REMERCIEMENTS

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REMERCIEMENTS
REMERCIEMENTS
Je tiens tout particulièrement à remercier mon directeur de mémoire, Madame Marot, pour
sa disponibilité, ses conseils et son soutien qui m’ont permis d’enrichir ce mémoire tout au
long de l’année.
Je remercie infiniment les parents qui ont accepté de répondre à mes questions : merci pour
la confiance qu’ils m’ont accordé, leur disponibilité et leurs témoignages qui ont nourri et
enrichi tout mon travail de recherche.
Je tiens également à remercier ma responsable de stage au Centre de Réadaptation Marie
Enfant à Montréal, Madame Marleau, qui m’a aidé à affiner mon sujet de recherche.
Je remercie Thomas, mon fiancé, qui m’a soutenu au quotidien.
Je remercie enfin ma famille et mes amis, pour leurs encouragements et leurs critiques qui
m’ont aidé à améliorer ce projet de recherche.
1
SOMMAIRE
INTRODUCTION…………………………………………………………………………………………….6
PARTIE THEORIQUE………………………………………………………………………………………….9
I. Le Handicap mental……………………………………………………………………………………………….9
A. Qu’est-ce que le handicap mental ?.........................................................................9
B. Les fantasmes suscités par le handicap : une approche psychanalytique …………..11
B.1. La procréation interdite………………………………………………………………………………11
B.2. Une filiation fautive…………………………………………………………………………………….11
B.3. La figure terrifiante de Méduse…………………………………………………………………..12
B.4. La recherche d’une causalité du handicap…………………………………………………..13
C. Quelques aspects de la Trisomie 21……………………………………………………………………14
C.1. Description clinique…………………………………………………………………………………….14
C.2. Evaluation anténatale du risque………………………………………………………………….15
C.3. Atteinte de la vie sociale de l’enfant……………………………………………………………16
II. Parentalité : être parent……………………………………………………………………………………….16
A. La grossesse ………………………………………………………………………………………………………16
A.1. Le désir d’enfant…………………………………………………………………………………………17
A.2. La transparence psychique de la grossesse ………………………………………………..18
A.3. La préoccupation maternelle primaire………………………………………………………..18
B. Approche conceptuelle du processus de parentalité………………………………………….19
B.1. Définitions…………………………………………………………………………………………………..19
B.2. Le développement de la parentalité ou parentification……………………………….21
B.2.1. Confrontation de l’enfant imaginaire, soutien du narcissisme parental,
avec l’enfant réel………………………………………………………………………………………….21
B.2.2. L’enfant fantasmatique………………………………………………………………………22
B.2.3. La transmission transgénérationnelle…………………………………………………23
B.2.4. Influence de ces transmissions sur les interactions parent-enfant………24
B.2.5. Le narcissisme primaire, attaqué par l’annonce du handicap……………..25
B.3. Les 3 axes de la parentalité, selon D.Houzel……………………………………………….27
B.3.1. L’exercice de la parentalité…………………………………………………………………27
B.3.2. L’expérience de la parentalité…………………………………………………………….27
B.3.3. La pratique de la parentalité………………………………………………………………28
2
III. Le parent et l’enfant handicapé……………………………………………………………………………30
A. L’annonce du diagnostic…….………………………………………………………………………………30
A.1. Le choc traumatique……………………………………………………………………………………30
A.2. Mécanismes de défense et d’adaptation chez le parent d’enfant atteint de
handicap mental………………………………………………………………………………………………..32
A.3. Un mécanisme de défense particulier : le « mythe de survie » des parents
(Gaillard)……………………………………………………………………………………………………………36
A.4. Un cycle de vie de famille arrêté…………………………………………………………………37
B. La qualité de l’annonce du handicap comme facteur essentiel…………………………..37
B.1. Caractéristiques de la qualité de l’annonce…………………………………………………39
B.1.1. A qui le dire ……………………………………………………………………………………….39
B.1.2. A quel moment faut-il l’annoncer aux parents……………………………………40
B.2. La clarté ou non du diagnostic…………………………………………………………………….40
PARTIE CLINIQUE……………………………………………………………………………………………42
IV. Le contexte de la recherche………………………………………………………………………………….42
A. Origine du sujet………………………………………………………………………………………………….42
B. Lieux de recueil des données……………………………………………………………………………..44
C. Constitution de la population…………………………………………………………………………….44
D. Considérations éthiques et déontologiques……………………………………………………….45
E. Hypothèses de la recherche……………………………………………………………………………….48
V. Matériel clinique et déroulement de la recherche………………………………………………..49
A. L’entretien semi-directif………………………………………………………………………………………49
A.1. Rappels……………………………………………………………………………………………………….49
A.2. Guide d’entretien……………………………………………………………………………………….50
A.3. Traitement des données…………………………………………………………………………….51
B. L’Indice de Stress Parental……………………………………………………………………………………52
VI. Résultats de la recherche……………………………………………………………………………………..54
A. Analyse des résultats………………………………………………………………………………………….54
A.1. Analyse thématique des entretiens cliniques……………………………………………..54
A.1.1. Thèmes centrés sur le handicap et les processus de parentalité…………54
A.1.2. Thèmes centrés sur la clarté du diagnostic…………………………………………67
A.1.3. Thèmes centrés sur l’annonce……………………………………………………………71
A.2. Analyse des mécanismes de défense………………………………………………………….80
B. Discussion…………………………………………………………………………………………………………84
B.1. Interprétation des résultats………………………………………………………………………..84
3
B.2. Limites de la recherche……………………………………………………………………………..90
B.3. Ouvertures de la recherche……………………………………………………………………….91
CONCLUSION…………………………………………………………………………………………………………………..93
BIBLIOGRAPHIE……………………………………………………………………………………………………………….95
ANNEXES…………………………………………………………………………………………………………………………99
4
« Comment raconter l’indicible ?
Tu vas entendre le récit d’une souffrance égale à la mort…
Ô nouvelle que l’esprit ne peut accueillir et ne peut fuir ! »
SOPHOCLE
5
INTRODUCTION
Notre intérêt pour le handicap et son impact sur l’équilibre familial s’est affiné ces
deux dernières années. Ce projet de mémoire est le fruit d’une réflexion issue des stages
cliniques qui nous ont permis de côtoyer de nombreux enfants handicapés (moteurs et/ou
mentaux) ainsi que leurs parents.
Mais c’est au cours d’une conversation passionnante avec une mère, lors d’un stage
clinique que nous avons effectué à Montréal auprès d’enfants handicapés, que notre sujet
d’étude a réellement émergé. Celle-ci nous faisait part de son expérience traumatique à
l’étranger au cours de laquelle on lui a annoncé, en l’absence de son conjoint, et plusieurs
semaines après la naissance, le diagnostic de trisomie de son fils. Confrontés à cette
situation à laquelle ils n’étaient certainement pas préparés, les médecins n’avaient pas osé
émettre leurs doutes auprès du couple, et avaient évité cette annonce trop douloureuse afin
de se dégager des émotions désagréables que le bébé provoquait en eux. Les médecins,
croyant bien faire, avaient ensuite laissé la mère seule, dans sa chambre. Notre conversation
s’est alors orientée sur le manque d’accompagnement, dans certains services, des parents à
la naissance d’un bébé porteur d’un handicap.
Puis, c’est en menant une réflexion avec notre maître de stage, psychologue au sein du
Centre de Réadaptation Marie-Enfant de l’hôpital Sainte-Justine, sur les annonces de
diagnostics que nous transmettions aux parents en consultation, que notre projet a peu à
peu mûri. Nous avons été, en effet, particulièrement exposés à leurs réactions face à
l’annonce du diagnostic de leur enfant. D’autres parents nous ont livrés des témoignages
troublants sur l’annonce qui leur avait été faite dans les services de néonatalogie.
Ayant trouvé peu d’études sur ce sujet de recherche, nous nous sommes ainsi interrogés
sur la façon dont les modalités de l’annonce du handicap de l’enfant pouvaient avoir un
impact significatif sur le vécu psychique des parents, et donc sur l’acceptation du handicap.
6
Tous les mots, les paroles prononcées par les médecins par rapport au handicap de leur
enfant restent gravés à jamais dans la mémoire des parents, et joueront un rôle dans les
futures interactions parent-enfant.
C’est pourquoi, après avoir longtemps voulu axer notre projet de recherche sur
l’impact du handicap des enfants sur leur vécu, nous nous sommes tournés vers leurs
parents, dont on oublie non pas la souffrance psychique, mais celle qui a émanée de
l’annonce du handicap qui leur a été faite.
Ainsi avons-nous dirigé la problématique de notre recherche sur le vécu psychique des
parents face à l’annonce du diagnostic et son impact sur les processus de parentalité.
L’hypothèse principale de notre étude est : « L’annonce du handicap de l’enfant impacte de
façon significative les processus de parentalité. Plus particulièrement, les modalités de
l’annonce du diagnostic bouleversent le parent, entraînant des répercussions psychologiques
chez ce dernier ». Afin d’infirmer ou de confirmer cette hypothèse, nous avons établi une
population de parents d’enfants porteurs d’un handicap mental, dont certains ont un
diagnostic précis (dans le cadre de cette étude, la trisomie 21) et d’autres, un syndrôme
neurologique dont l’étiologie est encore inconnue.
Ce projet permettra d’apporter un éclairage des répercussions de l’annonce du
diagnostic sur les processus de parentalité, et ainsi d’amener progressivement à une prise de
conscience par les équipes médicales du poids des mots et de l’importance du cadre de
l’annonce d’un tel évènement. Ce mémoire de recherche pourrait ainsi amener de nouvelles
perspectives concernant la formation des équipes de néonatologie au sein de ces services, et
amènerait un éclairage significatif pour les psychologues et les médecins.
Afin de répondre aux objectifs que nous nous sommes fixés, nous développerons cette
étude en trois temps :
Nous ferons tout d’abord une analyse théorique des thèmes relatifs à notre sujet de
recherche, ce qui nous apportera un éclairage du handicap mental, des processus de
parentalité et des particularités du fonctionnement psychique parental à l’annonce
bouleversante du handicap de l’enfant.
Nous nous attacherons en deuxième partie à présenter nos hypothèses de recherche,
ainsi que la méthodologie de l’étude, les outils retenus.
Nous achèverons cette étude par une analyse détaillée et une discussion des
7
résultats observés afin de confirmer ou d’infirmer nos hypothèses cliniques et de proposer
de nouvelles perspectives de recherche.
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PARTIE THEORIQUE
I. Le Handicap mental
A. Qu’est-ce que le handicap mental ?
La façon dont on a abordé le handicap a fortement évolué depuis vingt ans (Chapireau,
Constant et Durand, 1997). Auparavant, le diagnostic de handicap allait de pair avec une
invalidité irrémédiable.
Aujourd’hui, il est considéré comme un état non plus fixé, mais comme un « processus
multifactoriel, dynamique, et sans rapport exclusif avec le diagnostic initial » (Schauder,
Durand, 2004, p609). Une classification internationale de mai 2001 (l’O.M.S) a élargi
l’appellation de handicap à la « classification internationale du fonctionnement, du handicap
et de la santé » (Schauder, Durand, 2004, p610).
Néanmoins, le mot « handicap » est toujours source de nombreuses confusions. Il
désigne, sans différenciation claire, la cause (malformation, anomalie organique, maladie…)
mais aussi la conséquence (fait d’être écarté de la norme). Le mot « handicap » est récent. Il
rassemble aujourd’hui « des atteintes au corps ou à l’esprit qu’il ne serait venu à l’idée de
personne de mettre sous le même vocable, il y a seulement soixante ans. Le handicap est une
nouvelle figure historique de l’infirmité » explique H.J Stiker (Stiker, 1991). Même si le mot
handicap apparaît au début du 20e siècle, il ne sera utilisé qu’à partir des années soixante,
dans son sens médico-social actuel. Il a donc pris une importance accrue depuis quarante
ans.
Avec le terme handicap, un nouveau champ regroupant différentes pathologies et
atteintes s’est constitué et « qui correspond à un mode de prise en charge et à des stratégies
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sociales de la société occidentale contemporaine. C’est un champ qui a tendance à s’étendre
et à englober des situations nombreuses et variées, de plus en plus hétérogènes (…) Ces
changements s’inscrivent dans une histoire sociale et un rapport de forces politiques. »
(Sausse, 1996, p85).
Selon M. Cuilleret, la déficience mentale est « un ensemble de difficultés touchant de
façon spécifique les sphères neurocentrales et intellectuelles. Elle influe sur le développement
intellectuel de la personne, sur le développement de la personnalité dans les domaines
intellectuels, psychoaffectifs et comportementaux. Les atteintes sont sélectives. Elles sont
irréversibles et n’ont pas d’origine génétique directe. » (Cuilleret, 2007, p16) Les étiologies de
la déficience mentale sont multiples : chez l’enfant, « les étiologies les plus fréquentes sont
les troubles de la maturation fœtale, les accidents d’accouchements (cyanoses, anoxie), les
accidents néo-nataux et les maladies de la petite enfance : méningites, accidents
cérébraux… » (Cuilleret, 2007, p16). Les conséquences associées peuvent être « des automutilations, des obsessions, des angoisses, des difficultés relationnelles… » (Cuilleret, 2007,
p16).
Il est important de souligner que, quels que soient les systèmes de classification, il y a un
consensus sur le fait qu’un diagnostic de retard mental ne peut être énoncé qu’en présence
de trois critères fondamentaux :
- des limitations significatives du fonctionnement intellectuel ;
- des limitations significatives du fonctionnement adaptatif ;
- l’apparition de ces limitations durant la période de développement (avant 18 ans).
Le DSM IV spécifie 4 degrés de sévérité différents dans le retard mental : le niveau léger (QI
de 50-55 à 70), le niveau moyen (QI de 35-40 à 50-55), le niveau sévère (QI de 20-25 à 35-40)
et enfin le niveau profond (inférieur à 20-25).
La courbe de Gauss (courbe normale divisée en fonction des classifications d’intelligence)
définit la déficience intellectuelle à un QI de 69 et moins. En dessous, il est pourtant difficile
de discriminer la déficience intellectuelle. C’est pourquoi la description statistique situe la
déficiente intellectuelle (QI de 69 et moins) comme « extrêmement faible ».
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B. Les fantasmes suscités par le handicap : une approche psychanalytique
« Le handicap choque, surtout celui, insupportable, scandaleux, du petit enfant. » (Sausse,
1996, p7)
B.1. La procréation interdite
Pour les parents, inscrire l’enfant dans la généalogie peut se révéler être une expérience
très difficile. Mais il est encore plus douloureux et difficile pour ces parents d’imaginer que
leur enfant puisse, à son tour, procréer. « Le handicap, surtout celui qui est dû à des
anomalies du patrimoine génétique, suscite une idée d’étrangeté telle que ce serait comme
une mutation » (Sausse, 1996, p126). En effet, même si l’on a pu constater ces dernières
années une évolution des idées quant à la sexualité des personnes handicapées, la notion de
procréation reste effrayante. Les parents sont confrontés à des images intolérables et les
professionnels à des réflexions éthiques complexes. Comment réagir, quel rôle doit adopter
le parent face au désir de leur fille trisomique d’avoir un enfant ? Les conséquences
psychologiques sont nombreuses pour celui ou celle qu’on empêche d’avoir un enfant (par
une contraception forcée par exemple). Cela met en jeu des mouvements affectifs et
éthiques délicats chez les médecins et les parents. « (…) cela revient, d’une part, à dire à une
femme trisomique qu’elle ne doit pas avoir d’enfants parce que cet enfant risque d’être
trisomique et donc que les trisomiques, c'est-à-dire elle-même, ne devraient pas exister, et
d’autre part, c’est lui signifier son incapacité à être parent » (Sausse, 1996, p126).
B.2. Une filiation fautive
L’enfant atteint d’un handicap confronte violemment les parents la question de la
filiation. D’où vient cette imperfection ? Cette question se pose inéluctablement dans le
couple, qui se rejette la faute ou se mure réciproquement dans un silence complet. Le
traumatisme atteint plusieurs générations : les grands-parents se questionnent sur l’origine
du handicap de leur petit-fils ou petite-fille. On observe souvent que les parents éprouvent
une grande peur à l’idée de leur annoncer le handicap de leur enfant, car il évoque l’idée
d’hérédité. « Cette difficulté est liée à ces fantasmes de procréation fautive : une conception
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incestueuse ou monstrueuse qui remonte les générations et met en cause les grandsparents. » (Sausse, 1996, p127). Les géniteurs de cet enfant anormal, se questionnant sur
l’origine de l’enfant, tentent d’imaginer ce qui a pu en eux donner naissance à ce bébé, ce
qui ébranle ainsi le fantasme de la scène primitive. De nombreux sentiments se mêlent à ce
questionnement : malaise, honte, déchéance… « Les fantasmes relatifs à la conception de
l’enfant, ce que les psychanalystes appellent le fantasme de la scène primitive, sont vivement
sollicités et profondément bouleversés par le handicap de l’enfant. » (Sausse, 1996, p128). Le
désir parental est ainsi mis à mal par ce bébé malformé. Comment admettre en effet que ce
bébé, qui a été désiré si fort par ces parents, soit porteur d’une difformité ? Selon Sausse, la
naissance d’un enfant mobilise constamment un fantasme inconscient d’ordre sexuel et
incestueux. L’enfant est celui du désir œdipien : il est l’enfant que les parents imaginaient
concevoir avec leur père ou leur mère lorsqu’ils étaient enfants. Or, « la présence d’un
handicap donne un support objectif à ce fantasme et à cette culpabilité. Ce qui devait rester
de l’ordre du secret s’inscrit dans la réalité tangible et visible du corps de l’enfant qui est mis
au monde. » (Sausse, 1996, p128). Si tout enfant qui naît révèle la sexualité des parents, ce
bébé étrange attesterait d’une sexualité anormale.
B.3. La figure terrifiante de Méduse
« Lors de cette première phase qui suit le choc traumatique, face au diagnostic
insupportable, les parents sont comme pétrifiés. » souligne Sausse (Sausse, 1996, p34).
« Pétrifiés comme l’étaient ceux qui, dans la mythologie grecque, devaient regarder de face
la figure terrifiante de Méduse. » (Sausse, 1996, p34). Ainsi compare-t-elle la « découverte
d’une anomalie chez l’enfant à une épreuve analogue : voir le visage de la Méduse.
Contraints de regarder en face ce qui ne saurait se voir, ils sont pétrifiés ou détournent le
regard. » (Sausse, 1996, p34). Cela n’est qu’à travers le regard des autres, comme Persée
l’avait fait avec son bouclier poli comme un miroir, que la confrontation d’une mère avec
l’horreur du handicap peut se rompre. Aucune représentation ne donne forme à un
évènement aussi catastrophique. Celles qui viennent à l’esprit sont tellement insoutenables
qu’elles sont aussitôt refoulées, afin de se protéger contre les représentations innommables
qui submergent les parents. « Réduites au silence, remisées dans l’inconscient, elles
constituent une source d’angoisse d’autant plus difficile à maîtriser qu’elle n’avoue pas son
origine. » (Sausse, 1996, p35).
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B.4. La recherche d’une causalité du handicap
« Le scandale de la naissance d’un enfant anormal confronte les parents (…) à la question
de l’absurde. » (Sausse, 1996, p108) Elle est intolérable et humiliante pour les parents. Ainsi,
« Désigner une cause, c’est donner sens à l’impensable, ramener l’égarement de la nature
dans la rationalité et reconduire l’absurde à l’intérieur d’une logique. » (Sausse, 1996, p108)
Lorsque l’enfant a un diagnostic d’étiologie inconnue, les parents sont destitués de leur rôle
de parent et cela engendre une rupture dans la filiation. C’est pourquoi les parents vont
s’engager dans la quête d’une explication, d’une étiologie qui expliquerait cette étrangeté.
Les enfants vont alors faire l’objet de multiples consultations et examens médicaux. « Ils
cherchent une cause connue, précise, objectivable, organique. Tout est mieux que
l’incertitude (…) qui laisse la porte ouverte aux fantasmes concernant une faute imaginaire. »
(Sausse, 1996, p109)
Ainsi pourrait-on comprendre davantage les angoisses de certains parents à qui l’on a
annoncé un diagnostic imprécis, sans étiologie connue. Parce que les parents savent où
trouver de l’information (professionnels spécialisés, associations, publications…), un
diagnostic connu est en général mieux accepté par les parents qu’un handicap imprécis, qui
peut nourrir une ambivalence.
C. Quelques aspects de la trisomie 21
En effet, nous avons décidé, dans le cadre de nos entretiens semi-directifs, d’interviewer
des parents d’enfants porteurs de trisomie 21. Nous considérons cette maladie génétique
comme un diagnostic précis, puisque l’étiologie est connue : une anomalie dans la mutation
des gênes amène un troisième chromosome sur la paire 21. Comme nous l’expliquerons plus
tard, nous avons tenté d’analyser les différentes répercussions chez le parent selon que le
diagnostic de l’enfant est précis, d’étiologie connue, ou flou, d’étiologie inconnue.
C’est pourquoi cette partie nous a paru intéressante à développer afin de comprendre les
enjeux de la Trisomie 21.
C.1. Description clinique
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C’est le médecin britannique John Langdon Down qui pour la première fois décrit en
1866 le syndrome de la Trisomie 21 (ou syndrome de Down). Il y classe ces sujets selon des
caractéristiques physiques et ethniques et décrit de façon détaillée cette maladie qu’il
appelle « idiotie mongoloïde » (Down, 1866, p261). Il établit ainsi une comparaison entre les
enfants atteints de cette maladie et une catégorie raciale et explique ces traits, dans les deux
cas, par une dégénérescence.
Ce sont les médecins M. Gautier, R. Turpin et J. Lejeune qui vont publier en 1959 un
article, décrivant que la maladie est causée par la présence d’un chromosome
supplémentaire sur la 21e paire. La trisomie 21 est une maladie chromosomique congénitale.
C’est la première fois qu’une anomalie génétique est décrite chez l’homme.
Les signes cliniques de cette maladie sont nets : un retard mental, accompagné de
modifications morphologiques spécifiques. Concernant la psychomotricité, les acquisitions
sont retardées (marche vers 2 ans, apparition du langage plus tardive). Le développement
des aptitudes affectives et sociales est dans la majeure partie des cas, normal.
La trisomie 21 est une des maladies les plus transmises génétiquement, avec une
prévalence de 9,2 pour 10 000 naissances aux Etats-Unis. Il y a une incidence d’environ 1
pour 800 naissances, toutes grossesses confondues, elle varie selon l’âge de la mère : 1 sur
1500 à 20 ans, 1 sur 900 à 30 ans, 1 sur 100 à 40 ans. On estime qu’il y a en France 65 000 à
70 000 personnes atteintes de trisomie 21. L’un des traits majeurs est le déficit mental, mais
le quotient intellectuel varie de façon importante d’un enfant à l’autre. D’autres
malformations congénitales existent (cardiopathies…) mais qui varient aussi selon les sujets.
Environ 30% des individus souffrent de complications « orthopédiques » nécessitant une
hospitalisation (au niveau des hanches par exemple) et le pourcentage devrait augmenter au
prorata de l’allongement de l’espérance de vie. Les anomalies musculo-squelettiques sont
souvent source de complications.
Concernant la croissance de l’individu, la taille définitive est généralement inférieure à la
moyenne. L’adolescence et la puberté sont des périodes qui vont, comme chez les autres
adolescents, engendrer des comportements affectifs et sexuels. Ils demanderont à être
accompagnés, soutenus par les adultes. Des groupes de parole encadrés par un
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professionnel peuvent permettre au sujet de construire son identité d’adolescent et
d’adulte.
C.2. Evaluation anténatale du risque de la maladie
Parce que la trisomie 21 est la plus fréquente cause de retard mental (elle représente
25% des handicaps mentaux chez les enfants d’âge scolaire), un examen de dépistage peut
être réalisé afin d’évaluer le risque de trisomie 21, et décider d’une ponction ou non. En
effet, l’évaluation permet aux parents de décider, lorsque le risque s’avère élevé, d’une
amniocentèse pour établir le diagnostic. Le seuil de tolérance est arbitraire, la recherche
montre qu’il est encore difficile de comparer le risque de tuer un fœtus sain avec le risque de
permettre la naissance d’un enfant porteur de trisomie 21. Les examens de dépistage se font
en fonction de plusieurs paramètres cliniques (population à haut risque, population dont le
risque est jugé bas).
Certains signes cliniques peuvent être repérés à l’échographie durant la grossesse : au
premier trimestre, le marqueur échographique utilisé est la clarté nucale. La technique de
mesure répond à des critères précis. Un autre marqueur échographique existe, mais la
mesure est plus délicate : l’os propre du nez. Biologiquement, des substances telles que
l’HCG et le PAPP-A (pregnancy-associated plasma protein A) sont utilisées pour détecter la
maladie.
Au second trimestre, il n’y a aucun signe échographique qui soit symptomatique de la
trisomie 21. Cependant, on peut mettre en exergue un certain nombre d’anomalies
mineures (hypoplasie, épaisseur de nuque, fémur court, écartement entre le premier et le
deuxième orteil, langue protruse, cinquième doigt plus court…) et majeures (malformations
cardiaques, sténoses digestives) qui se rencontrent plus fréquemment dans la trisomie.
Biologiquement, le dépistage se fait entre 14 et 17 semaines d’aménorrhée : les marqueurs
que l’on utilise sont l’alpha-foetoprotéine et l’HCG libre.
Le diagnostic en lui-même de la trisomie 21 ne peut se faire qu’en mettant en évidence le
chromosome 21 supplémentaire par le caryotype. Au premier trimestre, on peut prélever du
trophoblaste entre 11 et 14 semaines. Au delà, le risque d’avortement iatrogène est trop
important. Avant cette période, le risque est de 1%, comme pour l’amniocentèse. Il faut
15
ensuite ponctionner du liquide amniotique afin d’examiner les cellules du fœtus. Lorsque
l’accouchement est proche, une ponction de sang fœtal (du cordon ombilical) est faite afin
de réaliser le caryotype. Il faut quelques jours pour obtenir le résultat, contrairement à
l’amniocentèse, qui requiert plusieurs semaines.
