Lara Croft ou Barbie : le jeu vidéo au féminin

Transcription

Lara Croft ou Barbie : le jeu vidéo au féminin
Yves Van Gheem
Lara Croft ou Barbie :
le jeu vidéo au féminin
Petite réflexion sur
la place des femmes
dans l’univers vidéoludique
2
2
Avertissement
Ce travail se base sur une bibliographie qui n’est pas uniquement en
français. Certains document consultés sont en anglais, d’autres sont en
néerlandais. L’auteur du travail s’est permis de proposer lui-même un
certain nombre de ces traductions étant donné qu’il travaille couramment
dans les trois langues. L’origine de la traduction est chaque fois signalée.
Lara Croft, Barbie et la plupart des noms de jeu cités, des héros et
héroïnes cités sont des marques déposées propriétés de leur maison
d’édition.
2
3
4
2
Introduction
D’après une étude commandée par Zylom, société de jeux en ligne et
effectuée par Redshift, « 75 % des femmes jouent aux jeux vidéo, et elles le
font plus longtemps que leurs homologues masculins. Elles ont des
motivations et des usages différents. »1
Il semblerait également que 75 % des femmes françaises jouent des jeux
vidéo dont un quart joueraient de 1 à 3 heures par semaine et 47 %
joueraient en ligne sur l’Internet.
Au départ de la réflexion que je livre ici, mon expérience
professionnelle : formateur en informatique, je me suis toujours demandé
pourquoi la population qui suivait les cours était à majorité féminine pour
les cours informatique de base (utilisation des traitements de textes et des
tableurs) et la proportion s’inversait très nettement dès que les cours
touchaient des aspects plus « techniques » de l’informatique (langages de
scripts, conception de bases de données, aspects techniques – par
opposition aux aspects design – de la création de sites web et
programmation).
Cette observation fut maintes fois confirmée. Spécialement lorsque ma
trajectoire professionnelle me conduisit à donner cours dans une école
préparant notamment aux métiers du jeu vidéo, je me trouvai avec des
classes d’une trentaine d’étudiants avec seulement 2 à 3 jeunes filles par
cours.
Plusieurs études cherchent à comprendre le phénomène mais elles sont
partielles et rares en langue française. Lors de la préparation d’un travail en
1
2
En France les femmes jouent plus au jeux vidéo que les hommes !, études de la société Zylom, 2007.
5
sociologie, je me suis donc mis en quête d’une réponse, d’un début
d’explication. J’ai été rapidement aiguillé vers l’ouvrage de Isabelle
COLLET, « L’informatique a-t-elle un sexe ? »2. Cette étude essaye de
décrypter les représentations de l’informaticien dans la société. Un petit
chapitre, p.59, a retenu mon attention comme un point d’entrée dans cette
vaste question : le jeu. Le jeu informatique a-t-il une influence sur l’intérêt
pour l’informatique voire facilite-t-il l’entrée dans le monde de
l’informatique ? Le jeu informatique (jeu vidéo) a-t-il un sexe, pour
paraphraser le titre de l’ouvrage ? C’est donc par cet aspect-là que je
souhaiterais aujourd’hui alimenter quelque peu le débat.
Nous allons d’abord définir de quoi nous parlons : qu’est-ce qu’un jeu
et plus spécifiquement, qu’est-ce qu’un jeu vidéo ? Il faudra ensuite tenter
d’organiser un peu le champ de travail, le monde des jeux vidéo. Plusieurs
typologies vont être abordées pour cet exercice.
Nous allons ensuite nous intéresser aux joueurs et aux joueuses : qui
sont-ils ? Qui sont-elles ? À quoi jouent-ils ? Et puis, surtout, pourquoi
joue-t-on ? Et là, nous ferons un petit tour des théories de la motivation des
joueurs et des joueuses.
Enfin, nous allons jeter un regard sur les jeux vidéo en eux-mêmes :
quelle place est réservée aux personnages féminins ? Comment les jeux ontils évolué par rapport à cette question du genre ? Quelle place l’industrie du
jeu vidéo laisse-t-elle aux femmes ?
Nous terminerons par une petite analyse d’une enquête que nous avons
exécutée en 2008. Même si les données datent un peu, certains
enseignements sont encore utiles.
