Table de matières - Indymedia
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UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À MONTRÉAL LE DÉBAT PUBLIC AUTOUR DE LA REPRÉSENTATION RACIALE ET ETHNIQUE DANS LA PUBLICITÉ BRÉSILIENNE : DISCOURS, STRATÉGIES ET RECONSTRUCTIONS IDENTITAIRES THÈSE PRÉSENTÉE COMME EXIGENCE PARTIELLE DU DOCTORAT EN COMMUNICATION PAR JULIANA SANTOS BOTELHO SEPTEMBRE 2008 TABLE DES MATIÈRES LISTE DES FIGURES …………………………………………………………. vii LISTE DES TABLEAUX …………………………………………………….... viii LISTE DES ABRÉVIATIONS, SIGLES ET ACRONYMES ………..……….. xix RÉSUMÉ ……………………………………………………………………….. xii SUMMARY …………………………………………………………………….. xiii RESUMO ……………………………………………………………………….. xiv INTRODUCTION ……………………………………………………………… 1 CHAPITRE I RACISMES, RACE ET ETHNICITÉ : UN DÉBAT CONTROVERSÉ ………. 13 1.1 L’étude des races à l’ère coloniale …………………………………………. 15 1.2 Race et génétique …………………………………………………………… 17 1.3 Race en tant que construction sociale …………………………………… 20 1.4 Le concept d’ethnie …………………………………………………………. 22 1.5 Ethnicité et race …………………………………………………………….. 25 1.6 Race et ethnicité dans le Brésil contemporain ……………………………... 28 iii CHAPITRE II RACE ET NATION AU BRÉSIL ……………………………………………… 43 2.1 Au royaume luso-américain : quelques particularités de l’essor de la nation brésilienne …………………………………………………………….…….. 43 2.2 La race au centre de discours identitaires de la nation émergente ………….. 49 2.3. Racisme scientifique et métissage au Brésil : le blanchissement comme solution ……………………………………………………………….…….. 53 2.4 La naissance du mythe de la démocratie raciale : entre l’immigration et le projet eugéniste ……………………………………………………….……. 58 2.5 La redécouverte de la « race » : État et droits humains au Brésil …………... 67 CHAPITRE III L’INDUSTRIE DE LA PUBLICITÉ : L’ESSOR D’UN MARCHÉ TRANSNATIONAL …………………………………………………………… 76 3.1 Publicité, visibilité et espace public : une brève rétrospective de l’approche habermassienne ……………………………………………………………... 76 3.2. Publicité et marché capitaliste : un débat plus ample ……………………… 84 3.3 Le système brésilien des médias et son insertion dans le marché global …... 89 3.4 Le marché publicitaire brésilien face à la concentration de la propriété des médias ………………………………………………………………………. 96 3.5 La centralité de la télévision dans le marché publicitaire ………………….. 99 CHAPITRE IV UNE BRÈVE HISTOIRE DE LA PUBLICITÉ AU BRÉSIL …………………. 105 4.1 Les origines des annonces publicitaires au Brésil : les annonces d’esclaves. 106 4.2 L’essor de la presse et d’une nouvelle sociabilité… européenne ou américaine ? …………………………………………….…………………. 108 4.3 Le développement de la publicité et le projet eugéniste ……………………. 110 4.4 L’essor de la photographie publicitaire : les agences des modèles et les modèles de beauté …………………………………………………………... 115 4.5 La publicité orale et la radio ………………………………………………... 118 4.6 La publicité à l’heure de la télévision ………………………………………. 122 4.7 L’autre côté de l’absence : la publicité face au marché afro-brésilien ……... 124 iv CHAPITRE V LE CONSEIL D’AUTORÉGLEMENTATION PUBLICITAIRE (CONAR) ET LA RÉGULATION DE LA PUBLICITÉ BRÉSILIENNE ………………... 132 5.1. Les origines de la réglementation publicitaire ……………………………... 132 5.2 L’autoréglementation publicitaire et l’influence du cadre normatif international ………………………………………………………………… 5.3 Le Code brésilien d’autoréglementation publicitaire (CBARP) comme instrument d’autodiscipline du secteur publicitaire ………………………... 5.4 La création du CONAR et l’institutionnalisation de l’autoréglementation publicitaire ………………………………………………………………….. 5.5 La légitimité du CONAR à l’ère des droits des consommateurs …………… 134 136 142 151 5.5.1 Les 25 ans du CONAR : moment de bilan et de questionnements …… 152 5.5.2 L’autoréglementation après l’avènement des droits de consommateurs 156 5.5.3 Le CONAR versus le secteur publicitaire : la société civile comme otage …………………………………………………….…………….. 161 CHAPITRE VI STRATÉGIES DE RECHERCHES ET MÉTHODOLOGIE ………………….. 167 6.1. Définition du corpus et des catégories d’analyse ………………………….. 168 6.2 Stratégies de recherche ……………………………………………………... 172 6.2.1 Les sources secondaires ………………………………………………. 172 6.2.2 Sources primaires ……………………………………………………... 178 6.3 Le fonctionnement du CONAR …………………………………………….. 179 6.3.1. Structure générale ……………………………………………………. 180 6.3.2. Objectifs ……………………………………………………………… 180 6.3.3. Le Conseil d’éthique …………………………………………………. 181 6.3.4 Les membres du Conseil d’éthique …………………………………… 182 6.3.5. Types de procès éthiques …………………………………………….. 184 6.3.6. Le traitement des procès éthiques ……………………………………. 185 6.3.7 Les sources d’autofinancement ……………………………………….. 188 6.4 Les principaux articles du CBARP servant de principe aux jugements de discrimination ………………………………………………………………. 189 v 6.5. Méthodes d’analyse ………………………………………………………... 191 6.5.1 Analyse quantitative des procès de discrimination …………………… 192 6.5.2. Analyse qualitative …………………………………………………... 194 CHAPITRE VII LES DÉBATS AUTOUR DES PUBLICITÉS ACCUSÉES DE DISCRIMINATION RACIALE ………………………………………………... 207 7.1 Description quantitative du corpus de procès éthiques pour discrimination raciale ……………………………………………………………………….. 216 7.1.1 Aperçu général des procès pour discrimination raciale ……………… 216 7.1.2 Distribution des procès pour discrimination raciale selon le groupe cible …………………………………………………………………… 218 7.1.3 La distribution des procès en fonction du temps ……………………... 220 7.1.4 Les perspectives de genre et de tranche d’âge ………………………... 226 7.1.5 Les procès faisant l’objet d’une visibilité médiatique ………………... 227 7.2 Description qualitative des cinq exemples de procès éthiques pour discrimination raciale ayant fait l’objet d’une couverture médiatique ……... 229 7.2 1. Première phase des procès pour discrimination raciale (1979-1989) ... 229 7.2.1.1. Procès n° 025-82 : le « Boni du bonheur » ………………… 229 7.2.1.2. Procès n° 118-88 : vêtements infantiles Smuggler ..………... 243 7.2 2. Deuxième phase des procès pour discrimination raciale (1990-1999) . 258 7.2.2.1. Procès n° 076-90 : la mère nourricière de Benetton ……………….. 258 7.2.2.2. Procès n° 229-91 : l’ange et le diable de Benetton ……………….... 282 7.2 3. Troisième phase des procès pour discrimination raciale (2000-2005) ……… 311 7.2.3.1. Procès n° 068-05 — la laine d’acier d’Assolan ……………………. 311 CHAPITRE VIII BREF RETOUR RÉFLEXIF SUR LES PROCÈS DE DISCRIMINATION RACIALE DU CONAR ………………………………………………………... 332 8.1 Les rôles des tribunaux dans une démocratie délibérative …...…………….. 332 8.2 Les procédures internes du CONAR ……………………………………….. 334 8.3 Le CONAR vu par les publics critiques engagés dans la lutte contre la discrimination raciale …..…………………………………………………… 342 vi 8.4 Quelques initiatives contemporaines en vue de combattre la discrimination raciale dans les médias ……………………………………………………… 352 8.4.1 La formation d’un cadre d’experts dans le domaine des droits humains ……………………………………………………………….. 352 8.4.2 Changement des rapports entre les médias et la population noire ……. 354 8.4.3 Changement de l’imaginaire social …………………………………... 360 CONCLUSION ………………………………………………………………… 363 APPENDICE A — TABLEAUX DESCRIPTIFS DES PROCÈS POUR DISCRIMINATION RACIALE DÉPOSÉS AU CONAR ENTRE 1979 ET 2005 …………………………………………………………………………….. 385 APPENDICE B — PHOTOGRAMMES ET COPIES NUMÉRISÉES DES PUBLICITÉS DONT LES PROCÈS ONT FAIT L’OBJET D’UNE COUVERTURE MÉDIATIQUE ………………………………………………. 391 BIBLIOGRAPHIE ……………………………………………………………… 396 CITATIONS EN LANGUES ÉTRANGÈRES *……………………………… 416 * NOTE : Compte tenu du grand nombre d’œuvres et de documents consultés en langues portugaise et anglaise, toutes les citations en langues étrangères ont été regroupées à la fin du document, dans le but d’alléger la lecture du texte. Ces citations sont numérotées en chiffres romains, alors que les notes d’éclaircissement sont numérotées en chiffres arabiques. Toutes les citations résultent d’une traduction libre des textes originaux. L’utilisation de caractères gras et italiques correspond à la mise en forme de la version originale. LISTE DES FIGURES Figure 7.1 Page Cadre comparatif de l’évolution du nombre de procès pour discrimination et pour procès de discrimination raciale déposés au CONAR entre 1979 et 2005 217 B.1 Photogramme de la publicité « Bonus du bonheur » (procès n° 025-82) …………………………………………………….. 391 B.2 Version numérisée de la publicité « Smuggler » (procès n° 118-88) …………………………………………………….. 392 B.3 Version numérisée de la publicité « Mère nourricière » (procès n° 076-90) …………………………………………………….. 393 B.4 Version numérisée de la publicité « L’ange et le diable » (procès n° 229-91) …………………………………………………….. 394 B.5 Photogramme de la publicité « Bébés Assolan » (procès n° 068-05) …………………………………………………….. 395 LISTE DES TABLEAUX Tableau Page 6.3 Distribution et identification de procès éthiques pour discrimination raciale ayant fait l’objet d’une couverture médiatique dans trois phases distinctes ……………..………... 206 7.1 Distribution des procès éthiques selon le public cible et la catégorie raciale ……………………………………………….. 219 7.2 Distribution des procès éthiques pour discrimination raciale dans trois phases distinctes selon la présence d’une couverture médiatique et la catégorie raciale ……………...……………… 222 A.1 Liste d’interviewés selon leur profession et entité d’attache ….. 385 A.2 Distribution des procès éthiques selon la catégorie « discrimination » (1979-2005) ……………………………….. 386 A.3 Distribution des procès éthiques selon la catégorie « discrimination raciale » (1979-2005) ……………………….. 387 A.4 Distribution des procès éthiques pour discrimination raciale selon le public cible et le type de décision arrêtée ………..…... 388 A.5 Distribution des procès éthiques pour discrimination raciale selon le genre et la tranche d’âge ………………………..……. 389 A.6 Caractérisation des procès éthiques pour discrimination raciale selon la présence d’une couverture médiatique et les composantes du procès éthique ………………………...……... 390 LISTE DES ABRÉVIATIONS, SIGLES ET ACRONYMES AAAA American Association of Advertising Agencies “ Association américaine des agences de publicité ” ADC Assessoria de Defesa da Cidadania “ Assessorat de défense de la citoyenneté ” ABA Associação Brasileira de Anunciantes “ Association brésilienne d’annonceurs ” ABAP Associação Brasileira de Agências de Propaganda “ Association brésilienne des agences de publicité ” ABERT Associação Brasileira de Emissoras de Rádio e Televisão “ Association brésilienne d’émetteurs de radio et télévision ” ANER Associação Nacional de Editores de Revistas “ Association nationale d’éditeurs de magasins ” ANJ Associação Nacional de Jornais “ Association nationale de journaux ” ANVISA Agência nacional de vigilância sanitária “ Agence nationale d’inspection sanitaire ” ASPP Agence África São Paulo Publicidade Ltée. CO Central de Outdoor “ Centrale de panneaux publicitaires ” CBARP Código Brasileiro de Auto-regulamentação Publicitária “ Code brésilien d’autoréglementation publicitaire ” CBDC Código Brasileiro de Defesa do Consumidor “ Code brésilien de défense des consommateurs ” x CTB Código Brasileiro de Telecomunicação “ Code brésilien de télécommunication ” CCI Chambre de commerce international CEDENPA Centro de Defesa dos Negros do Pará “ Centre de défense des Noirs du Pará ” COMDEDINE Conselho Municipal de Defesa dos Direitos do Negro “ Conseil municipal de défense des droits des Noirs ” COJIRA Comissão de Jornalistas pela Igualdade Racial “ Commission de journalistes pour l’égalité raciale ” CONAR Conselho de Auto-regulamentação Publicitária “ Conseil d’autoréglementation publicitaire ” CEDPCN Conselho Estadual para o Desenvolvimento e Participação da Comunidade Negra “ Conseil de l’État pour le développement et participation de la communauté noire ” CTB Codigo Brasileiro de Telecomunicação “ Code brésilien de télécommunications ” EASA European Advertising Standards Alliance “ l’Alliance Européenne pour l’Éthique en Publicité ” GB Groupe Benetton IAA International Advertising Association “ Association internationale de publicité ” IHGB Instituto Histórico e Geográfico Brasileiro “ Institut historique et géographique brésilien ” IPCN Instituto de pesquisa das culturas negras “ Institut de recherche des cultures noires ” MNU Movimento Negro Unificado (Contra a Discriminação Racial) “ Mouvement noir unifié (contre la discrimination raciale) ” OEA Organisation des États américains xi ONU Organisation des Nations Unies PNAD Pesquisa Nacional de Amostragem de Domicílios “ Enquête nationale auprès d’un échantillon représentatif des foyers ” PNUD Programme des Nations Unies pour le Développement SEPPIR Secretaria Especial de Políticas de Promoção da Igualdade Racial “ Secrétariat extraordinaire de politiques de promotion de l’égalité raciale ” UNESCO Organisation des Nations Unies pour l’Éducation, la Science et la Culture USP Universidade de São Paulo “Université de São Paulo” Y&R Agence de publicité Young & Rubicam RÉSUMÉ Dans ce travail, j’explore le débat public généré par des publicités brésiliennes qui ont fait l’objet des plaintes pour discrimination raciale. À travers l’analyse d’un corpus composé par 31 plaintes déposées entre 1979 et 2005 auprès du Conseil national d’autoréglementation publicitaire (CONAR) au Brésil, l’enquête empirique dévoile deux tendances majeures : 1) en ce qui concerne la publicité brésilienne, la dénonciation de contenus publicitaires racialement discriminatoires a augmenté de 64 % au cours des cinq dernières années de la période examinée, indiquant l’émergence d’une nouvelle forme de conscience raciale; 2) Allant dans le sens carrément opposé, on y voit également une contre-réaction conservatrice de la part des secteurs corporatifs publicitaires : seulement quelque 30 % des publicités faisant l’objet des plaintes examinées par les comités d’éthique du CONAR ont été reconnues coupables pour discrimination raciale. Cependant, la reconnaissance de l’existence même d’un traitement discriminatoire accordé à certaines couches de la population brésilienne dépend d’une série de facteurs, dont les cadres interprétatifs agissant sur la perception et la formulation du problème de la discrimination raciale. Compte tenu de ce fait, cette recherche vise à faire la lumière sur l’évolution du débat racial au Brésil au long de ces 26 ans, en mettant en évidence l’émergence d’une conscience raciale à travers la réception critique de messages publicitaires. La formation d’une conscience raciale negra ayant de multiples conséquences pour l’autodéfinition raciale est analysée au croisement de trois processus historiques différents : la formation d’un système médiatique hautement centralisé, l’histoire des représentations raciales dans la publicité brésilienne et la création du CONAR avec l’essor du système d’autoréglementation publicitaire au Brésil. L’imbrication de ces trois processus reflète, en dernière instance, le processus même de rédémocratisation au Brésil en cours à partir de la fin des années 1970. Mots clés : discrimination raciale; race; débat public; espace public; publicité; autoréglementation publicitaire. SUMMARY In this thesis I examine the public debate generated by Brazilian advertisements that were the subject of racial discrimination complaints. Based on analysis of a corpus of 31 complaints submitted to the National Council for Advertising Self-Regulation (CONAR) in Brazil between 1979 and 2005, an empirical study reveals two major trends: 1) With regard to Brazilian advertising, denouncements of racially discriminatory advertising content increased by 64% over the final five years under study, indicating the emergence of a new form of racial consciousness; 2) Trending in virtually the opposite direction, a conservative backlash on the part of the corporate advertising sector can also be observed: only some 30% of the advertisements that were the subject of complaints examined by CONAR’s ethics committees were recognized as being guilty of racial discrimination. However, recognition of the very existence of the discriminatory treatment of certain strata of the Brazilian population depends on a series of factors, including the adoption of interpretative frameworks influencing the perception and formulation of the problem of racial discrimination. Given this fact, this study aims to shed light on the evolution of racial debate in Brazil during the 26 years in question, highlighting the emergence of a form of racial consciousness through critical responses to advertising messages. The formation of a negra racial consciousness, with its multiple consequences for racial self-definition, is analyzed in terms of the intersection of three separate historical processes: the formation of a highly centralized media system, the history of racial representation in Brazilian advertising, and the creation of CONAR, in the context of the emergence of the Brazilian advertising self-regulatory system. The interweaving of these three processes reflects, ultimately, the very process of Brazilian redemocratization that has been underway since the late 1970s. Keywords: racial discrimination; race; public debate; public sphere; publicity; advertising self-regulation. RESUMO Neste trabalho, examino o debate público gerado pelas peças publicitárias brasileiras que foram alvo de denúncias de discriminação racial. Por meio do exame de um corpus composto por 31 denúncias encaminhadas entre 1979 e 2005 ao Conselho Nacional de Autoregulamentação Publicitária (CONAR), no Brasil, a análise empírica desvenda duas tendências principais: 1) no tocante à publicidade brasileira, a denúncia de conteúdos discriminatórios do ponto de vista racial cresceu cerca de 64% nos últimos cinco anos do período em questão, indicando assim a emergência de uma nova forma de consciência racial; 2) no sentido diametralmente oposto, percebe-se igualmente uma forte reação conservadora da parte dos setores corporativos ligados à publicidade: somente 30% das peças cujas denúncias foram examinadas pelos comitês de ética do CONAR foram consideradas culpadas por discriminação racial. No entanto, o reconhecimento da própria existência de um tratamento discriminatório atribuído a certas camadas da população brasileira depende de uma série de fatores, dentre os quais destacam-se os quadros interpretativos que agem diretamente na percepção e formulação do problema da discriminação racial. Diante desse quadro mais amplo, esta pesquisa propõe-se a trazer à luz a evoluação do debate racial no Brasil durante esses 26 anos, colocando em evidência a emergência de uma consciência racial por meio da recepção crítica das mensagens publicitárias. A formação de uma consciência racial negra, a qual possui múltiplas conseqüências para a auto-definição racial, é analisada na interseção de três processos históricos diferentes: a formação de um sistema mediático altamente centralizado, a história das representações raciais na publicidade brasileira e a trajetória do CONAR à partir da implantação do sistema de autoregulamentação publicitária no Brasil. A imbricação desses três processos reflete, em última instância, o próprio processo de redemocratização que vem tomando força no Brasil desde o final da década de 1970. Palavras-chave : discriminação racial; raça; debate público; espaço público; publicidade; auto-regulamentação publicitária. INTRODUCTION Le présent travail porte sur les débats publics générés par les publicités accusées, auprès du Conseil d’autoréglementation publicitaire (CONAR), de discrimination raciale entre 1979 et 2005, au Brésil. Plus précisément, j’entends analyser les formes à travers lesquelles les médias ont pu agencer des débats autour du problème de la discrimination raciale dans la publicité, en rétroagissant réflexivement sur le jugement du procès en question. Ce travail s’aligne donc sur une tradition d’études qui s’interrogent sur le rôle de l’espace public dans la construction d’un système politique démocratique — système où la délibération constitue la voie par excellence permettant la détermination de la volonté politique et des choix politiquement et moralement légitimes. Je commencerai tout d’abord par expliciter les raisons pour lesquelles je me suis penchée spécifiquement sur les débats autour des publicités accusées de discrimination raciale. Une première raison pour cerner cette analyse réside dans l’originalité de l’approche utilisée par rapport à la littérature portant, d’une manière plus spécifique, sur la publicité brésilienne. Grosso modo, les études portant sur la publicité, au Brésil, mais aussi ailleurs, n’ont certainement pas échappé à l’influence d’une approche plus utilitariste de la publicité 1. Toutefois, j’aimerais laisser de côté les ouvrages objectivant une plus grande efficacité dans le message publicitaire pour me consacrer à ceux dont l’objectif principal est de penser la publicité telle qu’elle est, et non pas telle qu’elle devrait être. La brève compilation que je présenterai ici n’est pas à vrai dire exhaustive; elle constitue plutôt une liste de quelques Ainsi, nous verrons notamment que dès les origines de la publicité, au début du XXe siècle aux États-Unis, les recherches la concernant avaient une visée fondamentalement pragmatique, permettant le développement d’outils et de stratégies de persuasion à appliquer lors de la confection de l’annonce publicitaire (voir Wolf, chap.III, sect. 3.1, n.70). Ladite « recherche administrative » en communication s’inspirait majoritairement des cadres théoriques des disciplines allant de la psychologie expérimentale à la sociologie fonctionnaliste. 1 2 exemples d’études servant de repère pour cerner la diversité d’approches possibles. Dans cette brève catégorisation, j’aimerais privilégier deux types d’ouvrages2 pouvant contribuer plus particulièrement à ce travail : 1) les études transdisciplinaires de la publicité ; 2) les études critiques des médias dans une perspective de race et/ou de genre. Dans la première catégorie d'ouvrages, on ne peut éviter de citer certaines études d'Everardo Rocha: Magia e Capitalismo (Rocha, 1985, 1995) et A sociedade do sonho (Rocha, 1995). Inspiré de l’approche anthropologique structuraliste, Rocha a sans doute été l’un des pionniers d'une ligne de réflexion transdisciplinaire de la publicité au début des années 1980. L’analyse sémiotique a, elle aussi, porté ses fruits : je me réfère particulièrement au volet portant sur la publicité dans Lições de Almanaque (Casa Nova, 1996), où Vera Casanova analyse la littérature d’almanachs pharmaceutiques au Brésil. Un troisième exemple, comportant une analyse diachronique de la publicité imprimée au Brésil, est celui de João Anzanello Carrascoza dans A evolução do texto publicitário (1999). Toutefois, précisons que son analyse sémantique des annonces publicitaires s’intéresse notamment à l’adéquation de ces dernières aux normes de la rhétorique aristotélicienne — ayant donc un caractère plus pragmatique que les ouvrages antérieurs. On note également des études comparées entre la publicité brésilienne et celle provenant d’ailleurs, comme la thèse de doctorat de Maria Cristina de Avelar Esteves — intitulée Étude comparée du discours publicitaire en France et 2 Il y a cependant une troisième catégorie, peut-être la moins prolifique, qui traduit une préoccupation plus récente d’archivage et de registre de la mémoire de la publicité commerciale. À cet effet, l’História da Propaganda no Brasil (Branco, Martensen et Reis, 1990) contient un vaste registre historique de la publicité au Brésil. Celui-ci consiste en un recueil d’articles, écrits par divers professionnels de la publicité qui ont témoigné de la naissance de cette industrie au Brésil, faisant état des débuts de la publicité dans les dimensions les plus variées : écrite, radiophonique, télévisuelle, ainsi que l’usage des premières méthodes de repérage de l’audience, la planification, etc. Le souci de registre historique est également présent dans Marcas de valor no mercado brasileiro (Accioly et al., 2000), bien que ce dernier se distancie légèrement de l’objet « annonce publicitaire » pour se diriger vers une compilation des différentes formes de présentation des principales marques commerciales au Brésil. D’autres archives de presse peuvent aussi fournir un riche éventail de publicités, comme celui compilé par Joaquim Nabuco Linhares et postérieurement publié dans l’ouvrage O itinerario da imprensa de Belo Horizonte 1895-1954 (Linhares, 1995). Ces ouvrages ont une portée distincte de celle des deux catégories mentionnées ci-dessus, servant tantôt à mettre en contexte l’industrie de la publicité au Brésil à travers les récits de professionnels, tantôt à compiler et organiser des archives historiques sous la forme d’un récit compréhensible, qui pourrait éventuellement servir de référence aux travaux précédents. 3 au Brésil : les sous-vêtements féminins (1995) — qui porte un regard de genre sur la publicité. Dans le domaine de l’histoire, le travail de Lilia Schwarcz Moritz concernant les représentations de l’esclavage dans la presse quotidienne Retrato em branco e negro (1987), accorde une section entière à la publicité d’esclaves. Dans la deuxième catégorie, on retrouve de nombreux ouvrages publiés principalement à partir des années 2000 et qui proposent une lecture raciale des productions médiatiques au Brésil, faite par des individus afro-descendants. L’un des travaux pionniers est sûrement A Negação do Brasil de Joel Zito Araújo (2000), qui analyse les rôles joués par les acteurs noirs dans la dramaturgie télévisuelle brésilienne. En élargissant l’étendue de la critique du racisme dans divers domaines comme la presse, la télévision, le cinéma, le théâtre et la danse, Mídia e Racismo (Ramos, 2002) offre un recueil d’articles présentés dans le séminaire du même nom à Rio de Janeiro. Espelho Infiel (Carrança et Borges, 2004), organisé par les journalistes Flávio Carrança et Rosane da Silva Borges, présente plusieurs études remettant en question le cadrage ethnocentrique des médias de masse au Brésil. Fernando Conceição, finalement, propose une étude comparée sur les rapports établis entre médias et ethnicités au Brésil et aux États-Unis dans son Mídia e etnicidades no Brasil e nos Estados Unidos (2005a). Dans Como fazer amor com um negro sem se cansar (Conceição, 2005b), l’auteur poursuit sa réflexion à partir de quelques articles pionniers dans la façon d’aborder la représentation des afrodescendants dans la publicité et dans la presse brésilienne. Ce sont autant d’études faites à partir de perspectives aussi diversifiées que les cadres théoriques utilisés. Les intérêts à l’origine de ces différents registres sont également très variés, allant de la compilation d’informations historiques jusqu’à la remise en question de fondements socioculturels des représentations véhiculées dans les médias en général, et dans les médias en particulier. Toutefois, toutes ces études possèdent au moins un point en commun : elles mettent au premier plan l’analyse des médias, même si ce n'est pas de manière exclusive. Sans enlever le mérite de chacun de ce différents regards sur la publicité — particulièrement en ce qui concerne les travaux plus récents qui analysent la publicité en 4 tant qu’espace de construction de représentations inégales d'un point de vue racial —, il importe ici de démarquer la spécificité de la présente recherche face aux travaux précédents. Contrairement aux travaux portant spécifiquement sur la matière publicitaire, le présent travail porte sur les débats générés par la publicité, plus spécifiquement par les publicités accusées de discrimination raciale. Au lieu de privilégier dans ma propre analyse des discours véhiculés par la publicité, je m’intéresse plutôt aux analyses que différents acteurs ont historiquement mobilisées autour des publicités brésiliennes et qui ont suscité de vifs débats de société. Le fait d’aborder les débats autour de la publicité représente, sans doute, le caractère le plus innovateur de ce travail, dans la mesure où il privilégie le processus de construction collective, historiquement datée, du sens autour d’une publicité particulière. Il s’agit, en dernière instance, d’une analyse de la publicité brésilienne, mais vue à travers les regards de divers acteurs impliqués autant dans sa production et sa mise en circulation que dans sa décodification quotidienne. Les rapports entre les réflexions sur l’espace public et le phénomène du racisme sont plus profonds que ce que l’on pourrait croire en principe. La première preuve de ces liens de proximité réside dans un simple constat : les pensées de deux principaux théoriciens de cette tradition au XXe siècle — Hannah Arendt et Jürgen Habermas — émergent au lendemain de l’expérience de la Shoah, dans une Allemagne dévastée par la Seconde Guerre mondiale. Malgré leurs différences à bien des égards, tous les deux ressentent l’intérêt urgent de refonder la vie commune sur de nouvelles assises. Ces deux pensées, selon les termes de Delruelle (1993), semblent converger vers au moins un point commun : (…) toutes deux soumettent l’exercice du jugement à l’idée d’une participation commune au sens, au partage du sens dans un sens communis ; toutes deux maintiennent donc, contre la puissance destructurante du monde de pensée moderne, la possibilité ou l’horizon d’un monde. (p. 11) 5 Dans les deux cas, la figure du « juif » est constamment évoquée comme un moyen de mettre le problème de l’exclusion au sein des débats éthiques de l’État-nation — exclusion capable de mettre en péril la légitimité même des systèmes politiques modernes. L’option pour le cadre théorique habermassien découle principalement du caractère ambivalent que la publicité assume dans les premières formulations de Jürgen Habermas dans L’espace public (1978). Ces formulations constituent assurément un excellent point de départ pour penser le rôle politique de la publicité dans les sociétés démocratiques contemporaines. C'est notamment vrai en ce qui concerne la distinction entre le principe politique de la Publicité en tant que visibilité publique, d’une part, et la réclame publicitaire, d’autre part3, qui a rendu possible le passage d’une presse d’opinion à une presse commerciale. L’ambivalence du terme publicité, déjà présente dans le signifiant allemand du texte original « Publizität », fait en sorte que celle-ci oscille tantôt vers un public de personnes privées, tantôt vers un marché de consommateurs4. Dans cet ouvrage stimulant, le développement de la publicité est étroitement lié à la colonisation de la sphère publique par des intérêts privés et, en dernière instance, à la propre décadence de la sphère publique en tant qu’espace de poursuite de l’intérêt général. Tout d’abord, pour les fins de ce travail, je ne prétends pas effacer l’ambiguïté du terme publicité telle que formulée dans L’espace public, en préférant une forme à l’autre. Au contraire, cette ambivalence me semble très utile, voire essentielle, pour comprendre le caractère multidimensionnel de l’objet en question. En effet, il s’agit premièrement de saisir 3 Habermas explique la corrélation entre la presse commerciale et la publicité commerciale naissante dans les termes suivants : « Le commerce d’annonces permet alors d’établir le calcul de coûts sur une base nouvelle : en abaissant considérablement le prix de vente et en multipliant le nombre d’acheteurs, l’éditeur pouvait compter vendre une part croissante de la surface de son journal destinée aux annonces afin de maintenir l’assiette de ses bénéfices. » (Habermas, 1978, p.192.) 4 Pour les fins de cette introduction j’appellerai Publicité (en italiques et avec un « p » en majuscule) le principe de visibilité et de transparence structurant la sphère publique, et publicité (en minuscule) la publicité-industrie et la publicité-réclame. Suivant l’exemple de Habermas, l’usage voulut que l’on écrive le terme Publicité entre guillemets lorsque celui-ci fait référence à la forme dégénérée du principe de visibilité politique. Voir Habermas, 1978, chap. VI, N.d.T., p.196. 6 les dimensions de la publicité commerciale dans ses multiples dimensions, c’est-à-dire non seulement en tant que réclame et, par conséquent, vecteur de socialisation et de formation d’un public, mais aussi en tant qu’industrie fondée sur le commerce d’annonces et favorisée par les améliorations techniques des médias de communication de masse. Deuxièmement, je propose d'examiner la publicité-réclame dans son rapport avec l’autre forme de publicité, celle de la visibilité des processus de communication publique autour d’un sujet d’intérêt collectif. Je suis toutefois forcée de reconnaître que l’approche habermassienne classique sur la publicité réclame, sinon des révisions, tout au moins de constantes mises à jour. L’actualité de la discussion initiée par Habermas encore dans les années 1960 n’a pas tenu compte — et ne pourrait aucunement tenir compte — des facteurs qui, soit se sont présentés ou accentués postérieurement à l’œuvre L’espace public, soit relevaient des conjonctures nationales autres que celle dans laquelle l’auteur écrivait. Bien sûr, la difficulté de cerner les débats sur la publicité découle du fait que ceux-ci peuvent avoir lieu dans virtuellement tous les espaces disponibles dans une société déterminée, allant des espaces intimes de la vie en famille jusqu’aux débats publics dans l’assemblée des députés, en passant par les espaces intermédiaires des cafés, des réunions informelles entre amis, dans les transports publics, salons de coiffures, etc. Compte tenu de cette diversité d’alternatives, ce que j’entends examiner est le processus de communication publique existant entre deux espaces institutionnels distincts : d’une part, le micropublic du CONAR, formé par les membres du Conseil d’éthique chargés du jugement des procès éthiques ; d’autre part, le public abstrait formé par la presse brésilienne, lorsque celle-ci aborde les publicités accusées de promouvoir la discrimination raciale. Autrement dit, il s’agit là d’examiner les effets que les débats médiatisés ont générés sur le jugement porté sur la publicité au sein de l’institution responsable du jugement des infractions éthiques dans la publicité : le CONAR. Mais il y a aussi une raison d’ordre empirique à l’origine de mon intérêt dans l’examen de cas ayant fait l’objet d’une couverture médiatique. Alors que le taux d’inculpation concernant tous les cas de discrimination raciale tout au long de ces 26 ans demeure faible — seulement 7 29,04 % des cas ont obtenu au moins une forme de reconnaissance du dommage — ce même taux est plus élevé chez les cas ayant fait l’objet de l’attention médiatique. Ainsi, le taux de reconnaissance du dommage concernant les procès ayant été soumis à la visibilité médiatique (9 procès) et celui relatif aux procès dont les discussions sont restées restreintes à l’espace institutionnel du CONAR (22 procès) sont respectivement de 55,5 % et de 22,72 %. Ceci me pousse à croire que la visibilité médiatique joue quand même un rôle assez important dans la médiation du débat social autour des publicités accusées de discrimination raciale. Évidemment, le choix du scénario national en question — le Brésil — n’est pas sans raison. Alors que le caractère « multiracial » du peuple brésilien désigne l’un des noyaux discursifs centraux dans la définition identitaire de l’État nation, croire au mythe de la démocratie raciale au Brésil semble, en contrepartie, avoir plutôt servi d'obstacle à la reconnaissance du dommage de discrimination raciale. Plusieurs études, dont les travaux produits par l’école du révisionnisme statistique5, démontrent que malgré l’insertion du problème de la discrimination raciale dans l’ordre du jour des institutions publiques et les importants acquis légaux de la part des mouvements sociaux noirs, l’impunité de la discrimination raciale est, encore de nos jours, l’un des obstacles fondamentaux à la jouissance d’égales conditions et possibilités de vie. Une littérature émergeant à partir des années 1980 met à jour le constat que des intellectuels ou journalistes noirs, comme Guerreiro Ramos, Espiridião Calisto et Abdias do Nascimento, avaient fait à l’aube des années 1930 : l’existence de la discrimination raciale au Brésil. Étant donné le caractère structurel du racisme au Brésil, la mobilisation de l’opinion publique en faveur de la cause antiraciste ne peut pas non plus être tenue pour acquise. Au contraire, le débat racial au Brésil semble converger de plus en plus vers une polarisation opposant de part et d’autre les défenseurs et les détracteurs de l’idée selon laquelle le Brésil est le berceau de la démocratie raciale dans le monde. Plutôt que de nier la pertinence du terme race, ce travail reconnaît dans l’essor d’une ethnicité negra un facteur de mobilisation politique ayant un lien étroit avec le processus plus ample 5 Cette bibliographie sera convenablement examinée dans le chap. II , sect.2.5. 8 d’interactions, de négociations et de pressions des secteurs de la population noire. Cela a pour objectif d’attirer l’attention de la nation et de l’appareil de l’État sur le problème de la discrimination raciale. Une agence comme le CONAR n’est pas née du vide, mais d’un contexte institutionnel précis, marqué par la centralisation autoritaire du gouvernement militaire en place. Ce contexte entretient également des liens étroits avec un cadre de politiques de communication favorisant la concentration dans les mains de propriétaires privés. Ces éléments contextuels sont d’autant plus importants pour comprendre les débats plus amples concernant un sujet d’ordre moral comme la discrimination raciale. Il s’agit donc d’examiner le CONAR dans une croissante confrontation avec des agents sociaux jusque-là tenus à l’écart de procès délibératifs sur la publicité. Cette recherche constitue également une initiative inédite d’examination en profondeur de la visibilité médiatique comme une instance de médiation au sein d'une pluralité d’acteurs sociaux — annonceurs, agences, associations, citoyens, professionnels, experts, etc. — pouvant rétroagir sur les décisions émises par son comité d’éthique dans les jugements de cas de discrimination raciale dans la publicité. De ce fait, la recherche utilisant des archives regroupées au sein du CONAR constitue ainsi la colonne vertébrale du « travail de terrain ». Les procès repérés lors de la consultation auprès de cet organisme concentrent toutes les informations concernant non seulement la publicité dénoncée, mais aussi les termes de l’accusation, de la défense, du jugement final et, le cas échéant, des positions prises dans les médias au moment de la tenue de chaque procès éthique. L’analyse des données conjugue des méthodes à la fois quantitatives et qualitatives. Par méthodes quantitatives, je veux dire l’analyse de contenu objectivant l’identification des variables d’analyse qui permettront, à leur tour, la mise en contexte du corpus de procès 9 éthiques sélectionné6. Les méthodes qualitatives de l’analyse de cadrage (frame analysis) servent d’outils pour l’analyse d’un nombre plus restreint de cas ayant été exposés à la visibilité des médias. Bien sûr, ce travail connaît certaines limites. Tout d’abord, je suis consciente de l’ampleur de la tâche qui consiste à résumer un construit théorique de l’ampleur et de la sophistication de celui développé par Habermas pendant plus d’une quarantaine d’années. Compte tenu de ce fait, je suis assurée de n’être nullement en mesure de poursuivre sur le terrain concret des discussions autour de publicités discriminatoires toutes les implications des prémices théoriques desquelles je pars. Ceci vaut également pour la littérature raciale brésilienne : il m’est impossible de faire une synthèse adéquate de tout ce qui a été historiquement produit sur la question, raison pour laquelle je me suis particulièrement concentrée sur un certain nombre d’auteurs qui font de la déconstruction du mythe de la démocratie raciale leur cheval de bataille. Ce faisant, j’exclus d’emblée une masse importante de réflexions portant sur la question raciale dans les domaines esthétiques et culturels les plus variés et qui ont également servi de terrain de réflexion sur l’identité raciale nationale: musique, danse, arts plastiques, le Mouvement moderniste brésilien, etc. De ce fait, je tiens à privilégier des auteurs qui conjuguent des approches historiographiques, littéraires et sociologiques critiques, brésiliennes mais aussi américaines qui demeurent encore à ce jour très peu connues et commentées par une partie significative d’intellectuels brésiliens. Compte tenu de ces limites, j’aimerais conclure en énonçant brièvement les principes majeurs qui constituent l’épine dorsale de ce travail afin d’approfondir, de façon adéquate, les questions soulevées à partir de ceux-ci. Les chapitres I et II visent tous les deux à démontrer 6 Je tiens compte de la critique de Roger Gomm (2004) en ce qui concerne le caractère problématique de la distinction entre une analyse purement « quantitative » et une purement « qualitative » de contenu. L’auteur rappelle, entre autres, que toute analyse « quantitative » initie quelque part une analyse qualitative des données, afin de découvrir des indicateurs d’analyse. Pour les fins de ce travail, il importe de préciser que l’analyse de contenu dans ce chapitre devra tout simplement donner un aperçu quantitatif du corpus sélectionné, afin de préparer le terrain pour l’analyse qualitative des discours énoncés dans les documents recensés. 10 la pertinence de la question raciale sur le plan de la nation brésilienne. Le chapitre I se consacre plus particulièrement à la mise en contexte des réflexions portant sur la race au sein des débats théoriques et épistémologiques dans le domaine des sciences sociales. Ici, on s’attardera particulièrement sur les implications sociodémographiques du replacement de race au sein de l’appareil étatique brésilien. Le chapitre II, en contrepartie, fait le point sur les diverses mutations de la position que le terme race a historiquement assumée au sein de l’État brésilien. L’idée ici est de comprendre les dimensions politiques actuelles du débat sur la race tout en ayant un arrière-plan théorique où la réinterprétation historiographique du passé colonial constitue un élément central. Je conclus le chapitre II en faisant état de changements plus récents opérés au sein de l’État brésilien, autant sur le plan national que dans les instances internationales de l’ONU, afin d’en tirer les implications pour les débats en vue de la démocratisation des médias nationaux. Dans les chapitres III, IV et V, j’examine l’industrie de la publicité dans ses diverses dimensions. Dans le chapitre III, j'amène un bref débat sur la place de l’industrie publicitaire dans le système capitaliste, afin de décortiquer les éléments macrostructurels qui font de la publicité une industrie en concentration croissante sur les plans mondial, national et local. Dans le chapitre IV, j’examine l’essor de l’industrie publicitaire dans un paysage national particulier : le Brésil. Cette mise en contexte de la publicité-industrie vise notamment à éclairer certains rapports établis entre la publicité-réclame et le public afro-descendant au Brésil. Dans le chapitre V, finalement, j’analyse pas à pas le processus menant à l’établissement du système d’autoréglementation publicitaire sur le plan national. L’objectif ici est de faire ressortir le processus de création d’un organisme privé d’autoréglementation publicitaire tel que le CONAR dans le cadre d’une culture politique précise — soit l'autoritarisme militaire au Brésil — afin de mieux comprendre les enjeux de légitimation de l’autoréglementation publicitaire à l’heure actuelle. Les chapitres VI et VII portent spécifiquement sur les procès pour discrimination raciale déposés au sein du CONAR et défrichent, respectivement, les aspects méthodologiques de la recherche et l’analyse quantitative et qualitative des données de terrain. Le chapitre VI est 11 destiné à reconstruire le processus de cueillette de données et ses critères, mais aussi à examiner les apports théorique et méthodologique des recherches concernant l’analyse de cadrage. Dans le chapitre VII, j’entends prouver que le caractère ambivalent de la publicité chez Habermas est fécond pour comprendre les tensions permanentes entre le domaine institutionnel de la publicité et la sphère publique médiatisée. Il s’agit initialement de comprendre les différents rôles que les médias peuvent jouer dans la dynamique d’argumentation entre les parties de la dénonciation et de la défense, en vue de prouver ou de récuser le blâme de la discrimination raciale dans une publicité déterminée. Dans une deuxième partie, il s’agit également de repérer les cadres interprétatifs agissant sur la formulation et sur la perception du problème de la discrimination par chacune des parties impliquées dans le procès éthique — y compris les cadres présentés par les médias. Le chapitre VIII vise précisément à clore la discussion sur la discrimination raciale dans la publicité en reliant les procès éthiques du CONAR à des facteurs internes et externes identifiés dans les témoignages d’acteurs clés. Dans ce chapitre, je présente un regard réflexif sur l’ensemble des procès pour discrimination raciale en trois étapes : 1) en réexaminant les procédures internes du CONAR ; b) en présentant le bilan que dressent certains activistes clés de la lutte contre la discrimination raciale ; c) en examinant un certain nombre d’initiatives concrètes pouvant être liées à l’augmentation des plaintes pour discrimination raciale dans la publicité et ailleurs. Bref, j’espère apporter une contribution aux nombreuses études dénonçant actuellement la discrimination raciale dans les médias au Brésil, en mettant en branle une analyse du changement historique dans la formulation et la perception du propre problème de la discrimination raciale au Brésil, non seulement dans les procès éthiques du CONAR euxmêmes, mais aussi dans la couverture médiatique qu’en font les médias imprimés nationaux. Ces changements répondent à des facteurs forts variables comme l’impact du cadre légal antiraciste brésilien en cours au moment de l’ouverture du procès, le contenu de la publicité dénoncée, les acteurs impliqués dans la dénonciation et opinions dominantes au sein des médias. En même temps, l’identification de la discrimination raciale oblige une 12 réinterprétation de la publicité dénoncée selon les paramètres avancés par l’accusation. Il s’agit fondamentalement d’un travail d’interprétation des textes, sons et images présents dans la publicité dénoncée, lequel est entrepris collectivement par tous les acteurs impliqués dans l’analyse de procès éthiques particuliers. CHAPITRE I RACISMES, RACE ET ETHNICITÉ : UN DÉBAT CONTROVERSÉ Lorsqu’on examine le champ des sciences sociales modernes, peu de concepts semblent être aussi controversés que ceux de race, d'ethnie et d'ethnicité. Inutile d’avertir qu’il n’existe pas qu’un seul cadre conceptuel exclusif pour traiter de la diversité de catégories servant à classer et à identifier les personnes autant selon leurs traits phénotypiques qu’à partir d’autres acquis culturels. La pluralité de perspectives disponibles apporte souvent des confusions et ne change en rien le fait que parmi ces perspectives, les unes sont parfois irréconciliables avec les autres. Pierre Bourdieu offre une vision originale sur la diversité des catégories ethniques dans un article intitulé L’identité et la représentation (2001). Pour mieux expliquer comment les identités ethniques (ou régionales) sont construites, Bourdieu évoque l’image du regeres fines : celui-ci consiste en un acte religieux accompli lorsqu’un personnage investi de la plus haute autorité — le rex — établissait les frontières et la séparation des royaumes à travers un acte d’énonciation7. Tout comme le regeres fines, les catégories ethniques ou régionales (…) ont en effet pour enjeu le pouvoir d’imposer une vision du monde social à travers des principes de division qui, lorsqu’ils s’imposent à l’ensemble d’un groupe, font le sens et le consensus sur le sens, et en particulier sur l’identité et l’unité du groupe, qui fait l’unité de la réalité et de l’identité du groupe. (Bourdieu, 2001, p.283.) 7 Selon Bourdieu, tous les discours identitaires à caractère ethnique sont dotés du même pouvoir quasi magique du regeres fines : « Lors même qu’il ne fait que dire avec autorité ce qui est, lors même 14 En utilisant l’image du regeres fines comme métaphore, Bourdieu veut fondamentalement mettre en cause la distinction nette et définitive entre « la représentation » d’un coté, et « la réalité » de l’autre, « à condition d’inclure dans le réel la représentation du réel, ou plus exactement la lutte des représentations, au sein d’images mentales » (Bourdieu, 2001, p.282). Ceci signifie, d’après Bourdieu, que les critères scientifiques ne font qu’enregistrer un état de la lutte symbolique pour la légitimité établie entre les différentes représentations, «c’est-àdire un état du rapport des forces matérielles ou symboliques entre ceux qui ont partie liée avec l’un ou l’autre mode de classement » (Bourdieu, 2001, p.285). Compte tenu de ces remarques préliminaires et de la difficulté qu’impose la tâche d’en faire un état des lieux, je propose dans le présent chapitre la mise au point des réflexions sur la race et l’ethnicité à l’heure actuelle. Celle-ci est en effet un premier pas nécessaire pour comprendre les enjeux de la représentation raciale actuellement au Brésil, ainsi que leurs implications à la fois politiques, démographiques et sociologiques. Tout en reconnaissant la complexité du défi d’accommoder les approches les plus diversifiées sous la forme d’un débat compréhensible, j’ai ici pour idée uniquement de fournir un bref aperçu des formulations portant sur la race et l’ethnie — termes dont l’usage est tributaire des premières formulations scientifiques modernes. Comme je le démontrerai plus loin, la possibilité même d’existence d’un « champ » en tant que tel est mise en péril par des positions assez disparates, résultant d’efforts interprétatifs plus ou moins isolés ou autonomes. Il me semble donc important de tenir compte de ces limitations pour comprendre le caractère arbitraire et artificiel du construit théorique que je proposerai dans les sections qui suivent. Je commencerai cet état des lieux en mettant en évidence la construction scientifique du concept de race, ainsi que les différentes positions adoptées à l’intérieur des sciences sociales modernes, de façon à contrer ses legs conceptuels. qu’il se contente d’énoncer l’être, l’auctor produit un changement dans l’être. » (Bourdieu, 2001, p.283.) 15 1.1 L’étude des races à l’ère coloniale Il y a à peu près 150 ans, les sciences sociales modernes8 jetaient les bases d’une série de théories scientifiquement informées — au moins par rapport à certains fondements scientifiques de l’époque — dont l’objectif (et l’effet) principal est de valider une organisation hiérarchique de l’Humanité selon ses différentes races (par exemple les races blanche, noire, jaune et rouge). Bien que ces théories eussent offert en réalité une multitude de catégorisations topologiques sémantiquement variables, il n’en reste pas moins que cellesci orbitaient autour d’un principe commun selon lequel la race blanche est hiérarchiquement supérieure aux autres races humaines. Il convient de préciser que la hiérarchisation des êtres humains en termes de races n’est pas sans objectif et que le projet d’expansion impérialiste et colonialiste européen mis en branle à partir du XIXe siècle était largement tributaire de ce type de classification. Un tel processus de radicalisation du discours scientifique visant à soumettre — voire même faire disparaître — l’Autre racialisé aurait connu son apogée durant la Seconde Guerre mondiale, avec l’expérience nazie et la mise en marche de l’holocauste. Je décide cependant de considérer le 8 En qualifiant les sciences sociales de « modernes », j’entends notamment établir une distinction entre celles-ci, d’une part, et la physiognomonie ancienne, d’autre part, telle qu’elle était appliquée lors de sa genèse en Mésopotamie. Bien que la science de la physiognomonie ancienne s’occupe d’établir un parallélisme entre le corps et l'âme, en voyant « une solidarité mystérieuse entre un intérieur, tenu comme dimension invisible et secrète, et une dimension extérieure manifeste dans les signes visibles du corps » ("… a mysterious solidarity between an interior, invisible and secret dimension and an exterior dimension manifested by the visible signs of the body", Magli, 1988, p.39), la pensée indicielle qui prédomine au moment de la genèse de la physiognomonie en Mésopotamie est très distincte de la pensée positiviste du XIXe siècle. L'ancienne physiognomonie arabe supposait une habileté spéciale fondée sur la firāsa — sorte d'intelligence ou de capacité intellectuelle inférentielle, capable de passer rapidement et sans moyen terme du connu à l'inconnu — dont l'usage était intrinsèquement lié à la vie quotidienne, et allant de son application à l'achat des esclaves jusqu'au choix des conseilleurs par le sultan. Bref, la pensée indicielle mésopotamienne est, contrairement aux premières formulations des sciences sociales modernes, caractérisée par la présence de signes naturels vagues et imprécis, auxquels certains symptômes ne peuvent être liés qu'à travers un processus inférentiel, capable de rendre compte de facteurs fort complexes et circonstanciels. Pour une analyse des méthodes indicielles de la physiognomonie ancienne, voir Patrizia Magli. 1988. "Ancient physiognomics", Versus, no 50-51, et aussi Carlo Ginzburg, 1980. « Signes, traces, pistes: racines d'un paradigme de l'indice », Le Débat, no 6. 16 racisme scientifique dans la continuité d’un processus d’appropriation et d’exploitation non seulement des biens et richesses naturelles, mais aussi de la force de travail et des connaissances spoliées des races (supposément) inférieures. Ce processus aurait été amorcé au XVIe siècle, puis radicalisé à partir de la seconde moitié du XIXe siècle avec l’appui de théories scientifiques. 9 Compte tenu du fait que les premières réflexions scientifiques sur la race et l’ethnie se sont développées dans un cadre où les rapports de forces entre la science et ses objets étaient largement asymétriques au détriment de ces derniers, quelle est alors, de nos jours, la pertinence d’une approche raciale ou ethnique, s’il en existe une ? Ou encore, dans quelle mesure peut-on appliquer le concept de « race » ou d’« ethnicité » à une démarche de réflexion, sans pour autant cautionner les principes hiérarchisants de l’espèce humaine qui étaient sous-jacents aux premières théories sociales ? Bref, pourquoi alors parle-t-on toujours de « race » ? Ces questions, bien qu’elles semblent être apparemment simples, constituent en vérité le sujet d’un plus large débat qui demeure de nos jours très controversé et, me semble-t-il, à jamais clos. Dans les pages qui suivent, je propose un très bref parcours sur quelques-unes de ces controverses. Mon idée n’est pas de fournir un portrait représentatif de tous les courants et 9 Dans leur définition de racisme, Michael Banton et Robert Miles reconnaissent que certains auteurs aient « souhaité limiter son usage pour se référer à une idéologie associée au développement de la pensée raciale dans l’Europe Occidentale. » (" have wished to limit its use to refer to an ideology tied to the development of racial thought in Western Europe", Banton, Michael et Robert Miles, p. 277, voir dans Cashmore, 1994.) L’un des pièges quand on associe le racisme à l’usage du terme race sous le régime colonial réside notamment dans la restriction de sa portée explicative en tant que phénomène daté et historiquement circonscrit au XIXe siècle. Inversement, « dans les années plus récentes, le mot est utilisé de façons tellement variées qu’il y a un danger de perte de sa valeur en tant que concept » ("In recent years, the word has been used in so many ways that there is a danger of losing any value as a concept", Banton et Miles, 1994, p.277). Par exemple, à l’introduction de Races et racismes de Platon à Derrida, Dominique Colas affirme qu’« il existe une multitude de racismes, comme le racisme des conquérants du Nouveau Monde à l’égard des Indiens, ou le racisme des Grecs de l’Antiquité qui se prétendaient supérieurs aux Barbares. » (Colas, Dominique. 2004. Races et racismes, de Platon à Derrida. Paris: Plon, p.8.) Pour les fins de ce travail, je préfère élargir l’étendue historique de la réflexion sur le racisme, tout en accordant à l’expérience coloniale une place privilégiée dans mon enquête. 17 lignes de réflexion sur les questions raciales et ethniques, mais plutôt d’identifier quelques différences conceptuelles majeures émergeant de la dissension vérifiée concernant l’application des notions telles que « race », « racisme scientifique » et « ethnicité ». Dans un deuxième temps, j’explorerai les implications de la controverse relative aux questions conceptuelles pour le champ d’études sur le racisme et la discrimination raciale au Brésil et ailleurs. 1.2 Race et génétique Race, racisme, ethnicité. À en juger par les nombreux dictionnaires parus tout au long des trente dernières années, la cartographie conceptuelle du champ d’études ethniques ou d’études raciales semble largement documentée. Pourtant, une littérature si prolifique aurait pu également témoigner d’un champ d’études en quête de redéfinition et de précision conceptuelle, ou encore d’un besoin de démarquer des positions théoriques et épistémologiques précises face à toute une diversité d’approches disponibles. Quoi qu’il en soit, les différentes branches et approches théoriques semblent converger vers un seul point commun : la race, telle qu’elle est conçue au sein des théories raciales du XIXe siècle, est une « conception dont la génétique a pourtant montré l’absence de fondement scientifique » (Bonte et Izard, 2004). La génétique compte deux contributions majeures pour l’étude des races. D’une part, et contrairement aux croyances populaires, les différentes races — identifiables à partir des traits phénotypiques — ne correspondent pas à des différences marquantes au niveau génétique. Comme le souligne le généticien Richard Lewontin (Bolaffi, 2003), « L’aspect remarquable de l’évolution et l’histoire humaine, c’est le très petit degré de divergence entre les populations géographiques, lorsque celui-ci est comparé avec les variations génétiques entre les individusi. » Autrement dit, la génétique a prouvé qu’il existe plus de variations entre deux individus d’une même « race » : ces derniers peuvent être plus différents entre eux d’un point de vue génétique que deux individus issus de « races » différentes. 18 Le racisme scientifique, il faut le préciser, a été lui aussi responsable de la dissémination d’un sens très précis du terme race. Comme l’explique Peter L. Van den Berghe (1994), derrière les différences morphologiques apparentes, subsistait un sens de « race » synonyme de sousespèce, « c’est-à-dire une variété de l’espèce qui a développé des caractéristiques distinctives à travers l’isolation, sans pour autant avoir déjà perdu la capacité de croiser et de produire des hybrides fertiles avec d’autres sous-espèces de la même espèceii. » L’accent était alors mis sur les « différences innées » ancrées dans les aspects phénotypiques de chaque personne — « tel[s] que la couleur de peau, la physionomie et le type de cheveuxiii » — sur lesquels se sont fondées les diverses classifications raciales disponibles entre la moitié du XIXe siècle et la première moitié du XXe siècle. La génétique a apporté une autre importante contribution quand elle « a prouvé qu’il est notoirement difficile de démontrer toute connexion systématique entre le phénotype, les pratiques sociales et le comportement individueliv. » Ainsi, pour le racisme scientifique, « l’élément central est la croyance croissante dans le déterminisme biologique, qui représente les différences perçues entre les groupes humains pas seulement comme innées, mais aussi comme inchangeablesv. » Un élément très important est que les différences morphologiques observables entre les groupes étaient décrites de façon à faire ressortir la suprématie de la « race blanche » dans un ordre hiérarchique prétendument naturel. D’où l’importance du racisme scientifique comme une série de doctrines pseudo scientifiques qui, en fonction de leur contenu idéologique, ont fourni une base de justification et de légitimation pour l’exercice du pouvoir colonial. Certes, il faut reconnaître que les façons de classer et d’organiser les races en termes de hiérarchies variaient énormément. Après une première classification en 1684 dans le travail du médecin généraliste français François Bernier (Levinson, 1994, p.196), des douzaines d’autres formes de classification suivirent, selon lesquelles le nombre de races humaines pourrait varier entre 3 et 37. De même, ces conceptions de race informées par le scientifisme positiviste ont également cohabité avec d’autres conceptions non scientifiques, sans que ces 19 dernières soient pour autant totalement remplacées par les premières. Bien que moins fréquentes, les variantes prémodernes peuvent être repérées jusqu’à l’époque actuelle. Nous y trouvons, par exemple, l’usage de race comme synonyme d’Homo Sapiens ou d’Humanité, ce qui est le cas dans l’expression « race humaine » ; mais race peut être encore employée comme une façon d’identifier des formes variables de groupes culturels, tels que les nationalités (la race française), les groupes linguistiques (la race slave), ou encore d’autres groupes culturellement distincts (la race tzigane) (Levinson, 1994, p.195). Dans le même ordre d’idées, le déterminisme biologique n’a jamais été non plus la seule source d’explication des différences morphologiques entre les groupes humains. Avant le XVIIIe siècle, par exemple, la principale source d’inspiration pour la différenciation raciale en Occident était l’Ancien Testament. Michael Banton (1994), par exemple, identifie au moins trois formes d’explications concurrentes ayant coexisté avec les thèses de supériorité raciale, et selon lesquelles les différences phénotypiques pourraient être interprétées comme résultantes : 1) du désir de Dieu pour l’univers ; 2) de variantes environnementales, celles-ci étant considérées peu pertinentes pour l’aspect moral de l’individu ; 3) de différentes ancestralités originales10. Dans tous les cas décrits ci-avant, « le sens dominant attaché au mot race est celui d’ascendancevi. » 10 Dans L’impérialisme, Hannah Arendt évoque quelques usages du terme race avant l’essor du racisme scientifique. En France, par exemple, le mérite d’être « le premier à élaborer une pensée raciale définie» revient au Comte de Boulainvilliers, noble français qui écrivait au début du XVIIIe siècle (Arendt, 1982, p.75). Essentiellement concerné à la fois par la montée du Tiers-État et par un roi de France qui cherchait désormais à représenter « la nation tout entière », Boulainvilliers s’est donné la tâche de prouver la supériorité et les privilèges des nobles à travers une théorie des origines. Selon celle-ci, les nobles français ne posséderaient pas une origine « gauloise» commune avec le peuple français, mais une origine étrangère, plus récente, qui relevait des Francs envahisseurs, leurs véritables conquérants. La théorie de Boulainvilliers, censée avoir fondé « le droit des peuples supérieurs sur une action historique» (Arendt, 1982, pp.76-77) — la conquête — ne reposait toutefois pas sur un fait physique. À l’opposé, la « première forme de doctrine raciale allemande fut élaborée pour être l’arme de l’unité nationale interne, et devint celles de guerres nationales. » (Arendt, 1982, p.83.) Cependant, il faut noter que c’est seulement après 1814 que des auteurs comme Josef Goerres, Ernst Moritz Arndt et F.L. Jaung feront référence à « cette origine commune [qui] est fréquemment décrite en termes de ‘ liens du sang ’, d’attaches familiales, d’origine sans mélange» (Arendt, 1982, p.82) — quoique cette origine était plus associée à une langue commune qu’à une pensée raciale proprement dite. Pour la discussion sur l’usage du terme race avant l’essor du racisme scientifique au complet, voir notamment 20 Sommes toute, le concept de race s’est avéré d’un pouvoir descriptif et explicatif très limité, au moins pour ce qui est des différences perçues au niveau génétique. L’anthropobiologie, quant à elle, semble avoir définitivement abandonné le concept de race et « se consacre désormais essentiellement à étudier la diversité humaine sans biais classificatoire, et à en rechercher l’explication en termes de génétique des populations et d’influence du milieu sur l’expression des gènes » (Bonte et Izard, 2004, p.612). Mais est-ce aussi vrai pour le domaine du politique et pour le reste des sciences sociales contemporaines ? 1.3 La race en tant que construction sociale Généralement parlant, race se réfère à « un groupe social qui s’autodéfinit ou qui est défini par d’autres groupes comme différent en fonction de différences physiques innées et inchangeablesvii. » Si la plupart des savants semblent être d’accord avec le fait que le concept de race ne possède pas de fondement génétique, il n’en est pas ainsi de son fondement scientifique. En effet, une bonne partie du débat contemporain porte exactement sur la validité d’un tel concept dans la réflexion académique. Compte tenu des différentes positions, une chose est sûre et certaine : la plupart de ceux et celles qui s’élèvent pour défendre l’usage de race à l’heure actuelle le font en reconnaissant son aspect de construction sociale et historique. Robert Miles (1994) identifie deux positions distinctes dans l’usage de race. D’un côté, il y a ceux qui argumentent que « les circonstances à travers lesquelles les individus attribuent à d’autres ou à eux-mêmes l’appartenance à un groupe racial (avec toutes les nombreuses et variables résultant d’une telle attribution) méritent une explication en termes de théorie des le chap. II, « Penser la race avant le racisme », pp.69-110, dans Arendt, Hannah. [1951]1982. L'impérialisme. Coll. «Les origines du totalitarisme». Paris: Fayard, 350 p. 21 rapports intergroupauxviii. » De l’autre côte, Miles identifie une position inspirée de «catégories marxistes d’analyse », selon laquelle «ce processus d’attribution devrait être analysé en tant que processus idéologique et politique qui, par conséquent, ne peut pas employer les conceptions quotidiennes de ‘race’ et ‘relations raciales’ en tant que catégories à la fois descriptives et analytiquesix . » En outre, la question fondamentale divisant les deux positions se réfère aux rapports possibles et désirables entre la réalité objective et les outils analytiques disponibles pour les rapprocher. Ellis Cahmore et Barry Troyna (1994) offrent quant à eux une interprétation alternative sur les possibilités d’emploi du terme race. « L’essence exacte de race n’est pas en question, lancent-ilsx. » « Le point, toutefois, c’est de savoir si les personnes, correctement ou incorrectement, l’acceptent en tant que réalité, pour ainsi agir en conséquence avec leur propre croyance. Ceci rend la race subjectivement réellexi. » Bref, Cette approche reconnaît et est en accord avec les variations mêmes du concept de race mais, en même temps, elle insiste sur le fait que dans plusieurs situations, les personnes croient en l’existence de la race et organisent leurs rapports avec les autres en fonction de cette croyance.xii Or, d’après cette perspective, il s’agit plutôt de rechercher les raisons pour lesquelles les personnes continuent de croire qu’elles sont différentes, en termes culturels ou biologiques. Certes, dans un tel débat, nul ne peut ignorer le pouvoir performatif du langage sur le monde et les choses qu’il désigne. Comme l’explique Ellis Cashmore dans l’introduction de son Dictionnary of race and ethnic relations (1994), lorsqu’il rapproche le caractère changeant des certains termes comme celui d’« harcèlement » : Le champ d’études raciales et ethniques a beaucoup d’autres termes avec des sens techniques et populaires qui ne correspondent pas toujours ; beaucoup d’autres ont des sens qui varient avec le temps ; il y en a encore d’autres qui résistent tout simplement à tout sens retentissant et qui demeurent valides pour tous les contextes.xiii 22 La race est, somme toute, l’un de ces mots qui témoignent le plus vivement de l’écart existant entre le savoir quotidien — parfois orienté vers des fins politiques claires et autoconscientes — et une production savante aux prises avec des critères d’objectivité et d’espacement entre le sujet et son objet de recherche. Pour ceux qui envisagent l’application du terme race, les possibilités et risques de son application sont à l’épreuve. Mais y a-t-il des alternatives ? 1.4 Le concept d’ethnie Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale — quand les fondements raciaux déterministes sous-jacents aux premières théories raciales ont été sérieusement remis en question —, l’usage du terme race soulève certaines craintes. Même si les présupposés théoriques et les motivations pour son emploi varient énormément, il est quand même possible d’y diviser un terrain commun : « toutes [les définitions de race] incluent les différences phénotypiques entre les groupes raciaux comme une composante clé de la définitionxiv. » Conscients des limitations analytiques et de la charge historique imposées par le concept de race, certains auteurs préfèrent l’application du terme « identité ethnique ». Selon David Levinson (1994), « l’identité ethnique se réfère à la réalité et au processus à travers lesquels les personnes s’identifient elles-mêmes ou sont identifiées par d’autres comme membres d’un groupe ethniquexv. » L’interaction entre les membres d’un groupe, explique-t-il, se fait sur la base d’un « partage des symboles mutuellement identifiables de l’identité ethniquexvi ». Il poursuit : Les marqueurs les plus importants de l’identité ethnique sont les caractéristiques naturelles physiques telles que la couleur de peau, la texture des cheveux, les traits faciaux et la forme physique ; les marqueurs fabriqués incluent les manières de s’habiller, les bijoux, le style des cheveux et des altérations dans le corps sous la forme de tatouage, scarification et perçage corporel. De plus, certains 23 marqueurs peuvent être imposés au groupe (…). Un deuxième marqueur important est la langue, car différents groupes ethniques parlent différentes langues maternelles.xvii Sans vouloir enlever aux traits physiques leur importance, que ce soit dans l’autodéfinition ou dans l’attribution identitaire, l’incorporation des « marqueurs fabriqués » renvoie l’attention à d’autres attributs considérés comme « non naturels », donc socialement construits, de l’identité. Quoique subtil, le changement d’accent de l’analyse est désormais déterminant. D’un côté, il s’agit de recueillir des données portant non seulement sur les indices biologiques innés de la personne, mais aussi sur les indices extérieurs relevant du domaine de la culture. De l’autre, on établit l’idée de performativité comme un élément fondamental de l’identité, relativisant ainsi le poids que la détermination biologique aurait pu jouer sur la formation de l’identité. Il y a somme toute un changement de perception concernant le degré d’autonomie de l’individu, dans la mesure où l’on s’interroge moins sur la façon dont les personnes reçoivent passivement les déterminations de la nature que sur les manières à travers lesquelles celles-ci vivent de façon active et créative chaque composante de leur identité. Cependant, l’accent sur l’identification des marqueurs extérieurs de l’identité ethnique peut conduire à des équivoques, et mérite donc ici certaines précisions. « L’appartenance ethnique ne peut en aucun cas être rapportée à un catalogue des critères objectifs qui permettrait de ranger à coup sûr les individus dans une catégorie ethnique », expliquent Géraud, Laservoisier et Pottier dans Les notions clés de l’ethnologie (2000). D’après eux, le principal problème d’une telle notion d’identité ethnique — identifiable à travers des traits purement extérieurs —, c’est qu’elle ne prend pas en considération la motivation subjective des individus. «Par ailleurs, un groupe peut affirmer une identité ethnique en dépit des différences notables entre ses membres tandis qu’inversement, il est fréquent que des sociétés très proches culturellement se proclament ethniquement distinctes. » (Géraud et al., 2000, p.65.) 24 Or, comme le terme race, le concept d’ethnie11 est contaminé par le contexte colonialiste dont il est tributaire. Les nouvelles approches de l’ethnologie rappellent que l’ethnie a souvent été conçue comme une entité monolithique et homogène, essentialisée et détachée de son rapport avec les divers groupes autour d’elle. Dans sa généalogie des termes ethnie/ethnicité dans les sciences sociales modernes, Annamaria Rivera (1998) identifie une conception classique de l’ethnie qui mérite d’être explicitée : Selon la conception classique qui s’exprime dans les sciences sociales, l’ethnie (ou « groupe ethnique ») est une population qui s’autoreproduit sur le plan biologique, qui partage des valeurs, des croyances et des institutions culturelles de base, qui parle la même langue et a la même organisation sociale. (p.104.) Cette conception dite classique — longtemps présente dans les différentes formulations scientifiques, allant de Gobineau à Vacher de Lapouge, et dont l’accomplissement majeur a été l’essor de l’ethnologie en tant que champ autonome d’études — a été largement remise en question à partir des années 1960. En ayant toujours comme référence « une quelconque unité généalogique ou culturelle de fait » (Rivera, 1998, p.105), la conception classique a montré ses faiblesses dans la mesure où elle ne prenait pas en compte les caractères relationnel, contextuel et socialement construit des catégories ethniques. Un changement de cap important se fait donc à l’intérieur des sciences humaines : en « rejetant l’idée que l’ethnie est une entité substantielle ou une réalité empirique objective, on met l’accent plutôt sur les processus d’hétéro- et d’auto-identification ethnique, c’est-à-dire sur l’ethnicité » (Rivera, 1998, p.105.) 11 Ne pas confondre le concept d’ethnicité avec celui d’ethnie. Selon le Dictionnaire de l’ethnologie et de l’anthropologie (Bonte et Izard, 2004), « le terme ethnie désigne un ensemble linguistique, culturel et territorial d’une certaine taille, le terme de tribu, étant généralement réservé à des groupes de plus faible dimension » (Bonte et Izard, 2004, p.242). L’unité de base de l’anthropologie, l’ethnie, rappelle la complicité entre ses variantes plus classiques et l’administration coloniale, lorsque associée à une « essence quasiment naturelle et donc immuable » (Idem). De nos jours, en réponse à cet abordage substantiviste d’antan, l’ethnie est passée à l’autre extrême pour devenir une sorte de « signifiant flottant ». Comme l’ont conclu Bonte et Izard, « l’ethnie n’est rien en soi, sinon ce qu’en font les uns et les autres. » (Bonte et Izard, 2004, p.244.) 25 Certaines formulations plus constructivistes préfèrent encore utiliser le concept d’ethnicité comme une alternative non essentialiste et relationnelle pour aborder l’identité ethnique : « L’ethnicité désigne la manière dont les acteurs sociaux pensent les divisions et les inégalités sociales en termes d’appartenance et de différenciation ethniques. » (Géraud et al. , 2000, p.66.) Conscients que les catégories ethniques sont construites dans le rapport entre les groupes — et à partir de celui-ci —, conscients que ces catégories sont en permanente reconstruction, les auteurs des études sur l’ethnicité « proposent d’en faire la genèse ou d’analyser les dynamiques sociales articulées autour des différenciations ethniques. » (Géraud et al., 2000, p.67) 1.5 Ethnicité et race Compte tenu de ces précisions, faut-il décréter la défaite irréversible du terme de race au profit de celui d’ethnicité ? La réponse dépend de la perspective adoptée. En ce qui concerne particulièrement la sociologie américaine, le débat autour des différentes approches sur l’ethnicité démontre bien que de multiples usages et cohabitations entre les concepts de race et d’ethnicité sont possibles. Bolaffi (2003) divise trois approches historiquement identifiables pour le concept d’ethnicité aux États-Unis : 1) selon une approche plus traditionnelle, datée du début des années 1920, race et ethnicité seraient des termes interchangeables, sans aucune distinction conceptuelle importante entre eux ; 2) d’après une deuxième approche, plus récente et populaire, les termes race et ethnicité sont conceptuellement distincts et mutuellement exclusifs ; 3) finalement, selon la perspective de la nouvelle ethnicité, « des processus historiques différents créent des catégories raciales et ethniques différentes. » xviii D’après celle-ci, race et ethnicité sont des catégories nécessairement, mais pas forcément, distinctes, selon le contexte. 26 L’approche traditionnelle, poursuivent les auteurs, a été développée par les théoriciens de l’École de Chicago dans l’effort de comprendre le processus d’ajustement des immigrants européens aux États-Unis. En décrivant le phénomène d’accommodation, Robert Park et d’autres membres de cette école prenaient en considération le processus à travers lequel des immigrants « réussis » trouvaient leur niche dans la société états-unienne en adhérant, génération après génération, à la culture majoritaire. L’aboutissement d’un tel processus, selon Parker, serait l’assimilation totale aux valeurs, croyances et normes de la société dominante. Pourtant, Bolaffi soulève des doutes importants concernant l’achèvement de ce processus et remet en question une telle vision heureuse de l’assimilation : S’il n’y a pas de différences théoriques signifiantes dans le processus qui crée des groupes raciaux et ethniques, comment pourrait-on expliquer l’échec apparent de certains groupes raciaux américains de s’assimiler à un taux similaire à celui expérimenté par les groupes immigrants européens ?xix En réponse à cet ordre de questionnement, une alternative théorique a pris forme à partir des années 1990. Selon elle, « la race n’est pas une autre variété d’ethnicité. Tout au contraire, ‘race est un champ autonome de conflit social, d’organisation politique et de sens idéologique/culturelxx.’ » Les différences entre le processus d’intégration et d’assimilation des groupes ethniques européens et celui des groupes raciaux noirs, asiatiques et autochtones sont significatives et ne peuvent être ignorées. Le déplacement d’immigrants européens résultait davantage d’un choix individuel et collectif que celui des noirs emmenés en Amérique par le biais de la traite des esclaves ou encore des autochtones « colonisés ou exterminés dans des guerres génocidaires avec le Blanc américainxxi. » Pour ce qui est des Asiatiques, ceux-ci ont été la cible des lois et politiques spéciales leur imposant l’exclusion sociale. Ainsi, dans une structure sociale hautement racialisée comme la structure américaine, « les constructions raciales de ces groupes, plutôt que les constructions ethniques, les ont distingués des groupes ethniques blancsxxii. » De plus, l’approche des formations raciales 27 accorde plus d’autonomie aux groupes dans la construction collective de leurs identités raciales que l’approche précédente, selon laquelle la race ou l’ethnicité sont une résultante directe de conditions sociales, économiques et politiques particulières. En d’autres termes, les autodéfinitions raciales de ces groupes ne sont pas fixées pour toujours; de plus, elles ne sont pas le fruit d’une imposition extérieure unidirectionnelle, mais reconstruites selon l’injonction entre des conditions historiques particulières et l’action collective politiquement orientée de ces mêmes groupes. Finalement, la troisième approche portant sur l’ethnicité fait le bilan des approches précédentes, en essayant d’incorporer les points forts et d’éliminer les faiblesses de chacune. D’un côté, l’approche traditionnelle met trop d’accent sur le processus externe d’attribution de l’identité et « sous-estime ou ignore l’habileté des groupes à mettre en forme leurs propres identitésxxiii. » De l’autre, l’approche de la formation raciale, parce que trop centrée sur les processus historiques internes de formation raciale aux États-Unis, « ignore les formes similaires que les processus de construction de l’identité raciale et ethnique révèlent dans un contexte transnational comparatifxxiv. » La question est donc de savoir comment les identités ethniques et/ou raciales sont construites et revendiquées dans des contextes socio-historiques spécifiques. Cette précaution théorique concernant le respect les différents contextes sociaux et historiques, rejoint pleinement les révisions plus récentes menées à l’intérieur de l’anthropologie et de l’ethnologie européennes, comme en témoigne Annamaria Rivera (op. cit.) : « Les ethnonymes euxmêmes, c’est-à-dire les noms employés pour désigner les ethnies, sont des signifiants qui prennent un sens ou un autre suivant les époques, les lieux, les situations sociales ou les points de vue des observateurs. » (Rivera, 1998, p.107.) Or, si nous concevons le terme race comme catégorie non essentialiste, résultant d’un processus de classement symbolique socialement efficace, alors ce concept de race ne se trouvera pas opposé à celui d’ethnicité. Comme le souligne Rivera, « l’identité ethnique a une valeur performative en ce sens qu’elle finit effectivement par orienter le comportement des 28 acteurs sociaux et par leur offrir un horizon de sens et une possibilité de mobilisation » (Rivera, 1998, p.109.) Cette vision, selon laquelle les identités ethniques ou raciales constituent des ajustements circonstanciels à des situations ou à des circonstances historiques particulières, est partagée par l’idée d’ethnicité situationnelle, telle que présentée par Levinson (op. cit.) : « L’ethnicité situationnelle se réfère aux pratiques communes dans les sociétés multiculturelles de groupes ethniques ou d’individus de changer, cacher ou d’affirmer leur identité ethnique en tant que stratégie pour atteindre un certain objectifxxv. » Certes, plusieurs conditions influent directement sur l’efficacité des stratégies de construction d’une ethnicité situationnelle — comme la réceptivité du groupe dominant, la place du groupe subordonné dans le système de stratification sociale, la capacité psychologique de s’adapter et d’adopter une nouvelle posture à la suite du changement identitaire proposé, etc. Mais ce qui me semble fondamental ici, c’est de comprendre que de telles stratégies peuvent inclure, malgré toutes les contradictions que cela impliquerait, la récupération de termes ou ethnonymes ayant été historiquement employés dans un cadre historique marqué par le racisme scientifique ou les expériences colonialistes. 1.6 Race et ethnicité dans le Brésil contemporain J’aimerais reprendre ici la discussion que j’avais initiée au début de ce chapitre en explicitant la position de Bourdieu vis-à-vis de la lutte symbolique entre les diverses catégories ethniques. En rapprochant les effets sociaux de catégories ethniques et raciales, Bourdieu s’opposait alors à deux positions radicales qui divisaient (et continuent d’une certaine manière à diviser) la sociologie moderne : d’une part, la position objectiviste, selon laquelle l’identité d’un groupe doit répondre à des critères objectifs externes à ce groupe ; d’autre part, la position subjectiviste, selon laquelle l’identité d’un groupe doit répondre exclusivement à des critères internes, subjectifs, comme le sentiment d’appartenance. 29 D’après Bourdieu, cette opposition s’appuie sur la fausse prémisse selon laquelle il y aurait quelque part des critères plus réels que d’autres pour fonder les identités en général, et les identités ethniques plus particulièrement. À cet effet, Bourdieu défend une vision encore assez contentieuse de nos jours, selon laquelle tout classement scientifiquement informé est en effet soumis aux mêmes lois que les critères pratiques quotidiens, une fois que ces derniers sont orientés vers la production des effets sociaux et qu’ils contribuent à construire ce qu’ils décrivent. « Bref, les verdicts les plus ‘neutres’ de la science contribuent à modifier l’objet de la science. » (Bourdieu, 2001, p.289.) Les notes de Bourdieu, ralliées à celles portant sur l’ethnicité situationnelle, me semblent d’autant plus importantes pour comprendre le débat autour des modes de classement en cours au Brésil à l’heure actuelle. De façon très emblématique, le débat autour de l’ethnicité brésilienne nous invite à examiner le contexte socioculturel spécifique où le terme de race confronte celui de couleur, pour devenir ainsi l’objet de la plus grande controverse et de débats intestins. Bien sûr, cette nouvelle forme d’ethnicité n’est pas sans objectif et vise à servir de moteur pour la formulation d’une série de demandes de réparation concernant l’oppression subie dans le passé. Une bonne synthèse de chacune de ces grilles — et de la lutte symbolique entre elles — nous est présenté par Edward Telles dans son ouvrage Racismo à Brasileira (2003). À défaut d’un système de lois visant à déterminer « objectivement » l’appartenance raciale, trois différentes grilles de classification ethnique ou raciale coexistent au Brésil à l’heure actuelle : a) le recensement officiel du gouvernement ; b) les discours populaires ; c) le système de classement du Mouvement Noir. La grille officielle de recensement de la population prévoit l’autodéfinition du répondant en fonction de quatre catégories organisées selon un spectrum des couleurs12 : blanc, pardo13, 12 Je tiens à souligner que negro, preto, pardo et crioulo étaient des termes appliqués de manière très variable dans la tradition esclavagiste brésilienne. Cet extrait du Rapport du développement humain du PNUD dévoile la multitude de sens historiquement attribués à ces ethnonymes, ainsi que 30 jaune14 et noir15. Cette grille est appliquée depuis 1951 par l'Instituto Brasileiro de Geografia e Estatística (IBGE) 16 — l'organisme gouvernemental responsable de la cueillette et de la systématisation des données sociodémographiques de la société brésilienne. En s’appuyant sur des données fournies par le recensement de l’année 1991, Telles révélait qu'environ 1 % de la population brésilienne (soit à peu près 3 000 000 personnes) correspond aux catégories des indigènes et des asiatiques — donc aux couleurs rouge et jaune, respectivement — alors que les 99 % restants sont localisés quelque part entre les deux extrêmes, noir et blanc, du spectrum. leur distance par rapport aux usages actuels du recensement officiel. « Malgré la variation de la terminologie, il était commun au Brésil que depuis le début de la colonisation, la dénomination negro se réfère essentiellement à l’esclave, toutes couleurs confondues, mais jamais à l’homme libre. Ainsi, il y avait, d’une part, les negros da Guiné, en provenance de l’Afrique, et d’autre part, les negros de la terre ou negros brasis, les indigènes du Brésil. Les esclaves nés au Brésil, aussi compris dans le même terme général de negros, étaient différenciés par la désignation de crioulo. Le terme preto était synonyme d’esclave né en Afrique. Dans la région sud-est, les enfants de pretos, en tant qu’esclaves, étaient des crioulos, alors que les enfants des crioulos étaient des pardos. Ceci signifie que ces catégories désignaient les différences d’origine de naissance et non pas les nuances de couleur de la peau. » (“Apesar das variações das terminologias, em todo o Brasil foi comum, desde o início da colonização, a denominação negro se referir essencialmente ao escravo, de qualquer cor, nunca ao livre. Assim, havia os negros da Guiné, oriundos da África, e os negros da terra ou negros brasis, os índios do Brasil. Os escravos nascidos no Brasil, também englobados pelo termo geral negros, eram diferenciados pela designação de crioulo. O termo preto era sinônimo de escravo nascido na África. No sudeste, filhos de pretos, enquanto fossem escravos, eram crioulos. Já os filhos de crioulos eram pardos. Ou seja, essas categorias designavam as diferenças de origem de nascimento, e não as nuances da cor da pele”, PNUD, 2005, p.27) 13 Selon la définition du Minidicionário Aurélio da Lingua Portuguesa (Buarque de Holanda Ferreira, 2004), le terme pardo réfère à une couleur se trouvant « entre le blanc et le noir, ou entre le jaune et le châtain ». Absente des langues française et anglaise, ladite couleur incarne parfaitement le niveau d’imprécision des classifications raciales traditionnelles au Brésil, raison pour laquelle j’opte pour la conservation du terme dans sa langue originale. 14 Cette catégorie se réfère aux immigrants issus de pays comme le Japon, la Chine et la Corée, alors que la catégorie indigène n'a été officiellement incluse dans le recensement du gouvernement qu’en 2000. 15 Le terme noir doit être ici strictement compris comme une couleur — la couleur « preta » en portugais — à l’exclusion de toute connotation politique que la langue française lui a éventuellement prêtée. 16 L’IBGE réalise périodiquement deux formes distinctes de cueillette : le recensement démographique de la population, mené à peu près tous les dix ans, et l’enquête nationale auprès d’un 31 Une deuxième grille de classement au Brésil est identifiable dans les discours populaires; elle est en général caractérisée par un large spectre de couleurs et de formes d’identification très variables. À cet effet, on cite très souvent une enquête nationale menée par l’IBGE en 1976, où l’on a demandé à un échantillon de 82 577 Brésiliens de définir leur appartenance ethnique ou raciale, selon le cas, en utilisant leurs propres termes. Les résultats de cette enquête, souvent citée pour célébrer la diversité raciale brésilienne, dénotent un éventail de 135 termes différents. Telles apporte une nuance très importante à l’égard de cette recherche à cause du fait (très souvent omis) que 95 % des interviewés n'aient utilisé que les six mêmes termes — à savoir : blanc, pardo, moreno17, moreno-clair, noir et negro18. Ceci signifie que ladite diversité de perceptions est très relative, étant donné qu’environ 64 % des 135 termes utilisés ont été cités seulement par quelque 0,3 % de l’échantillon. L’existence d’une pluralité de termes raciaux avait déjà été signalée par d’autres études précédentes, comme le démontre Nelson do Valle Silva (1999). Ces études s’inscrivent dans une tradition plus ample inaugurée par les efforts de l’Organisation des Nations Unies pour l’Éducation, la Science et la Culture (UNESCO) dans les années 1950. Dès lors, les résultats démontraient, au sein d’un bassin populationnel largement métissé comme celui du Brésil, l’« inexistence de fortes distinctions entre les catégories raciales, comme l’indique l’existence d’une myriade de termes raciaux, chacun référant à une combinaison phénotypique particulière. » xxvi échantillon représentatif de foyers (en portugais «Pesquisa Nacional de Amostragem de Domicílios » — PNAD), qui est réalisée annuellement. 17 Le terme « moreno », dont la traduction la plus approximative est « brun », mérite quelques considérations additionnelles. Telles constate l'étonnement de plusieurs ethnographes face à son ambiguïté, puisqu’il peut remplacer presque toutes les autres sortes de couleur. On lui attribue trois connotations fréquentes: 1) personnes de peau claire et de cheveux foncés; 2) personnes issues d’un mélange racial qui ont généralement les cheveux châtains; 3) personnes noires. 18 Si les termes negro (portugais) et nègre (français) sont très proches d’un point de vue morphologique, supposer une correspondance sémantique entre les deux pose, à mon avis, plusieurs problèmes. D’après son usage courant au Brésil, le terme preto est une couleur souvent chargée d'une connotation négative, alors que le terme negro est recommandé par le Mouvement Noir comme étant la dénomination la plus politiquement correcte. Bien que Léopold Senghor eût parlé de l’apport de la race nègre au répertoire de la civilisation humaine, le terme nègre en français est plus fréquemment chargé d’une connotation péjorative, les médias préférant dans ce contexte utiliser le terme noir. 32 La troisième grille est celle proposée par le Mouvement Noir dès les années 1930; elle a toutefois été, d’une certaine façon, plus récemment incorporée dans la nomenclature courante des médias, par une parcelle du milieu académique et par les gestionnaires des politiques publiques gouvernementales. À caractère binaire, cette grille propose l’organisation de la population autour de deux catégories raciales : blanc et negro, la deuxième consistant en l’addition des secteurs pretos et pardos tels que définis dans le recensement officiel. Chacune de ces grilles offre des arguments en faveur, ou opposés, à ce qu’elles proposent. Les nombreuses études portant sur les grilles de classement populaire sont parvenues à des résultats assez divergents. Silva (op. cit.) cite, entre autres, l’étude que Pierson avait publiée en 1951 et dans laquelle il a recensé cinq termes au sein d’une communauté de l’État de São Paulo et un total de vingt termes dans l’État de Bahia. L’étude de Harris et Kotak de 1963 avait, quant à elle, repéré environ 40 termes différents dans une petite communauté de pêcheurs située aussi dans l’État de Bahia. Dans une étude postérieure, publiée en 1971 et portant sur un autre village dans l’État de Bahia, Sanjek n’a recensé rien de moins que 116 termes utilisés pour désigner les types raciaux, même si seulement une dizaine de ceux-ci informaient la carte cognitive de la majorité de la population du village étudié19 (voir Silva, 1999, pp.110-117). Des études plus récentes menées par Sansone dans la ville de Salvador, dans les années 1990, mettent à jour ces résultats en dévoilant non seulement la variation régionale, mais aussi celle existant entre les individus d’une même communauté. Silva résume ainsi les conclusions de l’étude de Sansone : 19 Au sujet des études portant sur les catégories raciales populaires, voir par ordre chronologique, Pierson, Donald. 1951. Negros in Brazil. Chicago: University of Chicago Press, xxviii, 342 p.; Harris, Marvin et Conrad Kotak. 1963. «The structural significance of Brazilian racial category». Sociologia. vol. XXV, n°3, pp.203-208; Harris, Marvin. 1964. «Racial Identity in Brazil». Luso-Brazilian Review. vol. 1, n°2, pp.21-28 ; Sanjek, Roger. 1971. «Brazilian racial terms: some aspects of meaning and learning ». American Anthropologist. vol. 73, n°1126-1143; Sansone, Lívio. 1992. «Cor, classe e modernidade em duas áreas da Bahia (algumas primeiras impressões)». Estudos Afro-Asiáticos, n°23, pp.143-173. 33 Le cadre qui émerge est, dans un certain sens, familier : la situation et le type de conversation affectent la terminologie des couleurs employée ; la terminologie des couleurs est aussi hautement subjective ; une même personne peut être définie de différentes manières, soit dans des documents officiels (comme les actes de naissance) ou dans la vie privée ; [il y a] une forte préférence somatique envers le blanc, quoiqu’elle ne soit pas toujours explicite.xxvii Devant l’incertitude et l’absence de définition de catégories précises et homogènes pour désigner les différents types raciaux résultant du métissage, la grille officielle appliquée dans le recensement a souvent fait l’objet de critiques de la part de chercheurs comme Harris et Kotak. C’est alors en 1976 que l’IBGE décida pour la première fois de prendre acte de ces critiques, en incluant dans la Pesquisa nacional por amostragem de domicilios (PNAD) de cette année une question ouverte grâce à laquelle le répondant était invité à s’autodéfinir racialement selon ses propres termes ; cette question a été suivie d’une deuxième, dans laquelle le répondant était sollicité de s’insérer dans l’une des catégories couramment utilisées par le recensement officiel. Comme je l’ai déjà mentionné en citant la synthèse de Telles, plus d’une centaine de termes ont été recensés dans la première question. « Plus important, rapporte Silva, en comparant les réponses aux deux critères, la plupart des personnes qui se sont qualifiées initialement de morenas, se sont autoclassées comme des pardas dans la question ferméexxviii. » D’autres critiques ont également été adressées à l’endroit du recensement officiel, cette foisci en ce qui a trait à la pratique adoptée par l’intervieweur dans l’application des questionnaires. Telles (op. cit.) explique que l’IBGE, en suivant les directives internationales20, prépare ses intervieweurs à classer la race selon la déclaration de l’interrogé(e). Toutefois, le niveau d’intervention subjective des intervieweurs est plus élevé 20 L’autodéclaration est d’ailleurs une disposition non seulement officiellement encouragée par l’ONU, mais aussi considérée comme le seul critère légitime pour l’attribution des catégories raciales. Pour ce qui est des recensements officiels de l’IBGE, les répondants doivent compléter la formulation suivante : « Votre couleur ou race est… » Dans la réponse, qui est précodifiée, l’interviewé peut s’autodéclarer comme appartenant à l’une des catégories suivantes : blanche, negra, jaune, parda ou indigène. 34 que celui souhaité, en répondant « parfois eux-mêmes aux questions soit parce qu’ils supposent savoir la réponse correcte, soit parce qu’ils ne se sentent pas à l’aise pour poser des questions sur la race, ou encore parce qu’ils se dépêchent de faire les entrevues pour offrir des réponses rapides aux questions jugées moins critiquesxxix. » De plus, seulement un interviewé par foyer est censé définir l’appartenance raciale de tous les autres membres de la famille, ce qui rend la désignation des autres membres dépendante de la perception subjective d’une seule personne. « Ainsi, le recensement brésilien utilise, en vérité, une combinaison d’autoclassification et de classification par une troisième partie lors de la cueillette des données sur la racexxx. » Telles conclut cependant que l'importance du recensement officiel n'est pas seulement liée aux données concrètes qui y figurent, mais aussi au fait que les catégories officielles deviennent elles-mêmes des références pour la différenciation sociale ainsi que pour l'action d'autres institutions. L'estimation de l'appartenance raciale trouve des obstacles historiquement enracinés et réfléchit le positionnement historique de l’État brésilien vis-à-vis de sa population. Selon Telles (op. cit.), l'État portugais n’a jamais fondé une tradition significative d'estimation de l’appartenance raciale au Brésil21. D’autre part, les hauts degrés de métissage, selon des hiérarchies raciales très implicites, ont abouti à différents critères pour l'identification raciale et pour l'autoreconnaissance. Comme le précise bien Carlos Hasenbalg (2005), il est difficile de déterminer si l’existence d’une société multiraciale a été « la conséquence souhaitée des politiques implémentées par les colons portugais ou un mécanisme social qui a évolué, non intentionnellement, à partir des limitations du processus initial de colonisationxxxi. » Certaines 21 De ce fait, « l'idée essentialiste selon laquelle chaque individu appartient à un groupe racial est moins courante au Brésil qu'aux États-Unis. » ("A idéia essencialista de que cada indivíduo pertence a um grupo racial é menos comum no Brasil do que nos Estados Unidos", Telles, 2003, p.104.) Au Brésil, on constate plus souvent l'emploi du terme « couleur » que celui de « race » : en effet, ce dernier renvoie à une « essence » raciale précise, alors que le concept de « couleur » suggère l'idée de continuité entre plusieurs catégories raciales qui se sont historiquement mélangées. En conséquence, la catégorie noire acquiert un sens statique aux États-Unis, tandis que « la catégorie negra au Brésil est fréquemment évasive, permettant, d'un côté, de contourner le stigma social, et de l'autre, la manipulation politique qui empêche d’importantes distinctions sociales à travers la race. » ("Ao invés de ser estática como nos Estados Unidos, a categoria negra no Brasil é freqüentemente evasiva, permitindo, por outro lado, contornar o estigma social e, por outro a manipulação política que repele importantes distinções sociais por raça", Telles, 2003, p.104.) 35 conditions ont certainement empêché la mise en place d’un cadre normatif légal capable de définir, avec un certain degré de précision, l’appartenance raciale d’une personne, combiné avec des procédures de cooptation des personnes de peau plus claire et de fragmentation de l’identité raciale22. Telles rappelle que les définitions raciales sont plus facilement déterminées lors d'une première rencontre entre peuples provenant de continents différents. Dans des sociétés où les idéologies raciales ont trouvé l'appui des appareils institutionnels légaux, comme en Afrique du Sud et aux États-Unis — à l'époque respectivement de l'apartheid et de l'activisme de Jim Crow —, les lois concernant les races infligeaient des systèmes de classement largement spécifiques, afin d'éliminer ou de réduire les ambiguïtés. Aux États-Unis, par exemple, l'adoption d'un système de descendance minimale (hypo-descent)23 qualifiait de « noirs » ceux qui possédaient jusqu'à 1/16e, 1/32e ou 1/64e (en fonction des États) « de gouttes de sang » de cette ascendance. Au Brésil, certains auteurs, à l’instar d’Antônio Sérgio Alfredo Guimarães (op. cit.) affirment que l’opposition entre « couleur » et « race » est superficielle, voire une sorte d’euphémisme servant à cacher le profond malaise devant l’héritage africain et indigène : 22 Carlos Hasenbalg cite, à titre de limitation, le déséquilibre démographique existant dans la population blanche entre hommes et femmes, favorisant la population masculine, ainsi que la disponibilité réduite de travailleurs blancs qualifiés pour occuper des positions intermédiaires dans le système esclavagiste brésilien. (Voir Hasenbalg, 2005, pp.243-246.) 23 D’après Nelson do Valle Silva (op. cit.), la règle de l’hypodescendance défavorise largement le mélange racial, parce que « la descendance détermine non seulement à quel groupe racial l’individu appartient parmi une pair de groupes définis dans un rapport de subordination — mais aussi le fait qu’un individu appartienne à un groupe subordonné donné s’il possède un ancêtre direct, via sa mère ou son père, qui a aussi été membre de ce groupe ». (“Não só a descendência determina a que grupo racial o indivíduo pertence entre um par de grupos definidos numa relação de subordinação — como também se um indivíduo tem um ancestral direto, por parte de mãe ou pai, que tenha sido membro do grupo subordinado, pertencerá então esse indivíduo igualmente ao grupo subordinado”, Do Valle Silva, 1999, p.107.) Au Brésil, la grille de classement selon les critères de couleurs semble œuvrer dans le sens carrément opposé : une goutte de sang blanc dénoircit l’individu, constituant ce qu’Oracy 36 Or, la notion native de « couleur » est faussée, parce qu’il est seulement possible de concevoir la « couleur » comme un phénomène naturel si l’on suppose que l’apparence physique et les traits phénotypiques sont des faits objectifs, biologiques et neutres en référence aux valeurs qui orientent notre perception. C’est ainsi que la « couleur », au Brésil, fonctionne comme une image figurée de la « race ».xxxii Ce malaise, dont les racines sont solidement ancrées dans les discours nationaux dès la fondation de l’État-nation brésilien au XIXe siècle, fait référence à un processus de fragmentation plus ample de l’identité raciale décrit par Hasenbalg. Antônio Sérgio Guimarães postule à son tour que ce même processus de fragmentation a donné naissance à une forme d’antiracialisme24 qui, non seulement misait sur l’effacement de la « race » du programme identitaire national, mais qui tenait aussi à nier « les faits manifestes de la discrimination raciale au Brésilxxxiii. » De fait, la grille proposée par le Mouvement Noir suggère des actions sur deux plans distincts : 1) une première action, plus interprétative, qui consiste à rassembler les données officiellement recensées pour les pardos et les pretos dans une seule catégorie appelée negros ; 2) un travail extensif d’information et de conscientisation raciale auprès de la population parda et preta pour s’autodéfinir comme negra lors de recensements officiels. Telles ajoute que Nogueira appelait la « pigmentocratie ». (Voir Nogueira, Oracy. 1955. Relações raciais no município de Itapetininga. São Paulo: Ed. Anhembi.) 24 Antônio Sérgio Alfredo Guimarães s’approprie l’usage que Kwame Anthony Appiah fait du terme racialisme , à savoir que c’est une forme de perception de « caractéristiques morphologiques visibles — couleur de la peau, type de cheveux, aspects faciaux — comme une base à partir de laquelle nous faisons nos classifications formelles » (“características morfológicas visíveis — cor da pele, tipo de cabelo, feições faciais — com base nas quais fazemos nossas classificações formais”, Appiah cité par Guimarães, 2005, p.30). Guimarães soutient l’importance de faire une distinction conceptuelle entre racialisme et racisme, en considérant que la perception des caractéristiques physiques ne mène pas nécessairement à leur soumission ou exploitation. L’auteur précise également que le processus de racialisation implique l’attribution de valeurs morales, intellectuelles et culturelles relatives à des traits phénotypiques; la compréhension d’un tel processus permet au chercheur de rendre compte du sens subjectif accordé par les individus à leurs actions sociales. 37 Les activistes du Mouvement Noir soutiennent que, différemment des États-Unis, l’usage populaire et officiel, au Brésil, des catégories de couleurs et d’une hiérarchie non officielle dans laquelle les pardos sont supérieurs aux negros inhibe la formation d’une identité collective negra autour de laquelle les Afro-brésiliens peuvent s’organiser contre les discriminations et l’exclusion qu’ils subissent.xxxiv Le portrait dressé par chacune de ces grilles est, comme on pouvait déjà l’imaginer, très variable. Selon les données du recensement démographique de l’année 2000 (2002), fondées sur les autodéclarations fournies par la population brésilienne, 91 298 042 individus (53,7 %) se considèrent comme blancs, 65 318 092, (38,4 %) comme pardos, 10 554 336 (6,2 %) comme noirs, 761 583 (0,5 %) comme jaunes, et 734 127 (0,4 %) comme indigènes25. Cependant, si l’on se fie aux données de l’enquête menée en 1976, donc à la grille populaire décrite antérieurement, on serait forcé de constater un tout nouveau cadre. En effet, par exemple, ceux qui se sont définis comme des blancs correspondaient alors à 42 % de la population totale ; la catégorie non officielle moreno rassemblait 32 %; les noirs comptaient pour 8 % de l'échantillon; et seulement 7 % ont utilisé la catégorie officielle pardo (catégorie qui constitue la deuxième catégorie plus nombreuse du recensement officiel). Finalement, selon la grille du Mouvement Noir — qui en plus d’être une grille est aussi une stratégie d’interprétation des données recensées officiellement —, le contingent de negros représenterait l’ajout entre la population autodéclarée noire et parda, ce qui revient pour l’année 2000 à 75 872 428 individus, ou 44,6 % de la population. Toutefois, la grille du Mouvement Noir est, elle aussi, confrontée à une certaine ambiguïté dans la mesure où une conception plus élargie d’ancestralité cohabite avec l’emphase sur un ensemble de traits phénotypiques communs. Cette double orientation — qui peut prêter à confusion dans un pays où une partie importante de soi-disant blancs possède en effet une ascendance negra — est explicitée dans l’extrait suivant, où Telles rapporte le décalage existant entre le système populaire et le système du Mouvement Noir : 38 Bien que le terme negro dans le système populaire fait en général référence seulement à ceux ayant la peau plus foncée à l’extrémité du spectrum de couleurs, son usage dans le système d’élite tend à inclure les pretos et pardos identifiés dans le recensement, ou tous ceux ayant une ascendance africaine.xxxv 26 Il est vrai, d’une part, que l’initiative du Mouvement Noir met de l’avant que l'association objective de valeurs précises aux caractéristiques phénotypiques par le milieu social demeure encore, de nos jours, un important facteur d’attribution de l’identité subjective, mais aussi de possibilités de travail, d’éducation, de santé, etc.27 La réinterprétation des statistiques gouvernementales à partir de la perspective de classement du Mouvement Noir démontre bien le fossé existant dans la distribution des ressources sociales entre les population blanche et non blanche. Selon les données citées dans le Rapport de développement humain produit par le PNUD en 2005, intitulé Racismo, pobreza e violência (« Racisme, pauvreté et violence »), l’évaluation des conditions de vie — et de mort — selon l’appartenance raciale révèle une disparité alarmante entre les deux principaux groupes raciaux. On y mentionne notamment qu’alors que le taux d’homicides des jeunes hommes blancs entre 20 et 24 ans était déjà aberrant en 2001 — 102,3 pour 100 000 habitants —, le taux d’homicides des jeunes hommes negros était deux fois plus élevé, soit 218,5 pour 100 000 habitants. Ceci 25 Ici, je cite les données du recensement officiel de l’année 2000, alors que Telles, dans son étude, s’est fondé sur les données du recensement officiel de l’année 1991. Mon intention est de présenter un portrait plus proche du contexte présent que celui dessiné dans l’œuvre originale. 26 Le rapport du PNUD sur le racisme, la pauvreté et la violence fait état d’une divergence au sein des mouvements noirs en ce qui concerne la mise en valeur d’une notion plus élargie et souple fondée sur l’afro-descendance vis-à-vis d’une autre notion plus restreinte, strictement fondée sur le phénotype noir. Cette divergence est née lorsqu’un certain nombre d’étudiants ayant des traits plus proches des individus blancs ont commencé à revendiquer des quotas à l’Université. « Ce changement dans la classification raciale renverse les efforts entrepris dans les dernières années, lorsque la catégorie afrodescendante a été créée pour fonctionner comme un parasol sémantique en vue d’abriter des femmes et des hommes noirs positionnés dans les multiples gradations du phénotype. » (“ Essa mudança de classificação racial inverte os esforços empreendidos nos últimos anos, quando a categoria afrodescente foi criada para funcionar como um guarda-chuva semântico para abrigar mulheres e homens negros posicionados nas várias gradações do fenótipo”, PNUD, 2005, p.111.) 27 Un effet de l’application de la grille raciale est visible dans divers rapports et analyses internationaux, comme l’application de l’Indice de développement humain (IDH) au Brésil. Depuis 1997, on prévoit une analyse des inégalités de développement humain entre les divers groupes ethniques et raciaux, en décortiquant des variables comme l’espérance de vie, le taux de scolarisation et le revenu per capita. 39 représente « un risque équivalent à celui d’habiter dans des pays en guerre civilexxxvi. » La plupart de ces jeunes habitent dans les bidonvilles — aussi connus sous le nom de « favelas » — des grandes villes brésiliennes. L’inégalité de l’accès s’étend pratiquement à tous les autres domaines de la vie sociale, bien qu’elle se fasse remarquer de manière plus accentuée au niveau de la distribution du revenu. Ainsi, on verra que la population negra représente 44,7 % de la population du pays, mais que « sa participation atteint 70 % parmi les 10 % les plus pauvres, alors que ses revenus ajoutés correspondent à 26 % du total approprié par les familles brésiliennesxxxvii. » De plus, ces différences d’accès aux ressources et à la distribution des revenus sont encore plus dramatiques chez les femmes negras, qui souffrent d’une double discrimination de race et de genre. Selon le rapport du PNUD, « en 2003, les hommes blancs gagnaient en moyenne 113 % plus que les hommes negros, et les femmes blanches, 84 % plus que les femmes noiresxxxviii. » D’autre part, les leaders du mouvement et du secteur académique engagés dans la lutte contre la discrimination raciale sont conscients du fait que la grille officielle de l’IBGE non seulement produit des effets sociaux — pour utiliser les termes de Bourdieu — mais qu’elle sert également à construire ce qu’elle décrit. Ils savent notamment qu’en perpétuant les attributions négatives et positives implicites dans la grille de couleurs, la grille officielle finit par empêcher la formation d'une identité collective à caractère racial à proprement parler. De ce fait, seul un changement stratégique au niveau de l’ethnicité, à l’instar du regeres fines, pourrait opérer un véritable changement dans l’être, et ainsi permettre de récupérer l’autoestime et la dignité des personnes stigmatisées non seulement par leurs attributs phénotypiques, mais aussi par des termes de classements chargés d’une connotation négatives. Il s’agit donc d’une bataille dans le champ de la perception symbolique, qui 40 entraîne des changements à la fois dans la perception de soi et dans la perception des autres comme parties constituantes d’une collectivité raciale28. Les enjeux de pouvoir présents dans la concurrence entre les modes de classification sont évidents. Aperçu par ses défenseurs comme quelque chose qui peut servir de « stratégie défensive contre la stigmatisation et l’exclusion » (Rivera, op. cit, 1998, p.110) en ouvrant une voie pour le changement de la structure sociale toute entière, le changement dans l’ethnicité est considéré comme une véritable menace par ses opposants. Ainsi, suite à la décision de recommander à l’IBGE, dès l’année 1997, de considérer mulatos, pardos et noirs comme des membres de la population negra, le gouvernement brésilien a été durement critiqué par certains chercheurs en sciences sociales. Selon ces derniers, le gouvernement brésilien était en train de briser une longue tradition antiracialiste29 et antiraciste au Brésil, en définissant, pour la première fois, « un critère d’appartenance à une catégorie raciale et il violait des notions populaires sur l’être negro en incluant plusieurs personnes (notamment celles considérées comme des pardas lors du recensement) qui ne se sont jamais considérées comme tel. xxxix » L’activiste du Mouvement Noir Edson França (2007) rapporte la décision d’une coalition d’intellectuels — parmi lesquels se trouvent plusieurs spécialistes sur la culture noire et les questions raciales brésiliennes — qui se sont organisés pour déposer au Sénat une lettre 28 Une preuve de ce changement de perception a été détectée lors de la divulgation des résultats de la dernière PNAD. Selon l’éditorial du journal en ligne du Parti Communiste du Brésil (PcdoB), il y une décroissance du nombre d’individus qui s’autodéclarent blancs et pardos en faveur d’une légère augmentation de répondants de la catégorie noire. Ainsi, d’une population totale de 187,2 millions d’habitants, 49,7 % % déclarent une appartenance à la catégorie blanche, 42,6 % à celle des pardos et 6,9 % à la catégorie noire. (Voir 2007. A cor dos brasileiros. Portal Vermelho, Partido Comunista do Brasil. 2008 En ligne. <http://www.vermelho.org.br/base.asp ?texto=25208>.) Ceci veut dire que, pour la première fois depuis le XXe siècle, la population non blanche (si l’on tient compte des indigènes et des asiatiques) dépasse la population qui s’autodéclare blanche. 29 Certains auteurs tiennent à distinguer analytiquement la perception des attributs phénotypiques de la génération des comportements discriminatoires et racistes. D’autres considèrent que la perception même de ces attributs par le système cognitif entraîne des mesures de différenciation et de subordination raciale. Je reviendrai sur ce débat dans la section 2.6 du prochain chapitre, lorsque je confronterai les visions dites « multiculturaliste », d’une part, et « républicaine », d’autre part. 41 publique sous le titre suggestif Todos têm direitos iguais na República Democrática (ou « Tous ont des droits égaux au sein de la République démocratique »). Parmi les signataires et responsables de ladite lettre, se trouvaient Ali Kamel, auteur de Não somos racistas (« Nous ne sommes pas racistes »), Peter Fry, auteur de A persistência da raça (« La persistance de la race ») et de Divisões Perigosas (« Divisions dangereuses »), ce dernier en collaboration avec Yvonne Maggie, Marcos Chor Maio, Simone Monteiro et Ricardo Ventura Santos. França poursuit : Bien qu’il s’agisse de deux projets, logiques et principes très différenciés, la base argumentative pour le refus n’est qu’une seule : l’attribution des droits fondés sur la race peut diviser la société brésilienne et être la source de conflits raciaux jusqu’alors inexistants au Brésil.xl Ainsi, dans A persistência da raça, Peter Fry (2005) affirme que « la constitution de 1988 reconnaît et condamne le racisme, en le punissant en tant que crime irréparable. Dans ce sens, celle-ci conserve la longue tradition formelle républicaine brésilienne d’un a-racisme et de l’antiracismexli. » Cette supposée tradition est confirmée par Ali Kamel (2006) dans l’ouvrage Não somos racistas (« Nous ne sommes pas racistes »), lui-même directeur de la rédaction au sein de la principale chaîne de télévision au Brésil, la TV Globo : Ici, après l’abolition, il n’y jamais eu de barrières institutionnelles vis-à-vis des noirs ou de n’importe quelle ethnie. …………………………………………………………………………………………… Mais à partir des années 1950, une certaine sociologie a commencé à abandonner ce type de raisonnement pour commencer à diviser le Brésil entre blancs et non-blancs — ce n’est qu’un pas pour arriver à ceux qui aujourd’hui divisent le Brésil entre blancs et non blancs, en affirmant que negro est celui qui n’est pas blanc.xlii Ce dont la sociologie qui a divisé le Brésil entre Noirs et Blancs ne se rend pas compte, c’est qu’en faisant cela, elle a confirmé la construction raciste américaine, selon laquelle tout le monde qui n’est pas blanc est negro.xliii Dans un article d’opinion publié dans la revue Ciência Hoje (Grin, 2006), Monica Grin fait une surenchère de son souci d’équité en ce qui concerne les blancs pauvres, en synthétisant les peurs de ce que représente à son avis une véritable inversion des rôles : 42 Si, dans ce nouvel ordre, le pouvoir public doit avoir ses structures modifiées en vue d’implémenter des politiques orientées vers la dimension raciale, afin de corriger ou de réparer les injustices d’une « race » par rapport à l’autre, ceux qui sont pour une fatalité des blancs [ceux qui sont nés blancs], même s’ils sont pauvres et exclus, seront les « negros de demain ».xliv Certes, derrière la question de l’application d’une autre grille de classement se dessine tout un débat sur l’adéquation même de constituer des politiques spécifiques pour ces pans de la population — à travers les « politiques d’action affirmative » — vis-à-vis des politiques sociales de type universel. Alors que les défenseurs de la grille de classement du Mouvement Noir s’appuient sur une tradition d’études et de politiques publiques fondées sur le respect de la différence des groupes ethniques ou raciaux dans une perspective multiculturaliste, ses détracteurs s’appuient sur une tradition républicaine faisant prévaloir l’application des mesures universelles dans le combat contre la discrimination. Le débat autour des grilles de classement au Brésil me semble somme toute très illustratif pour rappeler que les catégories raciales ne constituent pas de catégories universelles et transcendantes, mais qu’elles sont plutôt définies dans des contextes socio-historiques précis. Dans le prochain chapitre, je vais essayer de défricher quelques repères historiques à partir desquels on pourra comprendre l’incidence des différents modèles d’identification raciale au Brésil. Compte tenu des critiques récemment adressées à cette nouvelle forme d’ethnicité émergente au Brésil, une place spéciale sera accordée aux visions critiques de l’idée de nation harmonieuse, sans conflits d’ordre racial, maintes fois réaffirmées dans l’historiographie officielle du Brésil. Comme je le démontrerai plus loin, la littérature raciale au Brésil est si vaste et si riche que sa trajectoire se confond avec l’essor même de l’État-nation brésilien et qu’elle nous renvoie aux premières revendications d’autonomie coloniale. CHAPITRE II RACE ET NATION AU BRÉSIL Dans le chapitre précédent, j’ai fait état de l’existence de trois grilles de classement racial au Brésil, chacune présentant un niveau particulier de subjectivité et d’ambiguïté. Dans le présent chapitre, j’examinerai le processus historique aboutissant à la fragmentation de l’identité raciale au Brésil, en faisant ressortir deux mécanismes idéologiques qui ont œuvré à son appui : le blanchissement et la croyance en l’existence d’une démocratie raciale au pays. Consciente du fait que cette révision est d’une portée très ambitieuse, et voulant faire autrement que simplement résumer les différentes auteurs et branches thématiques dans une perspective temporelle linéaire, je propose de circonscrire le débat — tout en gardant sa pertinence — à quelques questions : 1) quelle était la place de la « race » dans les discours fondateurs de l’État-nation ? 2) Pourquoi la race a-t-elle perdu de son importance ? 3) Pourquoi est-elle revenue sur la scène publique ? Autrement dit, j’examinerai pas à pas comment la fiction de la démocratie raciale a pu s’imposer face à d’autres discours concurrents sur le plan national pour devenir l’un des mythes fondateurs les plus puissants de l’histoire de l’État-nation brésilien. 2.1 Au royaume luso-américain : quelques particularités de l’essor de la nation brésilienne Le Brésil, ce pays-continent porteur de multiples contradictions et énigmes, s’est toujours voulu un cas d’exception en Amérique Latine. En ayant toujours l’Europe à l’horizon, la 44 recherche de la différence, voire l’obsession pour celle-ci, s’inscrit dans les différentes dimensions de la constitution de cet État-nation30. Le Brésil a été, tout d’abord, une anomalie politique. Caractère exceptionnel de la formation nationale au Brésil, la permanence du régime monarchique — même après l’indépendance de la métropole — est un aspect qui n’est pas passé inaperçu aux yeux de Benedict Anderson dans L’imaginaire national : Réflexions sur l’origine et l’essor du Nationalisme (2002). Selon lui, « nulle part aux Amériques on essaya sérieusement de recréer le principe dynastique, sauf au Brésil ; et même là, c’eût été probablement impossible si, fuyant Napoléon, la dynastie portugaise n’avait immigré en 1808. » (Anderson, 2002, pp.62-63.) La reconnaissance du fils du roi du Portugal comme empereur légitime de ce pays, bien qu’anecdotique, amorça une nouvelle étape de l’expérience monarchique qui eut lieu entre 1822 et 188931, tout en laissant de profondes traces dans l’imaginaire tout comme dans l’historiographie des premières années de la nation. 30 D’après Foucault : « L’histoire nous apprend à rire des solennités des origines ». Foucault, Michel. 1977. «Nietzsche, Genealogy, History». In Language, counter-memory, practice, Donald F. Bouchard, pp.139-164. New York: Cornell University Press. Voici ici une bonne occasion : l’un des premiers symptômes de cette envie de se distancer de ses voisins est la célébration de sa « découverte », donc de ses « origines », le 22 avril 1500 et ce, au détriment de la « découverte de l’Amérique » qui avait eu lieu le 12 octobre 1492. Autrement dit, la découverte de l’Amérique en tant que telle n’a jamais été incorporée au calendrier des festivités officielles au Brésil. Par contre, tout en demeurant un jour férié, le 12 octobre est une date officielle nationale : on y célèbre la fête de NotreDame d’Aparecida, sainte catholique reconnue patronne du Brésil. Deux véritables coups de force symboliques, issus d’une Amérique lusophone qui n’a pas su oublier les rivalités existantes entre les deux premières puissances métropolitaines à se disputer les richesses du Nouveau Monde — Portugal et Espagne. 