La Réificatjon dl.! personnase féminjn dans «La Modifieatjon» de

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La Réificatjon dl.! personnase féminjn dans «La Modifieatjon» de
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La Réificatjon dl.! personnase féminjn
dans «La Modifieatjon» de Butor
par
Megan Nodwell
Mémoire de maîtrise soumis à la
Faculté de!' études supérieures ('t de la recherche
en we de l'obtention du diplôme
Mai'trise ès lettres
Département de langue et littérature françaises
Université McGill
Montréal, Québec
Mars 1996
•
iC Megan Nodwell, 1996
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-....... ...•. ' ......
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'
. _.,~.;..
•
Je tiens à remercier le professeur Jane Everen pour sa patience. son appui. et son
encouragement. Ses précieux conseils ont été beaucoup appréciés au cours de la
rédaction de ce travail.
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À ma grand-mère. Ruth
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RÉSDIÉ
Dans ce memoire de maitrise. nous examinons la reiti.:ation. ou la transformation en
objet. du personnage feminin dans La :\1O<jiticati9J) de :\Iidlel Butor "ous soutenons que les
deux personr.ages feminins. Henriette et ('ccile. jouent le rôle d·objets. parce qu'ils ne
s'affirment pas comme sujets. et parce qu'ils fonctionnent de la mèrne madère que les autres
objets inanimes butoriens Notre etude s'inspire des théories exis.entialiste. psychanalytiques.
et poststructuralistes de la subjectivité. et les réinterprétations féministes de ces théori<.'S
Nous nous inspirons C<3alement des ecrits thcoriques portant sur l'objet dans le Nouveau
Roman. chez Michel Butor. et dans La Modifica!i9.n
Nous e.xaminons en premier lieu les écrits des théoriciennes féministes de la
subjectivité. qui constatent que la femme est objectiliéc dans la société patriarcale parce
qu'elle n'a pas acces aux moyens d'atteindre la subjectivité, c'est-à-dire l'action, la vision. et
le langage. Dans le deuxième chapitre. nous analysons des écrits critiques portant sur l'objet
butorien: nous voyons que les objets butoriens servent des fins narratives précises, contribuant
à faire le portrait du personnage principal. et amenant celui-ci à évoluer en !.ant que sujet.
Dans le troisième chapitre de ce travail. nous montrons le lien entre ces deux domaines de
recherche. Les personnages féminins de La Modification sont des objets parce qu'ils n'agissent
pas. ne voient pas. ne parlent pas, bref, ils ne s'affirment pas comme sujets selon les théories
de la subjectivité. En outre, les personnages féminins se voient assigner les mêmes rôles que
les autres objets butoriens.
•
•
.-\BSTR·\CT
This master's thesis deals with the reification. or transformation into objects. of the
Icrnale charaett:rs in Michel Butor's la \'1oqilicaliQn 11 is our contention that the two female
characters. Henriette and Cecile. function not as characters. but as objects: thcy are unable
to take up subject positions. and they ha"e the same roles as the other inanimate objects in
Butor's work The critical analysis is based irl pan on existentialist. psychoanalytic. and
poststructuralist theories of subjectivity. as weil as feminist rereadings of these theories. \Ve
ha"e aIse used several critical and theoretical works on the object in the «Nouveau Roman».
in the novels of Michel Butor. and. specifically. in La Modification.
The first chapter dcals with the work of several feminist theoreticians. who daim that
woman is objectified in patriarchal society because she has no access to subjectivity, bl'" it
through the means of action. of "ision. or of language ln the second chapter we discuss
critical writings on the treatment and role of the object in Butor's work. writings which daim
that thcse objects have a specifie role: to contribute to the characterisation of the main
character. and to allow this main character to take up a position as subject. In the third
chapler we examine the link between these two critical fields. The femaIe charaeters in La
Modification are objectified because they are not able to assume subject positions; they have
no access to subj.~ivity through .Jetion, vision, or language. In addition, the female
characters ha"e the same narrative role as the other objects in the novel.
•
•
TABLE DES M..\ TIERES
1. Introduction.
•
Il. Chapitre premier: Théorie féministe ct théories de la subj~'Cti,·ité.
1. L'action comme modc d'accès à la subj~"ctivité.
2. La vision comme mode d'ace':' à la subjectivité.
3. Le langage comme modc d'ace'•.,; à la subjectivité.
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17
22
III. Chapitre deuxième: Théorie ct fonctions de l'objet.
1. L'objet dans le Nouveau Roman.
2. L'instrumentalité.
3. Description dcs objets. d~'Scription de la situation du sujct: parallèles.
4. L'objet déclcncheur de souvenirs ct d'associations.
5. Regarder l'objet. dévoiler la subj~"ctivité.
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IV. Chapitre troisième: La femmc-objct dans \.:1 Modjfic-.ltjon.
1. Action. vision. langage: l'objectitication de la femme.
2. La femme·objet instrument.
3. Description de la lèmme. description de la situation du sujet: parallèles.
4. La femme-objet déclencheur de souvenirs et d'associations.
5. Regarder la lèmme. dévoiler la subjectivité.
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V. Conclusion.
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VI. Bibliogr.lphic.
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•
INTRODUCTION
"
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•
Dans son anicle ..Fictions in l'iction
~h:nm:lle
and C~'cile in i\lichd Butor's
.:U:'ha!l~e
oCHealJ», Mary Beth Pringle' fait remarquer que les deux perwnnages fcminins de ta
Modification ne sont que des constructions du personnage principal. Leon Delmont: tout ce
qu'on sait des delL'I: femmes passe par l'intcrprctation subjective de Leon. (Pringle. 31) Si nous
prenons cet anicle comme point de dépan pour notre étude de La Modilication. nous voyons
non seulement qu'Henriette et Cécile. telles qu'on les pr~-nte. wnt inventées par l'imagination
de Delmont. mais qu'elles sont cr,'ëes (par Leon. par le narrateur. et par l'auteur) comme des
'--
objeLç. Nous soutenons que les personnages lëminins de La ModificatiOn~ trouvent réifiés
Par réifier. nous entendons -transformer en chose; donner le caractère d'une chose à..: une
personne. Nous greffons à cette définition l'idee que les personnes ainsi réifiées servent à d~'S
fins précises, conçues en fonction des bewins d'un autre. ce qui rejoint en panie la définition
qu'en donne Lucien Goldmann. ~ Les perwnnages lëminins de La Modification ne s'affirment
jamais comme sujets. et ils n'ont de valeur qu'en tant qu'ils jouent le même rôle que les autres
objets butoriens.
Nous utilisons aussi dans ce travail les termes -chosification" et -objeetification... Par
-objeetification" nous voulons dire que la femme est reléguée au même niveau que les objets
, Mary Beth Pringle. -Fictions in Fiction: Henriette and Cécile in Michel Butor's A Change
ofJ:lealJ». International Fiction Review. XVI-I. Winter 1989. p. 26-31.
'Le Nouveau Petit Roben 1. Pans. Dictionnaires le Robert. :993 éd. p. 1912.
•
~
Voir Lucien Goldmann. -Nouveau Roman et rëalité... dans Pour une sociologie du roma!].
Paris. Gallimard, 1964. p. 279-333.
•
,
.'
parce qu'elle ne s'affirme pas comme sujet Par "chositication». souvent donné comme
synon}me de réification. nous voulons indiquer la transformation de la femme en chose. sans
référence aux fins spécifiques que celle transformation pourrait servir.
La critique a déjà remarqué «a noticeable tlattening of the secondary characters,,4 en
général chez Butor. et Pringle a observé qu.. la présentation peu détaillée des remmes dans
La Modification par le personnage principal donne lieu il un portrait féminin stéréotypé.
Cependant. aucune étude antérieure n'a analysé le personnage féminin butorien en tant
qu'objet; et aucune étude n'a traité de la réitication du personnage féminin dans La
Modification.
Nous soutenons dans ce mémoire que la représentation textuelle de la femme comme
objet semble reproduire certains aspects de la condition féminine dans la société patriarcale.
Certaines théoriciennes féministes de la subjectivité se sont attachées à analyser la condition
sociale de la femme. et son objectification. Ces théories postulent toutes l'existence de certains
modes d'accès à la subjectivité. Simone de Beauvoir. fondant sa théorie de la subjectivité sur
"existentialisme sartrien. prétend que la tèmme est objectifiée dans la société parce qu'elle
n'agit pas. qu'elle ne se transcende pas; elle est donc vouée à l'immanence. Luce Irigaray6, qui
base sa théorie sur la psychanalyse lacanienne. soutient que la femme est objet parce qu'elle
4Patricia J. Jaeger, «Three Authors in Search of an Elusive Reaiity: Butor, Sarraute, RobbeGrillet», Critique. VI-3. Winter 1963. p. n
•
, Simone de Beauvoir. Le Deuxiéme Sexe, Tomes 1 et 1\, Paris, Gallimard, 1949,409 p. et
666 p
• Luce higaray. Spéculum de l'autre femme, Paris, Éditions de Minuit. 1974, 463 p.
•
ne VOil pas, el qu'elle se lrouve don.: in.:apable d'obie.:titier l'aulre à lravers le regard Julia
Krisleva'. qui se fonde aussi sur les them'.:s de l.a':;\Il. el Chris Weedon'. qui s'inspire des
lhéories poslslrucluralisles, pretendent qUl' 1;\ I"nulll' est obiet par':l' qu'elle ne se p.'se pas
comme sujel dans le langage clic ne prcnd
P;IS
une posilion dc SUJCI ènoncialcur
Bien que la/emme-oh)cr buwricnne n'ail pas encore cIe analyS<.'è par la critique, il
e:I:ÎSle de nombreuses éludes sur l'oh/cr bUlorien lui-même, nous nous s<''f\'ons de ces eludes
afin de prouver que la femme-objel j.me le même rôle" que les aulres objets butorien.1:
Quelques-unes des premières critiques ponant sur le traitement de l'objet chez Butor le:
comparaient au traitement de l'objet chez les aUlres Nouvcaux ROl1l3l1ciers. Cc:nains
commentateurs. tels Bernard Pingaud'" el Jcan Bloch-Michel". pretendaient que: les objets
butoriens. comme les objets robbe-griIlClicns. ne '·,..ulent rien dire. ne font qu'exister. Pounant,
, Julia Kristeva. Polvlogu~ Paris. Editions du Seuil. 1977. 541 p., Julia Kr'.steva. -A Question
of Subjectivity., Women's Revie\\', 12. Oct 1986, P 19
• Chris Weedon. Feminist Practice and PoststrucluralistÎbeory. Oxford. Basil BlackweU..
1987, 187 p.
• Nous sommes consciente du fait que la construction active -jouer le rôle- suggère le
contraire de ce que nous soutenons ici. à savoir que la femme n'agit justement pas. qu'elle est
reléguée au niveau des objets. Ce que nous voulons indiquer par cette construction est que
la femme a le rôle d'objet. qu'elle est mise en place pour remplir une cenaine fonction: c:eIle
des objets.
Bernard Pingaud. -La Technique de la description dans le jeune roman d'aujourd'hui-,
Cahiers de l'association internationale des études francaises, 14, 1962, p. 165-177
III
•
" Jean Bloch-Michel. Le Présent de l'indicatif. Paris, Gallimard, 1963, 213 p.
•
5
Roland Barthes'~, Jacques Howleul.'. John Sturrock'·, et Bothorel. Dugast et Thoraval lS,
entre autres, prétendent que les objets butoriens ont un rôle tout à fait spécifique: de révéler
le caraClére du personnage principal. D'autres critiques ont ensuite analysé La Modification
sous le même angle. Jeffiy Larsan'· et Françoise van Rossum-Guyon 17• pour ne nommer que
ceux-là, constatent l'existence de paralléles entre la description des objets et celle de la
situation du personnage; ils notent aussi que les objets servent à déclencher des associations
et des souvenirs. qui à leur tour renseignent sur la situation du personnage principal, Lois
Oppenhèim'l et Frederic St. Aub~l1" analyst.'tltl'objet sous un angle phénoménologique: selon
eux. la rëvélation du caraClëre du personnage principal se fait à travers le regard subjectifque
le personnage porte sur les objets.
I~
Roland Barthes, «11 n'y a pas d'école Robbe-Grillet». dans Essais critiques, Paris, Seuil.
1964. p. 101-105.
Jacques Howlett, «Notes sur l'objet dans le roman», Esprit, 26e année, 263-264. juillet-aout
1958. p. 67-71.
1)
Joh!" Sturrock, «Introduction». dans The French New Novel. London, Oxford University
Press. 1969. p. 1-41; John Sturrock, «Chapter Il: Michel Butor», dans The French New
Novel, Londor., Oxford University Press. 1969. p. 104-169.
1.
1> Nicole Bothorel. Francin~ Dugast, et Jean Thoraval, «La Description». dans Les Nouveaux
romanciers. Paris, Bordas. 1976, p. 99-113
,. Jeffry Larson. «The Sibyl and the Iron Floor Heater in Michel Butors La Modification»,
Paperson Language and Literature, 70.1974. p. 403-414.
Françoise van Rossum-Guyon. Ç_ri!iqu~_9u JOJ1l3lL~ sur «La Modification» de Michel
Butor, Paris, Gallimard. 1970. 305 p.
17
Lois Oppenheim. Intentionalitv and Intersubiecti~ity A Phenomenological Studv ofButor's
"La Modification". Lexington, Ky.. French Forum, 1980, 187 p.
Il
•
.. Frederic C. St. Aubyn. «Michel Butor and Phenomenological Rea1ism». Studi francesi, 16,
1962. p. 51-62.
6
Beaucoup d'élUdes ont été faites sur l'objet butorien. mais aucune n'a fait le lien entre
la fonction de l'objet et la fonction du personnage féminin Pareillement. les rares anides qui
mentionnent en passant la condition de la lèmme dans La Modification. ne font eux non plus
le lien entre objet et personnage féminin. Le seul anide consacré entièrement au personnage
féminin dans La Modification. celui de Pringle. ne parle pas de la chosification de la femme.
De même, les écrits de Vi~;an Mercier"'. de Bernard Valette:'. et de Françoise van RossumGuyon. qui contiennent de brefs commentaires sur la description des personnages féminins
butoriens, ne remarquent pas les parallèles entre les objets et les personnages féminins. Nous
propcsons de faire ces liens.
Dans ce mémoire. nous nous inspirons de ces deux domaines de recherche
(l'objectification de la femme dans la société. et le traitement de l'objet chez Butor) comme
points de dépan à une analyse de la réification de la femmc dans
h"J~:tQ.dillcatiol1
Nous
commençons par examiner l'objectilication de la lemme dans la société patriarcale. et les
théories qui essaient d'expliquer celte objectification Selon les théories de la subjectivité. la
femme est un objet dans la société patriarcale parce qu'elle n'a pas accès aux moyens
d'atteindre la subjectivité. soit: l'action. la vision. et le langage. 11 est à noter que la femmeobjet est nécessaire. selon ces mêmes théories. pour rendre possible la subjectivité de
l'homme.
:0 Vivian Mercier, «Michel Butor: The Schema and the Myth-, dans The New Novel from
Queneau to Pinget, New York, Farrar, Straus and Giroux, 1971, p. 215-265.
•
Bernard Valette, «Le Systéml: des personnages>', dans Esthétique du roman moderne, Paris,
Nathan, 1993, p. 110-130.
:1
•
7
Nous examinons ensuite les thcories traitant d.: l'obj.:t dans le Nouveau Roman, chez
Butor, et dans La Modification. Il s'agit de définir clairement les fbnctions des objets
butoriens (par rappon aux objets robbe-grilletiens. par exemple), afin de pouvoir démontrer
plus loin que le personnage féminin a les mèmes fonctions.
Dans notre analyse du personnage féminin dans La Modification, nous nous appuyons
sur les théories qui traitent de l'objectification social.: de la femme. et de la question de la
subJcctivité féminine, et sur l'analyse critique des objets butoriens. La femme butorienne est
un objet parce qu'elle ne s'atlirme pas comme sujet. et parce qu'elle est appelée à jouer le
mème rôle que les autres objets butoriens.
Ainsi, dans le premier chapitre de ce memoire. nous examinons en détailles théories
de la subjectivité. et cenaines réinterprétations lëministes de ces théories. Nous étudions les
modes d'accès à la subjectivité que ces théories mettent en valeur, et les différents modes
d'objectification de la femme dans la société patriarcale. Dans le deuxième chapitre, nous
examinons l'objet dans le Nouveau Roman. chez Butor. et dans La Modification. Nous
montrons que l'objet butorien sen à révéler le caractère du personnage principal, et aussi à
amener ce personnage à évoluer en tant que sujet. Nous dégageons du roman un certain
nombre d'exemples qui nous paraissent représentatifs. Enfin, dans notre troisième chapitre,
nous analysons la représentation du personnage féminin dans La Modification, à laquene nous
lions les deux séries de notions abordées dans les chapitres précédents. Cette démarche nous
permet de montrer qu'Henriette et Cécile ne s'affirment pas comme sujets (à en juger d'après
•
les théories wes dans le premier chapitre), et qu'elles sont donc reléguées au domaine des
•
s
objets. Nous faisons voir aussi que la femme-objet bUlorienne lonctionne exactement de la
même manière que les autres objets étudies dans le deuxième chapitre: elle sert à révéler le
caractère du personnage. et à l'amener à évoluer en tant que sujet. Henriettc et Cécilc sont
doublement chosifiées. Finalement. dans notre conclusion. nous proposons quelques pistes
de recherche possibles. concernant d'autres aspects relies à la questions dc la subjectivité dans
La Modification et dans toute l'oeuvre romanesque de Butor
•
CHAPITRE PtmMlER
•
•
10
Afin d'examiner la représentation textuelle de la femme dans La Modifu:atiQ!! sous un
angle féministe, nous sommes obligée d'étudier des théories ft'ministes qui traitent de la
condition de la femme dans notre société. car cette représentation te.'(tuelle semble fortement
marquée par la condition féminine sociale Nous voulons prvuver que les deux personnages
féminins de La Modification fonctionnent comme des objets. afin de permettre au personnage
principal, Léon Delmont. de s'affirmer comme sujet' la réification des deux femmes semble
en être une condition préalable. Il nous semble que cette réilication des personnages féminins
par le protagoniste masculin dans La Modification reproduit certains présupposés ct attitudes
répandus dans la société patriarcale: que la femme est secondaire, subordonnée à l'homme
Bref, qu'elle est objet par rapport au sujet masculin. Si la littérature est produite dans et par
la société patriarcale, et donc empreinte des valeurs propres à cette société, cette littérature,
bien qu'elle ne soit pas une reproduction exacte de la réalité. ne peut qu'être marquée,
explicitement ou implicitement, par ces valeurs.
11 faudra donc considérer l'objeetilication de la femme dans notre société, et les
théories de la subjectivité qui tentent d'e.'(pliquer cette objectification. Dans ce chapitre, nous
examinerons ces théories de la subjectivité, et les réinterprétations féministes de ces théories,
afin de voir de quelle manière la femme est reléguée au niveau des objets dans la société: la
femme n'a pas accès aux moyens d'atteindre la subjectivité. Dans le troisième chapitre de ce
mémoire, nous lierons ces théories à la représentation des personnages féminins dans Y
•
Modifieatio!!, et nous verrons qu'Henriette et Cécile sont objeetifiées de la même manière que
Il
la femme dans la société patriarcale: elles n'ont pas accès aux moyens d'atteindre la
subjectivité. Publié en 1957, La Modification ne met pas en question les valeurs dominantes
sociales de l'époque: il semble. par contre. les reproduire au niveau textuel.
Les théoriciens de la subjectivité. quelle que soit leur approche. s'accordent sur un
point important: qu'il existe des moyens d'accéder li une position de sujet. Mais puisque ces
modes d'accès li la subjecti\;té ont été. dans la plupart des cas. postulés en premier lieu par
des théoriciens masculins. en vue d'un sujet masculin. la femme. dans son altérité, en a été
exclue. Les théoriciennes féministes de la subjectivité. en réinterprétant ces théories,
constatent que la femme est empêchée de s'allimler comme sujet. parce qu'elle n'a pas accès
aux moyens d'atteindre la subjectivité.
