auraisputedireplustôtquej’avaisperdulebébé.Maisjet’assurequemesraisons
denepaslefairen’avaientriend’égoïste.
Lentement,ilsedétachad’elle.Illadévisageaensilence,commes’ilcherchaitquelquechose,
puispoussaàsontourunprofondsoupir.
–S'ilyaunechosequecesderniersmoisnousontprouvé,c’estquenousnenousconnaissons
pas aussi bien que ça. Rien d’extraordinaire en même temps : c’est le cas dans de nombreux
mariages.Nouspouvonssurmontercetteépreuve,Faith.Maispassitufuis.
Elleledévisagea,indécise,déchirée.Soncœurluisoufflaitunechose,lalogiqueuneautre.
– Si je reste, l’avertit-elle d’une voix lourde d’émotion, ce n’est pas pour souffrir. Ne t’avise
plusjamaisdemeblesser…
7.
Qu’ilétaitétrangederevenirdansunlieuqu’elleavaitcrunejamaisrevoir!
Assise à l’arrière d’une longue limousine, Faith étudia les vantaux ornementés du portail qui
commandaitl’accèsàl'estancia.N’était-ellepasentraindefairelaplusgrosseerreurdesavie?
N’avait-elle pas succombé un peu trop rapidement à l’alchimie sexuelle qui existait entre Raul et
elle?
Aufondd’elle-même,ellesavaitquecen’étaitpaslecas.Ellel’aimaitsincèrementetilluiétait
impossibledecombattrecela.
De plus, elle adorait l’Argentine. Le seul fait d’être là, après le bruit et l’agitation de Buenos
Aires, lui donnait déjà l’impression de se sentir mieux. La pampa était un décor d’une beauté
incomparable.
Comme la limousine remontait une allée bordée d’arbres, elle retint son souffle. Le bâtiment
principal de l'estancia lui apparut bientôt dans toute la splendeur de son style colonial. Les
bougainvilléesquipoussaientcontrelesmursblancslestachaientd’écarlate,donnantl’impression
quelesfleursavaientétépeintesàmêmelafaçade.Despelousesceintesdebarrièresencadraientla
demeure.Là,demagnifiqueschevauxpaissaientougalopaientàleurgré.
EllesetournaversRaul.Iln’avaitpasouvertlaboucheduranttoutletrajet.Ilavaitpassétoutson
temps sur son ordinateur portable ou au téléphone, négociant apparemment l’achat d’un ranch
voisindusien.
–Tucomptesagrandirl'estancia?demanda-t-ellepourromprelesilence.
Uneétrangeexpressionvoilalevisagedesonmari,etlajeunefemmecompritquecen’étaitpas
lesujetàaborder.
–Tufaislaconversationoututeprendsd’unintérêtsoudainpourmesaffaires?demanda-t-il.
Quatrejourss’étaientécoulésdepuisleurarrivéeàBuenosAireset,àpartcetuniquebaiser,il
nel’avaitplustouchéedepuisqu’illuiavaitrendusonalliance.Ilavaitpassésontempsàtravailler
etellenel’avaitvuqu’auxdînersauborddelapiscine.Mêmelà,ilnes’attardaitjamais,regagnant
sonbureausitôtsondessertavalé.
Elleavaitfaitsemblantdenepass’enoffusquer.Ladernièrechosequ’ellesouhaitait,c’étaitlui
donnerl’impressionqu’elleavaitbesoindelui,desaprésence.Touslessoirs,elleavaitdoncfait
mine d’aller s’installer dans le canapé, un livre à la main. Mais, en quatre jours, elle n’était
parvenueàlirequedeuxpages…
Raul ne l’avait pas davantage rejointe la nuit, dormant dans la chambre d’amis. Une nouvelle
fois, elle s’était refusé à l’interroger. Mais son imagination la travaillait. Pourquoi l’évitait-il ?
Etait-ceparcequ’iln’aimaitpassescheveuxcourts?Etait-ceparcequ’illatrouvaittropmaigre?
DeuxjoursaprèssonretourenArgentine,unelivraisonétaitarrivée.Enouvrantlesnombreuses
boîtes, elle avait découvert une garde-robe intégrale. Rien ne manquait, pas même les sousvêtements.Ilavaitàl’évidenceunegrandeexpériencedesfemmes…
Mais,siellevoulaitdonnerunechanceàleurmariage,ellenedevaitpaspenseràcegenrede
chose.Elleavaitdoncacceptélecadeaudebonnegrâce.
Machinalement,elleportaunemainàsescheveuxettirasurunemèchecommepourl’allonger.
Aussitôt,Raulfronçalessourcils.
–Laissetescheveuxtranquilles.Jelesaimecommeilssont.
C'étaitlepremiercomplimentqu’illuifaisaitdepuislejouroùilavaitdéboulédanssachambre
d’hôpital,etellerougit.
–Vraiment?
–Oui.Tumefaispenseràunelfe.
–Oh.
Elle brûlait d’envie de lui demander s’il trouvait les lutins sexys mais se ravisa en réalisant
qu’elleconnaissaitdéjàlaréponse.Apparemmentnon,vuqu’ill’évitaitdepuisquatrejours.
Et c’était mieux ainsi, se répéta-t-elle pour la centième fois. Car elle n’était pas prête à faire
l’amouraveclui.Oui,elleledésirait,maisleschosesétaientbienpluscompliquéesquecela.Ils
devaient avant tout résoudre certains problèmes importants. Raul, pour commencer, devait lui
prouverqu’iltenaitàelle.
Lalimousinevenaitdes’arrêterdevantlamaison.Maria,lagouvernante,traversalacouràpas
rapidespourlesaccueillir.
–Buenosdias,Maria,quétal?fitRaulavecungrandsourire.
Seremémorantavecdouleurl’époquelointaineoùcegenredesourireluiétaitdestiné,ellesalua
à son tour la gouvernante. Celle-ci les précéda en direction de l’Océane, la résidence privée de
Raul.
Lapremièrefoisqu’ill’yavaitamenée,Faithavaitétéfrappéeparlabeautédecepetitcoinde
paradis,oùlesilenceétaitseulementtroubléparlemurmureduventdanslespalmesetlesoupirdu
ressac.Lamaisondonnaiteneffetsuruneplageprivéetotalementdéserte.
–Toutestprêtpourvous,annonçaMariacommeRaulouvraitlaporte.Justecommevousl’avez
demandé.
Faith s’immobilisa sur le seuil, le souffle coupé. Le salon était rempli de fleurs au parfum
délicieux. Sur la table, une bouteille de champagne reposait dans un seau à glace près d’une
corbeilledefruitsexotiques.Quelqu’uns’étaitvisiblementdonnélapeinedefêterdignementleur
retour.
–UneidéedeRaul,expliquaMariaavecungrandsourire.Lesjeunesmariésméritentunaccueil
exceptionnel.
Faith s’empourpra. Que savait le personnel des dernières semaines ? Etaient-ils au courant du
désastrequ’avaitétéleurmariage?
Visiblementdésireusedeleslaisserseuls,MariaditquelquesmotsenespagnolàRaulavantde
refermerlaportederrièreelle.Faithregardadenouveauautourd’elle,médusée.
–C'est…c’esttoiquiascommandétoutça?
–Oui,réponditsonmaritoutenfaisantsauterlebouchonduchampagne.Tuvois,jesuiscapable
dememontrerattentionné.
Surlepointdefairevaloirqu’elleauraitpréféréunefranchediscussion,ellesemorditlalèvre.
Ilauraitétémaladroitdegâchercemoment.
–Quesaittonpersonneldecesdernièressemaines?demanda-t-elleaulieudecela.
–Jen’enaipaslamoindreidée.
Ilversaduchampagnedansdeuxflûtesavantdereprendre:
–Jen’aipaspourhabitudedediscuterdemavieprivéeavecmesemployés.
–Tuasquandmêmebiendûleurexpliquernotreabsence,jesuppose?
Sonmariparutsincèrementdéroutéparlaquestion.
–Pourquoiaurais-jedûfaireunechosepareille?J’ignorecequ’ilspensentetjem’enmoque.Et
tudevraisfairedemême.
–Moi,jenem’enmoquepas,maugréa-t-elle.
–Situveuxvraimentlesavoir,ilsdoiventpenserquetudoisêtreparticulièrementdouéeaulit
pouravoirréussiàmeconvaincredet’épouser.
Elle se sentit rougir jusqu’à la racine des cheveux. Un sourire entendu aux lèvres, il approcha
pourluitendreuneflûtequ’ellepritd’unemaintremblante.
–Nous…nousnepouvonspascontinuercommeça,Raul.
–Comment?
–Tutravaillescommeunfoudepuisquatrejours.Jenesaispassituasvraimentdesimpératifs
professionnelsousitum’évites,maisilfautquenousparlions.Quenousparlionsvraiment, pas
quenousnouslancionsdesaccusationsquinemènentàrien.Leproblèmenes’enirapasdeluimême.
Figé,ilplongeasesyeuxdanslessiens.
Ce simple regard suffit. Faith sentit son estomac se retourner comme une vague de chaleur
explosait en elle. Ses seins bourgeonnèrent, sa gorge s’assécha instantanément, ses jambes se
mirentàtrembler.
Ellevitàl’expressiondeRaulqu’iléprouvaitlamêmechose.Unebulledesensualitésemblaitse
refermersureux,lesemprisonnerdanssonatmosphèrelourdeetmoite.Lesimplefaitderespirer
devenaitdifficile.
Lentement,ils’avançaverselle.Ellereculajusqu’àsentirlemurderrièresondos.
– Le temps de parler est révolu, souffla son mari, caressant sa joue du bout du doigt. Nous
n’avonsfaitqueçacesderniersjours,etçamerendfou.
– Mais… mais c’est toi qui m’as tenue à l’écart, hoqueta-t-elle, tournant en vain la tête pour
essayerd’échapperàsescaresses.
–Tucroisqueçan’apasétéhorriblementdifficilepourunhommecommemoi?
– Je ne me suis pas posé la question, mentit-elle. Je suis bien trop préoccupée pour penser au
sexe.
–Ah,siseulementc’étaitvrai,leschosesseraientbeaucoupplussimples.Malheureusement,tu
medésiresautantquejetedésire.Jelevoyaisdanstesyeux,chaquefoisquetufaisaissemblantde
liredanstoncanapé.
–Tu…tutetrompes.
– Je croyais que nous devions être honnêtes l’un envers l’autre ? J’ai envie de toi à chaque
secondedujouretdelanuitdepuisquejet’airencontrée,etçan’ajamaischangé.
L'aveuluicoupalesouffle.Illuifallutquelquessecondespourpouvoirarticulerlemoindremot.
–Mais…pourquoim’avoirlaisséedormirseulealors?Pourmepunir?
– C'était moi que je punissais, confessa-t-il dans un souffle. Le médecin m’a dit que tu devais
éviter toute forme de stress, et j’ai compris à son regard qu’il me considérait comme source de
stress.Jemesuisdoncdélibérémenttenuàl’écart.Etjepeuxt’assurerquemaintenant,c’estmoiqui
suisstressé.
LecorpsdeRaultoutcontrelesien,elleétaitbienincapablederéfléchir.
–Nous…nousnedevrionspasfaireça,bredouilla-t-elle.Çaneferaqu’aggraverleschoses.
–Lesaggraver?Jenevoispascommentc’estpossible,cariño.Jesuisfaitdechairetdesang,
pasdepierre.Cesdernièressemainesontétéintolérables.
–Tum’asaccuséed’avoirvoulutepiégerentombantenceinteet…
–Diosmío,pourquoiparlerdeçamaintenant?Voilàlaseulechosequiimporte…
Encadrant son visage de ses mains, il l’embrassa passionnément. Elle lui agrippa les épaules,
presque terrifiée par l’intensité du désir qui s’était emparé d’elle. Et même si ce désir était
synonymededavantagedesouffranceàl’avenir,ellesetrouvaitbienincapabled’yrésister.
Balayéeparuntourbillondesensations,elleneserenditcomptequ’illuiavaitôtésarobeque
lorsque cette dernière tomba à ses pieds. Vêtue uniquement de ses sous-vêtements, elle s’affaissa
contreluiethoquetaensentantlaprotubérancequigonflaitsonpantalon.
Ses lèvres n’avaient pas quitté les siennes. Sa langue enveloppait la sienne et ses mains
couvraientsesseins,caressantetpétrissantdoucement.Uneexplosionmoiteinondasescuisseset,
sansintentionconsciente,ellelevaunejambecontrelasienne.
Unetellepositionauraitchoquésapudeur,autrefois,maiselles’enmoquaittotalementàprésent.
Raul glissa une main inquisitrice entre ses cuisses et, à travers le tissu de sa culotte de dentelle,
caressadoucementlecœurdesonêtre.
C'en fut plus qu’elle n’en pouvait supporter. Fébrilement, elle s’attaqua à la ceinture de son
compagnon et libéra son sexe tendu, massif, palpitant de désir. Elle l’enveloppa d’une main
tremblante,arrachantàRaulungrondementpresqueanimal.Enréponse,sesdoigtsglissèrentsous
ladentelleets’immiscèrententrelespétalesdesaféminité.
Elle avait attendu ce moment depuis trop longtemps. Elle gémit de plaisir en murmurant son
nom.Ellel’embrassafarouchement,sentantuneintolérabletensionmonterenelle.Toutsoncorps
aspirait à l’explosion qui la libérerait enfin et elle ne se rendit d’abord pas compte qu’il avait
agrippésonautrejambepourlasoulever.
Cenefutquelorsqu’ellesentitsonérectionpointerentresescuissesqu’ellerepritunsemblant
deraison.Unéclairdepaniquel’aveuglaet,soudain,ellesedébattitpourlerepousser.
