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REMERCIEMENTS Je tiens tout particulièrement à remercier mon directeur de mémoire, Madame Marot, pour sa disponibilité, ses conseils et son soutien qui m’ont permis d’enrichir ce mémoire tout au long de l’année. Je remercie infiniment les parents qui ont accepté de répondre à mes questions : merci pour la confiance qu’ils m’ont accordé, leur disponibilité et leurs témoignages qui ont nourri et enrichi tout mon travail de recherche. Je tiens également à remercier ma responsable de stage au Centre de Réadaptation Marie Enfant à Montréal, Madame Marleau, qui m’a aidé à affiner mon sujet de recherche. Je remercie Thomas, mon fiancé, qui m’a soutenu au quotidien. Je remercie enfin ma famille et mes amis, pour leurs encouragements et leurs critiques qui m’ont aidé à améliorer ce projet de recherche. 1 SOMMAIRE INTRODUCTION…………………………………………………………………………………………….6 PARTIE THEORIQUE………………………………………………………………………………………….9 I. Le Handicap mental……………………………………………………………………………………………….9 A. Qu’est-ce que le handicap mental ?.........................................................................9 B. Les fantasmes suscités par le handicap : une approche psychanalytique …………..11 B.1. La procréation interdite………………………………………………………………………………11 B.2. Une filiation fautive…………………………………………………………………………………….11 B.3. La figure terrifiante de Méduse…………………………………………………………………..12 B.4. La recherche d’une causalité du handicap…………………………………………………..13 C. Quelques aspects de la Trisomie 21……………………………………………………………………14 C.1. Description clinique…………………………………………………………………………………….14 C.2. Evaluation anténatale du risque………………………………………………………………….15 C.3. Atteinte de la vie sociale de l’enfant……………………………………………………………16 II. Parentalité : être parent……………………………………………………………………………………….16 A. La grossesse ………………………………………………………………………………………………………16 A.1. Le désir d’enfant…………………………………………………………………………………………17 A.2. La transparence psychique de la grossesse ………………………………………………..18 A.3. La préoccupation maternelle primaire………………………………………………………..18 B. Approche conceptuelle du processus de parentalité………………………………………….19 B.1. Définitions…………………………………………………………………………………………………..19 B.2. Le développement de la parentalité ou parentification……………………………….21 B.2.1. Confrontation de l’enfant imaginaire, soutien du narcissisme parental, avec l’enfant réel………………………………………………………………………………………….21 B.2.2. L’enfant fantasmatique………………………………………………………………………22 B.2.3. La transmission transgénérationnelle…………………………………………………23 B.2.4. Influence de ces transmissions sur les interactions parent-enfant………24 B.2.5. Le narcissisme primaire, attaqué par l’annonce du handicap……………..25 B.3. Les 3 axes de la parentalité, selon D.Houzel……………………………………………….27 B.3.1. L’exercice de la parentalité…………………………………………………………………27 B.3.2. L’expérience de la parentalité…………………………………………………………….27 B.3.3. La pratique de la parentalité………………………………………………………………28 2 III. Le parent et l’enfant handicapé……………………………………………………………………………30 A. L’annonce du diagnostic…….………………………………………………………………………………30 A.1. Le choc traumatique……………………………………………………………………………………30 A.2. Mécanismes de défense et d’adaptation chez le parent d’enfant atteint de handicap mental………………………………………………………………………………………………..32 A.3. Un mécanisme de défense particulier : le « mythe de survie » des parents (Gaillard)……………………………………………………………………………………………………………36 A.4. Un cycle de vie de famille arrêté…………………………………………………………………37 B. La qualité de l’annonce du handicap comme facteur essentiel…………………………..37 B.1. Caractéristiques de la qualité de l’annonce…………………………………………………39 B.1.1. A qui le dire ……………………………………………………………………………………….39 B.1.2. A quel moment faut-il l’annoncer aux parents……………………………………40 B.2. La clarté ou non du diagnostic…………………………………………………………………….40 PARTIE CLINIQUE……………………………………………………………………………………………42 IV. Le contexte de la recherche………………………………………………………………………………….42 A. Origine du sujet………………………………………………………………………………………………….42 B. Lieux de recueil des données……………………………………………………………………………..44 C. Constitution de la population…………………………………………………………………………….44 D. Considérations éthiques et déontologiques……………………………………………………….45 E. Hypothèses de la recherche……………………………………………………………………………….48 V. Matériel clinique et déroulement de la recherche………………………………………………..49 A. L’entretien semi-directif………………………………………………………………………………………49 A.1. Rappels……………………………………………………………………………………………………….49 A.2. Guide d’entretien……………………………………………………………………………………….50 A.3. Traitement des données…………………………………………………………………………….51 B. L’Indice de Stress Parental……………………………………………………………………………………52 VI. Résultats de la recherche……………………………………………………………………………………..54 A. Analyse des résultats………………………………………………………………………………………….54 A.1. Analyse thématique des entretiens cliniques……………………………………………..54 A.1.1. Thèmes centrés sur le handicap et les processus de parentalité…………54 A.1.2. Thèmes centrés sur la clarté du diagnostic…………………………………………67 A.1.3. Thèmes centrés sur l’annonce……………………………………………………………71 A.2. Analyse des mécanismes de défense………………………………………………………….80 B. Discussion…………………………………………………………………………………………………………84 B.1. Interprétation des résultats………………………………………………………………………..84 3 B.2. Limites de la recherche……………………………………………………………………………..90 B.3. Ouvertures de la recherche……………………………………………………………………….91 CONCLUSION…………………………………………………………………………………………………………………..93 BIBLIOGRAPHIE……………………………………………………………………………………………………………….95 ANNEXES…………………………………………………………………………………………………………………………99 4 « Comment raconter l’indicible ? Tu vas entendre le récit d’une souffrance égale à la mort… Ô nouvelle que l’esprit ne peut accueillir et ne peut fuir ! » SOPHOCLE 5 INTRODUCTION Notre intérêt pour le handicap et son impact sur l’équilibre familial s’est affiné ces deux dernières années. Ce projet de mémoire est le fruit d’une réflexion issue des stages cliniques qui nous ont permis de côtoyer de nombreux enfants handicapés (moteurs et/ou mentaux) ainsi que leurs parents. Mais c’est au cours d’une conversation passionnante avec une mère, lors d’un stage clinique que nous avons effectué à Montréal auprès d’enfants handicapés, que notre sujet d’étude a réellement émergé. Celle-ci nous faisait part de son expérience traumatique à l’étranger au cours de laquelle on lui a annoncé, en l’absence de son conjoint, et plusieurs semaines après la naissance, le diagnostic de trisomie de son fils. Confrontés à cette situation à laquelle ils n’étaient certainement pas préparés, les médecins n’avaient pas osé émettre leurs doutes auprès du couple, et avaient évité cette annonce trop douloureuse afin de se dégager des émotions désagréables que le bébé provoquait en eux. Les médecins, croyant bien faire, avaient ensuite laissé la mère seule, dans sa chambre. Notre conversation s’est alors orientée sur le manque d’accompagnement, dans certains services, des parents à la naissance d’un bébé porteur d’un handicap. Puis, c’est en menant une réflexion avec notre maître de stage, psychologue au sein du Centre de Réadaptation Marie-Enfant de l’hôpital Sainte-Justine, sur les annonces de diagnostics que nous transmettions aux parents en consultation, que notre projet a peu à peu mûri. Nous avons été, en effet, particulièrement exposés à leurs réactions face à l’annonce du diagnostic de leur enfant. D’autres parents nous ont livrés des témoignages troublants sur l’annonce qui leur avait été faite dans les services de néonatalogie. Ayant trouvé peu d’études sur ce sujet de recherche, nous nous sommes ainsi interrogés sur la façon dont les modalités de l’annonce du handicap de l’enfant pouvaient avoir un impact significatif sur le vécu psychique des parents, et donc sur l’acceptation du handicap. 6 Tous les mots, les paroles prononcées par les médecins par rapport au handicap de leur enfant restent gravés à jamais dans la mémoire des parents, et joueront un rôle dans les futures interactions parent-enfant. C’est pourquoi, après avoir longtemps voulu axer notre projet de recherche sur l’impact du handicap des enfants sur leur vécu, nous nous sommes tournés vers leurs parents, dont on oublie non pas la souffrance psychique, mais celle qui a émanée de l’annonce du handicap qui leur a été faite. Ainsi avons-nous dirigé la problématique de notre recherche sur le vécu psychique des parents face à l’annonce du diagnostic et son impact sur les processus de parentalité. L’hypothèse principale de notre étude est : « L’annonce du handicap de l’enfant impacte de façon significative les processus de parentalité. Plus particulièrement, les modalités de l’annonce du diagnostic bouleversent le parent, entraînant des répercussions psychologiques chez ce dernier ». Afin d’infirmer ou de confirmer cette hypothèse, nous avons établi une population de parents d’enfants porteurs d’un handicap mental, dont certains ont un diagnostic précis (dans le cadre de cette étude, la trisomie 21) et d’autres, un syndrôme neurologique dont l’étiologie est encore inconnue. Ce projet permettra d’apporter un éclairage des répercussions de l’annonce du diagnostic sur les processus de parentalité, et ainsi d’amener progressivement à une prise de conscience par les équipes médicales du poids des mots et de l’importance du cadre de l’annonce d’un tel évènement. Ce mémoire de recherche pourrait ainsi amener de nouvelles perspectives concernant la formation des équipes de néonatologie au sein de ces services, et amènerait un éclairage significatif pour les psychologues et les médecins. Afin de répondre aux objectifs que nous nous sommes fixés, nous développerons cette étude en trois temps : Nous ferons tout d’abord une analyse théorique des thèmes relatifs à notre sujet de recherche, ce qui nous apportera un éclairage du handicap mental, des processus de parentalité et des particularités du fonctionnement psychique parental à l’annonce bouleversante du handicap de l’enfant. Nous nous attacherons en deuxième partie à présenter nos hypothèses de recherche, ainsi que la méthodologie de l’étude, les outils retenus. Nous achèverons cette étude par une analyse détaillée et une discussion des 7 résultats observés afin de confirmer ou d’infirmer nos hypothèses cliniques et de proposer de nouvelles perspectives de recherche. 8 PARTIE THEORIQUE I. Le Handicap mental A. Qu’est-ce que le handicap mental ? La façon dont on a abordé le handicap a fortement évolué depuis vingt ans (Chapireau, Constant et Durand, 1997). Auparavant, le diagnostic de handicap allait de pair avec une invalidité irrémédiable. Aujourd’hui, il est considéré comme un état non plus fixé, mais comme un « processus multifactoriel, dynamique, et sans rapport exclusif avec le diagnostic initial » (Schauder, Durand, 2004, p609). Une classification internationale de mai 2001 (l’O.M.S) a élargi l’appellation de handicap à la « classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé » (Schauder, Durand, 2004, p610). Néanmoins, le mot « handicap » est toujours source de nombreuses confusions. Il désigne, sans différenciation claire, la cause (malformation, anomalie organique, maladie…) mais aussi la conséquence (fait d’être écarté de la norme). Le mot « handicap » est récent. Il rassemble aujourd’hui « des atteintes au corps ou à l’esprit qu’il ne serait venu à l’idée de personne de mettre sous le même vocable, il y a seulement soixante ans. Le handicap est une nouvelle figure historique de l’infirmité » explique H.J Stiker (Stiker, 1991). Même si le mot handicap apparaît au début du 20e siècle, il ne sera utilisé qu’à partir des années soixante, dans son sens médico-social actuel. Il a donc pris une importance accrue depuis quarante ans. Avec le terme handicap, un nouveau champ regroupant différentes pathologies et atteintes s’est constitué et « qui correspond à un mode de prise en charge et à des stratégies 9 sociales de la société occidentale contemporaine. C’est un champ qui a tendance à s’étendre et à englober des situations nombreuses et variées, de plus en plus hétérogènes (…) Ces changements s’inscrivent dans une histoire sociale et un rapport de forces politiques. » (Sausse, 1996, p85). Selon M. Cuilleret, la déficience mentale est « un ensemble de difficultés touchant de façon spécifique les sphères neurocentrales et intellectuelles. Elle influe sur le développement intellectuel de la personne, sur le développement de la personnalité dans les domaines intellectuels, psychoaffectifs et comportementaux. Les atteintes sont sélectives. Elles sont irréversibles et n’ont pas d’origine génétique directe. » (Cuilleret, 2007, p16) Les étiologies de la déficience mentale sont multiples : chez l’enfant, « les étiologies les plus fréquentes sont les troubles de la maturation fœtale, les accidents d’accouchements (cyanoses, anoxie), les accidents néo-nataux et les maladies de la petite enfance : méningites, accidents cérébraux… » (Cuilleret, 2007, p16). Les conséquences associées peuvent être « des automutilations, des obsessions, des angoisses, des difficultés relationnelles… » (Cuilleret, 2007, p16). Il est important de souligner que, quels que soient les systèmes de classification, il y a un consensus sur le fait qu’un diagnostic de retard mental ne peut être énoncé qu’en présence de trois critères fondamentaux : - des limitations significatives du fonctionnement intellectuel ; - des limitations significatives du fonctionnement adaptatif ; - l’apparition de ces limitations durant la période de développement (avant 18 ans). Le DSM IV spécifie 4 degrés de sévérité différents dans le retard mental : le niveau léger (QI de 50-55 à 70), le niveau moyen (QI de 35-40 à 50-55), le niveau sévère (QI de 20-25 à 35-40) et enfin le niveau profond (inférieur à 20-25). La courbe de Gauss (courbe normale divisée en fonction des classifications d’intelligence) définit la déficience intellectuelle à un QI de 69 et moins. En dessous, il est pourtant difficile de discriminer la déficience intellectuelle. C’est pourquoi la description statistique situe la déficiente intellectuelle (QI de 69 et moins) comme « extrêmement faible ». 10 B. Les fantasmes suscités par le handicap : une approche psychanalytique « Le handicap choque, surtout celui, insupportable, scandaleux, du petit enfant. » (Sausse, 1996, p7) B.1. La procréation interdite Pour les parents, inscrire l’enfant dans la généalogie peut se révéler être une expérience très difficile. Mais il est encore plus douloureux et difficile pour ces parents d’imaginer que leur enfant puisse, à son tour, procréer. « Le handicap, surtout celui qui est dû à des anomalies du patrimoine génétique, suscite une idée d’étrangeté telle que ce serait comme une mutation » (Sausse, 1996, p126). En effet, même si l’on a pu constater ces dernières années une évolution des idées quant à la sexualité des personnes handicapées, la notion de procréation reste effrayante. Les parents sont confrontés à des images intolérables et les professionnels à des réflexions éthiques complexes. Comment réagir, quel rôle doit adopter le parent face au désir de leur fille trisomique d’avoir un enfant ? Les conséquences psychologiques sont nombreuses pour celui ou celle qu’on empêche d’avoir un enfant (par une contraception forcée par exemple). Cela met en jeu des mouvements affectifs et éthiques délicats chez les médecins et les parents. « (…) cela revient, d’une part, à dire à une femme trisomique qu’elle ne doit pas avoir d’enfants parce que cet enfant risque d’être trisomique et donc que les trisomiques, c'est-à-dire elle-même, ne devraient pas exister, et d’autre part, c’est lui signifier son incapacité à être parent » (Sausse, 1996, p126). B.2. Une filiation fautive L’enfant atteint d’un handicap confronte violemment les parents la question de la filiation. D’où vient cette imperfection ? Cette question se pose inéluctablement dans le couple, qui se rejette la faute ou se mure réciproquement dans un silence complet. Le traumatisme atteint plusieurs générations : les grands-parents se questionnent sur l’origine du handicap de leur petit-fils ou petite-fille. On observe souvent que les parents éprouvent une grande peur à l’idée de leur annoncer le handicap de leur enfant, car il évoque l’idée d’hérédité. « Cette difficulté est liée à ces fantasmes de procréation fautive : une conception 11 incestueuse ou monstrueuse qui remonte les générations et met en cause les grandsparents. » (Sausse, 1996, p127). Les géniteurs de cet enfant anormal, se questionnant sur l’origine de l’enfant, tentent d’imaginer ce qui a pu en eux donner naissance à ce bébé, ce qui ébranle ainsi le fantasme de la scène primitive. De nombreux sentiments se mêlent à ce questionnement : malaise, honte, déchéance… « Les fantasmes relatifs à la conception de l’enfant, ce que les psychanalystes appellent le fantasme de la scène primitive, sont vivement sollicités et profondément bouleversés par le handicap de l’enfant. » (Sausse, 1996, p128). Le désir parental est ainsi mis à mal par ce bébé malformé. Comment admettre en effet que ce bébé, qui a été désiré si fort par ces parents, soit porteur d’une difformité ? Selon Sausse, la naissance d’un enfant mobilise constamment un fantasme inconscient d’ordre sexuel et incestueux. L’enfant est celui du désir œdipien : il est l’enfant que les parents imaginaient concevoir avec leur père ou leur mère lorsqu’ils étaient enfants. Or, « la présence d’un handicap donne un support objectif à ce fantasme et à cette culpabilité. Ce qui devait rester de l’ordre du secret s’inscrit dans la réalité tangible et visible du corps de l’enfant qui est mis au monde. » (Sausse, 1996, p128). Si tout enfant qui naît révèle la sexualité des parents, ce bébé étrange attesterait d’une sexualité anormale. B.3. La figure terrifiante de Méduse « Lors de cette première phase qui suit le choc traumatique, face au diagnostic insupportable, les parents sont comme pétrifiés. » souligne Sausse (Sausse, 1996, p34). « Pétrifiés comme l’étaient ceux qui, dans la mythologie grecque, devaient regarder de face la figure terrifiante de Méduse. » (Sausse, 1996, p34). Ainsi compare-t-elle la « découverte d’une anomalie chez l’enfant à une épreuve analogue : voir le visage de la Méduse. Contraints de regarder en face ce qui ne saurait se voir, ils sont pétrifiés ou détournent le regard. » (Sausse, 1996, p34). Cela n’est qu’à travers le regard des autres, comme Persée l’avait fait avec son bouclier poli comme un miroir, que la confrontation d’une mère avec l’horreur du handicap peut se rompre. Aucune représentation ne donne forme à un évènement aussi catastrophique. Celles qui viennent à l’esprit sont tellement insoutenables qu’elles sont aussitôt refoulées, afin de se protéger contre les représentations innommables qui submergent les parents. « Réduites au silence, remisées dans l’inconscient, elles constituent une source d’angoisse d’autant plus difficile à maîtriser qu’elle n’avoue pas son origine. » (Sausse, 1996, p35). 12 B.4. La recherche d’une causalité du handicap « Le scandale de la naissance d’un enfant anormal confronte les parents (…) à la question de l’absurde. » (Sausse, 1996, p108) Elle est intolérable et humiliante pour les parents. Ainsi, « Désigner une cause, c’est donner sens à l’impensable, ramener l’égarement de la nature dans la rationalité et reconduire l’absurde à l’intérieur d’une logique. » (Sausse, 1996, p108) Lorsque l’enfant a un diagnostic d’étiologie inconnue, les parents sont destitués de leur rôle de parent et cela engendre une rupture dans la filiation. C’est pourquoi les parents vont s’engager dans la quête d’une explication, d’une étiologie qui expliquerait cette étrangeté. Les enfants vont alors faire l’objet de multiples consultations et examens médicaux. « Ils cherchent une cause connue, précise, objectivable, organique. Tout est mieux que l’incertitude (…) qui laisse la porte ouverte aux fantasmes concernant une faute imaginaire. » (Sausse, 1996, p109) Ainsi pourrait-on comprendre davantage les angoisses de certains parents à qui l’on a annoncé un diagnostic imprécis, sans étiologie connue. Parce que les parents savent où trouver de l’information (professionnels spécialisés, associations, publications…), un diagnostic connu est en général mieux accepté par les parents qu’un handicap imprécis, qui peut nourrir une ambivalence. C. Quelques aspects de la trisomie 21 En effet, nous avons décidé, dans le cadre de nos entretiens semi-directifs, d’interviewer des parents d’enfants porteurs de trisomie 21. Nous considérons cette maladie génétique comme un diagnostic précis, puisque l’étiologie est connue : une anomalie dans la mutation des gênes amène un troisième chromosome sur la paire 21. Comme nous l’expliquerons plus tard, nous avons tenté d’analyser les différentes répercussions chez le parent selon que le diagnostic de l’enfant est précis, d’étiologie connue, ou flou, d’étiologie inconnue. C’est pourquoi cette partie nous a paru intéressante à développer afin de comprendre les enjeux de la Trisomie 21. C.1. Description clinique 13 C’est le médecin britannique John Langdon Down qui pour la première fois décrit en 1866 le syndrome de la Trisomie 21 (ou syndrome de Down). Il y classe ces sujets selon des caractéristiques physiques et ethniques et décrit de façon détaillée cette maladie qu’il appelle « idiotie mongoloïde » (Down, 1866, p261). Il établit ainsi une comparaison entre les enfants atteints de cette maladie et une catégorie raciale et explique ces traits, dans les deux cas, par une dégénérescence. Ce sont les médecins M. Gautier, R. Turpin et J. Lejeune qui vont publier en 1959 un article, décrivant que la maladie est causée par la présence d’un chromosome supplémentaire sur la 21e paire. La trisomie 21 est une maladie chromosomique congénitale. C’est la première fois qu’une anomalie génétique est décrite chez l’homme. Les signes cliniques de cette maladie sont nets : un retard mental, accompagné de modifications morphologiques spécifiques. Concernant la psychomotricité, les acquisitions sont retardées (marche vers 2 ans, apparition du langage plus tardive). Le développement des aptitudes affectives et sociales est dans la majeure partie des cas, normal. La trisomie 21 est une des maladies les plus transmises génétiquement, avec une prévalence de 9,2 pour 10 000 naissances aux Etats-Unis. Il y a une incidence d’environ 1 pour 800 naissances, toutes grossesses confondues, elle varie selon l’âge de la mère : 1 sur 1500 à 20 ans, 1 sur 900 à 30 ans, 1 sur 100 à 40 ans. On estime qu’il y a en France 65 000 à 70 000 personnes atteintes de trisomie 21. L’un des traits majeurs est le déficit mental, mais le quotient intellectuel varie de façon importante d’un enfant à l’autre. D’autres malformations congénitales existent (cardiopathies…) mais qui varient aussi selon les sujets. Environ 30% des individus souffrent de complications « orthopédiques » nécessitant une hospitalisation (au niveau des hanches par exemple) et le pourcentage devrait augmenter au prorata de l’allongement de l’espérance de vie. Les anomalies musculo-squelettiques sont souvent source de complications. Concernant la croissance de l’individu, la taille définitive est généralement inférieure à la moyenne. L’adolescence et la puberté sont des périodes qui vont, comme chez les autres adolescents, engendrer des comportements affectifs et sexuels. Ils demanderont à être accompagnés, soutenus par les adultes. Des groupes de parole encadrés par un 14 professionnel peuvent permettre au sujet de construire son identité d’adolescent et d’adulte. C.2. Evaluation anténatale du risque de la maladie Parce que la trisomie 21 est la plus fréquente cause de retard mental (elle représente 25% des handicaps mentaux chez les enfants d’âge scolaire), un examen de dépistage peut être réalisé afin d’évaluer le risque de trisomie 21, et décider d’une ponction ou non. En effet, l’évaluation permet aux parents de décider, lorsque le risque s’avère élevé, d’une amniocentèse pour établir le diagnostic. Le seuil de tolérance est arbitraire, la recherche montre qu’il est encore difficile de comparer le risque de tuer un fœtus sain avec le risque de permettre la naissance d’un enfant porteur de trisomie 21. Les examens de dépistage se font en fonction de plusieurs paramètres cliniques (population à haut risque, population dont le risque est jugé bas). Certains signes cliniques peuvent être repérés à l’échographie durant la grossesse : au premier trimestre, le marqueur échographique utilisé est la clarté nucale. La technique de mesure répond à des critères précis. Un autre marqueur échographique existe, mais la mesure est plus délicate : l’os propre du nez. Biologiquement, des substances telles que l’HCG et le PAPP-A (pregnancy-associated plasma protein A) sont utilisées pour détecter la maladie. Au second trimestre, il n’y a aucun signe échographique qui soit symptomatique de la trisomie 21. Cependant, on peut mettre en exergue un certain nombre d’anomalies mineures (hypoplasie, épaisseur de nuque, fémur court, écartement entre le premier et le deuxième orteil, langue protruse, cinquième doigt plus court…) et majeures (malformations cardiaques, sténoses digestives) qui se rencontrent plus fréquemment dans la trisomie. Biologiquement, le dépistage se fait entre 14 et 17 semaines d’aménorrhée : les marqueurs que l’on utilise sont l’alpha-foetoprotéine et l’HCG libre. Le diagnostic en lui-même de la trisomie 21 ne peut se faire qu’en mettant en évidence le chromosome 21 supplémentaire par le caryotype. Au premier trimestre, on peut prélever du trophoblaste entre 11 et 14 semaines. Au delà, le risque d’avortement iatrogène est trop important. Avant cette période, le risque est de 1%, comme pour l’amniocentèse. Il faut 15 ensuite ponctionner du liquide amniotique afin d’examiner les cellules du fœtus. Lorsque l’accouchement est proche, une ponction de sang fœtal (du cordon ombilical) est faite afin de réaliser le caryotype. Il faut quelques jours pour obtenir le résultat, contrairement