La politique de l`eau à Paris sous le Consulat et l`Empire

Transcription

La politique de l`eau à Paris sous le Consulat et l`Empire
La politique de l’eau à Paris sous le Consulat et l’Empire
par Terry Olson
Conseiller d’État
******
1) Le contexte : une volonté politique forte au service d’une ville en mutation
1.1. La démographie des Parisiens
Apprécier les besoins en eau de la capitale sous le Consulat et l’Empire suppose que l’on
prenne la mesure de l’évolution de la démographie parisienne. Que dire des Parisiens, sinon
que ceux de Restif de la Bretonne cèdent peu à peu la place à ceux de Balzac…
Sous le Consulat et l’Empire la population de Paris a connu une augmentation d’un peu moins
de 30%. La ville comptait 546 856 habitants au recensement de 1801 ; elle en comptera
713 966 à celui de 1817. Il est remarquable de relever que cette augmentation substantielle de
la population ne trouve pas son origine dans l’accroissement résultant d’un excédent naturel
des naissances sur les décès. Au cours de la période qui nous intéresse, le nombre des décès a
été constamment supérieur à celui des naissances. Entre 1801 et 1805 111 926 décès pour
106 219 naissances et entre 1806 et 1814 181 071 décès pour 176 501 naissances.
Le nombre des naissances est paradoxalement demeuré assez soutenu, en dépit du départ aux
armées de nombre de jeunes hommes mariés. La véritable cause de ce déséquilibre est
l’importance anormale du nombre des décès : on meurt beaucoup à Paris à cette époque : de
20 à 25 000 décès annuels. En 1807 le préfet de police Dubois a fait effectuer une enquête
sanitaire dont il est résulté que les causes principales de décès étaient :
- les accidents du travail ;
- les suicides (environ 200 par an) ;
- les maladies en particulier la phtisie et la petite vérole.
Mais si les décès ont constamment excédé les naissances, comment expliquer l’accroissement
démographique en fin de compte assez important ? La cause en est une immigration de la
province vers Paris qui est elle-même due à deux facteurs.
Le premier renvoie aux débuts de l’industrialisation de la capitale qui conduisent vers Paris
(en particulier dans les quartiers situés à l’est) une population ouvrière. On voit donc se
développer cette « classe laborieuse, classe dangereuse » qui inquiètera tant sous la
Monarchie de Juillet et qu’on retrouvera en particulier et ô combien lors des journées
révolutionnaires de juin 1848.
Le second facteur tient à …la conscription elle-même. A mesure que l’on avance dans cette
période, les besoins liés au recrutement pour les armées impériales deviennent plus prégnants.
On constate qu’un grand nombre d’hommes jeunes originaires de province font le choix de
venir vivre à Paris, ville où ils ont la conviction probablement assez justifiée qu’ils ont moins
de chance d’être identifiés comme réfractaires à la conscription et comme tels inquiétés. La
grande ville permet de se fondre dans la masse…
Si on veut trouver un indice de cette inquiétude que suscite l’accroissement démographique de
Paris, on peut citer Nougaret : « La population de cette immense cité, formée aux dépens des
provinces, a toujours paru trop considérable et de sages politiques ont souvent désiré la faire
refluer vers l’intérieur de la France. La capitale est comparable à la tête d’un rachitique qui
grossit à mesure que les autres membres s’atténuent et s’affaiblissent ».
1
1.2. L’urbanisme
Bonaparte nourrit de grandes ambitions pour Paris, capitale de la France ayant vocation selon
lui à devenir capitale de l’Europe.
Rappelons brièvement que Bonaparte ambitionnait de lancer un remodelage général de la
capitale. Il voulait en faire, ainsi qu’il l’a écrit « non seulement la plus belle ville qui existât,
la plus belle ville qui ait existé mais encore la plus belle ville qui puisse exister ».
