gravées dans la pierre
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karanataka_fr:Tourism.qxd 4/3/2009 1:24 PM Page 42 Tourisme Hoysala-Mysore Splendeurs gravées dans la pierre Après Bangalore (Bangaluru), capitale cosmopolite et économique dont le réseau international « high tech » a connu au cours de cette dernière décennie une expansion absolument fulgurante, Mysore est la seconde ville du Karnataka où il fait bon vivre. Sa dimension culturelle est marquée par l’histoire de cet ancien royaume prestigieux, aussi réputé pour le faste inouï de son palais des mille et une nuits que pour ses précieuses soieries, pour ses fabuleux marchés aux parterres de fleurs fraîches et ses fragrances du santal… C’est donc à Mysore que je décidais de résider quelques jours avant de repartir vers les villages qui furent jadis les centres d’art et de spiritualité de la dynastie des Hoysala. Texte et photos Mireille-Joséphine Guézennec-Himabindu karanataka_fr:Tourism.qxd 4/3/2009 1:26 PM Page 44 Offrandes pour la déesse Chamundi E n fin de matinée, sous la pluie battante de la mousson, je quittai le Wayanad au nord du Kerala, dans un bus « super fast » qui mettait le cap sur Mysore et Bangalore. Sur ces routes parfois chaotiques et semi-montagneuses bordées d’immenses forêts où se dissimulent tigres et troupeaux d’éléphants sauvages, rien à vrai dire n’indiquait une franche démarcation entre le Kerala et le Karnataka. Seul le graphisme autre des lettres dessinées sur les enseignes des boutiques dans les villages que nous traversions, sans faire halte, m’apparut tout à coup comme la confirmation du passage d’un état à un autre. Car parmi les écritures 44 Indes mars-avril 2009 dravidiennes, celle du Kannada - la langue du Karnataka- dessine des boucles arrondies et des courbes élégantes, bien reconnaissables, au-dessus de ses lettres. Mysore, depuis la colline « Chamundi Hill »… Mon arrivée à Mysore se fit en douceur et sous un ciel clément ! Au bustand, comme on me l’avait annoncé, un pre-paid taxi organise le trajet vers mon hôtel et, pour chaque course dans la ville, les conducteurs d’auto-rickshaw vous rendent spontanément la monnaie sur un billet de 20 roupies… Je n’y étais plus habituée, car à Chennai, capitale fébrile du Tamil Nadu, il faut s’attendre plutôt à ce que, pour une étrangère, le prix d’une course soit multiplié par deux , voire par trois, et exigé sur le ton rude du commandement. D’emblée, j’ai donc aimé cette courtoisie qui nous met sur un pied d’égalité et agrémente le voyage. Laissant derrière moi les ghâts montagneux et si verdoyants du Kerala soumis aux pluies martelées d’une incessante mousson, j’avais donc décidé de résider pour quelques jours à l’hôtel Mayura Hoysala. Depuis le balcon de ma chambre située au premier étage de cette jolie bâtisse coloniale à la façade toute blanche, je me laissais aller aux voluptueuses rêveries d’un Orient fastueux karanataka_fr:Tourism.qxd 4/3/2009 1:26 PM Page 45 Tourisme que suscitait cette ancienne capitale princière aux palais de marbre blanc caressé par les ors du soleil couchant. Reprenant mes esprits, je songeais aussi à ces contrastes multiples et inouïs qu’offre l’Inde d’hier et d’aujourd’hui. Parfois, inspirée par la douceur du soir, j’en profitais pour écrire mes notes de voyage jusqu’à une heure tardive dans la galerie où de larges arcades peintes d’un jaune vif donnaient sur la cour d’entrée d’où parvenaient encore les bruits étouffés de la ville. Je revoyais, depuis le sommet de la colline Chamundi Hill , située à 13 kilomètres, Mysore qui s’étendait paisible avec ses larges avenues, ses vastes espaces de verdure et ses grands palais blancs surplombés de nombreuses coupoles… Prenant ainsi de la hauteur, j’avais découvert les arcanes de la ville en même temps que l’origine de son nom. En haut de la colline sacrée, un temple dédié à la déesse toute-puissante, Chamundeshwari ou Chamundi est un lieu de culte très fréquenté. C’est ici peut-être que Chamundi aurait anéanti le démon Mahishasura, Chamundi Hill et le démon Mahishasura Indes mars-avril 2009 45 karanataka_fr:Tourism.qxd 4/3/2009 1:27 PM Page 46 Tourisme Devaraja market – Mysore Un marché haut en couleur…. l’anti-dieu si puissant à tête de buffle. Mysore dérive ainsi son nom de celui qui fut attribué à la déesse « Mahishasuramardini », une forme toute puissante de Durga qui tua l’invincible asura. Et si depuis toujours les rois de Mysore avaient placé leur pouvoir sous la protection de la déesse Chamundi, aujourd’hui encore on vient en pèlerinage lui offrir des coupelles de fleurs, de fruits et de noix de coco pour tenter de faire exaucer certains de ses vœux. 46 Indes mars-avril 2009 Le marché aux fleurs de Mysore jouit d’une grande renommée dans tout le sud de