niveau lycee - Le Témoin gaulois
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APPROCHES DE L’IMAGE I NIVEAU LYCEE René Collinot Juillet 2012 Approches de l’image - II 2 Approches de l’image - II AVERTISSEMENT Pourquoi cette nouvelle version ? Une première version d'Approches de l'image a été publiée, sous le nom de Lecture de l'image, aux Éditions Chrysis en 2001. Une seconde version est devenue nécessaire du fait des innovations intervenues en sept ans dans les médias et dans les logiciels. Nous avons donc abandonné le logiciel de création et de lecture Architextes, qui fut pionnier en son temps, pour adopter le format HTML qui permettrait à tout enseignant disposant au moins d'un traitement de texte de modifier aisément n'importe quel article ou d'en ajouter : on trouvait à cet effet, dans chaque dossier, un fichier nommé 1modèle.html qu'il suffisait de charger et de remplir avant de l'enregistrer sous un nouveau nom, mais toujours au format d'origine. Caractéristiques La seconde version respectait la présentation de l'ancienne, tout en améliorant la qualité des images, grâce à une résolution de 1280 x 1024 pixels et à l'adoption de leur codage sur 32 bits (16,5 millions de couleurs), normes accessibles dès cette époque à toutes les machines. Nous avons aussi amélioré la lisibilité des textes en choisissant un fond plus discret et en adoptant la police Garamond. Enfin nous avons limité le nombre des notes en petites fenêtres, qui nous semble nuire à leur lisibilité en ne retenant que des explications d'une ou deux lignes, et renoncé aux quelques messages sonores, redondants et gênants en classe. Bien entendu, les contenus avaient été mis à jour et sensiblement enrichis et de nouveaux fichiers étaient apparus. En 2011, Lecture de l'image appelait de nouvelles mises à jour, et les Éditions Chrysis ont bien voulu retirer ce produit de leur catalogue à la demande des auteurs : nous ne nous sentions pas prêt à entreprendre une telle tâche, et le site Le Témoin gaulois était né entre temps. En mettant en ligne ce travail, nous espérons qu’il rende encore quelques services en touchant un public différent. Cette version mise en ligne le 9 juillet 2012 est une mise à jour de la version du 24 octobre 2011 du manuel Lycée qui rassemble pratiquement tout le contenu de l'hyperdocument. Les illustrations soumises à des droits d'auteur pour lesquelles nous n'avons pas demandé d'autorisation ont été retirées, à l’exception des publicités : nous ne pensons pas que les annonceurs se formalisent de se voir offrir ce très modeste support. 3 Approches de l’image - II L’IMAGE 4 Approches de l’image - II * Qu’est-ce qu’une image ? Le mot « image » présente quatre sens*200 principaux : 1. Il existe des images naturelles, comme les reflets dans l'eau et les mirages. 2. L'image comme représentation psychique *167: images du rêve, celles du souvenir, etc. 3. L'image en rhétorique*199 : la métaphore*196 est une image. Les images sont construites autour des deux pôles de l'imaginaire, la métaphore et la métonymie*197. 4. l'image comme signe*200 : dessin et photo sont des images. C’est le cœur de notre sujet. Première approche Contrairement aux mots qui n'ont aucun rapport direct avec ce qu'ils désignent, les images sont des objets naturels (les reflets de l'eau, les mirages) ou artificiels (des signes) caractérisés par la ressemblance. Les traits et les taches d'une image de pomme, par exemple, rappellent la forme et la couleur du fruit, et la photo d'une pomme ressemble à un dessin ou un tableau représentant une pomme, quelle que soit la nationalité de son auteur, tandis que le mot « pomme » ne ressemble pas au mot hébreu*220 tapouah, au latin*164 malum, à l'anglais apple, à l'espagnol manzana, à l'allemand Apfel, etc., et que ni l'un ni l'autre de ces mots ne ressemble au fruit. Il y a bien des sortes d'images : peinture, dessin, cartes*172 et photo, quels que soient leurs supports, ainsi que les images du cinéma, de la télévision, et de l'ordinateur, qui s'allient au son pour donner naissance à l'audiovisuel*172. On y ajoutera la sculpture, que l'enseignement français a longtemps négligée, sans doute parce que son rôle est secondaire dans les sociétés modernes, ce qui n'a pas été toujours le cas. Deuxième approche Le mot image vient du latin Imago. « Le mot français image remonte à un vieux rite*226 funéraire romain. Imago voulait dire à l'origine la tête de mort du mort découpée, placée sous le foyer, puis surmodelée et enfourchée sur un bâton, puis posée sur le toit, puis le masque de cire empreint sur son visage, puis la peinture à la cire qui représente ses traits placée sur les bandeaux de la tête momifiée. » Pascal Quignard (Vie secrète) Ajoutons que l'on retrouve de tels rites funéraires partout à travers le monde, en particulier en Afrique, et que le mot Imago a par la suite désigné les statues, qui furent dans l'Antiquité classique les images par excellence. Le culte*217 des images est lié à celui des ancêtres, et au refus de la mort. Contrairement aux signes linguistiques, l'image (ou icône*177, ou signe iconique*182), fonctionne essentiellement à partir de sa ressemblance à l'objet représenté. Mais cette ressemblance est moins immédiate qu'on ne croit, elle est toujours codée : - La plupart des animaux ne la perçoivent pas * L’astérisque suivi d’une indication chiffrée renvoie aux notes des pages 159 à 259 du tome II de ce manuel, classées par thèmes et alphabétiquement.. 5 Approches de l’image - II La plupart des animaux ne savent pas lire les images... toutefois, on voit de plus en plus d'animaux domestiques, en particulier des chiens, s'intéresser à la télévision, ce qui conduit à penser qu'il existe un apprentissage de cette lecture. - Leur reconnaissance fait l'objet d'apprentissages Non seulement de la part des animaux, mais aussi des humains. C'est évident pour les caricatures, qui ne sont infailliblement reconnues que des lecteurs assidus des journaux qui les publient. De même pour la bande dessinée, dont les jeunes enfants comprennent sans difficultés les codes mais que des adultes non initiés ne parviennent jamais à lire avec plaisir. Selon divers témoignages il semble que certains peuples n'aient pas immédiatement perçu la ressemblance des premières images cinématographiques, ce qui a étonné les Européens. Pourtant ces derniers étaient préparés au cinéma par la photographie et les spectacles*182 (dioramas) et machines d'illusion optique et d'images mobiles qui, du Thaumatrope (1826) au Kinétoscope d'Edison (1891), ont préparé son invention. Ils étaient en outre accoutumés de longue date aux codes*121 de la perspective issus des recherches du Quattrocento. Enfin, le peu qui nous est parvenu de la peinture gréco-romaine*189, dont les Anciens vantaient le réalisme*190, ne nous frappe pas d'abord par cette qualité. - Toute image porte la marque de la culture dans laquelle elle est née À commencer par les solutions apportées au problème de la perspective. En l'absence des références culturelles qui les ont vus naître, beaucoup de dessins ou de tableaux sont inintelligibles, ou donnent lieu à des contresens. C'est ainsi que l'importance des symboles et de l'allégorie*171 dans les œuvres de la Renaissance*210 a donné lieu à maintes recherches passionnantes à la fin du XXe siècle. - L'interprétation des images résulte d'une véritable lecture 6 Approches de l’image - II Lecture de l’image Lire une image ? Parler de lecture de l'image n'est pas une simple métaphore, même si lire un texte et lire une image ne sont pas des actes identiques. Texte (du latin textus, tissu) désigne un écrit, manuscrit ou imprimé. Le sens des mots d'un texte résulte, en effet, de la manière dont ils se suivent (syntaxe*201) et du fait que certains des mots, à travers le texte, forment des réseaux (champs lexicaux*192, homophonies*195, etc.), comme un tissu est composé de la chaîne*160 et de la trame*169. La différence entre lire un texte et lire une image se situe au niveau du déchiffrement : - les yeux ne parcourent pas de la même manière un texte et une image : ils balaient le premier de gauche à droite et de droite à gauche, de haut en bas, par sauts irréguliers, tandis qu'ils parcourent l'image suivant un trajet à peu près triangulaire qui part du haut, descend vers la gauche, va de gauche à droite et remonte vers le point de départ - la lecture d'un texte consiste à reconnaître des signes, à les associer pour former des mots et des phrases ; la lecture de l'image consiste en la reconnaissance de formes et de couleurs : avant de décider si on a affaire à une figure*177 de la mythologie*223 grecque, ou latine, ou à un ange*214, on aura reconnu une figure humaine ailée. Mais au-delà du déchiffrement, le travail d'interprétation présente bien des analogies*171 d'une opération à l'autre : on peut appliquer au texte littéraire ce que dit Régis Debray (Vie et mort de l'image, ouvrage cité) à propos de l'image, qui offre une polysémie inépuisable. Et chaque époque en Occident*166 a eu une façon de lire les images de la Vierge Marie et du Christ*216, comme elle a eu sa façon de les styliser*183. Ces lectures nous en disent plus sur l'époque considérée que sur les tableaux. Ce sont autant des symptômes que des analyses. Le lecteur Le lecteur appartient, comme le spectateur*182 (du latin spectator, qui regarde) et l'auteur, au monde réel. Il fait partie du public*167, et ne doit pas être confondu avec le narrataire. Il est doué d'une certaine sensibilité : les sujets, comme la manière de les traiter, peuvent lui plaire ou lui déplaire. Il a une vie intérieure (ou psychologique*167) avec des souvenirs, des expériences pénibles ou agréables, des projets, des craintes. Il peut les retrouver dans ce qu'il voit : ce sont les connotations*193. Son milieu social et son histoire personnelle le portent à éprouver de l'intérêt pour certains sujets, ou de l'ennui devant certains autres. Il a aussi des convictions, des idées sur le monde et les hommes, des choix intellectuels, sentimentaux et religieux. C'est la part de l'idéologie*164. Il a donc un horizon d'attente*195, c'est-à-dire qu'en fonction de son éducation, de ses goûts, de son expérience, il attend d'une œuvre certains caractères et certaines satisfactions, et peut réagir vivement selon que cet espoir est satisfait ou déçu. Enfin, son activité met en jeu l'intertextualité*196. 7 Approches de l’image - II L’auteur L’auteur est la personne réelle qui écrit le livre ou réalise l'œuvre. Il a (ou a eu) un corps, une famille, une histoire individuelle, une culture. Il a éprouvé des sentiments, des passions. Tout cela, plus ou moins transposé, nourrit l'œuvre, directement (autobiographie*191), indirectement (via la fiction*163) ou conditionne ses représentations (autres ouvrages). Enfin l'idée qu'il se fait de son public, les conditions économiques*162 et politiques*167 de la publication et de la diffusion, l'idéologie qu'il partage, influent aussi sur son écriture, ainsi que l'intertextualité. Mais la notion d'auteur se complique encore dans les médias : l’auteur d'un produit audiovisuel est souvent collectif Pour la loi française, l'auteur d'un film n'est pas un individu, mais l'ensemble des personnes qui ont contribué à cette création de l'esprit : scénariste*182, dialoguiste*162 et compositeur de musique se partagent avec le réalisateur les profits matériels de l'œuvre. S'y ajoutent l'adaptateur et les auteurs de l'œuvre originaire, dans le cas d'une adaptation. Cette liste n'est pas limitative, mais chacun doit pouvoir apporter la preuve de sa création. Polysémie/monosémie Un signe (mot ou image, etc.) est : - monosémique s'il n'a qu'une seule signification*201 ; - polysémique s'il en a plusieurs. La plupart des mots ont de nombreuses significations. Un signal routier est monosémique, de même qu'un schéma, parce qu'ils sont conventionnels*161, de même qu'un terme de mathématiques : 8 Approches de l’image - II D'autres images sont plutôt, mais jamais complètement ni pour tous, monosémiques : d'autres encore sont franchement polysémiques : Image et symbole L’image peut avoir une fonction symbolique. « Le symbolon, de symbalein, réunir, jeter ensemble, rapprocher, désigne à l'origine [...] un fragment de coupe ou de bol coupé en deux entre des hôtes*163 qui transmettent les morceaux à leurs enfants pour qu'ils puissent un jour retrouver les mêmes relations de confiance en ajustant les deux fragments bord à bord. L'antonyme exact du symbole, en grec, c'est le diable : celui qui sépare. Dia-bolique est tout ce qui divise, sym-bolique tout ce qui rapproche. » (Régis Debray, Vie et mort de l'image, ouvrage cité) Un symbole est un objet, une personne, un animal ou une image qui représente par convention*161 une chose abstraite*159 ou même un vaste ensemble d'idées. Exemples : Le char de la mort ou la charrette fantôme, qui parcourt la nuit les campagnes du nord de l’Europe à la Bretagne (c’est le Kar ann Ankou) est une vieille légende qui, avant d’être portée à l’écran par le Suédois Sjôstrom et le Français Duvivier, a inspiré beaucoup de peintres. Dans cette allégorie, le char, symbole de puissance (c'est l'attribut des dieux*218 et des rois), rempli de morts, conduit par un squelette (symbole de la mort) et tiré par des squelettes de chevaux roule en général, symboliquement de gauche (senestre) à droite. Ce sujet rejoint la représentation ironique des danses macabres. 9 Approches de l’image - II Le symbole s'oppose à l'indice*164 et à l'icône. Un indice est un fragment d'un objet, ou un objet en contiguïté avec lui. Exemples : des ossements, l'empreinte d'un pas, une fumée, sont respectivement les indices d'un corps, du passage d'un homme, d'un feu, donc d'une présence humaine. Image et couleur Notre perception des couleurs est largement tributaire de données culturelles, à commencer par celles que fournit la science. Les notices qui suivent sont destinées à donner une idée de la complexité et de la diversité des symboliques des couleurs mais ces résumés ne peuvent rendre compte des innombrables variantes qui se présentent à l'intérieur de chaque système. La couleur, dans les images, a d'abord une fonction symbolique. Elle intervient aussi par le jeu d'oppositions très codées : - couleurs chaudes (jaune, rouge) / couleurs froides (vert, bleu), depuis l'héraldique*163 ; - couleurs primaires / couleurs complémentaires, depuis Chevreul. - etc. Elle joue enfin dans la perception de l'espace, et sa représentation, comme on le verra à propos de la perspective. Le souci de ressemblance est second. La tradition chinoise La tradition chinoise distingue cinq couleurs fondamentales, auxquelles elle associe des valeurs symboliques : le Rouge (le Feu, le Sud - c'est à dire le haut de la rose des vents, l'Été) ; le Noir (l’Eau, le Nord, l’Hiver) ; le Vert (le Bois, l'Est, le Printemps) ; le Blanc (le Métal, l’Ouest, l’Automne), qui se confond plus ou moins avec l'azur ; enfin le Jaune (la 10 Approches de l’image - II Terre, le Centre nourricier), sucré et parfumé. Aussi les hommes, habitants de la Terre, sont-ils de race*168 jaune. La tradition indienne La tradition indienne distingue 7 çakras associés à certains centres énergétiques du corps humain : moulhadara (le « soutien »), dans les organes sexuels, est lié au Rouge et à la terre ; le second çakra, svadhisthana (« suave, agréable ») dans la région sacrale, est lié au rouge orange et à l’eau ; Manipoura (« la pierre précieuse étincelante ») occupe le plexus solaire et est lié au jaune et au feu ; anahata (« le non-atteint ») correspond au cœur et est lié au vert et à l’air ; Vishoudha (la « purification ») est dans la région du cou, et lié à l’azur et à l’argile ; ajna (la « perception »), est au front, il est lié à l'indigo et à la lumière ; enfin sahasrara (« un millier », c'est-à-dire l'immensité, le dépassement), au sommet du crâne, est lié au violet, au blanc ou à l'or, à la pensée ou la conscience. L’islam L'islam*221, regroupe en un système de trois couleurs le blanc qui intègre toutes les autres couleurs et est associé à la pureté et à l'esprit, le noir à l'âme (les religieux descendant de Mahomet*245 portent un turban noir), et le santal au corps et à la prière. Le système des quatre couleurs est constitué par le rouge qui est le Feu, la Vie (chaud et sec), le jaune, l’Air (chaud et humide), le vert, l’Eau (humide et froide) et le bleu, couleur négative donnée aux chrétiens*216, la Terre (froide et sèche), Le système des sept couleurs réunit les deux précédents et l'astrologie associe à chaque couleur une planète et un métal : Saturne et le plomb pour le noir, le Soleil et le fer pour le jaune, la Lune et l'étain pour le vert (couleur du Paradis et de l'islam), Mars et l'or pour le rouge, Mercure et le cuivre pour le bleu, Jupiter et le mercure pour le santal, Vénus et l'argent pour le blanc. Enfin, on a lié à chaque couleur un prophète*225 : Adam*214, Noé*223, Abraham*214, Moïse*223, David*217, Jésus*242 et Mahomet. L’astrologie Les diverses astrologies (babylonienne, grecque, chinoise, arabe, etc.) n'ont pas manqué d'associer à chaque signe du zodiaque une planète, une couleur, un métal et des vertus particulières. Mais on ne trouvera naturellement aucun accord entre « spécialistes », même à l'intérieur d'une même culture. Voir le très riche site http://www.colorsystem.com/ qui a fourni l'essentiel de cet article. Les problèmes spécifiques à la couleur seront abordés dans les chapitres dessin, peinture, cinéma, BD, images numériques. En Occident Aristote Aristote, partant de l'observation des couleurs du lever au coucher du soleil distingue 7 couleurs qu'il dispose selon un ordre linéaire : blanc, jaune, rouge, violet, vert, bleu et noir. Cette classification domine l'Occident jusqu'à Chevreul, bien que vers 1310, le dominicain Dietrich von Freiberg ait réduit leur nombre à quatre « couleurs 11 Approches de l’image - II moyennes » distinctes dans l'arc-en-ciel : le rouge, le jaune, le vert et le bleu, susceptibles de mélanges. L’héraldique En héraldique, on distingue 7 couleurs principales divisées en deux groupes : - les métaux : Or (jaune) : Soleil, topaze, raison, connaissance, tentation ; Argent (blanc) : Lune, perle, sagesse, vertu, spiritualité. L'Allemagne y ajoute le Fer (gris). - les émaux : Azur (bleu) : Jupiter, saphir, fidélité, loyauté, divin*218, air ; Gueules (rouge) : Mars, rubis, force, virilité, action ; Sable (noir) : Saturne, diamant, tristesse, humilité, pauvreté, le Diable ; Sinople (vert) : Vénus, émeraude, fertilité, espoir, honneur, eau, puis dans le monde chrétien, le vert (couleur de l'islam) sera lié au diable et aux maléfices. Il est à noter qu'il faut attendre la première révolution industrielle pour que les romantiques*190 fassent une relation entre le vert de la végétation et la nature, qui reçoit désormais une connotation positive, et dont la couleur était jusque alors le rouge. Pourpre (violet pourpre) : Mercure, améthyste, beauté, puissance, feu. Les fourrures ou pannes, hermine et vair, sont composées respectivement de motifs*179 noirs sur fond blanc et blancs sur fond d'azur. On y classe parfois le Sable (couleur de la zibeline). La liturgie catholique Dans la liturgie*222 catholique*215, le blanc est la couleur de l’innocence et de la pureté ; le rouge symbolise le feu et le sang ; le vert symbolise la vie ; le violet est symbole de mortification et de pénitence ; le noir est la couleur du deuil ; le rose marque les pauses joyeuses dans les temps de jeûne et de pénitence ; l’or est permis pour les jours de fête liturgiques. Il peut remplacer le blanc, le rouge et le vert, mais jamais le noir. Chevreul (1786-1889) Les théories de Chevreul ont inspiré des techniques picturales*180, des touches colorées des impressionnistes à leur juxtaposition par les pointillistes. Ce chimiste français s'est particulièrement intéressé aux couleurs. Il a établi en 1839 la distinction entre couleurs primaires (bleu, rouge, jaune) et couleurs complémentaires, nées de leur mélange (respectivement orange, vert et violet). Le système de Chevreul dispose les couleurs en cercle, dans l'ordre suivant : rouge, violet rouge, violet, bleu violet, bleu,vert bleu, vert, jaune vert, jaune, orange jaune, orange, rouge orange. Comme il régit largement notre sensibilité, le jaune et le bleu du costume de parade des gardes pontificaux*225, orné de parements rouges, qui nous paraît bariolé, étaient perçus comme beaucoup plus proches avant le XIXe siècle, quand dominait le système d’Aristote. 12 Approches de l’image - II Texte et image Le texte a les mêmes rapports de redondance ou de contrepoint*175 avec l'image que le son, dans l'audiovisuel, où il apparaît sous forme de cartons*173 explicatifs, indispensables dans le cinéma muet, et devenus plus rares de nos jours. Il apparaît également sous forme de titre et de générique, qui apportent leurs propres informations. Jadis ils se succédaient sagement sur l'écran, bien alignés comme dans un livre aujourd'hui un film commence souvent par un pré générique, puis vient le titre le générique peut être réduit aux noms des principaux comédiens, du réalisateur et du producteur*181, les autres informations (figurants, techniciens, laboratoires, studios, etc.) étant rejetées à la fin du film. Enfin les sous-titres ne sont qu'un pis-aller, d'ailleurs trop souvent négligé (traduction bâclée, orthographe fantaisiste, mauvaise lisibilité). Mais l'image peut déteindre, en quelque sorte, sur le texte, dans la mesure où le graphisme d'un texte lié à une image prend beaucoup plus d'importance que dans le livre traditionnel : au contact de l'image, le texte tend à devenir dessin. C'est particulièrement visible dans les titres et génériques, souvent animés de surcroît. C'est dans la bande dessinée que cette osmose du texte et de l'image apparaît de la manière la plus frappante : le graphisme des onomatopées y est au moins aussi parlant que leur choix, et le texte y a un statut tout à fait particulier. Image et son Les rapports du son et de l'image sont complexes. Notons d'abord que, dans tout produit audiovisuel, le son n'est, la plupart du temps, que l'image sonore de sons réels (instruments, voix, bruits de la rue, etc.) Celle-ci n'entretient avec son modèle qu'une ressemblance relative. Le son intervient sous forme de dialogues*162 et commentaires, bruitage et musique. Commentaires, bruitage, musique et dialogues peuvent être redondants ou au contraire venir en contrepoint de l'image. La source sonore peut être visible, ou hors champ. Voir Le cinéma parlant, pages 102-104. 13 Approches de l’image - II L’image en Occident Peinture et gravure préhistoriques Nous ne savons à peu près rien des croyances des hommes préhistoriques, puisqu'ils n'ont pas connu l'écriture - c'est ce qui définit la préhistoire - si ce n'est qu'ils ont enseveli leurs morts selon certains rites. Aussi la signification des peintures qu'ils ont laissées dans des cavernes comme les grottes de Lascaux est-elle très discutée : on a cru d'abord qu'elles servaient de support à des cérémonies magiques destinées à envoûter*222 le gibier avant la chasse, puis on y a vu des symboles non moins difficiles à comprendre que le seraient les tableaux, vitraux et statues de nos cathédrales pour des observateurs ignorant tout du christianisme*216. Les explications les plus récentes les relient au chamanisme*215, ou veulent y voir un langage universel suivant une grammaire qu'on peut espérer déchiffrer. On ne sait, en somme, rien de certain sur ce que signifiaient ces œuvres, mais en revanche la technique des peintures rupestres*169 est mieux connue. On a cru, jusqu'à une date récente, que les couleurs y étaient obtenues par des moyens très simples : l'eau y servait de liant, le manganèse fournissait le noir, des oxydes de fer le rouge, le jaune et le marron, le kaolin, le blanc. Enfin, le charbon de bois servait aux dessins non gravés. Les progrès de l'observation scientifique ont montré ces dernières années que les recettes des peintres de la préhistoire étaient beaucoup plus complexes, et qu'ils utilisaient également des graisses d'origine animale ou végétale, et toute une gamme de produits fournis par une chimie empirique*162. Ces couleurs étaient appliquées au moyen des doigts ou de bâtons, ou encore par projection (par exemple en les soufflant sur une main appliquée à la paroi, pour en conserver la trace). On pourra consulter les sites des grottes de Lascaux et Chauvet. Image et paganisme *224 Les religions*226 polythéistes*224 de l’Antiquité se caractérisaient par le culte d'images ou idoles, que l'Église*218 a récupérées en en faisant des saints*227 (comme certains saints bretons), ou condamnées en les considérant comme les images de démons. Les idoles Les religions monothéistes*223 nomment idolâtrie l'adoration des idoles, images de « faux dieux » (tantôt considérés comme imaginaires, tantôt assimilés à des démons). Pour prévenir l'idolâtrie, la Bible*215 et le Coran*217 interdisent aux artistes de représenter Dieu*218. Toutefois l'islam a souvent toléré l'art figuratif*188, en dehors des lieux de prière (peintures de Perse, d'Irak, de Jordanie...) et il autorise photo, cinéma et vidéo. De même les iconoclastes n'ont condamné comme idolâtre que la fabrication d'images religieuses. Plus tard les réformés ont repris cette condamnation, ce qui a entraîné en pays protestant*225 (Pays-Bas, Allemagne, etc.) le développement de genres profanes*167 comme le portrait*181, l'art sacré*226 se réduisant à la musique. 14 Approches de l’image - II Le culte de l'empereur *205 Pratiqué dans la Rome*211 païenne*224, ce culte a pris de nouvelles formes à Constantinople*204 : les images de l'empereur, envoyées aux cités afin de recevoir leur hommage, furent les premières, dans le monde chrétien, à être portées en procession. Le culte chrétien des images En se répandant parmi les peuples païens, le christianisme s'est rapidement séparé du judaïsme*222, hostile au culte des images, et a repris au paganisme certaines formes de piété. Limitées d'abord à des symboles (le poisson, IKHTHUS*221, image du Christ dès le IIe siècle, la croix*217, la vigne, le bon pasteur...), les images saintes chrétiennes rivalisent, à partir du Ve siècle, avec celles des idolâtres : les représentations de la Vierge Marie, mère de Jésus, doivent beaucoup aux mères des dieux*222, celles des saints à la tradition romaine des portraits funéraires, celles du Christ (qui recevra le titre réservé à Zeus*227 de Pantocrator, le Tout-Puissant) hésitent d'abord entre l'image de Zeus, qui triomphera, et un modèle sémitique, et suivent les codes officiels de représentation de l'empereur : ses premières images le représentent en général romain, sur un bouclier placé en haut de la croix. Pour justifier cette pratique, on insiste sur la fidélité de ces représentations : celles de la Vierge seraient dues à Saint Luc, un témoin direct qu'on ne cesse de recopier. Saint Luc, auteur de l'un des Évangiles*224, a sans doute été choisi parce qu'il accorde une place importante à l'enfance de Jésus. Selon la légende*178, le portrait de la mère de Jésus lui fut demandé par les autres apôtres*214. Plus tard, on affirmera que la Vierge en personne a achevé le portrait, et on fera même intervenir le Saint-Esprit*226 dans l'opération. D'autres images, les véroniques, seraient d'origine miraculeuse. Ainsi se mettent en place dans la chrétienté*216 l'obsession de l'authenticité des œuvres... et leur falsification, qui resteront des traits caractéristiques de l'œuvre d'art, quand elle se substituera aux images saintes. La légende de Camuliana Selon cette légende apparue à Constantinople, une païenne de Camuliana, ville d'Asie Mineure, refusait de croire en Jésus parce qu'elle ne l'avait jamais rencontré, et qu'elle ne pouvait admettre un Dieu invisible. Un jour, elle trouva dans le puits de son jardin une image de Jésus, sèche au sortir de l'eau, qu'elle reconnut aussitôt, et se convertit. L'image s'imprima sur le tissu de son vêtement dans lequel elle l'avait cachée, et commença à produire des miracles. Dès 560 on la portait en procession ; en 574 elle faisait office de palladium*180 à Constantinople, et au VIIe siècle elle suivait l'empereur à la guerre. C'est probablement le premier récit où apparaisse le thème*169 du Mandylion (tissu de drap) qui connaîtra plus tard à Rome un grand succès sous la forme des véroniques. Elle exprime avec force le besoin impérieux que les païens éprouvaient de posséder des images saintes et des portraits dont la ressemblance serait indiscutable. Les véroniques La légende est rapportée pour la première fois par Eusèbe (vers 265-340), évêque*219 de Césarée, auteur d'une Histoire ecclésiastique : elle affirme qu'il existe une image 15 Approches de l’image - II miraculeuse de la Sainte Face, qui ne doit rien à l'intervention humaine : Jésus, prié par le roi d'Édesse, Abgar, de venir le guérir, trempe un linge dans l'eau et s'en essuie le visage ; ses traits s'y trouvent fidèlement reproduits, et cette image provoque la guérison du roi. Plus tard, des portraits de Jésus, dont on dit qu'ils ont été peints d'après ce modèle de la Sainte Face, sont appelés véroniques (vera icona, ou vraies images) et donneront naissance à la légende de Sainte*227 Véronique qui ayant essuyé la face du Christ sur le chemin de croix, vit en récompense son portrait imprimé sur le linge. Dans des circonstances historiques parfaitement connues prit naissance, au XIVe siècle, malgré l'opposition de l'évêque de Troyes, qui dénonçait une imposture, la légende du Saint Suaire de Milan, qui porterait l'empreinte du corps du Crucifié. L'examen au carbone 14 effectué en 1988 à la demande du pape*224 a montré que le tissu était daté de la fin du XIVe siècle, mais l'incendie auquel il a échappé en 1996 a ravivé la légende, avec l'aide complaisante des médias. Voir à ce sujet : Image, icône, économie de Marie-José Mondzain (ouvrage cité). Images saintes D'abord condamné par le christianisme, héritier du judaïsme, le culte des images saintes ou icônes*177 s'y est introduit progressivement pour être admis officiellement au IVe siècle. Les fonctions de ces images sont multiples : - suivant la coutume antique, l'icône peut servir de palladium ; - elles attestent la vie terrestre de Jésus et de Marie, dont les tombes sont vides du fait de l'Ascension et de l'Assomption*215, et remplacent les reliques*226 ; - elles permettent aux croyants de trouver des relais entre eux et Dieu, qui est invisible (voir la légende de Camuliana et le culte des saints) ; - elles serviront d'instrument de