Artikel D. Legallois.modifications acceptées - Crisco
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LES ARGUMENTS DU DISCOURS CONTRE CEUX DU VERBE : ‹ CONSTRUCTION ›, ‹ COLLIGATION ›, ‹ COERCITION › Par DOMINIQUE LEGALLOIS L’idée qu’un verbe possède une ou des structure(s) argumentale(s) est généralement peu discutée par les syntacticiens. Les « changements » de valence observés dans des emplois attestés sont, soit ignorés, soit perçus comme des phénomènes marginaux redevables à des registres particuliers. En m’inspirant de certaines conceptions élaborées dans le cadre des Grammaires de Construction, ou encore de la Grammaire des Patterns, et en m’appuyant sur des analyses sur corpus, je propose de considérer que les arguments ne sont pas régis par le verbe, mais par la construction elle-même, qui constitue une sorte d’unité phraséologique, possédant une fonction discursive propre. Sont examinées des constructions telles que [XS ENTRAÎNER YO dans Zloc] (Winx Club nous transporte dans un univers de conte de fées moderne), ou encore, la configuration syntaxique [SN1 mettre SN2 à Inf.] qui se réalise dans quatre patterns différents, chacun possédant une fonctionnalité propre. La productivité des constructions est particulièrement aiguë dans les cas où s’exerce une ‹ coercition › (ou ‹ forçage ›) du pattern sur le verbe ; la coercition est un jugement épilinguistique de l’observateur qui considère que dans telle occurrence, le verbe possède un comportement syntaxique particulier, et que son emploi constitue un écart par rapport à ce que la linguistique britannique nomme ‹ colligation ›, c’est-à-dire un fonctionnement régulier du verbe redevable non pas à des propriétés structurales, mais à des phénomènes de collocations grammaticales. Les notions de ‹ construction ›, de ‹ colligation › et de ‹ coercition › sont donc, selon moi, utiles pour appréhender les faits grammaticaux de manière plus réaliste. 0. Introduction Admettre, réclamer, régir, autoriser, sélectionner, imposer, gouverner : voici quelques-unes des prérogatives du verbe que jalouse toute autre partie du discours. Ainsi, malgré leur diversité, les grammaires et théories syntaxiques s’entendent sur la prééminence du verbe dans l’organisation syntaxique de la phrase1. Il faut dire que le verbe a de bons arguments : plus que toute autre catégorie, il est affecté par des variations flexionnelles multiples (nombre, personne, mode, temps) et par des variations de radical. Difficile de ne pas lui trouver des vertus structurales : il est, pour Tesnière, le terme central autour duquel se joue le drame de la proposition ; pour l’analyse logique d’une phrase, la grammaire scolaire préconise de recenser les propositions en identifiant en premier lieu les verbes conjugués ; pour un grand nombre de théories syntaxiques, le verbe, noyau prédicatif, possède des positions argumentales que viennent saturer des constituants. Quelles que soient les différences entre les approches, la perspective générale la plus souvent partagée est que le contenu lexical d’un verbe donné […] spécifie un certain nombre de compléments ou de places ; en fait, ces places ou valences, font partie intégrante du contenu lexical du verbe. (M. Herslund 1988, 29) Deux scénarii sont généralement retenus : - la phrase est le résultat d’une projection verbale (prédication endocentriste) - la phrase est formée d’un GN sujet et d’un GV prédicat, dans lequel le verbe régit ses arguments (prédication exocentriste) mais la perspective est toujours la même sur un point : la proposition est le produit d’une combinaison d’éléments, d’une composition. On peut donc qualifier de ‹ compositionnaliste › 1 Pour un panorama et une discussion de ce phénomène dans la tradition française cf. P. Lauwers (2003) ; mais le phénomène dépasse de loin la grammaire traditionnelle et le domaine français. cette perspective et mentionner la conséquence : à un verbe est liée une structure d’arguments déterminée. La perspective valencielle, par exemple, dira qu’un verbe est soit monovalent, soit bivalent, soit trivalent. La conception a le mérite d’être simple, mais on voit très vite le problème qui ne manque pas de se poser : il est rare qu’un verbe déploie toujours le même schème argumental, ou le même nombre d’arguments ; au contraire, on recense sans peine plusieurs réalisations, qui témoignent de la flexibilité linguistique mais qui du coup mettent en péril l’origine lexicale du déploiement argumental : car comment une même signification pourrait prévoir et mouvoir des réalisations différentes ? La réponse serait dans une prolifération (poly)sémique, un verbe ayant autant de significations que de schèmes argumentaux possibles. Mais une explication linguistique et cognitive d’une telle prolifération est malaisée à déterminer. On pourrait encore concevoir une signification verbale particulièrement abstraite qui rendrait compte de toutes les réalisations, mais on doute qu’ainsi la détermination lexicale de la structure argumentale soit encore garantie : la généralité de la signification réduirait dangereusement l’univocité d’un schème. Dans ce qui suit, je voudrais présenter quelques réflexions portant sur le problème de la valence verbale, sans m’inscrire dans un modèle théorique mais en m’inspirant cependant de certaines « réponses » données par deux traditions différentes : - la linguistique cognitive, en particulier