à l’amniocentèse, qui requiert plusieurs semaines. C.3. Atteinte de la vie sociale de l’enfant Les personnes atteintes de trisomie 21 sont en effet victimes de leur retard mental, mais davantage encore du regard inquiet ou malveillant que l’on peut porter sur leur anomalie. Pourtant, le besoin de développer une vie sociale et affective est présent comme chez n’importe qui. Il est important pour les familles de recevoir un encadrement par des professionnels afin de stimuler au mieux les capacités intellectuelles et physiques du sujet (rééducations psychomotrices, orthophoniques, kinésithérapiques...). La recherche a montré que la fréquentation (autant que possible) des écoles ordinaires et d’enfants dits « normaux » peut avoir un effet très positif et être stimulant sur le plan intellectuel, pour les enfants porteurs de trisomie. Adultes, l’évolution des personnes atteintes de trisomie est variable, certains travaillent dans des ESAT (Etablissement et Service d’Aide par le Travail), d’autres parviennent à obtenir un emploi dans la vie active. L’espérance de vie de ces individus aujourd’hui est quasiment normale. II. Parentalité : être parent La naissance d’un enfant bouleverse les rôles : le couple conjugal devient couple parental : les rôles deviennent fondamentalement différents et impliquent de nombreux enjeux. Devenir parent suppose des réajustements psychiques importants et ce processus de parentification s’accompagne d’une crise identitaire et narcissique. A. La grossesse 16 A.1. Le désir d’enfant Le désir d’enfant est inscrit en chacun de nous depuis l’enfance. Il permet d’accéder à la parentalité car l’enfant rassure les parents sur leur identité. De nombreux psychanalystes et psychologues systémiciens se sont questionnés sur la façon dont se développe le désir d’enfant chez les hommes et les femmes. Houzel souligne qu’une part instinctuelle (« L’amour maternel est (…) probablement aussi vieux que l’humanité. » (Houzel, 2008, p134)) ainsi qu’une part culturelle (tout ce qui est acquis) semble toutes deux jouer leur rôle. Selon Brazelton et Cramer, « le désir d’être parent précède le désir d’enfant. Ces deux impulsions naissent de la créativité présente en tout être humain. » (Brazelton, Cramer, 1991, p22). Le désir d’être parent est celui de conquérir la puissance de ses propres parents. Freud souligne lui, que le désir d’enfant provient de l’amour narcissique. Par ailleurs, il s’inscrit dans la résolution du complexe d’Œdipe. La petite fille, forcée de constater la différence des sexes et son absence de pénis, déplace de la mère vers son père son investissement libidinal et espère recevoir de son père un enfant, à défaut d’un pénis. La mère devient objet de rivalité et le père objet d’amour. Cependant, la petite fille va vite devoir renoncer à ses désirs incestueux à cause des menaces imaginaires de la mère. Elle va alors différer son désir d’enfant sur un futur partenaire masculin. Pour la femme, le désir d’enfant prend ainsi racine dans sa propre enfance. Le petit garçon, lui, constatant la différence des sexes et confronté à l’angoisse de la castration, doit renoncer « à ses désirs de posséder sa mère et de lui faire un enfant, et les déplace sur un futur partenaire féminin. » (Houzel, 2008, p135). Les systémiciens ont décrit le désir d’enfant en tant que dette de vie : les parents donnent la vie à un individu, créant ainsi une dette dont il doit s’acquitter en devenant parent : « Le seul fait de les quitter physiquement et surtout psychiquement en s’engageant dans un processus d’individuation crée cette dette. L’individu doit, par loyauté et pour rembourser sa dette à l’égard de la génération précédente, devenir à son tour un parent créditeur en transmettant la vie qu’il a reçue. » (Houzel, 2008, p137) 17 A.2. La transparence psychique de la grossesse, de M. Bydlowski Ce fonctionnement psychique maternel spécifique, décrit par qui commence dès les premières semaines de la grossesse, se caractérise par une grande perméabilité de l’inconscient refoulé : les souvenirs qui étaient enfouis affluent à la conscience, les résistances psychiques habituelles étant beaucoup moins actives. « Il n’est pas rare de rencontrer des femmes qui sont dans une sorte d’état de transe remémorative faisant penser à un créateur à l’œuvre. » (Bydlowski, 1995, p1895) Cette période est marquée par un surinvestissement de l’histoire personnelle de la future mère et des remémorations infantiles. Des fantasmes régressifs, des reviviscences archaïques, préœdipiennes apparaissent à la conscience. Pour chacune des femmes, ces fantasmes sont caractérisés par une monothématique. La grossesse est « le lieu privilégié de résurgences des traumatismes passés » (Missonnier, S. Serge Lebovici, le prénatal et le multimédia, Portail de la Société Psychanalytique de Paris) (comme des viols, des abus sexuels, des remémorations de deuils anciens…) « Cette vulnérabilité maternelle, par réactualisation des conflits enkystés, se conjugue certes en terme de crise, c'est à dire de mise à l'épreuve et de possibles fragilisations mais, tout autant et simultanément, en termes de potentialités créatrices, source de réaménagements psychiques structurants » souligne Missonnier. (Missonnier, S. Serge Lebovici, le prénatal et le multimédia, Portail de la Société Psychanalytique de Paris) Durant cette période, la future maman étant particulièrement centrée sur ellemême, elle n’est pas à même d’aborder des représentations mentales conscientes liées au bébé à venir. A.3. La préoccupation maternelle primaire Par ce terme, D.W. Winnicott décrit cliniquement la période, de quelques mois précédant la naissance et la suivant immédiatement, durant laquelle la mère est tout particulièrement « capable de s'adapter aux tous premiers besoins du nouveau-né, avec délicatesse et sensibilité.» (Winnicott, 1956, p268) C’est « un état qui se développe graduellement pour atteindre un degré de sensibilité accru et spécialement à sa fin » 18 (Winnicott, 1956, p268) Cet état se caractérise par une sensibilité et une empathie très vive de la part de la mère aux états psychiques de son bébé. Elle détecterait des signaux de son enfant qu’elle peut décoder et interpréter avec une grande efficacité. Cet état propre à la mère a pour fonction d’accueillir le bébé et permet de lui offrir un sentiment continu d’existence. Il durerait pendant les trois premiers mois qui suivent l’accouchement. Winnicott compare cet état à un repli narcissique, une dissociation, voire un état schizoïde, une « folie maternelle temporaire, (…) une maladie normale » (Winnicott, 1956, p.268) dont la mère se remettra. « Certaines femmes y parviennent avec un enfant et échouent avec un autre. D’autres ne sont pas capables de se laisser aller à cet abandon. » (Winnicott, 1956, p.268) Ainsi, Winnicott montre aussi qu’il existe des variations individuelles. Il se produit ainsi une identification régressive de la mère à son bébé. S. Stoléru note que « c’est la reconnaissance de la totale dépendance de l’enfant et de son impossibilité à subvenir lui-même à ses besoins, qui induit le sentiment d’être parent. » (Stoléru, Lebovici, 2003, p131) F. Tustin évoque même le terme de « gestation psychique » (Tustin, 1972), qui suivrait la grossesse anatomique, ce qui renvoie à « cette position particulière de l'enfant nouveau-né en tant qu'objet externe-encore-internalisé. » (Golse, Bydlowski, 1997, p32) L’enfant ne ressent pas de détresse, sa mère s’adaptant de façon quasi-parfaite à ses besoins. Elle permet ainsi le maintien de l’homéostasie infantile. B. Approche conceptuelle du processus de parentalité B.1. Définitions Tout d’abord, par parentification, on entend selon S. Stoléru les « processus psychiques qui se déroulent chez un individu qui devient père ou mère. » (Stoléru, S. (1989) p113) C’est ainsi pour décrire et analyser ce processus de parentification que Benedek en 1959, et particulièrement le psychiatre et psychanalyste Racamier, inspiré par les travaux de G. Bibring, introduit dans un texte de 1961 pour la première fois le terme de parentalité, mais aussi de maternalité, « pour décrire les transformations de la personnalité et du fonctionnement psychique d’une mère pendant la grossesse et au début de l’existence de 19 l’enfant. » (Houzel, 2009, p137) Racamier tente dans cet article psychiatrique d’expliquer les causes psychiques de la psychose puerpérale, qui selon lui ont une explication psychologique : la maternalité est une phase du développement psychoaffectif, avec ses failles et ses conflits, un peu à la façon de l’adolescence. Selon Benedek, la parentalité est un processus de maturation psychique qui se développe chez la mère (maternalité) ainsi que chez le père (paternalité). Ce processus de maternalité repose sur un socle biologique et serait intimement lié au développement psychosexuel de la femme ; ce processus pourrait ainsi ne pas se manifester ou être perturbé. Houzel voit ce processus comme partie intégrante du développement psycho-affectif féminin : « c'est-à-dire (…) une phase de l’existence au cours de laquelle le sujet est confronté à des remaniements identificatoires profonds, qui sont dictés par la reviviscence de conflits anciens à l’occasion d’une nouvelle phase évolutive de la personnalité. » (Houzel, 2002, p62) C’est dans les années 1980 que ce néologisme va être de plus en plus utilisé dans la littérature, pour l’appliquer aux pères autant qu’aux mères, et dans les années 1990 va même apparaître le terme de « paternalité », après que Carel l’ait évoqué pour la première fois en 1974. C. Sellenet décrit la façon dont G. Poussin perçoit la parentalité, c’est à dire à la fois comme « un besoin quasi-inscrit dans le développement de l’individu (un désir d’enfant), une ligne de démarcation manifestant le passage de l’enfance à l’âge adulte, un mouvement pouvant advenir ou non et susceptible de modifications aux différents âges de la vie. » (Sellenet, C. Essai de conceptualisation du terme parentalité. Portail du conseil général du Loiret) G. Poussin introduit une idée de mouvement dans la parentalité : « chaque nouvelle naissance peut ouvrir sur une parentalité tout à fait différente pour un même sujet » (Poussin, 1993) M. Lamour et M. Barraco donnent également une définition qui reprend cette idée de mouvement : « La parentalité peut se définir comme l'ensemble des réaménagements psychiques et affectifs qui permettent à des adultes de devenir parents, c'est à dire de répondre aux besoins de leurs enfants à trois niveaux : le corps (les soins nourriciers), la vie affective, la vie psychique. C'est un processus maturatif. » (Lamour, Barraco, 1998) 20 Après de nombreuses divergences de points de vue concernant l’instinct dans le processus de parentalité, les psychanalystes et psychologues s’accordent à dire que la parentalité repose, selon C. Sellenet, « à la fois sur la tendance adulte à nourrir et à protéger l’enfant et sur l’intériorisation des soins reçus dans l’enfance. (…) la parentalité est donc une épreuve psychique » (Sellenet, C. Essai de conceptualisation du terme parentalité. Portail du conseil général du Loiret) dont l’issue est incertaine. Dans ce champ disciplinaire limité, il n’y avait pas d’ambiguïtés dans le terme parentalité et son usage restait restreint. Cependant, dû à l’extension de ce néologisme dans les années 1980 et son passage dans le langage de tous les jours, il y a eu une confusion et même une perte de sens du terme « parentalité ». Lebovici différencie la parentalité de la parenté, qui concerne le processus de reproduction au sens biologique, en soulignant : « Avoir un enfant ne signifie pas qu’on en est le parent : le chemin qui mène à la parentalité suppose qu’on ait “co-construit” avec son enfant et les grands-parents de ce dernier un “arbre de vie” qui témoigne de la transmission intergénérationnelle et de l’existence d’un double processus de parentalisation-filiation grâce auquel les parents peuvent devenir père et mère. » (Lebovici, S. (1999). Présentation de L’école de la parentalité, conférence de presse vidéo, Starfilm, Paris). Selon Solis-Ponton, « envisager la parentalité aujourd’hui suppose d’accepter que ce phénomène humain comporte l’intrication d’éléments biologiques, psychologiques et culturels. » (Solis-Ponton, L., 2001) C’est une notion paradoxale, puisqu’elle est à la fois « naturelle sur le plan biologique et du point de vue de l’organisation sociale, mais aussi extrêmement complexe sur les plans psychique et culturel. Il s’agit, au fond, d’un processus transgénérationnel à l’origine de l’être humain (…) Devenir père et devenir mère, c’est franchir les étapes intergénérationnelles pour construire une triade dont le produit est l’enfant. » (Solis-Ponton, L., 2001) B.2. Le développement de la parentalité ou parentification B.2.1. Confrontation de l’enfant imaginaire, soutien du narcissisme parental, avec l’enfant réel 21 Au moment qui précède et qui suit la naissance, la mère a certaines représentations de son enfant ; S. Lebovici parle de trois notions importantes : l’enfant imaginaire, l’enfant fantasmatique et l’enfant mythique. Nous développerons les deux dernières notions dans la partie suivante. Selon S. Missonnier, l’enfant imaginaire est « enraciné dans le préconscient, il est le fruit du désir de grossesse.» (Missonnier, 2005, p110) Selon M.Bydlowski, « Il est celui que chaque femme, même la plus sincère dans son refus de maternité, vient un jour à désirer. Il est l’enfant manquant des femmes qui ont accompli leur désir de procréation, mais non leur désir d’enfant. Il est l’enfant supposé tout accomplir, tout réparer, tout combler : deuils, solitude, destin, sentiment de perte ». (Bydlowski, 1997, p65). La femme souhaite davantage la réalisation de son désir infantile le plus tenace qu’un enfant concret. L’enfant qui grandit dans le corps de sa mère reste d’ordre imaginaire. Il n’est pas représentable jusqu’au moment de la naissance, que ce soit au niveau du sexe ou dans son apparence. Tout au long de la grossesse, de forts sentiments d’attachement vont naître à l’égard de l’enfant imaginaire. Cet enfant est porteur de tous les espoirs et des craintes parentales. Il a hérité de l’histoire familiale. Ainsi, l’enfant imaginaire est celui qui a été pensé par ses parents. Lors de n’importe quelle naissance, ces représentations relatives au bébé imaginaire vont se confronter au bébé réel, évènement psychique primordial pour les parents. Aimer son bébé dès la naissance de celui-ci nécessite un attachement à l’enfant imaginaire, et une certaine conformité au bébé réel. Mais il arrive que l’enfant se révèle être porteur d’un handicap : dans ce cas, il n’y a pas de conformité entre le bébé imaginaire et le bébé réel. A partir de ce moment là peuvent naître des difficultés relationnelles entre le parent et son bébé. Le deuil de l’enfant imaginaire doit être fait par les parents, afin d’adopter l’enfant réel. C’est une expérience souvent très douloureuse. B.2.2. L’enfant fantasmatique 22 Lebovici parle également de l’enfant fantasmatique et de l’enfant mythique. L’enfant mythique « reflète les références culturelles et médiatiques qui enveloppent la parentalité périnatale et l’éducation de l’enfant. » (Missonnier, 2003, p46) L’enfant fantasmatique est « inconscient, il est celui des conflits infantiles et des désirs de maternité incestueux. » (Missonnier, 2003, p46) L’enfant fantasmatique est la réalisation du complexe œdipien. Il est le produit du désir de maternité qui s’installe avec les identifications œdipiennes selon Lebovici. Au centre de la rêverie maternelle et paternelle, « l’enfant fantasmatique constitue la trame des identifications projectives pré et postnatales des parents » selon S. Missonnier (Missonnier, S. Serge Lebovici, le prénatal et le multimédia, Portail de la Société Psychanalytique de Paris). B.2.3. La transmission transgénérationnelle Les parents qui vont donner la vie sont porteurs de représentations, scénarios plus ou moins conscients et énonçables, apparus de manière transgénérationnelle dans leur histoire, et qui seront transmis à leur enfant sans le savoir, en même temps que leur empreinte biologique. Certains scénarios ne sont pas directement qualifiables. « Ce sont des signifiants corporels qui viennent manifester que l’inconscient de chacun des parents vient prendre corps dans l’espace psychocorporel de l’enfant. L’enfant est porteur par avance des aléas biographiques et libidinaux de ses ascendants immédiats ou plus lointains. Il est le lieu de projection du capital représentatif de chacun des parents, mais cependant avec une modulation d’agencement qui va lui donner son caractère unique et spécifique » (Bydlowski, 1997, p67). La naissance d’un enfant provoque un bouleversement des rôles de chacun des conjoints. La fille devient mère, le fils, un père. L’accès de ses nouveaux parents à la parentalité s’accompagne d’une identification à leurs propres parents. Celle-ci entraîne une réactivation de conflits infantiles : la séparation d’avec le parent doit être pensée à nouveau. Lebovici souligne que ce renversement de rôle entraîne une crise identitaire et narcissique : « Pour devenir parent, il est nécessaire d’avoir fait un travail préalable sur soi-même, qui consiste d’abord à comprendre qu’on hérite quelque chose de ses propres parents. » (Lebovici, 2002, p8). Ainsi, devenir parent suppose de reconnaître ce que l’on a reçu de ses 23 propres parents, c’est à dire un corpus de processus psychiques, et que l’on transmettra à ses enfants, outre la parenté biologique. Selon Solis-Ponton et Lebovici, la parentalité, comme la filiation, est une construction psychique. Ces deux processus, qui sont complémentaires, se composent de l’histoire infantile, de l’histoire de ses parents et celle de ses grands-parents. Chacun doit s’acquitter, comme nous l’avons vu précédemment, de sa dette de vie en donnant la vie à son tour. Les grands-parents souhaitent voir naître un enfant de leurs propres enfants. Le parent va opérer une projection narcissique sur l’enfant, une projection de son enfance. Chaque parent tend à se dupliquer en l’enfant, à travers les transmissions psychiques qui s’opèrent de génération en génération. L’enfant qui va naître va ainsi grandir dans un réseau de représentations, scénarios préexistants. Comme le souligne Lebovici, il est porteur d'un mandat transgénérationnel. Ces représentations vont lui servir de base à la construction de son identité et de ses valeurs. Ces transmissions transgénérationnelles ont un impact sur les interactions parent-enfant, définies par Lebovici. B.2.4. Influence de ces transmissions sur les interactions parent-enfant Lebovici souligne que : « L’enfant fait la mère. » (Lebovici, 2002, p30) Les recherches menées sur les interactions précoces parent-enfant ont insisté sur l’importance des compétences du nourrisson, qui va entrer en relation avec sa mère et construire avec elle « comme une sorte de spirale transactionnelle […] où tous deux sont des participants actifs de la dyade et où chacun exerce une influence sur les réponses de l’autre. » (Solis-Ponton, 2002, p27) L’enfant donne ainsi à ses parents un accès à la parentalité, il se construit lui-même en même temps. Grâce à ses compétences mises en jeu dans ses interactions, il flatte le narcissisme des parents, qui se sentent père et mère de leur enfant. Comme dans la métaphore du miroir de Winnicott, le fait d’être regardé par sa mère va donner à l’enfant un sentiment d’existence, et à la mère un sentiment d’être mère, au travers du regard de son enfant. Au travers de ces interactions, les parents vont se représenter l’enfant de façons différentes. Rappelons, avec Lebovici, que la mère va avoir cinq représentations différentes de son enfant, avant et après l’accouchement : 24 -le bébé fantasmatique : celui provenant des fantasmes inconscients de la mère et de ses conflits infantiles refoulés. Le bébé est l’héritier du complexe d’Oedipe de la mère. -le bébé imaginaire : il est le bébé qui a été pensé par la mère, de façon consciente et préconsciente. C’est le fruit de son désir d’enfant. -le bébé narcissique : le bébé investi du narcissisme de ses parents. -le bébé culturel : celui qui est en lien avec la culture de sa mère -le bébé réel : l’enfant dans sa corporéité. Le bébé a des besoins, auxquels les parents vont s’adapter, ou non : ce sont donc bien ces représentations qui se mêlent et se confrontent dans les interactions avec le bébé réel. A partir de cette confrontation peut apparaître des difficultés dans les interactions entre le parent et l’enfant. Lebovici et Stoleru ont distingué trois sortes d’interactions précoces entre les parents et le nourrisson : les interactions comportementales, affectives et fantasmatiques. -Les interactions comportementales désignent principalement les échanges corporels à travers le holding (maintien physique et psychologique de l’enfant par la mère), le handling (soins donnés par la mère, accompagnés par la parole) et l’object presenting, notions décrites par Winnicott, mais également les échanges visuels et verbaux. Ces interactions s’observent dans les comportements. -les interactions affectives désignent des échanges affectifs inconscients entre l’enfant et sa mère. -les interactions fantasmatiques sont « l’expression des fantasmes des partenaires et leur influence réciproque lors de ces échanges. » (Missonnier, 2003, p39) Cramer et PalacioEspasa décrivent ces interactions comme « la matérialisation d’investissements narcissiques et pulsionnels parentaux, jusqu’ici cantonnés dans leur espace intrapsychique, et qui vont se redistribuer dans l’espace intrapersonnel de la relation à l’enfant réel et fantasmatique. » (Cramer, Palacio-Espasa, 1993) Ainsi l’enfant devient-il un relais, il est dans un « entre-deux », entre l’espace intrapsychique et l’espace extrapsychique parental. B.2.5. Le narcissisme primaire, attaqué par l’annonce du handicap 25 Il nous a semblé intéressant d’étudier la notion de narcissisme primaire, et la façon dont il se transmet entre le parent et l’enfant. « Le narcissisme primaire désigne un état précoce où l’enfant investit toute sa libido sur luimême. » (Laplanche, Pontalis, 1967, p263) A la naissance, le bébé, dont les mondes internes et externes sont indifférenciés (il pense que sa mère et lui ne font qu’un) est dans une position de toute-puissance infantile. C’est là que se développe un narcissisme, que Freud nomme narcissisme primaire. Sa libido est portée sur lui-même. L’enfant s’investit lui-même comme objet d’amour avant d’investir des objets extérieurs. La source de ce narcissisme provient de la volonté des parents d’aimer et de prendre soin de leur enfant dans un dévouement absolu, comme eux-mêmes auraient souhaité être aimés. Ce narcissisme procure à l’enfant une enveloppe psychique et corporelle stable et une expérience de continuité, qui lui permettra de se construire un « soi » et de se différencier de sa mère. Les parents opèrent sur l’enfant une projection d’amour et des désirs insatisfaits qui proviennent de leur propre narcissisme. « L’amour des parents, si touchant et, au fond, si enfantin, n’est rien d’autre que leur narcissisme qui vient de renaître et qui, malgré sa métamorphose en objet d’amour, manifeste à ne pas s’y tromper son ancienne nature. » (Freud, 2002, p96) L’enfant peut ainsi accomplir les rêves non réalisés par les parents, le moi parental se réfugie chez l’enfant. Mais lorsque l’enfant est handicapé, ce processus est impossible. Toutes les attentes et les désirs parentaux ne seront pas réalisés par l’enfant, provoquant une blessure narcissique parentale intense. En temps normal, dès la grossesse, le narcissisme primaire parental va être réactivé et leur permettra d’être de bons parents et d’exercer leur parentalité. Cependant, qu’en est-il de ce narcissisme, lorsque l’enfant qui naît est porteur d’un handicap ? Cette naissance va donc provoquer une attaque narcissique sans précédent : la mère se sentant incapable de faire un enfant « entier », en bonne santé. Ces notions psychanalytiques (enfant réel, enfant imaginaire, transmission transgénérationnelle, les interactions précoces…) que nous avons décrites afin d’expliquer le processus de parentification, ont été prises en compte et formalisées par D. Houzel, qui a proposé un modèle de la parentalité en trois grands axes. C’est à travers cette formalisation 26 synthétique que nous allons tenter de comprendre et d’analyser les processus de parentalité lorsque naît un enfant porteur de handicap. B.3. Les trois axes de la parentalité, selon D.Houzel B.3.1. L’exercice de la parentalité Cette notion définit le cadre essentiel au bon développement d’un groupe humain et renvoie aux équilibres primordiaux de la vie familiale, sociale… L’exercice de la parentalité renvoie ainsi à un ensemble de représentations définies par le groupe. Il s’agit d’un corpus de droits et devoirs qui obligent tout parent à assurer une protection, une éducation et des soins à la naissance de leur enfant. Il inclue l’autorité parentale. Ces représentations déterminent « au niveau symbolique, les places parentales et les implique dans une filiation et une généalogie » (Sellenet, 2002, p29), mais aussi dans un groupe culturel ayant des rites et des coutumes spécifiques afin d’accompagner le sujet de la naissance à l’âge adulte. L’enjeu de l’exercice de la parentalité est la socialisation de l’enfant en devenir, basé sur le modèle de son groupe d’appartenance. D’un point de vue psychodynamique, cette notion d’exercice de la parentalité fait référence aux interdits intériorisés par chaque individu, particulièrement l’interdit de l’inceste. Ils garantissent la continuité et la césure avec nos propres parents, et distingue ainsi les rôles de chacun et les sexes. B.3.2. L’expérience de la parentalité L’expérience de la parentalité correspond à « l’expérience subjective consciente et inconsciente du fait de