–Raul,non!
Ilsefigea,lesoufflecourt,aumomentoùilallaitlapénétrer.
–Non?répéta-t-ild’unevoixrauqued’incrédulité.Commentça,non?
–Nousnepouvonspasfaireça.Repose-moi!
Lesyeuxbrillantsdecolère,sonmarihésitauninstant,puisobéitenfin.Ils’éloignaensuitede
quelquespasetallas’appuyercontreunmur,respirantlourdement.
–Raul…
–Attends!Donne-moiuneminute…
Elleledévisageaensilence,sanssavoirquedireouquefaire,sonproprecorpsvibrantencore
d’unepassioninassouvie.Ilétaitàdeminu,sonpantalonlargementouvert,etcelanel’aidaitguère
àrecouvrersesesprits.Ellefermadonclesyeuxpouréchapperàlatentation.
Maiscommentcethommepouvait-illarendreàcepointesclavedesessens?
Enfin,ilsedétachadumuretentrepritdeserhabilleravecdesgestesmécaniques.
–Tupeuxm’expliquercequivientdesepasser?C'étaituneplaisanterieouunepunition?
–Nil’unenil’autre.
Frissonnant, elle se baissa pour ramasser sa robe et la plaquer contre son corps comme un
bouclier.
–Alorsquoi?Tuenavaisenvieautantquemoi.N’essaiepasdeprétendrelecontraire.
–Jeneprétendsriendutout.
–Pourquoim’as-tuarrêtédanscecas?insista-t-il,leregardplussombrequejamais.
–Nousn’avonspasdemoyendecontraception.Pourunhommequineveutabsolumentpasde
bébé,jetetrouvebienimprudent.
Ilsepétrifiapuis,aprèsquelquessecondesdesilenceabsolu,répliqua:
–Jenesuispasimprudent.Pashabituellement.J’avaisoubliéquetuneprenaispaslapilule.
Faithrouladesyeuxirritésmaisrépliquadesontonlepluscalme:
–Jeprenaislapilule.Maisj’aiarrêtéquandonm’aannoncéquej’étaisenceinte.Etjenel’aipas
repriseaprèsavoirperdulebébé.
–Voilàdoncundétailqu’ilvanousfalloirréglersansplusattendre.
–Non!Nousavonsdesproblèmesbeaucoupplusimportants,Raul!
– Nous avons envie l’un de l’autre. Nous ne pensons qu’à ça. C'est ça le seul problème que je
voie.
–Tunepeuxpasfonderunerelationsurlesexe,luiasséna-t-elle,tremblantedefrustration.
–Nesous-estimejamaisl’importancedusexe.
–Jesaistrèsbienquec’estimportant.Maissic’estnotreseulpointcommun,notrecoupleest
vouéàl’échec!Unmariage,c’estavanttoutunequestiondeconfiancemutuelle.Ilfautquenous
parlions.
–Situastellementbesoindeparler,tun’asqu’àtéléphoneràunedetesamies!
Puis,avecungesterageur,iltournalestalonsetdisparutdanslachambre.Faithn’hésitaqu’un
courtinstantavantdeluiemboîterlepas.
–Tunepeuxpast’enfuircommeçaaubeaumilieud’uneconversationjusteparcequetun’en
appréciespaslateneur!
–Diosmío,pasmaintenant!
Avecunsoupird’impatience,ilsetournaverselle,lamainsurlapoignéedelasalledebains.
–Tun’espasnaïve,n’est-cepas?Tuvoisbiencequisepasse?Alorshabille-toietsorsd’ici.
–Mais…
–Faith…
Lavoixdesonmaritremblait,commes’ilétaitsurpointd’abdiquertoutcontrôlesurlui-même.
– Si tu restes là à demi nue, je te promets que je vais finir ce que nous avons commencé,
contraceptionounon.Etcettefois,tuaurasbeaumesupplier,jenem’arrêteraipas!
Ebranléeparlaviolencedesespropos,etterriblementexcitéeparlesimagesqu’ilsévoquaient,
elleprotestad’unfiletdevoix:
–Maisnousavonstantdechosesàrésoudre…
–Encemoment,jemeficheéperdumentdecequenousavonsàrésoudre.Laseulechosequi
m’intéresse,c’estdetefairel’amour.
Avisantsonexpressionchoquée,ilpartitd’unriredur.
–Est-cequeçafaitdemoiquelqu’undesuperficiel?C'estpossible.Maisc'estbienledernierde
messoucis.Jet’aidéjàprévenuquejen’étaispaslemariidéal.Souviens-t’enavantd’essayerde
mechanger.
–Jen’aijamaisvoulutechanger.Jeveuxsimplementcomprendrecequisepassedanstatête.
–Cequisepassedansmatête,c’estquesitunesorspasd’ici,nousallonstouslesdeuxfinirsur
lelitquetuvoislà.
–Tuessaiesdélibérémentdemechoquer.
– Non, je suis honnête. C'est bien ce que tu voulais, n’est-ce pas ? A moins que tu ne préfères
reconsidérer cette requête ? Les femmes aiment rarement savoir à quoi pensent vraiment les
hommes.
Choquéeparlaférocitédesavoix,ellebattitenretraiteverslaporte.
–Je…jeferaisbiendetelaisserseul.Jeteverraiplustard.
–Tupeuxycompter,oui.J’aiundînerd’affaires,cesoir.Tuyassisteras.Maisjeneveuxpas
êtredistrait.Jeneveuxvoirnitondécolleté,nitesjambes,niquoiquecesoitd’autresusceptiblede
metroubler.Alorschoisisbientatenue,oujen’hésiteraipasàmontrerenpublicàquelpointjete
désire!
–Raul…
Maislaportedelasalledebainsavaitdéjàclaquéderrièrelui.
Dios,ellelerendaitcomplètementfou!
Lesdeuxmainsappuyéescontrelaparoicarrelée,Raulouvritengrandl’eaufroideetlaissale
jetluimartelerlesépaules.Toussesmusclesétaientcrispés,sonsangparaissaitbouillonnerdans
sesveines,ledésirgonflaittoujourssonbas-ventre.
Il inspira profondément, fort peu habitué à ce sentiment de frustration sexuelle. Il n’avait pas
voulu pousser les choses aussi loin avec elle, la toucher aussi intimement. Que s’était-il passé ?
Commentavait-ilpuperdreàcepointlecontrôledelui-même,alorsqu’ilsetarguaitengénéral
d’unsang-froidinébranlable?
Ils’étaitcomportécommeunanimaletilignoraitcequil’irritaitleplus:qu’ellel’eûtarrêtéau
derniermomentouqu'ilsefûtconduitdefaçonaussiégoïste.Ilavaitétésiavidedesatisfaireses
instinctsqu’ilenavaitmêmeoubliéleproblèmecrucialdelacontraception!
Après quelques instants, il dut se résigner au fait que l’eau froide ne résoudrait pas son
problème. Il tourna le robinet et, ruisselant, sortit de la douche. D’un geste brusque trahissant sa
frustration,ilsaisituneserviettesurunepileetl’enroulaautourdesataille.
Marié.
Ilétaitmarié,aprèsavoirévitécetteinstitutiontoutesavie.Etcelaavaittransforméunerelation
parfaitementheureuseenunvéritablechampdemines!
Etmaintenant?sedemanda-t-ilavecunesombreironie.Faithvoulaitparler,commetoutesles
femmes,etilserendaitbiencomptequ’ilallaitdevoirfairedescompromis.Elleavaitraisonen
affirmantqu’unerelationnepouvaitpasuniquementsefondersurlesexe.D’ailleurs,ilappréciait
sonespritautantquesoncorps.
S'ilvoulaitretrouverunsemblantdetranquillité,ilallaitdoncdevoiraccéderàsesdésirs.Oudu
moins,fairesemblantd’yaccéder.
Car il ne comptait pas un instant lui ouvrir les portes de son âme. Sans quoi, il y avait fort à
parierqu’ellepartiraitencourant…
8.
Faithavaitbeaufixersonmiroir,illuiétaitimpossibledeseconcentrersursonreflet.
Commentenétait-ellearrivéelà?
Elleétaitforte,intelligenteetindépendante.Etpourtant,ellevivaitetagissaitaugrédescaprices
d’unmilliardaireautempéramentexplosif.Encetinstantprécis,ellesedemandaits’ilapprouverait
sonchoixvestimentairepourledîner.
DanslesaffairesfourniesparRaul,elleavaittrouvéunerobenoirerasdecouquiluidescendait
àmi-mollets.Letissuétaitsouple,lacoupeclassiqueetélégante.Derrièresasimplicitéapparente,
ondevinaitletravaild’ungrandcouturier.Luiplairait-ellevêtuedelasorte?
ToutcequeFaithpouvaitdireàcestade,c’étaitquelarobenerévélaitnisondécolleté,nises
jambes.Seulssesbrasétaientvisibles.Théoriquement,ellesatisfaisaitdoncaucahierdescharges
imposéparsonmari.
Raul n’était pas encore là lorsqu’elle descendit dans le salon. Elle se posta devant les grandes
fenêtresdansl’espoirquelespectacledelapampaproduiraitcommed’habitudesoneffetapaisant.
Quelques minutes plus tard, un bruit de pas la fit tressaillir. Elle se retourna pour voir Raul
avancerverselle,vêtud’uncostumesiimpeccablementtailléqu’ilsemblaitavoirétécoususurson
corps.Ilexsudaitl’autorité,lepouvoir,l’assurance.
–Tuasl’airtrèsintimidantdanstondéguisementd’hommed’affaires,observa-t-elle,recourant
àl’ironiepourcachersontrouble.
–Lesapparencescomptent.
–Voilàquiestparlécommeunvraimachoargentin.
–Jesuisunmachoargentin,réponditRaulavecunhaussementd’épaules.Jenel’aijamaisnié.
Ellelesavaitcapabled’utilisersoncharmecommeunearme.Maisc’étaitàsonintelligencequ’il
devaitsonsuccès.Sonespritfonctionnaitdeuxfoisplusvitequeceluidesgensnormaux,cequilui
permettaitdedevancersystématiquementsesadversaires.
Illadévisageauninstantensilence,delatêteauxpieds,avantdefaireclaquersalangued’unair
réprobateur.
–Tun’avaisriendemoinsprovocant?
Totalementdéroutée,elleledévisageabouchebée.Puisellebaissalesyeuxavantdeluirappeler
avecexaspération:
–Tuasditquetunevoulaisvoirnimondécolleté,nimesjambes.J’aifaitexactementcequetu
m’asdemandé.
–Tuaslesbrasnus.
–Mesbras?
–Oui.Sijelesvois,jepeuxaisémentimaginerlereste,etçam’empêchedemeconcentrersur
mesaffaires.
Ellesentitsonrythmecardiaque,jusqu’alorssouscontrôle,s’emballerbrutalement.
–Tuesincroyablementprimaire.
–Oui.
–Situn’arrivespasàtecontrôler,tun’asqu’àpasm’emmeneràcedîner.
LasuggestionarrachaunsourireàRaul.
– L'un des avantages d’être marié, c’est de pouvoir montrer sa femme lorsque l’occasion
l’exige.
–Etc’estlecas?
–Oui.Prendsuneétole,çadevraitsuffire.
–Parcettechaleur?Tunepréfèrespasquejemetteunmanteau,parhasard?
– Excellente idée. Un manteau sans rien dessous. Plus tard, je l’enlèverai et je m’occuperai de
toi…
Cettemenacesisensuelleemplitl’espritdeFaithdevisionsparticulièrementprécises,etellese
sentitrougirjusqu’auxoreilles.Tentantdeluidissimulersaréaction,elleserralesdents.
–Tuesunobsédésexuel,tulesaisça?
–Gracias.
Exaspérée,ellelefusillaitduregard.
–Cen’étaitpasuncompliment!
–Aimerlesexeestparfaitementnormal.C'estunequaliténaturellechezunhomme.Jenevois
pascequ’ilyademalàcela.
Elleinspiraprofondément,regrettantdéjàd’avoirfaitdévierlaconversation.Cen’étaitpasun
sujetdontellevoulaitdiscuteraveclui.
–Iln’yariendemalàcela.Maisiln’yapasquelesexedanslavie.Nouspourrions…parler
davantage,parexemple.
–Biensûr.Avantetaprèsl’amour.
Ilsemoquaitd’elle,àprésent,etelleétaitagacéeparletroublequeluicausaitsavoixdouce,
veloutée.
Unefemmeforte,intelligenteetindépendante?
Cettedescriptionluiparaissaitrisible,àprésent!
–Raul,nefaispasça…
–Tunepensesqu’àfairel’amouravecmoi,neleniepas.Noussavonstousdeuxcequinous
attend. Chacun de nous se demande « comment ce sera ? » ou « pourrai-je patienter encore
longtemps?»
Son accent paraissait s’être épaissi, ajoutant encore à son pouvoir de séduction. Elle blêmit,
sidérée par la facilité avec laquelle il exposait des pensées qu’elle n’osait même pas s’avouer à
elle-même.
–Tutetrompes,répliqua-t-elled’unevoixgrinçante.
–Menteuse!
Au prix d’un gros effort, elle détourna les yeux. La seule chance de reprendre un semblant de
contrôlesurelle-même,c’étaitdenepasleregarder.
–Pourunhommedetonintelligence,tuesétonnammentsuperficiel.
–Tutesentiraisflattéesi,enterejoignantaulit,jeprenaisunlivre?Sijemedésintéressaisde
toi?
Il s’était approché et, tout en parlant, avait posé une main sur sa taille provoquant en elle un
frissonquiluiremontalelongdel’échinepourvenirmourircommeunsoupirsursanuque.
