14) La soutenabilité des finances publiques A) La définition et la
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14) La soutenabilité des finances publiques A) La définition et la
1 FIPECO le 08.04.2016 Les fiches de l’encyclopédie II) Déficit et dette publics, politique budgétaire 14) La soutenabilité des finances publiques Il est fréquent de lire que la situation des finances publiques n’est pas « soutenable », mais il existe au moins deux définitions très différentes de la soutenabilité des finances publiques. L’une est budgétaire et l’autre est macroéconomique. En outre, quelle que soit la définition retenue, la mesure de la soutenabilité présente d’importantes difficultés et repose souvent sur des conventions discutables. Cette fiche présente les définitions de la soutenabilité des finances publiques et les méthodes mises en œuvre pour la mesurer. Elle donne ensuite des indications sur la soutenabilité des finances publiques de la France au sens macroéconomique. A) La définition et la mesure de la soutenabilité 1) La soutenabilité au sens budgétaire Selon le décret du 7 novembre 2012 sur la gestion budgétaire et comptable publique, il est procédé, pour chaque « programme » au sens budgétaire, à « une programmation ayant pour objet de mettre en adéquation l’activité prévisionnelle des services avec les crédits et les emplois notifiés et attendus… La programmation et son exécution doivent être soutenables au regard de l'autorisation budgétaire annuelle et des prescriptions des lois de programmation des finances publiques en permettant ainsi d'honorer les engagements souscrits ou prévus et de maîtriser leurs conséquences budgétaires en cours d'année et les années ultérieures ». La programmation des dépenses d’un programme budgétaire est ainsi « soutenable » si les crédits attribués et prévus suffisent pour payer les dépenses déjà engagées et, plus généralement, les dépenses « obligatoires ou inéluctables ». La vérification de cette soutenabilité des programmes est une des principales missions confiées aux « contrôleurs budgétaires et comptables ministériels ». Le décret du 7 novembre 2012 précise que leur contrôle « porte sur l'exécution des lois de finances et a pour objet d'apprécier le caractère soutenable de la programmation… et de la gestion en cours, au regard des autorisations budgétaires... Il concourt, à ce titre, à l'identification et à la prévention des risques encourus... ». Cette soutenabilité doit s’apprécier sur un horizon pluriannuel, ce qui en constitue une caractéristique essentielle. Cet horizon est souvent relativement court puisqu’il faut pouvoir connaître, au moins approximativement, les crédits qui seront disponibles : en pratique, c’est l’horizon du « budget triennal » de l’Etat dans la loi de programmation des finances publiques. Il peut aussi y avoir une appréciation de la soutenabilité à plus long terme. Par exemple le ministre du budget rend son avis sur les « partenariats publics privés » (PPP) au regard de la soutenabilité du projet, qui s’apprécie en particulier par la part du loyer qui sera 2 versé à compter de la livraison du bien dans les crédits du programme qui le finance. Un PPP peut être soutenable ou non à un horizon de 5 ou 10 ans. Cette notion de soutenabilité budgétaire peut être étendue des programmes à l’ensemble du budget de l’Etat : c’est alors la capacité de celui-ci à payer les dépenses obligatoires et inéluctables avec les crédits inscrits dans la loi de programmation. Cette acception de la soutenabilité fait l’impasse sur les ressources des administrations publiques. Si la norme de croissance des crédits budgétaires est très élevée, bien plus élevée que la progression des recettes, il peut n’y avoir aucun problème de soutenabilité, en ce sens, alors même que le déficit et la dette explosent1. 2) La soutenabilité au sens macroéconomique Il n’existe pas de définition reconnue de la soutenabilité au sens macroéconomique, mais on peut considérer que les finances publiques sont soutenables, en ce sens, si les recettes futures des administrations publiques, à un horizon infini, suffisent pour payer la dette actuelle et les dépenses futures, à législation constante. La difficulté est surtout d’en donner une formulation opérationnelle. Selon celle qui est la plus fréquemment retenue, la dette publique doit être stable en pourcentage du PIB à un horizon infini, quel que soit le niveau auquel elle est stabilisée, pour que la situation des finances publiques soit soutenable. Sous des hypothèses relativement peu contraignantes, les recettes futures permettent en effet alors de couvrir la dette actuelle et les dépenses futures. Si un objectif de stabilisation du ratio dette / PIB à un certain niveau, nécessairement assez arbitraire, est fixé, le déficit public en pourcentage du PIB qui permet de stabiliser la dette à ce