Table de matières - Indymedia

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UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À MONTRÉAL
LE DÉBAT PUBLIC AUTOUR DE LA REPRÉSENTATION RACIALE ET ETHNIQUE
DANS LA PUBLICITÉ BRÉSILIENNE :
DISCOURS, STRATÉGIES ET RECONSTRUCTIONS IDENTITAIRES
THÈSE PRÉSENTÉE
COMME EXIGENCE PARTIELLE
DU DOCTORAT EN COMMUNICATION
PAR
JULIANA SANTOS BOTELHO
SEPTEMBRE 2008
TABLE DES MATIÈRES
LISTE DES FIGURES …………………………………………………………. vii
LISTE DES TABLEAUX …………………………………………………….... viii
LISTE DES ABRÉVIATIONS, SIGLES ET ACRONYMES ………..……….. xix
RÉSUMÉ ……………………………………………………………………….. xii
SUMMARY …………………………………………………………………….. xiii
RESUMO ……………………………………………………………………….. xiv
INTRODUCTION ……………………………………………………………… 1
CHAPITRE I
RACISMES, RACE ET ETHNICITÉ : UN DÉBAT CONTROVERSÉ ………. 13
1.1 L’étude des races à l’ère coloniale …………………………………………. 15
1.2 Race et génétique …………………………………………………………… 17
1.3 Race en tant que construction sociale ……………………………………
20
1.4 Le concept d’ethnie …………………………………………………………. 22
1.5 Ethnicité et race …………………………………………………………….. 25
1.6 Race et ethnicité dans le Brésil contemporain ……………………………... 28
iii
CHAPITRE II
RACE ET NATION AU BRÉSIL ……………………………………………… 43
2.1 Au royaume luso-américain : quelques particularités de l’essor de la nation
brésilienne …………………………………………………………….…….. 43
2.2 La race au centre de discours identitaires de la nation émergente ………….. 49
2.3. Racisme scientifique et métissage au Brésil : le blanchissement comme
solution ……………………………………………………………….…….. 53
2.4 La naissance du mythe de la démocratie raciale : entre l’immigration et le
projet eugéniste ……………………………………………………….……. 58
2.5 La redécouverte de la « race » : État et droits humains au Brésil …………... 67
CHAPITRE III
L’INDUSTRIE DE LA PUBLICITÉ : L’ESSOR D’UN MARCHÉ
TRANSNATIONAL …………………………………………………………… 76
3.1 Publicité, visibilité et espace public : une brève rétrospective de l’approche
habermassienne ……………………………………………………………... 76
3.2. Publicité et marché capitaliste : un débat plus ample ……………………… 84
3.3 Le système brésilien des médias et son insertion dans le marché global …... 89
3.4 Le marché publicitaire brésilien face à la concentration de la propriété des
médias ………………………………………………………………………. 96
3.5 La centralité de la télévision dans le marché publicitaire ………………….. 99
CHAPITRE IV
UNE BRÈVE HISTOIRE DE LA PUBLICITÉ AU BRÉSIL …………………. 105
4.1 Les origines des annonces publicitaires au Brésil : les annonces d’esclaves. 106
4.2 L’essor de la presse et d’une nouvelle sociabilité… européenne ou
américaine ? …………………………………………….…………………. 108
4.3 Le développement de la publicité et le projet eugéniste ……………………. 110
4.4 L’essor de la photographie publicitaire : les agences des modèles et les
modèles de beauté …………………………………………………………... 115
4.5 La publicité orale et la radio ………………………………………………... 118
4.6 La publicité à l’heure de la télévision ………………………………………. 122
4.7 L’autre côté de l’absence : la publicité face au marché afro-brésilien ……... 124
iv
CHAPITRE V
LE CONSEIL D’AUTORÉGLEMENTATION PUBLICITAIRE (CONAR) ET
LA RÉGULATION DE LA PUBLICITÉ BRÉSILIENNE ………………...
132
5.1. Les origines de la réglementation publicitaire ……………………………... 132
5.2 L’autoréglementation publicitaire et l’influence du cadre normatif
international …………………………………………………………………
5.3 Le Code brésilien d’autoréglementation publicitaire (CBARP) comme
instrument d’autodiscipline du secteur publicitaire ………………………...
5.4 La création du CONAR et l’institutionnalisation de l’autoréglementation
publicitaire …………………………………………………………………..
5.5 La légitimité du CONAR à l’ère des droits des consommateurs ……………
134
136
142
151
5.5.1 Les 25 ans du CONAR : moment de bilan et de questionnements …… 152
5.5.2 L’autoréglementation après l’avènement des droits de consommateurs 156
5.5.3 Le CONAR versus le secteur publicitaire : la société civile comme
otage …………………………………………………….…………….. 161
CHAPITRE VI
STRATÉGIES DE RECHERCHES ET MÉTHODOLOGIE ………………….. 167
6.1. Définition du corpus et des catégories d’analyse ………………………….. 168
6.2 Stratégies de recherche ……………………………………………………... 172
6.2.1 Les sources secondaires ………………………………………………. 172
6.2.2 Sources primaires ……………………………………………………... 178
6.3 Le fonctionnement du CONAR …………………………………………….. 179
6.3.1. Structure générale ……………………………………………………. 180
6.3.2. Objectifs ……………………………………………………………… 180
6.3.3. Le Conseil d’éthique …………………………………………………. 181
6.3.4 Les membres du Conseil d’éthique …………………………………… 182
6.3.5. Types de procès éthiques …………………………………………….. 184
6.3.6. Le traitement des procès éthiques ……………………………………. 185
6.3.7 Les sources d’autofinancement ……………………………………….. 188
6.4 Les principaux articles du CBARP servant de principe aux jugements de
discrimination ………………………………………………………………. 189
v
6.5. Méthodes d’analyse ………………………………………………………... 191
6.5.1 Analyse quantitative des procès de discrimination …………………… 192
6.5.2. Analyse qualitative …………………………………………………... 194
CHAPITRE VII
LES DÉBATS AUTOUR DES PUBLICITÉS ACCUSÉES DE
DISCRIMINATION RACIALE ………………………………………………... 207
7.1 Description quantitative du corpus de procès éthiques pour discrimination
raciale ……………………………………………………………………….. 216
7.1.1 Aperçu général des procès pour discrimination raciale ……………… 216
7.1.2 Distribution des procès pour discrimination raciale selon le groupe
cible …………………………………………………………………… 218
7.1.3 La distribution des procès en fonction du temps ……………………... 220
7.1.4 Les perspectives de genre et de tranche d’âge ………………………... 226
7.1.5 Les procès faisant l’objet d’une visibilité médiatique ………………... 227
7.2 Description qualitative des cinq exemples de procès éthiques pour
discrimination raciale ayant fait l’objet d’une couverture médiatique ……... 229
7.2 1. Première phase des procès pour discrimination raciale (1979-1989) ... 229
7.2.1.1. Procès n° 025-82 : le « Boni du bonheur » …………………
229
7.2.1.2. Procès n° 118-88 : vêtements infantiles Smuggler ..………...
243
7.2 2. Deuxième phase des procès pour discrimination raciale (1990-1999) . 258
7.2.2.1. Procès n° 076-90 : la mère nourricière de Benetton ………………..
258
7.2.2.2. Procès n° 229-91 : l’ange et le diable de Benetton ………………....
282
7.2 3. Troisième phase des procès pour discrimination raciale (2000-2005) ……… 311
7.2.3.1. Procès n° 068-05 — la laine d’acier d’Assolan …………………….
311
CHAPITRE VIII
BREF RETOUR RÉFLEXIF SUR LES PROCÈS DE DISCRIMINATION
RACIALE DU CONAR ………………………………………………………... 332
8.1 Les rôles des tribunaux dans une démocratie délibérative …...…………….. 332
8.2 Les procédures internes du CONAR ……………………………………….. 334
8.3 Le CONAR vu par les publics critiques engagés dans la lutte contre la
discrimination raciale …..…………………………………………………… 342
vi
8.4 Quelques initiatives contemporaines en vue de combattre la discrimination
raciale dans les médias ……………………………………………………… 352
8.4.1 La formation d’un cadre d’experts dans le domaine des droits
humains ……………………………………………………………….. 352
8.4.2 Changement des rapports entre les médias et la population noire ……. 354
8.4.3 Changement de l’imaginaire social …………………………………... 360
CONCLUSION ………………………………………………………………… 363
APPENDICE A — TABLEAUX DESCRIPTIFS DES PROCÈS POUR
DISCRIMINATION RACIALE DÉPOSÉS AU CONAR ENTRE 1979 ET
2005 …………………………………………………………………………….. 385
APPENDICE B — PHOTOGRAMMES ET COPIES NUMÉRISÉES DES
PUBLICITÉS DONT LES PROCÈS ONT FAIT L’OBJET D’UNE
COUVERTURE MÉDIATIQUE ………………………………………………. 391
BIBLIOGRAPHIE ……………………………………………………………… 396
CITATIONS EN LANGUES ÉTRANGÈRES *………………………………
416
* NOTE : Compte tenu du grand nombre d’œuvres et de documents consultés en
langues portugaise et anglaise, toutes les citations en langues étrangères ont
été regroupées à la fin du document, dans le but d’alléger la lecture du texte.
Ces citations sont numérotées en chiffres romains, alors que les notes
d’éclaircissement sont numérotées en chiffres arabiques. Toutes les citations
résultent d’une traduction libre des textes originaux. L’utilisation de caractères
gras et italiques correspond à la mise en forme de la version originale.
LISTE DES FIGURES
Figure
7.1
Page
Cadre comparatif de l’évolution du nombre de procès pour
discrimination et pour procès de discrimination raciale déposés au
CONAR entre 1979 et 2005
217
B.1
Photogramme de la publicité « Bonus du bonheur »
(procès n° 025-82) …………………………………………………….. 391
B.2
Version numérisée de la publicité « Smuggler »
(procès n° 118-88) …………………………………………………….. 392
B.3
Version numérisée de la publicité « Mère nourricière »
(procès n° 076-90) …………………………………………………….. 393
B.4
Version numérisée de la publicité « L’ange et le diable »
(procès n° 229-91) …………………………………………………….. 394
B.5
Photogramme de la publicité « Bébés Assolan »
(procès n° 068-05) …………………………………………………….. 395
LISTE DES TABLEAUX
Tableau
Page
6.3
Distribution et identification de procès éthiques pour
discrimination raciale ayant fait l’objet d’une couverture
médiatique dans trois phases distinctes ……………..………... 206
7.1
Distribution des procès éthiques selon le public cible et la
catégorie raciale ……………………………………………….. 219
7.2
Distribution des procès éthiques pour discrimination raciale
dans trois phases distinctes selon la présence d’une couverture
médiatique et la catégorie raciale ……………...……………… 222
A.1
Liste d’interviewés selon leur profession et entité d’attache ….. 385
A.2
Distribution des procès éthiques selon la catégorie
« discrimination » (1979-2005) ……………………………….. 386
A.3
Distribution des procès éthiques selon la catégorie
« discrimination raciale » (1979-2005) ……………………….. 387
A.4
Distribution des procès éthiques pour discrimination raciale
selon le public cible et le type de décision arrêtée ………..…... 388
A.5
Distribution des procès éthiques pour discrimination raciale
selon le genre et la tranche d’âge ………………………..……. 389
A.6
Caractérisation des procès éthiques pour discrimination raciale
selon la présence d’une couverture médiatique et les
composantes du procès éthique ………………………...……... 390
LISTE DES ABRÉVIATIONS, SIGLES ET ACRONYMES
AAAA
American Association of Advertising Agencies
“ Association américaine des agences de publicité ”
ADC
Assessoria de Defesa da Cidadania
“ Assessorat de défense de la citoyenneté ”
ABA
Associação Brasileira de Anunciantes
“ Association brésilienne d’annonceurs ”
ABAP
Associação Brasileira de Agências de Propaganda
“ Association brésilienne des agences de publicité ”
ABERT
Associação Brasileira de Emissoras de Rádio e Televisão
“ Association brésilienne d’émetteurs de radio et télévision ”
ANER
Associação Nacional de Editores de Revistas
“ Association nationale d’éditeurs de magasins ”
ANJ
Associação Nacional de Jornais
“ Association nationale de journaux ”
ANVISA
Agência nacional de vigilância sanitária
“ Agence nationale d’inspection sanitaire ”
ASPP
Agence África São Paulo Publicidade Ltée.
CO
Central de Outdoor
“ Centrale de panneaux publicitaires ”
CBARP
Código Brasileiro de Auto-regulamentação Publicitária
“ Code brésilien d’autoréglementation publicitaire ”
CBDC
Código Brasileiro de Defesa do Consumidor
“ Code brésilien de défense des consommateurs ”
x
CTB
Código Brasileiro de Telecomunicação
“ Code brésilien de télécommunication ”
CCI
Chambre de commerce international
CEDENPA
Centro de Defesa dos Negros do Pará
“ Centre de défense des Noirs du Pará ”
COMDEDINE Conselho Municipal de Defesa dos Direitos do Negro
“ Conseil municipal de défense des droits des Noirs ”
COJIRA
Comissão de Jornalistas pela Igualdade Racial
“ Commission de journalistes pour l’égalité raciale ”
CONAR
Conselho de Auto-regulamentação Publicitária
“ Conseil d’autoréglementation publicitaire ”
CEDPCN
Conselho Estadual para o Desenvolvimento e Participação da
Comunidade Negra
“ Conseil de l’État pour le développement et participation de la
communauté noire ”
CTB
Codigo Brasileiro de Telecomunicação
“ Code brésilien de télécommunications ”
EASA
European Advertising Standards Alliance
“ l’Alliance Européenne pour l’Éthique en Publicité ”
GB
Groupe Benetton
IAA
International Advertising Association
“ Association internationale de publicité ”
IHGB
Instituto Histórico e Geográfico Brasileiro
“ Institut historique et géographique brésilien ”
IPCN
Instituto de pesquisa das culturas negras
“ Institut de recherche des cultures noires ”
MNU
Movimento Negro Unificado (Contra a Discriminação Racial)
“ Mouvement noir unifié (contre la discrimination raciale) ”
OEA
Organisation des États américains
xi
ONU
Organisation des Nations Unies
PNAD
Pesquisa Nacional de Amostragem de Domicílios
“ Enquête nationale auprès d’un échantillon représentatif des foyers ”
PNUD
Programme des Nations Unies pour le Développement
SEPPIR
Secretaria Especial de Políticas de Promoção da Igualdade Racial
“ Secrétariat extraordinaire de politiques de promotion de l’égalité
raciale ”
UNESCO
Organisation des Nations Unies pour l’Éducation, la Science et la
Culture
USP
Universidade de São Paulo
“Université de São Paulo”
Y&R
Agence de publicité Young & Rubicam
RÉSUMÉ
Dans ce travail, j’explore le débat public généré par des publicités brésiliennes qui ont fait
l’objet des plaintes pour discrimination raciale. À travers l’analyse d’un corpus composé par
31 plaintes déposées entre 1979 et 2005 auprès du Conseil national d’autoréglementation
publicitaire (CONAR) au Brésil, l’enquête empirique dévoile deux tendances majeures : 1) en
ce qui concerne la publicité brésilienne, la dénonciation de contenus publicitaires racialement
discriminatoires a augmenté de 64 % au cours des cinq dernières années de la période
examinée, indiquant l’émergence d’une nouvelle forme de conscience raciale; 2) Allant dans
le sens carrément opposé, on y voit également une contre-réaction conservatrice de la part des
secteurs corporatifs publicitaires : seulement quelque 30 % des publicités faisant l’objet des
plaintes examinées par les comités d’éthique du CONAR ont été reconnues coupables pour
discrimination raciale. Cependant, la reconnaissance de l’existence même d’un traitement
discriminatoire accordé à certaines couches de la population brésilienne dépend d’une série
de facteurs, dont les cadres interprétatifs agissant sur la perception et la formulation du
problème de la discrimination raciale.
Compte tenu de ce fait, cette recherche vise à faire la lumière sur l’évolution du débat racial
au Brésil au long de ces 26 ans, en mettant en évidence l’émergence d’une conscience raciale
à travers la réception critique de messages publicitaires. La formation d’une conscience
raciale negra ayant de multiples conséquences pour l’autodéfinition raciale est analysée au
croisement de trois processus historiques différents : la formation d’un système médiatique
hautement centralisé, l’histoire des représentations raciales dans la publicité brésilienne et la
création du CONAR avec l’essor du système d’autoréglementation publicitaire au Brésil.
L’imbrication de ces trois processus reflète, en dernière instance, le processus même de
rédémocratisation au Brésil en cours à partir de la fin des années 1970.
Mots clés : discrimination raciale; race; débat public; espace public; publicité;
autoréglementation publicitaire.
SUMMARY
In this thesis I examine the public debate generated by Brazilian advertisements that were the
subject of racial discrimination complaints. Based on analysis of a corpus of 31 complaints
submitted to the National Council for Advertising Self-Regulation (CONAR) in Brazil
between 1979 and 2005, an empirical study reveals two major trends: 1) With regard to
Brazilian advertising, denouncements of racially discriminatory advertising content increased
by 64% over the final five years under study, indicating the emergence of a new form of
racial consciousness; 2) Trending in virtually the opposite direction, a conservative backlash
on the part of the corporate advertising sector can also be observed: only some 30% of the
advertisements that were the subject of complaints examined by CONAR’s ethics committees
were recognized as being guilty of racial discrimination. However, recognition of the very
existence of the discriminatory treatment of certain strata of the Brazilian population depends
on a series of factors, including the adoption of interpretative frameworks influencing the
perception and formulation of the problem of racial discrimination.
Given this fact, this study aims to shed light on the evolution of racial debate in Brazil during
the 26 years in question, highlighting the emergence of a form of racial consciousness
through critical responses to advertising messages. The formation of a negra racial
consciousness, with its multiple consequences for racial self-definition, is analyzed in terms
of the intersection of three separate historical processes: the formation of a highly centralized
media system, the history of racial representation in Brazilian advertising, and the creation of
CONAR, in the context of the emergence of the Brazilian advertising self-regulatory system.
The interweaving of these three processes reflects, ultimately, the very process of Brazilian
redemocratization that has been underway since the late 1970s.
Keywords: racial discrimination; race; public debate; public sphere; publicity; advertising
self-regulation.
RESUMO
Neste trabalho, examino o debate público gerado pelas peças publicitárias brasileiras que
foram alvo de denúncias de discriminação racial. Por meio do exame de um corpus composto
por 31 denúncias encaminhadas entre 1979 e 2005 ao Conselho Nacional de Autoregulamentação Publicitária (CONAR), no Brasil, a análise empírica desvenda duas
tendências principais: 1) no tocante à publicidade brasileira, a denúncia de conteúdos
discriminatórios do ponto de vista racial cresceu cerca de 64% nos últimos cinco anos do
período em questão, indicando assim a emergência de uma nova forma de consciência racial;
2) no sentido diametralmente oposto, percebe-se igualmente uma forte reação conservadora
da parte dos setores corporativos ligados à publicidade: somente 30% das peças cujas
denúncias foram examinadas pelos comitês de ética do CONAR foram consideradas culpadas
por discriminação racial. No entanto, o reconhecimento da própria existência de um
tratamento discriminatório atribuído a certas camadas da população brasileira depende de
uma série de fatores, dentre os quais destacam-se os quadros interpretativos que agem
diretamente na percepção e formulação do problema da discriminação racial.
Diante desse quadro mais amplo, esta pesquisa propõe-se a trazer à luz a evoluação do debate
racial no Brasil durante esses 26 anos, colocando em evidência a emergência de uma
consciência racial por meio da recepção crítica das mensagens publicitárias. A formação de
uma consciência racial negra, a qual possui múltiplas conseqüências para a auto-definição
racial, é analisada na interseção de três processos históricos diferentes: a formação de um
sistema mediático altamente centralizado, a história das representações raciais na publicidade
brasileira e a trajetória do CONAR à partir da implantação do sistema de autoregulamentação publicitária no Brasil. A imbricação desses três processos reflete, em última
instância, o próprio processo de redemocratização que vem tomando força no Brasil desde o
final da década de 1970.
Palavras-chave : discriminação racial; raça; debate público; espaço público; publicidade;
auto-regulamentação publicitária.
INTRODUCTION
Le présent travail porte sur les débats publics générés par les publicités accusées, auprès du
Conseil d’autoréglementation publicitaire (CONAR), de discrimination raciale entre 1979 et
2005, au Brésil. Plus précisément, j’entends analyser les formes à travers lesquelles les
médias ont pu agencer des débats autour du problème de la discrimination raciale dans la
publicité, en rétroagissant réflexivement sur le jugement du procès en question. Ce travail
s’aligne donc sur une tradition d’études qui s’interrogent sur le rôle de l’espace public dans la
construction d’un système politique démocratique — système où la délibération constitue la
voie par excellence permettant la détermination de la volonté politique et des choix
politiquement et moralement légitimes.
Je commencerai tout d’abord par expliciter les raisons pour lesquelles je me suis penchée
spécifiquement sur les débats autour des publicités accusées de discrimination raciale. Une
première raison pour cerner cette analyse réside dans l’originalité de l’approche utilisée par
rapport à la littérature portant, d’une manière plus spécifique, sur la publicité brésilienne.
Grosso modo, les études portant sur la publicité, au Brésil, mais aussi ailleurs, n’ont
certainement pas échappé à l’influence d’une approche plus utilitariste de la publicité 1.
Toutefois, j’aimerais laisser de côté les ouvrages objectivant une plus grande efficacité dans
le message publicitaire pour me consacrer à ceux dont l’objectif principal est de penser la
publicité telle qu’elle est, et non pas telle qu’elle devrait être. La brève compilation que je
présenterai ici n’est pas à vrai dire exhaustive; elle constitue plutôt une liste de quelques
Ainsi, nous verrons notamment que dès les origines de la publicité, au début du XXe siècle aux
États-Unis, les recherches la concernant avaient une visée fondamentalement pragmatique, permettant
le développement d’outils et de stratégies de persuasion à appliquer lors de la confection de l’annonce
publicitaire (voir Wolf, chap.III, sect. 3.1, n.70). Ladite « recherche administrative » en
communication s’inspirait majoritairement des cadres théoriques des disciplines allant de la
psychologie expérimentale à la sociologie fonctionnaliste.
1
2
exemples d’études servant de repère pour cerner la diversité d’approches possibles. Dans
cette brève catégorisation, j’aimerais privilégier deux types d’ouvrages2 pouvant contribuer
plus particulièrement à ce travail : 1) les études transdisciplinaires de la publicité ; 2) les
études critiques des médias dans une perspective de race et/ou de genre.
Dans la première catégorie d'ouvrages, on ne peut éviter de citer certaines études d'Everardo
Rocha: Magia e Capitalismo (Rocha, 1985, 1995) et A sociedade do sonho (Rocha, 1995).
Inspiré de l’approche anthropologique structuraliste, Rocha a sans doute été l’un des
pionniers d'une ligne de réflexion transdisciplinaire de la publicité au début des années 1980.
L’analyse sémiotique a, elle aussi, porté ses fruits : je me réfère particulièrement au volet
portant sur la publicité dans Lições de Almanaque (Casa Nova, 1996), où Vera Casanova
analyse la littérature d’almanachs pharmaceutiques au Brésil. Un troisième exemple,
comportant une analyse diachronique de la publicité imprimée au Brésil, est celui de João
Anzanello Carrascoza dans A evolução do texto publicitário (1999). Toutefois, précisons que
son analyse sémantique des annonces publicitaires s’intéresse notamment à l’adéquation de
ces dernières aux normes de la rhétorique aristotélicienne — ayant donc un caractère plus
pragmatique que les ouvrages antérieurs. On note également des études comparées entre la
publicité brésilienne et celle provenant d’ailleurs, comme la thèse de doctorat de Maria
Cristina de Avelar Esteves — intitulée Étude comparée du discours publicitaire en France et
2
Il y a cependant une troisième catégorie, peut-être la moins prolifique, qui traduit une
préoccupation plus récente d’archivage et de registre de la mémoire de la publicité commerciale. À cet
effet, l’História da Propaganda no Brasil (Branco, Martensen et Reis, 1990) contient un vaste registre
historique de la publicité au Brésil. Celui-ci consiste en un recueil d’articles, écrits par divers
professionnels de la publicité qui ont témoigné de la naissance de cette industrie au Brésil, faisant état
des débuts de la publicité dans les dimensions les plus variées : écrite, radiophonique, télévisuelle,
ainsi que l’usage des premières méthodes de repérage de l’audience, la planification, etc. Le souci de
registre historique est également présent dans Marcas de valor no mercado brasileiro (Accioly et al.,
2000), bien que ce dernier se distancie légèrement de l’objet « annonce publicitaire » pour se diriger
vers une compilation des différentes formes de présentation des principales marques commerciales au
Brésil. D’autres archives de presse peuvent aussi fournir un riche éventail de publicités, comme celui
compilé par Joaquim Nabuco Linhares et postérieurement publié dans l’ouvrage O itinerario da
imprensa de Belo Horizonte 1895-1954 (Linhares, 1995). Ces ouvrages ont une portée distincte de
celle des deux catégories mentionnées ci-dessus, servant tantôt à mettre en contexte l’industrie de la
publicité au Brésil à travers les récits de professionnels, tantôt à compiler et organiser des archives
historiques sous la forme d’un récit compréhensible, qui pourrait éventuellement servir de référence
aux travaux précédents.
3
au Brésil : les sous-vêtements féminins (1995) — qui porte un regard de genre sur la
publicité. Dans le domaine de l’histoire, le travail de Lilia Schwarcz Moritz concernant les
représentations de l’esclavage dans la presse quotidienne Retrato em branco e negro (1987),
accorde une section entière à la publicité d’esclaves.
Dans la deuxième catégorie, on retrouve de nombreux ouvrages publiés principalement à
partir des années 2000 et qui proposent une lecture raciale des productions médiatiques au
Brésil, faite par des individus afro-descendants. L’un des travaux pionniers est sûrement A
Negação do Brasil de Joel Zito Araújo (2000), qui analyse les rôles joués par les acteurs noirs
dans la dramaturgie télévisuelle brésilienne. En élargissant l’étendue de la critique du racisme
dans divers domaines comme la presse, la télévision, le cinéma, le théâtre et la danse, Mídia e
Racismo (Ramos, 2002) offre un recueil d’articles présentés dans le séminaire du même nom
à Rio de Janeiro. Espelho Infiel (Carrança et Borges, 2004), organisé par les journalistes
Flávio Carrança et Rosane da Silva Borges, présente plusieurs études remettant en question le
cadrage ethnocentrique des médias de masse au Brésil. Fernando Conceição, finalement,
propose une étude comparée sur les rapports établis entre médias et ethnicités au Brésil et aux
États-Unis dans son Mídia e etnicidades no Brasil e nos Estados Unidos (2005a). Dans Como
fazer amor com um negro sem se cansar (Conceição, 2005b), l’auteur poursuit sa réflexion à
partir de quelques articles pionniers dans la façon d’aborder la représentation des afrodescendants dans la publicité et dans la presse brésilienne.
Ce sont autant d’études faites à partir de perspectives aussi diversifiées que les cadres
théoriques utilisés. Les intérêts à l’origine de ces différents registres sont également très
variés, allant de la compilation d’informations historiques jusqu’à la remise en question de
fondements socioculturels des représentations véhiculées dans les médias en général, et dans
les médias en particulier. Toutefois, toutes ces études possèdent au moins un point en
commun : elles mettent au premier plan l’analyse des médias, même si ce n'est pas de
manière exclusive. Sans enlever le mérite de chacun de ce différents regards sur la publicité
— particulièrement en ce qui concerne les travaux plus récents qui analysent la publicité en
4
tant qu’espace de construction de représentations inégales d'un point de vue racial —, il
importe ici de démarquer la spécificité de la présente recherche face aux travaux précédents.
Contrairement aux travaux portant spécifiquement sur la matière publicitaire, le présent
travail porte sur les débats générés par la publicité, plus spécifiquement par les publicités
accusées de discrimination raciale. Au lieu de privilégier dans ma propre analyse des discours
véhiculés par la publicité, je m’intéresse plutôt aux analyses que différents acteurs ont
historiquement mobilisées autour des publicités brésiliennes et qui ont suscité de vifs débats
de société. Le fait d’aborder les débats autour de la publicité représente, sans doute, le
caractère le plus innovateur de ce travail, dans la mesure où il privilégie le processus de
construction collective, historiquement datée, du sens autour d’une publicité particulière. Il
s’agit, en dernière instance, d’une analyse de la publicité brésilienne, mais vue à travers les
regards de divers acteurs impliqués autant dans sa production et sa mise en circulation que
dans sa décodification quotidienne.
Les rapports entre les réflexions sur l’espace public et le phénomène du racisme sont plus
profonds que ce que l’on pourrait croire en principe. La première preuve de ces liens de
proximité réside dans un simple constat : les pensées de deux principaux théoriciens de cette
tradition au XXe siècle — Hannah Arendt et Jürgen Habermas — émergent au lendemain de
l’expérience de la Shoah, dans une Allemagne dévastée par la Seconde Guerre mondiale.
Malgré leurs différences à bien des égards, tous les deux ressentent l’intérêt urgent de
refonder la vie commune sur de nouvelles assises. Ces deux pensées, selon les termes de
Delruelle (1993), semblent converger vers au moins un point commun :
(…) toutes deux soumettent l’exercice du jugement à l’idée d’une participation
commune au sens, au partage du sens dans un sens communis ; toutes deux
maintiennent donc, contre la puissance destructurante du monde de pensée moderne,
la possibilité ou l’horizon d’un monde. (p. 11)
5
Dans les deux cas, la figure du « juif » est constamment évoquée comme un moyen de mettre
le problème de l’exclusion au sein des débats éthiques de l’État-nation — exclusion capable
de mettre en péril la légitimité même des systèmes politiques modernes.
L’option pour le cadre théorique habermassien découle principalement du caractère
ambivalent que la publicité assume dans les premières formulations de Jürgen Habermas dans
L’espace public (1978). Ces formulations constituent assurément un excellent point de départ
pour penser le rôle politique de la publicité dans les sociétés démocratiques contemporaines.
C'est notamment vrai en ce qui concerne la distinction entre le principe politique de la
Publicité en tant que visibilité publique, d’une part, et la réclame publicitaire, d’autre part3,
qui a rendu possible le passage d’une presse d’opinion à une presse commerciale.
L’ambivalence du terme publicité, déjà présente dans le signifiant allemand du texte original
« Publizität », fait en sorte que celle-ci oscille tantôt vers un public de personnes privées,
tantôt vers un marché de consommateurs4. Dans cet ouvrage stimulant, le développement de
la publicité est étroitement lié à la colonisation de la sphère publique par des intérêts privés
et, en dernière instance, à la propre décadence de la sphère publique en tant qu’espace de
poursuite de l’intérêt général.
Tout d’abord, pour les fins de ce travail, je ne prétends pas effacer l’ambiguïté du terme
publicité telle que formulée dans L’espace public, en préférant une forme à l’autre. Au
contraire, cette ambivalence me semble très utile, voire essentielle, pour comprendre le
caractère multidimensionnel de l’objet en question. En effet, il s’agit premièrement de saisir
3
Habermas explique la corrélation entre la presse commerciale et la publicité commerciale
naissante dans les termes suivants : « Le commerce d’annonces permet alors d’établir le calcul de
coûts sur une base nouvelle : en abaissant considérablement le prix de vente et en multipliant le
nombre d’acheteurs, l’éditeur pouvait compter vendre une part croissante de la surface de son journal
destinée aux annonces afin de maintenir l’assiette de ses bénéfices. » (Habermas, 1978, p.192.)
4
Pour les fins de cette introduction j’appellerai Publicité (en italiques et avec un « p » en
majuscule) le principe de visibilité et de transparence structurant la sphère publique, et publicité (en
minuscule) la publicité-industrie et la publicité-réclame. Suivant l’exemple de Habermas, l’usage
voulut que l’on écrive le terme Publicité entre guillemets lorsque celui-ci fait référence à la forme
dégénérée du principe de visibilité politique. Voir Habermas, 1978, chap. VI, N.d.T., p.196.
6
les dimensions de la publicité commerciale dans ses multiples dimensions, c’est-à-dire non
seulement en tant que réclame et, par conséquent, vecteur de socialisation et de formation
d’un public, mais aussi en tant qu’industrie fondée sur le commerce d’annonces et favorisée
par les améliorations techniques des médias de communication de masse. Deuxièmement, je
propose d'examiner la publicité-réclame dans son rapport avec l’autre forme de publicité,
celle de la visibilité des processus de communication publique autour d’un sujet d’intérêt
collectif. Je suis toutefois forcée de reconnaître que l’approche habermassienne classique sur
la publicité réclame, sinon des révisions, tout au moins de constantes mises à jour. L’actualité
de la discussion initiée par Habermas encore dans les années 1960 n’a pas tenu compte — et
ne pourrait aucunement tenir compte — des facteurs qui, soit se sont présentés ou accentués
postérieurement à l’œuvre L’espace public, soit relevaient des conjonctures nationales autres
que celle dans laquelle l’auteur écrivait.
Bien sûr, la difficulté de cerner les débats sur la publicité découle du fait que ceux-ci peuvent
avoir lieu dans virtuellement tous les espaces disponibles dans une société déterminée, allant
des espaces intimes de la vie en famille jusqu’aux débats publics dans l’assemblée des
députés, en passant par les espaces intermédiaires des cafés, des réunions informelles entre
amis, dans les transports publics, salons de coiffures, etc. Compte tenu de cette diversité
d’alternatives, ce que j’entends examiner est le processus de communication publique
existant entre deux espaces institutionnels distincts : d’une part, le micropublic du CONAR,
formé par les membres du Conseil d’éthique chargés du jugement des procès éthiques ;
d’autre part, le public abstrait formé par la presse brésilienne, lorsque celle-ci aborde les
publicités accusées de promouvoir la discrimination raciale. Autrement dit, il s’agit là
d’examiner les effets que les débats médiatisés ont générés sur le jugement porté sur la
publicité au sein de l’institution responsable du jugement des infractions éthiques dans la
publicité : le CONAR.
Mais il y a aussi une raison d’ordre empirique à l’origine de mon intérêt dans l’examen de cas
ayant fait l’objet d’une couverture médiatique. Alors que le taux d’inculpation concernant
tous les cas de discrimination raciale tout au long de ces 26 ans demeure faible — seulement
7
29,04 % des cas ont obtenu au moins une forme de reconnaissance du dommage — ce même
taux est plus élevé chez les cas ayant fait l’objet de l’attention médiatique. Ainsi, le taux de
reconnaissance du dommage concernant les procès ayant été soumis à la visibilité médiatique
(9 procès) et celui relatif aux procès dont les discussions sont restées restreintes à l’espace
institutionnel du CONAR (22 procès) sont respectivement de 55,5 % et de 22,72 %. Ceci me
pousse à croire que la visibilité médiatique joue quand même un rôle assez important dans la
médiation du débat social autour des publicités accusées de discrimination raciale.
Évidemment, le choix du scénario national en question — le Brésil — n’est pas sans raison.
Alors que le caractère « multiracial » du peuple brésilien désigne l’un des noyaux discursifs
centraux dans la définition identitaire de l’État nation, croire au mythe de la démocratie
raciale au Brésil semble, en contrepartie, avoir plutôt servi d'obstacle à la reconnaissance du
dommage de discrimination raciale. Plusieurs études, dont les travaux produits par l’école du
révisionnisme statistique5, démontrent que malgré l’insertion du problème de la
discrimination raciale dans l’ordre du jour des institutions publiques et les importants acquis
légaux de la part des mouvements sociaux noirs, l’impunité de la discrimination raciale est,
encore de nos jours, l’un des obstacles fondamentaux à la jouissance d’égales conditions et
possibilités de vie. Une littérature émergeant à partir des années 1980 met à jour le constat
que des intellectuels ou journalistes noirs, comme Guerreiro Ramos, Espiridião Calisto et
Abdias do Nascimento, avaient fait à l’aube des années 1930 : l’existence de la
discrimination raciale au Brésil. Étant donné le caractère structurel du racisme au Brésil, la
mobilisation de l’opinion publique en faveur de la cause antiraciste ne peut pas non plus être
tenue pour acquise. Au contraire, le débat racial au Brésil semble converger de plus en plus
vers une polarisation opposant de part et d’autre les défenseurs et les détracteurs de l’idée
selon laquelle le Brésil est le berceau de la démocratie raciale dans le monde. Plutôt que de
nier la pertinence du terme race, ce travail reconnaît dans l’essor d’une ethnicité negra un
facteur de mobilisation politique ayant un lien étroit avec le processus plus ample
5
Cette bibliographie sera convenablement examinée dans le chap. II , sect.2.5.
8
d’interactions, de négociations et de pressions des secteurs de la population noire. Cela a pour
objectif d’attirer l’attention de la nation et de l’appareil de l’État sur le problème de la
discrimination raciale.
Une agence comme le CONAR n’est pas née du vide, mais d’un contexte institutionnel
précis, marqué par la centralisation autoritaire du gouvernement militaire en place. Ce
contexte entretient également des liens étroits avec un cadre de politiques de communication
favorisant la concentration dans les mains de propriétaires privés. Ces éléments contextuels
sont d’autant plus importants pour comprendre les débats plus amples concernant un sujet
d’ordre moral comme la discrimination raciale. Il s’agit donc d’examiner le CONAR dans
une croissante confrontation avec des agents sociaux jusque-là tenus à l’écart de procès
délibératifs sur la publicité. Cette recherche constitue également une initiative inédite
d’examination en profondeur de la visibilité médiatique comme une instance de médiation au
sein d'une pluralité d’acteurs sociaux — annonceurs, agences, associations, citoyens,
professionnels, experts, etc. — pouvant rétroagir sur les décisions émises par son comité
d’éthique dans les jugements de cas de discrimination raciale dans la publicité.
De ce fait, la recherche utilisant des archives regroupées au sein du CONAR constitue ainsi la
colonne vertébrale du « travail de terrain ». Les procès repérés lors de la consultation auprès
de cet organisme concentrent toutes les informations concernant non seulement la publicité
dénoncée, mais aussi les termes de l’accusation, de la défense, du jugement final et, le cas
échéant, des positions prises dans les médias au moment de la tenue de chaque procès
éthique. L’analyse des données conjugue des méthodes à la fois quantitatives et qualitatives.
Par méthodes quantitatives, je veux dire l’analyse de contenu objectivant l’identification des
variables d’analyse qui permettront, à leur tour, la mise en contexte du corpus de procès
9
éthiques sélectionné6. Les méthodes qualitatives de l’analyse de cadrage (frame analysis)
servent d’outils pour l’analyse d’un nombre plus restreint de cas ayant été exposés à la
visibilité des médias.
Bien sûr, ce travail connaît certaines limites. Tout d’abord, je suis consciente de l’ampleur de
la tâche qui consiste à résumer un construit théorique de l’ampleur et de la sophistication de
celui développé par Habermas pendant plus d’une quarantaine d’années. Compte tenu de ce
fait, je suis assurée de n’être nullement en mesure de poursuivre sur le terrain concret des
discussions autour de publicités discriminatoires toutes les implications des prémices
théoriques desquelles je pars. Ceci vaut également pour la littérature raciale brésilienne : il
m’est impossible de faire une synthèse adéquate de tout ce qui a été historiquement produit
sur la question, raison pour laquelle je me suis particulièrement concentrée sur un certain
nombre d’auteurs qui font de la déconstruction du mythe de la démocratie raciale leur cheval
de bataille. Ce faisant, j’exclus d’emblée une masse importante de réflexions portant sur la
question raciale dans les domaines esthétiques et culturels les plus variés et qui ont également
servi de terrain de réflexion sur l’identité raciale nationale: musique, danse, arts plastiques, le
Mouvement moderniste brésilien, etc. De ce fait, je tiens à privilégier des auteurs qui
conjuguent des approches historiographiques, littéraires et sociologiques critiques,
brésiliennes mais aussi américaines qui demeurent encore à ce jour très peu connues et
commentées par une partie significative d’intellectuels brésiliens.
Compte tenu de ces limites, j’aimerais conclure en énonçant brièvement les principes majeurs
qui constituent l’épine dorsale de ce travail afin d’approfondir, de façon adéquate, les
questions soulevées à partir de ceux-ci. Les chapitres I et II visent tous les deux à démontrer
6
Je tiens compte de la critique de Roger Gomm (2004) en ce qui concerne le caractère
problématique de la distinction entre une analyse purement « quantitative » et une purement
« qualitative » de contenu. L’auteur rappelle, entre autres, que toute analyse « quantitative » initie
quelque part une analyse qualitative des données, afin de découvrir des indicateurs d’analyse. Pour les
fins de ce travail, il importe de préciser que l’analyse de contenu dans ce chapitre devra tout
simplement donner un aperçu quantitatif du corpus sélectionné, afin de préparer le terrain pour
l’analyse qualitative des discours énoncés dans les documents recensés.
10
la pertinence de la question raciale sur le plan de la nation brésilienne. Le chapitre I se
consacre plus particulièrement à la mise en contexte des réflexions portant sur la race au sein
des débats théoriques et épistémologiques dans le domaine des sciences sociales. Ici, on
s’attardera particulièrement sur les implications sociodémographiques du replacement de
race au sein de l’appareil étatique brésilien. Le chapitre II, en contrepartie, fait le point sur les
diverses mutations de la position que le terme race a historiquement assumée au sein de
l’État brésilien. L’idée ici est de comprendre les dimensions politiques actuelles du débat sur
la race tout en ayant un arrière-plan théorique où la réinterprétation historiographique du
passé colonial constitue un élément central. Je conclus le chapitre II en faisant état de
changements plus récents opérés au sein de l’État brésilien, autant sur le plan national que
dans les instances internationales de l’ONU, afin d’en tirer les implications pour les débats en
vue de la démocratisation des médias nationaux.
Dans les chapitres III, IV et V, j’examine l’industrie de la publicité dans ses diverses
dimensions. Dans le chapitre III, j'amène un bref débat sur la place de l’industrie publicitaire
dans le système capitaliste, afin de décortiquer les éléments macrostructurels qui font de la
publicité une industrie en concentration croissante sur les plans mondial, national et local.
Dans le chapitre IV, j’examine l’essor de l’industrie publicitaire dans un paysage national
particulier : le Brésil. Cette mise en contexte de la publicité-industrie vise notamment à
éclairer certains rapports établis entre la publicité-réclame et le public afro-descendant au
Brésil. Dans le chapitre V, finalement, j’analyse pas à pas le processus menant à
l’établissement du système d’autoréglementation publicitaire sur le plan national. L’objectif
ici est de faire ressortir le processus de création d’un organisme privé d’autoréglementation
publicitaire tel que le CONAR dans le cadre d’une culture politique précise — soit
l'autoritarisme militaire au Brésil — afin de mieux comprendre les enjeux de légitimation de
l’autoréglementation publicitaire à l’heure actuelle.
Les chapitres VI et VII portent spécifiquement sur les procès pour discrimination raciale
déposés au sein du CONAR et défrichent, respectivement, les aspects méthodologiques de la
recherche et l’analyse quantitative et qualitative des données de terrain. Le chapitre VI est
11
destiné à reconstruire le processus de cueillette de données et ses critères, mais aussi à
examiner les apports théorique et méthodologique des recherches concernant l’analyse de
cadrage. Dans le chapitre VII, j’entends prouver que le caractère ambivalent de la publicité
chez Habermas est fécond pour comprendre les tensions permanentes entre le domaine
institutionnel de la publicité et la sphère publique médiatisée. Il s’agit initialement de
comprendre les différents rôles que les médias peuvent jouer dans la dynamique
d’argumentation entre les parties de la dénonciation et de la défense, en vue de prouver ou de
récuser le blâme de la discrimination raciale dans une publicité déterminée. Dans une
deuxième partie, il s’agit également de repérer les cadres interprétatifs agissant sur la
formulation et sur la perception du problème de la discrimination par chacune des parties
impliquées dans le procès éthique — y compris les cadres présentés par les médias.
Le chapitre VIII vise précisément à clore la discussion sur la discrimination raciale dans la
publicité en reliant les procès éthiques du CONAR à des facteurs internes et externes
identifiés dans les témoignages d’acteurs clés. Dans ce chapitre, je présente un regard réflexif
sur l’ensemble des procès pour discrimination raciale en trois étapes : 1) en réexaminant les
procédures internes du CONAR ; b) en présentant le bilan que dressent certains activistes clés
de la lutte contre la discrimination raciale ; c) en examinant un certain nombre d’initiatives
concrètes pouvant être liées à l’augmentation des plaintes pour discrimination raciale dans la
publicité et ailleurs.
Bref, j’espère apporter une contribution aux nombreuses études dénonçant actuellement la
discrimination raciale dans les médias au Brésil, en mettant en branle une analyse du
changement historique dans la formulation et la perception du propre problème de la
discrimination raciale au Brésil, non seulement dans les procès éthiques du CONAR euxmêmes, mais aussi dans la couverture médiatique qu’en font les médias imprimés nationaux.
Ces changements répondent à des facteurs forts variables comme l’impact du cadre légal
antiraciste brésilien en cours au moment de l’ouverture du procès, le contenu de la publicité
dénoncée, les acteurs impliqués dans la dénonciation et opinions dominantes au sein des
médias. En même temps, l’identification de la discrimination raciale oblige une
12
réinterprétation de la publicité dénoncée selon les paramètres avancés par l’accusation. Il
s’agit fondamentalement d’un travail d’interprétation des textes, sons et images présents dans
la publicité dénoncée, lequel est entrepris collectivement par tous les acteurs impliqués dans
l’analyse de procès éthiques particuliers.
CHAPITRE I
RACISMES, RACE ET ETHNICITÉ : UN DÉBAT CONTROVERSÉ
Lorsqu’on examine le champ des sciences sociales modernes, peu de concepts semblent être
aussi controversés que ceux de race, d'ethnie et d'ethnicité. Inutile d’avertir qu’il n’existe pas
qu’un seul cadre conceptuel exclusif pour traiter de la diversité de catégories servant à classer
et à identifier les personnes autant selon leurs traits phénotypiques qu’à partir d’autres acquis
culturels. La pluralité de perspectives disponibles apporte souvent des confusions et ne
change en rien le fait que parmi ces perspectives, les unes sont parfois irréconciliables avec
les autres.
Pierre Bourdieu offre une vision originale sur la diversité des catégories ethniques dans un
article intitulé L’identité et la représentation (2001). Pour mieux expliquer comment les
identités ethniques (ou régionales) sont construites, Bourdieu évoque l’image du regeres
fines : celui-ci consiste en un acte religieux accompli lorsqu’un personnage investi de la plus
haute autorité — le rex — établissait les frontières et la séparation des royaumes à travers un
acte d’énonciation7. Tout comme le regeres fines, les catégories ethniques ou régionales
(…) ont en effet pour enjeu le pouvoir d’imposer une vision du monde social à travers
des principes de division qui, lorsqu’ils s’imposent à l’ensemble d’un groupe, font le
sens et le consensus sur le sens, et en particulier sur l’identité et l’unité du groupe, qui
fait l’unité de la réalité et de l’identité du groupe. (Bourdieu, 2001, p.283.)
7
Selon Bourdieu, tous les discours identitaires à caractère ethnique sont dotés du même pouvoir
quasi magique du regeres fines : « Lors même qu’il ne fait que dire avec autorité ce qui est, lors même
14
En utilisant l’image du regeres fines comme métaphore, Bourdieu veut fondamentalement
mettre en cause la distinction nette et définitive entre « la représentation » d’un coté, et « la
réalité » de l’autre, « à condition d’inclure dans le réel la représentation du réel, ou plus
exactement la lutte des représentations, au sein d’images mentales » (Bourdieu, 2001, p.282).
Ceci signifie, d’après Bourdieu, que les critères scientifiques ne font qu’enregistrer un état de
la lutte symbolique pour la légitimité établie entre les différentes représentations, «c’est-àdire un état du rapport des forces matérielles ou symboliques entre ceux qui ont partie liée
avec l’un ou l’autre mode de classement » (Bourdieu, 2001, p.285).
Compte tenu de ces remarques préliminaires et de la difficulté qu’impose la tâche d’en faire
un état des lieux, je propose dans le présent chapitre la mise au point des réflexions sur la
race et l’ethnicité à l’heure actuelle. Celle-ci est en effet un premier pas nécessaire pour
comprendre les enjeux de la représentation raciale actuellement au Brésil, ainsi que leurs
implications à la fois politiques, démographiques et sociologiques. Tout en reconnaissant la
complexité du défi d’accommoder les approches les plus diversifiées sous la forme d’un
débat compréhensible, j’ai ici pour idée uniquement de fournir un bref aperçu des
formulations portant sur la race et l’ethnie — termes dont l’usage est tributaire des premières
formulations scientifiques modernes. Comme je le démontrerai plus loin, la possibilité même
d’existence d’un « champ » en tant que tel est mise en péril par des positions assez disparates,
résultant d’efforts interprétatifs plus ou moins isolés ou autonomes. Il me semble donc
important de tenir compte de ces limitations pour comprendre le caractère arbitraire et
artificiel du construit théorique que je proposerai dans les sections qui suivent.
Je commencerai cet état des lieux en mettant en évidence la construction scientifique du
concept de race, ainsi que les différentes positions adoptées à l’intérieur des sciences sociales
modernes, de façon à contrer ses legs conceptuels.
qu’il se contente d’énoncer l’être, l’auctor produit un changement dans l’être. » (Bourdieu, 2001,
p.283.)
15
1.1 L’étude des races à l’ère coloniale
Il y a à peu près 150 ans, les sciences sociales modernes8 jetaient les bases d’une série de
théories scientifiquement informées — au moins par rapport à certains fondements
scientifiques de l’époque — dont l’objectif (et l’effet) principal est de valider une
organisation hiérarchique de l’Humanité selon ses différentes races (par exemple les races
blanche, noire, jaune et rouge). Bien que ces théories eussent offert en réalité une multitude
de catégorisations topologiques sémantiquement variables, il n’en reste pas moins que cellesci orbitaient autour d’un principe commun selon lequel la race blanche est hiérarchiquement
supérieure aux autres races humaines.
Il convient de préciser que la hiérarchisation des êtres humains en termes de races n’est pas
sans objectif et que le projet d’expansion impérialiste et colonialiste européen mis en branle à
partir du XIXe siècle était largement tributaire de ce type de classification. Un tel processus
de radicalisation du discours scientifique visant à soumettre — voire même faire disparaître
— l’Autre racialisé aurait connu son apogée durant la Seconde Guerre mondiale, avec
l’expérience nazie et la mise en marche de l’holocauste. Je décide cependant de considérer le
8
En qualifiant les sciences sociales de « modernes », j’entends notamment établir une distinction
entre celles-ci, d’une part, et la physiognomonie ancienne, d’autre part, telle qu’elle était appliquée lors
de sa genèse en Mésopotamie. Bien que la science de la physiognomonie ancienne s’occupe d’établir
un parallélisme entre le corps et l'âme, en voyant « une solidarité mystérieuse entre un intérieur, tenu
comme dimension invisible et secrète, et une dimension extérieure manifeste dans les signes visibles
du corps » ("… a mysterious solidarity between an interior, invisible and secret dimension and an
exterior dimension manifested by the visible signs of the body", Magli, 1988, p.39), la pensée
indicielle qui prédomine au moment de la genèse de la physiognomonie en Mésopotamie est très
distincte de la pensée positiviste du XIXe siècle. L'ancienne physiognomonie arabe supposait une
habileté spéciale fondée sur la firāsa — sorte d'intelligence ou de capacité intellectuelle inférentielle,
capable de passer rapidement et sans moyen terme du connu à l'inconnu — dont l'usage était
intrinsèquement lié à la vie quotidienne, et allant de son application à l'achat des esclaves jusqu'au
choix des conseilleurs par le sultan. Bref, la pensée indicielle mésopotamienne est, contrairement aux
premières formulations des sciences sociales modernes, caractérisée par la présence de signes naturels
vagues et imprécis, auxquels certains symptômes ne peuvent être liés qu'à travers un processus
inférentiel, capable de rendre compte de facteurs fort complexes et circonstanciels. Pour une analyse
des méthodes indicielles de la physiognomonie ancienne, voir Patrizia Magli. 1988. "Ancient
physiognomics", Versus, no 50-51, et aussi Carlo Ginzburg, 1980. « Signes, traces, pistes: racines d'un
paradigme de l'indice », Le Débat, no 6.
16
racisme scientifique dans la continuité d’un processus d’appropriation et d’exploitation non
seulement des biens et richesses naturelles, mais aussi de la force de travail et des
connaissances spoliées des races (supposément) inférieures. Ce processus aurait été amorcé
au XVIe siècle, puis radicalisé à partir de la seconde moitié du XIXe siècle avec l’appui de
théories scientifiques. 9
Compte tenu du fait que les premières réflexions scientifiques sur la race et l’ethnie se sont
développées dans un cadre où les rapports de forces entre la science et ses objets étaient
largement asymétriques au détriment de ces derniers, quelle est alors, de nos jours, la
pertinence d’une approche raciale ou ethnique, s’il en existe une ? Ou encore, dans quelle
mesure peut-on appliquer le concept de « race » ou d’« ethnicité » à une démarche de
réflexion, sans pour autant cautionner les principes hiérarchisants de l’espèce humaine qui
étaient sous-jacents aux premières théories sociales ? Bref, pourquoi alors parle-t-on toujours
de « race » ?
Ces questions, bien qu’elles semblent être apparemment simples, constituent en vérité le sujet
d’un plus large débat qui demeure de nos jours très controversé et, me semble-t-il, à jamais
clos. Dans les pages qui suivent, je propose un très bref parcours sur quelques-unes de ces
controverses. Mon idée n’est pas de fournir un portrait représentatif de tous les courants et
9
Dans leur définition de racisme, Michael Banton et Robert Miles reconnaissent que certains
auteurs aient « souhaité limiter son usage pour se référer à une idéologie associée au développement de
la pensée raciale dans l’Europe Occidentale. » (" have wished to limit its use to refer to an ideology
tied to the development of racial thought in Western Europe", Banton, Michael et Robert Miles, p. 277,
voir dans Cashmore, 1994.) L’un des pièges quand on associe le racisme à l’usage du terme race sous
le régime colonial réside notamment dans la restriction de sa portée explicative en tant que phénomène
daté et historiquement circonscrit au XIXe siècle. Inversement, « dans les années plus récentes, le mot
est utilisé de façons tellement variées qu’il y a un danger de perte de sa valeur en tant que concept »
("In recent years, the word has been used in so many ways that there is a danger of losing any value as
a concept", Banton et Miles, 1994, p.277). Par exemple, à l’introduction de Races et racismes de
Platon à Derrida, Dominique Colas affirme qu’« il existe une multitude de racismes, comme le
racisme des conquérants du Nouveau Monde à l’égard des Indiens, ou le racisme des Grecs de
l’Antiquité qui se prétendaient supérieurs aux Barbares. » (Colas, Dominique. 2004. Races et racismes,
de Platon à Derrida. Paris: Plon, p.8.) Pour les fins de ce travail, je préfère élargir l’étendue historique
de la réflexion sur le racisme, tout en accordant à l’expérience coloniale une place privilégiée dans
mon enquête.
17
lignes de réflexion sur les questions raciales et ethniques, mais plutôt d’identifier quelques
différences conceptuelles majeures émergeant de la dissension vérifiée concernant
l’application des notions telles que « race », « racisme scientifique » et « ethnicité ». Dans un
deuxième temps, j’explorerai les implications de la controverse relative aux questions
conceptuelles pour le champ d’études sur le racisme et la discrimination raciale au Brésil et
ailleurs.
1.2 Race et génétique
Race, racisme, ethnicité. À en juger par les nombreux dictionnaires parus tout au long des
trente dernières années, la cartographie conceptuelle du champ d’études ethniques ou
d’études raciales semble largement documentée. Pourtant, une littérature si prolifique aurait
pu également témoigner d’un champ d’études en quête de redéfinition et de précision
conceptuelle, ou encore d’un besoin de démarquer des positions théoriques et
épistémologiques précises face à toute une diversité d’approches disponibles. Quoi qu’il en
soit, les différentes branches et approches théoriques semblent converger vers un seul point
commun : la race, telle qu’elle est conçue au sein des théories raciales du XIXe siècle, est une
« conception dont la génétique a pourtant montré l’absence de fondement scientifique »
(Bonte et Izard, 2004).
La génétique compte deux contributions majeures pour l’étude des races. D’une part, et
contrairement aux croyances populaires, les différentes races — identifiables à partir des
traits phénotypiques — ne correspondent pas à des différences marquantes au niveau
génétique. Comme le souligne le généticien Richard Lewontin (Bolaffi, 2003), « L’aspect
remarquable de l’évolution et l’histoire humaine, c’est le très petit degré de divergence entre
les populations géographiques, lorsque celui-ci est comparé avec les variations génétiques
entre les individusi. » Autrement dit, la génétique a prouvé qu’il existe plus de variations
entre deux individus d’une même « race » : ces derniers peuvent être plus différents entre eux
d’un point de vue génétique que deux individus issus de « races » différentes.
18
Le racisme scientifique, il faut le préciser, a été lui aussi responsable de la dissémination d’un
sens très précis du terme race. Comme l’explique Peter L. Van den Berghe (1994), derrière
les différences morphologiques apparentes, subsistait un sens de « race » synonyme de sousespèce, « c’est-à-dire une variété de l’espèce qui a développé des caractéristiques distinctives
à travers l’isolation, sans pour autant avoir déjà perdu la capacité de croiser et de produire des
hybrides fertiles avec d’autres sous-espèces de la même espèceii. » L’accent était alors mis
sur les « différences innées » ancrées dans les aspects phénotypiques de chaque personne —
« tel[s] que la couleur de peau, la physionomie et le type de cheveuxiii » — sur lesquels se
sont fondées les diverses classifications raciales disponibles entre la moitié du XIXe siècle et
la première moitié du XXe siècle.
La génétique a apporté une autre importante contribution quand elle « a prouvé qu’il est
notoirement difficile de démontrer toute connexion systématique entre le phénotype, les
pratiques sociales et le comportement individueliv. » Ainsi, pour le racisme scientifique,
« l’élément central est la croyance croissante dans le déterminisme biologique, qui représente
les différences perçues entre les groupes humains pas seulement comme innées, mais aussi
comme inchangeablesv. » Un élément très important est que les différences morphologiques
observables entre les groupes étaient décrites de façon à faire ressortir la suprématie de la
« race blanche » dans un ordre hiérarchique prétendument naturel. D’où l’importance du
racisme scientifique comme une série de doctrines pseudo scientifiques qui, en fonction de
leur contenu idéologique, ont fourni une base de justification et de légitimation pour
l’exercice du pouvoir colonial.
Certes, il faut reconnaître que les façons de classer et d’organiser les races en termes de
hiérarchies variaient énormément. Après une première classification en 1684 dans le travail
du médecin généraliste français François Bernier (Levinson, 1994, p.196), des douzaines
d’autres formes de classification suivirent, selon lesquelles le nombre de races humaines
pourrait varier entre 3 et 37. De même, ces conceptions de race informées par le scientifisme
positiviste ont également cohabité avec d’autres conceptions non scientifiques, sans que ces
19
dernières soient pour autant totalement remplacées par les premières. Bien que moins
fréquentes, les variantes prémodernes peuvent être repérées jusqu’à l’époque actuelle. Nous y
trouvons, par exemple, l’usage de race comme synonyme d’Homo Sapiens ou d’Humanité,
ce qui est le cas dans l’expression « race humaine » ; mais race peut être encore employée
comme une façon d’identifier des formes variables de groupes culturels, tels que les
nationalités (la race française), les groupes linguistiques (la race slave), ou encore d’autres
groupes culturellement distincts (la race tzigane) (Levinson, 1994, p.195).
Dans le même ordre d’idées, le déterminisme biologique n’a jamais été non plus la seule
source d’explication des différences morphologiques entre les groupes humains. Avant le
XVIIIe siècle, par exemple, la principale source d’inspiration pour la différenciation raciale
en Occident était l’Ancien Testament. Michael Banton (1994), par exemple, identifie au
moins trois formes d’explications concurrentes ayant coexisté avec les thèses de supériorité
raciale, et selon lesquelles les différences phénotypiques pourraient être interprétées comme
résultantes : 1) du désir de Dieu pour l’univers ; 2) de variantes environnementales, celles-ci
étant considérées peu pertinentes pour l’aspect moral de l’individu ; 3) de différentes
ancestralités originales10. Dans tous les cas décrits ci-avant, « le sens dominant attaché au mot
race est celui d’ascendancevi. »
10
Dans L’impérialisme, Hannah Arendt évoque quelques usages du terme race avant l’essor du
racisme scientifique. En France, par exemple, le mérite d’être « le premier à élaborer une pensée
raciale définie» revient au Comte de Boulainvilliers, noble français qui écrivait au début du XVIIIe
siècle (Arendt, 1982, p.75). Essentiellement concerné à la fois par la montée du Tiers-État et par un roi
de France qui cherchait désormais à représenter « la nation tout entière », Boulainvilliers s’est donné la
tâche de prouver la supériorité et les privilèges des nobles à travers une théorie des origines. Selon
celle-ci, les nobles français ne posséderaient pas une origine « gauloise» commune avec le peuple
français, mais une origine étrangère, plus récente, qui relevait des Francs envahisseurs, leurs véritables
conquérants. La théorie de Boulainvilliers, censée avoir fondé « le droit des peuples supérieurs sur une
action historique» (Arendt, 1982, pp.76-77) — la conquête — ne reposait toutefois pas sur un fait
physique. À l’opposé, la « première forme de doctrine raciale allemande fut élaborée pour être l’arme
de l’unité nationale interne, et devint celles de guerres nationales. » (Arendt, 1982, p.83.) Cependant, il
faut noter que c’est seulement après 1814 que des auteurs comme Josef Goerres, Ernst Moritz Arndt et
F.L. Jaung feront référence à « cette origine commune [qui] est fréquemment décrite en termes de
‘ liens du sang ’, d’attaches familiales, d’origine sans mélange» (Arendt, 1982, p.82) — quoique cette
origine était plus associée à une langue commune qu’à une pensée raciale proprement dite. Pour la
discussion sur l’usage du terme race avant l’essor du racisme scientifique au complet, voir notamment
20
Sommes toute, le concept de race s’est avéré d’un pouvoir descriptif et explicatif très limité,
au moins pour ce qui est des différences perçues au niveau génétique. L’anthropobiologie,
quant à elle, semble avoir définitivement abandonné le concept de race et « se consacre
désormais essentiellement à étudier la diversité humaine sans biais classificatoire, et à en
rechercher l’explication en termes de génétique des populations et d’influence du milieu sur
l’expression des gènes » (Bonte et Izard, 2004, p.612). Mais est-ce aussi vrai pour le domaine
du politique et pour le reste des sciences sociales contemporaines ?
1.3 La race en tant que construction sociale
Généralement parlant, race se réfère à « un groupe social qui s’autodéfinit ou qui est défini
par d’autres groupes comme différent en fonction de différences physiques innées et
inchangeablesvii. »
Si la plupart des savants semblent être d’accord avec le fait que le concept de race ne possède
pas de fondement génétique, il n’en est pas ainsi de son fondement scientifique. En effet, une
bonne partie du débat contemporain porte exactement sur la validité d’un tel concept dans la
réflexion académique. Compte tenu des différentes positions, une chose est sûre et certaine :
la plupart de ceux et celles qui s’élèvent pour défendre l’usage de race à l’heure actuelle le
font en reconnaissant son aspect de construction sociale et historique.
Robert Miles (1994) identifie deux positions distinctes dans l’usage de race. D’un côté, il y a
ceux qui argumentent que « les circonstances à travers lesquelles les individus attribuent à
d’autres ou à eux-mêmes l’appartenance à un groupe racial (avec toutes les nombreuses et
variables résultant d’une telle attribution) méritent une explication en termes de théorie des
le chap. II, « Penser la race avant le racisme », pp.69-110, dans Arendt, Hannah. [1951]1982.
L'impérialisme. Coll. «Les origines du totalitarisme». Paris: Fayard, 350 p.
21
rapports intergroupauxviii. » De l’autre côte, Miles identifie une position inspirée de
«catégories marxistes d’analyse », selon laquelle «ce processus d’attribution devrait être
analysé en tant que processus idéologique et politique qui, par conséquent, ne peut pas
employer les conceptions quotidiennes de ‘race’ et ‘relations raciales’ en tant que catégories
à la fois descriptives et analytiquesix . » En outre, la question fondamentale divisant les deux
positions se réfère aux rapports possibles et désirables entre la réalité objective et les outils
analytiques disponibles pour les rapprocher.
Ellis Cahmore et Barry Troyna (1994) offrent quant à eux une interprétation alternative sur
les possibilités d’emploi du terme race. « L’essence exacte de race n’est pas en question,
lancent-ilsx. » « Le point, toutefois, c’est de savoir si les personnes, correctement ou
incorrectement, l’acceptent en tant que réalité, pour ainsi agir en conséquence avec leur
propre croyance. Ceci rend la race subjectivement réellexi. » Bref,
Cette approche reconnaît et est en accord avec les variations mêmes du concept de race
mais, en même temps, elle insiste sur le fait que dans plusieurs situations, les
personnes croient en l’existence de la race et organisent leurs rapports avec les autres
en fonction de cette croyance.xii
Or, d’après cette perspective, il s’agit plutôt de rechercher les raisons pour lesquelles les
personnes continuent de croire qu’elles sont différentes, en termes culturels ou biologiques.
Certes, dans un tel débat, nul ne peut ignorer le pouvoir performatif du langage sur le monde
et les choses qu’il désigne. Comme l’explique Ellis Cashmore dans l’introduction de son
Dictionnary of race and ethnic relations (1994), lorsqu’il rapproche le caractère changeant
des certains termes comme celui d’« harcèlement » :
Le champ d’études raciales et ethniques a beaucoup d’autres termes avec des sens
techniques et populaires qui ne correspondent pas toujours ; beaucoup d’autres ont des
sens qui varient avec le temps ; il y en a encore d’autres qui résistent tout simplement à
tout sens retentissant et qui demeurent valides pour tous les contextes.xiii
22
La race est, somme toute, l’un de ces mots qui témoignent le plus vivement de l’écart
existant entre le savoir quotidien — parfois orienté vers des fins politiques claires et
autoconscientes — et une production savante aux prises avec des critères d’objectivité et
d’espacement entre le sujet et son objet de recherche. Pour ceux qui envisagent l’application
du terme race, les possibilités et risques de son application sont à l’épreuve. Mais y a-t-il des
alternatives ?
1.4 Le concept d’ethnie
Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale — quand les fondements raciaux déterministes
sous-jacents aux premières théories raciales ont été sérieusement remis en question —,
l’usage du terme race soulève certaines craintes. Même si les présupposés théoriques et les
motivations pour son emploi varient énormément, il est quand même possible d’y diviser un
terrain commun : « toutes [les définitions de race] incluent les différences phénotypiques
entre les groupes raciaux comme une composante clé de la définitionxiv. »
Conscients des limitations analytiques et de la charge historique imposées par le concept de
race, certains auteurs préfèrent l’application du terme « identité ethnique ». Selon David
Levinson (1994), « l’identité ethnique se réfère à la réalité et au processus à travers lesquels
les personnes s’identifient elles-mêmes ou sont identifiées par d’autres comme membres d’un
groupe ethniquexv. » L’interaction entre les membres d’un groupe, explique-t-il, se fait sur la
base d’un « partage des symboles mutuellement identifiables de l’identité ethniquexvi ». Il
poursuit :
Les marqueurs les plus importants de l’identité ethnique sont les caractéristiques
naturelles physiques telles que la couleur de peau, la texture des cheveux, les
traits faciaux et la forme physique ; les marqueurs fabriqués incluent les manières
de s’habiller, les bijoux, le style des cheveux et des altérations dans le corps sous
la forme de tatouage, scarification et perçage corporel. De plus, certains
23
marqueurs peuvent être imposés au groupe (…). Un deuxième marqueur
important est la langue, car différents groupes ethniques parlent différentes
langues maternelles.xvii
Sans vouloir enlever aux traits physiques leur importance, que ce soit dans l’autodéfinition ou
dans l’attribution identitaire, l’incorporation des « marqueurs fabriqués » renvoie l’attention à
d’autres attributs considérés comme « non naturels », donc socialement construits, de
l’identité.
Quoique subtil, le changement d’accent de l’analyse est désormais déterminant. D’un côté, il
s’agit de recueillir des données portant non seulement sur les indices biologiques innés de la
personne, mais aussi sur les indices extérieurs relevant du domaine de la culture. De l’autre,
on établit l’idée de performativité comme un élément fondamental de l’identité, relativisant
ainsi le poids que la détermination biologique aurait pu jouer sur la formation de l’identité. Il
y a somme toute un changement de perception concernant le degré d’autonomie de
l’individu, dans la mesure où l’on s’interroge moins sur la façon dont les personnes reçoivent
passivement les déterminations de la nature que sur les manières à travers lesquelles celles-ci
vivent de façon active et créative chaque composante de leur identité.
Cependant, l’accent sur l’identification des marqueurs extérieurs de l’identité ethnique peut
conduire à des équivoques, et mérite donc ici certaines précisions. « L’appartenance ethnique
ne peut en aucun cas être rapportée à un catalogue des critères objectifs qui permettrait de
ranger à coup sûr les individus dans une catégorie ethnique », expliquent Géraud,
Laservoisier et Pottier dans Les notions clés de l’ethnologie (2000). D’après eux, le principal
problème d’une telle notion d’identité ethnique — identifiable à travers des traits purement
extérieurs —, c’est qu’elle ne prend pas en considération la motivation subjective des
individus. «Par ailleurs, un groupe peut affirmer une identité ethnique en dépit des
différences notables entre ses membres tandis qu’inversement, il est fréquent que des sociétés
très proches culturellement se proclament ethniquement distinctes. » (Géraud et al., 2000,
p.65.)
24
Or, comme le terme race, le concept d’ethnie11 est contaminé par le contexte colonialiste dont
il est tributaire. Les nouvelles approches de l’ethnologie rappellent que l’ethnie a souvent été
conçue comme une entité monolithique et homogène, essentialisée et détachée de son rapport
avec les divers groupes autour d’elle. Dans sa généalogie des termes ethnie/ethnicité dans les
sciences sociales modernes, Annamaria Rivera (1998) identifie une conception classique de
l’ethnie qui mérite d’être explicitée :
Selon la conception classique qui s’exprime dans les sciences sociales, l’ethnie (ou
« groupe ethnique ») est une population qui s’autoreproduit sur le plan biologique, qui
partage des valeurs, des croyances et des institutions culturelles de base, qui parle la
même langue et a la même organisation sociale. (p.104.)
Cette conception dite classique — longtemps présente dans les différentes formulations
scientifiques, allant de Gobineau à Vacher de Lapouge, et dont l’accomplissement majeur a
été l’essor de l’ethnologie en tant que champ autonome d’études — a été largement remise en
question à partir des années 1960. En ayant toujours comme référence « une quelconque unité
généalogique ou culturelle de fait » (Rivera, 1998, p.105), la conception classique a montré
ses faiblesses dans la mesure où elle ne prenait pas en compte les caractères relationnel,
contextuel et socialement construit des catégories ethniques. Un changement de cap
important se fait donc à l’intérieur des sciences humaines : en « rejetant l’idée que l’ethnie est
une entité substantielle ou une réalité empirique objective, on met l’accent plutôt sur les
processus d’hétéro- et d’auto-identification ethnique, c’est-à-dire sur l’ethnicité » (Rivera,
1998, p.105.)
11
Ne pas confondre le concept d’ethnicité avec celui d’ethnie. Selon le Dictionnaire de
l’ethnologie et de l’anthropologie (Bonte et Izard, 2004), « le terme ethnie désigne un ensemble
linguistique, culturel et territorial d’une certaine taille, le terme de tribu, étant généralement réservé à
des groupes de plus faible dimension » (Bonte et Izard, 2004, p.242). L’unité de base de
l’anthropologie, l’ethnie, rappelle la complicité entre ses variantes plus classiques et l’administration
coloniale, lorsque associée à une « essence quasiment naturelle et donc immuable » (Idem). De nos
jours, en réponse à cet abordage substantiviste d’antan, l’ethnie est passée à l’autre extrême pour
devenir une sorte de « signifiant flottant ». Comme l’ont conclu Bonte et Izard, « l’ethnie n’est rien en
soi, sinon ce qu’en font les uns et les autres. » (Bonte et Izard, 2004, p.244.)
25
Certaines formulations plus constructivistes préfèrent encore utiliser le concept d’ethnicité
comme une alternative non essentialiste et relationnelle pour aborder l’identité ethnique :
« L’ethnicité désigne la manière dont les acteurs sociaux pensent les divisions et les
inégalités sociales en termes d’appartenance et de différenciation ethniques. » (Géraud et al. ,
2000, p.66.) Conscients que les catégories ethniques sont construites dans le rapport entre les
groupes — et à partir de celui-ci —, conscients que ces catégories sont en permanente
reconstruction, les auteurs des études sur l’ethnicité « proposent d’en faire la genèse ou
d’analyser les dynamiques sociales articulées autour des différenciations ethniques. »
(Géraud et al., 2000, p.67)
1.5 Ethnicité et race
Compte tenu de ces précisions, faut-il décréter la défaite irréversible du terme de race au
profit de celui d’ethnicité ?
La réponse dépend de la perspective adoptée. En ce qui concerne particulièrement la
sociologie américaine, le débat autour des différentes approches sur l’ethnicité démontre bien
que de multiples usages et cohabitations entre les concepts de race et d’ethnicité sont
possibles. Bolaffi (2003) divise trois approches historiquement identifiables pour le concept
d’ethnicité aux États-Unis :
1)
selon une approche plus traditionnelle, datée du début des années 1920, race
et ethnicité seraient des termes interchangeables, sans aucune distinction
conceptuelle importante entre eux ;
2)
d’après une deuxième approche, plus récente et populaire, les termes race et
ethnicité sont conceptuellement distincts et mutuellement exclusifs ;
3)
finalement, selon la perspective de la nouvelle ethnicité, « des processus
historiques différents créent des catégories raciales et ethniques différentes. »
xviii
D’après celle-ci, race et ethnicité sont des catégories nécessairement, mais
pas forcément, distinctes, selon le contexte.
26
L’approche traditionnelle, poursuivent les auteurs, a été développée par les théoriciens de
l’École de Chicago dans l’effort de comprendre le processus d’ajustement des immigrants
européens aux États-Unis. En décrivant le phénomène d’accommodation, Robert Park et
d’autres membres de cette école prenaient en considération le processus à travers lequel des
immigrants « réussis » trouvaient leur niche dans la société états-unienne en adhérant,
génération après génération, à la culture majoritaire. L’aboutissement d’un tel processus,
selon Parker, serait l’assimilation totale aux valeurs, croyances et normes de la société
dominante. Pourtant, Bolaffi soulève des doutes importants concernant l’achèvement de ce
processus et remet en question une telle vision heureuse de l’assimilation :
S’il n’y a pas de différences théoriques signifiantes dans le processus qui crée des
groupes raciaux et ethniques, comment pourrait-on expliquer l’échec apparent de
certains groupes raciaux américains de s’assimiler à un taux similaire à celui
expérimenté par les groupes immigrants européens ?xix
En réponse à cet ordre de questionnement, une alternative théorique a pris forme à partir des
années 1990. Selon elle, « la race n’est pas une autre variété d’ethnicité. Tout au contraire,
‘race est un champ autonome de conflit social, d’organisation politique et de sens
idéologique/culturelxx.’ » Les différences entre le processus d’intégration et d’assimilation
des groupes ethniques européens et celui des groupes raciaux noirs, asiatiques et autochtones
sont significatives et ne peuvent être ignorées. Le déplacement d’immigrants européens
résultait davantage d’un choix individuel et collectif que celui des noirs emmenés en
Amérique par le biais de la traite des esclaves ou encore des autochtones « colonisés ou
exterminés dans des guerres génocidaires avec le Blanc américainxxi. » Pour ce qui est des
Asiatiques, ceux-ci ont été la cible des lois et politiques spéciales leur imposant l’exclusion
sociale.
Ainsi, dans une structure sociale hautement racialisée comme la structure américaine, « les
constructions raciales de ces groupes, plutôt que les constructions ethniques, les ont
distingués des groupes ethniques blancsxxii. » De plus, l’approche des formations raciales
27
accorde plus d’autonomie aux groupes dans la construction collective de leurs identités
raciales que l’approche précédente, selon laquelle la race ou l’ethnicité sont une résultante
directe de conditions sociales, économiques et politiques particulières. En d’autres termes, les
autodéfinitions raciales de ces groupes ne sont pas fixées pour toujours; de plus, elles ne sont
pas le fruit d’une imposition extérieure unidirectionnelle, mais reconstruites selon
l’injonction entre des conditions historiques particulières et l’action collective politiquement
orientée de ces mêmes groupes.
Finalement, la troisième approche portant sur l’ethnicité fait le bilan des approches
précédentes, en essayant d’incorporer les points forts et d’éliminer les faiblesses de chacune.
D’un côté, l’approche traditionnelle met trop d’accent sur le processus externe d’attribution
de l’identité et « sous-estime ou ignore l’habileté des groupes à mettre en forme leurs propres
identitésxxiii. » De l’autre, l’approche de la formation raciale, parce que trop centrée sur les
processus historiques internes de formation raciale aux États-Unis, « ignore les formes
similaires que les processus de construction de l’identité raciale et ethnique révèlent dans un
contexte transnational comparatifxxiv. »
La question est donc de savoir comment les identités ethniques et/ou raciales sont construites
et revendiquées dans des contextes socio-historiques spécifiques. Cette précaution théorique
concernant le respect les différents contextes sociaux et historiques, rejoint pleinement les
révisions plus récentes menées à l’intérieur de l’anthropologie et de l’ethnologie
européennes, comme en témoigne Annamaria Rivera (op. cit.) : « Les ethnonymes euxmêmes, c’est-à-dire les noms employés pour désigner les ethnies, sont des signifiants qui
prennent un sens ou un autre suivant les époques, les lieux, les situations sociales ou les
points de vue des observateurs. » (Rivera, 1998, p.107.)
Or, si nous concevons le terme race comme catégorie non essentialiste, résultant d’un
processus de classement symbolique socialement efficace, alors ce concept de race ne se
trouvera pas opposé à celui d’ethnicité. Comme le souligne Rivera, « l’identité ethnique a une
valeur performative en ce sens qu’elle finit effectivement par orienter le comportement des
28
acteurs sociaux et par leur offrir un horizon de sens et une possibilité de mobilisation »
(Rivera, 1998, p.109.) Cette vision, selon laquelle les identités ethniques ou raciales
constituent des ajustements circonstanciels à des situations ou à des circonstances historiques
particulières, est partagée par l’idée d’ethnicité situationnelle, telle que présentée par
Levinson (op. cit.) : « L’ethnicité situationnelle se réfère aux pratiques communes dans les
sociétés multiculturelles de groupes ethniques ou d’individus de changer, cacher ou
d’affirmer leur identité ethnique en tant que stratégie pour atteindre un certain objectifxxv. »
Certes, plusieurs conditions influent directement sur l’efficacité des stratégies de construction
d’une ethnicité situationnelle — comme la réceptivité du groupe dominant, la place du
groupe subordonné dans le système de stratification sociale, la capacité psychologique de
s’adapter et d’adopter une nouvelle posture à la suite du changement identitaire proposé, etc.
Mais ce qui me semble fondamental ici, c’est de comprendre que de telles stratégies peuvent
inclure, malgré toutes les contradictions que cela impliquerait, la récupération de termes ou
ethnonymes ayant été historiquement employés dans un cadre historique marqué par le
racisme scientifique ou les expériences colonialistes.
1.6 Race et ethnicité dans le Brésil contemporain
J’aimerais reprendre ici la discussion que j’avais initiée au début de ce chapitre en explicitant
la position de Bourdieu vis-à-vis de la lutte symbolique entre les diverses catégories
ethniques. En rapprochant les effets sociaux de catégories ethniques et raciales, Bourdieu
s’opposait alors à deux positions radicales qui divisaient (et continuent d’une certaine
manière à diviser) la sociologie moderne : d’une part, la position objectiviste, selon laquelle
l’identité d’un groupe doit répondre à des critères objectifs externes à ce groupe ; d’autre
part, la position subjectiviste, selon laquelle l’identité d’un groupe doit répondre
exclusivement à des critères internes, subjectifs, comme le sentiment d’appartenance.
29
D’après Bourdieu, cette opposition s’appuie sur la fausse prémisse selon laquelle il y aurait
quelque part des critères plus réels que d’autres pour fonder les identités en général, et les
identités ethniques plus particulièrement. À cet effet, Bourdieu défend une vision encore
assez contentieuse de nos jours, selon laquelle tout classement scientifiquement informé est
en effet soumis aux mêmes lois que les critères pratiques quotidiens, une fois que ces derniers
sont orientés vers la production des effets sociaux et qu’ils contribuent à construire ce qu’ils
décrivent. « Bref, les verdicts les plus ‘neutres’ de la science contribuent à modifier l’objet de
la science. » (Bourdieu, 2001, p.289.)
Les notes de Bourdieu, ralliées à celles portant sur l’ethnicité situationnelle, me semblent
d’autant plus importantes pour comprendre le débat autour des modes de classement en cours
au Brésil à l’heure actuelle. De façon très emblématique, le débat autour de l’ethnicité
brésilienne nous invite à examiner le contexte socioculturel spécifique où le terme de race
confronte celui de couleur, pour devenir ainsi l’objet de la plus grande controverse et de
débats intestins. Bien sûr, cette nouvelle forme d’ethnicité n’est pas sans objectif et vise à
servir de moteur pour la formulation d’une série de demandes de réparation concernant
l’oppression subie dans le passé.
Une bonne synthèse de chacune de ces grilles — et de la lutte symbolique entre elles — nous
est présenté par Edward Telles dans son ouvrage Racismo à Brasileira (2003). À défaut d’un
système de lois visant à déterminer « objectivement » l’appartenance raciale, trois différentes
grilles de classification ethnique ou raciale coexistent au Brésil à l’heure actuelle : a) le
recensement officiel du gouvernement ; b) les discours populaires ; c) le système de
classement du Mouvement Noir.
La grille officielle de recensement de la population prévoit l’autodéfinition du répondant en
fonction de quatre catégories organisées selon un spectrum des couleurs12 : blanc, pardo13,
12
Je tiens à souligner que negro, preto, pardo et crioulo étaient des termes appliqués de manière
très variable dans la tradition esclavagiste brésilienne. Cet extrait du Rapport du développement
humain du PNUD dévoile la multitude de sens historiquement attribués à ces ethnonymes, ainsi que
30
jaune14 et noir15. Cette grille est appliquée depuis 1951 par l'Instituto Brasileiro de Geografia
e Estatística (IBGE) 16 — l'organisme gouvernemental responsable de la cueillette et de la
systématisation des données sociodémographiques de la société brésilienne. En s’appuyant
sur des données fournies par le recensement de l’année 1991, Telles révélait qu'environ 1 %
de la population brésilienne (soit à peu près 3 000 000 personnes) correspond aux catégories
des indigènes et des asiatiques — donc aux couleurs rouge et jaune, respectivement — alors
que les 99 % restants sont localisés quelque part entre les deux extrêmes, noir et blanc, du
spectrum.
leur distance par rapport aux usages actuels du recensement officiel. « Malgré la variation de la
terminologie, il était commun au Brésil que depuis le début de la colonisation, la dénomination negro
se réfère essentiellement à l’esclave, toutes couleurs confondues, mais jamais à l’homme libre. Ainsi, il
y avait, d’une part, les negros da Guiné, en provenance de l’Afrique, et d’autre part, les negros de la
terre ou negros brasis, les indigènes du Brésil. Les esclaves nés au Brésil, aussi compris dans le même
terme général de negros, étaient différenciés par la désignation de crioulo. Le terme preto était
synonyme d’esclave né en Afrique. Dans la région sud-est, les enfants de pretos, en tant qu’esclaves,
étaient des crioulos, alors que les enfants des crioulos étaient des pardos. Ceci signifie que ces
catégories désignaient les différences d’origine de naissance et non pas les nuances de couleur de la
peau. » (“Apesar das variações das terminologias, em todo o Brasil foi comum, desde o início da
colonização, a denominação negro se referir essencialmente ao escravo, de qualquer cor, nunca ao
livre. Assim, havia os negros da Guiné, oriundos da África, e os negros da terra ou negros brasis, os
índios do Brasil. Os escravos nascidos no Brasil, também englobados pelo termo geral negros, eram
diferenciados pela designação de crioulo. O termo preto era sinônimo de escravo nascido na África.
No sudeste, filhos de pretos, enquanto fossem escravos, eram crioulos. Já os filhos de crioulos eram
pardos. Ou seja, essas categorias designavam as diferenças de origem de nascimento, e não as nuances
da cor da pele”, PNUD, 2005, p.27)
13
Selon la définition du Minidicionário Aurélio da Lingua Portuguesa (Buarque de Holanda
Ferreira, 2004), le terme pardo réfère à une couleur se trouvant « entre le blanc et le noir, ou entre le
jaune et le châtain ». Absente des langues française et anglaise, ladite couleur incarne parfaitement le
niveau d’imprécision des classifications raciales traditionnelles au Brésil, raison pour laquelle j’opte
pour la conservation du terme dans sa langue originale.
14
Cette catégorie se réfère aux immigrants issus de pays comme le Japon, la Chine et la Corée,
alors que la catégorie indigène n'a été officiellement incluse dans le recensement du gouvernement
qu’en 2000.
15
Le terme noir doit être ici strictement compris comme une couleur — la couleur « preta » en
portugais — à l’exclusion de toute connotation politique que la langue française lui a éventuellement
prêtée.
16
L’IBGE réalise périodiquement deux formes distinctes de cueillette : le recensement
démographique de la population, mené à peu près tous les dix ans, et l’enquête nationale auprès d’un
31
Une deuxième grille de classement au Brésil est identifiable dans les discours populaires; elle
est en général caractérisée par un large spectre de couleurs et de formes d’identification très
variables. À cet effet, on cite très souvent une enquête nationale menée par l’IBGE en 1976,
où l’on a demandé à un échantillon de 82 577 Brésiliens de définir leur appartenance
ethnique ou raciale, selon le cas, en utilisant leurs propres termes. Les résultats de cette
enquête, souvent citée pour célébrer la diversité raciale brésilienne, dénotent un éventail de
135 termes différents. Telles apporte une nuance très importante à l’égard de cette recherche
à cause du fait (très souvent omis) que 95 % des interviewés n'aient utilisé que les six mêmes
termes — à savoir : blanc, pardo, moreno17, moreno-clair, noir et negro18. Ceci signifie que
ladite diversité de perceptions est très relative, étant donné qu’environ 64 % des 135 termes
utilisés ont été cités seulement par quelque 0,3 % de l’échantillon. L’existence d’une pluralité
de termes raciaux avait déjà été signalée par d’autres études précédentes, comme le démontre
Nelson do Valle Silva (1999). Ces études s’inscrivent dans une tradition plus ample
inaugurée par les efforts de l’Organisation des Nations Unies pour l’Éducation, la Science et
la Culture (UNESCO) dans les années 1950. Dès lors, les résultats démontraient, au sein d’un
bassin populationnel largement métissé comme celui du Brésil, l’« inexistence de fortes
distinctions entre les catégories raciales, comme l’indique l’existence d’une myriade de
termes raciaux, chacun référant à une combinaison phénotypique particulière. » xxvi
échantillon représentatif de foyers (en portugais «Pesquisa Nacional de Amostragem de Domicílios »
— PNAD), qui est réalisée annuellement.
17
Le terme « moreno », dont la traduction la plus approximative est « brun », mérite quelques
considérations additionnelles. Telles constate l'étonnement de plusieurs ethnographes face à son
ambiguïté, puisqu’il peut remplacer presque toutes les autres sortes de couleur. On lui attribue trois
connotations fréquentes: 1) personnes de peau claire et de cheveux foncés; 2) personnes issues d’un
mélange racial qui ont généralement les cheveux châtains; 3) personnes noires.
18
Si les termes negro (portugais) et nègre (français) sont très proches d’un point de vue
morphologique, supposer une correspondance sémantique entre les deux pose, à mon avis, plusieurs
problèmes. D’après son usage courant au Brésil, le terme preto est une couleur souvent chargée d'une
connotation négative, alors que le terme negro est recommandé par le Mouvement Noir comme étant
la dénomination la plus politiquement correcte. Bien que Léopold Senghor eût parlé de l’apport de la
race nègre au répertoire de la civilisation humaine, le terme nègre en français est plus fréquemment
chargé d’une connotation péjorative, les médias préférant dans ce contexte utiliser le terme noir.
32
La troisième grille est celle proposée par le Mouvement Noir dès les années 1930; elle a
toutefois été, d’une certaine façon, plus récemment incorporée dans la nomenclature courante
des médias, par une parcelle du milieu académique et par les gestionnaires des politiques
publiques gouvernementales. À caractère binaire, cette grille propose l’organisation de la
population autour de deux catégories raciales : blanc et negro, la deuxième consistant en
l’addition des secteurs pretos et pardos tels que définis dans le recensement officiel.
Chacune de ces grilles offre des arguments en faveur, ou opposés, à ce qu’elles proposent.
Les nombreuses études portant sur les grilles de classement populaire sont parvenues à des
résultats assez divergents. Silva (op. cit.) cite, entre autres, l’étude que Pierson avait publiée
en 1951 et dans laquelle il a recensé cinq termes au sein d’une communauté de l’État de São
Paulo et un total de vingt termes dans l’État de Bahia. L’étude de Harris et Kotak de 1963
avait, quant à elle, repéré environ 40 termes différents dans une petite communauté de
pêcheurs située aussi dans l’État de Bahia. Dans une étude postérieure, publiée en 1971 et
portant sur un autre village dans l’État de Bahia, Sanjek n’a recensé rien de moins que 116
termes utilisés pour désigner les types raciaux, même si seulement une dizaine de ceux-ci
informaient la carte cognitive de la majorité de la population du village étudié19 (voir Silva,
1999, pp.110-117). Des études plus récentes menées par Sansone dans la ville de Salvador,
dans les années 1990, mettent à jour ces résultats en dévoilant non seulement la variation
régionale, mais aussi celle existant entre les individus d’une même communauté. Silva
résume ainsi les conclusions de l’étude de Sansone :
19
Au sujet des études portant sur les catégories raciales populaires, voir par ordre chronologique,
Pierson, Donald. 1951. Negros in Brazil. Chicago: University of Chicago Press, xxviii, 342 p.; Harris,
Marvin et Conrad Kotak. 1963. «The structural significance of Brazilian racial category». Sociologia.
vol. XXV, n°3, pp.203-208; Harris, Marvin. 1964. «Racial Identity in Brazil». Luso-Brazilian Review.
vol. 1, n°2, pp.21-28 ; Sanjek, Roger. 1971. «Brazilian racial terms: some aspects of meaning and
learning ». American Anthropologist. vol. 73, n°1126-1143; Sansone, Lívio. 1992. «Cor, classe e
modernidade em duas áreas da Bahia (algumas primeiras impressões)». Estudos Afro-Asiáticos, n°23,
pp.143-173.
33
Le cadre qui émerge est, dans un certain sens, familier : la situation et le type de
conversation affectent la terminologie des couleurs employée ; la terminologie des
couleurs est aussi hautement subjective ; une même personne peut être définie de
différentes manières, soit dans des documents officiels (comme les actes de naissance)
ou dans la vie privée ; [il y a] une forte préférence somatique envers le blanc,
quoiqu’elle ne soit pas toujours explicite.xxvii
Devant l’incertitude et l’absence de définition de catégories précises et homogènes pour
désigner les différents types raciaux résultant du métissage, la grille officielle appliquée dans
le recensement a souvent fait l’objet de critiques de la part de chercheurs comme Harris et
Kotak. C’est alors en 1976 que l’IBGE décida pour la première fois de prendre acte de ces
critiques, en incluant dans la Pesquisa nacional por amostragem de domicilios (PNAD) de
cette année une question ouverte grâce à laquelle le répondant était invité à s’autodéfinir
racialement selon ses propres termes ; cette question a été suivie d’une deuxième, dans
laquelle le répondant était sollicité de s’insérer dans l’une des catégories couramment
utilisées par le recensement officiel. Comme je l’ai déjà mentionné en citant la synthèse de
Telles, plus d’une centaine de termes ont été recensés dans la première question. « Plus
important, rapporte Silva, en comparant les réponses aux deux critères, la plupart des
personnes qui se sont qualifiées initialement de morenas, se sont autoclassées comme des
pardas dans la question ferméexxviii. »
D’autres critiques ont également été adressées à l’endroit du recensement officiel, cette foisci en ce qui a trait à la pratique adoptée par l’intervieweur dans l’application des
questionnaires. Telles (op. cit.) explique que l’IBGE, en suivant les directives
internationales20, prépare ses intervieweurs à classer la race selon la déclaration de
l’interrogé(e). Toutefois, le niveau d’intervention subjective des intervieweurs est plus élevé
20
L’autodéclaration est d’ailleurs une disposition non seulement officiellement encouragée par
l’ONU, mais aussi considérée comme le seul critère légitime pour l’attribution des catégories raciales.
Pour ce qui est des recensements officiels de l’IBGE, les répondants doivent compléter la formulation
suivante : « Votre couleur ou race est… » Dans la réponse, qui est précodifiée, l’interviewé peut
s’autodéclarer comme appartenant à l’une des catégories suivantes : blanche, negra, jaune, parda ou
indigène.
34
que celui souhaité, en répondant « parfois eux-mêmes aux questions soit parce qu’ils
supposent savoir la réponse correcte, soit parce qu’ils ne se sentent pas à l’aise pour poser des
questions sur la race, ou encore parce qu’ils se dépêchent de faire les entrevues pour offrir
des réponses rapides aux questions jugées moins critiquesxxix. » De plus, seulement un
interviewé par foyer est censé définir l’appartenance raciale de tous les autres membres de la
famille, ce qui rend la désignation des autres membres dépendante de la perception subjective
d’une seule personne. « Ainsi, le recensement brésilien utilise, en vérité, une combinaison
d’autoclassification et de classification par une troisième partie lors de la cueillette des
données sur la racexxx. » Telles conclut cependant que l'importance du recensement officiel
n'est pas seulement liée aux données concrètes qui y figurent, mais aussi au fait que les
catégories officielles deviennent elles-mêmes des références pour la différenciation sociale
ainsi que pour l'action d'autres institutions.
L'estimation de l'appartenance raciale trouve des obstacles historiquement enracinés et
réfléchit le positionnement historique de l’État brésilien vis-à-vis de sa population. Selon
Telles (op. cit.), l'État portugais n’a jamais fondé une tradition significative d'estimation de
l’appartenance raciale au Brésil21. D’autre part, les hauts degrés de métissage, selon des
hiérarchies raciales très implicites, ont abouti à différents critères pour l'identification raciale
et pour l'autoreconnaissance. Comme le précise bien Carlos Hasenbalg (2005), il est difficile
de déterminer si l’existence d’une société multiraciale a été « la conséquence souhaitée des
politiques implémentées par les colons portugais ou un mécanisme social qui a évolué, non
intentionnellement, à partir des limitations du processus initial de colonisationxxxi. » Certaines
21
De ce fait, « l'idée essentialiste selon laquelle chaque individu appartient à un groupe racial est
moins courante au Brésil qu'aux États-Unis. » ("A idéia essencialista de que cada indivíduo pertence a
um grupo racial é menos comum no Brasil do que nos Estados Unidos", Telles, 2003, p.104.) Au
Brésil, on constate plus souvent l'emploi du terme « couleur » que celui de « race » : en effet, ce
dernier renvoie à une « essence » raciale précise, alors que le concept de « couleur » suggère l'idée de
continuité entre plusieurs catégories raciales qui se sont historiquement mélangées. En conséquence, la
catégorie noire acquiert un sens statique aux États-Unis, tandis que « la catégorie negra au Brésil est
fréquemment évasive, permettant, d'un côté, de contourner le stigma social, et de l'autre, la
manipulation politique qui empêche d’importantes distinctions sociales à travers la race. » ("Ao invés
de ser estática como nos Estados Unidos, a categoria negra no Brasil é freqüentemente evasiva,
permitindo, por outro lado, contornar o estigma social e, por outro a manipulação política que repele
importantes distinções sociais por raça", Telles, 2003, p.104.)
35
conditions ont certainement empêché la mise en place d’un cadre normatif légal capable de
définir, avec un certain degré de précision, l’appartenance raciale d’une personne, combiné
avec des procédures de cooptation des personnes de peau plus claire et de fragmentation de
l’identité raciale22.
Telles rappelle que les définitions raciales sont plus facilement déterminées lors d'une
première rencontre entre peuples provenant de continents différents. Dans des sociétés où les
idéologies raciales ont trouvé l'appui des appareils institutionnels légaux, comme en Afrique
du Sud et aux États-Unis — à l'époque respectivement de l'apartheid et de l'activisme de Jim
Crow —, les lois concernant les races infligeaient des systèmes de classement largement
spécifiques, afin d'éliminer ou de réduire les ambiguïtés. Aux États-Unis, par exemple,
l'adoption d'un système de descendance minimale (hypo-descent)23 qualifiait de « noirs »
ceux qui possédaient jusqu'à 1/16e, 1/32e ou 1/64e (en fonction des États) « de gouttes de
sang » de cette ascendance.
Au Brésil, certains auteurs, à l’instar d’Antônio Sérgio Alfredo Guimarães (op. cit.) affirment
que l’opposition entre « couleur » et « race » est superficielle, voire une sorte d’euphémisme
servant à cacher le profond malaise devant l’héritage africain et indigène :
22
Carlos Hasenbalg cite, à titre de limitation, le déséquilibre démographique existant dans la
population blanche entre hommes et femmes, favorisant la population masculine, ainsi que la
disponibilité réduite de travailleurs blancs qualifiés pour occuper des positions intermédiaires dans le
système esclavagiste brésilien. (Voir Hasenbalg, 2005, pp.243-246.)
23
D’après Nelson do Valle Silva (op. cit.), la règle de l’hypodescendance défavorise largement le
mélange racial, parce que « la descendance détermine non seulement à quel groupe racial l’individu
appartient parmi une pair de groupes définis dans un rapport de subordination — mais aussi le fait
qu’un individu appartienne à un groupe subordonné donné s’il possède un ancêtre direct, via sa mère
ou son père, qui a aussi été membre de ce groupe ». (“Não só a descendência determina a que grupo
racial o indivíduo pertence entre um par de grupos definidos numa relação de subordinação — como
também se um indivíduo tem um ancestral direto, por parte de mãe ou pai, que tenha sido membro do
grupo subordinado, pertencerá então esse indivíduo igualmente ao grupo subordinado”, Do Valle
Silva, 1999, p.107.) Au Brésil, la grille de classement selon les critères de couleurs semble œuvrer
dans le sens carrément opposé : une goutte de sang blanc dénoircit l’individu, constituant ce qu’Oracy
36
Or, la notion native de « couleur » est faussée, parce qu’il est seulement possible de
concevoir la « couleur » comme un phénomène naturel si l’on suppose que l’apparence
physique et les traits phénotypiques sont des faits objectifs, biologiques et neutres en
référence aux valeurs qui orientent notre perception. C’est ainsi que la « couleur », au
Brésil, fonctionne comme une image figurée de la « race ».xxxii
Ce malaise, dont les racines sont solidement ancrées dans les discours nationaux dès la
fondation de l’État-nation brésilien au XIXe siècle, fait référence à un processus de
fragmentation plus ample de l’identité raciale décrit par Hasenbalg. Antônio Sérgio
Guimarães postule à son tour que ce même processus de fragmentation a donné naissance à
une forme d’antiracialisme24 qui, non seulement misait sur l’effacement de la « race » du
programme identitaire national, mais qui tenait aussi à nier « les faits manifestes de la
discrimination raciale au Brésilxxxiii. »
De fait, la grille proposée par le Mouvement Noir suggère des actions sur deux plans
distincts : 1) une première action, plus interprétative, qui consiste à rassembler les données
officiellement recensées pour les pardos et les pretos dans une seule catégorie appelée
negros ; 2) un travail extensif d’information et de conscientisation raciale auprès de la
population parda et preta pour s’autodéfinir comme negra lors de recensements officiels.
Telles ajoute que
Nogueira appelait la « pigmentocratie ». (Voir Nogueira, Oracy. 1955. Relações raciais no município
de Itapetininga. São Paulo: Ed. Anhembi.)
24
Antônio Sérgio Alfredo Guimarães s’approprie l’usage que Kwame Anthony Appiah fait du
terme racialisme , à savoir que c’est une forme de perception de « caractéristiques morphologiques
visibles — couleur de la peau, type de cheveux, aspects faciaux — comme une base à partir de laquelle
nous faisons nos classifications formelles » (“características morfológicas visíveis — cor da pele, tipo
de cabelo, feições faciais — com base nas quais fazemos nossas classificações formais”, Appiah cité
par Guimarães, 2005, p.30). Guimarães soutient l’importance de faire une distinction conceptuelle
entre racialisme et racisme, en considérant que la perception des caractéristiques physiques ne mène
pas nécessairement à leur soumission ou exploitation. L’auteur précise également que le processus de
racialisation implique l’attribution de valeurs morales, intellectuelles et culturelles relatives à des traits
phénotypiques; la compréhension d’un tel processus permet au chercheur de rendre compte du sens
subjectif accordé par les individus à leurs actions sociales.
37
Les activistes du Mouvement Noir soutiennent que, différemment des États-Unis,
l’usage populaire et officiel, au Brésil, des catégories de couleurs et d’une hiérarchie
non officielle dans laquelle les pardos sont supérieurs aux negros inhibe la formation
d’une identité collective negra autour de laquelle les Afro-brésiliens peuvent
s’organiser contre les discriminations et l’exclusion qu’ils subissent.xxxiv
Le portrait dressé par chacune de ces grilles est, comme on pouvait déjà l’imaginer, très
variable. Selon les données du recensement démographique de l’année 2000 (2002), fondées
sur les autodéclarations fournies par la population brésilienne, 91 298 042 individus (53,7 %)
se considèrent comme blancs, 65 318 092, (38,4 %) comme pardos, 10 554 336 (6,2 %)
comme noirs, 761 583 (0,5 %) comme jaunes, et 734 127 (0,4 %) comme indigènes25.
Cependant, si l’on se fie aux données de l’enquête menée en 1976, donc à la grille populaire
décrite antérieurement, on serait forcé de constater un tout nouveau cadre. En effet, par
exemple, ceux qui se sont définis comme des blancs correspondaient alors à 42 % de la
population totale ; la catégorie non officielle moreno rassemblait 32 %; les noirs comptaient
pour 8 % de l'échantillon; et seulement 7 % ont utilisé la catégorie officielle pardo (catégorie
qui constitue la deuxième catégorie plus nombreuse du recensement officiel). Finalement,
selon la grille du Mouvement Noir — qui en plus d’être une grille est aussi une stratégie
d’interprétation des données recensées officiellement —, le contingent de negros
représenterait l’ajout entre la population autodéclarée noire et parda, ce qui revient pour
l’année 2000 à 75 872 428 individus, ou 44,6 % de la population.
Toutefois, la grille du Mouvement Noir est, elle aussi, confrontée à une certaine ambiguïté
dans la mesure où une conception plus élargie d’ancestralité cohabite avec l’emphase sur un
ensemble de traits phénotypiques communs. Cette double orientation — qui peut prêter à
confusion dans un pays où une partie importante de soi-disant blancs possède en effet une
ascendance negra — est explicitée dans l’extrait suivant, où Telles rapporte le décalage
existant entre le système populaire et le système du Mouvement Noir :
38
Bien que le terme negro dans le système populaire fait en général référence seulement
à ceux ayant la peau plus foncée à l’extrémité du spectrum de couleurs, son usage dans
le système d’élite tend à inclure les pretos et pardos identifiés dans le recensement, ou
tous ceux ayant une ascendance africaine.xxxv 26
Il est vrai, d’une part, que l’initiative du Mouvement Noir met de l’avant que l'association
objective de valeurs précises aux caractéristiques phénotypiques par le milieu social demeure
encore, de nos jours, un important facteur d’attribution de l’identité subjective, mais aussi de
possibilités de travail, d’éducation, de santé, etc.27 La réinterprétation des statistiques
gouvernementales à partir de la perspective de classement du Mouvement Noir démontre
bien le fossé existant dans la distribution des ressources sociales entre les population blanche
et non blanche. Selon les données citées dans le Rapport de développement humain produit
par le PNUD en 2005, intitulé Racismo, pobreza e violência (« Racisme, pauvreté et
violence »), l’évaluation des conditions de vie — et de mort — selon l’appartenance raciale
révèle une disparité alarmante entre les deux principaux groupes raciaux. On y mentionne
notamment qu’alors que le taux d’homicides des jeunes hommes blancs entre 20 et 24 ans
était déjà aberrant en 2001 — 102,3 pour 100 000 habitants —, le taux d’homicides des
jeunes hommes negros était deux fois plus élevé, soit 218,5 pour 100 000 habitants. Ceci
25
Ici, je cite les données du recensement officiel de l’année 2000, alors que Telles, dans son
étude, s’est fondé sur les données du recensement officiel de l’année 1991. Mon intention est de
présenter un portrait plus proche du contexte présent que celui dessiné dans l’œuvre originale.
26
Le rapport du PNUD sur le racisme, la pauvreté et la violence fait état d’une divergence au sein
des mouvements noirs en ce qui concerne la mise en valeur d’une notion plus élargie et souple fondée
sur l’afro-descendance vis-à-vis d’une autre notion plus restreinte, strictement fondée sur le phénotype
noir. Cette divergence est née lorsqu’un certain nombre d’étudiants ayant des traits plus proches des
individus blancs ont commencé à revendiquer des quotas à l’Université. « Ce changement dans la
classification raciale renverse les efforts entrepris dans les dernières années, lorsque la catégorie afrodescendante a été créée pour fonctionner comme un parasol sémantique en vue d’abriter des femmes et
des hommes noirs positionnés dans les multiples gradations du phénotype. » (“ Essa mudança de
classificação racial inverte os esforços empreendidos nos últimos anos, quando a categoria
afrodescente foi criada para funcionar como um guarda-chuva semântico para abrigar mulheres e
homens negros posicionados nas várias gradações do fenótipo”, PNUD, 2005, p.111.)
27
Un effet de l’application de la grille raciale est visible dans divers rapports et analyses
internationaux, comme l’application de l’Indice de développement humain (IDH) au Brésil. Depuis
1997, on prévoit une analyse des inégalités de développement humain entre les divers groupes
ethniques et raciaux, en décortiquant des variables comme l’espérance de vie, le taux de scolarisation
et le revenu per capita.
39
représente « un risque équivalent à celui d’habiter dans des pays en guerre civilexxxvi. » La
plupart de ces jeunes habitent dans les bidonvilles — aussi connus sous le nom de « favelas »
— des grandes villes brésiliennes.
L’inégalité de l’accès s’étend pratiquement à tous les autres domaines de la vie sociale, bien
qu’elle se fasse remarquer de manière plus accentuée au niveau de la distribution du revenu.
Ainsi, on verra que la population negra représente 44,7 % de la population du pays, mais que
« sa participation atteint 70 % parmi les 10 % les plus pauvres, alors que ses revenus ajoutés
correspondent à 26 % du total approprié par les familles brésiliennesxxxvii. » De plus, ces
différences d’accès aux ressources et à la distribution des revenus sont encore plus
dramatiques chez les femmes negras, qui souffrent d’une double discrimination de race et de
genre. Selon le rapport du PNUD, « en 2003, les hommes blancs gagnaient en moyenne
113 % plus que les hommes negros, et les femmes blanches, 84 % plus que les femmes
noiresxxxviii. »
D’autre part, les leaders du mouvement et du secteur académique engagés dans la lutte contre
la discrimination raciale sont conscients du fait que la grille officielle de l’IBGE non
seulement produit des effets sociaux — pour utiliser les termes de Bourdieu — mais qu’elle
sert également à construire ce qu’elle décrit. Ils savent notamment qu’en perpétuant les
attributions négatives et positives implicites dans la grille de couleurs, la grille officielle finit
par empêcher la formation d'une identité collective à caractère racial à proprement parler. De
ce fait, seul un changement stratégique au niveau de l’ethnicité, à l’instar du regeres fines,
pourrait opérer un véritable changement dans l’être, et ainsi permettre de récupérer l’autoestime et la dignité des personnes stigmatisées non seulement par leurs attributs
phénotypiques, mais aussi par des termes de classements chargés d’une connotation
négatives. Il s’agit donc d’une bataille dans le champ de la perception symbolique, qui
40
entraîne des changements à la fois dans la perception de soi et dans la perception des autres
comme parties constituantes d’une collectivité raciale28.
Les enjeux de pouvoir présents dans la concurrence entre les modes de classification sont
évidents. Aperçu par ses défenseurs comme quelque chose qui peut servir de « stratégie
défensive contre la stigmatisation et l’exclusion » (Rivera, op. cit, 1998, p.110) en ouvrant
une voie pour le changement de la structure sociale toute entière, le changement dans
l’ethnicité est considéré comme une véritable menace par ses opposants. Ainsi, suite à la
décision de recommander à l’IBGE, dès l’année 1997, de considérer mulatos, pardos et noirs
comme des membres de la population negra, le gouvernement brésilien a été durement
critiqué par certains chercheurs en sciences sociales. Selon ces derniers, le gouvernement
brésilien était en train de briser une longue tradition antiracialiste29 et antiraciste au Brésil, en
définissant, pour la première fois, « un critère d’appartenance à une catégorie raciale et il
violait des notions populaires sur l’être negro en incluant plusieurs personnes (notamment
celles considérées comme des pardas lors du recensement) qui ne se sont jamais considérées
comme tel. xxxix »
L’activiste du Mouvement Noir Edson França (2007) rapporte la décision d’une coalition
d’intellectuels — parmi lesquels se trouvent plusieurs spécialistes sur la culture noire et les
questions raciales brésiliennes — qui se sont organisés pour déposer au Sénat une lettre
28
Une preuve de ce changement de perception a été détectée lors de la divulgation des résultats de
la dernière PNAD. Selon l’éditorial du journal en ligne du Parti Communiste du Brésil (PcdoB), il y
une décroissance du nombre d’individus qui s’autodéclarent blancs et pardos en faveur d’une légère
augmentation de répondants de la catégorie noire. Ainsi, d’une population totale de 187,2 millions
d’habitants, 49,7 % % déclarent une appartenance à la catégorie blanche, 42,6 % à celle des pardos et
6,9 % à la catégorie noire. (Voir 2007. A cor dos brasileiros. Portal Vermelho, Partido Comunista do
Brasil. 2008 En ligne. <http://www.vermelho.org.br/base.asp ?texto=25208>.) Ceci veut dire que, pour
la première fois depuis le XXe siècle, la population non blanche (si l’on tient compte des indigènes et
des asiatiques) dépasse la population qui s’autodéclare blanche.
29
Certains auteurs tiennent à distinguer analytiquement la perception des attributs phénotypiques
de la génération des comportements discriminatoires et racistes. D’autres considèrent que la perception
même de ces attributs par le système cognitif entraîne des mesures de différenciation et de
subordination raciale. Je reviendrai sur ce débat dans la section 2.6 du prochain chapitre, lorsque je
confronterai les visions dites « multiculturaliste », d’une part, et « républicaine », d’autre part.
41
publique sous le titre suggestif Todos têm direitos iguais na República Democrática (ou
« Tous ont des droits égaux au sein de la République démocratique »). Parmi les signataires
et responsables de ladite lettre, se trouvaient Ali Kamel, auteur de Não somos racistas
(« Nous ne sommes pas racistes »), Peter Fry, auteur de A persistência da raça (« La
persistance de la race ») et de Divisões Perigosas (« Divisions dangereuses »), ce dernier en
collaboration avec Yvonne Maggie, Marcos Chor Maio, Simone Monteiro et Ricardo Ventura
Santos. França poursuit :
Bien qu’il s’agisse de deux projets, logiques et principes très différenciés, la base
argumentative pour le refus n’est qu’une seule : l’attribution des droits fondés sur la
race peut diviser la société brésilienne et être la source de conflits raciaux jusqu’alors
inexistants au Brésil.xl
Ainsi, dans A persistência da raça, Peter Fry (2005) affirme que « la constitution de 1988
reconnaît et condamne le racisme, en le punissant en tant que crime irréparable. Dans ce sens,
celle-ci conserve la longue tradition formelle républicaine brésilienne d’un a-racisme et de
l’antiracismexli. » Cette supposée tradition est confirmée par Ali Kamel (2006) dans l’ouvrage
Não somos racistas (« Nous ne sommes pas racistes »), lui-même directeur de la rédaction au
sein de la principale chaîne de télévision au Brésil, la TV Globo :
Ici, après l’abolition, il n’y jamais eu de barrières institutionnelles vis-à-vis des noirs
ou de n’importe quelle ethnie.
……………………………………………………………………………………………
Mais à partir des années 1950, une certaine sociologie a commencé à abandonner ce
type de raisonnement pour commencer à diviser le Brésil entre blancs et non-blancs —
ce n’est qu’un pas pour arriver à ceux qui aujourd’hui divisent le Brésil entre blancs et
non blancs, en affirmant que negro est celui qui n’est pas blanc.xlii
Ce dont la sociologie qui a divisé le Brésil entre Noirs et Blancs ne se rend pas compte,
c’est qu’en faisant cela, elle a confirmé la construction raciste américaine, selon
laquelle tout le monde qui n’est pas blanc est negro.xliii
Dans un article d’opinion publié dans la revue Ciência Hoje (Grin, 2006), Monica Grin fait
une surenchère de son souci d’équité en ce qui concerne les blancs pauvres, en synthétisant
les peurs de ce que représente à son avis une véritable inversion des rôles :
42
Si, dans ce nouvel ordre, le pouvoir public doit avoir ses structures modifiées en vue
d’implémenter des politiques orientées vers la dimension raciale, afin de corriger ou de
réparer les injustices d’une « race » par rapport à l’autre, ceux qui sont pour une fatalité
des blancs [ceux qui sont nés blancs], même s’ils sont pauvres et exclus, seront les
« negros de demain ».xliv
Certes, derrière la question de l’application d’une autre grille de classement se dessine tout un
débat sur l’adéquation même de constituer des politiques spécifiques pour ces pans de la
population — à travers les « politiques d’action affirmative » — vis-à-vis des politiques
sociales de type universel. Alors que les défenseurs de la grille de classement du Mouvement
Noir s’appuient sur une tradition d’études et de politiques publiques fondées sur le respect de
la différence des groupes ethniques ou raciaux dans une perspective multiculturaliste, ses
détracteurs s’appuient sur une tradition républicaine faisant prévaloir l’application des
mesures universelles dans le combat contre la discrimination.
Le débat autour des grilles de classement au Brésil me semble somme toute très illustratif
pour rappeler que les catégories raciales ne constituent pas de catégories universelles et
transcendantes, mais qu’elles sont plutôt définies dans des contextes socio-historiques précis.
Dans le prochain chapitre, je vais essayer de défricher quelques repères historiques à partir
desquels on pourra comprendre l’incidence des différents modèles d’identification raciale au
Brésil. Compte tenu des critiques récemment adressées à cette nouvelle forme d’ethnicité
émergente au Brésil, une place spéciale sera accordée aux visions critiques de l’idée de nation
harmonieuse, sans conflits d’ordre racial, maintes fois réaffirmées dans l’historiographie
officielle du Brésil. Comme je le démontrerai plus loin, la littérature raciale au Brésil est si
vaste et si riche que sa trajectoire se confond avec l’essor même de l’État-nation brésilien et
qu’elle nous renvoie aux premières revendications d’autonomie coloniale.
CHAPITRE II
RACE ET NATION AU BRÉSIL
Dans le chapitre précédent, j’ai fait état de l’existence de trois grilles de classement racial au
Brésil, chacune présentant un niveau particulier de subjectivité et d’ambiguïté.
Dans le présent chapitre, j’examinerai le processus historique aboutissant à la fragmentation
de l’identité raciale au Brésil, en faisant ressortir deux mécanismes idéologiques qui ont
œuvré à son appui : le blanchissement et la croyance en l’existence d’une démocratie raciale
au pays.
Consciente du fait que cette révision est d’une portée très ambitieuse, et voulant faire
autrement que simplement résumer les différentes auteurs et branches thématiques dans une
perspective temporelle linéaire, je propose de circonscrire le débat — tout en gardant sa
pertinence — à quelques questions : 1) quelle était la place de la « race » dans les discours
fondateurs de l’État-nation ? 2) Pourquoi la race a-t-elle perdu de son importance ? 3)
Pourquoi est-elle revenue sur la scène publique ? Autrement dit, j’examinerai pas à pas
comment la fiction de la démocratie raciale a pu s’imposer face à d’autres discours
concurrents sur le plan national pour devenir l’un des mythes fondateurs les plus puissants de
l’histoire de l’État-nation brésilien.
2.1 Au royaume luso-américain : quelques particularités de l’essor de la nation
brésilienne
Le Brésil, ce pays-continent porteur de multiples contradictions et énigmes, s’est toujours
voulu un cas d’exception en Amérique Latine. En ayant toujours l’Europe à l’horizon, la
44
recherche de la différence, voire l’obsession pour celle-ci, s’inscrit dans les différentes
dimensions de la constitution de cet État-nation30.
Le Brésil a été, tout d’abord, une anomalie politique. Caractère exceptionnel de la formation
nationale au Brésil, la permanence du régime monarchique — même après l’indépendance de
la métropole — est un aspect qui n’est pas passé inaperçu aux yeux de Benedict Anderson
dans L’imaginaire national : Réflexions sur l’origine et l’essor du Nationalisme (2002).
Selon lui, « nulle part aux Amériques on essaya sérieusement de recréer le principe
dynastique, sauf au Brésil ; et même là, c’eût été probablement impossible si, fuyant
Napoléon, la dynastie portugaise n’avait immigré en 1808. » (Anderson, 2002, pp.62-63.) La
reconnaissance du fils du roi du Portugal comme empereur légitime de ce pays, bien
qu’anecdotique, amorça une nouvelle étape de l’expérience monarchique qui eut lieu entre
1822 et 188931, tout en laissant de profondes traces dans l’imaginaire tout comme dans
l’historiographie des premières années de la nation.
30
D’après Foucault : « L’histoire nous apprend à rire des solennités des origines ». Foucault,
Michel. 1977. «Nietzsche, Genealogy, History». In Language, counter-memory, practice, Donald F.
Bouchard, pp.139-164. New York: Cornell University Press. Voici ici une bonne occasion : l’un des
premiers symptômes de cette envie de se distancer de ses voisins est la célébration de sa
« découverte », donc de ses « origines », le 22 avril 1500 et ce, au détriment de la « découverte de
l’Amérique » qui avait eu lieu le 12 octobre 1492. Autrement dit, la découverte de l’Amérique en tant
que telle n’a jamais été incorporée au calendrier des festivités officielles au Brésil. Par contre, tout en
demeurant un jour férié, le 12 octobre est une date officielle nationale : on y célèbre la fête de NotreDame d’Aparecida, sainte catholique reconnue patronne du Brésil. Deux véritables coups de force
symboliques, issus d’une Amérique lusophone qui n’a pas su oublier les rivalités existantes entre les
deux premières puissances métropolitaines à se disputer les richesses du Nouveau Monde — Portugal
et Espagne.
31
Après son indépendance, le Brésil compta sur deux empereurs pendant ses 67 ans de
monarchie. Le premier, D. Pedro I, fils de l’ancien roi du Portugal D. João VI, eut une courte
trajectoire politique. Suite à la dissolution de l’Assemblée Nationale en 1823 — un an après avoir
accédé au trône — et à l’imposition de sa propre Constituante au pays en 1824, D. Pedro I subit de
fortes pressions de la part de la bourgeoisie agraire croissante en vue de le faire abdiquer. Un
gouvernement transitoire prit le pouvoir entre 1831 et 1840, confirmant la seule expérience
parlementariste du Brésil depuis son indépendance. Le deuxième empereur, D. Pedro II, naquit au
Brésil, contrairement à son père, et prit le pouvoir en 1840 à l’âge de 14 ans. Il gouverna jusqu’à la
Proclamation de la République, en 1889 et moura deux ans plus tard en exil.
45
Mais le Brésil a aussi été une anomalie d’un point de vue économique et social. Selon l’Atlas
des esclavages : Traités, sociétés coloniales, abolitions de l’Antiquité à nos jours (Dorigny et
Gainot, 2006) :
Le Brésil […] fut le territoire qui vit débarquer le plus grand nombre d’esclaves
africains : plus de 4 millions, soit près du tiers du total de la traite atlantique. Ce fut
aussi le pays de la plus tardive des abolitions (1888). À l’esclavage des Africains
s’ajoute ici un autre esclavage, peu important sur le reste du continent et presque
totalement inconnu dans l’espace caraïbe, celui des Indiens, qui ne fut officiellement
interdit qu’au milieu du XVIIIe siècle. Le Brésil d’aujourd’hui est la résultante de cet
immense brassage des populations issues d’un esclavage aux traits spécifiques. (p.40.)
Au sujet du caractère esclavagiste au Brésil32, le critique littéraire Alfredo Bosi rappelle, dans
son ouvrage La culture brésilienne : une dialectique de la colonisation (2000), que Marx
avait déjà utilisé le terme « anomalie » pour se référer à la place occupée par le mode de
production latifundiaire, fondé sur le travail non salarié au sein du capitalisme moderne.