devenir parents et de remplir des rôles parentaux. » (Houzel, 2009, p33) Elle est l’expérience subjective d’un ressenti, d’un vécu : celui de devenir parent, se sentir parent. Il s’agit ainsi des « rêveries », des fantasmes, des représentations des parents concernant leur conjoint, leurs propres parents, la façon dont eux se voient en tant que parents, mais particulièrement leur enfant... Ici, cette expérience renvoie à la relation imaginaire et affective que chaque parent a avec son enfant : elle nécessite des 27 confrontations subtiles entre différents niveaux de représentations : enfant imaginaire, enfant fantasmatique, enfant réel. Ce vécu subjectif de la parentalité, conscient ou non, est intimement lié à la qualité des représentations transmises par les générations précédentes aux parents. Les relations parents-enfant qui se jouent au sein de cette expérience de la parentalité peuvent également être dysharmonieuses, dû à des histoires personnelles parentales chaotiques et marquées par la discontinuité : ces relations peuvent être marquées par un lien excessif (symbiose malsaine, génogramme confus…), ou par la carence (rejet, maltraitance…) Ainsi cette expérience est-elle directement déterminée par l’histoire des parents et leur vie psychique et affective. Les expériences antérieures et le rapport aux imagos parentaux ont un rôle essentiel dans la dynamique de la rencontre parent-enfant : « devenir parent (…), est un processus difficile et complexe pour tous dans la mesure où il s’agit d’une nouvelle fonction à construire sur les fondements que sont l’histoire individuelle et familiale et que par conséquent, elle concerne l’être. » (Moro, 1998, p175) B.3.3. La pratique de la parentalité La pratique de la parentalité concerne l’ensemble des soins parentaux procurés aux enfants. Ce sont des tâches quotidiennes, effectives, directement observables : soins à l’enfant, pratiques éducatives… Les parents vont ainsi quotidiennement interagir avec l’enfant, tant sur le plan domestique (linge, repas), que sur le plan technique (aménagement de l’espace, adaptation à l’environnement), sur le plan de la surveillance, de la protection et des soins de base (laver, consoler, nourrir…) et sur les plans éducatif et relationnel. La pratique de la parentalité a permis aux auteurs de mettre en évidence la théorie de l’attachement et les notions de compétences du nouveau-né, qui sont « les potentialités sophistiquées d’interaction de l’enfant avec son entourage. » (Houzel, 2009, p156) (qui sont à distinguer de la notion de performance). Houzel a aussi mis évidence la notion d’interaction parents-enfant, qui « permet de souligner la participation active de l’enfant dans le processus d’établissement des liens entre lui et ses parents » à savoir la parentification. (Houzel, 2009, p157) 28 La mise en évidence des compétences du nouveau-né ont permis à M. Lamour et S. Lebovici d’approfondir cette notion d’interactions, en distinguant trois niveaux, afin de mieux décrire cette communication parent-enfant, tout en insistant sur le rôle actif du bébé dans la mise en place du processus de parentification. - les interactions comportementales, qui concernent les échanges corporels, sensoriels directement observables entre le parent et l’enfant, - les interactions affectives, non directement observables, qui vont permettre l’accès de l’enfant à l’intersubjectivité, désignent la communication affective qu’il va y avoir entre la mère et son bébé, il va s’opérer entre ces derniers un « accordage affectif » selon D. Stern (1985), - les interactions fantasmatiques, qui concernent l’aspect non conscient des échanges parent-enfant ; elles s’organisent en fonction des représentations inconscientes et de l’histoire personnelle du parent, - Houzel propose un quatrième niveau d’interactions : les interactions symboliques, enfin, concernent les caractéristiques de la transmission symbolique au sein d’une famille. A travers ces échanges interactifs entre le parent et son enfant, essentiels à son bon développement, s’inscrivent les soins parentaux. Les interactions comportementales et affectives se réfèrent à la pratique de la parentalité ; celui des interactions fantasmatiques et symboliques relèvent de l’expérience de la parentalité. Winnicott a souligné qu’il faut une mère « suffisamment bonne » pour faire un enfant en bonne santé, bien individué, épanoui, qui devienne un adulte en bonne santé. De même, il faut un enfant « suffisamment bon » pour que les parents, devenus père et mère de par lui, puissent remplir leurs fonctions paternelle et maternelle de façon harmonieuse. Il y a très souvent, comme nous avons pu le souligner, une atteinte narcissique majeure chez les parents des enfants atteints de handicap. L’enfant handicapé renvoie à ses parents quelque chose qui se traduit par « vous êtes de mauvais géniteurs ». 29 Ainsi, l’arrivée d’un enfant handicapé provoque auprès des parents un véritable séisme : plus rien ne sera comme avant. Les conséquences du handicap sont multiples, les parents sont atteints dans leurs processus psychiques d’accès à la parentalité (Angel, 1996). III. Le parent et l’enfant handicapé A. L’annonce du handicap A.1. Le choc traumatique Le handicap suscite un choc d’une telle intensité et soudaineté qu’il « fait effraction dans le psychisme. » (Sausse, 1996, p36), le fragmente et désorganise son fonctionnement. Les défenses sont complètement débordées, certaines plus pathologiques peuvent apparaître. Ferenczi parle en premier lieu de cet état de sidération dans le traumatisme, qui annihile toute capacité de penser. La psyché, débordée, ne parvient plus à assimiler les éléments extérieurs. Comme le souligne Sausse, « il s’en suit une suspension des facultés mentales : Un choc inattendu, non préparé et écrasant, agit pour ainsi dire comme un anesthésique. Mais comment cela se produit-il ? Apparemment par l’arrêt de toute espèce d’activité psychique. » (Sausse, 1996, p36) Les parents, à qui on annonce le terrible diagnostic du handicap, n’y sont en aucun cas préparés. A l’annonce du handicap, le temps s’arrête, il s’immobilise entièrement. « C’est un évènement qui fait qu’on ne peut plus jamais revenir en arrière (…) L’évènement traumatique partage définitivement la ligne de la temporalité. » (Sausse, 1996, p38) Il faut énormément de temps pour que cet évènement traumatique soit intégré dans la structure psychique parentale. « Son élaboration passe par des étapes qu’il est impossible d’accélérer. » (Sausse, 1996, p38) Il est ainsi très important que les soignants comprennent l’impossibilité du fonctionnement psychique parental à intégrer en une seule fois un évènement aussi dramatique. C’est ce qui permettra d’admettre les attitudes parentales, comme l’agressivité, le refus, qui en résultent et qui peuvent être déstabilisantes pour les professionnels. La révélation du diagnostic de déficience aux parents constitue un évènement extrême, qui entraîne une discontinuité, une rupture dans les représentations parentales. Cette 30 expérience est un véritable bouleversement, un traumatisme qui engendre un stress accru, car la surcharge émotionnelle déborde les ressources psychique des parents. On peut en effet définir un traumatisme comme : « un évènement de la vie du sujet, qui se définit par son intensité, l’incapacité où se trouve le sujet d’y répondre adéquatement, le bouleversement et les effets pathogènes durables qu’il provoque dans l’organisation psychique. » (Laplanche et Pontalis, 1967, p499) La notion du temps et de l’espace est complètement bouleversée. Ces parents perdent leurs repères et se trouvent en général dans un « état de sidération devant cet enfant perçu comme étrange et étranger. » (Schauder, Durand, 2004, p610). Le processus qui permet habituellement un aller-retour entre le présent et les représentations provenant du passé des parents, est bloqué (Sarfaty, 1998). M.Bydlowski parle de l’annonce du handicap comme un envahissement des représentations traumatiques qui sidèrent le mouvement d’élaboration habituellement à l’œuvre. Les traumatismes subis dans l’enfance du parent s’imposent alors à l’esprit. L’annonce du handicap crée un « blanc » dans le processus de mentalisation qui a le rôle d’un deuil anticipé, protégeant en partie les parents de l’angoisse massive suscitée par cet évènement. La culpabilité importante des parents, nous allons le voir, peut s’accompagner de représentations mortifères à l’égard de cet enfant. Dès la naissance va se jouer une ambivalence des sentiments. L’impact psychologique de l’annonce du handicap sur les parents Drotar et al (1975) ont développé un modèle explicatif, encore valable de nos jours. Ils ont étudié les différentes phases par lesquelles les parents passent à la suite du choc initial de l’annonce du diagnostic. Ces auteurs ont décrit cinq stades, allant du choc affectif (1) au déni (2), puis la colère, l’anxiété, la tristesse et la culpabilité (3). Les parents par la suite atteignent un état d’équilibre souvent précaire (4) qui sera suivi, dans les meilleurs des cas, d’un stade de réorganisation durable (5). On note ici aisément les ressemblances avec le modèle du deuil : « En effet, les parents apprennent, lors de l’annonce du handicap, rien de moins que la perte de l’enfant qu’ils attendaient ! La collision entre l’enfant imaginaire et l’enfant réel, déjà source de conflits lors d’une naissance dite banale, prend une dimension 31 particulièrement dramatique dans ce cas précis » (Schauder, Durand, 2004, p610). Ainsi certaines mères se sentent-elles coupables d’avoir donné naissance à un « monstre ». Leur investissement de l’enfant oscille parfois entre rejet et surprotection. Souvent, ces mères projettent leur désespoir ou leur propre agressivité sur leur entourage. Decant (1989) souligne à propos du vécu des pères, souvent atteints dans leur virilité, que le triangle œdipien est cassé par l’annonce du handicap. Il est ainsi primordial que les professionnels offrent un étayage à la mère comme au père afin de relancer les processus de parentalité, remis en cause par ce douloureux évènement, et qu’ils prennent en compte l’atteinte narcissique massive des parents (Mazet et Stoleru, 2003). A.2. Mécanismes de défense et d’adaptation chez le parent d’enfant atteint de handicap mental A l’annonce du diagnostic de l’enfant, de nombreux mécanismes adaptatifs peuvent être mobilisés chez les parents bouleversés, afin de tenter de faire face au traumatisme. -Le déni est un mécanisme universel dans un premier lieu et qui peut être utile périodiquement, tout au long des étapes du deuil de l’enfant normal. Le déni sera efficace sur une plus ou moins longue durée selon que l’étiologie de la déficience intellectuelle est connue ou non, selon le degré de la déficience, et selon la personnalité des parents et leurs antécédents personnels (parent psychotique, ayant un trouble de personnalité, il peut avoir un frère ou une sœur déficient(e), il peut être lui-même porteur d’un handicap…) Le déni ne perd de son efficacité que graduellement et ne disparait jamais complètement, même s’il peut changer de forme : le parent nie tout d’abord complètement la réalité de la situation ; puis il a des prises de conscience partielles, fragmentées (retard moteur, retard de langage, comportement immature…) ; le parent reconnaît ensuite un retard global qu’il croit réversible ; enfin, il admet sa permanence. Cette étape étant franchie, les formes de déni deviennent plus subtiles : Il s’appuie souvent sur des distorsions de la réalité (légendes familiales, aptitude familiale particulière survalorisée…) 32 « Vivre au jour le jour » est une autre forme de déni, mais bien adaptée et efficace lorsqu’on sait le mettre entre parenthèses lorsque cela est nécessaire. Une autre forme de déni, plus subtile, alors que le parent a admis la permanence de la déficience intellectuelle, est d’en nier les conséquences ; de plus, il se croit capable d’élever son enfant de telle sorte que son handicap ne l’empêchera pas d’intégrer une classe régulière, qu’il n’aura pas d’impact sur la vie familiale, etc. Plus inquiétant, les conséquences d’un déni prolongé peuvent être : la création d’un climat de surstimulation inadéquat et d’exigences inatteignables pour l’enfant ; des conflits et tensions avec les professionnels chargés du suivi de l’enfant dûs à des objectifs inconciliables ; des changements répétitifs de thérapeutes, d’écoles etc, avec un sentiment constant de frustration et d’insatisfaction renforçant le déni. - La recherche à tout prix de l’étiologie : elle est un corollaire du déni, mais aussi une preuve d’un deuil intolérable. Ce mécanisme de défense est également une quête d’une solutionmiracle qui ferait disparaître la déficience intellectuelle. Par cette quête de l’étiologie du handicap, les parents cherchent enfin à soulager leurs sentiments intenses de culpabilité : ils veulent être sûrs d’avoir tout fait, tout tenté, ils ne veulent pas avoir à se reprocher quelque chose dans l’avenir. - Le rejet de l’enfant : il peut être ouvert, assumé. C’est un mécanisme qui peut être en premier lieu adéquat de la part des parents. Ce rejet peut se caractériser : - par un placement définitif très tôt dans la vie de l’enfant ; les visites parentales sont rares ou absentes. Dans certains cas, il arrive que les parents entament une procédure de placement, pour ensuite l’abandonner. Ce phénomène s’explique par le besoin des parents de créer un manque, l’enfant avait besoin de se faire désirer par ses parents. D’un processus passif, au travers duquel on annonce le handicap de l’enfant à ses parents, on passe à un processus actif, où les parents se réapproprient cet enfant. Dans ces cas, un attachement se crée peu à peu entre les parents et l’enfant. Ici, on pourrait parler du rejet de l’enfant comme mécanisme adaptatif, car il y a un phénomène de réappropriation de l’enfant. 33 - l’enfant vit avec sa famille mais il n’est pas investi, négligé, marginalisé. Il va à l’école ou dans un hôpital de jour mais il est « laissé » entre les mains du personnel, les responsabilités parentales ne sont pas assumées. - un potentiel de maltraitance peut apparaître : négligences graves, imprudences qui signifient clairement le désir de mort de l’enfant. - l’hyper protection de l’enfant: ce mécanisme adaptatif est le maintien prolongé d’attitudes tout à fait adaptées à la situation de l’enfant. - Sa santé est souvent davantage fragile et ses capacités à faire face aux dangers de la vie quotidienne sont réduites ; - les parents tentent de limiter ses dégâts et maladresses ; - les parents, surchargés, n’ont pas le temps d’attendre que l’enfant s’exprime et s’autonomise, processus lent et peu efficace ; - ces parents supportent mal les tâtonnements et les échecs répétitifs de l’enfant ; - des habitudes s’installent chez l’enfant handicapé, qui devient de plus en plus dépendant, résiste aux changements de routine et s’oppose à toute poussée vers l’autonomie. D’autres facteurs plus pathologiques chez les parents peuvent interférer, ce mécanisme devenant alors plus tenace : - tant que les parents de l’enfant font tout à sa place, ses incapacités se voient moins et on évite d’y être confronté (ce qui renvoie au déni) ; - afin de compenser ce sentiment de culpabilité, ils ne vont rien oser exiger de leur enfant handicapé, dont ils peuvent même exagérer les incapacités ; - les parents peuvent chercher à compenser une blessure narcissique en prolongeant de manière indéfinie le lien symbiotique avec l’enfant. Ils trouvent un équilibre statique narcissisant durable. La gratification d’être la seule personne capable d’assurer le bien-être et la survie de cet enfant fragile et dépendant peut intensifier ce mécanisme d’hyperprotection. Peuvent alors apparaître des comportements inadéquats de la part du (des) parent(s) hyperprotecteur(s), tels qu’un refus de thérapies, de scolarisation de l’enfant, et même le refus de reconnaître la capacité de l’autre parent à s’en occuper adéquatement. Ce mécanisme est très pathologique, sur les plans familial, conjugal 34 et personnel ; - enfin, les parents peuvent avoir tellement honte de détester leur enfant qu’ils vont le surprotéger : cette formation réactionnelle camoufle le désir de mort, le rejet ou la colère contre cet enfant venu bouleverser l’équilibre familial. Dans ce cas, l’hyperprotection est presque toujours accompagnée d’une agressivité inconsciente, détournée, laissant entrevoir le rejet. - L’idéalisation de l’enfant : c’est une autre formation réactionnelle afin de ne pas ressentir l’importance de la blessure narcissique. L’enfant déficient intellectuel est considéré comme « un don de Dieu » qui transformera la famille et lui donnera un sens nouveau. Parents et enfants s’unissent pour éduquer l’enfant et en faire « leur réussite ». Les sentiments hostiles et négatifs sont exclus du langage familial. Cependant, le fond dépressif est évident et menace l’intégrité des parents et celle de toute la famille. - La sublimation : le profond désir de réparation de l’enfant déficient peut se sublimer : les parents militent pour des causes concernant l’enfant. C’est un mécanisme très efficace, malgré ses pièges ; en effet, il peut y avoir des conflits d’intérêts, des rivalités avec certains professionnels dont les parents sollicitent la collaboration… - La difficulté à établir une alliance éducative : le déni est souvent la cause du problème. Les objectifs des parents et ceux des intervenants sont en conflit permanent, les espoirs des parents sont répétitivement déçus. Scolairement, l’enfant handicapé ne progresse pas assez selon le désir des parents, même si l’enseignant vante les progrès de ce dernier. Cependant, si l’alliance éducative se brise, une menace d’abandon pèse sur les parents : il n’y a plus aucun espoir pour l’enfant. - Le repli sur soi, l’isolement de la famille : ce mécanisme de défense survient en réaction au rejet de l’enfant déficient intellectuel par ses pairs, les autres parents de l’école, ou par la famille étendue de l’enfant. Les parents peuvent alors : - se réfugier dans un monde hermétique et refuser toute aide extérieure - confiner l’ensemble de la famille à des activités liées au handicap de l’enfant (associations, centres de vacances, école spécialisée…). La famille finit par se couper du monde et se marginalise. 35 Ainsi, une adaptation saine de la part des parents serait un « juste dosage » du déni, auquel les parents doivent progressivement y renoncer sans qu’il disparaisse tout à fait ; une recherche raisonnable de l’étiologie du handicap de l’enfant, tout en sachant « lâcher prise » ; une solution saine au sentiment de rejet ; une hyperprotection de l’enfant réaliste ; un minimum d’idéalisation de l’enfant ; une capacité à sublimer ; une gestion adéquate de l’ambivalence dans les relations que les parents entretiennent avec les professionnels chargés du suivi de l’enfant ; et enfin, reconnaître et accepter sa marginalité familiale sans pour autant s’y enfermer. A.3. Un mécanisme de défense particulier : Le « mythe de survie » des parents (Gaillard, 1999) L’arrivée de l’enfant handicapé, génératrice de stress, force les parents de cet enfant non-conforme à mettre en place un « mythe de survie » (Gaillard, 1999) afin de préserver leur identité. Dans le mythe de « la mère plaignante et du père manager » (Gaillard, 1999), la jeune mère recherche à tout prix un soutien psychique auprès de son conjoint et souhaite communiquer avec lui, tandis que le père s’efforce de ne pas y penser et se terre dans le silence. Cette situation peut mener soit au divorce soit se transformer en mythe de « la mère couveuse et du père dehors » (Gaillard, 1999) : ici, l’on observe une « annulation rétroactive de la naissance de l’enfant que la mère ne cesse de couver tandis que le père va s’investir audehors» (Schauder, Durand, 2004, p615), tout en abandonnant sa conjointe. Gaillard décrit ensuite le mythe de « la mère lingère et du père dehors » (Gaillard, 1999) : ces mères procèdent à un déplacement de l’investissement de leur enfant sur ses vêtements et les comptent de façon obsessionnelle, tout en étant négligentes quant à l’adéquation de ces vêtements aux besoins de leur enfant (vêtements usés, enfants assez couverts l’hiver etc.). Gaillard décrit aussi le mythe de « la mère parfaite » (Gaillard, 1999) qui ne se repose jamais, celui des « parents éducateurs » (Gaillard, 1999) qui se tiennent au courant de la moindre parution sur la maladie de leur enfant, celui des « non-parents » (Gaillard, 1999), fuyants, qui implique souvent des signalements en justice pour négligence par les professionnels, et celui des « grands-parents parents », qui prennent la place et les rôles des parents. 36 Tous ces mythes de survie aident ces parents à ne pas sombrer dans la détresse, mais ne favorisent en aucun cas « la reconstruction des liens communautaires et sociaux, car ils sont trop tournés vers l’urgence intime. » (Schauder, Durand, 2004, p616) Pour une prise en charge adéquate des parents, il convient de composer avec ces mythes parentaux afin de les aider à s’en construire de nouveaux. A.4. Un cycle de vie de famille arrêté Les répercussions du handicap de l’enfant sur les parents entrainent une réorganisation dans l’ensemble du fonctionnement de la famille. Le traumatisme vécu par ces parents conduit fréquemment à un renfermement et un isolement difficile, fragilisant leur narcissisme déjà morcelé. Gardou (1996) suggère la métaphore de l’exil : les parents s’exilent de la communauté des humains, ce qui les amène même parfois à refuser l’aide des professionnels chargés du suivi de l’enfant porteur de handicap, et font un exil intérieur. Farber (1960), sociologue américain, souligne la différence des rôles parentaux dans les familles avec un enfant normal et celles avec un enfant handicapé : « Les parents adaptent normalement les images d’eux- mêmes et leurs rôles aux étapes maturatives de l’enfant grandissant. (…) Concernant l’enfant retardé mental, le rôle des parents reste à peu près constant. Sans que l’on puisse prendre en compte le rang dans la fratrie, l’enfant retardé mental deviendra, sur le plan social, le plus jeune enfant de la famille. » (Farber, 1959, p8) L’enfant handicapé viendrait ainsi stopper le processus du cycle familial. Il « (…) frustre, notamment à long terme, les attentes parentales. Le plus souvent, les parents ne verront pas cet enfant se marier et ne deviendront pas grands-parents à travers lui. » (Schauder, Durand, 2004, p613) Selon Farber, c’est au niveau du projet de vie que les parents (career-oriented) ont établi pour l’enfant, que les effets du handicap se feront ressentir. B. La qualité de l’annonce du handicap comme facteur essentiel La qualité de l’annonce du handicap de l’enfant est, de ce fait, un facteur essentiel. Lambert et Rondal (1979) sont parmi les premiers à avoir étudié les variables concernant 37 l’annonce du diagnostic de la trisomie 21 par une équipe soignante peu formée et donc peu sensible. Ils ont insisté sur l’importance de dire la vérité mais aussi celle de mener une réflexion sur la manière de la dire et d’informer les parents, de façon adéquate, sur les modalités de la prise en charge de l’enfant. C’est une des conditions sine qua non pour que les parents se remettent à penser et puissent envisager le devenir de leur enfant. Roy et Visier (1991) ont montré qu’il y avait un fort sentiment d’impuissance chez les médecins qui sont envahis d’un sentiment de solitude face à cette annonce difficile et souhaitent, eux-mêmes, être aidés. Gallet (1983) a analysé le rôle du médecin par rapport à l’enfant atteint de handicap et sa famille, particulièrement les caractéristiques de l’annonce, de la prévention et de l’absence de jugement, surtout dans les cas de placements d’enfant. Barbot et Terrier (1989), Zucman (1991) et Levy (1992) insistent sur la disponibilité des professionnels, le temps accordé aux parents, la relation de confiance qu’ils doivent mettre en place, et le poids des mots, qui marquent le psychisme parental. Gold, lui, (1995) a étudié les conditions de l’annonce. Il est, selon lui, primordial d’annoncer le handicap en présence de la mère, du père et de l’enfant et de bien choisir le lieu et le moment de l’annonce. Dumaret et Rosset, dans leur étude Trisomie 21 et abandon, une réalité à Paris (1995), ont énuméré les facteurs de risque pour un placement d’enfant handicapé. Parmi ces derniers, elles insistent sur l’annonce en salle de travail, l’annonce « entre deux portes » par un soignant voulant se débarrasser des émotions trop pénibles que le bébé suscite en lui, et l’annonce faite à la mère seule ou au père seul. Les premiers mots prononcés par les médecins en charge de la mère sont d’une importance cruciale (Salbreux, 1978). « (…) toutes les paroles dites autour du berceau de l’enfant s’inscrivent dans la mémoire des parents de manière indélébile (…) C’est une des caractéristiques d’un évènement traumatique de garder ainsi, au fil des années, une acuité que le temps ne réduit pas. » (Sausse, 1996, p25) « Réels ou non, ces mots sont rapportés tels qu’ils ont été enregistrés, à l’image d’un disque rayé qui répète sans cesse les mêmes paroles. L’annonce du handicap (…) va transformer la vie en un scénario clos, implacable, absurde, qui ne laisse d’autre choix que d’être subi. L’annonce a fonctionné comme (…) un verdict qui a figé le temps et plongé l’existence des parents dans le tragique. » (Schauder, Durand, 2004, p611-612) 38 Il est également intéressant de s’interroger sur la façon dont ces premiers mots, premières paroles dites par l’environnement qualifient ou disqualifient la parentalité. Comment l’autorise-t-il? Etre parent nécessite une sorte de « diplôme », un « permis d’être parent » : par nos parents, notre conjoint, nos enfants, l’environnement social donne une qualification à cette parentalité auquel le sujet souhaite accéder. « Vous n’avez pas un bel enfant, vous ne serez pas une bonne mère » sont autant de mots prononcés qui disqualifient la parentalité. On observe souvent ce phénomène dans les placements d’enfants : l’accès à la parentalité n’est pas soutenu. Or le corps médical peut être considéré comme un substitut de figures parentales pour certains sujets. Il arrive que des médecins soient investis comme des pères, des mères. Ce sont des « sachants », des figures parentales, avec l’idéalisation dont ils font l’objet. Ainsi est-il important de situer cette figure du médecin et la signification qu’elle prend pour le parent. Lors de l’annonce du handicap, ils possèdent une sorte de statut de toute puissance. Leurs paroles, ainsi, ont un poids réel ; les parents y sont très sensibles, comme ils le sont aux paroles de leurs propres parents : « Vous avez fait un beau bébé » , « Je pense que vous serez une bonne mère » etc. Les professionnels peuvent ainsi prendre cette place : « Vous avez fait du bon travail » sont par exemple des paroles qui autorisent, qualifient la parentalité. Elles jouent un rôle déterminant dans l’accès à la parentalité et ont un impact fondamental sur les futures interactions parent-enfant. B.1. Caractéristiques de la qualité de l’annonce B.1.1. A qui le dire ? De nombreuses études ont montré que l’annoncer aux deux parents en même temps a des effets positifs sur l’intensité du traumatisme. « C’est leur donner de meilleures chances d’affronter, de supporter et de partager l’épreuve qui les frappe. C’est inscrire dès le début, dès les premiers mots, leur parentalité, qui sera si difficile à assumer. Leur enfant est handicapé, certes, mais c’est leur enfant ; (…) On s’adresse à eux en tant que couple de parents. Prendre la mère ou le père à part, c’est introduire une séparation, un clivage. » (Sausse, 1996, p26-27). 