gravées dans la pierre

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Tourisme
Hoysala-Mysore
Splendeurs
gravées dans la pierre
Après Bangalore (Bangaluru), capitale
cosmopolite et économique dont le
réseau international « high tech » a connu
au cours de cette dernière décennie une
expansion
absolument
fulgurante,
Mysore est la seconde ville du Karnataka
où il fait bon vivre. Sa dimension
culturelle est marquée par l’histoire de cet
ancien royaume prestigieux, aussi réputé
pour le faste inouï de son palais des mille
et une nuits que pour ses précieuses
soieries, pour ses fabuleux marchés aux
parterres de fleurs fraîches et ses
fragrances du santal… C’est donc à
Mysore que je décidais de résider
quelques jours avant de repartir vers les
villages qui furent jadis les centres d’art et
de spiritualité de la dynastie des Hoysala.
Texte et photos Mireille-Joséphine
Guézennec-Himabindu
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Offrandes pour la déesse Chamundi
E
n fin de matinée, sous la pluie
battante de la mousson, je quittai le
Wayanad au nord du Kerala, dans
un bus « super fast » qui mettait le
cap sur Mysore et Bangalore. Sur ces routes
parfois chaotiques et semi-montagneuses
bordées d’immenses forêts où se
dissimulent tigres et troupeaux d’éléphants
sauvages, rien à vrai dire n’indiquait une
franche démarcation entre le Kerala et le
Karnataka. Seul le graphisme autre des
lettres dessinées sur les enseignes des
boutiques dans les villages que nous
traversions, sans faire halte, m’apparut tout
à coup comme la confirmation du passage
d’un état à un autre. Car parmi les écritures
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dravidiennes, celle du Kannada - la langue
du Karnataka- dessine des boucles
arrondies et des courbes élégantes, bien
reconnaissables, au-dessus de ses lettres.
Mysore, depuis la colline
« Chamundi Hill »…
Mon arrivée à Mysore se fit en douceur
et sous un ciel clément ! Au bustand, comme
on me l’avait annoncé, un pre-paid taxi
organise le trajet vers mon hôtel et, pour
chaque course dans la ville, les conducteurs
d’auto-rickshaw vous rendent spontanément la monnaie sur un billet de 20
roupies… Je n’y étais plus habituée, car à
Chennai, capitale fébrile du Tamil Nadu, il
faut s’attendre plutôt à ce que, pour une
étrangère, le prix d’une course soit multiplié
par deux , voire par trois, et exigé sur le ton
rude du commandement. D’emblée, j’ai
donc aimé cette courtoisie qui nous met sur
un pied d’égalité et agrémente le voyage.
Laissant derrière moi les ghâts
montagneux et si verdoyants du Kerala
soumis aux pluies martelées d’une
incessante mousson, j’avais donc décidé de
résider pour quelques jours à l’hôtel
Mayura Hoysala. Depuis le balcon de ma
chambre située au premier étage de cette
jolie bâtisse coloniale à la façade toute
blanche, je me laissais aller aux
voluptueuses rêveries d’un Orient fastueux
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que suscitait cette ancienne capitale
princière aux palais de marbre blanc caressé
par les ors du soleil couchant. Reprenant
mes esprits, je songeais aussi à ces
contrastes multiples et inouïs qu’offre l’Inde
d’hier et d’aujourd’hui. Parfois, inspirée par
la douceur du soir, j’en profitais pour écrire
mes notes de voyage jusqu’à une heure
tardive dans la galerie où de larges
arcades peintes d’un jaune vif donnaient sur
la cour d’entrée d’où parvenaient encore les
bruits étouffés de la ville.
Je revoyais, depuis le sommet de la
colline Chamundi Hill , située à 13
kilomètres, Mysore qui s’étendait paisible
avec ses larges avenues, ses vastes espaces
de verdure et ses grands palais blancs
surplombés de nombreuses coupoles…
Prenant ainsi de la hauteur, j’avais découvert
les arcanes de la ville en même temps que
l’origine de son nom. En haut de la colline
sacrée, un temple dédié à la déesse
toute-puissante, Chamundeshwari ou
Chamundi est un lieu de culte très
fréquenté. C’est ici peut-être que Chamundi
aurait anéanti le démon Mahishasura,
Chamundi Hill et le démon Mahishasura
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Devaraja market – Mysore
Un marché haut en couleur….
l’anti-dieu si puissant à tête de buffle. Mysore
dérive ainsi son nom de celui qui fut attribué
à la déesse « Mahishasuramardini », une
forme toute puissante de Durga qui tua
l’invincible asura. Et si depuis toujours les
rois de Mysore avaient placé leur pouvoir
sous la protection de la déesse Chamundi,
aujourd’hui encore on vient en pèlerinage lui
offrir des coupelles de fleurs, de fruits et de
noix de coco pour tenter de faire exaucer
certains de ses vœux.
