Rapport final de recherche Genre et gestion locale du changement
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Rapport final de recherche Genre et gestion locale du changement
Rapport final de recherche Genre et gestion locale du changement dans sept pays de l’Union européenne sous la direction de Jacqueline Heinen assistée de Marylène Lieber Partie 1 2004 financé par : la Commission Européenne DG Recherche – 5 e PCRD Contrat HPSE-CT-1999-00015 2 Ce rapport est issu d’une recherche européenne réalisée par une équipe internationale durant trois ans dans les pays suivants : Belgique, Finlande, France, Grèce, Italie, Portugal et Suède Il s’articule en deux parties : La première partie correspond à l’analyse transversale de la gestion du changement au niveau local, dans une optique de genre. La deuxième partie comprend les rapports établis par les équipes de chaque pays, qui présentent de façon plus détaillée les spécificités nationales sur ce sujet (les noms des auteurs figurent au début de chaque rapport). 3 Composition des équipes nationales Les équipes nationales de cette recherche européenne étaient composées des personnes suivantes : Belgique : Eliane Gubin et Bérengère Marques Pereira avec la participation de : Catherine Gigante, puis Laurent Vanclaire Finlande : Anne Maria Holli, Eeva Luhtakallio et Eeva Raevaara France : Hélène Cettolo, Françoise Gaspard, Anne Guardiola, Jacqueline Heinen, Michelle Kergoat, Eléonore Lépinard, Yannick Le Quentrec, Marylène Lieber, Annie Rieu avec la participation de : Noria Boukhobza, Nicole Gadrey, Heini Martiskainen, Camille Sarret et Mariette Sineau. Grèce : Maria Pantelidou Maloutas avec la participation de : Jeanne Athanasatou, Maria Filiopoulou, Angelique Giannatou, Athena Kapsaski, Harris Mylonas, Roula Nezi, et Calliope Spanou Italie : Alisa Del Re, Valentina Longo, Chiara Sebastiani, Renate Siebert avec la participation de : Luca Brunetto, Patrizia Messina, Iulia Molinari, Francesca Olivier, Alessandro Pavan, Giuseppina Pavanello, Devi Sacchetto, Vittoria Sturlese, Arjuna Tuzzi, Monica Veneziani, Giovanna Vingelli Portugal : Anne Cova et José Manuel Leite Viegas avec la participation de : Amélia Campos, Sérgio Faria, Vanda Gorjão, Sandra Mateus, Susana Nogueira et Manuela Tavares Suède : Elisabeth Elgan et Kjell Ostberg avec la participation de : Annika Åkerblom et Mari Gerdin 4 Table des matières PARTIE 1 : RAPPORT TRANSVERSAL 9 RÉSUMÉ 11 INTRODUCTION 13 CHAPITRE I : LE CADRE DE LA RECHERCHE 17 I. Problèmes théoriques Des notions polysémiques L’action positive : un principe contesté 17 17 22 II. 1. 2. 3. 4. Les objectifs de l’enquête Inégalités dans la représentation politique Apports des femmes dans la gestion de la cité Rôle des femmes dans la société civile Déplacements dans les formes de gouvernance et rapports de genre 26 26 27 28 29 III. 1. 2. Champ d’investigation Délimiter les terrains d’étude Faire naître des collaborations à divers niveaux 30 31 32 IV. 1. 2. Méthodologie Ecueils conceptuels Choix de la méthode comparative 33 33 34 V. Le déroulement de la recherche Accumulation de connaissances Mise en oeuvre de l’enquête qualitative Analyse transversale 36 36 37 38 1. 2. 1. 2. 3. Table des illustrations 40 CHAPITRE II : L’ÉGALITÉ DES SEXES À L’AUNE DES CONTEXTES NATIONAUX 47 I. 1. 2. II. 1. 2. La présence des femmes en politique : perspectives historiques Droit de vote et éligibilité L’exécutif : parent pauvre de la féminisation 47 47 49 La responsabilité des partis politiques Le principe des quotas Importance accordée à la représentation des femmes 52 52 55 5 III. 1. 2. 3. Le rôle des modes de scrutin Mesures législatives et constitutionnelles Débats et résistances : de la notion d’égalité Impact sur le niveau local Table des illustrations CHAPITRE III : LA PLACE DES FEMMES DANS LES MUNICIPALITÉS I. 57 57 62 64 70 75 Une gestion à plusieurs échelons Fonctions des municipalités face aux changements institutionnels Influence de ces changements quant à la situation des femmes 77 77 79 II. 1. 2. 3. 4. Rapports et organisation des pouvoirs au niveau local Le Conseil municipal Démocratie locale ou patrons-managers municipaux ? Le rôle des partis politiques La société civile locale 81 81 84 87 88 III. 1. 2. 3. 4. Elements favorables à l’égalité des sexes au plan local Facteur décisif : une volonté politique fondée sur des moyens concrets Influence du contexte national Présence de femmes élues et prise en compte du genre Rôle des associations féminines et féministes 91 92 92 94 96 IV. 1. Une dynamique cumulative Limites des politiques égalitaires 1. 2. CHAPITRE IV : ENJEUX LIÉS AU GENRE À L’ÉCHELLE LOCALE - LES RÉSULTATS DE L’ENQUÊTE I. 100 101 105 Différences de sexe ou citoyenneté universelle ? La question des compétences Des obstacles qui sont aussi un tremplin ? 105 106 111 II. 1. 2. Les actions positives en matière d’election Opinions et représentations Réticences à parler de discriminations 113 114 117 III. 1. 2. 3. 4. Intégration de l’égalité des sexes dans les politiques locales Manque d’incitations et focalisation sur la figure de la mère Les politiques en matière d’urbanisme Les politiques de la petite enfance Les politiques de sécurité ou la dichotomie privé/public 120 120 122 123 124 1. 2. CONCLUSION 131 RÉFÉRENCES 135 6 PARTIE 2 : LES RAPPORTS NATIONAUX DEFINIERAT. FEL! BOKMÄRKET ÄR INTE CHAPITRE 1 : LA BELGIQUE 143 CHAPITRE 2 : FINLANDE 185 CHAPITRE 3 : FRANCE 235 CHAPITRE 4 : GRÈCE 289 CHAPITRE 5 : ITALIE 353 CHAPITRE 6 : PORTUGAL 397 CHAPITRE 7 : SUÈDE 437 7 8 PARTIE 1 : RAPPORT TRANSVERSAL 9 Un processus d’écriture collective a présidé à la rédaction du rapport transversal, à partir du travail réalisé pour les divers chapitres par les personnes suivantes : - Jacqueline Heinen a rédigé l’introduction et la conclusion ainsi que le chapitre I – avec les apports, pour celui-ci, d’Alisa Del Re et de Bérengère Marques Pereira. Elle a revu l’ensemble du rapport. - Eléonore Lépinard et Laurent Vanclaire se sont chargés du chapitre II. - Anne Maria Holli, Eeva Luhtakallio et Eeva Raevaara ont assumé l’écriture du chapitre III, qui a été revu par Michèle Kergoat. - Eléonore Lépinard et Marylène Lieber ont rédigé le chapitre IV. - Anne Guardiola a réalisé le travail de synthèse des données présentées dans les chapitres I et II. Elle a également réalisé la mise en page du rapport. 10 RÉSUMÉ Le rapport qui suit s’appuie sur une recherche de trois ans concernant l’articulation entre le genre et la démocratie locale, basée sur une étude de cas. L’enquête a été menée dans sept pays - Belgique, France, Grèce, Finlande Italie, Portugal, Suède - qui se caractérisent par des situations et des orientations très variées quant à la participation des femmes à une citoyenneté active. Financée par la Commission européenne et par divers organismes politiques locaux ou nationaux, cette enquête commencée en février 2000, avait pour objectif de repérer les changements à l’œuvre quant à la place des femmes dans les organes de décision politique à l’échelle locale, en examinant trois questions essentielles : • la composition sexuée des instances élues, et les implications qui en découlent dans la gestion du social, en particulier à l’échelle locale. • l’interaction entre pouvoirs politiques et société civile dans le processus de décision, et l’importance que revêt, à ce titre, le partenariat entre élu(e)s et ONG ; • les incidences des changements structurels territoriaux conduisant à une répartition différente des rôles entre pouvoirs politiques, organes administratifs et services marchands. L’étude, dont les visées sont avant tout qualitatives, porte sur quelque quatre-vingts municipalités dans chacun des sept pays concernés. Elle est centrée sur la dimension urbaine. On y examine notamment la façon dont le genre interfère dans les politiques relatives à la prise en charge des personnes dépendantes, mais aussi dans les politiques en matière d’urbanisme et d’aménagement des villes, ainsi que dans les politiques répondant aux problèmes de sécurité. Une telle recherche entendait faciliter la prise de conscience, au sein de l'Union européenne, des changements induits par une présence accrue des femmes dans la vie politique locale et par l'introduction de la problématique du genre dans la gestion territoriale. Les résultats de l’enquête mettent en évidence la dynamique des transformations intervenues dans la composition des pouvoirs locaux depuis une dizaine d’années (il s’agit parfois de régressions). Comme on pouvait s’y attendre, ils font apparaître une dynamique égalitaire beaucoup pus sensible dans les pays du Nord de l’Europe (Suède en particulier) que dans ceux du Centre et du Sud. Ils montrent également – constat valable pour l’ensemble des pays considérés – que la plus forte présence des femmes dans les instances élues ne suffit pas en soi à assurer la prise en compte de la dimension de genre dans les politiques locales. Non seulement les configurations politiques pèsent fortement sur les préoccupations affichées, mais les dispositifs et les moyens relatifs à l’application des mesures qui visent à instaurer davantage d’égalité entre les sexes s’avèrent déterminants dans l’évaluation des effets concrets des politiques adoptées. Lorsque ces dernières ne s’accompagnent pas d’une féminisation des postes de responsabilité dans les administrations locales, et lorsque leur mise en œuvre ne s’appuie pas sur un tissu associatif convaincu du bien-fondé d’orientations féministes, elles restent bien souvent lettre morte. 11 12 INTRODUCTION Le thème de l’égalité des sexes en politique apparaît aujourd’hui comme une question de premier plan et représente un enjeu majeur pour l’avenir de l'Union européenne, car la nonprise en compte des différences de genre et la sous-représentation des femmes dans les instances de pouvoir ont été identifiées comme l'un des freins au changement social. Pour des raisons socio-historiques, le rôle des femmes dans la sphère publique s’est vu systématiquement minimisé. Dans la plupart des cas, elles sont encore loin d’être aussi nombreuses que les hommes, que ce soit dans les assemblées démocratiquement élues ou dans la direction des administrations, et la réflexion sur les mesures adéquates pour lutter contre ce qui fait le plus souvent d’elles des citoyennes de seconde zone ne fait partie de l’agenda politique que de façon tout à fait subsidiaire. Les grandes conférences internationales (en particulier la Conférence de Pékin et celle d’Habitat II) de même que de nombreux rapports internationaux, tel celui de l’OCDE de 1991 sur les femmes et les transformations structurelles, ont pourtant révélé les blocages qu’entraîne la domination masculine dans les organes de décision. Et aussi les possibilités de changement qu’offre une participation accrue des femmes dans la gouvernance 1, tant sur le plan politique, que social ou économique. Les apports de leur participation à la gestion des affaires de la cité ressort en effet de l’expérience des pays nordiques, où elles constituent une part significative des élus, tout comme elle ressort de l’influence qu’elles exercent à un niveau informel, au travers des organes de la société civile dans lesquels elles s’impliquent. A ce titre, les exemples de transformations à l’échelle territoriale constituent autant d’expériences encore peu connues et insuffisamment diffusées – ils ne peuvent donc faire l'objet d'évaluations et servir de modèles susceptibles d’être reproduits ailleurs, ou au contraire critiqués. L’idée de la construction d’une démocratie prenant appui sur les acteurs et les actrices concernés à l’échelle locale et des possibles transformations qu’offre une telle perspective pour la participation citoyenne rencontre pourtant un écho croissant. C’est ce qui nous a conduit à proposer de mener une recherche sur la gestion du changement au niveau local, au travers de la question du genre, thème qui constitue un point particulièrement sensible dans le cadre du processus d’élargissement de l’Union européenne. Nous entendions prendre la mesure de ce qui est train de se jouer et qui constituera un élément majeur des évolutions à venir – évolutions qui sont à la fois le produit, au quotidien, d’expérimentations proches de la vie des citoyens, en même temps qu’elles sont constitutives de modèles de développements nouveaux. Il importait donc, à nos yeux, d’examiner en quoi les changements évoqués contribuent à modeler l’espace social et jusqu’à quel point ils interfèrent dans les rapports de genre. En effet, la sphère locale a beaucoup à nous apprendre sur le développement de la démocratie et sur les potentialités du développement socio-économique. Or c’est une dimension de la réalité encore peu étudiée jusqu’ici (Lovenduski, 1997). En centrant l'attention sur ce niveau, nous entendions contribuer à combler une telle lacune. Le rapport qui suit présente une synthèse de l’analyse transversale des résultats de la recherche conduite durant trois ans, du printemps 2000 au printemps 2003, sur l’articulation entre le genre et la démocratie locale. Basée sur des études de cas, une enquête a été menée 1 Sur le sens conféré à ce terme, voir notamment la définition qu’en donne Eliane Vogel-Polsky dans un document présenté à la conférence “ La gouvernance et les femmes ”, organisée à Bruxelles les 3-4.3.1999, sous les auspices de la Commission européenne et de l’ULB. Pour l’auteure, il s’agit d’un concept renvoyant “ à la nécessité de définir et d’explorer de nouveaux modes de gouvernements capables d’affronter les défis et mutations des sociétés contemporaines ”. 13 dans quelque quatre-vingts villes de sept pays – Belgique, France, Grèce, Finlande Italie, Portugal, Suède – qui se caractérisent par des situations et des orientations très variées en ce qui concerne la participation des femmes à une citoyenneté active 2. L’enquête, financée par la Commission européenne et par divers organismes politiques locaux ou nationaux, avait pour objectif de repérer les changements à l’œuvre quant à la place des femmes dans les organes de décision politique à l’échelle locale, et surtout quant à l’impact de leur présence dans la sphère institutionnelle en ce qui concerne l’orientation des pratiques et des mesures adoptées. Trois questions essentielles ont été examinées: • la composition sexuée des instances élues, et les implications qui en découlent dans la gestion du social, en particulier à l’échelle locale. • l’interaction entre pouvoirs politiques et société civile dans le processus de décision, et l’importance que revêt, à ce titre, le partenariat entre élu(e)s et ONG ; • les incidences des changements structurels territoriaux conduisant à une répartition différente des rôles entre pouvoirs politiques, organes administratifs et services marchands, dans une optique de genre. Cette étude, dont les visées sont avant tout qualitatives, a porté sur trois régions et sur une dizaine de villes dans chacun des sept pays concernés. Elle est centrée sur la dimension urbaine. On y examine notamment la façon dont le genre interfère dans les politiques relatives à la prise en charge des personnes dépendantes, mais aussi dans les politiques en matière d’urbanisme et d’aménagement des villes, ainsi que dans les politiques répondant aux problèmes de sécurité. Le choix des sept pays a obéi à divers critères. L’objectif était de mettre en regard des situations contrastées à plusieurs titres : - histoire des institutions ; - ancienneté plus ou moins grande de la participation des femmes à la vie politique et de leur présence dans les organes de décision (en fonction de la date de l’adoption du droit de vote féminin et surtout de la féminisation des instances de pouvoir, tant nationales que locales) ; - existence et rôle plus ou moins actifs des mouvements féministes concernant l’espace concédé aux femmes dans la sphère du politique ; - structuration du pouvoir politique, plus ou moins centralisé à l’échelle nationale, plus ou moins ouvert à la dimension corporatiste (dialogue avec les syndicats, notamment) ; - date de l’entrée de chaque pays considéré dans l’Union européenne 3 ; - incidence de la crise économique plus ou moins ancienne et de la durée du chômage structurel dont les implications sur le plan politique ne sauraient être sous-estimées. Etant entendu que des mesures de décentralisation politique sont à l’œuvre dans la quasitotalité des pays de l’Union européenne et que la délégation de pouvoirs concerne plus souvent 2 Ce projet de recherche s'inscrit dans les objectifs fixés par le chapitre ‘Accroître le potentiel humain de recherche et la base des connaissances socio-économiques ’ du Ve programme PCRD (1998-2002). Faisant sienne l’une des trois principales dimensions transversales du programme – celle du genre – il répondait à la thématique évoquée dans ‘Gouvernance et citoyenneté’, l’un des axes de l’action-clé II.2.2. : ’Tendances sociétales et changements structurels’. Dans ce cadre, il concerne plus spécifiquement le point 11 des objectifs de recherche (‘Construction européenne et gouvernance à divers niveaux ’) et, subsidiairement, le point 3 (‘Défis pour les Etats-providence européens’). 3 Les sept pays recouvrent des trajectoires différentes du point de vue de l’intégration européenne : en 2000, la Suède et la Finlande apparaissaient encore comme de nouveaux membres de l’Union. 14 les régions que les municipalités, il s’agissait de tenir compte du fait que ce processus revêt des formes variables, se traduisant ici par la création de structures intercommunales, là par l’apparition de structures politico/administratives plus ou moins formelles. Il s’agissait aussi de donner à voir les changements concrets induits par une présence accrue des femmes dans la vie politique locale et par l'introduction de la problématique du genre dans la gestion urbaine et territoriale. La comparaison entre des pays a priori aussi différents que les pays nordiques, d’un côté, la Grèce, le Portugal et l’Italie, de l’autre, obéissait donc à ces nécessités. Or si les résultats de l’enquête mettent en évidence la dynamique des transformations intervenues dans la composition des Conseils municipaux depuis une dizaine d’années (il s’agit parfois de régressions du point de vue du pouvoir détenu), ils montrent également – et ce constat est valable pour l’ensemble des pays considérés – que la plus forte présence des femmes ne suffit pas en soi à assurer la prise en compte de la dimension de genre dans les politiques locales. Non seulement les configurations politiques pèsent fortement sur les préoccupations affichées, mais les dispositifs et les moyens relatifs à l’application des mesures qui visent à instaurer davantage d’égalité entre les sexes s’avèrent déterminants dans l’évaluation des effets concrets des politiques adoptées. Lorsque ces dernières ne s’accompagnent pas d’une féminisation des postes de responsabilité dans les administrations locales, et lorsque leur mise en œuvre ne s’appuie pas sur un tissu associatif et sur des groupes ou mouvements convaincus du bien-fondé d’orientations féministes, elles restent bien souvent lettre morte. Lorsque ces dernières ne s’accompagnent pas d’une féminisation des postes de responsabilité dans les administrations locales, et lorsque leur mise en œuvre ne s’appuie pas sur un tissu associatif convaincu du bien-fondé d’orientations féministes, elles restent bien souvent lettre morte. Par-delà des écarts très significatifs séparant les pays concernés sur la plupart des points évoqués plus haut, l’une des surprises de cette recherche a été de montrer qu’en termes de genre, surtout en ce qui concerne la prise en compte de besoins spécifiques liés à la place occupée par les individus dans la société, les différences sont moins importantes que ce à quoi la plupart d’entre nous s’attendaient. Les écarts entre deux villes d’un même pays apparaissent parfois plus grandes qu’entre deux pays dont les parcours historique, économique et politique sont pourtant très distants. L’un des objectifs de cette recherche a été, dès le départ, de susciter une réflexion collective sur les exemples de pratiques innovantes et sur les échecs ou erreurs dévoilés par l’enquête, en y associant les acteurs locaux et en impulsant la mise en réseau de collectivités préoccupées par les questions soulevées. Et ce, de façon à susciter une prise de conscience, au sein de l’Union européenne, quant à l’ampleur des changements intervenus au cours de la dernière décennie, et aussi des obstacles qui subsistent sur la voie de l’égalité des sexes dans le domaine politique, à partir de ce qu’on observe à l’échelle municipale. C’est ce qui a motivé la décision de produire, au terme de la recherche, un Guide s’adressant aux acteurs locaux, qui s’appuie sur un certain nombre d’exemples rencontrés au cours de l’enquête. Et c’est aussi la raison pour laquelle, après avoir organisé – à l’occasion de nos séminaires de travail – des réunions avec des élus locaux et des représentants associatifs dans chacun des pays concernés par la recherche, nous avons décidé de mettre sur pied un colloque international qui soit un lieu de rencontre pour des personnes venant de contextes politiques divers. Ce dernier a, nous l’espérons, pleinement rempli sa fonction en ouvrant sur des échanges et sur des collaborations à plus long terme. 15 16 CHAPITRE I : LE CADRE DE LA RECHERCHE Dans le premier chapitre de ce rapport, avant de revenir de façon plus détaillée sur les objectifs de recherche que nous nous étions fixé et sur la méthodologie que nous avons adoptée pour mener à bien l’enquête entreprise parallèlement dans les sept pays sus-mentionnés, on commencera par faire le point sur les problèmes théoriques et conceptuels que cette recherche a mis au jour. Des problèmes déjà maintes fois soulevés dans le cadre de travaux portant sur l’inscription des femmes dans la sphère publique à l’échelle nationale, mais qui prennent un tour particulier lorsqu’on examine la nature des rapports hommes/femmes dans les instances de pouvoir au niveau local. I. PROBLÈMES THÉORIQUES Cette recherche sur le genre et la démocratie locale ayant donné lieu à une enquête dans une dizaine de villes de sept pays de l’Union européenne a mis en évidence la difficulté manifeste, chez la plupart des personnes que nous avons interviewées, non seulement à donner un contenu précis à la notion de ‘genre’, mais à penser la démocratie comme une dynamique incluant des individus dont l’identité politique et sociale varie en fonction de leur appartenance de sexe. Si d’autres catégories (âge, origine sociale, origine ethnique éventuellement) sont plus facilement prises en considération, celle du sexe pose à l’évidence problème. L’idée qu’en raison de processus historiques – contingents par définition, et variables selon les pays ou les périodes – les intérêts et les besoins des personnes peuvent différer selon qu’il s’agit d’hommes ou de femmes, et qu’il importe en conséquence d’en tenir compte, est loin d’aller de soi. La dissymétrie de genre (discriminations et opportunités limitées, en ce qui concerne les femmes) est rarement considérée par les élu(e)s interviewée(e)s comme le produit d’une organisation du travail, d’une codification et d’une répartition quasi intangible des rôles. Ceci explique en partie les hésitations et les contradictions touchant à l’usage de concepts tels que égalité, différence, discriminations, intérêt général, universalisme ou citoyenneté 4. Dans ce chapitre introductif, on s’efforcera de rendre compte des obstacles auxquels se heurte toute réflexion – celle de nos interlocuteurs, mais aussi la nôtre – dans le maniement de tels concepts, et d’analyser les facteurs qui sous-tendent les résistances vis-à-vis de l’adoption de mesures préférentielles pour surmonter les inégalités de sexe. 1. Des notions polysémiques La notion de genre, à la différence de celle de ‘condition féminine’, ne renvoie pas seulement à une expérience de subordination ou d’oppression des femmes vis-à-vis – et de la part – des hommes. Elle pose la question de la construction sociale de l’appartenance de sexe, ce qui suppose, non pas de disjoindre, mais de traiter conjointement les questions relatives aux expériences et au statut social des individus des deux sexes – dont la subordination et l’oppression des femmes font partie. Alors que le concept de genre permet de saisir en quoi l'homme, tout comme la femme, est un être sexué et qu’il permet d'analyser les différentes formes de masculinité, les analyses tendent trop souvent (et nous-mêmes n’échappons pas toujours à ce travers) à se focaliser sur la situation des femmes, en gommant, voire en ignorant 4 On reviendra plus avant sur la complexité, pour ne pas dire le caractère contradictoire des discours recueillis dans le quatrième chapitre de ce rapport. 17 ce qui relève des rapports entre les sexes (Piccone, Saraceno, 1996). Appréhender le social dans une optique de genre permet – ou devrait permettre – de rendre visibles les inégalités de traitement, notamment dans le champ politique et en matière de citoyenneté 5, tout en évitant de les réifier et de les considérer comme un donné, une réalité fixée une fois pour toutes, puisque cela oblige au contraire à replacer ces inégalités dans leur contexte et à en saisir les changements (Gaspard, Heinen, 2002). Concernant la marginalisation ou la non-inclusion des femmes en politique, elle tient non seulement au fait que les structures de la vie politique se sont constituées sans qu’elles y soient intégrées (la démocratie est sans la femmes), mais au fait que le discours dominant inclut trop rarement une véritable réflexion sur les raisons premières de cet état de fait. La division du travail dans la sphère privée reste le plus souvent impensé, comme si l’assignation prioritaire des femmes aux tâches domestiques ne déterminait pas nombre de discriminations et d’inégalités dans d’autres sphères du social. Ce qui n’empêche pas que l’utilité de leur participation à la sphère du politique soit présentée avant tout comme un prolongement de leur expérience dans le domaine de la reproduction – on note d’ailleurs une tendance générale à opérer un glissement sémantique, et parfois conceptuel, entre femmes et mères, et entre femmes et famille. D’où la projection – bien éloignée d’une compréhension dynamique de la notion de genre – de l’apport des femmes en politique comme un facteur d’appoint, mais aussi comme un corps ‘étranger’, représentant l’altérité, alors que le hommes incarneraient la norme. Le terme de différence, qui a été au cœur des débats sur la citoyenneté des femmes, est très présent dans les discours de nos interlocuteurs – sauf en Suède où l’égalité des sexes est affichée de manière programmatique par la plupart des élu(e)s interrogé(e)s – et renvoie le plus souvent à une vision essentialiste de la place des femmes dans la société. Ce faisant, les élus, tout comme les responsables administratifs ou associatifs interrogés, rejoignent – consciemment ou non – le courant de réflexion qui insiste sur les qualités particulières que les femmes seraient censées apporter à la pratique politique, du fait de leur expérience propre en tant que mères et en tant que personnes chargées d’assurer le bien-être d’autrui 6. A noter que le terme différence est éminemment polysémique et qu’il renvoie, concernant les rapports sociaux de sexe, à des approches théoriques opposées, selon qu’il est utilisé au singulier ou au pluriel, dans une perspective d’antagonisme radical (les hommes, les femmes) ou qu’il obéit à un effort de prise en considération des traits multiples qui contribuent à définir les identités des groupes et des individus 7. 5 Soulignons tout de même qu’à ce sujet, le débat oppose celles des féministes, telle Chantal Mouffe (2000), qui estiment que l’objectif est de parvenir à une conception de la citoyenneté selon laquelle la différence sexuelle perdrait toute pertinence, et celles qui jugent au contraire que la citoyenneté doit être appréhendée dans une optique multiculturaliste et pluraliste, incluant les différences, dont celles de sexe (Pateman, 1988 ; Young, 1989 et 2000). 6 Parmi les travaux des féministes de la « pensée maternaliste » qui ont théorisé cette approche, voir notamment les écrits de Jean Elshtain (1993), qui valorise la fonction maternelle et attribue à la sphère privée des vertus de morale et de dignité obéissant à une ‘politique éthique’ – vertus qu’elle oppose à l’image que donnent la « bande élitiste de citoyens dans leur ‘espace public’, coupés du monde qui inclut la plupart d’entre nous » (p. 351). On trouve des accents similaires, concernant les différences hommes/femmes, chez d’autres auteures telles Nancy Chodorow (1978), Carol Gilligan (1982), Luisa Muraro (1991) ou Luce Irigaray (1989), qui voient dans la pensée maternaliste la base d’un modèle féministe de citoyenneté. D’autres théoriciennes, telle Mary Dietz (1985), critiquent au contraire une telle approche, en soulignant que les rapports d’autorité caractérisant la relation mèreenfants vont précisément à l’encontre des rapports démocratiques qui devraient être ceux de la citoyenneté (làdessus, voir Lister 1997). 7 Iris Marion Young, relève comme d’autres avant elle, que la séparation entre sphère publique et sphère privée, au fondement de la citoyenneté moderne, va de pair avec l’opposition entre universalisme (qui caractériserait le public) et différence (qui caractériserait le privé). Or cette opposition a servi à exclure non seulement les femmes, mais beaucoup d’autres groupes d’individus en vertu de critères ethniques, raciaux, liés à l’âge ou aux handicap. Elle propose en conséquence la conception d’une ‘citoyenneté différenciée’ qui, grâce à des mécanismes de 18 En l’occurrence, l’insistance sur la différence porte bien souvent sur le fait – et là-dessus seulement – que l’augmentation du nombre d’élues contribuerait à transformer le mode de gestion des affaires publiques en raison du rôle des femmes dans la sphère privée, laquelle se caractériserait par la dimension éthique des rapports entre individus, à l’opposé de ce qui se passe dans la sphère publique. C’est d’ailleurs l’argument qui convainc nombre d’élu(e)s jusque-là rétifs à la perspective de prendre des mesures pour augmenter la proportion des femmes dans les instances de décision : l’idée qu’elles seraient porteuses de compétences autres que celles des détenteurs du pouvoir actuel apparaît séduisante pour lutter contre la crise de confiance à l’égard de la classe politique, qui se traduit, dans la quasi-totalité des pays, par l’élévation constante des taux d’abstention et la volatilité croissante de l’électorat. Posée ainsi, une telle approche court toutefois le risque d’enfermer les femmes – et par conséquent les hommes – dans des catégories toutes faites, en imputant aux seules femmes la capacité de répondre aux besoins touchant à la vie quotidienne et de moraliser la vie politique – en d’autres termes, de ‘faire de la politique autrement’. Cette vision est nécessairement réductrice si elle revient à définir les aptitudes des un(e)s et des autres, en matière de citoyenneté, à partir de critères de sexe rigides – en classant automatiquement les femmes dans tel groupe, et les hommes dans tel autre, au nom de principes identitaires prédéfinis, et en niant par là même la diversité du corps social – les différences entre les femmes et entre les hommes sont fort peu souvent évoquées 8. Cependant, l’argument de l’expérience historique différente des femmes, en tant que groupe longtemps assigné à la sphère privée, et donc marginalisé par rapport aux pratiques politiques dominantes, ne saurait être invalidé d’emblée, sans l’examiner de plus près. Le fait qu’elles aient longtemps été éloignées des lieux de pouvoir et de prise de décision laisse supposer que les femmes seraient susceptibles de porter un regard neuf sur la gestion de la cité et que leur irruption sur la scène politique pourrait en soi être synonyme de changements 9. L’expérience montre toutefois qu’il existe plusieurs conditions pour ce faire : d’une part, que les femmes soient élues en grand nombre, pour pouvoir se faire entendre ; et d’autre part et surtout, que cela s’accompagne d’une volonté de transformer les rapports sociaux de sexe, grâce à l’existence de mouvements ou de groupes féministes capables de formuler des revendications dans ce sens, et de modifier les rapports de force avec le pouvoir en place. La féminisation des élites politiques prend alors une importance cruciale, non seulement au sens où elle permet d’établir un équilibre numérique, historiquement absent, dans la représentation politique des hommes et des femmes, mais parce qu’elle est porteuse – potentiellement, du moins – d’une possible reconnaissance des rapports de pouvoir inégaux entre les sexes, tant sur le plan économique et social que politique, et de la nécessité de s’atteler à les transformer. C’est ce qui ressort de l’exemple de certaines des villes que nous avons étudiées et, plus largement, des changements observés dans les pays nordiques. Ce débat sur la ou les différence(s) a été mis en exergue par les travaux de nombreuses féministes, en particulier anglo-saxonnes – nombre d’entre elles insistant sur l’impossibilité représentation adéquats, assurerait aux groupes opprimés ou désavantagés de pouvoir être entendus et reconnus dans le débat collectif. 8 Au cours de l’enquête, nous avons en effet relevé une tendance très nette, chez les hommes, mais aussi chez les femmes, à réifier l’autre catégorie de sexe – avec des nuances : ‘la’ femme, ‘les’ hommes. Ce qui revient non seulement à nier les différences des individus entre eux (surtout dans le cas des femmes : ‘la’ femme), mais à recréer du genre selon les frontières traditionnelles, là même où l’on observe des déplacements dans les rapports sociaux de sexe, avec l’entrée (parfois massive) des femmes dans la sphère politique. 9 C’est un point sur lequel insistait le Réseau européen d’experts « Les femmes dans la prise de décision » (1996). Voir à ce propos les critiques émises par Ruth Lister (1997) concernant certaines formulations jugées problématiques, parce que trop globalisantes à ses yeux quant aux qualités attribuées aux femmes, en raison de leur expérience historique propre. 19 d’apporter une réponse satisfaisante, qui résoudrait une fois pour toutes les contradictions évoquées plus haut. Carole Pateman parle du ‘dilemme de Wollstonecraft’ pour rendre compte de la démarche antinomique voulant que les femmes, et notamment les féministes, ont revendiqué d’être considérées comme des citoyennes à part entière, à la fois au nom de la nature humaine, commune aux deux sexes et pour être représentées en tant que femmes, porteuses d’une expérience propre, et donc distincte de celle des hommes (Lamoureux, 1996). Au fondement de cette contradiction figure l’oppression des femmes, sur laquelle se greffe le dilemme suivant : soit on invoque l’accès des femmes à la citoyenneté, en toute égalité avec les hommes, mais l’inclusion ne se fait pas sur des bases équitables puisque le contenu même de la notion de citoyenneté n’a pas été revisité pour inclure l’expérience historique et sociale des femmes, différente de celle des hommes ; soit on souligne cette différence, qui induit des habitus, des aptitudes et des besoins différents, et elles est interprétée en termes de manque ou de déviance, puisque la norme est établie en fonction des groupes privilégiés – les groupes opprimés incarnant l’exception. La situation paraît inextricable : d’un côté, les femmes en appellent à des principes moraux de type universel (des droits égaux pour tous), en insistant sur le fait qu’aucune différence substantielle ne justifie le refus d’accorder aux femmes des chances égales à celles des hommes ; de l’autre, elles ressentent la nécessité d’affirmer leurs différences, conscientes qu’une application rigide de l’égalité formelle les désavantagerait par rapport aux hommes. Ce qui nous amène à la deuxième notion qui revient de façon récurrente dans le discours et qui revêt un sens très ambigu : celle d’égalité. Joan Scott, pour sa part, récuse « la tendance largement répandue à polariser le débat en insistant sur des choix en termes de ‘ou bien/ou bien’ », postulant que les paradoxes sont au fondement de la citoyenneté – à commencer par celle des femmes – et qu’on ne saurait opposer égalité et différence car les deux concepts « sont interdépendants et nécessairement en tension » (2002, p. 21). A première vue, nos interlocuteurs sembleraient abonder dans son sens puisqu’ils conjuguent souvent dans le même souffle discours sur la différence et proclamations d’attachement au principe d’égalité entre tous les individus. Sauf que loin de replacer ces termes dans leur contexte, comme le revendique Scott, pour qui ces tensions « s’exercent selon des modalités historiquement déterminées », ils en usent précisément comme s’il s'agissait de réalités ou de choix intemporels. Ils parlent de la différence au singulier – une différence réifiée, anhistorique – pour signifier ce qui, à leurs yeux, distingue les pratiques des femmes en politique (renvoyant implicitement ou explicitement à leur action dans la sphère privée), et évoquent l’égalité dans des termes éminemment abstraits, sans s’interroger plus avant sur le rapport entre l’une et l’autre, ni sur les interactions entre les sexes qui en découlent. Et surtout sans s’interroger sur l’existence ou non, à l’échelle locale, de mesures visant à rétablir la « balance des pouvoirs entre les sexes », pour reprendre les termes de Norbert Elias (2000). En effet, si le thème de l’égalité formelle (ou égalité en droits) est très fréquemment mobilisé à propos des rapports hommes/femmes, couplé à celui de la citoyenneté universelle, on ne peut qu’être frappé par la non-prise en considération du sexe comme catégorie fondant des disparités matérielles en matière de citoyenneté. Et cette cécité est à mettre en regard avec le fait que d’autres catégories impliquant des distinctions entre les individus – âge, origine ethnique, profession – sont, elles, présentées comme des éléments explicatifs de l’existence d’inégalités entre citoyen(ne)s. En France, notamment, plus d’un élu interrogé au moment d’élections 10 s’explique sur le recours à des jeunes, des citoyens d’origine étrangère, notamment non européenne, ou à des personnes occupant telle ou telle place dans l’économie 10 Notre enquête s’est déroulée sur quelque dix-huit mois, entre la phase des pré-entretiens et celle des entretiens eux-mêmes ; aussi avons-nous été amenés à rencontrer des élus durant la phase d’élections municipales dans quatre des sept pays concernés. 20 locale, en détaillant les différences de statut et d’inscription dans la ville qui justifient leur présence sur une liste, alors que les arguments pour inclure des femmes – lorsqu’ils existent – sont d’ordre essentiellement numérique (‘on manque de femmes’). Est très peu évoquée, en revanche, la question de la place distincte assignée aux hommes et aux femmes dans la réalité sociale, du décalage entre droits formels et droits réels et des mesures concrètes qu’il y aurait lieu de prendre pour remédier aux inégalités de fait dans la vie professionnelles, familiale et politique. Il est vrai, comme le dit Scott, que l’égalité, en tant que concept social, n’est pas une notion très précise. Néanmoins, le fait que, sur le plan professionnel, les femmes soient majoritairement présentes dans les emplois de soin aux personnes dépendantes, cependant que les hommes dominent les secteurs de la finance et de la technologie est très rarement mentionné. Or, comme le souligne Anne Phillips, un tel état de fait devrait susciter des interrogations quant à ses répercussions du point de vue de la représentation politique et quant au sens même conféré au principe d’égalité politique (1999, p. 97). Mais on touche là du doigt les limites de la réflexion sur les inégalités entre groupes et individus dans le débat sur la citoyenneté – surtout à l’échelle locale. C’est vrai en particulier lorsqu’il s’agit d’individus de sexe différent : on en veut pour preuve à la fois la récurrence du thème de l’universalisme et le renvoi des femmes à « leur » rôle biologique lorsqu’il est question d’exemples concrets portant sur des situations spécifiques. Abstraction et naturalisation se conjuguent dans les propos. L’une des surprises de cette recherche a en effet été de constater, comme le montre l’analyse de discours développée plus loin que, à l’exception de la Suède, les termes d’intérêt général ou d’universalisme 11 reviennent sur les lèvres des élus de tous les pays concernés par l’enquête, dès lors qu’il est question des droits des hommes et des femmes. Parfois, le terme est utilisé pour s’opposer aux mesures préférentielles (quotas, parité) qui assureraient une présence accrue de femmes sur la scène politique, et ce au nom du refus d’opérer des distinctions entre individus – argument fallacieux car on sait bien que les lois, sur d’autres points, s’accommodent parfaitement de catégories pour produire de l’égalité 12. Mais il importe de noter que, même en France où ce type de débat avait fait rage au moment de la préparation de la loi sur la parité, c’est moins à propos de mesures relatives à la loi électorale que l’universalisme est appelé à la rescousse, que pour écarter l’éventualité de mesures visant à répondre aux besoins spécifiques des femmes sur le plan matériel et social (lorsqu’il est question, par exemple, des violences ou de l’organisation de l’espace urbain). D’où le sentiment d’une vision passablement abstraite de la citoyenneté et de la faible prise en considération de l’inégalité des rapports de pouvoir entre les sexes, y compris chez nombre d’élus des pays nordiques. Il est d’ailleurs significatif, à ce titre, que le mot discrimination qui, lui, renvoie aux manifestations concrètes de la marginalisation ou de l’exclusion d’individus, ou de groupes d’individus, de la vie politique et sociale, soit presque complètement absent du discours spontané des élus interrogés. Il s’agit pourtant là d’une notion qui occupe une place centrale dans les travaux portant sur les inégalités de condition économique ou politique touchant des personnes selon leur origine sociale, ethnique ou de sexe 13 et qui est présente – à un degré variable, il est vrai – dans les débats de politique nationale des pays considérés. Sauf chez 11 C’est surtout en France que revient sans cesse la notion d’universalisme, si souvent associée à la vision républicaine de la citoyenneté à la française, fortement marquée par l’histoire de ce pays et par la centralisation de la vie politique, alors que le terme d’intérêt général est plus fréquemment invoqué dans les autres pays. 12 Là-dessus, voir le rappel de Françoise Gaspard concernant les catégories d’âge, de revenu, etc. visant à protéger des segments précis de la population, discriminés à un titre ou à un autre (1998, p. 210). 13 On pense ici à toute la littérature sur les migrants, sur la division sociale et sexuelle du travail, sur le chômage en fonction de l’âge ou du niveau de qualification, etc. 21 certaines élues féministes des pays nordiques 14, elle est toutefois singulièrement absente des discours recueillis. En effet, le terme de discrimination – notion qui appelle généralement des propositions d’action pour surmonter les inégalités en vigueur – n’est quasiment jamais utilisé, voilé qu’il est par l’idée d’une égalité formelle entre tous les citoyens ; et si par hasard il est employé, il tend à renvoyer à la figure de la victime et à la notion de passivité. D’une manière générale, on n’a pas le sentiment que les controverses sur la citoyenneté relatives à la participation souhaitable des individus dans les affaires de la cité, ni sur la nature des débats visant à défendre des intérêts individuels, collectifs ou de groupes aient durablement marqué les esprits des élus et plus généralement des acteurs locaux. Lorsque la notion de citoyenneté est mobilisée, c’est beaucoup plus en référence aux principes généraux qu’à son application concrète, en rapport avec la vie quotidienne. Pourtant, il s’agit là de questions qui ont traversé les rangs non seulement des chercheurs et notamment des politologues, mais aussi et jusqu’à un certain point, ceux des partis et des Parlements : les analyses ont montré qu’il existe souvent un hiatus entre la façon dont les femmes et les hommes s’impliquent dans la vie politique, dans ce qu’ils jugent être important 15. Il ressort donc que le flou qui entoure ces diverses notions traduit un malaise, quand ce n’est pas une absence de questionnement, concernant les rapports de pouvoir entre les sexes à l’échelle de la politique locale et explique le peu d’empressement à aborder les problèmes qui se posent par une démarche d’action positive 16 – instrument qui est pourtant au cœur des résolutions des organismes internationaux sur les inégalités hommes/femmes et qui tend à être repris en compte par nombre d’instances nationales préoccupées par la persistances des discriminations de sexe 17. 2. L’action positive : un principe contesté Le principe de l’action positive, autrement dit l’adoption de mesures concrètes relatives à l’inscription différenciée des hommes et des femmes dans la sphère sociale et politique, pour lutter contre les inégalités et les discriminations à l’œuvre, est en effet peu prisé par la plupart des élus locaux rencontrés. On sait que l’action positive constitue un moyen de contrer la dynamique voulant que des groupes discriminés le restent ou le deviennent davantage, en comblant « l’écart entre le légal et le social, entre les droits des individus et les limites qui leur sont imposées » (Scott, 2002, p. 33). Ce qui revient à subvertir les termes de ce qui est habituellement nommé ‘égalité’, notamment en contestant le bien-fondé de la figure de l’individu qui est au cœur de la pensée libérale, et qui correspond, pour l’essentiel, aux traits de 14 Ces élues finlandaises ou suédoises, pour qui l’action en faveur de l'égalité des sexes fait partie intégrante de leur identité politique, soulignent pour leur part la persistance des discriminations à l’égard des femmes dans la sphère politique locale. 15 Là-dessus, voir ce que dit Birte Siim (2000) à propos de la notion de ‘petite démocratie’, renvoyant à l’implication dans les affaires de la cité au quotidien, à l’échelle locale (voir en particulier p. 137-39 pour l’exemple du Danemark). Ruth Lister (1995) développe une idée analogue à propos de la notion de politique avec un petit ‘p’, versus la Politique avec un grand ’P’. 16 Nous utilisons ici le terme d’action positive, plutôt que celui de discrimination positive, usuel en France, jugeant que ce dernier est contradictoire dans sa formulation même. S’il s’est imposé dans les débats français, ce n’est certainement pas sans rapport avec les résistances qui se sont fait jour face à des propositions d’action perçues comme mettant à mal le principe d’universalisme républicain, lequel marque de son empreinte la pensée politique dominante dans ce pays. 17 Sur cette question, pour la dimension internationale et nationale, voir Hantrais (2000) ; pour des exemples concrets portant sur des initiatives locales, voir Gaspard, Heinen, 2004. 22 l’homme blanc 18. Concernant les femmes, et plus généralement les membres de groupes minoritaires, de telles actions peuvent avoir une importance cruciale, non seulement parce qu’elles leur permettent d’accéder à des postes ou des statuts dont ils ou elles étaient écartés, mais parce qu’elle contribue à remettre en question un référent soi-disant universel et, par là même, à modifier les rapports de pouvoir à l’œuvre. L’objectif de telles mesures, incitatives ou contraignantes, peut être, lorsqu’elles concernent les femmes, de favoriser leur pleine intégration dans la sphère publique, sur le plan politique ou professionnel – les quotas en sont un exemple, les clauses préférentielles à l’embauche, à diplôme égal, en sont un autre. Ou d’inciter les hommes à s’impliquer davantage dans la sphère privée et à prendre en charge une part des tâches jusque-là dévolues aux femmes – certains congés parentaux ou de paternité, notamment dans les pays nordiques, en sont une illustration. Dans le cas des mesures s’adressant aux femmes, le problème réside toutefois dans le fait que le traitement spécial qui leur est réservé apparaît souvent comme une solution insatisfaisante, car les féministes redoutent qu’il tende à renforcer certains stéréotypes 19. Conçues pour faire pièce aux effets de lois apparemment neutres, mais qui engendrent des discriminations pour n’avoir pas tenu compte des inégalités de départ 20, les mesures d’action positive risquent de conforter les différences de sexe existantes et de proroger l’image des femmes en tant qu’êtres faibles ayant besoin de protection (un risque qui n’existe pas concernant les actions positives en direction des hommes). Parce que l’action positive exige de nommer les groupes qui sont l’objet de discriminations, elle suppose dans le même temps de reconnaître leurs différences. Or ces dernières peuvent être utilisées comme un mode d’enfermement dans une identité prédéterminée. Diane Sainsbury (1994) postule que si les Suédoises ont remporté des succès rapides et croissants en matière de représentation politique, c’est parce qu’elle ont su passer d’une argumentation qui insistait sur la défense d’intérêts particuliers (tendant à réifier le statut des femmes en tant que groupe) à un discours portant davantage sur les principes démocratiques exigeant la mise en application de droits égaux dans les faits pour tous les individus (Lister, 1997, p. 160). D’autres auteur(e)s, toutefois, défendent toutefois des points de vue opposés quant aux implications négatives des discours qui ne tiennent pas compte des possibles conflits d’intérêts entre hommes et femmes (Eduards, 2002). On bute là sur la difficile question de la définition des identités de groupe et de leurs besoins spécifiques, en rapport avec leur inscription dans tel ou tel contexte historique et culturel 21. Quel que soit le point de vue défendu, les féministes sont d’accord sur l’importance d’éviter toute formulation susceptible de coller une étiquette aux membres d’un groupe donné, et donc de naturaliser leurs aptitudes ou comportement supposés, en perdant de vue le caractère contingent des situations analysées. 18 « On peut affirmer sans absurdité qu’il n’existe en Amérique qu’un seul homme achevé et qui n’ait pas à rougir : le jeune père de famille, marié, blanc, citadin, nordique, hétérosexuel, protestant, diplômé d’université, employé à temps plein, en bonne santé, d’un bon poids, d’une taille suffisante et pratiquant un sport. » (Goffman, 1963). 19 A noter qu’en Finlande, ce type d’argument est souvent invoqué par des acteurs autres que les féministes – y compris par des opposants au principe des quotas – en invoquant les implications négatives de ces derniers pour les femmes (qualifiées de « femmes quotas » etc.). 20 Voir à ce propos l’abondante littérature féministe qui, à partir d’approches théoriques sur la citoyenneté souvent assez éloignées, opèrent une critique du modèle libéral de l’égalité – Dietz et Mouffe, par exemple, partent d’une optique plutôt ‘républicaine’ (tout en critiquant cette dernière), comparativement à Young qui plaide pour la prise en compte des différences dans une optique pluraliste et multiculturelle. 21 Sur le rapport entre identités individuelles et identités collectives, on lira avec profit la partie de l’ouvrage de Yuval-Davis portant là-dessus (1997, p. 68-92). L’auteure y débat avec finesse, à partir d’exemples très concrets, des positions avancées par divers auteur(e)s sur la question, et notamment des réactions suscitées chez les théoriciennes féministes par les conceptions de Young en matière de citoyenneté. 23 Mais il y a lieu de noter que les propos de nos interlocuteurs, au cours de cette enquête, allaient rarement jusqu’à poser le problème en termes aussi sophistiqués. On ne saurait dire que c’est d’abord au nom du principe général d’égalité et du risque de fragmentation sociale qu’était récusé le principe de mesures préférentielles : les choix opérés pour la constitution de listes électorales ont d’ailleurs montré l’inverse, puisque étaient admises les incitations à y intégrer des représentants de groupes particuliers (jeunes, immigrés, entrepreneurs, membres d’un secteur d’activité…). C’est uniquement dans le cas des femmes que la notion d’intérêt général se voyait mobilisée pour critiquer une démarche qui ne place pas tous les individus sur le même pied (sans bien sûr que ne soit abordée la distinction entre droits formels et droits réels). Il est frappant d’observer que la crainte de voir l’exercice de la citoyenneté se transformer en un combat où s’affronteraient divers groupes défendant chacun ses intérêts propres surgit précisément à propos des rapports entre les sexes, et que la défense d’un ‘intérêt général’ ou d’un ‘universel’ – au demeurant mythique dans son acception libérale traditionnelle, puisque construit à partir d’une seule catégorie d’individus – ne soit invoquée que dans ce cas particulier (Lépinard, 2002). Venant d’interlocuteurs masculins, sans doute faut-il interpréter cette objection comme la peur que les revendications égalitaires liées aux programmes d’action positive n’entament certains de leurs privilèges sur le plan économique, social et politique. A preuve la tendance de nombreux élus (surtout des hommes), lorsque sont évoqués des exemples d’inégalités ou d’oppression à l’égard des femmes, telles les violences dans l’espace domestique ou public, de déplacer le problème en parlant des violences touchant d’autres catégories sociales, ce qui revient à minimiser les discriminations dont les femmes sont l’objet (Lieber, 2002). Encore faut-il souligner que ce type de discours est partagé par de nombreuses femmes interviewées, qui rejettent l’idée de mesures spécifiques, soit en niant l’existence des discriminations, soit en imputant aux femmes elles-mêmes la responsabilité des difficultés qu’elles rencontrent. Aussi ces élues manifestent-elles leurs réticences, voire leur refus d’appuyer des exigences qui leur vaudraient l’étiquette de féministes et qui les stigmatiseraient, pensent-elles, aux yeux de leurs collègues 22. C’est dire si l’idée d’un changement dans les rapports de pouvoir entre les sexes effraie. On note d’ailleurs que la plupart des hommes qui se disent favorables à la mixité des instances élues le font au nom du « déficit démocratique » et des apports que cela supposerait pour le fonctionnement de la démocratie au quotidien, plutôt qu’en traitant des inégalités de sexe en politique – ce qui équivaut à éviter de poser les problèmes en termes de concurrence. Et ils sont suivis par un certain nombre de femmes, qui ont tendance à accepter ce type d’approche et de discours, qu’elles perçoivent comme un facteur de légitimation pour elles-mêmes. On touche là du doigt l’une des raisons essentielles des résistances à admettre l’importance des inégalités de sexe et à débattre ouvertement des façons de les surmonter – à savoir la perspective des mutations profondes que cela impliquerait dans la ‘balance des pouvoirs entre les sexes’. En effet la très faible, voire la non-intégration de la dimension de genre à l’échelle locale (davantage qu’à l’échelle européenne ou nationale) peut s’expliquer par le désir des élus (mais aussi des élues) de préserver les habitus et les cadres culturels acquis, de surseoir aux bouleversements concrets que la décision de mettre en œuvre des mesures matérielles visant à lever les inégalités existantes ne manqueraient pas d’entraîner dans les rapports sociaux – 22 On est bien loin, tant des discours féministes sur les traits partagés qui sont au fondement de l’oppression des femmes, par-delà leurs origines sociales, que des initiatives de femmes que tout semble a priori séparer et qui, tout en n’éludant pas leurs différences, tablent sur ce qu’elles ont en commun pour lutter contre les injustices et les discriminations (là-dessus, voir Cockburn, 1998). 