–Çat’arrivedepenseràautrechosequ’ausexe?demanda-t-elle.
–Sí.Parfois,jepenseàmesaffaires.
Il se pencha pour l’embrasser, avant de suivre du bout de la langue le dessin de sa lèvre
inférieure.
–Aprésent,souffla-t-il,ilvafalloirquetuarrêtesdemedistraireoujeseraiincapabledeme
concentrer.
–C'est...c’esttoiquiascommencé.
Elle était à présent extrêmement tendue. Raul dut le remarquer car il tendit la main pour lui
souleverlementond’undoigt.
–Tuestoutepâle.
–C'estledécalagehoraire,prétendit-elle.Jesuisfatiguée.
–Non,cen’estpasça.Jet’aivueavecdavantagedecouleursaprèsunenuitpasséeàveillerun
chevalmalade.
Ilsepenchapourl’étudierplusintensément,ajoutantencoreàl’inconfortdeFaith.
–Tuasdesvertiges?Tuveuxvoirunmédecin?
–Non,jet’assurequejevaisbien.
–Situneveuxpassortir,n’hésitepasàledire.Jecomprendraisquetuveuillestecoucher.Tu
voiscommejepeuxêtreattentionné?
–Jesupposequesij’allaismecoucher,tunetarderaispasàmerejoindreaulit?
–Biensûr,répondit-ildumêmeton.Noussavonstousdeuxquetuseraismortellementvexéesi
jenelefaisaispas.Tum’accuseraisdenepastetrouverattirante,n’est-cepas?
Sansluilaisserletempsderépondre,ildéposaunnouveaubaisersurseslèvres.Cettefois,il
étaitpresquetendre,cequil’ébranlaplusencorequelasensualitéduprécédent.
Ellevoulutparlermaissalanguesemblaitêtresoudéeàsonpalais.Plaçantunemainaucreuxde
sondos,Raull’entraînaverslaporte.
–Allons-y.Nosinvitésvontbientôtarriver.
Enfinunsujetdeconversationanodin!Elleretrouvasoudainl’usagedelaparole.
–Cesgensaveclesquelsnousallonsdîner,quisont-ils?
– Ils possèdent des terres, expliqua Raul comme ils empruntaient l’allée de gravier menant au
bâtimentprincipaldel'estancia.Desterresquejeconvoite.
–Tuasdéjàdesmilliersd’hectares.Çanetesuffitpas?
–Plusj’enai,mieuxjemeporte,réponditsonmari.
Maisunelueurétrangevenaitd’éclaterdanssonregard,etFaitheutl’impressionquel’affaire
étaitbienpluscomplexequ’unesimpleacquisitionimmobilière.
– En d’autres termes, tu as une bonne raison de t’intéresser à ces terres, mais tu n’as pas
l’intentiondelapartageravecmoi?
–J’apprécietavivacitéd’espritettonintelligence,fitRaulenriant.
–Tantquejenelesutilisepas,fit-ellevaloird’untonacerbe.
Sa réponse fut de l’embrasser de nouveau, avec une telle habileté que toute amertume
l’abandonnaaussitôtpourlaisserplaceàunedouceimpressiondebien-être.
–Tuasungoûtdélicieux,murmura-t-illorsqu’ilsedétachaenfind’elle.
Désorientée, elle posa une main sur son torse pour retrouver son équilibre, avant de lever un
regardaccusateurverslui.
–Tufaistoujoursça!
–Quoidonc?
–Tum’embrassespourmefairetaire!
–Tuveuxquejem’arrête?souffla-t-iltoutcontreseslèvres.
–Oui.Non.Je…Jenesaispas.Oùas-tuapprisàembrassercommeça?
–C'estuntalentinné,murmura-t-il,leregardbrillantdemalice.
–Tonegoestdécidémentdisproportionné!
D’unemain,ilplaquasonbassincontrelesien.Faithhoquetaensentant,àtraverssesvêtements,
laviolencedesondésir.
–Iln’yapasquemonegoquisoitdisproportionné…
Choquée,frémissantededésiretamuséeparsonarrogance,ellenesutquedireetfinitparlever
unemainimpérieuse.
–C'estbon,arrête.Tais-toietnemetouchepaspendantuneminute.
–Metaire,c’estfacile.Maisnepastetoucher…
– J’ai dit arrête ! le réprimanda-t-elle. Je ne veux plus que tu m’embrasses. Je n’arrive pas à
réfléchirquandtulefais.
–Justement.
–Tuavouesdoncutiliserlesexecommeunearmepouréviterd’avoiràparler?
–C'estjustequejenevoispasl’intérêtdeparler.C'estunepertedetemps.Situsavaislenombre
deréunionsauxquellesjedoisdéjàassister…
–Jenesuispastontravail,Raul.Jesuistafemme.
–Sí.Ettusavaisexactementquelgenred’hommetuépousais.
Ilavaitdurciletonmaissonregardétaittoujoursposésurseslèvres,sensuelettentateur.
–Situneveuxpasquejet’embrasse,enchaîna-t-ilavecunhaussementd’épaules,tun’asqu’à
past’habillerdefaçonaussiprovocante.
–Etquesuis-jecenséeporter,Raul?Dis-le-moi,parcequejen’enaipaslamoindreidée.Dis-
moiaussicequejefaisavectoitantquetuyes.Toutallaitbienavantquejefassetaconnaissance.
J’avaisunecarrièreprometteuse…
–Jen’aiabsolumentriencontrelefaitquetutravailles,coupasonmari,visiblementsurprispar
cetaccèsdecolère.Jesuisunhommemoderne.
–Moderne,toi?Tuferaispasserunhommedescavernespourunprogressiste.Jemedemande
bienpourquoij’aiabdiquétouteintelligencelejouroùjet’airencontré.
–Tonintelligencemesembleintacte.
–Alorspourquoisuis-jelà,avectoi,aprèscequetum’asfait?Pourquoiest-cequejetelaisse
m’embrasser?
–Parcequej’embrassetrèsbien,répondit-ilavecleplusgrandsérieux.
Puisilluienveloppalajoued’unemainpossessiveavantd’ajouter:
–Assezdiscuté,maintenant.Nosinvitésvontarriver.
Une autre conversation qui tournait court, songea-t-elle avec désespoir. Et comme les fois
précédentes,iln’avaitabsolumentrienrévélédelui-même.
–Sicesnégociationssontsiimportantespourtoi,pourquoitiens-tuàcequejesoisprésente?
demanda-t-elledansunmouvementd’humeur.Ilestévidentquejet’empêchedeteconcentrer.
–Jepréfèrequetusoislà,c’esttout.
Se résignant au fait qu’elle ne recevrait pas d’autre explication, Faith ramassa le sac à main
qu’elleavaitlaissétomberquandill’avaitembrassée.
– Quel rôle suis-je supposée jouer? insista-t-elle comme ils se remettaient en marche. Suis-je
autoriséeàparleroudois-jefairesemblantd’avoirsubiunelobotomie?
– Le rôle de ma femme, répondit Raul avec un sourire si charmeur qu’elle en eut le souffle
coupé.
–Jedétestequandtufaisça,marmonna-t-elle.
Enriant,sonmariluipritlamain.
–Quandjefaisquoi?
–Tulesaistrèsbien.Tuutilisescesourirequandtusensquetuvasperdrepied.
–Perdre?répéta-t-ilavecunfroncementdesourcils.Jamaisentenducemot.Qu’est-cequeça
veutdire?
–Trèsdrôle.J’espèrejustequejenevaispastemettredansl’embarras.Monunivers,cesontles
chevaux.Jenesaispascommentimpressionnerunhommed’affaires.
–Jesuisunhommed’affairesettum’asimpressionné.Alorsnetefaispasdesouci.
–Cedîneral’airvraimentimportant…
–Ill’est.
–Est-cequejepeuxespérerquetumediraspourquoiunjour?
Il ne répondit pas à la question et, lorsque Faith leva les yeux vers lui, elle vit qu’il fixait un
véhicule qui remontait doucement la route. Son sourire s’était effacé pour laisser place à
l’expressionfroideetdéterminéequ’ilarboraitavanttoussesrendez-vousprofessionnels.
Lavoitures’arrêtadansunnuagedepoussièredevantl'estancia.Laportes’ouvritetunhomme
corpulentmitpiedàterre,transpirantdanslachaleurdusoir.Ildevaitavoirlacinquantainebien
tassée mais sa façon de s’habiller suggérait un désir farouche de retenir une jeunesse depuis
longtemps révolue. Sa chemise largement ouverte peinait à contenir un ventre rebondi et ses
cheveuxavaientétéhabilementcoifféspourrecouvriraumieuxunecalvitieprononcée.
–Vásquez!lança-t-il.Ilparaîtquedesfélicitationssontderigueur?
–Pedro.
Raul s’avança pour serrer la main du nouveau venu, tandis que Faith regardait la femme qui
descendit au même instant du côté passager. Elle comprit soudain, en la voyant, pourquoi le
dénomméPedrosemblaitseraccrocherdésespérémentàsajeunesse.
La femme était splendide. Elle parvenait à donner l’impression d’être sensuelle et mince à la
fois. La cascade de cheveux noirs qui tombait sur ses épaules brillait comme de l’onyx poli.
Apparemment indifférente à la chaleur, elle ôta ses immenses lunettes de soleil pour révéler un
visageparfaitservantd’écrinàdemagnifiquesyeuxenamande.Unsourireaimableapparutsurses
lèvreslorsqu’elleaperçutàsontourFaith.
Elle s’approcha d’un pas alerte et, la prenant de court, l’embrassa sur les deux joues avant de
passersonbrasdanslesien,commesitoutesdeuxétaientamiesdelonguedate.
– Enchantée de faire enfin votre connaissance ! La moitié de l’Argentine est prête à vous
arracher les yeux. La moitié féminine, bien sûr. La moitié masculine, en revanche, est
probablementsoulagéequevousayezéliminéRauldumarchédescélibataires.Jem’appelleSofia.
Déroutéeparsafranchiseetnesachantquerépondre,FaithcoulaunregarddésespéréversRaul.
Maissonmari,enpleineconversationavecPedro,neluiprêtaitpaslamoindreattention.
EllesetournadoncdenouveauversSofia,pourconstaterquecettedernièrefixaitRauld’unair
ouvertementappréciateur,sesyeuxcourantlelongdesoncorpsathlétique.
–Oups,fitSofiaenpouffant,quandellecroisaleregardmédusédeFaith.Vousm’avezpriseen
flagrantdélit!
Ellesedonnaunepetitetapemoqueusesurlamainavantdereprendre:
– Vous devez bien admettre qu’il est à croquer. Je n’ai pas souvent l’occasion de voir des
hommestelsquelui.C'estl’undesinconvénientslorsquel’onestavecRaul.Touteslesfemmesle
dévorentduregard.
Choquéeparlaboufféedejalousiequiexplosaitenelle,Faithfitdesonmieuxpourresterpolie.
Maissavoixétaitinhabituellementcrispéelorsqu’elledemanda:
–Etvotremarin’ytrouverienàredire?
–Jesupposequ’ilneseraitpasravi,maisiln’apasàs’inquiéter.Rauletmoin’étionsvraiment
pasfaitsl’unpourl’autre.
L'espaced’uninstant,Faithcrutavoirmalentendu.
–Vous…vousleconnaissezbien?
Pourquoiposait-ellelaquestionquandelleconnaissaitdéjà–etredoutait–laréponse?
–Plutôtbien,oui.
Sofialadévisagea,sourcilsfroncés,avantdesemordrelalèvre.
– Oh non… Quelle gaffeuse je suis. Apparemment vous n'avez pas parlé de son passé... Après
tout,c’esttantmieux.Sij’étaisavecRaul,jepréféreraisneriensavoir.
–Sofia…
La voix de Raul résonna juste derrière les deux femmes. Elles se retournèrent, surprises. A la
minedumilliardaire,ilétaitévidentqu’ilavaitentenducettedernièreremarque.MaisSofian’en
parutguèreémue.
–Allons,Raul,inutiledeprendreceton.Jesuisraviequetuaiesenfintrouvéquelqu’uncapable
de supporter tes manières autocratiques. Comment vas-tu ? Tu as l’air en pleine forme, comme
toujours.
AvantqueRaulpuisserépondre,Pedros’approcha,s’essuyantlefrontavecungrandmouchoir.
–Etsinousallionsnousmettreaufrais?
–Biensûr.Nousprendronsl’apéritifsurlaterrasse.
Paralyséeparlastupeur,FaithdévisageaRaul.
C'étaittout?Iln’avaitriend’autreàluidire?
Le tact n’était certes pas l’une de ses qualités premières, elle était bien placée pour le savoir.
Maisellepeinaitàcroirequ’ileûtsongéàinvitersonanciennemaîtressesansl’enavertir.
Amoinsqu’ilnes’agissed’unecoïncidence?
Elleétaitdésespérémentprêteàlecroire.D’uneminuteàl’autre,RaulallaitchasserSofia,lui
fairecomprendrequ’ellen’étaitpaslabienvenue.
Aulieudecela,ildéclaraaimablement:
–Ilfaitplusfraissurlaterrasse.Suivez-moi.
Faithtressaillitcommes’ilvenaitdelafrapper.
Ainsi,unefoisdeplus,sonmarin’avaitpasuninstantsongéàsessentiments.Ellecomprenait
mieux,àprésent,pourquoiilavaitparuréticentàluiparlerdudîner…
Iltraversalacour,Pedroàsescôtés.Riendanssesmanièresn’indiquaitlemoindreembarras.
