Droit public économique - AEDPA, le site de l`Association des
Transcription
Droit public économique - AEDPA, le site de l`Association des
UNIVERSITE PARIS-I PANTHEON-SORBONNE U.F.R. 01 DROIT ADMINISTRATION ET SECTEUR PUBLICS 12 PLACE DU PANTHEON 75005 PARIS Master 2 recherche : Droit public économique Mémoire en vue de l'obtention du master Session de juin 2007 « Délégation de service public et Conseil de la concurrence» Présenté par Jeoffrey Rambinintsoa Président du Jury : Monsieur le professeur Gérard Marcou Directeur de mémoire : Monsieur le professeur Laurent Richer, avocat au Barreau de Paris * * * * 1 2 REMERCIEMENTS Je voudrais avant tout sincèrement remercier mon directeur de mémoire et professeur, Monsieur Laurent RICHER, sans lequel ce travail n’aurait pu avoir lieu. Je tiens également à remercier mon directeur de Master, Monsieur le professeur Gérard MARCOU, pour m’avoir donné l’opportunité de poursuivre une formation dans un domaine que j’affectionne tout particulièrement, mais également pour son attention et ses conseils tout au long de l’année. 3 PLAN : INTRODUCTION Section I La répartition des compétences posée par le Tribunal des conflit et la réglementation Section II Les règles posées par le Conseil de la concurrence en matière de délégation de service public CHAPITRE I - LA DELIMITATION DU MARCHE PERTINENT DU CONSEIL DE LA CONCURRENCE EN MATIERE DE DELEGATION DE SERVICE PUBLIC Section I Un marché pertinent défini par le croisement d’un appel d’offre et de soumissions dans le cadre des ententes Section II Un marché pertinent limité au marché où sont actifs l’ensemble des opérateurs susceptibles de répondre à un appel d’offre en matière d’abus de position dominante et de concentration CHAPITRE II -LES PRATIQUES D’ABUS DE POSITION DOMINANTE SANCTIONNEES PAR LE CONSEIL DE LA CONCURRENCE EN MATIERE DE DELEGATION DE SERVICE PUBLIC Section I- Les différents types de positions dominantes analysés par le Conseil de la concurrence Section II - Les différentes pratiques d’abus de position dominante sanctionnées par le Conseil CONCLUSION BIBLIOGRAPHIE 4 Liste des abréviations : AJDA : Actualité juridique de droit administratif. Art. : Article. C.G.C.T : Code général des collectivités territoriales. CA : Cour d'appel. CAA : Cour administrative d'appel. Cass. : Cour de cassation. CC. : Conseil constitutionnel. CE : Conseil d'Etat. CEDH : Cour européenne des droits de l'homme. Chr. : Chronique. CJCE : Cour de justice des Communautés européennes. CJEG : Cahiers juridiques de l'électricité et du gaz. Concl. : Conclusions. D : Dalloz. DA : Droit administratif. Ed. : Edition. EDCE : Etudes et documents du Conseil d'Etat. GAJA : Grands arrêts de la jurisprudence administrative. Ibid : Ibidem (même référence). JCA : Jurisclasseur administratif. JCP : Jurisclasseur périodique ( la semaine juridique). JO : Journal officiel. LGDJ : Librairie générale de droit et de jurisprudence. LPA : Les petites affiches. Mél. : Mélanges. Obs. : Observations. Op. cit. : Opere citato (ouvrage cité). p. : Page. pp. : Pages. PUF : Presse universitaire de France. 5 RA : Revue administrative. Rec. : Recueil. RFDA : Revue française de droit administratif. RFDC : Revue française de droit constitutionnel. S : Recueil Sirey. t. : Tome. TA : Tribunal administrative. TC : Tribunal des conflits. Th. : Thèse. 6 « Il ne paraît y avoir ni opposition systématique entre le droit privé et le droit public, ni contradiction qui rendrait ces deux disciplines juridiques complètement étrangères l’une à l’autre, voire même irréductibles ; (…). Il reste que, quel que soit le qualificatif qui y est accolé, le droit trouve son unité nécessaire dans les exigences de la conscience juridique d’une époque déterminée : ses différentes branches reflètent, chacune avec les caractéristiques qui lui son propres, cet élément commun » (Monsieur le président ODENT, Cours de droit, Paris, 1980, p.34) « Le droit de la concurrence ne progressera en France que si sa mise en œuvre, d’une part est économiquement pertinente et, d’autre part, répond aux exigences de l’approche juridique » (Professeur Frédéric JENNY, Vice-président du Conseil de la concurrence entre 1993 et 20041 INTRODUCTION Section I- La répartition des compétences posée par le Tribunal des conflits et la réglementation L’ancien article 53 de l’ordonnance du 1er décembre1986 (actuel article L.410-1 du Code de commerce) dispose que « les règles définies au présent livre s’appliquent à toutes les activités de production, de distribution et de services, y compris celles qui sont le fait de personnes publiques ». Mentionnons aussi la loi n°87-499 du 6 juillet 1987, intervenue pour transférer le contrôle des décisions du Conseil de la concurrence au juge judiciaire. A priori la lecture de cet article et de cette loi ne posait pas fondamentalement de difficulté. Mais une certaine confusion s’est emparée de cet article 53. En effet, concernait-il le champ d’application du droit de la concurrence ou en réalité, uniquement le champ de 1 JENNY F. Préface de « délimitation du marché pertinent en droit Français de la concurrence », Bidaud L, Ed. Litec, 2001, p.IV 7 compétence du Conseil de la concurrence. Les premières réponses à la question de la répartition des compétences sont intervenues à travers la célèbre jurisprudence du Tribunal des conflits du 6 juin 1989, Préfet d’Île-de-France c/Saede/Ville de Pamiers2. Cette affaire est d’autant plus importante pour notre mémoire que les faits concernaient une délégation de service public. En l’espèce, la société anonyme d’exploitation et de distribution d’eau (S.A.E.D.E.) était chargée de la distribution de l’eau dans la Ville de Pamiers par le biais d’un contrat de gérance. La Ville de Pamiers a modifié les conditions de gestion du service public de la distribution de l’eau pour donner la gestion à la Lyonnaise des eaux en passant par un affermage. La S.A.E.D.E. avait formé devant le Tribunal administratif un recours pour excès de pouvoir et saisi le Conseil de la concurrence, estimant que la commune aurait échangé avant la mise en concurrence des informations avec la Lyonnaise des eaux. Le Conseil de la concurrence a refusé d’ordonner des mesures conservatoires à travers une décision du 17 mai 1988 au motif que la décision de la commune de conclure un contrat d’affermage n’était pas « un acte de production, de distribution et de services » et qu’il n’était pas compétent. La Cour d’appel, saisie de cette affaire, devait constater que la modification réalisée par la Commune « n’apparaît pas avoir été effectuée dans le respect de la libre concurrence » et a écarté l’incompétence. La question qui se posait était donc de savoir si la décision de la commune de confier la distribution de l’eau à une entreprise constituait une activité économique. Le Tribunal des conflits juge alors qu’ « il résulte de l’article 53 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 que les règles qui y sont définies ne s’appliquent aux personnes publiques qu’autant que celles-ci se livrent à des activités de production, de distribution et de services. L’organisation du service public […] n’est pas constitutive d’une telle activité. L’acte juridique de dévolution de l’exécution de ce service n’est pas, par luimême, susceptible d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur le marché. Il n’appartient en conséquence qu’aux juridictions de l’ordre intéressé de vérifier la validité de cet acte au regard des dispositions [..] de l’ordonnance susvisée». Il ressort de cette jurisprudence que le contrat de délégation de service public, dans la mesure où il organise le service public n’est pas susceptible de fausser la concurrence, du moins, du point de vue de la collectivité publique. Toutefois, le Tribunal invite les autorités administratives à analyser ces actes à travers le prisme du droit de la concurrence. Après cette décision, en 2 TC, 6 juin 1989, Préfet d’Île-de-France c/Saede/Ville de Pamiers ; RFDA 1989, 459, concl. STIRN ; AJDA 1989, 467, note BAZEX ; RDP 1989, 1780, note GAUDEMET, ; JCP 1990, II, 21395, note TERNEYRE 8 1993, le Conseil d’Etat a pu juger à travers un arrêt Compagnie générale des eaux que la décision de dévolution de la gestion d’un service public n’était pas susceptible de fausser le jeu de la concurrence. Il a abandonné cette position à travers trois arrêts en date du 3 novembre 1997, Société Million et Marais et autres 3 . Cette jurisprudence prévoit qu’une collectivité ne peut mettre une entreprise en situation de position dominante. Comme le souligne le professeur Richer, « la collectivité publique est sanctionnée non pas dans son comportement mais seulement dans sa production normative »4. Entre temps, le Tribunal des conflits a complété sa décision Ville de Pamiers dans sa décision du 4 novembre 1996, Société Datasport, et distingue d’une part les activités de production, de distribution et de services des personnes publiques soumises à l’ex article 53 et d’autre part, les décisions prises dans le cadre de mission de service public par les personnes publiques qui elles, ne sont pas soumises au droit de la concurrence et relèvent de la compétence des juridictions administratives. Cette distinction a conduit les juridictions judiciaires à s’appuyer parfois sur la théorie de la détachabilité pour se déclarer compétentes afin d’appréhender des pratiques « attachées » à un acte administratif comme les modalités de négociation d’un contrat en matière de mobilier urbain5. Les difficultés d’application de cette notion de détachabilité ont conduit le Tribunal des conflits à se pencher une nouvelle fois sur cette distinction dans un arrêt du 18 octobre 1999, Préfet de la région Ile-de-France, Préfet de paris, selon lequel, «si dans la mesure où elles effectuent des activités de production, de distribution ou de services, les personnes publiques peuvent être sanctionnées par le Conseil de la concurrence agissant sous le contrôle de l’autorité judiciaire, les décisions par lesquelles ces personnes assurent la mission de service public qui leur incombe au moyen de prérogatives de puissance publique relèvent de la compétence de la juridiction administrative pour en apprécier la légalité et, le cas échéant, pour statuer sur la mise en jeu de la responsabilité encourue par ces personnes publiques » (notons que cette citation sera reprise dans de nombreux arrêts par la suite6). Mais 3 CE, 3 novembre 1997 Société Million et Marais et autre (Rec. 393, concl. STAHL ; AJDA 1997, 1012, chron. GIRARDOT et RAYNAUD, p.945 ; et AJDA 1998, 247, note GUEZOU ; CJEG 1997, 441, concl. Stahl ; RFDA 1997, 1128, conc. STAHL ; RDP 1998, 256, note GAUDEMET, GAJA p.764 4 RICHER L. « Droit des contrats administratifs », L.G.D.J, 5e édition, 2006, p.215 5 Cons. Conc., décision n°98-D-52, 7 juillet 1998, relative à des pratiques relevées dans le secteur du mobilier urbain 6 par exemple, CA Paris 24 février 2004 (relatif au recours formé par Me Patrick DESOEUVRE contre la décision no 03-D-27 (*) rendue le 4 juin 2003 par le Conseil de la concurrence relative à des pratiques de la maison de justice et du droit du quartier Saint-Christophe de Cergy-Pontoise (Val-d’Oise)) 9 surtout, dans cet arrêt, le Tribunal indique que les décisions rattachables et indissociables à l’exercice de prérogatives de puissance publiques sont de la compétence des autorités administratives et les actes détachables sont de la compétence des autorités judiciaires. Il n’en demeure pas moins, que malgré cette décision, la notion de détachabilité n’est pas toujours claire. De plus, l’articulation entre l’intervention des autorités administratives et judiciaires peut parfois poser des difficultés. Pour preuve, nous pouvons citer la décision n°03-D-33 en date du 3 juillet 2003 rendue par le Conseil de la concurrence. Il s’agissait en l’espèce de pratiques liées à la régie municipale des pompes funèbres de Toulouse. Le Conseil s’estimait incompétent puisqu’il estimait en l’espèce que les décisions étaient prises dans le cadre de missions de service public par la commune et dans l’exercice de prérogatives de puissance publique (en somme, suivant les conditions posées par l’arrêt du Tribunal des conflits de 1999). Or d’après l’arrêt du Tribunal des conflits du 15 janvier 1968, Epoux Barbier, en cas de service public industriel et commercial, seuls les actes réglementaires relatifs à l’organisation du service sont administratifs. La solution n’était donc pas évidente et méritait d’être discutée7. Nous pouvons aussi reprendre des décisions récentes (qui feront d’ailleurs l’objet de développement complet dans le corps de notre mémoire) rendues à la fois par le Conseil de la Concurrence et par le juge administratif en matière de délégation de service public du transport maritime entre Marseille et la Corse8. Il est intéressant de relever que le Conseil de la Concurrence indique qu’il n’est pas compétent concernant l’éventuelle entente entre la collectivité et la société en cause en raison du fait qu’il ne s’agissait pas d’un acte détachable des actes de puissances publiques (« le règlement particulier de l'appel d'offres lancé pour l'attribution de la délégation de service public relative aux liaisons maritimes entre Marseille et la Corse, de même que la dévolution de cette délégation au (ou aux) candidat(s) retenu(s) à l'issue de cet appel d'offres, constituent des actes par lesquels la collectivité territoriale de Corse et l'OTC font usage, pour l'organisation du service public de continuité territoriale entre la Corse et le continent, de prérogatives de puissance publique »). Il se déclare en revanche compétent pour appréhender l’éventuel abus de position dominante de l’opérateur. Si ces deux décisions sont une bonne illustration de la répartition des compétences entre les autorités administratives et judiciaires et du respect de cette répartition par les autorités, elles démontrent aussi, par leurs approches différentes (nous nous concentrerons uniquement sur la décision du Conseil de la concurrence dans le cadre de ce 7 Sur le sujet,NICINSKI S. Droit public de la concurrence, L.G.D.J, 2005, p150 Cons. Conc. Décision n°06-MC-03, 11 décembre 2006, relative à des demandes de mesures conservatoires dans le secteur des transports maritimes entra la Corse et le continent et CE, ord., 15 décembre 2006, Société Corsica Ferries, Juris-Data n°2006-071183 ; Contrats-Marchés publiques 2006, comm.53 8 10 mémoire) qu’il peut exister certaines interférences, comme l’indique le professeur Michel Bazex, « dans la mesure où le comportement de l’entreprise sanctionnée ne pouvait être parfaitement « déconnectée » de la procédure de passation de la convention de délégation de service public »9. Cette répartition peut donc parfois prêter à confusion10. Mentionnons également qu’au titre de l’article L.430-9 du Code de commerce, « Le Conseil de la concurrence peut, en cas d'exploitation abusive d'une position dominante ou d'un état de dépendance économique, demander au ministre chargé de l'économie d'enjoindre, conjointement avec le ministre dont relève le secteur, par arrêté motivé, à l'entreprise ou au groupe d'entreprises en cause de modifier, de compléter ou de résilier, dans un délai déterminé, tous accords et tous actes par lesquels s'est réalisée la concentration de la puissance économique qui a permis les abus même si ces actes ont fait l'objet de la procédure prévue au présent titre ». Cet article a été utilisé pour la première fois par le Conseil de la concurrence à travers sa décision n°02-D-44 du 11 juillet 2002 rendue à propos des pratiques de la Compagnie générale des eaux et de la Lyonnaise des eaux. Soulignons que le Conseil d’Etat a pu se déclarer compétent dans son arrêt du 7 novembre 2005 au titre d’un recours formé à l’égard d’une décision rendue par le Conseil de la concurrence en application de l’article L. 430-9 du Code de commerce, la compétence de la Cour d’appel Paris ne concernant que les décisions « contentieuses du Conseil de la concurrence »11. Section 2 : les règles posées par le Conseil de la concurrence en matière de délégation de service public Nous pourrons voir l’approche théorique de la notion de délégation de service public par le Conseil de la concurrence (§1) puis les recommandations qu’il a pu faire en la matière (§2) §1- Une distinction réalisée entre délégation de service public et marché public ? 99 BAZEX M., « Règles de concurrence et contrôle par le juge administratif », Contrats concurrence consommation, n°2, p 214 10 LONG, M. « Point de vue : délégation de service public et droit de la concurrence », Les Petites Affiches, 4 septembre 1995 n°106, p.4 et BRECHON-MOULENES, C., AJDA 1994, n°spécial, p121-122 11 RICHER L., JEANNENEY P-A, CHARBIT, NO., « Compétence juridictionnelle, Le Conseil d’Etat est compétent sur une décision du Conseil de la concurrence », AJDA 2005, chroniques, p.2377 11 Le professeur Chapus définit « la gestion déléguée » comme « une technique, à la fois traditionnelle et renouvelée, par laquelle la gestion d’un service public est confiée à (notamment) un organisme de droit privé »12. Dans le silence de la loi, la jurisprudence a défini la concession comme « le contrat qui charge un particulier ou une société d’exécuter un ouvrage public ou d’assurer un service public, à ses frais, avec ou sans subvention, avec ou sans garantie d’intérêt, et que l’on rémunère en lui confiant l’exploitation de l’ouvrage public ou l’exécution du service public avec le droit de percevoir des redevances sur les usagers de l’ouvrage ou sur ceux qui bénéficient du service public »13. Par la suite, la loi n°2001-1168 du 11 décembre 2001 portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier dite « MURCEF », reprise par l’article 1411-1 du Code générale des collectivités territoriales, est venue définir la délégation de service public comme « un contrat par lequel une personne morale de droit public confie la gestion d'un service public dont elle a la responsabilité à un délégataire public ou privé, dont la rémunération est substantiellement liée aux résultats de l'exploitation du service. Le délégataire peut être chargé de construire des ouvrages ou d'acquérir des biens nécessaires au service ». Il est d’usage de distinguer le marché public de la délégation de service public, notamment en raison du critère de la rémunération par les usagers mais aussi du critère de l’objet du contrat (selon qu’il s’agit pour la collectivité d’acquérir un bien ou un service, ou qu’il s’agisse de l’exploitation d’un service public). Si la distinction comporte des finesses que nous n’aborderons pas ici, il faut préciser que suivant la qualification du contrat, la procédure de passation est différente, les marchés publics étant soumis au Code des marchés publics, et la délégation de service public, à la procédure prévue par la loi n°93-122 du 29 janvier 1993 dite « loi Sapin ». Cette distinction posée, il convient de s’interroger sur le fait de savoir si le Conseil de la concurrence respecte cette distinction. Nous pouvons préalablement indiquer que le Conseil en tient indirectement compte du fait des règles de répartition des compétences indiquées précédemment. En effet, si les règles de répartition ont posé tant de difficultés en matière de délégation de service public, c’est principalement en raison du lien fort existant entre la délégation de service public, l’organisation du service public et les prérogatives de puissance publique. 12 13 CHAPUS R., Droit administratif général Tome 1, Montcherstien, 15e édition, 2001, p.173 C.E., 30 mars 1916, Compagnie générale de l’éclairage de Bordeaux, RDP 1916, 213 ; GAJA, p.184 12 En dehors de la question de la compétence de l’autorité de la concurrence, il est possible de remarquer que le Conseil de la concurrence s’est rarement posé la question de savoir s’il devait y avoir des distinctions entre délégation de service public et marché public (nous pourrons aussi le voir à travers les décisions étudiées). Mais à ce sujet, l’avis n°99-A-16 du 26 octobre 199914 a pu susciter notre intérêt. En effet, dans cette affaire, le Conseil de la Concurrence a pu rappeler la distinction opérée par les juridictions administratives entre la délégation de service public et un marché public, la position communautaire et s’interroger sur l’exercice du droit de la concurrence au regard de cette distinction. L’autorité de la concurrence reprend l’ex article 53 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 selon lequel « les collectivité publiques ont l’obligation de se conformer à ces dispositions et de ne pas favoriser l’exercice de telles pratiques par les entreprises auxquelles elles font appel, quelle que soit la qualification juridique de la procédure retenue, délégation de service public ou marché public. Il leur appartient, certes, de choisir le type de procédure qu’elles souhaitent retenir, mais, après avoir opté pour l’une d’elles, elles ont pour obligation d’observer les règles qui lui sont applicables ». Elle précise que la Commission européenne prévoit une certaine spécificité à la concession tout en indiquant que « la Commission est d’avis que, même si la directive n° 93/38/CEE relative aux marchés passés par les entités opérant dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des communications, ne contient de règles spécifiques, ni sur les concessions de travaux, ni sur les concessions de services, il est possible pour examiner les concessions au regard de la concurrence de s’inspirer des dispositions contenues dans cette directive ainsi que de celles concernant les procédures de passation des marchés publics de services ». La lecture de ces éléments nous conduit à penser que le Conseil ne souhaite pas véritablement que le droit de la concurrence opère une distinction. Il semble admettre la spécificité de la concession mais souhaite appliquer de manière uniforme le droit de la concurrence aux marchés publics et aux délégations. Ensuite, le Conseil compare la subdélégation et la sous-traitance (en cas de marchés publics et de délégations de service public), s’intéresse au groupement d’entreprises et à la 14 Cons. Conc. ,Avis n° 99-A-16 du 26 octobre 1999 relatif à une demande d’avis du Conseil général du Nord sur les procédures de mise en concurrence relatives à l’attribution de la gestion déléguée des services de transports interurbains et scolaires 13 question du bilan économique. A propos des subdélégations, l’autorité indique qu’elles ne sont pas visées par la loi sur la sous-traitance et que la loi de 1993 est silencieuse sur ce sujet. Le Conseil de la concurrence conclut en indiquant que « la mise en concurrence du choix des subdélégataires par l’entreprise ou le groupement bénéficiaire de la délégation de service public constituerait incontestablement un principe de précaution utile pour l’autorité délégante ». Ce point renforce selon nous ce que nous avons pu dire précédemment. En effet, malgré le fait que la loi de 1993 n’indique rien à propos des subdélégations, le Conseil invite, en s’inspirant de la loi sur la sous-traitance, à ce que les subdélégations soient mises en concurrence. L’avis prévoit ensuite que concernant les décisions qu’il a pu rendre concernant des pratiques commises en matière de groupement d’entreprise à l’occasion de marchés publics, « le Conseil est d’avis qu’un effet similaire pourrait également découler de la participation de l’ensemble des entreprises retenues par un maître d’ouvrage ou une autorité délégante à un ou plusieurs groupements ». La conclusion de la lecture de cet avis, qui se verra confirmer dans notre mémoire, est que le Conseil ne réalise pas véritablement de distinction entre marché public et délégation de service public, hormis peut être dans les avis que nous allons étudier ci-après. §2 – les conditions posées par le Conseil à travers ses différents avis n°99-A-16 du 26 octobre 1999 En la matière, le Conseil de la concurrence a rendu l’avis n° 03-A-02. Dans son avis n°03-A-02, le Conseil rappelle d’emblée que « la vocation générale du droit de la concurrence à s'appliquer à toute activité économique (article L. 410-1 du code de commerce) doit être rappelée et ceci indépendamment des règles résultant, par ailleurs, du code des collectivités territoriales (procédure de délégation de service public) ou du droit des sociétés (définition d'une filiale) ». Comme nous avons pu le voir à travers l’avis n°99-A-16 du 26 octobre 199915, le Conseil tient à indiquer l’indépendance du droit de la concurrence vis-à-vis des procédures choisies par la collectivité publique, notamment la délégation de service public. Il reprend d’ailleurs à cet égard dans cet avis sa jurisprudence dans le secteur des marchés publics selon laquelle le marché de référence est défini par l’appel d’offre, lieu de confrontation de la demande de la collectivité et de l’offre des candidats. Il fait certains 15 Cons. Conc. ,Avis n° 99-A-16 du 26 octobre 1999 relatif à une demande d’avis du Conseil général du Nord sur les procédures de mise en concurrence relatives à l’attribution de la gestion déléguée des services de transports interurbains et scolaires 14 rappels sur l’application du droit de la concurrence et précise qu’en matière d’entente, « il suffit, pour retenir la qualification, qu'au moins l'une des parties à l'accord soit une entreprise. Il en résulte qu'un syndicat professionnel ou une association peut être considéré comme constituant une entente ». Cette position concernant la qualité des parties à l’entente est aujourd’hui plus floue, notamment sous l’influence du droit communautaire et comme on peut l’observer à travers la position du Conseil dans l’affaire Commune de Bouc-Bel-Air (que nous aurons l’occasion de développer dans le cœur de ce devoir), où l’autorité de la concurrence se montrera plus prudente. A propos du cas particulier des appels d’offre, le Conseil élabore quelques prescriptions d’ordre général. Tout d’abord, à la question des liens existants entre les entreprises candidates, l’autorité de la concurrence prévoit qu’ « une interdiction sans nuance de tous liens entre entreprises candidates à un même marché n'est pas pour autant concevable ; il convient donc d'examiner, dans chaque cas d'espèce, si les principes précédemment évoqués ont été respectés, préservation de l'indépendance de chaque opérateur, particulièrement dans ses propositions de prix, maintien de l'incertitude quant aux stratégies des candidats concurrents, et libre accès au marché ». Il reprend d’ailleurs sans le citer son précédent avis à l’égard des subdélégations pour lesquelles une attention particulière doit être apportée. Le Conseil indique qu’en cas de lien entre les entreprises candidates, la collectivité doit en être informée et ce, même si les entreprises décident finalement de déposer leurs offres individuellement et non collectivement. De même, les groupements ne sont pas interdits par nature, mais il ne doivent pas constituer une barrière et empêcher l’accès à d’autres concurrents non membres du groupement. Enfin, il envisage le cas d’une relation entreprise(s) mère(s)/fille, indiquant qu’il n’y a pas dans ce cas d’interdiction de principe mais que l’offre de la société fille doit être indépendante, personnelle et qu’il ne doit pas y avoir de concertation ou d’échange d’information entre les deux entreprises (sauf dans le cas où une ou plusieurs entreprises mères ne donnent aucune autonomie à la société filiale et décident de ne déposer qu’une seule offre). Dans tous les cas, il est recommandé d’informer la collectivité. Ensuite, le Conseil traite du rôle des collectivités, celles-ci devant s’assurer du respect de l’égalité des candidats, du libre jeu de la concurrence, tout précisant que le manque de vigilance de la collectivité ne permet pas de justifier le comportement des entreprises 16 16 . CA Paris, 4 juillet 1994, « sociétés SCREG Est et autres » 15 L’autorité rappelle le droit applicable en la matière, à savoir la compétence du juge administratif pour appliquer le droit de la concurrence aux actes des collectivités, mais aussi la possibilité pour les collectivités de saisir le Conseil de la concurrence ( « Le Conseil de la concurrence peut être saisi par le ministre de l'économie de toute pratique mentionnée aux articles L. 420-1 [répression des ententes], L. 420-2 [répression des abus de positions dominantes] et L. 420-5 [prix de vente abusivement bas]. Il peut se saisir d'office ou être saisi par les entreprises ou, pour toute affaire qui concerne les intérêts dont ils ont la charge, par les organismes visés au deuxième alinéa de l'article L. 462-1 [cet article vise, notamment, les collectivités territoriales] » ». Soulignons que le Conseil met particulièrement en garde la collectivité sur l’égalité d’accès aux informations communiquées par la collectivité (l’asymétrie d’information) et aussi la durée de la délégation sachant que plus la durée est longue, plus le risque d’abus de position dominante est important. Au final, le Conseil de la concurrence semble avoir deux objectifs directeurs : qu’il existe une autonomie totale entre les offres déposées et la plus grande incertitude possible quant à l’issue de la procédure d’appel d’offre17. Enfin, nous pouvons relever l’avis n°05-A-22 rendu en matière de concession d’autoroute. Si plusieurs questions se posaient dans cette affaire, la question la plus importante était sans doute de savoir si les marchés passés par les sociétés d’économie mixte nationale privatisées concessionnaires d’autoroute étaient soumis au Code des marchés publics. Le Conseil recommande plusieurs mesures pour encadrer cette privatisation : « d’assurer la pérennité en tant que personnes juridiques distinctes des sociétés concessionnaires privatisées, ce qui exclut