C.3. Atteinte de la vie sociale de l’enfant
Les personnes atteintes de trisomie 21 sont en effet victimes de leur retard mental, mais
davantage encore du regard inquiet ou malveillant que l’on peut porter sur leur anomalie.
Pourtant, le besoin de développer une vie sociale et affective est présent comme chez
n’importe qui. Il est important pour les familles de recevoir un encadrement par des
professionnels afin de stimuler au mieux les capacités intellectuelles et physiques du sujet
(rééducations psychomotrices, orthophoniques, kinésithérapiques...). La recherche a montré
que la fréquentation (autant que possible) des écoles ordinaires et d’enfants dits
« normaux » peut avoir un effet très positif et être stimulant sur le plan intellectuel, pour les
enfants porteurs de trisomie. Adultes, l’évolution des personnes atteintes de trisomie est
variable, certains travaillent dans des ESAT (Etablissement et Service d’Aide par le Travail),
d’autres parviennent à obtenir un emploi dans la vie active. L’espérance de vie de ces
individus aujourd’hui est quasiment normale.
II. Parentalité : être parent
La naissance d’un enfant bouleverse les rôles : le couple conjugal devient couple
parental : les rôles deviennent fondamentalement différents et impliquent de nombreux
enjeux. Devenir parent suppose des réajustements psychiques importants et ce processus
de parentification s’accompagne d’une crise identitaire et narcissique.
A. La grossesse
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A.1. Le désir d’enfant
Le désir d’enfant est inscrit en chacun de nous depuis l’enfance. Il permet d’accéder à
la parentalité car l’enfant rassure les parents sur leur identité.
De nombreux psychanalystes et psychologues systémiciens se sont questionnés sur la
façon dont se développe le désir d’enfant chez les hommes et les femmes. Houzel souligne
qu’une part instinctuelle (« L’amour maternel est (…) probablement aussi vieux que
l’humanité. » (Houzel, 2008, p134)) ainsi qu’une part culturelle (tout ce qui est acquis)
semble toutes deux jouer leur rôle.
Selon Brazelton et Cramer, « le désir d’être parent précède le désir d’enfant. Ces deux
impulsions naissent de la créativité présente en tout être humain. » (Brazelton, Cramer,
1991, p22).
Le désir d’être parent est celui de conquérir la puissance de ses propres parents.
Freud souligne lui, que le désir d’enfant provient de l’amour narcissique. Par ailleurs,
il s’inscrit dans la résolution du complexe d’Œdipe. La petite fille, forcée de constater la
différence des sexes et son absence de pénis, déplace de la mère vers son père son
investissement libidinal et espère recevoir de son père un enfant, à défaut d’un pénis. La
mère devient objet de rivalité et le père objet d’amour. Cependant, la petite fille va vite
devoir renoncer à ses désirs incestueux à cause des menaces imaginaires de la mère. Elle va
alors différer son désir d’enfant sur un futur partenaire masculin. Pour la femme, le désir
d’enfant prend ainsi racine dans sa propre enfance. Le petit garçon, lui, constatant la
différence des sexes et confronté à l’angoisse de la castration, doit renoncer « à ses désirs
de posséder sa mère et de lui faire un enfant, et les déplace sur un futur partenaire féminin. »
(Houzel, 2008, p135).
Les systémiciens ont décrit le désir d’enfant en tant que dette de vie : les parents donnent la
vie à un individu, créant ainsi une dette dont il doit s’acquitter en devenant parent : « Le seul
fait de les quitter physiquement et surtout psychiquement en s’engageant dans un processus
d’individuation crée cette dette. L’individu doit, par loyauté et pour rembourser sa dette à
l’égard de la génération précédente, devenir à son tour un parent créditeur en transmettant
la vie qu’il a reçue. » (Houzel, 2008, p137)
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A.2. La transparence psychique de la grossesse, de M. Bydlowski
Ce fonctionnement psychique maternel spécifique, décrit par qui commence dès les
premières semaines de la grossesse, se caractérise par une grande perméabilité de
l’inconscient refoulé : les souvenirs qui étaient enfouis affluent à la conscience, les
résistances psychiques habituelles étant beaucoup moins actives. « Il n’est pas rare de
rencontrer des femmes qui sont dans une sorte d’état de transe remémorative faisant penser
à un créateur à l’œuvre. » (Bydlowski, 1995, p1895)
Cette période est marquée par un surinvestissement de l’histoire personnelle de la future
mère et des remémorations infantiles. Des fantasmes régressifs, des reviviscences
archaïques, préœdipiennes apparaissent à la conscience. Pour chacune des femmes, ces
fantasmes sont caractérisés par une monothématique. La grossesse est « le lieu privilégié de
résurgences des traumatismes passés » (Missonnier, S. Serge Lebovici, le prénatal et le
multimédia, Portail de la Société Psychanalytique de Paris) (comme des viols, des abus
sexuels, des remémorations de deuils anciens…) « Cette vulnérabilité maternelle, par
réactualisation des conflits enkystés, se conjugue certes en terme de crise, c'est à dire de
mise à l'épreuve et de possibles fragilisations mais, tout autant et simultanément, en termes
de potentialités créatrices, source de réaménagements psychiques structurants » souligne
Missonnier. (Missonnier, S. Serge Lebovici, le prénatal et le multimédia, Portail de la Société
Psychanalytique de Paris)
Durant cette période, la future maman étant particulièrement centrée sur ellemême, elle n’est pas à même d’aborder des représentations mentales conscientes liées au
bébé à venir.
A.3. La préoccupation maternelle primaire
Par ce terme, D.W. Winnicott décrit cliniquement la période, de quelques mois
précédant la naissance et la suivant immédiatement, durant laquelle la mère est tout
particulièrement « capable de s'adapter aux tous premiers besoins du nouveau-né, avec
délicatesse et sensibilité.» (Winnicott, 1956, p268) C’est « un état qui se développe
graduellement pour atteindre un degré de sensibilité accru et spécialement à sa fin »
18
(Winnicott, 1956, p268) Cet état se caractérise par une sensibilité et une empathie très vive
de la part de la mère aux états psychiques de son bébé. Elle détecterait des signaux de son
enfant qu’elle peut décoder et interpréter avec une grande efficacité. Cet état propre à la
mère a pour fonction d’accueillir le bébé et permet de lui offrir un sentiment continu
d’existence. Il durerait pendant les trois premiers mois qui suivent l’accouchement.
Winnicott compare cet état à un repli narcissique, une dissociation, voire un état schizoïde,
une « folie maternelle temporaire, (…) une maladie normale » (Winnicott, 1956, p.268) dont
la mère se remettra. « Certaines femmes y parviennent avec un enfant et échouent avec un
autre. D’autres ne sont pas capables de se laisser aller à cet abandon. » (Winnicott, 1956,
p.268) Ainsi, Winnicott montre aussi qu’il existe des variations individuelles.
Il se produit ainsi une identification régressive de la mère à son bébé. S. Stoléru note que «
c’est la reconnaissance de la totale dépendance de l’enfant et de son impossibilité à subvenir
lui-même à ses besoins, qui induit le sentiment d’être parent. » (Stoléru, Lebovici, 2003,
p131) F. Tustin évoque même le terme de « gestation psychique » (Tustin, 1972), qui suivrait
la grossesse anatomique, ce qui renvoie à « cette position particulière de l'enfant nouveau-né
en tant qu'objet externe-encore-internalisé. » (Golse, Bydlowski, 1997, p32)
L’enfant ne ressent pas de détresse, sa mère s’adaptant de façon quasi-parfaite à ses
besoins. Elle permet ainsi le maintien de l’homéostasie infantile.
B. Approche conceptuelle du processus de parentalité
B.1. Définitions
Tout d’abord, par parentification, on entend selon S. Stoléru les « processus
psychiques qui se déroulent chez un individu qui devient père ou mère. » (Stoléru, S. (1989)
p113)
C’est ainsi pour décrire et analyser ce processus de parentification que Benedek en
1959, et particulièrement le psychiatre et psychanalyste Racamier, inspiré par les travaux de
G. Bibring, introduit dans un texte de 1961 pour la première fois le terme de parentalité,
mais aussi de maternalité, « pour décrire les transformations de la personnalité et du
fonctionnement psychique d’une mère pendant la grossesse et au début de l’existence de
19
l’enfant. » (Houzel, 2009, p137) Racamier tente dans cet article psychiatrique d’expliquer les
causes psychiques de la psychose puerpérale, qui selon lui ont une explication
psychologique : la maternalité est une phase du développement psychoaffectif, avec ses
failles et ses conflits, un peu à la façon de l’adolescence. Selon Benedek, la parentalité est un
processus de maturation psychique qui se développe chez la mère (maternalité) ainsi que
chez le père (paternalité). Ce processus de maternalité repose sur un socle biologique et
serait intimement lié au développement psychosexuel de la femme ; ce processus pourrait
ainsi ne pas se manifester ou être perturbé.
Houzel voit ce processus comme partie intégrante du développement psycho-affectif
féminin : « c'est-à-dire (…) une phase de l’existence au cours de laquelle le sujet est confronté
à des remaniements identificatoires profonds, qui sont dictés par la reviviscence de conflits
anciens à l’occasion d’une nouvelle phase évolutive de la personnalité. » (Houzel, 2002, p62)
C’est dans les années 1980 que ce néologisme va être de plus en plus utilisé dans la
littérature, pour l’appliquer aux pères autant qu’aux mères, et dans les années 1990 va
même apparaître le terme de « paternalité », après que Carel l’ait évoqué pour la première
fois en 1974.
C. Sellenet décrit la façon dont G. Poussin perçoit la parentalité, c’est à dire à la fois comme
« un besoin quasi-inscrit dans le développement de l’individu (un désir d’enfant), une ligne de
démarcation manifestant le passage de l’enfance à l’âge adulte, un mouvement pouvant
advenir ou non et susceptible de modifications aux différents âges de la vie. » (Sellenet, C.
Essai de conceptualisation du terme parentalité. Portail du conseil général du Loiret)
G. Poussin introduit une idée de mouvement dans la parentalité : « chaque nouvelle
naissance peut ouvrir sur une parentalité tout à fait différente pour un même sujet »
(Poussin, 1993)
M. Lamour et M. Barraco donnent également une définition qui reprend cette idée de
mouvement : « La parentalité peut se définir comme l'ensemble des réaménagements
psychiques et affectifs qui permettent à des adultes de devenir parents, c'est à dire de
répondre aux besoins de leurs enfants à trois niveaux : le corps (les soins nourriciers), la vie
affective, la vie psychique. C'est un processus maturatif. » (Lamour, Barraco, 1998)
20
Après de nombreuses divergences de points de vue concernant l’instinct dans le processus
de parentalité, les psychanalystes et psychologues s’accordent à dire que la parentalité
repose, selon C. Sellenet, « à la fois sur la tendance adulte à nourrir et à protéger l’enfant et
sur l’intériorisation des soins reçus dans l’enfance. (…) la parentalité est donc une épreuve
psychique » (Sellenet, C. Essai de conceptualisation du terme parentalité. Portail du conseil
général du Loiret) dont l’issue est incertaine.
Dans ce champ disciplinaire limité, il n’y avait pas d’ambiguïtés dans le terme parentalité et
son usage restait restreint. Cependant, dû à l’extension de ce néologisme dans les années
1980 et son passage dans le langage de tous les jours, il y a eu une confusion et même une
perte de sens du terme « parentalité ».
Lebovici différencie la parentalité de la parenté, qui concerne le processus de reproduction
au sens biologique, en soulignant : « Avoir un enfant ne signifie pas qu’on en est le parent :
le chemin qui mène à la parentalité suppose qu’on ait “co-construit” avec son enfant et les
grands-parents de ce dernier un “arbre de vie” qui témoigne de la transmission
intergénérationnelle et de l’existence d’un double processus de parentalisation-filiation grâce
auquel les parents peuvent devenir père et mère. » (Lebovici, S. (1999). Présentation de
L’école de la parentalité, conférence de presse vidéo, Starfilm, Paris).
Selon Solis-Ponton, « envisager la parentalité aujourd’hui suppose d’accepter que ce
phénomène humain comporte l’intrication d’éléments biologiques, psychologiques et
culturels. » (Solis-Ponton, L., 2001) C’est une notion paradoxale, puisqu’elle est à la fois
« naturelle sur le plan biologique et du point de vue de l’organisation sociale, mais aussi
extrêmement complexe sur les plans psychique et culturel. Il s’agit, au fond, d’un processus
transgénérationnel à l’origine de l’être humain (…) Devenir père et devenir mère, c’est
franchir les étapes intergénérationnelles pour construire une triade dont le produit est
l’enfant. » (Solis-Ponton, L., 2001)
B.2. Le développement de la parentalité ou parentification
B.2.1. Confrontation de l’enfant imaginaire, soutien du narcissisme parental,
avec l’enfant réel
21
Au moment qui précède et qui suit la naissance, la mère a certaines représentations
de son enfant ; S. Lebovici parle de trois notions importantes : l’enfant imaginaire, l’enfant
fantasmatique et l’enfant mythique. Nous développerons les deux dernières notions dans la
partie suivante.
Selon S. Missonnier, l’enfant imaginaire est « enraciné dans le préconscient, il est le fruit du
désir de grossesse.» (Missonnier, 2005, p110) Selon M.Bydlowski, « Il est celui que chaque
femme, même la plus sincère dans son refus de maternité, vient un jour à désirer. Il est
l’enfant manquant des femmes qui ont accompli leur désir de procréation, mais non leur
désir d’enfant. Il est l’enfant supposé tout accomplir, tout réparer, tout combler : deuils,
solitude, destin, sentiment de perte ». (Bydlowski, 1997, p65). La femme souhaite davantage
la réalisation de son désir infantile le plus tenace qu’un enfant concret. L’enfant qui grandit
dans le corps de sa mère reste d’ordre imaginaire.
Il n’est pas représentable jusqu’au moment de la naissance, que ce soit au niveau du sexe ou
dans son apparence.
Tout au long de la grossesse, de forts sentiments d’attachement vont naître à l’égard de
l’enfant imaginaire. Cet enfant est porteur de tous les espoirs et des craintes parentales. Il a
hérité de l’histoire familiale. Ainsi, l’enfant imaginaire est celui qui a été pensé par ses
parents.
Lors de n’importe quelle naissance, ces représentations relatives au bébé imaginaire vont se
confronter au bébé réel, évènement psychique primordial pour les parents.
Aimer son bébé dès la naissance de celui-ci nécessite un attachement à l’enfant imaginaire,
et une certaine conformité au bébé réel. Mais il arrive que l’enfant se révèle être porteur
d’un handicap : dans ce cas, il n’y a pas de conformité entre le bébé imaginaire et le bébé
réel.
A partir de ce moment là peuvent naître des difficultés relationnelles entre le parent et son
bébé.
Le deuil de l’enfant imaginaire doit être fait par les parents, afin d’adopter l’enfant réel. C’est
une expérience souvent très douloureuse.
B.2.2. L’enfant fantasmatique
22
Lebovici parle également de l’enfant fantasmatique et de l’enfant mythique.
L’enfant mythique « reflète les références culturelles et médiatiques qui enveloppent la
parentalité périnatale et l’éducation de l’enfant. » (Missonnier, 2003, p46)
L’enfant fantasmatique est « inconscient, il est celui des conflits infantiles et des désirs de
maternité incestueux. » (Missonnier, 2003, p46)
L’enfant fantasmatique est la réalisation du complexe œdipien. Il est le produit du désir de
maternité qui s’installe avec les identifications œdipiennes selon Lebovici. Au centre de la
rêverie maternelle et paternelle, « l’enfant fantasmatique constitue la trame des
identifications projectives pré et postnatales des parents » selon S. Missonnier (Missonnier,
S. Serge Lebovici, le prénatal et le multimédia, Portail de la Société Psychanalytique de Paris).
B.2.3. La transmission transgénérationnelle
Les parents qui vont donner la vie sont porteurs de représentations, scénarios plus ou
moins conscients et énonçables, apparus de manière transgénérationnelle dans leur histoire,
et qui seront transmis à leur enfant sans le savoir, en même temps que leur empreinte
biologique. Certains scénarios ne sont pas directement qualifiables. « Ce sont des signifiants
corporels qui viennent manifester que l’inconscient de chacun des parents vient prendre
corps dans l’espace psychocorporel de l’enfant. L’enfant est porteur par avance des aléas
biographiques et libidinaux de ses ascendants immédiats ou plus lointains. Il est le lieu de
projection du capital représentatif de chacun des parents, mais cependant avec une
modulation d’agencement qui va lui donner son caractère unique et spécifique » (Bydlowski,
1997, p67).
La naissance d’un enfant provoque un bouleversement des rôles de chacun des
conjoints. La fille devient mère, le fils, un père. L’accès de ses nouveaux parents à la
parentalité s’accompagne d’une identification à leurs propres parents. Celle-ci entraîne une
réactivation de conflits infantiles : la séparation d’avec le parent doit être pensée à nouveau.
Lebovici souligne que ce renversement de rôle entraîne une crise identitaire et narcissique :
« Pour devenir parent, il est nécessaire d’avoir fait un travail préalable sur soi-même, qui
consiste d’abord à comprendre qu’on hérite quelque chose de ses propres parents. »
(Lebovici, 2002, p8). Ainsi, devenir parent suppose de reconnaître ce que l’on a reçu de ses
23
propres parents, c’est à dire un corpus de processus psychiques, et que l’on transmettra à
ses enfants, outre la parenté biologique. Selon Solis-Ponton et Lebovici, la parentalité,
comme la filiation, est une construction psychique. Ces deux processus, qui sont
complémentaires, se composent de l’histoire infantile, de l’histoire de ses parents et celle de
ses grands-parents.
Chacun doit s’acquitter, comme nous l’avons vu précédemment, de sa dette de vie en
donnant la vie à son tour. Les grands-parents souhaitent voir naître un enfant de leurs
propres enfants. Le parent va opérer une projection narcissique sur l’enfant, une projection
de son enfance. Chaque parent tend à se dupliquer en l’enfant, à travers les transmissions
psychiques qui s’opèrent de génération en génération.
L’enfant qui va naître va ainsi grandir dans un réseau de représentations, scénarios
préexistants. Comme le souligne Lebovici, il est porteur d'un mandat transgénérationnel. Ces
représentations vont lui servir de base à la construction de son identité et de ses valeurs.
Ces transmissions transgénérationnelles ont un impact sur les interactions parent-enfant,
définies par Lebovici.
B.2.4. Influence de ces transmissions sur les interactions parent-enfant
Lebovici souligne que : « L’enfant fait la mère. » (Lebovici, 2002, p30)
Les recherches menées sur les interactions précoces parent-enfant ont insisté sur
l’importance des compétences du nourrisson, qui va entrer en relation avec sa mère et
construire avec elle « comme une sorte de spirale transactionnelle […] où tous deux sont des
participants actifs de la dyade et où chacun exerce une influence sur les réponses de l’autre. »
(Solis-Ponton, 2002, p27)
L’enfant donne ainsi à ses parents un accès à la parentalité, il se construit lui-même en
même temps. Grâce à ses compétences mises en jeu dans ses interactions, il flatte le
narcissisme des parents, qui se sentent père et mère de leur enfant. Comme dans la
métaphore du miroir de Winnicott, le fait d’être regardé par sa mère va donner à l’enfant un
sentiment d’existence, et à la mère un sentiment d’être mère, au travers du regard de son
enfant.
Au travers de ces interactions, les parents vont se représenter l’enfant de façons différentes.
Rappelons, avec Lebovici, que la mère va avoir cinq représentations différentes de son
enfant, avant et après l’accouchement :
24
-le bébé fantasmatique : celui provenant des fantasmes inconscients de la mère et de ses
conflits infantiles refoulés. Le bébé est l’héritier du complexe d’Oedipe de la mère.
-le bébé imaginaire : il est le bébé qui a été pensé par la mère, de façon consciente et
préconsciente. C’est le fruit de son désir d’enfant.
-le bébé narcissique : le bébé investi du narcissisme de ses parents.
-le bébé culturel : celui qui est en lien avec la culture de sa mère
-le bébé réel : l’enfant dans sa corporéité.
Le bébé a des besoins, auxquels les parents vont s’adapter, ou non : ce sont donc bien ces
représentations qui se mêlent et se confrontent dans les interactions avec le bébé réel. A
partir de cette confrontation peut apparaître des difficultés dans les interactions entre le
parent et l’enfant.
Lebovici et Stoleru ont distingué trois sortes d’interactions précoces entre les parents et le
nourrisson : les interactions comportementales, affectives et fantasmatiques.
-Les interactions comportementales désignent principalement les échanges corporels à
travers le holding (maintien physique et psychologique de l’enfant par la mère), le handling
(soins donnés par la mère, accompagnés par la parole) et l’object presenting, notions
décrites par Winnicott, mais également les échanges visuels et verbaux. Ces interactions
s’observent dans les comportements.
-les interactions affectives désignent des échanges affectifs inconscients entre l’enfant et sa
mère.
-les interactions fantasmatiques sont « l’expression des fantasmes des partenaires et leur
influence réciproque lors de ces échanges. » (Missonnier, 2003, p39) Cramer et PalacioEspasa décrivent ces interactions comme « la matérialisation d’investissements narcissiques
et pulsionnels parentaux, jusqu’ici cantonnés dans leur espace intrapsychique, et qui vont se
redistribuer dans l’espace intrapersonnel de la relation à l’enfant réel et fantasmatique. »
(Cramer, Palacio-Espasa, 1993)
Ainsi l’enfant devient-il un relais, il est dans un « entre-deux », entre l’espace intrapsychique
et l’espace extrapsychique parental.
B.2.5. Le narcissisme primaire, attaqué par l’annonce du handicap
25
Il nous a semblé intéressant d’étudier la notion de narcissisme primaire, et la façon
dont il se transmet entre le parent et l’enfant.
« Le narcissisme primaire désigne un état précoce où l’enfant investit toute sa libido sur luimême. » (Laplanche, Pontalis, 1967, p263)
A la naissance, le bébé, dont les mondes internes et externes sont indifférenciés (il pense
que sa mère et lui ne font qu’un) est dans une position de toute-puissance infantile. C’est là
que se développe un narcissisme, que Freud nomme narcissisme primaire. Sa libido est
portée sur lui-même. L’enfant s’investit lui-même comme objet d’amour avant d’investir des
objets extérieurs. La source de ce narcissisme provient de la volonté des parents d’aimer et
de prendre soin de leur enfant dans un dévouement absolu, comme eux-mêmes auraient
souhaité être aimés.
Ce narcissisme procure à l’enfant une enveloppe psychique et corporelle stable et une
expérience de continuité, qui lui permettra de se construire un « soi » et de se différencier
de sa mère.
Les parents opèrent sur l’enfant une projection d’amour et des désirs insatisfaits qui
proviennent de leur propre narcissisme. « L’amour des parents, si touchant et, au fond, si
enfantin, n’est rien d’autre que leur narcissisme qui vient de renaître et qui, malgré sa
métamorphose en objet d’amour, manifeste à ne pas s’y tromper son ancienne
nature. » (Freud, 2002, p96) L’enfant peut ainsi accomplir les rêves non réalisés par les
parents, le moi parental se réfugie chez l’enfant. Mais lorsque l’enfant est handicapé, ce
processus est impossible. Toutes les attentes et les désirs parentaux ne seront pas réalisés
par l’enfant, provoquant une blessure narcissique parentale intense.
En temps normal, dès la grossesse, le narcissisme primaire parental va être réactivé et leur
permettra d’être de bons parents et d’exercer leur parentalité.
Cependant, qu’en est-il de ce narcissisme, lorsque l’enfant qui naît est porteur d’un
handicap ? Cette naissance va donc provoquer une attaque narcissique sans précédent : la
mère se sentant incapable de faire un enfant « entier », en bonne santé.
Ces notions psychanalytiques (enfant réel, enfant imaginaire, transmission
transgénérationnelle, les interactions précoces…) que nous avons décrites afin d’expliquer le
processus de parentification, ont été prises en compte et formalisées par D. Houzel, qui a
proposé un modèle de la parentalité en trois grands axes. C’est à travers cette formalisation
26
synthétique que nous allons tenter de comprendre et d’analyser les processus de parentalité
lorsque naît un enfant porteur de handicap.
B.3. Les trois axes de la parentalité, selon D.Houzel
B.3.1. L’exercice de la parentalité
Cette notion définit le cadre essentiel au bon développement d’un groupe humain et
renvoie aux équilibres primordiaux de la vie familiale, sociale…
L’exercice de la parentalité renvoie ainsi à un ensemble de représentations définies par le
groupe. Il s’agit d’un corpus de droits et devoirs qui obligent tout parent à assurer une
protection, une éducation et des soins à la naissance de leur enfant. Il inclue l’autorité
parentale. Ces représentations déterminent « au niveau symbolique, les places parentales et
les implique dans une filiation et une généalogie » (Sellenet, 2002, p29), mais aussi dans un
groupe culturel ayant des rites et des coutumes spécifiques afin d’accompagner le sujet de la
naissance à l’âge adulte. L’enjeu de l’exercice de la parentalité est la socialisation de l’enfant
en devenir, basé sur le modèle de son groupe d’appartenance. D’un point de vue
psychodynamique, cette notion d’exercice de la parentalité fait référence aux interdits
intériorisés par chaque individu, particulièrement l’interdit de l’inceste. Ils garantissent la
continuité et la césure avec nos propres parents, et distingue ainsi les rôles de chacun et les
sexes.
B.3.2. L’expérience de la parentalité
L’expérience de la parentalité correspond à « l’expérience subjective consciente et
inconsciente du fait de devenir parents et de remplir des rôles parentaux. » (Houzel, 2009,
p33)
Elle est l’expérience subjective d’un ressenti, d’un vécu : celui de devenir parent, se sentir
parent. Il s’agit ainsi des « rêveries », des fantasmes, des représentations des parents
concernant leur conjoint, leurs propres parents, la façon dont eux se voient en tant que
parents, mais particulièrement leur enfant... Ici, cette expérience renvoie à la relation
imaginaire et affective que chaque parent a avec son enfant : elle nécessite des
27
confrontations subtiles entre différents niveaux de représentations : enfant imaginaire,
enfant fantasmatique, enfant réel. Ce vécu subjectif de la parentalité, conscient ou non, est
intimement lié à la qualité des représentations transmises par les générations précédentes
aux parents.