Cette ambition va se déployer tous azimuts. Il s’agira naturellement de doter Paris de
nouveaux monuments aptes à célébrer la gloire du régime et les victoires de celui qui en a pris
la tête. Il s’agira aussi de percer de grandes artères, dont la rue de Rivoli est peut-être la plus
emblématique. Il s’agira enfin Ŕ mais l’un va difficilement sans l’autre Ŕ de détruire des
quartiers regardés comme vétustes. Le régime impérial rompt avec la logique de ses
prédécesseurs en détruisant énormément dans Paris, alors que l’Ancien régime se concentrait
sur l’amélioration des quartiers nouvellement urbanisés. Pour autant, Paris n’a guère vu son
périmètre changer sous le Consulat et l’Empire. La quasi-totalité de la ville demeure
concentrée à l’intérieur de nos actuels grands boulevards : il faudra attendre la monarchie de
Juillet pour que Paris se déploie résolument à l’extérieur de ceux-ci.
Toutefois le régime consulaire et impérial ne s’intéresse pas qu’aux réalisations de prestige : il
adopte aussi une démarche utilitariste. Il s’intéresse notamment aux marchés et abattoirs.
Mais le symbole le plus durable de cette démarche utilitariste est bien entendu la
numérotation des rues qui a été définie par l’Empereur lui-même selon le schéma alternatif
pair/impair (à Paris orienté selon le cours de la Seine selon le plan Est/Ouest et Nord/Sud)
dont la logique sera adoptée dans toute l’Europe voire même au delà.
Rappelons aussi que ce projet ambitieux s’est heurté à deux limites. La première a trait à la
durée de vie du régime, qui a disparu bien avant l’achèvement des travaux projetés. La
seconde limite fut financière car l’Empereur répugnait à faire financer ces travaux par l’impôt.
Les sources de financement des travaux parisiens étaient principalement la liste civile et le
« domaine extraordinaire » terme désignant les revenus des propriétés des souverains
européens chasés de leurs Etats.
1.3. Une administration réorganisée
Point n’est besoin de consacrer un long développement à une évolution administrative bien
connue de vous tous et qui tient à la suppression par le Premier Consul des structures
administratives parisiennes héritées de la période révolutionnaire. Il est vrai que le général
Vendémiaire avait eu tout loisir d’en mesurer les limites. La ville était auparavant divisée en
sections regroupées en 12 municipalités dirigées chacune par 7 administrateurs auprès
desquels siégeait un commissaire du Directoire. Ce système, interdisant toute prise en compte
globale des problèmes d’une grande agglomération, était d’une remarquable inefficacité.
Seulement trois mois après le 18 Brumaire, le Premier consul fait rédiger une loi qui définit
les bases de l’administration de Paris. Ainsi est née la loi du 28 pluviôse an VIII. Les sections
deviennent des quartiers et les municipalités deviennent des arrondissements, au nombre de
12 jusqu’à k’annexion haussmannienne de 1860. Le pouvoir exécutif est divisé entre deux
préfets, le préfet de la Seine (héritier du prévôt des marchands) et le préfet de police (héritier
du prévôt ou lieutenant de police de l’Ancien régime). Les titulaires de ces fonctions furent
des personnages éminents : la préfecture de la Seine fut occupée par Frochot puis Chabrol et
la préfecture de police par Dubois (membre du Conseil d’Etat) puis Pasquier. La question de
l’eau se trouvait répartie entre les deux préfets :
2
-
au préfet de police la charge de prendre les arrêtés de police propres à prévenir les
désordres susceptibles de polluer les rues et réseaux ;
au préfet de la Seine la charge de mettre en œuvre la politique d’infrastructures définie
au plus haut niveau (ministère de l’Intérieur voire le chef du gouvernement lui-même).