– Janvier 2014
2
COLLET Isabelle, L'informatique a-t-elle un sexe ?, L'Harmattan, 2006.
6
2
2
Qu’est-ce qu’un jeu vidéo ?
Nous allons avant tout tenter de définir et d’organiser quelque
peu l’univers du jeu vidéo. D’abord, il nous faudra nous mettre
d’accord sur une définition du jeu en général et du jeu vidéo en
particulier.
Dans une seconde étape, nous allons baliser cet univers en
observant d’abord les différentes classifications possibles et en
nous arrêtant sur celle qui nous semble la plus pertinente et que
nous complèterons.
2
7
8
2
2.1
Définition du jeu
Tous les jeux, y compris ceux qui paraissent les plus simples,
recèlent d’antiques sagesses.
(Bernard Werber, Extrait de La Révolution des Fourmis)
Tout le monde a déjà joué. C’est une activité intuitive : le petit enfant
commence très tôt à jouer, il ne faut pas apprendre aux enfants à jouer. Il
semble que ce type d’activité soit innée (et on pourrait même dire que cette
activité n’est pas propre à l’homme puisque certains animaux,
essentiellement des mammifères, jouent). Mais qu’est-ce que jouer, qu’estce que le jeu, cette activité qui semble tellement évidente ? Généralement,
vous saurez dire quand vous jouez et quand vous ne jouez pas… Pourtant
définir le jeu n’est pas évident.
Avant d’aller plus avant dans un travail qui parle du jeu, il est donc
important de poser une première définition de ce qu’est un jeu sans pour
autant, l’adopter de manière définitive.
Le Petit Robert (édition 1990) définit le jeu comme suit : « Activité
physique ou mentale purement gratuite, qui n’a, dans la conscience de celui
qui s’y livre, d’autre but que le plaisir qu’elle procure » et encore « cette
activité organisée par un système de règles définissant un succès et un
échec, un gain et une perte ». Retenons déjà quelques mots importants de
cette première définition : activité, gratuit, conscience, but, plaisir, règles,
succès/échec, gain/perte.
2
9
Johan Huizinga définit le jeu comme une « action ou activité
volontaire, accomplie dans certaines limites fixées de temps et de lieu,
suivant une règle librement consentie mais complètement impérieuse et
pourvue d’une fin en soi accompagnée d’un sentiment de tension et de joie
et d’une conscience d’être autrement que dans la vie courante. »3 Dans cette
deuxième définition, nous retrouvons déjà des idées proches de la
première : activité/action, volontaire, limites (de temps et de lieu),
conscience, tension/joie.
Roger Caillois dans Les jeux et les hommes4, repart de cette définition
de Huizinga pour essayer d’en faire un classement universel. Il voit dans le
jeu une activité :
• Libre : le joueur ne peut y être contraint sous peine de voir
disparaître la nature divertissante, attirante et joyeuse du jeu ;
• Séparée : limitée dans le temps et l’espace ;
• Incertaine : dont le déroulement ou le résultat ne pourraient être
déterminés, une nécessité d’invention est laissée au joueur ;
• Improductive : ne créant ni biens, ni richesses, ni élément nouveau et
aboutissant à une situation identique à celle du début de la partie ;
• Réglée : soumise à des conventions qui suspendent les lois ordinaires
en instaurant une législation nouvelle qui, seule, compte ; Cet aspect peut
être compensé par la règle du « comme si » dans les jeux de fiction ; le jeu
est réglé ou fictif ;
• Fictive : accompagnée de réalité seconde ou de franche irréalité par
rapport à la vie courante.
Dans « Rules of Play », Katie Salen et Eric Zimmerman définissent le
jeu comme « un système au sein duquel les joueurs font face à un conflit
artificiel défini par des règles, et qui aboutit à un résultat quantifiable »5.
3
HUIZINGA Johan, Homo Ludens - essai sur la fonction sociale du jeu, Paris, Gallimard, 1988, coll.
Tel, p.58.
4
CAILLOIS Roger, Les jeux et les hommes, Paris, Gallimard, 1992, coll. Folio.
5
SALEN Katie et ZIMMERMAN Eric, Rules of Play, Game Design Fundamentals, MIT press, p. 80.