Les relations parents-enfant qui se jouent au sein de cette expérience de la parentalité
peuvent également être dysharmonieuses, dû à des histoires personnelles parentales
chaotiques et marquées par la discontinuité : ces relations peuvent être marquées par un
lien excessif (symbiose malsaine, génogramme confus…), ou par la carence (rejet,
maltraitance…)
Ainsi cette expérience est-elle directement déterminée par l’histoire des parents et leur vie
psychique et affective. Les expériences antérieures et le rapport aux imagos parentaux ont
un rôle essentiel dans la dynamique de la rencontre parent-enfant : « devenir parent (…), est
un processus difficile et complexe pour tous dans la mesure où il s’agit d’une nouvelle
fonction à construire sur les fondements que sont l’histoire individuelle et familiale et que par
conséquent, elle concerne l’être. » (Moro, 1998, p175)
B.3.3. La pratique de la parentalité
La pratique de la parentalité concerne l’ensemble des soins parentaux procurés aux
enfants. Ce sont des tâches quotidiennes, effectives, directement observables : soins à
l’enfant, pratiques éducatives… Les parents vont ainsi quotidiennement interagir avec
l’enfant, tant sur le plan domestique (linge, repas), que sur le plan technique (aménagement
de l’espace, adaptation à l’environnement), sur le plan de la surveillance, de la protection et
des soins de base (laver, consoler, nourrir…) et sur les plans éducatif et relationnel. La
pratique de la parentalité a permis aux auteurs de mettre en évidence la théorie de
l’attachement et les notions de compétences du nouveau-né, qui sont « les potentialités
sophistiquées d’interaction de l’enfant avec son entourage. » (Houzel, 2009, p156) (qui sont à
distinguer de la notion de performance).
Houzel a aussi mis évidence la notion d’interaction parents-enfant, qui « permet de souligner
la participation active de l’enfant dans le processus d’établissement des liens entre lui et ses
parents » à savoir la parentification. (Houzel, 2009, p157)
28
La mise en évidence des compétences du nouveau-né ont permis à M. Lamour et S.
Lebovici d’approfondir cette notion d’interactions, en distinguant trois niveaux, afin de
mieux décrire cette communication parent-enfant, tout en insistant sur le rôle actif du bébé
dans la mise en place du processus de parentification.
- les interactions comportementales, qui concernent les échanges corporels, sensoriels
directement observables entre le parent et l’enfant,
- les interactions affectives, non directement observables, qui vont permettre l’accès de
l’enfant à l’intersubjectivité, désignent la communication affective qu’il va y avoir entre la
mère et son bébé, il va s’opérer entre ces derniers un « accordage affectif » selon D. Stern
(1985),
- les interactions fantasmatiques, qui concernent l’aspect non conscient des échanges
parent-enfant ; elles s’organisent en fonction des représentations inconscientes et de
l’histoire personnelle du parent,
- Houzel propose un quatrième niveau d’interactions : les interactions symboliques, enfin,
concernent les caractéristiques de la transmission symbolique au sein d’une famille.
A travers ces échanges interactifs entre le parent et son enfant, essentiels à son bon
développement, s’inscrivent les soins parentaux.
Les interactions comportementales et affectives se réfèrent à la pratique de la
parentalité ; celui des interactions fantasmatiques et symboliques relèvent de l’expérience
de la parentalité.
Winnicott a souligné qu’il faut une mère « suffisamment bonne » pour faire un enfant en
bonne santé, bien individué, épanoui, qui devienne un adulte en bonne santé. De même, il
faut un enfant « suffisamment bon » pour que les parents, devenus père et mère de par lui,
puissent remplir leurs fonctions paternelle et maternelle de façon harmonieuse. Il y a très
souvent, comme nous avons pu le souligner, une atteinte narcissique majeure chez les
parents des enfants atteints de handicap. L’enfant handicapé renvoie à ses parents quelque
chose qui se traduit par « vous êtes de mauvais géniteurs ».
29
Ainsi, l’arrivée d’un enfant handicapé provoque auprès des parents un véritable séisme : plus
rien ne sera comme avant. Les conséquences du handicap sont multiples, les parents sont
atteints dans leurs processus psychiques d’accès à la parentalité (Angel, 1996).
III. Le parent et l’enfant handicapé
A. L’annonce du handicap
A.1. Le choc traumatique
Le handicap suscite un choc d’une telle intensité et soudaineté qu’il « fait effraction dans
le psychisme. » (Sausse, 1996, p36), le fragmente et désorganise son fonctionnement. Les
défenses sont complètement débordées, certaines plus pathologiques peuvent apparaître.
Ferenczi parle en premier lieu de cet état de sidération dans le traumatisme, qui annihile
toute capacité de penser. La psyché, débordée, ne parvient plus à assimiler les éléments
extérieurs. Comme le souligne Sausse, « il s’en suit une suspension des facultés mentales : Un
choc inattendu, non préparé et écrasant, agit pour ainsi dire comme un anesthésique. Mais
comment cela se produit-il ? Apparemment par l’arrêt de toute espèce d’activité psychique. »
(Sausse, 1996, p36)
Les parents, à qui on annonce le terrible diagnostic du handicap, n’y sont en aucun cas
préparés.
A l’annonce du handicap, le temps s’arrête, il s’immobilise entièrement. « C’est un
évènement qui fait qu’on ne peut plus jamais revenir en arrière (…) L’évènement traumatique
partage définitivement la ligne de la temporalité. » (Sausse, 1996, p38) Il faut énormément
de temps pour que cet évènement traumatique soit intégré dans la structure psychique
parentale. « Son élaboration passe par des étapes qu’il est impossible d’accélérer. » (Sausse,
1996, p38) Il est ainsi très important que les soignants comprennent l’impossibilité du
fonctionnement psychique parental à intégrer en une seule fois un évènement aussi
dramatique. C’est ce qui permettra d’admettre les attitudes parentales, comme l’agressivité,
le refus, qui en résultent et qui peuvent être déstabilisantes pour les professionnels. La
révélation du diagnostic de déficience aux parents constitue un évènement extrême, qui
entraîne une discontinuité, une rupture dans les représentations parentales. Cette
30
expérience est un véritable bouleversement, un traumatisme qui engendre un stress accru,
car la surcharge émotionnelle déborde les ressources psychique des parents.
On peut en effet définir un traumatisme comme : « un évènement de la vie du sujet, qui se
définit par son intensité, l’incapacité où se trouve le sujet d’y répondre adéquatement, le
bouleversement et les effets pathogènes durables qu’il provoque dans l’organisation
psychique. » (Laplanche et Pontalis, 1967, p499) La notion du temps et de l’espace est
complètement bouleversée. Ces parents perdent leurs repères et se trouvent en général
dans un « état de sidération devant cet enfant perçu comme étrange et étranger. »
(Schauder, Durand, 2004, p610). Le processus qui permet habituellement un aller-retour
entre le présent et les représentations provenant du passé des parents, est bloqué (Sarfaty,
1998).
M.Bydlowski parle de l’annonce du handicap comme un envahissement des
représentations traumatiques qui sidèrent le mouvement d’élaboration habituellement à
l’œuvre. Les traumatismes subis dans l’enfance du parent s’imposent alors à l’esprit.
L’annonce du handicap crée un « blanc » dans le processus de mentalisation qui a le rôle
d’un deuil anticipé, protégeant en partie les parents de l’angoisse massive suscitée par cet
évènement. La culpabilité importante des parents, nous allons le voir, peut s’accompagner
de représentations mortifères à l’égard de cet enfant. Dès la naissance va se jouer une
ambivalence des sentiments.
L’impact psychologique de l’annonce du handicap sur les parents
Drotar et al (1975) ont développé un modèle explicatif, encore valable de nos jours. Ils
ont étudié les différentes phases par lesquelles les parents passent à la suite du choc initial
de l’annonce du diagnostic. Ces auteurs ont décrit cinq stades, allant du choc affectif (1) au
déni (2), puis la colère, l’anxiété, la tristesse et la culpabilité (3). Les parents par la suite
atteignent un état d’équilibre souvent précaire (4) qui sera suivi, dans les meilleurs des cas,
d’un stade de réorganisation durable (5). On note ici aisément les ressemblances avec le
modèle du deuil : « En effet, les parents apprennent, lors de l’annonce du handicap, rien de
moins que la perte de l’enfant qu’ils attendaient ! La collision entre l’enfant imaginaire et
l’enfant réel, déjà source de conflits lors d’une naissance dite banale, prend une dimension
31
particulièrement dramatique dans ce cas précis » (Schauder, Durand, 2004, p610). Ainsi
certaines mères se sentent-elles coupables d’avoir donné naissance à un « monstre ». Leur
investissement de l’enfant oscille parfois entre rejet et surprotection. Souvent, ces mères
projettent leur désespoir ou leur propre agressivité sur leur entourage.
Decant (1989) souligne à propos du vécu des pères, souvent atteints dans leur virilité, que
le triangle œdipien est cassé par l’annonce du handicap.
Il est ainsi primordial que les professionnels offrent un étayage à la mère comme au père
afin de relancer les processus de parentalité, remis en cause par ce douloureux évènement,
et qu’ils prennent en compte l’atteinte narcissique massive des parents (Mazet et Stoleru,
2003).
A.2. Mécanismes de défense et d’adaptation chez le parent d’enfant atteint de
handicap mental
A l’annonce du diagnostic de l’enfant, de nombreux mécanismes adaptatifs peuvent être
mobilisés chez les parents bouleversés, afin de tenter de faire face au traumatisme.
-Le déni est un mécanisme universel dans un premier lieu et qui peut être utile
périodiquement, tout au long des étapes du deuil de l’enfant normal. Le déni sera efficace
sur une plus ou moins longue durée selon que l’étiologie de la déficience intellectuelle est
connue ou non, selon le degré de la déficience, et selon la personnalité des parents et leurs
antécédents personnels (parent psychotique, ayant un trouble de personnalité, il peut avoir
un frère ou une sœur déficient(e), il peut être lui-même porteur d’un handicap…)
Le déni ne perd de son efficacité que graduellement et ne disparait jamais complètement,
même s’il peut changer de forme : le parent nie tout d’abord complètement la réalité de la
situation ; puis il a des prises de conscience partielles, fragmentées (retard moteur, retard de
langage, comportement immature…) ; le parent reconnaît ensuite un retard global qu’il croit
réversible ; enfin, il admet sa permanence.
Cette étape étant franchie, les formes de déni deviennent plus subtiles :
Il s’appuie souvent sur des distorsions de la réalité (légendes familiales, aptitude familiale
particulière survalorisée…)
32
« Vivre au jour le jour » est une autre forme de déni, mais bien adaptée et efficace lorsqu’on
sait le mettre entre parenthèses lorsque cela est nécessaire.
Une autre forme de déni, plus subtile, alors que le parent a admis la permanence de la
déficience intellectuelle, est d’en nier les conséquences ; de plus, il se croit capable d’élever
son enfant de telle sorte que son handicap ne l’empêchera pas d’intégrer une classe
régulière, qu’il n’aura pas d’impact sur la vie familiale, etc.
Plus inquiétant, les conséquences d’un déni prolongé peuvent être : la création d’un climat
de surstimulation inadéquat et d’exigences inatteignables pour l’enfant ; des conflits et
tensions avec les professionnels chargés du suivi de l’enfant dûs à des objectifs
inconciliables ; des changements répétitifs de thérapeutes, d’écoles etc, avec un sentiment
constant de frustration et d’insatisfaction renforçant le déni.
- La recherche à tout prix de l’étiologie : elle est un corollaire du déni, mais aussi une preuve
d’un deuil intolérable. Ce mécanisme de défense est également une quête d’une solutionmiracle qui ferait disparaître la déficience intellectuelle. Par cette quête de l’étiologie du
handicap, les parents cherchent enfin à soulager leurs sentiments intenses de culpabilité : ils
veulent être sûrs d’avoir tout fait, tout tenté, ils ne veulent pas avoir à se reprocher quelque
chose dans l’avenir.
- Le rejet de l’enfant : il peut être ouvert, assumé. C’est un mécanisme qui peut être en
premier lieu adéquat de la part des parents. Ce rejet peut se caractériser :
- par un placement définitif très tôt dans la vie de l’enfant ; les visites parentales sont
rares ou absentes.
Dans certains cas, il arrive que les parents entament une procédure de placement,
pour ensuite l’abandonner. Ce phénomène s’explique par le besoin des parents de créer un
manque, l’enfant avait besoin de se faire désirer par ses parents. D’un processus passif, au
travers duquel on annonce le handicap de l’enfant à ses parents, on passe à un processus
actif, où les parents se réapproprient cet enfant. Dans ces cas, un attachement se crée peu à
peu entre les parents et l’enfant. Ici, on pourrait parler du rejet de l’enfant comme
mécanisme adaptatif, car il y a un phénomène de réappropriation de l’enfant.
33
- l’enfant vit avec sa famille mais il n’est pas investi, négligé, marginalisé. Il va à
l’école ou dans un hôpital de jour mais il est « laissé » entre les mains du personnel, les
responsabilités parentales ne sont pas assumées.
- un potentiel de maltraitance peut apparaître : négligences graves, imprudences qui
signifient clairement le désir de mort de l’enfant.
- l’hyper protection de l’enfant: ce mécanisme adaptatif est le maintien prolongé d’attitudes
tout à fait adaptées à la situation de l’enfant. - Sa santé est souvent davantage fragile et ses
capacités à faire face aux dangers de la vie quotidienne sont réduites ;
- les parents tentent de limiter ses dégâts et
maladresses ;
- les parents, surchargés, n’ont pas le temps
d’attendre que l’enfant s’exprime et s’autonomise, processus lent et peu efficace ;
- ces parents supportent mal les tâtonnements
et les échecs répétitifs de l’enfant ;
- des habitudes s’installent chez l’enfant
handicapé, qui devient de plus en plus dépendant, résiste aux changements de routine et
s’oppose à toute poussée vers l’autonomie.
D’autres facteurs plus pathologiques chez les parents peuvent interférer, ce mécanisme
devenant alors plus tenace : - tant que les parents de l’enfant font tout à sa place, ses
incapacités se voient moins et on évite d’y être confronté (ce qui renvoie au déni) ;
- afin de compenser ce sentiment de culpabilité, ils ne vont rien
oser exiger de leur enfant handicapé, dont ils peuvent même exagérer les incapacités ;
- les parents peuvent chercher à compenser une blessure
narcissique en prolongeant de manière indéfinie le lien symbiotique avec l’enfant. Ils
trouvent un équilibre statique narcissisant durable. La gratification d’être la seule personne
capable d’assurer le bien-être et la survie de cet enfant fragile et dépendant peut intensifier
ce mécanisme d’hyperprotection. Peuvent alors apparaître des comportements inadéquats
de la part du (des) parent(s) hyperprotecteur(s), tels qu’un refus de thérapies, de
scolarisation de l’enfant, et même le refus de reconnaître la capacité de l’autre parent à s’en
occuper adéquatement. Ce mécanisme est très pathologique, sur les plans familial, conjugal
34
et personnel ;
- enfin, les parents peuvent avoir tellement honte de détester
leur enfant qu’ils vont le surprotéger : cette formation réactionnelle camoufle le désir de
mort, le rejet ou la colère contre cet enfant venu bouleverser l’équilibre familial. Dans ce cas,
l’hyperprotection est presque toujours accompagnée d’une agressivité inconsciente,
détournée, laissant entrevoir le rejet.
- L’idéalisation de l’enfant : c’est une autre formation réactionnelle afin de ne pas ressentir
l’importance de la blessure narcissique. L’enfant déficient intellectuel est considéré comme
« un don de Dieu » qui transformera la famille et lui donnera un sens nouveau. Parents et
enfants s’unissent pour éduquer l’enfant et en faire « leur réussite ». Les sentiments hostiles
et négatifs sont exclus du langage familial. Cependant, le fond dépressif est évident et
menace l’intégrité des parents et celle de toute la famille.
- La sublimation : le profond désir de réparation de l’enfant déficient peut se sublimer : les
parents militent pour des causes concernant l’enfant. C’est un mécanisme très efficace,
malgré ses pièges ; en effet, il peut y avoir des conflits d’intérêts, des rivalités avec certains
professionnels dont les parents sollicitent la collaboration…
- La difficulté à établir une alliance éducative : le déni est souvent la cause du problème. Les
objectifs des parents et ceux des intervenants sont en conflit permanent, les espoirs des
parents sont répétitivement déçus. Scolairement, l’enfant handicapé ne progresse pas assez
selon le désir des parents, même si l’enseignant vante les progrès de ce dernier. Cependant,
si l’alliance éducative se brise, une menace d’abandon pèse sur les parents : il n’y a plus
aucun espoir pour l’enfant.
- Le repli sur soi, l’isolement de la famille : ce mécanisme de défense survient en réaction au
rejet de l’enfant déficient intellectuel par ses pairs, les autres parents de l’école, ou par la
famille étendue de l’enfant. Les parents peuvent alors : - se réfugier dans un monde
hermétique et refuser toute aide extérieure
- confiner l’ensemble de la famille à
des activités liées au handicap de l’enfant (associations, centres de vacances, école
spécialisée…). La famille finit par se couper du monde et se marginalise.
35
Ainsi, une adaptation saine de la part des parents serait un « juste dosage » du déni, auquel
les parents doivent progressivement y renoncer sans qu’il disparaisse tout à fait ; une
recherche raisonnable de l’étiologie du handicap de l’enfant, tout en sachant « lâcher
prise » ; une solution saine au sentiment de rejet ; une hyperprotection de l’enfant réaliste ;
un minimum d’idéalisation de l’enfant ; une capacité à sublimer ; une gestion adéquate de
l’ambivalence dans les relations que les parents entretiennent avec les professionnels
chargés du suivi de l’enfant ; et enfin, reconnaître et accepter sa marginalité familiale sans
pour autant s’y enfermer.
A.3. Un mécanisme de défense particulier : Le « mythe de survie » des parents
(Gaillard, 1999)
L’arrivée de l’enfant handicapé, génératrice de stress, force les parents de cet enfant
non-conforme à mettre en place un « mythe de survie » (Gaillard, 1999) afin de préserver
leur identité. Dans le mythe de « la mère plaignante et du père manager » (Gaillard, 1999), la
jeune mère recherche à tout prix un soutien psychique auprès de son conjoint et souhaite
communiquer avec lui, tandis que le père s’efforce de ne pas y penser et se terre dans le
silence. Cette situation peut mener soit au divorce soit se transformer en mythe de « la mère
couveuse et du père dehors » (Gaillard, 1999) : ici, l’on observe une « annulation rétroactive
de la naissance de l’enfant que la mère ne cesse de couver tandis que le père va s’investir audehors» (Schauder, Durand, 2004, p615), tout en abandonnant sa conjointe.
Gaillard décrit ensuite le mythe de « la mère lingère et du père dehors » (Gaillard, 1999) : ces
mères procèdent à un déplacement de l’investissement de leur enfant sur ses vêtements et
les comptent de façon obsessionnelle, tout en étant négligentes quant à l’adéquation de ces
vêtements aux besoins de leur enfant (vêtements usés, enfants assez couverts l’hiver etc.).
Gaillard décrit aussi le mythe de « la mère parfaite » (Gaillard, 1999) qui ne se repose jamais,
celui des « parents éducateurs » (Gaillard, 1999) qui se tiennent au courant de la moindre
parution sur la maladie de leur enfant, celui des « non-parents » (Gaillard, 1999), fuyants, qui
implique souvent des signalements en justice pour négligence par les professionnels, et celui
des « grands-parents parents », qui prennent la place et les rôles des parents.
36
Tous ces mythes de survie aident ces parents à ne pas sombrer dans la détresse, mais
ne favorisent en aucun cas « la reconstruction des liens communautaires et sociaux, car ils
sont trop tournés vers l’urgence intime. » (Schauder, Durand, 2004, p616)
Pour une prise en charge adéquate des parents, il convient de composer avec ces mythes
parentaux afin de les aider à s’en construire de nouveaux.
A.4. Un cycle de vie de famille arrêté
Les répercussions du handicap de l’enfant sur les parents entrainent une
réorganisation dans l’ensemble du fonctionnement de la famille. Le traumatisme vécu par
ces parents conduit fréquemment à un renfermement et un isolement difficile, fragilisant
leur narcissisme déjà morcelé. Gardou (1996) suggère la métaphore de l’exil : les parents
s’exilent de la communauté des humains, ce qui les amène même parfois à refuser l’aide des
professionnels chargés du suivi de l’enfant porteur de handicap, et font un exil intérieur.
Farber (1960), sociologue américain, souligne la différence des rôles parentaux dans
les familles avec un enfant normal et celles avec un enfant handicapé : « Les parents
adaptent normalement les images d’eux- mêmes et leurs rôles aux étapes maturatives de
l’enfant grandissant. (…) Concernant l’enfant retardé mental, le rôle des parents reste à peu
près constant. Sans que l’on puisse prendre en compte le rang dans la fratrie, l’enfant retardé
mental deviendra, sur le plan social, le plus jeune enfant de la famille. » (Farber, 1959, p8)
L’enfant handicapé viendrait ainsi stopper le processus du cycle familial. Il « (…) frustre,
notamment à long terme, les attentes parentales. Le plus souvent, les parents ne verront pas
cet enfant se marier et ne deviendront pas grands-parents à travers lui. » (Schauder, Durand,
2004, p613)
Selon Farber, c’est au niveau du projet de vie que les parents (career-oriented) ont établi
pour l’enfant, que les effets du handicap se feront ressentir.
B. La qualité de l’annonce du handicap comme facteur essentiel
La qualité de l’annonce du handicap de l’enfant est, de ce fait, un facteur essentiel.
Lambert et Rondal (1979) sont parmi les premiers à avoir étudié les variables concernant
37
l’annonce du diagnostic de la trisomie 21 par une équipe soignante peu formée et donc peu
sensible. Ils ont insisté sur l’importance de dire la vérité mais aussi celle de mener une
réflexion sur la manière de la dire et d’informer les parents, de façon adéquate, sur les
modalités de la prise en charge de l’enfant. C’est une des conditions sine qua non pour que
les parents se remettent à penser et puissent envisager le devenir de leur enfant.
Roy et Visier (1991) ont montré qu’il y avait un fort sentiment d’impuissance chez les
médecins qui sont envahis d’un sentiment de solitude face à cette annonce difficile et
souhaitent, eux-mêmes, être aidés. Gallet (1983) a analysé le rôle du médecin par rapport à
l’enfant atteint de handicap et sa famille, particulièrement les caractéristiques de l’annonce,
de la prévention et de l’absence de jugement, surtout dans les cas de placements d’enfant.
Barbot et Terrier (1989), Zucman (1991) et Levy (1992) insistent sur la disponibilité des
professionnels, le temps accordé aux parents, la relation de confiance qu’ils doivent mettre
en place, et le poids des mots, qui marquent le psychisme parental. Gold, lui, (1995) a étudié
les conditions de l’annonce. Il est, selon lui, primordial d’annoncer le handicap en présence
de la mère, du père et de l’enfant et de bien choisir le lieu et le moment de l’annonce.
Dumaret et Rosset, dans leur étude Trisomie 21 et abandon, une réalité à Paris (1995), ont
énuméré les facteurs de risque pour un placement d’enfant handicapé. Parmi ces derniers,
elles insistent sur l’annonce en salle de travail, l’annonce « entre deux portes » par un
soignant voulant se débarrasser des émotions trop pénibles que le bébé suscite en lui, et
l’annonce faite à la mère seule ou au père seul.
Les premiers mots prononcés par les médecins en charge de la mère sont d’une
importance cruciale (Salbreux, 1978). « (…) toutes les paroles dites autour du berceau de
l’enfant s’inscrivent dans la mémoire des parents de manière indélébile (…) C’est une des
caractéristiques d’un évènement traumatique de garder ainsi, au fil des années, une acuité
que le temps ne réduit pas. » (Sausse, 1996, p25)
« Réels ou non, ces mots sont rapportés tels qu’ils ont été enregistrés, à l’image d’un disque
rayé qui répète sans cesse les mêmes paroles. L’annonce du handicap (…) va transformer la
vie en un scénario clos, implacable, absurde, qui ne laisse d’autre choix que d’être subi.
L’annonce a fonctionné comme (…) un verdict qui a figé le temps et plongé l’existence des
parents dans le tragique. » (Schauder, Durand, 2004, p611-612)
38
Il est également intéressant de s’interroger sur la façon dont ces premiers mots,
premières paroles dites par l’environnement qualifient ou disqualifient la parentalité.
Comment l’autorise-t-il? Etre parent nécessite une sorte de « diplôme », un « permis d’être
parent » : par nos parents, notre conjoint, nos enfants, l’environnement social donne une
qualification à cette parentalité auquel le sujet souhaite accéder. « Vous n’avez pas un bel
enfant, vous ne serez pas une bonne mère » sont autant de mots prononcés qui disqualifient
la parentalité. On observe souvent ce phénomène dans les placements d’enfants : l’accès à
la parentalité n’est pas soutenu.
Or le corps médical peut être considéré comme un substitut de figures parentales pour
certains sujets. Il arrive que des médecins soient investis comme des pères, des mères. Ce
sont des « sachants », des figures parentales, avec l’idéalisation dont ils font l’objet. Ainsi
est-il important de situer cette figure du médecin et la signification qu’elle prend pour le
parent. Lors de l’annonce du handicap, ils possèdent une sorte de statut de toute puissance.
Leurs paroles, ainsi, ont un poids réel ; les parents y sont très sensibles, comme ils le sont
aux paroles de leurs propres parents : « Vous avez fait un beau bébé » , « Je pense que vous
serez une bonne mère » etc. Les professionnels peuvent ainsi prendre cette place : « Vous
avez fait du bon travail » sont par exemple des paroles qui autorisent, qualifient la
parentalité. Elles jouent un rôle déterminant dans l’accès à la parentalité et ont un impact
fondamental sur les futures interactions parent-enfant.
