Belle-maman, le baseball et le tricot : de la lecture et de l`écriture

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Belle-maman, le baseball et le tricot : de la lecture et de l`écriture
Belle-maman, le
baseball et le tricot :
de la lecture et de
l’écriture
Renald Bérubé
Now, with his grandfather disappearing
into death, they continued to talk about
baseball. It was the one subject they could
still come to as equals. Each time he visited
the hospital, A. would buy a copy of the New
York Post, and then sit by the old man’s bed,
reading to him about the games of the day
before. [...] a series of coded messages he could
understand with his eyes closed. Anything
else would have beentoo much.
Paul Auster, The Invention of Solitude
À présent que son grand-père était en
train de s’enfoncer dans la mort, ils
parlaient toujours de base-ball. C’était le
seul sujet qu’ils pouvaient encore aborder
en égaux. À chacune de ses visites à
l’hôpital, A. achetait le New York Post
et puis, assis près du lit, lisait au vieil
homme la relation des matchs de la veille.
[…] série de messages codés qu’il pouvait
comprendre les yeux fermés. N’importe
quoi d’autre eût été de trop.
Paul Auster, L’invention de la solitude
B
elle-maman, ma belle-mère, la mère de mon
épouse (il faut sereinement chercher à être
clair en époque de famille reconstituée) était de
toute évidence intriguée. Ce n’était pas la première fois que son regard était chargé de ces points
d’interrogation-là alors que, très impoliment sans
doute, je lisais le journal avant le dîner, tout au
Belle-maman, le baseball et le tricot :
de la lecture et de l’écriture.
début de celui-ci et même un peu en aval, après
l’apéro et la soupe. Il s’agissait des pages sportives
de La Presse, ça, elle le savait très bien, mon impolitesse s’affichant depuis un long moment déjà,
dans la longue durée, disons. Plus précisément, en
ce jour rutilant et réjouissant de plein été du début
d’août 1986, de LA page des sommaires de matchs
de baseball, la page des box scores, expression dont
il faudrait bien trouver une traduction française
adéquate, même s’il n’est plus d’Expos à Montréal
(il est des Capitales à Québec par ailleurs, sorte
de compensation minimale pour ces Nationals de
Washington que sont devenues nos Zamours).
Elle était intriguée, donc, et comme cet état
remontait dans le temps à un bon moment déjà,
elle formula ouvertement ce jour-là la raison
entière et plénière de ses points d’interrogation
jusqu’à ce moment contenus : « Veux-tu bien me
dire ce que tu trouves à lire d’intéressant là-dedans ? Ça me fait penser à quand je voyais mon
oncle Arsène, Arsène-les-Bidous, c’était son
surnom, lire les pages financières du Soleil. » Elle
avait bien raison, Belle-maman, sa comparaison
m’a frappé et je l’ai retenue depuis ; entre pages
de box scores de baseball et pages financières, les
ressemblances chiffrées, effet de réel statistique
dirait l’Autre, créent comme un même sentiment : ce langage n’est accessible qu’aux initiés.
C’est même cela ou à peu près qu’elle formula
en ses mots, dans la série de questions-réponses
qui suivit sa première interrogation. « Vous allez
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voir, on va s’y mettre, Belle-maman, et vous allez comprendre vite, vite pourquoi cette page-là
m’intéresse tant » ; je venais de lui affirmer, avec
la dernière assurance de l’amateur impénitent,
que lisant ces lignes si tant nombreuses, diverses
et pourtant toutes fortement apparentées, c’était
comme si je pouvais suivre les matchs ainsi qu’ils
s’étaient déroulés, les reconstituer. « Ouais, on
verra », qu’elle m’avait répondu, à juste titre sans
doute, mais sans que je sache trop ce qu’elle voulait me dire.
« ... ce que tu trouves d’intéressant à lire làdedans » ; le « là-dedans » en cause, c’est ceci sans
l’être, puisque la demi-page (l’économie paginale
a ses nécessités, faut savoir se contenir) du Soleil
du 5 juin 2010 offerte ici à la lecture n’est pas
celle, la première de plusieurs entre 1986 et 1996
dans La Presse toujours, que nous avons entrepris
de décoder lors du dîner tantôt évoqué. Oh, il ne
s’est pas agi d’un cours 101 à temps complet avec
examens et notes accordées ; d’un jeu plutôt, à
l’image de celui dont nous lisions les résumés de
matchs. Ce n’était plus, pour reprendre un adage
quasi sacro-saint du quotidien sportif étatsunien, father playing catch with son, mais plutôt,
version aménagée, son-in-law reading baseball
with mother-in-law. (Comment résister ? C’est
un fort beau livre que Fathers Playing Catch with
Sons. Essays on Sport [Mostly Baseball] que le poète
états-unien Donald Hall a fait paraître en 1985.)
Sans compter qu’une autre activité, connexe et
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de la lecture et de l’écriture.
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apparentée serait bientôt de la... partie ; et c’est
alors Belle-maman qui dispenserait un cours 101
amusé, un jeu, en tricot et broderie de points
divers, qui décoderait pour ma compréhension le
langage de ses « patrons ». N’allons point trop vite,
ne prolepsons pas précipitamment, n’allons pas
devancer les événements ; eux aussi ont droit à un
sommaire qui rende justice à leur déroulement. Il
faut insister : à chacun sa passion – à partir d’une
passion, quelle qu’elle soit, il est possible de découvrir le Monde. La poésie et le baseball, pour
Donald Hall par exemple, même(s) moyen(s)
d’apprentissage.
Nous sommes en août 1986, donc, Belle-maman veut savoir ce que je « trouve d’intéressant làdedans », ce « là-dedans » ayant l’allure de cette moitié de page du Soleil évoquée tantôt – moitié de page
que voici (Cf.tableau ci-contre et pages suivantes).
Il fallait, ainsi que l’écrit Daniel Pennac dans
Chagrin d’école, le « cancre » Pennac qui n’entendait
rien aux fractions, il fallait « commencer par le plus
petit commun dénominateur » alors qu’il n’était
toujours question que d’une seule fraction, ce que le
Pennac d’aujourd’hui souligne avec tout l’humour
généreux nécessaire. Ou plutôt, à l’inverse ici, il
fallait choisir de commencer par l’une de tant de
fractions et essayer de mitonner autour d’elle un
menu ludique de nature à stimuler l’appétit le plus/
le moins gourmand. Ce sont les matchs des Expos
que nous lisions surtout ; il était plus facile ainsi de
distinguer entre les Expos (Montréal) et les Braves
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de la lecture et de l’écriture.
(Atlanta), par exemple ; car Belle-maman,
vertu ( ?) de tout ce
qui nous entre par les
oreilles ou les yeux
veut veut pas, connaissant le nom de bien
des joueurs des Expos
et pouvait suivre, dès
lors, la colonne du box
score (résumé détaillé ?)
énumérant les noms
des joueurs (abrégés
si trop longs, Mrtnz
= Martinez ; avec
ou sans l’initiale du
prénom : pourquoi ?
Parce qu’il est parfois
plusieurs joueurs du
même
patronyme,
VMartnz = Victor
Martinez, dans le
match Boston-Baltimore du Soleil du 5
juin 2010), la place de
chacun dans l’alignement des frappeurs et
les positions de tous
au champ. Et pourquoi donc les deux
lignes horizontales,
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une ligne Atlanta et
une autre Montréal
(si Atlanta est en haut
et Montréal en bas,
Belle-maman, ça veut
dire que le match se
déroulait à Montréal)
tout juste après les
deux colonnes verticales ? Ça, c’est ce
qu’on nomme line score
(résumé sommaire ?),
deux lignes qui l’une
et l’autre sont le plus
souvent divisées en
trois groupes de trois
chiffres (3 x 3 = 9 ;
un match de baseball
comporte neuf manches) ; quand il y en
a plus que neuf, c’est
que le match est allé
en prolongation. Les
chiffres, quant à eux,
indiquent les points
marqués ou pas par les
deux clubs lors de leur
tour au bâton dans
chacune des manches.
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de la lecture et de l’écriture.