24 en l’occurrence les rapports sociaux de sexe (Stetson, 1987). Là où les intentions affichées au niveau national peuvent se limiter à des déclarations d’intention ou à l’adoption de lois gardant souvent un caractère formel, la pratique locale est davantage susceptible de déboucher sur des transformations plus immédiates et génératrices de tensions 23. Aussi les rééquilibrages dus à l’accroissement de la proportion des femmes dans les instances élues (surtout lorsqu’ils s’opèrent de façon soudaine, en rapport avec un changement de législation) sont-ils souvent perçus comme une menace à titre individuel de la part des élus en place – les hommes, bien sûr, mais aussi certaines femmes, qui prennent alors leurs distances avec les conséquences des politiques adoptées, quand elles ne s’y déclarent pas carrément opposées. Elles craignent de n’être plus vues en fonction de leurs compétences, mais de leur sexe. A n’en pas douter, l’ensemble de ces réserves freine la mise sur pied de dispositifs qui permettraient de dresser des états des lieux concernant les rapports hommes/femmes dans la prise de décision, de mesurer les écarts – et, le cas échéant, les progrès accomplis. Les difficultés relevées à l’échelle nationale pour obtenir des données chiffrées dévoilant la dimension sexuée de la réalité sociale sont décuplées à l’échelle locale où les pouvoirs publics se donnent encore très rarement les moyens de saisir les différences de statuts et de situations sous l’angle du genre. On en a un exemple avec les politiques locales en matière de sécurité, qui sont presque toujours aveugles à cet aspect 24. Et lorsque de telles statistiques existent, cela s’accompagne très rarement, surtout au niveau local, de la création d’instances de contrôle, chargées de l’application de mesures visant à corriger les inégalités relevées 25. C’est pourtant à l’échelle locale que les inégalités concernant la citoyenneté sont les plus sensibles sur le plan matériel, même si ce n’est pas là qu’elles sont les plus visibles quant à la représentation politique. Mesurer la distance qui sépare les femmes des lieux de pouvoir décisionnels est une démarche heuristique car elle frappe généralement les esprits 26. Il s’agit d’une opération complexe, qui exige non seulement l’accès aux statistiques ségréguées par sexe dans toute une série de domaines (et l’on sait les obstacles rencontrés à ce sujet dans la plupart des pays 27), mais c’est aussi un instrument fécond d’un point de vue théorique, dans la mesure où une telle entreprise nécessite de préciser les critères sur lesquels se fonde l’analyse proposée, et suscite généralement des débats innovants. L’utilisation de données sexuées pour passer au crible les budgets adoptés au niveau communal constitue, l’expérience le montre 28, un levier puissant pour mettre au jour les inégalités flagrantes de traitement entre hommes et femmes dans la gestion des deniers publics. La méconnaissance des élus locaux dans ce domaine n’en est que plus choquante. De même, l’ignorance de la plupart d’entre eux quant au contenu des textes 23 On en veut pour preuve les déplacements observés quant aux lieux de pouvoir réels à l’échelle locale, dans le cadre des processus de décentralisation en cours dans la plupart des pays étudiés : la création d’instances non élues au suffrage universel et donc non soumises aux lois ou réglementations sur la ‘démocratie paritaire’ (structures intercommunales, comme en France, en Belgique ; groupes de direction, comme en Finlande) sont là pour attester de la force de ces résistances. Pour la France, voir notamment Lépinard, 2002. 24 Pour la France, voir Lieber (2003) à propos du contenu des contrats locaux de sécurité. 25 A ce titre, la Suède fait exception. A noter que de telles structures de contrôle commencent à voir le jour dans d’autres pays, notamment en Italie, comme l’indiquent les quelques exemples recensés dans le Guide pour l’intégration de l’égalité des sexes dans les politiques locales (Gaspard, Heinen, 2004) 26 Voir à ce propos l’image désolante du pouvoir politique illustrant la toute-puissance masculine des hommes dans les instances de pouvoir en France, telle qu’elle ressortait de l’énumération des chiffres valables en 1998 (Servan-Schreiber, 1998, p. 39). 27 Voir le point 4 de ce chapitre sur la méthodologie de l’enquête, ainsi que les éléments ressortant à ce propos des rapports nationaux. 28 Des études de répartition des budgets locaux ont ainsi permis de montrer, en Suède notamment, que les sports collectifs masculins recevaient jusqu’à cinq fois plus de financements publics que les sports féminins. 25 officiels portant sur les inégalités de sexe et sur les mesures proposées pour y remédier (qu’il s’agisse de lois, de conventions ou de traités nationaux et internationaux) est un signe qui ne trompe pas : elle symbolise de façon criante la somme des réticences évoquées plus haut à engager une action déterminée pour que le champ du politique perde sa connotation sexuée, pour qu’il devienne enfin un espace ouvert aux femmes comme aux hommes et qu’il se fixe notamment pour objectif de progresser vers l’égalité des sexes dans tous les domaines d’application des décisions politiques. II. LES OBJECTIFS DE L’ENQUÊTE Au cœur de notre démarche de recherche figuraient plusieurs constats – inégalement étayés par des travaux antérieurs portant avant tout sur la dimension nationale – qui induisaient un certain nombre d’hypothèses de travail. Le premier point a trait aux inégalités de sexe dans la représentation politique et, parallèlement aux forts écarts existant en la matière selon le pays considéré. 1. Inégalités dans la représentation politique Le premier constat, on l’a rappelé en introduction, est que la part respective de l’un et l’autre sexes dans les assemblées élues au suffrage universel direct et chargées d’administrer la commune (collectivité de base dans tous les pays de l'Union européenne) varie d'un pays à l'autre : les femmes représentent près de 42 % des élus locaux en Suède, mais 12% en Grèce 29. En ce qui concerne les exécutifs locaux, la proportion des femmes est inégalement connue, certains pays ne publiant pas cette statistique. Les données dont nous disposons (voir les tableaux figurant à la fin de ce chapitre) montrent que les femmes sont, en règle générale, moins nombreuses dans les exécutifs que dans les assemblées et que la répartition des fonctions exécutives obéit à un critère de genre (elles occupent plus fréquemment des postes liés au social, à l'éducation et au culturel qu'aux finances et aux transports). Dans les pays qui connaissent des regroupements de communes gérés par des assemblées élues au second degré, les femmes sont en proportion moindre que dans l'assemblée de base élue au suffrage direct (Le Bras-Chopard, Mossuz-Lavau, 1997). Il s’agissait donc, pour les pays inclus dans cette recherche, de procéder d’abord à un état de la situation, tant au plan des données existantes que des raisons – historiques, culturelles, religieuses ou politico-institutionnelles – qui permettent d'expliquer la rareté ou non des élues, en étant notamment attentif aux effets ponctuels du mode de gestion proportionnel et à la date d’octroi du suffrage féminin. Il s’agissait aussi d’examiner les stratégies les plus aptes à faire progresser l’investissement des femmes dans la vie politique et de vérifier, dans les villes où elles sont entrées massivement dans les instances élues, si leur présence favorise un traitement différent des politiques publiques. La comparaison entre pays nordiques (Raevaara, 1998) et pays du sud de l’Europe, entre villes où le profil sexué de la représentation diffère, avait pour but de nous apporter des éclairages utiles à ce propos, de même que sur les mécanismes de participation à la vie collective. 29 Avant les élections locales de 2002, la proportion de femmes dans les conseils communaux, en Grèce, se limitait encore à 7 %. 26 2. Apports des femmes dans la gestion de la cité L’espace de la ville est historiquement sexué (Coutras, 1996), et on est en droit de penser, à la lumière de diverses expériences concrètes, que la présence de femmes parmi les élus est susceptible de favoriser une autre façon de penser la définition du bien commun et l'organisation de la vie quotidienne dans la cité. Si les décisions politiques sont généralement présentées comme neutres, dans les faits, c’est rarement le cas. Elaborées le plus souvent par des acteurs masculins, elles ont tendance à entériner des inégalités existantes. A partir d'études partielles sur les effets de la présence des femmes dans la décision politique, notre hypothèse était que les élues dans les Conseils municipaux et leurs exécutifs, surtout lorsqu'elles y représentent une part importante, est de nature à introduire dans l'agenda politique des questions qui n'y figuraient pas auparavant et contribue à impulser des modes de gouvernance inédits. Non parce que les femmes seraient par ‘nature’ de meilleures gestionnaires que les hommes, mais parce que leur expérience, pour des raisons qui relèvent de l'histoire, est différente de celle des hommes, en raison de la séparation établie dans la modernité entre le public et le privé. Dans l'état actuel de nos sociétés, leur apport apparaît donc utile, sinon indispensable, à la gestion des affaires publiques. D'une enquête sur les femmes maires dans la Vénétie, par exemple, nous avions retenu que leur présence à la tête des services administratifs peut entraîner des modifications sensibles dans la gestion de ces derniers, l'un des soucis des femmes maires étant souvent de créer un cadre plus accueillant pour les usagers et de limiter les lourdeurs bureaucratiques en rendant les services offerts par l'administration plus efficaces (Del Re, 1999). D’autres études ont fait ressortir que les femmes maires ont parfois le souci de recruter des femmes dans les services à dominante masculine (transports publics, services de voirie, police, pompiers), ce qui peut entraîner une gestion différente des problèmes posés (Gaspard, 1996, p. 157-174) 30. Et on a relevé à plus d’une reprise (Leijenaar, 1996) que la présence de femmes à la direction des affaires municipales, et notamment aux postes de maire ou de maire-ajointe, se traduit souvent par des actions positives visant à accroître la proportion de femmes à des postes de responsabilité et par une attention accrue aux besoins particuliers des femmes (création de centres de femmes battues, de “guichets-femmes” ou lieux d'information sur les droits des femme, de services de Planning familial, etc.). Il ressortait également que les questions relatives à la sécurité, contrairement aux représentations les plus courantes, se déclinent, elles aussi, en termes de genre, quand bien même la plupart des programmes, dans ce domaine, portent sur un type de comportements traditionnellement perçus comme sources de désordre et de déviance (drogue, violence, petite délinquance) et font généralement l’impasse sur tout ce qui a trait à la liberté sexuelle des femmes. C’est donc sur les implications de la composition sexuée des instances de pouvoir en matière de gestion urbaine et sociale et de changements à l’échelle locale, et en particulier sur les incidences de la présence de femmes dans les exécutifs locaux ou à la tête de ceux-ci (maires, maires-adjointes), que nous avons axé ce deuxième point de notre recherche. 30 En 1997, la CCRE (Conseil des Communes et Régions d'Europe) a attribué le prix européen “ Ville durable ”, créé en 1996 à la suite de la première conférence des “ villes durables ” (1994, Aalborg, Danemark), à trois villes dont les maires sont des femmes : Calvia, pour l’Espagne, Heidelberg pour l’Allemagne et Stockolm pour la Suède (Cahiers des Femmes d’Europe, 1998). 27 3. Rôle des femmes dans la société civile Le troisième point figurant dans nos attendus concerne le rôle des femmes dans les organisations non gouvernementales. L’une des leçons de la dernière décennie est que si la part des femmes dans les structures formelles de pouvoir constitue bien un élément essentiel pour la promotion de l’égalité des chances, cela ne saurait faire oublier le caractère primordial du rôle qu’elles jouent dans la décision informelle (elles occupent une place prépondérante dans les ONG, quand bien même elles n’en assurent généralement pas la direction). La tendance des femmes à militer bénévolement dans les milieux associatifs s’est accrue parallèlement à l’accentuation de la crise économique, avec les restructurations et les contraintes financières qu’elle entraîne, et beaucoup d’élus reconnaissent que si les associations n’intervenaient pas sur toute une série de terrains, les conséquences de la crise seraient encore bien plus sensibles pour les groupes sociaux les plus démunis. On peut supposer que la forte présence des femmes dans la sphère politique informelle s’explique par le manque de réceptivité des autorités étatiques vis-à-vis des revendications qu’elles avancent, et par la fermeture du milieu politicoinstitutionnel à leur endroit. De sorte que la société civile est devenue, pour elles, une sphère privilégiée de militantisme, plus ouverte et accessible que celle du pouvoir politique formel. Diverses recherches ont montré que l’action des femmes dans les gouvernements locaux se traduit souvent par un partenariat entre élues et responsables d’associations et d’ONG, qui tend à inventer de nouvelles formes de démocratie et de nouveaux lieux de débat. Dans certains cas, ce style inédit de gouvernance a permis aux femmes de mieux faire valoir leur point de vue, et il a contribué à poser publiquement des problèmes le plus souvent considérés comme relevant du privé – même si on ne saurait minimiser le fait que la mise en place de structures intercommunales ou informelles a fréquemment pour effet de marginaliser les pouvoirs locaux, et donc d’affaiblir la portée des initiatives prises à ce niveau, tant par les représentant(e)s élu(e)s que non élu(e)s. L’implication des femmes dans les organes de la société civile a eu des répercussions non négligeables dans le champ des sciences sociales. En soulignant l’importance de l’action des femmes en tant que citoyennes, même lorsqu’elles ne sont pas élues, de nombreuses études récentes ont contribué à élargir la définition de l’activité politique, en y incluant des domaines que la science politique laisse traditionnellement dans l’ombre (activités liées à la défense de la paix, à la protection de l’environnement, au logement, aux questions humanitaires, mais aussi à la lutte contre les inégalités, notamment entre les sexes, sur le thème des violences conjugales et familiales etc.). Par ailleurs, le développement de formes d’engagement associatif liées au tiers-secteur et aux coopératives (souvent à la limite du marché) nous apparaissait comme une dimension de l’activité sociale importante à mettre au jour dans une optique de genre car elle est l’expression du transfert, dans le social, de toute une partie du travail de reproduction privé, historiquement assigné aux femmes – un travail visant à satisfaire les besoins de vie au quotidien, plutôt qu’à répondre aux exigences du marché. Il faut noter à ce propos que les modèles à l’œuvre concernant le rôle des ONG selon le contexte national diffèrent singulièrement entre l’Europe du Nord et celle du Centre (voir à ce propos la partie du chapitre III portant sur la société civile). Quoi qu’il en soit, s’intéresser à cette question revenait à mettre davantage l’accent sur les processus que sur les institutions, et à valoriser le partenariat avec d’autres instances que celles de l’Etat (les acteurs en question – souvent des femmes – n’occupant pas nécessairement des postes de représentation en tant qu’élues). Il s’agissait donc, à ce propos, de repérer si et jusqu’à quel point les préoccupations mises en avant par les femmes diffèrent de celles des 28 hommes, et en quoi les initiatives prises par des organisations non gouvernementales influent directement ou indirectement sur la définition des politiques locales. 4. Déplacements dans les formes de gouvernance et rapports de genre Une quatrième question traitée dans cette recherche renvoie au concept même de gouvernance, qui répond lui-même aux évolutions apparues dans le champ politique au cours de la dernière période. Les années 1980, et surtout les années 90, ont en effet marqué un tournant dans le mode d’intervention étatique qui caractérisait la plupart des pays européens depuis la Deuxième Guerre mondiale 31. On a assisté à une redéfinition progressive de l’action étatique ainsi qu’à la propension des Etats-providence à se vider de leur substance, la maîtrise des politiques sociales et territoriales leur échappant de plus en plus au profit de deux pôles opposés : les instances supranationales, avec l’Union européenne qui s’efforce d’“harmoniser” les choix de ses membres, mais aussi les pouvoirs locaux, dont l’influence est croissante. L’Etat central tend à se dessaisir d’un certain nombre de pouvoirs au profit des régions et des communes : la crise budgétaire et la hausse des coûts relatifs aux aides sociales, notamment, l’incitent à accorder davantage d’indépendance aux collectivités locales. Aussi la responsabilité de ces dernières est-elle croissante, en la matière, alors même que des restrictions financières sont à l’ordre du jour. Dans plus d’un pays, cela s’est traduit par une forte propension, soit à privatiser des services antérieurement subventionnés (garde des jeunes enfants, aide aux personnes âgées, etc.), soit à sous-traiter une partie du travail en question. Ce type d’orientation revient à conférer davantage de poids à des acteurs dépendant de l’économie de marché. Par là même, le danger est grand que les objectifs de rentabilité l’emportent sur les préoccupations sociales, notamment en matière d’égalité des sexes. Parallèlement, en particulier dans les pays nordiques, on assiste à une dynamique qui vise à donner davantage de pouvoir ou de liberté à l’administration – les représentants politiques estimant que leur rôle est avant tout de formuler des directives générales, et non de s’occuper de question de ‘détails’. Or, dans ces pays où les femmes occupent une place significative dans l’arène politique, notamment au niveau local, les principaux postes de direction dans l’administration publique, aussi bien nationale que locale, restent pour l’essentiel entre les mains des hommes. Comme le souligne Gun Hedlund (1998), les implications du New Public Management – terme utilisé pour décrire la philosophie qui régit le changement dans la gestion du secteur public et qui est devenu à la mode dans les années 1990 – constituent potentiellement une menace pour le pouvoir politique des femmes. Tant le style de direction des administratifs, fortement influencé par une vision masculine des choses, que la référence constante (là encore) au marché, contribuent à marginaliser des élues politiques dont l’autorité est par ailleurs reconnue 32. Il est vrai que de tels processus font émerger de nouvelles configurations obligeant les acteurs politiques, sociaux et professionnels à coopérer plus étroitement entre eux, phénomène 31 En même temps qu’on assiste, durant les années 1980 – et de façon variable selon les pays européens – à des tentatives étatiques de relance de l’économie s’accompagnant de réformes sociales sur diverse questions (congés parentaux, retraites, temps de travail, etc…), on assiste parallèlement à une avancée de la pensée néo-libérale, stimulée par l’évolution politique des USA et de la Grande-Bretagne. Au cours des années 1990, alors que les pays du vieux continent se voyaient frappés de plein fouet par la récession économique, la poussée néo-libérale étendra son emprise en Europe, au sein de l’Union européenne et des autres institutions internationales. 32 En Suède, il est vrai, les idéaux néo-libéraux et leurs effets sur la gestion des services municipaux se sont avérés assez modestes en dépit des turbulences des années 1990 : les femmes sont parvenues à maintenir leurs positions et même à progresser dans leur prise de responsabilités. La situation diffère toutefois en Finlande. 29 qui est susceptible de conforter l’audience des organes de la société civile et de permettre aux femmes de se faire entendre. Mais d’un autre côté, la conception dominante qui sous-tend ces transformations met davantage l’accent sur les résultats matériels concrets que sur les objectifs politiques – dynamique ne favorisant pas l’égalité des chances. Par ailleurs, il convient de souligner que les mouvements de privatisation ou de délégation à l’administration évoqués plus haut s’inscrivent souvent dans un contexte marqué par la tendance au regroupement des collectivités. Surgissent alors de nouveaux acteurs désireux d’imprimer leur marque sur les orientations prises au niveau territorial, ce qui n’est pas sans engendrer des phénomènes de concurrence et de fortes tensions entre les divers ‘partenaires’ – sans compter que les structures intercommunales comprennent généralement moins de femmes que les instances locales élues. De son côté, le pouvoir accru des administrations dans la gestion de l’urbain et du social, comme c’est le cas en Finlande, peut contredire les efforts des femmes qui cherchent à faire reconnaître l’importance de nouveaux champs d’action politique. Dans l’un et l’autre cas, en minimisant le poids des élus, de tels glissements d’autorité risquent de se retourner contre les intérêts des femmes. Tous ces changements au niveau local ont eu lieu dans le cadre du processus d’intégration européenne et de la création de structures de décision transnationales qui ont encouragé les acteurs locaux (et en particulier les femmes actives dans le mouvement associatif) à développer des canaux de coopération directe avec les institutions de l’Union européenne, ainsi que des réseaux et des projets entre les divers pays européens 33. En outre, l’intégration européenne a un impact déterminant sur les processus politiques à l’échelle locale, au travers des nouvelles opportunités offertes par les fonds structurels européens et les programmes d’action. Néanmoins, ce mouvement d’interaction entre divers niveaux politiques (transnational, national local) a rarement été étudié dans une optique de genre, et il existe encore très peu de travaux sur cette dimension. Cette partie de la recherche entendait donc contribuer à mettre au jour les implications des transformations en cours dans les processus de gouvernance. III. CHAMP D’INVESTIGATION De par sa dimension comparative internationale, cette recherche entendait à la fois compléter des connaissances lacunaires concernant les rapports de genre à l’échelle locale et mettre au jour, dans une vision transversale, la variété des pratiques en vigueur dans les sept pays de l’Union européenne choisis pour les besoins de l’enquête l’enquête. Dans son rapport sur l’état des recherches concernant la place des femmes dans la prise de décision, Joni Lovenduski (1997) souligne que les connaissances relatives à la configuration des pouvoirs locaux, dans une optique de genre, laissent encore beaucoup à désirer. Si les travaux concernant les femmes en politique se sont multipliés depuis le début des années 1990, ils portent principalement – surtout ceux qui ont une dimension transversale – sur l'Etat central (instances politiques, administration, directions de grandes organisations nationales publiques, etc.). Pour les pays nordiques, on dispose certes d’études (sur des champs géographiques limités) qui rendent compte des transformations intervenues en raison de l’irruption des femmes dans la vie politique à l’échelle locale, et des enquêtes partielles commençaient à permettre d’y voir plus clair dans des pays comme l’Italie ou la France, au moment du 33 A l’échelle internationale, certains regroupements de femmes ont manifesté leur aptitude à se poser en interlocutrices directes vis-à-vis de l’Union européenne, sans passer par l’intermédiaire des Etats membres, et à obtenir un soutien que ni les pouvoirs nationaux, ni les communautés locales ne leur avaient octroyé – voir le rôle du Lobby européen des femmes, de la coordination des femmes noires, etc. (Jon, 1998 ; Williams, 1998). 30 démarrage de cette recherche, en 2000 34. Mais le degré de savoir restait encore embryonnaire dans la plupart des cas 35. Notre recherche avait donc notamment pour objectif de combler en partie les lacunes existant en matière de connaissances sur les collectivités territoriales, dans une perspective européenne, en mettant en regard des situations contrastées. De façon générale, alors que la sociologie du personnel politique au niveau national est relativement développée, les élus locaux sont moins biens connus. Aborder cette étude à partir du concept de genre et du développement local ne pouvait à nos yeux que contribuer à éclairer diverses dimensions des processus de gestion du local (politiques en direction des personnes dépendantes, action sociale, sécurité, urbanisme...) et des changements induits par une plus forte implication des femmes dans l’activité politique, tant dans les instances du pouvoir formel que dans celles du pouvoir informel. On peut espérer que les résultats de cette enquête permettront, dans une perspective comparatiste, de mesurer l'impact de l'intégration des femmes dans le processus décisionnel local et qu’ils encourageront des études, à la fois sur d'autres pays et sur d'autres secteurs, dans le but d'approfondir le concept de citoyenneté. 1. Délimiter les terrains d’étude Il n’était toutefois pas question pour nous de prétendre saisir une réalité complexe sous tous ses aspects. Aussi fut-il décidé de centrer l’investigation sur la dimension urbaine, étant entendu que la gestion des communes rurales pose des problèmes souvent fort différents de ceux qui se présentent dans les villes – même de taille modeste. Par ailleurs, comme le montrent divers travaux, l’existence de mouvements ou de groupes de femmes dans les villes moyennes ou grandes, et leurs rapports avec les élu(e)s locaux a des incidences certaines sur la gestion des affaires de la cité (Andrew, 1997). On a donc opéré une série de choix concernant les axes d’investigations retenus pour la recherche. D’une part, l’accent a porté sur les processus de changement dans la pratique. Pour ce faire, on a cherché à inclure dans le panel – chose difficile dans plusieurs pays – des villes dont l’exécutif comprenne un nombre important de femmes, ou qui aient une femme maire à leur tête, ou encore qui aient mis en oeuvre des politiques intégrant la dimension du genre dans leurs préoccupations. On s’est intéressé aussi aux situations où des changements avaient été réalisés sous la pression d’interventions extérieures émanant de la société civile – quelle que soit la configuration sexuée du pouvoir local. D’autre part, on a choisi de délimiter l’enquête en s’intéressant avant tout à des questions relevant de la politique locale sur lesquelles les exécutifs municipaux aient réellement prise. A ce titre, on a examiné de plus près ce qui touchait à trois types de politiques spécifiques : • les politiques relatives à la prise en charge des personnes dépendantes (enfants, personnes âgées, malades, etc.) ; • les politiques en matière d’urbanisme et d’aménagement des villes ; • les politiques répondant aux problèmes de sécurité urbaine. 34 Pour la France, notamment, les travaux d’Annie Junter-Loiseau (1998) sur les femmes élues de la ville de Rennes apportent un éclairage nouveau. 35 En France, les retombées de la loi sur la parité ont eu pour effet de susciter de nombreuses études sur l’impact de cette décision à l’échelle locale. Voir notamment Fassin, Guionnet, 2002. 31 Sur chacun des thèmes retenus, il s’agissait d’examiner la façon dont les clivages droite/gauche opèrent, sans oublier que le profil politique des municipalités va souvent de pair avec les ressources matérielles dont elles disposent. On s’est en outre efforcé de déceler (sans toujours parvenir à des considérations explicites – on y reviendra dans la conclusion de ce rapport) si l’investissement des femmes dans les affaires de la cité recoupait ou non ces paramètres. Par ailleurs, à partir d’une analyse sur la répartition des compétences selon le sexe, on a cherché à faire ressortir le rôle des femmes dans les transformations liées au développement local, ainsi que les innovations dans la gestion territoriale contribuant à promouvoir des mécanismes d’égalité et pouvant donner lieu au transfert de pratiques inédites. Il faut noter que la décision de centrer l’attention sur les trois domaines des politiques de la ville précités s’est avérée problématique. Si le premier se décline bel et bien au féminin – qu’il s’agisse des destinataires ou des acteurs (le plus souvent des actrices) qui en ont la charge au plan local – les deux autres champs d’action restent largement dominés par des responsables de sexe masculin qui tendent à occulter la dimension de genre, et les différences relevées quant au mode opératoire des élus se sont avérées ténues. Il aurait fallu, soit se limiter à deux types de politiques bien différenciées, soit choisir un troisième secteur d’action distinct et plus pertinent pour l’enquête. Nous avons pris conscience de cet obstacle au bout d’un certain nombre de mois, mais trop tard pour changer de cap (toute une série d’interviews avaient déjà été réalisées). 2. Faire naître des collaborations à divers niveaux D’emblée, nous avons jugé que la façon de travailler pour mener à bien cette recherche aurait une incidence quant à ses retombées ultérieures. L’une de nos préoccupations constantes a donc été de favoriser les échanges entre acteurs locaux, de façon à ce que les exemples de pratiques dynamiques dévoilés par l’enquête puissent servir de référence dans d’autres lieux ou dans d’autres pays, et aussi que les échecs ou les erreurs commises fassent l’objet de réflexions collectives. Durant la phase initiale consistant à définir le champ d’investigation qui permettrait de mener l'enquête sur les orientations en matière de gestion locale, l’une des idées directrices, sous-jacentes à l’étude a été d’inciter chaque équipe nationale à tisser des liens avec les divers acteurs intéressés par le thème de cette recherche – organismes européens (Conseil des communes et régions d’Europe - CCRE), associations nationales d'élus et, lorsqu'elles existaient, avec les instances officielles locales chargées des droits des femmes. Chaque équipe s’est appuyée également sur des associations féminines/féministes ou autres ONG susceptibles de l’aider à repérer les personnes à interviewer ainsi que les déplacements concernant les centres réels de pouvoir à l’échelle territoriale. La richesse des informations découlant de ces contacts a pesé de manière décisive dans la première phase du travail, puisque ce n’est qu’au terme de l’analyse des pré-entretiens que nous avons pu formuler les hypothèses nécessaires à la construction du cadre de l’enquête et à l’élaboration du guide d’entretien qui a servi à conduire l’interview des personnes sélectionnées dans l’échantillon retenu. Le recours, pour les besoins de l’enquête, à la collaboration de ces divers acteurs a contribué – du moins nous le souhaitons – à susciter une réflexion collective sur l’objet de la recherche, et nous espérons que cette démarche facilitera la diffusion et la valorisation de ses résultats. Plus largement, l’objectif était d’impulser, à partir d'exemples transférables, une prise de conscience au sein de l'Union européenne des changements induits par une présence accrue des femmes dans la vie politique locale et par l'introduction de la problématique du genre dans la 32 gestion territoriale. C’est pourquoi il a été décidé de produire un Guide s’adressant aux acteurs locaux, qui reprenne des exemples d’un certain nombre de pratiques innovantes repérées au cours de l’enquête 36. Le pari était et reste que ce travail suscite l'émergence ou le développement d’études sur les mutations des politiques locales intégrant la dimension sociosexuée de la population. Qu’il facilite la mise en réseau de chercheurs travaillant sur les politiques territoriales et qui incluent la dimension du genre dans leur analyse. Qu’il encourage l’échange de pratiques innovantes sur la gestion locale du changement entre les acteurs territoriaux, dans les divers pays européens. Et, last but not least, qu’il permette de multiplier les contacts entre les collectivités territoriales qui ont introduit ou souhaitent introduire dans leurs politiques le concept de genre. IV. MÉTHODOLOGIE Le projet de recherche, centré sur le rôle des femmes dans la gestion du local et la façon dont elles pèsent dans les processus de changement porte, on l’a dit, sur des pays présentant des caractéristiques très diverses, tant en ce qui concerne la proportion d'élues dans les Conseils municipaux, que le poids des pouvoirs locaux par rapport au pouvoir intercommunal, régional et national, ou encore les conceptions qui prévalent en matière de politiques urbaines et sociales. La décision de constituer une équipe composée de chercheuses appartenant à diverses disciplines des sciences sociales (sociologie, science politique, histoire) visait à enrichir la démarche afin de mettre en évidence, dans des optiques à la fois variées et complémentaires, les disparités entre les pays retenus concernant l’impact de l’intégration européenne au niveau local. Combinée à la dimension internationale, une telle démarche n’était cependant pas sans poser divers problèmes d’ordre conceptuel ou méthodologique. 1. Ecueils conceptuels Comparer des pays contrastés suppose à la fois de procéder par abstraction et par généralisation. Quatre concepts clefs de la recherche paraissaient répondre à cette nécessité et posséder un degré de généralisation et d’abstraction suffisant pour être transculturels, voire universels : genre, changement, local, politiques publiques. Certes, chacun d’entre eux est lié à des pratiques sociales et politiques qui sont redevables d’un concret singulier, mais tous relèvent en même temps d’un universel abstrait, au sens où l’entend Robert Nisbet (1969). Ainsi, le concept de genre est lié à un mouvement social – le féminisme – propre à la modernité politique des pays occidentaux. Celui de changement comporte le présupposé d’une rupture avec un ordre immuable et, à ce titre, participe également de la modernité politique. Le concept de local – ici la ville, le phénomène urbain – est également, par excellence, le produit d’un processus propre à la modernité politique qui aboutit à la rupture avec les réseaux de tutelle personnelle et aux groupes d’appartenance pour produire le citoyen, dans une dynamique d’individuation. Quant à lui, le concept de politique publique est liée aux formes de l’autorité politique qui, dans la dynamique occidentale, se concrétise dans les différentes variantes étatiques. Or se posait la question de savoir jusqu’à quel point ces quatre concepts pouvaient être considérés comme transculturels. Autant le concept de politique publique, qui constitue 36 Initialement, l’idée était de produire un Guide pour les maires, mais le propos a été élargi (voir Heinen, Gaspard, 2004). 33 aujourd’hui un sous-champ disciplinaire de la science politique, tout comme celui de changement social, central dans les divers sous-champs de la sociologie, comportent une telle dimension, autant ceux de genre et de local présentent une double difficulté. Selon les champs disciplinaires auxquels on se réfère, le concept de genre apparaît très polysémique (sans compter qu’il est d’un usage plus assuré en histoire et en sociologie qu’en science politique). Il est polysémique également dans les représentations du sens commun ordinaire – pas toujours aussi éloignées qu’on ne voudrait le croire du sens commun savant. C’est ce dont témoignent les interviews menées dans les sept pays, qui font ressortir la tension entre égalité et différence. Une tension qui produit des glissements de sens allant à la fois de l’égalité à la neutralisation, en passant par l’abstraction, et de la différence à la naturalisation, en passant par l’essentialisme. Bien qu’apparemment la notion de genre soit transculturelle, il peut s’agir d’une illusion. Est-on assuré de maîtriser les connotations de ce terme genre lorsqu’on passe d’une langue à l’autre ? Les mêmes questionnements valent pour le concept de ‘local’, pris dans sa dimension urbaine, lorsqu’on passe d’un pays à l’autre. Aussi une attention spéciale a-t-elle été dévolue à la question de la comparabilité, de façon à saisir les spécificités de chaque système politique national et de chaque réalité socio-économique, dans une perspective de genre, en tenant notamment compte des transformations récentes concernant les équilibres entre lieux de pouvoir à l’échelle locale, nationale et transnationale. Avouons pourtant qu’au terme de la recherche, l’équipe était loin d’être parvenue à apporter des réponses sans détours aux interrogations formulées plus haut : l’acception de ces notions varie à n’en pas douter d’un contexte à l’autre, d’une discipline à l’autre et a fortiori d’un pays à l’autre. Prendre des précautions dans l’analyse s’impose dès lors comme un impératif mais ne constitue en rien la garantie d’éviter des glissements dus à la dimension polysémique de tels concepts. 2. Choix de la méthode comparative On sait le caractère heuristique, mais aussi les difficultés que suppose une démarche de comparaison internationale ayant trait à des systèmes économiques et politiques disparates. La méthode choisie pour mener à bien cette comparaison dans l’espace fut celle de l’approche comparative par cas qui se fonde sur l’étude d’un nombre relativement limité de pays – mais, en l’occurrence, sur un nombre assez important de villes, et de villes différentes, dans chaque pays. Une telle approche rejette les considérations générales a priori pour s’efforcer de saisir les mécanismes opérant dans une situation singulière – dans un contexte donné 37 - et implique de tenir compte des facteurs variés qui déterminent les changements à l’échelle locale aussi bien que le partage sexué des responsabilités ou l’articulation entre les divers niveaux de pouvoir. Concernant le choix des lieux où mener l’enquête, nous avions initialement procédé par délimitation spatiale en retenant des pays contrastés sur trois plans – politico-institutionnel, socio-économique et culturel. D’où la décision de faire porter les investigations à la fois en Europe du Nord (Suède et Finlande), en Europe du Sud (Italie, Portugal et Grèce), et dans la zone intermédiaire (Belgique et France) 38. Nous avons ensuite sélectionné, pour chaque pays, 37 Pour une analyse critique des démarches très variées dans le champ de la comparaison internationale, voir en particulier Tilly (1984) et Kriesi (1994). 38 Si la recherche a porté uniquement sur des pays d’Europe de l’Ouest, c’est d’une part pour tenter de saisir les transformations à l’œuvre dans des pays à la fois dissemblables mais durablement inscrits dans un cadre sociopolitique commun – celui de l’Union européenne et des démocraties occidentales. Dans la mesure où nous entendions examiner les changements intervenus depuis une dizaine d’années au moins, il nous apparaissait risqué 34 dans trois régions distinctes, une dizaine de villes combinant des profils contrastés sur le plan politique, social et culturel, ainsi que des tailles variées – petite, moyenne et grande 39. Et nous l’avons fait en choisissant des villes comparables non de manière formelle (le simple nombre d’habitants), mais selon leur contexte singulier (nombre d’habitants rapporté au type d’habitat de chaque pays), de façon à éviter divers écueils de l’analyse comparée dénoncés par Giovanni Sartori (1994), notamment celui qui consiste à ne pas tenir compte du profil spécifique et des cadres établis d’un pays donné. Concernant le choix de la méthode comparative : nous aurions certes pu opter pour une approche quantitative, statistique, basée sur un grand nombre de variables – méthode orientée vers des considérations générales insistant sur les ressemblances mais qui n’échappe pas toujours aux présupposés simplificateurs 40. Les informations livrées par les éléments de type quantitatif sur la place des femmes dans les organes élus ont en soi une grande importance, et souvent une dimension novatrice, étant donné la fréquente pauvreté des statistiques sur ce thème et leur difficile accès 41. Toutefois, on ne saurait sous-estimer le caractère aléatoire de la mise en regard de données quantitatives qui recouvrent souvent des indicateurs de nature fort variée – des indicateurs qui, en outre, ont généralement été définis sans que ne soit intégrée la dimension de genre. En outre, les disparités existant entre les sept pays considérés quant à la participation des femmes aux centres de décision, notamment au niveau local, permettaient difficilement de construire un échantillon homogène offrant des garanties de comparabilité à l’échelle internationale. Sans compter qu’une approche quantitative ne saurait indiquer si et en quoi les politiques mises en oeuvre diffèrent selon la composition des instances concernées. C’est la raison pour laquelle nous avons opté pour une investigation de type qualitatif (par le biais d’interviews approfondies de « témoins privilégiés »), permettant de repérer le contenu des politiques et leur impact quant aux déplacements des rapports de genre, en lien avec le profil sexué du pouvoir local. Nous avons choisi la méthode comparative par cas, d’une part parce que les lacunes des statistiques sur la place des femmes dans les organes élus au niveau local est telle qu’elle ne permettait pas de s’engager dans une analyse comparée centrée sur les variables. D’autre part, parce que cette méthode est précieuse au regard de la question des notions et des concepts utilisés : elle permet de repérer leur caractère transculturel ou monoculturel, de ne pas occulter à quel point ils sont immanents à l’ordre social et politique – tant dans le sens commun savant que dans le sens commun ordinaire. Elle permet également d’éviter les généralisations abusives dans l’analyse des rapports sociaux et des rapports de forces, en tenant compte de la portée singulière et complexe que leur confèrent les diverses histoires nationales (Badie, Hermet, 2001). Dans une recherche interdisciplinaire sur la gestion du local prenant en compte la dimension de genre et attentive au pouvoir informel, cela apparaissait tout particulièrement important pour interpréter le changement (plutôt que de vouloir l’expliquer), et pour éviter de raisonner en termes d’universaux ou d’invariants. Une telle méthode possède l’avantage de permettre de d’intégrer dans la comparaison des variables contextuelles supplémentaires liées à l’implosion du régime communiste en Europe de l’Est. On peut sans doute regretter les limites induites par une telle décision, mais elles ont obéi à un souci de faisabilité de la recherche. 39 Cette décision a ensuite été revue à la baisse dans certains cas, en fonction de la taille du pays (Belgique) ou du taux de population (Finlande). En Grèce au contraire, compte tenu de la très faible proportion d’élues dans plusieurs des villes choisies, le nombre de localités a été augmenté. L’enquête dans son ensemble a finalement porté sur 79 municipalités (voir le tableau récapitulatif à la fin de ce chapitre). 40 C’est le cas lorsque chaque variable est censée exercer son influence indépendamment du contexte donné par les autres variables. De là découlent, à nos yeux, les limites des comparaisons de type cross national. 41 Notons à cet égard, le caractère inédit des éléments statistiques issus de l’enquête menée, tout en ayant à l’esprit qu’ils n’offrent pas des garanties de comparabilité internationale, puisque l’enquête qualitative par étude de cas n’a pas la prétention d’établir un échantillon homogène. 35 trancher des questions d’interprétations controversées : savoir notamment si davantage de femmes en politique permet la prise en compte de la dimension de genre dans les politiques locales ; et si les représentations que les élues ont de leurs compétences induit un changement social des pratiques et favorise l’adoption de mesures d’action positive. Elle s’imposait d’autant plus que l’objet de la recherche porte sur les effets du temps sur le changement social : le caractère ancien ou récent de la participation des femmes aux structures de décision politique à l’échelon local a-t-il une incidence sur les phénomènes étudiés ? La démarche a permis de montrer, comme nous l’avons souligné dans l’introduction et le développerons plus avant dans les chapitres suivants, qu’une plus forte présence des femmes dans les instances élues ne suffit pas en soi à assurer une prise en compte de la dimension de genre dans les politiques locales (ce qui renvoie au phénomène de la causalité conjointe : cela dépend du contexte particulier) ; et que les écarts entre deux villes d’un même pays sont parfois plus importants qu’entre des pays dont les trajectoires historique, économique, sociale et politique sont très contrastés et distants (ce qui renvoie au phénomène de la causalité multiple : plusieurs conditions différentes peuvent produire le même effet). La méthode comparative par études de cas n’a pas la prétention de résoudre les problèmes soulevés par la causalité conjointe et la causalité multiple. Elle a par contre la prétention théorique de faire une large place à la critique conceptuelle qui, en prenant la mesure de l’immanence sociale des catégories d’analyse et des catégories de perception, est à même de rendre compte du sens que comportent les représentations mises en perspective avec les pratiques. V. LE DÉROULEMENT DE LA RECHERCHE 1. Accumulation de connaissances Au cours de la première étape, on a analysé les informations existantes sur la place des femmes dans les instances politiques locales et sur les conséquences de leur participation à la gestion du pouvoir local.42. Un bilan bibliographique des travaux portant sur l’articulation entre genre et politique, en particulier au niveau local, a tout d’abord été réalisé, qui a permis d’opérer une mise à plat des connaissances sur une série de questions 43. Parallèlement, un recueil d’informations indispensables à la comparaison entre les divers pays a été produit par chacune des équipes concernées, qui comprenait plusieurs éléments : dimension institutionnelle relative au système législatif et aux modes d’élection 44; dimension socio-économique concernant les rapports de genre 45; dimension politique rendant compte des systèmes partidaires, de la répartition des responsabilités entre les sexes (qui fait quoi), et du poids de la 42 Pour ce faire, on s’est notamment appuyé sur les actions et études réalisées dans le cadre des IIIe et IVe programmes de l’Union européenne sur l’Egalité des chances, ainsi que sur les documents émanant du CCRE, de la DG5 et de la DG12. Et en particulier sur les travaux issus du réseau de recherche financé par le programme TSER (« Targeted Socio-Economic Research ») de la Commission européenne : « Gender and Citizenship: Social Exclusion and Social Exclusion in European Welfare States » (1996-1999). Entre autres, voir Siim (2000). 43 Répartition hommes/femmes aux différents niveaux de responsabilités municipales ; répartition des champs d’action en fonction du sexe des élus ; résultats des sondages touchant les représentations des administrés sur les élus locaux ; rôle du maire, etc. 44 Date de l’instauration du suffrage ‘universel’ et du suffrage féminin ; nature de l’Etat (centralisé ou non) ; articulation des structures nation/région/local ; structure urbaine ; types de découpages ; type de scrutin ; cumul des mandats ; mode de désignation des exécutifs locaux ; mode de sélection des candidats ; description du système électoral au niveau local : mode d’élection (ou de désignation) du maire, de l’exécutif et du Conseil municipal, etc. 45 Taux de fécondité ; niveau de diplôme par genre et âge ; taux d’activité par sexe ; dimension sexuée du travail à temps partiel (et d’autres formes d’emploi spécifiques), etc. 36 sphère politique informelle 46. Une synthèse résultant de pré-entretiens exploratoires menés auprès de maires, d’adjoint(e)s aux maires et d’autres élus locaux pour déceler les lignes directrices des changements opérés dans la gouvernance (notamment en matière de politiques territoriales), ainsi qu’auprès d’autres acteurs de la politique locale (responsables d’associations, fonctionnaires administratifs, administrés...) a par ailleurs été réalisée. Les documents produits ont permis de formuler de hypothèses concernant les conséquences de la présence des femmes dans la gestion du pouvoir territorial et la nature des changements opérés, et c’est à partir de là qu’ont été définis les critères de sélection des villes et des personnes-types à retenir pour l’enquête. Pour chaque région (ou fraction territoriale similaire) arrêtée, on a sélectionné trois villes de tailles variées (grande, moyenne, petite), dont le nombre d’habitants a été déterminé en fonction du type d’habitat propre à chaque pays 47. A été pris en compte, à ce stade, le profil politique des localités choisies, notamment en ce qui concerne le traitement des inégalités de sexe – adoption ou non de politiques qui encouragent l’implication des deux sexes dans la prise de décision à l’échelle locale et qui impulsent des méthodes de gouvernance inédites. 2. Mise en oeuvre de l’enquête qualitative L’enquête visait à évaluer si les politiques mises en oeuvre tiennent compte de la présence des deux sexes dans le tissu social ; si elles sont porteuses de changements dans la gestion du social ; si elles se traduisent concrètement par une dynamique incitant les femmes à s’investir dans l’activité politique ; et si elles prennent en compte les demandes sociales que les femmes expriment le plus souvent hors du champ politique classique. Pour ce faire, on a étudié, d’une part, les décisions des Conseils municipaux, le contenu des législations et des éventuelles mesures d’action positive en direction des femmes. On a examiné, d’autre part, ce qu’il en était du poids de la sphère associative, compte tenu de l’importance du facteur para-politique pour expliquer les décisions politiques, et on s’est efforcé de mettre au jour les interactions entre les politiques adoptées et les sujets agissants, ainsi qu’entre les acteurs eux-mêmes. Cette seconde étape de la recherche – la plus longue – s’est appuyée principalement sur des entretiens approfondis avec des acteurs locaux de profils variés - élu(e)s, responsables politiques, syndicaux, associatifs... Selon les villes, sept à dix entretiens ont été réalisés dans chaque ville 48, autour des trois axes d’investigation fixés par la recherche 49 et en centrant les questionnements autour des trois types de politiques locales retenues comme entrées pertinentes pour mener la recherche à bien. 46 Structures et poids des partis ; formes de participation électorale (importance du phénomène d’abstention) ; type de responsabilités prises en charge par les femmes élues ou nommées ; influence des mouvements féminins/féministes sur la vie politique et le processus électoral, etc. 47 Le choix des localités a obéi à différents critères : présence d’une femme au poste de maire ; proportion de femmes élues (ou nommées) dans l’exécutif et dans le Conseil municipal ; adoption par le Conseil de politiques s’adressant aux femmes et/ou facilitant la prise en compte de la dimension de genre ; existence d’une pression sociale en provenance d’associations ou de mouvements de femmes ayant un ancrage local de longue date, pour que de telles politiques soient adoptées. 48 La répartition adoptée initialement, qui consistait à interviewer cinq à six élus, deux responsables administratifs et deux responsables associatifs a été modulée dans certains cas pour tenir compte des réalités nationales et locales : l’équipe finlandaise, notamment, a pondéré à la hausse le nombre d’entretiens passés avec des responsables administratifs dans la mesure où, dans ce pays, le maire est un fonctionnaire, et non un élu. 49 Pour rappel : effets de la composition sexuée des instances politiques ; rôle des femmes dans la société civile ; impact des changements récents dans les formes de gouvernance. 37 3. Analyse transversale Dans un troisième temps, le travail a consisté à confronter les diverses données et expériences ressortant de l’enquête dans les sept pays pour faire émerger l’ampleur éventuelle des changements intervenus en matière de politiques locales ainsi que la détermination des élu(e)s à prendre en compte la dimension du genre dans la gouvernance. Et ce, en tenant compte, bien entendu, du poids de l’histoire, des spécificités sociales et culturelles permettant seules de mesurer les effets des politiques adoptées dans un contexte macrosociétal donné, et donc d’apprécier correctement le rapport entre pratiques et représentations. La méthode comparative choisie s’est avérée pertinente pour interpréter les variations du degré d’investissement des femmes dans la politique locale ainsi que l’influence qu’elles exercent sur les instances de décision aux divers échelons du système politique, et elle a permis de prendre en compte la dimension interdisciplinaire de cette recherche. Ceci étant, les difficultés d’ordre méthodologique à laquelle nous avons été confrontés dans l’analyse transversale, et qui tient à la dimension de comparaison internationale de cette recherche : nous n’étions pas en mesure de prendre directement connaissance du contenu des interviews réalisées dans les divers pays, du fait de nos limites respectives sur le plan linguistique – et aussi, en raison du temps imparti. Nous nous sommes donc contenté(e)s des synthèses rédigées par les équipes nationales, assorties des citations qu’elles jugeaient les plus pertinentes pour illustrer leur propos. Or cette manière de faire induit à n’en pas douter un sérieux biais dans l’analyse. Bien que nous ayons élaboré une grille commune pour décrypter les discours et structurer les synthèses émanant des enquêtes nationales, il y a fort à parier que nous avons donné des interprétations différentes, voire divergentes, de certains aspects de la réalité sociale et politique, en fonction des contextes culturels et des cadres de réflexion qui nous sont propres (sans parler de la polysémie des concepts évoquée plus haut). Pour avoir une vue d’ensemble, il aurait fallu traduire un certain nombre d’interviews de chaque pays dans l’une des langues communes à tous les partenaires et disposer pour ce faire d’un budget spécifique. Certes, une telle méthode a ses lourdeurs – tant sur le plan financier que du point de vue de la durée de la recherche. Mais seule une telle procédure, en rendant accessibles à l’ensemble des partenaires les discours d’acteurs ancrés dans des contextes nationaux différents, aurait permis une réelle analyse transversale – quels que soient les biais d’un autre ordre induits par une traduction. C’est à cette même conclusion que sont parvenus les participants de l’un des séminaires sur la famille organisés en 2002 par la Commission à l’intention des coordinateurs de diverses recherches comparatives en cours 50. ***** Les diverses étapes de la recherche ont été ponctuées par huit séminaires qui, à l’exception du premier, ont tous été ouverts aux chercheurs et aux interlocuteurs des collectivités territoriales désireux d’y participer (en réservant chaque fois une partie du temps à des échanges strictement internes), et qui se sont tenus tour à tour dans des pays différents, de façon à pouvoir toucher un nombre maximum de membres de la communauté scientifique ou d’acteurs de la politique locale intéressés par l’objet de la recherche. Chacun des séminaires a servi à faire le point sur les problèmes rencontrés aux diverses étapes de la recherche et a été l’occasion de fructueux échanges sur des questions à propos desquelles les avis divergeaient parfois grandement, en fonction de l’orientation théorique des 50 Ayant appris par la suite que d’autres équipes financées par le 5e PCRD avaient intégré les sommes nécessaires à cet effet dans leur projet de budget et que le principe d’une telle dépense avait été accepté, nous n’avons pu que regretter, a posteriori, de ne pas avoir eu l’audace d’en faire autant. 