(Traduction de Eric CHAHI, Nicolas BREDECHE, Le jeu vidéo, une œuvre systémique dans The
Game/Le jeu dans Edit, n°7, décembre 2007 [en ligne] <http ://www.edit-revue.com/ ?Article=195>
consulté le 22 décembre 2011.
10
2
De ces quelques premières définitions, nous pouvons déjà retenir
certaines caractéristiques du jeu :
• Le jeu est une activité…
• … libre, consciente et volontaire6…
• … avec des limites, des règles (notamment de lieu et de temps)…
• … avec un but (gain ou perte) mais interne (sans impact sur la vie
« normale »)…
• … produisant plaisir et/ou tension.
Ceci vaut pour le jeu en général, nous allons nous intéresser plus
précisément aux jeux vidéo.
Par rapport à l’ensemble des jeux vidéo, c’est-à-dire les jeux vendus
comme tels dans les magasins et les jeux disponibles sur l’Internet, ainsi
que le monde qui les entoure, plusieurs questions sont soulevées par ces
définitions.
La notion de « gratuité » que l’on pourrait retrouver sous le terme
d’« activité volontaire » et de « librement consentie » chez Huizinga et que
l’on retrouve encore sous le terme « libre » chez Caillois (et auxquelles nous
rapprocherions aussi la notion de « séparation » de Caillois, l’activité « hors
de la vie courante »), ne permet pas de prendre en compte des notions
comme celle de joueur professionnel et celle de joueur compulsif pour
lesquels le travail n’est pas séparé du temps de jeu, de loisir ou pour
lesquels le jeu envahit tout l’espace de vie (comme une drogue). Comme le
précise Maude Bonenfant, « la définition du jeu ne doit donc pas se baser
sur sa distinction avec le travail, mais pas non plus sur la notion de plaisir,
[..] on ne devrait pas décrire ce qu’est le jeu (critères qui dépendent du
contexte), mais plutôt ce qu’est faire l’expérience du jeu (l’expérience étant
considérée simultanément comme construction du sens et comme
pratique). Le jeu est une attitude face à une expérience. »7
6
Cette notion est superbement mise en scène dans le film The Game de David Fincher en 1997 avec
Michael Douglas où le héros se voit « embrigadé » plus ou moins contre son gré dans un jeu
grandeur nature.
7
BONENFANT Maude, La séparation du travail et du jeu, article du 17 novembre 2007 sur le blog
du
groupe
de
recherche
HomoLudens
[en
ligne]
<http ://www.homoludens.uqam.ca/index.php ?option=com_myblog&show=La-separation-dutravail-et-du-jeu.html&Itemid=34>
consulté
le
22
décembre
2011.
2
11
La notion d’« improductive » reprise par Caillois, pose aussi question
quand nous voyons ce que peuvent gagner un certain nombre de joueurs
(notamment de poker online, très « à la mode »)8.
La notion de « conflit artificiel » de Salen et Zimmerman ne semble pas
applicable à tous les jeux sauf si derrière le mot « conflit », on peut
entendre « tension » comme Huizinga (voir par exemple au chapitre 0 le
jeu Barbie Fashion Designer). De même, la notion de « résultat
quantifiable » semble trop précise : dans certains jeux, il n’y a pas de score,
juste un objectif atteint ou pas.
Nous retiendrons donc de ces essais de définition quelques notions
communes, qui, moyennant adaptation ou interprétation pourraient
s’adapter aux différents jeux considérés dans le cadre de ce travail :
• la notion d’objectif (succès ou échec dans le Robert),
• la notion de règle présente dans toutes les définitions,
• la notion de fiction que reprend telle quelle Robert Caillois mais qui
est également présente dans la définition de Huizinga (« autrement que
dans la vie courante »)
• et la notion de plaisir ou de tension (en effet, certains joueurs,
certaines joueuses, ne jouent pas par plaisir9).
Ces notions nous semblent importantes car elles peuvent trouver leur
application dans tous les jeux auxquels nous feront référence mais aussi, et
Ici encore, le film The Game de David Fincher cité plus haut semble une excellente illustration de ce
que dit Maude Bonenfant.
8
Un seul exemple, un gain record de 79.900 € sur le site de poker770 en juillet 2008 [en ligne]
<http ://www.conferencevirtuelle.com/P5805, CommuniquePresse.aspx> consulté le 22 décembre
2011.