Les théoriciennes féministes. telles que Simone de Beauvoirl • Jane Gallop2, Luce
Irigarayl et Julia Kristeva". ont pris comme modèles les théories existentialistes,
psychanalytiques et poststructuralistes de la subjectivité. et de la constitution du sujet. Elles
les ont ensuite retravaillées spécifiquement par rapport li la femme et à sa position dans
l'économie sujet/objet. La conclusion. dans tous les cas, est que la lèmme n'accède pas à une
: Simone de Beauvoir. Le Deuxiéme Sexe. Tomes 1et Il. Paris, Gallimard, 1949,409 p. et
666p.
= Jane Gallop. The Daughter's Seduction: Feminism and Psychoanalvsi~ Basingstoke,
England. Macmillan. 1982. 164 p.
, Luce lrigaray, Soéculum de l'autre femme. Paris, Êditions de Minuit, 1974, 463 p.
•
, Julia Kristeva, Polylogue. Paris. Éditions du Seuil, 1977, 541 p.; Julia Kristeva, «A Question
ofSubjectivity». Women's Review. 12, Oct. 1986, p. 19.
•
12
position de sujet. qu'elle est releguee il une position d'objet par rapport il l'homme.
1. L'action comme mode d'accès il la subjecJjvite
Publié en 1949. Le Deuxième Se.'I;e de Simone de Beauvoir était un des premiers
textes il proposer l'idée que la femme ne s'atlirme pas comme sujet. et qu'elle demeure donc
un objet pour la subjectivité de l'homme. Selon Beauvoir.
L'humanité est rnà1e et l'homme définit la femme non en soi mais relativement
il lui; elle n'est pas considérée comme un ètre autonome. [... La femme] se
détermine et se différencie par rapport il ('homme et non celui-ci par rapport
il elle; elle est l'inessentiel en làce de l'es.."Cntiel Il est le Sujet. il est l'Absolu.
elle est l'Autre (Beauvoir. (5)
Toute conscience humaine a besoin d'un Autre par rapport auquel elle se définit: l'ètre humain
se conçoit toujours relativement il un ofY!!1 qui le confimle comme sujet. «Le sujet ne se pose
qu'en s'opposant: il prétend s'aflirmer comme l'essentiel et constituer l'autre en inessentiel. en
objet.» (Beauvoir. 17)
Puisque chaque ètre humain. pour s'allinner comme sujet, a besoin d'un autre qui lui
servira d'objet, il est nécessaire que chacun joue le rôle d'objet et de sujet en mème temps: la
constitution de l'autre en objet doit ètre réciproque. Cependant, dans le cas de l'homme et de
la femme, cette réciprocité n'existe pas. Pendant que l'homme se fait sujet en considérant la
femme comme objet, la femme ne parvient pas il faire la mème chose: elle est devenue l'Autre
absolu, l'objet universel. Il faut en conclure, avec Simone de Beauvoir, que si la femme
n'établit pas cette réciprocité, si elle ne s'affirme pas comme sujet autonome et reste dans la
position d'objet. cela doit indiquer qu'elle n'a pas la possibilité de s'affirmer comme sujet,
•
qu'elle n'a pas les moyens d'accéder il une position de sujet. La question que nous devons nous
•
13
poser est donc: que doit-on faire pour dcvenir sujet"'
La réponse que Beauvoir présente dan. Le Deuxiéme Sexe se fonde en grande
mesure sur les théories existentialistes de Jcan-Paul Sartre. Selon Sartre. chaque personne
commence par exister. tout simplement. el doit se définir comme sujet afin d'être. Puisqu'il
n'y a pas de nature humaine universelle. le tàit d'exister ne confere pas à l'individu la
subjectivité: il faut transcendcr ccnc cxistcncc pour arrivcr à une essence. un être. une
subjectivité Cette transcendance se làit par Ic biais des actions. L'agir. selon l'existentialisme,
est le mode d'accès à la subjecti,,;té. parce qu'il représente la manière dont le projet d'être de
l'individu se réalise. 1\ est indissociablcment lié au passage de l'existence à l'essence, au
passage de l'immanence à la transcendance On se choisit et se forme par le moyen dl''s
actions. làute de quoi chaque personne reste au niveau de l'existence, demeure objet pour les
autres'
L'introduction au Deuxième Sexe est une élaboration de cene théorie du sujet:
Tout sujet se pose concrètement à travers de projets comme une
transcendance; il n'accomplit sa liberté que par son perpétuel dépassement
vers d'autres liberté:;; il n'y a d'autre justification de l'existence présente que
son c'xpansion vers un avenir indétiniment ouvert [ ] Or. ce qui définit d'une
manière singulière la situation de la temme. c'est que. étant comme tout être
humain. une liberté autonome. elle se découvre et se choisit dans un monde
où les hommes lui imposent de s'assumer contre l'Autre: on prétend la figer
en objet. et la vouer à l'immanence puisque sa transcendance sera
perpétuellement transcendée par une autre conscience essentielle et
souveraine (Beauvoir. 31)
L'homme. ayant besoin d'un autre auquel il s'oppose. objectifie la femme afin de s'affirmer
comme sujet.
•
,. Voir Jean-Paul Sartre, L'Etre et le Néant: Essai d'ontolQgie phénoménolQgique, Paris,
Gallimard. 1943. 724 p.
•
1-1
Dans Le Deuxième Sexe, Beau\'oir prétend avoir trouvé les origines de cette réalité
dans les tribus anciennes. où «le sujet s'est lui-mème torgé et conquis en torgeant
St.'S
outils
et conquërant la terre- (Beauvoir. 101) Cest à ce moment que la tèmme commence à être
considërëe comme une immanence. parce que son corps et sa fonction maternelle deviennent
des obstacles au travail producteur. Parce que l'homme est physiquement plus fort. et parce
qu'il n'est pas limitë aux tâches qui accompagnent la maternitë et les soins des enfants. le
travail producteur (la chasse. la pèche. l'invention d'outils) tombe entre ses mains à lui. Le
sujet se crëe à travers les projets qu'il rëalise. à travers le travail producteur. Cependant. le
soin des enfants et les tâches que fait la femme à la maison ne lui conferent pas une
sul>jectivitë:
Les travaux domestiques auxquds elle est vouëe, parce qu'ils sont seuls
conciliables avec les charges de hl maternitë l'enferment dans la répétition et
dans l'immanence; ils se reproduisent de jour en jour sous une for.ne identique
qui se perpëtue presque sans changement de siècle en siècle; ils ne produisent
rien de neuf. (Beauvoir. 112)
Ainsi, la femme ëtait destinëe. par sa fonction maternelle. à s'occuper du foyer tandis que
l'homme. avec sa force supërieure, crëait son propre destin. En conquërantla nature, l'homme
forgeait l'avenir. tandis que la femme ne faisait que se rëpëter dans le temps. (Beauvoir, 115)
Quand les premières tribus nomades deviennent agricoles, quand elles s'implantent
dans un seul endroit afin de travailler la terre, plus d'importance est altachëe aux enfants et
donc à la fonction maternelle. La femme est de plus en plus identifiëe exclusivement avec son
rôle maternel: puisqu'on ne comprend pas encore le rôle du mâle dans la procrëation
(Beauvoir, 117), la femme. et non pas l'homme, est «en proie à l'espèce» et ·rivëe à son
•
corps». {Beauvoir. 11 S) En ce qui concerne la subjeetivitë, la situation de la femme a empirë.
•
15
Le modèle qui a apparu avec les tribus anciennes est demeuré valide pendant
longtemps c'était généralement l'homme qui travaillait et la femme qui restait au foyer. La
femme dans ce modèle ne se transcende jamais elle ne làit qu'e.xister. à cause de sa féminité
même.•[...) elle demeure vouée à l'immanence [.)0 (Beauvoir. 125). elle n'agit pas. et c'est
pour cene raison qu'elle ne s'est jamais posée comme sujet en face de l'homme-objet.
C'est donc l'incapacité de la femme. dès les débuts de la civilisation. de panager le
travail producteur avec l'homme. qui l'a reléguée au niveau des objets. Selon Simone de
Beauvoir. existentialiste et
sociali~ ~.
-si le travail producteur était demeuré à la mesure de
ses forces. la femme aurait réalisé Ql'l!C "homme la conquète de la nature [... )0. (Beauvoir,
130) L'absence de force physique chez la femme. et de la possibilité de travailler pour ellemême. l'amène souvent à se considérer comme incapable d'aftTonter le monde: elle ne fait que
le subir.•Pour un grand nombre de femmes les chemins de la transcendance sont barrés: parce
qu'elles ne JOIll rien. elles ne se fi)//1 i'm: rien [ .. )". (Beauvoir, 402; c'est l'auteure qui
souligne.)
La femme ne revendique pas son droit à une subjectivité propre parce qu'elle ne pose
pas d'actes: elle n'a pas à prendre la responsabilité de ses actions. Elle demeure un objet pour
l'homme-sujet quand elle accepte le son que la femme se voit normalement assigner: celui
d'ètre procréatrice, d'entretenir plutôt que de conquérir la vie. Ce n'est qu'en agissant, en
travaillant, que la femme pourra transcender son existence. pourra accéder à une position de
sujet. Si elle n'agit pas. elle est reléguée au niveau des objets.
•
La théorie existentialiste et socialiste de Simone de Beauvoir permet une conception
16
de la subjecù"ité humaine. et de l'accés de la femme à celle subjectivité. qui semble ol1iir une
solution: que la femme travaille. En lis.1nt ~_cL~xièlTI-e_~~~. on a l'impr~'SSion que la femme
n'a qu'à agir. n'a qu'à se projeter vers l'avenir pour devenir sujet Cependant. celle solution.
et cette conception de la subjectivité. s'appuyent sur un présupposé qui commence à être
contestée; c'est-à-dire la notion que le sujet tonctionne comme un tout autonome. la notion
que l'homme ois at the center of his own history and of himself; he is a subject more or Icss
. in control of his own actions. exercising. choice» Co
Cette conception du sujet autonome est mise en doute par les écrits de Jacques Lacan.
qui propose une théorie psychanalytique et poststructuraliste basée sur Freud. Selon Lacan.
le sujet autonome de l'existentialisme n'existe pas. Le sujet lacanien est plutôt une entité
ocreated in the fissure ofa radical split» (i\'litchcll. 1984. 254) L'identité qui semble être celle
du sujet est une illusion: une imag.e contradictoire qui est formée à partir des perceptions
d'autrui. (M:tchell. 1984. 254)
La théorie de Lacan. comme celle de Simone de Beauvoir. postule l'existence de
certains modes d'accès à la subjectivité Selon Lacan. les modes d'accès privilégiés sont la
vision (notion qu'il partage avec Freud) et le langage (conception principalement et
originellement poststructuraliste). Nous verrons que quand la femme n'a pas accés à ces
moyens d'atteindre la subjectivité. elle est reléguée au domaine des objets.
Lacan propose. comme Freud. une notion de ogendered subjectivity»'; pour lui, l'être
, Juliet Mitchell. Women: The Longest Revolution EssaYs on Feminism. Literature and
Psychoanalysis. London. Virago. 1984, p. 252.
•
- Nous ne traduisons pas cette e.xpression anglaise parce qu'il n'existe pas d'équivalent exact
en français.
17
humain ne peut pas s'affinner comme sujet ~n d~hors de la dichotomi~ homme/femme: chacun
doit adopter une position de sujet masculine ou féminine (Mitchell. 1984. 255) Dans les écrits
de Lacan et de Freud. la sexualité a un rôl~ privilé<,pé dans le développement du sujet. et. nous
le verrons. la sc.xualité masculine a surtout une position privilégiée dans ce développement.
Pour Lacan et Freud. la position de suj~t masculine est plus viable et plus cohérente que la
position de sujet féminine. parce que toutes les d~ux sont conceptualisées à partir d'un seul
organe sexuel. celui du mâle En considerant les theories lacaniennes et freudiennes de la
subjectivité, nous verrons pourquoi ces théoriciens considerent la se.xualité et la subjectivité
féminines comme problématiques
2. La vision comme mode d'acces à la subjectivité
Chez Freud. la vision joue un rôle décisif dans la construction du sujet. Dans sa
conceptualisation du complexe d'Oedipe ct de l'angoisse de castration, qui sont les moyens
par lesquels un individu accede à une position de sujet (selon Freud). Freud souligne
l'importance des ditlerences sexuelles anatomiques" Selon Freud. le garçon adopte une
position de sujet masculine quand il
l'Oit
la "castration» de la fille. et la fille accede à une
position de sujet féminine quand elle l'Oil le pénis du garçon: toute subjectivité, qu'elle soit
masculine ou féminine. est basée sur le constat visuel de l'absence ou de la présence du pénis.
Freud aniculates the 'discovCIY ofcastration' around a sight: sight ofa phallic
presence in the boy. sight ofa phallic absence in the girl. u1timately sight ofa
phallic absence in the mother. Sexual difference takes its actual divisive
significance upon a sighting. The privilege of the phallus as presence, the
•
; Chris Weedon, Feminist Praetice and Poststrueturalist Theorv, Oxford. Basil Blackwell,
1987. p. 47
\8
concomitant 'disappearance' of an\' Ii:mah: genita\ia under the phallie order. is
based on the privilege of sight <weI' other senses ..
L'accès à la subjecti\'itè est. pour Freud. princip:llemcnt une li.'nclion de la \isi<'n
Le travail de Lacan reprèsente une rdecture poststructuraliste des théories de Freud
lui aussi considère le complexe d'Oedipe el l'angoisse de castration comme des facteurs dans
J'acquisition de la subjectivité de l'individu De plus. la vision est aussi pour lui un mode
d'accès à la subjecti\;té. Selon la theorie de Lacan. cependant. l'accès de l'enlànt à la
subjectivité n'est plus aussi simple que chez Freud il comprend plusieurs étapes La premiére
étape., -le stade du miroi..... où l'enlànt pas."C de l'Ordre du Réel à l'Ordre Imaginaire. sc fonde
sur la vision; la deuxième étape. qui mène à l'Ordre Symbolique à travers le complexe
d'Oedipe. se base plutôt sur le langage.
Avant de passer par le -stade du miroi..... l'enlànt demeure dans -l'Ordre du Réel-,
pendant lequel il n'est pas capable de distinguer entre lui-mème el sa mère. enlre lui-mème el
son environnement.'u Le stade du miroir. qui vient interrompre cet ordre du Réel. commence
quand l'enfant voit sa propre image dans un miroir L'enlànl. se rendant compte que ce qu'il
voit dans le miroir est à la fois lui-mème el pas lui-mème. comprend plusieurs choses
Premièrement. que son identité est double el formée à partir d'une rupture: -[
1the child's
ego becomes split into the 1 which is watchingand the 1 which is watched-. (Weedon, 52)
• Jane Gallop. The Daughter's Seduction Feminism and Psychoana!m, Basingstoke,
England. Macmillan. 1982. p. 27.
•
:0 Elizabeth Grosz. Jacques Lacan: A Feminist Introduction. London, Routledge, 1990, p
34.
19
Le moi, c'est l'image du miroir en sa structure inversée, extérieure au sujet,
objectivisée. L'entité totale du corps est constituee mais comme extérieure à
soi et inversée. Le sujet se confond avec son image et dans ses rapports à ses
semblables d'ailleurs se manifeste la mème captation imaginaire du double.'1
Deuxièmement. l'enfant comprend qu'il ne forme pas une unité avec l'extérieur: il saisit le
concept de .l'extérieur>> pour la première fois Le stade du miroir est l'origine de la séparation
extérieurlintérieur, sujet/objet, soi/autre; oppositions qui vont structurer toute la vie de
l'individu.
As the threshold ofa number of ruptures or divisions which govern the child's
hitherto 'natural' cxistencc, the mirror stage is conditioned on: 1. The child's
tirst recognition ofa distinction bctwccn itselfand the (m)other/mirror-image
(self-as-other). [...] S. The advcnt ofan internalized psychic (as opposed to
neuro-physiological) sensory imagc ofthc self and the objects in the world.
(Grosz. 32)
Il importe de remarquer la distanciation comprisc par l'cnfant cntrc «itselfand the (m)other».
Le tout premier objet quc l'enfant voit connne «autrc. (à part lui-mème dans le miroir) est la
mère, unc femme. sans distinction du scxc de l'cnfant La subjectivité de l'individu se fonde.
au moins en partie, sur la vision dc la fcmlllc commc objct, de la femme-objet.
Les conséquences du stadc du miroir sont considérables pour la femme: elle est
désignée comme objet néeessaire pour la subj~'Ctivité dc l'cnfant. La femme devient un moyen
par lequel l'enfant s'affirme dans son identité. et dans sa séparation à lui d'avec son
environnement: elle est le moyen par lequell'cnfant se rend compte qu'il ne forme pas une
unité avec ce qui lui est e:l.1érieur. Lors de ce premier stade de l'accès à la subjectivite, l'enfant
voit sa mère comme objet. et il passe ainsi à l'Ordre Imaginaire.
Pour la psychanalyse. donc, la vision joue un rôle important comme mode d'accès à
•
:: Anika Riffiet-Lemaire. JacQues Laçan, Bruxelles, Charles Dessan, 1970, p. 294.
20
la subjectivité: on a d'ailleurs souvent accuse Freud et Lacan d'ocularocentrismc. d'être centres
sur la vue. La vue cst. de tous ies sens. celui qui confirme le plus facilement la separation
entre ~lljet et objet. (Grosz. 38) La vision et le regard sont le domaine de la domination et de
la maîtrise: celui qui voit a accès à son objet. sans pour autant être en contact avec lui. La
vision est. d'ailleurs. un moyen de distanciation de l'objet par le sujet. et donc une façon
d'objeetifier davantage ce qui est vu. Dans l'Ordre Imaginaire. l'enfant avance vers une
position de sujet à travers sa vision de sa mère. Bien que Lacan postule re:'Cistenee de cette
dyade mère-enfant dans l'Ordre Imaginaire. il n'examine pas les conséquenees du regard de
l'enfànt sur sa mère. La tàche de considérer les conséquences de cette spëcularisation revient
à Luce Irigaray.
Dans sa thèse de doctorat. SiLéculltlIJ ~leJ'aUl.Ie.lè_mme. Irigaray critique un discours
masculin qui domine la pensec philosophiquc dc l'Oucst. pcnsec quc rclùse l'existence même
de la femme. parce qu'incapable de concevoir une norme autre que masculine Si, d'après
Freud. l'organe masculin est l'origine de toute subjectivite, "the female difference is perceived
as an absence or negation ofthe male norm"." Selon Irigaray, la femme est vue par l'homme
comme ce qui lui est contraire, comme son inverse, comme son autre à lui: elle n'cst
considérée que par rapport à lui.... L'homme n'est capable de concevoir le monde qu'à partir
de lui-même, et la femme devient donc le non-homme.
:~
•
Toril Moi, Sexualrrextual Politics, London. Routledge. 1985, p. 132.
:.' Shoshana Felman. "Women and Madness: The Critical Phallacy". dans Warhol, Robyn R.
et Priee Herndl. Diane, èds.• Feminisms: An Anthology of Literarv Theorv and Criticism,
New Brunswick. New Jersey. Rutgers University Press, 1991, p. 7-8.
21
(...] le désir du mème. de l'identique à soi. du soi (comme) mème, et encore
du semblable, de l'alter ego, et pour tout dire de l'auto... et de l'homo... de
l'homme donùne l'économie de la représentation. La «différence sexuelle» est
tributaire d'une problématique du mème [ .. ] (Irigaray. 26-27)
Puisque l'homme n'est capable de penser qu'à travers cette économie du mème, la femme ne
peut ètre vue que dans la mesure où elle reflète l'image de l'homme à celui-ci: tout ce qui est
de l'altérité pure devient la négativité. le "continent noir». (Irigaray, 17)'· La femme, évaluée
selon de tels standards. selon un système qui ne voit qu'à partir de critères masculines, ne peut
ètre qu'inférieure...Once reduced to phallomorphic measurcs. woman is defined as 'really
castrated' by Freud/man.» (Gallop. 70)
D'après l'analyse que fait Irigaray de la psychanalyse de Freud et de Lacan, la femme
ne peut pas occuper une position de sujet parce que toute subjectivité a été définie par des
théoriciens masculins. Toute théorie du sujet a été postulée à panir d'un point de vue
masculin. point de vue qui ne voit que lui-mème. que la normativité de l'homme. Le sujet
«neutre» est, en vérité. un sujet masculin. (Gallop. 58) La femme n'existe que comme objet
nécessaire pour la subjectivité de l'homme. en mème temps qu'elle est niée dans son altérité. ls
" ..The thinking man not only projects his desire for a reproduction of himself (for his own
reflection) on to the woman; he is. according to Irigaray. incapable of thil/kil/g outside this
specular structure. Thus the femalecastration complex becomes still more of the Same.