l’Inde, aussi je profitais de cette fin d’après-midi pour me rendre au Devaraja Market où il faut tenter de se faufiler dans les allées que les milliers de clients très pressés rendent trop étroites. Dressés en pyramides géantes, les légumes et les fruits de toutes sortes sont à profusion et les fleurs enroulées sur elles-mêmes se déploient en guirlandes magnifiques et multicolores que l’on achète au mètre.Comme des châteaux de sable,les tas de poudre aux couleurs éclatantes jouxtent les flacons de verre où l’on garde les huiles au parfum capiteux. Un livreur apporte des sacs de jasmin aux frêles boutons d’un blanc étincelant que le marchand de sa voix forte vante et vend avec une frénésie qui n’a d’égal que celle de ses acheteurs. Quelle effervescence !… Que de fragrances délicieuses d’essences de rose ou de jasmin mêlées à celles du santal épicé qui m’enivrent !… karanataka_fr:Tourism.qxd 4/3/2009 1:27 PM Page 47 Mysore, le palais Sublime palais de Mysore... Et comme nous étions le 15 août, Jour de la Fête nationale de l’Inde, j’appris que le palais de Mysore serait illuminé exceptionnellement de 19 heures à 20 heures, comme il l’est chaque dimanche de l’année. La visite des palais, je dois l’avouer, n’a jamais été ma priorité, mais sur l’insistance de l’hôtelier, je me laissais tenter par cette aubaine. En moins d’un quart d’heure, j’arrivais devant le palais habillé de ses lumières…Ce fut comme un coup de foudre ! Une révélation ! Je n’avais d’yeux que pour cette féerie scintillante, tandis que des petits marchands tentaient de me séduire avec des objets d’artisanat ou des éventails un peu trop parfumés en pseudo-bois de santal… Je pénétrais sous le grand porche et là, au milieu des nombreux visiteurs, je restais médusée devant le palais scintillant, drapé de lumières, à contempler la magie du lieu dans un espace si grandiose. Je dois donc avouer que jamais je n’ai rien vu de plus beau, de plus spectaculaire, en matière d’extravagance et d’artifice somptueux…Tels des funambules errants, les visiteurs se promenaient dans ces dédales d’ombres et de lumières, ils s’asseyaient parfois ou se faisaient photographier devant la merveille des mille et une nuits… Dans cette mise en scène féerique chacun se voulait acteur. Mais à une heure précise toute vision prit fin. Alors les lumières s’éteignirent et, comme un rêve qui s’achève, seule demeura l’empreinte avivée d’une vision prodigieuse. Il devait être 20 heures, je présume… Cependant, pour autant, ma soirée n’allait pas se terminer… car juste avant de quitter le palais du Maharaja, je fus intuitivement guidée par une lointaine musique de clochettes. Alors, me déchaussant, j’entrais dans le temple où se déroulait la cérémonie de l’ârti pour Mahalakshmi. D’autres feux, d’autres lumières plus intimistes… en hommage cette fois à la grande déesse, parèdre de Vishnou, que les rites nocturnes allaient conduire sous un parasol vers la demeure de son Seigneur au temple Sri Svesta Varahaswami, situé au sud-est dans la cour du palais. Tandis que je m’apprêtais à quitter le temple, quelqu’un m’invita à me joindre à l’assemblée réunie pour les rites du soir. Assis à même le sol, bien alignés et côte à côte, au milieu de la cour, après nous avoir distribué l’eau consacrée, les prêtres faisaient maintenant celles des offrandes de prasad – ou nourritures chargées des grâces divines-. Chacun à son tour tendait sa main droite pour accueillir une bouchée de riz sucré cuit avec des fruits secs et des épices que l’on portait d’abord à ses yeux. Illumination extérieure et révélation intérieure… Une fois de plus, je me sentais comblée en cette belle soirée improvisée d’une Fête nationale. Indes mars-avril 2009 47 karanataka_fr:Tourism.qxd 4/3/2009 1:27 PM Page 48 Somnathpur et l’art des temples Hoysala Belur, Halebid et Somnathpur… joyaux ciselés dans la pierre Si Mysore abrite le plus magnifique palais des Maharajas de la dynastie Wodeyar qui fut reconstruit en 1912 dans toute la splendeur mêlée des styles indo-gothique ou indo-sarrazin sur les ruines d’un ancien palais qu’un incendie avait détruit en 1897, cette région du sud du Deccan formant aujourd’hui l’état du Karnataka a vu, au cours des siècles passés, se succéder des dynasties puissantes qui ont laissé des œuvres architecturales magistrales, ambitieux témoignages de leur règne prospère. Les temples de Belur,Halebid (Halebeedu) et Somnathpur sont de véritables joyaux d’architecture que la dynastie raffinée des souverains Hoysala, patrons des arts et de la culture, nous a laissés en héritage. 