9
Nicholas YEE dans une étude approfondie du jeu en ligne EverQuest reprend une réponse à son
questionnaire d’une jeune femme de 30 ans : « Mon mari jouait à ce jeu toutes les nuits, toutes…
les… nuits. Et quand il ne jouait pas il en parlait. [..] Il m’a encouragé à au moins essayer le jeu et je
l’ai fait. Je n’aimais pas mais j’y ai joué. Cela nous a offert quelque chose à propos duquel parler
ensemble, et, finalement, quand mon ordinateur est revenu [de réparation], il m’a demandé de
m’ouvrir un compte. […] et je l’ai fait, comme cela nous pouvions partager du temps ensemble.
C’était en août 9. Nous sommes en février 2001 et nous avons passé des HEURES, CHAQUE jour à
jouer à ce fichu jeu. Mes doigts me réveillaient de mal en pleine nuit. J’avais mal au crâne suite aux
innombrables heures passées à fixer l’écran.[…] Je hais ce jeu mais je ne peux m’empêcher de jouer.
Arrêter de fumer n’a JAMAIS été aussi difficile que cela. » extrait de YEE Nicholas, The Norrathion
Scrolls : A Study of EverQuest (version 2.5), 2001. (notre traduction).
12
2
surtout parce que c’est souvent par rapport à ce que l’on met derrière ces
notions que le débat de genre (masculin-féminin) sur les jeux vidéo va se
poser. Nous pensons ici particulièrement à la question du plaisir ou de la
tension qui nous mènera à la question de la motivation des joueurs qui est
au centre du débat sur le genre dans les jeux vidéo pour plusieurs auteurs
(voir infra 3.2.2).
2.1.1 Le jeu vidéo
Comme le souligne Stéphane Natkin10, le jeu vidéo n’a que peu à voir
avec le terme « vidéo » si ce n’est le signal entre la console ou l’ordinateur et
l’écran. Comme il le propose, nous ferions mieux de parler de jeux
informatiques comme en anglais, computer games.
Ce qui caractérise le jeu vidéo, par rapport au jeu en général, c’est la
« quincaillerie » électronique11 qui l’entoure. Il se distingue d’autres jeux
par « un environnement informatique ou électronique qui reproduit sur un
écran un jeu dont les règles ont été programmées »12. Ce qui est important
de souligner dans cette définition c’est que le support importe peu :
ordinateur, internet, console de jeu, téléphone portable,… Seuls deux
éléments sont nécessaires : un écran13 et un programme.
Stéphane Natkin précise les deux rôles de cet ordinateur : « il est
toujours la machine qui gère l’univers du jeu, qui fabrique en temps réel un
univers […] Dans certains cas, […] l’ordinateur est également l’adversaire
du joueur »14.
Nicolas Esposito dans « A Short and Simple Definition of What a
Videogame Is »15 va un peu plus loin et propose comme définition : « Un
jeu vidéo est un jeu (game) que l’on peut jouer (play) grâce à un appareil
10
Stéphane NATKIN, Jeux vidéo et médias du XXIe siècle, Vuibert, Paris, 2010, p.5.
Terme emprunté à Sébastien GENVO, Introduction aux enjeux artistiques et culturels des jeux
vidéo, Champs visuels, Editions l'Harmattan, Paris, 2003, p.7.
12
Bernard JOLIVAT cité par Vincent BERRY dans BERRY Vincent, De Pong à World of Warcraft :
Construction et circulation de la culture (vidéo)ludique. In : BROUGERE Gilles, La Ronde des jeux et
des jouets
13
Dans les derniers développements des jeux vidéo, l'écran peut se limiter à une paire de lunettes…
14
Stéphane NATKIN, op.cit., p.6.
15
Nicolas ESPOSITO, A Short and Simple Definition of What a Videogame Is (notre traduction)
11
2
13
audiovisuel et qui peut être basé sur une histoire. » Nous reviendrons plus
bas sur la distinction entre game (le jeu dans ses règles) et play (l’action de
jouer et le plaisir de jouer). À la suite de cette définition, Nicolas Esposito,
dans son explication d’appareil audiovisuel, reprend la notion d’élément
électronique que nous avons vue dans la première définition de Bernard
Jolivat avec des outils d’input (contrôleur, souris, clavier,…) et d’output
(écran, haut-parleurs,…) mais il y ajoute un élément important :
l’interactivité (ce qui distingue le jeu du film notamment).
