Droit public économique - AEDPA, le site de l`Association des

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Droit public économique - AEDPA, le site de l`Association des
UNIVERSITE PARIS-I PANTHEON-SORBONNE
U.F.R. 01 DROIT ADMINISTRATION ET
SECTEUR PUBLICS
12 PLACE DU PANTHEON 75005 PARIS
Master 2 recherche : Droit public économique
Mémoire en vue de l'obtention du master
Session de juin 2007
« Délégation de service public et Conseil de la concurrence»
Présenté par Jeoffrey Rambinintsoa
Président du Jury : Monsieur le professeur Gérard Marcou
Directeur de mémoire : Monsieur le professeur Laurent Richer, avocat au
Barreau de Paris
*
* *
*
1
2
REMERCIEMENTS
Je voudrais avant tout sincèrement remercier mon directeur de mémoire et professeur,
Monsieur Laurent RICHER, sans lequel ce travail n’aurait pu avoir lieu.
Je tiens également à remercier mon directeur de Master, Monsieur le professeur Gérard
MARCOU, pour m’avoir donné l’opportunité de poursuivre une formation dans un domaine
que j’affectionne tout particulièrement, mais également pour son attention et ses conseils tout
au long de l’année.
3
PLAN :
INTRODUCTION
Section I
La répartition des compétences posée par le Tribunal des conflit et la
réglementation
Section II
Les règles posées par le Conseil de la concurrence en matière de
délégation de service public
CHAPITRE I - LA DELIMITATION DU MARCHE PERTINENT DU CONSEIL DE LA CONCURRENCE
EN MATIERE DE DELEGATION DE SERVICE PUBLIC
Section I
Un marché pertinent défini par le croisement d’un appel d’offre et de
soumissions dans le cadre des ententes
Section II
Un marché pertinent limité au marché où sont actifs l’ensemble des
opérateurs susceptibles de répondre à un appel d’offre en matière d’abus de position
dominante et de concentration
CHAPITRE II -LES
PRATIQUES D’ABUS DE POSITION DOMINANTE SANCTIONNEES PAR LE
CONSEIL DE LA CONCURRENCE EN MATIERE DE DELEGATION DE SERVICE PUBLIC
Section I- Les différents types de positions dominantes analysés par le Conseil de la
concurrence
Section II - Les différentes pratiques d’abus de position dominante sanctionnées par le
Conseil
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
4
Liste des abréviations :
AJDA : Actualité juridique de droit administratif.
Art. : Article.
C.G.C.T : Code général des collectivités territoriales.
CA : Cour d'appel.
CAA : Cour administrative d'appel.
Cass. : Cour de cassation.
CC. : Conseil constitutionnel.
CE : Conseil d'Etat.
CEDH : Cour européenne des droits de l'homme.
Chr. : Chronique.
CJCE : Cour de justice des Communautés européennes.
CJEG : Cahiers juridiques de l'électricité et du gaz.
Concl. : Conclusions.
D : Dalloz.
DA : Droit administratif.
Ed. : Edition.
EDCE : Etudes et documents du Conseil d'Etat.
GAJA : Grands arrêts de la jurisprudence administrative.
Ibid : Ibidem (même référence).
JCA : Jurisclasseur administratif.
JCP : Jurisclasseur périodique ( la semaine juridique).
JO : Journal officiel.
LGDJ : Librairie générale de droit et de jurisprudence.
LPA : Les petites affiches.
Mél. : Mélanges.
Obs. : Observations.
Op. cit. : Opere citato (ouvrage cité).
p. : Page.
pp. : Pages.
PUF : Presse universitaire de France.
5
RA : Revue administrative.
Rec. : Recueil.
RFDA : Revue française de droit administratif.
RFDC : Revue française de droit constitutionnel.
S : Recueil Sirey.
t. : Tome.
TA : Tribunal administrative.
TC : Tribunal des conflits.
Th. : Thèse.
6
« Il ne paraît y avoir ni opposition systématique
entre le droit privé et le droit public, ni
contradiction qui rendrait ces deux disciplines
juridiques complètement étrangères l’une à l’autre,
voire même irréductibles ; (…). Il reste que, quel que
soit le qualificatif qui y est accolé, le droit trouve
son unité nécessaire dans les exigences de la
conscience juridique d’une époque déterminée : ses
différentes branches reflètent, chacune avec les
caractéristiques qui lui son propres, cet élément
commun »
(Monsieur le président ODENT, Cours de droit,
Paris, 1980, p.34)
« Le droit de la concurrence ne progressera en
France que si sa mise en œuvre, d’une part est
économiquement pertinente et, d’autre part, répond
aux exigences de l’approche juridique »
(Professeur Frédéric JENNY, Vice-président du
Conseil de la concurrence entre 1993 et 20041
INTRODUCTION
Section I- La répartition des compétences posée par le Tribunal des conflits et la
réglementation
L’ancien article 53 de l’ordonnance du 1er décembre1986 (actuel article L.410-1 du
Code de commerce) dispose que « les règles définies au présent livre s’appliquent à toutes les
activités de production, de distribution et de services, y compris celles qui sont le fait de
personnes publiques ». Mentionnons aussi la loi n°87-499 du 6 juillet 1987, intervenue pour
transférer le contrôle des décisions du Conseil de la concurrence au juge judiciaire.
A priori la lecture de cet article et de cette loi ne posait pas fondamentalement de
difficulté. Mais une certaine confusion s’est emparée de cet article 53. En effet, concernait-il
le champ d’application du droit de la concurrence ou en réalité, uniquement le champ de
1
JENNY F. Préface de « délimitation du marché pertinent en droit Français de la concurrence », Bidaud L, Ed.
Litec, 2001, p.IV
7
compétence du Conseil de la concurrence. Les premières réponses à la question de la
répartition des compétences sont intervenues à travers la célèbre jurisprudence du Tribunal
des conflits du 6 juin 1989, Préfet d’Île-de-France c/Saede/Ville de Pamiers2. Cette affaire est
d’autant plus importante pour notre mémoire que les faits concernaient une délégation de
service public.
En l’espèce, la société anonyme d’exploitation et de distribution d’eau (S.A.E.D.E.)
était chargée de la distribution de l’eau dans la Ville de Pamiers par le biais d’un contrat de
gérance. La Ville de Pamiers a modifié les conditions de gestion du service public de la
distribution de l’eau pour donner la gestion à la Lyonnaise des eaux en passant par un
affermage. La S.A.E.D.E. avait formé devant le Tribunal administratif un recours pour excès
de pouvoir et saisi le Conseil de la concurrence, estimant que la commune aurait échangé
avant la mise en concurrence des informations avec la Lyonnaise des eaux. Le Conseil de la
concurrence a refusé d’ordonner des mesures conservatoires à travers une décision du 17 mai
1988 au motif que la décision de la commune de conclure un contrat d’affermage n’était pas
« un acte de production, de distribution et de services » et qu’il n’était pas compétent. La
Cour d’appel, saisie de cette affaire, devait constater que la modification réalisée par la
Commune « n’apparaît pas avoir été effectuée dans le respect de la libre concurrence » et a
écarté l’incompétence. La question qui se posait était donc de savoir si la décision de la
commune de confier la distribution de l’eau à une entreprise constituait une activité
économique. Le Tribunal des conflits juge alors qu’ « il résulte de l’article 53 de
l’ordonnance du 1er décembre 1986 que les règles qui y sont définies ne s’appliquent aux
personnes publiques qu’autant que celles-ci se livrent à des activités de production, de
distribution et de services. L’organisation du service public […] n’est pas constitutive d’une
telle activité. L’acte juridique de dévolution de l’exécution de ce service n’est pas, par luimême, susceptible d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur le
marché. Il n’appartient en conséquence qu’aux juridictions de l’ordre intéressé de vérifier la
validité de cet acte au regard des dispositions [..] de l’ordonnance susvisée». Il ressort de
cette jurisprudence que le contrat de délégation de service public, dans la mesure où il
organise le service public n’est pas susceptible de fausser la concurrence, du moins, du point
de vue de la collectivité publique. Toutefois, le Tribunal invite les autorités administratives à
analyser ces actes à travers le prisme du droit de la concurrence. Après cette décision, en
2
TC, 6 juin 1989, Préfet d’Île-de-France c/Saede/Ville de Pamiers ; RFDA 1989, 459, concl. STIRN ; AJDA
1989, 467, note BAZEX ; RDP 1989, 1780, note GAUDEMET, ; JCP 1990, II, 21395, note TERNEYRE
8
1993, le Conseil d’Etat a pu juger à travers un arrêt Compagnie générale des eaux que la
décision de dévolution de la gestion d’un service public n’était pas susceptible de fausser le
jeu de la concurrence. Il a abandonné cette position à travers trois arrêts en date du 3
novembre 1997, Société Million et Marais et autres 3 . Cette jurisprudence prévoit qu’une
collectivité ne peut mettre une entreprise en situation de position dominante. Comme le
souligne le professeur Richer, « la collectivité publique est sanctionnée non pas dans son
comportement mais seulement dans sa production normative »4.
Entre temps, le Tribunal des conflits a complété sa décision Ville de Pamiers dans sa
décision du 4 novembre 1996, Société Datasport, et distingue d’une part les activités de
production, de distribution et de services des personnes publiques soumises à l’ex article 53 et
d’autre part, les décisions prises dans le cadre de mission de service public par les personnes
publiques qui elles, ne sont pas soumises au droit de la concurrence et relèvent de la
compétence des juridictions administratives. Cette distinction a conduit les juridictions
judiciaires à s’appuyer parfois sur la théorie de la détachabilité pour se déclarer compétentes
afin d’appréhender des pratiques « attachées » à un acte administratif comme les modalités de
négociation d’un contrat en matière de mobilier urbain5.
Les difficultés d’application de cette notion de détachabilité ont conduit le Tribunal
des conflits à se pencher une nouvelle fois sur cette distinction dans un arrêt du 18 octobre
1999, Préfet de la région Ile-de-France, Préfet de paris, selon lequel, «si dans la mesure où
elles effectuent des activités de production, de distribution ou de services, les personnes
publiques peuvent être sanctionnées par le Conseil de la concurrence agissant sous le
contrôle de l’autorité judiciaire, les décisions par lesquelles ces personnes assurent la
mission de service public qui leur incombe au moyen de prérogatives de puissance publique
relèvent de la compétence de la juridiction administrative pour en apprécier la légalité et, le
cas échéant, pour statuer sur la mise en jeu de la responsabilité encourue par ces personnes
publiques » (notons que cette citation sera reprise dans de nombreux arrêts par la suite6). Mais
3
CE, 3 novembre 1997 Société Million et Marais et autre (Rec. 393, concl. STAHL ; AJDA 1997, 1012, chron.
GIRARDOT et RAYNAUD, p.945 ; et AJDA 1998, 247, note GUEZOU ; CJEG 1997, 441, concl. Stahl ; RFDA
1997, 1128, conc. STAHL ; RDP 1998, 256, note GAUDEMET, GAJA p.764
4
RICHER L. « Droit des contrats administratifs », L.G.D.J, 5e édition, 2006, p.215
5
Cons. Conc., décision n°98-D-52, 7 juillet 1998, relative à des pratiques relevées dans le secteur du mobilier
urbain
6
par exemple, CA Paris 24 février 2004 (relatif au recours formé par Me Patrick DESOEUVRE contre la
décision no 03-D-27 (*) rendue le 4 juin 2003 par le Conseil de la concurrence relative à des pratiques de la
maison de justice et du droit du quartier Saint-Christophe de Cergy-Pontoise (Val-d’Oise))
9
surtout, dans cet arrêt, le Tribunal indique que les décisions rattachables et indissociables à
l’exercice de prérogatives de puissance publiques sont de la compétence des autorités
administratives et les actes détachables sont de la compétence des autorités judiciaires. Il n’en
demeure pas moins, que malgré cette décision, la notion de détachabilité n’est pas toujours
claire. De plus, l’articulation entre l’intervention des autorités administratives et judiciaires
peut parfois poser des difficultés. Pour preuve, nous pouvons citer la décision n°03-D-33 en
date du 3 juillet 2003 rendue par le Conseil de la concurrence. Il s’agissait en l’espèce de
pratiques liées à la régie municipale des pompes funèbres de Toulouse. Le Conseil s’estimait
incompétent puisqu’il estimait en l’espèce que les décisions étaient prises dans le cadre de
missions de service public par la commune et dans l’exercice de prérogatives de puissance
publique (en somme, suivant les conditions posées par l’arrêt du Tribunal des conflits de
1999). Or d’après l’arrêt du Tribunal des conflits du 15 janvier 1968, Epoux Barbier, en cas
de service public industriel et commercial, seuls les actes réglementaires relatifs à
l’organisation du service sont administratifs. La solution n’était donc pas évidente et méritait
d’être discutée7. Nous pouvons aussi reprendre des décisions récentes (qui feront d’ailleurs
l’objet de développement complet dans le corps de notre mémoire) rendues à la fois par le
Conseil de la Concurrence et par le juge administratif en matière de délégation de service
public du transport maritime entre Marseille et la Corse8. Il est intéressant de relever que le
Conseil de la Concurrence indique qu’il n’est pas compétent concernant l’éventuelle entente
entre la collectivité et la société en cause en raison du fait qu’il ne s’agissait pas d’un acte
détachable des actes de puissances publiques (« le règlement particulier de l'appel d'offres
lancé pour l'attribution de la délégation de service public relative aux liaisons maritimes
entre Marseille et la Corse, de même que la dévolution de cette délégation au (ou aux)
candidat(s) retenu(s) à l'issue de cet appel d'offres, constituent des actes par lesquels la
collectivité territoriale de Corse et l'OTC font usage, pour l'organisation du service public de
continuité territoriale entre la Corse et le continent, de prérogatives de puissance publique »).
Il se déclare en revanche compétent pour appréhender l’éventuel abus de position dominante
de l’opérateur. Si ces deux décisions sont une bonne illustration de la répartition des
compétences entre les autorités administratives et judiciaires et du respect de cette répartition
par les autorités, elles démontrent aussi, par leurs approches différentes (nous nous
concentrerons uniquement sur la décision du Conseil de la concurrence dans le cadre de ce
7
Sur le sujet,NICINSKI S. Droit public de la concurrence, L.G.D.J, 2005, p150
Cons. Conc. Décision n°06-MC-03, 11 décembre 2006, relative à des demandes de mesures conservatoires
dans le secteur des transports maritimes entra la Corse et le continent et CE, ord., 15 décembre 2006, Société
Corsica Ferries, Juris-Data n°2006-071183 ; Contrats-Marchés publiques 2006, comm.53
8
10
mémoire) qu’il peut exister certaines interférences, comme l’indique le professeur Michel
Bazex, « dans la mesure où le comportement de l’entreprise sanctionnée ne pouvait être
parfaitement « déconnectée » de la procédure de passation de la convention de délégation de
service public »9. Cette répartition peut donc parfois prêter à confusion10.
Mentionnons également qu’au titre de l’article L.430-9 du Code de commerce, « Le
Conseil de la concurrence peut, en cas d'exploitation abusive d'une position dominante ou
d'un état de dépendance économique, demander au ministre chargé de l'économie
d'enjoindre, conjointement avec le ministre dont relève le secteur, par arrêté motivé, à
l'entreprise ou au groupe d'entreprises en cause de modifier, de compléter ou de résilier, dans
un délai déterminé, tous accords et tous actes par lesquels s'est réalisée la concentration de
la puissance économique qui a permis les abus même si ces actes ont fait l'objet de la
procédure prévue au présent titre ». Cet article a été utilisé pour la première fois par le
Conseil de la concurrence à travers sa décision n°02-D-44 du 11 juillet 2002 rendue à propos
des pratiques de la Compagnie générale des eaux et de la Lyonnaise des eaux. Soulignons que
le Conseil d’Etat a pu se déclarer compétent dans son arrêt du 7 novembre 2005 au titre d’un
recours formé à l’égard d’une décision rendue par le Conseil de la concurrence en application
de l’article L. 430-9 du Code de commerce, la compétence de la Cour d’appel Paris ne
concernant que les décisions « contentieuses du Conseil de la concurrence »11.
Section 2 : les règles posées par le Conseil de la concurrence en matière de délégation
de service public
Nous pourrons voir l’approche théorique de la notion de délégation de service public par le
Conseil de la concurrence (§1) puis les recommandations qu’il a pu faire en la matière (§2)
§1- Une distinction réalisée entre délégation de service public et marché public ?
99
BAZEX M., « Règles de concurrence et contrôle par le juge administratif », Contrats concurrence
consommation, n°2, p 214
10
LONG, M. « Point de vue : délégation de service public et droit de la concurrence », Les Petites Affiches, 4
septembre 1995 n°106, p.4 et BRECHON-MOULENES, C., AJDA 1994, n°spécial, p121-122
11
RICHER L., JEANNENEY P-A, CHARBIT, NO., « Compétence juridictionnelle, Le Conseil d’Etat est
compétent sur une décision du Conseil de la concurrence », AJDA 2005, chroniques, p.2377
11
Le professeur Chapus définit « la gestion déléguée » comme « une technique, à la fois
traditionnelle et renouvelée, par laquelle la gestion d’un service public est confiée à
(notamment) un organisme de droit privé »12. Dans le silence de la loi, la jurisprudence a
défini la concession comme « le contrat qui charge un particulier ou une société d’exécuter
un ouvrage public ou d’assurer un service public, à ses frais, avec ou sans subvention, avec
ou sans garantie d’intérêt, et que l’on rémunère en lui confiant l’exploitation de l’ouvrage
public ou l’exécution du service public avec le droit de percevoir des redevances sur les
usagers de l’ouvrage ou sur ceux qui bénéficient du service public »13. Par la suite, la loi
n°2001-1168 du 11 décembre 2001 portant mesures urgentes de réformes à caractère
économique et financier dite « MURCEF », reprise par l’article 1411-1 du Code générale des
collectivités territoriales, est venue définir la délégation de service public comme « un contrat
par lequel une personne morale de droit public confie la gestion d'un service public dont elle
a la responsabilité à un délégataire public ou privé, dont la rémunération est
substantiellement liée aux résultats de l'exploitation du service. Le délégataire peut être
chargé de construire des ouvrages ou d'acquérir des biens nécessaires au service ».
Il est d’usage de distinguer le marché public de la délégation de service public,
notamment en raison du critère de la rémunération par les usagers mais aussi du critère de
l’objet du contrat (selon qu’il s’agit pour la collectivité d’acquérir un bien ou un service, ou
qu’il s’agisse de l’exploitation d’un service public). Si la distinction comporte des finesses
que nous n’aborderons pas ici, il faut préciser que suivant la qualification du contrat, la
procédure de passation est différente, les marchés publics étant soumis au Code des marchés
publics, et la délégation de service public, à la procédure prévue par la loi n°93-122 du 29
janvier 1993 dite « loi Sapin ».
Cette distinction posée, il convient de s’interroger sur le fait de savoir si le Conseil de
la concurrence respecte cette distinction. Nous pouvons préalablement indiquer que le Conseil
en tient indirectement compte du fait des règles de répartition des compétences indiquées
précédemment. En effet, si les règles de répartition ont posé tant de difficultés en matière de
délégation de service public, c’est principalement en raison du lien fort existant entre la
délégation de service public, l’organisation du service public et les prérogatives de puissance
publique.
12
13
CHAPUS R., Droit administratif général Tome 1, Montcherstien, 15e édition, 2001, p.173
C.E., 30 mars 1916, Compagnie générale de l’éclairage de Bordeaux, RDP 1916, 213 ; GAJA, p.184
12
En dehors de la question de la compétence de l’autorité de la concurrence, il est
possible de remarquer que le Conseil de la concurrence s’est rarement posé la question de
savoir s’il devait y avoir des distinctions entre délégation de service public et marché public
(nous pourrons aussi le voir à travers les décisions étudiées). Mais à ce sujet, l’avis n°99-A-16
du 26 octobre 199914 a pu susciter notre intérêt.
En effet, dans cette affaire, le Conseil de la Concurrence a pu rappeler la distinction
opérée par les juridictions administratives entre la délégation de service public et un marché
public, la position communautaire et s’interroger sur l’exercice du droit de la concurrence au
regard de cette distinction. L’autorité de la concurrence reprend l’ex article 53 de
l’ordonnance du 1er décembre 1986 selon lequel « les collectivité publiques ont l’obligation
de se conformer à ces dispositions et de ne pas favoriser l’exercice de telles pratiques par les
entreprises auxquelles elles font appel, quelle que soit la qualification juridique de la
procédure retenue, délégation de service public ou marché public. Il leur appartient, certes,
de choisir le type de procédure qu’elles souhaitent retenir, mais, après avoir opté pour l’une
d’elles, elles ont pour obligation d’observer les règles qui lui sont applicables ». Elle précise
que la Commission européenne prévoit une certaine spécificité à la concession tout en
indiquant que « la Commission est d’avis que, même si la directive n° 93/38/CEE relative aux
marchés passés par les entités opérant dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports
et des communications, ne contient de règles spécifiques, ni sur les concessions de travaux, ni
sur les concessions de services, il est possible pour examiner les concessions au regard de la
concurrence de s’inspirer des dispositions contenues dans cette directive ainsi que de celles
concernant les procédures de passation des marchés publics de services ». La lecture de ces
éléments nous conduit à penser que le Conseil ne souhaite pas véritablement que le droit de la
concurrence opère une distinction. Il semble admettre la spécificité de la concession mais
souhaite appliquer de manière uniforme le droit de la concurrence aux marchés publics et aux
délégations.
Ensuite, le Conseil compare la subdélégation et la sous-traitance (en cas de marchés
publics et de délégations de service public), s’intéresse au groupement d’entreprises et à la
14
Cons. Conc. ,Avis n° 99-A-16 du 26 octobre 1999 relatif à une demande d’avis du Conseil général du Nord sur
les procédures de mise en concurrence relatives à l’attribution de la gestion déléguée des services de transports
interurbains et scolaires
13
question du bilan économique. A propos des subdélégations, l’autorité indique qu’elles ne
sont pas visées par la loi sur la sous-traitance et que la loi de 1993 est silencieuse sur ce sujet.
Le Conseil de la concurrence conclut en indiquant que « la mise en concurrence du choix des
subdélégataires par l’entreprise ou le groupement bénéficiaire de la délégation de service
public constituerait incontestablement un principe de précaution utile pour l’autorité
délégante ». Ce point renforce selon nous ce que nous avons pu dire précédemment. En effet,
malgré le fait que la loi de 1993 n’indique rien à propos des subdélégations, le Conseil invite,
en s’inspirant de la loi sur la sous-traitance, à ce que les subdélégations soient mises en
concurrence. L’avis prévoit ensuite que concernant les décisions qu’il a pu rendre concernant
des pratiques commises en matière de groupement d’entreprise à l’occasion de marchés
publics, « le Conseil est d’avis qu’un effet similaire pourrait également découler de la
participation de l’ensemble des entreprises retenues par un maître d’ouvrage ou une autorité
délégante à un ou plusieurs groupements ». La conclusion de la lecture de cet avis, qui se
verra confirmer dans notre mémoire, est que le Conseil ne réalise pas véritablement de
distinction entre marché public et délégation de service public, hormis peut être dans les avis
que nous allons étudier ci-après.
§2 – les conditions posées par le Conseil à travers ses différents avis n°99-A-16 du 26
octobre 1999
En la matière, le Conseil de la concurrence a rendu l’avis n° 03-A-02. Dans son avis
n°03-A-02, le Conseil rappelle d’emblée que « la vocation générale du droit de la
concurrence à s'appliquer à toute activité économique (article L. 410-1 du code de commerce)
doit être rappelée et ceci indépendamment des règles résultant, par ailleurs, du code des
collectivités territoriales (procédure de délégation de service public) ou du droit des sociétés
(définition d'une filiale) ». Comme nous avons pu le voir à travers l’avis n°99-A-16 du 26
octobre 199915, le Conseil tient à indiquer l’indépendance du droit de la concurrence vis-à-vis
des procédures choisies par la collectivité publique, notamment la délégation de service
public. Il reprend d’ailleurs à cet égard dans cet avis sa jurisprudence dans le secteur des
marchés publics selon laquelle le marché de référence est défini par l’appel d’offre, lieu de
confrontation de la demande de la collectivité et de l’offre des candidats. Il fait certains
15
Cons. Conc. ,Avis n° 99-A-16 du 26 octobre 1999 relatif à une demande d’avis du Conseil général du Nord sur
les procédures de mise en concurrence relatives à l’attribution de la gestion déléguée des services de transports
interurbains et scolaires
14
rappels sur l’application du droit de la concurrence et précise qu’en matière d’entente, « il
suffit, pour retenir la qualification, qu'au moins l'une des parties à l'accord soit une
entreprise. Il en résulte qu'un syndicat professionnel ou une association peut être considéré
comme constituant une entente ». Cette position concernant la qualité des parties à l’entente
est aujourd’hui plus floue, notamment sous l’influence du droit communautaire et comme on
peut l’observer à travers la position du Conseil dans l’affaire Commune de Bouc-Bel-Air (que
nous aurons l’occasion de développer dans le cœur de ce devoir), où l’autorité de la
concurrence se montrera plus prudente. A propos du cas particulier des appels d’offre, le
Conseil élabore quelques prescriptions d’ordre général.
Tout d’abord, à la question des liens existants entre les entreprises candidates, l’autorité
de la concurrence prévoit qu’ « une interdiction sans nuance de tous liens entre entreprises
candidates à un même marché n'est pas pour autant concevable ; il convient donc d'examiner,
dans chaque cas d'espèce, si les principes précédemment évoqués ont été respectés,
préservation de l'indépendance de chaque opérateur, particulièrement dans ses propositions
de prix, maintien de l'incertitude quant aux stratégies des candidats concurrents, et libre
accès au marché ». Il reprend d’ailleurs sans le citer son précédent avis à l’égard des
subdélégations pour lesquelles une attention particulière doit être apportée. Le Conseil
indique qu’en cas de lien entre les entreprises candidates, la collectivité doit en être informée
et ce, même si les entreprises décident finalement de déposer leurs offres individuellement et
non collectivement. De même, les groupements ne sont pas interdits par nature, mais il ne
doivent pas constituer une barrière et empêcher l’accès à d’autres concurrents non membres
du groupement. Enfin, il envisage le cas d’une relation entreprise(s) mère(s)/fille, indiquant
qu’il n’y a pas dans ce cas d’interdiction de principe mais que l’offre de la société fille doit
être indépendante, personnelle et qu’il ne doit pas y avoir de concertation ou d’échange
d’information entre les deux entreprises (sauf dans le cas où une ou plusieurs entreprises
mères ne donnent aucune autonomie à la société filiale et décident de ne déposer qu’une seule
offre). Dans tous les cas, il est recommandé d’informer la collectivité.
Ensuite, le Conseil traite du rôle des collectivités, celles-ci devant s’assurer du respect
de l’égalité des candidats, du libre jeu de la concurrence, tout précisant que le manque de
vigilance de la collectivité ne permet pas de justifier le comportement des entreprises
16
16
.