38 partenaires concerné(e)s, de leur ancrage national ou de leur discipline d’appartenance. Elles ont permis en particulier : de se mettre d’accord sur le contenu des rapports intermédiaires remis à la Commission européenne ; de définir collectivement le contenu du site web ; de travailler en commun au rapport de recherche transversal dont le plan et le contenu ont été modifiés à plusieurs reprises ; de définir progressivement les contours du Guide s’adressant aux acteurs locaux ; et enfin, de préparer le colloque international des 22-23 mai 2003 qui a eu lieu à la Mairie de Paris et qui est venu clore ce travail de trois ans. Ce colloque intitulé « Collectivités locales et prise en compte de l’égalité des sexes : une optique comparative » avait pour but de rendre compte publiquement des résultats de nos travaux 51. Quelque 150 personnes venant de divers pays ont participé aux deux journées de débats La première, structurée autour du thème ‘Genre et démocratie locale’ s’est traduite, le matin, par des interventions de plusieurs des partenaires de la recherche sur les questions des lieux de pouvoir et des mécanismes mis en œuvre pour promouvoir l’égalité des sexes. Elle a donné lieu, l’après-midi, à une table ronde sur la place des femmes dans les instances de pouvoir local, à laquelle participaient des élues de plusieurs pays (Suède, Grèce, France). La seconde journée, axée sur l’articulation entre politiques locales et rapports sociaux de sexe, a permis de rendre compte des représentations et des discours des élu(e)s sur le rôle attribué aux femmes dans la gestion municipale, et d’examiner le contenu des politiques locales mises en œuvre dans les diverses localités sur lesquelles la recherche a porté. La table ronde de l’aprèsmidi, à laquelle participaient des élues et une responsable administrative d’Italie, du Portugal, de Finlande, du Canada et de France, était centrée sur ce même thème. Le colloque s’est conclu par une intervention de la Vice-présidente de la délégation aux droits des femmes du Sénat, adjointe au Maire de Paris et chargée des universités. 51 Il a été co-financé par divers organismes : Commission européenne ; Délégation aux droits des femmes de la Préfecture Ile-de-France ; Mairie de Paris ; Service des droits des femmes du ministère du Travail ; CNRS (Centre national de la recherche scientifique) ; SAN (Syndicat d’agglomératrion nouvelle) de St-Quentin-en-Yvelines ; Université de Versailles-St Quentin-en-Yvelines. 39 TABLE DES ILLUSTRATIONS Tableau 1 : : Evolution de la proportion de femmes conseillères municipales (graphique et tableau)....................................................................................................................................... 41 Tableau 2 : Evolution de la proportion de femmes maires (graphique et tableau) ................... 42 Tableau 3 : Informations sur les villes étudiées......................................................................... 43 40 Les statistiques sexuées sur la représentation des élus locaux n’ont pas fait l’objet de publication systématique dans tous les pays étudiés. Aussi les équipes de recherche se sontelles reposées sur les chiffres diffusés par l’administration publique, sans toujours pouvoir combler les lacunes dans la mesure où les données sexuées n’existent pas pour certaines périodes. Tableau 1 : : Evolution de la proportion de femmes conseillères municipales (graphique et tableau) 50% 45% 40% 35% fin de la décennie 1980 30% moitié de la décennie 1990 25% début de la décennie 2000 20% 15% 10% 5% 0% Grèce Portugal Italie fin de la décennie 1980 Belgique France Finlande Suède moitié de la décennie 1990 début de la décennie 2000 Grèce * 7% 12% Portugal 6,3% 11,7% * Italie 6,8% 18,6% 16,5% Belgique 13,8% 19,9% 19,5% France 17,1% 21,7% 33,0% Finlande 27,2% 30,0% 34,4% Suède 33,7% 41,5% 42,4% *Les données ne sont pas encore disponibles pour les élections de 2001 au Portugal. Les données n’existent pas pour la Grèce avant les années quatre-vingt-dix. Le pourcentage des conseillères municipales a augmenté pour tous les pays au cours des dix dernières années, avec une accélération sensible pour la France en raison de l’application de la loi sur la parité 52. On note toutefois une exception dans le cas de l’Italie où les mesures de type 52 D’ailleurs la proportion de femmes dans les conseils municipaux en France est de 47,8% pour les villes de plus de 3500 habitants. 41 quota ont été déclarées inconstitutionnelles, ce qui s’est traduit par une baisse de la présence des femmes. Néanmoins, aucun pays n’atteint une représentation véritablement paritaire dans l'ensemble des conseils municipaux, même si la Suède se rapproche de l’égalité des sexes en politique 53. On peut en effet distinguer trois groupes : la Suède qui dépasse les 40% des femmes élues ; les pays qui ont mis ont mis en œuvre des mesures positives leur permettant d’augmenter de façon très significative la proportion d’élues ; et enfin, la Grèce et le Portugal, où les femmes représentent moins de 15% des élus locaux. Tableau 2 : Evolution de la proportion de femmes maires (graphique et tableau) 50% 45% fin de la décennie 1980 40% moitié de la décennie 1990 35% début de la décennie 2000 30% 25% 20% 15% 10% 5% 0% Grèce Portugal Italie Belgique Finlande France Suède fin de la décennie 1980 moitié de la décennie 1990 début de la décennie 2000 Grèce * 1,56% 1,78% Portugal 2,3% 3,9% 5,2% Italie * 6,3% 6,6% Belgique 3,9% 5,1% 7,6 % Finlande 2% 7,5% 9,8% France 5,4% 7,6% 10,9% Suède * 14% 20% * Chiffres manquants 53 En Suède, une dizaine de conseils municipaux sur 290 comprennent plus de femmes que d'hommes, et le conseil est paritaire dans plus d'une dizaine de cas. 42 Au niveau des femmes maires54, on observe également une hausse mais de façon beaucoup plus lente. A l’exception de la Suède, 15% des maires maximum sont des femmes dans les autres pays considérés. Cette inégalité est généralement renforcée par la taille de la commune. En effet, si la féminisation des conseils municipaux, outre qu’elle concerne avant tout des femmes ayant un taux d’activité et un bagage culturel élevés, apparaît le plus souvent comme un phénomène urbain, il n’en va pas de même pour les postes de responsabilité. Dans nombre de pays, les femmes maires sont nettement plus nombreuses à la tête de petites communes (y compris rurales) que de grandes villes – preuve que l’inégalité des femmes en politique est d’abord une inégalité face au pouvoir politique. En Suède, en revanche, c'est au contraire dans les grandes villes que les femmes sont proportionnellement les plus nombreuses dans les fonctions exécutives. Notons toutefois que les connaissances sont partielles étant donné qu’il n’existe pas de statistiques sur les exécutifs des assemblées 55. C’est ce dont témoignent les données figurant dans le tableau ci-dessous, qui recense les informations relatives aux villes étudiées dans les sept pays couverts par l’enquête. Tableau 3 : Informations sur les villes étudiées Villes Nombre d'habitants Date des dernières élections Pourcentage Pourcentage de femmes sexe du de femmes président de dans le dans l'exécutif conseil l'assemblée local municipal Villes de Belgique Watermaelboitsfort 24742 oct 2000 30,7% 57% F Forest 45465 oct 2000 45,7% 50% F Bruxelles - ville 134243 oct 2000 37,8% 40% H Huy 18816 oct 2000 36,0% 50% F Mons 91187 oct 2000 37,7% 33% H Namur 104994 oct 2000 36% 20% H Ieper 35128 oct 2000 26,4% 12,5% H Aalst 76223 oct 2000 22,2% 12,5% F Antwerpen 447632 oct 2000 29,3% 36,3% F Finlande Helsinki 550000 oct 2000 48% 53% F Kotka 55000 oct 2000 31% 58% M Kuopio 86000 oct 2000 37% 45% M Joensuu 51000 oct 2000 45% 44% M Savonlinna 28000 oct 2000 26% 45% M Oulu 35128 oct 2000 34% 46% M 54 Pour la Suède, il s'agit du Président du comité exécutif et non du président du conseil municipal qui est une fonction avant tout représentative. Contrairement aux autres pays de la recherche, en Finlande le maire est un fonctionnaire. Toutefois, il est élu par le conseil municipal pour un poste permanent ou d'une durée déterminée et il peut être licencié par le conseil. De plus, la nouvelle lois municipale souligne la responsabilité politique du maire vis-à-vis le conseil municipal. 55 En Suède, nous savons qu'en 1999, au cours du précédent mandat, les comités exécutifs des municipalités comptaient 36 % de femmes en moyenne, à l’échelle nationale. 43 Raahe 76223 oct 2000 16% 45% M Villes de France Versailles 91000 mars 2001 50% 57% H Mantes la jolie 45000 mars 2001 50% 25% H Guyancourt 25000 mars 2001 50% 27% H Rennes 206200 mars 2001 50% 55% H St Malo 50700 mars 2001 50% 50% H Morlaix 15985 mars 2001 50% Toulouse 400000 mars 2001 50% 40% H Tournefeuille 22758 mars 2001 50% 40% H Lille 184231 mars 2001 50% 40% F Tarbes 47556 mars 2001 50% 33% H H Villes de Grèce ** : Athenes 772072 oct 1998 44% 63% H FILOTHEI 8396 oct 1998 44% 67% H Psychico 10592 oct 1998 40% 67% H Nea smyrni 69749 oct 1998 32% 20% H Vyronas 58523 oct 1998 36% 25% H Keratsini 71982 oct 1998 16% 0% H Ano liossia 21397 oct 1998 5% 0% H Zografou 80492 oct 1998 26% 40% H Kamatero 18759 oct 1998 16% 0% H Nikaia 87597 oct 1998 26% 0% H Zefyri 8985 oct 1998 20% 0% H Volos 80000 oct 1998 10% 20% H Nea ionia 30000 oct 1998 5% 0% H Iolkos 2115 oct 1998 7% 33.3% F Amfissa 9478 oct 1998 21% 20% F Larissa 125000 oct 1998 18% 20% F Karditsa 37219 oct 1998 10% 25% H Trikala 48962 oct 1998 12% 20% H Thessaloniki 56000 oct 1998 23% 11% H Eyosmos 53000 oct 1998 5% 5% H Stavroupoli 50000 oct 1998 11.5% 0% H Kordelio 22000 oct 1998 15% 20% H Kalamaria 120000 oct 1998 16% 16% H Pylaia 23000 oct 1998 10% 33% H 44 Villes d'Italie Venezia 298000 avr 2000 7% 23% H Vicenza 110317 nov 1998 23% 8% H Rubano 13174 juin 1999 14% 50% H Sassuolo 40000 juin 1999 33% 25% F Modena 176000 avr 2000 20% 20% H Cattolica 16000 juin 1999 25% 14% H Calabria : 2600 mai 1998 18% 20% F Lamezia terme 68141 mai 2001 10% 13% H Paola 18000 mai 2001 5% 14% H Villes du Portugal*** Matosinhos 165 921 2001 9,1 % H Paredes 83 064 2001 28,5 % H Baião 22 033 2001 28,5 % F Sintra 371 118 2001 27,3 % H Montijo 39 324 2001 28,5 % F Ourem 46 504 2001 0 H Elvas 22 964 2001 14,3 % H 6 439 2001 40 % H Alandroal Villes de Suède Upplands-väsby 37576 sept 1998 47% 46% F Salem 13766 sept 1998 42% 27% H Huddinge 84535 sept 1998 41% 25% H Falköping 31007 sept 1998 43% 38% F Ale 25421 sept 1998 49% 36% F Göteborg 466990 sept 1998 47% 39% H Alvesta 18916 sept 1998 47% 30% F Växjö 73901 sept 1998 48% 40% H Jönköping 117095 sept 1998 48% 33% H ** Comparativement aux autres pays, la recherche a porté sur un nombre de villes nettement supérieur en Grèce, compte tenu des difficultés de l’enquête liées à la faible proportion de femmes élues et à leur dispersion géographique. *** Les données ne sont pas encore disponibles 45 46 CHAPITRE II : L’ÉGALITÉ DES SEXES À L’AUNE DES CONTEXTES NATIONAUX Les sept pays couverts par notre enquête présentent des situations contrastées, et ce chapitre se donne pour objectif de dresser un panorama des situations nationales pour tenter, au travers des comparaisons, de comprendre les dynamiques à l’œuvre quant à la place des femmes en politique. Aussi commencera-t-on par analyser, dans une perspective historique, l’accès des femmes à la sphère politique dans chacun des pays. Puis on étudiera les diverses structures qui, aujourd’hui, favorisent la présence des femmes dans les instances nationales, ou les mesures législatives mises en place ici et là. Enfin, on s’efforcera d’évaluer l’importance du milieu associatif, de son rôle selon les pays et de la place que les femmes y occupent, afin de donner une vue d’ensemble des contextes nationaux variés qui forment le panorama de notre terrain d’enquête. I. LA PRÉSENCE DES FEMMES EN POLITIQUE : PERSPECTIVES HISTORIQUES Existe-t-il des similarités dans l’accès des femmes au politique dans ces sept pays européens ? Est-il possible de dresser une typologie des diverses voies d’entrée des femmes en politique ? Et surtout, l’histoire des droits civiques et politiques des femmes peut-elle éclairer la situation actuelle des femmes en politique ? Autrement dit, l’acquisition plus ou moins tardive du droit de vote, notamment, induit-elle mécaniquement un retard au niveau de la représentation politique ? 1. Droit de vote et éligibilité Alors que les femmes peuvent se rendre aux urnes dès 1906 et participer à tous les scrutins dès 1917 en Finlande 56, les citoyennes portugaises, pour leur part, ne peuvent voter qu’à partir de 1974, du moins pour l’ère démocratique. Il s’agit là des deux situations extrêmes parmi les sept pays où nous avons enquêté. Si la Suède permet aux femmes de voter au sortir de la première guerre mondiale (ces droits furent accordés entre 1918 et 1921 57), il faudra attendre pour les quatre autres pays la fin du deuxième conflit mondial pour que les femmes s’y voient accorder une pleine citoyenneté politique : 1944 pour la France, 1945 pour l’Italie, 1948 pour la Belgique 58 et 1952 pour la Grèce. Trois de ces sept pays ont différencié les scrutins nationaux et locaux en matière d’accession à la citoyenneté politique. Ainsi, la Finlande a d’abord accordé le droit de vote aux femmes aux élections nationales (1906), puis locales (1917). La Belgique, pour sa part, l’a accordé en 1919 pour les élections communales et en 1948 pour les autres niveaux de pouvoir. Le Portugal de Salazar reconnut également, sous certaines conditions statutaires, le droit de vote différencié – 56 Il s’agit là du seul pays de l’enquête où le droit de vote pour les élections nationales a précédé celui des élections locales. 57 Au niveau local, le suffrage censitaire pratiqué auparavant permettait cependant à certaines femmes de voter et même de se faire élire avant la première guerre mondiale. 58 Notons cependant que la Belgique accorda ce droit dès 1919 pour les élections locales. 47 à savoir 1931 pour les scrutins locaux et 1933 pour les scrutins nationaux. Cependant, toutes les femmes n’en bénéficiaient pas : seules celles qui étaient diplômées de l'enseignement secondaire ou supérieur pouvaient voter 59. Le suffrage universel stricto sensu ne sera effectif qu’en 1974, après l’établissement de la démocratie. Ces décalages montrent qu’un niveau de pouvoir peut être considéré différemment selon les contextes. Par exemple, le niveau communal (municipal) est considéré par les politiques belges ou français 60 comme un apprentissage de la citoyenneté, donc perçu comme de moindre importance 61 et de ce fait plus accessible aux femmes 62. Dans la même perspective, certains travaux contemporains mettent en avant le fait que la meilleure représentation des femmes dans les assemblées délibératives peut être mise en relation avec un pouvoir sans cesse décroissant de ces organes en faveur des instances exécutives, ou encore que les niveaux de pouvoirs considérés comme de moindre importance connaissent souvent une meilleure représentation féminine (parlements locaux, régionaux, Parlement européen). Au travers du droit de vote, nous nous sommes penchés sur le versant passif de la citoyenneté politique. Mais qu’en est-il du droit d’éligibilité, seconde composante de l’inclusion à la sphère politique et condition nécessaire à une réelle participation politique ? Là aussi, des différences intéressantes apparaissent entre les pays étudiés. Quant à la concomitance entre droit d’élire et d’être élu, deux cas de figure existent. Le premier vise à accorder ces deux droits en même temps. C’est le cas de la Finlande (1906 et 1917) 63, de la Suède (1918 et 1919), de la France (1944), de l’Italie (1945), de la Grèce (1952) et du Portugal de l’ère démocratique (1974). Dans cette logique, il est probablement considéré que ces deux dimensions sont étroitement liées et qu’il est fort peu concevable de pouvoir voter sans être élu. Le second cas de figure est illustré par le cas de la Belgique : les femmes ont pu y êtres élues avant même d’avoir le droit de se rendre aux urnes. Elles ont ainsi obtenu le droit d’éligibilité à des dates différentes selon les niveaux d’élection. Pour le niveau local et pour le Sénat, ce fut à partir de 1921, et à partir de 1920 pour la Chambre des Représentants. Comment interpréter cette singularité ? En Belgique, ce sont les partis politiques qui font, assez clairement, le jeu politique. Ce sont eux, en effet, qui ont la capacité (quasiment) exclusive de présenter les listes de candidats pour les élections et les candidatures a-politiques sont très rares. Il servent en quelque sorte de filtre et peuvent éviter que des candidatures « trop indépendantes » ou contestataires émergent, ce qui confère au monde politique des airs de « forteresse » (sociale, ethnique mais aussi sexuée). De ce fait, accorder le droit d’éligibilité avant le droit de vote ne fut pas considéré comme un danger pour la classe politique en place, dans la mesure où l’accès à la représentation était verrouillé par le système partisan. Il est, par conséquent, malaisé de considérer cet agencement des droits comme positif pour la représentation des intérêts des femmes ou de juger qu’il s’agit d’une étape dans l’inclusion des femmes à la vie publique. Ainsi, la première femme parlementaire belge n’était pas élue : elle 59 Concernant les hommes il suffisait qu'ils sachent lire et écrire. Ainsi certaines communes, dont Paris, avaient des conseillères municipales, qui n’avaient pas le droit de voter et n’était pas élues mais avaient un rôle consultatif dès l’entre-deux-guerres. 61 En Belgique ce principe était avancé, à l’époque, par certains défenseurs du droit de vote des femmes. Et il fut convenu d’emblée que l’extension de ce droit aux autres scrutins ne se ferait que plus tard. 62 Le débat sur le droit de vote des étrangers confirme cette hypothèse pour ces deux pays : il est toujours envisagé au niveau local, mais rarement au niveau national. 63 Pour chaque niveau de pouvoir – local et national – ces deux droits ont été conférés en même temps. 60 48 siégeait comme sénatrice cooptée 64 et était issue d’une famille bien connue dans le monde politique belge. C’est donc son appartenance familiale et sociale plus que son sexe qui a joué en faveur de son entrée au Parlement. Elle sera cooptée sans discontinuer de 1921 à 1958. L’absence de légitimité élective ou d’ancrage dans les associations féminines de l’époque ne faisait certainement pas de Marie Spaak Janson une représentante des « intérêts des femmes ». La France d’avant la deuxième guerre mondiale présente une situation similaire puisque les femmes n’y ont alors ni le droit de vote, ni celui d’éligibilité – ce qui n’empêche pas Léon Blum d’en nommer trois dans son gouvernement en 1936. Cette présence en politique est donc avant tout le « fait du prince », tradition qui tend à perdurer en France encore aujourd’hui, et qui montre que les femmes n’accèdent pas aux plus hauts échelons du pouvoir politique de la même façon que les hommes. S’il n’y a pas de corrélation historique prédéfinie entre acquisition du droit de vote et place des femmes aujourd’hui en politique dans les sept pays étudiés, on peut néanmoins noter que les premiers à accorder le droit de vote, à tous les échelons, sont aussi ceux qui, aujourd’hui connaissent la proportion de femmes en politique la plus forte (Finlande et Suède). Certes, la causalité n’est pas directe puisque la place actuelle des femmes en politique est avant tout à mettre en lien avec les luttes féministes et la mobilisation des associations de femmes dans les partis politiques depuis les années 70 – lesquelles ont été plus ou moins importantes et efficaces selon les pays. On peut tout de même penser que l’acquisition précoce du droit de vote traduit une meilleure acceptation des femmes par le monde politique. En France, par exemple, les débats récents autour de la loi sur la parité ont rappelé – différé dans le temps – le refus réitéré du Sénat (six fois !) d’accorder le droit de vote aux femmes pendant l’entre-deux guerres, puisque les mêmes registres argumentaires ont souvent été utilisés. Sans parler de causalité historique, on peut noter que l’histoire courte et l’histoire longue semblent parfois être en résonance. Néanmoins, bien d’autres facteurs sont à prendre en compte quand il s’agit d’analyser les raisons de la sous-représentation politique des femmes 65. 2. L’exécutif : parent pauvre de la féminisation 66 Si les droits de vote et d’éligibilité constituent une première inclusion à la sphère politique, ils ne présagent pas de la place des femmes dans les exécutifs. Certes, la proportion de femmes dans les assemblées parlementaires nationales est croissante dans tous les pays touchés par l’enquête. Mais qu’en est-il des femmes siégeant aux postes exécutifs ? L’analyse de la présence des femmes dans les organes exécutifs révèle des disparités nationales importantes. Entre la désignation de la première ministre en Finlande (1926) et la nomination de son homologue italienne (1976), s’écoule moins d’un demi-siècle. En Suède, où 64 La cooptation est un mécanisme au travers duquel les sénateurs élus directement désignent une autre catégorie (les cooptés) au prorata des résultats électoraux des formations qui composent l’assemblée. Les candidatures sont de facto soutenues par les dirigeants des partis politiques et ont différentes ambitions. Intégrer des personnalités éminentes de la société civile… ou permettre à une personne qui a « raté son élection » de conserver son siège parlementaire. 65 Selon Pippa Norris (1993) quatre ensembles de variables sont à prendre en compte en la matière : les variables socio-économiques ; les effets de systèmes (en particulier le système électoral, la culture politique etc.) ; les effets liés à la taille des partis politiques ; et les variables relatives aux ressources individuelles pour l’accès au monde politique. 66 Afin d’éviter les problèmes relatifs aux dénominations différentes selon les pays, la notion d’exécutif recouvre ici l’ensemble des postes occupés par des femmes ayant siégé dans leurs gouvernements respectifs – sans distinction de leur statut : sous-secrétaire d’Etat, secrétaire d’Etat, ministre, commissaire au gouvernement… 49 le gouvernement est paritaire depuis près de 10 ans 67, ce n'est qu’à partir de 1947 qu’une femme a exercé les fonctions de ministre. Elles n’ont été que cinq dans le même cas jusqu’en 1973 68, et jamais plus de deux à la fois (entre 1967 et 1973). Il faudra attendre une vingtaine d’années pour que l’on atteigne progressivement la parité. Les autres pays, pour leur part, ont vu une femme exercer une fonction ministérielle pour la première fois, entre 1936 (France) et 1956 (Grèce) 69. Dans tous les cas, leurs champs de responsabilité étaient liés au rôle des femmes dans la sphère privée (enfance, famille, affaires sociales, …). A l’exception des deux pays nordiques inclus dans cette recherche, où la participation des femmes au gouvernement oscille autour des 40-50 %, le bilan est plutôt maigre en la matière. La Suède, dont les gouvernements sont paritaires depuis 1994 contraste ainsi avec la Grèce par exemple (environ 12 % pour les deux dernières législatures), le Portugal (11,5 % dans l’actuel gouvernement, 9,5 % dans le précédent), la Belgique (qui se situe dans une moyenne « acceptable » 70 avec 20 %) 71 ou la France (le nouveau gouvernement de droite est composé de 26 % de femmes, alors que les deux gouvernements précédents ont affiché entre 12 et 30 %). Mais les pourcentages masquent parfois la réalité. Tout d’abord, les exécutifs nationaux sont composés de niveaux de pouvoir différents. En France, par exemple, trois niveaux s’articulent : ministre, ministre délégué et secrétaire d’Etat. Si l’on s’intéresse à l’échelon le plus élevé, le pourcentage tombe alors à 19 % de femmes dans le gouvernement actuel. De plus, les variations de pourcentages sont aussi liées au nombre total de ministres en place. Ainsi, si le gouvernement Jospin en France affiche 30 % de femmes, elles ne sont qu’au nombre de huit car l’effectif global du gouvernement est relativement faible. Alors que dans le gouvernement Raffarin, lequel affiche 26 % de femmes, elles sont 10 – il est vrai à des postes plutôt subalternes. De façon similaire, au Portugal, les faibles variations enregistrées sur les trois dernières mandatures (entre 9 et 11 %) sont liée à celles des effectifs des gouvernements successifs, cependant que le nombre de femmes, lui, reste constant (six en tout). Aussi l’analyse fine des variations numériques sur les trois derniers gouvernements de certains pays montre-t-elle les résistances à l’entrée des femmes : tout se passe comme s’il existait un seuil numérique qui est aussi un plafond de verre. Si l’on se penche sur les compétences qui leur sont dévolues, on relève durant longtemps l’existence d’une répartition des tâches, en phase avec la division plus générale du travail entre les sexes. Ce n’est qu’à partir des années 1990 que la situation commence à évoluer. Des femmes occupent dès lors des postes ministériels qui ne sont pas forcément liés à la dichotomie traditionnelle des rôles sociaux, non seulement en Suède et en Finlande, mais aussi en Belgique et en France. Là où les pourcentages de femmes au sein du gouvernement sont les plus faibles – autour de 10 % –, comme c’est le cas au Portugal, en Italie et en Grèce, les schémas usuels perdurent en matière d’attribution des compétences ministérielles. Peut-on espérer que la division sexuée des tâches s’estompera dans les années à venir ? Bien qu’il soit difficile de répondre à cette question, des éléments de réponse peuvent être esquissés. Considérant les avancées importantes dans les deux pays nordiques concernés par la recherche (Finlande et Suède), où les données de départ n’étaient pas forcément plus favorables qu’ailleurs, aucun élément objectif n’interdit d’être optimiste pour l’avenir. La situation de ces 67 Depuis 1994. De manière générale, la position des femmes dans les structures de décision politique n’était pas très élevée avant cette date. Tout au contraire. Ainsi, en 1970, seules 10 % de femmes siégeaient dans la Chambre haute du pays, et 15 % dans la Chambre basse. 69 1964 pour la Belgique et 1969 pour le Portugal. 70 Il s’agit là d’une figure de style. La seule moyenne acceptable devant être la parité à part entière. 71 Gardons toutefois à l’esprit que les premières élections assorties de listes paritaires datent du 18 mai 2003. 68 50 pays était, dans les années 1980, fort comparable à celle de la Belgique ou la de France aujourd’hui. Les lois sur la parité établies en France ou en Belgique, trop récentes pour permettre d’en faite un bilan, peuvent avoir un impact en termes de meilleure représentation féminine au Parlement. Une fois leur présence assurée, les élues pourront peser de façon plus efficace en faveur d’une meilleure représentation des femmes aux plus hauts postes de responsabilité. Dans les deux pays précités, force est de constater que rien n’a été fait de façon formelle jusqu’à aujourd’hui en matière d’intégration des femmes dans les gouvernements. Tout au plus est-il stipulé dans la loi belge qu’un gouvernement ne peut-être unisexe. Néanmoins l’exemple français marque une évolution de ce point de vue. En effet, l’épisode connu sous le nom des « Jupettes » a choqué l’opinion publique et montré que les Français(e)s n’étaient pas insensibles à cette question. En 1995, Alain Juppé, premier ministre, avait mis en exergue le nombre élevé de femmes dans son gouvernement, surnommées les « Jupettes ». Six mois plus tard, ce sont elles qui devaient faire les frais d’un remaniement ministériel – leur proportion passant alors de 30 à 12 %. Les médias n’ont pas manqué de faire remarquer que les femmes avaient été instrumentalisées par le premier ministre, mises en avant puis remerciées sans avoir leur mot à dire. Devant ces critiques acerbes, ce dernier déclara qu’elles avaient été les premières à être « licenciées » car elles étaient « les moins compétentes ». Déclaration qui ne manqua pas de soulever encore plus d’indignation. Aujourd’hui, il semble difficilement imaginable que l’épisode des « Jupettes » puisse se reproduire, ce qui traduit un certain attachement à l’idée que des femmes soient présentes au gouvernement – attachement illustré par l’engagement, certes informel, du gouvernement Jospin de compter 30 % de femmes au moins. En Belgique, 3 des 15 membres du gouvernement étaient des femmes. avant les législatives de 2003 72, lesquelles se sont déroulées sur base de listes paritaires 73. Elles sont maintenant 5 sur 15, soit 33 % 74. La situation est un peu plus problématique en Grèce, au Portugal et, dans une moindre mesure, en Italie. Ces pays, sur la plupart des points, sont en queue de peloton quant aux indicateurs d’inclusion des femmes à la vie politique sélectionnés pour notre enquête 75. Par ailleurs, ils confient souvent aux femmes des tâches liées aux rôles familiaux traditionnels (petite enfance, famille, affaires sociales, …). Enfin, dans certains pays, comme l’Italie avec le retour de Berlusconi aux affaires, les changements de couleur politique entraînent même une rétrogradation du nombre de femmes au gouvernement. Vu le poids des idéologies traditionnelles, et les mécanismes de résistances qui existent au sein des partis et de la classe politique en général, il semble difficile que n’intervienne, à moyen terme, une amélioration spontanée de cette situation. Des mesures d’action positive diverses et variées s’avèrent donc nécessaires. 72 Soit 20 %,mais si l’on prend en compte les commissaires au gouvernement (personnes désignées pour mener une action dans un domaine bien précis), ce pourcentage passe à 17,65 % (3 femmes sur 17 membres). 73 Il semblerait néanmoins qu’il se produise une sorte d’effet de « miroir grossissant » : quelques femmes, (même en position minoritaire) donnent parfois une fausse impression de parité parce qu’elles occupent des postes à haute responsabilité ou médiatiques. L’examen plus attentif des femmes en position « ministrable » au sein des différentes formations politiques fait ressortir que peu d’entre elles sont en position de force pour négocier leur place au sein du gouvernement. 74 Parmi les secrétaires d'Etat, on trouve 2 femmes sur 6, soit également 33%. 75 Voir tableaux 2 et 3. 51 II. LA RESPONSABILITÉ DES PARTIS POLITIQUES Les politiques d’action en faveur des femmes sont récentes en Europe, mais connaissent un succès grandissant, qu’on peut attribuer aux changements du cadre général de la conception de l’égalité, en particulier dans les organisations internationales. Alors que, dans de nombreux pays, l’égalité était formulée comme une égalité de traitement de citoyens abstraits, la convention CEDAW, par exemple, et une réflexion poussée dans les instances internationales sur les politiques d’affirmative action ont participé à une nouvelle conceptualisation de l’égalité, comme non-discrimination, et à l’élaboration de nouveaux outils de politiques publiques, tels les quotas sur les listes électorales. C’est donc un contexte théorique, discursif et politique qui rend possible et pensables aujourd’hui les politiques en faveur des femmes en politique, dont il est question ci-après. Nous aborderons successivement, dans cette partie, les diverses mesures expérimentées dans les pays étudiés, dont l’ambition est de favoriser la présence des femmes dans les sphères de décision politique et publique. Compte tenu de la vocation qualitative de la recherche, nous n’avons pas cherché, ici, à brosser un tableau exhaustif de ce type de mesures. Nous avons procédé en sélectionnant les exemples les plus parlants de réussites ou d’échecs relevés dans les rapports nationaux ou dans les discours des enquêté(e)s, afin de mettre en évidence les enjeux politiques qui sous-tendent toujours ce type de mesures volontaristes, quelle que soit la diversité des situations nationales en présence. 1. Le principe des quotas Avant d’aborder la thématique des mesures volontaristes liées au système électoral et imposées par les législations nationales, nous nous attarderons quelque peu sur les mesures internes aux partis politiques – qu’elles concernent leurs structures, les mécanismes de candidature ou la constitution des listes électorales. a) Sur les listes électorales Alors que bon nombre de textes législatifs instituant des quotas ont été refusés par les organes constitutionnels de certains pays (comme la France et l’Italie), les mesures intrapartisanes permettent, de manière plus informelle, d’améliorer la présence des femmes sur les listes sans s’exposer à des obstacles constitutionnels 76. Et les effets n’en sont pas moins efficaces. Ainsi, en Suède, pays qui ne connaît pas de législation sur les quotas, beaucoup de partis, sous la pression des organisations féministes et des associations de femmes dans les partis, ont pratiqué le système de « fermeture-éclair » dans les listes présentées 77 à tous les niveaux d’élection (Magnusson, 2000). Or, c’est en Suède que la représentation féminine, tant au Parlement qu’au sein du gouvernement, est la plus élevée de l’U.E. (voir tableau 3). Ce qui prouve bien que la solution législative n’est pas le seul moyen d’améliorer la présence des femmes en politique et que d’autres formes d’actions, en particulier des mesures volontaristes 76 Notons toutefois qu’en Grande-Bretagne, une mesure de quota interne de 50 % au sein du Parti travailliste, a été annulée par un Conseil de prud’hommes, en janvier 1996, suite à la plainte de certains candidats évincés. Comme dans le cas français relatif à la loi électorale de 1982, le texte utilisé pour justifier cette décision, est une loi interdisant la discrimination entre les sexes, qui date de 1975. Depuis lors, le Parti travailliste n’a plus tenté d’appliquer de telles mesures. 77 Système qui prévoit une alternance entres les deux sexes sur toute la liste. Vu cette alternance, la parité est de facto respectée et la certitude d’avoir des femmes en ordre utile est assuré. Combiné avec un mode de scrutin proportionnel, ce mécanisme se révèle particulièrement efficace. 52 au sein des partis, en fixant par exemple des objectifs numériques à atteindre sur les listes électorales, peuvent se révéler efficaces. Le principal écueil de ce type de mesures est qu’il n’implique aucune obligation de respecter les quotités prévues et que les sanctions sont inexistantes. Dans le cas suédois, la pression sociale et politique a incité certains partis à mettre en place des politiques internes de quotas, ce qui a ensuite engendré un effet mimétique entre les partis. En revanche, comme le montrent les exemples italien, français et portugais, le non-respect des quotas n’entraîne pas nécessairement de sanction. On l’a vu au Portugal notamment, où la liste présentée par le Parti socialiste (PS) lors des élections de février 2002 ne respectait pas les 25 % minimum de présence féminine sur les listes prévus dans l’article 119 des statuts du parti, sans que cela ne suscite aucune réaction. En France non plus, les listes du Parti socialiste n’atteignent généralement pas les quotas fixés dans la plupart des élections – là encore, sans que cela n’ait de conséquences majeures. Si les quotas de 30 % ont été relativement bien appliqués à l’occasion des législatives de 1998, la raison en est que le PS avait subi un vaste défaite électorale en 1993 : le nombre moindre de « sortants » a permis à davantage de femmes de ce parti de figurer parmi les nouveaux entrants (Bataille, Gaspard, 1999). En Finlande, les partis politiques n’appliquent pas officiellement de quotas mais cherchent à présenter des listes équilibrées (p.ex. selon le sexe et l'âge) afin de garantir leur succès électoral 78. En Belgique et en France, les écologistes appliquent un quota informel (mais largement respecté) de 50 % de femmes environ. Aussi leur formation est-elle la seule à avoir appliqué des mesures de quotas significatifs sans incitation externe. Que les quotas internes soient inscrits ou pas dans les statuts n’est d’ailleurs a priori pas décisif pour qu’ils soient respectés. C’est avant tout la volonté politique, et probablement aussi la pression exercée par les femmes à l’intérieur et à l’extérieur des partis, qui explique l’échec ou la réussite des quotas, et non leur inscription formelle et symbolique dans les statuts. b) Dans les structures internes Outre l’adoption de quotas sur les listes, une autre pratique consiste à appliquer des quotas aux structures internes – qu’il s’agisse de quotas formels et votés par le parti, ou informels. En effet, à quoi bon vouloir présenter des listes équilibrées si le réservoir de cadres féminins n’est pas suffisant ? Une présence accrue de cadres féminins au sein d’une formation renforce au contraire leurs compétences et leurs expériences de la vie politique. Ce qui les rend d’autant plus « légitimes » dans les rapports de force internes et donc mieux placées à l’approche d’éventuelles élections. Dans tous les pays concernés par la recherche, au moins un parti a appliqué des mesures de quotas en son sein. En Grèce, par exemple, à partir des années 1990, la plupart des partis ont établi des quotas pour leurs structures internes. Néanmoins, outre le fait que ceux-ci sont quelquefois fort peu ambitieux (20 % au sein du parti de droite Nouvelle démocratie, par exemple), ils ne concernent pas les instances exécutives des partis. A l’instar de ce qui se passe dans les cénacles parlementaires, les femmes se voient d’autant moins aidées lorsqu’il s’agit d’accéder aux organes qui concentrent le « vrai pouvoir » (c’est-à-dire la constitution des listes, le choix des ministres, des hautes fonctions internes…). La situation du parti SYNAPSIMOS (coalition de gauche) en Grèce en atteste. En dépit d’un quota d’un tiers de femmes prévu dans les organes consultatifs du parti, elles ne sont que 14 % à siéger dans l’exécutif, alors même que la présidente était une femme depuis 1991. 78 En Finlande, les femmes votent traditionnellement pour des femmes candidates, et depuis les années 90, on observe aussi une proportion croissante des électeurs masculins votent pour des candidates féminines (Pesonen et al., 1993, p. 74). 53 En Italie, deux partis pratiquent des quotas internes pour les candidatures – 50 % chez les Verts et 25 % chez les démocrates de gauche – mais il est rare que ces mesures soient vraiment respectées. En Finlande, des quotas élevés (40-60 %) sont généralement respectés au sein des partis de gauche (les sociaux-démocrates et l'Alliance de Gauche) et, plus récemment, chez les démocrates chrétiens. Les écologistes, pour leur part, appliquent des quotas similaires depuis la création de leur mouvement, en 1983. En Belgique, pays où les quotas de listes sont peu utilisés, des quotas internes de 20 % environ ont été instaurés depuis le début des années 1970 au sein de la famille socialiste 79, pour toutes les instances statutaires du parti. Il s’agit de la seule véritable mesure d’intégration volontaire des femmes dans les structures internes. Rappelons néanmoins qu’avec l’existence d’un mouvement féminin au sein du parti (Femmes prévoyantes socialistes 80), les femmes bénéficient d’une représentation assurée au sein des organes du parti. Contrairement aux socialistes, la famille chrétienne a agi plus tôt en faveur de l’intégration des femmes dans ses structures. Au sortir de la seconde guerre mondiale, une mesure symbolique sera instaurée : la femme qui obtiendra le meilleur score lors des élections internes dans chaque niveau d’arrondissement siègera de droit au comité national (l’organe délibératif du parti). Une autre mesure imposera la présence minimale d’une femme dans les instances exécutives de chaque niveau territorial. Ces mesures seront renforcées, notamment pendant les années 1960, pour arriver à une représentation garantie d’un tiers minimum de femmes dans les fonctions de direction élues aux niveaux local et d’arrondissement du parti. Par ailleurs, chaque direction générale d’arrondissement devra compter au moins cinq femmes. Enfin, au moins un des deux vice-présidents d’arrondissement devra être une femme (Gubin, Van Molle, 1997, p. 108). A partir des années 1970, le groupe de pression féminin se fera porteur de revendications de plus en plus affirmées, notamment en faveur des quotas sur les listes électorales. C’est par ailleurs une des chefs de file du mouvement féminin flamand du parti (Miet Smet 81), qui sera à l’origine de la première loi de quota de 1994 82. Dans d’autres pays couverts par la recherche, des formules comparables de quotas ont été adoptées par diverses formations politiques. On peut à ce propos dégager certaines tendances générales. ¾ Tout d’abord, il semblerait que les formations de gauche soient plus enclines à décréter des quotas internes 83 que les partis de droite. C’est le cas, notamment, en Belgique, en France, en Finlande au Portugal ou en Italie. Pour la Belgique, on peut y ajouter le PSC/CVP (de tendance centre-gauche) qui a été le précurseur en matière de quotas dans le pays. Au contraire, en Suède, c’est le parti libéral qui a été le premier à établir des mesures de quotas sur les listes électorales, dès 1984. ¾ La famille écologiste, pour sa part, semble avoir fait preuve de volontarisme pour la confection des listes ou lors d’élections internes. Dans la quasi-totalité des pays étudiés, des mesures de quotas sont prévues dès les années 1980 (époque où la plupart des partis écologistes sont créés 84). En Belgique, par exemple, les partis ECOLO (francophone) et AGALEV (flamand), ont été les premiers à présenter des listes paritaires, ou tout au moins 79 Le PS (francophone) a instauré un quota de 20 % en 1983, et son homologue flamand en a fait de pratiquement de même (25 %), au cours de la même année. 80 Il s’agit d’une structure, d’origine mutualiste qui a pris son essor au sortir de la seconde guerre mondiale, notamment grâce à l’extension du système de sécurité sociale établi à la même époque. Rapidement, les FPS se sont imposées comme le seul groupement féminin au sein du parti, au détriment des Femmes Socialistes (FS), groupement de nature plus « politique » qui sera de facto absorbé par les FPS. 81 Présidente de « Vrouw en maatschappij » (femme et société), l’organisation féminine du CVP. 82 En collaboration avec son homologue socialiste flamand Louis Tobback, alors ministre de l’intérieur. 83 Il s’agit ici, indistinctement, des mesures concernant les listes ou les structures internes du parti. 84 C’est le cas en Finlande, en Italie, en Belgique, et en France. 54 relativement équilibrées dans une optique de genre. Il en va de même en France, où les Verts ont été le premier parti à instaurer la parité dans leurs structures et à présenter des listes paritaires aux élections – bien que de façon assez tardive, puisqu’il s’agit des européennes de 1995. Lors des législatives de 1993, qui représentaient un enjeu politique de première importance, les Verts n’ont présenté que 13 % de candidates, malgré les pratiques paritaires en vigueur au sein de leurs structures. L’ancrage profond de ces partis dans la dynamique des nouveaux mouvements sociaux qui ont émergé dans le courant des années 1970 explique leur attachement à la parité dans leurs revendications et leurs pratiques politiques. Etant, par nature, focalisés sur des enjeux relativement nouveaux dans l’espace public (écologie, pacifisme, féminisme, régionalisme, …), ces formations ont permis à des catégories sociales, jusqu’alors relativement peu représentées, d’intégrer le système politique. Fort logiquement, lorsque certains de ces mouvements se sont cristallisés en partis, les femmes y avaient plus d’opportunités pour se faire une place et, surtout, pour la garder. 2. Importance accordée à la représentation des femmes La question des quotas au sein des structures ou sur les listes électorales pose logiquement la question de savoir si certaines formations politiques – en fonction de leur taille, de leur poids électoral, de leur orientation politique etc. – sont plus favorables aux femmes que d’autres. En effet, dans tous les pays étudiés ici, les partis sont les structures qui organisent la compétition électorale et qui souvent dominent ou monopolisent les voies de recrutement des représentants politiques. Les partis, selon l’expression de Norris, sont les véritables gardiens des mandats électoraux à pourvoir, mais aussi de beaucoup de postes dans l’administration – en particulier dans les pays d’Europe du Nord. L’étude de Miki Caul (1999) portant sur douze pays occidentaux, des années soixante-dix à la fin des années quatre-vingt, analyse le rôle des partis politiques dans une optique de genre au travers de quatre variables : leur structure interne, leur idéologie, la proportion d’adhérentes et les règles présidant à la constitution des listes de candidatures. Selon elle, ce sont ces deux derniers facteurs qui affectent le plus sûrement la présence numérique des femmes dans les instances politique. Une adhésion aux principes de la nouvelle gauche, ainsi qu’un nombre important de militantes tend d’ailleurs à encourager l’application de quotas internes favorables aux femmes L’existence d’un haut niveau d’institutionnalisation du parti ainsi que des règles de sélection transparentes en matière de candidatures contribuent aussi à une meilleure représentation des femmes. Jusqu’à quel point les résultats de notre étude confortent-ils ces assertions ? L’hypothèse selon laquelle les partis de gauches sont globalement plus favorables aux femmes est largement vérifiée dans notre enquête. On note toutefois qu'en Finlande, les femmes occupent une place importante dans le Rassemblement national depuis les années 80 – actuellement, les élues représentent 37,5 % des députés de ce parti alors que la proportion était de 50 %, en 1991 – et que le parti démocrate chrétien applique des quotas internes depuis quelques années. En Suède également, le parti libéral applique des mesures féministes depuis longtemps, et de peur de « perdre les femmes », l’ensemble des partis ont rivalisé d’initiatives à ce propos depuis les années 1960. L’implication de groupes féministes, d’universitaires, des hauts fonctionnaires progressistes et des fédérations de femmes internes aux partis ont joué un rôle décisif pour conférer davantage d’espace aux femmes en politique depuis les années soixante-dix. Aussi peut-on avancer que si, dans les pays d’Europe du Nord, ce sont bien les formations de gauche et les écologistes qui, les premiers, ont institué des mécanismes de quotas en faveur des femmes, ces pratiques ont eu tendance à se diffuser dans l’ensemble des 55 partis, quelle que soit leur couleur politique 85. On ne saurait au demeurant sous-estimer le poids des mouvements sociaux de femmes, des courants féministes – dans ou hors des partis – quant à l’application ou au contraire l’absence de telles mesures, selon les contextes nationaux. Dans les pays moins « avancés » en matière de représentation des femmes, comme la France, l’Italie ou le Portugal, l’orientation à gauche des partis politiques demeure cependant une variable importante. En ce qui concerne la taille des formations politiques, la littérature sur le sujet tend à affirmer que les grands partis sont plus favorables aux femmes que les petits. Néanmoins, l’exemple français montre qu’il y a lieu de nuancer ce constat, à la lumière de ce qui s’est passé lors des dernières législatives, en 2002. Le non-respect de l’application de la parité par les partis politique entraîne des sanctions financières, calculées sur la base de la première fraction de l’aide publique aux partis politiques, laquelle est proportionnelle au nombre de voix obtenues au premier tour de l’élection. Si les petits partis (d’extrême gauche ou d’extrême droite) ne pouvaient se permettre de voir cette aide réduite puisqu’ils ne reçoivent pas d’aide sur la deuxième fraction liée au nombre d’élu(e)s, les grands partis – de gauche comme de droite – ont préféré payer l’amende 86 plutôt que de présenter un nombre suffisant de candidates. Pour une élection aussi cruciale que les législatives, l’incitation ou la sanction financière n’ont pas suffi, dans les grands partis, à freiner les logiques internes consistant à évincer les femmes de la candidature à la candidature,. Plus les enjeux de pouvoir sont importants, plus il est difficile de mettre en place des politiques d’action positive qui sont forcément menaçantes pour un certain nombre d’hommes en place. En outre, la question de la taille du parti n’a pas la même pertinence selon le cadre national. En Italie, par exemple, ce sont les coalitions et non les partis qu’il faut considérer pour évaluer les contextes plus ou moins favorables aux femmes (Del Re, 2002). Enfin, dernière variable de taille pour évaluer si un système politique est favorable ou non à l’accès des femmes au pouvoir : il s’agit des modes de scrutin. En effet, si certains types d’élections peuvent être plus favorables aux femmes (comme les scrutins de liste ou la proportionnelle, voir infra) il semble que ce ne soit pas le système politique en tant que tel qui fasse la différence, mais bien la volonté politique d’inclure ou non des femmes sur les listes. 85 Dans les cas où le parti qui domine la vie politique (cas de la Suède par exemple) est sensible à l’intégration des femmes et promeut leur accession aux postes de responsabilité, le processus de féminisation peut devenir un enjeu politique qui s’étend aux autres formations, et qui va même bien au-delà. En l’occurrence, c’est toute la vie politique suédoise qui est sensible à cet enjeu. D’autres éléments socio-culturels sont également à prendre en compte dans le cas de la Suède. Un système de sécurité sociale ainsi qu’un ensemble de lois bien spécifiques, permettent une meilleure articulation entre vie privée (dont la maternité) et vie publique – qu’il s’agisse de la vie professionnelle ou, plus particulièrement, de la vie politique. 86 Alors que les Verts, Lutte ouvrière et la Ligue Communiste Révolutionnaire ont investi 50 % de candidates sur leurs listes, le parti majoritaire de droite, l’UMP, n’en a investi que 19,9 %, et le Parti Socialiste 36 %. La pénalité financière, pour ces deux derniers partis, s’élève donc à 4 millions et 1,3 millions d’euros respectivement. 56 III. LE RÔLE DES MODES DE SCRUTIN Les modes de scrutin jouent-ils un rôle important dans la détermination du nombre d’élues au niveau local ? Plusieurs études, à partir de l’examen d’indicateurs statistiques, remarquent que les Etats membres dans lesquels le niveau de représentation politique des femmes est le plus élevé (Suède, Finlande, Danemark et Pays-Bas) sont dotés d’un système proportionnel ou mixte (Leijenaar, 1996 ; Garcia Munoz,1997). Un système de représentation proportionnelle, dans lequel chaque parti présente une liste de candidats, semblerait fournir plus des chances aux femmes d’être sélectionnées comme candidates qu’un système majoritaire uninominal. Cette affirmation, très répandue dans le contexte européen actuel, appelle toutefois certaines réserves. Avant d’entamer une bataille politique pour changer le système électoral au profit d’un mode de scrutin à la proportionnelle dans le but d’augmenter le nombre de candidates, en espérant une augmentation de la proportion d’élues, il faut observer que : ¾ le contexte historique joue un rôle important, comme le montre l’exemple du Danemark. Avec le même mode de scrutin (à la proportionnelle), on y relève un pourcentage très différent, selon les périodes : au cours des années trente, ce pays ne comptait que 2 % d’élues. Dans le cas précis, le facteur premier a tenu au fait que les décideurs et les partis politiques ont accepté d’entendre les revendications émanant des rangs des féministes. ¾ le nombre de femmes sur les listes ne dépend pas uniquement du système électoral, mais de la volonté de ceux qui opèrent le recrutement, ou de l’obligation faite par la loi, assortie ou non de pénalisations – l’application est plus difficile lorsqu’il n’existe pas de sanction. ¾ la place des candidates sur les listes est décisive : se trouver en queue de liste n’offre guère de chances d’être élue – les aléas sont moindres en cas de désignation dans le cadre d’un système majoritaire. Il ressort par ailleurs que, dans tous les pays touchés par notre étude, les conseiller(e) sont élu(e) par un mode de scrutin à la proportionnelle au niveau local – en France, dans les villes avec plus de 3 500 habitants. Quant à lui, le maire est élu directement sur un mode de scrutin majoritaire en Italie, en Grèce, en France – proportionnel au Portugal 87. En conséquence, le mode de scrutin peut être défini dans l’ensemble comme mixte – proportionnel, à forte correction majoritaire. Ce qui n’empêche pas l’existence d’énormes disparités quant au nombre d’élues locales dans ces sept pays. Le même système électoral peut donc produire des écarts majeurs au niveau municipal. A lui seul, il ne suffit pas à expliquer les très fortes inégalités en matière de représentation politique des femmes – sans compter que d’autres éléments entrent en jeu, notamment culturels et socio-économiques. Mais le facteur essentiel reste la volonté politique des décideurs de répondre à la demande croissante des femmes de participer aux décisions qui concernent le bien-être de la communauté – que ce soit à l’échelle locale, nationale ou européenne – et l’instauration de pratiques volontaristes, tant en ce qui concerne le système électoral (lois de parité, quotas etc.) que les pratiques internes aux partis politiques (Lovenduski, Norris, 1993). 1. Mesures législatives et constitutionnelles La plupart des mesures évoquées dans cette partie émanent de niveaux de pouvoirs supérieurs aux municipalités. Les instances de décisions locales n’en sont donc pas les 87 En Belgique, l’élection du maire se fait au deuxième degré ; en Finlande, la mairie est dirigé par un fonctionnaire de l’administration locale ; et en Suède, le Président du Conseil fait office de maire. 57 instigatrices. Néanmoins, les éventuels blocages ou avancées concernant l’accès des femmes à la sphère politique au niveau national peuvent servir de révélateur pour rendre compte des rapports de force internes en matière de prise en compte du genre dans la vie politique locale. Il s’agit donc ici de dresser un constat des différentes mesures législatives ou constitutionnelles concernant l’égalité des chances en politique, qui le plus souvent ont pris la forme de quotas, d’analyser les résistances à l’œuvre, en particulier telles qu’elles ont pu s’exprimer lors des débats nationaux sur ces sujets, et d’évaluer si ces mesures créent ou non un contexte favorable aux femmes en politique au niveau local dans les différents pays étudiés. Il faut toutefois garder à l’esprit qu’il est malaisé de comparer les situations de pays comme la Grèce ou le Portugal, avec d’autres comme la Finlande ou la Suède, qui sont familiarisés avec la dimension de genre depuis plusieurs décennies. En effet, des pratiques ou des mesures qui sont innovantes dans un pays ne le sont pas forcément dans d’autres, ce qui doit nous inciter à la prudence dans notre comparaison. Dans la même optique, des progrès jugés minimes dans des pays « avancés », peuvent se révéler majeurs dans d’autres. Dans tous les pays concernés par notre recherche, sauf la Suède et le Portugal, des mesures législatives ont été prises afin d’augmenter le nombre de femmes dans les instances politiques, décisionnelles ou délibératives. Mais la volonté de rendre plus équilibrée la présence des hommes et des femmes dans la sphère publique ou politique peut prendre des formes extrêmement variées qu’il s’agit d’évaluer. Ces mesures sont loin d’être identiques : leur portée et leurs modalités d’application diffèrent selon les pays, voire au sein des pays eux-mêmes, selon le niveau de scrutin par exemple. Quatre des sept pays étudiés ici ont adopté, plus ou moins récemment, des lois visant à imposer une présence minimale de femmes au sein des structures de décision publiques – Belgique, France, Grèce et Finlande – cependant qu’une révision récente de la constitution en Italie ouvre la possibilité d’en faire autant. Dans les trois premiers cas, il s’agit principalement de mesures visant à assurer un quota selon le sexe sur les listes électorales. En Finlande, en revanche, la loi porte sur la présence assurée des deux sexes au sein de toutes les commissions gouvernementales et les comités consultatifs nommés au niveau national ainsi que dans les organismes municipaux 88. Selon les pays, ces mesures ne s’appliquent pas au même échelon politique, et n’obtiennent pas le même succès. Elles portent uniquement sur le niveau local dans les cas grec, alors que les lois française et surtout belge s’appliquent à d’autre niveaux de pouvoir, mais avec des résultats parfois mitigés. Enfin, en Finlande, les quotas sont appliqués et respectés plus ou moins correctement au niveau national et au niveau local. Reste toutefois le problème des sphères de pouvoir – anciennes et nouvelles – qui ne sont pas soumises aux quotas. ¾ En Grèce, celui des sept pays où la présence féminine dans le monde politique est la plus faible à tous les niveaux de pouvoir, une loi relative aux quotas sur les listes électorales a été votée en mai 2001. Elle ne concerne que les élections locales et présente beaucoup de limites 89. Portant sur le niveau municipal uniquement et imposant un quota d’un tiers de femmes sur les listes, cette mesure a permis d’amorcer une progression des femmes dans le monde politique grec, du moins à l’échelle locale – mais une progression limitée. En effet, si la présence des femmes dans les Conseils municipaux a augmenté, elle n’est passée que de 7,1 à 11,5 et seules 16 maires sur 900 sont des femmes – elles étaient 14 avant les élections de 2002. Cette très faible progression ne découle directement des quotas : elle est liée au type de scrutin 88 La loi belge prévoit qu’aucun exécutif ne peut être unisexe, mais loin des visées égalitaires de la législation finlandaise. 