propagande et d'arguments dans les luttes entre théologiens*227 : ainsi, peindre le Crucifié les yeux fermés permettait d'affirmer que Jésus est à la fois vrai Dieu et vrai homme, contre certaines hérésies*220 du VIIe siècle. Puis on renonça à cette représentation avec le développement de l'islam, pour ne pas laisser dire que le Dieu des chrétiens est mort. Toutefois ce culte a été remis en cause par les iconoclastes, puis par de nombreuses hérésies et par la Réforme*210. La crise de l'iconoclasme Le culte des images saintes s'est énormément développé à Constantinople à partir du VIe siècle, et a donné lieu à un débat fameux, la crise de l'iconoclasme. Elle a opposé, du début du VIIIe siècle au milieu du IXe, l'empereur de Constantinople, jaloux de la puissance de l'Église orthodoxe*219, au patriarche, le chef de cette dernière, et s'est terminée par la victoire du second. Les iconoclastes (du grec klasto, briser), qui soutenaient l'empereur, voulaient interdire le culte des images et réserver celles-ci à des usages profanes, c'est-à-dire à la glorification de l'empereur. En s'appuyant sur la tradition biblique (reprise par l'islam) ils condamnaient la représentation de Dieu, de Jésus, de sa mère et des saints, qui entraînait selon eux une pratique idolâtre. Les iconophiles ont répondu par une argumentation subtile, qui s'appuyait sur le dogme*218 chrétien de la Trinité*227 et distinguait image, icône et idole en les opposant suivant des critères que le tableau de la page suivante résume : 16 Approches de l’image - II Icône (eikona) Image Idole (eidôlon) invisible visible visible éternelle temporelle temporelle semblable (homoousia)*177 Ressemblante (mimésis ou imitation) imaginaire Ontologique*166 Artificielle (faite de main d'homme) artificielle Ainsi Jésus (le Fils) est-il l'image du Dieu invisible (Épître*219 de Saint Paul aux Colossiens) et Dieu a-t-il fait l'homme à son image (Genèse*219). Mais les icônes (tableaux) ne sont que des moyens de nous y renvoyer, tandis que les idoles appartiennent au monde de la fiction ou de l'illusion. Les iconophiles excluaient de l'art sacré la reproduction du réel, sa représentation, ainsi que la fiction et l'illusion. De ce fait, l'imagerie religieuse du monde orthodoxe s'oppose fondamentalement à celle de l'Occident*166, qui a connu de semblables interrogations, de l’évêque algérien Saint Augustin (354-430) au moine irlandais Jean Scot Érigène (IXe siècle) ; mais les enjeux politiques n’y étant pas les mêmes, la controverse n’y a pas été violente. L’art sacré a progressivement adopté les codes de la peinture et de la sculpture profanes dès le XIIe siècle, et surtout à partir du XIVe. Voir, d’Olivier Boulnois, Au-delà de l’image (ouvrage cité) La perspective Le problème et quelques solutions La perspective est l'art de représenter sur une surface plane (mur, toile, papier, écran...) des objets en trois dimensions. Chine Moyen Âge*207 Quattrocento Cubisme Les solutions apportées historiquement à ce problème ont été très nombreuses, et semblent liées à la société qui les produit et à son idéologie. Ainsi, la peinture chinoise traditionnelle privilégie la plongée les plans successifs, du plus rapproché (en bas du tableau) au plus lointain (en haut) sont traités de manière identique, comme si 17 Approches de l’image - II l'observateur se déplaçait de l'un à l'autre, si bien que les figures les plus éloignées ont la même taille que les plus proches. Les choix du Moyen Âge, en Occident, sont différents : tantôt on reprend la perspective à points de fuite multiples des Romains, tantôt la taille des figures dépend de l'importance sociale des personnages*166 représentés. Le Quattrocento C’est le nom qu'on donne, en italien, au XVe siècle. Les peintres de la Renaissance ont élaboré à cette époque, non sans multiples tâtonnements, les règles de la perspective qui se sont imposées en Occident jusqu'à la fin du XIXe siècle. Ces règles reposent sur un double postulat*167 : 1) vision monoculaire : le monde est vu à partir d'un seul œil, celui de la camera oscura ou de Dieu ; 2) l'œil est immobile : ce qui unifie la perspective ; les perpendiculaires au plan du tableau semblent converger vers un unique point de fuite, la taille des figures se réduit du premier au dernier plan, etc. Voyez à ce propos les recherches de perspective de Fra Angelico sur le site du Musée du Vatican, Gallery of Painting I & II (en particulier La Vocation de Saint Nicolas qui juxtapose deux points de vue, celui de la rue et celui du bâtiment du fond). C'est aussi au cours de ce siècle qu'apparaît la peinture à l'huile et en Europe l'art de l'estampe. Les règles de la perspective qu'on a dites scientifiques, et qui sont issues des recherches du Quattrocento n'ont régné sans partage, en Occident, que du XVIe au XIXe siècle. Cézanne représente ses pommes de plusieurs points de vue, dans un même tableau et, au XXe siècle, le cubisme achève cette remise en cause. L'impression de volume L'impression de volume tient à la perspective et, en outre : - à la disposition des objets représentés : celui qui en cache un autre est perçu comme plus proche de l'observateur ; - à leur netteté*179 : ce qui est flou est jugé éloigné ; - au dégradé des gris ou des couleurs, qui suggère des distances ; - aux couleurs elles-mêmes, qui s'étagent du jaune (plus rapproché) au bleu (plus lointain), en passant par le rouge. 18 Approches de l’image - II Image et représentation du réel La doctrine selon laquelle la peinture a pour mission de produire un simulacre du réel est propre à l'Occident - on cite toujours, à l'opposé, l'exemple de ce vieux maître chinois qui disait à ses disciples*218 qu'il faut peindre ce que l'on sait d'un sujet*183, et non ce que l'on en voit - et remonte au IVe siècle avant notre ère*162, où on cite en exemple l'histoire de Zeuxis et Parrhasios. L'anecdote est rapportée par Pline (Histoire naturelle) : Zeuxis ayant représenté des raisins de façon si convaincante que les oiseaux venaient les picorer, mit au défi Parrhasios de faire mieux. Ce dernier fit apporter un tableau représentant un rideau peint. Zeuxis demanda qu'on tire le rideau pour voir le tableau et dut s'avouer vaincu, car Parrhasios avait trompé un artiste, et non des oiseaux. Pline complète avec l'histoire de Protogène et d'Apelle : Apelle rend visite, à Rhodes, à Protogène. Ne le trouvant pas, il trace sur une planche un trait si fin que Protogène à son retour, identifie sans peine son visiteur. Il en trace alors un, plus fin, et sort. Apelle revient, et coupe les deux premiers traits d'un troisième, plus fin encore. Pline conclut : « J'ai vu jadis cette planche : elle ne contenait [...] que des lignes invisibles parmi tant d'œuvres remarquables, elle paraissait vide, mais de ce fait même, elle attirait l'œil. » À partir de la fin du IVe siècle, le culte chrétien des images renforcera cette exigence, et engendrera le thème des véroniques, ces images du Christ prétendument créées sans intervention de l'homme. La photographie, née au XIXe siècle, a semblé réaliser ces fantasmes, de même que le cinéma est apparu comme la solution idéale au problème du spectacle réaliste que les décors peints en trompe-l'œil*183 du théâtre de boulevard*201 et des panoramas, favorisés par de faibles moyens d'éclairage, cherchaient alors à résoudre. Un panorama était un spectacle composé d'une toile peinte en trompe-l'œil, qui tapissait une salle circulaire dont le spectateur occupait le centre. Introduit en France à la fin du XVIIIe siècle par deux peintres, l'un anglais, l'autre américain, il utilisait la magie de l'éclairage et des changements de décor à vue. Daguerre le porta à sa perfection sous le nom de Diorama. Le cinéma a tué les panoramas à la fin du XIXe siècle, en leur substituant ses moyens propres : il réalisait à sa manière le vieux rêve de la peinture occidentale. Il se pourrait que la naissance de l'image virtuelle*183 modifie le statut de l'image ; on voit se répandre l'idée selon laquelle des images, produites par la technologie, créeraient des univers virtuels, capables en quelque sorte de faire concurrence au monde réel : telle est encore, en ce XXIe siècle, la force des métaphores ! 19 Approches de l’image - II Le statut de l’image L’image a longtemps eu des fonctions décoratives et magiques, religieuses et utilitaires. Les concepts*161 modernes d’art et d’artiste sont apparus tardivement. L’art Élaboration d’un concept Le mot art désigne, jusqu'au milieu du XIXe siècle, l'ensemble des connaissances et des moyens nécessaires à l'exercice des métiers, comme dans l'expression Arts et Métiers. Au milieu du XVIIIe siècle s'en détachent les beaux-arts (l’expression est apparue au XVIIe siècle, et diverses académies*188 d’Ancien Régime*203 seront regroupées sous ce nom en 1803) : peinture et sculpture, puis musique et danse, etc., c'est-à-dire que la création esthétique*162 est privilégiée. Le XIXe siècle distingue en outre les arts décoratifs : tapisserie, céramique, verrerie, ébénisterie, orfèvrerie… ou arts appliqués. Dans son sens moderne, il n'a pas d'équivalent en grec, où le mot tekhnê s'applique à la forge comme à l'équitation et à la peinture. Platon range le fabricant d'images (destinées au culte) juste avant l'artisan et le paysan ; travailleurs manuels, ils sont méprisés. Les Latins finiront par distinguer les arts libéraux (liberalis, convenant à un homme libre parce que non manuels) des autres arts (techniques), mais en ont toujours exclu « les peintres [...] les sculpteurs, tailleurs de marbre et autres serviteurs du luxe. » (Sénèque, Lettre à Lucillus, 88, 18), considérés comme des ouvriers du bâtiment. Le Moyen Âge oppose aussi arts mécaniques (qui font appel à la main et aux machines) et arts libéraux : arithmétique, géométrie, astronomie et musique qui forment le quadrivium (quatre routes) et le trivium (trois routes) des études universitaires : grammaire, rhétorique*199 et dialectique*162 ainsi que philosophie*166 et théologie*227. La notion moderne d'art est apparue en Occident comme substitut de la religion, quand celle-ci s'est affaiblie. L'art lui emprunte des attitudes (contemplation, ferveur), et bâtit comme elle des temples (les musées). Mais au lieu de renvoyer à un au-delà, l'image y est adorée parce qu'elle renvoie à la notion de perfection, d'absolu, de communion par-delà les siècles, ou aimée pour le plaisir qu'on en tire (voir Régis Debray, Vie et mort de l'image, ouvrage cité). Avec la mondialisation et le règne sans partage de la finance, l’œuvre d’art est devenue une marchandise parmi d’autres, à l’instar des organes du corps humain. Désacralisée, elle est l’objet d’investissements et d’échanges commerciaux et sert d’appât à l’industrie du tourisme. C’est un placement dont on attend d’abord du profit. L’art populaire L’idée qu’il existe un art populaire est apparue au XXe siècle, et contemporaine du… Front populaire*206, même si Rimbaud l’a pressentie : « J'aimais les peintures idiotes, dessus de portes, décors, toiles de saltimbanques, enseigne, enluminures populaires… » (Alchimie du verbe). L'imagerie populaire remonte au XIVe siècle. Les gravures, d'abord en noir et blanc, puis en couleur, étaient distribuées par des colporteurs*160, à domicile ainsi que dans les foires, les fêtes religieuses et les pèlerinages. 20 Approches de l’image - II La Bibliothèque bleue La Bibliothèque bleue se présente d'abord sous la forme de quelques livrets bleus imprimés par Nicolas Oudot, de Troyes, au XVIIe siècle. Plus de cent imprimeurs suivront son exemple dans toute la France, de Pau à Metz et de Brest à Strasbourg, avec une prédominance de l'est du pays, jusqu'au XIXe siècle. Ces livrets comportaient peu d'illustrations, mais souvent de grande qualité, et on les réemployait volontiers d'un ouvrage à l'autre. Le format et le nombre de pages (de huit à deux cents) étaient très variables, le papier grossier : celui, bleu gris, de la couverture servait aussi, dit-on, à l'emballage des pains de sucre, mais elle pouvait être d'autres couleurs, ou inexistante, et l'encrage était au début assez inégal pour rendre illisibles certains passages. Les thèmes religieux étaient prépondérants mais perdirent de leur importance au XVIIIe siècle au profit d'ouvrages romanesques, de contes, de manuels d'astrologie, de livres de cuisine, d'almanachs, de traités populaires de médecine et de rédaction, etc. La vente de ces ouvrages était assurée par le colportage. Voir La Bible bleue, anthologie d'une littérature populaire, ouvrage cité Les Almanachs Ce mot d'origine arabe a d’abord désigné un calendrier où figuraient les positions du soleil et de la lune. Les almanachs se multiplient avec l’invention de l’imprimerie et de la taille-douce. Il s'agit souvent d’un livret comprenant le calendrier proprement dit, des conseils pratiques (jardinage, éducation, santé) et des prédictions. On donne le même nom à un calendrier mural accompagné d’idéogrammes*177 et d’une image pieuse ou satirique. Les almanachs sont des images complexes vendues par colportage et qu'on affichait dans les ateliers, les boutiques et les cabarets : la scène principale illustre un grand événement de l’année écoulée ; des vignettes*183 peuplées de personnages réels ou allégoriques rappellent des faits secondaires elles sont accompagnées de textes explicatifs, quelquefois en vers. Les calendriers muraux illustrés se sont développés surtout en France, où le pouvoir royal s'en est servi pour sa propagande, en particulier sous le règne de Louis XIV. La production, souvent de grande qualité, baisse beaucoup à la fin du XVIIIe siècle. Les auteurs des estampes sont souvent restés anonymes, soit qu'ils aient méprisé ces images, soit parce que, travaillant en atelier, ils n'avaient fait qu'exécuter la commande de l'éditeur. L'artiste L'artiste est, de nos jours, l'homme qui maîtrise un art, c'est-à-dire des techniques d'expression particulières : il est peintre, musicien, sculpteur, architecte, poète, comédien, etc. Jusqu'à la fin de l'Ancien Régime, les artistes (le mot désigne les maîtres es arts) travaillent pour des commanditaires ou des mécènes*165 : ils ne se distinguent pas des artisans ; comme eux, ils exécutent les commandes des princes, de l'Église et de riches bourgeois*160. Au XVIIe siècle le mot d'artiste « se dit fort bien d'un ouvrier exerçant une profession mécanique. » (Chapelain, 1661) et « particulièrement de ceux qui font des opérations chimiques » (Dictionnaire de l'Académie, 1694) 21 Approches de l’image - II Au XIXe siècle, l'art est solidement contrôlé par des institutions bourgeoises (académies, salons, écoles) qui tendent à imposer un style*201 « académique », c'est-à-dire convenu, sans place pour l'originalité, que la nouvelle classe dirigeante juge dangereuse pour elle, alors que se développent des luttes sociales féroces. Les meilleurs artistes refusent alors cet état de chose, et acceptent souvent la pauvreté pour conserver le droit de s'exprimer librement. Un mépris réciproque s'installe entre les bourgeois et ces artistes révoltés, pour qui l'art devient en quelque sorte une nouvelle religion. Au XXe siècle, la reconnaissance tardive du talent de ces derniers aboutit à une situation inverse : l'originalité tend à être considérée comme la première qualité, et les mécènes se multiplient : aux États, aux villes, aux riches financiers, vont s'ajouter les grandes entreprises en quête de bons placements et de publicité, l'œuvre d'art atteignant une valeur marchande sans précédent, et le public s'étant fort élargi. Notons une exception notable : les régimes fascistes*205 et communistes*203 ont de nouveau tenté d'imposer un art officiel. Trois regards sur l’image Régis Debray (Vie et mort de l'image, ouvrage cité) distingue trois attitudes vis-à-vis de l'image, apparues successivement : - le regard magique, caractérisé par la fascination (logosphère) ; - le regard esthétique, caractérisé par la délectation (graphosphère) ; - le regard économique, caractérisé par la perception (vidéosphère). La logosphère La logosphère est le monde mental de l'humanité, jusqu'à l'invention de l'écriture, quand elle ne disposait que des gestes et des mots pour communiquer. Les signes (mots et images) étant confondus avec ce qu'ils représentent (ce qui est le propre de la magie*222), se trouver en présence de l'image d'un dieu ou d'un être vivant conduisait aux mêmes attitudes que si on les avait rencontrés : adoration, prière, agression, peur, etc. N'ayant aucun recul vis-à-vis de l'image, l'homme primitif était donc fasciné, il était attiré par elle, et sans défense. La graphosphère La graphosphère est le monde dans lequel est entrée l'humanité à partir de l'invention de l'écriture. La graphosphère ne se réduit pas à la Galaxie Gutenberg*177 de McLuhan elle se constitue avec l'écriture, et englobe le cinéma. L'habitude de la lecture crée une nouvelle manière d'aborder l'image, plus distante, plus critique, plus interprétative. La vidéosphère La vidéosphère inaugure l'ère du visuel, où sont produites des quantités d'images qui ne sont plus éclairées de l'extérieur, mais de l'intérieur, et qui sont consommées plutôt que lues : « Le visuel commence où finit le cinéma. Le dernier état du regard retrouvant nombre de propriétés du premier, le signal vidéo autorise une idolâtrie d'un nouveau type, sans tragique. La différence est que l'image archaïque et classique fonctionnait au principe 22 Approches de l’image - II de réalité, le visuel fonctionne au principe de plaisir. Inversion qui ne va pas sans risque pour l'équilibre mental... » (Les Paradoxes de la vidéosphère, dans Vie et mort de l'image, ouvrage cité) Autrement dit, les nouvelles images, fabriquées de manière industrielle, renvoient de moins en moins au réel, au monde extérieur et à ses contraintes, et de plus en plus à elles-mêmes (pour l'information télévisée, les événements du petit monde des médias sont les plus importants, et l'amateur de jeux vidéo s'évade de la réalité pour plonger dans des univers virtuels) et ces médias nous préparent moins à agir qu'ils n'alimentent nos fantasmes. Mais Régis Debray note aussi que ces trois sphères coexistent aujourd'hui, et que nous sommes plus ou moins capables des trois regards : « Nous changeons de vue comme de vitesse » ajoutant : « L'image est symbolique mais elle n'a pas les propriétés sémantiques*200 de la langue : c'est l'enfance du signe. Cette originalité lui donne une puissance sans égal. L'image fait du bien parce qu'elle fait lien. » 23 Approches de l’image - II L’IMAGE FIXE On appelle image fixe, par opposition au cinéma et à la vidéo, les produits du dessin, de la peinture, de la photographie et de la sculpture traditionnelle. 24 Approches de l’image - II Le dessin Les techniques du dessin Les supports du dessin Ce sont principalement : - la pierre (préhistoire) ; - la peau humaine qui reste, à travers les âges, le support d'un type de dessin très particulier : le tatouage, d'origine magique ; cette pratique tend à affirmer une identité, ce qui assure son succès actuel ; - la céramique ; - le papyrus, obtenu à partir de la tige d'une herbe qui poussait au bord du Nil ; - le parchemin (cuir traité) ; - le papier, inventé en Chine au IIe siècle, a été introduit en Europe au XIIe siècle. La pâte, d'abord obtenue à partir de chiffons de laine, de lin ou de coton, peut être extraite de nombreux végétaux, et surtout du bois ; le papier doit son nom au papyrus ; - la pellicule*180, la bande magnétique de la vidéo, les supports de l'image de synthèse ouvrent au dessin une nouvelle carrière. Les outils du dessinateur Les outils traditionnels du dessinateur sont : - le fusain (fait de charbon du bois du même nom fixé par de la résine) ; - la pointe de métal ; - le roseau taillé des Anciens (calamus) ou le bambou (Chine) ; - les plumes d'oiseaux ; - les crayons sont composés d'une mine qui reçut une gaine de bois (fin du XVIIIe siècle) ; - les plumes de métal (XIXe siècle). De plus en plus, l'ordinateur est l'outil privilégié des dessinateurs. Les couleurs du dessin Les couleurs sont obtenues grâce à : - l'encre : de Chine (noir de fumée) ; bistre (suie) ; sépia (encre brune de la seiche, XIXe siècle), etc. pure ; ou en lavis*178 ; - des pierres tendres : Craie ; schiste (noir) ; argile rouge (sanguine) ; pastel (carbonate de calcium pigmenté et lié avec de la gomme, à partir du XVIe siècle) ; - les mines des crayons : Elles ont d'abord (à partir du XVe siècle) été composées d’un alliage d’étain (1/3) et de 25 Approches de l’image - II plomb (2/3). Il fut remplacé au XIXe par un mélange de graphite et d'argile plus ou moins cuit selon la dureté souhaitée. Vers 1900, on commence à fabriquer de manière industrielle des crayons de couleur (cires, huiles et pigments). La céramique D'abord décorés de motifs ornementaux, puis bientôt ornés de représentations de végétaux, d'animaux, d'êtres humains, de paysages et de scènes religieuses historiques, ou familières, les objets de poterie ont depuis longtemps enrichi notre environnement quotidien d'innombrables images. On examinera successivement les points suivants : Fabrication de la céramique La céramique (du grec keramikos, d'argile, de keramos, terre à potier) est l'art de façonner et de cuire l'argile. Au Néolithique (du grec neos, nouveau et lithos, pierre), période de la préhistoire où l'on est passé de la chasse et de la cueillette à l'élevage et à l'agriculture, apparaissent en même temps les techniques de la pierre polie et de la céramique. En Europe, ces progrès se sont accomplis vers le VIe millénaire avant notre ère, mais ils remontent au IXe millénaire au Moyen-Orient. La terre est d'abord lavée et pétrie pour éliminer impuretés et bulles d'air, puis façonnée, d'abord à la main (fin du néolithique) puis, à partir du 3ème millénaire avant notre ère, au tour de potier. Goulots, anses, etc. sont exécutées à part et fixées à cru avec de l'argile délayée. À partir de la fin du XVIIIe siècle, on sait aussi verser une pâte fluide dans un moule en plâtre : c'est le façonnage par coulage. La fabrication des assiettes et des plats se fait aujourd'hui en série. La cuisson se fait par séchage au soleil, ou au feu de bois en plein air, ou dans des fours en brique ou en terre réfractaire. La température de la cuisson ne dépassait pas 800 à 900° pour les poteries tendres, du XVIe au XVIIIe siècle elle peut atteindre aujourd'hui pour les pâtes dures plus de 1 400°. Céramiques à pâte tendre (poreuse) Les premières poteries sont des vases funéraires ou religieux, de grandes urnes destinées à recevoir les cendres des corps incinérés, des vases d'offrandes, et des objets usuels : jarres à provisions, vases à boire, récipients pour le transport des liquides. La terre cuite nue (poterie mate), avant son durcissement, recevait un décor par pincements, application de boulettes d'argile ou ornements tracés au doigt ou à l'ongle, puis par gravure ou incision, et par peinture faite au moyen de terres délayées de tons opposés. Ce sont les céramiques crétoise et mycénienne, celles de la Grèce, qu'on rencontre ensuite en Italie centrale, celle des Étrusques*205 : poterie à décor plastique, noircie dans sa masse aux environs du VIIIe siècle avant notre ère et, vers le IIIe siècle, fine poterie rouge décorée par impression de sceaux*181 (poterie sigillée), importée dans tout le monde romain, et imitée jusqu'en Gaule. Ce sont aussi les céramiques du Moyen-Orient, où on découvrit des enduits tirés de substances naturelles (alcalis ou plomb) pour assurer l'étanchéité du vase de terre cuite poreuse ou des plaques de revêtement mural. Ce sont encore les poteries à couvertes, 26 Approches de l’image - II revêtues de vernis ou émail*176, qui remonteraient à plusieurs millénaires avant notre ère. Au XVIe siècle, Bernard Palissy réussit à les améliorer et à enrichir considérablement les couleurs de ces céramiques. Les Babyloniens auraient, de leur côté, inventé un émail opacifié par l'étain, qui pouvait recevoir un décor peint à l'aide d'oxydes métalliques fixés par la cuisson et, en outre, supporter l'addition d'un lustre à base d'argent ou de cuivre. C'est la faïence, procédé transmis par les musulmans*223 établis en Espagne dès le VIIIe siècle, dont les azulejos*172, ou plaques de revêtement, sont un exemple fameux. D'Espagne, la faïence a gagné, sous le nom de majolique (du nom de Majorque, dans les Baléares), l'Italie de la Renaissance (où elle a reçu son nom de la petite ville de Faenza) puis toute l'Europe aux XVIIe et XVIIIe siècles. Les faïences fines furent une tentative d'imitation, en Europe, de la porcelaine. Céramiques dures à pâte imperméable L'Extrême-Orient (Chine, Corée, Japon) a apporté à la céramique la pâte dure, imperméable, cuite à haute température. Les recherches pour les grès opaques, qui remonteraient aux premières dynasties chinoises, plus de mille ans avant notre ère, conduiront à la porcelaine proprement dite, blanche, sonore et translucide. Les porcelaines de Chine, connues en Europe dès la fin du Moyen Âge furent importées en abondance à partir du XVIe siècle, et imitées de manière approximative au moyen de faïences fines sans que l'on connaisse les principaux éléments qui entraient dans sa composition : le kaolin (gaoling), fine argile blanche infusible, et le petuntse (baidunzi), variété de feldspath, jusqu'à la découverte de gisements de kaolin en Europe en 1709 dans les montagnes de Saxe, puis en Autriche, Allemagne, France (Limoges) et Italie. La fabrication d'une poterie de grès dur ou d'un grès verni au sel, qui commença en Europe vers la fin du Moyen Âge, connut une grande floraison à partir des XVIe et XVIIe siècles. Elle se développa d'abord dans les régions du Nord, en Allemagne (pays rhénans), en France (Beauvaisis), puis en Hollande et en Angleterre. La gravure La gravure est, à l'origine, un dessin obtenu depuis la préhistoire en creusant à l'aide d'un poinçon, clou d'acier à une ou deux pointes émoussées, ou portant un motif en relief : on tape dessus avec un marteau. la pierre, le bois, etc. Le mot a désigné ensuite toute image reproductible*181 obtenue à partir de clichés*160 gravés. On distingue : - La gravure en creux : les creux seuls sont encrés, et fournissent les noirs pour cela, l'artiste coule une encre épaisse dans les taillis, essuie la plaque, la recouvre d'une feuille de papier humide, d'un linge de laine pour égaliser la pression, et passe le tout entre deux cylindres ; le papier humide, sous la pression, aspire dans les taillis plus ou moins d'encre selon leur profondeur ; la gravure en creux est également appelée tailledouce. Ainsi l'eau-forte est un procédé utilisant une plaque vernie incisée avec une pointe d'acier, et plongée dans de l'acide nitrique dilué, « l'eau forte », qui attaque les parties incisées, puis lavée, dévernie, recouverte d'encre et essuyée. Seules les incisions restent encrées. Les traits obtenus par impression sur le papier sont en léger relief. L’aquatinte : eau-forte utilisant, au lieu d'encre, une poudre qui donne une impression de lavis. Ce procédé date de 1760. - La gravure en relief : les parties en relief sont seules encrées, les creux fournissent les blancs de l'image. On parle aussi de taille en relief ou taille d'épargne. 27 Approches de l’image - II Les monnaies et médailles Les pièces de monnaie, apparues au VIIe siècle avant notre ère en Grèce, portent sur leur revers des images qui sont les effigies des dieux, de personnages mythologiques, d'animaux (le porc, le bœuf sur les premières pièces d'Italie centrale) ou des souverains qui les ont créées, ou encore des figures symboliques ou allégoriques comme le Coq gaulois, la Semeuse ou Marianne sur les monnaies françaises. Le papier monnaie (billets de banque) a repris cette tradition, que l'Euro perpétue. Le mot médaille (de l'italien medaglia, qui désigne une petite monnaie, en français la maille - « n'avoir ni sou ni maille ») désigne, à partir du XVe siècle, d'abord des pièces anciennes qui n'ont plus cours. À la même époque, on commence à fabriquer des pièces uniquement destinées à commémorer un événement ou à fixer le souvenir d'une personne, pièces que l'on nomme également médailles. Mais dès l'Antiquité on a fabriqué des médailles talismaniques (magiques) qu'on distribuait sur les lieux de pèlerinage. Le christianisme a repris à son compte l'usage des médailles et autres images de dévotion. Le dessin des pièces, billets et médailles, comme celui des timbres-poste, est généralement confié à des artistes reconnus, et suit l'évolution des autres arts de l'image. L’estampe L'estampe est une image imprimée sur papier (ou en Asie, longtemps avant notre ère, sur étoffe) à partir d'une gravure : - sur bois ou xylographie : on distingue le bois de bout scié en rondelles, transversalement aux fibres - le bois (noyer, buis, poirier, merisier...) est alors gravé comme du métal, au burin*172, et le bois de fil, planches découpées dans le sens du fil des fibres que l'on travaille au canif. - sur métal (cuivre surtout) à partir du XVe siècle en Europe. Au XVIe siècle le burin commence à être concurrencé par l'eau-forte, et au XVIIIe par l'aquatinte. En trichromie ou quadrichromie*174 (1727), on utilise une plaque par couleur. La lithographie apparaît en 1796. La photogravure prend le relais au XIXe siècle. Les peintres ont beaucoup utilisé ces techniques pour faire connaître leurs travaux ou étudier ceux de leurs confrères avant l'invention de la photographie : ainsi Millet tire des gravures sur bois de certaines de ses toiles représentant des scènes de la vie campagnarde ; Van Gogh s'en inspire directement à Arles, pour peindre quelques unes de ses œuvres. Au XIXe siècle les estampes japonaises ont beaucoup influencé l'art européen. L'estampe n'est pas destinée, en principe, à illustrer un texte. À l'origine, les moines bouddhistes l'utilisaient comme un charme pour soigner les malades. Les fameuses indulgences dont la vente aux fidèles par le pape Léon X pour le pardon de leurs péchés fut à l'origine de la Réforme luthérienne, étaient des estampes. Art bourgeois, elle servit surtout au portrait du XVIe au XVIIIe siècle, puis supplantée entre 1840 et 1860 par la photographie, l'estampe devint objet d'art. La lithographie On dessine à l'encre grasse sur une plaque de calcaire ou de métal poreux (zinc, aluminium). Le dessin est ensuite traité pour mieux adhérer. Avant de passer le rouleau 28 Approches de l’image - II encreur, on mouille la pierre sur toute sa surface. L'eau ne reste que sur les parties non grasses et refuse l'encre, qui n'est fixée que sur les parties grasses. Le dessin obtenu n'est ni en relief, comme dans la xylographie, ni en creux comme au burin, mais plat. La photogravure La photogravure est une application des procédés photographiques à la gravure des clichés. L'image photographique est reportée sur une plaque de zinc, ce qui crée des parties non impressionnables, les « réserves ». On distingue : - l'héliogravure (cylindre gravé) donne une reproduction exacte sans intervention humaine. L’encre est contenue dans les creux, comme pour la taille-douce ; - l'offset (cylindre de caoutchouc, sans relief ni creux) dérive du procédé lithographique et est utilisée pour les magazines en couleurs ; - la sérigraphie qui utilise un tissu, ou « soie », dont certaines parties, imperméabilisées, empêchent le passage de l'encre. Caricature et dessin d'humour La caricature est un dessin qui exagère ou simplifie de façon comique les traits des sujets représentés, fait largement appel aux figures*195 de la métaphore et de la métonymie et est souvent liée à un texte humoristique ou polémique*167. Le succès de cet art est lié au développement de la presse d'opinion (fin du XVIIIe siècle). Avec la télévision, elle a trouvé de nouvelles formes et un nouvel essor grâce aux marionnettes qui renouent avec la première tradition du Guignol lyonnais : Les Guignols de l'Info, qui sont une charge très irrespectueuse des hommes politiques et des médias, ont connu un grand succès. La caricature est un cas particulier du dessin d'humour qui, jouant sur des stéréotypes*160 qu'il contribue à créer, à développer et à entretenir, a recours aux mêmes procédés, mais ne part pas nécessairement du modèle unique d'une personne réelle. Le timbre-poste Le timbre mobile gommé est né en Angleterre le 1er mai 1840. Auparavant, le prix d'une lettre était acquitté par le destinataire, et variait selon la distance. Le premier timbre, de couleur noire, représentait de profil la reine Victoria à l’âge de quinze ans et ne comportait aucune mention du pays d'origine. La Suisse adopta ce système entre 1843 et 1845, le Brésil en 1843, les États-Unis et l'Île Maurice en 1847, et la France en 1848, mais la première vignette à 20 centimes, valable pour toute la France et l'Algérie (elle était noire aussi et représentait un profil de Cérès) ne fut émise que le 1er janvier 1849. Toutes les techniques de gravure ont été utilisées pour reproduire le dessin des timbres, y compris la lithographie, utilisée seulement en France dans des circonstances exceptionnelles (par le gouvernement retiré à Bordeaux en 1870, et par De Gaulle à Alger à la fin de la Deuxième Guerre mondiale*204). On sait que les timbres-poste, collectionnés par les philatélistes, peuvent atteindre une grande valeur commerciale et sont considérés comme des placements intéressants, au même titre que les tableaux. 