L aplasie de l oreille
Transcription
L aplasie de l oreille
D O S S I E R L’aplasie de l’oreille ● Y. Manac’h* DE QUOI PARLONS-NOUS ? Une aplasie est un défaut de développement d’un tissu qui a gardé une forme embryonnaire. En France, nous distinguons, suivant M. Ombredanne, d’une part l’aplasie majeure (AM), constituée de quelques reliquats de pavillon, d’une absence de conduit et de malformations ossiculaires et, d’autre part, l’aplasie mineure (Am), constituée d’un pavillon et d’un conduit auditif externe normaux ou subnormaux et de malformations ossiculaires. L’aplasie majeure pose les problèmes plastique du pavillon et fonctionnel auditif du conduit auditif externe et de l’oreille moyenne. L’aplasie mineure pose essentiellement le problème fonctionnel de l’oreille moyenne. Dans ces deux formes d’aplasie, l’oreille interne est sousentendue comme étant normale ; ce sous-entendu correspond à une réalité embryonnaire et pathologique, les oreilles externe et moyenne dérivant d’éléments branchiaux, alors que l’oreille interne dérive de la capsule otique ; l’aplasie de l’oreille est essentiellement une pathologie d’origine branchiale. Les Anglo-Saxons, dans leurs articles à finalité plastique, utilisent préférentiellement le terme de microtie, qui concerne le pavillon et, dans leurs articles à finalité fonctionnelle, le terme d’atrésie du conduit. Si le terme de microtie est clair, le terme d’atrésie, qui correspond à un développement incomplet d’un conduit avec ses multiples variantes, peut ainsi évoquer pour l’ORL l’atrésie de l’œsophage, qui comporte une solution de continuité de l’axe œsophagien avec un segment inférieur indépendant du segment supérieur. Or, cette forme particulière d’atrésie n’existe pas au niveau du conduit ; en effet, pour des raisons embryologiques, le recouvrement épithélial du fond du conduit et de la face externe du tympan ne peut être que d’origine ectodermique, provenant de la surface de l’embryon ; en d’autres termes, en dedans d’un cul-de-sac d’un conduit bien fermé, il n’y a pas de danger de trouver un autre segment de conduit épithélialisé avec ses complications potentielles. Exemples : – un conduit en entonnoir, même très serré, est une Am car il existe une continuité épithéliale entre l’orifice externe du conduit et la membrane tympanique normale ou petite ; il y a un risque de rétention épithéliale et sa canaloplastie de simple agrandissement est relativement facile ; – le conduit de l’AM est absent ou s’arrête totalement au bout de quelques millimètres ; il n’y a pas de risque de rétention épithéliale et sa canaloplastie de création d’un néocanal est difficile. * Service ORL, hôpital Necker-Enfants Malades, 149, rue de Sèvres, 75015 Paris. En pratique : – pour rapporter de grandes populations et du fait de la proportionnalité quasi constante entre le degré des malformations du pavillon, du conduit et de l’oreille moyenne, il est indifférent d’utiliser les termes d’aplasie majeure, de microtie, ou d’atrésie du conduit ; – pour décrire un patient donné, du fait de l’existence rare mais possible de pavillons normaux sans conduit (AM) ou d’anoties (absence de pavillon) avec conduits (Am), le praticien est condamné à décrire pour chaque patient ces trois éléments suivant les données qu’il possède : cliniques, audiométriques, radiologiques voire opératoires. Nous ne parlerons ici que des aplasies majeures. Bien que de diagnostic facile, sa fréquence est peu précise, environ un cas pour 5 000 à 10 000 naissances. L’HYPOTHÈQUE VENTILATOIRE L’aplasie majeure d’oreille s’accompagne toujours d’un certain degré d’hypoplasie mandibulaire homolatérale. Cette dernière peut induire une gêne ventilatoire obstructive ou une difficulté d’intubation éventuellement nécessaire à un examen complémentaire par exemple. L’examen de la cavité buccale à l’abaisse-langue et l’observation de la qualité du sommeil suffisent à lever cette rare mais importante hypothèque. L’AUDITION L’AM, avec son absence de