la Grammaire de Construction (GC) de A. Goldberg (1995) ; - la linguistique de corpus britannique, spécialement la Pattern grammar – la Grammaire des Patterns (GP) de S. Hunston et G. Francis (2000). Plus précisément, il s’agit d’articuler les notions de ‹ construction › (ou de ‹ Pattern ›) – partie I), de ‹ colligation › (partie II), et de ‹ coercition › (partie III), développées dans les deux traditions, pour fonder l’hypothèse d’une grammaire paradigmatique et phraséologique. J’entends par là le fait que les structures grammaticales, de l’ordre de la proposition, loin d’être le résultat d’une combinaison syntagmatique, sont des unités préformées, déjà disponibles. Ce travail voudrait donc poser une autre façon d’envisager la structuration des rapports syntaxiques entre éléments, pour déterminer la nature éminemment sémantique de la syntaxe, ainsi que la nature éminemment lexicale de la grammaire. 1. Construction 1.1 La construction d’attribution Un ensemble de théories linguistiques, non compositionnalistes, ont proposé, chacune dans une argumentation propre, de considérer une unité grammaticale fondamentale – qui reçoit évidemment des noms différents selon les perspectives : les ‹ constructions › de la Grammaire de Construction (GC), les ‹ patterns › de la Pattern Grammar (GP). Des différences entre GC et GP existent – mais sont essentiellement déterminées par des traditions historiquement éloignées. L’idée générale et commune à ces perspectives est suffisamment forte et argumentée pour que je puisse considérer GC et GP comme deux paradigmes contribuant à une même vision grammaticale, que j’aimerais, à mon tour, ratifier par des données du français. Une construction est ainsi définie par A. Goldberg : a construction is […] a pairing of form with meaning/use such that some aspect of the form or some aspect of the meaning/use is not strictly predicable from the component parts or from other constructions already established to exist in the language (A. Goldberg, 1998 : 205). Un pattern, pour S. Hunston et G. Francis can be identified if a combination of words occurs relatively frequentely, if it is dependent on a particular word choice, and if there is a clear meaning associated with it (S. Hunston et G. Francis, 2000 : 37). Pour identifier les patterns grammaticaux, il faut en fait deux étapes : la première repose sur l’observation du comportement grammatical et lexical des mots. Il s’agit exactement d’identifier l’association fréquente entre un mot cible et d’autres mots (collocation) dans des structures (colligation) contribuant à l’interprétation de ce mot. La deuxième étape consiste à recenser les patterns grammaticaux récurrents : puisque un mot peut avoir plusieurs patterns, un pattern grammatical peut être considéré comme associé à différents mots. L’alignement de ces deux définitions n’est pas un geste suffisant pour conclure directement à une identité conceptuelle entre ‹ construction › et ‹ pattern ›. Mais ces définitions restent suffisantes pour retenir qu’une construction/un pattern est une configuration syntaxique possédant une signification propre. Au lieu de reprendre des exemples des auteurs, par ailleurs maintes fois présentés, considérons plutôt des exemples français, tous empruntés à l’étude passionnante de M. Herslund (1988 : p. ???) sur le datif : (1) Il percevait (la psychanalyse) comme une religion de substitution […], lui déniait le qualificatif de science. (Express, 18.10.1985) (2) Le démonstratif servant d’antécédent au pronom relatif ne lui est pas nécessairement accolé. (Martin et Wilmet, Syntaxe) (3) Comme s’il craignait que Maigret appelât deux solides inspecteurs pour lui flanquer une raclée. (Simenon, Picratt’s) (4) Plus tard, on m’a injecté la morale des curés. (Cavanna, Yeux) (5) Il les employa à signaler sa présence par tous les moyens que lui présenta son imagination. (Tournier, Vendredi 21) (6) Et il commençait à en vouloir à sa mère de tant de choses étonnantes qu’elle lui avait cachées. (Druon, Louve 301) (7) Là haut où il n’est point de trublion pour lui chicaner ses lauriers. (Express, 24.10.1986) (8) Elle a peur, peur que cette animosité ne lui coûte l’amour de Philippe. (Beja, Reines) (9) Elle a été la première à lui vouer une réelle amitié. (Simenon, Mémoires) (10) C’est à cause de cela que le peuple ne me témoigne point d’affection. (Druon, Reine) (11) Son père avait avant tout songé à lui éviter les soucis. (Perec, Vie) Selon Herslund, les datifs dans ces exemples sont tous des datifs lexicaux (c’est-à-dire déterminés par la signification verbale). Tous ces énoncés expriment, à un niveau ou à un autre, l’idée que soit l’on « attribue », soit l’on « prélève » quelque chose à quelqu’un. Le référent du complément datif est dit avoir ou ne pas avoir le référent du complément objet – il y a, pour Herslund que je suis sur ce point, une prédication seconde entre le datif et l’objet (voir plus bas). Par ailleurs, dans les exemples suivants, où l’auteur voit un « datif libre »2 – c’est-à-dire non déterminé par la signification verbale : (12) Paul a fabriqué une table à Marie. (13) Paul a recousu un bouton à Marie. 