Elle aurait voulu lui arracher les yeux ou s’enfuir en courant mais Sofia la tenait toujours
fermementparlebras.
–Nousavonsunmotenespagnolpourdésignerunhommetelquelui,souffla-t-elle.Guapísimo.
Çasignifie«incroyablementséduisant».
Puis, regardant autour d’elle comme le petit groupe atteignait la terrasse recouverte d’une
pergola,elleajouta:
– Ça fait longtemps que je ne suis pas venue. Il faudra que vous me montriez ce que Raul a
changé.
Faithneréponditpas,tropoccupéeàenvisagerdifférentsmoyensd’étranglersonmari.
Maisd’abord,illuifallaitbienadmettrequ’elleportaitsapartderesponsabilité.Ilavaitprétendu
vouloirdonnerunechanceàleurmariageetelleavaitfoncétêtebaisséedanslepanneau.Elleavait
étéstupide.
Raulsemontrait-ilcruelàdessein?Laprésencedesonanciennemaîtresseétait-elleunefaçon
détournéedeluirappelerqu’ilnecomptaitpaschangerdemodedevie?
Unsoudainvertigelasaisitetellesedemandasiellen’allaitpass’effondrerdevantleursinvités.
Mais,serrantlesdents,elleseforçaàrespirerprofondémentetacceptalacoupedechampagneque
luitendaitunserveurquivenaitd’apparaîtrecommeparmiracle.
Ellel’avalaendeuxgorgéeset,conscienteduregardsurprisetvaguementréprobateurdeRaul,
levalacoupevidedanssadirection.
–Anous,monchéri!s’exclama-t-elle.Atoutescespetiteschosesquimemontrentàquelpoint
tutiensàmoi.
Ilplissalesyeuxmaisavantqu’ilpuisserépondre,Pedrolevasonverreàsontour.
–Avousdeux.Tousnosvœuxdebonheur.
Faithregrettaitdéjàd’avoirbutoutcechampagne.Satêtetournaitetellenesavaitpluscequien
étaitlacause,lafatigueoul’alcool.
–Quefaites-vousdanslavie,Faith?repritPedroavecsesmanièresfranchesetdirectes.
–ElleestmariéeàRaul,déclaraSofia.Cequisignifiequ’elledoitpassersontempsàsefaire
belle.
Sonregardseposa,visiblementperplexe,surlescheveuxcourtsdeFaith.Cettedernièresesentit
rougir.
–Jesuisvétérinaire,répondit-elle.Jesuisspécialiséedansleschevaux.C'estcommeçaquej’ai
atterrienArgentine.
Dontellerepartiraitleplusvitepossible,sepromit-elleensilence.
–Faithesttrèsdouée,renchéritsonmari.Sonaidenousesttrèsprécieuse.
Illuisouritd’unairaffable.Necomprenait-ildoncpasàquelpointelleluienvoulait?
Pedro, qui ne se rendait apparemment pas compte de la tension qui alourdissait l’atmosphère,
avalaunegorgéedechampagneavantdemaugréer:
–L'undemesétalonsmeposedesproblèmes.Ilbotte,ilmordsonpalefrenier.Ilestnévicieux,
jepense.
– Aucun cheval ne naît vicieux, corrigea Faith, incapable de garder le silence. Il a dû être
maltraité.
SonregardplongeadansceluideRauletelleajouta:
–Nouspouvonstousnousmontrervicieuxdanscertainescirconstances.
RaulfronçalesourcilcommePedroacquiesçait,l’airpréoccupé.
–C'estvraiquejeneconnaispasl’histoiredecetanimal.Jel’airécupérérécemment.Jepensais
qu’ilavaitdupotentiel,maisjen’ensuisplussisûr.Ilabesoinqu’onluimontrequicommande.
UnrirenerveuxfranchitleslèvresdeFaith.
– Selon mon expérience, ce genre de méthode autoritaire ne mène à rien. Les gens réagissent
beaucoupmieuxlorsquel’ongagneleurrespectetleurconfiance.
–Lesgens?Maisjecroyaisquenousparlionsdechevaux?
–Lesgens,leschevaux,lesprincipessontlesmêmes.Lefondementd’unerelationdurable,c’est
laconfiance.
Raulluijetauneœilladenoire,maisellenecillapas.
– Vous laissez une femme vous dire comment élever vos chevaux, Vásquez ? demanda Pedro
avecunclind’œil.
–J’emploielesmeilleurs,hommeoufemme.
–Jenecroispasavoirjamaisrencontréunefemmevétérinaire.
– Nous ne sommes pas très différentes de la version masculine, répondit Faith. Nous sommes
justepluspetitesparcequenousn’avonspasàcontenirunegodémesuré,encequinousconcerne.
Acesmots,Sofiapouffa.
–J’adorel’humouranglais.
Al’aidedesonmouchoir,Pedros’épongeadenouveaulefront,puisreprit:
–Jesaisquecen’estpaspolitiquementcorrect,maisjenepensepasqu’unefemmepuissefaire
exactementlesmêmeschosesqu’unhomme.
– Je suis d’accord, répondit Faith. J’ai beau essayer, je n’arrive pas à me montrer aussi rustre
qu’unhomme.Heureusement,cedéfautmajeurn’aaucuneinfluencesurmescompétencesentant
quevétérinaire.
Pedro dut enfin se rendre compte que quelque chose n’allait pas, car il jeta un regard
interrogateuràRaul.Cedernier,commeàsonhabitude,manifestauneindifférencesouveraine.
– Comme vous le voyez, ma femme est une forte tête. C'est pour cela que les chevaux la
respectent.
–Monétalonestdangereux,remarquaPedro,reprenantlefildeleurprécédenteconversation.
Nousnepouvonspaslelaissersortirdel’écurie.
– Les chevaux sont des animaux sociaux, intervint Faith. Ils évoluent en troupeau. Un étalon a
besoindesortiretd’affirmersadomination.
–CommeRaul,ironisaSofia.
– Vous pourriez peut-être m’aider, alors, suggéra Pedro, ignorant la remarque de sa femme.
Maisjevouspréviens,c’estuntravailsacrémentdifficile.
–Rienn’esttropdifficilepourelle,déclaraRaul.Elleesttrèsintelligente.
Faithsecoualatête,irritée.
–L'intelligencen’arienàvoirdansl’affaire.Ilfautjustesavoirfairepreuvedepatienceetde
douceur.
–Jenecomprendsplus,fitSofiaavecsonrirecristallin,parlons-nousdeRauloudel’étalon?
Puis,avecunclind’œil,elleajouta:
–Etsinoussongionsàmanger?Situnenousnourrispas,Raul,jevaisrejoindreteschevaux
dansl’écurie.Ons’occupemieuxd’euxquedesinvités,ici!
9.
Undélicieuxasado–unbarbecuesurunfeudepleinair–futservienguisededîner.Lanuit
tombaitlorsqueFaithetRaulreconduisirentenfinleursinvitésàleurvoitureavantdereprendrele
chemindel’Océane.
Furieusecontresonmarietcontreelle-même,Faithmarchaitentête,d’unpasraide.Ellen’osait
pasparlerdepeurd’exploserou,pireencore,defondreenlarmes.
–Toncous’allongequandtuesencolère,observaRauld’untonamusé,derrièreelle.Etvuque
j’aidepluslonguesjambesquetoi,tunerisquespasdemesemer,alorséconomisetonénergie.
Ellepivotasoudain,pareilleàunanimalacculé.
– Tu veux vraiment parler de ça ici ? Réfléchis bien, parce que je ne suis pas sûre que tu vas
appréciercequej’aiàtedire,etnouspourrionsavoirdesspectateurs.
Lamineindifférente,iltirasursacravatepourladesserrer.
–Discuter?Jecroyaisquenousavionsassezdiscutépourtoutunmois.
–Situn’aimespasça,peut-êtrequetudevraiséviterd’invitertesex-petitesamiesàdînersans
avoirlacourtoisiedemeprévenir!
–Vuquec’esttoiquiportesl’alliance,tun’asaucuneraisond’êtrejalouse,fit-ilvaloiravecune
irritationvisible.
–Cen’estpasunequestiondejalousie,c’estunequestionderespectmutuel!Essaiedevoirles
chosessousunautreangle…Commentaurais-turéagisij’avaisinvitéunancienpetitami?
–Jel’auraisréduitenpoussière.Maisc’estdifférent.
–Non,cen’estpasdifférent.J’aidessentiments,Raul.Ilseraitbonquetut’enrappelles.
Tremblant si fort qu’elle tenait à peine debout, elle tourna les talons et regagna l’Océane. Elle
abandonnasonsacàmêmelesoldel’entréeavantdesedirigerdirectementverslachambre,où
elleentrepritderetirersesbouclesd’oreilles.
Quelquessecondesplustard,Raullarejoignit.Ilsedéplaçaitaveclagrâcemenaçanted’unfélin,
sonbeauvisageexprimantunmélangedecolèreetdefrustration.
–Jenecomprendspasquelesttonproblème,gronda-t-ilenpassantunemaindanssescheveux.
–Jelesaisbien,etc’estjustementlàleproblème!Tunepensesjamaisàmoi,àmessentiments.
–C'estuneaccusationinfondée.Sijenet’aipasditqueSofiavenait,c’étaitprécisémentpourte
protéger.
–End’autresmots,tusavaisqueçamedérangerait.
Ellepivotaversluietleregrettaaussitôt.Lesimplefaitdeleregarderluidonnaitl’impression
deperdretoussesmoyensintellectuels.Sessens,enrevanche,paraissaientexacerbés.C'étaitune
combinaisondésastreuse.
Sonmariavaitplissélesyeux,sabouches’étaitpincéeenuneligneblancheetfurieuse.Mêmeen
colère,ilétaitinfinimentséduisant.
–Jepensaisqueturéagiraiscommeunefemme,déclara-t-il.Etc’estexactementcequetufais.
Lesnerfsàvif,elleprituneprofondeinspiration.
– Elle m’a narguée, m’a agité votre passé commun sous le nez pendant toute la soirée. Nous
avonsunmotpourleshommestelsquelui,guapísimo,ajouta-t-elleenimitantlavoixdeSofia.
–Turéagisdefaçonexcessive.Sofiaetmoi,c’estdel’histoireancienne.
–Vraiment?Ellet’apourtantdévoréduregardpendanttoutelasoirée!
–C'estsonproblème,paslemien.Niletien,d’ailleurs.
–C'estpeut-êtreidiotdemapart,maisjenepeuxpasmemontreraussiindifférentequetoi.Elle
semblaitensavoirlongsurtoietjenesaispasquelsétaientsessentimentsàmonégard.Impossible
de dire si elle me voulait du mal ou me considérait comme une amie. Mais j’ai clairement eu
l’impressionqu’elleauraitbienvouluavoircetteallianceaudoigtàmaplace.
–Çaauraitétéunvéritabledésastre.
–Elleestpourtanttrèsbelle…
–Netefaispassouffrirpourrien,Faith.Tuvauxmieuxqueça.Jen’aijamaisprétenduêtreun
saint,j’aiunpassé.Mais,tun’aspasàtesentirmenacée.
–Biensûrquesi.Tunem’auraisjamaisépouséesitunet’yétaispassentiobligé!
– Si tu continues de disséquer le moindre de mes faits et gestes, tu n’arriveras qu’à des
conclusionsdésagréables,etsurtouterronées.
– Il est vrai qu’après ce soir, mes doutes quant à notre mariage se sont transformés en
certitudes!
Ilsoupira,l’airsoudaintrèslas.
–Sofian’arienàvoiravecnous.
–Tuinvitestonexàdînersansm’enavertirettuespèresquejevaismemontreraimableavec
elle?Çaatoutàvoiravecnous!
Ilssefaisaientàprésentfacecommedeuxanimauxsurlepointdesebattre.L'atmosphère,dans
lapièce,semblaitgrésillerd’électricité.
–Jen’aifaitqu’inviterunhommedontjeveuxacheterlesterres,etilsetrouvequeSofiaestson
épouse. Je ne pensais pas que ça avait la moindre importance étant donné que, comme tu l’as
souligné,c’estuneex.Pourquoitemets-tudansdesétatspareils?
–Parcequejesuistafemme!
–Exactement.Etçadevraitsuffireàterendreheureuse.Jenevoispasdequoituteplains.
Elleledévisageabouchebée,sidérée.Jamaisellen’auraitsoupçonnéqu’ilpuisseêtreàcepoint
arrogant.
Avisant son expression choquée, il plongea un regard noir et lourd de menaces dans le sien.
Puis,avecunelenteurdélibérée,ilavançasurelle.Aussitôt,elletenditlamain.
–Nem’approchepas.
Carellesavaitques’illatouchait,ellenerépondraitplusderien.Malheureusement,l’ignorant
superbement,illuiagrippalepoignet.D’ungestesec,ill’attiraàluietpassasonbrasautourdesa
taillepourl’emprisonner.
–Lâche-moi!ordonna-t-elleensetortillantavecunsinguliermanquedeconviction.Aprèsce
quis’estpassécesoir,tun’espasprèsdemetoucherdenouveau!
Mais c’étaient des paroles en l’air et tous deux le savaient. Déjà, l’atmosphère semblait s’être
épaissie,latempératureavoiraugmentédanslapièce.
–Pourquoivoudrais-tuquejetelâche?murmura-t-il.
Ilapprochaseslèvresdessiennesmaiselledétournalatête.Celanel’empêchapasd’éprouver
unfrissondeplaisirlorsqu’ellesentitsonmentonrâpeuxeffleurersajoue.
–Parcequenousnousrendonsmutuellementmalheureux,répondit-elled’unevoixfaible.