Ajout au sujet du line score (résumé sommaire) :
pour qu’il soit complet, il faut ajouter, à la suite des
deux colonnes horizontales de chiffres indiquant
les points marqués par chacune desdeux équipes,
ces autres lignes (il s’agit encore du match BostonBaltimore résumé dans Le Soleil du 5 juin 2010) :
C. Buchholz G., 8-3 et VMrtnz ; Tillman P.
0-1, Hendrickson (2), Albers (5), Mata (7),
A. Castillo (9) et Wieters, Tatum.
Ce qui signifie que C. Buchholz a lancé un
match complet pour Boston et a été le lanceur gagnant (G ; sa fiche est maintenant de 8 victoires et
3 défaites) de ce match ; que Tillman, le lanceur
partant (et perdant, P) du Baltimore – car le point
virgule sépare les deux équipes – a été remplacé
en 2e manche par Hendrickson après avoir lancé
une manche et un tiers (les tiers : un lanceur doit
retirer trois frappeurs pour compléter une manche de travail), en 5e par Albers et ainsi de suite ;
c’est le nom du ou des receveurs qui suit le « et » ;
en toute logique, le nom Tatum devrait être suivi
d’un chiffre entre parenthèses indiquant la manche lors de laquelle il a pris la relève de Wieters
– ce chiffre n’est pas ici disponible ; mais comme
il n’est pas venu au bâton alors que Wieters y est
venu trois fois ainsi que les frappeurs le précédant
dans l’alignement, il est clair qu’il est venu tard
dans le match.
Le nom du premier joueur des Expos (1986)
qui apparaît, Belle-maman, tout en haut de la
colonne verticale, est donc le premier à se pré-
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senter au bâton ; si son nom est suivi de « cg »,
cela veut dire qu’il évolue au champ gauche (à ce
moment-ci : il faut expliquer qu’il est « au champ »
neuf positions différentes sur un terrain de baseball ; expliquer les abréviations : ac (arrêt-court ;
inter, c’est mieux), r[eceveur], 2b, l[anceur], cc
(champ centre ; voltigeur de centre, c’est mieux),
etc. ; et à droite du nom de chaque joueur, il y
a des chiffres : ils indiquent que notre VMrtnz
est venu 5 fois au bâton (ab), qu’il a marqué 1
point (p), qu’il a frappé 3 coups sûrs (cs) et qu’il
a produit 1 point (pp). Et quand vous voyez un
« u » après une abréviation, BM (Belle-maman),
cela veut dire que quelqu’un est venu remplacer
un coéquipier ; soit un « fu » (frappeur d’urgence)
ou un « cu » (coureur d’urgence) – et il faut dès lors
expliquer la nécessité de ces urgentologues).
Il faut aussi expliquer de manière particulière
pourquoi il peut y avoir tant de « l » à la fin de
la colonne, ces « l »-là pouvant comprendre entre
eux bien des « fu » suivis de « cu ». Le « l » apparaît
à la fin de la colonne parce que, en règle générale
et très usuelle, les lanceurs sont de bien mauvais
frappeurs, puisque tel n’est pas la spécificité de leur
rôle et puisqu’ils ne jouent qu’un match sur quatre
ou cinq. Alors, quand votre équipe tire de l’arrière en 7e manche, disons, par deux points, qu’il
y a deux coureurs sur les buts, un au 3e et l’autre
au 1er et que votre lanceur devrait venir frapper,
le gérant peut fort bien décider d’envoyer à sa
place un frappeur d’urgence ; et si celui-ci frappe
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de la lecture et de l’écriture.
un simple qui fait marquer un point et envoie le
coureur du 1er au 3e, il peut remplacer ce frappeur
d’urgence dorénavant coureur au 1er, mais coureur
lent, par un coureur d’urgence forcément rapide,
de manière à éviter, dans la mesure des moyens
dont dispose son « banc », la possibilité d’un double-jeu qui empêcherait le coureur au 3e de venir
marquer le point égalisateur. Cela se dit « jouer
selon le Livre », livre non écrit mais fort lu et aux
conseils très suivis : il s’agit au fond d’us et coutumes de la pratique baseballienne. Ça va, Bellemaman, tout est clair ? Vous découragez surtout
pas, le plus complexe est à venir… (Et puisque les
lanceurs ne viennent pas au bâton dans la Ligue
américaine, il y a moins de « u » dans les résumés
de leurs matchs que dans ceux de la Nationale.
Or, le match Boston-Baltimore est un match de
l’Américaine.)
Ce plus complexe-là, c’est ce qui suit immédiatement les deux lignes horizontales dites
du line score (résumé sommaire) ; je vous dis, en
(trop) bref évidemment mais on en ajoutera au fil
des jours, puisque c’est là qu’en grande… partie
se reconstitue le match déjà joué : E, c’est pour
« erreur », ce qui peut avoir des incidences directes
sur le fait qu’un lanceur, dans ce que vous pouvez lire à l’horizontale encore et encore plus bas
que ce que nous lisons actuellement – qu’un lanceur, donc, peut avoir accordé 4 points (P) dont
3 seulement sont des points mérités (PM). Une
ou des erreurs au champ sont responsables d’un
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point qui, sans la ou lesdites, n’aurait pas été marqué. DJ, c’est pour double-jeu, deux retraits sur
un seul jeu ; LSB signifie « laissés sur les buts »,
des coureurs que les frappeurs suivants n’ont pas
réussi à faire marquer ; BV signifie « but volé ». Et
vous savez déjà, Belle-maman, que 2B ici signifie
un double plutôt que le poste de 2e but, et que C
signifie « circuit ». Si bien que si Valentine (Ellis),
cd des Expos dans la colonne verticale où il est
indiqué qu’il a frappé un cs (coup sûr) et produit
3 points (pp), vous allez plus bas et notez qu’il a
frappé un C (15 ; son 15e de l’année) : donc un
circuit de trois points, les trois points des Expos
en 7e disons, leur seule manche de trois points.
Et pour terminer ce paragraphe, allons aux deux
colonnes horizontales qui suivent : elles nous renseignent sur le travail des lanceurs. Un seul détail
ici : bien noter les buts sur balles (BB) donnés par
ceux-ci et savoir qu’une telle passe gratuite au
premier but ne compte pas comme une présence
au bâton (ab) pour le frappeur. Ce qui explique
qu’un fu peut avoir marqué un point (p) alors qu’il
n’a aucune ab – ça va ?
Oui, ça allait, nous étions en tête de la Ligue nationale, de tout le baseball en fait. Enfin.
Nous allions effacer le Blue Monday de 1981.
Peut-être, à la fin. Et pourtant non, ça n’allait
pas, ça n’allait pas fort du tout, la grève planait
(elle avait été courte en 1981), qu’allait devenir
cette saison 1994 ? Nous n’allions guère tarder à
le savoir : calendrier terminé en août, pas de Série
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de la lecture et de l’écriture.
mondiale, la première et la seule fois qu’une telle
chose se soit produite. Et ça tombait sur nous, sur
nos Zamours. De fait, ça n’allait plus aller beaucoup à partir de cet été 1994. Pour un Vladimir
Guerrero, un Pedro Martinez et un Felipe Alou,
il y aurait toujours un Claude Brochu, un Jeffrey
Loria ou un Bud Selig. Quand vous avez eu une
fois le sentiment d’être floué, leurré, sciemment
trompé, c’est un peu dur à éradiquer à tout jamais,
comme. Qu’est-ce donc qu’il nous restait comme
line et box scores (résumés sommaires ou détaillés)
à étudier – non, vaut mieux dire « à triturer » ou
« à torturer » –, nous les connaissions presque par
cœur (sous toutes les coutures ?), à la fin, les résumés des derniers matchs de la saison championne
inachevée des Expos.