31 Après son indépendance, le Brésil compta sur deux empereurs pendant ses 67 ans de monarchie. Le premier, D. Pedro I, fils de l’ancien roi du Portugal D. João VI, eut une courte trajectoire politique. Suite à la dissolution de l’Assemblée Nationale en 1823 — un an après avoir accédé au trône — et à l’imposition de sa propre Constituante au pays en 1824, D. Pedro I subit de fortes pressions de la part de la bourgeoisie agraire croissante en vue de le faire abdiquer. Un gouvernement transitoire prit le pouvoir entre 1831 et 1840, confirmant la seule expérience parlementariste du Brésil depuis son indépendance. Le deuxième empereur, D. Pedro II, naquit au Brésil, contrairement à son père, et prit le pouvoir en 1840 à l’âge de 14 ans. Il gouverna jusqu’à la Proclamation de la République, en 1889 et moura deux ans plus tard en exil. 45 Mais le Brésil a aussi été une anomalie d’un point de vue économique et social. Selon l’Atlas des esclavages : Traités, sociétés coloniales, abolitions de l’Antiquité à nos jours (Dorigny et Gainot, 2006) : Le Brésil […] fut le territoire qui vit débarquer le plus grand nombre d’esclaves africains : plus de 4 millions, soit près du tiers du total de la traite atlantique. Ce fut aussi le pays de la plus tardive des abolitions (1888). À l’esclavage des Africains s’ajoute ici un autre esclavage, peu important sur le reste du continent et presque totalement inconnu dans l’espace caraïbe, celui des Indiens, qui ne fut officiellement interdit qu’au milieu du XVIIIe siècle. Le Brésil d’aujourd’hui est la résultante de cet immense brassage des populations issues d’un esclavage aux traits spécifiques. (p.40.) Au sujet du caractère esclavagiste au Brésil32, le critique littéraire Alfredo Bosi rappelle, dans son ouvrage La culture brésilienne : une dialectique de la colonisation (2000), que Marx avait déjà utilisé le terme « anomalie » pour se référer à la place occupée par le mode de production latifundiaire, fondé sur le travail non salarié au sein du capitalisme moderne. Contrairement à la norme occidentale, caractérisée selon Marx par le passage de la condition 32 Ce travail ne pourrait pas faire correctement une synthèse de toutes les approches critiques de l’historiographie brésilienne dite « officielle », compte tenu de l’ampleur d’une telle tâche. Cependant, j’aimerais ici citer quelques auteurs ayant beaucoup contribué à un renouveau de l’approche historiographique traditionnelle. Le premier auteur est Clovis Moura qui, dans son Rebeliões da senzala: quilombos, insurreições, guerrilhas, publié au Brésil en 1959, analyse le Mouvement Abolitionniste en mettant en avant le caractère collectif des insurrections des esclaves, particulièrement en ce qui a trait à la généralisation du marronnage (ou « quilombos », tel qu’on s’y réfère au Brésil) (voir Moura, Clóvis. 1981. Rebeliões da senzala: Quilombos, insurreições, guerrilhas, 3. São Paulo: Ciências Humanas, 282 p.). Le deuxième est l’historiographe Jacob Gorender qui, dans O Escravismo colonial, signale l’importance du système esclavagiste pour l’unification de la nation brésilienne (voir Gorender, Jacob. 1978. O escravismo colonial, 2. São Paulo: Ática, 592 p.). Un fait est digne de mention : les travaux de Moura et Gorender défiaient non seulement la vision de l’historiographie officielle, mais aussi celle des interprétations historiographiques marxistes dominantes au Brésil. Selon celle-ci, la soumission des esclaves au despotisme de l’esclavage, compte tenu d’un système « capitaliste incomplet », était absolue. Somme toute, autant les interprétations officielles que les interprétations marxistes comme celle de l’École Paulista tendaient à surestimer le caractère révolutionnaire des révoltes d’esclaves, en même temps qu’elles marginalisaient le rôle de celles-ci dans la résistance face à l’oppression esclavagiste. Pour des approches critiques de l’historiographie traditionnelle, voir également Costa, Emilia Viotti da. 1966. Da senzala a colonia. São Paulo: Difusão Europeia do Livro, 497 p. et Dias, Manuel Nunes, et Carlos Guilherme Mota. 1968. Brasil em perspectiva. Coll. «Corpo e alma do Brasil». São Paulo: Difusão Européia do Livro, 415 p. En ce qui a trait à ce travail, je privilégie la réflexion d’Alfredo Bosi qui est, à son tour, largement tributaire des travaux de Gorender. 46 de paysan-serf à celle de travailleur salarié, Bosi reconnaît qu’au Brésil — et ailleurs où l’esclavage a pris place —, la modernisation des moyens de production fut intimement reliée aux formes les plus conservatrices d’exploitation du travail humain. De là, ce dernier conclut : « Ce fut tout au long de ce greffage à la fois moderne et rétrograde que se sont formées les pratiques politiques du peuple brésilien. » (Bosi, 2000, p.33.) À la formule monarchiste et esclavagiste s’ajoute un autre trait conservateur que l’essor de l’État-nation a su exemplairement faire ressortir : la centralisation de la production culturelle et intellectuelle. Dans son commentaire sur l’œuvre de l’historiographe Pedro Calmon, José Carlos Reis (2006) rappelle que la presse et même les ateliers d’imprimerie ont été interdits en sol brésilien jusqu’en 1808. Avant cette date, tous ceux désirant publier un livre devaient le faire au Portugal, sous les auspices et le tampon du roi. Conscient des dangers de divulguer les richesses du Brésil en outre-mer, poursuit l’auteur, le pouvoir métropolitain s’empêcha de publier plusieurs œuvres descriptives majeures, comme Culture et opulence au Brésil, écrite par le prête jésuite Antonil. On peut également citer dans ce contexte les œuvres ayant un contenu nettement critique et/ou une portée politique émancipatrice évidente, comme les Lettres Chiliennes, ces poèmes satiriques du XVIIIe siècle supposément adressés au roi du Portugal, et qui furent attribués au révolutionnaire Tomás Antônio Gonzaga, à l’instar de Montesquieu dans ses Lettres Persanes (Reis, 2006, p.61). Ce souci de contrôle sur la circulation de tout savoir portant sur le Brésil condamna à l’oubli, par exemple, le document fondateur de l’historiographie brésilienne — la lettre de Pero Vaz de Caminha —, celui qui raconte l’arrivée, en 1500, des premiers Portugais à la Terra de Santa Cruz — alias Brésil. Ce document fut « découvert » par hasard en 1773 dans des archives portugaises pour n’être publié, pour la première fois, qu’en 1817 dans l’œuvre Corografia Brasílica, éditée par Manuel Aires de Casal (Pereira, 2007). En fait, cette situation ne changea pas drastiquement, même plusieurs décennies après l’indépendance et ce, malgré l’avènement de la République33. Bien entendu, le contrôle métropolitain reposa autant sur la circulation de biens 33 Selon le célèbre expert en culture brésilienne Thomas Skidmore, avant 1914, la plupart de la production intellectuelle brésilienne était encore publiée en Europe, Garnier, localisée à Paris, étant la principale maison d’édition. Seule une petite partie des maisons d’éditions se trouvaient alors au Brésil. Skidmore, Thomas E. 1993. Black into White. Durham & London: Duke University Press. 47 culturels que sur ses institutions de production. Ainsi, « le Portugal refusa systématiquement d’autoriser la création d’établissements d’enseignement supérieur dans ses colonies, excluant de cette catégorie les séminaires de théologie. » (José Murilo de Carvalho cité par Anderson, 2002, p.63.) « Si l’essor de l’imprimerie-marchandise est la clé de la génération des idées entièrement nouvelles de simultanéité (…) » (Anderson, 2002, p.49), quels seraient alors les moyens d’autoprojection et de réflexion qui, d’après Anderson, sont nécessaires pour la définition identitaire nationale ? Dans son Imagem e auto-imagem do Segundo Reinado, l’historienne Ana Maria Mauad (2004) explique que la grande source de réflexion réside surtout dans les représentations pictorialistes des dessinateurs, peintres et portraitistes étrangers qui traversèrent le pays : « Indépendamment de la modalité du registre, ce fut le regard de l’étranger qui nous a encadrés, en même temps qu’il éduqua notre regard, pour que nousmêmes puissions nous regarder dans le miroir de la culture importée de leur pays d’originexlv. » Une bonne partie de ces artistes étaient venus dans le cadre de la Mission Artistique française, une entreprise de famille royale portugaise en 1816 marquant ainsi l’essor d’une nouvelle ère34. Cette mission, qui consacra des artistes comme Jean-Baptiste Debret, put enregistrer, pour la première fois dans l’histoire du Brésil, les paysages et le modus vivendi de la société coloniale. D’autres, comme Ender, Rugendas, Taunay et Hércules Florence, étaient venus en tant qu’accompagnateurs des scientifiques naturalistes entre les années 1830 et 1840 (Mauad, 2004, pp.184-191). Or, l’absence, ou l’exiguïté, d’un des lieux d’expression d’une pensée nationale et des institutions destinées à cette fin démontre bien l’écart existant entre la littérature nationale et la culture se développant dans les interstices de la sociabilité brésilienne. D’après Alfredo Bosi, « durant les siècles de colonisation portugaise et tout au long de l’histoire — une 34 Bosi explique le caractère double de la Mission Artistique Française au Brésil : « Il convient de relever que c’est par deux fois que revient l’idée de la substitution opérée par la nouvelle école que D. João VI avait fait venir au Brésil. On remplaça le baroque religieux et populaire par le néoclassique laïque et modernisant. » (Bosi, 2000, p.76.) 48 histoire déjà nationale — qui suit l’Indépendance, ce qui caractérise la culture du peuple, c’est sa production et sa reproduction au-dessous du seuil de l’écriture. » (Bosi, 2000, p.13.) Parallèlement, les élites brésiliennes préparèrent le terrain pour mener un projet de nation dont les classes subalternes n’auraient connu que les conséquences. Ainsi, à l’aube des années 1850, tous les éléments pour la consolidation d’un imaginaire national axé sur ces prérogatives raciales propres sont déjà réunis. « [Avec] l’indépendance politique consolidée, et ayant réprimé les luttes internes générées par celles-ci, le Brésil posséda un profil dont il ne s’était pas rendu comptexlvi. » Aux historiens d’en trouver un qui leur convenait le mieux ! C’est dans ce contexte conservateur, centralisateur, esclavagiste et marqué par l’exiguïté littéraire que les pouvoirs en place ont pensé l’émergence de l’Instituto Histórico e Geográfico Brasileiro (IHGB, 2007). Créé en 1838, l’IHGB est né « de l’aspiration d’une entité qui refléterait la nation brésilienne qui venait de conquérir son Indépendancexlvii 35 .» Ainsi, en 1840, l’institut promut-il un concours en vue de primer le meilleur projet d’écriture de l’histoire brésilienne. Le mémoire gagnant — intitulé Comment écrire l’histoire du Brésil, de l’Allemand Karl Phillipp Von Martius — proposait une histoire centralisatrice du Brésil. Son auteur, « en plus de mettre en évidence le mélange de races qui faisait du Brésil un cas singulier, même si celui-ci privilégiait la race Blanche, considère que l’historien du Brésil devra faire l’histoire de l’unité du Brésilxlviii. » L’amour envers la patrie et celui envers l’empereur constituaient alors deux éléments essentiels de cette centralisation. Von Martius, pour qui « l’étude de la diversité et de la variété seraient inviables dans le cas du Brésilxlix », est aussi considéré par Almeida (2006) comme le grand responsable du jet des piliers d’une théorie de la « démocratie raciale brésilienne36 ». Son projet intellectuel aura une portée 35 L’IHGB a compté avec le patronat de l’empereur D. Pedro II, qui a donné le premier espace physique pour la continuation de l’institut, qui a financé ses recherches, et qui y a présidé plus de 500 sessions. 36 L’extrait qui suit décrit les grandes lignes du projet historiographique de Von Martius: « Celui qui se chargera d’écrire l’histoire du Brésil, pays tellement prometteur, ne devra jamais perdre de vue quels sont les éléments qui y concourent pour le développement de l’homme (…) Ainsi, ce devrait être un point crucial pour l’historien réflexif de démontrer comment, dans le développement successif du Brésil, se trouvent établies les conditions pour le perfectionnement de trois races humaines, qui sont mises les unes à côté des autres dans ce pays, de manière jusqu’à présent méconnue dans l’histoire ancienne, et qui doivent servir mutuellement de moyen et de fin » (“Qualquer que se encarregue de 49 politique indélébile de longue durée, essentielle pour comprendre d’autres auteurs qui font éloge des Portugais et qui émergeront plus tard et ce, même après l’avènement de la République — pour ne pas dire jusqu’à nos jours. 2.2 La race au centre de discours identitaires de la nation émergente En fait, tous ces éléments sont d’une importance cruciale pour comprendre le contexte et la portée de l’œuvre de celui qui a été considéré comme l’« Hérodote brésilien » : Francisco Adolfo de Varnhagen (1816-1878). Selon José Carlos Reis (2007), Varnhagen fut le grand réalisateur du projet historiographique lancé quelques années auparavant par Von Martius37. Certes, s’il n’a pas été le premier à écrire une histoire du Brésil38, il est du moins reconnu pour avoir apporté au Brésil les dernières méthodes de la recherche archiviste et de la méthode critique caractéristiques du XIXe siècle. Fils d’un officier allemand et d’une Portugaise, Varnhagen vécut la plupart de sa vie à l’extérieur du Brésil, ce qui lui a offert de nombreuses occasions de consulter des archives escrever a história do Brasil, país que tanto promete, jamais deverá perder de vista quais os elementos que aí concorrerão para o desenvolvimento do homem (…) Portanto, devia ser um ponto capital para o historiador reflexivo mostrar como no desenvolvimento sucessivo do Brasil se acham estabelecidos as condições para o aperfeiçoamento de três raças humanas que nesse país são colocadas uma ao lado da outra, de uam maneira desconhecida na História Antiga, e que deviam servir-se mutuamente de meio e fim”, De Castro Rocha, João Cezar (2003). As origens e os equívocos da cordialidade brasileira. Nenhum Brasil existe. Pequena enciclopédia. João Cezar de Castro Rocha. Rio de Janeiro, Editora UniverCidade, p.210). 37 Selon Almeida, « les travaux et les résultats de Varnhagen ne furent possibles que grâce à la création de l’Instituto Histórico e Geográfico Brasileiro (IHGB), organisme financé par l’empire pour institutionnaliser toute connaissance historique de façon à légitimer le contrôle portugais », (“Os trabalhos e os resultados de Varnhagen só são possíveis graças à criação do Instituto Histórico e Geográfico Brasileiro (IHGB), órgão financiado pelo império para institucionalizar todo conhecimento histórico de forma a legitimar o controle português, Almeida, 2006, p.1). 38 L’œuvre História Geral do Brasil, de Varnhagen, a été précédée d’autres comme celles qui suivent: História da Província de Santa Cruz (1576), de Pero de Magalhães Gândavo; História do Brasil (1627), de Vicente do Salvador; História da América Portuguesa (1730), de Sebastião da Rocha Pita; et História do Brasil (1810), de Robert Southey. 50 étrangères et d’élaborer des documents historiques39. Varnhagen conçut surtout une œuvre étroitement liée à sa trajectoire personnelle : grand admirateur et ami personnel de l’empereur D. Pedro II, « son adhésion à la Couronne fut totale, et il représenta celle-ci dans divers pays de l’Amérique Latine et de l’Europel». En 1854, il publia le premier volume de História Geral do Brasil (Varnhagen, 1854), œuvre considérée par l’historien Valder Almeida (op. cit.) comme le véritable acte de naissance du Brésil en tant que nation libre40. Au défi de présenter un portrait fidèle de son pays de naissance et d’adoption, Varnhagen répondit avec un récit dans lequel « les intérêts mercantiles, les méthodes cruelles, l’esclavage et les génocides sont dissimulés sous la couverture de l’harmonie, de la collaboration et du consentementli.» En citant dans sa préface l’évêque brésilien Azeredo Coutinho, Varnhagen affiche clairement ses positions à l’endroit de l’esclavage : « L’esclavage et la subordination sont le premier pas pour la civilisation des nationslii. » Dès lors, les grandes lignes d’un projet civilisateur dénoncent l’exclusion des pans indigènes et africains de la population brésilienne. « Pour nous, l’idée selon laquelle l’histoire générale de la civilisation du pays doit faire face aux éléments de la population indienne et africaine est exclueliii. » D’un côté, l’exclusion de l’indigène entraîna une appropriation sélective du passé, selon laquelle « les autochtones n’étaient pas, somme toute, en tant que sauvages, les propriétaires du Brésil, de même que le terme Brésilien ne peut leur être appliquéliv. » Le negro ne trouve pas non plus sa place dans ce projet de nation brésilienne, bien qu’une nuance importante doive être portée sur sa vision 39 Il est intéressant de noter que Varnhagen aura vécu la plupart de sa vie à l’extérieur du Brésil, ce qui ne l’a pas empêché d’adopter la nationalité brésilienne à l’âge de 25 ans — fait à souligner : ce fut après la confirmation anticipée de D. Pedro II au trône du Brésil. Son attachement à ce pays se traduit, entre autres, par la façon à travers laquelle il se présentait : Vicomte de Porto Seguro et né à Sorocaba (Reis, 2007, p.24). 40 Valder Almeida compare História Geral do Brasil à la lettre de Pero Vaz de Caminha: « Pour ceux qui voient la lettre de Pero Vaz de Caminha comme l’acte de naissance des terres nouvellement concquises, l’œuvre de Varnhagen História Geral do Brasil, chargée de qualificatifs et nettement favorable aux Portugais, représente bien une première tentative de registre d’identité » (“Para aqueles que vêem na Carta de Caminha a certidão de nascimento das terras recém-conquistadas, a obra de Varnhagen História Geral do Brasil, recheada de adjetivos e lusofania, representa muito bem a tentativa dum primeiro registro de identidade. ” (Almeida, 2006, p.2.) 51 de l’esclavage : celle-ci serait en effet en grande partie responsable de la dégénération des peuples africains qui, « sans liberté individuelle, sans les réjouissances de la famille, sans l’espoir de s’associer à leur propre guise ou celle de ses enfants et petits-enfants — dont l’émancipation ne mettra pas plus d’un siècle à venir —, on n’a pas à attendre d’eux de sentiments plus nobleslv. » Comme l’explique Reis, Varnhagen « même en étant l’un des premiers grands défenseurs de la colonisation portugaise, regrettait le fait que celle-ci [la colonisation portugaise] ait dû être latifundiaire et esclavagistelvi. » Loin de vouloir résumer l’ensemble de l’œuvre de Varnhagen, ce qui m’intéresse particulièrement, c’est de souligner comment le projet colonisateur — ce bienfait de l’homme européen, porteur d’un héritage culturel nettement supérieur — est défendu sur le plan des idées par des stratégies rhétoriques très précises. La première de ces stratégies consiste à relativiser — voire à faire preuve de négationnisme envers — la souffrance et les dommages infligés aux populations indigènes et negras. Les indigènes, par exemple, « (…) ne pouvaient pas être civilisés sans la présence de la force, dont on n’a pas tellement abusé, comme on a l’habitude de direlvii. » Une fois les positions de l’oppresseur relativisées — et, par conséquent, celles de l’opprimé aussi —, une deuxième stratégie rhétorique est employée : l’inversion de la responsabilité. Celle-ci consiste à faire croire que la colonisation s’est réalisée avec le consentement, voire la collaboration, des races subalternes. Cette stratégie est confirmée par l’autre extrait cité ciaprès, portant sur la mission de reconnaissance qu’Amerigo Vespucci mena sur la côte brésilienne en 1501. Varnhagen nous fait alors savoir que les deux équipiers qui débarquèrent au Cape de Saint Roque furent mangés par les indigènes locaux. « Ainsi, conclut-il, la première rupture et agression entre ceux de la terre et les futurs colonisateurs ne vint pas de ces derniers, lesquels furent victimes de trahison et laissèrent les premiers en toute impunitélviii. » Il y a pourtant là un élément nouveau, qui va faire chanceler les deux stratégies antérieures : la supposée absence de mérite de la part de ces deux groupes. Et, lorsque les guerres contre 52 les envahisseurs étrangers (Hollandais, Français, etc.) éclatèrent dans la colonie brésilienne, ce n’est que grâce à une démonstration de « tolérance » et de « charité chrétienne » de la part du colonisateur civilisé que ces hommes d’origine africaine et indienne purent finalement être honorés pour leurs efforts durant la guerre. Ceci prouvait d’ailleurs « que la position défavorisée dans laquelle ils se trouvèrent ne résultait pas de leur couleur de peau, mais plutôt de leur manque de méritelix. » Devant un portrait tellement négatif de l’héritage racial brésilien, Varnhagen ne vit qu’une seule solution envisageable et désirable du point de vue du statu quo : l’assimilation de cette population majoritaire de couleur par l’immigrant européen. S’il est clair que l’élément européen est celui qui constitue pour l’essentiel la nationalité à l’heure actuelle — et ce, grâce à la venue de nouveaux colons de l’Europe —, c’est encore avec cet élément chrétien et civilisateur que doivent être accueillies les anciennes gloires de la patrie et, par conséquent, l’histoire nationale.lx Bref, s’il y a une trace d’actualité à reconnaître dans l’œuvre de Varnhagen, celle-ci se trouvera sûrement dans la permanence, plus ou moins inaltérée au fil des années, de ces trois arguments principaux : la relativisation de la souffrance et de l’oppression, l’inversion de la responsabilité pour les dommages infligés, ainsi que les allégations de manque de mérite. Ces arguments serviront de matière pour les discours de déresponsabilisation historique devant l’oppression raciale dont la portée se fait sentir encore de nos jours. L’éloge de la colonisation portugaise sera répandu maintes fois, au fur et à mesure que des nouveaux éléments s’y seront ajoutés. Concrètement, les années à venir marqueront l’essor d’un projet politique d’assimilation culturelle vis-à-vis de l’héritage africain et autochtone, en même temps qu’on valorisera de plus en plus le caractère métis de cette société, comme je le montrerai par la suite. 53 2.3. Racisme scientifique et métissage au Brésil : le blanchissement comme solution L’historiographie au Brésil ne saurait-elle pas non plus faire abstraction de l’esclavage, ne fut-ce qu’en tant que solution, remède, problème ou héritage ? Dans son paradigmatique Black into White : Race and Nationality in Brazilian Thought (Skidmore, 1993), Thomas Skidmore propose une excellente synthèse du scénario intellectuel de la fin du XIXe siècle. Sur le plan philosophique prédominait l’éclectisme français, une synthèse des idées philosophiques et religieuses floues qui, « grâce à son caractère vague, était le compagnon parfait pour une tradition religieuse faiblelxi 41 ». Sur le plan politique, les anciennes divisions entre libéraux42, d’un côté, et conservateurs, de l’autre — une division qui, vers 1822, année de l’indépendance, signifiait l’opposition entre les supporteurs des intérêts typiquement « brésiliens » et les défenseurs de l’absolutisme — étaient vers 1860 complètement mélangées et ne faisaient plus de sens. Sur le plan littéraire, un Romantisme très influencé par les écoles européennes finira par passer d’un culte général de la nature au culte de l’Indien brésilien : Avec l’arrivée de l’ère du Romantisme, l’Indien devient un symbole des aspirations nationales brésiliennes. Il a été transformé dans un prototype littéraire ayant peu de connexions avec son rôle réel dans l’histoire brésilienne. Tout comme l’Indien de James Fenimore Cooper, l’Indien du Romantisme brésilien était un symbole littéraire sentimental qui n’offrait pas de menaces au confort de ses lecteurs.lxii 41 Il est vrai que la supposée faiblesse de la tradition religieuse brésilienne peut sembler paradoxale par rapport à la centralité, par exemple, du catholicisme dans l’œuvre de Varnhagen. Mais Skidmore justifie son point de vue en plaçant le Brésil dans un rapport comparatif avec le reste de l’Amérique latine : « En 1865, le Brésil était catholique, quoique en comparaison avec la Nouvelle Espagne, l’Église brésilienne manquait à la fois de richesse et de personnel nécessaires pour opérer en tant qu’institution puissante et indépendante » (“ In 1865, Brazil was catholic, although, compared to New Spain, the Brazilian Church lacked both the wealth and the personnel to operate as a powerful and independent institution”, Skidmore, 1993, p.3). 42 Alfredo Bosi (op. cit.) élucide le caractère contextuel que le libéralisme économique et la doctrine du laissez-faire ont pris au Brésil : « Les marques symptomatiques du libéralisme brésilien (et à la limite néocoloniales) se profilent ici : insertion du Brésil dans une division internationale rigide de la production ; défense de la monoculture ; refus de toute interférence de l’État autre que celles visant à assurer les bénéfices de la classe exportatrice » (Bosi, 2000, p.250). L’auteur fait d’ailleurs une distinction importante entre ce libéralisme peu orthodoxe du début de l’Empire et un autre, à caractère antiesclavagiste et républicain qui aurait émergé à la fin du XIXe siècle. 54 Dans ce même sens, les negros qui étaient souvent représentés dans cette littérature sous le stéréotype d’« esclave héroïque », d’« esclave soufreur » ou de la « belle mulâtresse » ne reflétaient en rien l’homme libre de couleur qui était présent à tous les niveaux de la société brésilienne. Le sort des esclaves changera quelque peu avec l’éclatement de la Guerre du Paraguay, à laquelle le Brésil participa entre 1865 et 1870, en rajoutant une goutte d’eau au mécontentement d’une partie des élites face à la centralisation administrative de l’empire. Très impopulaire au Brésil, cette guerre finit par mettre la lumière sur les problèmes nationaux d’éducation et de transport, servant aussi d’occasion pour la montée du pouvoir militaire au sein du régime monarchique. En 1868, la décision de l’Empereur de refuser le retrait de la guerre précipita la formation du Parti Républicain. Parallèlement, l’incapacité de mobilisation d’hommes libres pour la guerre forçait le pouvoir établi à puiser dans ses stocks d’esclaves, à qui la liberté était promise en échange. Après la guerre, ces anciens esclaves devenus officiers dans l’armée furent eux-mêmes confrontés à l’étrange dilemme de pourchasser les esclaves fugitifs. Dès lors, les idées républicaines et abolitionnistes prirent de l’espace au sein de milieux militaires. En même temps, le Brésil fut un véritable laboratoire pour des intellectuels et des scientifiques racistes tels qu’Arthur Gobineau et Louis Agassiz. Dans son essai Mistificações da Ciência (Schneider, 2006), portant sur les empreintes des théories racistes au Brésil entre les XVIe et XIXe siècles, Alberto Schneider révèle que « tous les deux ont été au Brésil et ont consigné dans leurs livres les regrets d’un pays plein de noirs et, pis encore, de métisses de toutes les couleurslxiii. » Louis Agassiz, professeur de zoologie de l’Université Harvard, a aussi visité le pays entre 1865 et 1866 pour écrire A Journey in Brazil (1867). Ce scientifique conservateur et profondément chrétien était aussi un supporteur de la thèse du polygénisme, selon laquelle les différentes races humaines étaient originaires de plusieurs sources diverses. Schneider explique qu’à la lumière des nouvelles théories scientifiques en vogue en Europe et aux États-Unis, ces théories ont été réinterprétées de façon à mettre en évidence les groupes humains comme étant naturellement inégaux. Considérant le métissage comme la perte des qualités « physiques et morales » des races originaires, Agassiz ne pouvait être que 55 pessimiste : « Ceux qui remettent en question les effets néfastes du mélange de races et qui sont menés par une fausse philanthropie à rompre toutes les barrières imposées entre cellesci, devraient venir au Brésillxiv. » À son tour, le passage d’Arthur Gobineau au Brésil entre 1869 et 1870 (Raymond, 1990) marqua la naissance d’une longue amitié avec l’Empereur Dom Pedro II, qui « sera suivi[e] d’une correspondance fidèle avec l’empereur et par des articles sur le Brésil » (Raymond, 1990, p.31). Le comte de Gobineau, qui avait publié entre 1853 et 1855 Essai sur l’inégalité des races humaines, est tenu responsable de l’apport d’«une espèce de fondement philosophique pour le développement d’une argumentation scientifique sur l’inégalité naturelle des raceslxv. » Bien qu’il soit extrêmement pessimiste quant à l’avenir de toute l’Amérique du Sud, dont la « décadence est sans remède » (Gobineau, 1853-1855), Gobineau envisage encore une dernière lueur d’espoir pour le Brésil : Si au lieu de se reproduire par elle-même, la population brésilienne était en position de subdiviser davantage les éléments fâcheux de sa constitution ethnique actuelle, en les fortifiant par des alliances d’une valeur plus haute avec les races européennes, alors les mouvements de destruction observés dans ses rangs s’arrêteraient et feraient place à une condition toute contraire. La race se relèverait, la santé publique s’améliorerait, le tempérament moral serait renforcé et des modifications plus heureuses s’introduiraient dans l’état social de cet admirable pays. (Gobineau cité par Raymond, 1990, p.52.) À ceci s’ajoute encore l’influence de l’anthropologie criminelle de l’italien Cesare Lombroso qui, dans L’uomo Delinquente (1876), affirmait que la criminalité était un phénomène physique et héréditaire. Selon le Rapport Racismo, Pobreza e Violência du PNUD, ces thèses ont trouvé un sol fertile au sein des intellectuels brésiliens, à un point tel que « les facultés de Médicine (à Rio de Janeiro et à Salvador) et de Droit (à Recife et à São Paulo), ainsi que les instituts historiques et géographiques et les musées d’ethnographie, ont été d’importants centres de diffusion de telles idées au payslxvi ». D’après Schneider, c’est dans ce contexte d’idées politiques et scientifiques que le Brésil des années 1870 a connu un véritable renouvellement culturel. Une génération de jeunes 56 intellectuels provenant de Recife, Alagoas et, plus tard, São Paulo et d’autres parties du Brésil, s’est mise à « critiquer la monarchie, l’esclavage, le catholicisme et tout ce qui était défini comme constituant le retard du payslxvii ». La génération moderniste de 1870 s’est précipitée pour faire une mise à jour de la société de l’époque, tout en se laissant séduire par « l’universalisme scientificiste et fréquemment raciste, [qui] l’a amenée à se méfier du destin d’un pays tellement marqué par le mélange de races et par l’ample présence de noirslxviii ». Ainsi, au début des années 1870, Sílvio Romero et Tobias Barreto lancèrent une campagne contre l’Indianisme et l’Éclectisme jusque-là dominants. Si Tobias Barreto propageait, de son côté, un allémanisme littéraire, Sílvio Romero — figure de proue du positivisme brésilien et lecteur de Gobineau, Agassiz, Darwin, Spencer et Galton — est un cas symptomatique de l’amalgame alors existant entre la foi en la science et les théories sur l’inégalité raciale (Schneider, 2006, p.82). Dans História da Literatura Brasileira, Romero (1888) affirme que « tous les Brésiliens sont métis, et s’ils ne le sont pas dans le sang, ils le sont du moins dans les idées. Les artisans de ce fait initial sont : le Portugais, le Negro, l’Indien, l’environnement physique, ainsi que l’imitation étrangèrelxix. » Selon Schneider, Romero considérait le métis comme une « nouvelle forme de différenciation nationale », fruit de rapports entre des races naturellement inégales. Cependant, cette fois-ci, le métissage était conçu à l’opposé de la thèse de Gobineau : « (…) pas seulement le métissage ne le semblait pas dégénératif, mais il est aussi bénéfique dans le passé que dans le futur, puisqu’il a permis et permettra l’élévation des races arriéréeslxx. » Encore selon Romero, le métissage est vu dans une optique nettement pro-européenne, dans l’espoir qu’un jour le « bon métissage » — où l’élément Blanc prédomine — prendra le dessus sur les « mauvais côtés du métissage » (Romero, 1888, p.115). L’œuvre de Romero doit être ainsi comprise dans cette expansion du Positivisme au Brésil. Skidmore explique que « le positivisme, l’évolutionnisme et le matérialisme furent intensément étudiéslxxi », ce qui incluait des auteurs comme Comte, Darwin, Haeckel, Taine et Renan. Comme le souligne Skidmore, « on ne peut pas comprendre l’influence du Positivisme au Brésil sans se rappeler que celui-ci attirait des suiveurs ayant une grande 57 diversité de niveaux d’engagementlxxii. » Et si le Positivisme a trouvé un terrain si fertile pour sa prolifération, comme nous le verrons par la suite, c’est en grande partie grâce à la vulnérabilité dans laquelle se trouvait la mentalité traditionnelle (Skidmore, 1993, p.12). Il est important de noter que le « positivisme attirait aussi les membres des élites désirant le développement économique sans la mobilisation socialelxxiii. » Cet aspect est très important pour comprendre l’essor et les motivations d’un Mouvement Abolitionniste au Brésil. Ainsi, même si l'on a vu certains membres des élites blanches agir à l’instar de José Bonifácio de Andrada e Silva, qui avait lancé son appel à une abolition totale des forces esclaves dès 1825, ce n’est qu’en 1879 que les politiciens débuteront une campagne nationale en vue de l’émancipation immédiate de tous les esclaves. Avant cette date, les initiatives d’abolition partant des élites blanches étaient rares et isolées, ne constituant pas un mouvement à caractère national. Ces mêmes élites ont rédigé deux lois en 1871, et 1883, qui prévoyaient l’émancipation des esclaves avec certaines restrictions : la première autorisait celle des esclaves nés à partir de 1871, et la deuxième, celle des esclaves à l’âge de 65 ans à partir de 1883. Ce n’est qu’en 1888 que ces élites proposeront une émancipation totale et complète. Ironiquement, la loi accordant une solution finale et définitive à l’esclavage fut le résultat de l’initiative de dernière minute d’un groupe de planteurs de São Paulo qui « ont vu que le remplacement de l’esclave par le travail libre était inévitable et qu’il pourrait même être bénéfique, puisque les travailleurs libres seraient moins chers et plus efficaces que les esclaveslxxiv. » Chez ces planteurs de café, « ce qui semble à première vue être de l’antiesclavagisme est, rigoureusement parlant, une action en faveur de l’immigration européenne. » (Bosi, 2000, p.269.) C’est dans cet ordre d’idées que fut promulguée, en 1888, la très controversée Loi Aurea, qui reconnaissait l’émancipation définitive de l’esclave sans qu’aucune forme de réparation ou d’indemnisation ne soit prévue pour les populations jusque-là soumises. On ne doit pas s’étonner de voir émerger un nouveau libéralisme, cette fois-ci à caractère urbain, qui, tout en défendant pleinement l’émancipation de la main-d’œuvre esclave, fera de 58 l’esclavage la grande responsable du retard national : « C’est de la falsification des élections que proviennent toutes nos difficultés, de même que c’est du travail esclave que découlent tous nos retards industriels. Ce sont donc là, à mon modeste avis, les deux points cardinaux vers lesquels doivent converger l’attention et l’effort du Parti libéral. » (José Saraiva cité par Bosi, 2000, p.273.) L’esclavage était un véritable coup de force dans l’auto-estime d’un pays moralement sanctionné par les nations de l’Europe et de l’Amérique du Nord, pour qui le Brésil serait considéré comme un véritable anachronisme au sein du monde moderne. Bosi résume les deux grandes forces politiques en vogue en 1888 en termes d’opposition : d’un côté, le nationalisme conservateur, inspiré de l’Instituto Histórico e Geográfico Brasileiro, de l’œuvre de Varnhagen et de l’Indianisme romantique d’auteurs comme José de Alencar ; de l’autre, un nationalisme réformiste ou radical, qui préconisait « l’élévation du Brésil au niveau de la civilisation occidentale » (Bosi, 2000, p.284). C’est à partir de cette opposition qu’est née l’une des fictions politiques les plus durables dans l’histoire du Brésil : le mythe de l’existence au Brésil d’une démocratie raciale. Comme le résume bien Hasenbalg, « l’idéal de blanchissement, déjà présent dans la pensée abolitionniste, n’était pas seulement une rationalisation ex-post du stade avancé de métissage racial de la population du pays, comme le reflétait aussi le pessimisme racial de la fin du XIXe sièclelxxv. » Une fois mis en branle les piliers de la première arme idéologique contre la formation d’une identité raciale au Brésil, il faudra encore attendre les années 1930 pour mettre en scène l’un des plus puissants mythes fondateurs de la nation brésilienne : le mythe de la démocratie raciale. 2.4 La naissance du mythe de la démocratie raciale : entre l’immigration et le projet eugéniste Selon Hasenbalg, « les principes les plus importants de l’idéologie de la démocratie raciale sont l’absence de préjugé et de discrimination raciale au Brésil et, par conséquent, l’existence 59 de possibilités économiques et sociales égales pour blancs et negroslxxvi. » Or, pour comprendre sa permanence sur le plan social, il faut reconnaître que l’histoire raciale brésilienne a été tout d’abord — et principalement rapportée selon les termes et les intérêts des classes dominantes — dans une démarche réflexive qui renforçait le statu quo et la suprématie raciale blanche. Il aurait également fallu une certaine dose d’originalité de la part du secteur intellectuel brésilien pour que l’on s’approprie la pratique du métissage — en plein essor du racisme scientifique — en sa faveur et à la manière de Silvio Romero et de tant d’autres. Néanmoins, aucun auteur ne saurait laisser une trace si durable dans la pensée raciale du pays que Gilbero Freyre grâce à son classique Casa Grande & Senzala — Maîtres et esclaves dans la traduction française (Freyre, [1933]1974) — publié en 1933. Dans son analyse du parcours académique de Freyre, Rodríguez Larreta (2003) raconte que l’auteur de Casa Grande & Senzala est né en 1900 dans l’un des anciens épicentres de la culture de la canne à sucre au Brésil, la ville de Recife. Gilberto Freyre a étudié au Collège américain Baptiste et, par la suite, à l’Université de Columbia, sous la direction de l’anthropologue allemand Franz Boas. Maître et disciple ont proposé une discussion sur « la race à partir d’une vision riche et complexe du rôle de la culture et des processus culturelslxxvii », en contraposition face aux approches dominantes de l’anthropologie physique, de la biologie et du déterminisme. Je n’essaierai pas de résumer l’ensemble d’une œuvre si multifacétaire et complexe que Casa Grande & Senzala, mais plutôt d’isoler quelques éléments importants pour comprendre la dynamique démographique brésilienne à l’heure actuelle. Sur le plan national, notamment, l’œuvre de Freyre fera opposition aux travaux de penseurs conservateurs selon lesquels le métissage du peuple brésilien était un « problème » à résoudre. Selon la classification proposée par Reis (2006), le contexte des années 1930 est marqué par la contribution de certains auteurs, allant du conservatisme ingénu de Pedro Calmon jusqu’à l’ultraconservatisme tragique de Oliveira Vianna, sans oublier le conservatisme pessimiste de Carlos Bonfim. Ces derniers ont en outre constitué un arrière-plan théorique général auquel 60 Freyre s’est opposé. Larreta le voit aussi en confrontation avec un contexte plus ample d’auteurs latino-américains — parmi lesquels Oliveira Vianna, mais aussi José Ingenieros et Alcides Arguedas (Larreta, 2003, p.199). Larreta explique également que Casa Grande & Senzala est le fruit direct d’une confluence d’expériences diverses, comme l’exil de Freyre, ses voyages en Afrique et à Lisbonne, des recherches supplémentaires portant sur la colonisation portugaise, son passage comme professeur par l’Université de Stanford, ainsi qu’une correspondance personnelle avec le critique littéraire américain Henry Mencken. Autant d’expériences qui susciteront, en partie, les nombreuses innovations méthodologiques de l’œuvre en question. Freyre se proposera alors de faire une histoire intime et sociale de l’élite esclavagiste en décadence, où il « souligne l’importance de revivre le passé sous toutes ses couleurs et saveurs, manifestant son impatience face à l’histoire politique et diplomatiquelxxviii ». Selon Reis, « ce qu’il a produit a été une espèce d’auto-anthropologie de la culture dans laquelle il est né, celle du nord-ouest brésilien. Comme un romancier, il ne s’est pas mis à l’extérieur de son propre objetlxxix. » Cette véritable antipathie pour l’histoire officielle l’aurait d’un certain côté, mis à l’écart de toute une génération des historiens et essayistes qui, comme Varnhagen, appréciait substantiellement les sources documentaires dites officielles. « Cependant, Casa Grande & Senzala est une œuvre néovarnhageniéenne : c’est un nouvel éloge de la colonisation portugaise, une justificative de la conquête et de l’occupation portugaise au Brésil, affirme Reislxxx. » Il s’est formé en Amérique Tropicale une société agraire dans sa structure, esclavagiste dans sa technique, celle de l’exploitation économique, et mêlée à l’Indien — plus tard au nègre — dans sa composition. Une société qui se développera, défendue moins par la conscience raciale, quasi nulle chez le Portugais cosmopolite et plastique, que sur l’exclusivisme religieux, dédoublée en un système de prophylaxie sociale et un système de prophylaxie politique. (Freyre, 1974, p.27.) 61 Il est vrai que, contrairement à Varnhagen, Freyre a mis l’accent sur les aspects culturels de ces trois races, de façon à déconstruire l’idée dominante d’un déterminisme biologique de la race. Mais, ce faisant, « Freyre dépasse même Varnhagen dans son élogelxxxi ». En effet, si Varnhagen regrettait la présence africaine, à la limite même l’esclavage — puisque celle-ci était l’objectif majeur de la venue des noirs en Amérique —, « Freyre est plus radical dans son appui aux options pour le latifundium et pour l’esclavage [justement] parce que celui-ci a accepté et mis en valeur la présence noire au Brésillxxxii ». Bien que l’hommage au colonisateur soit également présent ailleurs, chez d’autres auteurs comme Sergio Buarque de Hollanda, il résiste fort bien encore de nos jours. L’année 1936 aurait aussi connu la publication d’un autre classique, également inscrit dans la tradition néovarnhageniéenne, faisant l’éloge de la colonisation portugaise. Suivant la même ligne argumentaire de Gilberto Freyre dans son deuxième livre, Sobrados & Mucambos43 — The Mansions and the Shanties dans la traduction anglaise (Freyre, [1936]1968) —, Sérgio Buarque de Holanda propose, dans son fameux Raízes do Brasil, de rapporter des coutumes indigènes adoptées par les colonisateurs par nécessité de survie dans les Tropiques. Dans cet ouvrage, ce n’est donc pas la souffrance des assujettis qui est mise en cause, mais la capacité des oppresseurs de s’adapter aux nouvelles conditions de vie. Bosi signale bien le ton donné aux efforts d’adaptation chez l’un et l’autre auteur : Les diverses formes de ce que l’on a appelé assimilation luso-africaine et luso-tupi [ou luso-indigène], vues sous cette optique, acquièrent un relief si important qu’elles laissent à un discret second plan ou à celui des sous-entendus les aspects structurels et constants d’assujettissement et de violence qui ont marqué l’histoire de la colonisation. (Bosi, 2000, p.39.) 43 En comparant les deux premiers livres de Gilberto Freyre, João Cezar de Castro Rocha écrit: « Or, si Casa Grande & Senzala a offert un panorama ample de la formation de la société brésilienne sous l’égide du patriarcat rural, Sobrados & Mucambos présente le processus d’accommodation sociale qui s’est instauré avec la décadence du patriarcat’. (“Ora, se Grande & Senzala ofereceu um vasto panorama da formação da sociedade brasileira sob a égide do patriarcado rural, Sobrados & Mucambos apresenta o processo de acomodação social que se instaurou com a decadência do patriarcado”, De Castro Rocha, 2003, p.206.) 62 Ce n’est nullement un hasard qu’on retrouve d’emblée l’absence de fierté raciale de la part du Blanc portugais parmi les caractéristiques socioculturelles que Buarque de Holanda et Freyre ont considérées comme récurrentes chez le colonisateur portugais : Dans sa capacité à se modeler sur tous les milieux, souvent au détriment de ses propres caractéristiques raciales et culturelles, le Portugais a démontré des meilleures aptitudes au rôle de colonisateur que les autres peuples, plus inflexiblement attachés, peut-être, aux particularités qui s’étaient constituées dans le Vieux Monde. (Buarque de Holanda cité par Bosi, 2000, p.41.) L’absence de conscience de race semble alors le facteur « récurrent » caractérisant l’attitude du Blanc brésilien envers l’Autre racialement distinct. Dans Sobrados & Mucambos, Freyre avance une explication révélatrice : Précisément, ce qui est caractéristiquement le plus vivant dans l’ambiance sociale brésilienne, nous semble-t-il, c’est la réciprocité entre les cultures ; et [ce n’est] non pas la prééminence marquée de l’une sur l’autre, au point que celle qui est en bas ne puisse rien donner de soi, tout en se conservant, comme dans d’autres pays métissés, dans un état de permanente crispation ou de refoulement.lxxxiii Le principal problème de l’argument de l’absence de conscience ou de fierté raciale, aperçu par Freyre et Buarque de Holanda comme une valeur positive, est la connexion en un clin d’œil qui est faite entre celui-ci et la supposée inexistence de l’exploitation et de l’oppression des autres groupes raciaux par le Blanc. Toutefois, le lien entre ces deux idées est plus faible que ce qu’on aurait pu croire, à en juger par des réflexions comme celle de l’historien Sidney Chalhoub (2006). Celui-ci démontre, entre autres, que l’oppression et la discrimination raciale peuvent être parfaitement faites en totale absence d’un racisme légalisé, c’est-à-dire d’un racisme appuyé par des codes prévoyant formellement la racialisation des individus et des espaces institutionnels distincts à leur fin. Chalhoub explique notamment que dans la Constitution Brésilienne de 1824, « la seule en vigueur durant toute la période monarchique, (…)lxxxiv » on ne trouve qu’une seule référence au mot « esclave». Et pourtant, l’absence d’une catégorisation raciale explicite n’a nullement empêché l’élite blanche d’imposer des limites claires à la citoyenneté des populations d’origine africaine (voir chap. 1, sect. 1.6, n. 63 9). À l’aube de l’abolition de l’esclavage, des obstacles au vote universel par l’imposition d’une série d’exigences comme la détention d’un revenu minimal ou la maîtrise de l’écriture, ou la toute simple interdiction de l’accès de l’homme libéré à des postes de commandement aux niveaux provincial et fédéral, ne sont que quelques exemples d’une législation qui laissait les populations d’origine africaine en marge de l’exercice d’une pleine citoyenneté. Et ce, « bien à la brésilienne, pour achever l’exclusion raciale sans jamais oser appeler ‘la chose’ par ce que ‘la chose’ possèdelxxxv », c’est-à-dire sans faire de référence à la couleur de l’objet de la discrimination. Jerry Dávila (2003) va encore plus loin dans la critique de cette absence de marqueurs raciaux, et voit une étroite collaboration entre le mythe de la démocratie raciale et les politiques eugéniques menées à bien par les élites après l’avènement de la République : Comment l’idée selon laquelle le Brésil était une démocratie raciale est-elle devenue l’un des mythes moteurs de la nation pendant la plus grande partie du XXe siècle, spécialement devant toutes ces inégalités raciales visibles ? L’artifice qui a permis à la fois aux Brésiliens et aux étrangers d’accepter cette idée réside dans la façon dont la pratique de l’Eugénisme a submergé le contrôle de la hiérarchie sociale dans le langage des sciences sociales, déracialisant et dépolitisant l’image de la société brésilienne.lxxxvi Au fur et à mesure que la population immigrante commençait à partager les mêmes espaces que la population locale, un nouveau souci s’ajoutait aux préoccupations hygiéniques des Eugénistes brésiliens sous la forme d’un projet éducationnel destiné à consolider l’idéal de la « race brésilienne » (Davila, 2003). Ce projet, né dans les années 1920 de l’imagination des médecins et des scientifiques sociaux, était fondé sur un consensus selon lequel « les écoles étaient des lignes de front dans la bataille contre la ‘dégénérescence.’lxxxvii ». Les écoles publiques devenant de véritables laboratoires d’eugénisme, de nouvelles idées portant sur la race et la nation étaient « testées » et « appliquées » aux enfants. « Dans la pratique, ceci voulait dire blanchissement comportemental : c’est-à-dire l’effacement des pratiques 64 culturelles africaines et indigèneslxxxviii. » La subtilité de cette nouvelle pratique institutionnelle, selon Davila, réside dans le fait que toutes les personnes, peu importe leur « origine raciale », peuvent s’intégrer à ladite « race brésilienne », à condition d’effacer certaines valeurs et habitudes considérées caractéristiques des peuples racialement arriérés. Certes, pour bien comprendre la portée d’un tel projet, il faut tenir compte de l’existence d’une conscience blanche luso-brésilienne qui était mise en péril à partir de l’arrivée des vagues croissantes d’immigrations, principalement depuis l’Europe. C’est dans ce même contexte, plus spécifiquement entre 1930 et 1945, que le gouvernement autoritaire de Getúlio Vargas, reconnut le point de départ pour l’implantation de l’État providence et qu’il entama un processus d’affirmation nationale. Celle-ci se caractérisait par une politique très claire de production et de diffusion culturelle à partir, entre autres, de la mise en place du Département de Presse et de Propagande (en portugais Departamento de Imprensa e Propaganda — DIP) (Luca, 2007). Daryle Williams explique, dans son livre Cultural Wars in Brazil (2001), que « la vague d’immigration étrangère qui inonda le sud-est brésilien affaiblit les liens personnels et générationnels avec un passé luso-brésilien distinctlxxxix ». Le premier régime Vargas décida alors de mettre en place une véritable politique de « gestion culturelle », capable de faire face aux peurs d’une élite bourgeoise liée au café et à l’industrie naissante, et ainsi « maintenir les vestiges d’un passé qui disparaissait sous leurs yeuxxc ». De là découle la création d’institutions telles que le Patrimônio Historico e Cultural et de plusieurs musées au pays. Ainsi, de façon très paradoxale, l’œuvre de Freyre, avec sa croyance en l’absence de conflits raciaux, n’a pas seulement coexisté, mais a aussi servi de bouclier pour l’avancement, sur le plan politique, des projets d’effacement de tout élément pouvant être ethniquement relié aux populations d’origine autochtone ou africaine. La croyance, voire la foi, en la démocratie raciale et la cordialité des rapports humains au Brésil, demeurerait inébranlable face aux dénonciations de discrimination raciale provenant de scientifiques sociaux, intellectuels et 65 activistes du Mouvement Noir — parmi lesquels se trouvent Guerreiro Ramos, Correia Leite, Abdias do Nascimento et tant d’autres. Antônio Sérgio Alfredo Guimarães (Guimarães, 2005) écrit à propos de ceux-ci : La posture du Mouvement Noir dans les années 1940 et 1950 allait à l’encontre du mainstream de l’intellectualité brésilienne, autant dans son interprétation sociologique qu’au plan idéologique. Au plan sociologique, la pensée noire présupposait l’existence d’une formation raciale pas seulement sur la base de la classe ; sur le plan idéologique, une identité noire — et pas seulement métisse — même si cette identité noire devrait être au cœur d’une identité nationale brésilienne.xci La suprématie de la thèse de la démocratie ne sera partiellement remise en question que dans les années 1951 et 1952, lorsque le Projet UNESCO aura pris forme au Brésil (Maio, 2003). Encore sous le choc de l’expérience de l’Holocauste, l’UNESCO a décidé de financer une série de recherches portant sur les rapports raciaux au Brésil. « L’objectif initial des ces études était d’offrir au monde des leçons de civilisation à la brésilienne en matière de coopération entre racesxcii. » Menées dans le sud-est et dans le nord-ouest du Brésil, ces recherches ont cependant démontré l’existence d’une intense discrimination « de couleur » et de nombreuses barrières d’ascension sociale fondées sur la couleur de la peau. Ensemble, des scientifiques sociaux comme Oracy Nogueira, Florestan Fernandes, Fernando Henrique Cardoso et Roger Bastide, ont dénoncé le caractère conservateur du mythe et sa tendance à effacer le conflit social et racial. C’est à Florestan Fernandes que revient l’affirmation selon laquelle : Il n’y a pas de démocratie raciale effective [au Brésil], où l’échange entre les individus appartenant à des races distinctes commence et se termine au plan de la tolérance accordée. Celle-ci peut satisfaire les exigences d’un « bon ton », d’un discutable « esprit chrétien » et de la nécessité pratique de « maintenir chacun à sa place ».xciii Considérés par Guimarães comme « idéologiquement plus proches des intellectuels noirsxciv », les intellectuels du projet UNESCO étaient aussi unanimes concernant le fait que la société brésilienne constituait — malgré tout — un véritable « laboratoire de civilisationxcv ». Dans la perspective de Maio, là encore l’idée selon laquelle la diversité 66 culturelle et raciale brésilienne était une source importante du dépassement d’impasses imposés par la modernisation a fini par contribuer au renforcement d’un « credo brésilien » (Maio, 2003, p.222). Élément intéressant à faire ressortir, le concept « démocratie raciale » a été très tardivement employé par son plus grand concepteur intellectuel, Gilberto Freyre. Plus digne de mention est encore le fait que, selon Telles, Freyre ait énoncé ce concept pour la première fois en 1962, dans une démonstration de patriotisme unique, lors de laquelle l’intellectuel faisait le plaidoyer des militaires et réclamait une plus grande intervention de leur part dans le gouvernement (Telles, 2003, p.57). Ce concept a été converti en véritable dogme pendant les années de la dictature. La seule mention à la race ou au racisme était inhibée, réprimée et punie : Dans le contexte des protestations des Noirs aux États-Unis, le gouvernement voyait dans le Mouvement Noir une menace à la sécurité nationale. Pour limiter ou éviter sa croissance, les militaires ont encore plus promu l’idéologie de la démocratie raciale, en même temps qu’ils réprimaient toute manifestation du Mouvement Noir et exilaient les principaux penseurs brésiliens dans le champ des relations raciales, ceux-ci qui sont devenus encore plus critiques à l’égard de l’idéologie de la démocratie raciale.xcvi 44 Pour clore le débat autour de l’idéologie de la démocratie raciale, Hasenbalg identifie deux conséquences majeures de l’acceptation « monolithique » de la thèse de la démocratie raciale par les groupes blancs. Premièrement, dans la mesure où la démocratie raciale et ses présupposés prônent l’inexistence du préjugé de race et de la discrimination raciale, toutes les différences sociales qui en découlent sont perçues comme une différence de classe plutôt que de race. Deuxièmement, le caractère officiel qu’a pris une telle thèse a produit le sentiment de soulagement chez les blancs, qui se sont désormais sentis exemptés de toute responsabilité sociale concernant les conditions de vie des negros et mulâtres. 44 Une preuve conclusive de ceci peut être identifiée dans l’ambiguïté des actions du gouvernement militaire qui, d’une part, accordait plus de légitimité aux manifestations de la culture afro-brésilienne et, d’autre part, éliminait la catégorie « couleur ou race » du recensement officiel de l’IBGE. 67 Bref, comme le résume bien Hasenbalg, « en tant que construction idéologique, la ‘démocratie raciale’ n’est pas un système indépendant de représentations, mais elle est un système profondément ancré dans une matrice plus ample de conservatisme idéologique, dans lequel la préservation de l’unité nationale et de la paix sociale est la principale préoccupationxcvii. » 2.5 La redécouverte de la « race » : État et droits humains au Brésil Dans les sections précédentes, j’ai démontré comment les préoccupations concernant la race étaient au centre de discours fondateurs de la nation (voir sect. 2.2). J’ai également démontré comment l’effacement de la race des discours nationaux a été un dispositif fondé sur deux mécanismes idéologiques précis : le blanchissement et la croyance en la démocratie raciale au Brésil (voir respectivement les sect. 2.3 et 2.4). Leonardo Avritzer ( 2002) fait état d’un étrange mariage entre, d’une part, une tradition constitutionnelle de respect envers les droits humains et, d’autre part, la prééminence de rapports sociaux privés et hiérarchisés agissant sur la formation de l’appareil dans l’Étatnation. « Les droits civils étaient en principe garantis depuis l’approbation de la première Constitution en 1824. Pourtant, la Constitution ignorait virtuellement l’esclavage et ne se gênait pas de le rendre compatible avec son cadre légalxcviii. » Dans les années suivant l’abolition de l’esclavage, poursuit l’auteur, le flux d’anciens esclaves arrivant dans les grandes villes a contribué à l’institutionnalisation d’une tradition de pauvres vivant en marge de la loi, qui étaient désormais contrôlés par l’usage de la violence extralégale : arrestation sans mandat légal, violation de l’intégrité physique de détenus, obstruction de l’accès à un procès équitable, etc. En établissant un parallèle entre le Brésil et l’Argentine, Avrizter conclut pour le premier pays : « Les violations des droits humains faisaient partie de pratiques administratives quotidiennes de la police depuis la formation de l’État brésilienxcix. » 68 Ce n’est donc pas sans raison que le Mouvement Noir réclame le retour de la race sur la scène publique et dans les politiques de redressement du gouvernement brésilien. Ce retour se confond avec le processus même de redémocratisation en cours au Brésil depuis la fin des années 1970 et marque la centralité du Mouvement Noir dans celui-ci. Plusieurs actions en vue de mobiliser les pans de population exclue et discriminée, et de sensibiliser les instances publiques nationales et régionales ont été menées depuis la fin de la dictature militaire au début des années 1980. Cependant, une première expérience d’organisation politique noire peut être retracée dans les années 193045. Elle est racontée à la première personne par l’ancien député et sénateur Abdias do Nascimento, dans un article écrit en collaboration avec Elizabeth Larkin Nascimento (Nascimento et Nascimento, 2005). Participant actif dans la Frente Negra Brasileira (« Front noir brésilien »), fondée en 1931 à São Paulo, Nascimento rapporte que le mouvement avait été dissout « avec tous les autres partis et banni par le Nouvel État dans un contexte de censure et de répressionc ». Précurseur de l’activisme noir au Brésil, Nascimento fait également connaître l’initiative des organisations noires d’inclure dans la Constitution de 1946, sans succès, des mesures antiracistes. À la fin des années 1970, une période de relâche dans la répression en cours durant les années les plus dures de la dictature militaire (19671974) permettra le rétablissement de quelques garanties constitutionnelles ainsi que la première manifestation publique de dénonciation de la discrimination raciale au Brésil depuis le coup d’état militaire. Cette manifestation, qui a rassemblé 2 000 personnes devant le Théâtre Municipal de São Paulo en 1978, marqua l’essor d’une nouvelle génération d’activistes noirs, ainsi que la création du Movimento Negro Unificado Contra a Discriminação Racial (MNU) (Telles, 2003, pp.69-70)46. 45 À ce sujet, Kim Butler, historienne et professeure à l’Université de Rutgers, estime que « le mot ‘negro’ a été beaucoup utilisé comme identification par les Afro-Brésiliens avant de se populariser aux États-Unis. » (“A palavra ‘negro’ foi utilizada como identificacao pelos afro-descendentes brasileiros muito antes de o vocabulo se popularizar nos EUA”, Butler cité par Tavares, Juliana. 2006. «A cor da indignação». História Viva Temas Bresileiros : Presença Negra, no 3, p.91.) 46 Plusieurs actions sont entreprises en même temps dans le domaine de la culture, de façon à donner un visage plus politisé au processus de résistance et d’affirmation culturelle. Par exemple, la création, dans la ville de Salvador, d’un bloc de carnaval composé uniquement par des Noirs, le Ilê 69 Au niveau légal, l’un des changements les plus importants s’est fait à l’occasion de la rédaction de la Constitution de 1988 — année où l’on célébrait également le centenaire de l’abolition officielle de l’esclavage47. Avant la Constitution de 1988, la seule législation antiraciste en vigueur au Brésil jusque-là avait été la Loi Afonso Arinos, laquelle interdisait la discrimination de couleur et race dans les espaces publics48. Toutefois, cette loi reconnaissait la discrimination seulement dans ses manifestations publiques, laissant celles dans le cadre privé, qui régissent notamment les rapports entre patrons et employés domestiques (à savoir, la principale occupation des femmes de couleur), en dehors de toute contrainte légale. Le rapport du PNUD sur le racisme, la violence et la pauvreté (op. cit.) nous apprend ainsi que, sous la pression des groupes noirs organisés, la nouvelle constitution va au-delà de la simple punition du crime de racisme et a « établi des dispositions génériques antidiscriminatoires, transformé le racisme en crime inamendable, protégé la manifestation des cultures indigènes et afro-brésiliennesci », entre autres. Selon Telles, « la Constitution brésilienne de 1988 a révolutionné les bases légales de la défense des droits humains au pays et a reconnu les principes de la tolérance, du multiculturalisme et de la dignité Ayê, marqua ainsi une réponse face à l’exclusion répétée des fêtes de carnaval antérieures à travers l’affirmation et la valorisation de leur identité noire (Telles, 2002, p.70). 47 On constate au Brésil un mouvement croissant de rejet des dates commémoratives officielles, telles que définies par l’historiographie traditionnelle, l’Abolition de l’esclavage étant l’une des plus symboliques. La date du 13 mai marquant la signature du décret de libération définitive des esclaves est souvent présentée comme un acte bénévole de la part de l’élite blanche, alors qu’environ 90 % des esclaves et de leurs descendants étaient déjà libres, soit par leurs propres moyens, soit par l’achat de leur liberté, soit finalement sous l’effet des pressions de l’Angleterre pour contrer le trafic. À sa place, on souligne de plus en plus le 20 novembre, date de la mort du héros noir Zumbi dos Palmares, chef du quilombo le plus célèbre de l’histoire, assassiné en 1695. 48 La loi Afonso Arinos encadrait les préjugés de couleur ou de race en tant que contravention pénale, ce qui cause donc moins de dommages qu’un acte criminel. Thomas Skidmore révèle un détail anecdotique sur l’origine de cette loi, considérée superflue dès lors par les politiciens qui l’ont créée. Celle-ci a été créée suite à une plainte de la part de la danseuse noire états-unienne Katherine Dunham, qui s’est vu refuser l’accès à un Hôtel à São Paulo lors de sa tournée nationale (Skidmore, 1998, pp.211-212). 70 individuellecii. » Mais l’auteur signale également l’importance des changements au niveau du système judiciaire brésilien, de façon à encadrer et à élargir l’application des droits individuels et collectifs. Un deuxième moment crucial pour la question noire sur le plan national a été la « Marche Zumbi dos Palmares ». Cette manifestation, dont le nom rendait hommage au grand héros du marronnage au Brésil, a rassemblé le 20 novembre 1995 quelque 30 000 activistes devant le cabinet du président de la République. Un document consignant des revendications pour l’éradication de la discrimination raciale a été rendu au président de la République alors en place, Fernando Henrique Cardoso. Selon l’ancienne ministre et activiste noire Matilde Ribeiro (Ribeiro, 2007), ce programme a non seulement marqué l’essor d’un dialogue entre les mouvements noirs et le gouvernement fédéral, mais il a aussi provoqué un changement de cap en ce qui concerne la position officiellement prise vis-à-vis de l’existence de la discrimination raciale au Brésil. En réponse à ces demandes, le président Cardoso a créé un groupe de travail interministériel pour la valorisation de la population noire, ainsi que le Programme national des droits humains, lequel prévoyait des actions à court, moyen et long terme pour la population afro-descendante (Telles, 2003, pp.77-80). Les acquis politiques des mouvements noirs ne se résument pas à la création d’un nouveau cadre juridique: ils passent également par l’élection et la nomination des représentants politiques noirs dans les plus variables instances du pouvoir : législatif, exécutif, judiciaire et ce, tant au niveau fédéral qu’au niveau provincial ou municipal. De plus, les mouvements noirs semblent avoir été généralement efficaces dans l’insertion de la question raciale dans l’agenda des droits humains au pays. Le professeur et activiste noir Henrique Cunha Jr. estime d’ailleurs que l’inclusion de la question raciale dans cet agenda au Brésil est récente, ne datant que de la fin des années 1990. Dans son article Movimento Negro após a Conferência Nacional da Promoção da Igualdade Racial (2005), Cunha Jr. soutient qu’«avant 1995, le champ des droits humains au Brésil s’est opéré sans qu’on n’y tienne compte des spécificités de la population noire. Ces droits humains avaient un sens strictement universel et un caractère personnel et individuelciii. » Bien que les principes moraux de 71 respect de la diversité et de sauvegarde des acquis culturels des groupes particuliers soient prévues dans la Constitution de 1988, ils n’étaient pas appliqués de manière extensive pour la population noire. Comme Telles le souligne très bien, quoique le langage des droits humains au Brésil fût d’abord adopté par les classes moyennes en opposition au régime militaire et à la subséquente cassation des droits politiques et civils, « dans les dernières années, ce mouvement ajoute aux anciens membres des nouveaux militants de base qui luttent contre l’injustice sociale en termes économiques, sociaux et culturelsciv. » Le rapport entre le Mouvement Noir et l’État a aussi changé le discours officiel de ce dernier au sein des instances internationales des droits humains. Traditionnellement, le Brésil faisait partie d’un groupe de pays ayant toujours refusé l’existence du racisme et de la discrimination raciale. Bien que le Brésil fût signataire des principales conventions internationales des droits humains depuis 1968, le pays s’arrogeait une forme de supériorité morale sur les autres pays en termes de relations raciales, en jugeant toutes les mesures légales inappropriés à la réalité du pays49. Le rapport acheminé par le Brésil au Comité pour l’élimination du racisme de l’ONU en 2001 signale, lui aussi, des changements importants. « Alors que les rapport antérieurs montraient comment le métissage avait diminué le racisme dans la société brésilienne, ce dernier présente plusieurs statistiques sur l’inégalité racialecv. » Certes, la transition d’un discours officiel axé sur la démocratie raciale à celui dénonçant l’existence d’inégalités raciales structurales ne s’est pas fait du jour au lendemain, les discours plus conservateurs résonnant encore dans certains domaines, comme le corps diplomatique brésilien50. 49 Telles conclut à propos des gouvernements du Brésil, que « l’appui du gouvernement aux droits humains et au combat contre le racisme a été en grande partie rhétorique, car le gouvernement a fait peu pour essayer d’honorer ses engagements internationaux au sein du pays. » (“O apoio do governo aos direitos humanos e o combate ao racismo foi em grande parte pura retórica, uma vez que o governo fez pouco para tentar honrar seus compromissos internationais dentro do país”, Telles, 2003, p.90). 50 Telles révèle que le changement de cap définitif de la part du gouvernement brésilien concernant l’acceptation du problème de la discrimination raciale dans les forums onusiens a été relativement tardif. En termes plus concrets, ceci n’a vraiment eu lieu que durant la 4e conférence préparatoire pour la Conférence de Durban en mai 2000. Selon l’auteur, ceci serait dû à une querelle publique entre les activistes noirs brésiliens et le représentant diplomatique brésilien présent à la réunion à Pretoria. Cette discussion, semble-t-il, a visiblement sensibilisé les membres nord-américains 72 Les actions menées sur le plan national ont sans doute trouvé un écho dans les discussions en cours dans les instances internationales comme l’ONU. L’activiste noire Suely Carneiro fait un bilan très positif de la participation des mouvements noirs et de lutte contre la discrimination raciale lors de la 3e Conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie — et l'intolérance qui y est associée —, réunie à Durban, en Afrique du Sud, en 2001 (Carneiro, 2002). Comme exemple des acquis résultant de cette conférence, cette intellectuelle et activiste du Mouvement Noir cite l’insertion du terme « afrodescendant » au langage consacré des Nations Unies, la reconnaissance du problème de la discrimination raciale subie par les populations issues de la diaspora africaine en Amérique Latine, ainsi que la reconnaissance de la spécificité de la problématique de la femme afrodescendante. Carneiro souligne aussi « le rôle central croissant des femmes noirescvi » au sein de la conférence, notamment celle de l’Organização de Mulheres Negras Brasileiras PróDurban, coordonnée par le groupe Crioula, l’organisation de femmes noires de Rio de Janeiro, coordonnée par Gélédés/Instituto da Mulher Negra, et le groupe Maria Mulher, issu de la province du Rio Grande do Sul, entre autres. Telles, à son tour, rapporte que les mouvements noirs ont réussi à envoyer entre 150 et 200 activistes à la Conférence de Durban, certains étant subventionnés soit par les ONG, soit par les gouvernements locaux et d’autres encore utilisant leurs propres moyens. De plus, les réunions préparatoires pour la conférence ont également servi pour marquer la position influente des mouvements noirs brésiliens au niveau latino-américain, concrétisé entre autres par le renforcement de l’Alliance stratégique des Afro-latino-américains. Compte tenu de ces différents facteurs, la Conférence de Durban a reçu une considérable attention de la part des médias au Brésil, malgré la relative monopolisation de la couverture médiatique qui a suivi les attentats du 11 septembre aux États-Unis. et sud-africains du comité d’organisation, pour qui les problèmes raciaux au Brésil étaient largement mineurs par rapport à ceux de leurs pays respectifs. Le choix de l’activiste noire brésilienne Edna Roland en tant que rapporteuse générale de la conférence est un signe indéniable du prestige conquis par les mouvements noirs brésiliens. (Voir sect. « A Caminho de Durban », Telles, 2003, pp.86-93.) Par conséquent, le gouvernement Cardoso s’est engagé d’une manière sans précédents dans la mise en place d’une structure d’appui et de ressources offerts aux activistes noirs pour la Conférence de Durban. Le gouvernement a aussi mobilisé des efforts considérables pour envoyer une délégation assez représentative (avec environ une cinquantaine de membres), en plus de financer des conférences et réunions dans presque tous les 26 États de la nation brésilienne. 73 Ces deux facteurs — d’une part, le changement dans le discours officiel du gouvernement, et d’autre part, l’entrée définitive des mouvements noirs dans les forums des droits humains — ont rebondi sur l’action des mouvements noirs nationaux. Appuyés parfois par des organisations internationales aux États-Unis et en Europe, particulièrement par la Fondation Ford, des nouveaux cadres se sont formés au sein des mouvements noirs. Et bien que Telles considère l’organisation des mouvements noirs en ONG comme un reflet des changements des mouvements sociaux en général, l’auteur reconnaît également que ceux-ci sont désormais devenus des interlocuteurs institutionnels incontournables (Telles, 2003, p.73). Avec la multiplication des mouvements noirs et de défense des droits humains, les politiques affirmatives, qui comptaient sur quelques initiatives pionnières dès 1995, gagnent un nouvel élan à partir de la Déclaration de Durban. Suite à l’immobilisme de la dernière année du gouvernement Cardoso concernant la mise en place de politiques affirmatives et de réparation, le gouvernement du Président Luis Inacio Lula da Silva, élu à la fin de 2002, décide de la création du Secrétariat Spécial des Politiques de Promotion de l’Égalité Raciale (SEPPIR) en 2003. Selon les termes de l’ancienne Ministre Matilde Ribeiro, la Conférence de Durban, « s’est reflétée de façon positive (…), générant au sein du gouvernement brésilien une série d’initiatives et de stratégies comprises en tant qu’actions affirmativescvii. » Plusieurs critiques sont adressées au gouvernement actuel, jugé trop hésitant dans la mise en place de politiques d’action affirmative de grande échelle. L’activiste noire Cunha Jr. (op. cit.) s’inquiète de la politique de transversalité auprès d’autres ministères que le SEPPIR avait annoncée. À son avis, l’action coordonnée avec d’autres ministères risque d’être inefficace, faute d’intérêt et d’investissement dans la question raciale. « Les actions transversales demeurent restreintes à des projets minuscules dans leur portée sociale, pauvres en ressources et fruits de négociations longues et difficilescviii. » Pour conclure, j’aimerais faire ressortir la place centrale que la publicité occupe au sein de préoccupations des mouvements noirs à partir des années 2000. Par exemple, la tenue du séminaire Racismo na mídia : verdades e mentiras (« Racisme dans les médias : vérités et 74 mensonges ») dans le cadre des préparations pour la Conférence de Durban peut nous fournir un bon exemple. Ce séminaire, qui a réuni activistes et professionnels de la communication dans la Chambre des députés fédéraux à Brasilia, en août 2001, a produit un manifeste dont le tout premier point porte justement sur le rôle de la publicité : Nous proposons la réalisation d’une campagne nationale auprès des agences de publicité pour que celles-ci reconnaissent et prennent conscience de leur rôle fondamental dans la lutte contre le racisme, à travers la mise en place de publicités où la diversité brésilienne soit toujours représentée.cix Ces préoccupations ont résonné dans certaines dispositions de la Déclaration de Durban (2001), en ce qui concerne non seulement l’importance des médias, mais aussi le rôle spécifique de la publicité pour l’expression de la diversité raciale et culturelle dans un contexte multiculturel. Dans la section portant sur des mesures en matière de prévention, d’éducation et de protection contre la discrimination, on signale manifestement que : Nous reconnaissons que les médias devraient refléter la diversité d’une société multiculturelle et jouer leur rôle dans la lutte contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée. À ce propos, nous appelons l’attention sur le pouvoir de la publicité. (ONU, 2001, p.17, par.88.) D’une manière plus générale, on condamne la dévalorisation de certains groupes « par actes et omissions » : Nous réaffirmons que la dévalorisation des personnes d’origines différentes résultant d’actes ou d’omissions de la part des autorités publiques, des institutions, des médias, des partis politiques ou des organisations nationales ou locales, constitue non seulement une manifestation de discrimination raciale, mais peut aussi inciter à la récidive ; elle entraîne aussi la création d’un cercle vicieux qui renforce les attitudes et les préjugés racistes et doit être condamnée. (ONU, 2001, p.18, par.94.) Tout semble croire que la publicité continue à jouer un rôle important dans le contexte d’après Durban. Dans le sillage de la Conférence nationale sur la promotion de l’égalité raciale, qui a eu lieu le 2 juillet 2005, l’activiste Henrique Cunha Jr. suggère trois points de 75 discussions pour l’agenda des mouvements noirs après la conférence. Le premier point concernait justement la limitation de la publicité, de la distribution et de la vente de boissons alcooliques comme une réponse au problème d’alcoolisme chez les afro-descendants. Le deuxième portait sur le besoin de régionaliser la programmation de la télévision brésilienne — ce qui pourrait également avoir un impact direct sur la publicité. Le troisième point concernait la participation d’un 1/3 d’Afro-descendants dans tous les conseils d’État au Brésil. Ces différents exemples semblent somme toute inscrire la publicité dans l’ordre du jour des activistes engagés dans la dénonciation de la discrimination raciale au Brésil. Si les médias se trouvent déjà au premier plan des préoccupations à la fois nationales et internationales, la publicité joue un rôle d’autant plus important compte tenu de sa contribution à la perpétuation du « cercle vicieux » de la discrimination raciale. Toutefois, pour comprendre l’ampleur des effets de la discrimination raciale dans la publicité, il faut d’abord comprendre les diverses dimensions de son fonctionnement : en tant qu’industrie reliant producteurs et consommateurs ; en tant que partie prenante dans l’organisation d’un système de médias national ; ou encore, en tant que source de formation de — et rétroaction sur — l’identité nationale, de manière générale, et de celle des afro-descendants, de manière particulière. Bref, ces différents regards sur la publicité nationale n’ont pour objectif que la mise en contexte des données faisant l’objet central de ce travail : les procès pour discrimination raciale instaurés par le CONAR, l’organisme chargé de la réception et du jugement d’infractions éthiques dans la publicité brésilienne. Dans le prochain chapitre, je vais commencer par analyser la place de l’industrie publicitaire dans le système médiatique brésilien. CHAPITRE III L’INDUSTRIE DE LA PUBLICITÉ : L’ESSOR D’UN MARCHÉ TRANSNATIONAL J’avais brièvement énoncé, dans l’introduction de ce travail, l’importance que la publicité avait prise dans l’œuvre classique de Habermas L’espace public (op. cit.). Ce chapitre comporte quatre objectifs principaux : 1) donner un aperçu de la place occupée originalement par la publicité dans l’approche habermassienne classique et dans celles plus récentes ; 2) situer la position habermassienne dans un débat plus ample sur le rôle de la publicité dans le système capitaliste ; 3) fournir un aperçu du système de médias brésilien ; 4) analyser l’impact du système publicitaire brésilien sur l’industrie publicitaire nationale. 3.1 Publicité, visibilité et espace public : une brève rétrospective de l’approche habermassienne Le double caractère de la publicité — comprise tantôt comme réclame publicitaire, tantôt en termes de visibilité sociale — joue un rôle explicatif assez important dans les réflexions de Habermas sur la décadence de la sphère publique à l’ère des médias de masse. « Dès que la publicité commerciale s’empare de la sphère publique, certaines personnes privées commencent à exercer directement leur influence, en tant que propriétaires, sur l’ensemble des personnes privées formant le public. » (Habermas, 1978, p.197) Autrement dit, les impératifs économiques de la publicité commerciale commencent à changer la propre structure de la sphère publique. « Phénomène spécifique du capitalisme avancé » (Habermas, 1978, p.198), explique l’auteur, la publicité naît en France vers 1820 sous la forme de « réclame ». La publicité en tant que « réclame », poursuit l’auteur, est un produit « spécifique du capitalisme avancé ». Auparavant, les échanges se réglaient dans les interactions face à face et ils étaient médiatisés 77 tout au plus par la publicité orale. Pour que la publicité se consolide en tant qu’industrie, il a fallu attendre l’émergence de bureaux d’annonces, prédécesseurs des agences de publicité telles qu’on les connaît de nos jours. Dès lors, la publicité devient un vecteur de socialisation entre classes sociales distinctes en s’accaparant des développements techniques de médias de masse. « Cette ‘socialisation’ des biens autrefois réservés aux classes supérieures éveille davantage l’intérêt de ceux à qui leur style de consommation offre une compensation, tout au moins symbolique, de leur infériorité sociale. » (Habermas, 1978, p.199.) C’est à ce moment précis que Habermas introduit l’idée d’une séparation idéale entre, d’une part, la sphère publique économique (celle de la publicité-réclame)51 et, d’autre part, la sphère publique politique (celle d’un public de personnes privées faisant un usage public de la raison afin de discuter des sujets d’intérêt collectif). Cette séparation était avant tout désirée, même si elle semblait hautement problématique depuis ses origines, comme le démontre l’auteur dans le passage suivant : Or, une pareille sphère publique économique, en quelque sorte séparée de la sphère publique politique, une sphère publique publicitaire qui aurait eu sa propre origine spécifique, n’est pas parvenue à se former ; au contraire et dès le début, la représentation publicitaire d’intérêts privés a été inséparable de certains intérêts politiques. (Habermas, 1978, p.200.) Bien sûr, la publicité-réclame n’est pas la seule responsable de l’imbrication croissante des sphères publiques politique et économique, lesquelles demeurent, au moins en principe, analytiquement distinctes52. Quoi qu’il en soit, l’interpénétration de ces sphères est d’autant 51 Dans cette brève révision des formulations habermasiennes classiques sur la publicité, je privilégie les discussions de l’auteur sur la publicité exclusivement commerciale, en laissant de côté les critiques de l’usage de la publicité à des fins électorales, plus spécifiquement celles concernant la mise en place des sondages d’opinion. Cette emphase délibérée sur la forme commerciale résulte tout simplement d’une préoccupation de restreindre l’étendue du débat afin de l’ajuster aux objectifs fixés dans cette recherche. 52 Habermas dédie quelques notes à l’essor d’une troisième instance, celle des activités de relations publiques. Ce domaine d’expertise, qui a connu son essor dans les années 1940 aux ÉtatsUnis, ne fait que formaliser le caractère politique que la publicité acquiert de plus en plus. Forme de publicité déguisée en fait journalistique ou en événement spécial, « les relations pratiquent au contraire l’amalgame de deux domaines, car la publicité ne doit absolument plus être identifiable comme étant la représentation par lui-même d’un intérêt privé. » (Habermas, 1978, p.202.) 78 plus problématique qu’elle occasionne un changement structurel dans la sphère publique bourgeoise mise en place au XIXe siècle. Ce changement a un impact direct sur les critères de légitimation politique et de génération de consensus dans la sphère publique politique — processus dans lequel l’État joue d’ailleurs un rôle fondamental. En effet, en transférant à des groupes privés réunis dans les associations les compétences de légiférer sur les affaires d’intérêt public, l’État contribue à vider la sphère publique politique de son sens émancipateur. De même, en adoptant des campagnes de mobilisation de l’opinion publique, à l’instar de grandes entreprises privées, l’État participe et collabore au détournement de la Publicité de ses fonctions critiques d’origine, en acquérant au bout du compte une forme exclusivement « démonstrative », propre à la publicité commerciale. Bref, cette nouvelle forme de publicité — réduite désormais à la publicité-réclame — « confère à des personnalités ou à des choses un prestige public, et les rend par là susceptibles d’être adoptées sans réserve ni discussion, au sein d’un climat d’opinion non publique » (Habermas, 1978, 209). Ce processus plus ample de changement structurel de la sphère publique, ayant lieu à la fois à l’intérieur et à l’extérieur des Parlements, fait en sorte que ces derniers perdent leur centralité en tant que lieu institutionnalisé de débats rationnels. Néanmoins, ce ne sont pas seulement les débats publics au sein des parlements qui sont mis en péril dans le diagnostic habermassien, mais aussi le principe même d’un État démocratique, car aucune dimension de pouvoir étatique ne semble y échapper, même pas le pouvoir judiciaire : La mutation des fonctions du Parlement révèle combien est menacé le statut de la sphère publique en tant que principe recteur de l’organisation de l’État : la Publicité, au départ principe de la critique (exercée par le public), a été subvertie en principe d’une intégration (dirigée par les instances de la ‘Publicité’ démonstrative : par l’administration et les associations et surtout par les partis). La publicité des débats parlementaires a été pervertie en ‘Publicité’ acclamative, et la publicité des débats judiciaires connaît une dénaturation du même ordre, récupérée qu’elle est par la consommation ‘culturelle’. (Habermas, 1978, p.215.) Certes, l’idéal type de consommateur que l’auteur décrit dans L’espace public est fondamentalement un sujet passif et consentant devant l’action manipulatrice des médias de 79 masse, n’étant capable ni d’une « critique compétente » ni de « démystifi[cation de] la domination » (Habermas, 1978, p.203). Le consommateur agit alors à l’opposé du citoyen rationnel engagé dans la poursuite de l’« intérêt général », ce dernier primant sur l’« accord rationnel entre des opinions ouvertement concurrentes… » (Habermas, 1978, p.203). Bref, la notion d’espace public énoncée par Habermas dans ce travail original renvoie à un modèle délibératif fondamentalement centralisé sur les interactions en face-à-face du Parlement, considéré comme le lieu institutionnalisé par excellence pour la poursuite de l’intérêt général. Sa légitimité repose sur la discussion publique entre sujets privés égaux d’un point de vue moral et politique. Cette conception de sphère publique, qui s’appuie sur l’expérience historique localisée de la sphère publique bourgeoise, a été maintes fois révisée, critiquée et appropriée par des chercheurs de domaines les plus variés. Ces critiques étant multiples et ne pouvant être résumées adéquatement dans cette brève introduction, je me limite à mentionner quelquesunes d’entre elles, amplement discutées dans Habermas and the public sphere, l’une des plus célèbres révisons de L’espace public53 : l’absence de femmes et d’expériences prolétaires dans la définition normative de la sphère publique; la vision pessimiste de l’élargissement de l’accès à la sphère publique à l’aube de l’universalisation de l’éducation et de la mise en place de l’État providence; l’idéalisation des pratiques libérales pendant des périodes limitées de démocratie, pour ne citer que celles-là. Compte tenu de ces critiques et de nombreuses autres faites ailleurs, Habermas décide d’élargir sa définition de sphère publique de manière à combler certaines lacunes résultant d’une première approche trop centrée sur l’expérience historique de la bourgeoisie anglaise. Stéphane Haber (2001) estime que « Habermas oriente son travail dans un sens inattendu par 53 La publication de Habermas and the public sphere, sous la direction de Craig Calhoun, marque le trentième anniversaire de la publication originale de L’espace public. L’œuvre comporte une série de textes critiques de la formulation classique d’espace public chez Habermas, en plus de compter avec une réflexion de son propre auteur intitulée « Further reflections on the public sphere ». Voir Calhoun, Craig (dir. publ.). 1992. Habermas and the public sphere. Coll. «Studies in contemporary German social thought». Cambridge, Mass.: MIT Press, 498 p. 80 rapport au goût du travail historiographique concret que manifestait L’espace public » en menant des efforts de réflexion « presque exclusivement commandés désormais par l’exigence d’une montée en abstraction » (Haber, 2001, p.51). Ainsi, dans Droit et Démocratie (1997), publié originalement en 1992, Habermas définit l’espace public comme « (…) toute rencontre qui ne se réduit pas à des rapports d’observation réciproque mais [qui] vit d’une liberté communicationnelle réciproquement concédée, [et qui] se situe dans un espace constitué au moyen du langage » (Habermas, 1997, p.388). Bien qu’il soit « conditionné dans son contenu comme dans ses fonctions par ses origines bourgeoises » (Haber, 2001, p.40), l’espace public sera désormais théorisé en tant qu’espace social généré par l’action communicative. Ou encore, comme le souligne Maia (2007), « d’une manière heuristique, a-historique et non datéecx. » Cette perspective plus ample, poursuit Maia, possède de profondes implications pour l’ensemble du construit théorique de Habermas. Dans un premier temps, Habermas substitue la notion d’un rapport bipolaire entre l’État et la société civile par une autre notion plus proche de la figure du réseau. Cette notion, selon les propres termes de l’auteur, est constituée d’« un tissu d’une grande complexité, ramifié en une multiplicité d’arènes qui se chevauchent, aussi bien internationales que nationales, régionales, municipales ou sousculturelles… » (Habermas, 1997, p.401). Dans cette notion plus décentralisée et réticulaire de sphère publique, prime l’existence d’une multitude d’arènes disséminées dans la société civile. La source de légitimité des décisions politiques demeurant les échanges communicationnels entre acteurs privés, on passe cependant de l’idée d’une seule arène totalisatrice — le Parlement — à celle où « différents publics se réunissent pour discuter de questions spécifiques d’intérêt collectifcxi ». Dans Droit et démocratie54, estime également Maia, Habermas va encore plus loin en proposant « un cadre théorique suffisamment flexible de façon à incorporer différents modes 54 Habernas décrit son entreprise comme une appropriation des réflexions autour d’une théorie pluraliste du langage érigées antérieurement dans la Théorie de l’agir communicationnel. L’auteur prend cependant ses distances des réflexions concernant le rapport entre droit et morale telles que 81 d’articulation des échanges d’argumentationcxii ». L’auteur propose en outre une typologie des espaces publics dans le cadre d’une théorie de la démocratie délibérative tenant compte des diverses instances de débat en termes de densité et d’étendue des échanges communicationnels. Selon celle-ci, les espaces publics sont différenciés : (…) en niveaux en fonction de la densité de la communication, de la complexité de la communication et de l’ampleur du rayon d’action, allant de l’espace public épisodique du bistrot, des cafés et de rues, jusqu’à l’espace public abstrait créé par les mass media et composé de lecteurs, d’auditeurs et de spectateurs à la fois isolés et globalement dispersés, en passant par l’espace public organisé, en présence de participants, qui est celui de représentations théâtrales, des conseils de parents d’élèves, des concerts de rock, des réunions de partis ou de conférences ecclésiastiques. (Habermas, 997, p.401) Ceci étant dit, j’aimerais clarifier les implications de ces dernières conceptualisations sur les réflexions des débats autour de la publicité au Brésil. Pour mener à bien cette tâche, on doit d’abord s’interroger sur la compatibilité entre ces formulations plus récentes et les réflexions antérieures en ce qui concerne la place de la publicité (dans toutes ses formes) dans la sphère publique. Alors que les deux formes de publicité — publicité-réclame et publicité-visibilité — étaient intrinsèquement reliées dans le diagnostic pessimiste des possibilités de formation de l’opinion publique dans les pays démocratiques, on note toutefois une croissance de la dissociation entre les deux termes dans les formulations plus récentes. Le premier indice d’une telle dissociation est visible dans la typologie même de la sphère publique antérieurement mentionnée, ou plus particulièrement dans la notion d’espace public présentées dans Tanner Lectures. Il y introduit également d’autres hypothèses fondamentales au sujet de l’éthique de la discussion, qui ont été développées ailleurs (Habermas, 1997, pp.9-13). Voir, par ordre chronologique, Habermas, Jürgen. (1986)1997. Droit et morale : Tanner lectures. Coll. «Traces écrites». Paris: Éditions du Seuil, 91 p; Habermas, Jürgen. 1987. Théorie de l'agir communicationnel : Rationnalité de l'agir et rationnalisation de la société, 2 t. Coll. «L'espace du politique», no 1. Paris: Fayard, 448 p.; Habermas, Jürgen. (1987)2002. Théorie de l'agir communicationnel : Pour une critique de la raison fonctionnaliste, 2 t. Coll. «L'espace du politique», no 2. Paris: Fayard, 480 p.; et, finalement, Habermas, Jürgen. 1999 De l'éthique de la discussion. Coll. «Champs». Paris: Flammarion, 202 p. 82 épisodique. En incorporant dans la définition normative d’espace public les sphères plus éphémères, spontanées et limitées en termes de portée, Habermas consent également à ce que d’autres formes de discussion soient exposées à un degré moindre de visibilité. À cet effet, la typologie en question a un effet direct sur la conception même du processus de formation de l’opinion et de la volonté. Plutôt que d’y voir un seul mode de formation centralisé dans les Parlements, Habermas distingue deux niveaux : un mode de formation institutionnalisé et un mode de formation informel (Habermas, 1997, p.340). Ainsi, dans le cadre des processus informels de formation de l’opinion et de la volonté, eux-mêmes générateurs des thèmes pour les discussions au sein des sphères institutionnalisées, la publicité en tant que visibilité n’est plus une condition sine qua non pour l’espace public. En d’autres termes, la propre notion d’espace public en vient à comporter différents niveaux de visibilité, ce qui était inimaginable dans L’espace public. Un deuxième signe de la séparation entre les deux formes de publicité est évident dans la notion, cette fois-ci, d’espace public abstrait, composé par les médias de masse. Dans Droit et démocratie, Habermas prône l’importance de ces médias dans le processus plus ample de communication publique, dans la mesure où ils font état des controverses autour des questions soulevées dans les espaces publics épisodiques. Selon les propres termes de l’auteur, « ce n’est qu’à travers un traitement controversé dans les médias que de tels thèmes atteignent le grand public et accèdent à ‘l’agenda public’ » (Habermas, 1997, p.409). Ceci correspond à changement de cap crucial par rapport à l’image du spectateur-consommateur passif suggérée dans L’espace public. Au contraire, Habermas énonce clairement qu’il aimerait faire comprendre que : (…) dans des conditions déterminées, la société civile est capable d’exercer une influence sur l’espace public, d’agir, à travers ses propres opinions publiques, sur les organismes parlementaires (et sur les tribunaux), et de contraindre le système politique à les mettre en œuvre dans le cycle du pouvoir officiel. (Italiques dans l’original, Habermas, 1997, p.400) Nul ne peut ignorer que des efforts considérables ont été mis en place en vue de refonder le cadre théorique énoncé dans L’espace public sur des assises moins déterministes et plus 83 prometteuses pour l’analyse empirique du rôle des médias de masse dans les sociétés démocratiques contemporaines. Cependant, l’approche habermassienne comporte encore un degré élevé de généralité, le terme mass media s’appliquant indistinctement à toute forme de discours médiatique. Dans son article récent, intitulé Political communication in media society… (2006), Habermas semble utiliser d’emblée le terme « médias de masse » pour se référer préférentiellement au domaine journalistique. Il est vrai, d’un côté, qu’en affinant davantage sa perception de la place occupée par la communication médiatisée dans les sociétés contemporaines, l’auteur semble définitivement abandonner le cadre théorique fourni par Horkheimer et Adorno, mais surtout par ce dernier55. Au moins, Habermas se rend à l’évidence de l’existence des flux anarchiques de messages, véritable terrain d’ancrage pour les sphères publiques de la périphérie du système politique. Ces flux sont composés par « les nouvelles, reportages, commentaires, infovariétés, scènes et images, mais aussi les spectacles et films ayant un contenu informatif, polémique, éducatif et de divertissementcxiii. » Mais aussitôt qu’on passe du constat de la diversité des genres et formats disponibles dans les médias de masse à l’évaluation des conséquences de ceux-ci, c’est la pratique journalistique qui prend le dessus. Selon Habermas, Il y a deux types d’acteurs sans lesquels aucune sphère publique politique pourrait être mise en place : les professionnels du système de médias — spécialement les journalistes qui éditent les nouvelles, les reportages et les commentaires — et les politiciens qui occupent le centre du système politique, tous les deux étant co-auteurs et destinataires des opinions publiques.cxiv (Italiques dans l’original.) 55 Haber estime que les premiers travaux de Habermas se situent dans un horizon philosophique essentiellement adornien : « D’un certain côté, toute la théorie habermassienne de la réification (la montée en puissance des systèmes organisés, bureaucratiques et capitalistes, leur tendance à la colonisation du monde vécu) peut se comprendre comme une tentative de rendre compte sociologiquement de ce qu’Adorno décrivait comme un ‘monde administré’. » (Haber, 2001, p.161) La critique de la publicité-réclame et de la conversion des citoyens en consommateurs passifs, présente dans L’espace public, conserverait ainsi les traits essentiels de la critique d’Adorno de la culture intégrative des médias de masse. 84 Compte tenu de l’importance acquise par la presse et les nouvelles transmises dans les médias électroniques, il y a lieu de s’interroger sur la place de la publicité-réclame dans ces nouvelles réflexions. Le premier constat fait état d’une position très résiduelle, voire même périphérique, dans le cadre plus ample des médias de masse. L’apparition même du mot publicité (en tant que réclame, la publicité en tant que visibilité étant déjà associée à la pratique journalistique) se fait très tardivement, plus précisément dans la dernière section de son article, lorsque Habermas analyse les « pathologies » de la communication politique. Ici, la publicité-réclame est décrite comme un moteur de la personnification de l’image des candidats politiques dans les périodes électorales. En citant les travaux de Jarren et Donges, Politische Kommunikation in der Mediengesellschaft (« Communication politique dans la société des médias »), Habermas établit un lien possible entre la personnalisation de la politique et la marchandisation des émissions. « La personnalisation de la politique est fomentée par la marchandisation des émissions. Les stations de radio et de télévision privées qui opèrent sous les contraintes de la publicité extensive, sont pionnières dans ce domaine. cxv » Évidemment, on peut encore deviner dans l’extrait précédent les réverbérations du diagnostic de l’influence néfaste de la publicité-réclame sur le contenu des émissions, et par là même, sur les formes de présentation des hommes politiques. Néanmoins, peu a été dit — si ce n’est rien — au sujet du rôle joué par la publicité commerciale comme matière première pour la formation de l’opinion et de la volonté politique. 3.2. Publicité et marché capitaliste : un débat plus ample À l’aube des années 1960, lorsque Habermas a écrit L’espace public, l’infrastructure technique des entreprises est tellement adaptée à une production de masse que « le processus de production perd en effet de sa souplesse » (Habermas, 1978, p.197). Autrement dit, lorsque la production économique perd la capacité d’ajuster sa production à la taille du marché disponible, les entreprises cèdent aux impératifs d’assurer des débouchés et de créer 85 des marchés les plus stables possibles. C’est à la publicité commerciale que revient, finalement, la tâche de faire rouler les surplus de marchandises, changeant ainsi le fonctionnement même du marché capitaliste : La disparition d’une certaine transparence du marché, que l’on considère habituellement comme justifiant l’extension de la publicité, n’en est au contraire, et pour une bonne part, que la conséquence : se substituant à la concurrence entre les prix, c’est la concurrence publicitaire qui est la première responsable de la diversification insubsumable des marchés, dont chacun est particulier à telle ou telle entreprise, et dont les produits peuvent d’autant plus difficilement être comparés les uns aux autres sur la base de critères économiques rationnels que des manipulations publicitaires faisant appel à des techniques psychologiques entrent (sic) davantage dans la détermination de leur valeur d’échange. (Habermas, 1978, pp.197-198) Dès l’émergence de la presse commercialisée, souligne Habermas, « il n’est bien entendu pas possible de séparer des tendances générales à la concentration et à la centralisation » (Habermas, 1978, p.194) présentes dans les médias et celles du capitalisme industriel. En effet, lorsque Habermas énonçait sa théorie de l’espace public, il prenait position dans un débat économique plus large concernant le rôle de la publicité. Plusieurs ouvrages proposent chacun leur compilation de débats portant sur le rôle de la publicité, mais rarement avec une vision aussi synthétique et claire que celle offerte dans Social Communication in Advertising : Persons, Products and Images of Well-being (Leiss, Kline et Jhally, 1986). Je vais essayer de décrire ici les grandes lignes de ce débat plus large identifié par ces auteurs à l’aube des années 1980. Cette discussion me fournira un bon point de départ pour bâtir mon propre plan d’analyse sur la publicité tout au long de ce travail. En fait, plusieurs visions sur la publicité et son rôle dans le système capitaliste plus ample coexistent dans le champ de l’économie. L’économiste John Kenneth Galbraith56 décrit la position théorique traditionnellement défendue au sein des écrits économiques comme suit : 56 Pour plus d’informations sur les arguments de celui qui a été considéré comme « l’une des attaques les plus célébrées » (Leiss, Kline et Jhally, 1986, p.16) au rôle de la publicité, voir Galbraith, John Kenneth. 1958. The affluent society. Boston: Houghton Mifflin et Galbraith, John Kenneth. 1967. The New Industrial State. Boston: Houghton Mifflin. 86 La théorie économique traditionnelle présuppose que les consommateurs soient les preneurs de décision les plus importants dans l’économie, en contrôlant quoi et combien est produit lorsque les fabricants de biens répondent aux besoins des consommateurs.cxvi Lié à cette position, qui est aussi connue comme théorie de la souveraineté du consommateur, on retrouve l’argument selon lequel la publicité a été créée afin de supprimer les intermédiaires du secteur de la distribution, contribuant ainsi au bien-être final des consommateurs. Cette position, dite classique, a été critiquée par différents auteurs, notamment en ce qui concerne le facteur déterminant la circulation de marchandises. Bien que chacun de ces courants présente sa propre compréhension du rapport existant entre société, État et système capitaliste, tous sont d’accord concernant la fonction assumée par la publicité dans le système économique en place : ainsi, ce n’est pas vraiment la demande qui crée la publicité, mais plutôt la publicité qui crée la demande pour certains produits. Trois positions majeures peuvent être distinguées au sein des formulations critiques sur le rôle économique de la publicité. La première, la vision libérale, estime que la publicité requiert une dépense disproportionnelle par rapport à ses effets réels, contribuant en fin de compte à hausser le prix final des produits. Selon cette perspective, les annonceurs se voient forcés de faire des annonces afin de prévenir la publicité faite par la concurrence, sans que soient faites pour autant des altérations significatives au niveau des produits ou des prix. De plus, les coûts de la publicité sont tellement élevés, que celle-ci finit par favoriser les grands annonceurs au détriment des petits. Selon ce raisonnement, la publicité fonctionne comme une barrière d’entrée aux petits annonceurs, en « (…) promouvant des conditions dans lesquelles un petit nombre de producteurs possèdent un contrôle oligopolistique pernicieux sur le prix et la fourniture de bienscxvii ». À l’opposé de celle-ci, on retrouve la deuxième position : la « position néolibérale », ayant comme figure de proue l’économiste antérieurement cité, John Kenneth Galbraith. Selon Leiss, Kline et Jhally (1986), le courant néolibéral a été beaucoup plus influent que le courant 87 antérieur. En ce qui concerne particulièrement Galbraith, celui-ci construit son argumentaire autour du point qu’il considère comme le plus problématique dans la vision traditionnelle : le consommateur comme figure de proue du marché. En plus d’ironiser sur la légitimité des désirs émanant des consommateurs, dont les origines, selon l’auteur, peuvent être très « bizarres, frivoles et même immoralescxviii », Galbraith renverse l’ordre même de la théorie de la souveraineté en affirmant que, contrairement à celle-ci, c’est le processus de satisfaction des désirs qui crée ces derniers. Bref, ce sont les producteurs qui contrôlent la chaîne de production, en agissant plus pour leur propre profit que pour celui des consommateurs. La solution à ce problème, « (…) ce n’est pas le renversement de tout le système économique, mais plutôt la modification de celui-ci de façon que les récompenses produites par le capitalisme soient plus équitablement distribuéescxix. » La dernière position est relative à la critique marxiste de la publicité. Les noms de Paul Baran et Paul Sweezy, mais aussi Raymond Williams57 et Stuart Ewen58, sont souvent cités comme des auteurs incontournables dans ce courant. Globalement, la critique marxiste partage le diagnostic de la position antérieure en ce qui a trait au pouvoir créateur de la demande exercée par la publicité. Il existe toutefois un point de divergence entre ces deux positions, qui est crucial : pour les teneurs du courant marxiste, la publicité est une composante tellement essentielle du système capitaliste que celle-ci ne peut être détachée du système où elle s’insère. En gros, la problématique marxiste peut être décrite à partir de l’écart existant entre la valeur d’échange et la valeur d’usage des biens commercialisés : la recherche du profit fait en sorte que le prix accordé à la marchandise dépasse largement sa valeur réelle 57 Le travail de Raymond Williams semble encore être très influent au sein de travaux portant sur les contenus des médias, notamment en ce qui concerne l’appropriation des préoccupations propres au matérialisme marxiste et à son application à l’objet « publicité ». Sur l’approche matérialiste de Raymond Williams sur la publicité, voir Williams, Raymond. 1962. «Advertising : The Magic System». In Problems in materialism and culture. London: New Left Books. 58 Ewen propose un portrait à la fois critique et historique de l’émergence de la publicité aux États-Unis, en rappelant que « l’objectif fonctionnel de la publicité nationale était la création des habitudes et désirs ». (« The functional goal of national advertising was the creations of desires and habits », Ewen cité par Leiss et al. : 18). Pour un aperçu de la crise de la surproduction et du rôle de la publicité dans l’élargissement du marché de façon à intégrer les classes plus basses aux États-Unis, voir Ewen, Stuart. 1976. Captains of Consciousness. New York: McGraw-Hill. 88 (soit la valeur du labeur et des matières premières). La recherche du profit menant à la surproduction des biens — bien au-delà des besoins de base tels que logement, nourriture et vêtements —, le capitalisme se voit confronté au problème du surplus de la production disponible. La seule sortie envisageable pour ce système59 est la création de nouvelles demandes par le biais de la publicité. Compte tenu de ces différentes perspectives, quelle serait alors la position de Habermas dans ce débat plus ample ? Vu l’influence adornienne dans L’espace public — influence dont les traits les plus marquants se font sentir dans une vision assez pessimiste de l’industrie culturelle et de ses effets sur la formation d’une masse de consommateurs passifs —, on peut soupçonner une certaine proximité avec l’héritage hégéliano-marxiste de l’École de Francfort. Toutefois, Habermas ne perd pas de vue certains arguments libéraux, comme la perte de souplesse du processus de production et le manque de différenciation entre les produits, dont la concurrence se joue principalement au niveau du domaine publicitaire. Étant donné qu’Habermas s’est largement distancié du projet marxiste d’analyse de la modernité en termes de conflits de classe — mais surtout des conceptions les « plus nettement métaphysiques de la pensée de Marx » (Haber, 2001, p.31)60 —, il me semble difficile d’inférer, d’une part, jusqu’à quel point Habermas souscrit à une vision marxiste de la publicité, comme l’ont fait certains auteurs, et notamment Raymond Williams61. Quoi qu’il 59 Selon Paul Baran et Paul Sweezy, d’autres solutions sont possibles, comme le déplacement des efforts de production vers d’autres secteurs ou la réduction des prix visant à favoriser la consommation, mais celle-ci n’intéresse pas le système capitaliste. À ce sujet, voir Baran, Paul, et Paul Sweezy. 1967. Monopoly capital: an essay on the American economic and social order. New York: Monthly Review Press. 60 Ici, Stéphane Haber se réfère plus particulièrement à l’idée d’un prolétariat étant le seul porteur des intérêts de l’Humanité. Pour un parallélisme entre les formulations d’Habermas dans L’espace public et l’influence de la pensée marxiste sur celui-ci, voir Haber, 2001, pp.25-38. 61 L’une des différences fondamentales entre Raymond Williams et Jürgen Habermas réside dans l’idée même de « représentation ». Williams est sans doute l’une des figures de proue dans la critique du faux symbolique et de la séduction quasi magique de la publicité. Le passage suivant résume bien sa position par rapport à celle-ci : « Si nous étions sensiblement matérialistes dans ce domaine de notre vie dans lequel on utilise les choses, nous trouverions la plupart des publicités d’une folle nonrelevance » (“ if we were sensibly materialist, in that part of our life in which we use things, we should find most advertising to be of insane irrelevance ”), Williams cité par Leiss, Kleine et Jhally, 1986, p.21). Bref, en faisant une distinction nette entre l’usage rationnel (donc authentiquement matérialiste) 89 en soit, dans ses réflexions initiales sur l’espace public, Habermas n’analyse pas les contenus particuliers de la publicité, mais plutôt, et sur un mode très général, sa logique structurelle et l’influence de ses techniques de séduction et d’adhésion irréfléchie sur la sphère publique politique. Ainsi, afin d’arriver à une discussion en profondeur sur la publicité et les débats qu’elle a générés autour de la discrimination raciale entre 1979 et 2005, il est de mise d’effectuer un bref détour en vue de décrire les macrostructures nationales de la communication de masse telles qu’elles se sont développées spécifiquement au Brésil. De telles structures reflètent aussi bien les tendances du marché publicitaire international que les formes de régulation et de réglementation nationales qui seront mises en scène principalement à partir des années 1960. Dans les prochaines sections, je vais faire l’ébauche du système brésilien des médias, en tenant compte de deux problèmes spécifiques : la concentration de la propriété des médias dans le secteur privé et la concentration de la subvention publicitaire à la télévision. 3.3 Le système brésilien des médias et son insertion dans le marché global Altamiro Borges, dans son article A ditadure da mídia no Brasil (Borges, 2007), place le problème du monopole au centre de son diagnostic des système des médias mondiaux. En citant des études développées par Robert McChesney, l’auteur présente un portrait du marché et l’usage irrationnel fondé sur le symbolisme des objets, Williams finit par délégitimer la fonction symbolique en tant que telle. Comme l’affirment Leiss Leiss, Kleine et Jhally : « (…) pour Williams, n’importe quel système symbolique est irrationnel, une fois que la rationalité est fondée sur l’utilité. » (“(…) for William any symbolic system is irrational, for rationality is based only on utility ”, Leiss, Kleine et Jhally, 1986, p.22). Quant à Habermas, il en fait un usage plus ambivalent. D’une part, il semble se rapprocher de cette vision du symbolisme dans une critique à la représentation (« Repräsentation », en allemand) déployée par certains fonctionnaires publics et certaines organisations comme un mode d’obtention de l’acclamation « dans un climat d’opinion non publique » (Habermas, 1978, p.209). D’autre part, l’idée même d’une représentation politique au sein du Parlement comme « rationalisation du pouvoir politique et social » (Habermas, 1978, p.242) par l’exercice d’une Publicité-visibilité critique. Alors que, dans le premiers cas, la représentation renvoie à quelque chose de faussé ou d’illusoire, dans le deuxième, Habermas conçoit la représentation comme un mécanisme légitime d’expression de l’intérêt général. 90 global des télécommunications en y identifiant deux couches monopolistes distinctes : une première, formée par environ 10 groupes possédant des actions dans les secteurs les plus diversifiés des communications et opérant partout dans le monde ; une deuxième couche, formée d’environ 40 entreprises de médias organisées autour de celles se trouvant au premier rang (Borges, 2007, p.2). Dans cette perspective, le système des médias au Brésil se placerait au deuxième rang des systèmes, donc des groupes qui affirment leur hégémonie régionale tout en se connectant aux plus grands groupes transnationaux. Borges affirme que les médias hégémoniques n’ont jamais été aussi puissants en raison des facteurs que l’auteur mentionne ci-dessous : (…) des améliorations technologiques dans les domaines des communications et des télécommunications, de l’intense processus de concentration et de monopolisation du secteur dans les dernières décennies et d’une déréglementation criminelle du marché qui l’a libéré de toute forme de contrôle public.cxx Certes, la position intermédiaire du système des médias brésiliens, à mi-chemin entre les grandes corporations internationales et les médias locaux, est constamment défiée par les acteurs se trouvant à l’extrémité de l’échelle de la concentration de la propriété. En effet, poursuit l’auteur, les médias n’ont jamais soulevé autant de critiques et de résistance de la part des sociétés d’ici et d’ailleurs. Le pouvoir des médias, dit-il, est fragilisé par les demandes citoyennes de démocratisation, mais aussi par la guerre de concurrence établie, grâce à la convergence numérique, entre les entreprises de radiodiffusion, d’une part, et les multinationales de télécommunications, d’autre part. Toutefois, c’est la pression venue du haut qui s’avère la plus puissante en ce temps de globalisation. Comme l’estime Bolaño dans Políticas de comunicação e economia política no Brasil (Bolaño, 2003), la croissance de la propriété des médias compte tenu de l’achat des corporations plus petites par celles plus grandes annonce, dès les années 1980, « (…) une importante transformation [du système des médias] avec les processus de déréglementation, 91 la privatisation, le repositionnement de l’État, la constitution de nouvelles formes et de nouvelles instances de régulations et l’internationalisation de la concurrencecxxi. » Un exemple frappant de ce processus de concentration croissante de la propriété au Brésil est constitué par la réduction du nombre de corporations partageant le système médiatique au Brésil. Borges révèle que parmi les neuf groupes familiaux qui contrôlaient la plupart du marché brésilien au début des années 1990, il n’en subsiste que cinq à l’heure actuelle : Marinho (Groupe Globo), Abravanel (Groupe SBT), Saad (Groupe Bandeirantes), Civita (Abril) et Frias (Groupe Folha). « Le résultat de ceci a été une concentration historique dans ce secteur stratégique, en empêchant la pluralité et la diversité d’opinions, explique-t-ilcxxii. » Toutefois, Borges reconnaît que le processus de concentration médiatique au Brésil possède des racines historiques plus anciennes « (…) et [qu’il] a été poussé par l’absence, au sein de la législation, de toute norme interdisant la propriété croisée — la possession de nombreux véhicules dans divers secteurs (journaux, radio, télévision)cxxiii ». À cet effet, Borges (op. cit.) signale que la concentration médiatique au Brésil aurait commencé en 1924 avec l’achat, par Assis Chateaubriand, de son premier journal dans la ville de Rio de Janeiro, marquant ainsi l’essor de ce qui deviendra plus tard le groupe Diário dos Associados. L’auteur ajoute qu’« en 1959, celui-ci était déjà le plus grand empire de l’Amérique latine, avec 40 journaux et revues, plus d’une vingtaine de stations de radio, une dizaine de postes émetteurs, une agence de nouvelles et une entreprise de publicitécxxiv 62. » Ce groupe a été délogé de cette position hégémonique par un seul concurrent : le groupe Globo. Ayant aussi commencé avec un seul journal en 1925, le groupe Globo ne s’est consolidé que durant la dictature militaire. Sans l’aide du gouvernement militaire, comme je le démontrerai plus loin, on estime que le groupe Globo n’aurait jamais pu arriver à rassembler, à l’aube du troisième millénaire, 223 postes émetteurs propres ou affiliés, et à 62 En citant des données de la Fundação Getúlio Vargas, Borges explique que le patrimoine du groupe Diários Associados était si diversifié qu’il incluait un château en Normandie, neuf fermes localisées dans diverses provinces brésiliennes et ce, en plus d’industries chimiques et de laboratoires pharmaceutiques. 92 contrôler le plus grand nombre de véhicules dans tous les secteurs : 61,5 % des postes émetteurs de télévision en UHF, 40,7 % des journaux, 31,8 % des postes UHF, 30,1 % des radios AM et 28 % des radios FM, selon le rapport Epcom (op. cit.) se référant à l’année 2002. Ceci nous ramène à la question spécifique de la législation comme facteur déterminant de la distribution de la propriété des médias. Le travail de Bolaño fournit une excellente révision des principaux points distinctifs du modèle de régulation du macrosecteur des communications et des télécommunications au Brésil. Il reste que le modèle en place offre encore une vision très limitée de la régulation du secteur audiovisuel au pays, car « l’importance croissante de la production de contenus, de la diversité culturelle et de la problématique spatiale [a été] systématiquement oubliée dans le cadre réglementaire brésiliencxxv ». Selon l’auteur : Il s’agit d’un modèle nationaliste et d’un haut niveau de concentration qui, tout en protégeant les capitaux installés de la concurrence externe, limite aussi la manifestation des expressions locales et le développement d’un panorama audiovisuel diversifié, servant à la base aux intérêts politiques et économiques hégémoniques qui s’articulent en son sein.cxxvi Bolaño nous apprend, entre autres, que les secteurs de radiodiffusion et de téléphonie étaient régis par un seul instrument juridique depuis 1962 : le Code brésilien de télécommunications (CTB). Institué par la Loi 4.117 de 27 août de 1962, le CTB représentait alors la défaite définitive d’un modèle de communications jusque-là influencé par la fonction éducative et culturelle qui animait certains esprits dès l’émergence de la radio dans les années 192063. Néanmoins, la nouveauté du décret de 1962 résidait moins dans son caractère commercial que dans son aspect centralisateur, dans la mesure où il prévoyait l’unification des services de 63 Ainsi, « le Décret 20.047 de 1931, qui avait remplacé le premiers décret de 1924, établissait dès lors que la radiodiffusion était d’intérêt national et qu’elle avait un but lucratif » (“ … o Decreto 20.047, de 1931, que substituiu o primeiro decreto de 1924, já havia estabelecido que a radiodifusão era de interesse nacional, com fins lucrativos”, Capparelli cité par Bolaño, 2003, p.32). 93 radiodiffusion dans un réseau national ayant comme acteur central le gouvernement fédéral64. C’est à ce dernier que revient la charge d’accorder les concessions des postes émetteurs à des organismes sociaux ou privés, en donnant la préférence — même si c’est seulement en principe — aux personnes juridiques de droit public, telles que les universités. Bref, on voyait se consolider au Brésil « un système commercial privé de radio et de télévision, ayant pour base un modèle de concessions publiques — de 10 et 15 ans65, respectivement, renouvelables pour des périodes identiques et successivescxxvii. » Alors que les piliers du code avaient été adoptés à une période que l’on qualifie officiellement de « démocratique », le surplus centralisateur et autoritaire a été ajouté quelques années plus tard par le gouvernement militaire en place (1964-1985). Le Décret-loi 236, promulgué en février 1967, introduisait des limitations importantes concernant la propriété d’émetteurs de radio et de télévision que chaque entité pouvait contrôler au sein du territoire national. Force est de constater que ce décret éliminait surtout « toute possibilité de participation d’étrangers dans la propriété ou dans la direction d’entreprises de communications au Brésilcxxviii ». Même si d’autres modifications importantes ont été entreprises par le décret de 196766, il reste que les grandes lignes de ce système demeureront inchangées jusqu’à la fin de la dictature. 64 Fait digne de mention : Joel Zito Araújo note à propos de la Loi 4117 du 27 août 1962 que son article 53 faisait de la pratique du racisme dans les médias une préoccupation réelle, en prévoyant comme punition la cassation du permis de fonctionnement de l’entreprise de communication (Araújo, 2000, pp.70-71). 65 Bolaño mentionne qu’on avait déjà essayé à deux reprises de réduire la durée de chaque concession à seulement trois ans. La première tentative s’est produite à la fin du gouvernement du président Getulio Vargas, en 1951, et n’a pas survécu au suicide de celui-ci en 1954. La deuxième tentative a été menée par le président Jânio Quadros, lui-même forcé une année plus tard à renoncer à son poste au gouvernement. 66 Le décret de 1967 est également responsable de la création du Ministère des communications (MINICOM), d’un système de télévisons éducatives, ainsi que du système TELEBRAS, une holding reliant des entreprises de télécommunications installées dans chaque unité de la fédération. Pour les fins de ce travail, il importe de mentionner que le décret-loi en question a aussi prohibé la diffusion de préjugés de race ou de classe dans les médias de masse. Pour une révision historique de la législation 94 Ce modèle a d’ailleurs survécu à pratiquement tous les efforts de démocratisation en cours depuis la fin de la dictature au milieu des années 1980, pour n’être partiellement remis en question que très récemment, au début de l’année 200867. Venício Lima (1987) nous propose un portrait éclairé de la période allant de la fin du gouvernement du Général João Figueiredo68 (1979-1985) jusqu’à la présentation du premier projet de loi alternant les règles du système de communications dans l’assemblée constituante de 1987-88. À travers l’analyse des journaux de l’époque, Lima a pu en effet vérifier, par exemple, que les bénéficiaires mêmes des concessions de la fin du gouvernement militaire étaient directement impliqués dans l’approbation d’un projet de loi qui centralisait dans les mains du Congrès National et du président de la République, les compétences nécessaires pour décider du sort de la concession, du renouvellement et de la cassation des services de radiodiffusion. Un grand nombre de ces concessions ont été faites sur la base d’affinités politiques, partisanes ou même familiales, privilégiant particulièrement des députés fédéraux ainsi que leurs proches. raciale brésilienne, voir Mello, Marco Aurélio. 2001. «A Discriminação e a Lei». Revista Consultor Jurídico, p.6. En ligne. <http://racismonao.org/index2.php ?option=com_content&do_pdf=1&id=24>. 67 Le Ministre du Suprême tribunal fédéral, Carlos Ayres de Britto, s’est prononcé le 27 février 2008 en faveur de la révocation (quoique temporaire) de la Loi de la Presse. À l’arrière-plan de cette décision surprenante, étant donné le caractère conservateur dudit tribunal, se trouve une querelle politique entre le quotidien Folha de São Paulo et les propriétaires de l’Église Universelle du Royaume de Dieu, également propriétaires de la TV Record, principale concurrente de la TV Globo. Ce groupe évangélique s’appuyait alors sur la Loi de la Presse pour poursuivre en justice le quotidien en question. (Voir à cet effet l’article de Dines, Alberto. 2008. Os riscos da democracia caótica. Observatório da Imprensa: 2 p. En ligne. http://www.observatoriodaimprensa.com.br/artigos.asp ?cod=473CID007). 68 Selon les données du Ministère des communications avancées par Lima, le nombre de concessions octroyées est passé de 134, en 1982, à 80 en 1983, 99 en 1984 pour atteindre 127 en 1985. Ces données sont complétées par celles fournies par Colin Brayton dans son blog The New Market Machines : 154 concessions ont été octroyées en 1986, 208 en 1987 et, seulement dans les 10 mois précédant la promulgation de la Constituante en 1888, le Congrès National a octroyé 539 nouvelles concessions de radio ou de télévision. Le nombre de concessions accordées entre 1985 et 1990, durant le gouvernement du Président Sarney, a été de 1028, ce qui représenterait environ 30 % de toutes les concessions accordées au pays depuis 1922. Brayton, Colin. 2007. «TV, Radio and Hating the State: Notes on the Impending Apocalypse in the Brazilian Media Sector». En ligne. <http://cbrayton.wordpress.com/2007/10/03/tv-radio-and-hating-the-state-notes-on-the-impendingapocalypse-in-the-brazilian-media-sector/>. Consulté le 07 décembre 2007. 