89 Cf. Tableau 3. 58 qui concerne des listes électorales préférentielles. Le système de quotas n’assure donc pas l’élection des femmes. En outre, certaines fonctions sont le plus souvent, pour ne pas dire systématiquement, confiées à des hommes, réduisant d’autant la visibilité des femmes en politique. L’inexistence de quotas aux autres niveaux de pouvoirs incite d’ailleurs à rester prudent dans les pronostics sur les progrès à venir. Divers indicateurs socio-économiques montrent au demeurant que, si les Grecques restent cantonnées dans des rôles traditionnels, cela résulte autant du sous-développement de l’Etat providence et du maintien de profondes inégalités dans la vie quotidienne que de leur faible représentation dans la sphère politique. ¾ La Belgique est le premier pays de l’Union Européenne à s’être doté, en 1994, d’une loi de quotas sur les listes électorales 90. Celle-ci visait à ce qu’un tiers des candidats sur les listes électorales appartiennent au sexe sous-représenté, à tous les niveaux de pouvoir. Elle ne prévoyait toutefois aucune disposition concernant l’ordre ou l’alternance en fonction du sexe de la personne. La loi de 2000, dont le but est d’approfondir les acquis de la loi de 1994 (dite loi Smet-Tobback), a pour sa part imposé une répartition paritaire, avec une alternance en tête de liste, aux trois premières places, ce qui garantit à un certain nombre de femmes d’être en position éligible (Marques-Pereira, Gigante 2001). Il en est résulté une augmentation relative de leur participation dans les deux chambres 91. Enfin, une loi datant de 2002 impose la présence d’au moins une femme au sein de tous les organes exécutifs 92. Elle amorce ainsi, tout au moins symboliquement, la féminisation des exécutifs dans les organes de décision publics ou para-publics demeurés jusque-là de véritables bastions masculins 93, même si on est loin des mesures ambitieuses instaurées en Finlande : une seule femme peut en effet servir de fairevaloir pour être en conformité avec la loi, sans qu’il y ait pour autant de réelle promotion de l’égalité des sexes. C’est lors des élections de mai 2003 que la loi sur la parité a été appliquée pour la première fois au niveau fédéral. Une légère progression était déjà intervenue à l’occasion des législatives de 1999, grâce à l’introduction d’un quota fixé à un tiers minimum de femmes sur les listes – leur proportion était alors passée de 18,5 % à 23,3 % – et cette amélioration s’était répercutée au niveau local lors des élections d’octobre 2000. Encore à la traîne voici peu, la Belgique a donc relativement bien rattrapé le mouvement et se situe désormais dans le peloton de tête en Europe. ¾ En France, la situation est analogue à bien des égards à celle de la Belgique. En 1982, le Parlement avait voté l'adoption d'une première loi de quota, imposant un minimum de 25 % de personnes du même sexe sur les listes électorales pour les élections municipales. Cette loi fut ensuite annulée par le Conseil constitutionnel, qui s’était saisi lui-même à cet effet, 90 Une proposition de loi quasiment identique avait été déposée au début des années 1980 par une sénatrice sociale-chrétienne de Flandres, Paula d’Hondt, mais refusée par le Conseil d’Etat. 91 La Chambre des représentants compte maintenant 50 élues sur 150, soit 33% du total. Au Sénat, elles forment 34 % des élus (37 % des élus directs, et 29 % des élus cooptés). La moyenne des deux chambres se situe donc à 33,5 %, comparée à celle de 1999 qui était de 25 % (cf. Tableau 3). 92 Gouvernement fédéral, entités fédérées (communautés et régions ), provinces et communes. Cette mesure datant du 24.1.2002 visait principalement le gouvernement de la région wallonne, traditionnellement peu féminisé, alors que des femmes siègent depuis assez longtemps au sein du gouvernement fédéral. 93 Jusqu’il y a peu, le gouvernement régional wallon ne comptait aucune femme ministre – il en compte désormais une sur un total de 9 membres, soit 11,1 % – et la proportion d’élues au Parlement régional était de 12 % au 21 janvier 2003. Actuellement, les gouvernements de la Région de Bruxelles-Capitale et de la communauté germanophone, dont les assemblées sont pourtant les plus féminisées (avec respectivement 30,7 % et 32 % de femmes en leur sein), ne comprennent toujours aucune femme. 59 justifiant sa décision par le fait que la Constitution française s'oppose à toute division des électeurs et des candidats en catégories. Sous la pression du mouvement en faveur de la parité des femmes et des hommes dans la vie politique, une révision de la Constitution a été proposée pour vaincre l'obstacle d'une nouvelle censure du Conseil constitutionnel. Aussi les articles 3 et 4 de la Constitution ont-ils été révisés, en juin 1999, pour préciser que « la loi favorise l’égal accès des hommes et des femmes aux mandats électoraux et aux fonctions électives ». Quant à elle, la loi électorale du 6 juin 2000 fixe les modalités pratiques d’application de la parité : ¾ Pour les élections qui se déroulent à la représentation proportionnelle de liste, obligation est faite aux partis de présenter 50 % de candidates sur les listes, sous peine de voir leurs listes déclarées irrecevables. Les élections concernées sont les européennes, les régionales, les sénatoriales (pour les départements qui ont cinq sièges ou plus, soit un tiers des sièges sénatoriaux), et les municipales. Pour ces dernières élections, la loi ne s’applique pas aux communes de moins de 3 500 habitants 94 qui, rappelons-le, forment la majorité (elles regroupent environ les quatre cinquièmes de l’ensemble des conseillers municipaux). Le texte est entré en application lors des élections municipales de 2001, avec un relatif succès puisque la proportion de femmes élues dans les Conseils municipaux des villes de plus de 3 500 habitants est passée de 26 % à 47,5 %. Mais de son côté, le pourcentage de femmes conseillères municipales, toutes communes confondues, n’est passé que de 21,7 % en 1995 à 33 % en 2001, ce qui représente une progression assez nette mais pas énorme pour autant. ¾ L’obligation absolue d’alternance hommes/femmes ne concerne que les élections qui se déroulent à la proportionnelle à un tour : à savoir les européennes, et les sénatoriales dans les départements qui comptent plus de 3 élus. Pour les élections se déroulant à la proportionnelle à deux tours (régionales et municipales dans les villes de plus de 3 500 habitants), l’alternance hommes/femmes doit être réalisée par groupe de six. ¾ Pour les législatives qui obéissent au scrutin uninominal et ne sont pas soumises à l’obligation de parité, un système de sanction économique – dont on a déjà dit l’inefficacité – est prévu à l’encontre des partis. Si l’écart entre le nombre de candidats de chaque sexe présentés par un parti dépasse 2 %, ce dernier se verra pénalisé financièrement. L’aide de l’Etat, perçue en fonction du nombre de voix obtenues au premier tour des législatives (environ 11 centimes par voix) sera diminuée « d’un pourcentage égal à la moitié de cet écart rapporté au nombre total de candidats ». Sans revenir sur les diverses stratégies de détournement de la loi qui existent à tous les échelons politiques, ni sur les lacunes de cette dernière, en particulier son omission des structures intercommunales vers lesquelles sont transférés de plus en plus de pouvoir locaux, la conclusion qu’on peut tirer du cas français est simple : là où il y a contrainte, la loi est appliquée, mais là où sa mise en œuvre est laissée à la discrétion des partis politiques, elle est contournée - et ce, d’autant plus s’il s’agit d’échelons de pouvoir important. ¾ En Finlande, enfin, une loi entrée en application en 1995, instaure un quota minimal de 40 % du sexe sous-représenté dans les instances locales et nationales, à l’exception du Conseil élu. Au niveau local les quotas s'appliquent donc au comité exécutif municipal nommé, ainsi qu'aux comités de préparation jouant un rôle très important dans les processus de prise de 94 Le 30 mai 2000, le Conseil constitutionnel a censuré l’article de loi qui abaissait de 3 500 à 2 500 habitants le seuil d’application de la parité aux municipales. Cette disposition aurait eu pour conséquence de modifier par simple loi, et non par une loi organique, le mode de scrutin en vigueur dans les 1 042 communes se situant dans cette fourchette. 60 décision local. De plus, la réglementation voulant que les deux sexes soient représentés s’applique aux organes de décision des entreprises para-publiques constitués de personnes nommées, souvent choisies parmi les élu(e)s 95. De ce fait, indépendamment des résultats électoraux, une présence minimale de femmes est assurée dans tous les organes non élus ou élus indirectement 96. Par exemple, l'exécutif de la municipalité de Raahe comprend 40 % de femmes, bien que le Conseil municipal n’en compte que 16 %. Or la composition sexuée des exécutifs peut être considérée comme un élément essentiel, vu l’influence qu’ils exercent dans l’échiquier politique contemporain. Ces quotas ont également l’intérêt de féminiser des commissions concernant des domaines considérés a priori comme masculins, tels l’urbanisme, les finances etc., et permettent une remise en cause de la division sexuelle du travail en politique. Enfin, les commissions représentent un lieu de recrutement important pour les candidatures politiques. On peut donc dire que les quotas facilitent de façon indirecte la présence des femmes dans les Conseils municipaux. Ce constat doit cependant être assorti d’une nuance de taille, compte tenu du pouvoir potentiellement déclinant du Conseil municipal en Finlande (voir le point le point du chapitre III portant là-dessus) et du pouvoir croissant d’organes informels ou semi-formels qui, eux, ne sont pas soumis au principe de quotas. ¾ En Italie, enfin, le Parlement a adopté en 2003 une révision constitutionnelle qui permettra la mise en œuvre de quotas pour les élections. Cette réforme n’est toutefois pas intervenue sans mal (Del Re, 2002). A l’instar de la France et de la Belgique, le système de quotas avait été déclaré inconstitutionnel dans un premier temps : en 1996, une loi imposant une proportion minimale d’un quart de femmes sur les listes électorales, à l’occasion des scrutins se déroulant à la proportionnelle, avait été annulée par le Conseil constitutionnel sous prétexte de non-respect du principe d’égalité des sexes inscrit dans la Constitution. La modification de cette dernière a mis fin à cet interdit. Précisons toutefois que, si les élues italiennes étaient globalement favorables à l’idée de parité durant les années quatre-vingt-dix, cette revendication n’a pas entraîné une dynamique analogue à celle qu’on a connu en France. La chose s’explique par de multiples raisons, liées à la fois aux vastes transformations de la scène politique italienne depuis 1992 – changement dans l’équilibre des partis, transformations des modes de scrutins électoraux etc. –, et également à la conception historique du rôle des femmes que véhiculent les deux principaux partis de ce pays : le parti communiste et la démocratie chrétienne. Ceux-ci ont toujours partagé une conception qui affecte en priorité les femmes à la sphère familiale et c’est avant tout le mouvement féministe qui s’est battu pour l’instauration de quotas sur les listes électorales. Cette exigence s’est heurtée à de nombreux obstacles : le pourcentage de femmes élues au Parlement a même baissé durant les années quatre-vingt-dix, passant de 13 % en 1994, à 11 % en 1996, et finalement à 9,2 % en 2001. La tendance s’inversera peut-être à l’avenir puisque la révision constitutionnelle permet désormais la mise en place de mesures de type paritaire pour les élections, mais la situation des Italiennes dans leurs formations politiques respectives laisse augurer de nombreuses résistances. Les cinq exemples concrets de mesures de quotas décrites ci-dessus brossent un aperçu assez intéressant de ce qui peut être fait en matière de législation sur l’égalité des sexes dans la sphère de décision publique, dans des contextes parfois radicalement différents. Il en ressort que les quotas sur les listes électorales, en dépit des nombreuse critiques dont il sont l’objet, représentent des mesures particulièrement efficaces pour améliorer la présence féminine en politique du point de vue quantitatif et ce, même si des restrictions en limitent encore la portée. 95 Cela concerne notamment les entreprises qui dépendent de la municipalité ou celles dont le conseil d’administration comprend des représentants de cette dernière. En revanche, la loi de 1995 est inégalement appliquée dans le cas des structures intercommunales, dans la mesure où le texte n’est pas explicite en la matière. 96 Or, ce sont ceux qui sont généralement les plus défavorables aux femmes. 61 S’il est clair que les quotas ne règlent pas la question de la place des femmes en politique, du fait des déplacements de pouvoir à l’œuvre en vertu desquels les femmes ont souvent accès à des niveaux de pouvoir inférieurs (voir ce qui est dit plus haut à propos de la Finlande et infra, chapitre III), une telle mesure apparaît néanmoins comme un outil efficace et bien souvent indispensable, au moins du point de vue numérique. Ceci étant, les mesures existantes font apparaître diverses limites dans la conception qui a présidé à leur adoption. La première limite a trait aux champs de décision qu’elles recouvrent. Dans la mesure où elles reflètent les rapports de force à une époque donnée, les lois de quotas, au même titre que n’importe quelle autre loi, résultent de compromis entre de multiples acteurs. En conséquence, les distinguos opérés dans la manière dont elles s’appliquent aux diverses instances du pouvoir politique, notamment dans le cas français, n’ont rien de très étonnant. D’autres exemples vont dans le même sens parmi les pays étudiés – en Belgique, notamment 97. Plaider pour que la question de l’égalité des sexes soit traitée de façon identique à tous les niveaux de décision 98 relève à la fois du bon sens et de la conviction que le fonctionnement même de la démocratie ne saurait faire l’économie d’une telle façon de procéder . Par-delà une application différenciée de la règle des quotas selon la taille des villes ou la nature du scrutin, la seconde limite qui fait problème concerne l’existence ou non de sanctions, en cas de non-respect de la loi. A quoi bon, en effet, établir des normes juridiques s’il n’est pas question de punir les contrevenants ? Bien qu’aucun des pays concernés ne laisse une totale impunité aux partis politiques, il importe de mettre le doigt sur le respect de la loi dans les faits. Certes, un parti récalcitrant est parfois obligé de payer une amende, mais la dimension matérielle de cette sanction n’empêche pas certaines dérives. La direction d’un parti peut en effet décider de ne pas obéir à la loi, ce qui revient ni plus ni moins à acheter la non-mixité de ses listes, comme cela s’est passé en France lors du scrutin législatif. Un grand parti disposant de ressources financières conséquentes peut ainsi choisir de ne pas se soumettre à la législation, alors qu’une formation émergente ou de moindre importance n’en aurait pas les moyens. Outre une différence de traitement quant au respect des lois sur l’égalité des sexes, se dessine donc aussi une inégalité de traitement entre les formations politiques elles-mêmes. La seule sanction efficace en cas de non-respect des quotas sur les listes électorales reste donc l’annulation pure et simple de la liste illicite. C’est ce qui se passe en Belgique, en Grèce et en France, pour les scrutins à la proportionnelle. 2. Débats et résistances : de la notion d’égalité Dans les quatre pays concernés par des mesures de quotas, le débat public sur ce sujet a mis au jour de nombreuses résistances, qui se focalisent en général sur la forme prise par ces mesures contraignantes, ou sur le danger que les quotas n’entament le caractère universel de la 97 Le texte de loi de 1994 prévoyait que les mesures de quotas sur les listes ne seraient pleinement applicables qu’à partir des législatives de 1999 et des élections communales de 2000. Pour les élections communales et provinciales de 1994, le quota de femmes prescrit se limitait à 25 % au minimum. Concernant la loi de 2002 visant à instaurer la parité sur les listes électorales, il était initialement prévu d’assurer une alternance hommefemmes aux trois premières places. Mais une disposition transitoire a été ajoutée, afin de permettre de déroger à cette règle à chaque niveau de pouvoir pour les législatives de 2003 et les régionales de 2004 – l’idée étant d’assurer la présence d’au moins une femme à l’un des trois premières places de la liste. Pour symbolique qu’elle soit, la nuance n’en dit pas moins long sur les réticence du monde politique à tout changement brutal en la matière. 98 Vu l’étroite imbrication entre les divers niveaux de pouvoir, il est impensable qu’il en aille autrement. Dans le cas contraire, la promotion des femmes ne serait assurée qu’à certains échelons, bloquant leur accession aux instances de décision les plus élevées – avec le risque qu’elles ne soient cantonnées dans certains postes au détriment d’autres, plus valorisés et occupés majoritairement par des hommes. 62 citoyenneté. Aussi est-il intéressant de souligner, par-delà le contexte dans lequel ils s’inscrivent, les points communs des discours hostiles aux quotas, car ils dessinent les contours des résistances systématiques à la mise en œuvre de politiques d’égalité des chances. Tout d’abord, il faut rappeler que dans les cas belge et français, des tentatives antérieures avaient échoué face à la résistance des instances gardiennes des lois. En France, on l’a vu, le Conseil constitutionnel a invalidé la loi de 1982 et en Belgique, le Conseil d’Etat qui, à l’instar de son homologue français, peut opiner sur la légalité des textes déposés au sein du Parlement, a jugé que la loi visant à instaurer des quotas de deux tiers maximum de personnes du même sexe sur les listes électorales était contraire au principe d’égalité inscrit dans la Constitution fédérale. Bien que cet avis – contrairement à celui du Conseil constitutionnel français – ne soit pas suspensif et n’ait pas valeur d’obligation, il a cependant un impact symbolique non négligeable. Dans les deux cas, ces décisions manifestent une résistance certaine des élites politiques face à des mesures volontaristes favorisant les femmes. Dans le cas français, le Conseil constitutionnel s’est lui-même saisi pour s’assurer que la loi serait invalidée et, comme dans le cas belge, il l’a fait au nom du principe d’égalité. Si ce type d’argumentaire a refait surface en France avec le débat sur la parité, il a néanmoins perdu de sa force. En effet, le droit français appréhende l’égalité sous divers angles : comme traitement identique de tous (c’est cette formulation qui a été retenue contre les quotas), et comme application de traitements différents à des situations inégales, ce qui autorise l’adoption de mesures préférentielles. De plus, le principe juridique de « non-discrimination » a, depuis plusieurs années, acquis une réelle importance dans le droit français et permet de penser des mesures visant à renverser une discrimination. C’est d’ailleurs cet esprit qui anime la convention CEDAW (1979) sur l’élimination de toutes les formes de discriminations à l’encontre des femmes : pour parer aux obstacles invoquant le principe d’égalité, elle précise que toute mesure d’action positive visant à compenser une discrimination existante ne peut être considérée comme contrevenant au principe de l’égalité entre les sexes 99 . En Italie aussi, on l’a vu, la tentative d’imposer un principe de quotas a commencé par être déclarée inconstitutionnelle. Formulés au nom du principe de non-discrimination – alors même que les quotas sont censés donner corps à ce dernier grâce à une action favorable aux groupes discriminés – ces arguments montrent combien le monde politique était réticent, voici encore très peu, à l’idée d’actions positives en faveur des femmes. Les mesures évoquées dans ce chapitre, ont été adoptées sur une période de dix ans : 1994 pour la Belgique ; 1999 et 2000 pour la France ; 2001 pour la Grèce ; et 2003 pour la révision constitutionnelle en Italie, alors que des tentatives similaires avaient échoué dans ces pays au cours des années quatre-vingtdix. Le Portugal est le seul des sept pays étudiés où il n’existe pas de mesures législatives ou constitutionnelles, et où les tentatives de changements pour améliorer la représentation politique des femmes ont toutes échoué jusqu’ici. Deux projets de loi y ont été déposés par la gauche. Le premier, qui date de 1999, portait sur un quota de 25 % minimum de femmes sur les listes, et était soutenu uniquement par le Parti socialiste. Il fut rejeté par l’opposition. Le second, déposé par la ministre socialiste pour l’Egalité, Maria de Belém, et soutenu par les autres partis de gauche présents au gouvernement, échoua à nouveau suite au vote négatif de 99 L’article 7 de la Convention précise : « Les États parties prennent toutes les mesures appropriées pour éliminer les discriminations à l’égard des femmes dans la vie politique et publique du pays et, en particulier, leur assurent, dans des conditions d’égalité avec les hommes, le droit : a) de voter à toutes les élections et dans les référendums publics et être éligibles à tous les organismes publiquement élus ; b) de prendre part à l’élaboration de la politique de l’État et à son exécution, occuper des emplois publics et exercer toutes les fonctions publiques à tous les échelons de gouvernement ; c) de participer aux organisations et associations non gouvernementales s’occupant de la vie publique et politique du pays. ». 63 l’opposition de droite. Il établissait des quotas de 33 % de femmes sur les listes des élections législatives, européennes, et municipales. La droite étant depuis peu au pouvoir, la probabilité qu’une telle mesure soit votée semble bien faible, même si le Parti socialiste tente de négocier avec le PSD (la droite) pour faire ratifier une loi de quotas, dans le cadre d’une réforme plus large du système électoral portugais. Contrairement aux apparences, les quotas sont donc la norme, et l’absence de législation l’exception. Toutefois, il est frappant de constater à quel point, dans tous les pays de notre enquête (à l’exception de la Suède), les grands principes de la citoyenneté démocratique peuvent être utilisés contre une politique d’égalité et, sous couvert de neutralité sexuée, permettre la reproduction d’une inégalité qui, si elle n’est pas inscrite dans le droit, l’est bel et bien dans les faits. Dans plus d’un pays (Belgique, France, Italie), la Constitution est utilisée comme rempart ultime contre l’égalité des sexes. Aussi paraît-il crucial de développer partout des argumentaires en faveur de l’action positive et de rappeler les conceptions de l’Union européenne ou des chartes internationales telle la convention CEDAW, ratifiée par tous les pays de notre étude, à savoir qu’un traitement différentiel peut être l’expression d’une politique d’égalité des sexes et de non-discrimination. Autre discours omniprésent face aux politiques volontaristes pour augmenter le nombre de femmes représentantes : il faudrait laisser le temps aux mentalités d’évoluer. On retrouve un tel discours dans tous les pays ayant tenté ou réussi à mettre en œuvre des quotas. Pourtant, ce que les chiffres montrent bien (cf. tableau 3) c’est que là où n’existent pas de contraintes, les mentalités ne changent pas. Autrement dit, l’entrée des femmes en politique participe d’un renversement partiel d’un rapport de pouvoir sexué – lequel a joué jusqu’ici en leur défaveur, et qui n’a aucune raison de se défaire de lui même. 3. Impact sur le niveau local Les lois imposant des quotas créent-elles un contexte favorable pour les femmes en politique au niveau local ? Cette réflexion traverse toute notre enquête et constitue un des fils rouges de ce rapport, il s’agit uniquement ici d’en tracer les grandes lignes, on y reviendra entre autres dans le chapitre III. a) Une absence d’effets mécaniques Les exemples dynamiques d’intégration de la dimension de genre dans des villes comme Rennes (France), Helsinki (Finlande), Modène (Italie) ou Växjö (Suède), montrent l’importance déterminante de la volonté politique des édiles locaux. En d’autres termes, il n’existe pas de corrélation automatique entre l’existence de politiques nationales en faveur de l’égalité des sexes et la pris en compte de cette problématique au plan municipal. Ainsi, dans certaines villes finlandaises ou suédoises, cette dimension est peu ou pas appréhendée alors même qu’il existe au niveau national une pression sociale et politique en faveur de l’égalité des sexes et des instruments pour lui donner corps. Au contraire, dans des pays considérés comme peu ouverts à cette problématique, certaines villes occupent une position de pointe. C’est le cas de Sintra ou Montejo, au Portugal. De par les politiques développées et les structures mises en place, ces deux localités manifestent une réelle volonté d’agir : elles prennent des mesures favorables aux femmes avant même l’établissement de normes législatives en la matière. Dans les pays ayant adopté des lois de quotas ou de parité sur le plan politique, l’existence d’une contrainte législative à l’échelle nationale entraîne généralement une progression dans la représentation féminine d’ordre quantitatif, sans induire pour autant de véritable changement dans les pratiques des pouvoirs locaux. En France, notamment, il est frappant de constater à 64 quel point le thème de la parité a disparu du débat public dès qu’elle a été votée et surtout dès qu’elle est entrée en vigueur. Les élu(e)s considèrent qu’en l’appliquant , ils ont fait leur devoir, mais leur réflexion s’arrête souvent au rééquilibrage numérique qui en découle dans les assemblées municipales. Si donc les quotas apparaissent souvent comme une condition nécessaire pour l’intégration des femmes en politique au plan local, encore n’en sont-ils pas une condition suffisante. b) Les mesures d’accompagnement au niveau local Dans tous les pays concernés par cette étude, il existe d’autres mesures nationales en faveur de l’égalité des sexes, parfois votées pour accompagner les quotas. Quels sont les effets de ces mesures au niveau local ? En Finlande, la loi de 1995 prévoit trois types d’obligations dans les municipalités. Le premier versant, évoqué plus haut, concerne la composition sexuée des organes politicoadministratifs des municipalités, avec un quota de 40 % minimum de chaque sexe. Deuxièmement, les municipalités, en tant qu’autorités publiques, sont dans l’obligation de promouvoir l’égalité de façon systématique. Toutefois, lors de la rédaction du présent rapport (2003), seules deux villes concernées par de la recherche avaient élaboré un plan d’action visant à promouvoir l’égalité des sexes 100 et une troisième était en train de le faire 101. Troisièmement, il est demandé aux municipalités, en tant qu’employeurs, d’œuvrer en faveur de l’égalité des sexes dans la sphère professionnelle. La loi prescrit que les employeurs de plus de 30 personnes doivent introduire des mesures pour promouvoir l’égalité dans leur plan d’avancement des personnels et de protection des travailleurs. Ceci concerne notamment les modes de recrutement, les opportunités de carrière, les conditions de travail et la lutte contre le harcèlement sexuel. Or la plupart du temps, les personnes interrogées ne savent pas si un plan ou des mesures existent et, le cas échéant, quelle est leur efficacité. Hormis le respect des quotas, le deuxième et le troisième volet de la loi semblent beaucoup moins bien appliqués. En Suède, les municipalités sont obligées de se conformer à la législation nationale sur l’égalité adoptée en 1980 (révisée et complétée par la suite), en vertu de laquelle chaque employeur doit fournir à un office national des rapports réguliers sur les inégalités de sexes parmi ses employés, notamment sur les différences de salaires et de progression de carrière, et présenter des plans d¨action visant à y remédier. En Belgique, la loi de 1994 oblige les communes à effectuer un rapport analytique sur la position des femmes dans les instances politico-administratives municipales (déjà prévu par un arrêté royal de 1990), qu’elles doivent transmettre au service fédéral d’égalité des chances, via les agences provinciales nouvellement créées 102. Ce texte impose également de nommer un fonctionnaire local chargé de promouvoir l’égalité des chances au sein de la commune et d’assurer le lien avec les structures supérieures. Dans beaucoup de cas, comme en témoignent les entretien passés avec certains d’entre eux, ces fonctionnaires se montrent peu intéressés par une telle responsabilité et la considèrent même souvent comme un cadeau empoisonné lorsqu’elle s’ajoute aux charges qui leur sont déjà confiées. Pour toutes ces raisons, il semblerait qu’à de très rares exceptions près – la ville d’Anvers notamment – cette mesure se soit révélée peu efficace, même si elle confère un début de visibilité à la dimension du genre dans la politique communale. Le dernier volet de la loi prévoit qu’un échevin soit responsable 100 Les villes de Helsinki et Oulu, qui sont par ailleurs les deux exemples les plus positifs pour le cas finlandais. Pour plus de détails, nous renvoyons au rapport national finlandais. 101 La ville de Joensuu. 102 A noter que le suivi n’a quasiment jamais été assuré. 65 de ce domaine au sein de l’exécutif et que soit créé un Conseil de l’égalité des chances. Or les échevins concernés s’avèrent peu réceptifs face à cette nouvelle tâche venant généralement se greffer sur leurs prérogatives initiales et la loi apparaît insuffisamment contraignante pour conférer une réel pouvoir à de telles structures. La création, fin 2002, d’un Institut fédéral indépendant pour l’égalité entre hommes et femmes laisse toutefois augurer une évolution qui va dans le bon sens. Doté d’un budget particulier et chargé de missions spécifiques, cet organe aura la possibilité, si les lois ne sont pas respectées, d’ester en justice au nom des personnes lésées ou en son nom propre, et tendra à rassembler des forces précédemment dispersées 103. La France présente un cas de figure très différent de ce point de vue. En effet, de toutes les mesures d’accompagnement de la loi sur la parité proposées par l’Observatoire de la parité entre les hommes et les femmes (2002) – non-cumul des mandats, transformations de scrutins électoraux, campagnes de sensibilisation etc. – aucune n’a été retenue par le législateur. De plus, contrairement à la Belgique, il n’a pas été question de créer des postes administratifs ou politiques spécifiques au niveau local. Seul l’Observatoire de la parité est chargé de faire une évaluation de la loi, et ce au niveau national, avec très peu de moyens et très peu de coopération de la part des pouvoirs municipaux. Si certaines villes comme Rennes ou Paris ont créé des postes relatifs à l’égalité des sexes et pris des mesures à ce sujet au sein de leur administration, une telle initiative relève uniquement de leur bon vouloir – dans le cas de Rennes, elle a précédé la loi sur la parité. Les mesures visant à inciter la production de statistiques sexuées sont à placer dans le même registre que les autres mesures d’accompagnement dont il vient d’être question en ce qu’elles facilitent, à plus long terme, la mise en œuvre des politiques incluant la dimension de genre. Certes, l’existence de telles données ne garantit pas en soi une évolution positive : encore fautil s’en servir et les mettre à jour régulièrement. Mais il s’agit bel et bien d’un élément de première importance, tant l’ignorance de ces données est grande dans la plupart des pays étudiés – Grèce, Portugal, Italie surtout. Et là encore, les pays scandinaves se distinguent en la matière 104. c) Les Conseils d’égalité des chances en Finlande et en Belgique La Finlande et la Belgique ont mis en place – à divers échelons territoriaux et selon des modalités différentes – des structures particulières, qu’on nommera ici « Conseils de l’égalité des chances ». Nous voudrions dégager les enseignements qu’il est possible de tirer de ces deux cas pratiques, en nous intéressant à l’impact de ces structures au niveau local. L’expérience volontaire finlandaise Dès 1979 et jusqu’au début des années quatre-vingt dix, des expériences volontaires de Conseils d’égalité des chances ont eu lieu dans certaines localités finlandaises. De quinze en 1981, ils sont passés à trente en 1985-1986 pour quatorze actuellement, essentiellement dans des grandes villes. Au total, une quarantaine de municipalités finlandaises – soit 10 % du total environ – se sont engagé sur cette voie. 103 Le nouvel Institut aura notamment pour tâche de reprendre la partie « genre », gérée jusque-là par le Centre pour l’égalité des chances et de lutte contre le racisme. 104 . En Finlande, des statistiques sexuées ont été produites par le Conseil de l’égalité ainsi que par l'Association finlandaise des pouvoirs locaux et régionaux. Depuis 2001, une banque de données sexuées sur les municipalités est mise à jour par le ministère des Affaires sociales et de la Santé - http ://www.tasa-arvotietopankki.fi/ 66 N’étant organisés sur aucune base contraignante (loi, règlement, …), ces organes ont vite rencontré des écueils assez parlants : faiblesse de ressources, manque d’intérêt, manque de soutien de la part des élus municipaux, activité faible de la part du comité lui-même… C’est en partie à cause de réformes institutionnelles au niveau local – notamment la réduction du nombre des comité locaux – que les Conseils ont progressivement presque tous disparu, ce qui a eu pour conséquence un traitement moins actif (et parfois même inexistant) de la question de l’égalité des sexes. L’initiative locale, quand elle ne répond pas à la contrainte, est donc soumise à des fluctuations politiques ou sociales qui remettent en cause la pérennité de ces Conseils et leur efficacité. On aurait tort pour autant de généraliser le propos, comme en témoignent les exemples de Helsinki et Oulu. Ces deux villes, contrairement à bon nombre de leurs homologues, ont développé des comités d’égalité des chances « opérationnels » 105, qui bien qu’étant parfois en conflit avec les autorités municipales, ont pu mener des actions en faveur de l’égalité hommes/femmes. Néanmoins, le fait que plusieurs villes n’aient pas créé ou maintenu de telles structures montre que, même dans un contexte favorable, il n’est pas aisé d’œuvrer en faveur de l’égalité des chances sur la seule base du volontariat. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les Conseils ont bien résisté à Helsinki et Oulu. Premièrement, il s’agit de deux cités assez grandes – Helsinki est la première du pays et Oulu la sixième en taille – ce qui laisse présager qu’elles possèdent des moyens financiers plus importants que d’autres. Ensuite, le taux élevé de représentation féminine dans leurs Conseils municipaux obéit à une longue tradition. Enfin, parmi les villes finlandaises où a été menée l’enquête, ce sont les seules à s’être dotées de plans municipaux d’égalité des chances dans le courant des années 1990. La loi de 1995 dont il est question plus haut y a donc rencontré un contexte favorable. On peut faire le même type de constat à propos du cas suédois, considéré comme un modèle en matière d’égalité des sexes. Le facteur explicatif majeur de la meilleure réussite des initiatives de ce type dans telle ou telle ville réside presque toujours dans le soutien politique du pouvoir en place, et plus particulièrement de l’exécutif – et parfois même indépendamment de la qualité intrinsèque du travail accompli par les Conseils. A Växjö, par exemple, le comité chargé de l’égalité des sexes a le statut de commission municipale, au même titre que celle de l’urbanisme, et sa présidente est une maire-adjointe, donc partie prenante du pouvoir exécutif. Or c’est justement l’une des villes suédoises où cette expérience s’est révélée la plus concluante : les travaux de cette commission ont été relayés par les pouvoirs locaux et ont mené à des réalisations concrètes. La « suggestion » par le haut en Belgique En Belgique, l’arrêté royal du 27 février 1990 suggère – mais n’impose pas – la création d’organes de concertation chargés de l’égalité des chances 106. Notons que ce texte n’évoque aucune forme particulière de structure : il peut donc s’agir d’un conseil consultatif, d’un groupe de travail, d’une commission interne… Rien n’est dit, par ailleurs, sur la portée des pouvoirs de cet organe : consultatif, délibératif… C’est le principe qui compte. La loi ne prévoyant pas de modalités spécifiques pour le fonctionnement de ces instances (budget, procédures de nomination, …), l’application de celle-ci sera fonction de la bonne volonté des pouvoirs locaux. Est-il pertinent, dès lors, d’établir un parallèle avec la situation finlandaise ? L’évaluation de ces structures dans les villes belges touchées par la recherche semble bien indiquer que oui. Six des neuf communes étudiées ont instauré un mécanisme de type 105 Pour reprendre les termes du rapport finlandais (p 28). Celui de Oulu fut crée en 1981 et celui de Helsinki en 1983. 106 De tels Conseils existent par ailleurs au niveau national, régional, communautaire, provincial. 67 « Conseil d’égalité des chances », ce qui représente une majorité. Mais ce n’est pas le cas sur la totalité des communes belges : en 1994, seules 25 % d’entre elles avaient créé ce type de commissions (Delescaille, 2002). Paradoxe assez étonnant : les trois communes belges où nous avons mené l’enquête qui ne comprenaient pas ce type de Conseil étaient dirigées par des femmes 107. Bien plus, ces communes font partie de celles qui témoignent d’une bonne intégration des femmes dans les instances politico-administratives communales 108. Tout comme dans les cas finlandais et suédois, il n’existe pas forcément de corrélation directe entre l’existence de telles commissions et une bonne gestion de l’égalité des chances dans la pratique, quand bien même ce type de structure peut servir de « déclencheur » de la prise en compte du genre comme enjeu politique, notamment au niveau local. Comment interpréter ces deux expériences ? Il ressort, d’un côté, que l’existence d’une mesure incitative d’un niveau politique supérieur n’est pas forcément garante d’une bonne application au plan local. Une démarche volontaire peut suffire, si elle est l’expression du pouvoir politique municipal. Mais, d’un autre côté, si les pouvoirs politiques locaux sont réticents à de telles pratiques, seule une norme coercitive peut conduire à une meilleure prise en compte de la question de l’égalité hommes/femmes, dans des structures institutionnalisées et pérennes. L’expérience finlandaise montre que des pouvoirs politiques locaux motivés, sans incitation par le haut, peuvent mener à des résultats probants, cependant que certaines villes italiennes ont mené de telles démarches sur incitation législative (Bologne, Venise par exemple) 109. En tout état de cause, comme le rappelle Mari Teigen (2000), les résistances se font moindres et l’esprit de la loi est plus facilement concrétisé lorsqu’il existe des mesures coercitives (législatives, constitutionnelles, statutaires…), assorties de sanctions éventuelles en cas de non-respect de la loi. Le problème des ressources est par ailleurs fondamental. Le cas finlandais – dans un contexte pourtant relativement favorable – met en lumière différentes causes d’échec des Conseils créés : inexistence de budget propre, locaux inappropriés, etc. Le caractère crucial de la dimension budgétaire est par ailleurs mis en exergue par le cas de Vicenza, ville italienne où le budget de la commission concernée a diminué, ce qui a eu des répercussions négatives sur son fonctionnement – et donc sur son action potentielle. A cela s’ajoute la question de l’indépendance financière d’une telle instance : lorsque le budget du Conseil de l’égalité des chances dépend d’un autre organe (par exemple, le cabinet du maire), cela peut induire des frottements, voire des blocages, comme a pu l’observer en divers lieux, notamment à Padoue. Un autre point décisif concerne la nature des décisions que ces organes sont à même de prendre et l’influence qu’ils exercent dans les faits. Leur fonction est-elle de faciliter l’élaboration des politiques locales ? Servent-ils d’instances d’évaluation, de suivi ? Ont-ils des compétences délibératives, consultatives ? On peut se demander s’il est pertinent d’établir de tels Conseils lorsque leurs travaux ne sont pas pris en compte par les autorités concernées. A contrario, les expériences observées dans certaines municipalités suédoises montrent toutes l’utilité de telles instances lorsqu’elles sont nommées par le pouvoir politique, qu’elles 107 Situation en 2001. Voir monographie de l’équipe belge. 109 Au travers des lois 164/1990 et 125/1991 qui prévoient la création de comités d’égalité des chances au niveau local notamment. 108 68 s’appuient sur un plan d’action visant à aider ce dernier dans l’accomplissement de sa tâche, et que leur action est prise au sérieux par l’ensemble des acteurs locaux 110. ***** Dans tout ce qui précède, on ne peut qu’être frappé par l’importance des variations existant d’un pays à l’autre quant à l’influence respective des divers facteurs évoqués en matière de représentation féminine : ancienneté et proportion plus ou moins élevées de la participation des femmes au monde politique – en particulier dans les exécutifs ; nature des institutions en place ; rôle des partis ; fonctions et poids relatifs des instances aux divers niveaux de pouvoir ; type de mesures légales adoptées pour promouvoir la présence des femmes dans les organes de décision, etc. On n’a pas affaire à un, ni même à deux modèles (Nord / Centre-Sud), mais à des configurations dont les paramètres diffèrent sensiblement d’un pays à l’autre. Néanmoins, plusieurs constats s’imposent : - à l’exception de la Suède, des mesures d’action positive – quelle que soit leur forme exacte et les instances auxquelles elles s’appliquent – se sont avérées indispensables pour surmonter les résistances du monde politique à l’intégration des femmes dans les instances de pouvoir ; - l’efficacité de ces mesures est toute relative quand elles n’ont pas un caractère obligatoire ou qu’elles ne s’accompagnent pas de clauses assurant leur pérennité et surtout leur traduction concrète dans la sphère politique, tant locale que nationale ; - la volonté politique joue un rôle déterminant dans le processus de changement. Avant d’examiner plus en détail, dans le chapitre IV, comment se traduisent ces diverses facettes de la réalité politique, dans les discours et les représentations des acteurs et des actrices interviewées, on s’efforcera de mettre en lumière, dans une optique transversale, les points qui se dégagent de l’analyse concernant la place des femmes dans les municipalités, et le rôle qu’elles y jouent. C’est l’objet du chapitre qui suit. 110 Le même constat peut être fait, dans les années 1990, à propos de certaines municipalités finlandaises, comme Oulu. 69 TABLE DES ILLUSTRATIONS Tableau 4 : Principaux jalons relatifs à l’inclusion des femmes dans le monde politique................. 71 Tableau 5 : Indicateurs qualitatifs sur la prise en compte du genre dans la vie politique (1999) ..... 72 Tableau 6 : Indicateurs quantitatifs sur prise en compte du genre dans la vie politique (1999) ...... 72 70 Tableau 4 : Principaux jalons relatifs à l’inclusion des femmes dans le monde politique % 1ère 1ère femmes femme au femme actuel Parlement élue gouvt. FIN 33 (5/15) 1920 a 1928 50 (9/18) 1907 1907 1ère ministre + secteur de compét. % le + Droit Droit élevé de 1ère de de Droit d’ Droit d’ femmes femme vote vote éligibilité éligibilité conseil. au élec. élec. municip. national gouvt munic. munic. nation. (+date) Femme présidente (+ date) 1964 (famille et logement) 4/15 26,7 % 2002 1926 (affaires sociales) 9/18 50 % 1920 1920 1948 1921 1920Æ Chambre 1921Æ Sénat Régime monarch.b 1917 1917 1906 1917 1906 OUI 2000 1945 1944 1944 1944 1944 NON 1952 NON 2003 8/26 FR 25,6 % (10/39) 1945 1945 1936 30 % 1998 G 12 % 1953 1953 1956 5/43 11,6 % 1951 1952 1952 1952 (1953 pour être maire) 1946 1945 1945 1945 1945 NON 2000 I a 9% (2/22) 1946c 1948 1976 (travail) 6/24 25 % 1999 P 11,5 % (11/52) 1934 d 1934 1969 (santé) 11,5 % 2000 1974 1974 e 1974 1969 1969 NON S paritaire 1921 1921 1947 paritaire depuis 1994 1919 1919 f 1921 1919 1921 Régime monarch. Elle siégeait en tant que sénatrice cooptée (voir supra). b Depuis une dizaine d’années, la Belgique a aboli la loi salique, qui interdisait aux descendantes féminines de régner. Notons toutefois, que ce changement n’est aucunement redevable à une volonté d’amélioration du statut de la femme. c Il s’agissait de l’Assemblée Constituante qui préparait les élections de 1948. d Pendant le régime salazariste e Sous le régime salazariste, certaines catégories de femmes pouvaient néanmoins voter : celles non mariées, ou possédant un niveau d’instruction minimum (lycée). f Dès 1864, les femmes ayant du bien pouvaient néanmoins voter sous certaines conditions, en lien avec le vote censitaires et, à partir de 1911, elles pouvaient être élues. 71 Tableau 5 : Indicateurs qualitatifs sur la prise en compte du genre dans la vie politique (1999) Adhésion U.E. a B Fin 1957 1995 Adhésion O.N.U. 1945 1955 Statistiques Législation Signature Traité Quota ou parité Disposition fournies sur l’égalité CEDAW / au niveau local + constitution régulièrement entre les Ratification restrictions nelle b sexes c Oui, depuis 2001 Oui, dans le secteur politique essentiellem ent. Oui depuis 2000 Principe de la promotion de l’égalité des sexes dans tous les domaines 17/07/1980 10/07/1985 Loi juin 2001 50 % de femmes à tous les niveaux 17/07/1980 04/09/1986 Il existe, depuis 1995, une loi de quota pour les organes non-élus au niveau municipal. La proportion est de 40 % de chaque sexe. Oui Oui (juin 1999) Oui Oui Non, mais existence d’objectifs à atteindre, plans d’actions, mesures spéciales Fr 1957 1945 17/07/1980 14/12/1983 Loi juin 2000 50 % de femmes pas dans commune de moins de 3.500 hab. I 1957 1955 17/07/1980 10/06/1985 Non Non Non Non 1945 02/03/1982 07/06/1983 ??/ 05/ 2001 Au moins 30 % d’un sexe aux élections locales Non Egalité des sexes e Non f Non Oui / devrait promouvoir l’égalité en matière d’exercice des droits civiques et politiques. Non Non Non, mais quotas sur les listes de la plupart des partis Gr P S 1986 1986 1995 1955 1946 24/04/1980 30/07/1980 07/03/1980 02/07/1980 Non Non Oui Source : Conseil de l’Union européenne, 1999, p 30 sq. a Ou du Traité instituant la CECA/CEE. c Autre que mesures de quotas lors des élections. d En regard du rapport consulté. e Pas mentionné dans le rapport consulté. Provient du rapport du Conseil européen. f Mention « pas de réponse » dans le rapport grec. Tableau 6 : Indicateurs quantitatifs sur prise en compte du genre dans la vie politique (1999) 72 % % % % de femmes femmes femmes dans les femmes dans les au aux gvts. instances parlement parlements Nationaux locales national / régionaux / fédéraux éluesa fédéral b en 1999 19 % B 25 22 14 c 44 Fin 32 % 37 X Fr 22 % 11 20 32 I 19 % 11 12 22 6 8,5 9,5 d Gr 4% P 14 % 14 12 10 41 % 43 48 53 21% 23 27 24 (a) S moyenne Source : Conseil de l’Union européenne, 1999, p 10 sq. a Moyenne européenne : 21 %. b Dans les pays possédant un parlement bicaméral, il s’agit de la moyenne des deux institutions. c Pas de statistiques disponibles. d Mais 46,3 % au Conseil municipal d’Athènes en 2001 ! Pour l’exécutif, ce pourcentage est de 63 %. 73 74 CHAPITRE III : LA PLACE DES FEMMES DANS LES MUNICIPALITÉS Selon Anette Borchorst et Birte Siim (1987), la place des femmes dans les municipalités doit être examinée sous quatre angles : en tant que « décideuses » ; en tant qu’employées municipales ; en tant que citoyennes – que ce soit comme électrices ou membres d’associations actives au niveau local ; en tant que consommatrices de services municipaux. Dans cette étude-ci, limitée à sept pays européens, notre attention s’est focalisée sur les femmes dans la prise de décision ainsi que sur les actions des municipalités en faveur de l’égalité des sexes. Aussi les entretiens ont-ils porté avant tout sur le statut et sur l’influence des femmes dans la politique locale, et sur les politiques d’égalité des sexes. Cependant, la recherche ne fait pas l’impasse sur d’autres fonctions occupées par les femmes : l’analyse des changements dans le secteur social renvoie en effet aux positions de celles-ci en tant qu’employées et en tant que clientes des services municipaux. La citoyenneté des femmes, on le sait, s’exerce en partie – plus particulièrement dans certains pays – au travers des associations de prise en charge dans divers domaines sociaux. Cette dimension prend une importance particulière lorsque la municipalité s’appuie fortement sur ces structures – le plus souvent à dominante féminine – et elle est d’autant plus sensible que la remise en cause de l’Etat-providence conduit le secteur associatif à prendre en charge certains services autrefois sous la responsabilité de l’Etat. Une telle dynamique a plusieurs conséquences pour les femmes : elle tend à réduire leur autonomie financière du fait de leur plus grande difficulté à trouver des emplois salariés dans les municipalités ; elle accroît leur part de travail bénévole au sein de services antérieurement organisés par la ville ; elle renforce les inégalités entre les sexes dans la mesure où les changements structurels qui affectent les services municipaux, en lien avec l’instabilité de la conjoncture économique, pèsent différemment sur les hommes et les femmes en tant que clients, puisqu’ils n’ont pas le même profil d’utilisateurs. Diverses études féministes montrent qu’un système électoral démocratique et transparent est plus favorable aux femmes, et que le contexte institutionnel tout comme le contexte sociétal ont un impact différent sur la participation à la vie politique des individus, selon leur sexe (Holter 1996b). Ainsi, l’analyse des systèmes électoraux a fait apparaître que le mode de scrutin proportionnel est souvent plus favorable aux femmes qu’un scrutin majoritaire 111. De même, la taille de la circonscription et un nombre d’électeurs important peuvent avoir un effet positif quant à la représentation des femmes (Leijenaar et alii 1999). De tels constats vont dans le même sens que ce que l’on observe en matière de statut et de salaires des femmes dans la vie professionnelle : plus les critères de recrutement sont objectifs, transparents et connus de tous à l’avance, plus les femmes ont la possibilité de progresser dans leur carrière et d’obtenir des salaires comparables à ceux de leurs homologues masculins. Ces observations ont sous-tendu nos questionnements tout au long de la recherche, et ce chapitre a pour objectif de mettre en évidence un certain nombre de traits saillants qui sont apparus au cours de l’enquête, concernant le fonctionnement des instances locales. Ont donc retenu notre attention, d’une part, le caractère plus ou moins démocratique du mode de décision et, d’autre part, les défis, opportunités et problèmes relevés en matière de démocratie locale, suite aux changements structuraux et institutionnels des années 1990. Soulignons que la notion de « démocratie » n’est pas quantifiable et qu’elle est difficile à définir avec précision : 111 Encore qu’on ait vu au chapitre précédent qu’il y a lieu d’avoir à ce propos un jugement nuancé. 75 comment témoigner de ce qu’un système est plus « démocratique » qu’un autre et comment repérer si les changements intervenus dans les structures de pouvoir entraînent davantage de démocratie – ou l’inverse ? Nous ne nous engagerons pas dans ce débat et traiterons la question à partir des observations empiriques qui ressortent de nos enquêtes, en nous limitant aux domaines étudiés. Dans cette optique, notre analyse s’attachera plus spécifiquement à mettre en lumière la position des femmes dans la politique locale. Durant les années 1990, on l’a vu dans le chapitre précédent, des mesures pro-actives, notamment par le biais de quotas, ont été édictées pour améliorer et promouvoir la représentation des femmes, y compris au niveau local, dans la plupart des pays étudiés 112. Cependant, une question préalable s’impose pour évaluer ces mesures : les femmes, c’est indéniable, sont plus présentes, mais ont-elles vraiment accédé aux instances de pouvoir ? Le pouvoir n’aurait-il pas « fui » les instances auxquelles elles accédaient enfin de façon significative ? On observe plusieurs aspects du déplacement des lieux de pouvoir. Des observations faites sur le terrain, il ressort que, dans plus d’un cas, les femmes entrent dans des « institutions en voie de rétrécissement » (Holter 1996a), à savoir des organes ayant perdu une partie de leur pouvoir au profit d’autres arènes de décision. D’autre part, l’arrivée des femmes produit parfois une réaction en chaîne : les lieux du véritable pouvoir tendent à se déplacer vers d’autres instances, souvent non institutionnalisées et hors de tout contrôle démocratique. Les réseaux décisionnels officieux qui rassemblent divers notables locaux – représentants d’entreprise, hommes politiques, hauts fonctionnaires – en sont l’exemple type. Il importe donc de se demander qui détient réellement le pouvoir : le Conseil municipal, l’exécutif, l’administration, le maire, le cabinet du maire ou d’autres organes locaux ? Quels changements sont intervenus dans le partage et les relations de pouvoir entre ces instances au cours de la période 1990-2000 ? L’arrivée des femmes en nombre plus important a-t-elle influé sur ces changements ? A partir des entretiens réalisés dans les sept pays retenus pour l’enquête, nous examinerons ci-après les réponses que les personnes interviewées ont apporté aux questions suivantes : - Les organes démocratiques de prise de décision ont-ils vu leur pouvoir maintenu, accru ou réduit ? - Dans quelle mesure le pouvoir a-t-il été transféré à des instances de décision à scrutin indirect, ou à des instances non démocratiques ou officieuses ? - La participation des citoyens constitue-t-elle un facteur important dans la prise de décision et quel est le rôle des associations à ce propos ? Jouent-elles un rôle actif dans le jeu démocratique local ou sont-elles dépendantes des instances élues ? - Les femmes sont-elles présentes dans les organes de pouvoir ? Et quelle est la nature de ce dernier ? S’agit-il d’institutions dont les capacité décisionnelles sont intactes ou diminuées ? - Y a-t-il eu déplacement des lieux de pouvoir après l’arrivée des femmes ? A partir des études réalisées dans chacun des sept pays choisis, et en mettant l’accent sur la dimension sexuée, nous étudierons les facteurs de démocratisation qui influent sur la nature du pouvoir et sur la participation à la vie politique, depuis le niveau « macro » des structures de gestion jusqu’au niveau plus « micro » de la citoyenneté. Dans un premier temps, nous observerons comment le pouvoir se répartit entre les municipalités, l’Etat central, d’autres niveaux de décision à l’échelle locale, et quelles sont les conséquences des changements décidés au niveau national quant au pouvoir des municipalités. Dans un second temps, nous considérerons la structure interne du pouvoir au sein des municipalités. Dans un troisième 112 En Suède le nombre de femmes en politique a continué à progresser d’une manière importante pendant cette période, malgré l’absence de mesures pro-actives formelles. 