La mémoire a ses droits, personne ne sait
mieux cela que la devise du Québec et les statistiques du baseball. Au début comme à la fin, on
pourrait même dire que le baseball et son Histoire
se jouent tout autant dans les chiffres que sur le
terrain. Ce sont les sacro-saintes statistiques ès
baseball qui permettent de comparer par-delà les
âges, mais en nuançant celles-ci de plein d’autres
données, le nombre de coups sûrs réussis par
Pete Rose qui frappait, lui, une balle nouvelle à
chaque fois qu’il se présentait au bâton, alors que
Ty Cobb, à la fin d’un match, devait s’élancer sur
une balle bien défraîchie – sauf que les joueurs de
champ, devant Cobb, disposaient de gants bien
aléatoires en regard des paniers surdimensionnés
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Renald Bérubé
que Rose devait déjouer. Et les lanceurs partants,
à l’époque de Cobb, étaient encore d’office au
monticule en 9e, alors que Rose en était peut-être
à affronter son troisième lanceur du match, chacun étant toujours tout frais, à ce moment-là de sa
4e présence au bâton. Statistiques, circonstances
usuelles, disons (à ajouter encore à ce qui vient
d’être dit : la grandeur des stades ; les distances
entre le marbre et les trois champs dans chacun
de ceux-ci, une courte distance au champ droit
favorisant les cogneurs gauchers ; la nature des
terrains eux-mêmes, naturels ou artificiels, etc.),
circonstances exceptionnelles aussi : le baseball
majeur des années 1942-1945 et un peu plus avant
dans le temps s’est joué sans la présence au sein de
leur club d’un grand nombre de leurs meilleurs
éléments.
Permettez que je vous dise : je rêve encore de
ce que seraient les statistiques de Ted Williams
s’il n’avait, pilote émérite de bombardiers, participé à la Deuxième Guerre mondiale, et s’il
n’avait dû – dû, faut insister –, seul de son espèce
baseballienne dans cette situation, participer à la
guerre de Corée. La direction des Red Sox, pour
dire les choses comme elles étaient alors, fut d’une
pleutrerie toute puritaine dans la défense de son
as frappeur/cogneur contre les knights of the keybord (selon la formule de Williams) bostoniens,
en lutte entre eux pour la vente de leurs journaux
respectifs, et autres adversaires de Williams le
Californien d’origine qui osait parler sans détours
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de la lecture et de l’écriture.
et qui ne faisait pas mystère de ses humeurs. (Il
fut, avec les frères DiMaggio et Duke Snider,
parmi les premiers Westerners à jouer dans des
Majeures alors essentiellement eastern ou midwest.) Je crois que Belle-maman, avec quelques
réserves tout de même (« C’était une grande g…
ce Williams, non ? » ; « Oui mais, souvenez-vous
de ce qu’on lui a fait endurer – en Corée, pire que
les souvenirs de guerre de l’oncle André, Bellemaman » : faut ce que faut, dans une discussion),
a fini par admirer sinon aimer, disons, mon frappeur préféré. Et comment faire l’économie d’une
belle situation ironique : c’est avec un journaliste
nommé John Underwood (oui, oui, Underwood,
comme le nom des machines à écrire utilisées
par les knights of the keyboard) que le Ted au si
bel élan a écrit son autobiographie intitulée
My Turn at Bat. The Story of My Life (Simon &
Schuster, 1969). Ajout intempestif, car il fallait
que Belle-maman « aime » Williams : ai lu avec
elle, en le traduisant au mieux, le si beau texte
que le romancier John Updike a consacré dans le
prestigieux magazine The New Yorker au dernier
jour de Williams comme joueur des Red Sox en
1960 (sa dernière ab fut un C) : « Hub Fans Bid
Kid Adieu ». Répétez après moi : faut c’que faut.
Retour à la mémoire et à ses droits. Je me
souviens. Je n’ai pas conservé les sommaires selon
La Presse, notre référence alors (et voyez-moi ça
comme les choses peuvent changer : La Presse ne
donne même plus ni les line ni les box scores ; elle
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Renald Bérubé
donne (dans un encadré, disons) le résultat des
matchs à gauche sur une ligne fort brève, suivi
à droite sur la même ligne du nom et de la fiche
des lanceurs gagnants et perdants ; en ce lundi
4 octobre 2010 par exemple, on peut lire entre
autres : « Los Angeles 2 Texas 6 (G. Wilson 15-8
P. Santana 17-10) » ; vous devinez que le choix
de ce résultat n’est pas le fruit du hasard. Suis
content du résultat à cause de V. Guerrero, l’exExpo étoile des derniers ans du club ; délaissé par
les Angels de LA qu’il a menés à bien des championnats de section, il a signé un contrat avec les
Rangers du T. qui ont devancé cette année les
Angels ; et Vlad (vous permettez ?), frappeur de
choix, a fait marquer 115 points en 2010), des
derniers matchs de la saison 1994 des Zamours.
Je me tourne donc du côté de Google, d’Internet, du Web, de la Toile, alouette, la chanson,
pas le club de football. Qui n’ont finalement rien
inventé, les www, si l’on doit oser une formule
que personne ne croira. Car le baseball, depuis
ses origines, dispose, on l’a dit, du Livre, un Livre non écrit, virtuel (langage d’aujourd’hui) ou
oral (langage qui remonte à la nuit ou au premier
jour des Temps) donc, un Livre suivi par tous les
entraîneurs, sorte de Bible ou de Coran ou de Torah, alléluia, qui prescrit les décisions à prendre
en telle et telle circonstances.
Exemple, le réel obéissant au virtuel : il y a
deux coureurs adverses sur les buts, au 1er et au
3e, deux retraits en fin de 9e manche, un frappeur
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de la lecture et de l’écriture.
gaucher à moyenne de ,330 s’amène au bâton,
alors que votre meilleur releveur de fin de match,
un droitier, est déjà au monticule – que faitesvous, gérant réel ? Le Livre virtuel exige (j’exagère
peut-être un peu ; « suggère expressément », donc)
un lanceur gaucher pour affronter le frappeur
gaucher à moyenne ,330 ; sauf que votre meilleur
releveur gaucher n’est pas du niveau de votre
droitier déjà au travail, même s’il a, par ailleurs,
une bonne moyenne de retraits contre le frappeur
gaucher qui s’amène ; entre réel et virtuel, vous
faites quoi ? En sachant bien, gérant depuis bien
des années, que de toute manière vous aurez tort,
vous aurez pris la mauvaise décision si le frappeur obtient un coup sûr ou contre le droitier ou
contre le gaucher ; et les spectateurs, ces lecteurs
impitoyables dans l’après-coup, traduction libre
de second guessers, trouveront que la décision allait
de soi si le frappeur est retiré par l’un ou l’autre
lanceur.
Belle-maman et moi avons si tant parcouru,
lu, commenté, disséqué, trituré et torturé les sommaires des derniers matchs des Expos en la saison
tronquée de 1994 que je me dois de me souvenir
d’un, à tout le moins, et de vous encourager à
consulter ces résumés, brefs et détaillés. J’ai donc
choisi, ce 25 octobre 2010, celui du 6 août 1994,
depuis l’adresse suivante (c’est en anglais, forcément ou à peu près, oserais-je dire) : http ://www.
baseball-reference.com/boxes/PHI/PHI199408060.
shtml. Je suis sur le point de quémander ou pres-
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Renald Bérubé
que, me servant de la mémoire de Belle-maman
comme d’un alibi, sachant que je défends tout
autant mes « Je me souviens » que les siens : allez donc jeter un coup d’œil, plusieurs seraient
mieux, sur cette belle page-là. (Et consultez donc
aussi cet autre site afin d’avoir la liste complète
des Expos de cette année-là, puisque, forcément,
chacun n’a pas joué en ce 6 août de l’an béni puis
maudit de 1994 : http ://www.baseball-almanac.
com/teamstats/roster.php ?y=1994&t=MON. Ce n’est
pas parce qu’ils n’ont pas joué ce jour-là que Ken
Hill ou Larry Walker n’étaient pas membres des
Expos en 1994. C’est que je pense aux ventes de
feu qui vont bientôt nous éradiquer du baseball
majeur, faire de nous, pour un temps avant le
Grand Déménagement, une filiale à fort rendement de nouveaux joueurs pour ce même baseball. Nous avions de bons dépisteurs, un superbe
entraîneur-chef, mais de piètres administrateurs,
peureux sinon pleutres, le p’tit pain de notre destinée historico-politico-religio ancestrale, quoi.