95 Ainsi, pour en revenir au bilan de Bolaño « environ 40 % de toutes les concessions faites jusqu’à la fin de 1993 étaient dans les mains de maires, gouverneurs et anciens parlementaires, ou de leurs parents, ou de leurs associéscxxix. » Contrairement à ce qu’on pourrait supposer, le choix pour faire des concessions et du renouvellement une compétence du Congrès national a rendu le contrôle social sur la propriété des médias pratiquement impossible, car « la non-rénovation de la concession exige l’approbation d’un minimum de deux cinquièmes de députés et sénateurscxxx ». Une branche progressiste au sein du Congrès national a fait une énorme pression pour garantir quelques acquis relativement importants comme l’interdiction du monopole et de l’oligopole des communications, (art.220, par.5), la stimulation de la production indépendante (art. 221) ou la protection de la culture régionale avec une garantie de la régionalisation de la production. Il s’avère toutefois qu’aucune de ces lois n’a été réglementée postérieurement. Bref, faute d’une réglementation mise à jour, on a conservé le vieux modèle de régulation des communications et ce, même après la fin de la dictature. Certes, on accuse une rupture partiale du modèle de régulation à partir des changements dans les années 1990. Borges, pour sa part, déplore le fait qu’ « en plus de la concentration, les médias brésiliens passent par une dangereuse période d’internationalisationcxxxi ». Toutefois, cette rupture a résulté moins de la mise en œuvre du modèle prévu dans la Constitution de 1988, que de la nouvelle législation de la télévision par câble et, en même temps, du processus de libéralisation du domaine des télécommunications à partir du gouvernement de Fernando Henrique Cardoso69. Borges explique, par exemple, qu’à partir de 2002, « le capital étranger a été autorisé à obtenir jusqu’à 30 % des actions des entreprises journalistiques et de 69 Siqueira Bolaño rapporte que, suite à des pressions de la part du Fond monétaire international, l’ancien président Fernando Henrique Cardoso a préparé le terrain, dès la moitié des années 1990, pour la réforme et la privatisation des services de télécommunications. Il est intéressant de noter ici la création, en 1997, de deux instruments juridiques : la Loi générale des télécommunications (LGT) et la Loi générale de communication électronique de masse (LGCEM). L’une des principales contributions de ces réformes est la création d’un organisme régulateur — l’ANATEL — qui serait indépendamment capable de promouvoir une concurrence juste, de défendre les intérêts et les droits des consommateurs, de même que de stimuler l’investissement privé. 96 radiodiffusioncxxxii », ce taux s’élevant à 49 % des actions pour la télévision par câble. En ce qui concerne la téléphonie fixe et cellulaire, la télévision payante en MMDS (via microondes) et en DTH (via satellite), aucune restriction n’a été imposée au capital étranger. Il est cependant crucial d’apporter certaines nuances à l’aspect conservateur du système des médias au Brésil. Fernando Antônio Azevedo (2006) propose, dans son article intitulé Mídia e democracia no Brasil, une analyse saisissante des changements opérés au sein du système médiatique brésilien et donne des pistes cruciales permettant d’établir un lien étroit entre le système des médias et le système politique en place. Comme il le signale, le « système des médias n’est pas statiquecxxxiii». Malgré la stagnation de la réglementation des communications au Brésil — favorisant un système de médias avec un bas taux de diversité externe — et faute d’un journalisme politique et/ou partisan suffisamment compétitif pour offrir des points de vue diversifiés, des changements importants s’imposent à l’heure actuelle. Ils sont de l’ordre : 1) de la consolidation d’une presse commerciale, suite à un processus de modernisation continu des points de vue industriel, graphique et éditorial en cours depuis les années 1970 ; 2) du renforcement d’une politique éditoriale orientée par la diversité interne, comme conséquence d’une compétitivité croissante entre les principaux journaux de circulation nationale (Azevedo, 2006, pp.104-106). Bref, même si le système de concession des médias demeure relativement contrôlé et centralisé par le congrès national, il n’en reste pas moins qu’une compétition réelle entre les médias disponibles fait en sorte que ceux-ci cherchent de plus en plus à diversifier leurs contenus offerts. Dans la prochaine section, je vais aborder les conséquences de ce scénario médiatique plus ample pour la configuration du marché publicitaire national au Brésil. 3.4 Le marché publicitaire brésilien face à la concentration de la propriété des médias Qu’en est-il alors du marché brésilien et, plus spécifiquement, du marché publicitaire brésilien ? Célébrée en grandes pompes dans la presse brésilienne, une étude de la Banque 97 Mondiale publiée à la fin de 2007 a placé le Brésil au rang de la sixième économie mondiale, à côté de pays industrialisés comme la France, l’Italie et le Royaume Uni (2007). La croissance du PIB brésilien par rapport à l’année 2006 avait été estimée à 4,5 % par la Banque Mondiale (2008), alors que l’IBGE, à la fin de la même année, a réévalué ce taux à 5,7 % (Marinas, 2007). Ces données, évidemment, ne tiennent pas compte de la distribution des revenus entre les différents pans de la population nationale, comme on s’abstient souvent de le mentionner. Et pourtant, les analystes s’inquiètent de l’écart existant entre le marché publicitaire et le marché national, en estimant que « (…) le volume d’affaires publicitaires n’est pas proportionnel à — ni aussi significatif que — celui enregistré dans l’économie nationalecxxxiv. ». À en juger par les données recensées par l’Instituto de Estudos e Pesquisas em Comunicação (EPCOM, 2005), ces craintes sont totalement infondées : le marché publicitaire brésilien a mobilisé plus de 5 milliards US $ au cours de l’année 2000. D’autres sources mentionnent cependant une croissance encore supérieure à celle du PIB national. Un bref article citant des données du Projeto Inter-Meios, programme privé destiné à repérer l’investissement national dans le marché publicitaire, indiquent le passage d’un total de 14,8 milliards en 2003 (valeurs en reais), à celui de 18,5 milliards en 2004, puis 21,8 milliards en 2005, pour finir avec 23,9 milliards en 2006 — soit une croissance de 9,1 % par rapport à l’année précédente (2007). La croissance du marché publicitaire peut aussi être confirmée par la participation de celui-ci au PIB brésilien. Toujours selon les données produites par le Projeto Inter-Meios, la participation du marché au PIB brésilien a été de 1,03 % en 2006, alors que les données de l’IAA concernant l’année 1988 décrivent une participation de 0,69 % au PIB de cette année-là70 (Mattelart, 1990). Cependant, ces chiffres n’éclairent en rien la distribution de ce revenu sur l’ensemble du système des médias au Brésil. Dans un bilan sur l’année 2003 publié originalement dans la 70 Comme le souligne de façon opportune Mattelart, « l’indice PIB élevé que l’on observe dans certains pays dudit tiers monde témoigne du poids excessif des dépenses publicitaires par rapport au niveau de vie de la grande majorité de leurs habitants » (Mattelart, 1990, p.36). 98 revue Meio & Mensagem (Affini, 2003), Marcelo Affini nous informe sur la distribution du marché publicitaire au Brésil : 58,7 % est détenu par la télévision ouverte, 1,9 % par la télévision payante, 29,6 % par la presse écrite et 4,5 % par la radio. De plus, le secteur de la publicité à la télévision est en croissance permanente (une croissance nominale de 3,4 % en 2002 par rapport à 2001), alors que la presse écrite et la radio sont en baisse. Si nous prenons seulement en considération la télévision, le marché publicitaire a augmenté de 6,5 % (Affini, 2003, p.2)71. Ces tendances de croissance sont aussi confirmées l’année suivante, selon les données présentées dans l’article Melhor que o esperado (Pereira, 2004). Ces données, une fois confrontées à celles du Rapport EPCOM, nous permettent de déceler au moins trois types de concentration dans le marché publicitaire brésilien : 1) Comme le démontre bien Affini, il s’agit d’un marché largement dominé par la télévision commerciale, qui représente 58,7 % de tous les investissements du secteur. 2) On constate également une concentration de type régional, vu que 90 % du marché publicitaire brésilien est localisé dans les deux plus grandes villes brésiliennes : São Paulo et Rio de Janeiro. On doit cependant tenir compte du fait que dans un contexte de concentration croissante de la propriété médiatique mondiale, les hégémonies nationales ne sont pas garanties à vie. D’un côté, la compétition relative qui s’instaure à l’intérieur du marché brésilien est la résultante, en grande mesure, d’une pression croissante du capital externe en quête d’expansion (cf. 71 À titre de comparaison, et contrairement à ce qui se passe au Brésil, la publicité en direct est le principal secteur publicitaire au Canada, lui-même toujours en croissance depuis les dernières années. Marc Raboy explique, par exemple, qu’en 1989, 40,1 % du marché publicitaire au Québec est détenu par la publicité directe, 35,9 % par la presse écrite et 23,8 % par la radio et la télévision (Raboy, 1992, p.63). 99 Borges, 2007, p.4). De l’autre, elle est aussi un réflexe des dynamiques sociales locales, qui se traduisent au Brésil par une quête croissante de démocratisation des sphères institutionnelles, mais aussi de la visibilité accordée aux débats publics72 (Azevedo, 2006, pp.105-108). 3.5 La centralité de la télévision dans le marché publicitaire Dans l’article Brazil : The Role of the State in World Television, Joseph Straubhaar (2001) argumente que « les systèmes de télévision nationale et régionale sont aussi importants, voire même plus importants, que les systèmes globaux et que l’État compte parce qu’il joue un rôle significatif en informant les systèmes de télévision nationauxcxxxv. » En effet, le Brésil appartient à cette catégorie de pays où, selon Mattelart, « la télévision étouffe littéralement le paysage publicitaire, » (Mattelart, 1990 : 37) alors que dans d’autres pays comme la Suisse, la Finlande, les Pays-Bas et la Belgique, la télévision acquiert un rôle carrément secondaire. Cette insistance surdimensionnée sur le média télévision s’explique par sa longue tradition commerciale non seulement au Brésil mais aussi dans d’autres pays de l’Amérique latine et ce, contrairement aux pays européens où prédomine un régime télévisuel public fortement réglementé. Parler donc de l’ampleur du rôle de la télévision au Brésil sans y mentionner la création de la Rede Globo de Televisão — ou tout simplement TV Globo73—, c’est prendre le risque de faire une grave erreur historique. Selon Straubhaar, la concession nécessaire pour son fonctionnement a été accordée par le président de l’époque, Juscelino Kubitschek, en 1957 ; 72 Pour ce qui est de la démocratisation des contenus et de la couverture médiatique, Azevedo soulève comme l’une des principales composantes le perfectionnement d’une législation électorale de radio et de télévision visant à prévenir toute forme de mise en valeur d’un candidat ou d’un parti particulier. Cette législation contraignante ne fera cependant pas l’objet de notre travail car, comme je le démontrerai plus tard, la législation de la publicité commerciale s’est développée entièrement séparément de la publicité politique. 100 cependant, son inauguration n’aura lieu qu’en 1965 — un an après le coup d’état qui a mis au pouvoir un gouvernement militaire au Brésil. Née d’une collaboration avec le groupe de médias états-unien Time-Life, la TV Globo — comme tout le réseau qui s’organise autour de celle-ci — s’élargit par le biais de milliers de chaînes affiliées ou de retransmission tout au long des années 1960 et 1970. D’après l’auteur, le gouvernement militaire a favorisé la mise en place du Groupe Globo de plusieurs façons, parmi lesquelles : 1) en accordant des prêts gouvernementaux pour payer le groupe Time-Life ; 2) en subventionnant largement la publicité gouvernementale. Toutefois, note Azevedo (op. cit.), le marché publicitaire n’a jamais été assez dynamique pour garantir le capital nécessaire à la production ainsi qu’à la circulation de produits journalistiques. La subvention publicitaire a dû être combinée avec des financements en provenance des banques publiques (pour l’achat de papier) et des politiques fiscales favorables, en plus de compter avec la présence constante du gouvernement comme principal acteur dans l’achat des espaces publicitaires (Azevedo, 2006, p.103). Ainsi, malgré son commencement modeste, la TV Globo a joui d’une ascension fulgurante. À en juger par les données personnelles fournies par Manuel Leite dans article TV Brasil — Ano 40 (Leite, 1990) —, le montant mensuel facturé en septembre 1965 par la TV Globo est passé de 200 000$74 à 1 500 000 $ en septembre 1967 — soit une augmentation nette de 750 % du revenu disponible (Leite, 1990, p.246). En fait, le rôle unificateur de la télévision au Brésil, mais aussi dans d’autres pays latinoaméricains comme le Mexique, répond à une conjoncture internationale où des ondes électromagnétiques sont allouées à chaque pays, en tant que ressources finies, par un agent central et incontournable : les États-Unis. Leite mentionne un lobbying de la part du 73 Celle-ci est devenue le bras télévisuel d’un groupe plus large rassemblant, entre autres, le journal imprimé O Globo, la maison d’édition Rio Gráfica et la station radiophonique Radio Globo. 74 L’auteur n’a cependant pas précisé en quelle monnaie ces chiffres sont exprimés. 101 gouvernement militaire pour avoir droit à un satellite visant à consolider son pouvoir, et ainsi à freiner l’ascension de la gauche en Amérique latine (Leite, 1990, p.241). Ce réseau national se concrétise en 1982 par la mise en place d’un transponder (un canal satellite du système Intelsat), ce qui a permis que toutes les émissions puissent être exhibées simultanément, dès la génération des images et ce, sur tout le territoire brésilien (Leite, 1990, p.248). Bref, les mesures du gouvernement militaire prises pour imposer des limites à la concentration et à la propriété étrangère, liées à une politique répressive en qui concerne la liberté d'expression, ont abouti à un modèle de communication centralisé et fortement contrôlé par l'appareil étatique. Toutefois, on doit réaliser que le projet centralisateur et autoritaire du gouvernement militaire dans la mise en place et l’expansion de la télévision sur le territoire national résulte d’un véritable paradoxe : il fallait en effet conjuguer l’appui de la puissance américaine — avec tous ses projets d’expansion commerciale et d’exploitation de nouveaux marchés — tout en favorisant la production nationale. Straubhaar nous apprend ainsi que : La TV Globo, en particulier, a considérablement augmenté la production nationale parce qu’elle avait découvert que les audiences, et par conséquent les annonceurs aussi, préféraient les émissions musicales, les comédies et feuilletons télévisés produits nationalement par rapport à tous, ou presque tous, les quelques programmes importés.cxxxvi Les évaluations de l’impact de la télévision sur l’ensemble de la population sont quelques fois alarmistes. On décrit souvent la télévision comme un tout, et la TV Globo en particulier, comme le moteur de la massification, comme l’indique Leite dans le passage suivant : Les faits et les recherches révèlent que la télévision ira, plus ou moins rapidement en fonction des réactions qu’elle déclenche, construire un concept dévastateur — la massification — puisqu’il n’a jamais existé jusqu’à présent aucun autre agent de divulgation capable de rejoindre, dans un pays-continent comme le nôtre, 50 ou 60 millions de personnes en même temps et dans les mêmes conditions environnementales : loisir total de personnes assises ensemble, (…) avec une qualité de production qui plaît à tous et pour laquelle, pour tout ce divertissement (ou vice ?), personne n’a rien à payer.cxxxvii 102 Toutefois, le scénario dévastateur de l’imposition d’une seule chaîne de télévision sur tout le territoire mérite d’être nuancé au profit de notre objet de recherche. Il convient de préciser, tout en tenant compte de ce scénario marqué par la concentration de la publicité télévisuelle et qui s’inscrit dans un cadre général plus large de politiques de communications, que l’apport de la publicité ne se résume pas à la télévision. Celle-ci possède des liens étroits avec le processus de consolidation de la presse commerciale dont nous avons précédemment parlé (voir sect. 3.3). De ce fait, le processus de modernisation (à la fois industriel, graphique, professionnel et éditorial) de la presse écrite, en cours à partir des années 1970 et 1980, apporte des changements expressifs, surtout à la presse écrite. Outre le fait de dénoter une forte expansion du système des médias, ces transformations « ont été accompagnées de politiques commerciales et de marketing agressives, qui ont transformé conceptuellement les journaux en prestataires de services et les anciens lecteurs en consommateurscxxxviii. » Cette nouvelle orientation commerciale, conclut Azevedo, a non seulement eu un impact positif sur la diversité du contenu journalistique, mais elle a aussi donné un nouvel élan à la publicité subventionnée par les journaux. À d’autres moments, toutefois, les auteurs tendent à relativiser le pouvoir de la TV Globo, soulignant que celle-ci n’a jamais été la seule station de télévision en opération et ce, même dans les périodes les plus répressives de la dictature militaire (1964-1985)75. Straubhaar explique que le facteur l’ethnicité peut jouer un rôle majeur dans la concurrence entre les chaînes de télévision existantes. L’auteur note ainsi l’existence, au Brésil, d’une 75 Leite lui-même admet que l’intensification de la concurrence se fait principalement sentir à partir des années 1980, avec l’arrivée de la TV Manchete et de la réorientation des concurrentes déjà installées sur le marché, comme le canal SBT, la TV Record et la TV Bandeirantes (Leite, 1990, pp.248-249). 103 (…) divergence entre communicateurs en ce qui a trait à la transmission d’un idéal ethnique qui fait appel aux classes de consommateurs plus aisées, dont l’ethnicité est largement européenne, ou bien l’interpellation de l’audience plus large de la télévision, laquelle est à moitié afro-brésilienne.cxxxix Ainsi, la TV Globo, souvent accusée de sous-représenter la population afro-brésilienne « tant dans la programmation que dans les annonces commerciales » (Straubhaar, 2001, p.151), perd de l’espace au profit de ses deux principales rivales, SBT et Record, qui se prévalent, elles, de genres télévisuels correspondant davantage aux goûts des classes plus basses — comme les émissions d’entrevue, de télé-réalité, de jeux et de variétés76. Bref, « ces genres interpellent le sens d’identité ou de capital culturel de classes travailleuses plus basses en utilisant des participants plus représentatifs d’un point de vue ethnique de la diversité de l’audience brésiliennecxl. » Certes, l’aspect fortement régionalisé et concentré de l’industrie télévisuelle fait obstacle à la diversité comprise autant sur le plan ethnique que culturel. Dans l’article La diversité culturelle vue de l’Argentine, du Brésil et du Chili, Gaëtan Tremblay (2003), donne son aperçu de la diversité culturelle et régionale au Brésil en confirmant que « la production audiovisuelle est fortement concentrée à Rio et à São Paulo et [que] les cultures d’origine africaine et autochtone ne reçoivent pas l’attention qu’elles méritent ni les moyens nécessaires à leur plein épanouissement » (Tremblay, 2003, p.330). 76 Selon une note parue le 7 février 2008 dans le quotidien Hoje em Dia, une télénovela de la TV Record a, pour la première fois, dépassé la TV Globo en termes d’audience. La note fait également état de la perte d’audience de la TV Globo dans quelques-unes de ses principales émissions. On y mentionne, par exemple, le fait que les taux d’écoute de la huitième version de l’émission de téléréalité Big Brother Brasil n’ont jamais dépassé 40 points. L’émission Fantastico, le chef de file du dimanche soir, a vécu une chute de 21 % dans les sondages en 2007 par rapport à 2004. Voir 2008. «Novela da Recod bate Globo e alcança 1o lugar no Ibope». Hoje em Dia (Belo Horizonte), 7 février 2008. En ligne. <http://www.hojeemdia.com.br/> 104 Je reviendrai sur ce point dans le prochain chapitre, lorsque je me pencherai plus précisément sur l’histoire de la publicité au Brésil. CHAPITRE IV UNE BRÈVE HISTOIRE DE LA PUBLICITÉ AU BRÉSIL Dans le chapitre précédent, j’ai fourni un aperçu général du système de communication de masse et de ses retombées sur le marché publicitaire au Brésil. Il s’agit maintenant de s’interroger sur le rapport établi entre ce système et la publicité telle qu’elle s’est concrètement développée au Brésil. Dans ce chapitre, je présenterai un bref parcours de la publicité industrielle, en essayant de tenir compte de facteurs locaux et de dynamiques propres à la société brésilienne. Différentes formes de périodisation sont possibles grâce à des critères très variables : l’emploi de différentes techniques dans la confection des annonces, les diverses phases de l’industrialisation franchies par le pays en question, les cycles économiques plus larges, etc. Bref, devant toute une panoplie de possibilités qui s’offrent, j’opte pour la systématisation de l’histoire de la publicité brésilienne tout en tenant compte de « l’interconnexion étroite entre la publicité, le secteur de production de biens et les médiascxli ». Pour ce faire, j’aborderai les différentes phases en prenant en considération quatre différentes dimensions : le système de production et de distribution en place77, les technologies de médias en place, les déterminantes culturelles de la consommation et l’organisation des affaires publicitaires à chaque moment. Ce bref survol de l’histoire de la publicité brésilienne, qui ne se veut aucunement exhaustif, possède une spécificité additionnelle. En effet, je placerai dans cet itinéraire les différentes améliorations techniques de la publicité dans leur contexte socio-historique d’origine, en essayant de saisir les implications directes de leur consommation par les individus afrodescendants et métissés au Brésil. Autrement dit, il s’agit d’entreprendre une forme de « lecture racialisée » de l’évolution de la technique publicitaire et des habitudes de 77 Contrairement au modèle proposé par Leiss et ses collègues (Leiss, Kline et Jhally, 1986, p.123), lequel privilégie les différentes phases de production et de distribution industrielle exclusivement, je propose un retour à une phase ultérieure à celle-ci. Ce faisant, mon idée est de démontrer comment le système esclavagiste a eu un impact considérable, non seulement en termes de technique de rédaction de l’annonce publicitaire, mais aussi dans la formation de la subjectivité de ces lecteurs. 106 consommation, en la remettant dans une dynamique sociale plus large, tout en tenant compte des éléments relevant de la sphère de la production économique de biens à chaque moment précis. Les ouvrages détaillant l’histoire de la publicité brésilienne ne sont pas nombreux. À cet effet, la parution, au début des années 1990, d’un recueil d’articles issus des vétérans de ce métier au Brésil, Historia da Propaganda no Brasil (Branco, Martensen et Reis, 1990) demeure la référence principale. Le parcours historique de la publicité brésilienne que je présenterai dans les prochaines pages s’inspire majoritairement des articles publiés dans cette œuvre. Mais ce parcours a été également enrichi par des analyses ponctuelles portant sur le contenu de la publicité à des époques particulières, menées par des chercheurs provenant de différents champs d’expertise comme l’histoire, la sémiologie ou encore l’anthropologie. 4.1 Les origines des annonces publicitaires au Brésil : les annonces d’esclaves « Avant-poste de l’industrie médiatique, le secteur publicitaire montre le chemin à suivre », estime Mattelart (op. cit, 1989 : 10). Selon l’auteur, la formation d’un réseau international favorisant la fusion et la concentration de la propriété que l’on observe chez les grandes corporations de communication est en réalité une tendance connue par l’industrie publicitaire et ce, dès son apparition — voire même un facteur constitutif de celle-ci en tant que réseau de réseaux. Selon Mattelart, l’industrie de la publicité s’appuie sur « une trilogie de l’interprofession », considérée « universelle depuis que la publicité mérite ce nom » (op. cit, 1989, p.6) : l’annonceur, l’agence et le support. Au Brésil, toutefois, l’essor des agences de publicité s’est fait beaucoup plus tardivement que l’apparition des premières annonces publicitaires. Bien que certains auteurs aient revendiqué la lettre de Pero Vaz de Caminha — le grand récit de la « découverte » du Brésil — comme étant la première pièce « publicitaire » du pays, la première annonce à proprement parler ne semble avoir été publiée qu’en 1808 (Ramos, 1990) — date de la parution du premier journal au Brésil, le Gazeta do Rio de Janeiro. L’essor tardif de la presse dans la seule colonie lusophone de l’Amérique latine coïncide, comme nous l’avons vu plutôt, avec l’arrivée de la famille royale portugaise en sol brésilien. 107 Selon Ricardo Ramos, une première annonce d’immeuble « a fondé toute la dynastie des petites annonces. C’est dans ce format, (…) qu’on loue, achète et vend la maison, la charrue ou l’esclave qui s’offrent comme produit, professeur ou prêtrecxlii. » Dès lors, les annonces publicitaires témoignent des contingences du système économique esclavagiste en vogue, notamment en ce qui concerne la réduction de l’esclave à la condition de bien matériel et de propriété de son maître. C’est donc comme bien matériel aliénable qu’une parcelle significative de la population afro-descendante occupe les espaces de visibilité de l’annonce. Au sujet du contenu de celles-ci, Ramos explique que : Dans ce climat, aussi intéressé que pittoresque, s’inscrit le cadre de notre esclavage. On vante les traits, les caractéristiques et les vertus des noirs et des noires en vente. On montre les avantages de l’école pour les enfants, où des garçons et fillettes de huit à dix ans apprenaient des offices, pour être loués par la suite. Principalement, on décrit les esclaves évadés, on offre des récompenses pour les recherchés. Il y a des annonces honteuses, comme celle [offrant] des billets pour voir une petite négresse monstre, âgée de moins de sept ans et avec un poids supérieur à neuf arrobas78, ou encore celles qui proposent des jeunes filles de belle allure, sans vices, des jeunes mères nourrices récemment accouchées, des ventes et des achats en gros et au détail. Il y en a d’autres, peu nombreuses, qui arrivent à paraître même sympathiques. Celle-ci concerne un maître d’esclave amoureux, originaire de l’État de Pernambuco, qui cherche son esclave évadée et qui en parle avec flamme, en dépensant de l’argent dans des détails sans importance, pour ainsi conclure : et elle a les yeux tristes.cxliii Certes, le caractère « sympathique » de cette dernière annonce dépend radicalement de la perspective qu’on adopte, soit celle de l’amoureux, soit celle de l’esclave évadée. Ceci deviendra d’ailleurs l’objet de discussions passionnées au sein de ce qui deviendra ultérieurement l’organisme responsable de l’autoréglementation de ce secteur, comme nous le verrons plus tard. Pour l’instant, il suffit de reconnaître que les contenus de ces annonces donnent une perception assez particulière de la sociabilité de l’époque, notamment en ce qui concerne une vue particulière sur les rapports entre maître et esclave tels qu’ils étaient vécus 78 Unité de mesure ancienne qui équivaut à 15 kg. Neuf arrobas seraient alors l’équivalent d’environ 120 kg. 108 dans différentes parties du Brésil. En effet, s’il y a un point à retenir de la publicité jadis naissante, c’est bien celui-ci : en conférant de la visibilité à un objet annoncé, la publicité faisait connaître non seulement son objet mais aussi la perspective de son énonciateur — donc, de son propriétaire réel ou potentiel79. Par exemple, dans une analyse des journaux de l’État de São Paulo qui ont été publiés dans les années précédant l’abolition de l’esclavage, Lilia Schawrcz (op. cit.) a fait ressortir les éléments de cette subjectivité identifiable à partir des annonces qui y figuraient. Outre le fait de faire état de la fuite d’un ou de plusieurs esclaves, ou bien de faire savoir le montant d’argent offert en guise de récompense, ces annonces finirent par devenir de véritables espaces d’expression de l’indignation, du mépris et du regret de ces maîtres, dépassant ainsi largement l’objectif initial de celles-ci : récupérer tout simplement leurs « biens » perdus. 4.2 L’essor de la presse et d’une nouvelle sociabilité… européenne ou américaine ? Dans Social Communication in Advertising (op. cit.), Leiss et ses collaborateurs font état de la double nature des technologies de communication. D’une part, ces technologies constituent « des canaux à travers lesquels l’information et le contact interpersonnel peuvent se dérouler et se mélanger, en rapprochant une population qui, en leur absence, se trouverait dispersée et disparatecxliv. » Mais elles deviennent aussi une partie importante de la structure institutionnelle des économies industrielles, «en mettant le pouvoir et l’autorité au service de groupes particuliers pour des intentions particulièrescxlv. » 79 De ce point de vue, la publicité a été un espace d’attribution de l’Altérité qui est carrément opposé à celui des quelques aventures littéraires entreprises par les Afro-descendants eux-mêmes à cette même époque. À l’instar du poète Luiz Gama, auteur de Primeiras trovas burlescas de Getulino, l’accès à l’écriture et aux outils sociaux qui rendaient l’écriture possible, était utilisé de façon à conférer de la positivité au legs africain, généralement méprisé par ses contemporains. Sur Luiz Gama, voir Azevedo, Elciene. 2006. «Luiz Gama, a letra e a luta». História Viva Temas Brasileiros — Presença Negra, no 3, pp.30-37. 109 Dans la publicité du Brésil et d’ailleurs, se nourrissent mutuellement le processus culminant dans le déplacement de l’autorité et du pouvoir des institutions socialement reconnues, telles que l’Église ou l’armée, et l’affirmation d’un ethos80 de classe identifiable à une bourgeoisie urbaine croissante. C’est alors en 1821 que le journal Diário do Rio de Janeiro voit le jour, suivi de près par de nombreux autres qui surgirent après l’indépendance du Brésil en 1822 : l’Espectador Brasileiro et l’Almanaque dos Negociantes, en 1824 ; le Diário de Pernambuco, en 1825. « Rapidement, les articles se multiplient, les services aussicxlvi », explique Ramos, en nous apprenant que la fondation des journaux se concrétise au « moment où émergent les cafés, les librairies, où prolifèrent les pasquinscxlvii ». À la fois témoin et agente des changements dans cette nouvelle sociabilité émergente, la publicité change tout autant. « Le commerce s’élargit, varié, hétérogène, la publicité mercurielle rend compte de pots pour les jardins, des pots de chambres de toutes les tailles, de copieurs de musique ou de matelas d’étoffe végétale ou de prières contre la pestecxlviii. » Des annonces en langue étrangère se font vite remarquer. « Des annonces en français réclament une dame pour s’occuper d’un aveugle ou un homme actif, qui parle portugais, pour être gérant dans une plantation de café proche de la villecxlix » tandis « que les annonces en anglais, publiées à Rio et à Recife, possèdent une coupe plus scientifique : celles-ci offrent les talents de chirurgiens-dentistes, venus d’Europe, [et] divulguent des poudres importées pour le nettoyage des dentscl. » Ce serait faux cependant d’imaginer que les annonces 80 Le terme ethos est ici compris dans son acception bourdieusienne, c’est-à-dire comme la dimension éthique en état pratique de l’habitus. Bourdieu explique qu’« une des fonctions de la notion de l’habitus est de rendre compte de l’unité de style qui unit les pratiques et les biens d’un agent singulier ou d’une classe d’agents » (Bourdieu, Pierre. 1994 Raisons pratiques : sur la théorie de l’action. Paris, Éditions du Seuil: 23). Cependant, j’utilise ce terme avec une certaine précaution théorique, en prenant acte des critiques qui ont été faites à l’endroit de la notion d’habitus notamment par Philippe Corcuff et Bernard Lahire (Corcuff, Philippe. 2003 « L’homme pluriel et l’habitus : questions autour de Pierre Bourdieu et de Bernard Lahire ». Bourdieu autrement fragilités d’un sociologue de combat. Paris, Les Éditions Textuel). Ces critiques concernaient notamment les « présupposés d’unité et de permanence de la personne » (Corcuff : 69). Dans ce passage précis, l’emploi de l’idée d’un ethos de classe vise tout simplement à faire ressortir la dimension objective d’un principe pratique de classement qui forge l’identité d’un groupe en guise de consolidation. 110 « reproduisaient » tout simplement les attentes et les goûts authentiques d’une bourgeoisie locale. En effet, le rôle de la publicité était vraiment plus complexe, dans la mesure où celleci jouait le rôle d’intermédiaire entre les modèles esthétiques provenant d’Europe ou des États-Unis et un grand public, très peu familiarisé avec les pratiques quotidiennes de la lecture et de l’écriture. Ce rôle de médiation est confirmé par Ramos lui-même : « D’un côté, le raffinement français ; de l’autre, le technicisme américain. L’un est élégant, l’autre, pragmatique. Que faisons-nous ? Nous traduisons, adaptons et vivons ensemble avec les deuxcli. » Nous ne pouvons malheureusement pas compter sur des statistiques fiables concernant l’écart existant entre le nombre de Brésiliens lettrés et celui de Brésiliens illettrés au cours de première moitié du XIXe siècle. Cependant, une chronique signée par le célèbre écrivain brésilien Machado en 1876 fait part d’un taux d’analphabétisme dépassant 70 % de la population (Masagão, 2003). Or, il semble que cet obstacle fût au vu et au su de tous les créateurs de publicités, raison supposément définitive pour l’embauche d’écrivains poètes à titre de rédacteurs. Ramos vient à l’appui d’une telle hypothèse en soulignant que « le public, majoritairement analphabète ou semi-analphabète, retrouvait dans les rimes l’indispensable aide mnémonique pour mieux retenir les thèmes et les annonces (ceci étant le résultat que les annonceurs souhaitaient obtenir, ils cherchaient alors les poètes)clii » Et conclut-il : « D’après ce qu’on a pu vérifier, les poètes ont été les premiers free-lancers de rédactioncliii » publicitaire. 4.3 Le développement de la publicité et le projet eugéniste J’ai démontré jusqu’ici comment la publicité, dans ses formes préindustrielles, commence graduellement à se structurer au Brésil avec l’essor des premiers journaux et d’un début d’industrialisation. L’activité publicitaire semble alors se structurer à l’intérieur des journaux, sous la forme d’un département, et « s’amplifie pour gagner la rue, le client, pour finalement acquérir des contours plus nets avec l’essor des revuescliv ». 111 Contrairement aux États-Unis, qui ont vu leur première agence de publicité naître en 1841 (Mattelart, op. cit, 1990), le Brésil n’a jamais connu une phase durant laquelle les agences locales dominent, seules, le marché national. Autrement dit, la publicité, dans sa forme la plus structurée et professionnalisée, s’insère « tardivement » (par comparaison avec les premiers pays industrialisés) dans la tendance d’expansion internationale et de concentration de la propriété qui avait été inaugurée par l’agence états-unienne J. Walter Thompson dès l’année 1899 — lorsque celle-ci avait installé son premier bureau de ventes à Londres81. Matellart note que « la fondation successive de filiales dans les grandes capitales régionales en Inde et au Brésil indique combien la firme américaine a été intimement associée à l’établissement du dispositif publicitaire dans chacune de ces réalités » (Mattelart, 1990, p.13). C’est donc dans le contexte d’expansionnisme des agences de publicités nord-américaines qu’émergent les premières agences de publicité. Par exemple, la compagnie Castaldi & Bennaton, localisée dans la ville de São Paulo, date de 1913 ou de 1914. Après la fin de la Première Guerre mondiale, cette même ville compte déjà quatre agences de publicité supplémentaires : Eclética, fondée par Eugênio Leuenroth, Pettinati, l’Édanée, celle de Valentim Harris ou encore celle de Pedro Didier et Antônio Vaudagnoti. À en juger par les noms des propriétaires de ces firmes, les influences étrangères n’étaient pas seulement une question de style, mais aussi un fait accompli en ce qui concerne la présence d’individus issus de l’immigration dans la publicité. Autrement dit, ces noms de famille démontrent bien non seulement la forte présence des agences étrangères au pays, mais 81 Notons cependant que l’objectif des premières Américaines à Londres était d’abord d’inciter les fabricants de marchandises anglais à vendre et à annoncer leurs produits en Amérique. Dans le contexte de leur arrivée au Brésil, les agences internationales suivaient le mouvement d’internationalisation de la production industrielle nord-américaine. « L’histoire de cette première phase de l’internationalisation de l’agence se confond avec l’histoire de l’expansion mondiale de grandes entreprises américaines » (Mattelart, 1989 : 12), telles que General Motors, Kodak, Kellogg’s, Ford et tant d’autres. 112 aussi le fait que celles-ci résultaient largement de l’initiative d’individus issus de l’immigration européenne ou américaine au Brésil (De Moraes Sarmento, 1990)82. Toutefois, la publicité était destinée à être dès lors plus américaine qu’européenne, grâce à l’arrivée au Brésil de l’agence américaine J. Walter Thompson, en 1929, pour répondre aux besoins de la General Motors Inc. Ceci signale ainsi l’ouverture du marché national aux agences américaines comme l’agence N. W. Ayer & Son, à São Paulo, ou encore la Foreign Advertising Service Bureau Inc., à Rio de Janeiro (De Moraes Sarmento : 20-21). À propos de l’arrivée du réseau d’agence J. Walter Thompson au Brésil, Mattelart révèle que « dans des pays comme le Brésil qui, en ces années-là, ne disposait pas de presse, de radio et de télévision à l’échelle de l’ensemble du territoire, le réseau publicitaire jeta les premières bases de l’intégration nationale par le marché.» (Mattelart, 1989 : 13.) C’est aussi dans les années 1920 que l’on observe l’essor d’un grand marché de médicaments au Brésil et, par conséquent, de la publicité les concernant. Rappelons que les théories eugénistes sont à l’ordre du jour des élites au pouvoir et que celles-ci voient en l’immigration d’origine européenne une composante essentielle au projet d’amélioration raciale (Dávila, 2003 Dos Santos et Palhares Sá, 2000). Or, au cœur du projet eugéniste en question se trouvait une préoccupation centrale en ce qui a trait aux politiques publiques de type hygiéniste qui, à leur tour, possédaient un volet fortement pédagogique. Dos Santos et Palhares Sá décrivent l’arrivée des années 1920 comme la fin de la grande phase de projets d’assainissement, même si ceux-ci n’étaient pour la plupart jamais conclus. Dans ces projets, Les soins seraient alors redirigés afin d’« améliorer les [personnes] sain[e]s », en imposant à la population en général, par le biais d’une éducation hygiénique, tout un imaginaire des idéaux bourgeois de civilité, fondés sur des caractéristiques telles que l’ordre, la propreté, la discipline, l’autorité, la propriété privée, etc.clv 82 Je reviendrai sur ce point dans le chapitre prochain ; la présence étrangère dans les agences de publicité suscitera des mesures spéciales de surveillance prises par le Président Getulio Vargas, telles que l’identification des noms, adresses, nationalité, etc. 113 L’essor des almanachs, notamment des almanachs pharmaceutiques, est un effet collatéral de ce scénario plus ample, qui démontre bien l’extension des politiques hygiénistes aux milieux ruraux. Dans son analyse des dispositifs pédagogiques présents dans les annonces véhiculées dans les almanachs pharmaceutiques, Vera Casa Nova (op. cit.) explique que ces publications à caractère ouvertement pédagogique visaient à vulgariser le discours médical pharmaceutique à l’ensemble de la population nationale, afin de créer un marché de consommation de médicaments. « L’expérience avec les médias change la pratique de la publicité, notent Leiss, Kline et Jhally. Dans les magazines, photographie et art permettent des innovations dans la dimension associative de l’argumentationclvi. » Cependant, le lecteur-type des annonces publicitaires de l’almanach du début du XXe siècle est plutôt ce lecteur localisé dans les régions rurales, destitué des moyens ou de l’habitude de lecture, ce qui fait que les annonces soient idéalisés de façon à s’adapter à cette conjoncture. Aux prises avec les illustrations par la nécessité, le lecteur d’almanach, parce qu’il ne sait pas lire (dans le sens d’une simple décodification du manifeste), parce qu’il lit peu, ou encore à cause de la rapidité de sa lecture, s’attarde surtout sur les images, sur les signes iconiques qui y sont présents. C’est pour cela que dans la publicité, il y a peu de mots et beaucoup d’images.clvii Ces images, qui ne sont pas encore de photographies mais presque exclusivement des dessins copiés par la reproduction typographique, s’adaptent aux textes, parfois en les complétant, parfois en les répétant dans un mouvement tautologique, explique l’auteur. « Comme des dessins scolaires, ces images laissent apparaître, sans équivoques, ce qu’elles représentent et, ainsi, s’approximent du texte, en alphabétisant et en enseignant par l’intermédiaire d’imagesclviii. » C’est de cette manière que les changements sociaux (d’habitude, de comportement, de valeurs, etc.) sont démontrés aux lecteur/spectateurs de la publicité d’almanach. 114 L’une des stratégies identifiées par Casa Nova dans les annonces pharmaceutiques est le recours à la figure du modèle identificateur pour démontrer les effets d’un médicament avant et après son usage : cette procédure consistait à montrer deux états d’âme qui sont explicitement attribués à la même personne avant et après la consommation d’un médicament particulier. Ce n’est pas sans raison qu’est souvent choisie la figure du Jeca Tatu83, ce personnage métis, malade et affaibli issu de l’imagination de l’écrivain Monteiro Lobato. Celui-ci sera fréquemment représenté dans les publicités d’almanach et trouvera son double transformé, grâce à l’ingestion des médicaments annoncés, en la figure d’Achille ou d’un Hercule urbain (Casa Nova, 1996, pp.85-86). Néanmoins, j’aimerais signaler ici un aspect du processus de corporification de la maladie qui ne fait pas l’objet de réflexions de la part de Casa Nova : la totale absence de la représentation des individus noirs dans les pages de l’almanach (tout au moins dans celles reproduites dans l’ouvrage de Casa Nova). Une explication probable de cette absence, me semble-t-il, relève d’une vision raciale hautement hiérarchisée selon laquelle la déchéance physique du Noir serait supérieure à celle du métis. Dans cette perspective, la présence du métis dans les pages de l’almanach s’explique en grande partie par sa position légèrement supérieure à celle des noirs, considérés plus « purs ». Autrement dit, si le métis est encore quelqu’un passible d’amélioration par l’ingestion des médicaments et par la fortification de son corps, l’homme et la femme noirs, quant à eux, ne font pas l’objet des mêmes préoccupations. 83 Présenté pour la première fois par Monteiro Lobato dans le livre Urupês (1918), Jeca Tatu est une parodie du travailleur rural vivant dans l’État de São Paulo. Pauvre, malade, paresseux, il incarne la situation du caboclo brésilien (dénomination du métis de Blanc et Indien), livré par les pouvoirs publics aux maladies, notamment l’ancylostomose et l’indigence (Skidmore, 1993, pp.180-185). Selon Vera Casa Nova, la figure de Jeca Tatu a été choisie par l’élite économique comme métaphore d’une situation sociale de misère. Il importe de préciser qu’à défaut d’une moindre attention accordée à la dimension raciale du personnage en question par l’auteure de Liçoes de Almanaque, les implications de cette dimension me semblent évidentes pour comprendre la portée des préceptes hygiénistes présents dans le projet eugéniste d’« amélioration raciale » de la population brésilienne. 115 Le dessin, en tant qu’outil d’expression de valeurs et de concepts abstraits, ne tardera pas à cohabiter avec la photographie. Pour l’instant, note le photographe Francisco Albuquerque, l’absence de qualité technique au niveau de l’impression du début des années 1930 fait en sorte que les médias imprimés soient tenus à l’écart de tout usage de la photographie comme forme de représentation du produit ou de la situation de consommation (Albuquerque, 1991)84. 4.4 L’essor de la photographie publicitaire : les agences des modèles et les modèles de beauté Les années 1930 marquent, au Brésil, l’essor de « la phase initiale de la publicité techniqueclix ». C’est également pendant cette période, précédant l’arrivée de la télévision, que le pays expérimentait un processus de développement embryonnaire et un marché publicitaire rampant, et que la facturation des médias était largement dépendante des petites annonces populaires ainsi que des annonces du commerce au détail (Azevedo, 2006, p.103). Le journal est alors le média prédominant «quand la qualité de reproduction des journaux a rendu possible l’utilisation, quoique précaire, de la photographie, les agences utilisaient des photographies importées, choisies dans les catalogues des modèles américainsclx. » Ceci semble justifier, d’une certaine façon, le fait que « la photographie publicitaire était pratiquement limitée à des photos d’objets et de produits, parce que les Brésiliens étaient gênés de poser comme modèlesclxi. » C’est seulement l’amélioration de la qualité de l’impression qui a pu changer ce scénario ; elle-même a été suivie de l’avènement de la photographie en couleurs, ce qui a rendu possible la revue en couleurs. Avec cette dernière, la photographie publicitaire connaît, elle aussi, une nouvelle phase à partir des années 1940. 84 Selon Albuquerque, « le dessin à trace » était la seule forme d’art capable d’assurer un minimum de qualité lors de l’impression (Albuquerque : 168). Cependant, cette autonomie esthétique relative du dessinateur sera définitivement mise à l’écart à partir des années 1940, lorsque le journalisme américain vivra une véritable expansion et qu’il commencera à envoyer du matériel à copier ou adapter (Casa Nova : 82). 116 Photographe professionnel et l’un des pionniers à faire de la photographie publicitaire son métier, Albuquerque raconte la trajectoire de celle-ci telle qu’il l’a vue et vécue. Avec les premiers studios photographiques, poursuit l’auteur, surgissent aussi les premières structures d’appui à la photographie, c’est-à-dire les modèles, les producteurs et les fournisseurs. J’ai mentionné antérieurement que la publicité reproduisait, dès sa création, un ethos de classe particulier. D’une certaine façon, Albuquerque renforce cette idée lorsqu’il explique que les premiers modèles photographiques étaient « des personnes de la haute sociétéclxii ». Cet aspect élitiste ressort encore plus dans le passage suivant : « Les modèles étaient recrutées entre amis, parents et encore même chez les personnes recueillies dans la rue, comme on le fait toujours entre individus de bon niveau [haut niveau social]clxiii ». Le texte d’Albuquerque nous apprend également qu’à côté des modèles amateurs sélectionnées pour participer aux premières photographies publicitaires, se trouvèrent plusieurs artistes de cinéma et de théâtre. Ces personnes, raconte-t-il, « commencèrent à s’intéresser à la photographie, en travaillant en tant que modèles ou productrices passionnéesclxiv. » Or, ce qui paraît échapper autant à Casa Nova qu’à Albuquerque c’est le clivage racial — qui dans le contexte brésilien est aussi social — identifiable dans les modèles de beauté et de santé représentés dans les différentes publications du début du XXe siècle. Ce n’est pas par hasard que, dans le cas des dessins d’Almanach, on puise dans un répertoire qui privilégie davantage les figures mythiques grecques comme Hercules ou Achille. Après l’avènement de la photographie publicitaire, ce sont les modèles américains qui prennent la relève. Et même si, plus tard, on ira chercher dans le milieu brésilien dit « de la haute société » des modèles pour la photographie publicitaire, rien ne me pousse à croire que le choix de modèles locaux aurait beaucoup changé la donne. Au contraire, le texte d’Albuquerque fournit encore d’autres indices permettant d’établir une correspondance directe entre les critères esthétiques internationaux et ceux appliqués aux annonces publicitaires au Brésil. À ses débuts, rappelle-t-il, la photographie publicitaire, « devait reproduire fidèlement l’illustration proposée dans le plan de situation. Le 117 photographe restait, ainsi, restreint au schéma imaginé par le directeur d’artclxv. » Une fois émancipés de la prison du plan de situation, conclut-il, « nous avions besoin de nous libérer de la soumission aux canons internationaux et de nous pencher sur la valorisation de notre culture, afin de réaliser un travail nouveau et authentiqueclxvi. » On pourrait encore s’interroger sur la vision de la culture nationale que l’auteur veut valoriser et dans quelle mesure une telle vision serait capable de rendre le travail photographique publicitaire « nouveau et authentique », mais ceci échappe aux propos fixés pour ce compte rendu de l’histoire de la publicité brésilienne. Certes, ce sont les éléments historiques menant à une compréhension éclairée de la façon dont l’illustration et la photographie publicitaires font recours aux modèles d’identification qu’il faut retenir des contributions apportées par Casa Nova et par Albuquerque, et ce, malgré les spécificités techniques propres à chacun de ces moyens. Je rejoins Gérard Lagneau, dans ce qu’il propose dans son approche sociologique de la photographie publicitaire (1965). Pour lui, la fonction par excellence de la photographie publicitaire réside dans la mise en situation sociale du produit, « c’est-à-dire [qu’on place ce produit] dans un ensemble de décors, d’accessoires, de mannequins et de lumières concourant à ‘créer une ambiance.’ » (Lagneau, 1965, p.213.) Autrement dit, Quand il s’agit de donner un contenu à sa photographie, le praticien n’a d’autre ressource que de spécifier socialement le produit. Mettre celui-ci « en situation », c’est choisir soigneusement un contexte qui permettra à un certain public de « se projeter » dans la photographie, c’est-à-dire d’y reconnaître ses aspirations. (Lagneau, 1965, p.217.) Ce dernier extrait facilite la conclusion selon laquelle le supposé « réalisme » attribuable à la photographie publicitaire ne fait de celle-ci ni un substitutif du dessin ni un choix qui exclut d’emblée celui-ci. Dans la publicité, poursuit Lagneau, que ce soit par le biais de la photographie ou du dessin, « le choix se fait donc en vertu des attentes supposées du public 118 devant un genre d’expression bien plus que selon le degré d’exactitude propre à chacun d’eux » (Lagneau, 1965, p.211). La question qui se pose désormais est moins de connaître les « vraies attentes » du public que d’identifier la perception que les créateurs et idéalisateurs des publicités avaient en effet des attentes de ce même public. Du reste, la correspondance entre les critères esthétiques présents dans la publicité brésilienne et ceux venant d’ailleurs est une question assez complexe que je préfère laisser ouverte pour l’instant, afin d’y revenir à la dernière section de ce chapitre. 4.5 La publicité orale et la radio Nous savons tous que la publicité ne se réduit pas à sa forme imprimée. Au Brésil notamment, la publicité orale portait en soi l’empreinte de l’oralité et d’un riche répertoire musical depuis ses premières manifestations. Dans une brève anthologie de la publicité dans ses formes orales, Roberto Simões (1991) nous apprend beaucoup sur les tendances esthétiques employées dans la production de ce type de publicité. L’utilisation de versets, par exemple, était un fait accompli dès l’année 1857 par des vendeurs ambulants. Chanté par ces vendeurs, le contenu de l’un de ces versets, datant des années 1880, nous indique que dès lors la consommation de biens et de services était un facteur de différentiation entre les personnes nanties, d’une part, et le petit peuple, d’autre part : « Petit sorbet, gros sorbet/ Petit sorbet aux limes/ Ceux qui n’ont pas 200 réis85/ N’en mangent pasclxvii». Ce qui équivaut à dire que la publicité dans ce contexte privilégiait d’abord et avant tout les couches supérieures du système social. 85 Pluriel de l’unité monétaire brésilienne, le Real, utilisée entre la période coloniale et l’avènement du Cruzeiro, en 1942. (2007). Réis, Wikipédia. En ligne. <http://pt.wikipedia.org/wiki/R %C3 %A9is>. 119 Les styles musicaux suivront les tendances de la mode en vigueur au Brésil. Simões fait aussi part, notamment, de la composition et de l’utilisation, dès 1882, de polcas — musique de rythme vif qui marque le rythme d’une danse d'origine polonaise du même nom86 — ayant pour finalité la divulgation des médicaments. Toutefois, l’utilisation de rythmes étrangers comme la polca ne tardera pas à céder sa place à l’émergence d’un genre issu des classes défavorisées : la samba87. C’est alors qu’une adaptation de la première chanson de samba, enregistrée comme disque en 1917 et intitulée « Pelo telefone », deviendra le premier spot publicitaire, très réussi d’ailleurs, de la bière Fidalga. La raison de cette appropriation musicale au détriment d’une esthétique musicale plus européenne — besoin de popularisation du produit ? — n’est toutefois pas avancée par l’auteur et demeure donc ouverte aux conjectures. Quoi qu’il en soit, il semble clair que l’avènement de la radio, en 1923, a favorisé l’appropriation de l’apport musical provenant des couches plus défavorisées de la population et —pourquoi pas — s’érige comme un véritable marché de travail pour des musiciens comme Sinhô — connu comme le roi de la samba —, Manuel Pedro dos Santos, le populaire Baiano, et tant d’autres. En ce qui concerne plus spécifiquement la publicité, les règlements de concession de l’époque interdisaient l’exploitation commerciale la première année suivant la création d’une station radio. Ceci a rendu très timides les débuts de la publicité dans ce média, qui étaient également restreints à de brèves insertions entre les émissions, « avec les noms des firmes cités lors de l’ouverture et de la fermeture des périodes de diffusionclxviii. » 86 87 Selon le dictionnaire Mini Aurélio (Buarque de Holanda Ferreira, 2004). Il faut mentionner que l’ascension de la samba en tant que genre correspond à une appropriation par les classes aisées au Brésil dans un contexte où l’on rendait hommage à l’entrecroisement des « races », caractéristique de la dynamique démographique au Brésil. Plusieurs auteurs déplorent le fait que ce genre musical, autrefois durement réprimé par les forces policières de la première République, soit devenu un facteur d’attrait des élites, sans que cela signifie pour autant une amélioration collective des conditions de vie de la population afro-descendante. Comme cette discussion dépasse largement l’étendue de notre recherche, j’opte pour l’énumération de quelques ouvrages à ce sujet. Pour une analyse de la samba et de l’essor de l’industrie phonographique à l’ère Vargas, voir Nunes Frota, Wander. Auxilio luxuoso: Samba, simbolo nacional, geraçao Noel Rosa e industria cultural. Sao Paulo: Anna Blume, 2003. Voir également Carvalho, Bernardo (2007). O abuso do samba (ou 'samba não é grapete'...), Overmundo. En ligne. <http://www.overmundo.com.br/overblog/o-abuso-do-samba-ousamba-nao-e-grapete>. 120 Plus tard, lorsque les moyens techniques permettaient non seulement la transmission radiophonique mais aussi l’enregistrement sonore de la programmation, la publicité assumera l’une des cinq différentes formes suivantes : l’improvisation par le locuteur d’une émission au cours de celle-ci ; la lecture de textes préparés pour la presse écrite, sans aucune adaptation au média ; la création de textes spéciaux ayant été élaborés préalablement par un rédacteur ; le spot, lorsqu’un texte de locution est enregistré au préalable ; et, finalement, le message musicalisé dans une forme plus sophistiquée comme celle de la ritournelle publicitaire (Simões, 1990, p.174). Arrivée à son apogée dans les années 1940, la radio attire de plus en plus une partie représentative des dépenses publicitaires. Simões argumente que cette augmentation a permis non seulement une amélioration de la qualité des messages publicitaires, «en contribuant à mettre en valeur les spots et les ritournelles au sein du paysage publicitaire, mais aussi à faire en sorte que les annonceurs se disputent pour accorder les investissements aux émissions les plus significatives, et que les agences s’efforcent de les créerclxix. » Ainsi, dans les années 1950-1951, on rapporte un investissement de 35 à 40 % des budgets publicitaires destinés à la radio par des agences multinationales comme la McCann et la J.W. Thompson (Leite, 1990). Somme toute, c’est l’apport d’importantes sommes d’argent qui rendra possible l’essor, en 1941, d’un nouveau genre dans la programmation radiophonique : le feuilleton radiophonique ou, plus simplement, la « radionovela » — espèce de roman diffusé en direct sur les ondes et totalement adapté au nouveau média. Le feuilleton intitulé « O direito de nascer » (Le droit de naître), ainsi devenu la première trame diffusée à la radio, a été inspirée de l’œuvre homonyme écrite par le cubain Félix Caignet. Ce feuilleton eut un succès incroyable non seulement à Rio de Janeiro, où se situait la Radio Nacional, mais aussi dans d’autres capitales au Brésil88. Fait intéressant à souligner : l’une des protagonistes du 88 Simões cite le témoignage de Jurandyr, selon lequel le feuilleton aurait eu tellement de succès qu’on aurait finalement décidé de l’enregistrer sur un disque de vinyle pour que d’autres stations de radio puissent le retransmettre, sans pour autant demander un quelconque paiement. 121 roman de Caignet est une femme noire, « Mamãe Dolores » (Maman Dolores), qui finit par adopter un enfant blanc, sans que celui-ci ne sache ses véritables origines. Le succès de ce feuilleton a été tellement significatif qu’on a décidé, en 1964, de l’adapter à la télévision, en consolidant ce genre fictionnel dans le nouveau média émergent. Le savoir-faire accumulé par la radio sera vraiment important lors de l’essor de la télévision dans les années 1950. Selon le publicitaire Manuel Leite, l’absence d’une industrie cinématographique au Brésil, à l’instar de celle des États-Unis, a fait en sorte que ce nouveau média devienne une « radio avec des images, [avec une] programmation ‘en direct’ et une sélection naturelle de diffusion sur les ondes de ce qui avait du succès à la radioclxx. » Ainsi, les premières années de la télévision ont témoigné de la métamorphose des feuilletons radiophoniques — les « radionovelas » — de grande répercussion dans une version télévisée — désormais appelée « telenovela ». C’est par exemple le cas du feuilleton intitulé « O direito de nascer ». Le réalisateur noir brésilien Joel Zito Araújo démontre bien l’ancrage historique du personnage de Maman Dolores dans A negação do Brasil (op. cit.). L’auteur souligne que ce rôle incarne à la fois l’image classique de la mère noire brésilienne, diffusée dans le roman et dans le théâtre brésiliens depuis l’abolition de l’esclavage — mère nourricière dont l’abnégation, la soumission et la dévotion envers les Blancs sont des aspects saillants — et la figure de la mammie, stéréotype états-unien de succès89. Araújo, un précurseur dans l’analyse critique de la représentation des afro-brésiliens dans les médias, note cependant que, malgré 89 Joel Zito Araújo explique que le soap opera, ce mélodrame radiophonique né aux États-Unis dans les années 1930 ainsi que toute une filmographie hollywoodienne en vogue à cette même époque ont largement servi de réservoirs pour les personnages, histoires et récits de leurs équivalents en Amérique Latine, en s’ajoutant notamment aux nombreuses influences apportées par le romanfeuilleton français (Araújo, 2000, pp.43-60). En ce qui concerne la figure de la mammie à proprement parler, celle-ci voit le jour dans le film Lysistrata (1914) ; elle représentait alors l’idéal de la domestique parfaite tel que conçu par les classes moyennes blanches nord-américaines : grande, grosse, fière, dominatrice, irritable mais incroyablement maternelle dans son approche humaine. Araújo explique que cette représentation a été immortalisée par le rôle joué par l’actrice Hattie McDaniel dans le film Autant en emporte le vent, constituant l’une des représentations les plus répandues dans les feuilletons radiophoniques mexicains, cubains et brésiliens. 122 son succès, l’actrice a subi le même sort que la plupart des acteurs noirs et métis à la télévision brésilienne : un manque de reconnaissance et une attribution exclusive de rôles subalternes90. Malgré ceci, la scène où l’actrice noire Isaura Bruno révèle le secret autour duquel le récit a été construit — la véritable identité de Albertinho Limonta — a été vue par rien de moins qu’un million et demi de téléspectateurs, « et a laissé les journalistes, les intellectuels et les publicitaires impressionnés par le phénomèneclxxi ». 4.6 La publicité à l’heure de la télévision Pour en revenir à la publicité de manière plus précise, celle-ci sera responsable, dans sa forme télévisée, de la consolidation des relations de consommation dans la société brésilienne. Dans cette phase, « entre 1945 et 1963, l’industrie américaine — toutes catégories confondues — a quadruplé ses investissements à l’étranger. » (Mattelart, 1990 : 9.) Parallèlement, comme l’atteste Leite, au Brésil, « des études indiquent qu’il y avait déjà une certaine réceptivité à une forme grossière de consommateurisme modéré, consommateurisme qui sera d’ailleurs le grand levier des ventes de ce nouveau et fascinant médiaclxxii. » La télévision consolide aussi l’hégémonie culturelle états-unienne et ce, dans plusieurs aspects. Les techniques publicitaires appliquées dans les premiers temps de la télévision seront celles de la radio. Comme l’atteste le publicitaire et journaliste Rubens Furtado, les publicités télévisées se résumaient à une succession de diapositives, lues en direct par une voix off (Furtado, 1991. Voir Branco, Martensen et Reis. 1991). D’un côté, Araújo nous apprend que «tout comme dans le soap opera nord-américain, le feuilleton télévisé brésilien 90 Selon Araújo, le nom d’Isaura Bruno ne figure même pas dans la liste des 47 acteurs citée par Ismaël Fernandes dans son mémoire de la télénovela brésilienne et qui ont été considérés comme les idoles nationaux pendant la première décennie de la télévision au Brésil. 123 s’est développé sou l’égide des fabriques de savon et de dentifriceclxxiii ». Selon ce dernier, les deux tiers des feuilletons ayant été télévisés jusqu’en 1969 ont été commandités par les entreprises Gessy-Lever, Colgate-Palmolive et Kolynos-Van Ess. « En termes publicitaires, la radio a perdu le duel face à la télévision, en voyant ses subventions maigrirclxxiv. » D’un autre côté, l’avant-gardisme de la télévision états-unienne lui a garanti un rôle de modèle technique. Et même si le rôle joué par le commerce au détail local — les magasins d’habits notamment — a été décisif au point de convaincre les agences de publicité d’investir davantage dans le média télévisuel, ce sont surtout les annonceurs étrangers qui ont forcé les agences à « chercher à préparer le personnel, à envoyer des gens aux États-Unis et, plus important, à ouvrir la tête de rédacteurs et artistes, ainsi que la création de l’époqueclxxv. » Rien d’étonnant puisque, comme l’affirme Mattelart, « la position hégémonique des réseaux d’agences américaines ne faisait que traduire une suprématie industrielle et commerciale. » (Mattelart, 1990, p.10.) L’influence d’une esthétique où prédominent les individus phénotypiquement identifiables au type Blanc trouve sa place, à l’instar de la photographie, dans la publicité télévisuelle. Araújo résume bien les principales études portant sur la présence des individus noirs dans la publicité brésilienne et qui ont dressé un bilan quantitatif de leur exclusion (Araújo, 2000, pp.67-69). Ainsi, dans une étude menée en 1982, Carlos Hasenbalg a constaté « la présence noire dans seulement 3 % de annonces de télévisionclxxvi ». Cette recherche a certainement été un travail précurseur dans cette ligne de même qu’elle a servi de support à l’hypothèse de la dilution et du blanchissement des noirs dans la télévision brésilienne. Une deuxième appréciation de l’exclusion de la population afro-brésilienne des annonces commerciales a été entreprise en 1991 par les chercheurs Subervi-Velez et Oliveira. Ceux-ci ont examiné systématiquement 1 500 annonces de télévision, y compris les répétitions, passées sur les ondes au cours de 59 heures de programmation diffusée aux heures de grande écoute. Leurs conclusions étant plus nombreuses, je n’en citerai que quelques-unes : 1) les noirs n’ont été représentés que dans 39 annonces ; 2) les noirs ne s’exprimaient verbalement 124 que dans neuf annonces ; et même dans ces cas-là, ils jouent généralement des rôles secondaires ; 3) les noirs ont joué des rôles principaux dans seulement quatre annonces, parmi lesquelles trois étaient associées à l’industrie du disque, alors que la quatrième était dédiée au centenaire de l’abolition de l’esclavage. Un repérage réalisé auprès des principaux émetteurs de télévision à São Paulo entre les 21 et 28 août 1995 a été effectué par l’Institut Datafolha — organisme lié au journal Folha de São Paulo qui mène des sondages d’opinion divers. Le sondage a confirmé les deux portraits précédents, en précisant cependant que l’absence des individus noirs était encore plus marquée dans les annonces institutionnelles des émetteurs que dans les annonces subventionnées par des annonceurs externes. Araújo conclut ses réflexions sur l’absence des afro-brésiliens de la publicité télévisuelle en avançant une donnée très révélatrice : ce n’est qu’en 1997 que la publicité brésilienne a représenté, pour la première fois, une famille noire dans un contexte de consommation. Ainsi, dans une annonce vantant des œufs au chocolat commercialisés durant les fêtes de Pâques, diffusée aux heures de grande écoute, on a pu faire connaissance de la famille de « M. Natalino F. Coelho ». 4.7. L’autre côté de l’absence : la publicité face au marché afro-brésilien Qu’est devenu le marché publicitaire brésilien à partir des années 1960, lorsque la télévision a pris une place publique ? Alors que, selon Mattelart (op. cit. 1989, pp.9-33), la phase impérialiste de la publicité américaine était finie depuis longtemps, c’est le tour de grandes compagnies européennes de se diriger, à la fin des années 1970, vers les États-Unis. Avec ceci, s’opère une nouvelle vague d’acquisition des agences publicités, favorisant l’internationalisation mais aussi l’essor de nouveaux acteurs nationaux. « L’impératif de l’internationalisation des réseaux est partout à l’ordre du jour, signale-t-il. » (Mattelart, 1989, p.24.) Une troisième phase d’internationalisation s’instaure à partir de la seconde moitié des 125 années 1980, « la troisième génération de réseaux » (Mattelart, 1989, p.39), qui coïncide également avec l’internationalisation des institutions financières et avec l’intégration des marchés de capitaux et de change. Les agences de publicité deviennent des entreprises à capitaux ouverts, désormais négociées dans les bourses de façon mondiale. Le Brésil constitue pour Mattelart un « cas de figure », comme des pays tels la France et l’Italie, mais pour des raisons autres que celles de ces deux pays européens. Primées maintes fois dans les festivals internationaux de publicité dès les années 1980, les premières agences publicitaires au Brésil ont vu le jour avec l’arrivée des agences américaines sur le territoire national. Toutefois, la prééminence des agences étrangères commence à être partiellement renversée dès la fin des années 1970, lorsque les grandes agences brésiliennes commencent à devancer les rivales « qui leur avaient appris les rudiments de techniques modernes de publicité et de marketing » (Mattelart, 1989, p.47). Le bilan à la fin des années 1980 est tout autre, alors que les quatre agences qui partagent les premières positions de contrôle du marché brésilien sont nationalement contrôlées. L’explication avancée par Mattelart renvoie d’une certaine façon au rôle que l’État brésilien a assumé au sein de l’économie nationale : « Tout comme pour son industrie télévisuelle, le Brésil a donc réussi à constituer une base nationale d’agences de publicité sans avoir recours à des mesures de protection (tout au moins directes puisque, par exemple, les budgets d’État (…) ont été réservés en priorité aux agences). » (Mattelart, 1989, p.47.) La question que je ne peux pas ne pas poser devant un tel scénario est la suivante : si au Brésil, on a réussi à bâtir une industrie télévisuelle et publicitaire authentiquement nationale, pourquoi n’a-t-on jamais réussi à intégrer pleinement une esthétique raciale plus diversifiée dans le paysage médiatique ? Autrement dit, quelle est l’origine de cette difficulté à représenter une parcelle significative de la population, particulièrement de la population afrobrésilienne, dans les espaces médiatiques, en général, et publicitaires plus particulièrement ? Il est de mise de souligner que les données socio-économiques relatives à la population afrobrésilienne ne suffisent point à expliquer l’exclusion des afro-brésiliens de la publicité. À cet 126 effet, la recherche menée à la fin des années 1990 par l’agence de publicité Grottera Comunicação S/C Ltda a provoqué une véritable révolution dans la perception usuelle qu’ont des publicitaires du marché de la population afro-brésilienne (Grottera, 1997). Cette étude, effectuée par l’intermédiaire de 1500 questionnaires répartis entre 22 unités de la fédération brésilienne et des sources secondaires, dresse un portrait inédit d’un marché composé par une classe moyenne émergente. On estime alors ce marché à 7 millions d’habitants, distribués dans 1,7 million de familles, avec une moyenne de 2,2 enfants par unité familiale, avec un haut niveau de scolarité (45 % ont le niveau secondaire et 34 % le niveau supérieur complet) ainsi qu’un revenu familial moyen d’environ 1 300 CA $. Cette population est presque l’équivalent de celle d’un pays comme le Portugal, note-t-on dans l’étude, ou de celle du Québec, pour utiliser un exemple plus proche. Fait digne de mention : plus qu’un simple groupement d’individus ayant des caractéristiques phénotypiques semblables, il s’agit en réalité d’une classe moyenne noire avec une conscience de race assez prononcée. L’étude révèle que 67 % ont épousé — ou qu’ils cohabitent avec — un partenaire également noir. Incités à nommer 3 figures de succès, 47 % ont mentionné exclusivement des individus noirs, les plus fréquemment cités étant le leader sud-africain Nelson Mandela (16 %), le joueur de football brésilien Pelé (15 %) et la politicienne noire brésilienne Benedita da Silva (12 %) (Groterra, 1997, pp.10-11). Toutefois, la présente étude ne s’arrête pas à la description des données socio-économiques de cette classe moyenne émergente, et va chercher plus loin les raisons du manque d’investissements dans ce public cible. Sollicités de répondre à la question « pourquoi ne pas investir au niveau du le consommateur noir ? », les hommes d’affaires ont fourni de multiples raisons classifiées dans deux groupes différents : 1) raisons liées aux préjugés ; 2) raisons liées à l’image des noirs (qui, à mon avis, font aussi montre d’un préjugé). Les raisons liées aux préjugés sont les suivantes : a) racisme tout court ; b) méconnaissance et ignorance par rapport au potentiel du marché en question ; c) croyance dans la prémisse selon laquelle il ne devrait pas y avoir de différences entre les Noirs et les Blancs. En ce qui concerne les 127 questions liées au deuxième groupe, celui de l’image, on a constaté : a) une peur de consacrer des efforts dirigés vers le marché noir et de subir des préjugés d’autres Blancs ; b) l’idée « les noirs sont pauvres » ; c) l’idée « les noirs sont moches ». Excepté l’argument relevant du racisme pur — qui est trop complexe pour être abordé dans une étude de marché toute simple —, l’étude Grottera répond à chacun des arguments avancés par les hommes d’affaires. Pour ce qui est de l’argument portant sur une supposée méconnaissance du marché, rien n’empêche les entreprises d’entamer des mesures concrètes afin de mieux le connaître. Selon l’étude, « puisque nous sommes dans une phase où les marques se positionnent par profils psychographiques,clxxvii » cette justification n’est qu’un subterfuge. En ce qui a trait à la pertinence des investissements sur ce marché spécifique, la réponse relève d’une simplicité alarmante : la plupart des publications, des biens de consommations et des services sont déjà plus ou moins explicitement destinés à un type idéal Blanc. Finalement, pour ce qui est des arguments liés à l’image des noirs, « il demeure clair que le mélange de peur de faire face à réalité du marché, ajouté à la perception du manque de glamour qu’a le secteur noir, génère des prises de positions timides et sans perspectives d’affairesclxxviii. » La question de l’image négative des afro-brésiliens est confirmée dans cet article court mais très instigateur intitulé À imagem do afrodescendente na publicidade (Marina, 2007). Écrit par une publicitaire œuvrant depuis deux ans sur le marché de la ville d’Aracaju, capitale de l’État de Sergipe, la question de l’image négative est reposée de manière encore plus explicite dans l’extrait suivant : « La publicité d’Aracaju pense que le Noir ne suggère pas le concept de raffinement, qu’il n’est pas capable de présenter un produit sophistiqué, puisqu’il est un modèle de négativitéclxxix. » À son avis, ceci ne correspond pas à un problème de racisme de la part de consommateur, mais plutôt de la part des publicitaires eux-mêmes : « Le marché publicitaire transfère le blâme au consommateur qui, d’après lui, n’aime pas voir l’afrodescendant dans les médias, mais lui-même ne peut pas se heurter à cela et s’innocenter du fait qu’il n’ose pas changer, créer un autre publicclxxx. » 128 Dans son article Quando a imprensa branca fala da gente negra (Ferreira, 2004; voir Carrança et Borges, 2004), Ricardo Alexino Ferreira propose d’autres éléments pour la réflexion autour de la responsabilité du professionnel de la publicité, en élargissant l’étendue du blâme à l’équipe journalistique. Dans une section de son article destinée spécifiquement à établir un parallèle entre la couverture journalistique et la publicité, Ferreira soulève l’existence d’une sorte de coopération thématique entre les annonceurs dans un média spécifique et la ligne éditoriale adoptée par celui-ci. Ceci semble particulièrement évident dans certains cahiers ou publications à caractère thématique dans lesquels on évite de véhiculer des publicités allant à l’encontre de son choix éditorial. Par exemple, on se défend d’annoncer des boissons alcoolisées dans les cahiers destinés aux questions de santé (bien sûr, lorsque ces publicités sont autorisées). En ce qui concerne la publicité représentant des groupes minorisés, il semble ne pas exister de préoccupation de la part des éditeurs en chef relative à la vérification des possibles incohérences entre les discours journalistiques et publicitaires. « Ne sont pas rares les cas où un reportage portant sur une dénonciation de racisme peut venir immédiatement accompagné par une publicité qui crée des stéréotypes ou qui ignore tout simplement ces groupesclxxxi. » Pour ce qui est de la responsabilité attribuable spécifiquement aux professionnels de la publicité, Ferreira note qu’à force d’analyser le contenu fortement racialisé de la publicité brésilienne — soit par des absences marquées, soit par le rôle dépréciatif accordé à certains pans de la population —, on serait tenté de croire que les campagnes publicitaires ont essayé de faire passer des messages manifestement discriminatoires. Pourtant, il y a là un deuxième élément encore plus aggravant, celui référant au « peu de capacité de perception du communicateur en ce qui a trait au propre objet de sa communication. Ceci impliquerait l’affirmation selon laquelle le communicateur ne sait pas le pourquoi de ce qu’il fait, mais qu’il sait tout simplement comment le faireclxxxii. » Pour ce faire, il serait très utile d’établir, au moins pour les fins de ce travail, une distinction analytique entre les deux sortes de problèmes relevant de l’ordre de la représentation qui ont été identifiés par des auteurs comme Araújo, Marina, Ferreira, ainsi que les responsables de 129 l’étude Grottera. D’une part, il y a le problème de l’absence systématique des pans afrobrésiliens dans la représentation publicitaire, pour des raisons largement invoquées par les auteurs ci-mentionnés. D’autre part, le problème relève d’une représentation effective de ces mêmes pans dans la publicité, bien que cette représentation soit en situation inégale et/ou dévalorisante, capable de porter préjudice à l’estime de soi et à la perception d’une positivité dans la représentation de leur identité. Certes, tous les deux sont des symptômes distincts d’un même diagnostic, à savoir que la publicité déploie tous ces efforts pour renforcer le statu quo actuel de la société brésilienne. Pour terminer, il me semble d’une fondamentale importance de mentionner les arguments soulevés par une voix dissonante — au-delà de celle des publicitaires, bien entendu — en ce qui a trait à la représentation des noirs dans la publicité. Peter Fry, dans un chapitre intitulé « Política : relações entre « raça », publicidade e produção da beleza no Brasil » (Fry, op. cit.), soutient que « de façon générale, la tendance récente a été celle de mener les Noirs à abandonner la position de domestiques souriants et humbles en échange de positions de plus grand prestige ou, tout simplement, de ‘modèles’clxxxiii. » Fry se livre à la description d’une dizaine d’« annonces contre-intuitives » environ, c’est-à-dire d’initiatives délibérées visant l’élimination des stéréotypes négatifs disséminés dans les médias et ailleurs. L’auteur y voit une sorte de rupture qui s’est principalement vérifiée à partir des années 1990, par rapport à une tradition d’annonces commune dans les années 1950 et 1960. Il reconnaît néanmoins que « l’augmentation de la participation des noirs dans la publicité concerne des biens et services directement destinés à améliorer l’apparence des personnes de couleurclxxxiv. » La force motrice de ce changement, note-t-il, a été la création du magazine Raça Brasil en 1996, un phénomène de marché dont la seule première édition a été vendue à 300 000 exemplaires. En plus de promouvoir tout un marché de produits et de publicités destinés spécifiquement à la beauté de la population noire, le magazine a contribué à créer un marché pour les modèles noirs. Bien que le phénomène en question soit facilement explicable par l’étude de marché entreprise par l’agence Grottera, Fry prend ses distances de cette étude qui 130 atteste la préexistence d’une classe moyenne noire. Contrairement à cela, Fry croit qu’ensemble, le magazine, les produits et les publicités destinés au marché noir ne sont pas là pour combler une nécessité, mais plutôt pour créer une demande. « En vérité, ceux-ci créent une nécessité et, ce faisant, disséminent illicitement une ‘identité noire’ dans tout le Brésilclxxxv. » La seule base commune de ce nouveau marché consiste, finalement, en « une spécificité esthétiqueclxxxvi ». Mais Fry se détache des auteurs antérieurs sur au moins trois autres aspects. D’abord, il récuse l’idée selon laquelle les sources de représentation sont monopolisées « par les membres plus blancs de la populationclxxxvii », le magazine Raça Brasil n’étant qu’un indice de ceci. Ensuite, l’auteur préfère concevoir l’expansion du marché afro-brésilien comme un phénomène essentiellement culturel, « qui, en soit, n’a rien à voir avec les ‘forces du marché’clxxxviii », donc quelque chose passible d’être repéré dans la dynamique culturelle brésilienne. Finalement, Fry fait preuve de complaisance à l’endroit des publicitaires, ou bien, des — « rédacteurs de texte publicitaires [qui] sont entraînés dans les meilleures universités, où le racisme est discuté et condamnéclxxxix. » Bref, en ajoutant un bémol aux thèses défendant l’existence de la discrimination dans la publicité brésilienne, Fry préfère parier sur un supposé changement de cap dans l’ordre des représentations raciales brésiliennes, en citant les années 1990 comme point de virage. Bien que ses différents propos me semblent largement problématiques, voire entièrement équivoques — et ce, pour des raisons que j’essaierai de démontrer à travers l’analyse de mon corpus empirique —, Fry a au moins le mérite, en prenant acte d’une identité noire en constant devenir, de ne pas nier la nature politique des représentations identitaires véhiculées dans des espaces tels que le magazine Raça Brasil. En confrontant ces dernières visions avec celles des auteurs antérieurement mentionnés, je peux diviser au moins trois axes de questions cruciales pour la définition de l’originalité de ce travail : 131 1) la discrimination dans la publicité existe-t-elle ? Si oui, dans quelles dimensions concrètes (représentation et contexte historique) la discrimination a-t-elle été perçue par les publics réels de consommateurs de publicités ? 2) Y a-t-il vraiment un virage sur le plan des représentations raciales brésiliennes ? Si oui, quand ce virage s’est-il opéré ? 3) Comment réagissent les publicitaires face à l’accusation de discrimination raciale ? Quels arguments évoquent-ils ? Connaissent-ils vraiment leur métier, ainsi que les implications d’une représentation sociale équitable en termes raciaux, mais aussi de genre, d’âge et d’origine ? Finalement, la brève révision historique entamée tout au long de ce chapitre m’a permis de discerner quelques éléments concrets pour évaluer qualitativement le matériel empirique sélectionné pour ce travail. Toutefois, avant de passer à l’analyse des plaintes de discrimination raciale dans la publicité brésilienne, ainsi qu’aux débats que celles-ci ont générés dans les médias nationaux, mieux vaut s’intéresser à la genèse de l’institution responsable de l’accueil de ces diverses manifestations d’opinion : le CONAR. Dans la prochaine section, je vais faire un survol de l’essor de l’autoréglementation publicitaire au Brésil, en identifiant les principaux acteurs à l’origine de la mise en place du système d’autoréglementation publicitaire au Brésil. CHAPITRE V LE CONSEIL D’AUTORÉGLEMENTATION PUBLICITAIRE (CONAR) ET LA RÉGULATION DE LA PUBLICITÉ BRÉSILIENNE Dans le présent chapitre, je vais revenir à l’aube de la réglementation publicitaire au Brésil, afin de mieux aborder le processus de négociation ayant abouti à l’actuel système de réglementation publicitaire au Brésil, ainsi que les principaux arguments qui lui ont servi d’appui. Dans ce contexte, il me semble de cruciale importance de souligner que les négociations entamées au niveau national répondaient quelque part à des motivations clairement identifiables dans l’ordre du jour d’organisations économiques telles que la Chambre de commerce international (CCI) à partir des années 1930. Je vais également essayer de démontrer les liens intimes entre les forces corporatives du domaine des médias et leur action coordonnée en vue d’accréditer, à la fin des années 1970, le système d’autoréglementation publicitaire au Brésil comme le système le plus adéquat et légitime de réglementation publicitaire. Finalement, je vais mettre en évidence les différentes positions assumées par l’État brésilien vis-à-vis de la réglementation et de la régulation du secteur publicitaire, en tenant compte non seulement des forces corporatives liées à celui-ci, mais aussi de l’essor d’un « nouvel » acteur sur la scène nationale : la société civile. Bref, il s’agit de comprendre l’État brésilien, non pas comme une entité autonome ou statique, mais comme une entité changeante et également sensible aux divers changements en cours dans la société brésilienne depuis une trentaine d’années. 5.1. Les origines de la réglementation publicitaire À la fin des années 1980, Mattelart s’étonnait de « la formidable expansion » de l’expertise publicitaire. L’auteur n’a pas tort lorsqu’il dit que « les débats qui l’ont entourée ont propulsé les organismes de défense de la profession dans l’arène politique. Ils sont désormais des interlocuteurs incontournables dans les négociations qui dessinent les paysages médiatiques, 133 souligne-t-il. » (Mattelart, 1990, p.94.) Cette intervention intempestive dans l’arène politique, comme je le démontrerai tout au long de cette section, se conjugue fort bien avec des efforts d’autodiscipline au Brésil. Certes, le début précis de la réglementation publicitaire au Brésil ne fait pas un consensus parmi les différents auteurs et professionnels de la publicité. Certains, comme Roberto Simões (1991), pensent que la première loi réglementant ce domaine d’activité date de 1543, moment où le Capitaine-donataire Martin Afonso de Souza postula qu’aucun marchandcrieur, dans les promotions orales de ses marchandises, n’était censé médire les marchandises de ses concurrents. D’autres, comme Augusto De Angelo (1990), sont d’avis que la réglementation aurait commencé par les décrets-lois approuvés à l’époque de l’ancien président Getúlio Vargas qui, dès 1934, s’efforça de réglementer la publicité de plein-air dans la capitale du pays, et en même temps d’inhiber la concurrence déloyale et la publicité faussée. La principale motivation du président Vargas était, néanmoins, le contrôle de la publicité gouvernementale en tant qu’outil important pour la gestion de son image institutionnelle, ce qui l’a incité à créer, entre autres, le Département de Presse et de Publicité (DIP en portugais). Quoi qu’il en soit, j’opterai pour la datation proposée par ce dernier, en prenant comme point de départ la réglementation mise en œuvre tout au long du XXe siècle, lorsque la publicité assume définitivement sa configuration industrielle. Ce changement aurait été assez remarquable de façon à attirer une attention spéciale de la part de l’État brésilien. Ce n’est pas par hasard qu’on notera, à partir de 1937 — année qui marque l’essor de la période la plus autoritaire du premier gouvernement Vargas91 (1930-1945) — des mesures de 91 Le premier gouvernement du Président Getúlio Dornelles Vargas (1930-1945) possède trois phases distinctes : 1) le gouvernement provisoire (1930-1934) est une phase de transition dans laquelle le président jette les bases de son gouvernement centralisateur et antifédéraliste ; 2) le gouvernement Constituant (1934-1937) débute par l’élection directe de Vargas comme président constitutionnel et par l’approbation, et la mise en œuvre, de la Constitution de 1934 ; 3) L’État nouveau (1937-1945), ou la dernière, et la plus autoritaire, phase du premier gouvernement Vargas, s’annonce avec un coup d’État, en 1937, suivi de la suppression des libertés politiques et civiles. Curvêlo Chaves, Lázaro 2004. 134 surveillance et de répression politique agissant sur l’opinion publique. Ainsi, par l’intermédiaire d’un décret-loi approuvé en mai 1938, on imposera dès lors des mesures contraignantes comme celle du « registre, auprès des secrétariats provinciaux de la sécurité publique, du nom, de la nationalité et de l’adresse de tous les directeurs, rédacteurs, employés et ouvriers (sic !) des entreprises de publicitécxc. » Ceci me pousse à croire que la participation des membres étrangers dans les agences de publicité était assez significative. Parallèlement, on assiste à une auto-organisation croissante du secteur, fomentée par des événements corporatifs internationaux. En 1924, l’American Association of Advertising Agencies (AAAA) publie un premier code déontologique de la profession (Mattelart, 1990 : 94-103). Au niveau latino-américain, on verra, quelques mois après le décret-loi en question, la mise en place du premier Salon brésilien de la publicité, organisé en juillet 1938, à Rio de Janeiro. Cet événement est d’ailleurs considéré comme une conséquence directe des discussions entamées lors du premier Congrès sud-américain de la publicité, à Buenos Aires, en 1936. L’institutionnalisation de la publicité en tant qu’industrie et profession fait ainsi état d’une conscience corporative rampante. Celle-ci est à la fois le fruit de la pression des agences externes reliées au domaine de la publicité — comme le démontre bien l’adoption de normes et standarts de l’American Association of Advertising Agencies (AAAA) par un groupe d’agences nationales en 1949 — et la réplique à des facteurs coercitifs internes, inspirés majoritairement des mesures gouvernementales visant le contrôle et la surveillance de cette activité. 5.2 L’autoréglementation publicitaire et l’influence du cadre normatif international Au Brésil, les efforts d’autoréglementation du secteur publicitaire sont presque aussi vieux que les efforts de contrôle et d’organisation de la publicité de masse par l’État-nation. «Getúlio Dornelles Vargas (1883-1954)». LCC Publicações Eletrônicas. <http://www.culturabrasil.org/vargas.htm>. Consulté le 17 décembre 2007. En ligne. 135 Petrônio Corrêa — l’un des fondateurs de l’organisme chargé de veiller sur l’application du code d’autodiscipline au Brésil, le CONAR — affirme, dans un article publié dans l’ouvrage História da Propaganda no Brasil (Corrêa, 1990), que le premier effort d’autoréglementation de ce secteur a été lancé par la Chambre de Commerce International (CCI). C’était alors en 1937 que la CCI a fait approuver le Code international de pratiques loyales en matière de publicité. Fait digne de mention : le premier instrument légal d’autoréglementation s’inscrit d’abord dans un cadre réglementaire international pour ensuite s’insérer au niveau national. Cet instrument a été maintes fois actualisé, la dernière fois datant de 1995. Toujours selon Corrêa, la Grande Bretagne est sans doute le précurseur, avec l’approbation du British Code of Advertising Practice en 1961, de l’établissement d’un cadre juridique national d’autoréglementation de la publicité. Celui-ci est une « réponse au Consumer Protection Act, premier texte général de lois qui définit les droits des consommateurs » (Mattelart, 1990, p.96), son contenu s’étant largement inspiré du code de la CCI. Toutefois, la pression internationale vis-à-vis de l’autoréglementation du secteur publicitaire ne se résume pas à l’approbation de ce code. L’auteur révèle que, dans les années 1970, l’International Advertising Association (IAA) réalisa une étude intitulée « Autorégulation publicitaire efficace », dont l’objectif principal était de stimuler les efforts de l’autoréglementation dans plusieurs pays. De ce fait, la recommandation finale du 25e Congrès mondial de la publicité, réalisé à Buenos Aires en 1976, faisait clairement référence au document de l’IAA, en invitant « tous les pays participants à adapter les principes exposés dans cette étude à leurs réalités nationalescxci ». Pour ce qui est particulièrement du Brésil, Corrêa note que les efforts d’autoréglementation débutèrent durant le 1er Congrès brésilien de la publicité en 1957, qui a eu pour contribution l’adoption d’un code d’éthique — le Code d’éthique des professionnels de la publicité. Ce code sera incorporé à Loi 4.680/65 et au Décret 57.690/66 qui régissent la profession et les affaires de la publicité, en sortant ainsi de la sphère déontologique pour gagner le caractère normatif d’une imposition légale. Toutefois, ce n’est qu’avec l’adoption du Code d’autoréglementation publicitaire en 1978 — suivie par la création d’un conseil chargé de 136 veiller sur son application (Schneider, 2005) — que s’achève le processus d’imposition de l’autoréglementation « en tant que mécanisme efficace d’amélioration de l’activité et de correction des excès non désiréscxcii ». Ce moment de structuration et de réglementation qui culmine dans l’adoption du Code d’autoréglementation publicitaire à la fin des années 1970 mérite ici une attention spéciale. C’est en effet là qu’on voit se dessiner, au sein de la législation brésilienne, les contours d’une séparation fondamentale entre publicité commerciale et publicité politique — si fondamentale qu’elle orientera de façon déterminante deux approches distinctives de la publicisation d’images et de messages jusqu’à nos jours92. C’est là également que se sont énoncés clairement, pour la première fois, les grands enjeux de pouvoir, dont celui de la défense de la liberté d’expression commerciale. 5.3 Le Code brésilien d’autoréglementation publicitaire (CBARP) comme instrument d’autodiscipline du secteur publicitaire L’approbation du Code brésilien d’autoréglementation publicitaire (CBARP), en 1978, suivie de la création du CONAR en 1980, marque officiellement la naissance du processus d’autoréglementation du secteur publicitaire au Brésil. Pour connaître les détails de l’institutionnalisation définitive de l’autoréglementation comme système réglementaire de la 92 La publicité électorale et politique recevra un traitement très différencié de sa sœur jumelle, la publicité commerciale, notamment à partir du coup d’État qui a amené les militaires au pouvoir. Toutefois, l’existence d’une législation extrêmement contraignante vis-à-vis de la publicité politique à l’heure actuelle ne peut être exclusivement imputée au contrôle autoritaire sur l’opinion publique. En effet, elle provient aussi des abus qui ont été commis plus tard, dans la période démocratique. Compte tenu du fait que la littérature sur la réglementation électorale au Brésil est très vaste et que celle-ci représente un sujet d’étude à part, j’opte pour la citation de quelques ouvrages de références. Pour une analyse de la publicité politique dans la télévision, voir Albuquerque, Afonso. 1999. «"Aqui você vê a verdade na TV": a propaganda política na televisão». Niterói, Mestrado em Comunicação, Imagem e Informação, Universidade Federal Fluminense. Pour un bilan de l’évolution de la réglementation sur la publicité politique, voir également Santos Botelho, Juliana. 2000. «Marketing político eleitoral : a produção privada de discursos públicos». Belo Horizonte, Departamento de Comunicação Social, Universidade Federal de Minas Gerais, 288 p. 137 publicité au Brésil, on ne peut compter que sur les récits des professionnels directement impliqués dans ce processus. Toutefois, ceci ne constitue pas un véritable problème dans la mesure où des tels récits s’avèrent suffisamment riches d’informations pour permettre de prouver les liens entre le système des médias national d’une part, et le système d’autoréglementation adopté pour la publicité, d’autre part. À cet égard, les récits de professionnels nationalement reconnus comme Petrônio Corrêa, Mauro Salles, Caio Domingues et tant d’autres sont particulièrement prolifiques. Et même si on ne connaît pas tous les détails des négociations entamées dans les coulisses du pouvoir — qui les connaît à part ceux qui y étaient ? —, il reste que ces lacunes sont largement compensées par les nombreux témoignages publiés dans l’ouvrage commémoratif des 25 ans du CONAR. Pour mieux comprendre le processus de formulation du code ainsi que la structure responsable de son application, il faut revenir à 1977, année où la Commission interassociative de la publicité brésilienne a été formée. Plusieurs acteurs sont à l’origine des interactions et des négociations débouchant sur le choix de l’autoréglementation publicitaire. Les associations de classe touchant d’une façon ou d’une autre le secteur publicitaire y étaient fortement représentées, notamment l’Association brésilienne des agences de publicité93 (ABAP), l’Association brésilienne des émetteurs de radio et de télévision94 93 L’Associação Brasileira de Agências de Propaganda (ABAP) a été fondée en 1949 à Rio, son siège se trouvant cependant à São Paulo. Les États de Bahia, Ceará, Minas Gerais, Pará, Pernanmbuco, Rio de Janeiro, Rio Grande do Sul et Santa Catarina possédaient chacun leur chapitre (De Angelo: 29). 94 L’Associação Brasileira de Emissoras de Rádio e Televisão (ABERT) a été créée en 1962, lors de l’approbation du Code brésilien de télécommunication (CTB) (De Angelo : 29). Sérgio Capparelli note, à propos de l’ABERT, que celle-ci a joué un rôle déterminant dans la défense des intérêts corporatifs du secteur privé des communications. L’auteur rapporte que lorsque l’ancien président João Goulart — celui qui a été destitué par les militaires en 1962 — a voulu limité l’ampleur du secteur privé en frappant de son veto quelque 52 articles du CTB « on a vu, en une seule nuit, tous les vetos être refusés par le Congrès, réuni sous le regard vigilant de l’Association brésilienne d’émetteurs de radio et télévision » qui avait été créée la même année. (Capparelli cité par Siqueira Bolaño: 33). (Traduction libre de « e teve, numa noite, todos os vetos derrubados pelo Congresso, reunido sob o olhar vigilante da Associação Brasileira de Emissoras de Rádio e Televisão”). 138 (ABERT), l’Association brésilienne des annonceurs95 (ABA), et même l’Association nationale des journaux96 (ANJ)97. Alors président de l’ABAP, Petrônio Corrêa a été l’un des participants les plus actifs d’une part, dans le processus de négociation qui a abouti à la formation de l’ancienne commission, et d’autre part, dans sa transmutation en l’actuel CONAR en 1980. Corrêa a fait preuve de leadership en organisant, au sein d’une même commission interassociative, l’ABERT et l’ABA, avec pour objectif commun la rédaction d’un code d’autoréglementation pour le secteur de la publicité. Dans son récit sur l’essor du système d’autoréglementation publicitaire, Corrêa réaffirme, entre autres, des ressemblances entre le Code brésilien d’autoréglementation publicitaire (CBARP) et le British Code of Advertising de 1957. Ainsi, finalement présenté et approuvé durant le 3e Congrès brésilien de publicité en 1978, le CBARP avait « comme base victorieuse l’expérience du British Code, mais cette fois-ci avec plus d’amplitude que son inspirateurcxciii ». Un autre participant actif dans les premières discussions portant sur la création du CONAR — à côté des poids lourds de la publicité comme Caio Domingues, Geraldo Alonso et Mauro Salles — est le publicitaire Saulo Ramos (2005), qui se défend de la supposée similitude entre le British Code of Advertising et le CBARP, en avançant un argument qui ressort par sa légèreté : 95 L’Associação Brasileira de Anunciantes (ABA) a été fondée le 29 septembre 1959 (De Angelo: 29). 96 L’association nationale des journaux a été fondée le 17 août 1979. En la personne de son premier président, M Roberto Marinho, propriétaire du Réseau Globo, l’association a pris une part active dans le processus de négociations ayant débouché sur la création du CONAR de même que sur l’imposition de son code d’autoréglementation publicitaire. 97 L’Associação Nacional de Jornais (ANJ) en portugais. La formation actuelle du CONAR inclut également l’Associação Nacional de Editores de Revistas (ANER) et la Central de Outdoor (CO). 139 On dit souvent que le code [brésilien d’autoréglementation publicitaire] est une toute simple transcription du modèle anglais d’autoréglementation, mais ceci n’est qu’une méchanceté dont l’origine est une anecdote à l’insu de Geraldo Alonso et Cícero Leurenroth, qui étaient, eux, fixés sur la publicité anglaise et les voitures Jaguar.cxciv L’auteur reconnaît cependant que : Quelques points [du code] ont été inspirés des préceptes européens et des règles d’éthique de la common law cultivée aux États-Unis. Mais l’essence est brésilienne, assaisonnée des us et coutumes du milieu publicitaire brésilien. Des choses bien à nous, comme les 20 % de commission98 sous forme de rémunération des agences.cxcv Dans le texte Alternativa ao controle oficial (Corrêa, 2005), publié 15 ans après son premier récit, le vétéran Petrônio Corrêa fournit d’autres éléments permettant de différencier le code anglais de son homologue brésilien. En faisant allusion à la prétendue similitude entre les deux codes, il précise toutefois que « la vérité est que le premier, trop concis, était tout simplement destiné à la publicité imprimée, contrairement au nôtre, qui est complet et destiné à tous les médiascxcvi. » Quoi qu’il en soit, en faisant ressortir une source d’inspiration commune, la similitude entre les différents codes fait également état du mariage de convenance qui se concrétise à ce moment-là entre les forces macro-économiques internationales et les structures de pouvoir médiatiques au niveau national (Mattelart, 1989 ; 1990). À ce sujet, cela vaudrait la peine de 98 Cette procédure de facturation, très particulière au secteur de la publicité au Brésil, démontre bien l’étroitesse des liens entre celui-ci et les grands médias de masse, dans la mesure où une commission de 20 % du total dépensé dans l’achat d’espaces publicitaires dans un média quelconque est accordée aux agences de publicité. D’après cette logique, les agences publicitaires auraient plus intérêt à véhiculer leurs campagnes dans les médias les plus chers — qui sont, par conséquent, ceux qui concentrent déjà le plus de publicité — que dans les petits médias ou par le biais de la publicité directe. Prévue dans la Loi n° 4.680/65 et l’article 11 du Décret n° 57.690/66 qui réglementent ensemble la profession, et confirmée par les normes des standarts approuvées le 16/12/1998, cette norme favorise largement la concentration de la publicité à la télévision, en général, et à la TV Globo, plus particulièrement. Ceci explique en partie le fait soulevé par le rapport EPCOM, selon lequel la TV Globo concentrerait légèrement plus de subventions publicitaires — soit 56 % du total investi dans la publicité — alors que son taux d’audience la même année était de 54 % (EPCOM, 2005, op. cit. : 1). 140 démontrer comment le choix du rédacteur du CBARP, Mauro Salles, a concrétisé de façon définitive les liens de proximité existant entre, d’un côté, les forces corporatives supranationales comme l’IAA, et de l’autre, des organisations nationales comme le réseau Globo. En fait, le récit de Salles, intitulé Freio à repressão e à demagogia (2005) et aussi publié dans l’ouvrage commémoratif des 25 ans du CONAR, est riche d’indices sur le mariage en question. Salles y mentionne, par exemple, sa trajectoire personnelle et son apport personnel à la rédaction du CBARP. Il raconte ainsi qu’il avait été reporter et photographe du magazine Mundo Ilustrado, avant de se faire inviter, par la rédaction du journal O Globo, à participer à la couverture de la cérémonie de remise du pouvoir au président Juscelino Kubitschek. Le publicitaire y fait part de son rapport personnel avec M. Marinho, avec qui il travaillera au fil des années, en occupant à la fois les postes de directeur de la rédaction et de directeur de programmation au sein de ce réseau. Fait intéressant : Salles — qui avait été jusqu’à cette date un professionnel du milieu journalistique, et qui dit avoir été reçu avec « hostilité ouvertecxcvii » par « le milieu publicitaire de São Paulocxcviii » — devient « peu de temps plus tardcxcix » non seulement président de l’ABAP, mais aussi président du chapitre brésilien de l’IAA. Compte tenu des attributions de responsabilités au sein du Réseau Globo, on commence à se demander alors pourquoi quelqu’un en provenance de l’extérieur de l’activité publicitaire aurait assumé rapidement des fonctions si importantes au sein de ce secteur. Dans son récit, Salles explicite également l’influence directe que l’IAA a jouée dans le projet d’autoréglementation, comme le démontre bien le passage suivant : Au sein de l’IAA, dont j’ai été le président mondial, j’ai participé à un projet de réglementation publicitaire organisé conjointement avec les chambres de commerce international, dont celle de l’Angleterre. À partir de ce modèle, j’ai rédigé un premier brouillon d’autoréglementation plus adaptée à la réalité brésilienne.cc 141 Néanmoins, on a appris par la suite que le responsable de la rédaction finale du CBARP ne fut pas Mauro Salles, mais son remplaçant, Caio Domingues. On ne connaît pas tous les détails concernant la décision qui a mené Salles à quitter la commission interassociative. Domingues en donne quelques pistes dans son premier récit du processus d’écriture du CBARP (Domingues, 1990). Selon ce dernier, Salles « laissait, quelques mois plus tard, sa condition de publicitaire pour assumer la direction générale des Diários e Emissoras Associadoscci », qui était d’ailleurs le principal groupe rival du Réseau Globo à l’époque. Pour en revenir à la rédaction du CBARP, on entendra souvent parler de celle-ci comme du fruit d’un « travail démocratique et transparentccii », comme l’indique bien le titre que le publicitaire Luiz Celso de Piratininga a accordé à son témoignage lors des célébrations des 25 ans du CONAR. Mais si l’on se fie au récit même de Domingues, le processus aurait été un peu plus centralisé que ce qu’on veut le faire croire. Ce dernier prétend avoir reçu de son prédécesseur « le début du travail et une pile d’un demi-mètre qui comprenait les divers codes étrangers s’offrant à la consultationcciii », ainsi que de nombreux autres subsides, contributions et suggestions à intégrer au code. C’est Domingues lui-même qui avouera ainsi que la rédaction finale de la première mouture du CBARP était le travail d’une seule personne, en l’occurrence lui-même, et que cela aurait pris une fin de semaine de travail. « J’ai travaillé, sans interruption, environ 26 heures, mais je me sentais profondément soulagé : le travail était prêt, ou presque prêt pour ainsi direcciv », car, selon Domingues, il fallait encore le mettre au propre. L’étape suivante consistait en sa présentation et sa discussion auprès de deux autres corédacteurs, Gilberto de Camargo Barros (ABA) et Luiz Celso de Piratininga (APP). Domingues (2005) argumentera plus tard, dans l’édition commémorative des 25 ans du CONAR, que dans leur (...)travail extensif de réécriture, on a évité les références aux vetos, aux sanctions et aux punitions en soulignant, une fois de plus, le caractère d’autodiscipline qui prévaut dans tout le travail. On n’y impose pas de vetos : on fait des recommandations ; on prend des mesures et des dispositions, mais on n’annonce pas de punitions ni de sanctions, dans une parfaite concordance avec l’esprit bénévole d’autoréglementation qui anime tout le travail.ccv 142 Or, c’est exactement ce caractère peu contraignant du CBARP — instrument auquel les agences de publicité adhèrent sur une base strictement volontaire — qui fera plus tard l’objet de dissensions, lors de l’émergence d’une législation destinée à la protection des consommateurs dans les années 1990. On verra, par la suite, que des nouvelles négociations ont été entamées entre le secteur publicitaire et le gouvernement fédéral de façon à garantir la sauvegarde du système privé d’autoréglementation publicitaire — on y verra la participation d’un troisième acteur : les mouvements organisés de la société civile brésilienne. Je reviendrai sur ce point dans la section 5.5.2 du présent chapitre. 5.4 La création du CONAR et l’institutionnalisation de l’autoréglementation publicitaire Dans ses premières formulations, Habermas voyait d’un mauvais œil le transfert officiel de compétences de l’État à la société — servant supposément d’indice de l’effacement des frontières entre le privé et le public. Les associations corporatives étaient alors vues comme le tout simple « troc direct d’avantages particuliers et d’indemnisations sans passer par le biais de la procédure officielle propre à la sphère publique politique » (Habermas, 1978, p.208). D’une part, la création du CONAR à la fin des années 1970 résulte typiquement « d’un troc d’avantages » entre le secteur professionnel de la publicité et le gouvernement militaire en place. En ce sens, ce conseil d’autoréglementation n’a été que le premier symptôme d’un processus plus vaste de transfert de compétences de l’État vers les entités privées, transfert formalisé plus tard dans la Constitution brésilienne de 1988. Cependant, comme Joaquim Barbosa Gomes le souligne très adéquatement au sujet de la prolifération des agences nationales de régulation à partir des années 1990 (Gomes, 2002), celles-ci comportent, en dépit de leur autonomie, une forme minimale de contrôle ou de présence de l’État. Toutefois, différemment des agences de régulation, le CONAR a été créé dans une conjoncture politique 143 marquée par la centralisation du pouvoir de même que par l’autoritarisme du gouvernement en place, devenant ainsi une entité privée à part entière où ne siège aucun représentant étatique. D’autre part, cet organisme survit, non sans problèmes, à l’essor d’autres formes d’associativité populaires et plus démocratiques qui ont émergé dans la société brésilienne dès la fin de la dictature. En effet, le transfert de pouvoir de l’État est plus ambivalent que ce que supposait Habermas au début des années 1960. Ainsi, à partir de Droit et Démocratie, l’auteur en vient à réhabiliter non seulement les médias de masse, mais aussi les associations civiles telles que « des collectivités, des associations et des organisations spécialisées dans certaines fonctions particulières » (Habermas, 1997, p.381). Ce n’est pas sans surprise que l’on réalise que l’appropriation du langage des droits humains devient l’une des stratégies de légitimation utilisées par le CONAR, particulièrement en ce qui concerne la défense de la liberté d’expression. En lisant les mots de l’éditeur dans l’introduction de l’ouvrage commémoratif des 25 ans du conseil, on s’empare de la revendication suivante : « le CONAR est né d’une menaceccvi », qui était en vue de se concrétiser à la fin des années 1970. Celle-ci représentait, en effet, le désir manifeste de la part gouvernement fédéral d’imposer des mécanismes de censure à toute forme de publicité. Devant cette menace, voilà la réponse inspirée du secteur : l’autoréglementation, synthétisée dans un Code solennellement intronisé en 1978, ayant comme fonction de veiller sur la liberté d’expression commerciale et de défendre les intérêts des parties impliquées dans le marché publicitaire, y compris ceux du consommateur.ccvii En termes plus concrets, alors que le CBARP manquait d’une structure organisationnelle chargée de veiller sur son respect et son application, le secteur publicitaire s’est donné comme tâche la composition, en 1978, d’une Commission d’autoréglementation publicitaire, intitulée CONAR (ici, on parlait de la CONAR puisqu’il s’agissait d’une commission ; plus tard, celle-ci sera transmutée en conseil, devenant ainsi le CONAR). Cette commission, qui a 144 œuvrée tout au long des années 1978 et 1979, « (…) a lutté pour la divulgation des principes établis, a sanctionné diverses conciliations entre concurrents et a procédé à de nombreux jugements fondés sur la lettre et l’esprit du Codeccviii ». Malgré ses contributions, on trouvait que l’apport de la commission était encore assez limité. Selon Corrêa, « on manquait, pourtant, d’une structure autonome, d’une entité à caractère indépendant, au-delà des disputes économiques du marché, bref, [une entité] dotée d’une personnalité juridique distincte de celle des autres personnages du monde publicitaireccix. » La prétendue indépendance concernait, au moins en principe, non seulement le marché économique mais aussi le secteur se trouvant à la base d’une telle commission. En effet, non seulement la commission mais aussi l’activité publicitaire toute entière se lançaient en quête de plus de liberté d’action face à l’endurcissement de la répression du gouvernement en place. Ancien président de l’Association Paulista de Publicité (APP), Luiz Celso De Piratininga nous apprend que depuis le 13 décembre 1968, lors de l’édition de l’Acte institutionnel n° 5 (AI-5)99, le gouvernement militaire demandait l’approbation préalable, auprès du Département de police fédérale, de toutes les publicités commerciales qui seraient transmises par la voie de la télévision (De Piratininga, 2005). Cette forme de censure, comme il le précise bien, n’a cependant jamais été appliquée sur les publicités imprimées destinées aux journaux et revues. De Piratininga avertit toutefois que, même si la censure était formellement absente de la publicité imprimée, « il y avait des punitions sérieuses dans les cas de transgression des critères des autorités, dont personne ne savait exactement ce qu’ils étaientccx. » 99 L’Acte institutionnel n° 5 (AI-5) a été un pacte de mesures répressives mis en pratique durant le gouvernement militaire, car il a mis à plat tous les dispositifs constitutionnels adoptés en 1967. Ces mesures comprenaient, entre autres, la fin de l’immunité parlementaire, la cassation des droits politiques, le transfert de toutes les compétences du pouvoir législatif au pouvoir exécutif, la fermeture du congrès national, la suppression des élections et la démission de fonctionnaires publics. L’acte a été imposé lors du gouvernement du général Arthur da Costa e Silva. «Arthur da Costa e Silva». Arquivo Nacional. En ligne: <http://www.arquivonacional.gov.br/memoria/crapp_site/presidente.asp ?rqID=3 Localizacao>. Consulté le 18 décembre 2007. 145 C’est alors dans le but de faire prévaloir les « critères des autorités » gouvernementales que Saïd Farhat, secrétaire de communication sociale du gouvernement du général João Figueiredo, établit un groupe de travail visant à étudier des nouvelles mesures pour réglementer la publicité commerciale. Dans son témoignage publié à l’occasion de la commémoration des 25 ans du CONAR, Luiz Fernando Furquim (Furquim, 2005) rappelle que Farhat, lui-même « un homme lié au secteur de la publicité et des médiasccxi », a fortement collaboré à la création d’une entité indépendante du pouvoir gouvernemental et ce, même si celui-ci « pensait encore à une entité mixte avec une certaine présence du gouvernementccxii ». Corrêa (op. cit.) raconte que les représentants de secteurs composant la CONAR (l’ABAP, l’ABA, l’ABERT et l’ANJ) se sont vite mobilisés pour intégrer le groupe de travail, à côté d’autres représentants issus du Ministère de l’industrie et du commerce (MIC), du Ministère des communications, ainsi que du Secrétariat de communication sociale de la Présidence de la République. Ce groupe, qui a tenu des réunions entre juin 1979 et avril 1980, bénéficiait d’un grand stimulateur de la réglementation de la publicité par le gouvernement en la personne du ministre de l’Industrie et du Commerce, Camilo Penna : Le ministre souhait créer un code officiel, un organisme qui serait le responsable de la réglementation des rapports entre les divers secteurs de la publicité et de la société. Ceci serait ainsi un premier pas vers la création d’une législation pour la défense du consommateur.ccxiii Lors des discussions du groupe de travail sur la réglementation publicitaire, on s’inquiétait notamment du manque d’autorité, de la part des secteurs publicitaires, pour mener à bien les sanctions en cas de transgression au code d’autoréglementation. On accusait également le manque d’une structure bureaucratique efficace garantissant l’application du code d’autoréglementation publicitaire. Corrêa reconnaît lui-même que les craintes du ministre et des représentants du gouvernement n’étaient pas totalement infondées : « La commission 146 d’autoréglementation (…) passait par une phase d’ ‘apprentissage’, le manque d’une structure professionnelle, en bas de la direction, faisant que l’ancienne CONAR ne fonctionnait pas pleinementccxiv. » Après un bref moment de polarisation entre les défenseurs de la réglementation et ceux qui étaient contre, le représentant du MIC a opté, finalement, pour une proposition conciliatrice, à savoir : la composition d’une autarcie qui serait composée de neuf membres, parmi lesquels six seraient issus du secteur privé représenté par l’ABA, l’ABAP, l’ABERT et l’ANJ et trois proviendraient, respectivement, du Ministère de l’Industrie et du Commerce, du Ministère des Communications et du Secrétariat de communication sociale. Cet organisme remplacerait la CONAR et utiliserait le Code d’autoréglementation publicitaire, cette fois-ci avec un surplus important : en tant qu’autarcie, celui-ci pourrait jouir des subventions gouvernementales tout en conservant la plupart des sièges du conseil. Cette fois-ci, la polarisation s’est trouvée au sein des membres participant au groupe de travail et elle a été causée directement par les intérêts institutionnels du Réseau Globo. D’un côté, on trouvait Luiz Fernando Furquim, représentant de l’ABA, et Petrônio Corrêa, luimême président de l’ABAP. De l’autre, Dionísio Poli, de l’ABERT, qui au départ semblait euphorique avec la proposition conciliatrice, mais qui s’est finalement décidé à se rallier à João Luiz Faria Netto, représentant de l’ANJ. C’est par le biais de ce dernier, qui avait été absent à ladite réunion, que Roberto Marinho, président de l’ANJ et propriétaire du Réseau Globo, fait parvenir son message. Corrêa rapporte ainsi ce passage : João Luiz était le porteur d’un message de la part de M Roberto : celui-ci suggérait que nous n’acceptions pas la proposition du MIC puisque, malgré les apparences, elle représentait un vrai danger, parce qu’elle ouvrait une fente dans la porte menant à l’introduction de la censure gouvernementale.ccxv La détermination de Roberto Marinho est tellement grande qu’il décide de passer de la recommandation à l’acte. Dans l’ouvrage commémoratif des 25 ans d’existence du CONAR, Corrêa avoue que Marinho « (…) s’est promptement proposé à assumer les dépenses durant 147 au moins six mois, jusqu’à ce que la nouvelle entité implante un mécanisme de financement à partager entre agence, annonceur et médiaccxvi. » Cette disponibilité d’aides financières a certainement soulevé des craintes chez quelques publicitaires, comme le commente brièvement Luiz Fernando Furquim (2005) : « Personnellement, le possible excès de pouvoir d’une organisation comme la Globo me préoccupait tout autant que l’excès de pouvoir étatique. Mais celle-ci n’était pas une préoccupation des autres et ainsi on s’est décidés à aller de l’avant…ccxvii. » « Dans la plupart des pays, ce sont les contributions de firmes membres qui permettent le fonctionnement de l’instance de l’autodiscipline, signale Mattelart. » (Mattelart, 1990, p.98.) En ce qui concerne le Réseau Globo, celui-ci a toujours été un acteur définitif et permanent dans la gestion de l’organisme dès sa création, comme l’atteste Petrônio Corrêa dans son récit du processus de création du CONAR : « D’ailleurs, une mention spéciale est de mise en ce qui concerne la position de Dionisio Poli, lors de la formulation de la doctrine qui a soutenu le CONAR en tant qu’entité d’application et de fiscalisation du Codeccxviii. » En tant que « l’un des directeurs du Réseau Globo à l’époqueccxix », Poli était aussi « le grand catalyseur de ses compagnons, des hommes d’affaires et des entrepreneurs du Réseau Globo, ainsi que des autres émetteurs de télévision et de radio, pour que ces derniers appuient moralement et matériellement le CONARccxx. » Parallèlement à son poste de directeur commercial du Réseau Globo, Poli a occupé le poste de secrétaire durant les deux premières gestions de Corrêa lorsque ce denier était président du CONAR. Mattelart ne fait que confirmer l’influence du Réseau Globo : « le degré atteint dans ce pays par l’imbrication croissante de l’industrie de l’image publicitaire et celle du petit écran (…) y est logiquement pour beaucoup. » (Mattelart, 1990, p.98.) Une fois réglé le problème de l’autofinancement immédiat du CONAR, il faudrait chercher par la suite des arguments valables pour convaincre le gouvernement fédéral de la viabilité de l’autoréglementation. D’après Corrêa (1990), en vue de fournir au gouvernement des arguments valables pour la défense du système d’autoréglementation, les membres du secteur publicitaire se sont tournés vers le juriste Pontes de Miranda. On lui a alors demandé la 148 rédaction d’un avis autour de deux points fondamentaux : 1) le besoin d’un cadre normatif servant de base aux mesures prévues dans le Code d’autoréglementation ; 2) la validité des décisions provenant du tribunal éthique, en absence d’une quelconque subordination à un organisme public. L’avis de Pontes Miranda étant rendu le 19 décembre, le groupe de travail interministériel finit par conclure en mai 1980 en faveur de l’implantation définitive de l’autoréglementation dans le secteur publicitaire au Brésil. Le premier président du nouvel organisme serait Petrônio Corrêa lui-même. L’argumentaire à l’origine de la création de l’organisme lui servira de base d’appui tout au long de ses 25 ans d’existence. L’’idée selon laquelle l’autoréglementation était le résultat direct de la recherche d’autonomie par le secteur publicitaire mérite quelques précisions importantes, capables de nuancer les propos en vue d’une supposée indépendance. Selon les témoignages des publicitaires Petrônio Corrêa et Caio Domingues, en 1976, les ministres du travail, du revenu, de la planification et de l’industrie et du commerce avaient déjà instamment prié les leaders du secteur publicitaire de rédiger un instrument d’autodiscipline. Cet avis a même été énoncé par le représentant du Ministère du Revenu, Soares Freire, dans son allocution lors de l’ouverture de la 2e Rencontre brésilienne des médias (Corrêa, 1990, p.46 ; Domingues, 1990, p.41). En citant l’avis de Mauro Salles dans son rapport adressé au président de la commission interassociative, Geraldo Alonso, le 30 mars 1978, Domingues fournit des indices indiquant que cette position était non seulement celle du titulaire du dossier, « comme elle méritait aussi l’appui de Monsieur le Président Geisel, duquel provenait l’autorisation que le discours de l’ouverture de la 2e Rencontre brésilienne de média soit faite au nom du gouvernementccxxi. » C’est à Salles qu'appartient la conclusion suivante : Il est important de souligner que c’était auprès des autorités du gouvernement même que les leaders du secteur publicitaire ont trouvé le plus grand appui relatif au travail que nous sommes en train de réaliser. De telles manifestations, quelques-unes faites en public, ont démontré la maturité des autorités brésiliennes face à ce problème.ccxxii Certes, pour les uns, le CBARP était aperçu comme une conséquence directe de « l’anxiété de la communauté publicitaire, désireuse d’un statut régulant la publicité, tout en craignant 149 également la réception d’un texte imposé par le gouvernementccxxiii. » Mais, si l’on tient compte de l’ensemble des témoignages des professionnels de la publicité examinés jusqu’ici, une position plus souple et même plus incitative de la part du gouvernement a précédé de deux ans la deuxième position, cette fois-ci en vue de réglementer davantage le secteur publicitaire. Ceci nous amène à considérer avec précaution l’argument selon lequel l’autoréglementation est le fruit exclusif de la recherche de l’autonomie de ce secteur devant le pouvoir gouvernemental. Dans le meilleur des scénarios, ces données nous permettraient de conclure que l’imposition d’un organisme de réglementation gouvernementale était tout simplement une décision tardive du gouvernement militaire, voire un changement de cap en ce qui concerne la position officiellement défendue par les membres du gouvernement brésilien au cours de l’année 1976. En ce qui concerne l’avis rédigé par le juriste Pontes Miranda à la fin de 1979, celui-ci demeure une pièce juridique clé pour bâtir la jurisprudence de l’autoréglementation publicitaire. Malheureusement, comme je n’étais pas en mesure de localiser la version intégrale de ce document, je ne peux compter qu’avec quelques extraits compilés dans le témoignage de Petrônio Corrêa (op. cit. 1990). J’aimerais ainsi citer brièvement deux points sur lesquels s’appuie l’avis du juriste et qui servent de base pour la plupart des discours d’autolégitimation utilisés par le CONAR. Le premier point est relatif à la supposée détention, de la part du secteur publicitaire, de la compétence nécessaire pour juger les transgressions dans la publicité. Se rapportant spécifiquement au secteur des publicités de médicaments, Pontes Miranda argumente : (…) comme la divulgation [de médicaments] peut être nocive, par le fait même que le peuple croie à ce qu’on transmet [dans la publicité], la mission des intéressés mérite d’être moralement analysée. Ceux qui font la divulgation connaissent mieux ce qui est publié que les propres lecteurs ou auditeurs.ccxxiv Certes, la compétence du secteur publicitaire pour mieux juger de ses déraillements est à la fois morale et technique. Geraldo Alonso Filho (2005), le fils d’un des fondateurs du 150 CONAR, rappelle lui aussi que son « père se plaignait particulièrement de ce qu’il appelait ‘les bêtises’ des censeurs, en général des personnes dépourvues de critères techniques leur permettant d’évaluer la qualité d’une annonce publicitaireccxxv ». L’avocat Saulo Ramos rejoint l’avis de Pontes Miranda et d’Alonso Filho, en s’attaquant en contrepartie au manque de compétences des juges et du système judiciaire tout entier. Ramos rappelle qu’avant la création du CONAR, « lorsque le litige allait jusqu’au système judiciaire, il y avait de la perte de temps, des souffrances inutiles, un endommagement du concept de l’activité elle-même. En général, les juges ne connaissaient rien du sujet en question et proféraient des sentences regrettablesccxxvi. » C’est dans ce sens que Pontes Miranda conclut que la création d’une autarchie fédérale, telle qu’envisagée par le gouvernement fédéral à la fin des années 1970, serait destinée à l’échec absolu, puisqu’elle ne serait pas capable de repérer les points de vue « qui appartiennent à l’autoanalyse des publicitairesccxxvii. » Un point est cependant absent des extraits de Pontes Miranda, mais il figure parmi les plus constamment revendiqués dans l’ouvrage commémoratif des 25 ans du CONAR. Il s’agit de la nécessaire distinction entre publicité politique et publicité commerciale comme justification principale d’un traitement distinctif de la part du gouvernement fédéral. Alonso Filho explique que la censure « ne s’exerçait pas seulement sur le terrain des coutumes, comme pourraient le penser certains, mais principalement sur le terrain politique, où presque tout soulevait la méfiance des autoritésccxxviii. » L’argumentaire mobilisé par les teneurs de l’autoréglementation a consisté ainsi à prouver que la publicité politique — celle-ci étant largement surveillée et réglementée par le gouvernement militaire — n’avait rien à voir avec la publicité dite « commerciale ». Cette dernière devrait s’arroger le droit de s’autoréglementer en s’appuyant sur la prémisse, plus ou moins explicite, selon laquelle ce genre d’activité professionnelle est en soi apolitique. De ce fait, la publicité brésilienne cherchera soigneusement à éviter, au moins pour ce qui est du moment de genèse de l’autoréglementation, les sujets que l’on considérait proprement « politiques ». Au pire moment de la répression et de la cassation des droits politiques et de la liberté d’expression, on se réjouira également de voir que « encore là, les annonces dans les journaux et magazines et les publicités commerciales à la télévision dépeignent, avec la bonne humeur caractéristique de la publicité, un cadre léger de la vie brésilienneccxxix. » 151 Bref, le 5 mai 1980 marquera finalement la transformation de l’ancienne commission d’autoréglementation publicitaire en CONAR, telle qu’on le connaît de nos jours. Selon Oliveira Paulino (1999), l’organisme devient, en termes juridiques, « (…) une association éthique, une société civile sans but lucratif dûment constituée, orientée vers l’application de normes réglementaires relevant de l’univers des communicationsccxxx. » Dorénavant, son principal objectif sera « (…) de veiller sur la crédibilité et la valorisation des propres activités du secteur économique publicitaire, tout en offrant un canal d’accès à la défense du consommateurccxxxi. » Comme j’essaierai de le démontrer à travers l’examen d’un certain nombre de plaintes contre les publicités racialement discriminatoires et qui ont généré des discussions publiques, ce sont les deux premiers arguments — d’une supposée compétence morale, d’une compétence technique — qui demeureront au cours des discours de légitimation énoncés par le CONAR. Mon argument ici revient surtout sur le dernier de ces fondements — l’absence d’une nature politique inhérente à la publicité commerciale — qui fera l’objet des plus grandes controverses au sein de cet organisme. 