2 Le terme est de C. Leclère (1976). ce dont bénéficie Marie ne serait pas, respectivement une table et un bouton, mais « la fabrication d’une table », le raccommodage d’un bouton. Cette lecture est évidemment envisageable, mais on peut très bien imaginer que Marie cherche à avoir une table (par n’importe quel moyen, fabrication, achat) ou un bouton, et que Paul, dans un élan de générosité lui en fabrique une (12) ou prend du fil et une aiguille (13). Si nous sommes d’accord avec Herslund que dans (14) On lui ouvre la porte. ce que reçoit le référent du datif libre n’est pas la porte, mais l’ouverture de la porte par quelqu’un, cet exemple est un peu différent dans le sens où la solidarité entre le prédicat et l’objet y est forte. On a même un cas de locution verbale, je pense, avec ouvrir la porte. Mais, à nouveau, si on considère (15) (chez un ami, en fouillant dans son frigo) : je te mangerais bien un yaourt. l’objet « prélevé », dans cet exemple de datif indiscutablement libre, est bien le yaourt et non manger le yaourt. En fait, pour les exemples (12), (13) et (15), tout dépend du contexte : faiton l’action à la place de l’autre, ou non ? Une distinction entre datif lexical et datif libre ne peut donc être établie à partir de la différence participative de objet direct/verbe objet indirect, dans la prédication seconde [Marie a une table/Marie a une table de construite]. Je vois un fonctionnement identique dans les différents exemples, tout en reconnaissant que l’attribution est plus spectaculaire avec les datifs libres. Mais il y a plus : l’idée d’attribution présuppose une action causative de la part de l’agent (par ex., en (4) : on CAUSE (moi avoir la morale des curées). La structure causale serait présente dans le sémantisme du verbe. Or, il s’agit là d’une pétition de principe, jamais discutée (par définition). En fait, bien souvent, pour saisir cette structure causale, il faut en passer par la construction dative, ou par d’autres constructions : le raisonnement est donc circulaire. Un verbe ne peut se « comprendre » qu’actualisé dans une ou des construction(s). Par ailleurs, peut-on prétendre avec certitude que vouer (9) ou, plus encore, l’épistémique trouver dans (16) Je lui trouve beaucoup de charme. soient des verbes « en eux-mêmes » causatifs ? Si je récapitule : - les structures argumentales que l’on prête aux verbes sont déterminées à partir d’emplois précis : c’est parce que tel verbe est rencontré dans des emplois où figurent trois actants (par exemple) qu’il est considéré comme intrinsèquement trivalent. Le danger d’un raisonnement circulaire est manifeste. - si les datifs « libres » se comportent comme des datifs « lexicaux » : a-t-on lieu de distinguer les deux ? la distinction ne viendrait-elle pas de la fréquence d’emplois des verbes à « datifs lexicaux », plutôt qu’une différence de propriétés sémantiques du verbe ? - Ne fait-on pas une surinterprétation lorsqu’on affirme que la causativité est dans le verbe ? Il apparaît que le valeurs sémantiques C’est pourquoi, en qu’exprimées par la notée4 verbe est un attracteur bien commode pour y déposer un ensemble de qui sont pourtant stables et présentes quel que soit le verbe employé. suivant GC3 et GP, je poserais que ces valeurs ne peuvent être construction elle-même. Cette construction – d’attribution - peut être Attribution : XS FAIRE (ZOI AVOIR YO) Prélèvement : XS FAIRE (ZOI NEG AVOIR YO) Autrement, dit, c’est dans et par la construction que les verbes acquièrent une interprétation contextuelle (causalité, idée d’attribution) qu’ils ne possèdent pas nécessairement eux-mêmes. S’il en était autrement, comment pourrait-on dire que le verbe vaseliner possède une valence, alors même qu’il n’existe pas dans la langue : (17) Je lui vaseline mon regard irrésistible numéro 14 bis, celui qui a fait frissonner l’Impératrice du Sénégal et donné des vapeurs à la Présidente de la République esquimaude. (San Antonio, Le coup de père François, p. 132) C’est bien la construction qui est première par rapport au verbe, qui lui, bien sûr, apporte en retour sa spécificité. On pourra rétorquer que dans cet exemple, l’emploi se fait par analogie avec glisser. C’est à la fois vrai et faux. Vrai, parce que la proximité sémantique de vaseliner et glisser est indéniable. Faux, parce que ce n’est pas glisser qui constitue le modèle, mais [X glisser Y à Z], soit le verbe pris dans la construction. Il y aurait une sorte d’illusion interprétative dans laquelle le verbe constituerait un élément surdéterminé interprétativement, un problème de distribution du sens qui confèrerait au verbe des responsabilités qu’il ne peut objectivement endosser. Je pose donc que XS FAIRE (ZOI AVOIR YO) est une construction5 d’attribution, qui se comporte comme une unité lexicale : on peut la juger polysémique, on peut lui trouver des extensions métaphoriques, ou, au contraire, la voir comme une unité monosémique qui varie selon les contextes. B. Pottier avait déjà observé le phénomène : si les sujets parlants ont la faculté de mémoriser des séquences de « mots » pour les faire fonctionner en tant qu’unité (coup de foudre, partir en flèche, à toutes fins utiles), pourquoi leur refuserait-on la possibilité de mémoriser (donc d’appréhender directement, sans nécessité de dérivation) des schèmes relationnels, des modèles syntaxiques usuels, pour lesquels nous proposons le nom de syntaxie (cf. les « patterns » de la linguistique appliquée) ? (Pottier 1968, 8) B. Pottier anticipait trente ans avant leur existence, la compatibilité entre GC et GP : la notion de ‹ mémorisation › renvoie aux processus cognitifs chers à GC – GC s’inscrivant amplement dans la linguistique cognitive ; la notion de ‹ patterns ›, évidemment au cœur de GP, renvoie à la linguistique appliquée, en particulier la didactique – préoccupation centrale chez les linguistes britanniques. 