leur fusion avec d’autres entreprises ou l’intégration, dans leur périmètre d’activité, de services qu’elles n’assurent pas déjà elles mêmes; de réintroduire explicitement, en ce qui concerne les marchés de travaux, l’obligation de respecter les critères de choix qui s’imposaient aux Semca avant leur privatisation, en précisant à partir de quels seuils de commande, les obligations de publicité, de mise en concurrence et d’intervention des commissions consultatives selon des procédures adéquates doivent intervenir, sans négliger les marchés de services et de fournitures ; de clarifier le rôle des commissions des marchés placées auprès de chaque société, en les dotant d’un véritable pouvoir d’approbation dans le choix des titulaires des appels d’offres ». Ces mesures ont cela de surprenant qu’elles 17 Voir sur l’avis, DELACOUR. E, « Procédure de DSP : Le Conseil de la concurrence « Veille au grain » », , Contrats et marchés publics, Août-Septembre 2003, p 24 16 imposent en réalité la soumission de concessionnaires privés aux procédures du Code des marchés publics alors même que la réglementation ne le prévoit pas. 17 Comme nous l’avons vu dans notre introduction, le Conseil de la concurrence adopte une approche bien spécifique, relativement méconnue des publicistes lorsqu’il aborde des ententes et des abus de positions dominantes en matière de délégation de service public. Tout l’objet de ce mémoire sera de tenté d’analyser et de comprendre le mode de raisonnement du Conseil lorsqu’il doit faire face à un cas de délégation de service public. Cette étude nous conduira finalement à observer le mode d’analyse parfois relativement obscur du Conseil. A cet égard, notre mémoire se concentrera essentiellement sur l’analyse du raisonnement du Conseil, parfois assez complexe, concernant les pratiques en matière de délégation de service public. Dans cette analyse, il sera intéressant d’étudier la délimitation des marchés pertinents selon que le Conseil sanctionne des ententes ou des abus de position dominante dans le cadre de délégation de service public et ce, suivant les phases de la vie d’une délégation (appel d’offre, exécution) (chapitre I). Puis, nous tenterons de décrypter les pratiques en la matière et la manière dont le Conseil les a abordé (chapitre II) CHAPITRE I - LA DELIMITATION DU CONSEIL DE LA CONCURRENCE MARCHE PERTINENT EN MATIERE DE DELEGATION DE SERVICE PUBLIC Dans son rapport annuel de 2001, le Conseil de la concurrence pose sa méthode de définition du marché pertinent dans le cadre d’un appel d’offre. Les délégations de service public étant soumises à la loi Sapin de 1993, elles sont soumises à une procédure d’appel d’offre. L’autorité prévoit deux cas. Le premier, celui d’une entente, et le deuxième, celui d’un abus de position dominante. Dans le cadre d’une entente, le marché pertinent est défini par la rencontre entre l’offre et la demande, à savoir le marché lui-même (« en matière de marchés publics, ainsi que la cour d’appel de Paris l’a énoncé dans un arrêt du 12 décembre 2000, le marché qui fait l’objet d’un appel d’offres constitue en soi le marché pertinent au sens du droit de la 18 concurrence »18). En revanche, en matière d’abus de position dominante le Conseil ne retient pas la rencontre de l’offre et de la demande comme marché pertinent. Le marché retenu est alors « le marché plus général où sont actifs l’ensemble des opérateurs susceptibles de répondre à l’appel d’offres concerné »19. Nous sommes donc amené à étudier successivement la méthode de délimitation du marché pertinent en cas d’entente (section 1) puis en cas d’abus de position dominante (section 2). Section I Un marché pertinent définit par le croisement d’un appel d’offre et de soumissions dans le cadre des ententes Nous nous attacherons tout d’abord à brièvement poser la notion de marché pertinent en droit français de la concurrence (§1) pour ensuite analyser la délimitation du marché pertinent dans le cas d’ententes en matière de délégation de service public (§2) §1 La notion de marché pertinent en droit français de la concurrence Le marché pertinent est défini par le Conseil de la concurrence comme « le lieu sur lequel se rencontrent l'offre et la demande pour un produit ou un service spécifique. En théorie, sur un marché, les unités offertes sont parfaitement substituables pour les consommateurs qui peuvent ainsi arbitrer entre les offreurs lorsqu'il y en a plusieurs, ce qui implique que chaque offreur est soumis à la concurrence par les prix des autres […].Une substituabilité parfaite entre produits ou services s'observant rarement, le Conseil regarde comme substituables et comme se trouvant sur un même marché les produits ou services dont on peut raisonnablement penser que les demandeurs les considèrent comme des moyens alternatifs entre lesquels ils peuvent arbitrer pour satisfaire une même demande »20. 18 Décision n°01-D-17 du 21 avril 2001 relative à des pratiques anticoncurrentielles dans les marchés d’électrification de la région du Havre 19 Rapport annuel du Conseil de la concurrence de 2001, voir décision 01-D-08, 01-D-46 et 01-D-66 rendu par le conseil de la concurrence 20 Rapport annuel du Conseil de la concurrence de 2001 19 La Commission européenne définit quant à elle « un marché de produits en cause [comme comprenant] tous les produits et/ou services que le consommateur considère comme interchangeables ou substituables en raison de leurs caractéristiques, de leur prix et de l'usage auxquels ils sont destinés. Le marché géographique en cause comprend le territoire sur lequel les entreprises concernées sont engagées dans l'offre des biens et services en cause, sur lequel les conditions de concurrence sont suffisamment homogènes et qui peut être distingué de zones géographiques voisines parce que, en particulier, les conditions de concurrence y diffèrent de manière appréciable"21. Le marché pertinent est donc un lieu de confrontation entre l’offre et la demande de produits substituables entre eux et non substituables à d’autres biens et services. Il comprend donc trois composantes. La rencontre d’une offre et d’une demande, sur un marché de produits ou de services et dans une aire géographique déterminée. La délimitation matérielle pose la question de la substituabilité. La substituabilité est généralement établie par rapport à la demande (par le biais d’étude du comportement des demandeurs afin d’analyser l’interchangeabilité des produits au niveau de la demande). Ce n’est généralement que subsidiairement que la substituabilité est établie par rapport à l’offre (la question étant, si le prix d’un produit augmente, les concurrents peuvent ils récupérer le marché). Le prix est aussi un critère important de délimitation du marché. Pour rappeler brièvement les origines de la notion de marché pertinent, il est issu du droit américain. Par le biais de la loi Sherman act datant de 1890 à l’encontre des groupements d’entreprises, aussi appelés « trust », visant à empêcher les ententes restreignant les échanges, la question de la définition du « relevant market »22 s’est posée. Cette définition a vu son champ progressivement balisé à l’aide de critères posés à travers diverses jurisprudences, notamment la jurisprudence Brown Shoe23. Ce concept est apparu sur le continent européen avec le traité CECA (Communauté économique du charbon et de l’acier) puis plus précisément avec le règlement n°4064/89 sur les concentrations. Dans le courant des années 70, la jurisprudence européenne reprendra la notion de marché pertinent. Pour ne citer qu’un exemple, l’arrêt de la Cour de justice des 21 Rapport annuel du Conseil de la concurrence de 2001 et Communication relative à la définition du marché en cause aux fins du droit communautaire de la concurrence (JO C 372 du 9.12.1997, p. 5) 22 *marché pertinent 23 Brooke Group Ltd. v. Brown & Williamson Tobacco Corp, 509 U.S. 209 (1993) 20 communautés européennes, Continental Can, en date du 21 mars 197324, expose que « […] tant dans l’appréciation de la position dominante de SLW […] que dans celle des conséquences de la concentration litigieuse, la délimitation du marché en cause est d’une importance essentielle, les possibilités de concurrence ne pouvant être appréciées qu’en fonction des caractéristiques des produits en causes ». Si indirectement, la notion de marché pertinent est apparue relativement tôt en France, notamment par le décret du 9 août 1953 interdisant les pratiques susceptibles de porter atteinte au fonctionnement normal du marché, l’utilisation du concept de marché comme outil d’analyse permettant l’application des règles de concurrence est intervenue tardivement. Deux événements vont marquer les débuts de l’introduction de la notion de marché pertinent en France. Tout d’abord, la loi du 19 juillet 1977 a créé la Commission de la concurrence. Cette autorité (futur Conseil de la concurrence) apportera un nouveau souffle et introduira dans ses raisonnements visant à appréhender les comportement anticoncurrentiels la question du marché pertinent (pour illustration, un avis de la Commission de la concurrence du 18 octobre 1979 relatif au secteur du vinaigre dans lequel la Commission délimita le marché en cause). Mais l’événement le plus marquant dans cette dynamique est sans doute l’Ordonnance n°86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence toujours en vigueur. Si l’Ordonnance emploie spécifiquement le terme de « marché » dans le contrôle des concentrations, nous nous intéresserons principalement dans le cadre de notre exposé à l’article 7, 8 et 38 de la dite Ordonnance. L’article 7 (article L.420-1 du Code de commerce) pose à propos des ententes que « […] sont prohibées, lorsqu’elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché […] ». L’article 8 (article L.420-2 du Code de commerce) vise quant à lui la position dominante. Il indique qu’ « […] est […] prohibée […] l’exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d’entreprises […] d’une position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci […] ». Enfin, l’article 38 relatif aux concentrations pose que « tout projet de concentration ou toute concentration de nature à porter atteinte à la concurrence notamment par création ou renforcement d'une position dominante peut être 24 CJCE 21fév.1973, Europemballage Corporation et Continental Can Inc. c/ Commission, Aff.6/72, Rec. P.215, op.cit 21 soumis, par le ministre chargé de l'économie, à l'avis du Conseil de la concurrence. Ces dispositions ne s'appliquent que lorsque les entreprises qui sont parties à l'acte ou qui en sont l'objet ou qui leur sont économiquement liées ont soit réalisé ensemble plus de 25 p. 100 des ventes, achats ou autres transactions sur un marché national de biens, produits ou services substituables ou sur une partie substantielle d'un tel marché, soit totalisé un chiffre d'affaires hors taxes de plus de sept milliards de francs, à condition que deux au moins des entreprises parties à la concentration aient réalisé un chiffre d'affaires d'au moins deux milliards de francs ». Avant d’aller plus avant dans le cadre de notre étude, deux remarques peuvent être apportées. D’une part, la délimitation du marché pertinent se fait de manière contradictoire devant le Conseil de la concurrence. Précisons à ce propos que depuis une jurisprudence France-Loisirs25, la Cour de cassation peut exercer un contrôle sur la définition du marché pertinent. D’autre part, le degré d’application du concept de marché pertinent dépend du cas visé par le Conseil, dans notre cas, suivant qu’il s’agit d’une entente, d’un abus de position dominante ou d’une concentration. Si nous avons exposé la définition du marché pertinent posée par le Conseil de la concurrence ou la Commission européenne et malgré l’importance de ce concept pour la mise en œuvre des règles de concurrence, la doctrine s’accorde à dire qu’il s’agit d’un outil difficile d’application et complexe26. Comme le souligne M. Laila Bidaud 27 , cette difficulté est liée à l’absence de règles encadrant ce marché pertinent (au niveau français28) et de neutralité vis-à-vis des règles de concurrence (une application différente en fonction de l’objectif poursuivi). En effet, si en matière d’abus de position dominante, la délimitation du marché pertinent est essentielle, la délimitation n’est pas forcément systématique en matière d’entente29, celle25 Cass.com.10mars 1992, aff. France-loisirs, BOCCRF 21 mars 1992 M.PEDAMON, Droit commercial, Ed, Dalloz, 1994, p475 ; J.A. VAN DAMNE, La politique de la concurrence dans la CEE, Ed. U.G.A., 1990, p.192 ; J.MEGRET, J.V.LOUIS ; D.VIGNES, M.WAELBROECK, Le droit de la Communauté Economique européenne , etc… 27 L.BIDAUD, La délimitation du marché pertinent en droit français de la concurrence, Ed. Litec, 2001, p.27 28 Au niveau européen, il existe la communication relative à la définition du marché en cause aux fins du droit communautaire de la concurrence (JO C 372 du 9.12.1997, p. 5) 29 L.BIDAUD, La délimitation du marché pertinent en droit français de la concurrence, Ed. Litec, 2001, p.21 26 22 ci visant à définir le degré d’atteinte à la concurrence. De plus, cette complexité est renforcée par l’influence des théories économiques ou des politiques économiques au moment de la délimitation du marché, mais aussi par l’appréhension souvent difficile de la substituabilité dans la définition du marché pertinent. A la lumière des définitions précitées, il convient pour délimiter le marché pertinent de s’interroger quant à la délimitation matérielle du marché (la question de la substituabilité) puis sa délimitation géographique. Ces rappels préalables posés, nous étudierons donc ci-après dans chaque cas ces deux aspects, afin de tenter de dégager le raisonnement du Conseil de la concurrence dans sa délimitation de marché pertinent en matière de délégation de service public. §2 La délimitation du marché pertinent dans le cas d’ententes en matière de délégation de service public Les ententes sont prohibées au titre de l’article 81 du traité des communautés européennes (traité CE) et de l’article L.420-1 du Code de commerce. L’article 81 pose que « sont incompatibles avec le marché commun et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun […] ». De la même façon, l’article L.420-1 prévoit que « sont prohibées même par l'intermédiaire direct ou indirect d'une société du groupe implantée hors de France, lorsqu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions […] ». Ainsi, pour déterminer cet « effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché », la question de la délimitation du marché pertinent pour analyser l’effet anticoncurrentiel sur ce marché se pose avec acuité (malgré les réserves que nous avons apporté précédemment sur l’application de la notion de marché pertinent par le Conseil de la concurrence en matière d’entente). 23 Dans le domaine des délégations de service public, il est généralement d’usage de présenter la décision du Conseil de la Concurrence du 17 mai 1988 concernant le contrat de gérance du service des eaux de la Ville de Pamiers comme point de départ. Mais comme le rappel l’arrêt de la Cour d’appel de Paris (1re chambre, section H) en date du 18 février 200330, « l’ancienne Commission de la concurrence avait émis le 28 octobre 1980 l’avis d’infliger une sanction pécuniaire aux sociétés CGE et SLDE pour entente à l’occasion de la soumission à des marchés de travaux, et recommandé aux deux groupes, notamment, de ne plus associer leurs moyens dans le domaine de la gestion de la distribution de l’eau lorsqu’ils sont en mesure de mettre en œuvre ces moyens de façon séparée et concurrentielle ». Remarquons que déjà, à l’époque, la Société lyonnaise des Eaux Dumez (SLED) s’était défendue en indiquant que la distribution de l’eau était un marché national unique comprenant à la fois des sociétés privées et des régies. La Commission de la concurrence avait alors rejeté cet argument au motif que les régies ne concurrençaient pas les entreprises. De même, à travers cet avis, la Commission de la concurrence avait posé que dans le domaine de la distribution de l’eau, « la forte concentration du secteur privé sur le marché de la distribution de l’eau [qui] confère à l’offre un caractère national ». Cet avis fournit un exemple intéressant de délimitation du marché dans un secteur où le contrat de délégation de service public à toute son importance. Il sera d’ailleurs repris à mainte reprise, notamment dans l’Avis n° 00-A-12 du 31 mai 2000 rendu par le Conseil de la concurrence à propos du prix de l’eau, sensibilisant les collectivités sur la nécessité de ne pas privilégier le candidat sortant lors de la remise en concurrence de la délégation de service public. Par la suite, dans la décision n°88-D-24 du 17 mai 1988 (Ville de Pamiers), prise par le Conseil de la concurrence après l’entrée en vigueur de l’Ordonnance de 1986, la question se posait plus en terme de qualification de la nature de l’activité (économique), la qualification d’activité économique étant un préalable à la délimitation du marché pertinent. Nous avons d’ailleurs choisi d’écarter cette étape du raisonnement dans le cadre de notre mémoire, mais il est clair qu’avant toute chose, il convient de qualifier la nature de l’activité afin de savoir s’il s’agit ou non d’une activité économique. 30 Arrêt de la cour d’appel de Paris (1re chambre, section H) en date du 18 février 2003 relatif au recours formé par la Compagnie générale des eaux contre la décision no 02-D-44 (*) du Conseil de la concurrence en date du 11 juillet 2002 relative à la situation de la concurrence dans les secteurs de l’eau potable et de l’assainissement, notamment en ce qui concerne la mise en commun des moyens pour répondre à des appels à concurrence 24 La principale étape en la matière a sans doute été la loi n°93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques. Cette loi a mis en place une véritable procédure de passation et permis au Conseil d’exercer un contrôle en se reposant sur cette procédure. En matière de détermination des marchés pertinents, cette procédure a aussi eu un impact puisque le Conseil de la concurrence, comme en matière de marché public, considère que dans le cadre d’une entente, le marché pertinent est défini par la rencontre entre l’offre et la demande, à savoir le marché lui-même. A- La délimitation du marché pertinent dans le cas spécifique d’ententes en matière de délégation de service public Dans le cadre du présent paragraphe, nous étudierons la définition de marché pertinent par secteur et dans le cadre des ententes. En matière de transports urbains, la première décision du Conseil en la matière est l’Avis n°87-A-04 du 19 mai 1987 relatif à la réglementation des tarifs des transports publics urbains de voyageurs visé par le décret n°87-538 du 16 juillet 1987. En l’espèce, le Conseil a considéré que « les tarifs acquittés par les usagers n’atteignent que 50 à 55% des coûts d’exploitation des réseaux, le surplus étant couvert par les subventions des collectivités organisatrices ; que dés lors, les transports urbains, dont les coût d’utilisation pour l’usager sont très sensiblement inférieurs à ceux des autres formes de transport, ne peuvent être considérés comme étant, dans les faits substituables à ces dernières ». Ainsi, dans cette décision, le Conseil de la concurrence estime que les transports urbains constituent un marché spécifique après une analyse du prix inférieur aux autres modes de transport, sur un marché créé par la rencontre entre l’offre de l’entreprise de transport urbain et les demandeurs, les usagers. Précisons que cet avis ne concerne pas une pratique commise lors d’un appel d’offre mais lors de l’exploitation du service ce qui modifie l’analyse que peut avoir le Conseil du marché pertinent comme nous le verrons ci-après. Si cette décision ne concerne pas directement un cas d’entente, il paraît intéressant de la relever pour la comparer à la décision n°01-D-13 du 19 avril 2001 prise par le Conseil en 25 matière de transports public de voyageur dans le département du Pas-de-Calais. Il s’agissait en l’espèce d’une délégation de service public passée par le département du Pas-de-Calais pour l’exploitation de lignes régulières de transport de personnes. Pour présenter succinctement le grief en cause dans cette affaire, certaines entreprises s’étaient concertées sur les prix avant de soumissionner aux différents appels d’offre. Dans cette décision, le Conseil estime que cette concertation porte atteinte aux conditions normales du jeu de la concurrence sans s’interroger sur la qualification de marché pertinent. Ce raisonnement paraît clair lorsqu’il est comparé à la décision du Conseil de 1987 précitée, où le Conseil avait recherché la substituabilité des modes de transports. Cette décision reprenait certaines positions doctrinales selon lesquelles la délimitation du marché pertinent n’était pas forcément nécessaire en cas d’entente31, mais aussi la position initiale du Conseil de la concurrence qui se refusait à appliquer la théorie du seuil de sensibilité (théorie impliquant que les comportements affectant une part minime du marché ne soient pas sanctionnés) sur un marché et sanctionnait de « façon automatique » un comportement interdit. Le rapport du Conseil de la concurrence de 2001 précité exprime d’ailleurs clairement que « les effets anticoncurrentiels d'une pratique s'apprécient sur un marché pertinent. […] La seule exception concerne les cas où, quel que soit le marché retenu, l'analyse concurrentielle est identique, particulièrement dans le cas des pratiques interdites "en elles-mêmes", indépendamment de leurs effets réels ou potentiels, comme les ententes sur les prix ». Aujourd’hui, le Conseil semble plus enclin, sous l’impulsion de la Cour de cassation32, à appliquer la théorie des seuils de sensibilité, celle-ci impliquant que le Conseil analyse le marché pertinent. Néanmoins, nous pouvons relever à ce propos deux décisions qui confortent sa précédente analyse. Dans sa décision n°01-D-77 en date du 27 novembre 2001 relative au secteur du transport scolaire dans le département de l’Indre, où il s’agissait uniquement de délégations de service public, le Conseil semble confirmer son analyse. En effet, le Conseil maintient sa position selon laquelle « considérant que l’échange d’informations qui a eu lieu au cours de la réunion du 22 avril 1994 a permis aux entreprises qui participaient à cette réunion d’avoir la quasi certitude qu’elles ne seraient pas concurrencées sur leurs circuits ; que cette 31 V.SELINSKY, comm.Dèc. 98-D-17 du 19 mai 1998, BOCCRF, 18 juin 1998, Rec Lamy n°753 ou Ch BOLZE, CA Paris 28 janv. 1988 32 Cass Com. 4 mai 1993, Rocamat, Bull. IV, n° 172 ; 10 mars 1998, JVC, C.C.C. 1998, comm ; 90 26 pratique de répartition de marché a fait obstacle au jeu de la concurrence dans lequel l’imprévisibilité du comportement des concurrents doit conduire à la recherche de l’efficience au meilleur prix ; que, dès lors, cette pratique, qui est prohibée par l’article L. 420-1 du code de commerce, a pu avoir un effet sur le jeu de la concurrence » . Observons que le conseil semble appliquer la même analyse qu’en matière de marché public puisqu’il pose que « considérant que les ententes horizontales entre soumissionnaires concurrents à des marchés publics, ayant pour objet et pour effet d’aboutir à une répartition des marchés, sont d’une particulière gravité, notamment lorsque, comme en l’espèce, les pratiques concernent la première application de la procédure d’attribution des délégations de service public prévues par la loi no 93-122 du 29 janvier 1993 dont l’objet est de soumettre à la concurrence lesdites attributions» et ne fait aucune mention du marché pertinent. Relevons dans le même sens, même s’il s’agissait de marchés publics, la plus récente décision n°04-D-43 du 8 septembre 2004 relative à l’attribution de marchés publics organisés par la commune de Grasse dans le secteur des transports scolaires et périscolaires, où le Conseil a repris la décision n°01-D-13 précitée selon laquelle « en matière de marchés publics ou privés sur appel d'offres, il est établi que des entreprises ont conclu une entente anticoncurrentielle dès lors que la preuve est rapportée soit qu'elles ont convenu de coordonner leurs offres, soit qu'elles ont échangé des informations antérieurement à la date où le résultat de l'appel d'offres est connu ou peut l'être, qu 'il s'agisse de l'existence de compétiteurs, de leur nom, de leur importance, de leur disponibilité en personnel ou en matériel, de leur intérêt ou de leur absence d'intérêt pour le marché considéré ou des prix qu 'ils envisagent de proposer». Toutefois, si le Conseil recherche la preuve d’un parallélisme de comportement et d’un échange d’information, il indique les effets de cette concertation, notamment une augmentation de 140% sur un circuit sans être concurrencé. Remarquons là encore qu’il n’est fait aucune mention du « marché pertinent ». Il est intéressant de relever dans la décision (comme dans d’autres décisions que nous analyserons ci-dessous), que la commune avait d’abord conclu une délégation de service public, puis les années suivantes des marchés publics (en matière de transports scolaires, la collectivité peut choisir de confier l’exploitation du service à une entreprise de transport par le biais d’un marché public ou d’une délégation de service public). Nous pouvons à cet égard remarquer que la Conseil de la concurrence ne fait pas fondamentalement de distinctions entre 27 la délégation de service public de transport scolaire passée de 1994/1995 à 1998/199 et les marchés publics passés après cette période (comme dans sa décision n°01-D-77 où il assimile « la procédure d’attribution des délégations de service public prévues à une procédure d’attribution de marchés publics »). Les décisions rendues par le Conseil de la concurrence où seules des ententes sont appréhendées en matière de délégation de service public ne sont pas nombreuses. De plus, de manière relativement surprenante, dans ces décisions, nous ne relevons même pas le terme de marché pertinent. A titre comparatif, mentionnons la récente décision n°05-D-65 (en matière d’entente dans le domaine de la télécommunication mobile), où le Conseil prend bien soin de délimiter le marché de la téléphonie mobile pour conclure qu’il y a « lieu de considérer que les pratiques dénoncées ont pris place sur le marché des services de téléphonie mobile, qui constitue le marché pertinent pour l’examen de ces pratiques » 33 (relevons aussi la décision n°98-D-55 rendue à l’égard d’ententes en matière de délégation de service public où le Conseil ne précise pas la délimitation des marchés pertinents 34 ). Malgré cette absence sémantique, et grâce au rapport de 2001 précité (rapport indiquant qu’ « en matière d’entente entre soumissionnaires à un appel d’offres, par exemple dans un marché public, la cour d’appel (arrêt du 12 décembre 2000) énonce que le marché, qui fait l’objet d’un appel d’offres constitue en soi le marché pertinent au sens du droit de la concurrence (décision 01D-17) »), nous pouvons déduire notamment de la décision n°04-D-43 ou n°01-D-13 que le marché pertinent sur lequel sera analysé la concertation est l’appel d’offre lui-même. Mais cette déduction semble assez incertaine si l’on prend en compte le fait que le Conseil ne s’attache pas véritablement au marché pertinent et qu’il n’a pas toujours respecté la position indiquée dans son rapport de 2001. Mais le fait de retenir comme définition du marché pertinent l’appel d’offre lui même, n’est il pas contestable ? Nous avons posé comme définition du marché pertinent le lieu de confrontation entre l’offre et la demande de produits substituables entre eux et non substituables à d’autres biens et services. L’appel d’offre serait ce lieu de confrontation de l’offre et de la demande en cas d’entente dans le domaine des délégations de service public. Si 33 Décision n° 05-D-65 du 30 novembre 2005 relative à des pratiques constatées dans le secteur de la téléphonie mobile 34 Décision n° 98-D-55 du 9 septembre 1998relative à des pratiques relevées dans le secteur du transport scolaire de handicapés dans les Alpes-Maritimes 28 la relation entre un offreur et un demandeur apparaît de façon claire dans un appel d’offre, la qualité de demandeur est sujette à discussion. En matière de délégation de service public, le demandeur, la collectivité ne sera pas l’utilisateur du bien ou du service prévu dans le contrat de délégation. Si la demande est définie par le Dictionnaire juridique comme « l’action de solliciter quelque chose de quelqu’un » 35 et plus généralement comme l’ « action de demander, de faire connaître à quelqu’un ce qu’on désir obtenir de lui» 36 , ne peut-on pas dire que les usagers du service public devraient être assimilés à des demandeurs et non les collectivités ? En effet, ces usagers (souvent qualifiés d’ « usagers captifs » dans le cadre des délégations de service public) expriment ils véritablement un choix alors que la notion de substituabilité attachée à la notion de marché pertinent est définie par rapport à ce choix. Par ses décisions, le Conseil de la concurrence délimite le marché en reprenant sa définition posée dans son rapport de 1987 selon laquelle « l’analyse économique définit un marché comme le lieu sur lequel se confrontent l’offre et la demande de produits ou de services qui sont considérés par les acheteurs comme substituables entre eux mais non substituables aux autres biens et services offerts »37. En somme, dans ces cas d’ententes, le Conseil de la concurrence délimite un marché comme la rencontre de l’offre et de la demande de l’acheteur public (la substituabilité s’analyse du point de vue de l’acheteur et non de l’utilisateur), sans tenir véritablement compte des usagers. En réalité, et cela concerne tant le cas des ententes que de l’abus de position dominante, selon nous, le Conseil semble distinguer deux cas. Le premier où la pratique se situe lors de l’appel d’offre, auquel cas, la demande sera assimilée à la collectivité. Et le deuxième, lorsque la pratique se situe au niveau de la phase d’exploitation et auquel cas, la demande serait cette fois ci constituée par les usagers comme dans l’avis précité relatif à la réglementation des tarifs des transports publics urbains de voyageurs38. Précisons aussi que le « marché pertinent temporaire », créé par la procédure d’appel d’offre n’aurait pu voir le jour sans la loi n°93-122 du 29 janvier 1993 dite « Sapin ». A notre connaissance, nous n’avons pu relever qu’une seule décision du Conseil où celuici a pu définir un marché pertinent, dans le cadre d’une entente en matière de délégation de service public. Malheureusement, la pratique dans cette décision concernait plutôt 35 G. CORNU , Vocabulaire juridique, P.U.F, 2001 Dictionnaire Le Petit Robert, édition 2001, au mot demande 37 Rapport 1987, p.XX 38 cf. supra 36 29 l’exploitation du service, ce qui conduit à une définition du marché pertinent différente que lorsque la pratique était commise lors de la procédure d’appel d’offre. Dans cette décision n°04-D-3939, il était question de la gestion en affermage d’un abattoir. Au-delà du fait que la pratique se situait au niveau de l’exploitation du service, une autre particularité de l’affaire venait du fait que les usagers étaient des professionnels de production et de commerce de bétail. Les tonnes de bétails à abattre étaient réparties entre les usagers et les usagers s’étaient engagés jusqu’à un certain niveau de tonnage. Il était reproché aux usagers de s’être entendus pour empêcher la reprise du tonnage par un nouvel usager ayant repris les activités de l’un des usagers initiaux. En l’espèce, la décision délimite deux marchés pertinents différents. Tout d’abord, un marché en aval, correspondant au lieu où était en concurrence toutes les sociétés à savoir « le marché de la commercialisation des viandes et sous-produits d’animaux de boucherie au stade de gros ou de demi-gros. Ces entreprises exercent la même activité de découpe et de préparation de viandes après abattage des animaux, en vue de la vente aux professionnels, bouchers, charcutiers et traiteurs, entreprises agro-alimentaires et grande distribution alimentaire ». La substituabilité est donc ici définie par rapport à la demande. En l’espèce, la demande était constituée par les professionnel bouchers, charcutier etc.. du secteur. Le produit n’était pas substituable à un autre puisque les professionnels bouchers ou charcutiers doivent obligatoirement passer par l’activité de ces entreprises pour exercer leur métier. Le marché de la commercialisation des viandes et sous-produits d’animaux de boucherie était très spécifique. Géographiquement, le marché était qualifié de régional, le marché étant concentré dans un rayon de 120 kilomètres. Le Conseil prévoit un second marché en amont, constitué par l’accès aux services des abattoirs, nécessaire pour accéder au marché en aval. Les pratiques se situaient donc sur ce marché en amont, et avaient des effets sur le marché en aval. Dans cette décision, la délimitation des marchés pertinents est assez claire. Elle est toutefois d’un intérêt limité puisqu’elle ne se réalise pas dans une configuration d’appel d’offre et concerne, au final, un cas assez particulier. Toutefois, elle nous conforte dans l’idée qu’il faut bien distinguer selon qu’il s’agit d’une pratique lors d’un appel d’offre ou lors de l’exécution d’une délégation. 