Lazare de Schwendi , seigneur du Hohlandsbourg
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Lazare de Schwendi , seigneur du Hohlandsbourg
Lazare de Schwendi , seigneur du Hohlandsbourg Place de l’Ancienne Douane, à Colmar, où de Schwendi fait l’ornement d’une fontaine, Bartholdi l’a représenté revêtu de son armure, et brandissant à bout de bras des grappes de raisins. L’armure, c’est pour rappeler que le seigneur du Hohenlandsberg fut un grand chef de guerre. Quant aux grappes, elles illustrent la légende qui prétend que Schwendi a rapporté de Hongrie et implanté en Alsace, le cépage du tokay. Chef de guerre, oui, importateur du pinot gris, non ! c’est une fable ! Le cépage de notre pinot gris n’est pas celui du tokay de Hongrie. Alors, Schwendi , c’était qui ? Né en 1522 à Mittelbiberach , dans le Wurtemberg du Sud, il était l’enfant illégitime du seigneur Ruland de Schwendi et d’ une servante du château. Le père est mort trois années seulement après la naissance de l’enfant, qu’il avait cependant préalablement légitimé. Orphelin, Lazare a grandi sous la tutelle du magistrat de Memmingen. Devenu adolescent, et ayant montré de solides capacités intellectuelles, il fut envoyé à l’université de Bâle puis à la « Haute Ecole » de Strasbourg où il fit de bonnes et profitables études.( Créée en 1535 par l’humaniste Jean Sturm, la Haute Ecole deviendra en 1566 l’ Université de Strasbourg). Ici nous entrons dans l’histoire de l’Allemagne et des Habsbourg. Nous somme au milieu du 16è siècle, en pleines guerres des religions. Le trône du Saint Empire romain germanique est occupé par les Habsbourg, autrement dit, par la Maison d’Autriche. C’est un trône qui est en principe électif. Il regroupe sous son égide, sans vraiment les gouverner, une infinité d’états, de principautés, de duchés, de terres d’évêchés, de comtés, de seigneuries et de villes libres. Il y en avait plus de 300, au total. A l’exception notable de quelques villes de l’Allemagne du Sud, comme, par exemple, Cologne, et plus généralement de la Bavière, les grandes villes de l’Allemagne viennent majoritairement de passer à la Réforme, qui est, à ses débuts, un phénomène essentiellement urbain. Roi de l’Autriche – Hongrie, l’empereur est resté fidèle à Rome dont il se fait le champion dans la lutte contre les villes et les princes protestants. En ce milieu du 16ème siècle, l’empereur, c’est Charles Quint. La Maison d’Autriche est alors à l’apogée de sa puissance et de son expansion territoriale. Roi de l’Autriche-Hongrie, Charles Quint est aussi roi de Bohème, des Flandres, de la Bourgogne, de la Franche Comté, d’une partie de l’Alsace, d’une bonne partie de l’Italie, des Deux Siciles, de l’Espagne et par voie de conséquence, des colonies américaines de cette dernière. On disait que le soleil ne se couchait pas sur son royaume. Lazare n’a que 24 ans , quand l’empereur l’appelle à son service et le charge de missions de confiance , notamment de nature diplomatique. Dans un premier temps, il s’agit de convaincre les tenants de la religion réformée de ne pas rompre avec Rome et l’empereur. Schwendi s’applique à concilier les positions des partis en présence et à préserver la paix. Charles Quint lui-même temporise avant de se résoudre à la guerre. Ayant échoué dans son rôle de « Monsieur bons offices » (comme en dirait maintenant), Schwendi passe donc chef militaire pour exercer d’importants commandements en tant que colonel dans l’armée impériale. Avant d’abdiquer, en 1556, et de se retirer, comme on sait, dans un monastère espagnol, Charles Quint confère encor à de Schwendi le titre de conseiller impérial et le fait chevalier en reconnaissance de son dévouement. 1 Schwendi passe ensuite au service de Marguerite de Parme qui gouverne les Pays Bas au nom de son frère, Philippe II, fils de Charles Quint et roi d’Espagne. Puis c’est Ferdinand I , frère de Charles Quint et nouvel empereur d’Allemagne, qui requiert ses services et qui le charge de missions en Angleterre, en Allemagne du Nord , en Saxe et encore en d’autres parties de l’Empire. Si l’on se donne la peine de situer ses déplacements sur une carte et de les dater, on se dit qu’il a dû passer plus de temps à dos de cheval, que dans son lit. A 40 ans, cependant, marié à une Strasbourgeoise, Anne de Boecklinsau, Lazare de Schwendi aspire au repos et à la quiétude d’une vie de famille. Il rentre dans ses foyers en Alsace, où il a acheté aux comtes de Lupfen la seigneurie de