–Seulementlorsquenousdiscutons…Nousnenoussommespastouchésdepuisdessemaineset
çanousrendfous…
–Non,Raul,je…
Elles’interrompitcommeilsuivait,duboutdeslèvres,lacourbedesajoue.
–Arrête…
Une main large lui enveloppa le visage, la forçant à tourner la tête. Ses lèvres flottaient à
quelquesmillimètresdessiennesàpeinemaisilnel’embrassapas.
–Pourquoimerésister?souffla-t-il.
–Parcequejen’aipaslechoix,répondit-elleavecunefranchisedésespérée.Ilenvademasanté
mentale,demafierté…
Alorsill’embrassaetFaitheutl’impressionquetoutsoncorpsprenaitfeu.
–Tun’aimespasça?repritsonmarid’unevoixrauquededésir.
Salanguesuccédaàseslèvres,caressantsabouche,taquinant,explorant.
–Siçaneteplaîtpas,tun’asqu’àpartir,murmura-t-il.
–Jenepeuxpas.Tumeretiens.
UnsouriresardoniqueettriomphalapparutsurlevisagedeRaul.
–Jet’ailâchéeilyacinqminutes,cariño.C'esttoiquiteserrescontremoi…
Il lui accorda cinq secondes pour se rendre compte qu’il disait vrai puis, au moment où elle
s’apprêtaitàfaireunpasenarrière,ill’embrassadenouveau.
Ilnes’agissaitplus,cettefois,depetitsbaisersprovocants,depréliminairesludiquesdestinésà
éveiller son désir. Cette fois, ses lèvres étaient conquérantes, sauvages, passionnées. Sa langue
enveloppalasienneetunkaléidoscopelumineuxexplosadevantlesyeuxdelajeunefemme.
Elles’effondracontrelui,traverséededéchargesdesensationspures.Sesseinsétaientpresque
douloureuxetellefrissonnaensentantlabossequigonflaitlepantalondeRaul.
Lecreuxdesesgenouxheurtasoudainlereborddulitetelles’yeffondra,entraînantRaulavec
elle. Une main puissante glissa sur l’arrondi de sa cuisse, remonta sous sa robe et appuya
doucementsurladentelledéjàmoitedesonstring.
Haletantededésir,elles’attaquaàsachemise,gémissantdefrustrationlorsquelesboutonslui
résistèrent.Ellerévélaenfinsontorsesculpturalsurlequelelleposalesdeuxmainsàplat.Sapeau
étaitbrûlante,sesmusclesdurscommedelapierre.Avecunsoupirdesatisfaction,elledescenditle
longdesescôtesjusqu’àsataille.
–Maintenant…,lesupplia-t-elle.Jen’enpeuxplus…
Ilparuthésiter,puisselibéradesonpantalon.Remontantsarobejusqu’àsataille,illuisaisitles
cuissesetsepositionnaentreelles.
Auseuildesaféminité,ilhésitaunenouvellefois,plongeantsesyeuxdanslessiens.Frémissant
d’expectative,elleacquiesça.Alors,d’uneseulepensée,illaposséda.
Elleeneutd’abordlesoufflecoupé.Puis,peuàpeu,soncorpss’adaptaàsaprésencemassiveet
une vague de plaisir atomisa le peu de raison qui lui restait, la précipitant dans un océan de
sensations.
Dans la semi pénombre, elle leva un regard médusé vers lui, peinant presque à croire à
l’intensité du plaisir qu’ils partageaient. Leurs corps soudés, luisant de sueur, paraissaient n’en
formerqu’un.Lesdoigtsdesonmariétaientmêlésàsescheveux,sesonglesétaientplantésdans
sondos.
L'orgasmelacueillitparsurprise,avecuneviolencequilatétanisatoutentière.Leurslèvresne
s’étaientpasquittéesetilsneseséparèrentenfinquepourreprendreleursouffle.
Encore engourdie de plaisir, elle se serra contre lui. Les battements de son cœur se calmèrent
peuàpeumaiselletrouvaàpeinelaforcedeprotesterlorsqu’ildescenditlelongdesoncorpset
entrouvritdoucementsescuisses.
–J’adoreteregarder,murmura-t-ilenluiembrassantl’intérieurd’ungenou,puisenremontant
lelongdesajambe.
–Raul,non,protesta-t-ellefaiblement.Jenecroispasquejepuisse…
–Tutetrompes.
Ilfitcourirundoigttentateurentresescuisses,luiarrachantunhoquetdeplaisir.Puissalangue
succédaàsesdoigts,etellecrutqu’elleallaitperdrelaraison.Ellevenaitd’avoirunorgasmemais
c’étaitcommesiriennes’étaitpassé,commesisoncorpsétaitdenouveauprêtpourl’amour.Ses
nerfs vibraient, ses cellules électrisées par le plaisir dansaient une gigue folle, son sang
bouillonnaitdanssesveines.
Elleeutàpeineletempsdes’enétonnerqu’unsecondorgasmelaterrassa,aussiintensequele
précédent. Mais contre toute attente, au lieu de se détacher d’elle pour la laisser récupérer, Raul
l’agrippaparlatailleet,roulantsurledos,l’empalasurlui.
Un hoquet de stupeur et d’extase mêlées franchit ses lèvres tandis qu’il se mettait à bouger de
nouveau en elle, dur comme le roc. Jamais elle n’avait éprouvé des sensations si intenses, si
ravageuses. C'était un marathon amoureux et érotique qui lui faisait prendre conscience de son
corps comme jamais auparavant. Elle n’était plus que plaisir et fatigue, extase et épuisement. Ses
membres semblaient peser des tonnes mais son esprit était étonnamment léger, alerte et avide de
sensationsnouvelles.
Iln’avaitqu’àlatoucheretelleétaitsienne.Peuimportaitlemoment,peuimportaitlafaçon,elle
étaitàsamerci.C'étaiteffrayantetexcitantàlafois.
Elle le sentit se raidir et il explosa enfin en elle, l’entraînant de nouveau dans les abîmes du
plaisir. Lorsqu’elle s’effondra sur le lit, vidée de toute énergie, il lui fut impossible d’ouvrir les
yeuxpendantdelonguesminutes.Cesimplemouvementluisemblaituneffortinsurmontable.
Sonpoulsralentitenfinet,ouvrantlespaupières,ellesetournaversRaul.Sonvisageétaittout
prèsdusien.Ellecrutylireuneexpressiondetendressemais,aprèscequ’ilsvenaientdepartager,
nesongeamêmepasàs’enétonner.
Ellefutdoncstupéfaitelorsqu’ilseredressabrusquement,leregardsoudaindur.
–Voilàquidevraitterassurerquantàmondésirpourtoi.Tun’asplusàêtrejalousedeSofia.
Stupéfaite,elleleregardas’éloignerensilenceverslasalledebains.Cesmotsluiavaientfait
l’effetd’unedoucheglaciale.Larassurer?C'étaitpourcelaqu’illuiavaitfaitl’amour?
–Que…qu’est-cequetuveuxdire?demanda-t-elleenlerejoignantenfin.Tuessayaisjustede…
meprouverquelquechose?
Déjàsousladouche,ilhaussaseslargesépaules.
–Disonsqu’aprèsça,tunedouterasplusdel’effetquetuassurmoi.
–Uneconversationauraitsuffiàmeconvaincre.Tun’étaispasobligédemefairel’amour.
–J’aitoujoursétéunhommepratiqueplutôtquethéorique,cariño.
Faithserenditsoudaincomptequel’endroitétaitmalchoisipourunediscussionsérieuse.Raul
étaitnu,sonimpressionnantevirilitéenévidence,etellesentitàsongranddamunedoucechaleur
s’éveilleraucreuxdesonestomac.
Baissantlesyeux,ellemarmonna:
–J’aimeraisbiensavoirpourquoitupensesquelesexerésouttouslesproblèmes.
Sansrépondreàsaquestion,ilcoupabrusquementlejetd’eauavantdesetournerverselle.
–Serviette,s’ilteplaît?
Elleluientendituneettressaillitlorsquesamaineffleuralasienne.Prudemment,ellefitunpas
enarrière.
– Tu veux que je te dise pourquoi je pense que le sexe résout tous les problèmes ? Il y a une
heure,tuétaisfurieuse.Aprésent,tuescalme.Çarépondàtaquestion,non?
–J’ail’impressiond’êtretamaîtresseplutôtquetafemme,lança-t-elled’untonaccusateur.
–Lorsquel’onsongeàl’impactdumariagesurlaviesexuelled’uncouple,tudevraisenêtre
satisfaite.
– Ah oui, le mariage… Dis-moi une chose, est-ce à cause de Sofia que tu es contre ? Est-ce à
caused’ellequetuneveuxpasd’enfants?C'estellequit’atraumatisé?
Acesmots,sonvisagesefermainstantanément.Saposturetoutentièrechangea,sefitdéfensive,
presquehostile.
–Tuesmafemme,Faith,dit-ild’untonglacial.Çadevraitsuffireàtecontenter.Necherchepas
plusloin.
Puisiltournalestalons,nonsansluiavoirdécochéunregardquiluifitcomprendrequ’ilvalait
mieuxnepaspoursuivrecettediscussion.
10.
Lovéedansl’undescanapésblancsdel’Océane,Faithregrettaitl’absencedeRaulets’envoulait
des’êtremontréesipeudélicate.Quellemouchel’avaitdoncpiquée?Ellesemaudissaitd’avoir
abordélesujetdumariageetdesenfants,etplusencored’yavoirmêléSofia.
Lematinvenu,ilavaitémergédelasalledebainsvêtudel’undesesimpeccablescostumeset
annoncéqu’ildevaitserendreàBuenosAires.Ellenel’avaitpasrevudepuis.
Regrettantdenepaspouvoirremonterletemps,elleavalasansenthousiasmeunegorgéed’eau.
Marialuiavaitapportédequoidéjeuner,unpeuplustôt,maisellen’avaitpasd’appétit.
Elle avait voulu comprendre Raul, le forcer à s’ouvrir. L'intention était noble. Le problème,
c’étaitquesonmaris’étaitsentiagressé.Etlorsqu’onl’agressait,ilsebattait.S'ilnepouvaitpasse
battre,ils’enfuyait.
Celaluirappelaitlejouroùelleluiavaitapprisqu’elleétaitenceinte.Ill’avaitimmédiatement
demandéeenmariage,luiavaitachetéunebaguedefiançaillesavantdepartirenvoyaged’affaires.
Sur le coup, elle avait supposé que c’était normal, que c’était là la vie d’un milliardaire. Elle
comprenaitseulementmaintenantqueRaulavaitvoulufuir.
Defait,ellenevalaitguèremieuxquelui.N’avait-ellepasfaitexactementlamêmechoselejour
deleurmariage?Ilsnevalaientguèremieuxl’unquel’autre.
Aceciprèsqu’ellenefuiraitplus,dorénavant.Etellen’essaieraitpasdavantagedelepousserà
parler.C'étaitlàlasourcedetoussesmaux,elleleréalisaitenfin.Pluselleluiforçaitlamain,plus
ilrésistait.
Fixant sans appétit l’assiette posée devant elle, elle repensa à la remarque de Sofia sur les
similitudesentreRauletunétalon.Sonmariétaitviril,puissant,dominateur.Etlaseulefaçonde
domptercegenredepersonnalitéétaitd’userdedouceuretdepatience.
Elledevaitdoncgagnersaconfiance.Puisqu’ildétestaitparlerdesesémotions,elledevaitcesser
de l’interroger sur le sujet. Au lieu de cela, elle se concentrerait sur le présent. Lui-même avait
admisqu’ilsétaientheureuxavantqu’ellenetombeenceinte.Elledevaitdoncretrouvercettemagie
d’autrefois.
Malheureusement,Raulnereparutpasdetoutelajournée.Etelleavaitbeaufairedesonmieux
pours’occuper,sonabsencedevintunpoidspresqueinsupportable.
Oùétait-il?L'avait-ellechassépourdeboncettefois?
Lesoirvenu,misérableetépuisée,elleallasecoucherdebonneheure.Aquoibonattendreun
hommequinevoulaitvisiblementpasdesacompagnie?
Après avoir en vain attendu toute la journée que sa mauvaise humeur passe, Raul avait décidé
d’attendrelanuitpourrentreràl’Océane.Ilsupposaitqu’iltrouveraitFaithendormie,cequileur
éviteraitunenouvelleconfrontation.
Avecunsoupirimpatient,ilabandonnasavestesurlecanapéetseservitunverre.
Ilavaitbeauparlercinqlanguescouramment,ilnecomprendraitjamaislesfemmes!
Pourquoivoulaient-ellestoujoursparler?Aquoibon?C'étaittotalementinutileet,engénéral,
cela ne faisait qu’aggraver les choses. Le secret du bonheur, selon lui, c’était de réprimer toute
émotionquimenaçaitsonéquilibrepsychologique.
MaislesquestionspermanentesdeFaithmenaçaientdedétruirecettepaixintérieurechèrement
acquise.Malgrélui,ilsentaitremonterdessouvenirsqu’ilpensaitavoirdéfinitivementréprimés.
Lamaincrispéesursonverre,ilenbutlecontenud’untrait.L'alcooldescendittelunfeubrûlant
dans sa gorge mais ne lui apporta pas le soulagement escompté. Il lui semblait se rapprocher de
quelque chose qu’il avait évité toute sa vie, d’une nébuleuse noire remplie de dangereuses
émotions.
Sontéléphonesonnasoudain,l’arrachantàsesréflexions.Marmonnantunjuron,ildécrochaen
hâtedepeurquelasonnerieneréveilleFaith.
–C'estmoi,fitunevoixdanssondos.