39 Décision n° 04-D-39 du 3 août 2004 relative à des pratiques mises en oeuvre dans les secteurs de l’abattage et de la commercialisation d’animaux de boucherie 30 Le faible intérêt que semble porter le Conseil à l’égard du marché pertinent en cas d’entente (lors d’appels d’offre) dans les décisions étudiées nous amène à préférer étudier la délimitation du marché pertinent dans le cadre des concentrations et des abus de position dominante, qui se révèlent, beaucoup plus intéressante. Section II Un marché pertinent limité au marché où sont actifs l’ensemble des opérateurs susceptibles de répondre à un appel d’offre en matière d’abus de position dominante et de concentration Lorsque le Conseil de la concurrence doit à la fois analyser la question d’une entente et d’un abus de position dominante, l’analyse du marché pertinent se révèle beaucoup plus pertinente et ce , même si la pratique en cause est commise lors d’un appel d’offre. De même en matière de concentration, la définition du marché pertinent revêt un caractère essentiel. Pour cette raison, nous étudierons la démarche du Conseil de la concurrence dans sa délimitation des marchés pertinents en cas de concentration (§1) puis dans le cadre des abus de position dominante (§2). §1 en matière de concentration L’article L. 430-2 du code de commerce pose que " la concentration résulte de tout acte, quelle qu’en soit la forme, qui emporte transfert de propriété ou de jouissance sur tout ou partie des biens, droits et obligations d’une entreprise ou qui a pour objet, ou pour effet, de permettre à une entreprise ou à un groupe d’entreprises d’exercer, directement ou indirectement, sur une ou plusieurs entreprises une influence déterminante ". En matière de concentration, contrairement aux ententes, la délimitation du marché pertinent est essentielle, puisque de cette délimitation dépendra la compétence des autorités françaises ou communautaires (avec un mécanisme de seuil) mais aussi l’appréciation de l’atteinte à la concurrence. En effet, l’article L.430-6 du Code de commerce pose que « si une opération de concentration a fait l'objet, en application du III de l'article L. 430-5, d'une saisine du Conseil de la concurrence, celui-ci examine si elle est de nature à porter atteinte à la concurrence, notamment par création ou renforcement d'une position dominante ou par création ou renforcement d'une puissance d'achat qui place les fournisseurs en situation de dépendance économique. Il apprécie si l'opération apporte au progrès économique une 31 contribution suffisante pour compenser les atteintes à la concurrence. Le conseil tient compte de la compétitivité des entreprises en cause au regard de la concurrence internationale et de la création ou du maintien de l'emploi ». La délimitation du marché pertinent est donc au cœur du contrôle des concentrations afin de déterminer la structure du marché en cause. C’est en partant de ce constat qu’il est apparu comme pertinent de traiter les quelques avis que le Conseil de la concurrence a pu rendre dans des secteurs propres à la délégation de service public. Le Conseil de la concurrence a rendu en la matière quelques avis, à savoir dans le domaine de l’eau et des concessions d’autoroute (l’avis n° 01-A-02 du 13 février 2001 relatif l’acquisition du groupe Poma par la société Leitner, concerne uniquement la construction des remontées mécaniques et non la délégation). Dans le secteur de l’eau, l’autorité de la concurrence a rendu l’Avis n° 00-A-12 du 31 mai 2000 relatif à une demande d'avis de la Commission des finances, de l'économie et du plan de l'Assemblée nationale sur le prix de l'eau en France. Le juge de la concurrence rappelle qu’un marché pertinent doit être défini matériellement et géographiquement. Toutefois, il affirme que le Conseil n’adoptera pas forcément cette position en cas de contentieux mais qu’il cherche simplement à travers cet avis à donner quelques éléments de compréhension. Sur la délimitation sectorielle, le Conseil reprend son vieil avis de 1980 que nous rencontrerons à plusieurs reprises, qui pose les bases de sa délimitation des marchés pertinents selon lequel, « la gestion déléguée du service de distribution d'eau constitue un marché en soi sur lequel la concurrence ne peut pratiquement jouer que ponctuellement et à des intervalles éloignés dans le temps ; (...) en effet, à un moment donné, la demande sur ce marché émane des collectivités qui ont décidé d'abandonner la gestion directe et de celles qui, ayant délégué la gestion de leur service, voient leur contrat venir à échéance ». Il indique que cette solution a été reprise dans sa décision de 1998 que nous étudierons plus spécifiquement ci-après. Cet avis reprend d’autres éléments extrêmement importants de cet avis de 1980, puisque ces éléments permettront de comprendre d’autres décisions futures, par exemple lorsque le Conseil indique que les « acteurs publics locaux et les sociétés privées spécialisées n'interviennent pas sur le même marché ». Le Conseil indique également qu’il existe un marché de gros de l’eau, ce que nous trouvons dans la décision de 1998 et la décision 05-D32 58, lorsqu’« un opérateur économique entend répondre à un appel à la concurrence pour la distribution de l'eau mais doit faire appel à une entreprise tierce pour la fourniture de cette eau ». Enfin, le Conseil de la concurrence envisage un troisième marché, dans les cas où les pratiques se situeraient pendant l’exécution de la délégation qui correspondrait au marché de la distribution de l'eau aux usagers. Il existerait donc trois types de marché. Mais il faut préciser que cet avis de 2000 se situe avant le rapport de 2001 où le Conseil a indiqué qu’en cas d’abus de position dominante, il faut prendre non le marché pertinent défini par le croisement d’un appel d’offre et de soumissions dans le cadre des ententes mais le marché où sont actifs l’ensemble des opérateurs susceptibles de répondre à un appel d’offre. Quant à la délimitation géographique du marché, il est prévu par l’avis qu’il puisse être selon les cas local ou national. En revanche, concernant le marché de la distribution d’eau potable (il envisage donc ici une pratique lors de l’exploitation de la délégation et non lors de l’appel d’offre), il retiendrait un marché local. Cet avis n’apporte pas d’informations novatrices sur la délimitation des marchés pertinents en matière d’eau. Il a cependant le mérite de résumer la position du Conseil au regard de sa jurisprudence en 2000 et de poser les jalons de sa jurisprudence future. Ensuite, le Conseil de la concurrence a pu apporter certaines informations concernant le marché pertinent dans le domaine de l’exploitation des parcs de stationnement dans son avis n° 01-A-08 du 5 juin 2001 relatif à l’acquisition du Groupe GTM par la société Vinci. Le Conseil émet une distinction entre deux marchés, d’une part le marché en aval qui concerne les automobilistes et celui en amont relatif aux appels d’offres des collectivités. Nous nous concentrerons bien entendu sur le marché en amont. Au sein de ce marché, une nouvelle distinction doit être opérée entre le stationnement de surface en voirie donnant lieu a des marchés publics et le stationnement en ouvrage (parcs souterrains ou silos) correspondant à des délégations de service public. Au passage, précisons que la distinction opérée ne paraît pas nécessairement fondée dans les faits et relativement discutable. Le Conseil de la concurrence considère que sur le marché en amont, cette distinction conduit « à exclure du marché pertinent les marchés de prestations de service pour le stationnement en surface et à ne retenir que les délégations de service publics correspondant à des ouvrages » (en l’espèce, le Conseil s’intéressait à la délégation de stationnement public, troisième secteur d’activité de Vinci, ce qui l’a sans doute conduit à ce raisonnement). 33 Géographiquement, il est apporté des précisions assez importantes (qui seront d’ailleurs réutilisées dans le secteur de l’eau) prévoyant que «la dimension nationale du marché se justifie par l’homogénéité du service demandé (construction et exploitation d’un ou plusieurs parcs de stationnement), la mise en oeuvre d’une procédure de choix de l’entreprise obligatoire et identique quelle que soit la commune, l’exigence d’une publicité préalable par voie de presse et d’une mise en concurrence à l’échelle nationale, ainsi que la présence, sur ces appels d’offres, des opérateurs à vocation nationale mentionnés précédemment ». Cette définition nous paraît contestable dans le sens où elle semble insuffisamment justifiée. En effet, le Conseil n’apporte à notre sens pas vraiment la preuve que les services sont effectivement homogènes. Il est considéré dans cet avis que les sociétés d’économie mixte sont des concurrentes sur ce marché et ce, même si plusieurs communes en sont actionnaires. Le Conseil indique par la suite que « le marché des délégations de stationnement public est, pour l’essentiel, un marché de renouvellement des contrats pour la gestion de parcs existants, avec en moyenne 20 à 30 appels d’offres lancés chaque année incluant seulement deux à trois constructions neuves ». Ensuite, le Conseil étudie la position de Vinci sur ce marché, ce qui ne fera pas l’objet de notre étude, cette partie se concentrant sur la délimitation des marchés pertinents. §2 en matière d’abus de position dominante Nous étudierons ci-après, la délimitation du marché pertinent par le Conseil lorsque la seule question de l’abus de position dominante lui est soumise, puis le cas où il doit s’intéresser à la fois à une entente et un abus de position dominante. A- La délimitation du marché pertinent dans le strict cas de l’abus de position dominante L’article 82 du traité des communautés européenne (traité CE) prohibe les abus de position dominante. Selon cet article 82, « est incompatible avec le marché commun et interdit, dans la mesure où le commerce entre États membres est susceptible d'en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d'exploiter de façon abusive une position dominante 34 sur le marché commun ou dans une partie substantielle de celui-ci ». L’article L.420-2 du Code de commerce reprend cette prohibition, en indiquant qu’ « est prohibée, dans les conditions prévues à l'article L. 420-1, l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprises d'une position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci. Ces abus peuvent notamment consister en refus de vente, en ventes liées ou en conditions de vente discriminatoires ainsi que dans la rupture de relations commerciales établies, au seul motif que le partenaire refuse de se soumettre à des conditions commerciales injustifiées ». Pour qualifier un abus de position dominante, deux conditions sont donc nécessaires, d’une part l’existence d’une position dominante sur un marché et d’autre part, une exploitation abusive de cette position. Il apparaît donc que la délimitation du marché sera déterminante pour qualifier cette position dominante. Pour cette raison, le Conseil a une appréhension différente du marché pertinent en matière d’abus de position dominante et en matière d’entente. En cas d’abus de position dominante, comme cité précédemment, la délimitation réalisée par le Conseil retient « le marché plus général où sont actifs l’ensemble des opérateurs susceptibles de répondre à l’appel d’offres concerné »40. Dans le cadre des délégations de service public, le Conseil de la concurrence a été confronté à la question d’un abus de position dominante dans le domaine de l’eau. Précisons que nous ne retiendrons pas le secteur des pompes funèbres, la convention de délégation du service extérieur des pompes funèbres n’étant pas considérée comme des délégations de service public. Il en sera de même pour les conventions de « mobilier urbain »41 (hormis à titre comparatif). Notons aussi que nous ne retiendrons pas la décision n°00-D-47 du 22 novembre 2000 relative aux pratiques mises en oeuvre par EDF et sa filiale Citélum sur le marché de l’éclairage public puisque le Conseil s’est intéressé à travers cette affaire au marché de l’éclairage public (il s’agissait en l’espèce d’un marché public) et non la convention relative à la distribution d’électricité. Dans le secteur de l’eau, nous retiendrons ici principalement deux décisions, à savoir la décision n°98-MC-04 puis la décision n°05-D-58 du 3 novembre 2005. Dans le cadre de la 40 Rapport annuel du Conseil de la concurrence de 2001, voir décision 01-D-08, 01-D-46 et 01-D-66 rendu par le conseil de la concurrence 41 CE Ass. 4 novembre 2005, société Jean-Claude Decaux, Rec.477, RFDA 2005.1083, concl. CASAS 35 décision n°98-MC-04, le Conseil s’interrogeait sur l’éventuel abus de position dominante de la société Suez-Lyonnaise des Eaux à l’occasion du renouvellement des contrats de délégation du service public de l’eau dans plusieurs communes. Si les griefs sont différents, ces deux décisions s’inscrivent dans la même logique. Une approche comparative peut donc être pertinente. Nous ne rentrerons pas ici dans le détail (ceci sera étudié postérieurement) de la pratique en elle-même, mais nous nous limiterons à analyser la délimitation du marché pertinent. Relevons que dans sa décision n°98-MC-04, le Conseil n’utilise à aucun moment le terme de marché pertinent. Il conclut que « dans ces conditions, il n’est pas établi que les pratiques dénoncées porteraient [une] atteinte grave et immédiate au consommateur, au secteur intéressé ou à l’économie en général » sans avoir pris la peine, au préalable de définir avec précision le marché pertinent en cause. Cette absence est d’autant plus frappante que pour des faits relativement similaires, une fois encore à l’occasion du renouvellement de délégation du service public de l’eau, le Conseil examine avec attention dans sa décision n°05-D-58 les marchés pertinents en cause. Toutefois, il nous semble que le Conseil n’a pas réalisé de délimitation du marché pertinent car il se réfère en réalité à une jurisprudence déjà établie avant 1998 et précitée définissant le marché pertinent en matière de délégation du service public de l’eau comme un marché à dimension nationale. Dans sa décision n°05-D-58, le Conseil de la concurrence perpétuera d’ailleurs sa jurisprudence, tout en y apportant un élément supplémentaire, en exposant que « de jurisprudence constante, le marché de la délégation du service public de distribution d’eau sur lequel se rencontrent la demande des communes ou collectivités délégantes et l’offre des entreprises de distribution est un marché pertinent […] Ce marché pertinent est de dimension nationale, mais il se décline en applications locales chaque fois qu’un délégant éventuel lance une procédure d’appel d’offres pour choisir son délégataire ». Mais le raisonnement du Conseil connaît un deuxième temps en matière de délégation du service public de l’eau, à savoir la distinction entre deux marchés, « le marché de l’amont, où le propriétaire de la partie amont de la chaîne des installations a le monopole de l’offre d’eau, la demande d’eau pouvant émaner de lui-même, des autres concurrents délégataires candidats à la gestion de la seule partie aval des installations ou, éventuellement, du délégant lui-même [et] le marché de l’aval, où le demandeur est le délégant et les offreurs du service à déléguer sont tous les opérateurs ayant acquis ou susceptibles d’acquérir de l’eau sur le marché amont […]. [En effet], Le point d’entrée de l’eau dans la commune sépare ici l’amont de l’aval dans la chaîne des installations. [Le Conseil estime que] cette distinction théorique est nécessaire, faute de quoi le monopoleur [en] amont, seul à pouvoir amener l’eau au point d’entrée de la commune, 36 serait aussi le seul à pouvoir faire une offre au délégant, ce qui priverait de sa substance la procédure de mise en concurrence sur le marché de la délégation ». La Conseil de la concurrence considère donc qu’il est nécessaire de distinguer, dans le cas où la commune ne détient pas les installations permettant la production , le transport et le stockage de l’eau, mais seulement la partie « distribution » de l’eau, entre d’une part, la partie de la chaîne relative à la distribution de l’eau sur la commune et la partie de la chaîne en amont permettant d’approvisionner le territoire de la commune en eau, cette partie appartenant le plus souvent à un entreprise qui postulera elle-même à l’appel d’offre de délégation de distribution de l’eau sur le territoire de la commune. Ensuite, le Conseil estime qu’il existe un marché délimité aux 55 communes desservies par le réseau privé d’approvisionnement de la société Suez-Lyonnaise des Eaux, cette entreprise détenant un monopole de fait sur le marché en amont (celle-ci détenant le réseau d’approvisionnement) et se trouvant en position dominante sur le marché en aval, ayant remporté la plupart des appels d’offres. La lyonnaise des eaux a contesté cette délimitation du marché pertinent en utilisant la définition classique du marché pertinent constituée par la rencontre de l’offre et de la demande lors d’un appel d’offre. Effectivement, pour la Lyonnaise des eaux, le marché en aval ne pouvait exister puisqu’il n’existait pas d’appel d’offre sur ce marché. Il n’y avait donc pas de rencontre de l’offre et de la demande sur ce marché de fourniture de l’eau, mais uniquement sur le marché de la distribution de l’eau. Le Conseil justifie l’existence de ce marché de fourniture de gros en indiquant que les entreprises concurrentes répondant à l’appel d’offre de délégation du service de distribution de l’eau ont nécessairement besoin de faire une demande d’approvisionnement en eau sur le marché en amont. Ne pas prendre en compte ce marché en amont reviendrait donc à vider de son sens la procédure d’appel d’offre, les entreprises ne pouvant répondre à la procédure de délégation du service public de la distribution de l’eau sans faire une demande d’approvisionnement en eau. Le Conseil renforce son argumentation en indiquant que dans les faits, les collectivités ont poussé les concurrents à demander le prix de l’eau en gros pour répondre à la délégation de la distribution de l’eau. En dehors de la contestation de l’existence même du marché en amont, la Lyonnaise des eaux contestait la dimension géographique du marché. Selon la Lyonnaise le marché, il 37 s’étendait à toute la région parisienne, d’autres entreprises disposant d’installations de production de l’eau et l’ensemble du réseau étant interconnecté. Mais le Conseil retient qu’en pratique, les communes n’ont accès qu’à l’eau du monopoleur dont elles dépendent, dans le cas présent, la Lyonnaise des eaux. De plus, l’autorité de la concurrence souligne que les communes ne pouvaient pas reproduire les installations en cause et constate que « l’existence d’un marché de la production d’eau dans le bassin du sud de l’Essonne qui permet aux communes de la zone d’obtenir de l’eau « entrée de ville » avant de la faire distribuer par le délégataire de leur choix, marché qui n’était que potentiel jusqu’en 1997, qui est défini par la cour d’appel de Paris le 29 juin 1998 et sur lequel la Lyonnaise des Eaux affiche un prix offert à partir de la création de l’ESP ». Si nous résumons le raisonnement de la Cour, il existe deux marchés, un premier constitué par l’appel d’offre sur la délégation de la distribution de l’eau, et un deuxième constitué par le besoin d’approvisionnement en eau par les communes. Le premier marché indiqué ne nécessite pas de commentaire puisqu’il ne diffère pas fondamentalement de la définition de marché classique en matière de délégation de service public. Le deuxième nécessite par contre certaines précisions. Deux éléments doivent à notre sens analysés : la définition matériel de ce marché, à savoir la substituabilité puis la délimitation géographique de ce marché. Concernant la substituabilité, le Conseil a considéré qu’il existait un monopole de fait de la société Suez-Lyonnaise des Eaux sur le marché composé par les 55 communes. L’autorité reprend ici la position qu’elle a pu avoir à l’égard des clients captifs (comme par exemple, la situation des personnes hébergées dans les établissements hospitaliers qui sont dans les fait obligées d’utiliser les services téléphoniques de ces établissements 42 ). Or, le Conseil de la concurrence considère que la clientèle captive entraîne souvent un monopole de fait, la société en cause disposant de la totalité de l’offre et conclut qu’il s’agit d’un marché spécifique en soit. En effet, dans les faits et selon le Conseil, la société Suez-Lyonnaise des Eaux est la seule à pouvoir apporter de l’eau jusqu’aux communes. Notons que le Conseil retient comme demandeur, non seulement, les communes, mais aussi les participants à l’appel d’offre de délégation de la distribution de l’eau (« Le cas le plus général à envisager est celui où ce sont les concurrents délégataires qui se portent demandeurs d’eau à l’amont de façon à pouvoir présenter une offre sur le marché (aval) soumis à délégation »). La clientèle captive 42 Avis 93-A-14 du 7 sept. 1993 relatif au décret portant réglementation du prix des prestations de services téléphoniques 38 semble donc être à la fois ses concurrents et les communes demandeuses d’eau. Sur ce point, nous comprenons aisément le raisonnement du Conseil qui tente de définir un marché pertinent le plus strict possible afin de pouvoir étudier par la suite les pratiques de la société Suez-Lyonnaise des Eaux sur ce marché. Le Conseil, réfutant les arguments de la Lyonnaise des Eaux a d’ailleurs bien pris soin d’écarter toutes les autres possibilités de se fournir en eau qu’auprès de la Lyonnaise. Notons tout de même que le Conseil de la concurrence prend ici une délimitation du marché pertinent assez favorable aux communes en retenant un marché pertinent de la fourniture de l’eau en gros alors même que les communes n’ont pas lancé de procédure sur ce marché. De même, concernant la délimitation géographique du marché, comme dit précédemment, les communes n’ont accès qu’à l’eau du monopoleur dont elles dépendent, dans le cas présent la Lyonnaise des eaux, ce qui justifie de limiter géographiquement le marché au territoire des 55 communes « captives » du réseau privé d’approvisionnement d’eau. Dans cette décision, le Conseil de la concurrence devait aussi analyser le marché pertinent de la fourniture de l’eau en gros à la Semmaris (Société d’économie mixte d’aménagement et de gestion du Marché d’intérêt national de région parisienne) par la Sagep (Société anonyme de gestion des eaux de Paris) et le Sedif (Syndicat des eaux de l’Ile-deFrance). Le Sedif niait l’existence de ce marché. Le Conseil rappelle justement que le fait que la demande de la Semmaris se soit conclut par deux offres justifie l’existence de ce marché ponctuel. Il n’y avait pas ici de difficulté, hormis peut être l’étude d’un statut dérogatoire du Sedif en vertu d’une loi, position que le Conseil de la concurrence a écarté. A travers cette décision, remarquons que si le Conseil maintient qu’un appel d’offre constitue à lui seul un marché pertinent, a contrario l’absence d’appel d’offre ne permet pas de conclure forcément à l’absence de marché pertinent. En effet, le fait que les communes n’aient pas lancé un appel d’offre sur la fourniture de l’eau en gros ne permet pas d’affirmer l’inexistence de ce marché. Ensuite, il était aussi intéressant de voir que sur le marché en amont, le Conseil a défini la demande comme les communes s’approvisionnant en eau, mais aussi les concurrents postulant à la délégation du service public de distribution de l’eau. Au final, la distinction entre marché de fourniture de l’eau en gros et distribution de l’eau ne diffère pas tant de la distinction souvent réalisée par le Conseil de la concurrence entre les 39 différents niveaux de relation entre l’offre et la demande (relation entre les grossistes et les distributeurs ou encore entre un producteur et un négociant). Ainsi, sur le marché en amont, les candidats à la délégation du service de la distribution de l’eau se positionnent en tant que demandeur, et sur le marché en aval, en tant qu’offreur, un peu comme on peut le voir lors de la distinction entre le marché de gros du haut débit par l’ADSL et le marché de l’offre de détail d’accès Internet ADSL43. En matière d’eau, la décision n°02-D-44 pourra être relevée dans le cadre de notre étude (nous l’étudierons ci-après, celle-ci concernant à la fois un cas d’entente et un cas d’abus de position dominante). Nous pouvons retenir de cette analyse que le Conseil, dans le cadre de cet abus de position dominante (et nous le verrons d’ailleurs dans d’autres cas), continue à retenir un marché pertinent défini par l’appel d’offre mais aussi un « marché accessoire » à ce marché. En effet, si l’on poursuit l’analyse du Conseil, le « marché accessoire » de la fourniture d’eau en gros n’existe que parce que son inexistence viderait de sa substance le « marché principal » constitué par l’appel d’offre. De plus, géographiquement, nous pouvons conclure qu’il existe plusieurs types de marché dans le secteur de l’eau. Si nous reprenons l’expression du Conseil selon lequel, « le marché de la délégation du service public de distribution d’eau sur lequel se rencontrent la demande des communes ou collectivités délégantes et l’offre des entreprises de distribution est un marché pertinent […] Ce marché pertinent est de dimension nationale, mais il se décline en applications locales chaque fois qu’un délégant éventuel lance une procédure d’appel d’offres pour choisir son délégataire » , il existe déjà deux types de marché au niveau de la distribution de l’eau. Un marché pertinent de la délégation du service public de l’eau de dimension nationale sur lequel opère tous les opérateurs du secteur. Puis, un autre type de marché pertinent de dimension locale, équivalent à chaque appel d’offre lancé par une collectivité. Et enfin, un marché pertinent de la fourniture de l’eau limité géographiquement