2) Des besoins criants
2.1. Une ville incommode et sale
Voici ce qu’écrivait un jeune grenoblois monté à Paris et découvrant sa capitale :
« Il faut crier à ces habitants de Paris qui se croient si avancés pour les choses de la police et
de la propreté : vous êtes des barbares. Vos rues exhalent une odeur infecte : vous ne pouvez
y faire un pas sans être couverts d’une boue noire. Cette boue donne un air dégoûtant au
peuple obligé de marcher à pied. Cela vient de l’idée absurde d’avoir fait de vos rues un
égout général ». Ce jeune homme n’avait pas encore accédé aux fonctions d’auditeur au
Conseil d’Etat mais quelle que soit l’honorabilité de cette fonction ce n’est pas grâce à celle-ci
qu’il accèdera à la postérité : c’est grâce à ses succès romanesques que Marie-Henri Beyle
deviendra Stendhal…
Cet avis est largement partagé. Ainsi que l’écrit un voyageur allemand, Reichardt : « Si bon
marcheur qu’on soit, on se décide difficilement à patauger dans ces rues pleines
d’immondices et couvertes d’une épaisse crotte gluante. Hier, en me rendant à pied au Jardin
des Plantes, je suis passé par des ruelles où la misère, la saleté, l’impudeur des passants sont
telles que, rien que d’y penser, il me vient des nausées. C’est la première fois dans mes
pérégrinations à travers l’Europe que je m’aperçois que j’ai un estomac et que je comprends
la sensation qualifiée de mal de cœur ».
Les ordonnances des préfets de police à Paris montrent bien combien à cette époque se
multipliaient ce que le politiquement correct d’aujourd’hui désigne sous le terme
d’ « incivilités » : défense de jeter à la rue les ordures et détritus, de décharger les immondices
sur les seuils, de faire couler les eaux sales dans les rues, aux vidangeurs d’opérer en plein
jour. Quant aux bouchers, qui abattent dans l’arrière cour de leur échoppe, l’essentiel des
déchets qu’ils produisaient étaient jetés directement sur le pavé. Ces règlements témoignent
en creux de l’extrême saleté de la ville et du peu de civisme de ses habitants en la matière.
2.2. Un approvisionnement insuffisant
Les rares fontaines publiques existantes étaient toutes situées dans le centre et avaient un débit
insuffisant. La grande majorité de la population dépendait du porteur d’eau, figure familière
de la rue parisienne. Les obstacles à l’accès à la ressource n’étaient pas seulement techniques :
ils étaient aussi économiques, en raison d’un coût d’un sou par seau de 15 litres, discriminant
vis-à-vis des catégories les plus modestes des Parisiens.
Les sources principales d’approvisionnement étaient deux pompes puisant l’eau directement
dans la Seine.
La plus ancienne était la Samaritaine, adossée à l’extrémité nord du pont Neuf, vers l’aval et
donc non loin du grand magasin que nous avons bien connu et où l’on était censé tout
trouver… Elle avait été mise en service en 1608, reconstruite par Robert de Cotte entre 1712
et 1719 puis restaurée par Soufflot et Gabriel en 1771. Elle ne sera démolie qu’en 1813.
L’autre pompe était la pompe ou plus exactement les 8 pompes Notre-Dame. Cet engin avait
été adossé au pont Notre-Dame, également vers l’aval. Cet ouvrage avait été achevé en 1671,
3
restauré et perfectionné en 1708 et 1737. Elle portait un médaillon de Louis XIV avec une
inscription de Corneille :
« Que le Dieu de la Seine a d’amour pour Paris !
Dès qu’il en peut baiser les rivages chéris,
De ses flots suspendus la descente plus douce
Laisse douter aux yeux s’il avance ou rebrousse.
Lui-même à son canal il dérobe ses eaux,
Qu’il a fait rejaillir par de secrètes veines,
Et le plaisir qu’il prend à voir des lieux si beaux
De grand fleuve qu’il est le transforme en fontaines. »
En dehors des pompes puisant dans la Seine, alimentant la plupart des fontaines du centreville, les autres sources d’approvisionnement étaient des sources au débit assez faible et
situées à Belleville, au Pré Saint Gervais et à Arcueil. Il faut y ajouter les puits (les 25 000
puits mentionnés par le président Sauvé) situés près des maisons.
La qualité des eaux ainsi recueillies était des plus médiocre. L’eau puisée en Sein était sans
doute la pire de toute : un contemporain, Brassempouy, la qualifiait de « liquide blanc, épais
et sédimenteux ». Pour autant, les documents de l’époque tendent à montrer que les
principales plaintes des habitants portaient moins sur la médiocrité de la qualité de l’eau que
sur son coût élevé.