39 Comme le souligne Sausse, le médecin choisit souvent d’annoncer le diagnostic de handicap au père seul, qui sera ainsi le messager pour sa femme, de peur que la mère soit trop anxieuse ou fragile psychologiquement. Elle insiste sur l’horreur de ce moment (parfois quelques heures) où le parent est face à cette solitude, avant d’être capable d’annoncer le diagnostic de l’enfant à son (sa) partenaire. En effet, « la solitude amplifie le choc de l’annonce du handicap. » (Sausse, 1996, p26). Il est au contraire nécessaire de favoriser au maximum le partage des responsabilités parentales, « car il y a un mouvement spontané des parents à diviser la culpabilité. » (Sausse, 1996, p27) De plus, il faut être particulièrement vigilant à la circulation de l’information communiquée par le médecin, car celle-ci « suit, à son insu, les voies inconscientes que tracent les conflits familiaux préexistants. L’impact du diagnostic a un effet de détonateur sur des difficultés conjugales antérieurs, qui jusque-là étaient plus ou moins bien assumées. » (Sausse, 1996, p27) B.1.2. A quel moment faut-il l’annoncer aux parents ? Sausse s’appuie sur la citation d’un médecin américain : « Dire la vérité, rien que la vérité, mais pas nécessairement toute la vérité en une seule fois » (Sausse, 1996, p29), ni trop tôt, ni trop tard. Ainsi est-il préférable d’annoncer le handicap lorsque l’enfant a été au contact physique de ses parents une première fois (en effet, on enlève généralement l’enfant à la mère dès sa naissance) et même d’annoncer le handicap de l’enfant en sa présence, comme le soulignait Gold (1995), si les conditions médicales le permettent. « Par son corps, son odeur, son aspect physique, le contact de sa peau, il existe avant de devenir source d’angoisse. Si l’annonce du handicap précède la première prise de contact, il est handicap avant d’être enfant. » (Sausse, 1996, p29) Ce serait lui donner un diagnostic, une étiquette avant même qu’il ait un prénom. B.2. La clarté ou non du diagnostic Nous avons souhaité analyser plus précisément la précision du diagnostic, afin d’étudier s’il existait des répercussions différentes sur les parents, selon que le diagnostic de l’enfant est précis (dans le cadre de cette étude, nous avons interviewés trois couples de 40 parents d’enfants porteurs de la trisomie 21 à l’aide d’entretiens cliniques) ou que le diagnostic est imprécis, d’étiologie encore inconnue ( nous avons interrogés deux parents dont les enfants ont un syndrome neurologique d’origine inconnue). L’annonce d’un diagnostic précis à la naissance ne fait pas partie des cas les plus fréquents. En général, des troubles du développement peuvent survenir durant la première année de vie de l’enfant. A cause des lourds examens médicaux et des consultations avec les professionnels, qui ne débouchent parfois pas sur la découverte d’un diagnostic connu, les parents vont alors vivre une période d’inquiétude et d’incertitude très douloureuse. Parfois, ils ont à faire à l’indifférence ou l’incrédulité de leur famille et de certains professionnels. Les troubles neurologiques par exemple peuvent être très difficiles à déceler chez l’enfant en bas âge par certains professionnels. Les parents ont alors un sentiment de solitude et de culpabilité intense, ils savent que leur enfant a un problème mais ne peuvent mettre de mots sur celui-ci, ce qui peut créer des angoisses majeures chez ces parents. En somme, comme le souligne Sausse, il n’y a pas de bons mots pour annoncer le handicap d’un enfant à ses parents, mais plutôt que des mauvais mots. En fait, tout dépend de la relation de confiance qui a été établie entre le professionnel et le parent et de l’attitude respectueuse de celui qui annonce le handicap. Sausse écrit : « L’essentiel est d’être conscient que les modalités de l’annonce du handicap vont fortement influencer la manière dont les parents réagiront ultérieurement. » (Sausse, 1996, p31) Ainsi les choix médicaux, les paroles des médecins, vont s’inscrire dans le psychisme des parents pour ne plus s’effacer et entraînent des répercussions parfois imprédictibles. S. Sausse insiste sur le fait que « les modalités selon lesquelles le handicap est révélé aux parents joue un rôle déterminant dans leur manière d’assumer cette épreuve. C’est un moment clé qui garde son importance pendant des années et dont on perçoit les effets, parfois inattendus, parfois dissimulés, mais toujours marquants, très longtemps après. » (Sausse, 1996, p32) 41 Cet aspect des modalités de l’annonce du handicap nous a semblé primordial et c’est à travers des entretiens semi-directifs détaillés que nous avons tenté de comprendre leur impact sur la parentalité. PARTIE CLINIQUE IV. Contexte de la recherche A. Choix du sujet Ce projet de mémoire est le fruit d’une réflexion qui a évolué au fur et mesure de ces dernières années, au travers desquelles nous avons pu côtoyer de nombreux enfants handicapés (moteurs et/ou mentaux) ainsi que leurs parents. Notre intérêt pour le handicap est également issu d’expériences de stages cliniques auprès d’enfants handicapés, en interactions avec leurs parents. Ils nous ont très vite sensibilisés au monde du handicap et aux répercussions (sociale, familiale, psychologique etc.) qui en découlaient. Notre stage clinique au sein du Centre de Réadaptation Marie Enfant du CHU Sainte-Justine à Montréal (Canada) nous a particulièrement et quotidiennement exposés aux réactions des parents face à l’annonce du handicap de l’enfant. En effet, au travers de la prise en charge et l’accompagnement d’enfants, notamment à domicile, certains parents nous ont livré, à 42 plusieurs reprises, des témoignages bouleversants, démontrant l’impact du handicap de leur enfant sur leur équilibre psychique et familial, et particulièrement l’impact de l’annonce du handicap de leur enfant faite par les médecins : ces quelques mots qui laissent des traces à vie, qui s’inscrivent dans la mémoire des parents et que le temps n’efface pas. Grâce aux entretiens avec certains parents, nous nous sommes rendus compte du manque de formation au sein de certaines équipes médicales quant à l’annonce du diagnostic de l’enfant. Certains services réfléchissent aux modalités de celle-ci, mais d’autres sont davantage formées pour l’urgence et l’action, et manquent parfois de compétence et de formation quant à la mise en place d’un accompagnement au moment de la naissance d’un enfant handicapé. L’urgence médicale ne laisse pas de place à la parole et à la réflexion. Ainsi, face à une situation dont ils n’ont pas le contrôle, les soignants réagissent de manière spontanée, mais maladroite : la peur, la fuite, la pitié, l’envie de soulager sont autant d’attitudes qui sont un évitement de la souffrance du parent, et permettent de se dégager des émotions que ce nouveau-né handicapé réveille en eux. C’est pourquoi, après avoir longtemps voulu axer notre projet de recherche sur l’impact du handicap des enfants sur leur vécu, nous nous sommes tournés vers leurs parents. En effet, « si les médecins connaissaient l’impact de leurs paroles sur le vécu ultérieur des parents, et par conséquent sur le devenir de l’enfant, ils seraient peut-être beaucoup plus prudents. » (Sausse, 1996, p25) Ainsi notre projet s’est-il affiné au fur et à mesure. Les publications étant rares sur le sujet, nous avons commencé à nous intéresser plus particulièrement aux modalités de l’annonce du diagnostic de l’enfant et aux répercussions sur le psychisme des parents, et ainsi, sur leurs processus de parentalité. L’intérêt de cette recherche est d’apporter un éclairage des répercussions de l’annonce du diagnostic sur les processus de parentalité, et ainsi d’amener progressivement à une prise de conscience par les équipes médicales de l’importance du cadre de l’annonce d’un tel évènement. Ce mémoire de recherche pourrait ainsi amener de nouvelles perspectives concernant la formation des équipes au sein de ces services, et amènerait un éclairage significatif pour les psychologues et les médecins. 43 Concernant les avantages pour les participants de ce projet, cette étude permettra aux parents de mieux comprendre l’impact de l’annonce du diagnostic sur leurs interactions avec leur enfant, de développer des attentes plus réalistes vis-à-vis de celui-ci, de mieux saisir leurs propres réactions par rapport à lui et de favoriser un processus d’adaptation face au handicap de l’enfant, par l’appropriation de leurs réactions émotionnelles et une meilleure compréhension de la situation. B. Lieux de recueil des données Nous avons effectué nos entretiens semi-directifs avec les parents selon leurs disponibilités et leurs possibilités de déplacement. Nous avons rencontré deux mères à leur domicile, dans un salon calme, en face à face, les deux autres mères et le couple, dans leurs bureaux respectifs, pièces confortables et peu bruyantes. Nous nous installions en face à face ou en biais. Le fait de nous entretenir avec les parents dans des lieux familiers semblait influencer la situation d’entretien de façon positive. Un lieu connu du parent le met en confiance et facilite ainsi la verbalisation spontanée des émotions, du vécu, des sentiments. Cela limite les risques de méfiance à notre égard et de retenue dans le discours. Définir au préalable un cadre de travail est indispensable au bon déroulement des entretiens, quel que soit le lieu de recueil des données. Ainsi avons-nous rappelé les objectifs de la recherche, le secret professionnel, l’anonymat des sujets, la destruction des données après utilisation. C. Constitution de la population Nous avions d’abord envisagé de constituer notre population au travers d’une association (APEI) mais notre protocole de recherche n’a finalement pas pu, pour des raisons pratiques, s’inscrire dans le cadre de celle-ci. Nous avons ainsi rencontré des sujets appartenant à notre réseau professionnel (réseaux de collaborateurs, approche directe par notre réseau social, terrains de stages précédents…) Notre échantillon est constitué de six sujets : un homme et cinq femmes, dont un couple. Cinq familles sont ainsi représentées dans cette recherche. Cet échantillon a une moyenne de 41 ans, les sujets allant de 38 à 55 ans. Trois sujets sont parents d’un enfant ayant un diagnostic imprécis, d’étiologie inconnue ; les trois autres sujets sont parents d’un enfant 44 ayant un diagnostic précis, d’étiologie connue : la trisomie 21. Toutes les annonces de diagnostic sont post-natales. Les critères d’inclusion pour cet échantillon sont : - être parent d’un enfant présentant un handicap mental, tous degrés confondus (de profond à léger) - L’enfant a entre 0 et 15 ans, afin que les souvenirs de l’annonce du diagnostic et le stress engendré soit encore actuel, et que la formulation du vécu, des sentiments, du ressenti soit la plus authentique possible. - L’annonce du diagnostic doit être post-natale. D. Considérations éthiques et déontologiques Un projet de recherche doit s’appuyer sur des éléments fondamentaux. Dans le cadre de notre mémoire de recherche, nous avons mené une réflexion sur deux aspects importants : - le rôle de la déontologie : le respect de la dignité des sujets que l’on interroge, dont le consentement à participer aux entretiens doit être libre et éclairé ; l’anonymat de ces personnes, et le traitement des données, qui doivent être détruites à la fin de la recherche. - le point de vue éthique : face à la spécificité de notre population, une réflexion approfondie quant à la morale de nos actions menées avec les sujets a été nécessaire, c’est à dire évaluer, au sein de la relation, ce qui est bon et ce qui est mauvais pour le sujet. Cette étude a demandé un véritable décentrement de notre part. Un psychologue se doit d’être responsable des sujets qu’il rencontre et les respecter dans leur dignité. « Ma responsabilité à l’égard d’autrui est la responsabilité à l’égard d’une personne qui est mon égal, et qui, au même titre que moi, est un sujet libre. » (Collin, 2003, p268) Ainsi doit-il sans cesse remettre en question sa méthodologie et ses pratiques. Le chercheur doit éthiquement considérer sa recherche, « en tenant compte des obligations qu’il a vis-à-vis de lui-même, des participants qu’il est amené à rencontrer et vis-à-vis des institutions au sein desquelles se déroulera sa recherche. » (Castro, 2000, p44) Ainsi a-t-il été important, avant de commencer cette recherche, de réfléchir sur nos engagements, nos obligations, nos responsabilités, nos conduites à l’égard des participants, 45 tout en respectant les valeurs morales. A l’instar de la pratique d’un psychologue, un mémoire de recherche doit suivre des règles rigoureuses ayant pour objectif de protéger les participants et une méthodologie spécifique, adaptée à la population qu’il cherche à décrire. Le rôle de la déontologie nous a semblé adéquat pour tenir compte de la dignité des participants. Pour cela, nous référer au Code de déontologie des psychologues a été primordial pour construire notre méthodologie, afin de définir un cadre respectueux de l’individu et clarifier nos interventions. Nous avons également posé au préalable les limites de notre étude ainsi que ses objectifs. Notre recherche a pour objet d’évaluer l’impact de l’annonce du handicap de l’enfant sur les processus de parentalité. Elle renvoie ainsi à des éléments du psychisme des parents qui avaient parfois été refoulés : ils peuvent être très anxiogènes et réveillent en eux la blessure narcissique subi par l’annonce du handicap de l’enfant. Il nous a ainsi paru nécessaire de clarifier les limites de l’entretien, afin d’éviter tout afflux d’émotions débordant les ressources psychique du sujet. C’est pourquoi une grille d’entretien, avec des thèmes spécifiques à aborder, à été faite au préalable. Les sujets ont dès lors pu s’exprimer ouvertement tout en étant guidé par les questions ouvertes. Avant de commencer notre premier entretien semi-directif, nous avions mené une réflexion sur nos capacités à mener cet outil, ainsi que sur ses dangers. « Chaque fois qu’une expérience touche à des aspects privés de la vie psychique et chargés émotionnellement, des précautions sont donc à prendre. » (Seron, 1984, p87) Nous avons mené une enquête par le biais d’entretiens semidirects à domicile. Notre étude s’est ainsi déroulée hors d’un cadre institutionnel. Le consentement libre et éclairé des sujets, comme il est stipulé dans les titres généraux du code de déontologie des psychologues, est indissociable de la réussite des entretiens. Le psychologue « n’intervient qu’avec le consentement libre et éclairé des personnes concernées. » (Code de déontologie des psychologues) Nous avons exposé aux participants la problématique de notre étude ainsi que nos techniques de traitement et de récolte des données : une rencontre, sous la forme d’un entretien semi-directif. Malgré la satisfaction qu’éprouvait chaque parent à témoigner, certaines questions à l’entretien ont pu paraître intrusives, surtout dans un contexte où le parent traite d’un passé douloureux (annonce du handicap de l’enfant). C’est pourquoi il a été judicieux de préalablement rappeler la méthodologie et les objectifs de l’étude aux sujets. Dans un souci de respect de la dignité et de la liberté des participants, nous nous sommes 46 assurés que les sujets avaient bien compris les buts de l’étude et leur avons précisé qu’ils pouvaient retirer leur participation du projet à tout moment, sans invoquer de motif précis. Le traitement et la conservation des données ont été soigneusement pensés selon l’article 20 du code de déontologie et selon la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés. En effet : « Le psychologue connaît les dispositions légales et réglementaires issues de la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés. » L’utilisation de « données (…) à des fins (…) de recherche (…) ou de communication (…) sont impérativement traitées dans le respect absolu de l'anonymat, par la suppression de tout élément permettant l’identification directe ou indirecte des personnes concernées. » (Code de déontologie des psychologues) L’anonymat des personnages a été une clause fondamentale que nous nous sommes assignés dès le départ. Tout élément qui permettait l’identification des sujets a été supprimé, nous avons uniquement gardé le prénom des participants (durant la phase de traitement des informations) afin de pouvoir traiter les données plus aisément. Afin de restituer de manière authentique les témoignages et faciliter le traitement des données, nous avons décidé d’enregistrer les entretiens sur une bande son (un dictaphone). Cette condition nécessitait l’acceptation des participants et nous leur avons expliqué que ces bandes seraient détruites une fois le projet de recherche achevé. Malgré la méfiance d’un des parents au début d’un entretien, cela n’a semblé gêner aucun autre participant dans leur récit. Nous avons rencontré une difficulté concernant le lieu des rencontres avec nos participants. Comme le souligne l’article 15 du code de déontologie des psychologues, le psychologue doit disposer « sur le lieu de son exercice professionnel d’une installation convenable, de locaux adéquats pour permettre le respect du secret professionnel, et de moyens techniques suffisants en rapport avec la nature de ses actes professionnels. » (Code de déontologie des psychologues) Un problème matériel s’est alors posé à nous ; l’étude s’effectuant hors institution, nous n’avions pas de local adéquat pour la passation des entretiens. Nous avons finalement décidé de rencontrer nos sujets à domicile, en posant toutefois un cadre précis : un horaire de rendez-vous où nous serions seuls (chercheurparticipant), afin d’assurer au mieux le respect du secret professionnel, et une pièce calme 47 disposant d’une table afin de prendre des notes si besoin. Les individus ont globalement adhéré à ce dispositif, les mettant plus en confiance et facilitant à notre impression la verbalisation des émotions et du vécu. Cependant, à domicile, il peut plus facilement y avoir des imprévus ou désagréments : lors d’un entretien, la jeune fille au pair d’un enfant (celui dont on parlait ) est rentrée plus tôt que prévu, (nous venions heureusement de terminer l’entretien). La mère a souhaité nous présenter son fils. Elle a alors prodigué toutes sortes de gestes tendres et affectifs, comme pour nous prouver quelque chose, démontrer ses qualités de « bonne mère ». Lors d’un autre entretien, une mère nous a demandé conseil à propos de l’éducation qu’elle donnait à sa fille handicapée, et même à ses trois enfants en général. Cela nous obligeant à sortir du projet de recherche et de notre position d’observateur pour « juger » un comportement, nous avons rappelé dans ces deux cas le cadre précis de l’étude et ses objectifs. E. Hypothèses de la recherche L’hypothèse principale du projet de recherche est la suivante : L’annonce du handicap de l’enfant impacte de façon significative les processus de parentalité. Plus particulièrement, les modalités de l’annonce du diagnostic bouleversent le parent, entraînant des répercussions psychologiques chez ce dernier. Notre étude a été guidée plus spécifiquement par six hypothèses de travail. 1. La qualité de l’annonce du handicap est un facteur essentiel : le vécu subjectif des parents est différent selon si l’annonce en elle-même du diagnostic est claire ou floue. 2. Les répercussions psychologiques sur le parent ne sont pas les mêmes selon que le diagnostic annoncé de l’enfant est précis, d’étiologie connue, ou imprécis, d’étiologie inconnue. 3. Le handicap suscite une blessure narcissique extrême chez le parent qui avait investi narcissiquement l’enfant durant la période de la grossesse (toutes les annonces étant post-natales). 48 4. Les parents adoptent des stratégies de coping différentes pour faire face à l’angoisse suscitée par cette annonce du handicap. 5. Le traumatisme suscité par l’annonce du handicap de l’enfant remet en cause la fonction parentale et entravent l’exercice, l’expérience et la pratique de leur parentalité. V. Matériel clinique et déroulement de la recherche Nous avons décidé de réaliser notre exploration du vécu de la parentalité face à l’annonce du handicap en étudiant de façon approfondie des cas individuels. L’étude de divers participants au moyen d’un outil qui peut explorer le ressenti subjectif de chaque parent, permet une analyse de l’impact de l’annonce du handicap de l’enfant transmise aux parents, tant au niveau conscient qu’inconscient. L’outil clinique retenu, l’entretien semi-directif, permet de répondre aux différents aspects de l’hypothèse de cette étude. Nous avons pris contact, par téléphone ou par mail, avec nos participants faisant partie de notre entourage professionnel (stages cliniques antérieurs, « bouche à oreille »…) et leur avons proposé de participer à la recherche en leur expliquant les objectifs et le déroulement du projet. Une fois leur accord donné, nous organisions des rendez-vous pour les entretiens. Nous avons proposé de leur faire un retour individuel des résultats à la fin du projet de recherche. A. L’entretien clinique semi-directif A.1. Rappels Nous avons choisi d’utiliser cet outil pour recueillir nos données, car il permet d’explorer, grâce à ses consignes généralisées et ses questions ouvertes, les représentations parentales explicites et implicites, en obtenant des informations très riches, tout en permettant une grande liberté et une spontanéité dans la formulation et l’organisation des réponses des sujets. L’analyse du vécu de la parentalité à partir de l’étude du discours peut mettre en relation les représentations imaginaires, les comportements, les pensées subjectives des sujets. L’entretien offre au parent la possibilité de verbaliser en facilitant l’expression du vécu subjectif. Cet outil est également très approprié pour étudier un groupe 49 de petite taille, dans le sens où il privilégie la richesse qualitative du discours des participants. L’entretien offre un espace de projections dans lequel le sujet pourra organiser le témoignage de son vécu à partir de thèmes bien définis. Il est important de rappeler que cet entretien n’a « ni visée diagnostique, ni visée thérapeutique. Mais il n’est pas pour autant dénué de but. Il correspond en fait à un plan de travail du chercheur. » (Castarède, 1999, p118) Cet entretien clinique a une valeur de recherche, d’exploration. Le chercheur propose un ou plusieurs thèmes au sujet, auxquels il répondra de manière plus ou moins spontanée. Le libre choix lui est laissé dans les réponses, sans que le chercheur ne fasse d’induction ou suggestion. « La structuration de ces entretiens est réduite au minimum, l’enquêteur s’effaçant pour être à l’écoute de l’autre. » (Chiland, 1983, p122) Nous avons décidé de ne pas prendre de notes durant les rencontres afin de garder la dynamique et l’authenticité des échanges. L’entretien doit répondre à des objectifs précis. Il permet d’apporter une contenance au vécu de chaque sujet, car il peut se poser en tant que tiers dans la situation duelle chercheur-sujet. La trame des entretiens semi-directifs (les thématiques à aborder) est très importante à élaborer au préalable, afin de pouvoir comparer les données entre les différents participants. Elle suit un ordre bien précis afin de tenter d’éviter les rejets ou les comportements défensifs. En ce qui concerne notre projet, nous avons pu aborder différents thèmes, suivant nos hypothèses de recherche, autour du vécu de l’annonce du handicap et son impact sur la parentalité : l’histoire de l’annonce, ses caractéristiques, leurs préoccupations au moment de l’annonce, leurs attentes, les répercussions sur leur parentalité… La qualité de notre écoute et une analyse fine des données, dans le cadre de cette investigation semi-directive, sont primordiales. Ainsi, une analyse de contenu à partir des entretiens enregistrés nous a-t-elle semblé adéquate pour interpréter au mieux le vécu et l’impact de l’annonce du handicap de l’enfant sur les parents. A.2. Guide d’entretien Celui-ci « comprend à la fois l’ensemble organisé des thèmes que l’on souhaite explorer et les stratégies d’intervention de l’interviewer visant à maximiser l’information obtenue sur chaque thème. » (Blanchet, Gotman, 1992, p62) 50 Conçu pour que les réponses obtenues puissent être comparées aux hypothèses, afin qu’elles soient confirmées ou infirmées, notre guide d’entretien aborde des thèmes bien spécifiques, sous forme de questions ouvertes : 1) L’histoire de l’annonce (post-natale) du diagnostic de l’enfant, les modalités et les caractéristiques de celle-ci (par qui, comment, dans quel lieu elle a été faite), 2) Leur ressenti, les sentiments éprouvés, l’éventuel traumatisme vécu à l’annonce de cet évènement, 3) La correspondance entre les représentations psychiques des parents quant au diagnostic et au pronostic, et ce que les médecins ont annoncé, expliqué, 4) Les répercussions du diagnostic inconnu ou du diagnostic précis de leur enfant sur leur parentalité, 5) Les relations avec leur entourage : famille, amis, collègues… 6) Les paroles, réponses, explications qui les ont aidés, lors de, ou après l’annonce du diagnostic 7) Les paroles, réponses, explications qui leur ont manqué à ce moment précis de l’annonce du handicap, ce dont ils auraient eu besoin. A.3. Traitement des données Nous avons choisi de traiter nos données recueillies lors des entretiens cliniques à partir de la méthode de l’analyse de contenu, qui permet de déceler le contenu manifeste et le contenu latent du discours. Nous avons d’une part relevé les mécanismes de défense dans le discours de chaque sujet, qui permettent de distinguer les processus psychiques à l’œuvre, et d’autre part le contenu des thématiques abordées, comprises dans le guide d’entretien. Cette analyse de contenu des entretiens permet d’évaluer ce qui se joue au niveau conscient mais aussi inconscient chez chaque parent et ainsi de se représenter au mieux le vécu psychique de chacun à l’annonce du handicap de leur enfant. Nous avons pris soin de confronter la synthèse de ces données à nos hypothèses de recherche. La synthèse des données ne doit pas être faite au détriment de la spécificité et de la personnalité de chaque sujet. Nous nous sommes attachés à d’abord analyser chaque entretien individuellement, puis à les confronter les uns aux autres. De nombreuses relectures ont permis de dégager des thématiques et des mécanismes psychiques récurrents dans les entretiens. 