CA Paris, 4 juillet 1994, « sociétés SCREG Est et autres »
15
L’autorité rappelle le droit applicable en la matière, à savoir la compétence du juge
administratif pour appliquer le droit de la concurrence aux actes des collectivités, mais aussi
la possibilité pour les collectivités de saisir le Conseil de la concurrence ( « Le Conseil de la
concurrence peut être saisi par le ministre de l'économie de toute pratique mentionnée aux
articles L. 420-1 [répression des ententes], L. 420-2 [répression des abus de positions
dominantes] et L. 420-5 [prix de vente abusivement bas]. Il peut se saisir d'office ou être saisi
par les entreprises ou, pour toute affaire qui concerne les intérêts dont ils ont la charge, par
les organismes visés au deuxième alinéa de l'article L. 462-1 [cet article vise, notamment, les
collectivités territoriales] » ». Soulignons que le Conseil met particulièrement en garde la
collectivité sur l’égalité d’accès aux informations communiquées par la collectivité
(l’asymétrie d’information) et aussi la durée de la délégation sachant que plus la durée est
longue, plus le risque d’abus de position dominante est important. Au final, le Conseil de la
concurrence semble avoir deux objectifs directeurs : qu’il existe une autonomie totale entre
les offres déposées et la plus grande incertitude possible quant à l’issue de la procédure
d’appel d’offre17.
Enfin, nous pouvons relever l’avis n°05-A-22 rendu en matière de concession d’autoroute. Si
plusieurs questions se posaient dans cette affaire, la question la plus importante était sans
doute de savoir si les marchés passés par les sociétés d’économie mixte nationale privatisées
concessionnaires d’autoroute étaient soumis au Code des marchés publics. Le Conseil
recommande plusieurs mesures pour encadrer cette privatisation : « d’assurer la pérennité en
tant que personnes juridiques distinctes des sociétés concessionnaires privatisées, ce qui
exclut leur fusion avec d’autres entreprises ou l’intégration, dans leur périmètre d’activité, de
services qu’elles n’assurent pas déjà elles mêmes; de réintroduire explicitement, en ce qui
concerne les marchés de travaux, l’obligation de respecter les critères de choix qui
s’imposaient aux Semca avant leur privatisation, en précisant à partir de quels seuils de
commande, les obligations de publicité, de mise en concurrence et d’intervention des
commissions consultatives selon des procédures adéquates doivent intervenir, sans négliger
les marchés de services et de fournitures ; de clarifier le rôle des commissions des marchés
placées auprès de chaque société, en les dotant d’un véritable pouvoir d’approbation dans le
choix des titulaires des appels d’offres ». Ces mesures ont cela de surprenant qu’elles
17
Voir sur l’avis, DELACOUR. E, « Procédure de DSP : Le Conseil de la concurrence « Veille au grain » », ,
Contrats et marchés publics, Août-Septembre 2003, p 24
16
imposent en réalité la soumission de concessionnaires privés aux procédures du Code des
marchés publics alors même que la réglementation ne le prévoit pas.
17
Comme nous l’avons vu dans notre introduction, le Conseil de la concurrence adopte une
approche bien spécifique, relativement méconnue des publicistes lorsqu’il aborde des ententes
et des abus de positions dominantes en matière de délégation de service public. Tout l’objet
de ce mémoire sera de tenté d’analyser et de comprendre le mode de raisonnement du Conseil
lorsqu’il doit faire face à un cas de délégation de service public. Cette étude nous conduira
finalement à observer le mode d’analyse parfois relativement obscur du Conseil.
A cet égard, notre mémoire se concentrera essentiellement sur l’analyse du raisonnement du
Conseil, parfois assez complexe, concernant les pratiques en matière de délégation de service
public. Dans cette analyse, il sera intéressant d’étudier la délimitation des marchés pertinents
selon que le Conseil sanctionne des ententes ou des abus de position dominante dans le cadre
de délégation de service public et ce, suivant les phases de la vie d’une délégation (appel
d’offre, exécution) (chapitre I). Puis, nous tenterons de décrypter les pratiques en la matière et
la manière dont le Conseil les a abordé (chapitre II)
CHAPITRE I - LA
DELIMITATION DU
CONSEIL
DE LA CONCURRENCE MARCHE PERTINENT EN
MATIERE DE DELEGATION DE SERVICE PUBLIC
Dans son rapport annuel de 2001, le Conseil de la concurrence pose sa méthode de
définition du marché pertinent dans le cadre d’un appel d’offre. Les délégations de service
public étant soumises à la loi Sapin de 1993, elles sont soumises à une procédure d’appel
d’offre.
L’autorité prévoit deux cas. Le premier, celui d’une entente, et le deuxième, celui d’un
abus de position dominante.
Dans le cadre d’une entente, le marché pertinent est défini par la rencontre entre l’offre et
la demande, à savoir le marché lui-même (« en matière de marchés publics, ainsi que la cour
d’appel de Paris l’a énoncé dans un arrêt du 12 décembre 2000, le marché qui fait l’objet
d’un appel d’offres constitue en soi le marché pertinent au sens du droit de la
18
concurrence »18). En revanche, en matière d’abus de position dominante le Conseil ne retient
pas la rencontre de l’offre et de la demande comme marché pertinent. Le marché retenu est
alors « le marché plus général où sont actifs l’ensemble des opérateurs susceptibles de
répondre à l’appel d’offres concerné »19.
Nous sommes donc amené à étudier successivement la méthode de délimitation du marché
pertinent en cas d’entente (section 1) puis en cas d’abus de position dominante (section 2).
Section I
Un marché pertinent définit par le croisement d’un appel d’offre et de
soumissions dans le cadre des ententes
Nous nous attacherons tout d’abord à brièvement poser la notion de marché pertinent en
droit français de la concurrence (§1) pour ensuite analyser la délimitation du marché pertinent
dans le cas d’ententes en matière de délégation de service public (§2)
§1 La notion de marché pertinent en droit français de la concurrence
Le marché pertinent est défini par le Conseil de la concurrence comme « le lieu sur lequel
se rencontrent l'offre et la demande pour un produit ou un service spécifique. En théorie, sur
un marché, les unités offertes sont parfaitement substituables pour les consommateurs qui
peuvent ainsi arbitrer entre les offreurs lorsqu'il y en a plusieurs, ce qui implique que chaque
offreur est soumis à la concurrence par les prix des autres […].Une substituabilité parfaite
entre produits ou services s'observant rarement, le Conseil regarde comme substituables et
comme se trouvant sur un même marché les produits ou services dont on peut
raisonnablement penser que les demandeurs les considèrent comme des moyens alternatifs
entre lesquels ils peuvent arbitrer pour satisfaire une même demande »20.
18
Décision n°01-D-17 du 21 avril 2001 relative à des pratiques anticoncurrentielles dans les marchés
d’électrification de la région du Havre
19
Rapport annuel du Conseil de la concurrence de 2001, voir décision 01-D-08, 01-D-46 et 01-D-66 rendu par le
conseil de la concurrence
20
Rapport annuel du Conseil de la concurrence de 2001
19
La Commission européenne définit quant à elle « un marché de produits en cause [comme
comprenant] tous les produits et/ou services que le consommateur considère comme
interchangeables ou substituables en raison de leurs caractéristiques, de leur prix et de
l'usage auxquels ils sont destinés. Le marché géographique en cause comprend le territoire
sur lequel les entreprises concernées sont engagées dans l'offre des biens et services en cause,
sur lequel les conditions de concurrence sont suffisamment homogènes et qui peut être
distingué de zones géographiques voisines parce que, en particulier, les conditions de
concurrence y diffèrent de manière appréciable"21.
Le marché pertinent est donc un lieu de confrontation entre l’offre et la demande de
produits substituables entre eux et non substituables à d’autres biens et services. Il comprend
donc trois composantes. La rencontre d’une offre et d’une demande, sur un marché de
produits ou de services et dans une aire géographique déterminée. La délimitation matérielle
pose la question de la substituabilité. La substituabilité est généralement établie par rapport à
la demande (par le biais d’étude du comportement des demandeurs afin d’analyser
l’interchangeabilité des produits au niveau de la demande). Ce n’est généralement que
subsidiairement que la substituabilité est établie par rapport à l’offre (la question étant, si le
prix d’un produit augmente, les concurrents peuvent ils récupérer le marché). Le prix est aussi
un critère important de délimitation du marché.
Pour rappeler brièvement les origines de la notion de marché pertinent, il est issu du droit
américain. Par le biais de la loi Sherman act datant de 1890 à l’encontre des groupements
d’entreprises, aussi appelés « trust », visant à empêcher les ententes restreignant les échanges,
la question de la définition du « relevant market »22 s’est posée. Cette définition a vu son
champ progressivement balisé à l’aide de critères posés à travers diverses jurisprudences,
notamment la jurisprudence Brown Shoe23.
Ce concept est apparu sur le continent européen avec le traité CECA (Communauté
économique du charbon et de l’acier) puis plus précisément avec le règlement n°4064/89 sur
les concentrations. Dans le courant des années 70, la jurisprudence européenne reprendra la
notion de marché pertinent. Pour ne citer qu’un exemple, l’arrêt de la Cour de justice des
21
Rapport annuel du Conseil de la concurrence de 2001 et Communication relative à la définition du marché en
cause aux fins du droit communautaire de la concurrence (JO C 372 du 9.12.1997, p. 5)
22
*marché pertinent
23
Brooke Group Ltd. v. Brown & Williamson Tobacco Corp, 509 U.S. 209 (1993)
20
communautés européennes, Continental Can, en date du 21 mars 197324, expose que « […]
tant dans l’appréciation de la position dominante de SLW […] que dans celle des
conséquences de la concentration litigieuse, la délimitation du marché en cause est d’une
importance essentielle, les possibilités de concurrence ne pouvant être appréciées qu’en
fonction des caractéristiques des produits en causes ».
Si indirectement, la notion de marché pertinent est apparue relativement tôt en France,
notamment par le décret du 9 août 1953 interdisant les pratiques susceptibles de porter atteinte
au fonctionnement normal du marché, l’utilisation du concept de marché comme outil
d’analyse permettant l’application des règles de concurrence est intervenue tardivement. Deux
événements vont marquer les débuts de l’introduction de la notion de marché pertinent en
France.
Tout d’abord, la loi du 19 juillet 1977 a créé la Commission de la concurrence. Cette
autorité (futur Conseil de la concurrence) apportera un nouveau souffle et introduira dans ses
raisonnements visant à appréhender les comportement anticoncurrentiels la question du
marché pertinent (pour illustration, un avis de la Commission de la concurrence du 18 octobre
1979 relatif au secteur du vinaigre dans lequel la Commission délimita le marché en cause).
Mais l’événement le plus marquant dans cette dynamique est sans doute l’Ordonnance
n°86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence toujours en
vigueur. Si l’Ordonnance emploie spécifiquement le terme de « marché » dans le contrôle des
concentrations, nous nous intéresserons principalement dans le cadre de notre exposé à
l’article 7, 8 et 38 de la dite Ordonnance. L’article 7 (article L.420-1 du Code de commerce)
pose à propos des ententes que « […] sont prohibées, lorsqu’elles ont pour objet ou peuvent
avoir pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un
marché […] ». L’article 8 (article L.420-2 du Code de commerce) vise quant à lui la position
dominante. Il indique qu’ « […] est […] prohibée […] l’exploitation abusive par une
entreprise ou un groupe d’entreprises […] d’une position dominante sur le marché intérieur
ou une partie substantielle de celui-ci […] ». Enfin, l’article 38 relatif aux concentrations
pose que « tout projet de concentration ou toute concentration de nature à porter atteinte à la
concurrence notamment par création ou renforcement d'une position dominante peut être
24
CJCE 21fév.1973, Europemballage Corporation et Continental Can Inc. c/ Commission, Aff.6/72, Rec. P.215,
op.cit
21
soumis, par le ministre chargé de l'économie, à l'avis du Conseil de la concurrence. Ces
dispositions ne s'appliquent que lorsque les entreprises qui sont parties à l'acte ou qui en sont
l'objet ou qui leur sont économiquement liées ont soit réalisé ensemble plus de 25 p. 100 des
ventes, achats ou autres transactions sur un marché national de biens, produits ou services
substituables ou sur une partie substantielle d'un tel marché, soit totalisé un chiffre
d'affaires hors taxes de plus de sept milliards de francs, à condition que deux au moins des
entreprises parties à la concentration aient réalisé un chiffre d'affaires d'au moins deux
milliards de francs ».
Avant d’aller plus avant dans le cadre de notre étude, deux remarques peuvent être
apportées. D’une part, la délimitation du marché pertinent se fait de manière contradictoire
devant le Conseil de la concurrence. Précisons à ce propos que depuis une jurisprudence
France-Loisirs25, la Cour de cassation peut exercer un contrôle sur la définition du marché
pertinent. D’autre part, le degré d’application du concept de marché pertinent dépend du cas
visé par le Conseil, dans notre cas, suivant qu’il s’agit d’une entente, d’un abus de position
dominante ou d’une concentration.
Si nous avons exposé la définition du marché pertinent posée par le Conseil de la
concurrence ou la Commission européenne et malgré l’importance de ce concept pour la mise
en œuvre des règles de concurrence, la doctrine s’accorde à dire qu’il s’agit d’un outil difficile
d’application et complexe26.
Comme le souligne M. Laila Bidaud 27 , cette difficulté est liée à l’absence de règles
encadrant ce marché pertinent (au niveau français28) et de neutralité vis-à-vis des règles de
concurrence (une application différente en fonction de l’objectif poursuivi).
En effet, si en matière d’abus de position dominante, la délimitation du marché pertinent
est essentielle, la délimitation n’est pas forcément systématique en matière d’entente29, celle25
Cass.com.10mars 1992, aff. France-loisirs, BOCCRF 21 mars 1992
M.PEDAMON, Droit commercial, Ed, Dalloz, 1994, p475 ; J.A. VAN DAMNE, La politique de la
concurrence dans la CEE, Ed. U.G.A., 1990, p.192 ; J.MEGRET, J.V.LOUIS ; D.VIGNES,
M.WAELBROECK, Le droit de la Communauté Economique européenne , etc…
27
L.BIDAUD, La délimitation du marché pertinent en droit français de la concurrence, Ed. Litec, 2001, p.27
28
Au niveau européen, il existe la communication relative à la définition du marché en cause aux fins du droit
communautaire de la concurrence (JO C 372 du 9.12.1997, p. 5)
29
L.BIDAUD, La délimitation du marché pertinent en droit français de la concurrence, Ed. Litec, 2001, p.21
26
22
ci visant à définir le degré d’atteinte à la concurrence. De plus, cette complexité est renforcée
par l’influence des théories économiques ou des politiques économiques au moment de la
délimitation du marché, mais aussi par l’appréhension souvent difficile de la substituabilité
dans la définition du marché pertinent. A la lumière des définitions précitées, il convient pour
délimiter le marché pertinent de s’interroger quant à la délimitation matérielle du marché (la
question de la substituabilité) puis sa délimitation géographique. Ces rappels préalables posés,
nous étudierons donc ci-après dans chaque cas ces deux aspects, afin de tenter de dégager le
raisonnement du Conseil de la concurrence dans sa délimitation de marché pertinent en
matière de délégation de service public.
§2 La délimitation du marché pertinent dans le cas d’ententes en matière de délégation de
service public
Les ententes sont prohibées au titre de l’article 81 du traité des communautés européennes
(traité CE) et de l’article L.420-1 du Code de commerce. L’article 81 pose que « sont
incompatibles avec le marché commun et interdits tous accords entre entreprises, toutes
décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles
d'affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de
restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun […] ». De
la même façon, l’article L.420-1 prévoit que « sont prohibées même par l'intermédiaire direct
ou indirect d'une société du groupe implantée hors de France, lorsqu'elles ont pour objet ou
peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur
un marché, les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions
[…] ».
Ainsi, pour déterminer cet « effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la
concurrence sur un marché », la question de la délimitation du marché pertinent pour analyser
l’effet anticoncurrentiel sur ce marché se pose avec acuité (malgré les réserves que nous
avons apporté précédemment sur l’application de la notion de marché pertinent par le Conseil
de la concurrence en matière d’entente).
23
Dans le domaine des délégations de service public, il est généralement d’usage de
présenter la décision du Conseil de la Concurrence du 17 mai 1988 concernant le contrat de
gérance du service des eaux de la Ville de Pamiers comme point de départ. Mais comme le
rappel l’arrêt de la Cour d’appel de Paris (1re chambre, section H) en date du 18 février 200330,
« l’ancienne Commission de la concurrence avait émis le 28 octobre 1980 l’avis d’infliger
une sanction pécuniaire aux sociétés CGE et SLDE pour entente à l’occasion de la
soumission à des marchés de travaux, et recommandé aux deux groupes, notamment, de ne
plus associer leurs moyens dans le domaine de la gestion de la distribution de l’eau
lorsqu’ils sont en mesure de mettre en œuvre ces moyens de façon séparée et
concurrentielle ». Remarquons que déjà, à l’époque, la Société lyonnaise des Eaux Dumez
(SLED) s’était défendue en indiquant que la distribution de l’eau était un marché national
unique comprenant à la fois des sociétés privées et des régies. La Commission de la
concurrence avait alors rejeté cet argument au motif que les régies ne concurrençaient pas les
entreprises. De même, à travers cet avis, la Commission de la concurrence avait posé que dans
le domaine de la distribution de l’eau, « la forte concentration du secteur privé sur le marché
de la distribution de l’eau [qui] confère à l’offre un caractère national ». Cet avis fournit un
exemple intéressant de délimitation du marché dans un secteur où le contrat de délégation de
service public à toute son importance. Il sera d’ailleurs repris à mainte reprise, notamment
dans l’Avis n° 00-A-12 du 31 mai 2000 rendu par le Conseil de la concurrence à propos du
prix de l’eau, sensibilisant les collectivités sur la nécessité de ne pas privilégier le candidat
sortant lors de la remise en concurrence de la délégation de service public.
Par la suite, dans la décision n°88-D-24 du 17 mai 1988 (Ville de Pamiers), prise par le
Conseil de la concurrence après l’entrée en vigueur de l’Ordonnance de 1986, la question se
posait plus en terme de qualification de la nature de l’activité (économique), la qualification
d’activité économique étant un préalable à la délimitation du marché pertinent. Nous avons
d’ailleurs choisi d’écarter cette étape du raisonnement dans le cadre de notre mémoire, mais il
est clair qu’avant toute chose, il convient de qualifier la nature de l’activité afin de savoir s’il
s’agit ou non d’une activité économique.
30
Arrêt de la cour d’appel de Paris (1re chambre, section H) en date du 18 février 2003 relatif au recours formé
par la Compagnie générale des eaux contre la décision no 02-D-44 (*) du Conseil de la concurrence en date du
11 juillet 2002 relative à la situation de la concurrence dans les secteurs de l’eau potable et de l’assainissement,
notamment en ce qui concerne la mise en commun des moyens pour répondre à des appels à concurrence
24
La principale étape en la matière a sans doute été la loi n°93-122 du 29 janvier 1993
relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des
procédures publiques. Cette loi a mis en place une véritable procédure de passation et permis
au Conseil d’exercer un contrôle en se reposant sur cette procédure. En matière de
détermination des marchés pertinents, cette procédure a aussi eu un impact puisque le Conseil
de la concurrence, comme en matière de marché public, considère que dans le cadre d’une
entente, le marché pertinent est défini par la rencontre entre l’offre et la demande, à savoir le
marché lui-même.
A- La délimitation du marché pertinent dans le cas spécifique d’ententes en matière de
délégation de service public
Dans le cadre du présent paragraphe, nous étudierons la définition de marché pertinent par
secteur et dans le cadre des ententes.
En matière de transports urbains, la première décision du Conseil en la matière est
l’Avis n°87-A-04 du 19 mai 1987 relatif à la réglementation des tarifs des transports publics
urbains de voyageurs visé par le décret n°87-538 du 16 juillet 1987. En l’espèce, le Conseil a
considéré que « les tarifs acquittés par les usagers n’atteignent que 50 à 55% des coûts
d’exploitation des réseaux, le surplus étant couvert par les subventions des collectivités
organisatrices ; que dés lors, les transports urbains, dont les coût d’utilisation pour l’usager
sont très sensiblement inférieurs à ceux des autres formes de transport, ne peuvent être
considérés comme étant, dans les faits substituables à ces dernières ». Ainsi, dans cette
décision, le Conseil de la concurrence estime que les transports urbains constituent un marché
spécifique après une analyse du prix inférieur aux autres modes de transport, sur un marché
créé par la rencontre entre l’offre de l’entreprise de transport urbain et les demandeurs, les
usagers. Précisons que cet avis ne concerne pas une pratique commise lors d’un appel d’offre
mais lors de l’exploitation du service ce qui modifie l’analyse que peut avoir le Conseil du
marché pertinent comme nous le verrons ci-après.
Si cette décision ne concerne pas directement un cas d’entente, il paraît intéressant de
la relever pour la comparer à la décision n°01-D-13 du 19 avril 2001 prise par le Conseil en
25
matière de transports public de voyageur dans le département du Pas-de-Calais. Il s’agissait
en l’espèce d’une délégation de service public passée par le département du Pas-de-Calais
pour l’exploitation de lignes régulières de transport de personnes. Pour présenter
succinctement le grief en cause dans cette affaire, certaines entreprises s’étaient concertées sur
les prix avant de soumissionner aux différents appels d’offre. Dans cette décision, le Conseil
estime que cette concertation porte atteinte aux conditions normales du jeu de la concurrence
sans s’interroger sur la qualification de marché pertinent. Ce raisonnement paraît clair
lorsqu’il est comparé à la décision du Conseil de 1987 précitée, où le Conseil avait recherché
la substituabilité des modes de transports. Cette décision reprenait certaines positions
doctrinales selon lesquelles la délimitation du marché pertinent n’était pas forcément
nécessaire en cas d’entente31, mais aussi la position initiale du Conseil de la concurrence qui
se refusait à appliquer la théorie du seuil de sensibilité (théorie impliquant que les
comportements affectant une part minime du marché ne soient pas sanctionnés) sur un marché
et sanctionnait de « façon automatique » un comportement interdit. Le rapport du Conseil de
la concurrence de 2001 précité exprime d’ailleurs clairement que « les effets
anticoncurrentiels d'une pratique s'apprécient sur un marché pertinent. […] La seule
exception concerne les cas où, quel que soit le marché retenu, l'analyse concurrentielle est
identique, particulièrement dans le cas des pratiques interdites "en elles-mêmes",
indépendamment de leurs effets réels ou potentiels, comme les ententes sur les prix ».
Aujourd’hui, le Conseil semble plus enclin, sous l’impulsion de la Cour de cassation32,
à appliquer la théorie des seuils de sensibilité, celle-ci impliquant que le Conseil analyse le
marché pertinent. Néanmoins, nous pouvons relever à ce propos deux décisions qui confortent
sa précédente analyse.
Dans sa décision n°01-D-77 en date du 27 novembre 2001 relative au secteur du
transport scolaire dans le département de l’Indre, où il s’agissait uniquement de délégations de
service public, le Conseil semble confirmer son analyse. En effet, le Conseil maintient sa
position selon laquelle « considérant que l’échange d’informations qui a eu lieu au cours de
la réunion du 22 avril 1994 a permis aux entreprises qui participaient à cette réunion d’avoir
la quasi certitude qu’elles ne seraient pas concurrencées sur leurs circuits ; que cette
31
V.SELINSKY, comm.Dèc. 98-D-17 du 19 mai 1998, BOCCRF, 18 juin 1998, Rec Lamy n°753 ou Ch
BOLZE, CA Paris 28 janv. 1988
32
Cass Com. 4 mai 1993, Rocamat, Bull. IV, n° 172 ; 10 mars 1998, JVC, C.C.C. 1998, comm ; 90
26
pratique de répartition de marché a fait obstacle au jeu de la concurrence dans lequel
l’imprévisibilité du comportement des concurrents doit conduire à la recherche de l’efficience
au meilleur prix ; que, dès lors, cette pratique, qui est prohibée par l’article L. 420-1 du code
de commerce, a pu avoir un effet sur le jeu de la concurrence » . Observons que le conseil
semble appliquer la même analyse qu’en matière de marché public puisqu’il pose que
« considérant que les ententes horizontales entre soumissionnaires concurrents à des marchés
publics, ayant pour objet et pour effet d’aboutir à une répartition des marchés, sont d’une
particulière gravité, notamment lorsque, comme en l’espèce, les pratiques concernent la
première application de la procédure d’attribution des délégations de service public prévues
par la loi no 93-122 du 29 janvier 1993 dont l’objet est de soumettre à la concurrence lesdites
attributions» et ne fait aucune mention du marché pertinent.
Relevons dans le même sens, même s’il s’agissait de marchés publics, la plus récente
décision n°04-D-43 du 8 septembre 2004 relative à l’attribution de marchés publics organisés
par la commune de Grasse dans le secteur des transports scolaires et périscolaires, où le
Conseil a repris la décision n°01-D-13 précitée selon laquelle « en matière de marchés publics
ou privés sur appel d'offres, il est établi que des entreprises ont conclu une entente
anticoncurrentielle dès lors que la preuve est rapportée soit qu'elles ont convenu de
coordonner leurs offres, soit qu'elles ont échangé des informations antérieurement à la date
où le résultat de l'appel d'offres est connu ou peut l'être, qu 'il s'agisse de l'existence de
compétiteurs, de leur nom, de leur importance, de leur disponibilité en personnel ou en
matériel, de leur intérêt ou de leur absence d'intérêt pour le marché considéré ou des prix qu
'ils envisagent de proposer». Toutefois, si le Conseil recherche la preuve d’un parallélisme de
comportement et d’un échange d’information, il indique les effets de cette concertation,
notamment une augmentation de 140% sur un circuit sans être concurrencé. Remarquons là
encore qu’il n’est fait aucune mention du « marché pertinent ».
Il est intéressant de relever dans la décision (comme dans d’autres décisions que nous
analyserons ci-dessous), que la commune avait d’abord conclu une délégation de service
public, puis les années suivantes des marchés publics (en matière de transports scolaires, la
collectivité peut choisir de confier l’exploitation du service à une entreprise de transport par le
biais d’un marché public ou d’une délégation de service public). Nous pouvons à cet égard
remarquer que la Conseil de la concurrence ne fait pas fondamentalement de distinctions entre
27
la délégation de service public de transport scolaire passée de 1994/1995 à 1998/199 et les
marchés publics passés après cette période (comme dans sa décision n°01-D-77 où il assimile
« la procédure d’attribution des délégations de service public prévues à une procédure
d’attribution de marchés publics »).