Woman is not only the Other. as Simone de Beauvoir discovered, but is quite specifically
mal/'s Other: his negative or mirror image. This is why lrigaray claims that patriarchal
discourse situates woman olltside representation: she is absence, negativity, the dark
continent. or, at best a lesser man. In patriarchal culture the feminine as mch (...] is
repressed; it returns only in its 'acceptable' form as man's specularized Other.» (Moi, 1985,
133-134; c'est l'auteure qui souligne.)
••••
,..
:,'
>."
..
'" «Subjectivity is denied to women. lrigaray c1aims, and this exclusion guarantees the
constitution of relatively stable objets for the (specularizing) subject. If one imagined that
the woman imagines anything at ail. the object (of speculation) would lose its stability and
thus unsettle the subject itself» (Moi, 1985. 136)
22
Selon lrigaray, l'homme s'affirme comme sujet en regardant la femme: par ce regard
porté sur elle. la femme est reléguée au domaine des objets. et d~'\'ient le miroir pour le sujet
spéeularisant Le sujet doit se voir afin de se connaître' la lèmme est la médiatrice. L'homme.
pour se faire sujet, doit «usurper [...] un droit de regard sur tout, sur le tout, renforçant ainsi
l'usure de son désir [...]". (Irigaray. ISO) La lèmme n'existe que comme représentation par
l'homme; lui. au contraire, est focalisateur. et donc sujet. Elle «n'a pas de regard ni de discours
de sa specularisation spécifique qui lui permette de s'identilier à elle (comme) même [...]".
(Irigaray. 279) Dans une économie phallocentrique. la femme n'a pas la possibilité de voir, de
se voir, de voir l'homme comme objet. Pas de vision. pas d'accés à la subjectivité.
3. Le langage comme mode d'accès à la subjectivité.
Nous avons mentionné que chez Lacan. le passage de l'Ordre du Récl à l'Ordre
Imaginaire était la première étape par laquelle )'cnlànt devient sujet. La conceptualisation de
ce passage par Lacan. et la réinterprétation d'Irigaray. considérent la vision ct le regard
comme modalités critiques dans l'acquisition dc la "gendercd subjectivity". Cependant, "enfant
qui atteint l'Ordre Imaginaire n'a pas encore accédé à une position de sujet. L'enfant doit
entrer ensuite dans l'Ordre Symbolique. l'Ordre du social et de la culture, l'Ordre qui est régi
par le langage.
Pendant les stades du miroir et de l'Ordre Imaginaire. l'enfant ne peut avoir que des
relations duelles, le plus souvent avec sa mère. Pour que l'enfant devienne autonome, il faut
que quelqu'un vienne interrompre l'unité duelle entre la mère et l'enfant: c'est la fameuse
•
intervention du père dans le complexe d'Oedipe
Le phénomène oedipien est la réal.isation d'une transformation radicale et
universelle de l'être hurr.ain: le pas>age de la relation duelle. immédiate ou
encore spéculaire. autant de termes lacaniens. à la relation médiate propre au
registre symbolique par opposition à l'imaginaire La relation duelle première
de l'enfant à son semblable - qu'il s'agisse d'un autre enfant. de l'image de luimême que lui reflète le miroir ou de la mèr~ elle-même - ne donne pas à
l'enfant sa subjectivité (Riffiet-Lemaire. 143)
Dans la conception lacanienne de l'Oedipe. l'enlànt subit une menace de castration
symbolique: le père refuse que l'enfant soit l'objet de gratification pour la mère. et aussi que
la mère soit l'objet de désir pour J'enfant. 1. Afin d'entrer dans l'Ordre Symbolique (d'accéder
à une position de sujet séparée de la mère et du monde). l'enfant doit accepter cette
prohibition. et il doit accepter le Phallus comme la représentation de la Loi-du-Père, et du
Nom-du-Père. (Moi. 1985. 100) Selon Lacan. l'entrée dans l'Ordre Symbolique. et donc
l'acquisition d'une position sociale el culturelle. est toujours tondee sur le Phallus: le signifiant
transcendant qui pernlet à l'enfant d'entrer dans le langage.
On pourrait soutenir. avec Lacan lui-même et la plupart de ses disciples. que le Phallus
n'a rien à voir avec le pénis. et donc que l'accès au Symbolique n'a rien à voir avec le sexe de
l'individu. Le Phallus de la psychanalyse lacanienne est. on a prétendu. le signifiant
transcendant; ce qui représente la gratification absolue et impossible (parce que toujours
dèférée); le signifiant qui désigne tous les effets de signification. (Gallop. 20) Le Phallus
représente la jouissance parfaite que personne ne peut jamais atteindre. Il n'est pas le pénis,
et donc il n'existe pas d'inégalité entre l'homme et la femme en ce qui concerne l'accès au
:.' -In order for the dyadic structure to give way to the plurality constituting the symbolic
Order. the narcissistic couple must be submitted to symbolic regulation. Within the confines
ofthe nuclear family. this order is initiated by a third family member - the father - who most
easily [...] can represent law. order. and authority for the child.» (Grosz, 67-68)
•
24
Symbolique. Personne ne l'a et ne l'aura jamais, selon Lacan Pour ses critiques féministes, par
contre, le signifiant -phallus» fait toujours rëlërence au signifié -pénis», (Gallop. 96) Pourquoi
choisir le mot -phallus» si cela n'a absolument rien à voir avec "pénis»')
The penis is what men have and women do not; the phallus is the attribute of
power whieh neither men nor women have, But as long as the attribute of
power is a phallus which refers to and can be confused (in the imaginary
register?) with a penis, this conlùsion will support a structure in whieh it
seems reasonable that men have power and women do not. (Gallop, 97)
Chaque enfant fait son entrée dans l'Ordre Symbolique. l'Ordre du langage, où on accède à
une position de sujet à travers le langage. quand il ilccepte la Loi-du-Pêre, et quand il accepte
le Phallus comme signifiant de la signification même
Comme mode d'accès à la subjectivité. le rôle du langage est peut-être plus évident
que l'action et la vision, puisqu'on se nomme sujet dans l'acte même de parler. En parlant, on
se pose comme le -je» énonciateurlsujet, ce qui suppose nécessairement la présence d'un
objet un .tu» auquel le .je» parle. ct un -quoi» dont il parlc L'cmploi du langage est donc une
double instauration de soi comme sépare de l'extérieur
Le langage est donc la condition de la prise de conscience de soi comme entité
distincte. 11 est de même le moyen par lequel l'individu prend distance et
autonomie par rapport au monde des choscs réelles qu'il pose 'en soi' [.. .].
(Riftlet-Lemaire, 114)
L'entrée dans l'Ordre Symbolique et l'acquisition de la subjectivité sont donc réglées par le
langage comme élément médiateur, comme l'élément de distanciation entre soi et l'autre. Bien
qu'elle permette à l'individu de s'affirmer comme sujet, cette fonction médiatrice du langage
a des désavantages. Donner un nom à une chose dèsigne en même temps la présence et
•
l'absence de cette chose: parler est un acte de substitution, une "Opération de médiation»,
(Rifllet-Lemaire, 110) Après son entrée dans J'Ordre Symbolique, le sujet ne peut avoir que
des relations médiatisées par le langage.
La prise d'une position énonciative met le sujet parlant sous la dépendance de l'élément
médiateur, le langage L'Ordre Symbolique est le domaine de la primauté du signifiant sur le
sujet. (Grosz, 66) L'cnfant, en faisant son entrée dans le Symbolique. sera nécessairement
marqué par cet Ordre, par la primauté du langage' selon Anika Rifllet-Lemaire, l'enfant va en
-recevoir la marque indélible». (Rifllet-Lemaire, 114) Si le Symbolique est domi:tê par la
notion du Phallus comme signifiant transcendant, comment l'enfant ne pourrait-il pas
intérioriser cette perception du privilège dont jouit l'organe masculin? Est-il même possible
pour la fille d'accêder à une position dans le Symbolique sans se considêrer comme
insuffisante, comme châtrêe""
L'entrêe de la fille dans le langage suppose un consentement au Nom-du-Père, au
langage patriarcal, à la culture patriarcale (Gallop, 47) Mais ce n'est pas seulement pour la
fille que l'entrée dans le Symbolique est problématique. La primauté du signifiant sur le sujet
énonciateur (Gallop, 19) est la condition de subjectivitê pour le garçon aussi: le résultat est
le fameux Spa/tl/III: de Lacan, la fente du sujet. Nous avons notê que le stade du miroir
marque la première rupture dans le sujet: il se voit dans le miroir, et comprend que son image
•
: 7 «The paternal metaphor is not a simple incantation but the formula by which the subject,
through the construction of the unconscious, becomes an 'l'and can speak in its own name.
What occurs in the case ofthe girl is less c1ear and explicable. In one sense, in so far as she
~-peaks and says 'l', she too must take up a place as a subject of the symbolic; yet, in another,
in so far as she is positioned as eastrated, passive, an object ofdesire for men rather than a
subject who desires. her position within the symbolic must be marginal or tenuous: when she
speaks as an 'rit in never c1ear that she speaks (of or as) herself Shc speaks in a mode of
masquerade. in imitation ofthe masculine. phallic subject.» (Grosz, 71-72)
•
est à la fois lui-même et pas lui-même Une fente parallèle est le resultat de l'entree dans le
langage: le sujet est séparé de lui-mène par son usage du langage -Si l'acces au logos est
salutaire en ce qu'il poulVoit le sujet d'une indi\"idualitc. l'impossible coincidence du 'Je', sujet
de l'énonciation. et du 'Je'. sujet de l'énonce. amorce la dialectique des alienations du sujet. Le
sujet se fige en ses énonces et la totalite de ceux-ci s'editie peu à peu en un moi qui est
objectivation du sujet." (Rifilet-Lemairc. 135)
La subjectivité de Lacan, comme elle est construite dans et par le langage, est
mouvante et précaire. Et puisque la femme doit sc situer dans le langage du côté dc l'absence
du Phallus. sa position est doublement precaire, elle est -châtrée, notamment et sunout de
paroles". (Irigaray, 176) Puisque. selon la théorie de Lacan. l'identité d'un individu doit passer
par le Nom-du-Père. la possibilité d'une identité lëminine n'e.~iste pas. (Gallop, 54) Doit-on
conclure avec Lacan que la femme n'c.~iste pas" Si la subjectivité est régie par la Loi-du-Père,
doit-on comprendre qu'une position de sujet lëminine n'existe pas? Les travaux de Julia
Kristeva cssaient de repondre à ces questions.
Selon Kristeva. l'entrée dans le S}mbolique telle quc conceptualisée par Lacan n'offre
pas de position viable à la femme. Parce qu'on doit atteindre le Symbolique par le biais du
langage, langage qui est réglé par le Phallus comme signifiant transcendant, la femme est
empêchée de s'affirmer comme sujet. Elle ne peut pas atteindre la subjectivité parce que le
langage est trop phallocentrique pour lui offiir un passage.
•
Because women do not occupy the subject-positions accorded to men in a
patriarchal symbolic order, that is, because women are positioned as castrated
and men as phailic, womcn are not illsidl! the symbolic in the same way as
27
men.
(GroS7~
166)
Kristeva reformule la théorie lacanienne de l'accès à la subjectivité pour essayer de tenir
compte de l'existence de la femme Elle postule l'existence de certaines formes non-verbales
d'expression féminines et maternelles. qu'elle nomme le sémiotique et le chora sémiotiquel ".
Ces modes d'e.xpression contestent le Symbolique à partir de ses marges. Cependant. le
sémiotiGue Ile remplace pas le Nom-du-Père· il ne fait que s'ajouter aux limites de celui-ci.
Pour devenir sujet. l'individu doit toujours entrer dans le Symbolique. D'ailleurs. selon
Kristeva. ce ne sont que les hommes qui peuvent accéder à une position stable de sujet dans
l'Ordre Symbolique. (Grosz. 164) La théorie de Kristeva ne contribue donc pas beaucoup à
l'accès de la femme au langagc et à la subjectivite
Dans la psychanalyse lacanienne. la seule position énonciative viable est masculine.
Si la femme n'cntre pas dans l'Ordre Symbolique. l'Ordre du langage, l'Ordre des relations
médiatisées par le langage. elle ne dC\ient pas sujet. Ce ne sont pas que les psychanalystes qui
postulent la création du sujet par le biais du langage; c'est aussi ce que propôsent A1thusserl9
et Foucault.:!II De même. ce ne sont pas seulement les critiques féministes de la psychanalyse
18 Kel1y Oliver. Reading Kristeva: Unraveling the Double-bind, Indianapolis, Indiana
University Press. 1993. p. 46.
1" Louis Althusser, Lemn and Philosophy and Other Essavs. London, New Left Books. 1971:
voir Chris Weedon. Feminist Praetice and Poststrueturalist Theorv. Oxford. Basil Blackwell,
1987, p. 29-30.
•
La volonté de savoir, Paris,
Gallimard. 1976.211 p.: voir Chris Weedon, Feminist Praetice and POststrueturaIist Theo!)',
Oxford. Basil Blackwell, 1987, p. 107-125.
:è Michel Foucault. Histoire de la sexualité: Volume 1
•
28
qui examinent la relation problématique de la li:mme avec le langage des linguistes féministes.
telles que Marina Yaguello" et Dale Spender:. ont écrit au sujet de l'inégalité de la relation
des hommes et des femmes à la langue Pour elles. l'homme et la femme se servent
différemment de la langue; ils n'ont pas la même relation à celle-ci parce qu'ils n'ont pas le
même accés au langage masculin. Cene dillërence n'est pas sans conséquences:
Language is the place where actual and possible forms ofsocial organization
.and their likely social and political consequences are defined and cOntested.
Yet it is also the place where our sense of ourselves. our subjectivity, is
cOl/stnlCII!d. The assumption that subjectivity is constructed implies that it is
not innate. not genetically determined. but socially produced (We..'don. 21:
c'est l'auteure qui souligne.)
•
Si on n'a pas accés à la langue. on demeure incapable de s'affirmer comme sujet.
C'est Althusser qui a d'abord proposé l'idée de «l'interpellation des sujetS" (Althusser,
1971, 162-163. cité dans Weedon. 30) par un discours ou par une idéologie; c'est-à-dire que
le discours est pré-existant à l'individu. el que l'individu adopte une position de sujet à
l'intérieur du discours. Cene théorie a été élaborée par Michel Foucault, dans ses conceptualisations du discours: pour lui. on ne peut accéder à une position de sujet que de l'intérieur
d'un discours. (Weedon, 97) Si le langage produit la «réalité.. dans laquelle nous vivons, et si
l'individu est interpellé comme sujet par un discours particulier, le discours à l'intérieur duquel
il adopte une position de sujet marquera fondamentalement ce suje: énonciatcur. L'individu
s'affirme comme sujet en participant dans un discours. mais il est aussi
«SuhJl!cled to
the
power and regulation of the discourse... (Weedon, 119; c'est l'auteure qui souligne.) Le
•
:: Marina Yaguello. Les Mots et les femmes. Paris, Payot, 1978, 203 p.
:: Dale Spender. Man Made Language, London. Routledge & Kegan Paul, 1985, 250 p.
•
29
problème pour la femme est double' une fois de plus. die est marquée par une langue qu'elle
utilise mais qui n'est pas la sienne De plus. elle doit essayer de s'affirmer comme sujet à
l'intérieur des discours qui. le plus souvent. lui posent des problèmes. La -question" de la
femme constitue en elle-même une partie importante des discours masculins: dans des textes
littéraires. critiques. voire psychanalytiques. la fentme est devenue l'énigme. la question, le
problème qu'on doit résoudre.'" Où la tèmme doit-elle se positionner par rapport à ces
discours masculins? La femme n'a pas accès aux mêmes discours que ('homme: comment
peut-elle atteindre ou affirmer la subjectivitè')
Cest là une question fond:lmentale du féminisme comment la femme parviendra-t-elle
à la position de sujet? Nous avons vu que. pour la plupart. les théories de la subjectivité ont
été postulées par des hommes. pour des hommes. Même dans ce chapitre. en considérant la
subjectivité spécifiquement par rapport à la femme. nous avons été obligée de retourner aux
autorités -patemelles-. aux théoriciens masculins de la subjectivité que le féminisme a ensuite
réinterprétés: à Sartre. à Freud. à Lacan. à Foucault Qu'est-ce que la femme doit faire pour
devenir sujet? Voir. observer. selon Lacan et Irigaray Agir. produire, travailler. selon Sartre
et de Beauvoir. Parler. écrire. discourir. selon Lacan et Foucault. Pour chacun de ces
théoriciens. l'accès de la femme à une position de sujet est problématique: faute de mode
d'accès. elle demeure dans la position d'objet. Comme nous le verrons dans le troisième
chapitre de ce mémoire. cette conception des modes d'accès à la subjectivité est très
•
" Biddy Martin. -Feminism. Criticism. and Foucault". dans Irene Diamond et Lee Quinby,
éds.• Feminism and Foucault: Reflections on Resistanc~ Boston, Northeastern University
Press. 1988. p. \3-14.
•
30
importante en ce qui concerne les deux personnages tëminins de La Modification. Nous
verrons qu'effectivement. les deux femmes n'agissent pas. ne parlent pas. ne voient pas. et
donc demeurent des objets. ne s'atlirrnent pas comme sujets. Mais avant de passer à celle
êtude. il convient d'e.xaminer le rôle spécifique des objets en gênêral chez Butor.
•
•
CHAPITRE DEUXIÈME
•
•
..,
.'-
D'après les yaleurs sociales qui étaient dl'minantes à l'époque dur.mt laquelle
Li!
Modjfication a été écrit. la tèmme était considén.'c comme un objet par rapp.m au sujet
masculin: le grand nombre d'écrits théoriqu~"s consacn.'s à l'analyse de eeue ob.i~"ctilicati"n
témoigne de l'envergure de celle-ci. La repn.'scntation textuelle de la li:mme dans
1il
Modjfication semble reproduire ccrtains aspects de ceue situation: les Jl<.'l"SOnnages Ii.'minins
sont relégués au niYcau des objets. Nous soutenons en outre que la ti.-mme fonctionne comme
objet à la manière de toutes les autres choses inanimées de (,a ModjfiÇi\tjon. lltàudra donc
examiner le rôle des objets dans I.a Modjticmion. d'abord sous ('angle du Nouveau Rom'ID
en général. ":cole-1 dont Michel Butor tàit partic. ct ensuite sous ('angle des lonctions
remplies par des objets particuliers dans (,a ModjtiÇi\tjpn.
1. I.'ohjçt dans lç NQuvc;au Roman,
La première réaction critique au traitement des objets dans le Nouveau Roman a été
assez hostile. La critique a accusé Alain Robbe-Grillet. Michel Butor. Nathalie Sarraute et
autres d'être oehosisteso: de trop privilégier les choses au détriment de l'être humain. On les
a chargés d'être anti-humanistes. d'écrire des anti-romans. d'accorder plus d'importance à une
objectivité scientifique qu'à une subjectivité humaine. On leur a donné pour ceUe raison
•
Nous mettons ce mot entre guillemets parce que les membres de cette <Cole- (Alain
Robbe-Gril1et. Michel Butor. Nathalie Sarraute. Claude Simon. ete.) ne se sont jamais
accordés sur l'idée que les praticiens du Nouveau Roman constituent une école.
l
l'étiquette oêcole du regard•.~ En outre. la critiqlie a prétendu que les Nouveau:..: Romanciers
étaient tellement jalou:..: de la popularité du cinéma. qu'ils eSs:lyaient de s'emparer de ses
teehniques. 3
Pourquoi une réaction si hostile? La plupart du temps. c'était parce que la critique
avait une idée. formée à partir du traitement des objets dans le roman traditionnel (de type
balzacien). de ce que de\'rait être le rôle des objets dans le roman. Selon Françoise Baqué.
dans le roman traditionnellbalzacien.•Ies choses [...) ont toujours constitué non ~ulement
l'entourage. mais le prolongement néc=ire du personnage du roman. la marque distinctive
de s:I position sociale et de son caractère particulier. l'instrument et le rellet de ses rapports
avec les autres-: L'objet dans le roman était censé d'attirer l'attention sur le personnage. et
non pas sur lui-même.