Contrairement à la norme occidentale, caractérisée selon Marx par le passage de la condition
32
Ce travail ne pourrait pas faire correctement une synthèse de toutes les approches critiques de
l’historiographie brésilienne dite « officielle », compte tenu de l’ampleur d’une telle tâche. Cependant,
j’aimerais ici citer quelques auteurs ayant beaucoup contribué à un renouveau de l’approche
historiographique traditionnelle. Le premier auteur est Clovis Moura qui, dans son Rebeliões da
senzala: quilombos, insurreições, guerrilhas, publié au Brésil en 1959, analyse le Mouvement
Abolitionniste en mettant en avant le caractère collectif des insurrections des esclaves, particulièrement
en ce qui a trait à la généralisation du marronnage (ou « quilombos », tel qu’on s’y réfère au Brésil)
(voir Moura, Clóvis. 1981. Rebeliões da senzala: Quilombos, insurreições, guerrilhas, 3. São Paulo:
Ciências Humanas, 282 p.). Le deuxième est l’historiographe Jacob Gorender qui, dans O Escravismo
colonial, signale l’importance du système esclavagiste pour l’unification de la nation brésilienne (voir
Gorender, Jacob. 1978. O escravismo colonial, 2. São Paulo: Ática, 592 p.). Un fait est digne de
mention : les travaux de Moura et Gorender défiaient non seulement la vision de l’historiographie
officielle, mais aussi celle des interprétations historiographiques marxistes dominantes au Brésil. Selon
celle-ci, la soumission des esclaves au despotisme de l’esclavage, compte tenu d’un système
« capitaliste incomplet », était absolue. Somme toute, autant les interprétations officielles que les
interprétations marxistes comme celle de l’École Paulista tendaient à surestimer le caractère
révolutionnaire des révoltes d’esclaves, en même temps qu’elles marginalisaient le rôle de celles-ci
dans la résistance face à l’oppression esclavagiste. Pour des approches critiques de l’historiographie
traditionnelle, voir également Costa, Emilia Viotti da. 1966. Da senzala a colonia. São Paulo: Difusão
Europeia do Livro, 497 p. et Dias, Manuel Nunes, et Carlos Guilherme Mota. 1968. Brasil em
perspectiva. Coll. «Corpo e alma do Brasil». São Paulo: Difusão Européia do Livro, 415 p. En ce qui a
trait à ce travail, je privilégie la réflexion d’Alfredo Bosi qui est, à son tour, largement tributaire des
travaux de Gorender.
46
de paysan-serf à celle de travailleur salarié, Bosi reconnaît qu’au Brésil — et ailleurs où
l’esclavage a pris place —, la modernisation des moyens de production fut intimement reliée
aux formes les plus conservatrices d’exploitation du travail humain. De là, ce dernier
conclut : « Ce fut tout au long de ce greffage à la fois moderne et rétrograde que se sont
formées les pratiques politiques du peuple brésilien. » (Bosi, 2000, p.33.)
À la formule monarchiste et esclavagiste s’ajoute un autre trait conservateur que l’essor de
l’État-nation a su exemplairement faire ressortir : la centralisation de la production culturelle
et intellectuelle. Dans son commentaire sur l’œuvre de l’historiographe Pedro Calmon, José
Carlos Reis (2006) rappelle que la presse et même les ateliers d’imprimerie ont été interdits
en sol brésilien jusqu’en 1808. Avant cette date, tous ceux désirant publier un livre devaient
le faire au Portugal, sous les auspices et le tampon du roi. Conscient des dangers de divulguer
les richesses du Brésil en outre-mer, poursuit l’auteur, le pouvoir métropolitain s’empêcha de
publier plusieurs œuvres descriptives majeures, comme Culture et opulence au Brésil, écrite
par le prête jésuite Antonil. On peut également citer dans ce contexte les œuvres ayant un
contenu nettement critique et/ou une portée politique émancipatrice évidente, comme les
Lettres Chiliennes, ces poèmes satiriques du XVIIIe siècle supposément adressés au roi du
Portugal, et qui furent attribués au révolutionnaire Tomás Antônio Gonzaga, à l’instar de
Montesquieu dans ses Lettres Persanes (Reis, 2006, p.61). Ce souci de contrôle sur la
circulation de tout savoir portant sur le Brésil condamna à l’oubli, par exemple, le document
fondateur de l’historiographie brésilienne — la lettre de Pero Vaz de Caminha —, celui qui
raconte l’arrivée, en 1500, des premiers Portugais à la Terra de Santa Cruz — alias Brésil. Ce
document fut « découvert » par hasard en 1773 dans des archives portugaises pour n’être
publié, pour la première fois, qu’en 1817 dans l’œuvre Corografia Brasílica, éditée par
Manuel Aires de Casal (Pereira, 2007). En fait, cette situation ne changea pas drastiquement,
même plusieurs décennies après l’indépendance et ce, malgré l’avènement de la
République33. Bien entendu, le contrôle métropolitain reposa autant sur la circulation de biens
33
Selon le célèbre expert en culture brésilienne Thomas Skidmore, avant 1914, la plupart de la
production intellectuelle brésilienne était encore publiée en Europe, Garnier, localisée à Paris, étant la
principale maison d’édition. Seule une petite partie des maisons d’éditions se trouvaient alors au
Brésil. Skidmore, Thomas E. 1993. Black into White. Durham & London: Duke University Press.
47
culturels que sur ses institutions de production. Ainsi, « le Portugal refusa systématiquement
d’autoriser la création d’établissements d’enseignement supérieur dans ses colonies, excluant
de cette catégorie les séminaires de théologie. » (José Murilo de Carvalho cité par Anderson,
2002, p.63.)
« Si l’essor de l’imprimerie-marchandise est la clé de la génération des idées entièrement
nouvelles de simultanéité (…) » (Anderson, 2002, p.49), quels seraient alors les moyens
d’autoprojection et de réflexion qui, d’après Anderson, sont nécessaires pour la définition
identitaire nationale ? Dans son Imagem e auto-imagem do Segundo Reinado, l’historienne
Ana Maria Mauad (2004) explique que la grande source de réflexion réside surtout dans les
représentations pictorialistes des dessinateurs, peintres et portraitistes étrangers qui
traversèrent le pays : « Indépendamment de la modalité du registre, ce fut le regard de
l’étranger qui nous a encadrés, en même temps qu’il éduqua notre regard, pour que nousmêmes puissions nous regarder dans le miroir de la culture importée de leur pays
d’originexlv. » Une bonne partie de ces artistes étaient venus dans le cadre de la Mission
Artistique française, une entreprise de famille royale portugaise en 1816 marquant ainsi
l’essor d’une nouvelle ère34. Cette mission, qui consacra des artistes comme Jean-Baptiste
Debret, put enregistrer, pour la première fois dans l’histoire du Brésil, les paysages et le
modus vivendi de la société coloniale. D’autres, comme Ender, Rugendas, Taunay et
Hércules Florence, étaient venus en tant qu’accompagnateurs des scientifiques naturalistes
entre les années 1830 et 1840 (Mauad, 2004, pp.184-191).
Or, l’absence, ou l’exiguïté, d’un des lieux d’expression d’une pensée nationale et des
institutions destinées à cette fin démontre bien l’écart existant entre la littérature nationale et
la culture se développant dans les interstices de la sociabilité brésilienne. D’après Alfredo
Bosi, « durant les siècles de colonisation portugaise et tout au long de l’histoire — une
34
Bosi explique le caractère double de la Mission Artistique Française au Brésil : « Il convient de
relever que c’est par deux fois que revient l’idée de la substitution opérée par la nouvelle école que D.
João VI avait fait venir au Brésil. On remplaça le baroque religieux et populaire par le néoclassique
laïque et modernisant. » (Bosi, 2000, p.76.)
48
histoire déjà nationale — qui suit l’Indépendance, ce qui caractérise la culture du peuple,
c’est sa production et sa reproduction au-dessous du seuil de l’écriture. » (Bosi, 2000, p.13.)
Parallèlement, les élites brésiliennes préparèrent le terrain pour mener un projet de nation
dont les classes subalternes n’auraient connu que les conséquences. Ainsi, à l’aube des
années 1850, tous les éléments pour la consolidation d’un imaginaire national axé sur ces
prérogatives raciales propres sont déjà réunis. « [Avec] l’indépendance politique consolidée,
et ayant réprimé les luttes internes générées par celles-ci, le Brésil posséda un profil dont il ne
s’était pas rendu comptexlvi. » Aux historiens d’en trouver un qui leur convenait le mieux !
C’est dans ce contexte conservateur, centralisateur, esclavagiste et marqué par l’exiguïté
littéraire que les pouvoirs en place ont pensé l’émergence de l’Instituto Histórico e
Geográfico Brasileiro (IHGB, 2007). Créé en 1838, l’IHGB est né « de l’aspiration d’une
entité qui refléterait la nation brésilienne qui venait de conquérir son Indépendancexlvii
35
.»
Ainsi, en 1840, l’institut promut-il un concours en vue de primer le meilleur projet d’écriture
de l’histoire brésilienne. Le mémoire gagnant — intitulé Comment écrire l’histoire du Brésil,
de l’Allemand Karl Phillipp Von Martius — proposait une histoire centralisatrice du Brésil.
Son auteur, « en plus de mettre en évidence le mélange de races qui faisait du Brésil un cas
singulier, même si celui-ci privilégiait la race Blanche, considère que l’historien du Brésil
devra faire l’histoire de l’unité du Brésilxlviii. » L’amour envers la patrie et celui envers
l’empereur constituaient alors deux éléments essentiels de cette centralisation. Von Martius,
pour qui « l’étude de la diversité et de la variété seraient inviables dans le cas du Brésilxlix »,
est aussi considéré par Almeida (2006) comme le grand responsable du jet des piliers d’une
théorie de la « démocratie raciale brésilienne36 ». Son projet intellectuel aura une portée
35
L’IHGB a compté avec le patronat de l’empereur D. Pedro II, qui a donné le premier espace
physique pour la continuation de l’institut, qui a financé ses recherches, et qui y a présidé plus de 500
sessions.
36
L’extrait qui suit décrit les grandes lignes du projet historiographique de Von Martius: « Celui
qui se chargera d’écrire l’histoire du Brésil, pays tellement prometteur, ne devra jamais perdre de vue
quels sont les éléments qui y concourent pour le développement de l’homme (…) Ainsi, ce devrait être
un point crucial pour l’historien réflexif de démontrer comment, dans le développement successif du
Brésil, se trouvent établies les conditions pour le perfectionnement de trois races humaines, qui sont
mises les unes à côté des autres dans ce pays, de manière jusqu’à présent méconnue dans l’histoire
ancienne, et qui doivent servir mutuellement de moyen et de fin » (“Qualquer que se encarregue de
49
politique indélébile de longue durée, essentielle pour comprendre d’autres auteurs qui font
éloge des Portugais et qui émergeront plus tard et ce, même après l’avènement de la
République — pour ne pas dire jusqu’à nos jours.
2.2 La race au centre de discours identitaires de la nation émergente
En fait, tous ces éléments sont d’une importance cruciale pour comprendre le contexte et la
portée de l’œuvre de celui qui a été considéré comme l’« Hérodote brésilien » : Francisco
Adolfo de Varnhagen (1816-1878). Selon José Carlos Reis (2007), Varnhagen fut le grand
réalisateur du projet historiographique lancé quelques années auparavant par Von Martius37.
Certes, s’il n’a pas été le premier à écrire une histoire du Brésil38, il est du moins reconnu
pour avoir apporté au Brésil les dernières méthodes de la recherche archiviste et de la
méthode critique caractéristiques du XIXe siècle.
Fils d’un officier allemand et d’une Portugaise, Varnhagen vécut la plupart de sa vie à
l’extérieur du Brésil, ce qui lui a offert de nombreuses occasions de consulter des archives
escrever a história do Brasil, país que tanto promete, jamais deverá perder de vista quais os elementos
que aí concorrerão para o desenvolvimento do homem (…) Portanto, devia ser um ponto capital para o
historiador reflexivo mostrar como no desenvolvimento sucessivo do Brasil se acham estabelecidos as
condições para o aperfeiçoamento de três raças humanas que nesse país são colocadas uma ao lado da
outra, de uam maneira desconhecida na História Antiga, e que deviam servir-se mutuamente de meio e
fim”, De Castro Rocha, João Cezar (2003). As origens e os equívocos da cordialidade brasileira.
Nenhum Brasil existe. Pequena enciclopédia. João Cezar de Castro Rocha. Rio de Janeiro, Editora
UniverCidade, p.210).
37
Selon Almeida, « les travaux et les résultats de Varnhagen ne furent possibles que grâce à la
création de l’Instituto Histórico e Geográfico Brasileiro (IHGB), organisme financé par l’empire pour
institutionnaliser toute connaissance historique de façon à légitimer le contrôle portugais », (“Os
trabalhos e os resultados de Varnhagen só são possíveis graças à criação do Instituto Histórico e
Geográfico Brasileiro (IHGB), órgão financiado pelo império para institucionalizar todo conhecimento
histórico de forma a legitimar o controle português, Almeida, 2006, p.1).
38
L’œuvre História Geral do Brasil, de Varnhagen, a été précédée d’autres comme celles qui
suivent: História da Província de Santa Cruz (1576), de Pero de Magalhães Gândavo; História do
Brasil (1627), de Vicente do Salvador; História da América Portuguesa (1730), de Sebastião da Rocha
Pita; et História do Brasil (1810), de Robert Southey.
50
étrangères et d’élaborer des documents historiques39. Varnhagen conçut surtout une œuvre
étroitement liée à sa trajectoire personnelle : grand admirateur et ami personnel de l’empereur
D. Pedro II, « son adhésion à la Couronne fut totale, et il représenta celle-ci dans divers pays
de l’Amérique Latine et de l’Europel». En 1854, il publia le premier volume de História
Geral do Brasil (Varnhagen, 1854), œuvre considérée par l’historien Valder Almeida (op.
cit.) comme le véritable acte de naissance du Brésil en tant que nation libre40. Au défi de
présenter un portrait fidèle de son pays de naissance et d’adoption, Varnhagen répondit avec
un récit dans lequel « les intérêts mercantiles, les méthodes cruelles, l’esclavage et les
génocides sont dissimulés sous la couverture de l’harmonie, de la collaboration et du
consentementli.»
En citant dans sa préface l’évêque brésilien Azeredo Coutinho, Varnhagen affiche clairement
ses positions à l’endroit de l’esclavage : « L’esclavage et la subordination sont le premier pas
pour la civilisation des nationslii. » Dès lors, les grandes lignes d’un projet civilisateur
dénoncent l’exclusion des pans indigènes et africains de la population brésilienne. « Pour
nous, l’idée selon laquelle l’histoire générale de la civilisation du pays doit faire face aux
éléments de la population indienne et africaine est exclueliii. » D’un côté, l’exclusion de
l’indigène entraîna une appropriation sélective du passé, selon laquelle « les autochtones
n’étaient pas, somme toute, en tant que sauvages, les propriétaires du Brésil, de même que le
terme Brésilien ne peut leur être appliquéliv. » Le negro ne trouve pas non plus sa place dans
ce projet de nation brésilienne, bien qu’une nuance importante doive être portée sur sa vision
39
Il est intéressant de noter que Varnhagen aura vécu la plupart de sa vie à l’extérieur du Brésil,
ce qui ne l’a pas empêché d’adopter la nationalité brésilienne à l’âge de 25 ans — fait à souligner : ce
fut après la confirmation anticipée de D. Pedro II au trône du Brésil. Son attachement à ce pays se
traduit, entre autres, par la façon à travers laquelle il se présentait : Vicomte de Porto Seguro et né à
Sorocaba (Reis, 2007, p.24).
40
Valder Almeida compare História Geral do Brasil à la lettre de Pero Vaz de Caminha: « Pour
ceux qui voient la lettre de Pero Vaz de Caminha comme l’acte de naissance des terres nouvellement
concquises, l’œuvre de Varnhagen História Geral do Brasil, chargée de qualificatifs et nettement
favorable aux Portugais, représente bien une première tentative de registre d’identité » (“Para aqueles
que vêem na Carta de Caminha a certidão de nascimento das terras recém-conquistadas, a obra de
Varnhagen História Geral do Brasil, recheada de adjetivos e lusofania, representa muito bem a
tentativa dum primeiro registro de identidade. ” (Almeida, 2006, p.2.)
51
de l’esclavage : celle-ci serait en effet en grande partie responsable de la dégénération des
peuples africains qui, « sans liberté individuelle, sans les réjouissances de la famille, sans
l’espoir de s’associer à leur propre guise ou celle de ses enfants et petits-enfants — dont
l’émancipation ne mettra pas plus d’un siècle à venir —, on n’a pas à attendre d’eux de
sentiments plus nobleslv. » Comme l’explique Reis, Varnhagen « même en étant l’un des
premiers grands défenseurs de la colonisation portugaise, regrettait le fait que celle-ci [la
colonisation portugaise] ait dû être latifundiaire et esclavagistelvi. »
Loin de vouloir résumer l’ensemble de l’œuvre de Varnhagen, ce qui m’intéresse
particulièrement, c’est de souligner comment le projet colonisateur — ce bienfait de l’homme
européen, porteur d’un héritage culturel nettement supérieur — est défendu sur le plan des
idées par des stratégies rhétoriques très précises. La première de ces stratégies consiste à
relativiser — voire à faire preuve de négationnisme envers — la souffrance et les dommages
infligés aux populations indigènes et negras. Les indigènes, par exemple, « (…) ne pouvaient
pas être civilisés sans la présence de la force, dont on n’a pas tellement abusé, comme on a
l’habitude de direlvii. »
Une fois les positions de l’oppresseur relativisées — et, par conséquent, celles de l’opprimé
aussi —, une deuxième stratégie rhétorique est employée : l’inversion de la responsabilité.
Celle-ci consiste à faire croire que la colonisation s’est réalisée avec le consentement, voire la
collaboration, des races subalternes. Cette stratégie est confirmée par l’autre extrait cité ciaprès, portant sur la mission de reconnaissance qu’Amerigo Vespucci mena sur la côte
brésilienne en 1501. Varnhagen nous fait alors savoir que les deux équipiers qui débarquèrent
au Cape de Saint Roque furent mangés par les indigènes locaux. « Ainsi, conclut-il, la
première rupture et agression entre ceux de la terre et les futurs colonisateurs ne vint pas de
ces derniers, lesquels furent victimes de trahison et laissèrent les premiers en toute
impunitélviii. »
Il y a pourtant là un élément nouveau, qui va faire chanceler les deux stratégies antérieures :
la supposée absence de mérite de la part de ces deux groupes. Et, lorsque les guerres contre
52
les envahisseurs étrangers (Hollandais, Français, etc.) éclatèrent dans la colonie brésilienne,
ce n’est que grâce à une démonstration de « tolérance » et de « charité chrétienne » de la part
du colonisateur civilisé que ces hommes d’origine africaine et indienne purent finalement être
honorés pour leurs efforts durant la guerre. Ceci prouvait d’ailleurs « que la position
défavorisée dans laquelle ils se trouvèrent ne résultait pas de leur couleur de peau, mais plutôt
de leur manque de méritelix. »
Devant un portrait tellement négatif de l’héritage racial brésilien, Varnhagen ne vit qu’une
seule solution envisageable et désirable du point de vue du statu quo : l’assimilation de cette
population majoritaire de couleur par l’immigrant européen.
S’il est clair que l’élément européen est celui qui constitue pour l’essentiel la
nationalité à l’heure actuelle — et ce, grâce à la venue de nouveaux colons de l’Europe
—, c’est encore avec cet élément chrétien et civilisateur que doivent être accueillies les
anciennes gloires de la patrie et, par conséquent, l’histoire nationale.lx
Bref, s’il y a une trace d’actualité à reconnaître dans l’œuvre de Varnhagen, celle-ci se
trouvera sûrement dans la permanence, plus ou moins inaltérée au fil des années, de ces trois
arguments principaux : la relativisation de la souffrance et de l’oppression, l’inversion de la
responsabilité pour les dommages infligés, ainsi que les allégations de manque de mérite. Ces
arguments serviront de matière pour les discours de déresponsabilisation historique devant
l’oppression raciale dont la portée se fait sentir encore de nos jours. L’éloge de la
colonisation portugaise sera répandu maintes fois, au fur et à mesure que des nouveaux
éléments s’y seront ajoutés. Concrètement, les années à venir marqueront l’essor d’un projet
politique d’assimilation culturelle vis-à-vis de l’héritage africain et autochtone, en même
temps qu’on valorisera de plus en plus le caractère métis de cette société, comme je le
montrerai par la suite.
53
2.3. Racisme scientifique et métissage au Brésil : le blanchissement comme solution
L’historiographie au Brésil ne saurait-elle pas non plus faire abstraction de l’esclavage, ne
fut-ce qu’en tant que solution, remède, problème ou héritage ? Dans son paradigmatique
Black into White : Race and Nationality in Brazilian Thought (Skidmore, 1993), Thomas
Skidmore propose une excellente synthèse du scénario intellectuel de la fin du XIXe siècle.
Sur le plan philosophique prédominait l’éclectisme français, une synthèse des idées
philosophiques et religieuses floues qui, « grâce à son caractère vague, était le compagnon
parfait pour une tradition religieuse faiblelxi 41 ». Sur le plan politique, les anciennes divisions
entre libéraux42, d’un côté, et conservateurs, de l’autre — une division qui, vers 1822, année
de l’indépendance, signifiait l’opposition entre les supporteurs des intérêts typiquement
« brésiliens » et les défenseurs de l’absolutisme — étaient vers 1860 complètement
mélangées et ne faisaient plus de sens. Sur le plan littéraire, un Romantisme très influencé par
les écoles européennes finira par passer d’un culte général de la nature au culte de l’Indien
brésilien :
Avec l’arrivée de l’ère du Romantisme, l’Indien devient un symbole des aspirations
nationales brésiliennes. Il a été transformé dans un prototype littéraire ayant peu de
connexions avec son rôle réel dans l’histoire brésilienne. Tout comme l’Indien de
James Fenimore Cooper, l’Indien du Romantisme brésilien était un symbole littéraire
sentimental qui n’offrait pas de menaces au confort de ses lecteurs.lxii
41
Il est vrai que la supposée faiblesse de la tradition religieuse brésilienne peut sembler
paradoxale par rapport à la centralité, par exemple, du catholicisme dans l’œuvre de Varnhagen. Mais
Skidmore justifie son point de vue en plaçant le Brésil dans un rapport comparatif avec le reste de
l’Amérique latine : « En 1865, le Brésil était catholique, quoique en comparaison avec la Nouvelle
Espagne, l’Église brésilienne manquait à la fois de richesse et de personnel nécessaires pour opérer en
tant qu’institution puissante et indépendante » (“ In 1865, Brazil was catholic, although, compared to
New Spain, the Brazilian Church lacked both the wealth and the personnel to operate as a powerful
and independent institution”, Skidmore, 1993, p.3).
42
Alfredo Bosi (op. cit.) élucide le caractère contextuel que le libéralisme économique et la
doctrine du laissez-faire ont pris au Brésil : « Les marques symptomatiques du libéralisme brésilien (et
à la limite néocoloniales) se profilent ici : insertion du Brésil dans une division internationale rigide de
la production ; défense de la monoculture ; refus de toute interférence de l’État autre que celles visant à
assurer les bénéfices de la classe exportatrice » (Bosi, 2000, p.250). L’auteur fait d’ailleurs une
distinction importante entre ce libéralisme peu orthodoxe du début de l’Empire et un autre, à caractère
antiesclavagiste et républicain qui aurait émergé à la fin du XIXe siècle.
54
Dans ce même sens, les negros qui étaient souvent représentés dans cette littérature sous le
stéréotype d’« esclave héroïque », d’« esclave soufreur » ou de la « belle mulâtresse » ne
reflétaient en rien l’homme libre de couleur qui était présent à tous les niveaux de la société
brésilienne. Le sort des esclaves changera quelque peu avec l’éclatement de la Guerre du
Paraguay, à laquelle le Brésil participa entre 1865 et 1870, en rajoutant une goutte d’eau au
mécontentement d’une partie des élites face à la centralisation administrative de l’empire.
Très impopulaire au Brésil, cette guerre finit par mettre la lumière sur les problèmes
nationaux d’éducation et de transport, servant aussi d’occasion pour la montée du pouvoir
militaire au sein du régime monarchique. En 1868, la décision de l’Empereur de refuser le
retrait de la guerre précipita la formation du Parti Républicain. Parallèlement, l’incapacité de
mobilisation d’hommes libres pour la guerre forçait le pouvoir établi à puiser dans ses stocks
d’esclaves, à qui la liberté était promise en échange. Après la guerre, ces anciens esclaves
devenus officiers dans l’armée furent eux-mêmes confrontés à l’étrange dilemme de
pourchasser les esclaves fugitifs. Dès lors, les idées républicaines et abolitionnistes prirent de
l’espace au sein de milieux militaires.
En même temps, le Brésil fut un véritable laboratoire pour des intellectuels et des
scientifiques racistes tels qu’Arthur Gobineau et Louis Agassiz. Dans son essai Mistificações
da Ciência (Schneider, 2006), portant sur les empreintes des théories racistes au Brésil entre
les XVIe et XIXe siècles, Alberto Schneider révèle que « tous les deux ont été au Brésil et ont
consigné dans leurs livres les regrets d’un pays plein de noirs et, pis encore, de métisses de
toutes les couleurslxiii. » Louis Agassiz, professeur de zoologie de l’Université Harvard, a
aussi visité le pays entre 1865 et 1866 pour écrire A Journey in Brazil (1867). Ce scientifique
conservateur et profondément chrétien était aussi un supporteur de la thèse du polygénisme,
selon laquelle les différentes races humaines étaient originaires de plusieurs sources diverses.
Schneider explique qu’à la lumière des nouvelles théories scientifiques en vogue en Europe et
aux États-Unis, ces théories ont été réinterprétées de façon à mettre en évidence les groupes
humains comme étant naturellement inégaux. Considérant le métissage comme la perte des
qualités « physiques et morales » des races originaires, Agassiz ne pouvait être que
55
pessimiste : « Ceux qui remettent en question les effets néfastes du mélange de races et qui
sont menés par une fausse philanthropie à rompre toutes les barrières imposées entre cellesci, devraient venir au Brésillxiv. »
À son tour, le passage d’Arthur Gobineau au Brésil entre 1869 et 1870 (Raymond, 1990)
marqua la naissance d’une longue amitié avec l’Empereur Dom Pedro II, qui « sera suivi[e]
d’une correspondance fidèle avec l’empereur et par des articles sur le Brésil » (Raymond,
1990, p.31). Le comte de Gobineau, qui avait publié entre 1853 et 1855 Essai sur l’inégalité
des races humaines, est tenu responsable de l’apport d’«une espèce de fondement
philosophique pour le développement d’une argumentation scientifique sur l’inégalité
naturelle des raceslxv. » Bien qu’il soit extrêmement pessimiste quant à l’avenir de toute
l’Amérique du Sud, dont la « décadence est sans remède » (Gobineau, 1853-1855), Gobineau
envisage encore une dernière lueur d’espoir pour le Brésil :
Si au lieu de se reproduire par elle-même, la population brésilienne était en position de
subdiviser davantage les éléments fâcheux de sa constitution ethnique actuelle, en les
fortifiant par des alliances d’une valeur plus haute avec les races européennes, alors les
mouvements de destruction observés dans ses rangs s’arrêteraient et feraient place à
une condition toute contraire. La race se relèverait, la santé publique s’améliorerait, le
tempérament moral serait renforcé et des modifications plus heureuses s’introduiraient
dans l’état social de cet admirable pays. (Gobineau cité par Raymond, 1990, p.52.)
À ceci s’ajoute encore l’influence de l’anthropologie criminelle de l’italien Cesare Lombroso
qui, dans L’uomo Delinquente (1876), affirmait que la criminalité était un phénomène
physique et héréditaire. Selon le Rapport Racismo, Pobreza e Violência du PNUD, ces thèses
ont trouvé un sol fertile au sein des intellectuels brésiliens, à un point tel que « les facultés de
Médicine (à Rio de Janeiro et à Salvador) et de Droit (à Recife et à São Paulo), ainsi que les
instituts historiques et géographiques et les musées d’ethnographie, ont été d’importants
centres de diffusion de telles idées au payslxvi ».
D’après Schneider, c’est dans ce contexte d’idées politiques et scientifiques que le Brésil des
années 1870 a connu un véritable renouvellement culturel. Une génération de jeunes
56
intellectuels provenant de Recife, Alagoas et, plus tard, São Paulo et d’autres parties du
Brésil, s’est mise à « critiquer la monarchie, l’esclavage, le catholicisme et tout ce qui était
défini comme constituant le retard du payslxvii ». La génération moderniste de 1870 s’est
précipitée pour faire une mise à jour de la société de l’époque, tout en se laissant séduire par
« l’universalisme scientificiste et fréquemment raciste, [qui] l’a amenée à se méfier du destin
d’un pays tellement marqué par le mélange de races et par l’ample présence de noirslxviii ».
Ainsi, au début des années 1870, Sílvio Romero et Tobias Barreto lancèrent une campagne
contre l’Indianisme et l’Éclectisme jusque-là dominants. Si Tobias Barreto propageait, de son
côté, un allémanisme littéraire, Sílvio Romero — figure de proue du positivisme brésilien et
lecteur de Gobineau, Agassiz, Darwin, Spencer et Galton — est un cas symptomatique de
l’amalgame alors existant entre la foi en la science et les théories sur l’inégalité raciale
(Schneider, 2006, p.82). Dans História da Literatura Brasileira, Romero (1888) affirme que
« tous les Brésiliens sont métis, et s’ils ne le sont pas dans le sang, ils le sont du moins dans
les idées. Les artisans de ce fait initial sont : le Portugais, le Negro, l’Indien, l’environnement
physique, ainsi que l’imitation étrangèrelxix. » Selon Schneider, Romero considérait le métis
comme une « nouvelle forme de différenciation nationale », fruit de rapports entre des races
naturellement inégales. Cependant, cette fois-ci, le métissage était conçu à l’opposé de la
thèse de Gobineau : « (…) pas seulement le métissage ne le semblait pas dégénératif, mais il
est aussi bénéfique dans le passé que dans le futur, puisqu’il a permis et permettra l’élévation
des races arriéréeslxx. » Encore selon Romero, le métissage est vu dans une optique nettement
pro-européenne, dans l’espoir qu’un jour le « bon métissage » — où l’élément Blanc
prédomine — prendra le dessus sur les « mauvais côtés du métissage » (Romero, 1888,
p.115).
L’œuvre de Romero doit être ainsi comprise dans cette expansion du Positivisme au Brésil.
Skidmore explique que « le positivisme, l’évolutionnisme et le matérialisme furent
intensément étudiéslxxi », ce qui incluait des auteurs comme Comte, Darwin, Haeckel, Taine
et Renan. Comme le souligne Skidmore, « on ne peut pas comprendre l’influence du
Positivisme au Brésil sans se rappeler que celui-ci attirait des suiveurs ayant une grande
57
diversité de niveaux d’engagementlxxii. » Et si le Positivisme a trouvé un terrain si fertile pour
sa prolifération, comme nous le verrons par la suite, c’est en grande partie grâce à la
vulnérabilité dans laquelle se trouvait la mentalité traditionnelle (Skidmore, 1993, p.12).
Il est important de noter que le « positivisme attirait aussi les membres des élites désirant le
développement économique sans la mobilisation socialelxxiii. » Cet aspect est très important
pour comprendre l’essor et les motivations d’un Mouvement Abolitionniste au Brésil. Ainsi,
même si l'on a vu certains membres des élites blanches agir à l’instar de José Bonifácio de
Andrada e Silva, qui avait lancé son appel à une abolition totale des forces esclaves dès 1825,
ce n’est qu’en 1879 que les politiciens débuteront une campagne nationale en vue de
l’émancipation immédiate de tous les esclaves. Avant cette date, les initiatives d’abolition
partant des élites blanches étaient rares et isolées, ne constituant pas un mouvement à
caractère national. Ces mêmes élites ont rédigé deux lois en 1871, et 1883, qui prévoyaient
l’émancipation des esclaves avec certaines restrictions : la première autorisait celle des
esclaves nés à partir de 1871, et la deuxième, celle des esclaves à l’âge de 65 ans à partir de
1883. Ce n’est qu’en 1888 que ces élites proposeront une émancipation totale et complète.
Ironiquement, la loi accordant une solution finale et définitive à l’esclavage fut le résultat de
l’initiative de dernière minute d’un groupe de planteurs de São Paulo qui « ont vu que le
remplacement de l’esclave par le travail libre était inévitable et qu’il pourrait même être
bénéfique, puisque les travailleurs libres seraient moins chers et plus efficaces que les
esclaveslxxiv. » Chez ces planteurs de café, « ce qui semble à première vue être de
l’antiesclavagisme est, rigoureusement parlant, une action en faveur de l’immigration
européenne. » (Bosi, 2000, p.269.) C’est dans cet ordre d’idées que fut promulguée, en 1888,
la très controversée Loi Aurea, qui reconnaissait l’émancipation définitive de l’esclave sans
qu’aucune forme de réparation ou d’indemnisation ne soit prévue pour les populations
jusque-là soumises.
On ne doit pas s’étonner de voir émerger un nouveau libéralisme, cette fois-ci à caractère
urbain, qui, tout en défendant pleinement l’émancipation de la main-d’œuvre esclave, fera de
58
l’esclavage la grande responsable du retard national : « C’est de la falsification des élections
que proviennent toutes nos difficultés, de même que c’est du travail esclave que découlent
tous nos retards industriels. Ce sont donc là, à mon modeste avis, les deux points cardinaux
vers lesquels doivent converger l’attention et l’effort du Parti libéral. » (José Saraiva cité par
Bosi, 2000, p.273.) L’esclavage était un véritable coup de force dans l’auto-estime d’un pays
moralement sanctionné par les nations de l’Europe et de l’Amérique du Nord, pour qui le
Brésil serait considéré comme un véritable anachronisme au sein du monde moderne.
Bosi résume les deux grandes forces politiques en vogue en 1888 en termes d’opposition :
d’un côté, le nationalisme conservateur, inspiré de l’Instituto Histórico e Geográfico
Brasileiro, de l’œuvre de Varnhagen et de l’Indianisme romantique d’auteurs comme José de
Alencar ; de l’autre, un nationalisme réformiste ou radical, qui préconisait « l’élévation du
Brésil au niveau de la civilisation occidentale » (Bosi, 2000, p.284). C’est à partir de cette
opposition qu’est née l’une des fictions politiques les plus durables dans l’histoire du Brésil :
le mythe de l’existence au Brésil d’une démocratie raciale.
Comme le résume bien Hasenbalg, « l’idéal de blanchissement, déjà présent dans la pensée
abolitionniste, n’était pas seulement une rationalisation ex-post du stade avancé de métissage
racial de la population du pays, comme le reflétait aussi le pessimisme racial de la fin du
XIXe sièclelxxv. » Une fois mis en branle les piliers de la première arme idéologique contre la
formation d’une identité raciale au Brésil, il faudra encore attendre les années 1930 pour
mettre en scène l’un des plus puissants mythes fondateurs de la nation brésilienne : le mythe
de la démocratie raciale.
2.4 La naissance du mythe de la démocratie raciale : entre l’immigration et le projet
eugéniste
Selon Hasenbalg, « les principes les plus importants de l’idéologie de la démocratie raciale
sont l’absence de préjugé et de discrimination raciale au Brésil et, par conséquent, l’existence
59
de possibilités économiques et sociales égales pour blancs et negroslxxvi. » Or, pour
comprendre sa permanence sur le plan social, il faut reconnaître que l’histoire raciale
brésilienne a été tout d’abord — et principalement rapportée selon les termes et les intérêts
des classes dominantes — dans une démarche réflexive qui renforçait le statu quo et la
suprématie raciale blanche. Il aurait également fallu une certaine dose d’originalité de la part
du secteur intellectuel brésilien pour que l’on s’approprie la pratique du métissage — en plein
essor du racisme scientifique — en sa faveur et à la manière de Silvio Romero et de tant
d’autres. Néanmoins, aucun auteur ne saurait laisser une trace si durable dans la pensée
raciale du pays que Gilbero Freyre grâce à son classique Casa Grande & Senzala — Maîtres
et esclaves dans la traduction française (Freyre, [1933]1974) — publié en 1933.
Dans son analyse du parcours académique de Freyre, Rodríguez Larreta (2003) raconte que
l’auteur de Casa Grande & Senzala est né en 1900 dans l’un des anciens épicentres de la
culture de la canne à sucre au Brésil, la ville de Recife. Gilberto Freyre a étudié au Collège
américain Baptiste et, par la suite, à l’Université de Columbia, sous la direction de
l’anthropologue allemand Franz Boas. Maître et disciple ont proposé une discussion sur « la
race à partir d’une vision riche et complexe du rôle de la culture et des processus
culturelslxxvii », en contraposition face aux approches dominantes de l’anthropologie physique,
de la biologie et du déterminisme.
Je n’essaierai pas de résumer l’ensemble d’une œuvre si multifacétaire et complexe que Casa
Grande & Senzala, mais plutôt d’isoler quelques éléments importants pour comprendre la
dynamique démographique brésilienne à l’heure actuelle. Sur le plan national, notamment,
l’œuvre de Freyre fera opposition aux travaux de penseurs conservateurs selon lesquels le
métissage du peuple brésilien était un « problème » à résoudre. Selon la classification
proposée par Reis (2006), le contexte des années 1930 est marqué par la contribution de
certains
auteurs,
allant
du
conservatisme
ingénu
de
Pedro
Calmon
jusqu’à
l’ultraconservatisme tragique de Oliveira Vianna, sans oublier le conservatisme pessimiste de
Carlos Bonfim. Ces derniers ont en outre constitué un arrière-plan théorique général auquel
60
Freyre s’est opposé. Larreta le voit aussi en confrontation avec un contexte plus ample
d’auteurs latino-américains — parmi lesquels Oliveira Vianna, mais aussi José Ingenieros et
Alcides Arguedas (Larreta, 2003, p.199).
Larreta explique également que Casa Grande & Senzala est le fruit direct d’une confluence
d’expériences diverses, comme l’exil de Freyre, ses voyages en Afrique et à Lisbonne, des
recherches supplémentaires portant sur la colonisation portugaise, son passage comme
professeur par l’Université de Stanford, ainsi qu’une correspondance personnelle avec le
critique littéraire américain Henry Mencken. Autant d’expériences qui susciteront, en partie,
les nombreuses innovations méthodologiques de l’œuvre en question. Freyre se proposera
alors de faire une histoire intime et sociale de l’élite esclavagiste en décadence, où il
« souligne l’importance de revivre le passé sous toutes ses couleurs et saveurs, manifestant
son impatience face à l’histoire politique et diplomatiquelxxviii ». Selon Reis, « ce qu’il a
produit a été une espèce d’auto-anthropologie de la culture dans laquelle il est né, celle du
nord-ouest brésilien. Comme un romancier, il ne s’est pas mis à l’extérieur de son propre
objetlxxix. »
Cette véritable antipathie pour l’histoire officielle l’aurait d’un certain côté, mis à l’écart de
toute une génération des historiens et essayistes qui, comme Varnhagen, appréciait
substantiellement les sources documentaires dites officielles. « Cependant, Casa Grande &
Senzala est une œuvre néovarnhageniéenne : c’est un nouvel éloge de la colonisation
portugaise, une justificative de la conquête et de l’occupation portugaise au Brésil, affirme
Reislxxx. »
Il s’est formé en Amérique Tropicale une société agraire dans sa structure, esclavagiste
dans sa technique, celle de l’exploitation économique, et mêlée à l’Indien — plus tard
au nègre — dans sa composition. Une société qui se développera, défendue moins par
la conscience raciale, quasi nulle chez le Portugais cosmopolite et plastique, que sur
l’exclusivisme religieux, dédoublée en un système de prophylaxie sociale et un
système de prophylaxie politique. (Freyre, 1974, p.27.)
61
Il est vrai que, contrairement à Varnhagen, Freyre a mis l’accent sur les aspects culturels de
ces trois races, de façon à déconstruire l’idée dominante d’un déterminisme biologique de la
race. Mais, ce faisant, « Freyre dépasse même Varnhagen dans son élogelxxxi ». En effet, si
Varnhagen regrettait la présence africaine, à la limite même l’esclavage — puisque celle-ci
était l’objectif majeur de la venue des noirs en Amérique —, « Freyre est plus radical dans
son appui aux options pour le latifundium et pour l’esclavage [justement] parce que celui-ci a
accepté et mis en valeur la présence noire au Brésillxxxii ».
Bien que l’hommage au colonisateur soit également présent ailleurs, chez d’autres auteurs
comme Sergio Buarque de Hollanda, il résiste fort bien encore de nos jours. L’année 1936
aurait aussi connu la publication d’un autre classique, également inscrit dans la tradition
néovarnhageniéenne, faisant l’éloge de la colonisation portugaise. Suivant la même ligne
argumentaire de Gilberto Freyre dans son deuxième livre, Sobrados & Mucambos43 — The
Mansions and the Shanties dans la traduction anglaise (Freyre, [1936]1968) —, Sérgio
Buarque de Holanda propose, dans son fameux Raízes do Brasil, de rapporter des coutumes
indigènes adoptées par les colonisateurs par nécessité de survie dans les Tropiques. Dans cet
ouvrage, ce n’est donc pas la souffrance des assujettis qui est mise en cause, mais la capacité
des oppresseurs de s’adapter aux nouvelles conditions de vie. Bosi signale bien le ton donné
aux efforts d’adaptation chez l’un et l’autre auteur :
Les diverses formes de ce que l’on a appelé assimilation luso-africaine et luso-tupi [ou
luso-indigène], vues sous cette optique, acquièrent un relief si important qu’elles
laissent à un discret second plan ou à celui des sous-entendus les aspects structurels et
constants d’assujettissement et de violence qui ont marqué l’histoire de la colonisation.
(Bosi, 2000, p.39.)
43
En comparant les deux premiers livres de Gilberto Freyre, João Cezar de Castro Rocha écrit:
« Or, si Casa Grande & Senzala a offert un panorama ample de la formation de la société brésilienne
sous l’égide du patriarcat rural, Sobrados & Mucambos présente le processus d’accommodation sociale
qui s’est instauré avec la décadence du patriarcat’. (“Ora, se Grande & Senzala ofereceu um vasto
panorama da formação da sociedade brasileira sob a égide do patriarcado rural, Sobrados & Mucambos
apresenta o processo de acomodação social que se instaurou com a decadência do patriarcado”, De
Castro Rocha, 2003, p.206.)
62
Ce n’est nullement un hasard qu’on retrouve d’emblée l’absence de fierté raciale de la part
du Blanc portugais parmi les caractéristiques socioculturelles que Buarque de Holanda et
Freyre ont considérées comme récurrentes chez le colonisateur portugais :
Dans sa capacité à se modeler sur tous les milieux, souvent au détriment de ses propres
caractéristiques raciales et culturelles, le Portugais a démontré des meilleures aptitudes
au rôle de colonisateur que les autres peuples, plus inflexiblement attachés, peut-être,
aux particularités qui s’étaient constituées dans le Vieux Monde. (Buarque de Holanda
cité par Bosi, 2000, p.41.)
L’absence de conscience de race semble alors le facteur « récurrent » caractérisant l’attitude
du Blanc brésilien envers l’Autre racialement distinct. Dans Sobrados & Mucambos, Freyre
avance une explication révélatrice :
Précisément, ce qui est caractéristiquement le plus vivant dans l’ambiance sociale
brésilienne, nous semble-t-il, c’est la réciprocité entre les cultures ; et [ce n’est] non
pas la prééminence marquée de l’une sur l’autre, au point que celle qui est en bas ne
puisse rien donner de soi, tout en se conservant, comme dans d’autres pays métissés,
dans un état de permanente crispation ou de refoulement.lxxxiii
Le principal problème de l’argument de l’absence de conscience ou de fierté raciale, aperçu
par Freyre et Buarque de Holanda comme une valeur positive, est la connexion en un clin
d’œil qui est faite entre celui-ci et la supposée inexistence de l’exploitation et de l’oppression
des autres groupes raciaux par le Blanc. Toutefois, le lien entre ces deux idées est plus faible
que ce qu’on aurait pu croire, à en juger par des réflexions comme celle de l’historien Sidney
Chalhoub (2006). Celui-ci démontre, entre autres, que l’oppression et la discrimination
raciale peuvent être parfaitement faites en totale absence d’un racisme légalisé, c’est-à-dire
d’un racisme appuyé par des codes prévoyant formellement la racialisation des individus et
des espaces institutionnels distincts à leur fin. Chalhoub explique notamment que dans la
Constitution Brésilienne de 1824, « la seule en vigueur durant toute la période monarchique,
(…)lxxxiv » on ne trouve qu’une seule référence au mot « esclave». Et pourtant, l’absence
d’une catégorisation raciale explicite n’a nullement empêché l’élite blanche d’imposer des
limites claires à la citoyenneté des populations d’origine africaine (voir chap. 1, sect. 1.6, n.
63
9). À l’aube de l’abolition de l’esclavage, des obstacles au vote universel par l’imposition
d’une série d’exigences comme la détention d’un revenu minimal ou la maîtrise de l’écriture,
ou la toute simple interdiction de l’accès de l’homme libéré à des postes de commandement
aux niveaux provincial et fédéral, ne sont que quelques exemples d’une législation qui laissait
les populations d’origine africaine en marge de l’exercice d’une pleine citoyenneté. Et ce,
« bien à la brésilienne, pour achever l’exclusion raciale sans jamais oser appeler ‘la chose’
par ce que ‘la chose’ possèdelxxxv », c’est-à-dire sans faire de référence à la couleur de l’objet
de la discrimination.
Jerry Dávila (2003) va encore plus loin dans la critique de cette absence de marqueurs
raciaux, et voit une étroite collaboration entre le mythe de la démocratie raciale et les
politiques eugéniques menées à bien par les élites après l’avènement de la République :
Comment l’idée selon laquelle le Brésil était une démocratie raciale est-elle devenue
l’un des mythes moteurs de la nation pendant la plus grande partie du XXe siècle,
spécialement devant toutes ces inégalités raciales visibles ? L’artifice qui a permis à la
fois aux Brésiliens et aux étrangers d’accepter cette idée réside dans la façon dont la
pratique de l’Eugénisme a submergé le contrôle de la hiérarchie sociale dans le langage
des sciences sociales, déracialisant et dépolitisant l’image de la société brésilienne.lxxxvi
Au fur et à mesure que la population immigrante commençait à partager les mêmes espaces
que la population locale, un nouveau souci s’ajoutait aux préoccupations hygiéniques des
Eugénistes brésiliens sous la forme d’un projet éducationnel destiné à consolider l’idéal de la
« race brésilienne » (Davila, 2003). Ce projet, né dans les années 1920 de l’imagination des
médecins et des scientifiques sociaux, était fondé sur un consensus selon lequel « les écoles
étaient des lignes de front dans la bataille contre la ‘dégénérescence.’lxxxvii ». Les écoles
publiques devenant de véritables laboratoires d’eugénisme, de nouvelles idées portant sur la
race et la nation étaient « testées » et « appliquées » aux enfants. « Dans la pratique, ceci
voulait dire blanchissement comportemental : c’est-à-dire l’effacement des pratiques
64
culturelles africaines et indigèneslxxxviii. » La subtilité de cette nouvelle pratique
institutionnelle, selon Davila, réside dans le fait que toutes les personnes, peu importe leur
« origine raciale », peuvent s’intégrer à ladite « race brésilienne », à condition d’effacer
certaines valeurs et habitudes considérées caractéristiques des peuples racialement arriérés.
Certes, pour bien comprendre la portée d’un tel projet, il faut tenir compte de l’existence
d’une conscience blanche luso-brésilienne qui était mise en péril à partir de l’arrivée des
vagues croissantes d’immigrations, principalement depuis l’Europe. C’est dans ce même
contexte, plus spécifiquement entre 1930 et 1945, que le gouvernement autoritaire de Getúlio
Vargas, reconnut le point de départ pour l’implantation de l’État providence et qu’il entama
un processus d’affirmation nationale. Celle-ci se caractérisait par une politique très claire de
production et de diffusion culturelle à partir, entre autres, de la mise en place du Département
de Presse et de Propagande (en portugais Departamento de Imprensa e Propaganda — DIP)
(Luca, 2007). Daryle Williams explique, dans son livre Cultural Wars in Brazil (2001), que
« la vague d’immigration étrangère qui inonda le sud-est brésilien affaiblit les liens
personnels et générationnels avec un passé luso-brésilien distinctlxxxix ». Le premier régime
Vargas décida alors de mettre en place une véritable politique de « gestion culturelle »,
capable de faire face aux peurs d’une élite bourgeoise liée au café et à l’industrie naissante, et
ainsi « maintenir les vestiges d’un passé qui disparaissait sous leurs yeuxxc ». De là découle la
création d’institutions telles que le Patrimônio Historico e Cultural et de plusieurs musées au
pays.
Ainsi, de façon très paradoxale, l’œuvre de Freyre, avec sa croyance en l’absence de conflits
raciaux, n’a pas seulement coexisté, mais a aussi servi de bouclier pour l’avancement, sur le
plan politique, des projets d’effacement de tout élément pouvant être ethniquement relié aux
populations d’origine autochtone ou africaine. La croyance, voire la foi, en la démocratie
raciale et la cordialité des rapports humains au Brésil, demeurerait inébranlable face aux
dénonciations de discrimination raciale provenant de scientifiques sociaux, intellectuels et
65
activistes du Mouvement Noir — parmi lesquels se trouvent Guerreiro Ramos, Correia Leite,
Abdias do Nascimento et tant d’autres. Antônio Sérgio Alfredo Guimarães (Guimarães,
2005) écrit à propos de ceux-ci :
La posture du Mouvement Noir dans les années 1940 et 1950 allait à l’encontre du
mainstream de l’intellectualité brésilienne, autant dans son interprétation sociologique
qu’au plan idéologique. Au plan sociologique, la pensée noire présupposait l’existence
d’une formation raciale pas seulement sur la base de la classe ; sur le plan idéologique,
une identité noire — et pas seulement métisse — même si cette identité noire devrait
être au cœur d’une identité nationale brésilienne.xci
La suprématie de la thèse de la démocratie ne sera partiellement remise en question que dans
les années 1951 et 1952, lorsque le Projet UNESCO aura pris forme au Brésil (Maio, 2003).
Encore sous le choc de l’expérience de l’Holocauste, l’UNESCO a décidé de financer une
série de recherches portant sur les rapports raciaux au Brésil. « L’objectif initial des ces
études était d’offrir au monde des leçons de civilisation à la brésilienne en matière de
coopération entre racesxcii. » Menées dans le sud-est et dans le nord-ouest du Brésil, ces
recherches ont cependant démontré l’existence d’une intense discrimination « de couleur » et
de nombreuses barrières d’ascension sociale fondées sur la couleur de la peau. Ensemble, des
scientifiques sociaux comme Oracy Nogueira, Florestan Fernandes, Fernando Henrique
Cardoso et Roger Bastide, ont dénoncé le caractère conservateur du mythe et sa tendance à
effacer le conflit social et racial. C’est à Florestan Fernandes que revient l’affirmation selon
laquelle :
Il n’y a pas de démocratie raciale effective [au Brésil], où l’échange entre les individus
appartenant à des races distinctes commence et se termine au plan de la tolérance
accordée. Celle-ci peut satisfaire les exigences d’un « bon ton », d’un discutable
« esprit chrétien » et de la nécessité pratique de « maintenir chacun à sa place ».xciii
Considérés par Guimarães comme « idéologiquement plus proches des intellectuels
noirsxciv », les intellectuels du projet UNESCO étaient aussi unanimes concernant le fait que
la société brésilienne constituait — malgré tout — un véritable « laboratoire de
civilisationxcv ». Dans la perspective de Maio, là encore l’idée selon laquelle la diversité
66
culturelle et raciale brésilienne était une source importante du dépassement d’impasses
imposés par la modernisation a fini par contribuer au renforcement d’un « credo brésilien »
(Maio, 2003, p.222).
Élément intéressant à faire ressortir, le concept « démocratie raciale » a été très tardivement
employé par son plus grand concepteur intellectuel, Gilberto Freyre. Plus digne de mention
est encore le fait que, selon Telles, Freyre ait énoncé ce concept pour la première fois en
1962, dans une démonstration de patriotisme unique, lors de laquelle l’intellectuel faisait le
plaidoyer des militaires et réclamait une plus grande intervention de leur part dans le
gouvernement (Telles, 2003, p.57). Ce concept a été converti en véritable dogme pendant les
années de la dictature. La seule mention à la race ou au racisme était inhibée, réprimée et
punie :
Dans le contexte des protestations des Noirs aux États-Unis, le gouvernement voyait
dans le Mouvement Noir une menace à la sécurité nationale. Pour limiter ou éviter sa
croissance, les militaires ont encore plus promu l’idéologie de la démocratie raciale, en
même temps qu’ils réprimaient toute manifestation du Mouvement Noir et exilaient les
principaux penseurs brésiliens dans le champ des relations raciales, ceux-ci qui sont
devenus encore plus critiques à l’égard de l’idéologie de la démocratie raciale.xcvi 44
Pour clore le débat autour de l’idéologie de la démocratie raciale, Hasenbalg identifie deux
conséquences majeures de l’acceptation « monolithique » de la thèse de la démocratie raciale
par les groupes blancs. Premièrement, dans la mesure où la démocratie raciale et ses
présupposés prônent l’inexistence du préjugé de race et de la discrimination raciale, toutes les
différences sociales qui en découlent sont perçues comme une différence de classe plutôt que
de race. Deuxièmement, le caractère officiel qu’a pris une telle thèse a produit le sentiment de
soulagement chez les blancs, qui se sont désormais sentis exemptés de toute responsabilité
sociale concernant les conditions de vie des negros et mulâtres.
44
Une preuve conclusive de ceci peut être identifiée dans l’ambiguïté des actions du
gouvernement militaire qui, d’une part, accordait plus de légitimité aux manifestations de la culture
afro-brésilienne et, d’autre part, éliminait la catégorie « couleur ou race » du recensement officiel de
l’IBGE.
67
Bref, comme le résume bien Hasenbalg, « en tant que construction idéologique, la
‘démocratie raciale’ n’est pas un système indépendant de représentations, mais elle est un
système profondément ancré dans une matrice plus ample de conservatisme idéologique,
dans lequel la préservation de l’unité nationale et de la paix sociale est la principale
préoccupationxcvii. »
2.5 La redécouverte de la « race » : État et droits humains au Brésil
Dans les sections précédentes, j’ai démontré comment les préoccupations concernant la race
étaient au centre de discours fondateurs de la nation (voir sect. 2.2). J’ai également démontré
comment l’effacement de la race des discours nationaux a été un dispositif fondé sur deux
mécanismes idéologiques précis : le blanchissement et la croyance en la démocratie raciale au
Brésil (voir respectivement les sect. 2.3 et 2.4).
Leonardo Avritzer ( 2002) fait état d’un étrange mariage entre, d’une part, une tradition
constitutionnelle de respect envers les droits humains et, d’autre part, la prééminence de
rapports sociaux privés et hiérarchisés agissant sur la formation de l’appareil dans l’Étatnation. « Les droits civils étaient en principe garantis depuis l’approbation de la première
Constitution en 1824. Pourtant, la Constitution ignorait virtuellement l’esclavage et ne se
gênait pas de le rendre compatible avec son cadre légalxcviii. » Dans les années suivant
l’abolition de l’esclavage, poursuit l’auteur, le flux d’anciens esclaves arrivant dans les
grandes villes a contribué à l’institutionnalisation d’une tradition de pauvres vivant en marge
de la loi, qui étaient désormais contrôlés par l’usage de la violence extralégale : arrestation
sans mandat légal, violation de l’intégrité physique de détenus, obstruction de l’accès à un
procès équitable, etc. En établissant un parallèle entre le Brésil et l’Argentine, Avrizter
conclut pour le premier pays : « Les violations des droits humains faisaient partie de
pratiques administratives quotidiennes de la police depuis la formation de l’État
brésilienxcix. »
68
Ce n’est donc pas sans raison que le Mouvement Noir réclame le retour de la race sur la
scène publique et dans les politiques de redressement du gouvernement brésilien. Ce retour se
confond avec le processus même de redémocratisation en cours au Brésil depuis la fin des
années 1970 et marque la centralité du Mouvement Noir dans celui-ci. Plusieurs actions en
vue de mobiliser les pans de population exclue et discriminée, et de sensibiliser les instances
publiques nationales et régionales ont été menées depuis la fin de la dictature militaire au
début des années 1980.
Cependant, une première expérience d’organisation politique noire peut être retracée dans les
années 193045. Elle est racontée à la première personne par l’ancien député et sénateur
Abdias do Nascimento, dans un article écrit en collaboration avec Elizabeth Larkin
Nascimento (Nascimento et Nascimento, 2005). Participant actif dans la Frente Negra
Brasileira (« Front noir brésilien »), fondée en 1931 à São Paulo, Nascimento rapporte que le
mouvement avait été dissout « avec tous les autres partis et banni par le Nouvel État dans un
contexte de censure et de répressionc ». Précurseur de l’activisme noir au Brésil, Nascimento
fait également connaître l’initiative des organisations noires d’inclure dans la Constitution de
1946, sans succès, des mesures antiracistes. À la fin des années 1970, une période de relâche
dans la répression en cours durant les années les plus dures de la dictature militaire (19671974) permettra le rétablissement de quelques garanties constitutionnelles ainsi que la
première manifestation publique de dénonciation de la discrimination raciale au Brésil depuis
le coup d’état militaire. Cette manifestation, qui a rassemblé 2 000 personnes devant le
Théâtre Municipal de São Paulo en 1978, marqua l’essor d’une nouvelle génération
d’activistes noirs, ainsi que la création du Movimento Negro Unificado Contra a
Discriminação Racial (MNU) (Telles, 2003, pp.69-70)46.
45
À ce sujet, Kim Butler, historienne et professeure à l’Université de Rutgers, estime que « le mot
‘negro’ a été beaucoup utilisé comme identification par les Afro-Brésiliens avant de se populariser aux
États-Unis. » (“A palavra ‘negro’ foi utilizada como identificacao pelos afro-descendentes brasileiros
muito antes de o vocabulo se popularizar nos EUA”, Butler cité par Tavares, Juliana. 2006. «A cor da
indignação». História Viva Temas Bresileiros : Presença Negra, no 3, p.91.)
46
Plusieurs actions sont entreprises en même temps dans le domaine de la culture, de façon à
donner un visage plus politisé au processus de résistance et d’affirmation culturelle. Par exemple, la
création, dans la ville de Salvador, d’un bloc de carnaval composé uniquement par des Noirs, le Ilê
69
Au niveau légal, l’un des changements les plus importants s’est fait à l’occasion de la
rédaction de la Constitution de 1988 — année où l’on célébrait également le centenaire de
l’abolition officielle de l’esclavage47. Avant la Constitution de 1988, la seule législation
antiraciste en vigueur au Brésil jusque-là avait été la Loi Afonso Arinos, laquelle interdisait la
discrimination de couleur et race dans les espaces publics48. Toutefois, cette loi reconnaissait
la discrimination seulement dans ses manifestations publiques, laissant celles dans le cadre
privé, qui régissent notamment les rapports entre patrons et employés domestiques (à savoir,
la principale occupation des femmes de couleur), en dehors de toute contrainte légale.
Le rapport du PNUD sur le racisme, la violence et la pauvreté (op. cit.) nous apprend ainsi
que, sous la pression des groupes noirs organisés, la nouvelle constitution va au-delà de la
simple punition du crime de racisme et a « établi des dispositions génériques
antidiscriminatoires, transformé le racisme en crime inamendable, protégé la manifestation
des cultures indigènes et afro-brésiliennesci », entre autres. Selon Telles, « la Constitution
brésilienne de 1988 a révolutionné les bases légales de la défense des droits humains au pays
et a reconnu les principes de la tolérance, du multiculturalisme et de la dignité
Ayê, marqua ainsi une réponse face à l’exclusion répétée des fêtes de carnaval antérieures à travers
l’affirmation et la valorisation de leur identité noire (Telles, 2002, p.70).
47
On constate au Brésil un mouvement croissant de rejet des dates commémoratives officielles,
telles que définies par l’historiographie traditionnelle, l’Abolition de l’esclavage étant l’une des plus
symboliques. La date du 13 mai marquant la signature du décret de libération définitive des esclaves
est souvent présentée comme un acte bénévole de la part de l’élite blanche, alors qu’environ 90 % des
esclaves et de leurs descendants étaient déjà libres, soit par leurs propres moyens, soit par l’achat de
leur liberté, soit finalement sous l’effet des pressions de l’Angleterre pour contrer le trafic. À sa place,
on souligne de plus en plus le 20 novembre, date de la mort du héros noir Zumbi dos Palmares, chef du
quilombo le plus célèbre de l’histoire, assassiné en 1695.
48
La loi Afonso Arinos encadrait les préjugés de couleur ou de race en tant que contravention
pénale, ce qui cause donc moins de dommages qu’un acte criminel. Thomas Skidmore révèle un détail
anecdotique sur l’origine de cette loi, considérée superflue dès lors par les politiciens qui l’ont créée.
Celle-ci a été créée suite à une plainte de la part de la danseuse noire états-unienne Katherine Dunham,
qui s’est vu refuser l’accès à un Hôtel à São Paulo lors de sa tournée nationale (Skidmore, 1998,
pp.211-212).
70
individuellecii. » Mais l’auteur signale également l’importance des changements au niveau du
système judiciaire brésilien, de façon à encadrer et à élargir l’application des droits
individuels et collectifs.
Un deuxième moment crucial pour la question noire sur le plan national a été la « Marche
Zumbi dos Palmares ». Cette manifestation, dont le nom rendait hommage au grand héros du
marronnage au Brésil, a rassemblé le 20 novembre 1995 quelque 30 000 activistes devant le
cabinet du président de la République. Un document consignant des revendications pour
l’éradication de la discrimination raciale a été rendu au président de la République alors en
place, Fernando Henrique Cardoso. Selon l’ancienne ministre et activiste noire Matilde
Ribeiro (Ribeiro, 2007), ce programme a non seulement marqué l’essor d’un dialogue entre
les mouvements noirs et le gouvernement fédéral, mais il a aussi provoqué un changement de
cap en ce qui concerne la position officiellement prise vis-à-vis de l’existence de la
discrimination raciale au Brésil. En réponse à ces demandes, le président Cardoso a créé un
groupe de travail interministériel pour la valorisation de la population noire, ainsi que le
Programme national des droits humains, lequel prévoyait des actions à court, moyen et long
terme pour la population afro-descendante (Telles, 2003, pp.77-80).
Les acquis politiques des mouvements noirs ne se résument pas à la création d’un nouveau
cadre juridique: ils passent également par l’élection et la nomination des représentants
politiques noirs dans les plus variables instances du pouvoir : législatif, exécutif, judiciaire et
ce, tant au niveau fédéral qu’au niveau provincial ou municipal. De plus, les mouvements
noirs semblent avoir été généralement efficaces dans l’insertion de la question raciale dans
l’agenda des droits humains au pays. Le professeur et activiste noir Henrique Cunha Jr.
estime d’ailleurs que l’inclusion de la question raciale dans cet agenda au Brésil est récente,
ne datant que de la fin des années 1990. Dans son article Movimento Negro após a
Conferência Nacional da Promoção da Igualdade Racial (2005), Cunha Jr. soutient
qu’«avant 1995, le champ des droits humains au Brésil s’est opéré sans qu’on n’y tienne
compte des spécificités de la population noire. Ces droits humains avaient un sens strictement
universel et un caractère personnel et individuelciii. » Bien que les principes moraux de
71
respect de la diversité et de sauvegarde des acquis culturels des groupes particuliers soient
prévues dans la Constitution de 1988, ils n’étaient pas appliqués de manière extensive pour la
population noire. Comme Telles le souligne très bien, quoique le langage des droits humains
au Brésil fût d’abord adopté par les classes moyennes en opposition au régime militaire et à
la subséquente cassation des droits politiques et civils, « dans les dernières années, ce
mouvement ajoute aux anciens membres des nouveaux militants de base qui luttent contre
l’injustice sociale en termes économiques, sociaux et culturelsciv. »
Le rapport entre le Mouvement Noir et l’État a aussi changé le discours officiel de ce dernier
au sein des instances internationales des droits humains. Traditionnellement, le Brésil faisait
partie d’un groupe de pays ayant toujours refusé l’existence du racisme et de la
discrimination raciale. Bien que le Brésil fût signataire des principales conventions
internationales des droits humains depuis 1968, le pays s’arrogeait une forme de supériorité
morale sur les autres pays en termes de relations raciales, en jugeant toutes les mesures
légales inappropriés à la réalité du pays49. Le rapport acheminé par le Brésil au Comité pour
l’élimination du racisme de l’ONU en 2001 signale, lui aussi, des changements importants.
« Alors que les rapport antérieurs montraient comment le métissage avait diminué le racisme
dans la société brésilienne, ce dernier présente plusieurs statistiques sur l’inégalité racialecv. »
Certes, la transition d’un discours officiel axé sur la démocratie raciale à celui dénonçant
l’existence d’inégalités raciales structurales ne s’est pas fait du jour au lendemain, les
discours plus conservateurs résonnant encore dans certains domaines, comme le corps
diplomatique brésilien50.
49
Telles conclut à propos des gouvernements du Brésil, que « l’appui du gouvernement aux droits
humains et au combat contre le racisme a été en grande partie rhétorique, car le gouvernement a fait
peu pour essayer d’honorer ses engagements internationaux au sein du pays. » (“O apoio do governo
aos direitos humanos e o combate ao racismo foi em grande parte pura retórica, uma vez que o governo
fez pouco para tentar honrar seus compromissos internationais dentro do país”, Telles, 2003, p.90).
50
Telles révèle que le changement de cap définitif de la part du gouvernement brésilien
concernant l’acceptation du problème de la discrimination raciale dans les forums onusiens a été
relativement tardif. En termes plus concrets, ceci n’a vraiment eu lieu que durant la 4e conférence
préparatoire pour la Conférence de Durban en mai 2000. Selon l’auteur, ceci serait dû à une querelle
publique entre les activistes noirs brésiliens et le représentant diplomatique brésilien présent à la
réunion à Pretoria. Cette discussion, semble-t-il, a visiblement sensibilisé les membres nord-américains
72
Les actions menées sur le plan national ont sans doute trouvé un écho dans les discussions en
cours dans les instances internationales comme l’ONU. L’activiste noire Suely Carneiro fait
un bilan très positif de la participation des mouvements noirs et de lutte contre la
discrimination raciale lors de la 3e Conférence mondiale contre le racisme, la discrimination
raciale, la xénophobie — et l'intolérance qui y est associée —, réunie à Durban, en Afrique du
Sud, en 2001 (Carneiro, 2002). Comme exemple des acquis résultant de cette conférence,
cette intellectuelle et activiste du Mouvement Noir cite l’insertion du terme « afrodescendant » au langage consacré des Nations Unies, la reconnaissance du problème de la
discrimination raciale subie par les populations issues de la diaspora africaine en Amérique
Latine, ainsi que la reconnaissance de la spécificité de la problématique de la femme afrodescendante. Carneiro souligne aussi « le rôle central croissant des femmes noirescvi » au sein
de la conférence, notamment celle de l’Organização de Mulheres Negras Brasileiras PróDurban, coordonnée par le groupe Crioula, l’organisation de femmes noires de Rio de
Janeiro, coordonnée par Gélédés/Instituto da Mulher Negra, et le groupe Maria Mulher, issu
de la province du Rio Grande do Sul, entre autres. Telles, à son tour, rapporte que les
mouvements noirs ont réussi à envoyer entre 150 et 200 activistes à la Conférence de Durban,
certains étant subventionnés soit par les ONG, soit par les gouvernements locaux et d’autres
encore utilisant leurs propres moyens. De plus, les réunions préparatoires pour la conférence
ont également servi pour marquer la position influente des mouvements noirs brésiliens au
niveau latino-américain, concrétisé entre autres par le renforcement de l’Alliance stratégique
des Afro-latino-américains. Compte tenu de ces différents facteurs, la Conférence de Durban
a reçu une considérable attention de la part des médias au Brésil, malgré la relative
monopolisation de la couverture médiatique qui a suivi les attentats du 11 septembre aux
États-Unis.
et sud-africains du comité d’organisation, pour qui les problèmes raciaux au Brésil étaient largement
mineurs par rapport à ceux de leurs pays respectifs. Le choix de l’activiste noire brésilienne Edna
Roland en tant que rapporteuse générale de la conférence est un signe indéniable du prestige conquis
par les mouvements noirs brésiliens. (Voir sect. « A Caminho de Durban », Telles, 2003, pp.86-93.)
Par conséquent, le gouvernement Cardoso s’est engagé d’une manière sans précédents dans la mise en
place d’une structure d’appui et de ressources offerts aux activistes noirs pour la Conférence de
Durban. Le gouvernement a aussi mobilisé des efforts considérables pour envoyer une délégation assez
représentative (avec environ une cinquantaine de membres), en plus de financer des conférences et
réunions dans presque tous les 26 États de la nation brésilienne.
73
Ces deux facteurs — d’une part, le changement dans le discours officiel du gouvernement, et
d’autre part, l’entrée définitive des mouvements noirs dans les forums des droits humains —
ont rebondi sur l’action des mouvements noirs nationaux. Appuyés parfois par des
organisations internationales aux États-Unis et en Europe, particulièrement par la Fondation
Ford, des nouveaux cadres se sont formés au sein des mouvements noirs. Et bien que Telles
considère l’organisation des mouvements noirs en ONG comme un reflet des changements
des mouvements sociaux en général, l’auteur reconnaît également que ceux-ci sont désormais
devenus des interlocuteurs institutionnels incontournables (Telles, 2003, p.73). Avec la
multiplication des mouvements noirs et de défense des droits humains, les politiques
affirmatives, qui comptaient sur quelques initiatives pionnières dès 1995, gagnent un nouvel
élan à partir de la Déclaration de Durban. Suite à l’immobilisme de la dernière année du
gouvernement Cardoso concernant la mise en place de politiques affirmatives et de
réparation, le gouvernement du Président Luis Inacio Lula da Silva, élu à la fin de 2002,
décide de la création du Secrétariat Spécial des Politiques de Promotion de l’Égalité Raciale
(SEPPIR) en 2003. Selon les termes de l’ancienne Ministre Matilde Ribeiro, la Conférence de
Durban, « s’est reflétée de façon positive (…), générant au sein du gouvernement brésilien
une série d’initiatives et de stratégies comprises en tant qu’actions affirmativescvii. »
Plusieurs critiques sont adressées au gouvernement actuel, jugé trop hésitant dans la mise en
place de politiques d’action affirmative de grande échelle. L’activiste noire Cunha Jr. (op.
cit.) s’inquiète de la politique de transversalité auprès d’autres ministères que le SEPPIR
avait annoncée. À son avis, l’action coordonnée avec d’autres ministères risque d’être
inefficace, faute d’intérêt et d’investissement dans la question raciale. « Les actions
transversales demeurent restreintes à des projets minuscules dans leur portée sociale, pauvres
en ressources et fruits de négociations longues et difficilescviii. »
Pour conclure, j’aimerais faire ressortir la place centrale que la publicité occupe au sein de
préoccupations des mouvements noirs à partir des années 2000. Par exemple, la tenue du
séminaire Racismo na mídia : verdades e mentiras (« Racisme dans les médias : vérités et
74
mensonges ») dans le cadre des préparations pour la Conférence de Durban peut nous fournir
un bon exemple. Ce séminaire, qui a réuni activistes et professionnels de la communication
dans la Chambre des députés fédéraux à Brasilia, en août 2001, a produit un manifeste dont le
tout premier point porte justement sur le rôle de la publicité :
Nous proposons la réalisation d’une campagne nationale auprès des agences de
publicité pour que celles-ci reconnaissent et prennent conscience de leur rôle
fondamental dans la lutte contre le racisme, à travers la mise en place de publicités où
la diversité brésilienne soit toujours représentée.cix
Ces préoccupations ont résonné dans certaines dispositions de la Déclaration de Durban
(2001), en ce qui concerne non seulement l’importance des médias, mais aussi le rôle
spécifique de la publicité pour l’expression de la diversité raciale et culturelle dans un
contexte multiculturel. Dans la section portant sur des mesures en matière de prévention,
d’éducation et de protection contre la discrimination, on signale manifestement que :
Nous reconnaissons que les médias devraient refléter la diversité d’une société
multiculturelle et jouer leur rôle dans la lutte contre le racisme, la discrimination
raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée. À ce propos, nous appelons
l’attention sur le pouvoir de la publicité. (ONU, 2001, p.17, par.88.)
D’une manière plus générale, on condamne la dévalorisation de certains groupes « par actes
et omissions » :
Nous réaffirmons que la dévalorisation des personnes d’origines différentes résultant
d’actes ou d’omissions de la part des autorités publiques, des institutions, des médias,
des partis politiques ou des organisations nationales ou locales, constitue non
seulement une manifestation de discrimination raciale, mais peut aussi inciter à la
récidive ; elle entraîne aussi la création d’un cercle vicieux qui renforce les attitudes et
les préjugés racistes et doit être condamnée. (ONU, 2001, p.18, par.94.)
Tout semble croire que la publicité continue à jouer un rôle important dans le contexte
d’après Durban. Dans le sillage de la Conférence nationale sur la promotion de l’égalité
raciale, qui a eu lieu le 2 juillet 2005, l’activiste Henrique Cunha Jr. suggère trois points de
75
discussions pour l’agenda des mouvements noirs après la conférence. Le premier point
concernait justement la limitation de la publicité, de la distribution et de la vente de boissons
alcooliques comme une réponse au problème d’alcoolisme chez les afro-descendants. Le
deuxième portait sur le besoin de régionaliser la programmation de la télévision brésilienne
— ce qui pourrait également avoir un impact direct sur la publicité. Le troisième point
concernait la participation d’un 1/3 d’Afro-descendants dans tous les conseils d’État au
Brésil.
Ces différents exemples semblent somme toute inscrire la publicité dans l’ordre du jour des
activistes engagés dans la dénonciation de la discrimination raciale au Brésil. Si les médias se
trouvent déjà au premier plan des préoccupations à la fois nationales et internationales, la
publicité joue un rôle d’autant plus important compte tenu de sa contribution à la
perpétuation du « cercle vicieux » de la discrimination raciale. Toutefois, pour comprendre
l’ampleur des effets de la discrimination raciale dans la publicité, il faut d’abord comprendre
les diverses dimensions de son fonctionnement : en tant qu’industrie reliant producteurs et
consommateurs ; en tant que partie prenante dans l’organisation d’un système de médias
national ; ou encore, en tant que source de formation de — et rétroaction sur — l’identité
nationale, de manière générale, et de celle des afro-descendants, de manière particulière.
Bref, ces différents regards sur la publicité nationale n’ont pour objectif que la mise en
contexte des données faisant l’objet central de ce travail : les procès pour discrimination
raciale instaurés par le CONAR, l’organisme chargé de la réception et du jugement
d’infractions éthiques dans la publicité brésilienne.
Dans le prochain chapitre, je vais commencer par analyser la place de l’industrie publicitaire
dans le système médiatique brésilien.
CHAPITRE III
L’INDUSTRIE DE LA PUBLICITÉ : L’ESSOR D’UN MARCHÉ TRANSNATIONAL
J’avais brièvement énoncé, dans l’introduction de ce travail, l’importance que la publicité
avait prise dans l’œuvre classique de Habermas L’espace public (op. cit.). Ce chapitre
comporte quatre objectifs principaux : 1) donner un aperçu de la place occupée originalement
par la publicité dans l’approche habermassienne classique et dans celles plus récentes ; 2)
situer la position habermassienne dans un débat plus ample sur le rôle de la publicité dans le
système capitaliste ; 3) fournir un aperçu du système de médias brésilien ; 4) analyser
l’impact du système publicitaire brésilien sur l’industrie publicitaire nationale.
3.1 Publicité, visibilité et espace public : une brève rétrospective de l’approche
habermassienne
Le double caractère de la publicité — comprise tantôt comme réclame publicitaire, tantôt en
termes de visibilité sociale — joue un rôle explicatif assez important dans les réflexions de
Habermas sur la décadence de la sphère publique à l’ère des médias de masse. « Dès que la
publicité commerciale s’empare de la sphère publique, certaines personnes privées
commencent à exercer directement leur influence, en tant que propriétaires, sur l’ensemble
des personnes privées formant le public. » (Habermas, 1978, p.197) Autrement dit, les
impératifs économiques de la publicité commerciale commencent à changer la propre
structure de la sphère publique.
« Phénomène spécifique du capitalisme avancé » (Habermas, 1978, p.198), explique l’auteur,
la publicité naît en France vers 1820 sous la forme de « réclame ». La publicité en tant que
« réclame », poursuit l’auteur, est un produit « spécifique du capitalisme avancé ».
Auparavant, les échanges se réglaient dans les interactions face à face et ils étaient médiatisés
77
tout au plus par la publicité orale. Pour que la publicité se consolide en tant qu’industrie, il a
fallu attendre l’émergence de bureaux d’annonces, prédécesseurs des agences de publicité
telles qu’on les connaît de nos jours. Dès lors, la publicité devient un vecteur de socialisation
entre classes sociales distinctes en s’accaparant des développements techniques de médias de
masse. « Cette ‘socialisation’ des biens autrefois réservés aux classes supérieures éveille
davantage l’intérêt de ceux à qui leur style de consommation offre une compensation, tout au
moins symbolique, de leur infériorité sociale. » (Habermas, 1978, p.199.) C’est à ce moment
précis que Habermas introduit l’idée d’une séparation idéale entre, d’une part, la sphère
publique économique (celle de la publicité-réclame)51 et, d’autre part, la sphère publique
politique (celle d’un public de personnes privées faisant un usage public de la raison afin de
discuter des sujets d’intérêt collectif). Cette séparation était avant tout désirée, même si elle
semblait hautement problématique depuis ses origines, comme le démontre l’auteur dans le
passage suivant :
Or, une pareille sphère publique économique, en quelque sorte séparée de la sphère
publique politique, une sphère publique publicitaire qui aurait eu sa propre origine
spécifique, n’est pas parvenue à se former ; au contraire et dès le début, la
représentation publicitaire d’intérêts privés a été inséparable de certains intérêts
politiques. (Habermas, 1978, p.200.)
Bien sûr, la publicité-réclame n’est pas la seule responsable de l’imbrication croissante des
sphères publiques politique et économique, lesquelles demeurent, au moins en principe,
analytiquement distinctes52. Quoi qu’il en soit, l’interpénétration de ces sphères est d’autant
51
Dans cette brève révision des formulations habermasiennes classiques sur la publicité, je
privilégie les discussions de l’auteur sur la publicité exclusivement commerciale, en laissant de côté les
critiques de l’usage de la publicité à des fins électorales, plus spécifiquement celles concernant la mise
en place des sondages d’opinion. Cette emphase délibérée sur la forme commerciale résulte tout
simplement d’une préoccupation de restreindre l’étendue du débat afin de l’ajuster aux objectifs fixés
dans cette recherche.
52
Habermas dédie quelques notes à l’essor d’une troisième instance, celle des activités de
relations publiques. Ce domaine d’expertise, qui a connu son essor dans les années 1940 aux ÉtatsUnis, ne fait que formaliser le caractère politique que la publicité acquiert de plus en plus. Forme de
publicité déguisée en fait journalistique ou en événement spécial, « les relations pratiquent au contraire
l’amalgame de deux domaines, car la publicité ne doit absolument plus être identifiable comme étant la
représentation par lui-même d’un intérêt privé. » (Habermas, 1978, p.202.)
78
plus problématique qu’elle occasionne un changement structurel dans la sphère publique
bourgeoise mise en place au XIXe siècle. Ce changement a un impact direct sur les critères de
légitimation politique et de génération de consensus dans la sphère publique politique —
processus dans lequel l’État joue d’ailleurs un rôle fondamental. En effet, en transférant à des
groupes privés réunis dans les associations les compétences de légiférer sur les affaires
d’intérêt public, l’État contribue à vider la sphère publique politique de son sens
émancipateur. De même, en adoptant des campagnes de mobilisation de l’opinion publique, à
l’instar de grandes entreprises privées, l’État participe et collabore au détournement de la
Publicité de ses fonctions critiques d’origine, en acquérant au bout du compte une forme
exclusivement « démonstrative », propre à la publicité commerciale. Bref, cette nouvelle
forme de publicité — réduite désormais à la publicité-réclame — « confère à des
personnalités ou à des choses un prestige public, et les rend par là susceptibles d’être
adoptées sans réserve ni discussion, au sein d’un climat d’opinion non publique » (Habermas,
1978, 209).
Ce processus plus ample de changement structurel de la sphère publique, ayant lieu à la fois à
l’intérieur et à l’extérieur des Parlements, fait en sorte que ces derniers perdent leur centralité
en tant que lieu institutionnalisé de débats rationnels. Néanmoins, ce ne sont pas seulement
les débats publics au sein des parlements qui sont mis en péril dans le diagnostic
habermassien, mais aussi le principe même d’un État démocratique, car aucune dimension de
pouvoir étatique ne semble y échapper, même pas le pouvoir judiciaire :
La mutation des fonctions du Parlement révèle combien est menacé le statut de la
sphère publique en tant que principe recteur de l’organisation de l’État : la Publicité, au
départ principe de la critique (exercée par le public), a été subvertie en principe d’une
intégration (dirigée par les instances de la ‘Publicité’ démonstrative : par
l’administration et les associations et surtout par les partis). La publicité des débats
parlementaires a été pervertie en ‘Publicité’ acclamative, et la publicité des débats
judiciaires connaît une dénaturation du même ordre, récupérée qu’elle est par la
consommation ‘culturelle’. (Habermas, 1978, p.215.)
Certes, l’idéal type de consommateur que l’auteur décrit dans L’espace public est
fondamentalement un sujet passif et consentant devant l’action manipulatrice des médias de
79
masse, n’étant capable ni d’une « critique compétente » ni de « démystifi[cation de] la
domination » (Habermas, 1978, p.203). Le consommateur agit alors à l’opposé du citoyen
rationnel engagé dans la poursuite de l’« intérêt général », ce dernier primant sur l’« accord
rationnel entre des opinions ouvertement concurrentes… » (Habermas, 1978, p.203). Bref, la
notion d’espace public énoncée par Habermas dans ce travail original renvoie à un modèle
délibératif fondamentalement centralisé sur les interactions en face-à-face du Parlement,
considéré comme le lieu institutionnalisé par excellence pour la poursuite de l’intérêt général.
Sa légitimité repose sur la discussion publique entre sujets privés égaux d’un point de vue
moral et politique.
Cette conception de sphère publique, qui s’appuie sur l’expérience historique localisée de la
sphère publique bourgeoise, a été maintes fois révisée, critiquée et appropriée par des
chercheurs de domaines les plus variés. Ces critiques étant multiples et ne pouvant être
résumées adéquatement dans cette brève introduction, je me limite à mentionner quelquesunes d’entre elles, amplement discutées dans Habermas and the public sphere, l’une des plus
célèbres révisons de L’espace public53 : l’absence de femmes et d’expériences prolétaires
dans la définition normative de la sphère publique; la vision pessimiste de l’élargissement de
l’accès à la sphère publique à l’aube de l’universalisation de l’éducation et de la mise en
place de l’État providence; l’idéalisation des pratiques libérales pendant des périodes limitées
de démocratie, pour ne citer que celles-là.
Compte tenu de ces critiques et de nombreuses autres faites ailleurs, Habermas décide
d’élargir sa définition de sphère publique de manière à combler certaines lacunes résultant
d’une première approche trop centrée sur l’expérience historique de la bourgeoisie anglaise.
Stéphane Haber (2001) estime que « Habermas oriente son travail dans un sens inattendu par
53
La publication de Habermas and the public sphere, sous la direction de Craig Calhoun, marque
le trentième anniversaire de la publication originale de L’espace public. L’œuvre comporte une série
de textes critiques de la formulation classique d’espace public chez Habermas, en plus de compter avec
une réflexion de son propre auteur intitulée « Further reflections on the public sphere ». Voir Calhoun,
Craig (dir. publ.). 1992. Habermas and the public sphere. Coll. «Studies in contemporary German
social thought». Cambridge, Mass.: MIT Press, 498 p.
80
rapport au goût du travail historiographique concret que manifestait L’espace public » en
menant des efforts de réflexion « presque exclusivement commandés désormais par
l’exigence d’une montée en abstraction » (Haber, 2001, p.51). Ainsi, dans Droit et
Démocratie (1997), publié originalement en 1992, Habermas définit l’espace public comme
« (…) toute rencontre qui ne se réduit pas à des rapports d’observation réciproque mais [qui]
vit d’une liberté communicationnelle réciproquement concédée, [et qui] se situe dans un
espace constitué au moyen du langage » (Habermas, 1997, p.388). Bien qu’il soit
« conditionné dans son contenu comme dans ses fonctions par ses origines bourgeoises »
(Haber, 2001, p.40), l’espace public sera désormais théorisé en tant qu’espace social généré
par l’action communicative. Ou encore, comme le souligne Maia (2007), « d’une manière
heuristique, a-historique et non datéecx. »
Cette perspective plus ample, poursuit Maia, possède de profondes implications pour
l’ensemble du construit théorique de Habermas. Dans un premier temps, Habermas substitue
la notion d’un rapport bipolaire entre l’État et la société civile par une autre notion plus
proche de la figure du réseau. Cette notion, selon les propres termes de l’auteur, est
constituée d’« un tissu d’une grande complexité, ramifié en une multiplicité d’arènes qui se
chevauchent, aussi bien internationales que nationales, régionales, municipales ou sousculturelles… » (Habermas, 1997, p.401). Dans cette notion plus décentralisée et réticulaire de
sphère publique, prime l’existence d’une multitude d’arènes disséminées dans la société
civile. La source de légitimité des décisions politiques demeurant les échanges
communicationnels entre acteurs privés, on passe cependant de l’idée d’une seule arène
totalisatrice — le Parlement — à celle où « différents publics se réunissent pour discuter de
questions spécifiques d’intérêt collectifcxi ».
Dans Droit et démocratie54, estime également Maia, Habermas va encore plus loin en
proposant « un cadre théorique suffisamment flexible de façon à incorporer différents modes
54
Habernas décrit son entreprise comme une appropriation des réflexions autour d’une théorie
pluraliste du langage érigées antérieurement dans la Théorie de l’agir communicationnel. L’auteur
prend cependant ses distances des réflexions concernant le rapport entre droit et morale telles que
81
d’articulation des échanges d’argumentationcxii ». L’auteur propose en outre une typologie
des espaces publics dans le cadre d’une théorie de la démocratie délibérative tenant compte
des diverses instances de débat en termes de densité et d’étendue des échanges
communicationnels. Selon celle-ci, les espaces publics sont différenciés :
(…) en niveaux en fonction de la densité de la communication, de la complexité de la
communication et de l’ampleur du rayon d’action, allant de l’espace public épisodique
du bistrot, des cafés et de rues, jusqu’à l’espace public abstrait créé par les mass media
et composé de lecteurs, d’auditeurs et de spectateurs à la fois isolés et globalement
dispersés, en passant par l’espace public organisé, en présence de participants, qui est
celui de représentations théâtrales, des conseils de parents d’élèves, des concerts de
rock, des réunions de partis ou de conférences ecclésiastiques. (Habermas, 997, p.401)
Ceci étant dit, j’aimerais clarifier les implications de ces dernières conceptualisations sur les
réflexions des débats autour de la publicité au Brésil. Pour mener à bien cette tâche, on doit
d’abord s’interroger sur la compatibilité entre ces formulations plus récentes et les réflexions
antérieures en ce qui concerne la place de la publicité (dans toutes ses formes) dans la sphère
publique.
Alors que les deux formes de publicité — publicité-réclame et publicité-visibilité — étaient
intrinsèquement reliées dans le diagnostic pessimiste des possibilités de formation de
l’opinion publique dans les pays démocratiques, on note toutefois une croissance de la
dissociation entre les deux termes dans les formulations plus récentes. Le premier indice
d’une telle dissociation est visible dans la typologie même de la sphère publique
antérieurement mentionnée, ou plus particulièrement dans la notion d’espace public
présentées dans Tanner Lectures. Il y introduit également d’autres hypothèses fondamentales au sujet
de l’éthique de la discussion, qui ont été développées ailleurs (Habermas, 1997, pp.9-13). Voir, par
ordre chronologique, Habermas, Jürgen. (1986)1997. Droit et morale : Tanner lectures. Coll. «Traces
écrites». Paris: Éditions du Seuil, 91 p; Habermas, Jürgen. 1987. Théorie de l'agir communicationnel :
Rationnalité de l'agir et rationnalisation de la société, 2 t. Coll. «L'espace du politique», no 1. Paris:
Fayard, 448 p.; Habermas, Jürgen. (1987)2002. Théorie de l'agir communicationnel : Pour une
critique de la raison fonctionnaliste, 2 t. Coll. «L'espace du politique», no 2. Paris: Fayard, 480 p.; et,
finalement, Habermas, Jürgen. 1999 De l'éthique de la discussion. Coll. «Champs». Paris:
Flammarion, 202 p.
82
épisodique. En incorporant dans la définition normative d’espace public les sphères plus
éphémères, spontanées et limitées en termes de portée, Habermas consent également à ce que
d’autres formes de discussion soient exposées à un degré moindre de visibilité. À cet effet, la
typologie en question a un effet direct sur la conception même du processus de formation de
l’opinion et de la volonté. Plutôt que d’y voir un seul mode de formation centralisé dans les
Parlements, Habermas distingue deux niveaux : un mode de formation institutionnalisé et un
mode de formation informel (Habermas, 1997, p.340). Ainsi, dans le cadre des processus
informels de formation de l’opinion et de la volonté, eux-mêmes générateurs des thèmes pour
les discussions au sein des sphères institutionnalisées, la publicité en tant que visibilité n’est
plus une condition sine qua non pour l’espace public. En d’autres termes, la propre notion
d’espace public en vient à comporter différents niveaux de visibilité, ce qui était inimaginable
dans L’espace public.
Un deuxième signe de la séparation entre les deux formes de publicité est évident dans la
notion, cette fois-ci, d’espace public abstrait, composé par les médias de masse. Dans Droit
et démocratie, Habermas prône l’importance de ces médias dans le processus plus ample de
communication publique, dans la mesure où ils font état des controverses autour des
questions soulevées dans les espaces publics épisodiques. Selon les propres termes de
l’auteur, « ce n’est qu’à travers un traitement controversé dans les médias que de tels thèmes
atteignent le grand public et accèdent à ‘l’agenda public’ » (Habermas, 1997, p.409). Ceci
correspond à changement de cap crucial par rapport à l’image du spectateur-consommateur
passif suggérée dans L’espace public. Au contraire, Habermas énonce clairement qu’il
aimerait faire comprendre que :
(…) dans des conditions déterminées, la société civile est capable d’exercer une
influence sur l’espace public, d’agir, à travers ses propres opinions publiques, sur les
organismes parlementaires (et sur les tribunaux), et de contraindre le système politique
à les mettre en œuvre dans le cycle du pouvoir officiel. (Italiques dans l’original,
Habermas, 1997, p.400)
Nul ne peut ignorer que des efforts considérables ont été mis en place en vue de refonder le
cadre théorique énoncé dans L’espace public sur des assises moins déterministes et plus
83
prometteuses pour l’analyse empirique du rôle des médias de masse dans les sociétés
démocratiques contemporaines. Cependant, l’approche habermassienne comporte encore un
degré élevé de généralité, le terme mass media s’appliquant indistinctement à toute forme de
discours médiatique. Dans son article récent, intitulé Political communication in media
society… (2006), Habermas semble utiliser d’emblée le terme « médias de masse » pour se
référer préférentiellement au domaine journalistique. Il est vrai, d’un côté, qu’en affinant
davantage sa perception de la place occupée par la communication médiatisée dans les
sociétés contemporaines, l’auteur semble définitivement abandonner le cadre théorique fourni
par Horkheimer et Adorno, mais surtout par ce dernier55. Au moins, Habermas se rend à
l’évidence de l’existence des flux anarchiques de messages, véritable terrain d’ancrage pour
les sphères publiques de la périphérie du système politique. Ces flux sont composés par « les
nouvelles, reportages, commentaires, infovariétés, scènes et images, mais aussi les spectacles
et films ayant un contenu informatif, polémique, éducatif et de divertissementcxiii. »
Mais aussitôt qu’on passe du constat de la diversité des genres et formats disponibles dans les
médias de masse à l’évaluation des conséquences de ceux-ci, c’est la pratique journalistique
qui prend le dessus. Selon Habermas,
Il y a deux types d’acteurs sans lesquels aucune sphère publique politique pourrait être
mise en place : les professionnels du système de médias — spécialement les
journalistes qui éditent les nouvelles, les reportages et les commentaires — et les
politiciens qui occupent le centre du système politique, tous les deux étant co-auteurs
et destinataires des opinions publiques.cxiv (Italiques dans l’original.)
55
Haber estime que les premiers travaux de Habermas se situent dans un horizon philosophique
essentiellement adornien : « D’un certain côté, toute la théorie habermassienne de la réification (la
montée en puissance des systèmes organisés, bureaucratiques et capitalistes, leur tendance à la
colonisation du monde vécu) peut se comprendre comme une tentative de rendre compte
sociologiquement de ce qu’Adorno décrivait comme un ‘monde administré’. » (Haber, 2001, p.161) La
critique de la publicité-réclame et de la conversion des citoyens en consommateurs passifs, présente
dans L’espace public, conserverait ainsi les traits essentiels de la critique d’Adorno de la culture
intégrative des médias de masse.
84
Compte tenu de l’importance acquise par la presse et les nouvelles transmises dans les
médias électroniques, il y a lieu de s’interroger sur la place de la publicité-réclame dans ces
nouvelles réflexions. Le premier constat fait état d’une position très résiduelle, voire même
périphérique, dans le cadre plus ample des médias de masse. L’apparition même du mot
publicité (en tant que réclame, la publicité en tant que visibilité étant déjà associée à la
pratique journalistique) se fait très tardivement, plus précisément dans la dernière section de
son article, lorsque Habermas analyse les « pathologies » de la communication politique. Ici,
la publicité-réclame est décrite comme un moteur de la personnification de l’image des
candidats politiques dans les périodes électorales. En citant les travaux de Jarren et Donges,
Politische Kommunikation in der Mediengesellschaft (« Communication politique dans la
société des médias »), Habermas établit un lien possible entre la personnalisation de la
politique et la marchandisation des émissions. « La personnalisation de la politique est
fomentée par la marchandisation des émissions. Les stations de radio et de télévision privées
qui opèrent sous les contraintes de la publicité extensive, sont pionnières dans ce
domaine. cxv »
Évidemment, on peut encore deviner dans l’extrait précédent les réverbérations du diagnostic
de l’influence néfaste de la publicité-réclame sur le contenu des émissions, et par là même,
sur les formes de présentation des hommes politiques. Néanmoins, peu a été dit — si ce n’est
rien — au sujet du rôle joué par la publicité commerciale comme matière première pour la
formation de l’opinion et de la volonté politique.
3.2. Publicité et marché capitaliste : un débat plus ample
À l’aube des années 1960, lorsque Habermas a écrit L’espace public, l’infrastructure
technique des entreprises est tellement adaptée à une production de masse que « le processus
de production perd en effet de sa souplesse » (Habermas, 1978, p.197). Autrement dit,
lorsque la production économique perd la capacité d’ajuster sa production à la taille du
marché disponible, les entreprises cèdent aux impératifs d’assurer des débouchés et de créer
85
des marchés les plus stables possibles. C’est à la publicité commerciale que revient,
finalement, la tâche de faire rouler les surplus de marchandises, changeant ainsi le
fonctionnement même du marché capitaliste :
La disparition d’une certaine transparence du marché, que l’on considère
habituellement comme justifiant l’extension de la publicité, n’en est au contraire, et
pour une bonne part, que la conséquence : se substituant à la concurrence entre les prix,
c’est la concurrence publicitaire qui est la première responsable de la diversification
insubsumable des marchés, dont chacun est particulier à telle ou telle entreprise, et
dont les produits peuvent d’autant plus difficilement être comparés les uns aux autres
sur la base de critères économiques rationnels que des manipulations publicitaires
faisant appel à des techniques psychologiques entrent (sic) davantage dans la
détermination de leur valeur d’échange. (Habermas, 1978, pp.197-198)
Dès l’émergence de la presse commercialisée, souligne Habermas, « il n’est bien entendu pas
possible de séparer des tendances générales à la concentration et à la centralisation »
(Habermas, 1978, p.194) présentes dans les médias et celles du capitalisme industriel. En
effet, lorsque Habermas énonçait sa théorie de l’espace public, il prenait position dans un
débat économique plus large concernant le rôle de la publicité. Plusieurs ouvrages proposent
chacun leur compilation de débats portant sur le rôle de la publicité, mais rarement avec une
vision aussi synthétique et claire que celle offerte dans Social Communication in
Advertising : Persons, Products and Images of Well-being (Leiss, Kline et Jhally, 1986). Je
vais essayer de décrire ici les grandes lignes de ce débat plus large identifié par ces auteurs à
l’aube des années 1980. Cette discussion me fournira un bon point de départ pour bâtir mon
propre plan d’analyse sur la publicité tout au long de ce travail.
En fait, plusieurs visions sur la publicité et son rôle dans le système capitaliste plus ample
coexistent dans le champ de l’économie. L’économiste John Kenneth Galbraith56 décrit la
position théorique traditionnellement défendue au sein des écrits économiques comme suit :
56
Pour plus d’informations sur les arguments de celui qui a été considéré comme « l’une des
attaques les plus célébrées » (Leiss, Kline et Jhally, 1986, p.16) au rôle de la publicité, voir Galbraith,
John Kenneth. 1958. The affluent society. Boston: Houghton Mifflin et Galbraith, John Kenneth. 1967.
The New Industrial State. Boston: Houghton Mifflin.
86
La théorie économique traditionnelle présuppose que les consommateurs soient les
preneurs de décision les plus importants dans l’économie, en contrôlant quoi et
combien est produit lorsque les fabricants de biens répondent aux besoins des
consommateurs.cxvi
Lié à cette position, qui est aussi connue comme théorie de la souveraineté du
consommateur, on retrouve l’argument selon lequel la publicité a été créée afin de supprimer
les intermédiaires du secteur de la distribution, contribuant ainsi au bien-être final des
consommateurs. Cette position, dite classique, a été critiquée par différents auteurs,
notamment en ce qui concerne le facteur déterminant la circulation de marchandises. Bien
que chacun de ces courants présente sa propre compréhension du rapport existant entre
société, État et système capitaliste, tous sont d’accord concernant la fonction assumée par la
publicité dans le système économique en place : ainsi, ce n’est pas vraiment la demande qui
crée la publicité, mais plutôt la publicité qui crée la demande pour certains produits.
Trois positions majeures peuvent être distinguées au sein des formulations critiques sur le
rôle économique de la publicité. La première, la vision libérale, estime que la publicité
requiert une dépense disproportionnelle par rapport à ses effets réels, contribuant en fin de
compte à hausser le prix final des produits. Selon cette perspective, les annonceurs se voient
forcés de faire des annonces afin de prévenir la publicité faite par la concurrence, sans que
soient faites pour autant des altérations significatives au niveau des produits ou des prix. De
plus, les coûts de la publicité sont tellement élevés, que celle-ci finit par favoriser les grands
annonceurs au détriment des petits. Selon ce raisonnement, la publicité fonctionne comme
une barrière d’entrée aux petits annonceurs, en « (…) promouvant des conditions dans
lesquelles un petit nombre de producteurs possèdent un contrôle oligopolistique pernicieux
sur le prix et la fourniture de bienscxvii ».
À l’opposé de celle-ci, on retrouve la deuxième position : la « position néolibérale », ayant
comme figure de proue l’économiste antérieurement cité, John Kenneth Galbraith. Selon
Leiss, Kline et Jhally (1986), le courant néolibéral a été beaucoup plus influent que le courant
87
antérieur. En ce qui concerne particulièrement Galbraith, celui-ci construit son argumentaire
autour du point qu’il considère comme le plus problématique dans la vision traditionnelle : le
consommateur comme figure de proue du marché. En plus d’ironiser sur la légitimité des
désirs émanant des consommateurs, dont les origines, selon l’auteur, peuvent être très
« bizarres, frivoles et même immoralescxviii », Galbraith renverse l’ordre même de la théorie
de la souveraineté en affirmant que, contrairement à celle-ci, c’est le processus de satisfaction
des désirs qui crée ces derniers. Bref, ce sont les producteurs qui contrôlent la chaîne de
production, en agissant plus pour leur propre profit que pour celui des consommateurs. La
solution à ce problème, « (…) ce n’est pas le renversement de tout le système économique,
mais plutôt la modification de celui-ci de façon que les récompenses produites par le
capitalisme soient plus équitablement distribuéescxix. »
La dernière position est relative à la critique marxiste de la publicité. Les noms de Paul Baran
et Paul Sweezy, mais aussi Raymond Williams57 et Stuart Ewen58, sont souvent cités comme
des auteurs incontournables dans ce courant. Globalement, la critique marxiste partage le
diagnostic de la position antérieure en ce qui a trait au pouvoir créateur de la demande
exercée par la publicité. Il existe toutefois un point de divergence entre ces deux positions,
qui est crucial : pour les teneurs du courant marxiste, la publicité est une composante
tellement essentielle du système capitaliste que celle-ci ne peut être détachée du système où
elle s’insère. En gros, la problématique marxiste peut être décrite à partir de l’écart existant
entre la valeur d’échange et la valeur d’usage des biens commercialisés : la recherche du
profit fait en sorte que le prix accordé à la marchandise dépasse largement sa valeur réelle
57
Le travail de Raymond Williams semble encore être très influent au sein de travaux portant sur
les contenus des médias, notamment en ce qui concerne l’appropriation des préoccupations propres au
matérialisme marxiste et à son application à l’objet « publicité ». Sur l’approche matérialiste de
Raymond Williams sur la publicité, voir Williams, Raymond. 1962. «Advertising : The Magic
System». In Problems in materialism and culture. London: New Left Books.
58
Ewen propose un portrait à la fois critique et historique de l’émergence de la publicité aux
États-Unis, en rappelant que « l’objectif fonctionnel de la publicité nationale était la création des
habitudes et désirs ». (« The functional goal of national advertising was the creations of desires and
habits », Ewen cité par Leiss et al. : 18). Pour un aperçu de la crise de la surproduction et du rôle de la
publicité dans l’élargissement du marché de façon à intégrer les classes plus basses aux États-Unis,
voir Ewen, Stuart. 1976. Captains of Consciousness. New York: McGraw-Hill.
88
(soit la valeur du labeur et des matières premières). La recherche du profit menant à la
surproduction des biens — bien au-delà des besoins de base tels que logement, nourriture et
vêtements —, le capitalisme se voit confronté au problème du surplus de la production
disponible. La seule sortie envisageable pour ce système59 est la création de nouvelles
demandes par le biais de la publicité.
Compte tenu de ces différentes perspectives, quelle serait alors la position de Habermas dans
ce débat plus ample ? Vu l’influence adornienne dans L’espace public — influence dont les
traits les plus marquants se font sentir dans une vision assez pessimiste de l’industrie
culturelle et de ses effets sur la formation d’une masse de consommateurs passifs —, on peut
soupçonner une certaine proximité avec l’héritage hégéliano-marxiste de l’École de
Francfort. Toutefois, Habermas ne perd pas de vue certains arguments libéraux, comme la
perte de souplesse du processus de production et le manque de différenciation entre les
produits, dont la concurrence se joue principalement au niveau du domaine publicitaire. Étant
donné qu’Habermas s’est largement distancié du projet marxiste d’analyse de la modernité en
termes de conflits de classe — mais surtout des conceptions les « plus nettement
métaphysiques de la pensée de Marx » (Haber, 2001, p.31)60 —, il me semble difficile
d’inférer, d’une part, jusqu’à quel point Habermas souscrit à une vision marxiste de la
publicité, comme l’ont fait certains auteurs, et notamment Raymond Williams61. Quoi qu’il
59
Selon Paul Baran et Paul Sweezy, d’autres solutions sont possibles, comme le déplacement des
efforts de production vers d’autres secteurs ou la réduction des prix visant à favoriser la
consommation, mais celle-ci n’intéresse pas le système capitaliste. À ce sujet, voir Baran, Paul, et Paul
Sweezy. 1967. Monopoly capital: an essay on the American economic and social order. New York:
Monthly Review Press.
60
Ici, Stéphane Haber se réfère plus particulièrement à l’idée d’un prolétariat étant le seul porteur
des intérêts de l’Humanité. Pour un parallélisme entre les formulations d’Habermas dans L’espace
public et l’influence de la pensée marxiste sur celui-ci, voir Haber, 2001, pp.25-38.
61
L’une des différences fondamentales entre Raymond Williams et Jürgen Habermas réside dans
l’idée même de « représentation ». Williams est sans doute l’une des figures de proue dans la critique
du faux symbolique et de la séduction quasi magique de la publicité. Le passage suivant résume bien
sa position par rapport à celle-ci : « Si nous étions sensiblement matérialistes dans ce domaine de notre
vie dans lequel on utilise les choses, nous trouverions la plupart des publicités d’une folle nonrelevance » (“ if we were sensibly materialist, in that part of our life in which we use things, we should
find most advertising to be of insane irrelevance ”), Williams cité par Leiss, Kleine et Jhally, 1986,
p.21). Bref, en faisant une distinction nette entre l’usage rationnel (donc authentiquement matérialiste)
89
en soit, dans ses réflexions initiales sur l’espace public, Habermas n’analyse pas les contenus
particuliers de la publicité, mais plutôt, et sur un mode très général, sa logique structurelle et
l’influence de ses techniques de séduction et d’adhésion irréfléchie sur la sphère publique
politique.
Ainsi, afin d’arriver à une discussion en profondeur sur la publicité et les débats qu’elle a
générés autour de la discrimination raciale entre 1979 et 2005, il est de mise d’effectuer un
bref détour en vue de décrire les macrostructures nationales de la communication de masse
telles qu’elles se sont développées spécifiquement au Brésil. De telles structures reflètent
aussi bien les tendances du marché publicitaire international que les formes de régulation et
de réglementation nationales qui seront mises en scène principalement à partir des années
1960. Dans les prochaines sections, je vais faire l’ébauche du système brésilien des médias,
en tenant compte de deux problèmes spécifiques : la concentration de la propriété des médias
dans le secteur privé et la concentration de la subvention publicitaire à la télévision.
3.3 Le système brésilien des médias et son insertion dans le marché global
Altamiro Borges, dans son article A ditadure da mídia no Brasil (Borges, 2007), place le
problème du monopole au centre de son diagnostic des système des médias mondiaux. En
citant des études développées par Robert McChesney, l’auteur présente un portrait du marché
et l’usage irrationnel fondé sur le symbolisme des objets, Williams finit par délégitimer la fonction
symbolique en tant que telle. Comme l’affirment Leiss Leiss, Kleine et Jhally : « (…) pour Williams,
n’importe quel système symbolique est irrationnel, une fois que la rationalité est fondée sur l’utilité. »
(“(…) for William any symbolic system is irrational, for rationality is based only on utility ”, Leiss,
Kleine et Jhally, 1986, p.22). Quant à Habermas, il en fait un usage plus ambivalent. D’une part, il
semble se rapprocher de cette vision du symbolisme dans une critique à la représentation
(« Repräsentation », en allemand) déployée par certains fonctionnaires publics et certaines
organisations comme un mode d’obtention de l’acclamation « dans un climat d’opinion non publique »
(Habermas, 1978, p.209). D’autre part, l’idée même d’une représentation politique au sein du
Parlement comme « rationalisation du pouvoir politique et social » (Habermas, 1978, p.242) par
l’exercice d’une Publicité-visibilité critique. Alors que, dans le premiers cas, la représentation renvoie
à quelque chose de faussé ou d’illusoire, dans le deuxième, Habermas conçoit la représentation comme
un mécanisme légitime d’expression de l’intérêt général.
90
global des télécommunications en y identifiant deux couches monopolistes distinctes : une
première, formée par environ 10 groupes possédant des actions dans les secteurs les plus
diversifiés des communications et opérant partout dans le monde ; une deuxième couche,
formée d’environ 40 entreprises de médias organisées autour de celles se trouvant au premier
rang (Borges, 2007, p.2). Dans cette perspective, le système des médias au Brésil se placerait
au deuxième rang des systèmes, donc des groupes qui affirment leur hégémonie régionale
tout en se connectant aux plus grands groupes transnationaux.
Borges affirme que les médias hégémoniques n’ont jamais été aussi puissants en raison des
facteurs que l’auteur mentionne ci-dessous :
(…) des améliorations technologiques dans les domaines des communications et des
télécommunications, de l’intense processus de concentration et de monopolisation du
secteur dans les dernières décennies et d’une déréglementation criminelle du marché
qui l’a libéré de toute forme de contrôle public.cxx
Certes, la position intermédiaire du système des médias brésiliens, à mi-chemin entre les
grandes corporations internationales et les médias locaux, est constamment défiée par les
acteurs se trouvant à l’extrémité de l’échelle de la concentration de la propriété. En effet,
poursuit l’auteur, les médias n’ont jamais soulevé autant de critiques et de résistance de la
part des sociétés d’ici et d’ailleurs. Le pouvoir des médias, dit-il, est fragilisé par les
demandes citoyennes de démocratisation, mais aussi par la guerre de concurrence établie,
grâce à la convergence numérique, entre les entreprises de radiodiffusion, d’une part, et les
multinationales de télécommunications, d’autre part.
Toutefois, c’est la pression venue du haut qui s’avère la plus puissante en ce temps de
globalisation. Comme l’estime Bolaño dans Políticas de comunicação e economia política no
Brasil (Bolaño, 2003), la croissance de la propriété des médias compte tenu de l’achat des
corporations plus petites par celles plus grandes annonce, dès les années 1980, « (…) une
importante transformation [du système des médias] avec les processus de déréglementation,
91
la privatisation, le repositionnement de l’État, la constitution de nouvelles formes et de
nouvelles instances de régulations et l’internationalisation de la concurrencecxxi. »
Un exemple frappant de ce processus de concentration croissante de la propriété au Brésil est
constitué par la réduction du nombre de corporations partageant le système médiatique au
Brésil. Borges révèle que parmi les neuf groupes familiaux qui contrôlaient la plupart du
marché brésilien au début des années 1990, il n’en subsiste que cinq à l’heure actuelle :
Marinho (Groupe Globo), Abravanel (Groupe SBT), Saad (Groupe Bandeirantes), Civita
(Abril) et Frias (Groupe Folha). « Le résultat de ceci a été une concentration historique dans
ce secteur stratégique, en empêchant la pluralité et la diversité d’opinions, explique-t-ilcxxii. »
Toutefois, Borges reconnaît que le processus de concentration médiatique au Brésil possède
des racines historiques plus anciennes « (…) et [qu’il] a été poussé par l’absence, au sein de
la législation, de toute norme interdisant la propriété croisée — la possession de nombreux
véhicules dans divers secteurs (journaux, radio, télévision)cxxiii ».
À cet effet, Borges (op. cit.) signale que la concentration médiatique au Brésil aurait
commencé en 1924 avec l’achat, par Assis Chateaubriand, de son premier journal dans la
ville de Rio de Janeiro, marquant ainsi l’essor de ce qui deviendra plus tard le groupe Diário
dos Associados. L’auteur ajoute qu’« en 1959, celui-ci était déjà le plus grand empire de
l’Amérique latine, avec 40 journaux et revues, plus d’une vingtaine de stations de radio, une
dizaine de postes émetteurs, une agence de nouvelles et une entreprise de publicitécxxiv 62. »
Ce groupe a été délogé de cette position hégémonique par un seul concurrent : le groupe
Globo. Ayant aussi commencé avec un seul journal en 1925, le groupe Globo ne s’est
consolidé que durant la dictature militaire. Sans l’aide du gouvernement militaire, comme je
le démontrerai plus loin, on estime que le groupe Globo n’aurait jamais pu arriver à
rassembler, à l’aube du troisième millénaire, 223 postes émetteurs propres ou affiliés, et à
62
En citant des données de la Fundação Getúlio Vargas, Borges explique que le patrimoine du
groupe Diários Associados était si diversifié qu’il incluait un château en Normandie, neuf fermes
localisées dans diverses provinces brésiliennes et ce, en plus d’industries chimiques et de laboratoires
pharmaceutiques.
92
contrôler le plus grand nombre de véhicules dans tous les secteurs : 61,5 % des postes
émetteurs de télévision en UHF, 40,7 % des journaux, 31,8 % des postes UHF, 30,1 % des
radios AM et 28 % des radios FM, selon le rapport Epcom (op. cit.) se référant à l’année
2002.
Ceci nous ramène à la question spécifique de la législation comme facteur déterminant de la
distribution de la propriété des médias. Le travail de Bolaño fournit une excellente révision
des principaux points distinctifs du modèle de régulation du macrosecteur des
communications et des télécommunications au Brésil. Il reste que le modèle en place offre
encore une vision très limitée de la régulation du secteur audiovisuel au pays, car
« l’importance croissante de la production de contenus, de la diversité culturelle et de la
problématique spatiale [a été] systématiquement oubliée dans le cadre réglementaire
brésiliencxxv ». Selon l’auteur :
Il s’agit d’un modèle nationaliste et d’un haut niveau de concentration qui, tout en
protégeant les capitaux installés de la concurrence externe, limite aussi la manifestation
des expressions locales et le développement d’un panorama audiovisuel diversifié,
servant à la base aux intérêts politiques et économiques hégémoniques qui s’articulent
en son sein.cxxvi
Bolaño nous apprend, entre autres, que les secteurs de radiodiffusion et de téléphonie étaient
régis par un seul instrument juridique depuis 1962 : le Code brésilien de télécommunications
(CTB). Institué par la Loi 4.117 de 27 août de 1962, le CTB représentait alors la défaite
définitive d’un modèle de communications jusque-là influencé par la fonction éducative et
culturelle qui animait certains esprits dès l’émergence de la radio dans les années 192063.
Néanmoins, la nouveauté du décret de 1962 résidait moins dans son caractère commercial
que dans son aspect centralisateur, dans la mesure où il prévoyait l’unification des services de
63
Ainsi, « le Décret 20.047 de 1931, qui avait remplacé le premiers décret de 1924, établissait dès
lors que la radiodiffusion était d’intérêt national et qu’elle avait un but lucratif » (“ … o Decreto
20.047, de 1931, que substituiu o primeiro decreto de 1924, já havia estabelecido que a radiodifusão
era de interesse nacional, com fins lucrativos”, Capparelli cité par Bolaño, 2003, p.32).
93
radiodiffusion dans un réseau national ayant comme acteur central le gouvernement fédéral64.
C’est à ce dernier que revient la charge d’accorder les concessions des postes émetteurs à des
organismes sociaux ou privés, en donnant la préférence — même si c’est seulement en
principe — aux personnes juridiques de droit public, telles que les universités. Bref, on voyait
se consolider au Brésil « un système commercial privé de radio et de télévision, ayant pour
base un modèle de concessions publiques — de 10 et 15 ans65, respectivement, renouvelables
pour des périodes identiques et successivescxxvii. »
Alors que les piliers du code avaient été adoptés à une période que l’on qualifie
officiellement de « démocratique », le surplus centralisateur et autoritaire a été ajouté
quelques années plus tard par le gouvernement militaire en place (1964-1985). Le Décret-loi
236, promulgué en février 1967, introduisait des limitations importantes concernant la
propriété d’émetteurs de radio et de télévision que chaque entité pouvait contrôler au sein du
territoire national. Force est de constater que ce décret éliminait surtout « toute possibilité de
participation d’étrangers dans la propriété ou dans la direction d’entreprises de
communications au Brésilcxxviii ». Même si d’autres modifications importantes ont été
entreprises par le décret de 196766, il reste que les grandes lignes de ce système demeureront
inchangées jusqu’à la fin de la dictature.
64
Fait digne de mention : Joel Zito Araújo note à propos de la Loi 4117 du 27 août 1962 que son
article 53 faisait de la pratique du racisme dans les médias une préoccupation réelle, en prévoyant
comme punition la cassation du permis de fonctionnement de l’entreprise de communication (Araújo,
2000, pp.70-71).
65
Bolaño mentionne qu’on avait déjà essayé à deux reprises de réduire la durée de chaque
concession à seulement trois ans. La première tentative s’est produite à la fin du gouvernement du
président Getulio Vargas, en 1951, et n’a pas survécu au suicide de celui-ci en 1954. La deuxième
tentative a été menée par le président Jânio Quadros, lui-même forcé une année plus tard à renoncer à
son poste au gouvernement.
66
Le décret de 1967 est également responsable de la création du Ministère des communications
(MINICOM), d’un système de télévisons éducatives, ainsi que du système TELEBRAS, une holding
reliant des entreprises de télécommunications installées dans chaque unité de la fédération. Pour les
fins de ce travail, il importe de mentionner que le décret-loi en question a aussi prohibé la diffusion de
préjugés de race ou de classe dans les médias de masse. Pour une révision historique de la législation
94
Ce modèle a d’ailleurs survécu à pratiquement tous les efforts de démocratisation en cours
depuis la fin de la dictature au milieu des années 1980, pour n’être partiellement remis en
question que très récemment, au début de l’année 200867. Venício Lima (1987) nous propose
un portrait éclairé de la période allant de la fin du gouvernement du Général João
Figueiredo68 (1979-1985) jusqu’à la présentation du premier projet de loi alternant les règles
du système de communications dans l’assemblée constituante de 1987-88. À travers l’analyse
des journaux de l’époque, Lima a pu en effet vérifier, par exemple, que les bénéficiaires
mêmes des concessions de la fin du gouvernement militaire étaient directement impliqués
dans l’approbation d’un projet de loi qui centralisait dans les mains du Congrès National et
du président de la République, les compétences nécessaires pour décider du sort de la
concession, du renouvellement et de la cassation des services de radiodiffusion. Un grand
nombre de ces concessions ont été faites sur la base d’affinités politiques, partisanes ou
même familiales, privilégiant particulièrement des députés fédéraux ainsi que leurs proches.
raciale brésilienne, voir Mello, Marco Aurélio. 2001. «A Discriminação e a Lei». Revista Consultor
Jurídico, p.6. En ligne. <http://racismonao.org/index2.php ?option=com_content&do_pdf=1&id=24>.
67
Le Ministre du Suprême tribunal fédéral, Carlos Ayres de Britto, s’est prononcé le 27 février
2008 en faveur de la révocation (quoique temporaire) de la Loi de la Presse. À l’arrière-plan de cette
décision surprenante, étant donné le caractère conservateur dudit tribunal, se trouve une querelle
politique entre le quotidien Folha de São Paulo et les propriétaires de l’Église Universelle du
Royaume de Dieu, également propriétaires de la TV Record, principale concurrente de la TV Globo.
Ce groupe évangélique s’appuyait alors sur la Loi de la Presse pour poursuivre en justice le quotidien
en question. (Voir à cet effet l’article de Dines, Alberto. 2008. Os riscos da democracia caótica.
Observatório
da
Imprensa:
2
p.
En
ligne.
http://www.observatoriodaimprensa.com.br/artigos.asp ?cod=473CID007).
68
Selon les données du Ministère des communications avancées par Lima, le nombre de
concessions octroyées est passé de 134, en 1982, à 80 en 1983, 99 en 1984 pour atteindre 127 en 1985.
Ces données sont complétées par celles fournies par Colin Brayton dans son blog The New Market
Machines : 154 concessions ont été octroyées en 1986, 208 en 1987 et, seulement dans les 10 mois
précédant la promulgation de la Constituante en 1888, le Congrès National a octroyé 539 nouvelles
concessions de radio ou de télévision. Le nombre de concessions accordées entre 1985 et 1990, durant
le gouvernement du Président Sarney, a été de 1028, ce qui représenterait environ 30 % de toutes les
concessions accordées au pays depuis 1922. Brayton, Colin. 2007. «TV, Radio and Hating the State:
Notes on the Impending Apocalypse in the Brazilian Media Sector». En ligne.
<http://cbrayton.wordpress.com/2007/10/03/tv-radio-and-hating-the-state-notes-on-the-impendingapocalypse-in-the-brazilian-media-sector/>. Consulté le 07 décembre 2007.
95
Ainsi, pour en revenir au bilan de Bolaño « environ 40 % de toutes les concessions faites
jusqu’à la fin de 1993 étaient dans les mains de maires, gouverneurs et anciens
parlementaires, ou de leurs parents, ou de leurs associéscxxix. » Contrairement à ce qu’on
pourrait supposer, le choix pour faire des concessions et du renouvellement une compétence
du Congrès national a rendu le contrôle social sur la propriété des médias pratiquement
impossible, car « la non-rénovation de la concession exige l’approbation d’un minimum de
deux cinquièmes de députés et sénateurscxxx ». Une branche progressiste au sein du Congrès
national a fait une énorme pression pour garantir quelques acquis relativement importants
comme l’interdiction du monopole et de l’oligopole des communications, (art.220, par.5), la
stimulation de la production indépendante (art. 221) ou la protection de la culture régionale
avec une garantie de la régionalisation de la production. Il s’avère toutefois qu’aucune de ces
lois n’a été réglementée postérieurement. Bref, faute d’une réglementation mise à jour, on a
conservé le vieux modèle de régulation des communications et ce, même après la fin de la
dictature.
Certes, on accuse une rupture partiale du modèle de régulation à partir des changements dans
les années 1990. Borges, pour sa part, déplore le fait qu’ « en plus de la concentration, les
médias brésiliens passent par une dangereuse période d’internationalisationcxxxi ». Toutefois,
cette rupture a résulté moins de la mise en œuvre du modèle prévu dans la Constitution de
1988, que de la nouvelle législation de la télévision par câble et, en même temps, du
processus de libéralisation du domaine des télécommunications à partir du gouvernement de
Fernando Henrique Cardoso69. Borges explique, par exemple, qu’à partir de 2002, « le capital
étranger a été autorisé à obtenir jusqu’à 30 % des actions des entreprises journalistiques et de
69
Siqueira Bolaño rapporte que, suite à des pressions de la part du Fond monétaire international,
l’ancien président Fernando Henrique Cardoso a préparé le terrain, dès la moitié des années 1990, pour
la réforme et la privatisation des services de télécommunications. Il est intéressant de noter ici la
création, en 1997, de deux instruments juridiques : la Loi générale des télécommunications (LGT) et la
Loi générale de communication électronique de masse (LGCEM). L’une des principales contributions
de ces réformes est la création d’un organisme régulateur — l’ANATEL — qui serait indépendamment
capable de promouvoir une concurrence juste, de défendre les intérêts et les droits des consommateurs,
de même que de stimuler l’investissement privé.
96
radiodiffusioncxxxii », ce taux s’élevant à 49 % des actions pour la télévision par câble. En ce
qui concerne la téléphonie fixe et cellulaire, la télévision payante en MMDS (via microondes)
et en DTH (via satellite), aucune restriction n’a été imposée au capital étranger.
Il est cependant crucial d’apporter certaines nuances à l’aspect conservateur du système des
médias au Brésil. Fernando Antônio Azevedo (2006) propose, dans son article intitulé Mídia
e democracia no Brasil, une analyse saisissante des changements opérés au sein du système
médiatique brésilien et donne des pistes cruciales permettant d’établir un lien étroit entre le
système des médias et le système politique en place. Comme il le signale, le « système des
médias n’est pas statiquecxxxiii». Malgré la stagnation de la réglementation des
communications au Brésil — favorisant un système de médias avec un bas taux de diversité
externe — et faute d’un journalisme politique et/ou partisan suffisamment compétitif pour
offrir des points de vue diversifiés, des changements importants s’imposent à l’heure actuelle.