29 Approches de l’image - II La peinture Peinture et Dessin Ce sont les formes les plus anciennes de l'image : elles remontent à la préhistoire et ont été longtemps les seuls moyens de fixer la pensée ou la sensibilité. Le dessin peut ou non se mêler à la peinture, comme dans l'enluminure, ou bien la préparer : on peut préférer aux tableaux qu'il a composés à partir d'eux, les dessins des Carnets du voyage au Maroc de Delacroix. Peinture et dessin relèvent des enseignements artistiques. Mais l'enseignement du français ne peut ignorer certains de leurs problèmes ; si le graphisme, la touche*183, la pâte*180 et le glacis*177 ne le concernent guère, les problèmes de couleurs, d'éclairage, de composition*41 et de cadrage*93 se retrouvent dans la photo, l'audiovisuel... et même, transposés, dans le roman*199 et la poésie*198. La tapisserie et la mosaïque, qui furent un temps soumises à la peinture et au dessin, tendent à s'en émanciper pour (re)devenir des arts à part entière. Le vitrail est plutôt une forme particulière de la peinture. Les techniques de la peinture Les supports Les plus anciens sont sans doute les parois des cavernes (peintures pariétales), le cuir et la peau humaine (tatouages). Les supports habituels de la peinture sont : - le bois préparé par un enduit ou marouflé (recouvert de toile collée) ; - la toile tendue sur un châssis (à partir de la Renaissance) ; la toile de lin est plus appréciée que celle de chanvre et, pour les décors de théâtre, on utilise la toile de jute ; - le papier, utilisé surtout pour l'aquarelle, ainsi que le carton ; - le plâtre des fresques ; - la soie, le coton des indiennes et toiles de Jouy. Depuis l'Antiquité, les Indes ont produit des étoffes de coton peintes, puis imprimées, qui furent importées en Europe à partir du XVIIe siècle sous le nom d'indiennes. Leur nouveauté et leur bas prix leur valurent un immense succès dans le domaine de l'habillement (au XVIIIe siècle, les indiennes sont des robes de chambre) comme dans celui de l'ameublement. En 1759, Oberkampf, graveur et coloriste (1738-1815), fonde à Jouy-en-Josas la première manufacture française de toiles imprimées. Il y emploie d'excellents peintres comme Jean-Baptiste Huet (1745-1811). L'entreprise ferme ses portes en 1843, mais le nom de toiles de Jouy est resté pour désigner les cotonnades imprimées. Jusqu'à nos jours, le papier peint les imite périodiquement, en privilégiant les bergeries dans le goût du XVIIIe siècle. 30 Approches de l’image - II Les couleurs On utilise la peinture à l'eau (liant) additionnée de pigments, substances colorées naturelles, et de gomme arabique pour l'aquarelle et la gouache, qui en contient davantage. La Chine utilisait la laque composée de pigments, de gomme et d'huile, appliqués sur des panneaux de bois ou de soie. L'Europe médiévale*207 pratiquait la peinture à l'œuf (blanc, jaune ou entier) utilisé comme agglutinant pour l'eau et les pigments. Au XVe siècle apparaît la peinture à l'huile de lin ou d'œillette (agglutinant) additionnée de térébenthine ou d'aspic (résines diluantes), et de siccatifs. Les siccatifs sont des produits destinés à accélérer le séchage et à permettre de peindre des couches superposées (glacis). Jusqu'au XIXe siècle, ce furent des composés métalliques à base de plomb, puis le chimiste Chevreul a introduit le manganèse et à partir du XXe siècle on emploie aussi le cobalt. Dans la composition d'une peinture, les siccatifs figurent en dose très faible. On recouvre la couleur d'un vernis qui donne de la profondeur et la protège, mais qui s'altère au cours des siècles et doit être gratté et remplacé. Jusqu'au XIXe siècle, la préparation des couleurs (à partir d'huile de lin, la meilleure, ou d'huile de ricin), dont certaines étaient des secrets d'ateliers si jalousement gardés qu'ils se sont perdus, a été la première partie (fort longue) de l'apprentissage d'un peintre. Mais cette époque a produit les premières peintures dues à l'industrie chimique. Au XXe siècle on a commencé à employer des peintures employant comme liants ou comme vernis des substances chimiques telles que vinyles et acryliques*171. La fresque est une peinture murale sur plâtre humide (italien fresco, frais), c’est l'application d'eau et de pigments minéraux mêlés sur un mélange frais de sable et de chaux, le mortier ; pratiquée depuis l'Antiquité, c’est la seule forme picturale qui nous en soit parvenue. Apparue en Mésopotamie (Tell-Oukair, 3 000 avant notre ère), elle se répand en Assyrie (1er millénaire), en Phénicie, en Crète, en Grèce puis dans le monde romain, où elle décore de riches demeures à Ostie, Pompéi ou Herculanum. Les peintres italiens du Moyen Âge ne connaissent pas d'autres techniques picturales (à l'exception de la détrempe) et elle décore en France une centaine d'églises romanes (Saint-Savin sur Gartempe, Poitiers, Le Puy, etc.), puis au XVIe siècle des demeures princières comme le château de Fontainebleau, tandis qu'elle n'est guère représentée en Europe du nord, en raison du climat. L'Inde a également pratiqué la fresque à partir du XIe siècle. Au XIXe siècle, Delacroix et Puvis de Chavannes préfèrent à la fresque proprement dite, pour leurs grandes compositions murales, la peinture sur enduit sec, fixée avec de la résine, suivant une technique courante en Extrême-Orient, au moins depuis le IIIe siècle avant notre ère en Chine. La détrempe est une technique connue depuis l'Antiquité et employée à partir du XIIe siècle pour les tableaux portatifs, qui utilise l'eau pour dissoudre les couleurs agglutinées au moyen de colles (on parle aussi de peinture à la colle) composées à partir de blanc d'œuf, lait ou résine, etc. La peinture à l'huile l'a supplantée au XVIe siècle, mais le XXe siècle l'a réutilisée. L'application des couleurs Les Égyptiens ont utilisé des roseaux taillés, avant d'inventer le pinceau en poil animal. On emploie aussi des brosses, le couteau, ou simplement la projection directe sur la toile. La peinture peut être répartie de manière unie, en aplats, ou au contraire travaillée en modelés (ce dernier mot s'oppose aussi à contour) pour rendre le relief. 31 Approches de l’image - II L’éclairage Êtres et choses, dans les peintures traditionnelles d'Asie, semblent baigner dans une lumière égale et comme abstraite : « La peinture chinoise est propreté, absence d'impressionnisme, de tremblement. Pas d'air entre les objets, mais de l'éther pur. Les objets sont tracés, ils semblent des souvenirs. » (Michaux, Un Barbare en Asie) et dans la peinture byzantine*203, l'image dessinée se détache souvent sur un fond uni (or, bleu...) ou purement décoratif. Le problème de l'éclairage se pose au contraire dans l'art occidental, qui s'efforce de rivaliser avec le réel. La tentative de saisir la lumière de l'instant est tardive et aboutit à l'impressionnisme. En fait, les peintres composent leur éclairage de manière à mettre en valeur tel objet ou telle figure, souvent en suivant des conventions (clair-obscur*174, éclairage provenant d'une fenêtre placée à gauche du tableau chez les maîtres hollandais du XVIIe siècle), exactement comme le font au théâtre les metteurs en scène, qui doivent et donnent beaucoup à la peinture. Parfois l'éclairage est complètement arbitraire et vise surtout à produire un effet. 32 Approches de l’image - II Étude d’un tableau : El Tres de Mayo Présentation de l'œuvre Francisco Goya y Lucientes (1746-1828) Goya est un des plus grands peintres d'Espagne. Il passe en 1774 de la peinture religieuse (fresques et peintures murales à l'huile) à la création de cartons*173 pour la manufacture royale de tapisseries. Il s'affirme ensuite comme un grand portraitiste. Frappé de surdité en 1792, son inspiration s'assombrit : il peint le petit peuple de Madrid et des scènes de folie, de sorcellerie, de supplices. Devenu peintre officiel de la cour en 1799, il a laissé de la famille royale des portraits impitoyables. Pro-Français, il est désespéré par l'invasion de son pays par Napoléon, et exprime sa révolte par des gravures (Les Désastres de la guerre, 1810 ) et des tableaux (El Dos de Mayo et El Tres de Mayo, 1814). Devenu suspect après la Restauration*211 des Bourbons, il choisit l'exil en France en 1824 et meurt à Bordeaux. Les circonstances. Napoléon ayant déposé le roi d'Espagne au profit de son frère, Joseph Bonaparte, une insurrection populaire éclate à Madrid, le 2 mai 1808, contre l'occupant français, qui se livre à une répression impitoyable le 3 mai (El Tres de Mayo). Goya, qui a suivi avec sympathie la Révolution française*203, est profondément révolté par ces événements. Type de support. Peinture à l'huile sur toile, 266x345 cm, 1814, Musée du Prado, Madrid. L'œuvre saisit d'abord par ses dimensions : les figures sont en grandeur naturelle. 33 Approches de l’image - II Description du tableau Premier plan, à gauche Le tableau représente un peloton d'exécution en pleine action : à gauche, les victimes, à droite, les soldats. Ce qui figure dans le tableau Ce qui est suggéré Au premier plan, à gauche, un homme gît dans une grande flaque de sang, Cruauté, mort. visage tourné vers le spectateur, front dégarni, La quarantaine ? yeux fermés, bouche ouverte. Ses bras sont étendus en avant, en croix. Christ Il est en bras de chemise et porte un gilet. Homme du peuple C'est le seul élément reconnaissable de la masse horizontale et confuse des cadavres qui occupe environ 3/8 de la largeur de la scène. Mort 34 Approches de l’image - II Premier plan, au centre Ce qui figure dans le tableau Ce qui est suggéré Au centre, un espace vide de 2/8 de large où la lumière qui provient d'une grosse lanterne posée à terre, et qui éclaire le groupe des fusillés, s'oppose suivant une ligne nette en oblique ascendante à l'ombre où se tiennent les soldats. Lumière = suppliciés 35 Ombre = soldats Approches de l’image - II Premier plan, à droite Ce qui figure dans le tableau Ce qui est suggéré À droite, le premier soldat du peloton, debout, la jambe gauche légèrement pliée, la droite tendue en arrière, le fusil muni d'une baïonnette pointé presque à l'horizontale vers le groupe des suppliciés. Anonyme Il est vu de trois-quarts, de dos. La tête coiffée d'un shako, est penchée sur le fusil et le bras gauche tendu qui le soutient, le visage n'est pas distinct. L'uniforme est presque stylisé manteau verdâtre, havresac, pantalon marron, souliers, grand sabre qui traîne presque à terre. Force, équilibre 36 Approches de l’image - II Deuxième plan, à droite Ce qui figure dans le tableau Ce qui est suggéré À droite, le reste du peloton, dans la même attitude que le premier soldat. Uniformité Les shakos forment une ligne irrégulière, les dos forment une masse compacte. Mur 37 Approches de l’image - II Deuxième plan, au centre Ce qui figure dans le tableau Ce qui est suggéré : Au centre, un groupe d'hommes et de femmes, têtes baissées, en contrebas, Peur conduits par un homme vêtu de façon cossue, Bourgeois qui se voile la face à deux mains. Peur Entre lui et les soldats, la lanterne, sous le bras tendu et le fusil presque à bout portant du soldat du premier plan. La Peste, de Camus On pense au récit de l'exécution dans « Un bandeau, un poteau, et au loin quelques soldats. Eh bien, non ! Savez-vous que le peloton des fusilleurs se place au contraire à un mètre cinquante du condamné ? Savez-vous que si le condamné faisait deux pas en avant, il heurterait les fusils avec sa poitrine ? [et qu'] ils y font un trou où l'on pourrait mettre le poing ? » Camus (La Peste) 38 Approches de l’image - II Deuxième plan, à gauche Ce qui figure dans le tableau Ce qui est suggéré Au second plan, à gauche, le groupe serré, agenouillé, de ceux qui vont mourir, un moine à large tonsure, tête inclinée, mains jointes, L'Église et derrière lui un homme brun, basané, violemment éclairé, en pantalon jaune et chemise blanche, Type méditerranéen ou Gitan ? bras en croix, fixe les soldats. Christ Entre eux un homme brun, plus petit, dont on ne voit que le buste, visage levé vers le ciel, la tête coiffée d'une sorte de bonnet. Prière ? Derrière eux un autre homme – incliné ; derrière encore une femme qui se voile la face de ses mains. Peur 39 Approches de l’image - II Le fond Ce qui figure dans le tableau Ce qui est suggéré Le décor est composé à gauche d'un terrain en pente, dont la ligne de crête part presque du haut de la toile, à gauche, et s'incline presque jusqu'au shako du soldat du premier plan Colline ? Terrain vague ? à droite, des bâtiments massifs, rectangulaires, Couvent ? Casernes ? Maisons où on se terre ? achèvent de bloquer l'horizon, sous un ciel noir. Barrière qui interdit la fuite au groupe des suppliciés, absence d'espoir ? Des clochers s'y élèvent. Spiritualité ? 40 Approches de l’image - II Aspects techniques La composition Ce qui figure dans le tableau La composition est dominée par l'éclairage : les couleurs semblables de la lanterne et de la chemise du condamné mettent violemment en valeur ces éléments. D'autre part, elle oppose fortement le carré formé par les cinq condamnés au bloc plus irrégulier du peloton d'exécution. L'architecture du tableau paraît construite à partir d'une grille 8x8. Mais les lignes dominantes sont : - les horizontales (des fusils en joue, prolongés par les baïonnettes, et des bâtiments à l'arrière plan), les verticales de ces mêmes bâtiments et de la lanterne posée à terre au second plan - l'oblique descendante du ravin, reprise par le bras droit levé de l'homme en chemise blanche, et la limite de la plate-forme sur laquelle il est agenouillé, les obliques plus accentuées des dos et des sabres des soldats - deux obliques ascendantes : la plus marquée est celle que trace le bras gauche de l'homme en chemise blanche, prolongée par le dos du moine agenouillé, l'autre est esquissée par les pieds des soldats. Remarquez les figures symétriques du mort baignant dans le sang, au premier plan, et de l'homme en chemise blanche, au second plan, tous deux bras en croix. 41 Ce qui est suggéré Le seul élément dynamique*162 de cette composition est l'homme en chemise blanche (symbole de la résistance populaire ?) Le reste est statique*169, comme la mort. Approches de l’image - II La section d'or La proportion de 5/8 est réputée depuis l'Antiquité définir le rapport idéal entre le plus petit et le plus grand des deux segments d'une ligne divisée en deux parties inégales, et du plus grand à l'ensemble. Par exemple, un segment A B étant divisé en 8 parties égales, le point C qui le divise en 2 segments x de valeur 3 et y de valeur 5 définit cette proportion : y/(x+y) = 0,625. Le point C marque ce qu'on appelle la section d'or. En pliant une image 3 fois de suite en 2, sur la longueur puis sur la largeur, on peut repérer ce rapport numérique. Beaucoup d'œuvres ont été influencées, consciemment ou non, par de tels calculs. Un mythe*165 récent : le nombre d'or Le nombre ou (1+√5)/2 soit environ 1,618 033 988 a été nommé nombre d'or par le prince Matila Ghyka, ingénieur et diplomate roumain qui, dans le contexte de l'entredeux-guerres*205, se proposait de démontrer que « ce sont la géométrie grecque et le sens géométrique [...] qui donnèrent à la race blanche sa suprématie technique et politique. » Avant la publication de son ouvrage sur le nombre d'or, en 1931, cette expression était appliquée « à la période de dix-neuf ans, trouvée par l'astronome athénien Méton (Ve siècle), au bout de laquelle la lune recommençait son cours avec le soleil, à une heure près et quelques minutes. » (Littré) Matila Ghyka et ses disciples ont cru retrouver le nombre d'or dans les proportions des pyramides d'Égypte, dans celles du Parthénon et d'un grand nombre de tableaux et de monuments. Peu rigoureux, et moyennant quelques approximations, ils jouent aussi sur la confusion entre l'inverse du nombre d'or, 0,618, et 5/8 (0,625), proportion utilisée depuis longtemps en peinture et en architecture. Marguerite Neveux, enseignante en histoire de l'art à Paris I, a démonté le processus de mythification dans Le Nombre d'or, radiographie d'un mythe (ouvrage cité). 42 Approches de l’image - II La section d'or : application Cette grille a souvent été utilisée par les peintres. En divisant leur toile en demis, quarts et huitièmes, ils cherchaient non pas à retrouver un nombre d'or, mais à construire solidement leurs tableaux. On ne peut y enfermer l'œuvre immense de Goya qui écrivait en 1792 : « Je ferai la preuve qu'il n'y a pas de règles dans la peinture. » (Cité par Marguerite Neveux, ouvrage cité) Le groupe des victimes et celui des soldats occupent chacun 3/8 de la largeur du tableau, le fond, 3/8 de sa hauteur : on reconnaît ici le rapport de la section d'or. Notre analyse, qui a précédé l'application de cette grille, la retrouvait à peu de chose près. 43 Approches de l’image - II Le point de vue Ce qui figure dans le tableau Ce qui est suggéré Le spectateur est placé à la hauteur des figures du tableau qui sont disposées comme sur une scène de théâtre. Du fait de leur orientation il ne voit que les visages des condamnés, les soldats lui tournant le dos. 44 Théâtralité, objectivité Horreur Compassion pour les suppliciés Approches de l’image - II L'éclairage Ce qui figure dans le tableau Ce qui est suggéré L'éclairage satisfait plus à la vraisemblance qu'à la réalité, comme celui du premier cinéma : l'unique source lumineuse de cette scène de nuit est la grosse lanterne posée à terre, entre soldats et suppliciés, et la chemise blanche qui sert de réflecteur. Elle éclaire très vivement ces derniers ainsi que le centre du tableau, où arrivent de nouveaux condamnés. Mise en valeur des Espagnols. Les soldats paraissent moins éclairés, car la vitre de la lanterne tournée vers eux est jaune, et non blanche. De toutes façons, ils s'interposent entre le spectateur et la lumière. Mais malgré le jeu des ombres qui semble confirmer cette analyse, leur dos est éclairé, comme par un réflecteur, ou un projecteur d'appoint. Opposition des deux groupes. 45 Approches de l’image - II Les couleurs Ce qui figure dans le tableau Ce qui est suggéré Les couleurs sont, comme l'éclairage, très contrastées : les couleurs chaudes (jaune et rouge) sont réservées aux Espagnols, le vert, couleur froide, étant partagé entre les Français et le moine. Le ciel est d'un brun uniforme, presque noir. Les seules taches très claires sont celles de la chemise blanche et de la lanterne, dont les vitres reprennent les couleurs de la chemise et du pantalon. Hors du groupe espagnol, tout appartient au monde de la mort. 46 Approches de l’image - II Quelques mouvements picturaux Le mot École n'appartient pas seulement au domaine de l'enseignement mais désigne aussi un groupe de personnes - écrivains, artistes, penseurs - qui ont les mêmes doctrines, le même maître : on parle ainsi de l'école classique ou de l'école romantique. Avec le développement de l'individualisme, on préfère parler aujourd'hui de mouvement. Le Baroque Les caractères du baroque Le baroque (du portugais barroco, perle irrégulière) succède à la Renaissance et illustre la Contre-Réforme*217, menée tambour battant par les jésuites*222. Né à Rome, il s'est développé, de 1630 à 1750 environ, dans tous les pays catholiques, de l'Autriche à l'Amérique latine en passant par la Bavière, la France (où il a rencontré la rude concurrence du classicisme*192), l'Espagne, le Portugal. Le style baroque se caractérise par : - le goût de la courbe, du grandiose, de l'ornementation indéfiniment développée, du trompe-l'œil*183, dans les arts plastiques*188 ; - le goût du sublime, de la démesure ; - le goût de la violence, du pathétique*166, de l'émotion. Le baroque en peinture Pour Le Journal de Trévoux (1771) « en peinture, un tableau, une figure de goût baroque, [est une œuvre] où les règles des proportions ne sont pas observées, où tout est représenté selon le caprice de l'artiste. » Il est permis de préférer à cette définition celle d'Alain Mérot (Histoire de l'art, ouvrage cité) pour qui le baroque est, en peinture, « Expression de la vitalité, du mouvement, grâce à des compositions dynamiques soutenues par une palette variée. » Préparée par le peintre flamand Rubens, qui peignit à Rome au début du XVIIe siècle, la peinture baroque est représentée en France par des artistes comme Simon Vouet (15901649), qui fit la première moitié de sa carrière en Italie. Voir Baroque en littérature*192 Le Classicisme La peinture du règne de Louis XIV est marquée par le goût de l'ordre qui domine aussi la littérature*196 et la société françaises. Ce goût se traduit par la recherche des proportions, de la symétrie, la sagesse de la couleur dominée par le dessin, les sujets nobles étant seuls dignes d'être traités. Parmi les peintres de cette époque on retiendra : - Nicolas Poussin (1594-1665 : Orphée*224 et Eurydice) - Claude Lorrain (1600-1682 : Le Débarquement de Cléopâtre) - Philippe de Champaigne (1602-1674 : Portrait de Louis XIII) - Pierre Mignard (1612-1695 : Louis XIV à cheval) - Charles Lebrun (1619-1690 : Madeleine, Portrait du chancelier Séguier) Deux noms célèbres s'inscrivent en marge du classicisme : - Georges de La Tour (1593-1652 : Saint Joseph menuisier) - Louis Le Nain (1593-1648 : Repas des paysans) 47 Approches de l’image - II Le Romantisme Les peintres et les écrivains romantiques*200 sont très proches par leurs thèmes : importance de l'irrationnel*164, retour au Moyen Âge et aux sujets modernes, exaltation du moi jugé « haïssable » par les classiques*192). Les peintres s'expriment en privilégiant les couleurs contrastées par rapport au dessin et l'opposition violente des ombres aux lumières. On retiendra les noms de : - Caspar David Friedrich (1774-1840), en Allemagne ; - William Turner (1775-1851) et John Constable (1776-1837) sont de grands peintres paysagistes anglais souvent présentés comme des précurseurs de l'impressionnisme. - Girodet ((1767-1824) : Le Sommeil d'Endymion*219, 1791) ; - Gros (La Bataille d'Eylau, 1808) ; - Géricault (Le Cuirassé blessé, 1814, Le Radeau de la Méduse, 1819) ; - Delacroix (Scènes des massacres de Scio, 1824), en France. L’Impressionnisme École de peinture qui refuse le sujet, c'est-à-dire l'anecdote, le sermon ou l'histoire, pour tenter de fixer un instant fugitif, une impression. Elle privilégie la lumière, le plein air, les aspects changeants de l'eau et du ciel, et préfère la couleur au dessin. En France, des peintres comme Edgar Degas, Édouard Manet, Claude Monet, Berthe Morisot, Camille Pissarro Pierre-Auguste Renoir, Alfred Sisley s'y rattachent, et son nom vient du titre Impression, soleil levant d'un tableau de Monet, exposé en 1874 et tourné en dérision par la critique. Ce mouvement, qui a influencé également musique et littérature, et s'est développé dans toute l'Europe, entre 1860 et 1890, a ouvert la voie aux révolutions picturales du XXe siècle. Le Pointillisme Le pointillisme est une technique picturale qui pousse à leur limite les recherches de l'impressionnisme, en décomposant les tons sur la toile en petites taches de couleurs que l'œil, de loin, recompose. Les principaux représentants du pointillisme sont les peintres Seurat (1849-1891) et Signac (1863-1935), dont les œuvres les plus caractéristiques datent de la fin du XIXe siècle. L’Expressionnisme Les trois groupes La peinture expressionniste se développe, de 1905 à 1914, autour de trois pôles : - Dresde : Die Brücke (Le Pont) est le premier, né en 1905 avec Heckel, Nolde, Kirchner, Schmidt-Rottluff ; le nom du groupe est un mot à plusieurs sens qui ne signifierait aucun programme, mais mènerait d'un bord à l'autre, et aurait été proposé par Schmidt-Rottluff ; - Munich : Der blaue Reiter (Le Cavalier bleu), est un almanach publié à partir de 1912 par des peintres comme Kandinsky, Marc, Jawlensky, Münter, etc. qui travaillent 48 Approches de l’image - II ensemble depuis 1908-1909 ; « Nous avons trouvé le nom Der blaue Reiter en prenant le café sous une tonnelle [...] nous aimions tous les deux le bleu. Marc aimait les chevaux, moi les cavaliers. Ainsi le nom est venu de lui-même. » (Kandinsky) - Berlin : s'y installent Meidner (1909), Kirchner (1911), etc. autour des revues Der Sturm (1910) et Die Aktion. L'expression d'une révolte Le mouvement naît d'une triple réaction : - au conformisme*161 et à la discipline imposés à l'Allemagne depuis son unification (17 janvier 1871) sous la direction de la Prusse et qui se traduisent, dans le domaine artistique, par les normes imposées de l'académisme*159 ; - à l'impressionnisme ; - à la modernité : urbanisation, industrialisation, bouleversements économiques et sociaux vécus dans l'angoisse. Les choix esthétiques - Couleurs pures et arbitraires : ciels verts de Schmidt-Rottluff, corps bleus de Kirchner, etc. ; - simplification des formes ; - refus de la perspective héritée du Quattrocento ; - le travail de l'artiste s'affiche, il s'exprime, au lieu de se cacher derrière son œuvre : touches franches, refus de ce qui est lisse, léché. Un mouvement européen L'expressionnisme allemand est étroitement lié, dès sa naissance, à la peinture française : des artistes comme Van Gogh, Cézanne, ou Picasso exposent en Allemagne et y sont considérés comme expressionnistes, et Gauguin exerce une grande influence. Les perspectives brisées des Paysages apocalyptiques de Meidner, à partir de 1913, semblent annoncer la catastrophe de la première guerre mondiale*209, où périront beaucoup de ces artistes. L'expressionnisme a touché également le théâtre, et, dans les années 20, le cinéma avec des films comme Les trois Lumières, Nosferatu, Metropolis, etc. où l'expressionnisme a influencé le décor et le jeu des comédiens. Quelques peintres expressionnistes parmi les plus connus Graveur remarquable, Karl Schmidt-Rottluff (1884-1976) a initié à cet art ses amis de Die Brücke, qui y excelleront à leur tour. Parmi ses tableaux, citons Après le Bain (1912) et Mélancolie (1914). Expulsé par les nazis*207 en 1933, il restera fidèle à l'expressionnisme. Erich Heckel (1883-1970) : Baigneur dans les roseaux (1910). August Macke (1887-1914) a pressenti la première guerre mondiale*209 dont il a été l'une des premières victimes ; L'Orage (1911), Magasin de modes (1913). Kirchner (1880-1938) a été influencé par les estampes japonaises et l'art nègre*188 : Jeune Fille à l'ombrelle japonaise, Marzella (1909-1910), Scène de rue (1914). Emil Nolde (1867-1956) : Coucher de soleil II (1909), Danseuses aux chandelles (1912). D'origine russe, Vassili Kandinsky (1866-1944) abandonne le droit pour étudier la peinture à Munich : Maisons à Murnau (1909). C'est un des initiateurs de l'art abstrait*51. 