conduit, de membrane tympanique et la présence de malformations ossiculaires, induit un déficit auditif transmissionnel de 70 dB. – Dans 80 % des cas, l’AM est unilatérale. – Dans 15 % des cas, elle est bilatérale et alors, le plus souvent, dans le cadre d’un syndrome (cf. infra). – Dans 5 % des cas, elle est associée à une aplasie mineure controlatérale qui risque d’être méconnue. Dès lors, face à une AM d’apparence unilatérale, il est évident que les possibilités auditives de l’enfant dépendront de l’oreille controlatérale dont il faut connaître la valeur fonctionnelle dès les premières semaines de vie. L’enregistrement des oto-émissions provoquées (OEP) de cette oreille apparemment saine se révèle remarquablement performant ; l’anomalie ou l’impossibilité de la réalisation de cet examen doit conduire à l’étude des potentiels évoqués auditifs du tronc cérébral (PEATC) avant 6 mois. La Lettre d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - n° 246 - octobre 1999 25 D O S S I E R ● Première situation (80 % des cas) : l’AM est unilatérale et l’oreille controlatérale saine. La constatation de la normalité de l’audition de l’oreille controlatérale permet d’être rassuré quant à la possibilité de l’enfant pour une acquisition du langage et une scolarité normales. Il faut reconnaître que dans la période néonatale, cette tranquillité acquise par le médecin n’est pas toujours comprise par la famille. On peut alors s’aider de quelques phrases : “il suffit d’une bonne oreille pour bien entendre...”, “il y a des enfants qui naissent sans malformation évidente et chez qui on découvre, vers 5-6 ans, à l’âge du téléphone, une surdité bien plus importante, unilatérale, qui, jusque-là, était méconnue, car sans gêne...”, “si une surdité unilatérale acquise peut être gênante, une surdité congénitale l’est beaucoup moins...”, “en outre, si votre enfant entend mal du côté de sa malformation, la partie noble de l’audition, l’oreille interne, est présente ; l’audition de cette oreille malformée est donc en réserve ; il suffirait par exemple d’un appareillage pour que, si un malheur survenait du côté de sa bonne oreille, il puisse entendre normalement...”. Cette oreille “unique” nécessitera cependant, par prudence, un suivi otoscopique et au moins acoumétrique annuel. Le premier contrôle ORL est ainsi effectué vers l’âge de 12-14 mois pour vérifier la mise en place normale du langage. Les parents sont alors rassurés. Deux questions peuvent alors se poser : – Le bilan radiotomodensitométrique (TDM), son indication et sa date : il faut reconnaître que, dans ce cadre clinique, la TDM apporte peu de choses : du côté de l’AM, il n’y a pas de risque d’inclusion épithéliale (cf. supra) ; il n’y a pas d’indication de chirurgie à but fonctionnel (cf. infra) ; dès 5-6 ans, on aura une certitude audiométrique de la normalité de l’oreille interne du côté aplasié. Cependant, il est classique de demander un bilan TDM, mais il doit être de bonne qualité et non pas constitué de quelques coupes axiales chez un enfant qui a bougé avec de mauvaises reconstructions coronales ou sagittales. Il semble préférable d’attendre l’âge de 6-7 ans, âge auquel la sagesse de l’enfant offre une immobilité suffisante sans besoin de prémédication ni d’anesthésie générale pour avoir de bonnes images coronales et axiales natives. – Les otites sur AM. Aucune publication ne fait état d’otite moyenne aiguë sur AM et, a fortiori, de complication. Les accidents infectieux observés résultent d’une malformation du pavillon avec, par exemple, une conque rétentive, ou surviennent sur une fausse AM qui était en fait une Am avec un conduit en sablier conduisant à un accident otitique externe. Il est donc important de faire cette différence entre AM et Am ; dans les rares cas où l’examen clinique ne le permet pas, le bilan TDM permet de trancher. Pour expliquer cette absence d’accidents otitiques aigus de l’oreille moyenne qui doivent pourtant exister, on est condamné à se