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1 Rousseau, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (1754) Séance 1. Séance de présentation. Rousseau face aux Lumières et au progrès Étude proposée par David Chaumat. Objectifs Mise en contexte du Second Discours - dans son siècle : opposition à l’optimisme progressiste des Encyclopédistes des Lumières, - dans l’œuvre de Rousseau. Méthode : contextualisation et approche définitoire par la comparaison de trois textes. Support : trois textes Texte n° 1. Extrait du poème « Le Mondain » de Voltaire (1736) Texte n° 2. Extrait du Discours sur les sciences et les arts (1750) Texte n° 3. Extrait du Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (1754) : début de la « Deuxième partie ». Préparation préalable à donner en accompagnement de la distribution de l’extrait du « Mondain » de Voltaire. Questions préparatoires Qu’est-ce que l’âge d’or ? Que désigne l’expression « le jardin de nos premiers parents » ? Voltaire oppose deux époques : relevez les formules les désignant. Relevez ensuite les termes appartenant au champ lexical du bonheur en les classant par types de bonheur. Quelle époque le champ lexical du dénuement désigne-t-il ? Vous relèverez les termes de ce champ. À l’aide d’indices d’énonciation et des champs lexicaux étudiés, indiquez quelle époque préfère Voltaire. ________________________________________________________________________________________ Site Présence de la littérature - Dossier Rousseau © SCÉRÉN-CNDP, 2006. 2 Texte n° 1. « Le Mondain » de Voltaire (1736) « Le Mondain Regrettera qui veut le bon vieux temps, Et l’âge d’or, et le règne d’Astrée [1], Et les beaux jours de Saturne et de Rhée [2], Et le jardin de nos premiers parents ; Moi je rends grâce à la nature sage Qui, pour mon bien, m’a fait naître en cet âge Tant décrié par nos tristes frondeurs [3] : Ce temps profane est tout fait pour mes mœurs. J’aime le luxe, et même la mollesse, Tous les plaisirs, les arts de toute espèce, La propreté, le goût, les ornements : Tout honnête homme a de tels sentiments. Il est bien doux pour mon cœur très immonde De voir ici l’abondance à la ronde, Mère des arts et des heureux travaux, Nous apporter, de sa source féconde, Et des besoins et des plaisirs nouveaux. L’or de la terre et les trésors de l’onde, Leurs habitants et les peuples de l’air, Tout sert au luxe, aux plaisirs de ce monde. O le bon temps que ce siècle de fer ! Le superflu, chose très nécessaire, A réuni l’un et l’autre hémisphère. Voyez-vous pas ces agiles vaisseaux Qui, du Texel [4], de Londres, de Bordeaux, S’en vont chercher, par un heureux échange, De nouveaux biens, nés aux sources du Gange, Tandis qu’au loin, vainqueurs des musulmans, Nos vins de France enivrent les sultans ? Quand la nature était dans son enfance, Nos bons aïeux vivaient dans l’ignorance, Ne connaissant ni le tien ni le mien [5]. Qu’auraient-ils pu connaître ? ils n’avaient rien. Ils étaient nus : et c’est chose très claire ________________________________________________________________________________________ Site Présence de la littérature - Dossier Rousseau © SCÉRÉN-CNDP, 2006. 3 Que qui n’a rien n’a nul partage à faire. » Débuter la séance en expliquant en introduction que Rousseau est un cas particulier du siècle des Lumières, que pour comprendre sa place, il faut connaître l’idéologie dominante des penseurs de son temps. 1. L’idéologie dominante des penseurs de son temps. Voltaire, le progrès et les Lumières Texte n° 1. « Le Mondain » de Voltaire (1736) Première étape : étude/correction de l’extrait du « Mondain » de Voltaire Mettre en avant l’opposition entre le passé et le présent : passé caractérisé par le dénuement et l’ignorance (vv. 30-35) ; présent marqué par : bonheur matériel, arts, bienfaits du commerce oppositions (tout/rien) ; négation appliquée au passé. Implication de Voltaire : « je » et modalisation indiquant sans nuance sa préférence pour le présent ; provocation et paradoxe (vv. 21-22). Deuxième étape : récapituler en expliquant l’idéologie du progrès des philosophes des Lumières Croyance en une amélioration continue et sans fin de la civilisation, de la raison, des arts et des sciences conduisant à la liberté et au bonheur. Expliquer l’image du substantif « Lumières » : par opposition à l’idée d’obscurantisme médiéval ; opposition des philosophes au dogme religieux ; mettre en avant la raison, l’esprit, les connaissances et savoir-faire techniques. 