49 Approches de l’image - II Ami de Macke et de Kandinsky, Franz Marc (1880-1916) a trouvé la mort sur le front français : Cheval dans un paysage (1910), Le Taureau (1911), Cheval rouge et bleu, Les petits Chevaux jaunes (1912). Comme Kandinsky, Alexeï Jawlensky (1864-1941) vient de Russie en 1896 pour étudier la peinture à Munich : c'est un mystique*223, un peu en marge du mouvement (Visions du Sauveur, 1919). Gabriele Münter (1877-1962) : peintre expressionniste, amie de Kandinsky ; Automnale (1910). Ludwig Meidner (1884-1966) : peintre expressionniste très influencé par le futurisme ; Ville en flammes (1913). Otto Dix (1891-1969), dont l'œuvre (La Tranchée, 1920-1923), est postérieure à la Première guerre mondiale, est resté fidèle à cette école. Le Cubisme Le cubisme est un mouvement artistique fondé en 1906, qui a brisé, en peinture, les règles de la perspective héritées du Quattrocento : au lieu de représenter les objets d'un point de vue unique et fixe, il multiplie les points de vue (un visage, par exemple, sera peint sur la toile à la fois de face et de profil), et ramène la représentation des objets à des formes géométriques. Les Demoiselles d'Avignon, de Picasso, en marquent les débuts. Le cubisme a aussi influencé des poètes, comme Blaise Cendrars et Apollinaire (Zone). Le Futurisme Le Futurisme est une école littéraire et artistique italienne, dont l’influence s’est étendue à la France et à la Russie. Son fondateur, Marinetti, en réaction à toute tradition : « une automobile de course est plus belle que la [...] Victoire de Samothrace. » exalte la modernité incarnée par la ville, la machine, la violence : « Nous voulons glorifier la guerre, – seule hygiène du monde, – le militarisme, le patriotisme, le geste destructeur des anarchistes, les belles Idées qui tuent et le mépris de la femme. » (Manifeste*196 du Futurisme, publié dans Le Figaro du 20 février 1909) Marinetti sera plus tard le poète officiel du fascisme. Le Dadaïsme Mouvement artistique et littéraire créé à Zurich et New York en 1916. Il exprime, en réaction à la guerre qui atteste l'échec de la civilisation, la protestation d'artistes comme Tristan Tzara, Hans Arp, Picabia, Vaché... contre l'absurdité du monde. Il s'agit de détruire par la dérision, l'irrationnel, le hasard et l'intuition*164, la société, l'art et la culture pour retrouver le réel authentique. Poèmes sans paroles, papiers collés, peintures mêlées de citations sont ses principales techniques, ainsi que les ready-made de Marcel Duchamp. Les ready-made, dont le nom signifie, littéralement, « objets tout faits », tournent en dérision la création artistique*193 ; ainsi la Fontaine (1917) de Marcel Duchamp, est un urinoir renversé proposé à l'admiration des amateurs de sculpture. À partir de 1924 la provocation dadaïste fait long feu et le surréalisme prend la relève. 50 Approches de l’image - II Le Surréalisme Ce mouvement succède vers 1920 à la subversion dadaïste et recueille aussi l'héritage du cubisme et du futurisme italien ; il se réclame de Hegel et de Freud, de Baudelaire, Lautréamont, Rimbaud, Jarry et, malgré des réserves, de Guillaume Apollinaire (qui a créé le mot en 1917). « Surréalisme : automatisme psychique par lequel on se propose d'exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée, en l'absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale. » (André Breton, Manifeste*196 du surréalisme, 1924) Le mouvement s'étend dans le monde entier et renouvelle tous les arts : - En peinture : Pablo Picasso, Salvador Dali, Max Ernst, Hans Arp, Miró, Yves Tanguy, René Magritte... - au cinéma : Buñuel ; - en photographie : Man Ray ; - en littérature : René Char, Paul Éluard, Louis Aragon, Raymond Queneau, Prévert, Georges Bataille, Robert Desnos, etc. ont participé au surréalisme. La vie tumultueuse de ce mouvement a été jalonnée par des exclusions retentissantes, comme celle de Paul Éluard en 1938. L’Art abstrait L'Art abstrait est une école artistique apparue en 1910, qui refuse le sujet, la représentation du réel, et considère que lignes, couleurs et composition peuvent exprimer, à la manière de la musique, les passions, les sentiments (Kandinsky, Klee) et les idées (recherches géométriques de Mondrian) sans représenter les êtres et les choses. Le Lettrisme Le grand théoricien de ce mouvement est le Roumain Isidore Isou (1925-2007) qui constitue son groupe dès son arrivée à Paris en 1945. Poète, peintre et cinéaste, ami de Tristan Tzara, Isou est parti de préoccupations d’ordre poétique*198. Considérant que tout art se nourrit d’un matériau dont les créateurs varient les arrangements, il en conclut qu’il arrive que toutes les possibilités ayant été explorées, il est nécessaire de changer de matériau : c’est, croit-il, ce qui est advenu à la littérature, qui a épuisé les ressources offertes par les mots. Il est donc nécessaire de lui trouver un nouvel aliment, et ce seront les sons et, en ce qui concerne la peinture et les arts plastiques, les signes graphiques ou « lettres ».On ne citera ici que cet extrait d’un poème : « Coumquel cozossoro BINIMINIVA BINIMINIVA Coumquel quergl coumquelcanne ! MAGAVAMBAVA ! » Isidore Isou (Lances rompues pour la dame gothique, 1946) De 1946 à 1967, Isou publie une vingtaine de manifestes*196 et entreprend d’unifier peinture, sculpture et écriture. 51 Approches de l’image - II Les passions nées de cette entreprise qui se situe dans la tradition des avant-gardes de l’entre-deux-guerres sont loin d’être éteintes, comme le montrait plaisamment, en 2008, l’avis de Wikipédia*170 à l’article « Lettrisme » : « Les contributeurs sont enjoints de ne pas participer à une guerre d'édition sous peine de blocage. Cet article a subi récemment une guerre d’édition au cours de laquelle plusieurs contributeurs ont mutuellement annulé leurs modifications respectives. Ce comportement non collaboratif est proscrit par la règle dite des trois révocations. En cas de désaccord, un consensus sur la page de discussion doit être obtenu avant toute modification. » Dans le sillage d’Isou figurent des poètes comme Maurice Lemaître, et François Dufrêne, des peintres comme Spacagna, Sabatier, Alain Satié ou Curtay ; plusieurs se sont également intéressés à la musique comme Roland Sabatier et Isidore Isou luimême. Sur le plan politique, l’un de ses disciples, Guy Debord (1931-1994), fondera, avec certains lettristes et des artistes issus du Bauhaus*188, l’Internationale situationniste qui s’est illustrée autour de 1968, dénonçant la « Société du spectacle ». L’Hyperréalisme Les peintres américains de l'école hyperréaliste qui a essaimé en Europe, partent volontiers d'une photographie largement agrandie, qu'ils s'efforcent d'imiter avec la plus grande précision, sans aucune tentative d'expression personnelle ou d'interprétation : tels sont les portraits de Chuck Close (né en 1940), et les toiles de Richard Estes (né en 1936), qui peint le monde moderne dont il exclut toute figure humaine. Le mouvement hyperréaliste s'inscrit dans les années 1960. Le Pop art Le pop art (pour popular art) doit son nom au critique d'art anglais Lawrence Alloway (1955), membre de l'Independent Group, qui réunissait des architectes, des sculpteurs, des artistes et des critiques héritiers du futurisme, du Dadaïsme, du surréalisme, et du Bauhaus, fascinés par les possibilités de la technologie, de la société de consommation et de la culture de masse qu'elle engendre via la publicité, les magazines, les bandes dessinées le cinéma et la télévision. Né en Angleterre où l'exposition This is tomorrow organisée par Lawrence Alloway à la Whitechapel Gallery de Londres en 1956 marque le début de l'aventure, le mouvement passe l'Atlantique, avec l'ouverture de la galerie de Leo Castelli en 1957. Des artistes comme Jasper Johns et Robert Rauschenberg y exposent dès 1958, puis c'est en 1960 au tour d'Andy Warhol (1928-1987), de Roy Lichtenstein (1962), etc. Ces artistes vont utiliser de nouveaux matériaux comme l'acrylique, et reproduire indéfiniment leurs oeuvres par des techniques comme la sérigraphie, rompant avec la tradition artistique qui insiste sur le fait que l'oeuvre d'art est un objet unique et irreproductible. Au pop art se rattachent des artistes comme Eduardo Arroyo (Espagne) et Takashi Murakami (Japon) qui s'inspire des mangas, de même que les anglo-saxons ont intégré Mickey Mouse et Marilyn Monroe*169 à leurs œuvres. La rétrospective le Pop Art présentée par Lawrence Alloway en 1974 au Whitney Museum of American Art de New York et l'exposition Les années Pop : 1956-1968 du Centre Pompidou, en 2001, marquent la fin du mouvement. 52 Approches de l’image - II La Figuration narrative *166 Dans les années 1960, une nouvelle génération d'artistes rejette l’abstraction*51 et la figuration « bourgeoise » et revient à la figuration, mais en s’inspirant de la photo, de la bande dessinée, du cinéma et de l’affiche175 pour raconter la vie de tous les jours, les mythes modernes, la violence (on est passé de la guerre du Vietnam à celle d’Algérie) et le culte de la consommation. Deux expositions qui se tiennent à Paris en 1961 et 1962 les font connaître, et l'exposition Mythologies quotidiennes de 1964, au Musée d'art moderne de la Ville de Paris, les consacre. Proche du pop art par les sujets et les techniques, le mouvement en combat le conformisme (Andy Warhol est autant un homme d'affaires qu'un peintre ou un cinéaste) et met l'accent sur le récit en images, la réintroduction de la durée en peinture et l'engagement politique (à gauche), dénonçant « les gestes brutaux d'un ordre fondé sur la force et sur la ruse » (catalogue de Mythologies quotidiennes). On retiendra parmi ces artistes les peintres fondateurs Rancillac et Télémaque, ainsi qu’Adami, Monory, Arroyo, Cueco, Erró, Klasen, Fromanger. Peinture et photo À sa naissance, la photo a reçu un accueil mitigé : beaucoup ont cru voir en elle une rivale de la peinture, tandis que d'autres lui déniaient toute valeur artistique et la considéraient comme une curiosité scientifique et, à la rigueur, un accessoire utile au peintre, ce qu'elle n'a cessé d'être en effet. Pourtant, la photographie est devenue rapidement un art, elle a de ce fait émancipé la peinture occidentale de sa tâche séculaire de représentation du réel, et l'apparition puis le foisonnement d'écoles en « -ismes » n'a pas suivi par hasard son invention. Peinture et photographie dialoguent en permanence : l'impressionnisme apparaît à cause d'elle, parce qu'elle oblige les peintres à rechercher ce qui fait la spécificité de leur art, tandis que la première « photographie d'art » s'efforce d'imiter la peinture académique, puis les photographes chercheront à produire, grâce à des effets spéciaux, les techniques impressionnistes, etc. Au XXe siècle, les peintres hyperréalistes ont voulu rivaliser avec la photo sur son propre terrain, celui de la reproduction exacte. 53 Approches de l’image - II L’enluminure Définition Le mot enluminure est aujourd’hui réservé à la décoration des manuscrits (ou très rarement de livres imprimés) généralement peinte et quelquefois dessinée à l’encre brune ou de couleur. Il s'agit à la fois d'images illustrant le texte, de lettres ornées (initiales en particulier), et de dessins décoratifs (bordures ornées chargées de plantes et d'animaux, bandeaux, cartouches*174, frontispices, « pages tapis » couvertes d’entrelacs et de motifs abstraits. Histoire Les rouleaux des morts de l’Égypte antique sont les plus anciennes enluminures connues. Grecs et Romains ont eu des livres illustrés. L'influence de la peinture classique, avec sa recherche d’illusion, se retrouve dans les enluminures du Moyen Âge, en concurrence à partir du VIIe siècle avec un style né en Angleterre et en Irlande, caractérisé par le foisonnement des motifs ornementaux où nichent de petits animaux et bonshommes, qui prendront la forme humoristique des drôleries, tandis que les figures des grandes enluminures deviennent plus schématiques ou symboliques. Sur le continent, les Mérovingiens inventent les lettres formées d’oiseaux et de poissons, mises en place au compas. L’art de l’enluminure s’est aussi développé à Byzance*203, au Bengale et en terre d'islam où on s’en est tenu d’abord à la calligraphie*172 et l'ornementation, du fait de la condamnation de l'image par la religion ; mais dès le XIIIe siècle, à Bagdad, puis en Perse, à Tabriz et Chiraz, puis en Turquie*212 où l’enluminure se perpétuera jusqu’au XVIIe siècle, la représentation humaine a donné naissance à un art varié et délicat, dont les échanges avec Byzance, l’Europe et la Chine ont été fertiles. Au XVe siècle, les enlumineurs des Très Riches Heures du duc de Berry inaugurent des temps nouveaux en s'intéressant comme les peintres de leur époque au modelé et à la perspective. Ils mettent ainsi fin à l'originalité de l’enluminure par rapport à la peinture sur panneaux. Techniques Le support de l’enluminure est celui du texte : parchemin, papyrus ou papier. L’enlumineur doit préparer couleurs et encres et parfois poser un apprêt sur le parchemin avant de peindre. Il rehausse souvent son travail avec de l’or ou de l’argent en poudre, mêlé à une colle, ou confie ce travail à un doreur spécialisé. Mais les enluminures sont, en général, peintes directement sur le parchemin. Les tâches de l’enlumineur (appelé pictor, puis illuminator à partir du XIIe siècle) et du copiste (scriptor) n’étaient pas nécessairement confiées à des personnes distinctes. Les enlumineurs, dans l’Antiquité classique, étaient des peintres célèbres chargés d'exécuter les portraits d’écrivains. Plus tard, on créa des ateliers qui travaillaient pour les païens comme pour les chrétiens. Du VIe au XIIe siècle, les monastères ont eu le monopole de cette activité. 54 Approches de l’image - II Le vitrail Le vitrail est composé de verre à vitre découpé et assemblé par des plombs ou, jadis, du stuc, de la pierre, du marbre ou même du bois, technique encore utilisée dans l’art islamique. C’est une variété particulière de la peinture sur verre. Techniques Les anciens verres soufflés offrent des inégalités de matière et de couleur qui, plus que les secrets des maîtres verriers, les rendent irreproductibles. Pourtant le verre à vitre coulé à plat, plus transparent et uni, et connu depuis l’Antiquité, s’est imposé au XVIIe siècle pour les vitraux, puis pour le verre à vitre. Les verres sont colorés dans leur masse, par des oxydes métalliques. Vers 1300 apparaît le jaune d’argent, très transparent, et peu après, la gravure. On a aussi fabriqué des verres plaqués au moment du soufflage, composés de plusieurs pellicules de couleurs différentes (généralement blanc et rouge), ce qui les rend plus translucides, et permet la gravure. Inventé au XIVe siècle, ce procédé connut un grand succès au XVe siècle et à la Renaissance. Au XVIe siècle, on emploie des émaux*176 pour le bleu, le vert et le violet. Le verre est ensuite découpé au fer rouge ou au diamant, d’après un carton*173, et assemblé puis peint au moyen d’une peinture vitrifiable, la grisaille noire ou brune, qu'on efface partiellement (ce sont les « enlevés »), et qu'on brosse pour étendre et varier la couche. La grisaille mêle oxydes métalliques et verre pilé à un délayant. Les verres sont ensuite recuits dans un four (à environ 600°) pour que la grisaille s'incorpore à la surface du verre ramolli par la chaleur. Les verres sont alors assemblés définitivement entre des rubans de plomb soudés. Au XIXe siècle, la plupart de ces techniques, oubliées, ont été retrouvées et à nouveau utilisées ; on y a ajouté, peu avant 1900, les verres coulés à surface inégale, striés dans la masse, irisés, etc. Histoire Des textes anciens prouvent l’existence de vitraux colorés au début de notre ère et à Sainte-Sophie (Constantinople, VIe siècle). En Occident, on a retrouvé des verres de vitraux qui peuvent remonter au VIIe siècle. Le premier ensemble bien conservé est celui de la cathédrale d’Augsbourg, vers 1100. Du XIIe au XIIIe siècle, l’art du vitrail a été florissant en France surtout, en Angleterre et dans les pays germaniques, tandis que l’Italie, qui préférait la peinture murale, s'y est peu intéressée. Dans la seconde moitié du XIVe siècle, un style international, commun à la peinture, à la sculpture et au vitrail mêle les influences françaises et italiennes au réalisme du nord de l’Europe. L’Italie participe aussi à ce mouvement. La Renaissance est une époque de diversification et de richesse de cet art, mais la Réforme condamne la pratique du vitrail religieux et détruit beaucoup d’œuvres anciennes. Pourtant, au milieu du XVIe siècle, le vitrail prospère encore dans les Flandres et en France (Paris, Bourges). La Renaissance a vu aussi apparaître le vitrail civil (vitraux héraldiques, en particulier pour les associations de métiers), notamment en pays germanique. Mais le vitrail, comme la tapisserie, évolue vers l'imitation de la 55 Approches de l’image - II peinture sur panneau. Entre la fin du XVIe siècle et le début du XVIIe, il connaît une rapide décadence. On a recommencé à s’intéresser au vitrail vers le milieu du XVIIIe siècle. Après les guerres de la Révolution qui ont provoqué beaucoup de destructions, on tente, en France (manufacture de Sèvres), en Angleterre et en Autriche, de retrouver les procédés techniques anciens, soit pour restaurer les vitraux longtemps négligés, soit pour faire des pastiches*198 du Moyen Âge ou de la Renaissance (réfection de la Sainte-Chapelle de Paris, 1843-1854). Bientôt, des grands peintres romantiques comme Delacroix et Ingres fournissent des cartons aux verriers. L'intérêt pour le vitrail moderne se développe à la fin du XIXe siècle et atteint son apogée*159 avec le style 1900. Bientôt les cubistes, les expressionnistes, les tenants de l'art abstrait et d'autres encore comme Arp ou Chagall, ajouteront une nouvelle page à l'histoire du verre peint. 56 Approches de l’image - II La mosaïque Ce nom, à ne pas confondre avec l'adjectif, qui se rapporte à Moïse (la loi mosaïque), est apparenté aux Muses*223, dont les grottes étaient décorées de mosaïques. La Mosaïque est un procédé décoratif qui consiste à orner le sol, les murs ou les plafonds de petits fragments (les tesselles) de marbre, de verre coloré, d'émail, de terre cuite, de pierre, liés par un ciment de manière à former une image. Le Sacrifice d'Isaac (photo A. Saustier) L'ange*214 dit à Abraham : « N'étends pas la main sur l'enfant » Mosaïque de la cathédrale de Monreale près de Palerme (Sicile, XIIe-XIIIe siècle) Les plus anciennes mosaïques remontent au IVe siècle avant notre ère. On est très vite passé des galets à des matériaux plus nobles. Originaire de Grèce et peut-être de Crète, l'art de la mosaïque s'est répandu dans tout le monde romain. Les plus grandes ornent des églises, en particulier à Byzance et en Italie. Après une éclipse du VIe au Xe siècle, la mosaïque renaît du XIe au XVIIe siècle, époque à laquelle elle est asservie, comme la tapisserie, à la peinture qu'elle se contente de reproduire. Comme elle, la mosaïque a connu au XXe siècle un regain d'intérêt, en particulier avec l'Art nouveau*188. 57 Approches de l’image - II La tapisserie Origines et définition Connue dès l'Antiquité en Chine, où elle apparaît sous la dynastie Chou (722-206), mais aussi sur le pourtour de la Méditerranée (Mésopotamie, Grèce) et au Pérou, la tapisserie a été cultivée en Égypte par les Coptes*217, du IIIe au XIIe siècle, à Byzance et en Europe au moins à partir du XIe, et peut-être en France dès la fin du VIIIe siècle, avec l'invasion des Arabes venus d'Espagne et stoppés à Poitiers. Elle s'y est épanouie à partir du XIVe siècle. Si l'interprétation des vieux textes est délicate, c'est que l'Orient a préféré les tapis de sol, tandis qu'on réserve aujourd'hui le mot tapisserie à des travaux de laine et de soie, parfois mêlés de fils d'or et d'argent, dont les fils de chaîne et de trame, entrecroisés à la main, dessinent des figures, des paysages ou des motifs décoratifs, utilisés surtout comme tentures murales. Aspects techniques Le licier « Lice (ou lisse) : Sur un métier à tisser, fil de métal ou de lin portant un maillon dans lequel passe le fil de chaîne » (Dictionnaire Larousse). Le licier (ou lissier) est l'ouvrier chargé d'entrecroiser à la main les fils de chaîne et de trame de la tapisserie. Sa première tâche est de tendre les fils de chaîne, puis il y dessine à l'encre les motifs du carton qu'il doit reproduire (en haute lisse seulement). Puis il passe entre les fils de chaîne les fils de trame au moyen d'une sorte de fuseau en bois appelé broche (haute lisse) ou flûte (basse lisse). Enfin il doit serrer au maximum les fils. Longtemps assez libres dans l'interprétation des modèles, les liciers furent réduits à partir du XVIIIe siècle, de plus en plus, à un rôle d'exécutants. Au XXe siècle, Lurçat leur fournit même des cartons chiffrés dont les numéros indiquaient les couleurs à utiliser. Mais, à la même époque, ils ont souvent conquis la plus totale indépendance : à partir des cartons, ils choisissent souvent fils et couleurs, et se livrent à une véritable interprétation de l'œuvre du peintre. Ainsi, la tapisserie revendique-t-elle un statut d'art à part entière. Haute et basse lice Le modèle, une esquisse colorée fournie par un peintre, et appelée maquette ou petit patron est agrandi aux mesures de la tenture projetée c'est le grand patron ou carton, qui est placé : - face au licier, la chaîne étant tendue (presque) horizontalement entre deux cylindres distants d'un mètre cinquante, et portés par des montants, les raines ; le licier, qui ne voit que l'envers, ne peut évaluer son travail qu'en déplaçant à la main un miroir à travers la chaîne dont il écarte les fils, ou en faisant basculer son appareil ; des pédales, 58 Approches de l’image - II les marches, lui permettent de lever ou descendre les fils de chaîne. C'est la basse lice (ou basse lisse) - derrière le licier qui travaille sur la chaîne tendue verticalement entre deux cylindres fixés entre deux montants de bois, les cotrets (haute lice). Comme dans le cas précédent, un miroir permet au licier de voir l'endroit de son ouvrage en écartant les fils de la chaîne : il est posé devant. Quelle que soit la technique employée, les résultats sont comparables. Quand Guillaume Apollinaire écrit : « Près d'un tapis de haute lice Sa femme attendait qu'il revînt » il ne donne pas d'information sur la richesse d'Ulysse, mais trouve à ce nom une rime suffisante. En poésie, cela s'appelle une cheville. Les critères techniques de qualité La qualité technique d'une tapisserie dépend : - de la grosseur des fils de chaîne (4 ou 5/cm au Moyen Âge) ; - du nombre et de l'origine des couleurs, qui furent d'abord tirées de végétaux (bleu : pastel ou guède, jaune : gaude – genre de réséda) ou d'insectes (écarlate extrait du kermès puis à partir du XVIe siècle de la cochenille*160). Le nombre des fils de chaîne par centimètre augmente du XVIe au XIXe siècle, ainsi que celui des couleurs, qui seront de plus en plus d'origine chimique : au XIXe siècle, on atteint 36 000 couleurs réparties en 1 000 gammes de 36 tons chacune, au détriment de la solidité des couleurs. C'est que la tapisserie tente alors de rivaliser en finesse avec la peinture, ce qui réduit le licier au rôle de simple exécutant chargé de reproduire un tableau. Au XXe siècle on est revenu parfois à 5 ou 6 fils/cm et à un nombre de couleurs plus restreint. Aux Gobelins*177, toutefois, les liciers disposent de 14 400 couleurs et utilisent des fils (laine, soie, chanvre, sisal, etc.) si fins qu'ils ne produisent, sur certains ouvrages, qu'un à deux mètres carrés par mois. Une riche histoire Les tapis Le mot tapis s'est d'abord appliqué à ce que nous appelons tapisserie au sens strict, aux ouvrages de broderie à l'aiguille (on dit encore faire de la tapisserie), et aux tapis de sol, généralement à points noués, les fils de trame étant fixés par des nœuds aux fils de chaîne, à raison d'au moins 250 à 450 nœuds par mètre ; ils sont ensuite tondus aux ciseaux. Ceux de la Manufacture de la Savonnerie de Paris, créée en 1604, et rattachée au XIXe siècle aux Gobelins sont tissés sur des métiers de haute lice. Le licier a sous les yeux l'endroit de son ouvrage, dont il contrôle l'envers à travers la lice dans un miroir. Le carton est disposé au-dessus de lui, et il dessine préalablement les motifs à l'encre pour se guider. Les tapis sont ornés de motifs géométriques, de figures ou de fleurs. Longtemps considérés en Europe comme des objets de grand luxe, ils sont de nos jours produits également par des procédés mécaniques. 59 Approches de l’image - II Du Moyen Âge à la Renaissance Au Moyen Âge, les tapisseries sont d'abord destinées à lutter contre le froid dans les demeures princières. Des garnitures assorties sont tissées pour les lits et les sièges. Les tentures murales illustrent des cycles religieux, mythologiques ou historiques. Elles sont adaptées aux dimensions inégales des murs, qui offrent de grandes surfaces car les dimensions des portes et fenêtres sont très réduites pour ne pas affaiblir les châteaux forts. Elles ornent dans une moindre mesure les églises, l'architecture gothique faisant une large place aux vitraux, et décorent places et rues, les jours de fêtes religieuses et civiles (entrées princières) jusqu'à la Révolution. Au XVIe siècle, les thèmes laïques*164 se développent : travaux de la laine, chasses, scènes de la vie seigneuriale. Le XVIIe siècle Le XVIIe siècle est dominé par les métiers flamands, dont les artistes se répandent en Italie. En France, la tapisserie célèbre, comme les autres arts, la gloire du Roi-Soleil. À la manufacture des Gobelins, réorganisée par Colbert, le peintre Le Brun impose aux liciers des cours de dessin, mais leur laisse beaucoup d'initiative. Devises pour les tapisseries du Roi-Soleil C'est un véritable programme de tapisseries à la gloire du roi qui fut lancé par la Petite Académie, future Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, présidée par Charles Perrault. Le Brun se chargea de l'illustration, que des peintres traduisirent en cartons, et les liciers des Gobelins en tapisseries. De son côté, Jacques Bailly s'en inspira librement pour composer un beau recueil illustré de ses miniatures*179, qui furent à leur tour gravées non moins librement par Sébastien Leclerc. Voir Marc Fumaroli, L'École du silence, ouvrage cité Exemple : POUR LES BALLETS ET COMÉDIES, DIVERTISSEMENT DANS LA PIÈCE DE LA SAISON DE L'HYVER Le peuple m'aime avec tendresse Ne me voit qu'avec allégresse Et par mille applaudissements Qui de sa passion sont d'assurés indices Me fait connoître à tous moments Que je suis de son cœur les plus chères délices. Un amphithéâtre avec ce nom : DELICIAE POPULI. Le Peuple Romain aimoit 60 Approches de l’image - II tellement les spectacles qu'on peut bien dire qu'ils en faisoient leurs plus grandes délices, comme l'on peut aussi les comparer au bon Prince tel que sa Majesté qui fait les plus chères délices de son peuple. XIXe et XXe siècle À partir du XIXe siècle, la tapisserie pénètre dans les salons bourgeois. Bien que le Bauhaus s'y soit intéressé, elle a connu une courte éclipse entre 1920 et 1950, puis a opéré un retour en force, notamment en France grâce au peintre Lurçat. Elle se développe dans toute l'Europe, ainsi qu'aux États- Unis, au Canada et au Japon. On a tenté de varier les matériaux (coton, lin, fils d'acier) avant de revenir à des pratiques plus traditionnelles. Là comme ailleurs, l'État a joué le rôle de mécène, passant commande à de grands artistes (Ministère des Finances). 61 Approches de l’image - II La sculpture La statuaire La sculpture ne s'est séparée de la peinture qu'à la Renaissance, sous l'influence de ce qui restait des modèles antiques. Mais, à l'origine, les statues du Parthénon étaient peintes, de même que l'ont été celles du Moyen Âge qui ont quelquefois conservé des traces de la polychromie*174 originelle. C'est l'art le plus ancien. Dès l'Aurignacien*172, on savait sculpter le bois, l'ivoire, l'os, la corne, la pierre... L'Antiquité a pratiqué en outre la sculpture sur terre cuite et le moulage sur plâtre, argile et cire du bronze et de l'or. Le XXe siècle y a ajouté divers métaux, et a cultivé, comme en peinture, abstraction*51 et stylisation*183, jouant à fond sur le fait que la sculpture est un art de l'espace. Enfin, il l'a animée (mobiles de Calder), puis est revenu à des pratiques figuratives, avec César*229, par exemple. La création d'images en 3 D sur Internet1 donne actuellement naissance à de véritables sculptures virtuelles. Mais de toutes les images, seule la sculpture se développe dans les trois dimensions, en relief réel : en sculpture, les figures peuvent être représentées en plein relief, libres de tous côtés : c'est la ronde-bosse ; les gisants (sculptures tombales) du Moyen Âge étaient traités en demi-ronde-bosse, sculptés dans le plan du fond. Dans un haut-relief, les figures ressortent fortement du fond, tandis que dans un bas-relief, elles ressortent faiblement. Une technique proche de la sculpture, la glyptique, est l'art de graver les pierres fines, en creux (intailles) ou en relief (camées). Les camées ont donné naissance à des images originales, tandis que l'intaille était réservée à des motifs abstraits, des inscriptions ou des armoiries. La sculpture a souvent inspiré écrivains et poètes, du mythe de Pygmalion, roi de Chypre et sculpteur qui obtint d'Aphrodite*214 que la statue qu'il avait sculptée et dont il était tombé amoureux soit transformée en femme, à la Vénus d'Ille de Mérimée, cette statue vivante qui poursuit une longue tradition littéraire, née de la fascination que produit la ressemblance de l'image au modèle. Les marionnettes et les masques Les marionnettes, comme les figures du théâtre d'ombres, sont des exemples très particuliers de sculptures. Liées, à l'origine, comme le masque de théâtre, à des pratiques magiques, elles sont apparues sur tous les continents et leur origine se perd dans la nuit des temps. Dans les rites magiques, le masque est censé permettre au danseur de s'identifier à un esprit, d'être possédé par lui. Le théâtre, issu de ces croyances, l'utilise ensuite pour reconnaître de loin le personnage et, en Grèce et à Rome, pour amplifier la voix. Le mot français marionnette est dérivé de mariolette, petite Marie, qui rappelle qu'elles ont eu d'abord en France un usage religieux : les santons animés (du provençal santoun, petit saint) des crèches de Noël perpétuent cet usage, mais les marionnettes n'ont jamais été seulement un spectacle pour enfants : tous les pays d'Europe les ont utilisées au XIXe siècle comme moyen d'expression politique. 