LA LITTERATURE POUR ADO ET L`IMAGINAIRE
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LA LITTERATURE POUR ADO ET L`IMAGINAIRE
LA LITTERATURE POUR ADO ET L’IMAGINAIRE INTRODUCTION Force est de constater en 2010 que la littérature pour ado est dans son immense majorité tournée vers l’imaginaire, et ce principalement dans la production anglo-saxonne (exception d’un segment consacré à la littérature sentimentale destinée à un public féminin) Cet hypertrophie est particulièrement frappante dans le domaine de la Fantasy mais aussi depuis le succès de Twilight, dans celui de ce qu’il est convenu d’appeler la « bit litt » (la littérature qui mord) à tel point que je défie quiconque de pouvoir tout lire. En plus de devoir se restreindre à un genre (SF, Fantastique ou Fantasy) le prescripteur se voit obligé de se spécialiser dans l’un ou l’autre des sous-thèmes. Pourtant, il y a à peine quinze ans –l’âge d’un adolescent- le paysage éditorial de la littérature pour ados était bien différent –voire opposé-. HISTORIQUE DU DEVELOPPEMENT DE LA LITTERATURE DE L’IMAGINAIRE DANS LE ROMAN ADO Aux débuts des années 90 les collections pour ados étaient au nombre de trois : Médium à l’Ecole des loisirs Page Blanche chez Gallimard Fiction jeunesse au Seuil Dans ces trois collections ne figuraient pratiquement que des romans réalistes. A cette époque les éditeurs avaient deux objectifs : faire de ses collections une passerelles vers LA LITTERATURE tout en répondant aux angoisses propres à cet âge. La première étant le sentiment de solitude qui accompagne la souffrance adolescente. Pour le dépasser quel meilleur moyen que le roman miroir dans lequel l’adolescent voit un double fictionnel ressentir la même chose que lui. Le mode narratif le plus employé était le JE induisant l’identification du lecteur, les écrivains multipliant les effets de mode et utilisant un langage pseudo ado. 95 vit le déferlement des Chairs de poule que s’arrachèrent à cette période les pré-ados. Devenus ados ils ne trouvèrent pas dans ces trois collections le détour par l’imaginaire et le retour au même qu’ils trouvaient dans la série de Stine que par ailleurs ils s’échangeaient au sein du groupe. Il faut remarquer que depuis les années 70, ces sous littératures qu’étaient la SF et la Fantasy étaient publiées en France dans des collections pour adultes alors que certains titres étaient publiés aux U.S.A. dans des collections pour ados comme, par exemple, le chef d’œuvre d’Ursula Le Guin : Terremer. En 1996 Denis Guiot sort une collection de SF pour ados : Vertige chez Hachette (avant de la décliner en Vertige SF et Vertige Fantastique). La présentation au Salon de Montreuil cette année là donna lieu à un esclandre provoquée par votre serviteur contestant l’opportunité d’une collection de SF pour ados à partir de deux arguments massue quoique contradictoires. 1e L’adolescence étant l’âge de l’anticipation, la SF est sa littérature, pourquoi donc faire de la SF pour ados ? 2e Il y a une antinomie entre le roman pour ado, roman miroir où le héros dit Je –c’est donc par ses yeux que le lecteur vit le récit- et patauge dans ses problèmes existentiels et son mal être et le roman de SF dont le monde inventé est le véritable sujet du roman, il ne peut être décrit que par un narrateur omniscient. Le récit peut être soit l’un, soit l’autre mais pas les deux. D’où les problèmes inhérents aux premiers romans de SF pour ados comme Les Oubliés de Vulcain de Martinigol. En outre Denis Guiot ne publia que des auteurs français, c'est-à-dire des écrivains handicapés en matière d’Imaginaire à cause d’un certain Descartes alors que les anglosaxons on continué à se balader avec le petit peuple de la Faérie et à développer ce nonsens typiquement british. Il s’agissait en plus majoritairement d’auteurs pour adultes à qui Denis Guiot demandait d’écrire pour la jeunesse, d’où ce côté édulcoré, simpliste et souvent fabriqué. Depuis les auteurs ont considérablement évolué. Martinigol par exemple à écrit une étonnante trilogie de SF poétique : les abîmes d’Autremer publiés dans la collection Autres mondes chez Mango dirigée par Denis Guiot après Vertiges et avant Soon chez Syros. En 1997 sort Harry Potter à l’école des sorciers dans la collection Folio junior. Un bon livre de Fantasy pour pré-ados. Le succès planétaire de la série ne commence que deux ans plus tard avec la publication du troisième tome en grand format qui atteindra non seulement les jeunes mais aussi leurs retardo-adolescents de parents. L’intelligence (ou la roublardise) de l’auteur est d’avoir composée sa série en 7 volumes dans lequel le personnage grandit d’une année à chaque tome c'est-à-dire qu’au début il a 11 ans (l’entrée en adolescence) et à la fin 18 (l’âge de la maturité). Le rythme de la parution devant être annuel le lecteur grandit d’un an lui aussi et donc la narration se complexifie de livre en livre. La participation de Rowling au films tirés de son roman retardèrent la publication des derniers tomes. On le sait, les ados détestent les descriptions. Or comme le souligne Serge Tisseron dans un plaidoyer pour HP, seules les actions font l’objet d’une description. On est dans l’immédiateté d’un jeu vidéo. Harry Potter a défini la structure de la Fantasy pour la jeunesse. A la différence de la Fantasy pour adulte où, la plupart du temps, on est rentre directement dans un univers différent du notre dans lequel le Merveilleux est la règle, dans la Fantasy pour la jeunesse on part de notre monde réel, le monde des adultes, grisâtre et tristounet, et on s’y échappe soit par le terrier du lapin blanc comme Alice, soit à la faveur d’une tornade dans le Magicien d’Oz, soit grâce à une armoire magique dans les Chroniques de Narnia, soit dans un livre magique dans L’Histoire sans fin, soit à travers un jeu vidéo dans No pasaran, le jeu, soit par le quai 9 3/4, etc., etc. Autre élément essentiel dans les récits comme Harry Potter, le parallèle avec la Quête du Graal, en tout cas à travers cet aspect essentiel du groupe. On peut envisager d’ailleurs la composition des héros de ce type de romans comme une métaphore d’un corps dont chacun représente un membre. On retrouve cette structure dans l’Elue (la suite du Passeur de Loïs Lowry), le vent de feu la trilogie de William Nicholson ou encore, plus récemment l’enfant d’argent de Cliff Mc Nish. Le succès d’HP a créé des émules écrivant des livres destinés au tout public (adultes, ados, garçons, filles) A la croisée des mondes ou le clan des Otori en sont deux exemples magistraux. Depuis les producteurs de films hollywoodiens ont compris l’intérêt que représentait désormais ce type de littérature. Le monde de Narnia, Cœur d’encre, Stardust, Percy Jackson, Twilight en sont quelques exemples parmi d’autres, sans oublier les films d’animation de Myazaki : le château ambulant et les contes de Terremer. Avec ce déferlement audiovisuel et ses prolongements en jeux vidéos rien n’empêche le déferlement des littératures de l’imaginaire avec le risque que le public jeune peu regardant se contente de n’importe quel produit de fantasy pour peu qu’il y retrouve les lois du genre. Désormais exit le roman miroir. Ses soit disant valeurs proches des ados font hurler de rire une génération qui fonce à la vitesse d’internet. C’est d’ailleurs sur facebook et autres blogs qu’ils ont résolu (croient-ils) leur problème de solitude adolescente. Reste pour eux l’aspect symbolique du récit qu’ils recherchent dans la littérature de l’imaginaire. On ne souligne jamais assez l’importance de la mythologie comme miroir symbolique de la psyché d’où le succès des séries qui reprennent ces figures mythologiques dans leur cycle de Fantasy comme Everworld par exemple. DEFINITION DES TROIS GENRES DE L’IMAGINAIRE : LA SCIENCE FICTION LA FANTASY ET LE FANTASTIQUE (Fantastique et Fantasy, deux genres totalement différents sont cependant issus du même mot anglais, c’est Baudelaire en traduisant les œuvres d’Edgar Allan Poe qui afrancisé le terme) Pour faire le distingo entre la littérature réaliste et les trois littératures de