Iltressaillitet,pivotant,vitsafemmequisetenaitsurleseuil,lesyeuxrougesdesommeiletun
téléphoneenmain.
–C'estmoiquit’appelais,expliqua-t-elle.
–A3heuresdumatin?demandaRaul,sepréparantmentalementàunenouvelleconfrontation.
Pourquoiça?
–Parcequejemefaisaisdusouci.
Sourcilsfroncés,ill’étudiaensilence.Elleétaitpiedsnusetportaitunenuisettededentellequi
lui fit instantanément oublier sa colère. Son bas-ventre envoyait une série de messages urgents à
sonespritenfiévréet,malgrélui,iltournaleregardverslesofa.
Ici.Maintenant.Sansréfléchir.
Surlepointdelasaisiretdelaclouersurlecanapépourluifairel’amour,ilsefigeaencroisant
sonregardetenlisantquelquechosed’étrangedanssesyeuxverts.
Del’inquiétude.Elles’étaitvraimentfaitdusoucipourlui.
Tentantdeserappelerladernièrefoisquequelqu’uns’étaitinquiétépourlui,Raulréprimasa
furieuse envie de lui faire l’amour. Malgré le désir qui engluait sa raison, il sentait confusément
queceneseraitpasunebonneidée.
–Tutesensbien?Tuasl’airextrêmementtendu.
Elleledévisageaitd’unairanxieuxetilserenditcomptequ’ellen’avaitaucuneidéedel’effet
qu’elleavaitsurlui.Necomprenait-ellepasquec’étaitelle,lasourcedesatension?
–J’aibesoind’airfrais,maugréa-t-il.
Iltournalestalonsetsortit.Furieuxetfrustré,ilespéraitquel’airdelanuitl’aideraitàretrouver
sesesprits.
Maisqueluiarrivait-il?Depuisquandnepensait-ilqu’ausexe?
Certes,ilavaittoujourseuunerobustelibido.Maisjamaisaupointd’obscurcirsonjugement!
Ilprituneprofondeinspiration,essayantdésespérémentderecouvrercelégendairesang-froid
dontilsetarguaitentempsnormal.L'immensitédel’océan,faceàlui,l’aidaàsedétendrequelque
peu.
Dumoinsjusqu’aumomentoùilsentitdeuxbrasgracilesglisserautourdesataille,etoùFaith
s’appuyacontresondosavecunetendressequilepritdecourt.
–Jet’aime.
Elleavaitparléd’unevoixdoucemaisilentenditlesmotsaussiclairementquesielleavaitcrié.
Totalement dérouté, il se préparait à un nouveau tourbillon émotionnel lorsqu’elle le contourna
pourluifaireface.
Contretouteattente,elleneprononçapasunmot.Alaplace,elleentrepritdedéfairedoucement
lesboutonsdesachemise,qu’ellefitensuiteglisserdesesépaules.Seslèvresseposèrentsurson
torseetledésirqu’ilavaittentédecontenirexplosaavecuneviolenceredoublée.
Cette fois, il ne résista pas à son instinct. Ses mains encadrèrent le visage de Faith et il
l’embrassa passionnément, fiévreusement. Mais au moment où il s’apprêtait à l’allonger sur le
sable,elleéchappaàsonétreinteetposasesdeuxmainssursontorsenu.
–Tuembrassesmerveilleusement,souffla-t-elle.
Ilvoulaitlasaisirdenouveaupourluiconfirmerlachosemaisellepritlesdevantsetl’embrassa
sur la poitrine. Puis ses lèvres descendirent le long de son ventre, et elle tomba à genoux sur le
sable.
Ses cheveux blonds brillaient sous le clair de lune et ses yeux verts scintillaient comme des
émeraudes.Elleluilançaunregardd’unetellesensualitéqu’ileneutlesoufflecoupé.Habituéà
avoirl’initiative,ilpeinaitàcomprendrecequisepassaitetneréagitpasaussitôtlorsque,dubout
desdoigts,elleeffleurasabraguette.
Ungrognementfranchitseslèvresetildutavoirunmomentd’absencecar,quelquessecondes
plus tard, il réalisa que son pantalon était sur ses chevilles. La main de Faith se referma sur son
sexe,conquéranteetaudacieuse,luiarrachantunhoquetdeplaisiretd’incrédulité.
Elleentamaunmouvementdeva-et-vientquileforçaàfaireappelàtoutesavolontépournepas
explosersur-le-champ.Maisiln’étaitpasauboutdesessurprises.Al’instantoùilpensaitqu’ilne
pourraitpasrésisterpluslongtemps,ellelecueillitentreseslèvres.
Saraisonvacilla,sonespritsefocalisasurcettepartiedesoncorpsqu’enveloppaitunechaleur
moiteetmouvante,quecaressaitunelanguehabile.Ledésirluitordaitleventreetsonemprisesur
lui-même se fissura, pour exploser finalement comme il se précipitait tête baissée dans le plus
violentorgasmedesavie.
Il resta un long moment les yeux fermés et la mâchoire crispée, complètement inconscient du
tempsquipassait.Enfin,lorsqu’ilrouvritlespaupières,ilvitqueFaithledévisageait.Ilselaissa
tomber à genoux et la poussa doucement contre le sable. Mais, appuyant sur son torse, elle
murmura:
–Allonge-toi.Jen’enaipasfiniavectoi.
Méduséettoujourssecouéparcequ’ilvenaitdevivre,Raulobéitinstinctivement.Sanslequitter
desyeux,Faiths’installaàcalifourchonsurlui.Ilglissaenellesanseffort,avecungrognementde
satisfaction.
–Çava?demandalajeunefemme.
–Non.
SeslèvresemprisonnèrentcellesdeFaithetluiarrachèrentunbaiserfurieux.Puisilluiagrippa
latailleetlaplaquacontresonbassinensailliesavides,passionnées.Soncorpsétaitenfeu,son
espritenétatdesurchauffe,sesnerfsauborddelarupture.
Il plongea en elle, encore et encore, jusqu’au moment où elle renversa la tête en arrière et,
secouéedeconvulsions,criasonnom.Alorsils’abandonnaàsontouravantdes’effondrerdansle
sable,enlaserrantfarouchementdanssesbras.
Ilrompitlesilencelepremier.
–Tun’asjamaisfaitça…
–Tunem’enasjamaisdonnél’occasion,répondit-elled’unevoixrauque.Tuprendstoujours
l’initiative.
– Je ne le ferai plus jamais ! lui promit-il, caressant ses cheveux avec révérence. C'était
incroyable. Tu es incroyable. Dorénavant, je me contenterai de m’allonger et je te laisserai faire
toutletravail.Jeseraicomplètementpassif.
–Passif?répéta-t-elleenriant.Tupourraisessayertantquetuveux,tun’yarriverasjamais.
–Pourquoiavoirchoisicesoir?s’enquit-il,unsourireauxlèvres.
Ellerepritsonsérieux,unesoudainetimiditédansleregard.
–Nousavionsunproblème.Jenesavaispascommentteparler.
–Jecroyaisquetudétestaisrecourirausexepourrésoudrelesproblèmes?
–Apparemment,çamarche,marmonna-t-elle.Jevoulaisessayer.
–Çaoui,çamarche…
Encadrantsonvisagedesesmains,ill’embrassafarouchementavantdereprendre:
–Diosmío,dorénavant,jetelaisseraiprendrel’initiativeentout…
LorsqueFaithouvritlesyeux,ellevitRaulquil’étudiaitensouriantdepuisunfauteuilprèsdulit.
–Ilestmidi,l’informa-t-ild’unairamusé.
Elleseredressabrusquement,stupéfaite.
–Non!Déjà?
–Tuasdormicommeunbébé.Tudevaisêtretrèsfatiguée.
–Lesdernièressemainesn’ontpasétéfaciles…
–C'estvrai.Etpuisquel’heureestauxexcuses,jeveuxbienadmettremapartderesponsabilité.
Ellehaussaunsourcilétonné,arrachantunsoupiràsonmari.
–Nemeregardepascommeça.Jesuistoutàfaitcapabledereconnaîtremestorts.C'estjuste
quej’airarementtort,neput-ils’empêcherd’ajouter,unelueurmalicieusedansleregard.
Elleeutàsontourunsourirevacillant.
–Tun’aspasàt’excuser.Jecomprendspourquoituasagicommetul’asfait.
–C'esttrèsgénéreuxdetapart,maisjemesuismontréinsensible.Ilestnormalquetutesois
enfuie,vuquejenet’aipasdonnéderaisondecroireenl’avenir,ennotrerelation.Maiscetavenir
existe,cariño.Etpourteleprouver,j’aiorganiséunpetitvoyage,rienquepournousdeux.
–Unvoyage?
Faithvibraitd’excitationfaceauchangementqu’elledécelaitenlui.Maisellenelecomprenait
paspourautant.Etait-ceàcaused’hiersoir?Entoutcas,ellen’allaitpasrisquerdetoutgâcheren
lequestionnant.
– Nous avons manqué notre lune de miel, reprit-il de sa voix de velours. J’ai donc décidé d’y
remédier.
Trop émue pour parler, elle remonta ses genoux sur sa poitrine. Il était si beau, si sûr de lui.
Commentunefemmepouvait-elleluirésister?
–Oùallons-nous?demanda-t-elle,émue.
–Tuestropcurieuse…Vatepréparer,jem’occupedureste…
Faith contemplait d’un œil émerveillé les chutes d’Iguazú, à la frontière du Brésil. Elles
formaientunrideaud’écumeblanchetiréenformedeferàchevalàtraverslajungleverdoyante.
Lespectacleétaitd’unebeautéàcouperlesouffle.
–C'estlapremièrefoisquejevoisplusd’unecascadeàlafois!s’exclama-t-elle.
Passantunbrasautourdesataille,Raull’attiracontrelui.
– Il y en a deux cent soixante-quinze, lui souffla-t-il à l’oreille. Nous les partageons avec le
BrésilmaislesdeuxtierssetrouventenArgentine.
Lafiertéchauvine,danssavoix,lafitrire.
–Ilfauttoujoursquetusoislemeilleur,n’est-cepas?letaquina-t-elle.
Sa réponse se réduisit à un long baiser. Après quoi, légèrement haletante, elle reporta son
attentionsurlepaysage.Unnuagedebrumemontaitdeschutes,créantunsfumatomystérieux.
–C'estvraimentmagnifique.
Les chutes semblaient presque dorées sous le soleil, et elle sentit le bras de Raul se resserrer
autourd’elle.
–GargantadelDiablo,murmura-t-ilenpointantundoigt.NousappelonscettecascadelaGorge
du Diable. C'est la plus grande de toutes. J’ai réservé un bateau qui nous emmènera sur l’Iguazú
demain.Çavateplaire.
De retour à leur hôtel, Faith passa un long moment sur le balcon à observer la rivière qui
s’étendaitdevantsesyeux.Illuisemblaitêtreauparadis.Toutl’émerveillait.
–Jecommenceàmesentirjaloux,remarquasonmarienlarejoignantsurlebalcon.C'estmoi
quetuescenséeregarder,paslepaysage.
–Tunepeuxpasm’envouloir.Lavueestépoustouflante.Mesparentsauraientadorécetendroit.
–Tunem’asjamaisrienditdetonenfance.Maisjesupposequ’elleétaittrèsheureuse?
–Pourquoidis-tuça?
Illuisouritavecunsoupçond’ironie.
–Parcequetuasunetellefoidanslemariagequejesupposequetesparentsontdûêtreheureux.
Etpaslestiens?faillit-elledemander.Maisunenouvellefois,elleravalasaquestiondepeurde
briserlamagiedumoment.
–Mesparentssesontrencontrésquandilsétaientadolescents.Mamèreestrapidementtombée
enceintedemoi.Al’époque,c’étaitscandaleux.Maismesparentsonttenubon.Ilsétaientamoureux
etsavaientqu’unjouroul’autre,ilsvoudraientdesenfants.
C'étaitbiensûrlaraisonpourlaquelleellen’avaitjamaisdoutédesmotivationsdeRaullorsqu’il
l’avaitdemandéeenmariage.Ellel’aimaitetellesupposaitquecesentimentétaitmutuel.
–Hmm,jetecomprendsmieuxmaintenant.
Illadévisageaunlongmomentetelleeutl’impressionqu’ilallaitajouterquelquechose.Maisil
resta silencieux et, après quelques secondes, s’éloigna de quelques pas sur le balcon pour faire
mined’étudierlavue.
Faith,quiavaitapprisàneplusposertouteslesquestionsquiluibrûlaientleslèvres,ravalaune
nouvellefoissacuriosité.
–Alors,oùallons-nousdemain?demanda-t-elled’untondégagé.
Il se retourna pour lui faire face, le regard traversé d’ombres, la mâchoire serrée. Au lieu de
répondre,ill’embrassaavecuneintensitépresqueféroce.
Bienvite,leurétreintesefitplussensuelle,leurslèvress’adoucirent,leurscorpss’assouplirent.
Raullapritdanssesbras,latransportajusqu’àlachambreet,d’uncoupdepied,claqualaporte
derrièrelui.
Aprèscelailnefutplusquestiondeparler.
11.
Aprèsquatrejoursmerveilleuxetquatrenuitsincroyables,ilsrevinrentàl’estancia.Faith,pour
la première fois depuis longtemps, se sentait en paix. Car si Raul ne l’avait épousée que parce
qu’elleétaitenceinte,ellesavaitqu’ilsétaientvéritablementheureuxtouslesdeux.Iln’yavaitrien
decontraint,d’artificieldansleurplaisiràêtreensemble.