B.1. Caractéristiques de la qualité de l’annonce
B.1.1. A qui le dire ?
De nombreuses études ont montré que l’annoncer aux deux parents en même temps
a des effets positifs sur l’intensité du traumatisme. « C’est leur donner de meilleures chances
d’affronter, de supporter et de partager l’épreuve qui les frappe. C’est inscrire dès le début,
dès les premiers mots, leur parentalité, qui sera si difficile à assumer. Leur enfant est
handicapé, certes, mais c’est leur enfant ; (…) On s’adresse à eux en tant que couple de
parents. Prendre la mère ou le père à part, c’est introduire une séparation, un clivage. »
(Sausse, 1996, p26-27).
39
Comme le souligne Sausse, le médecin choisit souvent d’annoncer le diagnostic de handicap
au père seul, qui sera ainsi le messager pour sa femme, de peur que la mère soit trop
anxieuse ou fragile psychologiquement. Elle insiste sur l’horreur de ce moment (parfois
quelques heures) où le parent est face à cette solitude, avant d’être capable d’annoncer le
diagnostic de l’enfant à son (sa) partenaire. En effet, « la solitude amplifie le choc de
l’annonce du handicap. » (Sausse, 1996, p26).
Il est au contraire nécessaire de favoriser au maximum le partage des responsabilités
parentales, « car il y a un mouvement spontané des parents à diviser la culpabilité. » (Sausse,
1996, p27)
De plus, il faut être particulièrement vigilant à la circulation de l’information communiquée
par le médecin, car celle-ci « suit, à son insu, les voies inconscientes que tracent les conflits
familiaux préexistants. L’impact du diagnostic a un effet de détonateur sur des difficultés
conjugales antérieurs, qui jusque-là étaient plus ou moins bien assumées. » (Sausse, 1996,
p27)
B.1.2. A quel moment faut-il l’annoncer aux parents ?
Sausse s’appuie sur la citation d’un médecin américain : « Dire la vérité, rien que la
vérité, mais pas nécessairement toute la vérité en une seule fois » (Sausse, 1996, p29), ni trop
tôt, ni trop tard. Ainsi est-il préférable d’annoncer le handicap lorsque l’enfant a été au
contact physique de ses parents une première fois (en effet, on enlève généralement
l’enfant à la mère dès sa naissance) et même d’annoncer le handicap de l’enfant en sa
présence, comme le soulignait Gold (1995), si les conditions médicales le permettent. « Par
son corps, son odeur, son aspect physique, le contact de sa peau, il existe avant de devenir
source d’angoisse. Si l’annonce du handicap précède la première prise de contact, il est
handicap avant d’être enfant. » (Sausse, 1996, p29) Ce serait lui donner un diagnostic, une
étiquette avant même qu’il ait un prénom.
B.2. La clarté ou non du diagnostic
Nous avons souhaité analyser plus précisément la précision du diagnostic, afin
d’étudier s’il existait des répercussions différentes sur les parents, selon que le diagnostic de
l’enfant est précis (dans le cadre de cette étude, nous avons interviewés trois couples de
40
parents d’enfants porteurs de la trisomie 21 à l’aide d’entretiens cliniques) ou que le
diagnostic est imprécis, d’étiologie encore inconnue ( nous avons interrogés deux parents
dont les enfants ont un syndrome neurologique d’origine inconnue).
L’annonce d’un diagnostic précis à la naissance ne fait pas partie des cas les plus
fréquents. En général, des troubles du développement peuvent survenir durant la première
année de vie de l’enfant. A cause des lourds examens médicaux et des consultations avec les
professionnels, qui ne débouchent parfois pas sur la découverte d’un diagnostic connu, les
parents vont alors vivre une période d’inquiétude et d’incertitude très douloureuse. Parfois,
ils ont à faire à l’indifférence ou l’incrédulité de leur famille et de certains professionnels.
Les troubles neurologiques par exemple peuvent être très difficiles à déceler chez l’enfant en
bas âge par certains professionnels. Les parents ont alors un sentiment de solitude et de
culpabilité intense, ils savent que leur enfant a un problème mais ne peuvent mettre de
mots sur celui-ci, ce qui peut créer des angoisses majeures chez ces parents.
En somme, comme le souligne Sausse, il n’y a pas de bons mots pour annoncer le handicap
d’un enfant à ses parents, mais plutôt que des mauvais mots. En fait, tout dépend de la
relation de confiance qui a été établie entre le professionnel et le parent et de l’attitude
respectueuse de celui qui annonce le handicap.
Sausse écrit : « L’essentiel est d’être conscient que les modalités de l’annonce du handicap
vont fortement influencer la manière dont les parents réagiront ultérieurement. » (Sausse,
1996, p31) Ainsi les choix médicaux, les paroles des médecins, vont s’inscrire dans le
psychisme des parents pour ne plus s’effacer et entraînent des répercussions parfois
imprédictibles. S. Sausse insiste sur le fait que « les modalités selon lesquelles le handicap est
révélé aux parents joue un rôle déterminant dans leur manière d’assumer cette épreuve.
C’est un moment clé qui garde son importance pendant des années et dont on perçoit les
effets, parfois inattendus, parfois dissimulés, mais toujours marquants, très longtemps
après. » (Sausse, 1996, p32)
41
Cet aspect des modalités de l’annonce du handicap nous a semblé primordial et c’est à
travers des entretiens semi-directifs détaillés que nous avons tenté de comprendre leur
impact sur la parentalité.
PARTIE CLINIQUE
IV.
Contexte de la recherche
A. Choix du sujet
Ce projet de mémoire est le fruit d’une réflexion qui a évolué au fur et mesure de ces
dernières années, au travers desquelles nous avons pu côtoyer de nombreux enfants
handicapés (moteurs et/ou mentaux) ainsi que leurs parents. Notre intérêt pour le handicap
est également issu d’expériences de stages cliniques auprès d’enfants handicapés, en
interactions avec leurs parents. Ils nous ont très vite sensibilisés au monde du handicap et
aux répercussions (sociale, familiale, psychologique etc.) qui en découlaient.
Notre stage clinique au sein du Centre de Réadaptation Marie Enfant du CHU Sainte-Justine
à Montréal (Canada) nous a particulièrement et quotidiennement exposés aux réactions des
parents face à l’annonce du handicap de l’enfant. En effet, au travers de la prise en charge et
l’accompagnement d’enfants, notamment à domicile, certains parents nous ont livré, à
42
plusieurs reprises, des témoignages bouleversants, démontrant l’impact du handicap de leur
enfant sur leur équilibre psychique et familial, et particulièrement l’impact de l’annonce du
handicap de leur enfant faite par les médecins : ces quelques mots qui laissent des traces à
vie, qui s’inscrivent dans la mémoire des parents et que le temps n’efface pas. Grâce aux
entretiens avec certains parents, nous nous sommes rendus compte du manque de
formation au sein de certaines équipes médicales quant à l’annonce du diagnostic de
l’enfant. Certains services réfléchissent aux modalités de celle-ci, mais d’autres sont
davantage formées pour l’urgence et l’action, et manquent parfois de compétence et de
formation quant à la mise en place d’un accompagnement au moment de la naissance d’un
enfant handicapé. L’urgence médicale ne laisse pas de place à la parole et à la réflexion.
Ainsi, face à une situation dont ils n’ont pas le contrôle, les soignants réagissent de manière
spontanée, mais maladroite : la peur, la fuite, la pitié, l’envie de soulager sont autant
d’attitudes qui sont un évitement de la souffrance du parent, et permettent de se dégager
des émotions que ce nouveau-né handicapé réveille en eux.
C’est pourquoi, après avoir longtemps voulu axer notre projet de recherche sur l’impact
du handicap des enfants sur leur vécu, nous nous sommes tournés vers leurs parents. En
effet, « si les médecins connaissaient l’impact de leurs paroles sur le vécu ultérieur des
parents, et par conséquent sur le devenir de l’enfant, ils seraient peut-être beaucoup plus
prudents. » (Sausse, 1996, p25) Ainsi notre projet s’est-il affiné au fur et à mesure. Les
publications étant rares sur le sujet, nous avons commencé à nous intéresser plus
particulièrement aux modalités de l’annonce du diagnostic de l’enfant et aux répercussions
sur le psychisme des parents, et ainsi, sur leurs processus de parentalité.
L’intérêt de cette recherche est d’apporter un éclairage des répercussions de l’annonce
du diagnostic sur les processus de parentalité, et ainsi d’amener progressivement à une prise
de conscience par les équipes médicales de l’importance du cadre de l’annonce d’un tel
évènement.
Ce mémoire de recherche pourrait ainsi amener de nouvelles perspectives concernant la
formation des équipes au sein de ces services, et amènerait un éclairage significatif pour les
psychologues et les médecins.
43
Concernant les avantages pour les participants de ce projet, cette étude permettra aux
parents de mieux comprendre l’impact de l’annonce du diagnostic sur leurs interactions avec
leur enfant, de développer des attentes plus réalistes vis-à-vis de celui-ci, de mieux saisir
leurs propres réactions par rapport à lui et de favoriser un processus d’adaptation face au
handicap de l’enfant, par l’appropriation de leurs réactions émotionnelles et une meilleure
compréhension de la situation.
B. Lieux de recueil des données
Nous avons effectué nos entretiens semi-directifs avec les parents selon leurs
disponibilités et leurs possibilités de déplacement. Nous avons rencontré deux mères à leur
domicile, dans un salon calme, en face à face, les deux autres mères et le couple, dans leurs
bureaux respectifs, pièces confortables et peu bruyantes. Nous nous installions en face à
face ou en biais. Le fait de nous entretenir avec les parents dans des lieux familiers semblait
influencer la situation d’entretien de façon positive. Un lieu connu du parent le met en
confiance et facilite ainsi la verbalisation spontanée des émotions, du vécu, des sentiments.
Cela limite les risques de méfiance à notre égard et de retenue dans le discours.
Définir au préalable un cadre de travail est indispensable au bon déroulement des
entretiens, quel que soit le lieu de recueil des données. Ainsi avons-nous rappelé les
objectifs de la recherche, le secret professionnel, l’anonymat des sujets, la destruction des
données après utilisation.
C. Constitution de la population
Nous avions d’abord envisagé de constituer notre population au travers d’une
association (APEI) mais notre protocole de recherche n’a finalement pas pu, pour des raisons
pratiques, s’inscrire dans le cadre de celle-ci. Nous avons ainsi rencontré des sujets
appartenant à notre réseau professionnel (réseaux de collaborateurs, approche directe par
notre réseau social, terrains de stages précédents…)
Notre échantillon est constitué de six sujets : un homme et cinq femmes, dont un couple.
Cinq familles sont ainsi représentées dans cette recherche. Cet échantillon a une moyenne
de 41 ans, les sujets allant de 38 à 55 ans. Trois sujets sont parents d’un enfant ayant un
diagnostic imprécis, d’étiologie inconnue ; les trois autres sujets sont parents d’un enfant
44
ayant un diagnostic précis, d’étiologie connue : la trisomie 21. Toutes les annonces de
diagnostic sont post-natales.
Les critères d’inclusion pour cet échantillon sont :
-
être parent d’un enfant présentant un handicap mental, tous degrés
confondus (de profond à léger)
-
L’enfant a entre 0 et 15 ans, afin que les souvenirs de l’annonce du
diagnostic et le stress engendré soit encore actuel, et que la formulation
du vécu, des sentiments, du ressenti soit la plus authentique possible.
-
L’annonce du diagnostic doit être post-natale.
D. Considérations éthiques et déontologiques
Un projet de recherche doit s’appuyer sur des éléments fondamentaux. Dans le cadre de
notre mémoire de recherche, nous avons mené une réflexion sur deux aspects importants :
- le rôle de la déontologie : le respect de la dignité des sujets que l’on interroge, dont le
consentement à participer aux entretiens doit être libre et éclairé ; l’anonymat de ces
personnes, et le traitement des données, qui doivent être détruites à la fin de la recherche.
- le point de vue éthique : face à la spécificité de notre population, une réflexion
approfondie quant à la morale de nos actions menées avec les sujets a été nécessaire, c’est à
dire évaluer, au sein de la relation, ce qui est bon et ce qui est mauvais pour le sujet. Cette
étude a demandé un véritable décentrement de notre part.
Un psychologue se doit d’être responsable des sujets qu’il rencontre et les respecter dans
leur dignité. « Ma responsabilité à l’égard d’autrui est la responsabilité à l’égard d’une
personne qui est mon égal, et qui, au même titre que moi, est un sujet libre. » (Collin, 2003,
p268) Ainsi doit-il sans cesse remettre en question sa méthodologie et ses pratiques.
Le chercheur doit éthiquement considérer sa recherche, « en tenant compte des obligations
qu’il a vis-à-vis de lui-même, des participants qu’il est amené à rencontrer et vis-à-vis des
institutions au sein desquelles se déroulera sa recherche. » (Castro, 2000, p44)
Ainsi a-t-il été important, avant de commencer cette recherche, de réfléchir sur nos
engagements, nos obligations, nos responsabilités, nos conduites à l’égard des participants,
45
tout en respectant les valeurs morales. A l’instar de la pratique d’un psychologue, un
mémoire de recherche doit suivre des règles rigoureuses ayant pour objectif de protéger les
participants et une méthodologie spécifique, adaptée à la population qu’il cherche à décrire.
Le rôle de la déontologie nous a semblé adéquat pour tenir compte de la dignité des
participants. Pour cela, nous référer au Code de déontologie des psychologues a été
primordial pour construire notre méthodologie, afin de définir un cadre respectueux de
l’individu et clarifier nos interventions. Nous avons également posé au préalable les limites
de notre étude ainsi que ses objectifs.
Notre recherche a pour objet d’évaluer l’impact de l’annonce du handicap de l’enfant
sur les processus de parentalité. Elle renvoie ainsi à des éléments du psychisme des parents
qui avaient parfois été refoulés : ils peuvent être très anxiogènes et réveillent en eux la
blessure narcissique subi par l’annonce du handicap de l’enfant. Il nous a ainsi paru
nécessaire de clarifier les limites de l’entretien, afin d’éviter tout afflux d’émotions
débordant les ressources psychique du sujet. C’est pourquoi une grille d’entretien, avec des
thèmes spécifiques à aborder, à été faite au préalable. Les sujets ont dès lors pu s’exprimer
ouvertement tout en étant guidé par les questions ouvertes. Avant de commencer notre
premier entretien semi-directif, nous avions mené une réflexion sur nos capacités à mener
cet outil, ainsi que sur ses dangers. « Chaque fois qu’une expérience touche à des aspects
privés de la vie psychique et chargés émotionnellement, des précautions sont donc à
prendre. » (Seron, 1984, p87) Nous avons mené une enquête par le biais d’entretiens semidirects à domicile. Notre étude s’est ainsi déroulée hors d’un cadre institutionnel.
Le consentement libre et éclairé des sujets, comme il est stipulé dans les titres généraux du
code de déontologie des psychologues, est indissociable de la réussite des entretiens. Le
psychologue « n’intervient qu’avec le consentement libre et éclairé des
personnes concernées. » (Code de déontologie des psychologues) Nous avons exposé aux
participants la problématique de notre étude ainsi que nos techniques de traitement et de
récolte des données : une rencontre, sous la forme d’un entretien semi-directif. Malgré la
satisfaction qu’éprouvait chaque parent à témoigner, certaines questions à l’entretien ont
pu paraître intrusives, surtout dans un contexte où le parent traite d’un passé douloureux
(annonce du handicap de l’enfant). C’est pourquoi il a été judicieux de préalablement
rappeler la méthodologie et les objectifs de l’étude aux sujets.
Dans un souci de respect de la dignité et de la liberté des participants, nous nous sommes
46
assurés que les sujets avaient bien compris les buts de l’étude et leur avons précisé qu’ils
pouvaient retirer leur participation du projet à tout moment, sans invoquer de motif précis.
Le traitement et la conservation des données ont été soigneusement pensés selon l’article
20 du code de déontologie et selon la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux
fichiers et aux libertés. En effet : « Le psychologue connaît les dispositions légales et
réglementaires issues de la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux
libertés. » L’utilisation de « données (…) à des fins (…) de recherche (…) ou de communication
(…) sont impérativement traitées dans le respect absolu de l'anonymat, par la suppression de
tout élément permettant l’identification directe ou indirecte des personnes concernées. »
(Code de déontologie des psychologues) L’anonymat des personnages a été une clause
fondamentale que nous nous sommes assignés dès le départ. Tout élément qui permettait
l’identification des sujets a été supprimé, nous avons uniquement gardé le prénom des
participants (durant la phase de traitement des informations) afin de pouvoir traiter les
données plus aisément.
Afin de restituer de manière authentique les témoignages et faciliter le traitement
des données, nous avons décidé d’enregistrer les entretiens sur une bande son (un
dictaphone). Cette condition nécessitait l’acceptation des participants et nous leur avons
expliqué que ces bandes seraient détruites une fois le projet de recherche achevé. Malgré la
méfiance d’un des parents au début d’un entretien, cela n’a semblé gêner aucun autre
participant dans leur récit.
Nous avons rencontré une difficulté concernant le lieu des rencontres avec nos
participants. Comme le souligne l’article 15 du code de déontologie des psychologues, le
psychologue doit disposer « sur le lieu de son exercice professionnel d’une installation
convenable, de locaux adéquats pour permettre le respect du secret professionnel, et de
moyens techniques suffisants en rapport avec la nature de ses actes professionnels. » (Code
de déontologie des psychologues) Un problème matériel s’est alors posé à nous ; l’étude
s’effectuant hors institution, nous n’avions pas de local adéquat pour la passation des
entretiens. Nous avons finalement décidé de rencontrer nos sujets à domicile, en posant
toutefois un cadre précis : un horaire de rendez-vous où nous serions seuls (chercheurparticipant), afin d’assurer au mieux le respect du secret professionnel, et une pièce calme
47
disposant d’une table afin de prendre des notes si besoin. Les individus ont globalement
adhéré à ce dispositif, les mettant plus en confiance et facilitant à notre impression la
verbalisation des émotions et du vécu. Cependant, à domicile, il peut plus facilement y avoir
des imprévus ou désagréments : lors d’un entretien, la jeune fille au pair d’un enfant (celui
dont on parlait ) est rentrée plus tôt que prévu, (nous venions heureusement de terminer
l’entretien). La mère a souhaité nous présenter son fils. Elle a alors prodigué toutes sortes de
gestes tendres et affectifs, comme pour nous prouver quelque chose, démontrer ses qualités
de « bonne mère ». Lors d’un autre entretien, une mère nous a demandé conseil à propos de
l’éducation qu’elle donnait à sa fille handicapée, et même à ses trois enfants en général. Cela
nous obligeant à sortir du projet de recherche et de notre position d’observateur pour
« juger » un comportement, nous avons rappelé dans ces deux cas le cadre précis de l’étude
et ses objectifs.
E. Hypothèses de la recherche
L’hypothèse principale du projet de recherche est la suivante :
L’annonce du handicap de l’enfant impacte de façon significative les processus de
parentalité. Plus particulièrement, les modalités de l’annonce du diagnostic bouleversent le
parent, entraînant des répercussions psychologiques chez ce dernier.
Notre étude a été guidée plus spécifiquement par six hypothèses de travail.
1. La qualité de l’annonce du handicap est un facteur essentiel : le vécu subjectif des
parents est différent selon si l’annonce en elle-même du diagnostic est claire ou
floue.
2. Les répercussions psychologiques sur le parent ne sont pas les mêmes selon que le
diagnostic annoncé de l’enfant est précis, d’étiologie connue, ou imprécis, d’étiologie
inconnue.
3. Le handicap suscite une blessure narcissique extrême chez le parent qui avait investi
narcissiquement l’enfant durant la période de la grossesse (toutes les annonces étant
post-natales).
48
4. Les parents adoptent des stratégies de coping différentes pour faire face à l’angoisse
suscitée par cette annonce du handicap.
5. Le traumatisme suscité par l’annonce du handicap de l’enfant remet en cause la
fonction parentale et entravent l’exercice, l’expérience et la pratique de leur
parentalité.
V. Matériel clinique et déroulement de la recherche
Nous avons décidé de réaliser notre exploration du vécu de la parentalité face à
l’annonce du handicap en étudiant de façon approfondie des cas individuels. L’étude de
divers participants au moyen d’un outil qui peut explorer le ressenti subjectif de chaque
parent, permet une analyse de l’impact de l’annonce du handicap de l’enfant transmise aux
parents, tant au niveau conscient qu’inconscient.
L’outil clinique retenu, l’entretien semi-directif, permet de répondre aux différents aspects
de l’hypothèse de cette étude. Nous avons pris contact, par téléphone ou par mail, avec nos
participants faisant partie de notre entourage professionnel (stages cliniques antérieurs,
« bouche à oreille »…) et leur avons proposé de participer à la recherche en leur expliquant
les objectifs et le déroulement du projet. Une fois leur accord donné, nous organisions des
rendez-vous pour les entretiens. Nous avons proposé de leur faire un retour individuel des
résultats à la fin du projet de recherche.
A. L’entretien clinique semi-directif
A.1. Rappels
Nous avons choisi d’utiliser cet outil pour recueillir nos données, car il permet
d’explorer, grâce à ses consignes généralisées et ses questions ouvertes, les représentations
parentales explicites et implicites, en obtenant des informations très riches, tout en
permettant une grande liberté et une spontanéité dans la formulation et l’organisation des
réponses des sujets. L’analyse du vécu de la parentalité à partir de l’étude du discours peut
mettre en relation les représentations imaginaires, les comportements, les pensées
subjectives des sujets. L’entretien offre au parent la possibilité de verbaliser en facilitant
l’expression du vécu subjectif. Cet outil est également très approprié pour étudier un groupe
49
de petite taille, dans le sens où il privilégie la richesse qualitative du discours des
participants. L’entretien offre un espace de projections dans lequel le sujet pourra organiser
le témoignage de son vécu à partir de thèmes bien définis.
Il est important de rappeler que cet entretien n’a « ni visée diagnostique, ni visée
thérapeutique. Mais il n’est pas pour autant dénué de but. Il correspond en fait à un plan de
travail du chercheur. » (Castarède, 1999, p118) Cet entretien clinique a une valeur de
recherche, d’exploration. Le chercheur propose un ou plusieurs thèmes au sujet, auxquels il
répondra de manière plus ou moins spontanée. Le libre choix lui est laissé dans les réponses,
sans que le chercheur ne fasse d’induction ou suggestion. « La structuration de ces
entretiens est réduite au minimum, l’enquêteur s’effaçant pour être à l’écoute de l’autre. »
(Chiland, 1983, p122) Nous avons décidé de ne pas prendre de notes durant les rencontres
afin de garder la dynamique et l’authenticité des échanges.
L’entretien doit répondre à des objectifs précis. Il permet d’apporter une contenance au
vécu de chaque sujet, car il peut se poser en tant que tiers dans la situation duelle
chercheur-sujet.
La trame des entretiens semi-directifs (les thématiques à aborder) est très importante à
élaborer au préalable, afin de pouvoir comparer les données entre les différents
participants. Elle suit un ordre bien précis afin de tenter d’éviter les rejets ou les
comportements défensifs. En ce qui concerne notre projet, nous avons pu aborder différents
thèmes, suivant nos hypothèses de recherche, autour du vécu de l’annonce du handicap et
son impact sur la parentalité : l’histoire de l’annonce, ses caractéristiques, leurs
préoccupations au moment de l’annonce, leurs attentes, les répercussions sur leur
parentalité…
La qualité de notre écoute et une analyse fine des données, dans le cadre de cette
investigation semi-directive, sont primordiales. Ainsi, une analyse de contenu à partir des
entretiens enregistrés nous a-t-elle semblé adéquate pour interpréter au mieux le vécu et
l’impact de l’annonce du handicap de l’enfant sur les parents.
A.2. Guide d’entretien
Celui-ci « comprend à la fois l’ensemble organisé des thèmes que l’on souhaite
explorer et les stratégies d’intervention de l’interviewer visant à maximiser l’information
obtenue sur chaque thème. » (Blanchet, Gotman, 1992, p62)
50
Conçu pour que les réponses obtenues puissent être comparées aux hypothèses, afin
qu’elles soient confirmées ou infirmées, notre guide d’entretien aborde des thèmes bien
spécifiques, sous forme de questions ouvertes :
1) L’histoire de l’annonce (post-natale) du diagnostic de l’enfant, les modalités et les
caractéristiques de celle-ci (par qui, comment, dans quel lieu elle a été faite),
2) Leur ressenti, les sentiments éprouvés, l’éventuel traumatisme vécu à l’annonce de
cet évènement,
3) La correspondance entre les représentations psychiques des parents quant au
diagnostic et au pronostic, et ce que les médecins ont annoncé, expliqué,
4) Les répercussions du diagnostic inconnu ou du diagnostic précis de leur enfant sur
leur parentalité,
5) Les relations avec leur entourage : famille, amis, collègues…
6) Les paroles, réponses, explications qui les ont aidés, lors de, ou après l’annonce du
diagnostic
7) Les paroles, réponses, explications qui leur ont manqué à ce moment précis de
l’annonce du handicap, ce dont ils auraient eu besoin.
A.3. Traitement des données
Nous avons choisi de traiter nos données recueillies lors des entretiens cliniques à partir
de la méthode de l’analyse de contenu, qui permet de déceler le contenu manifeste et le
contenu latent du discours. Nous avons d’une part relevé les mécanismes de défense dans le
discours de chaque sujet, qui permettent de distinguer les processus psychiques à l’œuvre,
et d’autre part le contenu des thématiques abordées, comprises dans le guide d’entretien.