Ils sont de l’ordre : 1) de la consolidation d’une presse commerciale, suite à un processus de
modernisation continu des points de vue industriel, graphique et éditorial en cours depuis les
années 1970 ; 2) du renforcement d’une politique éditoriale orientée par la diversité interne,
comme conséquence d’une compétitivité croissante entre les principaux journaux de
circulation nationale (Azevedo, 2006, pp.104-106).
Bref, même si le système de concession des médias demeure relativement contrôlé et
centralisé par le congrès national, il n’en reste pas moins qu’une compétition réelle entre les
médias disponibles fait en sorte que ceux-ci cherchent de plus en plus à diversifier leurs
contenus offerts. Dans la prochaine section, je vais aborder les conséquences de ce scénario
médiatique plus ample pour la configuration du marché publicitaire national au Brésil.
3.4 Le marché publicitaire brésilien face à la concentration de la propriété des médias
Qu’en est-il alors du marché brésilien et, plus spécifiquement, du marché publicitaire
brésilien ? Célébrée en grandes pompes dans la presse brésilienne, une étude de la Banque
97
Mondiale publiée à la fin de 2007 a placé le Brésil au rang de la sixième économie mondiale,
à côté de pays industrialisés comme la France, l’Italie et le Royaume Uni (2007). La
croissance du PIB brésilien par rapport à l’année 2006 avait été estimée à 4,5 % par la
Banque Mondiale (2008), alors que l’IBGE, à la fin de la même année, a réévalué ce taux à
5,7 % (Marinas, 2007). Ces données, évidemment, ne tiennent pas compte de la distribution
des revenus entre les différents pans de la population nationale, comme on s’abstient souvent
de le mentionner.
Et pourtant, les analystes s’inquiètent de l’écart existant entre le marché publicitaire et le
marché national, en estimant que « (…) le volume d’affaires publicitaires n’est pas
proportionnel à — ni aussi significatif que — celui enregistré dans l’économie
nationalecxxxiv. ». À en juger par les données recensées par l’Instituto de Estudos e Pesquisas
em Comunicação (EPCOM, 2005), ces craintes sont totalement infondées : le marché
publicitaire brésilien a mobilisé plus de 5 milliards US $ au cours de l’année 2000. D’autres
sources mentionnent cependant une croissance encore supérieure à celle du PIB national. Un
bref article citant des données du Projeto Inter-Meios, programme privé destiné à repérer
l’investissement national dans le marché publicitaire, indiquent le passage d’un total de 14,8
milliards en 2003 (valeurs en reais), à celui de 18,5 milliards en 2004, puis 21,8 milliards en
2005, pour finir avec 23,9 milliards en 2006 — soit une croissance de 9,1 % par rapport à
l’année précédente (2007). La croissance du marché publicitaire peut aussi être confirmée par
la participation de celui-ci au PIB brésilien. Toujours selon les données produites par le
Projeto Inter-Meios, la participation du marché au PIB brésilien a été de 1,03 % en 2006,
alors que les données de l’IAA concernant l’année 1988 décrivent une participation de
0,69 % au PIB de cette année-là70 (Mattelart, 1990).
Cependant, ces chiffres n’éclairent en rien la distribution de ce revenu sur l’ensemble du
système des médias au Brésil. Dans un bilan sur l’année 2003 publié originalement dans la
70
Comme le souligne de façon opportune Mattelart, « l’indice PIB élevé que l’on observe dans
certains pays dudit tiers monde témoigne du poids excessif des dépenses publicitaires par rapport au
niveau de vie de la grande majorité de leurs habitants » (Mattelart, 1990, p.36).
98
revue Meio & Mensagem (Affini, 2003), Marcelo Affini nous informe sur la distribution du
marché publicitaire au Brésil : 58,7 % est détenu par la télévision ouverte, 1,9 % par la
télévision payante, 29,6 % par la presse écrite et 4,5 % par la radio. De plus, le secteur de la
publicité à la télévision est en croissance permanente (une croissance nominale de 3,4 % en
2002 par rapport à 2001), alors que la presse écrite et la radio sont en baisse. Si nous prenons
seulement en considération la télévision, le marché publicitaire a augmenté de 6,5 % (Affini,
2003, p.2)71. Ces tendances de croissance sont aussi confirmées l’année suivante, selon les
données présentées dans l’article Melhor que o esperado (Pereira, 2004).
Ces données, une fois confrontées à celles du Rapport EPCOM, nous permettent de déceler
au moins trois types de concentration dans le marché publicitaire brésilien :
1)
Comme le démontre bien Affini, il s’agit d’un marché largement dominé par
la télévision commerciale, qui représente 58,7 % de tous les investissements
du secteur.
2)
On constate également une concentration de type régional, vu que 90 % du
marché publicitaire brésilien est localisé dans les deux plus grandes villes
brésiliennes : São Paulo et Rio de Janeiro.
On doit cependant tenir compte du fait que dans un contexte de concentration croissante de la
propriété médiatique mondiale, les hégémonies nationales ne sont pas garanties à vie. D’un
côté, la compétition relative qui s’instaure à l’intérieur du marché brésilien est la résultante,
en grande mesure, d’une pression croissante du capital externe en quête d’expansion (cf.
71
À titre de comparaison, et contrairement à ce qui se passe au Brésil, la publicité en direct est le
principal secteur publicitaire au Canada, lui-même toujours en croissance depuis les dernières années.
Marc Raboy explique, par exemple, qu’en 1989, 40,1 % du marché publicitaire au Québec est détenu
par la publicité directe, 35,9 % par la presse écrite et 23,8 % par la radio et la télévision (Raboy, 1992,
p.63).
99
Borges, 2007, p.4). De l’autre, elle est aussi un réflexe des dynamiques sociales locales, qui
se traduisent au Brésil par une quête croissante de démocratisation des sphères
institutionnelles, mais aussi de la visibilité accordée aux débats publics72 (Azevedo, 2006,
pp.105-108).
3.5 La centralité de la télévision dans le marché publicitaire
Dans l’article Brazil : The Role of the State in World Television, Joseph Straubhaar (2001)
argumente que « les systèmes de télévision nationale et régionale sont aussi importants, voire
même plus importants, que les systèmes globaux et que l’État compte parce qu’il joue un rôle
significatif en informant les systèmes de télévision nationauxcxxxv. » En effet, le Brésil
appartient à cette catégorie de pays où, selon Mattelart, « la télévision étouffe littéralement le
paysage publicitaire, » (Mattelart, 1990 : 37) alors que dans d’autres pays comme la Suisse,
la Finlande, les Pays-Bas et la Belgique, la télévision acquiert un rôle carrément secondaire.
Cette insistance surdimensionnée sur le média télévision s’explique par sa longue tradition
commerciale non seulement au Brésil mais aussi dans d’autres pays de l’Amérique latine et
ce, contrairement aux pays européens où prédomine un régime télévisuel public fortement
réglementé.
Parler donc de l’ampleur du rôle de la télévision au Brésil sans y mentionner la création de la
Rede Globo de Televisão — ou tout simplement TV Globo73—, c’est prendre le risque de
faire une grave erreur historique. Selon Straubhaar, la concession nécessaire pour son
fonctionnement a été accordée par le président de l’époque, Juscelino Kubitschek, en 1957 ;
72
Pour ce qui est de la démocratisation des contenus et de la couverture médiatique, Azevedo
soulève comme l’une des principales composantes le perfectionnement d’une législation électorale de
radio et de télévision visant à prévenir toute forme de mise en valeur d’un candidat ou d’un parti
particulier. Cette législation contraignante ne fera cependant pas l’objet de notre travail car, comme je
le démontrerai plus tard, la législation de la publicité commerciale s’est développée entièrement
séparément de la publicité politique.
100
cependant, son inauguration n’aura lieu qu’en 1965 — un an après le coup d’état qui a mis au
pouvoir un gouvernement militaire au Brésil. Née d’une collaboration avec le groupe de
médias états-unien Time-Life, la TV Globo — comme tout le réseau qui s’organise autour de
celle-ci — s’élargit par le biais de milliers de chaînes affiliées ou de retransmission tout au
long des années 1960 et 1970.
D’après l’auteur, le gouvernement militaire a favorisé la mise en place du Groupe Globo de
plusieurs façons, parmi lesquelles : 1) en accordant des prêts gouvernementaux pour payer le
groupe Time-Life ; 2) en subventionnant largement la publicité gouvernementale. Toutefois,
note Azevedo (op. cit.), le marché publicitaire n’a jamais été assez dynamique pour garantir
le capital nécessaire à la production ainsi qu’à la circulation de produits journalistiques. La
subvention publicitaire a dû être combinée avec des financements en provenance des banques
publiques (pour l’achat de papier) et des politiques fiscales favorables, en plus de compter
avec la présence constante du gouvernement comme principal acteur dans l’achat des espaces
publicitaires (Azevedo, 2006, p.103).
Ainsi, malgré son commencement modeste, la TV Globo a joui d’une ascension fulgurante. À
en juger par les données personnelles fournies par Manuel Leite dans article TV Brasil — Ano
40 (Leite, 1990) —, le montant mensuel facturé en septembre 1965 par la TV Globo est passé
de 200 000$74 à 1 500 000 $ en septembre 1967 — soit une augmentation nette de 750 % du
revenu disponible (Leite, 1990, p.246).
En fait, le rôle unificateur de la télévision au Brésil, mais aussi dans d’autres pays latinoaméricains comme le Mexique, répond à une conjoncture internationale où des ondes
électromagnétiques sont allouées à chaque pays, en tant que ressources finies, par un agent
central et incontournable : les États-Unis. Leite mentionne un lobbying de la part du
73
Celle-ci est devenue le bras télévisuel d’un groupe plus large rassemblant, entre autres, le
journal imprimé O Globo, la maison d’édition Rio Gráfica et la station radiophonique Radio Globo.
74
L’auteur n’a cependant pas précisé en quelle monnaie ces chiffres sont exprimés.
101
gouvernement militaire pour avoir droit à un satellite visant à consolider son pouvoir, et ainsi
à freiner l’ascension de la gauche en Amérique latine (Leite, 1990, p.241). Ce réseau national
se concrétise en 1982 par la mise en place d’un transponder (un canal satellite du système
Intelsat), ce qui a permis que toutes les émissions puissent être exhibées simultanément, dès
la génération des images et ce, sur tout le territoire brésilien (Leite, 1990, p.248). Bref, les
mesures du gouvernement militaire prises pour imposer des limites à la concentration et à la
propriété étrangère, liées à une politique répressive en qui concerne la liberté d'expression,
ont abouti à un modèle de communication centralisé et fortement contrôlé par l'appareil
étatique.
Toutefois, on doit réaliser que le projet centralisateur et autoritaire du gouvernement militaire
dans la mise en place et l’expansion de la télévision sur le territoire national résulte d’un
véritable paradoxe : il fallait en effet conjuguer l’appui de la puissance américaine — avec
tous ses projets d’expansion commerciale et d’exploitation de nouveaux marchés — tout en
favorisant la production nationale. Straubhaar nous apprend ainsi que :
La TV Globo, en particulier, a considérablement augmenté la production nationale
parce qu’elle avait découvert que les audiences, et par conséquent les annonceurs aussi,
préféraient les émissions musicales, les comédies et feuilletons télévisés produits
nationalement par rapport à tous, ou presque tous, les quelques programmes
importés.cxxxvi
Les évaluations de l’impact de la télévision sur l’ensemble de la population sont quelques
fois alarmistes. On décrit souvent la télévision comme un tout, et la TV Globo en particulier,
comme le moteur de la massification, comme l’indique Leite dans le passage suivant :
Les faits et les recherches révèlent que la télévision ira, plus ou moins rapidement en
fonction des réactions qu’elle déclenche, construire un concept dévastateur — la
massification — puisqu’il n’a jamais existé jusqu’à présent aucun autre agent de
divulgation capable de rejoindre, dans un pays-continent comme le nôtre, 50 ou 60
millions de personnes en même temps et dans les mêmes conditions
environnementales : loisir total de personnes assises ensemble, (…) avec une qualité de
production qui plaît à tous et pour laquelle, pour tout ce divertissement (ou vice ?),
personne n’a rien à payer.cxxxvii
102
Toutefois, le scénario dévastateur de l’imposition d’une seule chaîne de télévision sur tout le
territoire mérite d’être nuancé au profit de notre objet de recherche. Il convient de préciser,
tout en tenant compte de ce scénario marqué par la concentration de la publicité télévisuelle
et qui s’inscrit dans un cadre général plus large de politiques de communications, que
l’apport de la publicité ne se résume pas à la télévision. Celle-ci possède des liens étroits avec
le processus de consolidation de la presse commerciale dont nous avons précédemment parlé
(voir sect. 3.3). De ce fait, le processus de modernisation (à la fois industriel, graphique,
professionnel et éditorial) de la presse écrite, en cours à partir des années 1970 et 1980,
apporte des changements expressifs, surtout à la presse écrite. Outre le fait de dénoter une
forte expansion du système des médias, ces transformations « ont été accompagnées de
politiques commerciales et de marketing agressives, qui ont transformé conceptuellement les
journaux en prestataires de services et les anciens lecteurs en consommateurscxxxviii. » Cette
nouvelle orientation commerciale, conclut Azevedo, a non seulement eu un impact positif sur
la diversité du contenu journalistique, mais elle a aussi donné un nouvel élan à la publicité
subventionnée par les journaux.
À d’autres moments, toutefois, les auteurs tendent à relativiser le pouvoir de la TV Globo,
soulignant que celle-ci n’a jamais été la seule station de télévision en opération et ce, même
dans les périodes les plus répressives de la dictature militaire (1964-1985)75. Straubhaar
explique que le facteur l’ethnicité peut jouer un rôle majeur dans la concurrence entre les
chaînes de télévision existantes. L’auteur note ainsi l’existence, au Brésil, d’une
75
Leite lui-même admet que l’intensification de la concurrence se fait principalement sentir à
partir des années 1980, avec l’arrivée de la TV Manchete et de la réorientation des concurrentes déjà
installées sur le marché, comme le canal SBT, la TV Record et la TV Bandeirantes (Leite, 1990,
pp.248-249).
103
(…) divergence entre communicateurs en ce qui a trait à la transmission d’un idéal
ethnique qui fait appel aux classes de consommateurs plus aisées, dont l’ethnicité est
largement européenne, ou bien l’interpellation de l’audience plus large de la télévision,
laquelle est à moitié afro-brésilienne.cxxxix
Ainsi, la TV Globo, souvent accusée de sous-représenter la population afro-brésilienne « tant
dans la programmation que dans les annonces commerciales » (Straubhaar, 2001, p.151),
perd de l’espace au profit de ses deux principales rivales, SBT et Record, qui se prévalent,
elles, de genres télévisuels correspondant davantage aux goûts des classes plus basses —
comme les émissions d’entrevue, de télé-réalité, de jeux et de variétés76. Bref, « ces genres
interpellent le sens d’identité ou de capital culturel de classes travailleuses plus basses en
utilisant des participants plus représentatifs d’un point de vue ethnique de la diversité de
l’audience brésiliennecxl. »
Certes, l’aspect fortement régionalisé et concentré de l’industrie télévisuelle fait obstacle à la
diversité comprise autant sur le plan ethnique que culturel. Dans l’article La diversité
culturelle vue de l’Argentine, du Brésil et du Chili, Gaëtan Tremblay (2003), donne son
aperçu de la diversité culturelle et régionale au Brésil en confirmant que « la production
audiovisuelle est fortement concentrée à Rio et à São Paulo et [que] les cultures d’origine
africaine et autochtone ne reçoivent pas l’attention qu’elles méritent ni les moyens
nécessaires à leur plein épanouissement » (Tremblay, 2003, p.330).
76
Selon une note parue le 7 février 2008 dans le quotidien Hoje em Dia, une télénovela de la TV
Record a, pour la première fois, dépassé la TV Globo en termes d’audience. La note fait également état
de la perte d’audience de la TV Globo dans quelques-unes de ses principales émissions. On y
mentionne, par exemple, le fait que les taux d’écoute de la huitième version de l’émission de téléréalité
Big Brother Brasil n’ont jamais dépassé 40 points. L’émission Fantastico, le chef de file du dimanche
soir, a vécu une chute de 21 % dans les sondages en 2007 par rapport à 2004. Voir 2008. «Novela da
Recod bate Globo e alcança 1o lugar no Ibope». Hoje em Dia (Belo Horizonte), 7 février 2008. En
ligne. <http://www.hojeemdia.com.br/>
104
Je reviendrai sur ce point dans le prochain chapitre, lorsque je me pencherai plus précisément
sur l’histoire de la publicité au Brésil.
CHAPITRE IV
UNE BRÈVE HISTOIRE DE LA PUBLICITÉ AU BRÉSIL
Dans le chapitre précédent, j’ai fourni un aperçu général du système de communication de
masse et de ses retombées sur le marché publicitaire au Brésil. Il s’agit maintenant de
s’interroger sur le rapport établi entre ce système et la publicité telle qu’elle s’est
concrètement développée au Brésil.
Dans ce chapitre, je présenterai un bref parcours de la publicité industrielle, en essayant de
tenir compte de facteurs locaux et de dynamiques propres à la société brésilienne. Différentes
formes de périodisation sont possibles grâce à des critères très variables : l’emploi de
différentes techniques dans la confection des annonces, les diverses phases de
l’industrialisation franchies par le pays en question, les cycles économiques plus larges, etc.
Bref, devant toute une panoplie de possibilités qui s’offrent, j’opte pour la systématisation de
l’histoire de la publicité brésilienne tout en tenant compte de « l’interconnexion étroite entre
la publicité, le secteur de production de biens et les médiascxli ». Pour ce faire, j’aborderai les
différentes phases en prenant en considération quatre différentes dimensions : le système de
production et de distribution en place77, les technologies de médias en place, les
déterminantes culturelles de la consommation et l’organisation des affaires publicitaires à
chaque moment.
Ce bref survol de l’histoire de la publicité brésilienne, qui ne se veut aucunement exhaustif,
possède une spécificité additionnelle. En effet, je placerai dans cet itinéraire les différentes
améliorations techniques de la publicité dans leur contexte socio-historique d’origine, en
essayant de saisir les implications directes de leur consommation par les individus afrodescendants et métissés au Brésil. Autrement dit, il s’agit d’entreprendre une forme de
« lecture racialisée » de l’évolution de la technique publicitaire et des habitudes de
77
Contrairement au modèle proposé par Leiss et ses collègues (Leiss, Kline et Jhally, 1986,
p.123), lequel privilégie les différentes phases de production et de distribution industrielle
exclusivement, je propose un retour à une phase ultérieure à celle-ci. Ce faisant, mon idée est de
démontrer comment le système esclavagiste a eu un impact considérable, non seulement en termes de
technique de rédaction de l’annonce publicitaire, mais aussi dans la formation de la subjectivité de ces
lecteurs.
106
consommation, en la remettant dans une dynamique sociale plus large, tout en tenant compte
des éléments relevant de la sphère de la production économique de biens à chaque moment
précis.
Les ouvrages détaillant l’histoire de la publicité brésilienne ne sont pas nombreux. À cet
effet, la parution, au début des années 1990, d’un recueil d’articles issus des vétérans de ce
métier au Brésil, Historia da Propaganda no Brasil (Branco, Martensen et Reis, 1990)
demeure la référence principale. Le parcours historique de la publicité brésilienne que je
présenterai dans les prochaines pages s’inspire majoritairement des articles publiés dans cette
œuvre. Mais ce parcours a été également enrichi par des analyses ponctuelles portant sur le
contenu de la publicité à des époques particulières, menées par des chercheurs provenant de
différents champs d’expertise comme l’histoire, la sémiologie ou encore l’anthropologie.
4.1 Les origines des annonces publicitaires au Brésil : les annonces d’esclaves
« Avant-poste de l’industrie médiatique, le secteur publicitaire montre le chemin à suivre »,
estime Mattelart (op. cit, 1989 : 10). Selon l’auteur, la formation d’un réseau international
favorisant la fusion et la concentration de la propriété que l’on observe chez les grandes
corporations de communication est en réalité une tendance connue par l’industrie publicitaire
et ce, dès son apparition — voire même un facteur constitutif de celle-ci en tant que réseau de
réseaux.
Selon Mattelart, l’industrie de la publicité s’appuie sur « une trilogie de l’interprofession »,
considérée « universelle depuis que la publicité mérite ce nom » (op. cit, 1989, p.6) :
l’annonceur, l’agence et le support. Au Brésil, toutefois, l’essor des agences de publicité s’est
fait beaucoup plus tardivement que l’apparition des premières annonces publicitaires. Bien
que certains auteurs aient revendiqué la lettre de Pero Vaz de Caminha — le grand récit de la
« découverte » du Brésil — comme étant la première pièce « publicitaire » du pays, la
première annonce à proprement parler ne semble avoir été publiée qu’en 1808 (Ramos, 1990)
— date de la parution du premier journal au Brésil, le Gazeta do Rio de Janeiro. L’essor
tardif de la presse dans la seule colonie lusophone de l’Amérique latine coïncide, comme
nous l’avons vu plutôt, avec l’arrivée de la famille royale portugaise en sol brésilien.
107
Selon Ricardo Ramos, une première annonce d’immeuble « a fondé toute la dynastie des
petites annonces. C’est dans ce format, (…) qu’on loue, achète et vend la maison, la charrue
ou l’esclave qui s’offrent comme produit, professeur ou prêtrecxlii. »
Dès lors, les annonces publicitaires témoignent des contingences du système économique
esclavagiste en vogue, notamment en ce qui concerne la réduction de l’esclave à la condition
de bien matériel et de propriété de son maître. C’est donc comme bien matériel aliénable
qu’une parcelle significative de la population afro-descendante occupe les espaces de
visibilité de l’annonce. Au sujet du contenu de celles-ci, Ramos explique que :
Dans ce climat, aussi intéressé que pittoresque, s’inscrit le cadre de notre esclavage.
On vante les traits, les caractéristiques et les vertus des noirs et des noires en vente. On
montre les avantages de l’école pour les enfants, où des garçons et fillettes de huit à dix
ans apprenaient des offices, pour être loués par la suite. Principalement, on décrit les
esclaves évadés, on offre des récompenses pour les recherchés. Il y a des annonces
honteuses, comme celle [offrant] des billets pour voir une petite négresse monstre,
âgée de moins de sept ans et avec un poids supérieur à neuf arrobas78, ou encore celles
qui proposent des jeunes filles de belle allure, sans vices, des jeunes mères nourrices
récemment accouchées, des ventes et des achats en gros et au détail. Il y en a d’autres,
peu nombreuses, qui arrivent à paraître même sympathiques. Celle-ci concerne un
maître d’esclave amoureux, originaire de l’État de Pernambuco, qui cherche son
esclave évadée et qui en parle avec flamme, en dépensant de l’argent dans des détails
sans importance, pour ainsi conclure : et elle a les yeux tristes.cxliii
Certes, le caractère « sympathique » de cette dernière annonce dépend radicalement de la
perspective qu’on adopte, soit celle de l’amoureux, soit celle de l’esclave évadée. Ceci
deviendra d’ailleurs l’objet de discussions passionnées au sein de ce qui deviendra
ultérieurement l’organisme responsable de l’autoréglementation de ce secteur, comme nous le
verrons plus tard. Pour l’instant, il suffit de reconnaître que les contenus de ces annonces
donnent une perception assez particulière de la sociabilité de l’époque, notamment en ce qui
concerne une vue particulière sur les rapports entre maître et esclave tels qu’ils étaient vécus
78
Unité de mesure ancienne qui équivaut à 15 kg. Neuf arrobas seraient alors l’équivalent
d’environ 120 kg.
108
dans différentes parties du Brésil. En effet, s’il y a un point à retenir de la publicité jadis
naissante, c’est bien celui-ci : en conférant de la visibilité à un objet annoncé, la publicité
faisait connaître non seulement son objet mais aussi la perspective de son énonciateur —
donc, de son propriétaire réel ou potentiel79. Par exemple, dans une analyse des journaux de
l’État de São Paulo qui ont été publiés dans les années précédant l’abolition de l’esclavage,
Lilia Schawrcz (op. cit.) a fait ressortir les éléments de cette subjectivité identifiable à partir
des annonces qui y figuraient.
Outre le fait de faire état de la fuite d’un ou de plusieurs esclaves, ou bien de faire savoir le
montant d’argent offert en guise de récompense, ces annonces finirent par devenir de
véritables espaces d’expression de l’indignation, du mépris et du regret de ces maîtres,
dépassant ainsi largement l’objectif initial de celles-ci : récupérer tout simplement leurs
« biens » perdus.
4.2 L’essor de la presse et d’une nouvelle sociabilité… européenne ou américaine ?
Dans Social Communication in Advertising (op. cit.), Leiss et ses collaborateurs font état de
la double nature des technologies de communication. D’une part, ces technologies constituent
« des canaux à travers lesquels l’information et le contact interpersonnel peuvent se dérouler
et se mélanger, en rapprochant une population qui, en leur absence, se trouverait dispersée et
disparatecxliv. » Mais elles deviennent aussi une partie importante de la structure
institutionnelle des économies industrielles, «en mettant le pouvoir et l’autorité au service de
groupes particuliers pour des intentions particulièrescxlv. »
79
De ce point de vue, la publicité a été un espace d’attribution de l’Altérité qui est carrément
opposé à celui des quelques aventures littéraires entreprises par les Afro-descendants eux-mêmes à
cette même époque. À l’instar du poète Luiz Gama, auteur de Primeiras trovas burlescas de Getulino,
l’accès à l’écriture et aux outils sociaux qui rendaient l’écriture possible, était utilisé de façon à
conférer de la positivité au legs africain, généralement méprisé par ses contemporains. Sur Luiz Gama,
voir Azevedo, Elciene. 2006. «Luiz Gama, a letra e a luta». História Viva Temas Brasileiros —
Presença Negra, no 3, pp.30-37.
109
Dans la publicité du Brésil et d’ailleurs, se nourrissent mutuellement le processus culminant
dans le déplacement de l’autorité et du pouvoir des institutions socialement reconnues, telles
que l’Église ou l’armée, et l’affirmation d’un ethos80 de classe identifiable à une bourgeoisie
urbaine croissante. C’est alors en 1821 que le journal Diário do Rio de Janeiro voit le jour,
suivi de près par de nombreux autres qui surgirent après l’indépendance du Brésil en 1822 :
l’Espectador Brasileiro et l’Almanaque dos Negociantes, en 1824 ; le Diário de
Pernambuco, en 1825. « Rapidement, les articles se multiplient, les services aussicxlvi »,
explique Ramos, en nous apprenant que la fondation des journaux se concrétise au « moment
où émergent les cafés, les librairies, où prolifèrent les pasquinscxlvii ». À la fois témoin et
agente des changements dans cette nouvelle sociabilité émergente, la publicité change tout
autant. « Le commerce s’élargit, varié, hétérogène, la publicité mercurielle rend compte de
pots pour les jardins, des pots de chambres de toutes les tailles, de copieurs de musique ou de
matelas d’étoffe végétale ou de prières contre la pestecxlviii. »
Des annonces en langue étrangère se font vite remarquer. « Des annonces en français
réclament une dame pour s’occuper d’un aveugle ou un homme actif, qui parle portugais,
pour être gérant dans une plantation de café proche de la villecxlix » tandis « que les annonces
en anglais, publiées à Rio et à Recife, possèdent une coupe plus scientifique : celles-ci offrent
les talents de chirurgiens-dentistes, venus d’Europe, [et] divulguent des poudres importées
pour le nettoyage des dentscl. » Ce serait faux cependant d’imaginer que les annonces
80
Le terme ethos est ici compris dans son acception bourdieusienne, c’est-à-dire comme la
dimension éthique en état pratique de l’habitus. Bourdieu explique qu’« une des fonctions de la notion
de l’habitus est de rendre compte de l’unité de style qui unit les pratiques et les biens d’un agent
singulier ou d’une classe d’agents » (Bourdieu, Pierre. 1994 Raisons pratiques : sur la théorie de
l’action. Paris, Éditions du Seuil: 23). Cependant, j’utilise ce terme avec une certaine précaution
théorique, en prenant acte des critiques qui ont été faites à l’endroit de la notion d’habitus notamment
par Philippe Corcuff et Bernard Lahire (Corcuff, Philippe. 2003 « L’homme pluriel et l’habitus :
questions autour de Pierre Bourdieu et de Bernard Lahire ». Bourdieu autrement fragilités d’un
sociologue de combat. Paris, Les Éditions Textuel). Ces critiques concernaient notamment les
« présupposés d’unité et de permanence de la personne » (Corcuff : 69). Dans ce passage précis,
l’emploi de l’idée d’un ethos de classe vise tout simplement à faire ressortir la dimension objective
d’un principe pratique de classement qui forge l’identité d’un groupe en guise de consolidation.
110
« reproduisaient » tout simplement les attentes et les goûts authentiques d’une bourgeoisie
locale. En effet, le rôle de la publicité était vraiment plus complexe, dans la mesure où celleci jouait le rôle d’intermédiaire entre les modèles esthétiques provenant d’Europe ou des
États-Unis et un grand public, très peu familiarisé avec les pratiques quotidiennes de la
lecture et de l’écriture. Ce rôle de médiation est confirmé par Ramos lui-même : « D’un côté,
le raffinement français ; de l’autre, le technicisme américain. L’un est élégant, l’autre,
pragmatique. Que faisons-nous ? Nous traduisons, adaptons et vivons ensemble avec les
deuxcli. »
Nous ne pouvons malheureusement pas compter sur des statistiques fiables concernant l’écart
existant entre le nombre de Brésiliens lettrés et celui de Brésiliens illettrés au cours de
première moitié du XIXe siècle. Cependant, une chronique signée par le célèbre écrivain
brésilien Machado en 1876 fait part d’un taux d’analphabétisme dépassant 70 % de la
population (Masagão, 2003). Or, il semble que cet obstacle fût au vu et au su de tous les
créateurs de publicités, raison supposément définitive pour l’embauche d’écrivains poètes à
titre de rédacteurs. Ramos vient à l’appui d’une telle hypothèse en soulignant que « le public,
majoritairement analphabète ou semi-analphabète, retrouvait dans les rimes l’indispensable
aide mnémonique pour mieux retenir les thèmes et les annonces (ceci étant le résultat que les
annonceurs souhaitaient obtenir, ils cherchaient alors les poètes)clii » Et conclut-il : « D’après
ce qu’on a pu vérifier, les poètes ont été les premiers free-lancers de rédactioncliii »
publicitaire.
4.3 Le développement de la publicité et le projet eugéniste
J’ai démontré jusqu’ici comment la publicité, dans ses formes préindustrielles, commence
graduellement à se structurer au Brésil avec l’essor des premiers journaux et d’un début
d’industrialisation. L’activité publicitaire semble alors se structurer à l’intérieur des journaux,
sous la forme d’un département, et « s’amplifie pour gagner la rue, le client, pour finalement
acquérir des contours plus nets avec l’essor des revuescliv ».
111
Contrairement aux États-Unis, qui ont vu leur première agence de publicité naître en 1841
(Mattelart, op. cit, 1990), le Brésil n’a jamais connu une phase durant laquelle les agences
locales dominent, seules, le marché national. Autrement dit, la publicité, dans sa forme la
plus structurée et professionnalisée, s’insère « tardivement » (par comparaison avec les
premiers pays industrialisés) dans la tendance d’expansion internationale et de concentration
de la propriété qui avait été inaugurée par l’agence états-unienne J. Walter Thompson dès
l’année 1899 — lorsque celle-ci avait installé son premier bureau de ventes à Londres81.
Matellart note que « la fondation successive de filiales dans les grandes capitales régionales
en Inde et au Brésil indique combien la firme américaine a été intimement associée à
l’établissement du dispositif publicitaire dans chacune de ces réalités » (Mattelart, 1990,
p.13).
C’est donc dans le contexte d’expansionnisme des agences de publicités nord-américaines
qu’émergent les premières agences de publicité. Par exemple, la compagnie Castaldi &
Bennaton, localisée dans la ville de São Paulo, date de 1913 ou de 1914. Après la fin de la
Première Guerre mondiale, cette même ville compte déjà quatre agences de publicité
supplémentaires : Eclética, fondée par Eugênio Leuenroth, Pettinati, l’Édanée, celle de
Valentim Harris ou encore celle de Pedro Didier et Antônio Vaudagnoti.
À en juger par les noms des propriétaires de ces firmes, les influences étrangères n’étaient
pas seulement une question de style, mais aussi un fait accompli en ce qui concerne la
présence d’individus issus de l’immigration dans la publicité. Autrement dit, ces noms de
famille démontrent bien non seulement la forte présence des agences étrangères au pays, mais
81
Notons cependant que l’objectif des premières Américaines à Londres était d’abord d’inciter les
fabricants de marchandises anglais à vendre et à annoncer leurs produits en Amérique. Dans le
contexte de leur arrivée au Brésil, les agences internationales suivaient le mouvement
d’internationalisation de la production industrielle nord-américaine. « L’histoire de cette première
phase de l’internationalisation de l’agence se confond avec l’histoire de l’expansion mondiale de
grandes entreprises américaines » (Mattelart, 1989 : 12), telles que General Motors, Kodak, Kellogg’s,
Ford et tant d’autres.
112
aussi le fait que celles-ci résultaient largement de l’initiative d’individus issus de
l’immigration européenne ou américaine au Brésil (De Moraes Sarmento, 1990)82. Toutefois,
la publicité était destinée à être dès lors plus américaine qu’européenne, grâce à l’arrivée au
Brésil de l’agence américaine J. Walter Thompson, en 1929, pour répondre aux besoins de la
General Motors Inc. Ceci signale ainsi l’ouverture du marché national aux agences
américaines comme l’agence N. W. Ayer & Son, à São Paulo, ou encore la Foreign
Advertising Service Bureau Inc., à Rio de Janeiro (De Moraes Sarmento : 20-21). À propos
de l’arrivée du réseau d’agence J. Walter Thompson au Brésil, Mattelart révèle que « dans
des pays comme le Brésil qui, en ces années-là, ne disposait pas de presse, de radio et de
télévision à l’échelle de l’ensemble du territoire, le réseau publicitaire jeta les premières bases
de l’intégration nationale par le marché.» (Mattelart, 1989 : 13.)
C’est aussi dans les années 1920 que l’on observe l’essor d’un grand marché de médicaments
au Brésil et, par conséquent, de la publicité les concernant. Rappelons que les théories
eugénistes sont à l’ordre du jour des élites au pouvoir et que celles-ci voient en l’immigration
d’origine européenne une composante essentielle au projet d’amélioration raciale (Dávila,
2003 Dos Santos et Palhares Sá, 2000). Or, au cœur du projet eugéniste en question se
trouvait une préoccupation centrale en ce qui a trait aux politiques publiques de type
hygiéniste qui, à leur tour, possédaient un volet fortement pédagogique. Dos Santos et
Palhares Sá décrivent l’arrivée des années 1920 comme la fin de la grande phase de projets
d’assainissement, même si ceux-ci n’étaient pour la plupart jamais conclus. Dans ces projets,
Les soins seraient alors redirigés afin d’« améliorer les [personnes] sain[e]s », en
imposant à la population en général, par le biais d’une éducation hygiénique, tout un
imaginaire des idéaux bourgeois de civilité, fondés sur des caractéristiques telles que
l’ordre, la propreté, la discipline, l’autorité, la propriété privée, etc.clv
82
Je reviendrai sur ce point dans le chapitre prochain ; la présence étrangère dans les agences de
publicité suscitera des mesures spéciales de surveillance prises par le Président Getulio Vargas, telles
que l’identification des noms, adresses, nationalité, etc.
113
L’essor des almanachs, notamment des almanachs pharmaceutiques, est un effet collatéral de
ce scénario plus ample, qui démontre bien l’extension des politiques hygiénistes aux milieux
ruraux. Dans son analyse des dispositifs pédagogiques présents dans les annonces véhiculées
dans les almanachs pharmaceutiques, Vera Casa Nova (op. cit.) explique que ces publications
à caractère ouvertement pédagogique visaient à vulgariser le discours médical
pharmaceutique à l’ensemble de la population nationale, afin de créer un marché de
consommation de médicaments.
« L’expérience avec les médias change la pratique de la publicité, notent Leiss, Kline et
Jhally. Dans les magazines, photographie et art permettent des innovations dans la dimension
associative de l’argumentationclvi. » Cependant, le lecteur-type des annonces publicitaires de
l’almanach du début du XXe siècle est plutôt ce lecteur localisé dans les régions rurales,
destitué des moyens ou de l’habitude de lecture, ce qui fait que les annonces soient idéalisés
de façon à s’adapter à cette conjoncture.
Aux prises avec les illustrations par la nécessité, le lecteur d’almanach, parce qu’il ne
sait pas lire (dans le sens d’une simple décodification du manifeste), parce qu’il lit peu,
ou encore à cause de la rapidité de sa lecture, s’attarde surtout sur les images, sur les
signes iconiques qui y sont présents. C’est pour cela que dans la publicité, il y a peu de
mots et beaucoup d’images.clvii
Ces images, qui ne sont pas encore de photographies mais presque exclusivement des dessins
copiés par la reproduction typographique, s’adaptent aux textes, parfois en les complétant,
parfois en les répétant dans un mouvement tautologique, explique l’auteur. « Comme des
dessins scolaires, ces images laissent apparaître, sans équivoques, ce qu’elles représentent et,
ainsi, s’approximent du texte, en alphabétisant et en enseignant par l’intermédiaire
d’imagesclviii. » C’est de cette manière que les changements sociaux (d’habitude, de
comportement, de valeurs, etc.) sont démontrés aux lecteur/spectateurs de la publicité
d’almanach.
114
L’une des stratégies identifiées par Casa Nova dans les annonces pharmaceutiques est le
recours à la figure du modèle identificateur pour démontrer les effets d’un médicament avant
et après son usage : cette procédure consistait à montrer deux états d’âme qui sont
explicitement attribués à la même personne avant et après la consommation d’un médicament
particulier. Ce n’est pas sans raison qu’est souvent choisie la figure du Jeca Tatu83, ce
personnage métis, malade et affaibli issu de l’imagination de l’écrivain Monteiro Lobato.
Celui-ci sera fréquemment représenté dans les publicités d’almanach et trouvera son double
transformé, grâce à l’ingestion des médicaments annoncés, en la figure d’Achille ou d’un
Hercule urbain (Casa Nova, 1996, pp.85-86).
Néanmoins, j’aimerais signaler ici un aspect du processus de corporification de la maladie
qui ne fait pas l’objet de réflexions de la part de Casa Nova : la totale absence de la
représentation des individus noirs dans les pages de l’almanach (tout au moins dans celles
reproduites dans l’ouvrage de Casa Nova). Une explication probable de cette absence, me
semble-t-il, relève d’une vision raciale hautement hiérarchisée selon laquelle la déchéance
physique du Noir serait supérieure à celle du métis. Dans cette perspective, la présence du
métis dans les pages de l’almanach s’explique en grande partie par sa position légèrement
supérieure à celle des noirs, considérés plus « purs ». Autrement dit, si le métis est encore
quelqu’un passible d’amélioration par l’ingestion des médicaments et par la fortification de
son corps, l’homme et la femme noirs, quant à eux, ne font pas l’objet des mêmes
préoccupations.
83
Présenté pour la première fois par Monteiro Lobato dans le livre Urupês (1918), Jeca Tatu est
une parodie du travailleur rural vivant dans l’État de São Paulo. Pauvre, malade, paresseux, il incarne
la situation du caboclo brésilien (dénomination du métis de Blanc et Indien), livré par les pouvoirs
publics aux maladies, notamment l’ancylostomose et l’indigence (Skidmore, 1993, pp.180-185). Selon
Vera Casa Nova, la figure de Jeca Tatu a été choisie par l’élite économique comme métaphore d’une
situation sociale de misère. Il importe de préciser qu’à défaut d’une moindre attention accordée à la
dimension raciale du personnage en question par l’auteure de Liçoes de Almanaque, les implications de
cette dimension me semblent évidentes pour comprendre la portée des préceptes hygiénistes présents
dans le projet eugéniste d’« amélioration raciale » de la population brésilienne.
115
Le dessin, en tant qu’outil d’expression de valeurs et de concepts abstraits, ne tardera pas à
cohabiter avec la photographie. Pour l’instant, note le photographe Francisco Albuquerque,
l’absence de qualité technique au niveau de l’impression du début des années 1930 fait en
sorte que les médias imprimés soient tenus à l’écart de tout usage de la photographie comme
forme de représentation du produit ou de la situation de consommation (Albuquerque,
1991)84.
4.4 L’essor de la photographie publicitaire : les agences des modèles et les modèles de
beauté
Les années 1930 marquent, au Brésil, l’essor de « la phase initiale de la publicité
techniqueclix ». C’est également pendant cette période, précédant l’arrivée de la télévision,
que le pays expérimentait un processus de développement embryonnaire et un marché
publicitaire rampant, et que la facturation des médias était largement dépendante des petites
annonces populaires ainsi que des annonces du commerce au détail (Azevedo, 2006, p.103).
Le journal est alors le média prédominant «quand la qualité de reproduction des journaux a
rendu possible l’utilisation, quoique précaire, de la photographie, les agences utilisaient des
photographies importées, choisies dans les catalogues des modèles américainsclx. » Ceci
semble justifier, d’une certaine façon, le fait que « la photographie publicitaire était
pratiquement limitée à des photos d’objets et de produits, parce que les Brésiliens étaient
gênés de poser comme modèlesclxi. » C’est seulement l’amélioration de la qualité de
l’impression qui a pu changer ce scénario ; elle-même a été suivie de l’avènement de la
photographie en couleurs, ce qui a rendu possible la revue en couleurs. Avec cette dernière, la
photographie publicitaire connaît, elle aussi, une nouvelle phase à partir des années 1940.
84
Selon Albuquerque, « le dessin à trace » était la seule forme d’art capable d’assurer un
minimum de qualité lors de l’impression (Albuquerque : 168). Cependant, cette autonomie esthétique
relative du dessinateur sera définitivement mise à l’écart à partir des années 1940, lorsque le
journalisme américain vivra une véritable expansion et qu’il commencera à envoyer du matériel à
copier ou adapter (Casa Nova : 82).
116
Photographe professionnel et l’un des pionniers à faire de la photographie publicitaire son
métier, Albuquerque raconte la trajectoire de celle-ci telle qu’il l’a vue et vécue. Avec les
premiers studios photographiques, poursuit l’auteur, surgissent aussi les premières structures
d’appui à la photographie, c’est-à-dire les modèles, les producteurs et les fournisseurs. J’ai
mentionné antérieurement que la publicité reproduisait, dès sa création, un ethos de classe
particulier. D’une certaine façon, Albuquerque renforce cette idée lorsqu’il explique que les
premiers modèles photographiques étaient « des personnes de la haute sociétéclxii ». Cet
aspect élitiste ressort encore plus dans le passage suivant : « Les modèles étaient recrutées
entre amis, parents et encore même chez les personnes recueillies dans la rue, comme on le
fait toujours entre individus de bon niveau [haut niveau social]clxiii ». Le texte d’Albuquerque
nous apprend également qu’à côté des modèles amateurs sélectionnées pour participer aux
premières photographies publicitaires, se trouvèrent plusieurs artistes de cinéma et de théâtre.
Ces personnes, raconte-t-il, « commencèrent à s’intéresser à la photographie, en travaillant en
tant que modèles ou productrices passionnéesclxiv. »
Or, ce qui paraît échapper autant à Casa Nova qu’à Albuquerque c’est le clivage racial — qui
dans le contexte brésilien est aussi social — identifiable dans les modèles de beauté et de
santé représentés dans les différentes publications du début du XXe siècle. Ce n’est pas par
hasard que, dans le cas des dessins d’Almanach, on puise dans un répertoire qui privilégie
davantage les figures mythiques grecques comme Hercules ou Achille. Après l’avènement de
la photographie publicitaire, ce sont les modèles américains qui prennent la relève. Et même
si, plus tard, on ira chercher dans le milieu brésilien dit « de la haute société » des modèles
pour la photographie publicitaire, rien ne me pousse à croire que le choix de modèles locaux
aurait beaucoup changé la donne.
Au contraire, le texte d’Albuquerque fournit encore d’autres indices permettant d’établir une
correspondance directe entre les critères esthétiques internationaux et ceux appliqués aux
annonces publicitaires au Brésil. À ses débuts, rappelle-t-il, la photographie publicitaire,
« devait reproduire fidèlement l’illustration proposée dans le plan de situation. Le
117
photographe restait, ainsi, restreint au schéma imaginé par le directeur d’artclxv. » Une fois
émancipés de la prison du plan de situation, conclut-il, « nous avions besoin de nous libérer
de la soumission aux canons internationaux et de nous pencher sur la valorisation de notre
culture, afin de réaliser un travail nouveau et authentiqueclxvi. » On pourrait encore
s’interroger sur la vision de la culture nationale que l’auteur veut valoriser et dans quelle
mesure une telle vision serait capable de rendre le travail photographique publicitaire
« nouveau et authentique », mais ceci échappe aux propos fixés pour ce compte rendu de
l’histoire de la publicité brésilienne.
Certes, ce sont les éléments historiques menant à une compréhension éclairée de la façon
dont l’illustration et la photographie publicitaires font recours aux modèles d’identification
qu’il faut retenir des contributions apportées par Casa Nova et par Albuquerque, et ce, malgré
les spécificités techniques propres à chacun de ces moyens. Je rejoins Gérard Lagneau, dans
ce qu’il propose dans son approche sociologique de la photographie publicitaire (1965). Pour
lui, la fonction par excellence de la photographie publicitaire réside dans la mise en situation
sociale du produit, « c’est-à-dire [qu’on place ce produit] dans un ensemble de décors,
d’accessoires, de mannequins et de lumières concourant à ‘créer une ambiance.’ » (Lagneau,
1965, p.213.) Autrement dit,
Quand il s’agit de donner un contenu à sa photographie, le praticien n’a d’autre
ressource que de spécifier socialement le produit. Mettre celui-ci « en situation », c’est
choisir soigneusement un contexte qui permettra à un certain public de « se projeter »
dans la photographie, c’est-à-dire d’y reconnaître ses aspirations. (Lagneau, 1965,
p.217.)
Ce dernier extrait facilite la conclusion selon laquelle le supposé « réalisme » attribuable à la
photographie publicitaire ne fait de celle-ci ni un substitutif du dessin ni un choix qui exclut
d’emblée celui-ci. Dans la publicité, poursuit Lagneau, que ce soit par le biais de la
photographie ou du dessin, « le choix se fait donc en vertu des attentes supposées du public
118
devant un genre d’expression bien plus que selon le degré d’exactitude propre à chacun
d’eux » (Lagneau, 1965, p.211). La question qui se pose désormais est moins de connaître les
« vraies attentes » du public que d’identifier la perception que les créateurs et idéalisateurs
des publicités avaient en effet des attentes de ce même public.
Du reste, la correspondance entre les critères esthétiques présents dans la publicité brésilienne
et ceux venant d’ailleurs est une question assez complexe que je préfère laisser ouverte pour
l’instant, afin d’y revenir à la dernière section de ce chapitre.
4.5 La publicité orale et la radio
Nous savons tous que la publicité ne se réduit pas à sa forme imprimée. Au Brésil
notamment, la publicité orale portait en soi l’empreinte de l’oralité et d’un riche répertoire
musical depuis ses premières manifestations.
Dans une brève anthologie de la publicité dans ses formes orales, Roberto Simões (1991)
nous apprend beaucoup sur les tendances esthétiques employées dans la production de ce
type de publicité. L’utilisation de versets, par exemple, était un fait accompli dès l’année
1857 par des vendeurs ambulants. Chanté par ces vendeurs, le contenu de l’un de ces versets,
datant des années 1880, nous indique que dès lors la consommation de biens et de services
était un facteur de différentiation entre les personnes nanties, d’une part, et le petit peuple,
d’autre part : « Petit sorbet, gros sorbet/ Petit sorbet aux limes/ Ceux qui n’ont pas 200 réis85/
N’en mangent pasclxvii». Ce qui équivaut à dire que la publicité dans ce contexte privilégiait
d’abord et avant tout les couches supérieures du système social.
85
Pluriel de l’unité monétaire brésilienne, le Real, utilisée entre la période coloniale et
l’avènement
du
Cruzeiro,
en
1942.
(2007).
Réis,
Wikipédia.
En
ligne.
<http://pt.wikipedia.org/wiki/R %C3 %A9is>.
119
Les styles musicaux suivront les tendances de la mode en vigueur au Brésil. Simões fait aussi
part, notamment, de la composition et de l’utilisation, dès 1882, de polcas — musique de
rythme vif qui marque le rythme d’une danse d'origine polonaise du même nom86 — ayant
pour finalité la divulgation des médicaments. Toutefois, l’utilisation de rythmes étrangers
comme la polca ne tardera pas à céder sa place à l’émergence d’un genre issu des classes
défavorisées : la samba87. C’est alors qu’une adaptation de la première chanson de samba,
enregistrée comme disque en 1917 et intitulée « Pelo telefone », deviendra le premier spot
publicitaire, très réussi d’ailleurs, de la bière Fidalga. La raison de cette appropriation
musicale au détriment d’une esthétique musicale plus européenne — besoin de popularisation
du produit ? — n’est toutefois pas avancée par l’auteur et demeure donc ouverte aux
conjectures.
Quoi qu’il en soit, il semble clair que l’avènement de la radio, en 1923, a favorisé
l’appropriation de l’apport musical provenant des couches plus défavorisées de la population
et —pourquoi pas — s’érige comme un véritable marché de travail pour des musiciens
comme Sinhô — connu comme le roi de la samba —, Manuel Pedro dos Santos, le populaire
Baiano, et tant d’autres. En ce qui concerne plus spécifiquement la publicité, les règlements
de concession de l’époque interdisaient l’exploitation commerciale la première année suivant
la création d’une station radio. Ceci a rendu très timides les débuts de la publicité dans ce
média, qui étaient également restreints à de brèves insertions entre les émissions, « avec les
noms des firmes cités lors de l’ouverture et de la fermeture des périodes de diffusionclxviii. »
86
87
Selon le dictionnaire Mini Aurélio (Buarque de Holanda Ferreira, 2004).
Il faut mentionner que l’ascension de la samba en tant que genre correspond à une appropriation
par les classes aisées au Brésil dans un contexte où l’on rendait hommage à l’entrecroisement des
« races », caractéristique de la dynamique démographique au Brésil. Plusieurs auteurs déplorent le fait
que ce genre musical, autrefois durement réprimé par les forces policières de la première République,
soit devenu un facteur d’attrait des élites, sans que cela signifie pour autant une amélioration collective
des conditions de vie de la population afro-descendante. Comme cette discussion dépasse largement
l’étendue de notre recherche, j’opte pour l’énumération de quelques ouvrages à ce sujet. Pour une
analyse de la samba et de l’essor de l’industrie phonographique à l’ère Vargas, voir Nunes Frota,
Wander. Auxilio luxuoso: Samba, simbolo nacional, geraçao Noel Rosa e industria cultural. Sao Paulo:
Anna Blume, 2003. Voir également Carvalho, Bernardo (2007). O abuso do samba (ou 'samba não é
grapete'...), Overmundo. En ligne. <http://www.overmundo.com.br/overblog/o-abuso-do-samba-ousamba-nao-e-grapete>.
120
Plus tard, lorsque les moyens techniques permettaient non seulement la transmission
radiophonique mais aussi l’enregistrement sonore de la programmation, la publicité assumera
l’une des cinq différentes formes suivantes : l’improvisation par le locuteur d’une émission
au cours de celle-ci ; la lecture de textes préparés pour la presse écrite, sans aucune
adaptation au média ; la création de textes spéciaux ayant été élaborés préalablement par un
rédacteur ; le spot, lorsqu’un texte de locution est enregistré au préalable ; et, finalement, le
message musicalisé dans une forme plus sophistiquée comme celle de la ritournelle
publicitaire (Simões, 1990, p.174).
Arrivée à son apogée dans les années 1940, la radio attire de plus en plus une partie
représentative des dépenses publicitaires. Simões argumente que cette augmentation a permis
non seulement une amélioration de la qualité des messages publicitaires, «en contribuant à
mettre en valeur les spots et les ritournelles au sein du paysage publicitaire, mais aussi à faire
en sorte que les annonceurs se disputent pour accorder les investissements aux émissions les
plus significatives, et que les agences s’efforcent de les créerclxix. »
Ainsi, dans les années 1950-1951, on rapporte un investissement de 35 à 40 % des budgets
publicitaires destinés à la radio par des agences multinationales comme la McCann et la J.W.
Thompson (Leite, 1990). Somme toute, c’est l’apport d’importantes sommes d’argent qui
rendra possible l’essor, en 1941, d’un nouveau genre dans la programmation radiophonique :
le feuilleton radiophonique ou, plus simplement, la « radionovela » — espèce de roman
diffusé en direct sur les ondes et totalement adapté au nouveau média. Le feuilleton intitulé
« O direito de nascer » (Le droit de naître), ainsi devenu la première trame diffusée à la radio,
a été inspirée de l’œuvre homonyme écrite par le cubain Félix Caignet. Ce feuilleton eut un
succès incroyable non seulement à Rio de Janeiro, où se situait la Radio Nacional, mais aussi
dans d’autres capitales au Brésil88. Fait intéressant à souligner : l’une des protagonistes du
88
Simões cite le témoignage de Jurandyr, selon lequel le feuilleton aurait eu tellement de succès
qu’on aurait finalement décidé de l’enregistrer sur un disque de vinyle pour que d’autres stations de
radio puissent le retransmettre, sans pour autant demander un quelconque paiement.
121
roman de Caignet est une femme noire, « Mamãe Dolores » (Maman Dolores), qui finit par
adopter un enfant blanc, sans que celui-ci ne sache ses véritables origines. Le succès de ce
feuilleton a été tellement significatif qu’on a décidé, en 1964, de l’adapter à la télévision, en
consolidant ce genre fictionnel dans le nouveau média émergent.
Le savoir-faire accumulé par la radio sera vraiment important lors de l’essor de la télévision
dans les années 1950. Selon le publicitaire Manuel Leite, l’absence d’une industrie
cinématographique au Brésil, à l’instar de celle des États-Unis, a fait en sorte que ce nouveau
média devienne une « radio avec des images, [avec une] programmation ‘en direct’ et une
sélection naturelle de diffusion sur les ondes de ce qui avait du succès à la radioclxx. » Ainsi,
les premières années de la télévision ont témoigné de la métamorphose des feuilletons
radiophoniques — les « radionovelas » — de grande répercussion dans une version télévisée
— désormais appelée « telenovela ». C’est par exemple le cas du feuilleton intitulé « O
direito de nascer ».
Le réalisateur noir brésilien Joel Zito Araújo démontre bien l’ancrage historique du
personnage de Maman Dolores dans A negação do Brasil (op. cit.). L’auteur souligne que ce
rôle incarne à la fois l’image classique de la mère noire brésilienne, diffusée dans le roman et
dans le théâtre brésiliens depuis l’abolition de l’esclavage — mère nourricière dont
l’abnégation, la soumission et la dévotion envers les Blancs sont des aspects saillants — et la
figure de la mammie, stéréotype états-unien de succès89. Araújo, un précurseur dans l’analyse
critique de la représentation des afro-brésiliens dans les médias, note cependant que, malgré
89
Joel Zito Araújo explique que le soap opera, ce mélodrame radiophonique né aux États-Unis
dans les années 1930 ainsi que toute une filmographie hollywoodienne en vogue à cette même époque
ont largement servi de réservoirs pour les personnages, histoires et récits de leurs équivalents en
Amérique Latine, en s’ajoutant notamment aux nombreuses influences apportées par le romanfeuilleton français (Araújo, 2000, pp.43-60). En ce qui concerne la figure de la mammie à proprement
parler, celle-ci voit le jour dans le film Lysistrata (1914) ; elle représentait alors l’idéal de la
domestique parfaite tel que conçu par les classes moyennes blanches nord-américaines : grande,
grosse, fière, dominatrice, irritable mais incroyablement maternelle dans son approche humaine.
Araújo explique que cette représentation a été immortalisée par le rôle joué par l’actrice Hattie
McDaniel dans le film Autant en emporte le vent, constituant l’une des représentations les plus
répandues dans les feuilletons radiophoniques mexicains, cubains et brésiliens.
122
son succès, l’actrice a subi le même sort que la plupart des acteurs noirs et métis à la
télévision brésilienne : un manque de reconnaissance et une attribution exclusive de rôles
subalternes90. Malgré ceci, la scène où l’actrice noire Isaura Bruno révèle le secret autour
duquel le récit a été construit — la véritable identité de Albertinho Limonta — a été vue par
rien de moins qu’un million et demi de téléspectateurs, « et a laissé les journalistes, les
intellectuels et les publicitaires impressionnés par le phénomèneclxxi ».
4.6 La publicité à l’heure de la télévision
Pour en revenir à la publicité de manière plus précise, celle-ci sera responsable, dans sa forme
télévisée, de la consolidation des relations de consommation dans la société brésilienne. Dans
cette phase, « entre 1945 et 1963, l’industrie américaine — toutes catégories confondues — a
quadruplé ses investissements à l’étranger. » (Mattelart, 1990 : 9.) Parallèlement, comme
l’atteste Leite, au Brésil, « des études indiquent qu’il y avait déjà une certaine réceptivité à
une forme grossière de consommateurisme modéré, consommateurisme qui sera d’ailleurs le
grand levier des ventes de ce nouveau et fascinant médiaclxxii. »
La télévision consolide aussi l’hégémonie culturelle états-unienne et ce, dans plusieurs
aspects. Les techniques publicitaires appliquées dans les premiers temps de la télévision
seront celles de la radio. Comme l’atteste le publicitaire et journaliste Rubens Furtado, les
publicités télévisées se résumaient à une succession de diapositives, lues en direct par une
voix off (Furtado, 1991. Voir Branco, Martensen et Reis. 1991). D’un côté, Araújo nous
apprend que «tout comme dans le soap opera nord-américain, le feuilleton télévisé brésilien
90
Selon Araújo, le nom d’Isaura Bruno ne figure même pas dans la liste des 47 acteurs citée par
Ismaël Fernandes dans son mémoire de la télénovela brésilienne et qui ont été considérés comme les
idoles nationaux pendant la première décennie de la télévision au Brésil.
123
s’est développé sou l’égide des fabriques de savon et de dentifriceclxxiii ». Selon ce dernier, les
deux tiers des feuilletons ayant été télévisés jusqu’en 1969 ont été commandités par les
entreprises Gessy-Lever, Colgate-Palmolive et Kolynos-Van Ess. « En termes publicitaires,
la radio a perdu le duel face à la télévision, en voyant ses subventions maigrirclxxiv. »
D’un autre côté, l’avant-gardisme de la télévision états-unienne lui a garanti un rôle de
modèle technique. Et même si le rôle joué par le commerce au détail local — les magasins
d’habits notamment — a été décisif au point de convaincre les agences de publicité d’investir
davantage dans le média télévisuel, ce sont surtout les annonceurs étrangers qui ont forcé les
agences à « chercher à préparer le personnel, à envoyer des gens aux États-Unis et, plus
important, à ouvrir la tête de rédacteurs et artistes, ainsi que la création de l’époqueclxxv. »
Rien d’étonnant puisque, comme l’affirme Mattelart, « la position hégémonique des réseaux
d’agences américaines ne faisait que traduire une suprématie industrielle et commerciale. »
(Mattelart, 1990, p.10.)
L’influence d’une esthétique où prédominent les individus phénotypiquement identifiables au
type Blanc trouve sa place, à l’instar de la photographie, dans la publicité télévisuelle. Araújo
résume bien les principales études portant sur la présence des individus noirs dans la publicité
brésilienne et qui ont dressé un bilan quantitatif de leur exclusion (Araújo, 2000, pp.67-69).
Ainsi, dans une étude menée en 1982, Carlos Hasenbalg a constaté « la présence noire dans
seulement 3 % de annonces de télévisionclxxvi ». Cette recherche a certainement été un travail
précurseur dans cette ligne de même qu’elle a servi de support à l’hypothèse de la dilution et
du blanchissement des noirs dans la télévision brésilienne.
Une deuxième appréciation de l’exclusion de la population afro-brésilienne des annonces
commerciales a été entreprise en 1991 par les chercheurs Subervi-Velez et Oliveira. Ceux-ci
ont examiné systématiquement 1 500 annonces de télévision, y compris les répétitions,
passées sur les ondes au cours de 59 heures de programmation diffusée aux heures de grande
écoute. Leurs conclusions étant plus nombreuses, je n’en citerai que quelques-unes : 1) les
noirs n’ont été représentés que dans 39 annonces ; 2) les noirs ne s’exprimaient verbalement
124
que dans neuf annonces ; et même dans ces cas-là, ils jouent généralement des rôles
secondaires ; 3) les noirs ont joué des rôles principaux dans seulement quatre annonces,
parmi lesquelles trois étaient associées à l’industrie du disque, alors que la quatrième était
dédiée au centenaire de l’abolition de l’esclavage.
Un repérage réalisé auprès des principaux émetteurs de télévision à São Paulo entre les 21 et
28 août 1995 a été effectué par l’Institut Datafolha — organisme lié au journal Folha de São
Paulo qui mène des sondages d’opinion divers. Le sondage a confirmé les deux portraits
précédents, en précisant cependant que l’absence des individus noirs était encore plus
marquée dans les annonces institutionnelles des émetteurs que dans les annonces
subventionnées par des annonceurs externes.
Araújo conclut ses réflexions sur l’absence des afro-brésiliens de la publicité télévisuelle en
avançant une donnée très révélatrice : ce n’est qu’en 1997 que la publicité brésilienne a
représenté, pour la première fois, une famille noire dans un contexte de consommation. Ainsi,
dans une annonce vantant des œufs au chocolat commercialisés durant les fêtes de Pâques,
diffusée aux heures de grande écoute, on a pu faire connaissance de la famille de « M.
Natalino F. Coelho ».
4.7. L’autre côté de l’absence : la publicité face au marché afro-brésilien
Qu’est devenu le marché publicitaire brésilien à partir des années 1960, lorsque la télévision
a pris une place publique ? Alors que, selon Mattelart (op. cit. 1989, pp.9-33), la phase
impérialiste de la publicité américaine était finie depuis longtemps, c’est le tour de grandes
compagnies européennes de se diriger, à la fin des années 1970, vers les États-Unis. Avec
ceci, s’opère une nouvelle vague d’acquisition des agences publicités, favorisant
l’internationalisation mais aussi l’essor de nouveaux acteurs nationaux. « L’impératif de
l’internationalisation des réseaux est partout à l’ordre du jour, signale-t-il. » (Mattelart, 1989,
p.24.) Une troisième phase d’internationalisation s’instaure à partir de la seconde moitié des
125
années 1980, « la troisième génération de réseaux » (Mattelart, 1989, p.39), qui coïncide
également avec l’internationalisation des institutions financières et avec l’intégration des
marchés de capitaux et de change. Les agences de publicité deviennent des entreprises à
capitaux ouverts, désormais négociées dans les bourses de façon mondiale.
Le Brésil constitue pour Mattelart un « cas de figure », comme des pays tels la France et
l’Italie, mais pour des raisons autres que celles de ces deux pays européens. Primées maintes
fois dans les festivals internationaux de publicité dès les années 1980, les premières agences
publicitaires au Brésil ont vu le jour avec l’arrivée des agences américaines sur le territoire
national. Toutefois, la prééminence des agences étrangères commence à être partiellement
renversée dès la fin des années 1970, lorsque les grandes agences brésiliennes commencent à
devancer les rivales « qui leur avaient appris les rudiments de techniques modernes de
publicité et de marketing » (Mattelart, 1989, p.47). Le bilan à la fin des années 1980 est tout
autre, alors que les quatre agences qui partagent les premières positions de contrôle du
marché brésilien sont nationalement contrôlées. L’explication avancée par Mattelart renvoie
d’une certaine façon au rôle que l’État brésilien a assumé au sein de l’économie nationale :
« Tout comme pour son industrie télévisuelle, le Brésil a donc réussi à constituer une base
nationale d’agences de publicité sans avoir recours à des mesures de protection (tout au
moins directes puisque, par exemple, les budgets d’État (…) ont été réservés en priorité aux
agences). » (Mattelart, 1989, p.47.)
La question que je ne peux pas ne pas poser devant un tel scénario est la suivante : si au
Brésil, on a réussi à bâtir une industrie télévisuelle et publicitaire authentiquement nationale,
pourquoi n’a-t-on jamais réussi à intégrer pleinement une esthétique raciale plus diversifiée
dans le paysage médiatique ? Autrement dit, quelle est l’origine de cette difficulté à
représenter une parcelle significative de la population, particulièrement de la population afrobrésilienne, dans les espaces médiatiques, en général, et publicitaires plus particulièrement ?
Il est de mise de souligner que les données socio-économiques relatives à la population afrobrésilienne ne suffisent point à expliquer l’exclusion des afro-brésiliens de la publicité. À cet
126
effet, la recherche menée à la fin des années 1990 par l’agence de publicité Grottera
Comunicação S/C Ltda a provoqué une véritable révolution dans la perception usuelle qu’ont
des publicitaires du marché de la population afro-brésilienne (Grottera, 1997). Cette étude,
effectuée par l’intermédiaire de 1500 questionnaires répartis entre 22 unités de la fédération
brésilienne et des sources secondaires, dresse un portrait inédit d’un marché composé par une
classe moyenne émergente. On estime alors ce marché à 7 millions d’habitants, distribués
dans 1,7 million de familles, avec une moyenne de 2,2 enfants par unité familiale, avec un
haut niveau de scolarité (45 % ont le niveau secondaire et 34 % le niveau supérieur complet)
ainsi qu’un revenu familial moyen d’environ 1 300 CA $. Cette population est presque
l’équivalent de celle d’un pays comme le Portugal, note-t-on dans l’étude, ou de celle du
Québec, pour utiliser un exemple plus proche.
Fait digne de mention : plus qu’un simple groupement d’individus ayant des caractéristiques
phénotypiques semblables, il s’agit en réalité d’une classe moyenne noire avec une
conscience de race assez prononcée. L’étude révèle que 67 % ont épousé — ou qu’ils
cohabitent avec — un partenaire également noir. Incités à nommer 3 figures de succès, 47 %
ont mentionné exclusivement des individus noirs, les plus fréquemment cités étant le leader
sud-africain Nelson Mandela (16 %), le joueur de football brésilien Pelé (15 %) et la
politicienne noire brésilienne Benedita da Silva (12 %) (Groterra, 1997, pp.10-11).
Toutefois, la présente étude ne s’arrête pas à la description des données socio-économiques
de cette classe moyenne émergente, et va chercher plus loin les raisons du manque
d’investissements dans ce public cible. Sollicités de répondre à la question « pourquoi ne pas
investir au niveau du le consommateur noir ? », les hommes d’affaires ont fourni de multiples
raisons classifiées dans deux groupes différents : 1) raisons liées aux préjugés ; 2) raisons
liées à l’image des noirs (qui, à mon avis, font aussi montre d’un préjugé). Les raisons liées
aux préjugés sont les suivantes : a) racisme tout court ; b) méconnaissance et ignorance par
rapport au potentiel du marché en question ; c) croyance dans la prémisse selon laquelle il ne
devrait pas y avoir de différences entre les Noirs et les Blancs. En ce qui concerne les
127
questions liées au deuxième groupe, celui de l’image, on a constaté : a) une peur de consacrer
des efforts dirigés vers le marché noir et de subir des préjugés d’autres Blancs ; b) l’idée « les
noirs sont pauvres » ; c) l’idée « les noirs sont moches ».
Excepté l’argument relevant du racisme pur — qui est trop complexe pour être abordé dans
une étude de marché toute simple —, l’étude Grottera répond à chacun des arguments
avancés par les hommes d’affaires. Pour ce qui est de l’argument portant sur une supposée
méconnaissance du marché, rien n’empêche les entreprises d’entamer des mesures concrètes
afin de mieux le connaître. Selon l’étude, « puisque nous sommes dans une phase où les
marques se positionnent par profils psychographiques,clxxvii » cette justification n’est qu’un
subterfuge. En ce qui a trait à la pertinence des investissements sur ce marché spécifique, la
réponse relève d’une simplicité alarmante : la plupart des publications, des biens de
consommations et des services sont déjà plus ou moins explicitement destinés à un type idéal
Blanc. Finalement, pour ce qui est des arguments liés à l’image des noirs, « il demeure clair
que le mélange de peur de faire face à réalité du marché, ajouté à la perception du manque de
glamour qu’a le secteur noir, génère des prises de positions timides et sans perspectives
d’affairesclxxviii. »
La question de l’image négative des afro-brésiliens est confirmée dans cet article court mais
très instigateur intitulé À imagem do afrodescendente na publicidade (Marina, 2007). Écrit
par une publicitaire œuvrant depuis deux ans sur le marché de la ville d’Aracaju, capitale de
l’État de Sergipe, la question de l’image négative est reposée de manière encore plus explicite
dans l’extrait suivant : « La publicité d’Aracaju pense que le Noir ne suggère pas le concept
de raffinement, qu’il n’est pas capable de présenter un produit sophistiqué, puisqu’il est un
modèle de négativitéclxxix. » À son avis, ceci ne correspond pas à un problème de racisme de
la part de consommateur, mais plutôt de la part des publicitaires eux-mêmes : « Le marché
publicitaire transfère le blâme au consommateur qui, d’après lui, n’aime pas voir l’afrodescendant dans les médias, mais lui-même ne peut pas se heurter à cela et s’innocenter du
fait qu’il n’ose pas changer, créer un autre publicclxxx. »
128
Dans son article Quando a imprensa branca fala da gente negra (Ferreira, 2004; voir
Carrança et Borges, 2004), Ricardo Alexino Ferreira propose d’autres éléments pour la
réflexion autour de la responsabilité du professionnel de la publicité, en élargissant l’étendue
du blâme à l’équipe journalistique. Dans une section de son article destinée spécifiquement à
établir un parallèle entre la couverture journalistique et la publicité, Ferreira soulève
l’existence d’une sorte de coopération thématique entre les annonceurs dans un média
spécifique et la ligne éditoriale adoptée par celui-ci. Ceci semble particulièrement évident
dans certains cahiers ou publications à caractère thématique dans lesquels on évite de
véhiculer des publicités allant à l’encontre de son choix éditorial. Par exemple, on se défend
d’annoncer des boissons alcoolisées dans les cahiers destinés aux questions de santé (bien
sûr, lorsque ces publicités sont autorisées). En ce qui concerne la publicité représentant des
groupes minorisés, il semble ne pas exister de préoccupation de la part des éditeurs en chef
relative à la vérification des possibles incohérences entre les discours journalistiques et
publicitaires. « Ne sont pas rares les cas où un reportage portant sur une dénonciation de
racisme peut venir immédiatement accompagné par une publicité qui crée des stéréotypes ou
qui ignore tout simplement ces groupesclxxxi. »
Pour ce qui est de la responsabilité attribuable spécifiquement aux professionnels de la
publicité, Ferreira note qu’à force d’analyser le contenu fortement racialisé de la publicité
brésilienne — soit par des absences marquées, soit par le rôle dépréciatif accordé à certains
pans de la population —, on serait tenté de croire que les campagnes publicitaires ont essayé
de faire passer des messages manifestement discriminatoires. Pourtant, il y a là un deuxième
élément encore plus aggravant, celui référant au « peu de capacité de perception du
communicateur en ce qui a trait au propre objet de sa communication. Ceci impliquerait
l’affirmation selon laquelle le communicateur ne sait pas le pourquoi de ce qu’il fait, mais
qu’il sait tout simplement comment le faireclxxxii. »
Pour ce faire, il serait très utile d’établir, au moins pour les fins de ce travail, une distinction
analytique entre les deux sortes de problèmes relevant de l’ordre de la représentation qui ont
été identifiés par des auteurs comme Araújo, Marina, Ferreira, ainsi que les responsables de
129
l’étude Grottera. D’une part, il y a le problème de l’absence systématique des pans afrobrésiliens dans la représentation publicitaire, pour des raisons largement invoquées par les
auteurs ci-mentionnés. D’autre part, le problème relève d’une représentation effective de ces
mêmes pans dans la publicité, bien que cette représentation soit en situation inégale et/ou
dévalorisante, capable de porter préjudice à l’estime de soi et à la perception d’une positivité
dans la représentation de leur identité. Certes, tous les deux sont des symptômes distincts
d’un même diagnostic, à savoir que la publicité déploie tous ces efforts pour renforcer le
statu quo actuel de la société brésilienne.
Pour terminer, il me semble d’une fondamentale importance de mentionner les arguments
soulevés par une voix dissonante — au-delà de celle des publicitaires, bien entendu — en ce
qui a trait à la représentation des noirs dans la publicité. Peter Fry, dans un chapitre intitulé
« Política : relações entre « raça », publicidade e produção da beleza no Brasil » (Fry, op.
cit.), soutient que « de façon générale, la tendance récente a été celle de mener les Noirs à
abandonner la position de domestiques souriants et humbles en échange de positions de plus
grand prestige ou, tout simplement, de ‘modèles’clxxxiii. » Fry se livre à la description d’une
dizaine d’« annonces contre-intuitives » environ, c’est-à-dire d’initiatives délibérées visant
l’élimination des stéréotypes négatifs disséminés dans les médias et ailleurs. L’auteur y voit
une sorte de rupture qui s’est principalement vérifiée à partir des années 1990, par rapport à
une tradition d’annonces commune dans les années 1950 et 1960. Il reconnaît néanmoins que
« l’augmentation de la participation des noirs dans la publicité concerne des biens et services
directement destinés à améliorer l’apparence des personnes de couleurclxxxiv. »
La force motrice de ce changement, note-t-il, a été la création du magazine Raça Brasil en
1996, un phénomène de marché dont la seule première édition a été vendue à 300 000
exemplaires. En plus de promouvoir tout un marché de produits et de publicités destinés
spécifiquement à la beauté de la population noire, le magazine a contribué à créer un marché
pour les modèles noirs. Bien que le phénomène en question soit facilement explicable par
l’étude de marché entreprise par l’agence Grottera, Fry prend ses distances de cette étude qui
130
atteste la préexistence d’une classe moyenne noire. Contrairement à cela, Fry croit
qu’ensemble, le magazine, les produits et les publicités destinés au marché noir ne sont pas là
pour combler une nécessité, mais plutôt pour créer une demande. « En vérité, ceux-ci créent
une nécessité et, ce faisant, disséminent illicitement une ‘identité noire’ dans tout le
Brésilclxxxv. » La seule base commune de ce nouveau marché consiste, finalement, en « une
spécificité esthétiqueclxxxvi ».
Mais Fry se détache des auteurs antérieurs sur au moins trois autres aspects. D’abord, il
récuse l’idée selon laquelle les sources de représentation sont monopolisées « par les
membres plus blancs de la populationclxxxvii », le magazine Raça Brasil n’étant qu’un indice
de ceci. Ensuite, l’auteur préfère concevoir l’expansion du marché afro-brésilien comme un
phénomène essentiellement culturel, « qui, en soit, n’a rien à voir avec les ‘forces du
marché’clxxxviii », donc quelque chose passible d’être repéré dans la dynamique culturelle
brésilienne. Finalement, Fry fait preuve de complaisance à l’endroit des publicitaires, ou
bien, des — « rédacteurs de texte publicitaires [qui] sont entraînés dans les meilleures
universités, où le racisme est discuté et condamnéclxxxix. »
Bref, en ajoutant un bémol aux thèses défendant l’existence de la discrimination dans la
publicité brésilienne, Fry préfère parier sur un supposé changement de cap dans l’ordre des
représentations raciales brésiliennes, en citant les années 1990 comme point de virage. Bien
que ses différents propos me semblent largement problématiques, voire entièrement
équivoques — et ce, pour des raisons que j’essaierai de démontrer à travers l’analyse de mon
corpus empirique —, Fry a au moins le mérite, en prenant acte d’une identité noire en
constant devenir, de ne pas nier la nature politique des représentations identitaires véhiculées
dans des espaces tels que le magazine Raça Brasil.
En confrontant ces dernières visions avec celles des auteurs antérieurement mentionnés, je
peux diviser au moins trois axes de questions cruciales pour la définition de l’originalité de ce
travail :
131
1)
la discrimination dans la publicité existe-t-elle ? Si oui, dans quelles
dimensions
concrètes
(représentation
et
contexte
historique)
la
discrimination a-t-elle été perçue par les publics réels de consommateurs de
publicités ?
2)
Y a-t-il vraiment un virage sur le plan des représentations raciales
brésiliennes ? Si oui, quand ce virage s’est-il opéré ?
3)
Comment réagissent les publicitaires face à l’accusation de discrimination
raciale ? Quels arguments évoquent-ils ? Connaissent-ils vraiment leur
métier, ainsi que les implications d’une représentation sociale équitable en
termes raciaux, mais aussi de genre, d’âge et d’origine ?
Finalement, la brève révision historique entamée tout au long de ce chapitre m’a permis de
discerner quelques éléments concrets pour évaluer qualitativement le matériel empirique
sélectionné pour ce travail. Toutefois, avant de passer à l’analyse des plaintes de
discrimination raciale dans la publicité brésilienne, ainsi qu’aux débats que celles-ci ont
générés dans les médias nationaux, mieux vaut s’intéresser à la genèse de l’institution
responsable de l’accueil de ces diverses manifestations d’opinion : le CONAR.
Dans la prochaine section, je vais faire un survol de l’essor de l’autoréglementation
publicitaire au Brésil, en identifiant les principaux acteurs à l’origine de la mise en place du
système d’autoréglementation publicitaire au Brésil.
CHAPITRE V
LE CONSEIL D’AUTORÉGLEMENTATION PUBLICITAIRE (CONAR) ET LA
RÉGULATION DE LA PUBLICITÉ BRÉSILIENNE
Dans le présent chapitre, je vais revenir à l’aube de la réglementation publicitaire au Brésil,
afin de mieux aborder le processus de négociation ayant abouti à l’actuel système de
réglementation publicitaire au Brésil, ainsi que les principaux arguments qui lui ont servi
d’appui. Dans ce contexte, il me semble de cruciale importance de souligner que les
négociations entamées au niveau national répondaient quelque part à des motivations
clairement identifiables dans l’ordre du jour d’organisations économiques telles que la
Chambre de commerce international (CCI) à partir des années 1930. Je vais également
essayer de démontrer les liens intimes entre les forces corporatives du domaine des médias et
leur action coordonnée en vue d’accréditer, à la fin des années 1970, le système
d’autoréglementation publicitaire au Brésil comme le système le plus adéquat et légitime de
réglementation publicitaire. Finalement, je vais mettre en évidence les différentes positions
assumées par l’État brésilien vis-à-vis de la réglementation et de la régulation du secteur
publicitaire, en tenant compte non seulement des forces corporatives liées à celui-ci, mais
aussi de l’essor d’un « nouvel » acteur sur la scène nationale : la société civile.
Bref, il s’agit de comprendre l’État brésilien, non pas comme une entité autonome ou
statique, mais comme une entité changeante et également sensible aux divers changements en
cours dans la société brésilienne depuis une trentaine d’années.
5.1. Les origines de la réglementation publicitaire
À la fin des années 1980, Mattelart s’étonnait de « la formidable expansion » de l’expertise
publicitaire. L’auteur n’a pas tort lorsqu’il dit que « les débats qui l’ont entourée ont propulsé
les organismes de défense de la profession dans l’arène politique. Ils sont désormais des
interlocuteurs incontournables dans les négociations qui dessinent les paysages médiatiques,
133
souligne-t-il. » (Mattelart, 1990, p.94.) Cette intervention intempestive dans l’arène politique,
comme je le démontrerai tout au long de cette section, se conjugue fort bien avec des efforts
d’autodiscipline au Brésil.
Certes, le début précis de la réglementation publicitaire au Brésil ne fait pas un consensus
parmi les différents auteurs et professionnels de la publicité. Certains, comme Roberto
Simões (1991), pensent que la première loi réglementant ce domaine d’activité date de 1543,
moment où le Capitaine-donataire Martin Afonso de Souza postula qu’aucun marchandcrieur, dans les promotions orales de ses marchandises, n’était censé médire les marchandises
de ses concurrents. D’autres, comme Augusto De Angelo (1990), sont d’avis que la
réglementation aurait commencé par les décrets-lois approuvés à l’époque de l’ancien
président Getúlio Vargas qui, dès 1934, s’efforça de réglementer la publicité de plein-air dans
la capitale du pays, et en même temps d’inhiber la concurrence déloyale et la publicité
faussée. La principale motivation du président Vargas était, néanmoins, le contrôle de la
publicité gouvernementale en tant qu’outil important pour la gestion de son image
institutionnelle, ce qui l’a incité à créer, entre autres, le Département de Presse et de Publicité
(DIP en portugais).
Quoi qu’il en soit, j’opterai pour la datation proposée par ce dernier, en prenant comme point
de départ la réglementation mise en œuvre tout au long du XXe siècle, lorsque la publicité
assume définitivement sa configuration industrielle. Ce changement aurait été assez
remarquable de façon à attirer une attention spéciale de la part de l’État brésilien. Ce n’est
pas par hasard qu’on notera, à partir de 1937 — année qui marque l’essor de la période la
plus autoritaire du premier gouvernement Vargas91 (1930-1945) — des mesures de
91
Le premier gouvernement du Président Getúlio Dornelles Vargas (1930-1945) possède trois
phases distinctes : 1) le gouvernement provisoire (1930-1934) est une phase de transition dans laquelle
le président jette les bases de son gouvernement centralisateur et antifédéraliste ; 2) le gouvernement
Constituant (1934-1937) débute par l’élection directe de Vargas comme président constitutionnel et
par l’approbation, et la mise en œuvre, de la Constitution de 1934 ; 3) L’État nouveau (1937-1945), ou
la dernière, et la plus autoritaire, phase du premier gouvernement Vargas, s’annonce avec un coup
d’État, en 1937, suivi de la suppression des libertés politiques et civiles. Curvêlo Chaves, Lázaro 2004.
134
surveillance et de répression politique agissant sur l’opinion publique. Ainsi, par
l’intermédiaire d’un décret-loi approuvé en mai 1938, on imposera dès lors des mesures
contraignantes comme celle du « registre, auprès des secrétariats provinciaux de la sécurité
publique, du nom, de la nationalité et de l’adresse de tous les directeurs, rédacteurs, employés
et ouvriers (sic !) des entreprises de publicitécxc. » Ceci me pousse à croire que la
participation des membres étrangers dans les agences de publicité était assez significative.
Parallèlement, on assiste à une auto-organisation croissante du secteur, fomentée par des
événements corporatifs internationaux. En 1924, l’American Association of Advertising
Agencies (AAAA) publie un premier code déontologique de la profession (Mattelart, 1990 :
94-103). Au niveau latino-américain, on verra, quelques mois après le décret-loi en question,
la mise en place du premier Salon brésilien de la publicité, organisé en juillet 1938, à Rio de
Janeiro. Cet événement est d’ailleurs considéré comme une conséquence directe des
discussions entamées lors du premier Congrès sud-américain de la publicité, à Buenos Aires,
en 1936. L’institutionnalisation de la publicité en tant qu’industrie et profession fait ainsi état
d’une conscience corporative rampante. Celle-ci est à la fois le fruit de la pression des
agences externes reliées au domaine de la publicité — comme le démontre bien l’adoption de
normes et standarts de l’American Association of Advertising Agencies (AAAA) par un
groupe d’agences nationales en 1949 — et la réplique à des facteurs coercitifs internes,
inspirés majoritairement des mesures gouvernementales visant le contrôle et la surveillance
de cette activité.
5.2 L’autoréglementation publicitaire et l’influence du cadre normatif international
Au Brésil, les efforts d’autoréglementation du secteur publicitaire sont presque aussi vieux
que les efforts de contrôle et d’organisation de la publicité de masse par l’État-nation.
«Getúlio Dornelles Vargas (1883-1954)». LCC Publicações Eletrônicas.
<http://www.culturabrasil.org/vargas.htm>. Consulté le 17 décembre 2007.
En
ligne.
135
Petrônio Corrêa — l’un des fondateurs de l’organisme chargé de veiller sur l’application du
code d’autodiscipline au Brésil, le CONAR — affirme, dans un article publié dans l’ouvrage
História da Propaganda no Brasil (Corrêa, 1990), que le premier effort d’autoréglementation
de ce secteur a été lancé par la Chambre de Commerce International (CCI). C’était alors en
1937 que la CCI a fait approuver le Code international de pratiques loyales en matière de
publicité. Fait digne de mention : le premier instrument légal d’autoréglementation s’inscrit
d’abord dans un cadre réglementaire international pour ensuite s’insérer au niveau national.
Cet instrument a été maintes fois actualisé, la dernière fois datant de 1995.
Toujours selon Corrêa, la Grande Bretagne est sans doute le précurseur, avec l’approbation
du British Code of Advertising Practice en 1961, de l’établissement d’un cadre juridique
national d’autoréglementation de la publicité. Celui-ci est une « réponse au Consumer
Protection Act, premier texte général de lois qui définit les droits des consommateurs »
(Mattelart, 1990, p.96), son contenu s’étant largement inspiré du code de la CCI. Toutefois, la
pression internationale vis-à-vis de l’autoréglementation du secteur publicitaire ne se résume
pas à l’approbation de ce code. L’auteur révèle que, dans les années 1970, l’International
Advertising Association (IAA) réalisa une étude intitulée « Autorégulation publicitaire
efficace », dont l’objectif principal était de stimuler les efforts de l’autoréglementation dans
plusieurs pays. De ce fait, la recommandation finale du 25e Congrès mondial de la publicité,
réalisé à Buenos Aires en 1976, faisait clairement référence au document de l’IAA, en
invitant « tous les pays participants à adapter les principes exposés dans cette étude à leurs
réalités nationalescxci ».
Pour ce qui est particulièrement du Brésil, Corrêa note que les efforts d’autoréglementation
débutèrent durant le 1er Congrès brésilien de la publicité en 1957, qui a eu pour contribution
l’adoption d’un code d’éthique — le Code d’éthique des professionnels de la publicité. Ce
code sera incorporé à Loi 4.680/65 et au Décret 57.690/66 qui régissent la profession et les
affaires de la publicité, en sortant ainsi de la sphère déontologique pour gagner le caractère
normatif d’une imposition légale. Toutefois, ce n’est qu’avec l’adoption du Code
d’autoréglementation publicitaire en 1978 — suivie par la création d’un conseil chargé de
136
veiller sur son application (Schneider, 2005) — que s’achève le processus d’imposition de
l’autoréglementation « en tant que mécanisme efficace d’amélioration de l’activité et de
correction des excès non désiréscxcii ».
Ce moment de structuration et de réglementation qui culmine dans l’adoption du Code
d’autoréglementation publicitaire à la fin des années 1970 mérite ici une attention spéciale.
C’est en effet là qu’on voit se dessiner, au sein de la législation brésilienne, les contours
d’une séparation fondamentale entre publicité commerciale et publicité politique — si
fondamentale qu’elle orientera de façon déterminante deux approches distinctives de la
publicisation d’images et de messages jusqu’à nos jours92. C’est là également que se sont
énoncés clairement, pour la première fois, les grands enjeux de pouvoir, dont celui de la
défense de la liberté d’expression commerciale.
5.3 Le Code brésilien d’autoréglementation publicitaire (CBARP) comme instrument
d’autodiscipline du secteur publicitaire
L’approbation du Code brésilien d’autoréglementation publicitaire (CBARP), en 1978, suivie
de la création du CONAR en 1980, marque officiellement la naissance du processus
d’autoréglementation du secteur publicitaire au Brésil. Pour connaître les détails de
l’institutionnalisation définitive de l’autoréglementation comme système réglementaire de la
92
La publicité électorale et politique recevra un traitement très différencié de sa sœur jumelle, la
publicité commerciale, notamment à partir du coup d’État qui a amené les militaires au pouvoir.
Toutefois, l’existence d’une législation extrêmement contraignante vis-à-vis de la publicité politique à
l’heure actuelle ne peut être exclusivement imputée au contrôle autoritaire sur l’opinion publique. En
effet, elle provient aussi des abus qui ont été commis plus tard, dans la période démocratique. Compte
tenu du fait que la littérature sur la réglementation électorale au Brésil est très vaste et que celle-ci
représente un sujet d’étude à part, j’opte pour la citation de quelques ouvrages de références. Pour une
analyse de la publicité politique dans la télévision, voir Albuquerque, Afonso. 1999. «"Aqui você vê a
verdade na TV": a propaganda política na televisão». Niterói, Mestrado em Comunicação, Imagem e
Informação, Universidade Federal Fluminense. Pour un bilan de l’évolution de la réglementation sur la
publicité politique, voir également Santos Botelho, Juliana. 2000. «Marketing político eleitoral : a
produção privada de discursos públicos». Belo Horizonte, Departamento de Comunicação Social,
Universidade Federal de Minas Gerais, 288 p.
137
publicité au Brésil, on ne peut compter que sur les récits des professionnels directement
impliqués dans ce processus. Toutefois, ceci ne constitue pas un véritable problème dans la
mesure où des tels récits s’avèrent suffisamment riches d’informations pour permettre de
prouver les liens entre le système des médias national d’une part, et le système
d’autoréglementation adopté pour la publicité, d’autre part. À cet égard, les récits de
professionnels nationalement reconnus comme Petrônio Corrêa, Mauro Salles, Caio
Domingues et tant d’autres sont particulièrement prolifiques. Et même si on ne connaît pas
tous les détails des négociations entamées dans les coulisses du pouvoir — qui les connaît à
part ceux qui y étaient ? —, il reste que ces lacunes sont largement compensées par les
nombreux témoignages publiés dans l’ouvrage commémoratif des 25 ans du CONAR.
Pour mieux comprendre le processus de formulation du code ainsi que la structure
responsable de son application, il faut revenir à 1977, année où la Commission
interassociative de la publicité brésilienne a été formée. Plusieurs acteurs sont à l’origine des
interactions et des négociations débouchant sur le choix de l’autoréglementation publicitaire.
Les associations de classe touchant d’une façon ou d’une autre le secteur publicitaire y
étaient fortement représentées, notamment l’Association brésilienne des agences de
publicité93 (ABAP), l’Association brésilienne des émetteurs de radio et de télévision94
93
L’Associação Brasileira de Agências de Propaganda (ABAP) a été fondée en 1949 à Rio, son
siège se trouvant cependant à São Paulo. Les États de Bahia, Ceará, Minas Gerais, Pará, Pernanmbuco,
Rio de Janeiro, Rio Grande do Sul et Santa Catarina possédaient chacun leur chapitre (De Angelo: 29).
94
L’Associação Brasileira de Emissoras de Rádio e Televisão (ABERT) a été créée en 1962, lors
de l’approbation du Code brésilien de télécommunication (CTB) (De Angelo : 29). Sérgio Capparelli
note, à propos de l’ABERT, que celle-ci a joué un rôle déterminant dans la défense des intérêts
corporatifs du secteur privé des communications. L’auteur rapporte que lorsque l’ancien président João
Goulart — celui qui a été destitué par les militaires en 1962 — a voulu limité l’ampleur du secteur
privé en frappant de son veto quelque 52 articles du CTB « on a vu, en une seule nuit, tous les vetos
être refusés par le Congrès, réuni sous le regard vigilant de l’Association brésilienne d’émetteurs de
radio et télévision » qui avait été créée la même année. (Capparelli cité par Siqueira Bolaño: 33).
(Traduction libre de « e teve, numa noite, todos os vetos derrubados pelo Congresso, reunido sob o
olhar vigilante da Associação Brasileira de Emissoras de Rádio e Televisão”).
138
(ABERT), l’Association brésilienne des annonceurs95 (ABA), et même l’Association
nationale des journaux96 (ANJ)97.
Alors président de l’ABAP, Petrônio Corrêa a été l’un des participants les plus actifs d’une
part, dans le processus de négociation qui a abouti à la formation de l’ancienne commission,
et d’autre part, dans sa transmutation en l’actuel CONAR en 1980. Corrêa a fait preuve de
leadership en organisant, au sein d’une même commission interassociative, l’ABERT et
l’ABA, avec pour objectif commun la rédaction d’un code d’autoréglementation pour le
secteur de la publicité. Dans son récit sur l’essor du système d’autoréglementation
publicitaire, Corrêa réaffirme, entre autres, des ressemblances entre le Code brésilien
d’autoréglementation publicitaire (CBARP) et le British Code of Advertising de 1957. Ainsi,
finalement présenté et approuvé durant le 3e Congrès brésilien de publicité en 1978, le
CBARP avait « comme base victorieuse l’expérience du British Code, mais cette fois-ci avec
plus d’amplitude que son inspirateurcxciii ».
Un autre participant actif dans les premières discussions portant sur la création du CONAR
— à côté des poids lourds de la publicité comme Caio Domingues, Geraldo Alonso et Mauro
Salles — est le publicitaire Saulo Ramos (2005), qui se défend de la supposée similitude
entre le British Code of Advertising et le CBARP, en avançant un argument qui ressort par sa
légèreté :
95
L’Associação Brasileira de Anunciantes (ABA) a été fondée le 29 septembre 1959 (De Angelo:
29).
96
L’association nationale des journaux a été fondée le 17 août 1979. En la personne de son
premier président, M Roberto Marinho, propriétaire du Réseau Globo, l’association a pris une part
active dans le processus de négociations ayant débouché sur la création du CONAR de même que sur
l’imposition de son code d’autoréglementation publicitaire.
97
L’Associação Nacional de Jornais (ANJ) en portugais. La formation actuelle du CONAR inclut
également l’Associação Nacional de Editores de Revistas (ANER) et la Central de Outdoor (CO).
139
On dit souvent que le code [brésilien d’autoréglementation publicitaire] est une toute
simple transcription du modèle anglais d’autoréglementation, mais ceci n’est qu’une
méchanceté dont l’origine est une anecdote à l’insu de Geraldo Alonso et Cícero
Leurenroth, qui étaient, eux, fixés sur la publicité anglaise et les voitures Jaguar.cxciv
L’auteur reconnaît cependant que :
Quelques points [du code] ont été inspirés des préceptes européens et des règles
d’éthique de la common law cultivée aux États-Unis. Mais l’essence est brésilienne,
assaisonnée des us et coutumes du milieu publicitaire brésilien. Des choses bien à nous,
comme les 20 % de commission98 sous forme de rémunération des agences.cxcv
Dans le texte Alternativa ao controle oficial (Corrêa, 2005), publié 15 ans après son premier
récit, le vétéran Petrônio Corrêa fournit d’autres éléments permettant de différencier le code
anglais de son homologue brésilien. En faisant allusion à la prétendue similitude entre les
deux codes, il précise toutefois que « la vérité est que le premier, trop concis, était tout
simplement destiné à la publicité imprimée, contrairement au nôtre, qui est complet et destiné
à tous les médiascxcvi. »
Quoi qu’il en soit, en faisant ressortir une source d’inspiration commune, la similitude entre
les différents codes fait également état du mariage de convenance qui se concrétise à ce
moment-là entre les forces macro-économiques internationales et les structures de pouvoir
médiatiques au niveau national (Mattelart, 1989 ; 1990). À ce sujet, cela vaudrait la peine de
98
Cette procédure de facturation, très particulière au secteur de la publicité au Brésil, démontre
bien l’étroitesse des liens entre celui-ci et les grands médias de masse, dans la mesure où une
commission de 20 % du total dépensé dans l’achat d’espaces publicitaires dans un média quelconque
est accordée aux agences de publicité. D’après cette logique, les agences publicitaires auraient plus
intérêt à véhiculer leurs campagnes dans les médias les plus chers — qui sont, par conséquent, ceux
qui concentrent déjà le plus de publicité — que dans les petits médias ou par le biais de la publicité
directe. Prévue dans la Loi n° 4.680/65 et l’article 11 du Décret n° 57.690/66 qui réglementent
ensemble la profession, et confirmée par les normes des standarts approuvées le 16/12/1998, cette
norme favorise largement la concentration de la publicité à la télévision, en général, et à la TV Globo,
plus particulièrement. Ceci explique en partie le fait soulevé par le rapport EPCOM, selon lequel la TV
Globo concentrerait légèrement plus de subventions publicitaires — soit 56 % du total investi dans la
publicité — alors que son taux d’audience la même année était de 54 % (EPCOM, 2005, op. cit. : 1).
140
démontrer comment le choix du rédacteur du CBARP, Mauro Salles, a concrétisé de façon
définitive les liens de proximité existant entre, d’un côté, les forces corporatives
supranationales comme l’IAA, et de l’autre, des organisations nationales comme le réseau
Globo.
En fait, le récit de Salles, intitulé Freio à repressão e à demagogia (2005) et aussi publié
dans l’ouvrage commémoratif des 25 ans du CONAR, est riche d’indices sur le mariage en
question. Salles y mentionne, par exemple, sa trajectoire personnelle et son apport personnel
à la rédaction du CBARP. Il raconte ainsi qu’il avait été reporter et photographe du magazine
Mundo Ilustrado, avant de se faire inviter, par la rédaction du journal O Globo, à participer à
la couverture de la cérémonie de remise du pouvoir au président Juscelino Kubitschek. Le
publicitaire y fait part de son rapport personnel avec M. Marinho, avec qui il travaillera au fil
des années, en occupant à la fois les postes de directeur de la rédaction et de directeur de
programmation au sein de ce réseau.
Fait intéressant : Salles — qui avait été jusqu’à cette date un professionnel du milieu
journalistique, et qui dit avoir été reçu avec « hostilité ouvertecxcvii » par « le milieu
publicitaire de São Paulocxcviii » — devient « peu de temps plus tardcxcix » non seulement
président de l’ABAP, mais aussi président du chapitre brésilien de l’IAA. Compte tenu des
attributions de responsabilités au sein du Réseau Globo, on commence à se demander alors
pourquoi quelqu’un en provenance de l’extérieur de l’activité publicitaire aurait assumé
rapidement des fonctions si importantes au sein de ce secteur.
Dans son récit, Salles explicite également l’influence directe que l’IAA a jouée dans le projet
d’autoréglementation, comme le démontre bien le passage suivant :
Au sein de l’IAA, dont j’ai été le président mondial, j’ai participé à un projet de
réglementation publicitaire organisé conjointement avec les chambres de commerce
international, dont celle de l’Angleterre. À partir de ce modèle, j’ai rédigé un premier
brouillon d’autoréglementation plus adaptée à la réalité brésilienne.cc
141
Néanmoins, on a appris par la suite que le responsable de la rédaction finale du CBARP ne
fut pas Mauro Salles, mais son remplaçant, Caio Domingues. On ne connaît pas tous les
détails concernant la décision qui a mené Salles à quitter la commission interassociative.
Domingues en donne quelques pistes dans son premier récit du processus d’écriture du
CBARP (Domingues, 1990). Selon ce dernier, Salles « laissait, quelques mois plus tard, sa
condition de publicitaire pour assumer la direction générale des Diários e Emissoras
Associadoscci », qui était d’ailleurs le principal groupe rival du Réseau Globo à l’époque.
Pour en revenir à la rédaction du CBARP, on entendra souvent parler de celle-ci comme du
fruit d’un « travail démocratique et transparentccii », comme l’indique bien le titre que le
publicitaire Luiz Celso de Piratininga a accordé à son témoignage lors des célébrations des 25
ans du CONAR. Mais si l’on se fie au récit même de Domingues, le processus aurait été un
peu plus centralisé que ce qu’on veut le faire croire. Ce dernier prétend avoir reçu de son
prédécesseur « le début du travail et une pile d’un demi-mètre qui comprenait les divers
codes étrangers s’offrant à la consultationcciii », ainsi que de nombreux autres subsides,
contributions et suggestions à intégrer au code. C’est Domingues lui-même qui avouera ainsi
que la rédaction finale de la première mouture du CBARP était le travail d’une seule
personne, en l’occurrence lui-même, et que cela aurait pris une fin de semaine de travail.
« J’ai travaillé, sans interruption, environ 26 heures, mais je me sentais profondément
soulagé : le travail était prêt, ou presque prêt pour ainsi direcciv », car, selon Domingues, il
fallait encore le mettre au propre. L’étape suivante consistait en sa présentation et sa
discussion auprès de deux autres corédacteurs, Gilberto de Camargo Barros (ABA) et Luiz
Celso de Piratininga (APP). Domingues (2005) argumentera plus tard, dans l’édition
commémorative des 25 ans du CONAR, que dans leur
(...)travail extensif de réécriture, on a évité les références aux vetos, aux sanctions et
aux punitions en soulignant, une fois de plus, le caractère d’autodiscipline qui prévaut
dans tout le travail. On n’y impose pas de vetos : on fait des recommandations ; on
prend des mesures et des dispositions, mais on n’annonce pas de punitions ni de
sanctions, dans une parfaite concordance avec l’esprit bénévole d’autoréglementation
qui anime tout le travail.ccv
142
Or, c’est exactement ce caractère peu contraignant du CBARP — instrument auquel les
agences de publicité adhèrent sur une base strictement volontaire — qui fera plus tard l’objet
de dissensions, lors de l’émergence d’une législation destinée à la protection des
consommateurs dans les années 1990. On verra, par la suite, que des nouvelles négociations
ont été entamées entre le secteur publicitaire et le gouvernement fédéral de façon à garantir la
sauvegarde du système privé d’autoréglementation publicitaire — on y verra la participation
d’un troisième acteur : les mouvements organisés de la société civile brésilienne. Je
reviendrai sur ce point dans la section 5.5.2 du présent chapitre.
5.4 La création du CONAR et l’institutionnalisation de l’autoréglementation
publicitaire
Dans ses premières formulations, Habermas voyait d’un mauvais œil le transfert officiel de
compétences de l’État à la société — servant supposément d’indice de l’effacement des
frontières entre le privé et le public. Les associations corporatives étaient alors vues comme
le tout simple « troc direct d’avantages particuliers et d’indemnisations sans passer par le
biais de la procédure officielle propre à la sphère publique politique » (Habermas, 1978,
p.208).
D’une part, la création du CONAR à la fin des années 1970 résulte typiquement « d’un troc
d’avantages » entre le secteur professionnel de la publicité et le gouvernement militaire en
place. En ce sens, ce conseil d’autoréglementation n’a été que le premier symptôme d’un
processus plus vaste de transfert de compétences de l’État vers les entités privées, transfert
formalisé plus tard dans la Constitution brésilienne de 1988. Cependant, comme Joaquim
Barbosa Gomes le souligne très adéquatement au sujet de la prolifération des agences
nationales de régulation à partir des années 1990 (Gomes, 2002), celles-ci comportent, en
dépit de leur autonomie, une forme minimale de contrôle ou de présence de l’État. Toutefois,
différemment des agences de régulation, le CONAR a été créé dans une conjoncture politique
143
marquée par la centralisation du pouvoir de même que par l’autoritarisme du gouvernement
en place, devenant ainsi une entité privée à part entière où ne siège aucun représentant
étatique.
D’autre part, cet organisme survit, non sans problèmes, à l’essor d’autres formes
d’associativité populaires et plus démocratiques qui ont émergé dans la société brésilienne
dès la fin de la dictature. En effet, le transfert de pouvoir de l’État est plus ambivalent que ce
que supposait Habermas au début des années 1960. Ainsi, à partir de Droit et Démocratie,
l’auteur en vient à réhabiliter non seulement les médias de masse, mais aussi les associations
civiles telles que « des collectivités, des associations et des organisations spécialisées dans
certaines fonctions particulières » (Habermas, 1997, p.381).
Ce n’est pas sans surprise que l’on réalise que l’appropriation du langage des droits humains
devient l’une des stratégies de légitimation utilisées par le CONAR, particulièrement en ce
qui concerne la défense de la liberté d’expression. En lisant les mots de l’éditeur dans
l’introduction de l’ouvrage commémoratif des 25 ans du conseil, on s’empare de la
revendication suivante : « le CONAR est né d’une menaceccvi », qui était en vue de se
concrétiser à la fin des années 1970. Celle-ci représentait, en effet, le désir manifeste de la
part gouvernement fédéral d’imposer des mécanismes de censure à toute forme de publicité.
Devant cette menace, voilà la réponse inspirée du secteur : l’autoréglementation,
synthétisée dans un Code solennellement intronisé en 1978, ayant comme fonction de
veiller sur la liberté d’expression commerciale et de défendre les intérêts des parties
impliquées dans le marché publicitaire, y compris ceux du consommateur.ccvii
En termes plus concrets, alors que le CBARP manquait d’une structure organisationnelle
chargée de veiller sur son respect et son application, le secteur publicitaire s’est donné
comme tâche la composition, en 1978, d’une Commission d’autoréglementation publicitaire,
intitulée CONAR (ici, on parlait de la CONAR puisqu’il s’agissait d’une commission ; plus
tard, celle-ci sera transmutée en conseil, devenant ainsi le CONAR). Cette commission, qui a
144
œuvrée tout au long des années 1978 et 1979, « (…) a lutté pour la divulgation des principes
établis, a sanctionné diverses conciliations entre concurrents et a procédé à de nombreux
jugements fondés sur la lettre et l’esprit du Codeccviii ». Malgré ses contributions, on trouvait
que l’apport de la commission était encore assez limité. Selon Corrêa, « on manquait,
pourtant, d’une structure autonome, d’une entité à caractère indépendant, au-delà des disputes
économiques du marché, bref, [une entité] dotée d’une personnalité juridique distincte de
celle des autres personnages du monde publicitaireccix. » La prétendue indépendance
concernait, au moins en principe, non seulement le marché économique mais aussi le secteur
se trouvant à la base d’une telle commission.
En effet, non seulement la commission mais aussi l’activité publicitaire toute entière se
lançaient en quête de plus de liberté d’action face à l’endurcissement de la répression du
gouvernement en place. Ancien président de l’Association Paulista de Publicité (APP), Luiz
Celso De Piratininga nous apprend que depuis le 13 décembre 1968, lors de l’édition de
l’Acte institutionnel n° 5 (AI-5)99, le gouvernement militaire demandait l’approbation
préalable, auprès du Département de police fédérale, de toutes les publicités commerciales
qui seraient transmises par la voie de la télévision (De Piratininga, 2005). Cette forme de
censure, comme il le précise bien, n’a cependant jamais été appliquée sur les publicités
imprimées destinées aux journaux et revues. De Piratininga avertit toutefois que, même si la
censure était formellement absente de la publicité imprimée, « il y avait des punitions
sérieuses dans les cas de transgression des critères des autorités, dont personne ne savait
exactement ce qu’ils étaientccx. »
99
L’Acte institutionnel n° 5 (AI-5) a été un pacte de mesures répressives mis en pratique durant le
gouvernement militaire, car il a mis à plat tous les dispositifs constitutionnels adoptés en 1967. Ces
mesures comprenaient, entre autres, la fin de l’immunité parlementaire, la cassation des droits
politiques, le transfert de toutes les compétences du pouvoir législatif au pouvoir exécutif, la fermeture
du congrès national, la suppression des élections et la démission de fonctionnaires publics. L’acte a été
imposé lors du gouvernement du général Arthur da Costa e Silva. «Arthur da Costa e Silva». Arquivo
Nacional. En ligne: <http://www.arquivonacional.gov.br/memoria/crapp_site/presidente.asp ?rqID=3 Localizacao>. Consulté le 18 décembre 2007.
145
C’est alors dans le but de faire prévaloir les « critères des autorités » gouvernementales que
Saïd Farhat, secrétaire de communication sociale du gouvernement du général João
Figueiredo, établit un groupe de travail visant à étudier des nouvelles mesures pour
réglementer la publicité commerciale. Dans son témoignage publié à l’occasion de la
commémoration des 25 ans du CONAR, Luiz Fernando Furquim (Furquim, 2005) rappelle
que Farhat, lui-même « un homme lié au secteur de la publicité et des médiasccxi », a
fortement collaboré à la création d’une entité indépendante du pouvoir gouvernemental et ce,
même si celui-ci « pensait encore à une entité mixte avec une certaine présence du
gouvernementccxii ».
Corrêa (op. cit.) raconte que les représentants de secteurs composant la CONAR (l’ABAP,
l’ABA, l’ABERT et l’ANJ) se sont vite mobilisés pour intégrer le groupe de travail, à côté
d’autres représentants issus du Ministère de l’industrie et du commerce (MIC), du Ministère
des communications, ainsi que du Secrétariat de communication sociale de la Présidence de
la République. Ce groupe, qui a tenu des réunions entre juin 1979 et avril 1980, bénéficiait
d’un grand stimulateur de la réglementation de la publicité par le gouvernement en la
personne du ministre de l’Industrie et du Commerce, Camilo Penna :
Le ministre souhait créer un code officiel, un organisme qui serait le responsable de la
réglementation des rapports entre les divers secteurs de la publicité et de la société.
Ceci serait ainsi un premier pas vers la création d’une législation pour la défense du
consommateur.ccxiii
Lors des discussions du groupe de travail sur la réglementation publicitaire, on s’inquiétait
notamment du manque d’autorité, de la part des secteurs publicitaires, pour mener à bien les
sanctions en cas de transgression au code d’autoréglementation. On accusait également le
manque d’une structure bureaucratique efficace garantissant l’application du code
d’autoréglementation publicitaire. Corrêa reconnaît lui-même que les craintes du ministre et
des représentants du gouvernement n’étaient pas totalement infondées : « La commission
146
d’autoréglementation (…) passait par une phase d’ ‘apprentissage’, le manque d’une structure
professionnelle, en bas de la direction, faisant que l’ancienne CONAR ne fonctionnait pas
pleinementccxiv. »
Après un bref moment de polarisation entre les défenseurs de la réglementation et ceux qui
étaient contre, le représentant du MIC a opté, finalement, pour une proposition conciliatrice, à
savoir : la composition d’une autarcie qui serait composée de neuf membres, parmi lesquels
six seraient issus du secteur privé représenté par l’ABA, l’ABAP, l’ABERT et l’ANJ et trois
proviendraient, respectivement, du Ministère de l’Industrie et du Commerce, du Ministère
des Communications et du Secrétariat de communication sociale. Cet organisme remplacerait
la CONAR et utiliserait le Code d’autoréglementation publicitaire, cette fois-ci avec un
surplus important : en tant qu’autarcie, celui-ci pourrait jouir des subventions
gouvernementales tout en conservant la plupart des sièges du conseil.
Cette fois-ci, la polarisation s’est trouvée au sein des membres participant au groupe de
travail et elle a été causée directement par les intérêts institutionnels du Réseau Globo. D’un
côté, on trouvait Luiz Fernando Furquim, représentant de l’ABA, et Petrônio Corrêa, luimême président de l’ABAP. De l’autre, Dionísio Poli, de l’ABERT, qui au départ semblait
euphorique avec la proposition conciliatrice, mais qui s’est finalement décidé à se rallier à
João Luiz Faria Netto, représentant de l’ANJ. C’est par le biais de ce dernier, qui avait été
absent à ladite réunion, que Roberto Marinho, président de l’ANJ et propriétaire du Réseau
Globo, fait parvenir son message. Corrêa rapporte ainsi ce passage :
João Luiz était le porteur d’un message de la part de M Roberto : celui-ci suggérait que
nous n’acceptions pas la proposition du MIC puisque, malgré les apparences, elle
représentait un vrai danger, parce qu’elle ouvrait une fente dans la porte menant à
l’introduction de la censure gouvernementale.ccxv
La détermination de Roberto Marinho est tellement grande qu’il décide de passer de la
recommandation à l’acte. Dans l’ouvrage commémoratif des 25 ans d’existence du CONAR,
Corrêa avoue que Marinho « (…) s’est promptement proposé à assumer les dépenses durant
147
au moins six mois, jusqu’à ce que la nouvelle entité implante un mécanisme de financement à
partager entre agence, annonceur et médiaccxvi. » Cette disponibilité d’aides financières a
certainement soulevé des craintes chez quelques publicitaires, comme le commente
brièvement Luiz Fernando Furquim (2005) : « Personnellement, le possible excès de pouvoir
d’une organisation comme la Globo me préoccupait tout autant que l’excès de pouvoir
étatique. Mais celle-ci n’était pas une préoccupation des autres et ainsi on s’est décidés à aller
de l’avant…ccxvii. »
« Dans la plupart des pays, ce sont les contributions de firmes membres qui permettent le
fonctionnement de l’instance de l’autodiscipline, signale Mattelart. » (Mattelart, 1990, p.98.)
En ce qui concerne le Réseau Globo, celui-ci a toujours été un acteur définitif et permanent
dans la gestion de l’organisme dès sa création, comme l’atteste Petrônio Corrêa dans son récit
du processus de création du CONAR : « D’ailleurs, une mention spéciale est de mise en ce
qui concerne la position de Dionisio Poli, lors de la formulation de la doctrine qui a soutenu
le CONAR en tant qu’entité d’application et de fiscalisation du Codeccxviii. » En tant que
« l’un des directeurs du Réseau Globo à l’époqueccxix », Poli était aussi « le grand catalyseur
de ses compagnons, des hommes d’affaires et des entrepreneurs du Réseau Globo, ainsi que
des autres émetteurs de télévision et de radio, pour que ces derniers appuient moralement et
matériellement le CONARccxx. » Parallèlement à son poste de directeur commercial du
Réseau Globo, Poli a occupé le poste de secrétaire durant les deux premières gestions de
Corrêa lorsque ce denier était président du CONAR. Mattelart ne fait que confirmer
l’influence du Réseau Globo : « le degré atteint dans ce pays par l’imbrication croissante de
l’industrie de l’image publicitaire et celle du petit écran (…) y est logiquement pour
beaucoup. » (Mattelart, 1990, p.98.)
Une fois réglé le problème de l’autofinancement immédiat du CONAR, il faudrait chercher
par la suite des arguments valables pour convaincre le gouvernement fédéral de la viabilité de
l’autoréglementation. D’après Corrêa (1990), en vue de fournir au gouvernement des
arguments valables pour la défense du système d’autoréglementation, les membres du secteur
publicitaire se sont tournés vers le juriste Pontes de Miranda. On lui a alors demandé la
148
rédaction d’un avis autour de deux points fondamentaux : 1) le besoin d’un cadre normatif
servant de base aux mesures prévues dans le Code d’autoréglementation ; 2) la validité des
décisions provenant du tribunal éthique, en absence d’une quelconque subordination à un
organisme public. L’avis de Pontes Miranda étant rendu le 19 décembre, le groupe de travail
interministériel finit par conclure en mai 1980 en faveur de l’implantation définitive de
l’autoréglementation dans le secteur publicitaire au Brésil. Le premier président du nouvel
organisme serait Petrônio Corrêa lui-même.
L’argumentaire à l’origine de la création de l’organisme lui servira de base d’appui tout au
long de ses 25 ans d’existence. L’’idée selon laquelle l’autoréglementation était le résultat
direct de la recherche d’autonomie par le secteur publicitaire mérite quelques précisions
importantes, capables de nuancer les propos en vue d’une supposée indépendance. Selon les
témoignages des publicitaires Petrônio Corrêa et Caio Domingues, en 1976, les ministres du
travail, du revenu, de la planification et de l’industrie et du commerce avaient déjà
instamment prié les leaders du secteur publicitaire de rédiger un instrument d’autodiscipline.
Cet avis a même été énoncé par le représentant du Ministère du Revenu, Soares Freire, dans
son allocution lors de l’ouverture de la 2e Rencontre brésilienne des médias (Corrêa, 1990,
p.46 ; Domingues, 1990, p.41). En citant l’avis de Mauro Salles dans son rapport adressé au
président de la commission interassociative, Geraldo Alonso, le 30 mars 1978, Domingues
fournit des indices indiquant que cette position était non seulement celle du titulaire du
dossier, « comme elle méritait aussi l’appui de Monsieur le Président Geisel, duquel
provenait l’autorisation que le discours de l’ouverture de la 2e Rencontre brésilienne de média
soit faite au nom du gouvernementccxxi. » C’est à Salles qu'appartient la conclusion suivante :
Il est important de souligner que c’était auprès des autorités du gouvernement même
que les leaders du secteur publicitaire ont trouvé le plus grand appui relatif au travail
que nous sommes en train de réaliser. De telles manifestations, quelques-unes faites en
public, ont démontré la maturité des autorités brésiliennes face à ce problème.ccxxii
Certes, pour les uns, le CBARP était aperçu comme une conséquence directe de « l’anxiété
de la communauté publicitaire, désireuse d’un statut régulant la publicité, tout en craignant
149
également la réception d’un texte imposé par le gouvernementccxxiii. » Mais, si l’on tient
compte de l’ensemble des témoignages des professionnels de la publicité examinés jusqu’ici,
une position plus souple et même plus incitative de la part du gouvernement a précédé de
deux ans la deuxième position, cette fois-ci en vue de réglementer davantage le secteur
publicitaire. Ceci nous amène à considérer avec précaution l’argument selon lequel
l’autoréglementation est le fruit exclusif de la recherche de l’autonomie de ce secteur devant
le pouvoir gouvernemental. Dans le meilleur des scénarios, ces données nous permettraient
de conclure que l’imposition d’un organisme de réglementation gouvernementale était tout
simplement une décision tardive du gouvernement militaire, voire un changement de cap en
ce qui concerne la position officiellement défendue par les membres du gouvernement
brésilien au cours de l’année 1976.
En ce qui concerne l’avis rédigé par le juriste Pontes Miranda à la fin de 1979, celui-ci
demeure une pièce juridique clé pour bâtir la jurisprudence de l’autoréglementation
publicitaire. Malheureusement, comme je n’étais pas en mesure de localiser la version
intégrale de ce document, je ne peux compter qu’avec quelques extraits compilés dans le
témoignage de Petrônio Corrêa (op. cit. 1990). J’aimerais ainsi citer brièvement deux points
sur lesquels s’appuie l’avis du juriste et qui servent de base pour la plupart des discours
d’autolégitimation utilisés par le CONAR.
Le premier point est relatif à la supposée détention, de la part du secteur publicitaire, de la
compétence nécessaire pour juger les transgressions dans la publicité. Se rapportant
spécifiquement au secteur des publicités de médicaments, Pontes Miranda argumente :
(…) comme la divulgation [de médicaments] peut être nocive, par le fait même que le
peuple croie à ce qu’on transmet [dans la publicité], la mission des intéressés mérite
d’être moralement analysée. Ceux qui font la divulgation connaissent mieux ce qui est
publié que les propres lecteurs ou auditeurs.ccxxiv
Certes, la compétence du secteur publicitaire pour mieux juger de ses déraillements est à la
fois morale et technique. Geraldo Alonso Filho (2005), le fils d’un des fondateurs du
150
CONAR, rappelle lui aussi que son « père se plaignait particulièrement de ce qu’il appelait
‘les bêtises’ des censeurs, en général des personnes dépourvues de critères techniques leur
permettant d’évaluer la qualité d’une annonce publicitaireccxxv ». L’avocat Saulo Ramos
rejoint l’avis de Pontes Miranda et d’Alonso Filho, en s’attaquant en contrepartie au manque
de compétences des juges et du système judiciaire tout entier. Ramos rappelle qu’avant la
création du CONAR, « lorsque le litige allait jusqu’au système judiciaire, il y avait de la perte
de temps, des souffrances inutiles, un endommagement du concept de l’activité elle-même.
En général, les juges ne connaissaient rien du sujet en question et proféraient des sentences
regrettablesccxxvi. » C’est dans ce sens que Pontes Miranda conclut que la création d’une
autarchie fédérale, telle qu’envisagée par le gouvernement fédéral à la fin des années 1970,
serait destinée à l’échec absolu, puisqu’elle ne serait pas capable de repérer les points de vue
« qui appartiennent à l’autoanalyse des publicitairesccxxvii. »
Un point est cependant absent des extraits de Pontes Miranda, mais il figure parmi les plus
constamment revendiqués dans l’ouvrage commémoratif des 25 ans du CONAR. Il s’agit de
la nécessaire distinction entre publicité politique et publicité commerciale comme
justification principale d’un traitement distinctif de la part du gouvernement fédéral. Alonso
Filho explique que la censure « ne s’exerçait pas seulement sur le terrain des coutumes,
comme pourraient le penser certains, mais principalement sur le terrain politique, où presque
tout soulevait la méfiance des autoritésccxxviii. » L’argumentaire mobilisé par les teneurs de
l’autoréglementation a consisté ainsi à prouver que la publicité politique — celle-ci étant
largement surveillée et réglementée par le gouvernement militaire — n’avait rien à voir avec
la publicité dite « commerciale ». Cette dernière devrait s’arroger le droit de
s’autoréglementer en s’appuyant sur la prémisse, plus ou moins explicite, selon laquelle ce
genre d’activité professionnelle est en soi apolitique. De ce fait, la publicité brésilienne
cherchera soigneusement à éviter, au moins pour ce qui est du moment de genèse de
l’autoréglementation, les sujets que l’on considérait proprement « politiques ». Au pire
moment de la répression et de la cassation des droits politiques et de la liberté d’expression,
on se réjouira également de voir que « encore là, les annonces dans les journaux et magazines
et les publicités commerciales à la télévision dépeignent, avec la bonne humeur
caractéristique de la publicité, un cadre léger de la vie brésilienneccxxix. »
151
Bref, le 5 mai 1980 marquera finalement la transformation de l’ancienne commission
d’autoréglementation publicitaire en CONAR, telle qu’on le connaît de nos jours. Selon
Oliveira Paulino (1999), l’organisme devient, en termes juridiques, « (…) une association
éthique, une société civile sans but lucratif dûment constituée, orientée vers l’application de
normes réglementaires relevant de l’univers des communicationsccxxx. » Dorénavant, son
principal objectif sera « (…) de veiller sur la crédibilité et la valorisation des propres activités
du secteur économique publicitaire, tout en offrant un canal d’accès à la défense du
consommateurccxxxi. »
Comme j’essaierai de le démontrer à travers l’examen d’un certain nombre de plaintes contre
les publicités racialement discriminatoires et qui ont généré des discussions publiques, ce
sont les deux premiers arguments — d’une supposée compétence morale, d’une compétence
technique — qui demeureront au cours des discours de légitimation énoncés par le CONAR.
Mon argument ici revient surtout sur le dernier de ces fondements — l’absence d’une nature
politique inhérente à la publicité commerciale — qui fera l’objet des plus grandes
controverses au sein de cet organisme.