2.3. Un assainissement particulièrement défaillant
Les conditions insuffisantes de l’évacuation des eaux usées comptaient pour beaucoup dans
l’extrême saleté de Paris. Elles étaient censées être évacuées par des égouts, au nombre de 104
en 1807. Toutefois les 4 principaux égouts collectant la plupart des eaux étaient à découvert et
engendraient des nuisances considérables.
Quant aux fosses d’aisance, elles n’étaient pas reliées aux égouts et la seule solution était d’en
évacuer le contenu manuellement. 14 entreprises s’en chargeaient par des tombereaux censés
ne circuler que la nuit. Leur contenu était jetés dans une immense fosse située sous
s’emplacement de l’ancien gibet de Montfaucon. La « colline maudite » des anciennes
fourches patibulaires avait conservé son effroyable réputation, mais pour des motifs
différents.
L’autre facteur tenait à la configuration des rues. Paris avait conservé de l’époque médiévale
des rues dotées d’un caniveau central, le plus souvent rempli d’eau croupie. On tenta de
changer le profil de certaines voies pour adopter celui que nous connaissons aujourd’hui, à
savoir des rues inclinées vers l’extérieur avec deux caniveaux latéraux. Le résultat fut dans un
premier temps catastrophique en l’absence de trottoirs : les eaux de pluie et les eaux déversées
refluaient directement dans les maisons. Les obstacles invoqués à l’époque étaient la
multiplicité des portes cochères et les débuts de l’édification des trottoirs furent très timides.
Leur généralisation ne sera obtenue que lors des transformations haussmanniennes.
3) Une approche innovante, des projets ambitieux
3.1. Une approche innovante : favoriser un accès libre et gratuit à la ressource en eau
Les différents projets du Premier consul destinés à améliorer l’approvisionnement de Paris en
eau et du même coup la situation sanitaire très défaillante de la capitale semblent avoir eu
pour inspirateur principal une figure importante des premiers temps du gouvernement
napoléonien : il s’agit de Chaptal. Bénéficiant de l’aura du grand savant qu’il était puisqu’il
4
est notamment le père de la chimie moderne du vin, Chaptal est nommé ministre de l’Intérieur
le 21 janvier 1801. Auparavant il a été le principal auteur de la loi de pluviôse an VIII
réorganisant l’administration de Paris. Le degré de centralisation est tel que c’est sous son
autorité directe que sont préparées les décisions clés que le gouvernement consulaire adopte,
s’agissant notamment du lancement du projet de dérivation de l’Ourcq dont il sera question
dans un instant.
Chaptal décide de prendre du recul en 1804 et quitte son poste lors de la proclamation de
l’Empire pour retourner à ses travaux scientifiques. Si son influence directe sur les questions
sanitaires à Paris aura été relativement brève, elle a assurément engagé l’avenir.
Un autre personnage ayant puissamment contribué à l’amélioration de la situation de l’eau à
Paris est Emmanuel Cretet. Celui-ci fut l’un des premiers conseillers d’Etat. Devenu en 1806
le directeur des Ponts et Chaussées, c’est en cette qualité qu’il déploie une grande énergie
pour faire avancer les projets de desserte en eau dans Paris. Il continuera à suivre ce dossier
de très près lorsqu’il accèdera en 1807 aux fonctions de ministre de l’Intérieur qu’il occupera
jusqu’à la veille de sa mort en 1809.
Chaptal et Cretet furent donc les inspirateurs de la politique de l’eau dont le Premier consul
puis l’Empereur précisera les contours.
Ainsi que Napoléon l’écrit à Cretet le 10 avril 1806 : « Le but où je voudrais arriver avant
tout serait de faire couler l’eau jour et nuit dans le plus de fontaines possibles. Pendant 4
mois de l’été, cela est indispensable à Paris. On ne peut regarder à 100 000 francs lorsqu’il
est question de l’agrément et de la santé d’une si immense ville. Le but auquel je veux arriver
est 1) que les 56 fontaines actuelles coulent jour et nuit, qu’on cesse d’y vendre l’eau et que
chacun puisse en prendre autant qu’il veut 2) Que les autres fontaines qui existent à Paris
soient le plus tôt possible mises en l’état de fournir de l’eau ».