11 faut alors passer par le décor. par le visage. par les gestes ct les
mali:festations extérieun.'S pour arriver a ('âme.l...) C'est donc en fonction de
ses personnages. où plutôt en fonction du comportement qu'ils vont avoir
dans les circo'lstances où il les place qui le romancier [de l'époque
balzacienne) prend la peinc de décrire longuement le lieu de cette action et
les personnages eux-mêmesf
Ce qu'on reprochait aux Nouveaux Romanciers. c'est justement de ne plus utiliser les objets
pour faire le portrait du héros. de refuser de faire .une projection soit de l'homme dans la
, John Sturrock. .Introduetion-. dans The French New Novel, London, Oxford University
Press. 1969. p. 2.
) Jean Bloch-Michel. I.e Présent de l'indicatif. Paris. Gallimard, 1963, p. 106.
• Françoise Baqué•.chapitre 2: L'Objet-. dans I.e Nouveau Roman, Paris, Bordas, 1972, p.
65.
•
• Bernard Pingaud••La Technique de la description dans le jeune roman d'aujourd'hù-,
Cahiers de l'Asmjation Internatjonale des=études francaises 14, 1962, p. 167.
.
\
_•. ..:
c,'
34
chose. soit de la chose dans l'hommc-o (Bloch-Michel. 9~) Selon les premièn:s critiques du
Nouveau Roman. la description telle que pratiquée par Robbe-Grillet et par d'autres
Nouveau.'" Romanciers -:r.corde priorité à l'objet sur le spcctateur. au monde sur l'hommc-o
(PingauJ. 167)
Le Nouveau Roman. à l'avis de St.'S détracteurs. est anti-humaniste parcc qu'il décrit
des objets comme éta.,t .irréductibles. indilTén:nL~ aux intentions humaincs-. (Baqué. 68) La
critique a reproché au Nouveau Roman de ne vouloir rien din:: on a prétendu que le monde
d'objets décrit par les Nouveaux Romanciers était compl.ètement sans signitication. (BlochMichel. 65)
Le r"mancier s'empare d'un objet. si insignitiant soit-il. et le décrit avec
précision. avec minutie même. L'objet ne renvoic à ricn. Il sc contcntc d'êtn:
là. Le romancicr ne ,'cut lui donncr aucunc signilication. Il Ic d~'crit en
privilégiant les adjectifs 'opti'l.Jes'. en refusant les épithètes romantiqu~'S.
psychologiques. morales."
Cette idéc. que les objets dans le Nouveau Roman nl: veulent rien dire. est un des
clichés les plus répandus dans la critique de ces romans. Pourtant. comme bien des e1ichés
critiques. celui-ci n'admet pas dc ditrén:nces entre le traitement des objets chez les divers
auteurs. Il semble regrouper tous les Nouveaux Romanciers. avec leurs procédés. sous la
rubrique .Nouveau Roman- qui. il semble. devrait être plutôt la rubrique .Alain RobbeGrillet-. La critique. en parlant de la -représentation parfaitement objcctive des choses. telles
qu'elles pourraient se présenter li un oeil inhumain. à un oeil indilTérent- (Bloch-Michel, 94),
semble ne parler que de la représentation des choses chez Robbe-Grillet. A cause de
•
Nicole Bothorel. Francine Dugast., et Jean Thoraval••La Description-, dans Les NOUVeaUX
Romancjers. Paris. Bordas. 1976. p. 100.
6
35
l'étiquette -Nouveau Roman-. les autres Nouveaux Romanciers sont classés immédiatement
avec lui. Il semblerait en effet que la plupan des critiques qui accusent le Nouveau Roman
en général de -relever seulement la disposition des objets les uns par rappon aIL'\: autres. leur
aspect. leur conformation. jamais ce qu'ils sont pour celui qui. en les décrivant. s'y
projetterait lui-même- (Bloch-Michcl. 98). basent leur interprétation sur Pour un nouVeaU
J:llIllilIl' de
Robbe-Grillet. prenant cc livre comme le manili.'Ste d'une école.
Pour la même raison. la «description minutieuse. précise. obsédante. répétée(Bothorel. Dugast ct Thoraval. 99). qui sc trouve chez tous les praticiens du Nouveau
Roman. a été présentée par la critique comme étant une description vidée de toute
signification. ce qui n'est justement pas le cas chez tous ces écrivains. Ce n'est qu'avec
l'anicle de Roland Banhcs. _II n'y a pas d'~'cole Robbe-Grillet-". que la critique a commencé
à remarquer les ditlërences entre les ~'crivains.
7 Dans Pour IlIJ nom'ça\! roman. Robbe-Grillet parle des objets dans ses romans, selon sa
théorie. Il voit dans ses descriptions objectives. comme le font ses critiques, le refus de la
description subjective balzacienne. où chaque objet était présent afin d'appuyer le portrait des
personnages. Le projet de Robbe-Grillet est donc d'aller aux antipodes de cette -idée
'pananthropique' contenue dans l'humanisme traditionnel. (Robbe-Grillet, 64), de refuser
d'assimiler les objets au personnage. de les poser comme totalement extérieurs à l'homme.
Ainsi. -le monde n'est ni signifiant ni absurde. Il est, tout simplement» (Robbe-Grillet, 21;
c'est l'auteur qui souligne); -les choses sont là». (Robbe-Grillet, 21; c'est l'auteur qui
souligne.) Il ne veut pas que les objets soient le reflet de l'âme du héros (Robbe-Grillet, 24):
sa théorie nie l'établissement de rappons émotifs entre l'homme et son monde. Le seul
rappon possible pour lui est le visuel objectif. d'où l'objectivité géométrique de la description
des objets chez Robbe-Grillet.
•
, Roland Banhes. -II n'y a pas d'école Robbe-Grillet_. dans Essajs critjQues. Paris. Seuil.
1964. p. lOI-lOS.
36
Dans cet article. Barthes analyse les objets dans les romans de Robbe-Grillet et dc
Butor. et conclut qu'on ne peut pas les classer sous une même rubrique. comme tant de
critiques ont fait auparavant. A propos des objets dans l'oeuvl"<: romanesque de Robbe-Grillet.
Barthes constate que:
[...] si Robbe-Grillet décrit quasi-géométriquement les objets. c'est pour les
dégager de la signification humaine [...]. Le regard est essentiellement chez
Robbe-Grillet une conduite purificatrice. la ruptUI"<: d'une solidarité [...] entre
l'homme et les objets. (Barthes. 102)
Barthes s'cfforee de distinguer les objets butoriens de leurs équivalents chez Robbe-Grillet.
Pour lui. les choses de Butor ne sont pas du tout privées de signification: elles en sont au
contraire remplies. Les objets butoriens sontl/llClll1gitJlIc!s (B:lrthes. 103): il existe une lorte
complicité entre eux et les personnages du roman. LL'S objets révèlent le caractère du
personnage qui entre en contact avec eux.
Robbe-Grillet décrit les objets pour en expulser l'homme. Butor en fait au
contraire des attributs révélateurs de la conscience humaine. des pans
d'espace et de temps où s'accrochent des particules. des rémanences de la
personne: l'objet est donné dans son intimité douloureuse avec l'homme. il
fait partie d'un homme. il dialogue avec lui. il l'amène à penser sa propre
durée. à l'accoucher d'une lucidité. d'un dégoût. c'cst-à-dire d'une rédemption.
(Barthes. 103)
Bien que Barthes parle de la différence entre l'objcctivité géométrique ct déshumanisée de
la description des choses chez Robbe-Grillet. et les objets analogiqucs et révélateurs de la
conscience humaine chez Butor'. il n'explore pas les moyens par lesquels Ics objets butoriens
Il faut noter ici que. contrairement à ce que dit Barthes., beaucoup de critiques parlent dcs
objets chez Robbe-Grillet comme étant aussi révélateurs du personnage principal que ceux
de Butor. Par exemple. Patricia Jaeger (71). Jean-Bertrand Barrère (95), Virginia HargerGrinling (25). Françoise Baqué (85). et Ludovic Janvier (23) écrivent tous à propos de l'idée
que le personnage principal robbe-grilletien "SC trouve en quelque sorte dessiné en creux par
9
•
37
dévoilent cette conscience humaine. Qu'est-cc qui fait que ces objets soient analogiques?
Chez Butor. les objets sont des indices du caractère du personnage principal. mais pas de la
même manière que les objets ba17.aciens.
Dans la description balzacienne. les objets renvoyaient aux personnages par leur
identité même: leur qualité. apparence. perfection de création. etc.: tout aspect de l'objet était
préscnt pour indiqucr le statut social du personnage. III Chez Butor. cc n'est pas la particularité
fonctionnelle dcs différents objets qui importe. mais plutôt leur rapport avec le personnage
principal: en el1èl.lcs choses butorienncs sont révélatrices du personnage parcc qu'clles sont
vues. regardées. considérées. utilisées par cc personnagc. Les objets ne sont considérés que
relativcment au personnage principal. Comme le remarque Jacques Howlett. .quelque chose
d'important apparaît dans lc roman lorsque Flaubert écrit: 'II n'y a de vrai que Ics -rapports»
c'cst-à-dire la façon dont nous pem.!I"<ms les llbjets.'»" Butor lui-même a dit. dans un article
qui s'intitule -Philosophie de l'ameublement». que od~'crire des meubles. des objets. c'est une
Ics objets qu'il perçoit». (Baqué. 85) Selon ces critiques. la subjectivité du personnage robbegrillctien se révèle dans la manière dont ce personnage regarde et décrit les objets. On dirait.
d'ap~\g ccs articles. que le projet de Butor n'est pas si dil1ërent de celui de Robbe-Grillet.
-Dans le roman initial. les objets et les gestes qui servaient de support à l'intrigue
disparaissaient complètement pour laisser la place à leur seule signification: la chaise
inoccupée n'était plus qu'une absence ou une attente. la main qui se pose sur l'épaule n'était
plus que marque de sympathie. les barreaux de la fenêtre n'étaient que l'impossibilité de
sortir... Et voici que maintenant on voit la chaise. le mouvement de la main. la forme des
barreaux.» (Robbe-Grillet. 22: c'est l'auteur qui souligne.)
10
•
Jacques Howlett. -Notes sur l'objet dans le roman»•.EsJxil. 26e année. 263-264.juiIlet-aout
1958. p. 68.
11
38
façon de décrire des personnages. indispensable [... ]_.'~ Dans les romans de Butor. la
description des choses. comme eUe est faite par le personnage principal. est révélatrice de
la conscience qui perçoit et décrit ces choses. Comme plusieurs critiques ont remarqué. un
objet peut avoir plusieurs signilications: il apparaît ditli:remment à chaque personnagc qui
le regarde." La description que fait un personnage d'un objet revoie à odes attitudes
physiques et morales. des états psychologiques variés [...]- (Bothorel. Dugast et Thoraval.
109) de la conscienee qui perçoit. Les origines de cette notion. c'est-à-dire que le personnage
se révèle dans ce qu'il voit dans les objets. se trouvent dans la phénoménologie de Husserl.
développée plus tard par Merleau-Ponty et S:lrtre. Selon cette philosophie. oconsciousness
must be consciousness of somedting [...]_ (Sturrock. 27): l'imponant c'est le lien entre celui
qui perçoit et ce qui est perçu.
The existcntial e1ements of such a concept of the novel are immediately
evident: the idea that reality consists of the interaction between the series of
phenomena which present themsclves to consciousness and consciousness
itself: the interest in the relationship between what we might cali exterior
being. the being of things. with interior being or human being. what Sanre
caUs being-in-itself and being-Ior-itself: the attempt at an analysis of the
contents of consciousness in order to arrive at what we genemUy term
reality.'·
Le projet de Butor est. à notre avis. plutôt l'inverse dc cc qui est décrit dans cette
" Michel Butor. - 'Philosophie de l'ameublement' _, dans Rénenojre Il. Paris, Éditions de
Minuit. 1964. p. 54.
Emily Zants. -The Relation of Epiphany to Description in the Modem French Novel-,
ComparatÏ\'e !.iterature Studjes. V-3. 1968. p. 318.
lJ
•
,. Frederic C. St. Aub~n. -Michel Butor and Phenomenologica1 Realism-, Studi francesi. 16.
1962. p. 54.
39
dernière phrase: e'est l'analyse de ce qu'on pourrait appeler la -réalité- dans ses romans afin
d'arriver à un portrait de la conscience pereevante. Dans les romans de Butor. et
particulièrement dans La Modification. la description de la conscience du personnage
principal est faite à IrCll'ers les objets qui entourent ce personnage. La vision du personnage
devient une sorte de miroir déformant dans lequel les objets sont reflétés. Ce qu'on voit.
comme lecteur. est ce qui est reflété dans le miroir: les objets. Et ce qu'on veut déchiffrer.
analyser à partir de ce retlet. est le miroir lui-même: les caractéristiques de celui-ci. les
déformations et marques qui révèlent le caractère du personnagc principal.
Thus an object is no longcr important pl!r SI!. il is important in its relationship
to the consciousncss in which it has appeared. From the novelists' point of
view. this or that object is a pretext. since il is at the form ofconsciousness
that he wishes to din.'Ct our attention and not exclusively at its content.
(Sturrock. :m
Il s'agirait donc d'analyser les objets dans ce roman afin de voir par quels moyens les
objets et la description des objets renseignent sur la subjectivité du regard du personnage
principal. La façon dont le personnage s'en sert peut être révélatrice (les objets conçus
comme de simples instruments). et les parallèles qu'on peut établir entre la description des
objets et celle de la situation du personnage sont eUl, aussi révélateurs. En outre. le caractère
du personnage principal se révèle à travers les associations et les souvenirs qui sont
déclenchés par les objets. et à travers le regard subjectifqu'il porte sur les objets. En somme,
on verra que _pour Michel Butor il y a un monde d'objets que la conscience signifie, les
•
objets gravitent autour de la conscience [... Jo. (Howlett. 70)
40
2. L'jostrnmentalité,
Commençons avec l'instrumentalité des objets. Celle instrumentalité semble être une
caractéristique inhérente à l'objet: du simple objet à l'ustensile il n'y a pas beaucoup de
distance. Michel Butor. dans sa -Philosophe de l'ameublement-. prétend que ies
[...] objets ont une vie historique corrélative de celle des personnages. parce
que l'homme ne forme pas un tout à lui seul. Un personnage. un personnage
de roman. nous-mêmes. ce n'estjanmis un individu. un corps seulement. c'est
un corps vêtu. armé. muni: cenains aninmll.x ont des pinces. d'aulrcS des becs
piquants. des cornes. l'homme ne peut se passer de cell.x qu'il a fabriqués.
Sous peine de disparition. Le véritable organisme. c'est l'ensemble du corps
et de ces objets qui appartiennent à l'espèce humaine comme tel nid à telle
espèce d'oiseau. (Butor. 1964b. 55)
L'objet est present pour être utilisé. Mais le choix des objets et cc qu'on en làit est toujours
révélateur du caractère du personnage: ce n'est pas tout le monde qui se servirait d'un livre
de la façon dont Léon l'utilise dans La Modi licmion. A propos de celle instrumentalitë des
objets. Jacques Howlell a dit que -dans le plus psychologique des romans il y a sous-jacent
un univers d'ustensiles: on les prend. on s'en sert. on lcs pose [...]-. (Howlell. 67) Léon
Oehuont. dans le cas d'utilisation qui est peut-être le plus marqué (parce que le plus
fréquent). se sen de son livre (dont il ne connait même pas le titre. ni l'auteur) comme un
instrument. Chaque usage du livre est un indice de son caractère. O'abord,le livre lui sert de
garde-place: chaque fois qu'il sort de son compartiment il laisse le livre sur le siège qu'il
vient de quitter: -[...] le roman que vous aviez acheté gare de Lyon juste avant le départ et
que vous déposez sur la banquette à l'endroit que vous venez de quittero.'s L'acte de marquer
une place avec un livre est assez commun. mais le fait que Léon s'inquiète tellement de
•
,. Michel Butor. La Modjficatjon. Paris. Éditions de Minuit. 10/18. 1957. p. 49.
•
41
garder sa place est intéressant. 11 voyage. cene lois-ci. en troisième classe: est-ce qu'il aurait
eu à s'inquiéter s'il avait été en première? De plus. il doit garder sa place parce qu'il ne cesse
de se lever et de se rasseoir: c'est un indice é\·ident de son agitation ct de son inquiétude.
L'utilisation du livre comme garde-place nous indique déjà un peu l'état mental de
Léon: le fuit qu'il n'essaie jamais de lire ce livre est lui aussi révélateur. A première vue. on
pourrait être tenté d'en inlërer que Léon n\:st pas très cultivé. ou simplement qu'il n'aime pas
la lecture. Pourtant. on sait qu'il a lu des livres pendant d'autres voyages: on peut se
demander s'il ne lit pas parce que ce voyage particulier est angoissant. Oclmont n'est
évidemment pas à l'aise avec la décision qu'il a prise d'amener Cécile à Paris. et de quitter
sa femme: il n'est pas capable de se détendre. de lire son livre et de profiter du voyage. Plus
loin dans le roman. Léon essaie de se servir de son livre. et des autres objets dans le
compartiment. pour se distraire de ses problèmcs:
[...j ce livre que vous aviez acheté pour qu'il vous distraie [... j. (Butor. 1957.
198)
La lumière était dure et brûlante. mais les objets qu'elle éclairait présentaient
du moins une surface dure à laquelle vous aviez l'impression de pouvoir vous
appuyer. vous accrocher. avec quoi vous tentiez de vous constituer un
rempart contre celte inliltration. celte lézarde. celte question qui s'élargit [... j.
(Butor. 1957. 238-239)
Une fois de plus. l'usage que Oelmont fait de son livre et des autres objets dans le
compartiment témoigne de sa malaise (malaise qui semble être le résultat de ses doutes à
propos de ses projets avec Henriette et Cécile). La situation émotive et morale de Léon se
révèle à travers sa façon de se servir du livre. 11 dit lui-même des livres d'un autre passager
•
qu'ils sont csans doute ennuyeu."(. reliés. au-dessus de lui comme un emblème. comme une
•
42
légende qui n'en est pas moins explicative. ou énigmatique. pour être une chose. une
possession et non un mot[...]-. (Butor. 1957. 10)
3. Desçrimion des ohjets, description de ILl sjtULltjOD du sujet: pnrnllèles,
Partout dans La Modificatjon. il existe des ressemblances entre les descriptions des
objets. et celle de la situation du personnage: c'est le deu.xième mode par Icquc1les objets
révèlent le caractère du personnage. Françoise van Rossum-Guyon remarque que ces objets
sont des -anributs et possessions. ils révèlent l'âge. le milieu social. la profession. les
habitudes de leurs propriétaires-. 'b Il y a
d~'S
rapports analogiques entre les objets et le
personnage". et les objets deviennent une sorte de métaphore pour la situation et le caractère
de Léon. Voici une citation prise parnli de nombreu.x exemples:
[...] votre propre valise ....'couverte de cuir vert bouteille à gros grain avee vos
initiales frappées -L.D... cadeau de votre famille à votre précédent
anniversaire. qui était alors assez élégante. tout à fait convenable pour le
directeur du bureau parisien des machines à écrire Seabelli. et qui peut encore
faire illusion malgré ces taches grass~'S qui se révèlent à un examen plus
anentif. et cene sournoise rouille qui commence à ronger les anneau.'l(. (Butor.
1957.12)
Dans ce eas-ci. il y a un parallèle entre la description de la valise. et celle de la situation du
personnage: Léon paraît à première vue _tout à fait convenable». mais si on le considère de
plus près. des -taches grasses» et de la -rouille» «Se révèle à un examcn plus attentif•. Des
l' Françoise van Rossum-Guyon. Critique du roman; essai sur _La Modification. de Mjchel
B.!lli1r. Paris. Gallimard. 1970. p. 84.
•
Hanna Charney, «Quinze. Place du Panthéon: la mythologie du véritable chez Michel
Butor». Svmposium. 19. 1965, p. 128.
17
•
43
problèmes. des insécurités. des malaises. et des défauts de caractère commencent à se révéler
chez Léon. Il en est de même pour -[son] écharpe de laine grumeleuse. au tissage lâche. dont
les nodosités jaune paille et nacre [lui] font penser à des oeufs brouillés [...]-. (Butor. 1957.
