dissertation bac blanc
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Correction de la dissertation du bac blanc n°2! La question de l’Homme dans les genres de l’argumentation du XVIe siècle à nos jours Sujet étudié : Dans quelle mesure les formes littéraires peuvent-elles construire une réflexion sur l'homme et la société ? Introduction Amorce Italo Calvino s’exprimait en ces termes : « Si j'ai confiance en l'avenir de la littérature c'est parce qu'il est des choses, je le sais, que seule la littérature peut offrir par ses moyens spécifiques. ». Cette affirmation peut sembler destinée à justifier un art qui paraît aujourd’hui moribond, concurrencé de toutes parts par la multiplication de distractions plus faciles. Problématique Que nous apporte donc la littérature ? Reformulation du sujet Peut-on par exemple penser que dans les différentes formes qu’elle est susceptible de revêtir, elle permette de construire une réflexion sur l’homme et la société, c’est-à-dire sur les rapports qu’entretiennent les hommes qui vivent ensemble ? Cet apport des formes littéraires serait-il plus important que celui des sciences ? Plan Après avoir observé que la littérature peut ne pas paraître au premier abord la discipline privilégiée pour étudier ces deux objets, nous essaierons de montrer qu’avec ses moyens propres, elle nous apporte néanmoins une lumière particulière sur ces questions. Enfin, nous montrerons que la littérature joue aussi un rôle de révélateur sur nous-mêmes. Plan détaillé I. Certes, la littérature semble ne pas être la plus apte des disciplines pour expliquer l’être humain et sa vie en société, A. Jusqu’au XIXe siècle, la littérature pouvait prétendre rendre compte de la connaissance de l’Homme, mais l’essor des sciences naturelles amène à une complexité des sciences que la littérature ne peut restituer. Les grands scientifiques cessent alors d’être de grands écrivains et si Zola prétend encore donner à la littérature une ambition scientifique, c’est en prenant pour modèle Claude Bernard, le grand théoricien de la méthode expérimentale, et en cherchant à faire de ses romans une vérification systématique d’hypothèses soumises à l’expérimentation. Cette ambition échoue dans la mesure où l’on se souvient davantage des aventures des personnages du cycle des Rougon-Macquart que des déterminismes biologiques de l’hérédité que Zola prétendait y mettre en évidence. La connaissance physique de l’homme semble donc incomber davantage à la biologie qu’à la littérature. [utilisation du corpus + programme de seconde] B. Cependant, la littérature s’attache depuis l’Antiquité à offrir une connaissance de l’âme humaine et des fonctionnements de la vie en société. Cette recherche est particulièrement sensible au XVIIe siècle, où les moralistes, s’efforcent de donner une description morale de l’homme et de la vie en société. La Rochefoucauld, par exemple, dans ses Sentences et Maximes, a su montrer que l’altruisme n’était en réalité qu’une manifestation de l’amour-propre : « Quand on croit servir les autres, on ne fait que se servir à travers eux ». La Fontaine, Molière ou encore les tragiques, Racine et Corneille, quant à eux, tendent à leurs contemporains un miroir grossissant de leurs défauts. Mais les sciences humaines, en particulier la sociologie et la psychanalyse, se sont emparé des textes littéraires pour y diagnostiquer divers maux, parmi lesquels le plus célèbre est sans doute la paranoïa dont a été accusé Jean-Jacques Rousseau, philosophe des Lumières et auteur des Confessions. On ne pourrait ainsi trouver dans les textes littéraires qu’une vérité masquée et atteinte par intuition, dont les sciences humaines auraient la clé. [programme de seconde (genres et formes de l’argumentation : XVIIe et XVIIIe siècles)] C. Doit-on donc considérer que la littérature n’a aucune utilité ? C’est ce qu’ont prétendu les poètes du Parnasse, dans la deuxième moitié du XIXe siècle. Théophile Gautier écrivait ainsi qu’« il n’y a de vraiment beau que ce qui ne peut servir à rien ». La littérature, et en particulier la poésie, pour atteindre le beau devrait donc abandonner toute idée d’utilité et se consacrer à cette seule recherche esthétique, notamment à l’élaboration de sonnets aux rimes impossibles, par exemple les rimes en -yx de Mallarmé. [programme de seconde : la poésie au XIXe siècle] Affirmer cela serait donc dire que la littérature a une seule fonction esthétique et qu’elle n’a aucune fonction cognitive [cognitif : qui est lié à la connaissance]. [transition : La littérature ne semble donc pas destinée à apporter une connaissance sur l’homme et sur la société, ainsi que certains poètes en conviennent eux-mêmes. Pourtant, avec ses différentes formes, la littérature a peut-être des moyens d’aborder la question de l’homme, qui ne seraient pas les mêmes que ceux dont disposent les sciences. On aurait ainsi une complémentarité entre connaissances scientifique et littéraire de l’être humain.] II. mais on pourrait également envisager que la