rappeler que la majorité des otites moyennes aiguës se guérissent spontanément ou bien qu’il s’agit le plus souvent d’une affection bilatérale, alors diagnostiquée par l’examen du côté non malformé, et qui bénéficie d’un traitement par voie générale à efficacité bilatérale. Acceptons le fait que l’otite moyenne aiguë purulente sur AM n’est pas un problème. La famille et nous-même aimerions quand même normaliser l’audition de cette AM ! Voyons les résultats de cette chirurgie et éliminons les “star patients” que l’on peut retrouver dans la 26 littérature, mais qui sont rares et imprévisibles. Sur des patients sélectionnés (dont le bilan TDM montre une belle cavité d’oreille moyenne et un étrier présent...), le gain auditif postopératoire moyen est de 20 dB pour une perte originelle de 70 dB. Où est la stéréoacousie recherchée ? Il semble actuellement plus raisonnable de renoncer à cette chirurgie en attendant qu’elle fasse de réels progrès, et ce d’autant plus qu’elle est pénalisante sur le plan plastique. De même, lors de la reconstruction plastique du pavillon, il faudra veiller à ce que la technique employée ne gêne pas notre successeur otologiste (cf. infra). L’appareillage de type CROSS avec un micro du côté de l’AM et un embout ouvert du côté de l’oreille normale est en règle refusé par les patients, même après essai. Sauf progrès chirurgical, cet enfant ne sera donc ni policier, ni militaire... mais il pourra être, sans chirurgie ni aide auditive, comme les autres, premier en classe... cela paraît être le principal ! ● Deuxième situation (15 % des cas) : l’AM est bilatérale. Nous avons un déficit auditif bilatéral de 70 dB incompatible avec une normale acquisition spontanée du langage. L’examen audiométrique subjectif adapté à l’âge et les PEATC sont obligatoires. Le nourrisson est appareillé par voie osseuse sur serre-tête avec une prise en charge orthophonique dès qu’il se tient assis, vers 6 mois. Cette situation est beaucoup plus lourde pour la famille et l’enfant mais, avec ces contraintes, l’acquisition du langage et une scolarité quasi normale sont préservées. Vers 5-7 ans, l’appareillage par voie osseuse devient psychologiquement pesant : l’appareillage est visible, le serre-tête se mobilise lors des activités physiques et, malgré l’appareillage, l’enfant peut être gêné pour l’apprentissage des langues étrangères. On peut alors proposer un appareillage en conduction osseuse directe sur vis de titane (BAHA), ou tenter une chirurgie fonctionnelle qui est devenue, grâce à quelques progrès, acceptable ici, dans le cadre d’une AM bilatérale qui nécessite a priori de toute façon un appareillage auditif. Cette chirurgie a toujours des gains auditifs en règle insuffisants, nous l’avons dit. Elle conduit souvent à un néoconduit médio-conqual avec trou noir dysharmonieux ; cependant, l’utilisation d’un lambeau galéal pour venir tapisser l’ensemble du néoconduit (dont le tympan) et qui sert de sous-sol bien vivant à son recouvrement épithélial par une greffe de peau fine permet d’obtenir, dans plus de 70 % des cas, ce qui est acceptable, un néoconduit sec et stable, appareillable par voie aérienne, en intra-conqual ou intra-conduit (figure 1). En d’autres termes, si le problème de la création d’un néoconduit est solutionné, même en cas de base pétreuse très pneumatisée, le problème columellaire – par exemple en cas d’ectopie du nerf facial gênant l’accès à la fosse ovale, si on ne veut pas prendre le risque, pour le court et le long terme, d’une fenestration labyrinthique – reste entier. Il y a bien sûr des “star patients” sans nécessité d’appareillage après chirurgie fonctionnelle, mais il y a aussi ceux dont le gain auditif est nul et dont l’appareillage par voie aérienne est moins performant que l’appareillage par voie osseuse. Pour être dans la situation d’un appareillage par voie aérienne performant, il faut en pratique un gain postopératoire de 20 dB, et nous avons vu que cela est réaliste. Cette chirurgie