Les décisions rendues par le Conseil de la concurrence où seules des ententes sont
appréhendées en matière de délégation de service public ne sont pas nombreuses. De plus, de
manière relativement surprenante, dans ces décisions, nous ne relevons même pas le terme de
marché pertinent. A titre comparatif, mentionnons la récente décision n°05-D-65 (en matière
d’entente dans le domaine de la télécommunication mobile), où le Conseil prend bien soin de
délimiter le marché de la téléphonie mobile pour conclure qu’il y a « lieu de considérer que
les pratiques dénoncées ont pris place sur le marché des services de téléphonie mobile, qui
constitue le marché pertinent pour l’examen de ces pratiques »
33
(relevons aussi la décision
n°98-D-55 rendue à l’égard d’ententes en matière de délégation de service public où le
Conseil ne précise pas la délimitation des marchés pertinents 34 ). Malgré cette absence
sémantique, et grâce au rapport de 2001 précité (rapport indiquant qu’ « en matière d’entente
entre soumissionnaires à un appel d’offres, par exemple dans un marché public, la cour
d’appel (arrêt du 12 décembre 2000) énonce que le marché, qui fait l’objet d’un appel
d’offres constitue en soi le marché pertinent au sens du droit de la concurrence (décision 01D-17) »), nous pouvons déduire notamment de la décision n°04-D-43 ou n°01-D-13 que le
marché pertinent sur lequel sera analysé la concertation est l’appel d’offre lui-même. Mais
cette déduction semble assez incertaine si l’on prend en compte le fait que le Conseil ne
s’attache pas véritablement au marché pertinent et qu’il n’a pas toujours respecté la position
indiquée dans son rapport de 2001.
Mais le fait de retenir comme définition du marché pertinent l’appel d’offre lui même,
n’est il pas contestable ? Nous avons posé comme définition du marché pertinent le lieu de
confrontation entre l’offre et la demande de produits substituables entre eux et non
substituables à d’autres biens et services. L’appel d’offre serait ce lieu de confrontation de
l’offre et de la demande en cas d’entente dans le domaine des délégations de service public. Si
33
Décision n° 05-D-65 du 30 novembre 2005 relative à des pratiques constatées dans le secteur de la téléphonie
mobile
34
Décision n° 98-D-55 du 9 septembre 1998relative à des pratiques relevées dans le secteur du transport scolaire
de handicapés dans les Alpes-Maritimes
28
la relation entre un offreur et un demandeur apparaît de façon claire dans un appel d’offre, la
qualité de demandeur est sujette à discussion. En matière de délégation de service public, le
demandeur, la collectivité ne sera pas l’utilisateur du bien ou du service prévu dans le contrat
de délégation. Si la demande est définie par le Dictionnaire juridique comme « l’action de
solliciter quelque chose de quelqu’un » 35 et plus généralement comme l’ « action de
demander, de faire connaître à quelqu’un ce qu’on désir obtenir de lui» 36 , ne peut-on pas
dire que les usagers du service public devraient être assimilés à des demandeurs et non les
collectivités ?
En effet, ces usagers (souvent qualifiés d’ « usagers captifs » dans le cadre des délégations
de service public) expriment ils véritablement un choix alors que la notion de substituabilité
attachée à la notion de marché pertinent est définie par rapport à ce choix. Par ses décisions, le
Conseil de la concurrence délimite le marché en reprenant sa définition posée dans son
rapport de 1987 selon laquelle « l’analyse économique définit un marché comme le lieu sur
lequel se confrontent l’offre et la demande de produits ou de services qui sont considérés par
les acheteurs comme substituables entre eux mais non substituables aux autres biens et
services offerts »37. En somme, dans ces cas d’ententes, le Conseil de la concurrence délimite
un marché comme la rencontre de l’offre et de la demande de l’acheteur public (la
substituabilité s’analyse du point de vue de l’acheteur et non de l’utilisateur), sans tenir
véritablement compte des usagers. En réalité, et cela concerne tant le cas des ententes que de
l’abus de position dominante, selon nous, le Conseil semble distinguer deux cas. Le premier
où la pratique se situe lors de l’appel d’offre, auquel cas, la demande sera assimilée à la
collectivité. Et le deuxième, lorsque la pratique se situe au niveau de la phase d’exploitation et
auquel cas, la demande serait cette fois ci constituée par les usagers comme dans l’avis précité
relatif à la réglementation des tarifs des transports publics urbains de voyageurs38. Précisons
aussi que le « marché pertinent temporaire », créé par la procédure d’appel d’offre n’aurait pu
voir le jour sans la loi n°93-122 du 29 janvier 1993 dite « Sapin ».
A notre connaissance, nous n’avons pu relever qu’une seule décision du Conseil où celuici a pu définir un marché pertinent, dans le cadre d’une entente en matière de délégation de
service public. Malheureusement, la pratique dans cette décision concernait plutôt
35
G. CORNU , Vocabulaire juridique, P.U.F, 2001
Dictionnaire Le Petit Robert, édition 2001, au mot demande
37
Rapport 1987, p.XX
38
cf. supra
36
29
l’exploitation du service, ce qui conduit à une définition du marché pertinent différente que
lorsque la pratique était commise lors de la procédure d’appel d’offre. Dans cette décision
n°04-D-3939, il était question de la gestion en affermage d’un abattoir. Au-delà du fait que la
pratique se situait au niveau de l’exploitation du service, une autre particularité de l’affaire
venait du fait que les usagers étaient des professionnels de production et de commerce de
bétail. Les tonnes de bétails à abattre étaient réparties entre les usagers et les usagers s’étaient
engagés jusqu’à un certain niveau de tonnage. Il était reproché aux usagers de s’être entendus
pour empêcher la reprise du tonnage par un nouvel usager ayant repris les activités de l’un des
usagers initiaux. En l’espèce, la décision délimite deux marchés pertinents différents. Tout
d’abord, un marché en aval, correspondant au lieu où était en concurrence toutes les sociétés à
savoir « le marché de la commercialisation des viandes et sous-produits d’animaux de
boucherie au stade de gros ou de demi-gros. Ces entreprises exercent la même activité de
découpe et de préparation de viandes après abattage des animaux, en vue de la vente aux
professionnels, bouchers, charcutiers et traiteurs, entreprises agro-alimentaires et grande
distribution alimentaire ». La substituabilité est donc ici définie par rapport à la demande. En
l’espèce, la demande était constituée par les professionnel bouchers, charcutier etc.. du
secteur. Le produit n’était pas substituable à un autre puisque les professionnels bouchers ou
charcutiers doivent obligatoirement passer par l’activité de ces entreprises pour exercer leur
métier. Le marché de la commercialisation des viandes et sous-produits d’animaux de
boucherie était très spécifique. Géographiquement, le marché était qualifié de régional, le
marché étant concentré dans un rayon de 120 kilomètres. Le Conseil prévoit un second
marché en amont, constitué par l’accès aux services des abattoirs, nécessaire pour accéder au
marché en aval. Les pratiques se situaient donc sur ce marché en amont, et avaient des effets
sur le marché en aval.
Dans cette décision, la délimitation des marchés pertinents est assez claire. Elle est
toutefois d’un intérêt limité puisqu’elle ne se réalise pas dans une configuration d’appel
d’offre et concerne, au final, un cas assez particulier. Toutefois, elle nous conforte dans l’idée
qu’il faut bien distinguer selon qu’il s’agit d’une pratique lors d’un appel d’offre ou lors de
l’exécution d’une délégation.
39
Décision n° 04-D-39 du 3 août 2004 relative à des pratiques mises en oeuvre dans les secteurs de l’abattage et
de la commercialisation d’animaux de boucherie
30
Le faible intérêt que semble porter le Conseil à l’égard du marché pertinent en cas
d’entente (lors d’appels d’offre) dans les décisions étudiées nous amène à préférer étudier la
délimitation du marché pertinent dans le cadre des concentrations et des abus de position
dominante, qui se révèlent, beaucoup plus intéressante.
Section II
Un marché pertinent limité au marché où sont actifs l’ensemble des
opérateurs susceptibles de répondre à un appel d’offre en matière d’abus de position
dominante et de concentration
Lorsque le Conseil de la concurrence doit à la fois analyser la question d’une entente et
d’un abus de position dominante, l’analyse du marché pertinent se révèle beaucoup plus
pertinente et ce , même si la pratique en cause est commise lors d’un appel d’offre. De même
en matière de concentration, la définition du marché pertinent revêt un caractère essentiel.
Pour cette raison, nous étudierons la démarche du Conseil de la concurrence dans sa
délimitation des marchés pertinents en cas de concentration (§1) puis dans le cadre des abus
de position dominante (§2).
§1 en matière de concentration
L’article L. 430-2 du code de commerce pose que " la concentration résulte de tout
acte, quelle qu’en soit la forme, qui emporte transfert de propriété ou de jouissance sur tout
ou partie des biens, droits et obligations d’une entreprise ou qui a pour objet, ou pour effet,
de permettre à une entreprise ou à un groupe d’entreprises d’exercer, directement ou
indirectement, sur une ou plusieurs entreprises une influence déterminante ".
En matière de concentration, contrairement aux ententes, la délimitation du marché
pertinent est essentielle, puisque de cette délimitation dépendra la compétence des autorités
françaises ou communautaires (avec un mécanisme de seuil) mais aussi l’appréciation de
l’atteinte à la concurrence. En effet, l’article L.430-6 du Code de commerce pose que « si une
opération de concentration a fait l'objet, en application du III de l'article L. 430-5, d'une
saisine du Conseil de la concurrence, celui-ci examine si elle est de nature à porter atteinte à
la concurrence, notamment par création ou renforcement d'une position dominante ou par
création ou renforcement d'une puissance d'achat qui place les fournisseurs en situation de
dépendance économique. Il apprécie si l'opération apporte au progrès économique une
31
contribution suffisante pour compenser les atteintes à la concurrence. Le conseil tient compte
de la compétitivité des entreprises en cause au regard de la concurrence internationale et de
la création ou du maintien de l'emploi ». La délimitation du marché pertinent est donc au
cœur du contrôle des concentrations afin de déterminer la structure du marché en cause. C’est
en partant de ce constat qu’il est apparu comme pertinent de traiter les quelques avis que le
Conseil de la concurrence a pu rendre dans des secteurs propres à la délégation de service
public.
Le Conseil de la concurrence a rendu en la matière quelques avis, à savoir dans le
domaine de l’eau et des concessions d’autoroute (l’avis n° 01-A-02 du 13 février 2001 relatif
l’acquisition du groupe Poma par la société Leitner, concerne uniquement la construction des
remontées mécaniques et non la délégation).
Dans le secteur de l’eau, l’autorité de la concurrence a rendu l’Avis n° 00-A-12 du 31
mai 2000 relatif à une demande d'avis de la Commission des finances, de l'économie et du
plan de l'Assemblée nationale sur le prix de l'eau en France. Le juge de la concurrence
rappelle qu’un marché pertinent doit être défini matériellement et géographiquement.
Toutefois, il affirme que le Conseil n’adoptera pas forcément cette position en cas de
contentieux mais qu’il cherche simplement à travers cet avis à donner quelques éléments de
compréhension.
Sur la délimitation sectorielle, le Conseil reprend son vieil avis de 1980 que nous
rencontrerons à plusieurs reprises, qui pose les bases de sa délimitation des marchés pertinents
selon lequel, « la gestion déléguée du service de distribution d'eau constitue un marché en soi
sur lequel la concurrence ne peut pratiquement jouer que ponctuellement et à des intervalles
éloignés dans le temps ; (...) en effet, à un moment donné, la demande sur ce marché émane
des collectivités qui ont décidé d'abandonner la gestion directe et de celles qui, ayant délégué
la gestion de leur service, voient leur contrat venir à échéance ». Il indique que cette solution
a été reprise dans sa décision de 1998 que nous étudierons plus spécifiquement ci-après. Cet
avis reprend d’autres éléments extrêmement importants de cet avis de 1980, puisque ces
éléments permettront de comprendre d’autres décisions futures, par exemple lorsque le
Conseil indique que les « acteurs publics locaux et les sociétés privées spécialisées
n'interviennent pas sur le même marché ». Le Conseil indique également qu’il existe un
marché de gros de l’eau, ce que nous trouvons dans la décision de 1998 et la décision 05-D32
58, lorsqu’« un opérateur économique entend répondre à un appel à la concurrence pour la
distribution de l'eau mais doit faire appel à une entreprise tierce pour la fourniture de cette
eau ». Enfin, le Conseil de la concurrence envisage un troisième marché, dans les cas où les
pratiques se situeraient pendant l’exécution de la délégation qui correspondrait au marché de
la distribution de l'eau aux usagers. Il existerait donc trois types de marché. Mais il faut
préciser que cet avis de 2000 se situe avant le rapport de 2001 où le Conseil a indiqué qu’en
cas d’abus de position dominante, il faut prendre non le marché pertinent défini par le
croisement d’un appel d’offre et de soumissions dans le cadre des ententes mais le marché où
sont actifs l’ensemble des opérateurs susceptibles de répondre à un appel d’offre.
Quant à la délimitation géographique du marché, il est prévu par l’avis qu’il puisse
être selon les cas local ou national. En revanche, concernant le marché de la distribution d’eau
potable (il envisage donc ici une pratique lors de l’exploitation de la délégation et non lors de
l’appel d’offre), il retiendrait un marché local.
Cet avis n’apporte pas d’informations novatrices sur la délimitation des marchés pertinents en
matière d’eau. Il a cependant le mérite de résumer la position du Conseil au regard de sa
jurisprudence en 2000 et de poser les jalons de sa jurisprudence future.
Ensuite, le Conseil de la concurrence a pu apporter certaines informations concernant
le marché pertinent dans le domaine de l’exploitation des parcs de stationnement dans son
avis n° 01-A-08 du 5 juin 2001 relatif à l’acquisition du Groupe GTM par la société Vinci. Le
Conseil émet une distinction entre deux marchés, d’une part le marché en aval qui concerne
les automobilistes et celui en amont relatif aux appels d’offres des collectivités. Nous nous
concentrerons bien entendu sur le marché en amont. Au sein de ce marché, une nouvelle
distinction doit être opérée entre le stationnement de surface en voirie donnant lieu a des
marchés publics et le stationnement en ouvrage (parcs souterrains ou silos) correspondant à
des délégations de service public. Au passage, précisons que la distinction opérée ne paraît
pas nécessairement fondée dans les faits et relativement discutable. Le Conseil de la
concurrence considère que sur le marché en amont, cette distinction conduit « à exclure du
marché pertinent les marchés de prestations de service pour le stationnement en surface et à
ne retenir que les délégations de service publics correspondant à des ouvrages » (en l’espèce,
le Conseil s’intéressait à la délégation de stationnement public, troisième secteur d’activité de
Vinci, ce qui l’a sans doute conduit à ce raisonnement).
33
Géographiquement, il est apporté des précisions assez importantes (qui seront
d’ailleurs réutilisées dans le secteur de l’eau) prévoyant que «la dimension nationale du
marché se justifie par l’homogénéité du service demandé (construction et exploitation d’un ou
plusieurs parcs de stationnement), la mise en oeuvre d’une procédure de choix de l’entreprise
obligatoire et identique quelle que soit la commune, l’exigence d’une publicité préalable par
voie de presse et d’une mise en concurrence à l’échelle nationale, ainsi que la présence, sur
ces appels d’offres, des opérateurs à vocation nationale mentionnés précédemment ». Cette
définition nous paraît contestable dans le sens où elle semble insuffisamment justifiée. En
effet, le Conseil n’apporte à notre sens pas vraiment la preuve que les services sont
effectivement homogènes.
Il est considéré dans cet avis que les sociétés d’économie mixte sont des concurrentes
sur ce marché et ce, même si plusieurs communes en sont actionnaires. Le Conseil indique par
la suite que « le marché des délégations de stationnement public est, pour l’essentiel, un
marché de renouvellement des contrats pour la gestion de parcs existants, avec en moyenne
20 à 30 appels d’offres lancés chaque année incluant seulement deux à trois constructions
neuves ». Ensuite, le Conseil étudie la position de Vinci sur ce marché, ce qui ne fera pas
l’objet de notre étude, cette partie se concentrant sur la délimitation des marchés pertinents.
§2 en matière d’abus de position dominante
Nous étudierons ci-après, la délimitation du marché pertinent par le Conseil lorsque la
seule question de l’abus de position dominante lui est soumise, puis le cas où il doit
s’intéresser à la fois à une entente et un abus de position dominante.
A- La délimitation du marché pertinent dans le strict cas de l’abus de position
dominante
L’article 82 du traité des communautés européenne (traité CE) prohibe les abus de
position dominante. Selon cet article 82, « est incompatible avec le marché commun et
interdit, dans la mesure où le commerce entre États membres est susceptible d'en être affecté,
le fait pour une ou plusieurs entreprises d'exploiter de façon abusive une position dominante
34
sur le marché commun ou dans une partie substantielle de celui-ci ». L’article L.420-2 du
Code de commerce reprend cette prohibition, en indiquant qu’ « est prohibée, dans les
conditions prévues à l'article L. 420-1, l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe
d'entreprises d'une position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de
celui-ci. Ces abus peuvent notamment consister en refus de vente, en ventes liées ou en
conditions de vente discriminatoires ainsi que dans la rupture de relations commerciales
établies, au seul motif que le partenaire refuse de se soumettre à des conditions commerciales
injustifiées ».
Pour qualifier un abus de position dominante, deux conditions sont donc nécessaires,
d’une part l’existence d’une position dominante sur un marché et d’autre part, une
exploitation abusive de cette position. Il apparaît donc que la délimitation du marché sera
déterminante pour qualifier cette position dominante.
Pour cette raison, le Conseil a une appréhension différente du marché pertinent en
matière d’abus de position dominante et en matière d’entente. En cas d’abus de position
dominante, comme cité précédemment, la délimitation réalisée par le Conseil retient « le
marché plus général où sont actifs l’ensemble des opérateurs susceptibles de répondre à
l’appel d’offres concerné »40. Dans le cadre des délégations de service public, le Conseil de la
concurrence a été confronté à la question d’un abus de position dominante dans le domaine de
l’eau. Précisons que nous ne retiendrons pas le secteur des pompes funèbres, la convention de
délégation du service extérieur des pompes funèbres n’étant pas considérée comme des
délégations de service public. Il en sera de même pour les conventions de « mobilier
urbain »41 (hormis à titre comparatif). Notons aussi que nous ne retiendrons pas la décision
n°00-D-47 du 22 novembre 2000 relative aux pratiques mises en oeuvre par EDF et sa filiale
Citélum sur le marché de l’éclairage public puisque le Conseil s’est intéressé à travers cette
affaire au marché de l’éclairage public (il s’agissait en l’espèce d’un marché public) et non la
convention relative à la distribution d’électricité.
Dans le secteur de l’eau, nous retiendrons ici principalement deux décisions, à savoir
la décision n°98-MC-04 puis la décision n°05-D-58 du 3 novembre 2005. Dans le cadre de la
40
Rapport annuel du Conseil de la concurrence de 2001, voir décision 01-D-08, 01-D-46 et 01-D-66 rendu par le
conseil de la concurrence
41
CE Ass. 4 novembre 2005, société Jean-Claude Decaux, Rec.477, RFDA 2005.1083, concl. CASAS
35
décision n°98-MC-04, le Conseil s’interrogeait sur l’éventuel abus de position dominante de
la société Suez-Lyonnaise des Eaux à l’occasion du renouvellement des contrats de délégation
du service public de l’eau dans plusieurs communes. Si les griefs sont différents, ces deux
décisions s’inscrivent dans la même logique. Une approche comparative peut donc être
pertinente. Nous ne rentrerons pas ici dans le détail (ceci sera étudié postérieurement) de la
pratique en elle-même, mais nous nous limiterons à analyser la délimitation du marché
pertinent. Relevons que dans sa décision n°98-MC-04, le Conseil n’utilise à aucun moment le
terme de marché pertinent. Il conclut que « dans ces conditions, il n’est pas établi que les
pratiques dénoncées porteraient [une] atteinte grave et immédiate au consommateur, au
secteur intéressé ou à l’économie en général » sans avoir pris la peine, au préalable de définir
avec précision le marché pertinent en cause. Cette absence est d’autant plus frappante que
pour des faits relativement similaires, une fois encore à l’occasion du renouvellement de
délégation du service public de l’eau, le Conseil examine avec attention dans sa décision
n°05-D-58 les marchés pertinents en cause. Toutefois, il nous semble que le Conseil n’a pas
réalisé de délimitation du marché pertinent car il se réfère en réalité à une jurisprudence déjà
établie avant 1998 et précitée définissant le marché pertinent en matière de délégation du
service public de l’eau comme un marché à dimension nationale. Dans sa décision n°05-D-58,
le Conseil de la concurrence perpétuera d’ailleurs sa jurisprudence, tout en y apportant un
élément supplémentaire, en exposant que « de jurisprudence constante, le marché de la
délégation du service public de distribution d’eau sur lequel se rencontrent la demande des
communes ou collectivités délégantes et l’offre des entreprises de distribution est un marché
pertinent […] Ce marché pertinent est de dimension nationale, mais il se décline en
applications locales chaque fois qu’un délégant éventuel lance une procédure d’appel
d’offres pour choisir son délégataire ». Mais le raisonnement du Conseil connaît un deuxième
temps en matière de délégation du service public de l’eau, à savoir la distinction entre deux
marchés, « le marché de l’amont, où le propriétaire de la partie amont de la chaîne des
installations a le monopole de l’offre d’eau, la demande d’eau pouvant émaner de lui-même,
des autres concurrents délégataires candidats à la gestion de la seule partie aval des
installations ou, éventuellement, du délégant lui-même [et] le marché de l’aval, où le
demandeur est le délégant et les offreurs du service à déléguer sont tous les opérateurs ayant
acquis ou susceptibles d’acquérir de l’eau sur le marché amont […]. [En effet], Le point
d’entrée de l’eau dans la commune sépare ici l’amont de l’aval dans la chaîne des
installations. [Le Conseil estime que] cette distinction théorique est nécessaire, faute de quoi
le monopoleur [en] amont, seul à pouvoir amener l’eau au point d’entrée de la commune,
36
serait aussi le seul à pouvoir faire une offre au délégant, ce qui priverait de sa substance la
procédure de mise en concurrence sur le marché de la délégation ».
La Conseil de la concurrence considère donc qu’il est nécessaire de distinguer, dans le
cas où la commune ne détient pas les installations permettant la production , le transport et le
stockage de l’eau, mais seulement la partie « distribution » de l’eau, entre d’une part, la partie
de la chaîne relative à la distribution de l’eau sur la commune et la partie de la chaîne en
amont permettant d’approvisionner le territoire de la commune en eau, cette partie
appartenant le plus souvent à un entreprise qui postulera elle-même à l’appel d’offre de
délégation de distribution de l’eau sur le territoire de la commune.
Ensuite, le Conseil estime qu’il existe un marché délimité aux 55 communes
desservies par le réseau privé d’approvisionnement de la société Suez-Lyonnaise des Eaux,
cette entreprise détenant un monopole de fait sur le marché en amont (celle-ci détenant le
réseau d’approvisionnement) et se trouvant en position dominante sur le marché en aval,
ayant remporté la plupart des appels d’offres.
La lyonnaise des eaux a contesté cette délimitation du marché pertinent en utilisant la
définition classique du marché pertinent constituée par la rencontre de l’offre et de la
demande lors d’un appel d’offre. Effectivement, pour la Lyonnaise des eaux, le marché en
aval ne pouvait exister puisqu’il n’existait pas d’appel d’offre sur ce marché. Il n’y avait donc
pas de rencontre de l’offre et de la demande sur ce marché de fourniture de l’eau, mais
uniquement sur le marché de la distribution de l’eau. Le Conseil justifie l’existence de ce
marché de fourniture de gros en indiquant que les entreprises concurrentes répondant à l’appel
d’offre de délégation du service de distribution de l’eau ont nécessairement besoin de faire
une demande d’approvisionnement en eau sur le marché en amont. Ne pas prendre en compte
ce marché en amont reviendrait donc à vider de son sens la procédure d’appel d’offre, les
entreprises ne pouvant répondre à la procédure de délégation du service public de la
distribution de l’eau sans faire une demande d’approvisionnement en eau. Le Conseil renforce
son argumentation en indiquant que dans les faits, les collectivités ont poussé les concurrents
à demander le prix de l’eau en gros pour répondre à la délégation de la distribution de l’eau.
En dehors de la contestation de l’existence même du marché en amont, la Lyonnaise
des eaux contestait la dimension géographique du marché. Selon la Lyonnaise le marché, il
37
s’étendait à toute la région parisienne, d’autres entreprises disposant d’installations de
production de l’eau et l’ensemble du réseau étant interconnecté. Mais le Conseil retient qu’en
pratique, les communes n’ont accès qu’à l’eau du monopoleur dont elles dépendent, dans le
cas présent, la Lyonnaise des eaux. De plus, l’autorité de la concurrence souligne que les
communes ne pouvaient pas reproduire les installations en cause et constate que « l’existence
d’un marché de la production d’eau dans le bassin du sud de l’Essonne qui permet aux
communes de la zone d’obtenir de l’eau « entrée de ville » avant de la faire distribuer par le
délégataire de leur choix, marché qui n’était que potentiel jusqu’en 1997, qui est défini par la
cour d’appel de Paris le 29 juin 1998 et sur lequel la Lyonnaise des Eaux affiche un prix
offert à partir de la création de l’ESP ».
Si nous résumons le raisonnement de la Cour, il existe deux marchés, un premier constitué par
l’appel d’offre sur la délégation de la distribution de l’eau, et un deuxième constitué par le
besoin d’approvisionnement en eau par les communes. Le premier marché indiqué ne
nécessite pas de commentaire puisqu’il ne diffère pas fondamentalement de la définition de
marché classique en matière de délégation de service public. Le deuxième nécessite par contre
certaines précisions. Deux éléments doivent à notre sens analysés : la définition matériel de ce
marché, à savoir la substituabilité puis la délimitation géographique de ce marché.
Concernant la substituabilité, le Conseil a considéré qu’il existait un monopole de fait
de la société Suez-Lyonnaise des Eaux sur le marché composé par les 55 communes.
L’autorité reprend ici la position qu’elle a pu avoir à l’égard des clients captifs (comme par
exemple, la situation des personnes hébergées dans les établissements hospitaliers qui sont
dans les fait obligées d’utiliser les services téléphoniques de ces établissements 42 ). Or, le
Conseil de la concurrence considère que la clientèle captive entraîne souvent un monopole de
fait, la société en cause disposant de la totalité de l’offre et conclut qu’il s’agit d’un marché
spécifique en soit. En effet, dans les faits et selon le Conseil, la société Suez-Lyonnaise des
Eaux est la seule à pouvoir apporter de l’eau jusqu’aux communes. Notons que le Conseil
retient comme demandeur, non seulement, les communes, mais aussi les participants à l’appel
d’offre de délégation de la distribution de l’eau (« Le cas le plus général à envisager est celui
où ce sont les concurrents délégataires qui se portent demandeurs d’eau à l’amont de façon à
pouvoir présenter une offre sur le marché (aval) soumis à délégation »). La clientèle captive
42
Avis 93-A-14 du 7 sept. 1993 relatif au décret portant réglementation du prix des prestations de services
téléphoniques
38
semble donc être à la fois ses concurrents et les communes demandeuses d’eau. Sur ce point,
nous comprenons aisément le raisonnement du Conseil qui tente de définir un marché
pertinent le plus strict possible afin de pouvoir étudier par la suite les pratiques de la société
Suez-Lyonnaise des Eaux sur ce marché. Le Conseil, réfutant les arguments de la Lyonnaise
des Eaux a d’ailleurs bien pris soin d’écarter toutes les autres possibilités de se fournir en eau
qu’auprès de la Lyonnaise. Notons tout de même que le Conseil de la concurrence prend ici
une délimitation du marché pertinent assez favorable aux communes en retenant un marché
pertinent de la fourniture de l’eau en gros alors même que les communes n’ont pas lancé de
procédure sur ce marché.