76 temps, nous examinerons les relations entre les municipalités et les citoyens en cherchant à voir si l’égalité des sexes est encouragée. Enfin, nous nous intéresserons aux processus qui favorisent la prise en compte du genre et la promotion de l’égalité entre les sexes au niveau local dans les années 1990. L’objectif de ce chapitre n’est pas de produire une étude détaillée de la situation de chacun des pays retenus, mais une analyse synthétique transversale mettant en relief les similitudes et les différences afin de pouvoir nourrir la discussion théorique des rapports entre le genre et la politique locale et ce, en faisant appel à nombre d’exemples concrets émanant des cas nationaux. I. UNE GESTION À PLUSIEURS ÉCHELONS Les municipalités sont, d’une part, l’incarnation de la pratique de la démocratie à l’échelle locale et, d’autre part, des instances qui assurent l’application de décisions prises à d’autres niveaux – étatique ou régional. Cette double fonction est porteuse d’une tension liée à l’impossibilité de conjuguer harmonieusement deux tâches contradictoires. On peut supposer que plus le champ de décision des municipalités est important, plus elles sont rétives à se conformer aux directives d’un Etat centraliste désireux de les soumettre à son pouvoir – ce qui les transforme de fait en « métastases « de l’Etat. Inversement, moins leur pouvoir est étendu, et plus elles acceptent de s’adapter au centralisme étatique et à ses injonctions. C’est du moins ce qu’on peut déduire des tendances générales observées en Europe durant les années 90, période marquée conjointement par des processus de décentralisation vers le local et par la transformation des pratiques de pouvoir au plan municipal, avec de nouvelles formes de gestion publique d’inspiration néo-libérale, connues sous le nom de New Public Management dans les pays nordiques et anglo-saxons (on y revient plus loin). Ces processus ont, bien entendu, pris des formes différenciées dans les sept pays qui nous intéressent ici. Néanmoins, si les changements internes en matière de politique locale sont plus importantes dans certains pays que dans d’autres, diverses études (Pollit et al., 2002) montrent que les municipalités ont fait l’objet de réorganisations vigoureuses dans tous les pays de l’Union européenne (UE) depuis les années 1980. L’application des nouveaux principes de gestion évoqués plus haut s’est traduite par la recherche d’une plus grande efficacité économique dans la conduite des affaires locales. 1. Fonctions des municipalités face aux changements institutionnels Dans les sept pays étudiés, on observe des tendances diverses selon les cas quant à la décentralisation des prérogatives de l’Etat, et quant au transfert de la prise de décision vers l’échelon local ou régional – en France et en Grèce, c’est le second qui a bénéficié de la décentralisation, davantage que l’échelon local. Dans chacun des pays, les fonctions des municipalités sont liées à l’importance respective des autres échelons de gestion (Etat, région, province ou département) et le statut des municipalités varie au regard de celui des départements ou des régions. Dans la plupart des cas, le système administratif, au début des années 90, comprenait plusieurs niveaux, tels la région ou le département. En France, pays à forte tradition centralisatrice, la décentralisation a commencé après l’arrivée de la gauche au pouvoir, en 1982-1983, avec un accroissement du pouvoir des régions. Simultanément, le rôle des municipalités s’est vu renforcé. A cela est venue s’ajouter, dans les années 1990, la mise en place de l’intercommunalité, qui propose un transfert de 77 compétences et de responsabilités à une instance regroupant plusieurs communes (communauté d’agglomération, communauté de communes, syndicat d’agglomération nouvelle). Cette politique volontariste du gouvernement, largement financée par ce dernier, a connu un grand succès : les transferts de responsabilité concernent généralement des domaines tels que le développement économique, la planification urbaine, le logement social, la protection de l’environnement, etc – autant d’activités coûteuses, nécessitant une expertise professionnelle et soumise à des réglementations européennes. En Italie, les partis régionalistes, surtout ceux qui défendaient les intérêts de la riche région septentrionale, comme la Ligue, se sont attaqués, au début des années 90, à la question des relations entre l’Etat, les régions et les municipalités. Dans ce pays où le mouvement de décentralisation a été particulièrement poussé au cours des dix dernières années, d’importantes réformes législatives ont été opérées, reformulant, mais aussi renforçant le pouvoir des régions et des municipalités, en même temps que celui du maire. Ces réformes ont culminé, en 2001, avec la réforme de la Constitution, posant que la République italienne n’est plus divisée en régions, mais que les autorités régionales autonomes forment ensemble l’Etat italien. Si ce processus a surtout consolidé le pouvoir législatif et l’autonomie de gestion des régions, les municipalités ont obtenu dans le même temps une indépendance administrative, financière et fiscale qui consolide leur position, surtout dans les communes urbaines. La figure centrale de la gestion municipale est le maire, élu par la population au suffrage direct et à majorité simple depuis 1992 – l’objectif de cette réforme était de limiter la fragmentation politique et les blocages qu’elle entraîne. Entouré de son cabinet, il détient un part importante du pouvoir, alors que le rôle du Conseil municipal, lui, est affaibli. L’autonomie et la coopération municipale ont fait l’objet de nombreuses mesures entre 1997 et 1999, et les responsabilités en matière de gestion dépendant désormais les lois régionales. En Grèce, où on a affaire historiquement à un Etat fort et centraliste, les fonctions des municipalités sont réduites d’autant : elles concernent surtout la promotion des intérêts sociaux, économiques et culturels de la population. Le nombre de communes a été réduit, passant de 5825 à 566 actuellement. Dans le même temps, de nouveaux pouvoirs ont été conférés à l’échelon départemental et la coopération intermunicipale a été encouragée. Toutefois, le processus de décentralisation a profité d’abord au département, la municipalité restant un intermédiaire entre la population et les niveaux supérieurs de la prise de décision. Bien que le maire et le Conseil municipal soient élus au scrutin direct, la concentration du pouvoir entre les mains du maire et la personnalisation de sa fonction ne sont pas sans poser problème. La rivalité politique entre les municipalités et l’Etat n’y est d’ailleurs par étrangère : dans les villes de droite, les élu(e)s de la majorité se sentent en opposition face à un pouvoir central de gauche. En résultent des prises de décisions au niveau local en discordance avec les options de l’Etat national, ce qui pousse les municipalités à s’émanciper du contrôle de ce dernier. En Suède, où les municipalités et les régions ont toujours eu une position importante et indépendante en ce qu’elles ont le droit de prélever des impôts sur le revenu des citoyens 113, les années 90 ont coïncidé avec une tendance accrue de la part de l’Etat à encadrer la gestion municipale, en obligeant les municipalités à respecter un équilibre budgétaire. Parallèlement s’est poursuivi le mouvement historique consistant à transférer progressivement les services et la protection des citoyens de l’Etat vers les municipalités, notamment avec la « municipalisation » des écoles, collèges et lycées. Les communes suédoises se sont donc retrouvées avec davantage d’obligations, moins de revenus fiscaux en raison de la récession économique et l’obligation d’équilibrer leur budget. Au moment de notre enquête, les 113 Ce sont les plus gros percepteurs d’impôts des particuliers. Les impôts perçus par l’Etat – à hauteur d’environ 30 % des revenus – sont indirects ou concernent les capitaux, les hauts revenus, le travail, les biens immobiliers, les fortunes, etc. 78 municipalités urbaines étudiées étaient cependant sorties de la période de crise induite par ces injonctions contradictoires, et la plupart d’entre elles connaissaient même un boom économique important. En Finlande, les régions n’ont été créées que pour satisfaire aux conditions d’adhésion à l’Union Européenne, en 1994. La décentralisation a consisté en une réforme du système de financement des municipalités, la loi de 1995 mettant fin au contrôle détaillé de l’Etat. Précédemment, ce pays connaissait un modèle de fonctionnement où coexistait une autonomie locale forte et un contrôle étatique extrêmement poussé. La nouvelle loi municipale et le nouveau système de subventions ont mis fin à ce système dans les années 1993-1995. Au cours des réformes, qui se sont accélérées sous l’impact de la récession économique, les municipalités ont obtenu l’autonomie de leur organisation interne et le droit gérer la subvention globale provenant de l’Etat. Désormais, ce sont les municipalités qui fixent et décident de l’utilisation de leur revenu fiscal – bien entendu dans les domaines qui leurs sont dévolus. Les statuts du Conseil municipal et des conseiller(e)s se sont trouvés renforcés par les ordonnances de cette nouvelle loi qui modifie le système dans le sens d’un soi-disant « parlementarisme adapté » et permet au Conseil de ‘licencier’ le maire. Parallèlement, ont été créés des Conseil provinciaux, dont les délégués sont élus indirectement parmi les conseillers des municipalités concernées. Ces Conseils, en collaboration ave les centre régionaux économiques représentant l’Etat, ont obtenu – alors que la Finlande entrait dans l’UE – la responsabilité du développement régional, une partie de la responsabilité concernant la mise en cohérence avec la politique européenne, et la gestion de fonds structuraux. Les problèmes induits par ce mouvement de décentralisation proviennent notamment du fait que l’Etat a accru les responsabilités et les fonctions des municipalités sans se préoccuper de l’adéquation des conditions économiques par rapport à ces nouvelles mesures. En conséquence, le système de subventions administré par l’Etat a posé de multiples problèmes, complexifiant le planning économique des municipalités. Il en résulte une friction entre le degré accru d’autonomie locale, et la gestion centraliste de l’Etat. La Belgique, quant à elle, est un Etat fédéral depuis la première moitié des années 90, ce qui implique des traits spécifiques : contrairement aux autres pays, les régions et les communautés belges détiennent des compétences exclusives, notamment dans le domaine législatif – l’Etat fédéral ne disposant pour sa part que de compétences résiduelles. Si, dans les autres pays, c’est l’Etat qui délègue les compétences aux divers niveaux, l’Etat fédéral belge, lui, ne peut intervenir sur le terrain dévolu aux entités fédérées. Au Portugal, le statut juridique de l’administration locale date de la première constitution post–révolutionnaire (1974), son objectif étant de garantir une gestion politiquement consensuelle dans les municipalités. En pratique, le pouvoir est concentré entre les mains du maire, alors que rôle du Conseil est faible. Les interviewé(e)s qualifient le système de « césarisme local ». 2. Influence de ces changements quant à la situation des femmes Tout en tenant compte du fait que les évolutions observées dans les divers pays sont distinctes, tant en ce qui concerne les fonctions, les pouvoirs des municipalités, les tendances centralisatrices ou décentralisatrices (ou autres changements structuraux), et qu’elles ont donc eu des effets différenciés, il importe d’examiner ce qui résulte de ces processus quant à la position des femmes et quant à la prise en compte de la dimension de genre dans les politiques locales. Les variations en la matière dépendent des rapports sociaux de sexe qui prévalent aux divers niveaux du pouvoir politique et renvoient plus généralement à la culture et à l’histoire 79 du pays considéré – notamment l’histoire récente, selon que l’arrivée des femmes en politique était antérieure aux changements observés dans la politique locale. En France, par exemple, si l’instauration du principe de parité a entraîné un changement sensible dans les rapports hommes/femmes à l’échelon local depuis les municipales de 2001, on ne saurait minimiser les conséquences d’autres facteurs. A commencer par l’importance croissante conférée aux structures intercommunales, laquelle tend à affaiblir le rôle des pouvoirs locaux – et donc celui des femmes puisqu’elles sont extrêmement mal représentées, dans la plupart des cas, au sein de ces structures où le principe de parité ne s’applique pas. En Finlande, compte tenu des problèmes financiers évoqués plus haut suite au processus de décentralisation, il ressort dans toutes les municipalités étudiées qu’elles ont dû hiérarchiser leurs champs d’intervention. Ce qui les a conduites, dans la plupart des cas, à donner priorité aux domaines prescrits par la loi. Aussi la décentralisation du pouvoir central a-t-elle induit, dès le début des années 90, des conséquences très négatives pour la défense des intérêts des femmes : la suspension des comités locaux de l’égalité faisant suite à cette réforme a sonné le glas des politiques visant à promouvoir l’égalité des sexes. Et la récession économique a contribué à ce processus, les fonctions incontournables des municipalités étant décrétées prioritaires. De plus, la transmission de certaines fonctions de l’Etat-providence aux instances locales, depuis 1995, assortie de la nécessité de financer divers services – le tout sur fond de difficultés économiques – a affecté la position des femmes, cette fois en tant que clientes de la municipalité. Indépendamment de leur sexe, tous les interviewé(e)s, ont souligné la place essentielle qu’occupent les équipements de la petite enfance dans l’ensemble du dispositif municipal, et on sait l’importance qu’il revêtent pour l’indépendance économique et sociale des femmes. Cependant, les municipalités ont apporté des réponses fort variées aux besoins dans ce domaine, à travers les services proposés. La couleur politique, le degré d’urbanisation, le revenu moyen, et la représentation politique féminine dans la municipalité ont, semble-t-il, eu une forte influence sur les décisions prises en la matière. Dans une ville comme Oulu, où le parti du centre (conservateur) détenait une position dominante, la tendance a été de favoriser la garde à domicile alors que dans une ville de gauche, comme Kotka, l’accent a porté sur les crèches municipales. La première option encourage le travail au foyer, alors que la seconde constitue une aide pour les femmes occupant un emploi salarié – contribuant en l’occurrence à améliorer l’emploi féminin dans la municipalité concernée. Ces changements structuraux ont donc accentué les disparités régionales quant à la place des femmes, à la fois en tant qu’employées et en tant que clientes de la municipalité. En Belgique, les municipalités ont également été confrontées à des problèmes de financement dans les années 90. Ceux-ci résultaient pour partie de décisions prises à des niveaux supracommunaux, mais aussi de la paupérisation de la population et des problèmes sociaux afférents. Tout comme en Finlande, ces problèmes ont conduit les municipalités à établir des priorités. Le secteur social en a été la victime, et les femmes ont été doublement affectées : en tant que citoyennes puisqu’elles sont plus souvent en situation de précarité que les hommes, et donc plus demandeuses des services sociaux affectés par les restrictions budgétaires ; et en tant que salariées des municipalités puisque des changements ont affecté les conditions d’emploi dans les municipalités. Avant 1990, la plupart des salariés avaient un statut de fonctionnaires, ce qui était synonyme d’un meilleur salaire et d’un statut protégé, notamment pour la retraite. Depuis 1990, la pratique – synonyme de précarité – consistant à recruter les salariés dans le secteur privé s’est développée. Etant donné la forte féminisation des administrations municipales, y compris à des niveaux hiérarchiques relativement élevés, ces changements affectent davantage les femmes que les hommes. 80 II. RAPPORTS ET ORGANISATION DES POUVOIRS AU NIVEAU LOCAL En rapport avec les questions formulées dans l’introduction de ce chapitre, et pour mettre en lumière quels sont les éléments constitutifs locaux les plus favorables à une prise en compte du genre – ceux qui influencent de façon positive la mise en place de politiques d’égalité des sexes –, on examinera successivement quatre points : le rôle et le poids, dans la prise de décision locale, du Conseil municipal ; celui de l’exécutif (en mettant l’accent sur le rôle du maire ou du directeur) ; celui des partis politiques ; et celui de la société civile et des citoyens (en mettant plus particulièrement l’accent sur les associations). 1. Le Conseil municipal La place du Conseil municipal varie selon le pays étudié, autant en ce qui concerne ses attributions que son pouvoir de décision. On ne saurait généraliser de façon abusive les considérations sur l’affaiblissement de ce dernier, mais on note toutefois une convergence d’opinions à ce propos. Dans la majorité des cas, à l’exception de la Suède, les conseillers interrogés jugeaient leur pouvoir faible et estimaient qu’il s’était considérablement réduit au cours des dernières années. Ce point de vue était également partagé par certains fonctionnaires. La métaphore du ‘conseil bon à donner des coups de tampon’ est revenue dans divers entretiens pour décrire l’issue d’un processus qui a transformé le Conseil municipal en organe d’enregistrement ne faisant que confirmer les décisions prises ailleurs (soit par le cabinet du maire, soit par l’exécutif, soit par l’administration), sans exercer d’influence significative. Il résulte que les conseillers, de par leur rôle réduit dans le travail préparatoire, sont moins au courant des dossiers et perdent un temps précieux à chercher des informations concernant les sujets sur lesquels ils souhaitent intervenir. Plusieurs choses ont une incidence sur le rôle respectif des conseillers, et notamment des conseillères, selon les diverses configurations. a) Le statut de l’élu local Dans les pays où les conseillers ne perçoivent pas de rémunération, nombreux sont ceux qui ne s’estiment pas à même de maîtriser toute l’information que nécessite une décision. Partout, la vie politique tend à se professionnaliser, ce qui n’est pas sans retombées sur les carrières politiques des femmes. La difficile articulation entre vie professionnelle et vie politique rend encore plus ardue la traditionnelle ‘conciliation’ entre vie publique et vie privée. Or dans toute l’Europe, les enquêtes le montrent, les femmes consacrent beaucoup plus de temps que les hommes au travail domestique, et les questions d’emploi du temps sont perçues comme faisant partie des principaux obstacles à l’implication des femmes dans les instances de décisions – restreignant par là même la place qu’elles occupent dans le pouvoir politique. Dans les petites villes, la domination masculine dans la sphère politique s’explique par des facteurs traditionnels : les leaders d’opinion passent leur temps dans les bars et cafés locaux, où ils drainent les voix qui leur assurent le succès électoral, alors que les femmes ne disposent pas du temps nécessaire pour ce type de pratiques. Dans les grandes villes, en revanche, la professionnalisation de la fonction politique exige à la fois du temps pour créer ou entretenir des relations sociales, des aménagements pour pouvoir concilier les soins aux enfants et les horaires de réunions, mais aussi davantage de travail, de compétence et de formation. Seul un processus qui impliquerait la rémunération d’un plus grand nombre de fonctions politiques, de façon à pouvoir quitter son travail professionnel pour un temps, parallèlement à un soutien administratif accru et à des mesures de formation aux tâches politiques pourrait avoir des conséquences positive pour les femmes. 81 b) Rapport majorité / opposition dans le fonctionnement politique local La place accordée à l’opposition joue également un rôle dans l’intégration plus ou moins poussée des femmes dans les postes de pouvoir. Partout, il existe un organe exécutif, que ce soit un ensemble d’adjoints, ou le cabinet du maire, ou encore un groupe officieux, mais la présence de membres de la minorité en son sein diffère d’un pays à l’autre. Premier cas de figure : l’exécutif est pluraliste et élu selon le principe de proportionnalité, avec une représentation de tous les partis. C’est ce qui se passe en Belgique, en Finlande et au Portugal, avec toutefois des nuances. Au Portugal, tous les groupes politiques peuvent accéder aux postes d’adjoints, mais pour les plus importants, le maire choisit ceux qui sont le plus proches de lui – souvent des représentants de son propre parti – si bien que le rôle de l’opposition est négligeable au sein de l’exécutif. Deuxième cas de figure : l'exécutif est constitué d’élus de la majorité du Conseil : seuls les partis « gagnants » y ont accès, l’opposition en étant exclue. En pratique, le groupe majoritaire peut gouverner seul. C’est la situation la plus fréquente en Grèce, en France et en Italie. Les entretiens réalisés dans les deux premiers pays montrent que les élus de l’opposition estiment très souvent avoir peu de pouvoir sinon aucun, leur rôle se limitant souvent à une simple présence au Conseil municipal – même si, en France, le rôle conféré à l’opposition dépend de la culture politique de chacune des municipalités 114. En Suède, on rencontre les deux types de situation : il arrive assez souvent que les sociauxdémocrates partagent le pouvoir local avec des partenaires à gauche mais aussi à droite ; l’influence de l’opposition dépend donc beaucoup du contexte local. Or l’intégration ou non de l’opposition dans la prise de décision n’est pas sans peser sur le fonctionnement démocratique à l’échelle municipale, et elle peut encourager ou au contraire freiner la venue de nouveaux élus dans la sphère politique locale. Cela vaut en particulier pour les femmes dans les pays où elles sont encore faiblement représentées dans les instances de pouvoir : elles risquent d’hésiter à s’engager si c’est pour jouer un rôle purement formel dans l’assemblée locale. c) Poids respectif du Conseil et de l’exécutif municipaux Quelle que soit l’ampleur de son pouvoir, le Conseil municipal constitue en principe l’organe de base de la politique locale dans tous les pays étudiés. Mais son rôle précis ne peut être évalué qu’en considérant le poids des autres instances de décision au niveau local et là encore, cela joue sur la place des femmes en politique. En Finlande, le statut du Conseil a été réformé alors que, dans le même temps, sa composition tendait de plus en plus vers une parité hommes/femmes. Malgré ces réformes qui avaient pour objectif d’accroître son autorité, le pouvoir du Conseil a diminué selon les interviewés : sa principale fonction est aujourd’hui de confirmer des décisions déjà prises, soit au sein de l’administration, soit dans les comités préparatoires, soit dans l’exécutif (les deux derniers étant , pour partie, composés de conseillers). La récession économique serait à l’origine de cette évolution : dans la mesure où les conseillers ne voulaient pas prendre des « décisions difficiles », autrement dit impopulaires, ils ont de leur propre chef transféré cette responsabilité aux administratifs. Dans le cas de la Belgique, l’écart très contrasté entre le rôle et le pouvoir d’un conseiller « ordinaire » et celui 114 Elle est en effet déterminée par les préférences personnelles du maire : dans certains cas, où l’opposition dispose pourtant de plus de 40 % des votes, ses membres jugent difficile – voire impossible – de se faire entendre quand le pouvoir du maire est de type oligarchique. Ils sont cantonnés dans le rôle de témoins passifs de la prise de décision locale. En revanche, si le maire a une orientation plus démocratique, l’opposition peut bénéficier de bonnes conditions de fonctionnement (matérielles et participatives) et jouer un rôle plus actif. 82 d’un(e) échevin(e) 115 ne laisse pas de surprendre. En principe, le Conseil municipal partage avec le collège des bourgmestres et échevins la responsabilité de la prise de décision : institutionnellement, l’exécutif est responsable devant le Conseil. Mais la plupart des interviewés dénoncent le manque d’information et de moyens logistiques à leur disposition, si bien que le rôle du Conseil n’est souvent qu’un rôle de consultation et de médiation. Même s’ils ont besoin de l’accord du Conseil, le collège du bourgmestre et des échevins se chargent du travail de préparation des dossiers et présentent souvent un « produit fini » qu’il est difficile de remettre en question ou de modifier en profondeur. De plus, la discipline de vote au sein des partis limite le rôle personnel des conseillers, surtout pour les partis appartenant à la coalition au pouvoir. Là encore, la question du temps et celle de l’absence de rémunération ont été évoquées dans les entretiens en tant que facteurs limitant le rôle des femmes en politique. En France, les conseillers – surtout ceux de la majorité – constatent que leurs domaines d’intervention et leurs charges vont croissant, et les fonctionnaires confirment que les conseillers d’aujourd’hui sont beaucoup plus engagés dans leur fonction qu’il y a vingt ans. La coopération européenne et les changements opérés en 1990 ont conduit, dans ce pays aussi, à une professionnalisation de la vie politique locale, avec ses conséquences sur la vie des élus et notamment des élues, pour les raisons de moindre disponibilité des femmes évoquées plus haut. En Suède, le Conseil municipal n’a jamais joué un rôle primordial dans la politique locale. Ce rôle revient au comité exécutif et surtout à son président et, le cas échéant, à son présidium dont un certain nombre de membres sont rémunérés pour faire ce travail politique. Dans des villes importantes, les présidents des grosses commissions sont aussi des personnages de pouvoir. La tendance ces dernières années à été à la suppression des petites commissions et à leur regroupement au sein de plus grosses commissions, mais cela s’est fait sans affecter la place des femmes, toujours en progression, ni le nombre de femmes présidentes de commission. d) Mode de gestion administratif Dernier élément qui pèse sur les rapports sociaux de sexe dans le pouvoir local : les principes de gestion mis en œuvre pour administrer les affaires de la commune. Les efforts de « bonne gestion », ainsi que la réorganisation de l’administration qui va généralement de pair, ont modifié la stratégie de travail des Conseils. Les nouveaux principes de gestion néo-libérale, qualifiés de New Public Management dans les pays anglo-saxons et certains pays nordiques, relèvent d’un management ‘visionnaire’ calqué sur le modèle du secteur privé. Les ‘séminaires de stratégie’, la ‘gestion budgétaire encadrée’ et la ‘gestion par résultats’ constituent déjà autant de concepts ordinaires de la vie municipale dans plusieurs pays. Un point révélateur quant à l’évolution du rôle du Conseil municipal, dans le cadre de ce nouveau mode de gestion, a trait aux opinions sur le caractère partisan de la politique. Ce thème est généralement associé au souhait de voir les pratiques politiques s’améliorer : l’image du ‘politicien’ est présentée de façon péjorative, cependant que la réorganisation de l’administration est, elle, jugée positive quand elle contribue à affaiblir le caractère partisan de la politique locale. Il est symptomatique que plusieurs conseillers aient déclaré que la politique locale consiste à régler des questions d’ordre pratique, souvent de nature économique, qui n’impliquent en rien des choix politiques. Les principes sur lesquels s’appuient les réformes induites par le nouveau mode de gestion sont en osmose avec de tels discours : la politique locale doit être efficace économiquement (au sens défini par le marché), et donc tendre vers une gestion technocratique, épurée de choix partisans. On retrouve ce type de propos en Grèce dans la bouche de conseillers, certains d’entre eux manifestant leur agacement vis-à-vis des querelles 115 Equivalent d’adjoint au maire dans d’autres pays. 83 de pouvoir entre partis. A leurs yeux, elles impliquent une perte de temps et d’énergie et sont considérées comme néfastes pour l’agenda politique local. Ils souhaitent les voir disparaître grâce à une modification du système – sans pour autant préciser le genre de réforme qui pourrait y conduire. En Finlande, les interviewés constatent que les aspects politiques s’estompent sous l’effet de la conjugaison de plusieurs facteurs. Les difficultés économiques du début des années 90, d’abord, ont entraîné à la fois une réduction des dépenses budgétaires et l’inscription prioritaire des questions économiques dans l’agenda politique. Et ce processus s’est vu renforcé par les réformes administratives qui ont accompagné cette évolution. Or comme le montrent les exemples qui suivent, ces changements dans le mode de gestion ont souvent des effets négatifs sur la participation des femmes aux instances politiques dans la mesure où ils impliquent fréquemment un renforcement de la place attribuée au maire et une personnalisation du pouvoir politique qui joue en leur défaveur 116. 2. Démocratie locale ou patrons-managers municipaux ? Le rôle du Conseil municipal dépend en partie, on l’a vu, de plusieurs facteurs : de la position du maire (ou de tout autre dirigeant) et des directeurs administratifs. Il a été noté que les divers groupes internes à l’exécutif ou à la direction – composés selon le cas du maire, d’élus ou d’administratifs – ont tendu à gagner du poids dans la prise de décision, en vertu même des réformes administratives d’inspiration néo-libérale (Haveri 2002, Pollit et al. 2000). Les situations observées dans les pays où nous avons mené l’enquête conduisent à tirer la conclusion suivante : les processus de réforme au sein de l’administration ont mis l’accent sur le « leadership » personnalisé, incarné le plus souvent par le maire. Cependant, cette tendance a conforté dans le même temps la position des ténors de la politique ainsi que celle des hauts fonctionnaires, affaiblissant par là même le contrôle démocratique. Que le maire soit élu démocratiquement ou nommé par le Conseil, il est clair que la concentration du pouvoir entre les mains d’une seule personne affaiblit le sens et le contenu de la démocratie représentative. C’est particulièrement vrai en Grèce, en France ou au Portugal, où les qualités et les préférences personnelles du maire peuvent définir tout l’agenda ainsi que les pratiques politiques de la municipalité. De plus, dans certains pays comme la France, la Grèce, l’Italie et dans une certaine mesure la Finlande, la position du maire se trouve renforcée par son rôle de relais entre le pouvoir central et les instances de décision locales : il représente sa ville dans l’Etat et l’Etat dans sa ville. En Italie, la volonté de rendre la gestion locale plus efficace a conduit à nommer le maire « directeur général » de la municipalité, pour faire de lui un contrepoids face aux partis en crise. C’est en Calabre, où la mafia exerce une profonde influence, que le changement a été le plus sensible : le maire y est devenu le symbole d’une nouvelle culture politique et d’un leadership fort, à la place des réseaux mafieux. Parallèlement à la crise des partis, ce phénomène a favorisé l’élection de femmes au poste de maire et dans l’exécutif car elles étaient perçues comme moins corrompues et moins compromises que les hommes dans leurs rapports aux partis politiques. Le phénomène reste toutefois marginal puisque les femmes ne représentent que 6,2 % des maires dans le pays et qu’elles sont proportionnellement plus nombreuses dans le nord et dans les petites villes que dans le sud et dans les grandes villes. En Grèce, la structure de la gestion municipale a été modifiée, accordant plus de pouvoir au maire. Interrogés sur leurs souhaits quant à d’éventuels changements, pratiquement tous les 116 A noter qu’en Suède, où les interviewé(e)s sont tous des dirigeants de municipalités, les femmes ne font pas part de difficultés rencontrées, qui seraient spécialement liées aux changements dans les modes de gestion. 84 conseillers regrettent que le pouvoir soit très concentré dans les mains du maire, lequel peut pratiquement décider de tout. Si, en France, le maire et les adjoints sont élu(e)s par le Conseil municipal, les seconds le sont sur proposition du premier. Non seulement le maire dirige l’exécutif, mais il a le pouvoir de nommer tous les fonctionnaires de la municipalité, depuis le directeur général des services jusqu’à chacun des membres du personnel d’entretien. Avec la décentralisation, le pouvoir des maires s’est accru en même temps que leur responsabilité juridique. Le système de désignation des adjoints fait que le pouvoir du maire n’a pas de véritable contrepoids. Il ressort donc que dans des pays comme la Grèce, l’Italie ou la France, l’ensemble du système politique local repose sur le maire, lui conférant d’énormes pouvoirs, si bien que sa personnalité et ses convictions pèsent tout autant dans la balance que son appartenance partisane. La relative autonomie dont il dispose lui confère une latitude d’action qui lui permet de développer des options originales dans le domaine des politiques publiques, qui ne s’inscrivent pas nécessairement ou tout au moins pas prioritairement dans les options de son parti. Ce système est à double tranchant en ce qui concerne les politiques de genre. Si le ou la maire est sensibilisé(e) aux questions du genre et de l’égalité des sexes, les politiques menées par la ville s’en trouveront fortement influencées ; mais dans le cas contraire, il sera des plus difficiles d’impulser une telle orientation. La comparaison entre les villes de Rennes et de Toulouse est significative à cet égard. Alors que les deux villes disposent d’associations féministes actives, et d’équipes de recherches sur le genre dans leur université respective, un partenariat entre cette dernière et la municipalité a été établi à Rennes, pour développer des politiques d’égalité, mais non à Toulouse. La différence tient au fait qu’à Rennes, le maire est très ouvert à cette question et soutient depuis de nombreuses années de telles initiatives – il a mené une politique active d’égalité des chances dans l’administration municipale. A Toulouse en revanche, où ni l’ancien ni le nouveau maire n’ont jamais manifesté d’intérêt à ce sujet, la question n’a pas été inscrite dans l’agenda politique. La concentration du pouvoir dans les mains du maire apparaît donc déterminante, selon l’intérêt qu’il porte à cette thématique, pour engager ou non par des actions à l’échelle locale. En Suède, on l’a vu, la fonction de maire s’exerce dans un contexte plus collectif que dans d’autres pays puisqu’elle est assurée par le président du comité exécutif, composé d’élus, qui est aussi chargé du budget. Néanmoins, le passage à la gestion par résultats s’est traduit par la volonté de séparer plus clairement les décisions politiques générales des applications concrètes sur le terrain, qui dépendent de spécilaistes. Ce type de tendance est encore plus marqué en Finlande, où la préparation des dossiers et leur adoption par des groupes officieux sont désormais un phénomène courant dans les municipalités urbaines. Le maire constitue le groupe en y invitant non seulement les présidents du Conseil et de l’exécutif, mais aussi certains hauts fonctionnaires qu’il choisit lui-même. Les directeurs de l’administration font souvent partie de ce groupe, mais pas nécessairement. La composition de tels groupes n’est pas définie par la loi mais, dans les faits, les leaders politiques y sont assez souvent inclus. De plus, dans bon nombre de municipalités, il existe deux groupes de direction différents : le groupe stratégique et le groupe opérationnel. Et comme ce dernier est souvent constitué du maire et des hauts fonctionnaires, il possède un véritable pouvoir, sans avoir de fondement démocratique. Il faut signaler par ailleurs qu’aucun article de loi n’oblige le maire à constituer de tels groupes, ni a fortiori d’y appliquer le principe de quotas de sexe. Ces groupes restent officieux ou semi officiels, le choix de leurs membres dépendant de la volonté du maire, et on peut voir là une tendance à forger un contrepoids au pouvoir accru des femmes : dans la mesure où la direction des instances élues et celle de l’administration sont à dominante masculine, ils apparaissent comme une sorte de refuge du pouvoir des hommes, parallèlement aux autres instances de prises de décision qui se caractérisent par une représentation sexuée plus équilibrée et par l’obligation du respect des quotas. 85 La tendance générale à constituer des groupes analogues à ces ‘groupes de direction’, contribue largement à accentuer le pouvoir des fonctionnaires. Dans les pays où le pouvoir du maire a toujours été fort, les changements ne sont pas aussi flagrants qu’en Finlande, mais ils n’en existent pas moins. Il est intéressant de noter qu’en même temps que sont promues ou valorisées la participation citoyenne et une démocratie accrue au niveau local, le pouvoir se concentre entre les mains d’un nombre de personnes de plus en plus réduit. Un autre facteur confortant le poids du ‘pouvoir invisible’ n’est autre que l’influence des entreprises locales, qui jouent un rôle déterminant dans la prise de décision. L’ampleur réelle du phénomène est certes difficile à évaluer car leur travail de lobbying passe le plus souvent par le biais de relations personnelles, par l’intermédiaire de petits groupes qui constituent des relais plus efficaces que les grandes instances élues, comme le Conseil municipal. L’importance de ce lobbying a été soulignée à propos de dossiers concernant l’urbanisme et l’aménagement. En Finlande, notamment, une association de quartier a évoqué un exemple éloquent : celui d’une petite ville dont l’architecte municipale (une femme) s’est vue illégalement démettre de ses fonctions parce qu’elle avait refusé d’aménager la voie d’accès et le centre commercial demandés par un groupe de commerçants – elle s’appuyait pourtant sur le fait que cela porterait atteinte au centre historique de la ville, distingué par le ministère de la Culture. D’autres exemples de pratiques de même nature ont été mis au jour par l’enquête, notamment en Grèce, où des scandales ont révélé que des projets soi-disant d’intérêt général avaient en fait servi les intérêts de groupes particuliers, ou dénoncé le choix partial de maîtres d’œuvre, dans la construction d’ouvrages publics. De façon quelque peu inattendue, l’Union européenne (UE) – que les conseillers décrivent comme une entité distante et peu connue, quand ce n’est pas inconnue – contribue à l’accroissement du pouvoir invisible des ‘groupes de direction’. En effet, les projets financés par l’UE relèvent de la responsabilité des maires et des fonctionnaires, et sont rarement soumis aux conseillers, ou tendent à dépendre d’autres centres de pouvoirs que les instances habituelles. Ce phénomène vaut aussi pour les diverses formes de coopération avec d’autres niveaux de décision : la coopération intercommunale ou régionale, par exemple, semble obéir au même type de fonctionnement. Hormis dans les grandes villes, la méconnaissance de ce qui se fait à l’échelle de l’UE prévaut d’ailleurs chez les conseillers municipaux. Des relations s’instaurent avec l’Union lorsqu’une municipalité cherche des financements pour un programme de développement urbain (PIC urbain, par exemple), ou pour la mise en place de plans locaux. Mais la connaissance des projets européens est davantage le fait des administratifs que des élus. En outre, dans un pays comme la France, les liens avec l’UE – quand ils existent – sont souvent le domaine réservé du maire, en raison du prestige qu’ils lui confèrent. De tels liens peuvent toutefois s’avérer extrêmement positifs en matière de droits des femmes. Témoin l’exemple de la ville de Rennes, en France, qui a mis en place un projet NOW puis un projet EQUAL. Quatre villes françaises se sont par ailleurs appuyées sur le programme EUREXCTER pour créer des bureaux des temps. Certain(e)s élu(e)s estiment avoir pu fait avancer des dossiers grâce à l’Europe, surtout dans le domaine de l’environnement et des droits des femmes, où la culture européenne est en avance sur la culture nationale et locale. Mais de façon générale, on constate une très faible diffusion des orientations politiques et des thématiques de l’UE au niveau local et les ressources existantes concernant le genre sont très rarement mobilisées. La plupart des élus et des administratifs soulignent la lourdeur des réglementations et des procédures européennes. Ils y voient le plus souvent des « carcans », jugés injustifiés, surtout dans le domaine de la sécurité, et regrettent le manque d’information en provenance de 86 l’Europe. A propos des structures émergentes liées aux réformes européennes, une association française affirme que les dispositifs sont souvent complexes, lourds et peu accessibles (dans le cas des communautés d’agglomération, par exemple). Mais sa crainte est surtout que les financements européens ne soient prétexte à ce que l’opportunité de ressource l’emporte sur le projet politique et non l’inverse. Pour toutes ces raisons, l’UE constitue un véritable potentiel méconnu et sous-exploité. 3. Le rôle des partis politiques On a vu dans le chapitre précédent quelles sont les pratiques des divers partis politiques concernant l’application de mesures en matière d’égalité des sexes, que cela ait trait aux listes de candidatures ou aux clauses internes, et il apparaissait que la gauche est a priori plus concernée par cette question. Dans les sept pays observés, les personnes interviewées insistent souvent sur le rôle des partis dans la prise en compte du genre au niveau local, mais on ne saurait affirmer que ce thème est l’apanage des représentants d’un parti plutôt que d’un autre. Les discours, tout comme les mesures préconisées ou mises en œuvre, font souvent appel à des conceptions essentialistes ou universalistes, quelle que soit la formation d’appartenance de l’interlocuteur. On peut dire que, globalement, sont plus ouverts aux questions de l’égalité hommes / femmes les membres des partis de gauche – que ces derniers comprennent ou non une part importante de femmes dans leurs rangs. Encore faut-il examiner la nature du discours et sa concrétisation. Au Portugal les élus locaux de gauche reconnaissent que la situation des femmes requiert une intervention politique spécifique plus souvent que ceux de droite, tout comme les élus de gauche se montrent plus sensibles aux questions d’égalité des sexes en Suède 117. Néanmoins, comme le souligne le rapport suédois, le principe de l’égalité est mis en avant comme un souci d’ouverture démocratique qui serait favorable aux femmes, au même titre que pour tous les groupes de population jugés sous-représentés. C’est aussi vrai en Grèce : quand le PASOC (socialistes) a gagné les élections, il a fait appel aux femmes comme à l’une des catégories « non privilégiée » qu’il voulait fédérer. De leur côté, les partis libéraux défendent une optique plus individualiste, insistant davantage sur le thème de l’égalité formelle ou de l’égalité des chances. Quant à la démocratie chrétienne, c’est en s’appuyant sur un discours à la fois essentialiste et utilitariste (la politique a besoin de toutes les compétences et sensibilités – celle des femmes comme celle des hommes) qu’elle a facilité l’arrivée des femmes au pouvoir, avec une nette tendance à transposer en politique les rôles traditionnels des femmes. Selon leur tradition politique, les partis justifient donc la participation des femmes aux instances de décision par des discours soit universalistes (comme le parti communiste), soit essentialistes (comme c’est souvent le cas à droite). Pour autant, les résultats de ces discours ne sont pas très différents. Les observations que nous avons pu faire dans les diverses villes des sept pays où nous avons enquêté témoignent – quel que soit le parti au pouvoir localement – d’une grande diversité, à la fois quant à la place faite aux femmes dans les municipalités, notamment aux postes clés (maire, exécutifs, directions administratives) et quant aux politiques engagées (de type féministe ou familialiste) 118. Il est donc difficile de tirer des conclusions sur l’influence de la domination d’un courant politique au niveau local, même si les partis de gauche semblent plus concernés par l’égalité entre les hommes et les femmes que ceux de droite. On relève en revanche que les associations de femmes, membres de partis politiques, 117 En Suède, les élus locaux des partis de gauche comprennent presque autant de femmes que d’hommes (plus de 45 %), alors que le rapport hommes/femmes avoisine plutôt 2/3-1/3 chez les élus des partis de droite. Le nombre de femmes dirigeantes des exécutifs locaux issues de la gauche est lui aussi plus important. 118 Là-dessus, voir le chapitre 4. 87 constituent souvent de véritables leviers pour faire avancer l’égalité des sexes. C’est le cas en Finlande, où de l’association des femmes du parti social-démocrate finlandais a joué un rôle très important dans la promotion des politiques locales de l’égalité. Et on peut en dire autant de la Suède, où les fédérations de femmes internes à la plupart des partis ont pesé de façon décisive, au niveau local comme au niveau national, pour imposer – sans recourir aux quotas – le taux élevé de représentation féminine que l’on sait. Cela vaut également pour d’autres pays ne figurant pas dans notre recherche, tels les Pays Bas. 4. La société civile locale Le rôle de la société civile est à la fois très différent d’un pays à l’autre, tout en présentant de forts dénominateurs communs. Dans tous les pays, la participation active des habitants à la vie politique locale est très modeste. En Finlande, bien que le passage à la communication électronique soit présenté comme un facteur favorisant le système d’initiative des habitants, l’implication de ces derniers dans la prise de décision apparaît relativement faible, selon les conseillers et les responsables administratifs. Au Portugal, c’est surtout au maire que s’adressent les habitants lorsqu’ils prennent contact avec un membre de la municipalité. Plus généralement, on peut noter que la plupart d’entre eux semblent se satisfaire de relations individuelles, ce qui tend à personnifier le pouvoir. Diverses mesures ont été prises dans les pays concernés par l’enquête pour promouvoir la participation politique des citoyens et la transparence dans la prise de décision. En Suède, elles ont été accrues grâce à l’ouverture au public des réunions des comités préparatoires, et grâce à l’organisation de tables rondes civiques. L’une des municipalités suédoises enquêtés a même mis en place un comité d’intégration et de démocratie, et on y a vu naître une « école politique » organisée par le parti social-démocrate mais ouverte à toute personne intéressée par la politique locale. Mais de telles pratiques ne sont pas très répandues, pour ne pas dire qu’elles font figure d’exception, même si l’on relève ici et là des initiatives dynamiques, comme celle qu’a prise la ville portugaise de Matosinhos : à l’occasion d’un projet de participation civique, les relations entre associations et instances de décision locales y ont pris un tout institutionnel, grâce à des mesures de représentation et de consultation permanentes. a) Le rôle des associations Le champ associatif, de son côté, est traversé par des divisions sensibles dans tous les pays. Deux tendances de fonds se dessinent : d’une part, des rapports étroits entre les services municipaux et les associations intervenant dans le domaine social, pour autant que ces dernières se conforment aux décisions des édiles locaux ; d’autre part, des relations souvent conflictuelles entre la mairie et les associations centrées sur des thèmes tels que l’aménagement, l’urbanisme ou l’environnement. Les municipalités portugaises se montrent particulièrement méfiantes à l’égard des associations de défense de l’environnement, perçues comme des obstacles politiques plutôt que comme des partenaires. Cela s’explique par le fait que la culture en matière d’urbanisme et d’aménagement est relativement récente et peu structurée, et que la sensibilité nouvelle à l’égard de questions auxquelles on n’accordait pas d’importance auparavant résulte justement du travail de ces associations. Soulignons que de nombreux interlocuteurs rencontrés, tant parmi les responsables associatifs que parmi les élus, font état de relations qui se limitent pour l’essentiel à des questions d’ordre financier (subventions, soutien de la mairie à un projet donné). Rares sont les propos qui indiquent l’existence d’une interaction entre les objectifs de telle ou telle association et les orientations prises par la municipalité en termes de développement local, ou 88 encore qui fassent écho à un débat sur le contenu de la citoyenneté participative. Au détour de la conversation, certains élus et responsables administratifs municipaux, notamment en France, ne masquent pas leur relative indifférence vis-à-vis du secteur associatif , quand ils ne disent pas explicitement le peu de cas qu’ils en font. Ceci étant, dans beaucoup de cas, les associations jouent un rôle indéniable dans la politique locale : les décideurs ont besoin de leur soutien, et leur action est nécessaire à l’organisation de divers services. Notons cependant que la coopération avec les associations est basée sur des projets, en rapport avec des financements à durée déterminée et n’a donc qu’un caractère aléatoire. L’une des principales différences relevées dans ce domaine tient au type d’Etatprovidence du pays considéré, au régime découlant de la division du travail entre l’Etat et la municipalité et au rôle des associations dans la production des services : la configuration en vigueur influe en effet sur la position des associations au niveau municipal. Historiquement, l’une des caractéristiques de la Finlande résidait dans ce que l’on a nommé le « modèle de domination étatique en matière politique sociale », où les services à disposition sont de la responsabilité de l’Etat – les associations jouant de leur côté un rôle complémentaire dans la production de services culturels ou d’activités récréatives subsidiaires. Au cours des dernières décennies, le passage vers un modèle « de coopération » a cependant vu le jour, selon lequel les services sont financés par l’Etat mais produits par le tiers secteur (avec de grandes variations selon les cas). Une autre configuration réside dans le « modèle dualiste », en vertu duquel l’Etat et le tiers secteur produisent tous deux des services et assument leur financement – le tiers secteur remplaçant ou complétant alors les services étatiques. Enfin, le modèle ultra-libéral dit « de domination du tiers secteur », où ce dernier se voit confier l'organisation et le financement des services, constitue un cas de figure extrême. Dans la plupart des cas, les associations sont des employeurs. Mais alors que dans un pays comme la Finlande, en dépit des changements évoqués plus haut, 90 % du travail effectué dans les associations reste bénévole, en France, les associations sont des employeurs importants – surtout pour les femmes. En Suède, comme on l’a vu plus haut, la tendance de « l’Etat providence » à se défausser de la responsabilité des services sociaux en les confiant aux municipalités – et en exigeant d’elles qu’elles respectent les règles plus ou moins strictes édictées en matière de politiques sociales au niveau national – a conduit ces dernières à faire de plus en plus souvent appel au partenariat d’associations caritatives dans certains domaines : violences conjugales, accueil des femmes battues, prise en charge des SDF, etc. Par ailleurs, sons l’influence des modes de gestion néo-libérale et sur le modèle de ce qui se fait déjà depuis longtemps en matière de ramassage des ordures, les municipalités ont tendance depuis quelques années à recourir de façon croissante à des sociétés privées, après appel d’offres, pour l’accomplissement de certaines prestations sociales comme les soins aux personnes âgées. En matière de politique sociale, la Belgique représente plutôt un modèle de type étatique. Même si la gestion de la sécurité sociale s’est faite en collaboration avec des organismes non étatiques (mutuelles, syndicats, …), le cadre conceptuel est resté celui du service public – ce dont témoigne la relative faiblesse des associations dans le système social belge. Toutefois, la collaboration de plus en plus fréquente des pouvoirs publics avec le champ associatif va dans le sens d’une évolution vers le modèle de coopération relevé en Finlande. L’exemple, à Bruxelles-ville d’une collaboration entre le Centre public d’aide sociale et le secteur associatif de la commune, dans une perspective de rationalisation et d’efficacité concernant l’aide sociale, en est l’exemple le plus abouti. Indépendamment du secteur social, la vie associative belge est assez atypique et se caractérise par une faible indépendance du secteur associatif visà-vis du monde politique, les associations étant souvent subventionnées par les pouvoirs publics. 89 Globalement, on relève une ligne de fracture entre le modèle d’Etat-providence nordique et celui qui prévaut dans le centre et dans le sud de l’Europe. Dans le premier, en raison d’une double pression – problèmes budgétaires et tendance à la passation de marchés publics 119, voire à la privatisation –, le rôle des associations consiste désormais à compléter et à remplacer le système étatique au plan municipal. Dans le second, les associations produisent leur part de services dans un contexte où la responsabilité étatique/municipale n’a jamais été aussi étendue que dans les pays nordiques. Les fonds structuraux européens jouent de leur côté un rôle important au niveau local, grâce au financement de divers projets conduits par les associations des villes concernées. Dans l’Europe du centre et du sud, ils constituent souvent un apport bienvenu pour assurer l’existence de certains services, tandis que dans les pays nordiques, ils sont davantage utilisés par les municipalités pour réduire leur engagement en sous-traitant certains services (et parfois en allant jusqu’à les privatiser, comme en Finlande). En conséquence, même si lesdits services sont entre des mains compétentes, l’horizon financier d'une partie d’entre eux est actuellement incertain. Or les conditions de production des services sociaux ont une influence directe sur les femmes puisqu’elles forment partout en Europe une très grande partie des utilisateurs et des employés des services. b) Influence mitigée quant à la réflexion sur le genre Une plus grande implication de la société civile induit-elle une meilleure prise en compte du genre dans les politiques municipales ? D’une part, nous n’avons pas recueilli assez d’indices pour pouvoir répondre par l’affirmative, en particulier parce que les politiques de proximité locale sont très récentes dans plusieurs pays. D’autre part, les responsables associatifs rencontrés n’étaient pas nécessairement représentatifs des organisations non gouvernementales puisque nous avions décidé d’interviewer des personnes actives dans les trois domaines retenus pour l’enquête (dont, deux, on l’a dit, à dominante fortement masculine). Cela a-t-il quelque chose à voir avec les propos recueillis dès lors qu’une question concernait les rapports hommes/femmes ? Toujours est-il que, dans la plupart des cas, le discours différait peu de celui des élus quant à la place accordée à la thématique du genre et que très peu de ces militant(e)s s’étaient interrogé sur la répartition des tâches et des responsabilités selon le sexe, au sein de leur propre organisation. Toutefois, ce serait noircir le tableau que d’en rester à de telles considérations. Certains éléments qui tendent dans une autre direction méritent en effet d’être soulignés. La participation accrue des citoyens au niveau local implique souvent un moindre poids des partis politiques. Une telle évolution est en général favorable aux femmes. En France, elle s’est traduite par la disparition progressive de la figure de l’élu qui est en même temps un notable local et s’est cristallisée dans l’adoption de la parité. Ainsi, beaucoup de femmes élues en 2001 étaient-elles issues du monde associatif et elles incarnaient une certaine proximité avec les habitants. En outre, la mise en place ou la revitalisation de « conseils de quartier » a facilité le respect de l’injonction tacite à la parité – de même que l’inclusion d’étrangers qui, n’ayant pas le droit de vote, ne peuvent s’exprimer dans le système politique local. En Finlande, ce sont souvent des villes favorables aux femmes, comme celle d’Oulu, qui ont développé des politiques démocratiques de proximité de quelque importance. En Suède également, il existe un lien entre la volonté d’accentuer la démocratie locale par divers biais – politiques de proximité, initiatives citoyennes, réunions ouvertes au public, etc. – et la décision de développer des politiques en faveur de l’égalité des sexes. Sur les neuf municipalités de ce pays étudiées dans 119 Pour la Suède en tout cas, on ne peut parler de privatisation car ces dernières concernent avant tout des secteurs tels que les transports en commun, l’eau et l’électricité, où les associations n’entrent pas en ligne de compte. 