12) Il ya un manque de distinction dans le vêtements de Léon. D'ailleurs. ce même manque
de distinction se voit chez le personnage lui-même. Sa montre ne marche pas très bien et il
doit corrigerl'avance (Butor. 1957. 14): un des lacets de ses souliers est -réparé par un noeud
caché mais qui soulève légèrement le cuir comme un petit abcés et qui appuie sur [sa] peau
[...]_ (Butor. 1957.28): sa carte d'identité est -sale- avec -une vieille photographie où [il est]
méconnaissable- (Butor. 1957. 56): et il traîne avec lui sa -carte de la société des Amis du
Louvre [qu'il al oublié de renouveler». (Butor. 1957.56) Cene caractérisation du personnage
par son entourage de poSSt.'SSions est assez conventionnelle. mais très effieace. Elle révèle
un personnage qui commence à vieillir. et qui ne làit pas beaueoup attention à ses
poSSt.'SSions. ni à son apparence. Le fait que le narrateur attire notre attention tant de fois sur
ces délails eSI l'indice de l'importance du
proc~'dé:
l'efTet désiré. peindre un portrait du
caraclère de Léon. est tout à fait achevé.
Ce ne sont pas seulement ses propres possessions el ses vêtements qui contribuent
au portrail du personnage: les objets qui l'entourenl dans le companiment du train
fonclionnent de la même manière. Dans ce cas. les changements dans l'apparence des choses
sont révélateurs: on peut voir un parallèle entre ces changements et une prise de conscience
graduelle chez le personnage. La métaphore suivante de l'état d'âme de Léon se trouve dans
la delLxième panie du roman. (la panie où la -modification- de Léon se produit):
•
Sur le tapis de fer chauffant il y a deu.'" pépins de pomme immobiles tout il
côté de votre pied gauche. (Butor. 1957. 132)
Sur le tapis de fer chauffant. dans le quadrilatère délimité par vos deu.'" pieds
et ceu:" de l'Italien en face de vous. les deu.'" pépins de pomme sont écr.lS<.'s
sur une rainure. un peu de leur pulpe blanche sortant par les déchirun:s de
leur mince écorce. (Butor. 1957. 134)
L'écrasement des pépins de pohlme correspond il la destruction graduelle des illusions de
Léon: il est en train de se rendre compte que son amour pour Cécile est illusoire. que tout son
projet est irréalisable. Vers la tin du roman. quand les dernières des illusions de Léon sont
détruites. les arbres vus du train (tels que décrits par Léon). pn.'scntent des analogies avec
l'état d'âme du personnage:
De l'autre côté de la lènètre. dans la lor.:t. les arbres a"aient déjà perdu la plus
grande partie de leurs lèuilles. de telle sorte qu'on voyait au travers de leurs
branches le premier quartier de la lune se balancer eomme une barque
verticale. (Butor. 1957.247)
Les apparences changeantes des objets. telles que le personnage principal les voit.
correspondent aux changements dans la situation de Léon. et contribuent ainsi à sa
caractérisation.
4. l.'objet déclencheur de souvenirs et d'associations.
Le portrait du personnage se dessine aussi à travers ses réactions aux objcts. Les
objets servent à déclencher des souvenirs et des chaines d'associations chez Léon Delmont:
ces souvenirs et associations contribuent au portrait de Léon et de sa situation. et ils amènent
le personnage à évoluer en tant que sujet. Plusieurs critiques ont analysé ce procédé chez
•
Butor. notamment Bothorel. Dugast et Thoraval:
Parfois une scène, un objet. un mot déclenchent un phénomène de .rêverie
45
sur...•• d'associations d'idëes. et tout un monde naît [...) en de longues phrases
surchargëes de détails et de parenthèses. (Bothorel. Dugast et Thoraval. 110)
Chacun des souvcnirs ct des rêveries qui s'évcillent en Léon lors de son voyage est suscité
par un objet dans le compartiment du train.'" Le trajet Paris-Rome-Paris que Léon fait si
souvent a toujours été.. pour lui. une transition entre les deu.x femmes et les deu.x villes de sa
vie. Dans le passé. Léon faisait toujours ce trajet en première classe: les deu.x fois qu'il l'a fait
en troisième classe c'était avec C..'cile. et pour Cécile (quand ils se sont rencontrés pour la
première fois. et quand Cécile est venue à Paris). Le voyage de Paris à Rome que fait Léon
maintenant. se fait en troisième classe. Pour ces raisons. des associations se font très vite
entre son environnement présent. et celui du passé. quand il a fait le même trajet avec Cécile.
Tous les objets matériels dans ce compartiment de troisième classe sont des objets ode
tmnsition-: osomething in the present provides the Iink to a similar object in the past. or
something in the past suggests a possible action Iinked to a similar object in the present or
futureo.'"
Une des analySt.'S les plus approfondies de ce procédé a été faite par Jeffry Larson..
dans son anicle .nle Sibyl and the Iron Floor Heater in Michel Butor's La Modification_.:!O
Pour Larsan. le .tapis de fer chautlànt. dont la présence devient si obsédante pour Léon
J.C. Davies••Psychological Realism in Butor's La Modification-. Symposjum. XXXV-3,
FallI98I.p.217.
18
.. Patricia J. Jaeger••Three Authors in Search ofan Elusive Rea1ity: Butor. Sarraute. RobbeGrillet•. CritiQlIe. VI-3. Winter 1963. p. 75-76.
~.
f-:~:..­
ï!\. '.
Jetli)' Larson••The Sibyl and the Iron Floor Heater in Michel Butor's La Modificatjon-,
Papers on 1;IOI:O;)l:e ;lOd Literatyre. 70. 1974. p. 403-414.
0'
46
Delmont. est un des objets-clefs du roman. Lal'$on décrit en détail
.iL~
formai function of
introducing and following Delmont's memories ofhis mistress Cécile [... J, The mnemonie
Iink is the fact that the 'tapis de fer chautlànt' is \'isible only in third-class compartments: the
floors are carpeted in tirst c1ass [...)-.(Larson. 4(4) Le tapis de fer ehauflànt rappelle à Lé,'n
Delmont le trajet Paris-Rome-Paris qu'il a fait l'an pn:cédent. en troisième classe. avec
Cécile:. cet objet met en branle toute une chaîne d'associations et de souvenirs.(Larson.. 405)
Les souvenirs et associations déclenchés par le tapis de lèr chautTanL et par les autn:s objets
dans le compartiment. révèlent les fuiblCSS<."S de Léon. sa peur de vieillir. ses sentiments
envers Rome et Paris. envel'$ Cécile et Henrielle. Par exemple. quand il est à Paris. il va au
Louvre pour voir la ogalerie de vues de la Rome moderne à droite de la fenètre qui donne sur
la cour cam.'c. galerie de \'U~"S de la Rome antique à sa gauche [...)- (Butor. 1957. 67). alin
de se souvenir de celle ville qui l'ensoreelle tam. Quand il est à Rome. les photographies ct
les tableau.'" de Paris chez Cécile lui rappellent sa vie conjugale.
Si les associations provoqu':""S par les objets aidem à comprendre la situation ct le
caractère de Léon. ils incitent aussi Léon à examiner sa situation ct à rétk'chir sur sa vic.
C'est de la même fuçon.. en aveugle et à tâtons. qu'il explore sa situation. Cc
n'est que par bribes et fragments. non pas rangés mais pële-mële. que s'offrent
à lui les données plus ou moins occultées de son existence. Comme elles
s'accrochent au." objets contenus dans cene "!l1ise. les pensées de Léon
Delmont vont cs'accroche,... [...] au." objets contenus dans le compartiment.
Les choses qui l'entourent vont faire odévie,... ses pensées. l',,,,igui/le,... [...)
vers d'autres régions de son existence. suscitant rêves et réflexions. (van
Rossum-Guyon.. 156; c'est l'auteure qui souligne.)
Le personnage de Léon Delmont évolue en tant que sujet tout au long du voyage: par le biais
•
47
des souvenirs et assoc-;'ltions. -la conscience s'éveille.:'. et Léon ois gradually forced by the
rush of memories that the particular route evokes in him to reconsider his motives and
completely reverse his décision•. (Jaeger. 74) Comme le remarque Léon lui-même:
[...] s'il n'y avait pas eu ces gens. s'il n'y avait pas eu ces objets et ces images
auxquels se sont accrochées mes pensées de telle sorte qu'une machine
mentale s'est constituée [...] peut-être cette fissure béante en ma personne ne
se serait-elle pas produite cette nuit. mes illusions auraient-elles pu tenir
.encore quelque temps. (Butor. 1957.274)
La preuve que Léon a évolué en tant que sujet est peut-être contenue dans cette citation: il
est enfin capable de dire '!Ïe». En effet. la plus grande partie de l'histoire de Léon cst racontée
par un narrateur anonyme. Léoll est le localisateur. mais il est toujours -vous»: la voix
narrative semble dire à Léon que faire. ce qu'il a fait. ce qu'il va faire. Ce n'est que beaucoup
plus loin dans le roman. quand Léon commence à SC' comprendre. à comprendre sa situation.
qu'il SC' nomme _je». C'cst un indice de la connaissance de soi. de la conscience de soi, d'une
évolution en tant que s~iet.
S.
Re~arder
!'oUiet. Mvoiler la suQiectjvité,
Le dernier procédé dont J'auteur se sert pour fah-c le portrait de son personnage est
la description subjective des objets. Tout au long de La Modjficatjon. les objets sont décrits
à partir de la perspective de Léon. description qui fait, en même temps, comme nous avons
dit, le portrait de cette conscience percevante.
Rather that \Vith the object itself. Butor is concemed with the perception of
Pierre Deguise. -Michel Butor et le 'nouveau roman'., The french Review, XXXVI-l,
Deccmber 196 J. p. 158.
:l
48
that object. The focus of the reader has becn redirected trom the object to the
intentionalizing consciousness of the perceiving subject. ~
Quand le sujet focalisant/percevant décrit un ,>bjet. il y assigne des valeurs afièctives
(morales et psychologiques) (Oppenheim. 1980. '37). parce que les objets sont poses.
intentionnalisés (Oppenheim. 1980.91). par sa conscience subjective et subjectivante. Les
objets sont des corrélatifs objectifs (Oppenheim. 1980. 91) de la conscience de Leon. parce
que cene conscience sc revèle en s'orientant vers eux. L'expl\."ssion -corrélatifobjectif_ a été
utilisée par plusieurs critiques. tels Bruce Morrissettë. Hanna Charney. Françoisc van
Rossum-Guyon. et Jeffry Larsan. Selon ces critiques. les objets décrits constituent une
surface sur laquelle se reflètent les sentiments et les émotions du héros: cc sont des
-corrélatifs objectifs d'une psychologie tacite qui k'S charge de significations implicites».
(Morrissette. 162) Scion Françoise van Rossum-Guyon.•Ie compartiment ct les objets qui
s'y trouvent sont
1...] décrits tels qu'ils sont vus par le voyageur.
Une conscience doute.
suppose. interprète. établit des rapports. cherche des significations». (van Rossum-Guyon.
96) La presence de cette conscience subjectivanle L'St manifèsle dans la descriplion des dmps
du lit dans Id chambre de Léon ct Henriette:
100'] les draps en désordre de votre lit. les draps qui émergeaient de l'obscurité
semblables à des fantômes vaincus. écrasés au ras de cc sol mou et chaud
dont vous cherchiez à vous arracher. (Butor. 1957. 17)
Cette description semble marquée fortement par la haine ct le mépris que Leon ressent pour
Lois Oppenheim. Intenliona!ity and Intersubiectivity: A Phenomenolollical Study of
Butor's .I.a Modification». Lexington. Ky.• French Forum. 1980. p. 27.
22
•
Bruce Morrissette.•De Stendhal à Robbe-Grillet: Modalités du 'point de vue',. Cahiers de
l'Association Internationale des études françaises. 14, 1962. p. 162.
23
49
sa femme (et peut-être aussi pour lui-même). Il projette ses sentiments pour elle sur cet objet
inanimé. le transformant en quelque chose de négatif. Les objets que Léon associe avec
Cécile sont aussi marqués par le caractère subjectifdu regard qu'il porte sur cu:\(. En pensant
à Cécile et à Rome. il parle du -jeune soleil superbe- (Butor. 1957. 113) qui brille au-dessus
de cette ville: et son -indicateur à couverture bleue- devient -le talisman. la clé. le gage de
[son] issue. d'une arrivée dans une Rome lumineuse. de cette cure de jouvence dont le
caractère clandestin accentue l'aspect magique [...]-. (Butor. 1957.41) Pour Léon. un simple
horaire pour le train de Paris il Romc promet toutes sortes de choses magiques. parce qu'il
représente Cécile et Rome. Ce même transfert d'émotions et de sentiments apparaît souvent
chez lui: ses descriptions des objets représentent une projection claire de son état d'âme.
Ainsi. quand Léon doit retourner de Rome il Paris. de Cécile il Henriette. on n'est pas trop
surpris de lire la description suivante:
[...] les arbres étaient encore garnis de feuilles que le vent arrachait comme
par toul1ès et qui retombaient lentement pareilles à des essaims de ehauvessouris pourpres ct fauves [...]. (Butor. 1957. 116)
De même. pendant la visite malheureuse de Léon et Henriette à Rome. la neige se met à
tomber.
[...] non point en gros flocons comme celle qui brouille maintenant le paysage
de la montagne. mais fondante. rendant les rues tellement boueuses, devenues
tout d'un coup silencieuses et vides. avec les quelques passants s'y hâtant en
refermant le col de leur manteau. (Butor. 1957. 149)
Le regard subjectivant de Léon affecte toutes sortes d'objets. dans son compartiment du train
et cn dchors de celui-ci: c'cst _the intentionalizing consciousness impregnating with meaning
•
any abject of its perception_. (Oppenheim. 1980. 48) Ainsi. les sentiments de Léon envers
50
une situation. une ville. ou une personne. sont mis en évidence par ce que Léon dit des objcts
qu'il observe. Quand il commence à se rendre compte que sa relation avec Cécile n'est pas
sans problèmes. sa description des objets change aussi. Par excmple. lors de la scène du petit
déjeuner raté. on lit la description suivante:
[...] il Yavait dans la théière d'argent bien frottée que vous saviez à demipleine de thé froid. avec le pot à lait de faïence outre-mer. le sucrier de verre.
les deu)( grandes tasses tines dont l'une avait le fond sali. avec cette petite
naque beige qui y restait piquetée d'une di7..aine de points noirs. une assiette
à neurs sur laquelle s'étalaient quatre tranches de pain grillé. l'appareil nickelé
à eôté qui avait servi à les faire. le ravier plein de beurre. la eoupelle de
confiture.
et sur le métal de cette théière. un éclat de soleil Ion vif. brillant
comme une étoile au milieu de toute cette pénombre. ear les volets étaient
juste entrouvens. et seul un rayon pénétrait. (Butor. 1957. 134-135)
La juxtaposition des dcseriptions subjectivcs positivcs et négatives est fort révélatrice: la
présence de Cécilc cst toujours pn:squc magiquc pour L~'on (l'argcnt frottée. l'éelat de soleil
vif. bril1ant commc unc étoilc). mais l'ardcur dc Icur passion dc Icur relation commencc il
diminuer (le thé Iroid. Ic Il)nd sali dc 1" t:ISSC. la pénombrc). l'lus loin dans Ic roman. il y a
même plus de points de ~'Ssemblance cntre l'apparenec des objcts dans la chambre de Cc.'cile.
et la situation de Léon:
Elle a tiré le verrou qui résistait un peu: elle a ouven la pone dont le gonds
se sont mis à grincer.
Les persiennes étaient encore fermées: on voyait le grand lit de fer
défait. une valise ouvene et toutes sones de cravates ct de chaussettes
éparpillées sur la commode. prés de la cuvette de tôle. sur son trépied. avec
son broc et son seau. (Butor. 1957. 143)
Il y a un parallèle entre le désordre que voit Léon dans la chambre et le désordre dans leur
•
relation et leur vie.
Comme Jeffry Larsen et Françoise van Rossum-Guyon ont indiqué dans leurs études,
51
le corrélatif objectif par excellence de I.i! Modjtjcmjon est le tapis de fer chauffant. Cette
chose. qui ne se retrouve que dans les compartiments de troisième classe. dans lesquels Léon
n'avait jusqu'alors voyagé qu'avec Cécile. devient une obsession pour lui. Chaque fois que
Léon le regarde. le tapis de fer chauffant apparaît sous une forme légèrement différente: le
personnage y translère ses émotions et ses sentiments. Françoise van Rossum-Guyon
constate que le tapis de fer chaut1ànt révèle. chez Léon. .Ie changement de ses
représentations etlc désordre croissant qui envahit son esprit-. (van Rossum-Guyon. 284)
Il existe des rapports analogiques entre cet objet et l'état d'âme changeant de Léon.
Or non seulement cet objet change en se chargeant de poussières et débris
divers mais il change sous les yeu.x de celui qui le contemple. se «chargeantde tout ce que. peu à peu. il y met de lui-même. (van Rossum-Guyon. 192)
La deuxième partie du roman. où toutes les illusions de Léon s'écroulent autour de lui. est
marquée par des descriptions du tapis de Ii:r chaullànt semblables:
Sur le tapis de fer chauffant. dans les traces boueuses laissées par les souliers
humides de ceux qui viennent du dehors. semblables à des nuages très
menaçants de neige. vous considérez la constellation de minuscules étoiles
de papier rose ou carton brun qui viennent d'être déeoupécs dans Ics billets.
(Butor. 1957. 143)
A mesure que le moment décisif de la modification de Léon approche (quand Henriette et
Cécile se font la connaissance à Paris et .Ieurs pensées s'éloignaient de [lui]. se rapprochant
toutes les deux. formant un accord. une alliance contre [Iui]_ [Butor. 1957, 186]), les
descriptions du tapis de fer chauffant deviennent de plus en plus négatives.•Sur le tapis de
fer chauffant. vous avez l'impression que les losanges forment une grille au travers de
•
laquelle monte l'air chaud d'une fournaise obscure- (Butor. 1957. 165). et .vous avez
l'impression que les losanges ondulent comme les écailles sur la peau d'un grand serpent-.
(Butor. 1957. 179) C'est tout de suite apri:s s'être souvenu du soir où sa femme ct sa
maitresse se sont rencontrées. qu'il atteint la lucidité totale: «si elle "ient à Paris. je la perds».
(Butor. 1957. 189) A ce moment. le tapis de lèr chauftànt change encore d'aspect:
Sur le tapis de fer chauffant. les losanges vacillent. se détachent les uns des
autres. et les rainures qui les séparent semblent des tissures qui ouvrent sur
un feu acide: ils s'incurvent. drt.'SSant leurs pointes qui s'effilent puis tout
redevient noir avec les miettes qui sautillent et les salissures. les tâches de
bouc. les bribes écrasées de nourriture. le bord de vieux papiers qui tremble
.sous les banquettes. (Butor. 1957. 188)
Évidemment. le tapis de fer chauffant ne change pas d'apparence à tout moment du voyage.
Il est une surface sur laquelle se projettent les penSt.:es de L..:On: Jel1iy Larson explique le
«feu acide» dans le tapis de fer chaul1ànt ainsi:
The representation ofthe heater as a conv..'Ction grill is not striclly làithful to
the extemal reality: rather. it is more indicative of Delmonl's subjective inner
state. The image ofgases rising through a grill is not physically present in the
protagonist's surroundings. but is imposcd on them by a psyehological
association twm his personal and cullural pasto (Larson. 410)
Le tapis de tèr ehaullànt ..'St important dans la mcsurc où illonctionne comme une
sorte de miroir. reflétant le portrait émotifel mental de Léon. Comme les autres objets du
roman. il sert à présenter ct à caraclériser Ic personnage principal. et aussi à l'amener à
réfléchir sur sa propre vie. Les objets fonctionnent comme de simples instruments; ils
présentent des parallèles avec l'état d'âme de Léon. ct des para1lèles avec l'état de ses
relations avec autrui: ils provoquent des ehaines d'associations chez Léon; et ils fournissent
une surface réfléchissante sur laquelle se projette la personnalité de Léon. Les objets de 1&
Modification sont des outils indispensables à la représentation du personnage principal: ils
•
sont un moyen par lequel Léon nous est présenté. Les objets sont vus «non point crûment
53
mais reconstitu':s à panir d'indices. de telle sorte qu'ils [...] regardent [Léon] autant [que Léon
les regarde] [...]-. (Butor. 1957.239) Léon. en regardant les objets. est effectivement vu.
observé. caractérisé par eux.