niveau est égal au produit de ce ratio dette / PIB par le taux de croissance nominal du PIB. L’écart entre le déficit constaté et ce « déficit stabilisant » mesure la distance par rapport à une situation soutenable. Si on suppose que les recettes et dépenses publiques évoluent, à politique inchangée, comme le PIB2, cet écart mesure aussi le supplément de prélèvements obligatoires ou le montant de la réduction des dépenses qu’il faudrait mettre en œuvre immédiatement pour atteindre une situation soutenable3. Pour faire ce calcul, la seule hypothèse nécessaire porte sur la croissance du PIB en valeur sur la période au cours de laquelle la dette doit être stabilisée (elle peut être décomposée en une hypothèse sur la croissance en volume et une hypothèse sur l’inflation). Pour apprécier la soutenabilité à moyen ou long terme des finances publiques, il est préférable de considérer le « solde structurel », qui est indépendant de la conjoncture, et la « croissance potentielle » du PIB, c’est-à-dire la croissance moyenne sur la durée d’un cycle économique. Pour mesurer la soutenabilité à court terme (un ou deux ans), c’est la croissance effective prévue du PIB qui doit être retenue. Selon cette définition de la soutenabilité qui est celle retenue pour l’Etat, mais la soutenabilité des établissements publics s’apprécie en tenant compte des prévisions de recettes. 2 Élasticité unitaire pour ce qui concerne les recettes. 3 On l’appelle aussi « tax gap ». 1 3 Les charges d’intérêt ayant une dynamique spécifique, elles peuvent être isolées pour affiner l’analyse, ce qui conduit à calculer un « solde primaire stabilisant » et à le comparer au solde primaire constaté4. Pour calculer le solde primaire stabilisant, il faut faire une hypothèse sur l’écart entre le taux de croissance nominal du PIB et le taux d’intérêt de la dette. Dans ce type de calcul, on suppose que les dépenses publiques totales ou les dépenses primaires croissent spontanément comme le PIB, alors même que certaines de leurs composantes peuvent connaître des évolutions spécifiques susceptibles de remettre en cause cette hypothèse (retraites…). De plus, il peut paraître assez artificiel de faire une hypothèse de croissance du PIB sur un horizon infini et de supposer une élasticité unitaire des recettes. Enfin, si le déficit constaté est ramené au niveau du déficit stabilisant, le ratio dette / PIB convergera vers l’objectif retenu, mais il ne l’atteindra qu’à l’infini 5. Les calculs peuvent être adaptés pour répondre, en partie, à ces objections mais des travaux beaucoup plus difficiles sont alors nécessaires. Si des dépenses dont la dynamique est spécifiée séparément sont financées par des ressources affectées, on peut estimer un besoin de financement actualisé spécifique à ces dépenses en leur associant des prévisions de recettes. Ce calcul est fréquent s’agissant des régimes de retraite. La projection de dépenses particulières n’ayant de sens pratique que sur une période finie, la définition de la soutenabilité doit en pratique être adaptée. Les finances publiques sont alors soutenables si la dette est stabilisée en pourcentage du PIB, ou ramenée à un certain pourcentage du PIB, à un horizon fini, et non infini. Le niveau auquel elle est stabilisée ou ramenée et l’horizon qui est retenu sont conventionnels. L’écart entre le déficit effectif et le déficit stabilisant correspond alors au supplément d’impôts qu’il faudrait prélever pour atteindre cet objectif de dette à l’horizon retenu (ou à la baisse des dépenses qu’il faudrait réaliser). B) La soutenabilité des finances publiques de la France Seule la soutenabilité des finances publiques au sens macroéconomique est ici retenue. 1) Les indicateurs de la Commission européenne La Commission européenne retient deux indicateurs : le premier, dit S1, mesure l’écart entre le déficit primaire structurel et celui qui permettrait à la dette de revenir à 60 % du PIB à l’horizon de 2030 puis de s’y stabiliser ; le deuxième, dit S2, mesure l’écart entre le déficit primaire structurel et celui qui permettrait de stabiliser la dette à son niveau actuel sur une durée infinie. Ces indicateurs sont établis sur la base de projections à long terme à législation constante réalisées par les Etats membres de l’Union européenne, plus particulièrement détaillées s’agissant des dépenses liées à la démographie (retraites, éducation…), dans un cadre harmonisé par la Commission européenne qui fixe elle-même certaines hypothèses. Plusieurs Le solde primaire est le solde des recettes et des dépenses hors charges d’intérêt. Convergence asymptotique en termes mathématiques. Il faut toutefois un nombre fini d’années pour atteindre l’objectif à 10 %, 5 %, 1 %... près. 4 5 4 scénarios sont retenus pour projeter certaines dépenses, comme celles d’assurance maladie, mais seul le scénario central est retenu