l’imaginaire Denis Guiot raconte l’histoire suivante : Imaginons que dans un roman il y ait une scène où un chat demande à manger à son maître. Si le chat se frotte contre la jambe de son maître, miaule à fendre l’âme, bref se comporte comme un chat ordinaire, vous êtes dans un roman réaliste. Après, que ce soit un roman psychologique, sentimental, historique ou policier, peu importe, ça ne dépend pas du chat. Par contre, si le chat se met à parler pour réclamer son Wiskas dans le genre « elle vient ma gamelle, j’ai la dalle moi ! » alors là, pour sur vous êtes dans la littérature de l’imaginaire, car un chat qui parle, ça n’existe pas dans notre univers connu. Reste à savoir dans quelle branche de l’Imaginaire vous êtes. Si le maître manque de défaillir, se demande s’il n’est pas en train de devenir fou, si le chat n’est pas un être diabolique, etc., vous êtes dans le Fantastique. Si la situation est admise, banale, vous êtes dans le Merveilleux et/ou la Fantasy. Mais si l’auteur a rendu plausible cette situation par des explications sérieuses ou plus ou moins farfelues du genre : le chat est un extraterrestre ou bien il a subi des mutations génétiques lui permettant de parler, alors vous êtes en plein dans la SF. Le Fantastique est l’opposition entre deux mondes l’un rationnel l’autre irrationnel. Ou bien pour reprendre l’expression de Tzvetan Todorov « une hésitaiton entre les deux ». A la fin d’un récit fantastique nous restons toujours dans l’incertitude. Le rationnel ne reprend pas totalement ses droits. Dans la SF et la Fantasy il n’y a pas d’opposition entre deux monde mais un monde différent du notre. Dans la Fantasy, prolongement adolescent du Merveilleux, le surnaturel et la magie sont acceptés en tant que tel. Dans la SF la différence entre notre monde et celui de l’écrivain doit être justifié, rendu vraisemblable par un ailleurs dans le temps et l’espace qui le rendrait plausible. Pour aller vite nous dirons que le temps du Fantastique est le présent (en tout cas le présent de l’écriture), le temps de la SF le futur et celui de la Fantasy un passé immémorial. Chacune de ces trois littératures répond à sa manière aux attentes de l’adolescent. La SF, littérature de l’anticipation en lui permettant de se projeter vers un futur proche : sa vie d’adulte en devenir. La Fantasy correspond au parcours initiatique indispensable pour devenir adulte. En outre la carte qui figure en exergue de presque tous les romans de Fantasy est une métaphore du moi intérieur du héros. Comme dans les récits d’errance (autre genre chère à l’adolescence) où à force de perdre on finit par se trouver, le héros à force de sillonner le pays fabuleux finira par en dessiner les frontières et donc découvrir enfin qui il est ! Le Fantastique est la littérature sur la dualité qui est en chacun de nous et qu’il faut assumer pour devenir adulte. C'est-à-dire faire ses choix. 3 GENRES, 3 AUTEURS DAVID ALMOND OU LE ROMAN SUR LA DUALITE David Almond jumelle la dualité de la littérature Fantastique avec celle propre à l’adolescence, âge où non seulement on ressent un réel changement dans son corps mais où l’on sent que l’on est sans cesse en proie à des impulsions qui vous tirent simultanément vers le haut et vers le bas. L’auteur creuse inlassablement cette problématique en la rendant extérieur au personnage principal : que se soit dans le Jeu de la mort, le Cracheur de feu, Glaise ou plus récemment dans le Sauvage et Imprégnation. Le héros est toujours un personnage positif, lumineux mais aussi fasciné par « le côté obscure de la force », représenté par un personnage sombre, violent, torturé (souvent par sa famille) qui cherche à entrainer dans leur chute celui qui au contraire tente de les tirer vers le haut. NEIL GAIMAN OU LA FANTASY FANTAISISTE D’UN TOUCHE A TOUT GENIAL Neil Gaiman écrivain anglais à pratiqué tous les genres d’écriture, s’adressant à tous les âges de lecteur : il a écrit des chansons, des poèmes, des nouvelles, des BD, des romans. Avec son compère Dave Mc Kean (celui qui a illustré