5.5 La légitimité du CONAR à l’ère des droits des consommateurs Dans les sections précédentes, j’ai présenté les principaux arguments à l’origine de la mise en place du système d’autoréglementation publicitaire au Brésil, processus qui a culminé avec l’adoption du CBARP et la création du CONAR. Les principales sources pour la reconstruction de ce parcours ont été les témoignages de professionnels issus du milieu publicitaire ou bien des associations représentées au sein du CONAR. Ces différents discours ont été enregistrés à deux moments spécifiques : d’une part, lors de la parution de História da Propaganda no Brasil (op. cit) à la fin des années 1990, le premier ouvrage se proposant de reconstituer l’histoire de la publicité au Brésil ; d’autre part, lors de la parution de l'ouvrage commémoratif des 25 ans du CONAR en 2005. 152 Certes, les témoignages rendus par les professionnels des publicités brésiliennes exposées dans les deux sections précédentes ne constituent pas la seule et ultime source de légitimité du CONAR. En effet, il faut avoir en tête que la légitimité du CONAR n’a jamais été le simple produit d’une prise de position unilatérale de la part de quelques membres du secteur publicitaire. Cette légitimité constitue plutôt le résultat d’un équilibre instable entre plusieurs acteurs dans une interaction complexe entre, d’une part, le CONAR et ses défenseurs ; d’autre part, les professionnels qui font l’objet de l’autodiscipline ; et, finalement, ladite « société civile », amorphe et hétérogène dans son essence. Au centre de ce champ de forces siège l’État brésilien, entité qui fera non seulement l’objet de pressions de tous les acteurs mentionnés, mais dont l’action sera aussi d’une importance fondamentale pour encadrer l’action organisée de tous les autres acteurs concernés. Dans cette section, j’examinerai les principaux arguments avancés par ces trois pôles discursifs en vue de la manutention ou de la déstabilisation de la légitimité du CONAR, ainsi que les différentes positions prises par le quatrième acteur clé : l’État brésilien. Il s’agit par là de comprendre, en tenant compte des différentes positions mentionnées, les enjeux de légitimité auxquels le CONAR est confronté à l’heure actuelle. 5.5.1 Les 25 ans du CONAR : moment de bilan et de questionnements On parle souvent de l’autoréglementation publicitaire au Brésil comme de la « réponse inspirée » de la part de ce secteur au contrôle, sur le plan national, de la liberté d’expression. Toutefois, ce que l’on omet de mentionner explicitement est que cette réponse s’insérait de manière exemplaire dans la feuille de route des grandes organisations déontologiques publicitaires supranationales, comme l’IAA. De manière générale, les fonctions attribuées au CBARP et au CONAR sont les mêmes que celles attribuées à d’autres bureaux déontologiques ailleurs dans le monde, comme le décrit Mattelart : 153 Les fonctions principales exercées par les systèmes d’autosurveillance [sont] : un rôle préventif concernant le contenu et la configuration d’un message, le relevé (monitoring) des annonces pour s’assurer de l’observance du code par la profession, la réception et l’investigation des plaintes émanant du public et des concurrents, le rappel à l’ordre de ceux qui commettent des infractions, la participation aux commissions officielles chargées de la supervision déontologiques de certains médias. (Mattelart, 1990, p.98.) Ce n’est donc pas par hasard que l’organisme qui régit l’autoréglementation publicitaire au Brésil célèbre ses 25 ans d’existence en jouissant de l’approbation des experts internationaux de la publicité. Avec fierté, on mentionne également que le CBARP « est considéré comme exemplaire par des spécialistes comme le professeur d’affaires internationales J. J. Boddewyn, du Baruch College de l’Université de New York, consultant de l’IAA, auteur de plusieurs ouvrages portant sur le sujetccxxxii. » Selon cet auteur, « ‘le modèle du Brésil est possiblement le système le plus développé d’autoréglementation trouvé dans les pays en voie de développement et il dépasse même quelques-uns issus du premier monde [pays industrialisés]’ccxxxiii. » L’excellence du CBARP en matière d’autoréglementation va de pair avec l’organisme chargé de son application. Dans l’introduction de l’ouvrage commémoratif des 25 ans du CONAR, le président en place de cet organisme, Gilberto Leifert (2005), nous fait savoir que durant cette période, le CONAR a jugé plus de 5 282 procès éthiques et qu’« en raison d’un déraillement éthique commis dans l’annonce, la moitié des interventions de l’institution a résulté en une altération [de son contenu] ou le retrait de sa transmissionccxxxiv. » Dans ce même ouvrage, on mentionne l’existence d’une grille mentionnant douze critères100 d’évaluation des systèmes nationaux d’autoréglementation publicitaire qui a été développée 100 Les critères d’évaluation de l’EASA reposent sur l’existence de certains organismes et outils institutionnels, de façon que les différents systèmes soient classifiés selon : 1) le pays d’origine ; 2) l’existence ou non d’un organisme d’autoréglementation publicitaire ; 3) le code d’autoréglementation ; 4) l’orientation, 5) l’écoute de contrôle ; 6) la gratuité de la plainte déposée par un consommateur ; 7) la possibilité de déposer une plainte en ligne ; 8) la publication des décisions ; 9) les ressources disponibles ; 10) les souteneurs a) ayant été consultés lors de la rédaction du code ; b) ayant participé au jury ; 11) les campagnes de divulgation ; 12) le site web (Schneider, 2005, pp.2223). 154 par l’European Advertising Standards Alliance (EASA) en 2005. D’après celle-ci, « le CONAR remplit les douze critères, se plaçant ainsi au rang des institutions homologues les plus développées au monde, dépassant celles de pays ayant une économie plus avancée, comme l’Allemagne, la France et l’Italieccxxxv. » Lors des commémorations de son 25e anniversaire, ce n’est pas uniquement le secteur publicitaire qui se réjouit de l’excellence du CONAR, mais aussi d’autres secteurs professionnels des communications qui voient dans celui-ci une sorte de paradigme de l’autodiscipline professionnelle. Selon Oliveira Paulino (op. cit.), la possibilité d’autoréglementer la presse et le secteur télévisuel à l’instar du secteur publicitaire a été maintes fois soulevée lors des discussions sur la nouvelle loi sur la presse au Brésil à la fin des années 1990. L’auteur note que l’option pour l’autoréglementation journalistique aurait d’ailleurs été considérée non seulement par les instituts d’étude et de critique de la presse à l’époque, mais aussi par le gouvernement de l’ancien président Fernando Henrique Cardoso (1994-2001) (Oliveira Paulino, 1999, p.15). Un moment privilégié de la construction et de l’affirmation de la légitimité du CONAR devant l’action gouvernementale a eu sans doute lieu durant les réunions de la commission pour la création d’un code de consommateurs au début des années 1990. Alors que les différends avec d’autres secteurs se multipliaient, le CONAR a pris le rôle d’acteur central dans la lutte pour la conservation de la prérogative de l’autodiscipline et ce, même dans un contexte où, vingt ans après la fin de la dictature, la liberté d’expression au Brésil est déjà tenue pour acquise. Dans son bilan au sujet des 25 ans d’existence du CONAR, l’actuel directeur exécutif de cet organisme, Edney Narchi (2005), fournit des pistes pouvant clairement expliquer comment le conseil a su se défendre face à ses opposants, et ainsi conserver son statu quo : Notre contribution la plus expressive au long de toute cette période a concerné, très probablement, la lutte pour la définition adéquate du statut de la publicité au sein de l’Assemblée constituante et dans les débats pour le Code de défense des consommateurs. La Constitution de 1988 avait déjà banni la censure préalable, y 155 compris celle dans la communication publicitaire, et elle avait seulement réservé à l’Union [la prérogative de] l’élaboration des lois sur la publicité commerciale ; mais celle-là avait prévu, dans les dispositions transitoires, la création, dans un délai déterminé, du Code de défense du consommateur. Le mouvement de consommateurs, très actif et influent, accueillait des courants qui faisaient de la publicité l’un de leurs objets préférés, à cause de ce que celle-ci pouvait offrir en termes de contenu abusif ou trompeur.ccxxxvi Selon Narchi, une première victoire du CONAR a consisté en son insertion dans la commission que le Ministère de la justice a créée pour l’élaboration de l’avant-projet du Code de consommateurs — ce qui a été perçu par le CONAR comme « une démonstration du prestige conquis par celui-ci durant ses quelques années d’existenceccxxxvii. » Sa contribution personnelle lors de cette commission aurait été décisive, par exemple, pour l’exclusion du mot « publicité » de la rédaction proposée pour l’article 31 du code en question101, où l’on prévoyait des directives assez détaillées concernant la clarté de l’annonce et de l’emballage des produits et services. Outré par cette équivoque, Narchi dénonce l’ancienne formulation : « Or, ceci rendrait la publicité inexécutable, telle qu’elle est faite dans le monde entierccxxxviii. » En lançant le défi de trouver « quelle pièce publicitaire aurait pu accomplir toutes ces exigences dans les quelques secondes de durée d’une publicité commerciale pour la télévision ou d’un spot radiophoniqueccxxxix », Narchi oppose « l’état de maturité éthique » conquis par la publicité commerciale brésilienne à « une profonde méconnaissance technique sur les fondements de l’activité, vue avec une dose élevée de préjugés et de méfianceccxl. » Force est de constater que le CONAR, en tant qu’institution, semble avoir fait montre non seulement d’obstination, mais aussi d’efficacité dans la défense du principe d’autoréglementation du secteur publicitaire, ce qui lui a permis de sortir la plupart du temps gagnant des récurrents efforts de la réglementation gouvernementale. Ce fut notamment le 101 Dans sa formulation précédente, l’article 31 du Code brésilien de défense des consommateurs prévoyait des directives assez claires non seulement pour la présentation (emballage) de produits ou services, mais aussi pour la publicité qui y était relative. Selon ces directives, toute publicité devrait alors contenir des informations « correctes, claires, précises, ostensives et en langue portugaise » portant sur les caractéristiques du produit ou service, telles que la quantité, la qualité, la composition, le prix, la garantie, le délai de validité, l’origine et les éventuels risques contre la santé et la sécurité des consommateurs. 156 cas en ce qui concerne la réglementation des produits particuliers comme le tabac, les boissons alcoolisées, les pesticides, les médicaments. Dans des cas pareils, les efforts du CONAR se résument à ceci : anticiper l’action gouvernementale en proposant, dans les limites de l’autodiscipline, des mesures volontairement établies visant à contraindre certaines pratiques publicitaires. Et lorsque le gouvernement menace de réglementer davantage la publicité d’un secteur quelconque de produits, la position du CONAR consiste à proposer « les alternatives qu’il juge adéquates, en cherchant à anticiper les fréquentes alternatives, les unes de bonne foi, les autres démagogiques, et à totalement prohiber la publicité de certains produitsccxli. » Les contraintes auxquelles le CONAR doit faire face, à l’aube du troisième millénaire, ne sont pas du tout les mêmes que celles rencontrées 25 ans plus tôt. La sauvegarde du pouvoir de s’autoréglementer, comme on le verra bientôt, doit désormais tenir compte des prérogatives énoncées dans un nouvel instrument juridique : le code de défense des consommateurs. 5.5.2 L’autoréglementation après l’avènement des droits des consommateurs En fait, l’approbation de la Loi 8.078/90 résultant en la création du Code brésilien de défense du consommateur (CBDC) a apporté un bémol à la lutte du CONAR pour son affirmation et pour le maintien de sa raison d’être. Selon l’avocate spécialisée en droit des consommateurs, Etiene Maria Bosco Breviglieri (2005), l’avènement du CBDC a inauguré une nouvelle phase dans la réglementation des relations de consommation, en imposant un impact indéniable sur le système même d’autoréglementation de la publicité. Bien que la préoccupation principale de l’auteure repose plus particulièrement sur la publicité destinée à un public infantile, son analyse autour des principes juridiques agissant sur la réglementation publicitaire s’avère d’une grande utilité pour comprendre l’apport du CBDC. 157 D’après Brevriglieri, on peut envisager trois formes de réglementation du secteur publicitaire : 1) un système exclusivement étatique ; 2) un système exclusivement privé, comme il l’avait été au Brésil jusqu’à l’approbation du CBDC ; 3) un système mixte de contrôle, où des organismes privés et étatiques se combinent et se superposent. « Avec l’avènement du Code brésilien de défense du consommateur, surgit au sein de la Doctrine un certain désaccord en ce qui concerne le système de contrôle adopté au Brésilccxlii. » Deux arguments se trouvent à la base d’un tel désaccord. Premièrement, explique-t-elle, une partie de la doctrine argumente que le fait du CONAR d’établir des normes à caractère absolument privé ne les rendraient pas capables de produire de résultats juridiques sur les parties tierces102. Deuxièmement, le surgissement de la réglementation étatique, qui est à caractère impératif, a fait en sorte que celle-ci accède à une place antérieurement, et exclusivement, occupée par l’initiative privée. Bosco Brevriglieri poursuit son exposé en précisant que le CBDC a été, entre autres, responsable de la définition, au sein de la norme juridique, de la figure du consommateur. En ce qui concerne plus particulièrement la publicité, note-t-elle, « le CDC s’empare non seulement du consommateur potentiel, c’est-à-dire celui qui peut parvenir à acquérir et à utiliser un produit ou un service en tant que destinataire final, mais aussi toute personne ayant été exposée aux pratiques commercialesccxliii. » Ainsi, l’auteur défend le fait selon lequel le CBDC, en positivant quatre principes spécifiques à la publicité commerciale — les principes de véracité, de clarté, de correction et d’information — a fini par établir de nouvelles règles pour la publicité commerciale, cette fois-ci du point de vue de la défense du consommateur. 102 L’auteur fait sien l’avis du professeur Antônio Hernan De Vasconcellos e Benjamin au sujet de l’autoréglementation publicitaire. Tout en reconnaissant l’importance de cette dernière, De Vasconcellos e Benjamin voit trois grandes limitations dans ce système de réglementation : 1) l’autodiscipline régule seulement ceux qui y adhèrent sur une base volontaire ; 2) de telles règles opèrent seulement sur le plan normatif interne, car elles n’ont aucune relevance externe ; 3) la force d’attache est inférieure à celle du système étatique (Breviglieri, 2005, p.45). 158 Certes, il semble y avoir là un changement de cap fondamental, puisqu’on passe de la réglementation de l’annonce publicitaire103, telle qu’inscrite dans le CBARP, à la préoccupation pour un public général qui, selon Breviglieri, se « caractérise par l’indétermination et l’amplitudeccxliv. » Ce déplacement marque finalement une tendance vers la protection d’intérêts diffus, mais aussi la coexistence de deux formes de réglementation parallèles se conjugant dans un système mixte. D’un côté, nous avons un système exclusivement privé, qui s’appuie sur le CONAR avec le CBARP comme outil réglementaire. De l’autre, on a un « système étatique de contrôle de la publicité composé par l’action du pouvoir exécutif et du pouvoir judiciaireccxlv», le premier étant responsable de l’application de sanctions administratives, alors que le deuxième s’occupe des sanctions civiles et pénales. Le CBDC est l’outil de base de celui-ci104. Néanmoins, cette position ne fait pas consensus parmi les jurisconsultes, l’avocat Fernando Henrique Zanoni étant un exemple des dissidents. Dans l’article Da incompetência do CONAR para proferir decisões de caráter coativo (Zanoni, 2007), Zanoni initie son l’analyse de la nature juridique du CONAR avec un constat : celui-ci « est un organisme dont l’existence ne contient aucune disposition légaleccxlvi » et constitue tout simplement une initiative indépendante d’autoréglementation de la part du secteur. Selon Zanoni, quoiqu’il possède quelques caractéristiques propres aux agences de régulation, le CONAR « n’est pas une autarcie sous régime spécialccxlvii », mais plutôt « un organisme non gouvernemental sans aucun pouvoir normatif légitimeccxlviii. » 103 L’article 1 du CBARP stipule que « toutes les annonces doivent respecter aux lois du pays et s’y conformer ; celles-ci doivent également être honnêtes et vraies » (1980). Código Nacional de Autoregulamentação Publicitária. Conselho Nacional de Auto-regulamentação Publicitária. En ligne. <http://www.conar.org.br/html/codigos/codigos %20e %20anexos_introducao_secao1.htm>. 104 Il est intéressant de noter que l’actuel président du CONAR, Gilberto Leifert, abonde dans la même idée, selon laquelle le système actuel de réglementation de la publicité au Brésil est un système mixte, comme le démontre bien l’extrait suivant : « Le système mixte de législation et d’autoréglementation en cours au Brésil est, à son tour, considéré exemplaire et il a servi d’inspiration et de stimulation à beaucoup d’autres pays. » (“ O sistema misto de legislação e auto-regulamentação vigente no Brasil é, por sua vez, considerado exemplar e tem servido de inspiração e estímulo a vários outros países”, Leifert, 2005, p.12.) 159 Ceci équivaut à dire que le statut du CONAR n’est qu’un simple contrat, étant donné que la législation nationale ne prévoit pas des brèches visant à légitimer une authentique régulation privée de la matière105. D’où la conclusion de Zanoni, selon laquelle « la régulation de la publicité au pays n’est pas mixte, ce qui contrarie la vision de certains jurisconsultesccxlix ». Par conséquent, dans ce scénario d’incertitude juridique où l’absence de caractère impératif de la régulation étatique se concilie parfaitement avec le fait que le CONAR n’est pas encadré juridiquement par l’État comme une agence de régulation, c’est l’intérêt privé qui l’emporte sur l’intérêt public. Et en ce qui concerne spécifiquement le CBDC, celui-ci n’a fait que normaliser, par le biais de la Loi 8.078/90, la figure du consommateur comme le destinataire final de l’action du CONAR. Malgré les dissensions existant entre les juristes, plusieurs se rejoignent concernant l’incapacité du CONAR de représenter l’intérêt public, dans la mesure où cette représentation signifierait aller contre les propres intérêts corporatifs de l’organisation. Zanoni, quant à lui, croit que « l’insécurité juridique qui caractérise les décisions du CONAR, faute d’une prévision légale pour celui-ci, et du fait même de ne pas être encadré comme une agence de régulation, ouvre la possibilité que l’intérêt privé ait prééminence sur l’intérêt publicccl. » D’autres voix de plus en plus nombreuses s’insurgent également contre la prérogative de l’autodiscipline, soulevant diverses suspicions en ce qui a trait à l’efficacité du CONAR de contrer, par le biais de l’application du CBARP, toute pratique publicitaire pouvant contrevenir aux intérêts corporatifs des annonceurs et des agences de publicité. Dans l’article intitulé « O CONAR e o controle social da ética publicitaria no Brasil » (Henriques et Júnior, 2007), publié dans la revue juridique Ultima Instância, Isabella Henriques et João Lopes Guimarães Júnior affirment que les raisons à l’origine de la création du CONAR n’ont plus 105 À cet effet, la Constitution Brésilienne de 1988 est assez claire : « Il revient privativement à l’État de légiférer sur (…) la publicité commerciale. » (“ Compete privativamente a União legislar sobre (…) a propaganda comercial”, Constituição da República Federativa do Brasil de 1988, art. 22, par. XXIX.) 160 lieu d’être à l’heure actuelle : « Plus de vingt ans après la fin du gouvernement militaire, à l’heure de l’État démocratique de droit, le CONAR (…) maintient le discours du refus de toute initiative de contrôle public de l’activité publicitaireccli. » Les auteurs résument bien ce conflit d’intérêt tel qu’il s’exprime dans les décisions les plus récentes de l’organisme : L’influence corporatiste est principalement observée dans les jugements qui ont trait à des questions subjectives et faisant référence à des valeurs. Dans la plupart des cas, les dispositifs du code sont interprétés selon la logique du marché, qui n’est pas nécessairement celle de la société, et qui ne prend pas toujours en compte les droits de consommateurs. Lorsque les intérêts commerciaux sont mis en question, la décision penche toujours du côté des publicitaires. Les positionnements plus récents du CONAR démontrent bien cette orientation.cclii Fait à souligner : si l’on se fie à l’avis du directeur exécutif du CONAR, Edney Narchi, ce ne sont pas les consommateurs, mais plutôt les annonceurs, qui constituent le groupe le plus défavorisé par les décisions émises par le conseil : « Durant ces 20 ans, sous la gestion de quatre présidents différents, nous avons fait face, au sein du CONAR, au non-conformisme des annonceurs contrariés, les uns étant très puissants, les autres pas tellement, mais également acharnésccliii. » Pour ce qui est de la contrariété de l’autre côté, c’est-à-dire celle des consommateurs/citoyens aux prises avec les décisions ou prérogatives du conseil, elle n’est que très vaguement mentionnée : « Il y a, encore de nos jours, ceux qui critiquent le CONAR parce qu’il défend le droit d’annoncer, dans le cadre de normes dûment établies, des produits comme le tabac, des boissons alcoolisées, des médicaments et des pesticides agricolesccliv. » Bien sûr, ce passage ne fait référence qu’à une partie des critiques faites à l’endroit du CONAR, en excluant d’emblée toutes celles qui ont pour objet les décisions finales du Conseil d’éthique du CONAR, lorsque celles-ci vont à l’encontre des intérêts des citoyens ordinaires. Rejetées du revers de la main, ces critiques semblent perdre de l’ampleur devant le fait que les règles régulant la publicité ont été « dûment établies » et qu’elles suffisent 161 largement pour encadrer une pratique éthique de la publicité. « Le fait est que l’éthique et la bonne technique publicitaire déterminent clairement comment produire et comment véhiculer la publicité d’un produit qui, pour une raison quelconque, aurait pu affecter un consommateur, conclut Narchicclv. » 5.5.3 Le CONAR versus le secteur publicitaire : la société civile comme otage Bien que l’argument visant le corporatisme du CONAR me semble très valable, je crois qu’il doit être nuancé par l’existence de positions assez divergentes, voire irréconciliables, au sein même du secteur publicitaire. Une démonstration exemplaire de la façon dont ce conflit d’intérêt s’exprime à l’intérieur du CONAR peut être faite par le biais de la querelle, concernant les publicités de bière, qui a eu lieu récemment entre quelques professionnels du secteur et le CONAR. Dans un article publié intitulé O Belo e o bom senso : publicidade e correção politica106 (Santos Botelho, 2006), j’ai décrit les grandes lignes de l’argumentaire des professionnels qui faisaient part de leur désarroi devant la vague de « politiquement correct » qui afflue au sein d’une organisation censée représenter l’intérêt des professionnels. Je mentionnerai par la suite quelques arguments principaux, pris d’un côté et de l’autre de la situation. Compte tenu des récits disponibles, le conflit semble avoir débuté avec la détermination du CONAR de retirer de la circulation une publicité télévisuelle de bière de la marque Skol. Le mécontentement des professionnels est alors tellement grand que ceux-ci se décident à faire couler de l’encre sur les pages des publications spécialisés. Le premier à le faire a été Ruy 106 Cet article a servi de base pour la rédaction d’un dossier portant sur la condition de la femme noire au Brésil, à l’occasion de la tenue de la dernière consultation de la Commission des droits de la personne de l’Organisation des États américains (OEA) en juillet 2007. Prazeres, Michelle. 2007. «Dossiê avalia situação das mulheres negras na mídia». Observatório do Direito à Comunicação. En ligne: <http://www.direitoacomunicacao.org.br/novo/content.php ?option=com_content&task=view&id=225 4>. Consulté le 23 janvier 2008. 162 Lindenberg, vice-président de l’agence de publicité Leo Burnett, qui prend la plume le 6 février 2006 pour écrire l’article O super-herói Conar contra o malévolo, ameaçador e perigoso Rocky Balboa (Lindenberg, 2006). Dans cet article, Lindenberg s’insurge contre « le dégât qu’est en train de faire dans notre profession la vague du politiquement correctcclvi. » Concrètement parlant, ladite vague s’est manifestée lorsqu’« une publicité commerciale de la [bière] Skol a été retirée de la circulation, entre autres, parce qu’elle exhibe une jeune femme ‘en dehors des standards de beauté’, ce qui a été jugé discriminatoirecclvii » par le CONAR. Ce à quoi Lindenberg réplique : « bientôt on devra transformer les laiderons en belles femmes, non parce que l’idée du film le demande, mais parce que quelques personnes du métier l’exigentcclviii. » Quelques jours plus tard, le Clube da Criação de São Paulo se joint au cercle des nonconformistes, en publiant un deuxième article ayant comme titre l’énoncé très inspiré Todos os publicitários respeitam o Conar. Já um poeta e um pintor respeitosamente discordam (Clube da Criação, 2006). Écrit au nom de ce club de création, l’article avance d’autres détails sur la décision polémique du CONAR ainsi que sur son objet : Le CONAR a décidé d’arrêter la transmission d’un film de la bière Skol, dans lequel un homme mettait tout simplement la main sur les fesses (sic) d’une fille très belle et se refusait de faire la même chose sur celles d’une fille ‘kétaine’ (sic) (le film est vachement meilleur que ce résumé). L’allégation ? Le film pousserait au préjugé contre les femmes laides.cclix Le Clube da Criação poursuit le récit de son indignation : « N’y aurait-il pas une exagération ? Avec tout notre respect : le bon sens ne serait-il pas en manque lors de tels jugements ?cclx » Et il conclut, avec une singulière ironie, en mettant le site web du Clube da Criação à la disposition des lecteurs pour un débat éclairé sur les excès attribués au CONAR, 163 en remerciant « dès lors tout le support de la part des juifs avares, des ‘Baïanos’107 insouciants, des Japonais mauvais conducteurs, des Portugais et des blondes stupides contre cette peste (sic), ce qui représente le politiquement correctcclxi. » La réplique se manifestera le 13 février 2006 en la personne du président du CONAR, Luiz Celso de Piratininga (De Piratininga, 2006). De Piratininga se défend des accusations en précisant qu’en n’étant « ni super héros, ni ‘paladin de la morale et des bonnes coutumes’, le CONAR n’est qu’un reflet la société brésiliennecclxii. » Mais qu’en est-il de ladite société brésilienne ou, au moins, de cette vision particulière de la société brésilienne ? Qu’en penset-elle finalement ? Le président du CONAR fournit ses pistes de réponse, en apportant quelques éclaircissements sur la composition des comités d’éthique : « Je m’explique : ce n’est pas le CONAR qui délibère sur les procès éthiques, mais son Conseil d’éthique, formé de 140 représentants désignés par les entités d’annonceurs, de consommateurs et de professionnels en création, ces derniers y trouvant une robuste représentationcclxiii. » L’idée du CONAR, selon lui, c’est de « créer dans chacune de ses six chambres, un microcosme du marché et de la sociétécclxiv », où « des hommes et des femmes de toutes les tranches d’âge, professionnels de la publicité ou non, exercent à chaque séance des jugements contradictoires (sic)cclxv. » De Piratininga en vient à préciser que ce débat démontre, tout d’abord, que les réprimandes du CONAR sont très mal vécues au sein du secteur professionnel publicitaire. En voici quelques exemples supplémentaires : toujours en réponse au retrait de la circulation de l’annonce de la bière Skol — celle qui exhibait les « laiderons » —, le Clube de Criação qualifie l’action du CONAR de « moche, très moche », d’« un immense ridicule ». Quant au publicitaire Ruy Lindenberg, il est forcé d’admettre qu’il se sent « plus menacé par le ‘feu 107 Le terme « Baiano » réfère généralement à toute personne naturelle de l’État de Bahia au Brésil. Dans certaines régions du sud-est du pays, notamment à São Paulo, le terme contient une connotation très péjorative, désignant également tout objet ou toute personne considéré(e) démodé(e) ou maladroit(e). 164 ami’ que par des tirailleries de l’ennemicclxvi », pour conclure, finalement, que «tout ce dont nous n’avons pas besoin, c’est de super héros. Car nous ne sommes ni des enfants, ni des vilainscclxvii. » Ensemble, ces lamentations reflètent beaucoup de réactions de la part d’une classe professionnelle particulièrement réfractaire à toute forme de limitation de la liberté de création. Et ce, même si dans la plupart des cas, on se fait tirer l’oreille « en famille ». Toutefois, cette vision optimiste d’une société qui « veut et exige de s’exprimer » cède trop vite sa place à une deuxième version, celle-ci plus condescendante, selon laquelle « nous pouvons même pondérer le fait qu’il y a des exagérations flagrantes, comme s’il s’agissait d’une espèce de vengeance de points de vue longuement tenus sous silence. Exagérations d’ailleurs qui sont d’autant plus compréhensibles qu’inévitablescclxviii. » Le débat change alors d’orientation avec la preuve que l’organisme se trouve bel et bien dans un véritable feu croisé : d’une part, une société « exigeante » ou « vilaine », selon le cas, en quête permanente de contrôle sur ce secteur ; d’autre part, le gouvernement fédéral qui, à la suite de la fin de la dictature militaire, se rallie de plus en plus à la société civile. En troisième instance, le CONAR doit faire face à une multitude de professionnels frileux face à toutes les revendications de contrôle social. C’est d’ailleurs Lindenberg qui regrette que l’activité en question « fasse présentement l’objet d’un harcèlement de la part de l’opinion publique, principalement par le pouvoir législatif, lequel, avec son appétit légifère, possède plus de 200 projets de loi en examen au sein du Congrès National en vue de restreindre la publicitécclxix. » Les lamentations se poursuivent, cette fois-ci avec un aveu du président du CONAR : « Moi non plus, je n’aime pas tout ce qui est ‘politiquement correct’, mais je me sens soulagé par le fait que ce contrôle sur ce que nous créons soit exercé par la société et non par un régime totalitaire ou un cerveau quelconque qui se juge éclairécclxx. » Compte tenu de ces arguments, quelles conclusions peut-on tirer de ce débat concernant les questions touchant au problème de discrimination raciale dans la publicité brésilienne ? Une voie de réponse que j’adopterai dans ce travail se réfère justement au pouvoir de déstabilisation que les discussions publiques autour de publicités jugées racialement ou 165 ethniquement discriminatoires auront sur la légitimité même de l’organisation. D’une part, ces discussions publiques seront les grandes responsables de la remise en question des contenus véhiculés dans la publicité brésilienne, dans le sens où elles mobilisent de nouvelles interprétations des contenus en question, faites à la lumières de récits historiques du passé colonialiste et post-colonialiste brésilien (des récits qui sont eux-mêmes des interprétations des faits passés). De l’autre, les discussions entamées serviront de véritable champ de bataille où les différents acteurs impliqués chercheront à imposer une interprétation particulière des images et des mots composant le discours publicitaire. C’est justement dans ce champ de bataille que la légitimité du CONAR en tant qu’organisme d’autodiscipline sera à la fois déstabilisée, attaquée, reconsidérée et maintenue intacte, tout au moins pour l’instant. Le débat sur l’autoréglementation publicitaire au Brésil n’est pas encore fini et il se poursuit avec autant de vigueur à l’heure actuelle. Ce n’est pas par hasard que parmi les 200 projets de loi en examen au sein du Congrès national, on en trouve plusieurs qui prévoient des quotas dans les représentations raciales au sein des médias, en général, et dans la publicité, plus particulièrement. Quelques-uns de ces projets cherchent à instituer des quotas raciaux et ethniques dans les médias, assurant de ce fait la participation d’artistes et de modèles afrodescendants. Le projet numéro 4370/1998108, proposé par le député Paulo Paim (Parti des Travailleurs), par exemple, prévoit que 40 % des modèles de campagnes publicitaires soient noirs. D’autres projets prévoient des quotas de représentation de l’ordre de 40 % en ce qui a trait aux groupes pretos et pardos. Dans la Constitution de l’État de Bahia — celui qui possède d’ailleurs le plus haut taux de noirs dans la composition de la population locale109 —, 108 Aussi connu comme « Statut de l’égalité raciale », le projet de loi du Député Paulo Paim est peut-être le plus ambitieux de tous les projets; il prévoit la présence minimale de membres noirs à hauteur de 30 % dans les candidatures politiques, 20 % de places dans les universités publiques et dans la fonction publique, ainsi que le paiement de 102 000 $ à titre d’indemnités compensatoires à tous les descendants d’esclaves. 109 Selon le recensement de l’année 2000, la proportion de la population qui s’autodéclare preta et parda dans l’État de Bahia était de 73,2 %. (2002). Censo demográfico 2000, Instituto Brasileiro de 166 le fameux « chapitre noir » prévoit, dès 1989, le pourcentage minimal de 25 % de représentants afro-descendants dans tous les cas où il y a plus d’un individu représenté dans l’annonce publicitaire. Ma contribution personnelle à ce débat consiste en l’examen, dans une perspective historique qui traverse les 26 ans d’existence du CONAR, des discussions publiques autour des publicités ayant été accusées de discrimination raciale. De ce fait, et pour mieux comprendre les formes de discrimination raciale dans la publicité brésilienne, je propose l’examen des plaintes ayant fait l’objet d’une discussion publique entre 1979 et 2005. Geografia e Estatística. En ligne : <http://www.ibge.gov.br/home/presidencia/noticias/20122002censo.shtm>. Consulté le 27 décembre 2007. CHAPITRE VI STRATÉGIES DE RECHERCHES ET MÉTHODOLOGIE Dans les chapitres précédents, j’ai fourni un aperçu historique de deux acteurs se situant aux pôles extrêmes de notre objet de recherche. D’une part, on retrouve les couches de la population brésilienne faisant l’objet de discrimination raciale et qui sont majoritairement composés de la population noire brésilienne, mais aussi — quoique dans une moindre échelle — de la population issue des immigrations japonaise et chinoise. De l’autre côté de la table de discussion, on identifie le secteur publicitaire brésilien, avec ses institutions et ses discours corporatifs. Ces deux pôles se retrouvent face à face dans un tribunal privé, composé majoritairement de représentants du secteur professionnel lié directement à la publicité commerciale. Le présent chapitre vise à décrire à la fois les données produites par une telle scène institutionnelle ainsi que les conditions dans lesquelles ces deux pôles discursifs se retrouvent face à face dans les procès éthiques de discrimination raciale du CONAR. Cette description se fait en trois étapes : d’abord, j’explicite les étapes de la recherche, les indicateurs et les variables de l’analyse quantitative des procès de discrimination raciale ; ensuite, je décris le fonctionnement de l’organisme responsable de la génération de ces données ; finalement, j’énonce les méthodes d’analyse permettant d’étayer l’importance des procès ayant fait l’objet d’une couverture médiatique tout au long de la période analysée, procès qui seront analysés en profondeur dans le prochain chapitre. 168 6.1. Définition du corpus et des catégories d’analyse a) Les procès éthiques110 du CONAR La première source primaire d’informations consultée pour ce travail est constituée des procès éthiques déposés au CONAR tout au long de ses 26 ans de fonctionnement. D’une longueur variable, les procès éthiques les plus simples tiennent en une dizaine de pages, alors que les plus complexes peuvent contenir plus de 100 pages. Quelques cas supplémentaires ont également été recueillis de façon à permettre l’établissement de certains parallèles et précisions entre les cas de discrimination raciale et d’autres formes de discrimination équivalentes. Ces différents procès ont été classés en trois catégories distinctes : • Procès typiques : 31 (22 cas sans aucune forme de visibilité médiatique ; 9 cas ayant fait l’objet d’une visibilité médiatique). • Procès intermédiaires : 7. • Procès parallèles : 9. Les critères de sélection permettant la définition d’un cas typique seront étayés dans la prochaine section. Cette catégorie générale composée de 31 procès typiques a été divisée en deux sous-groupes : d’un côté, les procès restreints aux instances de délibérations du CONAR (22 procès) et de l’autre, ceux qui ont débordé les limites de l’institution et ont gagné la sphère publique médiatique (9 procès). Parmi ces derniers, on retiendra cinq procès qui seront décrits en détail dans le prochain chapitre en fonction de leur exemplarité. 110 Chacun de ces procès éthiques est composé des parties suivantes : a) une feuille de couverture; b) la pièce de réquisition d’investigation ou d’ouverture d’un procès contentieux, où l’on mentionne l’article ou les articles du CBARP servant de fondement; c) un ou plusieurs textes d’accusation (plaintes) ayant été déposé(s) par écrit auprès du CONAR; d) la description ou un exemplaire de l’annonce publicitaire faisant l’objet du procès éthique (original, photocopie ou transcription et découpage de la pièce télévisuelle en photogrammes); e) une pièce de défense, soussignée par l’annonceur et/ou par l’agence publicitaire responsable de l’annonce; f) l’avis du rapporteur; g) la décision finale (ou provisoire, si un recours a lieu); h) les annexes, comprenant un inventaire assez riche des découpages des reportages, articles et chroniques ayant fait référence à la publicité en question. 169 L’idée est de constituer deux groupes de contrôle ayant des caractéristiques semblables, à l’exception de la présence de la couverture médiatique (variable indépendante)111. Cette démarche pourra permettre la saisie des caractéristiques de jugements typiques de chacun des groupes, ainsi que la mesure et/ou la précision de l’étendue de l’impact de la visibilité des médias dans les décisions prises par le CONAR. Une fois les caractéristiques majeures de deux sous-groupes en question confrontées les unes aux autres, je passerai, dans le prochain chapitre, à une analyse qualitative de cinq procès ayant eu une visibilité médiatique. Une attention spéciale sera apportée aux arguments de la défense et de l’accusation présents dans chacune de ces parties, de façon à identifier les éléments suivants : 1) les arguments soulevés de façon à prouver qu’il s’agit d’une transgression des normes éthiques ; 2) les arguments permettant d’affirmer que ceci ne représente pas une transgression ; 3) les arguments récupérés de part et d’autre par le rapporteur, de façon à ériger son propre avis et qui ont servi d’inspiration pour la décision finale ; 4) la décision prise suite au jugement du procès éthique ; et finalement 5) les arguments, interprétations et positions prises dans la couverture médiatique de chacun de ces procès. 111 Dans son Initiation pratique à la méthodologie en sciences humaines, Angers évoque une situation d’expérimentation invoquée pour décrire les groupe expérimental comme étant typiquement celui où « l’expérimentateur cherche à ne faire varier qu’un facteur entre l’avant et l’après expérimentation et à s’assurer qu’il en mesure ensuite bien les effets en ayant maintenu constants ou pareils, les autres éléments de la situation » (Angers, Maurice. 1992. Initiation pratique à la méthodologie des sciences humaines. Montréal: Centre Éducatif et Culturel Inc., p.117). Compte tenu de cet aperçu, je crois qu’il est possible d’établir un parallèle entre la situation hypothétique d’une expérimentation involontaire et la réalité spécifique des procès éthiques étudiés dans ce travail. Ainsi, dans la présente étude, la variable indépendante serait la couverture médiatique, le groupe expérimental correspondrait aux procès ayant eu une couverture médiatique, et le groupe de contrôle serait celui dont les discussions sont restées retreintes au conseil. Bref, il s’agit typiquement des situations dans lesquelles, hormis la couverture des médias, toutes les autres parties composant les procès éthiques demeurent constantes. 170 b) Entretiens avec des acteurs impliqués dans la lutte contre le racisme dans les médias La deuxième source primaire d’informations comprend les transcriptions (verbatims) de neuf entretiens semi-dirigés avec des figures de proue de la lutte pour la redéfinition des modèles de représentation des groupes subalternes dans les médias et un membre exécutif du CONAR. Ces entretiens visaient à repérer un certain nombre d’actions stratégiques adoptées par les mouvements sociaux pour la promotion de la conscientisation sur la discrimination raciale ayant un impact, d’une certaine manière, sur la perception du problème du racisme dans les médias. L’objectif majeur est d’ajouter à l’analyse de controverses autour des publicités dénoncées pour discrimination raciale un regard contemporain et rétrospectif sur l’évolution des cas au sein du CONAR et ce, à partir des réflexions développées par les agents sociaux en question. Une fonctionnaire administrative et le directeur exécutif du CONAR ont également été interrogés. Malheureusement, en raison de problèmes techniques, l’entretien avec le directeur général du CONAR, Edney Narchi, n’a pas été pris en compte pour ce travail112. La liste présentée en annexes (voir Tableau A.1) porte les noms de personnes interrogées, leur activité professionnelle ainsi que les liens institutionnels de chacune d’entre elles. Elle ne se veut pas une liste exhaustive ou proportionnelle à l’ensemble des efforts entrepris par les différentes organisations, mais plutôt un échantillon représentant qualitativement quelques initiatives. J’aimerais néanmoins préciser que, pour certains chercheurs, comme le note bien Denise Jodelet dans Aperçus sur les méthodologies qualitatives (Jodelet, 2003), « le recours à des données textuelles est aussi utile pour compléter les données de terrain, les confirmer et mieux en mesurer le poids » (Jodelet, 2003, p.157). Au contraire, ce sont les entretiens des 112 Le mauvais fonctionnement du magnétophone numérique a fait en sorte que le fichier contenant l’entretien soit totalement endommagé, générant ainsi la perte irréversible des données. 171 membres issus de mouvements sociaux qui appuieront des données textuelles, dans la mesure où un riche éventail d’hypothèses et d’éléments d’explication a été avancé par ces derniers. Les entretiens m’ont permis, en outre, de cerner un grand nombre de questions historiques et théoriques devant être davantage approfondies dans la première partie de ce travail. Lors de ces entretiens, chaque personne interrogée était invitée à analyser les tables A.2 et A.3, disponibles dans les annexes, afin d’élaborer ses propres interprétations en ce qui a trait à l’évolution du nombre de procès éthiques déposés au sein du CONAR. Plus spécifiquement, je demandais à chacune d’établir des liens de causalité entre l’évolution du nombre de procès éthiques et les facteurs externes, tels que les politiques raciales en vogue, les demandes des mouvements sociaux et les réponses accordées par l’État brésilien durant les 26 ans de fonctionnement du CONAR. Pour le reste, ces entretiens semi-dirigés ont largement varié de l’un à l’autre, selon la spécificité de l’activité exercée par l’interviewé, de façon à enrichir l’analyse d’un nombre diversifié de perspectives. Je reviendrai sur le contenu de ces entretiens dans le dernier chapitre de ce travail. c) Répertoire de publicités imprimées Une troisième source primaire d’informations est un répertoire de publicités imprimées, composé afin de permettre la mise en contexte des publicités dénoncées pour discrimination raciale à partir de modèles de représentation raciale en vogue à chaque moment précis. Ce répertoire correspond à une banque de données comportant plus de 4 500 publicités imprimées véhiculées, entre 1979 et 2005, et recueillies dans deux magazines d’informations de circulation nationale : Veja et Isto É. Cependant, faute d’espace et de temps, ce matériel n’a pas été formellement pris en considération dans l’analyse des procès éthiques. Je tiens à signaler cependant que la propre composition de ce répertoire a servi comme arrière-plan important pour comprendre les revendications identitaires mises en place au cours des procès éthiques. 172 6.2 Stratégies de recherche L’objet de notre étude étant le débat public autour des représentations raciales et ethniques véhiculées dans la publicité brésilienne, il est opportun de passer à une description plus détaillée des stratégies qui m’ont permis de constituer la matière empirique sur laquelle cette étude s’est penchée. Le terrain de recherche s’est majoritairement étendu entre les mois de décembre 2005 et d’avril 2006. Les données sont décrites par ordre d’importance pour le dessein de la recherche, qui comprend les volets suivants : 6.2.1 Les sources secondaires a) Les procès éthiques au sein du CONAR La première étape du travail de terrain a consisté à repérer tous les procès éthiques ayant mentionné la discrimination raciale qui ont été déposés auprès du CONAR entre le début de 1979 et la fin de 2005. Ce travail de repérage a été divisé en deux étapes : a) la sélection d’un indicateur permettant la sélection et la localisation d’une catégorie générale — celle de « discrimination » — parmi l’ensemble des cas de la banque de données ; b) le raffinement d’indicateurs secondaires permettant de différencier la discrimination raciale d’autres formes de discrimination. La solution retenue pour mener à bien la première étape du travail est relativement simple : j’ai choisi les procès éthiques qui se sont appuyés sur l’article 20 du Code d’autoréglementation publicitaire, lequel prévoit qu’« aucune publicité ne doit favoriser ou stimuler n’importe quelle offense ou discrimination raciale, sociale, politique, religieuse ou de nationalitécclxxi. » Cependant, comme la banque de données du CONAR n’est pas entièrement numérisée, les efforts de repérage ont dû être doublés lors de deux étapes subsidiaires. Pour ce qui est de la partie numérisée de la banque de données — comprenant toutes les plaintes déposées entre 1997 et 2005 —, une seule recherche informatique utilisant « article 20 » comme mot clé a 173 été suffisante pour la présélection des cas. Pour la partie non numérisée, allant de 1979 à 1996, il m’a fallu trouver une solution alternative : lire tous les procès verbaux des réunions des comités d’éthique — les comités responsables du jugement des plaintes — de façon à trier ceux faisant référence à l’article 20 du code. Cette première phase a été exécutée durant deux séjours dans la ville de São Paulo, d’une durée approximative de quinze et quatre jours, respectivement. L’indicateur en question — tous les procès faisant mention de l’article 20 du CBARP — m’a permis de sélectionner 168 procès éthiques impliquant différentes formes de discrimination à partir d’un total de 5 540 procès éthiques113. Une fois le premier tri des procès accompli, il fallait alors trouver un deuxième indicateur, plus sensible, qui permettrait d’établir un lien entre les procès éthiques portant sur la discrimination et la problématique du racisme. Bien que ce premier volet de la cueillette ait été relativement court, il s’est avéré le plus complexe de tous. Le choix du deuxième indicateur renvoie directement à la discussion que j’avais faite au début de ce travail. J’avais mentionné, notamment dans le chapitre I (voir sections 1.2, 1.3 et 1.4), que les différents usages employés dans les premières études scientifiques portant sur la « race » — l’anthropologie classique et les approches ethnographiques plus récentes — ont placé les concepts de « race » et d’« ethnie » sur un terrain glissant, ouvert à la dissension. En effet, il n’y a pas qu’une seule définition de « race » et d’« ethnicité », mais plusieurs usages qui impliquent, chacun, des choix et des risques. En ce qui me concerne, j’ai choisi de concevoir 113 La fiabilité du classement exécuté par les membres du comité exécutif du CONAR est une question très importante qui mérite quelques précisions supplémentaires. À la rigueur, je n’ai aucune variable de contrôle externe qui me permettrait de mesurer l’exactitude du classement des cas sous l’article 20, donc dans la rubrique « discrimination ». Il me faudrait, par exemple, passer plus de temps auprès du siège du CONAR pour choisir un échantillon des cas qui ne sont pas liés à l’article 20 afin de trouver, à terme, des erreurs et pouvoir ainsi dresser quelques conclusions sur la fiabilité de ce classement. Ces données bureaucratiques ne peuvent pas non plus être validées par des sources alternatives car le CONAR demeure, au moins en première instance, le seul tribunal légitime pour juger les plaintes ayant trait à la publicité. Donc, à la limite, ces données me permettent d’attester uniquement de la fiabilité des cas effectivement classés sous l’article 20; en d’autres termes, ceux-ci me permettent tout juste de savoir si les cas ayant été classés comme des cas de discrimination l’étaient effectivement. Par contre, je vois deux avantages en ce qui concerne le système de classement de cas employé par le CONAR : 1) un même cas peut être classé selon plusieurs infractions, donc les catégories de cas ne sont pas exclusives; 2) la catégorie « discrimination » est assez large de façon à me permettre d’employer mes propres indicateurs pour cerner les cas de « discrimination raciale ». 174 les revendications d’appartenance raciale en cours au Brésil contemporain comme un exercice constructif d’une ethnicité particulière. Par conséquent, et suite à une lecture préliminaire des procès éthiques portant une forme quelconque de discrimination, je me suis décidée à retenir indistinctement tous les cas ayant qualifié la discrimination en question en termes « ethniques » et « raciaux ». En fait, Bourdieu n’a pas eu tort lorsqu’il a dit que les critères scientifiques ne font qu’enregistrer un état de la lutte symbolique pour la légitimité établie entre les différentes représentations, «c’est-à-dire un état du rapport des forces matérielles ou symboliques entre ceux qui ont partie liée avec l’un ou l’autre mode de classement » (Bourdieu, 2001, p.285). Il y a cependant un deuxième aspect dans la réflexion de Bourdieu sur l’usage de critères classificatoires à caractère ethnique ou régional qui ne doit pas passer inaperçu. Celui-ci concerne le fait que tous les classements scientifiques de ce type sont soumis aux mêmes lois que les critères pratiques quotidiens. En d’autres termes, ces critères sont orientés vers la production d’effets sociaux en même temps qu’ils contribuent à construire ce qu’ils décrivent. Essentiellement démystifiante, la démarche réflexive scientifique de Bourdieu récuse une certaine vision de la science et du travail de recherche qui est très proche de ce que Jodelet (op. cit.) appelle conception du travail scientifique en tant qu’« extraction minière ». Selon celle-ci, « le chercheur, supposé neutre, serait censé prélever des informations objectives sur un milieu qui reste inerte » (Jodelet, 2003, p.148). Jodelet rappelle cependant que si la recherche d’une neutralité scientifique « absolue » constitue un piège, vouloir décrire objectivement une réalité « sans se soucier du sens que leur donnent les acteurs ni des processus auxquels ils sont liés» l’est tout autant (Jodelet, 2003, p.149). Ce constat nous renvoie à plusieurs questions relevant typiquement de la compréhension que les plaignants auprès du CONAR avaient de la discrimination raciale et du possible décalage existant entre les cadres référentiels du chercheur et ceux de l’objet analysé. Ce décalage se manifestait notamment lorsque certaines publicités que je conçois, en tant qu’analyste, comme étant typiquement des cas de discrimination raciale, n’étaient pas considérées comme tel par la partie plaignante dans son texte de dénonciation. Par exemple, 175 certaines situations qui ont été typiquement identifiées comme étant une infraction à l’article 20 du CBARP (comme dans le procès n° 040-86114, où des enfants blancs font subir des supplices physiques à une domestique noire) n’étaient pas forcément associées à un problème de discrimination raciale. Or, dans ses réflexions autour des catégories ethniques et raciales (voir chap. 1, sections 1.1 et 1.6), Bourdieu rappelle aux chercheurs qu'en validant scientifiquement certaines formes propres de classement, ceux-ci finissent par s’engager dans les mêmes luttes symboliques que celles qu’ils cherchent à décrire. Dans cet ordre d’idées, un nouveau choix, cette fois-ci pour l’utilisation d’indicateurs tels que « race » et « discrimination raciale » confirme une prise de position dans le débat en cours au Brésil. La solution trouvée — s’il y en a une — aux questions mentionnées ci-dessus va de pair avec cette posture : retenir tous les cas où au moins une des plaintes déposées (dans les cas où plusieurs personnes dénonçaient une même publicité) fait un appel explicite au problème de la discrimination raciale, par le biais de l’emploi des termes suivants : « discrimination raciale », « raciste », « race ». Ces termes deviennent alors les indicateurs définitifs pour la sélection des procès; c’est cela qui m’a permis de constituer la catégorie des procès « typiques », contenant un total de 31 procès éthiques. Je reconnais, d’une part, que l’emploi d’un indicateur tel que « discrimination raciale », voire même celui de « race », ne fait pas non plus consensus parmi les dénonciateurs. Alors que certains ont préféré utiliser le terme « ethnique » pour faire référence à une forme particulière de discrimination, d’autres l’ont tout simplement qualifiée de « raciale ». D’autre part, il me semble clair que l’emploi du terme « ethnique » en tant qu’indicateur serait également 114 Voir dans Associação de Proteção ao Consumidor do Rio Grande do Sul c. Moveis Carraro S.A. et Agence Raul Moreau Propaganda Ltée, 1986. 176 valable en permettant, par exemple, de cibler certaines formes de discrimination entre groupes appartenant à un même groupe racial (cela est le cas des procès nos. 023-79115 et 063-92116 concernant les communautés italienne et juive, respectivement). Néanmoins, les problèmes résultant de l’incertitude conceptuelle du champ d’études raciales et/ou ethniques ne relèvent pas seulement du choix des indicateurs, mais aussi de la rétention des indices permettant la sous-division des procès, c’est-à-dire d’un certain nombre de marqueurs identitaires à la base de tels indicateurs. Comme je l’avais démontré antérieurement, les termes « race » et « ethnie » ont des implications fort variables selon les différents auteurs et approches. Rappelons, entre autres, des propos de Levinson lorsque celui-ci avait souligné que les marqueurs ethniques sont multiples et variables d’un groupe à l’autre (voir chap.1, sect. 1.4). Ainsi, si l’on tient à certaines formulations du problème de la « discrimination ethnique » ou encore du terme « ethnique », on risquerait d’ouvrir la boîte de Pandore117. En incluant dans mon corpus toutes les formes de discrimination ethnique, je serais obligée, par exemple, de prendre en considération certaines distinctions « ethniques » qui seraient moins pertinentes pour cette recherche (comme le procès 023-79, qui présente une représentation supposément péjorative de la communauté italienne). Il en est de même si l’on inclut dans cette recherche toute autre forme de discrimination impliquant des aspects dits « culturels » qui ne sont pas forcément phénotypiques. Tel serait notamment le cas de la discrimination d’une région brésilienne par une autre par le biais de la dévalorisation d’un 115 Voir dans Indústria de Bebidas Cinzano S.A c. Caldas S.A. de Vinhos e Bebidas et Agence Colucci &Associados, 1979. 116 117 Voir dans Gotthilf c. Guapo Com. Ltée et FQ &Associados, 1992. Ici, je me réfère plus particulièrement à une tendance dans les études antiracistes contemporaines, particulièrement marquée dans les études du nouveau racisme (en référence au titre de l’ouvrage publié en 1981 par Martin Baker). Cette tendance vise à élargir la problématisation du racisme en détachant celui-ci des marqueurs purement « phénotypiques » pour accueillir des problèmes relevant de la différence culturelle. Les réflexions de Lee & Lutz (op. cit : p.21 et suivantes) à propos du « racisme culturel » confirment que les recherches actuelles tendent à considérer les « nouveaux signifiants de la différence » bien au-delà des seules questions de couleur de peau, de façon à incorporer d’autres marqueurs non nécessairement associés au phénotype de la personne ou du groupe discriminé. À ce sujet, je rejoins Michel Wieviorka lorsque celui-ci lance l’interrogation suivante : « Derrière la référence à la culture, n’y a-t-il pas dans le racisme différencialiste l’idée de caractéristiques inscrites dans les gènes ou liées à un phénotype ? » (Wieviorka, 1998, p.64.) 177 accent ou des habitudes particulières qui ne peuvent être associées à un groupe racial en particulier (cela fait référence aux habitants du nord-ouest brésilien dans le procès n° 27002118). Bref, en élargissant la problématique de la discrimination pour rendre compte d’une multitude de « discriminations ethniques » échappant à mes intérêts immédiats, je risquerais de perdre le fil conducteur de cette recherche qui est, finalement, le problème de la discrimination raciale tel que vécu notamment par la population afro-brésilienne. Compte tenu de ces problèmes, je me suis décidée, pour les fins pratiques de la recherche, à considérer comme « typiques » les procès éthiques dont les textes d’accusation portent au moins une mention de l’indicateur « race » ou de ses variantes. Je tiens cependant à souligner que cette décision a été prise postérieurement à la cueillette de données, et que ce faisant, je prends acte des multiples pistes de recherche qui se sont offertes lors du travail de terrain, en essayant d’étayer mes choix théoriques et méthodologiques, ainsi que leurs conséquences pour le dessin général de la présente recherche. Comme l’observe bien Jodelet : « Seule la vigilance permet de maîtriser les risques liés à l’engagement du chercheur. » (Jodelet, 2003, p.150.) b) Les débats dans les médias Les reportages, articles et chroniques parus dans les journaux et magazines spécialisés au Brésil représentent — à côté des arguments avancés par l’accusation, la défense et les rapporteurs dans les procès éthiques — la deuxième source consultée par ordre d’importance pour ce travail. Ils visent notamment à reconstruire le débat qui s’est érigé autour des publicités dénoncées pour discrimination raciale. La cueillette des matériaux véhiculés dans les médias m’aurait pris plusieurs mois de travail si le CONAR ne s’était pas chargé lui-même de mener un important travail de découpage. 118 Voir dans Ribeiro c. Natura Cosméticos S.A. et Agence Guimarães Ltée, 2002. 178 Heureusement, grâce à cela, j’ai pu épargner du temps et de l’effort en n’ayant pas à réaliser un inventaire d’articles et de reportages parus dans des ouvrages spécialisés dont l’accès est très restreint ou difficile. De plus, la variété et le nombre de titres compilés me poussent à croire que le travail de découpage est fait sur une base régulière dans quatre villes où le conseil siège. Bref, toutes les mentions trouvées au sein des médias ont été dûment compilées et disposées dans les annexes des procès éthiques, ce qui nous a permis de former un sous-groupe particulier : les neuf procès éthiques ayant provoqué des débats au sein des médias. 6.2.2 Sources primaires a) Les entretiens La liste finale d’interviewés a été composée à partir d’une liste préliminaire de contacts suggérée par le premier interviewé de la liste, Heitor Reis. À partir de celle-ci, d’autres noms ont été rajoutés en guise de suggestion, grâces aux références fournies par les différents activistes rencontrés. En fonction des limitations budgétaires imposées à mes enquêtes, j’ai essayé de privilégier les informateurs en provenance des capitales de quatre États brésiliens : Minas Gerais, Rio de Janeiro, Bahia et São Paulo. Même si d’autres initiatives importantes sont entreprises ailleurs au Brésil, ces États sont ceux qui concentrent une proportion significative de l’ensemble de la population noire brésilienne : autour de 45,11 %, selon les statistiques du Recensement officiel de l’année 2000 de l’IBGE (2007). Les entretiens se sont étalés tout au long de la période allant de février à avril 2006. 179 b) La composition de la banque de données de publicités imprimées La banque de données a été composée en deux étapes : 1) un premier séjour à l’Université fédérale de Minas Gerais, entre janvier et avril 2006 ; 2) un séjour auprès de la section des périodiques de l’Université Catholique de Minas Gerais durant le mois d’août 2007. Pour composer cette banque, plus de 4 500 publicités véhiculées entre janvier 1979 et décembre 2005 ont été répertoriées et numérisées. 6.3 Le fonctionnement du CONAR L’utilisation des données secondaires recensées auprès du CONAR requiert quelques efforts explicatifs additionnels. Gomm note bien que les données recueillies auprès d’organismes bureaucratiques sont « rarement cueillies à des fins de recherche. Avant de les utiliser, les scientifiques sociaux doivent avoir une bonne idée de la façon dont les bureaucraties fonctionnent, [c’est-à-dire] comme des machines à produire des donnéescclxxii. » L’objectif de cette section est de décrire la « machine » à produire des données qu’est le CONAR, en faisant une description détaillée du fonctionnement interne de l’organisme, notamment en ce qui concerne ses objectifs, son organisation interne, la redistribution des tâches entre ses membres, bref, les principales normes qui définissent son modus operandi. Ces informations ont été prélevées à partir de deux documents majeurs : les normes internes du comité d’éthique et le statut social du CONAR119. 119 Le processus plus général de fonctionnement du CONAR que je décris ici est donc fondé exclusivement sur les règles de fonctionnement de l’institution en question. Néanmoins, rien ne peut assurer à priori que toutes les procédures sont suivies telles qu’elles sont énoncées dans les normes. Pour le savoir, il faudrait mener une enquête plus rigoureuse, de type ethnographique par exemple, et qui porterait sur les routines de travail des membres du comité exécutif et des comités d’éthiques, afin de vérifier concrètement comment les procès sont reçus, classés, attribués aux différents comités d’éthiques et, finalement, jugés. Même si cette recherche dépasse largement les objectifs fixés pour ce travail, je la conseille vivement comme une piste à suivre pour des recherches futures. 180 6.3.1. Structure générale Selon le document relatant son statut social (2007), le CONAR est composé de quatre organismes : l’Assemblée générale ; le Conseil supérieur ; le Conseil d’éthique et le Conseil Fiscal. Son modèle d’organisation est inspiré du modèle préconisé par Montesquieu et prévoit dans la structure de l’organisme l’équilibre et la nécessaire autonomie entre les attributions législative, exécutive et judiciaire de l’institution (Schneider, 2005, pp.65-69). « Rapide et ennemi de l’excès de formalismecclxxiii », le Conseil d’éthique représente le pouvoir judiciaire du conseil et la principale raison d’être du CONAR. C’est aussi le Conseil d’éthique qui se charge de juger les transgressions vis-à-vis du code d’autoréglementation. Le Conseil supérieur comprend les fonctions législatives et tout ce qui a trait à une quelconque altération dans le CBARP. De plus, il revient au Conseil supérieur de choisir, parmi ses 21 membres, son corps exécutif : un président, trois vice-présidents, ainsi que tous les directeurs responsables de la gestion interne de l’organisme, dont le secrétariat exécutif. Un Conseil fiscal et une Assemblée générale — cette dernière ayant le pouvoir de destituer les membres de la direction générale, d’approuver les rapports du Conseil fiscal et de modifier le statut et règlement — complètent ainsi le cadre de distribution d’attribution au sein du CONAR. 6.3.2. Objectifs Selon les informations issues du site web de l’organisme (2007), le CONAR se donne pour mission d’« empêcher que la publicité trompeuse ou abusive ne cause de la gêne au consommateur ou aux entreprisescclxxiv. » 181 Son mandat, toutefois, détaille six objectifs précis qui dépassent dans une certaine mesure l’étendue de sa mission première : 1) veiller sur la publicité commerciale ; 2) fonctionner comme organisme apte à juger des litiges éthiques ayant pour objet l’industrie de la publicité ; 3) offrir de la consultation technique en ce qui concerne l’éthique publicitaire à ses associés, aux autorités et aux consommateurs ; 4) divulguer le CBARP ; 5) agir comme instrument de conciliation entre les médias de communications et les annonceurs ; 6) promouvoir la liberté d’expression publicitaire et défendre les prérogatives constitutionnelles de la publicité commerciale. 6.3.3. Le Conseil d’éthique Le Conseil d’éthique mérite une attention spéciale dans ce travail, car c’est à lui que reviennent les tâches de recevoir, de faire le suivi et de juger les plaintes. C’est à travers celui-ci que le CONAR émet son avis en ce qui concerne d’éventuelles infractions au code. Le conseil d’éthique est composé des organismes suivants : 1. La Plénière et son président. 2. La Chambre spéciale de recours. 3. Les six Chambres d’éthique, parmi lesquelles trois se trouvent à São Paulo, une à Rio de Janeiro, une à Brasília et une à Porto Alegre. Le fonctionnement ordinaire du Conseil d’éthique commence par l’accueil d’une plainte formellement adressée au CONAR dans l’une de ses chambres. Après avoir procédé à l’examen de la plainte et des arguments de la défense, la chambre émet sa décision. Si la 182 décision relevant d’une chambre d’éthique est contestée par l’une des parties impliquées dans la plainte, c’est à la Chambre spéciale de juger le différend. En ce qui concerne la Plénière, ses attributions sont les suivantes : juger les recours extraordinaires ; uniformiser la jurisprudence lors de controverses entre les membres du conseil ; approuver les abrégés de jurisprudence assignés par le Conseil d’éthique. Il revient également à la Plénière de discuter de motions de protestation en provenance du Conseil d’éthique, en les remettant à l’appréciation du Conseil supérieur ou de la direction exécutive. 6.3.4 Les membres du Conseil d’éthique Selon l’article 40 des Normes internes du Conseil d’éthique (2002), celui-ci est composé d’au moins 80 membres, repartis entre les catégories suivantes : 6 membres du Conseil supérieur, élus par leurs pairs ; 18 représentants de la société civile ; 6 représentants désignés par l’ABAP ; 12 représentants désignés par l’ABA ; 6 représentants désignés par l’ANJ ; 6 représentants désignés par l’ABERT ; 6 représentants désignés par l’ANER ; 2 représentants désignés par la CO; 6 représentants provenant d’entités nationales ou régionales des professionnels de la publicité ; 6 professionnels responsables de la création ; 2 représentants issus des médias interactifs ; 2 représentants issus de la télévision par câble ; 2 représentants issus du média cinéma. D’après ce cadre général, le groupe de « représentants de la société civile » apparaît comme le secteur le mieux représenté d’un point de vue quantitatif, même si le nombre de ses membres n’équivaut qu’à 15 % de l’ensemble. C’est alors dans le Conseil d’éthique « que les entités fondatrices (ABA, ABAP, ABERT, ANER, ANJ et CO) possèdent une grande représentation, en renouvelant (ou confirmant) leurs délégués tous les deux anscclxxv. » Les membres délégués sont aussi tenus pour responsables de l’établissement des « lignes institutionnelles et programmatiques à la charge de la direction statutairecclxxvi. » D’après l’article 11, tous les membres du Conseil d’éthique 183 doivent exercer bénévolement leurs fonctions et ils ne sont censés toucher aucune rémunération ou récompense financière pour cela. Ils doivent également fonctionner dans n’importe quelle chambre, indépendamment de leur affectation originale. Mis à part les membres issus des entités fondatrices, le pouvoir de sélection final des membres du Conseil d’éthique est une attribution centralisée par le président du CONAR et le Conseil supérieur. Par exemple, les entités nationales ou régionales de professionnels de la publicité peuvent suggérer des listes de candidats, mais c’est au président de l’organisation que revient, en dernière instance, le pouvoir de choisir les noms définitifs. La même règle prévaut pour les professionnels de la création, qui seront sélectionnés parmi ceux ayant mis en évidence « le respect des principes éthiques et de l’autoréglementationcclxxvii. » En ce qui concerne spécifiquement le choix du groupe de représentants de la société civile, le paragraphe 4 stipule encore que cette prérogative appartient au Conseil supérieur du CONAR. À part le fait que ceux-ci doivent être constitués de personnes de « bonne réputation [intègres] », on n’y mentionne aucun autre critère de représentativité pour les membres de cette société, fut-il fixé par le CONAR, ou établi par des associations chargées de représenter la « société civile ». De même, aucune disposition n’établit de critères concernant le recrutement de ces derniers ou leur distribution en fonction de variables comme le genre, l’âge ou l’appartenance ethnique/raciale. Néanmoins, une lecture de la liste de tous les membres du Conseil d’éthique entre 1980 et 1990, c’est-à-dire durant les dix premières années de fonctionnement du CONAR, nous permet d’avoir un aperçu de la distribution effective des membres selon le critère de genre. Seuls 17 des 181 membres mentionnés — soit 9,34 % du total — étaient des femmes (Corrêa, 1990, pp.53-54). Un deuxième décompte, cette fois-ci en considérant les membres dans la période allant de 1980 à 2006, révèle une amélioration minimale : parmi les 377 membres listés, 334 étaient des hommes et donc seuls 43 étaient des femmes, ce qui équivaut présentement à 12,75 % du total des membres. 184 « Face à la nature de leurs attributionscclxxviii », les membres du Conseil d’éthique doivent « s’abstenir d’émettre des commentaires ou des manifestations publiques ayant pour référence les actes ou les faits relatifs aux procès en courscclxxix. » L’article 28 fait à son tour mention des empêchements d’ordre éthique, dont celui de participer à une session de jugement en tant que partie intéressée, « représentant ou défendant la partie impliquée dans le procès éthiquecclxxx ». Le Comité d’éthique ne peut pas non plus accueillir de personnes remplissant l’une des conditions suivantes : être représentant législatif, candidat ou fonctionnaire aux niveaux municipal, provincial ou fédéral ; faire l’objet d’une poursuite en cours. 6.3.5. Types de procès éthiques Les prérogatives concernant le procès éthique sont décrites dans le chapitre II des Normes internes du Conseil d’éthique. Ceux-ci « constituent des procédures administratives qui, en plus d’assurer le droit de défense dans son ampleur, seront orientées par les critères de simplicité, d’économie processuelle et de céléritécclxxxi. » Les procès éthiques sont divisés en deux groupes distincts : a) les procès investigateurs ; et b) les procès contentieux. d) Le procès investigateur Cette première catégorie répond à trois finalités distinctes : l’identification d’une éventuelle transgression au CBARP ; l’éclaircissement d’un doute concernant la responsabilité de l’annonce ; ou encore, l’identification de n’importe quel autre élément qui soit indispensable à la connaissance d’une cause. 185 Le procès investigateur débute avec une réquisition de la part du président du CONAR, soit de sa propre initiative, soit de celle d’un membre du Conseil supérieur, par le directeur exécutif ou par l’un de ses associés. Ensuite, le procès sera conduit par le président d’une des six chambres et instruit par le Secrétariat exécutif (CONAR, 2002, art.15). Suite à une manifestation favorable de la part du président de la chambre en question, le président du CONAR décidera : a) de la conversion de celui-ci en procès contentieux à redistribuer à une autre chambre ; b) la mise en archive du procès (CONAR, 2002, sect.1, art.16). b) Le procès contentieux Le procès contentieux a pour objet une annonce ou l’ensemble de la campagne publicitaire et ce, dès que la transgression au CBARP a été vérifiée par le service d’écoute de contrôle (CONAR, 2002, art.17). Celui-ci peut dériver d’une plainte dont l’initiative est partie : a) du président du CONAR ; b) d’un membre du Conseil supérieur ; c) du directeur exécutif ; d) d’un associé ; e) d’un groupe constitué d’un minimum de sept consommateurs (CONAR, 2002, art.17, par.1). 6.3.6. Le traitement des procès éthiques Les plaintes déposées par le Conseil supérieur peuvent être instaurées comme une conséquence des dénonciations ayant été émises par des entités ou des autorités publiques, alors que celles déposées par le directeur exécutif peuvent être inspirées de commentaires négatifs ayant été transmis au CONAR par les consommateurs (CONAR, 2002, par. 2). Dans les deux cas précédents, le dépôt de la plainte ne fait pas l’objet de frais administratifs. Cependant, il est nécessaire de compter sur un minimum de sept consommateurs dûment identifiés afin de constituer un procès éthique. 186 a) La réquisition Toute réquisition devra présenter les informations suivantes : l’identification complète de la partie plaignante (nom et adresse), ainsi que celle de la partie accusée (annonceur et agence de publicité) ; un exemplaire, copie ou reproduction, de l’annonce qui fait l’objet de la plainte ; le média utilisé et la date de transmission ; le titre de l’annonce ou de la campagne publicitaire ; la marque, le service ou la cause institutionnelle annoncée ; les dispositifs du CBARP servant de fondement pour la plainte (CONAR, 2002, par. 3). b) La distribution des procès En ce qui concerne le traitement et la distribution des procès entre les chambres d’éthique, l’article 18 prévoit la disposition suivante : suite à la vérification de l’existence d’une réquisition similaire, portant sur une matière analogue ou connexe, le Secrétariat exécutif est censé indiquer celle-ci au directeur exécutif. Celui-ci pourra, à son tour : a) remettre le procès à la même chambre qui a examiné le cas antérieur ; b) autoriser l’insertion de la présente réquisition au procès plus ancien, à condition que cette procédure ne porte préjudice à aucune des réquisitions (CONAR, 2002, art. 18, par. 1). Si, d’un côté, cette procédure vise principalement à exclure la possibilité d’avoir plusieurs procès éthiques semblables portant sur une même annonce ou campagne publicitaire, de l’autre il semble clair qu’elle finit par créer une sorte de spécialisation thématique parmi les diverses chambres. La procédure en question semble également favoriser la consolidation d’une jurisprudence reliée à des questions plus problématiques et plus fréquentes, de façon à homogénéiser leur traitement. Une fois communiquée l’infraction aux parties dénoncées — agence de publicité et annonceurs —, un rapporteur est assigné à chaque procès. Celui-ci est chargé, entre autres, d’assurer un traitement égal entre les parties impliquées, d’avancer les moyens pour que les 187 parties parviennent à une entente pacifique, de même que de présenter son rapport, son avis et son vote lors du jugement final du procès (CONAR, 2002, art. 12). Le rapporteur peut également recommander le retrait d’une annonce (CONAR, 2002, art. 26). c) La défense L’agence et/ou l’annonceur doivent présenter une défense conjointe ou séparée et ce, cinq jours ouvrables à compter de la réception de la communication émise par le CONAR. La défense peut être assignée à des avocats ou représentants formellement constitués et accrédités par les deux parties (CONAR, 2002, art. 20). Il est très important que l’annonceur et/ou l’agence de publicité aient la prérogative de la défense orale de leurs motivations lors des séances de jugement (CONAR, 2002, art. 20, par. 2). Ceci n’est toutefois pas le cas de la partie plaignante, lorsque celle-ci se réfère à un groupe de consommateurs ou à une entité ou autorité publique : ces derniers ne participent pas aux séances de jugement. Cependant, ils peuvent se faire représenter par le membre du Conseil supérieur ou le directeur exécutif lorsque l’un ou l’autre est à l’origine de la réquisition. d) Les séances de jugement Les séances de jugement sont réalisées selon le calendrier annuel établi par le Conseil d’éthique, sauf dans les cas de séance extraordinaire. L’ordre du jour est organisé avec un délai minimal de 72 heures, en accord avec l’ordre d’instauration des procès éthiques (CONAR, 2002, art. 35). Les séances commencent généralement par la diffusion des annonces dénoncées, afin que toutes les personnes présentes soient pleinement informées de leur contenu. Ensuite, le rapporteur présente un résumé du procès, tout en s’abstenant de faire connaître son avis et son vote. Une fois le rapport présenté, les parties impliquées auront droit à dix minutes pour présenter leur défense orale. Les membres de la Chambre peuvent, quant à 188 eux, demander des éclaircissements supplémentaires. Le débat et la votation finale sont entrepris en absence des parties impliquées, à l’exception du directeur exécutif. Une fois les débats conclus, le président de la séance passe au comptage des votes et à la proclamation de la décision finale (CONAR, 2002, art. 36). e) Les recours Deux formes de recours vis-à-vis de la décision émise par la Chambre éthique sont cependant possibles : un recours ordinaire, jugé par la Chambre spéciale de recours ; un recours extraordinaire, traité par la Plénière du Conseil d’éthique (CONAR, 2002, art. 40). Dernier fait à souligner : l’action du CONAR n’est pas proactive et ne prévoit pas le contrôle préalable sur la publicité ; elle assure plutôt ce contrôle sur celles déjà véhiculées ou présentement en cours de diffusion. 6.3.7 Les sources d’autofinancement Selon l’article 58 relatif au Statut social du CONAR (2007), les fonds destinés à la gestion de l’organisme proviennent de quatre sources possibles : 1) des contributions trimestrielles de membres fondateurs, effectifs et titulaires ; 2) des contributions extraordinaires de la part des membres fondateurs, contributions à déterminer par le Conseil supérieur ; 3) des dons, des contributions et des legs et d’autres ressources apportées volontairement ; 4) des revenus éventuels comme, par exemple, ceux résultant de l’imposition de frais pour le dépôt d’une plainte de la part d’un annonceur ou d’une agence. Ce même article détermine néanmoins que l’ABERT doit apporter le double de la valeur correspondant aux autres membres fondateurs, parce qu’elle représente les médias qui rassemblent la plupart du revenu publicitaire — la radio et la télévision. En effet, le secteur 189 télévisuel participe activement à la subvention de l’organisme. Une preuve accablante de l’étroitesse et de la permanence des ces liens de continuité en est, par exemple, que le président en place au CONAR au moment des célébrations de ces 25 ans, Gilbert Leifert, cumulait ce poste avec celui de directeur des relations avec le marché au sein du même Réseau Globo. 6.4 Les principaux articles du CBARP servant de principes aux jugements de discrimination Comme je l’ai indiqué dans la section précédente, l’article 20 du CBARP a été le premier indicateur permettant le triage des cas de discrimination de l’ensemble de plus de 5 540 procès éthiques déposés au CONAR entre 1979 et 2005. Énoncé dans le chapitre II du CBARP, destiné à énoncer ses « principes généraux », et placé sous l’onglet « Respectabilité », l’article 20 constitue le fondement central de notre objet, et il sera donc de la partie dans tous les procès éthiques examinés dans ce travail. Cet article prévoit précisément qu’« aucune annonce ne devra favoriser ou stimuler n’importe quel type d’offense ou de discrimination raciale, sociale, politique, religieuse ou de nationalitécclxxxii. » Toutefois, j’aimerais mentionner brièvement un deuxième volet de principes qui accordent un surplus de légitimité aux plaintes pour discrimination raciale. Placés dans le chapitre d’introduction du CBARP (1980), les sept premiers articles constituent, à leur tour, un socle de principes communs à partir duquel le CONAR est censé émettre ses opinions. Parmi ceuxci, les articles 1, 2 et 6 nous intéressent plus particulièrement : « Toute annonce est tenue de respecter les lois du pays et de s’y conformer ; elle doit, de plus, être honnête et vraiecclxxxiii. » Cet article, qui réaffirme la subordination du CBARP à la Constitution brésilienne, ainsi qu’à tous les codes juridiques en vigueur sur le plan national, sera le premier fondement servant de support aux plaintes de discrimination raciale et ce, 190 particulièrement à partir de 1988. C’est à partir de ce moment que la nouvelle Constitution brésilienne fournira, grâce à la mobilisation du Mouvement Noir, un encadrement juridique assez rigoureux en ce qui concerne les crimes de racisme. « Toute annonce doit tenir compte de la responsabilité sociale, en évitant d’accentuer les différentiations sociales découlant du pouvoir d’achat des groupes auxquels elle se destine ou de ceux qu’elle peut éventuellement touchercclxxxiv. » Dans un pays qui possède l'un des pires profils de distribution de revenus du monde, l’article 2, qui porte sur la responsabilité sociale des annonces publicitaires, est venu à point nommé. Pourtant, une infraction relative à celuici risque d’être très difficile à saisir. « Toutes les publicités doivent être en accord avec les objectifs de développement économiques, de l’éducation et de la culture nationalecclxxxv. » Finalement, l’article 6 impose, à mon avis, le plus gros défi d’interprétation, alors qu’il met sur pied d’égalité trois notions extrêmement problématiques et ouvertes aux dissensions : « développement économique », « éducation » et « cultures nationales » (ce dernier terme ayant été, heureusement, cité au pluriel). On se demande dans quelle mesure cette association de termes incarnait une vision développementiste de l’éducation, très chérie par le gouvernement militaire alors en place, où l’éducation serait placée au service du progrès et de l’unification nationale. Quoi qu’il en soit, l’association en question indique au moins une idée de complémentarité entre ces trois aspects. Elle connote aussi un respect spécial envers le caractère pédagogique de la publicité, ainsi qu’un présage de menace des cultures nationales par les formes symboliques venues d’ailleurs. Ensemble, ces articles seront les plus souvent cités comme fondements de l’ouverture d’un procès éthique. Certes, ils peuvent sûrement être combinés à d’autres articles — c’est d’ailleurs très souvent le cas — comme ceux énoncés, par exemple, dans la section portant sur la « décence » (CONAR, 1980, sect. 2) ou encore celle des « enfants et jeunes » (CONAR, 1980, sect. 11). Très souvent, ce sont les membres du Conseil d’éthique chargés de la mise en œuvre d’un procès investigateur qui, suite à une analyse du matériel publicitaire, 191 définiront quels fondements du code seront à l’appui de la plainte. Dans ce processus d’exégèse, l’article 20, qui typifie la discrimination raciale comme un dommage, demeure cependant la base minimale commune nécessaire à l’ouverture d’un procès éthique. Les deux premières étapes de ce chapitre étant conclues — la mise en évidence de toutes les étapes de la recherche de terrain, ainsi que le fonctionnement institutionnel du CONAR —, je passerai maintenant à l’analyse de contenu du matériel sélectionné. 6.5. Méthodes d’analyse Au milieu des années 1980, Leiss, Kleine et Jhally (op. cit.) examinaient les limites des deux méthodologies plus fréquemment appliquées dans l’analyse de la publicité : la sémiologie et l’analyse de contenu. D’une part, les auteurs expliquaient alors que l’analyse de contenu (…) ne peut que ‘désemballer’ la superficie du sens d’une annonce d’une manière très évidente ; sa force réside dans son habilité à mettre l’échantillon en rapport avec l’ensemble d’une manière rigoureuse, ainsi que dans sa capacité de détection des modèles de similitudes et de différencescclxxxvi. Titshcer et al., pour leur part, rappellent que l’analyse de contenu porte exclusivement sur le contenu manifeste dans un message quelconque, mais que cela n’empêche pas pour autant l’utilisation de cette méthode dans le cadre d’une analyse critique des discours120. D’autre part, l’analyse sémiologique peut aussi induire des erreurs méthodologiques manifestes. Leiss, Kline et Jhally considèrent ainsi comme faiblesses de cette méthode : 120 Voir Titscher, Stephan, Michael Meyer, Ruth Wodak et Eva Vetter. 2000. Methods of text and discourse analysis. London: Sage, 278 p., chap. 5, pp.55-73. Pour une révision des principaux avantages et désavantages de l’utilisation de l’analyse de contenu dans la recherche en communication, voir également Berger, Arthur Asa. 2000. Media and communication research methodology : an introduction to qualitative and quantitative approaches. London: Sage, 295p. 192 premièrement, le fait que la sémiologie dépende largement de l’habilité individuelle de l’analyste, ce qui réduit son potentiel de fiabilité et de consistance ; deuxièmement, le fait que l’analyse d’un corpus plus réduit de publicités puisse, en contrepartie, induire une erreur de généralisation car cette méthode ne peut être appliquée sur un nombre trop élevé de publicités; finalement, le fait que la présélection d’un corpus de publicités puisse générer un effet d’autoconfirmation de résultats trouvés au préalable121 car la méthode est appliquée à des degrés variables de succès sur les différents types de publicité. Ces critiques sont cruciales pour étayer l’importance d’une approche mixte conjuguant des méthodes à la fois qualitatives et quantitatives. Toutefois, ce ne sont pas les publicités en soi, mais les discussions ayant lieu autour de celles-ci, qui font l’objet de cette recherche. De ce fait, une présentation préliminaire des procès éthiques me permettra de faire le point sur les tendances touchant l’ensemble du corpus, tout en dégageant les aspects méritant une analyse qualitative postérieure. L’idée ici est de donner un aperçu de l’ensemble du corpus de procès éthiques de discrimination raciale, pour ensuite passer à l’analyse qualitative de cinq exemples retirés du sous-groupe des neuf procès ayant fait l’objet d’une couverture médiatique. 6.5.1 Analyse quantitative des procès de discrimination L’analyse quantitative des procès sera effectuée selon les différentes étapes indiquées cidessous : 121 Il y a cependant une lacune dans l’analyse sémiologique qui n’a pas été soulevée par les auteurs en question : bien que celle-ci soit menée à partir d’un échantillon représentatif de données et que l’analyste soit raisonnablement habile dans la manipulation de ses outils méthodologiques sur un exemple, l’analyse sémiologique peut tout au plus anticiper quelques possibles interprétations qui seraient éventuellement faites. Autrement dit, l’analyse sémiologique des publicités (ou d’autres messages) ne peut, en principe, rien révéler du contenu des interprétations avancées par les acteurs dans des situations concrètes. 193 a) analyse de l’évolution quantitative des procès assignés aux catégories « discrimination » et « discrimination raciale », respectivement, afin de situer cette dernière par rapport à l’ensemble des procès jugés au sein du CONAR ; b) distribution des procès pour discrimination raciale selon les différents groupes cibles ; c) étalement des procès éthiques en trois phases chronologiquement successives, à partir des variables suivantes : variation du nombre de procès dans chaque phase ; type de dénonciateur (si citoyen, ONG ou entité étatique) ; principales cibles de la publicité ; contenu dénoncé (si présentant des représentations historiquement enracinées ou des associations pouvant endommager l’estime de soi) ; stratégies de défense (si réalisées par l’agence et/ou annonceur ou si effectuées par recours à un avocat) ; taux de reconnaissance du dommage dans chaque phase ; nombre de cas ayant fait l’objet de l’attention médiatique ; d) description des groupes cibles selon les variables suivantes : genre, tranche d’âge, ainsi que leur distribution dans les trois phases chronologiques ; e) description du groupe A de procès éthiques (ceux dont les discussions sont restées restreintes aux dépendances du CONAR) et du groupe B (procès ayant fait l’objet de visibilité médiatique) à partir du type et du nombre de dénonciateurs, des catégories raciales de publics cibles, du contenu dénoncé, du type de défense et des taux de reconnaissance du dommage pour chaque groupe. Bien que les analyses quantitatives soient valables et extrêmement importantes pour rendre compte, par exemple, de l’évolution des caractéristiques des jugements du CONAR selon les différents publics cibles, elles ne sont pas en mesure de décrire en profondeur les cadres de référence à partir desquels les différents acteurs se lancent dans l’interprétation du message publicitaire en question. De plus, les différentes parties d’un procès éthique décrites ci-dessus ne peuvent être analysées de la même façon et avec les mêmes implications, sous peine de passer sous silence leurs contextes particuliers d’énonciation, mais aussi l’argumentaire 194 mobilisé par chaque partie de façon à prouver le blâme ou l’innocence de la pièce publicitaire en cours d’examen. En s’adressant aux membres des commissions d’éthique du CONAR, chacun des participants d’un procès éthique possède un objectif précis (porter plainte, élaborer une défense ou un avis résumant la situation), ainsi qu’une vision plus ou moins explicite de son interlocuteur (cette vision de l’altérité étant toujours présente dans le discours). S’ajoute à cela un répertoire d’outils rhétoriques sur lequel on puisera afin de convaincre son interlocuteur de la justesse et de la légalité de sa position. À côté de ceux-ci, les espaces journalistiques des médias imprimés constituent, de leur côté, de véritables terrains de dispute pour le pouvoir de faire prévaloir un avis ou une interprétation sur une question donnée. Compte tenu de ces remarques, j’essaierai, dans la prochaine section, de dégager une méthode qualitative transversale qui puisse être appliquée à la fois pour les différentes composantes des procès éthiques et sur la couverture médiatique qui en découle, tout en tenant compte de la spécificité de chacune de pièces discursives : l’analyse de cadrage. 6.5.2. Analyse qualitative L’analyse de cadrage (frame analysis) occupe une place centrale dans la littérature portant sur le rôle des médias, notamment en ce qui concerne la mise en place de débats médiatisés dans l’exercice de la démocratie délibérative. Dans son Political communication in Media Society… (op. cit.), Habermas conçoit l’effet de cadrage des médias dans les termes suivants : La dynamique de la communication de masse est guidée par le pouvoir des médias de sélectionner et de donner de la forme à la présentation des messages, ainsi que par l’usage stratégique du pouvoir politique et social afin d’influencer l’agenda des médias, en mettant en scène les questions publiques et en les encadrant.cclxxxvii 195 Bien que l’intérêt de Habermas pour cette approche communicationnelle soit relativement récent, l’apparition de celle-ci au sein des sciences sociales date au moins de la fin des années 1950. Stephen Reese (2003) explique que l’usage original remonte aux travaux du sociologue Erving Goffman et de l’anthropologue et psychologue Gregory Bateson. En effet, le terme relie des traditions assez contrastantes au sein des sciences sociales comme, d’une part, les perspectives critiques d’analyse qualitative sur l’idéologie et, d’autre part, l’approche behaviouriste, les études sur l’audience et les travaux portant sur les effets de la communication (Reese, 2003, pp.9-10)122. Mauro Porto (2004) estime que le concept de cadrage a fait son apparition spécifiquement dans le champ de la communication à la fin des années 1970, concept alors emprunté aux champs de la sociologie et de la psychologie cognitive. Toutefois, souligne l’auteur, c’est principalement à partir des années 1990 qu’on s’y intéresse davantage, lorsque les études en communication en viennent à s’occuper des effets du cadrage de contenus sur des audiences précises. Porto estime que le concept de cadrage est apparu comme une « alternative aux paradigmes en déclin, mais aussi comme un complément important pour combler des lacunes importantes des théories existantescclxxxviii. » Dans cette dernière génération de travaux utilisant l’analyse de cadrage, un certain nombre d’auteurs s’intéressent particulièrement à la dimension cognitive du langage journalistique dans la mise en forme de questions raciales et ethniques plus spécifiquement. Goshorn et Gandy Jr. (1995), par exemple, dissèquent les « différences subtiles dans le phrasé manifestement arbitraire et dépourvu de sens d’un point de vue strictement logiquecclxxxix », 122 Selon Reese, un usage plus quantitatif et réductionniste du terme cadrage a été spécialement employé par des études positivistes ou behaviouristes qui essayaient de repérer les emphases des médias à partir de leur contenu manifeste. Toutefois, cet usage a été particulièrement critiqué par les approches qualitatives qui rappellent que le cadrage le plus fréquent n’est pas forcément le plus important. Voir Reese, 2003, p.8. De même, les premières études fondées sur l’hypothèse de l’« agenda setting » privilégiaient l’analyse de certains termes clés selon leur fréquence dans les divers textes, en reléguant au dernier plan l’abordage de la dissension entre les parties et l’essence même de la controverse. Pour une révision à la fois théorique et méthodologique des premières études d’« agenda-setting », voir Kosicki, Gerald. 1993. «Problems and opportunities in agenda-setting research». Journal of Communication, vol. 43, n° 2, pp.100-127. 196 ces différences configurant en même temps « un patron plus ample à partir d’un large éventail d’histoiresccxc. » Abondant dans le caractère cognitif du langage journalistique, Richardson et Lancendorfer (2004 ) proposent une définition plus précise : « Le cadre d’une question est un thème, un scénario ou une étiquette suggérant une possible interprétation sur une question politique quelconqueccxci. » En s’appuyant sur la notion de cadrage proposée par Robert Entman (2003), Jiwani et Young (2006) démontrent comment les cadrages et les contre-cadrages médiatiques d’une question précise peuvent, en effet, partager les prémisses d’un même discours hégémonique portant sur la race ou le genre. Selon Entman, le cadrage « implique la sélection et l’emphase de certains aspects d’événements ou questions, en proposant des connexions afin de promouvoir une interprétation, une évaluation et/ou une solutionccxcii. » Particulièrement pertinente pour les fins de ce travail : telle est la connexion établie par Entman entre le cadrage et la culture. L’auteur explique en effet que « les cadres qui emploient les termes culturellement plus résonnants possèdent le plus grand potentiel d’influencer. Ils utilisent des mots et des images très saillants dans la culture, donc passibles d’être reportés, compris, mémorisés et chargés émotionnellementccxciii. » Dans un article postérieur (Entman et Bell, 2005), l’auteur explore les effets potentiels des médias en termes d’influence des audiences et ce, en apportant au niveau de la conscience des éléments latents dans les discours. Dans cette perspective, l’analyse de cadrage servirait justement à éclairer les formes précises de « l’influence [des médias] sur la conscience humaineccxciv. » Plus récemment, Entman (2007) reprend sa distinction initiale entre « cadrage de contenu » et « cadrage procédural », de façon à y incorporer le concept de « biais » (« bias ») par opposition à celui de « point de vue » (« slant »). Dans un scénario marqué par la compétition entre acteurs afin de mobiliser les ressources des médias en leur faveur, « les points de vue caractérisent individuellement les reportages et les éditoriaux où le cadrage favorise un côté plutôt que l’autreccxcv.» Toutefois, Entman précise que les cadrages favorisant un seul point de vue ne sont ni rares, ni manifestement une déviance de l’activité journalistique — quoique 197 leur persistence dans le temps puisse induire deux formes de biais. D’une part, on voit émerger les biais de contenu, compris au sens de « modèles consistant au cadrage de la communication médiatisée, lesquels promeuvent l’influence d’un côté, dans le cadre des conflits autour de l’usage du pouvoir du gouvernementccxcvi. » D’autre part, il existe aussi des biais dans les prises de décision des médias, lesquels « opèrent dans la psyché des journalistes et au sein des procédures des institutions médiatiques, incorporés (généralement de façon implicite) dans les règles et les normes guidant le traitement d’information et influençant le cadrage de textes médiatiquesccxcvii. » Compte tenu de ces différentes possibilités d’application offertes par le concept de cadrage, j’aimerais émettre quelques réserves concernant les études précédentes. La première réserve concerne le fait que la plupart de ces différentes approches portent exclusivement sur les textes journalistiques, en laissant d’autres genres, formats ou espaces discursifs trouvés au sein des médias contemporains en dehors de tout effort de théorisation. Certes, les exceptions existent, à l’instar de l’article de Lauren Tucker (1998) portant sur la controverse médiatique autour de la campagne publicitaire mise en place par la marque de vêtements Calvin Klein en 1997. Définie comme « un effort de s’aventurer au-delà de la recherche traditionnelle d’ ‘agenda-setting’, cette étude emploie la théorie critique pour analyser comment les médias (ceux-ci strictement compris au sens de « nouvelles ») produisent et reproduisent le pouvoir social dans la construction du sens communccxcviii. » Cependant, comme souligne l’auteur, l’approche adoptée ici suggère que les nouvelles et les opinions s’influencent mutuellement dans les processus de production et de réceptionccxcix. » Cette approche autorise l’auteur, par exemple, à mener l’analyse du cadrage en se concentrant exclusivement sur les nouvelles et les articles d’opinion parus à la fois dans la presse d’intérêt général et dans les publications spécialisées dans le domaine publicitaire. Ainsi, malgré des efforts considérables en vue de faire la mise en contexte de la couverture médiatique dans un cadre plus ample de débats politiques en cours — avant et durant la mise en circulation de la campagne en question —, l’auteure ne prend pas en considération les cadrages du contenu de la campagne qui ont été mobilisés par une audience ou un public concret. Autrement dit, l’auteure ne fait aucune 198 distinction analytique entre le sens commun des acteurs intervenant au sein des articles et reportages et le sens commun d’autres lecteurs réels. Bref, les opinions exprimées dans les articles et reportages sont prises comme un indice de visions de récepteurs réels, alors que cette dimension devrait faire l’objet d’une enquête empirique additionnelle. Cette lacune renvoie à ma deuxième réserve concernant l’analyse de cadrage : celle-ci est rarement appliquée de manière transversale sur une multitude de textes et de discours générés non seulement par les médias, mais aussi par d’autres acteurs concrets. Ceci s’explique en partie par le partage d’une prémisse commune à certaines analyses de cadrage axées sur les contenus et les procédures de médias. Selon cette prémisse, les cadres dominants dans la couverture médiatique d’une question polémique seront perçus tel quel par les lecteurs et spectateurs. De là découle la confusion conceptuelle trouvée dans l’analyse de la polémique autour de la campagne publicitaire de Calvin Klein de Tucker, de même que l’idée d’une correspondance entre le pouvoir d’influence et les cadres culturellement résonnants, telle que proposée par Entman (nul besoin d’expliciter qu’aucune enquête auprès d’une audience quelconque n’a été entreprise dans ces deux travaux). L’intérêt pour la production des effets des médias est d’autant plus saillant dans les approches plus « engagées » du cadrage, comme celle suggérée par le Media Resarch and Action Project (MRAP) (Ryan, Carragee et Schwerner, 1998). Cette initiative, expliquent ses porteparole, vise notamment à « aider les groupes marginalisés à employer les nouvelles en tant que ressource politiqueccc. » Dans un article postérieur (Ryan, Carragee et Meinhofer, 2001), les auteurs stipulent que « l’usage de cadres du MRAP diffère de celui d’autres cadres, de plusieurs manières. Nous mettons plus d’emphase sur l’orientation commanditaire du cadre et sur leur caractère évolutifccci. » La principale différence entre l’approche du MRAP et les précédentes est que les membres du MRAP sont plus concernés par le besoin d’influencer les politiques publiques que l’ensemble de l’audience à proprement parler. Ici, le cadrage est un outil stratégique ainsi qu’un moyen d’atteindre des objectifs politiques précis, qui n’en sont pas moins légitimes. L’avantage de ce dernier, en termes théoriques, c’est de concevoir le 199 cadrage dans son aspect agonistique, c’est-à-dire non comme une procédure entièrement imposée ou inatteignable, mais plutôt comme quelque chose à construire, à négocier et disputer auprès d’autres acteurs. Or, Reese (op. cit.) estime que la force du concept de cadrage réside justement dans son pouvoir d’offrir un modèle servant de pont entre des perspectives diverses, c’est-à-dire dans sa capacité de puiser dans les contributions apportées par chacune de celles-ci. Ma dernière réserve concerne justement la prééminence d’une seule perspective — la perspective cognitive — au sein des analyses de cadrage faites dans le champ de la communication. Dans un article plus récent (Reese, 2007), l’auteur confirme cette prééminence : « Étant donné l’accent historiquement mis sur la recherche en communication portant sur les effets des médias, ce n’est pas surprenant de voir que la perspective cognitive reçoive plus d’emphasecccii. » Bien que celle-ci soit importante, précise l’auteur, le cadrage conjugue à la fois les perspectives cognitive, constructiviste et critique. C’est la conscience de l’existence de ces différents aspects qui sert à éviter des analyses trop restrictives ou unidimensionnelles. En termes plus concrets, l’observance de ces différentes dimensions analytiques devrait contribuer à élargir le pouvoir explicatif du concept de cadrage, en proposant des liens entre ses diverses manifestations dans les discours oraux et médiatiques, mais aussi dans ceux relevant des contextes socioculturels plus amples123. Bref, un modèle de cadrage servant de pont entre ces diverses dimensions permettrait ainsi un regard croisé sur l’objet de ce travail : « Pour moi, cela [le cadrage] s’empare des manières dans lesquelles le sens peut être incorporé à travers les histoires, les médias et le tempsccciii. » 123 Reese décrit brièvement ces différentes dimensions comme suit : « La perspective cognitive a été largement agnostique par rapport aux façons dont les cadres sont impliqués au niveau du pouvoir sociétaire, en approchant la ‘négociation’ ou l’interaction de structures psychologiques en tant que dispositifs d’adaptation des éléments du message. La perspective constructiviste (…) a considéré les cadres comme des ressources relativement bénignes ou des outils plus ou moins accessibles aux acteurs sociaux, alors que la perspective critique a considéré ces cadres en tant que structures de contrôle hégémonique et associées aux élites. » (“The cognitive perspective has been largely agnostic concerning how frames are implicated in societal-level power, dealing with the ‘‘negotiation’’ or interaction of psychological structures as coping devices for message elements. The constructivist perspective (…) has regarded frames as relatively benign resources, tools that are more or less accessible to social actors, whereas the critical perspective has regarded frames as controlling, hegemonic, and tied to larger elite structures”, Reese, 2007, p.149.) 200 En fait, l’un des grands avantages du corpus de procès éthiques sélectionné réside dans le fait que ceux-ci conjuguent plusieurs points de vue sur le problème de la discrimination raciale dans la publicité. En plus de compter sur l’exemplaire ou sur un extrait de la publicité dénoncée et de la couverture que les médias en font, ces procès éthiques permettent de connaître les termes selon lesquels les dénonciateurs ont volontairement formulé leur malaise vis-à-vis d’une publicité précise. Plus encore, ils garantissent l’accès à la vision de ceux qui sont tenus responsables de la conception et de la production de la publicité dénoncée, mais aussi l’accès à la position d’un spécialiste de ce domaine — le rapporteur —, laquelle position peut être prise en considération, ou non, dans la décision finale. Compte tenu de la diversité de perspectives offertes par le matériel empirique sélectionné, il serait avantageux, pour atteindre les objectifs de ce travail, d’adopter une définition opérationnelle de cadrage plus élargie à l’instar de celle proposée par Reese : « Les cadrages sont des principes organisateurs qui sont socialement partagés et persistants tout au long du temps, travaillant symboliquement afin de structurer le monde socialccciv. » L’idée de centrer sur les principes plutôt qu’exclusivement sur les textes des médias, ou bien sur des « éléments psychologiques individuels », explique l’auteur, vise à éviter d’associer l’étude de cadrage à une structure fixe. Par contre, les perspectives plus constructivistes et cognitives d’analyse de cadrage vont aussi contribuer. Les réflexions du MRAP, par exemple, fournissent une perspective intéressante pour rapprocher les efforts des mouvements sociaux en vue de sensibiliser les publics plus larges et d’accorder plus de visibilité à leur cause. La dimension cognitive des médias est, quant à elle, fondamentale pour comprendre non seulement les mécanismes symboliques du racisme en général, mais aussi plus particulièrement la perception et la formulation du problème de la discrimination raciale du point de vue des divers acteurs impliqués dans les procès éthiques du CONAR. Compte tenu également de la diversité d’approches disponibles, il me semble pertinent de conclure cette brève révision des analyses recourant au concept de cadrage en reprenant l’une des recommandations méthodologiques que Porto (op. cit.) propose pour les recherches 201 futures qui utiliseront ce concept. Dans cette recommandation, il indique notamment de mieux « spécifier les différents niveaux d’analyse et, par conséquent, [de] définir plus clairement les différents types de cadragescccv. » Selon l’auteur, il y a un type de cadrage identifiable dans les procédures journalistiques qui consiste typiquement en une mise en forme des événements dans des formats bien précis comme le reportage, la chronique, la note, etc. Ces procédures de sélection et de mise en forme représentent des conventions appliquées de façon consciente et plus ou moins partagées entre les divers cadres professionnels des médias. Toutefois, Porto attire l’attention vers un autre type de cadrage, cette fois-ci plus involontaire, qui a spécifiquement trait aux cadres interprétatifs d’un message particulier. Selon l’auteur, Les cadrages interprétatifs sont des modèles d’interprétation qui promeuvent une évaluation particulière des thèmes et/ou événements, y compris les évaluations concernant les définitions de problèmes, les évaluations des causes et des responsabilités, les recommandations de traitement, etc.cccvi D’après cette définition, le processus de cadrage mobilise des interprétations disponibles dans un contexte sociohistorique plus ample, « qui peuvent ou non être incorporées par les médiascccvii. » L’auteur ne s’abstient pas de préciser qu’on peut, en effet, travailler en même temps avec les deux niveaux d’analyse, mais qu’il est préférable, pour les fins de précision méthodologique, de distinguer analytiquement ces deux niveaux. Cette distinction me ramène à la dimension concrète des procès éthiques qui seront analysés dans le prochain chapitre. En principe, ces deux dimensions du cadrage sont également légitimes pour les discussions concernant la discrimination raciale au sein des médias. Néanmoins, j’ai deux raisons pour étayer mon option d’analyser exclusivement les cadrages interprétatifs. D’une part, le présent travail ne vise pas à examiner en profondeur les routines publicitaires à proprement parler, bien que les documents recensés puissent éventuellement révéler certaines dimensions opérationnelles de la production de la publicité dénoncée, comme les enquêtes de marché ou des chiffres sociodémographiques à l’appui des décisions prises dans le processus de mise en forme. Pour ce faire, il serait nécessaire de mener une 202 enquête additionnelle auprès des professionnels directement impliqués dans la production des publicités dénoncées, opération tout du moins difficile compte tenu de la période de 26 ans examinée ici. La même observation s’applique aux documents journalistiques qui seront examinés, car il m’est impossible d’évaluer les routines productives ayant résulté dans les différents produits journalistiques examinés dans le prochain chapitre. D’autre part, l’intérêt pour les cadrages interprétatifs se justifie aussi dans la mesure où les différentes pièces documentaires sont confrontées par l’exigence même de démontrer, ou de récuser, le blâme de la discrimination raciale, c’est-à-dire d’en prouver l’existence ou l’absence dans une publicité précise. Ceci dit, j’aimerais préciser que cette analyse tiendra compte de différentes dimensions du cadrage interprétatif présentes dans les diverses composantes contenues dans les procès éthiques, allant de l’image dénoncée jusqu’à la décision finale. Chacune de ces parties mérite un traitement méthodologique adéquat non seulement aux objectifs de cette recherche, mais aussi aux caractéristiques de chaque document analysé. a) Analyse de la dénonciation L’analyse de la dénonciation implique, en d’autres termes, l’analyse des cadres interprétatifs de la publicité et de la discrimination raciale selon les termes de l’accusation. Autrement dit, il s’agit par là d’aborder la publicité dénoncée à travers les perceptions qu’elle a effectivement engendrées, et non pas à travers ce qu’elle aurait pu signifier, c’est-à-dire en tenant compte d’un certain nombre de possibilités entrouvertes par les modèles de cadrage employés dans la confection de la pièce publicitaire. L’idée, ici, est de cibler les discussions sur la discrimination raciale telles qu’elles ont été historiquement perçues par de sujets concrets. 203 b) Analyse de la défense C’est le cadrage interprétatif de la défense, permettant d’argumenter que la publicité n’est pas discriminatoire. Il consiste en l’analyse des pièces (juridiques ou autre) servant de support pour la position défendue. c) Analyse des positions du CONAR Compte tenu du fait que les décisions du CONAR impliquent également des discussions orales entre les membres du Conseil d’éthique chargés d’analyser le procès, je dois cependant préciser que l’analyse des positions de cet organisme se concentrera exclusivement sur les décisions arrêtées et documentées par écrit. Les différentes positions — des dissensions entre les membres sont possibles et assez fréquentes — peuvent être inférées à partir de deux pièces documentaires précises : 1. Avis du rapporteur. 2. La décision finale détaillant le processus de vote et l’existence ou non d’un consensus (lorsque cette donnée est indiquée dans la décision finale). Toutefois, certaines décisions du CONAR ne sont pas toujours définitives et il se peut que l’une des parties du procès — le plus souvent les publicitaires eux-mêmes — décide de présenter un recours à une deuxième instance, procédure d’ailleurs déjà prévue dans les normes internes du Conseil. Dans ce cas, les étapes a.1 et b peuvent être répétées jusqu’à ce qu’on arrive à la décision définitive. 204 d) Les énonciations des médias C’est l’identification des acteurs ayant accédé à la sphère de visibilité des espaces journalistiques et l’analyse du cadrage interprétatif proposé par les médias. Il s’agit, dans un deuxième temps, de vérifier leur possible rétroaction sur la matière jugée, de même que de mettre en évidence des positions dominantes au sein des médias. Une fois les différentes dimensions analytiques ci-dessus explicitées, je tiens à préciser que l’analyse ne se fera pas forcément dans l’ordre proposé ci-dessus. J’essaierai de garder un ordre chronologique des énoncés, mais seulement dans la mesure où celui-ci ne nuit pas à la compréhension de l’évolution d’un procès. Je conçois les différentes étapes d’un procès comme des blocs d’énonciations qui sont composés, selon Habermas (1987), par des actions langagières, orientées dans le but de prouver l’existence ou l’absence de discrimination raciale dans une publicité particulière. Le processus communicatif émergeant de ces actions a lieu dans le cadre d’un processus d’interaction très particulier, organisé par les normes procédurales du CONAR (voir sect. 6.3). Ceci veut dire, entre autres, que les processus d’interaction discursive ayant lieu au CONAR ne mettent pas forcément tous les locuteurs en situation d’interaction face à face ; au contraire, les membres du Conseil d’éthique sont virtuellement les seuls à prendre acte de tous les énoncés pour émettre leur opinion. Ceux-ci forment leur opinion à partir d’une multitude de sources : les lettres de dénonciation, les documents proposés par la défense — y compris la défense orale devant les membres du Conseil — mais aussi des articles ou reportages parus dans les médias. Deux types d’agir sont également mis en scène devant le tribunal du CONAR : l’agir communicationnel et l’agir instrumental stratégique. Bien que certaines des actions entreprises devant les membres du Comité d’éthique du CONAR présentent une dimension 205 stratégique indéniable, leur efficacité dépend de la réalisation des conditions de compréhension intersubjective qui caractérisent l’acte communicationnel124. Autrement dit, pour être efficace dans la motivation d’une attitude particulière (en vue soit de punir une agence ou un annonceur pour discrimination, soit d’exempter ceux-ci de la faute en question), les conditions de validité de l’acte communicationnel doivent être remplies : « Ainsi, le locuteur prétend à la vérité pour des énoncées ou des présuppositions d’existence, à la justesse pour des actions réglées selon la légitimité ainsi que pour leur contexte normatif, et il prétend à la véracité pour la communication d’expériences vécues subjectives. » (Habermas, 1987, p.116.) Alors que, plus généralement, « chaque procès d’intercompréhension a lieu sur l’arrière-fond d’une précompréhension stabilisée dans la culture », le besoin de prouver l’existence de la discrimination raciale présuppose, en contrepartie, la remise en question du contenu fourni par ces cadres historico-culturels plus larges. En d’autres termes, les situations d’interaction discursive en place constituent des situations problématiques, où « aucun des participants ne détient le monopole de l’interprétation » (Habermas, 1987, p.116). Habermas donne d’autres indices de formes idéales que peuvent prendre les situations où une dispute de cadre interprétatif a lieu : De part et d’autre, la tâche de l’interprétation consiste à faire entrer dans l’interprétation propre de la situation la définition que l’autre en donne, et ce de telle sorte que dans la conception ainsi révisée, ‘son’ monde extérieur ainsi que ‘mon’ monde extérieur puissent l’un et l’autre, sur l’arrière-fond de ‘notre monde vécu’, être relativisé par ‘le monde’, et que les interprétations divergentes puissent ainsi se recouvrir suffisamment. (Habermas, 1987, p.116.) Mon but ici est de faire de cette situation idéale, impliquant la validation d’une interprétation précise, un repère théorique pour approcher le problème interprétatif implicite dans le besoin 124 « Le concept d’activité communicationnelle présuppose le langage en tant que médium pour des procès d’intercompréhension d’une certaine nature, des procès autour desquels les parties prenantes élèvent chacune vis-à-vis de l’autre, en se rapportant à un monde, des prétentions à la validité qui peuvent être acceptées ou contestées. » (Habermas, 1987, p.115.) 206 de prouver l’existence de la discrimination raciale. Je vise également à faire la lumière sur les circonstances où une entente entre locuteurs n’est pas arrêtée, circonstances qui configurent la majorité des décisions émises par les conseils d’éthique du CONAR, comme je le démontrerai dans le chapitre suivant. Pour conclure, j’aimerais énumérer brièvement les procès éthiques ayant fait l’objet d’une discussion publique médiatisée. Ceux-ci constituent un ensemble de neuf cas distribués tout au long des trois phases chronologiques identifiées à partir de l’analyse quantitative des données. Le tableau suivant montre la distribution des procès dans chacune des trois phases, ainsi que le numéro identificateur de chacun d’eux. Les cinq procès identifiés par le symbole (*) seront soumis à l’analyse qualitative dans le prochain chapitre. Ces procès ont été sélectionnés en fonction de leur degré plus élevé de complexité et d’exemplarité. Tableau 6.3 Distribution et identification de procès éthiques pour discrimination raciale ayant fait l’objet d’une couverture médiatique dans trois phases distinctes Phase Nombre de procès N° identification Phase 1 (1979-1989) 3 025-82 * 022-84 118-88 * Phase 2 (1990-1999) 5 076-90 * 229-91* 144-93 128-94 080-95 Phase 3 (2000-2005) 1 068-05 * (*) Procès qui feront l’objet d’une analyse qualitative dans le chapitre VII. Ceci dit, je passerai maintenant à la description de ces données comme parties actives dans le processus de communication publique plus ample entre, d’une part, des citoyens concernés par la publicité discriminatoire et, d’autre part, l’organisme censé juger ces infractions. CHAPITRE VII LES DÉBATS AUTOUR DES PUBLICITÉS ACCUSÉES DE DISCRIMINATION RACIALE J’avais brièvement énoncé, dans le chapitre III, les changements majeurs concernant la notion d’espace public et le rôle des médias de masse dans le contexte démocratique, tels que Habermas les avait conçus dans L’espace public. Ces reformulations s’insèrent dans un programme théorique plus large de réhabilitation de la communication humaine comme outil d’émancipation et de critique sociale, dont les piliers théoriques avaient été inaugurés avec la publication Théorie de l’agir communicationnel (op. cit.), et approfondis dans De l’éthique de la discussion (Habermas, 1992). C’est toutefois dans Droit et Démocratie (op. cit.) que Habermas en tire les conséquences pour son modèle de démocratie délibérative ; celles-ci seront reprises et synthétisées plus tard dans Political Communication in Media Society (op. cit.). Si, jusque-là, les principes directeurs de l’éthique de la communication — publicité, égalité de droits, sincérité, absence de contraintes125 — avaient établi une « situation idéale de parole » presque inatteignable 125 Maia (op. cit.) examine les implications pratiques des quatre présuppositions de rationalité attribuées à la situation idéale de parole selon les termes suivants : « Dans des conditions semblables, tous les arguments et points de vues seraient considérés et les participants seraient prêts à revoir leurs préférences initiales à la lumière de ‘meilleurs arguments’, ainsi qu’à argumenter et contre-argumenter sans que l’on fasse l’usage de coercition, de chantage ou de menaces, afin d’arriver à une compréhension réciproque et à un éventuel accord De plus, le débat serait libre de contraintes de temps et du besoin pratique de prise de décision. » (“ In such conditions, all arguments and viewpoints would receive consideration, and participants would be willing to review their initial preferences in light of ‘better arguments’, as well as to argue and counter-argue without making use of coercion, blackmail or threats, in other to reach reciprocal understanding and eventual agreement. Furthermore, debate would be free from time-constraints and from the pratical need of decision-making”, Maia, 2007, p.72.) 