ici. Ces deux indicateurs comprennent deux facteurs communs : le premier correspond à la réduction du déficit primaire structurel nécessaire pour stabiliser la dette à son niveau actuel, à démographie inchangée, et le deuxième à l’effort supplémentaire requis pour compenser la hausse des dépenses publiques induite par le vieillissement de la population. S’agissant de l’indicateur S1, un troisième facteur s’ajoute : l’effort nécessaire pour ramener la dette de son niveau actuel à 60 % du PIB. Le rapport de la Commission européenne de 2016 sur la soutenabilité des finances publiques prend pour point de départ des projections ses prévisions de finances publiques de l’automne 2015 pour chaque pays. La soutenabilité des finances publiques selon la Commission européenne (% du PIB) 5 4 3 2 1 0 -1 France Allemagne Zone euro Union européenne -2 -3 Indicateur S1 Effort pour stabiliser la dette Effort pour ramener la dette à 60 % du PIB Effort pour compenser le vieillissement Source : Rapport de janvier 2016 de la Commission européenne sur la soutenabilité des finances publiques dans l’Union européenne ; FIPECO ; l’indicateur S1 mesure l’augmentation du solde primaire structurel nécessaire pour ramener la dette à 60 % du PIB en 2030 et l’y stabiliser. Comme le montre le graphique ci-joint, l’indicateur S1 est supérieur en France à la moyenne de la zone euro ou de l’Union européenne, ce qui veut dire que l’effort nécessaire pour stabiliser la dette à 60 % du PIB est plus important. Ce résultat tient surtout à l’effort requis pour stabiliser la dette à son niveau de 2015. L’effort ensuite requis pour la ramener à 60 % du PIB, hors effet du vieillissement, est semblable en France et dans la zone euro, mais nettement plus important qu’en Allemagne. En revanche, l’effort supplémentaire nécessaire pour compenser les dépenses dues au vieillissement est nettement plus important en Allemagne qu’en France ou dans l’ensemble de la zone euro où il est très faible (cf. fiche sur les perspectives des régimes de retraite). Les Etats membres de l’Union européenne doivent, sous leur responsabilité, actualiser ces indicateurs dans leurs programmes de stabilité. La France procède à cette actualisation mais 5 en prenant comme point de départ l’horizon du programme de stabilité et en supposant que ses prévisions seront réalisées à cet horizon, ce qui constitue une hypothèse forte. 2) Les autres études de la soutenabilité Il existe beaucoup d’études mettant en évidence des indicateurs de soutenabilité des finances publiques semblables à ceux de la Commission européenne. La valeur prise par ces indicateurs est très variable d’une étude à l’autre car elle repose sur des hypothèses qui sont elles-mêmes très diverses : le taux de croissance de l’économie, l’évolution des taux d’intérêt, la démographie, l’impact du vieillissement sur les dépenses de santé etc. En outre, ces indicateurs peuvent mesurer l’effort requis pour ramener la dette publique à des niveaux très différents et à des horizons très éloignés d’une étude à l’autre. Le FMI a publié en 2013, pour chaque pays avancé, un indicateur de soutenabilité défini comme l’augmentation du solde structurel primaire nécessaire pour ramener la dette publique à 60 % du PIB en 2030, le point de départ étant le solde structurel primaire prévu par le FMI en 2014. Cette définition est très proche de celle de l’indicateur S1 de la Commission européenne présenté plus haut. La valeur prise par ces deux indicateurs est néanmoins différente. La soutenabilité des finances publiques selon le FMI (% du PIB) 9 8 7 6 5 4 3 2 1 0 -1 France Allemagne Royaume-Uni Effort requis pour ramener la dette à 60 % du PIB Italie Espagne Impact du vieillissement Source : FMI, Fiscal monitor (avril 2013) ; FIPECO Cela tient à la fois aux hypothèses macroéconomiques (l’hypothèse retenue pour la croissance des salaires réels a un très fort impact en France sur le rapport entre les dépenses de retraite et le PIB, par exemple) et aux hypothèses sur l’évolution tendancielle de certaines dépenses comme les remboursements d’assurance maladie. C’est ainsi que les effets du vieillissement sur les finances publiques de la France et de l’Allemagne sont assez proches dans l’étude du FMI. Cet effet est quasiment nul sur la soutenabilité des finances publiques de l’Italie car la loi y prévoit que les pensions sont 6 modulées en fonction des ratios démographiques des régimes de retraite pour les équilibrer automatiquement et les organisations internationales supposent qu’elle sera appliquée. Dans son rapport du printemps 2014 sur les perspectives économiques, l’OCDE a également calculé un indicateur de soutenabilité défini comme l’augmentation du solde structurel primaire nécessaire pour ramener la dette publique à 60 % du PIB en 2030. Pour la France, cet ajustement représenterait 2,5 points de PIB.