3 4 5 GC ne prétend pas que le verbe n’a pas d’argument, mais que la construction impose sa propre structure argumentale. Je reprends la notation de Herslund (1988) en remplaçant CAUSE par FAIRE. La distinction entre attribution et prélèvement correspond grosso modo à celle qu’effectue F. Ville (1998) entre verbes ‹ allatifs › et verbes ‹ ablatifs ›. Cet auteur développe l’idée que les procès allatifs et ablatifs déclenchent une représentation mentale prototypique, pour laquelle la dimension spatiale est fondamentale. Par manque de place, je ne discuterai pas cette thèse ; je dirai simplement que les constructions – telles que je les entends – ne sont pas des modes de représentation mentale, mais des modes de sémiotisation. J’utiliserai désormais exclusivement ce terme, en ayant à l’esprit sa compatibilité avec celui de ‹ pattern ›. Je tenterai une définition personnelle6 de la notion de ‹ construction ›, en synthétisant les propos précédents : une construction est une unité holistique signifiante, inscrite en mémoire et préformée7, sémiotisant l’expérience à dire. Bien qu’holistique, et en ce sens phraséologique, elle est constituée d’éléments auxquels elle impose une cohésion et une cohérence – selon le principe gestaltiste bien connu. Ainsi, c’est bien parce qu’elle participe au tout, que la préposition à acquiert une valeur de destination (qu’elle n’a pas nécessairement par ailleurs). C’est bien parce qu’ils participent au tout que les référents de N1 et N2 ont des rôles converses. C’est bien parce qu’ils participent au tout, que se construit une conjonction ou une disjonction entre les référents des deux compléments objets – la prédication seconde de Herslund. XS FAIRE (ZOI AVOIR YO) est une construction générale (schématique dans la terminologie de la linguistique cognitive), dans la mesure où un grand nombre de verbes sont en mesure de saturer la place du prédicat. J’examinerai dans ce qui suit des constructions plus spécialisées, en tout cas moins générales car lexicalement plus spécifiées. 1.2 [XS ENTRAÎNER YO dans Zloc] Le premier cas est celui d’une réalisation particulière d’une configuration trivalencielle locative (j’adapte la terminologie de M. Sénéchal et D. Willems (2007) qui n’identifient pas ce cas dans leur article) qui ne peut être repérée que dans une fonction discursive particulière : l’évaluation des objets culturels. [XS ENTRAÎNER YO dans Zloc]8 est actualisée dans les énoncés ci-dessous, tirés du corpus « Jeux vidéos » proposé dans le cadre de DEFT079 : (18) Il [le jeu] nous guide là où il veut et nous entraîne dans son monde où la logique n’a pas toujours sa place. (19) À la limite du jeu d’éveil, Les Bisounours nous entraîne dans un univers coloré et gentillet. (20) le titre nous entraîne dans une histoire totalement déjantée. (21) Jowood tente de nous entraîner dans un univers glauque et hostile. (22) S’inscrivant dans la mouvance de W.I.T.C.H., Winx Club nous transporte dans un univers de conte de fées moderne. (23) Les 18 missions solo qui la composent vous transporteront dans les endroits les plus chauds du globe. (24) Une véritable réussite qui nous plonge à certains égards dans une ambiance digne d’un film d’épouvante. (25) Une aventure qui nous prend dès l’introduction pour nous transporter dans un monde que l’on croirait vivant. (26) Sudeki compte parmi ces jeux qui vous emportent dans un monde lointain dont on a bien du mal à se défaire. (27) On est d’abord séduit par la réalisation qui nous plonge dans une ambiance « Mille Et Une Nuit » envoûtante. 6 7 8 9 Cela pour dire que je ne m’inscris pas dans une conception définitive, mais que je cherche, ici ou là, des éléments de compréhension. Dans le modèle d’A. Wray (2002) que je présente succinctement dans D. Legallois (à paraître), ces constructions font partie du lexique mental. La notation est bien sûr en partie arbitraire. ENTRAÎNER vaut pour un ensemble de verbes. Cf. http://deft07.limsi.fr/corpus-desc.php. On a donc là une construction spécifique dans le sens où elle emploie un petit ensemble de verbes {emmener, transporter, entraîner, embarquer, plonger}, le nom sujet renvoie à un référent précis (un jeu vidéo, ou un de ses aspects – réussite, aventure, réalisation, …), l’objet est réalisé par un constituant qui fait référence à l’ensemble des joueurs virtuels ou non, dont l’évaluateur-énonciateur fait partie, le locatif est lexicalement déterminé par un ensemble nominal {monde, univers, ambiance, histoire} nécessairement expansé par un dispositif porteur d’évaluation : adjectifs (merveilleux et féerique), compléments déterminatifs (de conte de fées moderne), ou relatives (dont on a bien du mal à se défaire). La construction apparaît dans des textes où s’exprime un jeu de langage (au sens de Wittgenstein) particulier : l’évaluation d’objets culturels ; de ce fait, elle échappe à un examen des bases de données générales comme Frantext, et donc à la sagacité des linguistes. Par exemple, Dubois/DuboisCharlier (1997) mentionnent cette construction avec « embarquer » et « entraîner », (une sousclasse E2d), mais ne donnent pas une extension de la classe verbale (emmener, plonger ne sont pas donnés, sauf