littérature apporte une contribution différente à la réflexion sur l’homme, A. La littérature n’essaie pas de rendre compte de l’homme en général, mais de saisir la vérité des individus. C’est en particulier le cas des romanciers qui, comme Mauriac à travers Thérèse, dont il récrit inlassablement les aventures : Thérèse à l’hôtel, Thérèse chez le médecin, donnent accès aux ressorts cachés d’un individus. Et la fréquentation du roman Thérèse Desqueyroux fait entrer le lecteur dans un monde à lui inconnu : « Les gens qui ne connaissent pas cette lande perdue ne savent pas ce qu’est le silence », y lit-on sous la plume du romancier qui, entrelaçant les voix du narrateur et du personnage, que le lecteur peine à démêler, fait naître une connaissance intime et empathique du personnage. Et, ce faisant, il fait découvrir au lecteur l’univers d’une bourgeoisie provinciale qui étouffe les femmes dans l’épais silence de l’ignorance. [œuvre intégrale] On pourrait en dire de même de la plupart des univers romanesques, dont les personnages nous apparaissent dans toute leur vérité, avec leur vision personnelle du monde. Julien Gracq, dans En lisant, en écrivant écrit ainsi à propos de sa lecture de La Chartreuse de Parme : « J’entrai en Stendhalie », un monde où l’on peut, comme Fabrice, découvrir avec émerveillement l’univers carcéral lorsque celui-ci nous rapproche de l’être aimé. [cf. bac blanc] Aucune science ne peut comme l’art en général et, plus particulièrement la littérature, nous permettre de voir le monde comme par les yeux d’un autre. B. Le théâtre permet, quant à lui, non seulement de percevoir le monde par le point de vue d’un personnage autre que moi-même, mais il met également au jour les rapports de pouvoir qui régissent la société. La scène théâtrale dévoile les rapports de force qui, dans la sphère politique, amènent l’empereur Titus à obéir aux lois édictées par le Sénat, chez Racine [programme de seconde, Jean Racine, Bérénice] ou dans la sphère domestique, conduisent le serviteur à se montrer insolent face à son maître, comme le fait Toinette dans Le Malade imaginaire en essayant d’empêcher Argan de marier sa fille à un médecin que celle-ci n’aime pas : « Non, je ne consentirai jamais à ce mariage », déclare-t-elle ainsi, en prenant, en parole, la place de son maître. [La comédie classique : programme de seconde et de collège] Pensons encore au rapport de domination du père sur sa maisonnée, qu’il peut régir en authentique tyran, comme tente précisément de le faire Argan, ou encore à la caricature du tyran présentée par Alfred Jarry dans Ubu Roi où le monarque se comporte d’une manière si arbitraire qu’il fait naître le rire. À travers ces représentations outrées [outrer : exagérer qqch / irriter qq’un] des rapports sociaux, les dramaturges font apparaître ce dont le spectateur n’avait pas une conscience claire avant d’assister à la représentation. Le théâtre joue ainsi un rôle de révélateur des mécanismes de domination. [transition : mais la littérature n’a pas pour seule fonction de permettre la découverte des êtres humaines et des rapports qui les régissent, elle joue aussi un rôle de révélateur sur nous-même et sur notre rapport aux autres] III. C’est surtout soi-même que l’on apprend à comprendre et à construire grâce à la littérature. A. Les histoires pour enfants sont destinées non seulement à les divertir mais à leur permettre de se construire. Dans sa Psychanalyse des contes de fées, Bruno Bettelheim fait remarquer que « le conte de fées, tout en divertissant l'enfant, l'éclaire sur lui-même et favorise le développement de sa personnalité. » À travers les contes en effet, le jeune enfant découvre, même inconsciemment, qu’en acceptant d’explorer le monde extérieur et de se séparer, pour cela, de ses parents, comme le héros des contes qui suit parfois sa route de façon solitaire, il trouvera une existence indépendante plus satisfaisante, dans laquelle il pourra échapper à l’angoisse de l’abandon. [programme de seconde : l’argumentation au XVIIe siècle] De même les Fables de La Fontaine présentent-elles des animaux anthropomorphes auxquels l’enfant peut choisir de s’identifier. Il arrive bien souvent que le personnage moralement meilleur connaisse une fin tragique et que la loi du plus fort triomphe, comme c’est le cas dans « Le Loup et l’Agneau » où l’on apprend à la fois le fonctionnement de la société, c’est-à-dire qu’il faut rester prudent lorsqu’on est confronté à plus fort que soi, qu’il est inutile d’argumenter face au puissant s’il est de mauvaise foi, mais où, cependant, on pourrait difficilement s’identifier au Loup, qui incarne l’injustice aveugle qui emporte l’agneau « et puis le mange, / Sans autre forme de procès ». La littérature est ainsi, depuis qu’existent les mythes, un élément essentiel de la construction de soi et de la vie sociale pour l’enfant. B. La littérature permet également au lecteur adulte d’accéder à une connaissance morale qu’il serait difficile ou peut-être impossible d’acquérir autrement. La