Médecine et cartes postales

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Médecine et cartes postales
Médecine et cartes postales
Jean-Pierre MARTIN
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Médecine et cartes postales
Jean-Pierre MARTIN
Service de gériatrie, Centre hospitalier Jean Leclaire BP 139, Le Pouget, CS 80201 24206 Sarlat cedex.
E-mail : [email protected]
Les origines de la carte postale
L’ancêtre de la carte postale est probablement ce petit carton sur lequel était écrit un message que
l’on faisait porter par ses domestiques au XVIIe siècle. Au XIXe, le même carton servait à inviter ou
remercier pour une invitation, et aurait été à l’origine du terme « carte de visite ». En 1869, en Autriche, apparurent les premières cartes postales, rectangles de papier résistant qui comportaient un
texte administratif et un timbre imprimés au recto, le verso étant réservé à la correspondance. Le
message écrit n’étant plus protégé par une enveloppe, la carte postale eut peu de succès. Malgré la
guerre de 1870 et sa censure des correspondances, la circulation de cartons de correspondance au
format 10 X 15 cm fut autorisé. Le 20 Décembre 1872 la loi officialisa en France la carte postale non
illustrée. En 1878, l’Union Postale Universelle en uniformisa le format à 9 x 14 cm. Il faudra attendre
une dizaine d’années et l’exposition universelle de 1889 à Paris, pour voir naître réellement la carte
postale illustrée, dont le succès fut alors immédiat : la carte postale de la Tour Eiffel, gravée par Léon
Charles Libonis fut tirée à 300 000 exemplaires. Deux ans après, en 1891, la première carte postale
photographique fut émise à Marseille par Dominique Piazza. Le procédé photographique permit la
démocratisation de la carte postale et sa large diffusion, grâce à une baisse rapide des coûts de production. En 1900, l’exposition universelle à Paris inaugura l’âge d’or de la carte postale, les tirages
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étant estimés à 100 millions de cartes en 1910, 800 millions en 1914, et plus encore les années suivantes.
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Le succès de la carte postale
A une époque où les magazines et les livres illustrés de photographies étaient encore rares, la carte
postale occupa un créneau vacant, celui de la couverture des petits évènements et de la vie de tous
les jours, aux quatre coins du pays. Elle ne négligea pas les grands évènements médiatiques traités
par les journaux, accidents, grèves, expositions internationales, foires, visites officielles etc. La guerre
fut propice à la production de cartes de propagande, d’incitations aux dons pour les œuvres de
guerre. Les cartes postales rapportèrent également les horreurs de la guerre, peu par leurs illustrations sévèrement contrôlées par la censure, mais par la correspondance véhiculée et dont la lecture
aujourd’hui ne laisse aucun doute sur les souffrances endurées par les soldats.
La médecine et les cartes postales
Dans le domaine médical, la carte postale s’est invitée dans les hôpitaux, les facultés, les sanatoriums,
les laboratoires. Le rôle journalistique joué par la carte postale a ainsi permis de conserver des images
de lieux aujourd’hui disparus, comme d’anciennes salles de malades, des blocs opératoires, des hôpitaux, asiles, etc. Les « monstres », les goitreux, les nains et les géants, les maladies tropicales, sont
autant de cas « historiques » documentés par les cartes postales. Les amateurs d’objets médicaux
anciens peuvent aussi retrouver « en situation » des instruments conservés dans les musées ou dont il
ne reste d’autres traces que des dessins dans les catalogues des fabricants.
Le déclin
L’usage de la carte postale va décliner progressivement vers 1920, probablement concurrencé par le
téléphone et le télégraphe, qui permettaient des échanges en temps réels. La presse, désormais largement illustrée, rendit caduque l’usage de la carte postale pour relayer des évènements marquants.
Les cartes postales et leurs photographies d’excellente définition en noir et blanc vers 1955, puis en
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couleurs vers 1960, restèrent largement sous utilisées comparées à celles des années 1910.
Le regain d’intérêt pour les cartes postales viendra des collectionneurs dans les années 1970, avec
une préférence pour la collecte des cartes postales anciennes du début du siècle (surtout celles antérieures à 1920), dont l’engouement ne se dément pas. Paradoxalement, les cartes dites semimodernes (années 1920-60) sont négligées, alors qu’elles sont finalement rares. Souvent utilisées
pour une correspondance de vacances ou de voyage, thèmes qu’elles illustrent le plus souvent, elles
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n’ont pas été conservées. Ainsi, il est plus facile de trouver des photos de villes des années 1910-20,
que des années 1960-70. Ce commentaire est valable pour les cartes postales « médicales ».