5.5 La légitimité du CONAR à l’ère des droits des consommateurs
Dans les sections précédentes, j’ai présenté les principaux arguments à l’origine de la mise en
place du système d’autoréglementation publicitaire au Brésil, processus qui a culminé avec
l’adoption du CBARP et la création du CONAR. Les principales sources pour la
reconstruction de ce parcours ont été les témoignages de professionnels issus du milieu
publicitaire ou bien des associations représentées au sein du CONAR. Ces différents discours
ont été enregistrés à deux moments spécifiques : d’une part, lors de la parution de História da
Propaganda no Brasil (op. cit) à la fin des années 1990, le premier ouvrage se proposant de
reconstituer l’histoire de la publicité au Brésil ; d’autre part, lors de la parution de l'ouvrage
commémoratif des 25 ans du CONAR en 2005.
152
Certes, les témoignages rendus par les professionnels des publicités brésiliennes exposées
dans les deux sections précédentes ne constituent pas la seule et ultime source de légitimité
du CONAR. En effet, il faut avoir en tête que la légitimité du CONAR n’a jamais été le
simple produit d’une prise de position unilatérale de la part de quelques membres du secteur
publicitaire. Cette légitimité constitue plutôt le résultat d’un équilibre instable entre plusieurs
acteurs dans une interaction complexe entre, d’une part, le CONAR et ses défenseurs ;
d’autre part, les professionnels qui font l’objet de l’autodiscipline ; et, finalement, ladite
« société civile », amorphe et hétérogène dans son essence. Au centre de ce champ de forces
siège l’État brésilien, entité qui fera non seulement l’objet de pressions de tous les acteurs
mentionnés, mais dont l’action sera aussi d’une importance fondamentale pour encadrer
l’action organisée de tous les autres acteurs concernés.
Dans cette section, j’examinerai les principaux arguments avancés par ces trois pôles
discursifs en vue de la manutention ou de la déstabilisation de la légitimité du CONAR, ainsi
que les différentes positions prises par le quatrième acteur clé : l’État brésilien. Il s’agit par là
de comprendre, en tenant compte des différentes positions mentionnées, les enjeux de
légitimité auxquels le CONAR est confronté à l’heure actuelle.
5.5.1 Les 25 ans du CONAR : moment de bilan et de questionnements
On parle souvent de l’autoréglementation publicitaire au Brésil comme de la « réponse
inspirée » de la part de ce secteur au contrôle, sur le plan national, de la liberté d’expression.
Toutefois, ce que l’on omet de mentionner explicitement est que cette réponse s’insérait de
manière exemplaire dans la feuille de route des grandes organisations déontologiques
publicitaires supranationales, comme l’IAA. De manière générale, les fonctions attribuées au
CBARP et au CONAR sont les mêmes que celles attribuées à d’autres bureaux
déontologiques ailleurs dans le monde, comme le décrit Mattelart :
153
Les fonctions principales exercées par les systèmes d’autosurveillance [sont] : un rôle
préventif concernant le contenu et la configuration d’un message, le relevé
(monitoring) des annonces pour s’assurer de l’observance du code par la profession, la
réception et l’investigation des plaintes émanant du public et des concurrents, le rappel
à l’ordre de ceux qui commettent des infractions, la participation aux commissions
officielles chargées de la supervision déontologiques de certains médias. (Mattelart,
1990, p.98.)
Ce n’est donc pas par hasard que l’organisme qui régit l’autoréglementation publicitaire au
Brésil célèbre ses 25 ans d’existence en jouissant de l’approbation des experts internationaux
de la publicité. Avec fierté, on mentionne également que le CBARP « est considéré comme
exemplaire par des spécialistes comme le professeur d’affaires internationales J. J.
Boddewyn, du Baruch College de l’Université de New York, consultant de l’IAA, auteur de
plusieurs ouvrages portant sur le sujetccxxxii. » Selon cet auteur, « ‘le modèle du Brésil est
possiblement le système le plus développé d’autoréglementation trouvé dans les pays en voie
de développement et il dépasse même quelques-uns issus du premier monde [pays
industrialisés]’ccxxxiii. »
L’excellence du CBARP en matière d’autoréglementation va de pair avec l’organisme chargé
de son application. Dans l’introduction de l’ouvrage commémoratif des 25 ans du CONAR,
le président en place de cet organisme, Gilberto Leifert (2005), nous fait savoir que durant
cette période, le CONAR a jugé plus de 5 282 procès éthiques et qu’« en raison d’un
déraillement éthique commis dans l’annonce, la moitié des interventions de l’institution a
résulté en une altération [de son contenu] ou le retrait de sa transmissionccxxxiv. » Dans ce
même ouvrage, on mentionne l’existence d’une grille mentionnant douze critères100
d’évaluation des systèmes nationaux d’autoréglementation publicitaire qui a été développée
100
Les critères d’évaluation de l’EASA reposent sur l’existence de certains organismes et outils
institutionnels, de façon que les différents systèmes soient classifiés selon : 1) le pays d’origine ; 2)
l’existence ou non d’un organisme d’autoréglementation publicitaire ; 3) le code
d’autoréglementation ; 4) l’orientation, 5) l’écoute de contrôle ; 6) la gratuité de la plainte déposée par
un consommateur ; 7) la possibilité de déposer une plainte en ligne ; 8) la publication des décisions ; 9)
les ressources disponibles ; 10) les souteneurs a) ayant été consultés lors de la rédaction du code ; b)
ayant participé au jury ; 11) les campagnes de divulgation ; 12) le site web (Schneider, 2005, pp.2223).
154
par l’European Advertising Standards Alliance (EASA) en 2005. D’après celle-ci, « le
CONAR remplit les douze critères, se plaçant ainsi au rang des institutions homologues les
plus développées au monde, dépassant celles de pays ayant une économie plus avancée,
comme l’Allemagne, la France et l’Italieccxxxv. »
Lors des commémorations de son 25e anniversaire, ce n’est pas uniquement le secteur
publicitaire qui se réjouit de l’excellence du CONAR, mais aussi d’autres secteurs
professionnels des communications qui voient dans celui-ci une sorte de paradigme de
l’autodiscipline
professionnelle.
Selon
Oliveira
Paulino
(op.
cit.),
la
possibilité
d’autoréglementer la presse et le secteur télévisuel à l’instar du secteur publicitaire a été
maintes fois soulevée lors des discussions sur la nouvelle loi sur la presse au Brésil à la fin
des années 1990. L’auteur note que l’option pour l’autoréglementation journalistique aurait
d’ailleurs été considérée non seulement par les instituts d’étude et de critique de la presse à
l’époque, mais aussi par le gouvernement de l’ancien président Fernando Henrique Cardoso
(1994-2001) (Oliveira Paulino, 1999, p.15).
Un moment privilégié de la construction et de l’affirmation de la légitimité du CONAR
devant l’action gouvernementale a eu sans doute lieu durant les réunions de la commission
pour la création d’un code de consommateurs au début des années 1990. Alors que les
différends avec d’autres secteurs se multipliaient, le CONAR a pris le rôle d’acteur central
dans la lutte pour la conservation de la prérogative de l’autodiscipline et ce, même dans un
contexte où, vingt ans après la fin de la dictature, la liberté d’expression au Brésil est déjà
tenue pour acquise. Dans son bilan au sujet des 25 ans d’existence du CONAR, l’actuel
directeur exécutif de cet organisme, Edney Narchi (2005), fournit des pistes pouvant
clairement expliquer comment le conseil a su se défendre face à ses opposants, et ainsi
conserver son statu quo :
Notre contribution la plus expressive au long de toute cette période a concerné, très
probablement, la lutte pour la définition adéquate du statut de la publicité au sein de
l’Assemblée constituante et dans les débats pour le Code de défense des
consommateurs. La Constitution de 1988 avait déjà banni la censure préalable, y
155
compris celle dans la communication publicitaire, et elle avait seulement réservé à
l’Union [la prérogative de] l’élaboration des lois sur la publicité commerciale ; mais
celle-là avait prévu, dans les dispositions transitoires, la création, dans un délai
déterminé, du Code de défense du consommateur. Le mouvement de consommateurs,
très actif et influent, accueillait des courants qui faisaient de la publicité l’un de leurs
objets préférés, à cause de ce que celle-ci pouvait offrir en termes de contenu abusif ou
trompeur.ccxxxvi
Selon Narchi, une première victoire du CONAR a consisté en son insertion dans la
commission que le Ministère de la justice a créée pour l’élaboration de l’avant-projet du
Code de consommateurs — ce qui a été perçu par le CONAR comme « une démonstration du
prestige conquis par celui-ci durant ses quelques années d’existenceccxxxvii. » Sa contribution
personnelle lors de cette commission aurait été décisive, par exemple, pour l’exclusion du
mot « publicité » de la rédaction proposée pour l’article 31 du code en question101, où l’on
prévoyait des directives assez détaillées concernant la clarté de l’annonce et de l’emballage
des produits et services. Outré par cette équivoque, Narchi dénonce l’ancienne formulation :
« Or, ceci rendrait la publicité inexécutable, telle qu’elle est faite dans le monde
entierccxxxviii. » En lançant le défi de trouver « quelle pièce publicitaire aurait pu accomplir
toutes ces exigences dans les quelques secondes de durée d’une publicité commerciale pour
la télévision ou d’un spot radiophoniqueccxxxix », Narchi oppose « l’état de maturité éthique »
conquis par la publicité commerciale brésilienne à « une profonde méconnaissance technique
sur les fondements de l’activité, vue avec une dose élevée de préjugés et de méfianceccxl. »
Force est de constater que le CONAR, en tant qu’institution, semble avoir fait montre non
seulement
d’obstination,
mais
aussi
d’efficacité
dans
la
défense
du
principe
d’autoréglementation du secteur publicitaire, ce qui lui a permis de sortir la plupart du temps
gagnant des récurrents efforts de la réglementation gouvernementale. Ce fut notamment le
101
Dans sa formulation précédente, l’article 31 du Code brésilien de défense des consommateurs
prévoyait des directives assez claires non seulement pour la présentation (emballage) de produits ou
services, mais aussi pour la publicité qui y était relative. Selon ces directives, toute publicité devrait
alors contenir des informations « correctes, claires, précises, ostensives et en langue portugaise »
portant sur les caractéristiques du produit ou service, telles que la quantité, la qualité, la composition,
le prix, la garantie, le délai de validité, l’origine et les éventuels risques contre la santé et la sécurité
des consommateurs.
156
cas en ce qui concerne la réglementation des produits particuliers comme le tabac, les
boissons alcoolisées, les pesticides, les médicaments. Dans des cas pareils, les efforts du
CONAR se résument à ceci : anticiper l’action gouvernementale en proposant, dans les
limites de l’autodiscipline, des mesures volontairement établies visant à contraindre certaines
pratiques publicitaires. Et lorsque le gouvernement menace de réglementer davantage la
publicité d’un secteur quelconque de produits, la position du CONAR consiste à proposer
« les alternatives qu’il juge adéquates, en cherchant à anticiper les fréquentes alternatives, les
unes de bonne foi, les autres démagogiques, et à totalement prohiber la publicité de certains
produitsccxli. »
Les contraintes auxquelles le CONAR doit faire face, à l’aube du troisième millénaire, ne
sont pas du tout les mêmes que celles rencontrées 25 ans plus tôt. La sauvegarde du pouvoir
de s’autoréglementer, comme on le verra bientôt, doit désormais tenir compte des
prérogatives énoncées dans un nouvel instrument juridique : le code de défense des
consommateurs.
5.5.2 L’autoréglementation après l’avènement des droits des consommateurs
En fait, l’approbation de la Loi 8.078/90 résultant en la création du Code brésilien de défense
du consommateur (CBDC) a apporté un bémol à la lutte du CONAR pour son affirmation et
pour le maintien de sa raison d’être. Selon l’avocate spécialisée en droit des consommateurs,
Etiene Maria Bosco Breviglieri (2005), l’avènement du CBDC a inauguré une nouvelle phase
dans la réglementation des relations de consommation, en imposant un impact indéniable sur
le système même d’autoréglementation de la publicité. Bien que la préoccupation principale
de l’auteure repose plus particulièrement sur la publicité destinée à un public infantile, son
analyse autour des principes juridiques agissant sur la réglementation publicitaire s’avère
d’une grande utilité pour comprendre l’apport du CBDC.
157
D’après Brevriglieri, on peut envisager trois formes de réglementation du secteur
publicitaire : 1) un système exclusivement étatique ; 2) un système exclusivement privé,
comme il l’avait été au Brésil jusqu’à l’approbation du CBDC ; 3) un système mixte de
contrôle, où des organismes privés et étatiques se combinent et se superposent. « Avec
l’avènement du Code brésilien de défense du consommateur, surgit au sein de la Doctrine un
certain désaccord en ce qui concerne le système de contrôle adopté au Brésilccxlii. » Deux
arguments se trouvent à la base d’un tel désaccord. Premièrement, explique-t-elle, une partie
de la doctrine argumente que le fait du CONAR d’établir des normes à caractère absolument
privé ne les rendraient pas capables de produire de résultats juridiques sur les parties
tierces102. Deuxièmement, le surgissement de la réglementation étatique, qui est à caractère
impératif, a fait en sorte que celle-ci accède à une place antérieurement, et exclusivement,
occupée par l’initiative privée.
Bosco Brevriglieri poursuit son exposé en précisant que le CBDC a été, entre autres,
responsable de la définition, au sein de la norme juridique, de la figure du consommateur. En
ce qui concerne plus particulièrement la publicité, note-t-elle, « le CDC s’empare non
seulement du consommateur potentiel, c’est-à-dire celui qui peut parvenir à acquérir et à
utiliser un produit ou un service en tant que destinataire final, mais aussi toute personne ayant
été exposée aux pratiques commercialesccxliii. » Ainsi, l’auteur défend le fait selon lequel le
CBDC, en positivant quatre principes spécifiques à la publicité commerciale — les principes
de véracité, de clarté, de correction et d’information — a fini par établir de nouvelles règles
pour la publicité commerciale, cette fois-ci du point de vue de la défense du consommateur.
102
L’auteur fait sien l’avis du professeur Antônio Hernan De Vasconcellos e Benjamin au sujet de
l’autoréglementation publicitaire. Tout en reconnaissant l’importance de cette dernière, De
Vasconcellos e Benjamin voit trois grandes limitations dans ce système de réglementation : 1)
l’autodiscipline régule seulement ceux qui y adhèrent sur une base volontaire ; 2) de telles règles
opèrent seulement sur le plan normatif interne, car elles n’ont aucune relevance externe ; 3) la force
d’attache est inférieure à celle du système étatique (Breviglieri, 2005, p.45).
158
Certes, il semble y avoir là un changement de cap fondamental, puisqu’on passe de la
réglementation de l’annonce publicitaire103, telle qu’inscrite dans le CBARP, à la
préoccupation pour un public général qui, selon Breviglieri, se « caractérise par
l’indétermination et l’amplitudeccxliv. » Ce déplacement marque finalement une tendance vers
la protection d’intérêts diffus, mais aussi la coexistence de deux formes de réglementation
parallèles se conjugant dans un système mixte. D’un côté, nous avons un système
exclusivement privé, qui s’appuie sur le CONAR avec le CBARP comme outil réglementaire.
De l’autre, on a un « système étatique de contrôle de la publicité composé par l’action du
pouvoir exécutif et du pouvoir judiciaireccxlv», le premier étant responsable de l’application de
sanctions administratives, alors que le deuxième s’occupe des sanctions civiles et pénales. Le
CBDC est l’outil de base de celui-ci104.
Néanmoins, cette position ne fait pas consensus parmi les jurisconsultes, l’avocat Fernando
Henrique Zanoni étant un exemple des dissidents. Dans l’article Da incompetência do
CONAR para proferir decisões de caráter coativo (Zanoni, 2007), Zanoni initie son l’analyse
de la nature juridique du CONAR avec un constat : celui-ci « est un organisme dont
l’existence ne contient aucune disposition légaleccxlvi » et constitue tout simplement une
initiative indépendante d’autoréglementation de la part du secteur. Selon Zanoni, quoiqu’il
possède quelques caractéristiques propres aux agences de régulation, le CONAR « n’est pas
une autarcie sous régime spécialccxlvii », mais plutôt « un organisme non gouvernemental sans
aucun pouvoir normatif légitimeccxlviii. »
103
L’article 1 du CBARP stipule que « toutes les annonces doivent respecter aux lois du pays et
s’y conformer ; celles-ci doivent également être honnêtes et vraies » (1980). Código Nacional de Autoregulamentação Publicitária. Conselho Nacional de Auto-regulamentação Publicitária. En ligne.
<http://www.conar.org.br/html/codigos/codigos %20e %20anexos_introducao_secao1.htm>.
104
Il est intéressant de noter que l’actuel président du CONAR, Gilberto Leifert, abonde dans la
même idée, selon laquelle le système actuel de réglementation de la publicité au Brésil est un système
mixte, comme le démontre bien l’extrait suivant : « Le système mixte de législation et
d’autoréglementation en cours au Brésil est, à son tour, considéré exemplaire et il a servi d’inspiration
et de stimulation à beaucoup d’autres pays. » (“ O sistema misto de legislação e auto-regulamentação
vigente no Brasil é, por sua vez, considerado exemplar e tem servido de inspiração e estímulo a vários
outros países”, Leifert, 2005, p.12.)
159
Ceci équivaut à dire que le statut du CONAR n’est qu’un simple contrat, étant donné que la
législation nationale ne prévoit pas des brèches visant à légitimer une authentique régulation
privée de la matière105. D’où la conclusion de Zanoni, selon laquelle « la régulation de la
publicité au pays n’est pas mixte, ce qui contrarie la vision de certains jurisconsultesccxlix ».
Par conséquent, dans ce scénario d’incertitude juridique où l’absence de caractère impératif
de la régulation étatique se concilie parfaitement avec le fait que le CONAR n’est pas
encadré juridiquement par l’État comme une agence de régulation, c’est l’intérêt privé qui
l’emporte sur l’intérêt public. Et en ce qui concerne spécifiquement le CBDC, celui-ci n’a fait
que normaliser, par le biais de la Loi 8.078/90, la figure du consommateur comme le
destinataire final de l’action du CONAR.
Malgré les dissensions existant entre les juristes, plusieurs se rejoignent concernant
l’incapacité du CONAR de représenter l’intérêt public, dans la mesure où cette représentation
signifierait aller contre les propres intérêts corporatifs de l’organisation. Zanoni, quant à lui,
croit que « l’insécurité juridique qui caractérise les décisions du CONAR, faute d’une
prévision légale pour celui-ci, et du fait même de ne pas être encadré comme une agence de
régulation, ouvre la possibilité que l’intérêt privé ait prééminence sur l’intérêt publicccl. »
D’autres voix de plus en plus nombreuses s’insurgent également contre la prérogative de
l’autodiscipline, soulevant diverses suspicions en ce qui a trait à l’efficacité du CONAR de
contrer, par le biais de l’application du CBARP, toute pratique publicitaire pouvant
contrevenir aux intérêts corporatifs des annonceurs et des agences de publicité. Dans l’article
intitulé « O CONAR e o controle social da ética publicitaria no Brasil » (Henriques et Júnior,
2007), publié dans la revue juridique Ultima Instância, Isabella Henriques et João Lopes
Guimarães Júnior affirment que les raisons à l’origine de la création du CONAR n’ont plus
105
À cet effet, la Constitution Brésilienne de 1988 est assez claire : « Il revient privativement à
l’État de légiférer sur (…) la publicité commerciale. » (“ Compete privativamente a União legislar
sobre (…) a propaganda comercial”, Constituição da República Federativa do Brasil de 1988, art. 22,
par. XXIX.)
160
lieu d’être à l’heure actuelle : « Plus de vingt ans après la fin du gouvernement militaire, à
l’heure de l’État démocratique de droit, le CONAR (…) maintient le discours du refus de
toute initiative de contrôle public de l’activité publicitaireccli. »
Les auteurs résument bien ce conflit d’intérêt tel qu’il s’exprime dans les décisions les plus
récentes de l’organisme :
L’influence corporatiste est principalement observée dans les jugements qui ont trait à
des questions subjectives et faisant référence à des valeurs. Dans la plupart des cas, les
dispositifs du code sont interprétés selon la logique du marché, qui n’est pas
nécessairement celle de la société, et qui ne prend pas toujours en compte les droits de
consommateurs. Lorsque les intérêts commerciaux sont mis en question, la décision
penche toujours du côté des publicitaires. Les positionnements plus récents du
CONAR démontrent bien cette orientation.cclii
Fait à souligner : si l’on se fie à l’avis du directeur exécutif du CONAR, Edney Narchi, ce ne
sont pas les consommateurs, mais plutôt les annonceurs, qui constituent le groupe le plus
défavorisé par les décisions émises par le conseil : « Durant ces 20 ans, sous la gestion de
quatre présidents différents, nous avons fait face, au sein du CONAR, au non-conformisme
des annonceurs contrariés, les uns étant très puissants, les autres pas tellement, mais
également acharnésccliii. » Pour ce qui est de la contrariété de l’autre côté, c’est-à-dire celle
des consommateurs/citoyens aux prises avec les décisions ou prérogatives du conseil, elle
n’est que très vaguement mentionnée : « Il y a, encore de nos jours, ceux qui critiquent le
CONAR parce qu’il défend le droit d’annoncer, dans le cadre de normes dûment établies, des
produits comme le tabac, des boissons alcoolisées, des médicaments et des pesticides
agricolesccliv. »
Bien sûr, ce passage ne fait référence qu’à une partie des critiques faites à l’endroit du
CONAR, en excluant d’emblée toutes celles qui ont pour objet les décisions finales du
Conseil d’éthique du CONAR, lorsque celles-ci vont à l’encontre des intérêts des citoyens
ordinaires. Rejetées du revers de la main, ces critiques semblent perdre de l’ampleur devant
le fait que les règles régulant la publicité ont été « dûment établies » et qu’elles suffisent
161
largement pour encadrer une pratique éthique de la publicité. « Le fait est que l’éthique et la
bonne technique publicitaire déterminent clairement comment produire et comment véhiculer
la publicité d’un produit qui, pour une raison quelconque, aurait pu affecter un
consommateur, conclut Narchicclv. »
5.5.3 Le CONAR versus le secteur publicitaire : la société civile comme otage
Bien que l’argument visant le corporatisme du CONAR me semble très valable, je crois qu’il
doit être nuancé par l’existence de positions assez divergentes, voire irréconciliables, au sein
même du secteur publicitaire. Une démonstration exemplaire de la façon dont ce conflit
d’intérêt s’exprime à l’intérieur du CONAR peut être faite par le biais de la querelle,
concernant les publicités de bière, qui a eu lieu récemment entre quelques professionnels du
secteur et le CONAR. Dans un article publié intitulé O Belo e o bom senso : publicidade e
correção politica106 (Santos Botelho, 2006), j’ai décrit les grandes lignes de l’argumentaire
des professionnels qui faisaient part de leur désarroi devant la vague de « politiquement
correct » qui afflue au sein d’une organisation censée représenter l’intérêt des professionnels.
Je mentionnerai par la suite quelques arguments principaux, pris d’un côté et de l’autre de la
situation.
Compte tenu des récits disponibles, le conflit semble avoir débuté avec la détermination du
CONAR de retirer de la circulation une publicité télévisuelle de bière de la marque Skol. Le
mécontentement des professionnels est alors tellement grand que ceux-ci se décident à faire
couler de l’encre sur les pages des publications spécialisés. Le premier à le faire a été Ruy
106
Cet article a servi de base pour la rédaction d’un dossier portant sur la condition de la femme
noire au Brésil, à l’occasion de la tenue de la dernière consultation de la Commission des droits de la
personne de l’Organisation des États américains (OEA) en juillet 2007. Prazeres, Michelle. 2007.
«Dossiê avalia situação das mulheres negras na mídia». Observatório do Direito à Comunicação. En
ligne:
<http://www.direitoacomunicacao.org.br/novo/content.php ?option=com_content&task=view&id=225
4>. Consulté le 23 janvier 2008.
162
Lindenberg, vice-président de l’agence de publicité Leo Burnett, qui prend la plume le 6
février 2006 pour écrire l’article O super-herói Conar contra o malévolo, ameaçador e
perigoso Rocky Balboa (Lindenberg, 2006). Dans cet article, Lindenberg s’insurge contre « le
dégât qu’est en train de faire dans notre profession la vague du politiquement correctcclvi. »
Concrètement parlant, ladite vague s’est manifestée lorsqu’« une publicité commerciale de la
[bière] Skol a été retirée de la circulation, entre autres, parce qu’elle exhibe une jeune femme
‘en dehors des standards de beauté’, ce qui a été jugé discriminatoirecclvii » par le CONAR. Ce
à quoi Lindenberg réplique : « bientôt on devra transformer les laiderons en belles femmes,
non parce que l’idée du film le demande, mais parce que quelques personnes du métier
l’exigentcclviii. »
Quelques jours plus tard, le Clube da Criação de São Paulo se joint au cercle des nonconformistes, en publiant un deuxième article ayant comme titre l’énoncé très inspiré Todos
os publicitários respeitam o Conar. Já um poeta e um pintor respeitosamente discordam
(Clube da Criação, 2006). Écrit au nom de ce club de création, l’article avance d’autres
détails sur la décision polémique du CONAR ainsi que sur son objet :
Le CONAR a décidé d’arrêter la transmission d’un film de la bière Skol, dans lequel
un homme mettait tout simplement la main sur les fesses (sic) d’une fille très belle et
se refusait de faire la même chose sur celles d’une fille ‘kétaine’ (sic) (le film est
vachement meilleur que ce résumé). L’allégation ? Le film pousserait au préjugé contre
les femmes laides.cclix
Le Clube da Criação poursuit le récit de son indignation : « N’y aurait-il pas une
exagération ? Avec tout notre respect : le bon sens ne serait-il pas en manque lors de tels
jugements ?cclx » Et il conclut, avec une singulière ironie, en mettant le site web du Clube da
Criação à la disposition des lecteurs pour un débat éclairé sur les excès attribués au CONAR,
163
en remerciant « dès lors tout le support de la part des juifs avares, des ‘Baïanos’107
insouciants, des Japonais mauvais conducteurs, des Portugais et des blondes stupides contre
cette peste (sic), ce qui représente le politiquement correctcclxi. »
La réplique se manifestera le 13 février 2006 en la personne du président du CONAR, Luiz
Celso de Piratininga (De Piratininga, 2006). De Piratininga se défend des accusations en
précisant qu’en n’étant « ni super héros, ni ‘paladin de la morale et des bonnes coutumes’, le
CONAR n’est qu’un reflet la société brésiliennecclxii. » Mais qu’en est-il de ladite société
brésilienne ou, au moins, de cette vision particulière de la société brésilienne ? Qu’en penset-elle finalement ?
Le président du CONAR fournit ses pistes de réponse, en apportant quelques éclaircissements
sur la composition des comités d’éthique : « Je m’explique : ce n’est pas le CONAR qui
délibère sur les procès éthiques, mais son Conseil d’éthique, formé de 140 représentants
désignés par les entités d’annonceurs, de consommateurs et de professionnels en création, ces
derniers y trouvant une robuste représentationcclxiii. » L’idée du CONAR, selon lui, c’est de
« créer dans chacune de ses six chambres, un microcosme du marché et de la sociétécclxiv », où
« des hommes et des femmes de toutes les tranches d’âge, professionnels de la publicité ou
non, exercent à chaque séance des jugements contradictoires (sic)cclxv. »
De Piratininga en vient à préciser que ce débat démontre, tout d’abord, que les réprimandes
du CONAR sont très mal vécues au sein du secteur professionnel publicitaire. En voici
quelques exemples supplémentaires : toujours en réponse au retrait de la circulation de
l’annonce de la bière Skol — celle qui exhibait les « laiderons » —, le Clube de Criação
qualifie l’action du CONAR de « moche, très moche », d’« un immense ridicule ». Quant au
publicitaire Ruy Lindenberg, il est forcé d’admettre qu’il se sent « plus menacé par le ‘feu
107
Le terme « Baiano » réfère généralement à toute personne naturelle de l’État de Bahia au
Brésil. Dans certaines régions du sud-est du pays, notamment à São Paulo, le terme contient une
connotation très péjorative, désignant également tout objet ou toute personne considéré(e) démodé(e)
ou maladroit(e).
164
ami’ que par des tirailleries de l’ennemicclxvi », pour conclure, finalement, que «tout ce dont
nous n’avons pas besoin, c’est de super héros. Car nous ne sommes ni des enfants, ni des
vilainscclxvii. » Ensemble, ces lamentations reflètent beaucoup de réactions de la part d’une
classe professionnelle particulièrement réfractaire à toute forme de limitation de la liberté de
création. Et ce, même si dans la plupart des cas, on se fait tirer l’oreille « en famille ».
Toutefois, cette vision optimiste d’une société qui « veut et exige de s’exprimer » cède trop
vite sa place à une deuxième version, celle-ci plus condescendante, selon laquelle « nous
pouvons même pondérer le fait qu’il y a des exagérations flagrantes, comme s’il s’agissait
d’une espèce de vengeance de points de vue longuement tenus sous silence. Exagérations
d’ailleurs qui sont d’autant plus compréhensibles qu’inévitablescclxviii. » Le débat change alors
d’orientation avec la preuve que l’organisme se trouve bel et bien dans un véritable feu
croisé : d’une part, une société « exigeante » ou « vilaine », selon le cas, en quête permanente
de contrôle sur ce secteur ; d’autre part, le gouvernement fédéral qui, à la suite de la fin de la
dictature militaire, se rallie de plus en plus à la société civile.
En troisième instance, le CONAR doit faire face à une multitude de professionnels frileux
face à toutes les revendications de contrôle social. C’est d’ailleurs Lindenberg qui regrette
que l’activité en question « fasse présentement l’objet d’un harcèlement de la part de
l’opinion publique, principalement par le pouvoir législatif, lequel, avec son appétit légifère,
possède plus de 200 projets de loi en examen au sein du Congrès National en vue de
restreindre la publicitécclxix. » Les lamentations se poursuivent, cette fois-ci avec un aveu du
président du CONAR : « Moi non plus, je n’aime pas tout ce qui est ‘politiquement correct’,
mais je me sens soulagé par le fait que ce contrôle sur ce que nous créons soit exercé par la
société et non par un régime totalitaire ou un cerveau quelconque qui se juge éclairécclxx. »
Compte tenu de ces arguments, quelles conclusions peut-on tirer de ce débat concernant les
questions touchant au problème de discrimination raciale dans la publicité brésilienne ? Une
voie de réponse que j’adopterai dans ce travail se réfère justement au pouvoir de
déstabilisation que les discussions publiques autour de publicités jugées racialement ou
165
ethniquement discriminatoires auront sur la légitimité même de l’organisation. D’une part,
ces discussions publiques seront les grandes responsables de la remise en question des
contenus véhiculés dans la publicité brésilienne, dans le sens où elles mobilisent de nouvelles
interprétations des contenus en question, faites à la lumières de récits historiques du passé
colonialiste et post-colonialiste brésilien (des récits qui sont eux-mêmes des interprétations
des faits passés). De l’autre, les discussions entamées serviront de véritable champ de bataille
où les différents acteurs impliqués chercheront à imposer une interprétation particulière des
images et des mots composant le discours publicitaire. C’est justement dans ce champ de
bataille que la légitimité du CONAR en tant qu’organisme d’autodiscipline sera à la fois
déstabilisée, attaquée, reconsidérée et maintenue intacte, tout au moins pour l’instant.
Le débat sur l’autoréglementation publicitaire au Brésil n’est pas encore fini et il se poursuit
avec autant de vigueur à l’heure actuelle. Ce n’est pas par hasard que parmi les 200 projets de
loi en examen au sein du Congrès national, on en trouve plusieurs qui prévoient des quotas
dans les représentations raciales au sein des médias, en général, et dans la publicité, plus
particulièrement. Quelques-uns de ces projets cherchent à instituer des quotas raciaux et
ethniques dans les médias, assurant de ce fait la participation d’artistes et de modèles afrodescendants. Le projet numéro 4370/1998108, proposé par le député Paulo Paim (Parti des
Travailleurs), par exemple, prévoit que 40 % des modèles de campagnes publicitaires soient
noirs. D’autres projets prévoient des quotas de représentation de l’ordre de 40 % en ce qui a
trait aux groupes pretos et pardos. Dans la Constitution de l’État de Bahia — celui qui
possède d’ailleurs le plus haut taux de noirs dans la composition de la population locale109 —,
108
Aussi connu comme « Statut de l’égalité raciale », le projet de loi du Député Paulo Paim est
peut-être le plus ambitieux de tous les projets; il prévoit la présence minimale de membres noirs à
hauteur de 30 % dans les candidatures politiques, 20 % de places dans les universités publiques et dans
la fonction publique, ainsi que le paiement de 102 000 $ à titre d’indemnités compensatoires à tous les
descendants d’esclaves.
109
Selon le recensement de l’année 2000, la proportion de la population qui s’autodéclare preta et
parda dans l’État de Bahia était de 73,2 %. (2002). Censo demográfico 2000, Instituto Brasileiro de
166
le fameux « chapitre noir » prévoit, dès 1989, le pourcentage minimal de 25 % de
représentants afro-descendants dans tous les cas où il y a plus d’un individu représenté dans
l’annonce publicitaire.
Ma contribution personnelle à ce débat consiste en l’examen, dans une perspective historique
qui traverse les 26 ans d’existence du CONAR, des discussions publiques autour des
publicités ayant été accusées de discrimination raciale. De ce fait, et pour mieux comprendre
les formes de discrimination raciale dans la publicité brésilienne, je propose l’examen des
plaintes ayant fait l’objet d’une discussion publique entre 1979 et 2005.
Geografia
e
Estatística.
En
ligne :
<http://www.ibge.gov.br/home/presidencia/noticias/20122002censo.shtm>. Consulté le 27 décembre
2007.
CHAPITRE VI
STRATÉGIES DE RECHERCHES ET MÉTHODOLOGIE
Dans les chapitres précédents, j’ai fourni un aperçu historique de deux acteurs se situant aux
pôles extrêmes de notre objet de recherche. D’une part, on retrouve les couches de la
population brésilienne faisant l’objet de discrimination raciale et qui sont majoritairement
composés de la population noire brésilienne, mais aussi — quoique dans une moindre échelle
— de la population issue des immigrations japonaise et chinoise. De l’autre côté de la table
de discussion, on identifie le secteur publicitaire brésilien, avec ses institutions et ses discours
corporatifs. Ces deux pôles se retrouvent face à face dans un tribunal privé, composé
majoritairement de représentants du secteur professionnel lié directement à la publicité
commerciale.
Le présent chapitre vise à décrire à la fois les données produites par une telle scène
institutionnelle ainsi que les conditions dans lesquelles ces deux pôles discursifs se retrouvent
face à face dans les procès éthiques de discrimination raciale du CONAR. Cette description
se fait en trois étapes : d’abord, j’explicite les étapes de la recherche, les indicateurs et les
variables de l’analyse quantitative des procès de discrimination raciale ; ensuite, je décris le
fonctionnement de l’organisme responsable de la génération de ces données ; finalement,
j’énonce les méthodes d’analyse permettant d’étayer l’importance des procès ayant fait
l’objet d’une couverture médiatique tout au long de la période analysée, procès qui seront
analysés en profondeur dans le prochain chapitre.
168
6.1. Définition du corpus et des catégories d’analyse
a) Les procès éthiques110 du CONAR
La première source primaire d’informations consultée pour ce travail est constituée des
procès éthiques déposés au CONAR tout au long de ses 26 ans de fonctionnement. D’une
longueur variable, les procès éthiques les plus simples tiennent en une dizaine de pages, alors
que les plus complexes peuvent contenir plus de 100 pages. Quelques cas supplémentaires
ont également été recueillis de façon à permettre l’établissement de certains parallèles et
précisions entre les cas de discrimination raciale et d’autres formes de discrimination
équivalentes. Ces différents procès ont été classés en trois catégories distinctes :
•
Procès typiques : 31 (22 cas sans aucune forme de visibilité médiatique ; 9 cas
ayant fait l’objet d’une visibilité médiatique).
•
Procès intermédiaires : 7.
•
Procès parallèles : 9.
Les critères de sélection permettant la définition d’un cas typique seront étayés dans la
prochaine section. Cette catégorie générale composée de 31 procès typiques a été divisée en
deux sous-groupes : d’un côté, les procès restreints aux instances de délibérations du
CONAR (22 procès) et de l’autre, ceux qui ont débordé les limites de l’institution et ont
gagné la sphère publique médiatique (9 procès). Parmi ces derniers, on retiendra cinq procès
qui seront décrits en détail dans le prochain chapitre en fonction de leur exemplarité.
110
Chacun de ces procès éthiques est composé des parties suivantes : a) une feuille de couverture;
b) la pièce de réquisition d’investigation ou d’ouverture d’un procès contentieux, où l’on mentionne
l’article ou les articles du CBARP servant de fondement; c) un ou plusieurs textes d’accusation
(plaintes) ayant été déposé(s) par écrit auprès du CONAR; d) la description ou un exemplaire de
l’annonce publicitaire faisant l’objet du procès éthique (original, photocopie ou transcription et
découpage de la pièce télévisuelle en photogrammes); e) une pièce de défense, soussignée par
l’annonceur et/ou par l’agence publicitaire responsable de l’annonce; f) l’avis du rapporteur; g) la
décision finale (ou provisoire, si un recours a lieu); h) les annexes, comprenant un inventaire assez
riche des découpages des reportages, articles et chroniques ayant fait référence à la publicité en
question.
169
L’idée est de constituer deux groupes de contrôle ayant des caractéristiques semblables, à
l’exception de la présence de la couverture médiatique (variable indépendante)111. Cette
démarche pourra permettre la saisie des caractéristiques de jugements typiques de chacun des
groupes, ainsi que la mesure et/ou la précision de l’étendue de l’impact de la visibilité des
médias dans les décisions prises par le CONAR.
Une fois les caractéristiques majeures de deux sous-groupes en question confrontées les unes
aux autres, je passerai, dans le prochain chapitre, à une analyse qualitative de cinq procès
ayant eu une visibilité médiatique. Une attention spéciale sera apportée aux arguments de la
défense et de l’accusation présents dans chacune de ces parties, de façon à identifier les
éléments suivants : 1) les arguments soulevés de façon à prouver qu’il s’agit d’une
transgression des normes éthiques ; 2) les arguments permettant d’affirmer que ceci ne
représente pas une transgression ; 3) les arguments récupérés de part et d’autre par le
rapporteur, de façon à ériger son propre avis et qui ont servi d’inspiration pour la décision
finale ; 4) la décision prise suite au jugement du procès éthique ; et finalement 5) les
arguments, interprétations et positions prises dans la couverture médiatique de chacun de ces
procès.
111
Dans son Initiation pratique à la méthodologie en sciences humaines, Angers évoque une
situation d’expérimentation invoquée pour décrire les groupe expérimental comme étant typiquement
celui où « l’expérimentateur cherche à ne faire varier qu’un facteur entre l’avant et l’après
expérimentation et à s’assurer qu’il en mesure ensuite bien les effets en ayant maintenu constants ou
pareils, les autres éléments de la situation » (Angers, Maurice. 1992. Initiation pratique à la
méthodologie des sciences humaines. Montréal: Centre Éducatif et Culturel Inc., p.117). Compte tenu
de cet aperçu, je crois qu’il est possible d’établir un parallèle entre la situation hypothétique d’une
expérimentation involontaire et la réalité spécifique des procès éthiques étudiés dans ce travail. Ainsi,
dans la présente étude, la variable indépendante serait la couverture médiatique, le groupe
expérimental correspondrait aux procès ayant eu une couverture médiatique, et le groupe de contrôle
serait celui dont les discussions sont restées retreintes au conseil. Bref, il s’agit typiquement des
situations dans lesquelles, hormis la couverture des médias, toutes les autres parties composant les
procès éthiques demeurent constantes.
170
b) Entretiens avec des acteurs impliqués dans la lutte contre le racisme dans les
médias
La deuxième source primaire d’informations comprend les transcriptions (verbatims) de neuf
entretiens semi-dirigés avec des figures de proue de la lutte pour la redéfinition des modèles
de représentation des groupes subalternes dans les médias et un membre exécutif du
CONAR. Ces entretiens visaient à repérer un certain nombre d’actions stratégiques adoptées
par les mouvements sociaux pour la promotion de la conscientisation sur la discrimination
raciale ayant un impact, d’une certaine manière, sur la perception du problème du racisme
dans les médias. L’objectif majeur est d’ajouter à l’analyse de controverses autour des
publicités dénoncées pour discrimination raciale un regard contemporain et rétrospectif sur
l’évolution des cas au sein du CONAR et ce, à partir des réflexions développées par les
agents sociaux en question. Une fonctionnaire administrative et le directeur exécutif du
CONAR ont également été interrogés. Malheureusement, en raison de problèmes techniques,
l’entretien avec le directeur général du CONAR, Edney Narchi, n’a pas été pris en compte
pour ce travail112.
La liste présentée en annexes (voir Tableau A.1) porte les noms de personnes interrogées,
leur activité professionnelle ainsi que les liens institutionnels de chacune d’entre elles. Elle ne
se veut pas une liste exhaustive ou proportionnelle à l’ensemble des efforts entrepris par les
différentes organisations, mais plutôt un échantillon représentant qualitativement quelques
initiatives.
J’aimerais néanmoins préciser que, pour certains chercheurs, comme le note bien Denise
Jodelet dans Aperçus sur les méthodologies qualitatives (Jodelet, 2003), « le recours à des
données textuelles est aussi utile pour compléter les données de terrain, les confirmer et
mieux en mesurer le poids » (Jodelet, 2003, p.157). Au contraire, ce sont les entretiens des
112
Le mauvais fonctionnement du magnétophone numérique a fait en sorte que le fichier
contenant l’entretien soit totalement endommagé, générant ainsi la perte irréversible des données.
171
membres issus de mouvements sociaux qui appuieront des données textuelles, dans la mesure
où un riche éventail d’hypothèses et d’éléments d’explication a été avancé par ces derniers.
Les entretiens m’ont permis, en outre, de cerner un grand nombre de questions historiques et
théoriques devant être davantage approfondies dans la première partie de ce travail.
Lors de ces entretiens, chaque personne interrogée était invitée à analyser les tables A.2 et
A.3, disponibles dans les annexes, afin d’élaborer ses propres interprétations en ce qui a trait
à l’évolution du nombre de procès éthiques déposés au sein du CONAR. Plus spécifiquement,
je demandais à chacune d’établir des liens de causalité entre l’évolution du nombre de procès
éthiques et les facteurs externes, tels que les politiques raciales en vogue, les demandes des
mouvements sociaux et les réponses accordées par l’État brésilien durant les 26 ans de
fonctionnement du CONAR. Pour le reste, ces entretiens semi-dirigés ont largement varié de
l’un à l’autre, selon la spécificité de l’activité exercée par l’interviewé, de façon à enrichir
l’analyse d’un nombre diversifié de perspectives. Je reviendrai sur le contenu de ces
entretiens dans le dernier chapitre de ce travail.
c) Répertoire de publicités imprimées
Une troisième source primaire d’informations est un répertoire de publicités imprimées,
composé afin de permettre la mise en contexte des publicités dénoncées pour discrimination
raciale à partir de modèles de représentation raciale en vogue à chaque moment précis. Ce
répertoire correspond à une banque de données comportant plus de 4 500 publicités
imprimées véhiculées, entre 1979 et 2005, et recueillies dans deux magazines d’informations
de circulation nationale : Veja et Isto É. Cependant, faute d’espace et de temps, ce matériel
n’a pas été formellement pris en considération dans l’analyse des procès éthiques. Je tiens à
signaler cependant que la propre composition de ce répertoire a servi comme arrière-plan
important pour comprendre les revendications identitaires mises en place au cours des procès
éthiques.
172
6.2 Stratégies de recherche
L’objet de notre étude étant le débat public autour des représentations raciales et ethniques
véhiculées dans la publicité brésilienne, il est opportun de passer à une description plus
détaillée des stratégies qui m’ont permis de constituer la matière empirique sur laquelle cette
étude s’est penchée. Le terrain de recherche s’est majoritairement étendu entre les mois de
décembre 2005 et d’avril 2006. Les données sont décrites par ordre d’importance pour le
dessein de la recherche, qui comprend les volets suivants :
6.2.1 Les sources secondaires
a) Les procès éthiques au sein du CONAR
La première étape du travail de terrain a consisté à repérer tous les procès éthiques ayant
mentionné la discrimination raciale qui ont été déposés auprès du CONAR entre le début de
1979 et la fin de 2005. Ce travail de repérage a été divisé en deux étapes : a) la sélection d’un
indicateur permettant la sélection et la localisation d’une catégorie générale — celle de
« discrimination » — parmi l’ensemble des cas de la banque de données ; b) le raffinement
d’indicateurs secondaires permettant de différencier la discrimination raciale d’autres formes
de discrimination. La solution retenue pour mener à bien la première étape du travail est
relativement simple : j’ai choisi les procès éthiques qui se sont appuyés sur l’article 20 du
Code d’autoréglementation publicitaire, lequel prévoit qu’« aucune publicité ne doit favoriser
ou stimuler n’importe quelle offense ou discrimination raciale, sociale, politique, religieuse
ou de nationalitécclxxi. »
Cependant, comme la banque de données du CONAR n’est pas entièrement numérisée, les
efforts de repérage ont dû être doublés lors de deux étapes subsidiaires. Pour ce qui est de la
partie numérisée de la banque de données — comprenant toutes les plaintes déposées entre
1997 et 2005 —, une seule recherche informatique utilisant « article 20 » comme mot clé a
173
été suffisante pour la présélection des cas. Pour la partie non numérisée, allant de 1979 à
1996, il m’a fallu trouver une solution alternative : lire tous les procès verbaux des réunions
des comités d’éthique — les comités responsables du jugement des plaintes — de façon à
trier ceux faisant référence à l’article 20 du code. Cette première phase a été exécutée durant
deux séjours dans la ville de São Paulo, d’une durée approximative de quinze et quatre jours,
respectivement. L’indicateur en question — tous les procès faisant mention de l’article 20 du
CBARP — m’a permis de sélectionner 168 procès éthiques impliquant différentes formes de
discrimination à partir d’un total de 5 540 procès éthiques113.
Une fois le premier tri des procès accompli, il fallait alors trouver un deuxième indicateur,
plus sensible, qui permettrait d’établir un lien entre les procès éthiques portant sur la
discrimination et la problématique du racisme. Bien que ce premier volet de la cueillette ait
été relativement court, il s’est avéré le plus complexe de tous. Le choix du deuxième
indicateur renvoie directement à la discussion que j’avais faite au début de ce travail. J’avais
mentionné, notamment dans le chapitre I (voir sections 1.2, 1.3 et 1.4), que les différents
usages employés dans les premières études scientifiques portant sur la « race » —
l’anthropologie classique et les approches ethnographiques plus récentes — ont placé les
concepts de « race » et d’« ethnie » sur un terrain glissant, ouvert à la dissension. En effet, il
n’y a pas qu’une seule définition de « race » et d’« ethnicité », mais plusieurs usages qui
impliquent, chacun, des choix et des risques. En ce qui me concerne, j’ai choisi de concevoir
113
La fiabilité du classement exécuté par les membres du comité exécutif du CONAR est une
question très importante qui mérite quelques précisions supplémentaires. À la rigueur, je n’ai aucune
variable de contrôle externe qui me permettrait de mesurer l’exactitude du classement des cas sous
l’article 20, donc dans la rubrique « discrimination ». Il me faudrait, par exemple, passer plus de temps
auprès du siège du CONAR pour choisir un échantillon des cas qui ne sont pas liés à l’article 20 afin
de trouver, à terme, des erreurs et pouvoir ainsi dresser quelques conclusions sur la fiabilité de ce
classement. Ces données bureaucratiques ne peuvent pas non plus être validées par des sources
alternatives car le CONAR demeure, au moins en première instance, le seul tribunal légitime pour
juger les plaintes ayant trait à la publicité. Donc, à la limite, ces données me permettent d’attester
uniquement de la fiabilité des cas effectivement classés sous l’article 20; en d’autres termes, ceux-ci
me permettent tout juste de savoir si les cas ayant été classés comme des cas de discrimination l’étaient
effectivement. Par contre, je vois deux avantages en ce qui concerne le système de classement de cas
employé par le CONAR : 1) un même cas peut être classé selon plusieurs infractions, donc les
catégories de cas ne sont pas exclusives; 2) la catégorie « discrimination » est assez large de façon à
me permettre d’employer mes propres indicateurs pour cerner les cas de « discrimination raciale ».
174
les revendications d’appartenance raciale en cours au Brésil contemporain comme un
exercice constructif d’une ethnicité particulière. Par conséquent, et suite à une lecture
préliminaire des procès éthiques portant une forme quelconque de discrimination, je me suis
décidée à retenir indistinctement tous les cas ayant qualifié la discrimination en question en
termes « ethniques » et « raciaux ».
En fait, Bourdieu n’a pas eu tort lorsqu’il a dit que les critères scientifiques ne font
qu’enregistrer un état de la lutte symbolique pour la légitimité établie entre les différentes
représentations, «c’est-à-dire un état du rapport des forces matérielles ou symboliques entre
ceux qui ont partie liée avec l’un ou l’autre mode de classement » (Bourdieu, 2001, p.285). Il
y a cependant un deuxième aspect dans la réflexion de Bourdieu sur l’usage de critères
classificatoires à caractère ethnique ou régional qui ne doit pas passer inaperçu. Celui-ci
concerne le fait que tous les classements scientifiques de ce type sont soumis aux mêmes lois
que les critères pratiques quotidiens. En d’autres termes, ces critères sont orientés vers la
production d’effets sociaux en même temps qu’ils contribuent à construire ce qu’ils
décrivent. Essentiellement démystifiante, la démarche réflexive scientifique de Bourdieu
récuse une certaine vision de la science et du travail de recherche qui est très proche de ce
que Jodelet (op. cit.) appelle conception du travail scientifique en tant qu’« extraction
minière ». Selon celle-ci, « le chercheur, supposé neutre, serait censé prélever des
informations objectives sur un milieu qui reste inerte » (Jodelet, 2003, p.148).
Jodelet rappelle cependant que si la recherche d’une neutralité scientifique « absolue »
constitue un piège, vouloir décrire objectivement une réalité « sans se soucier du sens que
leur donnent les acteurs ni des processus auxquels ils sont liés» l’est tout autant (Jodelet,
2003, p.149). Ce constat nous renvoie à plusieurs questions relevant typiquement de la
compréhension que les plaignants auprès du CONAR avaient de la discrimination raciale et
du possible décalage existant entre les cadres référentiels du chercheur et ceux de l’objet
analysé. Ce décalage se manifestait notamment lorsque certaines publicités que je conçois, en
tant qu’analyste, comme étant typiquement des cas de discrimination raciale, n’étaient pas
considérées comme tel par la partie plaignante dans son texte de dénonciation. Par exemple,
175
certaines situations qui ont été typiquement identifiées comme étant une infraction à l’article
20 du CBARP (comme dans le procès n° 040-86114, où des enfants blancs font subir des
supplices physiques à une domestique noire) n’étaient pas forcément associées à un problème
de discrimination raciale.
Or, dans ses réflexions autour des catégories ethniques et raciales (voir chap. 1, sections 1.1
et 1.6), Bourdieu rappelle aux chercheurs qu'en validant scientifiquement certaines formes
propres de classement, ceux-ci finissent par s’engager dans les mêmes luttes symboliques que
celles qu’ils cherchent à décrire. Dans cet ordre d’idées, un nouveau choix, cette fois-ci pour
l’utilisation d’indicateurs tels que « race » et « discrimination raciale » confirme une prise de
position dans le débat en cours au Brésil. La solution trouvée — s’il y en a une — aux
questions mentionnées ci-dessus va de pair avec cette posture : retenir tous les cas où au
moins une des plaintes déposées (dans les cas où plusieurs personnes dénonçaient une même
publicité) fait un appel explicite au problème de la discrimination raciale, par le biais de
l’emploi des termes suivants : « discrimination raciale », « raciste », « race ». Ces termes
deviennent alors les indicateurs définitifs pour la sélection des procès; c’est cela qui m’a
permis de constituer la catégorie des procès « typiques », contenant un total de 31 procès
éthiques.
Je reconnais, d’une part, que l’emploi d’un indicateur tel que « discrimination raciale », voire
même celui de « race », ne fait pas non plus consensus parmi les dénonciateurs. Alors que
certains ont préféré utiliser le terme « ethnique » pour faire référence à une forme particulière
de discrimination, d’autres l’ont tout simplement qualifiée de « raciale ». D’autre part, il me
semble clair que l’emploi du terme « ethnique » en tant qu’indicateur serait également
114
Voir dans Associação de Proteção ao Consumidor do Rio Grande do Sul c. Moveis Carraro
S.A. et Agence Raul Moreau Propaganda Ltée, 1986.
176
valable en permettant, par exemple, de cibler certaines formes de discrimination entre
groupes appartenant à un même groupe racial (cela est le cas des procès nos. 023-79115 et
063-92116 concernant les communautés italienne et juive, respectivement).
Néanmoins, les problèmes résultant de l’incertitude conceptuelle du champ d’études raciales
et/ou ethniques ne relèvent pas seulement du choix des indicateurs, mais aussi de la rétention
des indices permettant la sous-division des procès, c’est-à-dire d’un certain nombre de
marqueurs identitaires à la base de tels indicateurs. Comme je l’avais démontré
antérieurement, les termes « race » et « ethnie » ont des implications fort variables selon les
différents auteurs et approches. Rappelons, entre autres, des propos de Levinson lorsque
celui-ci avait souligné que les marqueurs ethniques sont multiples et variables d’un groupe à
l’autre (voir chap.1, sect. 1.4). Ainsi, si l’on tient à certaines formulations du problème de la
« discrimination ethnique » ou encore du terme « ethnique », on risquerait d’ouvrir la boîte de
Pandore117. En incluant dans mon corpus toutes les formes de discrimination ethnique, je
serais obligée, par exemple, de prendre en considération certaines distinctions « ethniques »
qui seraient moins pertinentes pour cette recherche (comme le procès 023-79, qui présente
une représentation supposément péjorative de la communauté italienne). Il en est de même si
l’on inclut dans cette recherche toute autre forme de discrimination impliquant des aspects
dits « culturels » qui ne sont pas forcément phénotypiques. Tel serait notamment le cas de la
discrimination d’une région brésilienne par une autre par le biais de la dévalorisation d’un
115
Voir dans Indústria de Bebidas Cinzano S.A c. Caldas S.A. de Vinhos e Bebidas et Agence
Colucci &Associados, 1979.
116
117
Voir dans Gotthilf c. Guapo Com. Ltée et FQ &Associados, 1992.
Ici, je me réfère plus particulièrement à une tendance dans les études antiracistes
contemporaines, particulièrement marquée dans les études du nouveau racisme (en référence au titre
de l’ouvrage publié en 1981 par Martin Baker). Cette tendance vise à élargir la problématisation du
racisme en détachant celui-ci des marqueurs purement « phénotypiques » pour accueillir des problèmes
relevant de la différence culturelle. Les réflexions de Lee & Lutz (op. cit : p.21 et suivantes) à propos
du « racisme culturel » confirment que les recherches actuelles tendent à considérer les « nouveaux
signifiants de la différence » bien au-delà des seules questions de couleur de peau, de façon à
incorporer d’autres marqueurs non nécessairement associés au phénotype de la personne ou du groupe
discriminé. À ce sujet, je rejoins Michel Wieviorka lorsque celui-ci lance l’interrogation suivante :
« Derrière la référence à la culture, n’y a-t-il pas dans le racisme différencialiste l’idée de
caractéristiques inscrites dans les gènes ou liées à un phénotype ? » (Wieviorka, 1998, p.64.)
177
accent ou des habitudes particulières qui ne peuvent être associées à un groupe racial en
particulier (cela fait référence aux habitants du nord-ouest brésilien dans le procès n° 27002118). Bref, en élargissant la problématique de la discrimination pour rendre compte d’une
multitude de « discriminations ethniques » échappant à mes intérêts immédiats, je risquerais
de perdre le fil conducteur de cette recherche qui est, finalement, le problème de la
discrimination raciale tel que vécu notamment par la population afro-brésilienne.
Compte tenu de ces problèmes, je me suis décidée, pour les fins pratiques de la recherche, à
considérer comme « typiques » les procès éthiques dont les textes d’accusation portent au
moins une mention de l’indicateur « race » ou de ses variantes. Je tiens cependant à souligner
que cette décision a été prise postérieurement à la cueillette de données, et que ce faisant, je
prends acte des multiples pistes de recherche qui se sont offertes lors du travail de terrain, en
essayant d’étayer mes choix théoriques et méthodologiques, ainsi que leurs conséquences
pour le dessin général de la présente recherche. Comme l’observe bien Jodelet : « Seule la
vigilance permet de maîtriser les risques liés à l’engagement du chercheur. » (Jodelet, 2003,
p.150.)
b) Les débats dans les médias
Les reportages, articles et chroniques parus dans les journaux et magazines spécialisés au
Brésil représentent — à côté des arguments avancés par l’accusation, la défense et les
rapporteurs dans les procès éthiques — la deuxième source consultée par ordre d’importance
pour ce travail. Ils visent notamment à reconstruire le débat qui s’est érigé autour des
publicités dénoncées pour discrimination raciale.
La cueillette des matériaux véhiculés dans les médias m’aurait pris plusieurs mois de travail
si le CONAR ne s’était pas chargé lui-même de mener un important travail de découpage.
118
Voir dans Ribeiro c. Natura Cosméticos S.A. et Agence Guimarães Ltée, 2002.
178
Heureusement, grâce à cela, j’ai pu épargner du temps et de l’effort en n’ayant pas à réaliser
un inventaire d’articles et de reportages parus dans des ouvrages spécialisés dont l’accès est
très restreint ou difficile. De plus, la variété et le nombre de titres compilés me poussent à
croire que le travail de découpage est fait sur une base régulière dans quatre villes où le
conseil siège.
Bref, toutes les mentions trouvées au sein des médias ont été dûment compilées et disposées
dans les annexes des procès éthiques, ce qui nous a permis de former un sous-groupe
particulier : les neuf procès éthiques ayant provoqué des débats au sein des médias.
6.2.2 Sources primaires
a) Les entretiens
La liste finale d’interviewés a été composée à partir d’une liste préliminaire de contacts
suggérée par le premier interviewé de la liste, Heitor Reis. À partir de celle-ci, d’autres noms
ont été rajoutés en guise de suggestion, grâces aux références fournies par les différents
activistes rencontrés. En fonction des limitations budgétaires imposées à mes enquêtes, j’ai
essayé de privilégier les informateurs en provenance des capitales de quatre États brésiliens :
Minas Gerais, Rio de Janeiro, Bahia et São Paulo. Même si d’autres initiatives importantes
sont entreprises ailleurs au Brésil, ces États sont ceux qui concentrent une proportion
significative de l’ensemble de la population noire brésilienne : autour de 45,11 %, selon les
statistiques du Recensement officiel de l’année 2000 de l’IBGE (2007). Les entretiens se sont
étalés tout au long de la période allant de février à avril 2006.
179
b) La composition de la banque de données de publicités imprimées
La banque de données a été composée en deux étapes : 1) un premier séjour à l’Université
fédérale de Minas Gerais, entre janvier et avril 2006 ; 2) un séjour auprès de la section des
périodiques de l’Université Catholique de Minas Gerais durant le mois d’août 2007. Pour
composer cette banque, plus de 4 500 publicités véhiculées entre janvier 1979 et décembre
2005 ont été répertoriées et numérisées.
6.3 Le fonctionnement du CONAR
L’utilisation des données secondaires recensées auprès du CONAR requiert quelques efforts
explicatifs additionnels. Gomm note bien que les données recueillies auprès d’organismes
bureaucratiques sont « rarement cueillies à des fins de recherche. Avant de les utiliser, les
scientifiques sociaux doivent avoir une bonne idée de la façon dont les bureaucraties
fonctionnent, [c’est-à-dire] comme des machines à produire des donnéescclxxii. »
L’objectif de cette section est de décrire la « machine » à produire des données qu’est le
CONAR, en faisant une description détaillée du fonctionnement interne de l’organisme,
notamment en ce qui concerne ses objectifs, son organisation interne, la redistribution des
tâches entre ses membres, bref, les principales normes qui définissent son modus operandi.
Ces informations ont été prélevées à partir de deux documents majeurs : les normes internes
du comité d’éthique et le statut social du CONAR119.
119
Le processus plus général de fonctionnement du CONAR que je décris ici est donc fondé
exclusivement sur les règles de fonctionnement de l’institution en question. Néanmoins, rien ne peut
assurer à priori que toutes les procédures sont suivies telles qu’elles sont énoncées dans les normes.
Pour le savoir, il faudrait mener une enquête plus rigoureuse, de type ethnographique par exemple, et
qui porterait sur les routines de travail des membres du comité exécutif et des comités d’éthiques, afin
de vérifier concrètement comment les procès sont reçus, classés, attribués aux différents comités
d’éthiques et, finalement, jugés. Même si cette recherche dépasse largement les objectifs fixés pour ce
travail, je la conseille vivement comme une piste à suivre pour des recherches futures.
180
6.3.1. Structure générale
Selon le document relatant son statut social (2007), le CONAR est composé de quatre
organismes : l’Assemblée générale ; le Conseil supérieur ; le Conseil d’éthique et le Conseil
Fiscal. Son modèle d’organisation est inspiré du modèle préconisé par Montesquieu et prévoit
dans la structure de l’organisme l’équilibre et la nécessaire autonomie entre les attributions
législative, exécutive et judiciaire de l’institution (Schneider, 2005, pp.65-69).
« Rapide et ennemi de l’excès de formalismecclxxiii », le Conseil d’éthique représente le
pouvoir judiciaire du conseil et la principale raison d’être du CONAR. C’est aussi le Conseil
d’éthique qui se charge de juger les transgressions vis-à-vis du code d’autoréglementation.
Le Conseil supérieur comprend les fonctions législatives et tout ce qui a trait à une
quelconque altération dans le CBARP. De plus, il revient au Conseil supérieur de choisir,
parmi ses 21 membres, son corps exécutif : un président, trois vice-présidents, ainsi que tous
les directeurs responsables de la gestion interne de l’organisme, dont le secrétariat exécutif.
Un Conseil fiscal et une Assemblée générale — cette dernière ayant le pouvoir de destituer
les membres de la direction générale, d’approuver les rapports du Conseil fiscal et de
modifier le statut et règlement — complètent ainsi le cadre de distribution d’attribution au
sein du CONAR.
6.3.2. Objectifs
Selon les informations issues du site web de l’organisme (2007), le CONAR se donne pour
mission d’« empêcher que la publicité trompeuse ou abusive ne cause de la gêne au
consommateur ou aux entreprisescclxxiv. »
181
Son mandat, toutefois, détaille six objectifs précis qui dépassent dans une certaine mesure
l’étendue de sa mission première :
1) veiller sur la publicité commerciale ;
2) fonctionner comme organisme apte à juger des litiges éthiques ayant pour objet
l’industrie de la publicité ;
3) offrir de la consultation technique en ce qui concerne l’éthique publicitaire à ses
associés, aux autorités et aux consommateurs ;
4) divulguer le CBARP ;
5) agir comme instrument de conciliation entre les médias de communications et les
annonceurs ;
6) promouvoir la liberté d’expression publicitaire et défendre les prérogatives
constitutionnelles de la publicité commerciale.
6.3.3. Le Conseil d’éthique
Le Conseil d’éthique mérite une attention spéciale dans ce travail, car c’est à lui que
reviennent les tâches de recevoir, de faire le suivi et de juger les plaintes.
C’est à travers celui-ci que le CONAR émet son avis en ce qui concerne d’éventuelles
infractions au code. Le conseil d’éthique est composé des organismes suivants :
1. La Plénière et son président.
2. La Chambre spéciale de recours.
3. Les six Chambres d’éthique, parmi lesquelles trois se trouvent à São Paulo, une à
Rio de Janeiro, une à Brasília et une à Porto Alegre.
Le fonctionnement ordinaire du Conseil d’éthique commence par l’accueil d’une plainte
formellement adressée au CONAR dans l’une de ses chambres. Après avoir procédé à
l’examen de la plainte et des arguments de la défense, la chambre émet sa décision. Si la
182
décision relevant d’une chambre d’éthique est contestée par l’une des parties impliquées dans
la plainte, c’est à la Chambre spéciale de juger le différend.
En ce qui concerne la Plénière, ses attributions sont les suivantes : juger les recours
extraordinaires ; uniformiser la jurisprudence lors de controverses entre les membres du
conseil ; approuver les abrégés de jurisprudence assignés par le Conseil d’éthique. Il revient
également à la Plénière de discuter de motions de protestation en provenance du Conseil
d’éthique, en les remettant à l’appréciation du Conseil supérieur ou de la direction exécutive.
6.3.4 Les membres du Conseil d’éthique
Selon l’article 40 des Normes internes du Conseil d’éthique (2002), celui-ci est composé d’au
moins 80 membres, repartis entre les catégories suivantes : 6 membres du Conseil supérieur,
élus par leurs pairs ; 18 représentants de la société civile ; 6 représentants désignés par
l’ABAP ; 12 représentants désignés par l’ABA ; 6 représentants désignés par l’ANJ ; 6
représentants désignés par l’ABERT ; 6 représentants désignés par l’ANER ; 2 représentants
désignés par la CO; 6 représentants provenant d’entités nationales ou régionales des
professionnels de la publicité ; 6 professionnels responsables de la création ; 2 représentants
issus des médias interactifs ; 2 représentants issus de la télévision par câble ; 2 représentants
issus du média cinéma. D’après ce cadre général, le groupe de « représentants de la société
civile » apparaît comme le secteur le mieux représenté d’un point de vue quantitatif, même si
le nombre de ses membres n’équivaut qu’à 15 % de l’ensemble.
C’est alors dans le Conseil d’éthique « que les entités fondatrices (ABA, ABAP, ABERT,
ANER, ANJ et CO) possèdent une grande représentation, en renouvelant (ou confirmant)
leurs délégués tous les deux anscclxxv. » Les membres délégués sont aussi tenus pour
responsables de l’établissement des « lignes institutionnelles et programmatiques à la charge
de la direction statutairecclxxvi. » D’après l’article 11, tous les membres du Conseil d’éthique
183
doivent exercer bénévolement leurs fonctions et ils ne sont censés toucher aucune
rémunération ou récompense financière pour cela. Ils doivent également fonctionner dans
n’importe quelle chambre, indépendamment de leur affectation originale.
Mis à part les membres issus des entités fondatrices, le pouvoir de sélection final des
membres du Conseil d’éthique est une attribution centralisée par le président du CONAR et
le Conseil supérieur. Par exemple, les entités nationales ou régionales de professionnels de la
publicité peuvent suggérer des listes de candidats, mais c’est au président de l’organisation
que revient, en dernière instance, le pouvoir de choisir les noms définitifs. La même règle
prévaut pour les professionnels de la création, qui seront sélectionnés parmi ceux ayant mis
en évidence « le respect des principes éthiques et de l’autoréglementationcclxxvii. » En ce qui
concerne spécifiquement le choix du groupe de représentants de la société civile, le
paragraphe 4 stipule encore que cette prérogative appartient au Conseil supérieur du
CONAR. À part le fait que ceux-ci doivent être constitués de personnes de « bonne
réputation [intègres] », on n’y mentionne aucun autre critère de représentativité pour les
membres de cette société, fut-il fixé par le CONAR, ou établi par des associations chargées
de représenter la « société civile ». De même, aucune disposition n’établit de critères
concernant le recrutement de ces derniers ou leur distribution en fonction de variables comme
le genre, l’âge ou l’appartenance ethnique/raciale.
Néanmoins, une lecture de la liste de tous les membres du Conseil d’éthique entre 1980 et
1990, c’est-à-dire durant les dix premières années de fonctionnement du CONAR, nous
permet d’avoir un aperçu de la distribution effective des membres selon le critère de genre.
Seuls 17 des 181 membres mentionnés — soit 9,34 % du total — étaient des femmes (Corrêa,
1990, pp.53-54). Un deuxième décompte, cette fois-ci en considérant les membres dans la
période allant de 1980 à 2006, révèle une amélioration minimale : parmi les 377 membres
listés, 334 étaient des hommes et donc seuls 43 étaient des femmes, ce qui équivaut
présentement à 12,75 % du total des membres.
184
« Face à la nature de leurs attributionscclxxviii », les membres du Conseil d’éthique doivent
« s’abstenir d’émettre des commentaires ou des manifestations publiques ayant pour
référence les actes ou les faits relatifs aux procès en courscclxxix. » L’article 28 fait à son tour
mention des empêchements d’ordre éthique, dont celui de participer à une session de
jugement en tant que partie intéressée, « représentant ou défendant la partie impliquée dans le
procès éthiquecclxxx ». Le Comité d’éthique ne peut pas non plus accueillir de personnes
remplissant l’une des conditions suivantes : être représentant législatif, candidat ou
fonctionnaire aux niveaux municipal, provincial ou fédéral ; faire l’objet d’une poursuite en
cours.
6.3.5. Types de procès éthiques
Les prérogatives concernant le procès éthique sont décrites dans le chapitre II des Normes
internes du Conseil d’éthique. Ceux-ci « constituent des procédures administratives qui, en
plus d’assurer le droit de défense dans son ampleur, seront orientées par les critères de
simplicité, d’économie processuelle et de céléritécclxxxi. »
Les procès éthiques sont divisés en deux groupes distincts : a) les procès investigateurs ; et b)
les procès contentieux.
d) Le procès investigateur
Cette première catégorie répond à trois finalités distinctes : l’identification d’une éventuelle
transgression au CBARP ; l’éclaircissement d’un doute concernant la responsabilité de
l’annonce ; ou encore, l’identification de n’importe quel autre élément qui soit indispensable
à la connaissance d’une cause.
185
Le procès investigateur débute avec une réquisition de la part du président du CONAR, soit
de sa propre initiative, soit de celle d’un membre du Conseil supérieur, par le directeur
exécutif ou par l’un de ses associés. Ensuite, le procès sera conduit par le président d’une des
six chambres et instruit par le Secrétariat exécutif (CONAR, 2002, art.15).
Suite à une manifestation favorable de la part du président de la chambre en question, le
président du CONAR décidera : a) de la conversion de celui-ci en procès contentieux à
redistribuer à une autre chambre ; b) la mise en archive du procès (CONAR, 2002, sect.1,
art.16).
b) Le procès contentieux
Le procès contentieux a pour objet une annonce ou l’ensemble de la campagne publicitaire et
ce, dès que la transgression au CBARP a été vérifiée par le service d’écoute de contrôle
(CONAR, 2002, art.17). Celui-ci peut dériver d’une plainte dont l’initiative est partie : a) du
président du CONAR ; b) d’un membre du Conseil supérieur ; c) du directeur exécutif ; d)
d’un associé ; e) d’un groupe constitué d’un minimum de sept consommateurs (CONAR,
2002, art.17, par.1).
6.3.6. Le traitement des procès éthiques
Les plaintes déposées par le Conseil supérieur peuvent être instaurées comme une
conséquence des dénonciations ayant été émises par des entités ou des autorités publiques,
alors que celles déposées par le directeur exécutif peuvent être inspirées de commentaires
négatifs ayant été transmis au CONAR par les consommateurs (CONAR, 2002, par. 2). Dans
les deux cas précédents, le dépôt de la plainte ne fait pas l’objet de frais administratifs.
Cependant, il est nécessaire de compter sur un minimum de sept consommateurs dûment
identifiés afin de constituer un procès éthique.
186
a) La réquisition
Toute réquisition devra présenter les informations suivantes : l’identification complète de la
partie plaignante (nom et adresse), ainsi que celle de la partie accusée (annonceur et agence
de publicité) ; un exemplaire, copie ou reproduction, de l’annonce qui fait l’objet de la
plainte ; le média utilisé et la date de transmission ; le titre de l’annonce ou de la campagne
publicitaire ; la marque, le service ou la cause institutionnelle annoncée ; les dispositifs du
CBARP servant de fondement pour la plainte (CONAR, 2002, par. 3).
b) La distribution des procès
En ce qui concerne le traitement et la distribution des procès entre les chambres d’éthique,
l’article 18 prévoit la disposition suivante : suite à la vérification de l’existence d’une
réquisition similaire, portant sur une matière analogue ou connexe, le Secrétariat exécutif est
censé indiquer celle-ci au directeur exécutif. Celui-ci pourra, à son tour : a) remettre le procès
à la même chambre qui a examiné le cas antérieur ; b) autoriser l’insertion de la présente
réquisition au procès plus ancien, à condition que cette procédure ne porte préjudice à aucune
des réquisitions (CONAR, 2002, art. 18, par. 1).
Si, d’un côté, cette procédure vise principalement à exclure la possibilité d’avoir plusieurs
procès éthiques semblables portant sur une même annonce ou campagne publicitaire, de
l’autre il semble clair qu’elle finit par créer une sorte de spécialisation thématique parmi les
diverses chambres. La procédure en question semble également favoriser la consolidation
d’une jurisprudence reliée à des questions plus problématiques et plus fréquentes, de façon à
homogénéiser leur traitement.
Une fois communiquée l’infraction aux parties dénoncées — agence de publicité et
annonceurs —, un rapporteur est assigné à chaque procès. Celui-ci est chargé, entre autres,
d’assurer un traitement égal entre les parties impliquées, d’avancer les moyens pour que les
187
parties parviennent à une entente pacifique, de même que de présenter son rapport, son avis et
son vote lors du jugement final du procès (CONAR, 2002, art. 12). Le rapporteur peut
également recommander le retrait d’une annonce (CONAR, 2002, art. 26).
c) La défense
L’agence et/ou l’annonceur doivent présenter une défense conjointe ou séparée et ce, cinq
jours ouvrables à compter de la réception de la communication émise par le CONAR. La
défense peut être assignée à des avocats ou représentants formellement constitués et
accrédités par les deux parties (CONAR, 2002, art. 20). Il est très important que l’annonceur
et/ou l’agence de publicité aient la prérogative de la défense orale de leurs motivations lors
des séances de jugement (CONAR, 2002, art. 20, par. 2). Ceci n’est toutefois pas le cas de la
partie plaignante, lorsque celle-ci se réfère à un groupe de consommateurs ou à une entité ou
autorité publique : ces derniers ne participent pas aux séances de jugement. Cependant, ils
peuvent se faire représenter par le membre du Conseil supérieur ou le directeur exécutif
lorsque l’un ou l’autre est à l’origine de la réquisition.
d) Les séances de jugement
Les séances de jugement sont réalisées selon le calendrier annuel établi par le Conseil
d’éthique, sauf dans les cas de séance extraordinaire. L’ordre du jour est organisé avec un
délai minimal de 72 heures, en accord avec l’ordre d’instauration des procès éthiques
(CONAR, 2002, art. 35). Les séances commencent généralement par la diffusion des
annonces dénoncées, afin que toutes les personnes présentes soient pleinement informées de
leur contenu. Ensuite, le rapporteur présente un résumé du procès, tout en s’abstenant de faire
connaître son avis et son vote. Une fois le rapport présenté, les parties impliquées auront droit
à dix minutes pour présenter leur défense orale. Les membres de la Chambre peuvent, quant à
188
eux, demander des éclaircissements supplémentaires. Le débat et la votation finale sont
entrepris en absence des parties impliquées, à l’exception du directeur exécutif. Une fois les
débats conclus, le président de la séance passe au comptage des votes et à la proclamation de
la décision finale (CONAR, 2002, art. 36).
e) Les recours
Deux formes de recours vis-à-vis de la décision émise par la Chambre éthique sont cependant
possibles : un recours ordinaire, jugé par la Chambre spéciale de recours ; un recours
extraordinaire, traité par la Plénière du Conseil d’éthique (CONAR, 2002, art. 40).
Dernier fait à souligner : l’action du CONAR n’est pas proactive et ne prévoit pas le contrôle
préalable sur la publicité ; elle assure plutôt ce contrôle sur celles déjà véhiculées ou
présentement en cours de diffusion.
6.3.7 Les sources d’autofinancement
Selon l’article 58 relatif au Statut social du CONAR (2007), les fonds destinés à la gestion de
l’organisme proviennent de quatre sources possibles : 1) des contributions trimestrielles de
membres fondateurs, effectifs et titulaires ; 2) des contributions extraordinaires de la part des
membres fondateurs, contributions à déterminer par le Conseil supérieur ; 3) des dons, des
contributions et des legs et d’autres ressources apportées volontairement ; 4) des revenus
éventuels comme, par exemple, ceux résultant de l’imposition de frais pour le dépôt d’une
plainte de la part d’un annonceur ou d’une agence.
Ce même article détermine néanmoins que l’ABERT doit apporter le double de la valeur
correspondant aux autres membres fondateurs, parce qu’elle représente les médias qui
rassemblent la plupart du revenu publicitaire — la radio et la télévision. En effet, le secteur
189
télévisuel participe activement à la subvention de l’organisme. Une preuve accablante de
l’étroitesse et de la permanence des ces liens de continuité en est, par exemple, que le
président en place au CONAR au moment des célébrations de ces 25 ans, Gilbert Leifert,
cumulait ce poste avec celui de directeur des relations avec le marché au sein du même
Réseau Globo.
6.4 Les principaux articles du CBARP servant de principes aux jugements de
discrimination
Comme je l’ai indiqué dans la section précédente, l’article 20 du CBARP a été le premier
indicateur permettant le triage des cas de discrimination de l’ensemble de plus de 5 540
procès éthiques déposés au CONAR entre 1979 et 2005. Énoncé dans le chapitre II du
CBARP, destiné à énoncer ses « principes généraux », et placé sous l’onglet
« Respectabilité », l’article 20 constitue le fondement central de notre objet, et il sera donc de
la partie dans tous les procès éthiques examinés dans ce travail. Cet article prévoit
précisément qu’« aucune annonce ne devra favoriser ou stimuler n’importe quel type
d’offense ou de discrimination raciale, sociale, politique, religieuse ou de nationalitécclxxxii. »
Toutefois, j’aimerais mentionner brièvement un deuxième volet de principes qui accordent un
surplus de légitimité aux plaintes pour discrimination raciale. Placés dans le chapitre
d’introduction du CBARP (1980), les sept premiers articles constituent, à leur tour, un socle
de principes communs à partir duquel le CONAR est censé émettre ses opinions. Parmi ceuxci, les articles 1, 2 et 6 nous intéressent plus particulièrement :
« Toute annonce est tenue de respecter les lois du pays et de s’y conformer ; elle doit, de plus,
être honnête et vraiecclxxxiii. » Cet article, qui réaffirme la subordination du CBARP à la
Constitution brésilienne, ainsi qu’à tous les codes juridiques en vigueur sur le plan national,
sera le premier fondement servant de support aux plaintes de discrimination raciale et ce,
190
particulièrement à partir de 1988. C’est à partir de ce moment que la nouvelle Constitution
brésilienne fournira, grâce à la mobilisation du Mouvement Noir, un encadrement juridique
assez rigoureux en ce qui concerne les crimes de racisme.
« Toute annonce doit tenir compte de la responsabilité sociale, en évitant d’accentuer les
différentiations sociales découlant du pouvoir d’achat des groupes auxquels elle se destine ou
de ceux qu’elle peut éventuellement touchercclxxxiv. » Dans un pays qui possède l'un des pires
profils de distribution de revenus du monde, l’article 2, qui porte sur la responsabilité sociale
des annonces publicitaires, est venu à point nommé. Pourtant, une infraction relative à celuici risque d’être très difficile à saisir.
« Toutes les publicités doivent être en accord avec les objectifs de développement
économiques, de l’éducation et de la culture nationalecclxxxv. » Finalement, l’article 6 impose,
à mon avis, le plus gros défi d’interprétation, alors qu’il met sur pied d’égalité trois notions
extrêmement problématiques et ouvertes aux dissensions : « développement économique »,
« éducation » et « cultures nationales » (ce dernier terme ayant été, heureusement, cité au
pluriel). On se demande dans quelle mesure cette association de termes incarnait une vision
développementiste de l’éducation, très chérie par le gouvernement militaire alors en place, où
l’éducation serait placée au service du progrès et de l’unification nationale. Quoi qu’il en soit,
l’association en question indique au moins une idée de complémentarité entre ces trois
aspects. Elle connote aussi un respect spécial envers le caractère pédagogique de la publicité,
ainsi qu’un présage de menace des cultures nationales par les formes symboliques venues
d’ailleurs.
Ensemble, ces articles seront les plus souvent cités comme fondements de l’ouverture d’un
procès éthique. Certes, ils peuvent sûrement être combinés à d’autres articles — c’est
d’ailleurs très souvent le cas — comme ceux énoncés, par exemple, dans la section portant
sur la « décence » (CONAR, 1980, sect. 2) ou encore celle des « enfants et jeunes »
(CONAR, 1980, sect. 11). Très souvent, ce sont les membres du Conseil d’éthique chargés de
la mise en œuvre d’un procès investigateur qui, suite à une analyse du matériel publicitaire,
191
définiront quels fondements du code seront à l’appui de la plainte. Dans ce processus
d’exégèse, l’article 20, qui typifie la discrimination raciale comme un dommage, demeure
cependant la base minimale commune nécessaire à l’ouverture d’un procès éthique.
Les deux premières étapes de ce chapitre étant conclues — la mise en évidence de toutes les
étapes de la recherche de terrain, ainsi que le fonctionnement institutionnel du CONAR —, je
passerai maintenant à l’analyse de contenu du matériel sélectionné.
6.5. Méthodes d’analyse
Au milieu des années 1980, Leiss, Kleine et Jhally (op. cit.) examinaient les limites des deux
méthodologies plus fréquemment appliquées dans l’analyse de la publicité : la sémiologie et
l’analyse de contenu. D’une part, les auteurs expliquaient alors que l’analyse de contenu
(…) ne peut que ‘désemballer’ la superficie du sens d’une annonce d’une manière très
évidente ; sa force réside dans son habilité à mettre l’échantillon en rapport avec
l’ensemble d’une manière rigoureuse, ainsi que dans sa capacité de détection des
modèles de similitudes et de différencescclxxxvi.
Titshcer et al., pour leur part, rappellent que l’analyse de contenu porte exclusivement sur le
contenu manifeste dans un message quelconque, mais que cela n’empêche pas pour autant
l’utilisation de cette méthode dans le cadre d’une analyse critique des discours120.
D’autre part, l’analyse sémiologique peut aussi induire des erreurs méthodologiques
manifestes. Leiss, Kline et Jhally considèrent ainsi comme faiblesses de cette méthode :
120
Voir Titscher, Stephan, Michael Meyer, Ruth Wodak et Eva Vetter. 2000. Methods of text and
discourse analysis. London: Sage, 278 p., chap. 5, pp.55-73. Pour une révision des principaux
avantages et désavantages de l’utilisation de l’analyse de contenu dans la recherche en communication,
voir également Berger, Arthur Asa. 2000. Media and communication research methodology : an
introduction to qualitative and quantitative approaches. London: Sage, 295p.
192
premièrement, le fait que la sémiologie dépende largement de l’habilité individuelle de
l’analyste, ce qui réduit son potentiel de fiabilité et de consistance ; deuxièmement, le fait que
l’analyse d’un corpus plus réduit de publicités puisse, en contrepartie, induire une erreur de
généralisation car cette méthode ne peut être appliquée sur un nombre trop élevé de
publicités; finalement, le fait que la présélection d’un corpus de publicités puisse générer un
effet d’autoconfirmation de résultats trouvés au préalable121 car la méthode est appliquée à
des degrés variables de succès sur les différents types de publicité.
Ces critiques sont cruciales pour étayer l’importance d’une approche mixte conjuguant des
méthodes à la fois qualitatives et quantitatives. Toutefois, ce ne sont pas les publicités en soi,
mais les discussions ayant lieu autour de celles-ci, qui font l’objet de cette recherche. De ce
fait, une présentation préliminaire des procès éthiques me permettra de faire le point sur les
tendances touchant l’ensemble du corpus, tout en dégageant les aspects méritant une analyse
qualitative postérieure. L’idée ici est de donner un aperçu de l’ensemble du corpus de procès
éthiques de discrimination raciale, pour ensuite passer à l’analyse qualitative de cinq
exemples retirés du sous-groupe des neuf procès ayant fait l’objet d’une couverture
médiatique.
6.5.1 Analyse quantitative des procès de discrimination
L’analyse quantitative des procès sera effectuée selon les différentes étapes indiquées cidessous :
121
Il y a cependant une lacune dans l’analyse sémiologique qui n’a pas été soulevée par les
auteurs en question : bien que celle-ci soit menée à partir d’un échantillon représentatif de données et
que l’analyste soit raisonnablement habile dans la manipulation de ses outils méthodologiques sur un
exemple, l’analyse sémiologique peut tout au plus anticiper quelques possibles interprétations qui
seraient éventuellement faites. Autrement dit, l’analyse sémiologique des publicités (ou d’autres
messages) ne peut, en principe, rien révéler du contenu des interprétations avancées par les acteurs
dans des situations concrètes.
193
a)
analyse de l’évolution quantitative des procès assignés aux catégories
« discrimination » et « discrimination raciale », respectivement, afin de
situer cette dernière par rapport à l’ensemble des procès jugés au sein du
CONAR ;
b)
distribution des procès pour discrimination raciale selon les différents
groupes cibles ;
c)
étalement des procès éthiques en trois phases chronologiquement
successives, à partir des variables suivantes : variation du nombre de procès
dans chaque phase ; type de dénonciateur (si citoyen, ONG ou entité
étatique) ; principales cibles de la publicité ; contenu dénoncé (si présentant
des représentations historiquement enracinées ou des associations pouvant
endommager l’estime de soi) ; stratégies de défense (si réalisées par l’agence
et/ou annonceur ou si effectuées par recours à un avocat) ; taux de
reconnaissance du dommage dans chaque phase ; nombre de cas ayant fait
l’objet de l’attention médiatique ;
d)
description des groupes cibles selon les variables suivantes : genre, tranche
d’âge, ainsi que leur distribution dans les trois phases chronologiques ;
e)
description du groupe A de procès éthiques (ceux dont les discussions sont
restées restreintes aux dépendances du CONAR) et du groupe B (procès
ayant fait l’objet de visibilité médiatique) à partir du type et du nombre de
dénonciateurs, des catégories raciales de publics cibles, du contenu dénoncé,
du type de défense et des taux de reconnaissance du dommage pour chaque
groupe.
Bien que les analyses quantitatives soient valables et extrêmement importantes pour rendre
compte, par exemple, de l’évolution des caractéristiques des jugements du CONAR selon les
différents publics cibles, elles ne sont pas en mesure de décrire en profondeur les cadres de
référence à partir desquels les différents acteurs se lancent dans l’interprétation du message
publicitaire en question. De plus, les différentes parties d’un procès éthique décrites ci-dessus
ne peuvent être analysées de la même façon et avec les mêmes implications, sous peine de
passer sous silence leurs contextes particuliers d’énonciation, mais aussi l’argumentaire
194
mobilisé par chaque partie de façon à prouver le blâme ou l’innocence de la pièce publicitaire
en cours d’examen. En s’adressant aux membres des commissions d’éthique du CONAR,
chacun des participants d’un procès éthique possède un objectif précis (porter plainte,
élaborer une défense ou un avis résumant la situation), ainsi qu’une vision plus ou moins
explicite de son interlocuteur (cette vision de l’altérité étant toujours présente dans le
discours). S’ajoute à cela un répertoire d’outils rhétoriques sur lequel on puisera afin de
convaincre son interlocuteur de la justesse et de la légalité de sa position. À côté de ceux-ci,
les espaces journalistiques des médias imprimés constituent, de leur côté, de véritables
terrains de dispute pour le pouvoir de faire prévaloir un avis ou une interprétation sur une
question donnée.
Compte tenu de ces remarques, j’essaierai, dans la prochaine section, de dégager une
méthode qualitative transversale qui puisse être appliquée à la fois pour les différentes
composantes des procès éthiques et sur la couverture médiatique qui en découle, tout en
tenant compte de la spécificité de chacune de pièces discursives : l’analyse de cadrage.
6.5.2. Analyse qualitative
L’analyse de cadrage (frame analysis) occupe une place centrale dans la littérature portant sur
le rôle des médias, notamment en ce qui concerne la mise en place de débats médiatisés dans
l’exercice de la démocratie délibérative. Dans son Political communication in Media
Society… (op. cit.), Habermas conçoit l’effet de cadrage des médias dans les termes
suivants :
La dynamique de la communication de masse est guidée par le pouvoir des médias de
sélectionner et de donner de la forme à la présentation des messages, ainsi que par
l’usage stratégique du pouvoir politique et social afin d’influencer l’agenda des
médias, en mettant en scène les questions publiques et en les encadrant.cclxxxvii
195
Bien que l’intérêt de Habermas pour cette approche communicationnelle soit relativement
récent, l’apparition de celle-ci au sein des sciences sociales date au moins de la fin des années
1950. Stephen Reese (2003) explique que l’usage original remonte aux travaux du sociologue
Erving Goffman et de l’anthropologue et psychologue Gregory Bateson. En effet, le terme
relie des traditions assez contrastantes au sein des sciences sociales comme, d’une part, les
perspectives critiques d’analyse qualitative sur l’idéologie et, d’autre part, l’approche
behaviouriste, les études sur l’audience et les travaux portant sur les effets de la
communication (Reese, 2003, pp.9-10)122.
Mauro Porto (2004) estime que le concept de cadrage a fait son apparition spécifiquement
dans le champ de la communication à la fin des années 1970, concept alors emprunté aux
champs de la sociologie et de la psychologie cognitive. Toutefois, souligne l’auteur, c’est
principalement à partir des années 1990 qu’on s’y intéresse davantage, lorsque les études en
communication en viennent à s’occuper des effets du cadrage de contenus sur des audiences
précises. Porto estime que le concept de cadrage est apparu comme une « alternative aux
paradigmes en déclin, mais aussi comme un complément important pour combler des lacunes
importantes des théories existantescclxxxviii. »
Dans cette dernière génération de travaux utilisant l’analyse de cadrage, un certain nombre
d’auteurs s’intéressent particulièrement à la dimension cognitive du langage journalistique
dans la mise en forme de questions raciales et ethniques plus spécifiquement. Goshorn et
Gandy Jr. (1995), par exemple, dissèquent les « différences subtiles dans le phrasé
manifestement arbitraire et dépourvu de sens d’un point de vue strictement logiquecclxxxix »,
122
Selon Reese, un usage plus quantitatif et réductionniste du terme cadrage a été spécialement
employé par des études positivistes ou behaviouristes qui essayaient de repérer les emphases des
médias à partir de leur contenu manifeste. Toutefois, cet usage a été particulièrement critiqué par les
approches qualitatives qui rappellent que le cadrage le plus fréquent n’est pas forcément le plus
important. Voir Reese, 2003, p.8. De même, les premières études fondées sur l’hypothèse de
l’« agenda setting » privilégiaient l’analyse de certains termes clés selon leur fréquence dans les divers
textes, en reléguant au dernier plan l’abordage de la dissension entre les parties et l’essence même de
la controverse. Pour une révision à la fois théorique et méthodologique des premières études
d’« agenda-setting », voir Kosicki, Gerald. 1993. «Problems and opportunities in agenda-setting
research». Journal of Communication, vol. 43, n° 2, pp.100-127.
196
ces différences configurant en même temps « un patron plus ample à partir d’un large
éventail d’histoiresccxc. » Abondant dans le caractère cognitif du langage journalistique,
Richardson et Lancendorfer (2004 ) proposent une définition plus précise : « Le cadre d’une
question est un thème, un scénario ou une étiquette suggérant une possible interprétation sur
une question politique quelconqueccxci. » En s’appuyant sur la notion de cadrage proposée par
Robert Entman (2003), Jiwani et Young (2006) démontrent comment les cadrages et les
contre-cadrages médiatiques d’une question précise peuvent, en effet, partager les prémisses
d’un même discours hégémonique portant sur la race ou le genre. Selon Entman, le cadrage
« implique la sélection et l’emphase de certains aspects d’événements ou questions, en
proposant des connexions afin de promouvoir une interprétation, une évaluation et/ou une
solutionccxcii. »
Particulièrement pertinente pour les fins de ce travail : telle est la connexion établie par
Entman entre le cadrage et la culture. L’auteur explique en effet que « les cadres qui
emploient les termes culturellement plus résonnants possèdent le plus grand potentiel
d’influencer. Ils utilisent des mots et des images très saillants dans la culture, donc passibles
d’être reportés, compris, mémorisés et chargés émotionnellementccxciii. » Dans un article
postérieur (Entman et Bell, 2005), l’auteur explore les effets potentiels des médias en termes
d’influence des audiences et ce, en apportant au niveau de la conscience des éléments latents
dans les discours. Dans cette perspective, l’analyse de cadrage servirait justement à éclairer
les formes précises de « l’influence [des médias] sur la conscience humaineccxciv. »
Plus récemment, Entman (2007) reprend sa distinction initiale entre « cadrage de contenu » et
« cadrage procédural », de façon à y incorporer le concept de « biais » (« bias ») par
opposition à celui de « point de vue » (« slant »). Dans un scénario marqué par la compétition
entre acteurs afin de mobiliser les ressources des médias en leur faveur, « les points de vue
caractérisent individuellement les reportages et les éditoriaux où le cadrage favorise un côté
plutôt que l’autreccxcv.» Toutefois, Entman précise que les cadrages favorisant un seul point de
vue ne sont ni rares, ni manifestement une déviance de l’activité journalistique — quoique
197
leur persistence dans le temps puisse induire deux formes de biais. D’une part, on voit
émerger les biais de contenu, compris au sens de « modèles consistant au cadrage de la
communication médiatisée, lesquels promeuvent l’influence d’un côté, dans le cadre des
conflits autour de l’usage du pouvoir du gouvernementccxcvi. » D’autre part, il existe aussi des
biais dans les prises de décision des médias, lesquels « opèrent dans la psyché des
journalistes et au sein des procédures des institutions médiatiques, incorporés (généralement
de façon implicite) dans les règles et les normes guidant le traitement d’information et
influençant le cadrage de textes médiatiquesccxcvii. »
Compte tenu de ces différentes possibilités d’application offertes par le concept de cadrage,
j’aimerais émettre quelques réserves concernant les études précédentes. La première réserve
concerne le fait que la plupart de ces différentes approches portent exclusivement sur les
textes journalistiques, en laissant d’autres genres, formats ou espaces discursifs trouvés au
sein des médias contemporains en dehors de tout effort de théorisation. Certes, les exceptions
existent, à l’instar de l’article de Lauren Tucker (1998) portant sur la controverse médiatique
autour de la campagne publicitaire mise en place par la marque de vêtements Calvin Klein en
1997. Définie comme « un effort de s’aventurer au-delà de la recherche traditionnelle
d’ ‘agenda-setting’, cette étude emploie la théorie critique pour analyser comment les médias
(ceux-ci strictement compris au sens de « nouvelles ») produisent et reproduisent le pouvoir
social dans la construction du sens communccxcviii. » Cependant, comme souligne l’auteur,
l’approche adoptée ici suggère que les nouvelles et les opinions s’influencent mutuellement
dans les processus de production et de réceptionccxcix. » Cette approche autorise l’auteur, par
exemple, à mener l’analyse du cadrage en se concentrant exclusivement sur les nouvelles et
les articles d’opinion parus à la fois dans la presse d’intérêt général et dans les publications
spécialisées dans le domaine publicitaire. Ainsi, malgré des efforts considérables en vue de
faire la mise en contexte de la couverture médiatique dans un cadre plus ample de débats
politiques en cours — avant et durant la mise en circulation de la campagne en question —,
l’auteure ne prend pas en considération les cadrages du contenu de la campagne qui ont été
mobilisés par une audience ou un public concret. Autrement dit, l’auteure ne fait aucune
198
distinction analytique entre le sens commun des acteurs intervenant au sein des articles et
reportages et le sens commun d’autres lecteurs réels. Bref, les opinions exprimées dans les
articles et reportages sont prises comme un indice de visions de récepteurs réels, alors que
cette dimension devrait faire l’objet d’une enquête empirique additionnelle.
Cette lacune renvoie à ma deuxième réserve concernant l’analyse de cadrage : celle-ci est
rarement appliquée de manière transversale sur une multitude de textes et de discours générés
non seulement par les médias, mais aussi par d’autres acteurs concrets. Ceci s’explique en
partie par le partage d’une prémisse commune à certaines analyses de cadrage axées sur les
contenus et les procédures de médias. Selon cette prémisse, les cadres dominants dans la
couverture médiatique d’une question polémique seront perçus tel quel par les lecteurs et
spectateurs. De là découle la confusion conceptuelle trouvée dans l’analyse de la polémique
autour de la campagne publicitaire de Calvin Klein de Tucker, de même que l’idée d’une
correspondance entre le pouvoir d’influence et les cadres culturellement résonnants, telle que
proposée par Entman (nul besoin d’expliciter qu’aucune enquête auprès d’une audience
quelconque n’a été entreprise dans ces deux travaux).
L’intérêt pour la production des effets des médias est d’autant plus saillant dans les approches
plus « engagées » du cadrage, comme celle suggérée par le Media Resarch and Action
Project (MRAP) (Ryan, Carragee et Schwerner, 1998). Cette initiative, expliquent ses porteparole, vise notamment à « aider les groupes marginalisés à employer les nouvelles en tant
que ressource politiqueccc. » Dans un article postérieur (Ryan, Carragee et Meinhofer, 2001),
les auteurs stipulent que « l’usage de cadres du MRAP diffère de celui d’autres cadres, de
plusieurs manières. Nous mettons plus d’emphase sur l’orientation commanditaire du cadre et
sur leur caractère évolutifccci. » La principale différence entre l’approche du MRAP et les
précédentes est que les membres du MRAP sont plus concernés par le besoin d’influencer les
politiques publiques que l’ensemble de l’audience à proprement parler. Ici, le cadrage est un
outil stratégique ainsi qu’un moyen d’atteindre des objectifs politiques précis, qui n’en sont
pas moins légitimes. L’avantage de ce dernier, en termes théoriques, c’est de concevoir le
199
cadrage dans son aspect agonistique, c’est-à-dire non comme une procédure entièrement
imposée ou inatteignable, mais plutôt comme quelque chose à construire, à négocier et
disputer auprès d’autres acteurs.
Or, Reese (op. cit.) estime que la force du concept de cadrage réside justement dans son
pouvoir d’offrir un modèle servant de pont entre des perspectives diverses, c’est-à-dire dans
sa capacité de puiser dans les contributions apportées par chacune de celles-ci. Ma dernière
réserve concerne justement la prééminence d’une seule perspective — la perspective
cognitive — au sein des analyses de cadrage faites dans le champ de la communication. Dans
un article plus récent (Reese, 2007), l’auteur confirme cette prééminence : « Étant donné
l’accent historiquement mis sur la recherche en communication portant sur les effets des
médias, ce n’est pas surprenant de voir que la perspective cognitive reçoive plus
d’emphasecccii. » Bien que celle-ci soit importante, précise l’auteur, le cadrage conjugue à la
fois les perspectives cognitive, constructiviste et critique. C’est la conscience de l’existence
de ces différents aspects qui sert à éviter des analyses trop restrictives ou unidimensionnelles.
En termes plus concrets, l’observance de ces différentes dimensions analytiques devrait
contribuer à élargir le pouvoir explicatif du concept de cadrage, en proposant des liens entre
ses diverses manifestations dans les discours oraux et médiatiques, mais aussi dans ceux
relevant des contextes socioculturels plus amples123. Bref, un modèle de cadrage servant de
pont entre ces diverses dimensions permettrait ainsi un regard croisé sur l’objet de ce travail :
« Pour moi, cela [le cadrage] s’empare des manières dans lesquelles le sens peut être
incorporé à travers les histoires, les médias et le tempsccciii. »
123
Reese décrit brièvement ces différentes dimensions comme suit : « La perspective cognitive a
été largement agnostique par rapport aux façons dont les cadres sont impliqués au niveau du pouvoir
sociétaire, en approchant la ‘négociation’ ou l’interaction de structures psychologiques en tant que
dispositifs d’adaptation des éléments du message. La perspective constructiviste (…) a considéré les
cadres comme des ressources relativement bénignes ou des outils plus ou moins accessibles aux
acteurs sociaux, alors que la perspective critique a considéré ces cadres en tant que structures de
contrôle hégémonique et associées aux élites. » (“The cognitive perspective has been largely agnostic
concerning how frames are implicated in societal-level power, dealing with the ‘‘negotiation’’ or
interaction of psychological structures as coping devices for message elements. The constructivist
perspective (…) has regarded frames as relatively benign resources, tools that are more or less
accessible to social actors, whereas the critical perspective has regarded frames as controlling,
hegemonic, and tied to larger elite structures”, Reese, 2007, p.149.)
200
En fait, l’un des grands avantages du corpus de procès éthiques sélectionné réside dans le fait
que ceux-ci conjuguent plusieurs points de vue sur le problème de la discrimination raciale
dans la publicité. En plus de compter sur l’exemplaire ou sur un extrait de la publicité
dénoncée et de la couverture que les médias en font, ces procès éthiques permettent de
connaître les termes selon lesquels les dénonciateurs ont volontairement formulé leur malaise
vis-à-vis d’une publicité précise. Plus encore, ils garantissent l’accès à la vision de ceux qui
sont tenus responsables de la conception et de la production de la publicité dénoncée, mais
aussi l’accès à la position d’un spécialiste de ce domaine — le rapporteur —, laquelle
position peut être prise en considération, ou non, dans la décision finale.
Compte tenu de la diversité de perspectives offertes par le matériel empirique sélectionné, il
serait avantageux, pour atteindre les objectifs de ce travail, d’adopter une définition
opérationnelle de cadrage plus élargie à l’instar de celle proposée par Reese : « Les cadrages
sont des principes organisateurs qui sont socialement partagés et persistants tout au long du
temps, travaillant symboliquement afin de structurer le monde socialccciv. » L’idée de centrer
sur les principes plutôt qu’exclusivement sur les textes des médias, ou bien sur des
« éléments psychologiques individuels », explique l’auteur, vise à éviter d’associer l’étude de
cadrage à une structure fixe. Par contre, les perspectives plus constructivistes et cognitives
d’analyse de cadrage vont aussi contribuer. Les réflexions du MRAP, par exemple,
fournissent une perspective intéressante pour rapprocher les efforts des mouvements sociaux
en vue de sensibiliser les publics plus larges et d’accorder plus de visibilité à leur cause. La
dimension cognitive des médias est, quant à elle, fondamentale pour comprendre non
seulement les mécanismes symboliques du racisme en général, mais aussi plus
particulièrement la perception et la formulation du problème de la discrimination raciale du
point de vue des divers acteurs impliqués dans les procès éthiques du CONAR.
Compte tenu également de la diversité d’approches disponibles, il me semble pertinent de
conclure cette brève révision des analyses recourant au concept de cadrage en reprenant l’une
des recommandations méthodologiques que Porto (op. cit.) propose pour les recherches
201
futures qui utiliseront ce concept. Dans cette recommandation, il indique notamment de
mieux « spécifier les différents niveaux d’analyse et, par conséquent, [de] définir plus
clairement les différents types de cadragescccv. » Selon l’auteur, il y a un type de cadrage
identifiable dans les procédures journalistiques qui consiste typiquement en une mise en
forme des événements dans des formats bien précis comme le reportage, la chronique, la
note, etc. Ces procédures de sélection et de mise en forme représentent des conventions
appliquées de façon consciente et plus ou moins partagées entre les divers cadres
professionnels des médias. Toutefois, Porto attire l’attention vers un autre type de cadrage,
cette fois-ci plus involontaire, qui a spécifiquement trait aux cadres interprétatifs d’un
message particulier. Selon l’auteur,
Les cadrages interprétatifs sont des modèles d’interprétation qui promeuvent une
évaluation particulière des thèmes et/ou événements, y compris les évaluations
concernant les définitions de problèmes, les évaluations des causes et des
responsabilités, les recommandations de traitement, etc.cccvi
D’après cette définition, le processus de cadrage mobilise des interprétations disponibles dans
un contexte sociohistorique plus ample, « qui peuvent ou non être incorporées par les
médiascccvii. » L’auteur ne s’abstient pas de préciser qu’on peut, en effet, travailler en même
temps avec les deux niveaux d’analyse, mais qu’il est préférable, pour les fins de précision
méthodologique, de distinguer analytiquement ces deux niveaux.
Cette distinction me ramène à la dimension concrète des procès éthiques qui seront analysés
dans le prochain chapitre. En principe, ces deux dimensions du cadrage sont également
légitimes pour les discussions concernant la discrimination raciale au sein des médias.
Néanmoins, j’ai deux raisons pour étayer mon option d’analyser exclusivement les cadrages
interprétatifs. D’une part, le présent travail ne vise pas à examiner en profondeur les routines
publicitaires à proprement parler, bien que les documents recensés puissent éventuellement
révéler certaines dimensions opérationnelles de la production de la publicité dénoncée,
comme les enquêtes de marché ou des chiffres sociodémographiques à l’appui des décisions
prises dans le processus de mise en forme. Pour ce faire, il serait nécessaire de mener une
202
enquête additionnelle auprès des professionnels directement impliqués dans la production des
publicités dénoncées, opération tout du moins difficile compte tenu de la période de 26 ans
examinée ici. La même observation s’applique aux documents journalistiques qui seront
examinés, car il m’est impossible d’évaluer les routines productives ayant résulté dans les
différents produits journalistiques examinés dans le prochain chapitre. D’autre part, l’intérêt
pour les cadrages interprétatifs se justifie aussi dans la mesure où les différentes pièces
documentaires sont confrontées par l’exigence même de démontrer, ou de récuser, le blâme
de la discrimination raciale, c’est-à-dire d’en prouver l’existence ou l’absence dans une
publicité précise.
Ceci dit, j’aimerais préciser que cette analyse tiendra compte de différentes dimensions du
cadrage interprétatif présentes dans les diverses composantes contenues dans les procès
éthiques, allant de l’image dénoncée jusqu’à la décision finale. Chacune de ces parties mérite
un traitement méthodologique adéquat non seulement aux objectifs de cette recherche, mais
aussi aux caractéristiques de chaque document analysé.
a) Analyse de la dénonciation
L’analyse de la dénonciation implique, en d’autres termes, l’analyse des cadres interprétatifs
de la publicité et de la discrimination raciale selon les termes de l’accusation.
Autrement dit, il s’agit par là d’aborder la publicité dénoncée à travers les perceptions qu’elle
a effectivement engendrées, et non pas à travers ce qu’elle aurait pu signifier, c’est-à-dire en
tenant compte d’un certain nombre de possibilités entrouvertes par les modèles de cadrage
employés dans la confection de la pièce publicitaire. L’idée, ici, est de cibler les discussions
sur la discrimination raciale telles qu’elles ont été historiquement perçues par de sujets
concrets.
203
b) Analyse de la défense
C’est le cadrage interprétatif de la défense, permettant d’argumenter que la publicité n’est pas
discriminatoire. Il consiste en l’analyse des pièces (juridiques ou autre) servant de support
pour la position défendue.
c) Analyse des positions du CONAR
Compte tenu du fait que les décisions du CONAR impliquent également des discussions
orales entre les membres du Conseil d’éthique chargés d’analyser le procès, je dois cependant
préciser que l’analyse des positions de cet organisme se concentrera exclusivement sur les
décisions arrêtées et documentées par écrit. Les différentes positions — des dissensions entre
les membres sont possibles et assez fréquentes — peuvent être inférées à partir de deux
pièces documentaires précises :
1. Avis du rapporteur.
2. La décision finale détaillant le processus de vote et l’existence ou non d’un
consensus (lorsque cette donnée est indiquée dans la décision finale).
Toutefois, certaines décisions du CONAR ne sont pas toujours définitives et il se peut que
l’une des parties du procès — le plus souvent les publicitaires eux-mêmes — décide de
présenter un recours à une deuxième instance, procédure d’ailleurs déjà prévue dans les
normes internes du Conseil. Dans ce cas, les étapes a.1 et b peuvent être répétées jusqu’à ce
qu’on arrive à la décision définitive.
204
d) Les énonciations des médias
C’est l’identification des acteurs ayant accédé à la sphère de visibilité des espaces
journalistiques et l’analyse du cadrage interprétatif proposé par les médias. Il s’agit, dans un
deuxième temps, de vérifier leur possible rétroaction sur la matière jugée, de même que de
mettre en évidence des positions dominantes au sein des médias.
Une fois les différentes dimensions analytiques ci-dessus explicitées, je tiens à préciser que
l’analyse ne se fera pas forcément dans l’ordre proposé ci-dessus. J’essaierai de garder un
ordre chronologique des énoncés, mais seulement dans la mesure où celui-ci ne nuit pas à la
compréhension de l’évolution d’un procès.
Je conçois les différentes étapes d’un procès comme des blocs d’énonciations qui sont
composés, selon Habermas (1987), par des actions langagières, orientées dans le but de
prouver l’existence ou l’absence de discrimination raciale dans une publicité particulière. Le
processus communicatif émergeant de ces actions a lieu dans le cadre d’un processus
d’interaction très particulier, organisé par les normes procédurales du CONAR (voir sect.
6.3). Ceci veut dire, entre autres, que les processus d’interaction discursive ayant lieu au
CONAR ne mettent pas forcément tous les locuteurs en situation d’interaction face à face ; au
contraire, les membres du Conseil d’éthique sont virtuellement les seuls à prendre acte de
tous les énoncés pour émettre leur opinion. Ceux-ci forment leur opinion à partir d’une
multitude de sources : les lettres de dénonciation, les documents proposés par la défense — y
compris la défense orale devant les membres du Conseil — mais aussi des articles ou
reportages parus dans les médias.
Deux types d’agir sont également mis en scène devant le tribunal du CONAR : l’agir
communicationnel et l’agir instrumental stratégique. Bien que certaines des actions
entreprises devant les membres du Comité d’éthique du CONAR présentent une dimension
205
stratégique indéniable, leur efficacité dépend de la réalisation des conditions de
compréhension intersubjective qui caractérisent l’acte communicationnel124. Autrement dit,
pour être efficace dans la motivation d’une attitude particulière (en vue soit de punir une
agence ou un annonceur pour discrimination, soit d’exempter ceux-ci de la faute en question),
les conditions de validité de l’acte communicationnel doivent être remplies : « Ainsi, le
locuteur prétend à la vérité pour des énoncées ou des présuppositions d’existence, à la
justesse pour des actions réglées selon la légitimité ainsi que pour leur contexte normatif, et il
prétend à la véracité pour la communication d’expériences vécues subjectives. » (Habermas,
1987, p.116.)
Alors que, plus généralement, « chaque procès d’intercompréhension a lieu sur l’arrière-fond
d’une précompréhension stabilisée dans la culture », le besoin de prouver l’existence de la
discrimination raciale présuppose, en contrepartie, la remise en question du contenu fourni
par ces cadres historico-culturels plus larges. En d’autres termes, les situations d’interaction
discursive en place constituent des situations problématiques, où « aucun des participants ne
détient le monopole de l’interprétation » (Habermas, 1987, p.116). Habermas donne d’autres
indices de formes idéales que peuvent prendre les situations où une dispute de cadre
interprétatif a lieu :
De part et d’autre, la tâche de l’interprétation consiste à faire entrer dans
l’interprétation propre de la situation la définition que l’autre en donne, et ce de telle
sorte que dans la conception ainsi révisée, ‘son’ monde extérieur ainsi que ‘mon’
monde extérieur puissent l’un et l’autre, sur l’arrière-fond de ‘notre monde vécu’, être
relativisé par ‘le monde’, et que les interprétations divergentes puissent ainsi se
recouvrir suffisamment. (Habermas, 1987, p.116.)
Mon but ici est de faire de cette situation idéale, impliquant la validation d’une interprétation
précise, un repère théorique pour approcher le problème interprétatif implicite dans le besoin
124
« Le concept d’activité communicationnelle présuppose le langage en tant que médium pour
des procès d’intercompréhension d’une certaine nature, des procès autour desquels les parties
prenantes élèvent chacune vis-à-vis de l’autre, en se rapportant à un monde, des prétentions à la
validité qui peuvent être acceptées ou contestées. » (Habermas, 1987, p.115.)
206
de prouver l’existence de la discrimination raciale. Je vise également à faire la lumière sur les
circonstances où une entente entre locuteurs n’est pas arrêtée, circonstances qui configurent
la majorité des décisions émises par les conseils d’éthique du CONAR, comme je le
démontrerai dans le chapitre suivant.
Pour conclure, j’aimerais énumérer brièvement les procès éthiques ayant fait l’objet d’une
discussion publique médiatisée. Ceux-ci constituent un ensemble de neuf cas distribués tout
au long des trois phases chronologiques identifiées à partir de l’analyse quantitative des
données. Le tableau suivant montre la distribution des procès dans chacune des trois phases,
ainsi que le numéro identificateur de chacun d’eux. Les cinq procès identifiés par le symbole
(*) seront soumis à l’analyse qualitative dans le prochain chapitre. Ces procès ont été
sélectionnés en fonction de leur degré plus élevé de complexité et d’exemplarité.
Tableau 6.3
Distribution et identification de procès éthiques pour discrimination raciale ayant fait l’objet
d’une couverture médiatique dans trois phases distinctes
Phase
Nombre de procès
N° identification
Phase 1 (1979-1989)
3
025-82 *
022-84
118-88 *
Phase 2 (1990-1999)
5
076-90 *
229-91*
144-93
128-94
080-95
Phase 3 (2000-2005)
1
068-05 *
(*) Procès qui feront l’objet d’une analyse qualitative dans le chapitre VII.
Ceci dit, je passerai maintenant à la description de ces données comme parties actives dans le
processus de communication publique plus ample entre, d’une part, des citoyens concernés
par la publicité discriminatoire et, d’autre part, l’organisme censé juger ces infractions.
CHAPITRE VII
LES DÉBATS AUTOUR DES PUBLICITÉS ACCUSÉES DE DISCRIMINATION
RACIALE
J’avais brièvement énoncé, dans le chapitre III, les changements majeurs concernant la notion
d’espace public et le rôle des médias de masse dans le contexte démocratique, tels que
Habermas les avait conçus dans L’espace public. Ces reformulations s’insèrent dans un
programme théorique plus large de réhabilitation de la communication humaine comme outil
d’émancipation et de critique sociale, dont les piliers théoriques avaient été inaugurés avec la
publication Théorie de l’agir communicationnel (op. cit.), et approfondis dans De l’éthique
de la discussion (Habermas, 1992).
C’est toutefois dans Droit et Démocratie (op. cit.) que Habermas en tire les conséquences
pour son modèle de démocratie délibérative ; celles-ci seront reprises et synthétisées plus tard
dans Political Communication in Media Society (op. cit.). Si, jusque-là, les principes
directeurs de l’éthique de la communication — publicité, égalité de droits, sincérité, absence
de contraintes125 — avaient établi une « situation idéale de parole » presque inatteignable
125
Maia (op. cit.) examine les implications pratiques des quatre présuppositions de rationalité
attribuées à la situation idéale de parole selon les termes suivants : « Dans des conditions semblables,
tous les arguments et points de vues seraient considérés et les participants seraient prêts à revoir leurs
préférences initiales à la lumière de ‘meilleurs arguments’, ainsi qu’à argumenter et contre-argumenter
sans que l’on fasse l’usage de coercition, de chantage ou de menaces, afin d’arriver à une
compréhension réciproque et à un éventuel accord De plus, le débat serait libre de contraintes de temps
et du besoin pratique de prise de décision. » (“ In such conditions, all arguments and viewpoints would
receive consideration, and participants would be willing to review their initial preferences in light of
‘better arguments’, as well as to argue and counter-argue without making use of coercion, blackmail or
threats, in other to reach reciprocal understanding and eventual agreement. Furthermore, debate would
be free from time-constraints and from the pratical need of decision-making”, Maia, 2007, p.72.)
208
dans les pratiques communicatives quotidiennes, Droit et Démocratie a au moins le mérite
d’énoncer une vision moins défaitiste des délibérations démocratiques quotidiennes. En effet,
la particularité du modèle de démocratie délibérative d’Habermas réside dans le fait que les
structures communicatives traversent, en principe, tous les systèmes sociaux.
Je commencerai à décrire les différentes composantes du modèle systémique habermassien à
partir du centre du système politique. Dans son œuvre plus récente, Habermas explique, très
succinctement, que « le centre du système politique est constitué d’institutions familières :
parlements, cours, agences administratives et l’Administrationcccviii. » On note pourtant que la
description offerte dans Droit et démocratie, à partir du modèle d’écluses de B. Peters,
complexifie davantage la notion de système politique central : « Aux marges de
l’Administration, on voit se constituer une sorte de périphérie interne de différentes
institutions dotées des droits d’autogestion ou de fonctions de contrôle et de compétence
déléguées par l’État. » (Habermas, 1997, p.382.)
Chaque composant du système politique, note-t-il, correspond à une sphère de délibération
spécifique :
Chaque branche peut être décrite comme une arène délibérative spécialisée. Le résultat
correspondant — décisions législatives et programmes politiques, règlements ou
verdicts, mesures administratives et décrets, normes de conduite et politiques — est la
conséquence de différents types de délibération institutionnalisée et de processus de
négociation.cccix
Du côté opposé au système politique, poursuit Habermas, on retrouve le monde vécu, lequel
« forme un tissu composé d’actions communicationnelles » (Habermas, 1997, p.381). Partie
intégrante du monde vécu, la société civile se détache de la sphère privée de ce dernier pour
devenir, disons, sa composante institutionnellement organisée : « Le cœur de la société civile
est donc constitué par un tissu associatif qui institutionnalise dans le cadre d’espaces publics
organisés les discussions qui se proposent de résoudre les problèmes surgis concernant les
sujets d’intérêt général. » (Habermas, 1992, p.394.) Un élément très important : à la base de
209
la définition habermassienne de la société civile, toutefois, demeure l’exercice de certains
droits fondamentaux « liés à la liberté d’opinion, [à] la liberté de rassemblement et [au] droit
de fonder des associations ou des sociétés » (Habermas, 1997, p.395), faute de quoi la société
civile risque de perdre de sa vivacité. « Enfin, le tissu associatif n’est capable d’affirmer son
autonomie et de conserver sa spontanéité que dans la mesure où il peut s’appuyer sur un
pluralisme librement acquis de formes de vie, de souscultures et de tendances religieuses. »
(Habermas, 1997, pp.395-396.)
Compte tenu de ces distinctions majeures, j’accepterais volontiers qu’on place le CONAR
dans les marges de l’Administration étatique à condition de retenir ceci : le consentement à
l’autoréglementation du secteur professionnel publicitaire est concomitant avec le
renoncement du gouvernement militaire au pouvoir de réglementer la publicité. Cette
abstention au niveau réglementaire étatique a fait en sorte qu’une instance entièrement privée
comme le CONAR devienne, au moins durant une certaine période, la seule instance légitime
pour juger les éventuelles transgressions éthiques dans la publicité commerciale. Comme je
l’ai opportunément démontré (voir chap. 5, sect. 5.5), ce scénario ne changera partiellement
qu’à partir de 1991, avec l’approbation du CBDC. Dès lors, la place occupée par le CONAR
dans le système politique brésilien demeurera quelque peu incertaine, compte tenu de la
controverse autour de l’existence ou non d’un système réglementaire mixte au Brésil.
Néanmoins, affirme Habermas, dans des circonstances concrètes du monde réel, les instances
du système politique peuvent devenir des instances autonomes de pouvoir, mettant en péril sa
propre légitimité : ainsi, « les systèmes de négociation paraétatiques, dépourvus de liens
effectifs avec les organismes parlementaires et l’espace public, provoquent des problèmes de
légitimité et, étant plutôt spécialisés dans les questions de coordination fonctionnelle, sont
dépassés par la pression des problèmes cognitifs. » (Habermas, 1997, p.379.) À cet effet, la
remise en question de la légitimité du CONAR à l’heure actuelle résulte moins de son
manque d’articulation politique au sein des sphères législatives nationales (voir chap. 5, sect.
5.5.1), que de la contestation de son autorité pour juger des sujets contentieux à caractère
subjectif et/ou moral. Il reste que le pouvoir d’articulation et de pression de la classe
210
publicitaire au sein des sphères décisionnelles n’est pas négligeable, comme le démontre bien
la récente querelle entre le CONAR et l’Agência Nacional de Vigilância Sanitária
(ANVISA)126. En ce qui concerne particulièrement l’existence de problèmes cognitifs
découlant de la spécialisation fonctionnelle du CONAR, cette question ne fait pas l’objet de
mes préoccupations dans ce travail. Finalement, à la lumière de ces diverses critiques
soulevées par Habermas, celle qui me semble le plus s’adapter à mon objet d’études se réfère
au manque de connexion entre le CONAR et les discussions morales en vigueur dans
l’espace public national. Toutefois, celle-ci est une question à laquelle on ne peut répondre
avant l’analyse du corpus empirique. Compte tenu de cela, mais aussi du fait qu’une analyse
en profondeur de la dimension institutionnelle du CONAR ne fait pas l’objet premier de ce
travail, j’ai cru plus pertinent d’entreprendre une brève évaluation de cette institution dans un
chapitre postérieur, en tenant compte de variables plus générales comme l’inclusion, le
dialogue et la délibération.
Ainsi, bien que les formulations de Habermas rapprochent la « formation de l’opinion et (…)
de la volonté institutionnalisée dans les organismes parlementaires de l’État de droit (ainsi
que dans la pratique de la décision judiciaire) » (Habermas, 1997, p.398), ce n’est pas le
CONAR comme un tout, mais plutôt le fonctionnement de son tribunal d’éthique, qui
m’intéresse plus particulièrement. Comme cela a été indiqué antérieurement, le CONAR est
un organisme tripartite, conjuguant à la fois les fonctions exécutive, législative et judiciaire
(voir chap. 6, sect. 6.3.1). Au lieu d’examiner les formes délibératives à l’intérieur de son
assemblée générale visant à, par exemple, établir une nouvelle réglementation pour un
126
Suite à la décision de l’ANVISA de durcir les normes permettant la publicité d’aliments, de
boissons alcoolisés et de médicaments, le CONAR a diffusé un communiqué public en rappelant qu’il
revenait à l’État, et non à une agence gouvernementale, de réglementer la publicité commerciale. La
chambre des députés fédéraux à Brasilia a alors tenu une consultation publique le 4 octobre 2007, en se
prononçant finalement contre les initiatives de l’ANVISA. La querelle en question concernait ainsi une
dispute de compétences pour réglementer la publicité opposant, d’une part, une agence nationale à
composition mixte privée-publique (l’ANVISA) et, de l’autre, une entité privée liée au secteur
professionnel publicitaire (le CONAR). En effet, cette décision renforçait la tradition de nonintervention étatique, en reconnaissant une fois de plus la compétence exclusive du CONAR en la
matière.
211
secteur de produits ou de services quelconque, je me pencherai exclusivement sur la branche
judiciaire de cet organisme : le Comité d’éthique.