51 B. L’Indice de Stress Parental Nous avons pour la première fois entendu parler de ce questionnaire lors de notre stage à Montréal au Centre de Réadaptation Marie-Enfant de l’hôpital Sainte-Justine. Nous l’avons trouvé particulièrement intéressant, car il était un des seuls outils pouvant repérer, dans la dyade parent-enfant porteur de handicap, des difficultés nécessitant un accompagnement psychosocial. Une de nos sous-hypothèses est la suivante : « Les répercussions psychologiques sur le parent ne sont pas les mêmes selon que le diagnostic annoncé de l’enfant est précis, d’étiologie connue, ou imprécis, d’étiologie inconnue. » Ainsi, à travers cet outil, notre objectif était de tenter d’analyser si le vécu psychique parental était différent entre les parents d’enfant atteint de trisomie 21 et ceux dont les enfants avaient un syndrôme neurologie d’étiologie inconnue, entraînant des répercussions différentes sur les interactions parent-enfant. Elaboré par Richard R. Abidin aux Etats-Unis en 1976, validé en 1983 et traduit de la version originale, le « Parenting Stress Index », au Québec par Bigras et LaFrenière en 1996, est utilisé afin de repérer dans les dyades parent-enfant des difficultés assez importantes pour une intervention psychosociale. Le stress parental, défini par Abidin, est un « état de malaise psychologique relié au domaine spécifique de l’éducation de l’enfant, soit le stress que le parent vit lorsqu’il élève son enfant. » (Abidin, Au cœur des familles) Cet instrument comporte 101 items, divisés en deux catégories de stresseurs : ceux associés au domaine de l’enfant et ceux associés au domaine du parent. Le parent répond sur une feuille de réponse (feuillet-réponse), selon une échelle de Likert en cinq points, allant de «profondément d’accord » à « profondément en désaccord » pour chaque proposition. Le domaine de l’enfant, représenté par 47 items, se répartit en 6 sous-échelles, les quatre premières sont liées au tempérament de l’enfant : l’adaptabilité de celui-ci (ses capacités à s’adapter au changement), l’exigence de l’enfant vis-à-vis de son parent (demandes d’attention et de soin etc.), l’humeur de l’enfant (pleurs excessifs, retrait, dépression…qui occasionnent un stress chez le parent), l’hyperactivité de l’enfant (qui demande une énergie constante et un haut niveau de vigilance de la part du parent). Les deux autres sous-échelles traitent des attentes du parent vis-à-vis de l’enfant et du sentiment d’être récompensé par lui : l’acceptabilité (l’acceptation des caractéristiques de l’enfant par son parent, « le degré 52 de conformité de l’enfant à une image idéalisée ou souhaitée par le parent » (Bigras, Lafrenière, Abidin, 1996), la capacité de l’enfant à gratifier et renforcer son parent : ce facteur est un composant du processus qui unit le parent et son enfant, et se développe d’après les signaux que l’enfant émet et selon la capacité du parent à bien les comprendre. Cette caractéristique de l’enfant est vitale pour maintenir la motivation du parent à prodiguer des soins et de l’amour. Le domaine du parent, représenté par 54 items, est réparti en 7 sous-échelles (qui sont 7 variables contribuant au stress parental): la dépression du parent, son sentiment de compétence, l’attachement du parent envers son enfant, la relation conjugale, le soutien social disponible au parent ou non (isolement social), la santé physique du parent et enfin, la restriction entraînée par la fonction parentale. Les variables dépression et sentiment de compétence parentale sont interrelliées et influencent l’attachement du parent. Les quatre dernières sous-échelles sont des variables situationnelles qui contribuent fortement au stress parental subi au quotidien. Bien qu’il n’y ait pas de temps limite imparti, la passation du questionnaire dure de 20 à 30 minutes. La population ciblée par l’ISP sont les parents d’enfants âgés de 13 ans et moins. Cependant, il se révèle être très utile pour les parents d’enfant âgés de 0 à 6 ans, période de développement cruciale pour l’enfant et aussi considérée par les parents comme étant une période où les niveaux de stress et d’exigence à l’égard de l’enfant sont très élevés. Cet outil de mesure existe aussi en forme brève et comprend 36 questions, dérivées de la version longue, trois sous-échelles (Détresse parentale, Dysfonctionnement dans l’interaction parent-enfant et Enfant difficile) et donne également un score total de stress parental. La validité du Parenting Stress Index a été démontrée par de nombreuses recherches auprès de parents dits normaux, de mères dépressives et de mères d’enfants agressifs, de mères maltraitantes et enfin auprès de parents d’enfants handicapés (Lacharité, Éthier et Piché, 1992). La version française de l’ISP a été notamment validée par leurs recherches et par celles de Bigras et LaFrenière (1996). Après mûre réflexion, nous avons finalement choisi de ne pas utiliser ce questionnaire dans le cadre de cette étude, celui-ci ne répondant pas tout à fait à la problématique et à notre hypothèse principale. En effet, l’Indice de Stress Parental traite de la relation parent53 enfant handicapé mais n’analyse pas le vécu psychique parental à l’annonce du handicap en elle-même. Afin de rester centrés sur le thème de l’annonce, nous avons décidé d’approfondir le guide d’entretien de nos entretiens cliniques afin d’obtenir une analyse la plus détaillée possible des répercussions psychologiques de l’annonce du handicap de l’enfant sur l’équilibre psychique du parent. VI. Résultats de la recherche A. Analyse des résultats A.1. Analyse thématique des entretiens cliniques Au travers de l’analyse thématique des entretiens de recherche, nous avons pu regrouper en trois parties les thèmes présents de façon récurrente. Ils mettent en exergue le vécu subjectif des parents face à l’annonce du handicap de leur enfant. Nous avons regroupé les thèmes centrés sur le handicap, et son impact sur les processus de parentalité, les thèmes révélant les différentes répercussions sur la parentalité selon que le diagnostic de l’enfant est précis ou imprécis, et enfin les thèmes centrés sur l’annonce proprement dite. A.1.1. Thèmes centrés sur le handicap de l’enfant (tous diagnostics confondus), et son impact sur les processus de parentalité 1) Le vécu du handicap a) La souffrance, exprimée par l’ensemble des parents On relève en effet une souffrance évoquée par les parents dans tous les entretiens : P.3 : « Je me souviens de la première fois que j’étais partie sans elles en vacances…quand j’étais revenue, ça avait rejailli oh là là bon sang, c’est vrai que c’était fort, c’est dur… » « Mais c’est difficile après, je me rappelle la première fois je pleurais, mais bon même encore maintenant, y’a l’émotion parfois qui me reprend ». 54 P.4 : « J’étais très…mal, j’étais très déconstruite au départ, car pour moi je vous dis, il en était absolument et franchement hors de question (que sa fille soit handicapée) », « ça me renvoyait des choses…ça me donnait le bourdon ». b) Les angoisses archaïques suscitées par le handicap - Le handicap mental de l’enfant réveille souvent de nombreuses angoisses archaïques, se traduisant par des idées de difformité, de monstruosité, « d’étrangeté » (Sausse, 1996, p13). P.4 : « Je la reconnais pas, je sais pas comment elle fonctionne…», « ça me renvoyait à des angoisses… ». Le parent P.5 est une mère à qui on avait annoncé un risque sur 400 de trisomie 21, mais qui a décidé de poursuivre sa grossesse : « j’ai eu une phase où je me suis dit : ‘phhh, j’ai un enfant handicapé dans le ventre, j’ai toutes les visions cauchemardesques qui me sont passées par la tête, j’ai un monstre dans le ventre…parce que ça passe souvent…j’étais un peu en difficulté avec ça… » - Comme Sausse qui écrit que le handicap laisse « sans voix » (Sausse, 1996, p23), nous constatons que la majorité des parents qui subissent ce traumatisme vivent une expérience de l’ordre de l’indicible. P.2 : « Elle était pas belle (…), y’avait un truc qui clochait et entre le fait de le dire ‘Elle est trisomique’, en trois mots (…) c’était tellement fort qu’on peut pas se le dire ». P.4 : « Je me disais ‘elle va être handicapée’ et c’était pour moi insupportable ». - On note que les fantasmes autour de la déficience mentale sont très présents chez les parents que nous avons interviewés. Le parent P.3 utilise le mécanisme du refoulement : « On m’a passé un bouquin et en fait je suis tombé sur la mauvaise page genre : ‘déficit mental’ ou je sais pas quoi, donc je l’ai fermé et j’ai dit : Allez, c’est bon, on verra bien ! (…) on était pas du genre à vouloir chercher dans les bouquins, de toute façon ça sert à rien » P.4 : « Il en était absolument et franchement hors de question (…) Pour moi, je ne voulais pas que ma fille soit handicapée, et surtout pas handicapée dans le ‘mental’…C’était vraiment mon truc (…) J’ai besoin de comprendre la différence entre le mental et ce qu’elle a elle». 55 P.5 : « Il (son mari) n’a pas pu regarder son fils pendant un mois et demi, voir deux mois même (…), il s’est trouvé obligé de le regarder un peu(…), mais en fait il le regardait : il se mettait à pleurer quoi…c’était : ‘Non je peux pas, c’est pas possible je peux pas l’aimer’, ça a réveillé plein de trucs… ». c) Le rejet de l’enfant Le handicap de l’enfant, comme nous l’avons vu précédemment dans la partie théorique, mobilise de nombreux mécanismes de défense chez le parent, et entraîne des comportements plus ou moins temporaires, et qui sont réversibles. Le rejet de l’enfant est un comportement que nous avons relevé dans le discours de trois parents sur cinq. Le parent P.3 est une mère de jumelles trisomiques, dont le diagnostic est aussi postnatal : « Si je les avais pas vu avant (qu’on me les enlève), je pense que j’aurais pas pu les voir…et puis après le médecin m’a dit : ‘Il y en a une sur les deux qui est plus marquée’, donc t’as du mal à la voir…et j’avais un rejet, mais un rejet… », « Mon mari (…) il a beaucoup de mal à accepter ses filles…mais même moi, j’accepte pas non plus a 100% ». P.4 : « Je l’avais envoyé en colo très jeune…j’étais dure… », « (…) car pour moi c’était lourd, j’en pouvais plus de la voir ». - Le rejet peut être associé à des fantasmes de meurtre sur l’enfant. P.3 : « Au début c’était vraiment le rejet de la trisomie, le rejet…plus de l’une que de l’autre…Il faut l’avouer, on avait dit que si y’en avait une des deux (qui décédait…) avant qu’il n’y ait le truc… (Une des deux jumelles a dû subir une opération du cœur) Y’en a une des deux c’était : ‘Bah celle-là je peux pas trop la voir en peinture…J’avais du mal… ». P.4 : « C’est moi qui était négative, car encore une fois je me souviens que j’avais été voir un médecin en disant : ‘Mais si elle est trop mal, c’est même pas la peine de continuer’…et elle avait été profondément choquée que je dise ça, et j’ai pas honte de le dire… », « (…) car pour moi c’était lourd j’en pouvais plus de la voir ». P.5 : «Il (le père) était bien avec ses trois enfants, il avait pas du tout envie de voir V... ». Ce rejet se note également dans les soins quotidiens de l’enfant, tant dans l’habillement. P.3 : « Ah ouais et vous voyez, même au niveau vestimentaire, j’arrivais pas à l’habiller comme l’autre, de manière égale… », que dans l’alimentation : « (…) mais je me suis dit : ‘Je vais les allaiter’, ça va peut-être renforcer le lien maternel, je les ai quand même allaitées trois semaines, un mois…c’est beaucoup pour moi ! » 56 - Chez le parent P.4, nous avons noté que le rejet de l’enfant était un comportement adaptatif, car il a permis de créer un manque chez cette mère : « (…) donc c’était vraiment pas facile, je lui disais (à son mari) : ‘Bah prend-la alors, moi j’arrive pas à gérer, j’ai besoin qu’elle me manque…j’avais besoin qu’elle me manque, et maintenant je m’organise et elle me manque ». - Le handicap de l’enfant creuse un écart entre le quotidien des familles ordinaires et le quotidien, plus lourd, des parents d’un enfant handicapé, ce qui crée un sentiment d’incompréhension chez le parent P.4 : « (…) je voulais pas montrer aux autres que j’étais malheureuse et puis, je comprenais pas la vie des autres, même si j’étais entourée en fait ». d) Angoisses par rapport à l’avenir de l’enfant Les parents d’enfants porteurs d’un handicap sont en proie à des angoisses par rapport à l’avenir de l’enfant et particulièrement par rapport à la dépendance de celui-ci. P.2 : « Et la vraie question qu’on s’est posé tout de suite, tout de suite dès qu’elle est née, c’est ‘est-ce qu’on va avoir un boulet attaché au pied toute notre vie ? Est-ce qu’on va pouvoir partir en voyage tous les deux à 60 ans, quand tous nos enfants seront scolarisés ou est-ce qu’il faudra rester à Paris parce qu’on aura une petite fille qui est totalement dépendante ?’ (…) c’est ce qui nous fait le plus de mal encore actuellement ». P.3 : « (…) l’inquiétude…l’inquiétude sur l’avenir qui est beaucoup plus forte sur un enfant handicapé (…) Qu’est-ce qu’il fera plus tard et qu’est-ce qu’il fera quand on sera plus là, sans que ce soit une charge pour les frères et sœurs ? » P.5 : « Est-ce qu’il va être autonome…puisque moi bon, l’enjeu c’est d’être un jour tranquille en couple, tous les deux, c’est regarder grandir nos enfants…(…) Est-ce qu’il va un jour être autonome ? C’est un peu ça qui nous travaille, qui nous travaille toujours d’ailleurs. J’ai envie qu’il soit autonome et qu’on puisse partir en vacances tranquilles (…), pas l’avoir toujours à la main quoi ». Le parent P.4, maman d’une petite fille prématurée dont le diagnostic est encore imprécis, utilise le mécanisme de l’évitement en disant : « Pour le reste (le pronostic, l’avenir de l’enfant) non, on vous répond jamais parce que c’est difficile…Quoi répondre ? Même maintenant je trouve que c’est difficile (…) ça m’intéresse plus tellement de savoir ce qu’elle va faire dans sa vie d’adulte…alors j’imagine des ESAT, des machins, des trucs…mais quoi ? Je préfère pas y penser… » 57 2. Atteinte au niveau conjugal et atteinte de la fonction parentale a) Les répercussions du handicap de l’enfant sur le couple conjugal -Le parent P.3 insiste sur le bouleversement des projets d’avenir du couple : « On avait construit plein de projets ensemble avec mon mari, tout ce qu’on avait imaginé, tout ça s’effondre… » Les conjoints ne sont parfois pas en mesure de se soutenir mutuellement. P.3 explique ainsi : « Mon mari par contre c’est vraiment différent…je pense qu’il était dans le déni…il a beaucoup de mal à accepter ses filles… ». Chez le parent P.4, l’éloignement géographique du conjoint sert à masquer son incapacité à soutenir psychiquement la mère. « En plus j’habitais seule, mon mari qui à l’époque était encore mon mari habitait déjà à ‘petaouchnoque’ donc…du coup j’étais seule, j’étais seule… ». Interviewer : « qu’est-ce qui vous a manqué à ce moment là ? ». La mère P.4 souligne l’importance d’une communauté d’idées sur le handicap de l’enfant : « Bah (…) c’est avoir une communauté d’idées avec son mari sur ces choses…et ça c’est pas facile car chacun vit avec ce qui lui arrive dans sa vie…», « mon ex-mari m’aide pas du tout, déjà il habite en Lettonie, et puis à chaque fois quand il rentrait, il me disait la veille : «’Ah, j’ai un rendez-vous je peux pas y aller ! » - Le parent P.5 insiste sur le bouleversement des places et des rôles dans leur couple. En effet, cette mère a dû porter pendant un an la souffrance de son mari, celui-ci ayant eu des difficultés majeures à accepter son fils trisomique : « (…) pour notre couple, ca a été assez difficile, c’est comme une détonation, comme une bombe atomique… », « Ca a été dur, donc du coup pendant un an c’est moi qui ai porté toute la famille… ça a eu des répercussions sur notre couple (…) Au bout d’un an, moi je me suis effondrée, fatiguée tout ça… » - Elle insiste sur le changement des rapports de force au sein de leur couple, l’amour conjugal s’en trouvant ainsi entaché : « il y a…les rapports de force…tout a éclaté…jusqu’à présent j’avais un mari hyper fort, sur qui je pouvais vachement compter, très solide (…) parce que pour moi c’était la pire des choses, la mort d’un enfant (le couple a perdu un enfant in utero) mais il faut croire que pour lui c’était le handicap qui était le pire…donc ca a été une grande déception pour moi (…) je me suis trouvé la force, et lui le faible…et ca a été dur de rééquilibrer et après de faire avec cette déception…c’est sûr que ça chamboule ». Néanmoins, certains parents notent une amélioration à partir du moment où il y a eu une meilleure intégration du handicap. P.5 : « (…) je sais qu’il y a des papas qui s’en vont, 58 donc moi j’ai de la chance, O. n’est pas parti (…) et il est heureux ! Donc comme quoi tout est possible ! Là je peux dire que ça ne nous a pas tués pendant deux, trois ans, donc maintenant ça nous rend plus fort, là on y va ! » b) Atteinte de la parentalité b.1. Remise en question et culpabilité On souligne en particulier chez le parent P.3 et P.4 une remise en question sur leurs pratiques parentales. P.4 : «Et moi je ne la voyais que comme un handicap et un problème, pendant très longtemps…Mais je crois pas l’avoir maltraitée, mais je pense que je l’ai stressée », « C’était un psy je sais plus lequel, qui m’avait dit : ‘Il faudrait que vous trouviez une chose que vous aimez faire avec elle, car pour moi c’était lourd, j’en pouvais plus de la voir ». P.3 : « Je pense que sur ma personnalité ça a influé (le handicap de ses deux filles), en bien ou en mal je sais pas…» Chez le parent P.4, cette remise en question entraîne une culpabilité majeure : « (…) parce qu’on a toujours des culpabilités hein, c’est toujours des trucs où maintenant avec la vie sociale où elle est différente des autres et elle le voit (…) elle voit bien que la petite voisine va dormir chez des copines (…) et elle a pas ça donc je me dis : ’Faut que je fasse un quatrième Uno’, mais d’un autre coté, au bout du quatrième Uno, j’en peux plus du Uno ! » b.2. Un enfant vécu comme « un étranger » : des difficultés d’affiliation Nous avons pu souligner dans la majorité des témoignages des parents une difficulté à s’identifier à l’enfant, l’acceptation du handicap étant une épreuve difficile. Ainsi relève-t-on une certaine ambivalence autour de l’image de l’enfant, et un deuil difficile de l’enfant idéal. Chez la mère P.3, ces difficultés majeures d’identification sont teintées du rejet qu’elle a longtemps éprouvé pour ses jumelles. « J’avais du mal…notamment même encore aujourd’hui à me dire : ‘Elles sont mignonnes’, je peux pas…’Elles sont jolies’ quand on me dit ça, j’ai du mal à l’entendre… ». Ces difficultés d’identification semblent s’accentuer à mesure que la mère poursuit son récit, insistant sur les dissemblances physiques. On note à deux reprises une annulation dans son discours lorsqu’elle tente d’évoquer une quelconque ressemblance parents-enfants, avant de reconnaître à la fin du discours l’existence du patrimoine génétique, comme 59 tentative de réparation. « On nous a rarement fait la réflexion comme quoi nos filles nous ressemblaient ! (rires) Autant mon fils ainé ça oui ! Encore que maintenant, ils (leurs amis) retrouvent…C’est marrant comme quoi l’hérédité, le patrimoine génétique joue…Il y a quand même des expressions ou des…même si c’est pas forcément physique (rires) (…) c’est nos filles hein (rires , c’est nos marques de fabrique ! » b.3. L’image que l’enfant handicapé renvoie suscite une blessure narcissique majeure chez les parents - Le regard d’autrui et le sentiment d’isolement A mesure que l’enfant porteur d’un handicap grandit, les idées d’étrangeté dérangent et se traduisent dans le regard d’autrui : P.3 : « on a toujours inévitablement le regard des autres et…on se blinde hein… ». De plus, on note un sentiment de stigmatisation très fort chez le parent P.4, pour qui le regard des autres engendre une souffrance majeure: « Je voulais qu’elle soit dans une structure où on la regarde pas que comme une enfant handicapée, et dans les structures ordinaires, on la mettait dans un coin en disant ‘c’est la petite handicapée’ et j’étais ‘la maman de la petite handicapée’, et en fait j’avais beaucoup de mal à vivre ça à l’époque, j’étais très…mal, très déconstruite…», « Je pense que c’est moi aussi qui supportait mal ce regard des gens », « Et c’est vrai que les autres la regardent pas toujours heu… », « J’avais l’impression que tout le monde voyait qu’elle était handicapée ». P.5 : « On s’est dit : ‘Y’a que nous qui pourrons aimer cet enfant’, vu ce que les sociétés pensent d’eux ». Chez le parent P.4, c’est le regard que les autres portent sur sa fille qui est source d’une blessure narcissique. En effet, le narcissisme se construit dans le regard de l’autre. « Maintenant pour moi à douze ans, c’est vraiment sa construction de petite fille entre le monde des valides et le monde du handicap (qui lui importe), parce que je trouve qu’elle a un peu de mal avec le regard des autres… », « Oui et c’est vrai que les autres la regardent pas toujours…heu… » La blessure narcissique est aussi alimentée par certains discours tenus par les professionnels à propos de l’enfant, qui les fait souffrir. Le père P.1 a été particulièrement blessé par les propos tenus par les médecins sur son fils, qui a un syndrome neurologique d’étiologie inconnue. «C’est douloureux de sentir ça, on se sent brutalisé…on sortait de tous 60 ces rendez-vous avec ces professionnels incompétents…et on sentait à quel point on avait été malmené, et on prenait des semaines pour s’en remettre ! (…) c’était si dur cette indifférence, cette incompétence, ignorance… ils ignoraient mon fils…on nous claquait à la porte en disant qu’il était asocial (…). Je me disais : ‘Mais vous ne faites vraiment pas votre travail !’ », « Ils disaient tous de notre fils : ‘il ne peut pas, il ne pourra pas, il ne comprendra pas, il n’est pas capable, il est fainéant’, c’était tout sur le manque », « on était révolté par les pronostics négatifs » - Le sentiment d’être rejeté par la société se retrouve dans la majeure partie des entretiens de recherche. P.1 : « C’est douloureux de sentir ça…on se sent brutalisé (…) on sentait à quel point on avait été malmené », « Mais tout cela, on se rendait compte, était un pas de plus vers l’exclusion ». P.4. « A l’école ordinaire, ils n’ont pas toujours été très gentils…je les supportais pas moi, et elle (sa fille) non plus d’ailleurs, donc on était très contentes d’en sortir, on n’a pas aimé ce passage là ». P.5 : « J’étais un peu au début dans l’esprit de : ‘Y’a que nous qui pourrons aimer cet enfant’, vu ce que les sociétés pensent d’eux… » 3. Les stratégies défensives et adaptatives des parents On relève dans les témoignages des parents la mise en place de différents comportements pour faire face au handicap de leur enfant. a) La recherche d’une solution miracle La souffrance suscitée par le handicap engendre chez de nombreux parents la recherche d’une solution miracle, d’un remède miracle, provenant principalement des pères, chez qui le mécanisme de rationalisation est très présent. P.1 : « On cherchait surtout une solution miracle. J’avais entendu parler d’un médicament qui était expérimental, utilisé pour les gens atteints de la maladie d’Alzheimer et qui pouvait aider la mémoire, la concentration, requinquer les cellules nerveuses…On a essayé avec notre fils, on n’a pas vu de changement… », « Aujourd’hui encore, je me dis qu’il est possible qu’une personne voit mon fils et dise : ça c’est lié à ce truc neurologique…y’a un truc pharmaco qui pourrait aider… » 61 P.5 : « Notre espoir majeur : Où en est la recherche ? Comment ça va se passer ? Est-ce qu’il y a des médicaments qui pourraient être en test ? Et ces médicaments agissent sur quoi? » Ces parents sont à la recherche de cette solution miracle afin de ne pas sombrer dans le désespoir ou la dépression. « Pour essayer de voir des espoirs d’amélioration, des fenêtres d’amélioration… ». L’intellectualisation est très présente chez certains parents. P.5 : « Et puis la recherche avance, donc parfait. Mon mari est juriste dans le droit de la santé, il bosse avec tous les essais cliniques des médocs, il connaît, il sait, voila, ‘stade 2, on en a encore pour 8 ans’ etc., donc il suit ça avec beaucoup d’intérêt ». b) Face au rejet de la société auquel ils peuvent faire face, ces parents souvent démunis comptent beaucoup sur l’aide de leur entourage. Leurs familles et les amis sont un soutien particulier dans l’appropriation du handicap de l’enfant. P.3 : « On a eu la chance d’avoir de bons amis (…) qui nous ont dit : ‘Elles ne sont pas responsables de ce qu’elles ont, elles l’ont pas souhaité’… ». Le parent P.5 insiste sur le soutien actuel de leur famille, malgré quelques balbutiements à l’annonce du handicap de leur fils. Il peut y avoir une réelle blessure chez les grandsparents, comme si elle traversait les générations. « Mes parents ont en fait eu du mal, je me suis presque faite engueuler par ma mère le jour où je lui ai annoncé la naissance de Virgile (…) mais j’ai eu la présence d’esprit de lui dire ‘Bon, pfou, je te laisse, tu me rappelleras quand t’auras fait ton chemin. (…) en ce moment, je peux pas supporter ça’ et elle a compris, elle est arrivée une semaine après à la maternité, elle a pris le temps de réfléchir, de pleurer aussi dans son coin… » Mais elle souligne l’appui actuel de leur famille : « Mon père a dit à O. (son mari) ‘Bon, nous, à votre place, on l’aurait pas gardé, mais maintenant qu’il est là, on va se serrer les coudes’ et ça a été le point de départ, on s’est senti entouré par notre famille. Et du coté d’O., alors là ça a été très bien tout de suite…» On note à l’inverse la souffrance du parent P.4 qui a eu le sentiment de n’être pas soutenu par sa famille, que ce soit sa mère, qui selon elle banalisait le handicap, ou ses sœurs, dont elle souligne l’indifférence et la gêne pendant de nombreuses années : « Comme j’étais seule, que ma mère m’emmerdait car elle pensait que de toute façon le handicap c’était moins difficile aujourd’hui qu’à son époque, elle m’a pompé, c’était insupportable, donc d’elle c’était pas possible, mes sœurs, elles m’aidaient pas, elles 62 comprenaient pas. (…) c’est vraiment au début de mon divorce, elle m’a dit : ‘Si tu veux on peut déjeuner ensemble’ (…), j’en avais ras le bol j’ai dit : ‘Bah écoute moi j’ai pas besoin de ça, tu te rends compte qu’en 10 ans t’as pas pris ma fille une seule fois, jamais tu me proposes de la prendre alors que moi j’ai besoin qu’on m’aide avec ça, car moi j’en peux plus…J’avais beaucoup de choses à dire et j’avais du mal à le dire. (…) mon autre sœur, je sais qu’elle est vraiment très dérangée par le handicap donc j’en parle pas avec elle. Elle est gênée, elle parle à ma fille comme si c’était la dernière des… » c) Le besoin de rencontrer des familles ayant vécu la même expérience On observe un besoin de rencontrer des familles ayant également un enfant handicapé. Elles apportent soutien, information et réassurance à ces parents en situation de choc. Il y a ainsi comme un partage de la souffrance. P.2 : « Alors comment on a appris les choses ? Et ça, c’est le meilleur moyen, vécu d’information, on s’est mis en contact avec énormément de familles (…) vraiment de bouche à oreille (…) En huit jours, on avait déjà vu trois familles, c’était bouclé. On savait où aller chercher l’information, et ça, ca nous a beaucoup, beaucoup, beaucoup rassurés », « c’est vraiment les familles qui nous ont donné l’espoir, les bons tuyaux, les bons contacts ». P.4 insiste sur l’importance du soutien mutuel que ces familles s’apportent, sans pour autant devoir parler du handicap : « Une fois arrivée ici (association A.) j’ai rencontré plein de copines qui avaient le même type d’enfant (…) on se voit toujours et finalement on se marre », « (…) je trouve que d’avoir cette cellule de décompression où finalement on se comprend sans avoir besoin de dire, c’est très agréable ». Cependant, les parents peuvent avoir une réticence à rencontrer d’autres familles, car le mécanisme du déni peut être présent à l’annonce du handicap. La simple vue d’autres enfants handicapés renvoie les parents à leurs propres angoisses. On le voit aisément chez la mère P.3 : « il y a une maman qui était venue me voir aussi, mais j’avais pas tellement envie de voir d’enfants plus âgés, ca fait peur aussi…on n’a pas envie… ». d) Une acceptation progressive de la part des parents : une prise en compte des difficultés de l’enfant et un réajustement des projets, des attentes. Un deuil progressif qui va vers un aménagement 63 Même si les parents doutent de leurs capacités à reconnaître l’enfant, un travail d’intégration se fait petit à petit, avec le temps. - Deuil progressif de l’enfant idéal La mère P.5 est consciente des difficultés de son enfant, ses attentes vis-à-vis de lui sont amoindries, mais restent cependant exigeantes : « Pour V., pareil, on a beaucoup d’énergie, on met beaucoup d’énergie pour qu’il donne le meilleur de lui-même et qu’il essaie de faire des études…on se dit pas qu’il fera Polytechnique, des portes qui nous sont ouvertes pour les aînés, mais…on veut qu’il aille jusqu’au bout de lui-même, donc, l’ambition, pareil ». Pour la mère P.3, ce deuil de l’enfant idéal est aussi le deuil toujours douloureux de la relation qu’elle pensait créer avec ses filles. « Je leur avais dit : ‘Voilà, vous êtes trisomiques’, bon c’est comme ça…Ce qui est vachement dur, c’est que j’arrive pas tout le temps à communiquer avec elles. On n’a pas de réelle discussion. C’est frustrant ». Le parent P.1 reconnaît les difficultés de son fils : « Ce qui me désole c’est que je vois que mon fils est tellement atteint par des tics physiques qui bousillent sa concentration…c’est trop dur, et il laisse tomber, pourtant il a tant de choses à exprimer ». Il valorise ses progrès : « Maintenant il lit de mieux en mieux, moi je veux qu’il ait le temps de devenir la personne qu’il peut devenir. Le stress est lié à l’impression du manque de temps ». - Une intégration progressive du handicap Nous avons pu remarquer dans les entretiens cliniques un certain essoufflement de la part des parents, qui tentent avec le temps d’intégrer le handicap de leur enfant et de vivre avec ses difficultés. P.4 : « Alors j’essayais d’aller partout pour comprendre comment ça fonctionnait…Puis un jour j’ai arrêté. Parce que du coup je la voyais plus comme une petite fille, je la voyais comme un handicap (…) maintenant je trouve qu’elle est rigolote, je trouve que j’organise mieux sa vie ». P.3 : « Donc bon maintenant, je relativise, je vis au jour le jour, sans faire de plans sur la comète et voilà. Il faut relativiser les épreuves… ». « Maintenant ça va mieux...le temps…on n’accepte pas quand on sort, mais on essaie de vivre avec et de les élever le plus naturellement possible et le plus normalement… ». - Un combat perpétuel 64 On note chez certains parents un comportement combatif face aux difficultés rencontrées dans la prise en charge de l’enfant. P.1 : « On était des combattants, on a eu une sorte de pacte avec cet enfant qui était tellement évident. Ca coulait de source, on réfléchit pas », « (…) avec les écoles, chaque combat pour qu’il ait sa place… » P.3 : « quand tu dois aller te bagarrer pour obtenir tel papier au niveau de l’administration par exemple (…) puis vous rétorquez à la sécurité sociale : ‘Ecoutez ! Vous me trouvez une solution, sinon je bouge pas de chez vous !’ Vous vous seriez jamais cru être capable de faire ça ! » - Comparaison de l’enfant à d’autres enfants Nous avons relevé à travers tous les entretiens de recherche le besoin des parents de comparer l’enfant à d’autres enfants plus sévèrement atteints afin de valoriser les compétences de leur enfant. La mère P.4 compare sa fille à un garçon plus légèrement atteint, ce qui la renvoie à des angoisses, mais tente de minimiser le handicap de sa fille. Ou encore, certains parents, dans un besoin de réassurance sur leurs capacités à « fabriquer » des enfants « normaux », comparent leur enfant handicapé aux frères et sœurs. - Comparaison avec des enfants plus sévèrement atteints. La mère P.4, dans un travail de réparation, souligne « la chance » qu’elle a d’avoir une fille sans problème de comportement : « C’est vrai que j’ai une chance énorme car Caroline n’a aucun problème de comportement, elle est hyper mignonne…Du coup, c’est terrible à dire mais trouver une place dans un établissement pour elle, c’est pas très compliqué, c’est vrai que quand on a un gamin avec des troubles du comportements importants, c’est tout de suite plus compliqué…c’est dingue ». - Comparaison avec des enfants plus légèrement atteints. La mère P.4 insiste, avec beaucoup de répétitions, sur l’intelligence supérieure du garçon auquel elle compare sa fille, pour tenter de minimiser les difficultés de celle-ci : « Puis un jour, je suis arrivée ici (association A.) puis j’ai vu un petit garçon qui était né au même nombre de semaines, qui n’avait aucun problème de langage et là je me suis dit : ‘Bon bah voilà, (…) c’est là où j’ai pris l’annonce du handicap de ma fille. Bon (…) c’est un petit garçon qui est supérieurement intelligent (…) Ils allaient au poney ensemble, ils étaient pareil ! Sauf que c’était pas du tout 65 le même niveau de conceptualisation, le même…heu bon lui reste extrêmement supérieurement intelligent, par rapport même aux autres gamins de son âge, il a un niveau de conceptualisation qui est supérieur aux autres, mais enfin malgré tout (…) c’est là que je me suis rendu compte que ma fille était plus handicapée en fait… » - Comparaison avec les frères et sœurs. La mère P.5 insiste, à propos de l’avenir de ses enfants, sur les potentialités de ses autres enfants, comme tentative de réassurance et un soutien pour le narcissisme. Les exigences vis-à-vis des autres enfants sont majeures, comme s’il fallait réparer quelque chose. « Pour nos grands, ca va être qu’ils soient parfaits à l’école, qu’ils aient de supers bonnes notes, car ils en sont capables, donc on fait tout ce qui faut (…) pour les pousser, et pour Virgile (…) on se dit pas qu’il fera Polytechnique, des portes qui nous sont ouvertes pour les aînés, mais heu…on veut qu’il aille jusqu’au bout de luimême (…) ». - Comparaison du nombre d’enfants dans la fratrie. P.4 insiste sur la difficulté de n’avoir qu’un enfant et de surcroît porteur d’un handicap, et sur la nécessité d’avoir d’autres enfants afin de préserver son narcissisme. « Moi je trouve que le grand privilège que j’ai, c’est que j’en ai trois, moi j’en vois plein….ils ont qu’un enfant et un enfant handicapé, c’est dur… ». - Face au handicap, le besoin de réassurance des parents Dans les entretiens, les parents éprouvent un besoin de réassurance en insistant sur les progrès de l’enfant. P.1 : « On voyait qu’il avait des problèmes dans sa motricité, dans la coordination de ses gestes mais on voyait des progrès, que ça se précisait. Il court maintenant, il a mis des années mais il a réussi ! », « Maintenant il lit de mieux en mieux ». Nous avons aussi relevé que les parents surmontaient les difficultés au fur et à mesure des années, montrant ainsi une maîtrise de la situation. P.5 : « J’en suis convaincue, que ça peut mener à quelque chose de bien (…). Donc là je peux dire que ca ne nous a pas tué, là pendant deux, trois ans, donc maintenant ça nous rend plus fort. Là on y va ». - La capacité des parents à se reposer sur le hasard C’est à travers l’ensemble des entretiens que nous avons pu souligner l’utilisation systématique du hasard pour expliquer certains évènements. Ils considèrent tous avoir eu de la chance dans les épreuves qu’ils ont traversées. 66 P.1 : « Maintenant, il est depuis quatre ans dans une structure pour enfants IMC. Il n’aurait jamais pu entrer dans celle-ci si nous n’avions pas rencontré la chef psy de cette structure (…) Donc mon fils à eu droit à cette école, mais c’était un peu le hasard qui fait que ». P.2 : « On a eu de la chance parce que dans les cinq jours, on avait un diner avec eux (d’autres parents d’enfants trisomiques) ». P.4 : « Donc je trouve que j’ai eu beaucoup de chance, c’était moi qui était très négative, mais quand je regarde le parcours, je me dis j’ai eu beaucoup de chance », « Car c’est vrai que pour des mamans à qui on renvoie toujours des choses négatives, c’est vraiment à devenir dingue (…).Et c’est vrai que j’ai eu la chance que ce ne soit pas arrivé souvent ». A.1.2. Thèmes révélant les différentes répercussions sur la parentalité selon que le diagnostic est précis ou imprécis 1. L’angoisse des parents face à un diagnostic imprécis (deux parents interrogés, dont l’enfant a un syndrome neurologique d’origine inconnue) : a) Celle-ci se dévoile d’abord par une incompréhension entre les professionnels et les parents : on note une colère face aux hypothèses cliniques incorrectes que l’on a pu poser sur leur enfant. P.1 « Un pédopsychiatre qui nous a donné des hypothèses psychiatriques, on a été tellement choqués par l’absurdité ! ». « Donc ce nouveau diagnostic qui était encore négatif, et complètement faux, surtout inutile, car elle n’en savait que dalle !! C’était tellement arrogant, c’était de la pseudo-science ! S’ils ne savent pas, il faut qu’ils se taisent ! Ils nous sortent des trucs comme ça, selon leur personnalité, leur subjectivité, l’humeur du jour… ! Ce sont tout sauf des sciences ! », « Après avoir eu ce diagnostic absurde du CAMPS qui nous avait dit que notre fils ‘n’avait pas investi ses jambes’, quand j’avais entendu ça je m’étais dit : Je suis dans un asile mental, c’est pas possible ! » b) Ils perçoivent un sentiment d’indifférence et d’ignorance chez certains professionnels. P.1 : « Et c’est fou quand je pense à tous ces professionnels que nous avons rencontré et qui nous ont laissé dans l’embarras...c’est tellement important de prendre en compte les familles…Ce sont elles qui vont porter cet enfant…avec leur courage, leur force, leur bien67 être…Ce sont des gens qui sont totalement à côté de la plaque dans leur façon de gérer la relation avec ces familles ! C’est un réel aspect de la formation qui manque chez ces médecins. », « Un cas psychogénétique par exemple, ils ne savent pas s’y prendre ». c) Ainsi les parents P1 et P4 ressentent-ils un rejet de la part des professionnels en charge de leur enfant, qui, sans tenter de voir les potentialités de leur enfant, ciblaient les aspects négatifs de son handicap : P.1 « Que ce soit l’école, les orthophonistes, les psychomotriciens, ils disaient tous de notre fils : il ne peut pas, il pourra pas, il comprendra pas, il est pas capable, il est fainéant…c’était tout sur ‘le manque’ », « c’est un tremblement perpétuel avec les écoles, chaque combat pour qu’il ait sa place, et ces professionnels, c’était si dur cette indifférence, cette incompétence, cette ignorance…Ils ignoraient notre fils...On nous claquait la porte en nous disant qu’il était asocial, qu’il avait un problème de comportement…Je me disais : Mais vous ne faites vraiment pas votre travail ! » P.4 insiste sur ce sentiment de rejet par le système scolaire qu’elle a vécu : « Ils m’ont viré quoi ! (…) et puis avec une explication ou une description de ma fille où c’était pas le bon âge, c’était pas le bon diagnostic…Ils voulaient se débarrasser du problème ». d) Ainsi nait-il chez les parents dont le diagnostic de l’enfant est imprécis, un fort sentiment d’exclusion, P.1 : « Toutes les personnes qu’on rencontrait l’évaluaient sur ses potentialités mais sur le mode : Va t-il rentrer dans le moule ? Va-t-il réussir à rentrer dans le système scolaire ? Mais tout cela, on se rendait compte, était toujours un pas de plus vers l’exclusion », P.4 : « (…) dans les structures ordinaires, on la mettait dans un coin en disant ‘c’est la petite handicapée’ » , « quand je raconte ça à des gens qui n’en ont pas (d’enfants handicapés) ils comprennent pas du tout l’humour qui se présente (blague faite par les mères de l’association à propos de leurs enfants handicapés) », ce qui inéluctablement engendre un sentiment de solitude extrême chez les parents. P.1 : « Faut se rendre compte que les parents d’enfants handicapés sont seuls…Même entre eux c’est difficile de se parler…C’est très difficile et chaque couple le vit très différemment, on ne s’appelle pas assez entre amis parfois ». P.4 « (…) parce que je me sentais très seule (…) j’étais seule…j’étais seule et comme je suis un peu fière, je pense que voulais pas montrer aux autres que j’étais malheureuse ». 68 e) On note que le diagnostic imprécis engendre des difficultés majeures par rapport à la prise en charge de l’enfant, la société ayant tendance à « catégoriser » les enfants. Pour ces parents, le diagnostic inconnu représente un handicap de plus dans le handicap. P.1 : « Par rapport à l’éducation, un diagnostic flou crée un problème pour la prise en charge. Car il est hors d’un système (…) Les autres enfants (avec un diagnostic précis) valent l’investissement », « le diagnostic flou est un problème car notre société, notre système ne sait pas comment accueillir ces enfants là », « le diagnostic crée un flou, et dans tous les systèmes, que ce soit sur le plan scolaire, ou par rapport aux budgets alloués par la sécurité sociale, on a à faire à des catégories. Et le flou, c’est un fourre-tout », « Pour moi, c’est pas le flou qui a apporté plus de stress, c’est ce que tu dois vivre à cause de ça ». P.4 : « Et en fait N. (établissement médico-social) m’a viré mais alors comme une malpropre (…) Ca a été très brutal… ». f) Ils perçoivent chaque diagnostic, chaque interprétation comme une stigmatisation : « Souvent, l’interprétation, psychologique ou psychiatrique, est une condamnation à mort », « Ca (le diagnostic imprécis) a un grand impact (…), S. (école dans laquelle a été A.), c’était une marginalisation totale… » g) L’inconnu dans lequel les parents sont plongés crée un stress supplémentaire. P.1 : « Notre stress est aussi beaucoup lié à l’inconnu et au souhait que la société lui donne sa chance », « Le flou du diagnostic implique donc des conséquences. Quand on nous demande ce que notre fils a : alors c’est vrai qu’il y a un grand silence ! On commence à dire : il a…il est…heuuu ! » P.4 : « Comme j’arrivais pas à voir la petite fille et que je savais pas quel handicap elle avait, du coup tout cet inconnu faisait que je savais pas ce qui fallait que j’aime ». Chez le père P.1, le stress est aussi causé par le sentiment du manque de temps. P.1 : « Moi je veux qu’il ait le temps de devenir la personne qu’il peut devenir, et le stress est surtout lié à l’impression du manque de temps ». h) Du fait de l’incompréhension concernant le diagnostic imprécis de leur enfant, les parents P1 insistent sur une recherche de l’étiologie du handicap : « Donc on a fait des recherches comme ça, mais on a jamais eu quoi que ce soit », « On a fait beaucoup de 69 recherches génétiques mais on a rien trouvé », « (…) mais intérieurement c’était tellement dur que notre réaction correspondait à un désarroi, une douleur, une recherche de sens…Quand on est perdu, on a besoin d’être guidé, et comme on était pas guidé, c’était encore plus douloureux ». Malgré tout, une relation d’attachement s’est instaurée entre l’enfant dont le diagnostic est imprécis et ces deux parents. P.1 : « On a eu la chance de ne pas savoir qu’Anton avait un problème finalement. Une relation d’amour est née sans biais ». Le parent P.4 insiste sur le processus d’appropriation, d’intégration. Selon cette mère, la notion du temps est primordiale pour l’intégration du handicap de l’enfant : « Je me dis que j’aurais pas aimé avoir un diagnostic clair, car ça voulait dire qu’on allait me dire ce qu’elle allait devenir, et ça…ça me permettait pas d’avoir le temps de faire cette intégration. Ce diagnostic flou a permis cette période d’intégration petit à petit et d’appropriation de cette nouvelle petite fille ». 2. En ce qui concerne les parents d’enfants atteints de trisomie 21, on souligne dans les trois entretiens que le diagnostic précis de leur enfant a été un facteur positif dans l’acceptation du handicap. Les parents ont reçu facilement de l’information sur le diagnostic de leur enfant, ce qui semble avoir été positif dans l’appropriation du handicap. P.2 : « Quand on va dans une librairie et qu’on achète dix bouquins sur la trisomie, c’est quand même vachement rassurant, parce qu’on peut les lire le soir, parce qu’on a plein de réponses, donc c’est vrai que c’est beaucoup plus agréable et rassurant de savoir qu’il existe des ouvrages, communautés, associations, qu’il existe déjà tout plein de choses mises en place autour de la trisomie 21. On est parti d’une non-connaissance de la maladie à une connaissance de la maladie ». P.5 : « Je savais déjà ce que c’était la trisomie (…), je savais à quoi il allait ressembler (…), je savais que mon enfant il allait marcher, il allait parler, il allait rigoler». P.5 insiste sur la notion de certitude : « oui, ça m’a vraiment rassurée d’avoir un diagnostic précis. Pour moi y’aurait rien eu de pire que l’incertitude (…) J’ai quand même une amie pour qui ça a été une souffrance, car elle a eu un diagnostic : ‘On pense mais on sait pas’, elle est restée dans l’incertitude, elle a eu du mal à s’investir sur ce bébé parce qu’elle savait pas ce 70 qu’il était, finalement. Ca fait quand même partie de leur identité. En tout cas pour moi, j’ai apprécié la certitude du diagnostic ». Cependant, le parent P.3 explique qu’elle n’a pas ressenti un stress moindre face au diagnostic précis de leur enfant, en insistant sur le fait qu’il n’y a pas d’espoir d’évolution, de guérison : « (…) la trisomie 21, pour nous c’est pas évident parce que pour le coup, on nous annonce ‘Trisomie 21’ et là on demande ‘Est-ce qu’il y a une évolution possible ?’ Bah non, c’est à vie donc heu… » A.1.3. Thèmes révélant les répercussions de l’annonce du handicap sur la parentalité (tous diagnostics confondus) Ce projet de recherche à été principalement basé sur la recherche des répercussions de l’annonce du handicap sur les parents. Nous avons tenté d’observer si l’annonce faite aux parents avait été claire, bien posée, avec un cadre précis, ou au contraire floue, laissant les parents dans l’incertitude. C’est pourquoi, à travers les entretiens cliniques, nous avons guidé nos questions sur les modalités de l’annonce (à qui elle a été faite, à quel moment et à quel endroit), sur les paroles, explications qui ont pu les aider au moment de l’annonce du handicap, mais également sur ce qui leur a manqué au moment de ce choc traumatique. 1) L’amnésie du choc On note dans tous les entretiens de recherche l’existence d’un traumatisme, d’un bouleversement provoqué par l’annonce du handicap de leur enfant. P.1 : « Le choc émotionnel date vraiment de cet évènement là… », « C’est à partir du moment où on entend ‘anté-natal’ qu’on se dit : Ah, ça va pas passer, il y a un problème…C’était vraiment dur…», « Je me suis dit que c’était grave, c’est comme un gouffre… » P.3 : « Même à mon pire ennemi….je me suis dit souvent, je souhaitais à personne de vivre ce qu’on avait vécu… » 71 Comme nous l’avons vu dans notre partie théorique, lors du choc traumatique provoqué par l’annonce du diagnostic de l’enfant, la psyché, débordée, ne parvient plus à assimiler les éléments extérieurs. Effectivement, nous avons relevé dans l’ensemble des entretiens à quel point cet évènement traumatique bouleversait le fonctionnement psychique, engendrant une confusion des faits, une amnésie temporaire, comme une sidération de la pensée. P.3 : « Y’a l’annonce du handicap et ensuite revenir chez soi…Je pense qu’ils ont dû dire : ‘Vous n’êtes pas seuls, y’aura des structures et des équipes’, mais bon…c’est assez flou…Puis bon j’avais pas forcément la tête à ça heu…vous voyez », « Sur le moment de l’annonce du handicap, je crois qu’on était tellement sonnés que je m’en rappelle plus… ». P.5 : « Donc je me suis effondrée, heu…, c’est là que j’ai vu O. (son mari) effondré derrière, en larmes, effondré quoi, effondré, alors là je sais plus…bon on a pleuré un peu…j’étais abattue (…) Bon là c’est un peu confus, je pense qu’on a dû passer ces heures là à pleurer ». Nous avons pu souligner, tout au long de ces cinq entretiens de recherche, l’importance de la notion du temps, et à quel point elle était bouleversée par un évènement aussi traumatisant que l’annonce du handicap de son enfant. Le temps se fige complètement. Pour les parents, il y aura un « avant » et un « après ». P.1 : «Elle (un docteur) nous a dit un certain nombre de choses qui nous ont un peu secoué. (…) On sait que plus rien ne sera pareil, mais on peut pas revenir en arrière ! ». « Il lit de mieux en mieux (leur fils), moi je veux qu’il ait le temps de devenir la personne qu’il peut devenir. Et notre stress est surtout lié à l’impression du manque de temps (…) comme un sablier. » La notion de résilience est importante chez le parent P.3. P.3 : « Maintenant ça va mieux …le temps…on accepte pas quand on sort, mais on essaie de vivre avec… ». P.4 : « J’ai dû apprendre pour le coup à regarder le temps passer plutôt que d’anticiper… », « Cette acceptation avec le temps, par un processus d’intégration d’une construction d’une autre vie ». P.5 : « J’avais envie d’être un peu…qu’on me laisse le temps un peu d’apprivoiser tout ça … ». 