au réseau privé d’approvisionnement d’une entreprise. Nous pouvons tout de même remarquer que la méthode de délimitation de ce deuxième marché pertinent (marché de la fourniture de l’eau en gros) semble, à notre sens, quelque peu s’éloigner de la définition établit par le Conseil dans son rapport en 2001 précité selon lequel en matière d’abus de position dominante, « il convient d’examiner non pas le marché particulier résultant du croisement d’un appel d’offres et des soumissions qui ont été déposées en réponse, mais le 43 Cons. conc., avis n°00-MC-01, 18 février 2000 40 marché plus général où sont actifs l’ensemble des opérateurs susceptibles de répondre à l’appel d’offres concerné ». De manière extrêmement récente , le Conseil a pu s’intéresser à travers sa Décision n° 07-D-14 du 2 mai 2007 , à des pratiques dans le secteur des remontées mécaniques, qui font, pour rappel, l’objet de délégation de service public44. Dans cette affaire, une station de ski avait confié la gestion du service public des remontées mécaniques à un syndicat mixte d’aménagement (SMAP). Ce syndicat mixte a lui-même délégué à une SEM l’exploitation et l’installation des remontées mécaniques pour une durée de 15 ans, cette SEM percevant des redevances sur les usagers. Cette SEM a elle-même sous traité l’exploitation du service public des remontées mécaniques à une société anonyme pour une durée de 15 ans, cette société anonyme collectant les redevances auprès des usagers pour le compte de la SEM. Pour résumer (les faits de l’affaire étant complexes), la SEM s’est vue privatiser et racheter par la société anonyme, devenant ainsi le titulaire de la délégation de service public. La encore pour simplifier, il était reproché à cette société d’avoir exercé des pressions sur des entreprises proposant des forfaits touristiques (comprenant les remontées mécaniques) pour permettre à la société de se « réserver » la vente de forfait de remontées mécaniques auprès de tours opérateurs et obliger les opérateurs locaux à ne proposer que de l’hébergement et non des forfaits relatifs aux remontées mécaniques. Remarquons que l’affaire ne concernait pas une pratique mise en œuvre lors d’un appel d’offre, mais plutôt une pratique relative à l’exploitation de la délégation, celle-ci ayant une influence sur la détermination du marché pertinent. Concernant la détermination des marchés pertinents, il est enrichissant de relire les courtes décisions que le Conseil avait d’ores et déjà réaliser à l’égard de cette même affaire45. En effet, dans ces décisions, il n’était nullement fait mention du marché pertinent. Dans notre 44 Décision n° 07-D-14 du 2 mai 2007 relative à des pratiques mises en oeuvre par la société Transmontagne, concessionnaire des remontées mécaniques sur la station de ski de Pra-Loup 45 Décision n° 00-D-87 du 13 février 2001concernant l’exécution de la décision n° 99-MC-10 du 16 décembre 1999relative à la société Transmontagne et relative à une demande de mesures conservatoires de la société Agence Alp Azur concernant des pratiques mises en oeuvre sur le marché des tickets et forfaits d’accès aux remontées mécaniques de la station de Pra-Loup ; Décision n° 01-D-39 du 29 juin 2001relative à une demande de la société Agence Alp Azur concernant des pratiques mises en oeuvre sur le marché des tickets et forfaits d’accès aux remontées mécanique sde la station de Pra-Loup, Décision n° 99-MC-10 du 16 décembre 1999 relative à une demande de mesures conservatoires de la société Agence Alp Azur concernant des pratiques mises en oeuvre sur le marché des tickets et forfaits d’accès aux remontées mécaniques de la station de Pra-Loup 41 décision, le Conseil détermine cette fois ci avec précision deux marchés à savoir, celui de la vente de forfait de remontées mécaniques à des professionnels du tourisme, et un deuxième marché concernant la revente par ces professionnels à des particuliers et à des tours opérateurs. Si le Conseil ne s’interroge pas véritablement sur la substituabilité pour définir les marchés, il précise que le marché en aval (celui de vente aux professionnels du tourisme) est segmenté du fait de l’obligation pour le délégataire de prendre en compte les différentes caractéristiques des professionnels pour établir ses tarifs (agences, hébergeurs etc..). Puis, le marché est défini géographiquement à la station de ski en cause. Du fait de la délégation de service public de remontées mécaniques, le Conseil de la concurrence conclut que la société attaquée se trouve nécessairement en situation de monopole et détient une position dominante sur ce marché. Comme nous le verrons ci-dessous dans l’affaire dite « commune de Bouc-Bel-Air », le Conseil considère que lorsqu’une entreprise (au sens du droit européen, c'est-à-dire toute entité exerçant une activité économique) est titulaire d’une délégation de service public, elle se retrouve automatiquement en situation de monopole et en position dominante. L’analyse de l’autorité de la concurrence se poursuit sur le marché en amont, où nous retiendrons particulièrement son analyse géographique. En effet, celle-ci reprend sa définition prévue dans son rapport de 200146. Pour délimiter ce marché géographique, le Conseil se place du point de vue de l’usager , à savoir le skieur, pour en déduire qu’ « il n’est pas établi que le forfait touristique proposé sur la station de ski de Pra-Loup ne soit pas substituable aux forfaits touristiques proposés sur les autres stations de ski comparables telles que La Foux d’Allos ou le Val d’Allos 1500, ou Sauze-Super Sauze, ou encore avec l’ensemble des stations du département des Alpes-de-Haute Provence, toutes ces stations étant situées à proximité les unes des autres. Le marché aval pourrait même être élargi aux autres stations de ski du massif des Alpes du Sud. Dans ce cas, les pratiques de discrimination tarifaire sur le marché amont devraient être appréhendées en tenant compte des tarifs pratiqués dans les autres stations et de leur impact sur ce marché aval élargi ». Cette décision nous semble particulièrement importante si elle est lue en parallèle avec la décision que nous étudierons ciaprès concernant la desserte maritime de la Corse. En effet, dans ces deux récentes décisions, le Conseil semble se montrer plus rigoureux (notamment si l’on compare cette décision aux autres décisions sur la même affaire ou encore le fait que le Conseil prenne comme base dans 46 "la délimitation d’un marché de produits s’entend sur une zone géographique définie, soit parce que l’analyse faite du comportement de la demande n’est valable que sur cette zone géographique, soit parce qu’il s’agit de la zone géographique à l’intérieur de laquelle les demandeurs se procurent ou peuvent se procurer le produit ou le service en question" 42 ces deux affaires les définitions posées dans son rapport de 2001) au niveau de son raisonnement économique et tente de mieux justifier sa détermination du marché pertinent. Il convient de s’intéresser à présent à la délimitation du marché pertinent par le Conseil lorsqu’il doit à la fois faire face à un abus de position dominante et une entente. B- Le marché pertinent délimité en cas d’abus de position dominante et d’entente Il s’agit du cas le plus fréquent soumis au Conseil de la Concurrence. Notre étude portera sur quelques secteurs, à savoir le secteur de l’eau, les crèches et enfin récemment, le transport maritime. Précisons que lorsqu’une entreprise est poursuivie à la fois sur le fondement de l’abus de position dominante mais aussi d’entente, le Conseil peut retenir la même définition du marché pertinent. Si nous avons d’ores et déjà analysé le marché pertinent à travers la décision n°98MC-04 puis la décision n°05-D-58, il existe aussi la décision n° 02-D-44 du 11 juillet 2002 relative à la situation de la concurrence dans les secteurs de l’eau potable et de l’assainissement, notamment en ce qui concerne la mise en commun des moyens pour répondre à des appels à concurrence où il était à la fois question d’une entente et d’un abus de position dominante. Il est extrêmement intéressant de comparer la délimitation du marché pertinent dans cette affaire par rapport à la définition du marché pertinent de la décision n°05-D-58 précitée. Dans la décision n°02-D-44, le débat porte une fois encore sur deux aspects du marché pertinent en matière de distribution d’eau et d’assainissement, d’une part la substituabilité, et d’autre part la dimension géographique du marché. Le Conseil, fidèle à sa ligne estimait qu’il existait deux marchés spécifiques, le premier de la gestion déléguée des services publics de la distribution de l’eau puis un second de l’assainissement. La Compagnie générale des eaux (CGE), la Société lyonnaise des eaux (SLDE) et la SAUR ont énoncé un certain nombre d’arguments devant être étudiés même ci 43 ceux-ci ont été rejetés. Au titre de la substituabilité, ces arguments étaient principalement de deux ordres. Tout d’abord, les trois sociétés mettaient en avant que les collectivités publiques intervenaient au même titre que les opérateurs privés sur le marché de la distribution de l’eau. C’est ainsi que la CGE « cite une douzaine d’exemples où des collectivités ont répondu à un appel à candidatures émanant d’une autre collectivité ». De même, la CGE estime qu’il existe une intervention directe sur ce marché par l’intermédiaire de la régie. Concernant, les exemples de la CGE, le Conseil de la concurrence rétorque que le fait « que les collectivités visées n’ont jamais emporté un marché couvert par la dite notification montre que les collectivités locales qui font appel au marché pour répondre à leurs besoins d’approvisionnement en eau potable et en assainissement ne voient que rarement dans les autres collectivités une alternative à l’offre des entreprises privées ». Au titre des « pressions concurrentielles » exercées par la régie, le Conseil les écarte en estimant que la crainte de devoir investir constitue un effet dissuasif au retour à la régie et que ce phénomène est relativement rare. De même, l’autorité justifie sa position par des raisons « procédurales » notamment le fait que les exemples donnés ne concernent pas la période visée par la notification des griefs. Le professeur Jean-Marc Thouvenin a vivement critiqué cette position en raison du fait que cette décision vise à protéger la concurrence sur le marché « tel qu’il se présentera à l’avenir » et qu’il aurait donc été pertinent de retenir ces arguments47. De plus, l’autorité aurait du prendre en compte et vérifier ces faits présentés suffisamment tôt, respectant ainsi le principe de bonne administration de la justice. Néanmoins, il semble important de rappeler que les autorités de concurrences attachent une grande importance à l’espace temps de référence auquel sont liées les données économiques en matière d’abus de position dominante ou d’entente. Ces données économiques doivent normalement être rattachées à la période des faits, ce qui explique sans doute la position du Conseil de la concurrence. A propos du refus par le Conseil de la concurrence de prendre en compte les régies dans sa définition du marché pertinent, le professeur Jean-Marc Thouvenin critique à nouveau cette position. Selon cet auteur « on note tout de même qu’il demeure constant que 13.500 entités opèrent dans le cadre de la régie, et un quart de l’eau consommée en France est gérée en régie directe. Ceci est de nature à démontrer que l’accès au marché de la distribution de l’eau n’est pas fermé, pour des raisons techniques ou financières, aux collectivités territoriales se tournant vers les régies directes. Cette réalité aurait dû faire 47 J-M THOUVENIN, droit de la concurrence et marché de la distribution de l’eau, Gazette du Palais, 07 août 2003 n°219, p.2 44 l’objet au moins d’un commentaire du Conseil de la concurrence. A défaut, son argument tiré de barrières à l’entrée paraît fragile » 48 . Pour expliquer la position du Conseil de la concurrence, il nous semble opportun de citer l’avis de 1980 de la Commission de la concurrence précité, que le Conseil semble reprendre, selon lequel « en règle générale, chacune des régies existantes n'assure la distribution de l'eau que pour le compte de la ou les collectivités fondatrices ; (...) si quelques unes peuvent atteindre une certaine dimension, soit parce qu'elles relèvent d'un syndicat regroupant de nombreuses communes, soit parce qu'elles assurent la gestion du service d'eau d'une ville importante, fort peu nombreuses sont celles qui ont vocation à étendre de façon significative le champ géographique de leurs activités ; (...) ainsi les collectivités qui peuvent, pour différentes raisons, éprouver le besoin ou même se trouver dans la nécessité d'abandonner la gestion directe de leur service d'eau n'ont guère la possibilité sauf dans quelques zones géographiques peu nombreuses et peu étendues de faire appel à d'autres partenaires que les entreprises privée spécialisées ». Comme dans la décision n°05-D-58 précitée, où le Conseil avait pris une délimitation du marché pertinent relativement favorable aux communes (notamment en relevant un marché pertinent de la fourniture de l’eau en gros alors même que les communes n’avaient pas réalisé d’appel d’offre sur ce marché), le Conseil de la concurrence prend la encore une décision dans le sens des communes. Comme le relève l’auteur précité, le fait de ne pas avoir pris en compte la régie directe pour délimiter le marché pertinent paraît contestable. De la même manière que les autres décisions rendues dans le secteur de l’eau, les entreprises en cause contestaient la dimension nationale du marché. La décision rappelle l’avis du 28 octobre 1980 de la Commission de la concurrence d’ailleurs mentionné dans le cadre de ce mémoire, selon lequel « la forte concentration du secteur privé sur le marché de la distribution de l’eau confère à l’offre un caractère national » (la décision ne retient pas la même citation mais celle-ci nous paraît la plus pertinente) définissant ainsi le marché géographique en se référant par rapport à l’offre et non la demande. L’un des arguments était que l’on « ne peut qualifier uniformément les marchés de l’eau et de l’assainissement de marchés nationaux ; que selon elle, le marché des grandes collectivités est national, le marché de celles qui sont inférieures à la taille critique (10 000 habitants) est infra-régional et pluri-communal, sa dimension variant en fonction des possibilités économiques et 48 J-M THOUVENIN, droit de la concurrence et marché de la distribution de l’eau, Gazette du Palais, 07 août 2003 n°219, p.2 45 techniques de desserte ». Mais l’autorité poursuit son raisonnement estimant que « les trois plus grandes entreprises présentes sur les marchés de la distribution d’eau et d’assainissement interviennent sur l’ensemble du territoire national ; que cette position, adoptée par la Commission de la concurrence en 1980, est transposable à la présente procédure puisque la structure des marchés et le fonctionnement de la concurrence étaient analogues au début de la période couverte par la notification de grief, c’est-à-dire le 21 juin 1997 et que, par ailleurs, les modifications qui y ont été observées postérieurement ne sont pas déterminantes ». Ainsi, selon le Conseil, peu importe qu’il existe des tailles différentes de collectivité à partir du moment où les trois plus grosses entreprises peuvent répondre à des appels d’offre sur tout le territoire et ce, sans opérer de distinction selon la taille des collectivités. Le Conseil de la concurrence s’appuie notamment sur un avis de 2001 en matière de stationnement selon lequel « la dimension nationale du marché se justifie par (…), la mise en oeuvre d’une procédure de choix de l’entreprise obligatoire et identique quelle que soit la commune, l’exigence d’une publicité préalable, par voie de presse et d’une mise en concurrence à l’échelle nationale, ainsi que la présence, sur ces appels d’offres, des opérateurs à vocation nationale ». Il est surprenant que le Conseil ne mentionne pas la première partie de la citation de l’avis en cause qui était « «la dimension nationale du marché se justifie par l’homogénéité du service demandé (construction et exploitation d’un ou plusieurs parcs de stationnement)… ». Le cas échéant, cela pourrait conduire à comprendre que dés lors qu’il existe une procédure d’appel d’offre, et que les opérateurs en présence ont vocation nationale, alors le marché serait de dimension nationale ce qui ne nous semble pas souhaitable. Toujours selon le professeur Jean-Marc Thouvenin, cette position est éminemment contestable. En effet, celui-ci estime que la demande est purement locale, chaque collectivité exposant une demande spécifique. Selon cet auteur, il existerait une « prime aux opérateurs » sortant et l’implantation locale jouerait un rôle important, ces deux facteurs constituant d’importantes barrières à l’entrée sur les marchés locaux et constituant un cloisonnement séparant les marchés les uns des autres. Pour examiner la pertinence du raisonnement du Conseil, il convient de revenir sur la définition du marché géographique. En effet, de manière générale, la dimension territoriale du marché pertinent en cause dépend d’un certain nombre de facteurs tel que la disponibilité des offres concurrentes, des contraintes pesants sur l’offre ou encore des méthodes de commercialisation (par exemple, comme l’explique l’auteur, la 46 nécessité d’avoir une agence locale). La dimension territoriale d’un marché pertinent prend en compte ces facteurs pour examiner s’il existe des barrières à l’entrée de chaque marché. En l’espèce, étant donné qu’il s’agit d’appel d’offre ouvert à tous, faisant l’objet d’une publication, mettant en concurrence les entreprises au niveau nationale, il nous apparaît que selon le Conseil, rien n’empêchait aux sociétés en cause de répondre aux appels d’offres. En effet, l’argument tiré du manque d’intérêt économique de certains appels d’offre ne peut être retenu par le Conseil qui réfléchit plutôt en terme de potentialité. Cet élément nous paraît contestable lorsqu’on le compare au raisonnement du Conseil, dans cette même affaire, concernant l’impossibilité pour la régie de faire une pression concurrentielle, où le Conseil n’a pas véritablement raisonné en terme de potentialité mais plutôt en terme d’intérêt économique. Dans tous les cas, cette position a été réaffirmée à travers la décision n°05-D-58 précitée selon laquelle il existe un marché national même s’il se décline en application locale lors de chaque appel d’offre49 (par rapport à la délimitation des marchés pertinents, le Conseil affirmera, et nous l’étudierons, que la situation dans la décision n°05-D-58 est particulière). De plus, même s’il s’agit d’autres domaines que la délégation de service public, le Conseil de la concurrence a pu adopter à de nombreuses reprises une position assez similaire, notamment en matière de vente et d’installation d’ascenseurs 50 ou en matière d’appareils d’imagerie médicale où il s’est borné à constater que « le croisement de la demande et de l’offre s’exerçant au niveau national, il y a lieu de retenir l’existence d’un marché de dimension nationale ». Dans tous les cas, la justification donnée par le Conseil pour justifier ce marché national paraît assez contestable mais demeure, à la lumière des différentes décisions évoquées assez ancrée dans sa jurisprudence. Il convient à présent d’aborder le secteur des crèches. Le Conseil a rendu en la matière la décision n° 06-MC-02 du 27 juin 2006 relative à une demande de mesures conservatoires présentée par la commune de Bouc-Bel-Air. Dans cette affaire, il s’agissait plutôt d’un 49 « le marché de la délégation du service public de distribution d’eau sur lequel se rencontrent la demande des communes ou collectivités délégantes et l’offre des entreprises de distribution est un marché pertinent […] Ce marché pertinent est de dimension nationale, mais il se décline en applications locales chaque fois qu’un délégant éventuel lance une procédure d’appel d’offres pour choisir son délégataire » 50 C.C Avis 96-A-14 du 19 nov.1996, concentration dans les ascenseurs, « Considérant, ensuite, que, dans le secteur de l’installation des ascenseurs, sont présentes des entreprises de toute envergure, locales ou nationales , et que ces entreprises sont appelées à répondre à des demandes émanant soit d’opérateurs privés, en particulier les grandes entreprises générales de construction ou les promoteurs immobiliers, soit d’acheteurs du secteur public, pour l’équipement de constructions nouvelles ou d’immeubles existants, sans que le facteur géographique entre en ligne de compte, notamment du point de vue du demandeur ; que la circonstance que des entreprises, notamment celles qui pratiquent l’assemblage de composants, n’aient qu’une activité locale ne suffit pas , en outre, à définit la taille du marché ; qu’aucune contrainte, technique ou matérielle, ne s’oppose ; en effet, à l’assemblage, sur place, d’un ascenseur fabriqué dans une région géographique éloignée ; que la dimension géographique du marché est donc, au moins , nationale » 47 marché public, mais le Conseil prend notamment appui sur sa décision n°05-D-58 précitée et cite à de nombreuses reprises l’expression de « délégation de service public », ce qui laisse présupposer que le Conseil pourrait décliner cette décision en matière de délégation de service public (cela montrant la encore que le Conseil ne distingue pas fondamentalement les marchés publics et les délégations de service public, regroupant les deux notions sous une notion générique d’appel d’offre public). La commune de Bouc-Bel-air a délégué pendant un certain nombre d’années la gestion des crèches municipales à une association subventionnée par la mairie et la caisse d’allocation familiale (CAF). En 2005, la commune lance une procédure d’appel d’offre pour la gestion des crèches municipales et l’association tente, en modifiant les contrats de travail de ses salariés de créer une barrière à l’entrée du marché pour les autres entreprises candidates au marché. Intéressons nous à présent plus précisément à la délimitation du marché pertinent dans cette affaire. Dans cette décision, le Conseil se borne à reprendre sa délimitation, à savoir que chaque marché public successif constitue en soi un marché pertinent. Cette solution peut paraître légèrement surprenante, et ne manquera pas d’être soulevé par les sociétés attaquées dans l’affaire de la desserte maritime Corse, puisqu’elle ne répond pas vraiment à la définition du marché pertinent posée par le Conseil dans son rapport de 2001 précité, selon lequel le marché pertinent correspond au marché où sont actifs l’ensemble des opérateurs susceptibles de répondre à un appel d’offre. Mais le Conseil indiquera, et nous le développerons un peu plus loin, que ce choix répond essentiellement à la spécificité de la configuration en cause. Il existait en l’espèce deux marchés, le premier constitué par l’exécution de la convention d’objectif sur lequel l’association était en situation de monopole (précisons qu’à la base, la commune n’avait pas lancé de procédure d’appel d’offre pour gérer ses crèches mais le Conseil ne semble pas véritablement en tenir compte), puis le deuxième constitué par l’appel d’offre lors du renouvellement (nous étudierons la qualification de l’abus ci-après). Du point de vue de la délimitation matérielle du marché, il s’agissait donc du marché de gestion de crèche, où se rencontre, comme l’indique le conseil, « des offreurs associations, entreprises publiques ou privées - proposant à des demandeurs - des collectivités locales dans leur grande majorité - leurs services de gestion de ces structures » (remarquons que les collectivités sont explicitement qualifiées de demandeur, les usagers ne sont pas mentionnés pour définir la demande). La principale question sujette à discussion concernait la dimension géographique du marché (comme nous avons pu le voir concernant 48 les décisions du Conseil en matière d’eau potable). En effet, comme le souligne le professeur Laurent Richer, « en matière de marchés publics et de délégations de service public, selon les circonstances, et de manière souvent peu prévisible, le Conseil retient l’existence d’un marché national, régional ou local »51 et dans cette décision la question se posait pleinement. Le Conseil de la concurrence estime dans cette affaire que le marché en cause pourrait être théoriquement national, mais que du fait que les opérateurs ne sont que d’une faible dimension et n’ont qu’une activité locale, en pratique, il s’agissait donc plutôt d’un marché local. Comme l’indique le professeur Laurence Idot, « les données étaient quelque peu différentes (par rapport aux décisions rendues dans le secteur de l’eau potable) dans la mesure où l’on n’était pas en présence d’un grand groupe, […], implantés à la fois sur plusieurs marchés connexes et sur l’ensemble du territoire national, mais d’un association n’intervenant que sur un petit marché local »52. En somme, à la lumière de cette décision et des décisions précédentes, il semble possible de conclure que le Conseil délimite géographiquement le marché, dans les secteurs étudiés, de manière purement pragmatique et essentiellement par rapport à l’offre (la demande ne semble pas véritablement compter). Ainsi, si les entreprises agissant dans le secteur sont plutôt de grands groupes présents sur différentes parties du territoire, le marché sera qualifié de dimension nationale, alors que lorsqu’il s’agit de petites structures, le marché sera plutôt qualifié de local. A notre sens, cette qualification n’est pas vraiment satisfaisante, la délimitation revêtant un caractère assez aléatoire et purement fondé sur la structure économique des entreprises agissant dans le secteur en cause. De plus, on a pu voir dans le secteur de l’eau potable concernant la délimitation du marché de l’eau de gros, que malgré le fait qu’il s’agisse d’un groupe de grande taille agissant sur l’ensemble du territoire, le marché a été délimité localement à 55 communes du fait qu’elles ne pouvaient s’alimenter en eau qu’auprès de l’entreprise en cause. La délimitation géographique semble bien se faire au niveau de l’offre et varie en fonction de la structure économique (la nature économique et la structure des entreprises en cause) mais aussi technique (la dépendance technique à l’offre) du marché. Nous pouvons vérifier cette analyse à l’aide de décisions récentes rendues dans un troisième secteur, celui du transport maritime. 