Merci.)
Vous avez déjà constaté, comme nous l’avions fait dans La Presse d’alors (c’est donc plutôt la
Cyberpresse qu’aujourd’hui il faut consulter, plutôt
que son ancêtre de papier), que le match avait eu
lieu à Philadelphie (nous le savions sans besoin
de lecture en 1994), gagné 4-3 par les Expos en
11 manches (ibid.) ; le match a duré 3 heures et
38 minutes (pas 39 ni « plus de 3 heures et demie ») et il fut disputé devant 41 699 spectateurs
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de la lecture et de l’écriture.
(pas 41 700 ni « presque 42 000 » : les statistiques
doivent être précises ; d’où l’invraisemblance, par
exemple, d’un recensement censément national
qui serait mené à la va-comme-je-te-pousse, sans
aucune obligation pour les citoyens de répondre à
ses questions). Et la fiche des Expos en haut à gauche : 70 (victoires)-39 (défaites), ils étaient 1er (1st)
sous la gouverne de Felipe (entre Belle-maman et
moi, c’était ainsi qu’il était désigné – la connaissance et l’amitié donnent des privilèges) ; et le
lanceur gagnant pour les Expos, John Wetteland,
l’homme qui avait expliqué dans une interview
que le canal télé qu’il appréciait entre tous était le
canal Météo : il apprenait là des faits sur diverses
manifestations touchant notre planète qu’aucun
autre canal ne savait offrir. John Wetteland, notre
finisseur de matchs, a une superbe fiche dans ce
rôle, mais on aurait pu croire qu’il avait un ou des
ancêtres made in France, pratiquant régulier qu’il
était de la formule (trop) connue « pourquoi faire
simple quand on peut faire compliqué » souvent
associée aux Français : appelé en relève, Wetteland n’en finissait pas de se compliquer la vie et
de crisper nos attentes, ajoutant un homme sur
les buts alors qu’il y en avait déjà un et que nous
ne menions que par un point, commençant par
lancer deux balles au frappeur suivant avant de le
retirer sur trois prises d’affilée pour mettre fin au
match. Ouf !
Sauf que, s’il est le lanceur gagnant du match
de 11 manches ce jour du 6 août 1994, c’est jus-
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Renald Bérubé
tement parce que pour n’avoir pas fait simple, il a
mis en marche un autre adage, « à force de jouer
avec le feu on finit par se brûler » : en accordant
un circuit de 2 points à John Kruk en 9e manche,
Wetteland a bousillé l’avance qu’il devait préserver. Mais, bon, ça arrive aux meilleurs ; plus
tard, en 1996, Belle-maman et moi suivront avec
admiration et dépit les prouesses du Yankee de
New York nommé John Wetteland en Série mondiale ; les ventes de feu des Expos avaient d’ores
et déjà commencé, l’incendie allait durer jusqu’en
2004, dix ans, 1994-2004, pendant lesquels nous
allions assister à la transformation des Expos : ce
club des Majeures devenait le club-école par excellence pour développer de jeunes étoiles qui, au
moment d’accéder à ce statut dispendieux, étaient
échangées à un club qui nous refilait alors ou ses
has been ou ses anciens « prospects » devenus « suspects ». Pour tout dire, nous étions embroch(u)és,
et le Selig (Bud de son prénom prédestiné, lui qui
fut propriétaire des Brewers de Milwaukee avant
de céder cette concession à sa fille aux fins de
devenir Kommissaire du baseball majeur, hum ;
Bud, donc, pas le Selig de Woody Allen) n’avait
guère d’affection pour Montréal, davantage pour
Washington-la-capitale ; dites-moi si les Nationals y sont dans une meilleure situation que Our
Loved Ones in Montréal ? Bon. L’ami Languirand, l’unique Jacques, m’a toujours dit, quand je
grinchais trop fort des dents ou du langage, que
l’amertume ne menait à rien ; et cette assertion a
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Belle-maman, le baseball et le tricot :
de la lecture et de l’écriture.
toujours reçu, de Belle-maman, un appui appuyé
(oui oui) par une expérience aux multiples volets
qui me convainquait d’emblée. Passer à autre
chose, alors.
Ce qui n’empêche en rien, « Je me souviens » et
statistiques, de se rappeler : qui fut donc le lanceur
partant des Dodgers lors de ce lundi à Montréal,
le lundi 19 octobre 1981, lundi connu, en code de
baseball montréalais et québécois, sous le nom de
Blue Monday parce que Rick Monday, voltigeur
des Dodgers, frappa en 9e manche contre Steve
Rogers, le circuit qui, en finale de la Nationale,
éliminait les Expos d’une participation à la Série
mondiale ? Qui les aurait mis aux prises ( !) avec
les Yankees qui plus est, goodness de goodness. Bon
– à nouveau. Et à nouveau, la question de tantôt :
le nom du lanceur partant des Dodgers le lundi
19 octobre 1981 ? Fernando Valenzuela, celui-là
même qui a accordé leurs 3 points mérités aux
Expos ce 6 août 1994 – car le point de la victoire,
en 11e manche, fut la conséquence heureuse/
néfaste d’une erreur du lanceur (perdant) Doug
Jones des Phillies. La mémoire encore : qui se
souvient que Valenzuela est passé des Dodgers
aux Angels (en 1991) puis aux Orioles (en 1993)
puis aux Phillies (en 1994) ? Partisans des Expos,
nous nous souvenons encore que Valenzuela fut
préféré à Tim Raines comme recrue de l’année
dans la Nationale en l’année Monday de 1981,
celle de nos premières déconvenues durables,
profondes (non mais, envoyer Rogers, un partant,
184
Renald Bérubé
lancer en relève en 9e quand on a Jeff Reardon
dans son enclos de releveurs ; le Jim Fanning qui
dirigeait (grand mot) les Expos se croyait donc
dans les années 1950, avant l’ère des releveurs
spécialisés ?). Bon, une fois encore. N’empêche ;
Belle-maman et moi sommes contents, car la justice distributive aristotélo-aquinienne de mes années de collège semble avoir un sens : on ne peut
toujours perdre, nous avons mis Valenzuela hors
d’état de gagner contre nous à nouveau. Ouais.
Mais pour rien – notre premier rang allait se terminer sur une grève, pas sur une participation à
une Série mondiale.
Là ou ici, vous allez, lecteurs et lectrices, permettre que je m’adresse à Belle-maman par-delà
son départ de notre planète. Vous demandant
cette permission, je m’appuie sur des précédents
qui me semblent de grand poids ; les suivants : si
notre Yves Thériault, dans cet Ashini (1961) dont
il était si intimement fier, autorise son personnage
éponyme à s’adresser à nous, lecteurs et lectrices,
depuis l’au-delà, depuis le Paradis des bonnes
chasses des Manitouts qu’il habite désormais
depuis son décès ; si l’auteur albertain W. P. Kinsella, dans son Shoeless Joe (1982), permet au plus
célèbre des bannis de la Série mondiale de 1919,
le héros selon le titre du roman, de se réincarner
et de rejouer des matchs de baseball en Iowa sur le
terrain construit par qui a cru en la voix disant « si
tu le construis, il viendra », quitte à ce que toutes
ces étoiles bannissent Ty Cobb, le salaud-aux-
185
Belle-maman, le baseball et le tricot :
de la lecture et de l’écriture.
crampons-sans-pardon, de leur réincarnation ; si
tout cela est permis en écriture, Belle-maman,
il me sera bien permis de m’adresser ici à vous
depuis un clavier terrestre qui souhaite vous rejoindre dans un au-delà que je ne connais pas.