à but fonctionnel ne peut se faire qu’avec une parfaite connaissance audiométrique et radiologique et l’assurance d’une bonne col- La Lettre d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - n° 246 - octobre 1999 laboration de l’enfant ; elle est réalisée au cours du deuxième temps de reconstruction du pavillon vers 7-9 ans ; en cas d’échec, l’utilisation d’un BAHA reste possible. Le BAHA est une remarquable alternative à l’appareillage auditif par voie osseuse sur serre-tête. Nécessitant une corticale temporale d’au moins 3 mm d’épaisseur et un peu d’attention de la part de son porteur, car il reste fragile, il n’est en pratique mis en place que vers 7-8 ans. Imposant définitivement le port d’un pilier traversant le scalp et d’un petit boîtier crânien que le patient cherche à cacher sous sa chevelure, il est donc logique de proposer dans un premier temps une chirurgie fonctionnelle. Si le BAHA est mis en place en première intention, on se doit de le placer sur une zone non gênante vis-à-vis de toute chirurgie plastique ou fonctionnelle ultérieure. une chirurgie fonctionnelle du côté de l’AM. La tympanoplastie sur Am permet de normaliser l’audition sur le long terme chez 50 % des opérés et ses meilleurs résultats sont obtenus en cas de correction d’une anomalie stapédienne. Tels sont les arguments qui participent actuellement à la décision thérapeutique. LE PAVILLON Dans le cadre des aplasies d’oreille, toutes les malformations sont observables, depuis le pavillon normal jusqu’à l’anotie en passant par tous les degrés de pavillon en cornet. La forme de loin la plus fréquente est la microtie (figure 2), constituée d’un lobule verticalisé surmonté d’un reliquat cartilagineux. Si le but du chirurgien est d’apporter une satisfaction postopératoire au patient, on peut dire que le problème est potentiellement solutionné. Si son but est de construire une oreille normale, il y a encore des progrès à faire, surtout dans la régularité des résultats. Figure 1. Microtie après reconstructions plastique et fonctionnelle. Le néoconduit nuit au résultat plastique mais permet un appareillage par voie aérienne en intraconduit. NB : le sillon rétroauriculaire, en partie comblé par la cale cartilagineuse d’élévation, ne permet pas, en règle, un appareillage en contour d’oreille. ● Troisième situation (5 % des cas) : l’AM est associée à une Am controlatérale. L’Am doit être appareillée par voie aérienne. Si la forme du pavillon ou du conduit ne le permet pas, ce peut être l’indication d’un appareillage par voie osseuse sur serre-tête, temporaire, avant que ne soit réalisée une canaloplastie ou une otoplastie permettant cet appareillage. La canaloplastie de simple agrandissement, qui ne touche pas l’oreille moyenne, est tout à fait réalisable chez le petit enfant. La pratique d’une tympanoplastie du côté de l’aplasie mineure nécessite une parfaite connaissance radiologique et fonctionnelle (dont une audiométrie subjective) des deux oreilles, ce qui la rend difficilement réalisable chez le petit enfant avant 5-6 ans. Par ailleurs, seule l’exploration chirurgicale permet de dire avec certitude quel est l’élément de la chaîne ossiculaire à corriger, et ce peut être l’étrier ; du fait du risque statistiquement faible, mais inhérent à toute chirurgie stapédienne, le contrat préopératoire doit être clair : soit faire une simple tympanotomie exploratrice si le problème se révèle stapédien, soit avoir évoqué le petit risque (en fréquence) d’un appareillage par voie osseuse sur l’AM, soit encore débuter par Figure 2. Microtie typique avec son lobule verticalisé surmonté d’un petit reliquat cartilagineux. Trois possibilités de prise en charge existent : – L’abstention thérapeutique. Elle est rarement exprimée par les enfants : la phrase “Docteur, laisse moi-ma petite oreille cassée” demeure exceptionnelle. – La mise en place d’une épithèse sur des vis de titane : sa mise en place est chirurgicalement simple, son résultat plastique dépend