2) Le cadre de l’annonce 72 Comme nous l’avons souligné dans la revue de littérature, l’annonce faite aux deux parents, dans un cadre clair, avec une attitude respectueuse du soignant à l’égard du handicap, aura un impact positif sur le vécu parental. Le couple P.1 (pour lequel le diagnostic de leur fils est encore imprécis), après avoir entendu de nombreuses hypothèses diagnostiques relativement floues, a rencontré une neuropédiatre qui leur a fait part d’un premier diagnostic, difficile à accepter certes, mais dont l’annonce a été faite dans un contexte de confiance mutuelle. Le couple insiste sur le cadre précis de l’annonce. « Ce docteur qui nous a vraiment donné ce premier diagnostic nous a beaucoup aidé (…) Le diagnostic a été bien donné au moins, dans un bureau, on était tous les deux, avec la neuropédiatre. C’est quelqu’un qui avait réfléchi à la question, pour une fois… ». La mère P.5 a vécu une annonce très différente. L’annonce a été faite séparément à la mère et au père. Or, comme le soulignait Sausse, l’annonce devrait se faire en présence des deux parents. C’est leur donner des chances plus favorables pour supporter et affronter le choc. Il y a ainsi un partage de la souffrance et de la culpabilité. Ce cadre inscrirait leur parentalité si dure à accepter, dès les premières paroles. Il faut s’adresser à eux en tant que couple parental. Expliquer au père ou à la mère séparément introduit une sorte de clivage, de séparation. Même si les circonstances ont fait qu’il était difficile pour le médecin de différer sa réponse à la question posée par son mari, la mère P.5 remarque, au fur et à mesure de l’entretien, qu’elle aurait peut-être souhaité recevoir l’annonce avec son mari. Elle insiste sur les effets positifs qu’une annonce conjointe aurait produit sur leur couple : « Bon, O. (son mari) l’avait eu avant moi, c'est-à-dire qu’il a posé la question, donc le médecin à répondu… (…) C’était difficile de différer la réponse parce que O. aurait dit : ‘Bah comment ça, attendez ? (…) Mais d’un autre coté, peut-être que dans notre histoire après, ça nous aurait fait du bien d’être tous les deux pour le savoir en même temps…c’est la première fois que j’y pense…que je mets les choses en perspective ». On relève un cadre de l’annonce (le lieu) peu adéquat, « Le pédiatre lui a dit autour de la salle d’examen de V. (leur enfant)…finalement moi il me l’a dit j’étais encore dans la salle de travail, elle recousait pas mais bon… ». 73 La mère P.5, à mesure de l’entretien, prend conscience des répercussions sur leur vie conjugale et inéluctablement sur leur vie de famille, de cette annonce séparée. L’annonce faite à son mari a été un choc épouvantable et elle mentionne que l’annonce faite aux deux parents aurait été sans doute pour lui une aide pour intégrer l’inacceptable. « Alors c’est là que je me dis peut-être que si on avait eu l’annonce ensemble, ca aurait peutêtre changé des choses pour notre couple, ça a été assez difficile, c’est comme une détonation, comme une bombe atomique…dans le temps et sur plein de terrains. D’abord il a pas pu regarder son fils pendant facilement (…) deux mois…». La mère P.2 témoigne à propos de l’annonce qui leur a été faite : c’est un évènement qui, nous le verrons plus loin, a été particulièrement difficile à accepter du fait de son caractère flou. Cependant, le soignant a souhaité l’annoncer aux deux parents en même temps. « Je voyais le médecin qui sortait, qui revenait, qui sortait de la salle, j’ai demandé : ‘Mais qu’estce qui vous arrive ?’ Lui m’a répondu : ‘Il est où votre mari ?’ Et à ce moment là, quand j’ai entendu ‘Il est où votre mari ?’(…) je me suis dit : ‘ca y est elle est trisomique’ dans ma tête. Je lui dit :’Ecoutez mon mari est parti’. Le médecin a répondu ‘Rappelez le tout de suite, j’ai quelque chose à vous dire’. J’ai à ce moment appelé mon mari (…) Donc il est revenu, et le médecin nous l’a dit (…)» Lorsque nous l’interrogeons sur le lieu de l’annonce, elle mentionne qu’elle était encore en salle de travail, mais qu’elle aurait mal vécu le fait qu’on lui annonce seule dans sa chambre, après un certain laps de temps. Elle avait vu son bébé au moment de l’expulsion et s’était dit que son bébé n’était pas beau. Le temps d’attente aurait paru insupportable. Prise d’un malaise qui n’aurait fait que s’intensifier, elle n’aurait pas pu mettre des mots sur ses inquiétudes. Elle souhaitait que quelqu’un valide ses doutes instantanément. « J’étais allongée, je venais d’accoucher, j’étais même pas encore dans ma chambre, j’étais en salle de naissance. Tout de suite, tout de suite, tout de suite…Mais heureusement…heureusement que je suis pas remontée dans ma chambre, heureusement qu’il est pas revenu trois heures après en disant : ‘Madame, on a un truc…’ J’aurais pas été…j’aurais pas été bien ». De même, Sausse soulignait avec justesse : « Mme R. non seulement ne disposait pas de mots pour parler, c’est à dire penser logiquement afin de formuler des questions, mais, en 74 état de choc, elle était privée de voix (…) Touchée dans la matière même de son être, dans la matérialité de sa parole. Proposer à ce moment là de poser des questions est de la part du corps médical une grave méconnaissance des effets psychiques d’un tel traumatisme ». (Sausse, 1996, p23) C’est, selon nous, un aspect important à prendre en compte dans le cadre de l’annonce du handicap d’un enfant. C’est le caractère contenant de la posture des médecins qui est important. P.2 se rappelle en effet la façon dont elle a vécu cette méconnaissance de la part du médecin : « Il a dit : ‘est-ce que vous voulez autre chose ?’, ‘Vous avez des questions ?’ On lui a dit : ‘dégagez, dégagez…’ ». La mère P.5 se rappelle également : «Mais j’avais pas envie qu’on me force à aller voir un psy, j’en avais pas envie sur le moment… » 3) La qualité de l’annonce La clarté de l’annonce est une notion délicate, car il n’y a jamais de bons mots pour annoncer un évènement aussi traumatisant. Cependant, nous avons pensé intéressant de livrer les témoignages du vécu des parents par rapport à la qualité de l’annonce, c'est-à-dire à la clarté ou au flou de celle-ci. Le récit de la mère P.2 est teinté de colère et de douleur lorsqu’elle évoque l’annonce par un médecin du handicap de leur fille. Sausse explique, comme nous l’avons vu dans la partie théorique, que « (…) face à cette situation à laquelle il n’est pas préparé, chaque soignant réagit en fonction de ses sentiments spontanés. » (Sausse, 1996, p24) Ce médecin, peut-être dans l’urgence, a été dominé par la peur et a utilisé la fuite, qui était une manière de se débarrasser des émotions désagréables que ce bébé suscitait en lui. « (…) Le médecin a répondu : ‘Rappelez le (son mari) tout de suite, j’ai quelque chose à vous dire’. Et là je lui ai dit ‘Quoi ?’ Déjà dans ma tête, je m’étais dit : ‘Elle est trisomique’ et je lui dit ‘Qu’est-ce qu’elle a ma fille, qu’est-ce qui va pas ?’ Et là il me répond : ‘Qu’est-ce que vous en pensez ?’ C’était l’horreur…Je lui dit : ‘Bah écoutez ça se voit !’, et là il me répond : ‘Qu’estce qui se voit ? Ecoutez, regardez bien ses traits.’ Et je lui dit alors : ‘Mais qu’est-ce que ça veut dire alors docteur ?’ Il m’a dit : ‘Vous, qu’est-ce que vous en pensez ?’ On allait pas jouer au chat et à la souris pendant 10 minutes ! (…) c’était un procédé pour faire sortir ce qu’il ne 75 pouvait pas dire, et il me l’a fait dire : ‘Elle est trisomique’. Il m’a pas dit ‘Oui’, il m’a dit : ‘On a de forts doutes’. L’incertitude, le doute dans l’annonce a été vécu de façon très douloureuse de la part du couple. Celle-ci a alors appelé son mari, qui est revenu à l’hôpital. « Donc il est revenu, le médecin nous l’a dit et mon mari a dit : ‘Mais on en a rien à foutre de : « on pense que » ! C’est écrit sur son visage !’ Voilà. Il a été nullissime ce médecin, nullissime (…) je sais pas ce qu’il aurait fallu faire hein mais on l’a ressenti comme ça, nul ! (…) Et on est resté avec la sage-femme, on a pleuré, pleuré, pleuré et puis on est rentré dans ma chambre. Le lendemain, la sage-femme est revenue(…), et on leur a demandé pourquoi c’était ce médecin qui était venu, et elle s’est excusée en disant : ‘On voulait pas que ce soit lui, on voulait que ce soit un autre qu’on aime beaucoup, qui a plus d’expérience, plus de bouteille et qui dit les choses autrement mais il était indérangeable (…) En fait, elle venait s’excuser de la façon dont ça avait été annoncé. Et puis après, on a eu le caryotype mais bon ça…on s’en fichait. (…) C’était un jeudi… On l’appelle le ‘Jeudi Noir’…» La mère P.5 a vécu une toute autre expérience. Même si on lui a annoncé le handicap de son fils sans son conjoint, elle a apprécié la certitude et la franchise de la réponse de la pédiatre. Ce médecin a répondu aux angoisses, aux inquiétudes de la mère. Comme elle le souligne, la pédiatre, par cet acte, s’investissait avec le couple dans cette épreuve, lequel ne s’est senti ni abandonné, ni exclu. On relève également que la pédiatre a attendu que la mère voit son bébé, afin qu’une première rencontre se créée. « On me l’a mis dessus, on l’a fait téter, tout allait bien, il tétait bien et tout, bon la pédiatre était à côté de moi, elle bougeait pas, et puis je lui pose la question : ‘Bon bah quand même est-ce que…Je vais poser une question qui fâche, est-ce qu’il est pas trisomique ? Parce qu’il a un regard un peu particulier ! Et elle m’a dit : ‘Oui, je pense qu’il est trisomique.’ Et donc j’ai eu la chance d’avoir vraiment un pédiatre qui me dise pas : ‘Ah bah on sait pas, on va attendre le caryotype…’ Elle a quand même eu du courage, de me dire : ‘Oui, je pense’. Ce ‘oui’ m’a fait beaucoup de bien en fait … », « En tout cas pour moi, j’ai apprécié la certitude du diagnostic, et la réponse franche. J’ai eu l’impression que par cet acte que ce pédiatre a posé, elle s’investissait avec nous, elle s’est mouillée, et du coup, avec nous, comme nous on s’est jeté à l’eau avec notre enfant dans la vie. » 76 Elle souligne que cette annonce claire l’a aidée à mieux accepter la trisomie 21 de leur fils. « Du coup ça a fait du bien de savoir que…je pense que ça a été une énergie dynamisante pour l’acceptation ». Nous avons noté un élément intéressant : cette mère P.5 se rappelle cependant un évènement, avec certaines professionnelles de la maternité, qu’elle a vécu douloureusement et de manière stressante. Celles-ci ont utilisé la fuite également, car énoncer à la mère le handicap de son enfant était une mission trop douloureuse pour elles. « Il avait des problèmes de coordination entre la succion et la déglutition (…) Donc un coup sur deux, la tétée se passait mal, un coup sur deux ça se passait bien, alors comme il était de petit poids, y’avait un peu de stress là-dessus, et il y en a pas une qui a su me dire : Mais c’est parce qu’il est trisomique. Or, c’est un problème récurrent chez les trisomiques. Elles ont commencé par me dire : ‘C’est un problème de succion’ » Elle s’est alors rendue compte que son bébé n’avait pas de problème de succion. « Et je me suis dit : ‘Mais il le tête à fond mon doigt ! Donc il y a pas de problème de succion !’ Et là elles m’ont dit : ‘Bah effectivement, bah on sait pas…’ (…) peut-être qu’elles savaient et qu’elles ont pas osé me dire : ‘C’est parce qu’il est trisomique’, parce que ça mettait le nez dedans ! » 4) Une demande de réassurance adressée aux professionnels Nous l’avons évoqué plus haut, les parents utilisent certaines stratégies afin d’intégrer le mieux possible le handicap difficilement acceptable de leur enfant. La réassurance, au moment de l’annonce du handicap, est un besoin primordial pour eux. Les parents ont parfois des questions, souvent très matérielles au départ (car ils ne veulent pas évoquer les questions qui les renverraient à leur souffrance psychique), auxquelles ils ont besoin de recevoir des réponses positives et rassurantes. P.2 : «Le lendemain, ce qui est vachement bien, c’est qu’on a pu voir ce vrai médecin sympa, et il a complètement…il a répondu à nos questions, il a dédramatisé nos peurs...Voilà…Il a vraiment réussi à mettre des réponses à nos questions débiles, mais vraiment on avait des questions débiles…Mais vraiment on avait besoin d’être rassurés », « Ah oui, il faut être rassurés…Après, faut trouver les bons mots pour rassurer mais lui a été très bon ». 77 Cette mère se souvient également de ses doutes sur une éventuelle trisomie 21 lorsqu’elle a vu le visage de sa fille à l’accouchement, et le besoin de réassurance, pour se dégager de ses angoisses : « En fait on sait qu’on est déçu car elle est pas belle…ensuite on ose même pas se dire qu’il y a quelque chose qui va pas…(…), mon mari est parti (…) moi je suis restée seule dans la salle et y’avait toujours ce truc (…) qui me trottait dans la tête et j’avais pas envie de sortir (…) sans avoir exposé ça à quelqu’un. Donc j’ai dit ça à une nurse, en fait j’avais juste besoin qu’elle me rassure et qu’elle me dise : ‘Non, votre fille, vous inquiétez pas, elle est bien’ ». 5) Autour de l’annonce…des mots qui restent gravés dans la mémoire des parents Comme le soulignait Sausse, tous les mots prononcés autour du berceau de l’enfant s’inscrivent dans le psychisme parental de manière indélébile. « C’est une des caractéristiques d’un évènement traumatique de garder ainsi, au fil des années, une acuité que le temps ne réduit pas. La phrase est là (…) Le travail de la mémoire, qui est aussi la possibilité d’oublier, ne s’effectue pas » (Sausse, 1996, p25) Les paroles dites autour de l’enfant handicapé ont un poids particulier. Le couple P.1 a été abasourdi par la dureté des paroles vis-à-vis de leur enfant (qui souffre d’un syndrome neurologique inconnu), pour qui on posait de mauvais diagnostics, provoquant une colère et une souffrance majeure. On note un déplacement de l’agressivité sur le corps médical. « On a vu à un moment (…) un pédopsychiatre qui nous a donné des hypothèses psychiatriques, on a été tellement choqué par l’absurdité… », « (…) après avoir eu ce diagnostic absurde du CAMPS qui nous avait dit que notre fils n’avait pas investi ses jambes ! Quand j’avais entendu ça, je m’étais dit : ‘Mais on est dans un asile mental, c’est pas possible !’ » Cependant, et fort heureusement, certaines paroles sont positives, contenantes. Comme les paroles négatives, elles restent gravées dans la mémoire des parents. Nous avons ainsi souhaité dans la suite de nos entretiens, axer nos questions sur les paroles qui avaient aidé les parents au moment de l’annonce. P.1 : « Elle (un docteur) nous a aussi dit quelque chose qui nous a beaucoup marqué : ‘C’est un gamin qui par sa personnalité va attirer beaucoup, car il a du charme.’ Je me suis dit 78 qu’elle avait raison et à quel point mon fils réussissait à charmer les gens, et c’est très important comme une personne peut vous donner, pour la première fois, une vision globale de l’être humain qu’elle a en face d’elle (...) C’est pas un diagnostic réducteur (...) Je dirais qu’après tous les combats qu’on a mené, c’est très important d’entendre ça d’une professionnelle ». P.2 : « Il (un docteur à la maternité, à propos de la Trisomie 21) nous a pas dit ‘C’est rien’, il nous a dit : ‘On sait ce que c’est, on va bien baliser le truc, vous allez voir, c’est pas si terrible que ça (…) faut trouver les bons mots pour rassurer, mais lui a été très bon ». P.3 : « J’avais rencontré la pédiatre du CAMPS qui était vraiment très bien, qui m’avait remonté le moral et qui m’avait dit : ‘Elles ont un chromosome en plus, oui, mais elles ont aussi vos gênes, donc il y a votre patrimoine’, et ça, c’est hyper important… » Nous avons trouvé très intéressant, dans le discours de la mère P.4, de constater à quel point la parole d’un médecin a eu des répercussions positives dans ses interactions avec C. (sa fille), et dans la vision qu’elle a aujourd’hui de celle-ci : « Oui, c’était en Pologne, je me souviens, y’a un type qui m’a dit : ‘Bah on sait pas (quel diagnostic elle a) mais elle a une force vitale extraordinaire votre fille, c’est impressionnant ‘, ça m’a toujours aidé, car Caroline elle a une espèce de présence là (…) Et du coup, cette force vitale je la ressens très fort (…) elle est très positive, très drôle, elle a un humour et… du coup, cette force m’a toujours donné beaucoup de force (…) j’étais fière (…) Et du coup, dans l’annonce du handicap, on parle toujours de ce qui va pas, c’est peut-être dans cette transmission, de trouver des mots positifs qui vous aident ». La mère P.5 insiste sur la parole d’un professeur à la Fondation L. « Alors une parole du professeur R. qui nous a dit : ‘Il faut le rendre aimable, vous n’êtes pas éternels, il vous survivra, il faut le rendre aimable’ et en fait elle m’a ouvert une porte en me disant ça, car je me suis dit : ‘Ca veut dire que d’autres gens sont susceptibles de l’aimer’ Ca, ça m’a marquée, je m’en souviens encore…». 79 A.2. Analyse des mécanismes de défense Au cours des entretiens semi-directifs, de nombreux mécanismes de défense ont été utilisés par les parents. C’est dans la perspective d’une meilleure compréhension du vécu parental à l’annonce du diagnostic que nous avons tenté de les analyser. Nous avons relevé certains mécanismes de défense identiques au cours des différents entretiens. Le déplacement est utilisé par les parents lorsque la question de l’interviewer, à l’entretien, est centrée sur le vécu psychique du handicap. Le témoignage des parents dévient de façon progressive vers les relations difficiles entre les parents et des tiers extérieurs, tels les soignants, les professeurs, la famille… Le conflit, trop chargé en affect, est déplacé sur une tierce personne. Cela permet alors de barrer le passage aux représentations trop conflictuelles, et on relève souvent une agressivité dans les récits parentaux. Interviewer : « Cette situation a été une épreuve difficile pour vous ? » P.1 : « Oui, complètement…Et puis… ce diagnostic négatif, surtout inutile…elle n’en savait que dalle ! C’était tellement arrogant, c’était de la pseudo-science ! …S’ils ne savent pas, il faut qu’ils se taisent ! Ils nous sortent des trucs comme ca, selon leur personnalité, subjectivité, l’humeur du jour…. ! Ce sont tout sauf des sciences ! » I : « Est-ce que vous pensez que ça a eu un impact sur votre stress ? P.1 : « Oui…(…) Faut que les gens aient une attitude bienveillante ! (…) Certains nous posent des questions sur sa vie sexuelle…ils ont toutes sortes de fantasmes, en nous demandant presque si on va le castrer…! I : « Donc là, ca a été plus difficile à ce moment là ? » P.4 : « Je sais pas…(…) C’était ma famille (…) ma mère m’emmerdait (…), c’était insupportable (…), mes sœurs elles m’aidaient pas, elles comprenaient pas… » Certains mécanismes de défense se mettent en place chez les parents lorsqu’on aborde le thème du handicap, afin de protéger le Moi parental du retour du refoulé. Ils maintiennent hors de la conscience les représentations (souvenirs, sentiments…) trop menaçantes pour le Moi. Nous avons ainsi repéré de nombreuses utilisations de l’intellectualisation, la rationalisation, l’annulation et le déni. 80 P.4 : « J’ai besoin de comprendre la différence entre le mental et ce qu’elle a, où finalement à l’âge adulte, je pense que ça va se… », « Je savais qu’elle allait être handicapée (…), alors j’essayais d’aller partout pour comprendre comment ça fonctionnait… ». La mère P.5 utilise l’intellectualisation dans son récit : « Où en est la recherche ? Comment ça va se passer ? Est-ce qu’il y a des médicaments qui pourraient être en test ? Et ces médocs agissent sur quoi ? ». On note aussi l’isolation d’affect dans son témoignage : « (…) rien n’est joué, attendons quoi. Et puis la recherche avance, donc parfait. Mon mari est juriste dans le droit de la santé, il bosse avec tous les essais cliniques etc des médocs donc voilà…il connait, il sait, voila, stade deux : on a encore pour huit ans (…) ». On relève chez P.4 des annulations dans son témoignage : « c’est là que je me suis rendue compte que ma fille était plus handicapée en fait…c’est là où je me suis posée la question…je…je…ces années là étaient des années épouvantables en fait… », « je dois dire que…puis ça a été fait brutalement. » P.5 : « J’étais encore…bah elle a répondu à la question ». P.3 utilise également l’humour comme une défense. « Même si c’est pas forcément physique (rires)…Mais ca revient quand même…c’est nos filles hein ! (rires) C’est nos marques de fabrique quand même ! Chez le père P.1, l’annulation est également présente lorsqu’on aborde le vécu face au handicap de son fils. « C’était vraiment dur…mais c’était pas non plus la fin du monde parce qu’il était adorable et il riait tellement… » L’intellectualisation, avec recours au cognitif est utilisée par les parents dans une tentative de réassurance, afin de montrer qu’ils ont un certain contrôle sur le handicap de leur enfant. Ce mécanisme de défense permet également de tenir à distance les affects P.2 : « Quand on va dans une librairie et qu’on achète dix bouquins sur la trisomie, c’est quand même vachement rassurant, parce qu’on peut les lire le soir, parce qu’on a plein de réponses, donc c’est (…) rassurant de savoir qu’il existe des ouvrages, des communautés, des associations, qu’il existe déjà tout plein de choses sur mises en place autour de la trisomie 21 ». P.1 : « Donc on a fait des recherches comme ça… » 81 Après l’annonce du handicap, les parents ont de grandes difficultés à accepter le handicap de leur enfant, la déficience mentale entraînant de fortes angoisses. La mère P.3 utilise l’évitement afin de se sortir de cette angoisse suscitée par la déficience mentale de ses jumelles trisomiques. « Puis après je sais plus si c’est à ce moment-là, je ne suis pas allée sur internet regarder et m’informer sur la trisomie 21 et tout ce que ça implique, mais on m’a passé un bouquin et en fait je suis tombée sur la mauvaise page genre : ‘déficit mental’ ou je ne sais pas quoi, donc je l’ai fermé et j’ai dit : ‘Allez c’est bon, on verra bien !’ Mais je sais que, que ce soit mon mari ou moi-même, on n’était pas du genre à vouloir chercher dans les bouquins, de toute façon, ça sert à rien… » De même, après l’annonce du handicap, les parents abordent les thèmes relatifs à l’éducation de l’enfant et aux représentations qu’a la société du handicap. Ces thèmes laissent percevoir une blessure narcissique chez les parents causée par cet enfant qui ne peut répondre à leurs désirs et à leurs attentes. De plus, l’intégration du handicap doit se faire par l’acceptation du regard des autres sur la différence. La mère P.4 et le père P.1 utilisent le déplacement du conflit, en rendant l’extérieur responsable de l’inaptitude de l’enfant à combler ses attentes. P.1 : « Notre stress est beaucoup lié (…) au souhait que la société lui donne sa chance, quelle place il va trouver dans la vie ? Mon fils a besoin de vivre des expériences plus responsabilisantes mais a encore besoin d’un encadrement scolaire pendant trois ou quatre ans. Je veux pas qu’on me dise : ‘Maintenant votre fils il a dix-huit ans donc c’est fini les aides !’ J’ai envie de répondre que mon fils est comme un gamin de dix ans (…) il faut lui laisser les moyens et le temps d’apprendre. (…) Moi je veux qu’il ait le temps de devenir la personne qu’il peut devenir. (…) Faut que les gens aient une attitude bienveillante… ». Chez la mère P.4, on note que cette intégration du handicap mental de sa fille est une épreuve d’autant plus douloureuse qu’elle a elle-même un frère porteur d’un handicap mental. Ainsi, nous avons relevé qu’elle a recours à plusieurs reprises à la projection, avec un évitement du conflit. « (…) elle était forcément mise de coté avec les bébés, puisqu’elle marchait pas (…) mais au bout d’un moment heu… vous voyez ce que je veux dire ! » 82 Ici, la mère se rend compte qu’elle projette ses propres angoisses de sœur : « (…) honnêtement, je pense que c’est moi qui supportait mal ce regard des gens (…), ça me renvoyait des choses…ça me donnait le bourdon. Je voyais ma vie de sœur, et de ma mère… » Pourtant, d’autres projections dans le récit apparaissent au fur et à mesure de l’entretien chez cette mère, toujours par rapport à l’acceptation du regard d’autrui. On se rend aisément compte que c’est elle et non forcément sa fille qui a du mal à accepter le regard extérieur. « (…) parce que je trouve qu’elle a un peu de mal avec le regard, avec heu….Donc je travaille tout ça avec elle ». « Oui et c’est vrai que les autres la regardent pas toujours heu... (soupir) mais bon (…) ». Nous avons relevé que la mère P.5 utilisait l’identification projective pour manifester cette blessure narcissique. « Elle (la grand-mère maternelle) a pleuré dans son coin, ça lui importait beaucoup que V. réussisse comme les autres…elle en souffre… » Chez la mère P.3, on relève une certaine désillusion de l’enfant idéal. Elle manifeste sa douleur de manière explicite. « On s’attend à deux jumelles parfaites et là…On avait construit plein de projets ensemble avec mon mari, tout ce qu’on avait imaginé, tout ça s’effondre… ». La mère P.5 compense cette blessure narcissique provoquée par l’enfant réel par l’idéalisation de la fratrie à plusieurs reprises. « (…) qu’ils (les frères) soient parfaits à l’école, qu’ils aient de supers bonnes notes car ils en sont capables (…) et pour V. (…) on se dit pas qu’il fera Polytechnique, des portes qui nous sont ouvertes pour les aînés (…) » L’identification à ses jumelles trisomiques est un processus très douloureux pour la mère P.3. Lorsqu’on amorce ce thème, elle a recours à l’évitement du conflit, la blessure narcissique étant trop forte. Elle préfère ainsi évoquer les sentiments de son mari, plutôt que les siens. « Mon mari par contre c’est vraiment différent… je pense qu’il était dans le déni… il a beaucoup de mal à accepter ses filles…mais même moi, j’accepte pas non plus à cent pour cent hein…mais lui je pense qu’il acceptera jamais… » 83 B. Discussion des résultats B.1. Interprétation des résultats A travers les entretiens de recherche que nous avons réalisés, les parents ont abordé de nombreuses problématiques qui vont nous permettre d’infirmer ou de confirmer les hypothèses de la recherche. Nous allons ainsi confronter chaque hypothèse de travail aux résultats de notre étude. Notre première hypothèse de travail était la suivante : « La qualité de l’annonce du handicap est un facteur essentiel : le vécu subjectif des parents est différent selon si l’annonce est claire ou floue ». Au travers de ces entretiens, nous nous sommes rendus compte que la qualité de l’annonce avait un poids essentiel dans le vécu subjectif des parents. L’annonce du handicap de l’enfant, donnée dans un cadre clair, (par exemple dans un bureau), aux deux parents simultanément, semble avoir des effets positifs sur le vécu parental et sur le couple conjugal. A l’inverse, nous avons pu relever les répercussions négatives qu’une annonce donnée aux parents séparément a pu engendrer sur le couple, ainsi que sur la vie de famille. On peut penser que l’intégration du handicap de l’enfant se fait de façon plus difficile lorsque les parents apprennent le diagnostic séparément. La souffrance est trop lourde à porter pour un parent seul. Sausse mentionnait en effet que l’annonce devrait se faire en présence des deux parents. C’est leur donner des chances plus favorables pour supporter et affronter le choc. Il y a ainsi un partage de la souffrance et de la culpabilité. Ce cadre inscrit leur parentalité si dure à accepter, dès les premières paroles. Il faut s’adresser à eux en tant que couple parental. Expliquer le handicap de l’enfant au père ou à la mère séparément introduit une sorte de clivage. Bien qu’il n’y ait jamais de bons mots pour annoncer le handicap d’un enfant à ses parents, les soignants réagissent, face à cet évènement soudain, avec leur spontanéité et peuvent utiliser la fuite et l’évitement comme moyen de défense contre les émotions que ce bébé suscite en eux. Mais l’incertitude, le doute qu’on laisse planer dans l’annonce est vécu 84 de façon très douloureuse chez les parents. Les médecins ne répondent pas aux angoisses et aux inquiétudes des parents. Au contraire, il semble que la certitude, la clarté, la franchise de l’annonce des médecins a des répercussions positives sur l’équilibre parental, sur la confiance accordée aux professionnels dans la future prise en charge de l’enfant et sur l’acceptation progressive du handicap. De plus, une annonce claire permet de reconnaître les parents comme des adultes, comme des partenaires dignes de ce nom. Leur parler avec franchise, (y compris leur dire clairement qu’on ne sait pas ce qu’a l’enfant) c’est faire appel à leurs ressources, à leurs forces. C’est les traiter d’égal à égal, en adultes responsables et en qui on peut avoir confiance. C’est pour les médecins quitter une position distante et « rencontrer » réellement ces parents, afin de partager avec eux les connaissances, mais aussi leurs doutes ou leurs limites. Nous avons également soulevé l’importance de la première rencontre entre le bébé et sa mère, avant que l’annonce soit faite aux parents. Le bébé naît ainsi en tant qu’enfant et non en tant que handicap. Toutes les paroles dites autour de l’enfant handicapé à la naissance ont un impact majeur sur les parents. Elles resteront gravées dans le psychisme parental. C’est une réassurance que les parents recherchent de la part des soignants et des professionnels. Nous avons pu souligner dans cette étude l’importance des répercussions de leurs paroles, qui conditionnent les futures interactions parent-enfant. La seconde hypothèse de recherche : « Au travers de l’annonce, les répercussions psychologiques sur le parent ne sont pas les mêmes selon si le diagnostic annoncé de l’enfant est précis, d’étiologie connue, ou imprécis, d’étiologie inconnue ». Plus précisément, à la suite de nos résultats, nous avons également relevé à quel point le vécu subjectif des parents était différent selon l’annonce d’un diagnostic précis (dans cette étude, la trisomie 21) ou inconnu (dans le cadre de cette recherche, nous avons interrogés des parents d’enfants ayant un syndrome neurologique d’origine inconnue, associé à des difficultés d’apprentissage et un retard de développement). Un diagnostic inconnu, dans notre société actuelle, engendre un stress supplémentaire chez les parents : du fait de l’incertitude du diagnostic, ils vivent un sentiment de rejet et d’exclusion de la part des professionnels, qui, souvent, refusent de prendre en charge ces 85 enfants, que la société catégorisent et « étiquettent » de plus en plus. Ses parents peuvent exprimer un sentiment de colère, mais surtout ressentir un isolement intense. S’ajoute alors un frein supplémentaire à l’acceptation de ce handicap angoissant, sur lequel les parents n’arrivent pas à mettre de mots. La relation d’attachement peut ainsi prendre plus de temps à se créer entre le parent et l’enfant. Cependant, le fait que l’étiologie du handicap reste pour un temps inconnue semble permettre à certains parents de prendre le temps de s’approprier et d’intégrer l’idée même du handicap. Majoritairement, le diagnostic précis de trisomie 21 semble être un facteur positif dans l’intégration du handicap. Certaines inquiétudes et angoisses des parents sont apaisées du fait de la facilité avec laquelle ils peuvent recevoir de l’information concernant ce diagnostic (médias, recherches scientifiques...). Ces parents ont alors souvent recours à l’intellectualisation. Le besoin de réassurance majeur des parents à la naissance de leur enfant est souvent comblé par d’autres familles vivant la même expérience et par les nombreux professionnels spécialisés dans cette maladie génétique. Ainsi, un diagnostic connu peut permettre aux parents de se reposer sur des professionnels compétents, des associations, d’autres familles partageant la même expérience… Les parents que l’on a interrogés ont d’une manière générale apprécié la précision du diagnostic (trisomie 21). « (…) un handicap reconnu est habituellement mieux accepté qu’un handicap sans étiologie décelable. Lorsque le diagnostic est précis, la famille subit un choc violent à l’annonce du handicap. Mais elle sait à quoi elle doit faire face. L’incertitude nourrit l’ambivalence ; elle freine l’acceptation de la réalité. » (Sausse, 1996, p109) En effet, un diagnostic sans étiologie précise « (…) a pour effet de les destituer de leur rôle parental et d’introduire une rupture intolérable du lien de filiation qui les unit à cet enfant. » (Sausse, 1996, p109) Comme elle le souligne, « l’incertitude (…) laisse la porte ouverte aux fantasmes concernant une faute imaginaire. » (Sausse, 1996, p109) Quand il n’y a pas de diagnostic, la responsabilité revient en quelque sorte aux parents. La troisième hypothèse de travail : « Le handicap suscite une blessure narcissique extrême chez le parent qui avait investi narcissiquement l’enfant durant la période de la grossesse (toutes les annonces étant post-natales) ». 86 Comme nous l’expliquions dans la revue de littérature, l’amour des parents s’illustre par un déplacement du narcissisme sur l’enfant. Les parents reportent alors toutes leurs attentes et leurs désirs sur celui-ci. Face à l’incapacité de l’enfant handicapé à satisfaire leurs attentes, un conflit psychique naît de cette prise de conscience. L’image que renvoie l’enfant est source d’une grande souffrance et d’une désillusion chez ses parents, qui se rendent compte que l’enfant ne sera pas à la hauteur de leurs désirs. Cette image d’enfant anormal entrave le processus de deuil de l’enfant idéal, provoquant chez les parents une blessure narcissique extrême. Chez certains parents, le travail d’intégration des troubles de l’enfant est ainsi freiné. On observe alors que ces parents utilisent le mécanisme de l’évitement lorsqu’ils évoquent les troubles de l’enfant. Nous avons également relevé que cette attaque narcissique, chez certains parents, engendrait un déplacement du conflit sur l’entourage extérieur : la famille, les professionnels etc. deviennent coupables des incapacités de l’enfant à répondre aux attentes parentales. La colère vis-à-vis de l’entourage vient masquer la déception, voir l’agressivité à l’égard de cet enfant qui les fait souffrir. La quatrième hypothèse de travail : « Les parents adoptent des stratégies de coping différentes pour faire face à l’angoisse suscitée par cette annonce du handicap ». Grace aux résultats, nous avons pu relever que les parents adoptaient plusieurs stratégies afin de se protéger contre l’angoisse qui les avait envahis, face à l’annonce du handicap de leur enfant. Certains parents, en fonction de leur personnalité, ont choisi d’avoir une attitude combative face aux difficultés que rencontrent les parents dans la prise en charge de l’enfant. C’est un processus qui leur permet de garder espoir et de ne pas sombrer dans la souffrance et l’isolement total par rapport au monde extérieur. Chez d’autres parents, on remarque un essoufflement face aux difficultés qu’endure la famille. Ils tentent avec le temps d’intégrer au mieux le handicap de l’enfant. Mais nous avons également remarqué que cette intégration peut être une forme de déni chez certains parents, qui expliquent vouloir « vivre au jour le jour ». Dans une perspective de réassurance, le besoin de comparaison à d’autres enfants (plus atteints par exemple) est également très important pour les parents. Ils ont également 87 tendance à se reposer sur le hasard pour toutes les épreuves rencontrées. Ils s’appuient ainsi sur des forces extérieures. La cinquième hypothèse de recherche : « Le traumatisme suscité par l’annonce du handicap de l’enfant remet en cause la fonction parentale et entravent l’expérience et la pratique de leur parentalité ». Au travers de l’exercice de leur parentalité, qui correspond à l’autorité parentale, nous avons observé dans les résultats que, même si certains parents essaient d’harmoniser leur éducation vis-à-vis de la fratrie, d’autres se remettent en question sur les comportements à adopter vis-à-vis de leur enfant. En effet, certains parents se voient être plus patients et plus permissifs, considérant que l’enfant est plus fragile et plus vulnérable à cause de son handicap mental. Ils assouplissent ainsi leur mode éducatif. Concernant la pratique de la parentalité, qui sont tous les soins parentaux procurés à l’enfant, on constate à nouveau une remise en question pour certains parents par rapport à l’attitude à avoir envers lui. Du fait de la fragilité sur le plan physique de certains enfants, ou pour que les parents obtiennent un diagnostic du handicap (lorsque celui-ci n’est pas décelé à la naissance), les enfants subissent des examens médicaux et des opérations souvent lourdes, qui culpabilisent beaucoup les parents. D’autre part, en raison du handicap mental de l’enfant, les interactions affectives (qui désignent la communication affective entre la mère et son enfant) et comportementales (les échanges corporels entre le parent et l’enfant) ne répondent pas aux attentes de certains parents, ce qui renforce les difficultés d’identification à celui-ci et parfois le rejet de l’enfant. L’expérience subjective du vécu parental est donc paralysée par leurs incertitudes vis-à-vis de l’attitude à avoir envers leur enfant. Certains parents doutent ainsi de leurs capacités à être de bons parents. Ainsi, la confrontation de chacune de nos hypothèses cliniques avec les résultats de notre étude nous permet de valider notre hypothèse principale : « L’annonce du handicap de l’enfant impacte de façon significative les processus de parentalité. Plus particulièrement, les modalités de l’annonce du diagnostic bouleversent le parent, impliquant des répercussions psychologiques chez ce dernier ». 88 L’impact psychologique de l’annonce du handicap se repère chez les parents dans plusieurs domaines. Les modalités de l’annonce, dont l’expérience est très différente selon les parents, ont des répercussions majeures sur le vécu parental. Il est important de rappeler que le cadre de l’annonce est un facteur primordial pour une meilleure intégration du handicap par le parent. Un cadre clair, en présence d’un médecin qui peut accompagner les parents sur le long-terme et qui annonce le diagnostic de l’enfant aux deux parents simultanément, a un effet positif sur le vécu parental et sur le couple. Notre recherche a en effet montré qu’une annonce du handicap faite à deux conjoints séparément avait des répercussions négatives significatives sur la dynamique conjugale, notamment pour les pères, dont la société écoute parfois moins la souffrance. Nous avons pu constater à quel point le vécu des parents était différent selon une annonce claire, ou une annonce floue laissant planer une incertitude quant au diagnostic de l’enfant. Même s’il n’y a jamais de mots justes pour annoncer le handicap d’un enfant à ses parents, l’attitude et les mots du soignant ont une importance cruciale pour l’équilibre psychique parental ; les parents n’oublieront jamais la façon dont on leur a annoncé le diagnostic de leur enfant. L’incertitude, le doute laissé par les soignants est vécu de manière très douloureuse chez les parents, dont les angoisses et le stress ne sont pas validés. Comme nous l’expliquions dans la partie théorique, ces comportements sont une sorte d’évitement de la souffrance d’autrui. A l’inverse, pour d’autres parents, la certitude, la franchise de la réponse s’est révélée être une énergie dynamisante pour l’acceptation du handicap de l’enfant et ainsi pour des interactions parent-enfant répondant plus à leurs attentes. Les parents sont ainsi pris en compte, responsabilisés dans leur rôle de parent. Ce qui a été très intéressant à travers nos entretiens, c’est que nous nous sommes rendus compte qu’il y avait des annonces floues de diagnostics précis, d’étiologie connue et dans le cas des parents P.1, une annonce claire d’un diagnostic encore imprécis. Dans ce dernier cas, même si l’incertitude du diagnostic était très culpabilisante pour ces parents, une neuropédiatre leur a donné une première piste sur le diagnostic de leur enfant, et a surtout cherché à établir un lien de confiance avec ces deux parents, leur parler d’égal à égal, avec franchise, dans un cadre clair et contenant. Cette rencontre les a beaucoup aidés dans l’acceptation du handicap, même encore imprécis, de leur fils. A l’inverse, d’autres 89 parents (le deuxième couple interrogé) ont très mal vécu l’annonce qui leur a été faite. Malgré le fait que le diagnostic était précis (trisomie 21), le médecin, voulant se débarrasser des émotions trop douloureuses que cet enfant handicapé suscitait en lui, a choisi de fuir la situation, laissait planer le doute autour du handicap de leur fille. L’annonce, qui constitue déjà en elle-même, un évènement traumatisant, a été d’autant plus traumatique du fait du cadre inapproprié (une annonce « entre deux portes », évitement du médecin qui n’a pas su annoncer clairement que leur fille était trisomique). Rappelons également le cas d’une des mères dont l’annonce lui a été faite seule, qui souligne, des années plus tard, les répercussions positives qu’une annonce faite aux deux parents simultanément auraient produites sur la dynamique conjugale. D’après nos résultats, une annonce claire d’un diagnostic imprécis ne serait-elle pas préférable à une annonce, même d’un diagnostic d’étiologie connue, faite de manière floue ? Ainsi une annonce claire transmise aux parents, d’un diagnostic précis, aura-t-elle des effets positifs sur l’appropriation du handicap de l’enfant et sur une meilleure accession à leur parentalité. B.2. Limites de la recherche Selon nous, la première difficulté à laquelle nous nous sommes heurtés est la petite taille de notre échantillon de parents d’enfant handicapés. Ainsi, on ne peut pas généraliser les résultats à l’ensemble de cette population. De même, il est difficile de tirer des conclusions à partir d’entretiens qui ont été très chargés en émotions et qui faisaient appel à la subjectivité de chaque parent. Ainsi, leur propre histoire, les évènements antérieurs jouent un rôle déterminant dans la réaction de chaque parent face à l’annonce du handicap (le tempérament de chacun, d’autres membres de la famille sont porteurs d’un handicap etc.). Il est ainsi difficile de généraliser les résultats de l’étude. Ce projet de recherche a une dimension clinique, il amène des pistes de réflexion concernant les répercussions des modalités de l’annonce sur le psychisme parental, domaine qui a encore peu été étudié. 90 De plus, il y a eu des inégalités dans l’échantillon de parents interrogés, qui n’était donc pas homogène. La répartition entre les hommes et les femmes n’était pas la même, (nous n’avons rencontrés qu’un homme sur les cinq entretiens de parents) et la répartition des couples et des parents divorcés était également hétérogène. Il aurait été intéressant de pouvoir prendre ces critères en compte. Cependant, dû à des entretiens chargés en affects et qui nécessitait un retour sur un évènement qui a pu être traumatique pour certains parents, nous n’avons interrogés que les parents qui consentaient à participer au projet de recherche. Nous avons rencontré une autre limite : dans cette étude, il n’a pas toujours été facile de différencier le vécu et la souffrance émanant du handicap de l’enfant en lui-même, et celle provenant de l’annonce du handicap. En effet, il est vrai par exemple que l’imprécision du diagnostic entraîne le flou de l’annonce… Dans cette étude, il a été difficile de faire la part des choses et différencier le vécu psychique du parent face à l’annonce, et ses conséquences, et le ressenti par rapport au handicap en lui-même et ses conséquences. B.3. Ouvertures de la recherche Au fur et à mesure des entretiens cliniques et de la rédaction de notre mémoire de recherche, un certain nombre de questionnements, en lien ou non avec notre problématique nous sont venus à l’esprit. Bien que nous ayons rencontré peu de pères lors de nos entretiens, les mères ont beaucoup témoigné du vécu de leurs conjoints lors de l’annonce du handicap et des répercussions dans les interactions avec l’enfant. Comme le disait Sausse, la souffrance des pères n’est pas assez écoutée dans notre société. En effet, « la vulnérabilité masculine bouleverse l’image conventionnelle, mais profonde, de la virilité ». (Sausse, 1996, p53) Elle écrivait que comme le handicap renvoyait à une image de castration, les pères pouvaient être d’autant plus blessés dans leur propre narcissisme, puisqu’ils étaient touchés dans leur intégrité masculine, leur virilité. 91 Du fait du peu d’études réalisées sur le sujet de la souffrance des pères à l’annonce du handicap et de l’intensité des témoignages des mères, nous aurions trouvé particulièrement intéressant d’étudier cette question. De même, nous avons relevé au cours des entretiens avec les parents que le rang de l’enfant handicapé dans la fratrie était un facteur très important pour une meilleure acceptation du handicap. En effet, nous pensons que la blessure narcissique est encore plus intense lorsque l’enfant handicapé est l’aîné que lorsqu’il est le puîné. Lorsqu’il est l’aîné, il existe une forte pression inconsciente exercée sur la fratrie ainsi qu’une ambivalence vis-àvis d’elle : la fratrie ne peut pas se permettre de ne pas réussir, au risque d’une déception intense de la part des parents. Mais pourtant, dépasser cet enfant n’est pas possible. Nous avons pensé prendre en compte cette dimension, mais elle s’est révélée être trop lourde pour ce projet et avons préférer nous axer sur les répercussions de l’annonce du handicap sur le vécu parental. 92 CONCLUSION Nous avons tenté, tout au long de l’étude, d’analyser le ressenti psychique du parent face à l’annonce du handicap de l’enfant et les répercussions psychologiques qu’elle a entrainée, conditionnant ainsi l’acceptation du handicap de l’enfant, leurs interactions avec celui-ci au quotidien et de ce fait, leur parentalité. Ainsi la qualité de l’annonce (donc ses différentes modalités) a-t-elle un impact significatif sur la façon dont les parents vont intégrer et s’approprier le handicap de leur enfant : le cadre au sein duquel les médecins des services de néonatologie annoncent le diagnostic de l’enfant, leur attitude, leur spontanéité, leur franchise, les paroles utilisées qui resteront gravées dans le psychisme parental, leur choix de s’adresser à un seul des parents ou au contraire au couple. Un cadre clair, en présence d’un médecin qui peut accompagner les parents sur le longterme et annoncer le diagnostic de l’enfant aux deux parents simultanément, a un effet positif sur le vécu parental et la dynamique conjugale. La franchise et la clarté de l’annonce est une énergie dynamisante pour l’appropriation du handicap et, inéluctablement, pour des interactions avec l’enfant de meilleure qualité. Une relation de confiance mutuelle s’instaure entre le parent et le professionnel. A l’inverse, l’incertitude, l’évitement utilisé par les médecins, dont l’annonce du handicap est trop insupportable, est un traumatisme supplémentaire pour certains parents, dont les angoisses ne sont pas validées, et qui alimente leur culpabilité. L’accession à la parentalité est freinée par cette attitude, qui est un évitement de la souffrance parentale. De surcroît, lorsque le diagnostic annoncé est imprécis, il peut y avoir un rejet de la part de certains professionnels concernant la prise en charge de l’enfant, qui augmente les difficultés d’identification à l’enfant. Les modalités de l’annonce du handicap et leur impact sur le vécu psychique des parents vont déterminer l’accession aux processus de parentalité. Certains parents se remettent alors en question à propos du comportement à adopter vis-à-vis de leur enfant. De même, lorsque les parents sont à la recherche à tout prix d’un diagnostic précis et que cela nécessite des examens médicaux intensifs pour l’enfant, on constate une remise en 93 question de leur part quant à l’attitude à adopter, car les parents se sentent très coupables. Ainsi remettent-ils en cause l’exercice et la pratique de leur parentalité. Pour tenter d’exercer leur parentalité dans les meilleures conditions, les parents mettent en place des mécanismes de défense et des stratégies de coping. La plupart des parents ont une attitude combative face aux difficultés qu’ils rencontrent dans la prise en charge de l’enfant, chez d’autres on note un essoufflement face aux difficultés, ils tentent d’intégrer le handicap de l’enfant avec le temps. Ainsi, les modalités de l’annonce selon lesquelles le diagnostic est communiqué aux parents jouent un rôle crucial dans la façon dont les parents vont assumer cet évènement douloureux. C’est un moment primordial qui gardera toute son acuité dans le psychisme parental et dont on peut percevoir les effets, parfois cachés, bien longtemps après. Ce projet de recherche a été passionnant à traiter car il a permis d’apporter un éclairage des répercussions de l’annonce du handicap sur la parentalité et de faire naître d’autres interrogations. Ce mémoire amène progressivement de nouvelles perspectives de recherche, concernant la formation et l’accompagnement des équipes de néonatologie. 94 BIBLIOGRAPHIE • Abidin, R., Au cœur des familles, site informatique. • Angel, S. (1996). Des frères et des sœurs . Les liens complexes de la fraternité. Paris : Editions Laffont. • Barbot, F. de., & Terrier, F. (1989). L’annonce du handicap d’un enfant à ses parents. Journal de pédiatrie et de puériculture, n°4, 210-215. • Bigras, M., Lafrenière, P.J., & Abidin, R.R., (1996). Indice de stress parental : Manuel francophone en complément de l’édition américaine. 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Ainsi, l’hypothèse principale de notre étude est la suivante : « L’annonce du handicap de l’enfant impacte de façon significative les processus de parentalité. Plus particulièrement, les modalités de l’annonce du diagnostic bouleversent le parent, entraînant des répercussions psychologiques chez ce dernier ». Méthodologie, population, instruments, déroulement : Notre population est constituée de six individus (cinq femmes, un homme), dont un couple. Trois sujets sont parents d’un enfant ayant un diagnostic imprécis, d’étiologie inconnue ; les trois autres sont parents d’un enfant ayant un diagnostic d’étiologie connue : la trisomie 21. Toutes les annonces de diagnostic sont post-natales. Nous avons choisi d’analyser l’impact de l’annonce du handicap sur le vécu psychique parental grâce à des entretiens semi-directifs, à domicile, dans une pièce au calme, enregistrés sur une bande-son. Afin de pouvoir discuter nos hypothèses, nous avions au préalable constitué un guide d’entretien, et avons respecté l’anonymat des sujets. Nous leur avons précisé la destruction des données à la fin de l’étude. Résultats : Les modalités de l’annonce ont des répercussions majeures sur le vécu psychique des parents. Nous avons constaté à quel point le vécu parental était différent selon une annonce claire, ou une annonce floue de la part des médecins, laissant planer une incertitude quant au handicap de l’enfant. Cette incertitude est vécue par les parents de façon douloureuse, leurs angoisses ne sont pas validées. Pour d’autres parents, la certitude, la franchise de l’annonce s’est révélée être une énergie dynamisante pour l’acceptation du handicap de l’enfant et a ainsi eu un impact positif sur les interactions parent-enfant. Les parents se sentent responsabilisés dans leur rôle de parent. Notre recherche a également montré qu’une annonce du handicap faite à deux conjoints séparément avait des répercussions négatives sur la dynamique conjugale. Conclusion : Le cadre dans lequel se fait l’annonce, l’attitude et les mots du soignant ont une importance cruciale pour l’équilibre psychique des parents et va jouer un rôle important dans l’intégration du handicap de l’enfant. 99