La seule ombre au tableau était la fatigue chronique qui l’accablait. Elle avait parfois des
vertiges et des accès de nausée et, même si le médecin lui avait assuré que c’était parfaitement
normalaprèsuntraumatismecrânien,cemanqued’énergieconstantcommençaitàluipeser.
Ellen’enditcependantrienàRauldepeurdel’inquiéter.Ellenevoulaitpasqu’ilconvoqueune
armée de médecins pour l’examiner. Elle garda donc la chose pour elle, espérant que son état
s’amélioreraitavecletemps.
Ilsétaientheureux,etc’étaittoutcequicomptait.
–RaulestdebonnehumeurparcequePedroluiavendusesterres!
Mateo,unamiprocheetassociédeRaul,levasonverreenuntoastmoqueur.
–Raulesttoujoursdebonnehumeurquandilobtientcequ’ilveut!ajouta-t-ilenriant.
Ilsdînaientdansl’undesrestaurantslesplushuppésdeBuenosAires,entourésdel’élitedela
ville,danslalumièretamiséedeschandellesetlestintementsdel’argentcontrelaporcelaine.Les
accentsd’ungroupedejazzinstallésurlaterrasseemplissaientlasalle.
–Raulobtienttoujourscequ’ilveut,ironisaJulieta,lafemmedeMateo.Tun’avaispasditque
Pedronevoulaitpasvendre?
–Ils’estlaisséconvaincreparmonoffre,réponditRaul.Jecroisquemafemmel’ainfluencé.
Apparemment,jesuisdevenuplushumaindepuisquejel’aiépousée.
–Jen’iraispasjusque-là,fitMateoavecunclind’œilàl’intentiondeFaith.
Puis,fronçantlessourcils,ilremarqua:
– Tu es bien silencieuse ce soir. Tout va bien ? Tu es pâle. Raul, tu ne trouves pas qu’elle est
pâle?
–Elleestanglaise.TouteslesAnglaisessontpâles.
Faith se força à sourire, consciente du regard intense que Raul posait sur elle. Malgré son
badinage,ilsemblaitinquiet.
–Jevaisbien,déclara-t-elle.
C'était un mensonge éhonté. Elle était épuisée mais en ignorait totalement la raison. Elle qui
débordaitengénérald’énergien’avaitcesdernierstempsqu’uneenvie:passersesjournéesaulit.
Peut-êtreétait-celerésultatd’uneviesexuelleparticulièrementactive.
Au moins, tout allait bien de ce côté-là. C'était émotionnellement que le bât blessait. Car Raul
étaittoujoursaussiinaccessible,aussidistant.
– A l’Empereur Raul, fit Julieta en levant son verre, dont l’empire comprend presque toute
l’Argentine.
–Nousportonsuntoastàl’eaualorsqu’ilyaduchampagne?remarqual’intéresséenlevantun
sourcilétonné.
–Ah,maisc’estquenousavonsdesnouvelles,nousaussi.N’est-cepas,Mateo?
L'expressiondesonmaris’adoucit.
–C'estvrai…Julietaestenceinte.Nousl’avonsapprishier.
Faitheutl’impressionquelapiècesevidaitsoudaindesonair.Lesondesconversationsrecula
pourlaisserplaceàunbattementsourddanssesoreilles.
Se rendant compte que tous les visages étaient tournés vers elle, la jeune femme se força de
nouveauàsourire.
–C'estfantastique,parvint-elleàarticuler.
Elle était sincèrement ravie pour son amie. Mais la nouvelle lui rappelait également sa propre
perte,luifaisaitressentirplusintensémentcetteterriblesensationdevidequiluitordaitleventre.
–Ceserabientôttontour,Raul,repritJulieta.Puisquetuasvaincutaphobiedumariage,àquand
celledesenfants?
RedoutantdevoirRaulsefermer,Faithréponditd’unevoixfaussementenjouée:
– Oh, il est trop tôt pour ça. J’ai bien l’intention de poursuivre ma carrière. Et puis, nous ne
sommespasensembledepuistrèslongtemps.
Elleseforçaàsourire,faisantdesonmieuxpourréprimersesémotions.Elleespéraitdetoutes
ses forces que l’illusion fonctionnait car elle se sentait sur le point de fondre en larmes, sans
raison.
Maisqueluiarrivait-il?Celaluiressemblaitsipeu!
–Jesuisvraimentravipourvousdeux,déclaraRaul.Malheureusement,nousdevronsfêterçaun
peuplustard.Faithavraimentl’airtrèsfatiguée.Ilesttempsquenousrentrions.
Pourunefois,Faithfutraviedelevoirprendreleschosesenmain.
–Jenesuispashabituéeàdînerà22heures,expliqua-t-elleenguised’excuse.ALondres,nous
mangeonsbeaucoupplustôt.
–Nousavonspasséuneexcellentesoirée,renchéritsonmari,glissantunbrasautourdesataille.
Ilfaudraremettreçaauplusvite.
Reconnaissante, Faith le laissa la guider hors du restaurant et s’installa dans la Ferrari noire
garéedevantl’entrée.
Déterminéeànepaspleurer,ellebouclasaceintureetfermalesyeux.
–Merci,murmura-t-elle.
PuiselleentenditlemoteurrugircommelavoitureglissaitdanslacirculationdeBuenosAires.
Rauljetauncoupd’œilinquietendirectiondesafemme.Sespaupièresétaientcloses,sonvisage
trèspâle.
Dormait-elle?Ouquelquechoselatroublait-elle?
Elleavaitétébouleverséeparl’annoncedeJulieta,celaneluiavaitpaséchappé.Etilcomprenait
pourquoi.
Avecunjuronétouffé,ilappuyasurl’accélérateur.Ilregrettaitàprésentdenepasavoirchoisi
l’hélicoptère pour venir en ville. Il ne savait pas si sa femme somnolait ou faisait semblant de
dormiretdanslesdeuxcas,celaneluiressemblaitpas.Elleavaitétésipleined’énergie,avantleur
mariage!
Queluiarrivait-il?Elleavaitcessédeleharcelerdequestionsetàsasurprise,ilavaitdécouvert
quecelaluimanquait.Ellesemblaitégalementtrèsfatiguéedepuissonaccident.Cedernieravait-il
eudesconséquencesplusimportantesqueprévu?Etait-ellemalade?
Unesueurfroideperçasursonfrontcommel’angoisseluiétreignaitleventre.Auméprisdes
limitationsdevitesse,ilaccéléraencoreetilsatteignirentl'estanciaenunriendetemps.
Mais lorsqu’il s’arrêta dans la cour, Faith ne bougea pas. Le cœur battant, Raul bondit de la
voitureetlançasesclésàundomestiquevenulesaccueillir.
–Appelezunmédecin,ordonna-t-il.Qu’ilsoitàl’Océanedansdixminutes.
–Mais…Ilest2heuresdumatin!
–Jemefichequ’ilsoit2heuresdumatin!
ContournantlaFerrari,ilouvritlaportecôtépassageretpritFaithdanssesbras.Satêteroula
contresonépaulelorsqu’illasouleva.
Presqueaupasdecourse,ilgagnal’Océaneetdéposasonépousesurleurlit.Ilhésitauninstant
puis,décidantquesaroben’avaitpasl’airtrèsconfortable,entrepritdeladéshabiller.
Une vague de désir lui coupa presque le souffle lorsqu’il découvrit ses sous-vêtements de
dentelle rose mais il ramena aussitôt ses pensées sur l’urgence de la situation. Avec d’infinies
précautions, il l’installa sous les draps. Ce fut à ce moment qu’elle ouvrit les yeux et demanda
d’unevoixensommeillée:
–J’aidormipendanttoutletrajet?Désolée.Çan’apasdûêtretrèsexcitantpourtoi.
–Cen’estpasgrave,répondit-il,soulagédevoirdescouleursrevenirdanssesjoues.
Peut-être n’était-elle pas malade, après tout. Peut-être était-elle simplement fatiguée. Il ne la
laissaitpasbeaucoupdormirlanuit…
–Tunevienspastecoucher?
Ilfutdouloureusementtentédelarejoindreavantdeserappelerquelemédecinallaitarriver.
–Non.Pastoutdesuite.
–Bon.Netardepastrop.
Il la regarda, médusé et exaspéré. La Faith d’autrefois n’aurait pas manqué de le mitrailler de
questions sur sa conduite. Pourquoi ne venait-il pas se coucher ? Que se passait-il ? Avait-il des
problèmes?
–J’attendslemédecin,expliqua-t-ilpourcoupercourtàsespropresruminations.
Elletournalatêteverslui,surprise.
–Tuesmalade?
–Non.Jel’aiappelépourtoi.
–Pourquoi?
–Parcequetuestropsouventfatiguée.
–Jevaisbien…,commença-t-elle.
Maisill’interrompitd’ungesteimpatient.
– Non tu ne vas pas bien. Tu as eu un traumatisme crânien et je veux savoir si cette fatigue
généraleenestuneconséquencenormale.
Elle haussa les épaules, ce qui fit remonter l’inquiétude de Raul en flèche. La Faith qu’il
connaissaitnecapitulaitpasaussiaisément!
Desbruitsdepasprécédèrentl’apparitiondumédecin.Ils’arrêtasurleseuil,arrachantàRaulun
claquementdelangueimpatient.
–Vouscomptezexaminermafemme,ouiounon?
– Dès que vous serez sorti de la pièce, répondit l’intéressé, visiblement peu intimidé par ses
manières.
–Pardon?
– Mes consultations sont privées. Après quoi, si votre femme veut vous voir, nous vous
appellerons.
Raulouvritlabouchepourprotester,puissongeaqueFaiths’ouvriraitpeut-êtreplusaisémentau
médecin.Ilquittadonclapièceensilence,àgrandesenjambéesfurieuses.
–Votremarial’airtrèsinquiet,déclaralepraticientoutenprenantlatempératureetlepoulsde
Faith.Ildoittenirénormémentàvous.
Çam'étonnerait,songea-t-elle.Maisellepréféranepasrépondredepeurdefondreenlarmes.
Danssonétat,elleétaitcapabledetout.
Elleserenditcompteauregardinterrogateurquelemédecinposaitsurellequ’ilvenaitdelui
poserunequestion.
–Pardon?
–Jevoulaisconnaîtreladatedevosdernièresrègles.
–Pourquoicettequestion?Quelrapportavecmonaccident?
– Je ne crois pas que vos symptômes soient liés à votre accident, répondit l’autre, remballant
pensivementsonstéthoscope.
–Ildoitbienyavoirquelquechose.Jesuisépuiséeenpermanence.
–Oui,ilyaquelquechose.Alors,cesdernièresrègles?
–Jen’enaipaseudepuislafaussecouche,répondit-elle,serrantlesdents.
–Etquandaeulieucettefaussecouche?
Elleluidonnaladate,puissoupira:
–Faut-ilvraimentparlerdetoutça?
–Oui.Lafaussecouche,décrivez-la.
Faithobtempéra.Lemédecinpritdesnotes,hochantlatête.
–Etvousn’êtespasalléeàl’hôpital?Vousn’avezpasconsulté?
–Non.C'étaittrèstôtdanslagrossesseetiln'yavaitpasderaison.
Puisellecouvritsonvisagedesesmains,sentantl’angoisseenflerenelle.
–Pouvons-nouschangerdesujetmaintenant?Enquoiest-ceimportant?
– C'est important parce que je ne crois pas que vous ayez perdu ce bébé. En fait, je suis
quasimentsûrquevousêtestoujoursenceinte.
LanouvelleétaitsiinattenduequeFaithledévisageabouchebée,frappéedestupeur.
–En…Enceinte?répéta-t-elleenfin.
–Vousavezeudessaignementsaumomentdevosrègles.C'esttrèsfréquentmaissansgravité.
D’aprèsmescalculs,vousêtesenceintedetroismois.
Enceinte?
Ellen’avaitpasperdulebébé?
D’ungesteinstinctif,ellecouvritsonventre,tandisqu’unsentimentdejoiepureenvahissaittout
sonêtre.
Puisellecompritlesimplicationsdececoupdethéâtreetpassaenuninstantdubonheurleplus
parfaitaudésespoirleplusprofond.
Carcettenouvelle,toutemerveilleusesoit-elle,sonnaitaussilafindesarelationavecRaul.
Faithavançaitsurlaplage,sepréparantmentalementàlaconversationlaplusdifficiledetoute
savie.
Comment son mari réagirait-il ? Il ne serait pas ravi d’apprendre qu’elle était enceinte, elle le
savait.Elleserappelaitencoreaveceffroilejouroùelleleluiavaitannoncélapremièrefois.
Il était à peine 4 heures du matin mais il y avait déjà assez de lumière pour lui permettre de
discerner sa silhouette. Il était tourné vers la mer et elle leva une main pour lui toucher l’épaule
avantdeseraviser.
–Raul?
Ilpivotaaussitôtetellefutsurprisedeliredel’angoissedanssonregard.Deuxmainspuissantes
luiagrippèrentlesépaulesetlasecouèrentlégèrement.
–Alors?Qu’est-cequ’iladit?
–Tu…tumefaismal.
Illarelâchainstantanément,laminecontrite.
–Excuse-moi,cariño.Jemefaisaisdusouci,c’esttout.
Seigneur, comment lui annoncer la nouvelle ? C'était sans doute pire que tout ce qu’il avait
imaginé…
–Je…je…
–Diosmío,tucommencesàm’inquiéter.Qu’est-cequ’iladit?
Faith se mit à trembler de manière incontrôlable. Par quel cruel coup du sort devait-elle
prononcerelle-mêmelesmotsquilessépareraientàjamais?
–Parle!gronda-t-il,unelueurpaniquéedansleregard.Oujevaisallerchercherceméd…
–Jesuisenceinte.