de l’habilité de l’épithésiste. Le pavillon de silicone paraît normal à 2 m, mais, de plus près, on peut se rendre compte qu’il s’agit d’une épithèse comme on peut reconnaître une main de matière plastique. Elle impose en règle l’ablation des reliquats de pavillon afin d’avoir une bonne continuité entre le plan jugal et le bord antérieur de l’épithèse. Elle est amovible, se fixant par des clips sur des piliers transcutanés qui prolongent les vis intra-osseuses, et elle se retire le soir. Elle s’altère avec le temps et doit être refaite au bout de 2 à 4 ans. S’il s’agit d’une méthode thérapeutique tout à fait intéressante chez les adultes, en particulier “mariés”, son caractère La Lettre d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - n° 246 - octobre 1999 27 D O S S I E R amovible fait qu’elle est en règle générale mal acceptée chez l’enfant et l’adolescent. Elle coupe les ponts pour une intervention de reconstruction d’un néo-pavillon, du moins dans sa technique habituelle. – Une reconstruction d’un pavillon à l’aide d’une charpente cartilagineuse construite à partir d’une autogreffe de cartilage costal. C’est actuellement la méthode la plus satisfaisante, réalisée suivant la technique de S. Nagata. Son résultat est correct, donnant satisfaction au patient, sans être parfait. C’est une oreille “bien au patient” permettant de mener une vie normale (figure 3). Sa réalisation nécessite deux conditions : la première est le poids de l’enfant, qui doit être supérieur ou égal à 25 kg pour avoir un volume costal suffisant ; l’intervention est donc rarement réalisée avant 7-8 ans ; la deuxième, comme dans toute chirurgie plastique, est la nécessaire demande de l’enfant et non pas celle de la famille ; l’enfant doit avoir compris le résultat visé et la lourdeur au moins de son premier temps opératoire qui entraîne, pendant quelques jours, un réel inconfort lié au prélèvement costal, comparable à celui occasionné par une fracture de côte malgré le traitement antalgique. En pratique, la demande et la collaboration potentielle de l’enfant se lisent dans son regard. Le premier temps opératoire consiste, après avoir retiré les éventuels reliquats cartilagineux de la microtie, à mettre la charpente du nouveau pavillon sous la peau auriculaire et à transposer en bonne place le lobule. Le deuxième temps, plus léger, consiste à élever le néo-pavillon, c’est-à-dire à lui donner du relief par rapport au plan de la face en utilisant une cale cartilagineuse glissée derrière le pavillon, cale précédemment laissée sous la peau thoracique lors du premier temps opératoire. C’est à ce niveau que le chirurgien conscient du problème auditif, qui sera potentiellement traité dans l’avenir, doit légèrement modifier la technique originelle en utilisant un lambeau de tissu périosté de la base mastoïdienne ou un lambeau galéal occipital pour recouvrir cette cale, et non pas le lambeau de galéa temporal de Figure 3. Microtie après reconstruction plastique suivant la technique de S. Nagata. 28 la technique princeps. Un troisième temps d’éventuelles retouches peut être nécessaire. La technique de S. Nagata actuellement utilisée résulte des progrès apportés successivement par M. Ombredanne, E. Poncet, R. Tanzer et B. Brent. Son principal inconvénient demeure la nécessité d’un important prélèvement cartilagineux costal par thoracotomie ; les prochains progrès devraient venir de l’utilisation d’une charpente issue d’une culture d’une simple biopsie de cartilage autogène ; ce type de culture est dès à présent réalisable, mais il ne permet d’obtenir qu’une lame tissulaire plane qu’il n’est pas encore possible de modeler en un volume stable dans le temps. LES SYNDROMES ET LA GÉNÉTIQUE Face à une AM de l’oreille, la recherche d’un syndrome est systématique, d’une part pour connaître les éventuelles malformations associées et établir un programme thérapeutique précoce et global et, d’autre part, pour permettre d’orienter le conseil génétique, parce