Cette analyse de contenu des entretiens permet d’évaluer ce qui se joue au niveau conscient
mais aussi inconscient chez chaque parent et ainsi de se représenter au mieux le vécu
psychique de chacun à l’annonce du handicap de leur enfant. Nous avons pris soin de
confronter la synthèse de ces données à nos hypothèses de recherche. La synthèse des
données ne doit pas être faite au détriment de la spécificité et de la personnalité de chaque
sujet. Nous nous sommes attachés à d’abord analyser chaque entretien individuellement,
puis à les confronter les uns aux autres. De nombreuses relectures ont permis de dégager
des thématiques et des mécanismes psychiques récurrents dans les entretiens.
51
B. L’Indice de Stress Parental
Nous avons pour la première fois entendu parler de ce questionnaire lors de notre stage
à Montréal au Centre de Réadaptation Marie-Enfant de l’hôpital Sainte-Justine. Nous l’avons
trouvé particulièrement intéressant, car il était un des seuls outils pouvant repérer, dans la
dyade parent-enfant porteur de handicap, des difficultés nécessitant un accompagnement
psychosocial.
Une de nos sous-hypothèses est la suivante : « Les répercussions psychologiques sur le
parent ne sont pas les mêmes selon que le diagnostic annoncé de l’enfant est précis,
d’étiologie connue, ou imprécis, d’étiologie inconnue. »
Ainsi, à travers cet outil, notre objectif était de tenter d’analyser si le vécu psychique
parental était différent entre les parents d’enfant atteint de trisomie 21 et ceux dont les
enfants avaient un syndrôme neurologie d’étiologie inconnue, entraînant des répercussions
différentes sur les interactions parent-enfant.
Elaboré par Richard R. Abidin aux Etats-Unis en 1976, validé en 1983 et traduit de la
version originale, le « Parenting Stress Index », au Québec par Bigras et LaFrenière en 1996,
est utilisé afin de repérer dans les dyades parent-enfant des difficultés assez importantes
pour une intervention psychosociale. Le stress parental, défini par Abidin, est un « état de
malaise psychologique relié au domaine spécifique de l’éducation de l’enfant, soit le stress
que le parent vit lorsqu’il élève son enfant. » (Abidin, Au cœur des familles) Cet instrument
comporte 101 items, divisés en deux catégories de stresseurs : ceux associés au domaine de
l’enfant et ceux associés au domaine du parent. Le parent répond sur une feuille de réponse
(feuillet-réponse), selon une échelle de Likert en cinq points, allant de «profondément
d’accord » à « profondément en désaccord » pour chaque proposition.
Le domaine de l’enfant, représenté par 47 items, se répartit en 6 sous-échelles, les quatre
premières sont liées au tempérament de l’enfant : l’adaptabilité de celui-ci (ses capacités à
s’adapter au changement), l’exigence de l’enfant vis-à-vis de son parent (demandes
d’attention et de soin etc.), l’humeur de l’enfant (pleurs excessifs, retrait, dépression…qui
occasionnent un stress chez le parent), l’hyperactivité de l’enfant (qui demande une énergie
constante et un haut niveau de vigilance de la part du parent). Les deux autres sous-échelles
traitent des attentes du parent vis-à-vis de l’enfant et du sentiment d’être récompensé par
lui : l’acceptabilité (l’acceptation des caractéristiques de l’enfant par son parent, « le degré
52
de conformité de l’enfant à une image idéalisée ou souhaitée par le parent » (Bigras,
Lafrenière, Abidin, 1996), la capacité de l’enfant à gratifier et renforcer son parent : ce
facteur est un composant du processus qui unit le parent et son enfant, et se développe
d’après les signaux que l’enfant émet et selon la capacité du parent à bien les comprendre.
Cette caractéristique de l’enfant est vitale pour maintenir la motivation du parent à
prodiguer des soins et de l’amour.
Le domaine du parent, représenté par 54 items, est réparti en 7 sous-échelles (qui sont 7
variables contribuant au stress parental): la dépression du parent, son sentiment de
compétence, l’attachement du parent envers son enfant, la relation conjugale, le soutien
social disponible au parent ou non (isolement social), la santé physique du parent et enfin, la
restriction entraînée par la fonction parentale. Les variables dépression et sentiment de
compétence parentale sont interrelliées et influencent l’attachement du parent.
Les quatre dernières sous-échelles sont des variables situationnelles qui contribuent
fortement au stress parental subi au quotidien. Bien qu’il n’y ait pas de temps limite imparti,
la passation du questionnaire dure de 20 à 30 minutes. La population ciblée par l’ISP sont les
parents d’enfants âgés de 13 ans et moins. Cependant, il se révèle être très utile pour les
parents d’enfant âgés de 0 à 6 ans, période de développement cruciale pour l’enfant et aussi
considérée par les parents comme étant une période où les niveaux de stress et d’exigence à
l’égard de l’enfant sont très élevés.
Cet outil de mesure existe aussi en forme brève et comprend 36 questions, dérivées de la
version longue, trois sous-échelles (Détresse parentale, Dysfonctionnement dans
l’interaction parent-enfant et Enfant difficile) et donne également un score total de stress
parental.
La validité du Parenting Stress Index a été démontrée par de nombreuses recherches auprès
de parents dits normaux, de mères dépressives et de mères d’enfants agressifs, de mères
maltraitantes et enfin auprès de parents d’enfants handicapés (Lacharité, Éthier et Piché,
1992). La version française de l’ISP a été notamment validée par leurs recherches et par
celles de Bigras et LaFrenière (1996).
Après mûre réflexion, nous avons finalement choisi de ne pas utiliser ce questionnaire
dans le cadre de cette étude, celui-ci ne répondant pas tout à fait à la problématique et à
notre hypothèse principale. En effet, l’Indice de Stress Parental traite de la relation parent53
enfant handicapé mais n’analyse pas le vécu psychique parental à l’annonce du handicap en
elle-même.
Afin de rester centrés sur le thème de l’annonce, nous avons décidé d’approfondir le
guide d’entretien de nos entretiens cliniques afin d’obtenir une analyse la plus détaillée
possible des répercussions psychologiques de l’annonce du handicap de l’enfant sur
l’équilibre psychique du parent.
VI. Résultats de la recherche
A. Analyse des résultats
A.1. Analyse thématique des entretiens cliniques
Au travers de l’analyse thématique des entretiens de recherche, nous avons pu
regrouper en trois parties les thèmes présents de façon récurrente. Ils mettent en exergue le
vécu subjectif des parents face à l’annonce du handicap de leur enfant. Nous avons regroupé
les thèmes centrés sur le handicap, et son impact sur les processus de parentalité, les
thèmes révélant les différentes répercussions sur la parentalité selon que le diagnostic de
l’enfant est précis ou imprécis, et enfin les thèmes centrés sur l’annonce proprement dite.
A.1.1. Thèmes centrés sur le handicap de l’enfant (tous diagnostics
confondus), et son impact sur les processus de parentalité
1) Le vécu du handicap
a) La souffrance, exprimée par l’ensemble des parents
On relève en effet une souffrance évoquée par les parents dans tous les entretiens :
P.3 : « Je me souviens de la première fois que j’étais partie sans elles en vacances…quand
j’étais revenue, ça avait rejailli oh là là bon sang, c’est vrai que c’était fort, c’est dur… »
« Mais c’est difficile après, je me rappelle la première fois je pleurais, mais bon même
encore maintenant, y’a l’émotion parfois qui me reprend ».
54
P.4 : « J’étais très…mal, j’étais très déconstruite au départ, car pour moi je vous dis, il en
était absolument et franchement hors de question (que sa fille soit handicapée) », « ça me
renvoyait des choses…ça me donnait le bourdon ».
b) Les angoisses archaïques suscitées par le handicap
- Le handicap mental de l’enfant réveille souvent de nombreuses angoisses archaïques,
se traduisant par des idées de difformité, de monstruosité, « d’étrangeté » (Sausse, 1996,
p13).
P.4 : « Je la reconnais pas, je sais pas comment elle fonctionne…», « ça me renvoyait à des
angoisses… ».
Le parent P.5 est une mère à qui on avait annoncé un risque sur 400 de trisomie 21, mais qui
a décidé de poursuivre sa grossesse : « j’ai eu une phase où je me suis dit : ‘phhh, j’ai un
enfant handicapé dans le ventre, j’ai toutes les visions cauchemardesques qui me sont
passées par la tête, j’ai un monstre dans le ventre…parce que ça passe souvent…j’étais un
peu en difficulté avec ça… »
- Comme Sausse qui écrit que le handicap laisse « sans voix » (Sausse, 1996, p23), nous
constatons que la majorité des parents qui subissent ce traumatisme vivent une expérience
de l’ordre de l’indicible. P.2 : « Elle était pas belle (…), y’avait un truc qui clochait et entre le
fait de le dire ‘Elle est trisomique’, en trois mots (…) c’était tellement fort qu’on peut pas se le
dire ».
P.4 : « Je me disais ‘elle va être handicapée’ et c’était pour moi insupportable ».
- On note que les fantasmes autour de la déficience mentale sont très présents chez
les parents que nous avons interviewés.
Le parent P.3 utilise le mécanisme du refoulement : « On m’a passé un bouquin et en
fait je suis tombé sur la mauvaise page genre : ‘déficit mental’ ou je sais pas quoi, donc je l’ai
fermé et j’ai dit : Allez, c’est bon, on verra bien ! (…) on était pas du genre à vouloir chercher
dans les bouquins, de toute façon ça sert à rien »
P.4 : « Il en était absolument et franchement hors de question (…) Pour moi, je ne
voulais pas que ma fille soit handicapée, et surtout pas handicapée dans le ‘mental’…C’était
vraiment mon truc (…) J’ai besoin de comprendre la différence entre le mental et ce qu’elle a
elle».
55
P.5 : « Il (son mari) n’a pas pu regarder son fils pendant un mois et demi, voir deux
mois même (…), il s’est trouvé obligé de le regarder un peu(…), mais en fait il le regardait : il
se mettait à pleurer quoi…c’était : ‘Non je peux pas, c’est pas possible je peux pas l’aimer’, ça
a réveillé plein de trucs… ».
c) Le rejet de l’enfant
Le handicap de l’enfant, comme nous l’avons vu précédemment dans la partie théorique,
mobilise de nombreux mécanismes de défense chez le parent, et entraîne des
comportements plus ou moins temporaires, et qui sont réversibles. Le rejet de l’enfant est
un comportement que nous avons relevé dans le discours de trois parents sur cinq.
Le parent P.3 est une mère de jumelles trisomiques, dont le diagnostic est aussi postnatal : « Si je les avais pas vu avant (qu’on me les enlève), je pense que j’aurais pas pu les
voir…et puis après le médecin m’a dit : ‘Il y en a une sur les deux qui est plus marquée’, donc
t’as du mal à la voir…et j’avais un rejet, mais un rejet… », « Mon mari (…) il a beaucoup de
mal à accepter ses filles…mais même moi, j’accepte pas non plus a 100% ».
P.4 : « Je l’avais envoyé en colo très jeune…j’étais dure… », « (…) car pour moi c’était
lourd, j’en pouvais plus de la voir ».
- Le rejet peut être associé à des fantasmes de meurtre sur l’enfant. P.3 : « Au début
c’était vraiment le rejet de la trisomie, le rejet…plus de l’une que de l’autre…Il faut l’avouer,
on avait dit que si y’en avait une des deux (qui décédait…) avant qu’il n’y ait le truc… (Une
des deux jumelles a dû subir une opération du cœur) Y’en a une des deux c’était : ‘Bah celle-là
je peux pas trop la voir en peinture…J’avais du mal… ».
P.4 : « C’est moi qui était négative, car encore une fois je me souviens que j’avais été voir un
médecin en disant : ‘Mais si elle est trop mal, c’est même pas la peine de continuer’…et elle
avait été profondément choquée que je dise ça, et j’ai pas honte de le dire… », « (…) car pour
moi c’était lourd j’en pouvais plus de la voir ».
P.5 : «Il (le père) était bien avec ses trois enfants, il avait pas du tout envie de voir V... ».
Ce rejet se note également dans les soins quotidiens de l’enfant, tant dans
l’habillement. P.3 : « Ah ouais et vous voyez, même au niveau vestimentaire, j’arrivais pas à
l’habiller comme l’autre, de manière égale… », que dans l’alimentation : « (…) mais je me suis
dit : ‘Je vais les allaiter’, ça va peut-être renforcer le lien maternel, je les ai quand même
allaitées trois semaines, un mois…c’est beaucoup pour moi ! »
56
- Chez le parent P.4, nous avons noté que le rejet de l’enfant était un comportement
adaptatif, car il a permis de créer un manque chez cette mère : « (…) donc c’était vraiment
pas facile, je lui disais (à son mari) : ‘Bah prend-la alors, moi j’arrive pas à gérer, j’ai besoin
qu’elle me manque…j’avais besoin qu’elle me manque, et maintenant je m’organise et elle
me manque ».
- Le handicap de l’enfant creuse un écart entre le quotidien des familles ordinaires et
le quotidien, plus lourd, des parents d’un enfant handicapé, ce qui crée un sentiment
d’incompréhension chez le parent P.4 : « (…) je voulais pas montrer aux autres que j’étais
malheureuse et puis, je comprenais pas la vie des autres, même si j’étais entourée en fait ».
d) Angoisses par rapport à l’avenir de l’enfant
Les parents d’enfants porteurs d’un handicap sont en proie à des angoisses par rapport à
l’avenir de l’enfant et particulièrement par rapport à la dépendance de celui-ci.
P.2 : « Et la vraie question qu’on s’est posé tout de suite, tout de suite dès qu’elle est née,
c’est ‘est-ce qu’on va avoir un boulet attaché au pied toute notre vie ? Est-ce qu’on va
pouvoir partir en voyage tous les deux à 60 ans, quand tous nos enfants seront scolarisés ou
est-ce qu’il faudra rester à Paris parce qu’on aura une petite fille qui est totalement
dépendante ?’ (…) c’est ce qui nous fait le plus de mal encore actuellement ».
P.3 : « (…) l’inquiétude…l’inquiétude sur l’avenir qui est beaucoup plus forte sur un
enfant handicapé (…) Qu’est-ce qu’il fera plus tard et qu’est-ce qu’il fera quand on sera plus
là, sans que ce soit une charge pour les frères et sœurs ? »
P.5 : « Est-ce qu’il va être autonome…puisque moi bon, l’enjeu c’est d’être un jour
tranquille en couple, tous les deux, c’est regarder grandir nos enfants…(…) Est-ce qu’il va un
jour être autonome ? C’est un peu ça qui nous travaille, qui nous travaille toujours d’ailleurs.
J’ai envie qu’il soit autonome et qu’on puisse partir en vacances tranquilles (…), pas l’avoir
toujours à la main quoi ».
Le parent P.4, maman d’une petite fille prématurée dont le diagnostic est encore imprécis,
utilise le mécanisme de l’évitement en disant : « Pour le reste (le pronostic, l’avenir de
l’enfant) non, on vous répond jamais parce que c’est difficile…Quoi répondre ? Même
maintenant je trouve que c’est difficile (…) ça m’intéresse plus tellement de savoir ce qu’elle
va faire dans sa vie d’adulte…alors j’imagine des ESAT, des machins, des trucs…mais quoi ? Je
préfère pas y penser… »
57
2. Atteinte au niveau conjugal et atteinte de la fonction parentale
a) Les répercussions du handicap de l’enfant sur le couple conjugal
-Le parent P.3 insiste sur le bouleversement des projets d’avenir du couple : « On avait
construit plein de projets ensemble avec mon mari, tout ce qu’on avait imaginé, tout ça
s’effondre… » Les conjoints ne sont parfois pas en mesure de se soutenir mutuellement. P.3
explique ainsi : « Mon mari par contre c’est vraiment différent…je pense qu’il était dans le
déni…il a beaucoup de mal à accepter ses filles… ».
Chez le parent P.4, l’éloignement géographique du conjoint sert à masquer son incapacité à
soutenir psychiquement la mère. « En plus j’habitais seule, mon mari qui à l’époque était
encore mon mari habitait déjà à ‘petaouchnoque’ donc…du coup j’étais seule, j’étais
seule… ».
Interviewer : « qu’est-ce qui vous a manqué à ce moment là ? ». La mère P.4 souligne
l’importance d’une communauté d’idées sur le handicap de l’enfant : « Bah (…) c’est avoir
une communauté d’idées avec son mari sur ces choses…et ça c’est pas facile car chacun vit
avec ce qui lui arrive dans sa vie…», « mon ex-mari m’aide pas du tout, déjà il habite en
Lettonie, et puis à chaque fois quand il rentrait, il me disait la veille : «’Ah, j’ai un rendez-vous
je peux pas y aller ! »
- Le parent P.5 insiste sur le bouleversement des places et des rôles dans leur couple.
En effet, cette mère a dû porter pendant un an la souffrance de son mari, celui-ci ayant eu
des difficultés majeures à accepter son fils trisomique : « (…) pour notre couple, ca a été
assez difficile, c’est comme une détonation, comme une bombe atomique… », « Ca a été dur,
donc du coup pendant un an c’est moi qui ai porté toute la famille… ça a eu des répercussions
sur notre couple (…) Au bout d’un an, moi je me suis effondrée, fatiguée tout ça… »
- Elle insiste sur le changement des rapports de force au sein de leur couple, l’amour
conjugal s’en trouvant ainsi entaché : « il y a…les rapports de force…tout a éclaté…jusqu’à
présent j’avais un mari hyper fort, sur qui je pouvais vachement compter, très solide (…)
parce que pour moi c’était la pire des choses, la mort d’un enfant (le couple a perdu un
enfant in utero) mais il faut croire que pour lui c’était le handicap qui était le pire…donc ca a
été une grande déception pour moi (…) je me suis trouvé la force, et lui le faible…et ca a été
dur de rééquilibrer et après de faire avec cette déception…c’est sûr que ça chamboule ».
Néanmoins, certains parents notent une amélioration à partir du moment où il y a eu
une meilleure intégration du handicap. P.5 : « (…) je sais qu’il y a des papas qui s’en vont,
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donc moi j’ai de la chance, O. n’est pas parti (…) et il est heureux ! Donc comme quoi tout est
possible ! Là je peux dire que ça ne nous a pas tués pendant deux, trois ans, donc maintenant
ça nous rend plus fort, là on y va ! »
b) Atteinte de la parentalité
b.1. Remise en question et culpabilité
On souligne en particulier chez le parent P.3 et P.4 une remise en question sur leurs
pratiques parentales. P.4 : «Et moi je ne la voyais que comme un handicap et un problème,
pendant très longtemps…Mais je crois pas l’avoir maltraitée, mais je pense que je l’ai
stressée », « C’était un psy je sais plus lequel, qui m’avait dit : ‘Il faudrait que vous trouviez
une chose que vous aimez faire avec elle, car pour moi c’était lourd, j’en pouvais plus de la
voir ».
P.3 : « Je pense que sur ma personnalité ça a influé (le handicap de ses deux filles), en bien ou
en mal je sais pas…»
Chez le parent P.4, cette remise en question entraîne une culpabilité majeure : « (…) parce
qu’on a toujours des culpabilités hein, c’est toujours des trucs où maintenant avec la vie
sociale où elle est différente des autres et elle le voit (…) elle voit bien que la petite voisine va
dormir chez des copines (…) et elle a pas ça donc je me dis : ’Faut que je fasse un quatrième
Uno’, mais d’un autre coté, au bout du quatrième Uno, j’en peux plus du Uno ! »
b.2. Un enfant vécu comme « un étranger » : des difficultés d’affiliation
Nous avons pu souligner dans la majorité des témoignages des parents une difficulté à
s’identifier à l’enfant, l’acceptation du handicap étant une épreuve difficile. Ainsi relève-t-on
une certaine ambivalence autour de l’image de l’enfant, et un deuil difficile de l’enfant idéal.
Chez la mère P.3, ces difficultés majeures d’identification sont teintées du rejet qu’elle a
longtemps éprouvé pour ses jumelles. « J’avais du mal…notamment même encore
aujourd’hui à me dire : ‘Elles sont mignonnes’, je peux pas…’Elles sont jolies’ quand on me dit
ça, j’ai du mal à l’entendre… ».
Ces difficultés d’identification semblent s’accentuer à mesure que la mère poursuit son
récit, insistant sur les dissemblances physiques. On note à deux reprises une annulation dans
son discours lorsqu’elle tente d’évoquer une quelconque ressemblance parents-enfants,
avant de reconnaître à la fin du discours l’existence du patrimoine génétique, comme
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tentative de réparation. « On nous a rarement fait la réflexion comme quoi nos filles nous
ressemblaient ! (rires) Autant mon fils ainé ça oui ! Encore que maintenant, ils (leurs amis)
retrouvent…C’est marrant comme quoi l’hérédité, le patrimoine génétique joue…Il y a quand
même des expressions ou des…même si c’est pas forcément physique (rires) (…) c’est nos
filles hein (rires , c’est nos marques de fabrique ! »
b.3. L’image que l’enfant handicapé renvoie suscite une blessure narcissique majeure
chez les parents
- Le regard d’autrui et le sentiment d’isolement
A mesure que l’enfant porteur d’un handicap grandit, les idées d’étrangeté
dérangent et se traduisent dans le regard d’autrui : P.3 : « on a toujours inévitablement le
regard des autres et…on se blinde hein… ».
De plus, on note un sentiment de stigmatisation très fort chez le parent P.4, pour qui
le regard des autres engendre une souffrance majeure: « Je voulais qu’elle soit dans une
structure où on la regarde pas que comme une enfant handicapée, et dans les structures
ordinaires, on la mettait dans un coin en disant ‘c’est la petite handicapée’ et j’étais ‘la
maman de la petite handicapée’, et en fait j’avais beaucoup de mal à vivre ça à l’époque,
j’étais très…mal, très déconstruite…», « Je pense que c’est moi aussi qui supportait mal ce
regard des gens », « Et c’est vrai que les autres la regardent pas toujours heu… », « J’avais
l’impression que tout le monde voyait qu’elle était handicapée ».
P.5 : « On s’est dit : ‘Y’a que nous qui pourrons aimer cet enfant’, vu ce que les sociétés
pensent d’eux ».
Chez le parent P.4, c’est le regard que les autres portent sur sa fille qui est source
d’une blessure narcissique. En effet, le narcissisme se construit dans le regard de l’autre.
« Maintenant pour moi à douze ans, c’est vraiment sa construction de petite fille entre le
monde des valides et le monde du handicap (qui lui importe), parce que je trouve qu’elle a un
peu de mal avec le regard des autres… », « Oui et c’est vrai que les autres la regardent pas
toujours…heu… »
La blessure narcissique est aussi alimentée par certains discours tenus par les
professionnels à propos de l’enfant, qui les fait souffrir. Le père P.1 a été particulièrement
blessé par les propos tenus par les médecins sur son fils, qui a un syndrome neurologique
d’étiologie inconnue. «C’est douloureux de sentir ça, on se sent brutalisé…on sortait de tous
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ces rendez-vous avec ces professionnels incompétents…et on sentait à quel point on avait été
malmené, et on prenait des semaines pour s’en remettre ! (…) c’était si dur cette indifférence,
cette incompétence, ignorance… ils ignoraient mon fils…on nous claquait à la porte en disant
qu’il était asocial (…). Je me disais : ‘Mais vous ne faites vraiment pas votre travail !’ », « Ils
disaient tous de notre fils : ‘il ne peut pas, il ne pourra pas, il ne comprendra pas, il n’est pas
capable, il est fainéant’, c’était tout sur le manque », « on était révolté par les pronostics
négatifs »
- Le sentiment d’être rejeté par la société se retrouve dans la majeure partie des
entretiens de recherche.
P.1 : « C’est douloureux de sentir ça…on se sent brutalisé (…) on sentait à quel point
on avait été malmené », « Mais tout cela, on se rendait compte, était un pas de plus vers
l’exclusion ».
P.4. « A l’école ordinaire, ils n’ont pas toujours été très gentils…je les supportais pas
moi, et elle (sa fille) non plus d’ailleurs, donc on était très contentes d’en sortir, on n’a pas
aimé ce passage là ».
P.5 : « J’étais un peu au début dans l’esprit de : ‘Y’a que nous qui pourrons aimer cet
enfant’, vu ce que les sociétés pensent d’eux… »
3. Les stratégies défensives et adaptatives des parents
On relève dans les témoignages des parents la mise en place de différents comportements
pour faire face au handicap de leur enfant.
a) La recherche d’une solution miracle
La souffrance suscitée par le handicap engendre chez de nombreux parents la
recherche d’une solution miracle, d’un remède miracle, provenant principalement des pères,
chez qui le mécanisme de rationalisation est très présent. P.1 : « On cherchait surtout une
solution miracle. J’avais entendu parler d’un médicament qui était expérimental, utilisé pour
les gens atteints de la maladie d’Alzheimer et qui pouvait aider la mémoire, la concentration,
requinquer les cellules nerveuses…On a essayé avec notre fils, on n’a pas vu de
changement… », « Aujourd’hui encore, je me dis qu’il est possible qu’une personne voit mon
fils et dise : ça c’est lié à ce truc neurologique…y’a un truc pharmaco qui pourrait aider… »
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P.5 : « Notre espoir majeur : Où en est la recherche ? Comment ça va se passer ? Est-ce qu’il y
a des médicaments qui pourraient être en test ? Et ces médicaments agissent sur quoi? » Ces
parents sont à la recherche de cette solution miracle afin de ne pas sombrer dans le
désespoir ou la dépression. « Pour essayer de voir des espoirs d’amélioration, des fenêtres
d’amélioration… ».
L’intellectualisation est très présente chez certains parents. P.5 : « Et puis la recherche
avance, donc parfait. Mon mari est juriste dans le droit de la santé, il bosse avec tous les
essais cliniques des médocs, il connaît, il sait, voila, ‘stade 2, on en a encore pour 8 ans’ etc.,
donc il suit ça avec beaucoup d’intérêt ».
b) Face au rejet de la société auquel ils peuvent faire face, ces parents souvent
démunis comptent beaucoup sur l’aide de leur entourage.
Leurs familles et les amis sont un soutien particulier dans l’appropriation du handicap de
l’enfant. P.3 : « On a eu la chance d’avoir de bons amis (…) qui nous ont dit : ‘Elles ne sont pas
responsables de ce qu’elles ont, elles l’ont pas souhaité’… ».