Hohenlandsberg. Le voilà à la tête d’une seigneurie comprenant, outre le château , plusieurs localités des environs, dont Turckheim, Ammerschwihr, Ingersheim, Sigolsheim, Wintzenheim, et encore Kientzheim. Kientzheim, donc, et son château, l’actuel siège de la Confrérie St Etienne . Schwendi décide d’y établir sa résidence. C’est un château passablement délabré que le nouveau propriétaire va faire remettre en état. Il en profite pour l’agrandir et l’embellir dans le style à la mode , c’est à dire Renaissance. Hélas, la vie de château ne durera pas. A Vienne, Maximilien II, fils de Ferdinand I, vient d’accéder au trône de l’empire allemand. Il connaît Lazare de Schwendi pour l’avoir fréquenté dans la suite de son père, l’empereur Ferdinand, et il en sait la valeur. Or le nouvel empereur doit faire face aux armées du sultan turc Soliman le Magnifique, qui menacent la Hongrie et par-delà l’Occident chrétien. En 1564, il appelle Schwendi à la rescousse et lui confie le commandement suprême des armées impériales : « Oberste über alles Deutsche Kriegsvolk zu Ross und zu Fuss ». Jalonnée par de nombreuses batailles qui furent, pour le général en chef, autant de victoires, la campagne de Hongrie prend fin quatre années plus tard. En reconnaissance des services rendus à l’Empire, Maximilien II, confère à l’artisan de ces succès le titre de baron du Saint-Empire, Freiherr von Hohenlandsberg. Chevauchant à la tête d’une escorte de 40 cavaliers, de Schwendi revient en Alsace. A défaut de pieds de vignes magyares à implanter ici, il est fort probable que ses bagages contiennent quelques tonnelets du vin de cette région de Tokay à l’histoire de laquelle son nom restera attaché pour encore d’autres raisons. Les grimoires racontent en effet qu’au mois de février 1565, ses troupes ayant pris d’assaut la forteresse de Tokay, trouvèrent dans les souterrains du château « un fabuleux trésor de 10.000 ducats en or et des tonneaux remplis du meilleur vin du pays ». L’ histoire ne dit pas quel était le sort que Schwendi a réservé au butin. Diplomate chevronné, condottiere auréolé de prestige, Schwendi, se révèlera également bon administrateur. De retour en Alsace, il va se consacrer à la gestion de son patrimoine et au service des charges qu’il accumule au fil des ans. Sa prospérité et son ascension sociale sont à la mesure de ses ambitions. Aux seigneuries du Hohenlandsberg, en Alsace et de Burckheim, dans le Kaiserstuhl, s’ajoutent les seigneuries de Kirchhofen et de Triberg. A sa demande , il obtient la charge du bailliage de Kaysersberg , qui forme une subdivision du grand bailliage impérial dont le siège est à Haguenau. Le voilà donc bailli impérial, (Reichsvogt) . Avant d’aller faire la guerre en Hongrie, il avait déjà mis en route les travaux de remise en état du château du Hohenlandsberg, travaux qu’il s’agit maintenant de mener à bonne fin. Construite fin du XIIIème siècle, la forteresse n’était pas adaptée à l’emploi des armes à feu . Schwendi renforce donc sa défense par l’adjonction , côté nord, d’un bastion d’artillerie . Côté sud, il fait construire des dépendances comprenant 2 les écuries et plus généralement les communs. Il complète l’armement du château en y installant des canons pris aux Turcs et offerts par l’empereur C’est avec la même application qu’il administre ses seigneuries et y organise la vie publique et les activités économiques. A Kientzheim même, il fait réparer et garnir d’armes à feu les vieilles fortifications. Il crée une sorte de milice locale qu’il entraîne en organisant des concours de tir. Il prend des mesures de salubrité publique, réglemente l’assistance aux indigents, supervise l’approvisionnement en céréales, édicte une ordonnance de police qui réprime l’ivresse publique, le blasphème et tout manquement aux bonnes mœurs et aux devoirs de chrétien. Il voue enfin une attention particulière à la culture de la vigne et au commerce du vin. C’est ainsi qu’il freine l’ extension anarchique du vignoble de plaine qui se réalise au détriment des cultures céréalières et potagères. Il pousse au contraire au développement des vignes des coteaux et prend des mesures de protection en faveur des petits vignerons couverts de dettes et donc victimes des usuriers Lazare de Schwendi est alors en Alsace un des personnages les plus importants de son temps. Familier de la cour impériale, qu’il continue de fréquenter au cours de nouveaux déplacements, il est invité aux diètes de l’Empire (Reichstage). C’est un lettré, il ne cesse d’enrichir sa bibliothèque, il sait le latin, parle plusieurs langues, dont le français ( ce qui lui a permis de s’entretenir avec Charles Quint, par exemple, qui, élevé à la cour des ducs de Bourgogne, parlait à peine l’allemand) Il entretient une correspondance assidue avec l’empereur, dont il demeure le conseiller militaire. Il correspond de même avec les archiducs d’Autriche et d’autres personnages illustres de son temps. Il écrit des mémoires sur l’art militaire, tel ce « Traité sur la guerre contre les Turcs » qu’il destine à l’empereur Maximilien . Fidèle au catholicisme de ses origines, il n’est pas insensible aux idées de la religion réformée La politique de Rome l’indispose, ce qui lui vaut des sympathies dans le camp protestant au sein duquel certains n’hésitent pas à le ranger. Les massacres de la Saint Barthélemy, en France, le révoltent et il le dit à l’empereur Maximilien qui est bien placé pour savoir ce qui vient de se passer à Paris, puisque le roi de France, Charles IX, est son gendre. Schwendi prône la concorde religieuse obtenue par les concessions que devraient consentir les deux partis. Sa femme, Anne de Boeklinsau, étant morte en 1571, il épouse en deuxièmes noces, la comtesse Eléonore de Zimmeren. Elle est luthérienne, ce qui le porte à pratiquer jusque dans ses propres seigneuries une tolérance active à l’égard des protestants . De santé fragile, usé par les rudes épreuves de la guerre, de Schwendi n’a que 61 ans quand il décède en 1583 non pas à Kientzheim, mais dans son château de Kirchhofen , en Brisgau. Dans son testament , il a exprimé la volonté d’être inhumé à l’église de Kientzheim, où devaient être célébrées des obsèques dignes et simples suivies d’une distribution d’aumônes de 50 florins aux pauvres. Il y a stipulé, en outre, que soit érigé près de sa tombe un monument funéraire le représentant revêtu de son armure. Le bas-relief, en grandeur nature, de l’ancien général en chef de l’armée impériale et seigneur de Hohlandsbourg y est toujours présent. On prétend, à Kientzheim, que pendant la Révolution française des gens du village avaient enterré le monument pour le cacher et le préserver de la fureur iconoclaste des révolutionnaires. Comme vous l’avez constaté , toute la carrière, pas seulement militaire, mais aussi diplomatique et administrative de notre baron était lié à l’histoire des Habsbourg. Aux temps où de Schwendi en était le fidèle et efficace serviteur, les Habsbourg représentaient face à la Couronne de France, une des dynasties les plus illustres et les plus puissantes d’Europe. 3 Si vous m’accordez encore quelques minutes, c’est des Habsbourg, justement et de leurs liens avec l’Alsace que je voudrais brièvement encore vous entretenir. Les historiens penchent en effet à considérer que les racines des Habsbourg sont alsaciennes. Et que les ancêtres de l’illustre lignée habitaient et régnaient déjà en Alsace avant même de porter le nom de Habsbourg. Ceux que les historiens appellent les Proto-Habsbourg seraient issus de la lignée des ducs d’Alsace , autrement dit des Etichonides, qui furent les descendants d’Etichon , le père de sainte Odile ( morte en 720). Le patronyme Habsbourg remonte au XIè siècle Un Proto- Habsbourg, Wernher, qui fut évêque de Strasbourg et, en cette qualité, à l’origine de la construction de la cathédrale, s’est alors établi en Argovie (Aargau) en Suisse où il a fait construire un château appelé Habichtsburg (le château des autours) . Habichtsburg ayant , par altération , donné Habsburg, la dynastie a adopté ce nom comme patronyme.. Bien qu’ ayant par la suite transféré le siège familial en Argovie, les Habsbourg continuèrent de tenir une place importante en Alsace. Ils s’y étaient constitués un important patrimoine foncier et ils étaient notamment chargés du landgraviat de HauteAlsace . En 1273, un Habsbourg accéda au trône de l’Empire sous le nom de Rodolphe Ier , lequel conquit par la suite les duchés d’Autriche et de la Styrie (Steiermark). Progressivement , le centre de gravité de la puissance des Habsbourg bascula de l’Argovie vers l’Est et l’Autriche. La dynastie s’appela désormais Maison d’Autriche. Les Habsbourg, eux-mêmes, n’ont cessé de revendiquer leurs origines étichonides , donc alsaciennes. Se prévaloir de liens d’ascendance avec les ducs d’Alsace, leur permettait d’aligner un arbre généalogique au moins aussi ancien et prestigieux que celui des Capétiens. Et