qu’un grand nombre de ces syndromes est d’origine génétique. Les familles en sont toujours demandeuses, que ce soit pour de futurs collatéraux ou des descendants ; le moment d’en parler est une question de doigté au cours du suivi du patient et de sa famille. Pour établir le diagnostic syndromique, il est pratique de distinguer : 1. Les dysmorphoses sévères du pavillon de type microtie Elles conduisent à rechercher d’autres anomalies essentiellement locales ou régionales au niveau des autres dérivés des arcs branchiaux. L’oreille interne est donc en règle indemne. ● Nous avons vu l’aplasie majeure avec ses formes unilatérales, plus rarement bilatérales, ou associée à une aplasie mineure controlatérale. Elle s’accompagne quasi constamment d’au moins une note d’hypoplasie mandibulaire homolatérale, ce qui devrait lui permettre de s’appeler “syndrome oto-mandibulaire”. La prise en charge de cette hypoplasie mandibulaire dépend de son retentissement esthétique facial et fonctionnel au niveau de l’articulé dentaire ; elle est orthodontique ou chirurgicale chez le grand enfant ; l’ostéodistraction mandibulaire est en cours d’évaluation de ce cadre. Sa fréquence est d’environ 1 à 2 cas pour 10 000 naissances. L’interrogatoire retrouve exceptionnellement le rôle d’un agent tératogène qui, s’il est retrouvé, induit préférentiellement une malformation bilatérale. Les antécédents familiaux sont en règle générale absents (3 % des cas). Sur une population de 500 syndromes oto-mandibulaires, isolés, unilatéraux et sans antécédent familial suivis dans le service, nous avons pu établir un risque de récurrence de 2,7 pour 1 000 tant pour les futurs collatéraux que pour la descendance. Ce chiffre est très utile aux familles. ● Le syndrome de Goldenhar. C’est une dysmorphose sévère du pavillon qui s’intègre dans un ensemble malformatif avec des atteintes oculaires et vertébrales. Ce syndrome est également appelé syndrome oculo-auriculo-vertébral ou microsomie hémifaciale. La dysmorphose du pavillon est variable, allant d’un pavillon de structure anarchique à l’anotie. Cette dysmorphose du pavillon est souvent associée à des fibroenchondromes préauriculaires ou siégeant sur une ligne allant de la commissure buccale à l’oreille. L’atteinte peut être bilatérale (30 % des cas), mais toujours franchement asymétrique La Lettre d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - n° 246 - octobre 1999 (figures 4 et 5). L’hypoplasie mandibulaire est plus marquée que dans le syndrome oto-mandibulaire. Au niveau régional, on trouve une atteinte ophtalmologique quasi constante sous la forme d’une tuméfaction épibulbaire, plus rarement d’une anomalie de la fente palpébrale, d’un colobome de la paupière supérieure, voire d’une microphtalmie. D’autres anomalies faciales peuvent être retrouvées, comme une paralysie faciale, une fente vélo-palatine, une macrostomie. Le rachis présente une anomalie dans 30 % des cas, sous la forme d’une fusion vertébrale ou d’une hémi-vertèbre, habituellement stable. Plus rares, mais à rechercher systématiquement, sont les anomalies Figure 4. Syndrome de Goldenhar avec son atteinte souvent bilatérale mais asymétrique ; ici, microtie d’un côté et pavillon en cornet de l’autre. cardiaques et rénales. Le système nerveux central présente dans 5 à 15 % des cas des anomalies radiologiques. L’intelligence est en règle normale. Sur le plan thérapeutique spécifique, la tuméfaction épibulbaire peut nécessiter une prise en charge chirurgicale pour des raisons esthétiques ou fonctionnelles. Comme pour le syndrome de Treacher Collins que nous verrons ci-après, nous sommes ici dans le cadre d’une atteinte chronologiquement prébranchiale d’une neurocristopathie rhombencéphalique. L’incidence du Goldenhar est de 1 pour 5 000 naissances mais ce chiffre, issu de la littérature, paraît élevé. Il est dans la majorité des cas sporadique et d’étiologie inconnue ; cependant, 1 ou 2 % de formes familiales, d’expression intrafamiliale