208 dans les pratiques communicatives quotidiennes, Droit et Démocratie a au moins le mérite d’énoncer une vision moins défaitiste des délibérations démocratiques quotidiennes. En effet, la particularité du modèle de démocratie délibérative d’Habermas réside dans le fait que les structures communicatives traversent, en principe, tous les systèmes sociaux. Je commencerai à décrire les différentes composantes du modèle systémique habermassien à partir du centre du système politique. Dans son œuvre plus récente, Habermas explique, très succinctement, que « le centre du système politique est constitué d’institutions familières : parlements, cours, agences administratives et l’Administrationcccviii. » On note pourtant que la description offerte dans Droit et démocratie, à partir du modèle d’écluses de B. Peters, complexifie davantage la notion de système politique central : « Aux marges de l’Administration, on voit se constituer une sorte de périphérie interne de différentes institutions dotées des droits d’autogestion ou de fonctions de contrôle et de compétence déléguées par l’État. » (Habermas, 1997, p.382.) Chaque composant du système politique, note-t-il, correspond à une sphère de délibération spécifique : Chaque branche peut être décrite comme une arène délibérative spécialisée. Le résultat correspondant — décisions législatives et programmes politiques, règlements ou verdicts, mesures administratives et décrets, normes de conduite et politiques — est la conséquence de différents types de délibération institutionnalisée et de processus de négociation.cccix Du côté opposé au système politique, poursuit Habermas, on retrouve le monde vécu, lequel « forme un tissu composé d’actions communicationnelles » (Habermas, 1997, p.381). Partie intégrante du monde vécu, la société civile se détache de la sphère privée de ce dernier pour devenir, disons, sa composante institutionnellement organisée : « Le cœur de la société civile est donc constitué par un tissu associatif qui institutionnalise dans le cadre d’espaces publics organisés les discussions qui se proposent de résoudre les problèmes surgis concernant les sujets d’intérêt général. » (Habermas, 1992, p.394.) Un élément très important : à la base de 209 la définition habermassienne de la société civile, toutefois, demeure l’exercice de certains droits fondamentaux « liés à la liberté d’opinion, [à] la liberté de rassemblement et [au] droit de fonder des associations ou des sociétés » (Habermas, 1997, p.395), faute de quoi la société civile risque de perdre de sa vivacité. « Enfin, le tissu associatif n’est capable d’affirmer son autonomie et de conserver sa spontanéité que dans la mesure où il peut s’appuyer sur un pluralisme librement acquis de formes de vie, de souscultures et de tendances religieuses. » (Habermas, 1997, pp.395-396.) Compte tenu de ces distinctions majeures, j’accepterais volontiers qu’on place le CONAR dans les marges de l’Administration étatique à condition de retenir ceci : le consentement à l’autoréglementation du secteur professionnel publicitaire est concomitant avec le renoncement du gouvernement militaire au pouvoir de réglementer la publicité. Cette abstention au niveau réglementaire étatique a fait en sorte qu’une instance entièrement privée comme le CONAR devienne, au moins durant une certaine période, la seule instance légitime pour juger les éventuelles transgressions éthiques dans la publicité commerciale. Comme je l’ai opportunément démontré (voir chap. 5, sect. 5.5), ce scénario ne changera partiellement qu’à partir de 1991, avec l’approbation du CBDC. Dès lors, la place occupée par le CONAR dans le système politique brésilien demeurera quelque peu incertaine, compte tenu de la controverse autour de l’existence ou non d’un système réglementaire mixte au Brésil. Néanmoins, affirme Habermas, dans des circonstances concrètes du monde réel, les instances du système politique peuvent devenir des instances autonomes de pouvoir, mettant en péril sa propre légitimité : ainsi, « les systèmes de négociation paraétatiques, dépourvus de liens effectifs avec les organismes parlementaires et l’espace public, provoquent des problèmes de légitimité et, étant plutôt spécialisés dans les questions de coordination fonctionnelle, sont dépassés par la pression des problèmes cognitifs. » (Habermas, 1997, p.379.) À cet effet, la remise en question de la légitimité du CONAR à l’heure actuelle résulte moins de son manque d’articulation politique au sein des sphères législatives nationales (voir chap. 5, sect. 5.5.1), que de la contestation de son autorité pour juger des sujets contentieux à caractère subjectif et/ou moral. Il reste que le pouvoir d’articulation et de pression de la classe 210 publicitaire au sein des sphères décisionnelles n’est pas négligeable, comme le démontre bien la récente querelle entre le CONAR et l’Agência Nacional de Vigilância Sanitária (ANVISA)126. En ce qui concerne particulièrement l’existence de problèmes cognitifs découlant de la spécialisation fonctionnelle du CONAR, cette question ne fait pas l’objet de mes préoccupations dans ce travail. Finalement, à la lumière de ces diverses critiques soulevées par Habermas, celle qui me semble le plus s’adapter à mon objet d’études se réfère au manque de connexion entre le CONAR et les discussions morales en vigueur dans l’espace public national. Toutefois, celle-ci est une question à laquelle on ne peut répondre avant l’analyse du corpus empirique. Compte tenu de cela, mais aussi du fait qu’une analyse en profondeur de la dimension institutionnelle du CONAR ne fait pas l’objet premier de ce travail, j’ai cru plus pertinent d’entreprendre une brève évaluation de cette institution dans un chapitre postérieur, en tenant compte de variables plus générales comme l’inclusion, le dialogue et la délibération. Ainsi, bien que les formulations de Habermas rapprochent la « formation de l’opinion et (…) de la volonté institutionnalisée dans les organismes parlementaires de l’État de droit (ainsi que dans la pratique de la décision judiciaire) » (Habermas, 1997, p.398), ce n’est pas le CONAR comme un tout, mais plutôt le fonctionnement de son tribunal d’éthique, qui m’intéresse plus particulièrement. Comme cela a été indiqué antérieurement, le CONAR est un organisme tripartite, conjuguant à la fois les fonctions exécutive, législative et judiciaire (voir chap. 6, sect. 6.3.1). Au lieu d’examiner les formes délibératives à l’intérieur de son assemblée générale visant à, par exemple, établir une nouvelle réglementation pour un 126 Suite à la décision de l’ANVISA de durcir les normes permettant la publicité d’aliments, de boissons alcoolisés et de médicaments, le CONAR a diffusé un communiqué public en rappelant qu’il revenait à l’État, et non à une agence gouvernementale, de réglementer la publicité commerciale. La chambre des députés fédéraux à Brasilia a alors tenu une consultation publique le 4 octobre 2007, en se prononçant finalement contre les initiatives de l’ANVISA. La querelle en question concernait ainsi une dispute de compétences pour réglementer la publicité opposant, d’une part, une agence nationale à composition mixte privée-publique (l’ANVISA) et, de l’autre, une entité privée liée au secteur professionnel publicitaire (le CONAR). En effet, cette décision renforçait la tradition de nonintervention étatique, en reconnaissant une fois de plus la compétence exclusive du CONAR en la matière. 211 secteur de produits ou de services quelconque, je me pencherai exclusivement sur la branche judiciaire de cet organisme : le Comité d’éthique. Tout d’abord, ce qui me semble particulièrement évident dans ce comité, ce sont les problèmes d’ordre procédural agissant, dans les procès éthiques, sur les délibérations entre les parties impliquées. Comme je l’ai décrit dans le chapitre précédent (voir sect. 6.3), les procédures internes du Comité d’éthique de réception et de traitement des plaintes sous la forme de procès éthiques comportent au départ une limitation importante: la distribution asymétrique du droit de parole en faveur du secteur publicitaire et de l’annonceur accusés dans le procès éthique, car les jugements ont lieu en l’absence totale de la partie plaignante. En effet, cette asymétrie peut contribuer davantage à limiter l’autonomie de ce tribunal de rendre des décisions indépendantes vis-à-vis des intérêts corporatifs de ses associés. À cela s’ajoute également le manque de visibilité publique dans les processus délibératifs internes, étant donné que les séances se déroulent à huis clos. Cette limitation inhibe, au moins, l’exercice de la quatrième catégorie de droits fondamentaux identifiés par Habermas127. Selon celle-ci, les individus ont « des droits fondamentaux à participer à égales chances aux processus de formation de l’opinion et de la volonté constituant le cadre dans lequel les citoyens exercent leur autonomie politique et à travers lequel ils instaurent un droit légitime » (Habermas, 1997, p.140). En transposant l’application de ces droits aux situations propres à un tribunal éthique comme celui du CONAR, ceci correspondrait en outre à des conditions égales d’argumentation entre les parties dans le cadre d’un procès équitable. Compte tenu des caractéristiques procédurales 127 Habermas identifie dans Droit et Démocratie cinq catégories de droits fondamentaux. Outre la catégorie énoncée ci-dessus, l’auteur nous fait part des droits fondamentaux : 1) résultant du développement politiquement autonome du droit à l’étendue la plus grande possible des libertés subjectives d’actions égales pour tous ; 2) résultant du développement politiquement autonome du statut de membre dans une association volontaire de sociétaires juridiques ; 3) résultant de l’exigibilité des droits et du développement politiquement autonome de la protection juridique individuelle ; et finalement 5) des droits fondamentaux à l’octroi de conditions de vie assurées aux niveau social, technique et écologique, dans la mesure où celles-ci s’avèrent nécessaires pour la jouissance à l’égalité de chances des droits civiques énumérés antérieurement. 212 internes du Comité d’éthique — responsable du jugement des infractions au CBARP —, la seule source de visibilité intervenant éventuellement dans ces procès est représentée par les médias de masse. Ceci renforce l’importance, déjà soulignée par Habermas dans Droit et Démocratie, concernant la fonction critique de ces médias en tant qu’instance médiatrice entre le système politique et le monde vécu : Conformément à la conception de la politique délibérative, ils expriment une idée régulatrice assez simple : les mass media doivent se concevoir comme les mandataires d’un public éclairé dont ils présupposent, attendent et renforçent à la fois la volonté d’apprendre et la capacité critique ; comme la justice, ils doivent rester indépendants des acteurs politiques et sociaux ; ils doivent se charger impartialement des préoccupations et des suggestions du public et, à la lumière de ces thèmes et de ces contributions, contraindre le processus politique à se légitimer et à accepter une critique plus vigilante. (Habermas, 1997, p.406.) Certes, on ne peut pas s’empêcher de mettre en évidence le fossé existant entre, d’un côté, le niveau d’abstraction de cette vision plus normative du journalisme critique et de l’autre, la dimension concrète dont font état les diverses études empiriques dans le champ de la communication. Cette dimension normative est toujours présente dans les réflexions de Habermas, bien que l’auteur s’attarde notamment, dans son article plus récent Political communication in media society (op. cit.), sur un certain nombre d’études empiriques afin de discuter des pathologies de la communication politique. En contrepartie, Habermas complexifie davantage sa description des modes opératoires de la presse, en rendant compte de l’action d’une variété d’acteurs qui interviennent quotidiennement dans cette structure de médiation entre le monde vécu et le système politique : Ces acteurs entrent sur scène à partir de trois points : les politiciens et les partis politiques partent du centre du système politique ; les lobbyistes et les groupes d’intérêts spéciaux viennent des points privilégiés des systèmes fonctionnels et les groupes de statut qu’ils représentent ; et les avocats, les groupes d’intérêts publics, églises, intellectuels et entrepreneurs moraux viennent de la toile de fond de la société civile.cccx 213 Les médias deviennent ainsi l’espace où une multitude d’opinions publiques considérées acquièrent de la visibilité sociale. Ce faisant, les médias rendent manifestes les diverses positions existantes autour de questions controversées. Ces opinions constituent un seuil à partir duquel les divers acteurs choisissent l’interprétation qui leur semble la plus plausible et pertinente. Dans cette perspective, les médias de masse participent activement à la délibération politique plus large, devenant ainsi une composante substantielle du processus démocratique. Les médias sont donc censés accomplir trois fonctions : 1) mobiliser et mettre en commun les questions pertinentes et l’information requise, afin de spécifier les interprétations ; 2) traiter discursivement ces arguments par le biais d’arguments pour et contre ; 3) générer des attitudes de oui et non rationnellement motivées censées déterminer le résultat de décisions correctes du point de vue procédural.cccxi Une fois les divers acteurs du modèle délibératif définis, ainsi que les fonctions de base des médias de masse, il ne me reste qu’à décrire les formes idéales de circulation de l’opinion entre ces différentes instances, dans ses grandes lignes. Il faut, tout d’abord, faire usage d’un peu d’imagination pour envisager comment ce modèle plus abstrait pourrait servir de guide d’interprétation pour le processus de communication publique ayant lieu entre le CONAR, les médias et, éventuellement, d’autres acteurs du système politique, à l’occasion du jugement de procès éthiques de discrimination raciale. Si l’on tient compte de la typologie d’espace public présentée dans le chapitre III (voir sect. 3.1), on pourrait assurément identifier un grand nombre d’espaces publics épisodiques formés au sein du monde vécu préalablement à le dépôt d’une plainte formelle au sein du CONAR. Toutefois, les espaces publics épisodiques sont difficiles à saisir, compte tenu de leur spontanéité, de leur décentralisation, et du fait que ces procès ont été déposés tout au long de 26 années. Autrement dit, bien que le processus de formation de l’opinion et de la volonté ait en effet une double orientation — « un mode de formation institutionnalisé et un mode de formation informel » (Habermas, 1997, p.340) —, ce sont les formes institutionnalisées qui m’intéressent de manière plus précise. Ceci réduit donc l’ampleur de cette enquête aux deux formes d’espaces publics restantes. D’une part, la notion d’espaces publics abstraits, 214 « composés de lecteurs, d’auditeurs et de spectateurs à la fois isolés et globalement dispersés » (Habermas, 1997, p.401), ne semble poser aucun problème : comme je le démontrerai dans les prochaines sections, un certain nombre de procès ont effectivement fait l’objet d’une couverture médiatique, le taux de reconnaissance du dommage étant généralement plus élevé chez ces derniers. D’autre part, c’est l’insertion du CONAR dans la catégorie d’espace public organisé qui requiert quelques précautions additionnelles. Comme je l’avais mentionné antérieurement, l’analyse de procès éthiques se fera exclusivement à partir des documents écrits qui y figurent, c’est-à-dire sans tenir compte des circonstances réelles de délibération orale entre les membres du conseil. Ensuite, c’est justement le peu de visibilité des discussions ayant lieu au sein du CONAR qui m’amène à mettre entre parenthèses l’idée selon laquelle les comités d’éthique constituent de véritables espaces publics organisés. Dans ce sens, la notion de minipublic développée par Archon Fung (2004) pourrait apporter quelques pistes fructueuses pour combler la généralité du terme espace public organisé128. En m’inspirant de cette notion, j’utiliserai le terme micropublic pour me référer spécifiquement au groupe de conseillers composant les Comités d’éthique du CONAR, comités dont les dimensions sont plus restreintes que celles du minipublic critique, selon la définition d’Archon Fung. Bref, le concept de micropublic permet de différencier le public interne à faible dimension du CONAR, d’un public abstrait plus grand, formé par les médias de masse. Un autre aspect qui mérite d’être précisé au niveau de l’analyse empirique est le principe de « porosité » que Habermas attribue aux différentes catégories d’espaces publics. Alors que l’auteur estime d’emblée qu’« en dépit de ces multiples différentiations, tous ces espaces publics partiels, pour autant qu’ils se fondent sur l’emploi du langage ordinaire, restent cependant poreux les uns pour les autres » (Habermas, 1997, p.401), je préférerais faire 128 Selon Archon Fung, minipublic correspond à « une classe intermédiaire d’institutions démocratiques, mitoyenne des agences administratives et des associations secondaires, en opposition à des constitutions ou structures de base » (“classe intermediária das instituições democráticas e associações secundárias ao invés de constituições ou estruturas básicas ”, Fung, 2004, p.173). 215 montre d’une certaine prudence afin de mieux évaluer les limites concrètes de la supposée porosité et de son adéquation aux discussions ayant lieu au CONAR. Plutôt que d’accepter ce principe comme un état de fait, je me propose de vérifier empiriquement dans quelle mesure ces deux instances de formation d’opinion se chevauchent et échangent d’importantes interprétations sur le problème de la discrimination raciale dans la publicité. Il me semble toutefois pertinent de préciser que les acteurs sociaux ayant exprimé leur mécontentement vis-à-vis d’une publicité tenue de promouvoir la discrimination raciale représentent, en fait, une pluralité d’acteurs issus de divers domaines. Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, les sujets qui se sont effectivement attaqués au problème de la discrimination raciale dans la publicité ne se résument pas aux acteurs de la société civile ; ils concernent également les acteurs liés à la fois au centre du système politique et au secteur publicitaire même. Comme je le démontrerai dans ce chapitre, autant les raisons sur lesquelles ils s’appuient que les motivations initiales peuvent en effet varier énormément, non seulement entre les divers acteurs, mais aussi en fonction du temps. Une dernière remarque avant de conclure cette brève ébauche théorique : si j’ai omis d’énoncer une définition claire et définitive de discrimination raciale jusqu’à maintenant, c’est tout simplement parce qu’une multitude de définitions ont été mises à l’épreuve tout au long des 26 ans de fonctionnement du CONAR. Comme je l’ai discuté dans le chapitre antérieur (voir chap. 6, sect. 6.4), bien que l’article 20 définissant la discrimination raciale comme une infraction au code d’éthique publicitaire date de 1978 — année d’approbation du CBARP —, celle-ci reste formellement rattachée aux normes de la Constitution en vigueur. Toutefois, les textes internationaux peuvent, eux aussi, résonner sur les discussions en cours dans les divers procès éthiques. Ces différentes variantes autour de la définition de discrimination raciale seront examinées de façon adéquate dans une perspective diachronique, au fur et à mesure que chaque procès éthique sera analysé individuellement. Dans les prochaines sections, je présenterai les données recueillies lors du travail de terrain. Les informations sont regroupées dans deux volets distincts : 1) une analyse quantitative 216 préliminaire de façon à faire la mise en contexte des procès de « discrimination raciale » ; 2) une analyse qualitative des cinq exemples de procès pour discrimination raciale ayant reçu une couverture médiatique. 7.1 Description quantitative du corpus de procès éthiques pour discrimination raciale 7.1.1 Aperçu général des procès pour discrimination raciale Le nombre de procès fondés sur l’article 20 du CBARP, qui porte sur la discrimination (toute forme confondue), est de 168, sur un total de 5 540 procès ouverts au sein du CONAR entre 1979 et 2005. Ceci équivaut à quelque 3,32 % du total indiqué. Cependant, si l’on considère seulement le nombre de procès éthiques ayant mentionné le problème de la discrimination raciale — un total de 31 procès —, cette proportion demeure encore plus faible et ne compte que pour environ 0,55 % du total des plaintes. Toutefois, une augmentation sensible peut être identifiée à partir de l’année 2000 : 64 % du nombre total de dénonciations impliquant au moins une forme de discrimination ont en effet été déposés à partir de cette année-là. Quelque 45,16 % de ces dénonciations de discrimination raciale se concentrent surtout à partir de 2000, l’année précédant la Conférence pour l’élimination de toutes formes de discrimination, réalisée par l’ONU à Durban, en Afrique du Sud. Toutefois, les dynamiques de croissance entre la catégorie générale de discrimination et celle, plus spécifique, de discrimination raciale, ne sont pas les mêmes, comme le démontre bien la figure ci-dessous. 217 30 25 20 15 10 5 0 Discrimination (toutes catégories confondues) Discrimination raciale 19 79 19 81 19 83 19 85 19 87 19 89 19 91 19 93 19 95 19 97 19 99 20 01 20 03 20 05 Nombre de procès Évolution du nombre de procès de discrimination déposés au sein du CONAR Années Figure 7.1 Cadre comparatif de l’évolution du nombre de procès pour discrimination et de procès pour discrimination raciale déposés au CONAR entre 1979 et 2005 En fait, la comparaison des courbes de croissance entre la catégorie plus générale et celle plus spécifique nous permet de tirer quelques conclusions provisoires. D’abord, les données en question nous permettent non seulement d’évaluer le rythme de croissance de variantes autres que la discrimination raciale, mais aussi de réaliser que cette croissance se fait à deux vitesses différentes. De plus, la superposition des courbes indique que la discrimination raciale était la principale forme de discrimination discernée durant les deux premières années de fonctionnement de la Commission d’autoréglementation publicitaire. Deux explications possibles peuvent être données compte tenu de ce cadre évolutif général. La première relève de la dimension plus objective des différences d’ordre racial au Brésil. Le legs colonial — à l’origine de différences si effrayantes dans les conditions de vie et d’accès à des ressources entre les différents pans de la population — est tellement remarquable que la perception de la discrimination dans sa variante raciale a été favorisée au détriment d’autres formes subsidiaires, comme la discrimination de genre, d’orientation sexuelle, d’âge, etc. Toutefois, les dimensions plus subjectives de la prise de conscience et de la formulation du problème de la discrimination doivent aussi être prises en considération. Ceci équivaut à dire que les accusations de discrimination raciale ne relèvent pas seulement des conditions matérielles existantes, mais aussi de la capacité (et possibilité) des individus de prendre conscience de ces conditions, de manière à intervenir de façon pragmatique. Or, ces données 218 semblent indiquer que la prise de conscience du problème de la discrimination raciale (qui peut, elle aussi, comporter de fortes connotations de genre, par exemple) est antérieure à celle d’autres formes de discrimination, au moins en ce qui concerne plus spécifiquement le contexte de la publicité. Quoi qu’il en soit, la différence entre ces courbes ne s’est accentuée qu’à partir de 1995, ce qui me pousse à croire que la perception et la dénonciation de formes de discrimination autres que la discrimination raciale tendent à gagner de plus en plus d’espace. On doit également tenir compte du fait que cette dissociation a été encore plus prononcée dans les années 1997 et 2000, respectivement, même si les sommets respectifs des deux courbes correspondent aux mêmes années : 2003 et 2005. Pour ce qui est spécifiquement de l’évolution quantitative des procès de discrimination raciale, on dénote une croissance du nombre de ces procès principalement à partir de l’année 2000. Quoique moindre par rapport à l’augmentation totale du nombre de procès de discrimination, celle-ci n’est pas pour autant moins significative. En effet, si l’on tient compte uniquement du nombre de procès pour discrimination raciale déposés auprès du CONAR entre 2000 et 2005, on verra que le plus grand nombre correspond aux 5 dernières années examinées, représentant quelque 45,16 % du total des procès de cette catégorie analysés tout au long des 26 ans de fonctionnement de l’institution. 7.1.2 Distribution des procès pour discrimination raciale selon le groupe cible Le tableau A.1 permet de mieux comprendre la répartition des procès de discrimination tout au long des années, ainsi que leur proportion par rapport au nombre général de procès menés chaque année par le CONAR. La repartition du nombre de procès faisant spécifiquement partie de la catégorie « discrimination raciale » est décrite dans le tableau A.2. Les données compilées des 31 procès éthiques selon le public cible et la catégorie raciale sont résumées dans le tableau ci-après (Tableau 7.1.). 219 Tableau 7.1 Distribution des procès éthiques selon le public cible et la catégorie raciale Catégories raciales* N° Procès éthiques % Total procès discrim. raciale discrim. raciale Afro-Brésiliens 21 67,74 Nippo-Brésiliens 7 Sino-Brésiliens 1 25,80 Blanc Euro-Brésiliens 1 3,22 Autre Discrimination raciale 1 3,22 31 100 Negro (preto +pardo) Jaune Groupes cible au sens large Nombre total de procès ∗ Selon les catégories raciales adoptées par l’IBGE. Ces chiffres démontrent bien que la cible raciale la plus attaquée selon les procès du CONAR est celle des Noirs (toutes les sous-divisions concernant l’âge, le genre, etc., étant comprises). Ceux-ci comptent pour 67,74 % du total des plaintes pour discrimination raciale. La deuxième catégorie raciale la plus visée est composée par deux groupes cibles : les Nippobrésiliens et les Sino-brésiliens. Ensemble, ces derniers représentent 25,80 % des plaintes. Seulement 3,22 % des plaintes ont touché le groupe racial dominant, nommé ici Eurobrésiliens. Seule une plainte (3,22 %) n’a pas concerné une cible précise mais, d’une façon plus générale, le raisonnement même qui mène à la distinction et à la discrimination raciale. Si l’on tient à observer l’ensemble des procès pour discrimination raciale selon le type de décision arrêtée (voir tabl. A.3), on trouvera que si, d’un côté, le nombre de dénonciations a réellement augmenté, de l’autre les réactions face à celles-ci sont largement supérieures. Pour ce qui est exclusivement des dénonciations impliquant la discrimination raciale, la quantité de procès dans lesquels il n’y a pas eu de forme de reconnaissance du dommage — retrait de la circulation, mise aux archives sous conditions, retrait de la circulation avec avertissement, avertissement et conciliation — arrive à 70,96 % du total des cas (soit 21 sur 31 procès au total). Autrement dit, le taux d’inculpation concernant tous les cas de discrimination raciale 220 est très faible — environ 29,04 % des cas ayant obtenu au moins une forme de reconnaissance du dommage. Cependant, ce même taux est plus élevé chez les cas ayant fait l’objet de l’attention médiatique que chez ceux dont les discussions sont restées restreintes à l’espace institutionnel du CONAR. Ainsi, si l’on compare le taux de reconnaissance du dommage chez ces deux groupes de procès (avec et sans visibilité médiatique), on verra que ce taux est plus élevé chez le premier groupe (55,55 %) que chez le deuxième (22,72 %). Le nombre absolu de procès ayant obtenu une reconnaissance du dommage est somme toute le même dans les deux groupes — 5 procès — alors que le nombre de procès ayant fait l’objet de l’attention des médias (9 procès) est largement inférieur à ceux qui n’y ont pas eu droit (22 procès). Ceci m’amène à croire que la visibilité médiatique joue un rôle fondamental dans la médiation du débat social autour des publicités accusées de discrimination raciale. De plus, la non-reconnaissance du dommage touche davantage certains groupes que d’autres. Si l’on compare le nombre de procès ayant une forme de reconnaissance du dommage selon le public cible, les résultats sont encore plus surprenants : seulement 28,57 % des décisions des procès ouverts impliquant une discrimination raciale contre les Afro-Brésiliens ont présenté l’une des formes de reconnaissance du mérite citées antérieurement. Les NippoBrésiliens, en contrepartie, ont atteint l’une ou l’autre des reconnaissances dans 42,85 % de leurs procès éthiques. Ce taux s’élève à 50 % du total de procès ouverts concernant les groupes cibles des Nippo-Brésiliens et Sino-Brésiliens pris ensemble. Ceci dénote évidemment les faibles taux de « réussite » des plaintes faisant état d’une discrimination raciale contre le groupe cible des Afro-Brésiliens, et ce, en dépit du fait que, comme on l’a vu antérieurement, ces derniers soient visés par 67,74 % des procès éthiques. 7.1.3 La distribution des procès en fonction du temps Notre objet d’étude étant les débats publics autour des publicités dénoncées par discrimination raciale, la description des procès éthiques doit tenir compte d’au moins deux 221 dimensions d’analyse cruciales pour sa compréhension : la distribution de ces procès éthiques en fonction du temps, la catégorie raciale ciblée ainsi que l’existence ou non d’une couverture médiatique dans chaque procès de discrimination raciale. Après une première lecture des 31 procès éthiques « typiques », il m’a été possible de vérifier leur évolution syntagmatique tout au long des 26 ans de fonctionnement du CONAR. En fait, tous ces procès ont présenté quelques similitudes et dissemblances particulières permettant leur classification en trois phases distinctes, soit : 1) de 1979 à 1989 ; 2) de 1990 à 1999 ; et 3) de 2000 à 2005. Cette répartition a en fait été possible par la prise en considération des dimensions interne et externe des procès éthiques. Par dimension interne, je considère notamment les changements observés en ce qui concerne les représentations publicitaires considérées comme discriminatoires, le type et le nombre de dénonciateurs par procès, ainsi que le principal groupe ciblé par la publicité dénoncée. De son côté, la dimension externe comprend des changements opérés dans les contextes socio-économique et juridique plus ample au Brésil, comme la mise en place d’une nouvelle Constitution avec la fin de la dictature, l’ouverture du marché de consommation aux produits étrangers129, le changement du discours officiel du Brésil face aux instances multilatérales comme l’ONU — particulièrement en ce qui concerne le problème de la discrimination raciale130. Dans les prochaines pages, je vais fournir un bref portrait de chacune des phases précédentes en tenant compte des variables décrites dans la section 6 (voir tabl. A.6). Quelques-uns des aspects mentionnés ci-dessus peuvent être visualisés dans le tableau suivant, qui organise la distribution des procès en trois grandes phases distinctes selon : a) l’existence ou non d’une couverture médiatique dans un procès donné ; et b) les catégories raciales des publics cibles. 129 Cette ouverture a été initiée par le Président Fernando Collor de Mello (1990-1992), puis consolidée par le Président Fernando Henrique Cardoso durant son premier gouvernement (19951998). 130 Les changements majeurs justifiant la division des procès éthiques en ces trois phases seront opportunément abordés dans l’analyse qualitative des 5 procès ayant fait l’objet d’une couverture médiatique (voir chap. 7, sect. 7.2). 222 Tableau 7.2 Distribution des procès éthiques de discrimination raciale dans trois phases distinctes selon la présence d’une couverture médiatique et la catégorie raciale Phase Couverture OUI Phase 1 Phase 2 Phase 3 (1979-1989) (1990-1999) (2000-2005) NON Total OUI NON partiel médiatique Total OUI NON partiel Total Total partiel catég. Catég. Noire 3 2 5 4 2 6 1 9 10 21 raciales Jaune - 1 1 1 4 5 - 2 2 8 Blanche - - - - - - - 1 1 1 Autre - - - - - - - 1 1 1 3 3 6 5 6 11 1 13 14 31 Total par phase a) Phase 1 : de 1979 à 1989 Cette phase est celle ayant les plus faibles taux de dénonciation. Globalement, six procès ont été intentés dans les 10 premières années de fonctionnement du CONAR, ce qui équivaut à une moyenne de 0,6 dénonciation par année. Trois types de dénonciateurs particuliers se font remarquer dans cette période : a) tout d’abord, des publicitaires membres du CONAR, b) ensuite, des organismes liés aux droits de la personne ; c) finalement, des instances publiques, la plupart ne présentant qu’un seul dénonciateur. Les principaux publics ciblés par les publicités discriminatoires sont les Afro-Brésiliens (5 procès), d’abord, suivis des Nippo-Brésiliens (1 seul procès). Les arguments soulevés dénoncent la permanence de certaines images historiquement enracinées, associées à des expériences particulières telles que : en premier lieu, l’esclavage, comme dans l’annonce où une domestique noire est attachée à une chaise par des enfants 223 blancs (procès n° 118/88) ; ensuite, des conditions socio-économiques qui seraient supposément celles des premiers arrivants nippo-brésiliens, comme dans la publicité d’électroménagers de la marque Walitta, où ces derniers sont représentés comme membres de familles nombreuses et associées au travail dans les buanderies (procès n° 133/82). Le caractère amateur de la défense est rendu évident, puisque cette tâche est majoritairement assurée par les publicitaires ou les annonceurs concernés par les dénonciations. En termes strictement proportionnels, c’est également dans cette phase que nous retrouvons le plus haut taux de procès pour lesquels il y eut une reconnaissance du dommage (50 % du total des plaintes) et le plus haut taux de visibilité médiatique (50 % des procès). b) Phase 2 : de 1990 à 1999 La deuxième phase se caractérise par une augmentation du nombre de dénonciations raciales — 11 procès au total —, ce qui démontre une augmentation d’environ 183 % par rapport à la période précédente. En ce qui concerne les dénonciateurs, on a repéré la participation plus importante des membres issus des mouvements sociaux et le déclin de l’initiative des membres du CONAR. Les Afro-Brésiliens (6 procès) et les Nippo-Brésiliens (4 procès) demeurent les publics cibles les plus visés par les publicités discriminatoires, quoique la croissance des procès soit plus accentuée pour ces derniers (400 % par rapport à la période précédente) que pour le groupe précédent (20 % pour la même période). Les Sino-Brésiliens (1 procès) ont, eux aussi, été la cible d’une publicité discriminatoire, reliée à la seule dénonciation déposée par ce groupe durant toute la période analysée. C’est aussi dans cette phase que l’on trouve les cas ayant eu le plus d’attention médiatique dans toute l’histoire du CONAR, comme la publicité du Cahier 2 du journal Estado de São 224 Paulo (procès n° 144/93) qui utilisait un acteur noir pour donner l’exemple de ce qu’était supposément un modèle de laideur ; ou encore celle de la marque Benetton (procès n° 229/91), où une jeune fille blonde avec des yeux bleus, souriante, est placée à côté d’une jeune fille noire, coiffée comme si elle avait des cornes. (C’est une référence à la dualité judaïque chrétienne de l’ange, symbolisée par la beauté de la fille blonde versus la fille noire avec ses cornes endiablées). Ici, les images négatives véhiculées dans la publicité sont, d’une certaine façon, plus métaphorisées que celles de la phase initiale. C’est une phase de grandes polémiques internes : les décisions de première instance sont parfois revues et les discussions et décisions du CONAR souffrent plus de la pression des organismes externes. On y voit le début de ce que nous considérons comme un mouvement de professionnalisation de la défense, avec la mise en scène d’avocats professionnels, spécialement instruits pour intervenir dans cette sphère de délibération. Même si le nombre de procès ayant fait l’objet de l’attention des médias dans cette phase est supérieur à celui de la phase antérieure (5 procès), on note une légère diminution de ce nombre si l’on considère ceux-ci proportionnellement au nombre total de procès déposés pendant cette phase : quelque 45,5 % ont été exposés à l’attention médiatique, contrairement à 50 % de la phase antérieure. c) Phase 3 : de 2000 à 2005 Dans cette dernière phase, 14 procès ont été déposés auprès du CONAR, ce qui représente une augmentation de 127 % du nombre de dénonciations par rapport à la période précédente. La plupart des dénonciateurs sont des membres de la société civile, ou pour le moins, des personnes qui ne revendiquent pas l’appartenance à des organismes ou associations. Plus intéressant encore, les dénonciateurs semblent parfois même ne pas s’accorder sur les points considérés critiquables dans la publicité en discussion. 225 Les Afro-Brésiliens (10 procès) et les Nippo-Brésiliens (2 procès) demeurent les publics cibles privilégiés dans les procès. Cependant, le nombre de cas touchant le premier groupe a augmenté d’environ 166 %, alors que ce nombre a été réduit de 50 % pour les NippoBrésiliens. C’est aussi dans cette phase que l’on voit pour la première fois une dénonciation remettre en question des comportements discriminatoires qui ne font pas référence à un groupe racial ou ethnique spécifique et qui dénoncent une publicité censée promouvoir la discrimination au sens large (procès n° 115/01). Finalement, c’est la seule phase où un procès a concerné une discrimination contre les Blancs, en l’occurrence une femme blonde (procès n° 128/01). Je tiens à faire remarquer, d’un côté, une évolution dans la profondeur des arguments de l’accusation, désormais plus porteurs de nuances, et qui visent à exposer au micropublic formé par le tribunal d’éthique des sens « cachés » ou préconscients dans lesquels les publicitaires laissent entrevoir le caractère racialement biaisé de leur vision du monde. De l’autre, on peut également rendre compte d’une plus grande organisation de la défense, cette fois-ci entièrement professionnalisée. La défense utilise trois stratégies principales pour discréditer l’accusation : a) la remise en contexte de la publicité dénoncée dans l’ensemble de la campagne publicitaire pour laquelle celle-ci a été conçue ; b) la réduction de la dénonciation à la sphère de l’opinion personnelle, individuelle et, en conséquence, peu représentative de l’ensemble de la collectivité à laquelle elle se dirige ; c) l’utilisation de sondages et de données obtenues à partir des groupes focaux pour justifier l’emploi de certaines images et représentations dans la publicité dénoncée. Paradoxalement, si c’est dans ces dernières années que nous observons les plus hauts taux de participation civique — et ce grâce à l’Internet, qui semble être l’outil majeur à l’appui de 226 cette nouvelle forme de « rassemblement populaire » —, c’est également ici que nous observons le plus grand nombre de procès dans lesquels il n’y a eu aucune reconnaissance du dommage (12 procès sur 14, soit 87,71 % des procès déposés). 7.1.4 Les perspectives de genre et de tranche d’âge Une analyse des procès éthiques de discrimination raciale selon le genre et la tranche d’âge du public cible fournit un nouvel aperçu de celle-ci (voir tabl. A.4). La première conclusion qu’on en tire vis-à-vis de la discrimination raciale est qu’en tenant compte de tous les publics cibles indistinctement, les hommes sont en général plus touchés que les femmes : ceux-ci sont représentés dans 15 procès sur 31 (environ 48,38 % du total), alors que les femmes sont la cible principale dans 8 procès (soit 25,80 % du total). La troisième catégorie comprend quelques dénonciations touchant des groupes mixtes (7 procès sur 31), où les deux genres partagent l’espace de la représentation, et une publicité qui aborde le problème de la discrimination raciale sans faire référence à un public cible en particulier. Ensemble, ces derniers comptent, respectivement, pour 22,58 % et 3,22 % des procès. Cependant, la distribution des procès selon les catégories de genre et de race révèle un tout autre scénario, ce qui démontre la pertinence de l’intersection entre ces deux variables pour l’univers analysé. En croisant les catégories « public cible » et « genre », on découvre, par exemple, que la différence entre le nombre de procès touchant les femmes (7 procès) et les hommes (8 procès) n’est pas significative pour les Afro-Brésiliens qui, à leur tour, constituent le public cible le plus attaqué. Par contre, les femmes noires constituent la seule souscatégorie discriminée dans toutes les tranches d’âge, c’est-à-dire en tant qu’enfant, adulte et aînée. Autrement dit, aucune autre sous-catégorie n’est attaquée de manière si diversifiée. 227 Deuxième point à retenir de cette intersection : le groupe dominant sur le plan social — les Euro-Brésiliens — est ici représenté exclusivement par les femmes — une femme blonde notamment131. Troisième point : si l’on aborde le cas des Nippo-Brésiliens et des Sino-Brésiliens en une seule catégorie raciale — la catégorie « jaune » antérieurement décrite —, les hommes demeurent la cible principale dans 7 procès sur 8 (ou 87,5 % des cas). La seule exception est trouvée dans un procès représentant une famille nippo-brésilienne. Dernier aspect saillant : l’unité familiale des Afro-Brésiliens est la plus visée avec 3 procès sur 4 (75 % du total) déposés entre 2000 et 2005. Compte tenu de ces données, je tiens encore à souligner que la distribution des procès selon le genre et la tranche d’âge n’a pas subi de changements notables en fonction du temps, à l’exception de l’unité familiale afro-brésilienne déjà mentionnée. Ceci s’explique, très possiblement, par l’incorporation assez tardive de l’unité familiale noire dans l’univers des représentations publicitaires. 7.1.5 Les procès faisant l’objet d’une visibilité médiatique La sous-division de chaque phase selon les deux sous-groupes de procès pour discrimination raciale — d’une part ceux qui ont attiré l’attention des médias et, d’autre part, ceux dont les discussions sont restées restreintes aux dépendances du CONAR — apporte quelques 131 Il est important, au niveau analytique, de cerner deux formes de représentation de la blancheur dans les publicités brésiliennes. La première forme, que j’appelle ici « luso blanche », reproduit les traits phénotypiques suivants : peau blanche, cheveux et yeux noirs. La deuxième forme, que j’appellerai « blanche aryanisé », correspond au phénotype « peau blanche, cheveux blonds ou clairs, yeux clairs ». Cette sous-division est essentielle pour l’attribution de rôles spécifiques dans les représentations de succès et de réussite. Je reviendrai sur cette distinction lors du traitement qualitatif des publicités ayant généré une discussion publique. 228 données supplémentaires en ce qui concerne le pouvoir des médias d’agencer les débats sur la discrimination. Le tableau 4 (app. 4) résume et complète les données décrites antérieurement, en considérant séparément le groupe de procès ayant eu une couverture médiatique. La première impression qui ressort est l’absence d’une relation nécessaire entre la présence de la visibilité médiatique et le type de dénonciateur. Par exemple, en ce qui concerne les procès sans couverture médiatique de la phase 3, la présence de six dénonciateurs issus d’instances gouvernementales et/ou de représentants politiques n’a pas impliqué de surexposition de ces procès à la visibilité publique générée par les médias. Bref, ni les dénonciateurs représentant l’État ni ceux représentant les ONG ne garantissent une plus grande couverture des procès par les médias. Par contre, on note une progression dans le temps du nombre de citoyens participant en tant que dénonciateurs et ce, dans les deux sousgroupes de procès pour discrimination raciale. Un autre point intéressant : parmi les neuf procès ayant attiré l’attention des médias, seul un ne ciblait pas la population noire, mais plutôt la population nippo-brésilienne. Ceci signifie que dans 88,8 % des cas où les procès éthiques de discrimination raciale sont abordés dans les médias, la principale cible discriminée est la population afro-descendante. Finalement, l’exposition des procès à une visibilité médiatique n’est pas une condition suffisante pour garantir un plus haut taux de reconnaissance du dommage, comme le démontrent bien les taux de reconnaissance ébauchés dans la phase 2. Cependant, les taux de reconnaissance des deux sous-groupes dans les phases 1 et 2 suggèrent que les liens entre la couverture médiatique et une plus grande réussite à faire reconnaître le dommage des publicités méritent d’être investigués davantage. Certes, il faut tenir compte de ce matériel selon les limites et les possibilités de lecture accordées par l’analyse de contenu. D’une part, Gomm estime que l’avantage d’une approche quantitative de l’analyse de contenu est que celle-ci permet d’établir des généralisations à partir de données très diversifiés. Toutefois, il faut tenir compte du fait que le nombre de cas 229 ayant fait l’objet d’une couverture médiatique est insuffisant pour tirer des conclusions générales pour l’ensemble du corpus. D’autre part, « pour ce faire, il est nécessaire d’enlever les données de leur contexte immédiat. Il y a ainsi le risque de perdre de vue les façons à travers lesquelles les histoires sont composées afin de transmettre des senscccxii. » 7. 2 Description qualitative des cinq exemples de procès éthiques pour discrimination raciale ayant fait l’objet d’une couverture médiatique Dans les prochaines sections, je résumerai les cinq exemples choisis parmi les procès ayant fait l’objet d’une couverture médiatique, compte tenu du cadrage du problème de la discrimination raciale fournie dans chacun des éléments suivants : a) l’accusation ; b) la défense ; c) l’avis du CONAR (rapporteur et décision finale) ; d) les positions agencées par les médias. 7.2 1. Première phase des procès pour discrimination raciale (1979-1989) 7.2.1.1. Procès n° 025-82132 : le « Boni du bonheur » a) La dénonciation par le biais des médias L’histoire des procès pour discrimination raciale déposés au CONAR se confond avec la trajectoire même de l’institution. À cet effet, il convient de signaler que le premier procès pour discrimination raciale (procès n° 020/79133) date de l’époque où l’organisme 132 Voir dans Santos c. Datamark Ltée, 1982. 133 Voir dans Lopes c. Circuito Fechado de TV « GG » Ltée, 1979. 230 fonctionnait encore sur la structure précaire de la Commission d’autoréglementation publicitaire (voir chap. 5, sect. 5.4), sans une infrastructure solide et, principalement, sans les ressources financières pour en bâtir une. À l’instar du tout premier procès pour discrimination raciale, le procès n° 025/82 a été le fruit d’une initiative du secteur publicitaire. Mais, différemment de celui qui le précède, le procès en question a été instauré par le biais d’une représentation d’office134, en la personne du directeur exécutif du CONAR alors en place, Gilbert Leifert. D’une manière très curieuse, ce premier procès pour discrimination raciale ayant reçu une couverture médiatique manque tout simplement d’un texte d’accusation formel, la seule source de thématisation de la discrimination raciale étant une petite note publiée dans un quotidien de la ville de Rio de Janeiro (Santos, 1982). De plus, autant le procès 023/79 que le procès 025/82 n’ont pas été produits par des agences de publicité à proprement parler, mais plutôt par les annonceurs euxmêmes. Ce fait suggère un niveau précaire de professionnalisation dans la publicité commerciale au Brésil à cette époque. Entman (op. cit.) fournit un guide d’interprétation pour le cadrage des reportages et articles journalistiques qui me semble très pertinent pour élucider les manières dont la question de la discrimination raciale a été perçue. En établissant une distinction préalable entre « cadrage de contenu » et « cadrage procédural », l’auteur estime que le cadrage de contenu dans les nouvelles emploie au moins deux des fonctions de base suivantes : « (…) 1) définition d’effets et de conditions comme étant problématiques ; 2) identification de causes ; 3) jugement moral sur ceux impliqués dans la matière encadrée ; 4) endossement des remèdes ou des améliorations de la situation problématiquecccxiii. » 134 En effet, les représentations d’office présentent, dans un ordre assez rigide, les éléments suivants : les termes du statut social servant de fondement de la représentation d’office; le titre de l’annonce et le média dans lequel il a été véhiculé; le produit, le service et/ou la marque concernés par l’annonce; l’adresse civique du dénoncé; les fondements du CBARP sur lesquels la représentation s’est fondée; la réquisition formelle de l’ouverture d’un procès investigateur ou contentieux. 231 Si l’on suit ce schéma d’analyse, on sera forcé de constater que la petite note remplit les quatre fonctions à la fois. Toutefois, la note en question, soussignée par Elias Alexandre dos Santos, n’a pas été produite par la rédaction du quotidien où elle avait été publiée, mais elle résulte plutôt de l’intervention critique d’un lecteur indigné. C’est avec répulsion que je vois la publicité commerciale, à la télévision, du ‘Boni du bonheur’, où l’on utilise la figure d’une domestique ‘noire et stupide’. Le message est de la pire qualité, puisque celui-ci ne définit pas ce qui est ledit boni et ne sert qu’à dénigrer l’image du noir et l’employée domestique, préférant les erreurs frappantes de portugais.cccxiv En ce qui concerne spécifiquement les questions de la définition de la cause de la discrimination raciale et la mise en scène d’un jugement moral, ces deux dimensions sont intimement reliées lorsque la matière analysée est la discrimination raciale. Ceci revient à dire que tant la pratique que la dénonciation de la discrimination raciale comportent en soi une dimension morale importante. Ici, la cause de la discrimination, comme on le verra par la suite, est étroitement reliée à la perception de « techniciens en télévision » : La domestique du nom de Graciete représente la médiocrité qui prédomine dans le traitement accordé au Noir au Brésil, principalement en matière de publicité commerciale à la télévision. Le noir n’achète rien sauf de l’henê135 ; le noir ne fait pas de cadeau, il n’a pas de famille, ne boit pas, ne fume pas, ne va pas à la plage, ne mange pas de la margarine et une multitude d’autres choses, selon les techniciens de télévision. À quand la fin de la discrimination raciale dans ce pays ?cccxv Rappelons, à cet effet, que la seule législation nationale antiraciste en vigueur était l’ancienne Loi Afonso Arinos, sanctionnée le 3 juillet 1951. Dès lors, l’encadrement légal visait essentiellement à punir, dans le cadre précis d’une contravention pénale, les pratiques d’obstruction de l’accès à des places publiques (établissement commercial, d’enseignement et de toute autre nature), fondées sur les préjugés de race ou de couleur. Or, la perception de la 135 « Henê » est un produit traditionnellement utilisé au Brésil pour étirer les cheveux. 232 discrimination raciale mentionnée ci-dessus dépasse largement les limites morales du cadre juridique en vigueur, car la Loi Afonso Arinos concevait le problème de la discrimination en termes plus étroits, c’est-à-dire en termes de préjugés de race ou de couleur comme facteur servant à l’obstruction de l’accès à des espaces physiques. Par le biais de l’omission, la Loi Afonso Arinos ne remettait pas en question les préjugés de race ou de couleur lorsque ceux-ci étaient exercés dans le domaine privé de la maison136. En d’autres termes, ce que l’annonce commerciale du « Boni du bonheur » (voir app. B.1) met en scène est une vision dégradante de la femme noire ayant justement comme arrièreplan la dimension intime de la vie, celle touchant aux rapports privés entre patronne et domestique. Dans un tournant ironique, l’auteur de la note énonce une série d’activités que les noirs ne font pas… ce qu’on serait forcé de croire si l’on se fie à la vision des techniciens de télévision. Sous-jacente à cette image négative du noir — dans le sens où elle décrit ce que les noirs ne font pas selon une certaine vision de monde — subsiste toutefois une autre vision positive des noirs : celle des noirs qui font des cadeaux, qui vont à la plage, qui vivent en famille, bref, qui consomment… comme tous les autres. C’est dans cet ordre d’idées que la recommandation d’une solution au problème de la discrimination raciale est formulée sous la forme d’une interrogation : « Quand créer une image plus positive pour le noir dans les messages à la télévision ?», lance-t-ilcccxvi. Or, les activités décrites, exercées quotidiennement dans le monde vécu, font état d’un style de vie qui contrarie carrément l’image naïvement stupide de la domestique Graciete. Un paradoxe demeure au centre de l’argumentaire : les Noirs, les mêmes qui consomment et qui font des cadeaux, sont les destinataires d’une publicité qui les méprise et qui fait fi de leur pouvoir de 136 Le fait qu’une copie de la Loi Afonso Arinos soit annexée au procès en question ne fait que confirmer l’importance du cadre juridique national pour le jugement des procès pour discrimination raciale. 233 consommation. La solution envisagée part de la reconnaissance de cette base de vie « normale », pour arriver ensuite à une revendication d’égalité — quoique encore de façon assez indirecte — sous forme de traitement positif à accorder dans la représentation publicitaire. Il y a certes une perspective de classe particulière dans cette revendication : si l’on tient compte de l’état d’exclusion et de marginalisation sociale de certains pans de la population noire au Brésil, on retrouvera certainement ceux qui ne sont pas en mesure de consommer quotidiennement de la margarine ou encore de faire de cadeaux, de fréquenter la plage dans les heures de loisir et ce, à cause d’une série de facteurs historiques qui ont été démontrés ailleurs (voir chap. I, sect. 1.6 et chap. 2). Mais il y a là aussi une quête en vue de désubstantialiser une image largement associée aux asymétries dans les conditions de vie, d’étude et de moyens qui garantissent l’épanouissement intellectuel. Il serait également pertinent de se demander, en contrepartie, si la mise en circulation d’une seule note dans un journal quotidien aurait suffi pour constituer un public abstrait selon les modèles délibératifs habermassiens. Sans m’attendre à une réponse définitive à cette question dans cette étape de l’analyse du corpus des procès éthiques, je crois important de signaler que les indices indiquant que la controverse dans les médias a largement débordé les limites strictes de cette note, seront avancés de façon opportune par l’accusé. Toutefois, ceci n’enlève en rien la centralité de la présente note dans le procès éthique, dans la mesure où la défense doit, tôt ou tard, s’en tenir aux arguments soulevés par la note en question. b) La défense Selon les procédures établies par le Comité d’éthique (voir chap. VI, sect. 6.3.6), le plaidoyer peut être rédigé par l’agence publicitaire et/ou par l’annonceur. Dans le procès en question, l’acte de défense est soussigné par Ataliba Santos le 22 mars 1982, soit vingt jours après la publication de la note à l’origine de l’ouverture du procès. 234 Le présent document propose une série d’arguments qui, organisés en onze points principaux, visent à prouver l’innocence de l’accusé. En assumant d’emblée la « totale responsabilité » pour le contenu de la publicité dénoncée, Ataliba Santos dit en contrepartie méconnaître non seulement le dommage qu’il a supposément causé à l’éthique publicitaire, mais aussi l’existence même du CBARP : « En méconnaissant le Code brésilien d’autoréglementation publicitaire, ce que j’avoue dès maintenant, c’est que j’ai omis d’apprécier ses articles 20 et 27, par. 6cccxvii.» Il se plaint également du fait qu’une copie du CBARP ne soit pas parvenue en ses mains propres, comme suggéré dans la lettre de convocation du CONAR. Une fois ces précisions d’ordre plus général énoncées, l’accusé passe à la légitimation de son propre rôle de publicitaire. Il serait intéressant de faire ressortir ici les éléments qu’il avance afin de prouver sa maîtrise technique en matière publicitaire. Même s’il est présentement éloigné du milieu publicitaire, explique-t-il, cette activité a été étroitement liée à sa formation professionnelle : « J’ai initié mes tâches rémunérées, autour de 1949, en tant que dessinateur, plus tard comme contact d’affaires, et même comme rédacteur, jusqu’à ce que j’adopte la radio, et la télévision par la suite, comme milieu de travailcccxviii. » Il signale également être diplômé en « Business Administration » par la « Columbia University », être dédié aux « affaires de marketing » au point d’être devenu le directeur opérationnel de Data-Mark, l’entreprise responsable du produit « Boni du bonheur ». Il est aussi responsable de la planification publicitaire. Le publicitaire fait alors état d’une publicité antérieure qui visait à lancer le « système de promotion d’affaires Boni du bonheur » sur le marché brésilien. Selon l’accusé, l’annonce en question avait compté « avec la participation de Rosa Maria Murtinho137, en obéissant à des modèles d’une certaine manière sophistiqués, dont je m’abstiens de commenter ici le résultat négatif. Il suffit de rappeler que la pièce n’a pas soulevé le moindre commentairecccxix. » L’échec de la première annonce, attribué en principe à la sophistication de ce patron, devient 137 C’est une actrice blanche très connue du public brésilien et qui a joué dans plusieurs feuilletons télévisés de la TV Globo. 235 ainsi le moteur de la mise en place d’une nouvelle stratégie publicitaire consistant, en outre, à mettre en scène des « types communs aux objectifs du Bonicccxx ». Dès lors, confie-t-il, « on a commencé à atteindre des taux satisfaisantscccxxi. » C’est à ce moment précis que l’accusé décide de faire face aux critiques en se vantant des mérites de son annonce de télévision. En effet, en plus d’avoir provoqué une « increase » (sic) considérable dans les ventes du Boni du bonheur, le commercial est censé avoir (…) suscité des commentaires répétés de la part de O Globo, Jornal do Brasil, Pasquim, Fatos & Fotos Gente, Radio Globo — RJ (thème de débats populaires), en produisant une répercussion enviable dans la visibilité de journaux et dans le temps de couverture des médias électroniques, lesquels, qu’on les applaudisse ou pas, ont résulté en de bonnes affaires pour l’Entreprise.cccxxii Ainsi, c’est par la voix de l’accusé qu’on apprend l’existence de l’ampleur des résonances de la publicité du Boni du bonheur dans les médias de masse, ampleur dont, malheureusement, nous ne pouvons entendre que des réverbérations. Ceci m’amène à penser que les arguments soulevés par l’accusé dans la suite de son raisonnement sont, en vérité, une réponse aux arguments plus amples soulevés dans ces multiples débats. Quoi qu’il en soit, l’accusé poursuit son exposé en identifiant un autre mérite dans sa publicité : « Celui de ne pas aborder qu’une des facettes de la réalité brésilienne, en faisant ressortir une ‘domestique’ noire (ce qui est une constante) qui ne détient aucune culture grammaticale (culpabilité que nous-mêmes, les Brésiliens, devons reconnaître)cccxxiii. » Ainsi, en renvoyant à « nous-mêmes, les Brésiliens » la responsabilité des fautes de grammaire de Graciete, le publicitaire se défend ainsi de sa responsabilité individuelle vis-àvis de la population noire. Cette sorte d’argument relevant du « réalisme » représentationnel — une fois que l’accusé se présente dans le rôle d’un traducteur tout simple de la réalité objective — n’est qu’un artifice pour évacuer la charge de valeurs qu’implique la mise en scène d’une telle représentation de la domestique noire. Charge, d’ailleurs, qu’il assume par la suite, au fur et à mesure qu’il poursuit la mise en valeur de l’annonce Boni du bonheur. En 236 énonçant un mérite additionnel de l’annonce en question, l’accusé ressort « celui de la décrire, même en montrant une ‘domestique’ ‘noire’ et ‘stupide’, comme étant sage et docile, attitude que je pourrais même recommander à la classe — ce qui, dans la plupart des cas, n’est pas vraicccxxiv. » C’est par le biais de ses « recommandations » à la classe de domestiques que l’accusé fait mention d’une autre partie de ses préjugés jusque-là inconnus : en plus d’être constamment « noires » et « stupides », les domestiques, selon sa propre compréhension, sont aussi « rebelles » et « indisciplinées » — attitudes qu’il déplore dans le comportement d’une domestique. Impossible de ne pas voir dans le rapport patron/domestique une sorte de continuité du rapport maître/esclave. Personne ne saurait décrire ce rapport d’une manière si brûlante et cynique que le propre Gilberto Freyre. Dans Maître & Esclaves (op. cit.), par exemple, Freyre cite quelques exemples d’un rapport renchéri d’actes de sadisme : « Une espèce de sadisme du Blanc et de masochisme de l’Indienne ou de la négresse a prédominé dans ces relations sexuelles comme dans les relations sociales de l’Européen avec les femmes de race soumises à sa domination. » (Freyre, [1933]1974, p.88.) 138 138 Dans la thèse freyréenne sur l’ampleur du sadisme dans les rapports sociaux brésiliens, le prétendu masochisme de la femme noire et indigène apparaît comme un corollaire du premier : « La propension du Portugais pour les femelles (sic) se serait exercée sur des victimes qui n’y prenaient pas toujours du plaisir, bien que l’on connaisse des cas où il y a une confraternisation entre le sadisme du conquérant blanc et le masochisme de la femme indigène ou de la négresse. » (Freyre, [1933]1974, pp.88-89.) Selon l’auteur, le sadisme traverse les diverses sphères de la vie sociale, ayant des retombées nettes sur une culture politique organisée autour du « sadisme du commandement », parfois déguisé en « principe d’Autorité » ou en « défense de l’Ordre ». La conclusion finale que Freyre en tire est d’un cynisme flagrant qui ne fait que renforcer la position subalterne des descendants d’Amérindiens et Africains : « C’est entre ces deux mystiques – celle de l’Ordre et l’Autorité, celle de la Liberté et de la Démocratie – que s’est équilibrée entre nous la vie politique, sortie précocement du régime dualiste des seigneurs et esclaves. En réalité, l’équilibre continue à être entre deux réalités plus traditionnelles et profondes : sadistes et masochistes, seigneurs et esclaves, docteurs et analphabètes, individus de civilisation plutôt européenne et individus de civilisation plutôt africaine et amérindienne. Ce qui ne manquait pas d’avantages : cette dualité n’a pas porté préjudice à notre culture en formation, car elle l’enrichissait, d’une part, de la spontanéité, de la fraîcheur d’imagination et d’émotion de la masse, et, d’autre part, du contact, à travers l’élite, avec la science, la technique et la pensée plus avancée de l’Europe. On rencontrerait difficilement un pays, où soient réalisées plus librement la rencontre, l’intercommunication, voire la fusion harmonieuse de traditions diverses, ou même antagonistes, de civilisations, que le Brésil. » (Freyre, [1933]1974, p.89.) 237 Cependant, certains auraient pu également signifier que les visions de la domestique présentes jusqu’ici ne sont pas une spécificité du Brésil, mais celle de tous les pays où la population blanche détient la plupart des moyens de production. Poussé à l’extrême, cet argument aurait pour conséquence la perception de ce rapport hiérarchisé comme un problème de classe sans aucun lien nécessaire avec les questions de race. L’argument qui suit confirme bel et bien cette vision naïve de l’absence de conflit racial, dans ce qu’il nous confie une image particulièrement chère aux défenseurs de la thèse de la démocratie raciale : Ayant été (bien) élevé par une Indienne Jauperí, déjà décédée, fils du Nord (État de Roraima) et de parents dont l’exception absolument blanche est ma mère, chrétien par conviction et surtout réaliste (ce qui m’empêche de voir Jésus sous l’angle de fantaisies religieuses), je vous assure qu’il est peu probable qu’un principe aussi grossier que celui de la discrimination raciale ait le moindrement influencé mon travail.cccxxv Voici donc des éléments contextuels utilisés pour réfuter le « principe grossier » de la discrimination raciale : l’héritage non blanc et les rapports sociaux de proximité avec une domestique Indienne. Ceux-ci, auxquels on ajoute une dose additionnelle de « réalisme », semblent suffire largement, au moins dans la vision du publicitaire en question, pour le protéger de tout soupçon de discrimination raciale. Finalement, en réponse aux critiques qui lui sont adressées dans la note parue dans le Jornal do Brasil, l’accusé réplique : « En me prévalant du texte du lecteur identifié ci-dessus, je me sens forcé de déclarer comme beaucoup plus stupide, quoique Blanche, la patronne qui a confié à un tiers la responsabilité d’exiger, de la part du commerçant, les Bonis du bonheurcccxxvi. » Force est de constater que lui, quoique homme non Blanc, se positionne typiquement comme le maître patriarcal qui s’insurge non seulement contre ses domestiques 238 noirs mais aussi contre les patronnes malveillantes qui se déchargent de leurs véritables responsabilités dans la gérance de l’économie domestique. Dans cette espèce de retour au patriarcat colonial, le sadisme masculin était omniprésent : « (…) les premiers sadiques, c’étaient les maris en relation avec leurs femmes » (Freyre, [1933]1974, p.325)139. Pour conclure, « dans la certitude d’avoir agi correctement et consciemmentcccxxvii » et en absence de la « moindre intention discriminatoirecccxxviii », l’accusé arrive à la fin de sa lettre, en se sentant « exempté d’explications et du devoir d’en donnercccxxix. » c) L’appréciation du CONAR Il y a deux moyens de connaître la position du CONAR vis-à-vis d’un procès particulier : l’avis du rapporteur et la décision finale. Cette distinction me semble importante dans la mesure où les opinions du premier ne sont pas toujours prises en considération dans cette dernière. Dans un avis presque aussi long que le plaidoyer (trois pages et un peu plus), le rapporteur Pedro John Meinrath émet son aperçu d’un procès qu’il juge porter sur des « questions de la plus grande gravitécccxxx. » Suite à l’identification d’une infraction à l’article 27, selon lequel l’annonce est censée être claire quant à sa finalité, le rapporteur en question reconnaît dans ses premières lignes le dommage de la pièce publicitaire : « L’annonce commerciale, en exhibant le personnage de la domestique noire, laisse implicite et explicite [le fait] que le noir est stupide, ignorant, étourdi et irresponsablecccxxxi. » Toutefois, en se contentant de tout simplement constater le dommage, le rapporteur énumère les diverses dispositions du CBARP pouvant servir de fondements à 139 Toutefois, on aurait tort de croire que Freyre voit comme une exclusivité de rapports homme blanc/femme de couleur, comme le démontre bien le passage suivant : « Il ne faut pourtant pas oublier qu’il y a eu aussi un sadisme de la femme, quand elle était une grande dame, vis-à-vis de ses esclaves, en particulier de ses mulâtresses, excitée qu’elle était contre ces dernières par la jalousie ou par l’envie sexuelle. » (Freyre, [1933]1974, p.90.) Il s’agit somme toute d’un sadisme légitimement exercé par des Blancs envers les personnes de couleurs, notamment envers les esclaves noirs. 239 son jugement personnel : l’article 1, qui prévoit que toutes les annonces soient censées être respectueuses ; l’article 2, portant sur la responsabilité sociale ; l’article 6, qui exige le respect envers la culture nationale ; l’article 19, qui réclame le respect envers la dignité de la personne humaine ; l’article 22, qui interdit à la publicité de porter atteinte aux «normes de décence » ; l’article 27, qui inhibe l’utilisation d’une langue vernaculaire grammaticalement incorrecte et mal prononcée ; et l’article 33, par. c, qui renforce le respect envers la dignité humaine. Curieusement, le rapporteur a omis de mentionner l’article qui tranche dans le coeur du problème dénoncé dans la note de presse : l’article 20, qui prévoit, entre autres, qu’aucune publicité ne doit être racialement discriminatoire. Toutefois, le rapporteur se reprend par la suite, en s’attaquant spécifiquement au problème de la discrimination raciale : Malgré le fait que nous soyons devant un champion d’infractions au Code d’éthique, le rapporteur considère comme fondamental de montrer que les dommages causés par cette annonce vont vraiment au-delà du monde publicitaire. Celle-ci non seulement a heurté l’esprit de la Loi Afonso Arinos, comme la partie dénoncée, en niant l’existence de préjugé racial, elle reconnaît avoir exploité le monde de chien, la misère physique et intellectuelle, laquelle est nommée ‘l’une de facettes des la réalité brésilienne’.cccxxxii Il me semble important d’expliciter les différentes dimensions de la critique du rapporteur. Tout d’abord, celui-ci reconnaît explicitement que le jugement de la publicité en question doit dépasser le cadre étroit de son efficacité « publicitaire » (efficacité d’ailleurs très questionnable), mais aussi les dommages plus amples infligés par celle-ci. Ensuite, il propose une interprétation de la Loi Afonso Arinos assez particulière : il signifie que la publicité a elle-même heurté l’esprit de la loi, ce qui est discutable. Or, la loi en question visait d’une certaine manière les propriétaires et responsables d’institutions privées et publiques dans la mesure où ceux-ci empêchaient l’accès à un espace, mais aussi à un produit, service ou traitement qui doit, en principe, être accessible à tous, indépendamment de leur race ou 240 couleur140. Grossièrement parlant, la Loi Afonso Arinos ne peut être appliquée dans le contexte d’une « publicité » sans que l’on fasse un effort additionnel d’abstraction. Ce que je veux dire par là, c’est que le rapporteur en question a été parfaitement en mesure de transcender l’étroitesse de cette loi pour voir le problème du préjugé racial d’une forme plus élargie que celle suggérée par ladite loi. Cette opération n’est pas en soi illégitime ; au contraire, elle démontrerait, en dernière instance, une plus grande sensibilité envers le principe moral de l’égalité de traitement qu’envers la technicité de son application ou encore, la cohérence de la décision vis-à-vis de la norme juridique141. Il reste à vérifier si cette opération s’est répétée dans les procès ultérieurs. Finalement, le rapporteur conclut son appréciation initiale sur le problème de la discrimination, en énonçant un jugement d’ordre moral sur l’attitude de l’accusé : l’exploitation de la « misère physique et intellectuelle » pour vendre le Boni du bonheur. Or, bien qu’on puisse être généralement d’accord avec la critique du rapporteur par rapport à l’exploitation d’un stéréotype comme stratégie publicitaire, il faut d’abord s’interroger sur ce que ce dernier considère comme étant la « misère physique et intellectuelle »142. En effet, la solution de cette « énigme » dépend de la réponse aux trois questions suivantes : 1) qu’est-ce 140 La Loi Afonso Arinos stipule clairement : « On considérera agent de la contravention le directeur, gérant ou responsable de l’établissement. » (“Será considerado agente da contravenção o diretor, gerente ou responsável pelo estabelecimento”, Décrêt 29.713, 26 juin 1951.) On doit également mentionner que le Décret-loi 236, aussi connu sous le nom de Loi de la Presse, promulgué en 1967, n’a pas été cité dans ce procès, alors qu’il interdisait clairement la dissémination de la discrimination raciale et sociale au moyen des médias de masse. Voir à ce sujet chap. III, sect. 3.2, n. 85. 141 Les questions liées à la positivité du droit et à sa capacité de générer des jugements plus légitimes et moralement fondés suscitent un débat trop large pour être poursuivi en détail dans ce travail. Pour une discussion sur l’autonomie de la pratique juridique vis-à-vis des principes moraux et politiques, voir Habermas, Droit et morale: Tanner lectures (op. cit.) et Droit et démocratie (op. cit.). 142 Le rapporteur renforce sa propre vision négative des Noirs dans ce parallèle établi entre la publicité du Boni du bonheur et celle d’une supposée publicité pour des armes à feu : « Hector Babenco en faisant un film comme ‘Pixote’ dénonce ‘l’une des réalités brésiliennes’ dans un document important, valide. Mais exploiter la ligne du film pour vendre des pistolets ou des revolvers, c’est répugnant. » (“Hector Babenco ao fazer um filme como — Pixote — denuncia ‘uma das realidades brasileiras’ num documento importante, válido. Mas explorar a linha do filme para vender pistolas ou revólveres repugna”, Santos c. Datamark ltée, 1982.) 241 que la « misère physique et intellectuelle » selon la vision du rapporteur ? 2) est-ce que Graciete représente vraiment l’image de la « misère physique et intellectuelle » ? 3) est-ce que Graciete représente la réalité des Noirs brésiliens ? Quoi qu’il en soit, cette vision des Noirs n’est pas du tout la même que celle proposée par l’auteur de la note parue dans le quotidien O Globo. Alors que le rapporteur corrobore implicitement l’image généralement partagée selon laquelle les noirs vivent dans un état de dépravation physique et intellectuelle, l’auteur de la note clamait pour sa reconnaissance en tant que sujet de l’acte de consommation. Rien de plus. En d’autres termes, le rapporteur semble, en fin de compte, s’approprier une partie de certains arguments de la partie plaignante pour étayer ses propres opinions, comme le démontre bien le passage suivant : Le rapporteur ne considère pas nécessaire de réquisitionner le découpage des archives de tous ces respectables médias de communication : il suffit d’une lettre indignée d’un lecteur du journal du Brésil à la page 4 de ce procès. Le lecteur Elias Alexandre dos Santos dit que ‘c’est avec répulsion que je vois la publicité commerciale, à la télévision, du BONI DU BONHEUR’. En plus de treize infractions, déjà mentionnées, au code d’éthique, voici la quatorzième infraction, car l’article 5 stipule qu’ ‘ aucune annonce ne doit dénigrer l’activité publicitaire ou mépriser la confiance du public dans les services qu’offre la publicité…’.cccxxxiii Selon ce nouvel ordre d’idées, ce qui ressort, c’est la peur de la perte de la confiance dans l’activité publicitaire. Il y a lieu de se demander si ce n’est pas la confiance, plutôt que la refondation d’un stigma social sur de nouvelles bases, qui importe vraiment. Le rapporteur poursuit en citant plusieurs passages de la lettre de l’accusé, en démontrant de plus en plus son indignation devant les arguments avancés par ce dernier. Le rapporteur se permet d’ironiser sur l’argument de l’accusé selon lequel la patronne blanche serait, elle aussi, stupide : « En plus de Graciete, la patronne, ‘quoique blanche’, est aussi stupide et ébouriffée dans l’annonce commerciale, comme l’affirment catégoriquement les directeurs de la partie dénoncée. Stupides sont alors toutes les spectatrices, confirmant ainsi l’infraction à l’article 17cccxxxiv. » 242 Nul besoin d’insister sur le fait que le rapporteur ait finalement recommandé le retrait de la circulation de la publicité en question. Cependant, il y a dans sa recommandation finale un élément d’exemplarité qui mérite notre attention ici : à l’aube de son fonctionnement, le CONAR semblait être particulièrement soucieux de l’image de la publicité, et peut-être encore plus sensible à des punitions et jugements plus rigoureux que jamais. Visiblement irrité par le ton du discours de la défense de l’accusé (qui ne semble pas avoir pris le Conseil au sérieux), la conclusion du rapporteur prend, de ce fait, l’allure d’un véritable coup de force institutionnel : En considérant la quantité absurde d’infractions contenues dans cette annonce, et pour le bien de l’activité publicitaire dans ce pays, le rapporteur prie que le CONAR divulgue sa position sur la matière en question dans tous les médias des places où celle-ci a été véhiculée, médias imprimés et électroniques, indépendamment des nouvelles positions ou opinions qui viendraient à être signalées par écrit par la partie dénoncée. La méconnaissance du Code d’éthique ne constitue pas un facteur d’atténuation de la peine comme c’est la praxis au moins depuis les temps de l’empire Romain.cccxxxv On apprendra par la suite que les membres de la Première chambre du Conseil d’éthique se sont prononcés unanimement en faveur du retrait de la circulation de la publicité, en plus de suggérer la publicisation selon les dispositions prévues dans l’art. 50, par. d du Code143. Toutefois, ce n’est pas sans surprise qu’on constatera alors que l’article 20 n’était pas cité parmi les nombreux articles du CBARP servant de fondements à la décision, alors qu’il avait été cité dans la représentation ouvrant formellement le procès. Plus encore, le dommage de discrimination raciale avait été reconnu non seulement dans la petite note parue dans le journal, mais aussi dans le propre avis du rapporteur. Pourquoi alors ne pas le reconnaître dans la décision finale ? 143 L’art. 50, par. d prévoit notamment « la divulgation de la position du CONAR par rapport à l’annonceur, à l’Agence et aux médias de communication devant la non-application de mesures et dispositions. » (“(...) divulgação da posição do CONAR com relação ao Anunciante, à Agência e ao Veículo, através de Veículos de comunicação, em face do não acatamento das medidas e providências preconizadas”, Conar, 2002.) 243 La publicisation de la décision a, quant à elle, été revue plus tard, grâce à une lettre non datée adressée par Octavio Florisbal. Dans celle-ci, le soussigné demande au Président de la première chambre la révision de cette disposition particulière, « une fois que la partie dénoncée a accepté la décision de cette chambre et du CONARcccxxxvi. » C’est avec cette lettre comme base que Carlos Alberto Nanô, alors président substitut de ladite chambre, dépose d’office le 6 mai 1982 un recours en vue de faire revoir l’application de la mesure de publicisation. La décision définitive, émise le 5 août 1982, accepte les termes du recours et décide de la non-publicisation de la décision finale dans les médias de masse. 7.2.1.2. Procès n° 118-88144 : vêtements infantiles Smuggler a) La dénonciation On se souvient encore que, faute d’une législation nationale claire et explicite à cette fin, la discrimination raciale a été jusqu’ici un problème formulé presque exclusivement par les sujets afro-brésiliens. L’année 1988 arrivant, on voit des changements importants dans le scénario constitutionnel, dont les répercussions se font sentir de façon presque immédiate sur le terrain de la dénonciation de discrimination raciale dans la publicité. Cette année est cruciale pour les mouvements noirs pour les deux raisons suivantes : d’un côté, on commémore officiellement le centenaire de l’Abolition de l’esclavage au Brésil ; de l’autre, on façonne une nouvelle Constitution nationale, pièce fondamentale non seulement pour consolider les avancées démocratiques reconquises jusque-là, mais aussi pour encadrer d’autres processus de démocratisation qui viendront plus tard. J’avais mentionné antérieurement que la Constitution de 1988 a formalisé l’aspect multiculturel de la nation brésilienne, en reconnaissant les groupes indigènes et noirs comme 144 Voir dans Instituto de Pesquisa das Culturas Negras c. Network Ind. Ltée et Agence Claroscuro, 1988. 244 des sujets de droits spéciaux, afin de garantir la sauvegarde de leurs acquis culturels (voir chap. 2, sect. 2.5). Dans l’article Discriminação racial : um grande desafio para o direito brasileiro, Joaquim Barbosa Gomes (2000), cite, parmi les nombreuses avancées constitutionnelles importantes pour la cause des groupes raciaux défavorisés sur le plan national, des changements cruciaux dans la notion d’intérêt public. Celui-ci en vient désormais à incorporer l’idée de droits diffus ou collectifs, c’est-à-dire l’idée « d’une catégorie intermédiaire de droits, située à mi-chemin entre les droits purement individuels et les droits et intérêts généraux de la société comme un toutcccxxxvii. » Cette transformation, estime l’auteur, a eu d’importantes répercussions dans le domaine de l’application du droit, dans la mesure où les droits collectifs accordent de la légitimité à la promotion et à la défense des droits de groupes ethniques particuliers. Les droits diffus et collectifs auront d’autant plus d’impact dans l’application des lois antiracistes définissant la discrimination raciale comme crime inamendable dans la nouvelle Constitution. Le procès n° 118/88, le dernier de tous ceux relevant de la première phase des procès pour discrimination raciale du CONAR, a été officiellement instauré cinq jours après la promulgation de la Constitution en question. La plainte à l’origine de ce procès a donc été déposée dans l’ambiance plus générale d’optimisme et de confiance qui régnait dans la société civile, et plus spécifiquement au sein des mouvements sociaux. Compte tenu de ce fait, son importance est double. D’une part, elle fait état d’un effet immédiat des changements constitutionnels majeurs, dans la mesure où elle prend typiquement la forme d’une action publique de responsabilité civile, préconfigurant ainsi la formation d’un sujet de droit collectif, associé à un groupe ethnique ou racial particulier145. D’autre part, elle permet 145 Barbosa Gomes explique le Congrès National est parti du constat de cette « lacune dans l’ordre juridique brésilien » (“lacuna no ordenamento jurídico brasileiro”) afin de créer des « instruments de défense et de promotion des droits intitulés ‘collectifs’ ou ‘diffus’ devant le pouvoir judiciaire » (“instrumentos de defesa e promoção dos chamados direitos "coletivos" e "difusos", perante o Poder Judiciário”, Gomes, 2000, p.2). Entre autres choses, la nouvelle Constitution a renforcé la Loi de l’action civile publique, éditée en 1985, « laquelle autorise le pouvoir exécutif fédéral et provincial, les associations constituées depuis plus d’un an et le Ministère public à proposer des actions civiles devant le Pouvoir judiciaire, pour la défense des droits et intérêts diffus et collectif » 245 également de bien percevoir les effets intersubjectifs des délibérations constitutionnelles agissant spécifiquement sur les mouvements noirs organisés. Néanmoins, ce procès garde encore certaines caractéristiques structurelles du procès précédent, comme je le démontrerai par la suite. Le processus débute exactement le 3 octobre 1988, au lendemain de la mise en circulation d’une publicité d’une page entière, publiée dans le magazine du quotidien Jornal do Brasil. La plainte est parvenue au CONAR sous la forme d’un télégramme envoyé par João Marcos Aurore Romão, coordinateur du Programme de droits humains et civils/ SOS Racisme de l’Instituto de pesquisa das culturas negras (IPCN) à Rio de Janeiro. Romão attire l’attention sur le fait que dans l’« annonce publiée le 2 octobre 1988, les personnes noires employées comme domestiques sont traitées d’une façon discriminatoire racialement et socialementcccxxxviii. » Le plaignant s’interroge notamment sur la pertinence de l’annonce de la marque Smuggler en termes non seulement de public cible — les enfants — mais aussi de rapports raciaux et sociaux de manière plus générale. Selon lui, « une femme noire attachée par le cou à une chaise, avec six enfants blancs en train de jouer autour de celle-ci, ne contribue en rien ni au Jour des enfants146 ni au futur des relations sociales et raciales au Brésilcccxxxix. » Finalement, et bien que ce détail n’ait pas été soulevé par le plaignant, on lira, en bas de la photo, la phrase suivante : « Conformez-vous — le 12 octobre, c’est leur jourcccxl.» (Voir app. B.2.) Le procès est formellement ouvert deux jours plus tard, au moyen d’une représentation d’office acheminée par le directeur exécutif du CONAR, Edney Narchi, qui transcrit le texte du plaignant en ces termes : « l’annonce — qui exhibe une femme noire, attachée et entourée (“ que autoriza o Poder Executivo federal e estadual, as associações constituídas há mais de um ano e o Ministério Público a proporem ações civis perante o Poder Judiciário, em defesa de direitos e interesses difusos e coletivos”, Gomes, 2000, p.2). 146 Au Brésil, en plus d’être un jour férié religieux dédié à la sainte patronne catholique, le 12 octobre est également l’une des dates les plus commercialement rentables : le Jour des enfants. À cette occasion, les enfants reçoivent des cadeaux qui varient en fonction du pouvoir d’achat de leur famille (des jouets, vêtements, bonbons, etc.). 246 d’enfants clairs, est discriminatoire par rapport à la race noire et la condition sociale des domestiquescccxli. » Deux changements, quoique subtils, s’opèrent dans cette transcription : on remplace le terme « personne » par celui de « femme » pour se référer à noire, et le terme « blancs » par « clairs » pour se référer à enfants. Je reviendrai ultérieurement sur la question du choix des termes de classement dans les procès pour discrimination raciale au sein du CONAR. Pour l’instant, nul ne peut ignorer la continuité du rapport sadique entre homme/femme décrit par Freyre, particulièrement entre homme blanc et femme noire. Ici, la particularité de ce rapport sadique, marqué par la violence, l’agression et l’humiliation, consiste au fait d’être entretenu depuis le plus jeune âge147. On retiendra, finalement, certains des aspects plus formels de la représentation : sont tenus pour responsables de l’annonce publicitaire l’annonceur Network Ltée ainsi que l’agence Claroscuro. On inclut dans le groupe d’articles servant généralement de fondements pour l’ouverture des procès pour discrimination raciale — déjà décrit dans la sect. 6.4 du chapitre précédent (articles 1, 2, 3, 6 et 20) — l’article 19, lequel stipule que toute annonce doit respecter la dignité humaine. Une deuxième lettre, datée cette fois-ci du 2 novembre 1988 (c’est-à-dire presque un mois après le télégramme antérieur), est signée par Thereza Santos, assesseur de culture afrobrésilienne du Secrétariat de la culture de l’État de São Paulo. Dans celle-ci, on fait aussi état de l’existence d’une « publicité discriminatoire de la Smuggler — infantile qui porte atteinte à la dignité de la communauté noirecccxlii. » Bien que le télégramme et la présente lettre soient tous les deux écrits par des représentants des organismes ou associations directement concernés par la protection de la culture noire afro-brésilienne, c’est cette dernière qui sera utilisée, avec son propre poids institutionnel, pour exiger du CONAR les mesures applicables : 147 « Le sadisme de l’enfant et de l’adolescent se transformait en goût de faire fouetter, de faire arracher les dents au nègre voleur de cannes, de regarder se battre devant lui des lutteurs, des coqs, des canaris. » (Freyre, [1933]1974, p.89.) 247 Compte tenu de la responsabilité et du rôle de cet organisme par rapport à la publicité véhiculée dans les médias de communication de masse, nous exigeons : des mesures de la part de cet organisme dans le sens que la publicité en question soit retirée de la circulation ; que vous rendiez également compte à la communauté afro-brésilienne ; et que des mesures soient prises pour que des annonces racistes comme celle-ci ne soient plus jamais mises en circulation.cccxliii On note également, et pour la première fois, la formulation d’une demande au nom d’une communauté spécifique : la communauté afro-brésilienne, indice que le langage constitutionnel trouvait dès lors une résonance dans le langage des associations de défense de la population noire. Compte tenu du processus de redémocratisation en cours au Brésil durant les années 1980, l’idée d’imputabilité (« accountability ») est aussi toute nouvelle. Certes, le terme imputabilité est l’un de ces termes qui peuvent acquérir différentes connotations selon le contexte d’application. Ces connotations présupposent, à leur tour, des rapports institutionnels fort variables selon l’usage qui en est fait. Dans ce contexte, l’imputabilité renvoie à ce que Richard Mulgan (2000) décrit comme une forme d’exercice du contrôle institutionnel à travers la mise en place de rapports de poids et de contrepoids entre différentes instances officielles, afin de faire prévaloir l’intérêt d’un groupe ou d’une collectivité. Selon Mulgan, « si l’on comprend ‘contrôle’ dans le sens plus ample de faire les instances publiques, faire ce que le public et les représentants veulent, l’imputabilité et le contrôle sont intimement reliés parce que l’imputabilité est un mécanisme vital de contrôlecccxliv. » Plus spécifiquement, on demande au CONAR un peu plus que simplement corriger une erreur dans les limites de ses compétences — compétences d’ailleurs reconnues par la partie plaignante. On lui demande aussi de rendre compte de ses actions à un public spécifique — la communauté afro-brésilienne — afin d’empêcher de futures infractions racistes. Plus encore : on met la propre reconnaissance de la compétence du CONAR sous certaines conditions : « Nous entendons que toute attitude contraire nous prouvera que le CONAR ne possède aucun engagement avec nous, mais plutôt avec une parcelle seulement parmi les nombreux 248 groupes ethniques qui forment la société brésiliennecccxlv. » Finalement, c’est la première fois que l’on soupçonne directement le CONAR — et non seulement la publicité — d’être raciste. La lettre ne fait pas place à l’ambiguïté : « choisissez votre camp », semble-t-elle suggèrer. Cela a valu le coup. Dans une lettre datée du 8 novembre (soit six jours après la lettre mentionnée ci-dessus), le directeur exécutif du CONAR est tenu d’informer sur l’état d’avancement du procès. Une des raisons, sans doute, pour une réponse si rapide réside sûrement dans le caractère officiel de la lettre précédente (dans la réponse, on mentionne notamment son n° de registre). En plus d’informer qu’un procès ayant pour objet la publicité dénoncée est examiné par le Conseil d’éthique depuis un mois, le directeur Edney Narchi fait deux gestes symboliquement importants : d’abord, il en profite pour faire parvenir à son interlocutrice une copie du CBARP (code dont elle a très probablement connaissance au moment de déposer une plainte au CONAR) ; ensuite, il répond au soupçon de racisme dans les termes qui suivent : Finalement, nous voulions bien vous mettre au clair que le CONAR ne possède pas d’engagements envers quelque groupe que ce soit — ethnique, économique, religieux, etc. — sinon envers les exigences éthiques les plus élevées, pour faire en sorte que la publicité nationale en soit le reflet.cccxlvi Dans ce petit jeu de pouvoir de part et d’autre148, le directeur du CONAR a peut-être réussi à énoncer, dans cette synthèse grandiloquente mais révélatrice, le plus grand défi qui anime les 26 ans d’existence du CONAR analysés dans ce travail : celui de garantir un niveau minimal 148 La formalité d’exercice d’une pression sur les membres du Conseil d’éthique n’a pas été le privilège de l’assesseur du Secrétariat de la culture de São Paulo. Cette procédure a aussi été utilisée par Francisco Marcos Dias, vice-président du Conseil municipal de la condition des Noirs de la ville de São Paulo, dans un télégramme daté du 17 octobre, date où le jugement du procès en question devait avoir lieu. Dias se dit dans l’attente de la décision du CONAR, afin que des mesures soient opportunément appliquées. Il conclut en priant instamment le Conseil de lui communiquer la décision dans les plus brefs délais. 249 d’indépendance par rapport aux intérêts de ses propres membres et de ses principaux clients, malgré toutes les contingences corporatistes et clientélistes ayant résulté en sa propre création et structuration. b) La défense Un plaidoyer d'une page et demie est présenté au comité le 17 octobre 1988 dans un document conjointement signé par l’annonceur et l’agence. L’argumentaire de défense est organisé de manière très succincte autour de trois points principaux. Le premier point conteste tout simplement l’existence de mérite à l’accusation. « L’annonce citée dans la représentation, estiment-ils, (…) ne justifie pas le vacarme de manifestations hostiles desquelles il a fait l’objetcccxlvii. » L’annonce, poursuivent-ils, a été confectionnée avec une « observance rigoureuse » des standarts éthiques du CBARP, raison pour laquelle d’ailleurs elle a « (…) explicitement été avalisée par le ‘Jornal do Brasil’, entreprise de probité reconnue et d’accomplissement éthique irrépréhensiblecccxlviii. » Le deuxième argument s’attaque à l’existence d’un biais raciste dans la publicité. On commence notamment en utilisant un subterfuge très connu des militants de cause antiraciste au Brésil : l’idée selon laquelle la perception du problème de la discrimination raciale atteste elle-même du racisme de son observateur : « Seul le caractère tendancieux d’un jugement sectaire et perverti mènerait ses critiques à identifier du contenu raciste dans la composition photographique qu’illustre l’annonce mise en questioncccxlix. » Cette idée reporte à la fameuse procédure de « répartition raciale de la culpabilité » critiquée par Frantz Fanon (Fanon, [1952]1995) dans son analyse de la Psychologie du colonisé de M. Mannoni. À la manière de ce dernier — qui essaie de décharger l’Européen de la responsabilité qui lui incombe vis-àvis du complexe d’infériorité vérifié chez les Malgaches, en voyant en ces derniers une prédisposition psychique à la dépendance —, le publicitaire accusé de discrimination raciale renvoie le blâme du racisme au « jugement sectaire et perverti » de son dénonciateur. 250 Ainsi, les responsables de l’annonce passent-ils directement à l’explicitation des raisons menant au choix de la scène décrite dans la publicité : « En vérité, en rendant hommage aux enfants pendant leur jour, la promotion a voulu [aller] plus loin, elle a voulu plus d’amour, dans l’invocation de la figure présente dans nos meilleures évocations : la baba149 cccl . » Or, qui pourrait mieux jouer ce rôle sinon une vraie baba, se demandent-ils ? « (…) Il n’y a pas de raison (sic) de nier : Maria Isabel, en plus d’être baba professionnelle, la modèle choisie transmet une sympathie apprivoisante et une tendresse rayonnantecccli. » On ne peut se passer de signaler ici une correspondance entre l’un des attributs perçus dans la modèle Maria Isabel et ce que le publicitaire responsable de l’annonce Boni du bonheur aurait souhaité voir en la classe domestique : la docilité. L’argument qui suit fait une curieuse et étrange adaptation de la Loi Afonso Arinos : « Ce serait du racisme de ne pas l’admettre dans l’annonce parce qu’elle est noire, malgré le fait d’avoir la qualification nécessaire pour la performance envisagéeccclii. » En anticipant une critique à la favorisation de la candidate en fonction de sa qualité d’être noire, les accusés se sont vite rattrapés dans la phrase suivante : « Nous le répétons : Maria Isabel n’a pas été accréditée à la performance parce qu’elle est noire. Ce qui l’a accréditée a été la légèreté de son expression, la suavité avec laquelle elle a passé les tests nécessaires à l’embauchecccliii.» Aucune autre, soulignent-ils, quelle que soit sa race ou son groupe ethnique, n’aurait pu faire mieux ! Argument, d’ailleurs, qui n’est pas entièrement sans raison : aucun autre groupe racial ou ethnique n’a été si historiquement associé à la tâche de baba que celui des AfroBrésiliens ; aucun autre sexe ne l’a tant exercée professionnellement sinon le sexe féminin. Maria Isabel était alors juste ce qu’il leur fallait non seulement parce qu’elle jouait son propre 149 La baba est le terme couramment utilisé au Brésil pour désigner la gardienne d’enfants (« baby-sitter »). Ses liens avec la mère nourricière du passé esclavagiste brésilien sont très opportunément discutés dans l’analyse que Joel Zito Araújo fait à partir des feuilletons télévisés au Brésil (voir à ce sujet chap. IV, sect. 4.5). J’ai choisi de garder ce terme dans la langue originale en raison de la charge historique et émotionnelle qu’il véhicule, laquelle pourrait être partiellement compromise dans la version française correspondante. 251 rôle dans la vraie vie, mais aussi parce qu’elle remplissait toutes les attentes historiquement construites à cet effet, en étant à la fois suave, tendre, docile, femme, noire et baba professionnelle. Reste à savoir si le climat de « totale décontraction » et d’« euphorie », tel que le décrivent les responsables de l’annonce, a vraiment rendu hommage au jour « qui en étant à nos enfants, est aussi à l’ange à qui, pour sa tendresse, nous confions leurs premières années de vie et de formationcccliv. » Les responsables de la publicité en question souscrivent à l’espoir que cette représentation d’office soit « dépassée », « minimisée », voire même considérée comme une simple « équivoque ». c) L’avis du CONAR Le rapporteur Álvaro Gabriel de Almeida émet un avis concis mais riche d’éléments qui méritent d’être repris ici. L’avis en question commence par la transcription des articles 2 et 20 du CBARP, suivis d’un bref commentaire : « L’annonce en question, en plus d’autres articles, porte atteinte de manière scandaleuse aux deux cités ci-dessousccclv. » Par la suite, le rapporteur s’attaque plus précisément à la supposée scène d’« euphorie » que les responsables de l’annonce ont envisagé de faire passer au public : Si c’est un signe de tendresse d’attacher l’ange cité avec une épaisse corde de nylon et d’attacher sa bouche avec un morceau de tissu, nous allons revoir toute l’histoire de l’esclavage au Brésil et en arriver à la conclusion que l’esclave Anastacia150 n’est qu’une équivoque, puisque tout ce qui s’est passé dans sa vie n’a été que des manifestations d’amour incommensurable.ccclvi 150 L’esclave Anastacia est une sainte populaire, non reconnue par l’Église catholique, qui est vénérée pour ses dons de guérir les gens. Des versions historiques non officielles la décrivent comme une femme d’une beauté extrême, soumise à des supplices répétés de la part de l’épouse blanche de son maître. La jalousie de cette dernière aurait été si grande qu’elle a imposé à l’esclave Anastacia le port d’une muselière et d’un collier en fer. 252 Il me semble essentiel de faire ressortir que, malgré sa popularité, l’esclave Anastacia n’est pas une figure historiquement datée, comme le laisse entendre le rapporteur dans son avis. D’ailleurs, et d’une manière très curieuse, c’est justement la certitude de ce dernier quant au caractère historique de ce personnage qui lui permet d’ironiser sur les propos des accusés, en citant celle-ci comme une source historique sûre et fiable. Toutefois, son déracinement historique n’est qu’un détail : en effet, même si l’esclave Anastacia n’a peut-être pas réellement existé, c’est en grande partie la vraisemblance des châtiments corporels et d’humiliations subis par celle-ci qui a fait en sorte que le mythe puisse perdurer jusqu’à nos jour. Le rapporteur passe alors au point soulevé dans le plaidoyer, selon lequel M. I. aurait été choisie non parce qu’elle est noire, mais parce qu’elle est tendre et sympathique : « Il a fallu expliciter alors si les modèles petit blonds qui complètent l’annonce ont été choisis pour leur agressivité ou pour le manque de respect humain exprimé à un si bas âgeccclvii. » On pourrait confronter l’attribution de l’expression « petits blonds » dans ce passage à celle d’« enfants clairs » qui avait été mentionnée dans la représentation d’office. Alors que la première semble prôner l’évacuation de la connotation raciale en utilisant un euphémisme, la dernière tâche de faire justement ressortir cet attribut phénotypique lorsqu’il s’agit d’y attribuer une forme de blâme moral : les petits blonds font montre d’« agressivité » et de « manque de respect humain ». Ceci amène le rapporteur à clôturer son avis sous la forme d’une interrogation indignée : « Pourquoi, en fin de compte, vouloir justifier le fait que la pauvre malheureuse soit noire par ses qualités spirituelles et envoyer une attestation de suprême stupidité à tous les lecteurs de magazines qui ont publié cette annonce ?ccclviii » Dans sa recommandation finale, le rapporteur suggère le retrait de la circulation de ladite publicité, en avançant les trois raisons suivantes : « la première, parce que l’annonce ne respecte pas la dignité humaine ; la deuxième, parce qu’elle ne respecte pas les différenciations sociales découlant du plus grand ou du moindre pouvoir d’achat ; la troisième, parce qu’elle méprise de manière déloyale toute l’activité publicitaireccclix. » 253 Les trois raisons avancées méritent quelques précisions additionnelles. Je suis tenue de croire qu’aucune d’entre elles ne mène à reconnaître, d’emblée, le blâme de discrimination raciale. D’abord, parce que le fait de condamner un traitement qui porte atteinte à la dignité humaine n’implique pas directement la reconnaissance de la discrimination raciale (rappelons à cet effet que l’article 20 englobe de manière générale toutes les formes de discrimination). Ensuite, parce que la deuxième raison mentionnée par le rapporteur semble indiquer une préférence pour la formulation du problème en termes de discrimination sociale, et non raciale à proprement parler151. Finalement, la troisième raison, on la connaît depuis le premier procès commenté ici : en se faisant chiens de garde de l’image institutionnelle de la publicité, les membres du CONAR sont peut-être d’autant plus réactifs lorsque cette image est mise en péril. Celle-ci constitue cependant une hypothèse à vérifier dans les procès ultérieurs. Finalement, dans la décision finale émise le 24 novembre 1988, on recommande le retrait de la circulation de la publicité en question. Comme celle-ci est associée à un événement commercial déterminé, le Jour des enfants, ayant lieu chaque année le 12 octobre, cette décision ne pourrait aucunement être efficace. Elle détient plutôt l’effet d’une motion symbolique, en empêchant, dans le meilleur des cas, que la publicité en vienne à être à terme remise en circulation. d) La résonance dans les médias Une note et une lettre sont les seuls documents ayant été publiés à l’époque dans les médias de circulation locale et nationale. La note en question a été publiée dans le Jornal da Tarde, à São Paulo, le 5 octobre 1988, date du dépôt de la plainte par l’IPCN. 151 En fait, l’imprécision de cette phrase semble être plutôt l’effet d’une mauvaise rédaction. Dans le document rapportant la décision finalement, on cite notamment que l’annonceur s’est montré irrespectueux envers la dignité humaine « et envers les différenciations sociales » (“e contra as diferenciações raciais”, Instituto de Pesquisa das Culturas Negras c. Network Ltdée et Agence Claroscuro, 1985) découlant du pouvoir d’achat. 254 Sous le titre suggestif de « Censure » (1988), la note fait part de deux événements en principe indépendants : la fin officielle de la censure au Brésil et le dépôt d’une action publique de responsabilité civile de la part de l’IPCN. Dans la première partie de la note, on apprend que « la censure des spectacles et des divertissements publics est finie à partir d’aujourd’huiccclx », et que les émissions de radio et de télévision devront obéir à un classement d’âge devant être défini de façon adéquate par la loi. La note poursuit dans un ton nettement optimiste, en rapportant l’avis d’un membre de la principale entité commanditaire du CONAR : « ‘Il s’agit d’un moment historique’, se réjouissait hier Ricardo Cravo Albim, représentant de l’ABERT auprès du Conseil du Ministère de la justiceccclxi. » Ensuite, sur la même ligne, on passe à l’événement suivant, sans qu’aucune forme de transition ou qu’aucun terme de liaison ne soient employés : À Rio de Janeiro, l’Institut de recherches des cultures noires présente aujourd’hui une action publique de responsabilité civile, fondée sur l’article 15 de la nouvelle Constitution, contre les Confections Smuggler, pour avoir véhiculé une annonce qui montre une noire avec la bouche attachée et entourée d’enfants blonds souriants, avec le texte qui suit : ‘Conformez-vous : le 12 octobre, c’est leur jour’.ccclxii À priori, la seule liaison factuelle entre les deux événements est la promulgation de la nouvelle Constitution du Brésil. D’une part, l’association de ceux-ci sous le titre « Censure » peut conduire à une interprétation particulière, selon laquelle les deux cas portent sur des problèmes relevant de la censure envers la liberté d’expression commerciale. D’autre part, la note signale elle-même la complexité des structures délibératives résultant en un nouvel instrument constitutionnel et ce, en prenant acte de l’existence des groupes d’intérêts les plus diversifiés : les uns liés aux organismes de défense des intérêts privés dans le domaine de la communication, comme l’ABERT, les autres liés cette fois-ci aux causes de groupes historiquement et socialement défavorisés, comme l’IPCN. Toutefois, la fin de la censure formelle et la mise en scène des actions civiles publiques ne pourraient configurer une contradiction que dans la tête des teneurs des intérêts privés de la radiodiffusion ; celles-ci sont, en effet, parfaitement conciliables avec un État de droit démocratique où la liberté d’expression coexiste avec des mécanismes plus généraux de contrôle social de la société civile. Dans ces situations, rappelle Habermas, la société civile est en mesure « d’inverser la 255 direction des cycles de communication établis de façon conventionnelle à la fois dans l’espace public et dans le système politique, et de modifier ainsi le type de résolution des problèmes du système dans son ensemble. » (Habermas, 1997, p.408, italiques dans l’original.) L’autre document publié dans les médias de masse relève d’une lettre soussignée par Januário Garcia Filho, président de l’IPCN. Bien que cette lettre ait été publiée dans le Jornal do Brasil du 25 octobre 1988, soit un jour après l’émission de la décision finale de la part du CONAR, on ne peut prendre pour acquis que son auteur était au courant de la décision au moment de sa rédaction. Intitulé « Publicité » (Garcia Filho, 1988), le texte va au cœur de la discrimination raciale dans les médias : En travaillant avec l’émotion et non avec la raison, la publicité essaie de rejoindre le public avec un modèle anglo-saxon et ce, dans une nation où la majorité de la population est métisse. Ceci se doit au fait que les références cherchées sont en totalité européennes ou américaines.ccclxiii Si l’on reprend les quatre fonctions des médias comme paramètre, on verra que la situation problématisée ici est justement l’existence d’un patron esthétique anglo-saxon qui va à l’encontre de celui de la majorité de la population. La raison est simple : les références qu’on cherche ne viennent pas d’ici, mais d’ailleurs. Toutefois, son auteur relie le problème de la recherche de ces références à l’existence d’un mécanisme idéologique internalisé : « Grâce à une simple lecture des annonces véhiculées dans les médias imprimés et électroniques, nous pouvons constater l’influence de l’idéologie du blanchiment qui est internalisée dans notre sociétéccclxiv. » Dans son diagnostic, la publicité de la confection Smuggler ne constitue qu’une preuve irréfutable de cette intériorisation idéologique : L’annonce de la [confection] Smuggler stigmatise le stigmatisé, c’est-à-dire qu’elle discrimine dans la discrimination. La publicité ‘suggestive’ (…) suggère à nous, les Noirs, que nous devons nous accommoder de l’humiliation, de la torture et de la discrimination, ou bien nous y conformer.ccclxv 256 Ce qui me semble particulièrement important de faire ressortir ici, c’est la spécificité de la dimension intersubjective que font connaître ces énoncés. Or, dans son interprétation de la publicité, le rapporteur s’inquiétait notamment du comportement moralement condamnable des enfants blancs. Ici, d’une façon très efficace, l’auteur de la lettre fait connaître le type de message que cette publicité envoie d’une façon très claire à la population noire : résignezvous à votre rôle de subordination. Toutefois, de façon différente de celle du rapporteur, l’interprétation mentionnée ci-dessus démontre deux aspects centraux de la discrimination raciale qui étaient tenus jusque-là à l’écart de la discussion autour de cette publicité. D’un côté, cette interprétation fait part d’une dimension subjective du dommage de la discrimination raciale. D’un autre côté, elle fait ressortir une perception accrue des implications politiques que l’acte de violence représenté symboliquement dans la publicité inflige à toute la collectivité des individus concernés par un tel acte. La suite de son argument sert non seulement à étayer ses propres points de vue, mais aussi à faire état de certaines formes de solidarité sociale requises pour la reconnaissance du dommage par les professionnels de la publicité. L’auteur cite notamment le chercheur Muniz Sodré, dans sa critique à l’ethnocentrisme « ethnocide » de la publicité brésilienne, lequel ne fait qu’alimenter le désir de la population blanche visant à la « disparition, mort de l’ethnie noireccclxvi ». Il cite également le fait qu’en étant lui-même photographe publicitaire, il participe à des rencontres et à des séminaires publicitaires « où la question du Noir est poséeccclxvii ». « Cette annonce, dit-il, a soulevé une grande solidarité [de la part] de plusieurs directeurs de création et directeurs d’art de diverses agences de publicité. Le CONAR même nous a envoyé une lettre où l’on dit être en train d’évaluer l’annonceccclxviii. » Garcia Filho conclut sa lettre en se défendant d’un supposé argument d’opportunisme ou d’autopromotion : « Il ne s’agit pas de vouloir apparaître, mais de combattre le traitement différencié imposé aux noirs tout au long de l’histoire dans notre société, laquelle maintient un processus d’exclusion du Noir comme forme de dominationccclxix. » 257 Ainsi, on verra que la première note ne fait pas plus que citer le dépôt d’une action publique de responsabilité civile par l’IPCN, quoique dans un cadre qui semble légèrement favoriser une association entre celle-ci et la censure. Dans la lettre du président de l’entité en question, en contrepartie, on note la formulation du problème à un autre niveau de profondeur, allant du diagnostic de la représentation dans la publicité jusqu’à la formulation, plus ample, du problème d’intériorisation de l’idéologie du blanchiment par la société. En faisant siennes les critiques de Muniz Sodré sur l’« ethnocentricité » de la société brésilienne, l’auteur énonce une condamnation morale sur le désir homicide de la société dominante (troisième fonction des médias chez Entman). Il a uniquement omis d’indiquer une solution claire au problème de la discrimination raciale, bien qu’il donne des exemples personnels de combat contre le « traitement différencié imposé aux Noirs ». Ceci n’est qu’un prélude à un projet politique collectif qui émergera plus tard, dans les années 1990, au moins en ce qui concerne la question de la représentation de la population afro-brésilienne dans les médias de masse. Pour conclure, j’aimerais revenir sur les trois fonctions des médias de masse dans le processus de délibération sociale plus ample, selon les formulations plus récentes d’Habermas (voir sect. 7.1). Or, à en juger par cette vision normative de l’action des médias de masse, on n’a pas connu, à vrai dire, d’énonciation d’un véritable débat dans les pages des journaux. Ceci vaut généralement pour ces deux procès de la première phase : lorsqu’on fait référence à la publicité dénoncée, on le fait en prenant uniquement le point de vue d’un des côtés impliqués, soit-il celui des publicitaires responsables (comme dans le cas du procès 022/84152), ou celui des parties plaignantes (procès 025/82 et 118/88). Jusqu’ici, les médias ont agi de manière plus étroite, dans le sens de la mobilisation et de la mise en commun de certaines opinions. Toutefois, ces arguments n’ont pas été traités « discursivement par le biais d’arguments pour et contreccclxx. » Cette approche unilatérale de la publicité dénoncée ne fait pas non plus état d’un échange d’arguments, dans les espaces des médias imprimés, entre les diverses parties impliquées dans le procès pour discrimination raciale. Pour toutes ces 152 Voir daans Leifert c. Instituto Paulista de Adoçao, 1984. 258 questions, je considère que la couverture médiatique du présent procès, ainsi que celle de deux procès précédents, n’ont pas vraiment constitué un espace public ni local ni national. Elles ont cependant servi à la préconfiguration d’une sphère publique qui surgira dans les années suivantes, dûment appuyée par les derniers acquis légaux de la Constitution de 1988. Les grands thèmes de controverses sont dès lors énoncés, comme on verra dans le bref bilan de la première partie que j’énoncerai par la suite. 7.2.2. Deuxième phase des procès pour discrimination raciale (1990-1999) 7.2.2.1. Procès n° 076-90153 : la mère nourricière de Benetton a) La dénonciation : lettre, publicité et reportage Le présent procès débute avec la publication d’une lettre acheminée au Jornal da Tarde de São Paulo, section « São Paulo interroge », le 4 juin 1990. La lettre en question, qui était en effet adressée au Groupe Benetton (GB) par l’intermédiaire de Sérgio Amaglio154 (dont on ignore l’occupation exacte), est signée par Antônio Benedito de Sousa, avec copie conforme adressée au CONAR. L’auteur de la lettre commence son texte en félicitant le GB pour l’initiative de « mélanger toutes les races dans ses publicitésccclxxi », ce qu’il voit comme une « contribution, 153 154 Voir dans Sousa c. Groupe Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990. Étant donné que la présente lettre ne comptait pas parmi les nombreux articles annexés au procès, il y a lieu de se demander si celle-ci a effectivement été publiée dans le quotidien Jornal da Tarde. C’est par le biais du texte de la défense qu’on apprend qu’en effet la lettre-dénonciation avait été simultanément envoyée à l’annonceur, le Jornal da Tarde, et au CONAR. 259 intentionnelle ou non, à la minimisation du racisme, de l’apartheid, etc.ccclxxii ». « En ce qui concerne la publicité en annexe, poursuit-il — qui montre une noire allaitant un enfant blanc —, l’effet à mon avis est inverseccclxxiii. » (Voir app. B.3.) Voici donc la formulation de l’auteur sur le problème de la discrimination raciale : Vous savez mieux que moi que les médias de communication/la publicité sont formateurs de l’opinion. Dans ce cas, il y a un renforcement de l’opinion, selon laquelle le Noir est servile, soumis, etc. La publicité en référence précède l’article ‘Les couleurs du Brésil’, portant sur la question raciale au Brésil, où le Noir est le plus endommagé. Je pense qu’ils sont assez proches, étant l’association United Colours… avec les couleurs. Tout au contraire, le résultant a été pire que si celle-ci [la publicité] était apparue de manière isolée.ccclxxiv Avant de poursuivre l’argumentaire, on doit s’en tenir à un aspect entièrement nouveau dans cette lettre-dénonciation : on propose une lecture de la publicité faite à partir du contexte dans lequel celle-ci a été placée à l’intérieur d’un média quelconque (dimension illocutionnaire). Dans ce cas spécifique, la publicité a été placée à côté d’un article portant justement sur la question raciale au Brésil et sur la position défavorisée des Noirs. Ensuite, la lecture faite de la publicité à la lumière du contenu journalistique suggère une correspondance entre le statut de la femme dans la publicité en question (dimension locutionnaire) et celui des Noirs dans sa dimension sociétaire (dimension perlocutionnaire). Le pire, ajoute l’auteur, est que d’après ce qu’il a pu vérifier, cette même publicité avait déjà circulé en Europe, en soulevant de vives protestations de la part des mouvements noirs là-bas. D’où la question suivante : Pour quelles raisons Benetton nous ferait-elle avaler la même publicité, alors qu’ici l’esclavage noir a vraiment été marquant et que, par conséquent, les motifs pour la protestation seraient encore plus grands ? Je ne représente ni ne fais partie d’aucun mouvement noir. D’où ma peur d’être une goutte d’eau dans l’océan ou d’être tout simplement en train de prêcher dans le désert. Mais je ne pourrais pas me taire (si ceci ne fait pas la moindre différence, pourquoi n’a-t-on pas inséré une blanche avec un enfant noir ?).ccclxxv 260 Il semble y avoir d’autres aspects innovateurs de ce procès par rapport aux précédents : ici, on parle clairement d’une récidive de la part de l’annonceur, dans la mesure où la même publicité avait déjà été critiquée ailleurs par les membres des mouvements noirs. Pire encore, une récidive délibérée et peut-être — étant donné l’ampleur de l’expérience de l’esclavage au pays — ouvertement stratégique (on se souvient encore que le publicitaire responsable du « Boni du bonheur » était, en effet, extrêmement satisfait de la répercussion de son produit dans les médias, quelles qu’en soient les circonstances). Avant de passer aux arguments de la défense, cela vaudrait la peine de jeter un coup d’œil à l’article paru dans l’hebdomadaire Veja du 30 mai 1990. Intitulé « Les couleurs du Brésil » (1990), ce reportage de 5 pages porte sur les résultats du dernier PNAD au pays (pour une définition du PNAD, voir chap.1, n. 14). Le sous-titre du reportage anticipe les deux préoccupations centrales de l’article : « L’enquête de l’IBGE montre que les Jaunes sont les Brésiliens ayant les meilleures conditions de vie et que bientôt les Blancs seront une minorité au paysccclxxvi. » Bien que la divulgation du PNAD n’ait rien d’exceptionnel en soi, étant donné son caractère annuel, il semble que l’exceptionnalité des derniers résultats résulte d’un traitement méthodologique différencié : le Supplément Couleur, publication en 5 volumes et 1400 pages. Le caractère surprenant de ces résultats est dévoilé dès la première page : Les Brésiliens d’origine orientale, y compris les descendants d’immigrants Japonais, Coréens et Chinois, sont ceux qui ont le mieux réussi, occupant maintenant le sommet de la pyramide sociale en termes de revenu, d’éducation et de bien-être. En moyenne, ils ont un revenu mensuel 80 % supérieur à celui des Blancs. Leurs enfants commencent à l’école plus tôt, possèdent des diplômes d’un niveau supérieur et finissent par mener une vie plus agréable.ccclxxvii Une fois la supériorité sociale « jaune » constatée, on s’attaque à la deuxième préoccupation, à savoir : les raisons menant au « changement de couleur » de la population brésilienne, tenu 261 dans le reportage comme un « virage avec des dimensions historiquesccclxxviii ». On verra, par exemple, quelques prémisses de l’idéologie du blanchiment faire surface, comme celle de l’effacement génétique des pretos (voir chap. I, sect. 1.6) par le biais de l’assimilation. Cet aspect ne semble d’ailleurs poser aucun problème à l’auteur de l’article : « Les pretos, comme on le soupçonne depuis des années, semblent condamnés à la disparitionccclxxix. » Le problème, semble-t-il, réside plutôt dans l’assimilation du pôle opposé : « Toutes les données disponibles indiquent que les pardos représenteront la majorité de la population dans peu de tempsccclxxx » — peut-être même lors du prochain repérage, écrit-il. Plusieurs données statistiques datant de la dernière quarantaine d’années sont portées à la connaissance du lecteur de façon à mettre en évidence l’effacement concomitant de deux extrêmes du continuum de couleur au Brésil. Ce que le reportage semble suggérer, d’une part, c’est que les deux préoccupations énoncées antérieurement — l’ascension des Jaunes et l’assimilation des Blancs — sont des processus intrinsèquement complémentaires et inquiétants si vus depuis la perspective d’un Blanc qui tenait sa position de domination comme un fait accompli. Ces deux évidences déstabilisent, en vérité, l’un des présupposés centraux de l’idéologie du blanchiment : l’idée — peut-être implicitement souhaitée — selon laquelle le sang blanc aurait, lors de contacts interraciaux, la primauté sur le sang non blanc. Il y a, certes, dans l’horizon de ces croyances, une vision nettement négative de la population noire, laquelle se définit par opposition à celle des Blancs et de Jaunes. Par exemple, le reportage suggère, sans détours, que « la réussite des Orientaux » se doit non seulement à leur plus grande « disposition au travail » mais aussi à une consommation plus modeste, comparable à celle des Noirs. On apprendra ainsi que « Shigueyuki Fukugakiuchi, 58 ans, est un entrepreneur avec un patrimoine que la vision conventionnelle associe aux personnes de couleur blanche — et un modèle de consommation qui, statistiquement, se rapproche de celui des familles noires les plus appauvriesccclxxxi. » Toutefois, on aurait également tort de s’imaginer que le reportage s’arrête là, dans l’éloge de la réussite des pans de la population jaune. Au contraire, les 40 % restants du reportage servent « à confirmer ce qu’on voit et à démentir une bonne partie de ce qu’on ditccclxxxii » sur 262 la condition des pretos et pardos. Certes, les résultats sont parfois mitigés par une formulation à la fois maladroite et confuse155, mais deux idées subsistent : d’une part, le constat de la « fracture dramatique » qui scinde la société brésilienne, qui fait que les pretos et les pardos n’ont jamais changé de position dans la structure sociale brésilienne ; d’autre part, le fait que les différences sociales seraient directement liées à l’existence de la « discrimination ». « La particularité brésilienne est la simultanéité des lois qui font du racisme un crime gravissime — sans prescription et inamendable, comme le terrorisme — et une archive inédite d’atrocités dans ce champccclxxxiii. » Le reportage en cite quelques-unes, à savoir : le traitement brutal accordé par la police de São Paulo à l’ancien dictateur et alors chef des forces armées du Suriname, Desi Bouterse ; le refus des banques d’accorder des prêts bancaires à l’ingénieur civil noir Antonio Limoeiro, résidant à Salvador ; le fait que les employés blancs profitent plus souvent de possibilités de promotion à un niveau hiérarchique supérieur dans leur carrière (moyenne jamais supérieure à quatre ans) que les Noirs (moyenne minimale de huit ans). Ainsi, dans la suite du reportage, on lira la critique la plus extensive de la thèse de la démocratie raciale jamais annexée à un procès pour discrimination raciale jusqu’à présent. « Efficace, estime-t-on, le régime de la démocratie raciale brésilienne produit une tragédie visible dans les statistiques — mais ses grands mouvements sont invisiblesccclxxxiv.» La preuve accablante est fournie dans la dernière section du reportage par une mise en situation impliquant trois journalistes : un Noir, un Blanc et un Nippo-Brésilien. Les trois se sont présentés, à tour de rôle, dans trois environnements sociaux différents : un restaurant élégant 155 De façon assez ambiguë, on souligne que « le défaut génétique le plus connu qu’on a l’habitude de faire ressortir dans le comportement de ces personnes est celui selon lequel [les Noirs] seraient l’idéal de l’un de plus grand maux nationaux : la paresse » (“o mais conhecido defeito genético que se acostuma apontar no comportamento dessas pessoas é o de que seriam o supra-sumo daquele que é conhecido como um dos grandes males nacionais — a preguiça”, Sousa c. Groupe Benetton et Agence J.W. Thompson, 1990) Toutefois, en cherchant des explications de l’absence de « progrès » au niveau des populations preta et parda, le reportage s’apprête à fournir des contreexemples de ceci : « Ce que l’IBGE démontre, c’est que ces personnes sont les championnes du chômage, du travail informel et que leur rythme [de travail]s’accorde avec la moyenne nationale. » (“O que o IBGE demonstra é que essas pessoas são campeãs do desemprego, do trabalho sem registro em carteira e que seu ritmo de trabalho esta de acordo com a média nacional”, Sousa c. Groupe Benetton et Agence J.W. Thompson, 1990.) 263 d’un quartier aisé de São Paulo, un magasin de vêtements masculins très réputé et une maternité. Chacun d’eux a demandé les mêmes produits et services et a reçu en échange un traitement extrêmement disparate qui variait, certes, en fonction de leurs traits phénotypiques. Alors que la « réussite jaune » semble donner une « leçon de tolérance », les chiffres concernant les conditions de vie des pretos et pardos, conclut inopinément le reportage, demeurent un mystère. « Avec le changement de couleur du Brésil, lance-t-on, la question est de savoir où s’arrêtera la démocratie racialeccclxxxv. » Le dernier système d’oppression raciale entre une majorité noire et une minorité blanche, rappelle-t-on, a été fondé en 1948 en Afrique du Sud, lequel « tôt ou tard, devra trouver sa finccclxxxvi. » Pour conclure, il semble pertinent de faire ressortir la pluralité de perspectives examinées dans le reportage en question. Celui-ci suggère une lecture déstabilisante du futur génétique du Brésil en contrepartie d’un argumentaire hésitant parfois entre une vision défaitiste de l’assimilation blanche et une critique radicale de la thèse de la démocratie raciale et d’une incapacité, malgré ses nombreuses qualités, d’établir un lien de causalité entre la réussite de l’immigration et les conditions de vie nettement défavorables de la population noire. Plus encore, cet article met le lecteur en face des contradictions mêmes de ce système de croyances qui, après coup, finit par produire des effets pervers pour celle qui constituera bientôt la majorité de la population, en faisant un clin d’œil au repoussant fantôme de l’apartheid. Si, certes, les lectures que le reportage de Veja permet sont multiples, celle de l’auteur de la lettre adressée au quotidien Jornal da Tarde a visiblement choisi la voie plus critique. Les passages et chiffres soigneusement surlignés à l’aide d’un stylo et annexé à la lettre par l’auteur en question n’y sont pas pour rien : celui-ci les a consciemment choisis pour démontrer qu’il n’existe pas de démocratie raciale au Brésil et que la publicité est plus blessante ici que ce qu’elle aurait pu être ailleurs. Pourquoi alors, insiste-t-on pour garder les traces d’un passé si douloureux dans l’iconographie publicitaire ? 