1 Voir Internet, page136 62 Approches de l’image - II Les camées Le terme moderne de camée, emprunté à l’italien cameo, est de même origine que camaïeu*172 et viendrait d'un mot arabe signifiant bourgeon. Les camées étant le plus souvent gravés sur des agates à plusieurs teintes superposées on peut, en effet, obtenir l’aspect d’un camaïeu. Les pierres siliceuses les plus recherchées étaient les variétés de quartz : les améthystes, les émeraudes, les grenats et, quelquefois, les fausses topazes. Les agates peuvent être monochromes*174 comme l'opale, mais les plus beaux camées sont en sardonyx (variété d’onyx) à trois, quatre, cinq, et même six couches de teintes différentes : bleu foncé ou brun, blanc laiteux et rouge fauve. L'artiste, pour graver un camée, doit y travailler longtemps. Du VIIe au IVe siècle avant notre ère les camées furent monochromes ; au IVe siècle, on grave des agates de plusieurs couleurs en multipliant les personnages, sur des sujets mythologiques. Les Romains ont fait venir des agates à plusieurs couches d’Égypte, de Grèce, d'Asie Mineure, d’Arabie et de l’Inde, ainsi que des artistes pour les graver. À Constantinople puis tout au long du Moyen Âge, les camées furent réinterprétés dans un sens chrétien : des sujets païens, gravés sur des camées antiques, étaient compris comme des scènes bibliques. Enfin les camées prirent, aux XIVe et XVe siècles un caractère magique : on leur attribuait une puissance miraculeuse contre les maladies. La Renaissance fut en Europe une période remarquable pour les camées, dont quelques graveurs italiens maintinrent la tradition à la cour d’Autriche. Au XVIIIe siècle en Italie et en France de nombreux artistes s'y consacrèrent encore. Depuis le XIXe siècle, cette forme d’art est devenue marginale. Les jouets Un bilboquet, un yoyo, une boîte à musique, un hochet (sauf exceptions) ne sont pas des images, mais souvent les supports d’images qui les décorent. Mais beaucoup de jouets traditionnels - poupées, autos, dînette, la ferme et ses animaux, les soldats, les armes pour enfants, etc. - sont bel et bien des images d'êtres vivants ou d'objets et relèvent souvent de la sculpture. 63 Approches de l’image - II La photo L'invention de la photographie Inventée dans la première moitié du XIXe siècle, la photographie est l'enregistrement (graphie) par des moyens chimiques d'images obtenues au moyen de la lumière (photo) à l'intérieur d'une machine, issue de la chambre noire (camera oscura en Italie). Cette image est reproductible. La chambre noire Connue depuis le XIIIe siècle au moins, la chambre noire a particulièrement intéressé les artistes de la Renaissance, à la recherche d'une nouvelle représentation de la perspective qui devait triompher, dans la peinture occidentale, du Quattrocento à la fin du XIXe siècle. La chambre noire (camera oscura en italien) est à l'origine de l'appareil photographique et de la caméra de cinéma. On avait observé, de longue date, que si la lumière pénétrait par un seul trou, dans une chambre fermée, l'image inversée des objets qui faisaient face à ce trou était reproduite sur le mur opposé. Dès la Renaissance, on utilisa des lentilles et un miroir pour améliorer cette image, que le dessinateur pouvait reproduire en suivant ses formes au crayon. Pionniers L'histoire de cette invention est longue et complexe : on n'en retiendra ici que les noms de l'Anglais Wedgwood (1802), des Français Niepce (1827) et Daguerre (1837) et de l’Anglais Talbot (1840) qui ont transformé la camera oscura en appareil photographique. Thomas Wedgwood, fils d'un célèbre fabricant anglais de porcelaines, eut le premier l'idée de fixer l'image fugitive de la camera oscura par des sels d'argent (1801). Mais les images qu'il obtenait devaient être conservées dans l'obscurité, et ne pouvaient être regardées que très furtivement. Nicéphore Niepce (1765-1856) et son frère Claude ont repris l'invention de Wedgwood en 1816 et réussi à reproduire des estampes par contact avec une plaque d’étain recouverte 64 Approches de l’image - II d’une mince couche de bitume de Judée dont les parties non impressionnées avaient été dissoutes par une solution de pétrole (1822). La première photographie qui nous soit parvenue, due à Nicéphore, date de 1827. C'est une plaque d'étain polie et sensibilisée au bitume de Judée, intitulée : Point de vue pris d'une fenêtre du Gras à Saint-Loup-de-Varennes (près de Châlons-sur-Saône) La reproduction sur papier qui en est connue a été très retouchée par son inventeur (l'inventeur d'un objet perdu, d'un trésor, est celui qui l'a découvert) Helmut Gernsheim, qui a retrouvé l'original dans un grenier londonien en 1952. Celui-ci serait bien meilleur, si on en croit ceux qui l'ont vu : il est conservé à l'université d'Austin (Texas), qui ne le présente que sur rendez-vous. William Henry Fox Talbot (1800-1877), auteur de « dessins photogéniques » obtenus en posant des objets sur du papier sensibilisé, inventa en 1840 les premières photos sur papier tirées à partir d’un négatif, les calotypes, (étymologiquement « belles images »), qui malgré leur beauté n’eurent qu’un succès de salon. Évolutions À la fin du XXe siècle, l'apparition et la commercialisation rapide des procédés de numérisation et des appareils de photo numériques tendait à bouleverser des techniques jusqu'alors principalement fondées sur la modification des sels d'argent sous l'influence de la lumière. Celles-ci ne conservaient de supériorité que dans la qualité du tirage sur papier. Mais elles ont aujourd'hui perdu cet avantage : le passage massif au numérique est illustré par la fermeture des usines européennes de pellicule, et la mode de l’argentique à partir de 2011 dans ne touche que les milieux « branchés ». L’hologramme Photographie en trois dimensions produite par holographie, c'est-à-dire par l'interférence d'un rayon laser qui éclaire directement la plaque photographique, et d'un second rayon laser, qui a été réfléchi par l'objet à photographier, avant d'impressionner la plaque. Éclairée par une forte source lumineuse, la plaque projette ensuite une image en trois dimensions. Le principe, connu depuis 1948, a donné naissance en 1962 à la première réalisation. 65 Approches de l’image - II Les applications de ce procédé sont surtout d'ordre scientifique et commercial. C'est ainsi qu'en 1999, au Salon international de Detroit, Ford a préféré, au lieu de recourir aux habituelles maquettes ou images en 3D, pour présenter un nouveau modèle d'automobile, faire réaliser un hologramme géant de son véhicule à l'échelle 1/2. L'avantage est que le visiteur peut tourner autour de cette image, s'en éloigner ou s'en rapprocher à son gré, et même se pencher pour observer l'intérieur de la voiture, sans être prisonnier d'un écran. Dans ce cas, on a eu recours à une innovation : le premier rayon éclaire directement la plaque photographique, tandis que le second est modifié par les paramètres d'une image de synthèse (d'après le journal Le Monde du 13 janvier 1999). En revanche, un portrait en gros plan sous forme d'hologramme est une chose assez horrible à voir : on tourne autour d'une tête coupée qui semble contenue dans un bocal ! Photo et peinture Rivalité entre photographie et peinture Félix Tournachon, dit Nadar (1820-1910), journaliste et caricaturiste, s'intéresse à la photo et en 1854 ouvre un atelier, boulevard des Capucines (l'artère parisienne où s'ouvrira le Théâtre de Méliès et où se trouvait le Salon Indien qui verra les débuts du Cinématographe). Portraitiste remarquable (Vigny, Baudelaire, Gautier, Hugo, etc.), il est aussi le premier reporter à faire des prises de vues aériennes en 1858 (Paris vu d'un ballon). En 1861 il obtient les premières photos en lumière artificielle, et en 1874, il abrite dans son studio la première exposition des impressionnistes. Mais la photographie a dû longtemps faire antichambre avant d'obtenir droit de cité à l'Exposition des Beaux-Arts du Louvre, comme en témoigne une série de dessins humoristiques publiés par lui dans son Journal amusant : 1857 - La Photographie sollicite une petite place à l'exposition des Beaux-Arts. - Ingratitude de la Peinture, qui refuse la plus petite place à la Photographie, à qui elle doit tant. 1859 - La Peinture offrant à la Photographie une toute petite place à l'Exposition des Beaux- Arts. Enfin ! - Le Soleil rendant sa petite visite à sa fille la Photographie admise enfin à l'Exposition des Beaux-Arts. - La Peinture et la Photographie se faisant des politesses à la porte de l'Exposition. Quelques années plus tard, la photographie semble avoir pris une place plus grande, comme en témoigne le numéro 366 du Journal pour rire du 3 janvier 1863 où l'on voit la Photographie, les bras chargés d'appareils et rayonnante, qui bouscule sans gêne un vieux peintre assis à son chevalet. Légende : « En v'là une qui prend tous les jours de plus en plus de place ; si on la laisse faire, elle finira par nous écraser. » Si la photo a connu, trente ans après sa naissance, la tentation de rivaliser avec la peinture (avec des photographes comme Adam-Salomon ou Henry Peach Robinson), elle s'est ensuite éloignée d'un modèle qu'elle avait contraint à évoluer : « La photographie est venue à temps pour libérer la peinture de toute littérature, de l'anecdote et même du sujet. » (Picasso, dans Conversations avec Picasso, de Brassaï, cité par Régis Debray). 66 Approches de l’image - II L'accueil des écrivains Balzac Grand amateur de sciences occultes (magnétisme, télépathie...), Honoré de Balzac fait en 1847, dans Le Cousin Pons, l'apologie*159 de la cartomancie : « En ne regardant que le côté possible de la divination, croire que les événements antérieurs de la vie d'un homme, que les secrets connus de lui seul peuvent être immédiatement représentés par des cartes qu'il mêle, qu'il coupe et que le diseur d'horoscope divise en paquets d'après des lois mystérieuses, c'est l'absurde ; mais c'est l'absurde qui condamnait la vapeur, qui condamne encore la navigation aérienne, qui condamnait les inventions de la poudre, de l'imprimerie, des lunettes, de la gravure et, la dernière, la daguerréotypie. Si quelqu'un fut venu dire à Napoléon qu'un édifice et un homme sont incessamment et à toute heure, représentés par une image dans l'atmosphère, que tous les objets existants ont un spectre insaisissable, perceptible, il aurait logé cet homme à Charenton [...] Et c'est là, cependant, ce que Daguerre a prouvé par sa découverte. » Nadar, grand ami de l'écrivain, a rapporté après sa mort (1850) une conversation qui montre son attachement à ces idées : « Selon Balzac, chaque corps de la nature se trouve composé d'une série de spectres, en couches superposées à l'infini, foliacées en pellicules infinitésimales, dans tous les sens où l'optique perçoit ce corps. L'homme à jamais ne pouvant créer - c'est-à-dire, d'une apparition de l'impalpable, constituer une chose solide, ou de rien, faire une chose - chaque opération daguerrienne venait donc surprendre, détachait et retenait en se l'appliquant, une des couches du corps objecté. De là, pour ledit corps, et à chaque opération renouvelée, perte évidente d'un des spectres, c'est-à-dire d'une partie de son essence constitutive. Y aurait-il perte absolue, définitive, ou cette déperdition partielle se réparait-elle consécutivement dans le mystère d'un renaissement plus ou moins instantané de la matière spectrale ? Je suppose bien que Balzac, une fois parti, n'était pas homme à s'arrêter en aussi bonne route, et qu'il devait marcher jusqu'au bout de son hypothèse. Mais ce deuxième point ne se trouva pas abordé entre nous. » Texte cité par Michel Braive (L'Âge de la Photographie, ouvrage cité) Quoi qu'il en soit, la photographie est venue trop tard pour influencer l'art de Balzac. Théophile Gautier Poète, mais aussi peintre et journaliste (il fait de la critique d'art après 1836), Théophile Gautier s'est montré très attentif aux tendances profondes de son époque et a rapproché la photographie des autres grandes découvertes du temps (machine à vapeur, électricité, télégraphe...) : « Le soleil dessine les paysages, types, monuments ; le daguerréotype ouvre son œil de verre aux paupières de cuivre sur un point de vue, une ruine, un groupe ; contour, lumière, ombre, détail jusqu'à l'infini, tout est saisi instantanément. Un sens nouveau, le sens pittoresque, excité par le spectacle des choses, rend, grâce aux moyens de la science, des développements imprévus et qu'il faut satisfaire [...] Notre siècle affairé n'a pas toujours le temps de lire, mais il a toujours le temps de voir... » On ne saurait mieux annoncer la « civilisation de l'image ». Bien sûr Gautier, précurseur du Parnasse*198, se rattache au courant scientiste*169 et positiviste*167 qui a pris le relais du romantisme. Mais son opinion est partagée par l'autre camp. 67 Approches de l’image - II Victor Hugo Il ne semble pas que le mot photographie apparaisse dans l'œuvre littéraire de Hugo. Mais on sait qu'il a fort pratiqué cet art, au moins à partir de 1852, dans son exil de Jersey, avec Auguste Vacquerie, frère de Charles, mari de sa fille Léopoldine, et ses fils Charles et François-Victor Hugo. Ces derniers auraient même projeté de publier, sous la direction de leur père, un grand livre illustré : Jersey et les îles de la Manche vers et prose, photographies et dessins. Dans L'Histoire de la photographie, ouvrage cité, Beaumont Newhall, à qui nous avons emprunté ces détails, ajoute : « Mais on sent dans les photographies qui nous en restent un étrange romantisme, reflet de l'inspiration du poète de la mer. Le symbolisme des sujets est évident. Les troncs noueux des brise-lames, les sinistres chaos de rochers, la tour de Montorgueil, paysage de prédilection, se retrouvent dans les aquarelles du maître. » Si Hugo laissa les tâches techniques à Auguste et à Charles, il veilla de près à la prise de vue et à la mise en scène de son propre personnage et de ses proches. Une lettre à l'éditeur Hetzel montre son enthousiasme : « C'est justement la lithographie, la lourde et inepte et pâteuse lithographie, qu'il faut tuer par la main de sa sœur [...] infiniment plus belle, la photographie [...]. C'est la révolution photographique que nous voulons faire. » (1853) Lamartine En 1858, dans son premier entretien sur Léopold Robert du Cours familier de littérature, Lamartine se montre sévère vis-à-vis de « cette invention du hasard qui ne sera jamais un art, mais un plagiat*198 de la nature par l'optique ». Mais, en 1859, il se fait photographier par le sculpteur Adam-Salomon et change d'avis : « La photographie contre laquelle j'ai lancé, dans le premier entretien sur Léopold Robert, un anathème inspiré par le charlatanisme qui la déshonore, en multipliant les copies, la photographie, c'est le photographe. Depuis que nous avons admiré les merveilleux portraits saisis à un éclat de soleil par Adam-Salomon, le statuaire du sentiment, qui se délasse à peindre, nous ne disons plus que c'est un métier : c'est un art. C'est mieux qu'un art, c'est un phénomène solaire où l'artiste collabore avec le soleil. » Voir Gisèle Freund, ouvrage cité Baudelaire Baudelaire et ses amis Baudelaire a bien connu Nadar, dont l'atelier devint un des salons les plus brillants de Paris, et qui a laissé du poète des portraits célèbres. Mais si les mémoires*191 de Nadar (Quand j'étais Photographe, 1900), témoignent de leur grande amitié, on ne trouve pas un seul mot sur ce grand photographe dans tout l'œuvre de l'auteur des Fleurs du Mal. Même dans leur correspondance, il ne formule aucune appréciation sur ses photos. La seule allusion à cette activité est dans une lettre où il lui demande de photographier des toiles de Goya afin d'en garder le souvenir. Il est vrai qu'on n'y trouve rien non plus sur Manet, qui fut leur ami commun, et qu'il semble n'avoir pas compris : « Vous êtes le premier dans la décrépitude de notre art » (lettre du 11 mai 1865) est lancé au milieu de 68 Approches de l’image - II témoignages d'amitié. Pourtant il lui arriva de confier à ses amis que Manet avait un talent qui restera. Rien de tel sur Nadar. L'esthétique de Baudelaire Pour comprendre la position qu'il prend vis-à-vis de la photographie dans l'article du Salon de 1859, Le Public moderne et la photographie, il faut se référer aux errements de la photo à cette époque et à sa propre esthétique qui privilégie l'imagination qui est pour lui « La reine des facultés » : « Dans ces derniers temps nous avons entendu dire de mille manières différentes : copiez la nature ; ne copiez que la nature. Il n'y a pas de plus grande jouissance ni de plus grand triomphe qu'une copie excellente de la nature. Et cette doctrine, ennemie de l'art, prétendait être appliquée non seulement à la peinture, mais à tous les arts, même au roman, même à la poésie. À ces doctrinaires si satisfaits de la nature un homme imaginatif aurait certainement le droit de répondre : " Je trouve inutile et fastidieux de représenter ce qui est, parce que rien de ce qui est ne me satisfait. La nature est laide, je préfère les monstres de ma fantaisie à la trivialité positive." » Le Salon de 1859 Dans Le Public moderne et la photographie, Baudelaire se livre d'abord à une longue préparation à propos de la peinture : - condamnation du bluff de ceux qui ne sont pas naturellement peintres, et cherchent à étonner par des titres étranges : Amour et Gibelotte - Monarchique, catholique et soldat - Toujours et jamais... : - réquisitoire contre le progrès. Selon lui, l'artiste et le public rivalisent de bêtise : « Aussi admirons avec quelle rapidité nous nous enfonçons dans la voie du progrès (j'entends par progrès la diminution progressive de l'âme et la domination progressive de la matière), et quelle diffusion merveilleuse se fait tous les jours de l'habileté commune, de celle qui peut s'acquérir avec de la patience. » : - la faute en est au public français chez qui « Le goût exclusif du Vrai opprime ici et étouffe le goût du Beau. » Ce qui l'amène à prendre parti contre la photographie : - Baudelaire condamne certaines de ses applications grotesques (scènes historiques ou légendaires) ou commerciales (exploitation d'un érotisme de bas étage) ; - il la réduit, avec beaucoup de fougue, au rôle « d'humble servante » des arts et des sciences ; - il affirme que toute incursion de cette « industrie » dans les domaines de l'imaginaire et de la poésie est sacrilège ; - il croit pouvoir constater que l'effet le plus tangible de la photographie, à son époque, est d'amener les peintres à une attitude servile devant « la réalité extérieure ». Ce jugement sans appel aura une grande influence sur les milieux français cultivés. Un étrange roman de l'écrivain belge Georges Rodenbach, Bruges-la-Morte (1892), réédité en 1998 (GF Flammarion), reçoit un accueil favorable malgré les belles photos dont il est illustré. On trouve chez Proust l'écho de cette prévention (encore sa grand-mère finissaitelle par acheter les reproductions de tableaux sous forme de gravures, qu'elle jugeait plus artistiques !) : « Ma grand-mère [...] eût aimé que j'eusse dans ma chambre des photographies des paysages ou des monuments les plus beaux. Mais au moment de faire l'emplette, et bien que la chose représentée eût une valeur esthétique, elle trouvait que la vulgarité, 69 Approches de l’image - II l'utilité retrouvaient trop vite leur place dans le mode mécanique de représentation, la photographie. [...] au lieu de photographies de la cathédrale de Chartres [...elle] préférait me donner des photographies de la cathédrale de Chartres par Corot. » Marcel Proust (À la Recherche du temps perdu, Du côté de chez Swann) Il faut attendre le surréalisme (André Breton illustre par des photographies son roman Nadja, et accueille à bras ouverts les photographes) pour que ce préjugé soit levé. Étudier la photographie La photographie peut être analysée, comme un tableau ou une image cinématographique en termes d'éclairage, de cadrage et de composition, mais ses supports (papier, affiche, diapositive, etc.), ses dimensions et sa légende influent également sur sa signification et sur son impact. La photographie, sauf dans ses applications publicitaires, le reportage et le roman-photo où le professeur de français peut intervenir, relève de l'enseignement artistique. 70 Approches de l’image - II L’image dans la presse écrite Image et contexte Le sens d'une image dans la presse écrite est influencé par le contexte dans lequel elle est publiée : place qui lui est accordée dans la mise en page, rapport des images entre elles, rapport de l'image au texte qu'elle explique, prolonge, ou dont elle prétend certifier l'authenticité parce que, contrairement à la « peinture de batailles » de jadis, elle est contemporaine de l'événement, et obtenue par des moyens mécaniques. Les aspects de l’image dans la presse écrite Le dessin dans la presse écrite Le dessin, devenu reproductible, a largement bénéficié de l'invention de l'imprimerie. Il a longtemps régné en maître dans la presse écrite (gravures diverses, caricatures, graphiques) mais sa réunion avec le texte dans la bande dessinée n'a été vraiment fructueuse qu'à partir de la fin du XIXe siècle. Il a trouvé de nouveaux supports avec la photo, le cinéma, la télévision et les multimédias. La photo dans la presse écrite Les manipulations de la photo de presse La retouche L'art de la retouche - modification manuelle d'un cliché, en photographie et dans les arts graphiques - a été longtemps une partie importante de l'enseignement de ces disciplines. Les photos de presse et les photos de famille, longtemps dues à des professionnels, étaient systématiquement retouchées au crayon jusqu'au milieu du XXe siècle. L'image numérique peut être retouchée beaucoup plus aisément à l'aide de logiciels de plus en plus performants, qui mettent cette pratique à la portée de tous. Autres manipulations On sait que les régimes totalitaires n'hésitent pas à truquer les photos : de simples retouches permettent de faire disparaître d'un groupe une personnalité tombée en disgrâce ; on compte de nombreux exemples de cette pratique dans l'histoire de l'U.R.S.S.*212 Il est également possible de procéder à des montages photographiques, en collant ensemble des photos de provenances diverses. Les journaux des pays démocratiques*161 savent choisir l'éclairage, le cadrage ou l'attitude qui rendent le modèle sympathique, ou antipathique, ou ridicule. Un bon cadrage d'une photo de manifestation pourra justifier l'évaluation du nombre de manifestants faite par les organisateurs (100 000) ou par la police (30 000). Signalons une pratique récente qui consiste à illustrer (sans le dire) un événement par des photos de... mannequins représentant des hommes et femmes célèbres : de tels modèles sont plus disponibles et se prêtent de meilleure grâce aux besoins des journaux que les originaux ! 71 Approches de l’image - II Photo documentaire La vocation documentaire*176 de la photo est reconnue dès sa naissance : elle ajoute aux témoignages dessinés ou gravés traditionnels (comme les fameuses planches de l'Encyclopédie) l'appui d'une image d'une grande précision, obtenue par un moyen mécanique. Avec Atget (1856-1927), auteur de Documents pour artistes, elle atteint au grand art, comme l'ont affirmé les surréalistes. Images de reportage L'image de reportage s'analyse d'abord en tant que photo, film cinématographique ou vidéo : les mots qui la présentent ou l'expliquent et son environnement (le moment, le public, la place qu'elle occupe dans le journal ou le programme) peuvent en modifier considérablement le sens. Mais elle pose au moins deux autres problèmes. Ce qui est vrai pour toute image mérite une attention particulière à propos du reportage, dans la mesure où l'image photographique, cinématographique ou vidéo semble constituer une preuve, du seul fait de son existence (parce qu'elle est ressemblante, et parce qu'elle est obtenue par des moyens mécaniques). La recherche, pour des raisons commerciales, du scoop, du jamais vu, de l'insolite, pose quelques problèmes. Les reporters sont conduits à privilégier ce qui leur paraît inhabituel et tout ce qui peut retenir leur public - dans les banlieues, par exemple, la violence plutôt que d'autres problèmes plus quotidiens et d'autres aspects plus positifs. La présence du photographe ou du cameraman modifie l'événement, quand elle ne le crée pas (mort de la princesse de Galles, Diana, en tentant d'échapper à des reporters, en 1997). Le livre électronique Notons d’abord que l’expression « livre électronique » désigne tantôt le contenu qui peut également être lu sur un écran vidéo (mieux vaudrait parler de « livres numérisés »), tantôt la machine spécialement conçue pour remplacer le livre, la « liseuse ». Exemples : – Hachette a acquis en 2008 Numilog, le premier éditeur francophone de livres électroniques, qui a numérisé 50 000 titre français et anglais depuis sa fondation en 2000. Google print se propose de numériser 15 millions de livres (5,2 millions début 2012, soit 4% de tous les livres publiés depuis deux siècles) et la Bibliothèque nationale de France suivie par 19 autres B.N. européennes veulent relever le défi ; – le Sony Reader PRS 505 avec son écran de 9 pouces ; le Cybook de Bookeen qui offre un impressionnant écran noir et blanc et un imposant catalogue de livres contemporains sous copyright ; le Kindle d’Amazon qui pèse environ 300 grammes, est équipé d’un clavier et permet de stocker 200 livres et de les télécharger grâce à un système sans fil, EVDO ; l’Irex d’iLiad qui offre un écran tactile - sont des livres électroniques, ou liseuses. Cependant le développement du marché des liseuses, potentiellement important, reste marginal en France : la discrétion des fabricants, qui ne donnent pas de chiffres de ventes, comme la satisfaction affichée par Kindle qui se flatte en janvier d'avoir prêté 295 000 livres électroniques à ses lecteurs sont éloquentes. Un autre frein à la diffusion du livre électronique est la politique d'Amazon et autres plates-formes, qui veulent garder une clientèle captive en liant le livre vendu à une machine et en limitant dans le temps les droits achetés : si l'on peut charger 1400 livres 72 Approches de l’image - II sur Kindle, il en coûte quelques milliers d'euros qu'il faudra réinvestir quand on devra changer de machine. L'initiative TEA (The ebook Alternative) des librairies Decitre, qui a obtenu l'accord de quelques grands éditeurs et de libraires français, en liaison avec le site rueducommerce et la société de service Smile, en proposant de lancer en juin 2012 un produit ouvert, montre une autre voie. En France, la Fnac aurait vendu 27000 liseuses en un mois et table sur 92 000 ventes en 2012. Si l'on prend l'ensemble des ventes de livres numérisés, qu'ils soient lus sur liseuses ou sur écrans d'ordinateurs ou de tablettes, leur part est passée de 0,5% (13M € de ventes annuelles) début 2011 à 1,8% en juillet. C'est que le nombre de livres numérisés en français reste très limité, du fait que le marché potentiel est beaucoup plus étroit que celui de l'anglais, et de la résistance des éditeurs. La première moitié du XXIe siècle verra sans doute le passage du livre sur papier au livre électronique (e-book). Déjà, dès 1999, les encyclopédies se vendaient surtout sous forme de cédéroms (80 000 exemplaires de l'Encyclopædia Universalis, pour 2 000 exemplairespapier, et l'Encyclopædia Britannica a renoncé à la présentation sur papier). Devraient précipiter le mouvement : - l'amélioration de la résolution des écrans : ainsi la norme Cleartype de Microsoft permet de rivaliser avec la netteté d'un texte produit par une imprimante ; - le recours à des écrans non rétro-éclairés, donc moins fatigants ; - l'apparition de l'encre électronique (de petites billes mi-colorées, mi-blanches et serrées entre deux feuilles de plastique sont orientées de façon à composer les caractères et les images) qui offre un support dont l’apparence est plus proche du livre sur papier, mais dont les textes peuvnt être chargés via Internet, ce qui permet à chacun de composer son propre livre et de le modifier selon ses besoins ; - l'apparition d'écrans en couleurs et d'écrans LCD pliables, qui tiendront dans une poche, et qu'on pourra ne déplier que partiellement, comme une page de journal. À terme, le livre électronique doit offrir, outre les images fixes, des images mobiles et sonores. En 2012, 28% des lecteurs américains le préfèrent et, en Grande-Bretagne on en aurait publié plus que de livres sur papier. Une révolution comparable à celle de l'imprimerie est en cours dans la longue histoire du livre. Étude de l'image de presse Longtemps réduite au dessin, elle prend aujourd'hui des formes nombreuses : photo de reportage ou photo documentaire, dessin humoristique et caricature, cartes, graphiques et schémas... La photographie est durement concurrencée, dans le domaine de l'information par la télévision, dont le témoignage parvient beaucoup plus vite au public, et quelquefois à l'instant même où l'événement se produit, et désormais par Internet. Mais elle y demeure indispensable parce que les lecteurs, saturés d'images, ne peuvent s'en passer : le journal Le Monde, qui s'adresse à un public « intellectuel », est longtemps resté fidèle à une présentation austère, mais a dû multiplier les suppléments illustrés, puis a fini par faire place à l'image dans ses pages principales. L'étude de l'image dans la presse écrite doit prendre en compte le contexte dans lequel elle est publiée : place qui lui est accordée dans la mise en page, rapport des images entre elles, rapport de l'image au texte qu'elle explique, prolonge, ou dont elle prétend certifier l'authenticité parce que, contrairement à la « peinture de batailles » de jadis, elle est contemporaine de l'événement, et obtenue par des moyens mécaniques. 73 Approches de l’image - II Images publicitaires Une affiche, un spot publicitaire2 intègrent presque toujours du texte. Il faut donc examiner successivement ces deux éléments, sans oublier leur interaction. Le texte dans l'image publicitaire Le texte est très souvent utilisé dans l'image publicitaire. Il paraît même avoir précédé l'image : en France la première publicité apparaît en 1633, sous la forme d'un journal de Théophraste Renaudot (1586-1653), La Feuille du Bureau d'Annonces. Ce bulletin était vendu à la criée, et était composé d'un fait divers (pour appâter le lecteur), et de petites annonces. Ce médecin est aussi le premier journaliste français ; Renaudot fonda La Gazette en 1631. Aujourd'hui, le texte publicitaire fait appel aux connotations les mieux partagées, ainsi qu'à l'humour, à l'implicite*196. Il a essentiellement deux fonctions : - fonction d'ancrage : il évite toute erreur d'interprétation en indiquant quel produit, et de quelle marque, il faut acheter. Le logo tend à le remplacer dans cette fonction. - fonction de relais : il ajoute du rêve, fait en sorte que le produit soit associé à bien autre chose, mais apporte aussi parfois quelques informations. Notons qu'il privilégie souvent la fonction poétique*195, pour mieux frapper les esprits et aider à mémoriser le message. L'image publicitaire elle-même L'image publicitaire s'analyse avec les mêmes outils que celles qui recourent aux mêmes médias (photo, dessin, cinéma...). Plus qu'aucune autre, elle fait appel à tous les procédés rhétoriques qu'elle transpose : elle cherche à surprendre le lecteur et recourt volontiers à : - la comparaison*192, la métonymie et autres figures. Il faut surtout prendre en compte la fonction sociale de l’image publicitaire (vendre) et les moyens qu'elle met en jeu, en particulier : - le recours aux connotations et à l'humour : - la récupération des mythes universels (Paradis) ou venus du passé (mythologie) ou de peuples lointains (dieu Soleil), ou encore empruntés à la modernité (extraterrestres, univers des médias). 