Nous avons dégagé. dans ce chapitre. des exemples dans lesquels les objets
proprement dits servent à révéler la conscience percevante du personnage principal de 1ll
Modification. Léon Delmont. Nous dégagerons. dans le prochain chapitre de ce mémoire.
des exemples dans k-squels les personnages lèminins butoriens lèmctionnent de la même
manière: la femme-objet de La Moditication révèle le caractère du personnage principal par
les mêmes quatre procèdés. Nous verrons que la femme-objet sert de miroir à la conscience
percevante: la li:mme est un instrument: sa situation pn..'scnte des analogie:, avec la situation
du personnage principal: sa présence est responsable du déclenchement de souvenirs et
d'associations révélateurs: el. en tant qu'o~iet regardé par Léon. elle est un moyen par lequel
sa subjectivité à lui se dévoile.
•
•
CHAPITRE TROISIÈME
,
55
Nous avons vu, dans le premier chapitre de ce mémoire, que les théories
psychanalytiques, existentialistes et poststructuralistes de la subjectivité postulent toutes que
la femme ne s'affirme jamais comme sujet. qu'elle est un objet par rappon au sujet masculin.
(D'ailleurs, la plupan d'entre elles f/u}oris':l11 elles-mêmes la femme comme objet.) Dans ce
chapitre, nous montrerons que les personnages féminins de La Modilication' sont relëguës
au niveau des objets, et nous examinerons les fins narratives que servent ces femmes-objets
Nous établirons d'abord que les. personnages féminins sont des objets, parce que les moyens
d'affirmation de la subjectivité dont il a été question dans le premier chapitre (l'action. la
vision, et le langage) ne leur sont pas accessibles. Ensuite, nous montrerons que les femmes
sont des objets parce qu'elles accomplissent les mêmes fonctions narratives que les autres
objets, ct de la même manière.
1. Action, vision, langage: l'objectification de la femme.
Nous avons vu que, selon le féminisme existentialiste de Simone de Beauvoir, la
femme demeure dans une position d'objet parce qu'elle ne se transcende pas, elle n'agit pas.
Tout au long de La Modification, les deux personnages féminins donnent une impression
d'inactivité; elles semblent ne rien faire. Henriette n'est jamais présentee autrement que dans
son rôle de mênagère. -Bien sûr, cela vous a fait plaisir de le boire, ce café au lait qu'elle vous
,
'Michel Butor, La Modification, Paris, Éditions de Minuit, 10/18, 1957,283 p.
56
a fait chauffer ["']'" (Butor. 1957. 19) Henriette se lève pour préparer le petit déjeuner de son
mari. mais il n'est jamais dit qu'elle s'en prépare aussi pour elle-même l'oules les actions
d'Henriette décrites dans le roman aftèctent directement Léon. le personnage principal.
Henriette représente la vie de famille: elle reste à la maison à s'occuper de son mari et de ses
enlànts. Simone de Beauvoir a indiqué que la vie de ménagère et de mère ne confère pas à la
femme une subjectivité: la femme est plutôt vouëe à l'immanence. En s'occupant de la famille.
en restant à la maison. la femme se destine à répétcr les mêmes actions jour après jour: dIe
ne se projette pas vers l'avenir. Elle vit pour son mari.
S:I
famille. et non pas pour clle-mêmc.
«[... ] vous trouverez Hcnriette en train dc coudrc à vous attendre[ ]n (Butor. 1957. 161)
Même quand Henriette sort de son milieu làmilial. lors de son voy:tge avec Léon à
Rome. elle n'agit pas pour elle-même. Si son mari n'cst pas avec die. si elle doit sortir toute
seule. elle ne sait pas quoi f.,irc d'clic-même.
[...] Ic lendemain vous avez dû passcr prcsquc toute la journée chez Scabelli,
si bien qu'[Hcnrienc] en a été réduite à sortir seule. ne sachant où aller. errant
d'église en église avec ennui. récitant dans chacune une dizaine de son
chapelet. (Butor. 1957. 149)
On a l'impression qu'Henriette n'est pas capable de làire facc à la situation sans la préscnce
de son mari. Elle est présentée comme un personnage insipide qui semblc dépendre dc son
mari pour tout.
Le personnage de Cécile échappe marginalement à la condition d'Henriette; elle n'cst
pas aussi privée de personnalité et d'intérêt. Elle est décrite commc étant -cette gorgée d'air.
ce surcroit de forces. cette main secourable qui se tend vers vous messagère des régions
•
heureuses et claires [...]'" (Butor, 1957. 42) Toutefois, Cécile n'est pas plus «sujet..
57
qu'Henriene. En lin de compte, elle aussi est un objet, elle aussi est totalement inactive. Elle
essaie de jouer, comme Henriene, le rôle de ménagère. mème si elle n'est pas mariée et n'a pas
d'enfants.
La nuit tombant assez vite, mème à Rome, en cette saison, vous rentrerez tôt
chez [Cécile] pour qu'elle vous mijote un dîner, parce qu'eile aime montrer ses
talents de cuisinière [.. .]. (Butor, 1957, 85)
Tout au long du roman, Cécile semble inactive: on a l'impression qu'elle ne pose pas d'actes,
sauf dans ces cas où elle veut préparer à manger pour Léon «-Si j'avais su que je te
rencontrerais, j'aurais préparé à dîner à la maison." (Butor, 1957, 263) Cécile a son travail au
bureau, mais il est mentionné à peine: on a l'impression que Léon n'a pas la moindre idée de
ce qu'elle fait comme travail. En décrivant Cécilc à un ami, il dit qu'elle cst «secrétaire d'un
auaché militaire, si [ses] souvenirs étaient exacts, à l'ambassade de France à Rome, ce qui ne
l'intéressait que médiocrement [...]". (Butor, 1957,36) Léon nc scmble pas avoir pris la peine
d'er. savoir davantage, le travail de secrétaire étant répétitif et peu intéressant, tout comme
le travail de ménagère.
A part cet emploi de secrétaire dont on sait peu, Cécilc apparaît comme totalement
passive. l\1ème dans les situations qui la concernent directement, elle est inactive. Lors de leur
première rencontre, c'est Léon, et non pas Cécile, qui prend toute l'initiative:
A la sortie, vous l'avez priée d'accepter un rafraîchissement, et dans le taxi qui
vous amenait à la via Veneto, par Sainte-Marie Majeure et la rue des QuatreFontaines, vous lui avez dit votre nom, votre adresse parisienne et celle où
l'on pouvait vous joindre à Rome; puis, sous l'excitation merveilleuse de la
claire foule élégante, vous lui avez demandé de venir déjeuner avec vous le
lendemain au restaurant Tre Scalini. (Butor, 1957, 120)
•
•
58
On a l'impression que Cécile est assise là sans rien dire. sans rien tàire De même. quand LClln
et Cécile font l'amour pour la première fois (Butor. 1957. 124). c'est lui qui s'approche d'elle
elle est passive, ne le résistant ni l'encourageant Mais peut-être le meilleur exemple de la
passivité de Cécile est sa conviction que Léon lui trouvera une situation à Paris. Elle esl
d'origine française et souhaite retourner vivre à Paris: elle le désire vivement. mais elle ne \:üt
aucune démarche. paraît-il, pour s'y trouver un emploi. Elle laisse tout entre les mains de
Lèon.
[Cécile ...] espérant sans doute que celle fois vous lui apponeriez celle
nouvelle qu'elle allendait, celle décision définitive à son égard qu'elle
souhaitait vous voir prendre. l'annonce que vous aviez enfin trouve: celle
situation à Paris qu'elle désirait tant (Butor. 1957.205)
Pendant tout le temps qu'ils planifient leur nouvelle vie ensemble à Paris, c'est l.èon qui tàil
les plans, qui se projelle vers l'avenir, qui essaie de transcender la situation présente. Cècile.
bien que voulant déménager à Paris. attend tout de lui: e1,le n'agit pas
Cècile et Henriette n'atteignent pas la subjcctivitc parce qu'clics n'agisscnt pas. En
outrc, elles n'atteigncnt pas la subjectivité p.lrce qu'clics ne
WI//:/11
pas. La vision. mode
d'acces à la subjcctivité que nous avons examiné à panir des travaux de Freud, de Lacan. ct
d'Irigarar. est un autre facteur imponant dans l'objectification des femmes Tout au long du
roman, Henriette et Cècile sont les objets de l'observation masculine: elles sont rcgardécs,
mais ce regard n'est pas réciproque. Tout dans !-a Modification passe par les yeux de Lélln
•
2
Voir Chapitre premier, p. 17-22.
59
Delmont; il est le focalisateur d'un bout à l'autre du roman .\ Tout ce qu'on sait d'Henriette ct
de Cécile est filtré à travers la vision de Léon: le portrait des deux femmes résulte d'une
interprétation subjective de la part du personnage principal.
We know very little oftheir lives outside their relationship with Léon. We
have no idea ofwhat Henriette does when Léon is at work, what Cécile does
when he is in Paris. We know very little oftheir background or interests. We
sec ofthem only what Léon sees. and the view that we are given is e.xtremely
biased, and coloured by a desire to justitY himself on Léon's pan.·
Quand Henriette ne regarde pas panir son mari au début du roman. on l'explique ainsi'
Elle a refermé la pone de vetre appanement avant que vous ayez commencé
à descendre les marches, perdant ainsi sa dernière occasion de vous attendrir,
mais il est clair qu'elle ne le cherchait nullement, que si elle s'est levée ce matin
pour vous servir, c'est simplement par la mécanique de l'habitude, par une
certaine pitié au plus, toute colorée de mépris, il est clair que des deux c'est
elle la plus lasse. (Butor. 1957, 19)
Léon attribue à Henriette ses propres émotions et sentiments: c'est lui qui semble être réglè
par l'habitude, la pitié et le mépris. C'est le fameux ellèt de miroir de Luce Irigaray: Léon est
incapable de voir autre que sa propre image quand il regarde sa femme. Et Cécile est un objet
observé e.'Cactement comme Henriette. Selon Léon, Cécile «accepterait un salaire assez
modéré étant donné la grande envie qu'elle avait de revenir à Paris». (Butor. 1957,36) Elle
•
~ Léon est la source du regard dans ce roman, mais pas de la voix: il est le focalisateur, mais
non pas le narrateur. D'après notre lecture du roman, celui qui dit «vous» n'est pas Léon
De1mont, ce n'est pas sa conscience, c'est un être extérieur et omniscient qui, à notre avis,
e.xamine Léon du même oeil subjectif que Léon tourne vers les objets et les femmes-objets
du roman. Néanmoins, il faut avouer que beaucoup de critiques ne sont pas d'accord avec
cette interprétation: beaucoup prétendent que celui qui dit «vous» est simplement Léon en
train de parler à lui-même. Dans tous les cas, on s'accorde sur le fait que Léon est le
focalisateur: les descriptions subjectives, le regard subjectif et subjectivant, les jugements.
préjugés et attitudes envers les deux femmes sont bel et bien de Léon.
• Jean H. DufIY, La Modification, London, Grant & Cutler, 1990, p. 78.
•
uO
ne parait ni s'e.'l:primer ni se presenter. Le seul portrait des deux femmes qu'on voit est çelui
que fait Léon: Cécile et Henriette n'existent que dans la mesure où le personnage prinçipalles
voit.
Partout dans La Modification. la lèmme est un objet regardé par l'homme D'ailleurs.
le mot qui revient le plus souvent pour déçrire çette observation est "guetter" et ses denves
-[...] glle:l1e:r l'ouvenure de ses persiennes [à Cécile] au quatrième étage [.. l- (Butor. 1957.
46-47); -Les persiennes du quatrième étage seront encore fermees lorsque commencera votre
glle:t [...). (Butor. 1957. 58); -C'est donc à la pone• .lu-dessus du saint Antoine p...:sque
invisible derrière sa vitre poussiéreuse. que vous glle:lle:rc son apparition [à Cécile
1-
(Butor. 1957. 59); -[... ] vous glle:llie:= ses expres.~ions [à C.icile] ct elle vous laiss:üt làire.
comme si elle ne s'apercevait pas que vous .itiez là [...)•. (Butor. 1957. 225. toutl.'S les
italiques sont les nôtres.) Les implications de cet emploi lexical sont intéressantes: on a le
vague sentiment que Cécile est une proie. Léon regarde Cécile. ct il le fait de loin.
secrètement. sans qu'elle sache qu'elle est observée. On n'est pas en présence d'un regard
réciproque; c'est plutôt ce que Camille Paglia a nommé -the aggressive eye-' le regard
distanciateur et objectifiant. On a l'impression que Cécile ne regarde presque jamais Léon. et
que quand elle le fait. son regard est toujours médiatisé par un autre facteur:
[...] c'est à ce moment qu'elle percevra votre silhouette. mais ignorant tout de
votre venue elle: Ile: VOliS reconnaÎtra pas. trouvant tout au plus à ce flâneur
la considérant avec tant d'insistance quelque ressemblance avec vous. (Butor.
1957, 59; les italiques sont les nôtres.)
Si Cécile ne reconnaît pas Léon même en le regardant, comment pourrait-dIe l'observer aveç
•
Camille Paglia, Sexual Personae An and Decadence from Nefeniti to Emily Dickenson,
New York, Vintage Books, 1990. p. 148.
S
61
cet oeil agressifqu'il a tourné vers elle? «[... )le visage de Cécile qui s'est mise à remuer. s'est
redressée, a ouvert les yeux.
VOliS
a regard,} 1111 "ermill lelllp" SilJl" \'011" re'·(JIIIIClÎlre.
s'intérrogeant, se demandant où elle se trouvait [... )>>. (Butor. 1957, 112; les italiques sont les
nôtres.) Cécile n'a pas de vision propre. Henriette, par contre. est capable de temps en temps
de regarder Léon, et il semble que Léon est rendu mal à l'aise par ce regard.
Mais vous savez bien qu'[Henriette) ne pleurera nullement. qu'elle se
. contentera de vous regarder sans protërer une parole. qu'elle vous laissera
discourir sans vous interrompre. que c'esl vous tout seul. par lassitude. qui
vous arrèterez [...]. (Butor, 1957. 1(2)
On a l'impression que Léon trouve désagréable le regard d'Henriette: sa vision à elle échappe
à son contrôle. «The eye is the one element of the natural world that resists objectification.
for the sound. old-fashioned reason that it is 'the window of the soul'. the evidence of the
Other.»6 Est-ce pour cette raison que Cécile el Henriene semblent ne pas posséder de vision
propre qui leur permettrait d'objeclifier l'autre? Léon a besoin d'elles comme objets pour
s'affirmerr.;:"nme sujet: il ne peut pas èt"e regardélobjectifié. 11 semble que c'est pour cette
raison qu'elles ne voient pas. qu'elles ne aisent pas ce qu'elles voient: mème quand Henriette
regarde Léon. on ne sait pas ce qu'elle voit. à travers ses yeux à elle. C'est toujours Léon qui
interprète ce que voient Henriette et Cécile. D'un seul coup. il les prive de deux modes
d'accès à la subjectivité: la vision et le langage.
Non pas que les personnages féminins de La Modification n'aient pas du tout accès
au langage: il existe dans le roman évidemment des moments où elles jJren'1ent la parole.
•
6John Sturrock. «Chapter Il: Michel Butor», dans The French New Novel, London, Oxford
University Press, 1969. p. 119.
Toutefois, même quand elles s'expriment. elles ne s'affirment pas comme sujets. Leurs voix
ne se font pas entendre.
Lorsque vous avez annoncé le soir à Henriette que des circonstances imprévues vous
obligeaient à partir le vendredi matin 1...] elle s'est mise à vous poser des questions
1...], (Butor. 1957,39)
Henriette n'énonce pas ses propres questions: tout ce qu'clic a dit est interprété par le
narrateur et le personnage principal. Le lecteur ne peut jamais 5.1voir exactement ce qu'elle
a dit. D'ailleurs. les paroles d'Henriette sont decritcs plus loin par Léon comme étant -inefficaces. maladroites". (Butor. 1957. 41) Henriette parle de moins en moins; elle devient silencieuse:
[...] cet énorme chancre insidieux qui recouvrait les traits d'Henriette d'un
masque horrible se durcissant autour de sa bouche jusqu'à la rendre à peu prés
muette [.. .]. (Butor. 1957, 109.110)
Henriette n'a pas accès à une position énonciative viable.
Le personnage de Cecile est aussi réduit au silence; quand elle rencontre Léon
De mont pour la première fois dans le train de Paris à Rome, son 'histoire' est ;Irésentée de
la manière suivante: -Alors, elle s'est mise à vous parler d'elle, vous apprenant qu'elle aussi
allait jusqu'à Rome. qu'elle y travaillait elle aussi [... ]». (Butor, 1957. 69) Ce qu'elle dil
exactement doit passer par l'interprétation subjective de Léon. Quand elle dit des choses qui
n'ont pas d'intérêt pour Léon, il les oublie presque immédiatement:
1... ]Ia petite table basse. recouverte d'une nappe damassée aux initiales non
point de son ancien mari 1...] mais à celles de ses parents ou même de ses
grands-parents comme elle vous l'avait expliqué à l'occasion d'un autre petit
déjeuner sur cette table (vous avez oublié les détails) (...].(Butor, 1957, 134)
•
.-
•
63
Les paroles des personnages féminins ne sont pas enregistrées. Même quand. à cenains
moments dans le te.xte. Henriette et Cécile parlent de leurs propres voix. leurs paroles n'ont
pas d'effet, ne leur permettent pas d'atteindre la subjectivité.
Dans le cas d'Henriette, même quand elle est citée directement, elle n'utilise pas le «je»
énonciatif. C:laque fois qu'elle parle de sa propre voix. elle ne dit que «tu»: « - Tu as juste le
t~mps
maintenant; il est vrai qu'en première tu auras tcujours de la place.» (Butor, 1957. 19)
Ce qu'elle dit n'a rien à voir avec elle-mème: elle n'est pas le sujet de ses propres phrases. La
même chose arrive dans le cas de Cécile Cependant. sa situation est un peu plus compliquée
que ccile d'Henri(~tte. il exis~e de longs passages dans La Modification où Cécile parle de sa
propre voix, où die se nomme «je». Dans la plupan ùes cas. ce qu'elle dit la concerne ellemême, mais seulement dans la mesure où elle fait panic de la vie de Léon. Cécile parle de sa
propre voix (à elle) quand c1ie parle à Léon de la ditliculté de leur situation (Butor. 1957.
142-143); quand elle lui suggüe de louer la chambre à côté de la sienne à Rome (Butor,
1957, 154-155); et quand elle lui parle de son obsession à lui avec le Vatican et le
catholicisme. (Butor, 1957, 168) D~ns tous ces cas. elle parle de Léon, et à propos de leur
situation. Mais, il y a d'autres passages où elle raconte sa propre histoire:
-Dès la seconde nuit j'y étais habituée [à Paris]. Je me retrouve dans ces rues
comme si je ne les avais jamais quittées. Tout a changé, bien sùr. depuis le
temps, la cO;J!eur des boutiques et leur affectation souvent; je retrouve un
libraire rouge où j'avais laissé une mercière noire et grise, mais c'est comme
si c'était une parure de tète pour m'accueillir. (Butor, 1957, 183)
On voit Cécile en train de parler pour elle-même, en train d'utiliser le langage qui est un des
moyens de s'affirmer comme sujet. Pourquoi peut-elle parler ainsi? Il semble qu'ici Cécile
•
occupe temporairement une position de sujet. Toutefois, elle ne parle qu'à Léon. ce qui
•
64
semble miner en quelque sorte sa subjectivité à elle. Car c'est toujours Léon. par le biais du
narrateur, qui nous permet de savoir ce que Cécile a dit. non p:lS Cécile elle-même Sa voix
est médiatisée. D'ailleurs. le fait qu'elle parle de
précises. Cécile peut s'exprimer à
5.1
propre voix sert des lins narratives
cc! 1I/IJ/IIc!1II sc!ulc!/IIc!JII
dans le rom:ln' on s'approche du
moment de ia rupture entre Léon et Cécile. il s'éloigne d'elle. ct se rend compte qu'il ne peut
pas être avec elle. Le fait qu'elle parle d'elle-même.
Cl
non plus d'elle-avec-Léon. est une
indication de la rupture qui vient. Tout cela sc passe avant le dîner de Cécile ct Henriette.
moment important dans le roman:
Avec une sorte d'horreur vous avez assbié à cc prodige: Cécile. votre secours.
vous trahissait. passait du côté d'Henriette: à travers de leur jalousie quelque
chose comme un mépris commun se faisait jour. (Butor. 1957. 186)
C'est à ce moment que Léon comprend enlin que son rêve de vivre avec Cécile n'est qu'un
rève: "si elle vient à Paris. je la perds: si elle vient à Paris lout scra perdu pour elle et pmu
moi." (Butor. 1957. 189) Le fait que Cécilc 1'1rle de sa propre voix, qu'clle attcint
provisoirement la subjectivité. est un moyen narratif d'illustrer la séparation graduelle cnlre
elle et Léon. C'est ainsi que nous voyons que Léon est parvenu à un cerlain stade dans S:l
prise de consci,;:nce.