philosophie, par exemple, dont l’une des branches a pour objet la morale, présente des théories, élaborées pour être universelles, mais qui restent toujours abstraites, là où le récit fictionnel, au contraire, fait partager le point de vue des personnages, permet de se confronter aux choix moraux auxquels les héros doivent faire face, de comprendre comment chaque être se détermine face aux situations qu’il rencontre. La poésie engagée, par exemple, ne nous amène pas seulement à condamner ce que l’auteur dénonce, comme les massacres de l’Île de Chio, dans le poème de Victor Hugo intitulé « L’Enfant » (Les Orientales) [programme de seconde : le romantisme engagé]. Face à la guerre, l’enfant se transforme en soldat qui ne désire que « de la poudre et des balles », et le lecteur comprend que l’enfant innocent qu’il a lui-même été aurait pu, dans ces monstrueuses circonstances, devenir lui-même un monstre. Lire ce texte amène ainsi à prendre conscience non seulement d’un fait de société, le malheur des Grecs en cette époque désormais lointaine de guerre d’indépendance, mais aussi de ce que signifie vraiment la guerre : au delà du massacre, il y a le mal qu’elle ancre dans les cœurs purs. En lisant de la littérature engagée, le lecteur se questionne sur lui-même et se demande ce qu’il aurait lui-même fait en de telles circonstances, et se forge une éthique personnelle. [On pourrait ici citer La Peste de Camus, qui présente plusieurs façons de se positionner face au fléau, sans en choisir aucune, mais en amenant le lecteur à se demander laquelle d’entre elles il aurait choisie.] C’est ainsi qu’Italo Calvino, romancier et philosophe italien du XXe siècle, peut affirmer que « les choses que la littérature peut rechercher et enseigner sont peu nombreuses, mais irremplaçables : la façon de regarder le prochain et soi-même ». C. Mais peut-on affirmer qu’il s’agisse là d’un élément propre à la littérature ? Toute forme d’art ne permet-elle pas le même apprentissage ? Il est tentant en effet de montrer que le geste de l’insurgé espagnol, au premier plan du Dos de Mayo de Goya, nous apprend la même chose, que la guerre transforme l’honnête homme légitimement révolté, en un être sanguinaire qui plante son poignard dans le corps d’un Mamelouk déjà transpercé de toutes parts. [HDA classe de seconde] L’image a même pour elle la violence de son immédiateté : la représentation visuelle frappe plus immédiatement que le texte. Néanmoins, seule la littérature laisse le travail de l’imagination se faire librement : examiner un tableau, voir un film sont bien des manières de découvrir la vie humaine, mais avec un visage et un seul. La Thérèse Desqueyroux des cinéastes ne possède qu’un visage, tandis que celle du lecteur en possède mille et, à ce titre, peut être rencontrée « dans une salle étouffante d’assises » ou dans « un salon de campagne » (avant-propos de Thérèse Desqueyroux). Le personnage créé par le texte s’universalise comme une théorie philosophique mais en restant concret, en gardant des caractéristiques précises, une « petite figure blanche et sans lèvres » par exemple, avec laquelle pendant la durée de la lecture, on a vécu entouré des pins, des incendies et du silence et ce monde que l’on a découvert ne cessera plus d’exister pour nous. Lire le roman a donc créé une partie, même infime, de nous-même. Conclusion On peut donc affirmer que la littérature ne peut rivaliser avec les sciences humaines pour élaborer des théories sur l’homme et la société, mais qu’elle offre une manière complémentaire d’aborder ces objets dont elle révèle intuitivement des mécanismes. Nous avons enfin pu observer que la littérature a un rôle fondamental à tenir dans la construction de soi, qui ne peut être joué par aucun des arts visuels. Ouvertures possibles 1) Qu’en est-il cependant de la musique ? Ne pourrait-elle pas être conçue comme une narration qui dépasserait la littérature en cela qu’elle saurait se passer des mots ? 2) Mais l’apport essentiel de la littérature ne serait-il pas la capacité à rentrer en soi-même ? La capacité d’introspection [introspection = fait de regarder en soi-même] est en effet développée par la pratique de la lecture, de même que la capacité à se concentrer, à fixer son attention sur un texte. 3) On peut ainsi affirmer que la fonction de la littérature est de permettre à l’homme d’apprendre à remplir l’une des trois exigences de la sagesse antique, inscrites jadis sur le temple de Delphes, « Connais-toi toi-même », par la découverte qu’elle permet de notre personnalité propre, de l’éthique que l’on désire faire nôtre. 4) Au terme de cette réflexion, on peut se demander pourquoi l’opinion commune distingue ainsi systématiquement l’art, qui serait toujours censé être inutile, des sciences. Comment pourrait-on réconcilier ces deux modes de rapport au monde, qui sont à bien des égards complémentaires, en témoignent les références fréquentes des psychologues ou des sociologues à des fictions qui leur servent d’exemples ou de modèles.