Enfin, le développement depuis une dizaine d’années du courrier électronique, qui permet d’envoyer
des cartes virtuelles, pourrait bien sonner définitivement le glas de la carte postale, même si quelques
petits éditeurs artisanaux tentent de relancer la mode de la carte postale en copiant les thèmes chers
aux cartes postales anciennes (artisans au travail, personnages des villages, etc..).
Dater une carte postale.
Nous sommes persuadés que les cartes postales, anciennes, semi-modernes ou modernes sont des
pièces à préserver, les photographies qu’elles portent étant autant de représentations d’éléments
patrimoniaux. Comme nous l’avons dit, la seule illustration que nous possédons de certains établissements hospitaliers du début du XXe siècle, de véhicules sanitaires etc…, est celle conservée sur les
cartes postales. Les cartes modernes, seront, dans quelques dizaines d’années, des illustrations rares
des établissements d’aujourd’hui, même si les sujets traités sont malheureusement plus « touristiques » que journalistiques.
Dans cette optique historique, il peut être intéressant de dater une carte postale, et par extension, la
vue présentée. La carte postale ayant évoluée au fil des années, différents éléments permettent une
datation relativement précise.
L’affranchissement
Le timbre est peu informatif car les tarifs sont restés identiques jusqu’en 1917, soit 10 centimes, avec
un tarif réduit à 5 centimes pour une correspondance limitée à 5 mots. Des cartes prospectus était
affranchies à 1 centime, la carte étant mise sous une bande collée par le timbre.
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Année
Tarif normal
Correspondance
de 5 mots
Sans correspondance
1898
10 cts
1899
10 cts
1909
10 cts
5 cts
1917
15 cts
10 cts
5 cts
1920
20 cts
15 cts
5 cts
5 cts
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Attention toutefois, certains vendeurs peu scrupuleux peuvent masquer des défauts de la carte, ou la
vieillir en collant un vieux timbre. Pour dépister ce genre de fraude, il faut vérifier que le tampon
d’affranchissement qui déborde le timbre se poursuive en continuité sur la carte. Le cachet postal
permet de dater la carte. Le cachet d’arrivée, reconnaissable à son cerclage en tirets, doit être cohérent avec la date de départ. Mais le cachet postal n’est pas un indicateur formel de la date de la prise
de vue, une carte ayant pu être utilisée longtemps après son achat.
Le type du timbre permet également une datation :
Mouchon
(droits de l’homme)
Blanc
Semeuse lignée
Semeuse camée
1900-1901
1900-1924
1903-1939
1906-1939
Le format général de la carte :
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Le format de la carte, facile à mesurer avec une règle, peu aider à dater la période de fabrication.
Format (en cm)
Date
10 X 15 (ou plus petites 7,8 X 12)
Avant 1878
9 X 14
1878
9 X 14 (cartes semi-modernes)
Après 1920
10,5 X 15 (cartes semi-modernes et modernes)
1950
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Le type de carte postale
Le type de la carte postale permet une datation assez précise. Il existe toutefois une grande confusion
dans la dénomination même des cartes postales, les collectionneurs, pourtant avisés, mélangeant
allègrement les cartes « pionnières » et « précurseurs ». Nous avons réalisé une synthèse simple, et
facile à utiliser.
Cartes précurseurs non illustrées : 1870 – 1875
La loi du 12 février 1872 instaura la circulation de la carte postale administrative pour la France et
l'Algérie. Le 15 janvier 1873, deux modèles furent mis en circulation.
- Une carte postale de couleur jaune, affranchie à 10 centimes, pouvant circuler à découvert dans la
circonscription d'un même bureau.
- Une carte postale affranchie à 15 centimes pouvant circuler de bureau à bureau. Il s’en vendra 7
millions d'exemplaires en une semaine !
Sur ces cartes, pas d’illustration, en dehors d’une frise qui encadre la partie réservée à l’adresse. Le
verso, vierge, est réservé à la correspondance. 38 modèles de cartes différents vont être émis entre
janvier 1873 et juin 1878. Dans cette catégorie, entrent les cartes précurseurs postaux et non postaux
et les cartes postales françaises semi-officielles. Elles ne sont d’aucun intérêt pour l’historien de la
médecine, sauf à comporter au dos une publicité à caractère médical.