2 Voir La publicité, page 142 74 Approches de l’image - II Quelques exemples Métaphore Dans l’image suivante, consacrée à la publicité pour une marque d’ordinateurs, la surprise est provoquée par une cruauté métaphorique sans grandes conséquences... S'y ajoute l'humour du texte des cartouches*174 sur fond rouge : Attention ! Ce message contient des images pouvant heurter la sensibilité des amateurs de ballon rond. ou sur fond noir ou blanc (ci-dessous, les détails étant grossis dans les colonnes de droite et de gauche) : MMX Intel inside pentium II production 75 Approches de l’image - II Métaphore Métaphore de l'action d'un antivirus Synecdoque *201 L'illustration de cette deuxième page de dépliant 100 % nouvelle, la toute dernière montre le produit proposé, par une sorte de Golf est résolument différente et synecdoque : cela se voit. Regardez bien ses lignes qui échappent avec insolence à l'uniformité. Chaque détail cache une nouveauté et vous n'êtes qu'au début de vos surprises. Equipée des dernières innovations Volkswagen, la nouvelle Golf garde également de ses grandes sœurs, l'esprit Golf : intemporelle, accessible à tous... mais, plus que jamais, ce n'est pas la voiture de Monsieur Tout le Monde. Le texte de droite est reproduit ci-dessus, en 2ème colonne 76 Approches de l’image - II Connotations La capucine connote tradition et gourmandise. Humour Ici, l'humour est dans l'image. 77 Approches de l’image - II Ici, l'humour est surtout dans le texte qui joue sur Francs*163 et Euros. En une seule ligne, sous le logo de Ford, on peut lire : « Le taux de l'Euro est fixé à 6,50 F. Prix recommandé de la Fiesta 1.3 Déclic, AM98, Capital Ford de 7700 F déduit. Modèles présentés avec options et accessoires. Selon autorisations. » Récupération des mythes S Ec s o t o - b c y e D q o u o e ? t u Appel à l'univers de la BD et du dessin animé. Copyright 1998 Hanna Barbera Productions, inc. Sur ces sujets, voir l'article Rhétorique de l'image de Roland Barthes, jamais surpassé (ouvrage cité) 78 Approches de l’image - II La bande dessinée Les dessins Les premières bandes dessinées alignaient sagement les vignettes*183 dans des bandes horizontales. Chaque vignette était conçue comme une scène de théâtre où les personnages étaient représentés en pied dans le décor. Rarement, un détail ou un visage était grossi, comme par des jumelles. Vignette Les bandes dessinées sont - ordinairement - composées de dessins plus ou moins encadrés et alignés, les vignettes. L'espace qui les sépare correspond en général à une ellipse*147 dans le récit. Remarque : le mot « case » fait de plus en plus concurrence au mot « vignette ». À vrai dire, le premier fait plutôt référence à un cadre, dont la vignette s'affranchit bien souvent et depuis longtemps. Bande La page est souvent divisée en bandes, séries de vignettes alignées horizontalement qui en occupent toute la largeur : 79 Approches de l’image - II Planche Une planche est, dans une bande dessinée, une page : Planche classique : vignettes disposées en bandes accompagnées de légendes. Puis les dessinateurs se sont affranchi des bandes, des vignettes, et de tout modèle pour s'exprimer librement dans l'espace de la planche, et des mises en page plus savantes, qui se sont développées surtout à partir des années 1970, sont aujourd'hui courantes. Le texte des bandes dessinées D'abord très proche du dessin et de la peinture, la BD apparaît comme une suite de vignettes de même taille, soigneusement alignées, le texte étant placé au-dessous, sous la forme d'une légende souvent bavarde. Voici un exemple tiré d'une adaptation française d'une BD américaine (1933) : « Tout joyeux de sa victoire, Félix saute par la fenêtre et se remet à planer. Où va-t-il se poser pour passer la nuit ? Mais tout simplement sur cette boule qui termine un des gratte-ciel. » (Félix VI en l'an 2000, Hachette) Aujourd'hui, le texte se compose essentiellement : - des commentaires du narrateur, contenus dans des cartouches*174, ou librement disposés dans la vignette ; 80 Approches de l’image - II - des dialogues et monologues*165 contenus dans des ballons, des phylactères ou des bulles, qui seraient apparus d'abord chez les humoristes anglais du XVIIIe siècle, puis dans la B.D. chez l'américain Richard F. Outcault (Yellow Kid, 1896), ou librement disposés. Les dictionnaires considèrent ces trois mots comme de parfaits synonymes, mais il est utile de leur donner des significations spécialisées. Cartouche Dans une bande dessinée c'est un rectangle qui contient un commentaire du narrateur. Ballon Dans une bande dessinée, un ballon (de l'anglais balloon qui désigne un ballon, au sens d'aérostat) est un texte de dialogue ou de monologue, relié au personnage qui le dit, et entouré d'un tracé net, plus ou moins circulaire. Phylactère Du grec phulaktêrion (amulette), de phullatein, protéger, le mot phylactère désigne à l'origine les bandes de parchemin où sont inscrits des extraits de la Bible que les juifs*222 pieux s'attachent à la tête et au bras gauche et, à partir du XIXe siècle, ces légendes inscrites dans une banderole qui figurent sur des tableaux du Moyen Âge et de la Renaissance. Pour la bande dessinée, c'est l'université qui a préféré ce terme savant à la bulle populaire et au ballon américain. 81 Approches de l’image - II Nous emploierons le mot phylactère pour désigner un cadre plus ou moins carré ou rectangulaire relié par un trait continu à la bouche du personnage qui parle, et qui contient ses paroles. Bulle Une bulle est, dans une bande dessinée un texte inclus dans la vignette, entouré d'un tracé de formes variables et relié au personnage qui le dit par de petites bulles discontinues qui indiquent un aparté*191 ou un discours intérieur. Texte en liberté Onomatopées et idéogrammes Les bandes dessinées font volontiers appel aux onomatopées et aux idéogrammes. L'onomatopée est un mot dont la sonorité rappelle l'objet qu'il désigne, comme coucou, cocorico, tic tac. La bande dessinée en produit beaucoup, du genre crash, vroooom, slurp, etc. 82 Approches de l’image - II Un idéogramme est un dessin très stylisé qui exprime une idée, une émotion, un sentiment : la tête de mort, la croix gammée (= menaces), l'ampoule électrique (= j'ai trouvé !), sont des idéogrammes très courants dans la bande dessinée. Graphisme Le graphisme est la forme du dessin ou des caractères typographiques*183, leur tracé. Il peut refléter spontanément le tempérament de l'artiste, mais, bien souvent, il résulte de choix très conscients. Des intuitions des grands affichistes du XIXe et du XXe siècle, on est passé, avec l’apparition des médias modernes, aux travaux très concertés de spécialistes, les graphic designers, travaillant en équipe qui réunissent divers spécialistes de la communication. Dans la bande dessinée, le graphisme des textes est souvent aussi expressif que celui du dessin. La couleur dans la bande dessinée Elle est réalisée par un artisan, le coloriste, généralement distinct du dessinateur. Il doit tenir compte des indications de celui-ci, et aussi de celles de l'éditeur. Dans la bande dessinée, la couleur vise d'abord à faciliter la lecture : elle aide à reconnaître les personnages, à mieux les détacher du décor. Elle est moins utilisée comme un moyen d'imiter la nature qu'à des fins expressives ou décoratives. Comme en peinture, elle contribue à la composition de la planche. 83 Approches de l’image - II L’évolution de la bande dessinée Naissance de la bande dessinée Les premiers caractères écrits sont apparus à Sumer (Mésopotamie) vers 4 000 avant notre ère, 1 000 ans avant les ancêtres des hiéroglyphes. L'union du texte et de l'image est réalisée dès la plus haute Antiquité et n’a cessé de prendre de nouvelles formes : - les hiéroglyphes, écriture sacrée*226 des anciens Égyptiens, mettaient en jeu : - des pictogrammes (un dessin stylisé du soleil représente l'objet soleil) ; - des idéogrammes ; - des signes phonétiques, (qui renvoient à des sons, comme les lettres de notre alphabet) ; exemple : le son E . Hiéroglyphes d'un temple de Louqsor (Photo M. Baqué) - l'ornementation des vases grecs ; - l'ornementation des plafonds du temple Horyuji de Nara (Japon), datée de la fin du VIIe siècle, annonce les mangas ; - le vitrail (Moyen Âge), puis l'image d'Épinal*178 (fin du XVIIIe siècle). Mais la bande dessinée proprement dite ne se développe dans sa forme actuelle qu'avec la presse, c'est-à-dire au XIXe siècle. Jusqu'au milieu du XXe, elle ne s'adresse qu'aux enfants, qu'elle cherche à amuser et à instruire. L'enseignement s'est immédiatement emparé de la bande dessinée. Dès la fin du XIXe siècle, l'éditeur Armand Colin a publié des BD pédagogiques comme celle que 84 Approches de l’image - II Christophe a consacrée aux leçons de choses. Chaque planche était composée de six vignettes (en Plans moyens pour la plupart) accompagnées de légendes et se terminait par une ligne de Texte à apprendre. Professeur de sciences naturelles, Georges Colomb (1856-1945) a publié sous le nom de Christophe des « livres illustrés pour enfants » (le mot bande dessinée ne date que de 1929) : - La Famille Fenouillard (1895) ; - Le Sapeur Camember (1896) ; - L'Idée fixe du savant Cosinus (1898). Il obéissait à des règles alors très souvent observées : chaque planche était composée de trois bandes comportant généralement deux vignettes en PM ou en PDE, le GP étant très exceptionnel. Chaque vignette était accompagnée d'une légende aussi prolixe qu'humoristique : Exemple : Mme Fenouillard descend du train pour prendre une sorte de diligence, « l'omnibus ». La vignette la montre sur l'échelle qui conduit à l'impériale : des mains la tirent d'en haut, son mari se tient derrière elle et la soutient avec son parapluie ; l'ascension est observée par leurs deux filles et abondamment commentée : Sous l'influence de la photo et du cinéma, auxquels elle a emprunté bien des procédés, la bande dessinée a prodigieusement évolué, jusqu'à devenir un art à part entière. Récemment est apparue la para-BD, qui consiste à collectionner des figurines issues de la bande dessinée ou leurs images. La para-BD est largement présente sur Internet et a donné naissance à une nouvelle « industrie culturelle » (figurines, bases de données et logiciels spécialisés), à moins qu'elle n'en soit issue. 85 Approches de l’image - II La mise en page La mise en page est la manière dont sont organisés les textes et les images dans l'espace de la page ou de la planche. Dans la mise en page traditionnelle, l'effort de composition porte uniquement sur les vignettes. Mais de plus en plus souvent, le dessinateur fait aussi porter son effort sur la composition de la planche, dans laquelle les vignettes se disposent librement, mais de façon expressive ; les cadres de la vignette et de la bande éclatent. La disposition en diagonale des vignettes de la première planche épouse le mouvement du décollage ; la disposition croisée des vignettes de la deuxième exige un effort du lecteur et lui laisse plus de liberté ; la composition en pyramide de la troisième n'est pas rare en peinture. Le modèle du cinéma a, dans un premier temps, assoupli et diversifié cette technique, en introduisant l'échelle des plans dans la B.D., en variant la composition des dessins qui se sont inspirés des cadrages de la caméra. On a aussi essayé de produire l'équivalent de ses mouvements : une vignette étirée suggère un panoramique. Les mangas Au Japon, l'histoire des mangas est ancienne : la peinture sur rouleau - c'est-à-dire sur des livres semblables à ceux de notre Antiquité : on les déroulait d'une main et on les enroulait de l'autre - née en Chine, y est introduite à la fin du VIIIe siècle. Ces emaki pouvaient atteindre une vingtaine de mètres de longueur et se lisaient de droite à gauche, dans le sens de l'écriture japonaise. Textes et dessins y alternaient ou s'y mêlaient. Le mot manga (les Japonais préfèrent aujourd’hui parler de… comics) et la forme actuelle de ces bandes dessinées apparaissent au XIXe siècle, pour connaître une évolution semblable à celle d'Amérique et d'Europe, dont la culture a été parfaitement assimilée dans ce pays. Le fait que les mangas se lisent de droite à gauche pose quelques problèmes de transcription aux éditeurs européens qui ne cherchent pas toujours à les résoudre, mais la richesse et la diversité de ces produits introduits en France à partir de 1995 leur assure actuellement une vogue exceptionnelle. La synthèse des cultures asiatique, européenne et américaine opérée par les Japonais offre à la fois assez de proximité avec la nôtre et assez d'étrangeté pour être abordable et faire rêver : mangas, dessins animés, jeux vidéo et films asiatiques jouent auprès des nouvelles générations le rôle « d'usine à rêves » naguère dévolu à Hollywood. Voir Mille ans de manga (Brigitte Koyama-Richard (ouvrage cité) 86 Approches de l’image - II Le roman-photo Le roman-photo, art populaire Le roman-photo est un genre*195 extrêmement populaire, issu du croisement de la photographie et de la bande dessinée via les « cinéromans » qui, dès le début du XXe siècle, proposent des récits de films qui s'appuient à la fois sur des photographies de plateau ou des photogrammes*180, et sur un texte écrit, les deux modes d'expression intervenant dans des proportions variables. Un art majeur Si la grande masse de la production est très stéréotypée, certains artistes s'y sont intéressés, principalement sur le mode de la dérision. Voir Gébé (textes) et Chenz (photographies) : 17 Romans photos, Editions du square, 1974, et la production sur Internet. Il n'est pas impossible que le roman-photo L'Énigme du fétiche noir, de Xavier Lambours et Olivier Cena, avec Ludmila Mikael, Richard Bohringer et Michaël Lonsdale, publié au cours de l'été 1997 par le magazine Télérama marque en France, malgré son parti pris parodique*198, l'accession du genre à un statut artistique.. Surtout sont apparus, sur Internet, de riches sites de romans-photos, souvent satiriques, qui savent dépasser la parodie et abordent des sujets ambitieux qui relèvent de la politique et de la vie sociale. Ils ajoutent au support papier un atout important : l'Interactivité*178. Étudier le roman-photo L'étude la plus utile que l'on puisse tenter à son propos porterait sur les structures narratives. On peut également en faire réaliser par les élèves de collège, à bas prix, en cherchant à subvertir les lois du genre. 87 Approches de l’image - II L’IMAGE MOBILE Les premières images mobiles sont apparues au XIXe siècle, comme des applications commerciales des progrès de l'optique : ce sont d'abord des jouets ou des curiosités de foire comme, à ses débuts, le cinéma. La télévision puis l'image numérique sont des images mobiles nées au XXe siècle. 88 Approches de l’image - II Le cinéma Préhistoire du cinéma La lanterne magique C'est en 1671 que le jésuite*222 allemand Athanasius Kirchner a publié la première description de cet appareil de projection composé d'une lanterne munie d'un objectif : les images glissées entre lumière et objectif étaient peintes sur verre. Pendant cent ans, on la montre dans des spectacles forains, souvent à des fins édifiantes : la ContreRéforme se poursuit, et tous les moyens de convaincre l'adversaire sont bons ; la lanterne magique impressionne le public populaire. Elle gagne ses lettres de noblesse au XVIIIe siècle, avec les Fantasmagories d'Étienne Robertson. Au XIXe siècle, la lanterne magique, devenue jouet et instrument pédagogique, utilise parfois l'éclairage au gaz, et des plaques imprimées ou photographiques. C'est l'ancêtre du projecteur de diapositives. Les premières images mobiles Le Thaumatrope Le thaumatrope, inventé en 1826 par le Dr Fitton, est un jouet qui repose sur le principe de la persistance rétinienne, comme plus tard le cinéma : sur une face d'un disque de carton, il a peint l'image d'un oiseau, et sur l'autre face celle d'une cage vide. En faisant tourner rapidement le disque au moyen de deux fils dont les points d'attache sont diamétralement opposés, on voit l'oiseau dans la cage. Ce jouet connut de multiples variantes comiques, et beaucoup de succès. Son nom est emprunté à deux racines grecques, et signifie littéralement : « tour prodigieux » ! Pourtant, il ne donne pas vraiment l'illusion du mouvement, qui n'apparaîtra qu'en 1833, avec le phénakistiscope de Plateau. Jouets optiques Le Phénakistiscope (du grec phenax -akos, trompeur, et skopein, examiner) inventé par le physicien belge Joseph Antoine Ferdinand Plateau en 1833 est un disque de carton divisé en 16 secteurs égaux. Une suite de fentes de 3 à 4 millimètres de large sur deux centimètres de long sont pratiquées près de la circonférence, et dans la direction des lignes de division. Une aiguille perçant le centre sert d'axe, et on peint en noir l'une des faces. Si on fait tourner rapidement le disque, en plaçant sa face blanche devant un miroir, en regardant à travers l'espèce de gaze que semblent former ces fentes dans leur mouvement, l'image du disque reflété dans le miroir paraît fixe. Cette expérience serait due au physicien anglais Michael Faraday (1791-1867), inventeur de la dynamo. 89 Approches de l’image - II Plateau a eu l'idée de dessiner dans chacun des seize secteurs une figure dont la position est modifiée à chaque fois : quand le disque tourne, chaque image dans le miroir semble danser. Le professeur autrichien Simon Stampfer (1790-1864) fit, la même année, la même invention. Mais son Stroboscope en diffère par la séparation des fentes et des dessins, portés par deux disques distincts (noir pour les fentes) tournant en sens contraire. Un autre jouet optique, inventé en 1834 par le mathématicien anglais William George Horner (1786-1837) a reçu le nom de Zootrope : en plaçant les images à l'intérieur d'un cylindre creux également muni de fentes, Horner permettait à plusieurs spectateurs de voir les images mobiles. À la fin du XIXe siècle, le folioscope ou feuilletoscope ou flip-book connut un grand succès : il s’agit d’un carnet dont chaque feuille porte un dessin légèrement différent du précédent, comme dans les jouets mentionnés ci-dessus : en le feuilletant, on a l’illusion du mouvement. À partir du mot-clé « Phénakistiscope », on trouvera de nombreux sites montrant ce jouet animé en action, et quelques autres. Le Praxinoscope Charles Émile Reynaud (1844-1918), qui a étudié, comme apprenti, la mécanique de précision des instruments d’optique et de physique, puis le dessin industriel, est attiré par les lanternes magiques et les images mobiles. Professeur de sciences, il met au point, en 1876, le Praxinoscope, une version améliorée du Zootrope. Des miroirs placés sur un prisme central reflètent les images tournantes du Zootrope, ce qui augmente la luminosité. Ce nouveau jouet, commercialisé par Reynaud, connaît un succès (100 000 exemplaires vendus) qui permettra à son inventeur de poursuivre ses recherches. En 1879, il crée le Praxinoscope-théâtre, qui ne laisse voir qu'un personnage, à travers une glace sans tain qui reflète un décor, puis le Praxinoscope à projection, dont les images sont projetées au moyen d'une lanterne magique. En décembre 1888, Reynaud fait breveter son Théâtre optique, dont il présente de 1892 à 1900, accompagné par un pianiste, les Pantomimes*189 lumineuses, au Musée Grévin. Une première lanterne magique projette les images sur un écran translucide. Une autre lanterne projette le décor. Les images sont peintes sur une bande flexible de celluloïd, de longueur indéfinie, ce qui est la grande nouveauté puisqu'on passe de 12 images à 300 (Le Clown et ses chiens), 500 (Pauvre Pierrot), et 700 (Un bon Bock), sur des bandes mesurant 22, 36 et 50 mètres, aussi le spectacle pouvait durer de 6 à 15 minutes : la machine, commandée manuellement, permettait l'arrêt sur image, le retour en arrière, et la répétition d'une scène appréciée par le public. Le Cinématographe mettra fin à cette carrière, bien que Reynaud ait remplacé les images peintes par des photos. L’invention du cinéma Querelles de clochers Outre les frères Lumière dont les titres sont remis en cause par le brevet pris en 1892 par Léon Guillaume Bouly (1872 - 1932) pour son « cynématographe » sur pellicule non perforée, rebaptisé cinématographe l’année suivante (France) et Edison (États-Unis), citons l'Allemand Max Skadalanowsky (1863-1939) et son Bioskope (novembre 1895), les Anglais Birt Acres (1854-1918) et Robert William Paul (1869-1943) dont la première projection sur grand écran date de janvier 1896, etc. 90 Approches de l’image - II Thomas Edison (1847-1931) Considéré par ses compatriotes comme l’inventeur du cinéma, cet Américain est aussi l'inventeur du phonographe (1877) et de la lampe à incandescence (1878). Enrichi par sa première invention, il s'entoure à West Orange (New Jersey) d'hommes de talent comme Charles Brown, Eugène Lauste, et William Kennedy Laurie Dickson, qui a fabriqué pour lui le Kinétoscope (1891). La première idée d'un phonographe optique est notée par Edison en octobre 1888. De longues et ingénieuses recherches aboutissent en 1891 au Kinétoscope, qui est une machine à sous permettant d'observer le déroulement sans fin d'un film par une fenêtre. Deux jeunes inventeurs américains indépendants, Jenkins et Armat, inventèrent le Phantascope (septembre 1895), qui permettait de projeter sur grand écran les films du Kinétoscope. Edison racheta les droits sur l'invention, et la présenta sous le nom de Vitascope, à New York, le 23 avril 1896, ce qui le fit passer, aux États-Unis, pour l'inventeur du cinéma, d'autant qu'il baptisa Kinétoscope les modèles améliorés qu'il en tira. Son acharnement à sonoriser les films de cet appareil l'a détourné du problème de la projection sur grand écran. Inventeur de talent, homme d'affaires avisé et peu scrupuleux, Edison a contribué de manière décisive à l'invention du cinéma. Il est pourtant mort ruiné. Louis (1864-1948) et Auguste (1862-1954) Lumière Les frères Lumière sont considérés, en France, comme les inventeurs du cinéma, la demande de brevet du cinématographe ayant été déposée le 13 février 1895. Mais chaque pays a le sien... Louis et Auguste Lumière sont des industriels lyonnais : la Société des Plaques et Papiers Photographiques A. Lumière et fils emploie 300 ouvriers et est une des premières du monde. Les deux frères s'intéressent depuis longtemps à l'enregistrement et à la projection d’images animées et connaissent bien les travaux de leurs devanciers et concurrents, en particulier le kinétoscope. La première projection du cinématographe est organisée le 22 mars 1895 à la Société d’Encouragement pour l’Industrie Nationale, avec le film La Sortie de l’Usine Lumière à Lyon, et la première projection publique a lieu le samedi 28 décembre au Salon Indien du Grand Café à Paris, devant une trentaine de spectateurs. Pendant plusieurs années les deux frères vont produire et exploiter à travers le monde une série de films très courts, mais remarquables. En 1907, quand ils abandonnent cette industrie, leur catalogue propose 1 424 titres. Ils ont tenté dès le début de sonoriser leurs films grâce au phonographe, et ont en 1933 présenté un procédé de film en relief. Petit Lexique du cinéma Plan La notion de plan 1. Un plan est un segment de film pris en continuité, sans arrêt de la caméra. On parle en ce sens de plan séquence pour désigner un plan de longue durée, comme celui de la cuisine, qui dure à peu près quatre minutes, dans le film d'Orson Welles, La Splendeur des Amberson. A l'inverse, les plans sont extrêmement courts dans les clips (on peut, évidemment, préférer à cet affreux spécimen de franglais l'élégant « bande vidéo 91 Approches de l’image - II promotionnelle » des recommandations officielles), la publicité, les séries américaines où l'action est très vivement conduite. Dans la plupart des films, la durée moyenne d'un plan est de 6 à 12 secondes. 2. Un plan fixe est un plan au cours duquel la caméra reste immobile, mais le sujet*183, à l'intérieur du cadre, peut être animé. 3. Pour situer les sujets dans la profondeur de champ, on parle aussi de premier plan, de second plan, etc. et, surtout en peinture, de fond. L’échelle des plans Plan Général (PG) Plan de Demi-ensemble (PDE) Plan Moyen (PM) Paysage, foule Plan Italien (PI) Personnage situé dans le décor Plan Américain (PA) Personnage en pied Plan Mi Moyen (PMM) Cadré aux genoux Plan Rapproché (PR) Cadré à mi-cuisses Gros Plan (GP) Cadré à la ceinture Très Gros Plan (TGP) Cadré à la poitrine Visage ou objet plein écran Détail plein écran Plan Italien (PI), Plan Américain (PA) et Plan Mi-Moyen (PMM) sont souvent confondus avec le Plan Moyen, par suite d'une mauvaise traduction de l'américain medium shot. On peut préciser, pour chaque plan, s'il est large ou serré. L'échelle des plans est un élément important du découpage. Elle permet de décrire la place occupée par les personnages sur l'écran par rapport au décor, c'est-à-dire, à l'origine, la distance qui les sépare de la caméra. Elle a donné plus d'efficacité à la narration cinématographique, avant l'apparition du zoom et de la caméra portée, qui ont introduit plus de souplesse et de fluidité dans le montage. La durée des plans La durée d'un plan est un élément du montage qui joue considérablement sur l'impact de l'image : des plans très courts, que le spectateur n'a pas le temps de déchiffrer, peuvent transformer une image assez anodine en une image tout à fait traumatisante, pourvu que le contexte s'y prête (et donc l'attente du spectateur). Ils ont aussi pour effet, en mobilisant toute l’attention du spectateur, de suspendre son jugement ; aussi la 92 Approches de l’image - II télévision favorise-telle les plans d’une ou deux secondes, qui rendent le téléspectateur plus réceptif à la publicité. Les films d'épouvante ont souvent recours à ce procédé du flash. On notera qu'il perd beaucoup de son pouvoir sur le petit écran, non seulement à cause du contexte familier où se déroule le spectacle (salle de séjour ou chambre à coucher), mais surtout parce que l'œil a tout le temps de parcourir une image plus petite. En revanche, l'insistance de la caméra sur un objet, un visage, peut créer une certaine fascination. Le cadrage Le cadre d'un tableau ou de l'écran découpe l'espace dans lequel on choisit ce que l'on veut représenter. Au cinéma, le cadrage pose les problèmes suivants : Inclinaison de la caméra Cadrage normal Cadrage penché Déplacement de la caméra par rapport au sujet Recadrer, c'est déplacer légèrement la caméra pour suivre ou accueillir un personnage ou un objet en mouvement. Champ de la caméra Le champ de la caméra est l'étendue qu'elle filme. Donner du champ à un sujet, c'est en éloigner la caméra. Rappelons que le hors champ est la partie de l'espace laissée en dehors du cadre (off). Profondeur de champ La profondeur de champ, c'est-à-dire la distance entre le point le plus rapproché de la caméra (premier plan) et le plus éloigné (dernier plan), peut être plus ou moins grande. Notez les procédés en œuvre dans la vignette de gauche, qui accentuent les distances. Un personnage ou un objet en amorce, c'est-àdire placé au premier plan, et cadré seulement en partie, accentue la profondeur de champ. 93 Approches de l’image - II Angles de prise de vue De même que le peintre, le cinéaste choisit un point de vue par rapport à son sujet, en variant les positions de la caméra : Angle normal : caméra à hauteur du sujet Plongée : caméra inclinée au- dessus du sujet Contre-plongée : caméra inclinée en dessous du sujet Les mouvements de la caméra La caméra est immobile (plan fixe), ou se déplace : - soit pour décrire l'espace ou les objets (mouvements descriptifs), - soit pour accompagner dans son déplacement un personnage, un animal ou un véhicule, etc. (mouvements d'accompagnement et recadrages). On distingue panoramique, travelling et trajectoire. Panoramique Le pied de la caméra étant immobile, elle tourne sur son axe - de gauche à droite ou de droite à gauche (Pano horizontal ) - de haut en bas ou de bas en haut (pano vertical ) Un pano d'accompagnement est un panoramique qui suit un sujet en déplacement. Travelling Mot anglais, du verbe to travel, voyager. Il est permis de préférer ce terme anglo-saxon, entré depuis longtemps dans l'usage, au français chariot, qui aura du mal à s'imposer. Un travelling est un mouvement de la caméra portée ou montée sur un chariot ou sur tout autre véhicule, pour : - s'approcher (travelling avant) - s'éloigner (travelling arrière) du sujet - accompagner des personnes, des animaux ou des objets en mouvement. Un travelling d'accompagnement est donc parallèle (comme sur notre cédérom) ou perpendiculaire au plan du mouvement de l'objet qu'il permet de suivre. On a aussi décrit, au moyen de rails, des travellings circulaires, la caméra tournant autour du sujet. L'image de synthèse peut encore mieux faire. 94 Approches de l’image - II On parle aussi de travelling optique pour le zoom, jeu de lentilles qui produit un effet semblable de rapprochement ou d'éloignement du sujet. Mais tandis que le travelling donne au spectateur l'impression d'entrer dans l'action, en participant au mouvement, le zoom donne au spectateur l'impression qu'il est immobile, et que c'est le sujet qui s'approche ou s'éloigne de lui, la perspective restant inchangée. Trajectoire La trajectoire est la combinaison du panoramique et du travelling. Elle est devenue très fréquente avec l'invention de caméras légères (caméra portée), et de grues sophistiquées pour les caméras lourdes. Réalisateur Le réalisateur est, au cinéma, l'équivalent du metteur en scène au théâtre. C'est lui qui dirige l'équipe technique et les comédiens. Il est en général le principal auteur du film, bien que beaucoup d'autres interviennent. Dans son travail, il peut être aidé par des assistants réalisateurs et par une secrétaire, la script-girl. Il doit aussi composer avec la production. Script-girl La script-girl (le mot script désigne, en anglais, le scénario), ou secrétaire de plateau, note tous les détails techniques et artistiques en cours de tournage. Elle permet d'assurer la cohérence des prises de vues successives. Équipe technique Au cinéma et à la télévision l'équipe technique peut réunir de nombreux techniciens - à la prise de vues : le directeur de la photographie qui supervise les opérateurs adjoints (cameramen) et leurs assistants, et veille à ce que l'éclairage, les décors, le cadrage, la composition, ainsi que le développement et le tirage, soient conformes aux demandes du réalisateur ; le photographe qui prend les photos du film ; - au son : le chef opérateur, le chef assistant et l'assistant du son ; - au montage : le chef monteur, son adjoint et l'assistant monteur adjoint ; - pour les décors : l'architecte décorateur chef assisté par l'ensemblier, qui fournit objets et meubles, son adjoint, et leur assistant. et tout un peuple d'accessoiristes, tapissiers, costumiers, sans compter l'habilleuse, les maquilleurs et perruquiers, enfin les régisseurs qui contribuent aux plans de travail et s'occupent des fournitures. 