Tout au long de La Modification, ni Henriette ni Cécile n'échappe à
:Hl
condition
d'objet. Elles ne s'affirment pas comme sujets, que ce soit au nivcau des 'Ictions, de la vision,
ou du langage. Le fuit même que Léon continue à penser que les deux femmes sont follemcnt
amoureuses de lui, malgré le mépris qu'elles ont témoigné à son égard lors du séjour de Cécile
•
à Paris, suggère clairement jusqu'à quel point elles sont réduites au silence, jusqu'à quel point
•
65
Léon refuse d'entendre leurs paroles. Léon veut se tromper. il veut voir certaines choses chez
sa femme et sa maîtresse. et donc il les objectilie même davantage. Il ne rapporte même pas
leurs paroles. Léon ne s'intéresse pas à la vérité. à la réalité des deux femmes. Telles que
présentées par Léon. Henriette et Cécile sont des stéréotypes: elles sont des objets.
Mais dans quelle mesure peut-on dire qu'elles -jouent le rôle.. d'objets? Quelles fins
narratives doivent-elles servir? Nous avons examine les fonctions des choses inanimees
butoriennes dans le deuxième chapitre de ce mémoire. el nous avons établi que leur rôle est
de révéler le caractere du personnage principal et ce. de plusieurs manières: l'instrumentalité
des objets, et la manière dont le personnage s'en sen; les parallèles qu'on peut établir entre ces
objets et l'état mental el émotifdu personnage; la capacité des objets d'évoquer des souvenirs
et de déclencher des associlllions mentales chez le personnage; elle làit que le regard subjectif
du personnage sur les objets est révélateur de ses préjugés. sentiments et émotions. Léon
Delmont est décrit indirectement par les objets qui l'entourent. Nous montrerons qu'Henriette
et Cécile fonctionnent de la même manière que les autres objets de La Modification, et servent
à révéler le caractère du personnage principal.
2. La femme-objet instrument.
D'abord. les deux personnages féminins jouent le rôle d'instruments paree que le
personnage principal a besoin d'elles. exactement comme il a besoin du livre acheté à la gare.
Tout comme le titre du livre importe peu à Léon, l'identité des deux femmes est aussi sans
•
imponance. L'essentiel c'est leur fonction comme objets. leur instrumentalité Par exemple.
•
66
Léon a besoin d'un élément méetiateur dans sa relation avcc la ville de Romc. parcc qu'il
semble aimer se croire incapable dc \Taimcnt connaîtrc la villc sans cct elémcnt. Cecilc. par
conséquent. est utilisée comme un guide à Rome:
Avant de connaître Cécile. vous aviez bcau en avoir visite les principaux
monumcnts. en apprOOer le climat. vous n'aviez point cct amour pour Rome.
c'est avec elle seulement quc vous avcz commence à l'explorer en quelque
détail [.. .). (Butor, 1957. 63)
La présence de Cécile aide Léon à s'intéresser aux monumcnts etaux spectacles de Romc.
Coole fonctionne non seulemcnt comme un guide à «la Villc eternellc» (Butor. 1957.
86), mais elle est aussi le moyen par Icquel Léon exprime son antour pour cette ville. En
amenant Cécile à Paris avec lui. Léon a l'intention «de [se] rendre par son intennédiaire Rome
présente tous les jours». (Butor. 1957.276) Léon se sert d'elle pour se divertir le plus possible
pendant ses séjours à Rome. Quand Cécile quittera Rome pour déménager à Paris,
[...] c'est [Léon] des Jeux qui [sera] le Romain. ct ce [qu'il veut]. c'est qu'elle
[le] fasse profiter le plus possible de son savoir avant de s'en aller, avant qu'il
ne s'estompe dans sa vie parisienne. c'est que. de plus. elle utilise les derniers
temps de son séjour. ce sursis (qu'au besoin elle prenne quelques jours de
vacances une fois qu'elle aura quillé l'ambaSS<1de) afin de prendre connaissance
de ce que [Léon aime] et qu'elle n'a pas encore vu [ ..] (Butor. 1957, 99.100)
Cécile a une fonction pratique pour Léon: il veut qu'elle lui montre la ville (et non
seulement la ville, mais ce que lui, Léon, aimera de cette ville), qu'elle l'amuse pendant ses
séjours à lui à Rome, et qu'elle soit l'auditrice fascinée pour les histoires qu'il lui raconte:
"VOUS
aviez une si grande envie de lui parler de vous à votre tour que vous l'avez
accompagnée [.. .]. Elle vous écoutait, vous regardait, vous admirait, riait" (Butor, 1957, 70)
Léon veut que Cécile lui prête son attention, qu'elle le considere comme jeune et beau
•
Instrument, Cécile fournit à Léon ce dont il croit avoir besoin. Plus loin dans le roman, Léon
67
imagine une situ~lIion où il e.xpliquerait à Henriette ses raisons de vouloir vivre avec Cécile:
[... ) pour lui demander de venir afin qu'elle soit toujours avec moi, afin qu'elle
me donne cette vie a1raordinaire que tu n'as pas été capable de m'apporter Cl
que moi !lon plus je n'ai pas su t'offrir [... ). (Butor. 1957. 162)
Dans le cas d'Henriette, il est peut-être un peu moins évident qu'elle fonctionne
comme un instrument utilisé par le personnage principal. Léon dit explicitement ce qu'il veut
de Cécile. Par contre. il ne dit pas ce qu'il exige d'Henriette. Toutefois. on a l'impression tout
:ou long du roman que quand il partira avec Cécile. Léon a l'intention de laisser toute la
responsabilité de leurs enfants sur les épaules d'Henriette. D'ailleurs. on dirait qu'il le fait déjà:
il semble eonnaître à peine ses propres entànts. Comme nous avons déjà mentionné, Léon
semble s'attendre à ce qu'Henriette lbnctionne comme un instrument, qu'elle lui fasse à
manger, qu'elle lui serve de ménagère.
3. Description de la femme. description de la situation du sujet: parallèles.
Nous avons vu dans le deu.xième chapitre que certains objets révèlent le caractère du
personnage principal parce qu'ils présentent des analogies avec son état d'âme, ou avec sa
situation, parce qu'on peut établir des parallèles entre l'aspect changeant des objets, et l'état
d'âme changeant de Léon Le cas de l'objectification des deux femmes est semblable: les
changements dans la façon dont Léon voit les deux femmes, dans la façon dont il décrit ses
relations avec elles, constituent un bon indice de la compréhension croissante de Léon.
Pendant la première partie du voyage. alors que Léon a toujours l'intention d'amener
Cécile à Paris. et qu'il n'a pas encore le moindre doute sur son projet, les souvenirs et les
•
images des deux femmes qui s'éveillent en lui sont soit totalement négatifs, soit totalement
•
68
positifs. La ju:ttaposition dichotomique des deux femmes est sans ambigulté. Les personnages
féminins nous paraissent comme des caricatures pour la plupart: les descriptions d'Henriette
sont très négatives (elle est déclite à plusieurs reprises comme .ce cadavre de femme» [Butor.
1957.41] ou .ce cadavre inquisiteur» [Butor. 1957.41 D. tandis que Cécile est la perlèction
même:
[...] ce salut, Cécile. si vous n'aviez pas celle gorgée d'air. ce surcroît de
.forces. celle main secourable qui se tend vers vous messagère d.:s rëgions
heureuses et claires, depuis celle lourde 'ombre tracassière [... ] jusqu'à celle
magicienne qui par la grâce d'un seul de ses regards vous délivre de toute
cette horrible caricature d'existence [... ]. (Butor. 1957,42)
A ce moment, on dirait qu'il n'y a jamais eu la moindre dispute entre lui et Cécile. et rien que
des disputes entre lui et Henrielle. Ce n'est que dans la deuxième partie du roman, où Lëon
commence à comprendre les illusions qu'il s'est faites.. que l'opposition entre Cécile et
Henriette perd son caractère absolu. Lèon se souvient. pour la première fois, semble-t·il, des
moments où Cécile a montré le même mépris à son égard qu'Henriette:
Vous avez rèvé de Cécile. mais non point agréablement; c'était son visage de
méfiance et de reproche qui était rcvcnu dans votrc sommcil pour vous
tourmenter, le visage qu'elle avait eu lors de vos adieux sur le quai de la
Sta:!ione Termini. [...] N'y aurait-il plus là pour vous de repos. ne vous seraitil plus possible d'aller vous y replonger, vous y rajeunir dans la franchise d'un
amour clair et neuf? La vieillesse commençait-elle déjà à mordre aussi sur
cette partie de vous-même que vous en croyiez prèservèe? Seriez-vous donc
maintenant ballotté entre ces deux reproches. ces deux rancunes, ces deux
accusations de lâcheté? (Butor. 1957. 109)
Jean H. DufIY. dans son analyse de La Modification, remarque que «many of the features reproaches, resentment, hostility - which marked bis relationship with Henriette are attributed
to the aftàir \Vith Cécile [... ]». (DufIY. 51) Léon et Cécile se mettent à disputer. par exemple
•
Quand Lëon arrive enfin chez Cécile, le matin du petit déjeuner raté, il la trouve «toute seulc
69
fort mécontente» (Butor, 1957, 132); elle lui otTre du thé. "mais il était clair qu'elle ne se
dérangerait pas pour cela, le buste raide, les lèvres sans sourire (... ]». (Butor, 1957, 135) Au
fur et à mesure qu'il se détache de ses illusions, Léon devient de plus en plus conscient que
sa relation avec Cécile n'est pas sans problèmes. Quand il se souvient du voyage de Cécile à
Paris, il pense à "sa métamorphose [à elle] en ce fantôme qu'elle allait être pour [lui] tout au
long de son séjour à Paris» (Butor. 1957, 152), et il comprend enfin "ce sentiment d'angoisse
inexplicable qui [l']envahissait comme si peu à peu quelque chose, un démon de lassitude et
de froid, [le] dérobait à [Iui]-même [...]». (Butor. 1957. \50) Finalement. quand Léon a perdu
la dernière de ses illusions, Cécile lui apparaît comme "une femme parmi les autres, une
nouvelle Henriette». (Butor, 1957.276) De plus.. il a décidé qu'Henriette, qu'il a tellement haïe
au début du roman, n'est pas si détestable après tout:
Vous dites: je te le promets. Henrielle. dès que nous le pourrons.. nous
reviendrons ensemble à Rome, dès que les ondes de cette penurbation se
seront calmées, dès que tu m'auras pardonné; nous ne serons pas si vieux.
(Butor. 1957, 282)
11 semble évident. d'après ces indices, que Léon a subi un grand changement: il n'est plus la
même personne qu'il était au début du roman. Les changements dans la façon dont Léon voit
les deux femmes marquent les changements graduels dans son caractère: ils indiquent la
lucidité grandissante de Léon.
4. La femme-objet déclencheur de souvenirs et d'associations.
La description des femmes-objets présentent des points de ressemblance avec celle de
•
la situation changeante de Léon. Les femmes servent en outre à provoquer cette modification
70
En évoquant des souvenirs -=hez Léon. et en déclenchant des chdines d'associations chez lui.
les personnages féminins. comme les autres objets. l'obligent à rél1échir sur sa situation. et à
se rendre compte qu'il se fait des illusions.
En premier lieu. il est assez évident que les d~'Ux personnages féminins ne sont que les
représentantes pour Léon des deux villes de sa vie: Paris el Rome Mary Beth Pringle constate
que «Léon perceives each wornan as embodying Ihe values he 'Issigns 10 Ihe city in which she
lives».' Ainsi. Henriette représente pour lui Paris. la vie de làmille. le travail el la
responsabilité. tandis que Cécile est associée avec Rome. la liberté et les loisirs. (Pringle.
1989.30) Le regard de Léon sur Henriette ou sur Cécile déclenche souvent une longue série
d'associations qui lui font penser à l'une des deux villes: «[...] la passion qu'elle [Cécile] vous
inspire en colore si bien toutes les rues que rêvant d'elle auprès d'Henriette. vous rêvez de
Rome à Pari$». (Butor. 1957. 63) Quand Léon pense à Cécile. toute une série d'images de la
beauté de Rome surgissent:
[...] la lumière augmentera. s'enrichira. ~'ëchaulTera [.. ] la ville paraissant dans
toute sa rougeur profonde, le sang ancien suant de IoUles ses briques. teignant
toute sa poussière. sous le ciel qui sera clair et beau vous n'en doutez pas [...]
cet air splendide romain qui sera comme le printemps retrouvé après l'automne
parisien [...]. (Butor. 1957.45)
Au début du roman. Léon imagine qu'il aime Rome parce que la ville lui fait penser
à Cécile. et à son amour pour elle. Cependant. lorsqu'il comprend mieux sa situation. il se
rend compte que c'est plutôt l'inverse qui est vrai: il aime Cécile parce qu'elle représente pour
lui «la Ville éternelle". (Butor, 1957, 86) En considérant toutes les images de Rome
•
, Mary Beth Pringle, «Fictions in Fiction: Henriette et Cécile in Michel Butor's A Change of
Heart», International Fiction Review, XVI-l, Winter 1989, p. 29.
71
auxquelles Cécile lui fait penser, les «images des rues romaines avec leurs jardins et leurs
ruines, [auxquelles] s'accrochait pour [lui] tout un rève dont la puiss,mo:e s'accroissail
prodigieusement [... ]» (Butor, 1957, 148), Léon se rend compte qu'il n'aime
[...] véritablement Cécile que dans la mesure où elle est pour [lui] le visage de
Rome, sa voix et son invitation, [qu'il ne l'aime] pas sans Rome et en dehors
de Rome, [qu'il ne l'aime] qu'à cause de Rome [... ]. (Butor, 1957,237-238)
Ce qui a provoqué cette prise de conscience ce sont les souvenirs de Rome éveillés par le
regard de Léon sur Cécile.
Le cas d'Henriette est semblable: quand Léon pense à elle, toute une série de souvenirs
de Paris surgit; souvenirs qui lui paraissent encore plus négatifs quand il les compare avec
ceux de Rome:
[...]la différence s'affinnait er.tre cette vie plus libre et plus heureuse dont l'air
romain vous avait donné l'espérance, et l'oppression. la charge parisienne sous
laquelle elle s'enfonçait [.. .]. (I~utor, 1957. 147)
Paris, dont les image'; sont évoquées par le souvenir d'Henriette est le lieu du travail, de
l'habitude, et de la làusseté:
[...J leurs rires bas, leurs lieux communs moraux ou immoraux. leurs
expressions pour désigner les employés, les concurrents. la clientèle. vous
avilissant, vous aplatissant devant ce système [...] prétendant toujours que
c'était à cause d'elle. que c'était pour qu'elle pût être mieux installée [...].
(Butor, 1957, 147)
Les associations et les souvenirs déclenchés chez Léon ne concernent pas que Paris
ou Rome. Ils lui font penser aussi à sa situation dans son ensemble; cela prend la forme le plus
souvent d'une séries d'oppositions binaires: la vieillesse versus la jeunesse; la laideur versus
la beauté; la routine versus la nouveauté; l'habitude versus la surprise; le connu versus le
•
secret.
Ains~
quand Léon pense à sa femme. il evoque tOltiourS son âge à elle, et le fait qu'elle
vieillit:
[...] c'etait le treize novembre et par consequent votre anniversaire. le
quarante-cinquième, parce qu·Henriette. tenant toujours à ces derisoires
ceremonies familiales, y avait accorde cette annee une importance particulière.
dans ses soupçons plus justities encore qu'elle ne les croit. pens;lIlt VOliS
retenir, vous enserrer dans ce filet de petites [sic] rites. non par amour certes,
il y a bien longtemps que tout cela etait tini entre vous deux [.. ] mais par
crainte, chaquejour plus grande (ah. comme elle vieillissait') de voir changer
quelque chose à l'ordre auquel elle etait habituei.: [...]. (Butor. 1957,37)
La présence d'Henriette fait surgir chez Leon toute une serie d'associations av\.'C la vieillesse.
l'habitude, la vie plate et grise de Paris. Les images que la presence de Cecile rappelle à Leon
sont aux antipodes de celles associees avec Henriette:
[...] tout l'avenir etait encore ouvert avec Cecile. cette possibilite de vivre avec
elle une jeunesse nouvelle, votre première jeunesse veritable, encore intacte.
(Butor, 1957, 220)
[...] c'etait votre dernière chance de rajeunir [... J. (Butor. 1957.227)
Comme Mary Beth Pringie a bien vu, Henriette et Cecile sont entiè~ment et Iitteralement
creees par Leon Dehnont. (Pringle. 1989. 27) II les invente à partir de ses propres
caracteristiques: Cecile est tout ce qu'il veut ètre Geune, belle et libre); Henriette est tout ce
à quoi il veut echapper. Henriette est "cette asphyxie menaçante» (Butor, 1957,38); tandis
que Cëcile lui fait penser à "cet air futur [... J, ce bonheur proche». (Butor, 1957. 38) Henriette
declenche des souvenirs et des images de «toute cette demi-vie [qui] se refermait autour de
[lui] comme une pince. comme les mains d'un etrangleur, toute cette existence larvaire.
crepusculaire, à laquelle [il allait] echapper enfin». (Butor, 1957,41) Cecile, pour sa part,
suscite chez Leon un «sentiment de delivrance et d'enchantement». (Butor, 1957,37)
•
•
73
5. Regarder la femme. dévoiler la subjectivité.
Lorsque Leon pense aux deux femmes de sa vie. les souvenirs et les images qui som
évoques révèlent beaucoup de sa personnalité. Mais son caractère se révèle aussi à travers les
descriptions subjectives que Leon fait des deux femmes, comme il s'est révélé dans ses
descriptions subjectives d'autres objets. En ellet. le seul ponrait qu'on a des personnages
feminins de La Modification est le fait de Leon, et c'est un ponrait tellement marque par ses
angoisses, rêves, craintes, désirs et èmotions. que ce semble être plutôt un ponrait de Léon
lui-même. D'ailleurs. les ponraits féminins frisent parfois la caricature:
His description of Henriette is blatantly hyperbolic and unrealistic. He does
not hcsitate to pile e.xcessive image upon excessive image [.. l However. his
view of Cécile is equally schematic. [...] He s<''Cs her largely in ternIs of a
contrast \Vith Henriette. [...] The language he uses to describe Cécile shows
again and again that he is not really treating her as a person but as a symbol
ofan alternative Iifestyle [... 1 (Dun)·, 74-75)
Françoise van Rossum-Guyon a dressé une liste de quelques-unes des images les plus
saisissantes dont Léon se sen pour parler d'Henriette. pour arriver à la description suivante.
[... ] avec ses traits tirés, soucieux, soupçonneux, sa poitrine afiàissêe, ses
cheveux autrefois noirs, elle est en hannonie avec le désordre, le délabrement,
l'obscurité de la chambre parisienne. la luntiére terne et décourageante, l'air
râpeux et le sol mou dont Leon ne parvenait pas à s'arracher.·
Les images négatives que Leon offre d'Henriette tout au long du voyage révèlent moins la
laideur et la vieillesse d'Henriette. que l'obsession de Leon avec son propre âge. Il dit
constamment combien il deteste Henriette, mais il pense sans cesse à elle. Il semble presque
•
• Françoise van Rossum-Guyon, Crit.!.gl.!.e Q!U.9111Ji!U~SSa; S)Jf «La l\.1Q.dification» de Michel
!.M.Qr. Paris, Gallimard. 1970. p. 123.
Î4
obsédé par l'horreur qu'il prétend avoir pour elle. Quelques-uns des portraits d'Henriette $Ont
e.xtrêmement négatifs: «cet énorme chancre insidieux qui recouvrait les traits d'Henriette d'un
masque horrible se durcissant autour de sa bouche jusqu'à la rendre à peu près muelle [ .]0
(Butor. 1957. 109-110) En fait. Henriette est devcnue le miroir dans lequel Léon voit sa
propre vieillesse. sa propre laideur. sa propre médiocritc: c'cst pour celle rai$On qu'il pense
si souvent à elle. Cécile aussi fonctionne comme une sorte de miroir: elle renvoie ;i Leon
l'image qu'il veut "oir de lui-même. Dans le train avec Cécile. lors de leur première rencontre.