Enfin, Nicolas Esposito ajoute la notion d’histoire, l’aspect narratif
présent dans de nombreux jeux vidéo mais il précise d’emblée que certain
jeu n’ont pas cet aspect (un jeu comme Tetris, par exemple, est pour lui un
pure challenge abstrait).
D’autres auteurs, Chahi et Bredèche, insistent encore une fois sur le fait
que « le terme ‘jeu vidéo’ définit à la fois la notion de jeu mais aussi le canal
perceptif à travers lequel il […] reste encore perçu. »16 Ou encore, les jeux
vidéo sont « des systèmes informatiques dont les interfaces d’entrée et de
sortie substituent chez l’utilisateur des stimuli artificiels aux stimuli de
l’environnement réel immédiat. »17
Citons peut-être une dernière définition très complète donnée par un
ensemble de chercheurs français : « Nous appelons jeux vidéo l’ensemble
des jeux qui reposent sur un programme informatique et des interactions
homme/machine au travers d’interfaces (graphiques, audio et mécaniques).
Ils ont trois dimensions : ce sont des simulations spatiales (dimension
multimédia), qui ont pour but de susciter le plaisir du joueur (dimension
ludique) et qui nécessitent que le joueur interagisse avec l’environnement
simulé (interactivité). Les joueurs jouent avec l’environnement simulé,
mais aussi avec les temporalités, en explorant les conséquences à long
terme de certaines actions, en revenant en arrière (grâce aux sauvegardes)
pour en actualiser d’autres ou améliorer leur performance. Les joueurs
16
Eric CHAHI, Nicolas BREDECHE, Le jeu vidéo, une œuvre systémique dans The Game/Le jeu dans
Edit, n°7, décembre 2007 [en ligne] <http ://www.edit-revue.com/ ?Article=195> consulté le 22
décembre 2011.
17
Laurent JULLIER, Les images de synthèses, Nathan Université, collection 128, Saint Germain du
Puy, 1998, p.30.
14
2
jouent avec l’espace et le temps, leurs pratiques vidéoludiques font émerger
des nouveaux territoires, qui sont appropriés par les joueurs et parfois par
des communautés de joueurs. »18
Donc nous retenons les deux notions essentielles reprises dans les
différentes définitions : l’idée de jeu doit être présente (avec tout ce que cela
implique – plaisir, temps et espace différents du monde réel,…) ainsi que
l’appareillage électronique qui permet d’interagir avec le jeu.
Résumons-nous :
un jeu vidéo serait donc une activité
• avec un objectif (score, succès ou échec),
• des règles,
• dans un univers fictif c’est-à-dire quelque peu déconnecté de la vie
courante ou au moins délimité dans le temps et l’espace,
• qui offre du plaisir ou de la tension aux joueurs et joueuses,
et nécessitant un appareillage électronique avec lequel les joueurs et
joueuses auront une certaine interactivité.
Il s’agirait maintenant de trouver un moyen d’organiser un peu
l’ensemble des jeux qui correspondraient à cette définition.
Nous allons d’emblée retirer de notre champ d’investigation les
logiciels ludo-éducatifs ainsi que les serious games (jeux sérieux) qui ont
pour but premier un apprentissage ou le passage d’un message (publicitaire
par exemple). L’aspect jeu de ceux-ci (simulation, par exemple) n’est qu’un
moyen de faire passer l’apprentissage ou le message. Nous n’allons pas
nous appesantir sur le sujet mais la distinction entre un jeu « pur » et un
logiciel ludo-éducatif (ou jeu vidéo éducatif) ou un serious game n’est pas
toujours simple : des classiques pour enfant comme la série Adibou ou
Lapin Malin répondent à notre définition du jeu vidéo mais l’objectif
premier est clairement l’apprentissage avant le jeu.
18
TER MINASSIAN Hovig, RUFAT Samuel, COAVOUX Samuel, BERRY Vincent, Comment
trouver son chemin dans les jeux vidéo ? in L'Espace Géographique, n°40, 3,2011, pp 245-262.