De même, concernant la délimitation géographique du marché, comme dit
précédemment, les communes n’ont accès qu’à l’eau du monopoleur dont elles dépendent,
dans le cas présent la Lyonnaise des eaux, ce qui justifie de limiter géographiquement le
marché au territoire des 55 communes « captives » du réseau privé d’approvisionnement
d’eau.
Dans cette décision, le Conseil de la concurrence devait aussi analyser le marché
pertinent de la fourniture de l’eau en gros à la Semmaris (Société d’économie mixte
d’aménagement et de gestion du Marché d’intérêt national de région parisienne) par la Sagep
(Société anonyme de gestion des eaux de Paris) et le Sedif (Syndicat des eaux de l’Ile-deFrance). Le Sedif niait l’existence de ce marché. Le Conseil rappelle justement que le fait que
la demande de la Semmaris se soit conclut par deux offres justifie l’existence de ce marché
ponctuel. Il n’y avait pas ici de difficulté, hormis peut être l’étude d’un statut dérogatoire du
Sedif en vertu d’une loi, position que le Conseil de la concurrence a écarté.
A travers cette décision, remarquons que si le Conseil maintient qu’un appel d’offre
constitue à lui seul un marché pertinent, a contrario l’absence d’appel d’offre ne permet pas
de conclure forcément à l’absence de marché pertinent. En effet, le fait que les communes
n’aient pas lancé un appel d’offre sur la fourniture de l’eau en gros ne permet pas d’affirmer
l’inexistence de ce marché. Ensuite, il était aussi intéressant de voir que sur le marché en
amont, le Conseil a défini la demande comme les communes s’approvisionnant en eau, mais
aussi les concurrents postulant à la délégation du service public de distribution de l’eau. Au
final, la distinction entre marché de fourniture de l’eau en gros et distribution de l’eau ne
diffère pas tant de la distinction souvent réalisée par le Conseil de la concurrence entre les
39
différents niveaux de relation entre l’offre et la demande (relation entre les grossistes et les
distributeurs ou encore entre un producteur et un négociant). Ainsi, sur le marché en amont,
les candidats à la délégation du service de la distribution de l’eau se positionnent en tant que
demandeur, et sur le marché en aval, en tant qu’offreur, un peu comme on peut le voir lors de
la distinction entre le marché de gros du haut débit par l’ADSL et le marché de l’offre de
détail d’accès Internet ADSL43. En matière d’eau, la décision n°02-D-44 pourra être relevée
dans le cadre de notre étude (nous l’étudierons ci-après, celle-ci concernant à la fois un cas
d’entente et un cas d’abus de position dominante).
Nous pouvons retenir de cette analyse que le Conseil, dans le cadre de cet abus de
position dominante (et nous le verrons d’ailleurs dans d’autres cas), continue à retenir un
marché pertinent défini par l’appel d’offre mais aussi un « marché accessoire » à ce marché.
En effet, si l’on poursuit l’analyse du Conseil, le « marché accessoire » de la fourniture d’eau
en gros n’existe que parce que son inexistence viderait de sa substance le « marché principal »
constitué par l’appel d’offre. De plus, géographiquement, nous pouvons conclure qu’il existe
plusieurs types de marché dans le secteur de l’eau. Si nous reprenons l’expression du Conseil
selon lequel, « le marché de la délégation du service public de distribution d’eau sur lequel se
rencontrent la demande des communes ou collectivités délégantes et l’offre des entreprises de
distribution est un marché pertinent […] Ce marché pertinent est de dimension nationale,
mais il se décline en applications locales chaque fois qu’un délégant éventuel lance une
procédure d’appel d’offres pour choisir son délégataire » , il existe déjà deux types de
marché au niveau de la distribution de l’eau. Un marché pertinent de la délégation du service
public de l’eau de dimension nationale sur lequel opère tous les opérateurs du secteur. Puis,
un autre type de marché pertinent de dimension locale, équivalent à chaque appel d’offre
lancé par une collectivité. Et enfin, un marché pertinent de la fourniture de l’eau limité
géographiquement au réseau privé d’approvisionnement d’une entreprise. Nous pouvons tout
de même remarquer que la méthode de délimitation de ce deuxième marché pertinent (marché
de la fourniture de l’eau en gros) semble, à notre sens, quelque peu s’éloigner de la définition
établit par le Conseil dans son rapport en 2001 précité selon lequel en matière d’abus de
position dominante, « il convient d’examiner non pas le marché particulier résultant du
croisement d’un appel d’offres et des soumissions qui ont été déposées en réponse, mais le
43
Cons. conc., avis n°00-MC-01, 18 février 2000
40
marché plus général où sont actifs l’ensemble des opérateurs susceptibles de répondre à
l’appel d’offres concerné ».
De manière extrêmement récente , le Conseil a pu s’intéresser à travers sa Décision n°
07-D-14 du 2 mai 2007 , à des pratiques dans le secteur des remontées mécaniques, qui font,
pour rappel, l’objet de délégation de service public44. Dans cette affaire, une station de ski
avait confié la gestion du service public des remontées mécaniques à un syndicat mixte
d’aménagement (SMAP). Ce syndicat mixte a lui-même délégué à une SEM l’exploitation et
l’installation des remontées mécaniques pour une durée de 15 ans, cette SEM percevant des
redevances sur les usagers. Cette SEM a elle-même sous traité l’exploitation du service public
des remontées mécaniques à une société anonyme pour une durée de 15 ans, cette société
anonyme collectant les redevances auprès des usagers pour le compte de la SEM. Pour
résumer (les faits de l’affaire étant complexes), la SEM s’est vue privatiser et racheter par la
société anonyme, devenant ainsi le titulaire de la délégation de service public. La encore pour
simplifier, il était reproché à cette société d’avoir exercé des pressions sur des entreprises
proposant des forfaits touristiques (comprenant les remontées mécaniques) pour permettre à la
société de se « réserver » la vente de forfait de remontées mécaniques auprès de tours
opérateurs et obliger les opérateurs locaux à ne proposer que de l’hébergement et non des
forfaits relatifs aux remontées mécaniques. Remarquons que l’affaire ne concernait pas une
pratique mise en œuvre lors d’un appel d’offre, mais plutôt une pratique relative à
l’exploitation de la délégation, celle-ci ayant une influence sur la détermination du marché
pertinent.
Concernant la détermination des marchés pertinents, il est enrichissant de relire les
courtes décisions que le Conseil avait d’ores et déjà réaliser à l’égard de cette même affaire45.
En effet, dans ces décisions, il n’était nullement fait mention du marché pertinent. Dans notre
44
Décision n° 07-D-14 du 2 mai 2007 relative à des pratiques mises en oeuvre par la société Transmontagne,
concessionnaire des remontées mécaniques sur la station de ski de Pra-Loup
45
Décision n° 00-D-87 du 13 février 2001concernant l’exécution de la décision n° 99-MC-10 du 16 décembre
1999relative à la société Transmontagne et relative à une demande de mesures conservatoires de la société
Agence Alp Azur concernant des pratiques mises en oeuvre sur le marché des tickets et forfaits d’accès aux
remontées mécaniques de la station de Pra-Loup ; Décision n° 01-D-39 du 29 juin 2001relative à une demande
de la société Agence Alp Azur concernant des pratiques mises en oeuvre sur le marché des tickets et forfaits
d’accès aux remontées mécanique sde la station de Pra-Loup, Décision n° 99-MC-10 du 16 décembre 1999
relative à une demande de mesures conservatoires de la société Agence Alp Azur concernant des pratiques mises
en oeuvre sur le marché des tickets et forfaits d’accès aux remontées mécaniques de la station de Pra-Loup
41
décision, le Conseil détermine cette fois ci avec précision deux marchés à savoir, celui de la
vente de forfait de remontées mécaniques à des professionnels du tourisme, et un deuxième
marché concernant la revente par ces professionnels à des particuliers et à des tours opérateurs.
Si le Conseil ne s’interroge pas véritablement sur la substituabilité pour définir les marchés, il
précise que le marché en aval (celui de vente aux professionnels du tourisme) est segmenté du
fait de l’obligation pour le délégataire de prendre en compte les différentes caractéristiques
des professionnels pour établir ses tarifs (agences, hébergeurs etc..). Puis, le marché est défini
géographiquement à la station de ski en cause. Du fait de la délégation de service public de
remontées mécaniques, le Conseil de la concurrence conclut que la société attaquée se trouve
nécessairement en situation de monopole et détient une position dominante sur ce marché.
Comme nous le verrons ci-dessous dans l’affaire dite « commune de Bouc-Bel-Air », le
Conseil considère que lorsqu’une entreprise (au sens du droit européen, c'est-à-dire toute
entité exerçant une activité économique) est titulaire d’une délégation de service public, elle
se retrouve automatiquement en situation de monopole et en position dominante. L’analyse de
l’autorité de la concurrence se poursuit sur le marché en amont, où nous retiendrons
particulièrement son analyse géographique. En effet, celle-ci reprend sa définition prévue
dans son rapport de 200146. Pour délimiter ce marché géographique, le Conseil se place du
point de vue de l’usager , à savoir le skieur, pour en déduire qu’ « il n’est pas établi que le
forfait touristique proposé sur la station de ski de Pra-Loup ne soit pas substituable aux
forfaits touristiques proposés sur les autres stations de ski comparables telles que La Foux
d’Allos ou le Val d’Allos 1500, ou Sauze-Super Sauze, ou encore avec l’ensemble des stations
du département des Alpes-de-Haute Provence, toutes ces stations étant situées à proximité les
unes des autres. Le marché aval pourrait même être élargi aux autres stations de ski du
massif des Alpes du Sud. Dans ce cas, les pratiques de discrimination tarifaire sur le marché
amont devraient être appréhendées en tenant compte des tarifs pratiqués dans les autres
stations et de leur impact sur ce marché aval élargi ». Cette décision nous semble
particulièrement importante si elle est lue en parallèle avec la décision que nous étudierons ciaprès concernant la desserte maritime de la Corse. En effet, dans ces deux récentes décisions,
le Conseil semble se montrer plus rigoureux (notamment si l’on compare cette décision aux
autres décisions sur la même affaire ou encore le fait que le Conseil prenne comme base dans
46
"la délimitation d’un marché de produits s’entend sur une zone géographique définie, soit parce que l’analyse
faite du comportement de la demande n’est valable que sur cette zone géographique, soit parce qu’il s’agit de la
zone géographique à l’intérieur de laquelle les demandeurs se procurent ou peuvent se procurer le produit ou le
service en question"
42
ces deux affaires les définitions posées dans son rapport de 2001) au niveau de son
raisonnement économique et tente de mieux justifier sa détermination du marché pertinent.
Il convient de s’intéresser à présent à la délimitation du marché pertinent par le
Conseil lorsqu’il doit à la fois faire face à un abus de position dominante et une entente.
B- Le marché pertinent délimité en cas d’abus de position dominante et
d’entente
Il s’agit du cas le plus fréquent soumis au Conseil de la Concurrence. Notre étude
portera sur quelques secteurs, à savoir le secteur de l’eau, les crèches et enfin récemment, le
transport maritime. Précisons que lorsqu’une entreprise est poursuivie à la fois sur le
fondement de l’abus de position dominante mais aussi d’entente, le Conseil peut retenir la
même définition du marché pertinent.
Si nous avons d’ores et déjà analysé le marché pertinent à travers la décision n°98MC-04 puis la décision n°05-D-58, il existe aussi la décision n° 02-D-44 du 11 juillet 2002
relative à la situation de la concurrence dans les secteurs de l’eau potable et de
l’assainissement, notamment en ce qui concerne la mise en commun des moyens pour
répondre à des appels à concurrence où il était à la fois question d’une entente et d’un abus de
position dominante.
Il est extrêmement intéressant de comparer la délimitation du marché pertinent dans
cette affaire par rapport à la définition du marché pertinent de la décision n°05-D-58 précitée.
Dans la décision n°02-D-44, le débat porte une fois encore sur deux aspects du marché
pertinent en matière de distribution d’eau et d’assainissement, d’une part la substituabilité, et
d’autre part la dimension géographique du marché.
Le Conseil, fidèle à sa ligne estimait qu’il existait deux marchés spécifiques, le
premier de la gestion déléguée des services publics de la distribution de l’eau puis un second
de l’assainissement. La Compagnie générale des eaux (CGE), la Société lyonnaise des eaux
(SLDE) et la SAUR ont énoncé un certain nombre d’arguments devant être étudiés même ci
43
ceux-ci ont été rejetés. Au titre de la substituabilité, ces arguments étaient principalement de
deux ordres. Tout d’abord, les trois sociétés mettaient en avant que les collectivités publiques
intervenaient au même titre que les opérateurs privés sur le marché de la distribution de l’eau.
C’est ainsi que la CGE « cite une douzaine d’exemples où des collectivités ont répondu à un
appel à candidatures émanant d’une autre collectivité ». De même, la CGE estime qu’il
existe une intervention directe sur ce marché par l’intermédiaire de la régie. Concernant, les
exemples de la CGE, le Conseil de la concurrence rétorque que le fait « que les collectivités
visées n’ont jamais emporté un marché couvert par la dite notification montre que les
collectivités locales qui font appel au marché pour répondre à leurs besoins
d’approvisionnement en eau potable et en assainissement ne voient que rarement dans les
autres collectivités une alternative à l’offre des entreprises privées ».
Au titre des « pressions concurrentielles » exercées par la régie, le Conseil les écarte
en estimant que la crainte de devoir investir constitue un effet dissuasif au retour à la régie et
que ce phénomène est relativement rare. De même, l’autorité justifie sa position par des
raisons « procédurales » notamment le fait que les exemples donnés ne concernent pas la
période visée par la notification des griefs. Le professeur Jean-Marc Thouvenin a vivement
critiqué cette position en raison du fait que cette décision vise à protéger la concurrence sur le
marché « tel qu’il se présentera à l’avenir » et qu’il aurait donc été pertinent de retenir ces
arguments47. De plus, l’autorité aurait du prendre en compte et vérifier ces faits présentés
suffisamment tôt, respectant ainsi le principe de bonne administration de la justice.
Néanmoins, il semble important de rappeler que les autorités de concurrences attachent une
grande importance à l’espace temps de référence auquel sont liées les données économiques
en matière d’abus de position dominante ou d’entente. Ces données économiques doivent
normalement être rattachées à la période des faits, ce qui explique sans doute la position du
Conseil de la concurrence. A propos du refus par le Conseil de la concurrence de prendre en
compte les régies dans sa définition du marché pertinent, le professeur Jean-Marc Thouvenin
critique à nouveau cette position. Selon cet auteur « on note tout de même qu’il demeure
constant que 13.500 entités opèrent dans le cadre de la régie, et un quart de l’eau consommée
en France est gérée en régie directe. Ceci est de nature à démontrer que l’accès au marché
de la distribution de l’eau n’est pas fermé, pour des raisons techniques ou financières, aux
collectivités territoriales se tournant vers les régies directes. Cette réalité aurait dû faire
47
J-M THOUVENIN, droit de la concurrence et marché de la distribution de l’eau, Gazette du Palais, 07 août
2003 n°219, p.2
44
l’objet au moins d’un commentaire du Conseil de la concurrence. A défaut, son argument tiré
de barrières à l’entrée paraît fragile » 48 . Pour expliquer la position du Conseil de la
concurrence, il nous semble opportun de citer l’avis de 1980 de la Commission de la
concurrence précité, que le Conseil semble reprendre, selon lequel « en règle générale,
chacune des régies existantes n'assure la distribution de l'eau que pour le compte de la ou les
collectivités fondatrices ; (...) si quelques unes peuvent atteindre une certaine dimension, soit
parce qu'elles relèvent d'un syndicat regroupant de nombreuses communes, soit parce
qu'elles assurent la gestion du service d'eau d'une ville importante, fort peu nombreuses sont
celles qui ont vocation à étendre de façon significative le champ géographique de leurs
activités ; (...) ainsi les collectivités qui peuvent, pour différentes raisons, éprouver le besoin
ou même se trouver dans la nécessité d'abandonner la gestion directe de leur service d'eau
n'ont guère la possibilité sauf dans quelques zones géographiques peu nombreuses et peu
étendues de faire appel à d'autres partenaires que les entreprises privée spécialisées ».
Comme dans la décision n°05-D-58 précitée, où le Conseil avait pris une délimitation
du marché pertinent relativement favorable aux communes (notamment en relevant un marché
pertinent de la fourniture de l’eau en gros alors même que les communes n’avaient pas réalisé
d’appel d’offre sur ce marché), le Conseil de la concurrence prend la encore une décision dans
le sens des communes. Comme le relève l’auteur précité, le fait de ne pas avoir pris en compte
la régie directe pour délimiter le marché pertinent paraît contestable.
De la même manière que les autres décisions rendues dans le secteur de l’eau, les
entreprises en cause contestaient la dimension nationale du marché. La décision rappelle
l’avis du 28 octobre 1980 de la Commission de la concurrence d’ailleurs mentionné dans le
cadre de ce mémoire, selon lequel « la forte concentration du secteur privé sur le marché de
la distribution de l’eau confère à l’offre un caractère national » (la décision ne retient pas la
même citation mais celle-ci nous paraît la plus pertinente) définissant ainsi le marché
géographique en se référant par rapport à l’offre et non la demande. L’un des arguments était
que l’on « ne peut qualifier uniformément les marchés de l’eau et de l’assainissement de
marchés nationaux ; que selon elle, le marché des grandes collectivités est national, le
marché de celles qui sont inférieures à la taille critique (10 000 habitants) est infra-régional
et pluri-communal, sa dimension variant en fonction des possibilités économiques et
48
J-M THOUVENIN, droit de la concurrence et marché de la distribution de l’eau, Gazette du Palais, 07 août
2003 n°219, p.2
45
techniques de desserte ». Mais l’autorité poursuit son raisonnement estimant que « les trois
plus grandes entreprises présentes sur les marchés de la distribution d’eau et
d’assainissement interviennent sur l’ensemble du territoire national ; que cette position,
adoptée par la Commission de la concurrence en 1980, est transposable à la présente
procédure puisque la structure des marchés et le fonctionnement de la concurrence étaient
analogues au début de la période couverte par la notification de grief, c’est-à-dire le 21 juin
1997 et que, par ailleurs, les modifications qui y ont été observées postérieurement ne sont
pas déterminantes ». Ainsi, selon le Conseil, peu importe qu’il existe des tailles différentes de
collectivité à partir du moment où les trois plus grosses entreprises peuvent répondre à des
appels d’offre sur tout le territoire et ce, sans opérer de distinction selon la taille des
collectivités. Le Conseil de la concurrence s’appuie notamment sur un avis de 2001 en
matière de stationnement selon lequel « la dimension nationale du marché se justifie par (…),
la mise en oeuvre d’une procédure de choix de l’entreprise obligatoire et identique quelle que
soit la commune, l’exigence d’une publicité préalable, par voie de presse et d’une mise en
concurrence à l’échelle nationale, ainsi que la présence, sur ces appels d’offres, des
opérateurs à vocation nationale ». Il est surprenant que le Conseil ne mentionne pas la
première partie de la citation de l’avis en cause qui était « «la dimension nationale du marché
se justifie par l’homogénéité du service demandé (construction et exploitation d’un ou
plusieurs parcs de stationnement)… ». Le cas échéant, cela pourrait conduire à comprendre
que dés lors qu’il existe une procédure d’appel d’offre, et que les opérateurs en présence ont
vocation nationale, alors le marché serait de dimension nationale ce qui ne nous semble pas
souhaitable.
Toujours selon le professeur Jean-Marc Thouvenin, cette position est éminemment
contestable. En effet, celui-ci estime que la demande est purement locale, chaque collectivité
exposant une demande spécifique. Selon cet auteur, il existerait une « prime aux opérateurs »
sortant et l’implantation locale jouerait un rôle important, ces deux facteurs constituant
d’importantes barrières à l’entrée sur les marchés locaux et constituant un cloisonnement
séparant les marchés les uns des autres. Pour examiner la pertinence du raisonnement du
Conseil, il convient de revenir sur la définition du marché géographique. En effet, de manière
générale, la dimension territoriale du marché pertinent en cause dépend d’un certain nombre
de facteurs tel que la disponibilité des offres concurrentes, des contraintes pesants sur l’offre
ou encore des méthodes de commercialisation (par exemple, comme l’explique l’auteur, la
46
nécessité d’avoir une agence locale). La dimension territoriale d’un marché pertinent prend en
compte ces facteurs pour examiner s’il existe des barrières à l’entrée de chaque marché. En
l’espèce, étant donné qu’il s’agit d’appel d’offre ouvert à tous, faisant l’objet d’une
publication, mettant en concurrence les entreprises au niveau nationale, il nous apparaît que
selon le Conseil, rien n’empêchait aux sociétés en cause de répondre aux appels d’offres. En
effet, l’argument tiré du manque d’intérêt économique de certains appels d’offre ne peut être
retenu par le Conseil qui réfléchit plutôt en terme de potentialité. Cet élément nous paraît
contestable lorsqu’on le compare au raisonnement du Conseil, dans cette même affaire,
concernant l’impossibilité pour la régie de faire une pression concurrentielle, où le Conseil
n’a pas véritablement raisonné en terme de potentialité mais plutôt en terme d’intérêt
économique. Dans tous les cas, cette position a été réaffirmée à travers la décision n°05-D-58
précitée selon laquelle il existe un marché national même s’il se décline en application locale
lors de chaque appel d’offre49 (par rapport à la délimitation des marchés pertinents, le Conseil
affirmera, et nous l’étudierons, que la situation dans la décision n°05-D-58 est particulière).
De plus, même s’il s’agit d’autres domaines que la délégation de service public, le Conseil de
la concurrence a pu adopter à de nombreuses reprises une position assez similaire, notamment
en matière de vente et d’installation d’ascenseurs 50 ou en matière d’appareils d’imagerie
médicale où il s’est borné à constater que « le croisement de la demande et de l’offre
s’exerçant au niveau national, il y a lieu de retenir l’existence d’un marché de dimension
nationale ». Dans tous les cas, la justification donnée par le Conseil pour justifier ce marché
national paraît assez contestable mais demeure, à la lumière des différentes décisions
évoquées assez ancrée dans sa jurisprudence.
Il convient à présent d’aborder le secteur des crèches. Le Conseil a rendu en la matière
la décision n° 06-MC-02 du 27 juin 2006 relative à une demande de mesures conservatoires
présentée par la commune de Bouc-Bel-Air. Dans cette affaire, il s’agissait plutôt d’un
49
« le marché de la délégation du service public de distribution d’eau sur lequel se rencontrent la demande des
communes ou collectivités délégantes et l’offre des entreprises de distribution est un marché pertinent […] Ce
marché pertinent est de dimension nationale, mais il se décline en applications locales chaque fois qu’un
délégant éventuel lance une procédure d’appel d’offres pour choisir son délégataire »
50
C.C Avis 96-A-14 du 19 nov.1996, concentration dans les ascenseurs, « Considérant, ensuite, que, dans le
secteur de l’installation des ascenseurs, sont présentes des entreprises de toute envergure, locales ou nationales
, et que ces entreprises sont appelées à répondre à des demandes émanant soit d’opérateurs privés, en
particulier les grandes entreprises générales de construction ou les promoteurs immobiliers, soit d’acheteurs du
secteur public, pour l’équipement de constructions nouvelles ou d’immeubles existants, sans que le facteur
géographique entre en ligne de compte, notamment du point de vue du demandeur ; que la circonstance que des
entreprises, notamment celles qui pratiquent l’assemblage de composants, n’aient qu’une activité locale ne suffit
pas , en outre, à définit la taille du marché ; qu’aucune contrainte, technique ou matérielle, ne s’oppose ; en
effet, à l’assemblage, sur place, d’un ascenseur fabriqué dans une région géographique éloignée ; que la
dimension géographique du marché est donc, au moins , nationale »
47
marché public, mais le Conseil prend notamment appui sur sa décision n°05-D-58 précitée et
cite à de nombreuses reprises l’expression de « délégation de service public », ce qui laisse
présupposer que le Conseil pourrait décliner cette décision en matière de délégation de service
public (cela montrant la encore que le Conseil ne distingue pas fondamentalement les marchés
publics et les délégations de service public, regroupant les deux notions sous une notion
générique d’appel d’offre public). La commune de Bouc-Bel-air a délégué pendant un certain
nombre d’années la gestion des crèches municipales à une association subventionnée par la
mairie et la caisse d’allocation familiale (CAF). En 2005, la commune lance une procédure
d’appel d’offre pour la gestion des crèches municipales et l’association tente, en modifiant les
contrats de travail de ses salariés de créer une barrière à l’entrée du marché pour les autres
entreprises candidates au marché. Intéressons nous à présent plus précisément à la
délimitation du marché pertinent dans cette affaire.
Dans cette décision, le Conseil se borne à reprendre sa délimitation, à savoir que
chaque marché public successif constitue en soi un marché pertinent. Cette solution peut
paraître légèrement surprenante, et ne manquera pas d’être soulevé par les sociétés attaquées
dans l’affaire de la desserte maritime Corse, puisqu’elle ne répond pas vraiment à la définition
du marché pertinent posée par le Conseil dans son rapport de 2001 précité, selon lequel le
marché pertinent correspond au marché où sont actifs l’ensemble des opérateurs susceptibles
de répondre à un appel d’offre. Mais le Conseil indiquera, et nous le développerons un peu
plus loin, que ce choix répond essentiellement à la spécificité de la configuration en cause. Il
existait en l’espèce deux marchés, le premier constitué par l’exécution de la convention
d’objectif sur lequel l’association était en situation de monopole (précisons qu’à la base, la
commune n’avait pas lancé de procédure d’appel d’offre pour gérer ses crèches mais le
Conseil ne semble pas véritablement en tenir compte), puis le deuxième constitué par l’appel
d’offre lors du renouvellement (nous étudierons la qualification de l’abus ci-après).
Du point de vue de la délimitation matérielle du marché, il s’agissait donc du marché
de gestion de crèche, où se rencontre, comme l’indique le conseil, « des offreurs associations, entreprises publiques ou privées - proposant à des demandeurs - des
collectivités locales dans leur grande majorité - leurs services de gestion de ces structures »
(remarquons que les collectivités sont explicitement qualifiées de demandeur, les usagers ne
sont pas mentionnés pour définir la demande). La principale question sujette à discussion
concernait la dimension géographique du marché (comme nous avons pu le voir concernant
48
les décisions du Conseil en matière d’eau potable). En effet, comme le souligne le professeur
Laurent Richer, « en matière de marchés publics et de délégations de service public, selon les
circonstances, et de manière souvent peu prévisible, le Conseil retient l’existence d’un
marché national, régional ou local »51 et dans cette décision la question se posait pleinement.