erreur, dans cette construction). On pourrait objecter qu’un effet « concordancier » donne un caractère de systématicité aux exemples (18–27). Il n’en reste pas moins que ces exemples existent ! Et qu’il est tout à fait raisonnable de les considérer comme des énoncés en partie phraséologiques, même si les phraséologues ne mentionnent pas ce type de construction. On pourrait dire que la construction [XS ENTRAÎNER YO dans Zloc] est une manière de parler, spécifique à un jeu de langage, ancrée comme un tout dans la compétence discursive des locuteurs. La syntaxe compositionnaliste, en établissant des règles de combinaison, de sélection, manque, à mon sens, l’essentiel : la disponibilité d’une forme, qui compose à elle seule un petit scénario, et qui exprime en elle-même le jugement d’une expérience liée à un objet culturel (jeux, livres, cinéma, théâtre, etc.)10. 1.3 La configuration [SN1 mettre SN2 à Inf.] Il est évident que l’on ne doit pas confondre une forme grammaticale que l’on peut, par exemple, soumettre sous forme de requête dans un analyseur syntaxique, avec une construction. Par exemple, via Frantext et la base Corpatext11 (à l’aide du logiciel Nooj), la requête suivante [SN1 mettre SN2 à Infinitif] permet d’extraire un ensemble hétérogène de données. On peut cependant ordonner très facilement les résultats. Ainsi : A – Faire preuve d’une qualité pour faire quelque chose On distinguera plusieurs cas : 1) Faire preuve d’une qualité morale pour faire quelque chose : (28) Je mets mon orgueil à être la gloire de ce vieillard. (29) Plus tard il faut mettre sa dignité à vivre le mieux possible. 2) Faire preuve d’une motivation pour faire quelque chose : (30) Je mis mon zèle à faire montre d’un recueillement exemplaire. 10 Il faudrait aussi s’intéresser à la position textuelle de ce type de construction : un examen rapide montre qu’il apparaît soit en début de texte (comme introduction), soit en position conclusive. 11 http://lexique.org. (31) Je ne mis pas moins d’empressement à embrasser l’immoralisme. (32) La presse périodique n’a pas mis moins d’ardeur à poursuivre de ses traits envenimés la religion et le prêtre... 3) Faire preuve d’une capacité pour faire quelque chose : (33) On a mis tout son génie à être égoïste avec art. (34) Je te prie de mettre tout ton pouvoir à faire hâter la conclusion d’une affaire d’où dépend le bonheur de ma vie. (35) L’élève devra mettre toute son application à obtenir ce résultat. Il est intéressant de remarquer la pression qu’exerce le tout de la construction sur les éléments qui la composent : (36) M. Mauperin ferma les yeux : les six ans de sa fille étaient là devant lui ! Et, tirant à lui une illustration, il se pencha dessus, essaya de mettre sa pensée à regarder des images, et, à la dernière page, s’arrêta au rébus. (Goncourt/Renée, Mauperin) Mettre sa pensée à faire quelque chose n’est pas attesté ailleurs. L’interprétation possible se fonde donc sur les exemplaires de la classe des noms de motivation employés dans cette construction : pensée devient plus ou moins synonyme d’énergie, une énergie intérieure, une mobilisation intellectuelle, une concentration. C’est la construction qui fait pression sur l’interprétation du nom. B – Mettre du temps à faire quelque chose (37) J’ai mis plusieurs minutes à plier ma serviette dans la perfection. (38) Je mets une heure à lire une page. (39) Ne craignez pas de mettre trop de temps à sécher l’huile avec le tripoli. Cet emploi est le plus fréquent. Sa nature phraséologique n’est guère discutable. C- Affecter quelqu’un à une tâche (40) Il faut mettre vos équipes à transborder le charbon de droite à gauche. (41) Ils ont mis les gendarmes à garder la porte. Cet emploi12 est beaucoup plus rare. Ce qui est intéressant ici, c’est la contrainte sur la relation entre l’objet et le procès : il s’agit toujours d’un humain ou d’un ensemble d’humains affectés à une tâche subalterne ou peu honorifique. Le référent est implicitement reconnu comme qualifié pour faire cette tâche. D’où les effets de l’énoncé suivant, inventé : (42) On a mis Nicolas Sarkozy à diriger le pays. qui connote soit une déception (et voilà le résultat !) causée par la déqualification (il n’avait pas les qualités pour gouverner) ; soit une euphorie (depuis, ça va mieux) : c’était la bonne personne, avec les qualités adéquates. Remarquons que le nom commis est construit sur le 12 Emploi recensé par J. Dubois et F. Dubois-Charlier (1992). participe passé de commettre pris dans son ancien sens de donner en charge quelque chose à quelqu’un (TLFI). D- faire subir un traitement à un certain type d’objets (43) et puis, dit-elle, vous avez mis votre limousine à sécher devant le feu. (44) il est bon, au plus, pour y mettre une morue à dessaler. (45) Sylvaine devait mettre un fer à chauffer pour la refriser. (46) Et puis j’ai mis mon linge à tremper. (47) J’avais mis mes haricots à cuire avant de partir. (48) J’ai mis la bouteille à refroidir dans le seau. (49) je mets les pinceaux à tremper. On voit que cette construction est particulière dans le sens où elle est limitée à un domaine pratique particulier : le domaine domestique. Aucun exemple n’illustre une application plus « ambitieuse » du traitement à faire subir à un objet. Cette restriction est bien la preuve d’une phraséologie à l’œuvre : il s’agit d’une manière de dire, plutôt qu’un énoncé librement produit à partir des