Pour souligner à nos lecteurs et lectrices,
Belle-maman, que vous n’avez pas eu le temps de
consulter ce lien de la Toile que j’ai commenté
depuis un court tantôt ; pour vous dire, et ça
vous le saviez bien avant de nous quitter pour
des lieux inédits, que LE Livre (« Bible » signifie
bien « livre », toute « bibliothèque » nous l’apprend
aisément…) et que les États-uniens de stricte observance des statistiques usuelles n’en ont jamais
assez de celles-ci, jamais, qu’ils sont insatiables,
comme ; si bien ou à telle enseigne, et à celle du
baseball davantage qu’à toute autre, qu’ils n’en
finissent pas d’en rajouter. Je sais, Belle-maman :
la page Web/Toile que je commente depuis un
moment déjà comporte plein de données dont
nous n’avons jamais causé, des entrées que votre
bilinguisme ès baseball, tout autant que le mien,
éprouve des difficultés à bien saisir. Sauf que,
vous l’avez sans doute noté, si je pointe le curseur
sur une abréviation donnée, une case s’ouvre qui
m’explique de quoi il s’agit : elle m’explique et le
sens des lettres de l’abréviation et leur « contenu ».
Si bien que LOB, par exemple, signifie « left on
base », laissé(s) sur les buts in french, ou que le
« Str » de la fiche en horizontale des lanceurs
signifie strikes, c’est-à-dire le nombre de prises
186
Renald Bérubé
lancées par le lanceur en cause. Depuis ce lieu-ci
où je m’adresse au vôtre lieu d’au-delà, Belle-maman, il me plaît de croire que vous continuez de
suivre et les résultats des matchs de baseball et
la façon qu’ont les médias nouveaux de présenter
line et box scores, résumés sommaires ou détaillés.
Sans (trop) insister par ailleurs sur la façon grotesque qui semble d’office devoir présider, la station RDS présidant, à la lecture desdits bulletins
par des lecteurs qui pourraient se reconnaître, si
la chanson est d’eux connue, dans « L’agité » de
Félix Leclerc.
Cela a continué et continué, et continue toujours, Ashini et Shoeless Joe étant de notre bord,
plaisir de qui veut comprendre, plaisir de qui explique ; bien des repas du midi après celui du mois
d’août 1986 comme avant celui de 1994, peut-être
sommes-nous en 1988 déjà, au moment de la Série mondiale mettant aux prises les Dodgers de
Los Angeles et les As d’Oakland, la Série Kirk
Gibson et Orel Hershiser. (On pardonnera cette
intrusion du littéraro-ciné-médiatique : quand
Kirk Gibson, lors du 1er match de cette Série, a
frappé, en relève à la 9e manche, le circuit qui
donnait la victoire aux Dodgers alors qu’il était
tout croche et poqué de blessures, des coéquipiers
ont dit aux médias qu’il avait été un vrai Roy
Hobbs ; ce Roy Hobbs, c’est le personnage central du roman de Bernard Malamud, The Natural
(1952), personnage de frappeur qui échoue à la fin
du roman ; sauf que Hollywood ayant ses droits et
187
Belle-maman, le baseball et le tricot :
de la lecture et de l’écriture.
ses fins, le film (1984) du même titre que le roman
réalisé par Barry Levinson et mettant Robert Redford en vedette, se terminait sur un Roy Hobbs
triomphant. Faut-il en déduire que les joueurs
voient plus de films qu’ils ne lisent de livres ?)
Détail qui a pris place lors de cette longue
parenthèse qui résume ( ?) les gloses ( ?) empressées fournies dans le cadre du 101 sportif
ainsi qu’évoqué : je m’avise à ce moment-là que
Belle-maman, habitude de toujours ou presque,
tricote. Un pull pour notre p’tite dernière déjà
bien grande, qu’elle me dit, et qui serais-je pour
en douter ? Ce qui m’intrigue fort par ailleurs,
ce sont les pages – et pourquoi ne les ai-je pas
vues explicitement avant, puisque je sais bien à
ce moment-là que de telles pages ont toujours
été là au moment des, des, des « cours de baseball » – ce sont les pages, donc, d’un magazine
de tricot, vraisemblablement, des pages qu’elle a
extraites d’un magazine, ce qui rend impossible
l’identification précise de ce dernier. Pages qu’elle
a laissées à sa fille aînée, ma Chérie, chez nous,
donc. Je lis d’abord, ainsi qu’à l’automne de 1988
(probablement) : « Pull jacquard scottish ». Bon,
que j’me dis, ce doit être ça, le nom du pull. Puis,
plus loin : « Présentant une bordure de chien scottish au-dessus de l’ourlet, cette tunique large aux
emmanchures raglan et aux bordures roulées est
tricotée dans un point facile de côtes ». Ben sûr,
dirait un personnage de VLB. Et le « jacquard »,
lui ? Brève virée du côté de Petit Robert : « JAC-
188
Renald Bérubé
QUARD n.m. et adj. inv. – 1834 ; n. pr. 1. Métier
à tisser dont Joseph Jacquard réalisa la mécanique
vers 1780. 2. Adj. inv. Un tricot, un pull jacquard,
ou n. m. un jacquard : tricot qui présente des bandes de motifs géométriques ou de dessins variés
et multicolores. Des jacquards. – Ces motifs. » On
pourrait en faire de magnifiques uniformes de
baseball, quasi. Sauf que le tricot, c’est chaud ;
Belle-maman ne trouve pas la dernière remarque
particulièrement nécessaire – « pense au hockey,
alors, qu’elle ajoute ». Ça va, j’ai compris ; elle veut
me dire qu’elle n’a jamais rigolé aux dépens de
mes scores, elle.
Je continue notre lecture d’extraits du magazine, donc. Afin de comprendre, cela va de soi ;
mais en ayant vaste besoin d’explications, vous
allez m’expliquer, BM. Que faire par exemple des
lignes suivantes :
« DOS : Montez 91 [97 : 102 : 108] m. A,
aig. no 4. En comm. par 1 rg env., tric. 8
rgs de jersey env.
Rg suiv. : à l’end.
Rg suiv. : 3 [6 : 3 : 6] m. env., (1AI, 12 m.
env.) 7 [7 : 8 : 8] fs, 1AI, à l’env. jusqu’à la
fin = 99 [105 : 111 : 117] m.
Prenez les aig. no 5. Cont. ainsi en côtes :
1er rg : (end.) 1 m. end., (1 m. env., 1 m.
end.) jusqu’à la fin.
2e rg : à l’env.
Ces 2 rgs forment les côtes. Tric. Encore 4
rgs en côtes. »
189
Belle-maman, le baseball et le tricot :
de la lecture et de l’écriture.
Ce langage codé se poursuit pendant environ
cinq fois la longueur du passage qui vient d’être
cité. Car après le DOS il y a le DEVANT, les
MANCHES et la BANDE D’ENCOLURE.
Si le DOS explique comment tricoter les « Emmanchures raglan » (notre citation DOS ne s’est
même pas rendue là), le DEVANT cause, lui, de
l’« Encolure » et les MANCHES, elles, des « Emmanchures raglan ». Ça fait vraiment beaucoup de
monde à la grand-messe, pourrait dire un cowboy
fringant dont les fringues auraient besoin d’un
tricot neuf. Et si on l’aidait à composer lui-même
sa vêture neuve ? Et le mot « raglan » – nouvelle
virée chez Robert dit Le Petit : « RAGLAN n.
m. et adj. inv. – 1858 ; du nom de lord Raglan.*
ANCIENNT. Manteau à pèlerine dont la mode
fut lancée au moment de la guerre de Crimée.*
(1904) VIEILLI Pardessus assez ample, à manches droites, dont l’emmanchure remonte en biais
jusqu’à l’encolure. Des raglans.* Adj. inv. MOD.
Des manches raglan. – Qui a des manches raglan.
Manteau raglan. » Vous arrive-t-il, à vous aussi,
d’éprouver des difficultés à bien saisir, à bien vous
représenter ce que le dictionnaire, avec force précisions, vous décrit sans broncher ? Merci de votre
compréhension – si je puis dire, en l’occurrence.
Cela dit, je n’ose quasiment plus vous révéler que
nous avons aussi consulté le Petit Robert 2, celui
des noms propres, à cause de la Crimée (guerre
de). Quand vous vous donnez la peine de suivre
les filières (les filiales, dirait le baseball ?) où vo-
190
Renald Bérubé
tre passion, de fil en aiguille (évidemment), peut
vous mener, the sky peut très bien devenir the limit. Pour dire qu’à la… limite, alors, il n’est point
de celle-ci, de limite je veux dire.