Jusqu’en 1875, la carte
postale est restée sous
le
monopole
de
l’administration
des
postes,
qui
ce
n’empêcha pas certains
privés comme le magasin la Belle Jardinière,
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en 1873, d’y apposer,
au dos, des petites illustrations de leur immeuble, en guise de
publicité.
Figure 1 : carte pionnière affranchie à 15 c, postée le 6 décembre 1873. Dimensions 78 X
120 mm. © Coll. de l’auteur.
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Cartes pionnières illustrées : 1873-1900
Les premières cartes illustrées furent émises sous forme de séries officielles, ou par des organismes
privés, et alors essentiellement publicitaires. En 1878, le congrès de l’UPU (Union Postale Universelle)
fixa le format des cartes postales à 9 X 13 cm. Le 6 avril 1878, la France mit en place un tarif unique à
10 c pour les cartes postales et vendit des cartes avec entiers postaux (c’est-à-dire avec un timbre
imprimé sur la carte). C’est à cette période que le trafic explosa, passant de 16 à 30 millions d’envois
par an entre 1873 et 1884. Les commerçants « repiquèrent » les cartes officielles en y apposant au
dos leurs publicités, factures etc… La demande fut telle que l’administration des postes autorisa (par
arrêté ministériel du 7 octobre 1875) l’industrie privée à fabriquer et vendre ses propres cartes postales. En 1883, un autre décret autorisa l’impression d’illustrations sur les cartes postales.
C’est en 1889, à l’occasion de l’exposition universelle de Paris, que Léon-Charles Libonis (1841-1901)
réalisa la première série de cinq cartes touristiques illustrées par la tour Eiffel. La Société de la tour
Eiffel édita et vendit 300 000 exemplaires de cette série. Sur ces cartes, l’illustration (qui n’était pas
une photographie mais un dessin) n’occupait qu’une petite partie du dos réservé à la correspondance.
C’est à Dominique Piazza (1860-1941) que l’on doit la naissance de la carte postale illustrée par une
photographie. Bien qu’employé de commerce et pas du tout photographe, il trouva le moyen de réduire les photographies afin d’en faire tenir trois sur un format carte postale, sur le verso où
s’apposait le timbre et où étaient conservées 3 lignes pour l’adresse. Il créa une première série de
cartes postales le 4 août 1891. Rappelons que la photographie a été inventée en 1829, mais que les
clichés n’étaient pas reproductibles. Ceci ne sera possible qu’en 1880 avec le procédé au gélatinobromure. Son idée fut rapidement copiée par de nombreux éditeurs et imprimeurs, Giletta (Nice),
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Neurdein (Paris), Bergeret (Nancy) et la carte postale photographique prit un essor sans pareil.
Figure 2 : Carte postale « Dominique Piazza » avec 3 photographies réduites. © Coll. JP
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On vit apparaître des « cartes photos » où le tirage était fait directement sur papier photographique.
Les images de ces cartes sont d’excellente qualité, avec un grain très fin.
Cartes postales anciennes : 1900 – 1918
Le succès de la carte postale est tel que des centaines, voire des milliers d’éditeurs vont produire
des millions de cartes postales, le nouveau procédé de la phototypie permettant de les reproduire
à l’infini. La production va s’envoler, passant de
100 millions de cartes en 1910 à 800 millions en
1914. Le dessin ne sera pas oublié, et divers illustrateurs exprimeront leurs talents sur carte postale : caricature du milieu militaire, amours, humour, sans oublier de brocarder les médecins et
leurs patients …
Figure 3 : Carte postale ancienne
d’illustrateur, évoquant la dysurie des
prostatiques. © Coll. JP Martin.
L’aspect du dos de la carte postale ancienne permet une datation plus précise.
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Cartes à dos non divisé : 1900-1903
Ces cartes ont un dos non divisé avec trois lignes pour l’adresse. La correspondance est écrite du côté
de la photo. L’image n’occupe qu’une petite partie de la carte, pour permettre la correspondance. On
parle de cartes « nuages », en raison des limites floues de la photographie d’illustration qui rappelle
un nuage. Progressivement, la taille de l’image va croître et en 1903, il ne restait qu’une petite marge
en bordure d’image pour la correspondance.
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Figure 4 : Carte postale ancienne, type « nuage ». Bergerac, le nouvel hôpital. Editeur A.
Astruc. Le texte de la correspondance est amusante, puisque l’expéditrice collectionne les
cartes postales et sollicite un échange de cette carte avec une de la « contrée » où habite
sa correspondante ! carte postée le 10 juillet 1900 © Coll. JP Martin.