moyens syntaxiques et lexicaux à combiner. Pour résumer, une forme comme [SN1 mettre SN2 à Inf.] ne constitue évidemment pas une construction ; mise sous forme de requête, elle permet d’identifier plusieurs constructions ou patterns, radicalement différents les uns des autres, avec des relations actancielles diverses (dans les classes A, B, D par exemple, c’est le référent de SN1 qui « contrôle » l’infinitif, pour C, c’est le référent du SN2). [XS ENTRAÎNER YO dans Zloc], dans les réalisations particulières examinées et les différentes réalisations de [SN1 mettre SN2 à Inf.], sont donc considérées dans ce travail comme des unités phraséologiques, des cadres collocationnels, des syntaxies d’un type plus spécifique que XS FAIRE (ZOI AVOIR YO) qui peuvent éventuellement être les héritières d’une construction plus générale. En ce sens, elles sont moins productives que la construction d’attribution, et donc plus lexicalement déterminées (cf. les verbes {emmener, transporter, entraîner, embarquer, plonger}, ou le verbe mettre) et donc plus « figées ». 2. La notion de ‹ colligation › Une question essentielle doit être posée, qui touche à la pratique grammaticale. Sur quoi se fondent les diverses conceptions qui voient dans le verbe un recteur argumental ? La réponse pourrait être donnée à la fois par la linguistique de corpus, et par le cognitivisme linguistique. Je m’appuierai sur l’analyse sur corpus de D. Willems (2006) qui a examiné les emplois du verbe donner. Son corpus est composé ainsi : - les 200 premières occurrences de donner dans les éditions du Monde 1997 - les 200 premières occurrences prises à dix auteurs littéraires différents dans Frantext - les 200 premières occurrences prises sur le corpus oral Corpaix Les données sont sans appel – et d’ailleurs sans surprise : 88 % des occurrences (524/600) sont des emplois dans la construction d’attribution. De ce fait, la « valence trivalencielle » de donner est particulièrement saillante. Mais elle n’est qu’un effet : c’est bien la construction qui constitue une sorte d’affordance pour le verbe. L’idée d’une valence naît non pas de la propriété du verbe, mais de la fréquence d’emploi du verbe dans la construction d’attribution. Une telle fréquence n’est pas sans conséquence sur notre façon de mémoriser les unités linguistiques (cf. Pottier, cité plus haut). Cette fréquence, selon les cognitivistes (Bybee 2006), entraîne un phénomène d’entrenchment, c’est-à-dire d’‹ enracinement › dans notre compétence cognitive d’unités linguistiques, via nos expositions et participations aux multiples discours. La linguistique contextualiste britannique, sans proposer d’explications cognitives, mais en raisonnant sur les données des corpus, a proposé le terme de colligation (Firth, 1957) pour désigner ce phénomène de ‹ collocation grammaticale13 ›, qui a des conséquences considérables sur la conception grammaticale : la préposition à ne serait pas gouvernée par le verbe mais forme une collocation avec donner – collocation qui ne se distingue guère fondamentalement d’une collocation plus classique telle que, par exemple, conseiller vivement. Par ailleurs, la notion de ‹ construction › ne doit pas, à mon sens, laisser à penser que le lexique vient, dans un second temps, remplir les places offertes par la structure. Je partage au contraire l’idée de G. Francis : syntactic structures and lexical items (or strings of lexical items) are co-selected and […] it is impossible to look at one independently of the other. Particular syntactic structures tend to co-occur with particular lexical items, and – on the other side of the coin – lexical items seems to co-occur in a limited range of structures. The interdependence of syntax and lexis is such that they are ultimately inseparable. (G. Francis, 1993, 147) La raison de cette co-sélection est justement la colligation. Pourtant, ce principe de cosélection doit être, à mon sens, minoré, lorsque l’association entre le lexique et la construction n’est pas régulière : en cas, donc, de coercition (cf. plus bas), il y a effectivement une sorte de remplissage de la place par le lexème, lors du processus de production. En compréhension, on peut raisonnablement penser que le travail d’interprétation est plus long. Ainsi, cet exemple emprunté à I. Novakova (2006, 115) (en pleine crise de la vache folle, l’agriculteur ne veut pas faire partir ses bêtes (les écouler sur le marché)) : (50) Ces bêtes, je ne suis pas prêt à les partir. (Journal TV, 2001) pour lequel on peut envisager, certes, une co-sélection conforme à une compétence en production (il s’agit d’une sorte de discours spécialisé) ; en revanche, en compréhension, on doit considérer un travail d’intégration du lexème partir dans la construction transitive, à élaborer. La notion de ‹ colligation › me paraît fondamentale pour saisir et comprendre les régularités constructionnelles d’un lexème. C’est donc une notion nécessaire à la compréhension du phénomène inverse : la ‹ coercition ›. Il y a coercition lorsqu’un lexème (un verbe) apparaît dans une construction particulière, alors que, pour parler prosaïquement, il n’a rien à y faire. 13 Les travaux de S. Gries et A. Stefanowitsch ont donné une allure objective à la colligation – phénomène que les auteurs nomment collostruction : « Collostructional analysis aims at measuring the degree of attraction or repulsion that words exhibit to constructions » (A. Stefanowitsch/S. Gries, 2003, 37). 