Quelques explications provenant des pages
laissées par Belle-maman (BM, c’est trop connu
(suivi d’un W habituellement), plutôt dépersonnalisé par ailleurs, comme un numéro qui
aurait choisi d’être une lettre, je trouve ; je n’arrive pas à me dire, à la fin, que cette abréviation
puisse associer Belle-maman à un lieu virtuel
du losange…) – mais ce serait si plaisant si elle
était encore là pour rendre ces explications bien
concrètes. En tout cas. Il y a la rubrique « Pour
commencer » qui vous dit « ce que vous avez à
faire » après vous avoir parlé de tailles (« poitrine :
81 [86 ; 91 : 97] » ou « largeur de l’épaule : 67 [68 :
69 : 70] », de « quantité de fil », d’« aiguilles » et
de « matériel supplémentaire ». Mais c’est surtout
la rubrique « Réalisation », dont proviennent les
extraits cités au paragraphe précédent, qui mérite toute notre attention ; car mettant la charrue
devant les bœufs, pour employer une formule ici
parfaitement inappropriée, qu’il s’agisse de baseball ou de tricot, nous avons cité ces extraits sans
fournir les « Abréviations » qui les précédaient,
astuce douteuse de narrateur qui veut retenir l’attention de qui l’écoute ou le lit. Ces abréviations,
alors : « Aig. = aiguilles ; augm. = augmentez ;
comm. = commencez ; cont. = continuez ; dim.
= diminuez ; end. = endroit ; ens. = ensemble ;
191
Belle-maman, le baseball et le tricot :
de la lecture et de l’écriture.
env. = envers ; m. = mailles ; rab. = rabattre ; rép.
= répétez ; rest. = restantes ; rg(s) = rang(s) ; suiv.
= suivant ; term. = terminez ; trav. = travail ; tric.
= tricotez ; 1AI = 1 augm. intercalaire : tric. le fil
tendu entre 2 m. en le tordant pour éviter la formation d’un trou. »
Et c’est ainsi, point (!) n’est besoin d’en dire
beaucoup plus, que Belle-maman et moi discutâmes de l’emploi des codes de nos lectures respectives. Elle entendait le sien au premier coup d’œil,
le mien du baseball m’était lisible/audible les yeux
presque fermés ; les deux fonctionnaient selon le
registre de l’abréviation ; si le sien semblait davantage aller de soi dès lors qu’on en avait saisi le
mode de fonctionnement, c’est uniquement parce
qu’il relevait d’un langage plus courant que celui
du baseball. Encore que. Car il faut le savoir que
« env. » signifie « envers » et non pas « environ » ;
que « m. » signifie mailles et non pas… manches
(de baseball ?). Disons. Comme quoi, les mêmes
usages, abréviatifs ou autres, peuvent, d’une
pratique à une autre, revêtir des significations
bien différentes. Et si vous sentez bien que je ne
m’avance pas trop trop dans la lecture de son code,
si par exemple je n’explique guère comment tel
passage touchant le DOS et le DEVANT (« Trav.
Comme pour le dos jusqu’à **. »), comment ces
deux-là, donc, et la BANDE D’ENCOLURE
peuvent jouer de l’interinfluence, c’est que ma
maîtrise dudit code, en l’absence de la prof, est
devenue au mieux aléatoire. Et je ne peux m’em-
192
Renald Bérubé
pêcher de penser au Greimas de Du sens II. Essais
sémiotiques (Seuil, 1983) qui, pages 158-169, menait l’analyse d’une recette de « soupe au pistou »
– recette de soupe et « patron » de tricot, même
combat, non ? Car tous les codes, à la fin, visent
à deux objectifs essentiels : la brièveté et le fait
d’être audibles aux initiés seulement, les deux
étant intimement liés. Puisque si vous devez vous
expliquer à n’en plus finir à un initié, l’économie
n’est que de bout de chandelle et, qui plus est,
vous risquez fort d’être entendu par qui vous ne
voulez pas (ainsi : quand un receveur doit rendre
visite à son lanceur qui n’en finit pas, par des gestes de tête, de dire « non » à ses appels de lancers,
appels codés par ses doigts et cachés à la fois par
son corps et son équipement) ; par ailleurs, le mot
« initié » peut aussi rimer avec « élasticité » : il est
bien davantage d’initiés de la « carte de pointage »
au baseball qu’il en est du/des code/s secret/s de
la CIA ou du KGB de jadis.
Et je m’en voudrais beaucoup, et peut-être
serait-ce le cas de ma Chérie aussi, si j’omettais
de parler ici de la recette/du « patron » des « Manchon et chapeau astrakan » d’après laquelle/
lequel Belle-maman a tricoté ces objets-là pour
son aînée, objets toujours d’usage par sa destinatrice. Il s’agit donc de ceci, en une première présentation qui, dirait-on, y va par auto-pub : « Ces
superbes accessoires, au style russe bien affirmé,
vous tiendront bien au chaud lors de vos balades
hivernales… Si simples et si stylés – et tout aussi
193
Belle-maman, le baseball et le tricot :
de la lecture et de l’écriture.
faciles à réaliser. Ces accessoires assortis sont
tricotés avec un fil très doux qui a l’apparence de
la fourrure. » Il faut le souligner, quand même :
c’est chaud (Chérie et moi pratiquons beaucoup
la raquette, l’hiver), simple, stylé et facile à
réaliser ; qui oserait demander plus ? Simplicité
et style réunis, déjà, c’est bien proche du Pérou
tout autant pour qui aligne les mots que pour
qui additionne les mailles. Une question, tout
de même, Belle-maman : c’est quoi de l’astrakan,
une sorte de laine ? Probablement… une autre
visite de courtoisie à Robert-le-Petit, mais qui en
sait beaucoup, s’imposait : « ASTRAKAN n. m.
– astracan 1775 ; ville de Russie.* Fourrure à poils
bouclés d’agneau caracul tué très jeune → breitschwanz. Manteau, col d’astrakan. – Manteau
d’astrakan. Des astrakans noirs. » Vous savez bien
que nous ne nous sommes pas arrêtés là, Bellemaman et moi, vous savez même chez quel mot il
fallait aller faire un tour : « BREITSCHWANZ
n. m. – 1922 ; braitchwantz 1910 ; mot all. « large
queue »* Variété d’astrakan. » Ah bon, une fois
qu’on le sait…
Mais pour formuler les choses ainsi que
nous les avons pensées, et en empruntant à une
métaphore tout ce qu’il y a de plus audible : il y
a des portes ouvertes qui ne mènent pas loin, sinon nulle part. En tout cas : l’astrakan russe et la
« large queue » allemande, compte tenu des dates
évoquées dans la deuxième définition, peuvent
témoigner du fait qu’au début du XXe siècle, il
194
Renald Bérubé
y avait des échanges culturels entre la Russie et
l’Allemagne ; n’y a-t-il pas un personnage allemand dans Les Trois sœurs (1901) de Tchékhov ?
Il y avait alors, en Russie, de viriles discussions
entre tenants de… « Faudrait peut-être aller
voir ce que veut dire le mot qui venait après
agneau dans la définition d’astrakan », que me
dit Belle-maman. Oui, revenir à nos moutons,
à l’agneau en fait. « CARACUL n. m. VAR.
KARAKUL – fin XVIIIe de Karakoul, nom
d’une ville d’Ouzbékistan 1. Mouton de l’Asie
centrale chez lequel les agneaux nouveau-nés ont
une toison bouclée. astrakan, breitschwanz. 2.
Fourrure de ces agneaux. Manteau de, en caracul. »
En d’autres termes, Belle-maman a tricoté du caracul en tricotant de l’astrakan, il est toujours bon
de savoir précisément ce que l’on fait, ça rassure
(parfois, en tout cas) ; la curiosité étant ce qu’elle
est, sommes allés en Robert 2 des noms propres :
en Ouzbékistan (république) d’Asie centrale, il y
a 71,3 % d’Ouzbeks, 8,3 % de Russes, 4,7 % de
Tadjiks et 4 % de Kasakhs. Tant de précision,
ici, signifie évidemment que je viens tout juste de
fréquenter à nouveau monsieur Robert 2, la mémoire, statistiques ou dictionnaires, a besoin de
ses outils.