90 le cadre de l’enquête, les quatre les plus favorables à l’égalité des sexes sont aussi celles où l’on a pu constater un souci d’ouverture à la démocratie locale. Les liens tissés avec la société civile ainsi qu’une meilleure représentation des citoyens au niveau local apparaissent comme des atouts pour l’entrée des femmes en politique. En Italie, par exemple, la politique de proximité entend valoriser les connaissances et les compétences des femmes. Ce sont les associations féminines (bénévoles dans la plupart des cas), qui s’occupent directement des écoles, des hôpitaux ou des politiques d’aménagement du temps – autant de domaines réputés « féminins ». Mais la valorisation des « compétences féminines » est à double tranchant puisqu’elle peut servir à maintenir les femmes dans des domaines « réservés », lesquels sont rarement les plus prestigieux dans la hiérarchie politique. En Grèce, par exemple, les élu(e)s d'Athènes jugent que l’administration locale constitue une activité politique privilégiée pour les femmes car il s’agit d’un lieu de contact direct avec les citoyens. Ce contact conviendrait mieux à la psychologie féminine qui sait apporter des solutions immédiates à des problèmes concrets. Le stéréotype des femmes à l’esprit concret et dévouées aux autres sert donc de justification à leur présence dans la politique locale. Or il est évident que les effets d’un tel discours ne peuvent qu’être ambigus : ils induisent certes une légitimation des élues et constituent un facteur d’intégration des femmes dans le système politique, mais ils confortent en même temps leur enfermement dans certains domaines. Si donc une plus grande ouverture démocratique au niveau local ne peut nuire aux femmes, le caractère effectif des résultats en termes d’égalité des sexes est difficile à mesurer. Toutefois, on peut raisonnablement penser que lorsque s’élargit l’espace imparti à la participation d’autres acteurs, comme les associations, les intérêts des femmes ont des chances d’être mieux représentés – sans compter l’influence que peuvent exercer les groupes qui ont un point de vue féministe (point sur lequel on reviendra plus loin) . III. ELEMENTS FAVORABLES À L’ÉGALITÉ DES SEXES AU PLAN LOCAL Très peu de municipalités, dans notre champ d’enquête, affichent une véritable préoccupation à l’égard de l’égalité des sexes. Cela ne signifie pas que les inégalités liées au genre ne sont aucunement prises en compte mais que, lorsqu’elles le sont, c’est dans le cadre plus large des inégalités sociales classiques : la catégorie « femmes » est alors considérée dans sa spécificité, comme c’est également le cas pour d’autres catégories (les jeunes, les immigrés, les anciens, etc.) et très rarement de façon transversale. Nous intéressent ici les facteurs qui, dans le contexte local, peuvent favoriser des politiques innovantes et efficaces dans la lutte pour l’égalité hommes/femmes. Cette préoccupation égalitaire peut être mise en œuvre à plusieurs niveaux : en amont, avec la création de structures institutionnelles et la place accrue faite aux femmes dans l’administration ou parmi les élus ; ou en aval, par le contenu des politiques locales. Mais il faut dans tous les cas distinguer, d’une part, l’existence d’un objectif proclamé d’égalité des sexes dans une municipalité et, d’autre part, la présence de mesures concrètes et efficaces. S’il est rare que cette problématique soit affichée sans produire aucun résultat tangible, on trouve en revanche des municipalités où les politiques adoptées ont des effets positifs sur la situation locale des femmes, sans qu’aucune préoccupation d’égalité ne soit énoncée. Discours et pratiques ne se recouvrent donc pas toujours, et il convient d’être attentif à leur interaction : un discours officiel « égalitaire » est-il indispensable pour que de « bonnes pratiques » voient le jour ? Parmi les villes étudiées, à partir des rares exemples de celles qui se préoccupent explicitement d’égalité des sexes, et en les comparant avec celles qui n’intègrent 91 qu’indirectement – voire pas du tout – cette dimension, nous avons cherché à comprendre quelles sont les conditions d’émergence et de pérennisation de cette question au niveau local. Les sept pays d’Europe impliqués dans cette recherche présentent, sur les questions d’égalité hommes/femmes, des contextes socio-économiques et des réalités culturelles bien différentes. Il peut sembler a priori difficile de comparer la situation apparemment privilégiée de la Suède et de la Finlande avec celle, plus défavorable, de la Grèce ou du Portugal – la Belgique, la France et l’Italie offrant des profils intermédiaires. Pourtant, à des degrés divers, les mêmes facteurs à l’œuvre favorisent une meilleure représentation des femmes dans tous les domaines de la vie « publique » (celle qui se déroule en dehors de la sphère privée du foyer) et une meilleure prise en compte de leur situation dans la société. Certes, l’histoire sociale du pays ou de la région, la richesse économique, le degré d’urbanisation, l’importance des réseaux d’entraide sont des facteurs qui expliquent les disparités entre pays européens, et le tableau est encore plus complexe, et la comparaison plus délicate, au niveau local. Néanmoins, malgré ces différences de contextes nationaux, régionaux ou locaux, nous avons pu repérer des processus analogues qui favorisent la prise en compte du genre au niveau local. On s’efforcera ci-après de dégager les divers éléments qui concourent à des dynamiques cumulatives. 1. Facteur décisif : une volonté politique fondée sur des moyens concrets Nous avons précédemment souligné, à propos du rôle du maire et de l’étendue de ses pouvoirs, qu’une démarche favorable à l’égalité des femmes et des hommes au niveau local trouvait souvent son origine dans la volonté d’un personnage politique suffisamment influent pour être en mesure de l’imposer. Et inversement, l’absence d’une telle volonté risque de freiner, sinon de bloquer un tel processus. Aussi les convictions du maire, qui dispose souvent d’attributions importantes et apparaît comme le pilote et « maître à penser » de la ville, apparaissent-elles comme un élément-clé. Dans les pays étudiés, c’est sur lui (ou sur elle) que repose en partie le système politique local. Sa sensibilisation à la problématique de genre apparaît donc déterminante pour faire émerger cette thématique et permettre sa mise en œuvre. Même s’il n’est pas personnellement à l’origine de la démarche, le succès de cette dernière dépendra de son degré de conviction et de sa volonté de l’imposer à l’échelle locale 120. Cette volonté n’est cependant pas un facteur suffisant en soi, encore faut-il que le pouvoir local dispose de moyens – qu’il s’agisse d’une politique d’égalité menée par l’Etat central susceptible d’être relayée par des applications concrètes, ou d’une latitude d’action pouvant être utilisée pour initier une politique propre. Enfin, la réceptivité de l’exécutif local aux objectifs affichés par la Commission européenne et la connaissance des outils qu’elle met à disposition en ce domaine constituent également un appui précieux dans les pays où l’UE est perçue comme une valeur synonyme de progrès et de modernité. 2. Influence du contexte national L’action de toute collectivité locale s’inscrit dans un contexte national. Or les sept pays européens où nous avons mené l’enquête n’en sont pas tous au même point dans le traitement des inégalités de sexes. Il s’agit d’une culture qui se développe sous l’influence de plusieurs facteurs, dont : - l’émancipation des femmes par la participation au marché de travail et à l’éducation notamment ; 120 À Rennes, seule ville française de notre panel qui affiche une préoccupation égalitaire, c’est une conseillère municipale présidente d’une association féministe (CIDF) qui a fait office de relais auprès du maire. 92 - une prise de conscience féministe dans les milieux politiques, associatifs et intellectuels, suite à un mouvement social de grande ampleur ; - une institutionnalisation de ces questions au niveau national, grâce à la création de structures spécifiques – ministère, délégué(e) aux droits des femmes, commissions parlementaires aux droits des femmes, etc. ; - une législation efficace pour sanctionner les discriminations ; - un Etat-providence développé qui permette aux femmes de ne pas être systématiquement assignées à des tâches traditionnelles et une ligne politique claire qui légitime leur activité hors du domaine privé. Il est évident qu’un choix en faveur de l’égalité hommes/femmes clairement posé par l’Etat et relayé par les multiples canaux dont il dispose, créera un climat favorable qui irriguera la sphère locale et influencera la politique développée. En outre, le type d’égalité dont il s’agit – formelle ou concrète – est également important. A-t-on affaire à un discours « politiquement correct » ou à une véritable lutte contre les discriminations dont les femmes sont l’objet ? En fait, le choix n’est pas énoncé clairement dans tous les pays où s’est déroulée l’enquête et, audelà du discours, se pose la question des moyens mis à disposition des politiques en faveur des femmes. Sans pouvoir décrire l’éventail des situations rencontrées, nous insisterons sur deux points : tout d’abord sur les moyens liés aux structures nationales pour promouvoir l’égalité hommes/femmes, et ensuite sur l’influence du contexte national saisie à travers l’impact des politiques gouvernementales au niveau local. Le contrôle de l’Etat et d’autres niveaux supérieurs de la gestion peuvent avoir une influence dynamique au niveau local. En Suède, l’institutionnalisation des politiques égalitaires ainsi que le travail sur le thème de l’égalité réalisé par le gouvernement ont contribué au maintien des cette question dans les agendas municipaux. De son côté, la législation nationale sur l’égalité impose, en Belgique, un recrutement équitable et, en Italie, la création de comités locaux de l’égalité. En Finlande, en France et en Belgique, les lois sur les quotas dans les Conseils municipaux ou la parité des listes électorales ont considérablement augmenté la proportion de femmes dans les organes municipaux. En même temps, ces lois ont poussé à élargir les critères de recrutement en termes de genre et à conférer davantage d’espace aux femmes dans les plus hautes fonctions municipales. Les chances pour les femmes d’être présentes dans les arènes du « véritable pouvoir » – au poste de maire, notamment – s’améliorent avec leur proportion accrue dans les Conseils. En Finlande, la loi sur les quotas a permis de porter la représentation des femmes dans les comités et les exécutifs municipaux à 47 % et 45 % respectivement. Mais en outre, comme on le voit dans les entretiens, l’application des quotas a ouvert un champ de discussion sur la question de la place des femmes en politique locale et a offert un outil concret aux féministes pour impulser des politiques d’égalité. Le contexte national, en particulier avec les débats suscités par les féministes qui ont exigé des gouvernements des réformes politiques, a un effet d’entraînement au niveau local. En Suède par exemple, les actions des municipalités en faveur de l’égalité des sexes résultent conjointement du débat de société favorable au féminisme, de l’action des associations féministes et du mouvement des femmes, de la législation nationale contre les discriminations (avec les obligations qu’elle impose aux employeurs), et de la constitution d’un savoir reconnu sur les rapports sociaux de sexe. En France, la politique du gouvernement en faveur de la petite enfance a relancé le débat sur les modes de garde et sur l’insuffisance des places de crèche au regard des besoins qui touchent plus particulièrement l’activité professionnelle des femmes. La campagne électorale pour les municipales de 2001 s’est déroulée avec ce débat pour toile de fond, ce qui a incité les candidat(e)s à prendre position sur cette question, et souvent à proposer 93 l’accroissement du nombre de crèche au niveau local. Bien sûr toutes les promesses n’ont pas été tenues (par exemple à Toulouse l’annonce de la création de huit cents places de crèches ne se traduisait, deux ans plus tard, que par trente places supplémentaires), mais le débat public national a permis de mettre les politiques de la petite enfance sur le devant de la scène. En Finlande, en dehors des quotas, les directives de la politique égalitaire à l’échelle nationale n’ont pas été assorties de sanctions, et leur traduction au plan local ne fait pas l’objet d’un contrôle. La promotion de l’égalité devient dès lors une simple « question de volonté ». Par exemple, la loi sur l’égalité de 1995 a établi l’obligation de promouvoir l’égalité hommes/femmes parmi les employé(e)s municipaux, mais sans que cela ne s’accompagne de mesures d'application concrètes. En conséquence, cette loi ne suscitait guère d’enthousiasme de la part des personnes interviewées : on a vu dans le chapitre précédent qu’au moment des entretiens, certain responsables administratifs ne savaient même pas s’il existait ou non un plan d’égalité dans leur municipalité… Ce fait à lui seul montre bien que l’existence d’une contrainte étatique constitue un élément important pour que les politiques d’égalité ne dépendent pas uniquement de la bonne volonté des acteurs locaux. En Italie, il existe une structure législative au niveau national et au niveau territorial, mais elle n’est pas du tout efficace. Les femmes nommées ministre de l’égalité des chances ou conseillères régionales à la parité, ou encore présidentes des commissions locales d’égalité des chances perçoivent une telle ‘promotion’ comme une mise à l’écart des vrais enjeux politiques. En effet ces institutions manquent de moyens et de légitimité. Ce qui conduit à penser que seule une forte volonté politique peut rendre ces structures efficaces. L’échelon national joue aussi un rôle de par les structures qu’il met en place et les moyens qu’il leur accorde. Mais le jeu entre les structures des divers niveaux de décision peut s’avérer ambigu. Ainsi, en France par exemple, il existe des déléguées départementales aux droits des femmes qui dépendent directement du ministère. Les postes qui étaient auparavant des postes à temps partiel (un poste pour un département entier) ont été transformés en postes à temps plein, sous le gouvernement Jospin. S’il s’agit d’une avancée, elle est toutefois relative face au travail que doivent effectuer les déléguées au niveau local. Sans équipe et sans moyens, dépendantes des préfets, les déléguées sont chargées de mettre en place dans les départements les politiques en faveur des femmes décidées au niveau national. Si la structure a le mérite d’exister, elle est bien insuffisante par rapport aux enjeux. De plus, l’existence de cette structure au niveau local sert dans certains cas d’alibi à l’inaction : les élus locaux arguent que les politiques d’égalité sont du ressort de la déléguée aux droits des femmes, et non de la municipalité, pour justifier leur inaction. D’autres villes, au contraire, offrent un terrain propice à la concrétisation des mesures nationales. C’est donc l’interaction entre les deux niveaux qui détermine le résultat final. Ainsi, dans la région de la ville de Rennes (l’Ille-et-Vilaine), la plate-forme contre les violences faites aux femmes fonctionne particulièrement bien. Elle regroupe le centre d’information aux droits des femmes, la délégation aux droits des femmes (deux structures liées à des instances nationales), et des acteurs locaux comme la police, des juges, des avocats, des travailleurs sociaux, des psychologues et des médecins. Parce que la ville de Rennes est très sensibilisée à la question des inégalités de sexe, elle a su mettre à profit une opportunité venant de l’échelon étatique. A l’inverse, la même plate-forme dans une autre région française de notre enquête – les Yvelines (région peu sensibilisée à ces questions) – ne fonctionne absolument pas. 3. Présence de femmes élues et prise en compte du genre La première cause, déjà évoquée, qui semble logiquement devoir influencer la prise en compte de l’égalité est la présence ou non de femmes dans les instances électives. L’idée 94 souvent avancée est que si la proportion de femmes parmi les élus et dans l’administration atteint un certain seuil, elles seront à même d’infléchir les politiques dans une direction plus favorable à l’égalité. C’est parfois, voire souvent vrai. Pourtant, l’effet est loin d’être mécanique, et si la présence des femmes apparaît comme nécessaire pour que ces questions soient inscrites dans l’agenda politique, elle est loin d’être suffisante. Plusieurs éléments sont donc à considérer pour évaluer l’impact des femmes sur la prise en compte du genre : la question de leur visibilité à des postes de pouvoir, celle de la répartition des domaines d’action, et enfin celle de leur familiarité avec les problèmes touchant au genre. Autrement dit : sontelles plus sensibilisées que les hommes et montrent-elles une plus grande volonté politique qu’eux dans ce domaine ? Et jusqu’à quel point les impulsions venant d’associations féminines ou féministes influent-elles sur la dynamique qui aboutit à la prise en compte du genre dans les politiques locales ? La visibilité des femmes au niveau local crée un contexte favorable à l’émergence de la problématique d’égalité car elle habitue à voir des femmes occuper des fonctions importantes, et leur présence est progressivement assimilée à une certaine « normalité » sociale. Il est évident que la loi sur la parité en France, par exemple, tout comme la loi belge de 1994 imposant des quotas de 30 %, contribuent à développer une telle visibilité. La place occupée par les élues est donc en soi un phénomène positif puisqu’il rompt avec les assignations aux rôles de sexe traditionnels 121. L’existence de statistiques sexuées est également un bon indice de la volonté de la ville en matière d’égalité des sexes : c’est à la fois un outil qui met en évidence les inégalités (il est redouté pour cette raison même), et qui permet de rendre les femmes visibles. Mais quelles sont les répercussions d’une telle visibilité en termes de politique publique ? On relève une concomitance entre la prise en compte du genre et la féminisation de l’exécutif. C’est le cas, en Finlande, dans les deux villes finlandaises les plus sensibles à la question. A Helsinki, de 1997 à 2000, la direction politique de la ville était entièrement féminine (avec une maire, une présidente de Conseil municipal et une présidente du bureau exécutif). A Oulu, où le maire est un homme, deux des vices-maires sont des femmes. Toujours dans ce même pays, certaines femmes politiques sont étiquetées comme les « chiennes de garde » de la question de l’égalité hommes/femmes, et elles se sont montrées particulièrement vigilantes sur la question de l’application des quotas – néanmoins, il faut souligner que ce rôle n’est pas toujours facile à tenir et qu’il n’améliore pas le prestige et la crédibilité politiques des élues concernées. Dans un tout autre contexte, celui du Portugal, nous relevons des exemples similaires. Ainsi dans le cas de Sintra et de Montijo, le fait que les mairies soient ou aient été dirigées par des femmes sensibilisées à ces problématiques a eu des conséquences réelles sur les mesures adoptées par le pouvoir municipal puisqu’on y observe une plus grande attention et une meilleure réceptivité à la question du genre. Il y a toutefois lieu de relativiser ce constat puisqu'en France, par exemple, la participation de femmes au Conseil municipal n’est pas toujours un facteur favorisant une sensibilité accrue à la question. A Morlaix, en Bretagne, la présence de femmes politiques connues au niveau national donne une impression de parité, mais on constate que cela ne se reflète pas dans la composition du Conseil municipal et de l’exécutif, ni même dans les politiques menées : les femmes qui font évoluer l’environnement culturel en brisant les stéréotypes de rôle de sexe et en occupant des positions de pouvoir valorisées et visibles ne sont pas toujours porteuses d’une problématique d’égalité. 121 Cela n’est pas mécanique : la ville de Padoue, par exemple a une Maire à sa tête, mais le bureau exécutif ne comprend aucune autre femme. 95 En l’absence d’un discours officiel sur l’égalité hommes/femmes, la première manifestation d’une sensibilité au thème de l’égalité a trait à la place faite aux femmes dans la municipalité, la seconde découlant des domaines qui leur sont confiés. En effet, la féminisation de l’exécutif municipal est une donnée importante, tout comme la répartition des attributions, selon qu’elle rompt ou non avec la division sexuée des tâches attribuant aux hommes les domaines techniques, et aux femmes les domaines du care, du social, de l’enfance etc. La répartition des secteurs dans l’administration est essentielle pour décloisonner les domaines traditionnellement occupés par les femmes et les hommes. Ainsi par exemple, en France, la structure des administrations municipales est rarement favorable aux femmes, qu’elles soient élues ou occupent des emplois administratifs, dans le sens où il existe en général un « service technique » très important, à forte dominante masculine, qui répond aux besoins des politiques de travaux, d’urbanisme, d’espace vert, de sports etc. – domaines généralement dévolus à des élus masculins, eux aussi. Ce cloisonnement peut poser des problèmes à certaines femmes car si elles optent pour un poste exécutif dans un secteur comme les espaces verts, elles se retrouvent à la tête d’un service exclusivement masculin. Ce peut être source de tensions et de conflits dans la gestion de leur mandat, puisqu’elles risquent d’avoir du mal à asseoir leur autorité. Le même malaise a été pointé par des femmes ayant des postes de directrices dans des services connotés comme « masculins ». Ainsi la directrice du service de l’urbanisme de Versailles confie-t-elle que son travail est devenu beaucoup plus facile depuis que le service technique de la ville a été démantelé – chaque domaine a maintenant son propre service technique, le service unique qui supervisait tous les aspects techniques de l’ensemble des domaines politiques ayant disparu. La féminisation des instances électives doit donc aller de pair avec une féminisation de l’administration, et surtout une transformation dans la répartition des domaines afin de briser les stéréotypes technique-compétence-masculin versus social-qualités-féminin qui empêchent que le travail politique des femmes élues ne soit reconnu. La municipalité de Modène, en Italie, a instauré un quota de 40 % de femmes dans la commission à l’urbanisme, précisément pour aller dans ce sens. En Finlande, à Oulu, un principe d’action positive a été retenu pour promouvoir l’égalité des sexes dans l’administration : s’il y a deux candidats également qualifiés, on choisit celui dont le sexe est minoritaire dans le secteur en question. Pour le reste, la loi sur les quotas exige la présence de 40 % des deux sexes dans les comités exécutifs préparatoires et consultatifs. 4. Rôle des associations féminines et féministes La présence d’associations féministes constituer souvent un levier important, on l’a dit, dans l’adoption de politiques visant l’égalité hommes/femmes. En effet, elles peuvent d’une part former les femmes élues à la problématique de genre et d’égalité, favoriser une prise de conscience et influencer les politiques mises en place. D’autre part, dans les pays qui ont vu reculer l’attention portée à certaines questions sociales en raison de la crise de l’Etatprovidence, les associations féminines ou féministes sont les instruments qui se substituent à l’Etat sur les questions de genre. Deux cas déjà cités en témoignent. En France, Rennes, qui a promu des politiques d’égalité des chances dispose d’un réseau d’association féministes très important, soutenu financièrement par la municipalité. Le même genre de dynamique est présente à Montijo au Portugal, où il existe une réelle volonté d’agir dans ce domaine, soit par le biais des mesures adoptées, soit par la collaboration avec les organismes publics et les associations de défense des droits des femmes, notamment dans le cadre d’actions d’information dans les écoles et de colloques consacrés à la problématique féminine. Au contraire, dans certaines villes françaises 96 comme Mantes-la-Jolie où Lille, la municipalité dans un cas, et le Conseil Général 122 dans l’autre, ont supprimé les subventions accordées à certaines associations féministes (notamment le Planning familial), faisant obstacle par là même à toute tentative d’impulser des politiques répondant aux besoins des femmes. La présence d’un tissu associatif fort est donc extrêmement importante, mais elle doit être relayée au niveau du pouvoir politique. En Finlande et en Suède, les associations féminines et féministes sont souvent les seules actrices à être spécialisées dans le domaine des violences faites aux femmes – domestiques ou autres. a) Poids des réseaux de femmes Les réseaux de femmes – élues, chercheuses, militantes associatives – jouent à ce titre un rôle décisif pour stimuler l’action publique et pérenniser ses effets. Ce sont en effet de véritables lieux d’empowerement, surtout dans la sphère politique qui fonctionne par réseaux partisans, par réseaux de loyauté et de soutien (dont les « comités de soutien » pour les campagnes électorales en France sont un bon exemple), et très souvent par réseaux amicaux d’hommes relevant de « l’homosocialité » (Gaspard 1997). Ainsi à Rennes, les femmes issues des divers milieux évoqués ont fait pièce à l’isolement en créant des comités de réflexion et en travaillant en réseau avec les femmes de l’administration locale. Partant, les élues de Rennes se sont senties autorisées à publier un Livre blanc contenant toutes leurs critiques sur le fonctionnement sexiste de la municipalité, ce qui a fait progresser le débat. En l’occurrence, les politiques adoptées l’ont été parce que les élues avaient été formées sur la problématique du genre et de l’égalité et qu’elles se définissent comme féministes. Une conseillère municipale, en particulier, ancienne responsable locale du droit des femmes, a énormément influencé la politique menée en faveur des femmes dans cette ville. En Belgique, à Anvers, il existe un service « émancipation » qui produit des statistiques sexuées et organise des séances d’information. Ce service coordonne les politiques d’égalité des chances de la ville et travaille avec l’université d’Anvers. Il en va de même en Finlande, où dans cinq des villes étudiées existe un large réseau de femmes conseillères et membres de l’administration, qui s’appuie souvent sur les sections de femmes des partis politiques locaux. Néanmoins, les obstacles à la formation de ces réseaux existent. En particulier, la peur de nombreuses élues, mentionnée plus haut, d’être perçues ou étiquetées comme féministes freine toute démarche visant à s’intéresser aux questions de l’égalité. Elle s’explique en grande partie par le contexte national de nombreux pays, où les apports sociaux et politiques du féminisme n’ont pas été publiquement reconnus, et par le contexte local qui rend souvent difficile pour les femmes de se présenter comme féministes : elles courent alors le risque d’être discriminées, et craignent même de mettre leur carrière politique en danger. b) Des lieux de réflexion : l’importance du lien entre politique et recherche Pour s’ancrer dans la réalité et produire des résultats, le discours sur le genre doit s’appuyer localement sur des lieux de réflexion. Il peut s’agir de relais dans l’université, dans les associations féministes ou centrées sur des questions propres aux femmes, de groupes de réflexion internes à la municipalité ou de sessions de formation. Les exemples étudiés montrent que la présence des femmes dans les instances de décision ne garantit pas la prise en compte des inégalités de sexe. Encore faut-il, pour cela, que les femmes adoptent une démarche « féministe », non pas forcément dans l’optique combative et revendicative souvent associée à ce terme, mais au sens où elles sachent mobiliser un cadre conceptuel cohérent leur permettant 122 Instance de pouvoir à l’échelon régional. 97 de légitimer leurs demandes. En Suède par exemple le soubassement théorique lié aux études de genre qui guide et soutient l’action des élu(e)s s’est avéré extrêmement important. La municipalité de Växjö, pour sa part, a développé des formations sur les rapports sociaux de sexe pour les élus et pour tous les employés et fonctionnaires municipaux, tout comme le gouvernement suédois se l’était imposé à lui-même en 1994, afin de faire évoluer les mentalités et attitudes, et de permettre l’intégration de cette problématique dans tous les domaines de la vie municipale. Växjö organise aussi tous les ans une grande conférence nationale pour l’égalité des sexes où interviennent chercheurs, politiques et acteurs professionnels proches de ce domaine. En France, dans certaines villes comme Rennes et Toulouse, une réflexion sur l’égalité existe. Elle est élaborée d’une part dans les universités, rectorats et instituts de formation des maîtres. Elle est fortement relayée, d’autre part, par les réseaux d’associations féministes. A Rennes en particulier, chercheuses universitaires et élues ont travaillé ensemble sur la question des compétences des femmes en politique et des obstacles qui persistent pour elles. Le personnel de l’administration a également bénéficié de stages organisés par le Centre d’information aux droits des femmes (CIDF) pour connaître leurs droits. Enfin la ville a commandé à une chercheuse universitaire, dès 1990, une étude sur « les femmes cadres à la ville de Rennes » pour comprendre les discriminations et obstacles qui pouvaient persister dans l’accession aux plus hauts niveaux de direction. Mais un effort politique, voire pédagogique, reste à faire pour sensibiliser les élus locaux à la problématique d’égalité car celle-ci est loin de constituer, à leurs yeux, une priorité. Ainsi, en France, les formations proposées par des associations féminines ou féministes aux élues ne connaissent pas grand succès. Peu de femmes se sentent interpellées par ces question, et nombre d’entre elles rejettent même l’idée d’être associées à un projet connoté comme féministe. En Italie, il existe une formation proposée par l’université en lien avec des élues locales. Franca Bimbi, professeure à l’université de Padoue et Maire adjointe à l’égalité des chances à Venise, a en effet proposé avec d’autres enseignantes de l’Université une « Ecole politique des femmes » qui a eu beaucoup de succès, pendant deux ans, auprès des administratrices locales et des femmes qui voulaient entrer en politique (Del Re, 2000). c) Des lieux d’information Qu’il s’agisse d’initiatives nationales (comme les CIDF français, présents dans chaque région) ou locale, comme dans les municipalités de Sintra et Montijo au Portugal qui ont établi un « Espace Information-femmes », ou encore du « Renseignement-femmes » de Modène en Italie, ces lieux peuvent constituer un outil favorisant l’égalité en accueillant les femmes, en les orientant vers les services publics dont elles ont besoin, en leur faisant connaître leurs droits. Elles y trouvent des informations relatives à l’emploi, à l’aide sociale, au planning familial, ou encore une liaison avec les différents services de la mairie ou de l’Etat. Au Portugal, ce type de mesures est innovant par rapport au contexte général. Dans la mesure où les programmes d’action en faveur de l’égalité hommes/femmes sont moins nombreux au Portugal que dans certains pays plus avancés sur ce point, l’existence d’un relais d’information est d’autant plus fondamental que les opportunités sont plus rares. Enfin, l’avantage de ce type de structures n’est pas purement informatif. Dans les pays où la « conscience de genre » n’est pas très avancée, ces lieux permettent de rendre visible la nécessité de politiques de traitement des inégalités. Ils servent, en outre, de point de rencontre aux citoyennes, ce qui peut avoir un impact en termes de socialisation, de politisation, et qui constitue donc un vecteur de pratiques citoyennes. 98 d) Des structures pour pérenniser l’action Si les instances locales peuvent impulser des actions dans le domaine de l’égalité hommes/femmes, il apparaît cependant que la pérennité de ces actions est toujours menacée lorsqu’elles ne sont pas cautionnées et soutenues, comme on l’a souligné plus haut, par le discours national ou par un environnement économique et culturel favorable. En dehors de la Suède où la pertinence de la problématique d’égalité semble fermement ancrée, la vigilance est de règle, et maintenir cette question à l’ordre du jour demande souvent une grande obstination. La personnalité du maire, la tendance du système politique local à faire une large place à la lutte partisane (laquelle ne prend que très rarement en compte la question des inégalités de sexe), la faiblesse des structures d’égalité au sein des municipalité : tous ces éléments poussent à faire du genre une thématique secondaire, et surtout très rarement prise en compte sur le long terme. Si un maire est sensible à cette question, la durée de sa présence devient un véritable enjeu car elle lui permettra ou non de stabiliser une politique en faveur des femmes. Bref, l’égalité disparaît trop souvent et trop facilement de l’agenda municipal, et ce sans que personne ne s’en émeuve, si ce n’est certaines associations. Ainsi, en Italie, les innovations de pratiques politiques administratives liées à cette problématique, même dans les cas où elles sont désormais entrées dans la routine administrative, continuent à être perçues comme accessoires. Ce constat en dit long sur les racines culturelles et politiques au fondement d’un tel état de fait. A l’évidence, les pratiques qui s’inspirent de l’égalité des chances ne sont pas considérées comme une question de démocratie, mais comme une option, comme une question quelconque de conjoncture politique. Toute institutionnalisation de la question du genre est donc bienvenue, et c’est probablement la seule solution pour que cette problématique acquière un caractère durable. La création de fonctions spécifiques de déléguée à l’égalité ou la rédaction de plans d’égalité au sein des municipalités apparaît comme un outil majeur. Le fait qu’une personne soit chargée spécifiquement de cette thématique est un pas très important car la politique locale ne semble pas prête à faire du mainstreaming. L’action peut également consister à placer des femmes dans des positions ou domaines traditionnellement occupés par les hommes pour provoquer une évolution des mentalités. Ainsi en Italie, dans la municipalité de Modène, la maire adjointe à l’urbanisme a pu faire passer une adjudication qui impose une représentation minimum de 40 % de femmes (ou d’hommes) dans la commission sur les constructions. Vu les intérêts majeurs qui transitent par cette commission municipale traditionnellement réservée aux hommes, il s’agit d’une mesure révolutionnaire. En Suède également, les municipalités de Växjo et de Jönköping ont consciemment nommé des femmes présidentes de commissions de nature technique, afin de rompre la domination masculine. Stimuler l’action égalitaire exige de l’intégrer le plus possible à tous les échelons de la vie municipale et de la doter de moyens d’action propres. Ainsi la ville de Rennes, en France, a-telle créé un poste administratif lié au poste de l’élue chargée de l’égalité depuis 1995, tout comme Paris où c’est la première adjointe qui est chargée de l’égalité hommes/femmes. Cette création de poste rend visible une volonté de prendre en compte l’égalité et contribue à politiser cette thématique au lieu de la rejeter dans la sphère privée. A titre d’exemple, l’association des communes de Suède travaille actuellement à promouvoir et soutenir les femmes aux postes de direction non politiques des municipalités – administration, finances, services techniques. Ces personnes-ressource jouent une rôle très important, non seulement pour les autres élu(e)s, mais pour les associations en général et pour la mise en oeuvre de projets financés par des subventions européennes, parce qu’elles possèdent l’expertise nécessaire pour monter les dossiers. 99 IV. UNE DYNAMIQUE CUMULATIVE Dans ce qui précède, nous avons analysé la vie démocratique municipale et les changements qui l’ont affectée. Deux questions constituaient notre point de départ : un processus de démocratisation entraîne-t-il parallèlement une répartition et une distribution du pouvoir plus égalitaire entre les sexes ? Les femmes ont-elles accédé ou non au « vrai » pouvoir ? Les interprétations diverses données à la démocratisation dans des contextes municipaux différents rendent la réponse à cette question fort complexe. On peut néanmoins formuler un premier constat : la présence de femmes dans les Conseils n’induit pas automatiquement des changements en politique, et ces dernières n’ont pas toujours des positions ‘féministes’ visant à promouvoir l’égalité. Dans le même temps, on note que des femmes occupant des postes-clés, comme telle maire d’une municipalité d’Europe du Sud ou telle femme proche des lieux de pouvoir (d’un parti majoritaire, notamment), sont parfois à même d’imposer leurs vues de façon efficace et que, selon les orientations qu’elles défendent, cela peut servir la cause des femmes. L’analyse a également mis en exergue des risques potentiels et des signes de crise en matière de démocratie locale. Les interviewé(e)s insistent sur le rétrécissement du pouvoir des organes démocratiquement désignés, sur la personnalisation du pouvoir et sur la concentration de ce dernier dans certains lieux, souvent non démocratiques. Malgré les objectifs affichés, la société civile n’a pas, dans la plupart des cas, gagné en influence dans le dialogue politique local. La professionnalisation de la politique, le pouvoir accru des fonctionnaires dans la préparation des dossiers aux dépens des élus, la nouvelle importance de la maîtrise des dépenses, sont des thèmes récurrents dans les discours des acteurs de la vie politique locale, lorsqu’on les interroge sur leur propres pouvoirs et sur leur travail. Le terme péjoratif de ‘politique politicienne’ revient souvent dans les propos des conseillers pour décrire l’ambiance au quotidien de la vie politique locale. Les diverses réformes dans le domaine de la gestion, les exigences du marché international, d’une part, et l’évolution contraire des ressources (en diminution) et du vieillissement de la population (qui requiert davantage de services), d’autre part, conduisent à une politique « sans issue », où les élus de base se contentent d’entériner des décisions prises ailleurs. Plus encore que par le passé, le véritable pouvoir de décision semble avoir été transféré vers ceux des hommes (et des femmes) politiques qui ont le plus d’expérience et qui disposent des meilleures ressources en termes de temps, ou même de finances, ainsi que vers les fonctionnaires qui font le travail préparatoire. Même si les expériences concernant les quotas ou la parité sont généralement appréciées positivement dans tous les pays de l’enquête, et même si l’arrivée des femmes dans la vie politique locale est source de satisfaction, les conseillers dénoncent simultanément l’augmentation du pouvoir administratif, le statut renforcé du maire, ou la montée en puissance de nouveaux groupes de direction officieux. Ces évolutions concomitantes posent problème quant à la promotion des femmes, car il n’existe pas de règlement en matière de quotas ou de parité les concernant. Aussi les groupes de direction, les exécutifs stratégiques et autres lieux de pouvoir propres à la nouvelle culture de gestion pourraient-ils avoir pour effet de marginaliser, voire d’évincer de façon efficace les mesures touchant à l’égalité des sexes. De son côté, l’importance accrue du maire est d’autant plus problématique que la féminisation de cette fonction est loin d’être engagée partout en Europe, et que la féminisation de l’administration ou de l’exécutif ne progresse que très lentement. L’analyse des changements dans les rapports de pouvoir amènent à des conclusions contradictoires. Selon une optique plutôt pessimiste, les instances élues semblent avoir perdu du pouvoir dans les années 90, pour les raisons précitées, alors que dans le même temps elles 100 se féminisaient. On peut y voir un déplacement des lieux de pouvoir hors des organes démocratiques. Selon une optique plus optimiste, l’accroissement de la proportion de femmes dans les instances locales est le résultat conjugué de changements sociaux et de combats de femmes et de féministes, obtenu grâce à des mesures actives ou par l’usure. Il constitue un début d’intégration des femmes dans la vie politique et le socle de leur recrutement futur à de hautes fonctions politiques. Une telle évolution est perceptible en Suède où la proportion de femmes augmente régulièrement à tous les niveaux de la vie politique, postes de direction y compris – ce qui ne veut pas dire que la chose aille de soi. 1. Limites des politiques égalitaires L’observation des transformations du pouvoir pose, on l’a vu, la question des politiques d’égalité au niveau local. Il ressort de notre enquête que, dans le contexte des changements précédemment décrits, les mesures d’action positive – qu’elles résultent de décisions des partis, comme en Suède, ou de règlements contraignants comme en France, en Belgique ou en Finlande – sont beaucoup plus efficaces pour promouvoir les femmes en politique que des mesures plus générales visant à accroître la démocratie. Il faut néanmoins rappeler deux choses. D’une part, les contextes influent énormément sur l’efficacité et le succès de ces mesures. D’autre part, les structures de pouvoir et la prise de décision municipales ne sont pas des entités statiques, mais changeantes – ce qui complique l’évaluation de leur impact sur la position des femmes dans les instances de pouvoir local. Un seul pays sur sept où nous avons mené la recherche –le Portugal – n’avait pas, en 2003, appliqué de mesures d’action positive sur le long terme et un autre – la Grèce – n’avait adopté que des mesures fort limitées. La proportion de femmes élues y reste modeste et progresse lentement. Non seulement leur accès au ‘véritable’ pouvoir – en tant que maire, adjointe au maire, ou membre de l’exécutif – rencontre encore beaucoup d’obstacles, mais une fois au pouvoir, elles se heurtent à de nombreuses difficultés pour impulser et faire soutenir des réformes en faveur des femmes. Il apparaît également dans plus d’un cas que l’arrivée de femmes défendant un point de vue féministe aux postes de pouvoir dans les organes de décision locaux suscite fréquemment des réaction négatives de la part des élus masculins en place. En Italie, où les mesures concernant la féminisation de l’administration ont été efficaces dans certaines villes et où une loi sur les quotas dans la représentation politique avait été votée (même si elle fut invalidée par la suite), on relève une diminution de la proportion de femmes élues dans les instances locales. De leur côté, si les lois françaises et belges sur la parité dans les listes électorales ont rapidement entraîné une augmentation du nombre de femmes dans les Conseils municipaux, les fonctions relevant du ‘véritable pouvoir’ – maire, adjoint au maire, membre du cabinet du maire ou de l’exécutif – restent à ce jour réservés aux hommes dans la très grande majorité des cas. Les femmes (sauf quand la parité est appliquée à tous les niveaux, y compris dans l’exécutif – ce qui dépend, rappelons-le, de la volonté du maire), restent le plus souvent dans la ‘salle d’attente’ du pouvoir. Ceci étant, on peut estimer qu’une représentation accrue des femmes dans les Conseils constitue un support potentiel pour l’élection d’une femme au poste de maire et pour encourager des politiques d’égalité. Deux questions restent néanmoins pour partie en suspens. Jusqu’à quel point les tendances à la personnalisation et à la concentration du pouvoir ont-elles restreint le rôle du Conseil ? Et quel est l’impact de ce processus quant au pouvoir des femmes ? C’est en Finlande et en Suède que l’expérience en matière d’application des politiques égalitaires est la plus ancienne. Toutefois, l’adoption ou le maintien de tels dispositifs suscite des réactions très contrastées dans chacun de ces deux pays. En Finlande, hormis sur le thème 101 des quotas, les élus font état d’une certaine indifférence vis-à-vis de ces mesures. En Suède, en revanche, dans les municipalités étudiées, un nombre non négligeable de dirigeants, hommes et femmes, manifestent une sensibilité certaine (que l’on peut qualifier de féministe) à l’égard des questions relatives à l’égalité des sexes – même si quelques interlocuteurs masculins ont laissé poindre une certaine lassitude à ce propos. Sans doute la disparité observée entre dans les deux pays résulte-t-elle de la façon différente dont les femmes se sont insérées dans les instances de pouvoir, à l’échelle locale. En Finlande, dans la mesure où une présence numérique significative des femmes est assurée grâce aux quotas, l’opinion quasi générale est que l’égalité des sexes est désormais une question démodée : « Il n’y a plus de problèmes »… « On n’a pas besoin de nouvelles mesures en la matière ». Alors qu’en Suède, où le combat pour la présence d’un plus grand nombre de femmes dans la vie politique locale a été initié voici plus de trente ans et où le succès découle probablement davantage de l’usure que des décisions formelles, la culture d’égalité semble avoir fini par s’imposer dans les esprits. ***** On le constate, le problème du lien entre présence numérique des femmes et contenu des politiques publiques est des plus complexes à traiter, surtout en ce qui concerne les dispositifs intégrant la dimension de genre. Il est difficile de savoir qui les a initiées : les femmes élues, les associations, ou un contexte national favorable (comme c’est le cas par exemple en France, à propos des crèches qui sont devenues un enjeu central dans la campagne municipale de 2001), ou encore l’Europe (en Grèce, c’est l’Europe qui donne l’impulsion à des politiques favorables aux femmes) ? Sur ce point, des observation récurrentes, on l’a vu, se dégagent dans les sept pays où s’est déroulée l’enquête – à savoir que si la présence de femmes dans les instances élues et dans l’administration est bien une condition nécessaire, elle n’est pas suffisante pour que la question de l’égalité des sexes occupe une place réelle dans les politiques locales. Ce constat mitigé a déjà été fait dans d’autres recherches sur les femmes en politique (Randall, 1982 ; Sapiro, 1998) et il reflète le lien ambigu entre identité et représentation politique. Comme le souligne Virginia Sapiro, il est clair que la véritable question n’est pas : « Est-ce que mes représentants me ressemblent ? », mais bien : « Est-ce que mes représentants défendent mes intérêts ? » 123 Nous avons pu vérifier la pertinence de cette observation au cours de notre enquête : lorsque des politiques égalitaires sont impulsées par des municipalités, elles sont presque toujours portées par des élu(e)s défendant les intérêts des femmes, voire se définissant elles-mêmes ou eux-mêmes comme féministes. Ceci dit, bien que la présence d’élues affichant ce type de positions soit un élément nécessaire pour la mise en œuvre de politiques publiques favorables à l’égalité des sexes au niveau local, d’autres facteurs doivent également être réunis pour entraîner dynamique cumulative – dont une forte présence de femmes car, comme l’a démontré Wängnerud (1998) dans son étude sur le Parlement suédois, une des grandes différences entre femmes et hommes en politique est que les premières sont généralement plus attentives aux besoins et aux intérêts sociaux des femmes que leur collègues masculins. C’est l’interaction entre le niveau européen, national et local, entre les associations et le pouvoir politique, entre la recherche et les élu(e)s qui crée un contexte favorable à l’élaboration de telles mesures. Mais cette dynamique nous est apparue comme extrêmement fragile, et trop aisément remise en cause – par un changement de majorité politique, par l’arrêt de subventions, par un désintérêt de la part des élus qui ne considèrent pas l’égalité hommes/femmes comme un thème légitime. Aussi faut-il insister sur le fait que l’intégration de l’égalité des sexes dans 123 Ce qui ne veut pas dire que la représentation féminine en politique n’ait pas d’intérêt en soi, comme le souligne Anne Phillips (2002). 102 les politiques publiques ne se fait pas spontanément, loin de là. Seule une véritable volonté politique et de réels efforts pour promouvoir cet objectif peuvent faire avancer la question. Alors que les pays nordiques sont bien souvent présentés comme le stade le plus avancé d’une évolution vers laquelle les autres pays européens tendraient progressivement et tout naturellement, notre enquête montre que les choses ne sont pas aussi simples et que l’amélioration de la place des femmes, tout comme la prise en compte – sur le long terme – de l’égalité dans des politiques publiques, est en général le fruit d’une lutte acharnée et jamais acquise. Pour surmonter les obstacles il faut que de véritables structures de l’égalité des chances soient créées, et probablement imposées au niveau local. Les réseaux de femmes peuvent à ce propos servir de levier, en impulsant une solidarité et des alliances stratégiques entre femmes qui favorisent une dynamique égalitaire. Une telle démarche s’impose pour faire pièce aux résistances des partis, qui ont tendance à se fixer d’autres objectifs prioritaires que la lutte contre les inégalités de sexe. 103 104 CHAPITRE IV : ENJEUX LIÉS AU GENRE À L’ÉCHELLE LOCALE - LES RÉSULTATS DE L’ENQUÊTE Cette partie du rapport s’appuie sur les résultats des entretiens menés dans les villes des sept pays choisis comme base de cette recherche. Nous y examinerons trois questions centrales dans l’enquête. Premièrement, la façon dont le genre est perçu dans la sphère politique locale et les discours qui justifient ou au contraire remettent en cause les fonctions traditionnellement assignées à l’un et l’autre sexe. Deuxièmement, les prises de positions vis-à-vis des mesures d’action positive. Troisièmement, la façon dont le genre est intégré ou non dans les pratiques politiques locales, tout particulièrement dans les trois secteurs d’intervention sélectionnés : personnes dépendantes, urbanisme et sécurité. I. DIFFÉRENCES DE SEXE OU CITOYENNETÉ UNIVERSELLE ? L’enquête de terrain, outre le travail d’observation, repose sur plus de 600 entretiens semidirectifs : ce sont donc avant tout des discours que nous avons recueillis. Ceux-ci ne reflètent pas forcément la pratiques en vigueur. Néanmoins, ils sont utiles pour l’analyse puisqu’ils permettent de mesurer le degré de légitimité de la question du genre aux yeux des acteurs locaux – légitimité relativement faible, il faut bien l’admettre 124. A l’exception de la Suède, la comparaison des propos entendus dans les six autres pays étudiés révèle l’omniprésence de deux types de rhétorique. D’une part, celle qui concerne la différence des sexes : le discours sur les qualités spécifiques des femmes est présent partout, tant de la part des hommes que des femmes. Mais cette rhétorique va de pair avec une autre, relative à l’intérêt général ou au caractère universel de la citoyenneté : l’action politique concrète est alors présentée comme neutre. De prime abord, la co-existence de ces deux types de discours, souvent chez un même individu, peut paraître contradictoire. Comment les personnes interviewées peuvent-elles parler de « spécificités d’un sexe » et, parallèlement, refuser la prise en compte de ces « spécificités » dans l’action politique, au nom de l’universalité des droits ? Comment expliquer que, dans tous ces pays, les acteurs passent, durant un même entretien, d’une rhétorique à l’autre selon le thème abordé ? Lorsque les questions ne font pas référence au genre, la tendance la plus courante est de faire comme si le citoyen était une figure neutre, mais lorsque sont évoquées les inégalités de sexe, l’accent porte alors sur les différences hommes/femmes : à l’image offerte d’un individu asexué succèdent des propos qui tendent à naturaliser les différences. Il importe donc de mettre au jour les enjeux qui sous-tendent de telle contradictions en s’efforçant de répondre à plusieurs questions. Les spécificités évoquées constituent-elles un 124 Seuls les élus suédois semblent considérer la prise en compte de l’égalité des sexes dans la politique locale comme importante. La féminisation de la vie politique locale de ce pays est relativement ancienne et stable, et cela fait une dizaine d’années, on l’a vu, que les femmes occupent plus de 40 % des sièges des conseils municipaux. La lutte pour l’augmentation du nombre de femmes dans les instances politiques locales a commencé dès le début des années 1970 et l’acceptation des principes d’égalité des sexes, du point de vue de la représentation politique, s’est opérée progressivement, sans qu’il soit nécessaire de recourir à des mesures législatives telles que les quotas. C’est probablement en raison de cette histoire que le discours dubitatif, spéculatif, souvent différentialiste, sur les qualités des femmes et sur leur place en politique, est absent des entretiens menés en Suède. Il est fort probable cependant qu’il avait cours avant que la présence des femmes ne devienne massive et ne soit acceptée comme un fait établi. 105 atout pour les femmes, une compétence à revendiquer, ou ne font-elles que reproduire les stéréotypes traditionnels ? Ce type de discours s’inscrit-il dans un contexte particulier ? Peuton repérer des récurrences dans les sept pays concernés ? Qu’est-ce qui déclenche le passage à la rhétorique inverse, celle qui neutralise le genre ? Observe-t-on des différences notables entre les pays du Nord et ceux du Sud, dont les instances politiques sont nettement moins féminisées ? Pour tenter de répondre à ces questions, voyons ce qui ressort des entretiens concernant deux thèmes plus particuliers : celui des compétences et celui des actions positives. 