Le Conseil de la concurrence estime dans cette affaire que le marché en cause pourrait être
théoriquement national, mais que du fait que les opérateurs ne sont que d’une faible
dimension et n’ont qu’une activité locale, en pratique, il s’agissait donc plutôt d’un marché
local. Comme l’indique le professeur Laurence Idot, « les données étaient quelque peu
différentes (par rapport aux décisions rendues dans le secteur de l’eau potable) dans la mesure
où l’on n’était pas en présence d’un grand groupe, […], implantés à la fois sur plusieurs
marchés connexes et sur l’ensemble du territoire national, mais d’un association
n’intervenant que sur un petit marché local »52. En somme, à la lumière de cette décision et
des décisions précédentes, il semble possible de conclure que le Conseil délimite
géographiquement le marché, dans les secteurs étudiés, de manière purement pragmatique et
essentiellement par rapport à l’offre (la demande ne semble pas véritablement compter). Ainsi,
si les entreprises agissant dans le secteur sont plutôt de grands groupes présents sur différentes
parties du territoire, le marché sera qualifié de dimension nationale, alors que lorsqu’il s’agit
de petites structures, le marché sera plutôt qualifié de local. A notre sens, cette qualification
n’est pas vraiment satisfaisante, la délimitation revêtant un caractère assez aléatoire et
purement fondé sur la structure économique des entreprises agissant dans le secteur en cause.
De plus, on a pu voir dans le secteur de l’eau potable concernant la délimitation du marché de
l’eau de gros, que malgré le fait qu’il s’agisse d’un groupe de grande taille agissant sur
l’ensemble du territoire, le marché a été délimité localement à 55 communes du fait qu’elles
ne pouvaient s’alimenter en eau qu’auprès de l’entreprise en cause. La délimitation
géographique semble bien se faire au niveau de l’offre et varie en fonction de la structure
économique (la nature économique et la structure des entreprises en cause) mais aussi
technique (la dépendance technique à l’offre) du marché. Nous pouvons vérifier cette analyse
à l’aide de décisions récentes rendues dans un troisième secteur, celui du transport maritime.
51
L.RICHER, Marchés publics : le Conseil de la concurrence qualifie d’abus de position dominante une « pilule
empoisonnée » insérée dans les contrats de travail des salariés d’une crèche publique soumise à un appel
d’offres, AJDA, 25 sept.2006, p.1698
52
L.IDOT, Quand le droit de la concurrence peut conduire à la suspension d’un avenant à un contrat de travail
…, Revue des contrats, 1 octobre 2006 n°4, p.1099
49
Le domaine du transport maritime a aussi pu particulièrement attirer notre attention.
Nous avons pu voir deux récentes décisions en la matière, à savoir la décision n° 06-MC-03
du 11 décembre 2006 relative à des demandes de mesures conservatoires dans le secteur du
transport maritime entre la Corse et le continent et la Décision n° 07-D-13 du 6 avril 2007
relative à de nouvelles demandes de mesures conservatoires dans le secteur du transport
maritime entre la Corse et le continent. Précisons que nous n’étudierons pas la Décision n°
01-MC-02 du 1er juin 2001 relative à une saisine et à une demande de mesures conservatoires
présentées par la société Vedettes Inter-Iles Vendéennes puisque dans cette affaire, le conseil
s’interrogeait sur la validité des conditions d’accès aux infrastructures portuaires réservées à
sa régie départementale. Il ne s’agissait donc pas en l’espèce d’une délégation de service
public, objet de notre étude.
A travers sa décision n° 06-MC-03 du 11 décembre 2006, le Conseil de la concurrence
devait examiner s’il existait bien en l’espèce une entente entre la collectivité territoriale de
Corse et la Société nationale Corse méditerranée (SNCM) concernant un appel d’offre relatif
au transport maritime entre la Corse et le continent, et d’autre part si la SNCM n’avait pas
abusé de sa position dominante en déposant une offre globale et indivisible dans le cadre de
l’appel d’offre lancé par la collectivité territoriale de Corse. Si nous étudierons plus en
profondeur les pratiques en tant que telles dans le cadre de notre deuxième partie, il convient
de se pencher sur la définition du marché pertinent dans cette décision. Au titre de la
délimitation du marché pertinent, il est intéressant de remarquer que le Conseil de la
concurrence cite son rapport de 2001 selon lequel en matière d’abus de position dominante
« il convient d’examiner non pas le marché particulier résultant du croisement d’un appel
d’offres et des soumissions qui ont été déposées en réponse, mais le marché plus général où
sont actifs l’ensemble des opérateurs susceptibles de répondre à l’appel d’offres concerné. »
il précise bien d’ailleurs à cet égard que cette position n’a pas été remise en cause par l’affaire
de la commune de Bouc-Bel-Air citée précédemment. Le Conseil de la concurrence explique
alors que dans sa décision relative à la Commune de Bouc-Bel-Air, il avait examiné le marché
constitué par l’appel d’offre et un deuxième marché constitué par le renouvellement de façon
exceptionnelle (il est difficile d’évoquer ici la question du marché pertinent sans étudier la
pratique mais nous en resterons là pour l’étudier de manière plus approfondie ci-après). Le
Conseil écarte cette hypothèse en l’espèce puisque aucun candidat ne dispose du pouvoir
d’écarter les autres compétiteurs. Il poursuit son raisonnement en indiquant que « le marché
50
sur lequel il convient d'apprécier la position de la SNCM est donc celui mettant en présence
la demande de l’OTC et, du côté de l’offre, toutes les entreprises pouvant, dans les faits,
répondre à la consultation lancée en vue de l’attribution de la délégation de service public de
la desserte maritime de la Corse à partir du port de Marseille ».
Ce point de la décision est extrêmement important puisqu’il permet d’y voir un peu
plus clair sur le raisonnement du Conseil de la concurrence qui paraît parfois assez disparate.
En matière d’abus de position dominante (rappelons nous que dans le seul cas de l’entente, le
Conseil de la concurrence ne définit pas véritablement de marché pertinent), le Conseil admet
qu’il conçoit deux cas et qu’il poursuit un raisonnement au final, assez téléologique. En effet,
le Conseil semble définir de manière différente les marchés pertinents en fonction des
situations. Le professeur Richer a d’ailleurs pu rappeler à ce propos que « comme c’est
souvent le cas, le Conseil de la concurrence [définit] le marché pertinent en fonction de
l’objectif poursuivi, incontestablement légitime, de remise en cause de la « prime au
sortant »53.
Dans un premier cas, lorsqu’un candidat à un appel d’offre peut mettre des barrières à
l’entrée de l’appel d’offre, alors le Conseil s’attache à un premier marché pertinent constitué
par l’appel d’offre, croisement de l’offre et de la demande, et à un deuxième marché pertinent
connexe, constitué autour de la barrière à l’entrée pour les autres concurrents. Dans le secteur
de l’eau, l’autorité de la concurrence a ainsi pu remarquer un marché pertinent de la fourniture
de l’eau en gros (délimité localement par le réseau privé de fourniture d’eau) qualifié de
connexe au marché principal correspondant à l’appel d’offre. De la même manière, dans le
domaine des crèches, Le Conseil délimite un marché constitué par un premier appel d’offre
puis un second marché connexe, constitué par le renouvellement de l’appel d’offre où se situe
la pratique.
Dans un deuxième cas, correspondant à notre décision n° 06-MC-03 du 11 décembre
2006, mais aussi dans les décisions en matière d’eau (dans le cadre de la définition du marché
national de la fourniture d’eau), le Conseil reprend la définition du marché pertinent élaborée
par lui-même dans son rapport de 2001 et considère que le marché pertinent est délimité par
l’offre et toutes les entreprises pouvant répondre à cette offre. Sur ce marché, le Conseil de la
53
L.RICHER, Marchés publics : le Conseil de la concurrence qualifie d’abus de position dominante une « pilule
empoisonnée » insérée dans les contrats de travail des salariés d’une crèche publique soumise à un appel
d’offres, AJDA, 25 sept.2006, p.1698
51
concurrence adopte une position pragmatique et économique (son raisonnement s’étaye
d’ailleurs souvent en deux étapes, posant d’abord le marché « en théorie » puis « en
pratique »). Lors de cette deuxième phase du raisonnement, le Conseil analyse quelles sont les
entreprises qui peuvent pratiquement répondre à l’offre, ce qui l’avait conduit à écarter les
collectivités locales dans le secteur de l’eau, et à ne retenir que trois sociétés. Le Conseil
indique les barrières pratiques pouvant conduire à ce qu’il ne soit pas possible de répondre à
l’appel d’offre, à savoir des contraintes techniques, temporelles ou commerciales. Il peut
s’agir par exemple de la nécessité de modifier les contrats de travail des salariés, l’acquisition
de nouveaux bateaux (par exemple, la nécessité d’avoir des bateaux adaptés à la spécificité
des ports Corses) etc. pour pouvoir répondre à l’appel d’offre. Nous pouvons observer dans
cette décision que le Conseil fait preuve de plus de précision que dans ces anciennes décisions,
cela nous permettant de disposer de plus d’éléments de compréhension sur son raisonnement.
Ce souci de précision se poursuit de manière relativement surprenante. En outre, après
avoir définit le marché de la desserte maritime de la Corse, le Conseil va plus loin et délimite
« à l'intérieur de l'activité de desserte maritime de la Corse, les marchés pertinents - dans
leur dimension fonctionnelle et géographique - sur lesquels doit être apprécié le pouvoir de
marché de la SNCM. ». Cette précision est d’autant plus surprenante qu’à la manière de l’Avis
n°87-A-04 du 19 mai 1987 du Conseil relatif à la réglementation des tarifs des transports
publics urbains de voyageurs, le Conseil examine cette fois-ci les marchés pertinents du coté
de la demande . Le conseil semble utiliser une méthode utilisant un faisceau d’indice. Ainsi,
le Conseil de la concurrence considère que l’offre de fret et le transport des voyageurs ne sont
pas substituables. Ensuite, le marché du transport des voyageurs est examiné avec attention, et
le Conseil déduit de la fréquentation des lignes qu’il existe deux marchés de service de
transport des voyageurs, l’un de basse saison et l’autre en période de pointe. Remarquons que
pour déterminer la substituabilité des produits, le Conseil de la concurrence se réfère au
raisonnement de la Commission européenne et fait sienne ces définitions comme la décision
du 29 mai 2006 de la Commission (« les principaux marchés concernés par l’opération sont
les marchés des services de transport maritime régulier de passagers et de marchandises
(activité de ferry) […] le marché pertinent inclut le transport de passagers et des véhicules de
tourisme »). De même, pour délimiter le marché pertinent géographique, une fois encore, le
Conseil de la concurrence réalise son analyse au regard de la demande en fonction des
périodes (haute saison, basse saison), des prix du billet (ceci permettant de conclure que les
ports italiens et les ports français ne sont pas substituables, les tarifs des ports français étant
52
beaucoup moins importants du fait des subventions), des temps de trajet (la différence de
temps de trajet permet de qualifier le port de Nice comme non substituable au port de Toulon
et de Marseille, Nice étant plus proche de la Corse) et mieux encore, en fonction de la
variation de passager due à des mouvements de Grève sur le Port de Marseille, lui permettant
de conclure qu’il existait au final trois marchés géographiques non substituables, celui du Port
de Nice, celui du Port de Marseille et enfin celui du Port de Toulon. De la même façon, le
Conseil conclut à la non substituabilité des différents ports pour le transport de fret pour des
raisons techniques (les tarifs douaniers ou les différences existantes entre les infrastructures).
Ensuite, l’autorité de la concurrence analyse le marché géographique au regard de l’offre, en
s’appuyant sur sa jurisprudence précitée, selon laquelle il faut prendre en compte du coté de
l’offre, « toutes les entreprises pouvant, dans les faits, répondre à la consultation lancée en
vue de l’attribution de la délégation de service public de la desserte maritime de la Corse à
partir du port de Marseille ». Le Conseil écarte alors le cas de la ligne de Marseille puisque
seules les lignes au départ de Marseille sont des délégations de service public et conclut que
de ce fait, notamment en raison des particularités des conditions d’exploitation inhérentes à la
délégation de service public que les lignes au départ de Marseille constituent un marché
pertinent. Il précise alors que ces conditions juridiques d’exploitation sont déterminantes pour
les offreurs et convergent avec l’étude de la substituabilité du point de vue de la demande
(Mais qu’en serait il si l’étude de la substituabilité devait conduire à qualifier des marchés
géographique différents ?). Au point 97, le Conseil résume sa position en indiquant que
« plusieurs marchés pertinents pourraient être identifiés en croisant des critères relatifs à la
demande (fret et passagers), à la saisonnalité (haute et basse saison), à la substituabilité
géographique, aux conditions de concurrence (existence ou non d’une délégation de service
public) » et estime que « l'ensemble des éléments rassemblés ci-dessus sont, à ce stade de
l'instruction, suffisants pour conclure que les liaisons maritimes au départ de Marseille
constituent un marché pertinent, aussi bien pour les passagers que pour le fret ».
L’analyse des marchés pertinents par le Conseil de la concurrence laisse perplexe, au
regard des autres décisions étudiées, par sa précision et son caractère approfondi.
Effectivement, à travers cette décision, le Conseil semble respecter la définition du marché
pertinent établit dans son rapport en 2001 et définit de manière assez intéressante les marchés
pertinents par rapport à la demande, demande entendue au sens des usagers (en étudiant la
fréquentation, le prix du billet, la durée du transport etc…). Malheureusement les
53
commentateurs de cette décision54 ne se sont pas penchés sur cette définition des marchés
pertinents. On peut se demander s’il s’agit d’une solution d’espèce (auquel cas, la
compréhension de l’analyse du Conseil se révélerait encore plus aléatoire et imprévisible) ou
une nouvelle démarche du Conseil de la concurrence, sous réserve de ne pas se trouver dans
une situation de type Commune de Bouc-Bel-Air. De plus, à notre connaissance, il s’agit de la
première décision où lors d’un appel d’offre, le Conseil délimite le marché pertinent au niveau
de la demande (demande étant compris comme les usagers), même s’il étudie aussi le marché
pertinent au niveau de l’offre.
A notre sens, il s’agirait plutôt d’un nouveau raisonnement qui se voudrait plus
économique et plus précis de la part du Conseil. En effet, si l’on reprend l’analyse
téléologique du conseil, en l’espèce, il souhaitait clairement trouver un marché pertinent
délimité au marché de la délégation des liaisons maritimes au départ de Marseille afin
d’examiner le pouvoir de la SNCM sur ce marché. Mais pour ce faire, le Conseil ne s’est pas
borné à retenir comme il le faisait, la substituabilité du point de vue de l’offre, mais comme
nous l’avons exprimé, a aussi étudié la substituabilité du point de vue des usagers. Doit on
pour autant conclure que le Conseil de la concurrence opérera toujours de cette façon ? La
réponse est sans doute négative pour deux raisons. D’une part, car il existe toujours
l’hypothèse de Commune de Bouc-Bel-Air (le cas des marchés connexes) et de celui des
barrières à l’entrée qui conduisent à un mode de raisonnement différent de la part du Conseil.
D’autre part, si le souci de précision du Conseil doit être encouragé, cette analyse pourrait se
révéler incertaine dans la mesure où l’analyse de la substituabilité à la fois au regard de l’offre
et de la demande pourrait donner des résultats contradictoires. Toutefois, il pourrait s’agir
d’une tendance qui conduirait le Conseil à se référer, en cas d’abus de position dominante, de
manière plus systématique aux définitions posées par le rapport de 2001 (la récente Décision
n° 07-D-14 du 2 mai 2007 relative à des pratiques mises en oeuvre par la société
Transmontagne, concessionnaire des remontées mécaniques étudiée ci-dessus mentionne à
nouveau la définition du rapport de 2001 et l’étude des décisions rendus en matière d’eau et
de remontées mécaniques démontre assez bien cette tendance à mieux analyser le marché
pertinent) et à bien étudier le marché pertinent en cause de manière approfondie à l’aide
d’arguments économiques. Malgré tout, à notre sens, le Conseil maintiendra une approche
54
BAZEX M., « Règles de concurrence et contrôle par le juge administratif », Contrats concurrence
consommation, n°2, p 21 ; ECKERT G., « Délégation de service public et abus de position dominante »,
Contrats et marchés publics, n°2, p25 et Dreyfus, J-D, « La desserte maritime de service public de la Corse
devant le Conseil d’Etat », AJDA 2007, p185
54
finaliste et téléologique visant à définir un marché pertinent en fonction de la pratique en
cause.
55
CHAPITRE II -LES
PRATIQUES SANCTIONNEES PAR LE CONSEIL DE LA CONCURRENCE EN
MATIERE DE DELEGATION DE SERVICE PUBLIC
Après avoir tenté d’éclaircir le mode de raisonnement du Conseil de la concurrence
lorsqu’il définit les marchés pertinents, il convient à présent de s’intéresser aux différentes
pratiques que le Conseil a pu sanctionner dans le domaine des délégations de service public.
Dans le cadre de ce mémoire, seul le cas de l’abus de position dominante sera étudié, en
incluant par la même, les cas où était retenu à la fois l’abus de position dominante et l’entente.
En outre, il apparaît comme préférable d’écarter le cas des ententes. Tout d’abord, les
pratiques observées dans le cadre des ententes en matière de délégation de service public sont
au final assez proches de pratiques observées en matière de marché public. Or, si nous avons
décidé d’écarter les décisions en matière de marché public dans notre première partie (sauf
lorsqu’elles apportaient certains éclairages à notre raisonnement), il nous semble opportun
d’écarter les pratiques en matière d’entente, celles-ci concernant, comme dans le secteur des
marchés publics, des répartitions de marché. Ainsi, comme le rappel Monsieur Delelis55, la
Conseil de la concurrence a sanctionné la répartition des marchés dans le secteur des
délégation du transport public en reprenant sa jurisprudence traditionnelle en matière de
marchés publics (Ville de Toulouse, 5 octobre 1993, Marché d’aménagement paysager dans
les Bouches-du-Rhones, 5 janvier 1994 etc…).
Si nous n’étudierons donc pas véritablement le cas des ententes, il paraît important de
s’interroger sur la question de savoir s’il apparaît comme justifié que concernant ces cas de
répartition de marché, le Conseil utilise exactement le même raisonnement. Reprenons à cet
égard les termes exacts du Conseil lors de sa décision relative au transport public de
voyageurs dans la région Pas-de-calais selon laquelle « la remise d’offres de couverture
conserve son intérêt en cas de délégation de service public ; qu’en effet, si la loi du 29 janvier
1993, dite " loi Sapin ", régissant les délégations de service public, prévoit une phase de
négociation des offres, entre le déléguant et la délégation pressenti, celle-ci fait suite à une
première phase au cours de laquelle chacun des candidats présente son offre ; que, dans la
pratique, le prix initialement proposé joue un rôle essentiel pour déterminer avec quel
candidat la collectivité va engager ultérieurement les négociations, ainsi que l’illustrent
55
DELELIS Ph, « Entente dans le secteur du transport public routier de voyageur », Revue contrats et marchés
publics, sept. 2001, p.19 et « Condamnation des ententes dans le secteur du transport public et voyageur »,
Revue contrats et marchés publics, mai 2002, p.25
56
d’ailleurs les résultats des procédures lancées par le département du Pas-de-Calais pour les
transports scolaires ; que, dans ces conditions, la préparation d’offres de couverture en
réponse à l’appel d’offres est de nature, d’une part, à inciter le maître d’ouvrage à retenir
l’entreprise prédésignée, d’autre part, à limiter les concessions tarifaires initiales à consentir
pour pouvoir être .choisi comme attributaire » . Monsieur Delelis, précité, conteste ce
raisonnement pour deux raisons. Tout d’abord, il rappelle que l’article 1411-1 du Code
général des collectivités territoriales (CGCT) pose que « Les délégations de service public
des personnes morales de droit public relevant du présent code sont soumises par l'autorité
délégante à une procédure de publicité permettant la présentation de plusieurs offres
concurrentes […] Les offres ainsi présentées sont librement négociées par l'autorité
responsable de la personne publique délégante qui, au terme de ces négociations, choisit le
délégataire ». De plus, selon ce même auteur, « après la remises des offres, les négociations
interviennent généralement avec plus d’un candidat » et « l’autorité délégante a parfaitement
la possibilité d’engager les négociations avec plus d’un candidat » 56 . Ces deux aspects
auraient pour conséquence que les éventuelles offres de couverture auraient donc un impact
beaucoup moins important qu’en matière de marché public et l’éventuelle entente
n’empêchera pas la collectivité de lancer des négociations avec deux entreprises. Si ces
arguments semblent valables, notons que comme nous avons pu l’exposer au début de notre
mémoire, concernant les ententes et plus spécifiquement les offres de couverture, le Conseil
de la concurrence ne paraît pas nécessairement s’attacher à l’impact sur la concurrence (c’est
ainsi que nous avons pu voir que le Conseil ne délimitait pas forcément de marché pertinent
en matière d’entente). Ainsi dans cette même décision, le Conseil de la concurrence a aussi pu
exposer «qu’en matière de marchés publics ou privés sur appels d’offres, il est établi que des
entreprises ont conclu une entente anticoncurrentielle dès lors que la preuve est rapportée,
soit qu’elles sont convenues de coordonner leurs offres, soit qu’elles ont échangé des
informations antérieurement à la date où le résultat de l’appel d’offres est connu ou peut
l’être, qu’il s’agisse de l’existence de compétiteurs, de leur nom, de leur importance, de leur
disponibilité en personnel et en matériel, de leur intérêt ou de leur absence d’intérêt pour le
marché considéré ou des prix qu’ils envisagent de proposer ; que de telles pratiques sont de
nature à limiter l’indépendance des offres, condition normale du jeu de la concurrence » .
Ainsi, dés lors qu’il s’agit d’un appel d’offre, le Conseil n’envisage pas fondamentalement
l’effet de la pratique, mais la pratique en elle-même, raison pour laquelle, il lui est possible
56
DELELIS Ph, « Entente dans le secteur du transport public routier de voyageur », Revue contrats et marchés
publics, sept. 2001, p.19
57
d’assimiler délégation de service public et marché public. Si nous pouvons comprendre ce
raisonnement, de la même manière qu’une partie de la doctrine (précité en début de devoir)
souhaitait que le Conseil de la concurrence établisse systématiquement un marché pertinent
pour étudier par la suite l’effet de la pratique sur ce marché en matière d’entente, il nous
semble que de la même manière, le Conseil pourrait s’interroger de façon plus approfondie
sur la nature de l’appel d’offre, à savoir s’il s’agit d’une délégation de service public ou d’un
marché public et par là même, étudier l’effet économique de la pratique. De plus, en l’espèce,
le Conseil ne se pose pas la question de savoir si l’autorité pouvait engager des négociations
avec un autre candidat (comme en matière d’eau où le Conseil n’a pas pris en compte le fait
que les collectivités pouvaient lancer un appel d’offre sur le marché de la fourniture d'eau en
gros) mais de voir si le fait de trouver un accord sur les prix avait un effet important sur la
décision de l’autorité. Nous remarquons d’ailleurs à ce propos que le Conseil semble, lorsqu’il
appréhende une pratique liée à une délégation de service public, s’attacher au prix plus qu’à
d’autres critères.
En matière d’entente, il convient tout de même de citer, du fait de sa spécificité, la
décision n°04-D-39 du Conseil57 précitée où il a pu appréhender, dans le cadre de la gestion
en affermage d’un abattoir, ce que le professeur Richer a pu qualifier de « capture du service
public »58. Dans cette affaire ayant des faits pour le moins atypique, le Conseil a sanctionné le
fait pour le groupe de société en charge de la gestion de l’affermage, de s’être entendu pour
refuser l’accès au marché à une entreprise ayant repris les activités d’une des entreprises du
groupement. Mais cette décision demeure assez particulière.
Cette question posée, nous pouvons à présent nous intéresser aux abus de position
dominante examinés dans le cadre des délégations de service public.
Si nous avons déjà pu citer en début de mémoire les textes relatifs à l’abus de position
dominante, il semble bon de les reprendre dans un souci de clarté.
Ainsi, L’article 82 du traité des communautés européenne (traité CE) pose qu’« est
incompatible avec le marché commun et interdit, dans la mesure où le commerce entre États
57
Décision n° 04-D-39 du 3 août 2004 relative à des pratiques mises en oeuvre dans les secteurs de l’abattage et
de la commercialisation d’animaux de boucherie
58
RICHER L., « Contrat administratif et compétence des autorités de concurrence ; capture du service public par
les usagers : une entente entre usagers d’un service public délégué, AJDA 2006, p.2437
58
membres est susceptible d'en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d'exploiter
de façon abusive une position dominante sur le marché commun ou dans une partie
substantielle de celui-ci ».
L’article L.420-2 du Code de commerce entend lui aussi sanctionner les abus de
position dominante et indique qu’ « est prohibée, dans les conditions prévues à l'article
L. 420-1, l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprises d'une position
dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci. Ces abus peuvent
notamment consister en refus de vente, en ventes liées ou en conditions de vente
discriminatoires ainsi que dans la rupture de relations commerciales établies, au seul motif
que le partenaire refuse de se soumettre à des conditions commerciales injustifiées ».
Pour qualifier un abus de position dominante, deux conditions sont donc nécessaires,
d’une part l’existence d’une position dominante sur un marché et d’autre part, une
exploitation abusive de cette position. Si nous avons dans une première partie concentré notre
réflexion sur le marché, il convient de s’intéresser à la position dominante (section 1) puis aux
pratiques d’abus de position dominante sanctionnées par le Conseil (section 2)
Section 1- Les différents types de positions dominantes analysés par le Conseil
Nous aborderons ici les différentes variantes de la position dominante, à savoir selon
qu’elle soit le fait de plusieurs entreprises (§1) ou d’une seule entreprise (§2).
§1 L’abus de position dominante individuelle dans les secteurs de la délégation de
service public
La notion de position dominante trouve sa définition à travers un célèbre arrêt
Hoffmann-La Roche de 1979. Cet arrêt prévoit que "la position dominante visée à l’article
82 du traité sur la Communauté européenne concerne la situation de puissance économique
détenue par une entreprise qui lui donne le pouvoir de faire obstacle au maintien d'une
concurrence effective sur le marché en cause, en lui fournissant la possibilité de
59
comportements indépendants vis-à-vis de ses concurrents"59. La définition de la puissance
économique s’envisage donc d’un point vue mobile, comme un degré tel de pouvoir sur un
marché donné que son détenteur peut agir de manière indépendante, sans prendre en compte
les autres acteurs du marché. Ainsi, le détenteur de la position dominante peut agir
unilatéralement sur un marché donné. Ce marché s’analyse bien sur de manière économique,
comme nous avons pu le présenter tout au long de ce devoir. La traduction de ce pouvoir peut
être par exemple un pouvoir de fixation des prix. Sans développer de façon plus importante la
notion de position dominante, notre mémoire se consacrant à sa seule application en matière
de délégation de service public, il convient de rappeler que le Conseil de la concurrence
utilise généralement la méthode du faisceau d’indice pour pouvoir définir une position
dominante. Il peut ainsi examiner les parts de marchés détenues par la société en cause, la
position de l’entreprise sur le marché ; l’existence de barrières à l’entrées ou encore la
situation des concurrents.