51 L.RICHER, Marchés publics : le Conseil de la concurrence qualifie d’abus de position dominante une « pilule empoisonnée » insérée dans les contrats de travail des salariés d’une crèche publique soumise à un appel d’offres, AJDA, 25 sept.2006, p.1698 52 L.IDOT, Quand le droit de la concurrence peut conduire à la suspension d’un avenant à un contrat de travail …, Revue des contrats, 1 octobre 2006 n°4, p.1099 49 Le domaine du transport maritime a aussi pu particulièrement attirer notre attention. Nous avons pu voir deux récentes décisions en la matière, à savoir la décision n° 06-MC-03 du 11 décembre 2006 relative à des demandes de mesures conservatoires dans le secteur du transport maritime entre la Corse et le continent et la Décision n° 07-D-13 du 6 avril 2007 relative à de nouvelles demandes de mesures conservatoires dans le secteur du transport maritime entre la Corse et le continent. Précisons que nous n’étudierons pas la Décision n° 01-MC-02 du 1er juin 2001 relative à une saisine et à une demande de mesures conservatoires présentées par la société Vedettes Inter-Iles Vendéennes puisque dans cette affaire, le conseil s’interrogeait sur la validité des conditions d’accès aux infrastructures portuaires réservées à sa régie départementale. Il ne s’agissait donc pas en l’espèce d’une délégation de service public, objet de notre étude. A travers sa décision n° 06-MC-03 du 11 décembre 2006, le Conseil de la concurrence devait examiner s’il existait bien en l’espèce une entente entre la collectivité territoriale de Corse et la Société nationale Corse méditerranée (SNCM) concernant un appel d’offre relatif au transport maritime entre la Corse et le continent, et d’autre part si la SNCM n’avait pas abusé de sa position dominante en déposant une offre globale et indivisible dans le cadre de l’appel d’offre lancé par la collectivité territoriale de Corse. Si nous étudierons plus en profondeur les pratiques en tant que telles dans le cadre de notre deuxième partie, il convient de se pencher sur la définition du marché pertinent dans cette décision. Au titre de la délimitation du marché pertinent, il est intéressant de remarquer que le Conseil de la concurrence cite son rapport de 2001 selon lequel en matière d’abus de position dominante « il convient d’examiner non pas le marché particulier résultant du croisement d’un appel d’offres et des soumissions qui ont été déposées en réponse, mais le marché plus général où sont actifs l’ensemble des opérateurs susceptibles de répondre à l’appel d’offres concerné. » il précise bien d’ailleurs à cet égard que cette position n’a pas été remise en cause par l’affaire de la commune de Bouc-Bel-Air citée précédemment. Le Conseil de la concurrence explique alors que dans sa décision relative à la Commune de Bouc-Bel-Air, il avait examiné le marché constitué par l’appel d’offre et un deuxième marché constitué par le renouvellement de façon exceptionnelle (il est difficile d’évoquer ici la question du marché pertinent sans étudier la pratique mais nous en resterons là pour l’étudier de manière plus approfondie ci-après). Le Conseil écarte cette hypothèse en l’espèce puisque aucun candidat ne dispose du pouvoir d’écarter les autres compétiteurs. Il poursuit son raisonnement en indiquant que « le marché 50 sur lequel il convient d'apprécier la position de la SNCM est donc celui mettant en présence la demande de l’OTC et, du côté de l’offre, toutes les entreprises pouvant, dans les faits, répondre à la consultation lancée en vue de l’attribution de la délégation de service public de la desserte maritime de la Corse à partir du port de Marseille ». Ce point de la décision est extrêmement important puisqu’il permet d’y voir un peu plus clair sur le raisonnement du Conseil de la concurrence qui paraît parfois assez disparate. En matière d’abus de position dominante (rappelons nous que dans le seul cas de l’entente, le Conseil de la concurrence ne définit pas véritablement de marché pertinent), le Conseil admet qu’il conçoit deux cas et qu’il poursuit un raisonnement au final, assez téléologique. En effet, le Conseil semble définir de manière différente les marchés pertinents en fonction des situations. Le professeur Richer a d’ailleurs pu rappeler à ce propos que « comme c’est souvent le cas, le Conseil de la concurrence [définit] le marché pertinent en fonction de l’objectif poursuivi, incontestablement légitime, de remise en cause de la « prime au sortant »53. Dans un premier cas, lorsqu’un candidat à un appel d’offre peut mettre des barrières à l’entrée de l’appel d’offre, alors le Conseil s’attache à un premier marché pertinent constitué par l’appel d’offre, croisement de l’offre et de la demande, et à un deuxième marché pertinent connexe, constitué autour de la barrière à l’entrée pour les autres concurrents. Dans le secteur de l’eau, l’autorité de la concurrence a ainsi pu remarquer un marché pertinent de la fourniture de l’eau en gros (délimité localement par le réseau privé de fourniture d’eau) qualifié de connexe au marché principal correspondant à l’appel d’offre. De la même manière, dans le domaine des crèches, Le Conseil délimite un marché constitué par un premier appel d’offre puis un second marché connexe, constitué par le renouvellement de l’appel d’offre où se situe la pratique. Dans un deuxième cas, correspondant à notre décision n° 06-MC-03 du 11 décembre 2006, mais aussi dans les décisions en matière d’eau (dans le cadre de la définition du marché national de la fourniture d’eau), le Conseil reprend la définition du marché pertinent élaborée par lui-même dans son rapport de 2001 et considère que le marché pertinent est délimité par l’offre et toutes les entreprises pouvant répondre à cette offre. Sur ce marché, le Conseil de la 53 L.RICHER, Marchés publics : le Conseil de la concurrence qualifie d’abus de position dominante une « pilule empoisonnée » insérée dans les contrats de travail des salariés d’une crèche publique soumise à un appel d’offres, AJDA, 25 sept.2006, p.1698 51 concurrence adopte une position pragmatique et économique (son raisonnement s’étaye d’ailleurs souvent en deux étapes, posant d’abord le marché « en théorie » puis « en pratique »). Lors de cette deuxième phase du raisonnement, le Conseil analyse quelles sont les entreprises qui peuvent pratiquement répondre à l’offre, ce qui l’avait conduit à écarter les collectivités locales dans le secteur de l’eau, et à ne retenir que trois sociétés. Le Conseil indique les barrières pratiques pouvant conduire à ce qu’il ne soit pas possible de répondre à l’appel d’offre, à savoir des contraintes techniques, temporelles ou commerciales. Il peut s’agir par exemple de la nécessité de modifier les contrats de travail des salariés, l’acquisition de nouveaux bateaux (par exemple, la nécessité d’avoir des bateaux adaptés à la spécificité des ports Corses) etc. pour pouvoir répondre à l’appel d’offre. Nous pouvons observer dans cette décision que le Conseil fait preuve de plus de précision que dans ces anciennes décisions, cela nous permettant de disposer de plus d’éléments de compréhension sur son raisonnement. Ce souci de précision se poursuit de manière relativement surprenante. En outre, après avoir définit le marché de la desserte maritime de la Corse, le Conseil va plus loin et délimite « à l'intérieur de l'activité de desserte maritime de la Corse, les marchés pertinents - dans leur dimension fonctionnelle et géographique - sur lesquels doit être apprécié le pouvoir de marché de la SNCM. ». Cette précision est d’autant plus surprenante qu’à la manière de l’Avis n°87-A-04 du 19 mai 1987 du Conseil relatif à la réglementation des tarifs des transports publics urbains de voyageurs, le Conseil examine cette fois-ci les marchés pertinents du coté de la demande . Le conseil semble utiliser une méthode utilisant un faisceau d’indice. Ainsi, le Conseil de la concurrence considère que l’offre de fret et le transport des voyageurs ne sont pas substituables. Ensuite, le marché du transport des voyageurs est examiné avec attention, et le Conseil déduit de la fréquentation des lignes qu’il existe deux marchés de service de transport des voyageurs, l’un de basse saison et l’autre en période de pointe. Remarquons que pour déterminer la substituabilité des produits, le Conseil de la concurrence se réfère au raisonnement de la Commission européenne et fait sienne ces définitions comme la décision du 29 mai 2006 de la Commission (« les principaux marchés concernés par l’opération sont les marchés des services de transport maritime régulier de passagers et de marchandises (activité de ferry) […] le marché pertinent inclut le transport de passagers et des véhicules de tourisme »). De même, pour délimiter le marché pertinent géographique, une fois encore, le Conseil de la concurrence réalise son analyse au regard de la demande en fonction des périodes (haute saison, basse saison), des prix du billet (ceci permettant de conclure que les ports italiens et les ports français ne sont pas substituables, les tarifs des ports français étant 52 beaucoup moins importants du fait des subventions), des temps de trajet (la différence de temps de trajet permet de qualifier le port de Nice comme non substituable au port de Toulon et de Marseille, Nice étant plus proche de la Corse) et mieux encore, en fonction de la variation de passager due à des mouvements de Grève sur le Port de Marseille, lui permettant de conclure qu’il existait au final trois marchés géographiques non substituables, celui du Port de Nice, celui du Port de Marseille et enfin celui du Port de Toulon. De la même façon, le Conseil conclut à la non substituabilité des différents ports pour le transport de fret pour des raisons techniques (les tarifs douaniers ou les différences existantes entre les infrastructures). Ensuite, l’autorité de la concurrence analyse le marché géographique au regard de l’offre, en s’appuyant sur sa jurisprudence précitée, selon laquelle il faut prendre en compte du coté de l’offre, « toutes les entreprises pouvant, dans les faits, répondre à la consultation lancée en vue de l’attribution de la délégation de service public de la desserte maritime de la Corse à partir du port de Marseille ». Le Conseil écarte alors le cas de la ligne de Marseille puisque seules les lignes au départ de Marseille sont des délégations de service public et conclut que de ce fait, notamment en raison des particularités des conditions d’exploitation inhérentes à la délégation de service public que les lignes au départ de Marseille constituent un marché pertinent. Il précise alors que ces conditions juridiques d’exploitation sont déterminantes pour les offreurs et convergent avec l’étude de la substituabilité du point de vue de la demande (Mais qu’en serait il si l’étude de la substituabilité devait conduire à qualifier des marchés géographique différents ?). Au point 97, le Conseil résume sa position en indiquant que « plusieurs marchés pertinents pourraient être identifiés en croisant des critères relatifs à la demande (fret et passagers), à la saisonnalité (haute et basse saison), à la substituabilité géographique, aux conditions de concurrence (existence ou non d’une délégation de service public) » et estime que « l'ensemble des éléments rassemblés ci-dessus sont, à ce stade de l'instruction, suffisants pour conclure que les liaisons maritimes au départ de Marseille constituent un marché pertinent, aussi bien pour les passagers que pour le fret ». L’analyse des marchés pertinents par le Conseil de la concurrence laisse perplexe, au regard des autres décisions étudiées, par sa précision et son caractère approfondi. Effectivement, à travers cette décision, le Conseil semble respecter la définition du marché pertinent établit dans son rapport en 2001 et définit de manière assez intéressante les marchés pertinents par rapport à la demande, demande entendue au sens des usagers (en étudiant la fréquentation, le prix du billet, la durée du transport etc…). Malheureusement les 53 commentateurs de cette décision54 ne se sont pas penchés sur cette définition des marchés pertinents. On peut se demander s’il s’agit d’une solution d’espèce (auquel cas, la compréhension de l’analyse du Conseil se révélerait encore plus aléatoire et imprévisible) ou une nouvelle démarche du Conseil de la concurrence, sous réserve de ne pas se trouver dans une situation de type Commune de Bouc-Bel-Air. De plus, à notre connaissance, il s’agit de la première décision où lors d’un appel d’offre, le Conseil délimite le marché pertinent au niveau de la demande (demande étant compris comme les usagers), même s’il étudie aussi le marché pertinent au niveau de l’offre. A notre sens, il s’agirait plutôt d’un nouveau raisonnement qui se voudrait plus économique et plus précis de la part du Conseil. En effet, si l’on reprend l’analyse téléologique du conseil, en l’espèce, il souhaitait clairement trouver un marché pertinent délimité au marché de la délégation des liaisons maritimes au départ de Marseille afin d’examiner le pouvoir de la SNCM sur ce marché. Mais pour ce faire, le Conseil ne s’est pas borné à retenir comme il le faisait, la substituabilité du point de vue de l’offre, mais comme nous l’avons exprimé, a aussi étudié la substituabilité du point de vue des usagers. Doit on pour autant conclure que le Conseil de la concurrence opérera toujours de cette façon ? La réponse est sans doute négative pour deux raisons. D’une part, car il existe toujours l’hypothèse de Commune de Bouc-Bel-Air (le cas des marchés connexes) et de celui des barrières à l’entrée qui conduisent à un mode de raisonnement différent de la part du Conseil. D’autre part, si le souci de précision du Conseil doit être encouragé, cette analyse pourrait se révéler incertaine dans la mesure où l’analyse de la substituabilité à la fois au regard de l’offre et de la demande pourrait donner des résultats contradictoires. Toutefois, il pourrait s’agir d’une tendance qui conduirait le Conseil à se référer, en cas d’abus de position dominante, de manière plus systématique aux définitions posées par le rapport de 2001 (la récente Décision n° 07-D-14 du 2 mai 2007 relative à des pratiques mises en oeuvre par la société Transmontagne, concessionnaire des remontées mécaniques étudiée ci-dessus mentionne à nouveau la définition du rapport de 2001 et l’étude des décisions rendus en matière d’eau et de remontées mécaniques démontre assez bien cette tendance à mieux analyser le marché pertinent) et à bien étudier le marché pertinent en cause de manière approfondie à l’aide d’arguments économiques. Malgré tout, à notre sens, le Conseil maintiendra une approche 54 BAZEX M., « Règles de concurrence et contrôle par le juge administratif », Contrats concurrence consommation, n°2, p 21 ; ECKERT G., « Délégation de service public et abus de position dominante », Contrats et marchés publics, n°2, p25 et Dreyfus, J-D, « La desserte maritime de service public de la Corse devant le Conseil d’Etat », AJDA 2007, p185 54 finaliste et téléologique visant à définir un marché pertinent en fonction de la pratique en cause. 55 CHAPITRE II -LES PRATIQUES SANCTIONNEES PAR LE CONSEIL DE LA CONCURRENCE EN MATIERE DE DELEGATION DE SERVICE PUBLIC Après avoir tenté d’éclaircir le mode de raisonnement du Conseil de la concurrence lorsqu’il définit les marchés pertinents, il convient à présent de s’intéresser aux différentes pratiques que le Conseil a pu sanctionner dans le domaine des délégations de service public. Dans le cadre de ce mémoire, seul le cas de l’abus de position dominante sera étudié, en incluant par la même, les cas où était retenu à la fois l’abus de position dominante et l’entente. En outre, il apparaît comme préférable d’écarter le cas des ententes. Tout d’abord, les pratiques observées dans le cadre des ententes en matière de délégation de service public sont au final assez proches de pratiques observées en matière de marché public. Or, si nous avons décidé d’écarter les décisions en matière de marché public dans notre première partie (sauf lorsqu’elles apportaient certains éclairages à notre raisonnement), il nous semble opportun d’écarter les pratiques en matière d’entente, celles-ci concernant, comme dans le secteur des marchés publics, des répartitions de marché. Ainsi, comme le rappel Monsieur Delelis55, la Conseil de la concurrence a sanctionné la répartition des marchés dans le secteur des délégation du transport public en reprenant sa jurisprudence traditionnelle en matière de marchés publics (Ville de Toulouse, 5 octobre 1993, Marché d’aménagement paysager dans les Bouches-du-Rhones, 5 janvier 1994 etc…). Si nous n’étudierons donc pas véritablement le cas des ententes, il paraît important de s’interroger sur la question de savoir s’il apparaît comme justifié que concernant ces cas de répartition de marché, le Conseil utilise exactement le même raisonnement. Reprenons à cet égard les termes exacts du Conseil lors de sa décision relative au transport public de voyageurs dans la région Pas-de-calais selon laquelle « la remise d’offres de couverture conserve son intérêt en cas de délégation de service public ; qu’en effet, si la loi du 29 janvier 1993, dite " loi Sapin ", régissant les délégations de service public, prévoit une phase de négociation des offres, entre le déléguant et la délégation pressenti, celle-ci fait suite à une première phase au cours de laquelle chacun des candidats présente son offre ; que, dans la pratique, le prix initialement proposé joue un rôle essentiel pour déterminer avec quel candidat la collectivité va engager ultérieurement les négociations, ainsi que l’illustrent 55 DELELIS Ph, « Entente dans le secteur du transport public routier de voyageur », Revue contrats et marchés publics, sept. 2001, p.19 et « Condamnation des ententes dans le secteur du transport public et voyageur », Revue contrats et marchés publics, mai 2002, p.25 56 d’ailleurs les résultats des procédures lancées par le département du Pas-de-Calais pour les transports scolaires ; que, dans ces conditions, la préparation d’offres de couverture en réponse à l’appel d’offres est de nature, d’une part, à inciter le maître d’ouvrage à retenir l’entreprise prédésignée, d’autre part, à limiter les concessions tarifaires initiales à consentir pour pouvoir être .choisi comme attributaire » . Monsieur Delelis, précité, conteste ce raisonnement pour deux raisons. Tout d’abord, il rappelle que l’article 1411-1 du Code général des collectivités territoriales (CGCT) pose que « Les délégations de service public des personnes morales de droit public relevant du présent code sont soumises par l'autorité délégante à une procédure de publicité permettant la présentation de plusieurs offres concurrentes […] Les offres ainsi présentées sont librement négociées par l'autorité responsable de la personne publique délégante qui, au terme de ces négociations, choisit le délégataire ». De plus, selon ce même auteur, « après la remises des offres, les négociations interviennent généralement avec plus d’un candidat » et « l’autorité délégante a parfaitement la possibilité d’engager les négociations avec plus d’un candidat » 56 . Ces deux aspects auraient pour conséquence que les éventuelles offres de couverture auraient donc un impact beaucoup moins important qu’en matière de marché public et l’éventuelle entente n’empêchera pas la collectivité de lancer des négociations avec deux entreprises. Si ces arguments semblent valables, notons que comme nous avons pu l’exposer au début de notre mémoire, concernant les ententes et plus spécifiquement les offres de couverture, le Conseil de la concurrence ne paraît pas nécessairement s’attacher à l’impact sur la concurrence (c’est ainsi que nous avons pu voir que le Conseil ne délimitait pas forcément de marché pertinent en matière d’entente). Ainsi dans cette même décision, le Conseil de la concurrence a aussi pu exposer «qu’en matière de marchés publics ou privés sur appels d’offres, il est établi que des entreprises ont conclu une entente anticoncurrentielle dès lors que la preuve est rapportée, soit qu’elles sont convenues de coordonner leurs offres, soit qu’elles ont échangé des informations antérieurement à la date où le résultat de l’appel d’offres est connu ou peut l’être, qu’il s’agisse de l’existence de compétiteurs, de leur nom, de leur importance, de leur disponibilité en personnel et en matériel, de leur intérêt ou de leur absence d’intérêt pour le marché considéré ou des prix qu’ils envisagent de proposer ; que de telles pratiques sont de nature à limiter l’indépendance des offres, condition normale du jeu de la concurrence » . Ainsi, dés lors qu’il s’agit d’un appel d’offre, le Conseil n’envisage pas fondamentalement l’effet de la pratique, mais la pratique en elle-même, raison pour laquelle, il lui est possible 56 DELELIS Ph, « Entente dans le secteur du transport public routier de voyageur », Revue contrats et marchés publics, sept. 2001, p.19 57 d’assimiler délégation de service public et marché public. Si nous pouvons comprendre ce raisonnement, de la même manière qu’une partie de la doctrine (précité en début de devoir) souhaitait que le Conseil de la concurrence établisse systématiquement un marché pertinent pour étudier par la suite l’effet de la pratique sur ce marché en matière d’entente, il nous semble que de la même manière, le Conseil pourrait s’interroger de façon plus approfondie sur la nature de l’appel d’offre, à savoir s’il s’agit d’une délégation de service public ou d’un marché public et par là même, étudier l’effet économique de la pratique. De plus, en l’espèce, le Conseil ne se pose pas la question de savoir si l’autorité pouvait engager des négociations avec un autre candidat (comme en matière d’eau où le Conseil n’a pas pris en compte le fait que les collectivités pouvaient lancer un appel d’offre sur le marché de la fourniture d'eau en gros) mais de voir si le fait de trouver un accord sur les prix avait un effet important sur la décision de l’autorité. Nous remarquons d’ailleurs à ce propos que le Conseil semble, lorsqu’il appréhende une pratique liée à une délégation de service public, s’attacher au prix plus qu’à d’autres critères. En matière d’entente, il convient tout de même de citer, du fait de sa spécificité, la décision n°04-D-39 du Conseil57 précitée où il a pu appréhender, dans le cadre de la gestion en affermage d’un abattoir, ce que le professeur Richer a pu qualifier de « capture du service public »58. Dans cette affaire ayant des faits pour le moins atypique, le Conseil a sanctionné le fait pour le groupe de société en charge de la gestion de l’affermage, de s’être entendu pour refuser l’accès au marché à une entreprise ayant repris les activités d’une des entreprises du groupement. Mais cette décision demeure assez particulière. Cette question posée, nous pouvons à présent nous intéresser aux abus de position dominante examinés dans le cadre des délégations de service public. Si nous avons déjà pu citer en début de mémoire les textes relatifs à l’abus de position dominante, il semble bon de les reprendre dans un souci de clarté. Ainsi, L’article 82 du traité des communautés européenne (traité CE) pose qu’« est incompatible avec le marché commun et interdit, dans la mesure où le commerce entre États 57 Décision n° 04-D-39 du 3 août 2004 relative à des pratiques mises en oeuvre dans les secteurs de l’abattage et de la commercialisation d’animaux de boucherie 58 RICHER L., « Contrat administratif et compétence des autorités de concurrence ; capture du service public par les usagers : une entente entre usagers d’un service public délégué, AJDA 2006, p.2437 58 membres est susceptible d'en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d'exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché commun ou dans une partie substantielle de celui-ci ». L’article L.420-2 du Code de commerce entend lui aussi sanctionner les abus de position dominante et indique qu’ « est prohibée, dans les conditions prévues à l'article L. 420-1, l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprises d'une position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci. Ces abus peuvent notamment consister en refus de vente, en ventes liées ou en conditions de vente discriminatoires ainsi que dans la rupture de relations commerciales établies, au seul motif que le partenaire refuse de se soumettre à des conditions commerciales injustifiées ». Pour qualifier un abus de position dominante, deux conditions sont donc nécessaires, d’une part l’existence d’une position dominante sur un marché et d’autre part, une exploitation abusive de cette position. Si nous avons dans une première partie concentré notre réflexion sur le marché, il convient de s’intéresser à la position dominante (section 1) puis aux pratiques d’abus de position dominante sanctionnées par le Conseil (section 2) Section 1- Les différents types de positions dominantes analysés par le Conseil Nous aborderons ici les différentes variantes de la position dominante, à savoir selon qu’elle soit le fait de plusieurs entreprises (§1) ou d’une seule entreprise (§2). §1 L’abus de position dominante individuelle dans les secteurs de la délégation de service public La notion de position dominante trouve sa définition à travers un célèbre arrêt Hoffmann-La Roche de 1979. Cet arrêt prévoit que "la position dominante visée à l’article 82 du traité sur la Communauté européenne concerne la situation de puissance économique détenue par une entreprise qui lui donne le pouvoir de faire obstacle au maintien d'une concurrence effective sur le marché en cause, en lui fournissant la possibilité de 59 comportements indépendants vis-à-vis de ses concurrents"59. La définition de la puissance économique s’envisage donc d’un point vue mobile, comme un degré tel de pouvoir sur un marché donné que son détenteur peut agir de manière indépendante, sans prendre en compte les autres acteurs du marché. Ainsi, le détenteur de la position dominante peut agir unilatéralement sur un marché donné. Ce marché s’analyse bien sur de manière économique, comme nous avons pu le présenter tout au long de ce devoir. La traduction de ce pouvoir peut être par exemple un pouvoir de fixation des prix. Sans développer de façon plus importante la notion de position dominante, notre mémoire se consacrant à sa seule application en matière de délégation de service public, il convient de rappeler que le Conseil de la concurrence utilise généralement la méthode du faisceau d’indice pour pouvoir définir une position dominante. Il peut ainsi examiner les parts de marchés détenues par la société en cause, la position de l’entreprise sur le marché ; l’existence de barrières à l’entrées ou encore la situation des concurrents. Dans notre matière, on compte un nombre plus important de décisions où l’on trouve un abus de position individuelle que collective (l’abus de position dominante collective a été analysé dans le domaine de l’eau et mentionné concernant l’affaire sur la desserte maritime Corse). Il convient d’étudier dans chaque cas, la manière dont le Conseil a analysé cette position dominante. Dans le secteur de l’eau, à travers sa décision n°98-MC-04 précitée (relevons aussi la décision n°98-MC-02 u 31 mars 1998 relative à des demandes de mesures conservatoires présentées par la commune de Saint-Michel-sur-Orge et l’Union fédérale des consommateurs - Que Choisir qui est assez similaire), le Conseil de la concurrence ne définit pas de marché pertinent et n’analyse pas la position dominante des entreprises en cause sur ce marché. Dans sa décision n°05-D-58, le Conseil n’a pas véritablement eu le même raisonnement, et s’engage cette fois-ci dans la définition des marchés pertinents (cet élément confirme d’ailleurs notre thèse selon laquelle le Conseil analyse de plus en plus les marchés pertinents et façon plus précise). Dans la même logique, il a pu dans cette affaire s’intéresser à la position dominante de La lyonnaise des eaux. En l’espèce, comme nous avons pu les définir en première partie, il existait deux marchés pertinents, un marché en amont constitué par le réseau de fourniture de l’eau aux communes dépendantes de ce réseau et un marché en aval 59 CJCE 13 fév. 1979, aff. 85/76, Hoffmann-La Roche, Rec. CJCE, p.461 60 constitué par les délégations de service public de la distribution. Indiquons que la Cour d’appel de Paris a considéré, à travers son arrêt du 29 juin 1998, que « la société Lyonnaise des Eaux occupe une position dominante sur le marché en cause, défini exactement par le Conseil comme celui de la délégation de service public de distribution d’eau potable dans le bassin dont dépendent les communes concernées par les demandes de mesures conservatoires ». Le Conseil, quant à lui, a analysé la position dominante de la Lyonnaise sur les deux marchés pertinents qu’elle a établi. Sur le marché de gros de fourniture de l’eau, il concède qu’effectivement, théoriquement, plusieurs entreprises pourraient intervenir sur ce marché. Toutefois, techniquement et pratiquement, les communes sont dans l’obligation de s’adresser à la Lyonnaise des eaux. Il conclut que la « SLE » détient un monopole de fait sur ce marché et se trouve donc bien en position dominante sur ce marché. Dans son analyse, le Conseil de la concurrence peut ainsi retenir des arguments techniques pour qualifier la position dominante d’un acteur sur un marché donné. Cette situation de monopole de fait rappelle, même si le Conseil n’utilise pas cette expression au sein de son analyse, l’analyse relative aux facilités essentielles que nous mentionnerons brièvement à travers la typologie des pratiques d’abus de position dominante. Concernant les pratiques du SEDIF, là encore, le Conseil considère que celui-ci dispose d’un monopole de fait. En effet, il indique que « la pratique du Sedif, en monopole de fait sur le marché de la fourniture d’eau aux consommateurs situés sur son territoire, a eu pour objet et pouvait avoir pour effet d’empêcher la finalisation d’un contrat de fourniture d’eau de l’un de ses principaux clients avec un concurrent, pratique prohibée par l’article L. 420-2 du code du commerce ». Précisons néanmoins que le Conseil a refusé de consacrer un monopole de droit du Sedif sur le marché d’approvisionnement en eau sur les territoires de ses communes adhérentes. Dans la décision n°07-D-14 relative aux remontées mécaniques, le Conseil apporte un indice permettant la caractérisation d’une position dominante (que nous retrouverons d’ailleurs dans l’affaire Bouc-Bel-Air), à savoir l’existence même d’une délégation de service public. Souvenons nous que dans cette affaire, le Conseil de la concurrence avait délimité deux marchés pertinents différents, à savoir un marché en amont limité à la vente de forfait d’accès aux remontées mécaniques aux professionnels du tourisme, et un marché en aval constitué par la revente de forfait touristique. Sur le marche en amont, le Conseil indique que « suite [au]rachat des actions de la SEM Ubaye Développement, Transmontagne est devenu titulaire du contrat de délégation de 61 service public qui avait initialement été conclu le 24 décembre 1994 entre le SMAP et la SEM Ubaye Développement. Transmontagne a créé une filiale pour gérer les remontées mécaniques de la station de ski de Pra-Loup, la société Pra-Loup Développement. En leur qualité de seuls opérateurs des remontées mécaniques sur la station de ski de Pra-Loup, la société Transmontagne et sa filiale, la société Pra-Loup Développement, sont les seules à pouvoir offrir l’accès au système de remontées mécaniques de la station de ski de Pra-Loup. La société Transmontagne et sa filiale, Pra-Loup Développement, se trouvent donc en situation de monopole pour la vente des titres d’accès aux remontées mécaniques, et, donc, de position dominante ». Nous pouvons déduire de cette citation que le délégataire d’une délégation de service public sera nécessairement en position dominante car il sera en situation de monopole sur l’exploitation du service concerné. Comme dit précédemment, il est très important de préciser que contrairement aux autres affaires, il s’agit bien de l’analyse d’une pratique pendant l’exploitation du service et non d’une pratique commise lors de l’appel d’offre. Sur le marché en aval, le Conseil ne s’intéresse pas vraiment à la position de la société Transmontagne et de sa filiale sur le marché, mais plutôt de la part que représente l’achat de forfait aux remontées mécaniques dans le chiffre d’affaire des hébergeurs. En somme, le Conseil, et nous le verrons à travers la typologie des pratiques, se concentrera beaucoup plus sur le premier marché que le deuxième. Penchons nous à présent sur l’analyse de la position dominante dans deux dernières affaires, à savoir l’affaire de la commune de Bouc-Bel-Air et l’affaire de la desserte maritime Corse. Dans la décision n°06-MC-02 du 27 juin 2006 relative à une demande de