Tout d’abord, ce qui me semble particulièrement évident dans ce comité, ce sont les
problèmes d’ordre procédural agissant, dans les procès éthiques, sur les délibérations entre
les parties impliquées. Comme je l’ai décrit dans le chapitre précédent (voir sect. 6.3), les
procédures internes du Comité d’éthique de réception et de traitement des plaintes sous la
forme de procès éthiques comportent au départ une limitation importante: la distribution
asymétrique du droit de parole en faveur du secteur publicitaire et de l’annonceur accusés
dans le procès éthique, car les jugements ont lieu en l’absence totale de la partie plaignante.
En effet, cette asymétrie peut contribuer davantage à limiter l’autonomie de ce tribunal de
rendre des décisions indépendantes vis-à-vis des intérêts corporatifs de ses associés. À cela
s’ajoute également le manque de visibilité publique dans les processus délibératifs internes,
étant donné que les séances se déroulent à huis clos.
Cette limitation inhibe, au moins, l’exercice de la quatrième catégorie de droits
fondamentaux identifiés par Habermas127. Selon celle-ci, les individus ont « des droits
fondamentaux à participer à égales chances aux processus de formation de l’opinion et de la
volonté constituant le cadre dans lequel les citoyens exercent leur autonomie politique et à
travers lequel ils instaurent un droit légitime » (Habermas, 1997, p.140). En transposant
l’application de ces droits aux situations propres à un tribunal éthique comme celui du
CONAR, ceci correspondrait en outre à des conditions égales d’argumentation entre les
parties dans le cadre d’un procès équitable. Compte tenu des caractéristiques procédurales
127
Habermas identifie dans Droit et Démocratie cinq catégories de droits fondamentaux. Outre la
catégorie énoncée ci-dessus, l’auteur nous fait part des droits fondamentaux : 1) résultant du
développement politiquement autonome du droit à l’étendue la plus grande possible des libertés
subjectives d’actions égales pour tous ; 2) résultant du développement politiquement autonome du
statut de membre dans une association volontaire de sociétaires juridiques ; 3) résultant de l’exigibilité
des droits et du développement politiquement autonome de la protection juridique individuelle ; et
finalement 5) des droits fondamentaux à l’octroi de conditions de vie assurées aux niveau social,
technique et écologique, dans la mesure où celles-ci s’avèrent nécessaires pour la jouissance à l’égalité
de chances des droits civiques énumérés antérieurement.
212
internes du Comité d’éthique — responsable du jugement des infractions au CBARP —, la
seule source de visibilité intervenant éventuellement dans ces procès est représentée par les
médias de masse. Ceci renforce l’importance, déjà soulignée par Habermas dans Droit et
Démocratie, concernant la fonction critique de ces médias en tant qu’instance médiatrice
entre le système politique et le monde vécu :
Conformément à la conception de la politique délibérative, ils expriment une idée
régulatrice assez simple : les mass media doivent se concevoir comme les mandataires
d’un public éclairé dont ils présupposent, attendent et renforçent à la fois la volonté
d’apprendre et la capacité critique ; comme la justice, ils doivent rester indépendants
des acteurs politiques et sociaux ; ils doivent se charger impartialement des
préoccupations et des suggestions du public et, à la lumière de ces thèmes et de ces
contributions, contraindre le processus politique à se légitimer et à accepter une
critique plus vigilante. (Habermas, 1997, p.406.)
Certes, on ne peut pas s’empêcher de mettre en évidence le fossé existant entre, d’un côté, le
niveau d’abstraction de cette vision plus normative du journalisme critique et de l’autre, la
dimension concrète dont font état les diverses études empiriques dans le champ de la
communication. Cette dimension normative est toujours présente dans les réflexions de
Habermas, bien que l’auteur s’attarde notamment, dans son article plus récent Political
communication in media society (op. cit.), sur un certain nombre d’études empiriques afin de
discuter des pathologies de la communication politique. En contrepartie, Habermas
complexifie davantage sa description des modes opératoires de la presse, en rendant compte
de l’action d’une variété d’acteurs qui interviennent quotidiennement dans cette structure de
médiation entre le monde vécu et le système politique :
Ces acteurs entrent sur scène à partir de trois points : les politiciens et les partis
politiques partent du centre du système politique ; les lobbyistes et les groupes
d’intérêts spéciaux viennent des points privilégiés des systèmes fonctionnels et les
groupes de statut qu’ils représentent ; et les avocats, les groupes d’intérêts publics,
églises, intellectuels et entrepreneurs moraux viennent de la toile de fond de la société
civile.cccx
213
Les médias deviennent ainsi l’espace où une multitude d’opinions publiques considérées
acquièrent de la visibilité sociale. Ce faisant, les médias rendent manifestes les diverses
positions existantes autour de questions controversées. Ces opinions constituent un seuil à
partir duquel les divers acteurs choisissent l’interprétation qui leur semble la plus plausible et
pertinente. Dans cette perspective, les médias de masse participent activement à la
délibération politique plus large, devenant ainsi une composante substantielle du processus
démocratique. Les médias sont donc censés accomplir trois fonctions :
1) mobiliser et mettre en commun les questions pertinentes et l’information requise,
afin de spécifier les interprétations ; 2) traiter discursivement ces arguments par le biais
d’arguments pour et contre ; 3) générer des attitudes de oui et non rationnellement
motivées censées déterminer le résultat de décisions correctes du point de vue
procédural.cccxi
Une fois les divers acteurs du modèle délibératif définis, ainsi que les fonctions de base des
médias de masse, il ne me reste qu’à décrire les formes idéales de circulation de l’opinion
entre ces différentes instances, dans ses grandes lignes. Il faut, tout d’abord, faire usage d’un
peu d’imagination pour envisager comment ce modèle plus abstrait pourrait servir de guide
d’interprétation pour le processus de communication publique ayant lieu entre le CONAR, les
médias et, éventuellement, d’autres acteurs du système politique, à l’occasion du jugement de
procès éthiques de discrimination raciale.
Si l’on tient compte de la typologie d’espace public présentée dans le chapitre III (voir sect.
3.1), on pourrait assurément identifier un grand nombre d’espaces publics épisodiques formés
au sein du monde vécu préalablement à le dépôt d’une plainte formelle au sein du CONAR.
Toutefois, les espaces publics épisodiques sont difficiles à saisir, compte tenu de leur
spontanéité, de leur décentralisation, et du fait que ces procès ont été déposés tout au long de
26 années. Autrement dit, bien que le processus de formation de l’opinion et de la volonté ait
en effet une double orientation — « un mode de formation institutionnalisé et un mode de
formation informel » (Habermas, 1997, p.340) —, ce sont les formes institutionnalisées qui
m’intéressent de manière plus précise. Ceci réduit donc l’ampleur de cette enquête aux deux
formes d’espaces publics restantes. D’une part, la notion d’espaces publics abstraits,
214
« composés de lecteurs, d’auditeurs et de spectateurs à la fois isolés et globalement
dispersés » (Habermas, 1997, p.401), ne semble poser aucun problème : comme je le
démontrerai dans les prochaines sections, un certain nombre de procès ont effectivement fait
l’objet d’une couverture médiatique, le taux de reconnaissance du dommage étant
généralement plus élevé chez ces derniers.
D’autre part, c’est l’insertion du CONAR dans la catégorie d’espace public organisé qui
requiert quelques précautions additionnelles. Comme je l’avais mentionné antérieurement,
l’analyse de procès éthiques se fera exclusivement à partir des documents écrits qui y
figurent, c’est-à-dire sans tenir compte des circonstances réelles de délibération orale entre
les membres du conseil. Ensuite, c’est justement le peu de visibilité des discussions ayant lieu
au sein du CONAR qui m’amène à mettre entre parenthèses l’idée selon laquelle les comités
d’éthique constituent de véritables espaces publics organisés. Dans ce sens, la notion de
minipublic développée par Archon Fung (2004) pourrait apporter quelques pistes fructueuses
pour combler la généralité du terme espace public organisé128. En m’inspirant de cette notion,
j’utiliserai le terme micropublic pour me référer spécifiquement au groupe de conseillers
composant les Comités d’éthique du CONAR, comités dont les dimensions sont plus
restreintes que celles du minipublic critique, selon la définition d’Archon Fung. Bref, le
concept de micropublic permet de différencier le public interne à faible dimension du
CONAR, d’un public abstrait plus grand, formé par les médias de masse.
Un autre aspect qui mérite d’être précisé au niveau de l’analyse empirique est le principe de
« porosité » que Habermas attribue aux différentes catégories d’espaces publics. Alors que
l’auteur estime d’emblée qu’« en dépit de ces multiples différentiations, tous ces espaces
publics partiels, pour autant qu’ils se fondent sur l’emploi du langage ordinaire, restent
cependant poreux les uns pour les autres » (Habermas, 1997, p.401), je préférerais faire
128
Selon Archon Fung, minipublic correspond à « une classe intermédiaire d’institutions
démocratiques, mitoyenne des agences administratives et des associations secondaires, en opposition à
des constitutions ou structures de base » (“classe intermediária das instituições democráticas e
associações secundárias ao invés de constituições ou estruturas básicas ”, Fung, 2004, p.173).
215
montre d’une certaine prudence afin de mieux évaluer les limites concrètes de la supposée
porosité et de son adéquation aux discussions ayant lieu au CONAR. Plutôt que d’accepter ce
principe comme un état de fait, je me propose de vérifier empiriquement dans quelle mesure
ces deux instances de formation d’opinion se chevauchent et échangent d’importantes
interprétations sur le problème de la discrimination raciale dans la publicité.
Il me semble toutefois pertinent de préciser que les acteurs sociaux ayant exprimé leur
mécontentement vis-à-vis d’une publicité tenue de promouvoir la discrimination raciale
représentent, en fait, une pluralité d’acteurs issus de divers domaines. Contrairement à ce que
l’on pourrait imaginer, les sujets qui se sont effectivement attaqués au problème de la
discrimination raciale dans la publicité ne se résument pas aux acteurs de la société civile ; ils
concernent également les acteurs liés à la fois au centre du système politique et au secteur
publicitaire même. Comme je le démontrerai dans ce chapitre, autant les raisons sur
lesquelles ils s’appuient que les motivations initiales peuvent en effet varier énormément, non
seulement entre les divers acteurs, mais aussi en fonction du temps.
Une dernière remarque avant de conclure cette brève ébauche théorique : si j’ai omis
d’énoncer une définition claire et définitive de discrimination raciale jusqu’à maintenant,
c’est tout simplement parce qu’une multitude de définitions ont été mises à l’épreuve tout au
long des 26 ans de fonctionnement du CONAR. Comme je l’ai discuté dans le chapitre
antérieur (voir chap. 6, sect. 6.4), bien que l’article 20 définissant la discrimination raciale
comme une infraction au code d’éthique publicitaire date de 1978 — année d’approbation du
CBARP —, celle-ci reste formellement rattachée aux normes de la Constitution en vigueur.
Toutefois, les textes internationaux peuvent, eux aussi, résonner sur les discussions en cours
dans les divers procès éthiques. Ces différentes variantes autour de la définition de
discrimination raciale seront examinées de façon adéquate dans une perspective
diachronique, au fur et à mesure que chaque procès éthique sera analysé individuellement.
Dans les prochaines sections, je présenterai les données recueillies lors du travail de terrain.
Les informations sont regroupées dans deux volets distincts : 1) une analyse quantitative
216
préliminaire de façon à faire la mise en contexte des procès de « discrimination raciale » ; 2)
une analyse qualitative des cinq exemples de procès pour discrimination raciale ayant reçu
une couverture médiatique.
7.1 Description quantitative du corpus de procès éthiques pour discrimination raciale
7.1.1 Aperçu général des procès pour discrimination raciale
Le nombre de procès fondés sur l’article 20 du CBARP, qui porte sur la discrimination (toute
forme confondue), est de 168, sur un total de 5 540 procès ouverts au sein du CONAR entre
1979 et 2005. Ceci équivaut à quelque 3,32 % du total indiqué. Cependant, si l’on considère
seulement le nombre de procès éthiques ayant mentionné le problème de la discrimination
raciale — un total de 31 procès —, cette proportion demeure encore plus faible et ne compte
que pour environ 0,55 % du total des plaintes.
Toutefois, une augmentation sensible peut être identifiée à partir de l’année 2000 : 64 % du
nombre total de dénonciations impliquant au moins une forme de discrimination ont en effet
été déposés à partir de cette année-là. Quelque 45,16 % de ces dénonciations de
discrimination raciale se concentrent surtout à partir de 2000, l’année précédant la
Conférence pour l’élimination de toutes formes de discrimination, réalisée par l’ONU à
Durban, en Afrique du Sud. Toutefois, les dynamiques de croissance entre la catégorie
générale de discrimination et celle, plus spécifique, de discrimination raciale, ne sont pas les
mêmes, comme le démontre bien la figure ci-dessous.
217
30
25
20
15
10
5
0
Discrimination (toutes
catégories confondues)
Discrimination raciale
19
79
19
81
19
83
19
85
19
87
19
89
19
91
19
93
19
95
19
97
19
99
20
01
20
03
20
05
Nombre de procès
Évolution du nombre de procès de discrimination déposés au sein du CONAR
Années
Figure 7.1 Cadre comparatif de l’évolution du nombre de procès pour discrimination et de
procès pour discrimination raciale déposés au CONAR entre 1979 et 2005
En fait, la comparaison des courbes de croissance entre la catégorie plus générale et celle plus
spécifique nous permet de tirer quelques conclusions provisoires. D’abord, les données en
question nous permettent non seulement d’évaluer le rythme de croissance de variantes autres
que la discrimination raciale, mais aussi de réaliser que cette croissance se fait à deux vitesses
différentes. De plus, la superposition des courbes indique que la discrimination raciale était la
principale forme de discrimination discernée durant les deux premières années de
fonctionnement de la Commission d’autoréglementation publicitaire.
Deux explications possibles peuvent être données compte tenu de ce cadre évolutif général.
La première relève de la dimension plus objective des différences d’ordre racial au Brésil. Le
legs colonial — à l’origine de différences si effrayantes dans les conditions de vie et d’accès
à des ressources entre les différents pans de la population — est tellement remarquable que la
perception de la discrimination dans sa variante raciale a été favorisée au détriment d’autres
formes subsidiaires, comme la discrimination de genre, d’orientation sexuelle, d’âge, etc.
Toutefois, les dimensions plus subjectives de la prise de conscience et de la formulation du
problème de la discrimination doivent aussi être prises en considération. Ceci équivaut à dire
que les accusations de discrimination raciale ne relèvent pas seulement des conditions
matérielles existantes, mais aussi de la capacité (et possibilité) des individus de prendre
conscience de ces conditions, de manière à intervenir de façon pragmatique. Or, ces données
218
semblent indiquer que la prise de conscience du problème de la discrimination raciale (qui
peut, elle aussi, comporter de fortes connotations de genre, par exemple) est antérieure à celle
d’autres formes de discrimination, au moins en ce qui concerne plus spécifiquement le
contexte de la publicité.
Quoi qu’il en soit, la différence entre ces courbes ne s’est accentuée qu’à partir de 1995, ce
qui me pousse à croire que la perception et la dénonciation de formes de discrimination autres
que la discrimination raciale tendent à gagner de plus en plus d’espace. On doit également
tenir compte du fait que cette dissociation a été encore plus prononcée dans les années 1997
et 2000, respectivement, même si les sommets respectifs des deux courbes correspondent aux
mêmes années : 2003 et 2005.
Pour ce qui est spécifiquement de l’évolution quantitative des procès de discrimination
raciale, on dénote une croissance du nombre de ces procès principalement à partir de l’année
2000. Quoique moindre par rapport à l’augmentation totale du nombre de procès de
discrimination, celle-ci n’est pas pour autant moins significative. En effet, si l’on tient
compte uniquement du nombre de procès pour discrimination raciale déposés auprès du
CONAR entre 2000 et 2005, on verra que le plus grand nombre correspond aux 5 dernières
années examinées, représentant quelque 45,16 % du total des procès de cette catégorie
analysés tout au long des 26 ans de fonctionnement de l’institution.
7.1.2 Distribution des procès pour discrimination raciale selon le groupe cible
Le tableau A.1 permet de mieux comprendre la répartition des procès de discrimination tout
au long des années, ainsi que leur proportion par rapport au nombre général de procès menés
chaque année par le CONAR. La repartition du nombre de procès faisant spécifiquement
partie de la catégorie « discrimination raciale » est décrite dans le tableau A.2. Les données
compilées des 31 procès éthiques selon le public cible et la catégorie raciale sont résumées
dans le tableau ci-après (Tableau 7.1.).
219
Tableau 7.1
Distribution des procès éthiques selon le public cible et la catégorie raciale
Catégories raciales*
N° Procès éthiques
% Total procès
discrim. raciale
discrim. raciale
Afro-Brésiliens
21
67,74
Nippo-Brésiliens
7
Sino-Brésiliens
1
25,80
Blanc
Euro-Brésiliens
1
3,22
Autre
Discrimination raciale
1
3,22
31
100
Negro (preto +pardo)
Jaune
Groupes cible
au sens large
Nombre total de procès
∗
Selon les catégories raciales adoptées par l’IBGE.
Ces chiffres démontrent bien que la cible raciale la plus attaquée selon les procès du CONAR
est celle des Noirs (toutes les sous-divisions concernant l’âge, le genre, etc., étant comprises).
Ceux-ci comptent pour 67,74 % du total des plaintes pour discrimination raciale. La
deuxième catégorie raciale la plus visée est composée par deux groupes cibles : les Nippobrésiliens et les Sino-brésiliens. Ensemble, ces derniers représentent 25,80 % des plaintes.
Seulement 3,22 % des plaintes ont touché le groupe racial dominant, nommé ici Eurobrésiliens. Seule une plainte (3,22 %) n’a pas concerné une cible précise mais, d’une façon
plus générale, le raisonnement même qui mène à la distinction et à la discrimination raciale.
Si l’on tient à observer l’ensemble des procès pour discrimination raciale selon le type de
décision arrêtée (voir tabl. A.3), on trouvera que si, d’un côté, le nombre de dénonciations a
réellement augmenté, de l’autre les réactions face à celles-ci sont largement supérieures. Pour
ce qui est exclusivement des dénonciations impliquant la discrimination raciale, la quantité de
procès dans lesquels il n’y a pas eu de forme de reconnaissance du dommage — retrait de la
circulation, mise aux archives sous conditions, retrait de la circulation avec avertissement,
avertissement et conciliation — arrive à 70,96 % du total des cas (soit 21 sur 31 procès au
total). Autrement dit, le taux d’inculpation concernant tous les cas de discrimination raciale
220
est très faible — environ 29,04 % des cas ayant obtenu au moins une forme de
reconnaissance du dommage. Cependant, ce même taux est plus élevé chez les cas ayant fait
l’objet de l’attention médiatique que chez ceux dont les discussions sont restées restreintes à
l’espace institutionnel du CONAR. Ainsi, si l’on compare le taux de reconnaissance du
dommage chez ces deux groupes de procès (avec et sans visibilité médiatique), on verra que
ce taux est plus élevé chez le premier groupe (55,55 %) que chez le deuxième (22,72 %). Le
nombre absolu de procès ayant obtenu une reconnaissance du dommage est somme toute le
même dans les deux groupes — 5 procès — alors que le nombre de procès ayant fait l’objet
de l’attention des médias (9 procès) est largement inférieur à ceux qui n’y ont pas eu droit (22
procès). Ceci m’amène à croire que la visibilité médiatique joue un rôle fondamental dans la
médiation du débat social autour des publicités accusées de discrimination raciale.
De plus, la non-reconnaissance du dommage touche davantage certains groupes que d’autres.
Si l’on compare le nombre de procès ayant une forme de reconnaissance du dommage selon
le public cible, les résultats sont encore plus surprenants : seulement 28,57 % des décisions
des procès ouverts impliquant une discrimination raciale contre les Afro-Brésiliens ont
présenté l’une des formes de reconnaissance du mérite citées antérieurement. Les NippoBrésiliens, en contrepartie, ont atteint l’une ou l’autre des reconnaissances dans 42,85 % de
leurs procès éthiques. Ce taux s’élève à 50 % du total de procès ouverts concernant les
groupes cibles des Nippo-Brésiliens et Sino-Brésiliens pris ensemble. Ceci dénote
évidemment les faibles taux de « réussite » des plaintes faisant état d’une discrimination
raciale contre le groupe cible des Afro-Brésiliens, et ce, en dépit du fait que, comme on l’a vu
antérieurement, ces derniers soient visés par 67,74 % des procès éthiques.
7.1.3 La distribution des procès en fonction du temps
Notre objet d’étude étant les débats publics autour des publicités dénoncées par
discrimination raciale, la description des procès éthiques doit tenir compte d’au moins deux
221
dimensions d’analyse cruciales pour sa compréhension : la distribution de ces procès éthiques
en fonction du temps, la catégorie raciale ciblée ainsi que l’existence ou non d’une couverture
médiatique dans chaque procès de discrimination raciale.
Après une première lecture des 31 procès éthiques « typiques », il m’a été possible de vérifier
leur évolution syntagmatique tout au long des 26 ans de fonctionnement du CONAR. En fait,
tous ces procès ont présenté quelques similitudes et dissemblances particulières permettant
leur classification en trois phases distinctes, soit : 1) de 1979 à 1989 ; 2) de 1990 à 1999 ; et
3) de 2000 à 2005. Cette répartition a en fait été possible par la prise en considération des
dimensions interne et externe des procès éthiques. Par dimension interne, je considère
notamment les changements observés en ce qui concerne les représentations publicitaires
considérées comme discriminatoires, le type et le nombre de dénonciateurs par procès, ainsi
que le principal groupe ciblé par la publicité dénoncée. De son côté, la dimension externe
comprend des changements opérés dans les contextes socio-économique et juridique plus
ample au Brésil, comme la mise en place d’une nouvelle Constitution avec la fin de la
dictature, l’ouverture du marché de consommation aux produits étrangers129, le changement
du discours officiel du Brésil face aux instances multilatérales comme l’ONU —
particulièrement en ce qui concerne le problème de la discrimination raciale130.
Dans les prochaines pages, je vais fournir un bref portrait de chacune des phases précédentes
en tenant compte des variables décrites dans la section 6 (voir tabl. A.6). Quelques-uns des
aspects mentionnés ci-dessus peuvent être visualisés dans le tableau suivant, qui organise la
distribution des procès en trois grandes phases distinctes selon : a) l’existence ou non d’une
couverture médiatique dans un procès donné ; et b) les catégories raciales des publics cibles.
129
Cette ouverture a été initiée par le Président Fernando Collor de Mello (1990-1992), puis
consolidée par le Président Fernando Henrique Cardoso durant son premier gouvernement (19951998).
130
Les changements majeurs justifiant la division des procès éthiques en ces trois phases seront
opportunément abordés dans l’analyse qualitative des 5 procès ayant fait l’objet d’une couverture
médiatique (voir chap. 7, sect. 7.2).
222
Tableau 7.2
Distribution des procès éthiques de discrimination raciale dans trois phases distinctes selon la
présence d’une couverture médiatique et la catégorie raciale
Phase
Couverture
OUI
Phase 1
Phase 2
Phase 3
(1979-1989)
(1990-1999)
(2000-2005)
NON
Total
OUI
NON
partiel
médiatique
Total
OUI NON
partiel
Total
Total
partiel
catég.
Catég.
Noire
3
2
5
4
2
6
1
9
10
21
raciales
Jaune
-
1
1
1
4
5
-
2
2
8
Blanche
-
-
-
-
-
-
-
1
1
1
Autre
-
-
-
-
-
-
-
1
1
1
3
3
6
5
6
11
1
13
14
31
Total par phase
a) Phase 1 : de 1979 à 1989
Cette phase est celle ayant les plus faibles taux de dénonciation. Globalement, six procès ont
été intentés dans les 10 premières années de fonctionnement du CONAR, ce qui équivaut à
une moyenne de 0,6 dénonciation par année.
Trois types de dénonciateurs particuliers se font remarquer dans cette période : a) tout
d’abord, des publicitaires membres du CONAR, b) ensuite, des organismes liés aux droits de
la personne ; c) finalement, des instances publiques, la plupart ne présentant qu’un seul
dénonciateur.
Les principaux publics ciblés par les publicités discriminatoires sont les Afro-Brésiliens (5
procès), d’abord, suivis des Nippo-Brésiliens (1 seul procès).
Les arguments soulevés dénoncent la permanence de certaines images historiquement
enracinées, associées à des expériences particulières telles que : en premier lieu, l’esclavage,
comme dans l’annonce où une domestique noire est attachée à une chaise par des enfants
223
blancs (procès n° 118/88) ; ensuite, des conditions socio-économiques qui seraient
supposément celles des premiers arrivants nippo-brésiliens, comme dans la publicité
d’électroménagers de la marque Walitta, où ces derniers sont représentés comme membres de
familles nombreuses et associées au travail dans les buanderies (procès n° 133/82).
Le caractère amateur de la défense est rendu évident, puisque cette tâche est majoritairement
assurée par les publicitaires ou les annonceurs concernés par les dénonciations. En termes
strictement proportionnels, c’est également dans cette phase que nous retrouvons le plus haut
taux de procès pour lesquels il y eut une reconnaissance du dommage (50 % du total des
plaintes) et le plus haut taux de visibilité médiatique (50 % des procès).
b) Phase 2 : de 1990 à 1999
La deuxième phase se caractérise par une augmentation du nombre de dénonciations raciales
— 11 procès au total —, ce qui démontre une augmentation d’environ 183 % par rapport à la
période précédente.
En ce qui concerne les dénonciateurs, on a repéré la participation plus importante des
membres issus des mouvements sociaux et le déclin de l’initiative des membres du CONAR.
Les Afro-Brésiliens (6 procès) et les Nippo-Brésiliens (4 procès) demeurent les publics cibles
les plus visés par les publicités discriminatoires, quoique la croissance des procès soit plus
accentuée pour ces derniers (400 % par rapport à la période précédente) que pour le groupe
précédent (20 % pour la même période). Les Sino-Brésiliens (1 procès) ont, eux aussi, été la
cible d’une publicité discriminatoire, reliée à la seule dénonciation déposée par ce groupe
durant toute la période analysée.
C’est aussi dans cette phase que l’on trouve les cas ayant eu le plus d’attention médiatique
dans toute l’histoire du CONAR, comme la publicité du Cahier 2 du journal Estado de São
224
Paulo (procès n° 144/93) qui utilisait un acteur noir pour donner l’exemple de ce qu’était
supposément un modèle de laideur ; ou encore celle de la marque Benetton (procès n°
229/91), où une jeune fille blonde avec des yeux bleus, souriante, est placée à côté d’une
jeune fille noire, coiffée comme si elle avait des cornes. (C’est une référence à la dualité
judaïque chrétienne de l’ange, symbolisée par la beauté de la fille blonde versus la fille noire
avec ses cornes endiablées). Ici, les images négatives véhiculées dans la publicité sont, d’une
certaine façon, plus métaphorisées que celles de la phase initiale.
C’est une phase de grandes polémiques internes : les décisions de première instance sont
parfois revues et les discussions et décisions du CONAR souffrent plus de la pression des
organismes externes. On y voit le début de ce que nous considérons comme un mouvement
de professionnalisation de la défense, avec la mise en scène d’avocats professionnels,
spécialement instruits pour intervenir dans cette sphère de délibération.
Même si le nombre de procès ayant fait l’objet de l’attention des médias dans cette phase est
supérieur à celui de la phase antérieure (5 procès), on note une légère diminution de ce
nombre si l’on considère ceux-ci proportionnellement au nombre total de procès déposés
pendant cette phase : quelque 45,5 % ont été exposés à l’attention médiatique, contrairement
à 50 % de la phase antérieure.
c) Phase 3 : de 2000 à 2005
Dans cette dernière phase, 14 procès ont été déposés auprès du CONAR, ce qui représente
une augmentation de 127 % du nombre de dénonciations par rapport à la période précédente.
La plupart des dénonciateurs sont des membres de la société civile, ou pour le moins, des
personnes qui ne revendiquent pas l’appartenance à des organismes ou associations. Plus
intéressant encore, les dénonciateurs semblent parfois même ne pas s’accorder sur les points
considérés critiquables dans la publicité en discussion.
225
Les Afro-Brésiliens (10 procès) et les Nippo-Brésiliens (2 procès) demeurent les publics
cibles privilégiés dans les procès. Cependant, le nombre de cas touchant le premier groupe a
augmenté d’environ 166 %, alors que ce nombre a été réduit de 50 % pour les NippoBrésiliens. C’est aussi dans cette phase que l’on voit pour la première fois une dénonciation
remettre en question des comportements discriminatoires qui ne font pas référence à un
groupe racial ou ethnique spécifique et qui dénoncent une publicité censée promouvoir la
discrimination au sens large (procès n° 115/01). Finalement, c’est la seule phase où un procès
a concerné une discrimination contre les Blancs, en l’occurrence une femme blonde (procès
n° 128/01).
Je tiens à faire remarquer, d’un côté, une évolution dans la profondeur des arguments de
l’accusation, désormais plus porteurs de nuances, et qui visent à exposer au micropublic
formé par le tribunal d’éthique des sens « cachés » ou préconscients dans lesquels les
publicitaires laissent entrevoir le caractère racialement biaisé de leur vision du monde.
De l’autre, on peut également rendre compte d’une plus grande organisation de la défense,
cette fois-ci entièrement professionnalisée. La défense utilise trois stratégies principales pour
discréditer l’accusation :
a)
la remise en contexte de la publicité dénoncée dans l’ensemble de la
campagne publicitaire pour laquelle celle-ci a été conçue ;
b)
la réduction de la dénonciation à la sphère de l’opinion personnelle,
individuelle et, en conséquence, peu représentative de l’ensemble de la
collectivité à laquelle elle se dirige ;
c)
l’utilisation de sondages et de données obtenues à partir des groupes focaux
pour justifier l’emploi de certaines images et représentations dans la publicité
dénoncée.
Paradoxalement, si c’est dans ces dernières années que nous observons les plus hauts taux de
participation civique — et ce grâce à l’Internet, qui semble être l’outil majeur à l’appui de
226
cette nouvelle forme de « rassemblement populaire » —, c’est également ici que nous
observons le plus grand nombre de procès dans lesquels il n’y a eu aucune reconnaissance du
dommage (12 procès sur 14, soit 87,71 % des procès déposés).
7.1.4 Les perspectives de genre et de tranche d’âge
Une analyse des procès éthiques de discrimination raciale selon le genre et la tranche d’âge
du public cible fournit un nouvel aperçu de celle-ci (voir tabl. A.4).
La première conclusion qu’on en tire vis-à-vis de la discrimination raciale est qu’en tenant
compte de tous les publics cibles indistinctement, les hommes sont en général plus touchés
que les femmes : ceux-ci sont représentés dans 15 procès sur 31 (environ 48,38 % du total),
alors que les femmes sont la cible principale dans 8 procès (soit 25,80 % du total). La
troisième catégorie comprend quelques dénonciations touchant des groupes mixtes (7 procès
sur 31), où les deux genres partagent l’espace de la représentation, et une publicité qui aborde
le problème de la discrimination raciale sans faire référence à un public cible en particulier.
Ensemble, ces derniers comptent, respectivement, pour 22,58 % et 3,22 % des procès.
Cependant, la distribution des procès selon les catégories de genre et de race révèle un tout
autre scénario, ce qui démontre la pertinence de l’intersection entre ces deux variables pour
l’univers analysé. En croisant les catégories « public cible » et « genre », on découvre, par
exemple, que la différence entre le nombre de procès touchant les femmes (7 procès) et les
hommes (8 procès) n’est pas significative pour les Afro-Brésiliens qui, à leur tour, constituent
le public cible le plus attaqué. Par contre, les femmes noires constituent la seule souscatégorie discriminée dans toutes les tranches d’âge, c’est-à-dire en tant qu’enfant, adulte et
aînée. Autrement dit, aucune autre sous-catégorie n’est attaquée de manière si diversifiée.
227
Deuxième point à retenir de cette intersection : le groupe dominant sur le plan social — les
Euro-Brésiliens — est ici représenté exclusivement par les femmes — une femme blonde
notamment131.
Troisième point : si l’on aborde le cas des Nippo-Brésiliens et des Sino-Brésiliens en une
seule catégorie raciale — la catégorie « jaune » antérieurement décrite —, les hommes
demeurent la cible principale dans 7 procès sur 8 (ou 87,5 % des cas). La seule exception est
trouvée dans un procès représentant une famille nippo-brésilienne.
Dernier aspect saillant : l’unité familiale des Afro-Brésiliens est la plus visée avec 3 procès
sur 4 (75 % du total) déposés entre 2000 et 2005.
Compte tenu de ces données, je tiens encore à souligner que la distribution des procès selon
le genre et la tranche d’âge n’a pas subi de changements notables en fonction du temps, à
l’exception de l’unité familiale afro-brésilienne déjà mentionnée. Ceci s’explique, très
possiblement, par l’incorporation assez tardive de l’unité familiale noire dans l’univers des
représentations publicitaires.
7.1.5 Les procès faisant l’objet d’une visibilité médiatique
La sous-division de chaque phase selon les deux sous-groupes de procès pour discrimination
raciale — d’une part ceux qui ont attiré l’attention des médias et, d’autre part, ceux dont les
discussions sont restées restreintes aux dépendances du CONAR — apporte quelques
131
Il est important, au niveau analytique, de cerner deux formes de représentation de la blancheur
dans les publicités brésiliennes. La première forme, que j’appelle ici « luso blanche », reproduit les
traits phénotypiques suivants : peau blanche, cheveux et yeux noirs. La deuxième forme, que
j’appellerai « blanche aryanisé », correspond au phénotype « peau blanche, cheveux blonds ou clairs,
yeux clairs ». Cette sous-division est essentielle pour l’attribution de rôles spécifiques dans les
représentations de succès et de réussite. Je reviendrai sur cette distinction lors du traitement qualitatif
des publicités ayant généré une discussion publique.
228
données supplémentaires en ce qui concerne le pouvoir des médias d’agencer les débats sur la
discrimination. Le tableau 4 (app. 4) résume et complète les données décrites antérieurement,
en considérant séparément le groupe de procès ayant eu une couverture médiatique.
La première impression qui ressort est l’absence d’une relation nécessaire entre la présence
de la visibilité médiatique et le type de dénonciateur. Par exemple, en ce qui concerne les
procès sans couverture médiatique de la phase 3, la présence de six dénonciateurs issus
d’instances gouvernementales et/ou de représentants politiques n’a pas impliqué de
surexposition de ces procès à la visibilité publique générée par les médias. Bref, ni les
dénonciateurs représentant l’État ni ceux représentant les ONG ne garantissent une plus
grande couverture des procès par les médias. Par contre, on note une progression dans le
temps du nombre de citoyens participant en tant que dénonciateurs et ce, dans les deux sousgroupes de procès pour discrimination raciale.
Un autre point intéressant : parmi les neuf procès ayant attiré l’attention des médias, seul un
ne ciblait pas la population noire, mais plutôt la population nippo-brésilienne. Ceci signifie
que dans 88,8 % des cas où les procès éthiques de discrimination raciale sont abordés dans
les médias, la principale cible discriminée est la population afro-descendante.
Finalement, l’exposition des procès à une visibilité médiatique n’est pas une condition
suffisante pour garantir un plus haut taux de reconnaissance du dommage, comme le
démontrent bien les taux de reconnaissance ébauchés dans la phase 2. Cependant, les taux de
reconnaissance des deux sous-groupes dans les phases 1 et 2 suggèrent que les liens entre la
couverture médiatique et une plus grande réussite à faire reconnaître le dommage des
publicités méritent d’être investigués davantage.
Certes, il faut tenir compte de ce matériel selon les limites et les possibilités de lecture
accordées par l’analyse de contenu. D’une part, Gomm estime que l’avantage d’une approche
quantitative de l’analyse de contenu est que celle-ci permet d’établir des généralisations à
partir de données très diversifiés. Toutefois, il faut tenir compte du fait que le nombre de cas
229
ayant fait l’objet d’une couverture médiatique est insuffisant pour tirer des conclusions
générales pour l’ensemble du corpus. D’autre part, « pour ce faire, il est nécessaire d’enlever
les données de leur contexte immédiat. Il y a ainsi le risque de perdre de vue les façons à
travers lesquelles les histoires sont composées afin de transmettre des senscccxii. »
7. 2 Description qualitative des cinq exemples de procès éthiques pour discrimination
raciale ayant fait l’objet d’une couverture médiatique
Dans les prochaines sections, je résumerai les cinq exemples choisis parmi les procès ayant
fait l’objet d’une couverture médiatique, compte tenu du cadrage du problème de la
discrimination raciale fournie dans chacun des éléments suivants : a) l’accusation ; b) la
défense ; c) l’avis du CONAR (rapporteur et décision finale) ; d) les positions agencées par
les médias.
7.2 1. Première phase des procès pour discrimination raciale (1979-1989)
7.2.1.1. Procès n° 025-82132 : le « Boni du bonheur »
a) La dénonciation par le biais des médias
L’histoire des procès pour discrimination raciale déposés au CONAR se confond avec la
trajectoire même de l’institution. À cet effet, il convient de signaler que le premier procès
pour discrimination raciale (procès n° 020/79133) date de l’époque où l’organisme
132
Voir dans Santos c. Datamark Ltée, 1982.
133
Voir dans Lopes c. Circuito Fechado de TV « GG » Ltée, 1979.
230
fonctionnait encore sur la structure précaire de la Commission d’autoréglementation
publicitaire (voir chap. 5, sect. 5.4), sans une infrastructure solide et, principalement, sans les
ressources financières pour en bâtir une.
À l’instar du tout premier procès pour discrimination raciale, le procès n° 025/82 a été le fruit
d’une initiative du secteur publicitaire. Mais, différemment de celui qui le précède, le procès
en question a été instauré par le biais d’une représentation d’office134, en la personne du
directeur exécutif du CONAR alors en place, Gilbert Leifert. D’une manière très curieuse, ce
premier procès pour discrimination raciale ayant reçu une couverture médiatique manque tout
simplement d’un texte d’accusation formel, la seule source de thématisation de la
discrimination raciale étant une petite note publiée dans un quotidien de la ville de Rio de
Janeiro (Santos, 1982). De plus, autant le procès 023/79 que le procès 025/82 n’ont pas été
produits par des agences de publicité à proprement parler, mais plutôt par les annonceurs euxmêmes. Ce fait suggère un niveau précaire de professionnalisation dans la publicité
commerciale au Brésil à cette époque.
Entman (op. cit.) fournit un guide d’interprétation pour le cadrage des reportages et articles
journalistiques qui me semble très pertinent pour élucider les manières dont la question de la
discrimination raciale a été perçue. En établissant une distinction préalable entre « cadrage de
contenu » et « cadrage procédural », l’auteur estime que le cadrage de contenu dans les
nouvelles emploie au moins deux des fonctions de base suivantes : « (…) 1) définition
d’effets et de conditions comme étant problématiques ; 2) identification de causes ; 3)
jugement moral sur ceux impliqués dans la matière encadrée ; 4) endossement des remèdes
ou des améliorations de la situation problématiquecccxiii. »
134
En effet, les représentations d’office présentent, dans un ordre assez rigide, les éléments
suivants : les termes du statut social servant de fondement de la représentation d’office; le titre de
l’annonce et le média dans lequel il a été véhiculé; le produit, le service et/ou la marque concernés par
l’annonce; l’adresse civique du dénoncé; les fondements du CBARP sur lesquels la représentation s’est
fondée; la réquisition formelle de l’ouverture d’un procès investigateur ou contentieux.
231
Si l’on suit ce schéma d’analyse, on sera forcé de constater que la petite note remplit les
quatre fonctions à la fois. Toutefois, la note en question, soussignée par Elias Alexandre dos
Santos, n’a pas été produite par la rédaction du quotidien où elle avait été publiée, mais elle
résulte plutôt de l’intervention critique d’un lecteur indigné.
C’est avec répulsion que je vois la publicité commerciale, à la télévision, du ‘Boni du
bonheur’, où l’on utilise la figure d’une domestique ‘noire et stupide’. Le message est
de la pire qualité, puisque celui-ci ne définit pas ce qui est ledit boni et ne sert qu’à
dénigrer l’image du noir et l’employée domestique, préférant les erreurs frappantes de
portugais.cccxiv
En ce qui concerne spécifiquement les questions de la définition de la cause de la
discrimination raciale et la mise en scène d’un jugement moral, ces deux dimensions sont
intimement reliées lorsque la matière analysée est la discrimination raciale. Ceci revient à
dire que tant la pratique que la dénonciation de la discrimination raciale comportent en soi
une dimension morale importante. Ici, la cause de la discrimination, comme on le verra par la
suite, est étroitement reliée à la perception de « techniciens en télévision » :
La domestique du nom de Graciete représente la médiocrité qui prédomine dans le
traitement accordé au Noir au Brésil, principalement en matière de publicité
commerciale à la télévision. Le noir n’achète rien sauf de l’henê135 ; le noir ne fait pas
de cadeau, il n’a pas de famille, ne boit pas, ne fume pas, ne va pas à la plage, ne
mange pas de la margarine et une multitude d’autres choses, selon les techniciens de
télévision.
À quand la fin de la discrimination raciale dans ce pays ?cccxv
Rappelons, à cet effet, que la seule législation nationale antiraciste en vigueur était l’ancienne
Loi Afonso Arinos, sanctionnée le 3 juillet 1951. Dès lors, l’encadrement légal visait
essentiellement à punir, dans le cadre précis d’une contravention pénale, les pratiques
d’obstruction de l’accès à des places publiques (établissement commercial, d’enseignement et
de toute autre nature), fondées sur les préjugés de race ou de couleur. Or, la perception de la
135
« Henê » est un produit traditionnellement utilisé au Brésil pour étirer les cheveux.
232
discrimination raciale mentionnée ci-dessus dépasse largement les limites morales du cadre
juridique en vigueur, car la Loi Afonso Arinos concevait le problème de la discrimination en
termes plus étroits, c’est-à-dire en termes de préjugés de race ou de couleur comme facteur
servant à l’obstruction de l’accès à des espaces physiques. Par le biais de l’omission, la Loi
Afonso Arinos ne remettait pas en question les préjugés de race ou de couleur lorsque ceux-ci
étaient exercés dans le domaine privé de la maison136.
En d’autres termes, ce que l’annonce commerciale du « Boni du bonheur » (voir app. B.1)
met en scène est une vision dégradante de la femme noire ayant justement comme arrièreplan la dimension intime de la vie, celle touchant aux rapports privés entre patronne et
domestique. Dans un tournant ironique, l’auteur de la note énonce une série d’activités que
les noirs ne font pas… ce qu’on serait forcé de croire si l’on se fie à la vision des techniciens
de télévision. Sous-jacente à cette image négative du noir — dans le sens où elle décrit ce que
les noirs ne font pas selon une certaine vision de monde — subsiste toutefois une autre vision
positive des noirs : celle des noirs qui font des cadeaux, qui vont à la plage, qui vivent en
famille, bref, qui consomment… comme tous les autres.
C’est dans cet ordre d’idées que la recommandation d’une solution au problème de la
discrimination raciale est formulée sous la forme d’une interrogation : « Quand créer une
image plus positive pour le noir dans les messages à la télévision ?», lance-t-ilcccxvi. Or, les
activités décrites, exercées quotidiennement dans le monde vécu, font état d’un style de vie
qui contrarie carrément l’image naïvement stupide de la domestique Graciete. Un paradoxe
demeure au centre de l’argumentaire : les Noirs, les mêmes qui consomment et qui font des
cadeaux, sont les destinataires d’une publicité qui les méprise et qui fait fi de leur pouvoir de
136
Le fait qu’une copie de la Loi Afonso Arinos soit annexée au procès en question ne fait que
confirmer l’importance du cadre juridique national pour le jugement des procès pour discrimination
raciale.
233
consommation. La solution envisagée part de la reconnaissance de cette base de vie
« normale », pour arriver ensuite à une revendication d’égalité — quoique encore de façon
assez indirecte — sous forme de traitement positif à accorder dans la représentation
publicitaire.
Il y a certes une perspective de classe particulière dans cette revendication : si l’on tient
compte de l’état d’exclusion et de marginalisation sociale de certains pans de la population
noire au Brésil, on retrouvera certainement ceux qui ne sont pas en mesure de consommer
quotidiennement de la margarine ou encore de faire de cadeaux, de fréquenter la plage dans
les heures de loisir et ce, à cause d’une série de facteurs historiques qui ont été démontrés
ailleurs (voir chap. I, sect. 1.6 et chap. 2). Mais il y a là aussi une quête en vue de désubstantialiser une image largement associée aux asymétries dans les conditions de vie,
d’étude et de moyens qui garantissent l’épanouissement intellectuel.
Il serait également pertinent de se demander, en contrepartie, si la mise en circulation d’une
seule note dans un journal quotidien aurait suffi pour constituer un public abstrait selon les
modèles délibératifs habermassiens. Sans m’attendre à une réponse définitive à cette question
dans cette étape de l’analyse du corpus des procès éthiques, je crois important de signaler que
les indices indiquant que la controverse dans les médias a largement débordé les limites
strictes de cette note, seront avancés de façon opportune par l’accusé. Toutefois, ceci
n’enlève en rien la centralité de la présente note dans le procès éthique, dans la mesure où la
défense doit, tôt ou tard, s’en tenir aux arguments soulevés par la note en question.
b) La défense
Selon les procédures établies par le Comité d’éthique (voir chap. VI, sect. 6.3.6), le plaidoyer
peut être rédigé par l’agence publicitaire et/ou par l’annonceur. Dans le procès en question,
l’acte de défense est soussigné par Ataliba Santos le 22 mars 1982, soit vingt jours après la
publication de la note à l’origine de l’ouverture du procès.
234
Le présent document propose une série d’arguments qui, organisés en onze points principaux,
visent à prouver l’innocence de l’accusé. En assumant d’emblée la « totale responsabilité »
pour le contenu de la publicité dénoncée, Ataliba Santos dit en contrepartie méconnaître non
seulement le dommage qu’il a supposément causé à l’éthique publicitaire, mais aussi
l’existence même du CBARP : « En méconnaissant le Code brésilien d’autoréglementation
publicitaire, ce que j’avoue dès maintenant, c’est que j’ai omis d’apprécier ses articles 20 et
27, par. 6cccxvii.» Il se plaint également du fait qu’une copie du CBARP ne soit pas parvenue
en ses mains propres, comme suggéré dans la lettre de convocation du CONAR.
Une fois ces précisions d’ordre plus général énoncées, l’accusé passe à la légitimation de son
propre rôle de publicitaire. Il serait intéressant de faire ressortir ici les éléments qu’il avance
afin de prouver sa maîtrise technique en matière publicitaire. Même s’il est présentement
éloigné du milieu publicitaire, explique-t-il, cette activité a été étroitement liée à sa formation
professionnelle : « J’ai initié mes tâches rémunérées, autour de 1949, en tant que dessinateur,
plus tard comme contact d’affaires, et même comme rédacteur, jusqu’à ce que j’adopte la
radio, et la télévision par la suite, comme milieu de travailcccxviii. » Il signale également être
diplômé en « Business Administration » par la « Columbia University », être dédié aux
« affaires de marketing » au point d’être devenu le directeur opérationnel de Data-Mark,
l’entreprise responsable du produit « Boni du bonheur ». Il est aussi responsable de la
planification publicitaire.
Le publicitaire fait alors état d’une publicité antérieure qui visait à lancer le « système de
promotion d’affaires Boni du bonheur » sur le marché brésilien. Selon l’accusé, l’annonce en
question avait compté « avec la participation de Rosa Maria Murtinho137, en obéissant à des
modèles d’une certaine manière sophistiqués, dont je m’abstiens de commenter ici le résultat
négatif. Il suffit de rappeler que la pièce n’a pas soulevé le moindre commentairecccxix. »
L’échec de la première annonce, attribué en principe à la sophistication de ce patron, devient
137
C’est une actrice blanche très connue du public brésilien et qui a joué dans plusieurs
feuilletons télévisés de la TV Globo.
235
ainsi le moteur de la mise en place d’une nouvelle stratégie publicitaire consistant, en outre, à
mettre en scène des « types communs aux objectifs du Bonicccxx ». Dès lors, confie-t-il, « on a
commencé à atteindre des taux satisfaisantscccxxi. »
C’est à ce moment précis que l’accusé décide de faire face aux critiques en se vantant des
mérites de son annonce de télévision. En effet, en plus d’avoir provoqué une « increase »
(sic) considérable dans les ventes du Boni du bonheur, le commercial est censé avoir
(…) suscité des commentaires répétés de la part de O Globo, Jornal do Brasil,
Pasquim, Fatos & Fotos Gente, Radio Globo — RJ (thème de débats populaires),
en produisant une répercussion enviable dans la visibilité de journaux et dans le
temps de couverture des médias électroniques, lesquels, qu’on les applaudisse ou
pas, ont résulté en de bonnes affaires pour l’Entreprise.cccxxii
Ainsi, c’est par la voix de l’accusé qu’on apprend l’existence de l’ampleur des résonances de
la publicité du Boni du bonheur dans les médias de masse, ampleur dont, malheureusement,
nous ne pouvons entendre que des réverbérations. Ceci m’amène à penser que les arguments
soulevés par l’accusé dans la suite de son raisonnement sont, en vérité, une réponse aux
arguments plus amples soulevés dans ces multiples débats. Quoi qu’il en soit, l’accusé
poursuit son exposé en identifiant un autre mérite dans sa publicité : « Celui de ne pas
aborder qu’une des facettes de la réalité brésilienne, en faisant ressortir une ‘domestique’
noire (ce qui est une constante) qui ne détient aucune culture grammaticale (culpabilité que
nous-mêmes, les Brésiliens, devons reconnaître)cccxxiii. »
Ainsi, en renvoyant à « nous-mêmes, les Brésiliens » la responsabilité des fautes de
grammaire de Graciete, le publicitaire se défend ainsi de sa responsabilité individuelle vis-àvis de la population noire. Cette sorte d’argument relevant du « réalisme » représentationnel
— une fois que l’accusé se présente dans le rôle d’un traducteur tout simple de la réalité
objective — n’est qu’un artifice pour évacuer la charge de valeurs qu’implique la mise en
scène d’une telle représentation de la domestique noire. Charge, d’ailleurs, qu’il assume par
la suite, au fur et à mesure qu’il poursuit la mise en valeur de l’annonce Boni du bonheur. En
236
énonçant un mérite additionnel de l’annonce en question, l’accusé ressort « celui de la
décrire, même en montrant une ‘domestique’ ‘noire’ et ‘stupide’, comme étant sage et docile,
attitude que je pourrais même recommander à la classe — ce qui, dans la plupart des cas,
n’est pas vraicccxxiv. »
C’est par le biais de ses « recommandations » à la classe de domestiques que l’accusé fait
mention d’une autre partie de ses préjugés jusque-là inconnus : en plus d’être constamment
« noires » et « stupides », les domestiques, selon sa propre compréhension, sont aussi
« rebelles » et « indisciplinées » — attitudes qu’il déplore dans le comportement d’une
domestique. Impossible de ne pas voir dans le rapport patron/domestique une sorte de
continuité du rapport maître/esclave. Personne ne saurait décrire ce rapport d’une manière si
brûlante et cynique que le propre Gilberto Freyre. Dans Maître & Esclaves (op. cit.), par
exemple, Freyre cite quelques exemples d’un rapport renchéri d’actes de sadisme : « Une
espèce de sadisme du Blanc et de masochisme de l’Indienne ou de la négresse a prédominé
dans ces relations sexuelles comme dans les relations sociales de l’Européen avec les femmes
de race soumises à sa domination. » (Freyre, [1933]1974, p.88.) 138
138
Dans la thèse freyréenne sur l’ampleur du sadisme dans les rapports sociaux brésiliens, le
prétendu masochisme de la femme noire et indigène apparaît comme un corollaire du premier : « La
propension du Portugais pour les femelles (sic) se serait exercée sur des victimes qui n’y prenaient pas
toujours du plaisir, bien que l’on connaisse des cas où il y a une confraternisation entre le sadisme du
conquérant blanc et le masochisme de la femme indigène ou de la négresse. » (Freyre, [1933]1974,
pp.88-89.) Selon l’auteur, le sadisme traverse les diverses sphères de la vie sociale, ayant des
retombées nettes sur une culture politique organisée autour du « sadisme du commandement », parfois
déguisé en « principe d’Autorité » ou en « défense de l’Ordre ». La conclusion finale que Freyre en tire
est d’un cynisme flagrant qui ne fait que renforcer la position subalterne des descendants
d’Amérindiens et Africains : « C’est entre ces deux mystiques – celle de l’Ordre et l’Autorité, celle de
la Liberté et de la Démocratie – que s’est équilibrée entre nous la vie politique, sortie précocement du
régime dualiste des seigneurs et esclaves. En réalité, l’équilibre continue à être entre deux réalités plus
traditionnelles et profondes : sadistes et masochistes, seigneurs et esclaves, docteurs et analphabètes,
individus de civilisation plutôt européenne et individus de civilisation plutôt africaine et amérindienne.
Ce qui ne manquait pas d’avantages : cette dualité n’a pas porté préjudice à notre culture en formation,
car elle l’enrichissait, d’une part, de la spontanéité, de la fraîcheur d’imagination et d’émotion de la
masse, et, d’autre part, du contact, à travers l’élite, avec la science, la technique et la pensée plus
avancée de l’Europe. On rencontrerait difficilement un pays, où soient réalisées plus librement la
rencontre, l’intercommunication, voire la fusion harmonieuse de traditions diverses, ou même
antagonistes, de civilisations, que le Brésil. » (Freyre, [1933]1974, p.89.)
237
Cependant, certains auraient pu également signifier que les visions de la domestique
présentes jusqu’ici ne sont pas une spécificité du Brésil, mais celle de tous les pays où la
population blanche détient la plupart des moyens de production. Poussé à l’extrême, cet
argument aurait pour conséquence la perception de ce rapport hiérarchisé comme un
problème de classe sans aucun lien nécessaire avec les questions de race. L’argument qui suit
confirme bel et bien cette vision naïve de l’absence de conflit racial, dans ce qu’il nous confie
une image particulièrement chère aux défenseurs de la thèse de la démocratie raciale :
Ayant été (bien) élevé par une Indienne Jauperí, déjà décédée, fils du Nord (État de
Roraima) et de parents dont l’exception absolument blanche est ma mère, chrétien par
conviction et surtout réaliste (ce qui m’empêche de voir Jésus sous l’angle de fantaisies
religieuses), je vous assure qu’il est peu probable qu’un principe aussi grossier que
celui de la discrimination raciale ait le moindrement influencé mon travail.cccxxv
Voici donc des éléments contextuels utilisés pour réfuter le « principe grossier » de la
discrimination raciale : l’héritage non blanc et les rapports sociaux de proximité avec une
domestique Indienne. Ceux-ci, auxquels on ajoute une dose additionnelle de « réalisme »,
semblent suffire largement, au moins dans la vision du publicitaire en question, pour le
protéger de tout soupçon de discrimination raciale.
Finalement, en réponse aux critiques qui lui sont adressées dans la note parue dans le Jornal
do Brasil, l’accusé réplique : « En me prévalant du texte du lecteur identifié ci-dessus, je me
sens forcé de déclarer comme beaucoup plus stupide, quoique Blanche, la patronne qui a
confié à un tiers la responsabilité d’exiger, de la part du commerçant, les Bonis du
bonheurcccxxvi. » Force est de constater que lui, quoique homme non Blanc, se positionne
typiquement comme le maître patriarcal qui s’insurge non seulement contre ses domestiques
238
noirs mais aussi contre les patronnes malveillantes qui se déchargent de leurs véritables
responsabilités dans la gérance de l’économie domestique. Dans cette espèce de retour au
patriarcat colonial, le sadisme masculin était omniprésent : « (…) les premiers sadiques,
c’étaient les maris en relation avec leurs femmes » (Freyre, [1933]1974, p.325)139.
Pour conclure, « dans la certitude d’avoir agi correctement et consciemmentcccxxvii » et en
absence de la « moindre intention discriminatoirecccxxviii », l’accusé arrive à la fin de sa lettre,
en se sentant « exempté d’explications et du devoir d’en donnercccxxix. »
c) L’appréciation du CONAR
Il y a deux moyens de connaître la position du CONAR vis-à-vis d’un procès particulier :
l’avis du rapporteur et la décision finale. Cette distinction me semble importante dans la
mesure où les opinions du premier ne sont pas toujours prises en considération dans cette
dernière. Dans un avis presque aussi long que le plaidoyer (trois pages et un peu plus), le
rapporteur Pedro John Meinrath émet son aperçu d’un procès qu’il juge porter sur des
« questions de la plus grande gravitécccxxx. »
Suite à l’identification d’une infraction à l’article 27, selon lequel l’annonce est censée être
claire quant à sa finalité, le rapporteur en question reconnaît dans ses premières lignes le
dommage de la pièce publicitaire : « L’annonce commerciale, en exhibant le personnage de la
domestique noire, laisse implicite et explicite [le fait] que le noir est stupide, ignorant, étourdi
et irresponsablecccxxxi. » Toutefois, en se contentant de tout simplement constater le dommage,
le rapporteur énumère les diverses dispositions du CBARP pouvant servir de fondements à
139
Toutefois, on aurait tort de croire que Freyre voit comme une exclusivité de rapports homme
blanc/femme de couleur, comme le démontre bien le passage suivant : « Il ne faut pourtant pas oublier
qu’il y a eu aussi un sadisme de la femme, quand elle était une grande dame, vis-à-vis de ses esclaves,
en particulier de ses mulâtresses, excitée qu’elle était contre ces dernières par la jalousie ou par l’envie
sexuelle. » (Freyre, [1933]1974, p.90.) Il s’agit somme toute d’un sadisme légitimement exercé par des
Blancs envers les personnes de couleurs, notamment envers les esclaves noirs.
239
son jugement personnel : l’article 1, qui prévoit que toutes les annonces soient censées être
respectueuses ; l’article 2, portant sur la responsabilité sociale ; l’article 6, qui exige le
respect envers la culture nationale ; l’article 19, qui réclame le respect envers la dignité de la
personne humaine ; l’article 22, qui interdit à la publicité de porter atteinte aux «normes de
décence » ; l’article 27, qui inhibe l’utilisation d’une langue vernaculaire grammaticalement
incorrecte et mal prononcée ; et l’article 33, par. c, qui renforce le respect envers la dignité
humaine. Curieusement, le rapporteur a omis de mentionner l’article qui tranche dans le
coeur du problème dénoncé dans la note de presse : l’article 20, qui prévoit, entre autres,
qu’aucune publicité ne doit être racialement discriminatoire.
Toutefois, le rapporteur se reprend par la suite, en s’attaquant spécifiquement au problème de
la discrimination raciale :
Malgré le fait que nous soyons devant un champion d’infractions au Code
d’éthique, le rapporteur considère comme fondamental de montrer que les
dommages causés par cette annonce vont vraiment au-delà du monde
publicitaire. Celle-ci non seulement a heurté l’esprit de la Loi Afonso Arinos,
comme la partie dénoncée, en niant l’existence de préjugé racial, elle reconnaît
avoir exploité le monde de chien, la misère physique et intellectuelle, laquelle est
nommée ‘l’une de facettes des la réalité brésilienne’.cccxxxii
Il me semble important d’expliciter les différentes dimensions de la critique du rapporteur.
Tout d’abord, celui-ci reconnaît explicitement que le jugement de la publicité en question doit
dépasser le cadre étroit de son efficacité « publicitaire » (efficacité d’ailleurs très
questionnable), mais aussi les dommages plus amples infligés par celle-ci. Ensuite, il propose
une interprétation de la Loi Afonso Arinos assez particulière : il signifie que la publicité a
elle-même heurté l’esprit de la loi, ce qui est discutable. Or, la loi en question visait d’une
certaine manière les propriétaires et responsables d’institutions privées et publiques dans la
mesure où ceux-ci empêchaient l’accès à un espace, mais aussi à un produit, service ou
traitement qui doit, en principe, être accessible à tous, indépendamment de leur race ou
240
couleur140. Grossièrement parlant, la Loi Afonso Arinos ne peut être appliquée dans le
contexte d’une « publicité » sans que l’on fasse un effort additionnel d’abstraction. Ce que je
veux dire par là, c’est que le rapporteur en question a été parfaitement en mesure de
transcender l’étroitesse de cette loi pour voir le problème du préjugé racial d’une forme plus
élargie que celle suggérée par ladite loi. Cette opération n’est pas en soi illégitime ; au
contraire, elle démontrerait, en dernière instance, une plus grande sensibilité envers le
principe moral de l’égalité de traitement qu’envers la technicité de son application ou encore,
la cohérence de la décision vis-à-vis de la norme juridique141. Il reste à vérifier si cette
opération s’est répétée dans les procès ultérieurs.
Finalement, le rapporteur conclut son appréciation initiale sur le problème de la
discrimination, en énonçant un jugement d’ordre moral sur l’attitude de l’accusé :
l’exploitation de la « misère physique et intellectuelle » pour vendre le Boni du bonheur. Or,
bien qu’on puisse être généralement d’accord avec la critique du rapporteur par rapport à
l’exploitation d’un stéréotype comme stratégie publicitaire, il faut d’abord s’interroger sur ce
que ce dernier considère comme étant la « misère physique et intellectuelle »142. En effet, la
solution de cette « énigme » dépend de la réponse aux trois questions suivantes : 1) qu’est-ce
140
La Loi Afonso Arinos stipule clairement : « On considérera agent de la contravention le
directeur, gérant ou responsable de l’établissement. » (“Será considerado agente da contravenção o
diretor, gerente ou responsável pelo estabelecimento”, Décrêt 29.713, 26 juin 1951.) On doit
également mentionner que le Décret-loi 236, aussi connu sous le nom de Loi de la Presse, promulgué
en 1967, n’a pas été cité dans ce procès, alors qu’il interdisait clairement la dissémination de la
discrimination raciale et sociale au moyen des médias de masse. Voir à ce sujet chap. III, sect. 3.2, n.
85.
141
Les questions liées à la positivité du droit et à sa capacité de générer des jugements plus
légitimes et moralement fondés suscitent un débat trop large pour être poursuivi en détail dans ce
travail. Pour une discussion sur l’autonomie de la pratique juridique vis-à-vis des principes moraux et
politiques, voir Habermas, Droit et morale: Tanner lectures (op. cit.) et Droit et démocratie (op. cit.).
142
Le rapporteur renforce sa propre vision négative des Noirs dans ce parallèle établi entre la
publicité du Boni du bonheur et celle d’une supposée publicité pour des armes à feu : « Hector
Babenco en faisant un film comme ‘Pixote’ dénonce ‘l’une des réalités brésiliennes’ dans un document
important, valide. Mais exploiter la ligne du film pour vendre des pistolets ou des revolvers, c’est
répugnant. » (“Hector Babenco ao fazer um filme como — Pixote — denuncia ‘uma das realidades
brasileiras’ num documento importante, válido. Mas explorar a linha do filme para vender pistolas ou
revólveres repugna”, Santos c. Datamark ltée, 1982.)
241
que la « misère physique et intellectuelle » selon la vision du rapporteur ? 2) est-ce que
Graciete représente vraiment l’image de la « misère physique et intellectuelle » ? 3) est-ce
que Graciete représente la réalité des Noirs brésiliens ?
Quoi qu’il en soit, cette vision des Noirs n’est pas du tout la même que celle proposée par
l’auteur de la note parue dans le quotidien O Globo. Alors que le rapporteur corrobore
implicitement l’image généralement partagée selon laquelle les noirs vivent dans un état de
dépravation physique et intellectuelle, l’auteur de la note clamait pour sa reconnaissance en
tant que sujet de l’acte de consommation. Rien de plus. En d’autres termes, le rapporteur
semble, en fin de compte, s’approprier une partie de certains arguments de la partie
plaignante pour étayer ses propres opinions, comme le démontre bien le passage suivant :
Le rapporteur ne considère pas nécessaire de réquisitionner le découpage des
archives de tous ces respectables médias de communication : il suffit d’une lettre
indignée d’un lecteur du journal du Brésil à la page 4 de ce procès. Le lecteur
Elias Alexandre dos Santos dit que ‘c’est avec répulsion que je vois la publicité
commerciale, à la télévision, du BONI DU BONHEUR’. En plus de treize
infractions, déjà mentionnées, au code d’éthique, voici la quatorzième infraction,
car l’article 5 stipule qu’ ‘ aucune annonce ne doit dénigrer l’activité publicitaire
ou mépriser la confiance du public dans les services qu’offre la
publicité…’.cccxxxiii
Selon ce nouvel ordre d’idées, ce qui ressort, c’est la peur de la perte de la confiance dans
l’activité publicitaire. Il y a lieu de se demander si ce n’est pas la confiance, plutôt que la
refondation d’un stigma social sur de nouvelles bases, qui importe vraiment. Le rapporteur
poursuit en citant plusieurs passages de la lettre de l’accusé, en démontrant de plus en plus
son indignation devant les arguments avancés par ce dernier. Le rapporteur se permet
d’ironiser sur l’argument de l’accusé selon lequel la patronne blanche serait, elle aussi,
stupide : « En plus de Graciete, la patronne, ‘quoique blanche’, est aussi stupide et ébouriffée
dans l’annonce commerciale, comme l’affirment catégoriquement les directeurs de la partie
dénoncée. Stupides sont alors toutes les spectatrices, confirmant ainsi l’infraction à l’article
17cccxxxiv. »
242
Nul besoin d’insister sur le fait que le rapporteur ait finalement recommandé le retrait de la
circulation de la publicité en question. Cependant, il y a dans sa recommandation finale un
élément d’exemplarité qui mérite notre attention ici : à l’aube de son fonctionnement, le
CONAR semblait être particulièrement soucieux de l’image de la publicité, et peut-être
encore plus sensible à des punitions et jugements plus rigoureux que jamais. Visiblement
irrité par le ton du discours de la défense de l’accusé (qui ne semble pas avoir pris le Conseil
au sérieux), la conclusion du rapporteur prend, de ce fait, l’allure d’un véritable coup de force
institutionnel :
En considérant la quantité absurde d’infractions contenues dans cette annonce, et pour
le bien de l’activité publicitaire dans ce pays, le rapporteur prie que le CONAR
divulgue sa position sur la matière en question dans tous les médias des places où
celle-ci a été véhiculée, médias imprimés et électroniques, indépendamment des
nouvelles positions ou opinions qui viendraient à être signalées par écrit par la partie
dénoncée. La méconnaissance du Code d’éthique ne constitue pas un facteur
d’atténuation de la peine comme c’est la praxis au moins depuis les temps de l’empire
Romain.cccxxxv
On apprendra par la suite que les membres de la Première chambre du Conseil d’éthique se
sont prononcés unanimement en faveur du retrait de la circulation de la publicité, en plus de
suggérer la publicisation selon les dispositions prévues dans l’art. 50, par. d du Code143.
Toutefois, ce n’est pas sans surprise qu’on constatera alors que l’article 20 n’était pas cité
parmi les nombreux articles du CBARP servant de fondements à la décision, alors qu’il avait
été cité dans la représentation ouvrant formellement le procès. Plus encore, le dommage de
discrimination raciale avait été reconnu non seulement dans la petite note parue dans le
journal, mais aussi dans le propre avis du rapporteur. Pourquoi alors ne pas le reconnaître
dans la décision finale ?
143
L’art. 50, par. d prévoit notamment « la divulgation de la position du CONAR par rapport à
l’annonceur, à l’Agence et aux médias de communication devant la non-application de mesures et
dispositions. » (“(...) divulgação da posição do CONAR com relação ao Anunciante, à Agência e ao
Veículo, através de Veículos de comunicação, em face do não acatamento das medidas e providências
preconizadas”, Conar, 2002.)
243
La publicisation de la décision a, quant à elle, été revue plus tard, grâce à une lettre non datée
adressée par Octavio Florisbal. Dans celle-ci, le soussigné demande au Président de la
première chambre la révision de cette disposition particulière, « une fois que la partie
dénoncée a accepté la décision de cette chambre et du CONARcccxxxvi. » C’est avec cette lettre
comme base que Carlos Alberto Nanô, alors président substitut de ladite chambre, dépose
d’office le 6 mai 1982 un recours en vue de faire revoir l’application de la mesure de
publicisation. La décision définitive, émise le 5 août 1982, accepte les termes du recours et
décide de la non-publicisation de la décision finale dans les médias de masse.
7.2.1.2. Procès n° 118-88144 : vêtements infantiles Smuggler
a) La dénonciation
On se souvient encore que, faute d’une législation nationale claire et explicite à cette fin, la
discrimination raciale a été jusqu’ici un problème formulé presque exclusivement par les
sujets afro-brésiliens. L’année 1988 arrivant, on voit des changements importants dans le
scénario constitutionnel, dont les répercussions se font sentir de façon presque immédiate sur
le terrain de la dénonciation de discrimination raciale dans la publicité. Cette année est
cruciale pour les mouvements noirs pour les deux raisons suivantes : d’un côté, on
commémore officiellement le centenaire de l’Abolition de l’esclavage au Brésil ; de l’autre,
on façonne une nouvelle Constitution nationale, pièce fondamentale non seulement pour
consolider les avancées démocratiques reconquises jusque-là, mais aussi pour encadrer
d’autres processus de démocratisation qui viendront plus tard.
J’avais mentionné antérieurement que la Constitution de 1988 a formalisé l’aspect
multiculturel de la nation brésilienne, en reconnaissant les groupes indigènes et noirs comme
144
Voir dans Instituto de Pesquisa das Culturas Negras c. Network Ind. Ltée et Agence
Claroscuro, 1988.
244
des sujets de droits spéciaux, afin de garantir la sauvegarde de leurs acquis culturels (voir
chap. 2, sect. 2.5). Dans l’article Discriminação racial : um grande desafio para o direito
brasileiro, Joaquim Barbosa Gomes (2000), cite, parmi les nombreuses avancées
constitutionnelles importantes pour la cause des groupes raciaux défavorisés sur le plan
national, des changements cruciaux dans la notion d’intérêt public. Celui-ci en vient
désormais à incorporer l’idée de droits diffus ou collectifs, c’est-à-dire l’idée « d’une
catégorie intermédiaire de droits, située à mi-chemin entre les droits purement individuels et
les droits et intérêts généraux de la société comme un toutcccxxxvii. » Cette transformation,
estime l’auteur, a eu d’importantes répercussions dans le domaine de l’application du droit,
dans la mesure où les droits collectifs accordent de la légitimité à la promotion et à la défense
des droits de groupes ethniques particuliers. Les droits diffus et collectifs auront d’autant plus
d’impact dans l’application des lois antiracistes définissant la discrimination raciale comme
crime inamendable dans la nouvelle Constitution.
Le procès n° 118/88, le dernier de tous ceux relevant de la première phase des procès pour
discrimination raciale du CONAR, a été officiellement instauré cinq jours après la
promulgation de la Constitution en question. La plainte à l’origine de ce procès a donc été
déposée dans l’ambiance plus générale d’optimisme et de confiance qui régnait dans la
société civile, et plus spécifiquement au sein des mouvements sociaux. Compte tenu de ce
fait, son importance est double. D’une part, elle fait état d’un effet immédiat des changements
constitutionnels majeurs, dans la mesure où elle prend typiquement la forme d’une action
publique de responsabilité civile, préconfigurant ainsi la formation d’un sujet de droit
collectif, associé à un groupe ethnique ou racial particulier145. D’autre part, elle permet
145 Barbosa Gomes explique le Congrès National est parti du constat de cette « lacune dans
l’ordre juridique brésilien » (“lacuna no ordenamento jurídico brasileiro”) afin de créer des
« instruments de défense et de promotion des droits intitulés ‘collectifs’ ou ‘diffus’ devant le pouvoir
judiciaire » (“instrumentos de defesa e promoção dos chamados direitos "coletivos" e "difusos",
perante o Poder Judiciário”, Gomes, 2000, p.2). Entre autres choses, la nouvelle Constitution a
renforcé la Loi de l’action civile publique, éditée en 1985, « laquelle autorise le pouvoir exécutif
fédéral et provincial, les associations constituées depuis plus d’un an et le Ministère public à proposer
des actions civiles devant le Pouvoir judiciaire, pour la défense des droits et intérêts diffus et collectif »
245
également de bien percevoir les effets intersubjectifs des délibérations constitutionnelles
agissant spécifiquement sur les mouvements noirs organisés. Néanmoins, ce procès garde
encore certaines caractéristiques structurelles du procès précédent, comme je le démontrerai
par la suite.
Le processus débute exactement le 3 octobre 1988, au lendemain de la mise en circulation
d’une publicité d’une page entière, publiée dans le magazine du quotidien Jornal do Brasil.
La plainte est parvenue au CONAR sous la forme d’un télégramme envoyé par João Marcos
Aurore Romão, coordinateur du Programme de droits humains et civils/ SOS Racisme de
l’Instituto de pesquisa das culturas negras (IPCN) à Rio de Janeiro. Romão attire l’attention
sur le fait que dans l’« annonce publiée le 2 octobre 1988, les personnes noires employées
comme
domestiques
sont
traitées
d’une
façon
discriminatoire
racialement
et
socialementcccxxxviii. » Le plaignant s’interroge notamment sur la pertinence de l’annonce de la
marque Smuggler en termes non seulement de public cible — les enfants — mais aussi de
rapports raciaux et sociaux de manière plus générale. Selon lui, « une femme noire attachée
par le cou à une chaise, avec six enfants blancs en train de jouer autour de celle-ci, ne
contribue en rien ni au Jour des enfants146 ni au futur des relations sociales et raciales au
Brésilcccxxxix. » Finalement, et bien que ce détail n’ait pas été soulevé par le plaignant, on lira,
en bas de la photo, la phrase suivante : « Conformez-vous — le 12 octobre, c’est leur
jourcccxl.» (Voir app. B.2.)
Le procès est formellement ouvert deux jours plus tard, au moyen d’une représentation
d’office acheminée par le directeur exécutif du CONAR, Edney Narchi, qui transcrit le texte
du plaignant en ces termes : « l’annonce — qui exhibe une femme noire, attachée et entourée
(“ que autoriza o Poder Executivo federal e estadual, as associações constituídas há mais de um ano e o
Ministério Público a proporem ações civis perante o Poder Judiciário, em defesa de direitos e
interesses difusos e coletivos”, Gomes, 2000, p.2).
146
Au Brésil, en plus d’être un jour férié religieux dédié à la sainte patronne catholique, le 12
octobre est également l’une des dates les plus commercialement rentables : le Jour des enfants. À cette
occasion, les enfants reçoivent des cadeaux qui varient en fonction du pouvoir d’achat de leur famille
(des jouets, vêtements, bonbons, etc.).
246
d’enfants clairs, est discriminatoire par rapport à la race noire et la condition sociale des
domestiquescccxli. » Deux changements, quoique subtils, s’opèrent dans cette transcription : on
remplace le terme « personne » par celui de « femme » pour se référer à noire, et le terme
« blancs » par « clairs » pour se référer à enfants. Je reviendrai ultérieurement sur la question
du choix des termes de classement dans les procès pour discrimination raciale au sein du
CONAR. Pour l’instant, nul ne peut ignorer la continuité du rapport sadique entre
homme/femme décrit par Freyre, particulièrement entre homme blanc et femme noire. Ici, la
particularité de ce rapport sadique, marqué par la violence, l’agression et l’humiliation,
consiste au fait d’être entretenu depuis le plus jeune âge147.
On retiendra, finalement, certains des aspects plus formels de la représentation : sont tenus
pour responsables de l’annonce publicitaire l’annonceur Network Ltée ainsi que l’agence
Claroscuro. On inclut dans le groupe d’articles servant généralement de fondements pour
l’ouverture des procès pour discrimination raciale — déjà décrit dans la sect. 6.4 du chapitre
précédent (articles 1, 2, 3, 6 et 20) — l’article 19, lequel stipule que toute annonce doit
respecter la dignité humaine.
Une deuxième lettre, datée cette fois-ci du 2 novembre 1988 (c’est-à-dire presque un mois
après le télégramme antérieur), est signée par Thereza Santos, assesseur de culture afrobrésilienne du Secrétariat de la culture de l’État de São Paulo. Dans celle-ci, on fait aussi état
de l’existence d’une « publicité discriminatoire de la Smuggler — infantile qui porte atteinte
à la dignité de la communauté noirecccxlii. » Bien que le télégramme et la présente lettre soient
tous les deux écrits par des représentants des organismes ou associations directement
concernés par la protection de la culture noire afro-brésilienne, c’est cette dernière qui sera
utilisée, avec son propre poids institutionnel, pour exiger du CONAR les mesures
applicables :
147
« Le sadisme de l’enfant et de l’adolescent se transformait en goût de faire fouetter, de faire
arracher les dents au nègre voleur de cannes, de regarder se battre devant lui des lutteurs, des coqs, des
canaris. » (Freyre, [1933]1974, p.89.)
247
Compte tenu de la responsabilité et du rôle de cet organisme par rapport à la publicité
véhiculée dans les médias de communication de masse, nous exigeons : des mesures de
la part de cet organisme dans le sens que la publicité en question soit retirée de la
circulation ; que vous rendiez également compte à la communauté afro-brésilienne ; et
que des mesures soient prises pour que des annonces racistes comme celle-ci ne soient
plus jamais mises en circulation.cccxliii
On note également, et pour la première fois, la formulation d’une demande au nom d’une
communauté spécifique : la communauté afro-brésilienne, indice que le langage
constitutionnel trouvait dès lors une résonance dans le langage des associations de défense de
la population noire.
Compte tenu du processus de redémocratisation en cours au Brésil durant les années 1980,
l’idée d’imputabilité (« accountability ») est aussi toute nouvelle. Certes, le terme
imputabilité est l’un de ces termes qui peuvent acquérir différentes connotations selon le
contexte d’application. Ces connotations présupposent, à leur tour, des rapports
institutionnels fort variables selon l’usage qui en est fait. Dans ce contexte, l’imputabilité
renvoie à ce que Richard Mulgan (2000) décrit comme une forme d’exercice du contrôle
institutionnel à travers la mise en place de rapports de poids et de contrepoids entre
différentes instances officielles, afin de faire prévaloir l’intérêt d’un groupe ou d’une
collectivité. Selon Mulgan, « si l’on comprend ‘contrôle’ dans le sens plus ample de faire les
instances publiques, faire ce que le public et les représentants veulent, l’imputabilité et le
contrôle sont intimement reliés parce que l’imputabilité est un mécanisme vital de
contrôlecccxliv. »
Plus spécifiquement, on demande au CONAR un peu plus que simplement corriger une
erreur dans les limites de ses compétences — compétences d’ailleurs reconnues par la partie
plaignante. On lui demande aussi de rendre compte de ses actions à un public spécifique — la
communauté afro-brésilienne — afin d’empêcher de futures infractions racistes. Plus encore :
on met la propre reconnaissance de la compétence du CONAR sous certaines conditions :
« Nous entendons que toute attitude contraire nous prouvera que le CONAR ne possède
aucun engagement avec nous, mais plutôt avec une parcelle seulement parmi les nombreux
248
groupes ethniques qui forment la société brésiliennecccxlv. » Finalement, c’est la première fois
que l’on soupçonne directement le CONAR — et non seulement la publicité — d’être raciste.
La lettre ne fait pas place à l’ambiguïté : « choisissez votre camp », semble-t-elle suggèrer.
Cela a valu le coup. Dans une lettre datée du 8 novembre (soit six jours après la lettre
mentionnée ci-dessus), le directeur exécutif du CONAR est tenu d’informer sur l’état
d’avancement du procès. Une des raisons, sans doute, pour une réponse si rapide réside
sûrement dans le caractère officiel de la lettre précédente (dans la réponse, on mentionne
notamment son n° de registre). En plus d’informer qu’un procès ayant pour objet la publicité
dénoncée est examiné par le Conseil d’éthique depuis un mois, le directeur Edney Narchi fait
deux gestes symboliquement importants : d’abord, il en profite pour faire parvenir à son
interlocutrice une copie du CBARP (code dont elle a très probablement connaissance au
moment de déposer une plainte au CONAR) ; ensuite, il répond au soupçon de racisme dans
les termes qui suivent :
Finalement, nous voulions bien vous mettre au clair que le CONAR ne possède pas
d’engagements envers quelque groupe que ce soit — ethnique, économique, religieux,
etc. — sinon envers les exigences éthiques les plus élevées, pour faire en sorte que la
publicité nationale en soit le reflet.cccxlvi
Dans ce petit jeu de pouvoir de part et d’autre148, le directeur du CONAR a peut-être réussi à
énoncer, dans cette synthèse grandiloquente mais révélatrice, le plus grand défi qui anime les
26 ans d’existence du CONAR analysés dans ce travail : celui de garantir un niveau minimal
148
La formalité d’exercice d’une pression sur les membres du Conseil d’éthique n’a pas été le
privilège de l’assesseur du Secrétariat de la culture de São Paulo. Cette procédure a aussi été utilisée
par Francisco Marcos Dias, vice-président du Conseil municipal de la condition des Noirs de la ville de
São Paulo, dans un télégramme daté du 17 octobre, date où le jugement du procès en question devait
avoir lieu. Dias se dit dans l’attente de la décision du CONAR, afin que des mesures soient
opportunément appliquées. Il conclut en priant instamment le Conseil de lui communiquer la décision
dans les plus brefs délais.
249
d’indépendance par rapport aux intérêts de ses propres membres et de ses principaux clients,
malgré toutes les contingences corporatistes et clientélistes ayant résulté en sa propre création
et structuration.
b) La défense
Un plaidoyer d'une page et demie est présenté au comité le 17 octobre 1988 dans un
document conjointement signé par l’annonceur et l’agence. L’argumentaire de défense est
organisé de manière très succincte autour de trois points principaux.
Le premier point conteste tout simplement l’existence de mérite à l’accusation. « L’annonce
citée dans la représentation, estiment-ils, (…) ne justifie pas le vacarme de manifestations
hostiles desquelles il a fait l’objetcccxlvii. » L’annonce, poursuivent-ils, a été confectionnée
avec une « observance rigoureuse » des standarts éthiques du CBARP, raison pour laquelle
d’ailleurs elle a « (…) explicitement été avalisée par le ‘Jornal do Brasil’, entreprise de
probité reconnue et d’accomplissement éthique irrépréhensiblecccxlviii. »
Le deuxième argument s’attaque à l’existence d’un biais raciste dans la publicité. On
commence notamment en utilisant un subterfuge très connu des militants de cause antiraciste
au Brésil : l’idée selon laquelle la perception du problème de la discrimination raciale atteste
elle-même du racisme de son observateur : « Seul le caractère tendancieux d’un jugement
sectaire et perverti mènerait ses critiques à identifier du contenu raciste dans la composition
photographique qu’illustre l’annonce mise en questioncccxlix. » Cette idée reporte à la fameuse
procédure de « répartition raciale de la culpabilité » critiquée par Frantz Fanon (Fanon,
[1952]1995) dans son analyse de la Psychologie du colonisé de M. Mannoni. À la manière de
ce dernier — qui essaie de décharger l’Européen de la responsabilité qui lui incombe vis-àvis du complexe d’infériorité vérifié chez les Malgaches, en voyant en ces derniers une
prédisposition psychique à la dépendance —, le publicitaire accusé de discrimination raciale
renvoie le blâme du racisme au « jugement sectaire et perverti » de son dénonciateur.
250
Ainsi, les responsables de l’annonce passent-ils directement à l’explicitation des raisons
menant au choix de la scène décrite dans la publicité : « En vérité, en rendant hommage aux
enfants pendant leur jour, la promotion a voulu [aller] plus loin, elle a voulu plus d’amour,
dans l’invocation de la figure présente dans nos meilleures évocations : la baba149
cccl
. » Or,
qui pourrait mieux jouer ce rôle sinon une vraie baba, se demandent-ils ? « (…) Il n’y a pas
de raison (sic) de nier : Maria Isabel, en plus d’être baba professionnelle, la modèle choisie
transmet une sympathie apprivoisante et une tendresse rayonnantecccli. » On ne peut se passer
de signaler ici une correspondance entre l’un des attributs perçus dans la modèle Maria Isabel
et ce que le publicitaire responsable de l’annonce Boni du bonheur aurait souhaité voir en la
classe domestique : la docilité.
L’argument qui suit fait une curieuse et étrange adaptation de la Loi Afonso Arinos : « Ce
serait du racisme de ne pas l’admettre dans l’annonce parce qu’elle est noire, malgré le fait
d’avoir la qualification nécessaire pour la performance envisagéeccclii. » En anticipant une
critique à la favorisation de la candidate en fonction de sa qualité d’être noire, les accusés se
sont vite rattrapés dans la phrase suivante : « Nous le répétons : Maria Isabel n’a pas été
accréditée à la performance parce qu’elle est noire. Ce qui l’a accréditée a été la légèreté de
son expression, la suavité avec laquelle elle a passé les tests nécessaires à l’embauchecccliii.»
Aucune autre, soulignent-ils, quelle que soit sa race ou son groupe ethnique, n’aurait pu faire
mieux ! Argument, d’ailleurs, qui n’est pas entièrement sans raison : aucun autre groupe
racial ou ethnique n’a été si historiquement associé à la tâche de baba que celui des AfroBrésiliens ; aucun autre sexe ne l’a tant exercée professionnellement sinon le sexe féminin.
Maria Isabel était alors juste ce qu’il leur fallait non seulement parce qu’elle jouait son propre
149
La baba est le terme couramment utilisé au Brésil pour désigner la gardienne d’enfants
(« baby-sitter »). Ses liens avec la mère nourricière du passé esclavagiste brésilien sont très
opportunément discutés dans l’analyse que Joel Zito Araújo fait à partir des feuilletons télévisés au
Brésil (voir à ce sujet chap. IV, sect. 4.5). J’ai choisi de garder ce terme dans la langue originale en
raison de la charge historique et émotionnelle qu’il véhicule, laquelle pourrait être partiellement
compromise dans la version française correspondante.
251
rôle dans la vraie vie, mais aussi parce qu’elle remplissait toutes les attentes historiquement
construites à cet effet, en étant à la fois suave, tendre, docile, femme, noire et baba
professionnelle.
Reste à savoir si le climat de « totale décontraction » et d’« euphorie », tel que le décrivent
les responsables de l’annonce, a vraiment rendu hommage au jour « qui en étant à nos
enfants, est aussi à l’ange à qui, pour sa tendresse, nous confions leurs premières années de
vie et de formationcccliv. » Les responsables de la publicité en question souscrivent à l’espoir
que cette représentation d’office soit « dépassée », « minimisée », voire même considérée
comme une simple « équivoque ».
c) L’avis du CONAR
Le rapporteur Álvaro Gabriel de Almeida émet un avis concis mais riche d’éléments qui
méritent d’être repris ici. L’avis en question commence par la transcription des articles 2 et
20 du CBARP, suivis d’un bref commentaire : « L’annonce en question, en plus d’autres
articles, porte atteinte de manière scandaleuse aux deux cités ci-dessousccclv. » Par la suite, le
rapporteur s’attaque plus précisément à la supposée scène d’« euphorie » que les responsables
de l’annonce ont envisagé de faire passer au public :
Si c’est un signe de tendresse d’attacher l’ange cité avec une épaisse corde de nylon et
d’attacher sa bouche avec un morceau de tissu, nous allons revoir toute l’histoire de
l’esclavage au Brésil et en arriver à la conclusion que l’esclave Anastacia150 n’est
qu’une équivoque, puisque tout ce qui s’est passé dans sa vie n’a été que des
manifestations d’amour incommensurable.ccclvi
150
L’esclave Anastacia est une sainte populaire, non reconnue par l’Église catholique, qui est
vénérée pour ses dons de guérir les gens. Des versions historiques non officielles la décrivent comme
une femme d’une beauté extrême, soumise à des supplices répétés de la part de l’épouse blanche de
son maître. La jalousie de cette dernière aurait été si grande qu’elle a imposé à l’esclave Anastacia le
port d’une muselière et d’un collier en fer.
252
Il me semble essentiel de faire ressortir que, malgré sa popularité, l’esclave Anastacia n’est
pas une figure historiquement datée, comme le laisse entendre le rapporteur dans son avis.
D’ailleurs, et d’une manière très curieuse, c’est justement la certitude de ce dernier quant au
caractère historique de ce personnage qui lui permet d’ironiser sur les propos des accusés, en
citant celle-ci comme une source historique sûre et fiable. Toutefois, son déracinement
historique n’est qu’un détail : en effet, même si l’esclave Anastacia n’a peut-être pas
réellement existé, c’est en grande partie la vraisemblance des châtiments corporels et
d’humiliations subis par celle-ci qui a fait en sorte que le mythe puisse perdurer jusqu’à nos
jour.
Le rapporteur passe alors au point soulevé dans le plaidoyer, selon lequel M. I. aurait été
choisie non parce qu’elle est noire, mais parce qu’elle est tendre et sympathique : « Il a fallu
expliciter alors si les modèles petit blonds qui complètent l’annonce ont été choisis pour leur
agressivité ou pour le manque de respect humain exprimé à un si bas âgeccclvii. » On pourrait
confronter l’attribution de l’expression « petits blonds » dans ce passage à celle d’« enfants
clairs » qui avait été mentionnée dans la représentation d’office. Alors que la première
semble prôner l’évacuation de la connotation raciale en utilisant un euphémisme, la dernière
tâche de faire justement ressortir cet attribut phénotypique lorsqu’il s’agit d’y attribuer une
forme de blâme moral : les petits blonds font montre d’« agressivité » et de « manque de
respect humain ». Ceci amène le rapporteur à clôturer son avis sous la forme d’une
interrogation indignée : « Pourquoi, en fin de compte, vouloir justifier le fait que la pauvre
malheureuse soit noire par ses qualités spirituelles et envoyer une attestation de suprême
stupidité à tous les lecteurs de magazines qui ont publié cette annonce ?ccclviii »
Dans sa recommandation finale, le rapporteur suggère le retrait de la circulation de ladite
publicité, en avançant les trois raisons suivantes : « la première, parce que l’annonce ne
respecte pas la dignité humaine ; la deuxième, parce qu’elle ne respecte pas les
différenciations sociales découlant du plus grand ou du moindre pouvoir d’achat ; la
troisième, parce qu’elle méprise de manière déloyale toute l’activité publicitaireccclix. »
253
Les trois raisons avancées méritent quelques précisions additionnelles. Je suis tenue de croire
qu’aucune d’entre elles ne mène à reconnaître, d’emblée, le blâme de discrimination raciale.
D’abord, parce que le fait de condamner un traitement qui porte atteinte à la dignité humaine
n’implique pas directement la reconnaissance de la discrimination raciale (rappelons à cet
effet que l’article 20 englobe de manière générale toutes les formes de discrimination).
Ensuite, parce que la deuxième raison mentionnée par le rapporteur semble indiquer une
préférence pour la formulation du problème en termes de discrimination sociale, et non
raciale à proprement parler151. Finalement, la troisième raison, on la connaît depuis le premier
procès commenté ici : en se faisant chiens de garde de l’image institutionnelle de la publicité,
les membres du CONAR sont peut-être d’autant plus réactifs lorsque cette image est mise en
péril. Celle-ci constitue cependant une hypothèse à vérifier dans les procès ultérieurs.
Finalement, dans la décision finale émise le 24 novembre 1988, on recommande le retrait de
la circulation de la publicité en question. Comme celle-ci est associée à un événement
commercial déterminé, le Jour des enfants, ayant lieu chaque année le 12 octobre, cette
décision ne pourrait aucunement être efficace. Elle détient plutôt l’effet d’une motion
symbolique, en empêchant, dans le meilleur des cas, que la publicité en vienne à être à terme
remise en circulation.
d) La résonance dans les médias
Une note et une lettre sont les seuls documents ayant été publiés à l’époque dans les médias
de circulation locale et nationale. La note en question a été publiée dans le Jornal da Tarde, à
São Paulo, le 5 octobre 1988, date du dépôt de la plainte par l’IPCN.
151
En fait, l’imprécision de cette phrase semble être plutôt l’effet d’une mauvaise rédaction. Dans
le document rapportant la décision finalement, on cite notamment que l’annonceur s’est montré
irrespectueux envers la dignité humaine « et envers les différenciations sociales » (“e contra as
diferenciações raciais”, Instituto de Pesquisa das Culturas Negras c. Network Ltdée et Agence
Claroscuro, 1985) découlant du pouvoir d’achat.
254
Sous le titre suggestif de « Censure » (1988), la note fait part de deux événements en principe
indépendants : la fin officielle de la censure au Brésil et le dépôt d’une action publique de
responsabilité civile de la part de l’IPCN. Dans la première partie de la note, on apprend que
« la censure des spectacles et des divertissements publics est finie à partir d’aujourd’huiccclx »,
et que les émissions de radio et de télévision devront obéir à un classement d’âge devant être
défini de façon adéquate par la loi. La note poursuit dans un ton nettement optimiste, en
rapportant l’avis d’un membre de la principale entité commanditaire du CONAR : « ‘Il s’agit
d’un moment historique’, se réjouissait hier Ricardo Cravo Albim, représentant de l’ABERT
auprès du Conseil du Ministère de la justiceccclxi. » Ensuite, sur la même ligne, on passe à
l’événement suivant, sans qu’aucune forme de transition ou qu’aucun terme de liaison ne
soient employés :
À Rio de Janeiro, l’Institut de recherches des cultures noires présente aujourd’hui une
action publique de responsabilité civile, fondée sur l’article 15 de la nouvelle
Constitution, contre les Confections Smuggler, pour avoir véhiculé une annonce qui
montre une noire avec la bouche attachée et entourée d’enfants blonds souriants, avec
le texte qui suit : ‘Conformez-vous : le 12 octobre, c’est leur jour’.ccclxii
À priori, la seule liaison factuelle entre les deux événements est la promulgation de la
nouvelle Constitution du Brésil. D’une part, l’association de ceux-ci sous le titre « Censure »
peut conduire à une interprétation particulière, selon laquelle les deux cas portent sur des
problèmes relevant de la censure envers la liberté d’expression commerciale. D’autre part, la
note signale elle-même la complexité des structures délibératives résultant en un nouvel
instrument constitutionnel et ce, en prenant acte de l’existence des groupes d’intérêts les plus
diversifiés : les uns liés aux organismes de défense des intérêts privés dans le domaine de la
communication, comme l’ABERT, les autres liés cette fois-ci aux causes de groupes
historiquement et socialement défavorisés, comme l’IPCN. Toutefois, la fin de la censure
formelle et la mise en scène des actions civiles publiques ne pourraient configurer une
contradiction que dans la tête des teneurs des intérêts privés de la radiodiffusion ; celles-ci
sont, en effet, parfaitement conciliables avec un État de droit démocratique où la liberté
d’expression coexiste avec des mécanismes plus généraux de contrôle social de la société
civile. Dans ces situations, rappelle Habermas, la société civile est en mesure « d’inverser la
255
direction des cycles de communication établis de façon conventionnelle à la fois dans
l’espace public et dans le système politique, et de modifier ainsi le type de résolution des
problèmes du système dans son ensemble. » (Habermas, 1997, p.408, italiques dans
l’original.)
L’autre document publié dans les médias de masse relève d’une lettre soussignée par Januário
Garcia Filho, président de l’IPCN. Bien que cette lettre ait été publiée dans le Jornal do
Brasil du 25 octobre 1988, soit un jour après l’émission de la décision finale de la part du
CONAR, on ne peut prendre pour acquis que son auteur était au courant de la décision au
moment de sa rédaction. Intitulé « Publicité » (Garcia Filho, 1988), le texte va au cœur de la
discrimination raciale dans les médias :
En travaillant avec l’émotion et non avec la raison, la publicité essaie de rejoindre le
public avec un modèle anglo-saxon et ce, dans une nation où la majorité de la
population est métisse. Ceci se doit au fait que les références cherchées sont en totalité
européennes ou américaines.ccclxiii
Si l’on reprend les quatre fonctions des médias comme paramètre, on verra que la situation
problématisée ici est justement l’existence d’un patron esthétique anglo-saxon qui va à
l’encontre de celui de la majorité de la population. La raison est simple : les références qu’on
cherche ne viennent pas d’ici, mais d’ailleurs. Toutefois, son auteur relie le problème de la
recherche de ces références à l’existence d’un mécanisme idéologique internalisé : « Grâce à
une simple lecture des annonces véhiculées dans les médias imprimés et électroniques, nous
pouvons constater l’influence de l’idéologie du blanchiment qui est internalisée dans notre
sociétéccclxiv. » Dans son diagnostic, la publicité de la confection Smuggler ne constitue
qu’une preuve irréfutable de cette intériorisation idéologique :
L’annonce de la [confection] Smuggler stigmatise le stigmatisé, c’est-à-dire qu’elle
discrimine dans la discrimination. La publicité ‘suggestive’ (…) suggère à nous, les
Noirs, que nous devons nous accommoder de l’humiliation, de la torture et de la
discrimination, ou bien nous y conformer.ccclxv
256
Ce qui me semble particulièrement important de faire ressortir ici, c’est la spécificité de la
dimension intersubjective que font connaître ces énoncés. Or, dans son interprétation de la
publicité, le rapporteur s’inquiétait notamment du comportement moralement condamnable
des enfants blancs. Ici, d’une façon très efficace, l’auteur de la lettre fait connaître le type de
message que cette publicité envoie d’une façon très claire à la population noire : résignezvous à votre rôle de subordination. Toutefois, de façon différente de celle du rapporteur,
l’interprétation mentionnée ci-dessus démontre deux aspects centraux de la discrimination
raciale qui étaient tenus jusque-là à l’écart de la discussion autour de cette publicité. D’un
côté, cette interprétation fait part d’une dimension subjective du dommage de la
discrimination raciale. D’un autre côté, elle fait ressortir une perception accrue des
implications politiques que l’acte de violence représenté symboliquement dans la publicité
inflige à toute la collectivité des individus concernés par un tel acte.
La suite de son argument sert non seulement à étayer ses propres points de vue, mais aussi à
faire état de certaines formes de solidarité sociale requises pour la reconnaissance du
dommage par les professionnels de la publicité. L’auteur cite notamment le chercheur Muniz
Sodré, dans sa critique à l’ethnocentrisme « ethnocide » de la publicité brésilienne, lequel ne
fait qu’alimenter le désir de la population blanche visant à la « disparition, mort de l’ethnie
noireccclxvi ». Il cite également le fait qu’en étant lui-même photographe publicitaire, il
participe à des rencontres et à des séminaires publicitaires « où la question du Noir est
poséeccclxvii ». « Cette annonce, dit-il, a soulevé une grande solidarité [de la part] de plusieurs
directeurs de création et directeurs d’art de diverses agences de publicité. Le CONAR même
nous a envoyé une lettre où l’on dit être en train d’évaluer l’annonceccclxviii. »
Garcia Filho conclut sa lettre en se défendant d’un supposé argument d’opportunisme ou
d’autopromotion : « Il ne s’agit pas de vouloir apparaître, mais de combattre le traitement
différencié imposé aux noirs tout au long de l’histoire dans notre société, laquelle maintient
un processus d’exclusion du Noir comme forme de dominationccclxix. »
257
Ainsi, on verra que la première note ne fait pas plus que citer le dépôt d’une action publique
de responsabilité civile par l’IPCN, quoique dans un cadre qui semble légèrement favoriser
une association entre celle-ci et la censure. Dans la lettre du président de l’entité en question,
en contrepartie, on note la formulation du problème à un autre niveau de profondeur, allant
du diagnostic de la représentation dans la publicité jusqu’à la formulation, plus ample, du
problème d’intériorisation de l’idéologie du blanchiment par la société. En faisant siennes les
critiques de Muniz Sodré sur l’« ethnocentricité » de la société brésilienne, l’auteur énonce
une condamnation morale sur le désir homicide de la société dominante (troisième fonction
des médias chez Entman). Il a uniquement omis d’indiquer une solution claire au problème
de la discrimination raciale, bien qu’il donne des exemples personnels de combat contre le
« traitement différencié imposé aux Noirs ». Ceci n’est qu’un prélude à un projet politique
collectif qui émergera plus tard, dans les années 1990, au moins en ce qui concerne la
question de la représentation de la population afro-brésilienne dans les médias de masse.
Pour conclure, j’aimerais revenir sur les trois fonctions des médias de masse dans le
processus de délibération sociale plus ample, selon les formulations plus récentes
d’Habermas (voir sect. 7.1). Or, à en juger par cette vision normative de l’action des médias
de masse, on n’a pas connu, à vrai dire, d’énonciation d’un véritable débat dans les pages des
journaux. Ceci vaut généralement pour ces deux procès de la première phase : lorsqu’on fait
référence à la publicité dénoncée, on le fait en prenant uniquement le point de vue d’un des
côtés impliqués, soit-il celui des publicitaires responsables (comme dans le cas du procès
022/84152), ou celui des parties plaignantes (procès 025/82 et 118/88). Jusqu’ici, les médias
ont agi de manière plus étroite, dans le sens de la mobilisation et de la mise en commun de
certaines opinions. Toutefois, ces arguments n’ont pas été traités « discursivement par le biais
d’arguments pour et contreccclxx. » Cette approche unilatérale de la publicité dénoncée ne fait
pas non plus état d’un échange d’arguments, dans les espaces des médias imprimés, entre les
diverses parties impliquées dans le procès pour discrimination raciale. Pour toutes ces
152
Voir daans Leifert c. Instituto Paulista de Adoçao, 1984.
258
questions, je considère que la couverture médiatique du présent procès, ainsi que celle de
deux procès précédents, n’ont pas vraiment constitué un espace public ni local ni national.
Elles ont cependant servi à la préconfiguration d’une sphère publique qui surgira dans les
années suivantes, dûment appuyée par les derniers acquis légaux de la Constitution de 1988.
Les grands thèmes de controverses sont dès lors énoncés, comme on verra dans le bref bilan
de la première partie que j’énoncerai par la suite.
7.2.2. Deuxième phase des procès pour discrimination raciale (1990-1999)
7.2.2.1. Procès n° 076-90153 : la mère nourricière de Benetton
a) La dénonciation : lettre, publicité et reportage
Le présent procès débute avec la publication d’une lettre acheminée au Jornal da Tarde de
São Paulo, section « São Paulo interroge », le 4 juin 1990. La lettre en question, qui était en
effet adressée au Groupe Benetton (GB) par l’intermédiaire de Sérgio Amaglio154 (dont on
ignore l’occupation exacte), est signée par Antônio Benedito de Sousa, avec copie conforme
adressée au CONAR.
L’auteur de la lettre commence son texte en félicitant le GB pour l’initiative de « mélanger
toutes les races dans ses publicitésccclxxi », ce qu’il voit comme une « contribution,
153
154
Voir dans Sousa c. Groupe Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990.
Étant donné que la présente lettre ne comptait pas parmi les nombreux articles annexés au
procès, il y a lieu de se demander si celle-ci a effectivement été publiée dans le quotidien Jornal da
Tarde. C’est par le biais du texte de la défense qu’on apprend qu’en effet la lettre-dénonciation avait
été simultanément envoyée à l’annonceur, le Jornal da Tarde, et au CONAR.
259
intentionnelle ou non, à la minimisation du racisme, de l’apartheid, etc.ccclxxii ». « En ce qui
concerne la publicité en annexe, poursuit-il — qui montre une noire allaitant un enfant blanc
—, l’effet à mon avis est inverseccclxxiii. » (Voir app. B.3.)
Voici donc la formulation de l’auteur sur le problème de la discrimination raciale :
Vous savez mieux que moi que les médias de communication/la publicité sont
formateurs de l’opinion. Dans ce cas, il y a un renforcement de l’opinion, selon
laquelle le Noir est servile, soumis, etc.
La publicité en référence précède l’article ‘Les couleurs du Brésil’, portant sur la
question raciale au Brésil, où le Noir est le plus endommagé. Je pense qu’ils sont assez
proches, étant l’association United Colours… avec les couleurs. Tout au contraire, le
résultant a été pire que si celle-ci [la publicité] était apparue de manière isolée.ccclxxiv
Avant de poursuivre l’argumentaire, on doit s’en tenir à un aspect entièrement nouveau dans
cette lettre-dénonciation : on propose une lecture de la publicité faite à partir du contexte dans
lequel celle-ci a été placée à l’intérieur d’un média quelconque (dimension illocutionnaire).
Dans ce cas spécifique, la publicité a été placée à côté d’un article portant justement sur la
question raciale au Brésil et sur la position défavorisée des Noirs. Ensuite, la lecture faite de
la publicité à la lumière du contenu journalistique suggère une correspondance entre le statut
de la femme dans la publicité en question (dimension locutionnaire) et celui des Noirs dans sa
dimension sociétaire (dimension perlocutionnaire).
Le pire, ajoute l’auteur, est que d’après ce qu’il a pu vérifier, cette même publicité avait déjà
circulé en Europe, en soulevant de vives protestations de la part des mouvements noirs là-bas.
D’où la question suivante :
Pour quelles raisons Benetton nous ferait-elle avaler la même publicité, alors qu’ici
l’esclavage noir a vraiment été marquant et que, par conséquent, les motifs pour la
protestation seraient encore plus grands ?
Je ne représente ni ne fais partie d’aucun mouvement noir. D’où ma peur d’être une
goutte d’eau dans l’océan ou d’être tout simplement en train de prêcher dans le désert.
Mais je ne pourrais pas me taire (si ceci ne fait pas la moindre différence, pourquoi
n’a-t-on pas inséré une blanche avec un enfant noir ?).ccclxxv
260
Il semble y avoir d’autres aspects innovateurs de ce procès par rapport aux précédents : ici,
on parle clairement d’une récidive de la part de l’annonceur, dans la mesure où la même
publicité avait déjà été critiquée ailleurs par les membres des mouvements noirs. Pire encore,
une récidive délibérée et peut-être — étant donné l’ampleur de l’expérience de l’esclavage au
pays — ouvertement stratégique (on se souvient encore que le publicitaire responsable du
« Boni du bonheur » était, en effet, extrêmement satisfait de la répercussion de son produit
dans les médias, quelles qu’en soient les circonstances).
Avant de passer aux arguments de la défense, cela vaudrait la peine de jeter un coup d’œil à
l’article paru dans l’hebdomadaire Veja du 30 mai 1990. Intitulé « Les couleurs du Brésil »
(1990), ce reportage de 5 pages porte sur les résultats du dernier PNAD au pays (pour une
définition du PNAD, voir chap.1, n. 14). Le sous-titre du reportage anticipe les deux
préoccupations centrales de l’article : « L’enquête de l’IBGE montre que les Jaunes sont les
Brésiliens ayant les meilleures conditions de vie et que bientôt les Blancs seront une minorité
au paysccclxxvi. » Bien que la divulgation du PNAD n’ait rien d’exceptionnel en soi, étant
donné son caractère annuel, il semble que l’exceptionnalité des derniers résultats résulte d’un
traitement méthodologique différencié : le Supplément Couleur, publication en 5 volumes et
1400 pages.
Le caractère surprenant de ces résultats est dévoilé dès la première page :
Les Brésiliens d’origine orientale, y compris les descendants d’immigrants Japonais,
Coréens et Chinois, sont ceux qui ont le mieux réussi, occupant maintenant le sommet
de la pyramide sociale en termes de revenu, d’éducation et de bien-être. En moyenne,
ils ont un revenu mensuel 80 % supérieur à celui des Blancs. Leurs enfants
commencent à l’école plus tôt, possèdent des diplômes d’un niveau supérieur et
finissent par mener une vie plus agréable.ccclxxvii
Une fois la supériorité sociale « jaune » constatée, on s’attaque à la deuxième préoccupation,
à savoir : les raisons menant au « changement de couleur » de la population brésilienne, tenu
261
dans le reportage comme un « virage avec des dimensions historiquesccclxxviii ». On verra, par
exemple, quelques prémisses de l’idéologie du blanchiment faire surface, comme celle de
l’effacement génétique des pretos (voir chap. I, sect. 1.6) par le biais de l’assimilation. Cet
aspect ne semble d’ailleurs poser aucun problème à l’auteur de l’article : « Les pretos,
comme on le soupçonne depuis des années, semblent condamnés à la disparitionccclxxix. » Le
problème, semble-t-il, réside plutôt dans l’assimilation du pôle opposé : « Toutes les données
disponibles indiquent que les pardos représenteront la majorité de la population dans peu de
tempsccclxxx » — peut-être même lors du prochain repérage, écrit-il. Plusieurs données
statistiques datant de la dernière quarantaine d’années sont portées à la connaissance du
lecteur de façon à mettre en évidence l’effacement concomitant de deux extrêmes du
continuum de couleur au Brésil. Ce que le reportage semble suggérer, d’une part, c’est que
les deux préoccupations énoncées antérieurement — l’ascension des Jaunes et l’assimilation
des Blancs — sont des processus intrinsèquement complémentaires et inquiétants si vus
depuis la perspective d’un Blanc qui tenait sa position de domination comme un fait
accompli. Ces deux évidences déstabilisent, en vérité, l’un des présupposés centraux de
l’idéologie du blanchiment : l’idée — peut-être implicitement souhaitée — selon laquelle le
sang blanc aurait, lors de contacts interraciaux, la primauté sur le sang non blanc.
Il y a, certes, dans l’horizon de ces croyances, une vision nettement négative de la population
noire, laquelle se définit par opposition à celle des Blancs et de Jaunes. Par exemple, le
reportage suggère, sans détours, que « la réussite des Orientaux » se doit non seulement à leur
plus grande « disposition au travail » mais aussi à une consommation plus modeste,
comparable à celle des Noirs. On apprendra ainsi que « Shigueyuki Fukugakiuchi, 58 ans, est
un entrepreneur avec un patrimoine que la vision conventionnelle associe aux personnes de
couleur blanche — et un modèle de consommation qui, statistiquement, se rapproche de celui
des familles noires les plus appauvriesccclxxxi. »
Toutefois, on aurait également tort de s’imaginer que le reportage s’arrête là, dans l’éloge de
la réussite des pans de la population jaune. Au contraire, les 40 % restants du reportage
servent « à confirmer ce qu’on voit et à démentir une bonne partie de ce qu’on ditccclxxxii » sur
262
la condition des pretos et pardos. Certes, les résultats sont parfois mitigés par une
formulation à la fois maladroite et confuse155, mais deux idées subsistent : d’une part, le
constat de la « fracture dramatique » qui scinde la société brésilienne, qui fait que les pretos
et les pardos n’ont jamais changé de position dans la structure sociale brésilienne ; d’autre
part, le fait que les différences sociales seraient directement liées à l’existence de la
« discrimination ». « La particularité brésilienne est la simultanéité des lois qui font du
racisme un crime gravissime — sans prescription et inamendable, comme le terrorisme — et
une archive inédite d’atrocités dans ce champccclxxxiii. » Le reportage en cite quelques-unes, à
savoir : le traitement brutal accordé par la police de São Paulo à l’ancien dictateur et alors
chef des forces armées du Suriname, Desi Bouterse ; le refus des banques d’accorder des
prêts bancaires à l’ingénieur civil noir Antonio Limoeiro, résidant à Salvador ; le fait que les
employés blancs profitent plus souvent de possibilités de promotion à un niveau hiérarchique
supérieur dans leur carrière (moyenne jamais supérieure à quatre ans) que les Noirs (moyenne
minimale de huit ans).
Ainsi, dans la suite du reportage, on lira la critique la plus extensive de la thèse de la
démocratie raciale jamais annexée à un procès pour discrimination raciale jusqu’à présent.
« Efficace, estime-t-on, le régime de la démocratie raciale brésilienne produit une tragédie
visible dans les statistiques — mais ses grands mouvements sont invisiblesccclxxxiv.» La preuve
accablante est fournie dans la dernière section du reportage par une mise en situation
impliquant trois journalistes : un Noir, un Blanc et un Nippo-Brésilien. Les trois se sont
présentés, à tour de rôle, dans trois environnements sociaux différents : un restaurant élégant
155
De façon assez ambiguë, on souligne que « le défaut génétique le plus connu qu’on a
l’habitude de faire ressortir dans le comportement de ces personnes est celui selon lequel [les Noirs]
seraient l’idéal de l’un de plus grand maux nationaux : la paresse » (“o mais conhecido defeito
genético que se acostuma apontar no comportamento dessas pessoas é o de que seriam o supra-sumo
daquele que é conhecido como um dos grandes males nacionais — a preguiça”, Sousa c. Groupe
Benetton et Agence J.W. Thompson, 1990) Toutefois, en cherchant des explications de l’absence de
« progrès » au niveau des populations preta et parda, le reportage s’apprête à fournir des contreexemples de ceci : « Ce que l’IBGE démontre, c’est que ces personnes sont les championnes du
chômage, du travail informel et que leur rythme [de travail]s’accorde avec la moyenne nationale. » (“O
que o IBGE demonstra é que essas pessoas são campeãs do desemprego, do trabalho sem registro em
carteira e que seu ritmo de trabalho esta de acordo com a média nacional”, Sousa c. Groupe Benetton
et Agence J.W. Thompson, 1990.)
263
d’un quartier aisé de São Paulo, un magasin de vêtements masculins très réputé et une
maternité. Chacun d’eux a demandé les mêmes produits et services et a reçu en échange un
traitement extrêmement disparate qui variait, certes, en fonction de leurs traits phénotypiques.
Alors que la « réussite jaune » semble donner une « leçon de tolérance », les chiffres
concernant les conditions de vie des pretos et pardos, conclut inopinément le reportage,
demeurent un mystère. « Avec le changement de couleur du Brésil, lance-t-on, la question est
de savoir où s’arrêtera la démocratie racialeccclxxxv. » Le dernier système d’oppression raciale
entre une majorité noire et une minorité blanche, rappelle-t-on, a été fondé en 1948 en
Afrique du Sud, lequel « tôt ou tard, devra trouver sa finccclxxxvi. »
Pour conclure, il semble pertinent de faire ressortir la pluralité de perspectives examinées
dans le reportage en question. Celui-ci suggère une lecture déstabilisante du futur génétique
du Brésil en contrepartie d’un argumentaire hésitant parfois entre une vision défaitiste de
l’assimilation blanche et une critique radicale de la thèse de la démocratie raciale et d’une
incapacité, malgré ses nombreuses qualités, d’établir un lien de causalité entre la réussite de
l’immigration et les conditions de vie nettement défavorables de la population noire. Plus
encore, cet article met le lecteur en face des contradictions mêmes de ce système de
croyances qui, après coup, finit par produire des effets pervers pour celle qui constituera
bientôt la majorité de la population, en faisant un clin d’œil au repoussant fantôme de
l’apartheid.
Si, certes, les lectures que le reportage de Veja permet sont multiples, celle de l’auteur de la
lettre adressée au quotidien Jornal da Tarde a visiblement choisi la voie plus critique. Les
passages et chiffres soigneusement surlignés à l’aide d’un stylo et annexé à la lettre par
l’auteur en question n’y sont pas pour rien : celui-ci les a consciemment choisis pour
démontrer qu’il n’existe pas de démocratie raciale au Brésil et que la publicité est plus
blessante ici que ce qu’elle aurait pu être ailleurs. Pourquoi alors, insiste-t-on pour garder les
traces d’un passé si douloureux dans l’iconographie publicitaire ?
264
Devant une telle question, le directeur du CONAR dépose une représentation d’office le 18
juin 1990, ayant comme fondements les articles 1, 2 et 20 du CBARP. « D’après la plainte en
annexe, l’annonce se montre discriminatoire et offensante vis-à-vis de la race noire, résume-tilccclxxxvii. » Aux accusés, GB et l’agence Thompson, leur droit de défense.
b) La défense
Le plaidoyer, long de 19 pages et organisé autour de 44 points principaux, signale lui aussi
une multitude de changements par rapport aux précédents. Tout d’abord, c’est le premier
plaidoyer signé par un avocat officiellement constitué pour la représentation devant le
Conseil d’éthique, inaugurant ainsi une tendance à la professionnalisation désormais
définitive dans les procès de grande répercussion médiatique. Ensuite, c’est aussi la première
fois qu’une compagnie multinationale, le GB en l’occurrence, est impliquée dans une
dénonciation pour discrimination raciale.
Il serait peu réaliste de vouloir résumer tous les 44 points de manière détaillée ici. On
essaiera, cependant, de s’attarder sur ceux qui s’attaquent plus directement aux questions
énoncées dans la lettre-dénonciation. Le plaidoyer, signé par l’avocat Marco Antônio
Rodrigues Barbosa, a été acheminé dans un délai de cinq jours ouvrables suivant la réception
de la lettre de convocation. Le premier élément ressorti par le texte de la défense est, bien sûr,
le compliment que le plaignant avait fait par rapport à la stratégie du GB de « mélanger toutes
les races » dans les annonces. Deux points de la lettre-dénonciation ont été saisis et cités : a)
l’effet inverse du prétendu objectif de combattre le racisme en mélangeant les membres de
diverses races ; b) l’effet de renforcement de l’opinion selon laquelle le Noir est soumis et
servile.
265
Le principe est, comme dans tous les textes de défense analysés jusqu’ici, de nier l’existence
d’infraction aux trois articles servant de fondements à l’ouverture du procès éthique156. Ici, il
est intéressant de mentionner la procédure juridique utilisée. L’avocat en question s’appuie
sur le Code de procès civil brésilien pour insister sur le fait qu’il ne s’agit même pas de
discuter le mérite même de la question — en l’occurrence la discrimination raciale — mais
plutôt de prouver que la représentation d’office n’a pas d’objet.
Ceci se doit au fait que la mise en circulation de l’annonce attaquée — une femme de
race noire allaitant un enfant blanc —, produite en Italie et visant à être initialement
véhiculée en Europe, a été conclue au Brésil ; il est clair que cette annonce ne sera plus
véhiculée dans ce pays, en vertu de la stratégie publicitaire.ccclxxxviii
Voici donc la justification pour échapper à la discussion du mérite : l’annonce ne sera plus
véhiculée au pays et ce, pour une simple question de stratégie publicitaire. Toutefois, cette
stratégie comporte un degré de risque élevé, vu que le CONAR peut bel et bien sanctionner
de manière rétroactive une publicité qui n’est plus en circulation (raison d’ailleurs qui a mené
le directeur du CONAR à déposer la représentation d’office à l’origine du procès n° 22/84157.)
En acceptant l’hypothèse d’un jugement sur le mérite, Barbosa poursuit la défense de son
client en mentionnant cette fois-ci les valeurs éthiques du GB, lequel utilise « la combinaison
universelle de couleursccclxxxix » comme concept de marque. C’est « le respect envers la
personne humaine, le respect de son égalité et de sa libertécccxc » qui mène cette marque à
faire prévaloir, dans ses publicités, et partout où celles-ci sont véhiculées, « les valeurs de
gaieté, de liberté, d’égalité, de fraternité, de solidarité et de non-discrimination raciale,
politique, religieuse ou d’âgecccxci. » Celle-ci consiste en une belle démonstration de
156
L’acception immédiate du blâme de discrimination raciale a eu lieu dans un seul et unique
procès, lequel touchait directement la communauté chinoise (Consulat général de la République
populaire de Chine au Brésil c. Semp Toshiba S.A et Agence Talent, 1994). La publicité en question
était une annonce télévisée où un membre de la communauté chinoise se plaignait de la supériorité de
la technologie japonaise. Le procès a été clôturé avec la médiation du CONAR et la demande
d’excuses formelles de la part de l’annonceur, écrite en mandarin et publiée dans un journal de
circulation locale à São Paulo.
266
l’incorporation du langage des droits de l’Homme au domaine de la publicité. Il reste à
vérifier si l’engagement du GB à ces valeurs demeure circonscrit à son aspect plus formel —
comme l’est d’ailleurs l’adhésion du Brésil au principe de l’universalisme républicain.
Voici donc le premier procédé rhétorique pour dénouer le blâme pour discrimination raciale
perçue dans la publicité accusée : l’envoi d’un assortiment de vingt annonces publicitaires
« produites et véhiculées dans divers pays dans le mondecccxcii » comme « preuve sans
équivoque » de ces valeurs éthiques. Ces annonces visent à refonder la « compréhension » de
l’annonce sur des bases plus amples, c’est-à-dire comme une stratégie marchande
d’intégration indifférenciée « de toutes les couleurs et sans discrimination de racecccxciii. »
Poussé à l’extrême, cet artifice vise à prouver solidement que l’intégration des races
s’applique à toutes les races et non simplement à la race noire : « On note, dans d’autres
annonces, l’utilisation de personnes d’autres races, nationalités et couleurs, au-delà de la
couleur noirecccxciv. »
Le deuxième procédé est connu et n’est pas vraiment une nouveauté dans les procès éthiques
pour discrimination raciale, à savoir : l’inversion du blâme. Ainsi, on tâchera d’étiqueter
l’argument concernant l’effet de renforcement de la position subalterne des Noirs, tel
qu’énoncé par le plaignant, comme une « attitude résultant de préjugéscccxcv. » Le problème
ici, suggère-t-il, ce n’est pas la publicité, mais la culture à partir de laquelle le plaignant
élabore ses propres conclusions : « Or, chaque groupe humain possède une capacité
spécifique de produire une culture, d’attribuer du sens ; c’est évident que différents groupes
humains attribuent des sens divers à des phénomènes similairescccxcvi. »
157
Voir dans Narchi c. Instituto Paulista de Adoção et Agence Young & Rubicam, 1984.
267
Le raisonnement prenant cette-ci fois un chemin inédit, on conclut avec un diagnostic assez
surprenant de l’interprétation équivoque du plaignant : « Regrettablement, toutefois, il y a
toujours la perspective ethnocentrique, c’est-à-dire la tendance à juger les autres cultures à
partir de ses propres valeurs. Et cette perspective conduit invariablement aux préjugés, qui ne
sont pas nés avec l’hommecccxcvii. »
La conclusion ne pourrait être autre que celle-ci : alors qu’au Brésil prédomine encore le
préjugé racial, le GB ne peut être tenue pour responsable « [d’]une culture qui, d’une manière
pleine de préjugés, a établi, comme ses [propres] valeurs, le servilisme et la soumission du
Noircccxcviii. » Bref, c’est le GB l’ultime victime du « manichéisme » et du « préjugé social »
brésilien.
Mais on ne s’arrête pas là. Si l’on part du principe que le phénomène de l’interprétation est
quelque chose de profondément « contextuel » — voire même « ethnocentrique », selon la
vision avancée par la défense —, il s’agit maintenant de chercher d’« autres formes de
compréhension plus humaines ou, tout au moins, plus civiliséescccxcix. » Quoi de mieux que
commencer en citant les avis de Noirs qui ne partagent pas la vision du plaignant ?