1. La question des compétences Quand on aborde la question de la place des femmes en politique, on est frappé par un paradoxe : leur soi-disant manque de compétences est souvent mis en avant pour expliquer leur faible présence dans les instances de décision locales, cependant que leurs compétences dites spécifiques sont au contraire soulignées quand elles sont plus nombreuses dans les instances élues 125 ou quand la question porte sur d’éventuelles différences de comportement selon le sexe. Le cas de la France est paradigmatique à cet égard : alors que le premier argument était systématiquement mobilisé avant l’adoption de la loi sur la parité pour expliquer la rareté des femmes sur les bancs des assemblées élues, cette question n’était quasiment plus évoquée après les élections municipales de 2001 au cours desquelles le principe de parité fut appliqué pour la première fois dans les villes de plus de 3500 habitants – ou, quand elle l’était, c’était pour valoriser les compétences spécifiquement féminines. Comment expliquer une telle incohérence, que l’on retrouve dans plusieurs autres des sept pays étudiés ? Faut-il accorder quelque crédit à ce discours et penser que les femmes deviennent compétentes le jour où elles sont élues, ou plutôt s’interroger sur des présupposés ne leur attribuant que des qualités propres à leur sexe ? En politique comme dans la sphère du travail, la notion de compétence est le plus souvent profondément sexuée 126 : aux hommes la compétence et la qualification technique reconnue, aux femmes les qualités inculquées dans la sphère reproductive et, partant, non reconnues sur le marché de l’emploi 127. Le discours sur ce thème s’ancre dans une vision profondément différentielle qui attribue aux femmes des qualités particulières dont les hommes seraient naturellement dépourvus et qu’elles importeraient dans la politique locale. Or, si ce discours peut apparaître positif de prime abord, puisque sont reconnus aux femmes un certain nombre de traits tels que l’écoute, la proximité avec les citoyens etc., il peut aussi constituer un piège dans la mesure où il naturalise des compétences qui ressemblent alors étrangement aux éternelles qualités féminines, et où il risque d’enfermer les élues dans des domaines étiquetés comme féminins. a) Les ‘qualités’ féminines Pour saisir la pertinence du genre en politique, nous avons posé des questions qui ont souvent eu le mérite de susciter chez les élus interrogés une réflexion sur l’importance de cette catégorie dans les pratiques locales : « Pensez-vous qu’il y ait différentes manières de faire de la politique selon que l’on est un homme ou une femme ? », « Pensez vous que l’arrivée des 125 L’exemple suédois laisserait toutefois penser que cette tendance caractérise avant tout les pays où la féminisation de la vie politique est récente et qu’elle peut s’estomper avec le temps. 126 C’est ce que montrent de nombreux travaux, notamment ceux de Danièle Kergoat (1982). 127 En politique, cela se reflète dans le fait que les élues ont souvent la responsabilité de secteurs liés à leurs expériences professionnelles dans des domaines tels que ceux de la petite enfance, du travail social ou de la santé. Notons, toutefois que dans certaines villes étudiées, on relève des tentatives d’affecter les femmes à des postes sans rapport avec leur qualification professionnelle. 106 femmes en politique puisse être vecteur de changements ? » etc. A ces questions, les enquêté(e)s des pays concernés ont largement répondu – sauf en Suède où, comme on l’a déjà vu, la rhétorique égalitaire l’emporte en politique – par un discours mettant en avant les qualités des femmes et les changements positifs qu’elles ne manqueraient pas d’apporter au monde politique si elles y étaient plus présentes. Hommes et femmes ont développé un discours assez homogène sur la douceur, la plus grande capacité d’écoute, la préoccupation du détail, le pragmatisme et les aptitudes des femmes en matière d’organisation. Si les registres varient parfois selon les pays, c’est uniquement à la marge – en Finlande et en France, par exemple, les femmes sont dites plus efficaces : elles suivent mieux les dossiers ; en Grèce, on souligne leur patience etc. Dans tous les pays étudiés, il est fait appel, de façon plus ou moins détournée, aux éternelles qualités féminines et aux stéréotypes de la mère et de la ménagère, ce qui explique l’homogénéité des discours malgré la diversité des contextes nationaux et locaux. La fonction de mère, à travers les thématiques de la responsabilité familiale et du bien-être d’autrui, ou encore de la valorisation de l’expérience maternelle, est en effet très souvent convoquée pour expliquer l’apport des femmes en politique : elles seraient porteuses de nouvelles préoccupations, plus proches du quotidien des habitants et de leur expérience vécue, de nouvelles façons de faire ; elles seraient plus consensuelles et plus attentives aux besoins de leurs concitoyens. De nombreux enquêtés, en particulier en Grèce, en France et au Portugal, soulignent leur moindre agressivité dans les relations et leur sens du concret. En Finlande elles sont décrites comme plus ouvertes dans la discussion et comme n’hésitant pas à poser des questions difficiles en assemblée. Ecoute et pragmatisme font là encore écho à l’image de l’éternel féminin : celle de la mère chargée du caring et de l’organisation de l’emploi du temps familial, sans cesse appelée à résoudre des problèmes matériels immédiats avec les moyens du bord, ou encore celle de l’image de l’élève modèle. A cela sont opposés les poncifs habituels sur l’ingéniosité technique, la capacité de décision et l'aptitude à conduire de grands travaux qui seraient l’apanage des hommes. Cette naturalisation des traits imputés à chacun des deux sexes contrecarre la possibilité, pour les élues, de faire reconnaître leurs compétences comme véritablement politiques. Cela rejoint ce qu’a montré Danièle Kergoat à propos des infirmières et des ouvrières en France : les qualités attribuées à ces deux catégories professionnelles renvoient presque toujours aux stéréotypes féminins (art du détail, dextérité, patience, dévouement), ce qui tend à empêcher aussi bien les ouvrières que les infirmières d’obtenir qu’elles soient sanctionnées et valorisées sur le plan salarial (Kergoat, 1992). Tant que la compétence relationnelle des infirmières est perçue comme l’expression de la douceur propre à la nature féminine, elle ne peut-être pensée comme qualification professionnelle, reconnue sur le marché de l’emploi. On retrouve le même schéma de pensée en ce qui concerne les qualités féminines citées par les élu(e)s. Très souvent, ces qualités sont attribuées aux femmes en se fondant sur les rôles traditionnels dévolus à l’un et l’autre sexe. Dans une telle optique, les compétences des femmes élues n’en sont pas vraiment, elles leur sont « naturelles » : on ne reconnaît pas qu’elles nécessitent une formation, au même titre que des compétences techniques, par exemple : « Je pense qu’une femme est fondamentalement une personne qui a une forte capacité intérieure à comprendre la vie comme un tout, en particulier à travers la maternité (…) la protection de la vie des enfants est un élément fondamental ». Le discours de cette conseillère social-démocrate finlandaise, s’il est caricatural dans sa formulation, n’est est pas moins représentatif d’un certain mode de pensée que l’on retrouve, à quelques exceptions près, dans les sept pays de notre enquête, aussi bien chez les femmes que chez les hommes. Il est évident que les personnes interrogées, quand elles insistent sur ces qualités qui seraient propres aux femmes, le font dans une perspective laudative : il s’agit de 107 montrer comment les femmes peuvent améliorer les orientations ou les pratiques politiques. L’exemple de cette conseillère grecque le montre bien : « J’aide la région. En tant que mère et épouse, je crois que je vois les choses mieux, peut-être, qu’un homme. La femme voit mieux les problèmes de la société locale en ce qui concerne les enfants, comme mère, comme épouse. Elle peut offrir plus qu’un homme, les hommes sont plus égoïstes». On voit toutefois l’ambiguïté et même les risques d’une telle logique dans le domaine politique : elle assimile les femmes à des mères, leur présence en politique n’étant légitimée qu’au travers de la naturalisation de leur fonction reproductive. Or dans la plupart des discours des enquêté(e)s, le genre n’est appréhendé comme une catégorie pertinente en politique que dans la mesure où il s’agit des qualités attribuées aux femmes, lesquelles sont présentées comme marquées au sceau de la différence. b) Domaines ‘spécifiques’ assignés aux femmes Cette naturalisation des qualités féminines naturalise du même coup la division sexuée des domaines de compétence politique. Dans les sept pays de l’enquête, les femmes se voient majoritairement proposer des responsabilités liées au social, à l’éducation, à la famille, et parfois à la culture 128. Elles s’occupent des « soft affairs » pour reprendre l’expression finlandaise. La mise en avant des qualités féminines liées au rôle maternel vient donc conforter et justifier une répartition sexuée des secteurs d’intervention. Certes, dans ses études sur le Parlement, la politologue suédoise Lena Wängnerud (1998 et 1999) a démontré qu’en Suède, les femmes ont fini par rompre ces barrières invisibles qui les enfermaient dans certaines attributions pour investir peu à peu toutes les commissions du Parlement. Mais en Finlande, malgré une forte présence des femmes dans les instances élues, la division des tâches ne semble pas franchement remise en cause. En dépit de la législation sur les quotas, les femmes y sont toujours considérées comme les expertes en matière d’affaires sociales, de santé et d’éducation, et l'application de quotas de 40 % dans les comités techniques municipaux a suscité de fortes résistances. En 1996, par exemple, l’exécutif de la compagnie des autobus de Helsinki a essayé de refuser de se plier à cette injonction, sous prétexte que les femmes sont inaptes à s’occuper des bus… En Grèce, les femmes sont majoritairement chargées de la surveillance des crèches municipales, des écoles maternelles et des divers comités scolaires, des KAPI (personnes âgées), de la propreté et de l’environnement, alors que les hommes ont en charge des responsabilités dans les services techniques et économiques de la municipalité comme par exemple les sociétés municipales de construction. En France, également, cette dichotomie est frappante : l’urbanisme, la sécurité, les travaux publics ou les finances restent des bastions masculins. En Italie, il apparaît clairement que les femmes sont un « second choix » et qu’on leur laisse systématiquement les domaines connotés comme féminins, parce qu’ils sont aussi les moins prestigieux. Au Portugal, si la division des domaines de compétence est moins rigide dans les communes rurales où les femmes, souvent plus diplômées que les hommes, accèdent assez aisément à des domaines techniques, elle reste néanmoins très forte dans les villes et s’appuie sur un discours extrêmement ambigu, comme en témoigne cet entretien avec un adjoint au maire portugais : « Il me semble même qu’il y a certains domaines de compétences du pouvoir municipal pour lesquels les femmes sont plus indiquées que pour d’autres. Il y a ce lien plus fort, cette sensibilité plus grande, si je puis dire, en ce qui concerne certains domaines, comme le social, la santé ou l’enseignement ». 128 Le constat dressé par note enquête ne permet pas d’affirmer si une plus grande présence des femmes entraîne une plus grande déspécialisation puisque nous ne possédons pas de données nationales sur la répartition des affectations selon les sexes. 108 A travers ces exemples, on voit se dessiner un continuum entre l’affirmation touchant à l’importance de la différence hommes/femmes et à l’attribution de domaines politiques différenciés selon le sexe des élus. Un conseiller finlandais justifie cette relation en affirmant : « C’est peut-être parce que la vie quotidienne des femmes, plus particulièrement la vie quotidienne d’une mère de famille avec des enfants, peut être une source de choses qui ne viendraient pas à l’esprit des hommes, par exemple pour prendre certaines décisions […] peut-être que les femmes voient les décisions à travers les yeux des enfants plus facilement que les hommes ». La fonction maternelle vient ainsi légitimer l’assignation d’une majorité de femmes élues à des domaines traditionnellement féminins. Par ailleurs, la naturalisation des compétences féminines peut également favoriser une ségrégation verticale du champ politique dans certains pays : aux femmes le domaine local, aux hommes la politique nationale 129. En Grèce, par exemple, les femmes élues insistent beaucoup sur l’homologie entre le gouvernement de la localité et celui du ménage, homologie qui fait d’elles des personnes naturellement désignées pour se charger de ces deux domaines. La présidente du premier département de Thessaloniki justifie le fait qu’elle s’occupe de l’administration locale en affirmant : « La commune est comme un ménage. Autrement dit, la femme est inspirée par le local parce qu’elle veut faire le ménage de la ville comme elle veut le faire dans sa maison. Elle aime les choses esthétiques, bien rangées, elle aime généralement le beau dans sa vie. Donc elle veut offrir tout ça au niveau de la ville…». Dans le cas présent, la compétence des femmes est reconnue, mais c’est une compétence de second ordre. Soulignons cependant que ce discours , très répandu en Grèce, émane surtout des plus anciennes alors même qu’il est rejeté par les élues de la nouvelle génération. Quoi qu’il en soit, on ne saurait généraliser le propos car selon les contextes nationaux, les évolutions sont contrastées. En Belgique, le discours sur les différences est moins prégnant et laisse plus de place à la notion d’égalité. Dans les communes étudiées, les compétences sont loin d’être toujours réparties en fonction de clivages sexués et les femmes échevins ont en charge des secteurs qui s’écartent des schémas traditionnels. Parler de ségrégation des fonctions en matière de compétences politiques serait donc malvenu dans ce cas. De leur côté, certaines villes de Finlande et de Suède s’efforcent même d’inverser le schéma. Les municipalités de Växjö et de Jönköping en Suède ont ainsi volontairement nommé des femmes à la tête des commissions technique. Il faut par ailleurs noter qu'en Finlande, malgré des résistances évoquées plus haut, l'application de quotas aux comités de préparation, depuis 1995, a remis en cause la division sexuée des compétences. Cette procédure est en passe de transformer les lignes de démarcation entre les domaines dits masculins et féminins. c) Complémentarité versus transgression Le discours sur la différence ouvre souvent sur la notion de complémentarité. Dans une ville comme Versailles, en France, ou encore au Portugal, la présence des femmes dans la politique locale est perçue comme source d’équilibre, d’une plus grande harmonie qui aurait fait défaut quand les hommes étaient entre eux. A Versailles, les élu(e)s soulignent l’amélioration des rapports entre eux, « plus courtois », grâce à la présence des femmes et à la complémentarité des sexes, qui trouverait également son expression dans le domaine politique. Les élu(e)s portugais perçoivent également les relations entre hommes et femmes dans le travail politique sous l’angle de la complémentarité, les femmes apportant, en raison de leur expérience spécifique, une meilleure vision dans les domaines sociaux, éducatifs etc. On retrouve ce discours en Belgique, par exemple à Bruxelles-ville, l’ancien maire (bourgmestre) affirme en 129 A noter qu’en Finlande, pour des raisons historiques, les femmes ont conquis des responsabilités au niveau national et au Parlement avant qu’elles n’en aient à l’échelle locale. 109 parlant de ses collaboratrice : « Elles voient des choses que les hommes ne voient pas et vice versa ; c’est démontré scientifiquement. Et donc, c’est toujours bien qu’il y ait un élément féminin dans un collège ». Si l’idée de complémentarité et d’harmonie entre les sexes présente une vision plutôt heureuse de la différence des sexes en politique, on ne saurait sous-estimer les conséquences négatives d’un tel discours pour les élues, dans la pratique. En effet, il peut faire office d’injonction à se conformer aux stéréotypes des rôles sexués, ou de prétexte à légitimer une situation inégalitaire et qui dure. C’est le cas par exemple en Suède où quelques hauts fonctionnaires (hommes) interrogés ont imputé le moindre nombre de femmes dans leurs rangs à l’attitude des femmes elles-mêmes : leur manque de volonté et d’agressivité les rendrait peu inclines à faire carrière, alors que les hommes seraient instinctivement prêts à se battre. En Italie, certains soulignent que les femmes n’ont pas envie de lutter pour intégrer un monde dont les règles ont été établies par les hommes. En Grèce, l’argument du peu d’intérêt pour la politique est également invoqué pour justifier le « manque de femmes » et le fait que les quotas réservés sur les listes ne soient pas toujours remplis. Les stéréotypes de sexe qui mettent en avant le désintérêt des femmes pour le pouvoir et leur douceur naturelle permettent donc de masquer les inégalités liées au genre et le plafond de verre qui en résulte. Or quand les femmes font preuve de combativité, elles sont là encore critiquées. Celles qui transgressent la norme, qui récusent la répartition sexuée traditionnelle des charges en politique sont souvent dénigrées. Lorsqu’elles occupent des postes comme les finances, les travaux ou l’urbanisme, elles sont plus d’une fois décrites comme « masculinisées » : copies non conformes de celles des hommes, leurs compétences sont mises en doute. En s’octroyant un lieu de pouvoir masculin, elles s’exposent à la critique de dénaturer leur sexe et de réaliser moins bien qu’un homme la tâche qui leur est impartie. En Italie, notamment, les femmes qui ont une ambition politique sont souvent mal perçues : « Généralement, les femmes qui s’occupent de politique copient les pratiques dominantes des hommes. Si une femme veut se faire accepter, elle doit leur ressembler. Puisqu’il y a une très forte sélection, le plus souvent elles les copient. Elles se concurrencent entre elles et ne parviennent pas à préserver une forme de solidarité ». On retrouve dans ce point de vue l’idée selon laquelle une femme qui souhaite jouer le jeu politique comme les hommes n’est plus une femme : l’incompatibilité entre appartenance au sexe féminin et pouvoir décisionnel se dessine en filigrane. En Finlande, les élues qui réussissent en politique sont données comme contre-exemple pour montrer que les femmes peuvent être « comme des hommes durs […] même plus dures que les hommes […], au point même d’être complètement insensibles ». Le caractère négatif du vocabulaire utilisé montre bien la réprobation implicite qui sanctionne ce comportement, entre autres parce que les « dames de fer » finlandaises, en imitant le style des hommes politiques, manquent à leur devoir d’être les agents d’un renouveau dans les pratiques politiques. En Belgique, certaines femmes occupant les postes les plus élevés au niveau local (bourgmestre) sont également décrites en ces termes. Aussi la transgression des frontières de genre n’est-elle pas neutre. Elle est réprouvée quand c’est une femme élue qui manifeste des qualités masculines. En revanche, on l’a vu en Finlande, elle est au contraire appréciée quand c’est un élu masculin qui fait montre de « valeurs associées à la douceur » propres aux femmes, en exprimant son intérêt pour le développement durable ou les affaires sociales, par exemple. 110 2. Des obstacles qui sont aussi un tremplin ? Si les observations qui précèdent dégagent souvent un sentiment de permanence quant aux valeurs dominantes en matière de rapports sociaux de sexe, on aurait tort de conclure à l’immobilisme. Ce serait ne pas voir le côté dynamique de la situation. D’une part, il faut noter qu’en ce qui concerne l’attribution des secteurs d’intervention, les jeunes élus de sexe masculin se trouvent généralement dans la même position que les femmes : en raison de leur arrivée récente ils se voient eux aussi imposer un champ d’action donné. On peut donc supposer que l’arrivée tardive des femmes sur la scène politique explique jusqu’à un certain point le peu de choix qui leur est laissé. Lors de négociations futures, la marge de manœuvre sera sans doute plus grande pour celles qui auront déjà un mandat à leur actif. La capacité des femmes à s’émanciper des contraintes doit en effet être pensée sur le long terme, comme trajectoire. Elles peuvent tout à fait commencer dans des domaines qui sont traditionnellement dévolus à leur sexe et pour lesquels elles se sentent plus compétentes, pour se lancer par la suite dans des domaines réservés aux hommes. En outre, en France comme en Finlande, les femmes participent à de nombreux comités qui portent sur d’autres domaines que celui qui leur est confié. Elles ont donc la possibilité d’acquérir des compétences variées. En conséquence, la ségrégation horizontale ne doit pas être perçue comme un donné rigide. En Finlande, par exemple, les quotas ont permis une large féminisation des comités techniques qui constituaient jusque-là un bastion masculin. Le cas suédois illustre le versant positif d’un tel processus (Bergqvist 1994 ; Wängnerud, 1998 et l999) : si les femmes ont commencé par investir des secteurs traditionnellement connotés comme féminins, elles sont aujourd’hui présentes dans tous les domaines, après huit ans de législatures marquées par une forte féminisation des conseillers élus. Il en ressort qu’avec une proportion de femmes plus élevée et une pression continue en faveur de l’égalité des sexes, la situation peut évoluer. La durée du processus – en l’occurrence, une dizaine d’années – peut entraîner une remise en question de la ségrégation sexuée des domaines d’action politique. D’autre part, si la différence des sexes et les qualités propres aux femmes peut les enfermer dans des stéréotypes peu compatibles avec une véritable capacité d’action dans le champ politique, elles peuvent aussi constituer un tremplin, un moyen de se légitimer et de permettre la construction d’un empowerment 130 des femmes élues. Il faut insister ici sur la valorisation par les femmes elles-mêmes des domaines sociaux, éducatifs etc. dont elles ont la charge. En France, elles insistent sur l’importance des domaines comme le social ou l’éducation qui, de fait, correspondent à des budgets municipaux de plus en plus importants dans certaines communes. En Suède et en Finlande, elles soulignent qu’il s’agit de domaines non négligeables dans les politiques locales, et de domaines clés pour l'Etat providence. En outre, les compétences féminines ne sont pas toujours perçues comme des qualités féminines ‘naturelles’ et éternelles, mais comme une conséquence de la socialisation et la formation sexuée des genres. C'est notamment le cas en Finlande, où la présence importante des femmes élues dans les politiques sociales de la santé et de l'éducation est liée à leurs compétences professionnelles dans ces domaines. A ce titre, elles sont perçues comme des professionnelles de l'Etat-providence qui savent utiliser leurs compétences dans la sphère politique aussi. En effet, malgré le caractère traditionnel de la division sexuée des domaines d’action politique observée dans les sept pays de notre enquête, il ne faut pas minimiser la capacité 130 Dans ce cas précis, le terme d’empowerment est compris comme un processus qui vise à créer les conditions ou à élargir les capacités d’action et d’autonomie de certains groupes sociaux. Il renvoie à des notions de caractéristiques individuelles (sentiment de compétence personnelle, prise de conscience, motivation à l’action sociale), ainsi qu’à des notions liées à l’action, aux relations avec l’environnement. Il comporte donc une dimension dynamique. 111 d’action propre aux femmes politiques. Comme le montre l’enquête menée par Karen Bird et Mathilde Dubesset pour la région Rhône-Alpes 131 en France, si la ségrégation des domaines est extrêmement prégnante, elle est aussi et surtout le fait de la volonté des femmes ellesmêmes. Ainsi les deux chercheuses soulignent-elles que si les femmes avaient obtenu le domaine d’action qu’elles souhaitaient à l’occasion des élections municipales de 2001, la ségrégation aurait été encore plus forte : les femmes revendiquent souvent pour elles-mêmes des domaines « féminins » parce qu’elles s’y sentent plus à l’aise ou parce qu’ils correspondent à leurs qualifications professionnelles, comme c’est par exemple le cas au Portugal et en Finlande. Enfin, les « qualités féminines » peuvent constituer un levier pour les femmes dans la mesure où elles font écho, dans plus d’un pays, à la définition des compétences propres aux élus locaux. Les cas de la France et de la Grèce sont à cet égard exemplaires. A la question : « Quelles sont selon vous les qualités/compétences qui font un bon élu local ? », les élus – hommes et femmes – répondent en énumérant les qualités mêmes qui sont systématiquement associées au genre féminin : l’écoute, une connaissance du terrain au quotidien et la proximité avec les habitants. Aussi le registre des qualités féminines – qui décrit les femmes comme disponibles, proches des réalités quotidiennes parce que femmes – peut-il, en certaines circonstances, se voir transformé en facteur de légitimation. Les qualités féminines sont alors perçues comme des compétences politiques, de véritables savoirs-faire, reconnus comme tels. En Italie, notamment, il ne fait aucun doute que le niveau local a permis une valorisation des expériences des femmes. Soulignons par ailleurs que si les discours insistant sur la différence des sexes sont toujours ambigus, ils sont aussi souvent l’objet d’utilisation stratégique de la part des femmes : le sens que revêt la notion de différence dans leur bouche varie souvent par rapport à celui que lui confèrent les hommes. On a noté qu’en Grèce, le discours sur la différence et la complémentarité permettait aux hommes de préserver des domaines de compétences exclusivement masculins. Mais à Versailles ou dans certaines villes portugaises, au contraire, l’idée de complémentarité / différence avancée par des élues pouvait être lue comme une façon pour elles d’asseoir leur présence en politique. Si les genres sont complémentaires en termes de qualités et de compétences, alors un gouvernement local équilibré ne saurait être non mixte. En Italie, le discours sur la « sensibilité » propre aux femmes est avancé pour justifier le fait qu’elles s’occupent de certains domaines. Au travers de ces écarts entre les discours des hommes et des femmes se dessine une interprétation autre d’un terme ou d’un type de comportement étiquetés comme « féminins ». Les enquêté(e)s déclarent souvent, on l’a vu, que les femmes posent plus de questions dans les assemblées ou dans les commissions, manifestant un souci du concret. Or là où de nombreux hommes y voient un manque de hauteur de vues, cette attitude est présentée de façon positive par les femmes qui, en France aussi bien qu’en Finlande, insistent sur le fait qu’elles n’ont pas peur de dire qu’elles ne comprennent pas quelque chose ou de poser les questions qui dérangent. L’agency des femmes politiques – à savoir leurs capacités à mobiliser les ressources disponibles, qu’elles soient matérielles, juridiques, culturelles ou autres – s’exprime donc dans ces stratégies de présentation de soi, de détournement des stéréotypes et de mise à profit des discours traditionnels sur les qualités féminines reformulées comme compétences politiques. ***** 131 Communication orale de M. Dubesset et K. Bird, journée d’étude sur la parité, Evry, février 2002. 112 Bien entendu, on ne saurait exagérer une telle dynamique. Au cours de l’enquête, nous avons au contraire été frappé(e)s par le consensus qui se dégageait dans la plupart des pays – par-delà leurs différences culturelles et institutionnelles – quant au poids accordé à la différence des sexes. Même lorsque celle-ci est présentée comme un facteur positif en insistant sur les apports des femmes en politique, une telle approche fait généralement l’impasse sur les possibles conflits entre les sexes et sur les obstacles qui continuent à freiner l’accession des femmes au pouvoir politique. Seules quelques personnes dans chaque pays (presque toujours des femmes) mentionnent les discriminations à l’œuvre, voire font état – en Finlande et en Suède, notamment – d’une vision conflictuelle des rapports sociaux de sexe en politique, en rappelant les réticences des hommes à mettre en place un système de quotas ou leur profonde indifférence aux politiques axées sur l’égalité hommes/femmes. En France et en Belgique 132, quelques femmes évoquent pour leur part l’humour machiste dont elles ont fait les frais et qui porte atteinte à leur image et à leur crédibilité. Mais en fait, la plupart des femmes interrogées restent silencieuses sur les conflits potentiels avec leurs collègues masculins et sur les inégalités de sexe qui restent plus ou moins une question tabou – un tabou entretenu par l’attitude des hommes à ce sujet. En Finlande, par exemple, la plupart des élus affirment qu’il n’existe aucune inégalité entre hommes et femmes et que toute discussion là-dessus constitue une perte de temps. On peut dès lors penser que les femmes préfèrent adhérer à un discours différentialiste consensuel qui leur laisse une place en politique, même si celle-ci est assignée d’avance, plutôt que d’opter pour une vision conflictuelle risquant de renforcer les obstacles et les discriminations dont elles sont l’objet. Les limites de ce discours sur la différence des sexes se vérifient également dans la confrontation à la pratique. En effet, si nos interlocuteurs parlent facilement de cette « vision » différente des hommes et des femmes en politique, de cet « œil » propre aux femmes, ou encore de leur sensibilité, ils peinent à trouver des exemples concrets d’une telle différence – pourtant présentée comme décisive à leurs yeux. On est frappé par le caractère rhétorique (et stratégique) de tels discours, dont on ne peut donc que relativiser la portée dans la pratique, comme le montre la question des actions positives. II. LES ACTIONS POSITIVES EN MATIÈRE D’ELECTION Au-delà de l’analyse des discours concernant les femmes en politique et les « compétences » ou « qualités » qui leur sont attribuées, il importe d’examiner en contrepoint le contenu des discours relatifs aux actions positives de type quotas visant à promouvoir la présence des femmes dans les instances de pouvoir. Car la tonalité est alors tout autre. Loin de considérer comme pertinentes les catégories spécifiques admises à d’autres occasions, les élus ont recours à un type de rhétorique bien dissemblable pour parler des mesures concrètes à prendre pour surmonter les inégalités existantes en matière de représentation – une rhétorique qui, dans ce cas précis, neutralise le genre 133. 132 En France à Lille par exemple, et en Belgique à Bruxelles et Watermael-Boitsfort. Quand il s’agit d’apprécier les mesures visant à augmenter la proportion de femmes dans les instances élues ou en faveur d’une politique locale intégrant la dimension du genre, les discours se referment très souvent sur un refus de prendre en compte l’existence de l’inégalité des sexes. Les mesures dites d’action positive visant à éradiquer cette dernière sont fréquemment critiquées, sans compter que la compréhension de ce que pourrait ou devrait être l’intégration du genre dans la politique de la municipalité ne vas pas du tout de soi et pose problème à de nombreux élus, comme nous le verrons plus loin. 133 113 Parmi les sept pays étudiés, quelques-uns disposent – on l’a vu dans le premier chapitre – de mesures diverses dans ce domaine : listes paritaires en Belgique et en France, quotas de 40 % relatifs aux comités exécutifs et aux comités de préparation en Finlande, ou quotas de 30 % concernant les candidatures en Grèce. Tous les pays étudiés ont, au niveau national, signé divers traités contraignants quant à l’amélioration de l’égalité des sexes, et tous ont adopté des législations nationales allant dans ce sens. S’il ne s’agit pas ici de discuter de la façon concrète dont ces actions légales pour promouvoir le nombre de femmes en politiques sont mises en place ou ce sur quoi elles portent, il convient de se pencher sur les discours les concernant, tant dans les pays qui disposent de telles mesures que dans ceux dans lesquels rien n’a été instauré. Peut-on repérer des éléments communs dans les discours des élues et des élus des divers pays ? Y a-t-il des rhétoriques communes ou au contraire divergentes ? Comment ces point de vue s’agencent-ils avec le discours sur les spécificités féminines abordé plus haut ? On commencera par dégager les éléments qui structurent les représentations et les opinions des personnes interrogées à propos des mesures favorisant la place des femmes en politique, avant d’aborder plus généralement les discours concernant la prise en compte de l’expérience des femmes dans les politiques locales. 1. Opinions et représentations Les points de vue varient fortement selon les contextes institutionnels et politiques. En effet, les mesures favorisant la place des femmes en politique, si elles existent, prennent des formes diverses, qu’il s’agisse des quotas ou de la parité, et sont le résultat d’enjeux propres à chaque pays. De telle mesures ont parfois été instaurées avant d’être déclarées inconstitutionnelles, comme ce fut le cas en Italie. Néanmoins, on peut repérer des récurrences parmi les discours. Il nous a donc semblé utile de présenter une typologie des argumentaires qui sous-tendent les prises de positions relatives à ces mesures et que l’on retrouve dans divers pays. a) Les positions défavorables Les positions défavorables sont les plus nombreuses. Elles prennent souvent la forme d’un « déni de compétence » des femmes – si ce n’est explicite, du moins en filigrane. Ce discourstype – très présent chez les jeunes élues de droite en Grèce – affirme que le sexe de l’élu local n’a pas d’importance et que, suivant le principe méritocratique, ce sont les capacités personnelles qui importent. En dehors de tout contexte, une telle assertion ne dit rien de particulier à l’encontre des femmes. En revanche, lorsqu’elle vient en réponse à une question concernant la place de ces dernières en politique, force est de constater que c’est une manière détournée de nier leurs compétences puisque, concrètement, cela revient à leur préférer des hommes. C’est ce qui sous-tend la déclaration d’un élu finlandais : «Ce n’est pas un secret que le parti a malheureusement des problèmes pour trouver, je vais être franc, pour trouver des femmes suffisamment compétentes». Le discours sur les compétences refait donc surface dans les débats sur les mesures visant à surmonter les discriminations dont les femmes sont l’objet. Toutefois, il est à noter qu’aucune personne interrogée n’a défini exactement ce que veut dire « être compétente », et surtout que ce thème n’est jamais de mise lorsque l’on parle des hommes en politique. D’ailleurs plusieurs élues ironisent sur la soi-disant difficulté à trouver des candidates en soulignant qu’il s’agit de mauvaise foi de la part des hommes. Dans un autre ordre d’idées, de nombreux élu(e)s des pays étudiés dénoncent le « risque de ghettoïsation » que de telles mesures risquent d’impliquer en arguant que cela renforcerait 114 l’image de la faible femme incapable de s’affirmer en politique sans le soutien de mesures spécifiques à son endroit. Ainsi, un élu portugais déclare-t-il : « Je suis contre tout cela, parce que je pense que les femmes doivent être traitées de la même manière que les hommes ; et je me sens extrêmement triste quand certaines choses s’adressent uniquement aux femmes. Comme si elles inspiraient pitié. Elles n’ont pas besoin de pitié ; ce qui est fait pour les hommes doit l’être aussi pour les femmes et pour la population en général, et c’est tant mieux ». Autrement dit, une « élue quota » est stigmatisée comme incompétente. Cette idée a visiblement un écho certain parmi les femmes concernées, qu’elles soient finlandaises, belges ou italiennes. Nombreuses sont celles qui affirment ne pas vouloir être élues en raison de leur sexe, mais en raison de leurs compétences : elles veulent être intégrées en tant qu’individu et non en tant que membre d’un groupe sexué, elles ne veulent pas se voir accusées d’être des « élues quotas ». Le vocabulaire utilisé pour dénigrer ces mesures est intéressant. En Italie, un maire de gauche affirme : « [L’égalité des chances] est une définition qui à mon avis doit s’opposer à la réserve indienne. On a parfois été tenté de créer une réserve de ce type, dans laquelle on pourrait mettre les femmes, protégées et soignées ». Dans ce même pays, une ex-conseillère de la majorité déclare de son côté : « Moi, je suis trop fière pour accepter d’obtenir un résultat parce qu’on m’aurait mis dans une réserve indienne. C’est peut-être bien, parce que ça permettra à beaucoup de femmes d’entrer en politique. Pour les autres, peut-être, je veux bien, mais pas pour moi ! » Pour nuancer le tableau, précisons tout de même, qu’en Finlande et dans une moindre mesure en Grèce, des élus défavorables aux quotas reconnaissent que ces derniers ont malgré tout permis à certaines femmes de prouver leurs compétences dans des domaines techniques, traditionnellement considérés comme masculins. Un troisième type d’arguments, déjà évoqué à propos de la Grèce, pour étayer le refus de mesures spécifiques renvoie au « manque d’intérêt » des femmes pour la chose politique. C’est une manière de justifier leur faible nombre parmi les élus, puisqu’elles ne seraient pas attirées par une telle activité. Elles sont donc elles-mêmes responsables de la situation créée, et il n’y a pas lieu de prendre des mesure spécifiques pour la changer. Enfin, le principe d’actions positives est dénoncé sous prétexte qu’il va à l’encontre de l’intérêt général dont les élus sont porteurs et de l’esprit universaliste qu’ils incarnent. Une telle attitude est particulièrement sensible en France, en raison de sa tradition républicaine. Mais ce type de discours est présent ailleurs. Que ce soit en Belgique ou en Italie, la rhétorique selon laquelle on ne saurait faire de différence selon le sexe ou une quelconque catégorie sociale est très prégnante : tous les citoyens sont égaux en droit et ont accès aux mêmes ressources, l’universalisme ne peut s’accommoder de revendications fondées sur une identité de groupe, qu’elle soit sexuée ou ethnique. b) Les positions favorables Quand on examine les arguments favorables aux mesures qui visent à une meilleure représentation des femmes dans les instances politiques, on constate qu’ils manquent singulièrement de diversité. Il existe une position – largement minoritaire et mal perçue – affirmant que les quotas sont la traduction de la lutte contre les discriminations qui frappent les femmes, mais qu’il ne s’agit là que d’un premier pas. Plusieurs élues, en France comme en Belgique, affirment que si ces mesures sont une bonne chose, elles restent néanmoins largement insuffisantes. Comme le dit l’une d’entre elles, une écologiste belge : « Si on ne créée pas les conditions pour que les femmes puissent faire de la politique, on peut faire tous les quotas qu’on veut ». En France, on observe que les tenantes de cette position jugent la parité trop restrictive. Elles aimeraient 115 qu’elle s’applique aussi à l’exécutif et qu’une réflexion sur le statut de l’élu s’engage en parallèle. En d’autres termes, seule une réelle politique d’égalité des chances pourrait faciliter puis imposer la présence des femmes dans le milieu politique. Mais dans l’ensemble, c’est la position pragmatique qui s’impose. Dans cette optique, les quotas sont des outils provisoires, nécessaires pour permettre aux femmes d’être élues ou nommées dans des comités exécutifs, sans lesquels il ne leur serait pas possible de dépasser les obstacles auxquels elles se heurtent. Une fois élues ou nommées, et après un certain temps, ces mesures deviendront inutiles et on pourra les abroger. En Finlande, par exemple, cette position est largement majoritaire, et pour certains élus, le temps est même venu de s’en débarrasser : « En fait, j’ai l’impression que les femmes, de nos jours, ont déjà beaucoup acquis. Si on pense, en dix ans, il y a eu des progrès très nets. Elles sont plus éduquées qu’il y a dix ans. Elles sont plus actives […]. Si bien que les quotas qui ont été créés à l’époque ne sont plus nécessairement appropriés à cette situation. En fait, on pourrait très bien se mettre à réfléchir prochainement sur le sens qu’ils revêtent aujourd’hui ». A noter que ce type de position repose souvent sur l’idée, assez péjorative, qu’une telle mesure constitue une solution par défaut. En France, par exemple, des élues admettent aprèscoup que la parité est finalement une bonne chose et qu’effectivement l’arrivée des femmes dans ce bastion masculin qu’était la politique en France n’aurait pas pu se faire « naturellement ». Parmi celles qui ne rejettent pas cette perspective, la majorité des personnes interrogées – hommes et femmes – affirment que ces mesures sont un « mal nécessaire » face aux résistances d’un monde encore largement masculin. A titre d’exemple, un homme de gauche portugais affirme qu’il faudra bien passer par les quotas pour arriver à imposer un nombre minimum d’élues. « Je suis favorable aux quotas parce que je pense qu’ils sont nécessaires pour faire tomber les derniers bastions de résistance, notamment sur les listes [de candidatures] ». c) Importance du contexte politique Généralement, aucune corrélation significative n’est à relever concernant le sexe de la personne interrogée et le type de position adoptée. Cependant, quelques tendances peuvent être esquissées. Lorsque de telles mesures n’existent pas, les hommes sont plus défavorables que les femmes à l’instauration de telles actions, comme c’est le cas au Portugal. En Grèce, on dénote par ailleurs une démarcation claire entre les femmes selon les générations : les plus jeunes y semblent moins favorables que les plus âgées. Tendanciellement, les élu(e)s de gauche des sept pays sont plus favorables à de telles mesures, mais là encore, la distinction n’est pas nette. En France ou en Finlande, les Verts qui, dans ces deux pays, apparaissent comme des partis très attachés à la question de l’égalité des sexes et à la présence des femmes en politique, défendent les mesures d’action positive 134. Par ailleurs et plus généralement, il apparaît que les femmes qui étaient contre de telles mesures, pour une raison ou une autre, finissent par reconnaître, après la mise en place d’une loi et au vu de ses effets, que c’est le seul moyen valable pour surmonter les inégalités de sexe dans la représentation politique. Outre ces quelques tendances, il nous a paru intéressant de relever dans quels contextes et à quels moments les acteurs ont recours aux différents types de discours. En effet, si l’on retrouve la plupart de ces arguments, de façon plus ou moins importante et contradictoire, dans tous les pays étudiés (et ce, même dans ceux qui comprennent une forte proportion d’élues), il apparaît néanmoins qu’ils sont invoqués en fonction d’enjeux propres aux différents pays. 134 Il s’agit dans l’un et l’autre cas de partis fortement ancrés à gauche, ce qui n’est pas forcément le cas de tous les partis écologistes. 116 L’argument portant sur le soi-disant manque d’intérêt des femmes à l’endroit de la politique est avancé avant tout dans les pays dont les instances politiques sont faiblement féminisées et où il n’existe pas de loi favorisant la parité, comme au Portugal – ou dans certaines petites villes de Finlande, malgré l’existence de quotas. D’autre part, les positions divergent selon la proximité temporelle de la mise en place de telles mesures. En France, par exemple, il est apparu que les élu(e)s ne faisaient pas appel au même type de rhétorique au moment du débat préalable à l’application de la loi sur la parité, et lorsque cette dernière est devenue effective. Dans ce pays, après que la proportion de femmes dans le pouvoir local eut sensiblement augmenté, suite à la mise en œuvre de cette loi, la rhétorique du déni de compétences a soudainement disparu. Tout comme en Suède auparavant 135, de nombreux interlocuteurs ont alors répondu que ce type de mesures n’était finalement « pas un problème », qu’il n’y avait pas grand chose à en dire. De même en Finlande, comme on l’a vu plus haut, l’égalité entre les sexes n’est plus un enjeu politique pour beaucoup d’élus locaux, ce qui ne veut pas dire que la question soit réglée puisqu’en fait, l’égalité des sexes n’a jamais été un enjeu à leurs yeux, même quand il n’y avait pas de femmes en politique. Autrement dit la question de l’inégalité entre les sexes n’est pas considérée comme pertinente. Ce manque de questionnement, voire cette négation du problème a posteriori peuvent être qualifiés de « non-prise de position ». Il ne s’agit pas en l’occurrence de lutter contre les discriminations ou de permettre aux femmes d’accéder aux positions de pouvoir, mais de « faire avec ». Soulignons d’ailleurs que, dans le cas français, si la mise en place de la loi sur la parité était présentée comme un « acquis » ne posant pas de problème après l’échéance électorale des municipales de 2001, le discours mettant en doute les compétences des femmes, assorti de propos essentialistes sur leur rôle en politique, a resurgi lors des élections législatives qui ont eu lieu un an après, en 2002. Preuve s’il en est que le principe de mesures d’action positive était loin de s’être imposé dans les esprits. 2. Réticences à parler de discriminations Hormis dans le cas de certaines élues suédoises ou finlandaises 136 qui justifient leur appui aux actions positives en se réclamant d’un point de vue féministe, c’est rarement la question des intérêts des femmes ou des discriminations qu’elles subissent qui sous-tend les propos des personnes interrogées. Même en Finlande et en Suède, nombreux sont les élu(e)s qui ignorent les luttes politiques menées contre les inégalités de sexe et qui pensent que la marche vers l’égalité résulte tout simplement de l’intégration des femmes sur le marché de l’emploi. Tout comme dans le débat sur les apports des femmes en politique, les points de vue sur les quotas et la parité, qu’ils soient favorables ou défavorables, semblent presque toujours s’inscrire dans le paradigme égalité/différence. Mais à l’inverse des discours valorisant la présence des femmes en raison des « qualités » qui, soi-disant, leur sont propres – souvent en rapport avec la maternité –, les actions positives en matière de représentation sont le plus souvent discréditées en ce qu’elles risquent de reproduire une vision traditionnelle des rôles féminins. Là où les propos sur les compétences des élues locales insistent plutôt sur les différences de sexe, ceux qui ont trait aux mesures d’action positive mettent au contraire l’accent sur la neutralité. C’est 135 En Suède, cela concernait un débat interne aux partis politiques. Par exemple dans les villes suédoises de Väkjö, Göteborg et Jönköping les discours des interviewé(e)s montrent qu’ils comprennent l’inégalité des sexes comme le résultat d’un rapport social de pouvoir et pensent que la politique locale peut servir à le mettre en question. 136 117 le cas aussi bien de la part des personnes favorables à ces mesures que de celles qui ne le sont pas. Parmi les premières, un grand nombre d’élus interrogés disent redouter les « femmes quotas », tout comme les « ghettos ». Ils ont peur que l’on favorise des femmes « incompétentes » en raison de leur sexe. Ils refusent en conséquence la prise en compte de l’existence de différences entre les sexes. Parmi les secondes, beaucoup affirment que ces mesures sont transitoires, qu’elles sont un « mal nécessaire », soulignant ainsi que, dans le meilleur des cas, il ne faudrait pas faire de différence. Bref ils s’inscrivent dans le dilemme insoluble entre égalité et différence – égalité des individus ou différences des groupes ayant des identités socialement construites (Scott, 2002) – au lieu de penser les quotas comme une action positive visant à contrecarrer une discrimination construite socialement. Dès lors, enfermés dans un dilemme sans solution ils préfèrent opter pour l’égalité abstraite universaliste. Or cette tendance à la neutralité a des effets secondaires, puisqu’elle contribue à rendre invisibles les obstacles objectifs à la féminisation des instances élues et qu’elle reproduit l’exclusion structurelle des femmes. L’analyse des discours des élus et des élues, mais aussi des responsables associatifs des sept pays nous a permis de constater la forte résistance existant à propos de la prise en compte de l’expérience des femmes dans les politiques locales (sauf lorsqu’il s’agit d’individus défendant un point de vue explicitement féministe). On assiste à une véritable neutralisation du genre, et ce même dans les pays sans tradition républicaine. Nous avions en effet postulé que si un tel constat pouvait être effectué en France, cela s’expliquait sans aucun doute par la prégnance de la philosophie universaliste qui imprègne tout la culture politique nationale en matière de droits. Pourtant, on retrouve une rhétorique similaire dans les six autres pays – en Grèce et au Portugal tout particulièrement. La tradition républicaine n’est donc pas le seul facteur d’explication. Il apparaît que, dans la plupart des cas, le genre/sexe n’est pas considéré comme une catégorie pertinente en matière d’action politique – alors que l’âge ou la provenance ethnique peuvent l’être. L’action politique visant l’égalité des hommes et des femmes est ainsi difficilement envisageable parce qu’elle est soupçonnée d’aller à l’encontre de l’intérêt général. Mener des politiques s’adressant expressément aux besoins des femmes c’est, selon les enquêté(e)s, créer des catégories là où il ne devrait y avoir que des citoyens indistincts les uns des autres. Les rares fois où de telles mesures sont envisagées, c’est à propos de la famille, en particulier les crèches qui sont perçues comme la seule politique ciblant des femmes qui soit légitime – à cette nuance près qu’en Suède, les crèches sont considérées comme relevant davantage de la citoyenneté sociale et non des rôles traditionnels de sexe. Enfin il faut noter que les femmes ne sont pas plus promptes que les hommes à penser les politiques publiques en termes de genres. Comme on l’a noté plus haut, elles se défendent bien souvent d’avoir été élues pour représenter les intérêts spécifiques des femmes et rejettent du même coup toute étiquette « féministe ». La Suède constitue, une fois de plus une exception : non seulement le mot féministe n’y fait pas peur et les élus affichent souvent leur bonne volonté – à défaut de réalisations concrètes – à l’égard de l’action municipale encourageant l’égalité hommes/femmes, mais l’attention portée à cette question tient moins au sexe de la personne interrogée qu’à son appartenance politique. Outre l’argument universaliste, nous avons repéré une autre rhétorique récurrente à propos de la prise en compte ou non de l’expérience des femmes : le changement « naturel ». De nombreux acteurs des divers pays affirment que les « mentalités évoluent » et que, de ce fait, les choses vont s’orienter dans sens favorable aux femmes. Il n’est donc pas nécessaire à leurs yeux d’adopter des mesures visant à instaurer davantage d’égalité entre les sexes. Soulignons que l’idée même de « politiques prenant en compte l’expérience des femmes » est difficilement compréhensible pour beaucoup d’élus interrogés – ce qui explique sans doute leur attitude 118 profondément contradictoire. En Italie et en Belgique notamment, certains de ceux qui désirent ne pas discriminer les femmes en réaffirmant une différence à laquelle ils ne croient pas, tiennent un discours égalitaire qui aboutit à l’inverse de l’effet désiré, puisqu’il revient à neutraliser le genre. Et quand le genre n’est pas neutralisé il est naturalisé, comme on vient de le voir à propos des politiques de la famille – c’est particulièrement sensible dans certaines régions de tradition catholique, en Italie, au Portugal ou dans des villes françaises. De même, le discours psychosocial relatif aux politiques contre les violences envers les femmes naturalise le genre tout en rendant invisibles les discriminations sociales à leur encontre. Il faut pourtant noter que, dans certains cas exceptionnels, on rencontre un discours basé à la fois sur la notion de discrimination et sur celle de différence des sexes à propos de l'action politique en direction des femmes. En Finlande, notamment, des élues qui se disent féministes soulignent la persistance des discriminations à l’égard des femmes dans la politique locale. Agir pour la promotion de l'égalité des sexes fait partie intégrante de leur identité en tant que femmes politiques. Elles n'en mobilisent pas moins la notion de différence au sujet de l'action collective des femmes et des alliances entre élues qu’elles. Pour elles, en effet, la sphère politique locale est une arène de lutte constante, où les conflits et les relations de pouvoir entre les sexes sont très sensibles. Parlant des réactions qu’a suscité la création d’un réseau des femmes dans l’une des villes finlandaises, une élue affirme: « Il [le réseau] a provoqué une nervosité inimaginable, et ces vieux bonhommes ont écrit dans les journaux : ‘Le jupon est sur la mauvaise route’. Ils ont perçu cela comme une menace énorme, qui allait tout embrouiller. »Tenir compte des différences existantes n’est donc pas contradictoire, de leur point de vue, avec la lutte pour l’égalité. ***** On peut démêler les fils enchevêtrés du discours des enquêté(e)s en tenant compte des enjeux qui le sous-tendent et du contexte politique dans lequel il s’inscrit. Dans le dilemme égalité/différence, la première position consiste à neutraliser le genre pour mieux prendre en compte l’égalité entre les individus. C’est ce discours qui est à l’œuvre dans la rhétorique des compétences (les femmes doivent réussir en politique grâce à leurs compétences individuelles), et c’est également ce discours qui est présent dans le refus de mettre en place des politiques visant à augmenter le nombre de femmes dans les instances élues ou des politiques publiques prenant en compte le genre : pour que l’égalité soit assurée, tous les individus, doivent être traités de la même façon. Favoriser les femmes, c’est introduire du même coup une inégalité. Comme toutes les politiques d’action positive, les quotas pour les femmes ou la parité entrent en contradiction avec le principe de méritocratie qui sert implicitement de norme de justice, dans le domaine politique comme dans beaucoup d’autres domaines sociaux. La seconde position consiste à mettre l’accent sur les femmes comme groupe et sur leurs différences. Si elle permet alors de légitimer quelque peu leur présence en politique (les rendant complémentaires des hommes et du même coup indispensables), elle est aussi porteuse d’un risque de naturalisation qui confine les femmes dans des stéréotypes de genre traditionnels. En outre, la différence sexuée est presque toujours définie comme la différence des femmes, laissant au masculin le privilège d’apparaître comme la norme. Il paraît donc nécessaire de sortir de ce dilemme en s’efforçant de penser l’absence des femmes en politique comme le résultat d’une discrimination sociale, que la société doit se donner pour but de déconstruire afin de promouvoir une plus grande justice entre les différents groupes sociaux (Delphy 1999). 