mesures conservatoires présentée par la commune de Bouc-Bel-Air, deux marchés avaient pu se voir délimiter, le premier constitué par l’exécution du marché sur lequel l’association était en situation de monopole, puis le deuxième constitué par l’appel d’offre lors du renouvellement. Pour rappel, dans sa décision, le Conseil mentionne les décisions qu’il a pu prendre en matière de mobilier urbain et de fourniture d’eau. Mais l’autorité souligne ici la spécificité de l’affaire qui lui est soumise en indiquant que « le Conseil ne s’est pas encore prononcé sur la possibilité pour une entreprise de commettre un abus anticoncurrentiel à l’occasion du renouvellement d’un marché, du seul fait de sa position de titulaire sortant sur le marché en fin d’exécution. Cette possibilité doit, néanmoins, être admise puisqu’un abus de position dominante peut être commis sur un marché connexe à celui sur lequel la dominance est 62 détenue et que deux marchés publics successifs portant sur la même prestation peuvent être considérés comme des marchés connexes ». En lisant ce passage dans le prolongement de notre réflexion, l’association exécutant le précédent marché était donc bien en situation de position dominante sur le premier marché, mais pas sur le deuxième marché constitué par l’appel d’offre. Le Conseil de la concurrence poursuit et précise que de « manière générale, s’agissant des procédures d’appel public à la concurrence, si des entreprises sont en concurrence avant l’attribution d’un marché, aucune d’entre elles ne détenant de position privilégiée, une fois le marché attribué, l’opérateur qui a remporté le marché est par définition en situation de monopole pour son exécution. Si la possibilité, pour lui, d’abuser de cette position dans le cadre de l’exécution de la prestation est peu probable, on ne peut exclure qu’il puisse le faire à l’occasion du renouvellement du marché, dès lors qu’il se trouve dans une situation différente des autres soumissionnaires, en particulier du fait de l’information privilégiée qu’il a acquise sur le fonctionnement du marché et qu’il pourrait, dans certains cas, influer sur les conditions dans lesquelles sera exécutée la prestation future ». Le Conseil affirme ici clairement que le titulaire d’un marché attribué lors d’une procédure d’appel public à la concurrence (selon nous, cela concerne donc aussi bien les marchés publics que les délégations de service public) se retrouve automatiquement en situation de monopole. Monsieur Mazières a d’ailleurs pu dire à ce sujet qu’ « a suivre ce raisonnement tout titulaire d’un marché public ou d’une délégation de service public est désormais in abastracto en situation de position dominante, quelle que soit notamment la réalité de sa puissance économique»60 . De plus, le Conseil reprend ici les termes de son avis n° 03-A-02 du 18 mars 2003 relatif aux conditions propres à assurer le libre jeu de la concurrence entre les candidats lors d'une procédure de délégation de service public, où il indique que selon lui, l’opérateur sortant doit faire l’objet d’une attention particulière de la part des collectivités en raison des informations dont il dispose qui le mettent dans une position privilégiée. Toute la problématique de cette affaire était justement que dans cette configuration, il n’y avait pas de position dominante sur le marché où était commis l’abus. Certes, l’association était en situation de monopole sur le premier marché pendant toute la durée de l’exécution, mais pas sur le deuxième marché. Or comme nous l’avons dit, selon l’article L. 420-2 du Code de commerce, est interdite « l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprises d'une position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci ». Néanmoins, il existe une configuration permettant au 60 MAZIERES, A. , « Droit de la concurrence et droit du travail dans les marchés publics », LPA n°193, 27 septembre 2006 63 Conseil de sanctionner une entreprise alors même qu’elle n’est pas en position dominante sur un marché. C’est l’hypothèse du marché connexe. Il existe deux configurations possibles. Dans un premiers cas, l’abus est commis sur un marché dominé, ce marché produisant lui-même des effets sur un marché connexe. Puis dans un deuxième cas, l’abus est commis sur un marché connexe non dominé, ce qui est bien le cas dans l’affaire Bouc-Bel-Air. C’est la jurisprudence communautaire, à travers un arrêt « Tetra Pack »61 qui a la première envisagée de condamner un abus de position dominante alors même qu’il n’existait pas de lien de causalité entre la position dominante et l’abus. Mais la Cour avait précisé que cette application de l’article 82 (article prohibant l’abus de position dominante), ne pouvait s’appliquer que dans des « circonstances exceptionnelles » 62 . Remarquons à ce propos que dans l’affaire de la desserte maritime corse, le Conseil utilisera une terminologie différente, en ce qu’il qualifiera la situation de Bouc-Bel-Air, de « forme inédite ». Mais le sens semble assez similaire. A plusieurs reprises la jurisprudence française a admis que, en raison d’un rapport de connexité entre deux marchés, une pratique abusive sur un marché non dominé puisse relever de l’article 420 du Code de commerce 63 . Cette configuration d’abus de position dominante, nécessite donc d’une part deux marchés (un principal et un connexe), et un lien de connexité entre les deux. En l’espèce, le Conseil considère que le lien de connexité résulte de l’article L. 122-12 du Code du travail obligeant le nouveau délégataire à reprendre les contrats de travail en cours. Le professeur Idot a pu écrire que « l’hypothèse est certes nouvelle, mais le raisonnement est séduisant et paraît tout à fait adapté aux particularités des marchés d’appels d’offres » 64 . Toutefois, Monsieur Mazières exprimait à l’égard de cette décision quelques réserves, indiquant qu’ « on peut s’en réjouir[…]Etait-ce toutefois le moyen le plus approprié ? On peut s’interroger sur cette évolution où, de manière systématique, la position dominante qualifie automatiquement un 61 CJCE 14 novembre 1996, Tetra Pack, aff. C-333/94 P, Contrats concurrence consommation. 1996, n°203, obs . L. VOGEL 62 CJCE 14 novembre 1996, Tetra Pack, aff. C-333/94 P, Contrats concurrence consommation. 1996, n°203, obs . L. VOGEL 63 Exemple : Cons.conc., n°87-D-8, 28 avr.1987, Sté Nouvelles messageries de la Presse parisienne, dans laquelle une société disposant d’une position dominante sur le marché d’approvisionnement des détaillants diffuseurs en articles de presse a commis des abus sur le marché de l’agencement de presse, ou encore Cass.com. 9 mai 2001, Pompe funèbres de Gonesse, BOCC, 23 juin 2001,p.527 : « un abus de position dominante peut être constitué par une pratique ayant pour objet ou un effet anticoncurrentiel sur un marché distinct du marché dominé » 64 64 L.IDOT, Quand le droit de la concurrence peut conduire à la suspension d’un avenant à un contrat de travail …, Revue des contrats, 1 octobre 2006 n°4, p.1099 64 acteur, indépendamment de tout examen in concreto» 65 . De même, le professeur Richer tempère ce propos puisque selon lui « derrière une apparente clarté, le raisonnement reste quelque peu obscur dans sa dimension temporelle étant donné que le marché créé par la première mise en concurrence est un marché éphémère qui n’existe plus au moment de la nouvelle mise en concurrence et que, au surplus, dans le cas de la commune de Bouc-Bel-Air la mise en concurrence initiale n’a jamais existé. Il s’ensuit que le marché sur lequel l’association sortante est en position dominante ne peut pas être celui qui a été créé par la première procédure de mise en concurrence » 66 . Effectivement, contrairement aux deux autres décisions citées par le Conseil en matière d’eau et de mobilier urbain (nous aurons l’occasion de traiter la solution retenue en matière d’eau ci-dessous, puisqu’il s’agissait d’un abus de position dominante collective), nous n’étions pas ici en présence d’une entreprise présente sur d’autres marchés connexes, où sur le marché national, mais d’une entreprise simplement présente sur un marché local. De plus, le professeur Richer soulève bien la question de la temporalité du marché pertinent et la possibilité de conclure à un lien de connexité dans ce cadre. L’élément temporel prend donc ici toute son importance comme souvent en matière économique 67 . Selon la jurisprudence communautaire 68 , et la jurisprudence interne, les délimitations de marchés s’opèrent au moment où a été accomplie l’action susceptible de constituer un abus. Si nous nous intéresserons plus précisément à la pratique, il est possible d’indiquer que l’abus en cause était constitué par l’avenant. Or, certes, le premier marché était éphémère, mais l’avenant pris par l’association alors qu’elle était en monopole sur le marché, a toujours des effets lorsque le deuxième marché naît (pour preuve, l’association des crèches d’Aix en Provence et la Commune de Bouc-Bel-Air ont tenté de faire annuler l’avenant avant que l’association des crèches d’Aix en Provence se retire). La temporalité subsisterait donc grâce à cet avenant. De plus, « l’association des crèches d’Aix en Provence a décidé « à regret », le 14 décembre 2005, de résilier le contrat passé avec la commune […] A la suite du retrait de l’association des crèches d’Aix en Provence, la commune de Bouc Bel Air n’avait d’autre choix que de prolonger la convention d’objectifs la liant à l'association Les Bouc'Choux pour la gestion des deux crèches des Boucanous et de 65 MAZIERES, A. , « Droit de la concurrence et droit du travail dans les marchés publics », LPA n°193, 27 septembre 2006 66 66 L.RICHER, Marchés publics : le Conseil de la concurrence qualifie d’abus de position dominante une « pilule empoisonnée » insérée dans les contrats de travail des salariés d’une crèche publique soumise à un appel d’offres, AJDA, 25 sept.2006, p.1698 67 MARSHALL A., 1961, p. VII”, The Economics of time and Ignorance par O’DVISCOL, M.RIZZO, R. GARRISSON, Ed. Routledge, Londres , 1996, p.52 : « The element of time (…) is the centre of the chief difficulty of almost every economic problem », 68 CJCE 16 déc. 1975 Suiker Unie Aff. Jointes 40 à 48, 50, 54 à 56, 111 , 113, 114/73, Rec.1663 65 l’Arbre de vie pour 2006, afin d’assurer la continuité du service rendu aux enfants ». Ainsi, s’il est difficile d’établir l’existence temporelle des marchés au même moment, l’avenant et ses effets semblent servir de passerelle temporelle entre ces deux marchés, la continuité du service public renforçant ce lien. Cette thèse semble confortée par la position du Conseil à l’égard de cette décision dans sa décision relative à la desserte maritime de la Corse de 2006 selon laquelle, « dans ces circonstances très particulières, le Conseil a admis la possibilité qu'un abus de position dominante puisse être commis par le titulaire d'un marché ou d'une délégation, à l'occasion du renouvellement de ces contrats, en considérant que deux délégations successives portant sur la même prestation exécutée avec les mêmes moyens (au moins à titre transitoire) pouvaient être considérés comme deux marchés connexes, et qu’il n’était pas exclu que la position du titulaire sortant puisse être qualifiée de dominante compte tenu du "pouvoir de marché" exorbitant qu’il s'était octroyé, et qui lui a permis à la fois de s’abstraire de la pression concurrentielle des autres offreurs et de faire échec à la procédure de mise en concurrence voulue par le demandeur ». L’expression de « circonstances très particulières » semble bien renvoyer à l’expression de la jurisprudence communautaire « Tetra pack » de « circonstance exceptionnelle ». De plus, l’expression précitée, selon laquelle « deux délégations successives portant sur la même prestation exécutée avec les mêmes moyens (au moins à titre transitoire) pouvaient être considérés comme deux marchés connexes », fait à notre sens référence au transfert de personnel (et donc à l’avenant) qui permettrait de créer ce lien de causalité mais aussi un lien temporel. Enfin, nous pouvons nous pencher sur la décision n° 06-MC-03 du 11 décembre 2006 relative à des demandes de mesures conservatoires dans le secteur du transport maritime entre la Corse et le continent. Pour rappel, dans cette décision, le Conseil avait conclu au niveau de la détermination des marchés pertinent que « plusieurs marchés pertinents pourraient être identifiés en croisant des critères relatifs à la demande (fret et passagers), à la saisonnalité (haute et basse saison), à la substituabilité géographique, aux conditions de concurrence (existence ou non d’une délégation de service public) ». Par la suite, le Conseil annonce qu’il prendra comme critère pour retenir la position dominante sur l’un de ces marchés les parts de marchés. En effet, si nous n’avons pas encore eu l’occasion de rencontrer ce critère, généralement, la part de marché constitue un indice fort pour le Conseil de la position dominante d’une entreprise sur un marché. 66 Ainsi le Conseil considère que « s’agissant du marché des passagers et sur le seul critère de la part de marché, la SNCM n’est pas en position dominante sur les liaisons au départ des trois ports français, Marseille, Toulon et Nice, pris dans leur ensemble, aussi bien en basse saison qu’en haute saison. Elle n’est pas non plus en position dominante sur les liaisons au départ de Nice et Toulon, pris séparément ou ensemble, quelle que soit la saison retenue. Enfin, elle n’est pas en position dominante sur l’ensemble des liaisons au départ de Marseille et Toulon, aussi bien en haute saison qu’en basse saison ». En revanche, à la lecture de l’évolution des parts de marché de la SNCM sur le marché du transport maritime des passagers au départ de Marseille, mais aussi à l’aide d’autres critères comme le fait qu’il s’agisse d’une délégation de service public, le Conseil conclut que la SNCM détient une position dominante sur le marché du transport maritime des passagers entre Marseille et la Corse. A cet égard, deux éléments peuvent être signalés. Tout d’abord, concernant le critère de la part de marché, celle-ci doit être analysée au regard de sa valeur puis de l’évolution de cette valeur. En effet, il y a tout d’abord, l’analyse de la part de façon objective, c'est-à-dire au regard de sa seule valeur. Ainsi généralement, une part de marché supérieur à 60 ou 70% présumera fortement l’existence d’une position dominante mais elle ne peut être inférieure à 50% 69. En l’espèce, la part avoisinait 80% selon les années ce qui est un indice fort de la position dominante de l’entreprise. Ensuite, il est nécessaire d’analyser l’évolution de cette part de marché, une analyse en somme plus subjective. Une diminution significative de cette part de marché pourrait constituer un indice de l’arrivée progressive de la concurrence et remettre éventuellement en cause la position dominante de l’entreprise. Dans notre affaire, cette part a diminué de 10%. Si en 2006, la SNCM n’avait pas vu sa part de marché augmenter, la baisse de sa part de marché aurait été continue pendant six ans (affichant une baisse de 10%) et le Conseil aurait peut être conclu comme dans sa décision n° 99-D-21 du 9 mars 1999 (relative à des pratiques constatées dans le secteur des implants intraoculaires set des substances viscoélastiques) qu’il n’y avait pas de position dominante 70 . Toutefois, il faut avoir à l’esprit, et le Conseil l’a mentionné, que d’autres critères sont pris en compte, notamment le fait qu’il s’agisse d’une délégation de 69 « Attendu qu’un opérateur ne saurait détenir une position dominante sur le marché d’un produit que ‘il est parvenu à disposer d’une partie non négligeable de ce marché ; Attendu que, sans entrer dans une discussion de pourcentage nécessairement fixé avec une certaine approximation, on peut considérer qu’il est constant que la part d’UBC (United Brands company) sur le marché en cause est toujours supérieure à 40% et se rapproche de 45% ; que ce pourcentage ne permet cependant pas de conclure au contrôle automatique du marché par UBC », CJCE 14 février 1978, United brands Company, aff.27/76, Rec. P.207 70 Dans cette affaire, la part de marché était passée de 94% à 72% en deux ans et le Conseil avait conclu à l’absence de position dominante 67 service public. Par conséquent, même si la SNCM avait continué à perdre quelques parts de marché, sans doute le Conseil aurait-il maintenu cette position. A propos du marché de transport des marchandises, le Conseil est conduit à analyser les parts de marché de la SNCM et de la CMN et mentionne la possibilité d’un abus de position dominante collective, cet aspect de cette décision sera donc traité dans le prochain paragraphe. Il convient à présent de s’intéresser la position dominante dans le cas où elle est le fait de plusieurs entreprises. §2 L’abus de position dominante collective dans les secteurs de la délégation de service public Le droit français comme le droit communautaire envisage qu’une position dominante puisse être détenue par un « groupe d’entreprise »s ou « une ou plusieurs entreprises ». Selon la définition de la position dominante collective posée par le Conseil dans la décision n°98-D76 71 , « plusieurs entreprises simultanément présentes sur un même marché peuvent être considérées comme détenant conjointement une position dominante, s’il existe entre elles une interdépendance qui les conduit à adopter une stratégie explicitement ou implicitement coordonnée ». La doctrine utilise parfois le terme d’abus de position dominante collective ou conjointe, certains auteurs distinguant parfois les deux terminologies. Pour le professeur Blaise, la position dominante conjointe correspondrait à la situation où plusieurs entreprises se retrouvent en position dominante alors même qu’elles ne disposent pas de lien financier ou politique et la position dominante collective serait plutôt envisagée dans le cas de groupement d’entreprises. 72 De même, pour le professeur Bolze, la position dominante conjointe se référerait en réalité à un comportement concerté alors que la position dominante collective 71 Cons. Conc, Décision n° 98-D-76 du 9 décembre 1998 relative à la situation de la concurrence dans le secteur du disque. 72 BLAISE J.B, « Une construction inachevée, le droit français des ententes et positions dominantes », Etudes R. Roblot, LGDJ, 1984,p.170). 68 serait un comportement imposé73. Notons que le Conseil de la concurrence ne semble pas en pratique adopter cette position. Pour présenter clairement les choses, il y aura abus de position dominante collective lorsque plusieurs entreprises adoptent un comportement similaire à une seule entreprise en situation de position dominante alors même que les entreprises sont indépendantes entre elles. La notion d’abus de position dominante collective a été appliquée pour la première fois par la Commission européenne dans la célèbre affaire dite du « verre plat » dans laquelle elle a retenu la position dominante collective de plusieurs entreprises qui agissaient sur le marché en cause comme « une seule entité et non avec leur individualité" 74 . Le droit communautaire comme le droit interne exige qu’il existe un lien entre les entreprises en plus du parallélisme du comportement75. En conséquence, les entreprises ne doivent pas se faire concurrence entre elles et doivent se trouver sur le même marché. Avant de traiter de l’affaire concernant un abus de position dominante collective en matière de délégation de service public, à savoir la décision n°02-D-44, il convient de développer quelque peu cette condition de « lien », d’autant qu’elle sera l’un des sujets de discussion dans l’arrêt analysé. Le lien entre les entreprises peut revêtir plusieurs formes. Il peut être contractuel (sous la forme d’un accord entre entreprise), structurel ou juridique (par exemple, par le biais de prises de participations). Toutefois, l’existence d’un accord ne constitue pas une condition stricto sensu et a contrario, l’existence de lien ne conduira pas nécessairement à un abus de position dominante collective 76 . En somme, la nature du lien revêt différentes formes. L’élément important est que ce lien traduise la volonté des différentes entreprises d’agir de façon identique sur un même marché 77 . Il faudra donc pour les autorités de concurrence apporter la preuve de ce lien. Sur ce point, les autorités françaises et les autorités communautaires ne semblent pas retenir la même approche. Effectivement, pour les autorités communautaires il n’est pas nécessaire d’apporter la preuve d’une volonté commune. La seule 73 BOLZE C., « le marché commun face aux trusts », Etude comparative sur les groupes de sociétés et le droit de la concurrence dans la CEE, publ. Univ. Nancy II, 1981, p.184,n°338. 74 Déc. Comm. CE 7 déc. 1988, JOCE, L. 33, 5 fév. 1989. 75 Cons. Conc, Décision n° 98-D-76 du 9 décembre 1998 relative à la situation de la concurrence dans le secteur du disque. 76 CJCE 16 mars 2000, Compagnie maritime belge, aff. Jtes C-395/96 P et C-396/96 P ; Europe 2000, n°143 ; obs. L. IDOT, Contrats conc. Consom. 2000 comm. 113, obs. POILLOT-PERUZZETTO S. : « la seule circonstance que deux entreprises soient liées par un accord, […] ou une pratique concertée ne saurait constituer, en soi , une base suffisante pour [constater une position dominante collective] ». 77 CA Paris, 6 juill. 1994, Sté Total Réunion Comores et autres, BOCC 29 juill. 1994, p.299, Contrats conc. Consom. 1994 69 existence de liens économiques suffit. Les autorités communautaires adoptent ainsi une approche objective, dite structurelle par opposition à l’approche comportementale qui vise à analyser le comportement des entreprises. C’est ainsi que dans l’affaire précitée, dite « du verre plat », la commission a pu aller encore plus loin et sanctionner les entreprises sur la seule base d’un parallélisme des comportements. Précisons que cette solution n’a pas été retenue par la suite, et le TPICE a pu soumettre la position dominante collective à certaines conditions 78 . Le Conseil de la concurrence a refusé de suivre cette analyse « objective et structurelle ». Enfin, la jurisprudence communautaire considère que dans la situation d’entreprises concurrentes en position d’oligopole, l’absence de relations concurrentielles entre les entreprises est un élément de la position dominante collective79. C’est ainsi que dans sa décision n°98-D-76 précitée, le Conseil indique que les liens économiques ne pouvaient constituer à eux seules une position dominante collective, sans preuve d’une volonté commune. Toutefois cette décision semble être remise en cause, notamment du fait de la décision n°02-D-44. Rappelons nous que dans cette décision, le Conseil de la concurrence avait délimité un marché national de la gestion déléguée de la distribution de l’eau et un marché national de la gestion déléguée de l’assainissement de l’eau. En l’espèce et contrairement à sa position traditionnellement hostile à la position des instances communautaires, le Conseil de la concurrence énonce deux jurisprudences du Tribunal de première instance des communautés européennes selon lesquelles , « on ne saurait exclure, par principe, que deux ou plusieurs entités économiques indépendantes soient, sur un marché spécifique, unies par de tels liens économiques que, de ce fait, elles détiennent ensemble une position dominante par rapport aux autres opérateurs (…)" (TPICE 10 mars 1992 aff. T-68/89, T-77/89 et T78/89, Soc Italiana Verro Spa et autres, Rec CJCE II p. 1403). Considérant que, comme l’a également énoncé le Tribunal de Première instance, "sur le plan juridique ou économique, il n'existe aucune raison d'exclure de la notion de lien économique la relation d'interdépendance existant entre les membres d'un oligopole restreint à l'intérieur duquel, sur un marché ayant les caractéristiques appropriées, notamment en termes de concentration du marché, de transparence et d'homogénéité du produit, ils sont en mesure de prévoir leurs comportements réciproques et sont donc fortement incités à aligner leur comportement sur le marché, de façon notamment à maximiser leur profit commun en restreignant la production 78 79 TPICE, 6 juin 2002, aff. T-342/99, Airtours c/First choice, Europe 2002, n°291 ; obs, IDOT L. CJCE 13 févr. 1979, aff. 85/76, Hoffman-La Roche, Rec. P. 461 70 en vue d'augmenter les prix. En effet, dans un tel contexte, chaque opérateur sait qu'une action fortement concurrentielle de sa part destinée à accroître sa part de marché (par exemple une réduction de prix) provoquerait une action identique de la part des autres, de sorte qu'il ne retirerait aucun avantage de son initiative. Tous les opérateurs auraient donc à subir la baisse du niveau des prix" (TPICE 25 mars 1999, aff. T-102/96, Gencor, Rec. CJCE I, p. 1375). Ces jurisprudences rappelées, le Conseil mène un raisonnement en plusieurs temps, à savoir, tout d’abord établir l’existence d’une situation oligopolistique, l’existence de liens structurels entre les entreprises puis l’étude de l’homogénéité du produit eau. Il conclut « que la CGE et la SLDE sont, à l’époque des faits, les deux premiers éléments d’un oligopole restreint en détenant 85 % des marchés ; qu’elles sont unies par des liens structurels ; que le produit "eau" qu’elles commercialisent est homogène et sa demande inélastique à son prix ; qu’elles opèrent sur un marché faiblement contestable ; que leurs comportements sont parallèles et prévisibles dans les zones où elles possèdent des entreprises communes ; que la CGE et la SLDE détiennent, à l’époque des faits, une position dominante collective sur le marché national de la gestion déléguée du service de distribution d’eau et sur le marché national de la gestion déléguée de l’assainissement ». Nous pouvons remarquer que dans cette analyse, le Conseil de la concurrence a une approche assez structurelle et objective et n’apporte à aucun moment la preuve d’une volonté commune de la part des entreprises. Le Conseil semble ici se baser uniquement sur l’existence d’un lien structurel, ce qui peut surprendre par rapport à sa position traditionnelle. D’autre part, nous avons pu indiquer que l’abus de position dominante collective est subordonné à l’existence d’un lien mais aussi au fait que les entreprises soient simultanément présentes sur un même marché. Or, il est difficile de comprendre pour qu’elle raison le Conseil se réfère aux « caractéristiques du produit eau », et non à l’homogénéité des services en cause alors qu’il a lui-même défini préalablement deux marchés distincts (le marché national de la délégation de la distribution d’eau et le marché national de l’assainissement d’eau). Sans doute comme le souligne le professeur Thouvenin 80 , le Conseil a tenté de reprendre le raisonnement des autorités communautaires, notamment de l’arrêt Gencor où la Cour avait pu évoquer l’homogénéité des produits. D’autre part, il est aussi difficile de comprendre pour qu’elle raison l’autorité de concurrence française calcule la part de marché des deux entreprises en cause cumulé à la fois sur le marché national de la distribution de l’eau et de l’assainissement alors même que le Conseil avait considéré qu’il s’agissait de deux marchés spécifiques. Le professeur Thouvenin 80 J-M THOUVENIN, droit de la concurrence et marché de la distribution de l’eau, Gazette du Palais, 07 août 2003 n°219, p.2 71 se montre très critique à l’égard de cette décision, s’interrogeant sur l’opportunité d’avoir cumulé des parts de marché de façon globale et la pertinence d’avoir analysé l’homogénéité du produit eau. Enfin, le professeur Thouvenin indique que selon lui, les collectivités exerçaient une pression concurrentielle importante conduisant à empêcher la constitution d’une position dominante, notamment parce que les collectivités peuvent toujours décider de revenir en régie. Puis, pour renforcer son argumentation selon laquelle les collectivités jouaient un rôle empêchant la caractérisation de cette position dominante (car pour le Conseil, la concurrence opérée par les régies était marginale), il rappelle une jurisprudence communautaire où le Tribunal de première instance des communautés européennes avait annulé le raisonnement de la Commission en jugeant que « La question n’est pas ici de savoir si un petit voyagiste peut atteindre la taille nécessaire pour pouvoir concurrencer de manière effective les voyagistes intégrés en leur disputant leurs places d’opérateurs principaux. Mais il s’agit de déterminer si, dans le contexte anticoncurrentiel envisagé par la Commission, les centaines de petits voyagistes déjà sur le marché, globalement considérés, peuvent réagir efficacement à une réduction de la capacité mise sur le marché par les grands voyagistes […] et s’ils peuvent contrecarrer ainsi la création d’une position dominante collective »81. Le raisonnement du Conseil nous apparaît comme assez obscur et scabreux. Le point le plus obscur est sans doute l’analyse de la position dominante collective sur un marché différent que celui établit au préalable. Comme dit précédemment, l’étude d’une position dominante collective sur les deux marchés pris dans leur globalité alors même que le Conseil avait établi que les deux marchés étaient distincts fragilise le raisonnement. S’il est nécessaire de rester dans le cadre de ce mémoire, nous prendrons juste une décision récente du Conseil de la concurrence pour comparer le raisonnement. Ainsi dans sa décision n° 06-D-18 du 28 juin 2006 relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur de la publicité cinématographique, le Conseil devait appréhender une situation de position dominante collective. En l’espèce, le Conseil avait retenu deux marchés pertinents, les marchés de la régie publicitaire