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Le marché aux fleurs de Mysore jouit d’une
grande renommée dans tout le sud de l’Inde,
aussi je profitais de cette fin d’après-midi pour
me rendre au Devaraja Market où il faut
tenter de se faufiler dans les allées que les
milliers de clients très pressés rendent trop
étroites. Dressés en pyramides géantes, les
légumes et les fruits de toutes sortes sont à
profusion et les fleurs enroulées sur
elles-mêmes se déploient en guirlandes
magnifiques et multicolores que l’on achète au
mètre.Comme des châteaux de sable,les tas de
poudre aux couleurs éclatantes jouxtent les
flacons de verre où l’on garde les huiles au
parfum capiteux. Un livreur apporte des sacs
de jasmin aux frêles boutons d’un blanc
étincelant que le marchand de sa voix forte
vante et vend avec une frénésie qui n’a
d’égal que celle de ses acheteurs. Quelle
effervescence !… Que de fragrances
délicieuses d’essences de rose ou de jasmin
mêlées à celles du santal épicé qui m’enivrent !…
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Mysore, le palais
Sublime palais de
Mysore...
Et comme nous étions le 15 août, Jour de
la Fête nationale de l’Inde, j’appris que le
palais de Mysore serait illuminé
exceptionnellement de 19 heures à 20
heures, comme il l’est chaque dimanche de
l’année. La visite des palais, je dois l’avouer,
n’a jamais été ma priorité, mais sur
l’insistance de l’hôtelier, je me laissais
tenter par cette aubaine. En moins d’un
quart d’heure, j’arrivais devant le palais
habillé de ses lumières…Ce fut comme un
coup de foudre ! Une révélation ! Je n’avais
d’yeux que pour cette féerie scintillante,
tandis que des petits marchands tentaient
de me séduire avec
des objets d’artisanat ou des éventails
un peu trop parfumés en pseudo-bois de
santal… Je pénétrais sous le grand porche
et là, au milieu des nombreux visiteurs, je
restais médusée devant le palais scintillant,
drapé de lumières, à contempler la magie du
lieu dans un espace si grandiose.
Je dois donc avouer que jamais je n’ai
rien vu de plus beau, de plus spectaculaire,
en matière d’extravagance et d’artifice
somptueux…Tels des funambules errants,
les visiteurs se promenaient dans ces
dédales d’ombres et de lumières, ils
s’asseyaient parfois ou se faisaient
photographier devant la merveille des mille
et une nuits… Dans cette mise en scène
féerique chacun se voulait acteur. Mais à
une heure précise toute vision prit fin. Alors
les lumières s’éteignirent et, comme un rêve
qui s’achève, seule demeura
l’empreinte avivée d’une vision
prodigieuse. Il devait être 20 heures,
je présume…
Cependant, pour autant, ma
soirée n’allait pas se terminer… car
juste avant de quitter le palais du
Maharaja, je fus intuitivement
guidée par une lointaine musique
de clochettes. Alors, me
déchaussant, j’entrais dans le
temple où se déroulait la
cérémonie de l’ârti pour
Mahalakshmi. D’autres feux,
d’autres
lumières
plus
intimistes… en hommage cette fois à la
grande déesse, parèdre de Vishnou, que les
rites nocturnes allaient conduire sous un
parasol vers la demeure de son Seigneur au
temple Sri Svesta Varahaswami, situé au
sud-est dans la cour du palais.
Tandis que je m’apprêtais à quitter le
temple, quelqu’un m’invita à me joindre à
l’assemblée réunie pour les rites du soir.
Assis à même le sol, bien alignés et côte à
côte, au milieu de la cour, après nous avoir
distribué l’eau consacrée, les prêtres
faisaient maintenant celles des offrandes de
prasad – ou nourritures chargées des grâces
divines-. Chacun à son tour tendait sa main
droite pour accueillir une bouchée de riz
sucré cuit avec des fruits secs et des épices que
l’on portait d’abord à ses yeux. Illumination
extérieure et révélation intérieure… Une fois
de plus, je me sentais comblée en cette belle
soirée improvisée d’une Fête nationale.
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Somnathpur et l’art des temples Hoysala
Belur, Halebid et Somnathpur… joyaux ciselés dans la
pierre
Si Mysore abrite le plus magnifique
palais des Maharajas de la dynastie
Wodeyar qui fut reconstruit en 1912 dans
toute la splendeur mêlée des styles
indo-gothique ou indo-sarrazin sur les
ruines d’un ancien palais qu’un incendie
avait détruit en 1897, cette région du sud du
Deccan formant aujourd’hui l’état du
Karnataka a vu, au cours des siècles passés,
se succéder des dynasties puissantes qui ont
laissé des œuvres architecturales
magistrales, ambitieux témoignages de leur
règne prospère.
Les temples de Belur,Halebid (Halebeedu)
et Somnathpur sont de véritables joyaux
d’architecture que la dynastie raffinée des
souverains Hoysala, patrons des arts et de la
culture, nous a laissés en héritage.
