José-Carlos Mainer, Pío Baroja, Madrid: Taurus, 2012

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José-Carlos Mainer, Pío Baroja, Madrid: Taurus, 2012
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Delrue, Elisabeth: Rezension über: José-Carlos Mainer, Pío Baroja,
Madrid: Taurus, 2012, in: Mélanges de la Casa de Velázquez, 44
(2014), 2, heruntergeladen über recensio.net
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L’ouvrage est une biographie, aux dimensions imposantes, qui s’inscrit
dans la collection « Espagnols éminents » (« Españoles eminentes ») des
éditions Taurus. Il vise à répondre aux trois objectifs de cette collection,
définis, d’emblée, par Javier Gomá Lanzón, directeur de la Fondation
Juan March. En premier lieu, il s’agit de confier la rédaction de la
biographie à un spécialiste reconnu de la période considérée et de le
charger de parcourir chronologiquement la vie de l’auteur étudié, à la
lumière des découvertes récentes de la recherche en vue de proposer, au
terme de ce parcours, un chapitre entièrement consacré à une
bibliographie commentée. En second lieu, ce projet vise à combler un
vide, celui de la biographie moderne de figures d’excellence qui ne soient
ni monarques, ni hommes politiques, pour mettre au jour les événements
de leur existence et les traits marquants de leur personnalité qui leur ont
permis d’accéder à ce caractère d’excellence communément admis
aujourd’hui. Au point que le rédacteur de l’ouvrage est tenu de produire
à l’intérieur de tout un chapitre les motifs liés à l’attribution de cette
excellence. Et ce second objectif permettrait, selon Javier Gomá Lanzón,
de remplir le dernier, à savoir, l’évaluation de l’influence de certaines
individualités au comportement exemplaire dans la configuration d’une
tradition culturelle collective. Ceci, en soi, entérinerait, d’après lui, le
changement de perspective adopté par l’historiographie actuelle qui,
après avoir successivement expliqué le devenir d’un peuple par les faits
politiques, les structures économiques et démographiques de la société
ou la description des conditions géographiques et climatiques du
territoire s’accorde à privilégier, à présent, l’ethos personnel dans
l’explication historique. Autrement dit l’histoire de protagonistes ou de
témoins privilégiés des faits rapportés qui, contrairement aux
précédentes approches, suscite le consensus des spécialistes.
Les trois objectifs présentés dès les premières pages du volume, et ici
brièvement rappelés, semblent fondamentalement remplis par José
Carlos Mainer.
L’auteur de la biographie est, en effet, un spécialiste reconnu de la
période considérée qui, par surcroît, révèle dans le prologue l’intérêt
qu’il porte à Baroja depuis l’adolescence et la codirection qu’il a assurée
avec Juan Carlos Ara Torralba de ses Œuvres complètes publiées aux
éditions Galaxia Gutemberg-Círculo de Lectores de Barcelone en 1997,
occasion pour laquelle il a relu toute sa production. La structure du livre
retrace, par ailleurs et de manière chronologique, la vie de l’auteur, en
évoquant sa famille et ses premières expériences (ii), ses jeunes années
d’écrivain (iii), son parcours artistique balisé en cycles — 1902-1907 (iv),
1908-1914 (v), 1914-1931 (vi) —, sa période républicaine (vii) et les
dernières années de sa vie (viii). L’épilogue énumère les arguments qui
plaident en faveur ou en défaveur de son excellence tandis que la
bibliographie commentée est scrupuleusement recensée au moment de
clore l’ouvrage.
En outre, le premier des huit chapitres que compte le livre, après
l’exposé détaillé des enjeux et des stratégies narratives de Baroja mis en
œuvre dans sa manière d’écrire, présente, dans les deux derniers
développements, une évaluation méthodique des apports des nombreuses
biographies publiées avant celle proposée aux lecteurs d’aujourd’hui et,
surtout, des faiblesses en mesure d’être dépassées, comme c’est à
supposer en tout cas par la nouvelle approche ici offerte. Et cette
nouvelle approche s’inscrit pleinement dans le dernier objectif déclaré de
la collection. J. C. Mainer, en effet, comme il lui a été demandé, clarifie,
dans les sept chapitres relatifs à la vie personnelle et professionnelle de
l’auteur, la conjoncture politique et culturelle de chaque étape
marquante de son existence et de celle de son entourage. S’appuyant sur
des lettres, des témoignages d’époque, des comparaisons avec d’autres
écrivains connus, souvent les mêmes (Galdós, Valle Inclán, Azorín,
Unamuno, Maeztu) confrontés aux mêmes circonstances, Mainer traque
systématiquement alors les répercussions singulières qu’elle a eues sur
Baroja, celui qui en a été témoin ou protagoniste au premier chef, dans la
retranscription esthétique qu’il opère au cœur de ses romans, en
particulier, de tel événement ou péripétie familiale, de tel voyage, de tel
séjour, de telle rencontre. Les exemples abondent tant la mine des
informations recueillies est foisonnante. La moindre allusion présente au
détour d’une phrase est inventoriée, puis commentée, ramenée au
contexte où elle a été formulée, raccrochée à l’événement qui lui a, sans
doute, donné naissance. C’est en cela, à mon sens, que Mainer dépasse
les biographies qui l’ont précédé, en tirant profit du matériel inédit dont
n’ont pu disposer ces prédécesseurs, en reliant le texte et son contexte
et, a fortiori, les interactions qu’ils entretiennent. L’autre apport, on peut
le trouver, dans le premier chapitre et l’épilogue. Dans l’un, Mainer
fédère l’arsenal des stratégies narratives de Baroja, répertoriées et
communément admises, autour de la figure du témoin sincère, perplexe
et sceptique du monde qu’il met en scène, qui cherche à établir avec son
destinataire idéal, parfois narrataire, assimilé aux « chapelaundis », un
dialogue intérieur en quête de vérité. Dans l’autre, Mainer explique
pourquoi Baroja, dont l’œuvre littéraire doit être appréciée à sa juste
valeur, en dépit de l’idéologie politiquement incorrecte qui parfois y
affleure, est le plus grand des écrivains de second rang sans aucune
reconnaissance internationale. Les raisons invoquées sont alors, dans le
premier cas, le choix délibéré du romancier d’écrire pour divertir ses
lecteurs et, dans le second, le mode de circulation de ses écrits et la
forme de relation qu’il entretient avec son public. Pour le troisième,
Mainer réduit son antisémitisme à une manie sans conséquence
dramatique et attribue son rejet de la démocratie à ses convictions
politiques de libéral radical qui juge incapable une démocratie de régler
des problèmes graves par un simple vote.
Au terme de son parcours, Mainer explique que le concept d’excellence
qui pourrait être attribué à Baroja dépend de l’opinion qu’ont portée sur
lui les grands noms de la littérature espagnole. Opinion, selon lui, qui a
évolué au fil du temps. Mitigée au début, elle devient consensuelle
aujourd’hui, car les critiques proférées à l’encontre de Baroja ne sont pas
si graves, comme il l’a démontré en retournant les arguments.