119 Enfin, il faut souligner qu’à l’exception de la Suède, le discours étiqueté comme féministe, c'est-à-dire qui revendique de prendre en compte dans l’agenda politique la question des inégalités sociales liées au genre, est extrêmement minoritaire dans les sept pays étudiés. III. INTÉGRATION DE L’ÉGALITÉ DES SEXES DANS LES POLITIQUES LOCALES Un des axes de cette recherche consistait à repérer l’influence de la féminisation du corps politique sur les actions des localités étudiées. Cette dernière a-t-elle des conséquences quant au contenu des politiques mises en oeuvre ? Observe-t-on un renouvellement des points de vue ? Plus précisément, les questions de la différence des sexes et des inégalités sociales qui vont de pair prennent-elles un importance nouvelle avec l’augmentation significative de la proportion d’élues ? Le mode de gestion politique à l’échelon local connaît de grandes transformations. Nous avons donc voulu évaluer les changements éventuels quant à l’intégration du genre dans trois secteurs d’intervention : les politiques relatives à la prise en charge des personnes dépendantes, traditionnellement considérées comme un domaine féminin ; les politiques de sécurité ; et celles d’urbanisme qui, à l’inverse, sont généralement des domaines réservés aux hommes. Alors que l’Union européenne a conféré à la thématique de l’égalité hommes/femmes une place non négligeable dans nombre de ses programmes, quelle est la place faite à la question du genre dans ces trois sphères de responsabilité lorsqu’elles relèvent des autorités locales ? Comme on l’a déjà vu, si les discours concernant la place des femmes en politique oscillent entre deux extrêmes, illustrant le dilemme égalité/différence, l’action des pouvoirs publics, elle, tend généralement à être présentée comme relevant d’un principe universaliste. Elle concerne tout le monde et cette conception de l’intérêt général ne saurait être mise en cause par l’existence de différences sexuées. Néanmoins, il ressort que, intentionnellement ou non, certaines de ces politiques constituent bel et bien une façon de tenir compte des disparités à l’oeuvre. Dans ce cas-là, comment la question du genre est-elle conceptualisée ? Après avoir analysé les difficultés des élus locaux à intégrer cette dimension dans leur réflexion en général, on examinera les conceptions qui sous-tendent leur positionnement dans des domaines concrets. On verra que, dans la plupart des cas, la prise en compte des inégalités de sexe est posée en termes de « spécificités » féminines qui renvoient, toujours et encore, au rôle maternel. Certes, l’enquête nous a permis de repérer un certain nombre de pratiques innovantes dont nous avons dressé le catalogue dans le Guide pour l’intégration de l’égalité des sexes dans les politiques locales (Gaspard, Heinen, 2004), qui constitue l’un des résultats de cette recherche. Produire un tel document faisait partie des objectifs que nous nous étions fixés, car l’importance de valoriser les exemples montrant qu’il est possible de sortir des sentiers battus nous était apparue d’emblée – l’idée étant de donner des idées aux élus sur ce qu’ils pourraient faire, à l’échelle de la municipalité, pour modifier les rapports sociaux de sexe existants. Toutefois, le tableau global qui se dégage de l’ensemble de la recherche est loin d’offrir une image aussi dynamique des pratiques en vigueur dans la majorité des villes étudiées. 1. Manque d’incitations et focalisation sur la figure de la mère En effet, l’analyse des discours concernant les trois sphères d’intervention retenues dans l'enquête montre que, tendanciellement, le genre n’est pas considéré comme une dimension pertinente de l’action politique par les acteurs locaux. Et quand il l’est – en Suède ou en 120 Finlande, notamment – les élu(e)s ne savent souvent pas comment traduire cette préoccupation dans les faits. Commençons par souligner que, dans la plupart des pays, cette question n’est pas spontanément évoquée, ni par les élu(e)s, ni par les responsables associatifs, dont la majorité raisonnent en termes d’intérêt général. De leur point de vue, les inégalités de sexe ne requièrent donc pas une différence de traitement. Lorsque les personnes interrogées reconnaissent un tel besoin, toutes n’en concluent pas pour autant à la nécessité d’une réflexion collective à ce sujet. Beaucoup d’entre elles laissent entendre que cela relève davantage d’une gestion individuelle de cas précis, ou alors (on l’a entendu plus d’une fois en Suède), d’un autre niveau de décision que celui des instances locales. L’absence de statistiques sexuées contribue largement à la méconnaissance ou à la nonreconnaissance des inégalités hommes/femmes et explique peut-être la difficulté des acteurs locaux à intégrer cette dimension. Beaucoup de nos interlocuteurs disent ne jamais y avoir pensé ou ne pas savoir comment faire. De son côté, la faible présence des femmes dans les lieux de pouvoir locaux, là où elles sont encore très minoritaires, peut être un facteur d’explication à la non-prise en compte de cette thématique – notamment en ce qui concerne, les politiques de sécurité et d’urbanisme, domaines « masculins » généralement pensés en termes purement techniques dans les sept pays. Même en Suède, où la moyenne nationale de femmes élues en charge de l’urbanisme est de 25 %, ce qui représente une proportion élevée comparée à celles d’autres pays, ce chiffre est bien en deçà de la moyenne dans l’ensemble des commissions (40 %). Pour autant, la présence numériquement importante de femmes n’implique pas forcément une plus grande sensibilité à la question des inégalités de sexe : en France comme en Finlande, plusieurs des femmes interviewées qui affichent un point de vue féministe (élues ou administratives), se disent peu convaincues que l’arrivée des femmes dans les lieux de pouvoir ait fait surgir de nouveaux thèmes de débat ou d’intervention à l’échelle locale, quand bien même elles notent des différences en matière de pratiques. Il apparaît que les décisions politiques favorisant l’égalité des chances sont davantage le résultat de pressions externes – notamment de la part des associations – que d’une volonté des élus eux-mêmes, quel que soit leur sexe. En Finlande, la politique de l’égalité des chances a souvent été le produit d’une double stratégie se traduisant par l’alliance des élues féministes, à la fois avec les militantes des ONG et avec des fonctionnaires de l’administration municipale. S’il apparaît que les quelque quatre-vingts villes d’Europe où nous avons mené l’enquête présentent une grande diversité de profils quant à la prise en compte du genre dans leurs pratiques, il reste que, d’une manière générale, la réflexion sur le thème de l’égalité est peu engagée. Le thème est évoqué par les élu(e)s de façon accidentelle, à propos d’un point particulier faisant ressortir des inégalités entre femmes et hommes, mais la réflexion reste le plus souvent partielle, cantonnée à des domaines où se posent des problèmes exigeant des réponses immédiates. Cela vaut notamment pour la prise en charge des personnes dépendantes (garde d’enfants plus particulièrement, dans le cas qui nous intéresse), puisqu’en vertu de la division sexuelle du travail, c’est aux femmes que cette tâche incombe le plus souvent. Les politiques à ce sujet les concernent donc au premier chef. On relève par ailleurs des tentatives d’intégrer la dimension de genre dans d’autres domaines, comme les politiques d’urbanisme. Néanmoins, lorsqu’on examine de plus près la façon dont la réflexion est menée, force est de constater que, sauf exception, la prise en considération des différences de sexes équivaut souvent à rabattre le rôle des femmes sur celui qu’elles occupent dans la sphère reproductive – généralement celui de mères s’occupant de jeunes enfants (ou celui de filles ayant à charge des parents âgés). Le problème n’est certes pas de déprécier l’importance de cette dimension-là, car 121 les savoir-faire acquis dans la cellule familiale sont tout sauf négligeables. Mais on ne peut que constater le caractère réducteur d’une telle approche. 2. Les politiques en matière d’urbanisme En ce qui concerne l’urbanisme, les points de vue développés, le plus souvent, se veulent résolument neutres. Un adjoint à l’urbanisme français insiste sur le fait qu’ « il n’y a pas de problèmes purement féminins liés à l’urbanisme. Si vous voulez m’entendre dire ça, je vais vous dire non. ». Les rares personnes interrogées qui tiennent compte des différences de sexe en matière d’urbanisme insistent majoritairement sur les inconvénients que représente l’usage de la ville pour les mères convoyant des poussettes. En France, en Belgique ou au Portugal, quand les élus – en majorité des femmes – tentent d’articuler genre et politique urbaine, cela revient presque toujours (implicitement ou explicitement) à pointer l’utilisation différenciée de la ville par les femmes, en lien avec leur fonction reproductive, avec le rôle de mère. Elles sont alors présentées comme ayant un « autre regard » sur l’urbanisme et comme porteuses d’idées concrètes pour changer les choses. Mais les illustrations de cette ouverture se limitent généralement à des exemples portant sur la taille des trottoirs ou la création et l'entretien de jardins familiaux lorsqu’il s’agit de l’aménagement des quartiers, et sur les déplacements liés à l’activité domestique ou éducative lorsqu’il s’agit des transports en commun. Pourtant, en Italie, les femmes ont été à l’origine de diverses propositions pour penser la ville autrement. Dans certaines villes, comme Crémone, Fano et dans une certaine mesure Modène, elles ont refusé que l’on construise de nouveaux quartiers dortoirs en insistant sur l’aménagement (crèches, espaces verts, magasins, centres sociaux) pour que la ville soit un véritable espace de vie. Ailleurs, en Vénétie notamment, des projets novateurs ont vu le jour sur le thème de « la ville à la mesure des enfants », qui vise à prendre en compte l’existence de besoins différents selon les générations. Une telle approche revient à remettre en cause le postulat à partir duquel les villes ont généralement été construites – à savoir qu’il s’agirait de lieux peuplés d’individus autonomes, mobiles, en bonne santé et adultes. Loin d’une perspective universaliste, elle implique d’admettre les différences. Cependant on observe que la mise en pratique de telles idées n’est souvent pas à la hauteur des ambitions initiales : la « ville à la mesure des enfants » se résume souvent à l’aménagement de pistes cyclables, d’espaces verts ou de trottoirs plus larges. Pour ses concepteurs, cela représente une politique « de genre », en ce qu’elle permet aux mamans de se faire moins de souci pour les enfants et donne une plus grande place à la famille dans les espaces publics. On retrouve une ambiguïté similaire dans le cas suédois d’Upplans Väsby. Dans cette ville, la directrice du service d’urbanisme, une femme architecte, pense qu’elle a pu influencer la politique de la municipalité dans le sens d’une prise en compte des intérêts des femmes en faisant installer des machines à laver dans les HLM municipaux. Si cette politique les concerne effectivement, c’est uniquement dans leur rôle reproductif, au sein de la sphère domestique. Ce type de démarche représente bien sûr une évolution par rapport à la conception habituelle de l’urbanisme, qui pense la réhabilitation d’un quartier ou la construction d’un centre commercial en des termes neutres et purement techniques, mais la portée n’en est pas moins restrictive et ne saurait épuiser les besoins des femmes. Ici et là, des municipalités s’efforcent d’intégrer la dimension du genre sous des angles plus dynamiques, qui supposent d’explorer des voies nouvelles : étudier la structure des quartiers afin d’éviter une séparation trop nette entre les espaces de travail, les espaces commerciaux et les lieux d’habitations ; imaginer les lieux publics pour qu’ils soient accessibles à tous ; créer des maisons des femmes, des centre d’hébergement en cas de violences et, plus généralement, des lieux qui fassent 122 pendant aux espaces considérés comme neutres et qui, de fait, sont surtout investis par les hommes (bars, etc.). La Suède, une fois de plus, a commencé à explorer des pistes intéressantes, de ce point de vue. Depuis les années 80, la ville de Göteborg, notamment, a mis en place une politique centrée sur la sécurité dans le milieu urbain, dans une optique de genre. L’urbanisme est pensé comme une arme pour agir contre les inégalités qui touchent les femmes en tant qu’individus, et pas seulement en tant que mères. La construction de pistes cyclables et d’arrêts de bus rapprochés, l’élimination des tunnels sombres, des passages étroits et peu éclairés ainsi que des parkings sous-terrains sont autant d’objectifs qui tiennent compte du fait que les personnes sans voiture sont beaucoup plus souvent des femmes que des hommes. Néanmoins, à l’échelle européenne, des exemples de cet ordre restent encore très peu nombreux. 3. Les politiques de la petite enfance Dans presque tous les pays étudiés, le manque de lieux de garde est criant – la Finlande et la Suède font figure d’exception puisque la mise à disposition de places en crèche y constituent une obligation légale pour les communes. La petite enfance est donc un secteur qui revêt, ou devrait revêtir une grande importance dans la préoccupation des municipalités. C’est aussi l’un des champs d’intervention des pouvoirs locaux où l’on trouve le plus grand nombre de femmes à des postes de responsabilité. Enfin, il s’agit des politiques qui sont le plus facilement considérées comme favorisant l’égalité entre femmes et hommes. Toutefois, comme le montre l’enquête, elles véhiculent souvent une conception biaisée du genre quand elles ne l’occultent pas tout simplement. En France, par exemple, les communes où a été menée l’enquête se positionnent essentiellement en tant que gestionnaires des équipements existants : leur rôle politique, tout comme les besoins des femmes, sont très peu évoqués. Dans certaines municipalités, le développement des services de la petite enfance a été impulsé avant tout par souci d’aménagement du territoire : il s’agit de rendre la commune attractive pour les entreprises ou les nouveaux habitants. La petite enfance devient alors un pion dans les stratégies du développement local. Très souvent, l’accent est mis sur les structures d’accueil à temps partiel et sur le multi-accueil (places à temps plein crées au sein de halte-garderies et accueil à temps partiel dans les crèches traditionnellement consacrées à une garde à temps plein), ainsi que sur les modes de garde atypiques liés à la flexibilité croissante de l’emploi. Pour leur part, les critères d’attribution des places de crèches restent extrêmement traditionnels et familialistes à quelques exceptions près. Parfois, l’idéologie dominante au sein de la municipalité dénote une conception carrément archaïque du rôle des femmes : la priorité est alors accordée aux modes de garde à temps partiel, témoignant d’attitudes rétrogrades en ce qui concerne l’activité professionnelle des femmes. Quant aux populations immigrées, elles sont souvent considérées comme peu demandeuses de places d’accueil, sous prétexte qu’elles recourent aux solidarités de type communautaire. S’il est vrai que, dans nombre de villes françaises, la question de la petite enfance a pris une importance qu’elle n’avait pas auparavant, on ne saurait dire pour autant qu’elle est traitée de façon à réduire les inégalités de sexe dans la plupart des cas. On relève toutefois des exceptions, comme à Rennes : à l’occasion de l’aménagement du temps de travail au sein des services municipaux, une enquête a été menée auprès des parents des crèches pour connaître leurs besoins, dans une optique d’égalité des chances et avec un souci affirmé du bien-être des 123 enfants 137. Reste que là comme ailleurs, la garde des enfants continue le plus souvent à être considérée comme un problème féminin par la majorité des acteurs concernés 138. En Italie, les débats sur le problème des crèches ont été importants, et sont assimilés à un véritable « combat politique ». Cela est sans doute dû au fait que ce pays connaît des situations fort contradictoires au Nord et au Sud. Quoi qu’il en soit, on observe que les politiques de la petite enfance sont sous-tendues par deux points de vue qui correspondent pour l’essentiel aux idéologies ex-communistes et catholiques – à savoir une lecture en termes d’inégalités sociales, et une lecture plus traditionnelle en termes de « politiques féminines ». Ces deux points de vue, si divergents soient-ils, coexistent souvent dans les « politiques familiales » qui, si elles favorisent parfois l’égalité hommes/femmes, produisent aussi des effets contraires. La conception catholique vise davantage à aider les femmes dans leur tâches familiales et maternelles qu’à diminuer les inégalités de sexe dans le domaine de l’accès à l’emploi, par exemple. D’autres conceptions sont plus complexes. Pour favoriser un point de vue égalitaire et éviter de naturaliser les rôles sexués, certaines élues préfèrent parler de « politiques pour la famille » plutôt que de « politiques pour les femmes ». Mais il n’empêche que ces mesures soulagent avant tout les femmes, du fait de la division sociale et sexuelle du travail, et c’est là que réside le nœud du problème. L’objectif que se fixent généralement les autorités locales est d’assister les familles dans leur rôle éducatif – un objectif au demeurant très important et qu’il n’y a pas lieu de minimiser. Mais formulé comme tel, il est peu vraisemblable qu’il puisse contribuer à modifier l’état de fait actuel quant à la prise en charge des personnes dépendantes. Dans les discours recueillis, les termes de « féminin », « familial » et « genre » sont utilisés comme des synonymes par plus d’un(e) élu(e) pour désigner les mesures prises dans ce domaine, et ils renvoient à des pratiques sociales confirmant que c’est bien aux femmes que les tâches familiales incombent. Il apparaît donc que, dans les cas où on assiste à un effort pour prendre en considération les différences de sexe, ce sont les mères, et par extension la famille, qui sont d’abord visées, et que le principe selon lequel les tâches sociales attribuées aux femmes sont perçues comme des « spécificités » féminines est rarement remis en cause. Dans leurs propos, les élus font le plus souvent l’impasse sur un point essentiel : il ne se posent presque jamais la question de savoir quel type de mesures pourrait réduire les écarts existants, manifestant par là même que le souci d’intégrer l’égalité des sexes dans les politiques locales n’est pas une priorité à leurs yeux. 4. Les politiques de sécurité ou la dichotomie privé/public Les politiques qui sont le plus rarement envisagées en termes de genre sont celles qui ont trait à la sécurité. C’est à leur endroit que la dichotomie privé/public prend le plus de relief et que la difficulté à considérer le genre comme une catégorie pertinente de l’action politique se 137 La déléguée régionale aux Droits des femmes et à l’Egalité a par ailleurs commandité un diagnostic, effectué par un cabinet de conseil, concernant le développement de l’emploi féminin afin de mettre en évidence, ville par ville, l’offre et les besoins de développement en termes de modes d’accueil dans la région. 138 Si cette tendance est bien moindre en Suède, c’est notamment parce que dans ce pays, sous la pression des mouvements féministes et de façon volontariste au travers de mesures incitatives, la législation a désigné les deux parents comme responsables de la garde des enfants. Ce qui a contribué à modifier à la fois les pratiques et les représentations. 124 fait le plus vivement sentir – les a priori sexués sur le rapport femmes/privé, hommes/public sont particulièrement prégnants dans ce domaine139. Le terme « sécurité » recoupe des réalités extrêmement variables selon les pays. Dans le Nord de l’Italie, comme en France ou en Belgique, les politiques de sécurité portent avant tout sur la micro-criminalité urbaine, les conflits inter-culturels et sur certains comportements liés à la toxicomanie et à la prostitution 140. Dans le sud de l’Italie, ce terme évoque d’abord la criminalité organisée et la lutte contre la mafia. De manière générale, la perception collective des principaux facteurs de risques semble différer fortement des risques eux-mêmes. En effet, les politiques de sécurité locales portent davantage sur la protection des biens et de la propriété (on demande davantage de caméras de surveillance) que sur l’insécurité sociale. Outre qu’elles se distinguent par les aspects répressifs et policiers du contrôle, elles sont fort sélectives quant aux personnes concernées : les discours hyper-sécuritaires prennent rarement en compte la sécurité de ceux que l’on considère comme porteurs d’instabilité, tels les Roms ou les immigrés. De son côté, la prostitution, qui concerne majoritairement des femmes, n’est pas appréhendée sous l’angle des violences envers les femmes, mais sous celui des troubles de l’ordre public car la tranquillité du voisinage est dérangée – sauf en Suède, pays qui constitue là encore une exception, au moins tendanciellement 141. Par ailleurs et pour des raisons différentes, ces politiques passent fréquemment sous silence les personnes « naturellement vulnérables » que sont les femmes, dont la présence dans l’espace public est masquée en raison des attendus sur leur appartenance à l’espace domestique. Pour les gouvernements locaux de la plupart des pays inclus dans l’enquête, le thème de la sécurité représente une nouveauté puisque jusqu’ici, la responsabilité de ce secteur incombait presque exclusivement aux instances centrales de l’Etat – c’est encore le cas au Portugal, en Grèce, en Suède et en Finlande. Mais un certain nombre des tâches relevant de ce domaine sont pourtant en voie de passer aux mains des municipalités. Or pour la plupart des élus en charge de l’ordre public (en très grande majorité des hommes), poser les questions en termes de genre n’a guère de sens puisqu’il s’agit à leurs yeux de politiques neutres par excellence. Est occulté le fait que cette prétendue neutralité cache une inégalité de posture selon le sexe ou la nationalité de la personne concernée, et selon qu’un même phénomène a trait à la sphère publique ou à la sphère privée. Le traitement différencié des violences est emblématique à cet égard : lorsqu’elles sont perpétrées dans la sphère privée, les violences envers les femmes ne sont généralement pas considérées comme troublant l’ordre public, malgré le caractère massif du phénomène (une femme sur dix environ est victime de violences conjugales en Europe 142). Pourtant, quelle que 139 En Suède, la prégnance de la dichotomie privé/public dans les politiques publiques est nettement moins sensible que dans les autres pays, dans la mesure où les femmes y sont le plus souvent appréhendées en tant que travailleuses, et non en tant que mères. 140 A noter tout de même que dans le Nord de l’Italie, l’enquête réalisée en Emilie-Romagne par Pitch et Ventimiglia (2001) sur la sécurité englobe la question du genre sous deux aspects : les femmes immigrées et la prostitution. 141 En Suède, les milieux féministe et les femmes politiques, ont initié une nouvelle politique nationale dans le domaine de la prostitution et des violences contre les femmes, visant à établir une nouvelle norme : la violence envers les femmes ainsi que la prostitution sont clairement condamnées et prises en charge en tant que problèmes sociaux, au lieu d’être traitées comme des problèmes individuels. L’achat d’actes sexuels est donc interdit dans ce pays et la loi y définit les violences conjugales comme des délits graves troublant l’ordre public. Pour autant, ces politiques ne font pas nécessairement l’objet d’une très grande attention de la part des acteurs locaux. Ajoutons que les conséquences de la loi pour les prostituées est que ces dernières sont conduites à travailler dans la clandestinité, ce qui accroît la précarité de leur situation. 142 Le chiffre serait de 2 femmes sur 10 dans le cas de la Finlande (Piispa, Heiskanen, 1998), mais cette différence peut découler en partie de la méthodologie de l’enquête, qui inclut la menace de violences. En tout état de cause, 125 soit leur nature (divers travaux le montrent), les violences ont un impact direct sur la citoyenneté. Quelles soient symboliques (cantonnement dans les statuts précaires ou domestiques), psychologiques ou physiques, elles contribuent à entamer l'estime de soi, et les actions entreprises à leur encontre ont une importance décisive pour permettre aux individus concernés (des femmes, en très grande majorité) de reprendre confiance ou d’être plus sûres d’elles-mêmes dans la vie quotidienne – et, partant de s’impliquer dans les affaires de la cité. Or l’action de la plupart des municipalités se caractérise par deux tendances essentielles : la première consiste à dissocier les interventions touchant aux violences qui ont lieu dans la sphère privée (lesquelles relèvent le plus souvent de structures singulièrement dépourvues de moyens), de celles qui ont lieu dans la sphère publique. La seconde tendance consiste à minimiser les facteurs d’insécurité qui touchent plus particulièrement les femmes, tant dans la sphère publique que dans la sphère privée. Concernant le premier point, il est caractéristique que, la plupart du temps, les violences envers les femmes soient appréhendées comme un phénomène distinct des violences en général. Elles ne sont pas considérées comme relevant des politiques de sécurité, mais comme une question de politique familiale parce qu’elles renvoient aux relations privées. Alors que les problèmes de sécurité jugés ‘ordinaires’ sont traités pas la force publique (Etat, collectivités locales), ceux qui ont trait à la sécurité des femmes dépendent largement des associations et du bénévolat. Comme le souligne Nancy Fraser, le renvoi au ‘privé’ équivaut à situer le problème dans une sphère séparée et à l’évacuer des débats plus globaux : « Si le fait de battre sa femme […] est considéré comme un problème ‘personnel’ ou ‘domestique’, et si le discours public à propos de ce phénomène est canalisé dans des institutions spécialisées associées, par exemple, à la loi sur la famille, au travail social et à la sociologie ou à la psychologie de la déviance, cela revient à reproduire la domination sexuée et la subordination. » (Fraser, 1997). L’approche la plus fréquente du problème par les municipalités étudiées équivaut, quoi qu’elles en aient, à un déni des formes violentes que prend souvent le rapport de domination – un phénomène que subissent les femmes avant tout. En témoigne l’exemple de ce qui se passe en Finlande, où les politiques de soutien aux femmes battues sont qualifiées d’action contre les « violences familiales », une dénomination des plus ambiguës puisque le terme occulte la part très largement majoritaire des violences masculines dans le cadre conjugal et le fait que les victimes sont principalement des femmes. Que les gouvernements locaux n’assimilent pas les violences domestiques à une question de sécurité explique d’ailleurs en partie leur tendance à relativiser la porté de ces dernières, ou du moins à ne pas prendre la mesure de l’urgence des interventions requises dans ce domaine. Dans tous les pays étudiés, le manque de centres d’accueil pour femmes battues est criant. En France, les commissions départementales mises en place dès 1989 pour lutter contre les violences faites aux femmes font certes un travail d’information appréciable, mais disposent de très peu de moyens : leur efficacité dépend de la bonne volonté et du dynamisme des personnes qui y siègent. En Finlande la situation est contrastée. D’un côté, il existe des centres de protection maternelle et infantile dont la gestion dépend d’une association nationale et dont le financement est assuré par les municipalités concernées. Mais outre que ce soutien n’est pas systématique 143, une dizaine d’entre eux seulement se consacrent prioritairement aux femmes battues. Même en Suède où les municipalités sont responsables de la protection sociale des citoyens et où plus des trois quarts d’entre elles financent un centre d’hébergement pour femmes battues, il ressort d’un rapport national récent qu'elles ne prennent pas cette question ces statistiques relativisent la croyance assez répandue selon laquelle l’égalité des sexes constituerait un acquis dans les pays nordiques. 143 A Raahe, un tel centre a fonctionné 24 heures sur 24 pendant quatorze ans sur l’unique base du bénévolat alors même que sa fréquentation allait croissant, avant que la municipalité ne se décide à le financer, en 2001. 126 assez au sérieux pour en faire une compétence propre et qu’elles se défaussent souvent de la gestion de l’urgence sur les seules associations. Or dans les trois pays en question, plus d’un élu interrogé sur ce point essaie de relativiser, voire d’occulter le problème, affirme que les besoins ne sont pas avérés ou manifeste une certaine gêne lorsque la question des femmes battues est abordée. Beaucoup semblent manquer de compétence sur ces dossiers. Certains en font un problème culturel lié à l’immigration et non un problème d’égalité des sexes 144. Le fait qu’il s’agisse de politiques dépendant d’échelons administratifs divers explique en partie la non-prise en considération du phénomène au niveau local. On constate néanmoins que la sécurité des femmes n’est presque jamais conçue comme une priorité politique hors des commissions ad hoc et que les problèmes spécifiques rencontrés par les femmes ne font, la plupart du temps, l’objet d’aucune réflexion dans le cadre plus général des politiques de sécurité. La déclaration d’un élu local français, adjoint à la sécurité, exprime bien le déni politique de ce problème social : « On avait pensé faire un foyer de femmes battues. Il y avait eu à un moment donné, c’est vrai, quelques personnes qui s’étaient fait connaître auprès du service social […]. En fait, ce n’est pas qu’on n’a pas souhaité…, c’est que par rapport à la réalité des choses, ça ne nous semblait pas nécessaire ». Cette façon d’euphémiser des violences domestiques va en outre de pair, comme on l’a souligné d’entrée, avec l’occultation d’autres types de violences dont les femmes font l’expérience dans la sphère publique. Se sentir en sécurité, cela veut dire notamment qu’on peut sortir de chez soi sans crainte. Or les enquêtes montrent que, dans les pays occidentaux, les femmes sont davantage sujettes à la peur que les hommes à l’idée de sortir après une certaine heure et qu’elles tendent à s’abstenir de le faire 145. Face à cela, quelles sont les réponses des pouvoirs publics ? Les municipalités suédoises, pour leur part, ont une véritable action à ce propos et tendent à limiter le sentiment d’insécurité en prenant des dispositions qui ont des conséquences favorables pour les femmes – en améliorant l’éclairage pour prévenir les agressions ; en autorisant les arrêts de bus à la demande, la nuit, de façon à éviter de long trajets à pied ; en multipliant les campagnes d’information à l’égard de la population, etc. Et on retrouve des exemples analogues dans d’autres pays, dont certains sont innovants. En Italie, par exemple, on relève l’existence de maisons protégées pour les femmes, de ‘taxis roses’ à meilleur prix que ces dernières peuvent prendre le soir, de cours d’auto-défense, d’actions de prévention effectuées la nuit par des bénévoles sur les lieux de prostitution, etc. En France, deux grandes villes ont ajouté un avenant au contrat local de sécurité (politique locale de sécurité qui vise à co-produire de la sécurité avec tous les acteurs concernés), afin de mieux prendre en considération les violences dont les femmes sont l’objet. Ponctuellement, des marches exploratoires ont été organisées afin de permettre aux femmes de repérer les lieux susceptibles d’être dangereux et d’en faire part à la municipalité. Il s’agit là d’initiatives nouvelles qui manifestent un début de prise de conscience des problèmes particuliers que rencontrent les femmes dans l’espace public. Mais de par leur nombre extrêmement limité, ces actions gardent un caractère marginal – sans compter qu’elles reposent le plus souvent sur la seule bonne volonté de quelques personnes, ce qui rend leur durée aléatoire 146. 144 Selon la prégnance des pratiques religieuses, la taille de la ville ou son caractère rural – autant de facteurs qui accentuent la dichotomie public/privé – cette réticence est plus ou moins accusée. 145 En France une femme sur cinq a été importunée sexuellement sur la voie publique en 1999 (Jaspard, 2001), et de façon générale, les femmes ont en moyenne trois fois plus peur dans l’espace public que les hommes (Stanko, 1999). La non-prise en charge de ces réalités pose donc un réel problème. 146 Les mises en pratique des taxis roses italiens ont été très rares, et les marches exploratoires françaises, au nombre d’une dizaine, n’ont eu lieu qu’à Paris, sans que leur impact puisse être clairement mesuré 127 Pour le reste, les mesures relatives à la sécurité des individus dans l’espace public tiennent rarement compte des besoins spécifiques des femmes et des jeunes filles. Cela ressort notamment des politiques de prévention s’adressant à la jeunesse : en Belgique, tout comme dans le cas des plans “ anti-été chauds ” mis en oeuvre en France pour lutter contre les risques de violences urbaines 147, les aspirations différentes de la majorité des filles en matière de loisirs sont négligées au profit d’équipements sportifs concernant avant tout les garçons (terrains de football, au premier chef). Le seul contre-exemple à cette tendance est la « maison des filles », structure mise en place par une association et des élues de Helsinki en partenariat avec l’Union européenne, fréquentée uniquement par des filles qui décident elles-mêmes des activités qu’elles souhaitent organiser : une telle option limite les facteurs de tension et d’agression dans la mesure où les garçons ne sont pas en situation de pouvoir dicter leurs règles, ce qu’ils font dans les lieux mixtes, la plupart du temps 148. Au total, il apparaît donc que non seulement les violences dont les femmes font l’objet dans l’espace domestique sont considérées comme un point à part ne revêtant pas la même urgence que d’autres questions de sécurité, mais que la posture consistant à définir les politiques de sécurité comme neutres conduit les pouvoirs publics à ne pas évaluer correctement les risques encourus par les femmes dans l’espace public et à minimiser les dispositifs qu’il y aurait lieu de mettre en place. Ce sont les expériences des femmes que ces politiques peinent à prendre en compte et, quand elles tentent de le faire, c’est en insistant sur les « spécificités » féminines qui renvoient à la sphère privée. La dichotomie domestique/femmes – public/hommes se voit ainsi reconduite sans être questionnée par les pratiques locales. ***** L’étude des conceptions qui sous-tendent les trois politiques locales qui nous intéressent, permet d’avancer que, tendanciellement, on assiste à un phénomène de neutralisation des problèmes posés. Il semble en effet, que même là où existent des mesures actives favorisant l’égalité des sexes, les élus et les élues tendent souvent à minorer la dimension du genre. C’est ce qu’indiquerait la gêne de certaines municipalités suédoises face à la question des femmes battues. L’exemple des tentatives françaises d’intégrer les violences faites aux femmes dans les politiques locales de sécurité est lui aussi éloquent. Alors que le maire de Paris affichait sa volonté de traiter conjointement les violences conjugales et les violences sur la voie publique dans le projet initial, seules les violences intra-familiales sont traitées par les mairies d’arrondissements. Le mot ‘violence’ a d’ailleurs laissé la place au mot ‘conflit’ 149, et le mot ‘femmes’ n’apparaît pas une seule fois dans les documents de référence, occultant par là même le fait que ce sont principalement les femmes qui sont victimes de violences conjugales (Lieber, 2003). Au même titre, les marches exploratoires initiées dans cette même ville pour permettre aux femmes de combattre leur sentiment d’insécurité sont vite devenues des marches d’hommes visant à repérer les problèmes liés à la voirie et l’urbanisme. La vocation première de ces marches – favoriser l’accès des femmes à l’espace public à toute heure – a été jugée par certains élus comme secondaire, voire tout à fait inutile. Une telle dynamique est également sensible dans d’autres types de politiques locales. 147 Voir à ce propos l’analyse qu’en faisaient Françoise Gaspard et Farhad Khosrokhavar (1994) dans les années 1990. 148 Elle confère en revanche une importance renouvelée aux débats sur la mixité, débats mis en exergue par les discussions sur le voile, qui ont pris un tour exacerbé en France au cours de l’année 2003. 149 La qualification de « violence » ou de « conflit » n’est pas la même : alors que la première implique un agresseur et une victime, la seconde implique deux parties co-responsables et permet une médiation – impensable dans le premier cas, mais trop souvent mise en œuvre (Cresson, 2002). 128 On en veut pour preuve l’exemple des politiques du temps des villes telles qu’elles se sont développées dans plusieurs pays. D’abord instaurées en Italie sous l’impulsion de groupes de femmes, elles avaient pour but de mener une réflexion sur l’articulation des temps de vie, à partir du constat que c’est aux femmes que reviennent la plupart des tâches ménagères et domestiques. Quelques villes françaises se sont inspirées de ces initiatives. Cependant, on constate aujourd’hui qu’en Italie, comme en France, la dimension « féministe » a disparu dans l’application de ces politiques. Elles consistent dans la plupart des cas à introduire une certaine flexibilité dans les horaires des administrations, sans plus de lien avec la question du temps des femmes. Dans d’autres cas, elles sont confondues avec les projets des « villes à la mesure des enfants » pris sous l’angle le plus restrictif – aménagement des horaires des jardins publics, des crèches et des écoles maternelles. Dès lors, la réflexion sur les discriminations qui touchent les femmes en raison de leur place dans la division sexuelle du travail – élément qui, au départ, occupait une place centrale dans le projet – tend à disparaître au profit d’autre objectifs (Lépinard, 2002b). Tous ces exemples de politiques locales, a priori favorables aux femmes et qui ont été dévoyées dans un sens différent, témoignent de ce que les revendications féministes, pour être acceptées, subissent le plus souvent un processus qui tend à les euphémiser, voire à les neutraliser (Stetson 1987). En conclusion de ce chapitre sur l’intégration de l’égalité des sexes dans les politiques locales, on peut dire que l’analyse des domaines étudiés (urbanisme, prise en charge des personnes dépendantes, sécurité) a fait émerger la diversité des points de vue sur les actions à mener ainsi que la diversité des conceptions sur le sens à donner au genre, chez les acteurs concernés. S’agit-il de politiques s’adressant aux femmes ? De politiques portées par les femmes ? De politiques qui tentent de réduire les discriminations ? De politiques censées favoriser l’égalité des chances entre femmes et hommes ? Toutes ces définitions se combinent et aucune n’est exclusive de l’autre. Si les politiques relatives à la petite enfance intègrent le genre, presque à leur corps défendant, car elles s’adressent en priorité aux femmes, les politiques de sécurité et d’urbanisme au contraire tendent à l’ignorer, voire à mettre en doute la pertinence d’une telle dimension. Quand une réflexion sur le genre apparaît en filigrane, c’est la plupart du temps pour considérer qu’on a affaire à une différence naturelle, une « spécificité » féminine plutôt qu’à une inégalité socialement construite. Dès lors, inclure la question du genre dans les politiques publiques équivaudrait, selon une majorité d’élu(e)s, à porter un « regard féminin » sur la sécurité ou l’urbanisme, et non à adopter des mesures permettant de remédier aux inégalités hommes/femmes. Or l’approche en termes de spécificités, loin de déboucher sur une compréhension plus complexe de la réalité sociale, équivaut au contraire à naturaliser et à conforter les différences de sexe. Serait-ce l’impasse ? D’aucun diront en effet qu’il est paradoxal de critiquer la posture consistant à traiter la situation des femmes comme spécifique du fait de leur rôle de mères, tout en revendiquant que soient prises en compte dans les politiques locales l’existence de différences dans le vécu et donc dans les besoins des citoyens selon leur sexe. Le paradoxe est indéniable, on ne saurait le nier. Nombre d’auteures, dont Joan Scott (1998) après d’autres, en ont traité dans leurs écrits. Mais l'impasse n'est qu'apparente. Tout le problème réside dans les moyens mis en œuvre pour répondre à cette contradiction. Des moyens qui ne marginalisent pas les femmes en les assignant à une sphère à part (celle de l’univers domestique), mais qui intègrent dans la définition de la citoyenneté des dimensions qui, jusque-là en étaient absentes parce que renvoyant au domaine privé. Cela suppose d’admettre l’existence de discriminations à l’égard de certaines catégories sociales, à commencer par les femmes, et de se doter d’instruments – telles les mesures d’action positive évoquées dans ces pages – pour commencer à les éradiquer. De tout ce qui précède, on peut raisonnablement conclure que seule une démarche de ce type, prenant acte des inégalités et des discriminations, est susceptible d’apporter un début de réponses aux problèmes posés. 129 130 CONCLUSION Ce rapport met en lumière une fresque de cas à la fois contrastés et en même temps singulièrement proches à bien des endroits. Contrastés en raison même de contextes historiques, nationaux et locaux dont il est apparu, tout au long de ces pages, combien ils diffèrent, que ce soit par rapport au cadre institutionnel ou pour des raisons culturelles. On a vu combien est grande la polysémie des concepts qui sous-tendent le débat sur la place des femmes et des hommes dans la cité (qu’il s’agisse des termes ‘égalité’, ‘différence’, ‘citoyenneté’, ‘genre’ ou ‘local’) et en quoi ces écarts de compréhension posent problème lorsqu’on en vient à une analyse transversale du discours. On a vu également que les disparités de situation sont parfois plus grandes entre deux villes d’un même pays qu’entre deux nations que tout sépare a priori, en ce qui concerne le processus de féminisation des instances de pouvoir et l’attention portée aux inégalités de sexe. Il ne saurait donc être question d’offrir une image réductrice des phénomènes observés en guise de conclusion. Pourtant, et cela ressort également de maintes pages, nombreuses sont les similitudes, y compris là où on ne les attendait pas. L’insistance mise sur l’intérêt général alors qu’on parle d’inégalités, la cécité vis-à-vis des problèmes très concrets que posent les discriminations à l’endroit des femmes, conjointement à l’exacerbation de différences mises au compte de leur rôle de mères et présentées comme « naturelles » : toutes ces attitudes l’emportent largement sur l’attitude inverse consistant à admettre l’existences d’inégalités entre les sexes et à réfléchir aux moyens concrets de les surmonter. Et dans ces cas-là, la volonté politique des décideurs apparaît comme le facteur premier des changements impulsés. Lorsque domine le sentiment que la question du genre est un faux problème, lorsque l’emporte le discours sur la neutralité de l’action politique, la présence accrue de femmes dans les instances élues ne permet pas à elle seule d’infléchir les orientations de la municipalité. La Suède, il est vrai, apparaît assez systématiquement comme un cas à part, tant du point de vue idéologique – l’idée de l’égalité des sexes a pénétré les rapports sociaux bien plus profondément qu’ailleurs, elle est en passe de devenir une norme – que du point de vue du traitement matériel des inégalités au quotidien (les deux choses sont d’ailleurs étroitement liées, la première résultant en grande partie de la seconde). On en veut pour preuve les changements d’ampleur opérés dans la représentation politique aussi bien que dans la législation ou dans les pratiques. S’il est vrai que subsistent des zones d’ombre (apparues dans l’enquête au sujet des violences dans la sphère privée, notamment) et si donc il n’est pas question ici de dresser un tableau idyllique de la situation qui prévaut dans ce pays, il n’en reste pas moins qu’y paraît enclenchée une véritable dynamique, non seulement dans la position qu’occupent les femmes en politique à l’échelle nationale et locale, mais dans l’attention conférée à la question du genre dans l’ensemble de la sphère sociale – et, partiellement du moins, dans la sphère privée 150. La Finlande, en revanche – et pour beaucoup d’entre nous, ce fut une surprise – présente un tableau beaucoup plus hétérogène. Les avancées significatives notées depuis longtemps quant à la présence des deux sexes dans le champ politique ou quant aux mesures d’action positive visant à permettre aux femmes de prendre toute la place qui leur revient dans les postes de responsabilité vont de pair avec des changements dans la vie politique locale qui se font souvent à leur détriment– que ce soit pour des raisons à première vue étrangères aux rapports 150 En témoignent les nombreuses notes de pas de page que nous avons dû insérer pour signifier que, sur tel ou tel point, la Suède fait exception. 131 de sexe (accentuation des exigences de rendement dans la gestion municipale ; privatisation de services autrefois étatiques ; émergence d’organes de pouvoir informels) ou parce que les esprits restent marqués par des représentations très traditionnelles des rôles assignés à l’un et l’autre sexe. Dans les cinq autre pays, par-delà des variations que l’on ne saurait minimiser et qui se traduisent par des taux de féminisation des organes élus fort éloignés (on ne peut mettre sur le même pied l’intégration des femmes dans les parlements locaux en Belgique ou en France avec la situation qui prévaut en Grèce, par exemple), domine le sentiment qu’on est encore au tout début du chemin dans les changements de mentalité et de pratiques concernant la manière de considérer les rapports hommes/femmes dans la sphère publique. Cela se manifeste autant dans les interrogations réitérés sur les ‘compétences’ des femmes, sur leurs capacités à assumer des fonctions décisionnelles en politique (la question n’est jamais évoquée à propos des hommes) ; dans l’inclination à parler de complémentarité à leur endroit, plutôt que d’égalité ; dans la propension à évoquer, dès lors qu’on parle des femmes, la figure de la mère ; dans la tendance à rabattre sur cette dernière toute réflexion concernant les moyens à mettre en œuvre pour lutter contre les inégalités de statut ; et dans les glissements qui confondent, délibérément ou non, les besoins spécifiques dus à des histoires et à des expériences dissemblables avec des différences « naturelles » renvoyant au corps biologique. Les difficultés à concevoir ou à accepter l’existence de cette tension entre égalité et différence dont parle Joan Scott (2002), traduit le plus souvent l’incapacité à traiter concrètement des problèmes posés : on fait l’impasse sur des discriminations criantes, faute de pouvoir ou vouloir se donner les moyens de les surmonter, on répugne à prononcer le terme même de discrimination. De ce point de vue, l’entrée massive des femmes dans les Conseils municipaux, si elle est une condition nécessaire pour faire reculer les stéréotypes de sexe, pour modifier le regard porté sur la réalité quotidienne, n’est une condition suffisante pour que soit prise à bras le corps la question des inégalités matérielles et sociales qui distinguent la position des femmes de celle des hommes dans le corps social. Sont parlantes, à ce titre, les réticences observées – y compris dans des villes où la mixité des corps élus tend à l’emporter – face au principe de l’action positive, voire le refus d’admettre que des mesures tablant sur les inégalités de fait peuvent constituer un instrument pour instaurer davantage d’égalité dans la vie de la cité. Ou, lorsque de telles mesures sont prises sur un point précis relatif à la représentation politique (quotas, loi sur la parité…), les réticences à étendre le dispositif à d’autres champs des rapports sociaux. Témoin les propos récurrents sur le caractère soi-disant neutre des politiques adoptées dans le domaine de l’urbanisme ou dans celui de la sécurité, et sur l’inutilité de se poser des questions qui n’ont pas lieu d’être dans maints domaines de la gestion territoriale. Certes, la présence d’un plus grand nombre de femmes dans les instances élues entraîne souvent des changements dans le fonctionnement de ces dernières et dans celui de l’administration municipale mais, pour autant, elle n’implique pas nécessairement une autre façon de traiter la question du genre dans les politiques urbaines. Les formes de résistance sont innombrables. Il apparaît notamment que, dans les pays qui ont longtemps résisté à s’engager sur la voie de l’égalité des sexes, l’adoption de dispositifs d’action positive n’a souvent qu’une efficacité limitée lorsqu’ils ne revêtent pas un caractère contraignant de par les termes mêmes de la loi – les sanctions financières ne s’avérant pas nécessairement un argument suffisant pour les partis concernés. Le cas de la France est emblématique à ce sujet : là où les élections municipales de 2001 ont initié une véritable transformation des rapports hommes/femmes (au moins dans les assemblées locales) grâce à la loi sur la parité, les législatives de l’année suivante ont abouti à un statu quo dans la mesure où les grands partis n’ont pas perçu le prix à payer comme suffisamment lourd pour entraîner une révolution de leurs pratiques. 132 A ce propos, il importe de souligner que le rapport entre national et local n’est pas univoque. Le taux de représentation des femmes est souvent plus élevé, on le sait, au niveau local qu’au niveau national, surtout dans les pays les plus retardataires en ce qui concerne le fonctionnement de la démocratie : le local est alors présenté comme plus proche des préoccupations des femmes et du foyer, cependant que le national est valorisé comme l’aire de la ‘vraie politique’. Dans le même temps, c’est généralement au niveau du Parlement national que sont prises des initiatives qui tendent à remettre en cause les déséquilibres traditionnels entre les sexes et que sont créés des organes permettant d’assurer un suivi des dispositifs destinés à les éradiquer dans les sphère autres que celle de la représentation politique 151. Les pouvoirs locaux, eux, résistent souvent longuement avant de se doter d’instruments visant, par exemple, à mesurer les discriminations et, partant, à les rendre plus visibles, ou qui permettent de contrôler l’application des décisions prises. Et la raison en est sans doute que les retombées de telles orientations sont nettement plus sensibles à l’échelle locale, entraînant des bouleversements immédiats quant aux rapports de force entre les sexes, et donc des tensions dans la vie quotidienne, cependant qu’elles peuvent durablement en rester au stade des déclarations d’intention à l’échelle nationale, où les lois gardent souvent un caractère formel, sans que les contradictions soient aussi perceptibles. Bien entendu, on ne peut pas généraliser car on relève des dissemblances très fortes d’une ville à l’autre, et certaines municipalités devancent les changements opérés au niveau central de l’Etat. L’influence de la personne du maire, dans de tels cas, apparaît souvent déterminante, là où il occupe une place de premier plan sur l’échiquier politique local. Mais les municipalités qui sortent du lot de par le caractère innovant des initiatives qu’elles prennent représentent une faible minorité sur les quelque quatre-vingts villes étudiées 152. En ce qui concerne le rôle respectif des divers acteurs dans les transformations engagées en matière de rapports sociaux de sexe, on a pu voir que l’analyse n’était pas simple. Les changements institutionnels intervenus depuis les années 80, liés au processus de décentralisation étatique engagé dans tous les pays, de même que l’apparition de pondérations nouvelles entre pouvoir locaux, régionaux, intercommunaux, nationaux et supranationaux contribuent à rendre la lecture difficile. Comment évaluer les divers facteurs qui interviennent dans les évolution en cours ? Le rôle des partis n’apparaît pas aussi prégnant que ce à quoi on aurait pu s’attendre. Cela peut s’expliquer en partie par leur poids souvent moindre à l’échelle locale que nationale. Mais cela tient plus encore à ce que la question de l’égalité des sexes, davantage que d’autres thèmes en politique, renvoie à une dimension culturelle à propos de laquelle les points de vue, et surtout les pratiques des individus l’emportent fréquemment sur les orientations partidaires. D’où l’assez faible corrélation entre le discours visiblement plus ouvert des partis de gauche vis-à-vis du thème de l’égalité des sexes et l’intégration concrète de cette dimension dans les politiques locales, là où la gauche est au pouvoir. De son côté, le secteur associatif, pris dans son ensemble, n’apparaît pas non plus nécessairement comme un levier dans la lutte contre les discriminations à l’égard des femmes. S’il est vrai que l’ouverture des Conseils communaux vis-à-vis de la sphère associative favorise l’intégration d’un certain nombre de femmes dans les instances élues, la dynamique de l’engagement associatif souvent invoquée quant à la prise de responsabilité des femmes en politique et quant à l’intégration de la thématique du genre par les pouvoirs locaux apparaît moins nette que ce que nombre de travaux laissent entendre. D’après les observations que nous avons faites au cours de cette enquête, seules les associations qui défendent des vues 151 On pense ici au Centre pour l’égalité des chances de Belgique ou à la toute nouvelle Haute autorité de lutte contre les discriminations, en France. 152 Ce n’est pas un hasard si les même noms de villes reviennent fréquemment dans le Guide pour l’intégration de l’égalité des chances dans les politiques locales, qui recense les pratiques à ce sujet. 133 ouvertement féministes et qui sont parvenues à asseoir leur audience localement jouent un rôle déterminant dans les transformations impulsées par les politiques municipales. C’est d’ailleurs aussi ce qui explique les variations constatées d’une ville à l’autre, parfois dans une même région : les monographies réalisées à propos de chacune des municipalités étudiées ont clairement mis au jour que les différences de profil, en la matière, tiennent à des histoires locales où l’on repère l’existence durable de groupes, mouvements ou associations féministes qui ont réussi à se faire entendre – et dont l’histoire est en outre souvent couplée à celle d’un pôle de recherche (universitaire ou autre) dont les travaux critiques sur les rapports sociaux de sexe ont servi à légitimer leurs objectifs militants. Alors, et alors seulement, on voit émerger des conjonctions favorables et pérennes qui, presque toujours, expliquent la capacité des acteurs et surtout des actrices concerné(e)s à engager des actions, créer des structures, instaurer des pratiques de dialogue avec les élus qui changent la donne au niveau local 153. C’est généralement dans ces villes-là qu’on repère des mouvements significatifs d’ouverture de la sphère institutionnelle vers la société civile, en particulier sur la question du genre, mais pas uniquement. Un tel constat ne signifie pas pour autant que les choses demeurent immobiles ailleurs : les obstacles rencontrés par nombre d’élues, le fait qu’on tende à les enfermer dans certains secteurs d’intervention, leur servent parfois, on l’a vu, de tremplin pour légitimer leur présence dans les instances décision, pour en faire un facteur d’empowerment. Les résultats de cette recherche, on l’aura compris, sont tout sauf univoques. Ils indiquent surtout l’ampleur des transformations qui restent à opérer, dans la plupart des pays sur lesquels l’attention était centrée, pour modifier le rapport femmes/hommes à l’échelle des municipalités et pour que la question du genre soit intégrée dans les réflexions sur le fonctionnement de la démocratie locale. Le contenu du Guide pour l’intégration de l’égalité des sexes dans les politiques locales, élaboré parallèlement à l’écriture de cette analyse transversale, à partir des exemples les plus innovants repérés en cours de route, ne doit pas induire en erreur sur l’ampleur des pratiques ainsi mises en exergue : elle concernent une très faible proportion des villes étudiées. Mais on peut espérer que, parallèlement à d’autres études qui viendront étayer ou au contraire infirmer les observations découlant de nos investigations, les apports conjoints de ce rapport de recherche et du Guide permettront d’élargir le débat sur les politiques à même de conforter le processus égalitaire. Sont prometteuses, à ce titre, les dynamiques enclenchées par les échanges avec de nombreux acteurs locaux, dans le cadre d’une recherche qui s’était fixé d’emblée comme objectif de susciter des collaborations à divers niveaux pour contribuer à modifier la situation existante. 153 Sans quoi, lorsqu’il tient principalement à la personnalité du ou de la maire, sans être relayé par un tel mouvement, le changement s’avère souvent de courte durée. 134 RÉFÉRENCES Andrew Caroline (1997). “ Les femmes et le local : les enjeux municipaux à l’ère de la mondialisation ”. In M. Tremblay et C. Andrew., Femmes et représentations au Québec et au Canada. Montréal. Remue-Ménage. Badie Bertrand, Hermet Guy (2001). La Politique Comparée, Paris, Armand Colin. Bataille Philippe, Gaspard Françoise (1999). Comment les femmes changent la politique et pourquoi les hommes résistent. Paris, La Découverte. 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