Figure 5 : Dos de la carte postale Fig. 4. Le dos n’est pas divisé, donc carte datant d’avant
1904. © Coll. JP Martin.
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Ces cartes sont produites industriellement par phototypie (procédé breveté en 1855 par Alphonse
Poitevin) et amélioré vers 1870 par Joseph Albert. La lumière passe à travers les parties transparentes
du négatif (il s’agit alors d’une plaque de verre) et noircit le papier au bromure d’argent. Certaines
cartes étaient colorisées, soit par phototypies (on utilisait autant de plaques que de couleurs), soit
manuellement (aquarelle au pinceau, au pochoir, puis vernissage).
Figure 6 : carte postale ancienne colorisée. Le Croisic, façade extérieure de l’hôpital marin
de Pen-Bron, sanatorium pour enfants. Ed. A.B. © Coll. JP Martin.
Cartes à dos divisé, papier de chiffon blanc : 1904-1910
L’image occupe toute la
carte,
la
correspon-
dance se fait au dos, qui
est divisé, par un arrêté
du 18 novembre 1903,
en réservant l’adresse à
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droite,
la
correspon-
dance à gauche. Le papier est de bonne qualité, blanc, fabriqué à
partir de chiffon blanc.
Figure 7 : carte postale ancienne. Le Havre, hospice général, entrée principale. La photographie occupe la totalité du recto. © Coll. JP Martin.
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Figure 8 : Verso de la carte Fig. 7. Le dos est divisé, correspondance à gauche, adresse à
droite. Le papier est blanc, fait à partir de chiffon. Carte postée en 1909. © Coll. JP Martin.
Cartes à dos divisé, papier au bois, granuleux, dos vert : après 1910 et surtout 1914
La pénurie de matière pour fabriquer du papier pendant la Première Guerre mondiale a fait que c’est
du bois qui a été utilisé pour fabriquer la pâte à papier. Ces cartes sont reconnaissables à leur dos
vert, dont le papier est granuleux. On trouve des cartes postales plus anciennes, dès 1900, ayant éga-
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lement le dos vert, mais le papier est lisse, satiné, de meilleure qualité.
Figure 9 : carte postale ancienne. Epernay, l’hôpital-hospice Auban-Moët, pavillon de la
chirurgie. Editeur LL. © Coll. JP Martin.
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Figure 10 : verso de la carte Fig. 9. Dos divisé, papier vert. Carte postée en 1911. © Coll. JP
Martin.
Cartes semi-modernes : 1918 - 1950
L’après Première Guerre mondiale fut marqué par un déclin de la carte postale, dont les productions
imprimées en couleur bleue ou sépia étaient de moindre qualité. Après 1920, elles sont dites semimodernes, mais conservent le format 9 X 14 cm. Les premières cartes sur papier glacé apparurent
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après la Seconde Guerre mondiale, et conservèrent le même format 9 X 14 cm.
Figure 11 : carte postale semi-moderne, 9 X 14 cm, papier glacé, non circulée. Montpellier,
la cathédrale Saint-Pierre et la faculté de médecine. Editeur Rella, Nice. © Coll. JP Martin.
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Cartes modernes : après 1950
Après 1950, apparaissent les cartes modernes, de format 10,5 X 15, souvent en papier glacé, couleurs
et bordure dentelée. La reproduction utilise le bromure, puis, à partir de 1960, le procédé offset.
Figure 12 : carte postale moderne, papier glacé, couleur, bord dentelé, format 10,5 X 15.
Hautefort, le château XV et XVIIe siècle, le village, l’ancien hospice (au centre) et la nouvelle maison de retraite (en bas à droite). © Coll. JP Martin.
Conclusion
La collection des cartes postales anciennes à caractère médical est passionnante, tant les thèmes sont
variés : hôpitaux de sa région, fabricants de matériels, cartes humoristiques, véhicules, navires hôpitaux, etc…
La question du juste prix d’une carte lors de l’achat dépend uniquement de l’intérêt que vous lui portez. Certaines cartes sont rarissimes, mais si elles peuvent atteindre une centaine d’euros, vous pouvez aussi les trouver en brocante pour 50 centimes ! Il faut savoir être patient, comme tout bon collectionneur.
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Toute référence à cet article doit préciser :
Martin JP. : Médecine et cartes postales. Clystère (www.clystere.com), octobre 2016.
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