95 Approches de l’image - II Textes préparatoires Le canevas Le canevas est, éventuellement, la première étape de l'élaboration d'un film. Il définit l'époque, les lieux, les personnages et les principales actions qu'il articule en un schéma narratif. Le synopsis Le synopsis (du grec sunopsis, vue d'ensemble) est un résumé de l'action, qui précède le scénario. Le traitement Le traitement est un texte intermédiaire entre le synopsis et le scénario. Il développe le canevas initial à la manière d'un roman, mais les descriptions n'y sont qu'ébauchées ; y sont notés les actions et dialogues essentiels. Le traitement n'est pas une étape nécessaire de la préparation d'un film mais il permet en particulier d'évaluer la possibilité d'adapter un roman. Le scénario Le scénario (mot emprunté au XVIIIe siècle à l'italien, du latin scena, mur de scène, et préféré à l'anglais script) a d'abord désigné le décor, puis la mise en scène d'une pièce de théâtre. Au cinéma, c'est un texte divisé en séquences, scènes et plans numérotés. Il présente, sur trois colonnes : - l'action ; - les lieux, l'atmosphère et les gestes ; - le son. « Un scénario s'adresse à une script-girl, à un directeur de production qui, chargé de faire le plan de travail, doit savoir combien de jours il lui faudra pour tourner telle ou telle séquence, savoir de quels accessoires il aura besoin, de combien d'acteurs, de combien de figurants. » (Jean-Claude Carrière, cité par Antoine Cucca, ouvrage cité) Le découpage Le découpage décrit le film plan par plan, avec des indications techniques précises (image et son), et éventuellement des croquis. Exemple : La provocation (Les Enfants du paradis) La scène met aux prises deux personnages : le comte (personnage de fiction) qu'est venu provoquer le comédien Frédérick Lemaître (personnage historique, Antoine Louis Prosper Lemaître dit Frédérick - 1800-1876 - fut un acteur célèbre du boulevard du crime*201). La bande son est entièrement consacrée à leur dialogue que nous n'avons pas jugé utile de reproduire ici, mais qui pourrait figurer dans la troisième colonne. 96 Approches de l’image - II Plans Image Son nº1 PA Fréderick Lemaître et un ami du comte, en amorce, de part et d'autre de l'écran. Entre eux au second plan, un ami du comte, de face, et le comte, qui parle, de trois-quarts. nº2 PMM Contrechamp, Lemaître au centre de l'écran. Frédérick Lemaître nº3 PMM Retour au nº 1 légèrement recadré à gauche: l'arrière-plan découvre le foyer du théâtre. Le comte Lemaître Le comte Lemaître nº4 PMM Lemaître à gauche au premier plan, un ami du comte (hors champ) lui parle, l'autre de dos, Lemaître en amorce. L'ami du comte Lemaître Le comte Le découpage technique Le découpage technique indique, outre l'échelle des plans et les mouvements de la caméra, les focales utilisées, les plans au sol, etc. Le montage C'est l'opération par laquelle on colle bout à bout les rubans de la pellicule sur lesquels sont enregistrées les images, dans un ordre qui jouera un rôle capital dans l'impact de celles-ci, leur signification et celle du film. En vidéo, on procède par copie. Signalons quelques termes : Séquence Une séquence est une suite de plans qui correspond à une unité d'action. Exemple : dans un western, la séquence de l'attaque du train, celle de la poursuite des Indiens... Une séquence se compose d'une ou plusieurs scènes, de plusieurs plans ou d'un seul (plan séquence). Scène Une scène est, au cinéma, une unité d'action plus petite que la séquence, et moins rigoureusement définie qu'au théâtre, où les entrées et sorties des personnages la délimitent habituellement. Une scène est située dans un décor unique, mais un film résultant d'un montage, on ne peut pas réduire à une succession de scènes la plupart des séquences. Exemples : dans un western, la scène du saloon, la scène du duel… 97 Approches de l’image - II Montage linéaire, retour en arrière, montage par anticipation Le montage linéaire suit l'ordre des événements, même s'il comporte des sauts dans le temps (ellipses). Mais le montage peut suivre un ordre non linéaire ; on peut faire : - des retours en arrière (flash-back), c'est-à-dire passer du présent du récit3 au passé ; Exemple : le héros se souvient... - ou anticiper l'action (flash-forward), c'est-à-dire quitter le présent du récit et montrer une action ou une situation qui appartiennent au futur. Montage parallèle Dans le montage parallèle, deux actions, qui se déroulent simultanément en des lieux différents, sont présentées par une suite de plans montés en alternance. Exemple : les plans montrant la course des sauveteurs pour rattraper le gouverneur et obtenir la grâce d'un condamné innocent alternent avec les préparatifs de l'exécution capitale (Griffith, dont cette séquence d'Intolérance a souvent été imitée). Suspense Le suspense est une technique qui consiste à ralentir ou à suspendre le déroulement de l'action, soit par recours au montage parallèle, soit par une description minutieuse du décor et des actions du héros dans un moment périlleux, afin de susciter l'angoisse du spectateur. L'un des maîtres du suspense, Hitchcock, affectionnait particulièrement ce dernier procédé : voyez la première séquence et de nombreux plans de son film Les Oiseaux. Champ Contrechamp Dans le champ contrechamp, la caméra fixe successivement deux sujets qui se font face. On en trouve l'équivalent dans la bande dessinée : Plan de coupe Le plan de coupe est un plan de transition, qui présente un détail sans faire avancer l'action, ni apporter d'explication supplémentaire. Insert Un insert est un plan qui interrompt le récit, pour introduire une comparaison, une image subjective*178, un autre moment de l'action (retour en arrière, ou anticipation), ou un détail explicatif (lettre, calendrier...) ou symbolique 3 Voir Analyse du récit, page 143 98 Approches de l’image - II Raccords Un raccord est, selon les cas, le passage d'un plan à un autre ou le plan intermédiaire tourné pour faire transition entre deux autres (le plan de coupe en est un cas particulier). Ce passage peut être organisé à partir des positions de l'acteur, des regards, des gestes, des mouvements... Cut : c'est le cas de la plupart des raccords, c'est-à-dire que l'on passe sans transition d'un plan à l'autre. Raccord dans le mouvement : un mouvement, commencé dans un plan, se poursuit dans le même sens dans le plan suivant, sans ellipse. Raccord de mouvement : un mouvement, commencé dans un plan, se poursuit dans le même sens dans le plan suivant, mais avec ellipse Fondu enchaîné : surimpression progressive du nouveau plan sur l'ancien. Fondu au noir : l'image s'obscurcit progressivement, puis un nouveau plan s'éclaire progressivement. Volet : un nouveau plan recouvre progressivement celui qui est affiché en le balayant de gauche à droite ou de droite à gauche (volet horizontal ) ou de haut en bas ou de bas en haut (volet vertical). Fermeture à l'iris : le vieux cinéma l’a également connue ; l'image se rétrécissait dans un cercle. Ce procédé n'est plus guère utilisé que sur le mode humoristique ou nostalgique, comme une sorte de citation. Voyez par exemple son emploi dans le film de Welles, La Splendeur des Amberson, à la fin de la promenade en traîneau. Hors champ (off) Le hors champ (Off) peut jouer un rôle important, pour : - le son (commentaire, conversations, venus d'un lieu que l'on ne voit pas) : - l'image (par exemple, des personnages réagissent à une action ou une présence qui se situe en dehors du cadre, et que le spectateur ne peut que deviner) : 99 Approches de l’image - II Échelle des plans et montage Empruntée, comme le retour en arrière et le montage parallèle, aux romanciers du XIXe siècle (Balzac, Dickens...) par le réalisateur américain David Wark Griffith, l'échelle des plans a beaucoup amélioré l'impact du récit cinématographique, d'abord figé par une caméra peu mobile, qu'il a également libérée en inventant le travelling. Le recours à la caméra portée et à l'image de synthèse ont beaucoup assoupli la notion de montage, et on se contente souvent, aujourd'hui, de désigner par plan américain ou plan moyen tout ce qui est compris entre plan moyen et plan rapproché, c'est-à-dire plan mimoyen, plan italien et plan américain proprement dit. Le langage de l'image La grammaire de l'image Longtemps considéré avec mépris comme un divertissement d'ilotes*164, selon le mot de Georges Duhamel, le cinéma a d'abord tenté de s'affranchir de ce préjugé en exigeant d'être reconnu comme langage. Écoles de cinéma et ciné-clubs ont défini des termes dont la sémiologie*200 de l'image a hérité, mais aussi des règles de montage et de composition qui devaient aboutir à une véritable grammaire de l'image... Aujourd'hui encore certains chercheurs du milieu universitaire, n'ont pas renoncé à l'écrire (voir Marie Carani, ouvrage cité). Il faut reconnaître que de telles règles ne peuvent être tirées que très provisoirement, d'observations limitées dans le temps et l'espace, et que l'artiste remet à chaque instant ses pratiques en cause, sous peine de tomber dans l'académisme le plus stérile et le plus désespérant. En outre personne n'a encore défini de façon convaincante, pour l'image, des unités qui seraient l'équivalent des phonèmes*198 pour la langue. En fait, la logique de l'image est la logique de la perception, qui est une logique de probabilités. Le sens n'est pas donné une fois pour toutes, mais il est affecté avec plus ou moins de certitude : quelque chose apparaît comme étant probablement un nombril, probablement un nez, etc. mais le sens de chaque motif dépend de son environnement, et de l'observateur, le cas limite étant celui de ces devinettes où le chasseur se cache dans le feuillage, ou ce tableau de Magritte, Le Viol, cité dans le même ouvrage par Goïan Sonesson, qui peut être lu tantôt comme un nu féminin entouré d'une chevelure, tantôt comme un visage. Au demeurant, il serait bien étonnant que les méthodes d'une science - la linguistique*196 - puissent s'appliquer à un autre objet que le sien, celui de l'image. Aussi la recherche d'une grammaire de l'image ressemble fort à celle d'une réponse à une question mal posée. Les règles du montage Elles ont été élaborées progressivement au temps du muet, et avaient surtout pour but de permettre aux spectateurs peu avertis de l'époque de comprendre l'action. Elles ont ensuite été très contestées et transgressées*170 par les meilleurs cinéastes, et appartiennent à l'histoire... et aux productions commerciales comme à toutes celles qui, n'ayant pas de visée artistique, cherchent à faire passer un message (pédagogique, documentaire, etc.) et pour lesquelles le cinéma n'est qu'un moyen parmi d'autres. Elles concernent notamment : 100 Approches de l’image - II Le contenu du plan 1. Tout plan, parce qu'il s'insère dans un mouvement narratif ou descriptif, doit inclure un manque, un appel, que le plan suivant comblera (ce qui condamne les compositions trop picturales). 2. Un plan prépare donc le suivant qui devra répondre à une question qu'il pose : regard, ébauche d'un geste... Les lois de la continuité 1. Continuité matérielle : la suite des plans doit comporter au moins un élément commun (monument, objet, personne) qui permet au spectateur de se repérer. 2. Continuité du mouvement : un personnage ou un véhicule doivent avancer dans le même sens d'un plan à l'autre, sous peine de sembler rebrousser chemin. 3. Règle des 180° : prendre, d'une fenêtre, une rue côté droit et, dans le plan suivant, côté gauche, c'est montrer deux rues différentes ; dans le champ contrechamp, on ne fera pas franchir à la caméra la ligne qui sépare les deux personnages, sinon ils sembleront sauter d'un bout à l'autre de l'écran. 4. Continuité de taille : on passe progressivement d'un plan d'ensemble à un gros plan, on ne saute pas brusquement de l'un à l'autre. 5. Continuité dans la durée : sauf accélération ou décélération voulues (scène de bagarre) il était recommandé de donner à une suite de plans des durées comparables (4 à 10''), pour éviter un débit saccadé. La structure de la séquence 1. Chaque scène ou séquence doit s'ouvrir sur une action déjà commencée, qui devra se poursuivre au-delà de la scène ou de la séquence. 2. Il faut commencer et finir sur un plan général (!) L’image cinématographique Une image mobile Le cinéma peut faire appel au son ou à la couleur, mais le muet et le noir et blanc ont produit, et produisent encore quelquefois, leurs chefs-d'œuvre. Ses images sont, en général, filmées d'après des sujets réels. Mais des images de synthèse leur font de plus en plus concurrence, et il existe aussi depuis longtemps un cinéma d'animation*174. Chacun des mots qui le désignent, en français et en anglais, met en évidence l'un de ses deux traits fondamentaux : - cinéma (du grec kinêma) comme movie insistent sur le mouvement ; - pictures insiste sur la prééminence des images. Une image sonore Le cinéma n'a jamais été silencieux « Le cinéma langage de l'image, c'est un cliché*160 éculé. Le cinéma est à peu près contemporain du phonographe et Lumière et Gaumont ont inventé le parlant tout de 101 Approches de l’image - II suite. Le muet est une sorte de monstre, qui peut être beau, bien sûr, mais monstrueux quand même, et beau peut-être par sa monstruosité. » (Jean-Luc Godard dans la revue L'Esthétique, 1967) De fait, dès 1898 Auguste Baron (1853-1938), ingénieur français, inventa le graphoscope qui permettait de synchroniser l'image du cinématographe et le son au tournage et à la projection. Il y ajouta la couleur : ce fut en novembre 1899 le Cinématorama parlant. Depuis 1903, les appareils de Baron sont déposés au Conservatoire des Arts et Métiers. Les frères Lumière avaient pris un brevet d'un appareil réunissant le phonographe (où le son était alors gravé sur des cylindres de cire) et le cinématographe, suivant l'exemple du kinétophone d'Edison (1895), qui ne fut pas commercialisé, et les recherches n'ont jamais cessé jusqu'à ce que le procédé américain Vitaphone s'impose grâce au producteur Warner, qui présenta successivement un film musical (Don Juan, de John Barrymore) en 1926, et le premier film parlant, (Le Chanteur de jazz, avec Al Jolson) fin 1927. Jusque-là, le public populaire s'était contenté de la magie de l'image cinématographique, et cette industrie naissante avait surtout reculé devant le coût du cinéma sonore. Aux premiers temps du muet d'ailleurs, le projectionniste, qui était souvent un forain, se faisait volontiers bonimenteur et un piano, voire tout un orchestre, accompagnait la projection en improvisant ou en jouant des morceaux spécialement composés pour le cinéma et interchangeables, vendus par les fabricants avec le film pour créer une ambiance (gaie, pathétique, langoureuse...) comme on fabrique et vend aujourd'hui de la musique de film « au kilomètre ». Bientôt on fit même appel à des musiciens célèbres pour écrire une partition destinée à accompagner un film : Saint-Saëns composa celle du Duc de Guise (1908), Erik Satie celle d'Entr'acte de René Clair (1924), etc. Le cinéma muet Le fait que le son ait été d'abord réduit à un commentaire oral ou à un accompagnement musical a eu des conséquences : - sur le jeu des comédiens, nullement préparés à ce nouveau spectacle, et venus du cirque, du théâtre et du music-hall. Ceux qui étaient habitués à la pantomime*189, comme Chaplin et les premiers comiques français, se sont trouvés d'emblée à l'aise. Plus généralement les acteurs comiques, habitués à la caricature et à la charge, se sont bien adaptés. Le passage fut plus pénible dans les genres*195 sérieux : Sarah Bernhardt et Coquelin, vedettes du théâtre d'alors, transportent à l'écran ses caractéristiques emphase et grandiloquence - par une gesticulation exagérée. Les progrès viendront du montage. - sur le montage : privée des voix et des bruits, l'image visuelle devait être parfaitement compréhensible, et le recours à l'écrit sous forme de cartons*173 ne pouvait qu'être très limité, en l'absence de sous-titres. Le montage se donna donc les règles rigoureuses d'une grammaire que le parlant devait vite oublier. Surtout, le recours privilégié, dans l'échelle des plans, au plan américain et au gros plan, notamment dans le cinéma soviétique*212, a permis d'obtenir plus d'intensité dramatique, en introduisant dans le jeu plus de sobriété. Le cinéma parlant Mal accueilli par les maîtres du muet, il fut aussitôt adopté par le public, tandis que des vedettes s’y adaptaient difficilement (Chaplin) ou devaient renoncer au cinéma (Keaton). 102 Approches de l’image - II Dialogues et commentaires - Les Dialogues : parfois littéraires (Cocteau dans Les Dames du Bois de Boulogne ou Prévert et Rohmer dans tous leurs films), ils peuvent être volontairement dépouillés : « l'idéal serait que [...] le dialogue accompagnât les personnages comme le grelot accompagne le cheval, le bourdonnement l'abeille. » (Bresson), ou au contraire prolixes et drôles comme ceux de Jeanson ; le dialogue de cinéma peut aussi s'efforcer d'adopter les façons de la langue de tous les jours, mais il doit être d'abord efficace et adapté au public, ce qui relativise la vieille querelle du doublage. - Doublage et sous-titrage : des dialogues prononcés dans une langue inconnue ne peuvent être compris que s'ils sont correctement et lisiblement sous-titrés, ou si les comédiens sont doublés par d'autres... ou par eux-mêmes. La première solution est à coup sûr la meilleure si les spectateurs sont capables de lire les sous-titres d'un coup d'œil, sans rien perdre de ce qui se passe sur l'écran : en effet, le cinéma étant d'abord un art visuel, mieux vaut perdre un peu du dialogue ou du commentaire que de voir dénaturer l'atmosphère que l'auteur a voulue par l'incongruité de voix françaises prêtées à des acteurs américains, italiens ou japonais évoluant dans leur univers national... Mais une bonne partie du grand public déchiffre trop lentement les sous-titres pour lire et suivre le déroulement du film. Pour elle, quoi qu'en disent nombre de cinéphiles, le doublage s'impose, à moins qu'on prétende réserver l'art ou le divertissement à un petit nombre d'élus. Encore faudrait-il que les producteurs observent un minimum de vraisemblance dans le choix des voix, renoncent à des habitudes absurdes comme celle qui consiste à donner l'accent provençal aux Italiens dans les films comiques, et apportent quelque soin à cette opération. Cela suppose qu'ils respectent l'œuvre et le public... Notons que les derniers développements de l'industrie du DVD*185 et de la télévision permettent de laisser le choix au spectateur. - Le commentaire : ce peut être un monologue intérieur,(début du Troisième Homme de Carol Reed), un commentaire off prosaïque (La Splendeur des Amberson, d’Orson Welles) ou brillant, voire précieux*199 (Lettre de Sibérie, de Chris Marker), ou sobre, prenant et poétique dans La Jetée, du même. Bruitage et musique - Le bruitage : l'utilisation des bruits pour renforcer l'effet de réel est la plus évidente, mais on a remarqué qu'ils peuvent faire métaphore : sifflets vengeurs des locomotives dans La Bataille du rail, aboiements de deux affairistes dans Miracle à Milan, ou conditionner le spectateur (bruit du métronome, dans La Jetée). Souvent, les bruits sont imités par un bruiteur. - La musique : tantôt le cinéaste illustre une musique préexistante (Pacific 231, Mitry et Honegger - Fantasia, Disney et Beethoven, Mozart, etc.), tantôt il l'utilise. Ainsi, dans Barry Lindon, la musique du XVIIIe siècle apporte une touche de couleur locale*175, et son intervention résulte tantôt de l’action même (musique militaire accompagnant la marche des troupes à la rencontre des Français, danses et concert), tantôt de l’intention de susciter ou renforcer l’émotion, tandis que dans Tous les Matins du monde*190, Alain Corneau, inspiré par l’histoire d’un compositeur du XVIIe siècle, M. de SainteColombe, illustre tout naturellement son film avec la musique de ce dernier. Comme le remarquait Maurice Thiriet, auteur de musique de film, le spectateur, bien souvent, ne la remarque pas, mais il se souvient particulièrement des scènes qu'elle accompagne. À la musique de décor (on entend l'air que joue un acteur ou que retransmet un poste 103 Approches de l’image - II visible à l'écran) on peut ajouter le leitmotiv*165, venu du théâtre, le contrepoint*175 et la musique d'ambiance, qui renforce les émotions que doit susciter la scène représentée. La couleur au cinéma La couleur est apparue dès le commencement de l'histoire du cinéma avec le procédé de la peinture au pochoir*180 des photogrammes ou la teinture uniforme des pellicules, puis grâce à des procédés chimiques permettant de filmer directement en couleur, mais elle ne s'est généralisée que dans les années 1960, pour des raisons de coût, et malgré la vive résistance des tenants du noir et blanc. Dès l'origine son introduction répond à quatre motivations : - imiter la nature ; - augmenter le plaisir du spectateur ; - rivaliser avec la peinture ; - fonction symbolique : on teintait en bleu ou en rose les séquences heureuses, en rouge les séquences violentes... Ces motivations demeurent : - la couleur imite moins mal la nature, de nos jours, mais elle en reste toujours une transposition approximative ; - le grand public l'exige, ce qui a conduit l'industrie à la très discutable pratique de la colorisation des anciens films ; - l'imitation de la peinture reste fréquente (comme dans le film Tous les Matins du monde, ou les films de Greenaway) ; - la fonction symbolique est rarement absente d'un film, même quand elle ne prend pas l'aspect systématique de Bleu Blanc Rouge*189. Les décors de cinéma Si les premiers films de Louis Lumière ont été tournés en décors naturels, le studio est apparu en France avec Méliès et aux États-Unis avec Edison. Il a longtemps été indispensable pour les scènes d'intérieur, qui posaient de délicats problèmes d'éclairage, et le demeure pour des extérieurs de reconstitutions historiques ou pour créer une ambiance particulière, comme dans les films expressionnistes, ceux du réalisme poétique ou, plus récemment Les Amants du Pont-Neuf. Le décor de cinéma s'est d'abord inspiré du décor de théâtre, mais en atteignant des dimensions gigantesques, comme dans Intolérance, de Griffith, avec la reconstitution des fortifications de Babylone. Comme le portrait photographique à ses débuts, il a aussi emprunté à la peinture, non sans contradictions avec le mouvement, qui est son essence. Aujourd'hui, les films à grand spectacle font de plus en plus appel à l'image de synthèse pour les décors. L’éclairage de cinéma L'éclairage d'ambiance (lumière diffuse) s'oppose, au cinéma, à l'éclairage d'effet, qui joue sur les contrastes et dramatise l'image. En fait, l'éclairage de photo et de cinéma doit beaucoup à la tradition picturale, et, pour le second, à l'éclairage de théâtre. Ceux-ci ont, selon les époques, obéi à des règles diverses. Très codé au départ (noir et blanc, pellicule peu sensible qui rendait nécessaire, pour les intérieurs, le recours à de puissants projecteurs électriques et à des réflecteurs, même 104 Approches de l’image - II pour les scènes de nuit : c’est la « nuit américaine »), l'éclairage de cinéma a pu se libérer de ses modèles, mais les réalisateurs s'y réfèrent souvent par choix esthétique. Le réalisme au cinéma Les codes du réalisme Le jeu des acteurs, le noir et blanc, l'éclairage font que les films des années 30 sont très éloignés de ce que nous appelons réalisme*190. Mais un film est transparent, c'est-à-dire qu'on oublie la technique en le visionnant, et qu'on ne pense qu'au contenu, s'il suit les conventions de son époque et respecte les règles du montage. Nul doute que les coups formidables qui sont échangésés dans les scènes de bagarre de la fin du XXe siècle sans mettre les protagonistes hors de combat feront bien rire les générations à venir ! En revanche, si on filme du théâtre, les conventions qui lui sont propres (le jeu des acteurs, leurs costumes, la scène, la rampe, le public, etc.) sautent aux yeux, même si le film nous offre, grâce aux caméras mobiles et multiples, un spectacle qu'aucun metteur en scène de théâtre ne pourrait réaliser ! Les réalismes Si l'invention des frères Lumière est apparue d'abord comme l'aboutissement des recherches tendant à procurer par l'image un simulacre de la réalité, le cinéma s'est rapidement éloigné de cette voie. Le terme de réalisme est employé tout particulièrement à trois moments de l'histoire du cinéma : - dans les années 30, on parle de réalisme poétique à propos de films français qui peignent les milieux populaires (réalisme) dans des décors de studio, avec des dialogues très écrits (poétique). Feyder, Jean Renoir, Duvivier et Carné en sont les meilleurs représentants. - tout autre est le néoréalisme italien qui s'épanouit au lendemain de la deuxième guerre mondiale*204 : la peinture de la vie quotidienne se fait au moyen de décors naturels, et avec la participation de non acteurs, c'est-à-dire de comédiens non professionnels, recrutés le temps d'un film. Rossellini, Visconti, De Sica, illustrent cette tendance. - Enfin citons pour mémoire le réalisme socialiste, doctrine officielle de l'U.R.S.S. dans les années 1945 à 1955, qui mettait l'art au service de l'idéologie et des intérêts de l'État, le stérilisant au profit d'un nouvel académisme. Il arrive que le cinéma hollywoodien joue subtilement sur les codes du réalisme et ceux de la fiction, comme dans les Chercheuses d'or (Gold diggers, 1933) où un conte de fée une jeune fille pauvre rencontre le Prince Charmant et découvre l'amour, la fortune et la gloire - est traité selon les codes du réalisme alors en vigueur, tandis que la réalité - la guerre, la crise économique et l'avènement du Roi Dollar - sont traités avec les codes de la féerie théâtrale, dans le spectacle de music-hall que montent les amoureux. Le film documentaire Le film documentaire*176, qui se propose de faire connaître au spectateur un pays, un métier, la vie des animaux... n'exclut pas des recherches formelles, un travail poétique considérable. 105 Approches de l’image - II Cinéma et illusion Pour mesurer la force d'illusion que conserve l'image cinématographique, on a remarqué qu’il suffit de comparer les attitudes des spectateurs : - à la sortie du cinéma, la plupart semblent encore plongés dans un rêve, et il leur faut un certain temps pour en émerger ; - à la sortie d'un théâtre, on commence immédiatement à discuter du spectacle. Cette illusion tient, pour beaucoup, aux conditions de la projection : on a comparé les spectateurs plongés dans l'obscurité, face à une image géante dont ils ne voient pas la source, aux prisonniers du mythe de la caverne de Platon, et on a vite accusé le cinéma de manipuler les esprits... Pourtant, l'accueil fait au cinématographe à sa naissance montre qu'il existe sans doute une bonne part de consentement dans cette fascination, car les premiers témoignages sont contradictoires. On sait que lors des premières représentations du cinématographe (1895), les spectateurs étaient effrayés par l'arrivée du train de la Ciotat s'avançant en direction de la salle. Mais des savants et des photographes ont reproché, lors des présentations qui leur furent faites auparavant, l'absence de couleur et le sautillement de l'image. Moins averti, le grand public des premières projections commerciales est enthousiaste : « Ceux qui n'ont pas eu la bonne fortune d'assister à ce spectacle se représentent difficilement qu'on puisse atteindre une telle perfection et donner à ce point la sensation saisissante du mouvement réel et de la vie. » ( André Gay). Mais Maxime Gorki, qui reconnaît le caractère exceptionnel et complexe de la première impression, se montre beaucoup plus réservé : « Les yeux sont gris dans des visages gris, grises aussi les feuilles des arbres. Ce n'est pas la vie, mais son ombre, ce n'est pas le mouvement, mais son spectre muet. » (Témoignages cités par Jacques Deslandes, Histoire comparée du cinéma, ouvrage cité) En somme, l’illusion cinématographique, qui peut être intense, est toujours plus ou moins consentie, et il dépend du spectateur de la subir ou d’y échapper, ce qui lui est d’autant plus facile que son habitude des salles obscures et sa culture lui permettent de prendre ses distances par rapport à l’image et de se libérer du conditionnement que la salle de projection est censée provoquer. L'élaboration d'un film L'idée initiale d'un film peut être écrite et développée sous les formes de plus en plus élaborées du canevas, du traitement, du synopsis, du scénario, du découpage et du découpage technique. Mais bien des réalisateurs font une place plus ou moins grande à l'improvisation, et se contentent d'un script qui décrit sommairement l'histoire qu'ils vont filmer. Quand le producteur*181 a réuni au moins en partie les moyens financiers, on peut procéder aux repérages, c'est-à-dire au choix et à la reconnaissance des lieux de tournage (en décor naturel), ou à l'élaboration des décors (en studio ou sur ordinateur). Le tournage ne suit pas l'ordre du scénario : pour des raisons d'économie (disponibilité des comédiens, des techniciens et des décors, frais de déplacement), on tourne tous les plans qui demandent les mêmes personnages, ou le même lieu, successivement. Vient ensuite la phase du montage. 