Le rôle des médias comme source primordiale d’opinions est ici fondamental. On commence
par citer l’opinion de personne d’autre que l’illustre sociologue et historien noir Clóvis
Moura (voir chap. II, n. 37), l’un des membres fondateurs du MNU (voir chap. II, sect. 2.5).
Moura aurait en effet fait une déclaration au quotidien Estado de São Paulo (Camargo,
1990), selon laquelle il considère qu’il n’y a pas eu d’intention d’établir un rapport raciste de
la part des annonceurs, mais que « dans les analyses des Brésiliens, il y aura sans doute cette
connotation esclavagistecd ». Le deuxième avis cité provient de l’acteur noir Milton
Gonçalves (Dias, 1990) : « L’annonce ne m’offense pas. Elle éveille la sensibilité, non la
rage. Je pense que Benetton prend en compte le Noir en tant que consommateurcdi. »
D’autres opinions d’experts de la publicité viennent s’ajouter à celles des principaux
« intéressés » dans la problématique de la discrimination raciale. La sociologue Vera
268
Aldrighi, directrice de l’agence MPM, déclare que « la campagne est belle et [qu’elle] n’est
pas racistecdii » ; Jacques Lenkowicz, président et directeur de création de l’agence SLBB, dit
que « l’annonce est belle et [que] je n’y vois aucun préjugécdiii » ; Nizan Guanães, président
de l’agence DM-9, trouve que la campagne est « merveilleuse. Je doute qu’une réaction
survienne parce que le racisme ici est plus cynique et voilécdiv. »
On cite par la suite les nombreux prix récoltés par le GB dans les concours publicitaires
internationaux dans plusieurs pays en Europe — Italie, Danemark, France, Autriche — en
rajoutant que des traductions assermentées de chacune des attestations seraient
opportunément annexées au procès. Ainsi, « pour tout ce qu’on a jusqu’ici démontré, prouvé
par des documents et qui sera corroboré par d’autres preuves, on est forcé de conclure à la
non-occurrence d’infraction au CBARPcdv. » En réclamant la « justice », souscrit l’avocat
Barbosa.
c) La position du CONAR
L’avis de la rapporteuse Eliana Cáceres ne pourrait être plus favorable à la partie accusée.
Suite à une brève description des parties citées dans le procès, de la description de la publicité
et de la mention du principal argument soulevé par le plaignant — celui du renforcement de
l’opinion —, elle passe tout droit à la conclusion de son avis : l’annonceur a bien démontré,
tout au long des 45 « citations richement étayées de lois et articles du CONAR mêmecdvi »,
que « la plainte du consommateur n’a pas de fondementcdvii. » Ensuite, rappelle-t-elle, c’est
l’annonceur lui-même qui réclame la perte de l’objet de la représentation, en affirmant que la
campagne en question ne sera pas remise en circulation au pays.
De ce fait, la rapporteuse suggère la mise aux archives du procès dépendamment de la perte
de son objet. En citant les propres termes utilisés par l’accusé, Cáceres affirme que « le
plaignant, en ciblant le mérite de la publicité en question, commet au moins une injustice vis-
269
à-vis de Benetton, dont les valeurs et principes ont été minutieusement expliquéscdviii. » En
s’insurgeant contre l’attitude « chargée de préjugés » du plaignant, elle conclut en exprimant
« également, notre consternation et indignation devant des plaintes comme celle que nous a
acheminée le consommateur Antônio Benedito de Sousacdix. »
C’est sans surprise qu’on apprend que la décision finale du CONAR, émise à l’unanimité le 9
août 1990, a décidé de mettre aux archives le procès en conséquence de l’« absence de
mérite », en observance au fait que « même si l’annonce n’est plus véhiculée, il n’y a pas lieu
de parler de perte de l’objetcdx. »
En fait, plusieurs faiblesses dans l’argumentaire de la défense sont passées inaperçues aux
yeux des membres du Comité d’éthique. D’abord, l’attachement à un certain nombre de
valeurs abstraites n’empêche nullement les déraillements dans une pièce de publicité
particulière, même si l’ensemble de la campagne en donne un autre aperçu. Ensuite, les sens
perçus dans une vingtaine de publicités n’ont pas forcément de conséquences sur la lecture
d’une publicité particulière. Autrement dit, dans la vie de tous les jours, personne n’est tenu
de connaître l’ensemble d’une campagne publicitaire dans ses moindres détails — à part, bien
sûr, l’annonceur et l’agence. Même si elles sont conçues comme des pièces d’une mosaïque
plus grande, les publicités sont, en fin de compte, « consommées » de manière plus ou moins
isolée. Demander la réinsertion de la pièce dans le tout de la campagne ne dit, finalement,
rien de la manière à travers laquelle celle-ci est réellement perçue par un individu dans une
situation concrète.
Bref, toute une panoplie d’arguments valables aurait pu être soulevée ici. Nul ne l’a fait, au
moins en ce qui concerne le micropublic du CONAR. De plus, le fait de commettre une
femme comme rapporteuse n’a pas été bénéfique à cette cause qui, comme nous le verrons
tout à l’heure, a été, d’abord et avant tout, le cheval de bataille des femmes noires.
Finalement, comme le propre plaignant l’a avoué, lorsque celui-ci ne s’est dit lié « à aucun
mouvement noir », il est resté tout seul sur le champ de bataille plus restreint du CONAR. Il
270
reste à savoir ce que disaient les différents acteurs de la société civile dans l’espace public
abstrait plus ample des médias de masse.
d) L’émergence d’un espace public abstrait à l’échelle nationale
Les débats que j’essaierai de retracer ici possèdent un caractère original sous différents
aspects. D’abord, il s’agit de la première fois où l’analyse du contenu d’une campagne
dénoncée pour discrimination au sein du CONAR accède aux pages des journaux sous la
forme d’un authentique débat. En d’autres termes, les médias accomplissent, tout au long de
cette phase, les trois exigences générales des médias dans une démocratie délibérative, à
savoir : la mobilisation et la mise à disposition des interprétations disponibles ; le traitement
discursif des arguments afin de définir des arguments opposés et favorables à une action ou
question ; finalement, la génération d’attitudes, rationnellement motivées, d’acceptation ou de
refus. Ensuite, c’est également la première fois que ces débats gagnent une dimension
véritablement nationale. Donc, et contrairement aux procès antérieurs, la controverse quitte
l’axe Rio-São Paulo pour gagner d’autres capitales au sud-est (Belo Horizonte), au nord
(Belém) et au centre ouest (Brasília) du pays. Finalement, c’est la première fois que la
couverture des médias devient elle-même un moteur de la réaction coordonnée des membres
activistes des mouvements noirs au pays. Malgré toute leur originalité, je suis tenue de croire
que les arguments plus généraux de ces débats n’ont pas été pris en considération par les
membres du Conseil d’éthique du CONAR dans leur décision finale et ce, pour des raisons
que j’expliciterai à la fin de l’analyse de ce procès.
Ce n’est qu’à travers l’analyse des articles, notes et reportages parus dans les médias, qu’on
se rend compte de l’importance de regarder les divers événements dans leur ordre de
succession. On sait, par exemple, que la publicité du GB a paru en vis-à-vis avec le reportage
portant sur les données du Supplément Couleur du dernier PNAD, dans l’hebdomadaire Veja
de la semaine du 30 mai ; ensuite, le 4 juin, Antônio Benedito De Sousa. signe sa lettredénonciation, inspirée du reportage antérieur ; le 18 juin, le CONAR ouvre officiellement le
procès n° 076-90, à partir de la lettre de De Sousa. ; le 13 juillet, l’annonceur et l’agence
271
présentent un document de défense conjoint ; finalement, le 9 août, le jugement a lieu et la
décision finale est émise. Malgré la difficulté d’ordre pratique dans la localisation exacte du
commencement des débats158, je tiens à croire que ceux-ci débutent avec la parution de
l’article de Rosana Dias, dans le quotidien Folha de São Paulo (op. cit.), autour de la date du
30 mai 1990.
En lisant le reportage, on a l’impression que l’événement qui en est le « déclencheur » est la
motion de protestation que le MNU prépare, suite à l’arrivée de la dernière campagne
publicitaire du GB au Brésil. « Le MNU de São Paulo finalise aujourd’hui un document de
protestation contre la campagne et étudie la façon de l’acheminer, informe la pédagogue Sueli
Chan Ferreiracdxi. » Dans le cadre de ce reportage spécifiquement, ce sont les réactions
expérimentées par le GB sur la scène internationale qui servent d’arrière-plan pour
l’explication de la rédaction d’une motion de protestation : au Brésil, tout comme dans le
« marché international », l’image d’une femme noire allaitant un enfant blanc soulève les
réactions les plus variées : « Raciste. Merveilleuse. Absurdecdxii », lance-t-elle dès les
premières lignes de son reportage.
Les parallélismes entre les réactions nationales et internationales sont nombreux (le
journaliste Marcelo Calliari écrit, depuis New York, toute une section à propos des réactions
face à cette campagne aux États-Unis), bien qu’ici on évite explicitement une sorte
d’homologie superficielle entre ces différents scénarios. Par exemple, après avoir cité
l’opinion de la représentante du MNU sur la publicité en question — « C’est d’un absurde.
158
Plusieurs raisons m’amènent à croire que l’article Grupo negro faz protesto contra anúncio, de
Rosana Dias, cité dans le plaidoyer comme étant daté du 14 juin 1990, avait été, en effet publié, au
moins, deux semaines avant la date indiquée. 1) Selon le contenu de ce reportage (non daté), on
apprend que la campagne avait soulevé des réactions de la part de mouvements noirs dans sa première
semaine de mise en circulation. Or, le plaignant prend acte de la publicité dans l’hebdomadaire Veja de
la semaine du 30 mai 1990 ; donc il est peu probable que l’article ait été publié si tard. 2) Le plaignant
fait quelques références implicites à des arguments publiés dans ce reportage. 3) La même date (14
juin), d’autres journaux dûment datés font part des actions du MNU comme les graffitis sur des
panneaux publicitaires ; mais aucun ne fait référence à la rédaction d’une motion de protestation
(comme cela est le cas dans le reportage en question). Il semble donc peu vraisemblable que la
rédaction de la motion de protestation ait eu lieu après le griffonnage des graffitis.
272
L’image que l’on passe est esclavagiste, celle de l’ancienne femme noire mère
nourricièrecdxiii » —, la reporter enchaîne sur les répercussions des campagnes du GB en
France : « Même en causant des réactions, il est peu probable qu’au Brésil l’on passe de ce
stade à d’autres plus violents, comme cela est arrivé en France où des groupes racistes blancs
en sont même arrivés à faire des attentats à la bombe dans les magasins Benettoncdxiv. » La
raison du refus de mettre au même plan les réactions ici et là, c’est que « les raisons pour ceci
ont des origines différentescdxv », allant de la prééminence du « ‘mélange’ racial typique au
Brésilcdxvi » jusqu’au fait que le racisme brésilien soit « plus voilé et cyniquecdxvii. »
Dans leur Framing Political Opportunity, William Gamson et David Meyer (Gamson et
Meyer, 1996) réclament que « la vulnérabilité du processus de cadrage transforme celui-ci en
un terrain de dispute potentiel et non en une réalité plombée devant laquelle nous devons
inévitablement nous pliercdxviii. » Les auteurs insistent notamment sur le pouvoir qu’ont les
mouvements sociaux d’encadrer stratégiquement et consciemment certaines questions afin de
favoriser une interprétation particulière d’un événement spécifique. « Du point de vue des
acteurs sociaux, estiment-ils, les fenêtres ouvertes apparaissent d’un coup — tantôt à travers
les événements inattendus, tantôt à travers ceux préagencés ou attendus, comme les
consultations budgétairescdxix. »
Ces observations générales me permettent de discerner quelques dimensions importantes du
cadrage dans le reportage en question. Premièrement, si l’on tient compte des dimensions
plus stratégiques de ce cadrage, on sera forcé de concevoir la propre motion de protestation
du MNU comme une stratégie d’encadrement particulière, fruit de l’interprétation que les
activistes font de l’environnement politique plus étendu. Dans cette perspective, la motion de
protestation du MNU n’est pas une réaction ponctuelle à un problème localisé ; elle doit
plutôt être considérée comme le résultat de l’encadrement actif des activistes vis-à-vis d’un
événement particulier, perçu comme une possibilité d’intervention politique. Ainsi, la mise
en circulation d’une campagne dont le contenu récupère tout un répertoire d’images rappelant
les conditions de vie dégradantes auxquelles ont été soumises les femmes noires devient, elle-
273
même, l’occasion idéale de mettre en place une stratégie interprétative alternative et de
reformuler, par la suite, certaines interprétations disponibles dans le cadre socioculturel
brésilien plus ample.
On peut facilement identifier, à l’intérieur de l’encadrement accordé au problème des
réactions relatives à la campagne publicitaire du GB par la reporter mentionnée ci-dessus, les
grandes lignes d’une bataille en guise de faire-valoir d’une interprétation particulière de la
même campagne. Par exemple, la reporter confronte clairement l’opinion du directeur-gérant
de l’agence J.W. Thompson, Walter Guelfi, sur la possibilité de violentes réactions au Brésil
avec la vision du MNU. Alors que le premier croyait qu’ « il n’y aurait pas de risque parce
que la psychologie de la société brésilienne est différente de l’européennecdxx », explique-telle, « le MNU est venu contrarier la thèse du publicitairecdxxi ». D’ailleurs, c’est la reporter
qui remet en question le contenu de l’énoncé de Guelfi, en affirmant de son propre chef que
« Benetton, en vérité, savait qu’il y avait ce risquecdxxii ». Elle cite le propre avis du
publicitaire responsable, selon qui c’ « est la campagne la plus osée de toutescdxxiii » On se
rappelle encore que l’intentionnalité du « délit » était également un argument avancé par le
plaignant dans sa lettre-dénonciation. En ce qui concerne l’annonceur, informe-t-elle, la seule
personne autorisée à parler au nom de celui-ci était en Europe.
Toutefois, la reporter en question ne se heurte pas à l’identification des fractures dans les
discours des membres noirs, lesquelles sont présentées comme un indice de l’existence de
plusieurs interprétations disponibles : « Aujourd’hui, les différentes formes d’interprétation
de l’annonce divisent encore même les défenseurs d’une seule cause. Alors que le MNU
proteste, l’acteur noir Milton Gonçalves, 56 ans, trouve intéressant qu’un Noir ait été inclus
dans une annonce, ‘ce qui n’arrive jamais’cdxxiv. »
Alors que plusieurs acteurs sont appelés à formuler leur opinion sur la représentation dans la
publicité en question, cela vaudrait la peine de les situer par rapport à leur position dans
l’ensemble du système politique, à l’instar des catégories proposées par Habermas dans son
article plus récent (voir sect. 7.1). Il est intéressant de noter que dans ce reportage, tous les
274
acteurs invités à donner leur opinion sont venus de la toile de fond de la société civile. La
seule exception constitue, évidemment, le directeur exécutif du CONAR, qu’on pourrait
considérer comme un représentant d’un groupe d’intérêt spécial (ayant un statut quasi
officiel). On note également qu’à part les arguments soulevés tout au long du texte, la
polémique qui s’installe autour du sens de la publicité mentionnée gagne un traitement visuel
propre, celle-ci étant « résumée » et présentée sous la forme de huit déclarations disposées
dans la partie inférieure de la page. Parmi celles-ci, on compte six membres du secteur
publicitaire (experts) qui occupent, dans tous les cas, de hauts postes de commandement dans
leurs agences respectives. Du côté des « membres noirs », on retrouve un membre
représentant du MNU (groupe d’intérêt) et un acteur, ce dernier étant une figure de proue de
la télédramaturgie brésilienne (avocat ? entrepreneur moral ? Difficile à préciser). Ces
groupes étant polarisés d’une manière si univoque, on serait tenté de croire que chacun d’eux
constitue un bloc « monolithique » d’opinions, ce qui est presque vrai. Par exemple, on note
une seule opinion contraire dans le bloc majoritaire des publicitaires (1 membre sur 6), alors
que dans le côté déjà minoritaire, les deux seuls membres consultés partagent des opinions
carrément opposées. Si l’on met des deux côtés de la balance les arguments pour et contre la
motion de protestation du MNU, on ne sera pas étonné de voir celle-ci pencher du côté du
« non ». Avoir de la quantité ne veut pas forcément dire avoir de la qualité, comme je l’ai
démontré à l’égard de l’encadrement accordé à la question et des principaux arguments
soulevés.
Une fois le bilan des interprétations disponibles réalisé (les commentaires pour étant plus
nombreux que ceux contre la campagne, comme on le verra par la suite), le verdict est donné
par le CONAR, considéré par la reporter comme un « bon radar » dans la mesure où cet
organisme est responsable du jugement de « cas polémiques » : selon son directeur exécutif
Edney Narchi, le CONAR n’avait « reçu aucune plainte vis-à-vis de la campagnecdxxv ».
Devant le constat de l’absence de plainte formelle et de l’existence d’une dissension à
l’intérieur des partisans « d’une même cause », il ne serait pas surprenant qu’un public plus
général, ni identifié à la cause noire ni au secteur publicitaire, s’interroge sur la pertinence
même d’une telle protestation. En effet, l’ouverture du procès n’a eu lieu que quatre jours
après la publication du reportage, bien que cette décision ne provienne pas du MNU lui-
275
même. D’où la conclusion, tout au moins partielle, que le MNU a privilégié d’autres formes
d’action que celle consistant à déposer une plainte auprès du CONAR, comme on le verra par
la suite.
J’avais commenté, au début de l’analyse de ce reportage, que le MNU terminait la rédaction
d’une motion de protestation et qu’il étudiait une façon de le faire parvenir à qui de droit.
Dans la suite des reportages et articles, on ne sait assurément pas quelles sont les stratégies
adoptées par le MNU ni quelles ont été les instances choisies par cet organisme afin de
canaliser ses protestations. Ce que l’on sait, en contrepartie, c’est que le CONAR n’a pas été
l’une de ces instances. Toutefois, signalent Gamson et Meyer, « un mouvement [social] est
un champ d’acteurs, non pas une entité unifiéecdxxvi. » Ces acteurs, plus ou moins isolés
géographiquement dans un pays-continent comme le Brésil, cherchent les moyens de
coordonner leurs actions et de mobiliser les discussions au niveau local. C’est là que les
médias deviennent un outil mobilisateur sans précédent. La preuve est justement visible dans
les actions que les mouvements noirs prennent par la suite et qui s’inspirent largement de
l’action décrite dans le premier reportage.
La première action décentralisée sera rapportée par le quotidien O Liberal (1990), de la ville
de Belém (capitale de l’État du Para, porte d’entrée de l’Amazonie). Celui-ci informe, le 14
juin 1990, que « la réaction contraire à la campagne mondiale de la chaîne de magasins
Benetton (sic), où une femme noire apparaît dans les magazines et panneaux publicitaires en
allaitant un enfant blanc, est déjà arrivée au Parácdxxvii. » La note fait état de la décision du
Centro de Defesa dos Negros do Para (CEDENPA) d’avoir « une réunion afin d’évaluer les
mesures, au niveau local, qui peuvent être prises pour empêcher l’expansion de la
campagnecdxxviii », alors qu’« à São Paulo, le MNU étudie aussi la questioncdxxix ».
Il n’y a donc pas lieu de parler d’un seul cadrage particulier adopté unanimement par tous,
mais de processus distincts de cadrage de possibilités politiques employés par les acteurs
d’un mouvement quelconque. « Il est plus utile de penser le cadrage comme un processus
contentieux interne aux mouvements, où les différents acteurs prennent différentes positions,
276
résument les auteurscdxxx. » C’est dans cette perspective d’actions décentralisées, mais qui
s’influencent mutuellement au moyen de leurs répercussions dans les médias, qu’on peut
comprendre la décision des activistes du MNU de São Paulo de prendre une mesure extra
institutionnelle ce même jour. Cette mesure est un moyen d’expression à fois osée et
originale : un acte de graffitis collectif sur les principaux panneaux publicitaires véhiculant la
campagne en question. Ainsi, le 14 juin 1990, le reporter Paulo de Camargo mentionne, dans
le quotidien O Estado de São Paulo (op. cit.), qu’« environ dix entités du mouvement noir de
São Paulo ont décidé de faire des graffitis sur les panneaux de la campagne publicitaire de la
confection Benetton parce qu’ils la considèrent racistecdxxxi. » Après avoir mis des graffitis sur
les mots « Mucama159 plus jamais » dans deux panneaux du centre-ville la veille, « les entités
ont promis de continuer les graffitis dans les prochains jourscdxxxii. »
Dans ce reportage, intitulé Negras vêem racismo em outdoor (« Les noires voient du racisme
dans le panneau publicitaire »), ce sont les femmes noires qui mènent la bataille pour faire
valider de meilleures interprétations de la publicité en question. La photo montre d’ailleurs
trois activistes prises « sur le fait », les mots « Mucama plus jamais » étant parfaitement
lisibles sur le panneau. Une fois de plus, la polarisation du débat, tel que décrit dans le
reportage, oppose d’un côté les activistes du MNU, pour qui la publicité « serait en train de
rappeler les valeurs de l’esclavagecdxxxiii », et de l’autre, le gérant de l’agence J.W. Thompson,
Walter Guelfi, selon lequel les réponses des mouvements noirs « ne sont pas
civiliséescdxxxiv. » Mais contrairement au premier reportage, on cite aussi des intellectuels qui
écrivent sur la cause noire au Brésil, comme le sociologue noir Clóvis de Moura (dont l’avis
avait déjà été cité dans le plaidoyer) et l’anthropologue Lília Schwarcz (celle-ci croyait
d’ailleurs que le GB devrait faire plus d’attention à ce qu’elle véhicule ailleurs dans le
monde). Il est toutefois intéressant de mentionner que l’appropriation des arguments énoncés
dans ce reportage par le plaidoyer a été intentionnellement partielle, car on a omis de
mentionner tous les commentaires et actions énoncés par les activistes des mouvements noirs
ici.
159
Terme utilisé à l’époque de l’esclavage pour désigner la domestique de chambre.
277
Gamson et Meyer avaient déjà signalé : « L’action extra-institutionnelle est meilleure que
l’action institutionnelle pour la création d’une controversecdxxxv. » Ceci semble d’autant plus
valide pour le graffiti collectif dans la mesure où son aspect « spectaculaire » exerçait un
pouvoir d’attraction particulier sur les médias imprimés. Ainsi, alors que les photos des
panneaux graphités circulent un peu partout dans les journaux, les femmes noires continuent
à jouer le rôle principal. Ainsi, dans une note, aussi véhiculée le 14 juin 1990 dans le
quotidien Folha de São Paulo (1990), « un groupe de 30 femmes du Gelepes-Instituto da
Mulher Negra (sic) a fait des graffitis hier, dans le centre-ville de São Paulo, sur les panneaux
publicitaires de Benetton qui montrent une femme noire avec un enfant blanc dans les bras,
parce qu’elles considèrent [cette image] racistecdxxxvi. » Ici, comme dans le premier reportage,
l’absence de l’avis de l’annonceur se fait sentir : « Cherchée à Curitiba, la direction de
Benetton n’a pas été localiséecdxxxvii. »
Le rayonnement de l’action du MNU de São Paulo se poursuit, cette fois-ci, dans la capitale
de l’État de Minas Gerais, Belo Horizonte. Publié le 20 juin 1990 dans le quotidien Estado de
Minas (1990), ce reportage fait état de la polémique qui « (…) a été créée avec le lancement
de la campagne publicitaire en Europe, il y a quelques mois, alors qu’à Belo Horizonte les
opinions se sont diviséescdxxxviii. » La balance, ici, semble pencher plutôt du côté du « oui » à
la campagne : les avis de la vendeuse d’un magasin du GB, d’un représentant du GB et d’un
publicitaire local sont nettement favorables à celle-ci, se rejoignant en ce qui a trait à l’usage
du « mélange de races » comme stratégie de marché plus ample. L’opinion du seul activiste
du MNU consulté vient à la fin, en guise de conclusion : « L’idée est raciste, péjorative et
conservatricecdxxxix. »
Certes, l’obtention d’un cadrage favorable est à la fois le résultat de la bonne volonté du
journaliste de jouer son rôle de polémiste et de la capacité propre des acteurs de s’exprimer
devant les médias. Pour avoir une bonne idée de la façon dont une « même cause » peut
recevoir différents traitements dans les médias, on peut faire la comparaison entre le cadrage
accordé par le journaliste dans le reportage antérieur, à Belo Horizonte, et celui du reportage
suivant, paru à Brasilia. Ce dernier a été écrit par la journaliste Maria do Rosario Caetano et
278
publié dans le quotidien Jornal de Brasilia, le 26 juin 1990. Il demeure, en fait, le document
le plus favorable à la cause de la femme noire (Caetano, 1990). Alors que dans l’exemple
antérieur, des arguments présentés de manière résumée ne sont pas toujours liés par des liens
de causalité (ou tout au moins par des liens explicites), ce dernier exemple nous offre une
explication claire, articulée et bien argumentée de la position du MNU de Brasilia non
seulement sur la publicité en question, mais aussi sur d’autres campagnes de Benetton.
En voici quelques exemples : dans le reportage précédent, on cite les termes de l’activiste
Wilson Queiroga comme suit : « Le discours du système en place essaie d’imposer à la
société, d’une manière générale, le blanchiment de la race noirecdxl. » Le lien entre la question
du blanchiment, énoncée de manière assez générale dans la phrase antérieure, et celle de la
femme noire allaitant un enfant blanc est assez fragile, tel qu’indiqué dans la phrase qui suit
immédiatement après : « Selon lui [l’activiste Wilson Queiroga], l’image d’une femme noire
allaitant un enfant blanc soulève la question de la mère nourricière esclave et suggère
subtilement la récupération de la soumission des noirscdxli. » À la limite, l’association entre
ces deux idées ne pourrait être faite que par ceux qui ont une bonne connaissance de la
problématique de l’assimilation raciale telle qu’elle s’est imposée dès les premières années de
l’État-nation brésilien, ce qui est loin d’être sûr dans le cas d’un public général ayant été
formé et éduqué dans des espaces où l’idéologie de la démocratie raciale prédomine
nettement.
En ce qui concerne le reportage de Maria do Rosario Caetano, le portrait donné change
considérablement. L’avis de l’activiste Maria das Graças Santos est reproduit dans ses
moindres détails. Graça commence, par exemple, en reconnaissant l’attention que le MNU de
Brasilia accorde aux publicités en général, dans la mesure où celles-ci « fonctionnent de
manière subliminale, en réaffirmant et en déconstruisant des préjugéscdxlii. » Ensuite, elle
aborde l’attention accordée par le MNU aux publicités du GB en particulier, compte tenu du
fait que celle-ci représente souvent des membres noirs en situation d’égalité avec les « blancs
et les japonaiscdxliii ». Graça présente sa propre interprétation de la campagne critiquée, dans
la mesure où cette dernière renforce le rôle de la femme noire en tant que mère nourricière :
279
« Une fois de plus, elle est utilisée pour allaiter un enfant qui n’est pas le siencdxliv. »
L’activiste poursuit en disant qu’il est nécessaire de placer l’annonce dans le contexte
national : « À cause de l’esclavage, la femme noire a joué le rôle de mère-noirecdxlv. » Ce à
quoi elle ajoute : « Renforcer cette idée, c’est endosser un stéréotype ethniquecdxlvi. »
L’activiste analyse encore une deuxième publicité du GB, avant de conclure qu’une même
publicité peut être comprise de manières variées selon les références historiques de chaque
groupe.
Bref, ceci représente donc un excellent exemple d’une réponse articulée et bien fondée sur un
média imprimé. Dans ce cas particulier, l’argumentaire de l’activiste en question contraste
carrément avec celui de la propriétaire d’un magasin du GB qui se disait « surprise » de la
réaction : « La publicité n’est pas contre le Noir, elle montre tout simplement une belle
modèle, noire, allaitant un enfant blanccdxlvii. » Ce même reportage destine encore toute une
sous-section à la description du MNU, sa structure, ses principales causes, ainsi que les
manières de s’y affilier ! D’un côté, il est vrai que « les médias récompensent la nouveauté, la
polémique et la confrontation, alors que la politique institutionnelle prime la prévisibilité, la
modération et le compromiscdxlviii. » De ce fait, un bon négociateur et articulateur dans les
instances plus formelles n’est pas toujours le meilleur acteur face aux caméras et
magnétophones des médias. Quoi qu’il en soit, le MNU de Brasilia semble avoir bien réussi
dans son rapport avec le Jornal de Brasilia, en conquérant ainsi un espace de visibilité crucial
pour faire connaître ses causes et interprétations des faits. Ceci prouve également que, même
en jouissant d’une situation sensiblement moins défavorisée sur le plan social, certains
acteurs peuvent changer la donne de manière consciente et stratégiquement orientée.
L’initiative antérieure a tellement bien réussi son coup qu’elle a provoqué une réponse de la
part d’un membre du CONAR à Brasilia, le lendemain de sa publication. Ainsi, le 27 juin
1990, le quotidien Jornal de Brasilia (1990) publie, dans une note intitulée « Ética et
Benetton » (« Éthique et Benetton »), l’avis du publicitaire Fernando Vasconcelos, ancien
président du Syndicat des publicitaires de Brasilia et membre représentant de l’instance
chargée de juger les plaintes contre les publicités : le CONAR. Après avoir analysé les termes
280
de la critique énoncée par le MNU la veille, Vasconcelos fait sienne l’interprétation proposée
par l’activiste du MNU, Maria das Graças Santos : « Il y a réellement une possibilité qu’on
effectue une lecture qui renforce le racisme, car la femme noire est montrée comme une
mère-noire, c’est-à-dire comme la femme qui allaite l’enfant de quelqu’un d’autre et pas le
siencdxlix. »
Une bonne stratégie d’intervention dans les médias comme celle-ci peut, à la limite, placer la
demande d’imputabilité d’un public critique vis-à-vis des responsables placés dans les
instances compétentes. Toutefois, le sens d’imputabilité utilisé ici n’est plus celui dont j’avais
parlé antérieurement (voir procès n° 118-88), caractéristique du rapport entre différentes
instances de pouvoir d’un même système politique. Il s’agit maintenant d’un sens plus large
qui s’applique plus particulièrement aux contextes de discussions publiques, « (…) même
lorsqu’il n’y a aucun lien d’autorité ni de subordination entre les parties impliquées dans le
processus d’imputabilitécdl. »
Or, ceci semble être bel et bien le cas en question. Lorsque le membre du CONAR a été
appelé à examiner les arguments avancés par son public critique et à apporter son avis
d’expert, il a à la fois fourni une explication valable sur la campagne et validé l’interprétation
de la campagne proposée par l’activiste. Toutefois — et Vasconcelos le savait très bien —,
son appréciation n’avait aucune implication majeure pour le cas en question, justement parce
qu’elle était faite à l’extérieur d’un cadre institutionnel précis, destiné à cette fin : le CONAR.
« Le dialogue de l’imputabilité, estime Mulgan, a lieu entre les parties dans un rapport
d’autorité et ne peut être compris que dans le contexte de ce rapportcdli. » D’où la suggestion
finale proposée par l’expert : « Fernando Vasconcelos suggère au MNU d’acheminer à
l’instance nationale du CONAR ou à celle de Brasilia (…) un plaidoyer où doivent être
détaillées les restrictions concernant l’annonce de Benettoncdlii. »
Vasconcelos propose aussi une justification pour le fait que la campagne en question soit si
dérangeante et si fructueuse en controverses. D’après cet expert de la publicité, ceci provient
du fait que la campagne a été faite à l’extérieur du Brésil. Si elle avait faite ici, estime-t-il,
281
« nous saurions que l’image d’une femme noire allaitant un enfant blanc nous renvoie au
temps de l’esclavagecdliii. » Cet argument peut être équivoque, à cause de deux aspects. D’un
côté, il s’appuie sur l’existence d’une supposée sensibilité à la question raciale de la part du
secteur publicitaire national, ce qui est loin d’être évident. Comme je l’ai démontré
antérieurement, une bonne partie des critiques soulevées par les activistes des mouvements
noirs porte justement sur leur méconnaissance du public noir (voir chap. 4, sect. 4.7). Le fait
que les procès n° 25-82 et 118-88 portent sur des actes discriminatoires exercés par des
professionnels publicitaires nationaux est une autre contre-évidence de cet argument. De
l’autre côté, c’est le propre plaignant qui l’a suggéré dans sa lettre-dénonciation : on
soupçonne Benetton d’avoir agi intentionnellement, par exemple, en véhiculant une
campagne source de controverses justement pour attirer la couverture des médias. On
reviendra sur cette question dans l’analyse du prochain procès. Pour l’instant, il suffit
d’ajouter que le problème de la diversité des cadres interprétatifs est reconnue par
Vasconcelos comme étant un problème vérifié même à l’intérieur du Brésil, à échelle
régionale : « Plusieurs campagnes, préparées à Rio ou à São Paulo, par exemple, causent des
problèmes si véhiculées au nord ou au nord-ouestcdliv. » D’où la nécessité de mieux connaître
le « processus culturel » de chaque région, conclut-il.
Il y a lieu de se demander, à ce stade du débat public établi autour de la campagne du GB, ce
que pensait le grand public de tout ceci. Or, les seuls indices sur lesquels on peut compter ont
été publiés dans la section « Lettres » du quotidien Jornal do Brasil, le 28 juin 1990, à Rio de
Janeiro. Il s’agit de deux lettres — condensées sous la forme de notes courtes — publiées
l’une à la suite de l’autre et qui portent essentiellement sur la même idée : remplacer la
femme noire par une autre blanche et l’enfant blanc, par un enfant noir. La lectrice Ana
Lemos (1990), par exemple, s’interroge sur la pertinence de sa propre interprétation en
proposant ceci : « Peut-être n’ai-je pas bien compris le message proposé dans le panneau
publicitaire, mais pourquoi n’ont-ils pas conçu l’idée inverse, c’est-à-dire une femme blanche
allaitant un enfant noir ?cdlv » Le lecteur Hemilson Pacheco de Souza (Souza, 1990) propose
quelque chose de semblable, bien qu’il soit d’accord sur la mise en circulation de l’image de
la femme noire : « L’image de la femme noire allaitant un enfant blanc est très belle, parce
282
que jadis, la figure de la mère nourricière noire était une constante. Il serait intéressant que le
magasin fasse maintenant le contraire — une mère blanche allaitant un bébé noircdlvi. »
Pour conclure, il semble plus ou moins sûr que toutes ces polémiques ont été attentivement
suivies par les activistes des mouvements noirs. Pour des raisons que j’ignore totalement,
ceux-ci se sont décidés à ne pas déposer de plainte formelle auprès du CONAR, en
privilégiant plutôt les stratégies à caractère extra-institutionnel.
De toute façon, les médias sont devenus des pièces centrales dans le processus de délibération
sociale. En ce qui concerne les dimensions du micropublic du CONAR, les matériels des
médias ont été récupérés et ce, autant dans la lettre-dénonciation que dans le document de
défense. En ce qui a trait au public abstrait formé par les médias imprimés, ses membres ont
pu assister, dans plusieurs capitales nationales, à la transposition de discussions des médias
de circulation nationale — centralisés sur l’axe Rio de Janeiro/São Paulo — vers les médias
locaux. Parmi ce public plus large, un public critique, composé par les activistes liés à la lutte
contre la discrimination raciale, accompagnait attentivement les discussions, prêt à intervenir
dans les médias afin de faire connaître son avis et de demander des justifications de la part
des acteurs responsables. Les actions prises devant et auprès des médias, comme on l’a vu,
ont largement varié d’un point à l’autre. Dans le cadre de ce procès spécifiquement, les
médias ont servi à la fois comme source d’information, comme champ de bataille pour
l’action politique et comme instrument de coordination de l’action sur le territoire national.
7.2.2.2. Procès n° 229-91160 : l’ange et le diable de Benetton
Le procès n° 229-91 constitue l’exemple le plus complexe parmi tous les procès pour
discrimination raciale déposés au CONAR. Long de plus de 300 pages, organisé en deux
160
Voir dans Câmara dos Deputados de São José dos Campos c. Groupe Benetton et Agence J.
W. Thompson, 1992.
283
tomes, ce procès démontre bien comment la délibération sur la discrimination raciale dans la
publicité peut arriver au cœur du système politique central et devenir ainsi un sujet de
pertinence nationale. Cette fois-ci, ce n’est pas seulement la réputation de l’annonceur — le
GB — qui est mise en péril, mais la légitimité même du CONAR en tant qu’instance légitime
de délibération sur la publicité.
On a donc tous les indices nécessaires pour croire que la décision du CONAR de mettre aux
archives le procès antérieur a soulevé des réactions indignées de la part des activistes et des
publics critiques de la campagne en question. C’est dans une logique de continuité des
discussions par rapport au procès précédent qu’on peut concevoir le présent procès, qui place,
une fois de plus, le GB comme titre de la une.
a) La dénonciation
Deux dénonciations sont à l’origine de l’ouverture du procès en question, toutes les deux
relevant d’organismes législatifs municipaux : la Chambre des députés de la ville de São José
dos Campos, ainsi que celle de São Paulo. Une troisième dénonciation, annexée au procès,
fait état d’un plaignant qui s’identifie comme « docteur » Gilberto R. Chávez, ce qui, dans le
contexte brésilien, peut signifier autant un magistrat qu’un médecin.
Toutefois, les deux chambres municipales utilisent un même instrument pour faire connaître
leur insatisfaction vis-à-vis de la dernière campagne publicitaire du GB (voir app. B.3) : la
motion de protestation. La première motion a été adoptée à l’unanimité le 26 novembre 1991
par la Chambre des députés de São José dos Campos :
L’entreprise de confection Benetton est en train de véhiculer dans les panneaux
publicitaires une image de racisme évident, où on voit une fillette blonde avec un
visage d’ange et une autre fillette noire, avec une coiffure en forme de cornes.
Si l’objectif a été d’attirer l’attention, cela a marché. Elle a même choqué, agressé et
humilié.cdlvii
284
La deuxième chambre à manifester son désarroi est la Chambre de la ville de São Paulo, le 9
décembre 1991, dans les termes suivants :
Nous, députés de la Chambre municipale de São Paulo, manifestons notre protestation
véhémente à l’entreprise Benetton et à l’agence J. W. Thompson, pour la mise en
circulation de l’annonce raciste, en même temps que nous sollicitons les mesures
applicables dans le sens de vérifier les responsabilités légales de ces entreprises par le
CONAR, le Ministère public et la mairesse de la municipalité, Luiza Erundina de
Sousa.cdlviii
Ces deux motions donnent une idée de l’ampleur de la bataille judiciaire qui est en train de se
dessiner, ainsi que des espaces institutionnels pris par la problématique raciale dans la
publicité. L’extrait ci-dessus nous indique, dès le départ, l’existence de deux procès
judiciaires qui se développent parallèlement : un procès éthique déposé au sein du CONAR,
l’instance jusque-là jugée légitime, et l’action civile de droit public déposée au sein du
Ministère public fédéral.
J’avais cité de façon opportune l’analyse de Joaquim Barbosa Gomes au sujet des
changements apportés par la Constitution de 1988 qui ont eu un impact définitif sur la
défense des droits des groupes ethniques nationaux. Gomes estime que l’essor de la catégorie
de droits collectifs ou diffus et le renforcement de la Loi de l’action civile publique ont créé
de nouveaux moyens de pression sur l’État pour la défense de droits acquis et formellement
reconnus par celui-ci. Le Ministère public fédéral devient, lui aussi, un mécanisme important
pour la défense de ce groupe de droits et ce, en accordant une protection judiciaire
supplémentaire, processuelle, lorsque les intérêts diffus ou collectifs sont violés161. De ce fait,
161
Gomes décrit la nouvelle orientation accordée au Ministère public à partir de 1988 :« La
Constitution de 1988 a transformé le Ministère public en véritable ‘promoteur de la citoyenneté’. Elle a
fait de celui-ci un pont entre la société et l’État, en lui accordant des droits jusqu’à parfois contrarier et
empêcher la réalisation d’actions par l’État lui-même, lorsque celles-ci sont illégales ou qu’elles
portent préjudice aux intérêts de la collectivité. Pour ce faire, on l’a doté d’une autonomie
administrative et financière, en accordant à ses membres des garanties fonctionnelles identiques à
celles de la Magistrature. Bref, on l’a soustrait de la sphère d’influence du Pouvoir Exécutif. » (“.... a
Constituição de 1988 transformou o Ministério Público em verdadeiro "promotor da cidadania".
Colocou-o como ponte entre a sociedade e o Estado, dando-lhe poderes para muitas vezes contrariar e
285
étant donné la gravité de la question et les proportions prises par la polémique sur la
campagne publicitaire en question, le procès éthique du CONAR et le procès acheminé au
Ministère public se tiennent en même temps, se chevauchant parfois et s’influençant
mutuellement, comme on le verra par la suite.
Pour les fins de l’accusation, il importe encore de citer une nouvelle base légale servant de
support pour l’encadrement légal et, par conséquent, la punition des délits de discrimination
raciale dans son ensemble, ainsi que ceux relevant des médias de masse de manière
particulière : la Loi fédérale 8.081. Il serait intéressant de comprendre les derniers
ajustements faits dans les lois antiracistes après la décision du CONAR de mettre aux
archives la représentation d’office déposée contre la campagne du GB portant sur la mère
nourricière. J’avais déjà mentionné que la Constitution de 1988 avait défini le racisme
comme un crime imprescriptible et non amendable. Selon Leon Szklarowsky (1997), l’article
20 de la Loi fédérale n° 7.716 avait déjà défini les crimes résultant d’un préjugé de race et
couleur, dont celui de « pratiquer, d'induire et d’inciter la discrimination de race, de couleur,
d'ethnie, de religion ou d'origine nationalecdlix. » Cette loi était déjà en vigueur lorsque le
Comité d’éthique du CONAR avait émis sa décision finale le 9 août 1990. Toutefois, un
changement important a été apporté par la promulgation de la Loi 8.081 le 21 septembre
1990, c’est-à-dire un peu plus d’un mois après la décision mentionnée ci-dessus :
La Loi 8081 a modifié l’article 20, pour définir, au paragraphe additionnel, une
nouvelle figure criminelle : pratiquer, induire ou inciter, par moyen de médias de
masse ou par publication de toute nature, la discrimination ou le préjugé de race,
couleur, religion, ethnie ou origine nationalecdlx 162.
impedir a realização de ações pelo próprio Estado, quando ilegais ou lesivas ao interesse da
coletividade. Para isso, dotou-o de autonomia administrativa e financeira, concedeu aos seus membros
garantias funcionais idênticas às da Magistratura. Em suma, retirou-o da esfera de influência do Poder
Executivo”, Gomes, 2000, p.11.)
162
La Loi 8.081 sera modifié par la Loi 9459 le 13 mai 1997, afin d’étendre la punition de la
discrimination de race et de couleur à celles d’ethnie, de religion et d’origine nationale. On prévoit, à
cet effet, une peine de deux à cinq ans de réclusion.
286
De ce fait, alors que la motion de la Chambre des députés de São José dos Campos se
résumait à condamner « l’initiative de Benetton » et solliciter que le CONAR « prenne acte et
émette son avis sur cet épisodecdlxi », celle de la Chambre des députés de São Paulo sera
emphatique quant à l’usage de la nouvelle disposition réglementaire ci-dessus. On sollicite
notamment « que les responsabilités légales de l’entreprises soient vérifiées et, si l’attitude
raciste est constatée, que l’on entreprenne le retrait immédiat ou la recherche et la saisie du
matériel respectif, selon la Loi fédérale 8.081cdlxii. » Autrement dit, l’originalité du présent
procès par rapport au précédent est justement visible dans l’usage d’une nouvelle disposition
légale, cette fois-ci plus ajustée pour inhiber la dissémination du préjugé de race par le biais
des médias de communication de masse, en responsabilisant à la fois annonceur, agence de
publicité et médias de communication.
Pour conclure, cela vaudrait la peine d’ajouter un autre élément complexifiant davantage le
délit de la campagne en question. Comme le mentionne de façon très opportune le Dr.
Gilberto R. Chávez. dans une lettre-dénonciation datée du 23 novembre 1991, l’actuelle
campagne du GB, en plus de constituer une infraction à l’article 20 du CBARP, porte
également atteinte à l’article 37 de ce dernier, portant sur la publicité adressée aux jeunes et
aux enfants. On cite notamment l’infraction aux paragraphes b), c), d) et e), dans la mesure
où la campagne ne respecte pas « l’ingénuité », « la crédulité » et « l’inexpérience » des
enfants ; celle-ci est également accusée de mépriser et d’offenser moralement le mineur, outre
le fait de lui causer de la gêne à cause de sa condition sociale ou, dans ce cas spécifique,
raciale.
Toutefois, pour une raison méconnue, la représentation d’office déposée par le président du
CONAR lui-même, Ivan Pinto, le 10 décembre 1991, ne fait aucune mention de cette dernière
lettre. Se résumant à citer les motions de protestations en provenance des chambres
municipales, la représentation apprend au lecteur que « selon les dénonciations acheminées à
ce Conseil, l’annonce se montre discriminatoire et offensante envers la race noirecdlxiii. »
Parmi les articles cités comme fondements de l’ouverture du procès, on retrouve ainsi
seulement les articles 1, 2 et 20.
287
b) La défense
Contrairement au procès antérieur, où l’agence J.W. Thompson et l’annonceur GB ont
présenté un document conjoint de défense, la stratégie utilisée a été modifiée : alors que
l’agence Thompson se fait représenter par le même avocat que précédemment, Marco
Antônio Rodrigues Barbosa, le GB choisit un autre bureau d’avocats pour se faire représenter
devant le Comité d’éthique du CONAR.
Le plaidoyer de l’agence, daté du 19 décembre 1991, commence en utilisant une stratégie
rhétorique très similaire à celle utilisée précédemment, à savoir : solliciter la mise aux
archives de la représentation d’office, « soit parce qu’une infraction au CBARP n’a pas été
caractérisée, soit parce que, même si l’infraction à ce statut avait eu lieu, la représentation a
déjà perdu son objetcdlxiv
163
. » Barbosa précise ainsi que la campagne en question, diffusée
exclusivement sur les panneaux publicitaires, avait été conclue le 30 novembre 1991.
Autrement dit, comme dans le cas précédent, le plaidoyer est rédigé après la fin de la
campagne qui fait l’objet du procès en question. D’où l’impossibilité, selon l’avocat, de
l’application de mesures telles que « le retrait immédiat ou la recherche et la saisie du
matériel respectif », comme suggéré par l’une des motions de protestations.
163
En effet, l’avocat essaye de profiter d’une supposée brèche entrouverte par l’art. 51 du
CBARP, qui prévoit que « les cas omis dans ce régiment seront régis par l’application de principes
généraux du droit et/ou du Code de procès civil » (“os casos omissos neste Regimento serão dirimidos
mediante aplicação dos princípios gerais do direito e/ou do Código de Processo civil”, CBARP, art.
51). Ainsi, selon les normes du Code de procès civil en cours, avant de plaider pour l’absence de
mérite d’une représentation quelconque, on peut accuser de la perte de son objectif. Toutefois, comme
on l’a vu lors de la dernière décision, l’allégation de « perte d’objectif » est généralement refusée par le
Comité d’éthique, car la publicité peut, en principe, être remise en circulation à tout moment. D’où la
nécessité de sanctionner la publicité, même lorsque celle-ci n’est plus en circulation.
288
Ensuite, le document précise que le processus de création est entièrement exécuté à
l’extérieur du pays, plus précisément par le photographe Oliviero Toscani et sous la
supervision du GB. « [L’agence] Thompson se limite, au Brésil, à acquérir l’espace dans les
médias pour la divulgation de cette publicité, explique-t-ilcdlxv. » De plus, avant d’être
diffusée au Brésil, cette publicité avait déjà circulé dans plus de 50 pays. Néanmoins, d’après
ce qu’on pourrait supposer à partir de ces derniers énoncés, la défense de l’agence ne
s’appuiera guère sur l’hypothèse de « méconnaissance » des stratégies de sa cliente. Au
contraire, la défense opte pour l’appui sur la jurisprudence même du CONAR en citant les
décisions de mise aux archives relatives aux procès antérieurs n° 076/90 et n° 177/91164, mais
aussi celles relatives à d’autres cas sur lesquels le CONAR s’est déjà prononcé165.
Les arguments qui suivent sont déjà connus depuis le procès n° 076/90 : est citée la stratégie
institutionnelle du GB visant à combiner universellement les couleurs, ses valeurs
d’intégration et d’harmonie indépendamment de critères de race, couleur, religion ou âge166.
On annexe au procès diverses annonces de la campagne actuelle du GB, de même qu'on fait
état des prix internationaux mentionnés dans le procès antérieur. On cite également des
articles parus dans les médias afin de démontrer la qualité et la justesse des stratégies du GB.
L’extrait suivant a été retiré d’une entrevue accordée par le président de la J. W. Thomspon,
Roberto Leal, à la rubrique « Publicité & Marketing » du quotidien Folha da Tarde (Alonso,
1991):
164
Le procès n° 177/91 ne fait pas partie du corpus analysé, car l’on n’y mentionne pas l’article
20 du CBARP.
165
La citation de décisions antérieures émises par le CONAR, et plus particulièrement celle de
l’avis des rapporteurs, devient ainsi une stratégie de plus en plus utilisée par les bureaux d’avocats
embauchés pour la défense dans les procès éthiques du CONAR. Ces bureaux commencent, en effet, à
accumuler un certain savoir-faire concernant les jugements portés par le CONAR, et à l’utiliser ces
jugements comme un moyen de garantir une certaine stabilité dans les décisions qui leur ont été
favorables.
166
On cite notamment que « le sens des choses et leurs valeurs éthiques, pour Benetton,
dépendent de la corrélation avec la personne humaine, du processus de façonnement de l’homme,
indépendamment de sa race ou de sa couleur » (“o sentido das coisas e o seu valor ético, para a
Benetton, dependem de sua correlação com a pessoa humana, dentro do processo de perfazimento do
homem, independentemente de sua raça ou de sua cor”, Chambre des députés de São José dos Campos
c. Groupe Benetton et Agence J.W. Thompson, 1991).
289
Je pense que Benetton va entrer dans l’histoire de la publicité par son innovation : elle
a créé une marque puissante avec des annonces sans textes et sans titre, exclusivement
avec un fort appel visuel et la mention : United Colors of Benetton.
Ses thèmes ont toujours été l’union des races, la défense de l’écologie et la libération
des faux moralismes.
Ils sont polémiques parce que subtils.cdlxvi
Si, d’un côté, on ne peut certes pas compter sur l’impartialité de ce « témoignage » comme
critère pour attester de sa validité, de l’autre il met en lumière un ensemble de traits distinctifs
importants sur lesquels s’appuie la stratégie publicitaire de Benetton : le « fort appel visuel »
du GB démontre bien que l’image n’est pas universelle mais, bien au contraire,
culturellement déterminée dès le stade de production jusqu’à celui de l’interprétation finale
par les consommateurs. En citant une fois de plus les déclarations du sociologue noir Clovis
Moura et de l’acteur noir Milton Gonçalves, l’idée que la défense veut faire passer est
essentiellement la même que celle du procès antérieur : l’annonce n’a en soi rien de
racialement discriminatoire ; c’est la société brésilienne qui, avec ses préjugés raciaux, n’est
pas capable de discerner la bonne interprétation de la publicité.
En ce qui concerne la publicité citée spécifiquement dans ce procès, la défense argumente
que celle-ci utilise les mêmes éléments essentiels que les autres publicités du GB :
« l’utilisation des couleurs, l’intégration entre les personnes (à travers la manifestation
affective, substantialisée dans l’accolade entre les deux enfants), l’intégration des races et le
combat des préjugéscdlxvii. » La bonne interprétation, avance-t-il, est celle du journaliste
Adonis Alonso dans le reportage cité antérieurement : « Tout au nom de la fraternité
humaine. Peu importe entre qui…cdlxviii. » On cite aussi la propre interprétation de son
créateur, le photographe Oliviero Toscani, lors d’une entrevue accordée au quotidien New
York Times (non disponible dans les annexes). Selon ce dernier, ses publicités « portent en
elles-mêmes un défi à l’autorité, une attaque au préjugé et, principalement, un éloge à la
fraternité par son appel au consommateurcdlxix. » L’entrevue du président de l’agence J. W.
Thomspon, par exemple, essaie de désubstantialiser l’aspect manichéiste de la représentation
du Bien et du Mal :
290
Je vois dans la petite corne (qui est, d’ailleurs, une coiffure typique des enfants
africains) une allusion subtile au préjugé. Et nous voyons deux enfants également
adorables, la fillette blanche avec une tête de ‘diable’ et celle noire (malgré ses
‘cornes’) avec une tête d’ange.cdlxx
Le problème, une fois de plus, relève du Brésil, pays « où prédomine le préjugé racialcdlxxi »,
et « dont la tendance est à juger les autres cultures de forme manichéiste ou à partir de ses
propres valeurscdlxxii. » Devant ce constat, la défense en vient même à assumer le fait, non
sans tomber dans un paradoxe, d’avoir eu pleinement conscience que l’annonce en question
aurait pu générer de la polémique :
Il n’y a — et il n’y a jamais eu — aucun doute sur le fait que l’annonce en question
soulèverait des polémiques. Cela se passe au Brésil et cela s’est passé avant, dans
d’autres pays. Cette polémique était déjà prévisible pour Benetton et pour la J. W.
Thompson, mais cela ne veut pas dire pour autant que la mise en circulation de la
publicité s’avérait illicite ou non conseillable, quel que soit l’aspect éthique ou
juridique envisagé.cdlxxiii
Pour conclure, la défense utilise une stratégie à risque : la minimisation de la dissension
autour de la publicité. « Rien n’indique que cette indignation soit plus grande qu’une
manifestation isolée, restreinte et individuelle de ces personnes, même si celles-ci
représentent dix, vingt ou cent personnescdlxxiv. » Autrement dit, la stratégie en question
consiste à ramener les critiques au niveau de chaque plaignant considéré individuellement et
non pas au niveau d’un « sentiment d’une collectivitécdlxxv » : « rien n’indique que la
‘collectivité brésilienne’, même en étant majoritairement noire, se sente attaquée par l’image
de l’annonce véhiculée (ou quelqu’un doute-t-il que la plupart du peuple brésilien est
d’origine noire ?)cdlxxvi. » Poussée à l’extrême, cette stratégie vise à défier l’essence même
d’une action civile publique, à savoir, représenter des intérêts diffus ou d’une collectivité
particulière :
Reconnaître dans les manifestations de quelques dénonciateurs, qui se dirigent au
CONAR, par moyen d’une lettre, une représentativité de ce que sent ou pense la
291
collectivité, représenterait — cette fois-ci — un répugnant mépris de la pluralité de
pensée et de sentiment de la collectivité noire, ainsi que de la diversité de tempérament
des nombreuses personnes qui la composent.
Il est évidemment inacceptable que les dénonciateurs — Chambre municipale de São
Paulo et de São José dos Campos — puissent représenter la collectivité noire.cdlxxvii
Certes, l’étrange combinaison entre la défense de la pluralité de pensée et de sentiment, d’une
part, et l’inexistence d’une représentativité de la part des élus politiques, de l’autre, est une
stratégie à risque. Mais on ne doit pas faire abstraction du contexte et des conditions
procédurales dans lesquels ce véritable défi à l’autorité politique est placé : le tissu peu
transparent et peu ouvert à la visibilité publique que constituent les délibérations du CONAR.
Autrement dit, cette critique n’a pas été faite de vive voix devant les représentants des
chambres eux-mêmes, ni dirigée vers ces représentants eux-mêmes ; c’est plutôt une critique
énoncée par écrit dans un document tenu à l’écart des parties concernées. En principe…
Bref, la conclusion générale qui ressort du raisonnement de la défense est qu’elle ne fait
qu’exposer ses propres contradictions internes : en acceptant, d’un côté, que divers groupes
humains attribuent des sens divers aux mêmes phénomènes, on plaide, d’un autre côté, pour
l’unicité de l’interprétation du langage « universel » des couleurs. Plusieurs documents sont
fournis dans les annexes du procès : une page de l’encyclopédie britannique qui prouve
l’existence de la coiffure de la petite fille chez le peuple Tutsis en Afrique ; des documents en
allemand et italien prouvant l’octroi de prix de distinction pour la qualité des publicités ; la
copie de décisions antérieures du CONAR. Mais, ce à quoi on ne s’attendait pas, c’est
l’émergence d’un troisième acteur, comme on le verra par la suite.
c) La médiation du Secrétariat de la justice et de la défense de la citoyenneté de l’État
de São Paulo
C’est en lisant l’avis du rapporteur qu’on apprend des détails sur les voies judiciaires
parallèles prises par la cause de la discrimination raciale dans la publicité de Benetton. Celleci nous fournit une grille temporelle à partir de laquelle on peut mieux comprendre comment
292
les flux communicationnels sont parvenus à passer des associations de défense de la société
civile pour prendre les canaux complexes de l’appareil exécutif provincial et, plus tard,
fédéral.
En fait, une troisième instance rejoint les motions de protestations rédigées par les chambres
des députés afin de protester contre la campagne du GB. Cette fois-ci, c’est le Secrétariat de
la justice et de la défense de la citoyenneté de l’État de São Paulo, en la personne de son
secrétaire, Manuel Alceu Affonso Ferreira. Celui-ci fait parvenir au CONAR, le 24 décembre
1991, la copie d’un procès ouvert par lui-même contre la publicité en question, en sollicitant
que le CONAR en prenne acte. Dans une lettre-réponse datée du 27 décembre, le président du
CONAR alors en exercice, Gilberto C. Leifert, communique au Secrétariat de la justice de
São Paulo que le conseil s’était déjà décidé d’ouvrir un procès éthique portant sur la publicité
en question. Cette lettre-réponse devient une pièce clé pour comprendre l’orientation qu’a
prise ce jugement vis-à-vis des décisions antérieurement émises par le CONAR au sujet de
publicités du GB :
Néanmoins, je vous signale que j’ai déjà déterminé le rassemblement du matériel
acheminé au procès en traitement ici, afin que les observations très pertinentes
spécifiées dans cette réquisition puissent subsidier les membres du Conseil, lesquels
auront à leur charge le dépouillement du cas à examiner, du point de vue d’éthique
publicitaire.cdlxxviii
L’échange de correspondances officielles entre ces deux instances — le CONAR et le
Secrétariat de la justice — démontre bien une prédisposition à la coopération, alors que les
deux parties s’engagent à l’échange de documents faisant partie de leur procès respectifs.
Quoique mutuelle, cette coopération est respectueuse des attributions spécifiques à chacun ;
c’est d’ailleurs le président du CONAR qui, consciencieux du niveau hiérarchique de son
interlocuteur, souligne sa détermination de faire valoir les observations de ce dernier dans le
traitement du procès éthique du CONAR.
293
Deux autres entités sont à l’origine du procès ouvert par le Secrétariat de la justice : Conselho
Estadual para o Desenvolvimento e Participação da Comunidade Negra (CEDPCN) et la
députée Célia Leão. Les chemins suivis par chaque action ne sont pas les mêmes. La plainte
du CEDPCN, faite au nom de nombreux organismes de défense de la cause noire, a été reçue
par l’Assessoria de Defesa da Cidadania (ADC) dès la mise en circulation de la campagne.
Ainsi, lorsque l’assesseur Luiza Nagib Eluf envoie son rapport au Secrétariat de la justice le
10 décembre 1991, l’agence de publicité J. W. Thompson avait déjà déposé un plaidoyer
auprès de cette instance intermédiaire. Pour ce qui est de la dénonciation de la députée en
question, celle-ci a été dirigée directement au Secrétariat de la justice.
Il serait également important de mentionner ici les instruments juridiques choisis par chacune
de ces voies. En plus de l’article 5 de la Constitution fédérale — qui encadre le racisme
comme crime imprescriptible et inamendable et passible d’emprisonnement, le rapport de
l’ADC cite le CBDC, lequel prévoit des instruments pour la défense contre la publicité
abusive et trompeuse (voir chap. 5, sect. 5.5.2). La dénonciation de la députée cite elle aussi
les articles 6 et 37 du Code des consommateurs. Donc, à part bien sûr les dispositions de la
Constitution fédérale, ce n’est plus le CBARP qui sert de fondement aux actions publiques de
plus grande envergure, mais le CBDC. Le rapport final du Secrétaire général suivra donc
trois chemins différents : le bureau du Procureur de la République (pour la mise en place
d’une action civile publique), le bureau du Secrétaire de la sécurité publique de l’État de São
Paulo (car il s’agit d’un crime prévu dans la loi criminelle), et le CONAR.
La raison de détailler ici certains éléments du procès du Secrétariat de la justice est simple :
comme le président du CONAR l’avait déjà indiqué, les diverses observations avancées par
ces différents documents ont été soigneusement prises en considération par le rapporteur dans
son avis final. C’est ainsi aux arguments avancés par les plaignants, mais aussi aux
documents de défense acheminés à cette instance particulière que l’on se réfère dans le
rapport final du CONAR. Cette fois, comme on le verra par la suite, le CONAR est prêt à
revoir ses propres jurisprudences.
294
d) L’avis du CONAR
Le rapporteur Luciano Ornelas semble avoir bien compris la recommandation du Président
du CONAR. Dans son rapport d’une dizaine de pages, il reprend point par point les
principales conclusions du rapporteur final du Secrétariat de la justice de São Paulo : 1) on ne
peut accepter que l’intention de la campagne soit tout simplement d’associer couleurs, races
et croyances ; 2) il s’agit d’une publicité portant une connotation clairement discriminatoire.
Le Secrétaire de la justice s’appuie notamment sur l’art. 5 de la Constitution fédérale (qui
définit le racisme comme crime), sur l’art. 6 du CBDC (qui défend le consommateur contre la
publicité abusive et trompeuse), sur l’art. 37 du CBDC (qui définit la publicité abusive
comme toute forme de publicité discriminatoire), l’art. 67 du CBDC (qui prévoit une peine de
trois mois à un an et une amende pour tous ceux qui font ou promeuvent une publicité que
l’on sait ou que l’on aurait pu savoir discriminatoire) et, finalement, l’art. 20 du CBARP (qui
condamne la publicité discriminatoire).
Ornelas reprend également les arguments de la députée Célia Leão, énoncés dans le rapport
intermédiaire de l’assesseur pour la Défense de la citoyenneté, selon lesquels « les prix que
Benetton aurait éventuellement pu recevoir importent peucdlxxix » et qu’ « on ne discute pas ici
de la qualité carrément artistique du panneau en question, mais de sa conformité envers la
loicdlxxx. » On cite la conclusion du secrétaire, selon laquelle le fait que la publicité Benetton
soit faite à l’extérieur du pays, sous la responsabilité de l’annonceur lui-même, est totalement
sans pertinence. Le secrétaire déplore également le fait que l’agence J. W. Thompson ait pris
l’initiative de faire diffuser une campagne de cette qualité au pays. Le résumé reprend encore
la position du secrétaire vis-à-vis de la défense présentée par l’agence J. W. Thompson :
« Les documents présentés à ce Secrétariat par l’agence J. Walter Thompson déploient, en
leur faveur, le fait d’avoir été commanditées auprès d’un digne, laborieux et illustrissime
avocat. Néanmoins, ce n’est pas plus que celacdlxxxi 167. »
167
On doit mentionner ici que le plaidoyer acheminé par l’avocat Marco Antônio Rodrigues
Barbosa au Secrétariat de la Justice ne ressemble en rien à celui adressé au CONAR. Les différences
vont de la longueur du document (deux pages et demie pour le premier, trente-neuf pages pour le
295
Le rapporteur résume par la suite les arguments de la défense qui sont globalement les mêmes
que ceux que j’ai fait ressortir dans l’analyse du plaidoyer. L’avocat plaide pour la mise aux
archives de la représentation, soit parce qu’il n’y a pas de blâme, soit parce que la publicité a
été retirée de la circulation le 30 novembre 1991 (alors que le jugement en question a eu lieu
le 6 février 1992, donc plus de deux mois après le retrait de la circulation). Élément très
important reconnu par le rapporteur : l’avocat en question « rappelle que la représentation
d’office contre l’annonce de la femme noire allaitant un enfant blanc a été mise aux archives
à l’unanimitécdlxxxii. » Devant ce constat, il y a lieu de se poser la question suivante : quelle
sorte d’arguments avancés par la défense rendrait le rapporteur, éventuellement, susceptible
de réorienter la jurisprudence construite jusque-là ?
La réponse à cette question peut être obtenue dans l’avis étayé par le rapporteur dans la
conclusion de son rapport. Tout d’abord, il choisit de ne pas suivre la voie suggérée par la
défense —juger la publicité comme une pièce individuelle dans l’ensemble des publicités du
GB — pour se concentrer « sur les points de la défense où cette publicité est citéecdlxxxiii. » En
faisant deux ou trois références aux fautes d’orthographe de l’avocat (alors que le rapporteur
en fait aussi quelques-unes), ce dernier s’insurge contre le fait que l’avocat reconnaît dès le
départ que l’annonce est devenue connue dans les médias comme étant celle « du petit ange
et du petit diablecdlxxxiv ». Ornelas déplore le fait que, parmi les intentions citées par le
photographe Oliviero Toscani, on retrouve la prétention de poser un défi à l’autorité,
prétention
qui n’a d’ailleurs pas été soulignée par l’avocat. Finalement, le rapporteur
s’insurge contre le principe de l’inversion du blâme de préjugé racial utilisé par le GB, selon
lequel les interprétations favorisant la conclusion de discriminations raciales ont elles-mêmes
deuxième) jusqu’au ton et au choix des arguments. Dans sa version plus concise, sobre et objective, le
plaidoyer ressort, très brièvement, les faits suivants : la publicité du GB est préparée à l’extérieur du
pays, sous les auspices de l’annonceur ; l’usage de couleurs est une valeur éthique chez le GB ; les
annonces doivent être regardées dans leur ensemble, car « en dehors du contexte de ligne de la
publicité, celles-ci risquent de perdre leur sens » (“fora do contexto da linha da publicidade, podem até
perder o significado”, Chambres des députés de São José dos Campos c. Groupe Benetton et Agence J.
W. Thompson, 1991).
296
pour sources des préjugées raciaux. Toutefois, poursuit le rapporteur, les efforts du GB et de
J. W. Thompson ne s’arrêtent pas là. Dans une tentative de dernière minute, l’annonceur
présente, le 28 janvier 1992, un plaidoyer additionnel visant à répondre au CONAR sur les
principaux arguments avancés par le Secrétaire dans son rapport final. Ceci est résumé par le
rapporteur de la façon suivante :
Pour les avocats, le Secrétaire de la justice et son assessorat n’ont aucune raison de
considérer l’annonce raciste et discriminatoire. Au contraire, ils affirment que c’est la
compréhension du Secrétaire et de son assesseur qui est manichéiste et qui comporte
des préjugés.cdlxxxv
Mais c’est trop tard, semble-t-il, puisque le rapporteur a déjà tiré sa conclusion : « je suis
convaincu que si les idées expressément mélangées et les concepts confus avaient été
disposés de façon ordonnée et cohérente, la défense aurait elle-même condamné l’annonce
parce qu’elle va à l’encontre — en les frappant de plein fouet — des articles 1, 2 et 20 du
CBARPcdlxxxvi. »
La suite de l’avis du rapporteur n’a pas d’intérêt non plus pour comprendre l’encadrement
accordé à la question de la discrimination. Ainsi, en citant des extraits des œuvres La route de
la servitude du prix Nobel de l’économie de 1974, l’autrichien F. A. Hayek et l’Anthologie
libérale de Ludwig von Mises, le rapporteur essaie de « décaractériser les thèses politiques de
la défensecdlxxxvii ». En replaçant l’agence J. W. Thompson dans le contexte du nazisme, le
rapporteur ironise sur l’attitude que l’agence pourrait y adopter de façon hypothétique : à
celle-ci, il conviendrait de « réserver un espace dans les médias brésiliens pour une petite
annonce, probablement illustrée par les émanations de Dieu, à côté de son porte-parole Adolf
[Hitler]cdlxxxviii. » Autrement dit, le rapporteur replace l’annonce dans le contexte de la récente
montée de l’extrême droite en Europe en citant, entre autres, le fait que le politicien français
Jean-Marie Le Pen ait accumulé 20 % des votes.
297
On serait porté à croire qu’il s’agit là d’une démonstration typique du vieux réflexe brésilien
de renvoyer le problème du racisme à des « peuples étrangers ». Toutefois, dans ce contexte
précis, le rapporteur fait un pas en avant, en acceptant l’existence du racisme au Brésil :
La photo illustrant l’annonce de Benetton a laissé exposer dans les panneaux parsemés
le long du pays les blessures affreuses, encore distantes de la cicatrisation. Nous savons
que le racisme est supporté au Brésil — celui-ci n’est pas si explicite que celui de
Hitler contre les juifs ou de son équivalent nord-américain Klu Klux Klan, son
partenaire dans le champ des préjugés. Par contre, notre racisme n’est pas si dissimulé
que le regard de Capitu168. Nous avons nos chagrins et la conscience me dit que nous
ne devons pas plaisanter avec ceux-ci.cdlxxxix
On pourrait lire dans ces lignes une intention latente de minimiser le racisme au Brésil en le
comparant aux exemples les plus extrêmes du nazisme et du Klu Klux Klan. Quoi qu’il en
soit, le geste pris par le rapporteur dans la suite de son argumentation laisse place à plusieurs
conjectures :
Ainsi, pour montrer que cette photo agresse notre pays, je laisse les Noirs parler à
travers moi — des écrivains et poètes contemporains comme Carlos Assunção dans sa
Protestation :
« Un jour, les ovations et les roses du bonheur
m’ont été jetées tout d’un coup
De la prison où je me trouvais
Vers une prison plus ample
Ceci a été un cheval de Troie
La liberté qu’on m’a accordée »cdxc
Certes, il y a l’idée implicite d’un consentement dans la croyance qu’on pourrait laisser à
quelqu’un d’autre la possibilité de parler à travers sa propre voix. La parole est accordée, on
s’entend bien, elle n’est pas prise de plein droit. De fait, deux conclusions, non mutuellement
exclusives, sont possibles. On peut lire, de façon sous-jacente à l’idée d’accorder la parole
aux exclus, les indices du vieux paternalisme des élites blanches, qui recentrent sur elles168
Capitu est le personnage central d’un des romans les plus célèbres de la littérature brésilienne,
intitulé Dom Casmurro. La narration est faite en première personne par l’ancien mari de Capitu, pour
qui les yeux « dissimulés » de celle-ci cachaient des secrets insoupçonnés et à jamais découverts.
298
mêmes le pouvoir de définir ce qui est ou ce qui n’est pas de droit (comme on a d’ailleurs
voulu faire avec le propre processus de l’Abolition de l’esclavage au Brésil). Dans cette
perspective, cette réaction serait comparable à celle d’un sujet qui, devant une faute avouée,
cherche à reprendre le contrôle de la situation. Mais on peut également reconnaître dans cette
attitude le réflexe des conditions objectives de la population noire au sein du Conseil
d’éthique. En effet, compte tenu de leur très probable exclusion des délibérations ayant lieu
au sein du micropublic du CONAR, « citer » leurs paroles devient non seulement la solution
la plus simple mais aussi la plus conforme aux normes procédurales internes.
Ainsi, après avoir exhaustivement examiné les arguments de part et d’autre, la majorité des
membres du Comité d’éthique a compris que « l’annonceur, une fois de plus, révèle
l’intention de ‘choquer’ indistinctement la société et d’ ‘installer’ la polémique autour de sa
publicité, dans l’espoir de peut-être rendre celle-ci plus productive pour sa marquecdxci. »
Compte tenu des arguments énoncés antérieurement, le Comité d’éthique décide, le 6 février
1992, de recommander aux médias le retrait de la circulation de la publicité en question —
publicité qui, d’ailleurs, ne circulait plus depuis plus de deux mois — mais aussi d’émettre un
avertissement à l’annonceur.
e) Le recours de l’agence
Toutefois, cette décision ne s’est pas avérée définitive. Comme cela est prévu dans les
normes internes du CONAR, l’agence J. W. Thompson peut choisir d’aller de l’avant et
déposer un recours ordinaire auprès de la Chambre spéciale de recours, ce qui fut fait le 9
mars 1992. Tout au long de ses 26 pages, le document, signé par M.A.R.B. et S.M.D.F.
(responsables, respectivement, du premier et du deuxième plaidoyer), confrontera la décision
antérieure émise par le CONAR en mettant ce dernier face à face à ses propres contradictions
et ambiguïtés. L’argumentaire est divisé en cinq points principaux, lesquels sont résumés cidessous.
299
Dans la première section, intitulée « Jugement sans exemption : macule dans l’histoire du
CONRcdxcii », les avocats s’insurgent contre le ton et le contenu de l’avis du rapporteur :
celui-ci, en plus de faire un large usage de l’ironie pour corriger les erreurs d’orthographe de
l’avocat responsable du document reporté, aurait convenablement filtré les arguments de la
défense au détriment de celle-ci. Selon ces derniers, le rapporteur a notamment omis de
reproduire les arguments référents à toute la ligne de produits du GB, en privilégiant
seulement ceux portant sur la publicité dénoncée. De ce fait, les avocats plaident pour que le
jugement, cette fois-ci, porte sur le mérite de la représentation, à savoir, sur le fait que la
publicité soit ou non racialement discriminatoire.
Dans la deuxième section, portant sur « les fonctions et la responsabilité du CONARcdxciii »,
les avocats rappellent que celui-ci est un organisme de formation spontanée, auquel
souscrivent volontairement les agences de publicité nationales. Toutefois, en même temps
que celles-ci renforcent l’importance du CONAR dans l’inhibition des abus, le respect du
droit des consommateurs et la solution rapide des divergences entre annonceurs, agences et
médias, ils tiennent à rappeler au CONAR ses responsabilités. « Il est indispensable que, dans
les jugements émis, on applique la norme qui discipline le marchécdxciv. » En arguant au nom
de la norme du marché, les représentants légaux de l’agence J. W. Thompson estiment qu’il
appartient aux membres du Comité d’éthique du CONAR de « tout simplement vérifier si la
publicité porte atteinte à la norme du marché, laquelle, même en ayant un contenu éthique,
possède un caractère général qui ne peut souffrir aucun rapport avec le sentiment personnel
d’un conseiller ou d’autrescdxcv. »
Certes, à la base de l’idée d’un ensemble de normes éthiques homogènes et unifiées face aux
impératifs du marché, demeure une vision du droit dénuée de toute sa dimension
interprétative : « Un juge de droit, en énonçant une sentence, applique ce que le droit dit et
non son opinion sur ce que le droit aurait dû direcdxcvi. » La troisième section, intitulée « Un
organisme politiquement fort et un organisme politiquement faiblecdxcvii », les avocats
proposent une interprétation sui generis du conflit qui se dessine devant le CONAR. Selon
eux, nous vivons dans un contexte où prédomine la norme du « politiquement correct » —
300
« terme qui correspond à la détermination sur ce qui est la conduite correcte et ce qui est la
conduite erronéecdxcviii. » De ceci résulte l’adoption d’attitudes à la fois « rigoureuses » et
« intolérantes », fondées sur la prescription du comportement individuel et la censure. Née de
sentiments expérimentés par les victimes de la discrimination, la norme du politiquement
correct retombe sur deux types de proie : 1) ceux qui « en souffrent les exigencescdxcix » et qui
ne maîtrisent pas « les raisons de faitsd » ; 2) les opportunistes. Selon ce modèle explicatif, les
organismes politiquement forts seraient capables d’appliquer leurs décisions en fonction de
l’intérêt public, alors que les organismes politiquement faibles « agissent dans le sens opposé,
en perdant la référence de leur devoir public et en décidant selon des intérêts particuliers,
sinon illégitimesdi. » En d’autres termes, l’organisme politiquement faible n’a pas le
« pouvoir moral » de supporter la confrontation morale entre les minorités et les
opportunistes.
En transposant ce raisonnement au contexte en question, les avocats saisissent trois groupes
distincts. Toujours selon eux, on retrouve, d’une part, l’agence J. W. Thompson et le GB,
responsable de la campagne publicitaire qui a davantage célébré, en tout temps, la rencontre
des races. D’autre part, il y a les secteurs représentatifs de la communauté noire qui, « compte
tenu de la propre histoire [de cette communauté] de discrimination et de ségrégation,
attribuent à l’annonce une connotation racistedii. » Finalement, il y a les opportunistes qui,
pour des raisons variables, adhèrent à la norme du politiquement correct. On cite comme
exemples d’opportunisme : les journaux, « où la propagation de l’idée a pris la place des
faitsdiii » ; le rapporteur, qui a délibérément détourné le jugement en première instance ; et le
Secrétaire de la justice qui « s’efforce de montrer, en pleine année d’élections, que le
gouvernement de São Paulo lutte contre le racismediv. » Compte tenu de ce rapport de forces,
concluent-ils, le CONAR ne serait capable de se montrer en tant qu’organisme politiquement
fort que s’il arrive à affirmer : 1) l’intention du photographe du GB de discriminer
racialement ; 2) que la publicité porte atteinte à une norme du CBARP ; 3) que la publicité
porte préjudice de n’importe quelle façon à un consommateur.
301
Dans la quatrième section, nommée « Intolérance et mépris envers l’intelligencedv », les
avocats se plaignent du fait qu’en condamnant le GB, le CONAR commet une injustice, car
« aucun annonceur n’aurait utilisé, dans ses publicités, plus de personnes noires que
Benettondvi. » Ainsi, en citant des extraits d’une lettre probablement envoyée par le Centre de
la conscience noire de l’Université de São Paulo, les avocats estiment que les activistes ont
vu de la discrimination dans la publicité à cause de variables autres comme le « processus
séculaire d’esclavagedvii » auquel les noirs ont été soumis, ou encore parce que « la
discrimination raciale a marginalisé le Noirdviii », mais non parce que la publicité était en soi
discriminatoire. « Ceci est, à vrai dire, la condamnation de l’intelligencedix » et le jugement
du CONAR, une atteinte à la justice.
Le cinquième et dernier point, portant sur « le contenu effectif de l’annoncedx » revient sur le
point que le CONAR a déjà adopté, à l’unanimité, une décision contraire à la celle prise lors
du jugement du procès n° 076-90. Évidemment, on transcrit mot pour mot l’avis que la
rapporteuse Eliana Cáceres avait émis à l’époque. La question que se posent les auteurs, non
sans raison, est celle-ci : comment le GB aurait-il pu révéler, une fois de plus, l’intention de
choquer la société si le CONAR ne s’était jamais prononcé dans ce sens ? Ce à quoi ils
répondent : « Pour qu’on qualifie l’annonce de raciste, il serait nécessaire, de plus, que
l’annonceur ait eu cette intentiondxi. » Mais, au contraire, il s’agit tout simplement de « deux
fillettes adorables, l’une blonde, avec un air ingénu, l’autre noire et d’aspect mystérieux, avec
une coiffure afro, d’usage commun parmi les enfants et femmes africainesdxii. » De plus,
expliquent-ils, le GB n’a jamais voulu représenter l’ange et le diable, mais plutôt « ironiser »
dans ce sens, en utilisant le contraste en question. L’ironie, estiment-ils, est un élément
fondamental pour « faire ressortir le fait que stéréotyper est une attitude inutile, qui incite à
des préjugés et à de la discriminationdxiii. » La suite de l’argument plaide pour une
interprétation de la publicité dénoncée dans le cadre de l’ensemble de la campagne, en plus
d’apporter les témoignages des modèles africains Vouma Diakite et Roka Gueye sur le plaisir
éprouvé dans leur travail avec Benetton (copie de l’original avec traduction et copies des
pages de passeport de ces dernier sont annexées au procès).
302
Il existe assurément une disproportion entre le ton et la longueur du plaidoyer de l’agence et
celui de l’annonceur. Ce dernier, signé par les avocats Ubiratan Mattos et Rodrigo M.
Carneiro de Oliveira, prône de manière beaucoup plus succincte et moins provocatrice que le
précédent, l’absence d’objectif discriminatoire dans la publicité en question. Les responsables
du document commencent notamment par énoncer « l’intégration de couleurs, personnes et
racesdxiv », ou plus particulièrement le contraste entre les couleurs, tout comme la philosophie
du GB. Celle-ci doit fournir le contexte — ou cadre — approprié pour l’interprétation
« adéquate » de la publicité dénoncée. « Et ce contraste, signalent-ils, est sans équivoque
présent dans la publicité en cours d’examen, dans la mesure où en même temps qu’on perçoit
deux fillettes de races et couleurs différentes, on note que toutes les deux se donnent
l’accolade, dans un geste de tendresse, de respect et d’intégrationdxv. »
Le problème, notent les avocats, est qu’on n’a mentionné que très superficiellement la
publicité en question, en oubliant de la mettre dans le contexte approprié. Les comparaisons
proposées par le CONAR dans son rapport ne sont pas pertinentes parce qu’elles ignorent le
contexte en question. En admettant que la publicité puisse causer de la polémique, signalent
les auteurs, le GB n’est coupable en soi d’aucun crime ou abus. Au contraire, « la publicité
conçue par Benetton est une invitation à la réflexion, puisqu’elle aborde des thèmes actuels et
démontre que l’intégration universelle est au-dessus de n’importe quel taboudxvi. » De ce fait,
« il n’y a aucune discrimination dans le fait que la fillette blanche sourit alors que la fillette
noire, nondxvii. »
En ce qui concerne la légalité de la publicité en question, les avocats dénoncent l’inexistence
d’une « typification légale, au moins au Brésil, de la pratique de la publicité en
discussiondxviii », ce qui les amène à conclure que « la polémique et l’impact des opposés ne
constituent aucun crimedxix. » Ils déplorent également le fait que la décision du CONAR
s’appuie sur une perception subjective, alors que la même publicité a fait l’objet d’une
appréciation beaucoup plus favorable ailleurs. Bref, le CONAR dépasse les limites de ses
attributions en pratiquant de la censure à la libre expression artistique, comme le démontre
l’extrait suivant :
303
C’est dans ce contexte qu’on doit faire ressortir les limites de l’action du CONAR. Sa
fonction en tant qu’organisme de réglementation de la publicité n’est pas d’imposer
des limites à la créativité ni à l’art publicitaire. Imposer la censure n’est aucunement la
finalité du CONAR, soit parce que celui-ci n’est pas un organisme judiciaire, soit aussi
— et principalement — parce que ces limitations chamboulent les garanties
constitutionnelles du pays.dxx
Les avocats concluent en citant les articles 5 et 220 de la Constitution fédérale, qui
déterminent, respectivement, l’égalité devant la loi et la « libre expression de la liberté
intellectuelle, artistique, scientifique ou de communication, indépendamment de toute
censure ou licencedxxi. »
Bien qu’annonceur et agence déplorent de façon égale la décision du CONAR en remettant
en question la légalité de celle-ci, il semble quand même y avoir une sorte de « division »
implicite du « travail » de défense. Alors qu’il revient plus spécifiquement à l’annonceur de
prouver l’absence d’une quelconque intention discriminatoire dans la publicité dénoncée,
c’est à l’agence que revient le rôle de rappeler au CONAR les limites de ses « attributions »
originelles. La réplique de l’agence démontre bien qu’elle avait mal digéré non seulement la
décision, mais aussi la synergie entre le rapporteur et le Secrétaire de la justice. Les âmes
s’exaltent, les échanges provocateurs se poursuivent. Dans une lettre datée du 6 avril 1992,
l’agence et l’annonceur exigent par écrit la présence du maximum de membres prévus dans
une séance de jugement de recours ordinaire, en déplorant certains déraillements du conseil,
comme le fait de permettre le recours à une décision unanime et qu’un nombre de votes
inférieur à celui de la première instance détermine la décision finale. Dans sa réponse, le
Président du CONAR ironise sur la proposition, en affirmant que « ce que les pétitionnaires
peut-être ne savent pas (…), c’est que le CONAR convoque toujoursdxxii » le nombre
maximal de huit membres pour la Chambre de recours, bien que lui-même « fasse confiance
à la décision de cette chambre, peu important le nombre de ses membresdxxiii. »
Dans cet état d’irritation de part et d’autre, on se demande quelle sorte d’appréciation fera le
rapporteur de la chambre de recours.
304
f) L’avis du rapporteur de la chambre de recours
Il ne me semble pas nécessaire de refaire ici tout le parcours du procès argumentatif du
procès. J’aimerais maintenant m’attarder sur l’avis du rapporteur. Dans un rapport daté du 7
avril 1992, le rapporteur avertit dès le départ que « par ses implications de caractères
philosophique, politique, juridique et, encore même par ses répercussions sociales, nous
comprenons que celui-ci est l’un des procès les plus graves de toute l’histoire, déjà féconde,
du CONARdxxiv. » Les lignes qui suivent offrent un plaidoyer pour la légitimité et le caractère
démocratique du CONAR. Ingénument, argue le rapporteur Arthur C. Amorim, l’annonceur
et l’agence confondent censure avec éthique. Alors que la première possède un « caractère
autoritaire » et qu’elle est « exercée arbitrairement » par quelqu’un qui fait prévaloir ses
critères personnels, sans laisser aucun droit à la défense,
(…) le jugement éthique du CONAR est démocratique, exercé par une chambre
composée de conseillers d’origines et de professions assez diversifiées, d’après un
code établi, rédigé, voté et approuvé par toute une classe professionnelle — nous, les
publicitaires — avec un droit entier à la défense, comme peuvent bien en témoigner
Benetton et Thompson d’après leurs expériences avec le CONAR.dxxv
Certes, on ne semble pas s’inquiéter du fait que le caractère « démocratique » du CONAR
défavorise largement les citoyens ou consommateurs vis-à-vis du secteur publicitaire, auquel
revient la prérogative du « droit total à la défense ». Quoi qu’il en soit, la suite de l’argument
essaie de prouver, en établissant un parallèle entre le CBARP et le British Code of
Advertising, que le CONAR ne limite aucunement la créativité publicitaire. « Le code du
CONAR peut être considéré doux lorsque comparé au code anglaisdxxvi », assure-t-il, alors
que la publicité britannique s’est avérée « de loin la plus créativedxxvii. » Le rapporteur
poursuit sa défense de la légitimité du CONAR en soulignant sa force morale : « Le code est
tout simplement une systématisation que la classe publicitaire elle-même a établie pour
annoncer correctement. Celui-ci n’a pas de valeur légale, mais une valeur morale, argue-tildxxviii. »
305
Pour maintenir le statu quo et garder une certaine légitimité au sein du secteur qu’il
représente, le CONAR semble être prêt à négocier. Ici, l’un des aspects « négociés » a
justement été le blâme pour discrimination raciale. « Il est certain que Benetton n’est pas
responsable de tout ce que le Brésil a fait, et continue à faire, aux Noirs. Benetton est
seulement responsable de ne pas exploiter ou provoquer ce sentiment dans le panneau
publicitairedxxix. » Ceci veut dire, en d’autres termes, que le GB a été carrément exempté de
l’intention d’être discriminatoire, allant ainsi à l’encontre des arguments soulevés dans les
médias par les propres acteurs de la société civile, comme on le verra par la suite. Ainsi,
« selon la compréhension de ce rapporteur, ce panneau contrevient à cet article [20], il est
offensant, même si l’on n’a pas eu cette intentiondxxx.»
Pour conclure son plaidoyer, le rapporteur du recours défend son homologue ayant exercé
dans la première instance de jugement, en estimant que le prétendu excès d’ironie de ce
dernier a constitué une réponse justifiée à une « certaine dose d’ironie »dxxxi de la part des
avocats. « Vouloir qualifier le Secrétaire de la justice de raciste pour avoir initié un procès en
vue exactement de combattre ce sentiment, irriterait n’importe quel rapporteur, avoue-tildxxxii. »
Somme toute, le rapporteur vote pour le maintien de la peine de retrait de la circulation —
qui n’a d’ailleurs aucun effet de sanction, car la publicité ne circulait plus depuis au moins
cinq mois — tout en retirant la peine d’avertissement, l’absence d’intention étant une
circonstance atténuante. Acclamé à l’unanimité par les neuf membres (un de plus que ce qui
était prévu par la norme interne) de la Chambre spéciale de recours, l’avis du rapporteur
devient la décision finale et définitive du CONAR, émise le 9 avril 1992.
306
g) La délibération selon les médias
On peut diviser les articles, reportages, notes et éditoriaux de journaux en deux blocs
différents : ceux récoltés par le CONAR lui-même et celui faisant partie du repérage extensif
mené par le Secrétariat de la justice et de la défense de la citoyenneté de São Paulo.
En ce qui concerne le matériel sélectionné par le Secrétariat de la justice, celui-ci fait état des
actions menées au niveau judiciaire, mais aussi par les entités du mouvement noir, dans la
période comprise entre le 21 novembre et le 12 décembre 1991. En effet, ces reportages
montrent que l’action punitive du CONAR est une réaction assez tardive par rapport à la
vague de protestations qui a été déclenchée dans diverses régions du Brésil.
À l’instar du dernier procès, la polémique s’installe d’abord à São Paulo pour ensuite gagner
d’autres capitales. Chose certaine : la campagne du GB a sûrement été à l’ordre du jour à
l’occasion de la célébration de la Journée de la conscience noire le 20 novembre de la même
année, alors que la campagne était encore en pleine circulation. Un événement déclencheur
de la polémique a justement été le discours de la chanteuse Lecy Brandão lors d’un cycle de
débats menés par l’Université de São Paulo (USP), le 20 novembre 1991, et ayant comme
thème la production de l’artiste Noir. Le quotidien Folha de São Paulo (Rossetti, 1991) y
dédie toute une page de reportages, en mettant en avant le mot d’ordre lancé par la
chanteuse : « Hier, Journée nationale de la Conscience Noire, Lecy a proposé la mise en
place d’une campagne contre les panneaux, rapporte-t-ildxxxiii. » Les efforts de Brandão ne
sont pas passés inaperçus. Dans un court reportage portant sur les répercussions de la
campagne par le quotidien Diário do Comércio (1991) du 3 décembre 1991, on signale que
« les premières critiques au sujet de la campagne ont émergé lors du débat, réalisé la semaine
passée dans l’USP, portant sur ‘la production de l’artiste Noir’dxxxiv ». Le lendemain, une note
publiée dans le quotidien O Globo (1991), à Rio de Janeiro, est clôturée par l’avis du Centre
de la Conscience Noire de l’USP, lequel « a interprété la coiffure comme étant des
cornesdxxxv. »
307
D’autres artistes noirs se sont aussi prononcés contre la campagne, leurs témoignages étant
repris dans plusieurs articles. Par exemple, l’avis du vice-président du groupe de musique
afro-brésilienne Olodum, Petronilho Alves, a été repris dans un reportage du quotidien Diário
do Comércio (1991) de même que dans l’éditorial du quotidien Folha da Tarde (1991) : « Il
s’agit d’une injustice affreuse contre les Noirs, s’insurge-t-ildxxxvi. » Mais contrairement au
procès précédent où les journalistes ont omis d’afficher explicitement des avis personnels
dans leurs articles, ces derniers en viennent à se prononcer ouvertement et à blâmer de plus
en plus la stratégie publicitaire du GB, comme dans l’éditorial mentionné ci-dessus.
Suite à la première vague de protestations déclenchée par les mouvements noirs, c’est au tour
du Secrétariat de la justice d’entrer en scène. Ainsi, dans la semaine suivant la publication du
témoignage de Lecy Brandão, la demande d’explication lancée par le Secrétaire de la justice
à l’agence et à l’annonceur, dans un délai de cinq jours ouvrables, est rapportée dans
plusieurs notes de la presse de la capitale de l’État de São Paulo. Les titres en disent long :
« La Justice demande des explications sur le panneau de Benettondxxxvii », paru dans le
quotidien Folha de São Paulo (1991); « Préjugé »dxxxviii (1991) et « Bonne dispute »dxxxix
(1991), parus tous les deux dans le quotidien Diário Popular. L’indignation rebondit aussi au
niveau judiciaire par le biais du bureau du Procureur spécial pour la défense des
consommateurs — ce dernier étant Clayton Camargo —, à Curitiba, capitale du Paraná.
Selon le court reportage paru dans le quotidien O Globo (1991), celui-ci devient le premier à
déposer une plainte au niveau judiciaire local afin de contrer la mise en circulation de la
publicité du GB. Son interprétation donne une idée claire de l’encadrement accordé cette
fois-ci à la question de la discrimination raciale : « La fillette blonde, blanche et souriante
symbolise le bien, alors que la fillette noire, triste, portant des cornes, symbolise le mal.
Qu’une multinationale fasse de la publicité en offensant notre histoire, nos valeurs et notre
formation, c’est avilissant — dénonce le procureurdxl. » Le Procureur n’est pas le seul à
penser de cette manière. L’artiste noir Petronilho Alves avait lui aussi abondé dans le même
sens dans le reportage du Diário do Comércio, Indústria & Serviço du 26 novembre : « Seule
une multinationale montrerait un Noir en tant que diable et un Blanc en tant qu’angedxli. »
308
Quoi qu’il en soit, le premier à accorder le retrait de la circulation de la publicité n’est ni le
CONAR ni le Ministère public, mais plutôt le juge Romildo Vale à Recife, capitale de l’État
de Pernambuco. La décision de couvrir 80 panneaux publicitaires a été rapportée le 12
décembre 1991 à Rio de Janeiro (1991) ainsi qu’à São Paulo (1991) comme conséquence de
la plainte déposée par le député municipal Vicente André Gomes. Dans son témoignage au
Jornal do Brasil, le député fait connaître sa soif de justice : « Cela ne m’intéresse pas du tout
de simplement retirer les pièces publicitaires. Je veux mettre les responsables régionaux de
Benetton en prison pour le crime de racismedxlii. » Fait digne de mention : le retrait a été fait
douze jours après la date de fin de mise en circulation que le GB avait communiquée au
CONAR.
Lorsque la discussion est encadrée sous la forme d’une polémique, la balance penche
légèrement vers le côté mécontent de la publicité en question. Dans un reportage de João
Carlos Pedroso, paru dans O Globo, trois personnes reconnaissent l’existence du racisme
dans la publicité, deux sont contre, et un dernier croit que la publicité n’est pas
intentionnellement raciste. Les publicitaires, quant à eux, disparaissent tout simplement des
pages des journaux. Le seul professionnel à y intervenir est le directeur de l’agence J. W.
Thompson, Giancarlo Marchesini. Son interprétation de la publicité est citée dans une note
parue dans le quotidien Folha de São Paulo (1991), ainsi que dans le reportage paru dans le
Diário do Comércio le 26 novembre (op. cit.). Curieusement, le témoignage de celui-ci
publié dans le quotidien Folha de São Paulo va à l’encontre des arguments soutenus par les
avocats de Benetton. En effet, Marchesini affirme que l’annonce « n’est pas raciste, [elle n’a
pas d’] intérêt à créer de la polémiquedxliii. » Après le 26 novembre 1991, le GB n’accorde
plus de déclarations à la presse, au moins en ce qui concerne l’ensemble des articles
sélectionnés dans ce procès.
D’un autre côté, les articles, reportages et notes récoltés par le CONAR sont moins nombreux
et plus ponctuels. La décision du CONAR de « retirer » la publicité de la circulation a été
rapportée dans un article paru dans le quotidien Gazeta Mercantil (Nunes, 1992) le 7 février
de même que dans le Estado de São Paulo (Beirão, 1992) le 11 février 1992. Dans le premier
article, on communique la décision du CONAR « hier, de suspendre la circulation de la
309
publicité de Benettondxliv ». Dans le deuxième article, on atteste carrément que deux
publicités de Benetton — celle faisant l’objet de ce procès et une autre où un prêtre et une
sœur s’embrassent — « ont été retirées de la circulation, la semaine passée, par décision du
CONARdxlv ». Ici, la tentative du CONAR de regagner le contrôle de la situation en
s’autopromouvant comme l’agent à l’origine du retrait de la circulation est une hypothèse
assez raisonnable.
À part ceux-ci, le reportage intitulé « Annonce faite pour choquerdxlvi », paru le 28 janvier
1992, mérite une attention spéciale (Pinto, 1992) Dans celui-ci, le journaliste Celso Pinto fait
un bilan des polémiques que les publicités du GB avaient jusqu’alors soulevées en
Angleterre. Pinto commence par faire part du boycottage de la dernière campagne de
Benetton par la revue Elle. On apprend par la suite que l’Advertising Standards Association
(ASA), l’équivalent du CONAR en Angleterre, avait déterminé le retrait de la publicité qui
montrait un jeune homme atteint de SIDA en train d’agoniser dans son lit. En associant la
stratégie du GB à la recherche de publicité gratuite, le journaliste finit par donner deux
exemples où la décision de retrait de la circulation de l’ASA n’a pas été respectée dans ce
pays. Le premier est celui du magazine The Face, qui a décide de publier ladite annonce et de
reverser l’argent récolté à une institution de charité, c’est-à-dire de faire ainsi sa propre
publicité sur la publicité abusive du GB. Le deuxième a été celui du GB lui-même, qui a
ignoré la décision de retrait de la circulation d’une publicité qui montrait un nouveau-né
saignant, portant encore son cordon ombilical. En guise de conclusion, le journaliste compare
la stratégie du GB avec celle utilisée une fois par la chaîne de bijoux de luxe de Gérard
Ratner : livrer des déclarations d’impact dans les médias comme moyen d’attirer l’attention
des médias sur soi. Bref, en rapportant la perte gigantesque de profits essuyée par ce dernier
suite à une déclaration maladroite dans les médias, Pinto semble suggérer (ou peut-être
souhaiter) que le GB risque finalement de suivre le même chemin.
Pour conclure, c’est au tour des articles d’opinions de faire surface. Le premier est publié par
Solange Lima (1991), la semaine du 9 au 12 décembre 1992, professeure d’anthropologie de
la communication à l’École de communication et d’arts de l’USP. Le deuxième est publié par
310
le journaliste et activiste noir Fernando Conceição dans le quotidien A Tarde (1992). Dans
« La publicité et les symboles raciauxdxlvii », Lima propose une analyse de la polysémie de
plusieurs publicités du GB, pour conclure, au sujet de la campagne dénoncée dans le procès
n° 229-91 : « Je ne peux pas percevoir la possibilité d’une deuxième, d’une troisième ou
d’une quatrième lecture. La polysémie a laissé la place, dans ce cas-ci, à une image
univoque : celle qui (…) associe le Noir au mal et le Blanc au biendxlviii. » Comment, alors, ne
pas voir dans cette publicité un contenu nettement raciste, se demande-t-elle. Autrement dit,
comment ne pas l’interpréter selon les sens socialement construits dans la société
brésilienne ?
Le chemin choisi par Conceição, quant à lui, est tout à fait différent de l’antérieur. En
plaidant pour l’inexistence du langage en tant qu’instance « autonome », « désengagée » de
son contexte social et historique, Conceição cherche des références théoriques allant
d’Umberto Eco à Walter Lippmann, en passant par Mikhail Baktin. Son point peut être
résumé ainsi : il n’y pas d’ingénuité idéologique dans les publicités du GB, mais plutôt le
réflexe d’expériences historiquement accumulées. Curieusement, des extraits de l’article de
Conceição avaient été cités dans le document de la défense, à la Chambre de recours, comme
une évidence de l’absence de blâme dans la publicité de deux fillettes en accolade. D’une
part, la conclusion que les avocats tirent de cet article est juste : Conceição blâme l’usage
qu’on en fait dans une société « manichéiste et cartésienne, positiviste et chrétiennedxlix ».
D’autre part, il y a un point que personne ne semble avoir soulevé dans ce débat et qui peut
être brièvement résumé ainsi : la société brésilienne n’est pas la seule à porter les signes du
manichéisme chrétien, ou encore même de la pensée cartésienne ou positiviste. Bien au
contraire, ces traits sont présents dans plusieurs cultures occidentales. Dans cette perspective,
le blâme pour discrimination raciale de l’annonce en question pourrait bel et bien être retracé
dès sa source, en passant, évidemment, par les mains des représentants malveillants de
l’agence et de l’annonceur au pays.
311
Un dernier aspect de l’article de Conceição n’a été abordé nulle part ailleurs dans les médias :
les négociations entamées entre le GB et les représentants des associations de défense de la
cause noire, particulièrement ceux du Centre de la Conscience Noire de l’USP et du Conseil
de participation et de développement de la population noire de São Paulo. Conceição fait part
du débat ayant lieu dans les coulisses, des explications proposées par l’agence Thompson —
virtuellement les mêmes que celles acheminées au CONAR —, de l’intérêt des membres du
Centre de poursuivre le GB en justice. L’idée est que l’annonceur « soit obligé de réparer les
dommages moraux que sa publicité a générésdl », en diffusant une publicité où il s’excuse
formellement devant la société brésilienne. Ce désir de réparation, comme on le verra par la
suite, demeure au centre des aspirations des critiques de la publicité racialement
discriminatoire.
7.2 3. Troisième phase des procès pour discrimination raciale (2000-2005)
7.2.3.1. Procès n° 068-05169 — la laine d’acier d’Assolan
Le dernier procès que j’analyserai dans ce travail a eu lieu en 2005 et constitue le seul cas de
discrimination raciale ayant reçu l’attention des médias dans la troisième phase des procès
pour discrimination raciale déposés auprès du CONAR. L’écart existant entre le procès
précédent et celui-ci — quatorze ans — est assez long pour que de multiples changements
prennent place dans la société brésilienne, tout comme dans le contexte international de lutte
contre le racisme. On peut notamment citer l’amplification d’un marché de produits ciblés sur
le public afro-brésiliens (voir sect. 4.7), la tenue de la 3e Conférence mondiale contre le
racisme à Durban en 2001 (voir sect. 2.5) et la mise en place d’un Secrétariat spécial de
politiques pour la promotion de l’égalité raciale ayant statut de ministère (malgré ses
limitations structurelles et budgétaires) à partir de 2003.
169
Voir dans Borba c. Assolan, 2005.
312
Malgré tous ces changements, la dernière grande polémique autour d’une publicité accusée
de promouvoir la discrimination raciale avait eu lieu en 1995 avec le procès n° 080-95170, soit
dix ans avant la mise en scène du procès en question. En contrepartie, comme je l’ai
démontré dans l’analyse quantitative des procès pour discrimination raciale (voir sect. 7.2.1),
45,16 % de ce type de dénonciations est concentré dans cette dernière phase. On voit
également, à partir de 1995, une croissance exponentielle des plaintes pour discrimination
mais pour des raisons autres que la discrimination raciale à proprement parler.
Plusieurs facteurs expliquent la croissance des plaintes au sein du CONAR. L’un des plus
évidents est la mise en place du site web du CONAR, lequel devient un outil majeur dans la
captation de l’opinion des consommateurs. Évidemment, le fait que le dépôt d’une plainte
auprès du CONAR soit gratuit est un élément fondamental pour garantir une participation
plus active de la part des consommateurs. Mais l’Internet devient en soi un outil de
mobilisation : c’est par le biais de cet instrument qu’on fait circuler les nombreuses pétitions
pour protester contre le sexisme dans les publicités pour des bières brésiliennes, contre la
dépréciation des homosexuels dans les publicités pour une voiture, ou encore, contre la
publicité pour une mayonnaise qui utilise l’image d’une tribu cannibale pour montrer l’effet
« civilisateur » du produit en question. Mais la polémique instaurée autour du procès n° 06805 est d’autant plus importante que celui-ci représente le seul cas de discrimination raciale
sur lequel les médias ont fait la lumière. De plus, cela a été le seul et unique cas de
discrimination raciale dans cette phase pour lequel au moins une forme de reconnaissance du
dommage de discrimination raciale a été obtenue. Autrement dit, 13 procès sur 14 ouverts
pour discrimination raciale dans cette phase ont été mis aux archives, sans aucune forme de
reconnaissance du dommage. Ces indices sont essentiels pour comprendre les défis qui se
posent non seulement aux mouvements noirs mais aussi au CONAR lui-même à l’heure
actuelle.
170
Voir dans Sociedade Mineira de Cultura Nipo-Brasileira c. Condomínio Casa Raja Shopping
et Agence R&C, 1995.
313
a) La dénonciation
La première caractéristique qui saute aux yeux par rapport aux procès analysés
antérieurement est le grand nombre de citoyens ordinaires, c’est-à-dire de citoyens qui
interviennent auprès du CONAR en tant qu’individus et non comme représentants d’une
organisation non gouvernementale ou d’une entité politique quelconque. Parmi les 22
plaignants, on retrouve 19 individus qui s’adressent au CONAR en tant que citoyens, 2
membres d’ONG et 1 membre d’un conseil gouvernemental. Cette stratégie d’intervention
contraste largement avec celle utilisée par les mouvements noirs à l’occasion du procès 07690, où le seul plaignant n’appartenait à aucun groupe ou aucune association ni ne faisait
partie de mouvements noirs. Un détail : les plaintes ont été déposées exclusivement par le
biais d’Internet.
Bien sûr, le ton du discours d’accusation tenu par le plaignant change radicalement, comme
on peut le percevoir dans le témoignage de Maria das Graças Oliveira, lequel commence par
les mots qui suivent :
Je suis noire et je suis fière de ma race. Je suis Brésilienne et travailleuse. Je me sens
agressée par la publicité en circulation à la TÉLÉVISION. Ce sont des enfants qui
portent des cheveux ASSOLAN. C’est un message raciste et plein de préjugés. On y
met des enfants blancs avec les cheveux pour réduire l’impact. Mais je me sens mal en
voyant une image si raciste. Pour vendre leurs produits, les entreprises ne se gênent pas
de vendre une image où nous, les Noirs, sommes une fois de plus discriminés. On a
changé les cheveux « bombril » par ceux « assolan ». Je sollicite que des mesures
soient prises et que cette publicité RACISTE soit retirée de la circulation. Je ne peux
accepter que ce type de publicité raciste continue d’exister. J’écris depuis la maison de
ma patronne.dli
Certes, il faut d’abord expliquer ce à quoi au juste réfère le produit en question et quel est son
rapport avec un autre produit, au Brésil, très connu sous le nom de « bombril ». En fait,
« Bombril », une marque de laine d’acier qui appartient à l’entreprise Bombril S.A., est
devenue tellement connue au Brésil que la marque a fini par prêter son nom au produit. Après
avoir dominé seule, depuis 1948, le marché de la laine d’acier au Brésil, Bombril en vient à
314
devoir faire face à une concurrente à partir de 2003, l’entreprise Assolan. Le grand défi qui se
pose à la laine d’acier d’Assolan est de dissocier le produit de la marque concurrente. Comme
on le verra par la suite, pour y arriver, il faut d’abord déconstruire l’association existant, au
Brésil, entre la laine d’acier et les cheveux frisés des Noirs. Le témoignage de la plaignante
Rebeca Oliveira Duarte est assez explicite à cet égard :
Le format de la perruque utilisée dans la publicité ‘Bébés’ est une association avec les
cheveux ‘black power’. La question est que l’un des surnoms discriminatoires vis-à-vis
des cheveux de la personne noire a toujours été ‘cheveux bom-bril’ ; il me semble que
l’Assolan veut concurrencer avec la Bombril même dans ceci ! Je proteste contre la
publicité, laquelle incite à la formulation de surnoms chargés de préjugés contre les
cheveux crépus. L’agence publicitaire responsable, l’Africa São Paulo Ltée, est
associée au CONAR.dlii
En effet, la publicité en question montre plusieurs bébés, de races et de couleurs différentes,
portant tous le même trait identitaire : une perruque de laine d’acier stylisée (voir app. B.4).
Anna Davies, membre du Conseil municipal de défense des droits du Noir (COMDEDINE),
formule le problème de la discrimination au nom de l’organisation qu’elle représente, dans
les termes suivants :
Selon notre compréhension, la fameuse publicité commerciale pour l’ASSOLAN
pèche par racisme de deux manières : 1) de manière ostensible ou subliminale, car
celle-ci induit la pensée selon laquelle les cheveux de noirs sont comparativement aussi
durs que l’acier, en plus d’être âpres, contribuant à la continuité ou à la création du
préjugé par rapport aux cheveux de l’ethnie noire. Cette comparaison désastreuse se
prête à des blagues pleines de préjugés et de mauvais goût qui porteront atteinte,
principalement, à nos enfants dans leurs milieux scolaire et social ; 2) elle attaque de
manière frauduleuse l’un des symboles de la Beauté Noire : les cheveux style Black
Power, qui ont servi, depuis les années 1960, à stimuler l’auto-estime et à créer une
image positive pour la négritude mondiale.dliii
Les deux extraits démontrent bien le changement de cap de la perception de la discrimination
raciale par rapport aux procès antérieurs : ici, ce n’est plus la différence de traitement accordé
aux enfants blancs et noirs qui compte, comme dans le procès 229-91 ; c’est la thématisation
d’une situation — des enfants portant des cheveux de laine d’acier — pouvant nuire à
315
l’intégrité et à la dignité, surtout celles des enfants afro-brésiliens. On passe donc de la
formulation du problème en termes de traitement accordé objectivement aux divers groupes
raciaux ou ethniques dans une représentation quelconque à l’explicitation du dommage
subjectif causé aux membres d’une collectivité par une représentation donnée. Autrement dit,
il existe un changement de perspective très important qui ne peut être convenablement
compris en dehors d’un cadre plus spécifique de politiques de promotion de l’égalité
revendiquées à partir de la Conférence de Durban en 2001.
J’avais brièvement commenté que la Conférence mondiale contre le racisme, la
discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée avait été un point
tournant pour la reconnaissance officielle du problème du racisme et de la discrimination
raciale au Brésil. La tenue de la Conférence n’a pas eu un impact seulement sur le
gouvernement brésilien, mais aussi — et principalement — sur les mouvements sociaux qui y
ont participé. La Conférence de Durban a, en outre, fourni une feuille de route pour la lutte
contre le racisme, lutte dans laquelle les médias de communication constituent non seulement
l’objet des préoccupations mais aussi l’instrument potentiellement émancipateur auquel il
faut recourir. Dans le texte Contra a discriminação de gênero e raça na mídia, la journaliste
Angélica Basthi (2004) donne un bon aperçu du changement de scénario post-Durban pour
l’exercice de sa profession :
Le nouveau défi de la femme dans les médias est de maintenir la pratique de la rupture
quotidienne des stéréotypes de genre, mais sans pour autant perdre la perspective de la
diversité raciale et de la culture brésilienne. Faire de la femme noire un fait
journalistique constant, influencer l’adoption de politiques publiques pour réparer les
inégalités historiques et déconstruire les valeurs esthétiques qui nuisent à la diversité
raciale brésilienne [sont des actions qui] gagnent un nouveau statut dans le cadre de
l’activité professionnelle.dliv
L’importance de la déconstruction de modèles esthétiques monolithiques, nuisibles à la
diversité raciale brésilienne, devient, dans la période post-Durban, l’un des grands chevaux
de bataille des mouvements sociaux, notamment ceux concernés par la démocratisation des
médias. Les deux extraits des textes acheminés par les plaignants au CONAR sont deux bons
316
exemples de la transposition de cette préoccupation esthétique au contexte de la publicité. Ils
constituent, par le fait même, des démonstrations tangibles de l’acte que Stuart Hall appelle
« ré-identification politique imaginaire », dans son fameux texte Old and new identities (Hall,
1991). Selon Hall, cet acte de ré-identification crée de nouvelles identités de même que de
nouvelles ethnicités construites au croisement de multiples identités sociales. Autrement dit,
la lutte sociale devient une lutte « pour le changement de la conscience, le changement dans
l’autoreconnaissance, l’émergence d’un nouveau sujet dans l’espace de visibilité. Un sujet
qui était toujours là, mais historiquement en émergencedlv 171. » Or, la ré-identification dans le
contexte brésilien passe aussi par la stimulation de l’estime de soi et la création d’une image
positive de la population afro-brésilienne.
Bien que l’idée de réparation soit bien placée dans la feuille de route de Durban — elle en est
peut-être même la pierre angulaire —, on ne peut s’abstenir de mentionner que la réparation
pour des « dommages patrimoniaux et moraux, individuels, collectifs ou diffus » était déjà
inscrite dans la propre législation brésilienne (voir CBDC, art.6, parag.VII)172. La suite de
l’argumentaire de la représentante du COMDEDINE ne laisse aucun doute sur cette
possibilité :
171
L’exemple personnel de Hall, née dans une famille noire jamaïquaine où « le mot ‘Noir’
n’était jamais proféré » (“the word ‘Black’ was never uttered”) au profit « du système de stratification
de couleurs le plus compliqué au monde » (“the most complicated color stratification system in the
world”, Hall, 1991, p.53) ne pourrait être plus pertinent pour la problématique de ce travail. En effet,
Hall voit dans Black l’essor d’une nouvelle ethnicité avec un grand potentiel de mobilisation politique,
ou encore la présence d’une catégorie historique, politique et culturelle capable de reconnecter des
personnes en fonction d’un passé commun. Le défi qui se pose aux nouvelles identités et aux nouvelles
ethnicités marginalisées émergeant dans l’espace mondialisé, affirme Hall, est de résister aux
anciennes formes monolithiques d’identités, ancrée sur une seule appartenance substantielle.
172
Selon Gomes (op. cit.), il a fallu attendre la promulgation du CBDC « pour que le cadre
normatif de l’action civile publique vienne à se compléter, car ce code a non seulement restauré le
dispositif frappé par un veto cinq avant, mais il a aussi donné une définition précise aux droits diffus,
droits collectifs et droits individuels homogènes. » (“para que o quadro normativo da ação civil pública
viesse a se completar, já que esse Código veio não apenas restaurar o dispositivo vetado cinco anos
antes, mas também dar a definição precisa do que são direitos difusos, direitos coletivos e direitos
individuais homogêneos”, Gomes, 2000, p.7.)
317
De ce fait, nous sollicitons que M. le Président du noble conseil prenne les mesures
légales adéquates dans le sens de retirer la publicité commerciale de la circulation, en
faisant en sorte que l’agence responsable de la publicité ASSOLAN s’excuse auprès de
la communauté noire et qu’elle l’indemnise, en accordant 50 % de la valeur de la
production et mise en circulation de la publicité commerciale de l’ASSOLAN au
bénéfice de la conscientisation des enfants et adolescents noirs, en ce qui a trait à la
valeur historique de leur ethnie et à la grande beauté de ses caractéristiques raciales,
qui ne doivent rien à celles d’autres peuples, par rapport à son harmonie esthétique.dlvi
Ces réponses à la campagne d’Assolan, aussi bien argumentées qu’elles soient, ne sont pas le
seul patron de texte des plaintes. En effet, si, d’une part, l’avènement de l’Internet et avec lui,
la possibilité du dépôt d’une plainte en ligne auprès du CONAR, a pu créer un canal plus
accessible pour l’expression du Moi de la population afro-descendante, d’autre part, cet outil
n’arrête pas d’imposer les marques de l’informalité qui le caractérise. Ainsi, on voit
facilement que le fait de déposer une plainte peut aussi constituer un devoir de citoyen de
« faire pression » sur les instances de décision. Par exemple, on note l’existence de
nombreuses plaintes qui se résument à la citation des données de la publicité (données qui,
d’ailleurs, doivent être obligatoirement remplies dans le formulaire en ligne) et la raison de la
plainte : « renforcement du racismedlvii », « racisme contre Noir-e-sdlviii », « publicité
stimulant la discriminationdlix », « racisme/bébé avec les cheveux de ‘Bom Bril’dlx », « image
négative de la population en comparant nos cheveux avec ‘bombril’dlxi. »
C’est cette diversité de textes qui a été accueillie par le CONAR et qui a généré, par
conséquent, l’ouverture du procès n° 068-05, ayant comme fondements les articles 1, 3, 6, 19
(respectabilité) et 20. « Pour les auteurs de la plainte ci-jointe, l’annonce en question est
irrespectueuse et discriminatoire, car elle compare les cheveux crépus, frisés, au produit
offert — la laine d’acierdlxii », résume le président du CONAR le 23 mars 2005.
b) La défense
Le plaidoyer a été présenté le 5 avril 2005 par les avocats de l’agence de publicité África São
Paulo Publicidade Ltée (ASPP) : Helena M. Zoia et Ivo de Camargo. Le premier argument
318
soulevé est d’ordre plus factuel et vise à informer les membres du Conseil que jusqu’à très
récemment, le seul produit de la marque Assolan était, en effet, la laine d’acier. La publicité
en question a comme but, selon les représentants juridiques, d’introduire le « linge multiusages Assolan » comme un nouveau produit naissant dans la famille Assolan. Ainsi,
l’agence aurait « conçu une annonce dans laquelle le nouveau produit (Linge multi-usages
Assolan), symbolisé par les bébés, sortait du paquet de laine d’acier Assolan, en les amenant
avec lui vers le même succèsdlxiii. » Dans son interprétation de la publicité en question,
l’agence apporte une subtilité concernant les médias où elle s’insère : « En médias télévisés,
rappelle-t-elle, l’image est tenue de raconter l’histoiredlxiv. » Ainsi, en adoptant comme
stratégie l’« humanisation » du linge multi-usages Assolan, l’agence essaie d’établir deux
parallèles : d’une part, l’entrée du produit dans le marché et le bébé qui marche à quatre
pattes ; d’autre part, l’association à la laine d’acier Assolan comme une référence de qualité
et la sortie des bébés de l’emballage portant une perruque de laine d’acier.
La deuxième partie de l’argumentaire vise à étayer la stratégie de lancement du produit à
partir d’extraits de reportages et de commentaires parus dans la presse spécialisée. On cite,
par exemple, le reportage paru dans le magazine Meio & Mensagem (2005), qui affirme que
« la campagne de l’[agence] África pour la laine d’acier Assolan a été considérée la plus
efficace du mois, selon une enquête d’efficacité publicitaire réalisée par l’Institut Ipsos —
ASIdlxv. » Sur la même page du magazine, on apprend que la marque a atteint une variation de
62 % dans l’indice de première publicité citée. Dans un autre reportage, paru aussi dans le
magazine Meio & Mensagem (2005) un mois plus tard, on révèle que la publicité a été à la
fois la plus rappelée et la préférée dans les 30 derniers jours de mise en circulation. Grâce à
tout ceci, arguent les avocats, on arrive à prouver le pouvoir de rappel de la marque citée
ainsi que la pénétration du produit de la laine d’acier dans le marché de consommation, en
démontrant par le même fait l’adéquation de la planification de campagne de l’agence. La
raison de ce succès, affirment-ils, revient essentiellement au fait qu’on raconte « une histoire
dont les personnages sont des bébés brésiliensdlxvi » :
319
Des bébés de notre peuple : blancs, noirs, jaunes, parce que le peuple brésilien est
composé des trois couleurs. Ce sont trois couleurs et un seul peuple. Ce sont des bébés
générés par des personnes qui parlent la même langue, qui ont des coutumes et
habitudes identiques, une histoire et une tradition commune. Ensemble, ils forment la
nation brésilienne.dlxvii
Je peux noter au moins deux aspects substantiellement problématiques dans cette vision de la
nation brésilienne. Le premier est un déraillement — un lapsus linguae — qui réfère au fait
que « le peuple brésilien » soit supposément un peuple composé de trois couleurs (ou races).
Cet argument, plus ou moins disséminé dans la littérature post-colonialiste brésilienne des
premières décennies suivant l’émancipation de la métropole, à l’instar de l’œuvre de
Varnhagen (voir chap. 2, sect. 2.2), est historiquement daté. Le problème réside dans le fait
que, dans le contexte précis de son émergence, l’idée d’un peuple composé de trois races se
réfère aux composantes européenne, africaine et indigène, mais non à la composante asiatique
(jaune). Or, l’ironie ici, c’est que, dans son étrange adaptation de l’ancienne thèse des trois
races, la défense omet d’inclure les indigènes, en les substituant par un autre segment
important du marché économique : les descendants d’immigrants japonais, coréens et chinois.
Dans ce sens, je pense que l’on n’aurait donc pas tort de penser que cette vision de la « nation
brésilienne » est en effet une vision particulière du « marché brésilien ».
Le deuxième aspect problématique réside justement dans l’idée d’une supposée égalité de fait
entre les diverses composantes de la nation brésilienne. S’il est généralement accepté qu’on
parle tous la même langue — la langue portugaise —, je ne suis pas tenue de croire que nous
ayons tous les mêmes « coutumes » et « habitudes » identiques, indépendamment de la
couleur ou de la race. À cause de cela, et pour des raisons largement démontrées dans le
deuxième chapitre de ce travail, l’histoire n’as pas fait « hommage » à toutes les
« traditions » de la même manière. Cette idée homogénéisatrice de la nation renvoie aux
critiques que Sandra Fredman (2001) fait du concept d’« égalité formelle », c’est-à-dire de
l’égalité en tant que synonyme de cohérence (« consistency »). Le problème avec cette
équivalence, estime l’auteure, est qu’elle est peu respectueuse de la différence entre les
membres d’une communauté. Ainsi, poussée à l’extrême, cette idée d’égalité suggère que
« seuls les ‘égaux’ sont qualifiés pour un traitement égalitaire ; il n’y a pas de contraintes
320
pour les formes dans lesquelles ceux qui sont différents doivent être traités, estime-telledlxviii. » Il s’agit donc d’une conception assez étroite d’égalité qui tend, à long terme, à
atténuer les différences entre les membres d’une même communauté. Vu depuis cette
perspective, le traitement fondé sur la forme d’égalité supposée par la défense se trouve à
l’extrême opposé de la forme défendue par Hall (op. cit.) dans sa vision de la politique de la
différence, mise en place par les nouvelles ethnicités : « celle-là est la politique qui vit
l’identité comme différence, conclut-ildlxix. »
Ce n’est donc pas étonnant de voir que la défense considère l’égalité du traitement accordé
aux différents bébés comme un critère suffisant pour démontrer la correction des propos de la
planification de la campagne publicitaire : « Tous les bébés sortent ensemble de l’emballage
de laine d’acier Assolan et tous présentent une perruque composée, apparemment, et de mode
stylisé, par le produitdlxx. » Avant de répondre aux critiques adressées par les plaignants, la
défense insiste sur le symbolisme de la publicité en question : « Des bébés grands, sains et
beaux ne peuvent ni sortir d’un emballage ni rentrer dans l’emballage de laine d’acier : cela
n’est pas réel !dlxxi »
En ce qui concerne les critiques portant sur la publicité et qui ont été adressées au CONAR,
la défense se concentre sur celles déposées par sept consommateurs et une entité, la
COMDEDINE173. Au commentaire de Maria das Graças Oliveira — celle qui commence son
texte en disant « Je suis noire et je suis fière de ma race » —, la défense réagit en arguant :
« Il semble clair que Mme. Maria das Graças Oliveira manifeste son opinion, en ressortant
son mode de voir et de penser. Sa position personnelledlxxii. » Cette ligne d’argument est aussi
utilisée pour répondre à la critique selon laquelle la publicité serait en train de comparer les
cheveux des afro-descendants avec le produit « bombril », comme cela est suggéré par le
témoignage d’Adriana Martins : « Celle-ci est une vision assez personnelle parce que la firme
publicitaire qui fait l’objet de la représentation ne représente aucune parcelle de la population
173
Le total de 8 plaintes sur lequel s’est fondée la défense correspond au nombre de plaintes qui
étaient disponibles à l’occasion de l’ouverture du procès. Seize autres plaintes ont été annexées ad hoc
au procès ; elles n’ont donc pas été prises en considération par la défense.