Léon observe longuement
sa tresse noire qu'elle n'avait pas défaite. presque intacte., simplement un peu
relâchée par les mouvements de la nuit. par les Irollements sur le dossier.
splendide dans la lumière nouvelle. [qui) lui entourait le Iront. les joues
comme une auréole de l'ombre la plus voluptueuse et la plus riche. faisant
comme vibrer l'éclat de soie à peine froissée de sa peau. de ses lèvres. de ses
yeux quelques instants vagues et incertains. clignotants, mais qui avaient déjà
repris toute leur vivacité avec quelque chose de plus, une sone de gaieté
confiante qu'ils n'avaient pas la veille. changement dont vous vous sentiez
responsable. (B::tor. 1957. 112)
Cécile apparaît comme l'image même de la beauté et de la jeunesse: les termes dom Leon sc
sert pour la décrire sont hyperboliques. Son amour pour elle. "cet amour magnilique ct pur(Butor. 1957. 145). est une e.'\3gération. une vision de ce que Lèon veut créer pour lui-même
11 voit dans Henriette et Cécile des panies de lui·même: les personnages féminins sont des
surfaces réfléchissantes dans lesquelles Léon se mire.
Nous avons examiné la théorie de l'<<effet de miroir- dans le premier chapitre de ce
mémoire. Selon Luce Irigaray. le «sujet spécularisant o n'est pas capable de voir autre que sa
propre image quand il regarde les autres: l'homme-sujet, en prenant la femme comme objet
•
75
d'observation, ne voit, en effet, que lui-mème: Par exemple, au début du roman, Henriette
se réveille poUl' préparer un café pour son mari. Quand Léon y pense plus tard, il se l'e.xplique
ainsi: .[...] si elle s'est levée ce matin pour vous servir, c'est simplement par la mécanique de
l'habitude, par une certaine pitié au plus, toute colorée de mépris [...]». (Butor, 1957, 19) 11
serait impossible de comprendre les sentiments d'Henriette à ce moment, puisqu'elle ne
s'exprime pas. D'ailleurs. étant donné que Léon semble mal connaître sa femme, on a toujours
l'impression de ne pas connaître ses sentiments à elle. On dirait plutôt que Léon lui-mème
ressent -la mécanique de l'habitude... la -pitié», le -mépris». Il imagine donc que ces sentiments
En ee qui eoncerne la séparation d'avec sa femme, tant souhaitée par Léon, celui-ci
dit plusieurs fois qu'Henriette la désire autant que lui, mais qu'elle en a peur. (Butor, 1957,
43, 82) 11 serait peut-être plus e.'(lIct de dire que Léon lui-mème désire cette séparation, mais
qu'il en a peur.
Mais non, sa réaction sera.bien plus insidieuS': et bien plus terrible: il y aura
cr silence, il y aura ce mépris non seulement dans son regard mais dans tout
son corps. dans le moindre de ses gestes, dans la moindre de ses attitudes; au
bout d'un certain temps, elle vous demandera: "Jusqu'à quand restes-tu ici?»
et vous ne pourrez que partir.
[ ] ce sera la vie d'hôtel solitaire [... ]
[ ] vous reviendrez mendiant chez elle, définitivement vaincu [...]
Non, toute explication prématurée compromettrait le succès de votre évasion
[...]. (Butor, 1957, 136)
Dans presque tous les cas, nous voyons que le ;:omportement d'Henriette, tel que
Léon l'imagine, est identique à celui qu'il aura lui-mème. Les attitudes, émotions, préjugés,
•
• Voir Chapitre premier, p. 20-22.
-.
76
et pensées qu'il attribue à sa femme sont presque toujours les siens. Quand il pense à la
possibilité de divorce, il prétend que c'est à cause d'Henriette que le divorce ne serait ras
acceptable: «Il n'y aurait pas de divorce. pas d'esclandre. de cela vous etiez. vous êtes bien
certain; tout se passerait l'on calmement. la pauvre Henriette se tairait [... )>>. (Butor, 1957, 38)
Il semble que la possibilité qlie «tout se passerait l'on calmement" est assez minime Lèon
parle plus tard de «cette Henriette avec laquelle il [lui) est impossible est divorcer parce qu'elle
ne s'y résoudrait jamais [... )>>. (Butor, 1957.41) En vérité, c'est lui qui ne veut pas de divorce:
il dit dans la phrase suivante qu'à cause de sa position à la maison Scabelli. il lui faut éviter
à tout prix un scandale comme le divorce. (Butor. 1957, 41-42)
En décrivant sa femme à Cécil~. Léon dit: .car c'est elle qui a une èducation religieuse
et bourgeoise, et elle ne cherche nullement à s'en débarrasser, au contraire, cela ne fait que
s'accentuer, se resserrer, s'obscurcir. depuis des années [...)". (Butor, 1957, 177) Il est bien
possible qu'Henriette ait eu une ::ducation religieuse et bourgeoise dont elle n'essaie pas de
se débarrasser; il est impossible de savoir si ce que Léon dit à propos de sa femme est la
vérité, ou une exagération. ou une tentative d'autojustilication de la part de Léon. «Mais. nous
ne savons de ces personnages que ce que Léon en aperçoit, nous sommes liés à ses rema.ques
et à ses conjectures.» (van Rossum-Guyon, 145) Léon, le sujet spécularisant par excellence,
n'aperçoit que le reflet de lui-mème: en regardant la femme-objet, il ne voit que son image
spéculaire. 10 Le commentaire sur l'éducation religieuse et bourgeoise d'Henriette naît du désir
•
10 Il fa'JI noter ici que ce ne sont pas que les deux personnages féminins qui servent de miroirs
pour le sujet spécularisant. Comme plusieurs critiques. tels Jean H. DufIY, J.C. Davies, et
Françoise van Rossum-Guyon, ont remarqué, tou~ les passagers dans le compartiment du
train avec Léon sont décrits par celui-ci en termes de lui-mème: en inventant des histoires
pour eux, il leur attribue ses propres caractéristiques (par exemple, il imagine que
77
qu'éprouve Léon de convaincre Cécile que lui. Léon. n'est pas limité par sa propre éducation
religieuse et bourgeoise. Léon attribue ces caractéristiques à sa femme.
Plu~
loin dans le
roman, Cécile réfute cette description d'Henriette. après l'avoir rencontrée:
- Elle a les idées bien plus larges que toi. et il te faut quitter tes illusions: tu
n'as plus tellement d'importance pO'Jr elle. Ce n'est pas toi, c'est elle-même qui
m'invite, et ce n'est pas pour te faire plaisir, mais non, ce n'est pas parce qu'elle
t'adore tellement qu'en renonçant à toi elle baise les pieds de celle qui te prend
à elle. c'est en toute simplicité. Mais, ne t'en rends-tu donc pas compte. qu'elle
te laisse toute liberté? (Butor, 1957, 187-188)
Pour la première fois, on a plus d'un seul point de vue sur Henriette: ce n'est plus Léon
seulement qui fait le portrait d'Henriette. Et, étant donné qu'après quelques minutes seulement
de conversation, Henriette posait déjà à Cécile -toutes sortes de questions sur sa famille, son
installation, son métier, réussissant à lui faire dire des choses que vous ne connaissiez par
encore» (Butor, 1957. 186), on a l'impression que les deux femmes se comprennent et se
connaissent mieux que Léon ne connait ni l'une ni l'autre Léon ne s'intéresse pas à la -réalité»
des deux femmes (Pringle. 1989. 28); pour lui. elles lui permettent de voir les contradictions
dans ses propres pensées et sentiments.
Mal)' Beth Pringle constate que -Henriette and Cécile are words on a page, fictions
within fiction. concoctions of a man driven to assign his lopsided order to the world».
(Pringle,
•
198~,
31) Elle note que les personnages féminins, tels qu'ils sont présentés, sont
pratiquement tous les autres hommes du compartiment sont en train de tromper leur femme).
«On a noté que les autres voyageurs, réunis comme par hasard dans ce compartiment,
présentaient tous des points communs avec Léon Delmon!. Ces points communs. c'est le
héros qui les leur attribue. projetant sur eux ses préoccupations et ses obsessions.»
(van Rossum-Guyon, 169)
78
créës, effectivement. par l'imagination de Léon Delmont. Cependant. Pringle ne parle p.IS du
fuit qu'Henriette et Cécile sont créées comme objets. non seulement par Léon. mais aussi par
le narrateur qui les observe avec Léon (et par l'auteur qui les a inventées). Ce sont des objets.
ne s'affirmant jamais comme sujets. fonctionnant virtuellement comme le tapis de fer chauffant
ou les autres objets du roman. Elles servent à la caractérisation du personnage principal. cl
lui permettent de s'affirmer comme sujet. Le portrait d'Henriette et Cécile n'<:st qu'un moyen
par lequel le caractère du personnage principal est révélé.
True, Henriette i~.a dim figure and Cécile an over-idealized one, but this is
because we sec them only through Léon's eyes. His estimate ofthem is one of
the touches which contribute to an extremely lifelike portrait of a man of
forty-five whose neck is being chafed by the marriage yoke. Il
Henriette et Cécile sont réduites au statut de «louches" dans le portrait de Léon. présentes
parce que «le héros semble se définir uniquement par contraste avec les personnages
secondaires... !: Mais elles constituent des objets nécessaires à -a subjectivité à lui: même si
elles sont «radicalement absentes" (van Rossum-Guyon, 168) du roman, «Cécile et Henriette
interviennent cependant dans la modification qui sc produit en lui... (van Rossum-Guyon, 168)
Objets d'observation, choses servant à déclencher des souvenirs ct des associations.
instruments; les personnages féminins de La Modification n'existent qu'en tant qu'objets
propres à provoquer et à soutenir cette modification. Scion Jeffry Larson, les objets de La
Il Vivian Mercier. «Michel Butor: The Schema and the Myth... dans I.he New NoY-,c;!.Jrom
Oueneau to Pinget, New York, Farrar, Straus and Giroux, 1971, p. 225.
•
1: Bernard Valette, «Le Système des persoMages", dans Esthétique du roman moderne;, Paris,
Nathan, 1993, p. 118.
•
79
Modification amenent Léon à -a greater self-knowledge and consistency. the opposite of'bad
faith'. Such is the 'redemption' that according to Barthes is bestowed on Butor's characters
by the objects around them•. Il C'est précisément le rôle de la fenullt.:-objel
,
JelTr)' Larson. -The SibyI and the Iron F100r Heater in Michel Butor's La Modj.f!~tio.!1",
papers on Language and Literature, 70, 1974, p. 414.
1.\
•
CONCLUSION
,
.'::
••
:
....
81
Dans l'oeuvre romanesque butorienne. les objets servent des fins narratives
spécifiques: les
C:I0ses
contribuent à faire le portrait du personnage principal. Mais la
catégorie d'«objet" ne se limite pas. chez Butor. aux objets inanimés proprement dits. Jean
Bloch-Michel remarque que «tout [est) objet pour le sujet qui parle. y compris les êtres
humains [... )>>.' La critique a déjà parlé de réification en ce qui concerne les personnages
secondaires de La Modification: on a souvent remarqué que tous les passagers dans le
compartiment de train avec Léon ne sont que des retlets de Leon lui-même.! Nous avons
traité la réification des personnages féminins comme distincte des autres réifications pour
deu.'" raisons. Premièrement, le rôle joué par Henriette et Cécile est beaucoup plus important
que celui des autres personnages secondaires: tout en étant «secondaires». b; femmes sont
nécessaires à l'histoire de Léon. Deuxièmement. en ce qui concerne les femmes. la réification
qui semble typique de l'oeuvre romanesque de Butor se double d'une objectilication qu'on
peut voir comme l'inscription textuelle des valeurs sociales de l'époque. La femme est
conceptualisée par la société patriarcale comme .objet». et dans la représentation textuelle elle
est reléguée au même domaine. La réification du personnage féminin dans La Modification
se réalise sur deux plans.
L'objet butorien a un rôle spécifique, et le personnage féminin se voit assigner le même
rôle: Henriette et Cécile, en tant qu'objets, contribuent à la caractérisation du personnage
. Jean Bloch-Michel. Le Présent de l'indicatif, Paris, Gallimard, 1963, p. 20.
: Voir Chapitre troisième, p. 76-77.
•
82
principal, et elles amènent Léon à rétléchir sur sa situation C'est-à-dire Leon se sert des
femmes-objets comme des instruments; il existe des parallèks entre la description de l'etat
d'âme ou de la situation de Léon. et celle de l'apparence des femmes-objets; les tèmmes-objets
éveillent chez Léon des associations et des souvenirs; et le regard subjectif de Leon sur les
femmes-objets révèle son caractère à lui. Les personnages féminins de La Moditication sont
chosifiés afin de servir des fins narratives spécifiques.
Dans une société où la femme est toujours, semble-t-il, en position d'objet. donnée au
regard de l'homme, le parallèle entre cette réalité et la représentation textuelle est évident: le
littéraire n'échappe pas au social. En d'autres mots. l'objectification littéraire du personnage
féminin semble avoir ses origines dans l'objectification sociale de la lèmme: la subjectivite
problématique du personnage féminin semble provenir de la subjectivite problématique de la
femme dans une société masculine.
Les théories de la subjectivité, et les réinterprétations féministes de ces théories.
constatent que, dans les sociétés patriarcales, la femme n'a pas accés aux moyens d'atteindre
la subjectivité, et donc son accés à la subjectivité elle-même se trouve sévèrement compromis
La femme demeure un objet parce qu'elle ne s'affirme pas comme sujet, que ce soit par la voie
de l'action. de la vision. ou du langage, et aussi parce que l'homme, en s'affirmant comme sujet
à travers ces mêmes voies, pose la femme comme son objet à lui, auquel il doit s'opposer afin
de pouvoir se reconnaître comme sujet.
Au niveau de l'action, mode d'accés à la subjectivité proposé par l'existentialisme\ les
•
J
V<Jir Chapitre premier, p. 12-17.
•
83
personnages féminins ne se posent pas comme sujets parce qu'ils sont passifs' ils n'agissent
pas, ils ne se transcendent pas. Léon Delmont s'affinne comme sujet en s'opposant à Henriette
et Cécile: il se transcende et se projette vers l'avenir à travers les plans qu'il fait. plans qui
exigent qu'Henriette et Cécile soient présentes uniquement en tant qu'objets. Sa transcendance
à lu~ sa subjectivité à lu~ se fonde sur la -non-subjectivité- d-::s personnages féminins, sur leur
objectification.
Au niveau de la vision, mode d'accès à la subjectivité privilégié par la psychanalyse·.
les personnages féminins ne s'affirment pas comme sujets parce qu'ils ne voient pas: ils sont
l'liS.
Celui qui voit. Léon Delmont. s'atlirme comme sujet en objectiliant l'autre à travers le
regard. Léon observe les deux personnages féminins tout au long du roman; les femmes ne
lui rendent pas ce regard. elles n'objectifient pas l'autre afin de se poser comme sujets.
Le langage. mode d'accès à la subjectivité làvorisé par la psychanalyse lacanienne et
le poststructuralismes, permet à celui qui parle d'assumer la position de sujet énonciateur.
Henriette et Cécile, parce qu'eIles n'ollt pas accès au langage. ou parce que leurs paroles sont
le plus souvent -inll~rprétèes· par Léon et le narrateur, ne s'atlirment pas comme sujets. Léon.
par le biais du narrateur. est posé comme sujet dans le langage: comme sujet énonciateur. il
parle à un objet. ou à propos d'un objet. Dans La Modification, Léon Delmont parle à
Henriette et Cécile. des fois à propos d'Henriette et Cécile: sa subjectivité à lui se fonde donc
en panic sur leur objectification à travers le langage.
• Voir Chapitre premier, p. 17-22.
, Voir Chapitre premier. p. 22-29.
•
84
Nous avons montré dans ce travail que les personnages tëminins de La l\'\odillc;1Jion
sont traités textuellement comme des objets. ct qu'ils Il)n.:tionnel1l .:omme tels ils ne
s'affirment pas en tant que sujets. que ce soit par l'action, la vision ou le langage BreC ils sont
réifiés pour jouer le mème rôle que les autres objets dans le projet butorien. Mais nous
n'avons examiné qu'un seul des romans de Butor: il nous semble qu'il y aurait tout un travail
à faire sur la réification du personnage féminin dans toute l'oeuvre romanesque de Butor.
L'EmploLdu temps·. et De<::lrés' montrent des ressemblances avec L,[ Mpdilication en .:e qui
concerne les rapports entre l'homme et la tèmme. Ces deux romans mettent en scène un
personnage principal masculin dom le succès du projet dépend de la présence d'un personnage
(secondaire) féminin. Passage de Milan" serait un peu plus compliqué parce qu'il n'y a pas
vraiment de personnage principal: tous les personnages semblent «secondaires». Néanmoins.
mème dans ce roman. les personnages lëminins semblent subordonnes aux personnages
masculins.
Il nous semble qu'il serait aussi intéressant d'étudier la subjectivité de Léon Delmont
lui-mème, par rappoll au narrateur. On s'ecallerait à ce mom~nt de la théorie féministe. pour
ne considérer que les théories de la subjectivité tout simplement. Dal'!s La Modificat!2n. les
personnages féminins servent d'objets afin de révéler le caractère de Léon. On a l'impression
que Léon lui-mèrne fonctionne en quelque sorte comme_objet afin de révéler le caractère du
6
Michel Butor, L'Emploi du temps, Paris, Les Édition.~ de Minuit, 1957, 299 p.
, Michel Butor, Degrés, Paris, Gallimard, Les Éditions de Minuit, 1954, 389 p.
" Michel Butor, Passage de Milan, Paris, Les Éditions de Minuit, 1954, 286 p.
85
narrateur. Comme nous avons dit', nous croyons que le narrateur Il'I!S( pas Léon Delmont en
train de parler à lui-mème. C'est une entité séparée dont le portrait se dessine en filigrane à
travers ce que le narrateur dit de Léon.
La conscience centrale à partir de laquelle se déploie le monde, cette
conscience réfléchissante est aussi et en mème temps une conscience rél1échie
Tout au long du récit une voix non identifiée décrit, qualilie, décrète,
commente, interroge. L'intervention de la seconde personne institue d'entrée
de jeu un dédoublement de la perspective narrative qui, on le verra, n'est pas
sans conséquences. 10
Léon lui-mème est un objet observé par le narrateur. D'ailleurs, Léon ne parvient à se nommer
«je.. que vers la fin du roman. Tout au long du récit, la voix narrative nous pemlet de savoir
ce que Léon a dit, la voix narrative intcrprète ct cxprimc œ que pense Leon' Léllll n'est
toujours que -VOUS". Vue sous cet angle, la subjectivité de Léon semble problématique. Il y
aurait tout un travail à faire sur le parallèle entre la relation textuelle unissant Léon et les
personnages féminins, et celle qui unit le narrateur et Léon.
Nous avons \u que la réification du personnage féminin dans La Modification semble
rcproduire certaines valeurs dominantes de la société patriarcale. Publié en 1957, La
Modification ne met pas en question "ordre social contemporain, ni les rapports entre les
hommes et les femmes. Depuis celtc époque, il y a eu une évolution importante dans les
rapports en question. Bien que La Modification ne puisse pas en témoigner, la critique de ce
" Voir Chapitre troisième, p. 59.
:: Françoise van Rossum-Guyon, Critique du roman: essai sur -La Modification" ,ge Michel
Butor, Paris, Gallimard, 1970, p. 137.
86
roman. et de toute l'oeuvre butorienne. a subi une evolution semblable On est passe d'une
époque où la critique voyait en Léon Delmont l'ètre humain en général. d'une époque où la
critique prétendait que le «VOUS" narratif de ce roman était censé amener le lecteur (masculin
ou féminin) à s'identifier avec Léon. à une époque où la critique a commencé à reconnaitre
la présence de la femme-lecteur et de la femme-personnage. Comme Mal)' Beth Pringle le
remarque. «while over time a novel stays the same. wc. its readers. change,,11 Les valeurs
sociales ont changé depuis 1957. et l'interprétation critique de cc roman le rell':te.
•
:: Mary Beth Pringle, «Fictions in Fiction: Henriette et Cécile in Michel Butor's A Change
ofHeart", International Fiction Review, XVI-l, Winter 1989, p. 26.
•
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,
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