Raulsefigeaetellerepritenhâte:
– J’ai cru qu’il s’agissait d’une fausse couche mais je me suis apparemment trompée. Je suis
toujoursenceinte.Detroismois.
Les bras de Raul retombèrent, ballants, à ses côtés. Il fit un pas en arrière, une expression
d’incrédulitésursonbeauvisage.
Ilneprononçapasunmot.
Pasunseul.
Lesseulssonsquiluiparvenaientétaientceuxduressacetdesbattementsaffolésdesoncœur.
Illadévisageapendantcequiluisemblauneéternitéavantdetournerlestalonsetdes’éloigner
surlaplage.
Laissantenfinlibrecoursàsadétresse,elletombaàgenouxdanslesableetsemitàsangloter.
12.
Ilneluifallutpaslongtempspourfairesesbagages.Ellen’avaitpresquerienàemporter.Toutes
lesrobesdecocktailetlespairesdechaussuresqueluiavaitachetéesRaulneluiserviraientplusà
rien.
Refermantsavalise,ellelatransportajusqu’àlaportedel’Océaneetseretournapourjeterun
dernierregarddanslesalon,àsonsoldeboisclairetàsesrideauxblancsquegonflaitdoucement
unebrisevenuedelamer.Ellenereverraitplusjamaiscetendroit.
C'estjusteunemaison,songea-t-elle,laminesombre.Riend’autre.
Siellelevoulait,ellepourraitreproduirecegenrededécoration,plustard.
Maisellesavaitqu’ellesementait.Non,cen’étaitpasqu’unemaison.C'étaitsamaison,celleque
Rauletelleavaientpartagée.
Samainseposasurl’interrupteurpouréteindrelalumièreetnoyerdansl’obscuritélethéâtrede
sonbonheur,lorsquelavoixdeRaulsefitentendrederrièreelle.
–Situcroissérieusementquejevaistelaissert’enfuirunesecondefois,c’estmalmeconnaître.
Ellepivota,lecœurbattantlachamade.
–Jecroyaisque…quetuétaisparti.
–Parti?
Sontonétaitmenaçant.
–Partioù?reprit-il.
–Jenesaispas.Le…leplusloinpossible,jesuppose.
–Cen’estpasmoiquim’enfuis,quejesache.Cemariageadoncsipeud’importancepourtoi?
Laminesombre,ilfitunpasenavantetluiencadralevisagedesesmainspourlaforceràle
regarder.
–Situdoisvraimentpleurer,autantlefairesurmonépaule.Passurcelled’unétrangerdansun
avion.
–Lemomentestmalchoisipourtemontrerpossessif,Raul.Lâche-moi.
Aulieud’obéir,ilpassaunbrasautourdesataillepourl’attirerplusétroitementcontrelui.
–Parle-moi,cariño.Jeveuxsavoircequetupenses.Tuesdevenuetrèssecrèteetjen’ysuispas
habitué.Pourquoiveux-tupartiralorsquenoussommessibienensemble?
–Tun’aspasentenducequejet’aidit?demanda-t-elle,incrédule.Jesuisenceinte.
– J’ai entendu. Ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi ça te rend malheureuse. Je croyais
quetuvoulaiscetenfant?
– Bien sûr que je le veux ! Mais je te veux aussi toi et nous savons que les deux sont
incompatibles.Tudétesteslesenfants!
Ilyeutunlongsilencepuis,avecunprofondsoupir,illarelâcha.
–Jen’aijamaisdit,pasuneseulefois,quejedétestaislesenfants.
–Pasdemariage,pasd’enfants,cita-t-elled’unevoixmorne.Cesonttespropresmots.
–C'estvrai.Maisçanesignifiepasquejen’aimepaslesenfants.Je…je…
Ilcherchaitsesmots,cequilasurprit.Cen’étaitpaslàleRaulqu’elleconnaissait,toujourssûr
deluietenpleinepossessiondesesmoyens.
–Jecomprends,murmura-t-elle.Tun’aspasbesoind’expliquer.
– Mais je veux t’expliquer ! Tu voulais toujours que je parle et maintenant tu essaies de m’en
dissuader?
–Oh…Vas-y,alors.
– Je ne sais pas comment le dire, gronda son mari avec un geste d’irritation. Je ne suis pas
commetoi.
Faithattenditpatiemmentmais,commeilnedisaittoujoursrien,elledécidadel’aiderunpeu.
–Tuasunevietrèsconfortable,tueslibred’alleretvenircommetuleveux.Jecomprendsque
tuneveuillespasd’enfants.
Maisillevalamain,uneexpressiond’intensefrustrationsursonbeauvisage.
–Tun’yespasdutout.
–Quoi,alors?
Ilsemâchonnalalèvre,ouvritlabouche,lareferma,puisdéclarasoudain:
–Cen’estpasSofia.
–Pardon?
–Cen’estpasàcausedeSofiaquejeneveuxpasd’enfants.Çaremonteàbienplusloin.Mais
c’estbienàcaused’unefemme.Unefemmequim’atoutpris…
Faith attendit en silence. Elle percevait l’angoisse qui se dégageait de lui en vagues presque
palpables et dut faire un gros effort de volonté pour ne pas le prendre dans ses bras. Il devait
affronterlepasséseul,ellelesentaitconfusément.
–Cettefemme,c’étaitmamère,annonça-t-ilenfin.
Cetteconfessionluifitl’effetd’unchocetellenesutquerépondre.Elleavaitimaginébiendes
scénarios,maispascelui-ci!
– Toutes les femmes n’ont pas l’instinct maternel, reprit-il avec une grimace. Ma mère n’est
tombéeenceintequepourforcermonpèreàl’épouser.Ilsontdivorcéquandj’avaisneufansetça
s’esttrèsmalpassé.Elleétaitdéterminéeàplumermonpèrejusqu’auderniersou,etelles’estservi
demoipourça.Maisunefoisqu’elleaobtenucequ’ellevoulait,ellem’aemmenémoiaussi.
–Tuveuxdirequ’elleaobtenutagarde?
– Je veux dire qu’elle m’a arraché à mon père. Pas parce qu’elle m’aimait ou qu’elle voulait
m’élever,maispourlefairesouffrir.
–MonDieu…
–C'étaientlesterresdemonpère,murmuraRaulens’avançantverslesbaiesvitrées.C'étaitun
amoureuxdeschevaux.Nulnelescomprenaitmieuxquelui.
–Jecroyaisquetuavaisachetécesterres?
–C'estvrai.Ledomaineaétévenduaprèsledivorce.Monpèreaaccédéàtouteslesdemandes
de ma mère pour ne pas que je souffre. L'estancia appartenait à notre famille depuis des
générationsmaisill’avendue.
Faithrestauninstantsilencieuse,digérantcettedouloureuseettragiquehistoire.
–Tunepouvaispasresterauprèsdelui?demanda-t-elleenfin.
– La place d’un enfant est auprès de sa mère. C'est la tradition, n’est-ce pas ? Elle m’a dit que
nous partions en vacances, et c’est seulement lorsque nous sommes arrivés en Australie qu’elle
m’aapprisquenousnereviendrionspas.
–Jesuisvraimentdésolée.Tonpèreadûbeaucouptemanquer.
–Audébut,j’airefusédel’accepter.Jemesuisenfui.Onm’arattrapéàl’aéroport.Mamèrem’a
ditdegrandiretd’arrêterdemecomportercommeunbébé.Alorsc’estcequej’aifait.J’aiserré
les dents, appris à ne pas montrer mes sentiments et ni à quel point l’Argentine et mon père me
manquaient.Jesuisrevenudèsquej’aipuetc’estlàquej’aiapprisquel'estanciaavaitétévendue.
Cettefois,Faithneputrésisteràsoninstinct.S'approchantdelui,ellel’enveloppadesesbras.
–Jemesuispromisdetoutracheter,parcelleparparcelle,bâtimentparbâtiment.
–LesterresdePedro…
–...étaitladernièrepiècedupuzzle.L'estanciaestdenouveauentière.
–Ettonpère?
Ellesentitsesmusclessecrisperetregrettad’avoirposélaquestion.
– Après avoir tout vendu, il est devenu gaucho. Il déménageait de ranch en ranch. Je ne l’ai
rattrapé que trop tard. Il est mort sans savoir que j’étais rentré. Bien avant que je ne gagne mon
premiermillionetquejenecommenceàracheternosterres.
Posantsurelleunregardhanté,ilachevad’unevoixblême:
–Cequemamèreluiafaitsubir…Jemesuispromisquejenelaisseraijamaisunefemmeme
fairelamêmechose.
–Cen’estdoncpasquetun’aimespaslemariageoulesenfants,soufflaFaith.C'estjustequetu
as peur d’aimer et de perdre. Je comprends pourquoi tu m’as épousée, à présent. Tu voulais
affirmertesdroitssurlebébé.
–Faith…
–Jenet’enveuxpas.J’auraissimplementpréféréquetumeledises.J’auraiscompris.
–Non,tuseraispartieencourant,avecmonenfant.Etc’estd’ailleurscequetuasfiniparfaire.
–Mets-toiàmaplace.Quandjet’aiditquej’avaisperdulebébé,tuenasétésoulagé.
–J’aipaniqué,confessa-t-ilsanstenterdelenier.Mamèreavaitutilisécettemêmearmepour
piégermonpère.J’aieuuneréactioninstinctive,quej’aiamèrementregrettée.Jesaisquejeme
suis conduit comme un monstre mais ce n’était pas contre toi. J’essayais simplement de me
protéger.
Sentantquesesjambesmenaçaientdesedérober,elleselaissatombersuruncanapé.
– Ce… ce n’était pas la conversation à laquelle je m’attendais, murmura-t-elle. Quand je t’ai
annoncéquej’étaisenceinte,tuesparti…
–Jesuisallétrouverlemédecin.Jem’étaispersuadéquetuétaismalade,etjevoulaisêtresûr
qu’ilnes’étaitpastrompé.Jenesuispasdouépourfaireconfianceauxgens.Jel’aiagrippéparle
coletjeluiaifaittoutrépéter.
–Etcommenta-t-ilprislachose?
–Plutôtpasmal,fitRaul,ensouriantpourlapremièrefois.Iladitqu’ilétaitprêtàpardonner
lesexcèsdeconduited’unhommeamoureux.
–Tuluiasditquetunecroyaispasenl’amour?
–Non,parcequeçaauraitétémentir.Jenecroyaispasenl’amour,jusqu’aumomentoùjet’ai
rencontré.
Lecœurbattantlachamade,ellelevalesyeuxverslui.
–C'estvrai?
–Çanesevoitpas?
–Je…Tun’aspasàprétendrequetum’aimes,Raul.Jeneteprendraijamaistonenfant.Nous
pouvonsvivreenharmoniemêmesituneveuxpasdemoiet…
–Viens,coupaRaulenlaprenantsoudainparlamain.
–Oùallons-nous?Noussommesentraindeparler,Raul…
–C'estbienbeaudeparlermaisparfois,ilfautsavoiragir,cariño.
Hypnotisée par son sourire, elle sentit son estomac se serrer et poussa un gémissement
d’incrédulité.Non,non,non!Commentpouvait-elleavoirenviedeluiaubeaumilieud’unetelle
tourmenteémotionnelle?
–Raul,jenecroispasquelesexe…
–Chut.
Il l’entraîna à l’étage – ce qui l’étonna car ils n’y montaient quasiment jamais – et poussa la
premièreportesurlepalier.
–Vas-y,dis-moicequetuvois.
Médusée,ellefranchitleseuil.Soncœurfitunbonddanssapoitrine.
C'étaitunechambred’enfant.
Ensoleillée,elleétaitentièrementdécoréeetmeubléed’unvieuxlitdansuncoin,d’unechaiseà
basculedansl’autre.Elleouvritlabouche,maisaucunsonn’ensortit.
–Alors?Quevois-tu?
–Une…unechambred’enfant,bredouilla-t-elleenfin.
–Non.Cequetuvois,c’estunhommeamoureux.
–Mais…
Unsouriresatisfaitauxlèvres,ilétudiaitsaréaction.
–J’aifaitpréparercettechambrependantnotrelunedemiel.
–Notre…notrelunedemiel?
–C'estlemomentoùj’aicomprisquejenepourraispasvivresanstoi.Jenesavaispasquetu
étaisenceintemaisjesavaisqu’unjour,nousaurionsbesoindecettechambre.
Emueauxlarmes,elleneputqueposersurluiunregardremplid’amour.
–Nepleurepas,cariño.Jet’aime.Tucomprends?
–Jecroyaisquetunem’avaisépouséequeparcequej’étaisenceinte.
– Je t’ai épousée parce que tu étais enceinte. Mais je veux rester ton mari parce que je t’aime
commejen’aijamaisaimépersonne.
Ellefermalesyeux,etdeuxgrosseslarmesroulèrentlelongsesjoues.Unimmensesentiment
debonheurenflaitauplusprofondd’elle-même,luidonnaitl’impressionqu’elleallaitexploser.
–Jet’aime,souffla-t-elle.Tun’aspasidée…
– Oh, si, je le sais, répondit-il en l’embrassant avec une infinie tendresse. Je me suis montré
cruel avec toi et pourtant, tu es toujours là. Seule une femme amoureuse ferait cela. Arrête de
pleurer,maintenant.
–Jenepeuxpas!s’exclama-t-elleavecunrireétranglé.C'esttafaute.
–Cequiprouvebienqueparlern’estpastoujourslasolution.Quedirais-tuderésoudrecepetit
problèmeàmafaçon?demandasonmarienlevantunsourcilsuggestif.
–Oui,soupiraFaithtoutcontreseslèvres.C'estunemerveilleuseidée,monamour.