321
brésilienne et ne porte aucune comparaison entre les cheveux de Mme Adriana Martins et [le
produit] bombrildlxxiii. » En ce qui a trait à la possibilité de la publicité de servir de source à
des blagues et commentaires gênants, portant ainsi atteinte à la dignité de la population noire
—, tel que suggéré par la plaignante Rebeca Oliveira Duarte —, la défense atteste l’absence
de toute intentionnalité dans l’annonce en question : « Or, en regardant la publicité
commerciale, on ne voit rien qui puisse instiguer, concurrencer, stimuler ‘la formation de
surnoms chargés de préjugés contre les cheveux crépus’dlxxiv. » Finalement, à l’accusation de
renforcement du racisme, la défense répond, de manière générique :
Le film dénoncé ne fait pas de distinction entre les bébés. Tous sont beaux, mignons,
traités sur un mode exactement égal.
Sans aucune exception.
Sans aucune distinction.
Sans aucune différence.
Sans aucun privilège.
Tous égaux.
Tous avec la même apparence.
Tous avec la même tendresse d’enfant…
Le préjugé, ne serait-il pas dans la personne qui a envoyé le courriel ?dlxxv
Mis à part le vieux subterfuge d’inversion du blâme du préjugé racial, maintes fois utilisé
dans les documents de défense, une nouveauté est présente dans cet argumentaire par rapport
à ceux des procès précédents : la thèse de l’égalité de traitement entre les bébés est
vraisemblable. En effet, des bébés de toutes les couleurs — ou races — portent exactement la
même perruque. Il est vrai aussi qu’ils sont également mignons et souriants, en opposition,
par exemple, à la publicité de l’ange et du diable du GB. Chose certaine : ces jeunes petits
modèles ont été soigneusement choisis, afin que les types phénotypiques les plus variées
soient représentés. Le problème est qu’une représentation équitable ne peut pas avoir comme
critère unique l’égalité de traitement. Alors que l’égalité de traitement (ou égalité formelle)
joue un rôle important, estime Fredman, principalement en ce qui concerne l’éradication du
préjugé personnel, il semble clair que ce principe doit être complémenté par d’autres
approches plus substantielles. Par exemple, « le principe de l’égalité va au-delà de la
demande pour un traitement cohérent entre différents et exige, en contrepartie, que les
résultats soient égauxdlxxvi. » Ceci nous amène à réfléchir non seulement sur l’impact d’un
322
traitement apparemment égalitaire sur des individus différents, mais aussi sur l’impact des
résultats au-delà de l’individu lui-même, c’est-à-dire de l’égalité des résultats vis-à-vis d’un
groupe ou d’une collectivité particulière.
La question de la discrimination raciale dans cette publicité ne se pose pas tellement au
niveau du traitement accordé aux divers bébés ; elle repose plutôt sur le trait
« phénotypique » qui les rassemble : les cheveux en forme de laine d’acier. L’association
entre le produit « laine d’acier » et le trait phénotypique caractéristique des Afro-Brésiliens
n’est peut-être pas faite explicitement dans l’annonce elle-même, si l’on en croit les
arguments avancés par la défense. Par contre, il y a de fortes présomptions que cette
association soit faite par certains récepteurs, selon leurs cadres culturels de référence. De
toute façon, on doit tenir compte de ceci : l’association entre « bombril » et les « cheveux de
noirs » n’a pas été inventée par les Afro-Brésiliens eux-mêmes. Ceux-ci l’ont peut-être
entendue dès l’enfance, dans les milieux scolaires, dans les terrains de football des quartiers
populaires, bref, dans les réseaux de la vie privée. Ce sont donc des représentations chargées
d’une connotation négative, dégradante vis-à-vis de la subjectivité des Noir-e-s. La faute —
s’il y en une — réside plutôt dans l’incapacité des publicitaires d’avoir anticipé cette lecture
dégradante, entrouverte par l’association entre la laine d’acier Assolan et les cheveux des
bébés — association dont les conséquences négatives retombent presque exclusivement sur
les membres afro-descendants.
Quoi qu’il en soit, l’agence ASPP, par l’intermédiaire de ses avocats, ne semble pas prête à
reconnaître le moindre déraillement dans la publicité, soit-il « intentionnel » ou non. Des
commentaires comme « c’est difficile de comprendre le radicalisme manifestédlxxvii », ou
encore « c’est simplement l’instauration de l’absurdedlxxviii » démontrent bien le peu de
réceptivité de la partie dénoncée face à ces critiques. En revanche, le plaidoyer fera largement
état de commentaires que d’autres consommateurs ont fait parvenir à l’annonceur. Quelquesuns d’entre eux, notent-ils, font justement référence à la perruque qui semble semer la
pomme de discorde entre les différents publics cibles. Par exemple, Mme Elisângela Marques
Benício Cunha, de la ville d’Osasco (São Paulo), demande dans un courriel envoyé le 29
323
mars 2005, « l’une de ces perruques mignonnes que les bébés portentdlxxix » pour son propre
bébé. Mme Ivone Bianchi, de Belo Horizonte (Minas Gerais), dit, dans un courriel daté du 29
mars 2005, qu’elle aimerait avoir « une perruque identique à celle que les bébés portent dans
la publicitédlxxx » pour sa fillette Izabelle. M Assis Freitas, de Feira de Santana (Bahia) en
revendique une pour son fils de trois ans dans un courriel envoyé aussi le même jour. Mme
Marny Moema Batista Leão, de Recife (Pernambuco), demande, également le même jour,
qu’on lui envoie une perruque identique à celle de la publicité, parce qu’elle a « une nièce qui
ressemble énormément au deuxième bébédlxxxi. »
D’autres commentaires, à leur tour, félicitent l’entreprise pour l’ingéniosité de la publicité,
pour la beauté et la tendresse des bébés. Plusieurs parents offrent même leurs enfants pour
des publicités futures. Les copies de nombreux courriels et les photos de bébés envoyées par
leurs parents en annexes sont là pour en témoigner. En lisant ces commentaires, on peut
facilement croire que la publicité est, en effet, en train de renforcer l’auto-estime d’une autre
parcelle de la population brésilienne, notamment des bébés avec des cheveux… frisés !
Devant ce constat dérangeant, la défense énonce les difficultés trouvées. D’abord, dit-elle,
« La perruque des bébés rappelle réellement le produit laine d’acier Assolan. Mais le film ne
peut pas reproduire la présentation du produit dans sa représentationdlxxxii. »
Pour compliquer encore plus l’histoire, l’agence en question, en plus de porter le nom très
suggestif — « África São Paulo » —, se voit l’objet de demandes incessantes de réparation de
la part des mouvements noirs :
Contrairement à d’autres mouvements, le mouvement initié par les entités liées à la
culture afro-brésilienne n’a pas un porte-parole, un seul interlocuteur. Par conséquent,
un grand nombre d’actions sont entamées, dont quelques-unes tellement absurdes qui
ne se concrétiseraient pas même s’il y avait une possibilité de rencontre entre les
parties.dlxxxiii
Certes, l’idée des mouvements sociaux faite dans ce passage est justement l’image unifiée et
homogène que critiquent des auteurs comme Gamson et Meyer (op. cit.). Plutôt qu’un défaut
324
particulier, l’existence d’une multitude d’actions décentralisées ne fait, à mon avis, que
confirmer l’ampleur des mouvements noirs au Brésil à l’heure actuelle. Les avocats rajoutent
ceci :
La requérante s’appelle África et sa couleur est noire. Pour constater ce fait, il suffit de
rendre visite à l’agence. La couleur noire commence à la réception et s’étend aux salles
et couloirs. Dans les tables auxquelles s’assoient ses fonctionnaires et dans les cadres
qui décorent ses murs.dlxxxiv
Ici, il y aurait lieu de demander à l’agence s’il y a, mis à part au niveau de la décoration et des
meubles, des professionnels noirs, assis à la table de réunion, participant activement à la
planification et à la création des campagnes publicitaires. Le cas échéant, une deuxième
question se poserait alors : est-ce que cela — la présence de professionnels noirs conscients
des demandes, aspirations et goûts de la population noire — aiderait à éviter les conflits, la
divergence de perceptions et de réactions devant la publicité ? Ce sont des questions, bien
sûr, auxquelles je ne peux répondre dans ce travail. Par contre, on sous-entend que les
plaignants seraient en train d’agir de mauvaise foi, avec la citation d’un extrait d’une œuvre
de Maria Lucia Zulzke, Abrindo a empresa para o consumidor (« Ouvrant l’entreprise aux
consommateurs ») : « De même, il y aura toujours des consommateurs négligents, profiteurs,
impulsifs et immatures. À cause de ceux-ci, l’entreprise doit développer ses propres
mécanismes de défense et de délimitation des responsabilitésdlxxxv. »
La défense conclut, finalement, que la plupart de ceux qui ont vu la publicité l’ont comprise
et l’ont jugée pertinente ; elle confesse, sur un ton de désespoir, qu’ « il est nécessaire de
rappeler, toutefois, qu’il n’y a au monde aucune unanimité par rapport à rien et que même le
CHRIST n’a pas réussi plaire à tout le mondedlxxxvi. » Certes, la publicité n’est peut-être pas le
Christ incarné, mais elle a au moins réussi à plaire au Financial Times (Wheatley, 2005), qui
y a dédié tout un reportage dans l’édition du 16 mars 2005, dûment annexé au procès. Bilan
de l’histoire : un public afro-brésilien fort mécontent, un public de consommateurs en quête
de la perruque de laine d’acier, une multitude de jeunes bébés aux cheveux frisés qui se
325
disposent à participer à la prochaine annonce, des répercussions dans le Financial Times. À
qui appartient la « vérité », se demande-t-on. Au Comité d’éthique du CONAR de le décider.
c) L’avis du CONAR
Le résumé que la rapporteuse Fátima Pacheco Jordão présente aux autres membres du Comité
d’éthique est court et objectif. Il signale les deux visions opposées. D’une part, on voit « des
consommateurs noirs qui se sentent agressés avec la représentation d’enfants blancs avec des
cheveux artificiels qui renforcent des stéréotypes racistesdlxxxvii. » La rapporteuse souligne
notamment l’argument de la COMDEDINE selon lequel les enfants seraient les principales
proies de la publicité. D’autre part, signale-t-elle, « la défense allègue que l’intention était de
montrer le nouveau produit et rien dans la publicité — même vaguement — ne stimule de
formulations portant des préjugésdlxxxviii. » Finalement, elle cite brièvement l’argument selon
lequel la publicité a eu son efficacité mesurée par des paramètres d’impact publicitaire, en
plus de mentionner les compliments que l’annonceur a reçus pour la même publicité.
Après avoir pesé les deux côtés de la balance, la rapporteuse fait son bilan :
Le ton des plaintes des consommateurs révèle, en soi, un degré de ressentiment aigu,
découlant de l’usage d’images décrites (bébés avec perruques assolan). Le point qui
ressort le plus dans les nombreuses plaintes se réfère à l’impact négatif sur les enfants
et le renforcement d’[une] image ancienne de discrimination (cheveux d’acier ;
cheveux mauvais ; cheveux bombril).dlxxxix
Ce faisant, la rapporteuse conclut en faveur du retrait de la circulation de la publicité en
question, fondé sur les articles 1, 3, 17, 19 et — surtout — surligne-t-elle, l’art.20 du
CBARP. Réunie le 31 mai 2005, la 6e Chambre décide du retrait de la circulation, par quatre
votes en faveur de la décision et un contre.
326
d) Le recours de l’agence ASPP, le procès du Ministère public et d’autres instances de
droits civils
Le 6 juin 2005, l’agence ASPP dépose un recours ordinaire auprès de la Chambre spéciale de
recours du CONAR. Après un bref résumé du procès tel qu’il s’est déroulé en première
instance, les avocats (ceux du jugement en première instance) passent au point central de leur
défense : l’idée selon laquelle l’analyse en première instance a porté sur la légitimité des
plaintes plutôt que sur le contenu de la publicité en question. De ce fait, les avocats proposent
que « la seule et unique conclusion possible et découlant de l’annonce en question soit la
représentation de la ‘naissance’ d’un nouveau produit — le linge multi-usages Assolan —
lequel apporte avec soi le succès et la qualité de la laine d’acier Assolandxc. » Autrement dit,
la stratégie déployée diffère peu de celle utilisée en première instance : c’est la légitimation
d’une interprétation univoque de la symbolique employée dans la confection de l’annonce
publicitaire en question. Les arguments avancés portent également sur la positivité de
l’impact publicitaire de l’annonce.
Enfin, tout se passe comme dans le premier plaidoyer proposé, à part un fait inédit :
l’existence d’une représentation auprès du Ministère public fédéral par le Centre d’études et
de défense du Noir au Pará, décrite en détails dans le présent document. Plus spécifiquement,
on reproduit, dans sa quasi-totalité, l’avis émis par le Procureur de la République, Bruno
Costa Magalhães. Celui-ci évalue la publicité selon les trois encadrements offerts par la
norme légale au Brésil : les cadres consumériste, civil et pénal.
Magalhães commence son analyse du cadre légal en citant l’article 20 de la Loi 7.716/89
définissant comme un crime le fait de « pratiquer, inciter ou induire » à la discrimination
raciale. « Cependant, pour la configuration de ce délit, ainsi que tous les autres typifiés dans
la Loi fédérale n° 7.716/89, on ne fait pas fi de l’élément subjectif, dont nous discourons
plus loin de l’absence dans la campagne attaquée, explique-t-ildxci. » Il conclut donc par le
manque d’indices de discrimination, en s’appuyant sur l’absence d’intention subjective de la
part de l’accusé.
327
En ce qui concerne la législation consumériste, le Procureur cite le paragraphe 2 de l’article
20 du CBDC, portant sur la publicité abusive, pour conclure tout brièvement, que : « Suite à
l’analyse attentive et à l’étude du sujet, nous concluons qu’il n’y a pas eu, dans la campagne
véhiculée, d’intention discriminatoiredxcii. »
Magalhães discourt finalement sur la possibilité d’un dommage moral collectif, en partant du
point de vue que :
La question pertinente est de savoir si la campagne publicitaire, dans les termes
déjà exposés, a méprisé des valeurs de la communauté noire, en causant de la
douleur injustifiée, en tournant en ridicule les personnes qui possèdent des
cheveux crépus, généralement les noirs ; et si elle a profité de l’expression
supposément risible afin d’obtenir l’idée souhaitée de remplacement de l’ancien
produit — dont la marque est déjà trop connue — par celui qui s’est plus
récemment inséré dans le marché.dxciii
La conclusion est immédiatement tirée : « nous entendons qu’une violation des valeurs de la
communauté noire n’a pas eu lieudxciv. » Bref, le Procureur plaide pour l’absence d’un usage
intentionnel de l’image « cheveux d’Assolan », afin de promouvoir une association
socialement courante pour vendre le produit. De plus, signale-t-il, tous les documents
acheminés par les parties dénoncées (annonceur et agence) ont fourni des éléments qui
prouvent l’intention d’inclure « divers éléments raciaux » qui composent la nation
brésilienne.
Mais l’avis du rapporteur ne se résume pas à l’analyse de la publicité et des efforts
communicationnels dénoncés. On en vient à formuler des hypothèses concernant la raison de
tout ce ressentiment soulevé par l’usage des cheveux « black power » dans la publicité.
D’une part, dit-il, « il y a des personnes qui ont du ressentiment vis-à-vis de la couleur de leur
propre peau et d’autres caractéristiques physiques, pressées par l’opinion dominantedxcv »,
comme Michael Jackson. D’autre part, « il a des personnes qui se sentent fières d’exhiber
leur peau noiredxcvi », comme James Brown avec son adage « Say it loud, I’m black and
328
proud ! », poursuit le Procureur. « Ceux-ci, Blancs ou Noirs, qui valorisent l’identité ou la
culture noire, n’ont-ils pas le droit d’exploiter l’image des symboles respectifs, lance-tildxcvii. »
En concluant son avis, le rapporteur cite la Déclaration finale de la Conférence de Durban,
qui définit la discrimination raciale comme « toute distinction, exclusion, restriction ou
préférence fondée sur la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou
ethniquedxcviii. » Toutefois, selon lui, ceci n’est que le premier élément, car sa simple
« configuration » ne suffit pas à définir la discrimination. Ce à quoi il rajoute, de manière
assez énigmatique : « Nous tous discriminons à tout moment. Même les défenseurs de quotas
pour les Noirs, Indigènes et handicapés dans les universités discriminent sans être accusés
d’avoir des préjugésdxcix. » Le Procureur plaide, finalement, pour la mise aux archives de
l’action civile publique, en attribuant les plaintes aux « problèmes personnels » et au « profil
psychologique » des dénonciateurs.
Les avocats de l’agence ASPP poursuivent le plaidoyer, en citant un deuxième procès ouvert
par l’une des personnes plaignantes auprès du CONAR, Mme Ana Maria Domician° Celle-ci
aurait réclamé l’inculpation de l’annonceur au Tribunal spécial civil de São Paulo, en
demandant le montant de 5,200.00 $ reais (à peu près 3,000 $ CA) à titre d’indemnité. La
défense rapporte le cas comme suit :
Dans une séance de conciliation entamée le 27 avril 2005, après que M. Décio Seiji
Fujita ait assisté à l’annonce et posé diverses questions à Mme Ana Maria Domiciano,
en cherchant à comprendre la raison la menant au litige ; comme elle n’a pas trouvé de
raison suffisante, la dame mentionnée s’est manifestée pour se désister [de l’action] et
demandé l’annulation de l’accusation de litige.dc
Certes, on ne connaît ni les circonstances dans lesquelles ledit désistement s’est opéré ni la
vision de la plaignante concernant les raisons à l’origine de sa demande de réparation et
celles de son désistement devant le juge. On peut cependant lire une copie du document de
désistement, dûment signé, dans les annexes du procès. On peut également lire, dans son
329
intégralité, la représentation déposée auprès du Ministère public par le CEDENPA, le rapport
du Procureur Magalhães, le document préparé par la défense, ainsi que la conclusion émise
par le juge.
De ce fait, face aux conclusions tirées par les deux tribunaux — qui n’étaient d’ailleurs pas
disponibles à l’occasion du jugement en première instance —, la défense plaide pour la mise
aux archives de la représentation en question.
e) L’avis du rapporteur de la Chambre spéciale de recours et la décision finale du
CONAR
Je ne crois pas nécessaire de faire une analyse détaillée des arguments qui ont servi pour
étayer la décision. Il suffit de dire que l’hypothèse de l’existence d’un inconfort « personnel »
et « psychologique » a été accueillie sans réserve. En ce qui concerne la décision émise en
première instance par le CONAR, le rapporteur E.B.R. conclut ceci : « La décision de la
chambre qui a déterminé son retrait s’est réduite à une analyse des plaintes et non à une
analyse du filmdci. »
En reconnaissant l’effort d’inclusion raciale mené par l’agence ASPP, le rapporteur conclut
en souhaitant que les mères noires, principalement, « sachent profiter de ces opportunités
pour être fières de leurs enfants et leur transmettre fierté, grandeur et la notion du Beau —
laquelle est flagrante dans cette annonce de l’agence Áfricadcii. » Ainsi, une fois accepté à
l’unanimité le 9 juin 2005, l’avis du rapporteur induit la mise aux archives de la présente
représentation.
e) L’absence de débat dans les médias
Mis à part les reportages parus dans les médias spécialisés, comme Meio & Mensagem (op.
cit.) ou Financial Times (op. cit.), les médias brillent par leur entière absence du débat qui,
330
semble-t-il, était déjà manifeste sur Internet entre les divers activistes de mouvements noirs.
La seule et unique exception est cette petite note parue dans la rubrique d’Ancelmo Gois dans
le quotidien O Globo (Gois, 2005):
La publicité de laine d’acier Assolan, celle des enfants portant les perruques, est un
succès ayant droit à un reportage dans le ‘Financial Times’.
Mais le Mouvement Noir Unifié (MNU) proteste. On allègue que l’annonce a motivé
la création d’un surnom pour embêter les enfants noirs : ‘cheveux d’Assolan’. Celle-ci
est la nouvelle version de l’ancien surnom ‘cheveux de bombril’. Le sujet cours sur
Internet.dciii
Quoique brève, cette note a au moins trois mérites. Tout d’abord, elle rend évidence du fait
que tout ce qui paraît sur le Financial Times n’est pas acclamé à l’unanimité — comme le
vote du rapporteur de la Chambre spéciale de recours. De plus, elle reconnaît l’existence
d’une appellation blessante et indigne se référant aux cheveux des Noirs : « l’ancien [surnom]
‘cheveux de bombril’ ». Finalement, elle fait état de l’existence d’un débat qui est passé
presque inaperçu aux yeux de tous les médias de masse — débat auquel participent les
activistes des mouvements noirs et de lutte contre la discrimination raciale, même si les
arguments de celui-ci sont brièvement résumés dans l’appellation problématique.
En ce qui concerne les reportages parus dans les médias spécialisés, on peut les diviser en
deux types : le premier porte sur les coulisses des stratégies de marché menées par
l’annonceur et l’agence de publicité, comme le reportage paru dans le Financial Times ; le
deuxième mesure les effets des publicités, comme ceux parus dans Meio & Mensagem, dont
le contenu a déjà été mentionné dans ma description des arguments de la défense. Dans le
reportage du Financial Times, par exemple, on apprend que la marque concurrente, Bombril,
conservait 89 % du marché de laine d’acier jusqu’à 2001, et que grâce à cette publicité, la
participation d’Assolan dans le marché brésilien est passé de 10 % à 27 %. Dans le reportage
paru dans Meio & Mensagem le 28 février 2005, on apprend que le public consommateur
d’Assolan est composé de 97 % de femmes, dont 62 % ont entre 30 et 49 ans. C’est justement
auprès de ce public cible que la campagne a été « efficace ».
331
Alors qu’on recommande aux mères noires d’apprendre l’auto-estime de soi à leurs enfants,
on conclut de manière très suggestive que les plaintes adressées au CONAR et ailleurs
relèvent de la mauvaise foi des plaignants. Les demandes de réparations ont été très mal
reçues et associées au gain égoïste de particuliers. De ce fait, devant les décisions émises par
les tribunaux nationaux, l’absence de débats dans les grands médias de masse, la solidarité
des membres de la 6e Chambre d’éthique du CONAR est demeurée, tout simplement, un fait
isolé, voire anormal.
Somme toute, l’analyse des procès éthiques nous a certainement fourni d’importants éléments
de réponse non seulement pour comprendre certains enjeux de la représentation raciale dans
la publicité brésilienne, mais aussi pour percevoir les rapports de pouvoir et de pression
sociale agissant sur le CONAR. Toutefois, certaines dimensions de ces plaintes ne peuvent
être connues dans les procès eux-mêmes, sinon seulement à travers les témoignages accordés
par les participants de ce grand débat autour de la publicité. Donc, à eux la parole.
CHAPITRE VIII
BREF RETOUR RÉFLEXIF SUR LES PROCÈS DE DISCRIMINATION RACIALE
DU CONAR
Dans le chapitre précédent, j’ai démontré que le processus d’inculpation pour discrimination
raciale dans la publicité peut être plus complexe que ce qu’on aurait pu le croire au départ.
Plusieurs facteurs interviennent dans ce processus, dont certains ne peuvent être trouvés dans
la matérialité du procès éthique. De ce fait, le présent chapitre a pour objectif d’élargir le
champ de la présente enquête en allant chercher certains éléments de réponses auprès des
acteurs qui sont, dans une certaine mesure, concernés par le problème de la discrimination
raciale174.
Toutefois, avant de passer au bilan que certains acteurs clés ont fait du scénario dressé dans le
chapitre précédent, j’aimerais très brièvement réviser certains points soulevés par Habermas
en ce qui concerne le rôle des tribunaux dans les démocraties délibératives.
8.1. Les rôles des tribunaux dans une démocratie délibérative
Dans Droit et Démocratie (op. cit.), Habermas estime que les instances législatives et les
systèmes administratifs possèdent une centralité substantielle dans le cadre d’une démocratie
délibérative et ce, grâce au potentiel de la norme juridique de synthétiser un riche et
complexe processus d’apprentissage social au moyen du langage. Néanmoins, Habermas fait
preuve de prudence lorsqu’il aborde le pouvoir régénérateur du langage dans les tribunaux
modernes :
333
Les limitations spécifiques auxquelles a à faire face l’action judiciaire des parties
devant le tribunal, ne semble pas permettre de mesurer les faits constitutifs du procès à
l’aune de la discussion rationnelle. Les parties en effet ne sont pas tenues à rechercher
la vérité par une quelconque coopération, et elles peuvent ménager leur intérêt à ce que
la procédure débouche sur une issue favorable en avançant stratégiquement des
arguments susceptibles de créer un consensus. (Habermas, 1997, pp.253-254.)
En d’autres termes, Habermas considère que plusieurs circonstances d’ordre procédural
intervenant dans les tribunaux contribuent à atténuer le pouvoir de l’agir communicationnel
au profit de l’agir de type instrumental-stratégique. Ces circonstances peuvent aller du simple
soupçon de manque de sincérité dans l’agir des acteurs — lesquels ne seraient pas
authentiquement engagés dans la recherche de la vérité, mais plutôt dans l’obtention d’un
gain de cause — jusqu’aux situations plus triviales où les tribunaux, faute de temps, doivent
mettre un terme aux discussions afin que la décision soit énoncée. À part quelques cas
exceptionnels opérés devant les Cours Suprêmes ou les Tribunaux constitutionnels,
Habermas développe ce que Stéphane Haber (op. cit.) considère comme une vision
« déflationniste » du tribunal, où la rationalité communicationnelle ne peut avoir qu’une
influence indirecte sur la procédure du tribunal moderne175.
Ces questions plus générales concernant la procédure des tribunaux me ramènent à certains
aspects pratiques du fonctionnement du CONAR : qui sont ses conseillers ? D’où viennentils ? Qu’est-ce qui se passe derrière les portes fermées des salles de réunions du CONAR, où
les Comités d’éthique se réunissent périodiquement ? Pourquoi observe-t-on des taux si
élevés de mise aux archives lorsqu’il s’agit de procès pour discrimination raciale dans la
publicité ? J’aimerais répondre à chacune de ces questions à travers les témoignages obtenus
auprès de personnes directement ou indirectement concernées par les procès pour
discrimination raciale du CONAR. Pour ce faire, j’ai pris rendez-vous avec des acteurs clés,
174
Pour les critères de sélection des interviewés, voir chap. 6, sect. 6.1, par. b) et sect. 6.2.2, par.
a).
175
« Le droit procédural ne règle pas l’argumentation normative et juridique en tant que telle,
mais il garantit des points de vue temporel, social et matériel sur le cadre institutionnel où l’on laisse
libre cours aux développements communicationnels qui obéissent à la logique de la discussion relative
à l’application, dit-il. » (Habermas, 1992, p.258.)
334
liés ou non au CONAR, liés ou non au domaine professionnel de la publicité. Chacun de ces
acteurs parle donc depuis sa perspective et son expérience vécue par rapport à la thématique
de la discrimination raciale. Comme je l’avais énoncé antérieurement dans mes réflexions
méthodologiques (voir chap. 6), je suis allée voir ces différents acteurs en ayant en main un
bilan — partiel ou définitif — du repérage des procès pour discrimination raciale au sein du
CONAR, afin de partager mes conclusions préliminaires, mes intuitions et mes hypothèses de
travail.
La démarche était donc réflexive : en présentant un bilan, j’étais en mesure de confronter mes
propres impressions avec celles de personnes ayant un vécu et qui ont contribué au combat
contre la discrimination raciale. En même temps, j’avais également en tête l’importance de
faire connaître les résultats de la présente enquête auprès de ceux à qui elle pourrait le mieux
servir.
8.2 Les procédures internes du CONAR
C’était donc en possession de ces informations que je me suis dirigée vers mes informateurs
afin de soulever des éléments de réponse. C’est sans aucun doute que la secrétaire exécutive
adjointe du CONAR, Juliana Albuquerque, a été l’une des personnes clés pour comprendre le
fonctionnement interne de ce conseil, de ses procédures, mais surtout des pratiques
informelles qui régissent le quotidien de toutes les organisations, peu importe leur attribution.
Pour bien comprendre le procès de discrimination raciale, il faut essayer de le comprendre
dès le début du processus, lors de la réception de la plainte, en passant par l’attribution des
conseillers jusqu’au jugement final.
L’un des premiers constats ne laisse planer aucun doute concernant l’augmentation du
nombre de plaintes pour discrimination raciale auprès du CONAR :
335
Très peu de cas arrivaient à l’époque où je suis entrée ici. Aujourd’hui, on parvient à
peine à répondre, à recevoir autant de choses. C’est beaucoup de plaintes. Je ne sais
pas si les personnes ont plus d’accès et aussi si elles connaissent plus [le CONAR], il
apparaît plus dans la presse. Tous ce que je sais, c’est qu’il s’agit de beaucoup de
plaintes… qui peut-être ne reflète (sic) pas le mécontentement. C’est une évolution
aussi de l’Internet. Je pense que 95 % des plaintes arrivent par Internet. Cette année on
reçoit, dans certains procès, plus de 40 plaintes.dciv
(Juliana Albuquerque, São Paulo, 31 mars 2006.)
Certes, l’Internet ne peut pas être tenu seul responsable de l’affluence des plaintes à cet
organisme. Bien que ce vecteur de communication entre la société civile et le CONAR ne soit
pas négligeable, il y a assurément des facteurs externes et internes rendant ceci possible. Je
reviendrai de façon opportune aux facteurs externes. Pour l’instant, il s’agit de connaître la
dynamique de réception et de traitement d’une plainte par les fonctionnaires du CONAR. On
sait, par exemple, que revient au directeur du CONAR la décision d’ouvrir ou non un procès
si le nombre de consommateurs plaignants est inférieur à sept (voir chap. 6, sect. 6.3.6, b).
Mais on sait également que le CONAR réalise un service de contrôle d’écoute quotidien. La
question de la détermination d’une possible infraction devient encore plus complexe dans les
cas de discrimination raciale, comme le démontre bien le passage suivant :
Mais le cas de discrimination, il est aussi subjectif et parfois les plaintes n’arrivent pas.
Généralement, on l’instaure comme suit : normalement, lorsque la chose est bien
visible, ou encore, lorsque nous recevons plus de deux plaintes.dcv
(Juliana Albuquerque, São Paulo, 31 mars 2006.)
Il y a lieu de se questionner, bien sûr, sur les paramètres permettant d’identifier quand est-ce
que la chose devient trop visible. En d’autres termes, quand la perception de la discrimination
a-t-elle lieu lorsque celle-ci n’est pas formulée par un consommateur ? Il semble y avoir
plusieurs possibilités, mais celles-ci dépendent toutes de la perception individuelle des
fonctionnaires. La première possibilité réside dans la perception de la discrimination par un
membre haut placé au CONAR, dans ce cas précis la secrétaire exécutive adjointe, qui a ellemême la prérogative d’instaurer d’office une représentation. Le cas échéant, on réquisitionne
par la suite une copie au service d’écoute :
336
Écoutez, je prends cela très au sérieux. Généralement, je veux toujours ouvrir [un
procès pour discrimination]. Lorsqu’il s’agit des enfants, lorsqu’il s’agit de ces
questions subjectives. Généralement, je trouve que ce sont des choses qui blessent
vraiment. Alors, on essaie d’ouvrir presque tous [les procès pour discrimination] par
rapport à ces problèmes.dcvi
Lorsqu’il y en a [des procès pour discrimination], c’est [à cause de] moi qui suis
descendante d’orientaux. Je pense qu’il y a beaucoup de préjugés contre les orientaux
et qu’il y a beaucoup de préjugés contre le Noir. Je ne trouve pas ça chouette. Je
n’aime pas ça. Ou des préjugés contre les femmes. (…) Et puis, des fois, si je vois une
annonce avec un oriental comme cela, je le demande tout de suite au service de
contrôle d’écoute.
(…) Dans le doute, on laisse la Chambre décider.dcvii
(Juliana Albuquerque, São Paulo, 31 mars 2006.)
Donc, si l’ouverture d’un procès ne semble pas poser de problème, même lorsque le nombre
de consommateurs est inférieur à sept — au moins en principe —, on passe au niveau
suivant. Comment les différentes commissions d’éthique sont-elles composées ? On sait, par
exemple, que les associations membres du CONAR ont chacune droit à un quota de
représentants. Mais quelle est la durée de ce mandat ? Comment les conseillers sont-ils
choisis ?
Je ne connais pas cette mécanique. Ces associations [ABERT, ANJ, ABAP, etc.],
l’APA, elles indiquent certaines personnes. Alors, ici, je ne sais comment cette
indication et cette approbation sont faites parce que celle-ci est une question [qui
appartient] à la direction.
Il y a des conseillers très anciens. On regardait le livre des procès verbaux de 1980 et il
y a des conseillers qui sont encore [en place] aujourd’hui.dcviii
(Juliana Albuquerque, São Paulo, 31 mars 2006.)
On sait également que selon les normes internes du Conseil d’éthique, la société civile
compte 18 représentants. J’essaie alors de savoir qui sont ces représentants de la société civile
et comment ils sont choisis :
337
JA : J’avoue que je ne sais pas. Je sais que ce sont des conseillers qui y sont depuis que
je suis là [l’année 2000], même avant. C’est drôle, on essaie toujours d’insérer des
médecins dans ce groupe. Il y [en] a même eu un qui est décédé et on en a mis un
autre.
I : Sont-ils toujours des hommes ?
JA : Peut-être. Il y a, par exemple, le Dr. Pedro Kassab, qui est médecin et [qui] a été
longtemps professeur (…)
Je ne sais pas si une indication est nécessaire pour que la direction choisisse. Cela
revient au Conseil supérieur, je ne sais pas comment ça marche. Cela n’est ni dans le
régiment ni dans le statut.dcix
(Juliana Albuquerque, São Paulo, 31 mars 2006.)
Après avoir avoué que les représentants de consommateurs ont presque des mandats à vie, la
secrétaire exécutive adjointe du CONAR se reprend par la suite :
Des fois, la personne est plus âgée, elle a une pensée. Par exemple, le Dr. Pedro
[Kassab] a été une personne que j’ai appris à beaucoup respecter. Il est très attentionné
envers les [autres] personnes. Ces questions de discrimination, où personne n’y voit
rien, lui, il est déjà quelqu’un de plus sensible qu’un jeune, parfois, qui a une tête qu’il
croit moderne.dcx
(Juliana Albuquerque, São Paulo, 31 mars 2006.)
Certes, le critère d’âge n’est pas en soi un problème : on pourrait bien imaginer que l’ancien
sénateur noir Abdias do Nascimento, à hauteur de ses 94 ans, ferait parfaitement son boulot
au sein d’un Comité d’éthique du CONAR. La question à se poser concerne moins la sagesse
ou l’expérience des anciens que le faible taux de roulement entre les conseillers d’une
institution qui se veut démocratique. Le manque de transparence par rapport aux critères de
sélection ne vient que renforcer mes préoccupations. Reste maintenant à déterminer le taux
de participation desdites « minorités » au sein du conseil : des femmes, des afro-brésiliens,
des homosexuels, des nippo-brésiliens, etc. :
Des femmes, il y en a plein au Conseil, toutes merveilleuses et super intelligentes. Des
Japonais… il y en avait un, mais il est décédé. Et des Noirs, il n’y en a pas.dcxi
(Juliana Albuquerque, São Paulo, 31 mars 2006.)
338
Le bilan est plus tragique qu’on pourrait l’imaginer : peu de roulement, pas de critère, aucune
représentativité des catégories attaquées par les publicités racialement discriminatoires. Mais
la fonctionnaire du CONAR veut me donner une lueur d’espoir en m’apprenant, par exemple,
que le fonctionnaire responsable du service de contrôle d’écoute est noir et qu’il participe,
occasionnellement, à des séances de jugements :
JA : C’est drôle, il y a une personne ici du service de contrôle d’écoute, Junior. Il est
Noir, super beau, chouette, intelligent. C’est un excellent fonctionnaire. Il est toujours
plutôt prêt à faire ce que tu lui demandes. Mais, des fois, il reste ici pendant les
jugements. Il y a des jugements où on lui pose des questions. Lorsque la question a
[concerné] (…) l’Assolan, on lui a posé la question. Il était ici dans la salle. Geraldo
Alonso, qui est le Président de la 1re Chambre… je ne sais pas s’il y a des enfants
adoptifs noirs… Toujours est-il qu’il aime bien Junior. Il dit que Junior est son fils.
Alors, il demande toujours à Junior, si la question est celle-là, alors il la pose à Junior,
car il n’y a pas de Noirs. Il est un gars super intelligent. Mais il n’y a pas de Noirs et il
en manque certainement.
I : A-t-il déjà instauré un procès ?
JA : Bon, généralement je parle avec lui des annonces, vous savez. Sur les annonces de
la Hellmann’s176. Ils [les Noirs] n’apparaissent pas beaucoup et lorsqu’ils le font, c’est
de cette manière. Il n’y a rien trouvé de trop. Peut-être parce que [c’est] indirect, n’estce pas ? Pour ne pas vouloir se sentir offensé, alors il n’y a rien trouvé de trop.dcxii
(Juliana Albuquerque, São Paulo, 31 mars 2006.)
Voici donc une autre voie qui aurait pu jouer un rôle déterminant dans la perception des cas
de discrimination raciale dans la publicité : le fonctionnaire du service de contrôle d’écoute.
Le fait d’être lui-même noir — dimension identitaire assez importante pour être perçue pour
la sécretaire exécutive adjointe — le met dans une position favorable à la perception du
problème de discrimination raciale, au moins en principe. Toutefois, ceci n’a pas été le cas,
au moins dans les circonstances décrites antérieurement. Certes, on ne peut faire abstraction
du fait que Junior n’ait pas la prérogative d’instaurer lui-même un procès éthique. Mais, une
fois son avis sollicité, il aurait pu certainement intervenir en faveur des revendications des
groupes plaignants et prendre une position qui leur serait favorable dans la discussion.
176
Au moment de l’entretien, un cas de discrimination raciale dans une publicité de la marque de
mayonnaise Hellmann’s avait généré un nombre très élevé de plaintes au sein du CONAR. Plusieurs
interviewés y ont fait référence.
339
Quelle que soit la réponse du fonctionnaire en question, le fait que la secrétaire exécutive
adjointe du CONAR ait reconnu elle-même que « ne pas vouloir se sentir offensé » a été une
variable décisive pour comprendre sa réponse m’a semblé assez significative. À la limite, le
fait de « ne pas vouloir se sentir offensé » pourrait même ouvrir la voie à des
questionnements concernant le degré de sincérité de son avis. D’une part, il semble clair que
l’on ne connaît rien des forces illocutionnaires agissant sur le dialogue entre les deux
fonctionnaires ; en d’autre termes, on ignore le type de contraintes morales ou contraintes de
n’importe quel ordre auxquelles le fonctionnaire aurait pu potentiellement être confronté au
moment d’émettre son opinion sur la publicité en question. Mais, d’autre part, on sait
beaucoup sur le type de force perlocutionnaire auquel le problème de la discrimination s’est
vu historiquement confronté au Brésil. De toute façon, nous n’avons pas assez d’éléments
pour savoir si le fait de « vouloir se sentir offensé » pourrait vraiment signifier pour Junior un
problème. Somme toute, on sait qu’il était mieux placé que personne d’autre au CONAR
pour appréhender le dommage subjectif de discrimination raciale qui pèse sur les Noirs.
Il est temps maintenant de passer à d’autres questions d’ordre procédural au sein du CONAR.
Un certain nombre de limitations d’ordre pratique semblent limiter la résolution de conflits au
siège du Conseil à São Paulo. Par exemple, toutes les dénonciations acheminées par le site
web du CONAR — soit environ 95 % du total des plaintes — sont centralisées par le siège de
l’organisation. On préfère également faire les séances de jugement, dans la mesure du
possible, à São Paulo, et non dans les trois chambres situées respectivement à Brasilia, Porto
Alegre et Rio de Janeiro. Juliana Albuquerque signale, par exemple, qu’au mois de mars
2006, il y a eu une séance de jugement à Rio, mais qu’il n’y en a pas eu ni à Brasilia ni à
Porto Alegre :
Des fois, lorsque le procès doit avoir un traitement très rapide, lorsqu’il y a une mise
en demeure, alors il finit par rester ici-même, parce que c’est plus rapide pour délivrer
[le procès]. On fait livrer le procès au rapporteur, puis celui-ci analyse le procès, il en
fait un rapport. S’il a besoin d’informations additionnelles, il en demande. Sinon, il
vient à la séance de jugement qui a lieu dans cette salle. Il va alors exposer le cas aux
autres présents, en faisant un rapport de la dénonciation et de la défense.dcxiii
(Juliana Albuquerque, São Paulo, 31 mars 2006.)
340
On a vu le rôle déterminant que le rapporteur joue dans la formulation du problème de la
discrimination raciale dans le procès éthique tout au long de l’analyse des cas de
discrimination raciale dans le chapitre antérieur. Ceci veut dire, en d’autres termes, que la
plupart des rapporteurs se situent à São Paulo, dans les alentours du CONAR. La distribution
des procès entre les chambres, quant à elle, est faite un peu aléatoirement, bien que les
fonctionnaires du CONAR tiennent à éviter certains conflits d’intérêt. Questionnée sur
l’existence d’un critère d’indication de conseillers selon le type de procès, Juliana
Albuquerque répond que dans les cas de publicités pour des médicaments, on sollicite
systématiquement un médecin pour composer les séances de jugement, bien que d’autres
empêchements soient également examinés :
Si la personne travaille à l’UNILEVER et qu’il y a des procès dans le domaine, alors
celle-là ne peut pas. (…)
Lorsque la question est trop processuelle — genre, on soulève des milliers de
problèmes par rapport au procès —, alors on l’envoie à des avocats. Et il y a encore
certains conseillers à qui on fait parvenir [des procès] lorsqu’il s’agit d’une urgence.
En d’autres termes, on sait aussi qu’il y a des conseillers qui sont plus sérieux, plus
rigoureux, mais on ne peut jamais savoir. C’est une partie très subjective.dcxiv
(Juliana Albuquerque, São Paulo, 31 mars 2006.)
Cette information confirme, d’une certaine façon, l’existence d’une sorte de spécialisation
informelle des comités d’éthique selon la nature du procès. La critique qu’on doit porter ici
concerne notamment l’applicabilité de ce principe de spécialisation dans d’autres domaines
que ceux cités ci-dessus. Ceci équivaut à dire, en d’autres termes, que les questions relatives
à la discrimination — toutes formes confondues — semblent être traitées comme des
questions relevant plutôt du sens commun, c’est-à-dire comme des questions ne faisant pas
l’objet d’une réflexion de la part d’un expert ou du sujet souffrant de la discrimination.
Finalement, on passe aux taux alarmants de procès pour discrimination raciale mis aux
archives par le CONAR tout au long des 26 ans observés. La réponse à ces taux élevés vient
en différentes étapes. D’une part, la secrétaire exécutive adjointe du CONAR estime que :
341
C’est une question très subjective. Les personnes viennent ici juger les procès en ayant
en tête un principe qui est important dans la publicité, celui dont on parle souvent
comme du principe de la liberté d’expression. On informe même que tout ce qui n’est
pas expressément interdit peut être fait. Ceci régit toutes les relations privées. C’est
comme ça dans le droit privé. Celui-ci est différent du droit public. Le CONAR a été
créé pour protéger la liberté d’expression.dcxv
(Juliana Albuquerque, São Paulo, 31 mars 2006.)
Donc, une partie du problème semble être imputée à l’encadrement juridique accordée à
l’activité de la publicité. Somme toute, ce que la secrétaire du CONAR semble
opportunément constater est bel et bien le fait que la publicité ne peut être vue seulement du
point de vue privé et individuel de la liberté d’expression. Autrement dit, la dimension des
effets collectifs et diffus de la publicité ne peut pas être totalement ignorée au profit de ce
droit privé. Cette remise en question de l’encadrement juridique privé est poursuivie dans
l’extrait qui suit :
Depuis que je suis entrée et jusqu’à maintenant, je me suis fait une vision un peu
différente. (…) Alors, des fois, on tolère certaines blagues parce que celles-ci ne sont
pas en train de transgresser une quelconque règle. Mais si cela devient une chose
répétitive, répétitive, elle peut rester dans la pensée.
Aujourd’hui, j’ai une vision différente. Des mauvais exemples, des choses de mauvais
goût, des choses qui blessent une quelconque catégorie, minoritaire ou pas — je pense
qu’il faut faire beaucoup attention parce que ceci finit par se fixer. C’est une idée qui
finit par former l’identité des enfants, des adolescents, par former l’opinion.dcxvi
(Juliana Albuquerque, São Paulo, 31 mars 2006.)
Elle conclut finalement par rapport au taux élevé de procès mis aux archives :
JA : Je pense qu’avoir beaucoup plus de mises aux archives que de reconnaissances du
dommage des plaintes, c’est parce que ceci reflète une classe qui est privilégiée au sein
du Conseil d’éthique.
I : Pourquoi ?
JA : Ils ne viennent pas de la banlieue, ils ne sont pas des sociologues (…) Chaque
classe voit à sa manière.dcxvii
J’étais en train d’y réfléchir, il n’y a pas beaucoup de Noirs dans la publicité, ni dans
les agences. Je pense qu’il y en aurait peut-être plus dans les médias de masse. Mais ce
serait aussi l’occasion de les inviter.dcxviii
(Juliana Albuquerque, São Paulo, 31 mars 2006.)
342
Alors que la conclusion de la secrétaire exécutive adjointe du CONAR elle-même semble
dériver vers le confinement des décisions du CONAR à une vision de classe — classe
sociale ? classe de publicitaires ? —, il y a lieu de se demander quelle est la vision que les
plaignants auraient du CONAR. On va essayer de dévoiler quelques éléments de réponse.
8.3 Le CONAR vu par les publics critiques engagés dans la lutte contre la
discrimination raciale
Puisqu’on parle de la publicité et des publicitaires, il serait intéressant d’entamer cette
réflexion à partir d’un point de vue critique dans le propre champ de la publicité. J’ai donc
consulté Maíra Miguel, publicitaire de l’agence de publicité Rebouças & Associados, et l’une
des responsables de la campagne antiraciste Onde você guarda seu racismo ? (« Où cachezvous votre racisme ? »). La professionnelle en question m’explique que Rebouças &
Associados n’est pas une agence de publicité à proprement parler, mais plutôt un groupeconseil de communication ciblé sur la responsabilité sociale. Elle rapporte que celui-ci avait
été mandaté par un groupe interdisciplinaire appelé Diálogos contra o racismo, composé de
plus d’une quinzaine d’organisations impliquées dans la lutte contre la discrimination raciale.
La campagne prend comme point de départ les conclusions arrêtées par une enquête nationale
qui démontrait que 87 % des Brésiliens disent croire en l’existence de la discrimination
raciale au pays, alors que seulement 4 % avouent être effectivement racistes. L’objectif de la
campagne consistait alors à justement attirer l’attention de la population blanche sur les
situations fréquentes de discrimination raciale dans le quotidien brésilien, de même qu’à
stimuler l’identification des préjugés dans le comportement de chacun afin de les éliminer.
Confrontée au scénario construit par les procès pour discrimination raciale tout au long des
26 ans d’existence du CONAR, ainsi qu’aux taux élevés de cas mis aux archives, la
publicitaire n’hésite pas à énoncer sa propre vision de la classe professionnelle publicitaire :
343
La plupart — je ne peux pas dire tous — mais eux, ils travaillent pour eux-mêmes. Ils
ne travaillent par pour le client. Ils ne travaillent pas pour le produit. Ils ne sont pas
préoccupés si le produit va vendre plus, si le produit va vendre moins, si le produit va
être bien vu. Ils veulent faire des choses pour gagner des prix, pour que l’autre
publicitaire dise : ‘Très bien cette annonce’.
(…) ‘Les publicitaires ne sont pas ici pour changer les stéréotypes’, c’est ce qu’ils
disent. Je trouve [que] cela [est] une grosse erreur.dcxix
(Maíra Miguel, Rio de Janeiro, 24 mars 2006.)
Je lui ai donc demandé sa vision du marché publicitaire en tant que publicitaire et femme,
car, selon ses propres termes :
Je ne suis pas Blanche, ni Noire, et malgré le fait que Nadia [Rebouças, propriétaire de
l’agence Rebouças & Associados] me présente comme la fille d’un Noir — ce qui est
un fait —, je ne peux pas dire que je suis Noire.dcxx
(Maíra Miguel, Rio de Janeiro, 24 mars 2006.)
Ce dilemme identitaire renvoie directement à la discussion portant sur l’impact de la
catégorie de classement negro dans les processus identificatoires des Brésiliens et
Brésiliennes (voir chap. 1, sect. 1.6). Cette incertitude entre l’être Noir et l’être Blanc est
caractéristique d’une partie de la population dont l’un des parents est noir, alors qu’il possède
en même temps une peau suffisamment claire pour ne pas être perçu socialement comme un
Noir — bien que l’exemple du sociologue noir Clovis Moura illustre parfaitement le fait que
le processus d’identification puisse parfois être plus politique que pigmentaire. De toute
façon, on ne peut perdre de vue le fait que le processus d’identification est surtout
intersubjectif : il dépend d’une perception de soi qui est construite dans et à partir du rapport
avec l’Autre. Donc, le « problème » d’autoreconnaissance d’une personne métissée ne relève
pas exclusivement d’une perception strictement subjectiviste, bien que la dimension
subjective soit importante. Cette perception résulte en grande partie des rapports sociaux,
dans lesquels joue un ensemble complexe de facteurs qui, au Brésil, sont largement reliés à la
façon dont les personnes sont perçues par la collectivité, dans les différents espaces sociaux :
écoles, transports publics, hôpitaux, stations de police, etc.
344
En revenant à la question du marché publicitaire, j’ai demandé à mon informatrice la quantité
de publicitaires noirs ou nippo-brésiliens qu’elle avait déjà rencontrés. Elle semble partager le
même avis que la secrétaire exécutive du CONAR :
Très peu.dcxxi
(Maíra Miguel, Rio de Janeiro, 24 mars 2006.)
En ce qui concerne l’action du CONAR, la publicitaire propose une explication qui semble
dépasser le simple corporatisme professionnel :
Le CONAR est autoréglementaire (…) mais il n’interdit pas. Je ne le connais pas si
bien. Ou bien, je le connais, mais d’après ce que je connais, je crois qu’il aurait pu être
différent. Je pense qu’il aurait pu être plus présent. Il ne fait pas de retrait [de la
circulation des publicités inculpées] rapidement, et pendant qu’il en discute, [la
publicité] continue à circuler. Il est très en faveur de ce à quoi il n’aurait pas dû être
favorable, vous comprenez ? Je pense qu’il n’est même pas corporatif, parce que
chacun regarde beaucoup soi-même. En même temps, chacun d’eux [les membres du
CONAR] ne veut pas parler mal de l’autre, parce que l’autre va aussi parler mal de lui.
En effet, dans une éthique corporatiste, personne ne parle mal de personne, mais
chacun défend l’autre. Comment chacun peut parler mal de l’autre, si tout le monde est
équivoque ?
C’est un milieu qui ne sait pas suivre la loi. On ne fait rien pour attirer l’attention, pour
créer de la polémique, [c’est un milieu] qui ne paye pas les droits de beaucoup de
choses, en plus de la bonification sous la table qu’on gagne pour mettre [la publicité]
en ondes.
Il y a beaucoup de choses compliquées. Donc, c’est un marché qui manque d’éthique,
je dirais. Alors cela ne me surprend pas de dire que le CONAR met 17 ou 18 aux
archives sur 25 [procès]. Parce que ce n’est pas le CONAR, mais le milieu publicitaire
en général qui n’est pas éthique. (…) On ne se préoccupe pas de la campagne, on ne
préoccupe pas de faire les choses avec conscience. On fait ce qu’il y a à faire. Cela ne
me surprend pas du tout. C’est pire que ce que j’imaginais, mais cela ne me surprend
pas.dcxxii
(Maíra Miguel, Rio de Janeiro, 24 mars 2006.)
Abondant plus ou moins dans le même sens, l’avocat noir Walmir dos Santos est responsable
d’un service d’assistance téléphonique aux victimes de discrimination raciale. Plus qu’un
service d’écoute téléphonique, le Disque racisme est en effet un centre de référence lié au
Secrétariat de la Justice et des Droits du citoyen, dont l’objectif principal est d’offrir une
345
assistance à la fois juridique et psychologique aux personnes ayant fait l’objet de
discrimination raciale. Dans un entretien dans la ville de Rio de Janeiro, je lui ai fait part non
seulement des données concernant l’évolution des procès, mais aussi des principales
stratégies de la défense, dont celle utilisée par l’Assolan. Dos Santos résume sa perception du
problème du faible taux de reconnaissance du dommage de discrimination raciale au sein du
CONAR comme suit :
Moi, malgré que je sois carrément choqué par certains cas du CONAR, je ne perds pas
— je ne dirais pas un certain optimisme mais plutôt une certaine confiance. Parce
qu’en termes de législation spécifique, celle-ci est encore très récente, en dépit de la
Loi Afonso Arinos. La Constitution date de 1988, la loi du racisme date de 1989. Ceci
ne compte même pas une vingtaine d’années.
Mais ce qui semble réellement préoccupant, au moins pour moi, c’est le taux de mise
aux archives. Parce qu’en même temps qu’on accorde des éléments pour le combat, on
crée un arsenal de défense. Et si l’on met cela dans des aspects quantitatifs — dix
consommateurs se plaignent, 100 font des compliments — et puis ? Qui va contrôler
cela ? Qui va me garantir, m’assurer que ces données sont fiables ?dcxxiii
(Walmir dos Santos, Rio de Janeiro, 24 mars 2006.)
Je lui ai également fait part de deux autres stratégies largement utilisées le long de la
troisième phase des procès au CONAR, lesquelles consistent, respectivement : 1) à justifier
les choix des éléments apparaissant dans la publicité à partir des données obtenues auprès des
groupes focaux ; 2) en la remise en contexte de la publicité dans l’ensemble de la campagne,
lorsque les conseillers tiennent à examiner la publicité individuellement. L’avocat signifie, en
contrepartie, que dans le droit public, on discute de l’existence ou non du dommage vis-à-vis
d’un groupe, mais jamais du nombre de personnes qui sont pour et contre une action
déterminée. En transposant ce raisonnement au domaine de la publicité, cela lui semble une
situation carrément absurde que l’annonceur plaide, devant le Comité d’éthique du CONAR,
pour l’absence de dommage d’une publicité en accordant comme preuve les nombreux
témoignages positifs reçus par l’annonceur :
WDS : Si l’on réussit à caractériser et à identifier le groupe au nom duquel l’on
entreprend une poursuite judiciaire en disant qu’il y a eu dommage aux intérêts et aux
droits de ce groupe et que l’on arrive, en effet, à prouver ce dommage-là, alors la
situation est couronnée de succès.
346
I : Ne serait-on pas en train d’adapter, dans le cadre des procès pour discrimination
raciale, le principe républicain de vote des intérêts économiques de l’annonceur ?
WDS : C’est un principe républicain mais qui, selon ma compréhension, est très
volatile. Car pour que l’on assure qu’il y a eu effectivement de l’isonomie — que les
votants étaient égaux et qu’ils étaient également représentés —, c’est là, à mon avis, le
problème. (…) Cela va sans dire que le pouvoir de mobilisation d’une entreprise est
beaucoup plus grand. Sans vouloir remettre en question ces résultats, mais je ne tiens
aucunement à y faire confiance. Lorsqu’on possède une entreprise quelconque, on a
plus facilement les moyens de stimuler les personnes à faire des compliments que moi
d’inciter les personnes à critiquer. Elle a un pouvoir de mobilisation très grand qui est
le pouvoir économique, lequel est vraiment grand. Enfin, il y a là un certain nombre de
facteurs à caractère quelque peu nébuleux. (…) Il me semble que l’arsenal de défense
est presque inépuisable. S’il y a une chose ponctuelle [dans la publicité] et que l’on dit
que ce n’est qu’un aspect, un angle seulement dans un cadre beaucoup plus ample,
alors cela devient impossible de prouver la lésion. On reste à la merci de l’opinion.dcxxiv
(Walmir dos Santos, Rio de Janeiro, 24 mars 2006.)
On se souviendra encore que la réduction de la plainte au niveau d’une opinion personnelle et
localisée est un procédé de défense assez fréquemment utilisé dans les procès éthiques pour
discrimination raciale, dans le but de disqualifier les arguments de l’accusation.
Ironiquement, les membres des Conseils d’éthique du CONAR ont su résister le plus possible
aux pressions d’une opinion publique favorable à la condamnation de la publicité du GB dans
le procès 076-90. En voulant s’attarder sur les « faits matériels » de la publicité, les Conseils
d’éthique semblent être finalement peu enclins à reconnaître la légitimité de l’opinion des
plaignants. L’avocat Dos Santos me signifie, en contrepartie, que le problème fondamental ne
concerne pas forcément le pouvoir en termes de sanction du CONAR en lui-même — déjà
trop limité au retrait de la circulation et à l’avertissement (parfois à la publicisation de la
décision) — mais plutôt le fait que les décisions du CONAR ne puissent pas servir de
fondements à une demande de réparation auprès du Ministère public. Dos Santos explique
que les avocats impliqués dans la lutte contre la discrimination raciale doivent mener de
véritables croisades pour convaincre les responsables du pouvoir judiciaire d’entamer les
procédures prévues pour l’ouverture d’un procès d’action civile publique.
Le Ministère public, quant à lui, possède la fonction, grosso modo, de plaider pour la
société. Normalement, il travaille avec les droits diffus, les droits collectifs. Enfin, il a
le pouvoir d’entamer une action contre un représentant d’un groupe identifié ou
identifiable. S’il comprend que les arguments sont suffisamment contendants, il peut
347
normalement aller de l’avant avec une action civile publique ou un autre type d’action
de cette nature. (…) Mais cela finit par être trop difficile de fonder une dénonciation
auprès du Ministère public via le CONAR.dcxxv
(Walmir dos Santos, Rio de Janeiro, le 24 mars 2006.)
Dos Santos établit alors un parallèle entre le cas de la laine d’acier Assolan177 et un procès
qu’il a représenté en tant qu’avocat auprès du Ministère public, il y a dix ans, contre le
chanteur populaire Tiririca :
C’est très intéressant cet aspect du cas de l’Assolan parce qu’il nous renvoie
directement au cas Tiririca. En effet, dans les paroles de la chanson de ce citoyen, il y a
un morceau qui dit exactement ceci : ‘Regardez ses cheveux/ils ressemblent à [la laine
d’acier] bombril pour lustrer les casseroles’. C’est curieux, n’est-ce pas ?
(…) On note qu’il y a eu une évolution de la conscience du consommateur, me semblet-il. Parce qu’à l’époque, en effet, plusieurs personnes ne comprenaient pas le pourquoi
de cette discussion. (…) D’où l’importance des mouvements noirs organisés. Ce sont
eux qui fournissent ce cadrage. Ce sont eux qui vont montrer, qui vont apporter des
cadres comparatifs.dcxxvi
(Walmir dos Santos, Rio de Janeiro, le 24 mars 2006.)
Dos Santos conclut son analyse de l’action du CONAR en transposant les difficultés trouvées
auprès des membres du corps législatif à l’époque du procès du chanteur Tiririca, dont la
conclusion a été finalement favorable aux représentants des mouvements noirs.
Il y a là aussi la question de l’empathie. Parce que moi, vous, en tant qu’adultes, on
dit : ‘c’est sûr que cette chanson n’est pas pour moi. C’est sûr qu’elle n’est pas pour ma
famille’. Toutefois, lorsque vous pensez à une fillette noire — peut-être la seule noire
dans sa classe ou son école —, du moment où ses collègues lui chantent cela, que cela
est utilisé, il est difficile pour les personnes de se mettre dans la peau de cet enfant. Et
de [cette situation], nous avions des cas concrets, y compris les plaintes de mères dont
177
L’avocat Walmir dos Santos explique la mécanique de fonctionnement du Ministère public
comme suit : les plaignants requièrent l’avis d’un juge du Suprême tribunal fédéral pour l’ouverture du
procès. Si l’avis de celui-ci est défavorable à l’ouverture du procès, on peut aller en deuxième instance
et demander l’avis d’un Procureur général de la République. En suivant ses explications, je suis tenue
de croire que l’avis du Procureur qui avait été récupéré par le plaidoyer en deuxième instance du
procès éthique impliquant l’annonceur Assolan et l’agence ASPP, était, en effet, le dernier recours
juridique possible dans le cas de la publicité Assolan.
348
les enfants ne voulaient plus simplement revenir à l’école. Ils arrivaient à la maison en
demandant à leur mère de leur faire couper les cheveux. Certains demandaient de
devenir Blancs, d’autres pleuraient et ne voulaient pas dire pourquoi. C’est-à-dire, du
moment où vous avez cette empathie, vous réussissez à voir encore même plus loin.
(…) Mais lorsque vous ne pouvez pas vous mettre dans la peau de l’autre — ce qui
explique peut-être la position du juge, la position du CONAR, etc. —, si vous n’avez
pas cette capacité, c’est beaucoup plus difficile, parce que vous ne voyez pas la
demande de l’autre. Comme j’ai l’habitude de dire, on réussit tout au plus à être
solidaire. Tout au plus. Moi, je suis un homme, je sais que la demande des femmes est
très correcte, mais je ne peux tout au plus qu’être solidaire. Je ne serai jamais une
femme pour les comprendre vraiment. Mais je peux me rendre disponible.dcxxvii
(Walmir dos Santos, Rio de Janeiro, le 24 mars 2006.)
Le professeur universitaire et activiste du Mouvement Noir, Fernando Conceição possède,
une vision différente de celle de l’avocat. Alors que l’avocat Walmir dos Santos se réjouit des
situations où il a obtenu une réussite processuelle, voyant en cela le signe d’un changement
graduel des mentalités, le professeur du Département de communication sociale de
l’Université fédérale de Bahia voit la question de la réussite juridique comme un aspect
mineur :
Écoutez bien : des acquis légaux, des acquis que les mouvements sociaux ont obtenus
auprès de la Loi, dans la législation, ne veulent pas pour autant dire qu’ils seront, pour
ainsi dire, rendus effectifs dans le cadre de conflits juridiques. Alors la loi, elle est
bonne, la loi typifie la discrimination pour motif racial comme inamendable, mais
lorsque ceci arrive au [domaine] judiciaire, le juge l’interprète autrement. Donc, c’est
très difficile pour un Noir qui est discriminé de rassembler les preuves comme quoi il a
été discriminé par une annonce ou un restaurant. C’est très difficile de réussir, dans ces
demandes judiciaires, parce que le pouvoir judiciaire, ou les juges, les agents
judiciaires, le voient d’une autre manière au Brésil, encore de nos jours. Alors le gars a
été discriminé, il ouvre un procès pour discrimination raciale, et lorsque le juge analyse
le procès, il dit qu’il n’y a pas eu de la discrimination raciale. [On dit] que cela a été,
par exemple, de la calomnie, un crime de calomnie, parce que la peine est plus amène.
Ainsi, ces acquis dans la Loi, lorsqu’ils sont interprétés dans la Justice, ils sont donc
freinés en fonction de la formation des juges. J’en suis sûr, le cadre que vous faites
ressortir, ce cadre, cette augmentation de plaintes, ce cadre de plaintes perçu ici —
dont une bonne partie est mise aux archives, ne va pas de l’avant, etc. —, ceci va
s’altérer tout au long de prochaines décennies.dcxxviii
(Fernando Conceição, Salvador, le 12 avril 2006.)
349
La question, semble-t-il, réside plus dans le processus d’affirmation sociale que dans
l’efficacité des normes légales. Ayant lui-même participé activement aux audiences publiques
de la Constitution de 1988, Conceição ne voit pas nécessairement d’un mauvais œil le
manque de réussite judiciaire, préférant mettre l’accent sur la prérogative même de pouvoir
participer aux conflits en général, et plus spécifiquement aux polémiques autour de la
publicité discriminatoire :
En effet, j’attribue plus d’importance non pas au cadre juridique, mais à la mobilisation
que le Mouvement Noir a entreprise durant les années 1980 et 1990 — parce que les
années 1990 ont été une décennie très riche pour le Mouvement Noir au Brésil. Lors
des cas de discrimination, le Mouvement Noir en est arrivé au point de ne plus accepter
d’être provoqué par les annonces dans la télévision. Regardez bien, cela ne veut pas
dire que cette attitude du Mouvement Noir lui a procuré du succès dans ses demandes.
Par exemple, le Mouvement Noir a porté plainte contre la télévision Globo parce que
celle-ci a exhibé, dans un feuilleton télévisé, [l’acteur] Tarcisio Meira en train de
discriminer un personnage noir. Alors, on a essayé d’ouvrir un procès judiciaire. Bien
que le juge ou l’agent judiciaire ayant reçu cette demande l’ait mis aux archives, à
partir de ce moment-là, le Mouvement Noir avait déjà pris sa position.
Ce n’est pas toujours que l’on peut obtenir un avis favorable dans la justice. Mais
encore là, les agences de publicité, les annonceurs et les médias de masse en sont venus
à y faire plus d’attention. (…) Dans le cas du quotidien Estado de São Paulo, avec son
annonce de la promotion du Cahiers 2178, le quotidien s’est excusé, l’agence s’est
excusée. On a publié, dans l’espace du quotidien même, une annonce d’excuses à la
société brésilienne, en disant que l’intention n’a pas été celle-là.dcxxix
(Fernando Conceição, Salvador, le 12 avril 2006.)
Si, d’une part, l’on semble diverger minimalement quant aux résultats obtenus jusqu’à
maintenant, de l’autre, il semble exister un consensus quant à l’importance de l’action des
mouvements noirs dans le changement de la perception générale du problème de la
178
Le procès n°144/93, mis aux archives à l’unanimité par le Comité d’éthique du CONAR, est
un excellent exemple des liens étroits entre le CONAR et les hautes sphères du pouvoir (voir dans
Santiago c. S/A O Estado de São Paulo et Agence Talent, 1993). L’avocat responsable du plaidoyer
des accusés en question, l’agence de publicité Talent et le quotidien Estado de São Paulo, n’est
personne d’autre que Manuel Alceu Affonso Ferreira, l’ancien secrétaire de la Justice de l’État de São
Paulo, le même qui avait rédigé un rapport très défavorable au GB dans le procès n° 229-91. Toutefois,
selon les informations fournies par l’activiste Fernando Conceição, les mouvements noirs ont obtenu
gain de cause auprès du Ministère public, configurant ainsi le tout premier cas de réparation obtenue
dans un procès pour discrimination raciale dans la publicité — le seul d’ailleurs jusqu’à 2005.
350
discrimination raciale dans la société brésilienne, de manière générale, et dans la publicité
nationale, plus spécifiquement. La journaliste et activiste noire Rosane Borges synthétise de
manière magistrale l’évolution des cadres représentatifs dans la publicité au fur et à mesure
que l’on insère plus d’individus noirs dans la publicité brésilienne :
Aujourd’hui, [il y a] des subtilités dans la publicité qu’on ne voyait depuis [celles de]
Benetton — alors que Benetton disait : ‘On fait pour provoquer’. C’était un jeu de
couleurs fait pour choquer : la fillette blanche comme le petit ange, la fillette noire
comme le petit diable, la femme noire allaitant l’enfant blanc, en prenant les mères
nourricières comme référence.
Qu’est-ce qu’on a depuis Benetton ? On a des publicités qui travaillent ceci de manière
encore plus subtile. Et généralement, lorsqu’on les dénonce, il y a, par conséquent, une
sorte de neutralisation. (…) D’abord parce que la population noire, elle est plus
présente dans les publicités. Ensuite, parce que nous sommes dans un autre temps,
n’est-ce pas ? Un autre temps discursif, un autre temps d’intervention politique. (…) Je
pense qu’il y a un autre plan de discussion qui se reflète dans ces dénonciations.dcxxx
(Rosane Borges, São Paulo, le 31 mars 2006.)
Certes, les obstacles au changement de modèles de perception sont immenses, à commencer
par les activistes impliqués dans la lutte pour la démocratisation de la communication. Le
témoignage de Heitor Reis, ingénieur civil, chroniqueur et membre du Réseau Abraço de
radios communautaires, indique que la conscientisation du problème de la discrimination
raciale est un processus à plusieurs vitesses au sein de mouvements sociaux. Mais ce
témoignage atteste également de la centralité des mouvements noirs dans la fixation d’un
seuil de tolérabilité minimal en ce qui a trait aux représentations raciales dans la publicité :
Dans mon interprétation, le Mouvement Noir est fatigué et dépassé par les 300 ans
d’esclavage et de néo-esclavage — je dis que le néo-libéralisme a créé le néoesclavage. Alors ces gens, ils sont très sensibles, c’est-à-dire que face à n’importe quoi
qui montre le Noir dans une situation compliquée, les gens réagissent d’une manière
très marquée. Et moi, en regardant tout ça, je trouve qu’il n’y a rien de trop et que ce
qui est arrivé est une vérité historique. Mais on est déjà dans un point où le Noir ne
veut plus être vu de cette façon. [Il dit :] ‘Oui, cela a été vrai, mais aujourd’hui je ne
veux pas qu’on me montre comme ça’. (…)
La sophistication dont vous parlez : le degré d’exigence aujourd’hui est tellement fort
que je dirais qu’il est en train même de dépasser les limites. Mais je les comprends. Je
ne dis pas qu’ils sont en train de dépasser les limites comme une critique. Ils sont en
train de dépasser les limites du seuil de normalité. Froidement parlant, ils sont
351
vraiment en train de dépasser les limites. C’est tout un agglomérat de traumas et de
souffrances historiques qui est en train d’affleurer maintenant. Alors, on ouvre le
robinet, le flux se libère et l’eau vient avec beaucoup de force.dcxxxi
(Heitor Reis, Belo Horizonte, le 10 mars 2006.)
Cette querelle, en ce qu’elle oppose, d’une part, les représentations historiquement datées et,
d’autre part, les représentations d’une subalternité dégradante, constitue le nœud central d’un
carrefour de représentations sociales possibles, les unes souhaitables, les autres non. C’est
encore la journaliste Rosane Borges qui résume l’ampleur du programme cognitif
qu’assument les mouvements noirs :
[L’actrice blanche] Gloria Pires jouait une domestique dans [le feuilleton télévisé] Anjo
Mau, mais elle était la protagoniste. Le scénario, tout le récit dépendait de ce
personnage-là qui était celui d’une employée domestique.
Il y a des réalisateurs de feuilletons télévisés qui nous disent : ‘Vous vous plaignez
parce que le Noir joue un rôle d’esclave. Pourtant, ne s’agit-il pas de la réalité ?’ Nous
répondons : ‘Oui, ceci a un lien avec la réalité, mais la réalité n’est pas celle d’un Noir
passif, débile mental.’ Parce que c’est ce que l’on fait. En étendant ceci aux autres
domaines de la communication, comme le journalisme, il s’agit là du grand défi :
comment être partie prenante dans les tournages, journaux télévisés, corporations de
communications et réussir à rompre avec le legs discriminatoire ? Voilà le grand
défi.dcxxxii
(Rosane Borges, São Paulo, le 31 mars 2006.)
La tâche, on le sait déjà, n’est pas simple et exige une action coordonnée sur l’ensemble du
territoire national. Toutefois, il semble exister un grand nombre d’initiatives en cours au
Brésil contemporain qui méritent d’être explicitées. J’aimerais brièvement en citer quelquesunes comme partie d’un ensemble plus large de facteurs pouvant être à l’origine de
l’augmentation des plaintes pour discrimination raciale dans la publicité et ailleurs.
352
8.4 Quelques initiatives contemporaines en vue de combattre la discrimination raciale
dans les médias
Loin de constituer un répertoire exhaustif des actions entreprises présentement au Brésil, les
initiatives que je décris dans cette section ont tout simplement pour but de montrer la
diversité et l’ampleur des actions menées par les différents acteurs sociaux engagés dans la
lutte contre la discrimination raciale. Ces initiatives contribuent, à mon avis, à changer les
modèles de perception et de formulation du problème de la discrimination raciale et peuvent
avoir un impact, direct ou indirect, sur l’augmentation du nombre de plaintes pour
discrimination raciale dans la publicité.
Les diverses initiatives répertoriées ont été divisées dans les trois catégories suivantes : a)
insertion de la thématique de la discrimination raciale dans l’agenda des droits humains ; b)
changement des rapports entre les médias et la population noire ; c) changement de
l’imaginaire social.
8.4.1 La formation d’un cadre d’experts dans le domaine des droits humains
Le besoin de traduire au niveau juridique les demandes en provenance des groupes raciaux
brésiliens a motivé le rapprochement entre ceux-ci et le système de droits humains. C’est
l’avocat Walmir Santos qui fournit un aperçu de l’inclusion de la thématique raciale dans
l’agenda des droits humains au Brésil. Il raconte que cette inclusion n’a pas été facile, parce
que la plupart des leaders du mouvement des droits humains au Brésil privilégiaient la
question de la liberté d’expression dans le contexte du combat à la dictature :
I : Cette incorporation, comment s’est-elle passée ?
WDS : Écoutez, je dirais que cette incorporation est en train de se solidifier. Elle est
largement résultante de l’insertion des organisations des mouvements noirs dans le
Mouvement National des Droits Humains.dcxxxiii
(Walmir dos Santos, Rio de Janeiro, le 24 mars 2006.)
353
L’inclusion des mouvements noirs dans l’agenda des droits humains, sur le plan national, a
été solidement reprise par les organisations de droits humains sur le plan international.
Ce n’est qu’en 1995 que [l’ancien Président] Fernando Henrique a déclaré, pour
la première fois, que nous étions un pays raciste, lors de la Conférence de l’OEA.
Mais Fernando Henrique l’a dit uniquement en conséquence de pressions
internationales.dcxxxiv
(Rosane Borges, São Paulo, le 31 mars 2006.)
Comme exemple de pressions subies par l’ancien président, Borges cite l’ONU, qui
s’appuyait sur les paramètres de l’Indice de développement humain (IDH) du Brésil. Selon
les techniciens de l’ONU, le Brésil constituait concrètement un cas d’apartheid racial : l’IDH
de la population considérée dans son ensemble plaçait le Brésil au 79e rang des nations ; mais
si l’on considérait l’IDH de la population blanche, le pays passait au 38e rang, alors que celui
de la population noire plaçait le pays au 114e rang.
Un autre exemple concret de collaboration internationale est évoqué par l’avocat Walmir Dos
Santos. Celui-ci atteste que l’entraînement fourni par l’International Human Rights Law
Group durant la phase préparatoire de la Conférence de Durban a servi de contribution
fondamentale pour former de nouveaux cadres juridiques, permettant ainsi de faire avancer la
lutte contre la discrimination raciale au pays :
L’étude de la législation de l’OEA et de l’ONU par certaines personnes et certaines
organisations a aussi joué un rôle important.dcxxxv
(Walmir dos Santos, Rio de Janeiro, le 24 mars 2006.)
Alors que Walmir Dos Santos souligne l’importance de la lecture et de la divulgation du
système des droits humains, afin de traduire ces termes en demandes propres au scénario
brésilien, une autre initiative abondant dans le même sens, quoique ayant un rayonnement
local, est cité par l’activiste et professeur Fernando Conceição :
354
En fait, le Mouvement Noir organisé brésilien est train de consacrer de grands efforts
pour former des cadres au niveau judiciaire. Aujourd’hui, on peut se rendre compte de
l’existence de plusieurs cours de formation à la carrière judiciaire pour des Noirs. Ici,
maintenant, à Bahia, Salvador, un cours de formation à la carrière judiciaire est offert à
des avocats noirs. C’est-à-dire que les Noirs doivent devenir des procureurs de la
justice, les Noirs doivent devenir des juges.dcxxxvi
(Fernando Conceição, Salvador, le 12 avril 2006.)
Ces initiatives de formation de cadres au niveau judiciaire, comme le remarque très
opportunément Conceição, font partie d’un éventail d’actions qui n’auraient autrement pas
lieu en dehors du système démocratique :
Alors, ce que fournit la base d’appui pour que les mouvements protestent, c’est le fait
qu’on vit au Brésil, depuis la fin des années 1980, dans une démocratie. Il y a un
régime brésilien [qui] est démocratique, imparfait, mais en état de perfectionnement.
(…) Cette base permet qu’on proteste, parce que si l’on était dans un régime fermé —
une dictature, par exemple — où il n’y a pas d’État de droit, alors on ne pourrait même
pas se mobiliser : publier des articles, faire des pamphlets. (…) La démocratie importe
pour le Mouvement Noir, c’est pour ça que nous, les Noirs, nous avons beaucoup lutté
pour la re-démocratisation du Brésil dans les années 1970 et 1980.dcxxxvii
(Fernando Conceição, Salvador, le 12 avril 2006.)
Bref, la formation de cadres juridiques noirs est vue comme une stratégie à court et à long
terme, afin de faire prévaloir ce que la législation détermine depuis 1989.
8.4.2 Changement des rapports entre les médias et la population noire
Le publicitaire noir Paulo Rogério Nunes est le directeur exécutif de l’Instituto de Midia
Étnica. Cette organisation a pour mandat la promotion de la population noire dans les médias
de communication dans ses diverses dimensions, allant de la production de contenus jusqu’au
repérage de professionnels noirs dans les médias de communications, dans les agences de
publicité, dans les agences de modèles, etc. Créé en 2001, dans la ville de Salvador, Bahia,
l’Instituto de Midia Étnica est né d’une double lacune perçue dans le scénario national :
355
À l’époque, je m’étais rendu compte qu’il y avait une lacune au sein du Mouvement
Noir pour discuter de la communication, tout comme une lacune existait aussi dans les
mouvements [pour la démocratisation] au niveau de la communication pour discuter de
la question raciale.dcxxxviii
(Paulo Rogério Nunes, Salvador, le 12 avril 2006.)
Nunes croit que, d’une part, les mouvements noirs ne menaient pas de discussion sur le rôle
des médias de la communication et de l’information d’une manière assez effective et assez
proche des questions contemporaines ; d’autre part, il signale que les groupes historiquement
engagés dans la lutte pour une communication plurielle, comme le Forum national de
démocratisation de la communication, n’avaient pas encore assimilé l’idée de diversité
culturelle et raciale dans les médias. En ce qui concerne la dimension interne du mouvement,
poursuit-il, le MNU avait développé, tout au long des années 1980, une notion très utilitariste
de la communication, c’est-à-dire la communication vue en tant qu’outil de dissémination des
actions.
[Le rapport aux médias s’est fait] toujours dans l’aspect fonctionnel de la
communication, mais jamais en comprenant la communication comme un
élément de transformation sociale, comme un élément de construction de
l’identité. La communication en tant que sphère politique de pouvoir, y compris
celle du quatrième pouvoir. Le Mouvement Noir n’a presque jamais été capable
d’envisager ce type de chemin.dcxxxix
(Paulo Rogério Nunes, Salvador, le 12 avril 2006.)
Nunes explicite le contexte politique plus large de la naissance de l’institut dans les termes
suivants :
Ce dialogue commence à surgir après Durban, un peu après le séminaire de Brasilia179.
(…) Il y avait une prédisposition du SEPPIR, initialement, de dialoguer avec les
secteurs de la communication du Mouvement Noir, mais encore dans l’équivoque de la
communication institutionnelle. À l’époque, on voulait divulguer [le sujet de] la
conférence, alors là on avait besoin de la Troféis, de l’Afirma, ainsi que d’autres
journaux noirs. Et puis, lorsque la possibilité s’est présentée, nous avons dit : ‘Non,
179
Conférence nationale pour la Promotion de l’égalité raciale, en 2003.
356
nous ne voulons tout simplement pas faire le registre de la conférence. (…) Nous
voulons un dialogue sur les politiques de communication.dcxl
(Paulo Rogério Nunes, Salvador, le 12 avril 2006.)
L’Instituto de Midia Étnica est donc voué à combler ce vide. Au départ, l’idée de fonder un
institut de médias ethniques est née d’un dialogue entre étudiants afro-descendants
universitaires du domaine de la communication, afin d’intervenir de manière plus efficace sur
le champ politique — par exemple, en ouvrant une action civile publique, lorsque cela est
nécessaire, ou en organisant des séminaires et des marches pour les droits à la
communication. Toutefois, souligne-t-il, le travail d’insertion des jeunes professionnels
diplômés est aussi important que l’activisme politique. Par exemple, l’Instituto de Midia
Étnica entend faire un pont entre ceux-ci et le marché professionnel, en mettant à la
disposition des entreprises et agences un catalogue de modèles noirs.
En ce qui concerne spécifiquement le dialogue entre les activistes noirs et le SEPPIR, Nunes
rapporte finalement que les activistes n’ont pas réussi à convaincre le secrétariat de former un
groupe de travail sur la communication au sein du séminaire en question. Toutefois, sur un
plan informel, cela a servi pour faire se rapprocher au moins une vingtaine d’organisations
noires dont les mandats sont directement liés au champ de la communication sociale. Ces
organisations sont reliées par des intérêts communs, à savoir la création d’un mécanisme de
régulation des contenus de la communication de masse par l’État, avec la participation de la
société civile, une intervention plus efficace du SEPPIR dans d’autres dossiers connexes,
comme les mesures de répression de l’actuel gouvernement sur les radios communautaires,
les subventions à la production audio-visuelle afro-descendante, etc.
Ayant un mandat un peu similaire à celui de l’ Instituto de Midia Étnica, quoique sur un autre
plan d’intervention, on retrouve la Comissão de jornalistas para a igualdade racial
(COJIRA). Née d’une association de journalistes noirs impliqués dans le domaine du
syndicalisme, la commission se propose, d’une part, de repérer, localiser et identifier le
nombre de journalistes noirs dans les rédactions. Elle développe également des projets afin de
nantir les associations, organisations et médias de masse avec des contenus et des sources
357
pour fomenter le débat sur l’égalité raciale. La journaliste Rosane Borges rapporte, à titre
d’exemple, une rencontre entre deux membres du COJIRA et la secrétaire de la rédaction du
quotidien Folha de São Paulo au sujet de la couverture que ce dernier faisait du programme
d’actions positives du gouvernement en faveur des étudiants noirs.
On a eu une réunion avec la secrétaire du [quotidien] Folha et on lui a dit : ‘Écoutez, le
journal peut avoir sa propre position et écrire un éditorial qui y soit contraire [aux
politiques de quotas dans les universités]. Mais de là à n’insérer aucun spécialiste,
aucun chroniqueur qui soit favorable aux politiques de quotas… Le [quotidien] Folha,
dans sa deuxième page, possède ce [cadre] ‘Favorable/Contre’, lorsqu’il s’agit de
sujets brûlants. Mais ils n’ont jamais fait ceci avec les actions affirmatives. Et alors,
l’une des réponses de la secrétaire a été celle-ci : ‘Oui, mais il n’y a pas de sources, il
n’y a pas de noms’. Et, puis, on lui a donné plusieurs noms.
Toutes ces excuses que nous savons être des excuses désabusées, ne servent qu’à
neutraliser une action effective avec la grande presse : ‘Écoutez, on ne couvre que des
éphémérides parce qu’on ne connaît pas la dynamique des organisations noires’.dcxli
(Rosane Borges, São Paulo, le 31 mars 2006.)
Ainsi, en tenant compte d’arguments comme ceux-ci, la COJIRA a décidé de mettre en
branle un nombre varié de programmes de formation visant à rendre les journalistes de la
grande presse aptes à couvrir la thématique raciale :
Il y a des reportages dans lesquels le journaliste confond préjugé avec discrimination,
avec racisme. Alors, on va offrir des cours pour les journalistes dans ce champ. dcxlii
(Rosane Borges, São Paulo, le 31 mars 2006.)
Les problèmes relevant de la couverture journalistique dans les médias de masse dépassent
largement le rapport entre ceux-ci et les sources, pour atteindre en plein cœur les rédactions
de la grande presse. Une autre initiative de changement du rapport entretenu entre les médias
et la population noire porte, cette fois-ci, sur la sphère de la production journalistique des
adolescents défavorisés. Compte tenu de son expérience dans le champ du journalisme
populaire, le journaliste Paulo Oliveira, professeur des cours de journalisme de l’Université
Cândido Mendes et de l’Escola Popular de Comunicação Crítica, semble très familiarisé
avec le profil des journalistes de la grande presse :
358
On commence à voir une série de conflits dans les rédactions mêmes. On n’y voit
presque pas de Noirs, on n’y voit presque pas de personnes d’origine pauvre détenant
un poste très élevé de la direction. Lorsque ceux-ci commencent à arriver, il commence
à y avoir une forme de blocage. Parce que la vision que l’on a est différente.dcxliii
(Paulo Oliveira, Rio de Janeiro, le 23 mars 2006.)
Paulo Oliveira est plus spécifiquement le coordinateur de l’Escola Popular de Comunicação
Crítica, une école de médias et d’arts visuels insérée dans le « complexe de la Maré » — un
agglomérat de sept communautés défavorisées à Rio de Janeiro. Son mandat est de former
des communicateurs pour les communautés locales, dans une perspective de communication
intégrée : Internet, presse, radio communautaire, photographie. L’école possède encore une
banque d’images ainsi qu’une agence de photographes. Les élèves produisent, entre autres,
un journal dont le tirage est de 20 000 exemplaires.
Il va sans dire que l’Escola Popular de Comunicação Crítica n’est qu’un projet dans le cadre
plus ample de l’Observatório de Favelas do Rio de Janeiro, initiative qui intègre de
nombreux projets et centres de production de savoirs dans diverses banlieues défavorisées de
cette ville. L’idée est de faire face, de manière coordonnée, à des problèmes communs aux
différents agglomérats : violence, trafic de drogues, discrimination raciale, incursions
policières résultant en un nombre élevé de morts. À travers ses centres d’activité,
l’observatoire mène un travail d’observation des actions et de dénonciation de l’état de
détresse sociale des populations locales — incluant un travail d’observation de la couverture
des médias de communication de masse sur ces mêmes populations.
Paulo Oliveira expliquait notamment que le rapport entre la grande presse et les banlieues se
dégradait de plus en plus depuis la mort du journaliste Tim Lopes en 2002180. La peur de
représailles de la part des journalistes de la grande presse a fait que ceux-ci réduisent encore
plus leurs rares incursions dans ces régions. Oliveira signale, par exemple, que certaines
180
Le journaliste Tim Lopes — lui-même ancien habitant d’une banlieue défavorisée — était le
responsable d’une série de reportages portant sur les trafiquants de drogue à Rio de Janeiro. Il été
assassiné brutalement après avoir été reconnu par un groupe de narcotrafiquants, compte tenu de sa
visibilité comme reporter de la TV Globo.
359
communautés ont acquis, par conséquent, plus de visibilité que d’autres, comme cela semble
être le cas de celle de la Rocinha. Ce bidonville qui compte plus de 400 000 habitants, avait
fait l’objet d’une série de reportages, dans le quotidien O Globo, dénonçant l’occupation de
forêts protégées :
On doit prendre plusieurs facteurs en considération. La plupart des éditeurs haut placés
de la [TV] Globo habitent dans la région, donc ils doivent passer par là. De plus, la
plupart des lecteurs du [quotidien] O Globo vivent pratiquement dans cette région. De
même, plusieurs personnes de la Rocinha travaillent chez ces gens. Ils ont un plus
grand contact. On a un réseau d’information beaucoup plus grand depuis le bidonville
jusque-là, avec plus d’ONG, d’intellectuels et de personnes qui y travaillent. (…)
Alors, qu’est-ce qui arrive aux bidonvilles plus petits ? Le cas « Tim Lopes » a éloigné
la presse, les personnes elles-mêmes ont eu peur. Comment va-t-on communiquer avec
la presse ? Il est où, le réseau de communication ? Ceci est l’un des facteurs. Et
lorsqu’on communique, comment peut-on s’assurer qu’on va publier exactement la
forme avec laquelle cela a été rapporté ? On ne peut pas. On passe l’information, on
perd le contrôle sur celle-ci. (…) La version qui va paraître est la version de la police,
parce que ceux-ci ont un système de contacts avec les reporters.dcxliv
(Paulo Oliveira, Rio de Janeiro, le 23 mars 2006.)
Le projet l’Escola Popular de Comunicação Crítica voit donc le jour dans le sillon du
problème communicationnel entre les régions défavorisées et les centres de production
d’information qui sont, dans le contexte brésilien, encore plus centralisés. Face à
l’insensibilité des grands médias de masse, il s’agit maintenant de créer, en première
instance, des espaces alternatifs et plus accessibles de production de la subjectivité :
[L’objectif est de] les stimuler à la production de médias propres, à partir d’une vision
critique de la presse, de manière générale. Et reproduire cela dans les écoles ayant ces
derniers comme agents. C’est un marché, pour ainsi dire, de démocratisation de
l’information. (…)dcxlv
(Paulo Oliveira, Rio de Janeiro, le 23 mars 2006.)
Certes, les différences relevant d’une fracture sociale si profonde ne sont pas négligeables,
ayant des retombées directes sur le capital culturel, social et symbolique de la population
locale. Un processus de sélection est mené afin de privilégier les étudiants ayant un profil
360
communautaire. Paulo Oliveira complète le profil des étudiants locaux dressé par le
journaliste Vitor Monteiro, assesseur de communication de l’Escola Popular de
Comunicação Crítica :
Les élèves n’arrivent pas ‘crus’ ici. Il y a un processus de sélection. On s’est mis
d’accord pour que chaque communauté ait un local [pour la sélection] (…) L’idée était
de favoriser ceux qui sont attirés par le communautarisme, un intérêt préalable de
participer à quelque chose. (…) Ils ont des problèmes d’écriture, ce qui est naturel pour
ceux qui viennent de l’école publique ici à Rio de Janeiro. Le gars sort diplômé et il
n’a pas une écriture adéquate. Par contre, leur pensée porte déjà un regard social.dcxlvi
(Vitor Monteiro, Rio de Janeiro, le 23 mars 2006.)
Ils ont un sens critique très élevé. Ils ont un sens critique des choses que nous
considérons comme fondamentales : préjugé, violence de toutes sortes.dcxlvii
(Paulo Oliveira, Rio de Janeiro, le 23 mars 2006.)
Bien que tous les professeurs travaillent dans le milieu communautaire, Paulo Oliveira et
Vitor Monteiro — tous les deux journalistes diplômés, Blancs et de classe moyenne — ont
une trajectoire à part en ce qui concerne le cadre de professeurs du projet, la plupart de ceuxci habitant ou ayant déjà habité dans le Complexe de la Maré.
Bref, toutes ces initiatives constituent autant de façons de contrecarrer les rapports
asymétriques entre les médias de masse et la population afro-descendante. Des problèmes
spécifiques requièrent des solutions adaptées à chaque clientèle. Chacun à sa manière, il
s’agit fondamentalement d’entamer un travail de restructuration identitaire ayant les médias à
la fois comme fins et comme moyens.
8.4.3 Changement de l’imaginaire social
La dernière stratégie concerne toutes les initiatives à la fois : la déconstruction d’un
imaginaire eurocentrique. Rosane Borges traduit le dilemme consistant à concilier le travail
dans les médias de communication et ce projet plus ample de déconstruction :
361
Sincèrement, je pense que la publicité — et la communication en général — est un
champ stratégique, mais qu’elle ne résout pas les problèmes toute seule. (…) On a une
éducation occidentale, on a une éducation eurocentrique. Et bien qu’on donne des
cours de formation pour les journalistes — ce qui offre pas mal de secours —, on doit
changer cet antécédent qui est l’imaginaire commun qui nous oriente.dcxlviii
(Rosane Borges, São Paulo, le 31 mars 2006.)
La question du changement touche ainsi un vaste éventail de domaines, à commencer par les
modèles esthétiques :
Parce que la vision de la publicité brésilienne est encore eurocentrique, qui n’admet
pas ce qui est différent. Il faut avoir des yeux bleus. Blanc aux yeux bleus, genre,
Europe du Nord, ce n’est même pas l’Europe du Sud, de la Méditerranée. Ce n’est pas
le Grec, l’Européen avec la peau basanée, l’Italien d’en bas. Non. C’est une vision
nordique. Norvège, Suède, voici la vision de la publicité brésilienne. Mais ceci
commence à changer.dcxlix
(Fernando Conceição, Salvador, le 12 avril 2006.)
L’une des initiatives qui soulèvent l’espoir de changement de cette dimension plus profonde
constitue mise en vigueur de la Loi fédérale 10.639/03, laquelle prévoit l’enseignement de
l’histoire de l’Afrique et l’histoire des afro-brésiliens comme cours obligatoires aux niveaux
primaire et secondaire du réseau scolaire public.
Je pense que la Loi 10.639 contribue pour beaucoup. Parce qu’en plus de cette question
du Beau et de l’aspect physique, du fait que le Noir soit beau, il y a un processus qui
passe notre histoire sous le silence.dcl
(Rosane Borges, São Paulo, le 31 mars 2006.)
Retombée immédiate de la loi en question, le Programa de Reflexões e Debates para a
Consciência Negra a été institué en 2004 dans une école de la périphérie nord de la ville de
Rio de Janeiro, sous la coordination de la pédagogue Carla Lopes. Initialement restreint à un
cycle de conférences, le programme a rapidement évolué vers un projet politique
pédagogique plus ambitieux, lequel vise à apporter des subsides pour l’élaboration d’un plan
d’enseignement à partir de la sélection de contenus et méthodes d’enseignements de matrice
362
africaine à tous les cours de cette école secondaire. Autrement dit, il s’agit par là d’intégrer
des contenus et méthodes qui étaient jusque-là laissés aux oubliettes, voire exclus de la liste
des
savoirs
légitimes
officiellement
reconnus
par
le
gouvernement
brésilien :
l’ethnomathématique, la capoeira, les manifestations artistiques reliées aux religions de
matrice africaine, parmi d’autres.
Après coup, il y a lieu de s’interroger sur la place que le mythe de la démocratie raciale —
mythe fondateur et puissant facteur de cohésion, pour les uns, et oppression, pour les autres
— pourrait jouer dans une société vivant un processus de remise en question aussi profond et
aussi brûlant que celui-ci. La conclusion de l’avocat Walmir dos Santos suggère une piste de
réponse :
Si ladite démocratie raciale existait, le Brésil serait un pays servant d’exemple au
monde. D’après ma compréhension, cette démocratie n’existe pas encore. Elle
n’existera qu’à partir de l’égalité des droits et des chances.dcli
(Walmir dos Santos, Rio de Janeiro, le 24 mars 2006.)
Dans ce chapitre, on a pris conscience non seulement de l’ampleur de la tâche qu’implique
l’inculpation pour discrimination raciale dans le contexte de la publicité et ailleurs, mais aussi
du terrain de pratiques où ce combat politique est quotidiennement mené. Compte tenu des
différentes contributions apportées par mes interlocuteurs, je conclus tout brièvement que
l’idée de démocratie raciale est encore pertinente de nos jours, se serait-ce que pour refonder
une utopie de nation où tous auraient non seulement égalité de droits et de chances, mais
également une perception positive de leur différences.
CONCLUSION
Avant de passer au bilan de l’analyse quantitative et qualitative des procès éthiques,
j’aimerais très brièvement reprendre les principaux points soulevés dans les chapitres
précédents.
Il importe de préciser, d’une part, que les procès éthiques du CONAR émergent d’un
contexte institutionnel très particulier. Né dans le cadre d’une négociation entamée entre le
secteur publicitaire national et le régime militaire en place (voir chap. 5), le CONAR est le
reflet à la fois d’une certaine forme de gérance du pouvoir étatique et de rapports
historiquement établis entre celui-ci et les citoyens participant à la communauté nationale
(voir chap. 2 et chap. 3). D’autre part, je crois avoir fourni suffisamment d’indices sur la
centralité que la race a historiquement occupée, non seulement au sein du système politique
brésilien, mais aussi dans les discours identitaires plus amples de l’État nation en question
(voir chap. 2). Les débats contemporains autour des changements stratégiques dans le
système classificatoire officiel afin de rassembler les populations preta et parda sous la
catégorie negra (voir chap. 1) ne peuvent être compris en faisant abstraction de certaines
politiques de l’État colonial qui ont été poursuivies et perfectionnées par l’État postcolonial.
La tradition légale centralisatrice et autoritaire de l’État brésilien a également produit d’autres
fruits. Les politiques régulant le domaine des communications et des télécommunications,
amplement décrites par la littérature nationale et internationale, semblent avoir aggravé
certaines asymétries structurelles importantes existant entre la population blanche et celles
non blanches (chap. 3). Ici, l’obstruction de l’accès aux sphères de visibilité sociale produites
par les médias se conjugue parfaitement avec l’essentialisation des images puisées dans un
vaste répertoire social — répertoire où la valorisation de la blancheur et l’idée de rapports
raciaux harmonieux deviennent des éléments indissociables (chap. 2). Ces différents aspects
364
ont un impact direct non seulement sur la sphère de la production du marché économique,
mais aussi dans la publicité en tant que sphère responsable de la médiation entre le domaine
de la production et celui de la consommation (voir chap. 4).
Une fois explicitées les dimensions institutionnelles, économiques et culturelles composant le
contexte plus ample qui encadre cette recherche, j’ai tenté de décrire celles-ci selon la
grammaire dictée par le modèle de démocratie délibérative habermassien. J’ai démontré de
façon pertinente comment Habermas attribuait à l’essor de la publicité-réclame un rôle
important dans les changements structurels opérés dans les rapports entre les journaux et
leurs publics respectifs. D’une part, Habermas n’a jamais ignoré, dans ses formulations
classiques, que la publicité, tout comme les journaux, forme et informe ses propres publics.
La différence entre la publicité et le journalisme critique, si l’on suit le raisonnement de
l’auteur dans ses premières formulations, résidait surtout dans la méthode : alors que la
publicité travaillait avec les principes de la séduction et l’assentiment passif du
consommateur, les journaux d’opinions visaient à fomenter la formation de la volonté
politique à la lumière d’arguments échangés rationnellement entre individus privés faisant
usage public de la raison.
Il est vrai que l’essor de la publicité a historiquement garanti une certaine indépendance au
rédacteur, tout en accordant un revenu additionnel à l’entreprise journalistique. Dans un
monde idéal, l’existence d’un marché économique dynamique pourrait à la limite fomenter
un plus grand nombre de journaux, d’émissions de télévision et de radio, de magazines
littéraires. Bref, le marché économique permettrait d’augmenter les moyens d’expression
d’une société quelconque. La question que l’on doit se poser devant un cadre si optimiste se
résume fondamentalement à ceci : si le capital économique n’est pas égalitairement distribué
entre les diverses sphères de la société civile, les marché d’annonces ne feront-ils que
reproduire fondamentalement les mêmes inégalités structurelles du système économique ? De
ce fait, dans le cadre d’une démocratie sociale où l’État jouerait adéquatement son rôle de
redistributeur des ressources entre les divers acteurs, une politique culturelle visant à stimuler
la diversité culturelle serait non seulement envisageable, mais aussi souhaitable. Mais
365
lorsqu’on parle d’un État centralisateur, autoritaire, un État qui a largement favorisé le capital
privé dans la propriété des médias, bref, un État devenu lui-même le chef de file d’une
industrialisation croissante, il y a lieu de s’inquiéter de l’accès des populations marginalisées
aux médias.
Toutefois, le rapport entre le système de médias brésilien et l’existence de discrimination
dans la publicité peut sembler, en principe, flou et totalement dépourvu de liens de causalité.
Par exemple, la concentration de la propriété des médias dans les mains d’une poignée de
familles solidement ancrées dans le système politique central ne révèle pas grand-chose sur
certains problèmes de discrimination, raciale ou non, qui relèvent de la pensée « créative » de
professionnels de la publicité. De plus, la mauvaise répartition du gâteau publicitaire entre les
différents médias nettement en faveur de la télévision ne semble pas porter de préjudice
direct à l’existence d’une quelconque discrimination dans la publicité. Il va sans dire que les
deux plus grandes polémiques autour de la publicité discriminatoire — celles qui ont fait le
plus couler d’encre dans les diverses capitales du pays : les procès n° 076-90 (« la mère
nourricière ») et n° 229-91 (« l’ange et le diable ») — n’ont pas été véhiculées par la
télévision mais par les panneaux publicitaires et les médias imprimés181. Toutefois, je tiens à
croire que le dessein plus ample du système des médias brésilien a un impact — quoique
indirect — dans la perception et la formulation du problème de la discrimination raciale dans
la publicité. Je reviendrai opportunément sur ce point.
Ainsi, ce qui me semble insensé, si l’on suit le raisonnement d’Habermas dans L’espace
public, c’est d’imaginer que la publicité elle-même ne serait pas capable de former ses
propres publics critiques. La publicité a, certes, contribué de diverses manières à la
(dé)formation des publics nationaux, mais elle a paradoxalement offert un terrain
d’intervention pour les publics critiques qui s’insurgent contre ses modèles de représentation.
181
D’une certaine façon, le fait que la publicité soit véhiculée sur les panneaux publics a facilité
l’intervention des activistes directement au niveau du support médiatique. Compte tenu de
l’accessibilité des panneaux publics, je tiens à croire que les graffitis des activistes du MNU n’auraient
jamais eu le même effet que si la publicité avait été véhiculée à la télévision.
366
Mon argument ici est très simple : les transformations dans l’ethnicité brésilienne et la
dénonciation de la discrimination raciale dans les espaces de visibilité sociale — y compris
les espaces publicitaires — sont deux manifestations d’un processus plus large de politisation
de la question raciale à travers la mise en place d’un débat social d’envergure. L’essor d’un
marché considérable de consommateurs afro-descendants, considéré par plusieurs comme un
phénomène récent182, participe directement au changement de l’ordre symbolique prévalant
jusqu’à maintenant dans la publicité nationale, représentant à la fois le moteur et le reflet de
ces changements plus amples. La propre évolution des modèles de représentation raciale dans
la publicité brésilienne rend compte de ces changements identitaires, dont la portée s’étend
aux domaines les plus variés.
Un premier moyen de se rendre compte de l’évolution des modèles de perception et de
formulation du problème de discrimination raciale dans la publicité réside dans l’analyse
quantitative des procès déposés auprès du CONAR tout au long des 26 années de son
existence. On a vu, par exemple, que même si les procès pour discrimination raciale comptent
parmi les tout premiers déposés au CONAR, environ 45 % d’entre eux n’ont été ouverts que
très récemment — soit à partir des années 2000. On sait également qu’une diversification des
formes de discrimination perçues dans la publicité correspond également à la hausse du
nombre de procès dans la catégorie « discrimination », à partir de la seconde moitié des
années 1990. Mais si l’on compare les caractéristiques des décisions du CONAR dans les
procès pour discrimination raciale avec les données relatives à toutes les décisions émises par
cet organisme en 2003183 — toutes sortes de transgression confondues —, la différence est
aberrante. En effet, selon les données concernant l’année 2003 (CONAR, 2008), 34,05 % des
décisions émises par le CONAR ont résulté en une recommandation de changement dans
l’annonce, et 32,13 % d’entre elles en une mise aux archives. Seulement 26,38 % des
Si l’on tient compte de la promotion de produits pharmaceutiques au Brésil au début du XXe
siècle comme d’une stratégie de marché dans le cadre plus ample des politiques eugéniques et
hygiénistes des gouvernements successivement en place, alors on serait forcé de croire que l’intérêt
pour le marché « afro-descendant » ne date pas d’hier (voir chap. 4, sect. 4.3.).
182
183
Je prends comme point de départ les statistiques de 2003 car ce sont celles que j’avais en ma
possession au moment de réaliser mes entretiens.
367
publicités dénoncées ont été retirées de la circulation, alors que le conseil n’a émis que
7,19 % d’avertissements. Bien que les taux concernant les recommandations de changement
dans l’annonce demeurent généralement stables pour les années suivantes — 34,37 % en
2004 et 34,53 %, en 2005 —, les autres types de décisions prises par le CONAR connaissent
des changements importants. Ainsi, deux tendances sont-elles amorcées pendant ces trois
années : d’une part, on note une légère croissance des taux de procès mis aux archives (on
passe notamment de 32,13 % des procès mis aux archives en 2003 à 34,11 % en 2004, pour
arriver finalement à 36,57 % en 2005) et d’avertissements (7,19 % en 2003, 8,01 % en 2004,
et 9,21 %, en 2005). D’autre part, les taux de décisions impliquant un retrait de la circulation
connaissent une réduction dans les dernières années : on passe de 26,37 % en 2003 à 22,74 %
en 2004, pour finir avec 19,69 % en 2005 — soit une réduction de 6,68 % par rapport à la
première année prise en considération. Or, si l’on tient compte du fait que 70,96 % des procès
pour discrimination raciale ont été mis aux archives sans aucune forme de reconnaissance du
dommage, alors on peut conclure que le taux de procès mis aux archives est presque deux
fois plus élevé que la moyenne des procès mis aux archives au CONAR entre 2003 et 2005.
Une autre dimension de l’asymétrie des résultats dans les procès pour discrimination raciale
peut être perçue en fonction du profil des plaignants : alors que la plupart des procès pour
discrimination raciale déposés entre 1979 et 1995 étaient ouverts par une représentation
d’office déposée par un directeur ou un président du CONAR, la plupart de ceux déposés à
partir de 2001 résultent de plaintes de consommateurs. C’est exactement à partir de 2001 que
le taux de procès mis aux archives sans aucune forme de reconnaissance du dommage atteint
87,71 %.
L’analyse qualitative de cinq procès ayant fait l’objet d’une couverture médiatique démontre
bien comment certaines variables externes très diversifiées peuvent directement influencer la
reconnaissance du dommage de la discrimination raciale dans la publicité. En ce qui concerne
particulièrement la première phase des procès pour discrimination raciale (1979-1989), celleci possède quelques points saillants que j’aimerais résumer ici. Tout d’abord, les procès
démontrent bien l’importance des cadres interprétatifs fournis par les membres noirs dans
368
l’analyse critique de la publicité dénoncée. Toutefois, il est nécessaire d’examiner ces
différentes perceptions du problème de discrimination chez les dénonciateurs en termes de
continuum de cadres interprétatifs. Par exemple, l’analyse des procès de la première phase
démontre bien le passage de la perception d’une image irrespectueuse vis-à-vis de l’individu
noir, considéré dans ses dimensions privées (procès n° 025- 82, « Boni du bonheur »), à une
idée plus organique de communauté noire nationale (procès n° 118- 88, « vêtements
infantiles Smuggler »). Il semble clair que les changements constitutionnels de cette période
ont joué un rôle important dans cette évolution graduelle d’une perception individualiste du
dommage à celle touchant une collectivité ou un groupe ethnique. Par contre, la perception
du problème de la discrimination raciale demeure encore incomplète : l’identification des
raisons à l’origine de celle-ci est encore très floue — on cite « l’intériorisation de l’idéologie
du blanchiment racial » dans le procès n° 118-88 — alors qu’aucune solution collective au
problème en question n’est envisagée dans les cas analysés.
C’est aussi dans cette première phase qu’on identifie, de toute l’histoire du CONAR, le degré
le plus élevé de solidarité sociale constatée entre les membres du Conseil d’éthique et la
partie responsable de la dénonciation. Cette solidarité peut prendre des formes variées, allant
du dépôt d’une représentation d’office contre une publicité soupçonnée de promouvoir la
discrimination raciale, comme dans le premier cas, jusqu’à l’émission d’une décision
favorable à la partie plaignante, comme dans le deuxième. Cependant, ces démonstrations de
solidarité avec la partie plaignante n’impliquent pas pour autant une compréhension partagée
du problème de la discrimination en tant que discrimination raciale à proprement parler. Au
contraire, l’attribution du dommage de discrimination raciale est une prérogative presque
exclusive de la partie plaignante tout au long de cette phase. La preuve en est que le terme
« discrimination raciale » n’a jamais été explicitement cité par les membres des comités
d’éthique du CONAR.
Les raisons menant à cette solidarité peuvent varier d’un cas à l’autre, mais une chose semble
sûre : dans les deux cas, l’argumentaire de la défense a vivement collaboré à sa propre défaite
et ce, de deux façons distinctes — soit en suggérant cyniquement que toutes les domestiques
369
noires sont « stupides », comme dans le procès n° 025-82, soit en célébrant les « qualités » de
la position subalterne, comme dans le procès n° 118-88. Les réactions indignées des
rapporteurs font place à plusieurs conjectures. D’une part, on se demande si une bonne partie
de leur colère ne dérivait pas en effet de soupçons de non-sincérité accablante vis-à-vis des
explications des accusés, comme dans le procès n° 025-85. D’autre part, il y a également lieu
de se demander si les membres des comités d’éthique n’étaient pas plus réceptifs à l’écoute
des plaignants, alors que l’image institutionnelle de la publicité était un enjeu important,
voire essentiel, cité explicitement dans les avis des rapporteurs.
En ce qui concerne les notes, reportages et lettres parus dans les médias, la conclusion est
simple : dans cette phase que je qualifierais de préstructurante d’un espace public qui se
formera plus tard autour de la publicité accusée de discrimination raciale, les médias ne
présentent qu’un seul « point de vue » sur la publicité faisant l’objet du procès éthique. Ceci
vaut au moins pour le matériel qui a été formellement inclus dans les annexes de procès184.
Selon Entman (voir chap. 6, sect. 6.5.2), seule la persistance d’un seul point de vue
prédominant dans les médias tout au long de cette période pourrait attester d’un véritable
biais dans la couverture médiatique d’une question quelconque. Mais si les grands débats ne
sont pas encore au rendez-vous des médias imprimés, au moins certains des grands thèmes
ont été déjà mis sur la table : la représentation nettement négative des membres de la
population noire, le rattachement des représentations à un passé esclavagiste, la dimension
performative de ces représentations et ses effets moraux sur cette même population, pour ne
citer que ceux-ci. On verra, par la suite, que le grand défi consistant à prouver le dommage de
la discrimination raciale dans une publicité ne repose pas seulement sur la démonstration de
sa force locutionnaire, mais aussi sur l’apport d’indices clairs permettant de prouver la
correspondance entre les dimensions illocutoire et perlocutoire de celle-ci. Autrement dit, il
ne s’agit pas seulement d’interpréter le contenu d’une publicité en elle-même, mais de
184
On avait appris par l’intermédiaire du plaidoyer annexé au procès n° 025-82, que la publicité
« Boni du bonheur » avait eu de grandes répercussions dans les médias imprimés et radiophoniques.
Cependant, l’existence de ce matériel a une importance très limitée vis-à-vis du jugement du procès en
question dans la mesure où le rapporteur, se croyant déjà en possession d’éléments suffisants pour
émettre son propre avis, décide de ne pas prendre en considération d’autres articles de journaux.
370
prouver que celle-ci ouvre la possibilité à une lecture déterminée dans un contexte culturel
précis, collaborant ainsi à la persistance de certains rapports sociaux solidement ancrés dans
l’histoire brésilienne.
La dernière dimension à faire ressortir dans cette première phase de procès éthiques concerne
l’usage de catégories de classement racial et ethnique fait par les différents acteurs impliqués
dans ces procès. Alors que la formulation du problème de la discrimination raciale par les
membres du Conseil d’éthique demeure encore vague et hésitante, l’attribution d’une
appartenance raciale noire à l’ensemble d’individus plaignants ne semble poser aucun
problème ou souci majeur. Par contre, ces termes varient chez les plaignants : on fait
référence tantôt au Noir en tant qu’individu (procès n° 25-82) ou aux Noirs en tant que
groupe (procès n° 118-88), tantôt à la communauté noire (procès n° 118-88), tantôt à l’ethnie
noire (procès n° 118-88). Chose certaine, il y dans ces variantes une compréhension plus
collectiviste et politiquement informée de la communauté noire — ou de la race noire,
comme le veulent certains — comme moteur de critique de la détermination biologique.
La deuxième phase de procès pour discrimination raciale (1990-1999) est, sans doute, celle
où les débats d’envergure sur la publicité racialement discriminatoire prennent véritablement
de l’ampleur. En même temps, des changements importants au niveau de l’encadrement
juridique national ont un impact direct sur le patron de décision du CONAR. En effet, les
procès n° 076-90 et n° 229-91 demeurent les exemples les plus pertinents pour mettre en
évidence le virage occasionné par l’approbation du CBDC, dont les conséquences pratiques
sur l’encadrement légal de la publicité discriminatoire se font sentir immédiatement. Le fait
que les deux procès portent en effet sur la même infraction (la discrimination raciale),
commise par les mêmes infracteurs (le GB et l’agence J. W. Thompson), avant et après,
respectivement, l’approbation du CBDC — est une heureuse coïncidence permettant de saisir
avec précision les implications de l’avènement des droits des consommateurs. En plus de
dévoiler exemplairement les nouvelles exigences imposées par le CBDC au CONAR, ces
deux cas non seulement fournissent une idée précise de l’impact des avancées légales opérées
371
dans le champ du combat contre le racisme et la discrimination raciale, mais ils permettent
aussi de percevoir, dans les médias, la résonance des interprétations proposées par les
membres de mouvements noirs.
Le premier aspect qui ressort de l’argumentaire de la défense dans les deux procès est le fait
qu’à aucun moment, on n’ait essayé de nier l’existence de la discrimination raciale au pays,
ni de suggérer que les couches de la population noire brésilienne ne se trouvaient pas dans
des conditions nettement plus défavorisées sur le plan social. D’un côté, ceci représente une
grande conquête des mouvements noirs au Brésil : on ne parle plus guère d’une nation avec
des rapports raciaux idylliquement décrits dans les termes d’une démocratie raciale. En
contrepartie, le diagnostic du dilemme politique vécu par le CONAR, tel que l’avaient
formulé les avocats de l’agence J. W. Thompson dans le recours en deuxième instance,
démontre typiquement une vision réactionnaire vis-à-vis des avancées sociales et juridiques
conquises par les minorités. En d’autres termes, il s’agit là d’une vision qui reconnaît, en
même temps qu’elle condamne, ces acquis, en qualifiant les minorités de trop « intolérantes »
et irrespectueuses de la « liberté d’expression commerciale ». Néanmoins, malgré leurs
positions conservatrices à l’égard des minorités, les avocats de l’agence ont su dessiner avec
une effroyable clairvoyance le défi qui s’impose au CONAR à partir du procès n° 229-91 :
soit le conseil s’affirmait comme un organisme politiquement fort, capable d’appliquer ses
décisions selon l’intérêt public, soit il céderait aux intérêts particuliers, lesquels, à mon avis,
sont ici représentés par l’agence et l’annonceur (et non par les minorités en question, comme
le suggéraient les avocats de la défense).
Le positionnement du CONAR avant et après l’approbation du nouveau code des
consommateurs au Brésil démontre bien, également, que les exigences imposées à cet
organisme commencent à changer profondément. Lors de la tenue du procès n° 076-90, le
CONAR était, en effet, la seule instance légitime à se prononcer sur la publicité185, alors qu’à
185
CBDC.
Rappelons que le procès 076-90 a été jugé à peu près un mois avant la promulgation du
372
l’occasion du jugement du procès n° 229-91, d’autres voies étaient disponibles — plus
rapides et efficaces d’ailleurs — afin d’intervenir sur la circulation de la publicité accusée de
discrimination raciale. En ce qui concerne le premier cas, la position du rapporteur et la
décision finale émise par le Comité d’éthique font entièrement abstraction de la polémique
qui prenait de plus en plus d’ampleur dans les médias un peu partout au pays. Plus encore, on
préfère faire la sourde oreille face aux protestations et graffitis des mouvements noirs qui se
multipliaient dans les capitales du pays. Par contre, le rapport final du procès n° 076-90
déplore le préjugé racial de la partie plaignante, en exprimant « consternation et indignation »
devant son interprétation de la publicité en question — la vieille stratégie défensive
d’inversion du blâme de discrimination raciale.
Le procès n° 229-091, quant à lui, nous dévoile un organisme qui opère en « mode
rattrapage », dans la mesure où le CONAR essaie de récupérer un certain capital de confiance
morale mis en péril par la mise aux archives du procès antérieur. Bien sûr, l’apport des
instances officielles du gouvernement, particulièrement du Secrétaire de la justice de São
Paulo, est crucial pour ce changement de cap. Alors que tout le monde — mouvements noirs,
représentants législatifs, exécutifs, judiciaires, Église Catholique, et même les médias — en
vient à prendre au sérieux les excès de la « critique sociale » menée par le GB dans ses
publicités, il ne reste au CONAR qu’à revoir sa propre jurisprudence.
Certes, l’organisme se trouve dans une position très peu confortable lors du jugement du
procès n° 229-91 : en cédant à l’opinion publique qui s’est formée autour des campagnes
publicitaires du GB et en imposant des sanctions « sérieuses » à l’annonceur (sanctions qui
n’ont, d’ailleurs, que des effets moraux, sans aucune efficacité sur la circulation immédiate
de la publicité), le CONAR prend une position contraire à l’une des agences les plus
anciennes au pays, mais aussi l’une des premières à avoir adhéré à ce conseil. La défense de
l’agence ne manque pas l’occasion de signifier clairement au CONAR le message suivant :
« vous êtes là pour faire prévaloir l’éthique du marché, non pour jouer le rôle de la Cour
suprême ». Ceci n’est pas entièrement sans raison, étant donné le contexte dans lequel le
CONAR a été créé. Sachant que son pouvoir est limité par l’adhésion strictement volontaire
373
des agences, ce véritable rappel à l’ordre de la part de l’agence pourrait être compris, à la
limite, comme une menace de désaffiliation. S’il tranche trop en faveur des intérêts autres
que ceux de ses affiliées, le CONAR risque de mécontenter sa clientèle interne et de perdre
ainsi sa légitimité au sein du propre secteur publicitaire. Il reste à vérifier dans quelle mesure
cet organisme sera capable de survivre aux demandes croissantes imposées par le milieu
social dans lequel il s’insère.
Il est important de souligner que le GB186 a largement contribué à élargir le bassin de
mécontents au-delà du public critique composé par les mouvements noirs. Par exemple, entre
les procès n° 076-90 et n° 229-91, une publicité du GB avait déjà fait l’objet d’un procès
éthique — lequel avait, de manière très prévisible, été mis aux archives à l’unanimité en
première instance. La publicité en question — qui montrait une sœur et un prêtre
s’embrassant sur la bouche — a soulevé la rage des secteurs catholiques bienveillants et
déshabitués de ce genre de blague religieuse. Résultat : plus d’un millier de pétitionnaires,
déjà scandalisés par l’impétuosité de la publicité en question, l’étaient tout autant à cause de
l’indifférence du CONAR face à leurs appels. Il a fallu l’avènement d’une publicité encore
plus radicale, touchant en plein cœur le grand tabou national — la question raciale — et
l’intervention des instances publiques pour amener le CONAR à faire un profond examen de
conscience.
En même temps, lorsque les médias rapportaient les vives réactions soulevées ailleurs dans le
monde par les publicités du GB, il est fort possible que le grand public ait été mobilisé par un
sentiment de fierté nationale, trop connue l’année de la Coupe du monde de football, et qu’il
186
L’annonceur a effectivement fait l’objet d’un procès déposé par le Ministère public, non pas à
cause de la publicité en question, mais à cause d’une autre, ultérieure, qui montrait un homme atteint
de SIDA agonisant dans son lit. Selon le journaliste Gustavo Igreja, le GB n’a finalement pas été
inculpée et ce, grâce à un accord signé avec le Ministère public, où elle s’engageait à retirer la
publicité de la circulation. Toujours selon Igreja, la première condamnation d’un annonceur pour une
publicité ayant un contenu impropre au Brésil a été imposée au fabricant de cigarettes Souza Cruz, en
2004, pour avoir fait usage de publicité subliminale. Voir Igreja, Gustavo. 2004. «MP tem vitória
inédita na guerra contra o fumo». Jornal do Brasil (Brasília), 06 novembre 2004. En ligne.
<http://jbonline.terra.com.br/jb/papel/brasilia/2004/11/05/jorbrs20041105003.html>. Consulté le 12
février 2008.
374
se soit montré encore plus sensible aux arguments des mouvements noirs. Il semble plus ou
moins sûr que le fait que le GB soit un annonceur étranger, représenté par une agence de
publicité multinationale, ait aussi joué son rôle dans la polémique. Ceci finit par confirmer
l’adage de l’idéologie de la démocratie raciale, selon lequel, lorsqu’on constate au Brésil que
la discrimination raciale est d’origine extérieure au pays et qu’elle ne constitue finalement
pas un problème endémique de la société locale. De plus, il ne faut pas oublier que la
perception des protestations sur la scène nationale était déjà encadrée par celles qui avaient eu
lieu en Europe et aux États-Unis, ce qui explique en partie l’attention des médias aux
réponses locales. Quoi qu’il en soit, les différents mouvements noirs ont décidément fait
preuve d’un grand sens d’opportunité politique, en encadrant de façon décentralisée les
différentes possibilités d’intervention qui se présentaient devant leurs yeux.
Il faudrait maintenant passer à l’analyse d’une polémique nationale, impliquant à la fois
agences, annonceurs, produits et préjugés typiquement brésiliens pour confirmer la difficulté
de reconnaissance du dommage de discrimination raciale de la part des accusés. Ceci est bien
le cas du seul procès pour discrimination raciale ayant fait l’objet d’une couverture
médiatique dans la troisième phase des procès pour discrimination raciale du CONAR (20002005). Comme on peut déjà l’imaginer, si l’on considère l’écart de quatorze ans existant entre
les procès n° 229-91 et n° 068-05, les plaintes du CONAR ont changé par rapport à la période
précédente et ce, en plusieurs aspects. D’une part, il y a une augmentation de la participation
populaire au sein du CONAR. Alors que dans le cadre des deux plus grandes polémiques
ayant touché l’histoire des plaintes pour discrimination raciale déposées au CONAR (procès
n° 076-90 et n° 229-91), aucun activiste des mouvements noirs n’est directement intervenu
auprès du CONAR, on note, à partir de 2000, la présence croissante de plaignants intervenant
à titre de citoyens dans tous les procès de cette catégorie déposés auprès de cet organisme. Le
fait que toutes les plaintes à l’origine du procès n° 068-05 (« les cheveux d’Assolan ») aient
été déposées par Internet en est, peut-être, l’une des raisons.