Dans notre matière, on compte un nombre plus important de décisions où l’on trouve
un abus de position individuelle que collective (l’abus de position dominante collective a été
analysé dans le domaine de l’eau et mentionné concernant l’affaire sur la desserte maritime
Corse). Il convient d’étudier dans chaque cas, la manière dont le Conseil a analysé cette
position dominante.
Dans le secteur de l’eau, à travers sa décision n°98-MC-04 précitée (relevons aussi la
décision n°98-MC-02 u 31 mars 1998 relative à des demandes de mesures conservatoires
présentées par la commune de Saint-Michel-sur-Orge et l’Union fédérale des consommateurs
- Que Choisir qui est assez similaire), le Conseil de la concurrence ne définit pas de marché
pertinent et n’analyse pas la position dominante des entreprises en cause sur ce marché. Dans
sa décision n°05-D-58, le Conseil n’a pas véritablement eu le même raisonnement, et
s’engage cette fois-ci dans la définition des marchés pertinents (cet élément confirme
d’ailleurs notre thèse selon laquelle le Conseil analyse de plus en plus les marchés pertinents
et façon plus précise). Dans la même logique, il a pu dans cette affaire s’intéresser à la
position dominante de La lyonnaise des eaux. En l’espèce, comme nous avons pu les définir
en première partie, il existait deux marchés pertinents, un marché en amont constitué par le
réseau de fourniture de l’eau aux communes dépendantes de ce réseau et un marché en aval
59
CJCE 13 fév. 1979, aff. 85/76, Hoffmann-La Roche, Rec. CJCE, p.461
60
constitué par les délégations de service public de la distribution. Indiquons que la Cour
d’appel de Paris a considéré, à travers son arrêt du 29 juin 1998, que « la société Lyonnaise
des Eaux occupe une position dominante sur le marché en cause, défini exactement par le
Conseil comme celui de la délégation de service public de distribution d’eau potable dans le
bassin dont dépendent les communes concernées par les demandes de mesures conservatoires
». Le Conseil, quant à lui, a analysé la position dominante de la Lyonnaise sur les deux
marchés pertinents qu’elle a établi. Sur le marché de gros de fourniture de l’eau, il concède
qu’effectivement, théoriquement, plusieurs entreprises pourraient intervenir sur ce marché.
Toutefois, techniquement et pratiquement, les communes sont dans l’obligation de s’adresser
à la Lyonnaise des eaux. Il conclut que la « SLE » détient un monopole de fait sur ce marché
et se trouve donc bien en position dominante sur ce marché. Dans son analyse, le Conseil de
la concurrence peut ainsi retenir des arguments techniques pour qualifier la position
dominante d’un acteur sur un marché donné. Cette situation de monopole de fait rappelle,
même si le Conseil n’utilise pas cette expression au sein de son analyse, l’analyse relative aux
facilités essentielles que nous mentionnerons brièvement à travers la typologie des pratiques
d’abus de position dominante. Concernant les pratiques du SEDIF, là encore, le Conseil
considère que celui-ci dispose d’un monopole de fait. En effet, il indique que « la pratique du
Sedif, en monopole de fait sur le marché de la fourniture d’eau aux consommateurs situés sur
son territoire, a eu pour objet et pouvait avoir pour effet d’empêcher la finalisation d’un
contrat de fourniture d’eau de l’un de ses principaux clients avec un concurrent, pratique
prohibée par l’article L. 420-2 du code du commerce ». Précisons néanmoins que le Conseil a
refusé de consacrer un monopole de droit du Sedif sur le marché d’approvisionnement en eau
sur les territoires de ses communes adhérentes.
Dans la décision n°07-D-14 relative aux remontées mécaniques, le Conseil apporte un
indice permettant la caractérisation d’une position dominante (que nous retrouverons
d’ailleurs dans l’affaire Bouc-Bel-Air), à savoir l’existence même d’une délégation de service
public. Souvenons nous que dans cette affaire, le Conseil de la concurrence avait délimité
deux marchés pertinents différents, à savoir un marché en amont limité à la vente de forfait
d’accès aux remontées mécaniques aux professionnels du tourisme, et un marché en aval
constitué par la revente de forfait touristique.
Sur le marche en amont, le Conseil indique que « suite [au]rachat des actions de la
SEM Ubaye Développement, Transmontagne est devenu titulaire du contrat de délégation de
61
service public qui avait initialement été conclu le 24 décembre 1994 entre le SMAP et la SEM
Ubaye Développement. Transmontagne a créé une filiale pour gérer les remontées
mécaniques de la station de ski de Pra-Loup, la société Pra-Loup Développement. En leur
qualité de seuls opérateurs des remontées mécaniques sur la station de ski de Pra-Loup, la
société Transmontagne et sa filiale, la société Pra-Loup Développement, sont les seules à
pouvoir offrir l’accès au système de remontées mécaniques de la station de ski de Pra-Loup.
La société Transmontagne et sa filiale, Pra-Loup Développement, se trouvent donc en
situation de monopole pour la vente des titres d’accès aux remontées mécaniques, et, donc, de
position dominante ». Nous pouvons déduire de cette citation que le délégataire d’une
délégation de service public sera nécessairement en position dominante car il sera en situation
de monopole sur l’exploitation du service concerné. Comme dit précédemment, il est très
important de préciser que contrairement aux autres affaires, il s’agit bien de l’analyse d’une
pratique pendant l’exploitation du service et non d’une pratique commise lors de l’appel
d’offre.
Sur le marché en aval, le Conseil ne s’intéresse pas vraiment à la position de la société
Transmontagne et de sa filiale sur le marché, mais plutôt de la part que représente l’achat de
forfait aux remontées mécaniques dans le chiffre d’affaire des hébergeurs. En somme, le
Conseil, et nous le verrons à travers la typologie des pratiques, se concentrera beaucoup plus
sur le premier marché que le deuxième.
Penchons nous à présent sur l’analyse de la position dominante dans deux dernières
affaires, à savoir l’affaire de la commune de Bouc-Bel-Air et l’affaire de la desserte maritime
Corse. Dans la décision n°06-MC-02 du 27 juin 2006 relative à une demande de mesures
conservatoires présentée par la commune de Bouc-Bel-Air, deux marchés avaient pu se voir
délimiter, le premier constitué par l’exécution du marché sur lequel l’association était en
situation de monopole, puis le deuxième constitué par l’appel d’offre lors du renouvellement.
Pour rappel, dans sa décision, le Conseil mentionne les décisions qu’il a pu prendre en matière
de mobilier urbain et de fourniture d’eau. Mais l’autorité souligne ici la spécificité de l’affaire
qui lui est soumise en indiquant que « le Conseil ne s’est pas encore prononcé sur la
possibilité pour une entreprise de commettre un abus anticoncurrentiel à l’occasion du
renouvellement d’un marché, du seul fait de sa position de titulaire sortant sur le marché en
fin d’exécution. Cette possibilité doit, néanmoins, être admise puisqu’un abus de position
dominante peut être commis sur un marché connexe à celui sur lequel la dominance est
62
détenue et que deux marchés publics successifs portant sur la même prestation peuvent être
considérés comme des marchés connexes ». En lisant ce passage dans le prolongement de
notre réflexion, l’association exécutant le précédent marché était donc bien en situation de
position dominante sur le premier marché, mais pas sur le deuxième marché constitué par
l’appel d’offre. Le Conseil de la concurrence poursuit et précise que de « manière générale,
s’agissant des procédures d’appel public à la concurrence, si des entreprises sont en
concurrence avant l’attribution d’un marché, aucune d’entre elles ne détenant de position
privilégiée, une fois le marché attribué, l’opérateur qui a remporté le marché est par
définition en situation de monopole pour son exécution. Si la possibilité, pour lui, d’abuser de
cette position dans le cadre de l’exécution de la prestation est peu probable, on ne peut
exclure qu’il puisse le faire à l’occasion du renouvellement du marché, dès lors qu’il se
trouve dans une situation différente des autres soumissionnaires, en particulier du fait de
l’information privilégiée qu’il a acquise sur le fonctionnement du marché et qu’il pourrait,
dans certains cas, influer sur les conditions dans lesquelles sera exécutée la prestation
future ». Le Conseil affirme ici clairement que le titulaire d’un marché attribué lors d’une
procédure d’appel public à la concurrence (selon nous, cela concerne donc aussi bien les
marchés publics que les délégations de service public) se retrouve automatiquement en
situation de monopole. Monsieur Mazières a d’ailleurs pu dire à ce sujet qu’ « a suivre ce
raisonnement tout titulaire d’un marché public ou d’une délégation de service public est
désormais in abastracto en situation de position dominante, quelle que soit notamment la
réalité de sa puissance économique»60 . De plus, le Conseil reprend ici les termes de son avis
n° 03-A-02 du 18 mars 2003 relatif aux conditions propres à assurer le libre jeu de la
concurrence entre les candidats lors d'une procédure de délégation de service public, où il
indique que selon lui, l’opérateur sortant doit faire l’objet d’une attention particulière de la
part des collectivités en raison des informations dont il dispose qui le mettent dans une
position privilégiée. Toute la problématique de cette affaire était justement que dans cette
configuration, il n’y avait pas de position dominante sur le marché où était commis l’abus.
Certes, l’association était en situation de monopole sur le premier marché pendant toute la
durée de l’exécution, mais pas sur le deuxième marché. Or comme nous l’avons dit, selon
l’article L. 420-2 du Code de commerce, est interdite « l'exploitation abusive par une
entreprise ou un groupe d'entreprises d'une position dominante sur le marché intérieur ou
une partie substantielle de celui-ci ». Néanmoins, il existe une configuration permettant au
60
MAZIERES, A. , « Droit de la concurrence et droit du travail dans les marchés publics », LPA n°193, 27
septembre 2006
63
Conseil de sanctionner une entreprise alors même qu’elle n’est pas en position dominante sur
un marché. C’est l’hypothèse du marché connexe.
Il existe deux configurations possibles. Dans un premiers cas, l’abus est commis sur
un marché dominé, ce marché produisant lui-même des effets sur un marché connexe. Puis
dans un deuxième cas, l’abus est commis sur un marché connexe non dominé, ce qui est bien
le cas dans l’affaire Bouc-Bel-Air. C’est la jurisprudence communautaire, à travers un arrêt
« Tetra Pack »61 qui a la première envisagée de condamner un abus de position dominante
alors même qu’il n’existait pas de lien de causalité entre la position dominante et l’abus. Mais
la Cour avait précisé que cette application de l’article 82 (article prohibant l’abus de position
dominante), ne pouvait s’appliquer que dans des « circonstances exceptionnelles » 62 .
Remarquons à ce propos que dans l’affaire de la desserte maritime corse, le Conseil utilisera
une terminologie différente, en ce qu’il qualifiera la situation de Bouc-Bel-Air, de « forme
inédite ». Mais le sens semble assez similaire. A plusieurs reprises la jurisprudence française a
admis que, en raison d’un rapport de connexité entre deux marchés, une pratique abusive sur
un marché non dominé puisse relever de l’article 420 du Code de commerce 63 . Cette
configuration d’abus de position dominante, nécessite donc d’une part deux marchés (un
principal et un connexe), et un lien de connexité entre les deux. En l’espèce, le Conseil
considère que le lien de connexité résulte de l’article L. 122-12 du Code du travail obligeant
le nouveau délégataire à reprendre les contrats de travail en cours. Le professeur Idot a pu
écrire que « l’hypothèse est certes nouvelle, mais le raisonnement est séduisant et paraît tout
à fait adapté aux particularités des marchés d’appels d’offres » 64 . Toutefois, Monsieur
Mazières exprimait à l’égard de cette décision quelques réserves, indiquant qu’ « on peut s’en
réjouir[…]Etait-ce toutefois le moyen le plus approprié ? On peut s’interroger sur cette
évolution où, de manière systématique, la position dominante qualifie automatiquement un
61
CJCE 14 novembre 1996, Tetra Pack, aff. C-333/94 P, Contrats concurrence consommation. 1996, n°203, obs
. L. VOGEL
62
CJCE 14 novembre 1996, Tetra Pack, aff. C-333/94 P, Contrats concurrence consommation. 1996, n°203, obs
. L. VOGEL
63
Exemple : Cons.conc., n°87-D-8, 28 avr.1987, Sté Nouvelles messageries de la Presse parisienne, dans
laquelle une société disposant d’une position dominante sur le marché d’approvisionnement des détaillants
diffuseurs en articles de presse a commis des abus sur le marché de l’agencement de presse, ou encore Cass.com.
9 mai 2001, Pompe funèbres de Gonesse, BOCC, 23 juin 2001,p.527 : « un abus de position dominante peut être
constitué par une pratique ayant pour objet ou un effet anticoncurrentiel sur un marché distinct du marché
dominé »
64 64
L.IDOT, Quand le droit de la concurrence peut conduire à la suspension d’un avenant à un contrat de travail
…, Revue des contrats, 1 octobre 2006 n°4, p.1099
64
acteur, indépendamment de tout examen in concreto»
65
. De même, le professeur Richer
tempère ce propos puisque selon lui « derrière une apparente clarté, le raisonnement reste
quelque peu obscur dans sa dimension temporelle étant donné que le marché créé par la
première mise en concurrence est un marché éphémère qui n’existe plus au moment de la
nouvelle mise en concurrence et que, au surplus, dans le cas de la commune de Bouc-Bel-Air
la mise en concurrence initiale n’a jamais existé. Il s’ensuit que le marché sur lequel
l’association sortante est en position dominante ne peut pas être celui qui a été créé par la
première procédure de mise en concurrence » 66 . Effectivement, contrairement aux deux
autres décisions citées par le Conseil en matière d’eau et de mobilier urbain (nous aurons
l’occasion de traiter la solution retenue en matière d’eau ci-dessous, puisqu’il s’agissait d’un
abus de position dominante collective), nous n’étions pas ici en présence d’une entreprise
présente sur d’autres marchés connexes, où sur le marché national, mais d’une entreprise
simplement présente sur un marché local. De plus, le professeur Richer soulève bien la
question de la temporalité du marché pertinent et la possibilité de conclure à un lien de
connexité dans ce cadre. L’élément temporel prend donc ici toute son importance comme
souvent en matière économique
67
. Selon la jurisprudence communautaire
68
, et la
jurisprudence interne, les délimitations de marchés s’opèrent au moment où a été accomplie
l’action susceptible de constituer un abus. Si nous nous intéresserons plus précisément à la
pratique, il est possible d’indiquer que l’abus en cause était constitué par l’avenant. Or, certes,
le premier marché était éphémère, mais l’avenant pris par l’association alors qu’elle était en
monopole sur le marché, a toujours des effets lorsque le deuxième marché naît (pour preuve,
l’association des crèches d’Aix en Provence et la Commune de Bouc-Bel-Air ont tenté de
faire annuler l’avenant avant que l’association des crèches d’Aix en Provence se retire). La
temporalité subsisterait donc grâce à cet avenant. De plus, « l’association des crèches d’Aix
en Provence a décidé « à regret », le 14 décembre 2005, de résilier le contrat passé avec la
commune […] A la suite du retrait de l’association des crèches d’Aix en Provence, la
commune de Bouc Bel Air n’avait d’autre choix que de prolonger la convention d’objectifs la
liant à l'association Les Bouc'Choux pour la gestion des deux crèches des Boucanous et de
65
MAZIERES, A. , « Droit de la concurrence et droit du travail dans les marchés publics », LPA n°193, 27
septembre 2006
66 66
L.RICHER, Marchés publics : le Conseil de la concurrence qualifie d’abus de position dominante une
« pilule empoisonnée » insérée dans les contrats de travail des salariés d’une crèche publique soumise à un appel
d’offres, AJDA, 25 sept.2006, p.1698
67
MARSHALL A., 1961, p. VII”, The Economics of time and Ignorance par O’DVISCOL, M.RIZZO, R.
GARRISSON, Ed. Routledge, Londres , 1996, p.52 : « The element of time (…) is the centre of the chief
difficulty of almost every economic problem »,
68
CJCE 16 déc. 1975 Suiker Unie Aff. Jointes 40 à 48, 50, 54 à 56, 111 , 113, 114/73, Rec.1663
65
l’Arbre de vie pour 2006, afin d’assurer la continuité du service rendu aux enfants ». Ainsi,
s’il est difficile d’établir l’existence temporelle des marchés au même moment, l’avenant et
ses effets semblent servir de passerelle temporelle entre ces deux marchés, la continuité du
service public renforçant ce lien. Cette thèse semble confortée par la position du Conseil à
l’égard de cette décision dans sa décision relative à la desserte maritime de la Corse de 2006
selon laquelle, « dans ces circonstances très particulières, le Conseil a admis la possibilité
qu'un abus de position dominante puisse être commis par le titulaire d'un marché ou d'une
délégation, à l'occasion du renouvellement de ces contrats, en considérant que deux
délégations successives portant sur la même prestation exécutée avec les mêmes moyens (au
moins à titre transitoire) pouvaient être considérés comme deux marchés connexes, et qu’il
n’était pas exclu que la position du titulaire sortant puisse être qualifiée de dominante compte
tenu du "pouvoir de marché" exorbitant qu’il s'était octroyé, et qui lui a permis à la fois de
s’abstraire de la pression concurrentielle des autres offreurs et de faire échec à la procédure
de mise en concurrence voulue par le demandeur ». L’expression de « circonstances très
particulières » semble bien renvoyer à l’expression de la jurisprudence communautaire
« Tetra pack » de « circonstance exceptionnelle ». De plus, l’expression précitée, selon
laquelle « deux délégations successives portant sur la même prestation exécutée avec les
mêmes moyens (au moins à titre transitoire) pouvaient être considérés comme deux marchés
connexes », fait à notre sens référence au transfert de personnel (et donc à l’avenant) qui
permettrait de créer ce lien de causalité mais aussi un lien temporel.
Enfin, nous pouvons nous pencher sur la décision n° 06-MC-03 du 11 décembre 2006
relative à des demandes de mesures conservatoires dans le secteur du transport maritime entre
la Corse et le continent. Pour rappel, dans cette décision, le Conseil avait conclu au niveau de
la détermination des marchés pertinent que « plusieurs marchés pertinents pourraient être
identifiés en croisant des critères relatifs à la demande (fret et passagers), à la saisonnalité
(haute et basse saison), à la substituabilité géographique, aux conditions de concurrence
(existence ou non d’une délégation de service public) ». Par la suite, le Conseil annonce qu’il
prendra comme critère pour retenir la position dominante sur l’un de ces marchés les parts de
marchés. En effet, si nous n’avons pas encore eu l’occasion de rencontrer ce critère,
généralement, la part de marché constitue un indice fort pour le Conseil de la position
dominante d’une entreprise sur un marché.
66
Ainsi le Conseil considère que « s’agissant du marché des passagers et sur le seul
critère de la part de marché, la SNCM n’est pas en position dominante sur les liaisons au
départ des trois ports français, Marseille, Toulon et Nice, pris dans leur ensemble, aussi bien
en basse saison qu’en haute saison. Elle n’est pas non plus en position dominante sur les
liaisons au départ de Nice et Toulon, pris séparément ou ensemble, quelle que soit la saison
retenue. Enfin, elle n’est pas en position dominante sur l’ensemble des liaisons au départ de
Marseille et Toulon, aussi bien en haute saison qu’en basse saison ». En revanche, à la
lecture de l’évolution des parts de marché de la SNCM sur le marché du transport maritime
des passagers au départ de Marseille, mais aussi à l’aide d’autres critères comme le fait qu’il
s’agisse d’une délégation de service public, le Conseil conclut que la SNCM détient une
position dominante sur le marché du transport maritime des passagers entre Marseille et la
Corse. A cet égard, deux éléments peuvent être signalés.
Tout d’abord, concernant le critère de la part de marché, celle-ci doit être analysée au
regard de sa valeur puis de l’évolution de cette valeur. En effet, il y a tout d’abord, l’analyse
de la part de façon objective, c'est-à-dire au regard de sa seule valeur. Ainsi généralement, une
part de marché supérieur à 60 ou 70% présumera fortement l’existence d’une position
dominante mais elle ne peut être inférieure à 50% 69. En l’espèce, la part avoisinait 80% selon
les années ce qui est un indice fort de la position dominante de l’entreprise. Ensuite, il est
nécessaire d’analyser l’évolution de cette part de marché, une analyse en somme plus
subjective. Une diminution significative de cette part de marché pourrait constituer un indice
de l’arrivée progressive de la concurrence et remettre éventuellement en cause la position
dominante de l’entreprise. Dans notre affaire, cette part a diminué de 10%. Si en 2006, la
SNCM n’avait pas vu sa part de marché augmenter, la baisse de sa part de marché aurait été
continue pendant six ans (affichant une baisse de 10%) et le Conseil aurait peut être conclu
comme dans sa décision n° 99-D-21 du 9 mars 1999 (relative à des pratiques constatées dans
le secteur des implants intraoculaires set des substances viscoélastiques) qu’il n’y avait pas de
position dominante 70 . Toutefois, il faut avoir à l’esprit, et le Conseil l’a mentionné, que
d’autres critères sont pris en compte, notamment le fait qu’il s’agisse d’une délégation de
69
« Attendu qu’un opérateur ne saurait détenir une position dominante sur le marché d’un produit que ‘il est
parvenu à disposer d’une partie non négligeable de ce marché ; Attendu que, sans entrer dans une discussion de
pourcentage nécessairement fixé avec une certaine approximation, on peut considérer qu’il est constant que la
part d’UBC (United Brands company) sur le marché en cause est toujours supérieure à 40% et se rapproche de
45% ; que ce pourcentage ne permet cependant pas de conclure au contrôle automatique du marché par UBC »,
CJCE 14 février 1978, United brands Company, aff.27/76, Rec. P.207
70
Dans cette affaire, la part de marché était passée de 94% à 72% en deux ans et le Conseil avait conclu à
l’absence de position dominante
67
service public. Par conséquent, même si la SNCM avait continué à perdre quelques parts de
marché, sans doute le Conseil aurait-il maintenu cette position.
A propos du marché de transport des marchandises, le Conseil est conduit à
analyser les parts de marché de la SNCM et de la CMN et mentionne la possibilité d’un abus
de position dominante collective, cet aspect de cette décision sera donc traité dans le prochain
paragraphe.
Il convient à présent de s’intéresser la position dominante dans le cas où elle est le fait de
plusieurs entreprises.
§2 L’abus de position dominante collective dans les secteurs de la délégation de
service public
Le droit français comme le droit communautaire envisage qu’une position dominante
puisse être détenue par un « groupe d’entreprise »s ou « une ou plusieurs entreprises ». Selon
la définition de la position dominante collective posée par le Conseil dans la décision n°98-D76 71 , « plusieurs entreprises simultanément présentes sur un même marché peuvent être
considérées comme détenant conjointement une position dominante, s’il existe entre elles une
interdépendance qui les conduit à adopter une stratégie explicitement ou implicitement
coordonnée ».
La doctrine utilise parfois le terme d’abus de position dominante collective ou
conjointe, certains auteurs distinguant parfois les deux terminologies. Pour le professeur
Blaise, la position dominante conjointe correspondrait à la situation où plusieurs entreprises se
retrouvent en position dominante alors même qu’elles ne disposent pas de lien financier ou
politique et la position dominante collective serait plutôt envisagée dans le cas de groupement
d’entreprises. 72 De même, pour le professeur Bolze, la position dominante conjointe se
référerait en réalité à un comportement concerté alors que la position dominante collective
71
Cons. Conc, Décision n° 98-D-76 du 9 décembre 1998 relative à la situation de la concurrence dans le secteur
du disque.
72
BLAISE J.B, « Une construction inachevée, le droit français des ententes et positions dominantes », Etudes R.
Roblot, LGDJ, 1984,p.170).
68
serait un comportement imposé73. Notons que le Conseil de la concurrence ne semble pas en
pratique adopter cette position. Pour présenter clairement les choses, il y aura abus de position
dominante collective lorsque plusieurs entreprises adoptent un comportement similaire à une
seule entreprise en situation de position dominante alors même que les entreprises sont
indépendantes entre elles.
La notion d’abus de position dominante collective a été appliquée pour la première
fois par la Commission européenne dans la célèbre affaire dite du « verre plat » dans laquelle
elle a retenu la position dominante collective de plusieurs entreprises qui agissaient sur le
marché en cause comme « une seule entité et non avec leur individualité" 74 . Le droit
communautaire comme le droit interne exige qu’il existe un lien entre les entreprises en plus
du parallélisme du comportement75. En conséquence, les entreprises ne doivent pas se faire
concurrence entre elles et doivent se trouver sur le même marché. Avant de traiter de l’affaire
concernant un abus de position dominante collective en matière de délégation de service
public, à savoir la décision n°02-D-44, il convient de développer quelque peu cette condition
de « lien », d’autant qu’elle sera l’un des sujets de discussion dans l’arrêt analysé.
Le lien entre les entreprises peut revêtir plusieurs formes. Il peut être contractuel (sous
la forme d’un accord entre entreprise), structurel ou juridique (par exemple, par le biais de
prises de participations). Toutefois, l’existence d’un accord ne constitue pas une condition
stricto sensu et a contrario, l’existence de lien ne conduira pas nécessairement à un abus de
position dominante collective 76 . En somme, la nature du lien revêt différentes formes.
L’élément important est que ce lien traduise la volonté des différentes entreprises d’agir de
façon identique sur un même marché 77 . Il faudra donc pour les autorités de concurrence
apporter la preuve de ce lien. Sur ce point, les autorités françaises et les autorités
communautaires ne semblent pas retenir la même approche. Effectivement, pour les autorités
communautaires il n’est pas nécessaire d’apporter la preuve d’une volonté commune. La seule
73
BOLZE C., « le marché commun face aux trusts », Etude comparative sur les groupes de sociétés et le droit de
la concurrence dans la CEE, publ. Univ. Nancy II, 1981, p.184,n°338.
74
Déc. Comm. CE 7 déc. 1988, JOCE, L. 33, 5 fév. 1989.
75
Cons. Conc, Décision n° 98-D-76 du 9 décembre 1998 relative à la situation de la concurrence dans le secteur
du disque.
76
CJCE 16 mars 2000, Compagnie maritime belge, aff. Jtes C-395/96 P et C-396/96 P ; Europe 2000, n°143 ;
obs. L. IDOT, Contrats conc. Consom. 2000 comm. 113, obs. POILLOT-PERUZZETTO S. : « la seule
circonstance que deux entreprises soient liées par un accord, […] ou une pratique concertée ne saurait constituer,
en soi , une base suffisante pour [constater une position dominante collective] ».