cinématographique nationale et le marché de la régie publicitaire cinématographique locale. Sans rentrer dans le détail, nous remarquons que le Conseil se livre à une justification très précise de son mode de calcul des parts de marchés ce qui n’avait pas été le cas dans notre affaire. Ensuite, le Conseil s’est penché sur l’étude de la position dominante collective. La lecture de la décision démontre que le Conseil est dorénavant plus 81 TPICE, Airtours du 6 juin 2002 (affaire T-342/99) 72 clair quant aux critères utilisés. Il reprend les jurisprudences communautaires en la matière (Airtour, Gencor etc.. précitée) et rappelle que « l’existence de liens structurels entre des entreprises d’une part, tels que des liens en capital ou encore des accords formalisés entre elles, et l’adoption d’une ligne commune d’action sur le marché d’autre part, suffisent à démontrer l’existence d’une position de dominance collective ». Le Conseil poursuit en indiquant qu’« en l’absence de tels liens, la seule structure du marché peut permettre de mettre en évidence une position dominante collective, si les critères cumulatifs dégagés par le tribunal de première instance dans son arrêt Airtours du 6 juin 2002 (affaire T-342/99) sont réunis, à savoir la structure oligopolistique et la transparence du marché concerné, la possibilité d’exercer des représailles sur les entreprises déviant de la ligne d’action commune et enfin la non contestabilité du marché ou l'absence de compétition potentielle ». Le Conseil analysera à la suite de cette citation chaque critère en les prenant un par un. Cette lecture nous permet de comprendre que très certainement, selon nous, le Conseil a fait une réception assez maladroite de la jurisprudence communautaire Airtours parue un mois avant la décision n°02D-44, mélangeant ainsi un peu les différents critères et les différentes situations (selon que l’on est dans une situation oligopolistique ou non). Ainsi dans la décision 02-D-44, les étapes du raisonnement du Conseil semblent indiquer qu’il a tenté d’appliquer la jurisprudence Airtours (ce choix est certainement lié à l’incapacité pour le Conseil de sanctionner les entreprises sur le terrain de l’entente, ne détenant pas les preuves nécessaires). Nous comprenons mieux pourquoi le Conseil s’est intéressé à l’homogénéité du produit eau (alors que l’homogénéité aurait du porter sur les services) et son raisonnement de façon générale. Sans doute, peut on dire que son raisonnement serait autre aujourd’hui, celui-ci étant plus rigoureux et plus clair. D’autant que l’application des critères de la jurisprudence Airtours n’était pas indispensable, le lien entre les entreprises pouvant, à notre sens, être établi. Pour revenir dans le domaine de la délégation de service public, la récente décision n°06-MC-03 du 11 décembre 2006 (relative à des demandes de mesures conservatoires dans le secteur du transport maritime entre la Corse et le continent) nous permet d’appuyer notre propos. Dans cette décision, le Conseil de la concurrence mentionne la possibilité d’une position dominante collective. Le Conseil juge ainsi que « les liens structurels entre la SNCM et la CMN et les liens commerciaux noués pour l’exécution de la DSP devraient suffire pour constater une position de dominance collective de ces deux entreprises sur le transport du fret entre Marseille et la Corse. Or, comme l’a jugé le TPICE dans l’affaire Irish Sugar, lorsque plusieurs entreprises détiennent ensemble une position de dominance collective, l’abus de 73 celle-ci peut n’être le fait que de l’une d’entre elles : « Si l’existence d’une position dominante collective se déduit de la position que détiennent ensemble les entités économiques concernées sur le marché en cause, l’abus ne doit pas nécessairement être le fait de toutes les entreprises en question. Il doit seulement être identifié comme l’une des manifestations de la détention d’une telle position dominante collective. Par conséquent, des entreprises occupant une position dominante collective peuvent avoir des comportements abusifs communs ou individuels. » TPICE, 7 octobre 1999, Irish Sugar ». Ainsi, conformément à ce que nous avons pu affirmer auparavant, le Conseil fait bien la différence aujourd’hui entre la configuration posée par la jurisprudence Airtours et le cas où il existe un lien entre les différentes entités. Deux éléments sont importants dans cette affaire. Tout d’abord, le Conseil de la concurrence juge que les liens existants (structurels et commerciaux) entre les deux entreprises suffiraient à établir une position dominante collective sans qu’il soit nécessaire d’apporter la preuve de l’élément intentionnel. Toutefois, le Conseil ne fait pas ici référence à l’existence d’une ligne d’action commune mais elle pourrait certainement se voir présumer. Ensuite, cette décision soulève une configuration extrêmement intéressante. Effectivement, le Conseil de la concurrence envisage le cas où le pacte d’actionnaire ne serait pas validé. Ainsi, les deux entreprises se verraient selon le Conseil liées mais l’abus ne viendrait que de l’une des deux entreprises, en l’espèce, la SNCM. Le Conseil utilise par se biais la jurisprudence Irish sugar selon laquelle la détention de la position dominante doit être collective mais pas nécessairement l’abus. Il convient dés à présent de traiter des pratiques d’abus de position dominante. En effet, comme nous l’avons vu à maintes reprises la position dominante n’est pas en soit constitutive d’un abus. Section 2 - Les différentes pratiques d’abus de position dominante sanctionnées par le Conseil de la concurrence L’article 82 du traité et l’article L. 420-2 du Code de commerce n’apportent pas de définition précise de l’abus, mais ne fournit que des exemples d’abus tels que « le refus de vente, [les] ventes liées ou [des] conditions de vente discriminatoires ainsi que dans la rupture de relations commerciales établies ». C’est donc la doctrine et la jurisprudence qui ont posé les jalons de l’abus de position dominante. Il sera donc nécessaire de faire un point 74 de rappel sur la notion d’abus (§1), pour ensuite étudier avec précision les pratiques d’abus de position dominante que nous avons pu retrouver en matière de délégation de service public (§2) §1 La notion d’abus L’objet de ce mémoire étant de se concentrer sur l’étude des pratiques en matière de délégation de service, nous n’aborderons ici que quelques points essentiels pour comprendre le raisonnement du Conseil sur les pratiques étudiées ci-après. Tout d’abord, l’abus est appréhendé de façon objective dans le sens où les autorités de la concurrence n’analysent pas l’intention des parties. En France, la terminologie d’abus est apparue avec l’ordonnance de 1986, celle-ci prévoyant « l’exploitation abusive ». Ensuite, traditionnellement, une distinction s’opère entre les abus de comportement et les abus de structure 82 . L’abus de comportement vise plutôt la situation où l’entreprise en position dominante utilise favorablement sa position pour en tirer profit. En revanche, l’abus de structure correspond aux interdictions dites « per se », c'est-à-dire des pratiques qui sont sanctionnées en tant que telle du seul fait qu’elles faussent la concurrence. Si initialement, les autorités de concurrence s’attachaient plutôt à l’abus comportemental, elles se sont progressivement dirigées vers l’abus de structure plus facile à mettre en œuvre. La jurisprudence communautaire a ainsi validé cette théorie à travers deux arrêts, Continental Can et Hoffman-La Roche 83 . Par ces jurisprudences, les autorités communautaires sanctionneront donc en réalité, non pas l’avantage procuré ou le profit mais le simple fait de barrer l’accès au marché. Le droit français a connu une évolution similaire et appréhende lui aussi ces deux types d’abus. Dans ses rapports, le Conseil de la concurrence a pu prévoir les deux cas d’abus indiqués précédemment, à savoir les pratiques ayant pour objet ou pouvant avoir pour effet d’évincer les concurrents ou d’empêcher l’arrivée de nouveaux concurrents ( le Conseil vise ici l’abus de structure) ou encore les comportements qu’une entreprise ne pourrait avoir sur un marché concurrentiel ou dans le cas où elle ne posséderait pas de position dominante (le 82 83 Joliet R., « Monopolisation et abus de position dominante » , RTDeur 1969.645 cf supra. 75 Conseil sanctionnant ici le profit qu’une entreprise peut tirer de sa situation). Il convient de faire trois remarques à propos de l’abus de structure. Tout d’abord, les juridictions communautaires et internes considèrent qu’il doit tout de même y avoir une condition d’anormalité (c'est-à-dire selon la jurisprudence Hoffmann-La Roche recourir « à des moyens différents de ceux qui gouvernent une compétition normale de produits ou services ») afin d’éviter que soit condamné le simple fait de maintenir une position dominante. Ensuite, le fait de ne retenir au final comme critère de l’abus que l’atteinte portée à la concurrence, induit de faire une analyse strictement économique, ce qui conduit à ne prendre en compte presque que des éléments économiques. Enfin, il est généralement d’usage que les autorités de concurrence exigent un lien de causalité entre la position dominante et l’abus, hormis comme nous avons pu le voir dans la décision dans le secteur de l’eau ou la décision Bouc-Bel-Air, c’est à dire dans les cas où il existe des marchés connexes. Pour conclure sur ce point, il faut préciser qu’une entreprise en situation de position dominante se doit, du fait de sa position dominante, d’avoir un comportement exemplaire. Ainsi, une entreprise en situation de position dominante pourra se voir condamner pour un comportement alors que ça n’aurait pas été le cas si elle n’avait pas été en situation dominante. Par exemple, une entreprise en position dominante ne peut tenter d’éliminer son concurrent. De même, elle peut défendre sa position mais son comportement ne doit pas conduire « à renforcer sa position et à en abuser » 84. Elle doit donc avoir un comportement « normal et loyal ». Ces quelques éléments rappelés, Il convient d’étudier à présent les différentes pratiques d’abus de position dominante. §2 Typologie des pratiques d’abus de position dominante 84 TPICE 7oct. 1999, Irish Sugar 76 Si nous n’avons pas traité chaque décision de façon chronologique mais par thèmes jusqu’à présent (suivant qu’il s’agissait d’entente, abus de position dominante, marché simple, connexe, position dominante individuelle, position dominante collective), nous adopterons ici une démarche plus chronologique (sauf dans le cas où des pratiques peuvent être regroupées). Le premier type de pratique que l’on retrouve dans le secteur de l’eau consiste, pour la Lyonnaise des eaux d’avoir refusé « de communiquer son prix de l’eau en gros à ceux de ses concurrents qui souhaitent présenter une offre à l’occasion du renouvellement des contrats de délégation du service public de l’eau des communes en cause, en ayant établi ce prix de vente en gros à un niveau abusivement élevé, eu égard notamment aux prix pratiqués par d’autres producteurs d’eau approvisionnant la région Ile-de-France »85. La pratique consistait donc en un refus de communication d’informations à des entreprises concourantes à un appel d’offre sur la délégation de service public de distribution de l’eau alors même que la Lyonnaise des eaux était candidate à cet appel d’offre. La question qui se posait était de savoir si ces informations se révélaient essentielles ou simplement utiles. Le Conseil de la concurrence a jugé dans sa décision 98-MC-04 que ces informations étaient simplement utiles et non essentielles puisqu’il a indiqué que si ce refus de communication a « pu gêner ces entreprises dans la présentation de leur offre, toutefois, elles n’ont pas été empêchées de concourir », et sles entreprises concurrentes avaient même pu faire des propositions plus intéressantes que la Lyonnaise des eaux. A cet égard, le Conseil semble avoir analysé les conséquences du refus de communication sur la concurrence sur le marché. Mais à notre sens, c’est à bon droit que la Cour d’appel est venue contredire la décision du Conseil (la Cour d’appel a jugé que « la société Lyonnaise des Eaux a refusé de communiquer aux entreprises avec qui elle est en concurrence le prix de vente en gros de l’eau qu’elle produit ; qu'il est avéré en l’état des constatations de l’enquête que ces entreprises ont été empêchées de concourir normalement pour l’obtention des marchés d’affermage concernés » 86 ) étant donné que la société Lyonnaise des eaux, en position dominante, n’a clairement pas eu un comportement loyal. De plus, une décision contraire conduirait à l’impossibilité d’examiner les effets sur la concurrence de cette non communication. 85 86 Cons. Conc. Décision n°98-MC-04 CA Paris, 29 juin 1998, 77 D’autre part, il était aussi contesté une pratique tarifaire trop élevée de la part de la Lyonnaise. Mais, le Conseil soulève qu’il ne peut pas en calculer l’ampleur au regard des éléments du dossier et en conséquence que « dans ces conditions, il n’est pas établi que les pratiques dénoncées porteraient atteinte grave et immédiate au consommateur, au secteur intéressé ou à l’économie en général ». Effectivement, le seul fait pour une entreprise de relever ses tarifs ne constitue pas en soit un abus de position dominante, il faut donc pouvoir apprécier l’augmentation des tarifs, ce qui n’était pas possible en l’espèce pour le Conseil. Dans l’affaire n°05-D-58, le Conseil a retenu une solution différente. Le Conseil relève que l’« instruction a conduit le rapporteur à retenir un grief plus ciblé que celui du simple refus de Lyonnaise des Eaux de communiquer son prix de gros à certains de ses concurrents et à soutenir que ce refus avait potentiellement pour effet de permettre une pratique de prix de l’eau discriminatoire, réservant le meilleur prix à la Lyonnaise ellemême dans les cas où les communes lui accorderaient la délégation pour la fourniture et la distribution.[…]. L’objet de l’injonction était donc bien de vérifier que le prix de gros de l’eau fourni par la Lyonnaise des Eaux n’introduisait pas de distorsion de concurrence dans la distribution de l’eau.». Pour résumer, la position du Conseil et la position de la Cour d’appel visaient à obliger la communication des prix pour savoir si la société Lyonnaise des eaux ne réalisait pas des remises de couplage. La remise de couplage consiste pour une entreprise dominante à offrir à son client une remise en cas d’achat simultané de deux produits afin d’éviter que son client ne s’adresse à l’un de ses concurrents sur l’un des deux produits. En l’espèce, il s’agissait donc de savoir si la société Lyonnaise des eaux effectuait bien des remises de couplages, à savoir des remises sur le marché de l’eau en gros pour les collectivités pour lesquelles elle obtiendrait l’appel d’offre de la délégation de la distribution de l’eau. Dans la deuxième partie de son raisonnement, le Conseil se concentre sur la pratique de rabais de couplage (nous traiterons le niveau des prix après ce point). La Lyonnaise soutenait d’une part qu’elle répondait à la logique d’appel d’offre global des collectivités et d’autre part qu’il n’y avait pas deux ventes, mais une seule. Dans sa réponse, le Conseil de la concurrence adopte une approche pédagogique et rationnelle. 78 Tout d’abord, le Conseil de la concurrence indique que les rabais de couplages peuvent voir des effets pro-concurrentiels lorsqu’il résulte de ce rabais un baisse de prix pour le client correspondant à un gain d’efficience pour le producteur du fait du couplage, ce qui n’était pas le cas en l’espèce. Le Conseil indique par la suite que les rabais de couplage sont anticoncurrentiels et par voie de conséquence interdits lorsqu’il n y a pas de gains d’efficience mais qu’ils peuvent être exceptionnellement autorisé dans un cas précis. En l’espèce, la situation ne correspondait pas à ce cas précis. La preuve de la discrimination anticoncurrentielle est apportée dés lors que l’entreprise exerçant la remise de couplage s’applique à elle-même un prix moins important qu’à ses concurrents87. Ensuite, l’autorité de la concurrence démontre à travers des courriers que cette preuve était rapportée. Le Conseil conclut naturellement que « la pratique de la Lyonnaise des Eaux de proposer une discrimination à son avantage sur le prix de la fourniture d’eau dans le cadre de son offre globale par rapport à celui de son offre dissociée de vente en gros avait un objet et pouvait avoir un effet anticoncurrentiel car elle visait à handicaper l’offre concurrente sur la partie distribution, pratique prohibée par l’article L. 420-2 du code du commerce ». Il nous paraît important de préciser que bien que l’« esprit de la théorie des facilités essentielles » semble présent, le Conseil n’en fait nulle part référence (Monsieur Chevrier a pu indiquer qu’on rejoignait ici une analyse proche de celle retenue par les juges de la concurrence en matière de facilités essentielles88). Cette théorie, d’origine américaine a été utilisée pour la première fois en 1912, par la Cour Suprême des Etats-Unis dans son fameux arrêt Terminal Railroad . Bien que n’y figure pas explicitement l’expression de « facilités essentielles », « l’arrêt de la Cour Suprême contient d’ores et déjà tous les ingrédients du concept : le recours à la qualification de pratiques anti-concurrentielles, c’est-à-dire au droit de la concurrence, pour trancher le problème ; la conciliation entre les exigences du libre jeu du marché et le développement du progrès économique, puisque le juge sensible aux avantages résultant d’une gestion centralisée des infrastructures, devait refuser le démantèlement du monopole et seulement ordonner l’accès à des conditions raisonnables ; enfin, les difficultés de la mise en œuvre de la solution, qui conduisirent les observateurs de l’époque à s’interroger sur l’aptitude du 87 Cons. Conc. Décision n°99-D-14 en date du 23 février 1999 relative à des pratiques mises en oeuvre par la société Télédiffusion de France (TDF) 88 CHEVRIER E. « Sanction d’une remise de couplage sur des marchés amont et aval », Dalloz recueil 2006, Actualité jurisprudentielle, p.2460 79 pouvoir judiciaire à s’assurer de l’effectivité de sa décision et à envisager d’autres moyens pour arriver à cette fin, et par exemple la mise en place d’un mécanisme de régulation » . Cet arrêt pose ainsi pour la première fois en droit de la concurrence, le principe selon lequel une entreprise en situation de monopole ou de position dominante qui détient une infrastructure dont l’accès est indispensable pour permettre sur un marché aval ou amont l’exercice de l’activité des concurrents de l’entreprise détentrice de la facilité essentielle, doit permettre l’accès à celle-ci sur une base équitable et non discriminatoire. Le Conseil de la concurrence a utilisé cette théorie à mainte reprise, et sans rentrer dans des développements trop importants, il est possible de citer pour illustration l’affaire Neuf Télécom du 7 novembre 2005 où le Conseil de la concurrence a reconnu l’applicabilité de la théorie des facilités essentielles au réseau téléphonique commuté de France Télécom dans le secteur particulier de la fourniture d’accès à Internet haut débit. Citons dans le même esprit, la décision du Conseil en matière de site d’émission d’ondes hertzienne où le Conseil a estimé qu’il ne pouvait être exclu que les sites de TDF situés dans les 29 zones définies par le CSA dans son appel à candidature constituaient des facilités essentielles à laquelle TDF aurait été tenue de « proposer l’accès à des conditions transparentes, non discriminatoires et orientées vers les coûts »89. Ces décisions se sont prolongées dans d’autres secteurs liés aux infrastructures de réseaux de communications électroniques comme la qualification de facilité essentielle de la liste des abonnés au téléphone détenue par France Télécom et l’obligation pour France Télécom de communiquer ces listes. Dans notre affaire, le Conseil aurait pu , à notre sens , utiliser cette théorie, d’autant que la Cour d’appel de Paris a pu faire référence dans son arrêt de 1998 précité à un vocable généralement utilisé en matière de facilités essentielles et indiquer que «la Lyonnaise des Eaux contrôle des installations de production, de distribution et de stockage, qui lui assurent de manière exclusive l’alimentation en eau potable des (trois) communes en cause, sans laquelle la distribution de l’eau ne peut y être assurée » ; et que, par conséquent, les concurrents de la Lyonnaise des Eaux «qui ne disposent d’aucune ressource substituable à l’eau produite par la Lyonnaise des Eaux, doivent avoir accès à celle-ci à des conditions tarifaires objectives, transparentes et non discriminatoires, leur permettant de concourir 89 Cons. Conc. Décision n° 02-MC-04 du 11 avril 2002 relative à une demande de mesures conservatoires présentée par la société Antalis 80 utilement aux marchés pour lesquels elles se sont constituées ». Toutefois, le fait que le Conseil n’ait pas utilisé cette notion nous paraît bienvenu. En effet, la qualification de facilité essentielle entraîne de fortes conséquences juridiques, aussi, la position du Conseil lui permet d’imposer la communication des prix, et indirectement que la société Lyonnaise des eaux applique à ses concurrents les mêmes tarifs qu’à elle-même, ce qui revient à imposer un accès transparent et non discriminatoire sans utiliser une notion complexe et délicate à manipuler. Cela permet aussi à notre sens, d’avoir un raisonnement juridique moins contestable et plus solide. Le Conseil a pu analyser la pratique des prix de la Lyonnaise des eaux, en jugeant que comme nous l’avons indiqué, la seule hausse des prix d’une entreprise en position dominante ne constitue pas un abus. Mais concernant les éléments de comparaisons qui lui sont apportés (le prix d’autres producteurs d’eau), le Conseil considère que ces éléments ne sont pas comparables, le service d’eau fournit n’étant pas comparable et juge que le niveau de prix n’est pas en lui-même abusif (relevons simplement que par rapport à la décision n°02-D-44 le Conseil fait bien une distinction ici selon les services, jugeant les situations non comparables). Enfin, le Conseil s’est penché sur la pratique du Sédif, à savoir le fait de s’immiscer dans la relation contractuelle entre la Sagep et la Semmaris en tentant de bloquer les négociations. Dans notre affaire, les pratiques étaient assez claires par le biais de lettres visant à faire pression et l’étude de mesure de rétorsion par le Sédif. Le Conseil écarte les deux arguments du Sédif à savoir la défense des intérêts de son délégataire au motif que « ces mesures de protection ne doivent pas enfreindre l’ordre public économique procédant des règles de la concurrence visées au code du commerce » et l’argument selon lequel la pratique aurait un effet négligeable au motif que « l’absence d’effet sensible de la pratique […] ne contredisent pas l’illicéité de la pratique. Tout au plus ceux relatifs à l’effet sensible peuventils être pris en compte pour apprécier l’importance du dommage causé à l’économie ». Le Conseil conclut assez naturellement et classiquement que « la pratique du Sedif, en monopole de fait sur le marché de la fourniture d’eau aux consommateurs situés sur son territoire, a eu pour objet et pouvait avoir pour effet d’empêcher la finalisation d’un contrat de fourniture d’eau de l’un de ses principaux clients avec un concurrent, pratique prohibée par l’article L. 420-2 du code du commerce ». Cette décision semble difficilement contestable au regard de la pratique puisque comme nous l’avons indiqué, une entreprise en position dominante peut tenter de protéger son marché, mais pas par des moyens déloyaux ou en 81 tentant de renforcer sa position et d’en abuser (même si la justification de l’existence d’un monopole de fait reste à notre sens, quelque peu insuffisante). Pour conclure sur le secteur de l’eau, penchons nous sur la décision n°02-D-44. Concernant la pratique, il était reproché aux deux entreprises en cause, la CGE et la SLDE de ne pas avoir répondu aux appels d’offres lorsque leurs entreprises communes soumissionnaient. Le Conseil juge « qu’en renonçant très largement à répondre aux appels d’offres, en cas de soumission de leurs entreprises communes, les entreprises en cause ont sensiblement limité l’intensité de la concurrence ; que cette abstention a eu pour effet, d’une manière générale, d’exclure du jeu de la concurrence, dans les zones d’influence de chacune des entreprises communes en cause, les deux sociétés mères, c’est-à-dire les principaux acteurs des marchés pertinents ; que celles-ci n’établissent pas la nécessité d’une concentration de leurs capacités techniques et qu’au contraire, il est constant que chacune des deux sociétés en cause était en mesure, compte tenu de ses capacités financières et techniques propres, de répondre seule à la demande des collectivités concernées ; que, compte tenu du degré de concentration des opérateurs sur les marchés, les entreprises en cause ne pouvaient ignorer qu’un tel comportement était susceptible d’y affecter sensiblement la concurrence ; que ce comportement a donc un objet anticoncurrentiel ; que dès lors que les entreprises en cause ont ainsi limité le nombre d’offreurs actifs dans la zone d’influence des entreprises communes, leur comportement a eu un effet anticoncurrentiel ». La pratique en l’espèce était assez inhabituelle car elle correspondait au fond à une abstention. Or comme nous l’avons vu, un abus consiste généralement à évincer un concurrent ou à agir indépendamment de ses concurrents. En l’espèce, il existait une troisième entité, la SAUR qui aurait pu intervenir et l’on comprend assez mal en quoi l’abstention de la CGE et de la SLDE constitue une barrière à l’entrée ou évince la concurrence. Le seul élément limitatif de la concurrence serait vis-à-vis d’elles mêmes et il n’apparaît pas comme certain que l’appel d’offre sera systématiquement remporté par l’entreprise commune de ces deux entreprises. De plus, nous avons exposé que les autorités de concurrence exigent un lien de causalité entre l’abus et l’atteinte portée à la concurrence. L’atteinte portée à la concurrence étant relativement flou, le lien entre l’abus, à savoir l’abstention et l’atteinte paraît encore plus incertain, d’autant que nous ne sommes pas dans une situation où il existerait des marchés connexes (seul cas où le lien n’est normalement pas exigé). 