106 Approches de l’image - II La Production La production, c'est-à-dire le financement d'un film, est assurée soit par une personne, soit par une entreprise spécialisée, soit par une chaîne de télévision. Le producteur peut désigner un directeur et un administrateur de production. La coproduction, qui réunit les moyens de plusieurs sociétés, tend à devenir la règle. L'exploitation Quand le film est terminé, reste à l'amortir en trouvant un public : c'est l'exploitation, largement dominée par la télévision et quelques grands distributeurs, qui disposent de nombreuses salles : la carrière d'un film dépend largement d'eux. Les propriétaires de salles indépendants survivent difficilement, si bien que malgré les efforts de l'État, en France, le marché est dominé par des produits jugés commerciaux, à commencer par les films américains, déjà rentabilisés par l'énorme public des U.S.A. et des pays anglophones, ce qui leur permet d'aborder les écrans de l'Europe à bas prix. L'une des techniques de conditionnement du public consiste à sortir un film nouveau dans un grand nombre de salles à la fois. L'autre est la publicité. Cinéma et littérature Par leur vocation à traiter de la fiction et à aborder des genres*195 comme l'essai, la poésie et la biographie, le cinéma et la vidéo qui en a hérité ne se posent-ils pas en véritables concurrents de la littérature ? Pour mieux répondre à cette question, nous examinerons successivement : L'accueil des écrivains Le cinéma procède à plus d'un titre de la littérature, d'abord parce que la création d'un film passe, presque toujours, par une phase complexe d'écriture. Ensuite, parce que le montage et les scénarios ont beaucoup emprunté aux romanciers. Enfin parce qu'il rivalise avec elle dans l'ordre de la fiction. Si les penseurs et des écrivains de second ordre comme Georges Duhamel l'ont fort longtemps méprisé comme un divertissement populaire qui laisserait passif le spectateur, les plus grands auteurs ne s'y sont pas trompés, d'Apollinaire (« M. Méliès et moi faisons à peu près le même métier : nous enchantons la matière vulgaire »), qui prophétise que « Le poète épique*194 s'exprimera au moyen du cinéma » et qui, avec les futurs surréalistes, se passionne pour Fantômas*189, à Sartre qui a raconté dans Les Mots quel fut son émerveillement devant les écrans de son enfance, en passant par ceux qui se sont aussi bien exprimés par la caméra que par la plume comme Cocteau, Malraux et Prévert. Le problème de l'adaptation Dès ses premières années, le cinéma a emprunté nombre de ses sujets à la littérature : Méliès s'attaque à Faust et Marguerite dès 1897, après Louis Lumière, et son fameux Voyage dans la Lune (1902) est une très libre adaptation de Jules Verne, tandis que La 107 Approches de l’image - II Esmeralda, d'Alice Guy, est la première adaptation de Notre-Dame de Paris, tournée en 1905 pour Gaumont à l'insu des héritiers de Hugo... Depuis, le cinéma a fait quelques progrès, mais nombre de lecteurs sont toujours déçus par le résultat du traitement cinématographique d'œuvres qui leur sont chères. C'est inévitable, dans la mesure où : - le cinéma doit souvent simplifier des récits complexes ; - il peut difficilement rendre les subtilités du roman psychologique, à moins de recourir au son off ; - la lecture d'un roman suppose que le lecteur supplée par son imagination à tout ce que le texte ne peut décrire : le choix d'un acteur, d'un décor, procède de l'imaginaire du cinéaste, qui peut n'avoir rien de commun avec celui de tel lecteur. Il n'en demeure pas moins que si le visionnement du film précède la lecture du roman, le spectateur est souvent assez motivé pour acheter et lire le livre, et qu'entre la plate illustration ou la franche trahison, et le chef-d'œuvre cinématographique tiré d'un texte sans valeur (par exemple La Dame de Shangaï, de Welles), on trouve tous les degrés, de l'échec honteux à la plus haute réussite, pourvu que l'on accepte une évidence : un film est aussi différent d'un roman qu'un tableau d'une description ou d'un récit oral. 108 Approches de l’image - II La télévision Naissance de la télévision Voir et entendre une scène réelle qui se déroule très loin de l’observateur est un vieux rêve, dont les hommes ont d’abord confié la réalisation à la magie, mais qui a commencé à devenir un objet de recherche scientifique à la fin du XIXe siècle avec la mise au pont de procédés mécaniques dus à des pionniers comme l’Allemand Paul Nipkow (1860 1940) dont le « télescope électrique », resté à l’état de brevet déposé en 1883, devait inspirer d’autres chercheurs comme l’Américain Charles F. Jenkins (1867- 1934) qui réussit à transmettre une image en mouvement en juin 1925 ou l’Écossais John Logie Baird (né en 1888-1946) qui réalisa le même exploit la même année et, en 1928, inventa la télévision en couleur. La première chaîne de la B.B.C., créée en 1936, utilisa son système jusqu’à 1937, en concurrence avec le tube cathodique, inventé en 1897 par l’Allemand Karl Ferdinand Braun et perfectionné par l’Italien Marconi (1874-1937). En France, l'ingénieur René Barthélémy (1889-1954) a réalisé la première émission de télévision publique en 1935. L'image vidéo L'image vidéo (du latin video, je vois) est née dans le deuxième quart du XXe siècle. La première image de télévision comptait seulement 30 lignes et il fallut attendre 1967 pour que soit commercialisé le premier procédé en couleur (SECAM). On a cru longtemps que ses principales caractéristiques étaient : - sa faible définition ; - les vibrations de la trame*169 dues au balayage ; - l'imprécision des plages de couleur ; - le type de consommation (individuel ou familial, généralement à domicile). En fait, il s'agissait alors des images restituées par le tube cathodique. L'ordinateur allait faire naître, dans les années 1970, la numérisation, formes et couleurs étant enregistrées sous formes de bits, pour être ensuite restituées sous formes d'images dont les qualités techniques s'améliorent sans cesse, et égalent ou surpassent celles du cinéma, et la taille des écrans ne cesse de grandir. Cette image se prête en outre à de multiples manipulations, dont la possibilité de découper l'écran en plusieurs fenêtres. Le multifenêtrage, familier sur les ordinateurs, est également apparu au cinéma. Ces manipulations n'affectèrent d'abord que les images analogiques*112, grâce à l'invention (à la fin des années 60) du synthétiseur qui permettait déformations et incrustations. Les évolutions techniques en cours Bien éloignée du « média froid4 » décrit jadis par McLuhan (voir ci-dessous Puissance des médias), la télévision n’a cessé de gagner en définition, résolution et vitesse*184. 4 Voir Les médias, page 127 109 Approches de l’image - II Comme l'ordinateur, la télévision permet de visualiser*183 simultanément plusieurs programmes : l'image incrustée peut provenir d'une autre chaîne, mais aussi d'un magnétoscope, d'un disque compact, d'un caméscope... L'écran plat, qui atteint désormais de grandes dimensions grâce à différents techniques (cristaux liquides et plasma sont déjà dépassés), doit permettre un jour d'équiper des salles de spectacle (on parle même d'écrans de 500″ : 13 mètres de diagonale) et de réduire considérablement les coûts en supprimant les copies de films. L'écran souple (enroulable ou pliable) est commercialisé en 2012. Entourés de leurs divers accessoires (décodeurs, antennes, magnétoscope, lecteur de DVD, disque dur, consoles de jeux vidéo), et relié à Internet, ces nouveaux écrans sont appelés à succéder au bon vieux poste du XXe siècle, associé à un nombre croissant de chaînes, mais asservi à elles, comme leur nom l’indique. Déjà, la fabrication du tube cathodique qui l'équipait est abandonnée. La télévision sur téléphone mobile est aussi appelée à un grand avenir et Internet nous affranchit des chaînes. Mais parlera-t-on encore, dans vingt ans, de télévision ? Qualité de l’image On peut modifier la netteté d'une image par des procédés particuliers, mais la qualité d'une image vidéo dépend de nombreux facteurs : Résolution, Définition, Vitesse*184, Format de compression*174, Nombre de couleurs*179. Sur imprimante, 150 à 300 dpi est une résolution qui suffit dans la plupart des cas, mais les imprimantes grand public offrent 1400 dpi, et l'on peut aller de près de 3 millions (1200x2400) à 5760x1440 dpi, les scanners grand public à 1200 dpi... Bien entendu, quelle que soit la résolution « native » d'une image, sa qualité ne peut excéder celle de l'écran ou celle de l'imprimante. Le téléspectateur On a souvent présenté le téléspectateur comme un destinataire trop passif. Loin de tenir captif leur public, les programmes de télévision font l'objet d'une exposition sélective des spectateurs. Cette possibilité de choix ne peut que s'accroître avec la multiplication des chaînes thématiques*169, qui offrent des programmes spécialisés (sport, cinéma, chanson, musique, information), etc. par le câble, les réseaux et l'antenne parabolique, qui développent la formule du pay for view (on ne paie que ce qu'on voit), et ce que l'on nomme l'Interactivité. L'intervention du zapping, grâce à la télécommande, est ambiguë : il contribue en apparence à libérer le téléspectateur ; en fait il peut réduire la télévision à une sorte de bruit de fond d'où paraît exclue toute communication5. Communication et fiction L'image vidéo intéresse surtout l'enseignement du français en tant que fait de civilisation, qui renouvelle de façon radicale la communication, l'information et les loisirs. 5 Voir La communication, page 121 110 Approches de l’image - II La télévision rivalise, dans l'ordre de la fiction, avec le roman qu'elle fait connaître à un large public par des adaptations et le cinéma dont elle diffuse les films qu'elle coproduit de plus en plus. Enfin elle consacre à la littérature et au septième art un nombre important d'émissions spécialisées. Presse écrite et télévision Dans le domaine de l'information, la presse écrite est durement concurrencée par la télévision, dont le témoignage parvient bien plus vite au public et quelquefois à l'instant même où l'événement se produit. Mais l'image y garde sa place, parce que les lecteurs ne peuvent s'en passer : le journal Le Monde, qui s'adresse à un public intellectuel, est longtemps resté fidèle à une présentation sans illustration, mais a dû multiplier les suppléments illustrés, avant d'ouvrir ses pages principales à la photo. D'autre part la télévision, par son impact sur le public, domine largement le monde du journalisme et celui des médias. Soumise elle-même aux impératifs de l'audimat*171 elle tend à imposer à tous ses propres valeurs : recherche du scoop, choix, dans le flot des événements, de ceux auxquels on fera un sort en fonction de leur caractère spectaculaire, ou émotionnel : mieux vaut pour elle un fait-divers sanglant ou une compétition sportive, que l'analyse d'un événement politique ou d'un phénomène social qui risque d'indisposer une partie du public. Dans le même temps, c'est elle et non plus la presse écrite qui distribue la notoriété : écrivains, artistes, savants, philosophes et... journalistes n'ont le sentiment d'exister que du jour où ils passent à la télé, ce qui donne un pouvoir démesuré aux télé-journalistes. On se reportera à ce sujet à l'excellent essai Sur la Télévision de Pierre Bourdieu, ouvrage cité. 111 Approches de l’image - II Image et informatique De l’analogique au numérique Dans une image analogique les traits, les couleurs ou les sons sont composés d'éléments (dépôt argentique de la photographie ancienne et du cinéma, points lumineux qui constituent les lignes de l'image vidéo, vibrations sonores, etc.) qui résultent de variations continues d'une grandeur physique, par opposition à ce que l'on nomme image numérique. Quelle que soit son origine (dessin, photo, film, vidéo, etc.) l'image d'ordinateur6 est numérisée, c'est-à-dire qu'elle n'existe, comme toutes les informations traitées par cette machine, que sous la forme de nombres binaires (0 et 1). C'est le cas des images numériques : bitmap, dont chaque point est représenté par une suite de bits, ou formats compressés, sans perte d'informations (TIFF ou TIF, Tagged Image File Format) ou avec des pertes d'information imperceptibles pour l'œil (JPEG ou JPG, Joint Photographic Expert Group) comme de l'image vectorielle créée par le calcul de courbes géométriques. ou de l'image virtuelle. Les multimédias Dans le dernier quart du XXe siècle, les professeurs disposaient de mallettes multimédias contenant des documents papier, des diapositives, des photos, des cassettes, des transparents... pour animer leurs cours. La numérisation du texte, du son et de l'image, en unifiant ces supports hétéroclites, a donné tout son sens à cette idée pédagogique. Aujourd'hui, les multimédias sont des produits des technologies de la communication qui combinent plusieurs médias. Les réseaux les diffusent. Le cédérom, le DVD et la clé USB*187 sont des supports multimédias parmi d'autres. La télévision de demain, associée à l'ordinateur relié à divers réseaux, combinera sur de vastes écrans plats, dans des fenêtres de taille modulable, l'image vidéo, le traitement de texte, le visiophone, la télécopie (ou fax), etc. L’image de synthèse Les premières images apparues sur les écrans des ordinateurs étaient composées à l'aide des caractères du clavier : chiffres, lettres, etc. Puis vinrent les fonctions graphiques qui permettent de disposer les pixels de manière à (re)produire n’importe quelles sortes d’images. Les images de synthèse sont des images entièrement créées à partir des calculs d'un ordinateur. Elles sont apparues dans les années 70 : Metadata (1971) et Hunger (1972) sont des films en deux dimensions de Peter Foldes. C'était l'époque des images « fil de fer ». Grâce à la 3D, les images de synthèse peuvent aujourd'hui imiter à la perfection celles obtenues par photo, cinéma et vidéo, qu'elles prennent souvent comme matériaux de base. Tous les films à grand spectacle depuis Jurassic Park leur doivent beaucoup, et elles trouvent dans les jeux vidéo et les mondes virtuels de multiples applications. 6 Voir Informatique : rappels, page 132 112 Approches de l’image - II L'image virtuelle L'image virtuelle est caractérisée par le fait qu'elle n'est pas directement tracée de main d'homme, comme dessins, peintures ou sculptures, et qu'elle n'est pas le simple produit d'un enregistrement mécanique comme la photo, le cinéma ou la télévision. Elle est le résultat, à chaque instant, des calculs de la machine, qui la compose en fonction des actions de celui qui la visualise. Un usage remarquable des images virtuelles concerne les messages publicitaires qui apparaissent sur l'écran de télévision, par exemple dans le stade au cours d'un match, et varient d'un pays à l'autre suivant sa législation (la publicité pour l'alcool ou le tabac, par exemple, est tolérée ici et interdite ailleurs) ou la stratégie commerciale des annonceurs, en empruntant des canaux différents. Univers virtuels Un univers virtuel est un monde qui ne doit son existence qu'aux technologies de l'image. Il est possible de se déplacer dans une image virtuelle, c'est-à-dire de découvrir à volonté de nouveaux aspects de l'objet représenté, en le tournant à gauche ou à droite, en le soulevant, en le retournant. Dans un univers virtuel, on se dirige à son gré, en franchissant une porte, en gravissant un escalier, etc. Combinée au visiophone, la télévision peut permettre à l'utilisateur (à son gré destinateur et destinataire), de donner rendez-vous à un ami dans un lieu virtuel de son choix : gare, place publique, église... L'image virtuelle a de nombreuses applications ludiques (qui se rapportent au jeu), scientifiques, médicales, industrielles, militaires ou pédagogiques car il est plus aisé, moins dangereux et moins coûteux de simuler une expérience, une opération chirurgicale, un vol, la construction d'un édifice ou d'un véhicule, que de recourir à des maquettes ou à des expérimentations réelles. La 3D L'image de synthèse en trois dimensions (3D) est construite par modélisation : les objets (décors, personnages, accessoires, etc.) sont décomposés en volumes que le calcul, suivant des modèles mathématiques complexes, permet de représenter de n'importe quel point de vue. Le calcul est fait à partir d'un centre de référence (par exemple le nombril d'un personnage). Le premier film en 3D, Dream flight (Vol de rêve), de Nadia et Daniel Thalmann, date de 1982. L'effet obtenu ne diffère pas de celui du cinéma, du dessin animé*174 ou de la vidéo, à ceci près que ces techniques imposent au spectateur un point de vue alors qu'en 3D chacun peut se déplacer dans l'univers créé, faire varier à son gré sens et vitesse de déplacement, et choisir à chaque instant son point d'observation en toute liberté. Combinée à l'holographie, la 3D ouvre de nouvelles possibilités, car elle permet de créer des hologrammes de taille illimitée. Agir dans un monde virtuel Celui qui visualise des images virtuelles peut disposer : - d'un casque de visualisation qui lui permet de percevoir réellement en 3 dimensions grâce à deux écrans à cristaux liquides placés devant chaque œil, et qui offrent des 113 Approches de l’image - II images décalées (effet stéréoscopique) ; le casque est également muni de capteurs qui analysent les mouvements de la tête et permettent à l'ordinateur de produire les images correspondantes, et de multiples haut-parleurs qui produisent un son stéréoscopique ; - de gants de données munis également de capteurs qui analysent les mouvements de la main et les transmettent à une main virtuelle qui peut saisir et déplacer des objets, ouvrir une porte, appuyer sur un interrupteur, etc. et ajoutent le sens du toucher au vieil audiovisuel, ce que fait aussi depuis 1998 la souris tactile ; - d'une combinaison de données, également équipée de capteurs ; - ou d'une veste interactive, munie de moteurs qui font ressentir par leurs vibrations les chocs (atténués) et les accélérations ; - d'un fauteuil électronique qui, réagissant aux informations des capteurs, permet d'accroître l'illusion kinesthésique (la kinesthésie étant la perception de la position du corps et de ses mouvements). « Le regardeur ne se contente plus de regarder l'image à distance, il interagit avec elle, il la commande du geste, du regard ou de la voix il ne s'arrête plus à sa surface, il s'y plonge totalement. Telle Alice après la traversée du miroir*196, il y rencontre des êtres virtuels, d'origine réelle ou imaginaire, qu'il peut voir, entendre, toucher. » (Edmond Coutot, ouvrage cité) Coût de l'image virtuelle Les coûts de l'image virtuelle (1 million de francs par minute en 1992) sont de loin les plus élevés, à comparer avec ceux de l'image de télévision produite sur plateau (10 000 francs) ou des téléfilms (5 à 6 millions pour 90 minutes). En revanche, la diffusion dans les salles de spectacle sur grand écran au moyen d'un projecteur vidéo économise la reproduction coûteuse de copies sur pellicule, remplacées par des fichiers, et leur manipulation. On peut comparer ces chiffres au coût des logiciels de jeux vidéo : il varie de 53 000 € à 60 millions, (prix de evient de Gran Turismo V sur PlayStation 3, soit 4 millions d’euros en moyenne pour les grands logiciels destinés aux consoles et à Internet, et moins de 5 millions pour les jeux multi-joueurs, en forte expansion sur les réseaux sociaux. Mais il existe aussi une gamme plus modeste de 100 000 à 500 000 €, les jeux pour téléphones mobiles revenant à 200 000 € en moyenne. En 2007, GTA IV, de Sony, a mobilisé mille personnes pendant trois ans et coûté 100 millions de dollars. En 2008, WII FIT de Nintendo a bénéficié d'un budget de 40 millions de dollars pour sa campagne de lancement. Les gains expliquent ces investissements : lancé en novembre 2010, Call of Duty Black Ops d'Activision (contrôlé par Vivendi) a rapporté plus d'un milliard de dollars. Les coûts de l'image virtuelle (1 million de francs par minute en 1992) sont de loin les plus élevés, à comparer avec ceux de l'image de télévision produite sur plateau (10 000 francs) ou des téléfilms (5 à 6 millions pour 90 minutes). En revanche, la diffusion dans les salles de spectacle sur grand écran vidéo plat économisera la reproduction coûteuse de copies sur pellicule et leur manipulation. On peut comparer ces chiffres au coût des logiciels de jeux vidéo : il varie de 500 000 € à 10 millions, soit 4 millions d’euros en moyenne pour les grands logiciels destinés aux consoles et à Internet, et moins de 5 millions pour les jeux multijoueurs, en forte expansion. Mais il existe aussi une gamme plus modeste de 100 000 à 500 000 €, les jeux pour téléphones mobiles revenant à 200 000 € en moyenne. En 2007, GTA IV, de Sony, a mobilisé mille personnes pendant trois ans et coûté 100 millions de dollars. En 2008, WII FIT de Nintendo a bénéficié d'un budget de 40 millions de dollars pour sa campagne de lancement. 114 Approches de l’image - II Les jeux vidéo Thèmes et effets La presse en dénonce périodiquement les dangers : épilepsie déclenchée par un usage excessif, et surtout contenus violents, faisant appel à l'agressivité et à des pulsions primaires ou perverses (sadisme, racisme), qui susciterait des vocations de tueurs en série. Mieux, l'American Medical Association s'inquiète de la dépendance des jeunes, et dénonce les jeux vidéo comme des drogues (juin 2007), dont ils présenteraient tous les dangers : consommation croissante, dépendance et problèmes de sevrage ! Cette dépendance atteint également les adultes, pour qui une clinique spécialisée a été ouverte aux U.S.A. Bien entendu, ces troubles ne sont que les symptômes d'un mal plus profond : on s'enfuit dans les mondes virtuels parce qu'on est mal dans le monde réel. Il s'agit généralement, en effet, de lutter pour sa propre survie : jeux d'action où le propos est de détruire des vilains - robots, extra-terrestres et autres combattants - avec des armes à feu ou à rayons cosmiques (jeux de tir), ou encore à l'arme blanche (jeux de platesformes où l'adversaire se dérobe constamment) ; les combats spatiaux s'agrémentent du pilotage de véhicules plus ou moins fantastiques. Les scénarios des jeux d'aventure sont plus ambitieux : c'est le salut du monde qui en est volontiers l'enjeu, le schéma narratif se complique, les personnages sont plus subtilement caractérisés, quel que soit le genre auquel les auteurs recourent : policier, espionnage, science fiction ; le genre historique fait recette, et le joueur peut se dépayser dans l'exotisme. Les jeux de rôles ont particulièrement mauvaise presse, parce que l'on prétend qu'ils amènent à confondre le monde virtuel avec le réel : il s'agit de choisir des personnages, et de leur attribuer, selon des règles précises, des qualités (intelligence, force, rapidité, etc.) pour les opposer à d'autres, dirigés éventuellement par des partenaires (réels). Plus traditionnels, donc plus rassurants, sont les jeux de réflexion (échecs, scrabble, monopoly). Pourtant, certains jeux d'aventure font appel à la réflexion et à des savoirs utiles, et les jeux de simulation (piloter un avion) peuvent faciliter certains apprentissages qui seraient trop coûteux ou dangereux. Les jeux de stratégie, issus des war games chers aux militaires, sont à mi-chemin des deux derniers genres. Parmi les dernières tendances, signalons GTA (Grand Theft Auto) IV, de Sony, qui fait vivre au joueur la cavale d'un immigré clandestin et dealer, Niko Bellic, qui n'hésite pas à faire feu sur des policiers pour se tirer d'affaire, et WII FIT de Nintendo, qui offre une quarantaine d'exercices de remise en forme (musculation, yoga, aérobic, etc…) et est vendu avec pour accessoire une balance, la Wii balance board, qui permet au joueur de connaître son poids ainsi que la pression exercée par ses pieds et ses mains et permet de mieux analyser ses mouvements. L’image dans les jeux vidéo Le premier jeu vidéo digne de ce nom (Pong, 1972, et 1974 chez Atari) ne comportait qu'un trait vertical, une balle, un trait horizontal, et deux nombres affichant en haut de l'écran les scores des deux partenaires, l'image étant obtenue par traits et points. 115 Approches de l’image - II Aujourd'hui, l'image, de haute définition et accompagnée d'un son haute fidélité est une image de synthèse 3D, c'est-à-dire que les mouvements des personnages et les modifications du décor suivant les impulsions du joueur sont calculés en temps réel. Cinéma et image vidéo tendent à se confondre dans les jeux : Wing Commander 4 est une superproduction tournée à Hollywood avec des acteurs célèbres et un budget de 12 millions de dollars. Mais depuis, on a fait beaucoup mieux avec les univers persistants : un joueur peut quitter un jeu qui continue à se dérouler sans lui, et le reprendre à tout moment. À l'opposé, le succès immense des jeux sur les petits écrans des mobiles montre que l'image est moins appréciée pour sa qualité (techniquement excellente) que pour l'activité ou le divertissement qu'elle suscite. Un univers en expansion Si l'ancêtre des jeux vidéo, OXO (jeu de morpion) date de 1952, c'est dans les années 1990 que ce type de logiciel s'est prodigieusement développé, avec les possibilités naissantes du multimédia. Il intéresse toutes les catégories d'utilisateurs, mais particulièrement les jeunes, et plus récemment... les retraités. Un amateur de jeux vidéo y consacre dix heures par semaine en moyenne, mais les « accros » plus de vingt ! L'âge moyen des joueurs est de 28 ans aux USA et de 25 ans en Europe. 60 % de la population américaine, et 40 % de la population européenne seraient concernés, les femmes s'y intéressant de plus en plus. Après l'Amérique, et l'Europe, l'Asie a été gagnée par cet engouement. Une industrie florissante En 1994, les jeux vidéo représentaient le tiers du marché mondial des jeux et des jouets avec 35 milliards de francs, tandis que les recettes totales des chaînes de la télévision française, Canal Plus comprise, étaient de 23 milliards de francs, et que le chiffre d'affaires de l'édition des livres y plafonnait à 22 milliards. En 1999, le marché des jeux vidéo et du matériel qui y est consacré atteignait 120 milliards de francs. Et le marché européen de la vidéo interactive (12 milliards de dollars en 1997) devait s'élever à 21,2 milliards de dollars en l'an 2000. À cette date les jeux vidéo interactifs*178 auraient représenté 5,1 milliards de dollars. En 2008, le Japon, la Chine et les USA (Sony et Nintendo loin devant Microsoft et Electronic Arts) suivis de l'Europe sont les maîtres d'un marché qui est évalué à plus de plus de 23 milliards d'euros, dont un milliard en France, et dépasse ceux du cinéma (20 milliards) et de la musique. Le marché mondial des jeux vidéo sur mobile atteignait à lui seul, en 2007, 4,3 milliards de dollars (3,2 milliards d'euros), dont 1,8 milliards d'euros en Asie, 1,5 en Europe et seulement 717 millions de dollars en Amérique du Nord. En 2011, le chiffre d'affaires mondial des jeux vidéo, consoles et logiciels inclus, a atteint 52 milliards d'euros. Pourtant, on craint un ralentissement de cette expansion en 2012, et les grandes firmes s'efforcent de mettre fin au commerce d'occasion et de limiter dans le temps les droits des acheteurs. Aussi le coût des logiciels ne cesse-t-il d'augmenter. Il faut noter le rôle croissant d'Internet dans ce créneau dont le succès est en quelque sorte consacré par les contrefaçons. 116 Approches de l’image - II Perspectives Il est possible que la souris et les manettes laissent la place dans un avenir pas très éloigné à la voix et au cerveau, dont on sait déjà utiliser en direct les impulsions pour déclencher certaines commandes. Inversement, Sony aurait breveté en 2007 une technologie qui permettrait d'envoyer des informations sensorielles directement au cerveau. Demain on pourra peut-être, dans les jeux vidéo, voir et entendre mais aussi sentir, goûter et toucher. Il suffirait pour cela de diriger des ultrasons ( ?) vers des zones spécifiques du cerveau. Cette technique permettrait aussi à un aveugle de voir des images. Si l'information est fondée, l'audiovisuel serait bientôt dépassé : aux images visuelles et auditives s'ajouteraient désormais des images tactiles, olfactives et gustatives ! Mais peut-être ne s'agit-il que de l'une de ces annonces publiées surtout à des fins publicitaires ? 117 Approches de l’image - II Le téléphone mobile Un média récent Le premier téléphone mobile aurait été réalisé par Martin Cooper, directeur général de Motorola, en avril 1973, mais son apparition pour le grand public ne date que de l'an 2000, et s'il n'a été d'abord distribué en France que par les trois opérateurs*134 - Orange, Bouygues Télécom et SFR - il s'y est pourtant répandu comme dans le reste du monde et constitue un phénomène de société remarquable. Fin 2007, on dénombrait 3,3 milliards de téléphones mobiles dans le monde et 5 milliards en janvier 2011, dont 69% dans les pays en développement en 2007, et 75% en 2008. Fin 2011, on comptait 4,1 milliards d'abonnés au mobile, soit 60% de la population mondiale, dont 35% pour l'Inde et la Chine, le taux de pénétration en Europe de l'Ouest étant le plus élevé (129%), suivi de l'Europe centrale(126%). Le premier « téléphone intelligent » ou smartphone, ou vidéophone, c'est-à-dire doté d'autres fonctions que la transmissin de la voix, est l'IBM Simon (1993), muni d'un ordinateur de poche qui le dotait d'un agenda, d'un carnet d'adresses, d'une messagerie et d'un service de fax. Cet instrument s'est bientôt enrichi d'un écran qui permet d'afficher images fixes et vidéos. Une image gadget ? Parmi ses fonctions - téléphoner, échanger courriels et SMS*187, naviguer sur Internet, se situer dans l'espace grâce au GPS, acheter et vendre... nous ne retiendrons que celles qui concernent l'image, c'est-à-dire la photo numérique, la vidéo et les jeux. On constate qu'en 2011 l'engouement du public ne se dément pas, les performances pouvant désormais se comparer à celles de l’appareil photo numérique (16 millions de couleurs avec une résolution de 8 millions de pixels) ; mais la petitesse de l'écran (3,5 à 4,3 pouces soit moins de 9 à 11 cm de diagonale) ne lui permettra sans doute jamais de rivaliser avec la télévision devenue home cinéma... du moins tant que les images devront passer par un écran. Des fonctions utiles Le principal intérêt de l'image sur mobile restera sans doute pour longtemps la conversation (voir son interlocuteur), le GPS, les SMS, le commerce (voir ce qu'on achète) les informations et les jeux. Ajoutons que les enfants et les jeunes sont moins sensibles que les adultes à la dimension des images, et que quelque chose d’équivalent à l’art de la miniature en peinture est en train de naître. Quoi qu'il en soit, les ventes de téléphones intelligents auraient atteint 472 millions en 2011 dans le monde, sur un total de 1 milliard 500.000 téléphones mobiles. Et si l'on prévoit un ralentissement de la progression en 2012, on évalue à 10 milliards le chiffre d'appareils qui seraient en service en 2016 pour une population mondiale de 7 milliards. 118