2
15
16
2
2.2
Typologie des jeux vidéo
Certaine encyclopédie chinoise, intitulée Le marché céleste des
connaissances bénévoles. Dans les pages lointaines de ce livre, il
est écrit que les animaux se divisent en a) appartenant à
l’Empereur, b) embaumés, c) apprivoisés, d) cochons de lait, e)
sirènes, f) fabuleux, g) chiens en liberté, h) inclus dans la présente
classification, i) qui s’agitent comme des fous, j) innombrables, k)
dessinés avec un très fin pinceau de poils de chameau, l) et
cætera, m) qui viennent de casser la cruche, n) qui de loin
semblent des mouches.
(Borges, Enquêtes 1937-1952)
Comme le sous-entend l’exergue de ce chapitre, la typologie des jeux
vidéo est presque aussi difficile à établir qu’une liste de jeux. Pourtant elle
est nécessaire pour établir une typologie des joueurs de jeux vidéo et par là,
nous permettre d’analyser les différences entre homme et femme. Plusieurs
critères peuvent être pris en compte et seront pris en compte par les
auteurs, par les vendeurs de jeux vidéo, par les sites web professionnels ou
non.
Les principaux critères ressortent de la définition des jeux vidéo tels
que nous venons de le voir : le jeu en lui-même (gameplay) et le support.
Nous aurons à choisir ces critères, à les définir avant d’identifier des profils
de joueuses ou de joueurs.
2
17
2.2.1 Le type de supports
Un premier critère qui permet de discriminer les jeux (premier en tout
cas quand vous entrez chez un vendeur de jeux vidéo) est le type de
support utilisé pour jouer : le support électronique du jeu. C’est un critère
des plus importants, bien sûr, pour les études marketing : va-t-on
développer le jeu pour un seul support ou va-t-il être décliné sur toute la
gamme des supports ? Aujourd’hui, les jeux les plus connus, célèbres ou
médiatisés sont le plus souvent déclinés sur plusieurs supports. Quels sont
ces supports possibles ?
2.2.1.1 L’ordinateur
Certains jeux se jouent sur un PC ou un autre type d’ordinateur, donc
sur un outil qui n’a pas été développé à priori pour le jeu mais dans
l’univers duquel le jeu vidéo est né.
Il n’est pas utile pour notre propos de revenir en détail sur l’histoire de
l’ordinateur et sur ses caractéristiques.
Cependant, rappelons que, très rapidement, des premiers jeux ont été
développés sur les ordinateurs. Alors que l’ordinateur date de la fin de la
seconde guerre mondiale19, dès 1952, A.S. Douglas de l’université de
Cambridge au Royaume-Uni réalise un OXO (encore appelé Tic Tac Toe
ou morpion) sur un EDSAC (Electronic Delay Storage Automatic Computer
– considéré comme un de premiers ordinateurs électronique), afin
d’illustrer sa thèse sur les interactions homme-machine. Cependant,
l’ordinateur ne se popularise qu’au début des années ‘80 avec la naissance
des PC (Personal Computers développés d’abord par IBM mais dont la
licence de fabrication fut rapidement vendue pour donner naissance à
l’ensemble des ordinateurs « compatibles » – sous-entendu, compatibles
avec l’architecture des PC de IBM).
L’ordinateur au début est défavorisé par rapport aux autres supports
dédicacés aux jeux vidéo par son graphisme sommaire et le peu de capacité
19
L'ENIAC (Electronic Numerical Integrator and Computer), considéré comme le premier
ordinateur est construit en 1946 par P. Eckert et J. Mauchly.
18
2
de mémoire quand il est utilisé en même temps que d’autres applications.
Aujourd’hui, cette limite n’a plus vraiment lieu d’être.
Autre désavantage, l’ordinateur, vu notamment sa multifonctionnalité,
est un support de jeu plus cher que les autres. Un bon ordinateur de jeu
d’entrée de gamme est à un prix de 1000 à 1500 € (prix très stable dans le
temps même si les ordinateurs évoluent rapidement, le prix du milieu de
gamme reste semblable). Bien sûr, il faut tenir compte de l’évolution
récente (qui ne fait que confirmer ce qui vient d’être dit) comme la
démocratisation des ordinateurs portables et l’apparition des tablets PC et
I-Pad20 et donc le prix moyen peut être divisé par deux.