264 Devant une telle question, le directeur du CONAR dépose une représentation d’office le 18 juin 1990, ayant comme fondements les articles 1, 2 et 20 du CBARP. « D’après la plainte en annexe, l’annonce se montre discriminatoire et offensante vis-à-vis de la race noire, résume-tilccclxxxvii. » Aux accusés, GB et l’agence Thompson, leur droit de défense. b) La défense Le plaidoyer, long de 19 pages et organisé autour de 44 points principaux, signale lui aussi une multitude de changements par rapport aux précédents. Tout d’abord, c’est le premier plaidoyer signé par un avocat officiellement constitué pour la représentation devant le Conseil d’éthique, inaugurant ainsi une tendance à la professionnalisation désormais définitive dans les procès de grande répercussion médiatique. Ensuite, c’est aussi la première fois qu’une compagnie multinationale, le GB en l’occurrence, est impliquée dans une dénonciation pour discrimination raciale. Il serait peu réaliste de vouloir résumer tous les 44 points de manière détaillée ici. On essaiera, cependant, de s’attarder sur ceux qui s’attaquent plus directement aux questions énoncées dans la lettre-dénonciation. Le plaidoyer, signé par l’avocat Marco Antônio Rodrigues Barbosa, a été acheminé dans un délai de cinq jours ouvrables suivant la réception de la lettre de convocation. Le premier élément ressorti par le texte de la défense est, bien sûr, le compliment que le plaignant avait fait par rapport à la stratégie du GB de « mélanger toutes les races » dans les annonces. Deux points de la lettre-dénonciation ont été saisis et cités : a) l’effet inverse du prétendu objectif de combattre le racisme en mélangeant les membres de diverses races ; b) l’effet de renforcement de l’opinion selon laquelle le Noir est soumis et servile. 265 Le principe est, comme dans tous les textes de défense analysés jusqu’ici, de nier l’existence d’infraction aux trois articles servant de fondements à l’ouverture du procès éthique156. Ici, il est intéressant de mentionner la procédure juridique utilisée. L’avocat en question s’appuie sur le Code de procès civil brésilien pour insister sur le fait qu’il ne s’agit même pas de discuter le mérite même de la question — en l’occurrence la discrimination raciale — mais plutôt de prouver que la représentation d’office n’a pas d’objet. Ceci se doit au fait que la mise en circulation de l’annonce attaquée — une femme de race noire allaitant un enfant blanc —, produite en Italie et visant à être initialement véhiculée en Europe, a été conclue au Brésil ; il est clair que cette annonce ne sera plus véhiculée dans ce pays, en vertu de la stratégie publicitaire.ccclxxxviii Voici donc la justification pour échapper à la discussion du mérite : l’annonce ne sera plus véhiculée au pays et ce, pour une simple question de stratégie publicitaire. Toutefois, cette stratégie comporte un degré de risque élevé, vu que le CONAR peut bel et bien sanctionner de manière rétroactive une publicité qui n’est plus en circulation (raison d’ailleurs qui a mené le directeur du CONAR à déposer la représentation d’office à l’origine du procès n° 22/84157.) En acceptant l’hypothèse d’un jugement sur le mérite, Barbosa poursuit la défense de son client en mentionnant cette fois-ci les valeurs éthiques du GB, lequel utilise « la combinaison universelle de couleursccclxxxix » comme concept de marque. C’est « le respect envers la personne humaine, le respect de son égalité et de sa libertécccxc » qui mène cette marque à faire prévaloir, dans ses publicités, et partout où celles-ci sont véhiculées, « les valeurs de gaieté, de liberté, d’égalité, de fraternité, de solidarité et de non-discrimination raciale, politique, religieuse ou d’âgecccxci. » Celle-ci consiste en une belle démonstration de 156 L’acception immédiate du blâme de discrimination raciale a eu lieu dans un seul et unique procès, lequel touchait directement la communauté chinoise (Consulat général de la République populaire de Chine au Brésil c. Semp Toshiba S.A et Agence Talent, 1994). La publicité en question était une annonce télévisée où un membre de la communauté chinoise se plaignait de la supériorité de la technologie japonaise. Le procès a été clôturé avec la médiation du CONAR et la demande d’excuses formelles de la part de l’annonceur, écrite en mandarin et publiée dans un journal de circulation locale à São Paulo. 266 l’incorporation du langage des droits de l’Homme au domaine de la publicité. Il reste à vérifier si l’engagement du GB à ces valeurs demeure circonscrit à son aspect plus formel — comme l’est d’ailleurs l’adhésion du Brésil au principe de l’universalisme républicain. Voici donc le premier procédé rhétorique pour dénouer le blâme pour discrimination raciale perçue dans la publicité accusée : l’envoi d’un assortiment de vingt annonces publicitaires « produites et véhiculées dans divers pays dans le mondecccxcii » comme « preuve sans équivoque » de ces valeurs éthiques. Ces annonces visent à refonder la « compréhension » de l’annonce sur des bases plus amples, c’est-à-dire comme une stratégie marchande d’intégration indifférenciée « de toutes les couleurs et sans discrimination de racecccxciii. » Poussé à l’extrême, cet artifice vise à prouver solidement que l’intégration des races s’applique à toutes les races et non simplement à la race noire : « On note, dans d’autres annonces, l’utilisation de personnes d’autres races, nationalités et couleurs, au-delà de la couleur noirecccxciv. » Le deuxième procédé est connu et n’est pas vraiment une nouveauté dans les procès éthiques pour discrimination raciale, à savoir : l’inversion du blâme. Ainsi, on tâchera d’étiqueter l’argument concernant l’effet de renforcement de la position subalterne des Noirs, tel qu’énoncé par le plaignant, comme une « attitude résultant de préjugéscccxcv. » Le problème ici, suggère-t-il, ce n’est pas la publicité, mais la culture à partir de laquelle le plaignant élabore ses propres conclusions : « Or, chaque groupe humain possède une capacité spécifique de produire une culture, d’attribuer du sens ; c’est évident que différents groupes humains attribuent des sens divers à des phénomènes similairescccxcvi. » 157 Voir dans Narchi c. Instituto Paulista de Adoção et Agence Young & Rubicam, 1984. 267 Le raisonnement prenant cette-ci fois un chemin inédit, on conclut avec un diagnostic assez surprenant de l’interprétation équivoque du plaignant : « Regrettablement, toutefois, il y a toujours la perspective ethnocentrique, c’est-à-dire la tendance à juger les autres cultures à partir de ses propres valeurs. Et cette perspective conduit invariablement aux préjugés, qui ne sont pas nés avec l’hommecccxcvii. » La conclusion ne pourrait être autre que celle-ci : alors qu’au Brésil prédomine encore le préjugé racial, le GB ne peut être tenue pour responsable « [d’]une culture qui, d’une manière pleine de préjugés, a établi, comme ses [propres] valeurs, le servilisme et la soumission du Noircccxcviii. » Bref, c’est le GB l’ultime victime du « manichéisme » et du « préjugé social » brésilien. Mais on ne s’arrête pas là. Si l’on part du principe que le phénomène de l’interprétation est quelque chose de profondément « contextuel » — voire même « ethnocentrique », selon la vision avancée par la défense —, il s’agit maintenant de chercher d’« autres formes de compréhension plus humaines ou, tout au moins, plus civiliséescccxcix. » Quoi de mieux que commencer en citant les avis de Noirs qui ne partagent pas la vision du plaignant ? Le rôle des médias comme source primordiale d’opinions est ici fondamental. On commence par citer l’opinion de personne d’autre que l’illustre sociologue et historien noir Clóvis Moura (voir chap. II, n. 37), l’un des membres fondateurs du MNU (voir chap. II, sect. 2.5). Moura aurait en effet fait une déclaration au quotidien Estado de São Paulo (Camargo, 1990), selon laquelle il considère qu’il n’y a pas eu d’intention d’établir un rapport raciste de la part des annonceurs, mais que « dans les analyses des Brésiliens, il y aura sans doute cette connotation esclavagistecd ». Le deuxième avis cité provient de l’acteur noir Milton Gonçalves (Dias, 1990) : « L’annonce ne m’offense pas. Elle éveille la sensibilité, non la rage. Je pense que Benetton prend en compte le Noir en tant que consommateurcdi. » D’autres opinions d’experts de la publicité viennent s’ajouter à celles des principaux « intéressés » dans la problématique de la discrimination raciale. La sociologue Vera 268 Aldrighi, directrice de l’agence MPM, déclare que « la campagne est belle et [qu’elle] n’est pas racistecdii » ; Jacques Lenkowicz, président et directeur de création de l’agence SLBB, dit que « l’annonce est belle et [que] je n’y vois aucun préjugécdiii » ; Nizan Guanães, président de l’agence DM-9, trouve que la campagne est « merveilleuse. Je doute qu’une réaction survienne parce que le racisme ici est plus cynique et voilécdiv. » On cite par la suite les nombreux prix récoltés par le GB dans les concours publicitaires internationaux dans plusieurs pays en Europe — Italie, Danemark, France, Autriche — en rajoutant que des traductions assermentées de chacune des attestations seraient opportunément annexées au procès. Ainsi, « pour tout ce qu’on a jusqu’ici démontré, prouvé par des documents et qui sera corroboré par d’autres preuves, on est forcé de conclure à la non-occurrence d’infraction au CBARPcdv. » En réclamant la « justice », souscrit l’avocat Barbosa. c) La position du CONAR L’avis de la rapporteuse Eliana Cáceres ne pourrait être plus favorable à la partie accusée. Suite à une brève description des parties citées dans le procès, de la description de la publicité et de la mention du principal argument soulevé par le plaignant — celui du renforcement de l’opinion —, elle passe tout droit à la conclusion de son avis : l’annonceur a bien démontré, tout au long des 45 « citations richement étayées de lois et articles du CONAR mêmecdvi », que « la plainte du consommateur n’a pas de fondementcdvii. » Ensuite, rappelle-t-elle, c’est l’annonceur lui-même qui réclame la perte de l’objet de la représentation, en affirmant que la campagne en question ne sera pas remise en circulation au pays. De ce fait, la rapporteuse suggère la mise aux archives du procès dépendamment de la perte de son objet. En citant les propres termes utilisés par l’accusé, Cáceres affirme que « le plaignant, en ciblant le mérite de la publicité en question, commet au moins une injustice vis- 269 à-vis de Benetton, dont les valeurs et principes ont été minutieusement expliquéscdviii. » En s’insurgeant contre l’attitude « chargée de préjugés » du plaignant, elle conclut en exprimant « également, notre consternation et indignation devant des plaintes comme celle que nous a acheminée le consommateur Antônio Benedito de Sousacdix. » C’est sans surprise qu’on apprend que la décision finale du CONAR, émise à l’unanimité le 9 août 1990, a décidé de mettre aux archives le procès en conséquence de l’« absence de mérite », en observance au fait que « même si l’annonce n’est plus véhiculée, il n’y a pas lieu de parler de perte de l’objetcdx. » En fait, plusieurs faiblesses dans l’argumentaire de la défense sont passées inaperçues aux yeux des membres du Comité d’éthique. D’abord, l’attachement à un certain nombre de valeurs abstraites n’empêche nullement les déraillements dans une pièce de publicité particulière, même si l’ensemble de la campagne en donne un autre aperçu. Ensuite, les sens perçus dans une vingtaine de publicités n’ont pas forcément de conséquences sur la lecture d’une publicité particulière. Autrement dit, dans la vie de tous les jours, personne n’est tenu de connaître l’ensemble d’une campagne publicitaire dans ses moindres détails — à part, bien sûr, l’annonceur et l’agence. Même si elles sont conçues comme des pièces d’une mosaïque plus grande, les publicités sont, en fin de compte, « consommées » de manière plus ou moins isolée. Demander la réinsertion de la pièce dans le tout de la campagne ne dit, finalement, rien de la manière à travers laquelle celle-ci est réellement perçue par un individu dans une situation concrète. Bref, toute une panoplie d’arguments valables aurait pu être soulevée ici. Nul ne l’a fait, au moins en ce qui concerne le micropublic du CONAR. De plus, le fait de commettre une femme comme rapporteuse n’a pas été bénéfique à cette cause qui, comme nous le verrons tout à l’heure, a été, d’abord et avant tout, le cheval de bataille des femmes noires. Finalement, comme le propre plaignant l’a avoué, lorsque celui-ci ne s’est dit lié « à aucun mouvement noir », il est resté tout seul sur le champ de bataille plus restreint du CONAR. Il 270 reste à savoir ce que disaient les différents acteurs de la société civile dans l’espace public abstrait plus ample des médias de masse. d) L’émergence d’un espace public abstrait à l’échelle nationale Les débats que j’essaierai de retracer ici possèdent un caractère original sous différents aspects. D’abord, il s’agit de la première fois où l’analyse du contenu d’une campagne dénoncée pour discrimination au sein du CONAR accède aux pages des journaux sous la forme d’un authentique débat. En d’autres termes, les médias accomplissent, tout au long de cette phase, les trois exigences générales des médias dans une démocratie délibérative, à savoir : la mobilisation et la mise à disposition des interprétations disponibles ; le traitement discursif des arguments afin de définir des arguments opposés et favorables à une action ou question ; finalement, la génération d’attitudes, rationnellement motivées, d’acceptation ou de refus. Ensuite, c’est également la première fois que ces débats gagnent une dimension véritablement nationale. Donc, et contrairement aux procès antérieurs, la controverse quitte l’axe Rio-São Paulo pour gagner d’autres capitales au sud-est (Belo Horizonte), au nord (Belém) et au centre ouest (Brasília) du pays. Finalement, c’est la première fois que la couverture des médias devient elle-même un moteur de la réaction coordonnée des membres activistes des mouvements noirs au pays. Malgré toute leur originalité, je suis tenue de croire que les arguments plus généraux de ces débats n’ont pas été pris en considération par les membres du Conseil d’éthique du CONAR dans leur décision finale et ce, pour des raisons que j’expliciterai à la fin de l’analyse de ce procès. Ce n’est qu’à travers l’analyse des articles, notes et reportages parus dans les médias, qu’on se rend compte de l’importance de regarder les divers événements dans leur ordre de succession. On sait, par exemple, que la publicité du GB a paru en vis-à-vis avec le reportage portant sur les données du Supplément Couleur du dernier PNAD, dans l’hebdomadaire Veja de la semaine du 30 mai ; ensuite, le 4 juin, Antônio Benedito De Sousa. signe sa lettredénonciation, inspirée du reportage antérieur ; le 18 juin, le CONAR ouvre officiellement le procès n° 076-90, à partir de la lettre de De Sousa. ; le 13 juillet, l’annonceur et l’agence 271 présentent un document de défense conjoint ; finalement, le 9 août, le jugement a lieu et la décision finale est émise. Malgré la difficulté d’ordre pratique dans la localisation exacte du commencement des débats158, je tiens à croire que ceux-ci débutent avec la parution de l’article de Rosana Dias, dans le quotidien Folha de São Paulo (op. cit.), autour de la date du 30 mai 1990. En lisant le reportage, on a l’impression que l’événement qui en est le « déclencheur » est la motion de protestation que le MNU prépare, suite à l’arrivée de la dernière campagne publicitaire du GB au Brésil. « Le MNU de São Paulo finalise aujourd’hui un document de protestation contre la campagne et étudie la façon de l’acheminer, informe la pédagogue Sueli Chan Ferreiracdxi. » Dans le cadre de ce reportage spécifiquement, ce sont les réactions expérimentées par le GB sur la scène internationale qui servent d’arrière-plan pour l’explication de la rédaction d’une motion de protestation : au Brésil, tout comme dans le « marché international », l’image d’une femme noire allaitant un enfant blanc soulève les réactions les plus variées : « Raciste. Merveilleuse. Absurdecdxii », lance-t-elle dès les premières lignes de son reportage. Les parallélismes entre les réactions nationales et internationales sont nombreux (le journaliste Marcelo Calliari écrit, depuis New York, toute une section à propos des réactions face à cette campagne aux États-Unis), bien qu’ici on évite explicitement une sorte d’homologie superficielle entre ces différents scénarios. Par exemple, après avoir cité l’opinion de la représentante du MNU sur la publicité en question — « C’est d’un absurde. 158 Plusieurs raisons m’amènent à croire que l’article Grupo negro faz protesto contra anúncio, de Rosana Dias, cité dans le plaidoyer comme étant daté du 14 juin 1990, avait été, en effet publié, au moins, deux semaines avant la date indiquée. 1) Selon le contenu de ce reportage (non daté), on apprend que la campagne avait soulevé des réactions de la part de mouvements noirs dans sa première semaine de mise en circulation. Or, le plaignant prend acte de la publicité dans l’hebdomadaire Veja de la semaine du 30 mai 1990 ; donc il est peu probable que l’article ait été publié si tard. 2) Le plaignant fait quelques références implicites à des arguments publiés dans ce reportage. 3) La même date (14 juin), d’autres journaux dûment datés font part des actions du MNU comme les graffitis sur des panneaux publicitaires ; mais aucun ne fait référence à la rédaction d’une motion de protestation (comme cela est le cas dans le reportage en question). Il semble donc peu vraisemblable que la rédaction de la motion de protestation ait eu lieu après le griffonnage des graffitis. 272 L’image que l’on passe est esclavagiste, celle de l’ancienne femme noire mère nourricièrecdxiii » —, la reporter enchaîne sur les répercussions des campagnes du GB en France : « Même en causant des réactions, il est peu probable qu’au Brésil l’on passe de ce stade à d’autres plus violents, comme cela est arrivé en France où des groupes racistes blancs en sont même arrivés à faire des attentats à la bombe dans les magasins Benettoncdxiv. » La raison du refus de mettre au même plan les réactions ici et là, c’est que « les raisons pour ceci ont des origines différentescdxv », allant de la prééminence du « ‘mélange’ racial typique au Brésilcdxvi » jusqu’au fait que le racisme brésilien soit « plus voilé et cyniquecdxvii. » Dans leur Framing Political Opportunity, William Gamson et David Meyer (Gamson et Meyer, 1996) réclament que « la vulnérabilité du processus de cadrage transforme celui-ci en un terrain de dispute potentiel et non en une réalité plombée devant laquelle nous devons inévitablement nous pliercdxviii. » Les auteurs insistent notamment sur le pouvoir qu’ont les mouvements sociaux d’encadrer stratégiquement et consciemment certaines questions afin de favoriser une interprétation particulière d’un événement spécifique. « Du point de vue des acteurs sociaux, estiment-ils, les fenêtres ouvertes apparaissent d’un coup — tantôt à travers les événements inattendus, tantôt à travers ceux préagencés ou attendus, comme les consultations budgétairescdxix. » Ces observations générales me permettent de discerner quelques dimensions importantes du cadrage dans le reportage en question. Premièrement, si l’on tient compte des dimensions plus stratégiques de ce cadrage, on sera forcé de concevoir la propre motion de protestation du MNU comme une stratégie d’encadrement particulière, fruit de l’interprétation que les activistes font de l’environnement politique plus étendu. Dans cette perspective, la motion de protestation du MNU n’est pas une réaction ponctuelle à un problème localisé ; elle doit plutôt être considérée comme le résultat de l’encadrement actif des activistes vis-à-vis d’un événement particulier, perçu comme une possibilité d’intervention politique. Ainsi, la mise en circulation d’une campagne dont le contenu récupère tout un répertoire d’images rappelant les conditions de vie dégradantes auxquelles ont été soumises les femmes noires devient, elle- 273 même, l’occasion idéale de mettre en place une stratégie interprétative alternative et de reformuler, par la suite, certaines interprétations disponibles dans le cadre socioculturel brésilien plus ample. On peut facilement identifier, à l’intérieur de l’encadrement accordé au problème des réactions relatives à la campagne publicitaire du GB par la reporter mentionnée ci-dessus, les grandes lignes d’une bataille en guise de faire-valoir d’une interprétation particulière de la même campagne. Par exemple, la reporter confronte clairement l’opinion du directeur-gérant de l’agence J.W. Thompson, Walter Guelfi, sur la possibilité de violentes réactions au Brésil avec la vision du MNU. Alors que le premier croyait qu’ « il n’y aurait pas de risque parce que la psychologie de la société brésilienne est différente de l’européennecdxx », explique-telle, « le MNU est venu contrarier la thèse du publicitairecdxxi ». D’ailleurs, c’est la reporter qui remet en question le contenu de l’énoncé de Guelfi, en affirmant de son propre chef que « Benetton, en vérité, savait qu’il y avait ce risquecdxxii ». Elle cite le propre avis du publicitaire responsable, selon qui c’ « est la campagne la plus osée de toutescdxxiii » On se rappelle encore que l’intentionnalité du « délit » était également un argument avancé par le plaignant dans sa lettre-dénonciation. En ce qui concerne l’annonceur, informe-t-elle, la seule personne autorisée à parler au nom de celui-ci était en Europe. Toutefois, la reporter en question ne se heurte pas à l’identification des fractures dans les discours des membres noirs, lesquelles sont présentées comme un indice de l’existence de plusieurs interprétations disponibles : « Aujourd’hui, les différentes formes d’interprétation de l’annonce divisent encore même les défenseurs d’une seule cause. Alors que le MNU proteste, l’acteur noir Milton Gonçalves, 56 ans, trouve intéressant qu’un Noir ait été inclus dans une annonce, ‘ce qui n’arrive jamais’cdxxiv. » Alors que plusieurs acteurs sont appelés à formuler leur opinion sur la représentation dans la publicité en question, cela vaudrait la peine de les situer par rapport à leur position dans l’ensemble du système politique, à l’instar des catégories proposées par Habermas dans son article plus récent (voir sect. 7.1). Il est intéressant de noter que dans ce reportage, tous les 274 acteurs invités à donner leur opinion sont venus de la toile de fond de la société civile. La seule exception constitue, évidemment, le directeur exécutif du CONAR, qu’on pourrait considérer comme un représentant d’un groupe d’intérêt spécial (ayant un statut quasi officiel). On note également qu’à part les arguments soulevés tout au long du texte, la polémique qui s’installe autour du sens de la publicité mentionnée gagne un traitement visuel propre, celle-ci étant « résumée » et présentée sous la forme de huit déclarations disposées dans la partie inférieure de la page. Parmi celles-ci, on compte six membres du secteur publicitaire (experts) qui occupent, dans tous les cas, de hauts postes de commandement dans leurs agences respectives. Du côté des « membres noirs », on retrouve un membre représentant du MNU (groupe d’intérêt) et un acteur, ce dernier étant une figure de proue de la télédramaturgie brésilienne (avocat ? entrepreneur moral ? Difficile à préciser). Ces groupes étant polarisés d’une manière si univoque, on serait tenté de croire que chacun d’eux constitue un bloc « monolithique » d’opinions, ce qui est presque vrai. Par exemple, on note une seule opinion contraire dans le bloc majoritaire des publicitaires (1 membre sur 6), alors que dans le côté déjà minoritaire, les deux seuls membres consultés partagent des opinions carrément opposées. Si l’on met des deux côtés de la balance les arguments pour et contre la motion de protestation du MNU, on ne sera pas étonné de voir celle-ci pencher du côté du « non ». Avoir de la quantité ne veut pas forcément dire avoir de la qualité, comme je l’ai démontré à l’égard de l’encadrement accordé à la question et des principaux arguments soulevés. Une fois le bilan des interprétations disponibles réalisé (les commentaires pour étant plus nombreux que ceux contre la campagne, comme on le verra par la suite), le verdict est donné par le CONAR, considéré par la reporter comme un « bon radar » dans la mesure où cet organisme est responsable du jugement de « cas polémiques » : selon son directeur exécutif Edney Narchi, le CONAR n’avait « reçu aucune plainte vis-à-vis de la campagnecdxxv ». Devant le constat de l’absence de plainte formelle et de l’existence d’une dissension à l’intérieur des partisans « d’une même cause », il ne serait pas surprenant qu’un public plus général, ni identifié à la cause noire ni au secteur publicitaire, s’interroge sur la pertinence même d’une telle protestation. En effet, l’ouverture du procès n’a eu lieu que quatre jours après la publication du reportage, bien que cette décision ne provienne pas du MNU lui- 275 même. D’où la conclusion, tout au moins partielle, que le MNU a privilégié d’autres formes d’action que celle consistant à déposer une plainte auprès du CONAR, comme on le verra par la suite. J’avais commenté, au début de l’analyse de ce reportage, que le MNU terminait la rédaction d’une motion de protestation et qu’il étudiait une façon de le faire parvenir à qui de droit. Dans la suite des reportages et articles, on ne sait assurément pas quelles sont les stratégies adoptées par le MNU ni quelles ont été les instances choisies par cet organisme afin de canaliser ses protestations. Ce que l’on sait, en contrepartie, c’est que le CONAR n’a pas été l’une de ces instances. Toutefois, signalent Gamson et Meyer, « un mouvement [social] est un champ d’acteurs, non pas une entité unifiéecdxxvi. » Ces acteurs, plus ou moins isolés géographiquement dans un pays-continent comme le Brésil, cherchent les moyens de coordonner leurs actions et de mobiliser les discussions au niveau local. C’est là que les médias deviennent un outil mobilisateur sans précédent. La preuve est justement visible dans les actions que les mouvements noirs prennent par la suite et qui s’inspirent largement de l’action décrite dans le premier reportage. La première action décentralisée sera rapportée par le quotidien O Liberal (1990), de la ville de Belém (capitale de l’État du Para, porte d’entrée de l’Amazonie). Celui-ci informe, le 14 juin 1990, que « la réaction contraire à la campagne mondiale de la chaîne de magasins Benetton (sic), où une femme noire apparaît dans les magazines et panneaux publicitaires en allaitant un enfant blanc, est déjà arrivée au Parácdxxvii. » La note fait état de la décision du Centro de Defesa dos Negros do Para (CEDENPA) d’avoir « une réunion afin d’évaluer les mesures, au niveau local, qui peuvent être prises pour empêcher l’expansion de la campagnecdxxviii », alors qu’« à São Paulo, le MNU étudie aussi la questioncdxxix ». Il n’y a donc pas lieu de parler d’un seul cadrage particulier adopté unanimement par tous, mais de processus distincts de cadrage de possibilités politiques employés par les acteurs d’un mouvement quelconque. « Il est plus utile de penser le cadrage comme un processus contentieux interne aux mouvements, où les différents acteurs prennent différentes positions, 276 résument les auteurscdxxx. » C’est dans cette perspective d’actions décentralisées, mais qui s’influencent mutuellement au moyen de leurs répercussions dans les médias, qu’on peut comprendre la décision des activistes du MNU de São Paulo de prendre une mesure extra institutionnelle ce même jour. Cette mesure est un moyen d’expression à fois osée et originale : un acte de graffitis collectif sur les principaux panneaux publicitaires véhiculant la campagne en question. Ainsi, le 14 juin 1990, le reporter Paulo de Camargo mentionne, dans le quotidien O Estado de São Paulo (op. cit.), qu’« environ dix entités du mouvement noir de São Paulo ont décidé de faire des graffitis sur les panneaux de la campagne publicitaire de la confection Benetton parce qu’ils la considèrent racistecdxxxi. » Après avoir mis des graffitis sur les mots « Mucama159 plus jamais » dans deux panneaux du centre-ville la veille, « les entités ont promis de continuer les graffitis dans les prochains jourscdxxxii. » Dans ce reportage, intitulé Negras vêem racismo em outdoor (« Les noires voient du racisme dans le panneau publicitaire »), ce sont les femmes noires qui mènent la bataille pour faire valider de meilleures interprétations de la publicité en question. La photo montre d’ailleurs trois activistes prises « sur le fait », les mots « Mucama plus jamais » étant parfaitement lisibles sur le panneau. Une fois de plus, la polarisation du débat, tel que décrit dans le reportage, oppose d’un côté les activistes du MNU, pour qui la publicité « serait en train de rappeler les valeurs de l’esclavagecdxxxiii », et de l’autre, le gérant de l’agence J.W. Thompson, Walter Guelfi, selon lequel les réponses des mouvements noirs « ne sont pas civiliséescdxxxiv. » Mais contrairement au premier reportage, on cite aussi des intellectuels qui écrivent sur la cause noire au Brésil, comme le sociologue noir Clóvis de Moura (dont l’avis avait déjà été cité dans le plaidoyer) et l’anthropologue Lília Schwarcz (celle-ci croyait d’ailleurs que le GB devrait faire plus d’attention à ce qu’elle véhicule ailleurs dans le monde). Il est toutefois intéressant de mentionner que l’appropriation des arguments énoncés dans ce reportage par le plaidoyer a été intentionnellement partielle, car on a omis de mentionner tous les commentaires et actions énoncés par les activistes des mouvements noirs ici. 159 Terme utilisé à l’époque de l’esclavage pour désigner la domestique de chambre. 277 Gamson et Meyer avaient déjà signalé : « L’action extra-institutionnelle est meilleure que l’action institutionnelle pour la création d’une controversecdxxxv. » Ceci semble d’autant plus valide pour le graffiti collectif dans la mesure où son aspect « spectaculaire » exerçait un pouvoir d’attraction particulier sur les médias imprimés. Ainsi, alors que les photos des panneaux graphités circulent un peu partout dans les journaux, les femmes noires continuent à jouer le rôle principal. Ainsi, dans une note, aussi véhiculée le 14 juin 1990 dans le quotidien Folha de São Paulo (1990), « un groupe de 30 femmes du Gelepes-Instituto da Mulher Negra (sic) a fait des graffitis hier, dans le centre-ville de São Paulo, sur les panneaux publicitaires de Benetton qui montrent une femme noire avec un enfant blanc dans les bras, parce qu’elles considèrent [cette image] racistecdxxxvi. » Ici, comme dans le premier reportage, l’absence de l’avis de l’annonceur se fait sentir : « Cherchée à Curitiba, la direction de Benetton n’a pas été localiséecdxxxvii. » Le rayonnement de l’action du MNU de São Paulo se poursuit, cette fois-ci, dans la capitale de l’État de Minas Gerais, Belo Horizonte. Publié le 20 juin 1990 dans le quotidien Estado de Minas (1990), ce reportage fait état de la polémique qui « (…) a été créée avec le lancement de la campagne publicitaire en Europe, il y a quelques mois, alors qu’à Belo Horizonte les opinions se sont diviséescdxxxviii. » La balance, ici, semble pencher plutôt du côté du « oui » à la campagne : les avis de la vendeuse d’un magasin du GB, d’un représentant du GB et d’un publicitaire local sont nettement favorables à celle-ci, se rejoignant en ce qui a trait à l’usage du « mélange de races » comme stratégie de marché plus ample. L’opinion du seul activiste du MNU consulté vient à la fin, en guise de conclusion : « L’idée est raciste, péjorative et conservatricecdxxxix. » Certes, l’obtention d’un cadrage favorable est à la fois le résultat de la bonne volonté du journaliste de jouer son rôle de polémiste et de la capacité propre des acteurs de s’exprimer devant les médias. Pour avoir une bonne idée de la façon dont une « même cause » peut recevoir différents traitements dans les médias, on peut faire la comparaison entre le cadrage accordé par le journaliste dans le reportage antérieur, à Belo Horizonte, et celui du reportage suivant, paru à Brasilia. Ce dernier a été écrit par la journaliste Maria do Rosario Caetano et 278 publié dans le quotidien Jornal de Brasilia, le 26 juin 1990. Il demeure, en fait, le document le plus favorable à la cause de la femme noire (Caetano, 1990). Alors que dans l’exemple antérieur, des arguments présentés de manière résumée ne sont pas toujours liés par des liens de causalité (ou tout au moins par des liens explicites), ce dernier exemple nous offre une explication claire, articulée et bien argumentée de la position du MNU de Brasilia non seulement sur la publicité en question, mais aussi sur d’autres campagnes de Benetton. En voici quelques exemples : dans le reportage précédent, on cite les termes de l’activiste Wilson Queiroga comme suit : « Le discours du système en place essaie d’imposer à la société, d’une manière générale, le blanchiment de la race noirecdxl. » Le lien entre la question du blanchiment, énoncée de manière assez générale dans la phrase antérieure, et celle de la femme noire allaitant un enfant blanc est assez fragile, tel qu’indiqué dans la phrase qui suit immédiatement après : « Selon lui [l’activiste Wilson Queiroga], l’image d’une femme noire allaitant un enfant blanc soulève la question de la mère nourricière esclave et suggère subtilement la récupération de la soumission des noirscdxli. » À la limite, l’association entre ces deux idées ne pourrait être faite que par ceux qui ont une bonne connaissance de la problématique de l’assimilation raciale telle qu’elle s’est imposée dès les premières années de l’État-nation brésilien, ce qui est loin d’être sûr dans le cas d’un public général ayant été formé et éduqué dans des espaces où l’idéologie de la démocratie raciale prédomine nettement. En ce qui concerne le reportage de Maria do Rosario Caetano, le portrait donné change considérablement. L’avis de l’activiste Maria das Graças Santos est reproduit dans ses moindres détails. Graça commence, par exemple, en reconnaissant l’attention que le MNU de Brasilia accorde aux publicités en général, dans la mesure où celles-ci « fonctionnent de manière subliminale, en réaffirmant et en déconstruisant des préjugéscdxlii. » Ensuite, elle aborde l’attention accordée par le MNU aux publicités du GB en particulier, compte tenu du fait que celle-ci représente souvent des membres noirs en situation d’égalité avec les « blancs et les japonaiscdxliii ». Graça présente sa propre interprétation de la campagne critiquée, dans la mesure où cette dernière renforce le rôle de la femme noire en tant que mère nourricière : 279 « Une fois de plus, elle est utilisée pour allaiter un enfant qui n’est pas le siencdxliv. » L’activiste poursuit en disant qu’il est nécessaire de placer l’annonce dans le contexte national : « À cause de l’esclavage, la femme noire a joué le rôle de mère-noirecdxlv. » Ce à quoi elle ajoute : « Renforcer cette idée, c’est endosser un stéréotype ethniquecdxlvi. » L’activiste analyse encore une deuxième publicité du GB, avant de conclure qu’une même publicité peut être comprise de manières variées selon les références historiques de chaque groupe. Bref, ceci représente donc un excellent exemple d’une réponse articulée et bien fondée sur un média imprimé. Dans ce cas particulier, l’argumentaire de l’activiste en question contraste carrément avec celui de la propriétaire d’un magasin du GB qui se disait « surprise » de la réaction : « La publicité n’est pas contre le Noir, elle montre tout simplement une belle modèle, noire, allaitant un enfant blanccdxlvii. » Ce même reportage destine encore toute une sous-section à la description du MNU, sa structure, ses principales causes, ainsi que les manières de s’y affilier ! D’un côté, il est vrai que « les médias récompensent la nouveauté, la polémique et la confrontation, alors que la politique institutionnelle prime la prévisibilité, la modération et le compromiscdxlviii. » De ce fait, un bon négociateur et articulateur dans les instances plus formelles n’est pas toujours le meilleur acteur face aux caméras et magnétophones des médias. Quoi qu’il en soit, le MNU de Brasilia semble avoir bien réussi dans son rapport avec le Jornal de Brasilia, en conquérant ainsi un espace de visibilité crucial pour faire connaître ses causes et interprétations des faits. Ceci prouve également que, même en jouissant d’une situation sensiblement moins défavorisée sur le plan social, certains acteurs peuvent changer la donne de manière consciente et stratégiquement orientée. L’initiative antérieure a tellement bien réussi son coup qu’elle a provoqué une réponse de la part d’un membre du CONAR à Brasilia, le lendemain de sa publication. Ainsi, le 27 juin 1990, le quotidien Jornal de Brasilia (1990) publie, dans une note intitulée « Ética et Benetton » (« Éthique et Benetton »), l’avis du publicitaire Fernando Vasconcelos, ancien président du Syndicat des publicitaires de Brasilia et membre représentant de l’instance chargée de juger les plaintes contre les publicités : le CONAR. Après avoir analysé les termes 280 de la critique énoncée par le MNU la veille, Vasconcelos fait sienne l’interprétation proposée par l’activiste du MNU, Maria das Graças Santos : « Il y a réellement une possibilité qu’on effectue une lecture qui renforce le racisme, car la femme noire est montrée comme une mère-noire, c’est-à-dire comme la femme qui allaite l’enfant de quelqu’un d’autre et pas le siencdxlix. » Une bonne stratégie d’intervention dans les médias comme celle-ci peut, à la limite, placer la demande d’imputabilité d’un public critique vis-à-vis des responsables placés dans les instances compétentes. Toutefois, le sens d’imputabilité utilisé ici n’est plus celui dont j’avais parlé antérieurement (voir procès n° 118-88), caractéristique du rapport entre différentes instances de pouvoir d’un même système politique. Il s’agit maintenant d’un sens plus large qui s’applique plus particulièrement aux contextes de discussions publiques, « (…) même lorsqu’il n’y a aucun lien d’autorité ni de subordination entre les parties impliquées dans le processus d’imputabilitécdl. » Or, ceci semble être bel et bien le cas en question. Lorsque le membre du CONAR a été appelé à examiner les arguments avancés par son public critique et à apporter son avis d’expert, il a à la fois fourni une explication valable sur la campagne et validé l’interprétation de la campagne proposée par l’activiste. Toutefois — et Vasconcelos le savait très bien —, son appréciation n’avait aucune implication majeure pour le cas en question, justement parce qu’elle était faite à l’extérieur d’un cadre institutionnel précis, destiné à cette fin : le CONAR. « Le dialogue de l’imputabilité, estime Mulgan, a lieu entre les parties dans un rapport d’autorité et ne peut être compris que dans le contexte de ce rapportcdli. » D’où la suggestion finale proposée par l’expert : « Fernando Vasconcelos suggère au MNU d’acheminer à l’instance nationale du CONAR ou à celle de Brasilia (…) un plaidoyer où doivent être détaillées les restrictions concernant l’annonce de Benettoncdlii. » Vasconcelos propose aussi une justification pour le fait que la campagne en question soit si dérangeante et si fructueuse en controverses. D’après cet expert de la publicité, ceci provient du fait que la campagne a été faite à l’extérieur du Brésil. Si elle avait faite ici, estime-t-il, 281 « nous saurions que l’image d’une femme noire allaitant un enfant blanc nous renvoie au temps de l’esclavagecdliii. » Cet argument peut être équivoque, à cause de deux aspects. D’un côté, il s’appuie sur l’existence d’une supposée sensibilité à la question raciale de la part du secteur publicitaire national, ce qui est loin d’être évident. Comme je l’ai démontré antérieurement, une bonne partie des critiques soulevées par les activistes des mouvements noirs porte justement sur leur méconnaissance du public noir (voir chap. 4, sect. 4.7). Le fait que les procès n° 25-82 et 118-88 portent sur des actes discriminatoires exercés par des professionnels publicitaires nationaux est une autre contre-évidence de cet argument. De l’autre côté, c’est le propre plaignant qui l’a suggéré dans sa lettre-dénonciation : on soupçonne Benetton d’avoir agi intentionnellement, par exemple, en véhiculant une campagne source de controverses justement pour attirer la couverture des médias. On reviendra sur cette question dans l’analyse du prochain procès. Pour l’instant, il suffit d’ajouter que le problème de la diversité des cadres interprétatifs est reconnue par Vasconcelos comme étant un problème vérifié même à l’intérieur du Brésil, à échelle régionale : « Plusieurs campagnes, préparées à Rio ou à São Paulo, par exemple, causent des problèmes si véhiculées au nord ou au nord-ouestcdliv. » D’où la nécessité de mieux connaître le « processus culturel » de chaque région, conclut-il. Il y a lieu de se demander, à ce stade du débat public établi autour de la campagne du GB, ce que pensait le grand public de tout ceci. Or, les seuls indices sur lesquels on peut compter ont été publiés dans la section « Lettres » du quotidien Jornal do Brasil, le 28 juin 1990, à Rio de Janeiro. Il s’agit de deux lettres — condensées sous la forme de notes courtes — publiées l’une à la suite de l’autre et qui portent essentiellement sur la même idée : remplacer la femme noire par une autre blanche et l’enfant blanc, par un enfant noir. La lectrice Ana Lemos (1990), par exemple, s’interroge sur la pertinence de sa propre interprétation en proposant ceci : « Peut-être n’ai-je pas bien compris le message proposé dans le panneau publicitaire, mais pourquoi n’ont-ils pas conçu l’idée inverse, c’est-à-dire une femme blanche allaitant un enfant noir ?cdlv » Le lecteur Hemilson Pacheco de Souza (Souza, 1990) propose quelque chose de semblable, bien qu’il soit d’accord sur la mise en circulation de l’image de la femme noire : « L’image de la femme noire allaitant un enfant blanc est très belle, parce 282 que jadis, la figure de la mère nourricière noire était une constante. Il serait intéressant que le magasin fasse maintenant le contraire — une mère blanche allaitant un bébé noircdlvi. » Pour conclure, il semble plus ou moins sûr que toutes ces polémiques ont été attentivement suivies par les activistes des mouvements noirs. Pour des raisons que j’ignore totalement, ceux-ci se sont décidés à ne pas déposer de plainte formelle auprès du CONAR, en privilégiant plutôt les stratégies à caractère extra-institutionnel. De toute façon, les médias sont devenus des pièces centrales dans le processus de délibération sociale. En ce qui concerne les dimensions du micropublic du CONAR, les matériels des médias ont été récupérés et ce, autant dans la lettre-dénonciation que dans le document de défense. En ce qui a trait au public abstrait formé par les médias imprimés, ses membres ont pu assister, dans plusieurs capitales nationales, à la transposition de discussions des médias de circulation nationale — centralisés sur l’axe Rio de Janeiro/São Paulo — vers les médias locaux. Parmi ce public plus large, un public critique, composé par les activistes liés à la lutte contre la discrimination raciale, accompagnait attentivement les discussions, prêt à intervenir dans les médias afin de faire connaître son avis et de demander des justifications de la part des acteurs responsables. Les actions prises devant et auprès des médias, comme on l’a vu, ont largement varié d’un point à l’autre. Dans le cadre de ce procès spécifiquement, les médias ont servi à la fois comme source d’information, comme champ de bataille pour l’action politique et comme instrument de coordination de l’action sur le territoire national. 7.2.2.2. Procès n° 229-91160 : l’ange et le diable de Benetton Le procès n° 229-91 constitue l’exemple le plus complexe parmi tous les procès pour discrimination raciale déposés au CONAR. Long de plus de 300 pages, organisé en deux 160 Voir dans Câmara dos Deputados de São José dos Campos c. Groupe Benetton et Agence J. W. Thompson, 1992. 283 tomes, ce procès démontre bien comment la délibération sur la discrimination raciale dans la publicité peut arriver au cœur du système politique central et devenir ainsi un sujet de pertinence nationale. Cette fois-ci, ce n’est pas seulement la réputation de l’annonceur — le GB — qui est mise en péril, mais la légitimité même du CONAR en tant qu’instance légitime de délibération sur la publicité. On a donc tous les indices nécessaires pour croire que la décision du CONAR de mettre aux archives le procès antérieur a soulevé des réactions indignées de la part des activistes et des publics critiques de la campagne en question. C’est dans une logique de continuité des discussions par rapport au procès précédent qu’on peut concevoir le présent procès, qui place, une fois de plus, le GB comme titre de la une. a) La dénonciation Deux dénonciations sont à l’origine de l’ouverture du procès en question, toutes les deux relevant d’organismes législatifs municipaux : la Chambre des députés de la ville de São José dos Campos, ainsi que celle de São Paulo. Une troisième dénonciation, annexée au procès, fait état d’un plaignant qui s’identifie comme « docteur » Gilberto R. Chávez, ce qui, dans le contexte brésilien, peut signifier autant un magistrat qu’un médecin. Toutefois, les deux chambres municipales utilisent un même instrument pour faire connaître leur insatisfaction vis-à-vis de la dernière campagne publicitaire du GB (voir app. B.3) : la motion de protestation. La première motion a été adoptée à l’unanimité le 26 novembre 1991 par la Chambre des députés de São José dos Campos : L’entreprise de confection Benetton est en train de véhiculer dans les panneaux publicitaires une image de racisme évident, où on voit une fillette blonde avec un visage d’ange et une autre fillette noire, avec une coiffure en forme de cornes. Si l’objectif a été d’attirer l’attention, cela a marché. Elle a même choqué, agressé et humilié.cdlvii 284 La deuxième chambre à manifester son désarroi est la Chambre de la ville de São Paulo, le 9 décembre 1991, dans les termes suivants : Nous, députés de la Chambre municipale de São Paulo, manifestons notre protestation véhémente à l’entreprise Benetton et à l’agence J. W. Thompson, pour la mise en circulation de l’annonce raciste, en même temps que nous sollicitons les mesures applicables dans le sens de vérifier les responsabilités légales de ces entreprises par le CONAR, le Ministère public et la mairesse de la municipalité, Luiza Erundina de Sousa.cdlviii Ces deux motions donnent une idée de l’ampleur de la bataille judiciaire qui est en train de se dessiner, ainsi que des espaces institutionnels pris par la problématique raciale dans la publicité. L’extrait ci-dessus nous indique, dès le départ, l’existence de deux procès judiciaires qui se développent parallèlement : un procès éthique déposé au sein du CONAR, l’instance jusque-là jugée légitime, et l’action civile de droit public déposée au sein du Ministère public fédéral. J’avais cité de façon opportune l’analyse de Joaquim Barbosa Gomes au sujet des changements apportés par la Constitution de 1988 qui ont eu un impact définitif sur la défense des droits des groupes ethniques nationaux. Gomes estime que l’essor de la catégorie de droits collectifs ou diffus et le renforcement de la Loi de l’action civile publique ont créé de nouveaux moyens de pression sur l’État pour la défense de droits acquis et formellement reconnus par celui-ci. Le Ministère public fédéral devient, lui aussi, un mécanisme important pour la défense de ce groupe de droits et ce, en accordant une protection judiciaire supplémentaire, processuelle, lorsque les intérêts diffus ou collectifs sont violés161. De ce fait, 161 Gomes décrit la nouvelle orientation accordée au Ministère public à partir de 1988 :« La Constitution de 1988 a transformé le Ministère public en véritable ‘promoteur de la citoyenneté’. Elle a fait de celui-ci un pont entre la société et l’État, en lui accordant des droits jusqu’à parfois contrarier et empêcher la réalisation d’actions par l’État lui-même, lorsque celles-ci sont illégales ou qu’elles portent préjudice aux intérêts de la collectivité. Pour ce faire, on l’a doté d’une autonomie administrative et financière, en accordant à ses membres des garanties fonctionnelles identiques à celles de la Magistrature. Bref, on l’a soustrait de la sphère d’influence du Pouvoir Exécutif. » (“.... a Constituição de 1988 transformou o Ministério Público em verdadeiro "promotor da cidadania". Colocou-o como ponte entre a sociedade e o Estado, dando-lhe poderes para muitas vezes contrariar e 285 étant donné la gravité de la question et les proportions prises par la polémique sur la campagne publicitaire en question, le procès éthique du CONAR et le procès acheminé au Ministère public se tiennent en même temps, se chevauchant parfois et s’influençant mutuellement, comme on le verra par la suite. Pour les fins de l’accusation, il importe encore de citer une nouvelle base légale servant de support pour l’encadrement légal et, par conséquent, la punition des délits de discrimination raciale dans son ensemble, ainsi que ceux relevant des médias de masse de manière particulière : la Loi fédérale 8.081. Il serait intéressant de comprendre les derniers ajustements faits dans les lois antiracistes après la décision du CONAR de mettre aux archives la représentation d’office déposée contre la campagne du GB portant sur la mère nourricière. J’avais déjà mentionné que la Constitution de 1988 avait défini le racisme comme un crime imprescriptible et non amendable. Selon Leon Szklarowsky (1997), l’article 20 de la Loi fédérale n° 7.716 avait déjà défini les crimes résultant d’un préjugé de race et couleur, dont celui de « pratiquer, d'induire et d’inciter la discrimination de race, de couleur, d'ethnie, de religion ou d'origine nationalecdlix. » Cette loi était déjà en vigueur lorsque le Comité d’éthique du CONAR avait émis sa décision finale le 9 août 1990. Toutefois, un changement important a été apporté par la promulgation de la Loi 8.081 le 21 septembre 1990, c’est-à-dire un peu plus d’un mois après la décision mentionnée ci-dessus : La Loi 8081 a modifié l’article 20, pour définir, au paragraphe additionnel, une nouvelle figure criminelle : pratiquer, induire ou inciter, par moyen de médias de masse ou par publication de toute nature, la discrimination ou le préjugé de race, couleur, religion, ethnie ou origine nationalecdlx 162. impedir a realização de ações pelo próprio Estado, quando ilegais ou lesivas ao interesse da coletividade. Para isso, dotou-o de autonomia administrativa e financeira, concedeu aos seus membros garantias funcionais idênticas às da Magistratura. Em suma, retirou-o da esfera de influência do Poder Executivo”, Gomes, 2000, p.11.) 162 La Loi 8.081 sera modifié par la Loi 9459 le 13 mai 1997, afin d’étendre la punition de la discrimination de race et de couleur à celles d’ethnie, de religion et d’origine nationale. On prévoit, à cet effet, une peine de deux à cinq ans de réclusion. 286 De ce fait, alors que la motion de la Chambre des députés de São José dos Campos se résumait à condamner « l’initiative de Benetton » et solliciter que le CONAR « prenne acte et émette son avis sur cet épisodecdlxi », celle de la Chambre des députés de São Paulo sera emphatique quant à l’usage de la nouvelle disposition réglementaire ci-dessus. On sollicite notamment « que les responsabilités légales de l’entreprises soient vérifiées et, si l’attitude raciste est constatée, que l’on entreprenne le retrait immédiat ou la recherche et la saisie du matériel respectif, selon la Loi fédérale 8.081cdlxii. » Autrement dit, l’originalité du présent procès par rapport au précédent est justement visible dans l’usage d’une nouvelle disposition légale, cette fois-ci plus ajustée pour inhiber la dissémination du préjugé de race par le biais des médias de communication de masse, en responsabilisant à la fois annonceur, agence de publicité et médias de communication. Pour conclure, cela vaudrait la peine d’ajouter un autre élément complexifiant davantage le délit de la campagne en question. Comme le mentionne de façon très opportune le Dr. Gilberto R. Chávez. dans une lettre-dénonciation datée du 23 novembre 1991, l’actuelle campagne du GB, en plus de constituer une infraction à l’article 20 du CBARP, porte également atteinte à l’article 37 de ce dernier, portant sur la publicité adressée aux jeunes et aux enfants. On cite notamment l’infraction aux paragraphes b), c), d) et e), dans la mesure où la campagne ne respecte pas « l’ingénuité », « la crédulité » et « l’inexpérience » des enfants ; celle-ci est également accusée de mépriser et d’offenser moralement le mineur, outre le fait de lui causer de la gêne à cause de sa condition sociale ou, dans ce cas spécifique, raciale. Toutefois, pour une raison méconnue, la représentation d’office déposée par le président du CONAR lui-même, Ivan Pinto, le 10 décembre 1991, ne fait aucune mention de cette dernière lettre. Se résumant à citer les motions de protestations en provenance des chambres municipales, la représentation apprend au lecteur que « selon les dénonciations acheminées à ce Conseil, l’annonce se montre discriminatoire et offensante envers la race noirecdlxiii. » Parmi les articles cités comme fondements de l’ouverture du procès, on retrouve ainsi seulement les articles 1, 2 et 20. 287 b) La défense Contrairement au procès antérieur, où l’agence J.W. Thompson et l’annonceur GB ont présenté un document conjoint de défense, la stratégie utilisée a été modifiée : alors que l’agence Thompson se fait représenter par le même avocat que précédemment, Marco Antônio Rodrigues Barbosa, le GB choisit un autre bureau d’avocats pour se faire représenter devant le Comité d’éthique du CONAR. Le plaidoyer de l’agence, daté du 19 décembre 1991, commence en utilisant une stratégie rhétorique très similaire à celle utilisée précédemment, à savoir : solliciter la mise aux archives de la représentation d’office, « soit parce qu’une infraction au CBARP n’a pas été caractérisée, soit parce que, même si l’infraction à ce statut avait eu lieu, la représentation a déjà perdu son objetcdlxiv 163 . » Barbosa précise ainsi que la campagne en question, diffusée exclusivement sur les panneaux publicitaires, avait été conclue le 30 novembre 1991. Autrement dit, comme dans le cas précédent, le plaidoyer est rédigé après la fin de la campagne qui fait l’objet du procès en question. D’où l’impossibilité, selon l’avocat, de l’application de mesures telles que « le retrait immédiat ou la recherche et la saisie du matériel respectif », comme suggéré par l’une des motions de protestations. 163 En effet, l’avocat essaye de profiter d’une supposée brèche entrouverte par l’art. 51 du CBARP, qui prévoit que « les cas omis dans ce régiment seront régis par l’application de principes généraux du droit et/ou du Code de procès civil » (“os casos omissos neste Regimento serão dirimidos mediante aplicação dos princípios gerais do direito e/ou do Código de Processo civil”, CBARP, art. 51). Ainsi, selon les normes du Code de procès civil en cours, avant de plaider pour l’absence de mérite d’une représentation quelconque, on peut accuser de la perte de son objectif. Toutefois, comme on l’a vu lors de la dernière décision, l’allégation de « perte d’objectif » est généralement refusée par le Comité d’éthique, car la publicité peut, en principe, être remise en circulation à tout moment. D’où la nécessité de sanctionner la publicité, même lorsque celle-ci n’est plus en circulation. 288 Ensuite, le document précise que le processus de création est entièrement exécuté à l’extérieur du pays, plus précisément par le photographe Oliviero Toscani et sous la supervision du GB. « [L’agence] Thompson se limite, au Brésil, à acquérir l’espace dans les médias pour la divulgation de cette publicité, explique-t-ilcdlxv. » De plus, avant d’être diffusée au Brésil, cette publicité avait déjà circulé dans plus de 50 pays. Néanmoins, d’après ce qu’on pourrait supposer à partir de ces derniers énoncés, la défense de l’agence ne s’appuiera guère sur l’hypothèse de « méconnaissance » des stratégies de sa cliente. Au contraire, la défense opte pour l’appui sur la jurisprudence même du CONAR en citant les décisions de mise aux archives relatives aux procès antérieurs n° 076/90 et n° 177/91164, mais aussi celles relatives à d’autres cas sur lesquels le CONAR s’est déjà prononcé165. Les arguments qui suivent sont déjà connus depuis le procès n° 076/90 : est citée la stratégie institutionnelle du GB visant à combiner universellement les couleurs, ses valeurs d’intégration et d’harmonie indépendamment de critères de race, couleur, religion ou âge166. On annexe au procès diverses annonces de la campagne actuelle du GB, de même qu'on fait état des prix internationaux mentionnés dans le procès antérieur. On cite également des articles parus dans les médias afin de démontrer la qualité et la justesse des stratégies du GB. L’extrait suivant a été retiré d’une entrevue accordée par le président de la J. W. Thomspon, Roberto Leal, à la rubrique « Publicité & Marketing » du quotidien Folha da Tarde (Alonso, 1991): 164 Le procès n° 177/91 ne fait pas partie du corpus analysé, car l’on n’y mentionne pas l’article 20 du CBARP. 165 La citation de décisions antérieures émises par le CONAR, et plus particulièrement celle de l’avis des rapporteurs, devient ainsi une stratégie de plus en plus utilisée par les bureaux d’avocats embauchés pour la défense dans les procès éthiques du CONAR. Ces bureaux commencent, en effet, à accumuler un certain savoir-faire concernant les jugements portés par le CONAR, et à l’utiliser ces jugements comme un moyen de garantir une certaine stabilité dans les décisions qui leur ont été favorables. 166 On cite notamment que « le sens des choses et leurs valeurs éthiques, pour Benetton, dépendent de la corrélation avec la personne humaine, du processus de façonnement de l’homme, indépendamment de sa race ou de sa couleur » (“o sentido das coisas e o seu valor ético, para a Benetton, dependem de sua correlação com a pessoa humana, dentro do processo de perfazimento do homem, independentemente de sua raça ou de sua cor”, Chambre des députés de São José dos Campos c. Groupe Benetton et Agence J.W. Thompson, 1991). 289 Je pense que Benetton va entrer dans l’histoire de la publicité par son innovation : elle a créé une marque puissante avec des annonces sans textes et sans titre, exclusivement avec un fort appel visuel et la mention : United Colors of Benetton. Ses thèmes ont toujours été l’union des races, la défense de l’écologie et la libération des faux moralismes. Ils sont polémiques parce que subtils.cdlxvi Si, d’un côté, on ne peut certes pas compter sur l’impartialité de ce « témoignage » comme critère pour attester de sa validité, de l’autre il met en lumière un ensemble de traits distinctifs importants sur lesquels s’appuie la stratégie publicitaire de Benetton : le « fort appel visuel » du GB démontre bien que l’image n’est pas universelle mais, bien au contraire, culturellement déterminée dès le stade de production jusqu’à celui de l’interprétation finale par les consommateurs. En citant une fois de plus les déclarations du sociologue noir Clovis Moura et de l’acteur noir Milton Gonçalves, l’idée que la défense veut faire passer est essentiellement la même que celle du procès antérieur : l’annonce n’a en soi rien de racialement discriminatoire ; c’est la société brésilienne qui, avec ses préjugés raciaux, n’est pas capable de discerner la bonne interprétation de la publicité. En ce qui concerne la publicité citée spécifiquement dans ce procès, la défense argumente que celle-ci utilise les mêmes éléments essentiels que les autres publicités du GB : « l’utilisation des couleurs, l’intégration entre les personnes (à travers la manifestation affective, substantialisée dans l’accolade entre les deux enfants), l’intégration des races et le combat des préjugéscdlxvii. » La bonne interprétation, avance-t-il, est celle du journaliste Adonis Alonso dans le reportage cité antérieurement : « Tout au nom de la fraternité humaine. Peu importe entre qui…cdlxviii. » On cite aussi la propre interprétation de son créateur, le photographe Oliviero Toscani, lors d’une entrevue accordée au quotidien New York Times (non disponible dans les annexes). Selon ce dernier, ses publicités « portent en elles-mêmes un défi à l’autorité, une attaque au préjugé et, principalement, un éloge à la fraternité par son appel au consommateurcdlxix. » L’entrevue du président de l’agence J. W. Thomspon, par exemple, essaie de désubstantialiser l’aspect manichéiste de la représentation du Bien et du Mal : 290 Je vois dans la petite corne (qui est, d’ailleurs, une coiffure typique des enfants africains) une allusion subtile au préjugé. Et nous voyons deux enfants également adorables, la fillette blanche avec une tête de ‘diable’ et celle noire (malgré ses ‘cornes’) avec une tête d’ange.cdlxx Le problème, une fois de plus, relève du Brésil, pays « où prédomine le préjugé racialcdlxxi », et « dont la tendance est à juger les autres cultures de forme manichéiste ou à partir de ses propres valeurscdlxxii. » Devant ce constat, la défense en vient même à assumer le fait, non sans tomber dans un paradoxe, d’avoir eu pleinement conscience que l’annonce en question aurait pu générer de la polémique : Il n’y a — et il n’y a jamais eu — aucun doute sur le fait que l’annonce en question soulèverait des polémiques. Cela se passe au Brésil et cela s’est passé avant, dans d’autres pays. Cette polémique était déjà prévisible pour Benetton et pour la J. W. Thompson, mais cela ne veut pas dire pour autant que la mise en circulation de la publicité s’avérait illicite ou non conseillable, quel que soit l’aspect éthique ou juridique envisagé.cdlxxiii Pour conclure, la défense utilise une stratégie à risque : la minimisation de la dissension autour de la publicité. « Rien n’indique que cette indignation soit plus grande qu’une manifestation isolée, restreinte et individuelle de ces personnes, même si celles-ci représentent dix, vingt ou cent personnescdlxxiv. » Autrement dit, la stratégie en question consiste à ramener les critiques au niveau de chaque plaignant considéré individuellement et non pas au niveau d’un « sentiment d’une collectivitécdlxxv » : « rien n’indique que la ‘collectivité brésilienne’, même en étant majoritairement noire, se sente attaquée par l’image de l’annonce véhiculée (ou quelqu’un doute-t-il que la plupart du peuple brésilien est d’origine noire ?)cdlxxvi. » Poussée à l’extrême, cette stratégie vise à défier l’essence même d’une action civile publique, à savoir, représenter des intérêts diffus ou d’une collectivité particulière : Reconnaître dans les manifestations de quelques dénonciateurs, qui se dirigent au CONAR, par moyen d’une lettre, une représentativité de ce que sent ou pense la 291 collectivité, représenterait — cette fois-ci — un répugnant mépris de la pluralité de pensée et de sentiment de la collectivité noire, ainsi que de la diversité de tempérament des nombreuses personnes qui la composent. Il est évidemment inacceptable que les dénonciateurs — Chambre municipale de São Paulo et de São José dos Campos — puissent représenter la collectivité noire.cdlxxvii Certes, l’étrange combinaison entre la défense de la pluralité de pensée et de sentiment, d’une part, et l’inexistence d’une représentativité de la part des élus politiques, de l’autre, est une stratégie à risque. Mais on ne doit pas faire abstraction du contexte et des conditions procédurales dans lesquels ce véritable défi à l’autorité politique est placé : le tissu peu transparent et peu ouvert à la visibilité publique que constituent les délibérations du CONAR. Autrement dit, cette critique n’a pas été faite de vive voix devant les représentants des chambres eux-mêmes, ni dirigée vers ces représentants eux-mêmes ; c’est plutôt une critique énoncée par écrit dans un document tenu à l’écart des parties concernées. En principe… Bref, la conclusion générale qui ressort du raisonnement de la défense est qu’elle ne fait qu’exposer ses propres contradictions internes : en acceptant, d’un côté, que divers groupes humains attribuent des sens divers aux mêmes phénomènes, on plaide, d’un autre côté, pour l’unicité de l’interprétation du langage « universel » des couleurs. Plusieurs documents sont fournis dans les annexes du procès : une page de l’encyclopédie britannique qui prouve l’existence de la coiffure de la petite fille chez le peuple Tutsis en Afrique ; des documents en allemand et italien prouvant l’octroi de prix de distinction pour la qualité des publicités ; la copie de décisions antérieures du CONAR. Mais, ce à quoi on ne s’attendait pas, c’est l’émergence d’un troisième acteur, comme on le verra par la suite. c) La médiation du Secrétariat de la justice et de la défense de la citoyenneté de l’État de São Paulo C’est en lisant l’avis du rapporteur qu’on apprend des détails sur les voies judiciaires parallèles prises par la cause de la discrimination raciale dans la publicité de Benetton. Celleci nous fournit une grille temporelle à partir de laquelle on peut mieux comprendre comment 292 les flux communicationnels sont parvenus à passer des associations de défense de la société civile pour prendre les canaux complexes de l’appareil exécutif provincial et, plus tard, fédéral. En fait, une troisième instance rejoint les motions de protestations rédigées par les chambres des députés afin de protester contre la campagne du GB. Cette fois-ci, c’est le Secrétariat de la justice et de la défense de la citoyenneté de l’État de São Paulo, en la personne de son secrétaire, Manuel Alceu Affonso Ferreira. Celui-ci fait parvenir au CONAR, le 24 décembre 1991, la copie d’un procès ouvert par lui-même contre la publicité en question, en sollicitant que le CONAR en prenne acte. Dans une lettre-réponse datée du 27 décembre, le président du CONAR alors en exercice, Gilberto C. Leifert, communique au Secrétariat de la justice de São Paulo que le conseil s’était déjà décidé d’ouvrir un procès éthique portant sur la publicité en question. Cette lettre-réponse devient une pièce clé pour comprendre l’orientation qu’a prise ce jugement vis-à-vis des décisions antérieurement émises par le CONAR au sujet de publicités du GB : Néanmoins, je vous signale que j’ai déjà déterminé le rassemblement du matériel acheminé au procès en traitement ici, afin que les observations très pertinentes spécifiées dans cette réquisition puissent subsidier les membres du Conseil, lesquels auront à leur charge le dépouillement du cas à examiner, du point de vue d’éthique publicitaire.cdlxxviii L’échange de correspondances officielles entre ces deux instances — le CONAR et le Secrétariat de la justice — démontre bien une prédisposition à la coopération, alors que les deux parties s’engagent à l’échange de documents faisant partie de leur procès respectifs. Quoique mutuelle, cette coopération est respectueuse des attributions spécifiques à chacun ; c’est d’ailleurs le président du CONAR qui, consciencieux du niveau hiérarchique de son interlocuteur, souligne sa détermination de faire valoir les observations de ce dernier dans le traitement du procès éthique du CONAR. 293 Deux autres entités sont à l’origine du procès ouvert par le Secrétariat de la justice : Conselho Estadual para o Desenvolvimento e Participação da Comunidade Negra (CEDPCN) et la députée Célia Leão. Les chemins suivis par chaque action ne sont pas les mêmes. La plainte du CEDPCN, faite au nom de nombreux organismes de défense de la cause noire, a été reçue par l’Assessoria de Defesa da Cidadania (ADC) dès la mise en circulation de la campagne. Ainsi, lorsque l’assesseur Luiza Nagib Eluf envoie son rapport au Secrétariat de la justice le 10 décembre 1991, l’agence de publicité J. W. Thompson avait déjà déposé un plaidoyer auprès de cette instance intermédiaire. Pour ce qui est de la dénonciation de la députée en question, celle-ci a été dirigée directement au Secrétariat de la justice. Il serait également important de mentionner ici les instruments juridiques choisis par chacune de ces voies. En plus de l’article 5 de la Constitution fédérale — qui encadre le racisme comme crime imprescriptible et inamendable et passible d’emprisonnement, le rapport de l’ADC cite le CBDC, lequel prévoit des instruments pour la défense contre la publicité abusive et trompeuse (voir chap. 5, sect. 5.5.2). La dénonciation de la députée cite elle aussi les articles 6 et 37 du Code des consommateurs. Donc, à part bien sûr les dispositions de la Constitution fédérale, ce n’est plus le CBARP qui sert de fondement aux actions publiques de plus grande envergure, mais le CBDC. Le rapport final du Secrétaire général suivra donc trois chemins différents : le bureau du Procureur de la République (pour la mise en place d’une action civile publique), le bureau du Secrétaire de la sécurité publique de l’État de São Paulo (car il s’agit d’un crime prévu dans la loi criminelle), et le CONAR. La raison de détailler ici certains éléments du procès du Secrétariat de la justice est simple : comme le président du CONAR l’avait déjà indiqué, les diverses observations avancées par ces différents documents ont été soigneusement prises en considération par le rapporteur dans son avis final. C’est ainsi aux arguments avancés par les plaignants, mais aussi aux documents de défense acheminés à cette instance particulière que l’on se réfère dans le rapport final du CONAR. Cette fois, comme on le verra par la suite, le CONAR est prêt à revoir ses propres jurisprudences. 294 d) L’avis du CONAR Le rapporteur Luciano Ornelas semble avoir bien compris la recommandation du Président du CONAR. Dans son rapport d’une dizaine de pages, il reprend point par point les principales conclusions du rapporteur final du Secrétariat de la justice de São Paulo : 1) on ne peut accepter que l’intention de la campagne soit tout simplement d’associer couleurs, races et croyances ; 2) il s’agit d’une publicité portant une connotation clairement discriminatoire. Le Secrétaire de la justice s’appuie notamment sur l’art. 5 de la Constitution fédérale (qui définit le racisme comme crime), sur l’art. 6 du CBDC (qui défend le consommateur contre la publicité abusive et trompeuse), sur l’art. 37 du CBDC (qui définit la publicité abusive comme toute forme de publicité discriminatoire), l’art. 67 du CBDC (qui prévoit une peine de trois mois à un an et une amende pour tous ceux qui font ou promeuvent une publicité que l’on sait ou que l’on aurait pu savoir discriminatoire) et, finalement, l’art. 20 du CBARP (qui condamne la publicité discriminatoire). Ornelas reprend également les arguments de la députée Célia Leão, énoncés dans le rapport intermédiaire de l’assesseur pour la Défense de la citoyenneté, selon lesquels « les prix que Benetton aurait éventuellement pu recevoir importent peucdlxxix » et qu’ « on ne discute pas ici de la qualité carrément artistique du panneau en question, mais de sa conformité envers la loicdlxxx. » On cite la conclusion du secrétaire, selon laquelle le fait que la publicité Benetton soit faite à l’extérieur du pays, sous la responsabilité de l’annonceur lui-même, est totalement sans pertinence. Le secrétaire déplore également le fait que l’agence J. W. Thompson ait pris l’initiative de faire diffuser une campagne de cette qualité au pays. Le résumé reprend encore la position du secrétaire vis-à-vis de la défense présentée par l’agence J. W. Thompson : « Les documents présentés à ce Secrétariat par l’agence J. Walter Thompson déploient, en leur faveur, le fait d’avoir été commanditées auprès d’un digne, laborieux et illustrissime avocat. Néanmoins, ce n’est pas plus que celacdlxxxi 167. » 167 On doit mentionner ici que le plaidoyer acheminé par l’avocat Marco Antônio Rodrigues Barbosa au Secrétariat de la Justice ne ressemble en rien à celui adressé au CONAR. Les différences vont de la longueur du document (deux pages et demie pour le premier, trente-neuf pages pour le 295 Le rapporteur résume par la suite les arguments de la défense qui sont globalement les mêmes que ceux que j’ai fait ressortir dans l’analyse du plaidoyer. L’avocat plaide pour la mise aux archives de la représentation, soit parce qu’il n’y a pas de blâme, soit parce que la publicité a été retirée de la circulation le 30 novembre 1991 (alors que le jugement en question a eu lieu le 6 février 1992, donc plus de deux mois après le retrait de la circulation). Élément très important reconnu par le rapporteur : l’avocat en question « rappelle que la représentation d’office contre l’annonce de la femme noire allaitant un enfant blanc a été mise aux archives à l’unanimitécdlxxxii. » Devant ce constat, il y a lieu de se poser la question suivante : quelle sorte d’arguments avancés par la défense rendrait le rapporteur, éventuellement, susceptible de réorienter la jurisprudence construite jusque-là ? La réponse à cette question peut être obtenue dans l’avis étayé par le rapporteur dans la conclusion de son rapport. Tout d’abord, il choisit de ne pas suivre la voie suggérée par la défense —juger la publicité comme une pièce individuelle dans l’ensemble des publicités du GB — pour se concentrer « sur les points de la défense où cette publicité est citéecdlxxxiii. » En faisant deux ou trois références aux fautes d’orthographe de l’avocat (alors que le rapporteur en fait aussi quelques-unes), ce dernier s’insurge contre le fait que l’avocat reconnaît dès le départ que l’annonce est devenue connue dans les médias comme étant celle « du petit ange et du petit diablecdlxxxiv ». Ornelas déplore le fait que, parmi les intentions citées par le photographe Oliviero Toscani, on retrouve la prétention de poser un défi à l’autorité, prétention qui n’a d’ailleurs pas été soulignée par l’avocat. Finalement, le rapporteur s’insurge contre le principe de l’inversion du blâme de préjugé racial utilisé par le GB, selon lequel les interprétations favorisant la conclusion de discriminations raciales ont elles-mêmes deuxième) jusqu’au ton et au choix des arguments. Dans sa version plus concise, sobre et objective, le plaidoyer ressort, très brièvement, les faits suivants : la publicité du GB est préparée à l’extérieur du pays, sous les auspices de l’annonceur ; l’usage de couleurs est une valeur éthique chez le GB ; les annonces doivent être regardées dans leur ensemble, car « en dehors du contexte de ligne de la publicité, celles-ci risquent de perdre leur sens » (“fora do contexto da linha da publicidade, podem até perder o significado”, Chambres des députés de São José dos Campos c. Groupe Benetton et Agence J. W. Thompson, 1991). 296 pour sources des préjugées raciaux. Toutefois, poursuit le rapporteur, les efforts du GB et de J. W. Thompson ne s’arrêtent pas là. Dans une tentative de dernière minute, l’annonceur présente, le 28 janvier 1992, un plaidoyer additionnel visant à répondre au CONAR sur les principaux arguments avancés par le Secrétaire dans son rapport final. Ceci est résumé par le rapporteur de la façon suivante : Pour les avocats, le Secrétaire de la justice et son assessorat n’ont aucune raison de considérer l’annonce raciste et discriminatoire. Au contraire, ils affirment que c’est la compréhension du Secrétaire et de son assesseur qui est manichéiste et qui comporte des préjugés.cdlxxxv Mais c’est trop tard, semble-t-il, puisque le rapporteur a déjà tiré sa conclusion : « je suis convaincu que si les idées expressément mélangées et les concepts confus avaient été disposés de façon ordonnée et cohérente, la défense aurait elle-même condamné l’annonce parce qu’elle va à l’encontre — en les frappant de plein fouet — des articles 1, 2 et 20 du CBARPcdlxxxvi. » La suite de l’avis du rapporteur n’a pas d’intérêt non plus pour comprendre l’encadrement accordé à la question de la discrimination. Ainsi, en citant des extraits des œuvres La route de la servitude du prix Nobel de l’économie de 1974, l’autrichien F. A. Hayek et l’Anthologie libérale de Ludwig von Mises, le rapporteur essaie de « décaractériser les thèses politiques de la défensecdlxxxvii ». En replaçant l’agence J. W. Thompson dans le contexte du nazisme, le rapporteur ironise sur l’attitude que l’agence pourrait y adopter de façon hypothétique : à celle-ci, il conviendrait de « réserver un espace dans les médias brésiliens pour une petite annonce, probablement illustrée par les émanations de Dieu, à côté de son porte-parole Adolf [Hitler]cdlxxxviii. » Autrement dit, le rapporteur replace l’annonce dans le contexte de la récente montée de l’extrême droite en Europe en citant, entre autres, le fait que le politicien français Jean-Marie Le Pen ait accumulé 20 % des votes. 297 On serait porté à croire qu’il s’agit là d’une démonstration typique du vieux réflexe brésilien de renvoyer le problème du racisme à des « peuples étrangers ». Toutefois, dans ce contexte précis, le rapporteur fait un pas en avant, en acceptant l’existence du racisme au Brésil : La photo illustrant l’annonce de Benetton a laissé exposer dans les panneaux parsemés le long du pays les blessures affreuses, encore distantes de la cicatrisation. Nous savons que le racisme est supporté au Brésil — celui-ci n’est pas si explicite que celui de Hitler contre les juifs ou de son équivalent nord-américain Klu Klux Klan, son partenaire dans le champ des préjugés. Par contre, notre racisme n’est pas si dissimulé que le regard de Capitu168. Nous avons nos chagrins et la conscience me dit que nous ne devons pas plaisanter avec ceux-ci.cdlxxxix On pourrait lire dans ces lignes une intention latente de minimiser le racisme au Brésil en le comparant aux exemples les plus extrêmes du nazisme et du Klu Klux Klan. Quoi qu’il en soit, le geste pris par le rapporteur dans la suite de son argumentation laisse place à plusieurs conjectures : Ainsi, pour montrer que cette photo agresse notre pays, je laisse les Noirs parler à travers moi — des écrivains et poètes contemporains comme Carlos Assunção dans sa Protestation : « Un jour, les ovations et les roses du bonheur m’ont été jetées tout d’un coup De la prison où je me trouvais Vers une prison plus ample Ceci a été un cheval de Troie La liberté qu’on m’a accordée »cdxc Certes, il y a l’idée implicite d’un consentement dans la croyance qu’on pourrait laisser à quelqu’un d’autre la possibilité de parler à travers sa propre voix. La parole est accordée, on s’entend bien, elle n’est pas prise de plein droit. De fait, deux conclusions, non mutuellement exclusives, sont possibles. On peut lire, de façon sous-jacente à l’idée d’accorder la parole aux exclus, les indices du vieux paternalisme des élites blanches, qui recentrent sur elles168 Capitu est le personnage central d’un des romans les plus célèbres de la littérature brésilienne, intitulé Dom Casmurro. La narration est faite en première personne par l’ancien mari de Capitu, pour qui les yeux « dissimulés » de celle-ci cachaient des secrets insoupçonnés et à jamais découverts. 298 mêmes le pouvoir de définir ce qui est ou ce qui n’est pas de droit (comme on a d’ailleurs voulu faire avec le propre processus de l’Abolition de l’esclavage au Brésil). Dans cette perspective, cette réaction serait comparable à celle d’un sujet qui, devant une faute avouée, cherche à reprendre le contrôle de la situation. Mais on peut également reconnaître dans cette attitude le réflexe des conditions objectives de la population noire au sein du Conseil d’éthique. En effet, compte tenu de leur très probable exclusion des délibérations ayant lieu au sein du micropublic du CONAR, « citer » leurs paroles devient non seulement la solution la plus simple mais aussi la plus conforme aux normes procédurales internes. Ainsi, après avoir exhaustivement examiné les arguments de part et d’autre, la majorité des membres du Comité d’éthique a compris que « l’annonceur, une fois de plus, révèle l’intention de ‘choquer’ indistinctement la société et d’ ‘installer’ la polémique autour de sa publicité, dans l’espoir de peut-être rendre celle-ci plus productive pour sa marquecdxci. » Compte tenu des arguments énoncés antérieurement, le Comité d’éthique décide, le 6 février 1992, de recommander aux médias le retrait de la circulation de la publicité en question — publicité qui, d’ailleurs, ne circulait plus depuis plus de deux mois — mais aussi d’émettre un avertissement à l’annonceur. e) Le recours de l’agence Toutefois, cette décision ne s’est pas avérée définitive. Comme cela est prévu dans les normes internes du CONAR, l’agence J. W. Thompson peut choisir d’aller de l’avant et déposer un recours ordinaire auprès de la Chambre spéciale de recours, ce qui fut fait le 9 mars 1992. Tout au long de ses 26 pages, le document, signé par M.A.R.B. et S.M.D.F. (responsables, respectivement, du premier et du deuxième plaidoyer), confrontera la décision antérieure émise par le CONAR en mettant ce dernier face à face à ses propres contradictions et ambiguïtés. L’argumentaire est divisé en cinq points principaux, lesquels sont résumés cidessous. 299 Dans la première section, intitulée « Jugement sans exemption : macule dans l’histoire du CONRcdxcii », les avocats s’insurgent contre le ton et le contenu de l’avis du rapporteur : celui-ci, en plus de faire un large usage de l’ironie pour corriger les erreurs d’orthographe de l’avocat responsable du document reporté, aurait convenablement filtré les arguments de la défense au détriment de celle-ci. Selon ces derniers, le rapporteur a notamment omis de reproduire les arguments référents à toute la ligne de produits du GB, en privilégiant seulement ceux portant sur la publicité dénoncée. De ce fait, les avocats plaident pour que le jugement, cette fois-ci, porte sur le mérite de la représentation, à savoir, sur le fait que la publicité soit ou non racialement discriminatoire. Dans la deuxième section, portant sur « les fonctions et la responsabilité du CONARcdxciii », les avocats rappellent que celui-ci est un organisme de formation spontanée, auquel souscrivent volontairement les agences de publicité nationales. Toutefois, en même temps que celles-ci renforcent l’importance du CONAR dans l’inhibition des abus, le respect du droit des consommateurs et la solution rapide des divergences entre annonceurs, agences et médias, ils tiennent à rappeler au CONAR ses responsabilités. « Il est indispensable que, dans les jugements émis, on applique la norme qui discipline le marchécdxciv. » En arguant au nom de la norme du marché, les représentants légaux de l’agence J. W. Thompson estiment qu’il appartient aux membres du Comité d’éthique du CONAR de « tout simplement vérifier si la publicité porte atteinte à la norme du marché, laquelle, même en ayant un contenu éthique, possède un caractère général qui ne peut souffrir aucun rapport avec le sentiment personnel d’un conseiller ou d’autrescdxcv. » Certes, à la base de l’idée d’un ensemble de normes éthiques homogènes et unifiées face aux impératifs du marché, demeure une vision du droit dénuée de toute sa dimension interprétative : « Un juge de droit, en énonçant une sentence, applique ce que le droit dit et non son opinion sur ce que le droit aurait dû direcdxcvi. » La troisième section, intitulée « Un organisme politiquement fort et un organisme politiquement faiblecdxcvii », les avocats proposent une interprétation sui generis du conflit qui se dessine devant le CONAR. Selon eux, nous vivons dans un contexte où prédomine la norme du « politiquement correct » — 300 « terme qui correspond à la détermination sur ce qui est la conduite correcte et ce qui est la conduite erronéecdxcviii. » De ceci résulte l’adoption d’attitudes à la fois « rigoureuses » et « intolérantes », fondées sur la prescription du comportement individuel et la censure. Née de sentiments expérimentés par les victimes de la discrimination, la norme du politiquement correct retombe sur deux types de proie : 1) ceux qui « en souffrent les exigencescdxcix » et qui ne maîtrisent pas « les raisons de faitsd » ; 2) les opportunistes. Selon ce modèle explicatif, les organismes politiquement forts seraient capables d’appliquer leurs décisions en fonction de l’intérêt public, alors que les organismes politiquement faibles « agissent dans le sens opposé, en perdant la référence de leur devoir public et en décidant selon des intérêts particuliers, sinon illégitimesdi. » En d’autres termes, l’organisme politiquement faible n’a pas le « pouvoir moral » de supporter la confrontation morale entre les minorités et les opportunistes. En transposant ce raisonnement au contexte en question, les avocats saisissent trois groupes distincts. Toujours selon eux, on retrouve, d’une part, l’agence J. W. Thompson et le GB, responsable de la campagne publicitaire qui a davantage célébré, en tout temps, la rencontre des races. D’autre part, il y a les secteurs représentatifs de la communauté noire qui, « compte tenu de la propre histoire [de cette communauté] de discrimination et de ségrégation, attribuent à l’annonce une connotation racistedii. » Finalement, il y a les opportunistes qui, pour des raisons variables, adhèrent à la norme du politiquement correct. On cite comme exemples d’opportunisme : les journaux, « où la propagation de l’idée a pris la place des faitsdiii » ; le rapporteur, qui a délibérément détourné le jugement en première instance ; et le Secrétaire de la justice qui « s’efforce de montrer, en pleine année d’élections, que le gouvernement de São Paulo lutte contre le racismediv. » Compte tenu de ce rapport de forces, concluent-ils, le CONAR ne serait capable de se montrer en tant qu’organisme politiquement fort que s’il arrive à affirmer : 1) l’intention du photographe du GB de discriminer racialement ; 2) que la publicité porte atteinte à une norme du CBARP ; 3) que la publicité porte préjudice de n’importe quelle façon à un consommateur. 301 Dans la quatrième section, nommée « Intolérance et mépris envers l’intelligencedv », les avocats se plaignent du fait qu’en condamnant le GB, le CONAR commet une injustice, car « aucun annonceur n’aurait utilisé, dans ses publicités, plus de personnes noires que Benettondvi. » Ainsi, en citant des extraits d’une lettre probablement envoyée par le Centre de la conscience noire de l’Université de São Paulo, les avocats estiment que les activistes ont vu de la discrimination dans la publicité à cause de variables autres comme le « processus séculaire d’esclavagedvii » auquel les noirs ont été soumis, ou encore parce que « la discrimination raciale a marginalisé le Noirdviii », mais non parce que la publicité était en soi discriminatoire. « Ceci est, à vrai dire, la condamnation de l’intelligencedix » et le jugement du CONAR, une atteinte à la justice. Le cinquième et dernier point, portant sur « le contenu effectif de l’annoncedx » revient sur le point que le CONAR a déjà adopté, à l’unanimité, une décision contraire à la celle prise lors du jugement du procès n° 076-90. Évidemment, on transcrit mot pour mot l’avis que la rapporteuse Eliana Cáceres avait émis à l’époque. La question que se posent les auteurs, non sans raison, est celle-ci : comment le GB aurait-il pu révéler, une fois de plus, l’intention de choquer la société si le CONAR ne s’était jamais prononcé dans ce sens ? Ce à quoi ils répondent : « Pour qu’on qualifie l’annonce de raciste, il serait nécessaire, de plus, que l’annonceur ait eu cette intentiondxi. » Mais, au contraire, il s’agit tout simplement de « deux fillettes adorables, l’une blonde, avec un air ingénu, l’autre noire et d’aspect mystérieux, avec une coiffure afro, d’usage commun parmi les enfants et femmes africainesdxii. » De plus, expliquent-ils, le GB n’a jamais voulu représenter l’ange et le diable, mais plutôt « ironiser » dans ce sens, en utilisant le contraste en question. L’ironie, estiment-ils, est un élément fondamental pour « faire ressortir le fait que stéréotyper est une attitude inutile, qui incite à des préjugés et à de la discriminationdxiii. » La suite de l’argument plaide pour une interprétation de la publicité dénoncée dans le cadre de l’ensemble de la campagne, en plus d’apporter les témoignages des modèles africains Vouma Diakite et Roka Gueye sur le plaisir éprouvé dans leur travail avec Benetton (copie de l’original avec traduction et copies des pages de passeport de ces dernier sont annexées au procès). 302 Il existe assurément une disproportion entre le ton et la longueur du plaidoyer de l’agence et celui de l’annonceur. Ce dernier, signé par les avocats Ubiratan Mattos et Rodrigo M. Carneiro de Oliveira, prône de manière beaucoup plus succincte et moins provocatrice que le précédent, l’absence d’objectif discriminatoire dans la publicité en question. Les responsables du document commencent notamment par énoncer « l’intégration de couleurs, personnes et racesdxiv », ou plus particulièrement le contraste entre les couleurs, tout comme la philosophie du GB. Celle-ci doit fournir le contexte — ou cadre — approprié pour l’interprétation « adéquate » de la publicité dénoncée. « Et ce contraste, signalent-ils, est sans équivoque présent dans la publicité en cours d’examen, dans la mesure où en même temps qu’on perçoit deux fillettes de races et couleurs différentes, on note que toutes les deux se donnent l’accolade, dans un geste de tendresse, de respect et d’intégrationdxv. » Le problème, notent les avocats, est qu’on n’a mentionné que très superficiellement la publicité en question, en oubliant de la mettre dans le contexte approprié. Les comparaisons proposées par le CONAR dans son rapport ne sont pas pertinentes parce qu’elles ignorent le contexte en question. En admettant que la publicité puisse causer de la polémique, signalent les auteurs, le GB n’est coupable en soi d’aucun crime ou abus. Au contraire, « la publicité conçue par Benetton est une invitation à la réflexion, puisqu’elle aborde des thèmes actuels et démontre que l’intégration universelle est au-dessus de n’importe quel taboudxvi. » De ce fait, « il n’y a aucune discrimination dans le fait que la fillette blanche sourit alors que la fillette noire, nondxvii. » En ce qui concerne la légalité de la publicité en question, les avocats dénoncent l’inexistence d’une « typification légale, au moins au Brésil, de la pratique de la publicité en discussiondxviii », ce qui les amène à conclure que « la polémique et l’impact des opposés ne constituent aucun crimedxix. » Ils déplorent également le fait que la décision du CONAR s’appuie sur une perception subjective, alors que la même publicité a fait l’objet d’une appréciation beaucoup plus favorable ailleurs. Bref, le CONAR dépasse les limites de ses attributions en pratiquant de la censure à la libre expression artistique, comme le démontre l’extrait suivant : 303 C’est dans ce contexte qu’on doit faire ressortir les limites de l’action du CONAR. Sa fonction en tant qu’organisme de réglementation de la publicité n’est pas d’imposer des limites à la créativité ni à l’art publicitaire. Imposer la censure n’est aucunement la finalité du CONAR, soit parce que celui-ci n’est pas un organisme judiciaire, soit aussi — et principalement — parce que ces limitations chamboulent les garanties constitutionnelles du pays.dxx Les avocats concluent en citant les articles 5 et 220 de la Constitution fédérale, qui déterminent, respectivement, l’égalité devant la loi et la « libre expression de la liberté intellectuelle, artistique, scientifique ou de communication, indépendamment de toute censure ou licencedxxi. » Bien qu’annonceur et agence déplorent de façon égale la décision du CONAR en remettant en question la légalité de celle-ci, il semble quand même y avoir une sorte de « division » implicite du « travail » de défense. Alors qu’il revient plus spécifiquement à l’annonceur de prouver l’absence d’une quelconque intention discriminatoire dans la publicité dénoncée, c’est à l’agence que revient le rôle de rappeler au CONAR les limites de ses « attributions » originelles. La réplique de l’agence démontre bien qu’elle avait mal digéré non seulement la décision, mais aussi la synergie entre le rapporteur et le Secrétaire de la justice. Les âmes s’exaltent, les échanges provocateurs se poursuivent. Dans une lettre datée du 6 avril 1992, l’agence et l’annonceur exigent par écrit la présence du maximum de membres prévus dans une séance de jugement de recours ordinaire, en déplorant certains déraillements du conseil, comme le fait de permettre le recours à une décision unanime et qu’un nombre de votes inférieur à celui de la première instance détermine la décision finale. Dans sa réponse, le Président du CONAR ironise sur la proposition, en affirmant que « ce que les pétitionnaires peut-être ne savent pas (…), c’est que le CONAR convoque toujoursdxxii » le nombre maximal de huit membres pour la Chambre de recours, bien que lui-même « fasse confiance à la décision de cette chambre, peu important le nombre de ses membresdxxiii. » Dans cet état d’irritation de part et d’autre, on se demande quelle sorte d’appréciation fera le rapporteur de la chambre de recours. 304 f) L’avis du rapporteur de la chambre de recours Il ne me semble pas nécessaire de refaire ici tout le parcours du procès argumentatif du procès. J’aimerais maintenant m’attarder sur l’avis du rapporteur. Dans un rapport daté du 7 avril 1992, le rapporteur avertit dès le départ que « par ses implications de caractères philosophique, politique, juridique et, encore même par ses répercussions sociales, nous comprenons que celui-ci est l’un des procès les plus graves de toute l’histoire, déjà féconde, du CONARdxxiv. » Les lignes qui suivent offrent un plaidoyer pour la légitimité et le caractère démocratique du CONAR. Ingénument, argue le rapporteur Arthur C. Amorim, l’annonceur et l’agence confondent censure avec éthique. Alors que la première possède un « caractère autoritaire » et qu’elle est « exercée arbitrairement » par quelqu’un qui fait prévaloir ses critères personnels, sans laisser aucun droit à la défense, (…) le jugement éthique du CONAR est démocratique, exercé par une chambre composée de conseillers d’origines et de professions assez diversifiées, d’après un code établi, rédigé, voté et approuvé par toute une classe professionnelle — nous, les publicitaires — avec un droit entier à la défense, comme peuvent bien en témoigner Benetton et Thompson d’après leurs expériences avec le CONAR.dxxv Certes, on ne semble pas s’inquiéter du fait que le caractère « démocratique » du CONAR défavorise largement les citoyens ou consommateurs vis-à-vis du secteur publicitaire, auquel revient la prérogative du « droit total à la défense ». Quoi qu’il en soit, la suite de l’argument essaie de prouver, en établissant un parallèle entre le CBARP et le British Code of Advertising, que le CONAR ne limite aucunement la créativité publicitaire. « Le code du CONAR peut être considéré doux lorsque comparé au code anglaisdxxvi », assure-t-il, alors que la publicité britannique s’est avérée « de loin la plus créativedxxvii. » Le rapporteur poursuit sa défense de la légitimité du CONAR en soulignant sa force morale : « Le code est tout simplement une systématisation que la classe publicitaire elle-même a établie pour annoncer correctement. Celui-ci n’a pas de valeur légale, mais une valeur morale, argue-tildxxviii. » 305 Pour maintenir le statu quo et garder une certaine légitimité au sein du secteur qu’il représente, le CONAR semble être prêt à négocier. Ici, l’un des aspects « négociés » a justement été le blâme pour discrimination raciale. « Il est certain que Benetton n’est pas responsable de tout ce que le Brésil a fait, et continue à faire, aux Noirs. Benetton est seulement responsable de ne pas exploiter ou provoquer ce sentiment dans le panneau publicitairedxxix. » Ceci veut dire, en d’autres termes, que le GB a été carrément exempté de l’intention d’être discriminatoire, allant ainsi à l’encontre des arguments soulevés dans les médias par les propres acteurs de la société civile, comme on le verra par la suite. Ainsi, « selon la compréhension de ce rapporteur, ce panneau contrevient à cet article [20], il est offensant, même si l’on n’a pas eu cette intentiondxxx.» Pour conclure son plaidoyer, le rapporteur du recours défend son homologue ayant exercé dans la première instance de jugement, en estimant que le prétendu excès d’ironie de ce dernier a constitué une réponse justifiée à une « certaine dose d’ironie »dxxxi de la part des avocats. « Vouloir qualifier le Secrétaire de la justice de raciste pour avoir initié un procès en vue exactement de combattre ce sentiment, irriterait n’importe quel rapporteur, avoue-tildxxxii. » Somme toute, le rapporteur vote pour le maintien de la peine de retrait de la circulation — qui n’a d’ailleurs aucun effet de sanction, car la publicité ne circulait plus depuis au moins cinq mois — tout en retirant la peine d’avertissement, l’absence d’intention étant une circonstance atténuante. Acclamé à l’unanimité par les neuf membres (un de plus que ce qui était prévu par la norme interne) de la Chambre spéciale de recours, l’avis du rapporteur devient la décision finale et définitive du CONAR, émise le 9 avril 1992. 306 g) La délibération selon les médias On peut diviser les articles, reportages, notes et éditoriaux de journaux en deux blocs différents : ceux récoltés par le CONAR lui-même et celui faisant partie du repérage extensif mené par le Secrétariat de la justice et de la défense de la citoyenneté de São Paulo. En ce qui concerne le matériel sélectionné par le Secrétariat de la justice, celui-ci fait état des actions menées au niveau judiciaire, mais aussi par les entités du mouvement noir, dans la période comprise entre le 21 novembre et le 12 décembre 1991. En effet, ces reportages montrent que l’action punitive du CONAR est une réaction assez tardive par rapport à la vague de protestations qui a été déclenchée dans diverses régions du Brésil. À l’instar du dernier procès, la polémique s’installe d’abord à São Paulo pour ensuite gagner d’autres capitales. Chose certaine : la campagne du GB a sûrement été à l’ordre du jour à l’occasion de la célébration de la Journée de la conscience noire le 20 novembre de la même année, alors que la campagne était encore en pleine circulation. Un événement déclencheur de la polémique a justement été le discours de la chanteuse Lecy Brandão lors d’un cycle de débats menés par l’Université de São Paulo (USP), le 20 novembre 1991, et ayant comme thème la production de l’artiste Noir. Le quotidien Folha de São Paulo (Rossetti, 1991) y dédie toute une page de reportages, en mettant en avant le mot d’ordre lancé par la chanteuse : « Hier, Journée nationale de la Conscience Noire, Lecy a proposé la mise en place d’une campagne contre les panneaux, rapporte-t-ildxxxiii. » Les efforts de Brandão ne sont pas passés inaperçus. Dans un court reportage portant sur les répercussions de la campagne par le quotidien Diário do Comércio (1991) du 3 décembre 1991, on signale que « les premières critiques au sujet de la campagne ont émergé lors du débat, réalisé la semaine passée dans l’USP, portant sur ‘la production de l’artiste Noir’dxxxiv ». Le lendemain, une note publiée dans le quotidien O Globo (1991), à Rio de Janeiro, est clôturée par l’avis du Centre de la Conscience Noire de l’USP, lequel « a interprété la coiffure comme étant des cornesdxxxv. » 307 D’autres artistes noirs se sont aussi prononcés contre la campagne, leurs témoignages étant repris dans plusieurs articles. Par exemple, l’avis du vice-président du groupe de musique afro-brésilienne Olodum, Petronilho Alves, a été repris dans un reportage du quotidien Diário do Comércio (1991) de même que dans l’éditorial du quotidien Folha da Tarde (1991) : « Il s’agit d’une injustice affreuse contre les Noirs, s’insurge-t-ildxxxvi. » Mais contrairement au procès précédent où les journalistes ont omis d’afficher explicitement des avis personnels dans leurs articles, ces derniers en viennent à se prononcer ouvertement et à blâmer de plus en plus la stratégie publicitaire du GB, comme dans l’éditorial mentionné ci-dessus. Suite à la première vague de protestations déclenchée par les mouvements noirs, c’est au tour du Secrétariat de la justice d’entrer en scène. Ainsi, dans la semaine suivant la publication du témoignage de Lecy Brandão, la demande d’explication lancée par le Secrétaire de la justice à l’agence et à l’annonceur, dans un délai de cinq jours ouvrables, est rapportée dans plusieurs notes de la presse de la capitale de l’État de São Paulo. Les titres en disent long : « La Justice demande des explications sur le panneau de Benettondxxxvii », paru dans le quotidien Folha de São Paulo (1991); « Préjugé »dxxxviii (1991) et « Bonne dispute »dxxxix (1991), parus tous les deux dans le quotidien Diário Popular. L’indignation rebondit aussi au niveau judiciaire par le biais du bureau du Procureur spécial pour la défense des consommateurs — ce dernier étant Clayton Camargo —, à Curitiba, capitale du Paraná. Selon le court reportage paru dans le quotidien O Globo (1991), celui-ci devient le premier à déposer une plainte au niveau judiciaire local afin de contrer la mise en circulation de la publicité du GB. Son interprétation donne une idée claire de l’encadrement accordé cette fois-ci à la question de la discrimination raciale : « La fillette blonde, blanche et souriante symbolise le bien, alors que la fillette noire, triste, portant des cornes, symbolise le mal. Qu’une multinationale fasse de la publicité en offensant notre histoire, nos valeurs et notre formation, c’est avilissant — dénonce le procureurdxl. » Le Procureur n’est pas le seul à penser de cette manière. L’artiste noir Petronilho Alves avait lui aussi abondé dans le même sens dans le reportage du Diário do Comércio, Indústria & Serviço du 26 novembre : « Seule une multinationale montrerait un Noir en tant que diable et un Blanc en tant qu’angedxli. » 308 Quoi qu’il en soit, le premier à accorder le retrait de la circulation de la publicité n’est ni le CONAR ni le Ministère public, mais plutôt le juge Romildo Vale à Recife, capitale de l’État de Pernambuco. La décision de couvrir 80 panneaux publicitaires a été rapportée le 12 décembre 1991 à Rio de Janeiro (1991) ainsi qu’à São Paulo (1991) comme conséquence de la plainte déposée par le député municipal Vicente André Gomes. Dans son témoignage au Jornal do Brasil, le député fait connaître sa soif de justice : « Cela ne m’intéresse pas du tout de simplement retirer les pièces publicitaires. Je veux mettre les responsables régionaux de Benetton en prison pour le crime de racismedxlii. » Fait digne de mention : le retrait a été fait douze jours après la date de fin de mise en circulation que le GB avait communiquée au CONAR. Lorsque la discussion est encadrée sous la forme d’une polémique, la balance penche légèrement vers le côté mécontent de la publicité en question. Dans un reportage de João Carlos Pedroso, paru dans O Globo, trois personnes reconnaissent l’existence du racisme dans la publicité, deux sont contre, et un dernier croit que la publicité n’est pas intentionnellement raciste. Les publicitaires, quant à eux, disparaissent tout simplement des pages des journaux. Le seul professionnel à y intervenir est le directeur de l’agence J. W. Thompson, Giancarlo Marchesini. Son interprétation de la publicité est citée dans une note parue dans le quotidien Folha de São Paulo (1991), ainsi que dans le reportage paru dans le Diário do Comércio le 26 novembre (op. cit.). Curieusement, le témoignage de celui-ci publié dans le quotidien Folha de São Paulo va à l’encontre des arguments soutenus par les avocats de Benetton. En effet, Marchesini affirme que l’annonce « n’est pas raciste, [elle n’a pas d’] intérêt à créer de la polémiquedxliii. » Après le 26 novembre 1991, le GB n’accorde plus de déclarations à la presse, au moins en ce qui concerne l’ensemble des articles sélectionnés dans ce procès. D’un autre côté, les articles, reportages et notes récoltés par le CONAR sont moins nombreux et plus ponctuels. La décision du CONAR de « retirer » la publicité de la circulation a été rapportée dans un article paru dans le quotidien Gazeta Mercantil (Nunes, 1992) le 7 février de même que dans le Estado de São Paulo (Beirão, 1992) le 11 février 1992. Dans le premier article, on communique la décision du CONAR « hier, de suspendre la circulation de la 309 publicité de Benettondxliv ». Dans le deuxième article, on atteste carrément que deux publicités de Benetton — celle faisant l’objet de ce procès et une autre où un prêtre et une sœur s’embrassent — « ont été retirées de la circulation, la semaine passée, par décision du CONARdxlv ». Ici, la tentative du CONAR de regagner le contrôle de la situation en s’autopromouvant comme l’agent à l’origine du retrait de la circulation est une hypothèse assez raisonnable. À part ceux-ci, le reportage intitulé « Annonce faite pour choquerdxlvi », paru le 28 janvier 1992, mérite une attention spéciale (Pinto, 1992) Dans celui-ci, le journaliste Celso Pinto fait un bilan des polémiques que les publicités du GB avaient jusqu’alors soulevées en Angleterre. Pinto commence par faire part du boycottage de la dernière campagne de Benetton par la revue Elle. On apprend par la suite que l’Advertising Standards Association (ASA), l’équivalent du CONAR en Angleterre, avait déterminé le retrait de la publicité qui montrait un jeune homme atteint de SIDA en train d’agoniser dans son lit. En associant la stratégie du GB à la recherche de publicité gratuite, le journaliste finit par donner deux exemples où la décision de retrait de la circulation de l’ASA n’a pas été respectée dans ce pays. Le premier est celui du magazine The Face, qui a décide de publier ladite annonce et de reverser l’argent récolté à une institution de charité, c’est-à-dire de faire ainsi sa propre publicité sur la publicité abusive du GB. Le deuxième a été celui du GB lui-même, qui a ignoré la décision de retrait de la circulation d’une publicité qui montrait un nouveau-né saignant, portant encore son cordon ombilical. En guise de conclusion, le journaliste compare la stratégie du GB avec celle utilisée une fois par la chaîne de bijoux de luxe de Gérard Ratner : livrer des déclarations d’impact dans les médias comme moyen d’attirer l’attention des médias sur soi. Bref, en rapportant la perte gigantesque de profits essuyée par ce dernier suite à une déclaration maladroite dans les médias, Pinto semble suggérer (ou peut-être souhaiter) que le GB risque finalement de suivre le même chemin. Pour conclure, c’est au tour des articles d’opinions de faire surface. Le premier est publié par Solange Lima (1991), la semaine du 9 au 12 décembre 1992, professeure d’anthropologie de la communication à l’École de communication et d’arts de l’USP. Le deuxième est publié par 310 le journaliste et activiste noir Fernando Conceição dans le quotidien A Tarde (1992). Dans « La publicité et les symboles raciauxdxlvii », Lima propose une analyse de la polysémie de plusieurs publicités du GB, pour conclure, au sujet de la campagne dénoncée dans le procès n° 229-91 : « Je ne peux pas percevoir la possibilité d’une deuxième, d’une troisième ou d’une quatrième lecture. La polysémie a laissé la place, dans ce cas-ci, à une image univoque : celle qui (…) associe le Noir au mal et le Blanc au biendxlviii. » Comment, alors, ne pas voir dans cette publicité un contenu nettement raciste, se demande-t-elle. Autrement dit, comment ne pas l’interpréter selon les sens socialement construits dans la société brésilienne ? Le chemin choisi par Conceição, quant à lui, est tout à fait différent de l’antérieur. En plaidant pour l’inexistence du langage en tant qu’instance « autonome », « désengagée » de son contexte social et historique, Conceição cherche des références théoriques allant d’Umberto Eco à Walter Lippmann, en passant par Mikhail Baktin. Son point peut être résumé ainsi : il n’y pas d’ingénuité idéologique dans les publicités du GB, mais plutôt le réflexe d’expériences historiquement accumulées. Curieusement, des extraits de l’article de Conceição avaient été cités dans le document de la défense, à la Chambre de recours, comme une évidence de l’absence de blâme dans la publicité de deux fillettes en accolade. D’une part, la conclusion que les avocats tirent de cet article est juste : Conceição blâme l’usage qu’on en fait dans une société « manichéiste et cartésienne, positiviste et chrétiennedxlix ». D’autre part, il y a un point que personne ne semble avoir soulevé dans ce débat et qui peut être brièvement résumé ainsi : la société brésilienne n’est pas la seule à porter les signes du manichéisme chrétien, ou encore même de la pensée cartésienne ou positiviste. Bien au contraire, ces traits sont présents dans plusieurs cultures occidentales. Dans cette perspective, le blâme pour discrimination raciale de l’annonce en question pourrait bel et bien être retracé dès sa source, en passant, évidemment, par les mains des représentants malveillants de l’agence et de l’annonceur au pays. 311 Un dernier aspect de l’article de Conceição n’a été abordé nulle part ailleurs dans les médias : les négociations entamées entre le GB et les représentants des associations de défense de la cause noire, particulièrement ceux du Centre de la Conscience Noire de l’USP et du Conseil de participation et de développement de la population noire de São Paulo. Conceição fait part du débat ayant lieu dans les coulisses, des explications proposées par l’agence Thompson — virtuellement les mêmes que celles acheminées au CONAR —, de l’intérêt des membres du Centre de poursuivre le GB en justice. L’idée est que l’annonceur « soit obligé de réparer les dommages moraux que sa publicité a générésdl », en diffusant une publicité où il s’excuse formellement devant la société brésilienne. Ce désir de réparation, comme on le verra par la suite, demeure au centre des aspirations des critiques de la publicité racialement discriminatoire. 7.2 3. Troisième phase des procès pour discrimination raciale (2000-2005) 7.2.3.1. Procès n° 068-05169 — la laine d’acier d’Assolan Le dernier procès que j’analyserai dans ce travail a eu lieu en 2005 et constitue le seul cas de discrimination raciale ayant reçu l’attention des médias dans la troisième phase des procès pour discrimination raciale déposés auprès du CONAR. L’écart existant entre le procès précédent et celui-ci — quatorze ans — est assez long pour que de multiples changements prennent place dans la société brésilienne, tout comme dans le contexte international de lutte contre le racisme. On peut notamment citer l’amplification d’un marché de produits ciblés sur le public afro-brésiliens (voir sect. 4.7), la tenue de la 3e Conférence mondiale contre le racisme à Durban en 2001 (voir sect. 2.5) et la mise en place d’un Secrétariat spécial de politiques pour la promotion de l’égalité raciale ayant statut de ministère (malgré ses limitations structurelles et budgétaires) à partir de 2003. 169 Voir dans Borba c. Assolan, 2005. 312 Malgré tous ces changements, la dernière grande polémique autour d’une publicité accusée de promouvoir la discrimination raciale avait eu lieu en 1995 avec le procès n° 080-95170, soit dix ans avant la mise en scène du procès en question. En contrepartie, comme je l’ai démontré dans l’analyse quantitative des procès pour discrimination raciale (voir sect. 7.2.1), 45,16 % de ce type de dénonciations est concentré dans cette dernière phase. On voit également, à partir de 1995, une croissance exponentielle des plaintes pour discrimination mais pour des raisons autres que la discrimination raciale à proprement parler. Plusieurs facteurs expliquent la croissance des plaintes au sein du CONAR. L’un des plus évidents est la mise en place du site web du CONAR, lequel devient un outil majeur dans la captation de l’opinion des consommateurs. Évidemment, le fait que le dépôt d’une plainte auprès du CONAR soit gratuit est un élément fondamental pour garantir une participation plus active de la part des consommateurs. Mais l’Internet devient en soi un outil de mobilisation : c’est par le biais de cet instrument qu’on fait circuler les nombreuses pétitions pour protester contre le sexisme dans les publicités pour des bières brésiliennes, contre la dépréciation des homosexuels dans les publicités pour une voiture, ou encore, contre la publicité pour une mayonnaise qui utilise l’image d’une tribu cannibale pour montrer l’effet « civilisateur » du produit en question. Mais la polémique instaurée autour du procès n° 06805 est d’autant plus importante que celui-ci représente le seul cas de discrimination raciale sur lequel les médias ont fait la lumière. De plus, cela a été le seul et unique cas de discrimination raciale dans cette phase pour lequel au moins une forme de reconnaissance du dommage de discrimination raciale a été obtenue. Autrement dit, 13 procès sur 14 ouverts pour discrimination raciale dans cette phase ont été mis aux archives, sans aucune forme de reconnaissance du dommage. Ces indices sont essentiels pour comprendre les défis qui se posent non seulement aux mouvements noirs mais aussi au CONAR lui-même à l’heure actuelle. 170 Voir dans Sociedade Mineira de Cultura Nipo-Brasileira c. Condomínio Casa Raja Shopping et Agence R&C, 1995. 313 a) La dénonciation La première caractéristique qui saute aux yeux par rapport aux procès analysés antérieurement est le grand nombre de citoyens ordinaires, c’est-à-dire de citoyens qui interviennent auprès du CONAR en tant qu’individus et non comme représentants d’une organisation non gouvernementale ou d’une entité politique quelconque. Parmi les 22 plaignants, on retrouve 19 individus qui s’adressent au CONAR en tant que citoyens, 2 membres d’ONG et 1 membre d’un conseil gouvernemental. Cette stratégie d’intervention contraste largement avec celle utilisée par les mouvements noirs à l’occasion du procès 07690, où le seul plaignant n’appartenait à aucun groupe ou aucune association ni ne faisait partie de mouvements noirs. Un détail : les plaintes ont été déposées exclusivement par le biais d’Internet. Bien sûr, le ton du discours d’accusation tenu par le plaignant change radicalement, comme on peut le percevoir dans le témoignage de Maria das Graças Oliveira, lequel commence par les mots qui suivent : Je suis noire et je suis fière de ma race. Je suis Brésilienne et travailleuse. Je me sens agressée par la publicité en circulation à la TÉLÉVISION. Ce sont des enfants qui portent des cheveux ASSOLAN. C’est un message raciste et plein de préjugés. On y met des enfants blancs avec les cheveux pour réduire l’impact. Mais je me sens mal en voyant une image si raciste. Pour vendre leurs produits, les entreprises ne se gênent pas de vendre une image où nous, les Noirs, sommes une fois de plus discriminés. On a changé les cheveux « bombril » par ceux « assolan ». Je sollicite que des mesures soient prises et que cette publicité RACISTE soit retirée de la circulation. Je ne peux accepter que ce type de publicité raciste continue d’exister. J’écris depuis la maison de ma patronne.dli Certes, il faut d’abord expliquer ce à quoi au juste réfère le produit en question et quel est son rapport avec un autre produit, au Brésil, très connu sous le nom de « bombril ». En fait, « Bombril », une marque de laine d’acier qui appartient à l’entreprise Bombril S.A., est devenue tellement connue au Brésil que la marque a fini par prêter son nom au produit. Après avoir dominé seule, depuis 1948, le marché de la laine d’acier au Brésil, Bombril en vient à 314 devoir faire face à une concurrente à partir de 2003, l’entreprise Assolan. Le grand défi qui se pose à la laine d’acier d’Assolan est de dissocier le produit de la marque concurrente. Comme on le verra par la suite, pour y arriver, il faut d’abord déconstruire l’association existant, au Brésil, entre la laine d’acier et les cheveux frisés des Noirs. Le témoignage de la plaignante Rebeca Oliveira Duarte est assez explicite à cet égard : Le format de la perruque utilisée dans la publicité ‘Bébés’ est une association avec les cheveux ‘black power’. La question est que l’un des surnoms discriminatoires vis-à-vis des cheveux de la personne noire a toujours été ‘cheveux bom-bril’ ; il me semble que l’Assolan veut concurrencer avec la Bombril même dans ceci ! Je proteste contre la publicité, laquelle incite à la formulation de surnoms chargés de préjugés contre les cheveux crépus. L’agence publicitaire responsable, l’Africa São Paulo Ltée, est associée au CONAR.dlii En effet, la publicité en question montre plusieurs bébés, de races et de couleurs différentes, portant tous le même trait identitaire : une perruque de laine d’acier stylisée (voir app. B.4). Anna Davies, membre du Conseil municipal de défense des droits du Noir (COMDEDINE), formule le problème de la discrimination au nom de l’organisation qu’elle représente, dans les termes suivants : Selon notre compréhension, la fameuse publicité commerciale pour l’ASSOLAN pèche par racisme de deux manières : 1) de manière ostensible ou subliminale, car celle-ci induit la pensée selon laquelle les cheveux de noirs sont comparativement aussi durs que l’acier, en plus d’être âpres, contribuant à la continuité ou à la création du préjugé par rapport aux cheveux de l’ethnie noire. Cette comparaison désastreuse se prête à des blagues pleines de préjugés et de mauvais goût qui porteront atteinte, principalement, à nos enfants dans leurs milieux scolaire et social ; 2) elle attaque de manière frauduleuse l’un des symboles de la Beauté Noire : les cheveux style Black Power, qui ont servi, depuis les années 1960, à stimuler l’auto-estime et à créer une image positive pour la négritude mondiale.dliii Les deux extraits démontrent bien le changement de cap de la perception de la discrimination raciale par rapport aux procès antérieurs : ici, ce n’est plus la différence de traitement accordé aux enfants blancs et noirs qui compte, comme dans le procès 229-91 ; c’est la thématisation d’une situation — des enfants portant des cheveux de laine d’acier — pouvant nuire à 315 l’intégrité et à la dignité, surtout celles des enfants afro-brésiliens. On passe donc de la formulation du problème en termes de traitement accordé objectivement aux divers groupes raciaux ou ethniques dans une représentation quelconque à l’explicitation du dommage subjectif causé aux membres d’une collectivité par une représentation donnée. Autrement dit, il existe un changement de perspective très important qui ne peut être convenablement compris en dehors d’un cadre plus spécifique de politiques de promotion de l’égalité revendiquées à partir de la Conférence de Durban en 2001. J’avais brièvement commenté que la Conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée avait été un point tournant pour la reconnaissance officielle du problème du racisme et de la discrimination raciale au Brésil. La tenue de la Conférence n’a pas eu un impact seulement sur le gouvernement brésilien, mais aussi — et principalement — sur les mouvements sociaux qui y ont participé. La Conférence de Durban a, en outre, fourni une feuille de route pour la lutte contre le racisme, lutte dans laquelle les médias de communication constituent non seulement l’objet des préoccupations mais aussi l’instrument potentiellement émancipateur auquel il faut recourir. Dans le texte Contra a discriminação de gênero e raça na mídia, la journaliste Angélica Basthi (2004) donne un bon aperçu du changement de scénario post-Durban pour l’exercice de sa profession : Le nouveau défi de la femme dans les médias est de maintenir la pratique de la rupture quotidienne des stéréotypes de genre, mais sans pour autant perdre la perspective de la diversité raciale et de la culture brésilienne. Faire de la femme noire un fait journalistique constant, influencer l’adoption de politiques publiques pour réparer les inégalités historiques et déconstruire les valeurs esthétiques qui nuisent à la diversité raciale brésilienne [sont des actions qui] gagnent un nouveau statut dans le cadre de l’activité professionnelle.dliv L’importance de la déconstruction de modèles esthétiques monolithiques, nuisibles à la diversité raciale brésilienne, devient, dans la période post-Durban, l’un des grands chevaux de bataille des mouvements sociaux, notamment ceux concernés par la démocratisation des médias. Les deux extraits des textes acheminés par les plaignants au CONAR sont deux bons 316 exemples de la transposition de cette préoccupation esthétique au contexte de la publicité. Ils constituent, par le fait même, des démonstrations tangibles de l’acte que Stuart Hall appelle « ré-identification politique imaginaire », dans son fameux texte Old and new identities (Hall, 1991). Selon Hall, cet acte de ré-identification crée de nouvelles identités de même que de nouvelles ethnicités construites au croisement de multiples identités sociales. Autrement dit, la lutte sociale devient une lutte « pour le changement de la conscience, le changement dans l’autoreconnaissance, l’émergence d’un nouveau sujet dans l’espace de visibilité. Un sujet qui était toujours là, mais historiquement en émergencedlv 171. » Or, la ré-identification dans le contexte brésilien passe aussi par la stimulation de l’estime de soi et la création d’une image positive de la population afro-brésilienne. Bien que l’idée de réparation soit bien placée dans la feuille de route de Durban — elle en est peut-être même la pierre angulaire —, on ne peut s’abstenir de mentionner que la réparation pour des « dommages patrimoniaux et moraux, individuels, collectifs ou diffus » était déjà inscrite dans la propre législation brésilienne (voir CBDC, art.6, parag.VII)172. La suite de l’argumentaire de la représentante du COMDEDINE ne laisse aucun doute sur cette possibilité : 171 L’exemple personnel de Hall, née dans une famille noire jamaïquaine où « le mot ‘Noir’ n’était jamais proféré » (“the word ‘Black’ was never uttered”) au profit « du système de stratification de couleurs le plus compliqué au monde » (“the most complicated color stratification system in the world”, Hall, 1991, p.53) ne pourrait être plus pertinent pour la problématique de ce travail. En effet, Hall voit dans Black l’essor d’une nouvelle ethnicité avec un grand potentiel de mobilisation politique, ou encore la présence d’une catégorie historique, politique et culturelle capable de reconnecter des personnes en fonction d’un passé commun. Le défi qui se pose aux nouvelles identités et aux nouvelles ethnicités marginalisées émergeant dans l’espace mondialisé, affirme Hall, est de résister aux anciennes formes monolithiques d’identités, ancrée sur une seule appartenance substantielle. 172 Selon Gomes (op. cit.), il a fallu attendre la promulgation du CBDC « pour que le cadre normatif de l’action civile publique vienne à se compléter, car ce code a non seulement restauré le dispositif frappé par un veto cinq avant, mais il a aussi donné une définition précise aux droits diffus, droits collectifs et droits individuels homogènes. » (“para que o quadro normativo da ação civil pública viesse a se completar, já que esse Código veio não apenas restaurar o dispositivo vetado cinco anos antes, mas também dar a definição precisa do que são direitos difusos, direitos coletivos e direitos individuais homogêneos”, Gomes, 2000, p.7.) 