Cette volonté impériale trouve son aboutissement le 2 février 1812, lorsque Napoléon peut
ordonner la généralisation de la gratuité de l’eau approvisionnant les pompes et fontaines de
sa « bonne ville de Paris », pour compter du 1er mars suivant.
Le rêve d’une eau librement accessible, de jour comme de nuit et gratuite, avait cessé d’être
une utopie. Ainsi le Premier consul avait en cette matière une ambition et une réelle vision,
sans doute très en avance sur son époque.
3.2. La multiplication des fontaines : l’alliance de préoccupations sanitaires et architecturales
Dès les premiers temps du Consulat et suivant les conseils de Chaptal, Bonaparte entreprend
de mieux alimenter les fontaines existantes.
Cette volonté d’amélioration de l’accès à la ressource s’est combinée avec des préoccupations
d’ordre architectural. Les fontaines ne sont pas considérées comme des équipements purement
utilitaires : certaines d’entre elles constituent de véritables gestes architecturaux et il n’est pas
très surprenant que certaines d’entre elles reflètent un style très en vogue à ce moment précis,
désigné sous le terme « Retour d’Egypte ». L’une d’entre elles Ŕ un colosse portant la coiffure
classique de l’antiquité égyptienne - érigée par Bralle, existe toujours rue de Sèvres, à
proximité de l’hôpital Laennec.
Parmi les autres fontaines s’inscrivant dans ce projet, on peut en citer deux.
La première existe toujours et est très proche du Palais-Royal. Œuvre de Louis-Simon Boizot,
il s’agit de la fontaine dite du Palmier érigée au centre de la place du Chatelet et qui devra être
déplacée en 1858 lorsque la place que nous connaissons aujourd’hui prendra sa configuration
définitive.
5
L’autre fontaine demeura à l’état virtuel mais elle a accédé à la quasi existence grâce à l’un de
nos plus grands écrivains : je veux parler de Victor Hugo. Pour améliorer
l’approvisionnement en eau de la Bastille, l’un des principaux quartiers ouvriers de Paris,
Napoléon a décidé la construction d’une statue-fontaine monumentale en forme d’éléphant.
L’eau devait jaillir de la trompe de l’éléphant. Le socle et le bassin furent réalisés mais
l’éléphant (qui devait être coulé dans le bronze des canons pris aux Espagnols) ne dépassa
jamais le stade d’une simple maquette en plâtre. On l’aura compris : il s’agit bien entendu de
l’éléphant dans lequel Gavroche avait élu domicile et auquel la lecture des Misérables
redonne vie. La maquette fut démontée sous Louis-Philippe pour laisser la place à la colonne
de Juillet que nous connaissons tous.
La politique de développement des fontaines à Paris s’est trouvée synthétisée et systématisée
par un décret impérial signé à Saint-Cloud le 2 mai 1806.
L’ « accroche » de ce décret est la suivante : « A dater du 1er juillet prochain, l’eau coulera
dans toutes les fontaines de Paris, le jour et la nuit, de manière à pourvoir non seulement aux
services particuliers et aux besoins du public, mais encore à rafraîchir l’atmosphère et à
laver les rues ».
Le texte poursuit en énumérant :
- 29 fontaines devant être alimentées par la pompe Notre-Dame ;
- 4 par la Samaritaine ;
- 10 par la pompe à vapeur de Chaillot ;
- 5 par les pompes à vapeur du Gros Caillou.
Ces 48 fontaines sont des fontaines existantes. Il est précisé que les raccordements devront
être faits pour rendre possible l’approvisionnement par les pompes à vapeur de Chaillot et du
Gros Caillou des fontaines normalement alimentées par les pompes Notre-Dame et de la
Samaritaine, si ces pompes hydrauliques se trouvaient hors d’usage.
Le texte poursuit en donnant la liste de 15 nouvelles fontaines à construire.
Le décret s’achève en fixant les principes du financement des travaux :
- les frais de 1er établissement, branchements et raccordements sont mis à la charge du
Trésor public et une somme de 540 000 francs est mise à la disposition du ministre de
l’Intérieur ;
- les frais d’entretien ultérieurs seront assumés par la ville de Paris.