comme vous n’êtes toujours pas pressés de rentrer , je vais rapidement encore situer l’histoire de Schwendi par rapport à la période de l’histoire de France qui lui est contemporaine. Deux faits majeurs dominent alors l’actualité côté français: les guerres d’Italie , mais qui cesseront avec la mort de Henri II et les guerres de religion qui culmineront avec les horreurs de la nuit du 23 au 24 août 1572, c’est à dire les massacres de la Saint-Barthélemy. Dans le domaine des idées et des arts nous sommes en pleine Renaissance . Dominée par les figures de Rabelais, de Ronsard , de Montaigne elle triomphe avec les châteaux de la Loire. Quand Schwendi est né, en 1522, le trône de France était occupé depuis 1515 par François Ier, qui fut à vie l’adversaire de Charles Quint. Je rappelle, pour l’anecdote, que François Ier avait épousé la fille du roi précédent, Louis XII laquelle s’appelait Claude : la Reine Claude, qui a donné son nom à cette succulente prune jaune et joufflue que nous appelons reine-claude, justement. François Ier a eu pour successeur son fils Henri II qui est mort stupidement des suites de blessures subies lors d’un tournoi. La réalité du pouvoir royal passa ensuite entre les mains de sa veuve, Catherine de Médicis. Ses trois tarés de fils n’avaient en effet guère la capacité de l’exercer eux-mêmes, bien qu’ils fussent roi, chacun à son tour. L’aîné, François II, contrefait et souffreteux, époux depuis deux ans de Marie Stuart , reine d’Ecosse, meurt à 18 ans, un an et demi après être monté sur le trône. (voir le destin de Marie Stuart) Le deuxième, Charles IX, un psychopathe totalement dominé par sa mère, sera l’ instigateur des massacres de la Saint-Barthélemy et Henri III, un exalté, à la sexualité ambiguë, qui a invité le Duc de Guise chez lui en son château pour l’y faire assassiner , sera assassiné à son tour en 1589 par le moine Jacques Clément. Mais à cette date Lazare de Schwendi était mort depuis déjà 2O ans. Pour mémoire : Henri III sera le dernier de la lignée des Valois. Son successeur, Henri IV , fils de la reine de Navarre, Jeanne d’Albret et d’Antoine de Bourbon, fondera 4 la dynastie des Bourbon. Les Bourbon règneront en France jusqu’en 1830 (Charles X). En Espagne, il prendront en 1700 le relais des Habsbourg et s’y maintiendront jusqu’à nos jours . (L’actuel roi d’Espagne est un Bourbon.) Et pour conclure ce détour par l’histoire de France après un crochet par l’histoire des Habsbourg, je rappelle , pour l’anecdote également, que le sang bleu des rois de France se trouvait souvent mêlé au sang et aux gènes des Habsbourg . Elisabeth, la femme du roi Charles IX, et donc reine de France, on l’a vu, était une archiduchesse d’Autriche, fille de l’empereur Maximilien II. La deuxième épouse de Henri IV , Marie de Medici, était, elle aussi, la fille d’une archiduchesse autrichienne. Leur fils, Louis XIII qui avait donc une Habsbourg pour grand-mère, aura pour épouse Anne d’Autriche, infante d’Espagne, fille de Philippe III, un Habsbourg de la branche espagnole. Anne d’Autriche sera donc la mère de Louis XIV qui aura lui-même pour épouse Marie-Thérèse dite d’Autriche , infante d’Espagne, elle aussi. Et je ne parle pas de Marie-Antoinette, épouse du malheureux Louis XVI , ni de Marie-Louise, la femme de Napoléon, toutes deux des Habsbourg pur-sang, ni encore de Marie-Amélie de Bourbon , épouse de Louis-Philippe , qui était la fille du roi des Deux Siciles et de l’archiduchesse Marie-Caroline d’Autriche. Et puis, quand François 1er est devenu veuf après la mort de la reine Claude, devinez qui il a épousé en secondes noces : Eléonore, archiduchesse d’Autriche , la sœur de Charles Quint, et donc reine de France. Les Habsbourg, aux ascendances alsaciennes, ayant contribué à irriguer de leur sang le trône de France, dire que les rois de France étaient un peu alsaciens sur les bords, est tout de même un pas que je ne me permettrai pas de franchir. Mais le métissage fonctionnait aussi dans l’autre sens . Ainsi Charles Quint avait-il pour grand-mère la fille le Charles le Téméraire, le dernier des ducs de Bourgogne lesquels étaient de la lignée des Valois, issue des Capétiens. Isabelle de Parme, la femme de l’empereur d’Autriche Joseph II, le frère de Marie-Antoinette, était la petitefille de notre Louis XV. Comme on voit, après les mêlées sur les champs de bataille, on s’emmêlait allègrement au lit. Paul ESCHBACH 5
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