3. Coercition (ou forçage) 3.1 Définition Le phénomène de coercition n’a peut-être pas reçu l’examen théorique qu’il méritait, mais il est néanmoins considéré comme étant au coeur de la création et de la nouveauté linguistique. Dans le cadre de GC, Taylor (1998) en donne une description, mais je me fonderai principalement sur un article écrit par des linguistes français (F. Gadet et al., 1984). Le forçage – selon le terme proposé dans l’article – consiste pour les auteurs en un déplacement de l’instanciation de l’argument, ou sur la présence ou absence d’un argument : ces déplacements nous les avons appelés forçage, c’est la tentative, de l’ordre d’une manipulation grammaticale, de faire accepter par un verbe une construction qui soit complémentaire de sa construction reconnue. (F. Gadet et al. 1984, 34) Le forçage serait donc de l’ordre d’une méthodologie manipulatrice. Depuis la date de parution de l’article, la linguistique de corpus est apparue, qui a permis d’observer le travail naturel du forçage, et ainsi d’éviter les problèmes de jugement d’acceptabilité inhérents à des exemples construits, comme celui-ci emprunté par les auteurs à M. Gross (1975, 67) : (51) Ma concierge maigrit que je ne sois pas tué (à partir du topos « être fâché fait maigrir »). Sous l’angle de la linguistique de corpus, la coercition (pour reprendre le terme actuel) est un procédé de création linguistique, que de nombreux auteurs – sans le nommer ainsi, et sans référence à un cadre constructionnaliste de la grammaire –, ont décrit (parmi d’autres, M. Larjavaara 2000, M. Krötsch/W. Oesterreicher 2002 et I. Novakova 2006). J. François (2006) montre, par exemple, que l’emploi absolu du verbe manger est favorisé par certains facteurs co-textuels, entre autres : circonstants de manière et de lieu, listes d’actions. La plupart de ces travaux privilégient une observation synchronique du phénomène14, mais à mon sens, la coercition est également particulièrement intéressante à analyser en diachronie, puisque la lecture d’emplois anciens de certains lexèmes donne une saillance à la construction. Quelques exemples, très brièvement commentés : 3.2 Persuader Persuader se construit jusqu’au XIXe siècle15 selon le schéma [Xs persuader YOI de + inf/que P] : (52) elle persuada à ce colonel de l’assassiner. (53) il persuade à la femme de manger une pomme. (54) L’éblouissant conteur persuadait à son auditoire qu’après ce voyage-là on en ferait bien d’autres. Aujourd’hui, le lecteur de textes classiques se heurte à ces emplois. Ce heurt est la conséquence d’un forçage, d’un écart par rapport à une colligation (la « construction 14 On pourrait prendre l’exemple du verbe doter, sémantiquement proche de donner mais qui ne serait pas employable dans la construction d’attribution : ce serait réduire considérablement l’espace de la francophonie, car des exemples comme en vue de faire correspondre les besoins réels du développement de notre pays et lui doter d’une main d’œuvre qualifiée qui lui fait défaut pour certains métiers,… d’une candidate à la présidentielle du Congo, sont légion (http://www.lepotentiel.com). 15 Les exemples proviennent de la base Corpatext. reconnue » selon Gadet et al.), dans la mesure où le lecteur ne lit pas ces textes avec une grammaire interne de locuteur du XVIIIe siècle, mais avec sa grammaire de locuteur du XXIe siècle. Seul le lecteur expérimenté, de par son exposition au discours classique, aura intégré une grammaire plus ou moins passive des écrits classiques et ne percevra plus – éventuellement – ce forçage. Ainsi, deux opérations sont en œuvre : - la colligation actuelle du verbe « persuader » qui, pour le lecteur non expert, constitue une régularité à laquelle ne répond pas l’énoncé lu - la mobilisation de la sémantique de la construction [S V à O + que P/ de + inf.] qui permet d’interpréter l’énoncé. Ainsi, on a l’impression que persuader « devient » un verbe à emploi performatif pour le lecteur non expert, comme le sont conseiller ou ordonner. 3.3. Aider (55) Si vous laissez votre fils continuer comme ça vous allez devenir de plus en plus crevée et lui aussi. Parfois la fatigue quand il commence l’école va lui aider à trouver son sommeil, mais il se peut que la fatigue va lui poser des difficultés pour sa scolarité. (Forum santé sur Internet). Fait bien connu, le verbe « aider » en français contemporain, employé avec un OI (« aider à quelqu’un »), est jugé non grammatical. Il est cependant particulièrement fréquent. Son statut varie : l’emploi constitue la norme au Québec, et fait partie de variations régionales en France (on le trouve dans les copies normandes). C’est évidemment l’héritage d’une ancienne construction, qu’on peut considérer comme plus logique que l’emploi normalisé actuel : la construction [N V Odat à Inf.] configure le référent du complément objet indirect comme le bénéficiaire d’un apport extérieur, à l’image du verbe apprendre ou enseigner. Aider quelqu’un, c’est bien lui apporter une aide16. Il est tout à fait possible que dans un temps plus ou moins proche, la construction [N aider à N à Inf.] reprenne le dessus. 