3.3. La mise en chantier de grands travaux combinant accès à la ressource et amélioration de
la navigation
Le gouvernement impérial remet en selle un ancien projet de la monarchie, destiné à
détourner les eaux de l’Ourcq. A la fin du règne de Luis XVI les ingénieurs royaux avaient
travaillé sur plusieurs projets alternatifs : en réalité ils avaient hésité entre plusieurs rivières à
détourner vers Paris, en l’occurrence l’Yvette et la Bièvre au sud de la capitale, ou bien
l’Ourcq à l’est.
C’est le projet de canalisation de l’Ourcq que le gouvernement consulaire retient et met en
chantier dès 1802. Ce projet obéissait en réalité à un objectif double : améliorer
l’approvisionnement des fontaines avec une eau réputée plus saine d’une part, faciliter la
navigation fluviale d’autre part.
L’Ourcq prend sa source dans la forêt de Ris, à 18 km au nord-est de Château-Thierry. Son
cours de 85 km est orienté au nord-ouest. La rivière pénètre en Seine et Marne puis se jette
6
dans la Marne sur la rive droite près de Lizy. Le projet consistait à réaliser une dérivation de
la rivière en captant les eaux de l’Ourcq depuis le Port-aux-Perches et à alimenter jusqu’à
Paris un canal d’une longueur totale de 107km. La pente totale est de 15,50m, absorbée par
cinq écluses. Le tirant d’eau moyen est de 1,20m.
Le projet a été mené en plusieurs phases. La première a abouti à la mise en eau du bassin de la
Villette, que nous connaissons encore aujourd’hui. En réalité, ce bassin lors de son
inauguration n’était pas alimenté par l’Ourcq mais par la Beuvronne. L’ensemble du projet ne
sera achevé qu’en 1826.
La dimension fluviale du projet consistait à permettre la navigation des péniches à travers
Paris puisque le bassin de la Villette était relié vers le sud par une série de canaux d’une
longueur d’un peu plus de 3,5 km et aboutissant près du pont d’Austerlitz. Vers le nord
l’objectif était de raccourcir le parcours des péniches ente Paris et Saint Denis. Par le cours
naturel de la Seine ce parcours est de 32 km. Grâce au canal Saint Denis, le parcours se trouve
réduit à 6 km.
Ces canaux répondaient bien entendu aussi à une vocation d’approvisionnement en eau,
puisqu’il était prévu qu’ils alimenteraient en eau les fontaines avoisinantes. Le projet
comportait également à partir du bassin de la Villette un aqueduc couvert partant vers l’ouest,
et alimentant diverses ramifications orientées au sud vers le centre de Paris.
C’est donc à la volonté napoléonienne d’améliorer la navigation et l’approvisionnement des
Parisiens en eau que l’on doit le canal Saint Martin sans lequel Paris ne serait que l’ombre de
lui-même et à défaut duquel Marcel Carné aurait eu quelque difficulté à faire tourner à
Arletty et Jouvet la scène culte de la « gueule d’atmosphère » de « l’hôtel du Nord »…
Conclusion
On peut considérer que c’est sous le Consulat et l’Empire que Paris rompt avec une
conception quasi médiévale de la gestion de l’eau, notamment du fait que le pompage direct
dans la Seine Ŕ tout à la fois source et égout Ŕ n’est plus considéré comme devant constituer
la source principale d’approvisionnement de la capitale. L’approche retenue consistant à
rendre à terme la fourniture de l’eau à la fois continue et gratuite représente une innovation
très intéressante.
Pour autant cette approche nouvelle ne constitue qu’un début de réponse à ce que seront les
besoins exponentiels d’une capitale entrant pas à pas dans l’ère industrielle. La preuve la plus
évidente des limites des progrès réalisés sera rapportée lors des grandes épidémies de choléra
qui surviendront au cours du siècle, fauchant des milliers de Parisiens. Ces épidémies étaient
largement dues à une eau de qualité médiocre. Faut-il rappeler que ces grandes épidémies
seront à l’origine de l’édification des fontaines Wallace, dont une vue a été choisie pour
illustrer le programme qui vous a convaincus de participer à ce colloque ?
Je vous remercie.
7