Quand même, c’est un peu foufou là où un
seul mot peut nous mener si on veut suivre la filière de sa définition. Comme il peut sembler de
prime abord quasi incroyable (le « r » de ce mot
doit être prononcé ; contrairement à ce que peut
195
Belle-maman, le baseball et le tricot :
de la lecture et de l’écriture.
laisser croire la prononciation dudit mot par les
commentateurs sportifs de la radio et de la télé :
ils ont tous une forte tendance à trouver telle
manœuvre de Subban ou de Calvillo ou de Vlad
(jadis) plutôt « incoyable ») de reconstituer un
match de baseball à partir d’un petit rectangle à
la verticale plein de noms (en abrév. souvent) et de
chiffres (placés sous d’autres abrév.), un petit rectangle codé dont le contenu dépasse infiniment
ses propres proportions. Le « manchon et chapeau
astrakan », donc (et pourquoi « astrakan » est-il
ici au singulier, puisqu’il qualifie « manchon »
et « chapeau » ? Parce que, s’il est des « astrakans
noirs », selon Petit Robert, l’adjectif – non plus le
nom – « astrakan », pas plus que le mot « mauve »
adj., ne saurait jouer le jeu du nom qu’il accompagne). Bon. Il y a d’abord, logique implacable, la
rubrique « Pour commencer » qui suit immédiatement l’auto-pub déjà évoquée ; rubrique suivie
d’un topo sur « Le fil » intéressant au plus haut…
point, puisqu’il nous ramène d’emblée, disons, à
« la laine des moutons », ce qui se chante autant
que cela se tricote : « Le fil. C’est un mélange de
60 % laine, 30 % microfibre et 10 % cachemire.
Il produit un tricot à l’aspect intéressant […]
dans de nombreuses couleurs contemporaines. »
S’agissant du tricot destiné à son aînée, Bellemaman, connaissant sa plus…, son aînée, avait
choisi (d’accord avec le gendre, mais peut-être
faut-il ne pas le dire) la couleur orange brûlée.
Belle-maman, à vrai dire, n’a plus jamais
196
Renald Bérubé
cessé de lire, avec un plaisir égal à celui de l’oncle
Arsène-les-Bidous lisant ses pages financières,
les pages « veux-tu bien me dire ce que tu trouves d’intéressant là-dedans ». Elle avait d’une
part du cran, Belle-maman, elle savait d’autre
part rire d’elle-même quand les circonstances
l’obligeaient, disons, à aborder un univers d’elle
inconnu, ce qui risquait de la mener au bord d’un
dérapage ou d’un autre. Le gendre n’a toujours
qu’un seul commentaire, le suivant, en termes un
peu longuets : un gendre qui écrit sur le baseball
peut-il demander davantage qu’à la mienne à une
belle-maman qui pratique le tricot et autres petits
points ? J’ai appris, j’ai dérapé aussi, nous avons ri ;
pour rester dans l’esprit du baseball qui aime tant
la symétrie (3 prises, 3 retraits, 3 fois 3 manches,
90 pieds entre les 3 buts comme entre ceux-ci et
la « maison » – et le grand V qui s’ouvre à l’Infini
à partir de celle-ci), il est peut-être de bon aloi
de signifier que mes apprentissages du tricot, inachevés (Jacques Plante était de loin plus et mieux
doué) et qui me laissent en déséquilibre d’écriture, se firent selon une formule qui pourrait,
l’hypertextualité ayant des atouts, se lire ainsi :
mother-in-law explaining knitting to son-in-law.
Et à nous qui avions tant fait usage du Robert
Petit, Belle-maman n’avait pas manqué un jour de
telle année entre 1986 et 1996, de faire remarquer
que l’avant-dernier des feuillets, numéroté 131
mais venant à la suite d’un 134, de ces extraits que
j’utilise encore aujourd’hui – que cet avant-der-
197
Belle-maman, le baseball et le tricot :
de la lecture et de l’écriture.
nier s’intitulait « A à Z. Vocabulaire du tricot » ;
et l’accroche qui suit le titre se lit ainsi : « Dans
ces pages, nous continuons à répertorier les termes les plus souvent employés dans l’univers du
tricot. Techniques ou courants, ils vous aideront
à devenir une pro. » Oui oui, j’ai noté, UNE pro.
Bon. Questions : est-ce que le « Vocabulaire » est
complété, est-ce qu’il a été édité en tant que livre
autonome ? Pourquoi, à l’époque, n’ai-je jamais
demandé à Belle-maman la provenance de ces
feuillets détachés ? (Note : ces pages, feuilles ou
feuillets portent le numéro 67 dans le coin supérieur droit ; chiffre suivi, selon le cas, de « Le
plaid », « Devenez styliste », « L’école du tricot »,
« Tout sur les points », etc., ces intitulés se lisant
de haut en bas.) Probablement parce que je me
disais qu’elle m’aurait répondu : « C’est ma bellesœur G… qui » ou encore « C’est S… du temps
que nous habitions Gagnon ; je lui avais passé…
et elle m’a passé… » Peut-être aussi que j’étais un
élève modérément intéressé qui ne croyait pas
qu’un jour… Me voilà presque, à retardement et
comment donc, en plein chagrin d’apprentissage !
Alors que je lui avais fait l’éloge, en long et en
large, de The Dickson Baseball Dictionary (Facts
on File, 1989 ; quel nom d’éditeur approprié pour
un dictionnaire, pour le dictionnaire du sport-àstatistiques par excellence qui plus est, n’est-ce
pas Belle-maman ?), qui venait de mener à terme
pour le baseball le même travail que poursuivait/
poursuit ( ?) le « Vocabulaire du tricot » (qui en
198
Renald Bérubé
est à la lettre « C » dans mes feuillets : sachez que
« CD » signifie « Croisé à droite »). Mais au moins,
nous pouvons être assurés d’une chose : le tricot
et le baseball sont des « univers » à part entière
qui possèdent chacun un langage qui lui est propre – et un dictionnaire ou un vocabulaire pour
l’attester.
Pour aller plus avant dans les chemins où
nous menèrent nos discussions sur les rapports
entre écritures codées du baseball et du tricot :
je lisais beaucoup, mon métier étant d’enseigner
la littérature, Belle-maman aimait lire, lisait
beaucoup, et se fiait – parfois plus que souvent – à
certaines recommandations du gendre. Elle a pris
grand plaisir à lire bien des Gabrielle Roy et bien
des Jacques Poulin, logique impeccable quand on
sait l’admiration de Poulin pour l’auteur de Ces
enfants de ma vie et de La détresse et l’enchantement.
Et devant son enthousiasme pour Chat sauvage
de Poulin (le romancier y parle de baseball, de
la traduction made in France d’un roman de John
Irving dans lequel un passage traitant de baseball évoque, vertu de la made in, une « quatrième
prise »), je me suis autorisé à lui parler du massacre que constitue souvent – presque toujours, de
fait – la traduction par des traducteurs français
de ces passages de romans états-uniens qui parlent de baseball ou de football (selon l’acception
nord-américaine de ce mot) : les Français, alors,
ne savent pas de quoi ils parlent, ils ne savent pas
comment se jouent ces jeux-là et traduisent au
199
Belle-maman, le baseball et le tricot :
de la lecture et de l’écriture.
p’tit bonheur la chance en essayant de rendre les
passages audibles pour qui, comme eux, ne sait
pas au juste de quoi il s’agit.
Ce qui ne pouvait pas ne pas nous mener sur
le terrain (!) même de l’écriture, de l’écriture de
fiction, de l’écriture dans une langue deuxième
de l’écriture première, de l’écriture de ses lectures. Parce que l’écriture, dirais-je, la fascinait, la
laissait tout à la fois fort admirative et un brin
désemparée (je comprenais aisément : comment
croyez-vous que je me sentais devant ses pièces tricotées après avoir vu de simples balles de
laine ?) : là où il n’y avait rien, sinon une feuille
blanche et quelqu’un qui tenait un stylo, ou un
écran blanc et quelqu’un devant son clavier, des
lignes de mots apparaissaient qui mettaient au
monde un univers que l’on aimait parcourir, ou
encore des lignes de mots commentant l’univers
que l’on avait eu plaisir à parcourir. En une formule comme en mille, ces intrigues-là l’intriguaient au plus haut… point.