48 Indes mars-avril 2009 Situé sur la rive gauche de la rivière sacrée Kaveri (ou Cauveri), le temple de Somnathpur qui est le seul a avoir conservé ses trois tours ou sikharas, donne l’idée la plus complète de ce que furent à l’origine ces temples édifiés au 12ème siècle sur une grande plate-forme en forme d’étoile. Ma préférence va cependant à ceux d’Halebid et de Belur situés à quelque 150 kilomètres au nord de Mysore, pour l’abondance et la diversité de leurs sculptures et pour le travail raffiné de la statuaire. Situé dans un vaste jardin parsemé de bosquets d’hibiscus et planté d’arbres majestueux, le temple Hoysaleswara d’Halebid est dédié à Shiva. Les rayons du soleil de l’après-midi mettent en lumière la partie occidentale de sa façade la plus richement sculptée. Tout autour du temple court une frise d’éléphants, tous différents, qui occupent la plinthe inférieure, surmontée par celle des lions, puis des chevaux et des cavaliers. Comme une alliance conjuguée de la force, du courage et de la vélocité de l’esprit. C’est un livre d’images gravées dans la pierre qui s’ouvre pour nous faire pénétrer dans la complexité des mythes shivaïtes et d’une cosmogonie où Vishnu et ses incarnations sont les protagonistes. Les avatars de Vishnou qui occupent une grande place dans la statuaire des Hoysala côtoient les représentations de Shiva, de Ganesha dansant ou de Ravanna soulevant le mont Kailash... Ici, Shiva accomplit sa danse virile du Tandava après avoir tué le féroce démon-éléphant (Gajasuramardin), là, il repose tranquillement monté sur le taureau Nandi aux côtés de la déesse Parvati, plus loin, il interprète sa fascinante danse cosmique du Nataraja… En effet, initialement imprégnés de la tradition Jaïn karanataka_fr:Tourism.qxd 4/3/2009 1:27 PM Page 49 Temple de Belur édifié au 12ème siècle. les rois Hoysala, qui se seraient convertis à l’hindouisme Vishnouite sous l’influence du maître et philosophe Ramanuja, furent d’éminents lettrés et des hommes de culture qui prônaient, à l’instar des grands esprits, une vision universelle de la pensée religieuse, où chaque divinité du panthéon avait sa place, ses symboles et son rôle à jouer. A Belur, première capitale de l’empire Hoysala, la statuaire du temple de Chennakeshvara, dont l’édification se termina en 1117, est fascinante en raison de la délicatesse du travail de la pierre de schiste noir ciselée qui ressemble à des ouvrages d’orfèvres. La reine Shantala Devi, épouse du souverain Vishnuvarnadharma, éminente musicienne et ravissante danseuse du royaume a, à coup sûr, inspiré aux architectes-sculpteurs les figures gracieuses et sensuelles des divines Madanikas qui prennent les poses les plus élégantes, telle la posture au triple déhanché ou « tribhanga »… Les plus remarquables de ces petites figures exaltant la féminité, finement sculptées en haut des corniches et tout autour du temple, sont celles de la dame au miroir (darpanasundari) et de l’héroïne devisant avec son perroquet posé sur sa paume. A l’intérieur, le hall ou Navaranga, abritant d’immenses colonnes parfaitement rondes et lisses en stéatite noire, ouvre vers le sanctum sanctorum ou garbhagriya où réside le maître des lieux, VishnuChennakeshvara, que les prêtres honorent en présence des fidèles à certaines heures particulières. Et comme je prenais le temps d’observer les détails et de photographier minutieusement chacune de ces figures en fonction du jeu évolutif des lumières, il m’arrivait de tendre l’oreille vers les commentaires des guides officiels reconnus par le gouvernement et l’Archeological Survey of India. Réellement très instruits en matière d’histoire de l’art, ces guides avaient le don de s’exprimer dans des langues différentes dont je tentais de saisir le sens… D’autres guides, accompagnant les circuits des groupes de touristes étrangers se contentaient d’énoncer quelques banalités, ou pire, affirmaient leurs sottises sur un ton péremptoire.Devant le plus magistral des Shiva dansant, j’entendis l’un deux déclamer en anglais à ses ouailles venues d’Italie : « Yes, Shiva is always drunk ! » ( « Oui, Shiva est toujours saoul ! »). Commentaires et fous rires allèrent bon train!... Ineptie verbale ou sacrilège pour l’intelligence de nos pauvres amis latins qui, réjouis sur le moment, mais victimes d’une ignorance crasse, risquent de colporter la mauvaise nouvelle à leur retour ! Le lendemain, je revenais au temple dès l’ouverture et choisissais l’un des guides patentés qui avait la veille dévoilé à merveille le sens de certaines de ces représentations infiniment complexes, et qui me demeuraient parfois encore un peu hermétiques. J’eus avec lui des échanges magnifiques et nous convenions d’un rendez-vous le lendemain matin pour visiter d’autres sites moins connus, et certes plus modestes, situés en dehors des grands chemins touristiques dans la campagne où les rizières dessinent des carrés magiques d’une verdeur franche et resplendissante. ■ Indes mars-avril 2009 49