très variable, peuvent suggérer dans ces cas une transmission autosomique dominante. Le risque de récurrence est faible et évalué à environ 5 %. ● Le syndrome de Treacher Collins. La dysmorphose du pavillon n’est pas l’élément le plus constant de ce syndrome mais elle est, quand elle existe, le signe d’appel le plus voyant. L’atteinte faciale, toujours bilatérale, est symétrique. Elle donne au visage une forme de “tête d’oiseau” qui oriente le diagnostic (figure 6). Ce syndrome est encore appelé syndrome de Franceschetti-Zwahlen-Klein ou dysostose mandibulo-faciale. La dysmorphose du pavillon est donc très variable. Le pavillon est parfois normal, mais, dans 60 % des cas, il s’agit d’une microtie. L’hypoplasie mandibulaire comporte une ouverture de l’angle de la mâchoire et une rétrogénie ; surtout au niveau du tiers moyen de la face, il existe une hypoplasie malaire (80 % des cas), avec des pommettes effacées qui induisent une obliquité anti-mongoloïde des fentes palpébrales. Dans ce cadre régional il peut exister un colobome des paupières inférieures (70 % des cas), voire de l’iris. Une fente vélo-palatine est présente dans 35 % des cas. L’intelligence est en règle normale. Sur le plan thérapeutique spécifique, la dysmorphose du tiers moyen de la face est prise en charge parallèlement à l’hypoplasie mandibulaire en utilisant des greffes d’apposition osseuse pour le malaire avec par- Figure 5. Le même cas que celui de la figure 4 pour montrer le kyste épibulbaire et le colobome irien supéroexterne. La Lettre d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - n° 246 - octobre 1999 Figure 6. Syndrome de Treacher Collins (ou de Franceschetti) avec son hypoplasie malaire, son colobome palpébral inféro-externe et son hypoplasie mandibulaire. La malformation est symétrique. Ce cas a été choisi pour montrer que la microtie n’est pas constante dans ce syndrome. 29 D O S S I E R fois le recours à une ostéotomie d’avancement maxillaire ; ces résultats sont remarquables. L’éventuelle hypoplasie palpébrale est plus difficile à corriger. L’incidence du syndrome de Treacher Collins est d’environ 1 pour 50 000 naissances. C’est une affection autosomique dominante avec un risque de transmission du gène de 50 % ; sa pénétrance est de 90 %, mais avec une expressivité très variable. Le taux des nouvelles mutations qui explique l’apparition d’un cas dans une famille jusque-là indemne est estimé à 60 %. Le gène a été localisé dans le chromosome 5q32-q33.1 et a été identifié. ● Citons des syndromes beaucoup plus rares : le syndrome de Nager ou dysostose acro-faciale pré-axiale, qui ressemble à un syndrome de Treacher Collins, mais avec une anomalie des pouces, et le syndrome de Wildervanck-Smith ou dysostose acrofaciale postaxiale, qui ressemble à un syndrome de Treacher Collins, mais avec une anomalie des petits doigts. 2. Les atypies du pavillon avec déficience auditive potentielle Ces atypies entrent dans des cadres syndromiques plus généraux que les malformations essentiellement locales ou régionales d’origine branchiale ou plus primitive rhombencéphalique que nous avons vues jusqu’à maintenant. Les déficiences auditives, si elles existent, ne sont plus uniquement de nature transmissionnelle mais, fait important, peuvent être de perception ou mixte. ● Le syndrome de Klippel-Feil. L’atypie morphologique du pavillon est très variable, de la microtie au pavillon normal. Les éléments essentiels du syndrome sont les anomalies du rachis cervical avec rigidité, l’implantation basse des cheveux dans la région occipitale et un aspect de pterygium colli. La surdité ne fait pas partie de ses signes cardinaux. Son incidence est d’environ 8 pour 1 000 naissances et est, suivant son type, sporadique ou génétique autosomique, dominant ou récessif. ● Le syndrome de Wildervanck. Il est également appelé syndrome cervico-oculo-acoustique ; c’est un syndrome de Klippel-Feil associé à un signe ophtalmologique de Duane (paralysie de l’abduction