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Situé sur la rive gauche de la rivière
sacrée Kaveri (ou Cauveri), le temple de
Somnathpur qui est le seul a avoir conservé
ses trois tours ou sikharas, donne l’idée la
plus complète de ce que furent à l’origine ces
temples édifiés au 12ème siècle sur une
grande plate-forme en forme d’étoile. Ma
préférence va cependant à ceux d’Halebid et
de Belur situés à quelque 150 kilomètres au
nord de Mysore, pour l’abondance et la
diversité de leurs sculptures et pour le
travail raffiné de la statuaire.
Situé dans un vaste jardin parsemé de
bosquets d’hibiscus et planté d’arbres
majestueux, le temple Hoysaleswara
d’Halebid est dédié à Shiva. Les rayons du
soleil de l’après-midi mettent en lumière la
partie occidentale de sa façade la plus
richement sculptée. Tout autour du temple
court une frise d’éléphants, tous différents,
qui occupent la plinthe inférieure,
surmontée par celle des lions, puis des
chevaux et des cavaliers. Comme une
alliance conjuguée de la force, du courage et
de la vélocité de l’esprit.
C’est un livre d’images gravées dans la
pierre qui s’ouvre pour nous faire pénétrer
dans la complexité des mythes shivaïtes et
d’une cosmogonie où Vishnu et ses
incarnations sont les protagonistes. Les
avatars de Vishnou qui occupent une
grande place dans la statuaire des Hoysala
côtoient les représentations de Shiva, de
Ganesha dansant ou de Ravanna soulevant
le mont Kailash... Ici, Shiva accomplit sa
danse virile du Tandava après avoir tué le
féroce démon-éléphant (Gajasuramardin),
là, il repose tranquillement monté sur le
taureau Nandi aux côtés de la déesse
Parvati, plus loin, il interprète sa fascinante
danse cosmique du Nataraja… En effet,
initialement imprégnés de la tradition Jaïn
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Temple de Belur édifié au 12ème siècle.
les rois Hoysala, qui se seraient convertis à
l’hindouisme Vishnouite sous l’influence du
maître et philosophe Ramanuja, furent
d’éminents lettrés et des hommes de
culture qui prônaient, à l’instar des grands
esprits, une vision universelle de la pensée
religieuse, où chaque divinité du panthéon
avait sa place, ses symboles et son rôle à
jouer.
A Belur, première capitale de l’empire
Hoysala, la statuaire du temple de
Chennakeshvara, dont l’édification se
termina en 1117, est fascinante en raison de
la délicatesse du travail de la pierre de
schiste noir ciselée qui ressemble à des
ouvrages d’orfèvres. La reine Shantala Devi,
épouse du souverain Vishnuvarnadharma,
éminente musicienne et ravissante
danseuse du royaume a, à coup sûr, inspiré
aux architectes-sculpteurs les figures
gracieuses et sensuelles des divines
Madanikas qui prennent les poses les plus
élégantes, telle la posture au triple déhanché
ou « tribhanga »… Les plus remarquables
de ces petites figures exaltant la féminité,
finement sculptées en haut des corniches et
tout autour du temple, sont celles de la dame
au miroir (darpanasundari) et de l’héroïne
devisant avec son perroquet posé sur sa
paume. A l’intérieur, le hall ou Navaranga,
abritant d’immenses colonnes parfaitement
rondes et lisses en stéatite noire, ouvre vers le
sanctum sanctorum ou garbhagriya où
réside le maître des lieux, VishnuChennakeshvara, que les prêtres honorent en
présence des fidèles à certaines heures
particulières.
Et comme je prenais le temps d’observer
les détails et de photographier minutieusement chacune de ces figures en fonction du
jeu évolutif des lumières, il m’arrivait de
tendre l’oreille vers les commentaires des
guides officiels reconnus par le gouvernement et l’Archeological Survey of India.
Réellement très instruits en matière
d’histoire de l’art, ces guides avaient le don de
s’exprimer dans des langues différentes dont
je tentais de saisir le sens… D’autres guides,
accompagnant les circuits des groupes de
touristes étrangers se contentaient d’énoncer
quelques banalités, ou pire, affirmaient leurs
sottises sur un ton péremptoire.Devant le plus
magistral des Shiva dansant, j’entendis l’un
deux déclamer en anglais à ses ouailles venues
d’Italie : « Yes, Shiva is always drunk ! » ( « Oui,
Shiva est toujours saoul ! »). Commentaires et
fous rires allèrent bon train!... Ineptie verbale
ou sacrilège pour l’intelligence de nos pauvres
amis latins qui, réjouis sur le moment, mais
victimes d’une ignorance crasse, risquent de
colporter la mauvaise nouvelle à leur retour !
Le lendemain, je revenais au temple dès
l’ouverture et choisissais l’un des guides
patentés qui avait la veille dévoilé à merveille
le sens de certaines de ces représentations
infiniment complexes, et qui me
demeuraient parfois encore un peu
hermétiques. J’eus avec lui des échanges
magnifiques et nous convenions d’un
rendez-vous le lendemain matin pour visiter
d’autres sites moins connus, et certes plus
modestes, situés en dehors des grands
chemins touristiques dans la campagne où
les rizières dessinent des carrés magiques
d’une verdeur franche et resplendissante. ■
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