Elle avait vu (et aimé, je crois) le film (1995),
mettant Demi Moore en vedette, que Roland Joffé
avait tiré de La lettre écarlate (1850) de Nathaniel
Hawthorne, l’un des trois ou quatre romans fondateurs de l’écriture romanesque états-unienne,
avec La prairie de Fenimore Cooper, Moby Dick
de Melville et Huckleberry Finn de Mark Twain.
Comment résister à la tentation, dès lors que La
lettre écarlate est l’un de vos romans à fonction
fétiche ? Comment ne pas lier écriture et tricot
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Renald Bérubé
(ou broderie), comment ne pas montrer la parenté
entre écriture et tricot (ou broderie) ? Car là où il
n’y avait rien, donc, sinon une… balle de laine,
des broches et quelqu’un voulant utiliser les deux,
il y avait dorénavant le « pull jacquard scottish »
bien tricoté : c’était tout autant une création qu’un
texte écrit sur le blanc antérieur. Or, on peut lire
dans La lettre écarlate cet extraordinaire passage
où la « pécheresse adultère » Hester Prynne, forcée d’afficher sa faute en se présentant sur la place
publique, devant ses concitoyens, en affichant un
A écarlate sur sa robe et en portant son enfant, sa
faute étant ainsi deux fois mises en évidence – on
peut lire, donc, le passage suivant :
When the young woman – the mother of this
child – stood fully revealed before the crowd,
it seemed to be her first impulse to clasp the
infant closely to her bosom […]. In a moment, however, wisely judging that one
token of her shame would but poorly serve to
hide another, she took the baby on her arm
[…]. On the breast of her gown, in fine red
cloth, surrounded with an elaborate embroidery and fantastic flourishes of gold-thread,
appeared the letter A. It was so artistically
done, and with so much fertility and gorgeous luxuriance of fancy, that it had all the
effect of a last and fitting decoration to the
apparel which she wore […].
[…] But the point which drew all eyes, and,
as it were, transfigured the wearer, – so that
both men and women, who had been fami-
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Belle-maman, le baseball et le tricot :
de la lecture et de l’écriture.
liarly acquainted with Hester Prynne, were
now impressed as if they beheld her for the
first time, – was that SCARLET LETTER, so fantastically embroidered and illuminated upon her bosom. It had the effect
of a spell, taking her out of the ordinary
relations with humanity, and enclosing her
in a sphere by herself.
En traduction de Marie Canavaggia dans la
collection de poche GF, cela se lit ainsi :
Quand la jeune femme, la mère de l’enfant,
se trouva pleinement exposée à la vue de la
foule, son premier mouvement fut de serrer
étroitement le nouveau-né contre elle. […]
L’instant d’après, jugeant sagement qu’un
des signes de sa honte ne servirait que bien
mal à cacher l’autre, elle prit l’enfant sur
son bras. […] Sur le corsage de sa robe, en
belle étoffe écarlate et tout entourée des arabesques fantastiques d’une broderie au fil
d’or, apparut la lettre A. C’était si artistiquement ouvré, avec une telle magnificence,
une telle surabondance de fantaisie, que cela
faisait l’effet d’un ornement des mieux faits
pour mettre la dernière main au costume
que portait la jeune femme […].
[…] Mais ce qui attirait tous les regards
et transfigurait en quelque sorte la femme
ainsi vêtue, si bien qu’hommes et femmes de
son ancien entourage étaient à présent frappés comme s’ils la voyaient pour la première
fois, c’était la LETTRE ÉCARLATE si
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Renald Bérubé
fantastiquement brodée sur son sein. Elle
faisait l’effet d’un charme qui aurait écarté
Hester Prynne de tous rapports ordinaires
avec l’humanité et l’aurait enfermée dans
une sphère pour elle seule.
Mais entre Belle-maman et moi, à ce stade-là
de nos lectures, il ne s’agissait pas surtout de
traduction d’une langue à l’autre, mais plutôt,
bel et bien, de traduction d’une pratique à une
autre. Elle admirait que je puisse, mots et papier
ou écran et clavier, formuler de la signification
là où il n’y avait que du blanc un peu plus tôt ;
que je puisse lire ce qui lui semblait indécodable.
Je lui disais que ses « patrons » de tricot ou de
points de dentelle m’étaient indécodables sans ses
connaissances, que les chandails qu’elle tricotait
ou les « centres » de dentelle qu’elle confectionnait constituaient ses textes à elle. L’écriture :
avec broches ou stylos, même combat ! Quand
Hawthorne décrit les travaux à l’aiguille d’Hester Prynne, il décrit très précisément sa pratique
de l’écriture : Hester et lui savent la nécessité de
broder avec finesse et raffinement dès lors qu’il
s’agit d’affronter les préjugés afin, idéalement, de
mettre un point final à leur nuisance.
Il n’est pas difficile de passer d’un roman
de Hawthorne à un ouvrage de Paul Auster : ce
dernier n’a-t-il pas nommé Fanshawe l’un des
personnages de La chambre dérobée, troisième
volet de sa Trilogie new-yorkaise, ce nom, Fanshawe, étant le titre d’un roman des débuts de
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Belle-maman, le baseball et le tricot :
de la lecture et de l’écriture.
l’œuvre hawthornienne ; sans oublier qu’Auster
a longuement préfacé, sous le titre « Hawthorne
en famille », le récit/conte intitulé Vingt jours avec
Julian et Petit Lapin, selon Papa (Actes Sud, 2003),
que Hawthorne écrivit en 1851 pour (disons) son
fils de cinq ans. La jeunesse, la vieillesse, les deux
extrémités du parcours qui nous est imparti ;
quand A., le narrateur-initiale des lignes de L’invention de la solitude données en épigraphe, lit à
son grand-père mourant « a series of coded messages » de matchs de baseball, il me semble ne pas
faire l’ombre d’un doute qu’il lui lit des line scores
sinon même des box scores, des résumés brefs ou
détaillés des matchs de la veille. C’est aussi à cela
que servent les messages codés serrés : à entretenir des liens si intimes entre les vivants qu’ils en
arrivent à rendre la mort aléatoire, comme.
Presque juste avant le passage de L’invention que nous avons mis en exergue de ce texte,
Auster a écrit : « Les souvenirs de base-ball de A.
étaient inévitablement liés à la mémoire de son
grand-père. C’est lui qui l’avait amené à son premier match, qui avait évoqué pour lui les joueurs
d’autrefois, qui lui avait révélé que ce sport est
affaire de parole autant que de spectacle. » Et
quelques lignes après le texte donné en épigraphe
cette fois, il a écrit : « Seule la mémoire le maintenait en vie, comme s’il avait voulu garder la mort
à distance aussi longtemps que possible afin de
pouvoir se souvenir. »
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Je regrette toujours que Belle-maman ait
quitté ce losange-ci en mars de plein tricot et de
plein hiver, il s’agit des ides of March du Jules César
de Shakespeare sans doute, me dis-je ; par temps
de tempête (tempest) de neige et subitement, qui
plus est – the rest is silence, dirait Hamlet en fin
de play. Mais je me console, bien sûr, la consolation étant toujours ce qui nous reste en ces
circonstances – je me console, elle est en bonne
compagnie Belle-maman, avec, bien sûr, Beaupapa qui l’a précédée au jardin des beaux tricots
(et des garages de belles voitures remises à l’état
neuf, vu qu’il était mécanicien), avec les Ashini et
Shoeless Joe de belle écriture et de beau baseball,
avec Hawthorne-Auster et leurs ouvrages tricotés
au p’tit point ; et, faut-il le lui souhaiter, avec un
scottish (ou un astrakan ?) de… compagnie ?
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