2. La position de Rousseau face au progrès des sciences et des arts Texte n° 2. Extrait du Discours sur les sciences et les arts (1750) « C’est un grand et beau spectacle de voir l’homme sortir en quelque manière du néant par ses propres efforts ; dissiper, par les lumières de sa raison les ténèbres dans lesquelles la nature l’avait enveloppé ; s’élever au-dessus de lui-même ; s’élancer par l’esprit jusque dans les régions célestes ; parcourir à pas de géant, ainsi que le soleil, la vaste étendue de l’univers ; et, ce qui est encore plus grand et plus difficile, rentrer en soi pour y étudier ________________________________________________________________________________________ Site Présence de la littérature - Dossier Rousseau © SCÉRÉN-CNDP, 2006. 4 l’homme et connaître sa nature, ses devoirs et sa fin. Toutes ces merveilles se sont renouvelées depuis peu de générations. [...] Tandis que le gouvernement et les lois pourvoient à la sûreté et au bien-être des hommes assemblés, les sciences, les lettres et les arts, moins despotiques et plus puissants peut-être, étendent des guirlandes de fleurs sur les chaînes de fer dont ils sont chargés, étouffent en eux le sentiment de cette liberté originelle pour laquelle ils semblaient être nés, leur font aimer leur esclavage et en forment ce qu’on appelle des peuples policés. Le besoin éleva les trônes ; les sciences et les arts les ont affermis. [...] [L]’effet est certain, la dépravation réelle, et nos âmes se sont corrompues à mesure que nos sciences et nos arts se sont avancés à la perfection. [...] On a vu la vertu s’enfuir à mesure que leur lumière s’élevait sur notre horizon, et le même phénomène s’est observé dans tous les temps et dans tous les lieux. » Étudier l’opposition entre le paragraphe 1 et les paragraphes 2-3 : l’éloge initial du progrès de l’intelligence et du savoir semble identique à Voltaire ; champ lexical de la liberté à mettre en lumière. Paragraphes 2-3 : faire trouver les termes opposés au champ lexical précédent de la liberté ; conduire les élèves à la conclusion de Rousseau : la corruption, l’asservissement et la fin des vertus par les arts et les sciences. Étudier les raisons : utiliser l’image des « guirlandes de fleurs sur des chaînes de fer » : fonction ornementale des sciences et des arts, art du bien-être et du paraître qui remplace la vertu et l’honnêteté. Récapituler : critique du progrès. Les progrès de l’intelligence de l’homme et de ses connaissances (arts et sciences) l’ont conduit à développer le bien-être et les apparences au détriment des vertus. Couronné en 1750 pour son Discours sur les sciences et les arts en réponse au sujet « Si le rétablissement des sciences et des arts a contribué à épurer les mœurs », Rousseau est devenu célèbre. Contrairement à l’attente probable, Rousseau n’a pas fait l’éloge des sciences et des arts ni chanté leur retour et leurs lumières après la nuit médiévale « pire que l’ignorance », mais il les a au contraire lourdement condamnés. À ses yeux, ils sont nés respectivement de l’oisiveté et du luxe, ont corrompu nos mœurs et s’opposent à la vertu. La vertu, « force et vigueur de l’âme », est liée à la simplicité naturelle aussi bien présente « sous l’habit rustique d’un laboureur » que dans les sociétés naissantes de l’Antiquité ; or ce naturel s’est perdu avec le temps par des manières policées, le luxe et le progrès. Arts et sciences ne sont à ses yeux que des artifices, des constructions : il les amalgame dans son système de pensée où l’art, entendu ________________________________________________________________________________________ Site Présence de la littérature - Dossier Rousseau © SCÉRÉN-CNDP, 2006. 5 comme élaboration, création – comprenant aussi bien les œuvres artistiques que l’artisanat et la technique – s’éloigne de la nature. Ainsi, aussi bien les arts que les sciences, sont des produits artificiels, mauvais car éloignés de la nature vertueuse de l’homme et qui l’en écartent. 