le roman graphique de David Almond le Sauvage) il a fait deux albums pour enfants : le jour où j’ai échangé mon père contre des poissons rouges et les Loups dans les murs. Il a reçu le Prix Hugo, le plus fameux prix récompensant un écrivain de SF pour deux romans de Fantasy : Americans gods sorte de road movie où les dieux de la mythologie nordique tiennent la place des « clochards célestes » de Jack Kérouac. L’Etrange vie de Nobody Owens, roman pour enfants comme précédemment Coraline qui a fait l’objet d’un excellent dessin animé. Ces deux romans sont illustrés au scalpel par Dave Mc Kean. L’Etrange vie de Nobody Owens est une version gothique du Livre de la jungle. Le roman s’ouvre sur une page entièrement noire, uniquement éclairée par le dessin tranchant de Dave Mc Kean, l’éternel complice de Neil Gaiman et un texte en lettres blanches qui dit ceci : « Il y avait une main dans les ténèbres, et cette main tenait un couteau. » Sur la page suivante, il continue, implacable : « le couteau s’était acquitté de presque tout se qui l’amenait là, et sa lame et son manche était. » Ce qui manque pour que le couteau ait accompli son œuvre est un charmant bambin qui au lieu d’être sagement dans son berceau a crapahuté tout en haut de la colline. Jusqu’au cimetière. Là, il échappe au couteau grâce aux fantômes qui le hantent. Adopté par un couple de spectres, il va grandir parmi le peuple du cimetière. Cette version gothique du livre de la jungle est en tout point fidèle à l’original. On y retrouve les équivalents fantastiques des personnages de Kipling. Mais ne vous y trompez pas, l’étrange vie de Nobody Owens ne se résume pas à un simple exercice de style aussi brillant soit-il. On connait le talent de l’auteur de Coraline pour conjuguer horreur et tendresse, imaginaire débridé et cohérence du récit -avec Neil Gaiman, l'invraisemblable sonne toujours juste!-. De sorte que le roman s’émancipe et dépasse par moment son prestigieux modèle. On peut dire, sans jeu de mot que Nobody ne ressemble à personne. Que son apprentissage de la vie parmi les morts n’a rien à envier à celle d’un petit d’homme parmi les loups. Quant aux créatures qui habitent ce roman, c’est peur de dire qu’ils sont « hauts en noir » : De Silas le Baloo mort-vivant à Mlle Lupescu la Bagherra lycanthrope en passant par la femme au cheval blanc - métaphore poétique de la camarde - avec qui Nobody dansera lors de la danse macabre, un des passage magiques du roman. Mention spécial pour le méchant : Le Jack, membre de la guilde de magiciens assassins. Qui évoque à la fois le Bonhomme hiver dans les comptines anglo-saxonnes et le valet dans les jeux de cartes. Voisin du Jocker dont il épouse la sonorité, comment ne pas penser à Jack Nicholson qui interprétait un très diabolique Jocker, l’éternel ennemi de Batman. Ce mélange de mythologies anciennes et d’un Fantastique issu des comics américains participe au charme vénéneux de ce joyau noir. Toute l’œuvre de Neil Gaiman est une revisitation post-moderne des contes et légendes : Miroirs et fumées ou son dernier roman pour préado chez Wiz : Odd est les géants de glace en sont deux magnifiques exemples. Autre roman pour ado publié en fin 2010 : Entremonde aux éditions Au diable vauvert. SCOTT WESTERFELD OU L’ADOLESCENCE COMME SUJET DE LA SF Scott Westerfeld regarde donc la Science Fiction par le prisme de l’adolescence. Ce qui est fondamental. A la fois son public sont les adolescents mais il n’écrit pas pour eux (comprenez il ne sous-écrit pas). Dans V-virus, l’une des versions les plus intelligentes et créatrices sur le thème du vampire, il fait précéder chaque chapitre d’un documentaire scientifique sur les différentes formes de parasites qui existent sur notre planète. De quoi décourager les lecteurs ados, si le roman n’était par ailleurs passionnant. Ils peuvent donc sauter ses passages, quitte à y revenir lors d’une seconde lecture car à la fin du roman on comprend l’utilité de ces incrustations qui « parasitent » elles aussi le récit. Des Marques dans Code cool à la