L’ordinateur a également vu se développer un certain nombre de
périphériques adaptés au jeu : le clavier (début des années ‘60) et la souris
(1963 et 1968 pour le grand public) sont classiques et ne sont pas
directement liés au jeu mais le joystick ou manette de jeu (1986), développé
pour les consoles, s’est bien vite adapté aux ordinateurs. L’ordinateur a
également gagné en mobilité avec les ordinateurs portables qui ont
rapidement rattrapé les ordinateurs fixes au niveau de la « jouabilité ».
Aujourd’hui, l’ordinateur est présent partout dans la vie quotidienne : à
l’école, à l’université, au bureau, souvent à la maison. Début 2008, 57 % des
ménages de l’Union Européenne (UE27) avaient un ordinateur personnel à
la maison21. Dans les statistiques de 2007 sur l’ensemble de l’Union
Européenne (UE25), 48 % des hommes de 16 à 74 ans utilisent l’ordinateur
quotidiennement ou presque et 39 % des femmes dans la même tranche
d’âge22.
Enfin, l’ordinateur reste aujourd’hui encore, le medium le plus utilisé
pour se connecter à l’Internet et est donc le medium privilégié pour tous les
jeux online.
Suivant différentes études, environ 65 % des joueurs jouent sur PC.
Une étude de TNS Sofres pour 2007 indique un résultat de 70 % des
20
Voir le chapitre suivant.
Sondage sur les communications électroniques auprès des ménages, Eurobaromètre Spécial 293, juin
2008, Commission Européenne.
22
SEYBERT Heidi, Différences entre hommes et femmes dans l’utilisation de l’ordinateur et d'internet
in Statistiques en bref, 119/2007, Eurostat, Luxembourg, 2007.
21
2
19
joueurs qui utilisent l’ordinateur (sur un total de 1000 réponses et avec
plusieurs choix possibles)23. Une étude de 2008 de l’Université de Gand en
Belgique, indique 63.2 % des joueurs jouant sur PC (sur 2895 joueurs avec
95.4 % des joueurs possédant un PC)24. En 2010, sur l’ensemble de
l’industrie du jeu vidéo, le segment des jeux pour ordinateur personnel
représentait un quart du marché (26,6 % y compris les jeux sur
Facebook)25.
David Cage, créateur de jeux vidéo et fondateur d’une entreprise de
conception de jeux vidéo, Quantic Dream, considère la différence entre la
console (voir plus bas 2.2.1.4) et le PC comme fondamentale : « [..] devant
un PC, la consommation et le plaisir de l’expérience sont isolés. Le PC est
souvent installé sur un bureau avec une seule souris, un seul clavier, donc il
n’est pas conçu pour le partage. La console est un autre mode de
consommation de jeu : les joueurs sont la plupart du temps assis sur un
canapé, devant la télévision qui elle-même est dans le salon, la pièce
familiale […]. La différence entre les joueurs sur PC et les joueurs sur
console peut aussi s’expliquer par le prix […] »26 Lors de la même
conférence, Olivier Séguret, rédacteur en chef de la rubrique cinéma de
Libération et créateur de la rubrique hebdomadaire « Moi Jeux », nuance
ces propos en précisant que ces deux cultures « s’opposent moins à
présent » de par l’entrée de plusieurs ordinateurs à la maison.27
2.2.1.2 La tablette tactile
La tablette tactile, « tablet PC », I-Pad ou autre a pris son envol en 2007
avec l’apparition de l’I-Phone de Apple, précurseur de l’I-Pad découvert en
2010. Aujourd’hui, ce média est devenu un concurrent sérieux de
23
MERRY Philippe et DEFOURS Chloé, Le marché français des jeux vidéo en 2007, TNS Sofres [en
ligne] < http ://www.tns-sofres.com/etudes/it/101207_jeuxvideo.htm>
24
SCHUURMAN Dimitri et DE MOOR Katrien, Onderzoek gaming : summary, Universiteit Gent,
Gand, 2008.
25
Chiffres cités par DAVIDOVICI-NORA Myriam et BOURREAU Marc, Les marchés à deux
versants dans l'industrie des jeux vidéo in Les formes ludiques du numérique, Paris, La Découverte,
2012, p.105.
26
Extrait d'une conférence à la Sorbonne, Les jeunes, la culture et leur culture, Les jeux vidéo,
l'apanage des jeunes ?, janvier 2007.
27
Idem.
20
2