317 De ce fait, nous sollicitons que M. le Président du noble conseil prenne les mesures légales adéquates dans le sens de retirer la publicité commerciale de la circulation, en faisant en sorte que l’agence responsable de la publicité ASSOLAN s’excuse auprès de la communauté noire et qu’elle l’indemnise, en accordant 50 % de la valeur de la production et mise en circulation de la publicité commerciale de l’ASSOLAN au bénéfice de la conscientisation des enfants et adolescents noirs, en ce qui a trait à la valeur historique de leur ethnie et à la grande beauté de ses caractéristiques raciales, qui ne doivent rien à celles d’autres peuples, par rapport à son harmonie esthétique.dlvi Ces réponses à la campagne d’Assolan, aussi bien argumentées qu’elles soient, ne sont pas le seul patron de texte des plaintes. En effet, si, d’une part, l’avènement de l’Internet et avec lui, la possibilité du dépôt d’une plainte en ligne auprès du CONAR, a pu créer un canal plus accessible pour l’expression du Moi de la population afro-descendante, d’autre part, cet outil n’arrête pas d’imposer les marques de l’informalité qui le caractérise. Ainsi, on voit facilement que le fait de déposer une plainte peut aussi constituer un devoir de citoyen de « faire pression » sur les instances de décision. Par exemple, on note l’existence de nombreuses plaintes qui se résument à la citation des données de la publicité (données qui, d’ailleurs, doivent être obligatoirement remplies dans le formulaire en ligne) et la raison de la plainte : « renforcement du racismedlvii », « racisme contre Noir-e-sdlviii », « publicité stimulant la discriminationdlix », « racisme/bébé avec les cheveux de ‘Bom Bril’dlx », « image négative de la population en comparant nos cheveux avec ‘bombril’dlxi. » C’est cette diversité de textes qui a été accueillie par le CONAR et qui a généré, par conséquent, l’ouverture du procès n° 068-05, ayant comme fondements les articles 1, 3, 6, 19 (respectabilité) et 20. « Pour les auteurs de la plainte ci-jointe, l’annonce en question est irrespectueuse et discriminatoire, car elle compare les cheveux crépus, frisés, au produit offert — la laine d’acierdlxii », résume le président du CONAR le 23 mars 2005. b) La défense Le plaidoyer a été présenté le 5 avril 2005 par les avocats de l’agence de publicité África São Paulo Publicidade Ltée (ASPP) : Helena M. Zoia et Ivo de Camargo. Le premier argument 318 soulevé est d’ordre plus factuel et vise à informer les membres du Conseil que jusqu’à très récemment, le seul produit de la marque Assolan était, en effet, la laine d’acier. La publicité en question a comme but, selon les représentants juridiques, d’introduire le « linge multiusages Assolan » comme un nouveau produit naissant dans la famille Assolan. Ainsi, l’agence aurait « conçu une annonce dans laquelle le nouveau produit (Linge multi-usages Assolan), symbolisé par les bébés, sortait du paquet de laine d’acier Assolan, en les amenant avec lui vers le même succèsdlxiii. » Dans son interprétation de la publicité en question, l’agence apporte une subtilité concernant les médias où elle s’insère : « En médias télévisés, rappelle-t-elle, l’image est tenue de raconter l’histoiredlxiv. » Ainsi, en adoptant comme stratégie l’« humanisation » du linge multi-usages Assolan, l’agence essaie d’établir deux parallèles : d’une part, l’entrée du produit dans le marché et le bébé qui marche à quatre pattes ; d’autre part, l’association à la laine d’acier Assolan comme une référence de qualité et la sortie des bébés de l’emballage portant une perruque de laine d’acier. La deuxième partie de l’argumentaire vise à étayer la stratégie de lancement du produit à partir d’extraits de reportages et de commentaires parus dans la presse spécialisée. On cite, par exemple, le reportage paru dans le magazine Meio & Mensagem (2005), qui affirme que « la campagne de l’[agence] África pour la laine d’acier Assolan a été considérée la plus efficace du mois, selon une enquête d’efficacité publicitaire réalisée par l’Institut Ipsos — ASIdlxv. » Sur la même page du magazine, on apprend que la marque a atteint une variation de 62 % dans l’indice de première publicité citée. Dans un autre reportage, paru aussi dans le magazine Meio & Mensagem (2005) un mois plus tard, on révèle que la publicité a été à la fois la plus rappelée et la préférée dans les 30 derniers jours de mise en circulation. Grâce à tout ceci, arguent les avocats, on arrive à prouver le pouvoir de rappel de la marque citée ainsi que la pénétration du produit de la laine d’acier dans le marché de consommation, en démontrant par le même fait l’adéquation de la planification de campagne de l’agence. La raison de ce succès, affirment-ils, revient essentiellement au fait qu’on raconte « une histoire dont les personnages sont des bébés brésiliensdlxvi » : 319 Des bébés de notre peuple : blancs, noirs, jaunes, parce que le peuple brésilien est composé des trois couleurs. Ce sont trois couleurs et un seul peuple. Ce sont des bébés générés par des personnes qui parlent la même langue, qui ont des coutumes et habitudes identiques, une histoire et une tradition commune. Ensemble, ils forment la nation brésilienne.dlxvii Je peux noter au moins deux aspects substantiellement problématiques dans cette vision de la nation brésilienne. Le premier est un déraillement — un lapsus linguae — qui réfère au fait que « le peuple brésilien » soit supposément un peuple composé de trois couleurs (ou races). Cet argument, plus ou moins disséminé dans la littérature post-colonialiste brésilienne des premières décennies suivant l’émancipation de la métropole, à l’instar de l’œuvre de Varnhagen (voir chap. 2, sect. 2.2), est historiquement daté. Le problème réside dans le fait que, dans le contexte précis de son émergence, l’idée d’un peuple composé de trois races se réfère aux composantes européenne, africaine et indigène, mais non à la composante asiatique (jaune). Or, l’ironie ici, c’est que, dans son étrange adaptation de l’ancienne thèse des trois races, la défense omet d’inclure les indigènes, en les substituant par un autre segment important du marché économique : les descendants d’immigrants japonais, coréens et chinois. Dans ce sens, je pense que l’on n’aurait donc pas tort de penser que cette vision de la « nation brésilienne » est en effet une vision particulière du « marché brésilien ». Le deuxième aspect problématique réside justement dans l’idée d’une supposée égalité de fait entre les diverses composantes de la nation brésilienne. S’il est généralement accepté qu’on parle tous la même langue — la langue portugaise —, je ne suis pas tenue de croire que nous ayons tous les mêmes « coutumes » et « habitudes » identiques, indépendamment de la couleur ou de la race. À cause de cela, et pour des raisons largement démontrées dans le deuxième chapitre de ce travail, l’histoire n’as pas fait « hommage » à toutes les « traditions » de la même manière. Cette idée homogénéisatrice de la nation renvoie aux critiques que Sandra Fredman (2001) fait du concept d’« égalité formelle », c’est-à-dire de l’égalité en tant que synonyme de cohérence (« consistency »). Le problème avec cette équivalence, estime l’auteure, est qu’elle est peu respectueuse de la différence entre les membres d’une communauté. Ainsi, poussée à l’extrême, cette idée d’égalité suggère que « seuls les ‘égaux’ sont qualifiés pour un traitement égalitaire ; il n’y a pas de contraintes 320 pour les formes dans lesquelles ceux qui sont différents doivent être traités, estime-telledlxviii. » Il s’agit donc d’une conception assez étroite d’égalité qui tend, à long terme, à atténuer les différences entre les membres d’une même communauté. Vu depuis cette perspective, le traitement fondé sur la forme d’égalité supposée par la défense se trouve à l’extrême opposé de la forme défendue par Hall (op. cit.) dans sa vision de la politique de la différence, mise en place par les nouvelles ethnicités : « celle-là est la politique qui vit l’identité comme différence, conclut-ildlxix. » Ce n’est donc pas étonnant de voir que la défense considère l’égalité du traitement accordé aux différents bébés comme un critère suffisant pour démontrer la correction des propos de la planification de la campagne publicitaire : « Tous les bébés sortent ensemble de l’emballage de laine d’acier Assolan et tous présentent une perruque composée, apparemment, et de mode stylisé, par le produitdlxx. » Avant de répondre aux critiques adressées par les plaignants, la défense insiste sur le symbolisme de la publicité en question : « Des bébés grands, sains et beaux ne peuvent ni sortir d’un emballage ni rentrer dans l’emballage de laine d’acier : cela n’est pas réel !dlxxi » En ce qui concerne les critiques portant sur la publicité et qui ont été adressées au CONAR, la défense se concentre sur celles déposées par sept consommateurs et une entité, la COMDEDINE173. Au commentaire de Maria das Graças Oliveira — celle qui commence son texte en disant « Je suis noire et je suis fière de ma race » —, la défense réagit en arguant : « Il semble clair que Mme. Maria das Graças Oliveira manifeste son opinion, en ressortant son mode de voir et de penser. Sa position personnelledlxxii. » Cette ligne d’argument est aussi utilisée pour répondre à la critique selon laquelle la publicité serait en train de comparer les cheveux des afro-descendants avec le produit « bombril », comme cela est suggéré par le témoignage d’Adriana Martins : « Celle-ci est une vision assez personnelle parce que la firme publicitaire qui fait l’objet de la représentation ne représente aucune parcelle de la population 173 Le total de 8 plaintes sur lequel s’est fondée la défense correspond au nombre de plaintes qui étaient disponibles à l’occasion de l’ouverture du procès. Seize autres plaintes ont été annexées ad hoc au procès ; elles n’ont donc pas été prises en considération par la défense. 321 brésilienne et ne porte aucune comparaison entre les cheveux de Mme Adriana Martins et [le produit] bombrildlxxiii. » En ce qui a trait à la possibilité de la publicité de servir de source à des blagues et commentaires gênants, portant ainsi atteinte à la dignité de la population noire —, tel que suggéré par la plaignante Rebeca Oliveira Duarte —, la défense atteste l’absence de toute intentionnalité dans l’annonce en question : « Or, en regardant la publicité commerciale, on ne voit rien qui puisse instiguer, concurrencer, stimuler ‘la formation de surnoms chargés de préjugés contre les cheveux crépus’dlxxiv. » Finalement, à l’accusation de renforcement du racisme, la défense répond, de manière générique : Le film dénoncé ne fait pas de distinction entre les bébés. Tous sont beaux, mignons, traités sur un mode exactement égal. Sans aucune exception. Sans aucune distinction. Sans aucune différence. Sans aucun privilège. Tous égaux. Tous avec la même apparence. Tous avec la même tendresse d’enfant… Le préjugé, ne serait-il pas dans la personne qui a envoyé le courriel ?dlxxv Mis à part le vieux subterfuge d’inversion du blâme du préjugé racial, maintes fois utilisé dans les documents de défense, une nouveauté est présente dans cet argumentaire par rapport à ceux des procès précédents : la thèse de l’égalité de traitement entre les bébés est vraisemblable. En effet, des bébés de toutes les couleurs — ou races — portent exactement la même perruque. Il est vrai aussi qu’ils sont également mignons et souriants, en opposition, par exemple, à la publicité de l’ange et du diable du GB. Chose certaine : ces jeunes petits modèles ont été soigneusement choisis, afin que les types phénotypiques les plus variées soient représentés. Le problème est qu’une représentation équitable ne peut pas avoir comme critère unique l’égalité de traitement. Alors que l’égalité de traitement (ou égalité formelle) joue un rôle important, estime Fredman, principalement en ce qui concerne l’éradication du préjugé personnel, il semble clair que ce principe doit être complémenté par d’autres approches plus substantielles. Par exemple, « le principe de l’égalité va au-delà de la demande pour un traitement cohérent entre différents et exige, en contrepartie, que les résultats soient égauxdlxxvi. » Ceci nous amène à réfléchir non seulement sur l’impact d’un 322 traitement apparemment égalitaire sur des individus différents, mais aussi sur l’impact des résultats au-delà de l’individu lui-même, c’est-à-dire de l’égalité des résultats vis-à-vis d’un groupe ou d’une collectivité particulière. La question de la discrimination raciale dans cette publicité ne se pose pas tellement au niveau du traitement accordé aux divers bébés ; elle repose plutôt sur le trait « phénotypique » qui les rassemble : les cheveux en forme de laine d’acier. L’association entre le produit « laine d’acier » et le trait phénotypique caractéristique des Afro-Brésiliens n’est peut-être pas faite explicitement dans l’annonce elle-même, si l’on en croit les arguments avancés par la défense. Par contre, il y a de fortes présomptions que cette association soit faite par certains récepteurs, selon leurs cadres culturels de référence. De toute façon, on doit tenir compte de ceci : l’association entre « bombril » et les « cheveux de noirs » n’a pas été inventée par les Afro-Brésiliens eux-mêmes. Ceux-ci l’ont peut-être entendue dès l’enfance, dans les milieux scolaires, dans les terrains de football des quartiers populaires, bref, dans les réseaux de la vie privée. Ce sont donc des représentations chargées d’une connotation négative, dégradante vis-à-vis de la subjectivité des Noir-e-s. La faute — s’il y en une — réside plutôt dans l’incapacité des publicitaires d’avoir anticipé cette lecture dégradante, entrouverte par l’association entre la laine d’acier Assolan et les cheveux des bébés — association dont les conséquences négatives retombent presque exclusivement sur les membres afro-descendants. Quoi qu’il en soit, l’agence ASPP, par l’intermédiaire de ses avocats, ne semble pas prête à reconnaître le moindre déraillement dans la publicité, soit-il « intentionnel » ou non. Des commentaires comme « c’est difficile de comprendre le radicalisme manifestédlxxvii », ou encore « c’est simplement l’instauration de l’absurdedlxxviii » démontrent bien le peu de réceptivité de la partie dénoncée face à ces critiques. En revanche, le plaidoyer fera largement état de commentaires que d’autres consommateurs ont fait parvenir à l’annonceur. Quelquesuns d’entre eux, notent-ils, font justement référence à la perruque qui semble semer la pomme de discorde entre les différents publics cibles. Par exemple, Mme Elisângela Marques Benício Cunha, de la ville d’Osasco (São Paulo), demande dans un courriel envoyé le 29 323 mars 2005, « l’une de ces perruques mignonnes que les bébés portentdlxxix » pour son propre bébé. Mme Ivone Bianchi, de Belo Horizonte (Minas Gerais), dit, dans un courriel daté du 29 mars 2005, qu’elle aimerait avoir « une perruque identique à celle que les bébés portent dans la publicitédlxxx » pour sa fillette Izabelle. M Assis Freitas, de Feira de Santana (Bahia) en revendique une pour son fils de trois ans dans un courriel envoyé aussi le même jour. Mme Marny Moema Batista Leão, de Recife (Pernambuco), demande, également le même jour, qu’on lui envoie une perruque identique à celle de la publicité, parce qu’elle a « une nièce qui ressemble énormément au deuxième bébédlxxxi. » D’autres commentaires, à leur tour, félicitent l’entreprise pour l’ingéniosité de la publicité, pour la beauté et la tendresse des bébés. Plusieurs parents offrent même leurs enfants pour des publicités futures. Les copies de nombreux courriels et les photos de bébés envoyées par leurs parents en annexes sont là pour en témoigner. En lisant ces commentaires, on peut facilement croire que la publicité est, en effet, en train de renforcer l’auto-estime d’une autre parcelle de la population brésilienne, notamment des bébés avec des cheveux… frisés ! Devant ce constat dérangeant, la défense énonce les difficultés trouvées. D’abord, dit-elle, « La perruque des bébés rappelle réellement le produit laine d’acier Assolan. Mais le film ne peut pas reproduire la présentation du produit dans sa représentationdlxxxii. » Pour compliquer encore plus l’histoire, l’agence en question, en plus de porter le nom très suggestif — « África São Paulo » —, se voit l’objet de demandes incessantes de réparation de la part des mouvements noirs : Contrairement à d’autres mouvements, le mouvement initié par les entités liées à la culture afro-brésilienne n’a pas un porte-parole, un seul interlocuteur. Par conséquent, un grand nombre d’actions sont entamées, dont quelques-unes tellement absurdes qui ne se concrétiseraient pas même s’il y avait une possibilité de rencontre entre les parties.dlxxxiii Certes, l’idée des mouvements sociaux faite dans ce passage est justement l’image unifiée et homogène que critiquent des auteurs comme Gamson et Meyer (op. cit.). Plutôt qu’un défaut 324 particulier, l’existence d’une multitude d’actions décentralisées ne fait, à mon avis, que confirmer l’ampleur des mouvements noirs au Brésil à l’heure actuelle. Les avocats rajoutent ceci : La requérante s’appelle África et sa couleur est noire. Pour constater ce fait, il suffit de rendre visite à l’agence. La couleur noire commence à la réception et s’étend aux salles et couloirs. Dans les tables auxquelles s’assoient ses fonctionnaires et dans les cadres qui décorent ses murs.dlxxxiv Ici, il y aurait lieu de demander à l’agence s’il y a, mis à part au niveau de la décoration et des meubles, des professionnels noirs, assis à la table de réunion, participant activement à la planification et à la création des campagnes publicitaires. Le cas échéant, une deuxième question se poserait alors : est-ce que cela — la présence de professionnels noirs conscients des demandes, aspirations et goûts de la population noire — aiderait à éviter les conflits, la divergence de perceptions et de réactions devant la publicité ? Ce sont des questions, bien sûr, auxquelles je ne peux répondre dans ce travail. Par contre, on sous-entend que les plaignants seraient en train d’agir de mauvaise foi, avec la citation d’un extrait d’une œuvre de Maria Lucia Zulzke, Abrindo a empresa para o consumidor (« Ouvrant l’entreprise aux consommateurs ») : « De même, il y aura toujours des consommateurs négligents, profiteurs, impulsifs et immatures. À cause de ceux-ci, l’entreprise doit développer ses propres mécanismes de défense et de délimitation des responsabilitésdlxxxv. » La défense conclut, finalement, que la plupart de ceux qui ont vu la publicité l’ont comprise et l’ont jugée pertinente ; elle confesse, sur un ton de désespoir, qu’ « il est nécessaire de rappeler, toutefois, qu’il n’y a au monde aucune unanimité par rapport à rien et que même le CHRIST n’a pas réussi plaire à tout le mondedlxxxvi. » Certes, la publicité n’est peut-être pas le Christ incarné, mais elle a au moins réussi à plaire au Financial Times (Wheatley, 2005), qui y a dédié tout un reportage dans l’édition du 16 mars 2005, dûment annexé au procès. Bilan de l’histoire : un public afro-brésilien fort mécontent, un public de consommateurs en quête de la perruque de laine d’acier, une multitude de jeunes bébés aux cheveux frisés qui se 325 disposent à participer à la prochaine annonce, des répercussions dans le Financial Times. À qui appartient la « vérité », se demande-t-on. Au Comité d’éthique du CONAR de le décider. c) L’avis du CONAR Le résumé que la rapporteuse Fátima Pacheco Jordão présente aux autres membres du Comité d’éthique est court et objectif. Il signale les deux visions opposées. D’une part, on voit « des consommateurs noirs qui se sentent agressés avec la représentation d’enfants blancs avec des cheveux artificiels qui renforcent des stéréotypes racistesdlxxxvii. » La rapporteuse souligne notamment l’argument de la COMDEDINE selon lequel les enfants seraient les principales proies de la publicité. D’autre part, signale-t-elle, « la défense allègue que l’intention était de montrer le nouveau produit et rien dans la publicité — même vaguement — ne stimule de formulations portant des préjugésdlxxxviii. » Finalement, elle cite brièvement l’argument selon lequel la publicité a eu son efficacité mesurée par des paramètres d’impact publicitaire, en plus de mentionner les compliments que l’annonceur a reçus pour la même publicité. Après avoir pesé les deux côtés de la balance, la rapporteuse fait son bilan : Le ton des plaintes des consommateurs révèle, en soi, un degré de ressentiment aigu, découlant de l’usage d’images décrites (bébés avec perruques assolan). Le point qui ressort le plus dans les nombreuses plaintes se réfère à l’impact négatif sur les enfants et le renforcement d’[une] image ancienne de discrimination (cheveux d’acier ; cheveux mauvais ; cheveux bombril).dlxxxix Ce faisant, la rapporteuse conclut en faveur du retrait de la circulation de la publicité en question, fondé sur les articles 1, 3, 17, 19 et — surtout — surligne-t-elle, l’art.20 du CBARP. Réunie le 31 mai 2005, la 6e Chambre décide du retrait de la circulation, par quatre votes en faveur de la décision et un contre. 326 d) Le recours de l’agence ASPP, le procès du Ministère public et d’autres instances de droits civils Le 6 juin 2005, l’agence ASPP dépose un recours ordinaire auprès de la Chambre spéciale de recours du CONAR. Après un bref résumé du procès tel qu’il s’est déroulé en première instance, les avocats (ceux du jugement en première instance) passent au point central de leur défense : l’idée selon laquelle l’analyse en première instance a porté sur la légitimité des plaintes plutôt que sur le contenu de la publicité en question. De ce fait, les avocats proposent que « la seule et unique conclusion possible et découlant de l’annonce en question soit la représentation de la ‘naissance’ d’un nouveau produit — le linge multi-usages Assolan — lequel apporte avec soi le succès et la qualité de la laine d’acier Assolandxc. » Autrement dit, la stratégie déployée diffère peu de celle utilisée en première instance : c’est la légitimation d’une interprétation univoque de la symbolique employée dans la confection de l’annonce publicitaire en question. Les arguments avancés portent également sur la positivité de l’impact publicitaire de l’annonce. Enfin, tout se passe comme dans le premier plaidoyer proposé, à part un fait inédit : l’existence d’une représentation auprès du Ministère public fédéral par le Centre d’études et de défense du Noir au Pará, décrite en détails dans le présent document. Plus spécifiquement, on reproduit, dans sa quasi-totalité, l’avis émis par le Procureur de la République, Bruno Costa Magalhães. Celui-ci évalue la publicité selon les trois encadrements offerts par la norme légale au Brésil : les cadres consumériste, civil et pénal. Magalhães commence son analyse du cadre légal en citant l’article 20 de la Loi 7.716/89 définissant comme un crime le fait de « pratiquer, inciter ou induire » à la discrimination raciale. « Cependant, pour la configuration de ce délit, ainsi que tous les autres typifiés dans la Loi fédérale n° 7.716/89, on ne fait pas fi de l’élément subjectif, dont nous discourons plus loin de l’absence dans la campagne attaquée, explique-t-ildxci. » Il conclut donc par le manque d’indices de discrimination, en s’appuyant sur l’absence d’intention subjective de la part de l’accusé. 327 En ce qui concerne la législation consumériste, le Procureur cite le paragraphe 2 de l’article 20 du CBDC, portant sur la publicité abusive, pour conclure tout brièvement, que : « Suite à l’analyse attentive et à l’étude du sujet, nous concluons qu’il n’y a pas eu, dans la campagne véhiculée, d’intention discriminatoiredxcii. » Magalhães discourt finalement sur la possibilité d’un dommage moral collectif, en partant du point de vue que : La question pertinente est de savoir si la campagne publicitaire, dans les termes déjà exposés, a méprisé des valeurs de la communauté noire, en causant de la douleur injustifiée, en tournant en ridicule les personnes qui possèdent des cheveux crépus, généralement les noirs ; et si elle a profité de l’expression supposément risible afin d’obtenir l’idée souhaitée de remplacement de l’ancien produit — dont la marque est déjà trop connue — par celui qui s’est plus récemment inséré dans le marché.dxciii La conclusion est immédiatement tirée : « nous entendons qu’une violation des valeurs de la communauté noire n’a pas eu lieudxciv. » Bref, le Procureur plaide pour l’absence d’un usage intentionnel de l’image « cheveux d’Assolan », afin de promouvoir une association socialement courante pour vendre le produit. De plus, signale-t-il, tous les documents acheminés par les parties dénoncées (annonceur et agence) ont fourni des éléments qui prouvent l’intention d’inclure « divers éléments raciaux » qui composent la nation brésilienne. Mais l’avis du rapporteur ne se résume pas à l’analyse de la publicité et des efforts communicationnels dénoncés. On en vient à formuler des hypothèses concernant la raison de tout ce ressentiment soulevé par l’usage des cheveux « black power » dans la publicité. D’une part, dit-il, « il y a des personnes qui ont du ressentiment vis-à-vis de la couleur de leur propre peau et d’autres caractéristiques physiques, pressées par l’opinion dominantedxcv », comme Michael Jackson. D’autre part, « il a des personnes qui se sentent fières d’exhiber leur peau noiredxcvi », comme James Brown avec son adage « Say it loud, I’m black and 328 proud ! », poursuit le Procureur. « Ceux-ci, Blancs ou Noirs, qui valorisent l’identité ou la culture noire, n’ont-ils pas le droit d’exploiter l’image des symboles respectifs, lance-tildxcvii. » En concluant son avis, le rapporteur cite la Déclaration finale de la Conférence de Durban, qui définit la discrimination raciale comme « toute distinction, exclusion, restriction ou préférence fondée sur la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethniquedxcviii. » Toutefois, selon lui, ceci n’est que le premier élément, car sa simple « configuration » ne suffit pas à définir la discrimination. Ce à quoi il rajoute, de manière assez énigmatique : « Nous tous discriminons à tout moment. Même les défenseurs de quotas pour les Noirs, Indigènes et handicapés dans les universités discriminent sans être accusés d’avoir des préjugésdxcix. » Le Procureur plaide, finalement, pour la mise aux archives de l’action civile publique, en attribuant les plaintes aux « problèmes personnels » et au « profil psychologique » des dénonciateurs. Les avocats de l’agence ASPP poursuivent le plaidoyer, en citant un deuxième procès ouvert par l’une des personnes plaignantes auprès du CONAR, Mme Ana Maria Domician° Celle-ci aurait réclamé l’inculpation de l’annonceur au Tribunal spécial civil de São Paulo, en demandant le montant de 5,200.00 $ reais (à peu près 3,000 $ CA) à titre d’indemnité. La défense rapporte le cas comme suit : Dans une séance de conciliation entamée le 27 avril 2005, après que M. Décio Seiji Fujita ait assisté à l’annonce et posé diverses questions à Mme Ana Maria Domiciano, en cherchant à comprendre la raison la menant au litige ; comme elle n’a pas trouvé de raison suffisante, la dame mentionnée s’est manifestée pour se désister [de l’action] et demandé l’annulation de l’accusation de litige.dc Certes, on ne connaît ni les circonstances dans lesquelles ledit désistement s’est opéré ni la vision de la plaignante concernant les raisons à l’origine de sa demande de réparation et celles de son désistement devant le juge. On peut cependant lire une copie du document de désistement, dûment signé, dans les annexes du procès. On peut également lire, dans son 329 intégralité, la représentation déposée auprès du Ministère public par le CEDENPA, le rapport du Procureur Magalhães, le document préparé par la défense, ainsi que la conclusion émise par le juge. De ce fait, face aux conclusions tirées par les deux tribunaux — qui n’étaient d’ailleurs pas disponibles à l’occasion du jugement en première instance —, la défense plaide pour la mise aux archives de la représentation en question. e) L’avis du rapporteur de la Chambre spéciale de recours et la décision finale du CONAR Je ne crois pas nécessaire de faire une analyse détaillée des arguments qui ont servi pour étayer la décision. Il suffit de dire que l’hypothèse de l’existence d’un inconfort « personnel » et « psychologique » a été accueillie sans réserve. En ce qui concerne la décision émise en première instance par le CONAR, le rapporteur E.B.R. conclut ceci : « La décision de la chambre qui a déterminé son retrait s’est réduite à une analyse des plaintes et non à une analyse du filmdci. » En reconnaissant l’effort d’inclusion raciale mené par l’agence ASPP, le rapporteur conclut en souhaitant que les mères noires, principalement, « sachent profiter de ces opportunités pour être fières de leurs enfants et leur transmettre fierté, grandeur et la notion du Beau — laquelle est flagrante dans cette annonce de l’agence Áfricadcii. » Ainsi, une fois accepté à l’unanimité le 9 juin 2005, l’avis du rapporteur induit la mise aux archives de la présente représentation. e) L’absence de débat dans les médias Mis à part les reportages parus dans les médias spécialisés, comme Meio & Mensagem (op. cit.) ou Financial Times (op. cit.), les médias brillent par leur entière absence du débat qui, 330 semble-t-il, était déjà manifeste sur Internet entre les divers activistes de mouvements noirs. La seule et unique exception est cette petite note parue dans la rubrique d’Ancelmo Gois dans le quotidien O Globo (Gois, 2005): La publicité de laine d’acier Assolan, celle des enfants portant les perruques, est un succès ayant droit à un reportage dans le ‘Financial Times’. Mais le Mouvement Noir Unifié (MNU) proteste. On allègue que l’annonce a motivé la création d’un surnom pour embêter les enfants noirs : ‘cheveux d’Assolan’. Celle-ci est la nouvelle version de l’ancien surnom ‘cheveux de bombril’. Le sujet cours sur Internet.dciii Quoique brève, cette note a au moins trois mérites. Tout d’abord, elle rend évidence du fait que tout ce qui paraît sur le Financial Times n’est pas acclamé à l’unanimité — comme le vote du rapporteur de la Chambre spéciale de recours. De plus, elle reconnaît l’existence d’une appellation blessante et indigne se référant aux cheveux des Noirs : « l’ancien [surnom] ‘cheveux de bombril’ ». Finalement, elle fait état de l’existence d’un débat qui est passé presque inaperçu aux yeux de tous les médias de masse — débat auquel participent les activistes des mouvements noirs et de lutte contre la discrimination raciale, même si les arguments de celui-ci sont brièvement résumés dans l’appellation problématique. En ce qui concerne les reportages parus dans les médias spécialisés, on peut les diviser en deux types : le premier porte sur les coulisses des stratégies de marché menées par l’annonceur et l’agence de publicité, comme le reportage paru dans le Financial Times ; le deuxième mesure les effets des publicités, comme ceux parus dans Meio & Mensagem, dont le contenu a déjà été mentionné dans ma description des arguments de la défense. Dans le reportage du Financial Times, par exemple, on apprend que la marque concurrente, Bombril, conservait 89 % du marché de laine d’acier jusqu’à 2001, et que grâce à cette publicité, la participation d’Assolan dans le marché brésilien est passé de 10 % à 27 %. Dans le reportage paru dans Meio & Mensagem le 28 février 2005, on apprend que le public consommateur d’Assolan est composé de 97 % de femmes, dont 62 % ont entre 30 et 49 ans. C’est justement auprès de ce public cible que la campagne a été « efficace ». 331 Alors qu’on recommande aux mères noires d’apprendre l’auto-estime de soi à leurs enfants, on conclut de manière très suggestive que les plaintes adressées au CONAR et ailleurs relèvent de la mauvaise foi des plaignants. Les demandes de réparations ont été très mal reçues et associées au gain égoïste de particuliers. De ce fait, devant les décisions émises par les tribunaux nationaux, l’absence de débats dans les grands médias de masse, la solidarité des membres de la 6e Chambre d’éthique du CONAR est demeurée, tout simplement, un fait isolé, voire anormal. Somme toute, l’analyse des procès éthiques nous a certainement fourni d’importants éléments de réponse non seulement pour comprendre certains enjeux de la représentation raciale dans la publicité brésilienne, mais aussi pour percevoir les rapports de pouvoir et de pression sociale agissant sur le CONAR. Toutefois, certaines dimensions de ces plaintes ne peuvent être connues dans les procès eux-mêmes, sinon seulement à travers les témoignages accordés par les participants de ce grand débat autour de la publicité. Donc, à eux la parole. CHAPITRE VIII BREF RETOUR RÉFLEXIF SUR LES PROCÈS DE DISCRIMINATION RACIALE DU CONAR Dans le chapitre précédent, j’ai démontré que le processus d’inculpation pour discrimination raciale dans la publicité peut être plus complexe que ce qu’on aurait pu le croire au départ. Plusieurs facteurs interviennent dans ce processus, dont certains ne peuvent être trouvés dans la matérialité du procès éthique. De ce fait, le présent chapitre a pour objectif d’élargir le champ de la présente enquête en allant chercher certains éléments de réponses auprès des acteurs qui sont, dans une certaine mesure, concernés par le problème de la discrimination raciale174. Toutefois, avant de passer au bilan que certains acteurs clés ont fait du scénario dressé dans le chapitre précédent, j’aimerais très brièvement réviser certains points soulevés par Habermas en ce qui concerne le rôle des tribunaux dans les démocraties délibératives. 8.1. Les rôles des tribunaux dans une démocratie délibérative Dans Droit et Démocratie (op. cit.), Habermas estime que les instances législatives et les systèmes administratifs possèdent une centralité substantielle dans le cadre d’une démocratie délibérative et ce, grâce au potentiel de la norme juridique de synthétiser un riche et complexe processus d’apprentissage social au moyen du langage. Néanmoins, Habermas fait preuve de prudence lorsqu’il aborde le pouvoir régénérateur du langage dans les tribunaux modernes : 333 Les limitations spécifiques auxquelles a à faire face l’action judiciaire des parties devant le tribunal, ne semble pas permettre de mesurer les faits constitutifs du procès à l’aune de la discussion rationnelle. Les parties en effet ne sont pas tenues à rechercher la vérité par une quelconque coopération, et elles peuvent ménager leur intérêt à ce que la procédure débouche sur une issue favorable en avançant stratégiquement des arguments susceptibles de créer un consensus. (Habermas, 1997, pp.253-254.) En d’autres termes, Habermas considère que plusieurs circonstances d’ordre procédural intervenant dans les tribunaux contribuent à atténuer le pouvoir de l’agir communicationnel au profit de l’agir de type instrumental-stratégique. Ces circonstances peuvent aller du simple soupçon de manque de sincérité dans l’agir des acteurs — lesquels ne seraient pas authentiquement engagés dans la recherche de la vérité, mais plutôt dans l’obtention d’un gain de cause — jusqu’aux situations plus triviales où les tribunaux, faute de temps, doivent mettre un terme aux discussions afin que la décision soit énoncée. À part quelques cas exceptionnels opérés devant les Cours Suprêmes ou les Tribunaux constitutionnels, Habermas développe ce que Stéphane Haber (op. cit.) considère comme une vision « déflationniste » du tribunal, où la rationalité communicationnelle ne peut avoir qu’une influence indirecte sur la procédure du tribunal moderne175. Ces questions plus générales concernant la procédure des tribunaux me ramènent à certains aspects pratiques du fonctionnement du CONAR : qui sont ses conseillers ? D’où viennentils ? Qu’est-ce qui se passe derrière les portes fermées des salles de réunions du CONAR, où les Comités d’éthique se réunissent périodiquement ? Pourquoi observe-t-on des taux si élevés de mise aux archives lorsqu’il s’agit de procès pour discrimination raciale dans la publicité ? J’aimerais répondre à chacune de ces questions à travers les témoignages obtenus auprès de personnes directement ou indirectement concernées par les procès pour discrimination raciale du CONAR. Pour ce faire, j’ai pris rendez-vous avec des acteurs clés, 174 Pour les critères de sélection des interviewés, voir chap. 6, sect. 6.1, par. b) et sect. 6.2.2, par. a). 175 « Le droit procédural ne règle pas l’argumentation normative et juridique en tant que telle, mais il garantit des points de vue temporel, social et matériel sur le cadre institutionnel où l’on laisse libre cours aux développements communicationnels qui obéissent à la logique de la discussion relative à l’application, dit-il. » (Habermas, 1992, p.258.) 334 liés ou non au CONAR, liés ou non au domaine professionnel de la publicité. Chacun de ces acteurs parle donc depuis sa perspective et son expérience vécue par rapport à la thématique de la discrimination raciale. Comme je l’avais énoncé antérieurement dans mes réflexions méthodologiques (voir chap. 6), je suis allée voir ces différents acteurs en ayant en main un bilan — partiel ou définitif — du repérage des procès pour discrimination raciale au sein du CONAR, afin de partager mes conclusions préliminaires, mes intuitions et mes hypothèses de travail. La démarche était donc réflexive : en présentant un bilan, j’étais en mesure de confronter mes propres impressions avec celles de personnes ayant un vécu et qui ont contribué au combat contre la discrimination raciale. En même temps, j’avais également en tête l’importance de faire connaître les résultats de la présente enquête auprès de ceux à qui elle pourrait le mieux servir. 8.2 Les procédures internes du CONAR C’était donc en possession de ces informations que je me suis dirigée vers mes informateurs afin de soulever des éléments de réponse. C’est sans aucun doute que la secrétaire exécutive adjointe du CONAR, Juliana Albuquerque, a été l’une des personnes clés pour comprendre le fonctionnement interne de ce conseil, de ses procédures, mais surtout des pratiques informelles qui régissent le quotidien de toutes les organisations, peu importe leur attribution. Pour bien comprendre le procès de discrimination raciale, il faut essayer de le comprendre dès le début du processus, lors de la réception de la plainte, en passant par l’attribution des conseillers jusqu’au jugement final. L’un des premiers constats ne laisse planer aucun doute concernant l’augmentation du nombre de plaintes pour discrimination raciale auprès du CONAR : 335 Très peu de cas arrivaient à l’époque où je suis entrée ici. Aujourd’hui, on parvient à peine à répondre, à recevoir autant de choses. C’est beaucoup de plaintes. Je ne sais pas si les personnes ont plus d’accès et aussi si elles connaissent plus [le CONAR], il apparaît plus dans la presse. Tous ce que je sais, c’est qu’il s’agit de beaucoup de plaintes… qui peut-être ne reflète (sic) pas le mécontentement. C’est une évolution aussi de l’Internet. Je pense que 95 % des plaintes arrivent par Internet. Cette année on reçoit, dans certains procès, plus de 40 plaintes.dciv (Juliana Albuquerque, São Paulo, 31 mars 2006.) Certes, l’Internet ne peut pas être tenu seul responsable de l’affluence des plaintes à cet organisme. Bien que ce vecteur de communication entre la société civile et le CONAR ne soit pas négligeable, il y a assurément des facteurs externes et internes rendant ceci possible. Je reviendrai de façon opportune aux facteurs externes. Pour l’instant, il s’agit de connaître la dynamique de réception et de traitement d’une plainte par les fonctionnaires du CONAR. On sait, par exemple, que revient au directeur du CONAR la décision d’ouvrir ou non un procès si le nombre de consommateurs plaignants est inférieur à sept (voir chap. 6, sect. 6.3.6, b). Mais on sait également que le CONAR réalise un service de contrôle d’écoute quotidien. La question de la détermination d’une possible infraction devient encore plus complexe dans les cas de discrimination raciale, comme le démontre bien le passage suivant : Mais le cas de discrimination, il est aussi subjectif et parfois les plaintes n’arrivent pas. Généralement, on l’instaure comme suit : normalement, lorsque la chose est bien visible, ou encore, lorsque nous recevons plus de deux plaintes.dcv (Juliana Albuquerque, São Paulo, 31 mars 2006.) Il y a lieu de se questionner, bien sûr, sur les paramètres permettant d’identifier quand est-ce que la chose devient trop visible. En d’autres termes, quand la perception de la discrimination a-t-elle lieu lorsque celle-ci n’est pas formulée par un consommateur ? Il semble y avoir plusieurs possibilités, mais celles-ci dépendent toutes de la perception individuelle des fonctionnaires. La première possibilité réside dans la perception de la discrimination par un membre haut placé au CONAR, dans ce cas précis la secrétaire exécutive adjointe, qui a ellemême la prérogative d’instaurer d’office une représentation. Le cas échéant, on réquisitionne par la suite une copie au service d’écoute : 336 Écoutez, je prends cela très au sérieux. Généralement, je veux toujours ouvrir [un procès pour discrimination]. Lorsqu’il s’agit des enfants, lorsqu’il s’agit de ces questions subjectives. Généralement, je trouve que ce sont des choses qui blessent vraiment. Alors, on essaie d’ouvrir presque tous [les procès pour discrimination] par rapport à ces problèmes.dcvi Lorsqu’il y en a [des procès pour discrimination], c’est [à cause de] moi qui suis descendante d’orientaux. Je pense qu’il y a beaucoup de préjugés contre les orientaux et qu’il y a beaucoup de préjugés contre le Noir. Je ne trouve pas ça chouette. Je n’aime pas ça. Ou des préjugés contre les femmes. (…) Et puis, des fois, si je vois une annonce avec un oriental comme cela, je le demande tout de suite au service de contrôle d’écoute. (…) Dans le doute, on laisse la Chambre décider.dcvii (Juliana Albuquerque, São Paulo, 31 mars 2006.) Donc, si l’ouverture d’un procès ne semble pas poser de problème, même lorsque le nombre de consommateurs est inférieur à sept — au moins en principe —, on passe au niveau suivant. Comment les différentes commissions d’éthique sont-elles composées ? On sait, par exemple, que les associations membres du CONAR ont chacune droit à un quota de représentants. Mais quelle est la durée de ce mandat ? Comment les conseillers sont-ils choisis ? Je ne connais pas cette mécanique. Ces associations [ABERT, ANJ, ABAP, etc.], l’APA, elles indiquent certaines personnes. Alors, ici, je ne sais comment cette indication et cette approbation sont faites parce que celle-ci est une question [qui appartient] à la direction. Il y a des conseillers très anciens. On regardait le livre des procès verbaux de 1980 et il y a des conseillers qui sont encore [en place] aujourd’hui.dcviii (Juliana Albuquerque, São Paulo, 31 mars 2006.) On sait également que selon les normes internes du Conseil d’éthique, la société civile compte 18 représentants. J’essaie alors de savoir qui sont ces représentants de la société civile et comment ils sont choisis : 337 JA : J’avoue que je ne sais pas. Je sais que ce sont des conseillers qui y sont depuis que je suis là [l’année 2000], même avant. C’est drôle, on essaie toujours d’insérer des médecins dans ce groupe. Il y [en] a même eu un qui est décédé et on en a mis un autre. I : Sont-ils toujours des hommes ? JA : Peut-être. Il y a, par exemple, le Dr. Pedro Kassab, qui est médecin et [qui] a été longtemps professeur (…) Je ne sais pas si une indication est nécessaire pour que la direction choisisse. Cela revient au Conseil supérieur, je ne sais pas comment ça marche. Cela n’est ni dans le régiment ni dans le statut.dcix (Juliana Albuquerque, São Paulo, 31 mars 2006.) Après avoir avoué que les représentants de consommateurs ont presque des mandats à vie, la secrétaire exécutive adjointe du CONAR se reprend par la suite : Des fois, la personne est plus âgée, elle a une pensée. Par exemple, le Dr. Pedro [Kassab] a été une personne que j’ai appris à beaucoup respecter. Il est très attentionné envers les [autres] personnes. Ces questions de discrimination, où personne n’y voit rien, lui, il est déjà quelqu’un de plus sensible qu’un jeune, parfois, qui a une tête qu’il croit moderne.dcx (Juliana Albuquerque, São Paulo, 31 mars 2006.) Certes, le critère d’âge n’est pas en soi un problème : on pourrait bien imaginer que l’ancien sénateur noir Abdias do Nascimento, à hauteur de ses 94 ans, ferait parfaitement son boulot au sein d’un Comité d’éthique du CONAR. La question à se poser concerne moins la sagesse ou l’expérience des anciens que le faible taux de roulement entre les conseillers d’une institution qui se veut démocratique. Le manque de transparence par rapport aux critères de sélection ne vient que renforcer mes préoccupations. Reste maintenant à déterminer le taux de participation desdites « minorités » au sein du conseil : des femmes, des afro-brésiliens, des homosexuels, des nippo-brésiliens, etc. : Des femmes, il y en a plein au Conseil, toutes merveilleuses et super intelligentes. Des Japonais… il y en avait un, mais il est décédé. Et des Noirs, il n’y en a pas.dcxi (Juliana Albuquerque, São Paulo, 31 mars 2006.) 338 Le bilan est plus tragique qu’on pourrait l’imaginer : peu de roulement, pas de critère, aucune représentativité des catégories attaquées par les publicités racialement discriminatoires. Mais la fonctionnaire du CONAR veut me donner une lueur d’espoir en m’apprenant, par exemple, que le fonctionnaire responsable du service de contrôle d’écoute est noir et qu’il participe, occasionnellement, à des séances de jugements : JA : C’est drôle, il y a une personne ici du service de contrôle d’écoute, Junior. Il est Noir, super beau, chouette, intelligent. C’est un excellent fonctionnaire. Il est toujours plutôt prêt à faire ce que tu lui demandes. Mais, des fois, il reste ici pendant les jugements. Il y a des jugements où on lui pose des questions. Lorsque la question a [concerné] (…) l’Assolan, on lui a posé la question. Il était ici dans la salle. Geraldo Alonso, qui est le Président de la 1re Chambre… je ne sais pas s’il y a des enfants adoptifs noirs… Toujours est-il qu’il aime bien Junior. Il dit que Junior est son fils. Alors, il demande toujours à Junior, si la question est celle-là, alors il la pose à Junior, car il n’y a pas de Noirs. Il est un gars super intelligent. Mais il n’y a pas de Noirs et il en manque certainement. I : A-t-il déjà instauré un procès ? JA : Bon, généralement je parle avec lui des annonces, vous savez. Sur les annonces de la Hellmann’s176. Ils [les Noirs] n’apparaissent pas beaucoup et lorsqu’ils le font, c’est de cette manière. Il n’y a rien trouvé de trop. Peut-être parce que [c’est] indirect, n’estce pas ? Pour ne pas vouloir se sentir offensé, alors il n’y a rien trouvé de trop.dcxii (Juliana Albuquerque, São Paulo, 31 mars 2006.) Voici donc une autre voie qui aurait pu jouer un rôle déterminant dans la perception des cas de discrimination raciale dans la publicité : le fonctionnaire du service de contrôle d’écoute. Le fait d’être lui-même noir — dimension identitaire assez importante pour être perçue pour la sécretaire exécutive adjointe — le met dans une position favorable à la perception du problème de discrimination raciale, au moins en principe. Toutefois, ceci n’a pas été le cas, au moins dans les circonstances décrites antérieurement. Certes, on ne peut faire abstraction du fait que Junior n’ait pas la prérogative d’instaurer lui-même un procès éthique. Mais, une fois son avis sollicité, il aurait pu certainement intervenir en faveur des revendications des groupes plaignants et prendre une position qui leur serait favorable dans la discussion. 176 Au moment de l’entretien, un cas de discrimination raciale dans une publicité de la marque de mayonnaise Hellmann’s avait généré un nombre très élevé de plaintes au sein du CONAR. Plusieurs interviewés y ont fait référence. 339 Quelle que soit la réponse du fonctionnaire en question, le fait que la secrétaire exécutive adjointe du CONAR ait reconnu elle-même que « ne pas vouloir se sentir offensé » a été une variable décisive pour comprendre sa réponse m’a semblé assez significative. À la limite, le fait de « ne pas vouloir se sentir offensé » pourrait même ouvrir la voie à des questionnements concernant le degré de sincérité de son avis. D’une part, il semble clair que l’on ne connaît rien des forces illocutionnaires agissant sur le dialogue entre les deux fonctionnaires ; en d’autre termes, on ignore le type de contraintes morales ou contraintes de n’importe quel ordre auxquelles le fonctionnaire aurait pu potentiellement être confronté au moment d’émettre son opinion sur la publicité en question. Mais, d’autre part, on sait beaucoup sur le type de force perlocutionnaire auquel le problème de la discrimination s’est vu historiquement confronté au Brésil. De toute façon, nous n’avons pas assez d’éléments pour savoir si le fait de « vouloir se sentir offensé » pourrait vraiment signifier pour Junior un problème. Somme toute, on sait qu’il était mieux placé que personne d’autre au CONAR pour appréhender le dommage subjectif de discrimination raciale qui pèse sur les Noirs. Il est temps maintenant de passer à d’autres questions d’ordre procédural au sein du CONAR. Un certain nombre de limitations d’ordre pratique semblent limiter la résolution de conflits au siège du Conseil à São Paulo. Par exemple, toutes les dénonciations acheminées par le site web du CONAR — soit environ 95 % du total des plaintes — sont centralisées par le siège de l’organisation. On préfère également faire les séances de jugement, dans la mesure du possible, à São Paulo, et non dans les trois chambres situées respectivement à Brasilia, Porto Alegre et Rio de Janeiro. Juliana Albuquerque signale, par exemple, qu’au mois de mars 2006, il y a eu une séance de jugement à Rio, mais qu’il n’y en a pas eu ni à Brasilia ni à Porto Alegre : Des fois, lorsque le procès doit avoir un traitement très rapide, lorsqu’il y a une mise en demeure, alors il finit par rester ici-même, parce que c’est plus rapide pour délivrer [le procès]. On fait livrer le procès au rapporteur, puis celui-ci analyse le procès, il en fait un rapport. S’il a besoin d’informations additionnelles, il en demande. Sinon, il vient à la séance de jugement qui a lieu dans cette salle. Il va alors exposer le cas aux autres présents, en faisant un rapport de la dénonciation et de la défense.dcxiii (Juliana Albuquerque, São Paulo, 31 mars 2006.) 340 On a vu le rôle déterminant que le rapporteur joue dans la formulation du problème de la discrimination raciale dans le procès éthique tout au long de l’analyse des cas de discrimination raciale dans le chapitre antérieur. Ceci veut dire, en d’autres termes, que la plupart des rapporteurs se situent à São Paulo, dans les alentours du CONAR. La distribution des procès entre les chambres, quant à elle, est faite un peu aléatoirement, bien que les fonctionnaires du CONAR tiennent à éviter certains conflits d’intérêt. Questionnée sur l’existence d’un critère d’indication de conseillers selon le type de procès, Juliana Albuquerque répond que dans les cas de publicités pour des médicaments, on sollicite systématiquement un médecin pour composer les séances de jugement, bien que d’autres empêchements soient également examinés : Si la personne travaille à l’UNILEVER et qu’il y a des procès dans le domaine, alors celle-là ne peut pas. (…) Lorsque la question est trop processuelle — genre, on soulève des milliers de problèmes par rapport au procès —, alors on l’envoie à des avocats. Et il y a encore certains conseillers à qui on fait parvenir [des procès] lorsqu’il s’agit d’une urgence. En d’autres termes, on sait aussi qu’il y a des conseillers qui sont plus sérieux, plus rigoureux, mais on ne peut jamais savoir. C’est une partie très subjective.dcxiv (Juliana Albuquerque, São Paulo, 31 mars 2006.) Cette information confirme, d’une certaine façon, l’existence d’une sorte de spécialisation informelle des comités d’éthique selon la nature du procès. La critique qu’on doit porter ici concerne notamment l’applicabilité de ce principe de spécialisation dans d’autres domaines que ceux cités ci-dessus. Ceci équivaut à dire, en d’autres termes, que les questions relatives à la discrimination — toutes formes confondues — semblent être traitées comme des questions relevant plutôt du sens commun, c’est-à-dire comme des questions ne faisant pas l’objet d’une réflexion de la part d’un expert ou du sujet souffrant de la discrimination. Finalement, on passe aux taux alarmants de procès pour discrimination raciale mis aux archives par le CONAR tout au long des 26 ans observés. La réponse à ces taux élevés vient en différentes étapes. D’une part, la secrétaire exécutive adjointe du CONAR estime que : 341 C’est une question très subjective. Les personnes viennent ici juger les procès en ayant en tête un principe qui est important dans la publicité, celui dont on parle souvent comme du principe de la liberté d’expression. On informe même que tout ce qui n’est pas expressément interdit peut être fait. Ceci régit toutes les relations privées. C’est comme ça dans le droit privé. Celui-ci est différent du droit public. Le CONAR a été créé pour protéger la liberté d’expression.dcxv (Juliana Albuquerque, São Paulo, 31 mars 2006.) Donc, une partie du problème semble être imputée à l’encadrement juridique accordée à l’activité de la publicité. Somme toute, ce que la secrétaire du CONAR semble opportunément constater est bel et bien le fait que la publicité ne peut être vue seulement du point de vue privé et individuel de la liberté d’expression. Autrement dit, la dimension des effets collectifs et diffus de la publicité ne peut pas être totalement ignorée au profit de ce droit privé. Cette remise en question de l’encadrement juridique privé est poursuivie dans l’extrait qui suit : Depuis que je suis entrée et jusqu’à maintenant, je me suis fait une vision un peu différente. (…) Alors, des fois, on tolère certaines blagues parce que celles-ci ne sont pas en train de transgresser une quelconque règle. Mais si cela devient une chose répétitive, répétitive, elle peut rester dans la pensée. Aujourd’hui, j’ai une vision différente. Des mauvais exemples, des choses de mauvais goût, des choses qui blessent une quelconque catégorie, minoritaire ou pas — je pense qu’il faut faire beaucoup attention parce que ceci finit par se fixer. C’est une idée qui finit par former l’identité des enfants, des adolescents, par former l’opinion.dcxvi (Juliana Albuquerque, São Paulo, 31 mars 2006.) Elle conclut finalement par rapport au taux élevé de procès mis aux archives : JA : Je pense qu’avoir beaucoup plus de mises aux archives que de reconnaissances du dommage des plaintes, c’est parce que ceci reflète une classe qui est privilégiée au sein du Conseil d’éthique. I : Pourquoi ? JA : Ils ne viennent pas de la banlieue, ils ne sont pas des sociologues (…) Chaque classe voit à sa manière.dcxvii J’étais en train d’y réfléchir, il n’y a pas beaucoup de Noirs dans la publicité, ni dans les agences. Je pense qu’il y en aurait peut-être plus dans les médias de masse. Mais ce serait aussi l’occasion de les inviter.dcxviii (Juliana Albuquerque, São Paulo, 31 mars 2006.) 342 Alors que la conclusion de la secrétaire exécutive adjointe du CONAR elle-même semble dériver vers le confinement des décisions du CONAR à une vision de classe — classe sociale ? classe de publicitaires ? —, il y a lieu de se demander quelle est la vision que les plaignants auraient du CONAR. On va essayer de dévoiler quelques éléments de réponse. 8.3 Le CONAR vu par les publics critiques engagés dans la lutte contre la discrimination raciale Puisqu’on parle de la publicité et des publicitaires, il serait intéressant d’entamer cette réflexion à partir d’un point de vue critique dans le propre champ de la publicité. J’ai donc consulté Maíra Miguel, publicitaire de l’agence de publicité Rebouças & Associados, et l’une des responsables de la campagne antiraciste Onde você guarda seu racismo ? (« Où cachezvous votre racisme ? »). La professionnelle en question m’explique que Rebouças & Associados n’est pas une agence de publicité à proprement parler, mais plutôt un groupeconseil de communication ciblé sur la responsabilité sociale. Elle rapporte que celui-ci avait été mandaté par un groupe interdisciplinaire appelé Diálogos contra o racismo, composé de plus d’une quinzaine d’organisations impliquées dans la lutte contre la discrimination raciale. La campagne prend comme point de départ les conclusions arrêtées par une enquête nationale qui démontrait que 87 % des Brésiliens disent croire en l’existence de la discrimination raciale au pays, alors que seulement 4 % avouent être effectivement racistes. L’objectif de la campagne consistait alors à justement attirer l’attention de la population blanche sur les situations fréquentes de discrimination raciale dans le quotidien brésilien, de même qu’à stimuler l’identification des préjugés dans le comportement de chacun afin de les éliminer. Confrontée au scénario construit par les procès pour discrimination raciale tout au long des 26 ans d’existence du CONAR, ainsi qu’aux taux élevés de cas mis aux archives, la publicitaire n’hésite pas à énoncer sa propre vision de la classe professionnelle publicitaire : 343 La plupart — je ne peux pas dire tous — mais eux, ils travaillent pour eux-mêmes. Ils ne travaillent par pour le client. Ils ne travaillent pas pour le produit. Ils ne sont pas préoccupés si le produit va vendre plus, si le produit va vendre moins, si le produit va être bien vu. Ils veulent faire des choses pour gagner des prix, pour que l’autre publicitaire dise : ‘Très bien cette annonce’. (…) ‘Les publicitaires ne sont pas ici pour changer les stéréotypes’, c’est ce qu’ils disent. Je trouve [que] cela [est] une grosse erreur.dcxix (Maíra Miguel, Rio de Janeiro, 24 mars 2006.) Je lui ai donc demandé sa vision du marché publicitaire en tant que publicitaire et femme, car, selon ses propres termes : Je ne suis pas Blanche, ni Noire, et malgré le fait que Nadia [Rebouças, propriétaire de l’agence Rebouças & Associados] me présente comme la fille d’un Noir — ce qui est un fait —, je ne peux pas dire que je suis Noire.dcxx (Maíra Miguel, Rio de Janeiro, 24 mars 2006.) Ce dilemme identitaire renvoie directement à la discussion portant sur l’impact de la catégorie de classement negro dans les processus identificatoires des Brésiliens et Brésiliennes (voir chap. 1, sect. 1.6). Cette incertitude entre l’être Noir et l’être Blanc est caractéristique d’une partie de la population dont l’un des parents est noir, alors qu’il possède en même temps une peau suffisamment claire pour ne pas être perçu socialement comme un Noir — bien que l’exemple du sociologue noir Clovis Moura illustre parfaitement le fait que le processus d’identification puisse parfois être plus politique que pigmentaire. De toute façon, on ne peut perdre de vue le fait que le processus d’identification est surtout intersubjectif : il dépend d’une perception de soi qui est construite dans et à partir du rapport avec l’Autre. Donc, le « problème » d’autoreconnaissance d’une personne métissée ne relève pas exclusivement d’une perception strictement subjectiviste, bien que la dimension subjective soit importante. Cette perception résulte en grande partie des rapports sociaux, dans lesquels joue un ensemble complexe de facteurs qui, au Brésil, sont largement reliés à la façon dont les personnes sont perçues par la collectivité, dans les différents espaces sociaux : écoles, transports publics, hôpitaux, stations de police, etc. 344 En revenant à la question du marché publicitaire, j’ai demandé à mon informatrice la quantité de publicitaires noirs ou nippo-brésiliens qu’elle avait déjà rencontrés. Elle semble partager le même avis que la secrétaire exécutive du CONAR : Très peu.dcxxi (Maíra Miguel, Rio de Janeiro, 24 mars 2006.) En ce qui concerne l’action du CONAR, la publicitaire propose une explication qui semble dépasser le simple corporatisme professionnel : Le CONAR est autoréglementaire (…) mais il n’interdit pas. Je ne le connais pas si bien. Ou bien, je le connais, mais d’après ce que je connais, je crois qu’il aurait pu être différent. Je pense qu’il aurait pu être plus présent. Il ne fait pas de retrait [de la circulation des publicités inculpées] rapidement, et pendant qu’il en discute, [la publicité] continue à circuler. Il est très en faveur de ce à quoi il n’aurait pas dû être favorable, vous comprenez ? Je pense qu’il n’est même pas corporatif, parce que chacun regarde beaucoup soi-même. En même temps, chacun d’eux [les membres du CONAR] ne veut pas parler mal de l’autre, parce que l’autre va aussi parler mal de lui. En effet, dans une éthique corporatiste, personne ne parle mal de personne, mais chacun défend l’autre. Comment chacun peut parler mal de l’autre, si tout le monde est équivoque ? C’est un milieu qui ne sait pas suivre la loi. On ne fait rien pour attirer l’attention, pour créer de la polémique, [c’est un milieu] qui ne paye pas les droits de beaucoup de choses, en plus de la bonification sous la table qu’on gagne pour mettre [la publicité] en ondes. Il y a beaucoup de choses compliquées. Donc, c’est un marché qui manque d’éthique, je dirais. Alors cela ne me surprend pas de dire que le CONAR met 17 ou 18 aux archives sur 25 [procès]. Parce que ce n’est pas le CONAR, mais le milieu publicitaire en général qui n’est pas éthique. (…) On ne se préoccupe pas de la campagne, on ne préoccupe pas de faire les choses avec conscience. On fait ce qu’il y a à faire. Cela ne me surprend pas du tout. C’est pire que ce que j’imaginais, mais cela ne me surprend pas.dcxxii (Maíra Miguel, Rio de Janeiro, 24 mars 2006.) Abondant plus ou moins dans le même sens, l’avocat noir Walmir dos Santos est responsable d’un service d’assistance téléphonique aux victimes de discrimination raciale. Plus qu’un service d’écoute téléphonique, le Disque racisme est en effet un centre de référence lié au Secrétariat de la Justice et des Droits du citoyen, dont l’objectif principal est d’offrir une 345 assistance à la fois juridique et psychologique aux personnes ayant fait l’objet de discrimination raciale. Dans un entretien dans la ville de Rio de Janeiro, je lui ai fait part non seulement des données concernant l’évolution des procès, mais aussi des principales stratégies de la défense, dont celle utilisée par l’Assolan. Dos Santos résume sa perception du problème du faible taux de reconnaissance du dommage de discrimination raciale au sein du CONAR comme suit : Moi, malgré que je sois carrément choqué par certains cas du CONAR, je ne perds pas — je ne dirais pas un certain optimisme mais plutôt une certaine confiance. Parce qu’en termes de législation spécifique, celle-ci est encore très récente, en dépit de la Loi Afonso Arinos. La Constitution date de 1988, la loi du racisme date de 1989. Ceci ne compte même pas une vingtaine d’années. Mais ce qui semble réellement préoccupant, au moins pour moi, c’est le taux de mise aux archives. Parce qu’en même temps qu’on accorde des éléments pour le combat, on crée un arsenal de défense. Et si l’on met cela dans des aspects quantitatifs — dix consommateurs se plaignent, 100 font des compliments — et puis ? Qui va contrôler cela ? Qui va me garantir, m’assurer que ces données sont fiables ?dcxxiii (Walmir dos Santos, Rio de Janeiro, 24 mars 2006.) Je lui ai également fait part de deux autres stratégies largement utilisées le long de la troisième phase des procès au CONAR, lesquelles consistent, respectivement : 1) à justifier les choix des éléments apparaissant dans la publicité à partir des données obtenues auprès des groupes focaux ; 2) en la remise en contexte de la publicité dans l’ensemble de la campagne, lorsque les conseillers tiennent à examiner la publicité individuellement. L’avocat signifie, en contrepartie, que dans le droit public, on discute de l’existence ou non du dommage vis-à-vis d’un groupe, mais jamais du nombre de personnes qui sont pour et contre une action déterminée. En transposant ce raisonnement au domaine de la publicité, cela lui semble une situation carrément absurde que l’annonceur plaide, devant le Comité d’éthique du CONAR, pour l’absence de dommage d’une publicité en accordant comme preuve les nombreux témoignages positifs reçus par l’annonceur : WDS : Si l’on réussit à caractériser et à identifier le groupe au nom duquel l’on entreprend une poursuite judiciaire en disant qu’il y a eu dommage aux intérêts et aux droits de ce groupe et que l’on arrive, en effet, à prouver ce dommage-là, alors la situation est couronnée de succès. 346 I : Ne serait-on pas en train d’adapter, dans le cadre des procès pour discrimination raciale, le principe républicain de vote des intérêts économiques de l’annonceur ? WDS : C’est un principe républicain mais qui, selon ma compréhension, est très volatile. Car pour que l’on assure qu’il y a eu effectivement de l’isonomie — que les votants étaient égaux et qu’ils étaient également représentés —, c’est là, à mon avis, le problème. (…) Cela va sans dire que le pouvoir de mobilisation d’une entreprise est beaucoup plus grand. Sans vouloir remettre en question ces résultats, mais je ne tiens aucunement à y faire confiance. Lorsqu’on possède une entreprise quelconque, on a plus facilement les moyens de stimuler les personnes à faire des compliments que moi d’inciter les personnes à critiquer. Elle a un pouvoir de mobilisation très grand qui est le pouvoir économique, lequel est vraiment grand. Enfin, il y a là un certain nombre de facteurs à caractère quelque peu nébuleux. (…) Il me semble que l’arsenal de défense est presque inépuisable. S’il y a une chose ponctuelle [dans la publicité] et que l’on dit que ce n’est qu’un aspect, un angle seulement dans un cadre beaucoup plus ample, alors cela devient impossible de prouver la lésion. On reste à la merci de l’opinion.dcxxiv (Walmir dos Santos, Rio de Janeiro, 24 mars 2006.) On se souviendra encore que la réduction de la plainte au niveau d’une opinion personnelle et localisée est un procédé de défense assez fréquemment utilisé dans les procès éthiques pour discrimination raciale, dans le but de disqualifier les arguments de l’accusation. Ironiquement, les membres des Conseils d’éthique du CONAR ont su résister le plus possible aux pressions d’une opinion publique favorable à la condamnation de la publicité du GB dans le procès 076-90. En voulant s’attarder sur les « faits matériels » de la publicité, les Conseils d’éthique semblent être finalement peu enclins à reconnaître la légitimité de l’opinion des plaignants. L’avocat Dos Santos me signifie, en contrepartie, que le problème fondamental ne concerne pas forcément le pouvoir en termes de sanction du CONAR en lui-même — déjà trop limité au retrait de la circulation et à l’avertissement (parfois à la publicisation de la décision) — mais plutôt le fait que les décisions du CONAR ne puissent pas servir de fondements à une demande de réparation auprès du Ministère public. Dos Santos explique que les avocats impliqués dans la lutte contre la discrimination raciale doivent mener de véritables croisades pour convaincre les responsables du pouvoir judiciaire d’entamer les procédures prévues pour l’ouverture d’un procès d’action civile publique. Le Ministère public, quant à lui, possède la fonction, grosso modo, de plaider pour la société. Normalement, il travaille avec les droits diffus, les droits collectifs. Enfin, il a le pouvoir d’entamer une action contre un représentant d’un groupe identifié ou identifiable. S’il comprend que les arguments sont suffisamment contendants, il peut 347 normalement aller de l’avant avec une action civile publique ou un autre type d’action de cette nature. (…) Mais cela finit par être trop difficile de fonder une dénonciation auprès du Ministère public via le CONAR.dcxxv (Walmir dos Santos, Rio de Janeiro, le 24 mars 2006.) Dos Santos établit alors un parallèle entre le cas de la laine d’acier Assolan177 et un procès qu’il a représenté en tant qu’avocat auprès du Ministère public, il y a dix ans, contre le chanteur populaire Tiririca : C’est très intéressant cet aspect du cas de l’Assolan parce qu’il nous renvoie directement au cas Tiririca. En effet, dans les paroles de la chanson de ce citoyen, il y a un morceau qui dit exactement ceci : ‘Regardez ses cheveux/ils ressemblent à [la laine d’acier] bombril pour lustrer les casseroles’. C’est curieux, n’est-ce pas ? (…) On note qu’il y a eu une évolution de la conscience du consommateur, me semblet-il. Parce qu’à l’époque, en effet, plusieurs personnes ne comprenaient pas le pourquoi de cette discussion. (…) D’où l’importance des mouvements noirs organisés. Ce sont eux qui fournissent ce cadrage. Ce sont eux qui vont montrer, qui vont apporter des cadres comparatifs.dcxxvi (Walmir dos Santos, Rio de Janeiro, le 24 mars 2006.) Dos Santos conclut son analyse de l’action du CONAR en transposant les difficultés trouvées auprès des membres du corps législatif à l’époque du procès du chanteur Tiririca, dont la conclusion a été finalement favorable aux représentants des mouvements noirs. Il y a là aussi la question de l’empathie. Parce que moi, vous, en tant qu’adultes, on dit : ‘c’est sûr que cette chanson n’est pas pour moi. C’est sûr qu’elle n’est pas pour ma famille’. Toutefois, lorsque vous pensez à une fillette noire — peut-être la seule noire dans sa classe ou son école —, du moment où ses collègues lui chantent cela, que cela est utilisé, il est difficile pour les personnes de se mettre dans la peau de cet enfant. Et de [cette situation], nous avions des cas concrets, y compris les plaintes de mères dont 177 L’avocat Walmir dos Santos explique la mécanique de fonctionnement du Ministère public comme suit : les plaignants requièrent l’avis d’un juge du Suprême tribunal fédéral pour l’ouverture du procès. Si l’avis de celui-ci est défavorable à l’ouverture du procès, on peut aller en deuxième instance et demander l’avis d’un Procureur général de la République. En suivant ses explications, je suis tenue de croire que l’avis du Procureur qui avait été récupéré par le plaidoyer en deuxième instance du procès éthique impliquant l’annonceur Assolan et l’agence ASPP, était, en effet, le dernier recours juridique possible dans le cas de la publicité Assolan. 348 les enfants ne voulaient plus simplement revenir à l’école. Ils arrivaient à la maison en demandant à leur mère de leur faire couper les cheveux. Certains demandaient de devenir Blancs, d’autres pleuraient et ne voulaient pas dire pourquoi. C’est-à-dire, du moment où vous avez cette empathie, vous réussissez à voir encore même plus loin. (…) Mais lorsque vous ne pouvez pas vous mettre dans la peau de l’autre — ce qui explique peut-être la position du juge, la position du CONAR, etc. —, si vous n’avez pas cette capacité, c’est beaucoup plus difficile, parce que vous ne voyez pas la demande de l’autre. Comme j’ai l’habitude de dire, on réussit tout au plus à être solidaire. Tout au plus. Moi, je suis un homme, je sais que la demande des femmes est très correcte, mais je ne peux tout au plus qu’être solidaire. Je ne serai jamais une femme pour les comprendre vraiment. Mais je peux me rendre disponible.dcxxvii (Walmir dos Santos, Rio de Janeiro, le 24 mars 2006.) Le professeur universitaire et activiste du Mouvement Noir, Fernando Conceição possède, une vision différente de celle de l’avocat. Alors que l’avocat Walmir dos Santos se réjouit des situations où il a obtenu une réussite processuelle, voyant en cela le signe d’un changement graduel des mentalités, le professeur du Département de communication sociale de l’Université fédérale de Bahia voit la question de la réussite juridique comme un aspect mineur : Écoutez bien : des acquis légaux, des acquis que les mouvements sociaux ont obtenus auprès de la Loi, dans la législation, ne veulent pas pour autant dire qu’ils seront, pour ainsi dire, rendus effectifs dans le cadre de conflits juridiques. Alors la loi, elle est bonne, la loi typifie la discrimination pour motif racial comme inamendable, mais lorsque ceci arrive au [domaine] judiciaire, le juge l’interprète autrement. Donc, c’est très difficile pour un Noir qui est discriminé de rassembler les preuves comme quoi il a été discriminé par une annonce ou un restaurant. C’est très difficile de réussir, dans ces demandes judiciaires, parce que le pouvoir judiciaire, ou les juges, les agents judiciaires, le voient d’une autre manière au Brésil, encore de nos jours. Alors le gars a été discriminé, il ouvre un procès pour discrimination raciale, et lorsque le juge analyse le procès, il dit qu’il n’y a pas eu de la discrimination raciale. [On dit] que cela a été, par exemple, de la calomnie, un crime de calomnie, parce que la peine est plus amène. Ainsi, ces acquis dans la Loi, lorsqu’ils sont interprétés dans la Justice, ils sont donc freinés en fonction de la formation des juges. J’en suis sûr, le cadre que vous faites ressortir, ce cadre, cette augmentation de plaintes, ce cadre de plaintes perçu ici — dont une bonne partie est mise aux archives, ne va pas de l’avant, etc. —, ceci va s’altérer tout au long de prochaines décennies.dcxxviii (Fernando Conceição, Salvador, le 12 avril 2006.) 349 La question, semble-t-il, réside plus dans le processus d’affirmation sociale que dans l’efficacité des normes légales. Ayant lui-même participé activement aux audiences publiques de la Constitution de 1988, Conceição ne voit pas nécessairement d’un mauvais œil le manque de réussite judiciaire, préférant mettre l’accent sur la prérogative même de pouvoir participer aux conflits en général, et plus spécifiquement aux polémiques autour de la publicité discriminatoire : En effet, j’attribue plus d’importance non pas au cadre juridique, mais à la mobilisation que le Mouvement Noir a entreprise durant les années 1980 et 1990 — parce que les années 1990 ont été une décennie très riche pour le Mouvement Noir au Brésil. Lors des cas de discrimination, le Mouvement Noir en est arrivé au point de ne plus accepter d’être provoqué par les annonces dans la télévision. Regardez bien, cela ne veut pas dire que cette attitude du Mouvement Noir lui a procuré du succès dans ses demandes. Par exemple, le Mouvement Noir a porté plainte contre la télévision Globo parce que celle-ci a exhibé, dans un feuilleton télévisé, [l’acteur] Tarcisio Meira en train de discriminer un personnage noir. Alors, on a essayé d’ouvrir un procès judiciaire. Bien que le juge ou l’agent judiciaire ayant reçu cette demande l’ait mis aux archives, à partir de ce moment-là, le Mouvement Noir avait déjà pris sa position. Ce n’est pas toujours que l’on peut obtenir un avis favorable dans la justice. Mais encore là, les agences de publicité, les annonceurs et les médias de masse en sont venus à y faire plus d’attention. (…) Dans le cas du quotidien Estado de São Paulo, avec son annonce de la promotion du Cahiers 2178, le quotidien s’est excusé, l’agence s’est excusée. On a publié, dans l’espace du quotidien même, une annonce d’excuses à la société brésilienne, en disant que l’intention n’a pas été celle-là.dcxxix (Fernando Conceição, Salvador, le 12 avril 2006.) Si, d’une part, l’on semble diverger minimalement quant aux résultats obtenus jusqu’à maintenant, de l’autre, il semble exister un consensus quant à l’importance de l’action des mouvements noirs dans le changement de la perception générale du problème de la 178 Le procès n°144/93, mis aux archives à l’unanimité par le Comité d’éthique du CONAR, est un excellent exemple des liens étroits entre le CONAR et les hautes sphères du pouvoir (voir dans Santiago c. S/A O Estado de São Paulo et Agence Talent, 1993). L’avocat responsable du plaidoyer des accusés en question, l’agence de publicité Talent et le quotidien Estado de São Paulo, n’est personne d’autre que Manuel Alceu Affonso Ferreira, l’ancien secrétaire de la Justice de l’État de São Paulo, le même qui avait rédigé un rapport très défavorable au GB dans le procès n° 229-91. Toutefois, selon les informations fournies par l’activiste Fernando Conceição, les mouvements noirs ont obtenu gain de cause auprès du Ministère public, configurant ainsi le tout premier cas de réparation obtenue dans un procès pour discrimination raciale dans la publicité — le seul d’ailleurs jusqu’à 2005. 350 discrimination raciale dans la société brésilienne, de manière générale, et dans la publicité nationale, plus spécifiquement. La journaliste et activiste noire Rosane Borges synthétise de manière magistrale l’évolution des cadres représentatifs dans la publicité au fur et à mesure que l’on insère plus d’individus noirs dans la publicité brésilienne : Aujourd’hui, [il y a] des subtilités dans la publicité qu’on ne voyait depuis [celles de] Benetton — alors que Benetton disait : ‘On fait pour provoquer’. C’était un jeu de couleurs fait pour choquer : la fillette blanche comme le petit ange, la fillette noire comme le petit diable, la femme noire allaitant l’enfant blanc, en prenant les mères nourricières comme référence. Qu’est-ce qu’on a depuis Benetton ? On a des publicités qui travaillent ceci de manière encore plus subtile. Et généralement, lorsqu’on les dénonce, il y a, par conséquent, une sorte de neutralisation. (…) D’abord parce que la population noire, elle est plus présente dans les publicités. Ensuite, parce que nous sommes dans un autre temps, n’est-ce pas ? Un autre temps discursif, un autre temps d’intervention politique. (…) Je pense qu’il y a un autre plan de discussion qui se reflète dans ces dénonciations.dcxxx (Rosane Borges, São Paulo, le 31 mars 2006.) Certes, les obstacles au changement de modèles de perception sont immenses, à commencer par les activistes impliqués dans la lutte pour la démocratisation de la communication. Le témoignage de Heitor Reis, ingénieur civil, chroniqueur et membre du Réseau Abraço de radios communautaires, indique que la conscientisation du problème de la discrimination raciale est un processus à plusieurs vitesses au sein de mouvements sociaux. Mais ce témoignage atteste également de la centralité des mouvements noirs dans la fixation d’un seuil de tolérabilité minimal en ce qui a trait aux représentations raciales dans la publicité : Dans mon interprétation, le Mouvement Noir est fatigué et dépassé par les 300 ans d’esclavage et de néo-esclavage — je dis que le néo-libéralisme a créé le néoesclavage. Alors ces gens, ils sont très sensibles, c’est-à-dire que face à n’importe quoi qui montre le Noir dans une situation compliquée, les gens réagissent d’une manière très marquée. Et moi, en regardant tout ça, je trouve qu’il n’y a rien de trop et que ce qui est arrivé est une vérité historique. Mais on est déjà dans un point où le Noir ne veut plus être vu de cette façon. [Il dit :] ‘Oui, cela a été vrai, mais aujourd’hui je ne veux pas qu’on me montre comme ça’. (…) La sophistication dont vous parlez : le degré d’exigence aujourd’hui est tellement fort que je dirais qu’il est en train même de dépasser les limites. Mais je les comprends. Je ne dis pas qu’ils sont en train de dépasser les limites comme une critique. Ils sont en train de dépasser les limites du seuil de normalité. Froidement parlant, ils sont 351 vraiment en train de dépasser les limites. C’est tout un agglomérat de traumas et de souffrances historiques qui est en train d’affleurer maintenant. Alors, on ouvre le robinet, le flux se libère et l’eau vient avec beaucoup de force.dcxxxi (Heitor Reis, Belo Horizonte, le 10 mars 2006.) Cette querelle, en ce qu’elle oppose, d’une part, les représentations historiquement datées et, d’autre part, les représentations d’une subalternité dégradante, constitue le nœud central d’un carrefour de représentations sociales possibles, les unes souhaitables, les autres non. C’est encore la journaliste Rosane Borges qui résume l’ampleur du programme cognitif qu’assument les mouvements noirs : [L’actrice blanche] Gloria Pires jouait une domestique dans [le feuilleton télévisé] Anjo Mau, mais elle était la protagoniste. Le scénario, tout le récit dépendait de ce personnage-là qui était celui d’une employée domestique. Il y a des réalisateurs de feuilletons télévisés qui nous disent : ‘Vous vous plaignez parce que le Noir joue un rôle d’esclave. Pourtant, ne s’agit-il pas de la réalité ?’ Nous répondons : ‘Oui, ceci a un lien avec la réalité, mais la réalité n’est pas celle d’un Noir passif, débile mental.’ Parce que c’est ce que l’on fait. En étendant ceci aux autres domaines de la communication, comme le journalisme, il s’agit là du grand défi : comment être partie prenante dans les tournages, journaux télévisés, corporations de communications et réussir à rompre avec le legs discriminatoire ? Voilà le grand défi.dcxxxii (Rosane Borges, São Paulo, le 31 mars 2006.) La tâche, on le sait déjà, n’est pas simple et exige une action coordonnée sur l’ensemble du territoire national. Toutefois, il semble exister un grand nombre d’initiatives en cours au Brésil contemporain qui méritent d’être explicitées. J’aimerais brièvement en citer quelquesunes comme partie d’un ensemble plus large de facteurs pouvant être à l’origine de l’augmentation des plaintes pour discrimination raciale dans la publicité et ailleurs. 352 8.4 Quelques initiatives contemporaines en vue de combattre la discrimination raciale dans les médias Loin de constituer un répertoire exhaustif des actions entreprises présentement au Brésil, les initiatives que je décris dans cette section ont tout simplement pour but de montrer la diversité et l’ampleur des actions menées par les différents acteurs sociaux engagés dans la lutte contre la discrimination raciale. Ces initiatives contribuent, à mon avis, à changer les modèles de perception et de formulation du problème de la discrimination raciale et peuvent avoir un impact, direct ou indirect, sur l’augmentation du nombre de plaintes pour discrimination raciale dans la publicité. Les diverses initiatives répertoriées ont été divisées dans les trois catégories suivantes : a) insertion de la thématique de la discrimination raciale dans l’agenda des droits humains ; b) changement des rapports entre les médias et la population noire ; c) changement de l’imaginaire social. 8.4.1 La formation d’un cadre d’experts dans le domaine des droits humains Le besoin de traduire au niveau juridique les demandes en provenance des groupes raciaux brésiliens a motivé le rapprochement entre ceux-ci et le système de droits humains. C’est l’avocat Walmir Santos qui fournit un aperçu de l’inclusion de la thématique raciale dans l’agenda des droits humains au Brésil. Il raconte que cette inclusion n’a pas été facile, parce que la plupart des leaders du mouvement des droits humains au Brésil privilégiaient la question de la liberté d’expression dans le contexte du combat à la dictature : I : Cette incorporation, comment s’est-elle passée ? WDS : Écoutez, je dirais que cette incorporation est en train de se solidifier. Elle est largement résultante de l’insertion des organisations des mouvements noirs dans le Mouvement National des Droits Humains.dcxxxiii (Walmir dos Santos, Rio de Janeiro, le 24 mars 2006.) 353 L’inclusion des mouvements noirs dans l’agenda des droits humains, sur le plan national, a été solidement reprise par les organisations de droits humains sur le plan international. Ce n’est qu’en 1995 que [l’ancien Président] Fernando Henrique a déclaré, pour la première fois, que nous étions un pays raciste, lors de la Conférence de l’OEA. Mais Fernando Henrique l’a dit uniquement en conséquence de pressions internationales.dcxxxiv (Rosane Borges, São Paulo, le 31 mars 2006.) Comme exemple de pressions subies par l’ancien président, Borges cite l’ONU, qui s’appuyait sur les paramètres de l’Indice de développement humain (IDH) du Brésil. Selon les techniciens de l’ONU, le Brésil constituait concrètement un cas d’apartheid racial : l’IDH de la population considérée dans son ensemble plaçait le Brésil au 79e rang des nations ; mais si l’on considérait l’IDH de la population blanche, le pays passait au 38e rang, alors que celui de la population noire plaçait le pays au 114e rang. Un autre exemple concret de collaboration internationale est évoqué par l’avocat Walmir Dos Santos. Celui-ci atteste que l’entraînement fourni par l’International Human Rights Law Group durant la phase préparatoire de la Conférence de Durban a servi de contribution fondamentale pour former de nouveaux cadres juridiques, permettant ainsi de faire avancer la lutte contre la discrimination raciale au pays : L’étude de la législation de l’OEA et de l’ONU par certaines personnes et certaines organisations a aussi joué un rôle important.dcxxxv (Walmir dos Santos, Rio de Janeiro, le 24 mars 2006.) Alors que Walmir Dos Santos souligne l’importance de la lecture et de la divulgation du système des droits humains, afin de traduire ces termes en demandes propres au scénario brésilien, une autre initiative abondant dans le même sens, quoique ayant un rayonnement local, est cité par l’activiste et professeur Fernando Conceição : 354 En fait, le Mouvement Noir organisé brésilien est train de consacrer de grands efforts pour former des cadres au niveau judiciaire. Aujourd’hui, on peut se rendre compte de l’existence de plusieurs cours de formation à la carrière judiciaire pour des Noirs. Ici, maintenant, à Bahia, Salvador, un cours de formation à la carrière judiciaire est offert à des avocats noirs. C’est-à-dire que les Noirs doivent devenir des procureurs de la justice, les Noirs doivent devenir des juges.dcxxxvi (Fernando Conceição, Salvador, le 12 avril 2006.) Ces initiatives de formation de cadres au niveau judiciaire, comme le remarque très opportunément Conceição, font partie d’un éventail d’actions qui n’auraient autrement pas lieu en dehors du système démocratique : Alors, ce que fournit la base d’appui pour que les mouvements protestent, c’est le fait qu’on vit au Brésil, depuis la fin des années 1980, dans une démocratie. Il y a un régime brésilien [qui] est démocratique, imparfait, mais en état de perfectionnement. (…) Cette base permet qu’on proteste, parce que si l’on était dans un régime fermé — une dictature, par exemple — où il n’y a pas d’État de droit, alors on ne pourrait même pas se mobiliser : publier des articles, faire des pamphlets. (…) La démocratie importe pour le Mouvement Noir, c’est pour ça que nous, les Noirs, nous avons beaucoup lutté pour la re-démocratisation du Brésil dans les années 1970 et 1980.dcxxxvii (Fernando Conceição, Salvador, le 12 avril 2006.) Bref, la formation de cadres juridiques noirs est vue comme une stratégie à court et à long terme, afin de faire prévaloir ce que la législation détermine depuis 1989. 8.4.2 Changement des rapports entre les médias et la population noire Le publicitaire noir Paulo Rogério Nunes est le directeur exécutif de l’Instituto de Midia Étnica. Cette organisation a pour mandat la promotion de la population noire dans les médias de communication dans ses diverses dimensions, allant de la production de contenus jusqu’au repérage de professionnels noirs dans les médias de communications, dans les agences de publicité, dans les agences de modèles, etc. Créé en 2001, dans la ville de Salvador, Bahia, l’Instituto de Midia Étnica est né d’une double lacune perçue dans le scénario national : 355 À l’époque, je m’étais rendu compte qu’il y avait une lacune au sein du Mouvement Noir pour discuter de la communication, tout comme une lacune existait aussi dans les mouvements [pour la démocratisation] au niveau de la communication pour discuter de la question raciale.dcxxxviii (Paulo Rogério Nunes, Salvador, le 12 avril 2006.) Nunes croit que, d’une part, les mouvements noirs ne menaient pas de discussion sur le rôle des médias de la communication et de l’information d’une manière assez effective et assez proche des questions contemporaines ; d’autre part, il signale que les groupes historiquement engagés dans la lutte pour une communication plurielle, comme le Forum national de démocratisation de la communication, n’avaient pas encore assimilé l’idée de diversité culturelle et raciale dans les médias. En ce qui concerne la dimension interne du mouvement, poursuit-il, le MNU avait développé, tout au long des années 1980, une notion très utilitariste de la communication, c’est-à-dire la communication vue en tant qu’outil de dissémination des actions. [Le rapport aux médias s’est fait] toujours dans l’aspect fonctionnel de la communication, mais jamais en comprenant la communication comme un élément de transformation sociale, comme un élément de construction de l’identité. La communication en tant que sphère politique de pouvoir, y compris celle du quatrième pouvoir. Le Mouvement Noir n’a presque jamais été capable d’envisager ce type de chemin.dcxxxix (Paulo Rogério Nunes, Salvador, le 12 avril 2006.) Nunes explicite le contexte politique plus large de la naissance de l’institut dans les termes suivants : Ce dialogue commence à surgir après Durban, un peu après le séminaire de Brasilia179. (…) Il y avait une prédisposition du SEPPIR, initialement, de dialoguer avec les secteurs de la communication du Mouvement Noir, mais encore dans l’équivoque de la communication institutionnelle. À l’époque, on voulait divulguer [le sujet de] la conférence, alors là on avait besoin de la Troféis, de l’Afirma, ainsi que d’autres journaux noirs. Et puis, lorsque la possibilité s’est présentée, nous avons dit : ‘Non, 179 Conférence nationale pour la Promotion de l’égalité raciale, en 2003. 356 nous ne voulons tout simplement pas faire le registre de la conférence. (…) Nous voulons un dialogue sur les politiques de communication.dcxl (Paulo Rogério Nunes, Salvador, le 12 avril 2006.) L’Instituto de Midia Étnica est donc voué à combler ce vide. Au départ, l’idée de fonder un institut de médias ethniques est née d’un dialogue entre étudiants afro-descendants universitaires du domaine de la communication, afin d’intervenir de manière plus efficace sur le champ politique — par exemple, en ouvrant une action civile publique, lorsque cela est nécessaire, ou en organisant des séminaires et des marches pour les droits à la communication. Toutefois, souligne-t-il, le travail d’insertion des jeunes professionnels diplômés est aussi important que l’activisme politique. Par exemple, l’Instituto de Midia Étnica entend faire un pont entre ceux-ci et le marché professionnel, en mettant à la disposition des entreprises et agences un catalogue de modèles noirs. En ce qui concerne spécifiquement le dialogue entre les activistes noirs et le SEPPIR, Nunes rapporte finalement que les activistes n’ont pas réussi à convaincre le secrétariat de former un groupe de travail sur la communication au sein du séminaire en question. Toutefois, sur un plan informel, cela a servi pour faire se rapprocher au moins une vingtaine d’organisations noires dont les mandats sont directement liés au champ de la communication sociale. Ces organisations sont reliées par des intérêts communs, à savoir la création d’un mécanisme de régulation des contenus de la communication de masse par l’État, avec la participation de la société civile, une intervention plus efficace du SEPPIR dans d’autres dossiers connexes, comme les mesures de répression de l’actuel gouvernement sur les radios communautaires, les subventions à la production audio-visuelle afro-descendante, etc. Ayant un mandat un peu similaire à celui de l’ Instituto de Midia Étnica, quoique sur un autre plan d’intervention, on retrouve la Comissão de jornalistas para a igualdade racial (COJIRA). Née d’une association de journalistes noirs impliqués dans le domaine du syndicalisme, la commission se propose, d’une part, de repérer, localiser et identifier le nombre de journalistes noirs dans les rédactions. Elle développe également des projets afin de nantir les associations, organisations et médias de masse avec des contenus et des sources 357 pour fomenter le débat sur l’égalité raciale. La journaliste Rosane Borges rapporte, à titre d’exemple, une rencontre entre deux membres du COJIRA et la secrétaire de la rédaction du quotidien Folha de São Paulo au sujet de la couverture que ce dernier faisait du programme d’actions positives du gouvernement en faveur des étudiants noirs. On a eu une réunion avec la secrétaire du [quotidien] Folha et on lui a dit : ‘Écoutez, le journal peut avoir sa propre position et écrire un éditorial qui y soit contraire [aux politiques de quotas dans les universités]. Mais de là à n’insérer aucun spécialiste, aucun chroniqueur qui soit favorable aux politiques de quotas… Le [quotidien] Folha, dans sa deuxième page, possède ce [cadre] ‘Favorable/Contre’, lorsqu’il s’agit de sujets brûlants. Mais ils n’ont jamais fait ceci avec les actions affirmatives. Et alors, l’une des réponses de la secrétaire a été celle-ci : ‘Oui, mais il n’y a pas de sources, il n’y a pas de noms’. Et, puis, on lui a donné plusieurs noms. Toutes ces excuses que nous savons être des excuses désabusées, ne servent qu’à neutraliser une action effective avec la grande presse : ‘Écoutez, on ne couvre que des éphémérides parce qu’on ne connaît pas la dynamique des organisations noires’.dcxli (Rosane Borges, São Paulo, le 31 mars 2006.) Ainsi, en tenant compte d’arguments comme ceux-ci, la COJIRA a décidé de mettre en branle un nombre varié de programmes de formation visant à rendre les journalistes de la grande presse aptes à couvrir la thématique raciale : Il y a des reportages dans lesquels le journaliste confond préjugé avec discrimination, avec racisme. Alors, on va offrir des cours pour les journalistes dans ce champ. dcxlii (Rosane Borges, São Paulo, le 31 mars 2006.) Les problèmes relevant de la couverture journalistique dans les médias de masse dépassent largement le rapport entre ceux-ci et les sources, pour atteindre en plein cœur les rédactions de la grande presse. Une autre initiative de changement du rapport entretenu entre les médias et la population noire porte, cette fois-ci, sur la sphère de la production journalistique des adolescents défavorisés. Compte tenu de son expérience dans le champ du journalisme populaire, le journaliste Paulo Oliveira, professeur des cours de journalisme de l’Université Cândido Mendes et de l’Escola Popular de Comunicação Crítica, semble très familiarisé avec le profil des journalistes de la grande presse : 358 On commence à voir une série de conflits dans les rédactions mêmes. On n’y voit presque pas de Noirs, on n’y voit presque pas de personnes d’origine pauvre détenant un poste très élevé de la direction. Lorsque ceux-ci commencent à arriver, il commence à y avoir une forme de blocage. Parce que la vision que l’on a est différente.dcxliii (Paulo Oliveira, Rio de Janeiro, le 23 mars 2006.) Paulo Oliveira est plus spécifiquement le coordinateur de l’Escola Popular de Comunicação Crítica, une école de médias et d’arts visuels insérée dans le « complexe de la Maré » — un agglomérat de sept communautés défavorisées à Rio de Janeiro. Son mandat est de former des communicateurs pour les communautés locales, dans une perspective de communication intégrée : Internet, presse, radio communautaire, photographie. L’école possède encore une banque d’images ainsi qu’une agence de photographes. Les élèves produisent, entre autres, un journal dont le tirage est de 20 000 exemplaires. Il va sans dire que l’Escola Popular de Comunicação Crítica n’est qu’un projet dans le cadre plus ample de l’Observatório de Favelas do Rio de Janeiro, initiative qui intègre de nombreux projets et centres de production de savoirs dans diverses banlieues défavorisées de cette ville. L’idée est de faire face, de manière coordonnée, à des problèmes communs aux différents agglomérats : violence, trafic de drogues, discrimination raciale, incursions policières résultant en un nombre élevé de morts. À travers ses centres d’activité, l’observatoire mène un travail d’observation des actions et de dénonciation de l’état de détresse sociale des populations locales — incluant un travail d’observation de la couverture des médias de communication de masse sur ces mêmes populations. Paulo Oliveira expliquait notamment que le rapport entre la grande presse et les banlieues se dégradait de plus en plus depuis la mort du journaliste Tim Lopes en 2002180. La peur de représailles de la part des journalistes de la grande presse a fait que ceux-ci réduisent encore plus leurs rares incursions dans ces régions. Oliveira signale, par exemple, que certaines 180 Le journaliste Tim Lopes — lui-même ancien habitant d’une banlieue défavorisée — était le responsable d’une série de reportages portant sur les trafiquants de drogue à Rio de Janeiro. Il été assassiné brutalement après avoir été reconnu par un groupe de narcotrafiquants, compte tenu de sa visibilité comme reporter de la TV Globo. 359 communautés ont acquis, par conséquent, plus de visibilité que d’autres, comme cela semble être le cas de celle de la Rocinha. Ce bidonville qui compte plus de 400 000 habitants, avait fait l’objet d’une série de reportages, dans le quotidien O Globo, dénonçant l’occupation de forêts protégées : On doit prendre plusieurs facteurs en considération. La plupart des éditeurs haut placés de la [TV] Globo habitent dans la région, donc ils doivent passer par là. De plus, la plupart des lecteurs du [quotidien] O Globo vivent pratiquement dans cette région. De même, plusieurs personnes de la Rocinha travaillent chez ces gens. Ils ont un plus grand contact. On a un réseau d’information beaucoup plus grand depuis le bidonville jusque-là, avec plus d’ONG, d’intellectuels et de personnes qui y travaillent. (…) Alors, qu’est-ce qui arrive aux bidonvilles plus petits ? Le cas « Tim Lopes » a éloigné la presse, les personnes elles-mêmes ont eu peur. Comment va-t-on communiquer avec la presse ? Il est où, le réseau de communication ? Ceci est l’un des facteurs. Et lorsqu’on communique, comment peut-on s’assurer qu’on va publier exactement la forme avec laquelle cela a été rapporté ? On ne peut pas. On passe l’information, on perd le contrôle sur celle-ci. (…) La version qui va paraître est la version de la police, parce que ceux-ci ont un système de contacts avec les reporters.dcxliv (Paulo Oliveira, Rio de Janeiro, le 23 mars 2006.) Le projet l’Escola Popular de Comunicação Crítica voit donc le jour dans le sillon du problème communicationnel entre les régions défavorisées et les centres de production d’information qui sont, dans le contexte brésilien, encore plus centralisés. Face à l’insensibilité des grands médias de masse, il s’agit maintenant de créer, en première instance, des espaces alternatifs et plus accessibles de production de la subjectivité : [L’objectif est de] les stimuler à la production de médias propres, à partir d’une vision critique de la presse, de manière générale. Et reproduire cela dans les écoles ayant ces derniers comme agents. C’est un marché, pour ainsi dire, de démocratisation de l’information. (…)dcxlv (Paulo Oliveira, Rio de Janeiro, le 23 mars 2006.) Certes, les différences relevant d’une fracture sociale si profonde ne sont pas négligeables, ayant des retombées directes sur le capital culturel, social et symbolique de la population locale. Un processus de sélection est mené afin de privilégier les étudiants ayant un profil 360 communautaire. Paulo Oliveira complète le profil des étudiants locaux dressé par le journaliste Vitor Monteiro, assesseur de communication de l’Escola Popular de Comunicação Crítica : Les élèves n’arrivent pas ‘crus’ ici. Il y a un processus de sélection. On s’est mis d’accord pour que chaque communauté ait un local [pour la sélection] (…) L’idée était de favoriser ceux qui sont attirés par le communautarisme, un intérêt préalable de participer à quelque chose. (…) Ils ont des problèmes d’écriture, ce qui est naturel pour ceux qui viennent de l’école publique ici à Rio de Janeiro. Le gars sort diplômé et il n’a pas une écriture adéquate. Par contre, leur pensée porte déjà un regard social.dcxlvi (Vitor Monteiro, Rio de Janeiro, le 23 mars 2006.) Ils ont un sens critique très élevé. Ils ont un sens critique des choses que nous considérons comme fondamentales : préjugé, violence de toutes sortes.dcxlvii (Paulo Oliveira, Rio de Janeiro, le 23 mars 2006.) Bien que tous les professeurs travaillent dans le milieu communautaire, Paulo Oliveira et Vitor Monteiro — tous les deux journalistes diplômés, Blancs et de classe moyenne — ont une trajectoire à part en ce qui concerne le cadre de professeurs du projet, la plupart de ceuxci habitant ou ayant déjà habité dans le Complexe de la Maré. Bref, toutes ces initiatives constituent autant de façons de contrecarrer les rapports asymétriques entre les médias de masse et la population afro-descendante. Des problèmes spécifiques requièrent des solutions adaptées à chaque clientèle. Chacun à sa manière, il s’agit fondamentalement d’entamer un travail de restructuration identitaire ayant les médias à la fois comme fins et comme moyens. 8.4.3 Changement de l’imaginaire social La dernière stratégie concerne toutes les initiatives à la fois : la déconstruction d’un imaginaire eurocentrique. Rosane Borges traduit le dilemme consistant à concilier le travail dans les médias de communication et ce projet plus ample de déconstruction : 361 Sincèrement, je pense que la publicité — et la communication en général — est un champ stratégique, mais qu’elle ne résout pas les problèmes toute seule. (…) On a une éducation occidentale, on a une éducation eurocentrique. Et bien qu’on donne des cours de formation pour les journalistes — ce qui offre pas mal de secours —, on doit changer cet antécédent qui est l’imaginaire commun qui nous oriente.dcxlviii (Rosane Borges, São Paulo, le 31 mars 2006.) La question du changement touche ainsi un vaste éventail de domaines, à commencer par les modèles esthétiques : Parce que la vision de la publicité brésilienne est encore eurocentrique, qui n’admet pas ce qui est différent. Il faut avoir des yeux bleus. Blanc aux yeux bleus, genre, Europe du Nord, ce n’est même pas l’Europe du Sud, de la Méditerranée. Ce n’est pas le Grec, l’Européen avec la peau basanée, l’Italien d’en bas. Non. C’est une vision nordique. Norvège, Suède, voici la vision de la publicité brésilienne. Mais ceci commence à changer.dcxlix (Fernando Conceição, Salvador, le 12 avril 2006.) L’une des initiatives qui soulèvent l’espoir de changement de cette dimension plus profonde constitue mise en vigueur de la Loi fédérale 10.639/03, laquelle prévoit l’enseignement de l’histoire de l’Afrique et l’histoire des afro-brésiliens comme cours obligatoires aux niveaux primaire et secondaire du réseau scolaire public. Je pense que la Loi 10.639 contribue pour beaucoup. Parce qu’en plus de cette question du Beau et de l’aspect physique, du fait que le Noir soit beau, il y a un processus qui passe notre histoire sous le silence.dcl (Rosane Borges, São Paulo, le 31 mars 2006.) Retombée immédiate de la loi en question, le Programa de Reflexões e Debates para a Consciência Negra a été institué en 2004 dans une école de la périphérie nord de la ville de Rio de Janeiro, sous la coordination de la pédagogue Carla Lopes. Initialement restreint à un cycle de conférences, le programme a rapidement évolué vers un projet politique pédagogique plus ambitieux, lequel vise à apporter des subsides pour l’élaboration d’un plan d’enseignement à partir de la sélection de contenus et méthodes d’enseignements de matrice 362 africaine à tous les cours de cette école secondaire. Autrement dit, il s’agit par là d’intégrer des contenus et méthodes qui étaient jusque-là laissés aux oubliettes, voire exclus de la liste des savoirs légitimes officiellement reconnus par le gouvernement brésilien : l’ethnomathématique, la capoeira, les manifestations artistiques reliées aux religions de matrice africaine, parmi d’autres. Après coup, il y a lieu de s’interroger sur la place que le mythe de la démocratie raciale — mythe fondateur et puissant facteur de cohésion, pour les uns, et oppression, pour les autres — pourrait jouer dans une société vivant un processus de remise en question aussi profond et aussi brûlant que celui-ci. La conclusion de l’avocat Walmir dos Santos suggère une piste de réponse : Si ladite démocratie raciale existait, le Brésil serait un pays servant d’exemple au monde. D’après ma compréhension, cette démocratie n’existe pas encore. Elle n’existera qu’à partir de l’égalité des droits et des chances.dcli (Walmir dos Santos, Rio de Janeiro, le 24 mars 2006.) Dans ce chapitre, on a pris conscience non seulement de l’ampleur de la tâche qu’implique l’inculpation pour discrimination raciale dans le contexte de la publicité et ailleurs, mais aussi du terrain de pratiques où ce combat politique est quotidiennement mené. Compte tenu des différentes contributions apportées par mes interlocuteurs, je conclus tout brièvement que l’idée de démocratie raciale est encore pertinente de nos jours, se serait-ce que pour refonder une utopie de nation où tous auraient non seulement égalité de droits et de chances, mais également une perception positive de leur différences. CONCLUSION Avant de passer au bilan de l’analyse quantitative et qualitative des procès éthiques, j’aimerais très brièvement reprendre les principaux points soulevés dans les chapitres précédents. Il importe de préciser, d’une part, que les procès éthiques du CONAR émergent d’un contexte institutionnel très particulier. Né dans le cadre d’une négociation entamée entre le secteur publicitaire national et le régime militaire en place (voir chap. 5), le CONAR est le reflet à la fois d’une certaine forme de gérance du pouvoir étatique et de rapports historiquement établis entre celui-ci et les citoyens participant à la communauté nationale (voir chap. 2 et chap. 3). D’autre part, je crois avoir fourni suffisamment d’indices sur la centralité que la race a historiquement occupée, non seulement au sein du système politique brésilien, mais aussi dans les discours identitaires plus amples de l’État nation en question (voir chap. 2). Les débats contemporains autour des changements stratégiques dans le système classificatoire officiel afin de rassembler les populations preta et parda sous la catégorie negra (voir chap. 1) ne peuvent être compris en faisant abstraction de certaines politiques de l’État colonial qui ont été poursuivies et perfectionnées par l’État postcolonial. La tradition légale centralisatrice et autoritaire de l’État brésilien a également produit d’autres fruits. Les politiques régulant le domaine des communications et des télécommunications, amplement décrites par la littérature nationale et internationale, semblent avoir aggravé certaines asymétries structurelles importantes existant entre la population blanche et celles non blanches (chap. 3). Ici, l’obstruction de l’accès aux sphères de visibilité sociale produites par les médias se conjugue parfaitement avec l’essentialisation des images puisées dans un vaste répertoire social — répertoire où la valorisation de la blancheur et l’idée de rapports raciaux harmonieux deviennent des éléments indissociables (chap. 2). Ces différents aspects 364 ont un impact direct non seulement sur la sphère de la production du marché économique, mais aussi dans la publicité en tant que sphère responsable de la médiation entre le domaine de la production et celui de la consommation (voir chap. 4). Une fois explicitées les dimensions institutionnelles, économiques et culturelles composant le contexte plus ample qui encadre cette recherche, j’ai tenté de décrire celles-ci selon la grammaire dictée par le modèle de démocratie délibérative habermassien. J’ai démontré de façon pertinente comment Habermas attribuait à l’essor de la publicité-réclame un rôle important dans les changements structurels opérés dans les rapports entre les journaux et leurs publics respectifs. D’une part, Habermas n’a jamais ignoré, dans ses formulations classiques, que la publicité, tout comme les journaux, forme et informe ses propres publics. La différence entre la publicité et le journalisme critique, si l’on suit le raisonnement de l’auteur dans ses premières formulations, résidait surtout dans la méthode : alors que la publicité travaillait avec les principes de la séduction et l’assentiment passif du consommateur, les journaux d’opinions visaient à fomenter la formation de la volonté politique à la lumière d’arguments échangés rationnellement entre individus privés faisant usage public de la raison. Il est vrai que l’essor de la publicité a historiquement garanti une certaine indépendance au rédacteur, tout en accordant un revenu additionnel à l’entreprise journalistique. Dans un monde idéal, l’existence d’un marché économique dynamique pourrait à la limite fomenter un plus grand nombre de journaux, d’émissions de télévision et de radio, de magazines littéraires. Bref, le marché économique permettrait d’augmenter les moyens d’expression d’une société quelconque. La question que l’on doit se poser devant un cadre si optimiste se résume fondamentalement à ceci : si le capital économique n’est pas égalitairement distribué entre les diverses sphères de la société civile, les marché d’annonces ne feront-ils que reproduire fondamentalement les mêmes inégalités structurelles du système économique ? De ce fait, dans le cadre d’une démocratie sociale où l’État jouerait adéquatement son rôle de redistributeur des ressources entre les divers acteurs, une politique culturelle visant à stimuler la diversité culturelle serait non seulement envisageable, mais aussi souhaitable. Mais 365 lorsqu’on parle d’un État centralisateur, autoritaire, un État qui a largement favorisé le capital privé dans la propriété des médias, bref, un État devenu lui-même le chef de file d’une industrialisation croissante, il y a lieu de s’inquiéter de l’accès des populations marginalisées aux médias. Toutefois, le rapport entre le système de médias brésilien et l’existence de discrimination dans la publicité peut sembler, en principe, flou et totalement dépourvu de liens de causalité. Par exemple, la concentration de la propriété des médias dans les mains d’une poignée de familles solidement ancrées dans le système politique central ne révèle pas grand-chose sur certains problèmes de discrimination, raciale ou non, qui relèvent de la pensée « créative » de professionnels de la publicité. De plus, la mauvaise répartition du gâteau publicitaire entre les différents médias nettement en faveur de la télévision ne semble pas porter de préjudice direct à l’existence d’une quelconque discrimination dans la publicité. Il va sans dire que les deux plus grandes polémiques autour de la publicité discriminatoire — celles qui ont fait le plus couler d’encre dans les diverses capitales du pays : les procès n° 076-90 (« la mère nourricière ») et n° 229-91 (« l’ange et le diable ») — n’ont pas été véhiculées par la télévision mais par les panneaux publicitaires et les médias imprimés181. Toutefois, je tiens à croire que le dessein plus ample du système des médias brésilien a un impact — quoique indirect — dans la perception et la formulation du problème de la discrimination raciale dans la publicité. Je reviendrai opportunément sur ce point. Ainsi, ce qui me semble insensé, si l’on suit le raisonnement d’Habermas dans L’espace public, c’est d’imaginer que la publicité elle-même ne serait pas capable de former ses propres publics critiques. La publicité a, certes, contribué de diverses manières à la (dé)formation des publics nationaux, mais elle a paradoxalement offert un terrain d’intervention pour les publics critiques qui s’insurgent contre ses modèles de représentation. 181 D’une certaine façon, le fait que la publicité soit véhiculée sur les panneaux publics a facilité l’intervention des activistes directement au niveau du support médiatique. Compte tenu de l’accessibilité des panneaux publics, je tiens à croire que les graffitis des activistes du MNU n’auraient jamais eu le même effet que si la publicité avait été véhiculée à la télévision. 366 Mon argument ici est très simple : les transformations dans l’ethnicité brésilienne et la dénonciation de la discrimination raciale dans les espaces de visibilité sociale — y compris les espaces publicitaires — sont deux manifestations d’un processus plus large de politisation de la question raciale à travers la mise en place d’un débat social d’envergure. L’essor d’un marché considérable de consommateurs afro-descendants, considéré par plusieurs comme un phénomène récent182, participe directement au changement de l’ordre symbolique prévalant jusqu’à maintenant dans la publicité nationale, représentant à la fois le moteur et le reflet de ces changements plus amples. La propre évolution des modèles de représentation raciale dans la publicité brésilienne rend compte de ces changements identitaires, dont la portée s’étend aux domaines les plus variés. Un premier moyen de se rendre compte de l’évolution des modèles de perception et de formulation du problème de discrimination raciale dans la publicité réside dans l’analyse quantitative des procès déposés auprès du CONAR tout au long des 26 années de son existence. On a vu, par exemple, que même si les procès pour discrimination raciale comptent parmi les tout premiers déposés au CONAR, environ 45 % d’entre eux n’ont été ouverts que très récemment — soit à partir des années 2000. On sait également qu’une diversification des formes de discrimination perçues dans la publicité correspond également à la hausse du nombre de procès dans la catégorie « discrimination », à partir de la seconde moitié des années 1990. Mais si l’on compare les caractéristiques des décisions du CONAR dans les procès pour discrimination raciale avec les données relatives à toutes les décisions émises par cet organisme en 2003183 — toutes sortes de transgression confondues —, la différence est aberrante. En effet, selon les données concernant l’année 2003 (CONAR, 2008), 34,05 % des décisions émises par le CONAR ont résulté en une recommandation de changement dans l’annonce, et 32,13 % d’entre elles en une mise aux archives. Seulement 26,38 % des Si l’on tient compte de la promotion de produits pharmaceutiques au Brésil au début du XXe siècle comme d’une stratégie de marché dans le cadre plus ample des politiques eugéniques et hygiénistes des gouvernements successivement en place, alors on serait forcé de croire que l’intérêt pour le marché « afro-descendant » ne date pas d’hier (voir chap. 4, sect. 4.3.). 182 183 Je prends comme point de départ les statistiques de 2003 car ce sont celles que j’avais en ma possession au moment de réaliser mes entretiens. 367 publicités dénoncées ont été retirées de la circulation, alors que le conseil n’a émis que 7,19 % d’avertissements. Bien que les taux concernant les recommandations de changement dans l’annonce demeurent généralement stables pour les années suivantes — 34,37 % en 2004 et 34,53 %, en 2005 —, les autres types de décisions prises par le CONAR connaissent des changements importants. Ainsi, deux tendances sont-elles amorcées pendant ces trois années : d’une part, on note une légère croissance des taux de procès mis aux archives (on passe notamment de 32,13 % des procès mis aux archives en 2003 à 34,11 % en 2004, pour arriver finalement à 36,57 % en 2005) et d’avertissements (7,19 % en 2003, 8,01 % en 2004, et 9,21 %, en 2005). D’autre part, les taux de décisions impliquant un retrait de la circulation connaissent une réduction dans les dernières années : on passe de 26,37 % en 2003 à 22,74 % en 2004, pour finir avec 19,69 % en 2005 — soit une réduction de 6,68 % par rapport à la première année prise en considération. Or, si l’on tient compte du fait que 70,96 % des procès pour discrimination raciale ont été mis aux archives sans aucune forme de reconnaissance du dommage, alors on peut conclure que le taux de procès mis aux archives est presque deux fois plus élevé que la moyenne des procès mis aux archives au CONAR entre 2003 et 2005. Une autre dimension de l’asymétrie des résultats dans les procès pour discrimination raciale peut être perçue en fonction du profil des plaignants : alors que la plupart des procès pour discrimination raciale déposés entre 1979 et 1995 étaient ouverts par une représentation d’office déposée par un directeur ou un président du CONAR, la plupart de ceux déposés à partir de 2001 résultent de plaintes de consommateurs. C’est exactement à partir de 2001 que le taux de procès mis aux archives sans aucune forme de reconnaissance du dommage atteint 87,71 %. L’analyse qualitative de cinq procès ayant fait l’objet d’une couverture médiatique démontre bien comment certaines variables externes très diversifiées peuvent directement influencer la reconnaissance du dommage de la discrimination raciale dans la publicité. En ce qui concerne particulièrement la première phase des procès pour discrimination raciale (1979-1989), celleci possède quelques points saillants que j’aimerais résumer ici. Tout d’abord, les procès démontrent bien l’importance des cadres interprétatifs fournis par les membres noirs dans 368 l’analyse critique de la publicité dénoncée. Toutefois, il est nécessaire d’examiner ces différentes perceptions du problème de discrimination chez les dénonciateurs en termes de continuum de cadres interprétatifs. Par exemple, l’analyse des procès de la première phase démontre bien le passage de la perception d’une image irrespectueuse vis-à-vis de l’individu noir, considéré dans ses dimensions privées (procès n° 025- 82, « Boni du bonheur »), à une idée plus organique de communauté noire nationale (procès n° 118- 88, « vêtements infantiles Smuggler »). Il semble clair que les changements constitutionnels de cette période ont joué un rôle important dans cette évolution graduelle d’une perception individualiste du dommage à celle touchant une collectivité ou un groupe ethnique. Par contre, la perception du problème de la discrimination raciale demeure encore incomplète : l’identification des raisons à l’origine de celle-ci est encore très floue — on cite « l’intériorisation de l’idéologie du blanchiment racial » dans le procès n° 118-88 — alors qu’aucune solution collective au problème en question n’est envisagée dans les cas analysés. C’est aussi dans cette première phase qu’on identifie, de toute l’histoire du CONAR, le degré le plus élevé de solidarité sociale constatée entre les membres du Conseil d’éthique et la partie responsable de la dénonciation. Cette solidarité peut prendre des formes variées, allant du dépôt d’une représentation d’office contre une publicité soupçonnée de promouvoir la discrimination raciale, comme dans le premier cas, jusqu’à l’émission d’une décision favorable à la partie plaignante, comme dans le deuxième. Cependant, ces démonstrations de solidarité avec la partie plaignante n’impliquent pas pour autant une compréhension partagée du problème de la discrimination en tant que discrimination raciale à proprement parler. Au contraire, l’attribution du dommage de discrimination raciale est une prérogative presque exclusive de la partie plaignante tout au long de cette phase. La preuve en est que le terme « discrimination raciale » n’a jamais été explicitement cité par les membres des comités d’éthique du CONAR. Les raisons menant à cette solidarité peuvent varier d’un cas à l’autre, mais une chose semble sûre : dans les deux cas, l’argumentaire de la défense a vivement collaboré à sa propre défaite et ce, de deux façons distinctes — soit en suggérant cyniquement que toutes les domestiques 369 noires sont « stupides », comme dans le procès n° 025-82, soit en célébrant les « qualités » de la position subalterne, comme dans le procès n° 118-88. Les réactions indignées des rapporteurs font place à plusieurs conjectures. D’une part, on se demande si une bonne partie de leur colère ne dérivait pas en effet de soupçons de non-sincérité accablante vis-à-vis des explications des accusés, comme dans le procès n° 025-85. D’autre part, il y a également lieu de se demander si les membres des comités d’éthique n’étaient pas plus réceptifs à l’écoute des plaignants, alors que l’image institutionnelle de la publicité était un enjeu important, voire essentiel, cité explicitement dans les avis des rapporteurs. En ce qui concerne les notes, reportages et lettres parus dans les médias, la conclusion est simple : dans cette phase que je qualifierais de préstructurante d’un espace public qui se formera plus tard autour de la publicité accusée de discrimination raciale, les médias ne présentent qu’un seul « point de vue » sur la publicité faisant l’objet du procès éthique. Ceci vaut au moins pour le matériel qui a été formellement inclus dans les annexes de procès184. Selon Entman (voir chap. 6, sect. 6.5.2), seule la persistance d’un seul point de vue prédominant dans les médias tout au long de cette période pourrait attester d’un véritable biais dans la couverture médiatique d’une question quelconque. Mais si les grands débats ne sont pas encore au rendez-vous des médias imprimés, au moins certains des grands thèmes ont été déjà mis sur la table : la représentation nettement négative des membres de la population noire, le rattachement des représentations à un passé esclavagiste, la dimension performative de ces représentations et ses effets moraux sur cette même population, pour ne citer que ceux-ci. On verra, par la suite, que le grand défi consistant à prouver le dommage de la discrimination raciale dans une publicité ne repose pas seulement sur la démonstration de sa force locutionnaire, mais aussi sur l’apport d’indices clairs permettant de prouver la correspondance entre les dimensions illocutoire et perlocutoire de celle-ci. Autrement dit, il ne s’agit pas seulement d’interpréter le contenu d’une publicité en elle-même, mais de 184 On avait appris par l’intermédiaire du plaidoyer annexé au procès n° 025-82, que la publicité « Boni du bonheur » avait eu de grandes répercussions dans les médias imprimés et radiophoniques. Cependant, l’existence de ce matériel a une importance très limitée vis-à-vis du jugement du procès en question dans la mesure où le rapporteur, se croyant déjà en possession d’éléments suffisants pour émettre son propre avis, décide de ne pas prendre en considération d’autres articles de journaux. 