hantise de la beauté dans la série Uglies, Pretties, Specials, en passant par la musique, la vie nocturne dans A-apocalypse tous les romans de Scott Westerfield mettent en scène des adolescents et les valeurs adolescentes par le prisme déformant de la Science Fiction. Sa dernière série en date : Léviathan fait partie du courant steampunk. QUI SUIS-JE A TRAVERS LA FIGURE DE L’AUTRE, UNE DES GRANDES ANGOISSES DE L’ADOLESCENT DANS LA LITTERATURE DE L’IMAGINAIRE, LES VISAGES DE L’AUTRE FOISONNENT : LE SUPER HEROS : I-Boy de Kevin Brooks L’ANDROIDE : Being de Kevin Brooks LA REPLIQUANTE : Jenna Fox pour toujours de Mary E. Pearson LE CLONE : la Maison du scorpion de Nancy Farmer L’époque ? Un de ces lendemains qui déchantent. Le lieu ? Opium, une sorte de Colombie dirigé par un seul cartel de la drogue, coincé entre les USA et « Aztlàn », subtile mélange du Mexique et de Cuba. « El Patron » a créé cet empire de la drogue grâce à la neutralité bienveillante des Etats-Unis en échange de l’engagement d’écouler sa drogue ailleurs (en Europe, par exemple) et, surtout, de juguler l’immigration clandestine, fléau de ce côté du continent nord-américain. Une main d’œuvre toute trouvée que ces « illégaux » interceptés par la patrouille du Domaine, puis transformés par des implants électroniques en « eejits », sortes de zombies n’éprouvant ni faim ni froid et travaillant avec le dévouement des abeilles ouvrières. A cent quarante ans, El Patron compte bien régner longtemps sur le Domaine grâce aux banques d’organes que représentent ses clones. Mais si cette pratique s’est généralisée chez les puissants et les nantis de ce futur virtuel, seul El Patron, dans sa mégalomanie, a exigé que ses doubles ne soient pas décérébrés à leur naissance. Matt, le héros de ce roman d’anticipation est donc à ce titre deux fois monstrueux. On comprend alors combien sa quête d’identité qu’il le conduira de l’enfance à l’âge adulte –14 ans pour les clones- sera difficile, douloureuse et ... schizophrène. Ce « répliquant » de l’homme le plus puissant de la planète est considéré par tous les autres comme moins qu’un animal. « Mi vida » ce petit terme affectueux et maternel dans la bouche de Celia, sa nourrice, prend un tout autre sens dans celle d’El Patron. Quant à Maria, il lui inspire à la fois amour et dégoût. Malgré ces sentiments contradictoires, vaille que vaille, avec d’incessantes périodes de régression, Matt grandit. Il trouvera en Tam Lin, ancien terroriste de l’IRA et garde du corps d’El Patron la figure paternelle qu’il cherchait en vain chez son modèle. Avec l’aide de Tam Lin, Matt découvrira qu’être le double de quelqu’un peut aussi signifier être son contraire. Roman sur la dualité, La Maison du scorpion est aussi un roman double, à la fois récit d’adolescence et roman de science fiction. Un ovni littéraire. Attention chef d'œuvre! Voici le premier vrai roman de SF pour ados MONSTRE OU MYTHOMANE : Menteuse de Justine Larbalestier ANGE OU DEMON : la Mort j’adore d’Alexis Broca NOTRE PART DE BESTIALITE : Lady de Melvyn Burgess (mais aussi toute la Bit lit) SUPERPOUVOIRS OU SUPERDEVOIRS : Terremer, Dons, Voix, Pouvoirs d’Ursula Le Guin QUELQUES COUPS DE CŒUR 2010 2011 La Fantasy à la française : La Douane volante de François Place Terrienne de Jean-Claude Mourlevat La trilogie de SF de cette décennie : Le Chaos en marche de Patrick Ness Tome 1 : la voix du couteau Tome 2 : le cercle et la flèche Tome 3 : la guerre du bruit Pour les plus jeunes, la collection Mini Soon A la poursuite des Humutes de Carina Rozenfeld (hommage au roman de Van Vogt A la poursuite des Slans) Robot mais pas trop d’Eric Simard Plus que des courts romans, il s’agit plutôt de nouvelles De la pré-SF pour les pré-ados Lady de Melvyn Burgess Je dois avouer que je n’avais pas envie de lire Lady, d’une part je ne voyais pas comment les lectrices pouvaient s’identifier à cette adolescente transformée en cabot par un clodo –vraiment trop invraisemblable, son scénario, on voit trop où il veut en venir le vieux schnock-, d’autre part