Le parent P.5 insiste sur le soutien actuel de leur famille, malgré quelques balbutiements
à l’annonce du handicap de leur fils. Il peut y avoir une réelle blessure chez les grandsparents, comme si elle traversait les générations. « Mes parents ont en fait eu du mal, je me
suis presque faite engueuler par ma mère le jour où je lui ai annoncé la naissance de Virgile
(…) mais j’ai eu la présence d’esprit de lui dire ‘Bon, pfou, je te laisse, tu me rappelleras
quand t’auras fait ton chemin. (…) en ce moment, je peux pas supporter ça’ et elle a compris,
elle est arrivée une semaine après à la maternité, elle a pris le temps de réfléchir, de pleurer
aussi dans son coin… » Mais elle souligne l’appui actuel de leur famille : « Mon père a dit à O.
(son mari) ‘Bon, nous, à votre place, on l’aurait pas gardé, mais maintenant qu’il est là, on va
se serrer les coudes’ et ça a été le point de départ, on s’est senti entouré par notre famille. Et
du coté d’O., alors là ça a été très bien tout de suite…»
On note à l’inverse la souffrance du parent P.4 qui a eu le sentiment de n’être pas
soutenu par sa famille, que ce soit sa mère, qui selon elle banalisait le handicap, ou ses
sœurs, dont elle souligne l’indifférence et la gêne pendant de nombreuses années :
« Comme j’étais seule, que ma mère m’emmerdait car elle pensait que de toute façon le
handicap c’était moins difficile aujourd’hui qu’à son époque, elle m’a pompé, c’était
insupportable, donc d’elle c’était pas possible, mes sœurs, elles m’aidaient pas, elles
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comprenaient pas. (…) c’est vraiment au début de mon divorce, elle m’a dit : ‘Si tu veux on
peut déjeuner ensemble’ (…), j’en avais ras le bol j’ai dit : ‘Bah écoute moi j’ai pas besoin de
ça, tu te rends compte qu’en 10 ans t’as pas pris ma fille une seule fois, jamais tu me
proposes de la prendre alors que moi j’ai besoin qu’on m’aide avec ça, car moi j’en peux
plus…J’avais beaucoup de choses à dire et j’avais du mal à le dire. (…) mon autre sœur, je sais
qu’elle est vraiment très dérangée par le handicap donc j’en parle pas avec elle. Elle est
gênée, elle parle à ma fille comme si c’était la dernière des… »
c) Le besoin de rencontrer des familles ayant vécu la même expérience
On observe un besoin de rencontrer des familles ayant également un enfant handicapé.
Elles apportent soutien, information et réassurance à ces parents en situation de choc. Il y a
ainsi comme un partage de la souffrance.
P.2 : « Alors comment on a appris les choses ? Et ça, c’est le meilleur moyen, vécu
d’information, on s’est mis en contact avec énormément de familles (…) vraiment de bouche
à oreille (…) En huit jours, on avait déjà vu trois familles, c’était bouclé. On savait où aller
chercher l’information, et ça, ca nous a beaucoup, beaucoup, beaucoup rassurés », « c’est
vraiment les familles qui nous ont donné l’espoir, les bons tuyaux, les bons contacts ».
P.4 insiste sur l’importance du soutien mutuel que ces familles s’apportent, sans pour
autant devoir parler du handicap : « Une fois arrivée ici (association A.) j’ai rencontré plein de
copines qui avaient le même type d’enfant (…) on se voit toujours et finalement on se marre
», « (…) je trouve que d’avoir cette cellule de décompression où finalement on se comprend
sans avoir besoin de dire, c’est très agréable ».
Cependant, les parents peuvent avoir une réticence à rencontrer d’autres familles,
car le mécanisme du déni peut être présent à l’annonce du handicap. La simple vue d’autres
enfants handicapés renvoie les parents à leurs propres angoisses. On le voit aisément chez la
mère P.3 : « il y a une maman qui était venue me voir aussi, mais j’avais pas tellement envie
de voir d’enfants plus âgés, ca fait peur aussi…on n’a pas envie… ».
d) Une acceptation progressive de la part des parents : une prise en compte des
difficultés de l’enfant et un réajustement des projets, des attentes. Un deuil
progressif qui va vers un aménagement
63
Même si les parents doutent de leurs capacités à reconnaître l’enfant, un travail
d’intégration se fait petit à petit, avec le temps.
-
Deuil progressif de l’enfant idéal
La mère P.5 est consciente des difficultés de son enfant, ses attentes vis-à-vis de lui
sont amoindries, mais restent cependant exigeantes : « Pour V., pareil, on a beaucoup
d’énergie, on met beaucoup d’énergie pour qu’il donne le meilleur de lui-même et qu’il essaie
de faire des études…on se dit pas qu’il fera Polytechnique, des portes qui nous sont ouvertes
pour les aînés, mais…on veut qu’il aille jusqu’au bout de lui-même, donc, l’ambition, pareil ».
Pour la mère P.3, ce deuil de l’enfant idéal est aussi le deuil toujours douloureux de la
relation qu’elle pensait créer avec ses filles. « Je leur avais dit : ‘Voilà, vous êtes trisomiques’,
bon c’est comme ça…Ce qui est vachement dur, c’est que j’arrive pas tout le temps à
communiquer avec elles. On n’a pas de réelle discussion. C’est frustrant ».
Le parent P.1 reconnaît les difficultés de son fils : « Ce qui me désole c’est que je vois
que mon fils est tellement atteint par des tics physiques qui bousillent sa concentration…c’est
trop dur, et il laisse tomber, pourtant il a tant de choses à exprimer ».
Il valorise ses progrès : « Maintenant il lit de mieux en mieux, moi je veux qu’il ait le temps de
devenir la personne qu’il peut devenir. Le stress est lié à l’impression du manque de temps ».
-
Une intégration progressive du handicap
Nous avons pu remarquer dans les entretiens cliniques un certain essoufflement de la
part des parents, qui tentent avec le temps d’intégrer le handicap de leur enfant et de vivre
avec ses difficultés. P.4 : « Alors j’essayais d’aller partout pour comprendre comment ça
fonctionnait…Puis un jour j’ai arrêté. Parce que du coup je la voyais plus comme une petite
fille, je la voyais comme un handicap (…) maintenant je trouve qu’elle est rigolote, je trouve
que j’organise mieux sa vie ».
P.3 : « Donc bon maintenant, je relativise, je vis au jour le jour, sans faire de plans sur la
comète et voilà. Il faut relativiser les épreuves… ». « Maintenant ça va mieux...le temps…on
n’accepte pas quand on sort, mais on essaie de vivre avec et de les élever le plus
naturellement possible et le plus normalement… ».
-
Un combat perpétuel
64
On note chez certains parents un comportement combatif face aux difficultés
rencontrées dans la prise en charge de l’enfant. P.1 : « On était des combattants, on a eu une
sorte de pacte avec cet enfant qui était tellement évident. Ca coulait de source, on réfléchit
pas », « (…) avec les écoles, chaque combat pour qu’il ait sa place… »
P.3 : « quand tu dois aller te bagarrer pour obtenir tel papier au niveau de l’administration
par exemple (…) puis vous rétorquez à la sécurité sociale : ‘Ecoutez ! Vous me trouvez une
solution, sinon je bouge pas de chez vous !’ Vous vous seriez jamais cru être capable de faire
ça ! »
-
Comparaison de l’enfant à d’autres enfants
Nous avons relevé à travers tous les entretiens de recherche le besoin des parents de
comparer l’enfant à d’autres enfants plus sévèrement atteints afin de valoriser les
compétences de leur enfant.
La mère P.4 compare sa fille à un garçon plus légèrement atteint, ce qui la renvoie à
des angoisses, mais tente de minimiser le handicap de sa fille.
Ou encore, certains parents, dans un besoin de réassurance sur leurs capacités à
« fabriquer » des enfants « normaux », comparent leur enfant handicapé aux frères et
sœurs.
- Comparaison avec des enfants plus sévèrement atteints. La mère P.4, dans un
travail de réparation, souligne « la chance » qu’elle a d’avoir une fille sans problème de
comportement : « C’est vrai que j’ai une chance énorme car Caroline n’a aucun problème de
comportement, elle est hyper mignonne…Du coup, c’est terrible à dire mais trouver une place
dans un établissement pour elle, c’est pas très compliqué, c’est vrai que quand on a un gamin
avec des troubles du comportements importants, c’est tout de suite plus compliqué…c’est
dingue ».
- Comparaison avec des enfants plus légèrement atteints. La mère P.4 insiste, avec
beaucoup de répétitions, sur l’intelligence supérieure du garçon auquel elle compare sa fille,
pour tenter de minimiser les difficultés de celle-ci : « Puis un jour, je suis arrivée ici
(association A.) puis j’ai vu un petit garçon qui était né au même nombre de semaines, qui
n’avait aucun problème de langage et là je me suis dit : ‘Bon bah voilà, (…) c’est là où j’ai pris
l’annonce du handicap de ma fille. Bon (…) c’est un petit garçon qui est supérieurement
intelligent (…) Ils allaient au poney ensemble, ils étaient pareil ! Sauf que c’était pas du tout
65
le même niveau de conceptualisation, le même…heu bon lui reste extrêmement
supérieurement intelligent, par rapport même aux autres gamins de son âge, il a un niveau
de conceptualisation qui est supérieur aux autres, mais enfin malgré tout (…) c’est là que je
me suis rendu compte que ma fille était plus handicapée en fait… »
- Comparaison avec les frères et sœurs. La mère P.5 insiste, à propos de l’avenir de
ses enfants, sur les potentialités de ses autres enfants, comme tentative de réassurance et
un soutien pour le narcissisme. Les exigences vis-à-vis des autres enfants sont majeures,
comme s’il fallait réparer quelque chose. « Pour nos grands, ca va être qu’ils soient parfaits à
l’école, qu’ils aient de supers bonnes notes, car ils en sont capables, donc on fait tout ce qui
faut (…) pour les pousser, et pour Virgile (…) on se dit pas qu’il fera Polytechnique, des portes
qui nous sont ouvertes pour les aînés, mais heu…on veut qu’il aille jusqu’au bout de luimême (…) ».
- Comparaison du nombre d’enfants dans la fratrie. P.4 insiste sur la difficulté de
n’avoir qu’un enfant et de surcroît porteur d’un handicap, et sur la nécessité d’avoir d’autres
enfants afin de préserver son narcissisme. « Moi je trouve que le grand privilège que j’ai,
c’est que j’en ai trois, moi j’en vois plein….ils ont qu’un enfant et un enfant handicapé, c’est
dur… ».
-
Face au handicap, le besoin de réassurance des parents
Dans les entretiens, les parents éprouvent un besoin de réassurance en insistant sur
les progrès de l’enfant. P.1 : « On voyait qu’il avait des problèmes dans sa motricité, dans la
coordination de ses gestes mais on voyait des progrès, que ça se précisait. Il court
maintenant, il a mis des années mais il a réussi ! », « Maintenant il lit de mieux en mieux ».
Nous avons aussi relevé que les parents surmontaient les difficultés au fur et à
mesure des années, montrant ainsi une maîtrise de la situation. P.5 : « J’en suis convaincue,
que ça peut mener à quelque chose de bien (…). Donc là je peux dire que ca ne nous a pas
tué, là pendant deux, trois ans, donc maintenant ça nous rend plus fort. Là on y va ».
-
La capacité des parents à se reposer sur le hasard
C’est à travers l’ensemble des entretiens que nous avons pu souligner l’utilisation
systématique du hasard pour expliquer certains évènements. Ils considèrent tous avoir eu de
la chance dans les épreuves qu’ils ont traversées.
66
P.1 : « Maintenant, il est depuis quatre ans dans une structure pour enfants IMC. Il n’aurait
jamais pu entrer dans celle-ci si nous n’avions pas rencontré la chef psy de cette structure (…)
Donc mon fils à eu droit à cette école, mais c’était un peu le hasard qui fait que ».
P.2 : « On a eu de la chance parce que dans les cinq jours, on avait un diner avec
eux (d’autres parents d’enfants trisomiques) ».
P.4 : « Donc je trouve que j’ai eu beaucoup de chance, c’était moi qui était très négative, mais
quand je regarde le parcours, je me dis j’ai eu beaucoup de chance », « Car c’est vrai que
pour des mamans à qui on renvoie toujours des choses négatives, c’est vraiment à devenir
dingue (…).Et c’est vrai que j’ai eu la chance que ce ne soit pas arrivé souvent ».
A.1.2. Thèmes révélant les différentes répercussions sur la parentalité selon que le
diagnostic est précis ou imprécis
1. L’angoisse des parents face à un diagnostic imprécis (deux parents interrogés, dont
l’enfant a un syndrome neurologique d’origine inconnue) :
a) Celle-ci se dévoile d’abord par une incompréhension entre les professionnels et les
parents : on note une colère face aux hypothèses cliniques incorrectes que l’on a pu poser
sur leur enfant.
P.1 « Un pédopsychiatre qui nous a donné des hypothèses psychiatriques, on a été
tellement choqués par l’absurdité ! ». « Donc ce nouveau diagnostic qui était encore négatif,
et complètement faux, surtout inutile, car elle n’en savait que dalle !! C’était tellement
arrogant, c’était de la pseudo-science ! S’ils ne savent pas, il faut qu’ils se taisent ! Ils nous
sortent des trucs comme ça, selon leur personnalité, leur subjectivité, l’humeur du jour… ! Ce
sont tout sauf des sciences ! », « Après avoir eu ce diagnostic absurde du CAMPS qui nous
avait dit que notre fils ‘n’avait pas investi ses jambes’, quand j’avais entendu ça je m’étais
dit : Je suis dans un asile mental, c’est pas possible ! »
b) Ils perçoivent un sentiment d’indifférence et d’ignorance chez certains professionnels.
P.1 : « Et c’est fou quand je pense à tous ces professionnels que nous avons rencontré et qui
nous ont laissé dans l’embarras...c’est tellement important de prendre en compte les
familles…Ce sont elles qui vont porter cet enfant…avec leur courage, leur force, leur bien67
être…Ce sont des gens qui sont totalement à côté de la plaque dans leur façon de gérer la
relation avec ces familles ! C’est un réel aspect de la formation qui manque chez ces
médecins. », « Un cas psychogénétique par exemple, ils ne savent pas s’y prendre ».
c) Ainsi les parents P1 et P4 ressentent-ils un rejet de la part des professionnels en
charge de leur enfant, qui, sans tenter de voir les potentialités de leur enfant, ciblaient les
aspects négatifs de son handicap : P.1 « Que ce soit l’école, les orthophonistes, les
psychomotriciens, ils disaient tous de notre fils : il ne peut pas, il pourra pas, il comprendra
pas, il est pas capable, il est fainéant…c’était tout sur ‘le manque’ », « c’est un tremblement
perpétuel avec les écoles, chaque combat pour qu’il ait sa place, et ces professionnels, c’était
si dur cette indifférence, cette incompétence, cette ignorance…Ils ignoraient notre fils...On
nous claquait la porte en nous disant qu’il était asocial, qu’il avait un problème de
comportement…Je me disais : Mais vous ne faites vraiment pas votre travail ! »
P.4 insiste sur ce sentiment de rejet par le système scolaire qu’elle a vécu : « Ils m’ont
viré quoi ! (…) et puis avec une explication ou une description de ma fille où c’était pas le bon
âge, c’était pas le bon diagnostic…Ils voulaient se débarrasser du problème ».
d) Ainsi nait-il chez les parents dont le diagnostic de l’enfant est imprécis, un fort
sentiment d’exclusion, P.1 : « Toutes les personnes qu’on rencontrait l’évaluaient sur ses
potentialités mais sur le mode : Va t-il rentrer dans le moule ? Va-t-il réussir à rentrer dans le
système scolaire ? Mais tout cela, on se rendait compte, était toujours un pas de plus vers
l’exclusion », P.4 : « (…) dans les structures ordinaires, on la mettait dans un coin en disant
‘c’est la petite handicapée’ » , « quand je raconte ça à des gens qui n’en ont pas (d’enfants
handicapés) ils comprennent pas du tout l’humour qui se présente (blague faite par les mères
de l’association à propos de leurs enfants handicapés) », ce qui inéluctablement engendre un
sentiment de solitude extrême chez les parents. P.1 : « Faut se rendre compte que les
parents d’enfants handicapés sont seuls…Même entre eux c’est difficile de se parler…C’est
très difficile et chaque couple le vit très différemment, on ne s’appelle pas assez entre amis
parfois ». P.4 « (…) parce que je me sentais très seule (…) j’étais seule…j’étais seule et comme
je suis un peu fière, je pense que voulais pas montrer aux autres que j’étais malheureuse ».
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e) On note que le diagnostic imprécis engendre des difficultés majeures par rapport à
la prise en charge de l’enfant, la société ayant tendance à « catégoriser » les enfants. Pour
ces parents, le diagnostic inconnu représente un handicap de plus dans le handicap.
P.1 : « Par rapport à l’éducation, un diagnostic flou crée un problème pour la prise en
charge. Car il est hors d’un système (…) Les autres enfants (avec un diagnostic précis) valent
l’investissement », « le diagnostic flou est un problème car notre société, notre système ne
sait pas comment accueillir ces enfants là », « le diagnostic crée un flou, et dans tous les
systèmes, que ce soit sur le plan scolaire, ou par rapport aux budgets alloués par la sécurité
sociale, on a à faire à des catégories. Et le flou, c’est un fourre-tout », « Pour moi, c’est pas le
flou qui a apporté plus de stress, c’est ce que tu dois vivre à cause de ça ».
P.4 : « Et en fait N. (établissement médico-social) m’a viré mais alors comme une
malpropre (…) Ca a été très brutal… ».
f) Ils perçoivent chaque diagnostic, chaque interprétation comme une
stigmatisation : « Souvent, l’interprétation, psychologique ou psychiatrique, est une
condamnation à mort », « Ca (le diagnostic imprécis) a un grand impact (…), S. (école dans
laquelle a été A.), c’était une marginalisation totale… »
g) L’inconnu dans lequel les parents sont plongés crée un stress supplémentaire. P.1 :
« Notre stress est aussi beaucoup lié à l’inconnu et au souhait que la société lui donne
sa chance », « Le flou du diagnostic implique donc des conséquences. Quand on nous
demande ce que notre fils a : alors c’est vrai qu’il y a un grand silence ! On commence
à dire : il a…il est…heuuu ! »
P.4 : « Comme j’arrivais pas à voir la petite fille et que je savais pas quel handicap elle
avait, du coup tout cet inconnu faisait que je savais pas ce qui fallait que j’aime ».
Chez le père P.1, le stress est aussi causé par le sentiment du manque de temps. P.1 : « Moi
je veux qu’il ait le temps de devenir la personne qu’il peut devenir, et le stress est surtout lié à
l’impression du manque de temps ».
h) Du fait de l’incompréhension concernant le diagnostic imprécis de leur enfant, les
parents P1 insistent sur une recherche de l’étiologie du handicap : « Donc on a fait des
recherches comme ça, mais on a jamais eu quoi que ce soit », « On a fait beaucoup de
69
recherches génétiques mais on a rien trouvé », « (…) mais intérieurement c’était tellement
dur que notre réaction correspondait à un désarroi, une douleur, une recherche de
sens…Quand on est perdu, on a besoin d’être guidé, et comme on était pas guidé, c’était
encore plus douloureux ».
Malgré tout, une relation d’attachement s’est instaurée entre l’enfant dont le
diagnostic est imprécis et ces deux parents.
P.1 : « On a eu la chance de ne pas savoir qu’Anton avait un problème finalement.
Une relation d’amour est née sans biais ».
Le parent P.4 insiste sur le processus d’appropriation, d’intégration. Selon cette mère, la
notion du temps est primordiale pour l’intégration du handicap de l’enfant : « Je me dis que
j’aurais pas aimé avoir un diagnostic clair, car ça voulait dire qu’on allait me dire ce qu’elle
allait devenir, et ça…ça me permettait pas d’avoir le temps de faire cette intégration. Ce
diagnostic flou a permis cette période d’intégration petit à petit et d’appropriation de cette
nouvelle petite fille ».
2. En ce qui concerne les parents d’enfants atteints de trisomie 21, on souligne dans les
trois entretiens que le diagnostic précis de leur enfant a été un facteur positif dans
l’acceptation du handicap.
Les parents ont reçu facilement de l’information sur le diagnostic de leur enfant, ce qui
semble avoir été positif dans l’appropriation du handicap.
P.2 : « Quand on va dans une librairie et qu’on achète dix bouquins sur la trisomie, c’est
quand même vachement rassurant, parce qu’on peut les lire le soir, parce qu’on a plein de
réponses, donc c’est vrai que c’est beaucoup plus agréable et rassurant de savoir qu’il existe
des ouvrages, communautés, associations, qu’il existe déjà tout plein de choses mises en
place autour de la trisomie 21. On est parti d’une non-connaissance de la maladie à une
connaissance de la maladie ».
P.5 : « Je savais déjà ce que c’était la trisomie (…), je savais à quoi il allait ressembler (…),
je savais que mon enfant il allait marcher, il allait parler, il allait rigoler».
P.5 insiste sur la notion de certitude : « oui, ça m’a vraiment rassurée d’avoir un diagnostic
précis. Pour moi y’aurait rien eu de pire que l’incertitude (…) J’ai quand même une amie pour
qui ça a été une souffrance, car elle a eu un diagnostic : ‘On pense mais on sait pas’, elle est
restée dans l’incertitude, elle a eu du mal à s’investir sur ce bébé parce qu’elle savait pas ce
70
qu’il était, finalement. Ca fait quand même partie de leur identité. En tout cas pour moi, j’ai
apprécié la certitude du diagnostic ».
Cependant, le parent P.3 explique qu’elle n’a pas ressenti un stress moindre face au
diagnostic précis de leur enfant, en insistant sur le fait qu’il n’y a pas d’espoir d’évolution, de
guérison : « (…) la trisomie 21, pour nous c’est pas évident parce que pour le coup, on nous
annonce ‘Trisomie 21’ et là on demande ‘Est-ce qu’il y a une évolution possible ?’ Bah non,
c’est à vie donc heu… »
A.1.3. Thèmes révélant les répercussions de l’annonce du handicap sur la
parentalité (tous diagnostics confondus)
Ce projet de recherche à été principalement basé sur la recherche des répercussions
de l’annonce du handicap sur les parents. Nous avons tenté d’observer si l’annonce faite aux
parents avait été claire, bien posée, avec un cadre précis, ou au contraire floue, laissant les
parents dans l’incertitude.
C’est pourquoi, à travers les entretiens cliniques, nous avons guidé nos questions sur les
modalités de l’annonce (à qui elle a été faite, à quel moment et à quel endroit), sur les
paroles, explications qui ont pu les aider au moment de l’annonce du handicap, mais
également sur ce qui leur a manqué au moment de ce choc traumatique.
1) L’amnésie du choc
On note dans tous les entretiens de recherche l’existence d’un traumatisme, d’un
bouleversement provoqué par l’annonce du handicap de leur enfant.
P.1 : « Le choc émotionnel date vraiment de cet évènement là… », « C’est à partir du
moment où on entend ‘anté-natal’ qu’on se dit : Ah, ça va pas passer, il y a un
problème…C’était vraiment dur…», « Je me suis dit que c’était grave, c’est comme un
gouffre… »
P.3 : « Même à mon pire ennemi….je me suis dit souvent, je souhaitais à personne de
vivre ce qu’on avait vécu… »
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Comme nous l’avons vu dans notre partie théorique, lors du choc traumatique
provoqué par l’annonce du diagnostic de l’enfant, la psyché, débordée, ne parvient plus à
assimiler les éléments extérieurs.
Effectivement, nous avons relevé dans l’ensemble des entretiens à quel point cet évènement
traumatique bouleversait le fonctionnement psychique, engendrant une confusion des faits,
une amnésie temporaire, comme une sidération de la pensée.
P.3 : « Y’a l’annonce du handicap et ensuite revenir chez soi…Je pense qu’ils ont dû dire :
‘Vous n’êtes pas seuls, y’aura des structures et des équipes’, mais bon…c’est assez flou…Puis
bon j’avais pas forcément la tête à ça heu…vous voyez », « Sur le moment de l’annonce du
handicap, je crois qu’on était tellement sonnés que je m’en rappelle plus… ».
P.5 : « Donc je me suis effondrée, heu…, c’est là que j’ai vu O. (son mari) effondré derrière, en
larmes, effondré quoi, effondré, alors là je sais plus…bon on a pleuré un peu…j’étais abattue
(…) Bon là c’est un peu confus, je pense qu’on a dû passer ces heures là à pleurer ».
Nous avons pu souligner, tout au long de ces cinq entretiens de recherche,
l’importance de la notion du temps, et à quel point elle était bouleversée par un évènement
aussi traumatisant que l’annonce du handicap de son enfant. Le temps se fige
complètement. Pour les parents, il y aura un « avant » et un « après ».
P.1 : «Elle (un docteur) nous a dit un certain nombre de choses qui nous ont un peu
secoué. (…) On sait que plus rien ne sera pareil, mais on peut pas revenir en arrière ! ».
« Il lit de mieux en mieux (leur fils), moi je veux qu’il ait le temps de devenir la personne qu’il
peut devenir. Et notre stress est surtout lié à l’impression du manque de temps (…) comme un
sablier. »
La notion de résilience est importante chez le parent P.3.
P.3 : « Maintenant ça va mieux …le temps…on accepte pas quand on sort, mais on essaie de
vivre avec… ».
P.4 : « J’ai dû apprendre pour le coup à regarder le temps passer plutôt que d’anticiper… », «
Cette acceptation avec le temps, par un processus d’intégration d’une construction d’une
autre vie ».
P.5 : « J’avais envie d’être un peu…qu’on me laisse le temps un peu d’apprivoiser tout ça … ».
2) Le cadre de l’annonce
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Comme nous l’avons souligné dans la revue de littérature, l’annonce faite aux deux
parents, dans un cadre clair, avec une attitude respectueuse du soignant à l’égard du
handicap, aura un impact positif sur le vécu parental.