3.4. Sauver Un dernier cas qui montre clairement que la coercition a des conséquences sur les relations lexicales : l’emploi du verbe sauver, construit par analogie avec « X empêcher Y de Inf. » : (56) Langage de mon peuple, je te sauverai de pourrir. (A. de Saint-Exupery, Citadelle) (57) Depuis le jour de son départ, ils n’avoient jamais manqué de recevoir de ses nouvelles tous les soirs avec quelques gracieusetés qui ameilleuroient leur vie, et de bonnes espérances de retour qui les avoient sauvés de mourir. (C. Nodier, Trésors des fèves) Ces exemples montrent que la synonymie contextuelle est un phénomène constructionnel ; aucun dictionnaire de synonymes, pas même celui du CRISCO17, ne donne sauver comme synonyme d’empêcher. Ces quelques exemples indiquent comment la coercition souligne, met en évidence, le travail, la signification de la construction. Les linguistes parleront de transgression du schéma 16 L’allemand helfen régit aussi le datif. 17 http://www.crisco.unicaen.fr/cgi-bin/cherches.cgi. Au sujet de la synonymie, on peut se reporter aux travaux de P. Blumenthal (2006) pour une méthode lexicométrique « réaliste », c’est-à-dire contextuelle. actanciel habituel (I. Novakova 2006, 122), de violence syntaxique (C. Touratier 2001, 131), dans un discours rappelant fortement les notions d’‹ écart ›, de ‹ transgression ›, d’‹ incompatibilité sémique › qui parsèment le discours sémantique sur la métaphore18. C’est que le fonctionnement linguistique se donne à voir non pas seulement dans la fréquence des régularités – comme on l’a vu –, mais aussi, a contrario, dans certaines configurations hors normes, dans lesquelles ne sont plus parlés les « mots de la tribu », mais ceux d’une subjectivité face au potentiel linguistique. Cependant, la coercition, comme la métaphore, n’est qu’un effet, un sentiment, une impression, un jugement de l’observateur qui considère que dans telle occurrence, le verbe possède un comportement syntaxique particulier, et que son emploi constitue un écart par rapport à une colligation. Elle n’est pas à proprement parler une propriété linguistique ; ce qui constitue des propriétés linguistiques, ce sont : • la disponibilité des constructions pour accueillir des verbes a priori non disposés, mais évidemment pas n’importe quel verbe, • la flexibilité sémantique des verbes qui peuvent intégrer un certain nombre de constructions, mais évidemment pas n’importe quelle construction. Sans m’inscrire explicitement dans la théorie des opérations énonciatives, il me semble que J.-J. Franckel voit juste lorsque, dans ses analyses, il montre pertinemment que les prépositions n’introduisent pas « directement, ni même nécessairement un argument du verbe » (2006, 291). Si on ne peut que souscrire à l’idée qu’un verbe est un prédicat qui met en rapport des éléments, et que ces éléments doivent être intégrés dans une description sémantique du verbe, il n’en reste pas moins que ces éléments ne sont pas nécessairement, loin de là, des « arguments verbaux »19. La « schématicité » du verbe lui permet ainsi de collaborer avec une variété de constructions20. Si l’on doit rattacher obligatoirement les arguments à quelque chose, c’est bien aux constructions elles-mêmes – qui sont, elles, des unités discursives. 4. Conclusion Le trio ‹ construction ›, ‹ colligation ›, ‹ coercition › dont j’ai tenté d’illustrer la pertinence ici, permet d’appréhender autrement les faits grammaticaux. Ces trois phénomènes ne sont pas de même nature : la construction est une réalité syntaxico-sémantique ; la colligation, une réalité cognitive et statistique ; la coercition, un jugement épilinguistique. Mais tous participent à une conception pour laquelle la grammaire ne saurait être dissociée du lexique, la syntaxe de la sémantique. Plus encore, leur observation permet de dessiner une grammaire paradigmatique et (en partie) phraséologique, obligeant ainsi à étendre le domaine de la phraséologie à des unités qui lui sont traditionnellement refusées. Le recours à une explication phraséologique ne signe pas un contrat d’impuissance du linguiste, une démission ; bien au contraire, elle est le point de départ des transformations et des changements syntaxico-sémantiques qu’il convient d’examiner en détail pour chaque cas. Surtout, elle est l’émanation d’une linguistique de 18 En cela, la coercition et la métaphore participent sans doute à un même phénomène, plus général (Legallois en préparation). 19 Cet exemple de J.-J. Franckel (2006, 282) : « frotter marque qu’un élément a entre en contact avec un élément z qu’il constitue comme une zone de perpétuation de ce contact. Dans l’énoncé ‹ :ils ont du frotter le mur très énergiquement pour effacer toutes les traces ›, seul z (le mur) fait l’objet d’une lexicalisation. L’élément a n’est pas lexicalisé. Quant au sujet syntaxique (ils), il ne correspond pas à un élément de la forme schématique. » l’usage – qui est peut-être la seule linguistique possible –, une linguistique pour laquelle, concernant la thématique abordée ici, le discours impose ses arguments, s’affranchissant allègrement de la distinction proposée par F. Rastier (1998) entre une linguistique logicogrammaticale et une linguistique rhétorique et herméneutique. Bibliographie BLUMENTHAL, Peter, « De la logique des mots à l’analyse de la synonymie », in : Langue française 150 (2006), p. 14–31. BYBEE, Joan, « From Usage to Grammar: the Mind’s Response to Repetition », in : Language 82 (2006), p. 711–733. FIRTH, John. R., « A Synopsis of Linguistic Theory 1930–55 », in : Studies in Linguistic Analysis. 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