deux de mes meilleures amies bibliothécaires avaient des avis diamétralement opposés sur ce livre. Pas envie de les départager. Et puis, devant les réactions viscérales hyper violentes d’une partie des prescriptrices, mon mauvais esprit (de contradiction) a repris le dessus, et j’ai ouvert le livre, et je ne l’ai plus lâché ! J’étais quasi scotché à la prose de Melvin Burgess. Mais, reprenons l’histoire au début : donc, voilà Sandra changée en chienne parce qu’elle a renversé la canette de bière De Terry, le dieu clochard. Au début l’angoisse totale. Retour à la maison la queue entre les jambes, et chassée à coups de balai par sa mère. Avec la rencontre de Bobby et Mitch, deux ados qui ont croisés comme elle le chemin du clochard aux pouvoirs magiques, elle va découvrir une vie de chienne : une nouvelle vie fondée sur l’instinct et l’instant. Le pied pour cette adolescente de 17 ans qui comme les autres de sa génération voulait tout, tout de suite! Insensiblement Lady perd son humanité jusqu’au moment où Terry lui met la truffe devant l’avis de recherche avec la photo de Sandra. Alors, Lady ou Sandra? A la fin du roman, l’héroïne devra choisir : « Mes pattes se sont repliées sous moi. La fenêtre était ouverte. J’ai fait le grand saut. » Bien sûr, comme tout adulte normalement constitué cette fin –l’immaturité revendiquée- m’a pris très à rebrousse-poil. Mais à y repenser, l’auteur n’avait pas d’autre choix. Admettons que Sandra ait opté pour le retour à l’humanité. Le choix de la maturité en quelque sorte. J’entends d’ici les hurlements des lectrices ados devant cette minable tentative de récupération. En fait, qu’est-ce qui caractérise le passage à l’âge adulte sinon cette capacité à faire le choix qui va déterminer le reste de votre existence. En quelque sorte en choisissant l’immaturité, Lady/Sandra fait un vrai choix d’adulte, paradoxe intéressant, n’est-il pas ? Lady est un livre au contenu philosophique comme souvent les grands romans de Science Fiction. D’ailleurs, Lady m’a fait aussitôt pensé au chef d’œuvre de Clifford Simak : Demain les chiens, qui raconte la terre dans des milliers d’années. Une terre sans homme, où, le soir à la veillée, les chiens devenus intelligents se transmettent de vieilles légendes qui parlent d’une créature mythique : l’homme. Un roman par nouvelles qui décrit la fin de la race humaine à cause d’une colonisation à l’envers. En l’an 3000 et quelques les terriens découvrent d’autres civilisations extra-terrestres. Ainsi, les jupitériens invite un homme à venir sur leur planète. Or, quiconque vient sur Jupiter se transforme en jupitérien. Sous cette forme, l’homme découvre le bonheur ! Que fait-il ? Il revient sur terre pour propager la nouvelle. C’est ainsi que l’humanité disparaît. Le message est clair Qu’est-ce qui définit notre humanité ? Le bonheur réalisé ou sa quête sans fin ? C’est évidemment de cela dont il s’agit dans Lady. En outre, l’intérêt du livre est de susciter des débats entre les adolescentes. Certaines voyant dans cette dernière phrase un suicide (impossibilité de choisir), d’autres remettant en cause le choix que Lady a fait, d’autres enfin assumant pleinement cette immaturité provocatrice. Un grand livre sur la métamorphose du corps, et sur la bestialité que l’adolescent sent monter en lui, partagé qu’il est entre fascination et peur d’y être englouti. Un grand livre sur la dualité et le choix comme exercice de la liberté. Oh, dernière petite chose, si « la mayonnaise prend », c’est que Melvin Burgess s’est métamorphosé en jeune adolescente de 17 ans, et croyez moi, ça n’est pas plus facile que d’être changée en chienne. C’est ainsi qu’il a été confronté à cette fin qu’il ne voulait pas et que Lady/Sandra lui a en quelque sorte imposé. C’est le prix à payer pour communiquer avec cette génération perdue dans une société en éternelle adolescence. C’est le prix qu’ont payé Russel Banks dans Sous le règne de Bone ou Sapphire dans Push. Deux chefs d’œuvre parus dans la littérature générale et « braconnés » par les ados.