3. La place du Second Discours Rousseau cherche, après le Second Discours, à définir l’origine de l’inégalité, aux sources du mal et de l’injustice. Il se place donc avant ce qu’il a défini dans le Premier Discours. Texte n° 3. Extrait du Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (1754) : début de la « Deuxième partie ». « Le premier qui, ayant enclos un terrain, s’avisa de dire : Ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de misères et d’horreurs n’eût point épargnés au genre humain celui qui, arrachant les pieux ou comblant le fossé, eût crié à ses semblables : Gardez-vous d’écouter cet imposteur ; vous êtes perdus, si vous oubliez que les fruits sont à tous, et que la terre n’est à personne. Mais il y a grande apparence, qu’alors les choses en étaient déjà venues au point de ne pouvoir plus durer comme elles étaient ; car cette idée de propriété, dépendant de beaucoup d’idées antérieures qui n’ont pu naître que successivement, ne se forma pas tout d’un coup dans l’esprit humain. Il fallut faire bien des progrès, acquérir bien de l’industrie et des lumières, les transmettre et les augmenter d’âge en âge, avant que d’arriver à ce dernier terme. » Faire rechercher aux élèves le champ lexical du progrès. Demander s’il conduit à des événements positifs. Faire trouver le champ lexical de la propriété. Étudier à quels autres champs lexicaux il est associé : violence, souffrance et imposture. Comparer au texte de Voltaire ce que pense Rousseau de la propriété et des biens. Virulence du propos : accumulation par énumération de violences ; indices d’énonciation ; discours direct « Gardez-vous... terre n’est à personne. » Récapituler en mettant en avant que la société et la propriété sont la cause de l’inégalité ; sans oublier que le tout est dû à la capacité humaine de se perfectionner. ________________________________________________________________________________________ Site Présence de la littérature - Dossier Rousseau © SCÉRÉN-CNDP, 2006. 6 Bilan/Conclusion Reformuler l’optique à contre-courant de Rousseau dans l’enthousiasme des penseurs des Lumières pour le progrès. Placer quelques repères seulement concernant Rousseau (dates, mort avant Révolution française, diversité de ses écrits). Synthétiser quelques différences majeures avec Voltaire, dont on spécifiera les dates et quelques écrits : - Rousseau proche des moralistes : importance de la vertu, rejet du luxe et du superflu. - Goût du paradoxe et de la formule enlevée de Voltaire (cf. extrait n° 1) ; optimisme et association du progrès, du bonheur et du bien-être. Annoncer la démarche de Rousseau dans le Second Discours : chercher à remonter la marche du progrès jusqu’à un point d’origine où elle n’a pas encore débuté. Il va donc imaginer l’homme d’origine avant tout progrès et avant toute société. Élargissement possible Condorcet (1743-94) « [L]’espèce humaine doit-elle s’améliorer, soit par de nouvelles découvertes dans les sciences et dans les arts, et, par une conséquence nécessaire, dans les moyens de bien-être particulier et de prospérité commune ; soit par des progrès dans les principes de conduite et dans la morale pratique ; soit enfin par le perfectionnement réel des facultés intellectuelles, morales et physiques, qui peut être également la suite, ou de celui des instruments qui augmentent l’intensité et dirigent l’emploi de ces facultés, ou même de celui de l’organisation naturelle de l’homme ? En répondant à ces trois questions, nous trouverons, dans l’expérience du passé, dans l’observation des progrès que les sciences, que la civilisation ont faits jusqu’ici, dans l’analyse de la marche de l’esprit humain et du développement de ses facultés, les motifs les plus forts de croire que la nature n’a mis aucun terme à nos espérances. » Optimisme ; croyance dans un progrès illimité. Étudier la différence avec Rousseau : perfectionnement moral chez Condorcet. NOTES [1] Astrée : figure de la mythologie grecque, symbole de la justice. Astrée est la fille de Zeus (le Jupiter romain) et de Thémis, déesse de la justice. Son retour est attendu pour restaurer l’âge d’or. ________________________________________________________________________________________ Site Présence de la littérature - Dossier Rousseau © SCÉRÉN-CNDP, 2006. 7 [2] Rhée (ou Rhéa) : épouse de Cronos (Jupiter chez les Romains), mère de Zeus et des dieux de l’Olympe. [3] Frondeur : adjectif désignant un goût pour la contradiction, la critique et l’insubordination. [4] Texel : île néerlandaise de la Mer du Nord. [5] « Ne connaissant ni le tien ni le mien » : ne connaissant pas la propriété. ________________________________________________________________________________________ Site Présence de la littérature - Dossier Rousseau © SCÉRÉN-CNDP, 2006.