77
CA Paris, 6 juill. 1994, Sté Total Réunion Comores et autres, BOCC 29 juill. 1994, p.299, Contrats conc.
Consom. 1994
69
existence de liens économiques suffit. Les autorités communautaires adoptent ainsi une
approche objective, dite structurelle par opposition à l’approche comportementale qui vise à
analyser le comportement des entreprises. C’est ainsi que dans l’affaire précitée, dite « du
verre plat », la commission a pu aller encore plus loin et sanctionner les entreprises sur la
seule base d’un parallélisme des comportements. Précisons que cette solution n’a pas été
retenue par la suite, et le TPICE a pu soumettre la position dominante collective à certaines
conditions 78 . Le Conseil de la concurrence a refusé de suivre cette analyse « objective et
structurelle ». Enfin, la jurisprudence communautaire considère que dans la situation
d’entreprises concurrentes en position d’oligopole, l’absence de relations concurrentielles
entre les entreprises est un élément de la position dominante collective79. C’est ainsi que dans
sa décision n°98-D-76 précitée, le Conseil indique que les liens économiques ne pouvaient
constituer à eux seules une position dominante collective, sans preuve d’une volonté
commune.
Toutefois cette décision semble être remise en cause, notamment du fait de la décision
n°02-D-44. Rappelons nous que dans cette décision, le Conseil de la concurrence avait
délimité un marché national de la gestion déléguée de la distribution de l’eau et un marché
national de la gestion déléguée de l’assainissement de l’eau. En l’espèce et contrairement à sa
position traditionnellement hostile à la position des instances communautaires, le Conseil de
la concurrence énonce deux jurisprudences du Tribunal de première instance des
communautés européennes selon lesquelles , « on ne saurait exclure, par principe, que deux
ou plusieurs entités économiques indépendantes soient, sur un marché spécifique, unies par
de tels liens économiques que, de ce fait, elles détiennent ensemble une position dominante
par rapport aux autres opérateurs (…)" (TPICE 10 mars 1992 aff. T-68/89, T-77/89 et T78/89, Soc Italiana Verro Spa et autres, Rec CJCE II p. 1403). Considérant que, comme l’a
également énoncé le Tribunal de Première instance, "sur le plan juridique ou économique, il
n'existe aucune raison d'exclure de la notion de lien économique la relation
d'interdépendance existant entre les membres d'un oligopole restreint à l'intérieur duquel, sur
un marché ayant les caractéristiques appropriées, notamment en termes de concentration du
marché, de transparence et d'homogénéité du produit, ils sont en mesure de prévoir leurs
comportements réciproques et sont donc fortement incités à aligner leur comportement sur le
marché, de façon notamment à maximiser leur profit commun en restreignant la production
78
79
TPICE, 6 juin 2002, aff. T-342/99, Airtours c/First choice, Europe 2002, n°291 ; obs, IDOT L.
CJCE 13 févr. 1979, aff. 85/76, Hoffman-La Roche, Rec. P. 461
70
en vue d'augmenter les prix. En effet, dans un tel contexte, chaque opérateur sait qu'une
action fortement concurrentielle de sa part destinée à accroître sa part de marché (par
exemple une réduction de prix) provoquerait une action identique de la part des autres, de
sorte qu'il ne retirerait aucun avantage de son initiative. Tous les opérateurs auraient donc à
subir la baisse du niveau des prix" (TPICE 25 mars 1999, aff. T-102/96, Gencor, Rec. CJCE
I, p. 1375). Ces jurisprudences rappelées, le Conseil mène un raisonnement en plusieurs
temps, à savoir, tout d’abord établir l’existence d’une situation oligopolistique, l’existence de
liens structurels entre les entreprises puis l’étude de l’homogénéité du produit eau. Il conclut
« que la CGE et la SLDE sont, à l’époque des faits, les deux premiers éléments d’un oligopole
restreint en détenant 85 % des marchés ; qu’elles sont unies par des liens structurels ; que le
produit "eau" qu’elles commercialisent est homogène et sa demande inélastique à son prix ;
qu’elles opèrent sur un marché faiblement contestable ; que leurs comportements sont
parallèles et prévisibles dans les zones où elles possèdent des entreprises communes ; que la
CGE et la SLDE détiennent, à l’époque des faits, une position dominante collective sur le
marché national de la gestion déléguée du service de distribution d’eau et sur le marché
national de la gestion déléguée de l’assainissement ». Nous pouvons remarquer que dans
cette analyse, le Conseil de la concurrence a une approche assez structurelle et objective et
n’apporte à aucun moment la preuve d’une volonté commune de la part des entreprises. Le
Conseil semble ici se baser uniquement sur l’existence d’un lien structurel, ce qui peut
surprendre par rapport à sa position traditionnelle. D’autre part, nous avons pu indiquer que
l’abus de position dominante collective est subordonné à l’existence d’un lien mais aussi au
fait que les entreprises soient simultanément présentes sur un même marché. Or, il est difficile
de comprendre pour qu’elle raison le Conseil se réfère aux « caractéristiques du produit
eau », et non à l’homogénéité des services en cause alors qu’il a lui-même défini
préalablement deux marchés distincts (le marché national de la délégation de la distribution
d’eau et le marché national de l’assainissement d’eau). Sans doute comme le souligne le
professeur Thouvenin 80 , le Conseil a tenté de reprendre le raisonnement des autorités
communautaires, notamment de l’arrêt Gencor où la Cour avait pu évoquer l’homogénéité des
produits. D’autre part, il est aussi difficile de comprendre pour qu’elle raison l’autorité de
concurrence française calcule la part de marché des deux entreprises en cause cumulé à la fois
sur le marché national de la distribution de l’eau et de l’assainissement alors même que le
Conseil avait considéré qu’il s’agissait de deux marchés spécifiques. Le professeur Thouvenin
80
J-M THOUVENIN, droit de la concurrence et marché de la distribution de l’eau, Gazette du Palais, 07 août
2003 n°219, p.2
71
se montre très critique à l’égard de cette décision, s’interrogeant sur l’opportunité d’avoir
cumulé des parts de marché de façon globale et la pertinence d’avoir analysé l’homogénéité
du produit eau. Enfin, le professeur Thouvenin indique que selon lui, les collectivités
exerçaient une pression concurrentielle importante conduisant à empêcher la constitution
d’une position dominante, notamment parce que les collectivités peuvent toujours décider de
revenir en régie. Puis, pour renforcer son argumentation selon laquelle les collectivités
jouaient un rôle empêchant la caractérisation de cette position dominante (car pour le Conseil,
la concurrence opérée par les régies était marginale), il rappelle une jurisprudence
communautaire où le Tribunal de première instance des communautés européennes avait
annulé le raisonnement de la Commission en jugeant que « La question n’est pas ici de savoir
si un petit voyagiste peut atteindre la taille nécessaire pour pouvoir concurrencer de manière
effective les voyagistes intégrés en leur disputant leurs places d’opérateurs principaux. Mais
il s’agit de déterminer si, dans le contexte anticoncurrentiel envisagé par la Commission, les
centaines de petits voyagistes déjà sur le marché, globalement considérés, peuvent réagir
efficacement à une réduction de la capacité mise sur le marché par les grands voyagistes […]
et s’ils peuvent contrecarrer ainsi la création d’une position dominante collective »81.
Le raisonnement du Conseil nous apparaît comme assez obscur et scabreux. Le point
le plus obscur est sans doute l’analyse de la position dominante collective sur un marché
différent que celui établit au préalable. Comme dit précédemment, l’étude d’une position
dominante collective sur les deux marchés pris dans leur globalité alors même que le Conseil
avait établi que les deux marchés étaient distincts fragilise le raisonnement. S’il est nécessaire
de rester dans le cadre de ce mémoire, nous prendrons juste une décision récente du Conseil
de la concurrence pour comparer le raisonnement. Ainsi dans sa décision n° 06-D-18 du 28
juin 2006 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur de la publicité
cinématographique, le Conseil devait appréhender une situation de position dominante
collective. En l’espèce, le Conseil avait retenu deux marchés pertinents, les marchés de la
régie publicitaire cinématographique nationale et le marché de la régie publicitaire
cinématographique locale. Sans rentrer dans le détail, nous remarquons que le Conseil se livre
à une justification très précise de son mode de calcul des parts de marchés ce qui n’avait pas
été le cas dans notre affaire. Ensuite, le Conseil s’est penché sur l’étude de la position
dominante collective. La lecture de la décision démontre que le Conseil est dorénavant plus
81
TPICE, Airtours du 6 juin 2002 (affaire T-342/99)
72
clair quant aux critères utilisés. Il reprend les jurisprudences communautaires en la matière
(Airtour, Gencor etc.. précitée) et rappelle que « l’existence de liens structurels entre des
entreprises d’une part, tels que des liens en capital ou encore des accords formalisés entre
elles, et l’adoption d’une ligne commune d’action sur le marché d’autre part, suffisent à
démontrer l’existence d’une position de dominance collective ». Le Conseil poursuit en
indiquant qu’« en l’absence de tels liens, la seule structure du marché peut permettre de
mettre en évidence une position dominante collective, si les critères cumulatifs dégagés par le
tribunal de première instance dans son arrêt Airtours du 6 juin 2002 (affaire T-342/99) sont
réunis, à savoir la structure oligopolistique et la transparence du marché concerné, la
possibilité d’exercer des représailles sur les entreprises déviant de la ligne d’action commune
et enfin la non contestabilité du marché ou l'absence de compétition potentielle ». Le Conseil
analysera à la suite de cette citation chaque critère en les prenant un par un. Cette lecture nous
permet de comprendre que très certainement, selon nous, le Conseil a fait une réception assez
maladroite de la jurisprudence communautaire Airtours parue un mois avant la décision n°02D-44, mélangeant ainsi un peu les différents critères et les différentes situations (selon que
l’on est dans une situation oligopolistique ou non). Ainsi dans la décision 02-D-44, les étapes
du raisonnement du Conseil semblent indiquer qu’il a tenté d’appliquer la jurisprudence
Airtours (ce choix est certainement lié à l’incapacité pour le Conseil de sanctionner les
entreprises sur le terrain de l’entente, ne détenant pas les preuves nécessaires). Nous
comprenons mieux pourquoi le Conseil s’est intéressé à l’homogénéité du produit eau (alors
que l’homogénéité aurait du porter sur les services) et son raisonnement de façon générale.
Sans doute, peut on dire que son raisonnement serait autre aujourd’hui, celui-ci étant plus
rigoureux et plus clair. D’autant que l’application des critères de la jurisprudence Airtours
n’était pas indispensable, le lien entre les entreprises pouvant, à notre sens, être établi.
Pour revenir dans le domaine de la délégation de service public, la récente décision
n°06-MC-03 du 11 décembre 2006 (relative à des demandes de mesures conservatoires dans
le secteur du transport maritime entre la Corse et le continent) nous permet d’appuyer notre
propos. Dans cette décision, le Conseil de la concurrence mentionne la possibilité d’une
position dominante collective. Le Conseil juge ainsi que « les liens structurels entre la SNCM
et la CMN et les liens commerciaux noués pour l’exécution de la DSP devraient suffire pour
constater une position de dominance collective de ces deux entreprises sur le transport du fret
entre Marseille et la Corse. Or, comme l’a jugé le TPICE dans l’affaire Irish Sugar, lorsque
plusieurs entreprises détiennent ensemble une position de dominance collective, l’abus de
73
celle-ci peut n’être le fait que de l’une d’entre elles : « Si l’existence d’une position
dominante collective se déduit de la position que détiennent ensemble les entités économiques
concernées sur le marché en cause, l’abus ne doit pas nécessairement être le fait de toutes les
entreprises en question. Il doit seulement être identifié comme l’une des manifestations de la
détention d’une telle position dominante collective. Par conséquent, des entreprises occupant
une position dominante collective peuvent avoir des comportements abusifs communs ou
individuels. » TPICE, 7 octobre 1999, Irish Sugar ».
Ainsi, conformément à ce que nous avons pu affirmer auparavant, le Conseil fait bien
la différence aujourd’hui entre la configuration posée par la jurisprudence Airtours et le cas
où il existe un lien entre les différentes entités. Deux éléments sont importants dans cette
affaire. Tout d’abord, le Conseil de la concurrence juge que les liens existants (structurels et
commerciaux) entre les deux entreprises suffiraient à établir une position dominante collective
sans qu’il soit nécessaire d’apporter la preuve de l’élément intentionnel. Toutefois, le Conseil
ne fait pas ici référence à l’existence d’une ligne d’action commune mais elle pourrait
certainement se voir présumer. Ensuite, cette décision soulève une configuration extrêmement
intéressante. Effectivement, le Conseil de la concurrence envisage le cas où le pacte
d’actionnaire ne serait pas validé. Ainsi, les deux entreprises se verraient selon le Conseil
liées mais l’abus ne viendrait que de l’une des deux entreprises, en l’espèce, la SNCM. Le
Conseil utilise par se biais la jurisprudence Irish sugar selon laquelle la détention de la
position dominante doit être collective mais pas nécessairement l’abus.
Il convient dés à présent de traiter des pratiques d’abus de position dominante. En
effet, comme nous l’avons vu à maintes reprises la position dominante n’est pas en soit
constitutive d’un abus.
Section 2 - Les différentes pratiques d’abus de position dominante sanctionnées par le
Conseil de la concurrence
L’article 82 du traité et l’article L. 420-2 du Code de commerce n’apportent pas de
définition précise de l’abus, mais ne fournit que des exemples d’abus tels que « le refus de
vente, [les] ventes liées ou [des] conditions de vente discriminatoires ainsi que dans la
rupture de relations commerciales établies ». C’est donc la doctrine et la jurisprudence qui
ont posé les jalons de l’abus de position dominante. Il sera donc nécessaire de faire un point
74
de rappel sur la notion d’abus (§1), pour ensuite étudier avec précision les pratiques d’abus de
position dominante que nous avons pu retrouver en matière de délégation de service public
(§2)
§1 La notion d’abus
L’objet de ce mémoire étant de se concentrer sur l’étude des pratiques en matière de
délégation de service, nous n’aborderons ici que quelques points essentiels pour comprendre
le raisonnement du Conseil sur les pratiques étudiées ci-après.
Tout d’abord, l’abus est appréhendé de façon objective dans le sens où les autorités de
la concurrence n’analysent pas l’intention des parties. En France, la terminologie d’abus est
apparue avec l’ordonnance de 1986, celle-ci prévoyant « l’exploitation abusive ». Ensuite,
traditionnellement, une distinction s’opère entre les abus de comportement et les abus de
structure 82 . L’abus de comportement vise plutôt la situation où l’entreprise en position
dominante utilise favorablement sa position pour en tirer profit. En revanche, l’abus de
structure correspond aux interdictions dites « per se », c'est-à-dire des pratiques qui sont
sanctionnées en tant que telle du seul fait qu’elles faussent la concurrence. Si initialement, les
autorités de concurrence s’attachaient plutôt à l’abus comportemental, elles se sont
progressivement dirigées vers l’abus de structure plus facile à mettre en œuvre.
La jurisprudence communautaire a ainsi validé cette théorie à travers deux arrêts,
Continental Can et Hoffman-La Roche
83
. Par ces jurisprudences, les autorités
communautaires sanctionneront donc en réalité, non pas l’avantage procuré ou le profit mais
le simple fait de barrer l’accès au marché.
Le droit français a connu une évolution similaire et appréhende lui aussi ces deux
types d’abus. Dans ses rapports, le Conseil de la concurrence a pu prévoir les deux cas d’abus
indiqués précédemment, à savoir les pratiques ayant pour objet ou pouvant avoir pour effet
d’évincer les concurrents ou d’empêcher l’arrivée de nouveaux concurrents ( le Conseil vise
ici l’abus de structure) ou encore les comportements qu’une entreprise ne pourrait avoir sur un
marché concurrentiel ou dans le cas où elle ne posséderait pas de position dominante (le
82
83
Joliet R., « Monopolisation et abus de position dominante » , RTDeur 1969.645
cf supra.
75
Conseil sanctionnant ici le profit qu’une entreprise peut tirer de sa situation). Il convient de
faire trois remarques à propos de l’abus de structure.
Tout d’abord, les juridictions communautaires et internes considèrent qu’il doit tout de
même y avoir une condition d’anormalité (c'est-à-dire selon la jurisprudence Hoffmann-La
Roche recourir « à des moyens différents de ceux qui gouvernent une compétition normale de
produits ou services ») afin d’éviter que soit condamné le simple fait de maintenir une
position dominante.
Ensuite, le fait de ne retenir au final comme critère de l’abus que l’atteinte portée à la
concurrence, induit de faire une analyse strictement économique, ce qui conduit à ne prendre
en compte presque que des éléments économiques.
Enfin, il est généralement d’usage que les autorités de concurrence exigent un lien de
causalité entre la position dominante et l’abus, hormis comme nous avons pu le voir dans la
décision dans le secteur de l’eau ou la décision Bouc-Bel-Air, c’est à dire dans les cas où il
existe des marchés connexes.
Pour conclure sur ce point, il faut préciser qu’une entreprise en situation de position
dominante se doit, du fait de sa position dominante, d’avoir un comportement exemplaire.
Ainsi, une entreprise en situation de position dominante pourra se voir condamner pour un
comportement alors que ça n’aurait pas été le cas si elle n’avait pas été en situation
dominante. Par exemple, une entreprise en position dominante ne peut tenter d’éliminer son
concurrent. De même, elle peut défendre sa position mais son comportement ne doit pas
conduire « à renforcer sa position et à en abuser » 84. Elle doit donc avoir un comportement
« normal et loyal ».
Ces quelques éléments rappelés, Il convient d’étudier à présent les différentes
pratiques d’abus de position dominante.
§2 Typologie des pratiques d’abus de position dominante
84
TPICE 7oct. 1999, Irish Sugar
76
Si nous n’avons pas traité chaque décision de façon chronologique mais par thèmes
jusqu’à présent (suivant qu’il s’agissait d’entente, abus de position dominante, marché simple,
connexe, position dominante individuelle, position dominante collective), nous adopterons ici
une démarche plus chronologique (sauf dans le cas où des pratiques peuvent être regroupées).
Le premier type de pratique que l’on retrouve dans le secteur de l’eau consiste, pour la
Lyonnaise des eaux d’avoir refusé « de communiquer son prix de l’eau en gros à ceux de ses
concurrents qui souhaitent présenter une offre à l’occasion du renouvellement des contrats de
délégation du service public de l’eau des communes en cause, en ayant établi ce prix de vente
en gros à un niveau abusivement élevé, eu égard notamment aux prix pratiqués par d’autres
producteurs d’eau approvisionnant la région Ile-de-France »85.
La pratique consistait donc en un refus de communication d’informations à des
entreprises concourantes à un appel d’offre sur la délégation de service public de distribution
de l’eau alors même que la Lyonnaise des eaux était candidate à cet appel d’offre. La question
qui se posait était de savoir si ces informations se révélaient essentielles ou simplement utiles.
Le Conseil de la concurrence a jugé dans sa décision 98-MC-04 que ces informations étaient
simplement utiles et non essentielles puisqu’il a indiqué que si ce refus de communication a
« pu gêner ces entreprises dans la présentation de leur offre, toutefois, elles n’ont pas été
empêchées de concourir », et sles entreprises concurrentes avaient même pu faire des
propositions plus intéressantes que la Lyonnaise des eaux. A cet égard, le Conseil semble
avoir analysé les conséquences du refus de communication sur la concurrence sur le marché.
Mais à notre sens, c’est à bon droit que la Cour d’appel est venue contredire la décision du
Conseil (la Cour d’appel a jugé que « la société Lyonnaise des Eaux a refusé de communiquer
aux entreprises avec qui elle est en concurrence le prix de vente en gros de l’eau qu’elle
produit ; qu'il est avéré en l’état des constatations de l’enquête que ces entreprises ont été
empêchées de concourir normalement pour l’obtention des marchés d’affermage concernés »
86
) étant donné que la société Lyonnaise des eaux, en position dominante, n’a clairement pas
eu un comportement loyal. De plus, une décision contraire conduirait à l’impossibilité
d’examiner les effets sur la concurrence de cette non communication.
85
86
Cons. Conc. Décision n°98-MC-04
CA Paris, 29 juin 1998,
77
D’autre part, il était aussi contesté une pratique tarifaire trop élevée de la part de la
Lyonnaise. Mais, le Conseil soulève qu’il ne peut pas en calculer l’ampleur au regard des
éléments du dossier et en conséquence que « dans ces conditions, il n’est pas établi que les
pratiques dénoncées porteraient atteinte grave et immédiate au consommateur, au secteur
intéressé ou à l’économie en général ».
Effectivement, le seul fait pour une entreprise de relever ses tarifs ne constitue pas en
soit un abus de position dominante, il faut donc pouvoir apprécier l’augmentation des tarifs,
ce qui n’était pas possible en l’espèce pour le Conseil.
Dans l’affaire n°05-D-58, le Conseil a retenu une solution différente. Le Conseil
relève que l’« instruction a conduit le rapporteur à retenir un grief plus ciblé que celui du
simple refus de Lyonnaise des Eaux de communiquer son prix de gros à certains de ses
concurrents et à soutenir que ce refus avait potentiellement pour effet de permettre une
pratique de prix de l’eau discriminatoire, réservant le meilleur prix à la Lyonnaise ellemême dans les cas où les communes lui accorderaient la délégation pour la fourniture et la
distribution.[…]. L’objet de l’injonction était donc bien de vérifier que le prix de gros de
l’eau fourni par la Lyonnaise des Eaux n’introduisait pas de distorsion de concurrence
dans la distribution de l’eau.». Pour résumer, la position du Conseil et la position de la Cour
d’appel visaient à obliger la communication des prix pour savoir si la société Lyonnaise des
eaux ne réalisait pas des remises de couplage. La remise de couplage consiste pour une
entreprise dominante à offrir à son client une remise en cas d’achat simultané de deux
produits afin d’éviter que son client ne s’adresse à l’un de ses concurrents sur l’un des deux
produits. En l’espèce, il s’agissait donc de savoir si la société Lyonnaise des eaux effectuait
bien des remises de couplages, à savoir des remises sur le marché de l’eau en gros pour les
collectivités pour lesquelles elle obtiendrait l’appel d’offre de la délégation de la distribution
de l’eau.
Dans la deuxième partie de son raisonnement, le Conseil se concentre sur la pratique
de rabais de couplage (nous traiterons le niveau des prix après ce point). La Lyonnaise
soutenait d’une part qu’elle répondait à la logique d’appel d’offre global des collectivités et
d’autre part qu’il n’y avait pas deux ventes, mais une seule. Dans sa réponse, le Conseil de la
concurrence adopte une approche pédagogique et rationnelle.
78
Tout d’abord, le Conseil de la concurrence indique que les rabais de couplages
peuvent voir des effets pro-concurrentiels lorsqu’il résulte de ce rabais un baisse de prix pour
le client correspondant à un gain d’efficience pour le producteur du fait du couplage, ce qui
n’était pas le cas en l’espèce. Le Conseil indique par la suite que les rabais de couplage sont
anticoncurrentiels et par voie de conséquence interdits lorsqu’il n y a pas de gains d’efficience
mais qu’ils peuvent être exceptionnellement autorisé dans un cas précis. En l’espèce, la
situation ne correspondait pas à ce cas précis. La preuve de la discrimination
anticoncurrentielle est apportée dés lors que l’entreprise exerçant la remise de couplage
s’applique à elle-même un prix moins important qu’à ses concurrents87. Ensuite, l’autorité de
la concurrence démontre à travers des courriers que cette preuve était rapportée. Le Conseil
conclut naturellement que « la pratique de la Lyonnaise des Eaux de proposer une
discrimination à son avantage sur le prix de la fourniture d’eau dans le cadre de son offre
globale par rapport à celui de son offre dissociée de vente en gros avait un objet et pouvait
avoir un effet anticoncurrentiel car elle visait à handicaper l’offre concurrente sur la partie
distribution, pratique prohibée par l’article L. 420-2 du code du commerce ». Il nous paraît
important de préciser que bien que l’« esprit de la théorie des facilités essentielles » semble
présent, le Conseil n’en fait nulle part référence (Monsieur Chevrier a pu indiquer qu’on
rejoignait ici une analyse proche de celle retenue par les juges de la concurrence en matière de
facilités essentielles88).
Cette théorie, d’origine américaine a été utilisée pour la première fois en 1912, par la
Cour Suprême des Etats-Unis dans son fameux arrêt Terminal Railroad . Bien que n’y figure
pas explicitement l’expression de « facilités essentielles », « l’arrêt de la Cour Suprême
contient d’ores et déjà tous les ingrédients du concept : le recours à la qualification de
pratiques anti-concurrentielles, c’est-à-dire au droit de la concurrence, pour trancher le
problème ; la conciliation entre les exigences du libre jeu du marché et le développement du
progrès économique, puisque le juge sensible aux avantages résultant d’une gestion
centralisée des infrastructures, devait refuser le démantèlement du monopole et seulement
ordonner l’accès à des conditions raisonnables ; enfin, les difficultés de la mise en œuvre de
la solution, qui conduisirent les observateurs de l’époque à s’interroger sur l’aptitude du
87
Cons. Conc. Décision n°99-D-14 en date du 23 février 1999 relative à des pratiques mises en oeuvre par la
société Télédiffusion de France (TDF)
88
CHEVRIER E. « Sanction d’une remise de couplage sur des marchés amont et aval », Dalloz recueil 2006,
Actualité jurisprudentielle, p.2460
79
pouvoir judiciaire à s’assurer de l’effectivité de sa décision et à envisager d’autres moyens
pour arriver à cette fin, et par exemple la mise en place d’un mécanisme de régulation » .
Cet arrêt pose ainsi pour la première fois en droit de la concurrence, le principe selon
lequel une entreprise en situation de monopole ou de position dominante qui détient une
infrastructure dont l’accès est indispensable pour permettre sur un marché aval ou amont
l’exercice de l’activité des concurrents de l’entreprise détentrice de la facilité essentielle, doit
permettre l’accès à celle-ci sur une base équitable et non discriminatoire. Le Conseil de la
concurrence a utilisé cette théorie à mainte reprise, et sans rentrer dans des développements
trop importants, il est possible de citer pour illustration l’affaire Neuf Télécom du 7 novembre
2005 où le Conseil de la concurrence a reconnu l’applicabilité de la théorie des facilités
essentielles au réseau téléphonique commuté de France Télécom dans le secteur particulier de
la fourniture d’accès à Internet haut débit. Citons dans le même esprit, la décision du Conseil
en matière de site d’émission d’ondes hertzienne où le Conseil a estimé qu’il ne pouvait être
exclu que les sites de TDF situés dans les 29 zones définies par le CSA dans son appel à
candidature constituaient des facilités essentielles à laquelle TDF aurait été tenue de
« proposer l’accès à des conditions transparentes, non discriminatoires et orientées vers les
coûts »89.
Ces décisions se sont prolongées dans d’autres secteurs liés aux infrastructures de
réseaux de communications électroniques comme la qualification de facilité essentielle de la
liste des abonnés au téléphone détenue par France Télécom et l’obligation pour France
Télécom de communiquer ces listes.