Malgré cette participation élargie à l’origine de l’ouverture d’un total de 14 procès en cinq
ans, on a raison de s’inquiéter de la tendance actuelle de mise aux archives de tous les cas de
375
discrimination raciale ayant été déposés auprès du CONAR dans cette dernière phase.
Seulement un procès — celui en question — a obtenu au moins une forme de reconnaissance
du dommage. Ici encore, la décision initialement favorable a été revue plus tard dans une
instance supérieure. L’aspect le plus déconcertant de la mise aux archives de ce dernier
exemple réside dans le fait que cette décision ait été amplement fondée sur l’avis d’un
Procureur de la République, ainsi dans sur les décisions émises dans d’autres tribunaux du
pays. Ce n’est donc pas sans perplexité que l’on se rend compte du très faible taux de
reconnaissance du dommage au sein des procès pour discrimination raciale déposés au
CONAR à l’heure actuelle. Ce taux est le plus faible par rapport à tous ceux mesurés dans
toutes les phases précédentes, alors que le nombre de plaintes a augmenté considérablement.
Comment, alors, expliquer le décalage existant entre dénonciation et inculpation, sans pour
autant tomber dans des explications réductionnistes renvoyant à des « problèmes
psychologiques individuels » ou tout simplement à la « mauvaise foi » des plaignants ?
De nombreuses explications sont envisageables. Dans un article portant sur l’inefficacité des
normes antiracisme au Brésil, Santos (2005) renvoie une partie du problème au racisme des
membres du système judiciaire : « Le racisme est masqué dans les sentences judiciaires par
une nette démonstration du fait que le principe sociologique du mythe de la démocratie
raciale vient à altérer les effets juridiques qu’on pourrait attendre de l’application de la
normedclii. » D’autres facteurs interviennent également dans ce processus, allant de la nonreconnaissance de l’acte raciste par la victime jusqu’au refus par les instances compétentes
d’ouvrir une procédure administrative afin d’éclaircir les faits. Le rôle du Ministère public,
tenu garant des intérêts diffus et collectifs, y est également critiqué en raison de son
immobilisme et de son manque d’intérêt pour les problèmes concernant la discrimination
raciale.
Ce diagnostic est d’ailleurs confirmé par le Ministre du Suprême tribunal fédéral, Joaquim
Barbosa Gomes (op. cit.), pour qui le rôle effectivement joué par le Ministère public laisse
beaucoup à désirer en termes de potentiel critique :
376
Autrement dit, le Ministère public fédéral, par force d’une certaine inertie
institutionnelle et d’une pesanteur typiques des institutions étatiques, a ignoré tout le
temps son nouveau rôle constitutionnel, en privilégiant la tâche d’émission d’avis dans
des cas à caractère principalement privé, en laissant au deuxième plan la mission que la
Constitution lui a octroyée — celle de défense des droits et intérêts diffus et collectifs,
y compris les droits des masses, des minorités humiliées et sans voix dans la vie
publique du pays.dcliii
À part la décision défavorable émise par le Ministère public et le désistement de la
représentation auprès du Tribunal spécial civil — facteurs qui ont définitivement influencé
les membres de la Chambre spéciale de recours du CONAR dans leur décision —, les médias
ont aussi joué leur rôle dans le procès n° 068-05. Ou bien, les médias auraient pu jouer leur
rôle, car ils ont été nettement absents de tous les procès pour discrimination raciale, encore
plus absents qu’il y a une vingtaine d’années. L’absence, voire régression, de la couverture
médiatique des cas de discrimination raciale constitue en elle-même une dimension qui
mériterait d’être davantage investiguée, ailleurs que dans ce travail.
Chose certaine : une partie de la réponse repose sur les rapports établis entre les mouvements
noirs et les médias de masse. Des éléments de réponse ont été fournis lors des entretiens avec
les acteurs engagés dans la lutte contre la discrimination raciale : la tendance des médias à
couvrir les actions des mouvements sociaux uniquement lorsque celles-ci deviennent un
événement médiatique — comme le graffiti sur les panneaux publicitaires de le GB dans les
années 1990 —, la méconnaissance, de la part de grands médias de masse, de la dynamique
des mouvements sociaux, la peur de la violence qui ronge les banlieues défavorisées, ne sont
que quelques-unes de ces réponses. Mais il y a, là aussi, des problèmes qui relèvent du plan
interne des mouvements noirs, comme l’accent sur une vision strictement utilitariste des
médias en tant que simple moyen de divulgation d’actions, au détriment d’une vision plus
stratégique en tant qu’espaces plus positifs pour la construction de l’identité.
J’avais brièvement mentionné l’existence de rapports entre le système des médias brésilien et
la question de la discrimination raciale dans la publicité. Il me semble que c’est surtout dans
la préstructuration du débat autour des publicités discriminatoires qu’une distribution inégale
377
du capital social, politique et économique peut faire pencher la balance du côté le plus
socialement favorisé. D’une part, l’analyse des procès de la deuxième phase nous a fourni
suffisamment d’éléments concrets concernant le rôle fondamental que les médias peuvent
éventuellement jouer et ce, non seulement dans l’exercice de la critique publique des
publicités, mais aussi comme un moyen de mobilisation et de coordination de l’activisme
social au plan national. Mais, d’autre part, on vérifie qu’au fur et à mesure que les grands
débats autour de la publicité racialement discriminatoire quittent les espaces de visibilité
médiatique pour se restreindre au micropublic du CONAR, le taux de reconnaissance du
dommage de la discrimination raciale dans la publicité s’affaiblit.
Pour connaître les liens entre l’absence de débats médiatisés à l’heure actuelle et la question
du corporatisme des médias au Brésil, il faut revenir au problème de l’accès aux médias, de
leur structure concentrationnaire et des motivations politiques de leurs propriétaires et
dirigeants. Or, si l’on tient compte du fait que le directeur de la rédaction du Réseau Globo,
Ali Kamel, est l’un des plus importants détracteurs des politiques d’actions positives à
l’heure actuelle, il y a certainement lieu de s’inquiéter de la couverture que les reporters
feront sur les revendications de la population noire. À cet effet, la journaliste Rosane Borges
a fourni une vision importante concernant les coulisses de la couverture des actions positives
par les grands médias. Entre autres choses, elle attribue la couverture déficitaire de ces
médias au manque d’indépendance par rapport à leur propre ligne éditoriale : on s’empêche
même de citer les sources de la position contraire à celle défendue dans les articles
éditoriaux. Sans compter le manque de connaissance d’une littérature critique de la
discrimination raciale, ce qui est un état de fait non seulement dans les rédactions des
journaux, mais aussi dans le milieu savant en général. De plus, comme le rappelle de façon
très opportune l’avocat Walmir Dos Santos, les ressources économiques et politiques de
mobilisation d’une entreprise sont infiniment supérieures à celles des plaignants du CONAR.
Toutefois, dans son article plus récent, Habermas croit fermement en une « indépendance
relative des médias de masse par rapports aux systèmes politique et économiquedcliv », mais si
et seulement si les médias informatifs commencent à travailler selon leurs propres normes de
sélection et traitement de l’information. Dans ce sens, les nombreuses initiatives prises en vue
d’améliorer les liens entre les médias et le public afro-descendant ne font que confirmer que
378
le besoin de déconstruction de cadres interprétatifs représente une bataille menée sur
plusieurs fronts simultanément. En effet, elle implique à la fois les médias de masse et les
publics critiques.
Un dernier aspect que j’aimerais approcher dans cette dernière phase concerne le contenu
même des représentations qui sont mises à l’épreuve par le public critique de la
discrimination raciale. Il est notoire qu’on ne commet plus les mêmes « délits » de
discrimination raciale que la publicité du « Boni du bonheur » avait commis, au début des
années 1980. Une partie significative des publicités nationales s’efforce d’inclure des types
phénotypiquement variés, afin d’attirer le public consommateur noir, désormais trop
significatif pour être entièrement ignoré. Par contre, le procès n° 068-05 nous apprend
également qu’il est temps de passer à d’autres critères afin d’identifier l’existence de la
discrimination raciale dans une publicité. Alors que la plupart des rapporteurs de la troisième
phase des procès éthiques du CONAR semblent s’attarder sur le simple constat de l’existence
d’un traitement égal accordé à différents groupes, le niveau de subtilité des publicités
racialement discriminatoires réclame des critères permettant l’identification d’une
représentation équitable. L’un de ces critères passe, sans doute, par la capacité d’estimation
du dommage qu’une publicité aurait pu avoir sur des groupes spécifiques, même lorsque
ceux-ci apparaissent en situation d’apparente égalité avec d’autres groupes dans une publicité
donnée.
Ici, finalement, il importe moins de savoir si l’être Noir — Negro, pour être plus précis — est
une ethnie ou une race. Certains choisissent le terme « ethnie », possiblement parce qu’ils
veulent évacuer les connotations biologiques que le terme « race » avait à l’aube du racisme
scientifique ; d’autres utilisent le terme « race » tout en tenant compte des variantes
phénotypiques que peut avoir l’individu noir au Brésil ; et d’autres encore préfèrent le terme
« afro-descendant ». On sait, de toute façon, que les membres du Comité d’éthique n’ont pas
hésité un seul moment à utiliser le terme « race » lorsqu’il s’agissait de reconnaître le
dommage de « discrimination raciale ». On sait également que le passage de la simple
reconnaissance d’une ascendance noire à l’autoclassement racial en tant que Negro n’est pas
379
si évident, surtout dans un pays ayant un taux élevé de métissage comme le Brésil, où
certains traits phénotypiques caractéristiques des peuples Africains sont plus ou moins
disséminés dans la population.
Une preuve pertinente de la complexité du processus d’identification raciale peut être perçue
dans la polémique autour des bébés portant les « cheveux d’Assolan ». De manière très
emblématique, tous les bébés dont les photos ont été envoyées par leurs parents à l’annonceur
— dans l’espoir de pouvoir un jour participer à une annonce de la marque Assolan — avaient
la peau blanche et des cheveux frisés. Ceci veut dire, entre autres, que pour ceux ayant la
peau plus claire, avoir des « cheveux d’Assolan » ne causait aucune gêne. Par contre, pour le
nombre significatif de 22 personnes ayant déposé une plainte auprès du CONAR, le terme
« cheveux d’Assolan » porte de très mauvais souvenirs d’une appellation dérisoire et
dégradante. La question que l’annonceur et l’agence doivent se poser dans une telle situation
est de savoir à qui la marque Assolan veut plaire et à qui elle ne veut pas plaire en insistant
sur la mise en circulation de cette publicité. Quoi qu’il en soit, le choix semble déjà avoir été
fait, au moins pour le cas en question.
Ceci me ramène aux critères de participation, de dialogue et de délibération que j’avais
brièvement mentionnés dans le chapitre VII (voir sect. 7.1). Il y certainement plusieurs
critères et méthodes pour évaluer la dimension délibérative des institutions démocratiques187.
Assurée de l’ampleur qu’une évaluation adéquate et scrupuleuse du CONAR requiert —
laquelle mériterait en elle-même de faire l’objet d’une étude en profondeur —, j’opte, en
contrepartie, pour la réduction des atteintes d’une telle analyse à une réflexion à partir de ces
trois critères fondamentaux. Ceux-ci constituent d’ailleurs des critères généraux de base,
lesquels devraient être, en principe, appliqués réflexivement au propre processus d’évaluation
(House et Howe, 2000). Ainsi, House et Howe nous apprennent-ils que « le postulat de base
187
Dans le chap. VII de Droits et Démocratie (op. cit.), Habermas fait une vaste révision de la
littérature savante portant sur la dimension normative de la démocratie, afin d’y trouver un programme
normatif pour la démocratie délibérative. Voir également Cohen, Jean, et Andrew Arato. 1992 Civil
society and political theory Coll. «Studies in contemporary German social thought ». Cambridge,
Mass.: MIT Press, xxi, 771 p.
380
de la démocratie requiert que tous ceux qui ont des intérêts légitimes et pertinents devraient
être inclus dans les décisions qui affectent ces intérêtsdclv. » Or, l’absence — ou l’imprécision
— de critères de sélection et d’indication des représentants de la société civile participant aux
comités d’éthiques en tant que membres de la société civile est un indice fort de l’absence de
participation du public visé par les publicités discriminatoires.
L’absence des minorités discriminées dans le comité d’éthique renvoie directement à une
autre asymétrie criante concernant les conditions de dialogue entre les parties de la défense et
de l’accusation. Il semble clair que l’absence des personnes concernées dans le jugement des
plaintes pour discrimination raciale porte inévitablement préjudice à l’exposition ainsi qu’à
l’analyse des arguments avancés par les plaignants. Dans les circonstances précises de
l’exemple avancé par la secrétaire exécutive adjointe du CONAR, la participation informelle
d’un fonctionnaire noir dans le jugement d’une plainte pour discrimination raciale n’a en rien
contribué à la cause des plaignants. Au contraire, l’avis d’un fonctionnaire noir, en fonction
de son caractère éventuel, non systématique et donc destitué d’un encadrement formel et
normatif, ne fait que reproduire et renforcer les déséquilibres découlant du pouvoir social et
économique privilégié qu’ont les annonceurs et agences vis-à-vis des plaignants. La
condition de ces derniers est moins avantagée justement en fonction de problèmes structurels
auxquels ils font face en fonction de leur appartenance raciale.
Finalement, compte tenu de l’asymétrie inscrite dans les procédures délibératives du Conseil
—laquelle se caractérise par l’attribution inégale d’un espace institutionnel destiné à
l’expression d’arguments entre l’accusation et la défense, en faveur de cette dernière —, il est
presque inévitable que les décisions du Comité d’éthique favorisent, dans la plupart des cas,
sa propre clientèle interne. La question que l’on doit se poser ici concerne explicitement la
portée morale des décisions que les Comités d’éthique prennent. Si, d’un côté, « les intérêts
ne possèdent pas tous la même force moraledclvi », de l’autre, je suis tenue de croire que ceux
qui l’emportent vraiment dans les décisions de cas de discrimination raciale, ce sont — en fin
de compte — les intérêts économiques de l’annonceur et de l’agence. Les seules solutions
envisageables concernent directement le génie institutionnel du comité d’éthique, à
381
commencer, bien sûr, par la précision et la démocratisation des critères de sélection des
membres de la société civile pour la composition des comités d’éthique dans cet organisme.
La formalisation de la participation desdites « minorités » concernées dans le jugement des
procès est une autre possibilité. Toutefois, compte tenu des limites de ce travail, je préfère
laisser une analyse plus rigoureuse de l’organisation interne du CONAR comme suggestion
de sujet pour les recherches futures.
De ce fait, je ne pourrais m’empêcher de réaffirmer l’importance non seulement des médias
de masse, mais aussi des institutions du système politique central pour faire la lumière sur les
décisions prises à huis clos dans l’espace physique du CONAR. L’échange de dossiers avec
les hautes instances du pouvoir dans le procès 229-91 a certainement contribué à apporter de
la visibilité dans le processus délibératif interne des chambres éthiques du CONAR. Je suis
tenue de croire que le conseil seul ne changera pas tant que ces deux sphères de pouvoir
social et politique seront imperméables à la volonté politique des citoyens. Il s’agit donc d’un
processus plus ample de démocratisation sociale, auquel j’espère avoir contribué en élucidant
les débats autour des publicités accusées de discrimination raciale ayant eu lieu au Brésil
entre 1979 et 2005.
Pour conclure, j’aimerais revenir sur l’opposition entre la publicité-réclame et la publicitévisibilité — telle qu’énoncée dans l’introduction de ce travail — afin de discerner l’éventuel
apport de ce travail par rapport à l’ensemble des études portant sur les médias et l’espace
public dans le cadre d’une démocratie délibérative. Or, si cette étude a une contribution
majeure à apporter à la révision de la vision de la publicité implicite dans la « publicitéréclame » habermassienne, il s’agit notamment de la démonstration, par le biais de cas
concrets et historiquement enracinés, du fait que les consommateurs de la publicité
commerciale peuvent bel et bien être des consommateurs-citoyens actifs. Ce travail fournit en
outre des preuves concrètes que le fait même de dénoncer une publicité peut constituer un
acte politiquement orienté, quoique ponctuel, dans le cadre plus large des politiques
d’identité. Par contre, une limitation évidente de cette étude réside dans le fait que celle-ci ait
uniquement considéré la consommation active de la publicité commerciale dans les
382
« situations de crise », c’est-à dire des situations impliquant la dénonciation d’une publicité
auprès d’un organisme compétent. En effet, cette lacune relève en grande partie du propre
modèle de démocratie délibérative habermassien, auquel on a reproché maintes fois de
privilégier les moments de crises et de différends sociaux pour bâtir une théorie du
fonctionnement de la démocratie moderne188.
Quoi qu’il en soit, si la consommation de la publicité constitue en elle-même un espace pour
la formation de la subjectivité, l’acte de dénoncer et de protester contre la publicité
discriminatoire l’est tout autant. Dans ce sens, les plaintes pour discrimination raciale
déposées auprès du CONAR ne constituent qu’un des multiples espaces concrets pour
l’expression et le renforcement d’une conscience raciale noire. Or, si l’on suit cet ordre
d’idées, il semble désormais clair que la publicité-réclame ne peut plus être conceptualisée
selon les mêmes termes que dans L’espace public. Il reste donc à vérifier ce qu’il en est de la
publicité-réclame lorsqu’on abandonne d’emblée l’idée d’un consommateur passif.
Cela nous ramène à la notion de publicité en tant que synonyme de visibilité sociale. Il y a
lieu de se demander, par exemple, si les publicités du GB n’auraient éventuellement pas
dépassé les limites plus restreintes de la publicité comme simple instance de médiation entre
les domaines de la production et de la réception, pour devenir ainsi un véritable vecteur de
mobilisation d’un débat public autour des représentations raciales dans la publicité. Cela
équivaut à dire, que les annonces de la « mère nourricière » et de « l’ange et du diable » ont
largement dépassé les exigences plus immédiates de la publicité-réclame pour incorporer
celles de la publicité-visibilité.
Ce dernier argument, en faveur d’une publicité qui fouette en plein cœur les tabous sociaux
au profit d’un débat authentique, mérite d’être analysé avec prudence. Tout d’abord, l’analyse
du procès n° 068-05, seul cas ayant fait l’objet d’une couverture médiatique dans la dernière
188
Pour une révision plus complète des principales critiques du modèle habermassien en termes
de modèle de « situation de crise », voir Maia, 2007, p.91.
383
phase de procès éthiques étudiés ici — le procès de l’annonce de la laine d’acier Assolan —
me pousse à croire que les médias de masse se montrent à l’heure actuelle plus réfractaires
aux opinions et aux points de vue critiques, c’est-à-dire ceux dénonçant la discrimination
raciale dans la publicité, que ce que ces mêmes médias l’étaient il y a une vingtaine d’années.
Dans ce sens, il y aura peut être lieu de s’inquiéter de l’impact d’une publicité
« provocatrice » dans les circonstances où les médias démontrent un niveau élevé d’opacité
vis-à-vis des flux communicatifs provenant du monde vécu — plus particulièrement des
espaces publics épisodiques formés par les couches noires de la population brésilienne.
Compte tenu des circonstances actuelles, arriverait-on à former de véritables espaces publics
abstraits à partir de ce type de publicité°? Je n’en suis pas trop sûre°; je préfère toutefois
laisser cette question ouverte.
D’autre part, on ne peut oublier que la mise en circulation d’une publicité jugée
discriminatoire — d’un point de vue racial ou autre — a des effets directs sur la dignité et
l’auto-estime des publics discriminés. Cela est notamment observé dans le cas des enfants. Il
y a donc un coût collectif et individuel à payer pour la génération du débat public autour de la
publicité discriminatoire, un coût qui, à mon avis, ne peut être évalué sans que l’on prenne en
considération la perspective de ceux qui en subissent directement les effets pervers. En
d’autres termes, il semble facile et très commode de défendre la libre expression publicitaire
—même si celle-ci est au profit du débat public — lorsqu’on n’est pas directement visé par la
publicité en question. Mais je reconnais que cette question mérite une réponse plus complexe
que celle que je suis en mesure d’offrir dans cette conclusion.
Cela dit, j’aimerais terminer en attirant l’attention sur la fragilité et la volatilité des espaces
publics abstraits qui se sont formés autour des publicités racialement discriminatoires. Même
si les problématiques sociales profitent, de manière qualitative et cumulative, des arguments
échangés dans l’espace public, la permanence même de ces espaces ne va pas de soi.
Néanmoins, malgré l’absence de débats médiatiques à l’heure actuelle, je pense qu’il existe
quand même une leçon positive à tirer des graffitis dessinés sur les panneaux publicitaires
dans les années 1990. Comme on a pu le constater dans l’analyse des procès de cette phase,
384
les activistes des mouvements noirs avaient maintes fois réussi à se faire insérer dans
l’agenda médiatique national afin d’intervenir, avec des degrés variables de succès, dans la
formulation du problème de la discrimination raciale. Grâce à leurs actions et mobilisations,
et avec le concours de certaines circonstances sur la scène internationale, les mouvements
noirs ont su placer le sujet de la discrimination raciale dans l’ordre du jour des instances
centrales du système politique et ce, à une époque où le mythe de la démocratie raciale
hantait non seulement l’opinion publique nationale mais aussi les discours officiels de l’État
brésilien. Si ce travail a pu contribuer à mettre en évidence toutes ces actions qui ont
provoqué des changements profonds — quoique parfois subtils — dans le cadrage de la
discrimination raciale au Brésil tout au long des 26 dernières années, cela est déjà largement
assez pour les objectifs, plus limités, de cette thèse.
APPENDICE A - TABLEAUX DESCRIPTIFS DES PROCÈS POUR
DISCRIMINATION RACIALE DÉPOSÉS AU CONAR ENTRE 1979 ET 2005
Tableau A.1
Liste d’interviewés selon leur profession et entité d’attache
Personnes clés
Activité principale
Institutions ou groupes d’insertion/
ville et État d’origine
Heitor Reis
Carla Lopes
Paulo Oliveira et
Ingénieur civil, membre
Association brésilienne des radios communautaires
directeur
— Belo Horizonte (Minas Gerais)
Professeure,
Programme de réflexion et de débats pour la
coordonnatrice
conscience noire — Rio de Janeiro (Rio de Janeiro)
Journalistes
École populaire de communication critique de
Vitor Monteiro
l’Observatoire des favelas — Rio de Janeiro (Rio de
Janeiro)
Dr. Walmir dos
Avocat
Santos
Maira Miguel
Programme Disque Racisme — Rio de Janeiro (Rio
de Janeiro)
Publicitaire
Agence Rebouças & Associados — responsable de
la campagne de conscientisation « Où cachez-vous
votre racisme » — Rio de Janeiro (Rio de Janeiro)
Rosane Borges
Journaliste
Comissão de Jornalistas pela Igualdade Racial
(COJIRA-SP) — São Paulo (São Paulo)
Paulo Rogério
Journaliste et directeur
Instituto de Mídia Étnica — Salvador (Bahia)
de communication
Fernando Conceição
Professeur et journaliste
Universidade Federal da Bahia (UFBa) — Salvador
(Bahia)
Juliana Albuquerque
Secretaire exécutive
adjointe
CONAR
Tableau A.2
Distribution des procès éthiques selon la catégorie « discrimination » (1979-2005)
Première phase des procès pour discrimination raciale (1979-1989)
Année
1979 1980 1980
Procès discrim.
1
Total des procès
61
130
% du total des
1,63
procès
1982
5
175
2,85
1983
130
-
1984
1
150
0,66
1985
1
139
0,5
1986
2
109
1,83
1987
2
165
1,21
1988
5
142
3,52
1989
2
173
1,15
Deuxième phase des procès pour discrimination raciale (1990-1999)
Année
Procès discrim.
Total des procès
% du total des
procès
1990
8
197
4,06
1991
2
231
0,86
1992
4
228
1,75
1993
2
213
0,93
1994
5
234
2,13
1995
2
247
0,80
1996
8
260
3,07
1997
11
238
4,62
1998
5
227
2,20
1999
10
292
3,42
Troisième phase des procès pour discrimination raciale (2000-2005)
Année
Procès discrim.
Total des procès
% du total des procès
2000
18
229
7,86
2001
11
264
4,16
2002
16
283
5,65
2003
25
368
6,79
2004
13
309
4,20
2005
25
361
6,92
Total 3 phases
184
5540
3,32
Tableau A.3
Distribution des procès éthiques selon la catégorie « discrimination raciale »
(1979-2005)
Première phase de procès pour discrimination raciale (1979-1989)
Année
Procès n°
Total discrim. raciale
Total des procès
% du total des procès
1979 1980 1981 1982 1983 1984 1985 1986 1987 1988 1989
20
25
22
94
118 133
1
2
1
1
1 61
130 175 130 150 139 109 165 142 173
1,63
0
1,14
0
0,66
0
0,91
0
0,70 0
Deuxième phase de procès pour discrimination raciale (1990-1999)
Année
Procès n°
Total discrim. raciale
Total des procès
% du total des procès
1990
24
76
155
3
197
1,52
1991 1992 1993 1994 1995
229 90 144 128 80
191
1996
190
1997
-
1998
-
1999
132
1
231
0,43
1
260
0,38
238
0
227
0
1
292
0,34
1
228
1
2
1
213 234 247
0,46 0,85 0,40
Troisième phase de procès pour discrimination raciale (2000-2005)
Année
Procès n°
2000
-
2001
26
115
128
2002
65
2004
07
2005
24
68
96
106
Total 3 phases
1
2003
154
184
186
193
314
5
Total discrim. raciale
-
3
1
4
31
Total des procès
% du total des procès
229
0
264
1,13
283
0,35
368
1,35
309
0,32
361
1,10
5540
0,55
Tableau A.4
Distribution des procès éthiques de discrimination raciale selon le public cible et le
type de décision arrêtée
Type de décision
Distribution des procès
Nombre
éthiques selon le groupe
cible
1. Procès sans aucune
Procès mis aux
forme de
archives
reconnaissance du
mérite
Afro-Brésiliens
15
Nippo-Brésiliens
4
Euro-Brésilien
1
Discrimination au sens
1
large
2. Procès ayant au
Retrait de la circulation
moins une forme de
reconnaissance du
mérite
Mise aux archives sous
Sous-total
21
Afro-Brésiliens
3
Nippo-Brésiliens
1
Afro-Brésiliens
2
Afro-Brésiliens
1
Nippo-Brésiliens
2
Sino-Brésiliens
1
Sous-total
10
condition
Retrait de la circulation
avec avertissement
Avertissement
Conciliation
Nombre total de procès
31
Tableau A.5
Distribution des procès éthiques pour discrimination raciale selon le genre et la
tranche d’âge
Groupe cible
Genre
Tranche
d’âge
Phase
1
2
Total
3
des
procès
Afro-Brésiliens
Hommes
Femmes
Adulte
2
1
Enfant
1
1
Adulte
2
2
Enfant
6
2
1
1
Aînée
Mixte
3
5
1
1
1
3
4
2
2
6
10
21
Adulte
3
2
Enfant
1
Unité
1
familiale*
Enfant
Sous-total Afro-Brésiliens
Nippo-brésiliens
Hommes
Mixte
5
Unité
1
familiale*
Sous-total Nippo-Brésiliens
1
Sino-Brésiliens
Hommes
Adulte
Euro-Brésiliens
Femmes
Adulte
Autre
Sans distinction de public cible et de genre
Total
P/ phase
∗
4
2
1
6
L’unité familiale comprend les membres de toutes les tranches d’âge indistinctement.
11
7
1
1
1
1
1
14
31
Tableau A.6
Caractérisation des procès éthiques pour discrimination raciale selon selon la
présence d’une couverture médiatique et les composantes du procès éthique
Phase
Couver-
Nombre
Type et nombre
Catégorie
de
raciale des
reconnaissance
dénonciateurs
publics cibles de
du dommage
ture des de procès
médias
Défense
Taux de
la publicité
1
OUI
3
CONAR (2)
Noir (3)
∗
(1979-
ONG (1)
agence et/ou
2 sur 3
annonceur
(66 %)
1989)
CONAR (1)
Noir (2)
agence et/ou
1 sur 3
Citoyen (1)
Jaune (1)
annonceur
(33 %)
Citoyen (4)
Noir (4)
avec recours à un
2 sur 5
(1990-
État (2)
Jaune (1)
avocat
1999)
ONG (2)
Citoyens (6)
Noir (2)
avec recours à un
3 sur 6
État (1)
Jaune (4)
avocat
(50 %)
Noir (1)
avec recours à un
1 sur 1
avocat
(100 %)
NON
3
État
2
OUI
NON
5
6
∗∗
(1)
(40 %)
ONG (1)
3
OUI
1
Citoyens (14)
(2000-
ONG (2)
2005)
État (1)
NON
13
Citoyens (29)
Noir (9)
avec recours à un
2 sur 13
ONG (1)
Jaune (2)
avocat
(13 %)
État (6)
Blanc (1)
Autre (1)
∗
La catégorie « ONG » comprend les personnes qui ont explicitement revendiqué cette
appartenance.
∗∗
La catégorie « État » inclut indistinctement les représentants d’instances gouvernementales, des commissions
publiques et des députés.
APPENDICE B — PHOTOGRAMMES ET COPIES NUMÉRISÉES DES
PUBLICITÉS DONT LES PROCÈS ONT FAIT L’OBJET D’UNE COUVERTURE
MÉDIATIQUE
Figure B.1
Photogramme de la publicité « bonus du bonheur » (procès n° 025/82)
Source : Archives du CONAR.
Figure B.2 Version numérisée de la publicité « smuggler » (procès n° 118/88)
Source : Archives du CONAR.
Figure B.3 Version numérisée de la publicité « mère nourricière » (procès n° 076/90)
Source : Archives du CONAR.
Figure B.4 Version numérisée de la publicité « l’ange et le diable » (procès n°
229/91)
Source : Archives du CONAR.
Figure B.5 Photogramme de la publicité « bébés assolan » (procès n° 068-05)
Source : Archives du CONAR.
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CITATIONS EN LANGUES ÉTRANGÈRES
Chapitre I
i
“The remarquable feature of human evolution and history has been the very small degree of
divergence between geographical populations, as compared with genetic variations among
individuals.” (Lewontin cité par Bollafi et al., 2003, p.244).
ii
“That is, variety of a species that has developed distinguishing characteristics through isolation,
but has not yet lost the ability to interbreed and to produce fertile hybrids with other subspecies of the
same species.” (Van Den Berghe, 1994, p.266).
iii
“… such as skin colour, physiognomy and type of hair.” (Bollafi et al., 2003, p.243).
iv
“It proved notoriously difficult to demonstrate any systematic connection between phenotype
and social practices or individual behaviour.” (Bollaffi et al., 2003, p.244).
v
“The vital element was the growing belief in biological, which represented perceived differences
between groups of human beings as not merely innate, but also unchangeable.” (Bollaffi et al., 2003,
p.243).
vi
“In any event, the dominant meaning attaching to the word race was that of descent.” (Banton,
1994, p.264).
vii
“ A label for a type of social group that defines itself and/or is defined by other groups as
different because of innate and unchangeable physical differences.” (Levinson, 1994, p.195).
viii
“The circumstances under which individuals are ascribed, or ascribe themselves, to a
membership of a ‘race’ (together with the varied and various consequences of such ascription) warrant
explanation in terms of a theory of intergroup relations.” (Miles, 1994, p.270).
ix
“This process of social ascription should be analysed as an ideological and political process and,
for that reason, it cannot employ everyday conceptions of ‘race’ and ‘race relations’ as either
descriptive or analytical categories.” (Miles, 1994, p.270).
x
“The exact nature of race is not at issue.” (Cashmore et Troyna, 1994, p.271).
xi
“The point is, however, that people, rightly or wrongly, accept it as a reality and so act in
accordance with their belief. This makes race subjectively real.” (Cashmore et Troyna, 1994, p.271)
xii
“This approach fully recognizes and endorses the hollowness of the concept of race itself, but,
at the same time, insists that, in many situations, people believe in the existence of race and so
organize their relationships with others on the basis of that belief.” (Cashmore et Troyna, 1994, p.270)
xiii
“The area of race and ethnic relations has many other terms with technical and popular
meanings that do not always match; many more with meanings that mutate with changing times; still
more that simply resist any single resonant meaning that hold goods for all contexts.”(Cashmore, 1994,
p. XVI)
417
xiv
“all include phenotypical differences among racial groups as a key component of the
definition.” (Bolaffi, 2003, p.99)
xv
“ Ethnic identity refers to the reality and the process by which people identify themselves and
are identified by others as members of a specific ethnic group.” (Levinson, 1994, p.73)
xvi
“ … a sharing of mutually recognizable symbols of ethnic identity.” (Levinson, 1994, p.75)
xvii
“ The major makers of ethnic identity are natural physical characteristics such as skin colour,
hair textures, facial features, and body shape; created markers include clothing style, jewellery,
hairstyle, and alterations to the body in the form of tattoos, scarification, and piercing. Additionally,
some markers might be imposed on the group (…). A second primary marker is language, as different
ethnic groups speak different native languages.” (Levinson, 1994, p.75)
xviii
“ (…) different historical processes create different race and ethnic categories” (Bolaffi, 2003,
p.99)
xix
“If there are no meaningful theoretical differences in the process that create ethnic and racial
groups, how can one explain the apparent failure of American racial groups to assimilate at the same
rates enjoyed by European immigrant groups ?” (Bolaffi, 2003, p.100)
xx
“Race is not just another variety of ethnicity. Instead, ‘race is an autonomous field of social
conflict, political organization and cultural/ideological meaning’.” (Omi et Winant cité par Bolaffi,
2003, p.100)
xxi
“…colonized or exterminated in genocidal wars with white Americans.” (Bolaffi, 2003, p.100)
xxii
“ The racial, rather than the ethnic, constructions of these groups distinguished them from
white ethnics.” (Bolaffi, 2003, p.101)
xxiii
“… undervalue or ignore the ability of groups to shape their own identities.” (Bolaffi, 2003,
p.102)
xxiv
“…ignores the similar forms that race and ethnic identity construction processes display in
cross-national, comparative context.” (Bolaffi, 2003, p.102)
xxv
“Situational ethnicity refers to the common practice in multicultural societies of ethnic groups
or individuals shifting, hiding or asserting their ethnic identity as a strategy for achieving some goal.”
(Levinson, 1994, p.216)
xxvi
“...inexistência de distinções fortes entre categorias raciais, conforme indicado pela existência
de uma miríade de termos raciais, cada qual referente a uma combinação fenotípica particular.” (Do
Valle Silva, p.110)
xxvii
“ O quadro que emerge é, num certo sentido, familiar: a situação e o tipo de conversa afetam a
terminologia de cor empregada; a terminologia de cor é altamente subjetiva; uma mesma pessoa pode
ser definida de maneiras diferentes, seja em documentos oficiais (como a certidão de nascimento) ou
na vida privada; uma forte preferência somática para o branco, embora nem sempre explícita.” (Do
Valle Silva, 1999, p.115)
xxviii
“Mais importante, comparando-se as respostas aos dois quesitos, a maiorias das pessoas que
se auto declararam inicialmente morenas se autoclassificou como parda na questão fechada.” (Do
Valle Silva, 1999, p.114)
xxix
“… às vezes respondem eles mesmos às perguntas porque supõem saber a resposta correta ou
porque não se sentem à vontade para perguntar sobre raça, ou apressam as entrevistas para oferecer
respostas rápidas às perguntas que eles acham menos críticas.” (Telles, 2003, p. 113)
418
xxx
“Logo, o censo brasileiro, na verdade, utiliza uma combinação de auto-classificação e
classificação por teceiros no processo de coleta de dados sobre raça.” (Telles, 2003, p.114)
xxxi
“… a consequência desejada das políticas implementadas pelos colonisadores portugueses ou
um mecanismo social que evoluiu, não-intencionalmente, à partir das limitações do processo inicial de
colonização.” (Hasenbalg, 2005, p.246)
xxxii
“Ora, a noção nativa de ‘cor’ é falsa, pois só é possível conceber-se a cor como um fenômeno
natural se supusermos que a aparência física e os traços fenotípicos são fatos objetivos, biológicos, e
neutros com referência aos valores que orientam a nossa percepção. É desse modo que a ‘cor’, no
Brasil, funciona como uma imagem figurada da raça.” (Guimarães, Antônio Sérgio Alfredo. 2005.
Racismo e anti-racismo no Brasil, 2. Rio de Janeiro: Editora 34, p.46)
xxxiii
“... os fatos ululantes da discriminação racial no Brasil.” (Guimarães, 2005, p.71)
xxxiv
“Ativistas do movimento negro sustentam que, diferentemente dos Estados Unidos, no Brasil,
o uso popular e oficial na qual os pardos são superioes aos negros, inibem a formação de uma
identidade coletiva negra em torno da qual os afro-brasileiros podem se organizar contra as
discriminações e a exclusão que sofrem.” (Telles, 2003, p.110)
xxxv
“ Embora o termo negro no sistema popular geralmente se refira apenas àqueles de pele mais
escura no extremo do espectro de cores, seu uso no sistema de elite tende a incluir os pretos e pardos
identificados pelos censos ou todos aqueles com alguma ascendència africana. ” (Telles, 2003, p.111)
xxxvi
“… um risco equivalente ao de morar em paises em guerra civil.” (PNUD, 2005, p.12)
xxxvii
“…sua participação chega a 70 % entre os 10 % mais pobres e seus rendimentos, somados,
correspondem a 26 % do total apropriado pelas famílias brasileiras.” (PNUD, 2005, p.60)
xxxviii
“Em 2003, os homens brancos ganhavam em média 113 % mais que os homens negros, e as
mulheres brancas, 84 % mais que as mulheres negras.” (PNUD, 2005, p.64)
xxxix
“um critério de pertencimento à uma catégoria racial e violava noções populares sobre ser
negro ao incluir muitas pessoas [especialmente os classificados como pardos nos censos] que nunca se
consideraram como tal.” (Telles, 2003, p.111)
xl
“Embora sejam dois projetos, duas lógicas, princípios diferenciados, a base argumentativa para
recusa é uma: atribuição de direitos com base em raça pode dividir a sociedade brasileira e ser fonte de
conflitos raciais, até então desconhecidos no Brasil.” (França, 2007, p.1)
xli
“ A Constituição de 1988 reconhece e condena o racismo, punindo-o como crime inafiançável.
Neste sentido, conserva a longa tradição formal republicana brasileira do a-racismo e do anti-racismo.”
(Fry, 2005, p.303)
xlii
“ Aqui, após a Abolição, nunca houve barreiras institucionais a negros ou a qualquer outra
etnia. (...) Mas à partir da década de 1950, certa sociologia foi abandonando este tipo de raciocínio
para começar a dividir o Brasil entre brancos e não-brancos, um pulo para chegar aos que hoje dividem
o Brasil entre brancos e negros, afirmando que negro é todo aquele não é branco” (Kamel, 2006, p.20)
xliii
“ O que a sociologia que dividiu o Brasil entre negros e brancos não percebe é que, ao fazer
isso, chancelou a construção racista americana segundo a qual todo mundo que não é branco é negro”
(Kamel, 2006, p.23-24)
xliv
“ Se nessa nova ordem o poder público deve ter suas estruturas modificadas para implantar
políticas orientadas pela dimensão racial, a fim de reparar ou corrigir injustiças de uma ‘raça’ sobre a
outra, aqueles que por uma fatalidade forem brancos, ainda que pobres e excluídos, serão os ‘negros de
amanhã’ ” (Grin, 2006, p.57).
419
Chapitre II
xlv
“Independentemente da modalidade do registro, foi o olhar do esrtangeiro que nos enquadrou,
ao mesmo tempo que educava nosso olhar, para que nóspudéssemos nos mirar nos espelhos da cultura
importada de seus países de origem.” (Mauad, 2004, p.184)
xlvi
“A independência política consolidada, e reprimida as lutas internas geradas por ela, o Brasil
possuía um perfil do qual ainda não tomara conhecimento.” (Reis, 2007, p.24)
xlvii
“…da aspiração de uma entidade que refletisse a nação brasileira que, não muito antes,
conquistara a sua Independência.” (IHGB, 2007, p. 1)
xlviii
“Além de enfatizar a mescla de raças que singularizava o Brasil, embora privilegiando a raça
branca, considera que o hsitoriador do Brasil deverá fazer uma história da unidade brasileira.” (Reis,
2007, p.27)
xlix
“...uma vez que para ele um estudo da diversidade e da variedade seriam inviáveis no caso do
Brasil.” (Almeida, 2006 p.1)
l
“Sua adesão à Coroa era total, e a representava em diversos países da América Latina e da
Europa.” (Reis, 2007, p.25)
li
“Os interesses mercantis, os métodos cruéis, a escravidão e os genocídios são dissimulados sob
a capa da harmonia, da colaboração e do consentimento.” (Almeida, 2006, p.2)
lii
“A escravidão e a subordinação são o primeiro passo para a civilização das nações.” (Azeredo
Coutinho cité par Varnhagen, 1854, p.XXI)
liii
“Fóra está do nosso animo a idea de que na historia geral da civilização do paiz não ha que
attender e muito aos elementos da povoação india e africana.” (Varnhagen, 1854, p.XXVI)
liv
“Em resumo: os indios não eram os donos do Brazil, nem lhes é applicavel como selvagens o
nome de Brazileiros.” (Varnhagen, 1854, p.XXVIII)
lv
“Sem liberdade individual, sem os gosos de família, sem esperanças de associar-se por si
mesmo ou por seus filhos e netos à glória da pátria, que não fixa um século para a sua redempção
social, não ha que esperar do homem mui nobres sentimentos.” (Varnhagen, 1854, p.93)
lvi
“(…) mesmo sendo um dos primeiros grandes defensores da colonização portuguesa, lamentava que
ele tivesse tido de ser latifundiária e escravista.” (Reis, 2007, p. 56)
lvii
“...não podiam civilisar-se sem a presença da força, da qual não se abusou tanto quanto se
assoalha.” (Varnhagen, 1854, p.XXVIII)
lviii
“Assim, a primeira ruptura e agressão entre os da terra e os futuros colonizadores não partiu
destes, os quais foram vítimas da traição e a deixaram impune.” (Varnhagen cité par Reis, 2007, p. 38)
lix
“Na ideia de que certo desfavor, em que se julgavam, não provinha de suas côres, mas sim da
falta de meritos para serem atendidos.” (Varnhagen, 1854, p.42)
lx
“Claro está que se o elemento europeo é o que essencialmente constitui a nacionalidade actual, e
com mais razão (pela vinda de novos colonos da Europa) constituitá a futura, é com esse elemento
christão e civilisador que principalmente devem andar abraçadas as antigas glórias da pátria, e por
conseguinte a história nacional.” (Varnhagen, 1854, p.XXV)
420
lxi
“Its very vagueness made it the perfect companion to the weak religious thought.” (Skidmore,
1993, p.4)
lxii
“With the coming of age of literary Romanticism, the Indian became the symbol of Brazilian
national aspirations. He was transformed into a literary prototype having little connection with his
actual role in Brazilian history. Like the Indian of James Fenimore Cooper, the Indian of Brazilian
Romanticism was a sentimental literary symbol who offered no threat to the comfort of his readers.”
(Skidmore, 1993, p.7)
lxiii
“ Ambos estiveram no Brasil e registraram em livros a lástima de um país cheio de negros e,
pior ainda, mestiços de todas as cores.” (Schneider, 2006, p. 81)
lxiv
“Aqueles que põem em dúvida os efeitos perniciosos da mistura de raças, e são levados por
falsa filantropia a romper todas a barreiras colocadas entre elas, deveriam vir ao Brasil.” (Agassiz cité
Schneider, 2006, p.82)
lxv
“…serviu como uma espécie de fundamento filosofico para o desenvolvimento de uma
argumentaçao cientifica sobre a desigualdade natural das raças.” (Schneider, 2006, p.80)
lxvi
“As faculdades de Medicina (no Rio de Janeiro e em Salvador) et de Direito (no Recife e em
São Paulo), bem como os institutos históricos e geográficos e os museus de ethnografias, foram
importantes centros de difusão de tais idéias no país.” (PNUD, 2005, p.33)
lxvii
“ … para criticar a monarquia, a escravidão, o catolicisme e tudo que se definia como o atraso
do país.” (Schneider, 2006, p.82)
lxviii
“ … universalismo cientificista, e frequentemente racista, levou-a desconfiar do destino de
um país marcado pela mescla entre raças e pela ampla presença dos negros.” (Schneider, 2006, p.82).
lxix
“Todo brasileiro é mestiço, senão no sangue nas idéias. Os operários deste fato inicial tem
sido : o português, o negro, o índio, o meio físico e a imitação estrangeira.” (Romero, 1888, p.2)
lxx
“ … a micigenação não só não lhe pareceu degenerativa como teria sido benéfica ao país no
passado, e assim seria no futuro, pois permitiu e permitiria a elevação das raças atrasadas.” (Schneider,
2006, p.82)
lxxi
“ positivism, evolutionism, and materialism were studied intensely.” (Skidmore, 1993, p.10)
lxxii
“One cannot understand the influence of Positivism in Brazil without remembering that it
attracted followers of widely varying degrees of commitment.” (Skidmore, 1993, p.11)
lxxiii
“Positivism also had an appeal for those members of the elite who wanted economic
development without social mobilization.” (Skidmore, 1993, p.13)
lxxiv
“… they saw that replacement of slave by free labor was inevitable and could even beneficial
because free laborers would less expensive and more efficient than slaves.” (Skidmore, 1993, p.17)
lxxv
“O ideal de branqueamento, já presente no pensamento abolicionista, não só era uma
racionalização ex-post do avançado estágio de mestiçagem racial da população do país como também
refletia o pessimismo racial do fim do século XIX.” (Hasenbalg, 2005, p. 247)
lxxvi
“ Os princípios mais importantes da ideologia da democracia racial no Brasil e,
consequentemente, a existência de oportunidades econômicas e sociais iguais para brancos e negros.”
(Hasenbalg, 2005, p.251)
lxxvii
“ … o tema da raça à partir de uma visão rica e complexa do papel da cultura.” (Larreta,
2003, p.198)
421
lxxviii
“… Destacava a importância de se reviver o passado em todas as suas cores e sabores,
manifestando a sua impaciência com a historia politica e diplomatica.” (Rodríguez Larreta, 2003,
p.202)
lxxix
“ O que ele produziu foi uma espécie de auto-antropologia da cultura da qual nasceu, a
nordestino-brasileira. Como um romancista, nào se colocou fora do seu proprio seu objeto.” (Reis,
2007, p.52)
lxxx
“ No entanto, Casa Grande & Senzala é uma obra neovarnhageniana: é um reelogio da
colonizaçao portuguesa, é uma justificativa da conquista e ocupaçao portuguesa do Brasil.” (Reis,
2007, p.55)
lxxxi
“ Freyre até supera Varnhagen nesse elogio.” (Reis, 2007, p.56)
lxxxii
“ Freyre é mais radical em seu apoio às opçoes pelo latifundio e pela escravidao porque ele
aceitou e valorizou a presença negra no Brasil.” (Reis, 2007, p.56)
lxxxiii
“ The most active characteristic of the Brazilian social milieu today would seem to be
precisely the reciprocity between the cultures, and not the domination of one by the other, to the point
where the lower has little or nothing o offer, remaining, as in other countries where miscegenation
exists, in a state of almost permanent tension or repression.” (Freyre, 1968, p.422)
lxxxiv
“a unica em vigor durante todo o periodo da monarquia” (Chalhoub, 2006, p.39)
lxxxv
“tudo bem à brasileira, para alcançar a exclusão racial sem jamais ousar chamar o nome da
‘cousa’ pelo que a ‘cousa’ tem.” (Chalhoub, 2006, p.41)
lxxxvi
“ How did the idea that Brazil was a racial democracy become the nation’s guiding myth for
the better part of the twentieth century, especially in face of such visible racial inequalities ? The trick
that allowed both Brazilians and foreigners to have accepted this idea lies in the way that the practice
of eugenics submerged the management of racial hierarchy within social scientific language that
deracialized and depoliticised the image of Brazilian society.” ( Davila, 2003, p.27).
lxxxvii
“ … schools were the front lines in the battle against ‘degeneracy’. ”(Davila, 2003, p.26)
lxxxviii
“ … In practice, this meant behavioral whitening : that is, discarding African and indigenous
cultural practices.” (Davila : 27)
lxxxix
“ The wave of foreign immigration that flooded southern Brazil loosened the personal and
generational connections to a distinctly Luso-Brazilian past.” (William, 2001, p.135)
xc
“ … to maintain vestiges of a past that was disappearing before their eyes.” (Williams, 2001,
p.135)
xci
“ A postura do movimento negro nos anos 40 e 50 colidia de frente com o mainstream da
intelectualidade brasileira, tanto na interpretaçao sociologica, quanto no plano ideologico. No plano
sociologico, o pensamento negro pressupunha a existência de uma formaçao social, e nao apenas de
classe; no plano ideologico, uma identidade ngra, e nao apenas mestiça, ainda que tal identidade negra
devesse ser o âmago de uma identidade nacional brasileira.” (Guimarães, 2005, p.90)
xcii
“... o objetivo inicial desses estudos era o de oferecer ao mundo liçoes de civilizaçao à
brasielira em matéria de cooperaçao entre raças.” (Maio, 2003, p.225)
xciii
“ Não existe democracia racial efetiva [no Brasil], onde o interc~mbio de indivíduos
pertencentesa ‘raças’ distintas começa e termina no plano da tolerância convencionalizada. Esta pode
satisfazer as exigências de ‘bom tom’, de um discutível ‘espírito cristão’ e da necessidade prática de
‘manter cada um em seu lugar.’ ” (Florestan Fernandes cité par Maio, 2003, p.228)
422
xciv
“… ideologicamente mais proximos aos intelectuai negros ” (Guimarães, 2005, p.90)
xcv
“laboratório de civilização” (Maio, 2003, p.227-228)
xcvi
“No contexto dos protestos dos negros nos Estados Unidos, o governo militar do Brasil via no
movimento negro uma ameaça de peso à segurança nacional. Para limitar ou evitar seu crescimento, os
militares promoveram ainda mais a ideologia da democracia racial, enquanto reprimiam qualquer sinal
do movimento negro e exilavam os principais acadêmicos brasileiros da área de relações raciais, que s
etornavam cada vez mais críticos da ideologia da democracia racial.” (Telles, 2003, p.57)
xcvii
“Como construção ideológica, a ‘democracia racial’ não é um sistema disconexo de
reprensentações; está profundamente entrosada numa matriz mais ampla de conservadorismo
ideológico, em que a preservação da unidade nacional e a paz social são as preocupações principais.”
(Hasenbalg, 2005, p.253)
xcviii
“Civil rights were in principle garanteed since the enactement of the first constitution in 1824.
However, the constitution virually ignored slavery and did not bother to make it compatible with its
legal framework.” (Avritzer, 2002, p. 90)
xcix
“human rights violations were part of the everyday administrative practices of the police since
the formation of the Brazilian state.” (Avritzer, 2002, p. 90)
c
“… junto com todos os outros partidos e banido pelo Estado Novo num contexto de censura e
repressao” (Nascimento et Nascimento, 2005, p. 17)
ci
“que estabeleceu disposições genéricas antidiscriminatórias, transformou o racismo em crime
inafiançavel, protegeu a manifestação das culturas indígenas e afro-brasileiras.” (PNUD, 2005, p.14)
cii
“a Constituição brasileira de 1988 revolucionou as bases legais da defesa dos direitos humanos
no país e também reconheceu os princípios de tolerância, do multiculturalismo e da dignidade
individual.” (Telles, 2003, p.71)
ciii
“Antes de 1995, o campo dos direitos humanos no Brasil era operado sem levar em conta as
especificidades da população negra. Estes direitos humanos tinham sentido apenas universalista e de
caráter pessoal e individual.” (Cunha Jr., 2005, p.2)
civ
“nos útimos anos esse movimento agrega, aos antigos, novos ativistas de base que lutam contra
a injustiça social em termos econômicos, sociais e culturais. ” (Telles, 2003, p.84)
cv
“Enquanto os relatórios anteriores observavam como a miscigenação havia diminuído o
racismo na sociedade brasileira, aquele relatório aprensenta várias estatísticas sobre a desigualdade
racial.” (Telles, 2003, p.85)
cvi
“ … o crescente protagonismo das mulheres negras…” (Carneiro, 2002, p.210)
cvii
“ …refletiu-se positivamente (…), desencadeando no governo brasileiro uma série de
iniciativas e estratégias compreendidas como ações afirmativas.” (Ribeiro, 2007, p.97)
cviii
“As ações transversais anunciadas ficam então restritas a projetos minúsculos na abrangência
social, de recursos reduzidos e de negociações longas e difíceis.” (Cunha Jr., 2005, p.9).
cix
“Propomos a realização de uma campanha nacional, junto às agências de publicidade, para que
reconheçam e se conscientizem do seu papel fundamental na luta contra o racismo, através da
colocação de peças publicitárias onde a diversidade racial brasileira seja sempre representada.”
(Ramos, 2002, p. 157)
423
Chapitre III
cx
“a heuristic, ahistorical, and undated manner. » (Maia, 2007, p. 72)
cxi
“different publics come together to debate specific collective interest issues.” (Maia, 2007,
p.74)
cxii
“a theoretical framework flexible enough as to encompass different modes of articulation of
argumentation exchanges” (Maia, 2007, p.78)
cxiii
“news, reports, commentaries, talks, scenes, and images, and shows and movies, with an
informative, polemical, educational, or entertaining content.” (Habermas, 2006, p. 415)
cxiv
“There are two types of actors without whom no political public sphere could be put to work:
professionals of the media system — especially journalists who edit news, reports, and commentaries
— and politicians who occupy the centre of the political system and are both the coauthors and
addressees of public opinions.” (Habermas, 2006, p. 416)
cxv
“The personalization of politics is bolstered by the commodification of programs. Private radio
and television stations, which operate under the budget constraints of extensive advertising, are
pioneering in this field.” (Habermas, 2006, p. 423)
cxvi
“ Traditional economic theory assumes that consumers are the most important decision makers
in the economy, controlling what and how much is produced as manufacturers of goods respond to
consumers’ needs” (Leiss, Kleine et Jhally, 1986, p.17).
cxvii
“… promoting conditions where a few manufacturers have an unhealthy oligopolistic control
of prices and supplies of goods.” (Leiss, Kleine et Jhally, 1986, p.14)
cxviii
« bizarre, frivolous, or even immoral. » (Galbraith cité par Leiss, Kleine et Jhally, 1986, p.17)
cxix
“ … is not overturning the whole economic system, but modifying it so that the rewards that
capitalism can produce are more equitably distributed.” (Leiss, Kleine et Jhally, 1986, p.17)
cxx
“ …em decorrência dos avanços teconlógicos nos ramos das comunicações e das
telecomunicações, do intenso processo de concentração e monopolização do setor nas últimas décadas
e da criminosa desregulamentação do mercado que a deixou livre de qualquer controle público.” (
Borges, 2007, p.1)
cxxi
“... uma importante transformação [do sistema de mídia], com processos de
desregulamentação, privatização, re-posicionamento do Estado, constituição de novas formas e novas
instâncias de regulação e internacionalização da concorrência.” (Bolaño, 2003, p.1)
cxxii
“ O resultado foi uma histórica concentração dans ce secteur stratégique, impedindo a
pluralidade e a diversidade de opinião.” (Borges, 2007, p. 4)
cxxiii
“ … e foi impulsionada pela ausência na legislação de quaquer norma proibindo a
propriedade cruzada — a posse de inúmeros veículos em diversos setores (jornais, rádio, televisão).”
(Borges, 2007, p.4)
cxxiv
“ En 1959, já era o maior império da mídia na América Latina, com 40 jornais e revistas,
mais de 20 estações de rádio, uma dezena de emissoras de televisão, uma agência de notícias e uma
empresa de propaganda.” (Borges, 2007, p. 4)
424
cxxv
“ … a importância crescente da produção de conteúdos, da diversidade cultural e da
problemática espacial, sistematiquemente esquecidas no quadro regulamentar brasileiro.” (Bolaño,
2003, p. 32)
cxxvi
“ Trata-se de um modelo nacionalista e concentracionista que, ao mesmo tempo em que
protege os capitais instalados da concorrência externa, limita a manifestação das expressões locais e o
desenvolvimento de um panorama audiovisual diversificado, servindo basicamente aos interesses
políticos e econômicos hegemônicos que se articulam no seu interior.” (Bolaño, 2003, p.35)
cxxvii
“... um sistema comercial privado de rádio e televisão, com base num modelo de concessões
públicas — para 10 e 15 anos respectivamente, renováveis por períodos indênticos e sucessivos.”
(Bolaño, 2003, p.33)
cxxviii
“ … qualquer possibilidade de participação de estrangeiros na propriedade ou na direção de
empresas de comunicação no país.” (Bolaño, 2003, p.33)
cxxix
“... cerca de 40 % de todas as concessões feitas até o final de 1993 estavam nas mãos de
prefeitos, governadores e ex-parlamentares ou seus parentes e sócios.” (Bolaño, 2003, p.36)
cxxx
“... a não renovação da concessão exige a aprovação de, no mínimo, dois quintos dos
deputados e senadores.” (Bolaño, 2003, p.36)
cxxxi
“ Além da concentração, a mídia brasileira passa por um periogoso processo de
internacionalização.” (Borges, 2007, p.4)
cxxxii
“ … o capital estrangeiro foi autorizado à adquirir até 30 % das ações das empresas
jornalísticas e de radiodifusão.” (Borges, 2007, p.4)
cxxxiii
“ … sistema de mídia não é estático...” (Azevedo, 2006, p.109)
cxxxiv
“ … volume de negócios publicitários não é proporcional e nem tão significativo quanto o
registrado na economia nacional.”
cxxxv
“ … national and regional television systems are just as important, if not more important,
than global systems, and that the state matters because it plays a significant role in shapping national
television systems.” (Straubhaar, 2001, p.133-134)
cxxxvi
“ TV Globo, in particular, increased national production considerably, because it had
discovered that audiences, and consequently advertisers as well, preferred national produced musicals,
comedies, telenovelas over all but a few imported programs.” (Straubhaar, 2001, p. 141)
cxxxvii
“ O fato e as pesquisas revelam que a televisão vai, rápida ou vagarosamente, em função das
reações que desencadeia, contruindo um conceito avassalador — massificação, pois não existiu até
agora nenhum outro agente de divulgação capaz de atingir, dentro de um país de dimensões
continentais como o nosso, 50 ou 60 milhões de pessoas ao mesmo tempo e nas mesmas condições
ambientais: lazer pleno de pessoas sentadas, juntas (...), com uma qualidade de produção que agrada a
todos e que por todo este entretenimento (ou vicio ?) ninguém tem nada a pagar.” (Leite, 1990, p.248)
cxxxviii
“ … foram acompanhadas por políticas comerciais e de marketing agressivas que
transformaram conceitualmente os jornais em prestadores de serviço et os antigos leitores em
consumidores.” (Azevedo, 2006, p.105)
cxxxix
“... there is divergence among broadcasters over whether to broadcast an ethic ideal that
appeals to the more affluent consumer classes, largely European in ethnicity, or whether to appeal to
the larger television audience, which is around half Afro-brazilian.” (Straubhaar, 2001, p. 151).
425
cxl
“These genres address working and lower classes’ sense of identity or cultural capital by using
participants who are ethnically more representative of the diversity of the Brazilian audience.”
(Straubhaar, 2001, p.151)
Chapitre IV
cxli
“… the close interconnections among advertising, the goods-producing sector, and media.”
(Leiss et al., op. cit., 1986, p. 122)
cxlii
» “… funda a nossa dinastia dos classificados. É nesse formato (...) que se alugam, compram e
vende cas, carruagem ou escravo, que se oferecem produto, professor ou padre.” (Ramos, 1990, p.1)
cxliii
“Dentro deste clima, tão interessado quanto pitoresco, avulta o quadro da nossa escravidão.
Apregoando os traços, as características e virtudes dos negros ou negras à venda. Mostrando as
vantagens das escolas para crianças, onde meninos e meninas de 8 a 10 anos aprendiam ofícios, para
depois serem alugados. Prinicpalmente descrevendo os foragidos, oferecendo pelos procurados altas
recompensas. Há classificados vergonhosos, como o de ingressos para ver uma negrinha monstro, com
menos de 7 anos e um peso acima de 9 arrobas, ou os propõem raparigas de boa figura, sem vícios,
jovens amas-de-leite recém-paridas, vendas e compras a granel ou por atacado. Há outros, poucos, que
chegam a ser simpáticos. Será o caso do amoroso senhor pernambucano, atrás da escrava fugida, que
ao descrevê-la se inflama, gasta dinheiro em pormenores avulsos, para concluir: e tem un olhos
tristes.” (Ramos, 1990, p.2).
cxliv
“channels thourgh which information and interpersonal contact can flow and mix, biding
together an otherwise disperse and disparate population.” (Leiss, Kline et Jhally., 1986, p. 69)
cxlv
“ putting power and authority at the service de particular groupes for particular purposes.”
(Leiss, Kline et Jhally, 1986, p. 69)
cxlvi
“Rapidamente, os artigos se multiplicam, os serviços também.” (Ramos, 1990, p. 1)
cxlvii
“ É o momento em que surgem os cafés, as livrarias, em que proliferam os pasquins.”
(Ramos, 1990, p. 2)
cxlviii
“ O comércio se alarga, variado, heterogêneo, a publicidade mercurial da conta de vasos para
jardins, urinóis em todos os tamanhos, copiadores de música, ou colchões de clina vegetal e oraçoes
contra a peste.” (Ramos, 1990, p. 2)
cxlix
“ anúncios em francês pedem um senhora para cuidar de um cego ou um homem ativo, que
fale português, para feitor de uma plantaçao de café perto da cidade” (Ramos, 1990, p.2)
cl
“ Anuncio em inglês, publicados no Rio e no Recife, têm corte mais científico: oferecem os
talentos de cirurgiões-dentistas, vindos da Europa, divulgam pos importados para limpar dentes.”
(Ramos, 1990, p. 2)
cli
“ De um lado, o refinamento francês; do outro, o tecnicismo american° Um elegante, outro
pragmatico. O que fazemos ? Traduzimos, adaptamos, convivemos com os dois.” (Ramos, 1990, p. 3)
clii
“ O publico, na maioria analfabeto ou semi-analfabetizado, encontrava nas rimas a
indispensavel ajuda mnemônica para melhor guardar temas e anuncios (era o que os anunciantes
desejavam, por isso buscavam os poetas).” (Ramos, 1990, p. 3)
426
cliii
“ Ao que tudo indica, os poetas foram nossos primeiros free-lancers de redação.” ( Ramos,
1990, p 3)
cliv
“... que vai se ampliando ao ganhar a rua, o cliente, afinal adquirir contornos mais nítidos com
o surgimento das revistas.” (Ramos, 1990, p. 4)
clv
“ os cuidados passariam a ser direcionados para "melhorar os sãos", impondo à população em
geral, através da educação higiênica, todo um imaginário do ideário burguês de civilidade baseado em
características tais como ordem, limpeza, disciplina, autoridade, propriedade privada, etc.” (Dos Santos
et Palhares Sá, 2000, p.1)
clvi
“ The experience with media changes the practice of advertising. In magasines photography
and art allow for innovations in the associational dimension of argumentation.” (Leiss, Kline et Jhally,
1986, p. 124)
clvii
“ Preso às ilustrações por necessidade, o leitor do almanaque, por não saber ler (no sentido de
simples decodificação do manifesto), por ler pouco, ou mesmo pela rapidez da leitura que realiza, fixa
sobretudo as imagens, os signos icônicos aí presentes. Por isso, na publicidade há pouca palavras e
muitas imagens.” (Casa Nova, 1996, p.81)
clviii
“ Como desenhos escolares, essas ilustrações deixam aparecer sem equívocos aquilo que
representam e, assim, aproximam-se do texto, alfabetizando, ensinando por meio de imagens.”, (Casa
Nova, 1996, p. 81)
clix
“... fase inicial da publicidade técnica.” (Albuquerque, 1991, p.168)
clx
“ Quando a qualidade de reprodução dos jornais tornou possível a utilização, ainda que
precária, da fotografia, as agências se valiam de fotografias importadas, escolhidas em catálogos com
modelos americanos.” (Albuquerque, 1990, p.168)
clxi
“A fotografia publicitária era praticamente limitada a fotos de objetos e produtos, porque os
brasileiros se constrangiam em posar como modelos.” (Albuquerque, 1990, p.168)
clxii
“ pessoas da sociedade” (Albuquerque, 2006, p.169)
clxiii
“ Modelos eram recrutados entre amigos, parentes e até mesmo pessoas colhidas na ruas,
como ainda hoje é feito entre indivíduos de um bom nível.” (Albuquerque, 2006, p. 169)
clxiv
“ passaram a se interessar pela fotografia, atuando como modelos ou como produtoras
diletantes.” (Albuquerque, 2006, p.169)
clxv
“... tinha que reproduzir fielmente a ilustração proposta no layout. O fotógrafo ficava, assim,
aprisionado ao esquema imaginado pelo diretor de arte.” (Albuquerque, 2006, p.169)
clxvi
“... precisamos nos libertar da prisão do layout, precisamos nos libertar da sujeição aos
cânones internationais e nos voltarmos para a valorização da nossa cultura, para realizarmos um
trabalho novo e autêntico” (Albuquerque, 2006, p. 169)
clxvii
“ Sorvetinho, sorvetão/ sorvetinho de limão/ quem não tem 200 réis/ não toma sorvete não.”
(Simões, 1990, p.172)
clxviii
“... simplesmente com os nomes das firmas citados na abertura e no encerramento dos
períodos de irradiação.” (Simões, 1990, p.173)
clxix
“... contribuindo não só que os spots e jingles se realçassem na paisagem da propaganda como
igualmente para que os anunciantes disputassem o patrocínio dos programas mais significativos e as
agências se empenhassem em criá-los.” (Simões, 1990, p.182)
427
clxx
“ rádio com imagens, programação ‘ao vivo’, com a seleção natural de pôr no ar o que era
sucesso no rádio.” (Leite, 1990, p. 242)
clxxi
“.... e deixou jornalistas, intelectuais e publicitários impressionados com o fenômen°”
(Araújo, 2000, p. 86)
clxxii
“Os estudos indicam que já havia alguma receptividade a uma forma grosseira de
consumismo modesto, consumismo que será a grande alavanca de vendas do novo e fascinante
veículo.” (Leite, 1990, p.244)
clxxiii
“ Assim como na soap opera norte americana, a telenovela brasileira se desenvolveu sob a
égide das fábricas de sabonete e dentifrício.” (Araújo, 2000, p.83)
clxxiv
“En termos publicitários, o rádio perdeu o duelo para a televisão, vendo as verbas
minguarem.” (Simões, 1990, p.194)
clxxv
“... cuidaram de preparar o pessoal, de mandar gente para os Estados Unidos e, mais
importante, ‘abrir’ a cabeça de redatores e artistas, da criação da época.” (Leite, 1990, p.243) “...
cuidaram de preparar o pessoal, de mandar gente para os Estados Unidos e, mais importante, ‘abrir’ a
cabeça de redatores e artistas, da criação da época.” (Leite, 1990, p.243)
clxxvi
“... constatava a presença negra só em 3 % dos comerciais de tevê” (Araújo, 2000, p.67)
clxxvii
“Quando estamos numa fase em que marcas se posicionam por perfis psicográficos...”
(Grottera, 1997, p.16)
clxxviii
“... fica claro que a mistura de medo de enfrentar a realidade do mercado somada à
percepção de falta de glamour que o segmento negro tem, geram posições tímidas e sem perspectiva de
negócios.” (Grottera, 1997, p.16-17)
clxxix
“A publicidade aracajuana pensa que o negro não passa o conceito de refinamento, não é
capaz de apresentar um produto sofisticado ja que ele é modelo de negatividade.” (Marina, 2007, p.12)
clxxx
“O mercado publicitario transfere a culpa para o consumidor, que, segundo ele, não gosta de
ver o afrodescendente na midia, mas ele mesmo não tem como se esquivar e se inocentar do fato de
não ousar mudar, criar um outro publico.” (Marina, 2007, p. 2)
clxxxi
“Não são raros os casos em que uma matéria de denúncia de racismo pode vir imediatamente
acompanhada pour uma publicidade que cria stereótipos ou simplesmente ignora esses grupos.”
(Ferreira, 2004, p.22)
clxxxii
“... pouca capacidade de percepção do comunicador para o próprio objeto da sua
comunicação. Isto implicaria em afirmar que o comunicador não sabe o porque faz, mas somente como
faz.” (Ferreira, 2004, p.24)
clxxxiii
“... de modo geral, a tendência recente tem sido a de levar os negros a abandonarem a
posição de criados sorridentes e humildes em troca de posições de maior prestígio ou, simplesmente,
de ‘modelos’.” (Fry, 2005, p.255)
clxxxiv
“.... o aumento da participação dos negros na publicidade ocorre en relação a bens e services
destinados diretamente a melhorar a aparência de pessoas de cor.” (Fry, 2005, p.259)
clxxxv
“... na verdade, eles criam uma necessidade e, ao fazê-lo, disseminam sub-repticiamente uma
‘identidade negra’ em todo o Brasil.” (Fry, 2005, p. 262)
clxxxvi
“ uma especificidade estética” (Fry, 2005, p.264)
428
clxxxvii
“... pelos membros mais brancos da população” (Fry, 2005, p.269)
clxxxviii
“... que, por si só, nada tem a ver com ‘forças de mercado’ ” (Fry, 2005, p.258)
clxxxix
“Os redatores de textos publicitários são treinados nas melhores universidades, onde o
racismo é discutido e condenado.” (Fry, 2005, p.258)
Chapitre V
cxc
“ … o registro, junto às secretarias estaduais de Segurança Pública, do nome, nacionalidade e
residência de todos os diretores, redatores, empregrados e operários ( ?) (sic !) de empresas de
publicidade” (Simões, 1990, p. 27)
cxci
“... todos os países participantes à adaptarem os princípios expostos naquele estudo às suas
realidades nacionais.” (Corrêa, 1990, p.45)
cxcii
“ … um mecanismo eficaz de aprimoramento da atividade e correção de excessos
indesejáveis.” (Schneider, p. 11)
cxciii
“... como base vitoriosa a experiência do British Code, mais ainda com mais amplitude que
seu inspirador.” (Corrêa, 1990, p.46)
cxciv
“ Dizem alguns que o código é mera transcrição do modelo inglês de auto-regulamentação,
mas isso é maldade que teve origem na gozação que faziam com Geraldo Alonso e Cícero Leuenroth,
que tinham fixação pela publicidade ingles e pelos carros Jaguar.” (Ramos, 2005, p.48)
cxcv
“ (...) Alguns pontos foram inspirados nos preceitos europeus e em regras consuetudinárias de
ética cultivadas nos Estados Unidos. Mas a essência é brasileira, temperadas com os usos e costumes
do meio publitário do Brasil.” (Ramos, 2005, p.48)
cxcvi
“... a verdade é que aquele se destinava apenas à publicidade impressa e era muito sintético,
ao contrário do nosso, que é completo e se destina a todas as mídias.” (Corrêa, 2005, p.37)
cxcvii
“ com aberta hostilidade” (Salles, 2005, p. 33)
cxcviii
“.... o meio publicitário de São Paulo...” (Salles, 2005, p. 33)
cxcix
“... pouco tempo depois” (Salles, 2005, p. 33)
cc
“ Na IAA, da qual fui presidente mundial, entrei em contato com um projeto de regulamentação
publicitária organizado em conjunto com as câmaras de comércio internacionais, entre elas a da
Inglaterra. Com base nesse modelo, redigi uma primeira minuta de auto-regulamentação, adaptada à
realidade brasileira.” (Salles, 2005, p.33)
cci
“... deixava, poucos meses depois, sua condição de publicitário para assumir a direção geral dos
Diários e Emissoras Associados.” (Domingues, p.39-40)
ccii
“trabalho democrático e transparente” (Piratininga, 2005, p. 27)
cciii
“... o início do trabalho e uma pilha de meio metro que compreendia as diversos códigos
estrangeiros que vinham sendo consultados...” (Domingues, 1990, p. 40)
cciv
“... eu trabalhara, ininterruptamente, por cerca de 26 horas, mas me sentia profundamente
aliviado: o trabalho estava pronto, melhor dizendo, quase pronto...” (Domingues, 1990, p.40)
429
ccv
“... extenso trabalho de re-redação, foi evitada a referência a vetos, sanções e punições,
salientando-se, mais uma vez, o caráter de auto-disciplina que prevalece em todo o trabalho. Não se
impõem vetos: fazem-se recomendações; tomam-se medidas e providências, mas não se anunciam
punições e sanções — em perfeita consonância com o espírito voluntário, de auto-regulamentação, que
preside todo o trabalho.” (Domingues, 2005, p.31)
ccvi
“ O Conar nasceu de uma ameaça” (Schneider, 2005, p. 9)
ccvii
“ Diante dessa ameaça, a resposta inspirada do setor: a auto-regulamentação, sintetizada num
código seolenemente intronizado em 1978 com a função de zelar pela liberdade da expressão
comercial e defender os interesses das partes envolvidas no mercado publicitário, inclusive os do
consumidor.” (Schneider, 2005, p. 9)
ccviii
“... lutou pela divulgação dos princípios estabelecidos, chancelou diversas conciliações entre
concorrentes et procedeu a inúmeros julgamentos baseados na letra e no espírito do Código.” (Corrêa,
1990, p. 46)
ccix
“ sentia-se, porém, falta de uma estrutura autónoma, da organização de uma entidade acima
das disputas econômicas do mercado, independente por definição, enfim, dotada de personalidade
jurídica distinta da dos outros personagens do mundo publicitário.” (Corrêa, 1990, p.46)
ccx
“... mas havia represálias sérias no caso de transgressão dos critérios das autoridades, critérios
que niguém sabia exatamente quais eram” (De Piratininga, 2005, p.28)
ccxi
“... um homem ligado ao ramo da publicidade e da mídia” (Furquim, 2005, p.42)
ccxii
“... ainda que talvez pensasse numa entidade mista com alguma presença do govern°”
(Furquim, 2005, p.42)
ccxiii
“ O ministro desejava criar un Código Oficial, um organismo que fosse o regulamentador das
relações entre os vários segmentos da propaganda e a sociedade. Seria também um primeiro passo pra
se criar uma legislação em defesa do consumidor.” (Corrêa, 1990, p.47)
ccxiv
“A Commissão de Auto-regulamentação (...) estava ainda na fase de ‘aprendizado’, e a falta
de uma estrutura profissional, abaixo da diretoria, fazia com que a antiga CONAR não funcionasse a
pleno vapor.” (Corrêa, 1990, p.47)
ccxv
“ … João Luiz foi portador de um recado do dr. Roberto: sugeria que não aceitássemos a
proposta do representante do MIC, pois apesar das aparências era um perigo, porque abria uma fresta
na porta para a introdução da censura governamental.” (Corrêa, 1990, p.48)
ccxvi
“ … se prontificou a bancar as depesas durante pelo menos seis meses, atê que a nova
entidade implantasse um mecanismo de custeio a ser rateado entre agência, anunciantes e veículos.”
(Corrêa, 2005, p.38)
ccxvii
“ Pessoalmente, tanto como o excesso de poder estatal me preocupava o possível excesso de
uma organização como a Globo. Mas essa não era uma preocupação dos demais, e assim fomos em
frente...” (Furquim, 2005, p.42)
ccxviii
“A propósito, é preciso um registro especial sobre a posição de Dionísio Poli na formulação
da doutrina que sustentou a atuação do CONAR como entidade aplicadora e fiscalizadora do código.”
(Corrêa, 1990, p.51)
ccxix
“... um dos diretores da Rede Globo na época” (Corrêa, 1990, p.51)
430
ccxx
“... o grande catalisador dos seus companheiros, exectuivos e empresários, da Rede Globo e
das demais emissoras de TV e Rádio, para que apoiassem moral e materialmente o CONAR.” (Corrêa,
1990, p.51)
ccxxi
“... como também merecia o apoio de s. exa. o president Geisel, de quem partira a autorização
para que o discurso de abertura do II Encontro Brasileiro de Mídia fosse feito em nome do govern°”
(Salles cité par Domingues, 1990, p.41)
ccxxii
“ É importante salientar que foi junto às próprias autoridades do governo que as lideranças
publicitárias encontraram o maior apoio ao trabalho que estamos realizando. Estas manifestações,
algumas delas feitas ao público, demonstraram um amadurecimento das autoridades brasileiras para o
problema” (Salles cité par Domingues, 1990, p.41).
ccxxiii
“ … da ansiedade da comunidade publicitária, que desejava um estatuto que regulasse a
propaganda, mas tinha receio de receber um texto imposto pelo govern°” (Corrêa, 1990, p.46)
ccxxiv
“ Como a divulgação pode ser nociva, pelo fato de o povo acreditar no que se propaga, a
missão dos interessados precisa ser moralmente analisada. Os que divulgam conhecem mais o que se
publica do que os leitore e ouvintes.” (Pontes Miranda cité par Corrêa, 1990, p.48)
ccxxv
“ Meu pai se queixava particularmente do que chamava de ‘bobagens” dos censores, em geral
pessoas destituídas de critérios técnicos que lhe permitissem avaliar a qualidade de uma peça
publicitária” (Alonso Filho, 2005, p.29)
ccxxvi
“ Quando o litígio ia para o judiciário, havia perda de tempo, desgastes inúteis,
comprometimento do conceito da própria atividade. Em geral, os juízes nada entendiam sobre o
assunto e proferiam sentenças lastimáveis.” (Ramos, 2005, p.4)
ccxxvii
(“... que pertencem à auto-análise dos publicitários.” (Pontes Miranda cité par Corrêa, 1990,
p.48)
ccxxviii
“... que não se exercia apenas no campo dos costumes, como podem imaginar alguns, mas
principalmente no terreno político” (Alonso Filho, 2005, p. 29)
ccxxix
“ Ainda assim, os anúncios nos jornais e revistas e os comerciais na televisão pintam, com o
alto astral peculiar à publicidade, um quadro ameno da vida brasileira.” (Schneider, 2005, p.15)
ccxxx
“... é uma associação ética, uma sociedade civil sem fins lucrativos devidamente constituída,
voltada para a aplicação das normas regulamentadoras do universo das comunicações.” (Oliveira
Paulino, 1999, p. 15)
ccxxxi
“... zelar pela credibilidade e valorização das próprias atividades do setor econômico
publicitário e oferecer um canal de acesso à defesa do consumidor.” (Oliveira Paulino, 1999, p.15)
ccxxxii
“... é visto como exemplar por especialistas como o pesquisador e professor de Negócios
Internacionais J.J Boddewyn, do Baruch College da Universidade de Nova Iorque, consultor da
International Advertising Association (IAA), autor de vários trabalhos sobre o assunto...” (Schneider,
2005, p.22)
ccxxxiii
“ O modelo do Brasil é provavelmente o mais desenvolvido sistema de auto-regulamentação
encontrado em países em desenvolvimento e até sobrepuja alguns do primeiro mundo.” (Boddewyn
cité par Schneider, 2005, p.22)
ccxxxiv
“Em razão de algum deslize ético cometido no anúncio, metade das intervenções da
instituição resultou em correção ou na sustação da sua veiculação.” (Leifert, 2005, p.11)
431
ccxxxv
“O CONAR preenche todos os doze quesitos, alçando-se portanto, ao patamar das mais
desenvolvidas instituições congêneres do mundo e ultrapassando laguns dos países de economia
avançada, como Alemanha, França e Itália.” (Schneider, 2005, p. 22)
ccxxxvi
“Mas, provavelmente, nossa contribuiçãos mais expressiva, ao longo de todo esse período,
foi na luta pela definição adequada do status da Assembléia Constituinte e nos debates pelo Código de
Defesa do Consumidor. A Constituição de 1988 havia banido a censura prévia, inclusive na
comunicação publicitária, e reservado apenas à União legislar sobre propaganda comercial, mas
previu, nas disposições transitórias, a criação, em determinado prazo, do Código de Defesa do
Consumidor. O movimento dos consumidores era muito ativo e influente e abrigava correntes que
faziam da publicidade um de seus alvos preferidos, pelo que pudesse abrigar de conteúdo abusivo e
enganoso.” (Narchi, 2005, p.50)
ccxxxvii
“... numa demonstração do prestígio conquistado por ele em poucos anos de existência”
(Narchi, 2005, p.50)
ccxxxviii
“ Ora, isso tornaria inexequível a publicidade tal como é feita em todo o mundo” (Narchi,
2005, p.50)
ccxxxix
“ Qual peça publicitária poderia cumprir todas essas exigências em poucos segundos de
duração de um comercial para TV ou spot radiofônico ?” (Narchi, 2005, p.50)
ccxl
“…um profundo desconhecimento técnico sobre os fundamentos da atitvidade, vista com alta
dose de preconceito e desconfiança.” (Narchi, 2005, p.50)
ccxli
“... as limitações que ele julgue adequadas, procurando antecipar-se às frequentes tentativas,
algumas de boa-fé, outars demagógicas, de proibir totalmente a publicidade de determinados
produtos.” (Narchi, 2005, p.51)
ccxlii
“Com o advento do Código Brasileiro de Defesa do Consumidor surgiu certo desacordo na
doutrina com relação à espécie de sistema de controle adotado no Brasil.” (Breviglieri, 2005, p.45)
ccxliii
“... estão amparados pelo CDC não só o consumidor em potencial, ou seja, aquele que pode
vir a adquirir ou utilisar produto ou serviço como destinatário final, mas todas as pessoas expostas às
práticas comerciais” (Breviglieri, 2005, p.46)
ccxliv
“... que se caracterisa pela indeterminação e amplitude.” (Breviglieri, 2005, p.46)
ccxlv
“... um sistema estatal de controle da publicidade composto pela atuação do Poder Executivo,
e do Poder Judiciário” (Breviglieri, 2005, p.46)
ccxlvi
“... é um órgão cuja existência não tem qualquer previsão legal” (Zanoni, 2007, p.1)
ccxlvii
“... não é uma autarquia sob regime especial...” (Zanoni, 2007, p.1)
ccxlviii
“... um órgão não-governamental sem poder normativo legítimo” (Zanoni, 2007, p.1)
ccxlix
“... a regulação da publicidade do país não é mista, o que contraria a visão de determinados
doutrinadores.” (Zanoni, 2007, p.2)
ccl
“... A insegurança jurídica que caracteriza as decisões do CONAR, por este não ter da previsão
legal e, dessa forma, não estar enquadrado como uma agência reguladora possibilita que o interesse
privado se sobreponha ao interesse público” (Zanoni, 2007, p. 3-4)
ccli
“ Passados mais de 20 anos do fim do governo militar, em plena vigência do Estado
Democrático de Direito, o Conar (...) mantém o discurso de repúdio a qualquer iniciativa de controle
público da atividade publicitária.” (Henriques et Junior, 2007, p.1)
432
cclii
“A influência corporativista é observada principalmente em julgamentos que dizem respeito a
questões subjetivas e relativas a valores. Na maioria desses casos, os dispositivos do Código são
interpretados de acordo com a ética do mercado, que não é, necessariamente, a mesma da sociedade e
nem sempre leva em conta os direitos dos consumidores. Quando interesses comerciais do setor estão
em jogo, a decisão quase sempre pende para o lado dos publicitários. Os posicionamentos recentes do
Conar evidenciam esse viés.” (Henriques et Junior, 2007, p.2)
ccliii
“Nesses vinte anos, sob a gestão de quatro presidentes diferentes, enfrentamos no CONAR o
inconformismo de anunciantes contrariados, alguns poderosos, outros nem tanto, mas igualmente
aguerridos.” (Narchi, 2005, p.49)
ccliv
“Ainda hoje há quem critique o CONAR por defender o direito de anunciar, dentro de normas
devidamente estabelecidas, produtos, como fumo, bebidas alcoólicas, medicamentos e defensivos
agrícolas.” (Narchi, 2005, p.50-51)
cclv
“... O fato é que a ética e a boa técnica publicitária determinam claramente como produzir e
veicular propaganda de um produto que por algum razão possa afetar um consumidor.” (Narchi, 2005,
p.51)
cclvi
“... o estrago que está fazendo na nossa profissão a onda do politicamente correto.”
(Lindenberg, 2006, p.8)
cclvii
“...um comercial da Skol foi tirado do ar, entre outros motivos, por exibir uma moça ‘fora dos
padrões de beleza’, o que foi julgado discriminatório” (Lindenberg, 2006, p.8)
cclviii
“Ôps, logo vamos ter que transformar tribufus em beldades, não porque a idéia do filme
pede, mas porque algumas pessoas do negócio exigem.” (Lindenberg, 2006, p.8)
cclix
“O Conar decidiu suspender um filme de cerveja da Skol, em que basicamente um homem
punha a mão na bunda (sic) de uma garota linda e se recusava a fazer o mesmo na de uma baranga (sic)
(o filme é imensamente melhor do que este resumo). A alegação ? O filme incitaria o preconceito
contra as mulheres feias” (Clube da Criação de São Paulo, 2006, p.31)
cclx
“Será que não tá havendo um exagero, não ? Com todo respeito, será que não está faltando
bom-senso nos julgamentos ?” (Clube da Criação de São Paulo, 2006, p.31)
cclxi
“… desde já o apoio de judeus sovinas, baianos folgados, japoneses navalhas, portugueses e
loiras burras contra essa praga (sic) do politicamente correto.” (Clube da Criação de São Paulo, 2006,
p.31)
cclxii
“Nem super-herói, nem ‘paladino da moral e dos bons costumes’, o Conar apenas reflete a
sociedade brasileira.” (De Piratininga, 2006, p.21)
cclxiii
“Explico: não é o Conar quem delibera sobras as representações éticas; é o seu Conselho de
Ética, formado por 140 representantes indicados pelas entidades de anunciantes, de consumidores e de
profissionais de criação — estes em uma robusta representação.” (De Piratininga, 2006, p.21)
cclxiv
“... criar em cada uma de suas seis câmaras um microcosmo do mercado e da sociedade.” (De
Piratininga, 2006, p.21)
cclxv
“... homens e mulheres de todas as faixas etárias, profissionais de publicidade ou não,
exercitam a cada sessão de julgamento o contraditório.” (De Piratininga, 2006, p. 21)
cclxvi
p.8)
“mais ameaçado pelo ‘fogo amigo’ do que pela artilharia do inimigo” (Lindenberg, 2006,
433
cclxvii
“tudo o que nao precisamos é de super-herois. Afinal, nao somos nem crianças nem viloes”
(Lindenberg, 2006, p.8)
cclxviii
“Podemos até ponderar que há exageros flagrantes, como se fosse uma espécie de vingança
de pontos de vista longamente silenciados. Exageros, portanto, são tão compreensíveis quanto
inevitáveis.” (De Piratininga, 2006, p.21)
cclxix
“... que a nossa atividade vem sendo assediada pela opinião pública e, principalmente, pelo
Poder Legislativo, que com seu apetite legiferante tem mais de 200 projetos de lei em tramitação no
Congresso Nacional para restringir a propaganda.” (Lindenberg, 2006, p.8)
cclxx
“Também não gosto de tudo o que é ‘politicamente correto’, mas me sinto aliviado pelo fato
de que esse controle sobre o que criamos seja exercido pela sociedade e não por um regime totalitário
ou por alguma mente que se considera iluminada.” (De Piratininga, 2006, p.21)
Chapitre VI
cclxxi
“Nenhum anúncio deve favorecer ou estimular qualquer espécie de ofensa ou discriminação
religiosa ou de nacionalidade” (CONAR, sect. 1, art. 20)
cclxxii
“ …has rarely been collected for research purposes. Before using them, social researchers
need to have a good idea as to how bureaucracies work as data producing machines.” (Gomm, 2004,
p.139)
cclxxiii
“... rápido e inimigo do excesso de formalismo” (Schneider, 2005, p.9)
cclxxiv
“... impedir que a publicidade enganosa ou abusiva cause constrangimento ao consumidor ou
a empresas” (CONAR, 2007)
cclxxv
“... as entidades fundadoras (ABA, ABAP, ANER, ANJ e CO) têm sua grande representação,
renovando (ou confirmando) seus delegados a cada dois anos” (Schneider, 2005, p.66)
cclxxvi
“... linhas institucionais e programáticas à cargo da diretoria estatutária” (Schneider, 2005,
p.66)
cclxxvii
“... o respeito aos princípios éticos e à auto-regulamentação.” (CONAR, 2002, art.40, par. 6)
cclxxviii
“... em face da natureza de suas atribuições” (CONAR, 2002, sect. 8, art. 49 )
cclxxix
“... abster-se de comentários e ou manifestations públicas a respeito de atos ou fatos
relativos a processo en andamento.” (CONAR, 2002, sect. 8, art. 49 )
cclxxx
“... preposto ou defensor de parte envolvida em representação” (CONAR, 2002, sect.3, art.
28)
cclxxxi
“... constituem procedimentos administrativos que, além de assegurarem amplo direito de
defesa, serão orientados pelos critérios da simplicidade, economia processual e celeridade.” (CONAR,
2002, art. 13)
cclxxxii
“Nenhum anúncio deve favorecer ou estimular qualquer espécie de ofensa ou discriminação
racial, social, política, religiosa ou de nacionalidade.” (CONAR, 1980, art.20)
434
cclxxxiii
“Todo anúncio deve ser respeitador e conformar-se às leis do país; deve, ainda, ser honesto
e verdadeiro” (CONAR, Código…, 1980, art.1)
cclxxxiv
“Todo anúncio deve ser preparado com o devido senso de responsabilidade social, evitando
acentuar, de forma depreciativa, diferenciações sociais decorrentes do maior ou menor poder aquisitivo
dos grupos a que se destina ou que possa eventualmente atingir.” (CONAR, 1980, art.2)
cclxxxv
“Toda publicidade deve estar em consonância com os objetivos do desenvolvimento
econômico, da educação e da cultura nacionais.” (CONAR, 1980, art.6)
cclxxxvi
“ can do little more than ‘unpack’ the surface of meaning of an ad in a rather obvious way ;
its strength stems from its ability to relate this information to the sample as a whole in rigorous
manner, and to detect patterns of similarities and differences.” (Leiss, Kleine et Jhally, 1986, p.218)
cclxxxvii
“The dynamics of mass communication are driven by the power of the media to select, and
shape the presentation of, messages and by the strategic use of political and social power to influence
the agendas as well as the triggering and framing of public issues.” (Habermas, 2006, p. 415)
cclxxxviii
“ … alternativa a paradigmas em declínio, como também um complemento importante
para cobrir lacunas de teorias existentes” (Porto, 2004, p.77)
cclxxxix
“subtle differences in phrasing, seemingly arbitrary and insignificant from a strictly logical
standpoint” (Goshorn et Gandy Jr, 1995, p. 134)
ccxc
“in an overall pattern across a large number of stories.” (Goshorn et Gandy Jr, 1995, p. 134)
ccxci
“an issue frame is a theme, story line, or label suggesting a preferred interpretation of some
policy question.” (Richardson et Lancendorfer, 2004, p. 75)
ccxcii
“entails selecting and highlighting some facets of events or issues, and making connections
among them so as to promote a particular interpretation, evaluation, and/or solution.” (Entman, 2003,
p. 417)
ccxciii
“Those frames that employ more culturally resonant terms have the greatest potential for
influence. They use words and images highly salient in the culture, which is to say noticeable,
understandable, memorable, and emotionally charged.” (italiques dans l’original, Entman, 2003, p.
417)
ccxciv
“influence over a human consciousness” (Entman, 2005, p. 8)
ccxcv
“slant characterizes individual news reports and editorials in which the framing favors one
side over the other.” (Entman, 2007, p. 165)
ccxcvi
“consistent patterns in the framing of mediated communication that promote the influence of
one side in conflicts over the use of government power.” (Entamn, 2007, p. 166)
ccxcvii
“operate within the minds of individual journalists and within the processes of journalistic
institutions, embodied in (generally unstated) rules and norms that guide their processing of
information and influence the framing of media texts.” (Entman, 2007, p. 166)
ccxcviii
“in an effort to venture beyond the boundaries of traditional agenda-setting research, this
study employs critical theory to analyse how media frames work to produce and reproduce social
power through the construction of common sense.” (Tucker, 1998, p. 143)
ccxcix
“the approach take here implies that news and opinion are mutually influentional in the
production and reception processes” (Tucker, 1998, p. 146)
435
ccc
“assist marginalized groups in employing news as a political ressource.” (Ryan, Carragee et
Schwerner, 1998, p. 165)
ccci
“MRAP’s use of frames differ from others in several ways. We place more emphasis on the
sponsorship of frame and on their evolving character.” (Ryan, Carragee et Meinhofer, 2001, p. 176)
cccii
“Given the historically strong emphasis in communication research on media effects, it is not
surprising to see the cognitive perspective receiving the most emphasis.” (Reese, 2007, p. 149)
ccciii
“For me, that captures the way meaning can be embedded across stories, media, and time.”
(Reese, 2007, p.149)
ccciv
“ Frames are organizing principles that are socially shared and persistent over time, that work
symbolically to meaningfully structure the social world” (italiques dans l’original, Reese, 2003, p.11)
cccv
“… especificar os diferentes níveis de análise e, como consequência, definir mais claramente
os diversos tipos de enquadramento.” (Porto, 2004, p.90)
cccvi
“ Enquadramentos interpretativos são padrões de interpretação que promovem uma avaliação
particular de temas e/ou eventos políticos, incluindo definições de problemas, avaliações sobre causas
e responsabilidades, recomendações de tratamento etc.” (Porto, 2004, p.92)
cccvii
“ … que podem ser incorporadas ou não pela mídia.” (Porto, 2004, p.92)
Chapitre VII
cccviii
“ The center of the political system consists of the familiar institutions: parliaments, courts,
administrative agencies, and government. ” (Habermas, 2006, p. 415)
cccix
“ Each branch can de described as a specialized deliberative arena. The corresponding output
— legislative decisions and political programs, rulings or verdicts, administrative measures and
decrees, guidelines, and policies — results from different types of institutionalized deliberation and
negotiation processes ” (Habermas, 2006, p. 415)
cccx
“ Politicians and political parties start from the center of the political system; lobbyists and
special interest groups come from the vantage point of the functional systems and status groups they
represent; and advocates, public interests groups, churches, intellectuals, and moral entrepreneurs
come from backgrounds in civil society. ” (Habermas, 2006, p. 417)
cccxi
“ 1) to mobilize and pool relevant issues and required information, and to specify
interpretations ; 2) to process such contributions discursively by means of proper arguments for and
against ; 3) and to generate rationally motivated yes or non attitudes that are expected to determine the
outcome of procedurally correct decisions.” (Habermas, 2006, p. 416)
cccxii
« To study the influence of any kind of media on audiences it is necessary to add to content
analysis other kinds of investigations where representatives of the audience are the research subjects.”
(Gomm, 2004, p.252)
cccxiii
“defining effects or conditions as problematic; identifying causes; conveying a moral
judgment of those involved in the framed matter; endorsing remedies or improvements to the
problematic situation.” (Entman, 2003, p. 417)
436
cccxiv
“É com repulsa que venho assistindo ao comercial de televisão do Bônus da Alegria, no qual
utilizam a figura de uma empregada ‘negra e burra’. A mensagem é da pior qualidade, pois não define
o que seja o tal bônus e somente serve para denegrir a imagem do negro e da empregada doméstica,
preferindo erros gritantes de portugês.” (Santos, 1982, p.10)
cccxv
“ A empregada de nome Graciete representa a mediocridade de que vem sendo alvo o negro
no Brasil, principalmente em matéria de comercial de TV. O negro não compra nada, a não ser henê; o
negro não presenteia, não tem família, não bebe, não fuma, não vai à praia, não come margarina e uma
infinidade de outras coisas, segundo os técnicos em televisão.” (Santos, 1982, p.10)
cccxvi
“Como criar uma imagem mais positiva para o negro nas mensagens de TV ?” (Santos, 1982,
p.10)
cccxvii
“Por desconhecer, o que desde agora confesso, o Código Brasileiro de AutoRegulamentação Publicitária, deixo de apreciar seus artigos 20 e 27, do § 6.” (Santos c. Datamark
Ltée, 1982).
cccxviii
“… iniciei minhas tarefas remuneradas, por volta de 1949, como desenhista, posteriormente
como contato, e mesmo como redator, até que adotei o Rádio e, a seguir, a Televisão, como ambiente
de trabalho.” (Santos c. Datamark Ltée, 1982).
cccxix
“com a participação de Rosa Maria Murtinho, em obediência a padrões de um certo modo
sofisticados, cujo resultado, negativo, deixa de ser, aqui, analisado. Basta recordar não haver, a peça,
despertado qualquer tipo de comentário.” (Santos c. Datamark Ltée, 1982).
cccxx
“comuns aos objetivos do Bônus”
cccxxi
“começaram a alcançar índices satisfatórios” (Santos c. Datamark Ltée, 1982).
cccxxii
“... despertado seguidos comentários por parte de O Globo, Jornal do Brasil, Pasquim, Fatos
& Fotos Gente, Radio Globo — RJ (tema de debates populares), produzindo invejável centimetragem
e secundagem que, aplaudamos ou não, resultou em bons negócios para a Empresa.” (Santos c.
Datamark Ltée, 1982).
cccxxiii
“O de não abordar senão uma das facetas da realidade brasileira, destacando uma
‘doméstica’ negra (o que é uma constante) e possuidora de nehuma cultura gramatical (culpa que nós
mesmos, brasileiros, devemos acatar)” (Santos c. Datamark Ltée, 1982).
cccxxiv
“O de, embora mostrando uma ‘doméstica’ ‘negra’ e ‘burra’, apontá-la como bem
comportada e dócil, atitude que poderia mesmo recomendar à classe, o que, na maioria dos casos não é
uma verdade” (Santos c. Datamark Ltée, 1982).
cccxxv
“Criado (e bem) por uma índia Jauperí, hoje falecida, filho do Norte (Roraima) e de pais dos
quais a exceção absolutamente branca é minha mãe, cristão por convicção e realista acima de tudo (o
que me impede de ver Jesus sob o ângulo das fantasias religiosas), asseguro ser pouco provável que
um princípio tão grosseiro quanto o da discriminação racial tenha sequer influenciado meu trabalho.”
(Santos c. Datamark Ltée, 1982).
cccxxvi
“Valendo-me do leitor acima identificado, sou levado a declarar como muito mais ‘burra’,
ainda que branca, a patroa que confiou a terceiros a responsabilidade de exigir, do Comerciante, os
Bonus da Alegria” (Santos c. Datamark Ltée, 1982).
cccxxvii
“na certeza de ter agido correta e conscientemente” (Santos c. Datamark Ltée, 1982).
cccxxviii
“menor intenção discriminatória” (Santos c. Datamark Ltée, 1982).
cccxxix
“livre de explicações por não devê-las.” (Santos c. Datamark Ltée, 1982).
437
cccxxx
“tópicos da maior gravidade” (Santos c. Datamark Ltée, 1982).
cccxxxi
“O comercial ao exibir a personagem da doméstica negra, deixa implícito e explícito que
negro é burro, ignorante, esquecido e irresponsável” (Santos c. Datamark Ltée, 1982).
cccxxxii
“Apesar de estarmos diante de um campeão de infringências ao Código de Ética, o relator
considera fundamental mostrar que os danos causados por este anúncio vão muito além do mundo
publicitário. Não somente feriu-se o espírito da Lei Afonso Arinos como a denunciada, ao negar que
haja preconceito racial, reconhece haver explorado o mundo cão, a miséria física e intelectual, que
denomina ‘uma das facetas da realidade brasileira.’ ” (Santos c. Datamark Ltée, 1982).
cccxxxiii
“O relator não considera necessário requisitar recortes dos arquivos de todos esses
respeitáveis veículos de communicação: basta uma indignada carta de um leitor do Jornal do Brasil na
página 4 deste processo. Diz o leitor Elias Alexandre dos Santpos que ‘é com repulsa que venho
assistindo ao comercial de televisão do BÔNUS DA ALEGRIA’. Além das treze infrigências, já
mencionadas ao código de ética, aqui se comprova a 14a infrigência, pois o artigo 5 reza que ‘nenhum
anúncio deve denegrir a atividade publicitária ou desmerecer a confiança do público nos serviços que a
publicidade presta...” (Santos c. Datamark Ltée, 1982).
cccxxxiv
“Burra e desgrenhada não é só a Graciete do comercial, mas também a patroa, ‘ainda que
branca’ como afirmam categoricamente os diretores da denunciada. Burras são, portanto, todas as
telespectadoras, constatando-se desta forma a infrigência do artigo 17” (Santos c. Datamark Ltée,
1982).
cccxxxv
“Considerando a absurda quantidade de infrigências contidas neste anúncio, pede o relator
que, para o bem das atividades publicitárias neste país, o CONAR divulgue sua posição em todos os
veículos — das praças onde foi veiculado, pela mídia impressa e eletrônica, sobre o anúncio em pauta,
independentemente de novas posições ou opiniões que venham a ser exaradas pela denunciada. O
desconhecimento do Código de Ética não constitui fator de abrandamento da pena como é praxe pelo
menos desde os tempos do Império Roman°” (Santos c. Datamark Ltée, 1982).
cccxxxvi
“… uma vez que a denunciada acatou a decisão desta Câmara e do CONAR” (Santos c.
Datamark Ltée, 1982).
cccxxxvii
“de uma categoria intermediária de direitos, situada a meio caminho entre os direitos
puramente individuais e os direitos e interesses gerais da sociedade como um todo” (Gomes, 2000, p.
2)
cccxxxviii
“em anuncio publicado no dia 02 de outubro de 1988, as pessoas negras empregadas
domesticas sao tratadas de forma discriminatoria racial e socialmente.” (Instituto de Pesquisa das
Culturas Negras c. Network Ltée et Agence Claroscuro, 1988)
cccxxxix
“uma mulher negra amarrada pelo pescoço a uma cadeira, com seis crianças brancas
brincando a sua volta, em nada contribuem, nem para o Dia das Crianças, nem para o futuro das
relações sociais e raciais no Brasil.” (Instituto de Pesquisa das Culturas Negras c. Network Ltée et
Agence Claroscuro, 1988)
cccxl
“Conformem-se- 12 de outubro é o dia deles” (Instituto de Pesquisa das Culturas Negras c.
Network Ltée et Agence Claroscuro, 1988)
cccxli
“o anúncio — que exibe mulher negra, amarrada e cercada por crianças claras, é
discriminatório em relação à raça negra e a condição social das domésticas” (Instituto de Pesquisa das
Culturas Negras c. Network Ltée et Agence Claroscuro, 1988)
438
cccxlii
“uma propaganda discriminatória da Smuggler-Infantil, que ferem (sic) a dignidade da
comunidade negra” (Instituto de Pesquisa das Culturas Negras c. Network Ltée et Agence Claroscuro,
1988)
cccxliii
“Tendo em vista a responsabilidade e o papel deste órgão com a propaganda veiculada nos
meios de comunicação de massa, exigimos as providências deste órgão no sentido de que seja retirada
de veilculação referida propaganda, assim como seja dada uma satisfação ã comunidade afro-brasileira
e sejam tomadas providências para que futuros anúncios racistas como este não venham a ser
veiculados.” (Instituto de Pesquisa das Culturas Negras c. Network Ltée et Agence Claroscuro, 1988)
cccxliv
“understanding ‘control’ in the broadest sense of making public agencies do what the public
and their representatives want, accountability and control are intimately linked because accountability
is a vital mechanism of control.” (Mulgan, 2000, p. 563)
cccxlv
“Entendemos que qualquer atitude contrária nos prova que o CONAR não possui
compromisso conosco, mas sim com uma parcela apenas dos vários grupos étnicos que formam a
sociedade brasileira” (Instituto de Pesquisa das Culturas Negras c. Network Ltée et Agence
Claroscuro, 1988)
cccxlvi
“Por fim, esclarecemos-lhe que o CONAR não possui compromissos com qualquer grupo —
étnico, econômico, religioso, etc — senão com os mais elevados padrões éticos, zelando para que a
publicidade nacional seja um reflexo disso.” (Instituto de Pesquisa das Culturas Negras c. Network
Ltée et Agence Claroscuro, 1988)
cccxlvii
“O anúncio objeto da representação (…) desmerece o estrépito das manifestações hostis de
que se viu cercado” (Instituto de Pesquisa das Culturas Negras c. Network Ltée et Agence
Claroscuro, 1988)
cccxlviii
“… explicitamente avalisado pelo ‘Jornal do Brasil’, empresa de reconhecida idoneidade e
desempenho ético irretocável.” (Instituto de Pesquisa das Culturas Negras c. Network Ltée et Agence
Claroscuro, 1988)
cccxlix
“Só a tendenciosidade de um juízo sectário e perverso levaria os seus críticos a identificarem
na composição gráfica que ilustra o anúncio questionado, conteúdo racista” (Instituto de Pesquisa das
Culturas Negras c. Network Ltée et Agence Claroscuro, 1988)
cccl
“Na verdade, homenageando as crianças em seu dia, a promoção quis mais longe, qui mais
amor, na invocação daquela figura mais presente nas nossas melhores evocações: a Babá” (Instituto de
Pesquisa das Culturas Negras c. Network Ltée et Agence Claroscuro, 1988)
cccli
“… não há (sic) negar : M. I., a modelo eleita, a par de ser babá profissional, transmite
envolvente simpatia e irradiante ternura” (Instituto de Pesquisa das Culturas Negras c. Network Ltée
et Agence Claroscuro, 1988, surligné dans l’original)
ccclii
“Racismo seria não admiti-la no anúncio por ser negra, embora com a qualificação para o
desempenho objetivado.” (Instituto de Pesquisa das Culturas Negras c. Network Ltée et Agence
Claroscuro, 1988)
cccliii
“Repita-se : M. I. não se credenciou ao desempenho por ser negra. Credenciou-a a leveza da
sua expressão, a suavidade com que se houve (sic) nos testes necessários à contratação” (Instituto de
Pesquisa das Culturas Negras c. Network Ltée et Agence Claroscuro, 1988)
cccliv
“que, sendo dos nossos filhos, também o é do anjo a cujo carinho confiamos os seus
primeiros anos de vida e formação.” (Instituto de Pesquisa das Culturas Negras c. Network Ltée et
Agence Claroscuro, 1988)
439
ccclv
“O anúncio em questão, além de outros artigos, fere escandalosamente os dois acima citados.”
(Instituto de Pesquisa das Culturas Negras c. Network Ltée et Agence Claroscuro, 1988)
ccclvi
“Se carinho é amarrar o citado anjo, com uma grossa corda de naylon, e amordaçá-la com um
pano, vamos rever toda a história da escravidão no Brasil e chegar à conclusão de que a Escrava
Anastácia não passa de um equívoco pois tudo que aconteceu na sua vida não passou de manifestações
desenfreadas de amor.” (Instituto de Pesquisa das Culturas Negras c. Network Ltée et Agence
Claroscuro, 1988)
ccclvii
“Ficou faltando explicar se os modelos lourinhos que completam o anúncio foram escolhidos
pela agressividade ou pela falta de respeito humano que já expressa em tão tenra idade” (Instituto de
Pesquisa das Culturas Negras c. Network Ltée et Agence Claroscuro, 1988)
ccclviii
“ Porque, afinal de contas, querer justificar o fato d apobre infeliz ser negra, por suas
qualidades espirituais e passar a todos os leitores das revistas que publicaram este anúncio um atestado
de supina estupidez ?” (Instituto de Pesquisa das Culturas Negras c. Network Ltée et Agence
Claroscuro, 1988)
ccclix
“O primeiro por o anúncio não respeitar a dignidade humana. O segundo por não respeitar as
diferenciações sociais decorrentes do maior e menor poder aquisitivo. O terceiro por, levianamente
amesquinhar toda a atividade publicitária.” (Instituto de Pesquisa das Culturas Negras c. Network
Ltée et Agence Claroscuro, 1988)
ccclx
“a censura a espetáculos e diversões públicas está extinta a partir de hoje.” (“Censura”, 1998;
voir aussi dans Jornal da Instituto de Pesquisa das Culturas Negras c. Network Ltée et Agence
Claroscuro, 1988)
ccclxi
“ ‘É um momento histórico’, comemorava ontem Ricardo Cravo Albim, representante da
ABERT no Conselho do Ministério da Justiça.” (“Censura”, 1998; voir aussi dans Instituto de
Pesquisa das Culturas Negras c. Network Ltée et Agence Claroscuro, 1988)
ccclxii
“No Rio de Janeiro, O Instituto de Pesquisas da Cultura Negra apresenta hoje uma ação
pública de responsabilidade civil com base no artigo 15 da nova Carta contra a Confecções Smuggler,
por ter veículado um anúncio em que aparece uma negra amoraçada e rodeada de sorridentes crianças
louras co o texto a seguir: ‘Conformem-se — 12 de outubro é o dia deles’. ” (“Censura”, 1998; voir
aussi dans Instituto de Pesquisa das Culturas Negras c. Network Ltée et Agence Claroscuro, 1988)
ccclxiii
“Trabalhando com a emoção e não com a razão, a publicidade busca atingir o público com
um padrão anglo-saxônico em uma nação [em] que a maioria da população é mestiça. Isto occore
porque as referèncias buscadas sao todas européias ou americanas.” (Garcia Filho, 1988; voir aussi
dans Instituto de Pesquisa das Culturas Negras c. Network Ltée et Agence Claroscuro, 1988)
ccclxiv
“Uma leitura simples sobre os anúncios veículados na mídia impressa e eletrônica, podemos
constatar a inflência da ideologia do branqueamento que está internalizada na nossa sociedade.”
(Garcia Filho, 1988; voir aussi dans Instituto de Pesquisa das Culturas Negras c. Network Ltée et
Agence Claroscuro, 1988)
ccclxv
“O anúncio da Smuggler estigmatiza o estigmatizado, ou seja, discrimina dentro da
discriminação. A ‘sugestiva’ propaganda (...) sugere a nós negros que devemos nos acomodar ou nos
conformar com a humiliação, a tortura e a discriminação.” (Garcia Filho, 1988; voir aussi dans
Instituto de Pesquisa das Culturas Negras c. Network Ltée et Agence Claroscuro, 1988)
ccclxvi
“de extinção, de morte, da ethnia negra” (Garcia Filho, 1988; voir aussi dans Instituto de
Pesquisa das Culturas Negras c. Network Ltée et Agence Claroscuro, 1988)
440
ccclxvii
“onde se a questão do negro é colocada ” (Garcia Filho, 1988; voir aussi dans Instituto de
Pesquisa das Culturas Negras c. Network Ltée et Agence Claroscuro, 1988)
ccclxviii
“Este anúncio revelou uma solidariedade muito grande de vários diretores de criação e
diretores de arte de diversas agências de propaganda. O próprio CONAR nous enviou uma carta onde
está avaliando este anúncio” (Garcia Filho, 1988; voir aussi dans Instituto de Pesquisa das Culturas
Negras c. Network Ltée et Agence Claroscuro, 1988)
ccclxix
“Não se trata de querer aparecer, mas de combater o tratamento diferenciado imposto aos
negros ao longo do tempo na nossa sociedade, que mantém um processo de exclusão do negro como
forma de dominação.” (Garcia Filho, 1988; voir aussi dans Instituto de Pesquisa das Culturas Negras
c. Network Ltée et Agence Claroscuro, 1988)
ccclxx
“discursively by means of proper arguments for and against” (Habermas, 2006, p. 416)
ccclxxi
“misturar todas as raças nas veiculações.” (Sousa c. Groupe Benetton et Agence J. W.
Thompson, 1990)
ccclxxii
“uma contribuição intencional ou não, para a minimização do racismo, do apartheid, etc.”
(Sousa c. Groupe Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990)
ccclxxiii
“quanto à propaganda em referência — mostra uma negra amamentando uma criança
branca —, a meu ver o efeito é inverso.” (Sousa c. Groupe Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990)
ccclxxiv
“Você sabe melhor do que eu que os meios de comunicação/publicidade são formadores de
opinião. No caso existe um reforço de opinião, qual seja a de que o negro é servil, submisso, etc. A
veiculação em referênicia está precedendo o artigo ‘As cores do Brasil’ que aborda a questão racial no
Brasil, onde o negro é o mais prejudicado. Penso que estejam próximos, dada a associação United
Colors... com as cores... Contrariamente,a cabou ficando pior do que se tivesse aparecido
isoladamente.” (en caractère gras dans l’original) (Sousa c. Groupe Benetton et Agence J. W.
Thompson, 1990)
ccclxxv
“Pour quais razões a Benetton nous faria engulir (sic) goela abaixo a mesma
propaganda, se considerarmos que aqui a escravidão negra foi realmente marcante, e que
consequentemente os motivos para protesto seriam muito maiores ? Não represento nem faço parte
de nenhum movimento negro. Daí temer estar sendo apenas um pingo d’água no oceano, ou de estar
apenas pregando no deserto. Mas eu não poderia ficar calado (se não fizesse a menor diferença,
porque não colocaram uma branca amamentando uma criança negra ?).” (surligné dans
l’original) (Sousa c. Groupe Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990)
ccclxxvi
“Pesquisa do IBGE mostra que os amarelos são os brasileiros que estão melhor de vida e
que em breve os brancos serão minoria no país.” (“As cores do Brasil”, 1990; voir aussi dans Sousa c.
Groupe Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990)
ccclxxvii
“Os brasileiros de origem oriental, na qual estão incluídos os decendentes de imigrantes
japoneses, coreanos, chineses, são os que se deram melhor, hoje ocupam o topo da pirâmide en termos
de renda, educação e bem-estar. Em média, eles uma renda mensal 80 % mais alta que as dos brancos.
Suas crianças vão à escola mais cedo, tem diplomas de níveis mais altos e acabam levando uma vida
mais agradável.” (“As cores do Brasil”, 1990; voir aussi dans Sousa c. Groupe Benetton et Agence J.
W. Thompson, 1990)
ccclxxviii
“virada de dimensões históricas” (“As cores do Brasil”, 1990; voir aussi dans Sousa c.
Groupe Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990)
ccclxxix
“Os pretos, como já se suspeita há anos, parecem condenados à extinção.” (“As cores do
Brasil”, 1990; voir aussi dans Sousa c. Groupe Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990)
441
ccclxxx
“Todos os dados disponíveis indicam que os pardos serão a maioria da população dentro de
pouco tempo.” (“As cores do Brasil”, 1990; voir aussi dans Sousa c. Groupe Benetton et Agence J. W.
Thompson, 1990)
ccclxxxi
“Shigueyuki Fukugakiuchi, 58 anos, é um empresário com um patrimônio que a visão
convencional associa às pessoas de cor branca — e um padrão de consumo que, estatisticamente, fica
nas vizinhanças das famílias negras mais empobrecidas.” (“As cores do Brasil”, 1990; voir aussi dans
Sousa c. Groupe Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990)
ccclxxxii
“para confirmar aquilo que se vê — e para desmentir boa parte daquilo que se diz” (“As
cores do Brasil”, 1990; voir aussi dans Sousa c. Groupe Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990)
ccclxxxiii
“A peculiaridade brasileira é a convivência, simultânea, de leis que fazem do racismo um
crime gravíssimo — imprescritível e inafiançavel, como o terrorismo — e um arquivo inédito de
barbaridades nessa área.” (“As cores do Brasil”, 1990; voir aussi dans Sousa c. Groupe Benetton et
Agence J. W. Thompson, 1990)
ccclxxxiv
“Eficiente, o regime da democracia racial brasileira produz uma tragédia visível nas
estatísticas — mas seus grandes movimentos são invisíveis.” (“As cores do Brasil”, 1990; voir aussi
dans Sousa c. Groupe Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990)
ccclxxxv
“Com a mudança das cores do Brasil, a questão é de saber onde irá parar a democracia
racial.” (“As cores do Brasil”, 1990; voir aussi dans Sousa c. Groupe Benetton et Agence J. W.
Thompson, 1990)
ccclxxxvi
“cedo ou tarde, terá de acabar.” (“As cores do Brasil”, 1990; voir aussi dans Sousa c.
Groupe Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990)
ccclxxxvii
“Segundo queixa em anexo, o anúncio se mostra discriminatório e ofensivo à raça negra.”
(Sousa c. Groupe Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990)
ccclxxxviii
“Isso porque a veiculação do anúncio atacado — uma mulher de raça negra amamentando
uma criança branca —, produzido na Itália e inicialmente para ser divulagado na Europa, foi concluída
no Brasil, sendo certo que esse anúncio não voltará mais a ser utilizado neste país, em virtude de
estratégia publicitária.” (Sousa c. Groupe Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990)
ccclxxxix
“a combinação universal das cores.” (Sousa c. Groupe Benetton et Agence J. W.
Thompson, 1990)
cccxc
“respeito à pessoa humana, de sua igualdade e de sua liberdade.” (Sousa c. Groupe Benetton
et Agence J. W. Thompson, 1990)
cccxci
“... os valores da alegria, da liberdade, da igualdade, da fraternidade, da solidariedade e da
não discriminação racial, política, religiosa ou etária.” (Sousa c. Groupe Benetton et Agence J. W.
Thompson, 1990)
cccxcii
“produzidos e veículados em vários países do mundo.” (Sousa c. Groupe Benetton et Agence
J. W. Thompson, 1990)
cccxciii
“de todas as cores e, indiscriminadamente, de todas as raças.” (Sousa c. Groupe Benetton et
Agence J. W. Thompson, 1990)
cccxciv
“Note-se, em outros anúncios, a utilização de pessoas de outras raças, nacionalidades e
cores, que não a negra.” (Sousa c. Groupe Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990)
cccxcv
“atitude preconceituosa” (Sousa c. Groupe Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990)
442
cccxcvi
“Ora, se cada groupo humano tem capacidade específica para produzir cultura, para atribuir
significados, é evidente que diferentes groups humanos atribuem significados diversos para fenômenos
semelhantes.” (Sousa c. Groupe Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990)
cccxcvii
“Lamentavelmente, porém, há sempre a perspectiva etnocêntrica, isto é, a tendência de
julgar as outras culturas à partir dos próprios valores. E esta perspectiva invariavelmente conduz aos
preconceitos, que não nascem com o homem.” (Sousa c. Groupe Benetton et Agence J. W. Thompson,
1990)
cccxcviii
“por uma cultura que, preconceituosamente, estabeleceu, como seus valores, o servilismo e
a submissão do negro.” (Sousa c. Groupe Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990)
cccxcix
“outras formas de compreensão mais humanas ou pelo menos mais civilizadas.” (Sousa c.
Groupe Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990)
cd
“nas análises dos brasileiros sem dúvida haverá essa conotação escravagista.” (Camargo, 1990;
Sousa c. Groupe Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990)
cdi
“Não me ofende. Desperta a sensibilidade, não a raiva. Acho que a Benetton leva em conta o
negro como consumidor.” (Dias, 1990; voir aussi dans Sousa c. Groupe Benetton et Agence J. W.
Thompson, 1990)
cdii
“a campanha é merveilleuse e não é racista.” (Dias, 1990; voir aussi dans Sousa c. Groupe
Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990)
cdiii
“o anúncio é bonito e não vejo nenhum preconceito.” (Dias, 1990; voir aussi dans Sousa c.
Groupe Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990)
cdiv
“Linda. Duvido que aconteça uma reação racista porque o racismo aqui é mais cínico e
velado.” (Dias, 1990; voir aussi dans Sousa c. Groupe Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990)
cdv
“Por tudo quanto até aqui se demonstrou, se provou documentalmente e será corroborado com
outras provas, é forçoso concluir pela inocorrência de infração ao CBARP.” (Sousa c. Groupe
Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990)
cdvi
“citações fartamente consubstanciadas em leis nos próprios arts. do CONAR.” (Sousa c.
Groupe Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990)
cdvii
“improcede a reclamação do consumidor.” (Sousa c. Groupe Benetton et Agence J. W.
Thompson, 1990)
cdviii
“o reclamante ao entrar no mérito da propaganda em questão, comete, no mínimo, uma
injustiça para com a Benetton cujos valores e princípios éticos foram minuciosamente explicados.”
(Sousa c. Groupe Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990)
cdix
“igualmente, nossa consternação e indignação diante de reclamações como a que nos dirigiu o
consumidor Antonio Benedito de Sousa.” (Sousa c. Groupe Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990)
cdx
“apesar do anúncio não estar mais sendo veículado, não há que se falar em perda de objeto.”
(Sousa c. Groupe Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990)
cdxi
“O MNU de São Paulo finaliza hoje un documento de repúdio contra a campanha e estuda
como vai encaminhá-lo, informa a pedagoga Sueli Chan Ferreira, 35” (Dias, 1990; voir aussi dans
Sousa c. Groupe Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990)
cdxii
“Racista. Linda. Absurda.” (Dias, 1990; voir aussi dans Sousa c. Groupe Benetton et Agence
J. W. Thompson, 1990)
443
cdxiii
“É um absurdo. A imagem que passa é escravagista, da velha mulher negra ama-de-leite.”
(Dias, 1990; voir aussi dans Sousa c. Groupe Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990)
cdxiv
“Mesmo causando reações, é pouco provável que no Brasil saia desse patamar para outros
mais violentos, como aconteceu na França, onde grupos racistas brancos chegaram a fazer atentados a
bombas nas lojas da Benetton.” (Dias, 1990; voir aussi dans Sousa c. Groupe Benetton et Agence J. W.
Thompson, 1990)
cdxv
“os motivos para isso têm origens diferentes” (Dias, 1990; voir aussi dans Sousa c. Groupe
Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990)
cdxvi
“ ‘mistura’ racial típica do Brasil” (Dias, 1990; voir aussi dans Sousa c. Groupe Benetton et
Agence J. W. Thompson, 1990)
cdxvii
“mais velado e cínico” (Dias, 1990; voir aussi dans Sousa c. Groupe Benetton et Agence J.
W. Thompson, 1990)
cdxviii
“The vulnerability of the framing process makes it a locus of potential struggle, not a leaden
reality to which we all must inevitably yield.” (Gamson et Meyer, 1996, p. 276)
cdxix
“From the standpoint of the actors, open windows just appear — sometimes through
unexpected events, and sometimes through scheduled and expected ones such as budget hearings.”
(Gamson et Meyer, 1996, p. 282)
cdxx
“não havia risco pelo ato de a psicologia da sociedade brasileira ser differente da européia.”
(Dias, 1990; voir aussi dans Sousa c. Groupe Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990)
cdxxi
“o MNU veio contrariar a tese do publicitário.” (Dias, 1990; voir aussi dans Sousa c. Groupe
Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990)
cdxxii
“A Benetton, na verdade, sabia que corria este risco.” (Dias, 1990; voir aussi dans Sousa c.
Groupe Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990)
cdxxiii
“é a campanha mais ousada de todas.” (Dias, 1990; voir aussi dans