370 prouver que celle-ci ouvre la possibilité à une lecture déterminée dans un contexte culturel précis, collaborant ainsi à la persistance de certains rapports sociaux solidement ancrés dans l’histoire brésilienne. La dernière dimension à faire ressortir dans cette première phase de procès éthiques concerne l’usage de catégories de classement racial et ethnique fait par les différents acteurs impliqués dans ces procès. Alors que la formulation du problème de la discrimination raciale par les membres du Conseil d’éthique demeure encore vague et hésitante, l’attribution d’une appartenance raciale noire à l’ensemble d’individus plaignants ne semble poser aucun problème ou souci majeur. Par contre, ces termes varient chez les plaignants : on fait référence tantôt au Noir en tant qu’individu (procès n° 25-82) ou aux Noirs en tant que groupe (procès n° 118-88), tantôt à la communauté noire (procès n° 118-88), tantôt à l’ethnie noire (procès n° 118-88). Chose certaine, il y dans ces variantes une compréhension plus collectiviste et politiquement informée de la communauté noire — ou de la race noire, comme le veulent certains — comme moteur de critique de la détermination biologique. La deuxième phase de procès pour discrimination raciale (1990-1999) est, sans doute, celle où les débats d’envergure sur la publicité racialement discriminatoire prennent véritablement de l’ampleur. En même temps, des changements importants au niveau de l’encadrement juridique national ont un impact direct sur le patron de décision du CONAR. En effet, les procès n° 076-90 et n° 229-91 demeurent les exemples les plus pertinents pour mettre en évidence le virage occasionné par l’approbation du CBDC, dont les conséquences pratiques sur l’encadrement légal de la publicité discriminatoire se font sentir immédiatement. Le fait que les deux procès portent en effet sur la même infraction (la discrimination raciale), commise par les mêmes infracteurs (le GB et l’agence J. W. Thompson), avant et après, respectivement, l’approbation du CBDC — est une heureuse coïncidence permettant de saisir avec précision les implications de l’avènement des droits des consommateurs. En plus de dévoiler exemplairement les nouvelles exigences imposées par le CBDC au CONAR, ces deux cas non seulement fournissent une idée précise de l’impact des avancées légales opérées 371 dans le champ du combat contre le racisme et la discrimination raciale, mais ils permettent aussi de percevoir, dans les médias, la résonance des interprétations proposées par les membres de mouvements noirs. Le premier aspect qui ressort de l’argumentaire de la défense dans les deux procès est le fait qu’à aucun moment, on n’ait essayé de nier l’existence de la discrimination raciale au pays, ni de suggérer que les couches de la population noire brésilienne ne se trouvaient pas dans des conditions nettement plus défavorisées sur le plan social. D’un côté, ceci représente une grande conquête des mouvements noirs au Brésil : on ne parle plus guère d’une nation avec des rapports raciaux idylliquement décrits dans les termes d’une démocratie raciale. En contrepartie, le diagnostic du dilemme politique vécu par le CONAR, tel que l’avaient formulé les avocats de l’agence J. W. Thompson dans le recours en deuxième instance, démontre typiquement une vision réactionnaire vis-à-vis des avancées sociales et juridiques conquises par les minorités. En d’autres termes, il s’agit là d’une vision qui reconnaît, en même temps qu’elle condamne, ces acquis, en qualifiant les minorités de trop « intolérantes » et irrespectueuses de la « liberté d’expression commerciale ». Néanmoins, malgré leurs positions conservatrices à l’égard des minorités, les avocats de l’agence ont su dessiner avec une effroyable clairvoyance le défi qui s’impose au CONAR à partir du procès n° 229-91 : soit le conseil s’affirmait comme un organisme politiquement fort, capable d’appliquer ses décisions selon l’intérêt public, soit il céderait aux intérêts particuliers, lesquels, à mon avis, sont ici représentés par l’agence et l’annonceur (et non par les minorités en question, comme le suggéraient les avocats de la défense). Le positionnement du CONAR avant et après l’approbation du nouveau code des consommateurs au Brésil démontre bien, également, que les exigences imposées à cet organisme commencent à changer profondément. Lors de la tenue du procès n° 076-90, le CONAR était, en effet, la seule instance légitime à se prononcer sur la publicité185, alors qu’à 185 CBDC. Rappelons que le procès 076-90 a été jugé à peu près un mois avant la promulgation du 372 l’occasion du jugement du procès n° 229-91, d’autres voies étaient disponibles — plus rapides et efficaces d’ailleurs — afin d’intervenir sur la circulation de la publicité accusée de discrimination raciale. En ce qui concerne le premier cas, la position du rapporteur et la décision finale émise par le Comité d’éthique font entièrement abstraction de la polémique qui prenait de plus en plus d’ampleur dans les médias un peu partout au pays. Plus encore, on préfère faire la sourde oreille face aux protestations et graffitis des mouvements noirs qui se multipliaient dans les capitales du pays. Par contre, le rapport final du procès n° 076-90 déplore le préjugé racial de la partie plaignante, en exprimant « consternation et indignation » devant son interprétation de la publicité en question — la vieille stratégie défensive d’inversion du blâme de discrimination raciale. Le procès n° 229-091, quant à lui, nous dévoile un organisme qui opère en « mode rattrapage », dans la mesure où le CONAR essaie de récupérer un certain capital de confiance morale mis en péril par la mise aux archives du procès antérieur. Bien sûr, l’apport des instances officielles du gouvernement, particulièrement du Secrétaire de la justice de São Paulo, est crucial pour ce changement de cap. Alors que tout le monde — mouvements noirs, représentants législatifs, exécutifs, judiciaires, Église Catholique, et même les médias — en vient à prendre au sérieux les excès de la « critique sociale » menée par le GB dans ses publicités, il ne reste au CONAR qu’à revoir sa propre jurisprudence. Certes, l’organisme se trouve dans une position très peu confortable lors du jugement du procès n° 229-91 : en cédant à l’opinion publique qui s’est formée autour des campagnes publicitaires du GB et en imposant des sanctions « sérieuses » à l’annonceur (sanctions qui n’ont, d’ailleurs, que des effets moraux, sans aucune efficacité sur la circulation immédiate de la publicité), le CONAR prend une position contraire à l’une des agences les plus anciennes au pays, mais aussi l’une des premières à avoir adhéré à ce conseil. La défense de l’agence ne manque pas l’occasion de signifier clairement au CONAR le message suivant : « vous êtes là pour faire prévaloir l’éthique du marché, non pour jouer le rôle de la Cour suprême ». Ceci n’est pas entièrement sans raison, étant donné le contexte dans lequel le CONAR a été créé. Sachant que son pouvoir est limité par l’adhésion strictement volontaire 373 des agences, ce véritable rappel à l’ordre de la part de l’agence pourrait être compris, à la limite, comme une menace de désaffiliation. S’il tranche trop en faveur des intérêts autres que ceux de ses affiliées, le CONAR risque de mécontenter sa clientèle interne et de perdre ainsi sa légitimité au sein du propre secteur publicitaire. Il reste à vérifier dans quelle mesure cet organisme sera capable de survivre aux demandes croissantes imposées par le milieu social dans lequel il s’insère. Il est important de souligner que le GB186 a largement contribué à élargir le bassin de mécontents au-delà du public critique composé par les mouvements noirs. Par exemple, entre les procès n° 076-90 et n° 229-91, une publicité du GB avait déjà fait l’objet d’un procès éthique — lequel avait, de manière très prévisible, été mis aux archives à l’unanimité en première instance. La publicité en question — qui montrait une sœur et un prêtre s’embrassant sur la bouche — a soulevé la rage des secteurs catholiques bienveillants et déshabitués de ce genre de blague religieuse. Résultat : plus d’un millier de pétitionnaires, déjà scandalisés par l’impétuosité de la publicité en question, l’étaient tout autant à cause de l’indifférence du CONAR face à leurs appels. Il a fallu l’avènement d’une publicité encore plus radicale, touchant en plein cœur le grand tabou national — la question raciale — et l’intervention des instances publiques pour amener le CONAR à faire un profond examen de conscience. En même temps, lorsque les médias rapportaient les vives réactions soulevées ailleurs dans le monde par les publicités du GB, il est fort possible que le grand public ait été mobilisé par un sentiment de fierté nationale, trop connue l’année de la Coupe du monde de football, et qu’il 186 L’annonceur a effectivement fait l’objet d’un procès déposé par le Ministère public, non pas à cause de la publicité en question, mais à cause d’une autre, ultérieure, qui montrait un homme atteint de SIDA agonisant dans son lit. Selon le journaliste Gustavo Igreja, le GB n’a finalement pas été inculpée et ce, grâce à un accord signé avec le Ministère public, où elle s’engageait à retirer la publicité de la circulation. Toujours selon Igreja, la première condamnation d’un annonceur pour une publicité ayant un contenu impropre au Brésil a été imposée au fabricant de cigarettes Souza Cruz, en 2004, pour avoir fait usage de publicité subliminale. Voir Igreja, Gustavo. 2004. «MP tem vitória inédita na guerra contra o fumo». Jornal do Brasil (Brasília), 06 novembre 2004. En ligne. <http://jbonline.terra.com.br/jb/papel/brasilia/2004/11/05/jorbrs20041105003.html>. Consulté le 12 février 2008. 374 se soit montré encore plus sensible aux arguments des mouvements noirs. Il semble plus ou moins sûr que le fait que le GB soit un annonceur étranger, représenté par une agence de publicité multinationale, ait aussi joué son rôle dans la polémique. Ceci finit par confirmer l’adage de l’idéologie de la démocratie raciale, selon lequel, lorsqu’on constate au Brésil que la discrimination raciale est d’origine extérieure au pays et qu’elle ne constitue finalement pas un problème endémique de la société locale. De plus, il ne faut pas oublier que la perception des protestations sur la scène nationale était déjà encadrée par celles qui avaient eu lieu en Europe et aux États-Unis, ce qui explique en partie l’attention des médias aux réponses locales. Quoi qu’il en soit, les différents mouvements noirs ont décidément fait preuve d’un grand sens d’opportunité politique, en encadrant de façon décentralisée les différentes possibilités d’intervention qui se présentaient devant leurs yeux. Il faudrait maintenant passer à l’analyse d’une polémique nationale, impliquant à la fois agences, annonceurs, produits et préjugés typiquement brésiliens pour confirmer la difficulté de reconnaissance du dommage de discrimination raciale de la part des accusés. Ceci est bien le cas du seul procès pour discrimination raciale ayant fait l’objet d’une couverture médiatique dans la troisième phase des procès pour discrimination raciale du CONAR (20002005). Comme on peut déjà l’imaginer, si l’on considère l’écart de quatorze ans existant entre les procès n° 229-91 et n° 068-05, les plaintes du CONAR ont changé par rapport à la période précédente et ce, en plusieurs aspects. D’une part, il y a une augmentation de la participation populaire au sein du CONAR. Alors que dans le cadre des deux plus grandes polémiques ayant touché l’histoire des plaintes pour discrimination raciale déposées au CONAR (procès n° 076-90 et n° 229-91), aucun activiste des mouvements noirs n’est directement intervenu auprès du CONAR, on note, à partir de 2000, la présence croissante de plaignants intervenant à titre de citoyens dans tous les procès de cette catégorie déposés auprès de cet organisme. Le fait que toutes les plaintes à l’origine du procès n° 068-05 (« les cheveux d’Assolan ») aient été déposées par Internet en est, peut-être, l’une des raisons. Malgré cette participation élargie à l’origine de l’ouverture d’un total de 14 procès en cinq ans, on a raison de s’inquiéter de la tendance actuelle de mise aux archives de tous les cas de 375 discrimination raciale ayant été déposés auprès du CONAR dans cette dernière phase. Seulement un procès — celui en question — a obtenu au moins une forme de reconnaissance du dommage. Ici encore, la décision initialement favorable a été revue plus tard dans une instance supérieure. L’aspect le plus déconcertant de la mise aux archives de ce dernier exemple réside dans le fait que cette décision ait été amplement fondée sur l’avis d’un Procureur de la République, ainsi dans sur les décisions émises dans d’autres tribunaux du pays. Ce n’est donc pas sans perplexité que l’on se rend compte du très faible taux de reconnaissance du dommage au sein des procès pour discrimination raciale déposés au CONAR à l’heure actuelle. Ce taux est le plus faible par rapport à tous ceux mesurés dans toutes les phases précédentes, alors que le nombre de plaintes a augmenté considérablement. Comment, alors, expliquer le décalage existant entre dénonciation et inculpation, sans pour autant tomber dans des explications réductionnistes renvoyant à des « problèmes psychologiques individuels » ou tout simplement à la « mauvaise foi » des plaignants ? De nombreuses explications sont envisageables. Dans un article portant sur l’inefficacité des normes antiracisme au Brésil, Santos (2005) renvoie une partie du problème au racisme des membres du système judiciaire : « Le racisme est masqué dans les sentences judiciaires par une nette démonstration du fait que le principe sociologique du mythe de la démocratie raciale vient à altérer les effets juridiques qu’on pourrait attendre de l’application de la normedclii. » D’autres facteurs interviennent également dans ce processus, allant de la nonreconnaissance de l’acte raciste par la victime jusqu’au refus par les instances compétentes d’ouvrir une procédure administrative afin d’éclaircir les faits. Le rôle du Ministère public, tenu garant des intérêts diffus et collectifs, y est également critiqué en raison de son immobilisme et de son manque d’intérêt pour les problèmes concernant la discrimination raciale. Ce diagnostic est d’ailleurs confirmé par le Ministre du Suprême tribunal fédéral, Joaquim Barbosa Gomes (op. cit.), pour qui le rôle effectivement joué par le Ministère public laisse beaucoup à désirer en termes de potentiel critique : 376 Autrement dit, le Ministère public fédéral, par force d’une certaine inertie institutionnelle et d’une pesanteur typiques des institutions étatiques, a ignoré tout le temps son nouveau rôle constitutionnel, en privilégiant la tâche d’émission d’avis dans des cas à caractère principalement privé, en laissant au deuxième plan la mission que la Constitution lui a octroyée — celle de défense des droits et intérêts diffus et collectifs, y compris les droits des masses, des minorités humiliées et sans voix dans la vie publique du pays.dcliii À part la décision défavorable émise par le Ministère public et le désistement de la représentation auprès du Tribunal spécial civil — facteurs qui ont définitivement influencé les membres de la Chambre spéciale de recours du CONAR dans leur décision —, les médias ont aussi joué leur rôle dans le procès n° 068-05. Ou bien, les médias auraient pu jouer leur rôle, car ils ont été nettement absents de tous les procès pour discrimination raciale, encore plus absents qu’il y a une vingtaine d’années. L’absence, voire régression, de la couverture médiatique des cas de discrimination raciale constitue en elle-même une dimension qui mériterait d’être davantage investiguée, ailleurs que dans ce travail. Chose certaine : une partie de la réponse repose sur les rapports établis entre les mouvements noirs et les médias de masse. Des éléments de réponse ont été fournis lors des entretiens avec les acteurs engagés dans la lutte contre la discrimination raciale : la tendance des médias à couvrir les actions des mouvements sociaux uniquement lorsque celles-ci deviennent un événement médiatique — comme le graffiti sur les panneaux publicitaires de le GB dans les années 1990 —, la méconnaissance, de la part de grands médias de masse, de la dynamique des mouvements sociaux, la peur de la violence qui ronge les banlieues défavorisées, ne sont que quelques-unes de ces réponses. Mais il y a, là aussi, des problèmes qui relèvent du plan interne des mouvements noirs, comme l’accent sur une vision strictement utilitariste des médias en tant que simple moyen de divulgation d’actions, au détriment d’une vision plus stratégique en tant qu’espaces plus positifs pour la construction de l’identité. J’avais brièvement mentionné l’existence de rapports entre le système des médias brésilien et la question de la discrimination raciale dans la publicité. Il me semble que c’est surtout dans la préstructuration du débat autour des publicités discriminatoires qu’une distribution inégale 377 du capital social, politique et économique peut faire pencher la balance du côté le plus socialement favorisé. D’une part, l’analyse des procès de la deuxième phase nous a fourni suffisamment d’éléments concrets concernant le rôle fondamental que les médias peuvent éventuellement jouer et ce, non seulement dans l’exercice de la critique publique des publicités, mais aussi comme un moyen de mobilisation et de coordination de l’activisme social au plan national. Mais, d’autre part, on vérifie qu’au fur et à mesure que les grands débats autour de la publicité racialement discriminatoire quittent les espaces de visibilité médiatique pour se restreindre au micropublic du CONAR, le taux de reconnaissance du dommage de la discrimination raciale dans la publicité s’affaiblit. Pour connaître les liens entre l’absence de débats médiatisés à l’heure actuelle et la question du corporatisme des médias au Brésil, il faut revenir au problème de l’accès aux médias, de leur structure concentrationnaire et des motivations politiques de leurs propriétaires et dirigeants. Or, si l’on tient compte du fait que le directeur de la rédaction du Réseau Globo, Ali Kamel, est l’un des plus importants détracteurs des politiques d’actions positives à l’heure actuelle, il y a certainement lieu de s’inquiéter de la couverture que les reporters feront sur les revendications de la population noire. À cet effet, la journaliste Rosane Borges a fourni une vision importante concernant les coulisses de la couverture des actions positives par les grands médias. Entre autres choses, elle attribue la couverture déficitaire de ces médias au manque d’indépendance par rapport à leur propre ligne éditoriale : on s’empêche même de citer les sources de la position contraire à celle défendue dans les articles éditoriaux. Sans compter le manque de connaissance d’une littérature critique de la discrimination raciale, ce qui est un état de fait non seulement dans les rédactions des journaux, mais aussi dans le milieu savant en général. De plus, comme le rappelle de façon très opportune l’avocat Walmir Dos Santos, les ressources économiques et politiques de mobilisation d’une entreprise sont infiniment supérieures à celles des plaignants du CONAR. Toutefois, dans son article plus récent, Habermas croit fermement en une « indépendance relative des médias de masse par rapports aux systèmes politique et économiquedcliv », mais si et seulement si les médias informatifs commencent à travailler selon leurs propres normes de sélection et traitement de l’information. Dans ce sens, les nombreuses initiatives prises en vue d’améliorer les liens entre les médias et le public afro-descendant ne font que confirmer que 378 le besoin de déconstruction de cadres interprétatifs représente une bataille menée sur plusieurs fronts simultanément. En effet, elle implique à la fois les médias de masse et les publics critiques. Un dernier aspect que j’aimerais approcher dans cette dernière phase concerne le contenu même des représentations qui sont mises à l’épreuve par le public critique de la discrimination raciale. Il est notoire qu’on ne commet plus les mêmes « délits » de discrimination raciale que la publicité du « Boni du bonheur » avait commis, au début des années 1980. Une partie significative des publicités nationales s’efforce d’inclure des types phénotypiquement variés, afin d’attirer le public consommateur noir, désormais trop significatif pour être entièrement ignoré. Par contre, le procès n° 068-05 nous apprend également qu’il est temps de passer à d’autres critères afin d’identifier l’existence de la discrimination raciale dans une publicité. Alors que la plupart des rapporteurs de la troisième phase des procès éthiques du CONAR semblent s’attarder sur le simple constat de l’existence d’un traitement égal accordé à différents groupes, le niveau de subtilité des publicités racialement discriminatoires réclame des critères permettant l’identification d’une représentation équitable. L’un de ces critères passe, sans doute, par la capacité d’estimation du dommage qu’une publicité aurait pu avoir sur des groupes spécifiques, même lorsque ceux-ci apparaissent en situation d’apparente égalité avec d’autres groupes dans une publicité donnée. Ici, finalement, il importe moins de savoir si l’être Noir — Negro, pour être plus précis — est une ethnie ou une race. Certains choisissent le terme « ethnie », possiblement parce qu’ils veulent évacuer les connotations biologiques que le terme « race » avait à l’aube du racisme scientifique ; d’autres utilisent le terme « race » tout en tenant compte des variantes phénotypiques que peut avoir l’individu noir au Brésil ; et d’autres encore préfèrent le terme « afro-descendant ». On sait, de toute façon, que les membres du Comité d’éthique n’ont pas hésité un seul moment à utiliser le terme « race » lorsqu’il s’agissait de reconnaître le dommage de « discrimination raciale ». On sait également que le passage de la simple reconnaissance d’une ascendance noire à l’autoclassement racial en tant que Negro n’est pas 379 si évident, surtout dans un pays ayant un taux élevé de métissage comme le Brésil, où certains traits phénotypiques caractéristiques des peuples Africains sont plus ou moins disséminés dans la population. Une preuve pertinente de la complexité du processus d’identification raciale peut être perçue dans la polémique autour des bébés portant les « cheveux d’Assolan ». De manière très emblématique, tous les bébés dont les photos ont été envoyées par leurs parents à l’annonceur — dans l’espoir de pouvoir un jour participer à une annonce de la marque Assolan — avaient la peau blanche et des cheveux frisés. Ceci veut dire, entre autres, que pour ceux ayant la peau plus claire, avoir des « cheveux d’Assolan » ne causait aucune gêne. Par contre, pour le nombre significatif de 22 personnes ayant déposé une plainte auprès du CONAR, le terme « cheveux d’Assolan » porte de très mauvais souvenirs d’une appellation dérisoire et dégradante. La question que l’annonceur et l’agence doivent se poser dans une telle situation est de savoir à qui la marque Assolan veut plaire et à qui elle ne veut pas plaire en insistant sur la mise en circulation de cette publicité. Quoi qu’il en soit, le choix semble déjà avoir été fait, au moins pour le cas en question. Ceci me ramène aux critères de participation, de dialogue et de délibération que j’avais brièvement mentionnés dans le chapitre VII (voir sect. 7.1). Il y certainement plusieurs critères et méthodes pour évaluer la dimension délibérative des institutions démocratiques187. Assurée de l’ampleur qu’une évaluation adéquate et scrupuleuse du CONAR requiert — laquelle mériterait en elle-même de faire l’objet d’une étude en profondeur —, j’opte, en contrepartie, pour la réduction des atteintes d’une telle analyse à une réflexion à partir de ces trois critères fondamentaux. Ceux-ci constituent d’ailleurs des critères généraux de base, lesquels devraient être, en principe, appliqués réflexivement au propre processus d’évaluation (House et Howe, 2000). Ainsi, House et Howe nous apprennent-ils que « le postulat de base 187 Dans le chap. VII de Droits et Démocratie (op. cit.), Habermas fait une vaste révision de la littérature savante portant sur la dimension normative de la démocratie, afin d’y trouver un programme normatif pour la démocratie délibérative. Voir également Cohen, Jean, et Andrew Arato. 1992 Civil society and political theory Coll. «Studies in contemporary German social thought ». Cambridge, Mass.: MIT Press, xxi, 771 p. 380 de la démocratie requiert que tous ceux qui ont des intérêts légitimes et pertinents devraient être inclus dans les décisions qui affectent ces intérêtsdclv. » Or, l’absence — ou l’imprécision — de critères de sélection et d’indication des représentants de la société civile participant aux comités d’éthiques en tant que membres de la société civile est un indice fort de l’absence de participation du public visé par les publicités discriminatoires. L’absence des minorités discriminées dans le comité d’éthique renvoie directement à une autre asymétrie criante concernant les conditions de dialogue entre les parties de la défense et de l’accusation. Il semble clair que l’absence des personnes concernées dans le jugement des plaintes pour discrimination raciale porte inévitablement préjudice à l’exposition ainsi qu’à l’analyse des arguments avancés par les plaignants. Dans les circonstances précises de l’exemple avancé par la secrétaire exécutive adjointe du CONAR, la participation informelle d’un fonctionnaire noir dans le jugement d’une plainte pour discrimination raciale n’a en rien contribué à la cause des plaignants. Au contraire, l’avis d’un fonctionnaire noir, en fonction de son caractère éventuel, non systématique et donc destitué d’un encadrement formel et normatif, ne fait que reproduire et renforcer les déséquilibres découlant du pouvoir social et économique privilégié qu’ont les annonceurs et agences vis-à-vis des plaignants. La condition de ces derniers est moins avantagée justement en fonction de problèmes structurels auxquels ils font face en fonction de leur appartenance raciale. Finalement, compte tenu de l’asymétrie inscrite dans les procédures délibératives du Conseil —laquelle se caractérise par l’attribution inégale d’un espace institutionnel destiné à l’expression d’arguments entre l’accusation et la défense, en faveur de cette dernière —, il est presque inévitable que les décisions du Comité d’éthique favorisent, dans la plupart des cas, sa propre clientèle interne. La question que l’on doit se poser ici concerne explicitement la portée morale des décisions que les Comités d’éthique prennent. Si, d’un côté, « les intérêts ne possèdent pas tous la même force moraledclvi », de l’autre, je suis tenue de croire que ceux qui l’emportent vraiment dans les décisions de cas de discrimination raciale, ce sont — en fin de compte — les intérêts économiques de l’annonceur et de l’agence. Les seules solutions envisageables concernent directement le génie institutionnel du comité d’éthique, à 381 commencer, bien sûr, par la précision et la démocratisation des critères de sélection des membres de la société civile pour la composition des comités d’éthique dans cet organisme. La formalisation de la participation desdites « minorités » concernées dans le jugement des procès est une autre possibilité. Toutefois, compte tenu des limites de ce travail, je préfère laisser une analyse plus rigoureuse de l’organisation interne du CONAR comme suggestion de sujet pour les recherches futures. De ce fait, je ne pourrais m’empêcher de réaffirmer l’importance non seulement des médias de masse, mais aussi des institutions du système politique central pour faire la lumière sur les décisions prises à huis clos dans l’espace physique du CONAR. L’échange de dossiers avec les hautes instances du pouvoir dans le procès 229-91 a certainement contribué à apporter de la visibilité dans le processus délibératif interne des chambres éthiques du CONAR. Je suis tenue de croire que le conseil seul ne changera pas tant que ces deux sphères de pouvoir social et politique seront imperméables à la volonté politique des citoyens. Il s’agit donc d’un processus plus ample de démocratisation sociale, auquel j’espère avoir contribué en élucidant les débats autour des publicités accusées de discrimination raciale ayant eu lieu au Brésil entre 1979 et 2005. Pour conclure, j’aimerais revenir sur l’opposition entre la publicité-réclame et la publicitévisibilité — telle qu’énoncée dans l’introduction de ce travail — afin de discerner l’éventuel apport de ce travail par rapport à l’ensemble des études portant sur les médias et l’espace public dans le cadre d’une démocratie délibérative. Or, si cette étude a une contribution majeure à apporter à la révision de la vision de la publicité implicite dans la « publicitéréclame » habermassienne, il s’agit notamment de la démonstration, par le biais de cas concrets et historiquement enracinés, du fait que les consommateurs de la publicité commerciale peuvent bel et bien être des consommateurs-citoyens actifs. Ce travail fournit en outre des preuves concrètes que le fait même de dénoncer une publicité peut constituer un acte politiquement orienté, quoique ponctuel, dans le cadre plus large des politiques d’identité. Par contre, une limitation évidente de cette étude réside dans le fait que celle-ci ait uniquement considéré la consommation active de la publicité commerciale dans les 382 « situations de crise », c’est-à dire des situations impliquant la dénonciation d’une publicité auprès d’un organisme compétent. En effet, cette lacune relève en grande partie du propre modèle de démocratie délibérative habermassien, auquel on a reproché maintes fois de privilégier les moments de crises et de différends sociaux pour bâtir une théorie du fonctionnement de la démocratie moderne188. Quoi qu’il en soit, si la consommation de la publicité constitue en elle-même un espace pour la formation de la subjectivité, l’acte de dénoncer et de protester contre la publicité discriminatoire l’est tout autant. Dans ce sens, les plaintes pour discrimination raciale déposées auprès du CONAR ne constituent qu’un des multiples espaces concrets pour l’expression et le renforcement d’une conscience raciale noire. Or, si l’on suit cet ordre d’idées, il semble désormais clair que la publicité-réclame ne peut plus être conceptualisée selon les mêmes termes que dans L’espace public. Il reste donc à vérifier ce qu’il en est de la publicité-réclame lorsqu’on abandonne d’emblée l’idée d’un consommateur passif. Cela nous ramène à la notion de publicité en tant que synonyme de visibilité sociale. Il y a lieu de se demander, par exemple, si les publicités du GB n’auraient éventuellement pas dépassé les limites plus restreintes de la publicité comme simple instance de médiation entre les domaines de la production et de la réception, pour devenir ainsi un véritable vecteur de mobilisation d’un débat public autour des représentations raciales dans la publicité. Cela équivaut à dire, que les annonces de la « mère nourricière » et de « l’ange et du diable » ont largement dépassé les exigences plus immédiates de la publicité-réclame pour incorporer celles de la publicité-visibilité. Ce dernier argument, en faveur d’une publicité qui fouette en plein cœur les tabous sociaux au profit d’un débat authentique, mérite d’être analysé avec prudence. Tout d’abord, l’analyse du procès n° 068-05, seul cas ayant fait l’objet d’une couverture médiatique dans la dernière 188 Pour une révision plus complète des principales critiques du modèle habermassien en termes de modèle de « situation de crise », voir Maia, 2007, p.91. 383 phase de procès éthiques étudiés ici — le procès de l’annonce de la laine d’acier Assolan — me pousse à croire que les médias de masse se montrent à l’heure actuelle plus réfractaires aux opinions et aux points de vue critiques, c’est-à-dire ceux dénonçant la discrimination raciale dans la publicité, que ce que ces mêmes médias l’étaient il y a une vingtaine d’années. Dans ce sens, il y aura peut être lieu de s’inquiéter de l’impact d’une publicité « provocatrice » dans les circonstances où les médias démontrent un niveau élevé d’opacité vis-à-vis des flux communicatifs provenant du monde vécu — plus particulièrement des espaces publics épisodiques formés par les couches noires de la population brésilienne. Compte tenu des circonstances actuelles, arriverait-on à former de véritables espaces publics abstraits à partir de ce type de publicité°? Je n’en suis pas trop sûre°; je préfère toutefois laisser cette question ouverte. D’autre part, on ne peut oublier que la mise en circulation d’une publicité jugée discriminatoire — d’un point de vue racial ou autre — a des effets directs sur la dignité et l’auto-estime des publics discriminés. Cela est notamment observé dans le cas des enfants. Il y a donc un coût collectif et individuel à payer pour la génération du débat public autour de la publicité discriminatoire, un coût qui, à mon avis, ne peut être évalué sans que l’on prenne en considération la perspective de ceux qui en subissent directement les effets pervers. En d’autres termes, il semble facile et très commode de défendre la libre expression publicitaire —même si celle-ci est au profit du débat public — lorsqu’on n’est pas directement visé par la publicité en question. Mais je reconnais que cette question mérite une réponse plus complexe que celle que je suis en mesure d’offrir dans cette conclusion. Cela dit, j’aimerais terminer en attirant l’attention sur la fragilité et la volatilité des espaces publics abstraits qui se sont formés autour des publicités racialement discriminatoires. Même si les problématiques sociales profitent, de manière qualitative et cumulative, des arguments échangés dans l’espace public, la permanence même de ces espaces ne va pas de soi. Néanmoins, malgré l’absence de débats médiatiques à l’heure actuelle, je pense qu’il existe quand même une leçon positive à tirer des graffitis dessinés sur les panneaux publicitaires dans les années 1990. Comme on a pu le constater dans l’analyse des procès de cette phase, 384 les activistes des mouvements noirs avaient maintes fois réussi à se faire insérer dans l’agenda médiatique national afin d’intervenir, avec des degrés variables de succès, dans la formulation du problème de la discrimination raciale. Grâce à leurs actions et mobilisations, et avec le concours de certaines circonstances sur la scène internationale, les mouvements noirs ont su placer le sujet de la discrimination raciale dans l’ordre du jour des instances centrales du système politique et ce, à une époque où le mythe de la démocratie raciale hantait non seulement l’opinion publique nationale mais aussi les discours officiels de l’État brésilien. Si ce travail a pu contribuer à mettre en évidence toutes ces actions qui ont provoqué des changements profonds — quoique parfois subtils — dans le cadrage de la discrimination raciale au Brésil tout au long des 26 dernières années, cela est déjà largement assez pour les objectifs, plus limités, de cette thèse. APPENDICE A - TABLEAUX DESCRIPTIFS DES PROCÈS POUR DISCRIMINATION RACIALE DÉPOSÉS AU CONAR ENTRE 1979 ET 2005 Tableau A.1 Liste d’interviewés selon leur profession et entité d’attache Personnes clés Activité principale Institutions ou groupes d’insertion/ ville et État d’origine Heitor Reis Carla Lopes Paulo Oliveira et Ingénieur civil, membre Association brésilienne des radios communautaires directeur — Belo Horizonte (Minas Gerais) Professeure, Programme de réflexion et de débats pour la coordonnatrice conscience noire — Rio de Janeiro (Rio de Janeiro) Journalistes École populaire de communication critique de Vitor Monteiro l’Observatoire des favelas — Rio de Janeiro (Rio de Janeiro) Dr. Walmir dos Avocat Santos Maira Miguel Programme Disque Racisme — Rio de Janeiro (Rio de Janeiro) Publicitaire Agence Rebouças & Associados — responsable de la campagne de conscientisation « Où cachez-vous votre racisme » — Rio de Janeiro (Rio de Janeiro) Rosane Borges Journaliste Comissão de Jornalistas pela Igualdade Racial (COJIRA-SP) — São Paulo (São Paulo) Paulo Rogério Journaliste et directeur Instituto de Mídia Étnica — Salvador (Bahia) de communication Fernando Conceição Professeur et journaliste Universidade Federal da Bahia (UFBa) — Salvador (Bahia) Juliana Albuquerque Secretaire exécutive adjointe CONAR Tableau A.2 Distribution des procès éthiques selon la catégorie « discrimination » (1979-2005) Première phase des procès pour discrimination raciale (1979-1989) Année 1979 1980 1980 Procès discrim. 1 Total des procès 61 130 % du total des 1,63 procès 1982 5 175 2,85 1983 130 - 1984 1 150 0,66 1985 1 139 0,5 1986 2 109 1,83 1987 2 165 1,21 1988 5 142 3,52 1989 2 173 1,15 Deuxième phase des procès pour discrimination raciale (1990-1999) Année Procès discrim. Total des procès % du total des procès 1990 8 197 4,06 1991 2 231 0,86 1992 4 228 1,75 1993 2 213 0,93 1994 5 234 2,13 1995 2 247 0,80 1996 8 260 3,07 1997 11 238 4,62 1998 5 227 2,20 1999 10 292 3,42 Troisième phase des procès pour discrimination raciale (2000-2005) Année Procès discrim. Total des procès % du total des procès 2000 18 229 7,86 2001 11 264 4,16 2002 16 283 5,65 2003 25 368 6,79 2004 13 309 4,20 2005 25 361 6,92 Total 3 phases 184 5540 3,32 Tableau A.3 Distribution des procès éthiques selon la catégorie « discrimination raciale » (1979-2005) Première phase de procès pour discrimination raciale (1979-1989) Année Procès n° Total discrim. raciale Total des procès % du total des procès 1979 1980 1981 1982 1983 1984 1985 1986 1987 1988 1989 20 25 22 94 118 133 1 2 1 1 1 61 130 175 130 150 139 109 165 142 173 1,63 0 1,14 0 0,66 0 0,91 0 0,70 0 Deuxième phase de procès pour discrimination raciale (1990-1999) Année Procès n° Total discrim. raciale Total des procès % du total des procès 1990 24 76 155 3 197 1,52 1991 1992 1993 1994 1995 229 90 144 128 80 191 1996 190 1997 - 1998 - 1999 132 1 231 0,43 1 260 0,38 238 0 227 0 1 292 0,34 1 228 1 2 1 213 234 247 0,46 0,85 0,40 Troisième phase de procès pour discrimination raciale (2000-2005) Année Procès n° 2000 - 2001 26 115 128 2002 65 2004 07 2005 24 68 96 106 Total 3 phases 1 2003 154 184 186 193 314 5 Total discrim. raciale - 3 1 4 31 Total des procès % du total des procès 229 0 264 1,13 283 0,35 368 1,35 309 0,32 361 1,10 5540 0,55 Tableau A.4 Distribution des procès éthiques de discrimination raciale selon le public cible et le type de décision arrêtée Type de décision Distribution des procès Nombre éthiques selon le groupe cible 1. Procès sans aucune Procès mis aux forme de archives reconnaissance du mérite Afro-Brésiliens 15 Nippo-Brésiliens 4 Euro-Brésilien 1 Discrimination au sens 1 large 2. Procès ayant au Retrait de la circulation moins une forme de reconnaissance du mérite Mise aux archives sous Sous-total 21 Afro-Brésiliens 3 Nippo-Brésiliens 1 Afro-Brésiliens 2 Afro-Brésiliens 1 Nippo-Brésiliens 2 Sino-Brésiliens 1 Sous-total 10 condition Retrait de la circulation avec avertissement Avertissement Conciliation Nombre total de procès 31 Tableau A.5 Distribution des procès éthiques pour discrimination raciale selon le genre et la tranche d’âge Groupe cible Genre Tranche d’âge Phase 1 2 Total 3 des procès Afro-Brésiliens Hommes Femmes Adulte 2 1 Enfant 1 1 Adulte 2 2 Enfant 6 2 1 1 Aînée Mixte 3 5 1 1 1 3 4 2 2 6 10 21 Adulte 3 2 Enfant 1 Unité 1 familiale* Enfant Sous-total Afro-Brésiliens Nippo-brésiliens Hommes Mixte 5 Unité 1 familiale* Sous-total Nippo-Brésiliens 1 Sino-Brésiliens Hommes Adulte Euro-Brésiliens Femmes Adulte Autre Sans distinction de public cible et de genre Total P/ phase ∗ 4 2 1 6 L’unité familiale comprend les membres de toutes les tranches d’âge indistinctement. 11 7 1 1 1 1 1 14 31 Tableau A.6 Caractérisation des procès éthiques pour discrimination raciale selon selon la présence d’une couverture médiatique et les composantes du procès éthique Phase Couver- Nombre Type et nombre Catégorie de raciale des reconnaissance dénonciateurs publics cibles de du dommage ture des de procès médias Défense Taux de la publicité 1 OUI 3 CONAR (2) Noir (3) ∗ (1979- ONG (1) agence et/ou 2 sur 3 annonceur (66 %) 1989) CONAR (1) Noir (2) agence et/ou 1 sur 3 Citoyen (1) Jaune (1) annonceur (33 %) Citoyen (4) Noir (4) avec recours à un 2 sur 5 (1990- État (2) Jaune (1) avocat 1999) ONG (2) Citoyens (6) Noir (2) avec recours à un 3 sur 6 État (1) Jaune (4) avocat (50 %) Noir (1) avec recours à un 1 sur 1 avocat (100 %) NON 3 État 2 OUI NON 5 6 ∗∗ (1) (40 %) ONG (1) 3 OUI 1 Citoyens (14) (2000- ONG (2) 2005) État (1) NON 13 Citoyens (29) Noir (9) avec recours à un 2 sur 13 ONG (1) Jaune (2) avocat (13 %) État (6) Blanc (1) Autre (1) ∗ La catégorie « ONG » comprend les personnes qui ont explicitement revendiqué cette appartenance. ∗∗ La catégorie « État » inclut indistinctement les représentants d’instances gouvernementales, des commissions publiques et des députés. APPENDICE B — PHOTOGRAMMES ET COPIES NUMÉRISÉES DES PUBLICITÉS DONT LES PROCÈS ONT FAIT L’OBJET D’UNE COUVERTURE MÉDIATIQUE Figure B.1 Photogramme de la publicité « bonus du bonheur » (procès n° 025/82) Source : Archives du CONAR. Figure B.2 Version numérisée de la publicité « smuggler » (procès n° 118/88) Source : Archives du CONAR. Figure B.3 Version numérisée de la publicité « mère nourricière » (procès n° 076/90) Source : Archives du CONAR. Figure B.4 Version numérisée de la publicité « l’ange et le diable » (procès n° 229/91) Source : Archives du CONAR. Figure B.5 Photogramme de la publicité « bébés assolan » (procès n° 068-05) Source : Archives du CONAR. BIBLIOGRAPHIE Introduction Accioly, Anna, Joaquim Marçal F. de Andrade, Lula Vieira et Rafael Cardoso Denis. 2000. Marcas de valor no mercado brasileiro = Valuable Trademarks in Brazil. Rio de Janeiro: Ed. Senac 144 p. Araújo, Joel Zito. 2000. A negação do Brasil : o negro na telenovela brasileira. São Paulo : Senac, 323p. 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CITATIONS EN LANGUES ÉTRANGÈRES Chapitre I i “The remarquable feature of human evolution and history has been the very small degree of divergence between geographical populations, as compared with genetic variations among individuals.” (Lewontin cité par Bollafi et al., 2003, p.244). ii “That is, variety of a species that has developed distinguishing characteristics through isolation, but has not yet lost the ability to interbreed and to produce fertile hybrids with other subspecies of the same species.” (Van Den Berghe, 1994, p.266). iii “… such as skin colour, physiognomy and type of hair.” (Bollafi et al., 2003, p.243). iv “It proved notoriously difficult to demonstrate any systematic connection between phenotype and social practices or individual behaviour.” (Bollaffi et al., 2003, p.244). v “The vital element was the growing belief in biological, which represented perceived differences between groups of human beings as not merely innate, but also unchangeable.” (Bollaffi et al., 2003, p.243). vi “In any event, the dominant meaning attaching to the word race was that of descent.” (Banton, 1994, p.264). vii “ A label for a type of social group that defines itself and/or is defined by other groups as different because of innate and unchangeable physical differences.” (Levinson, 1994, p.195). viii “The circumstances under which individuals are ascribed, or ascribe themselves, to a membership of a ‘race’ (together with the varied and various consequences of such ascription) warrant explanation in terms of a theory of intergroup relations.” (Miles, 1994, p.270). ix “This process of social ascription should be analysed as an ideological and political process and, for that reason, it cannot employ everyday conceptions of ‘race’ and ‘race relations’ as either descriptive or analytical categories.” (Miles, 1994, p.270). x “The exact nature of race is not at issue.” (Cashmore et Troyna, 1994, p.271). xi “The point is, however, that people, rightly or wrongly, accept it as a reality and so act in accordance with their belief. This makes race subjectively real.” (Cashmore et Troyna, 1994, p.271) xii “This approach fully recognizes and endorses the hollowness of the concept of race itself, but, at the same time, insists that, in many situations, people believe in the existence of race and so organize their relationships with others on the basis of that belief.” (Cashmore et Troyna, 1994, p.270) xiii “The area of race and ethnic relations has many other terms with technical and popular meanings that do not always match; many more with meanings that mutate with changing times; still more that simply resist any single resonant meaning that hold goods for all contexts.”(Cashmore, 1994, p. XVI) 417 xiv “all include phenotypical differences among racial groups as a key component of the definition.” (Bolaffi, 2003, p.99) xv “ Ethnic identity refers to the reality and the process by which people identify themselves and are identified by others as members of a specific ethnic group.” (Levinson, 1994, p.73) xvi “ … a sharing of mutually recognizable symbols of ethnic identity.” (Levinson, 1994, p.75) xvii “ The major makers of ethnic identity are natural physical characteristics such as skin colour, hair textures, facial features, and body shape; created markers include clothing style, jewellery, hairstyle, and alterations to the body in the form of tattoos, scarification, and piercing. Additionally, some markers might be imposed on the group (…). A second primary marker is language, as different ethnic groups speak different native languages.” (Levinson, 1994, p.75) xviii “ (…) different historical processes create different race and ethnic categories” (Bolaffi, 2003, p.99) xix “If there are no meaningful theoretical differences in the process that create ethnic and racial groups, how can one explain the apparent failure of American racial groups to assimilate at the same rates enjoyed by European immigrant groups ?” (Bolaffi, 2003, p.100) xx “Race is not just another variety of ethnicity. Instead, ‘race is an autonomous field of social conflict, political organization and cultural/ideological meaning’.” (Omi et Winant cité par Bolaffi, 2003, p.100) xxi “…colonized or exterminated in genocidal wars with white Americans.” (Bolaffi, 2003, p.100) xxii “ The racial, rather than the ethnic, constructions of these groups distinguished them from white ethnics.” (Bolaffi, 2003, p.101) xxiii “… undervalue or ignore the ability of groups to shape their own identities.” (Bolaffi, 2003, p.102) xxiv “…ignores the similar forms that race and ethnic identity construction processes display in cross-national, comparative context.” (Bolaffi, 2003, p.102) xxv “Situational ethnicity refers to the common practice in multicultural societies of ethnic groups or individuals shifting, hiding or asserting their ethnic identity as a strategy for achieving some goal.” (Levinson, 1994, p.216) xxvi “...inexistência de distinções fortes entre categorias raciais, conforme indicado pela existência de uma miríade de termos raciais, cada qual referente a uma combinação fenotípica particular.” (Do Valle Silva, p.110) xxvii “ O quadro que emerge é, num certo sentido, familiar: a situação e o tipo de conversa afetam a terminologia de cor empregada; a terminologia de cor é altamente subjetiva; uma mesma pessoa pode ser definida de maneiras diferentes, seja em documentos oficiais (como a certidão de nascimento) ou na vida privada; uma forte preferência somática para o branco, embora nem sempre explícita.” (Do Valle Silva, 1999, p.115) xxviii “Mais importante, comparando-se as respostas aos dois quesitos, a maiorias das pessoas que se auto declararam inicialmente morenas se autoclassificou como parda na questão fechada.” (Do Valle Silva, 1999, p.114) xxix “… às vezes respondem eles mesmos às perguntas porque supõem saber a resposta correta ou porque não se sentem à vontade para perguntar sobre raça, ou apressam as entrevistas para oferecer respostas rápidas às perguntas que eles acham menos críticas.” (Telles, 2003, p. 113) 418 xxx “Logo, o censo brasileiro, na verdade, utiliza uma combinação de auto-classificação e classificação por teceiros no processo de coleta de dados sobre raça.” (Telles, 2003, p.114) xxxi “… a consequência desejada das políticas implementadas pelos colonisadores portugueses ou um mecanismo social que evoluiu, não-intencionalmente, à partir das limitações do processo inicial de colonização.” (Hasenbalg, 2005, p.246) xxxii “Ora, a noção nativa de ‘cor’ é falsa, pois só é possível conceber-se a cor como um fenômeno natural se supusermos que a aparência física e os traços fenotípicos são fatos objetivos, biológicos, e neutros com referência aos valores que orientam a nossa percepção. É desse modo que a ‘cor’, no Brasil, funciona como uma imagem figurada da raça.” (Guimarães, Antônio Sérgio Alfredo. 2005. Racismo e anti-racismo no Brasil, 2. 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Neste sentido, conserva a longa tradição formal republicana brasileira do a-racismo e do anti-racismo.” (Fry, 2005, p.303) xlii “ Aqui, após a Abolição, nunca houve barreiras institucionais a negros ou a qualquer outra etnia. (...) Mas à partir da década de 1950, certa sociologia foi abandonando este tipo de raciocínio para começar a dividir o Brasil entre brancos e não-brancos, um pulo para chegar aos que hoje dividem o Brasil entre brancos e negros, afirmando que negro é todo aquele não é branco” (Kamel, 2006, p.20) xliii “ O que a sociologia que dividiu o Brasil entre negros e brancos não percebe é que, ao fazer isso, chancelou a construção racista americana segundo a qual todo mundo que não é branco é negro” (Kamel, 2006, p.23-24) xliv “ Se nessa nova ordem o poder público deve ter suas estruturas modificadas para implantar políticas orientadas pela dimensão racial, a fim de reparar ou corrigir injustiças de uma ‘raça’ sobre a outra, aqueles que por uma fatalidade forem brancos, ainda que pobres e excluídos, serão os ‘negros de amanhã’ ” (Grin, 2006, p.57). 419 Chapitre II xlv “Independentemente da modalidade do registro, foi o olhar do esrtangeiro que nos enquadrou, ao mesmo tempo que educava nosso olhar, para que nóspudéssemos nos mirar nos espelhos da cultura importada de seus países de origem.” (Mauad, 2004, p.184) xlvi “A independência política consolidada, e reprimida as lutas internas geradas por ela, o Brasil possuía um perfil do qual ainda não tomara conhecimento.” (Reis, 2007, p.24) xlvii “…da aspiração de uma entidade que refletisse a nação brasileira que, não muito antes, conquistara a sua Independência.” (IHGB, 2007, p. 1) xlviii “Além de enfatizar a mescla de raças que singularizava o Brasil, embora privilegiando a raça branca, considera que o hsitoriador do Brasil deverá fazer uma história da unidade brasileira.” (Reis, 2007, p.27) xlix “...uma vez que para ele um estudo da diversidade e da variedade seriam inviáveis no caso do Brasil.” (Almeida, 2006 p.1) l “Sua adesão à Coroa era total, e a representava em diversos países da América Latina e da Europa.” (Reis, 2007, p.25) li “Os interesses mercantis, os métodos cruéis, a escravidão e os genocídios são dissimulados sob a capa da harmonia, da colaboração e do consentimento.” (Almeida, 2006, p.2) lii “A escravidão e a subordinação são o primeiro passo para a civilização das nações.” (Azeredo Coutinho cité par Varnhagen, 1854, p.XXI) liii “Fóra está do nosso animo a idea de que na historia geral da civilização do paiz não ha que attender e muito aos elementos da povoação india e africana.” (Varnhagen, 1854, p.XXVI) liv “Em resumo: os indios não eram os donos do Brazil, nem lhes é applicavel como selvagens o nome de Brazileiros.” (Varnhagen, 1854, p.XXVIII) lv “Sem liberdade individual, sem os gosos de família, sem esperanças de associar-se por si mesmo ou por seus filhos e netos à glória da pátria, que não fixa um século para a sua redempção social, não ha que esperar do homem mui nobres sentimentos.” (Varnhagen, 1854, p.93) lvi “(…) mesmo sendo um dos primeiros grandes defensores da colonização portuguesa, lamentava que ele tivesse tido de ser latifundiária e escravista.” (Reis, 2007, p. 56) lvii “...não podiam civilisar-se sem a presença da força, da qual não se abusou tanto quanto se assoalha.” (Varnhagen, 1854, p.XXVIII) lviii “Assim, a primeira ruptura e agressão entre os da terra e os futuros colonizadores não partiu destes, os quais foram vítimas da traição e a deixaram impune.” (Varnhagen cité par Reis, 2007, p. 38) lix “Na ideia de que certo desfavor, em que se julgavam, não provinha de suas côres, mas sim da falta de meritos para serem atendidos.” (Varnhagen, 1854, p.42) lx “Claro está que se o elemento europeo é o que essencialmente constitui a nacionalidade actual, e com mais razão (pela vinda de novos colonos da Europa) constituitá a futura, é com esse elemento christão e civilisador que principalmente devem andar abraçadas as antigas glórias da pátria, e por conseguinte a história nacional.” (Varnhagen, 1854, p.XXV) 420 lxi “Its very vagueness made it the perfect companion to the weak religious thought.” (Skidmore, 1993, p.4) lxii “With the coming of age of literary Romanticism, the Indian became the symbol of Brazilian national aspirations. He was transformed into a literary prototype having little connection with his actual role in Brazilian history. Like the Indian of James Fenimore Cooper, the Indian of Brazilian Romanticism was a sentimental literary symbol who offered no threat to the comfort of his readers.” (Skidmore, 1993, p.7) lxiii “ Ambos estiveram no Brasil e registraram em livros a lástima de um país cheio de negros e, pior ainda, mestiços de todas as cores.” (Schneider, 2006, p. 81) lxiv “Aqueles que põem em dúvida os efeitos perniciosos da mistura de raças, e são levados por falsa filantropia a romper todas a barreiras colocadas entre elas, deveriam vir ao Brasil.” (Agassiz cité Schneider, 2006, p.82) lxv “…serviu como uma espécie de fundamento filosofico para o desenvolvimento de uma argumentaçao cientifica sobre a desigualdade natural das raças.” (Schneider, 2006, p.80) lxvi “As faculdades de Medicina (no Rio de Janeiro e em Salvador) et de Direito (no Recife e em São Paulo), bem como os institutos históricos e geográficos e os museus de ethnografias, foram importantes centros de difusão de tais idéias no país.” (PNUD, 2005, p.33) lxvii “ … para criticar a monarquia, a escravidão, o catolicisme e tudo que se definia como o atraso do país.” (Schneider, 2006, p.82) lxviii “ … universalismo cientificista, e frequentemente racista, levou-a desconfiar do destino de um país marcado pela mescla entre raças e pela ampla presença dos negros.” (Schneider, 2006, p.82). lxix “Todo brasileiro é mestiço, senão no sangue nas idéias. Os operários deste fato inicial tem sido : o português, o negro, o índio, o meio físico e a imitação estrangeira.” (Romero, 1888, p.2) lxx “ … a micigenação não só não lhe pareceu degenerativa como teria sido benéfica ao país no passado, e assim seria no futuro, pois permitiu e permitiria a elevação das raças atrasadas.” (Schneider, 2006, p.82) lxxi “ positivism, evolutionism, and materialism were studied intensely.” (Skidmore, 1993, p.10) lxxii “One cannot understand the influence of Positivism in Brazil without remembering that it attracted followers of widely varying degrees of commitment.” (Skidmore, 1993, p.11) lxxiii “Positivism also had an appeal for those members of the elite who wanted economic development without social mobilization.” (Skidmore, 1993, p.13) lxxiv “… they saw that replacement of slave by free labor was inevitable and could even beneficial because free laborers would less expensive and more efficient than slaves.” (Skidmore, 1993, p.17) lxxv “O ideal de branqueamento, já presente no pensamento abolicionista, não só era uma racionalização ex-post do avançado estágio de mestiçagem racial da população do país como também refletia o pessimismo racial do fim do século XIX.” (Hasenbalg, 2005, p. 247) lxxvi “ Os princípios mais importantes da ideologia da democracia racial no Brasil e, consequentemente, a existência de oportunidades econômicas e sociais iguais para brancos e negros.” (Hasenbalg, 2005, p.251) lxxvii “ … o tema da raça à partir de uma visão rica e complexa do papel da cultura.” (Larreta, 2003, p.198) 421 lxxviii “… Destacava a importância de se reviver o passado em todas as suas cores e sabores, manifestando a sua impaciência com a historia politica e diplomatica.” (Rodríguez Larreta, 2003, p.202) lxxix “ O que ele produziu foi uma espécie de auto-antropologia da cultura da qual nasceu, a nordestino-brasileira. Como um romancista, nào se colocou fora do seu proprio seu objeto.” (Reis, 2007, p.52) lxxx “ No entanto, Casa Grande & Senzala é uma obra neovarnhageniana: é um reelogio da colonizaçao portuguesa, é uma justificativa da conquista e ocupaçao portuguesa do Brasil.” (Reis, 2007, p.55) lxxxi “ Freyre até supera Varnhagen nesse elogio.” (Reis, 2007, p.56) lxxxii “ Freyre é mais radical em seu apoio às opçoes pelo latifundio e pela escravidao porque ele aceitou e valorizou a presença negra no Brasil.” (Reis, 2007, p.56) lxxxiii “ The most active characteristic of the Brazilian social milieu today would seem to be precisely the reciprocity between the cultures, and not the domination of one by the other, to the point where the lower has little or nothing o offer, remaining, as in other countries where miscegenation exists, in a state of almost permanent tension or repression.” (Freyre, 1968, p.422) lxxxiv “a unica em vigor durante todo o periodo da monarquia” (Chalhoub, 2006, p.39) lxxxv “tudo bem à brasileira, para alcançar a exclusão racial sem jamais ousar chamar o nome da ‘cousa’ pelo que a ‘cousa’ tem.” (Chalhoub, 2006, p.41) lxxxvi “ How did the idea that Brazil was a racial democracy become the nation’s guiding myth for the better part of the twentieth century, especially in face of such visible racial inequalities ? The trick that allowed both Brazilians and foreigners to have accepted this idea lies in the way that the practice of eugenics submerged the management of racial hierarchy within social scientific language that deracialized and depoliticised the image of Brazilian society.” ( Davila, 2003, p.27). lxxxvii “ … schools were the front lines in the battle against ‘degeneracy’. ”(Davila, 2003, p.26) lxxxviii “ … In practice, this meant behavioral whitening : that is, discarding African and indigenous cultural practices.” (Davila : 27) lxxxix “ The wave of foreign immigration that flooded southern Brazil loosened the personal and generational connections to a distinctly Luso-Brazilian past.” (William, 2001, p.135) xc “ … to maintain vestiges of a past that was disappearing before their eyes.” (Williams, 2001, p.135) xci “ A postura do movimento negro nos anos 40 e 50 colidia de frente com o mainstream da intelectualidade brasileira, tanto na interpretaçao sociologica, quanto no plano ideologico. No plano sociologico, o pensamento negro pressupunha a existência de uma formaçao social, e nao apenas de classe; no plano ideologico, uma identidade ngra, e nao apenas mestiça, ainda que tal identidade negra devesse ser o âmago de uma identidade nacional brasileira.” (Guimarães, 2005, p.90) xcii “... o objetivo inicial desses estudos era o de oferecer ao mundo liçoes de civilizaçao à brasielira em matéria de cooperaçao entre raças.” (Maio, 2003, p.225) xciii “ Não existe democracia racial efetiva [no Brasil], onde o interc~mbio de indivíduos pertencentesa ‘raças’ distintas começa e termina no plano da tolerância convencionalizada. Esta pode satisfazer as exigências de ‘bom tom’, de um discutível ‘espírito cristão’ e da necessidade prática de ‘manter cada um em seu lugar.’ ” (Florestan Fernandes cité par Maio, 2003, p.228) 422 xciv “… ideologicamente mais proximos aos intelectuai negros ” (Guimarães, 2005, p.90) xcv “laboratório de civilização” (Maio, 2003, p.227-228) xcvi “No contexto dos protestos dos negros nos Estados Unidos, o governo militar do Brasil via no movimento negro uma ameaça de peso à segurança nacional. Para limitar ou evitar seu crescimento, os militares promoveram ainda mais a ideologia da democracia racial, enquanto reprimiam qualquer sinal do movimento negro e exilavam os principais acadêmicos brasileiros da área de relações raciais, que s etornavam cada vez mais críticos da ideologia da democracia racial.” (Telles, 2003, p.57) xcvii “Como construção ideológica, a ‘democracia racial’ não é um sistema disconexo de reprensentações; está profundamente entrosada numa matriz mais ampla de conservadorismo ideológico, em que a preservação da unidade nacional e a paz social são as preocupações principais.” (Hasenbalg, 2005, p.253) xcviii “Civil rights were in principle garanteed since the enactement of the first constitution in 1824. However, the constitution virually ignored slavery and did not bother to make it compatible with its legal framework.” (Avritzer, 2002, p. 90) xcix “human rights violations were part of the everyday administrative practices of the police since the formation of the Brazilian state.” (Avritzer, 2002, p. 90) c “… junto com todos os outros partidos e banido pelo Estado Novo num contexto de censura e repressao” (Nascimento et Nascimento, 2005, p. 17) ci “que estabeleceu disposições genéricas antidiscriminatórias, transformou o racismo em crime inafiançavel, protegeu a manifestação das culturas indígenas e afro-brasileiras.” (PNUD, 2005, p.14) cii “a Constituição brasileira de 1988 revolucionou as bases legais da defesa dos direitos humanos no país e também reconheceu os princípios de tolerância, do multiculturalismo e da dignidade individual.” (Telles, 2003, p.71) ciii “Antes de 1995, o campo dos direitos humanos no Brasil era operado sem levar em conta as especificidades da população negra. Estes direitos humanos tinham sentido apenas universalista e de caráter pessoal e individual.” (Cunha Jr., 2005, p.2) civ “nos útimos anos esse movimento agrega, aos antigos, novos ativistas de base que lutam contra a injustiça social em termos econômicos, sociais e culturais. ” (Telles, 2003, p.84) cv “Enquanto os relatórios anteriores observavam como a miscigenação havia diminuído o racismo na sociedade brasileira, aquele relatório aprensenta várias estatísticas sobre a desigualdade racial.” (Telles, 2003, p.85) cvi “ … o crescente protagonismo das mulheres negras…” (Carneiro, 2002, p.210) cvii “ …refletiu-se positivamente (…), desencadeando no governo brasileiro uma série de iniciativas e estratégias compreendidas como ações afirmativas.” (Ribeiro, 2007, p.97) cviii “As ações transversais anunciadas ficam então restritas a projetos minúsculos na abrangência social, de recursos reduzidos e de negociações longas e difíceis.” (Cunha Jr., 2005, p.9). cix “Propomos a realização de uma campanha nacional, junto às agências de publicidade, para que reconheçam e se conscientizem do seu papel fundamental na luta contra o racismo, através da colocação de peças publicitárias onde a diversidade racial brasileira seja sempre representada.” (Ramos, 2002, p. 157) 423 Chapitre III cx “a heuristic, ahistorical, and undated manner. » (Maia, 2007, p. 72) cxi “different publics come together to debate specific collective interest issues.” (Maia, 2007, p.74) cxii “a theoretical framework flexible enough as to encompass different modes of articulation of argumentation exchanges” (Maia, 2007, p.78) cxiii “news, reports, commentaries, talks, scenes, and images, and shows and movies, with an informative, polemical, educational, or entertaining content.” (Habermas, 2006, p. 415) cxiv “There are two types of actors without whom no political public sphere could be put to work: professionals of the media system — especially journalists who edit news, reports, and commentaries — and politicians who occupy the centre of the political system and are both the coauthors and addressees of public opinions.” (Habermas, 2006, p. 416) cxv “The personalization of politics is bolstered by the commodification of programs. Private radio and television stations, which operate under the budget constraints of extensive advertising, are pioneering in this field.” (Habermas, 2006, p. 423) cxvi “ Traditional economic theory assumes that consumers are the most important decision makers in the economy, controlling what and how much is produced as manufacturers of goods respond to consumers’ needs” (Leiss, Kleine et Jhally, 1986, p.17). cxvii “… promoting conditions where a few manufacturers have an unhealthy oligopolistic control of prices and supplies of goods.” (Leiss, Kleine et Jhally, 1986, p.14) cxviii « bizarre, frivolous, or even immoral. » (Galbraith cité par Leiss, Kleine et Jhally, 1986, p.17) cxix “ … is not overturning the whole economic system, but modifying it so that the rewards that capitalism can produce are more equitably distributed.” (Leiss, Kleine et Jhally, 1986, p.17) cxx “ …em decorrência dos avanços teconlógicos nos ramos das comunicações e das telecomunicações, do intenso processo de concentração e monopolização do setor nas últimas décadas e da criminosa desregulamentação do mercado que a deixou livre de qualquer controle público.” ( Borges, 2007, p.1) cxxi “... uma importante transformação [do sistema de mídia], com processos de desregulamentação, privatização, re-posicionamento do Estado, constituição de novas formas e novas instâncias de regulação e internacionalização da concorrência.” (Bolaño, 2003, p.1) cxxii “ O resultado foi uma histórica concentração dans ce secteur stratégique, impedindo a pluralidade e a diversidade de opinião.” (Borges, 2007, p. 4) cxxiii “ … e foi impulsionada pela ausência na legislação de quaquer norma proibindo a propriedade cruzada — a posse de inúmeros veículos em diversos setores (jornais, rádio, televisão).” (Borges, 2007, p.4) cxxiv “ En 1959, já era o maior império da mídia na América Latina, com 40 jornais e revistas, mais de 20 estações de rádio, uma dezena de emissoras de televisão, uma agência de notícias e uma empresa de propaganda.” (Borges, 2007, p. 4) 424 cxxv “ … a importância crescente da produção de conteúdos, da diversidade cultural e da problemática espacial, sistematiquemente esquecidas no quadro regulamentar brasileiro.” (Bolaño, 2003, p. 32) cxxvi “ Trata-se de um modelo nacionalista e concentracionista que, ao mesmo tempo em que protege os capitais instalados da concorrência externa, limita a manifestação das expressões locais e o desenvolvimento de um panorama audiovisual diversificado, servindo basicamente aos interesses políticos e econômicos hegemônicos que se articulam no seu interior.” (Bolaño, 2003, p.35) cxxvii “... um sistema comercial privado de rádio e televisão, com base num modelo de concessões públicas — para 10 e 15 anos respectivamente, renováveis por períodos indênticos e sucessivos.” (Bolaño, 2003, p.33) cxxviii “ … qualquer possibilidade de participação de estrangeiros na propriedade ou na direção de empresas de comunicação no país.” (Bolaño, 2003, p.33) cxxix “... cerca de 40 % de todas as concessões feitas até o final de 1993 estavam nas mãos de prefeitos, governadores e ex-parlamentares ou seus parentes e sócios.” (Bolaño, 2003, p.36) cxxx “... a não renovação da concessão exige a aprovação de, no mínimo, dois quintos dos deputados e senadores.” (Bolaño, 2003, p.36) cxxxi “ Além da concentração, a mídia brasileira passa por um periogoso processo de internacionalização.” (Borges, 2007, p.4) cxxxii “ … o capital estrangeiro foi autorizado à adquirir até 30 % das ações das empresas jornalísticas e de radiodifusão.” (Borges, 2007, p.4) cxxxiii “ … sistema de mídia não é estático...” (Azevedo, 2006, p.109) cxxxiv “ … volume de negócios publicitários não é proporcional e nem tão significativo quanto o registrado na economia nacional.” cxxxv “ … national and regional television systems are just as important, if not more important, than global systems, and that the state matters because it plays a significant role in shapping national television systems.” (Straubhaar, 2001, p.133-134) cxxxvi “ TV Globo, in particular, increased national production considerably, because it had discovered that audiences, and consequently advertisers as well, preferred national produced musicals, comedies, telenovelas over all but a few imported programs.” (Straubhaar, 2001, p. 141) cxxxvii “ O fato e as pesquisas revelam que a televisão vai, rápida ou vagarosamente, em função das reações que desencadeia, contruindo um conceito avassalador — massificação, pois não existiu até agora nenhum outro agente de divulgação capaz de atingir, dentro de um país de dimensões continentais como o nosso, 50 ou 60 milhões de pessoas ao mesmo tempo e nas mesmas condições ambientais: lazer pleno de pessoas sentadas, juntas (...), com uma qualidade de produção que agrada a todos e que por todo este entretenimento (ou vicio ?) ninguém tem nada a pagar.” (Leite, 1990, p.248) cxxxviii “ … foram acompanhadas por políticas comerciais e de marketing agressivas que transformaram conceitualmente os jornais em prestadores de serviço et os antigos leitores em consumidores.” (Azevedo, 2006, p.105) cxxxix “... there is divergence among broadcasters over whether to broadcast an ethic ideal that appeals to the more affluent consumer classes, largely European in ethnicity, or whether to appeal to the larger television audience, which is around half Afro-brazilian.” (Straubhaar, 2001, p. 151). 425 cxl “These genres address working and lower classes’ sense of identity or cultural capital by using participants who are ethnically more representative of the diversity of the Brazilian audience.” (Straubhaar, 2001, p.151) Chapitre IV cxli “… the close interconnections among advertising, the goods-producing sector, and media.” (Leiss et al., op. cit., 1986, p. 122) cxlii » “… funda a nossa dinastia dos classificados. É nesse formato (...) que se alugam, compram e vende cas, carruagem ou escravo, que se oferecem produto, professor ou padre.” (Ramos, 1990, p.1) cxliii “Dentro deste clima, tão interessado quanto pitoresco, avulta o quadro da nossa escravidão. Apregoando os traços, as características e virtudes dos negros ou negras à venda. Mostrando as vantagens das escolas para crianças, onde meninos e meninas de 8 a 10 anos aprendiam ofícios, para depois serem alugados. Prinicpalmente descrevendo os foragidos, oferecendo pelos procurados altas recompensas. Há classificados vergonhosos, como o de ingressos para ver uma negrinha monstro, com menos de 7 anos e um peso acima de 9 arrobas, ou os propõem raparigas de boa figura, sem vícios, jovens amas-de-leite recém-paridas, vendas e compras a granel ou por atacado. Há outros, poucos, que chegam a ser simpáticos. Será o caso do amoroso senhor pernambucano, atrás da escrava fugida, que ao descrevê-la se inflama, gasta dinheiro em pormenores avulsos, para concluir: e tem un olhos tristes.” (Ramos, 1990, p.2). cxliv “channels thourgh which information and interpersonal contact can flow and mix, biding together an otherwise disperse and disparate population.” (Leiss, Kline et Jhally., 1986, p. 69) cxlv “ putting power and authority at the service de particular groupes for particular purposes.” (Leiss, Kline et Jhally, 1986, p. 69) cxlvi “Rapidamente, os artigos se multiplicam, os serviços também.” (Ramos, 1990, p. 1) cxlvii “ É o momento em que surgem os cafés, as livrarias, em que proliferam os pasquins.” (Ramos, 1990, p. 2) cxlviii “ O comércio se alarga, variado, heterogêneo, a publicidade mercurial da conta de vasos para jardins, urinóis em todos os tamanhos, copiadores de música, ou colchões de clina vegetal e oraçoes contra a peste.” (Ramos, 1990, p. 2) cxlix “ anúncios em francês pedem um senhora para cuidar de um cego ou um homem ativo, que fale português, para feitor de uma plantaçao de café perto da cidade” (Ramos, 1990, p.2) cl “ Anuncio em inglês, publicados no Rio e no Recife, têm corte mais científico: oferecem os talentos de cirurgiões-dentistas, vindos da Europa, divulgam pos importados para limpar dentes.” (Ramos, 1990, p. 2) cli “ De um lado, o refinamento francês; do outro, o tecnicismo american° Um elegante, outro pragmatico. O que fazemos ? Traduzimos, adaptamos, convivemos com os dois.” (Ramos, 1990, p. 3) clii “ O publico, na maioria analfabeto ou semi-analfabetizado, encontrava nas rimas a indispensavel ajuda mnemônica para melhor guardar temas e anuncios (era o que os anunciantes desejavam, por isso buscavam os poetas).” (Ramos, 1990, p. 3) 426 cliii “ Ao que tudo indica, os poetas foram nossos primeiros free-lancers de redação.” ( Ramos, 1990, p 3) cliv “... que vai se ampliando ao ganhar a rua, o cliente, afinal adquirir contornos mais nítidos com o surgimento das revistas.” (Ramos, 1990, p. 4) clv “ os cuidados passariam a ser direcionados para "melhorar os sãos", impondo à população em geral, através da educação higiênica, todo um imaginário do ideário burguês de civilidade baseado em características tais como ordem, limpeza, disciplina, autoridade, propriedade privada, etc.” (Dos Santos et Palhares Sá, 2000, p.1) clvi “ The experience with media changes the practice of advertising. In magasines photography and art allow for innovations in the associational dimension of argumentation.” (Leiss, Kline et Jhally, 1986, p. 124) clvii “ Preso às ilustrações por necessidade, o leitor do almanaque, por não saber ler (no sentido de simples decodificação do manifesto), por ler pouco, ou mesmo pela rapidez da leitura que realiza, fixa sobretudo as imagens, os signos icônicos aí presentes. Por isso, na publicidade há pouca palavras e muitas imagens.” (Casa Nova, 1996, p.81) clviii “ Como desenhos escolares, essas ilustrações deixam aparecer sem equívocos aquilo que representam e, assim, aproximam-se do texto, alfabetizando, ensinando por meio de imagens.”, (Casa Nova, 1996, p. 81) clix “... fase inicial da publicidade técnica.” (Albuquerque, 1991, p.168) clx “ Quando a qualidade de reprodução dos jornais tornou possível a utilização, ainda que precária, da fotografia, as agências se valiam de fotografias importadas, escolhidas em catálogos com modelos americanos.” (Albuquerque, 1990, p.168) clxi “A fotografia publicitária era praticamente limitada a fotos de objetos e produtos, porque os brasileiros se constrangiam em posar como modelos.” (Albuquerque, 1990, p.168) clxii “ pessoas da sociedade” (Albuquerque, 2006, p.169) clxiii “ Modelos eram recrutados entre amigos, parentes e até mesmo pessoas colhidas na ruas, como ainda hoje é feito entre indivíduos de um bom nível.” (Albuquerque, 2006, p. 169) clxiv “ passaram a se interessar pela fotografia, atuando como modelos ou como produtoras diletantes.” (Albuquerque, 2006, p.169) clxv “... tinha que reproduzir fielmente a ilustração proposta no layout. O fotógrafo ficava, assim, aprisionado ao esquema imaginado pelo diretor de arte.” (Albuquerque, 2006, p.169) clxvi “... precisamos nos libertar da prisão do layout, precisamos nos libertar da sujeição aos cânones internationais e nos voltarmos para a valorização da nossa cultura, para realizarmos um trabalho novo e autêntico” (Albuquerque, 2006, p. 169) clxvii “ Sorvetinho, sorvetão/ sorvetinho de limão/ quem não tem 200 réis/ não toma sorvete não.” (Simões, 1990, p.172) clxviii “... simplesmente com os nomes das firmas citados na abertura e no encerramento dos períodos de irradiação.” (Simões, 1990, p.173) clxix “... contribuindo não só que os spots e jingles se realçassem na paisagem da propaganda como igualmente para que os anunciantes disputassem o patrocínio dos programas mais significativos e as agências se empenhassem em criá-los.” (Simões, 1990, p.182) 427 clxx “ rádio com imagens, programação ‘ao vivo’, com a seleção natural de pôr no ar o que era sucesso no rádio.” (Leite, 1990, p. 242) clxxi “.... e deixou jornalistas, intelectuais e publicitários impressionados com o fenômen°” (Araújo, 2000, p. 86) clxxii “Os estudos indicam que já havia alguma receptividade a uma forma grosseira de consumismo modesto, consumismo que será a grande alavanca de vendas do novo e fascinante veículo.” (Leite, 1990, p.244) clxxiii “ Assim como na soap opera norte americana, a telenovela brasileira se desenvolveu sob a égide das fábricas de sabonete e dentifrício.” (Araújo, 2000, p.83) clxxiv “En termos publicitários, o rádio perdeu o duelo para a televisão, vendo as verbas minguarem.” (Simões, 1990, p.194) clxxv “... cuidaram de preparar o pessoal, de mandar gente para os Estados Unidos e, mais importante, ‘abrir’ a cabeça de redatores e artistas, da criação da época.” (Leite, 1990, p.243) “... cuidaram de preparar o pessoal, de mandar gente para os Estados Unidos e, mais importante, ‘abrir’ a cabeça de redatores e artistas, da criação da época.” (Leite, 1990, p.243) clxxvi “... constatava a presença negra só em 3 % dos comerciais de tevê” (Araújo, 2000, p.67) clxxvii “Quando estamos numa fase em que marcas se posicionam por perfis psicográficos...” (Grottera, 1997, p.16) clxxviii “... fica claro que a mistura de medo de enfrentar a realidade do mercado somada à percepção de falta de glamour que o segmento negro tem, geram posições tímidas e sem perspectiva de negócios.” (Grottera, 1997, p.16-17) clxxix “A publicidade aracajuana pensa que o negro não passa o conceito de refinamento, não é capaz de apresentar um produto sofisticado ja que ele é modelo de negatividade.” (Marina, 2007, p.12) clxxx “O mercado publicitario transfere a culpa para o consumidor, que, segundo ele, não gosta de ver o afrodescendente na midia, mas ele mesmo não tem como se esquivar e se inocentar do fato de não ousar mudar, criar um outro publico.” (Marina, 2007, p. 2) clxxxi “Não são raros os casos em que uma matéria de denúncia de racismo pode vir imediatamente acompanhada pour uma publicidade que cria stereótipos ou simplesmente ignora esses grupos.” (Ferreira, 2004, p.22) clxxxii “... pouca capacidade de percepção do comunicador para o próprio objeto da sua comunicação. Isto implicaria em afirmar que o comunicador não sabe o porque faz, mas somente como faz.” (Ferreira, 2004, p.24) clxxxiii “... de modo geral, a tendência recente tem sido a de levar os negros a abandonarem a posição de criados sorridentes e humildes em troca de posições de maior prestígio ou, simplesmente, de ‘modelos’.” (Fry, 2005, p.255) clxxxiv “.... o aumento da participação dos negros na publicidade ocorre en relação a bens e services destinados diretamente a melhorar a aparência de pessoas de cor.” (Fry, 2005, p.259) clxxxv “... na verdade, eles criam uma necessidade e, ao fazê-lo, disseminam sub-repticiamente uma ‘identidade negra’ em todo o Brasil.” (Fry, 2005, p. 262) clxxxvi “ uma especificidade estética” (Fry, 2005, p.264) 428 clxxxvii “... pelos membros mais brancos da população” (Fry, 2005, p.269) clxxxviii “... que, por si só, nada tem a ver com ‘forças de mercado’ ” (Fry, 2005, p.258) clxxxix “Os redatores de textos publicitários são treinados nas melhores universidades, onde o racismo é discutido e condenado.” (Fry, 2005, p.258) Chapitre V cxc “ … o registro, junto às secretarias estaduais de Segurança Pública, do nome, nacionalidade e residência de todos os diretores, redatores, empregrados e operários ( ?) (sic !) de empresas de publicidade” (Simões, 1990, p. 27) cxci “... todos os países participantes à adaptarem os princípios expostos naquele estudo às suas realidades nacionais.” (Corrêa, 1990, p.45) cxcii “ … um mecanismo eficaz de aprimoramento da atividade e correção de excessos indesejáveis.” (Schneider, p. 11) cxciii “... como base vitoriosa a experiência do British Code, mais ainda com mais amplitude que seu inspirador.” (Corrêa, 1990, p.46) cxciv “ Dizem alguns que o código é mera transcrição do modelo inglês de auto-regulamentação, mas isso é maldade que teve origem na gozação que faziam com Geraldo Alonso e Cícero Leuenroth, que tinham fixação pela publicidade ingles e pelos carros Jaguar.” (Ramos, 2005, p.48) cxcv “ (...) Alguns pontos foram inspirados nos preceitos europeus e em regras consuetudinárias de ética cultivadas nos Estados Unidos. Mas a essência é brasileira, temperadas com os usos e costumes do meio publitário do Brasil.” (Ramos, 2005, p.48) cxcvi “... a verdade é que aquele se destinava apenas à publicidade impressa e era muito sintético, ao contrário do nosso, que é completo e se destina a todas as mídias.” (Corrêa, 2005, p.37) cxcvii “ com aberta hostilidade” (Salles, 2005, p. 33) cxcviii “.... o meio publicitário de São Paulo...” (Salles, 2005, p. 33) cxcix “... pouco tempo depois” (Salles, 2005, p. 33) cc “ Na IAA, da qual fui presidente mundial, entrei em contato com um projeto de regulamentação publicitária organizado em conjunto com as câmaras de comércio internacionais, entre elas a da Inglaterra. Com base nesse modelo, redigi uma primeira minuta de auto-regulamentação, adaptada à realidade brasileira.” (Salles, 2005, p.33) cci “... deixava, poucos meses depois, sua condição de publicitário para assumir a direção geral dos Diários e Emissoras Associados.” (Domingues, p.39-40) ccii “trabalho democrático e transparente” (Piratininga, 2005, p. 27) cciii “... o início do trabalho e uma pilha de meio metro que compreendia as diversos códigos estrangeiros que vinham sendo consultados...” (Domingues, 1990, p. 40) cciv “... eu trabalhara, ininterruptamente, por cerca de 26 horas, mas me sentia profundamente aliviado: o trabalho estava pronto, melhor dizendo, quase pronto...” (Domingues, 1990, p.40) 429 ccv “... extenso trabalho de re-redação, foi evitada a referência a vetos, sanções e punições, salientando-se, mais uma vez, o caráter de auto-disciplina que prevalece em todo o trabalho. Não se impõem vetos: fazem-se recomendações; tomam-se medidas e providências, mas não se anunciam punições e sanções — em perfeita consonância com o espírito voluntário, de auto-regulamentação, que preside todo o trabalho.” (Domingues, 2005, p.31) ccvi “ O Conar nasceu de uma ameaça” (Schneider, 2005, p. 9) ccvii “ Diante dessa ameaça, a resposta inspirada do setor: a auto-regulamentação, sintetizada num código seolenemente intronizado em 1978 com a função de zelar pela liberdade da expressão comercial e defender os interesses das partes envolvidas no mercado publicitário, inclusive os do consumidor.” (Schneider, 2005, p. 9) ccviii “... lutou pela divulgação dos princípios estabelecidos, chancelou diversas conciliações entre concorrentes et procedeu a inúmeros julgamentos baseados na letra e no espírito do Código.” (Corrêa, 1990, p. 46) ccix “ sentia-se, porém, falta de uma estrutura autónoma, da organização de uma entidade acima das disputas econômicas do mercado, independente por definição, enfim, dotada de personalidade jurídica distinta da dos outros personagens do mundo publicitário.” (Corrêa, 1990, p.46) ccx “... mas havia represálias sérias no caso de transgressão dos critérios das autoridades, critérios que niguém sabia exatamente quais eram” (De Piratininga, 2005, p.28) ccxi “... um homem ligado ao ramo da publicidade e da mídia” (Furquim, 2005, p.42) ccxii “... ainda que talvez pensasse numa entidade mista com alguma presença do govern°” (Furquim, 2005, p.42) ccxiii “ O ministro desejava criar un Código Oficial, um organismo que fosse o regulamentador das relações entre os vários segmentos da propaganda e a sociedade. Seria também um primeiro passo pra se criar uma legislação em defesa do consumidor.” (Corrêa, 1990, p.47) ccxiv “A Commissão de Auto-regulamentação (...) estava ainda na fase de ‘aprendizado’, e a falta de uma estrutura profissional, abaixo da diretoria, fazia com que a antiga CONAR não funcionasse a pleno vapor.” (Corrêa, 1990, p.47) ccxv “ … João Luiz foi portador de um recado do dr. Roberto: sugeria que não aceitássemos a proposta do representante do MIC, pois apesar das aparências era um perigo, porque abria uma fresta na porta para a introdução da censura governamental.” (Corrêa, 1990, p.48) ccxvi “ … se prontificou a bancar as depesas durante pelo menos seis meses, atê que a nova entidade implantasse um mecanismo de custeio a ser rateado entre agência, anunciantes e veículos.” (Corrêa, 2005, p.38) ccxvii “ Pessoalmente, tanto como o excesso de poder estatal me preocupava o possível excesso de uma organização como a Globo. Mas essa não era uma preocupação dos demais, e assim fomos em frente...” (Furquim, 2005, p.42) ccxviii “A propósito, é preciso um registro especial sobre a posição de Dionísio Poli na formulação da doutrina que sustentou a atuação do CONAR como entidade aplicadora e fiscalizadora do código.” (Corrêa, 1990, p.51) ccxix “... um dos diretores da Rede Globo na época” (Corrêa, 1990, p.51) 430 ccxx “... o grande catalisador dos seus companheiros, exectuivos e empresários, da Rede Globo e das demais emissoras de TV e Rádio, para que apoiassem moral e materialmente o CONAR.” (Corrêa, 1990, p.51) ccxxi “... como também merecia o apoio de s. exa. o president Geisel, de quem partira a autorização para que o discurso de abertura do II Encontro Brasileiro de Mídia fosse feito em nome do govern°” (Salles cité par Domingues, 1990, p.41) ccxxii “ É importante salientar que foi junto às próprias autoridades do governo que as lideranças publicitárias encontraram o maior apoio ao trabalho que estamos realizando. Estas manifestações, algumas delas feitas ao público, demonstraram um amadurecimento das autoridades brasileiras para o problema” (Salles cité par Domingues, 1990, p.41). ccxxiii “ … da ansiedade da comunidade publicitária, que desejava um estatuto que regulasse a propaganda, mas tinha receio de receber um texto imposto pelo govern°” (Corrêa, 1990, p.46) ccxxiv “ Como a divulgação pode ser nociva, pelo fato de o povo acreditar no que se propaga, a missão dos interessados precisa ser moralmente analisada. Os que divulgam conhecem mais o que se publica do que os leitore e ouvintes.” (Pontes Miranda cité par Corrêa, 1990, p.48) ccxxv “ Meu pai se queixava particularmente do que chamava de ‘bobagens” dos censores, em geral pessoas destituídas de critérios técnicos que lhe permitissem avaliar a qualidade de uma peça publicitária” (Alonso Filho, 2005, p.29) ccxxvi “ Quando o litígio ia para o judiciário, havia perda de tempo, desgastes inúteis, comprometimento do conceito da própria atividade. Em geral, os juízes nada entendiam sobre o assunto e proferiam sentenças lastimáveis.” (Ramos, 2005, p.4) ccxxvii (“... que pertencem à auto-análise dos publicitários.” (Pontes Miranda cité par Corrêa, 1990, p.48) ccxxviii “... que não se exercia apenas no campo dos costumes, como podem imaginar alguns, mas principalmente no terreno político” (Alonso Filho, 2005, p. 29) ccxxix “ Ainda assim, os anúncios nos jornais e revistas e os comerciais na televisão pintam, com o alto astral peculiar à publicidade, um quadro ameno da vida brasileira.” (Schneider, 2005, p.15) ccxxx “... é uma associação ética, uma sociedade civil sem fins lucrativos devidamente constituída, voltada para a aplicação das normas regulamentadoras do universo das comunicações.” (Oliveira Paulino, 1999, p. 15) ccxxxi “... zelar pela credibilidade e valorização das próprias atividades do setor econômico publicitário e oferecer um canal de acesso à defesa do consumidor.” (Oliveira Paulino, 1999, p.15) ccxxxii “... é visto como exemplar por especialistas como o pesquisador e professor de Negócios Internacionais J.J Boddewyn, do Baruch College da Universidade de Nova Iorque, consultor da International Advertising Association (IAA), autor de vários trabalhos sobre o assunto...” (Schneider, 2005, p.22) ccxxxiii “ O modelo do Brasil é provavelmente o mais desenvolvido sistema de auto-regulamentação encontrado em países em desenvolvimento e até sobrepuja alguns do primeiro mundo.” (Boddewyn cité par Schneider, 2005, p.22) ccxxxiv “Em razão de algum deslize ético cometido no anúncio, metade das intervenções da instituição resultou em correção ou na sustação da sua veiculação.” (Leifert, 2005, p.11) 431 ccxxxv “O CONAR preenche todos os doze quesitos, alçando-se portanto, ao patamar das mais desenvolvidas instituições congêneres do mundo e ultrapassando laguns dos países de economia avançada, como Alemanha, França e Itália.” (Schneider, 2005, p. 22) ccxxxvi “Mas, provavelmente, nossa contribuiçãos mais expressiva, ao longo de todo esse período, foi na luta pela definição adequada do status da Assembléia Constituinte e nos debates pelo Código de Defesa do Consumidor. A Constituição de 1988 havia banido a censura prévia, inclusive na comunicação publicitária, e reservado apenas à União legislar sobre propaganda comercial, mas previu, nas disposições transitórias, a criação, em determinado prazo, do Código de Defesa do Consumidor. O movimento dos consumidores era muito ativo e influente e abrigava correntes que faziam da publicidade um de seus alvos preferidos, pelo que pudesse abrigar de conteúdo abusivo e enganoso.” (Narchi, 2005, p.50) ccxxxvii “... numa demonstração do prestígio conquistado por ele em poucos anos de existência” (Narchi, 2005, p.50) ccxxxviii “ Ora, isso tornaria inexequível a publicidade tal como é feita em todo o mundo” (Narchi, 2005, p.50) ccxxxix “ Qual peça publicitária poderia cumprir todas essas exigências em poucos segundos de duração de um comercial para TV ou spot radiofônico ?” (Narchi, 2005, p.50) ccxl “…um profundo desconhecimento técnico sobre os fundamentos da atitvidade, vista com alta dose de preconceito e desconfiança.” (Narchi, 2005, p.50) ccxli “... as limitações que ele julgue adequadas, procurando antecipar-se às frequentes tentativas, algumas de boa-fé, outars demagógicas, de proibir totalmente a publicidade de determinados produtos.” (Narchi, 2005, p.51) ccxlii “Com o advento do Código Brasileiro de Defesa do Consumidor surgiu certo desacordo na doutrina com relação à espécie de sistema de controle adotado no Brasil.” (Breviglieri, 2005, p.45) ccxliii “... estão amparados pelo CDC não só o consumidor em potencial, ou seja, aquele que pode vir a adquirir ou utilisar produto ou serviço como destinatário final, mas todas as pessoas expostas às práticas comerciais” (Breviglieri, 2005, p.46) ccxliv “... que se caracterisa pela indeterminação e amplitude.” (Breviglieri, 2005, p.46) ccxlv “... um sistema estatal de controle da publicidade composto pela atuação do Poder Executivo, e do Poder Judiciário” (Breviglieri, 2005, p.46) ccxlvi “... é um órgão cuja existência não tem qualquer previsão legal” (Zanoni, 2007, p.1) ccxlvii “... não é uma autarquia sob regime especial...” (Zanoni, 2007, p.1) ccxlviii “... um órgão não-governamental sem poder normativo legítimo” (Zanoni, 2007, p.1) ccxlix “... a regulação da publicidade do país não é mista, o que contraria a visão de determinados doutrinadores.” (Zanoni, 2007, p.2) ccl “... A insegurança jurídica que caracteriza as decisões do CONAR, por este não ter da previsão legal e, dessa forma, não estar enquadrado como uma agência reguladora possibilita que o interesse privado se sobreponha ao interesse público” (Zanoni, 2007, p. 3-4) ccli “ Passados mais de 20 anos do fim do governo militar, em plena vigência do Estado Democrático de Direito, o Conar (...) mantém o discurso de repúdio a qualquer iniciativa de controle público da atividade publicitária.” (Henriques et Junior, 2007, p.1) 432 cclii “A influência corporativista é observada principalmente em julgamentos que dizem respeito a questões subjetivas e relativas a valores. Na maioria desses casos, os dispositivos do Código são interpretados de acordo com a ética do mercado, que não é, necessariamente, a mesma da sociedade e nem sempre leva em conta os direitos dos consumidores. Quando interesses comerciais do setor estão em jogo, a decisão quase sempre pende para o lado dos publicitários. Os posicionamentos recentes do Conar evidenciam esse viés.” (Henriques et Junior, 2007, p.2) ccliii “Nesses vinte anos, sob a gestão de quatro presidentes diferentes, enfrentamos no CONAR o inconformismo de anunciantes contrariados, alguns poderosos, outros nem tanto, mas igualmente aguerridos.” (Narchi, 2005, p.49) ccliv “Ainda hoje há quem critique o CONAR por defender o direito de anunciar, dentro de normas devidamente estabelecidas, produtos, como fumo, bebidas alcoólicas, medicamentos e defensivos agrícolas.” (Narchi, 2005, p.50-51) cclv “... O fato é que a ética e a boa técnica publicitária determinam claramente como produzir e veicular propaganda de um produto que por algum razão possa afetar um consumidor.” (Narchi, 2005, p.51) cclvi “... o estrago que está fazendo na nossa profissão a onda do politicamente correto.” (Lindenberg, 2006, p.8) cclvii “...um comercial da Skol foi tirado do ar, entre outros motivos, por exibir uma moça ‘fora dos padrões de beleza’, o que foi julgado discriminatório” (Lindenberg, 2006, p.8) cclviii “Ôps, logo vamos ter que transformar tribufus em beldades, não porque a idéia do filme pede, mas porque algumas pessoas do negócio exigem.” (Lindenberg, 2006, p.8) cclix “O Conar decidiu suspender um filme de cerveja da Skol, em que basicamente um homem punha a mão na bunda (sic) de uma garota linda e se recusava a fazer o mesmo na de uma baranga (sic) (o filme é imensamente melhor do que este resumo). A alegação ? O filme incitaria o preconceito contra as mulheres feias” (Clube da Criação de São Paulo, 2006, p.31) cclx “Será que não tá havendo um exagero, não ? Com todo respeito, será que não está faltando bom-senso nos julgamentos ?” (Clube da Criação de São Paulo, 2006, p.31) cclxi “… desde já o apoio de judeus sovinas, baianos folgados, japoneses navalhas, portugueses e loiras burras contra essa praga (sic) do politicamente correto.” (Clube da Criação de São Paulo, 2006, p.31) cclxii “Nem super-herói, nem ‘paladino da moral e dos bons costumes’, o Conar apenas reflete a sociedade brasileira.” (De Piratininga, 2006, p.21) cclxiii “Explico: não é o Conar quem delibera sobras as representações éticas; é o seu Conselho de Ética, formado por 140 representantes indicados pelas entidades de anunciantes, de consumidores e de profissionais de criação — estes em uma robusta representação.” (De Piratininga, 2006, p.21) cclxiv “... criar em cada uma de suas seis câmaras um microcosmo do mercado e da sociedade.” (De Piratininga, 2006, p.21) cclxv “... homens e mulheres de todas as faixas etárias, profissionais de publicidade ou não, exercitam a cada sessão de julgamento o contraditório.” (De Piratininga, 2006, p. 21) cclxvi p.8) “mais ameaçado pelo ‘fogo amigo’ do que pela artilharia do inimigo” (Lindenberg, 2006, 433 cclxvii “tudo o que nao precisamos é de super-herois. Afinal, nao somos nem crianças nem viloes” (Lindenberg, 2006, p.8) cclxviii “Podemos até ponderar que há exageros flagrantes, como se fosse uma espécie de vingança de pontos de vista longamente silenciados. Exageros, portanto, são tão compreensíveis quanto inevitáveis.” (De Piratininga, 2006, p.21) cclxix “... que a nossa atividade vem sendo assediada pela opinião pública e, principalmente, pelo Poder Legislativo, que com seu apetite legiferante tem mais de 200 projetos de lei em tramitação no Congresso Nacional para restringir a propaganda.” (Lindenberg, 2006, p.8) cclxx “Também não gosto de tudo o que é ‘politicamente correto’, mas me sinto aliviado pelo fato de que esse controle sobre o que criamos seja exercido pela sociedade e não por um regime totalitário ou por alguma mente que se considera iluminada.” (De Piratininga, 2006, p.21) Chapitre VI cclxxi “Nenhum anúncio deve favorecer ou estimular qualquer espécie de ofensa ou discriminação religiosa ou de nacionalidade” (CONAR, sect. 1, art. 20) cclxxii “ …has rarely been collected for research purposes. Before using them, social researchers need to have a good idea as to how bureaucracies work as data producing machines.” (Gomm, 2004, p.139) cclxxiii “... rápido e inimigo do excesso de formalismo” (Schneider, 2005, p.9) cclxxiv “... impedir que a publicidade enganosa ou abusiva cause constrangimento ao consumidor ou a empresas” (CONAR, 2007) cclxxv “... as entidades fundadoras (ABA, ABAP, ANER, ANJ e CO) têm sua grande representação, renovando (ou confirmando) seus delegados a cada dois anos” (Schneider, 2005, p.66) cclxxvi “... linhas institucionais e programáticas à cargo da diretoria estatutária” (Schneider, 2005, p.66) cclxxvii “... o respeito aos princípios éticos e à auto-regulamentação.” (CONAR, 2002, art.40, par. 6) cclxxviii “... em face da natureza de suas atribuições” (CONAR, 2002, sect. 8, art. 49 ) cclxxix “... abster-se de comentários e ou manifestations públicas a respeito de atos ou fatos relativos a processo en andamento.” (CONAR, 2002, sect. 8, art. 49 ) cclxxx “... preposto ou defensor de parte envolvida em representação” (CONAR, 2002, sect.3, art. 28) cclxxxi “... constituem procedimentos administrativos que, além de assegurarem amplo direito de defesa, serão orientados pelos critérios da simplicidade, economia processual e celeridade.” (CONAR, 2002, art. 13) cclxxxii “Nenhum anúncio deve favorecer ou estimular qualquer espécie de ofensa ou discriminação racial, social, política, religiosa ou de nacionalidade.” (CONAR, 1980, art.20) 434 cclxxxiii “Todo anúncio deve ser respeitador e conformar-se às leis do país; deve, ainda, ser honesto e verdadeiro” (CONAR, Código…, 1980, art.1) cclxxxiv “Todo anúncio deve ser preparado com o devido senso de responsabilidade social, evitando acentuar, de forma depreciativa, diferenciações sociais decorrentes do maior ou menor poder aquisitivo dos grupos a que se destina ou que possa eventualmente atingir.” (CONAR, 1980, art.2) cclxxxv “Toda publicidade deve estar em consonância com os objetivos do desenvolvimento econômico, da educação e da cultura nacionais.” (CONAR, 1980, art.6) cclxxxvi “ can do little more than ‘unpack’ the surface of meaning of an ad in a rather obvious way ; its strength stems from its ability to relate this information to the sample as a whole in rigorous manner, and to detect patterns of similarities and differences.” (Leiss, Kleine et Jhally, 1986, p.218) cclxxxvii “The dynamics of mass communication are driven by the power of the media to select, and shape the presentation of, messages and by the strategic use of political and social power to influence the agendas as well as the triggering and framing of public issues.” (Habermas, 2006, p. 415) cclxxxviii “ … alternativa a paradigmas em declínio, como também um complemento importante para cobrir lacunas de teorias existentes” (Porto, 2004, p.77) cclxxxix “subtle differences in phrasing, seemingly arbitrary and insignificant from a strictly logical standpoint” (Goshorn et Gandy Jr, 1995, p. 134) ccxc “in an overall pattern across a large number of stories.” (Goshorn et Gandy Jr, 1995, p. 134) ccxci “an issue frame is a theme, story line, or label suggesting a preferred interpretation of some policy question.” (Richardson et Lancendorfer, 2004, p. 75) ccxcii “entails selecting and highlighting some facets of events or issues, and making connections among them so as to promote a particular interpretation, evaluation, and/or solution.” (Entman, 2003, p. 417) ccxciii “Those frames that employ more culturally resonant terms have the greatest potential for influence. They use words and images highly salient in the culture, which is to say noticeable, understandable, memorable, and emotionally charged.” (italiques dans l’original, Entman, 2003, p. 417) ccxciv “influence over a human consciousness” (Entman, 2005, p. 8) ccxcv “slant characterizes individual news reports and editorials in which the framing favors one side over the other.” (Entman, 2007, p. 165) ccxcvi “consistent patterns in the framing of mediated communication that promote the influence of one side in conflicts over the use of government power.” (Entamn, 2007, p. 166) ccxcvii “operate within the minds of individual journalists and within the processes of journalistic institutions, embodied in (generally unstated) rules and norms that guide their processing of information and influence the framing of media texts.” (Entman, 2007, p. 166) ccxcviii “in an effort to venture beyond the boundaries of traditional agenda-setting research, this study employs critical theory to analyse how media frames work to produce and reproduce social power through the construction of common sense.” (Tucker, 1998, p. 143) ccxcix “the approach take here implies that news and opinion are mutually influentional in the production and reception processes” (Tucker, 1998, p. 146) 435 ccc “assist marginalized groups in employing news as a political ressource.” (Ryan, Carragee et Schwerner, 1998, p. 165) ccci “MRAP’s use of frames differ from others in several ways. We place more emphasis on the sponsorship of frame and on their evolving character.” (Ryan, Carragee et Meinhofer, 2001, p. 176) cccii “Given the historically strong emphasis in communication research on media effects, it is not surprising to see the cognitive perspective receiving the most emphasis.” (Reese, 2007, p. 149) ccciii “For me, that captures the way meaning can be embedded across stories, media, and time.” (Reese, 2007, p.149) ccciv “ Frames are organizing principles that are socially shared and persistent over time, that work symbolically to meaningfully structure the social world” (italiques dans l’original, Reese, 2003, p.11) cccv “… especificar os diferentes níveis de análise e, como consequência, definir mais claramente os diversos tipos de enquadramento.” (Porto, 2004, p.90) cccvi “ Enquadramentos interpretativos são padrões de interpretação que promovem uma avaliação particular de temas e/ou eventos políticos, incluindo definições de problemas, avaliações sobre causas e responsabilidades, recomendações de tratamento etc.” (Porto, 2004, p.92) cccvii “ … que podem ser incorporadas ou não pela mídia.” (Porto, 2004, p.92) Chapitre VII cccviii “ The center of the political system consists of the familiar institutions: parliaments, courts, administrative agencies, and government. ” (Habermas, 2006, p. 415) cccix “ Each branch can de described as a specialized deliberative arena. The corresponding output — legislative decisions and political programs, rulings or verdicts, administrative measures and decrees, guidelines, and policies — results from different types of institutionalized deliberation and negotiation processes ” (Habermas, 2006, p. 415) cccx “ Politicians and political parties start from the center of the political system; lobbyists and special interest groups come from the vantage point of the functional systems and status groups they represent; and advocates, public interests groups, churches, intellectuals, and moral entrepreneurs come from backgrounds in civil society. ” (Habermas, 2006, p. 417) cccxi “ 1) to mobilize and pool relevant issues and required information, and to specify interpretations ; 2) to process such contributions discursively by means of proper arguments for and against ; 3) and to generate rationally motivated yes or non attitudes that are expected to determine the outcome of procedurally correct decisions.” (Habermas, 2006, p. 416) cccxii « To study the influence of any kind of media on audiences it is necessary to add to content analysis other kinds of investigations where representatives of the audience are the research subjects.” (Gomm, 2004, p.252) cccxiii “defining effects or conditions as problematic; identifying causes; conveying a moral judgment of those involved in the framed matter; endorsing remedies or improvements to the problematic situation.” (Entman, 2003, p. 417) 436 cccxiv “É com repulsa que venho assistindo ao comercial de televisão do Bônus da Alegria, no qual utilizam a figura de uma empregada ‘negra e burra’. A mensagem é da pior qualidade, pois não define o que seja o tal bônus e somente serve para denegrir a imagem do negro e da empregada doméstica, preferindo erros gritantes de portugês.” (Santos, 1982, p.10) cccxv “ A empregada de nome Graciete representa a mediocridade de que vem sendo alvo o negro no Brasil, principalmente em matéria de comercial de TV. O negro não compra nada, a não ser henê; o negro não presenteia, não tem família, não bebe, não fuma, não vai à praia, não come margarina e uma infinidade de outras coisas, segundo os técnicos em televisão.” (Santos, 1982, p.10) cccxvi “Como criar uma imagem mais positiva para o negro nas mensagens de TV ?” (Santos, 1982, p.10) cccxvii “Por desconhecer, o que desde agora confesso, o Código Brasileiro de AutoRegulamentação Publicitária, deixo de apreciar seus artigos 20 e 27, do § 6.” (Santos c. Datamark Ltée, 1982). cccxviii “… iniciei minhas tarefas remuneradas, por volta de 1949, como desenhista, posteriormente como contato, e mesmo como redator, até que adotei o Rádio e, a seguir, a Televisão, como ambiente de trabalho.” (Santos c. Datamark Ltée, 1982). cccxix “com a participação de Rosa Maria Murtinho, em obediência a padrões de um certo modo sofisticados, cujo resultado, negativo, deixa de ser, aqui, analisado. Basta recordar não haver, a peça, despertado qualquer tipo de comentário.” (Santos c. Datamark Ltée, 1982). cccxx “comuns aos objetivos do Bônus” cccxxi “começaram a alcançar índices satisfatórios” (Santos c. Datamark Ltée, 1982). cccxxii “... despertado seguidos comentários por parte de O Globo, Jornal do Brasil, Pasquim, Fatos & Fotos Gente, Radio Globo — RJ (tema de debates populares), produzindo invejável centimetragem e secundagem que, aplaudamos ou não, resultou em bons negócios para a Empresa.” (Santos c. Datamark Ltée, 1982). cccxxiii “O de não abordar senão uma das facetas da realidade brasileira, destacando uma ‘doméstica’ negra (o que é uma constante) e possuidora de nehuma cultura gramatical (culpa que nós mesmos, brasileiros, devemos acatar)” (Santos c. Datamark Ltée, 1982). cccxxiv “O de, embora mostrando uma ‘doméstica’ ‘negra’ e ‘burra’, apontá-la como bem comportada e dócil, atitude que poderia mesmo recomendar à classe, o que, na maioria dos casos não é uma verdade” (Santos c. Datamark Ltée, 1982). cccxxv “Criado (e bem) por uma índia Jauperí, hoje falecida, filho do Norte (Roraima) e de pais dos quais a exceção absolutamente branca é minha mãe, cristão por convicção e realista acima de tudo (o que me impede de ver Jesus sob o ângulo das fantasias religiosas), asseguro ser pouco provável que um princípio tão grosseiro quanto o da discriminação racial tenha sequer influenciado meu trabalho.” (Santos c. Datamark Ltée, 1982). cccxxvi “Valendo-me do leitor acima identificado, sou levado a declarar como muito mais ‘burra’, ainda que branca, a patroa que confiou a terceiros a responsabilidade de exigir, do Comerciante, os Bonus da Alegria” (Santos c. Datamark Ltée, 1982). cccxxvii “na certeza de ter agido correta e conscientemente” (Santos c. Datamark Ltée, 1982). cccxxviii “menor intenção discriminatória” (Santos c. Datamark Ltée, 1982). cccxxix “livre de explicações por não devê-las.” (Santos c. Datamark Ltée, 1982). 437 cccxxx “tópicos da maior gravidade” (Santos c. Datamark Ltée, 1982). cccxxxi “O comercial ao exibir a personagem da doméstica negra, deixa implícito e explícito que negro é burro, ignorante, esquecido e irresponsável” (Santos c. Datamark Ltée, 1982). cccxxxii “Apesar de estarmos diante de um campeão de infringências ao Código de Ética, o relator considera fundamental mostrar que os danos causados por este anúncio vão muito além do mundo publicitário. Não somente feriu-se o espírito da Lei Afonso Arinos como a denunciada, ao negar que haja preconceito racial, reconhece haver explorado o mundo cão, a miséria física e intelectual, que denomina ‘uma das facetas da realidade brasileira.’ ” (Santos c. Datamark Ltée, 1982). cccxxxiii “O relator não considera necessário requisitar recortes dos arquivos de todos esses respeitáveis veículos de communicação: basta uma indignada carta de um leitor do Jornal do Brasil na página 4 deste processo. Diz o leitor Elias Alexandre dos Santpos que ‘é com repulsa que venho assistindo ao comercial de televisão do BÔNUS DA ALEGRIA’. Além das treze infrigências, já mencionadas ao código de ética, aqui se comprova a 14a infrigência, pois o artigo 5 reza que ‘nenhum anúncio deve denegrir a atividade publicitária ou desmerecer a confiança do público nos serviços que a publicidade presta...” (Santos c. Datamark Ltée, 1982). cccxxxiv “Burra e desgrenhada não é só a Graciete do comercial, mas também a patroa, ‘ainda que branca’ como afirmam categoricamente os diretores da denunciada. Burras são, portanto, todas as telespectadoras, constatando-se desta forma a infrigência do artigo 17” (Santos c. Datamark Ltée, 1982). cccxxxv “Considerando a absurda quantidade de infrigências contidas neste anúncio, pede o relator que, para o bem das atividades publicitárias neste país, o CONAR divulgue sua posição em todos os veículos — das praças onde foi veiculado, pela mídia impressa e eletrônica, sobre o anúncio em pauta, independentemente de novas posições ou opiniões que venham a ser exaradas pela denunciada. O desconhecimento do Código de Ética não constitui fator de abrandamento da pena como é praxe pelo menos desde os tempos do Império Roman°” (Santos c. Datamark Ltée, 1982). cccxxxvi “… uma vez que a denunciada acatou a decisão desta Câmara e do CONAR” (Santos c. Datamark Ltée, 1982). cccxxxvii “de uma categoria intermediária de direitos, situada a meio caminho entre os direitos puramente individuais e os direitos e interesses gerais da sociedade como um todo” (Gomes, 2000, p. 2) cccxxxviii “em anuncio publicado no dia 02 de outubro de 1988, as pessoas negras empregadas domesticas sao tratadas de forma discriminatoria racial e socialmente.” (Instituto de Pesquisa das Culturas Negras c. Network Ltée et Agence Claroscuro, 1988) cccxxxix “uma mulher negra amarrada pelo pescoço a uma cadeira, com seis crianças brancas brincando a sua volta, em nada contribuem, nem para o Dia das Crianças, nem para o futuro das relações sociais e raciais no Brasil.” (Instituto de Pesquisa das Culturas Negras c. Network Ltée et Agence Claroscuro, 1988) cccxl “Conformem-se- 12 de outubro é o dia deles” (Instituto de Pesquisa das Culturas Negras c. Network Ltée et Agence Claroscuro, 1988) cccxli “o anúncio — que exibe mulher negra, amarrada e cercada por crianças claras, é discriminatório em relação à raça negra e a condição social das domésticas” (Instituto de Pesquisa das Culturas Negras c. Network Ltée et Agence Claroscuro, 1988) 438 cccxlii “uma propaganda discriminatória da Smuggler-Infantil, que ferem (sic) a dignidade da comunidade negra” (Instituto de Pesquisa das Culturas Negras c. Network Ltée et Agence Claroscuro, 1988) cccxliii “Tendo em vista a responsabilidade e o papel deste órgão com a propaganda veiculada nos meios de comunicação de massa, exigimos as providências deste órgão no sentido de que seja retirada de veilculação referida propaganda, assim como seja dada uma satisfação ã comunidade afro-brasileira e sejam tomadas providências para que futuros anúncios racistas como este não venham a ser veiculados.” (Instituto de Pesquisa das Culturas Negras c. Network Ltée et Agence Claroscuro, 1988) cccxliv “understanding ‘control’ in the broadest sense of making public agencies do what the public and their representatives want, accountability and control are intimately linked because accountability is a vital mechanism of control.” (Mulgan, 2000, p. 563) cccxlv “Entendemos que qualquer atitude contrária nos prova que o CONAR não possui compromisso conosco, mas sim com uma parcela apenas dos vários grupos étnicos que formam a sociedade brasileira” (Instituto de Pesquisa das Culturas Negras c. Network Ltée et Agence Claroscuro, 1988) cccxlvi “Por fim, esclarecemos-lhe que o CONAR não possui compromissos com qualquer grupo — étnico, econômico, religioso, etc — senão com os mais elevados padrões éticos, zelando para que a publicidade nacional seja um reflexo disso.” (Instituto de Pesquisa das Culturas Negras c. Network Ltée et Agence Claroscuro, 1988) cccxlvii “O anúncio objeto da representação (…) desmerece o estrépito das manifestações hostis de que se viu cercado” (Instituto de Pesquisa das Culturas Negras c. Network Ltée et Agence Claroscuro, 1988) cccxlviii “… explicitamente avalisado pelo ‘Jornal do Brasil’, empresa de reconhecida idoneidade e desempenho ético irretocável.” (Instituto de Pesquisa das Culturas Negras c. Network Ltée et Agence Claroscuro, 1988) cccxlix “Só a tendenciosidade de um juízo sectário e perverso levaria os seus críticos a identificarem na composição gráfica que ilustra o anúncio questionado, conteúdo racista” (Instituto de Pesquisa das Culturas Negras c. Network Ltée et Agence Claroscuro, 1988) cccl “Na verdade, homenageando as crianças em seu dia, a promoção quis mais longe, qui mais amor, na invocação daquela figura mais presente nas nossas melhores evocações: a Babá” (Instituto de Pesquisa das Culturas Negras c. Network Ltée et Agence Claroscuro, 1988) cccli “… não há (sic) negar : M. I., a modelo eleita, a par de ser babá profissional, transmite envolvente simpatia e irradiante ternura” (Instituto de Pesquisa das Culturas Negras c. Network Ltée et Agence Claroscuro, 1988, surligné dans l’original) ccclii “Racismo seria não admiti-la no anúncio por ser negra, embora com a qualificação para o desempenho objetivado.” (Instituto de Pesquisa das Culturas Negras c. Network Ltée et Agence Claroscuro, 1988) cccliii “Repita-se : M. I. não se credenciou ao desempenho por ser negra. Credenciou-a a leveza da sua expressão, a suavidade com que se houve (sic) nos testes necessários à contratação” (Instituto de Pesquisa das Culturas Negras c. Network Ltée et Agence Claroscuro, 1988) cccliv “que, sendo dos nossos filhos, também o é do anjo a cujo carinho confiamos os seus primeiros anos de vida e formação.” (Instituto de Pesquisa das Culturas Negras c. Network Ltée et Agence Claroscuro, 1988) 439 ccclv “O anúncio em questão, além de outros artigos, fere escandalosamente os dois acima citados.” (Instituto de Pesquisa das Culturas Negras c. Network Ltée et Agence Claroscuro, 1988) ccclvi “Se carinho é amarrar o citado anjo, com uma grossa corda de naylon, e amordaçá-la com um pano, vamos rever toda a história da escravidão no Brasil e chegar à conclusão de que a Escrava Anastácia não passa de um equívoco pois tudo que aconteceu na sua vida não passou de manifestações desenfreadas de amor.” (Instituto de Pesquisa das Culturas Negras c. Network Ltée et Agence Claroscuro, 1988) ccclvii “Ficou faltando explicar se os modelos lourinhos que completam o anúncio foram escolhidos pela agressividade ou pela falta de respeito humano que já expressa em tão tenra idade” (Instituto de Pesquisa das Culturas Negras c. Network Ltée et Agence Claroscuro, 1988) ccclviii “ Porque, afinal de contas, querer justificar o fato d apobre infeliz ser negra, por suas qualidades espirituais e passar a todos os leitores das revistas que publicaram este anúncio um atestado de supina estupidez ?” (Instituto de Pesquisa das Culturas Negras c. Network Ltée et Agence Claroscuro, 1988) ccclix “O primeiro por o anúncio não respeitar a dignidade humana. O segundo por não respeitar as diferenciações sociais decorrentes do maior e menor poder aquisitivo. O terceiro por, levianamente amesquinhar toda a atividade publicitária.” (Instituto de Pesquisa das Culturas Negras c. Network Ltée et Agence Claroscuro, 1988) ccclx “a censura a espetáculos e diversões públicas está extinta a partir de hoje.” (“Censura”, 1998; voir aussi dans Jornal da Instituto de Pesquisa das Culturas Negras c. Network Ltée et Agence Claroscuro, 1988) ccclxi “ ‘É um momento histórico’, comemorava ontem Ricardo Cravo Albim, representante da ABERT no Conselho do Ministério da Justiça.” (“Censura”, 1998; voir aussi dans Instituto de Pesquisa das Culturas Negras c. Network Ltée et Agence Claroscuro, 1988) ccclxii “No Rio de Janeiro, O Instituto de Pesquisas da Cultura Negra apresenta hoje uma ação pública de responsabilidade civil com base no artigo 15 da nova Carta contra a Confecções Smuggler, por ter veículado um anúncio em que aparece uma negra amoraçada e rodeada de sorridentes crianças louras co o texto a seguir: ‘Conformem-se — 12 de outubro é o dia deles’. ” (“Censura”, 1998; voir aussi dans Instituto de Pesquisa das Culturas Negras c. Network Ltée et Agence Claroscuro, 1988) ccclxiii “Trabalhando com a emoção e não com a razão, a publicidade busca atingir o público com um padrão anglo-saxônico em uma nação [em] que a maioria da população é mestiça. Isto occore porque as referèncias buscadas sao todas européias ou americanas.” (Garcia Filho, 1988; voir aussi dans Instituto de Pesquisa das Culturas Negras c. Network Ltée et Agence Claroscuro, 1988) ccclxiv “Uma leitura simples sobre os anúncios veículados na mídia impressa e eletrônica, podemos constatar a inflência da ideologia do branqueamento que está internalizada na nossa sociedade.” (Garcia Filho, 1988; voir aussi dans Instituto de Pesquisa das Culturas Negras c. Network Ltée et Agence Claroscuro, 1988) ccclxv “O anúncio da Smuggler estigmatiza o estigmatizado, ou seja, discrimina dentro da discriminação. A ‘sugestiva’ propaganda (...) sugere a nós negros que devemos nos acomodar ou nos conformar com a humiliação, a tortura e a discriminação.” (Garcia Filho, 1988; voir aussi dans Instituto de Pesquisa das Culturas Negras c. Network Ltée et Agence Claroscuro, 1988) ccclxvi “de extinção, de morte, da ethnia negra” (Garcia Filho, 1988; voir aussi dans Instituto de Pesquisa das Culturas Negras c. Network Ltée et Agence Claroscuro, 1988) 440 ccclxvii “onde se a questão do negro é colocada ” (Garcia Filho, 1988; voir aussi dans Instituto de Pesquisa das Culturas Negras c. Network Ltée et Agence Claroscuro, 1988) ccclxviii “Este anúncio revelou uma solidariedade muito grande de vários diretores de criação e diretores de arte de diversas agências de propaganda. O próprio CONAR nous enviou uma carta onde está avaliando este anúncio” (Garcia Filho, 1988; voir aussi dans Instituto de Pesquisa das Culturas Negras c. Network Ltée et Agence Claroscuro, 1988) ccclxix “Não se trata de querer aparecer, mas de combater o tratamento diferenciado imposto aos negros ao longo do tempo na nossa sociedade, que mantém um processo de exclusão do negro como forma de dominação.” (Garcia Filho, 1988; voir aussi dans Instituto de Pesquisa das Culturas Negras c. Network Ltée et Agence Claroscuro, 1988) ccclxx “discursively by means of proper arguments for and against” (Habermas, 2006, p. 416) ccclxxi “misturar todas as raças nas veiculações.” (Sousa c. Groupe Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990) ccclxxii “uma contribuição intencional ou não, para a minimização do racismo, do apartheid, etc.” (Sousa c. Groupe Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990) ccclxxiii “quanto à propaganda em referência — mostra uma negra amamentando uma criança branca —, a meu ver o efeito é inverso.” (Sousa c. Groupe Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990) ccclxxiv “Você sabe melhor do que eu que os meios de comunicação/publicidade são formadores de opinião. No caso existe um reforço de opinião, qual seja a de que o negro é servil, submisso, etc. A veiculação em referênicia está precedendo o artigo ‘As cores do Brasil’ que aborda a questão racial no Brasil, onde o negro é o mais prejudicado. Penso que estejam próximos, dada a associação United Colors... com as cores... Contrariamente,a cabou ficando pior do que se tivesse aparecido isoladamente.” (en caractère gras dans l’original) (Sousa c. Groupe Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990) ccclxxv “Pour quais razões a Benetton nous faria engulir (sic) goela abaixo a mesma propaganda, se considerarmos que aqui a escravidão negra foi realmente marcante, e que consequentemente os motivos para protesto seriam muito maiores ? Não represento nem faço parte de nenhum movimento negro. Daí temer estar sendo apenas um pingo d’água no oceano, ou de estar apenas pregando no deserto. Mas eu não poderia ficar calado (se não fizesse a menor diferença, porque não colocaram uma branca amamentando uma criança negra ?).” (surligné dans l’original) (Sousa c. Groupe Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990) ccclxxvi “Pesquisa do IBGE mostra que os amarelos são os brasileiros que estão melhor de vida e que em breve os brancos serão minoria no país.” (“As cores do Brasil”, 1990; voir aussi dans Sousa c. Groupe Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990) ccclxxvii “Os brasileiros de origem oriental, na qual estão incluídos os decendentes de imigrantes japoneses, coreanos, chineses, são os que se deram melhor, hoje ocupam o topo da pirâmide en termos de renda, educação e bem-estar. Em média, eles uma renda mensal 80 % mais alta que as dos brancos. Suas crianças vão à escola mais cedo, tem diplomas de níveis mais altos e acabam levando uma vida mais agradável.” (“As cores do Brasil”, 1990; voir aussi dans Sousa c. Groupe Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990) ccclxxviii “virada de dimensões históricas” (“As cores do Brasil”, 1990; voir aussi dans Sousa c. Groupe Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990) ccclxxix “Os pretos, como já se suspeita há anos, parecem condenados à extinção.” (“As cores do Brasil”, 1990; voir aussi dans Sousa c. Groupe Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990) 441 ccclxxx “Todos os dados disponíveis indicam que os pardos serão a maioria da população dentro de pouco tempo.” (“As cores do Brasil”, 1990; voir aussi dans Sousa c. Groupe Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990) ccclxxxi “Shigueyuki Fukugakiuchi, 58 anos, é um empresário com um patrimônio que a visão convencional associa às pessoas de cor branca — e um padrão de consumo que, estatisticamente, fica nas vizinhanças das famílias negras mais empobrecidas.” (“As cores do Brasil”, 1990; voir aussi dans Sousa c. Groupe Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990) ccclxxxii “para confirmar aquilo que se vê — e para desmentir boa parte daquilo que se diz” (“As cores do Brasil”, 1990; voir aussi dans Sousa c. Groupe Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990) ccclxxxiii “A peculiaridade brasileira é a convivência, simultânea, de leis que fazem do racismo um crime gravíssimo — imprescritível e inafiançavel, como o terrorismo — e um arquivo inédito de barbaridades nessa área.” (“As cores do Brasil”, 1990; voir aussi dans Sousa c. Groupe Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990) ccclxxxiv “Eficiente, o regime da democracia racial brasileira produz uma tragédia visível nas estatísticas — mas seus grandes movimentos são invisíveis.” (“As cores do Brasil”, 1990; voir aussi dans Sousa c. Groupe Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990) ccclxxxv “Com a mudança das cores do Brasil, a questão é de saber onde irá parar a democracia racial.” (“As cores do Brasil”, 1990; voir aussi dans Sousa c. Groupe Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990) ccclxxxvi “cedo ou tarde, terá de acabar.” (“As cores do Brasil”, 1990; voir aussi dans Sousa c. Groupe Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990) ccclxxxvii “Segundo queixa em anexo, o anúncio se mostra discriminatório e ofensivo à raça negra.” (Sousa c. Groupe Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990) ccclxxxviii “Isso porque a veiculação do anúncio atacado — uma mulher de raça negra amamentando uma criança branca —, produzido na Itália e inicialmente para ser divulagado na Europa, foi concluída no Brasil, sendo certo que esse anúncio não voltará mais a ser utilizado neste país, em virtude de estratégia publicitária.” (Sousa c. Groupe Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990) ccclxxxix “a combinação universal das cores.” (Sousa c. Groupe Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990) cccxc “respeito à pessoa humana, de sua igualdade e de sua liberdade.” (Sousa c. Groupe Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990) cccxci “... os valores da alegria, da liberdade, da igualdade, da fraternidade, da solidariedade e da não discriminação racial, política, religiosa ou etária.” (Sousa c. Groupe Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990) cccxcii “produzidos e veículados em vários países do mundo.” (Sousa c. Groupe Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990) cccxciii “de todas as cores e, indiscriminadamente, de todas as raças.” (Sousa c. Groupe Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990) cccxciv “Note-se, em outros anúncios, a utilização de pessoas de outras raças, nacionalidades e cores, que não a negra.” (Sousa c. Groupe Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990) cccxcv “atitude preconceituosa” (Sousa c. Groupe Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990) 442 cccxcvi “Ora, se cada groupo humano tem capacidade específica para produzir cultura, para atribuir significados, é evidente que diferentes groups humanos atribuem significados diversos para fenômenos semelhantes.” (Sousa c. Groupe Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990) cccxcvii “Lamentavelmente, porém, há sempre a perspectiva etnocêntrica, isto é, a tendência de julgar as outras culturas à partir dos próprios valores. E esta perspectiva invariavelmente conduz aos preconceitos, que não nascem com o homem.” (Sousa c. Groupe Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990) cccxcviii “por uma cultura que, preconceituosamente, estabeleceu, como seus valores, o servilismo e a submissão do negro.” (Sousa c. Groupe Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990) cccxcix “outras formas de compreensão mais humanas ou pelo menos mais civilizadas.” (Sousa c. Groupe Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990) cd “nas análises dos brasileiros sem dúvida haverá essa conotação escravagista.” (Camargo, 1990; Sousa c. Groupe Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990) cdi “Não me ofende. Desperta a sensibilidade, não a raiva. Acho que a Benetton leva em conta o negro como consumidor.” (Dias, 1990; voir aussi dans Sousa c. Groupe Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990) cdii “a campanha é merveilleuse e não é racista.” (Dias, 1990; voir aussi dans Sousa c. Groupe Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990) cdiii “o anúncio é bonito e não vejo nenhum preconceito.” (Dias, 1990; voir aussi dans Sousa c. Groupe Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990) cdiv “Linda. Duvido que aconteça uma reação racista porque o racismo aqui é mais cínico e velado.” (Dias, 1990; voir aussi dans Sousa c. Groupe Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990) cdv “Por tudo quanto até aqui se demonstrou, se provou documentalmente e será corroborado com outras provas, é forçoso concluir pela inocorrência de infração ao CBARP.” (Sousa c. Groupe Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990) cdvi “citações fartamente consubstanciadas em leis nos próprios arts. do CONAR.” (Sousa c. Groupe Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990) cdvii “improcede a reclamação do consumidor.” (Sousa c. Groupe Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990) cdviii “o reclamante ao entrar no mérito da propaganda em questão, comete, no mínimo, uma injustiça para com a Benetton cujos valores e princípios éticos foram minuciosamente explicados.” (Sousa c. Groupe Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990) cdix “igualmente, nossa consternação e indignação diante de reclamações como a que nos dirigiu o consumidor Antonio Benedito de Sousa.” (Sousa c. Groupe Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990) cdx “apesar do anúncio não estar mais sendo veículado, não há que se falar em perda de objeto.” (Sousa c. Groupe Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990) cdxi “O MNU de São Paulo finaliza hoje un documento de repúdio contra a campanha e estuda como vai encaminhá-lo, informa a pedagoga Sueli Chan Ferreira, 35” (Dias, 1990; voir aussi dans Sousa c. Groupe Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990) cdxii “Racista. Linda. Absurda.” (Dias, 1990; voir aussi dans Sousa c. Groupe Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990) 443 cdxiii “É um absurdo. A imagem que passa é escravagista, da velha mulher negra ama-de-leite.” (Dias, 1990; voir aussi dans Sousa c. Groupe Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990) cdxiv “Mesmo causando reações, é pouco provável que no Brasil saia desse patamar para outros mais violentos, como aconteceu na França, onde grupos racistas brancos chegaram a fazer atentados a bombas nas lojas da Benetton.” (Dias, 1990; voir aussi dans Sousa c. Groupe Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990) cdxv “os motivos para isso têm origens diferentes” (Dias, 1990; voir aussi dans Sousa c. Groupe Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990) cdxvi “ ‘mistura’ racial típica do Brasil” (Dias, 1990; voir aussi dans Sousa c. Groupe Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990) cdxvii “mais velado e cínico” (Dias, 1990; voir aussi dans Sousa c. Groupe Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990) cdxviii “The vulnerability of the framing process makes it a locus of potential struggle, not a leaden reality to which we all must inevitably yield.” (Gamson et Meyer, 1996, p. 276) cdxix “From the standpoint of the actors, open windows just appear — sometimes through unexpected events, and sometimes through scheduled and expected ones such as budget hearings.” (Gamson et Meyer, 1996, p. 282) cdxx “não havia risco pelo ato de a psicologia da sociedade brasileira ser differente da européia.” (Dias, 1990; voir aussi dans Sousa c. Groupe Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990) cdxxi “o MNU veio contrariar a tese do publicitário.” (Dias, 1990; voir aussi dans Sousa c. Groupe Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990) cdxxii “A Benetton, na verdade, sabia que corria este risco.” (Dias, 1990; voir aussi dans Sousa c. Groupe Benetton et Agence J. W. Thompson, 1990) cdxxiii “é a campanha mais ousada de todas.” (Dias, 1990; voir aussi dans