82 Pour conclure, Le professeur Thouvenin remarque avec circonspection que la décision ne prend pas de sanctions pécuniaires à l’encontre des entreprises en cause en concluant qu’ « il n’est pas exclu que les entreprises en cause n’aient pas pu s’affranchir des exigences formulées par les autorités délégantes ». Selon cet auteur, on voit mal comment les entreprises pourraient commettre des pratiques abusives alors même que ces pratiques correspondraient aux exigences de leurs clients. Dans le secteur de l’eau, les pratiques sont donc relativement variées puisque l’on a pu voir des rabais de couplage, le refus de communication de prix du marché de gros de l’eau ou encore l’abstention de participation à un appel d’offre. Dans le secteur des crèches, le Conseil de la concurrence a pu être sollicité à travers sa décision n°06-MC-02, Commune de Bouc-Bel-air. Dans cette affaire, la pratique consistait pour l’association en charge la gestion des crèches, d’avoir prévu un avenant aux contrats de travail dans lequel il était mentionné qu’en cas où l’effectif de leur employeur dépassait 60 salariés, ils auraient droit à une prime de 100 000 euros. Or d’après le Code du travail, le successeur de l’association doit reprendre les salariés de l’association tout en conservant leurs contrats de travail. Il y avait donc de fortes chances que le successeur en question possédant déjà ses propres salariés, dépasse les 60 salariés et se voit soumis à la prime de 100 000 euros. Comme nous avons pu le voir à travers notre analyse des marchés pertinents, l’association se trouvait en position dominante sur le premier marché mais perdait cette position dominante sur le second marché. L’anormalité du comportement de l’association était facilement prouvable, la prime prévue lors du dépassement du seuil de 60 salariés étant peu probable dans le cadre de l’exécution du contrat par l’association. Il procure donc un avantage à l’association lors du renouvellement de la gestion des crèches et constitue un comportement anormal dans le sens où elle n’aurait pas commis cette pratique dans une situation concurrentielle normale. Le point litigieux se trouve principalement à deux niveaux. Tout d’abord, l’association peut elle avoir commis un abus sur un marché sur lequel elle n’était pas en position dominante ? Comme nous l’avons vu précédemment grâce à la configuration particulière des marchés connexes et conformément à la jurisprudence Tetra Pack mais aussi la jurisprudence du Conseil (notamment ses décisions n°05-D-58 et n°04-D-32), il est possible de sanctionner un comportement sur un marché distinct du marché sur lequel l’entreprise est en position dominante. En l’espèce, grâce à l’avenant et l’article du Code de travail qui transférait à son successeur une charge qui ne s’imposait pas à lui-même. Le 83 Conseil juge donc que « le Conseil ne s’est pas encore prononcé sur la possibilité pour une entreprise de commettre un abus anticoncurrentiel à l’occasion du renouvellement d’un marché, du seul fait de sa position de titulaire sortant sur le marché en fin d’exécution. Cette possibilité doit, néanmoins, être admise puisqu’un abus de position dominante peut être commis sur un marché connexe à celui sur lequel la dominance est détenue et que deux marchés publics successifs portant sur la même prestation peuvent être considérés comme des marchés connexes ». Il indique « la situation créée [par l’avenant] est donc celle d’une discrimination commise par un opérateur en position dominante, l’abus étant permis par cette domination et étant commis sur un marché connexe à celui sur lequel le pouvoir de monopole est détenu ». Cette situation est assez novatrice et démontre la multitude de situation auquel le Conseil de la concurrence doit faire face. Toutefois, cette décision met son lecteur quelque peu mal à l’aise au niveau du raisonnement juridique. En effet, comme nous l’avons vu, elle pose des questions au niveau de la temporalité, les deux marchés n’existant pas au même moment. De plus, il n’existe aucun lien de causalité entre la position dominante sur un marché et l’abus constaté. Certes, tant au niveau du marché pertinent que de la qualification de l’abus de position dominante, le Conseil a pu qualifier la situation de cette décision de « forme inédite » et d’une utilisation « très exceptionnelle »90 du Code du travail. De même, la jurisprudence communautaire qualifiée la configuration Tetra pack de « circonstances exceptionnelles ». Mais même si l’on comprend bien cette approche téléologique et pragmatique, le fait de ne pas respecter les critères de l’abus de position dominante du fait de cette situation exceptionnelle correspondant au cas de marchés connexes nous paraît assez peu satisfaisant. Espérons qu’à l’avenir, le Conseil utilisera cette solution avec parcimonie et que chaque « circonstance exceptionnelle » fera l’objet d’une analyse poussée, allant de paire avec une analyse plus claire, structurée et uniforme de la délimitation des marchés pertinents. Si le Conseil ne poursuit pas dans cette voie, il est à craindre que l’on ne puisse prédire les décisions du Conseil de la concurrence et qu’il y ait une certaine insécurité juridique. Dans le secteur du transport maritime, à travers sa décision n° 06-MC-03 du 11 décembre 2006 relative à des demandes de mesures conservatoires dans le secteur du transport maritime entre la Corse et le continent, le Conseil appréhendait la pratique d’une offre globale et indivisible de la part de la SNCM sur l’ensemble des lignes. Au regard de 90 Décision n° 06-MC-03 du 11 décembre 2006 relative à des demandes de mesures conservatoires dans le secteur du transport maritime entre la Corse et le continent 84 cette décision, nous pouvons remarquer une précision intéressante du Conseil selon laquelle, le fait que la collectivité encourage ou autorise le soumissionnaire à faire une offre globale ne peut être considéré comme abusif dés lors qu’il émane d’une entreprise dominante. Le Conseil recherche donc en l’espèce si le comportement de la SNCM avait pour effet potentiel ou effectif d’évincer les autres entreprises et si cet effet « porte en cela atteinte à la protection du consommateur- et également en l'espèce du contribuable- pour le bénéfice de laquelle la compétition a été, du moins faut-il le souhaiter, organisée ». Comme pour la détermination des marchés pertinents, le Conseil se veut extrêmement pédagogique et rationnel en ce qu’il prévoit deux étapes à son raisonnement, à savoir qu’il étudie tout d’abord si les candidats pouvaient déposer des offres portant sur l’ensemble des lignes. Et dans un deuxième temps, en cas de réponse négative à la première étape, le Conseil analyse si « la présentation de l'offre de la SNCM, par le lien indivisible qu'elle a établi entre les lignes pour lesquelles elle s'est déclarée candidate, prive l'Office de la possibilité de comparer les différentes offres en concurrence sur leurs mérites propres, avec le risque de ne pouvoir, à priori, retenir que l'offre globale, dès lors que les offres individuelles ne sont pas suffisamment nombreuses pour couvrir la totalité du service public délégué ». A la première étape, le Conseil répond par la négative en indiquant que techniquement les concurrents ne peuvent proposer une offre globale. Dans la deuxième étape de son raisonnement, l’autorité de la concurrence juge que la SNCM ne peut justifier économiquement le fait de déposer une offre globale que dans le cas où cette offre procurerait un avantage pour la collectivité (en terme d’efficacité ou une baisse de la subvention). Mais la SNCM n’apporte aucune preuve de cet avantage. Il conclut donc que « dans la présente espèce, l'effet d'éviction de l'offre présentée par la SNCM est [encore plus] incontestable dans la mesure où d'une part, le recours - au moins partiel - au service de cette société est incontournable pour la collectivité, faute pour les autres concurrents de pouvoir formuler des offres portant sur l'ensemble des lignes, et d'autre part, le refus de la SNCM de s'engager de manière ferme sur le montant de la subvention demandé ligne par ligne interdit à l'office la possibilité même de comparer les résultats de la compétition. Ces deux facteurs combinés risquent de ne laisser à l'office aucun autre choix possible que la SNCM pour assurer le service public délégué, sauf à ne pas couvrir la totalité de ce service ». Au final, le Conseil de la concurrence estime que le fait pour la SNCM d’avoir déposé une offre globale et indivisible sur toutes les lignes vide de sa substance l’appel d’offre et par la même affecte la concurrence puisque la collectivité ne pourra pas comparer objectivement les offres. En sanctionnant cette 85 offre globale et en exigeant à travers des mesures conservatoires la SNCM, de fournir, ligne par ligne le montant ferme de subvention sur lequel elle s’engage, le Conseil condamne en l’espèce le couplage des offres. Toutefois, il convient de ne pas confondre les rabais de couplage et le couplage des offres. Dans sa décision n°05-D-58 et n°03-MC-01 citée dans cette décision, la société appréhendée avait soit proposé une prime au cas où la totalité du lot lui serait attribué, ou dans le cas de la Lyonnaise des eaux, proposé un prix plus bas en cas d’attribution de la délégation de fourniture et de distribution. En l’espèce, le Conseil de la concurrence sanctionne en réalité le fait que du fait que cette offre globale ne précise pas les conditions financières ligne par ligne, il n’existe pas une situation de concurrence équitable puisque la collectivité ne peut comparer objectivement les offres. Précisons que si aucune autre société ne pouvait proposer d’offre globale, rien n’empêchait à la collectivité de choisir sur chaque ligne des sociétés différentes. Par conséquent il ne s’agissait pas tellement d’une éviction des concurrents car selon nous, il existait une dose de concurrence sur le marché, mais plutôt une volonté d’empêcher que la concurrence ne soit faussée. Pour cette raison, la référence par le Conseil de la concurrence à la décision n°03-MC-01 (concernant la proposition d’une prime dans le cas où la totalité du lot serait attribuée par Canal plus) où il s’agissait plutôt d’un rabais de couplage semble peu pertinente. Il ne s’agit en fait pas réellement d’une pratique tarifaire abusive tel que le rabais de couplage mais d’une pratique utilisée par la SNCM, utilisant sa position pour retirer un avantage et fausser la concurrence. Le Conseil se réfère selon nous à la situation de la décision n°98-D-65 du 20 octobre 1998 (relative à des pratiques mises en oeuvre par la société coopérative agricole " Les éleveurs mosellans " dans le secteur de l’insémination artificielle) où il avait pu juger à l’égard d’une tarification globale que « Considérant que COOPEMOS, qui dispose d’un monopole légal sur les pratiques de mise en place dans sa zone d’intervention et qui est également en concurrence avec d’autres entreprises pour la fourniture de semences, en facturant au forfait ces deux types de prestations, lie artificiellement deux services, dont l’un est ouvert à la concurrence ; que l’éleveur de la zone se trouve ainsi dissuadé de s’adresser à un autre producteur de semences, afin de comparer les prix des semences et d’effectuer un choix éclairé ; que cette pratique a pour objet et peut avoir pour effet de fausser le jeu de la concurrence entre les producteurs de semences ; que, mise en oeuvre par une entreprise en position dominante, elle constitue une exploitation abusive de cette position ». Pour revenir à notre décision, il s’agissait d’une situation relativement similaire puisque le fait pour la SNCM, en situation de position dominante, de ne proposer qu’une offre globale sans conditions financières ligne par ligne pouvait avoir pour effet de dissuader la collectivité 86 d’examiner les offres de ses concurrents, d’autant que cette proposition globale n’était pas justifiée (dans le sens où les justifications apportées ne pouvaient exonérer la SNCM de proposer des conditions financières ligne par ligne). Mis à part ce petit risque de confusion au niveau de la nature des pratiques, cette décision va selon nous dans le bon sens, puisque comme dit précédemment, le Conseil effectue une analyse poussée et véritablement économique des marchés pertinents, et sa démarche pédagogique se veut logique, rationnelle et solide. Elle s’inscrit complètement dans le courant que nous analysons depuis le début de notre étude selon lequel, le Conseil effectue des analyses de marchés de plus en plus précise, justifiant et argumentant mieux ses solutions et plus clairement, même si il demeure quelques points parfois obscurs lors de son raisonnement. Enfin, dans la décision n° 07-D-14 du 2 mai 2007 (relative à des pratiques mises en oeuvre par la société Transmontagne, concessionnaire des remontées mécaniques sur la station de ski de Pra-Loup), cette fois-ci dans le secteur des remontées mécaniques, le Conseil devait analyser des pratiques tarifaires. Dans cette décision, il était question de plusieurs pratiques tarifaires. Tour d’abord, le Conseil a analysé la transmission tardive des tarifs de vente des remontées mécaniques par la société en position dominante. Mais il a été jugé que « la transmission tardive des tarifs de vente des remontées mécaniques par la société Transmontagne, qui a concerné surtout la saison d’hiver 2001-2002, ne s'est pas inscrite dans une stratégie visant à évincer les gestionnaires d’hébergement habilité tourisme de la station de ski de Pra-Loup du marché du forfait touristique. Elle répondait simplement au souci de respecter la procédure d’approbation de ces tarifs telle que celle-ci résulte de la convention de délégation de service public du 24 décembre 1994 et de la convention de sous-traitance du même jour ». Ainsi, la pratique se révélait justifiée en l’espèce puisqu’elle était le fait de la collectivité et de la délégation. Cette décision alliée à la conclusion de la décision n°02-D-44 selon laquelle il ne pouvait y avoir de sanctions pécuniaire puisqu’« il n’[était] pas exclu que les entreprises en cause n’aient pas pu s’affranchir des exigences formulées par les autorités délégantes » semblent aller dans le sens d’une plausible justification lorsque la collectivité impose la pratique à son délégataire. Mais comme on peut le lire dans la décision n° 06-MC03 relative à la desserte maritime Corse, le fait que la Commune autorise ou encourage une pratique ne suffit pas. La lecture de toutes ces décisions nous conduit à dire qu’il faut que la 87 collectivité «impose » la pratique pour qu’elle puisse servir de fait justificatif. Concernant le fait que la société Transmontagne utilisait des tarifs indicatifs, le Conseil n’y a vu aucune pratique litigieuse à partir du moment où la société mettait tout le monde sur un pied d’égalité. Enfin, l’autorité de concurrence s’intéresse aux remises sur les prix opérées par la société Transmontagne afin de voir si celles-ci se révélaient discriminatoires et si la pratique avait pour effet même potentiel d’évincer les concurrents. Il est d’ailleurs rappeler à cette occasion que la remise doit générer des gains d’efficacité allant pour partie aux consommateurs (comme nous avons pu le voir précédemment). Le Conseil se livre donc à une analyse précise des grilles tarifaires. Nous ne nous livrerons pas à une étude exhaustive de chaque contrat, mais nous pouvons dire que dans cette étude, l’autorité de la concurrence juge qu’il n y’avait aucun effet d’évictions au niveau de ces grilles. 88 BIBLIOGRAPHIE I- - Monographies et dictionnaires BIDAUD L., « La délimitation du marché pertinent en droit français de la concurrence », Ed. Litec, 2001, p.27 - CHAPUS R., « Droit administratif général Tome 1 », Montchrestien, 15e édition, 2001, p.173 - CHARBIT N., « Secteur public et Droit de la Concurrence », édition Joly, 1999 - CORNU G., « Vocabulaire juridique », P.U.F, 2001 - DECOCQ A. DECOCQ G., « Droit de la concurrence interne et communautaire », L.G.D.J, 2004 - Dictionnaire Le Petit Robert, édition 2001 - LAMY « Droit économique », LAMY, 2004 - MALAURIE-VIGNAL, « L’abus de position dominante », L.G.D.J, 2003 - MEGRET J., LOUIS J.V. ; VIGNES D., WAELBROECK M., « Le droit de la Communauté Economique européenne » , Editions de l'Université de Bruxelles, Institut d'Études européennes, 1973 - MEMENTO LEFEBVRE, « Concurrence Consommation », Editions Françis Lefebvre, 2007 - NICINSKI S. Droit public de la concurrence, L.G.D.J, 2005, p150 - O’DRISCOLL, M.RIZZO, R. GARRISSON ,”The Economics of time and Ignorance” , Ed. Routledge, Londres , 1996, - PEDAMON M., « Droit commercial », Ed, Dalloz, 1994, p475 89 - RICHER L., « Droit des contrats administratif »s, L.G.D.J, 5e édition, 2006, p.215 - VAN DAMNE J.A., « La politique de la concurrence dans la CEE », Ed. U.G.A., 1990, p.192 II- - Articles BAZEX M., « Règles de concurrence et contrôle par le juge administratif », Contrats concurrence consommation, n°2, p 21 - BLAISE J.B, « Une construction inachevée, le droit français des ententes et positions dominantes », Etudes R. Roblot, LGDJ, 1984, p.170 - BOLZE C., « le marché commun face aux trusts », Etude comparative sur les groupes de sociétés et le droit de la concurrence dans la CEE, publ. Univ. Nancy II, 1981, p.184, n°338. - CHEVRIER E. « Sanction d’une remise de couplage sur des marchés amont et aval », Dalloz recueil 2006, Actualité jurisprudentielle, p.2460 - DELACOUR. E, « Procédure de DSP : Le Conseil de la concurrence « Veille au grain » », , Contrats et marchés publics, Août-Septembre 2003, p 24 - DELELIS Ph, « Entente dans le secteur du transport public routier de voyageur », Revue contrats et marchés publics, sept. 2001, p.19 et « Condamnation des ententes dans le secteur du transport public et voyageur », Revue contrats et marchés publics, mai 2002, p.25 - DREYFUS, J-D, « La desserte maritime de service public de la Corse devant le Conseil d’Etat », AJDA 2007, p185 - ECKER G., « Délégation de service public et abus de position dominante », Contrats et marchés publics, n°2, p25 - IDOT L., Quand le droit de la concurrence peut conduire à la suspension d’un avenant à un contrat de travail …, Revue des contrats, 1 octobre 2006 n°4, p.1099 - JENNY F. Préface de « délimitation du marché pertinent en droit Français de la concurrence », Bidaud L, Ed. Litec, 2001, p.IV - JOLIET R., « Monopolisation et abus de position dominante » , RTDeur 1969.645 90 - LONG, M. « Point de vue : délégation de service public et droit de la concurrence », Les Petites Affiches, 4 septembre 1995 n°106, p.4 et Bréchon-Moulènes, C., AJDA 1994, n°spécial, p121-122 - MAZIERES, A. , « Droit de la concurrence et droit du travail dans les marchés publics », LPA n°193, 27 septembre 2006 - RICHER L., JEANNENEY P-A, CHARBIT, N., « Compétence juridictionnelle, Le Conseil d’Etat est compétent sur une décision du Conseil de la concurrence », AJDA 2005, chroniques, p.2377 - RICHER L., « Contrat administratif et compétence des autorités de concurrence ; capture du service public par les usagers : une entente entre usagers d’un service public délégué, AJDA 2006, p.2437 - RICHER L., Marchés publics : le Conseil de la concurrence qualifie d’abus de position dominante une « pilule empoisonnée » insérée dans les contrats de travail des salariés d’une crèche publique soumise à un appel d’offre, AJDA, 25 sept.2006, p.1698 - RICHER. L, « L’application du droit de la concurrence aux marchés publics, C.J.E.G, octobre 1989 - SELINSKY V., comm.Dèc. 98-D-17 du 19 mai 1998, BOCCRF, 18 juin 1998, Rec Lamy n°753 - THOUVENIN J-M, droit de la concurrence et marché de la distribution de l’eau, Gazette du Palais, 07 août 2003 n°219, III - Décisions, rapports et communications Juridictions administratives - C.E., 30 mars 1916, Compagnie générale de l’éclairage de Bordeaux, RDP 1916, 213 ; Gaja, p.184 91 - TC, 6 juin 1989, Préfet d’Île-de-France c/Saede/Ville de Pamiers ; RFDA 1989, 459, concl. Stirn ; AJDA 1989, 467, note Bazex ; RDP 1989, 1780, note Gaudemet, ; JCP 1990, II, 21395, note Terneyre - CE, 3 novembre 1997 Société Million et Marais et autre (Rec. 393, concl. Stahl ; AJDA 1997, 1012, chron. Girardot et Raynaud, p.945 ; et AJDA 1998, 247, note Guézou ; CJEG 1997, 441, concl. Stahl ; RFDA 1997, 1128, conc. Stahl ; RDP 1998, 256, note Gaudemet, GAJA p.764 - TC, 18 octobre 1999, AdP c./ TAT European Airlines - CAA Nancy, 23 mars 2000, S.A. CEOTTO, 96NC00556 - CE Ass. 4 novembre 2005, société Jean-Claude Decaux, Rec.477, RFDA 2005.1083, concl. Casas - CE, ord., 15 décembre 2006, Société Corsica Ferries, Juris-Data n°2006-071183 ; Contrats-Marchés publiques 2006, comm.53 Juridictions judiciaires Décisions et avis du Conseil de la concurrence - Cons. Conc. Rapport annuel de l’année 1987 - Cons.conc., Décision n°87-D-8, 28 avr.1987, Sté Nouvelles messageries de la Presse parisienne - Cons. Conc , Avis n°87-A-04 du 19 mai 1987 relatif à la réglementation des tarifs des transports publics urbaine de voyageurs visée par le décret n°87-538 du 16 juillet 1987 - Cons. Conc , avis n°93-A-14 du 7 sept. 1993 relatif au décret portant réglementation du prix des prestations de services téléphoniques - C.C Avis n°96-A-14 du 19 nov.1996 - Cons. Conc., Décision n°98-D-52, 7 juillet 1998, relative à des pratiques relevées dans le secteur du mobilier urbain - Cons. Conc. Décision n°98-MC-04, relative à une demande de mesures conservatoires présentée par le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie concernant des 92 pratiques de la société Suez-Lyonnaise des Eaux à l’occasion du renouvellement de contrats de délégation de service public de l’eau potable de plusieurs communes du département de l’Essonne - Cons. Conc. Décision n° 98-D-55 du 9 septembre 1998 relative à des pratiques relevées dans le secteur du transport scolaire de handicapés dans les Alpes-Maritimes - Cons. Conc, Décision n° 98-D-76 du 9 décembre 1998 relative à la situation de la concurrence dans le secteur du disque. - Cons. Conc. Décision n°99-D-14 en date du 23 février 1999 relative à des pratiques mises en oeuvre par la société Télédiffusion de France (TDF) - Cons. Conc. , Avis n° 99-A-16 du 26 octobre 1999 relatif à une demande d’avis du Conseil général du Nord sur les procédures de mise en concurrence relatives à l’attribution de la gestion déléguée des services de transports interurbains et scolaires - Cons. Conc. Décision n° 99-MC-10 du 16 décembre 1999 relative à une demande de mesures conservatoires de la société Agence Alp Azur concernant des pratiques mises en oeuvre sur le marché des tickets et forfaits d’accès aux remontées mécaniques de la station de Pra-Loup - Cons. conc., Avis n°00-MC-01, 18 février 2000 - Cons. Conc. Avis n° 00- A-12 du 31 mai 2000 relatif à une demande d'avis de la Commission des finances, de l'économie et du plan de l'Assemblée nationale sur le prix de l'eau en France - Cons. Conc. Décision n°01-D-17 du 21 avril 2001 relative à des pratiques anticoncurrentielles dans les marchés d’électrification de la région du Havre - Cons. Conc. Rapport annuel de 2001 - Cons. Conc Décision n° 00-D-87 du 13 février 2001 concernant l’exécution de la décision n° 99-MC-10 du 16 décembre 1999 relative à la société Transmontagne - Cons. Conc , Décision n° 01-D-13 du 19 avril 2001relative à la situation de la concurrence dans le secteur du transport public de voyageurs dans le département du Pas-de-Calais - Cons. Conc. Avis n° 01-A-08 du 5 juin 2001relatif l’acquisition du Groupe GTM par la société Vinci - Cons. Conc, Décision n° 01-D-77 du Conseil de la concurrence en date du 27 novembre 2001 relative au secteur du transport scolaire dans le département de l’Indre 93 - Cons. Conc. Décision n° 01-D-39 du 29 juin 2001 relative à une demande de la société Agence Alp Azur concernant des pratiques mises en oeuvre sur le marché des tickets et forfaits d’accès aux remontées mécaniques de la station de Pra-Loup - Cons. Conc. Décision n° 02-MC-04 du 11 avril 2002 relative à une demande de mesures conservatoires présentée par la société Antalis - Cons. Conc Décision n° 02-D-44 du 11 juillet 2002 relative à la situation de la concurrence dans les secteurs de l’eau potable et de l’assainissement, notamment en ce qui concerne la mise en commun des moyens pour répondre à des appels à concurrence - Cons. Conc Avis n° 03-A-02 du 18 mars 2003 relatif aux conditions propres à assurer le libre jeu de la concurrence entre les candidats lors d'une procédure de délégation de service public - Cons. Conc. Décision n° 04-D-39 du 3 août 2004 relative à des pratiques mises en oeuvre dans les secteurs de l’abattage et de la commercialisation d’animaux de boucherie - Cons. Conc. Décision n° 05-D-58 du 3 novembre 2005 relative à des pratiques relevées dans le secteur de l’eau potable en Ile-de-France - Cons. Conc. Décision n° 05-D-65 du 30 novembre 2005 relative à des pratiques constatées dans le secteur de la téléphonie mobile - Cons. Conc. Avis n° 05-A-22 du 2 décembre 2005 relatif à une demande d’avis de l’Association pour le maintien de la concurrence sur le réseau autoroutier (AMCRA) sur les problèmes de concurrence pouvant résulter de la privatisation annoncée des sociétés d’économie mixte concessionnaires d’autoroutes - Cons. Conc. Décision n° 06-MC-02 du 27 juin 2006 relative à une demande de mesures conservatoires présentée par la commune de Bouc Bel Air - Cons. Conc. Décision n° 06-MC-03 du 11 décembre 2006 relative à des demandes de mesures conservatoires dans le secteur du transport maritime entre la Corse et le continent - Cons. Conc. Décision n° 07-D-13 du 6 avril 2007 relative à de nouvelles demandes de mesures conservatoires dans le secteur du transport maritime entre la Corse et le continent - Cons. Conc. Décision n° 07-D-14 du 2 mai 2007 relative à des pratiques mises en oeuvre par la société Transmontagne 94 Décisions et avis de la Cour d’appel de Paris et de la Cour de cassation - Cass.com.10mars 1992, aff. France-loisirs, BOCCRF 21 mars 1992 - Cass Com. 4 mai 1993, Rocamat,Bull. IV, n° 172 ; 10 mars 1998, JVC, C.C.C. 1998, comm ; 90 - CA Paris, 4 juillet 1994, « sociétés SCREG Est et autres » - CA Paris, 6 juill. 1994, Sté Total Réunion Comores et autres, BOCC 29 juill. 1994, p.299, Contrats conc. Consom. 1994 - CA Paris, 29 juin 1998 - Cass.com. 9 mai 2001, Pompe funèbres de Gonesse, BOCC, 23 juin 2001,p.527 - CA Paris ,18 févr.2003 Juridictions européennes - CJCE 21fév.1973, Europemballage Corporation et Continental Can Inc. c/ Commission, Aff.6/72, Rec. P.215 - CJCE 16 déc. 1975 Suiker Unie Aff. Jointes 40 à 48, 50, 54 à 56, 111 , 113, 114/73, Rec.1663 - CJCE 14 février 1978, United brands Company, aff.27/76, Rec. P.207 - CJCE 13 fév. 1979, aff. 85/76, Hoffmann-La Roche, Rec. CJCE, p.461 - Déc. Comm. CE 7 déc. 1988, JOCE, L. 33, 5 fév. 1989 - CJCE 14 novembre 1996, Tetra Pack, aff. C-333/94 P, Contrats concurrence consommation. 1996, n°203, obs . L. Vogel - Comm. Comm., définition du marché en cause aux fins du droit communautaire de la concurrence (JO C 372 du 9.12.1997, p. 5) - TPICE 7 oct. 1999, Irish Sugar - CJCE 16 mars 2000, Compagnie maritime belge, aff. Jtes C-395/96 P et C-396/96 P ; Europe 2000, n°143 ; obs. L. Idot, Contrats conc. Consom. 2000 comm. 113, obs. Poillot-Peruzzetto S 95 - TPICE, 6 juin 2002, aff. T-342/99, Airtours c/First choice, Europe 2002, n°291 ; obs, Idot L. IV- Sites internets - Achat public.com, http://www.achatpublic.com/ - Bulletin officiel de la Concurrence , de la Consommation et de la Répression des fraudes, http://www.finances.gouv.fr/DGCCRF/boccrf/index.html - BLIN, Jean-pierre, La délimitation du marché géographique et l'abus de position dominante, Rajf. Org, http://www.rajf.org/article.php3?id_article=357 - CLAUDEL, E. , Les grandes tendances du droit de la concurrence en 2005 - Le portail de l’union européenne, http://europa.eu/index_fr.htm - Marchés publics.net, http://www.marchespublics.net/ - Revue de l’actualité juridique française, http://www.rajf.org/ - Site institutionnel du Conseil de la Concurrence, http://www.conseil-concurrence.fr/ - Site du Cabinet RICHER, http://www.cabinetricher.com/telechargements/telechargement.htm - Site du cabinet d'avocats Roland LIENHARDT, http://www.lienhardt.com/index.html - Site internet du Ministère de l’économie, des finances et de l’industrie, http://www.minefi.gouv.fr/ 96 Table des matières Section I- Les différents types de positions dominantes analysés par le Conseil de la concurrence ............................................................................................................................ 4 Section II - Les différentes pratiques d’abus de position dominante sanctionnées par le Conseil.................................................................................................................................... 4 INTRODUCTION ............................................................................................................................ 7 Section I- La répartition des compétences posée par le Tribunal des conflits et la réglementation ........................................................................................................................ 7 Section 2 : les règles posées par le Conseil de la concurrence en matière de délégation de service public........................................................................................................................ 11 §1- Une distinction réalisée entre délégation de service public et marché public ?......... 11 §2 – les conditions posées par le Conseil à travers ses différents avis n°99-A-16 du 26 octobre 1999 ..................................................................................................................... 14 CHAPITRE I - LA DELIMITATION DU CONSEIL DE LA CONCURRENCE MARCHE PERTINENT EN MATIERE DE DELEGATION DE SERVICE PUBLIC ........................................................................... 18 Section I Un marché pertinent définit par le croisement d’un appel d’offre et de soumissions dans le cadre des ententes ................................................................................ 19 §1 La notion de marché pertinent en droit français de la concurrence............................. 19 §2 La délimitation du marché pertinent dans le cas d’ententes en matière de délégation de service public............................................................................................................... 23 Section II Un marché pertinent limité au marché où sont actifs l’ensemble des opérateurs susceptibles de répondre à un appel d’offre en matière d’abus de position dominante et de concentration ........................................................................................................................ 31 §1 en matière de concentration......................................................................................... 31 §2 en matière d’abus de position dominante.................................................................... 34 CHAPITRE II -LES PRATIQUES SANCTIONNEES PAR LE CONSEIL DE LA CONCURRENCE EN MATIERE DE DELEGATION DE SERVICE PUBLIC .......................................................................................... 56 Section 1- Les différents types de positions dominantes analysés par le Conseil................ 59 §1 L’abus de position dominante individuelle dans les secteurs de la délégation de service public.................................................................................................................... 59 §2 L’abus de position dominante collective dans les secteurs de la délégation de service public................................................................................................................................ 68 Section 2 - Les différentes pratiques d’abus de position dominante sanctionnées par le Conseil de la concurrence..................................................................................................... 74 §1 La notion d’abus.......................................................................................................... 75 §2 Typologie des pratiques d’abus de position dominante .............................................. 76 CONCLUSION .................................................................................... Erreur ! Signet non défini. BIBLIOGRAPHIE ......................................................................................................................... 89 I- Monographies et dictionnaires ..................................................................................... 89 IIArticles ..................................................................................................................... 90 III - Décisions, rapports et communications ........................................................................ 91 IVSites internets ........................................................................................................... 96 97