Le couple P.1 (pour lequel le diagnostic de leur fils est encore imprécis), après avoir entendu
de nombreuses hypothèses diagnostiques relativement floues, a rencontré une
neuropédiatre qui leur a fait part d’un premier diagnostic, difficile à accepter certes, mais
dont l’annonce a été faite dans un contexte de confiance mutuelle. Le couple insiste sur le
cadre précis de l’annonce. « Ce docteur qui nous a vraiment donné ce premier diagnostic
nous a beaucoup aidé (…) Le diagnostic a été bien donné au moins, dans un bureau, on était
tous les deux, avec la neuropédiatre. C’est quelqu’un qui avait réfléchi à la question, pour une
fois… ».
La mère P.5 a vécu une annonce très différente. L’annonce a été faite séparément à
la mère et au père. Or, comme le soulignait Sausse, l’annonce devrait se faire en présence
des deux parents. C’est leur donner des chances plus favorables pour supporter et affronter
le choc. Il y a ainsi un partage de la souffrance et de la culpabilité. Ce cadre inscrirait leur
parentalité si dure à accepter, dès les premières paroles. Il faut s’adresser à eux en tant que
couple parental. Expliquer au père ou à la mère séparément introduit une sorte de clivage,
de séparation.
Même si les circonstances ont fait qu’il était difficile pour le médecin de différer sa
réponse à la question posée par son mari, la mère P.5 remarque, au fur et à mesure de
l’entretien, qu’elle aurait peut-être souhaité recevoir l’annonce avec son mari. Elle insiste sur
les effets positifs qu’une annonce conjointe aurait produit sur leur couple : « Bon, O. (son
mari) l’avait eu avant moi, c'est-à-dire qu’il a posé la question, donc le médecin à répondu…
(…) C’était difficile de différer la réponse parce que O. aurait dit : ‘Bah comment ça,
attendez ? (…) Mais d’un autre coté, peut-être que dans notre histoire après, ça nous aurait
fait du bien d’être tous les deux pour le savoir en même temps…c’est la première fois que j’y
pense…que je mets les choses en perspective ».
On relève un cadre de l’annonce (le lieu) peu adéquat, « Le pédiatre lui a dit autour
de la salle d’examen de V. (leur enfant)…finalement moi il me l’a dit j’étais encore dans la
salle de travail, elle recousait pas mais bon… ».
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La mère P.5, à mesure de l’entretien, prend conscience des répercussions sur leur vie
conjugale et inéluctablement sur leur vie de famille, de cette annonce séparée. L’annonce
faite à son mari a été un choc épouvantable et elle mentionne que l’annonce faite aux deux
parents aurait été sans doute pour lui une aide pour intégrer l’inacceptable.
« Alors c’est là que je me dis peut-être que si on avait eu l’annonce ensemble, ca aurait peutêtre changé des choses pour notre couple, ça a été assez difficile, c’est comme une
détonation, comme une bombe atomique…dans le temps et sur plein de terrains. D’abord il a
pas pu regarder son fils pendant facilement (…) deux mois…».
La mère P.2 témoigne à propos de l’annonce qui leur a été faite : c’est un évènement qui,
nous le verrons plus loin, a été particulièrement difficile à accepter du fait de son caractère
flou. Cependant, le soignant a souhaité l’annoncer aux deux parents en même temps. « Je
voyais le médecin qui sortait, qui revenait, qui sortait de la salle, j’ai demandé : ‘Mais qu’estce qui vous arrive ?’ Lui m’a répondu : ‘Il est où votre mari ?’ Et à ce moment là, quand j’ai
entendu ‘Il est où votre mari ?’(…) je me suis dit : ‘ca y est elle est trisomique’ dans ma tête.
Je lui dit :’Ecoutez mon mari est parti’. Le médecin a répondu ‘Rappelez le tout de suite, j’ai
quelque chose à vous dire’. J’ai à ce moment appelé mon mari (…) Donc il est revenu, et le
médecin nous l’a dit (…)»
Lorsque nous l’interrogeons sur le lieu de l’annonce, elle mentionne qu’elle était encore en
salle de travail, mais qu’elle aurait mal vécu le fait qu’on lui annonce seule dans sa chambre,
après un certain laps de temps.
Elle avait vu son bébé au moment de l’expulsion et s’était dit que son bébé n’était pas beau.
Le temps d’attente aurait paru insupportable. Prise d’un malaise qui n’aurait fait que
s’intensifier, elle n’aurait pas pu mettre des mots sur ses inquiétudes. Elle souhaitait que
quelqu’un valide ses doutes instantanément. « J’étais allongée, je venais d’accoucher, j’étais
même pas encore dans ma chambre, j’étais en salle de naissance. Tout de suite, tout de suite,
tout de suite…Mais heureusement…heureusement que je suis pas remontée dans ma
chambre, heureusement qu’il est pas revenu trois heures après en disant : ‘Madame, on a un
truc…’ J’aurais pas été…j’aurais pas été bien ».
De même, Sausse soulignait avec justesse : « Mme R. non seulement ne disposait pas de
mots pour parler, c’est à dire penser logiquement afin de formuler des questions, mais, en
74
état de choc, elle était privée de voix (…) Touchée dans la matière même de son être, dans la
matérialité de sa parole. Proposer à ce moment là de poser des questions est de la part du
corps médical une grave méconnaissance des effets psychiques d’un tel traumatisme ».
(Sausse, 1996, p23) C’est, selon nous, un aspect important à prendre en compte dans le
cadre de l’annonce du handicap d’un enfant. C’est le caractère contenant de la posture des
médecins qui est important.
P.2 se rappelle en effet la façon dont elle a vécu cette méconnaissance de la part du
médecin : « Il a dit : ‘est-ce que vous voulez autre chose ?’, ‘Vous avez des questions ?’ On lui
a dit : ‘dégagez, dégagez…’ ».
La mère P.5 se rappelle également : «Mais j’avais pas envie qu’on me force à aller voir un
psy, j’en avais pas envie sur le moment… »
3) La qualité de l’annonce
La clarté de l’annonce est une notion délicate, car il n’y a jamais de bons mots pour
annoncer un évènement aussi traumatisant. Cependant, nous avons pensé intéressant de
livrer les témoignages du vécu des parents par rapport à la qualité de l’annonce, c'est-à-dire
à la clarté ou au flou de celle-ci.
Le récit de la mère P.2 est teinté de colère et de douleur lorsqu’elle évoque l’annonce par un
médecin du handicap de leur fille. Sausse explique, comme nous l’avons vu dans la partie
théorique, que « (…) face à cette situation à laquelle il n’est pas préparé, chaque soignant
réagit en fonction de ses sentiments spontanés. » (Sausse, 1996, p24)
Ce médecin, peut-être dans l’urgence, a été dominé par la peur et a utilisé la fuite, qui était
une manière de se débarrasser des émotions désagréables que ce bébé suscitait en lui.
« (…) Le médecin a répondu : ‘Rappelez le (son mari) tout de suite, j’ai quelque chose à vous
dire’. Et là je lui ai dit ‘Quoi ?’ Déjà dans ma tête, je m’étais dit : ‘Elle est trisomique’ et je lui
dit ‘Qu’est-ce qu’elle a ma fille, qu’est-ce qui va pas ?’ Et là il me répond : ‘Qu’est-ce que vous
en pensez ?’ C’était l’horreur…Je lui dit : ‘Bah écoutez ça se voit !’, et là il me répond : ‘Qu’estce qui se voit ? Ecoutez, regardez bien ses traits.’ Et je lui dit alors : ‘Mais qu’est-ce que ça
veut dire alors docteur ?’ Il m’a dit : ‘Vous, qu’est-ce que vous en pensez ?’ On allait pas jouer
au chat et à la souris pendant 10 minutes ! (…) c’était un procédé pour faire sortir ce qu’il ne
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pouvait pas dire, et il me l’a fait dire : ‘Elle est trisomique’. Il m’a pas dit ‘Oui’, il m’a dit : ‘On
a de forts doutes’.
L’incertitude, le doute dans l’annonce a été vécu de façon très douloureuse de la part
du couple. Celle-ci a alors appelé son mari, qui est revenu à l’hôpital. « Donc il est revenu, le
médecin nous l’a dit et mon mari a dit : ‘Mais on en a rien à foutre de : « on pense que » !
C’est écrit sur son visage !’ Voilà. Il a été nullissime ce médecin, nullissime (…) je sais pas ce
qu’il aurait fallu faire hein mais on l’a ressenti comme ça, nul ! (…) Et on est resté avec la
sage-femme, on a pleuré, pleuré, pleuré et puis on est rentré dans ma chambre. Le
lendemain, la sage-femme est revenue(…), et on leur a demandé pourquoi c’était ce médecin
qui était venu, et elle s’est excusée en disant : ‘On voulait pas que ce soit lui, on voulait que ce
soit un autre qu’on aime beaucoup, qui a plus d’expérience, plus de bouteille et qui dit les
choses autrement mais il était indérangeable (…) En fait, elle venait s’excuser de la façon
dont ça avait été annoncé. Et puis après, on a eu le caryotype mais bon ça…on s’en fichait.
(…) C’était un jeudi… On l’appelle le ‘Jeudi Noir’…»
La mère P.5 a vécu une toute autre expérience. Même si on lui a annoncé le handicap
de son fils sans son conjoint, elle a apprécié la certitude et la franchise de la réponse de la
pédiatre. Ce médecin a répondu aux angoisses, aux inquiétudes de la mère. Comme elle le
souligne, la pédiatre, par cet acte, s’investissait avec le couple dans cette épreuve, lequel ne
s’est senti ni abandonné, ni exclu. On relève également que la pédiatre a attendu que la
mère voit son bébé, afin qu’une première rencontre se créée.
« On me l’a mis dessus, on l’a fait téter, tout allait bien, il tétait bien et tout, bon la pédiatre
était à côté de moi, elle bougeait pas, et puis je lui pose la question : ‘Bon bah quand même
est-ce que…Je vais poser une question qui fâche, est-ce qu’il est pas trisomique ? Parce qu’il a
un regard un peu particulier ! Et elle m’a dit : ‘Oui, je pense qu’il est trisomique.’ Et donc j’ai
eu la chance d’avoir vraiment un pédiatre qui me dise pas : ‘Ah bah on sait pas, on va
attendre le caryotype…’ Elle a quand même eu du courage, de me dire : ‘Oui, je pense’. Ce
‘oui’ m’a fait beaucoup de bien en fait … », « En tout cas pour moi, j’ai apprécié la certitude
du diagnostic, et la réponse franche. J’ai eu l’impression que par cet acte que ce pédiatre a
posé, elle s’investissait avec nous, elle s’est mouillée, et du coup, avec nous, comme nous on
s’est jeté à l’eau avec notre enfant dans la vie. »
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Elle souligne que cette annonce claire l’a aidée à mieux accepter la trisomie 21 de leur fils.
« Du coup ça a fait du bien de savoir que…je pense que ça a été une énergie dynamisante
pour l’acceptation ».
Nous avons noté un élément intéressant : cette mère P.5 se rappelle cependant un
évènement, avec certaines professionnelles de la maternité, qu’elle a vécu douloureusement
et de manière stressante. Celles-ci ont utilisé la fuite également, car énoncer à la mère le
handicap de son enfant était une mission trop douloureuse pour elles. « Il avait des
problèmes de coordination entre la succion et la déglutition (…) Donc un coup sur deux, la
tétée se passait mal, un coup sur deux ça se passait bien, alors comme il était de petit poids,
y’avait un peu de stress là-dessus, et il y en a pas une qui a su me dire : Mais c’est parce qu’il
est trisomique. Or, c’est un problème récurrent chez les trisomiques. Elles ont commencé par
me dire : ‘C’est un problème de succion’ »
Elle s’est alors rendue compte que son bébé n’avait pas de problème de succion. « Et je me
suis dit : ‘Mais il le tête à fond mon doigt ! Donc il y a pas de problème de succion !’ Et là elles
m’ont dit : ‘Bah effectivement, bah on sait pas…’ (…) peut-être qu’elles savaient et qu’elles
ont pas osé me dire : ‘C’est parce qu’il est trisomique’, parce que ça mettait le nez dedans ! »
4) Une demande de réassurance adressée aux professionnels
Nous l’avons évoqué plus haut, les parents utilisent certaines stratégies afin d’intégrer le
mieux possible le handicap difficilement acceptable de leur enfant. La réassurance, au
moment de l’annonce du handicap, est un besoin primordial pour eux. Les parents ont
parfois des questions, souvent très matérielles au départ (car ils ne veulent pas évoquer les
questions qui les renverraient à leur souffrance psychique), auxquelles ils ont besoin de
recevoir des réponses positives et rassurantes.
P.2 : «Le lendemain, ce qui est vachement bien, c’est qu’on a pu voir ce vrai médecin sympa,
et il a complètement…il a répondu à nos questions, il a dédramatisé nos peurs...Voilà…Il a
vraiment réussi à mettre des réponses à nos questions débiles, mais vraiment on avait des
questions débiles…Mais vraiment on avait besoin d’être rassurés », « Ah oui, il faut être
rassurés…Après, faut trouver les bons mots pour rassurer mais lui a été très bon ».
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Cette mère se souvient également de ses doutes sur une éventuelle trisomie 21 lorsqu’elle a
vu le visage de sa fille à l’accouchement, et le besoin de réassurance, pour se dégager de ses
angoisses : « En fait on sait qu’on est déçu car elle est pas belle…ensuite on ose même pas se
dire qu’il y a quelque chose qui va pas…(…), mon mari est parti (…) moi je suis restée seule
dans la salle et y’avait toujours ce truc (…) qui me trottait dans la tête et j’avais pas envie de
sortir (…) sans avoir exposé ça à quelqu’un. Donc j’ai dit ça à une nurse, en fait j’avais juste
besoin qu’elle me rassure et qu’elle me dise : ‘Non, votre fille, vous inquiétez pas, elle est
bien’ ».
5) Autour de l’annonce…des mots qui restent gravés dans la mémoire des parents
Comme le soulignait Sausse, tous les mots prononcés autour du berceau de l’enfant
s’inscrivent dans le psychisme parental de manière indélébile. « C’est une des
caractéristiques d’un évènement traumatique de garder ainsi, au fil des années, une acuité
que le temps ne réduit pas. La phrase est là (…) Le travail de la mémoire, qui est aussi la
possibilité d’oublier, ne s’effectue pas » (Sausse, 1996, p25) Les paroles dites autour de
l’enfant handicapé ont un poids particulier.
Le couple P.1 a été abasourdi par la dureté des paroles vis-à-vis de leur enfant (qui souffre
d’un syndrome neurologique inconnu), pour qui on posait de mauvais diagnostics,
provoquant une colère et une souffrance majeure. On note un déplacement de l’agressivité
sur le corps médical.
« On a vu à un moment (…) un pédopsychiatre qui nous a donné des hypothèses
psychiatriques, on a été tellement choqué par l’absurdité… », « (…) après avoir eu ce
diagnostic absurde du CAMPS qui nous avait dit que notre fils n’avait pas investi ses jambes !
Quand j’avais entendu ça, je m’étais dit : ‘Mais on est dans un asile mental, c’est pas
possible !’ »
Cependant, et fort heureusement, certaines paroles sont positives, contenantes.
Comme les paroles négatives, elles restent gravées dans la mémoire des parents. Nous
avons ainsi souhaité dans la suite de nos entretiens, axer nos questions sur les paroles qui
avaient aidé les parents au moment de l’annonce.
P.1 : « Elle (un docteur) nous a aussi dit quelque chose qui nous a beaucoup marqué : ‘C’est
un gamin qui par sa personnalité va attirer beaucoup, car il a du charme.’ Je me suis dit
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qu’elle avait raison et à quel point mon fils réussissait à charmer les gens, et c’est très
important comme une personne peut vous donner, pour la première fois, une vision globale
de l’être humain qu’elle a en face d’elle (...) C’est pas un diagnostic réducteur (...) Je dirais
qu’après tous les combats qu’on a mené, c’est très important d’entendre ça d’une
professionnelle ».
P.2 : « Il (un docteur à la maternité, à propos de la Trisomie 21) nous a pas dit ‘C’est rien’, il
nous a dit : ‘On sait ce que c’est, on va bien baliser le truc, vous allez voir, c’est pas si terrible
que ça (…) faut trouver les bons mots pour rassurer, mais lui a été très bon ».
P.3 : « J’avais rencontré la pédiatre du CAMPS qui était vraiment très bien, qui m’avait
remonté le moral et qui m’avait dit : ‘Elles ont un chromosome en plus, oui, mais elles ont
aussi vos gênes, donc il y a votre patrimoine’, et ça, c’est hyper important… »
Nous avons trouvé très intéressant, dans le discours de la mère P.4, de constater à
quel point la parole d’un médecin a eu des répercussions positives dans ses interactions avec
C. (sa fille), et dans la vision qu’elle a aujourd’hui de celle-ci : « Oui, c’était en Pologne, je me
souviens, y’a un type qui m’a dit : ‘Bah on sait pas (quel diagnostic elle a) mais elle a une
force vitale extraordinaire votre fille, c’est impressionnant ‘, ça m’a toujours aidé, car
Caroline elle a une espèce de présence là (…) Et du coup, cette force vitale je la ressens très
fort (…) elle est très positive, très drôle, elle a un humour et… du coup, cette force m’a
toujours donné beaucoup de force (…) j’étais fière (…) Et du coup, dans l’annonce du
handicap, on parle toujours de ce qui va pas, c’est peut-être dans cette transmission, de
trouver des mots positifs qui vous aident ».
La mère P.5 insiste sur la parole d’un professeur à la Fondation L. « Alors une parole
du professeur R. qui nous a dit : ‘Il faut le rendre aimable, vous n’êtes pas éternels, il vous
survivra, il faut le rendre aimable’ et en fait elle m’a ouvert une porte en me disant ça, car je
me suis dit : ‘Ca veut dire que d’autres gens sont susceptibles de l’aimer’ Ca, ça m’a marquée,
je m’en souviens encore…».
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A.2. Analyse des mécanismes de défense
Au cours des entretiens semi-directifs, de nombreux mécanismes de défense ont été
utilisés par les parents. C’est dans la perspective d’une meilleure compréhension du vécu
parental à l’annonce du diagnostic que nous avons tenté de les analyser.
Nous avons relevé certains mécanismes de défense identiques au cours des
différents entretiens. Le déplacement est utilisé par les parents lorsque la question de
l’interviewer, à l’entretien, est centrée sur le vécu psychique du handicap. Le témoignage
des parents dévient de façon progressive vers les relations difficiles entre les parents et des
tiers extérieurs, tels les soignants, les professeurs, la famille… Le conflit, trop chargé en
affect, est déplacé sur une tierce personne. Cela permet alors de barrer le passage aux
représentations trop conflictuelles, et on relève souvent une agressivité dans les récits
parentaux.
Interviewer : « Cette situation a été une épreuve difficile pour vous ? »
P.1 : « Oui, complètement…Et puis… ce diagnostic négatif, surtout inutile…elle n’en savait
que dalle ! C’était tellement arrogant, c’était de la pseudo-science ! …S’ils ne savent pas, il
faut qu’ils se taisent ! Ils nous sortent des trucs comme ca, selon leur personnalité,
subjectivité, l’humeur du jour…. ! Ce sont tout sauf des sciences ! »
I : « Est-ce que vous pensez que ça a eu un impact sur votre stress ?
P.1 : « Oui…(…) Faut que les gens aient une attitude bienveillante ! (…) Certains nous posent
des questions sur sa vie sexuelle…ils ont toutes sortes de fantasmes, en nous demandant
presque si on va le castrer…!
I : « Donc là, ca a été plus difficile à ce moment là ? »
P.4 : « Je sais pas…(…) C’était ma famille (…) ma mère m’emmerdait (…), c’était
insupportable (…), mes sœurs elles m’aidaient pas, elles comprenaient pas… »
Certains mécanismes de défense se mettent en place chez les parents lorsqu’on
aborde le thème du handicap, afin de protéger le Moi parental du retour du refoulé. Ils
maintiennent hors de la conscience les représentations (souvenirs, sentiments…) trop
menaçantes pour le Moi. Nous avons ainsi repéré de nombreuses utilisations de
l’intellectualisation, la rationalisation, l’annulation et le déni.
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P.4 : « J’ai besoin de comprendre la différence entre le mental et ce qu’elle a, où finalement à
l’âge adulte, je pense que ça va se… », « Je savais qu’elle allait être handicapée (…), alors
j’essayais d’aller partout pour comprendre comment ça fonctionnait… ».
La mère P.5 utilise l’intellectualisation dans son récit : « Où en est la recherche ?
Comment ça va se passer ? Est-ce qu’il y a des médicaments qui pourraient être en test ? Et
ces médocs agissent sur quoi ? ». On note aussi l’isolation d’affect dans son témoignage : «
(…) rien n’est joué, attendons quoi. Et puis la recherche avance, donc parfait. Mon mari est
juriste dans le droit de la santé, il bosse avec tous les essais cliniques etc des médocs donc
voilà…il connait, il sait, voila, stade deux : on a encore pour huit ans (…) ».
On relève chez P.4 des annulations dans son témoignage : « c’est là que je me suis
rendue compte que ma fille était plus handicapée en fait…c’est là où je me suis posée la
question…je…je…ces années là étaient des années épouvantables en fait… », « je dois dire
que…puis ça a été fait brutalement. »
P.5 : « J’étais encore…bah elle a répondu à la question ».
P.3 utilise également l’humour comme une défense.
« Même si c’est pas forcément physique (rires)…Mais ca revient quand même…c’est nos filles
hein ! (rires) C’est nos marques de fabrique quand même !
Chez le père P.1, l’annulation est également présente lorsqu’on aborde le vécu face au
handicap de son fils.
« C’était vraiment dur…mais c’était pas non plus la fin du monde parce qu’il était adorable et
il riait tellement… »
L’intellectualisation, avec recours au cognitif est utilisée par les parents dans une
tentative de réassurance, afin de montrer qu’ils ont un certain contrôle sur le handicap de
leur enfant. Ce mécanisme de défense permet également de tenir à distance les affects
P.2 : « Quand on va dans une librairie et qu’on achète dix bouquins sur la trisomie, c’est
quand même vachement rassurant, parce qu’on peut les lire le soir, parce qu’on a plein de
réponses, donc c’est (…) rassurant de savoir qu’il existe des ouvrages, des communautés, des
associations, qu’il existe déjà tout plein de choses sur mises en place autour de la trisomie
21 ».
P.1 : « Donc on a fait des recherches comme ça… »
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Après l’annonce du handicap, les parents ont de grandes difficultés à accepter le
handicap de leur enfant, la déficience mentale entraînant de fortes angoisses. La mère P.3
utilise l’évitement afin de se sortir de cette angoisse suscitée par la déficience mentale de
ses jumelles trisomiques.
« Puis après je sais plus si c’est à ce moment-là, je ne suis pas allée sur internet regarder et
m’informer sur la trisomie 21 et tout ce que ça implique, mais on m’a passé un bouquin et en
fait je suis tombée sur la mauvaise page genre : ‘déficit mental’ ou je ne sais pas quoi, donc je
l’ai fermé et j’ai dit : ‘Allez c’est bon, on verra bien !’ Mais je sais que, que ce soit mon mari
ou moi-même, on n’était pas du genre à vouloir chercher dans les bouquins, de toute façon,
ça sert à rien… »
De même, après l’annonce du handicap, les parents abordent les thèmes relatifs à
l’éducation de l’enfant et aux représentations qu’a la société du handicap. Ces thèmes
laissent percevoir une blessure narcissique chez les parents causée par cet enfant qui ne
peut répondre à leurs désirs et à leurs attentes. De plus, l’intégration du handicap doit se
faire par l’acceptation du regard des autres sur la différence. La mère P.4 et le père P.1
utilisent le déplacement du conflit, en rendant l’extérieur responsable de l’inaptitude de
l’enfant à combler ses attentes.
P.1 : « Notre stress est beaucoup lié (…) au souhait que la société lui donne sa chance, quelle
place il va trouver dans la vie ? Mon fils a besoin de vivre des expériences plus
responsabilisantes mais a encore besoin d’un encadrement scolaire pendant trois ou quatre
ans. Je veux pas qu’on me dise : ‘Maintenant votre fils il a dix-huit ans donc c’est fini les
aides !’ J’ai envie de répondre que mon fils est comme un gamin de dix ans (…) il faut lui
laisser les moyens et le temps d’apprendre. (…) Moi je veux qu’il ait le temps de devenir la
personne qu’il peut devenir. (…) Faut que les gens aient une attitude bienveillante… ».
Chez la mère P.4, on note que cette intégration du handicap mental de sa fille est une
épreuve d’autant plus douloureuse qu’elle a elle-même un frère porteur d’un handicap
mental. Ainsi, nous avons relevé qu’elle a recours à plusieurs reprises à la projection, avec un
évitement du conflit.
« (…) elle était forcément mise de coté avec les bébés, puisqu’elle marchait pas (…) mais au
bout d’un moment heu… vous voyez ce que je veux dire ! »
82
Ici, la mère se rend compte qu’elle projette ses propres angoisses de sœur : « (…)
honnêtement, je pense que c’est moi qui supportait mal ce regard des gens (…), ça me
renvoyait des choses…ça me donnait le bourdon. Je voyais ma vie de sœur, et de ma mère… »
Pourtant, d’autres projections dans le récit apparaissent au fur et à mesure de l’entretien
chez cette mère, toujours par rapport à l’acceptation du regard d’autrui. On se rend
aisément compte que c’est elle et non forcément sa fille qui a du mal à accepter le regard
extérieur.
« (…) parce que je trouve qu’elle a un peu de mal avec le regard, avec heu….Donc je travaille
tout ça avec elle ».
« Oui et c’est vrai que les autres la regardent pas toujours heu... (soupir) mais bon (…) ».
Nous avons relevé que la mère P.5 utilisait l’identification projective pour manifester
cette blessure narcissique.