Dans notre affaire, le Conseil aurait pu , à notre sens , utiliser cette théorie, d’autant
que la Cour d’appel de Paris a pu faire référence dans son arrêt de 1998 précité à un vocable
généralement utilisé en matière de facilités essentielles et indiquer que «la Lyonnaise des
Eaux contrôle des installations de production, de distribution et de stockage, qui lui assurent
de manière exclusive l’alimentation en eau potable des (trois) communes en cause, sans
laquelle la distribution de l’eau ne peut y être assurée » ; et que, par conséquent, les
concurrents de la Lyonnaise des Eaux «qui ne disposent d’aucune ressource substituable à
l’eau produite par la Lyonnaise des Eaux, doivent avoir accès à celle-ci à des conditions
tarifaires objectives, transparentes et non discriminatoires, leur permettant de concourir
89
Cons. Conc. Décision n° 02-MC-04 du 11 avril 2002 relative à une demande de mesures conservatoires
présentée par la société Antalis
80
utilement aux marchés pour lesquels elles se sont constituées ». Toutefois, le fait que le
Conseil n’ait pas utilisé cette notion nous paraît bienvenu. En effet, la qualification de facilité
essentielle entraîne de fortes conséquences juridiques, aussi, la position du Conseil lui permet
d’imposer la communication des prix, et indirectement que la société Lyonnaise des eaux
applique à ses concurrents les mêmes tarifs qu’à elle-même, ce qui revient à imposer un accès
transparent et non discriminatoire sans utiliser une notion complexe et délicate à manipuler.
Cela permet aussi à notre sens, d’avoir un raisonnement juridique moins contestable et plus
solide.
Le Conseil a pu analyser la pratique des prix de la Lyonnaise des eaux, en jugeant que
comme nous l’avons indiqué, la seule hausse des prix d’une entreprise en position dominante
ne constitue pas un abus. Mais concernant les éléments de comparaisons qui lui sont apportés
(le prix d’autres producteurs d’eau), le Conseil considère que ces éléments ne sont pas
comparables, le service d’eau fournit n’étant pas comparable et juge que le niveau de prix
n’est pas en lui-même abusif (relevons simplement que par rapport à la décision n°02-D-44 le
Conseil fait bien une distinction ici selon les services, jugeant les situations non comparables).
Enfin, le Conseil s’est penché sur la pratique du Sédif, à savoir le fait de s’immiscer
dans la relation contractuelle entre la Sagep et la Semmaris en tentant de bloquer les
négociations. Dans notre affaire, les pratiques étaient assez claires par le biais de lettres visant
à faire pression et l’étude de mesure de rétorsion par le Sédif. Le Conseil écarte les deux
arguments du Sédif à savoir la défense des intérêts de son délégataire au motif que « ces
mesures de protection ne doivent pas enfreindre l’ordre public économique procédant des
règles de la concurrence visées au code du commerce » et l’argument selon lequel la pratique
aurait un effet négligeable au motif que « l’absence d’effet sensible de la pratique […] ne
contredisent pas l’illicéité de la pratique. Tout au plus ceux relatifs à l’effet sensible peuventils être pris en compte pour apprécier l’importance du dommage causé à l’économie ».
Le Conseil conclut assez naturellement et classiquement que « la pratique du Sedif, en
monopole de fait sur le marché de la fourniture d’eau aux consommateurs situés sur son
territoire, a eu pour objet et pouvait avoir pour effet d’empêcher la finalisation d’un contrat
de fourniture d’eau de l’un de ses principaux clients avec un concurrent, pratique prohibée
par l’article L. 420-2 du code du commerce ». Cette décision semble difficilement contestable
au regard de la pratique puisque comme nous l’avons indiqué, une entreprise en position
dominante peut tenter de protéger son marché, mais pas par des moyens déloyaux ou en
81
tentant de renforcer sa position et d’en abuser (même si la justification de l’existence d’un
monopole de fait reste à notre sens, quelque peu insuffisante).
Pour conclure sur le secteur de l’eau, penchons nous sur la décision n°02-D-44.
Concernant la pratique, il était reproché aux deux entreprises en cause, la CGE et la SLDE de
ne pas avoir répondu aux appels d’offres lorsque leurs entreprises communes
soumissionnaient. Le Conseil juge « qu’en renonçant très largement à répondre aux appels
d’offres, en cas de soumission de leurs entreprises communes, les entreprises en cause ont
sensiblement limité l’intensité de la concurrence ; que cette abstention a eu pour effet, d’une
manière générale, d’exclure du jeu de la concurrence, dans les zones d’influence de chacune
des entreprises communes en cause, les deux sociétés mères, c’est-à-dire les principaux
acteurs des marchés pertinents ; que celles-ci n’établissent pas la nécessité d’une
concentration de leurs capacités techniques et qu’au contraire, il est constant que chacune
des deux sociétés en cause était en mesure, compte tenu de ses capacités financières et
techniques propres, de répondre seule à la demande des collectivités concernées ; que,
compte tenu du degré de concentration des opérateurs sur les marchés, les entreprises en
cause ne pouvaient ignorer qu’un tel comportement était susceptible d’y affecter sensiblement
la concurrence ; que ce comportement a donc un objet anticoncurrentiel ; que dès lors que les
entreprises en cause ont ainsi limité le nombre d’offreurs actifs dans la zone d’influence des
entreprises communes, leur comportement a eu un effet anticoncurrentiel ». La pratique en
l’espèce était assez inhabituelle car elle correspondait au fond à une abstention. Or comme
nous l’avons vu, un abus consiste généralement à évincer un concurrent ou à agir
indépendamment de ses concurrents. En l’espèce, il existait une troisième entité, la SAUR qui
aurait pu intervenir et l’on comprend assez mal en quoi l’abstention de la CGE et de la SLDE
constitue une barrière à l’entrée ou évince la concurrence. Le seul élément limitatif de la
concurrence serait vis-à-vis d’elles mêmes et il n’apparaît pas comme certain que l’appel
d’offre sera systématiquement remporté par l’entreprise commune de ces deux entreprises. De
plus, nous avons exposé que les autorités de concurrence exigent un lien de causalité entre
l’abus et l’atteinte portée à la concurrence. L’atteinte portée à la concurrence étant
relativement flou, le lien entre l’abus, à savoir l’abstention et l’atteinte paraît encore plus
incertain, d’autant que nous ne sommes pas dans une situation où il existerait des marchés
connexes (seul cas où le lien n’est normalement pas exigé).
82
Pour conclure, Le professeur Thouvenin remarque avec circonspection que la décision
ne prend pas de sanctions pécuniaires à l’encontre des entreprises en cause en concluant
qu’ « il n’est pas exclu que les entreprises en cause n’aient pas pu s’affranchir des exigences
formulées par les autorités délégantes ». Selon cet auteur, on voit mal comment les
entreprises pourraient commettre des pratiques abusives alors même que ces pratiques
correspondraient aux exigences de leurs clients.
Dans le secteur de l’eau, les pratiques sont donc relativement variées puisque l’on a pu
voir des rabais de couplage, le refus de communication de prix du marché de gros de l’eau ou
encore l’abstention de participation à un appel d’offre.
Dans le secteur des crèches, le Conseil de la concurrence a pu être sollicité à travers sa
décision n°06-MC-02, Commune de Bouc-Bel-air. Dans cette affaire, la pratique consistait
pour l’association en charge la gestion des crèches, d’avoir prévu un avenant aux contrats de
travail dans lequel il était mentionné qu’en cas où l’effectif de leur employeur dépassait 60
salariés, ils auraient droit à une prime de 100 000 euros. Or d’après le Code du travail, le
successeur de l’association doit reprendre les salariés de l’association tout en conservant leurs
contrats de travail. Il y avait donc de fortes chances que le successeur en question possédant
déjà ses propres salariés, dépasse les 60 salariés et se voit soumis à la prime de 100 000 euros.
Comme nous avons pu le voir à travers notre analyse des marchés pertinents, l’association se
trouvait en position dominante sur le premier marché mais perdait cette position dominante
sur le second marché. L’anormalité du comportement de l’association était facilement
prouvable, la prime prévue lors du dépassement du seuil de 60 salariés étant peu probable
dans le cadre de l’exécution du contrat par l’association. Il procure donc un avantage à
l’association lors du renouvellement de la gestion des crèches et constitue un comportement
anormal dans le sens où elle n’aurait pas commis cette pratique dans une situation
concurrentielle normale. Le point litigieux se trouve principalement à deux niveaux. Tout
d’abord, l’association peut elle avoir commis un abus sur un marché sur lequel elle n’était pas
en position dominante ? Comme nous l’avons vu précédemment grâce à la configuration
particulière des marchés connexes et conformément à la jurisprudence Tetra Pack mais aussi
la jurisprudence du Conseil (notamment ses décisions n°05-D-58 et n°04-D-32), il est
possible de sanctionner un comportement sur un marché distinct du marché sur lequel
l’entreprise est en position dominante. En l’espèce, grâce à l’avenant et l’article du Code de
travail qui transférait à son successeur une charge qui ne s’imposait pas à lui-même. Le
83
Conseil juge donc que « le Conseil ne s’est pas encore prononcé sur la possibilité pour une
entreprise de commettre un abus anticoncurrentiel à l’occasion du renouvellement d’un
marché, du seul fait de sa position de titulaire sortant sur le marché en fin d’exécution. Cette
possibilité doit, néanmoins, être admise puisqu’un abus de position dominante peut être
commis sur un marché connexe à celui sur lequel la dominance est détenue et que deux
marchés publics successifs portant sur la même prestation peuvent être considérés comme des
marchés connexes ». Il indique « la situation créée [par l’avenant] est donc celle d’une
discrimination commise par un opérateur en position dominante, l’abus étant permis par
cette domination et étant commis sur un marché connexe à celui sur lequel le pouvoir de
monopole est détenu ». Cette situation est assez novatrice et démontre la multitude de
situation auquel le Conseil de la concurrence doit faire face. Toutefois, cette décision met son
lecteur quelque peu mal à l’aise au niveau du raisonnement juridique. En effet, comme nous
l’avons vu, elle pose des questions au niveau de la temporalité, les deux marchés n’existant
pas au même moment. De plus, il n’existe aucun lien de causalité entre la position dominante
sur un marché et l’abus constaté. Certes, tant au niveau du marché pertinent que de la
qualification de l’abus de position dominante, le Conseil a pu qualifier la situation de cette
décision de « forme inédite » et d’une utilisation « très exceptionnelle »90 du Code du travail.
De même, la jurisprudence communautaire qualifiée la configuration Tetra pack de
« circonstances exceptionnelles ». Mais même si l’on comprend bien cette approche
téléologique et pragmatique, le fait de ne pas respecter les critères de l’abus de position
dominante du fait de cette situation exceptionnelle correspondant au cas de marchés connexes
nous paraît assez peu satisfaisant. Espérons qu’à l’avenir, le Conseil utilisera cette solution
avec parcimonie et que chaque « circonstance exceptionnelle » fera l’objet d’une analyse
poussée, allant de paire avec une analyse plus claire, structurée et uniforme de la délimitation
des marchés pertinents. Si le Conseil ne poursuit pas dans cette voie, il est à craindre que l’on
ne puisse prédire les décisions du Conseil de la concurrence et qu’il y ait une certaine
insécurité juridique.
Dans le secteur du transport maritime, à travers sa décision n° 06-MC-03 du 11
décembre 2006 relative à des demandes de mesures conservatoires dans le secteur du
transport maritime entre la Corse et le continent, le Conseil appréhendait la pratique d’une
offre globale et indivisible de la part de la SNCM sur l’ensemble des lignes. Au regard de
90
Décision n° 06-MC-03 du 11 décembre 2006 relative à des demandes de mesures conservatoires dans le
secteur du transport maritime entre la Corse et le continent
84
cette décision, nous pouvons remarquer une précision intéressante du Conseil selon laquelle,
le fait que la collectivité encourage ou autorise le soumissionnaire à faire une offre globale ne
peut être considéré comme abusif dés lors qu’il émane d’une entreprise dominante. Le
Conseil recherche donc en l’espèce si le comportement de la SNCM avait pour effet potentiel
ou effectif d’évincer les autres entreprises et si cet effet « porte en cela atteinte à la protection
du consommateur- et également en l'espèce du contribuable- pour le bénéfice de laquelle la
compétition a été, du moins faut-il le souhaiter, organisée ». Comme pour la détermination
des marchés pertinents, le Conseil se veut extrêmement pédagogique et rationnel en ce qu’il
prévoit deux étapes à son raisonnement, à savoir qu’il étudie tout d’abord si les candidats
pouvaient déposer des offres portant sur l’ensemble des lignes. Et dans un deuxième temps,
en cas de réponse négative à la première étape, le Conseil analyse si « la présentation de
l'offre de la SNCM, par le lien indivisible qu'elle a établi entre les lignes pour lesquelles elle
s'est déclarée candidate, prive l'Office de la possibilité de comparer les différentes offres en
concurrence sur leurs mérites propres, avec le risque de ne pouvoir, à priori, retenir que
l'offre globale, dès lors que les offres individuelles ne sont pas suffisamment nombreuses
pour couvrir la totalité du service public délégué ».
A la première étape, le Conseil répond par la négative en indiquant que techniquement
les concurrents ne peuvent proposer une offre globale. Dans la deuxième étape de son
raisonnement, l’autorité de la concurrence juge que la SNCM ne peut justifier
économiquement le fait de déposer une offre globale que dans le cas où cette offre procurerait
un avantage pour la collectivité (en terme d’efficacité ou une baisse de la subvention). Mais la
SNCM n’apporte aucune preuve de cet avantage. Il conclut donc que « dans la présente
espèce, l'effet d'éviction de l'offre présentée par la SNCM est [encore plus] incontestable dans
la mesure où d'une part, le recours - au moins partiel - au service de cette société est
incontournable pour la collectivité, faute pour les autres concurrents de pouvoir formuler des
offres portant sur l'ensemble des lignes, et d'autre part, le refus de la SNCM de s'engager de
manière ferme sur le montant de la subvention demandé ligne par ligne interdit à l'office la
possibilité même de comparer les résultats de la compétition. Ces deux facteurs combinés
risquent de ne laisser à l'office aucun autre choix possible que la SNCM pour assurer le
service public délégué, sauf à ne pas couvrir la totalité de ce service ». Au final, le Conseil de
la concurrence estime que le fait pour la SNCM d’avoir déposé une offre globale et indivisible
sur toutes les lignes vide de sa substance l’appel d’offre et par la même affecte la concurrence
puisque la collectivité ne pourra pas comparer objectivement les offres. En sanctionnant cette
85
offre globale et en exigeant à travers des mesures conservatoires la SNCM, de fournir, ligne
par ligne le montant ferme de subvention sur lequel elle s’engage, le Conseil condamne en
l’espèce le couplage des offres. Toutefois, il convient de ne pas confondre les rabais de
couplage et le couplage des offres. Dans sa décision n°05-D-58 et n°03-MC-01 citée dans
cette décision, la société appréhendée avait soit proposé une prime au cas où la totalité du lot
lui serait attribué, ou dans le cas de la Lyonnaise des eaux, proposé un prix plus bas en cas
d’attribution de la délégation de fourniture et de distribution. En l’espèce, le Conseil de la
concurrence sanctionne en réalité le fait que du fait que cette offre globale ne précise pas les
conditions financières ligne par ligne, il n’existe pas une situation de concurrence équitable
puisque la collectivité ne peut comparer objectivement les offres. Précisons que si aucune
autre société ne pouvait proposer d’offre globale, rien n’empêchait à la collectivité de choisir
sur chaque ligne des sociétés différentes. Par conséquent il ne s’agissait pas tellement d’une
éviction des concurrents car selon nous, il existait une dose de concurrence sur le marché,
mais plutôt une volonté d’empêcher que la concurrence ne soit faussée. Pour cette raison, la
référence par le Conseil de la concurrence à la décision n°03-MC-01 (concernant la
proposition d’une prime dans le cas où la totalité du lot serait attribuée par Canal plus) où il
s’agissait plutôt d’un rabais de couplage semble peu pertinente. Il ne s’agit en fait pas
réellement d’une pratique tarifaire abusive tel que le rabais de couplage mais d’une pratique
utilisée par la SNCM, utilisant sa position pour retirer un avantage et fausser la concurrence.
Le Conseil se réfère selon nous à la situation de la décision n°98-D-65 du 20 octobre 1998
(relative à des pratiques mises en oeuvre par la société coopérative agricole " Les éleveurs
mosellans " dans le secteur de l’insémination artificielle) où il avait pu juger à l’égard d’une
tarification globale que « Considérant que COOPEMOS, qui dispose d’un monopole légal sur
les pratiques de mise en place dans sa zone d’intervention et qui est également en
concurrence avec d’autres entreprises pour la fourniture de semences, en facturant au forfait
ces deux types de prestations, lie artificiellement deux services, dont l’un est ouvert à la
concurrence ; que l’éleveur de la zone se trouve ainsi dissuadé de s’adresser à un autre
producteur de semences, afin de comparer les prix des semences et d’effectuer un choix
éclairé ; que cette pratique a pour objet et peut avoir pour effet de fausser le jeu de la
concurrence entre les producteurs de semences ; que, mise en oeuvre par une entreprise en
position dominante, elle constitue une exploitation abusive de cette position ». Pour revenir
à notre décision, il s’agissait d’une situation relativement similaire puisque le fait pour la
SNCM, en situation de position dominante, de ne proposer qu’une offre globale sans
conditions financières ligne par ligne pouvait avoir pour effet de dissuader la collectivité
86
d’examiner les offres de ses concurrents, d’autant que cette proposition globale n’était pas
justifiée (dans le sens où les justifications apportées ne pouvaient exonérer la SNCM de
proposer des conditions financières ligne par ligne).
Mis à part ce petit risque de confusion au niveau de la nature des pratiques, cette
décision va selon nous dans le bon sens, puisque comme dit précédemment, le Conseil
effectue une analyse poussée et véritablement économique des marchés pertinents, et sa
démarche pédagogique se veut logique, rationnelle et solide. Elle s’inscrit complètement dans
le courant que nous analysons depuis le début de notre étude selon lequel, le Conseil effectue
des analyses de marchés de plus en plus précise, justifiant et argumentant mieux ses solutions
et plus clairement, même si il demeure quelques points parfois obscurs lors de son
raisonnement.
Enfin, dans la décision n° 07-D-14 du 2 mai 2007 (relative à des pratiques mises en
oeuvre par la société Transmontagne, concessionnaire des remontées mécaniques sur la
station de ski de Pra-Loup), cette fois-ci dans le secteur des remontées mécaniques, le Conseil
devait analyser des pratiques tarifaires. Dans cette décision, il était question de plusieurs
pratiques tarifaires.
Tour d’abord, le Conseil a analysé la transmission tardive des tarifs de vente des
remontées mécaniques par la société en position dominante. Mais il a été jugé que « la
transmission tardive des tarifs de vente des remontées mécaniques par la société
Transmontagne, qui a concerné surtout la saison d’hiver 2001-2002, ne s'est pas inscrite dans
une stratégie visant à évincer les gestionnaires d’hébergement habilité tourisme de la station
de ski de Pra-Loup du marché du forfait touristique. Elle répondait simplement au souci de
respecter la procédure d’approbation de ces tarifs telle que celle-ci résulte de la convention
de délégation de service public du 24 décembre 1994 et de la convention de sous-traitance du
même jour ». Ainsi, la pratique se révélait justifiée en l’espèce puisqu’elle était le fait de la
collectivité et de la délégation. Cette décision alliée à la conclusion de la décision n°02-D-44
selon laquelle il ne pouvait y avoir de sanctions pécuniaire puisqu’« il n’[était] pas exclu que
les entreprises en cause n’aient pas pu s’affranchir des exigences formulées par les autorités
délégantes » semblent aller dans le sens d’une plausible justification lorsque la collectivité
impose la pratique à son délégataire. Mais comme on peut le lire dans la décision n° 06-MC03 relative à la desserte maritime Corse, le fait que la Commune autorise ou encourage une
pratique ne suffit pas. La lecture de toutes ces décisions nous conduit à dire qu’il faut que la
87
collectivité «impose » la pratique pour qu’elle puisse servir de fait justificatif. Concernant le
fait que la société Transmontagne utilisait des tarifs indicatifs, le Conseil n’y a vu aucune
pratique litigieuse à partir du moment où la société mettait tout le monde sur un pied d’égalité.
Enfin, l’autorité de concurrence s’intéresse aux remises sur les prix opérées par la société
Transmontagne afin de voir si celles-ci se révélaient discriminatoires et si la pratique avait
pour effet même potentiel d’évincer les concurrents. Il est d’ailleurs rappeler à cette occasion
que la remise doit générer des gains d’efficacité allant pour partie aux consommateurs
(comme nous avons pu le voir précédemment). Le Conseil se livre donc à une analyse précise
des grilles tarifaires. Nous ne nous livrerons pas à une étude exhaustive de chaque contrat,
mais nous pouvons dire que dans cette étude, l’autorité de la concurrence juge qu’il n y’avait
aucun effet d’évictions au niveau de ces grilles.
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relevées dans le secteur du transport scolaire de handicapés dans les Alpes-Maritimes
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Cons. Conc. Décision n°99-D-14 en date du 23 février 1999 relative à des pratiques
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Cons. Conc. , Avis n° 99-A-16 du 26 octobre 1999 relatif à une demande d’avis du
Conseil général du Nord sur les procédures de mise en concurrence relatives à
l’attribution de la gestion déléguée des services de transports interurbains et scolaires
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mesures conservatoires de la société Agence Alp Azur concernant des pratiques mises
en oeuvre sur le marché des tickets et forfaits d’accès aux remontées mécaniques de la
station de Pra-Loup
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Cons. Conc. Avis n° 00- A-12 du 31 mai 2000 relatif à une demande d'avis de la
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prix de l'eau en France
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Cons. Conc. Rapport annuel de 2001
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décision n° 99-MC-10 du 16 décembre 1999 relative à la société Transmontagne
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Cons. Conc , Décision n° 01-D-13 du 19 avril 2001relative à la situation de la
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Pas-de-Calais
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la société Vinci
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Cons. Conc, Décision n° 01-D-77 du Conseil de la concurrence en date du
27 novembre 2001 relative au secteur du transport scolaire dans le département de
l’Indre
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Cons. Conc. Décision n° 01-D-39 du 29 juin 2001 relative à une demande de la société
Agence Alp Azur concernant des pratiques mises en oeuvre sur le marché des tickets
et forfaits d’accès aux remontées mécaniques de la station de Pra-Loup
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Cons. Conc. Décision n° 02-MC-04 du 11 avril 2002 relative à une demande de
mesures conservatoires présentée par la société Antalis
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Cons. Conc Décision n° 02-D-44 du 11 juillet 2002 relative à la situation de la
concurrence dans les secteurs de l’eau potable et de l’assainissement, notamment en ce
qui concerne la mise en commun des moyens pour répondre à des appels à
concurrence
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Cons. Conc Avis n° 03-A-02 du 18 mars 2003 relatif aux conditions propres à assurer
le libre jeu de la concurrence entre les candidats lors d'une procédure de délégation de
service public
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Cons. Conc. Décision n° 04-D-39 du 3 août 2004 relative à des pratiques mises en
oeuvre dans les secteurs de l’abattage et de la commercialisation d’animaux de
boucherie
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Cons. Conc. Décision n° 05-D-58 du 3 novembre 2005 relative à des pratiques
relevées dans le secteur de l’eau potable en Ile-de-France
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constatées dans le secteur de la téléphonie mobile
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Cons. Conc. Avis n° 05-A-22 du 2 décembre 2005 relatif à une demande d’avis de
l’Association pour le maintien de la concurrence sur le réseau autoroutier (AMCRA)
sur les problèmes de concurrence pouvant résulter de la privatisation annoncée des
sociétés d’économie mixte concessionnaires d’autoroutes
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Cons. Conc. Décision n° 06-MC-02 du 27 juin 2006 relative à une demande de
mesures conservatoires présentée par la commune de Bouc Bel Air
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Cons. Conc. Décision n° 06-MC-03 du 11 décembre 2006 relative à des demandes de
mesures conservatoires dans le secteur du transport maritime entre la Corse et le
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Cons. Conc. Décision n° 07-D-13 du 6 avril 2007 relative à de nouvelles demandes de
mesures conservatoires dans le secteur du transport maritime entre la Corse et le
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Table des matières
Section I- Les différents types de positions dominantes analysés par le Conseil de la
concurrence ............................................................................................................................ 4
Section II - Les différentes pratiques d’abus de position dominante sanctionnées par le
Conseil.................................................................................................................................... 4
INTRODUCTION ............................................................................................................................ 7
Section I- La répartition des compétences posée par le Tribunal des conflits et la
réglementation ........................................................................................................................ 7
Section 2 : les règles posées par le Conseil de la concurrence en matière de délégation de
service public........................................................................................................................ 11
§1- Une distinction réalisée entre délégation de service public et marché public ?......... 11
§2 – les conditions posées par le Conseil à travers ses différents avis n°99-A-16 du 26
octobre 1999 ..................................................................................................................... 14
CHAPITRE I - LA DELIMITATION DU CONSEIL DE LA CONCURRENCE MARCHE PERTINENT EN
MATIERE DE DELEGATION DE SERVICE PUBLIC ........................................................................... 18
Section I Un marché pertinent définit par le croisement d’un appel d’offre et de
soumissions dans le cadre des ententes ................................................................................ 19
§1 La notion de marché pertinent en droit français de la concurrence............................. 19
§2 La délimitation du marché pertinent dans le cas d’ententes en matière de délégation
de service public............................................................................................................... 23
Section II Un marché pertinent limité au marché où sont actifs l’ensemble des opérateurs
susceptibles de répondre à un appel d’offre en matière d’abus de position dominante et de
concentration ........................................................................................................................ 31
§1 en matière de concentration......................................................................................... 31
§2 en matière d’abus de position dominante.................................................................... 34
CHAPITRE II -LES PRATIQUES SANCTIONNEES PAR LE CONSEIL DE LA CONCURRENCE EN MATIERE
DE DELEGATION DE SERVICE PUBLIC .......................................................................................... 56
Section 1- Les différents types de positions dominantes analysés par le Conseil................ 59
§1 L’abus de position dominante individuelle dans les secteurs de la délégation de
service public.................................................................................................................... 59
§2 L’abus de position dominante collective dans les secteurs de la délégation de service
public................................................................................................................................ 68
Section 2 - Les différentes pratiques d’abus de position dominante sanctionnées par le
Conseil de la concurrence..................................................................................................... 74
§1 La notion d’abus.......................................................................................................... 75
§2 Typologie des pratiques d’abus de position dominante .............................................. 76
CONCLUSION .................................................................................... Erreur ! Signet non défini.
BIBLIOGRAPHIE ......................................................................................................................... 89
I- Monographies et dictionnaires ..................................................................................... 89
IIArticles ..................................................................................................................... 90
III - Décisions, rapports et communications ........................................................................ 91
IVSites internets ........................................................................................................... 96
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