du globe). La déficience auditive est plus fréquente (30 % des cas) que dans le syndrome de Klippel-Feil ; elle est transmissionnelle, de perception ou mixte avec bien souvent une malformation radiologique de l’oreille interne de type Mondini. ● Avec les syndromes de Townes-Brock, de LADD, de CHARGE... avec leur pavillon respectivement de faune, en cornet, ou conqual triangulaire avec agénésie lobulaire, nous nous éloignons des aplasies majeures. En pratique, même avec un bon examen pédiatrique général et les examens complémentaires proposés ci-contre, il n’est pas toujours facile de faire un diagnostic syndromique. On peut hésiter entre une AM unilatérale et un syndrome de Goldenhar, une AM bilatérale et un syndrome de Treacher Collins... l’aide clinique du généticien est précieuse, mais celle de son laboratoire est pour le moment plus limitée ; le médecin ORL peut se trouver en effet dans deux situations : – Dans la première, il est face à un patient chez qui il suspecte un syndrome par ailleurs absent dans la famille. Son diagnostic 30 par biologie moléculaire impose que la maladie soit monogénique, que le gène ait été localisé et identifié, et que, si possible, ses mutants soient connus. Ce diagnostic génétique “direct” est impossible ou non encore réalisé en pratique courante pour les syndromes sus-cités. – Dans la deuxième situation, il est face à un membre d’une famille porteuse d’un syndrome et il voudrait savoir si son patient en est atteint. Il suffit pour cela de connaître la localisation chromosomique du gène, de repérer ensuite, au sein de la famille, le chromosome porteur de la maladie et de savoir s’il est présent ou non chez le patient. La précision de ce diagnostic dépend de la précision de la localisation du gène sur le chromosome et de l’existence de marqueurs chromosomiques situés à proximité de cette localisation. La certitude du diagnostic ne peut être obtenue que si le gène est identifié et que le laboratoire accepte de rechercher la mutation en cause dans cette famille et de la tester sur le patient. Cet énorme travail n’est en pratique justifié que si l’établissement du diagnostic conduit à des décisions d’ordre vital pour l’enfant ; reconnaissons que ce n’est pas le cas ici. Le travail avec les généticiens est donc essentiellement un investissement pour construire l’avenir. Examens complémentaires à pratiquer face à une malformation du pavillon (en dehors des fistules préauriculaires et des oreilles décollées). Examen Étude de l’audition Indication Toujours Commentaires Au moins une des deux oreilles Étude de la ventilation (ex. clinique) Toujours Atteinte rare mais essentielle à connaître Examen cardiaque (auscultation) Toujours Atteinte exceptionnelle Radiographie des rochers (coupes coronales et axiales) Toujours – Précoce si suspicion de surdité de perception ou syndrome de CHARGE ou nécessité d’appareillage auditif – Sinon mieux vaut attendre 6-7 ans Examen ophtalmologique Facile – Recherche d’une autre gêne à la communication – Peut aider à un diagnostic syndromique Examen rénal (échographie) Facile – Peut aider à un diagnostic syndromique – Atteinte fonctionnelle rarissime Radiographie du rachis Facile – Atteinte fréquente mais le plus souvent stable – Surtout pour syndromes de Goldenhar, de Klippel-Feil Radiographie du squelette Au cas par cas En cas de suspicion de syndromes de Nager, de Wildervanck-Smith, etc. Les techniques d’examens complémentaires sont proposées en fonction du rapport coût/efficacité. Toute anomalie à un examen simple doit bien sûr conduire à poursuivre les explorations. CONCLUSION La prise en charge des aplasies majeures progresse... à petits pas. Au niveau diagnostique, ces progrès viendront de la génétique, au niveau plastique, probablement des techniques de cultures cellulaires, et au niveau fonctionnel, de la maîtrise de la tympanoplastie sur nerf facial ectopique. ■ La Lettre d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - n° 246 - octobre 1999