« Elle (la grand-mère maternelle) a pleuré dans son coin, ça lui importait beaucoup
que V. réussisse comme les autres…elle en souffre… »
Chez la mère P.3, on relève une certaine désillusion de l’enfant idéal. Elle manifeste
sa douleur de manière explicite. « On s’attend à deux jumelles parfaites et là…On avait
construit plein de projets ensemble avec mon mari, tout ce qu’on avait imaginé, tout ça
s’effondre… ».
La mère P.5 compense cette blessure narcissique provoquée par l’enfant réel par
l’idéalisation de la fratrie à plusieurs reprises. « (…) qu’ils (les frères) soient parfaits à l’école,
qu’ils aient de supers bonnes notes car ils en sont capables (…) et pour V. (…) on se dit pas
qu’il fera Polytechnique, des portes qui nous sont ouvertes pour les aînés (…) »
L’identification à ses jumelles trisomiques est un processus très douloureux pour la
mère P.3. Lorsqu’on amorce ce thème, elle a recours à l’évitement du conflit, la blessure
narcissique étant trop forte. Elle préfère ainsi évoquer les sentiments de son mari, plutôt
que les siens. « Mon mari par contre c’est vraiment différent… je pense qu’il était dans le
déni… il a beaucoup de mal à accepter ses filles…mais même moi, j’accepte pas non plus à
cent pour cent hein…mais lui je pense qu’il acceptera jamais… »
83
B. Discussion des résultats
B.1. Interprétation des résultats
A travers les entretiens de recherche que nous avons réalisés, les parents ont abordé de
nombreuses problématiques qui vont nous permettre d’infirmer ou de confirmer les
hypothèses de la recherche. Nous allons ainsi confronter chaque hypothèse de travail aux
résultats de notre étude.
Notre première hypothèse de travail était la suivante : « La qualité de l’annonce du
handicap est un facteur essentiel : le vécu subjectif des parents est différent selon si
l’annonce est claire ou floue ».
Au travers de ces entretiens, nous nous sommes rendus compte que la qualité de
l’annonce avait un poids essentiel dans le vécu subjectif des parents. L’annonce du handicap
de l’enfant, donnée dans un cadre clair, (par exemple dans un bureau), aux deux parents
simultanément, semble avoir des effets positifs sur le vécu parental et sur le couple conjugal.
A l’inverse, nous avons pu relever les répercussions négatives qu’une annonce donnée aux
parents séparément a pu engendrer sur le couple, ainsi que sur la vie de famille. On peut
penser que l’intégration du handicap de l’enfant se fait de façon plus difficile lorsque les
parents apprennent le diagnostic séparément. La souffrance est trop lourde à porter pour un
parent seul.
Sausse mentionnait en effet que l’annonce devrait se faire en présence des deux
parents. C’est leur donner des chances plus favorables pour supporter et affronter le choc. Il
y a ainsi un partage de la souffrance et de la culpabilité. Ce cadre inscrit leur parentalité si
dure à accepter, dès les premières paroles. Il faut s’adresser à eux en tant que couple
parental. Expliquer le handicap de l’enfant au père ou à la mère séparément introduit une
sorte de clivage.
Bien qu’il n’y ait jamais de bons mots pour annoncer le handicap d’un enfant à ses
parents, les soignants réagissent, face à cet évènement soudain, avec leur spontanéité et
peuvent utiliser la fuite et l’évitement comme moyen de défense contre les émotions que ce
bébé suscite en eux. Mais l’incertitude, le doute qu’on laisse planer dans l’annonce est vécu
84
de façon très douloureuse chez les parents. Les médecins ne répondent pas aux angoisses et
aux inquiétudes des parents.
Au contraire, il semble que la certitude, la clarté, la franchise de l’annonce des
médecins a des répercussions positives sur l’équilibre parental, sur la confiance accordée aux
professionnels dans la future prise en charge de l’enfant et sur l’acceptation progressive du
handicap. De plus, une annonce claire permet de reconnaître les parents comme des
adultes, comme des partenaires dignes de ce nom. Leur parler avec franchise, (y compris
leur dire clairement qu’on ne sait pas ce qu’a l’enfant) c’est faire appel à leurs ressources, à
leurs forces. C’est les traiter d’égal à égal, en adultes responsables et en qui on peut avoir
confiance. C’est pour les médecins quitter une position distante et « rencontrer » réellement
ces parents, afin de partager avec eux les connaissances, mais aussi leurs doutes ou leurs
limites.
Nous avons également soulevé l’importance de la première rencontre entre le bébé
et sa mère, avant que l’annonce soit faite aux parents. Le bébé naît ainsi en tant qu’enfant et
non en tant que handicap.
Toutes les paroles dites autour de l’enfant handicapé à la naissance ont un impact majeur
sur les parents. Elles resteront gravées dans le psychisme parental. C’est une réassurance
que les parents recherchent de la part des soignants et des professionnels. Nous avons pu
souligner dans cette étude l’importance des répercussions de leurs paroles, qui
conditionnent les futures interactions parent-enfant.
La seconde hypothèse de recherche : « Au travers de l’annonce, les répercussions
psychologiques sur le parent ne sont pas les mêmes selon si le diagnostic annoncé de l’enfant
est précis, d’étiologie connue, ou imprécis, d’étiologie inconnue ».
Plus précisément, à la suite de nos résultats, nous avons également relevé à quel
point le vécu subjectif des parents était différent selon l’annonce d’un diagnostic précis
(dans cette étude, la trisomie 21) ou inconnu (dans le cadre de cette recherche, nous avons
interrogés des parents d’enfants ayant un syndrome neurologique d’origine inconnue,
associé à des difficultés d’apprentissage et un retard de développement).
Un diagnostic inconnu, dans notre société actuelle, engendre un stress supplémentaire chez
les parents : du fait de l’incertitude du diagnostic, ils vivent un sentiment de rejet et
d’exclusion de la part des professionnels, qui, souvent, refusent de prendre en charge ces
85
enfants, que la société catégorisent et « étiquettent » de plus en plus. Ses parents peuvent
exprimer un sentiment de colère, mais surtout ressentir un isolement intense. S’ajoute alors
un frein supplémentaire à l’acceptation de ce handicap angoissant, sur lequel les parents
n’arrivent pas à mettre de mots. La relation d’attachement peut ainsi prendre plus de temps
à se créer entre le parent et l’enfant.
Cependant, le fait que l’étiologie du handicap reste pour un temps inconnue semble
permettre à certains parents de prendre le temps de s’approprier et d’intégrer l’idée même
du handicap.
Majoritairement, le diagnostic précis de trisomie 21 semble être un facteur positif dans
l’intégration du handicap. Certaines inquiétudes et angoisses des parents sont apaisées du
fait de la facilité avec laquelle ils peuvent recevoir de l’information concernant ce diagnostic
(médias, recherches scientifiques...). Ces parents ont alors souvent recours à
l’intellectualisation. Le besoin de réassurance majeur des parents à la naissance de leur
enfant est souvent comblé par d’autres familles vivant la même expérience et par les
nombreux professionnels spécialisés dans cette maladie génétique.
Ainsi, un diagnostic connu peut permettre aux parents de se reposer sur des
professionnels compétents, des associations, d’autres familles partageant la même
expérience… Les parents que l’on a interrogés ont d’une manière générale apprécié la
précision du diagnostic (trisomie 21). « (…) un handicap reconnu est habituellement mieux
accepté qu’un handicap sans étiologie décelable. Lorsque le diagnostic est précis, la famille
subit un choc violent à l’annonce du handicap. Mais elle sait à quoi elle doit faire face.
L’incertitude nourrit l’ambivalence ; elle freine l’acceptation de la réalité. » (Sausse, 1996,
p109) En effet, un diagnostic sans étiologie précise « (…) a pour effet de les destituer de leur
rôle parental et d’introduire une rupture intolérable du lien de filiation qui les unit à cet
enfant. » (Sausse, 1996, p109)
Comme elle le souligne, « l’incertitude (…) laisse la porte ouverte aux fantasmes concernant
une faute imaginaire. » (Sausse, 1996, p109) Quand il n’y a pas de diagnostic, la
responsabilité revient en quelque sorte aux parents.
La troisième hypothèse de travail : « Le handicap suscite une blessure narcissique
extrême chez le parent qui avait investi narcissiquement l’enfant durant la période de la
grossesse (toutes les annonces étant post-natales) ».
86
Comme nous l’expliquions dans la revue de littérature, l’amour des parents s’illustre
par un déplacement du narcissisme sur l’enfant. Les parents reportent alors toutes leurs
attentes et leurs désirs sur celui-ci. Face à l’incapacité de l’enfant handicapé à satisfaire
leurs attentes, un conflit psychique naît de cette prise de conscience. L’image que renvoie
l’enfant est source d’une grande souffrance et d’une désillusion chez ses parents, qui se
rendent compte que l’enfant ne sera pas à la hauteur de leurs désirs.
Cette image d’enfant anormal entrave le processus de deuil de l’enfant idéal, provoquant
chez les parents une blessure narcissique extrême. Chez certains parents, le travail
d’intégration des troubles de l’enfant est ainsi freiné. On observe alors que ces parents
utilisent le mécanisme de l’évitement lorsqu’ils évoquent les troubles de l’enfant.
Nous avons également relevé que cette attaque narcissique, chez certains parents,
engendrait un déplacement du conflit sur l’entourage extérieur : la famille, les
professionnels etc. deviennent coupables des incapacités de l’enfant à répondre aux
attentes parentales.
La colère vis-à-vis de l’entourage vient masquer la déception, voir l’agressivité à l’égard de
cet enfant qui les fait souffrir.
La quatrième hypothèse de travail : « Les parents adoptent des stratégies de coping
différentes pour faire face à l’angoisse suscitée par cette annonce du handicap ».
Grace aux résultats, nous avons pu relever que les parents adoptaient plusieurs
stratégies afin de se protéger contre l’angoisse qui les avait envahis, face à l’annonce du
handicap de leur enfant. Certains parents, en fonction de leur personnalité, ont choisi
d’avoir une attitude combative face aux difficultés que rencontrent les parents dans la prise
en charge de l’enfant. C’est un processus qui leur permet de garder espoir et de ne pas
sombrer dans la souffrance et l’isolement total par rapport au monde extérieur. Chez
d’autres parents, on remarque un essoufflement face aux difficultés qu’endure la famille. Ils
tentent avec le temps d’intégrer au mieux le handicap de l’enfant. Mais nous avons
également remarqué que cette intégration peut être une forme de déni chez certains
parents, qui expliquent vouloir « vivre au jour le jour ».
Dans une perspective de réassurance, le besoin de comparaison à d’autres enfants (plus
atteints par exemple) est également très important pour les parents. Ils ont également
87
tendance à se reposer sur le hasard pour toutes les épreuves rencontrées. Ils s’appuient ainsi
sur des forces extérieures.
La cinquième hypothèse de recherche : « Le traumatisme suscité par l’annonce du
handicap de l’enfant remet en cause la fonction parentale et entravent l’expérience et la
pratique de leur parentalité ».
Au travers de l’exercice de leur parentalité, qui correspond à l’autorité parentale,
nous avons observé dans les résultats que, même si certains parents essaient d’harmoniser
leur éducation vis-à-vis de la fratrie, d’autres se remettent en question sur les
comportements à adopter vis-à-vis de leur enfant. En effet, certains parents se voient être
plus patients et plus permissifs, considérant que l’enfant est plus fragile et plus vulnérable à
cause de son handicap mental. Ils assouplissent ainsi leur mode éducatif. Concernant la
pratique de la parentalité, qui sont tous les soins parentaux procurés à l’enfant, on constate
à nouveau une remise en question pour certains parents par rapport à l’attitude à avoir
envers lui. Du fait de la fragilité sur le plan physique de certains enfants, ou pour que les
parents obtiennent un diagnostic du handicap (lorsque celui-ci n’est pas décelé à la
naissance), les enfants subissent des examens médicaux et des opérations souvent lourdes,
qui culpabilisent beaucoup les parents.
D’autre part, en raison du handicap mental de l’enfant, les interactions affectives (qui
désignent la communication affective entre la mère et son enfant) et comportementales (les
échanges corporels entre le parent et l’enfant) ne répondent pas aux attentes de certains
parents, ce qui renforce les difficultés d’identification à celui-ci et parfois le rejet de l’enfant.
L’expérience subjective du vécu parental est donc paralysée par leurs incertitudes vis-à-vis
de l’attitude à avoir envers leur enfant. Certains parents doutent ainsi de leurs capacités à
être de bons parents.
Ainsi, la confrontation de chacune de nos hypothèses cliniques avec les résultats de
notre étude nous permet de valider notre hypothèse principale : « L’annonce du handicap de
l’enfant impacte de façon significative les processus de parentalité. Plus particulièrement, les
modalités de l’annonce du diagnostic bouleversent le parent, impliquant des répercussions
psychologiques chez ce dernier ».
88
L’impact psychologique de l’annonce du handicap se repère chez les parents dans
plusieurs domaines. Les modalités de l’annonce, dont l’expérience est très différente selon
les parents, ont des répercussions majeures sur le vécu parental. Il est important de rappeler
que le cadre de l’annonce est un facteur primordial pour une meilleure intégration du
handicap par le parent. Un cadre clair, en présence d’un médecin qui peut accompagner les
parents sur le long-terme et qui annonce le diagnostic de l’enfant aux deux parents
simultanément, a un effet positif sur le vécu parental et sur le couple. Notre recherche a en
effet montré qu’une annonce du handicap faite à deux conjoints séparément avait des
répercussions négatives significatives sur la dynamique conjugale, notamment pour les
pères, dont la société écoute parfois moins la souffrance.
Nous avons pu constater à quel point le vécu des parents était différent selon une
annonce claire, ou une annonce floue laissant planer une incertitude quant au diagnostic de
l’enfant. Même s’il n’y a jamais de mots justes pour annoncer le handicap d’un enfant à ses
parents, l’attitude et les mots du soignant ont une importance cruciale pour l’équilibre
psychique parental ; les parents n’oublieront jamais la façon dont on leur a annoncé le
diagnostic de leur enfant.
L’incertitude, le doute laissé par les soignants est vécu de manière très douloureuse chez les
parents, dont les angoisses et le stress ne sont pas validés. Comme nous l’expliquions dans la
partie théorique, ces comportements sont une sorte d’évitement de la souffrance d’autrui. A
l’inverse, pour d’autres parents, la certitude, la franchise de la réponse s’est révélée être une
énergie dynamisante pour l’acceptation du handicap de l’enfant et ainsi pour des
interactions parent-enfant répondant plus à leurs attentes. Les parents sont ainsi pris en
compte, responsabilisés dans leur rôle de parent.
Ce qui a été très intéressant à travers nos entretiens, c’est que nous nous sommes
rendus compte qu’il y avait des annonces floues de diagnostics précis, d’étiologie connue et
dans le cas des parents P.1, une annonce claire d’un diagnostic encore imprécis. Dans ce
dernier cas, même si l’incertitude du diagnostic était très culpabilisante pour ces parents,
une neuropédiatre leur a donné une première piste sur le diagnostic de leur enfant, et a
surtout cherché à établir un lien de confiance avec ces deux parents, leur parler d’égal à
égal, avec franchise, dans un cadre clair et contenant. Cette rencontre les a beaucoup aidés
dans l’acceptation du handicap, même encore imprécis, de leur fils. A l’inverse, d’autres
89
parents (le deuxième couple interrogé) ont très mal vécu l’annonce qui leur a été faite.
Malgré le fait que le diagnostic était précis (trisomie 21), le médecin, voulant se débarrasser
des émotions trop douloureuses que cet enfant handicapé suscitait en lui, a choisi de fuir la
situation, laissait planer le doute autour du handicap de leur fille.
L’annonce, qui constitue déjà en elle-même, un évènement traumatisant, a été
d’autant plus traumatique du fait du cadre inapproprié (une annonce « entre deux portes »,
évitement du médecin qui n’a pas su annoncer clairement que leur fille était trisomique).
Rappelons également le cas d’une des mères dont l’annonce lui a été faite seule, qui
souligne, des années plus tard, les répercussions positives qu’une annonce faite aux deux
parents simultanément auraient produites sur la dynamique conjugale.
D’après nos résultats, une annonce claire d’un diagnostic imprécis ne serait-elle pas
préférable à une annonce, même d’un diagnostic d’étiologie connue, faite de manière
floue ?
Ainsi une annonce claire transmise aux parents, d’un diagnostic précis, aura-t-elle des
effets positifs sur l’appropriation du handicap de l’enfant et sur une meilleure accession à
leur parentalité.
B.2. Limites de la recherche
Selon nous, la première difficulté à laquelle nous nous sommes heurtés est la petite
taille de notre échantillon de parents d’enfant handicapés. Ainsi, on ne peut pas généraliser
les résultats à l’ensemble de cette population. De même, il est difficile de tirer des
conclusions à partir d’entretiens qui ont été très chargés en émotions et qui faisaient appel à
la subjectivité de chaque parent. Ainsi, leur propre histoire, les évènements antérieurs
jouent un rôle déterminant dans la réaction de chaque parent face à l’annonce du handicap
(le tempérament de chacun, d’autres membres de la famille sont porteurs d’un handicap
etc.). Il est ainsi difficile de généraliser les résultats de l’étude.
Ce projet de recherche a une dimension clinique, il amène des pistes de réflexion concernant
les répercussions des modalités de l’annonce sur le psychisme parental, domaine qui a
encore peu été étudié.
90
De plus, il y a eu des inégalités dans l’échantillon de parents interrogés, qui n’était
donc pas homogène. La répartition entre les hommes et les femmes n’était pas la même,
(nous n’avons rencontrés qu’un homme sur les cinq entretiens de parents) et la répartition
des couples et des parents divorcés était également hétérogène. Il aurait été intéressant de
pouvoir prendre ces critères en compte. Cependant, dû à des entretiens chargés en affects
et qui nécessitait un retour sur un évènement qui a pu être traumatique pour certains
parents, nous n’avons interrogés que les parents qui consentaient à participer au projet de
recherche.
Nous avons rencontré une autre limite : dans cette étude, il n’a pas toujours été
facile de différencier le vécu et la souffrance émanant du handicap de l’enfant en lui-même,
et celle provenant de l’annonce du handicap. En effet, il est vrai par exemple que
l’imprécision du diagnostic entraîne le flou de l’annonce… Dans cette étude, il a été difficile
de faire la part des choses et différencier le vécu psychique du parent face à l’annonce, et
ses conséquences, et le ressenti par rapport au handicap en lui-même et ses conséquences.
B.3. Ouvertures de la recherche
Au fur et à mesure des entretiens cliniques et de la rédaction de notre mémoire de
recherche, un certain nombre de questionnements, en lien ou non avec notre
problématique nous sont venus à l’esprit.
Bien que nous ayons rencontré peu de pères lors de nos entretiens, les mères ont
beaucoup témoigné du vécu de leurs conjoints lors de l’annonce du handicap et des
répercussions dans les interactions avec l’enfant. Comme le disait Sausse, la souffrance des
pères n’est pas assez écoutée dans notre société. En effet, « la vulnérabilité masculine
bouleverse l’image conventionnelle, mais profonde, de la virilité ». (Sausse, 1996, p53) Elle
écrivait que comme le handicap renvoyait à une image de castration, les pères pouvaient
être d’autant plus blessés dans leur propre narcissisme, puisqu’ils étaient touchés dans leur
intégrité masculine, leur virilité.
91
Du fait du peu d’études réalisées sur le sujet de la souffrance des pères à l’annonce du
handicap et de l’intensité des témoignages des mères, nous aurions trouvé particulièrement
intéressant d’étudier cette question.
De même, nous avons relevé au cours des entretiens avec les parents que le rang de
l’enfant handicapé dans la fratrie était un facteur très important pour une meilleure
acceptation du handicap. En effet, nous pensons que la blessure narcissique est encore plus
intense lorsque l’enfant handicapé est l’aîné que lorsqu’il est le puîné. Lorsqu’il est l’aîné, il
existe une forte pression inconsciente exercée sur la fratrie ainsi qu’une ambivalence vis-àvis d’elle : la fratrie ne peut pas se permettre de ne pas réussir, au risque d’une déception
intense de la part des parents. Mais pourtant, dépasser cet enfant n’est pas possible.
Nous avons pensé prendre en compte cette dimension, mais elle s’est révélée être trop
lourde pour ce projet et avons préférer nous axer sur les répercussions de l’annonce du
handicap sur le vécu parental.
92
CONCLUSION
Nous avons tenté, tout au long de l’étude, d’analyser le ressenti psychique du parent
face à l’annonce du handicap de l’enfant et les répercussions psychologiques qu’elle a
entrainée, conditionnant ainsi l’acceptation du handicap de l’enfant, leurs interactions avec
celui-ci au quotidien et de ce fait, leur parentalité.
Ainsi la qualité de l’annonce (donc ses différentes modalités) a-t-elle un impact significatif
sur la façon dont les parents vont intégrer et s’approprier le handicap de leur enfant : le
cadre au sein duquel les médecins des services de néonatologie annoncent le diagnostic de
l’enfant, leur attitude, leur spontanéité, leur franchise, les paroles utilisées qui resteront
gravées dans le psychisme parental, leur choix de s’adresser à un seul des parents ou au
contraire au couple.
Un cadre clair, en présence d’un médecin qui peut accompagner les parents sur le longterme et annoncer le diagnostic de l’enfant aux deux parents simultanément, a un effet
positif sur le vécu parental et la dynamique conjugale.
La franchise et la clarté de l’annonce est une énergie dynamisante pour l’appropriation du
handicap et, inéluctablement, pour des interactions avec l’enfant de meilleure qualité. Une
relation de confiance mutuelle s’instaure entre le parent et le professionnel.
A l’inverse, l’incertitude, l’évitement utilisé par les médecins, dont l’annonce du handicap est
trop insupportable, est un traumatisme supplémentaire pour certains parents, dont les
angoisses ne sont pas validées, et qui alimente leur culpabilité. L’accession à la parentalité
est freinée par cette attitude, qui est un évitement de la souffrance parentale. De surcroît,
lorsque le diagnostic annoncé est imprécis, il peut y avoir un rejet de la part de certains
professionnels concernant la prise en charge de l’enfant, qui augmente les difficultés
d’identification à l’enfant.
Les modalités de l’annonce du handicap et leur impact sur le vécu psychique des
parents vont déterminer l’accession aux processus de parentalité. Certains parents se
remettent alors en question à propos du comportement à adopter vis-à-vis de leur enfant.
De même, lorsque les parents sont à la recherche à tout prix d’un diagnostic précis et que
cela nécessite des examens médicaux intensifs pour l’enfant, on constate une remise en
93
question de leur part quant à l’attitude à adopter, car les parents se sentent très coupables.
Ainsi remettent-ils en cause l’exercice et la pratique de leur parentalité.
Pour tenter d’exercer leur parentalité dans les meilleures conditions, les parents
mettent en place des mécanismes de défense et des stratégies de coping. La plupart des
parents ont une attitude combative face aux difficultés qu’ils rencontrent dans la prise en
charge de l’enfant, chez d’autres on note un essoufflement face aux difficultés, ils tentent
d’intégrer le handicap de l’enfant avec le temps.
Ainsi, les modalités de l’annonce selon lesquelles le diagnostic est communiqué aux
parents jouent un rôle crucial dans la façon dont les parents vont assumer cet évènement
douloureux. C’est un moment primordial qui gardera toute son acuité dans le psychisme
parental et dont on peut percevoir les effets, parfois cachés, bien longtemps après.
Ce projet de recherche a été passionnant à traiter car il a permis d’apporter
un éclairage des répercussions de l’annonce du handicap sur la parentalité et de faire naître
d’autres interrogations. Ce mémoire amène progressivement de nouvelles perspectives de
recherche, concernant la formation et l’accompagnement des équipes de néonatologie.
94
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RESUME DU PROJET DE RECHERCHE
Objectif ou hypothèse de l’étude : Nous avons souhaité, à travers ce projet de recherche,
nous interroger sur la façon dont les modalités de l’annonce du handicap de l’enfant
pouvaient avoir un impact sur le vécu psychique des parents, et donc sur l’acceptation du
handicap. Ainsi, l’hypothèse principale de notre étude est la suivante : « L’annonce du
handicap de l’enfant impacte de façon significative les processus de parentalité. Plus
particulièrement, les modalités de l’annonce du diagnostic bouleversent le parent, entraînant
des répercussions psychologiques chez ce dernier ».
Méthodologie, population, instruments, déroulement : Notre population est constituée de
six individus (cinq femmes, un homme), dont un couple. Trois sujets sont parents d’un
enfant ayant un diagnostic imprécis, d’étiologie inconnue ; les trois autres sont parents d’un
enfant ayant un diagnostic d’étiologie connue : la trisomie 21. Toutes les annonces de
diagnostic sont post-natales. Nous avons choisi d’analyser l’impact de l’annonce du handicap
sur le vécu psychique parental grâce à des entretiens semi-directifs, à domicile, dans une
pièce au calme, enregistrés sur une bande-son. Afin de pouvoir discuter nos hypothèses,
nous avions au préalable constitué un guide d’entretien, et avons respecté l’anonymat des
sujets. Nous leur avons précisé la destruction des données à la fin de l’étude.
Résultats : Les modalités de l’annonce ont des répercussions majeures sur le vécu psychique
des parents. Nous avons constaté à quel point le vécu parental était différent selon une
annonce claire, ou une annonce floue de la part des médecins, laissant planer une
incertitude quant au handicap de l’enfant. Cette incertitude est vécue par les parents de
façon douloureuse, leurs angoisses ne sont pas validées. Pour d’autres parents, la certitude,
la franchise de l’annonce s’est révélée être une énergie dynamisante pour l’acceptation du
handicap de l’enfant et a ainsi eu un impact positif sur les interactions parent-enfant. Les
parents se sentent responsabilisés dans leur rôle de parent. Notre recherche a également
montré qu’une annonce du handicap faite à deux conjoints séparément avait des
répercussions
négatives
sur
la
dynamique
conjugale.
Conclusion : Le cadre dans lequel se fait l’annonce, l’attitude et les mots du soignant ont une
importance cruciale pour l’équilibre psychique des parents et va jouer un rôle important
dans l’intégration du handicap de l’enfant.
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